Anomalies oxydatives et inflammatoires dans la schizophrénie et ...

repose sur les traitements normothymiques dont le prototype est le lithium, aux côtés duquel on retrouve plusieurs molécules antiépileptiques. (acide valproïque ...
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NUMÉRO UNIVERSITÉ DE

SHERBROOKE

REVUE

Anomalies oxydatives et inflammatoires dans la schizophrénie et la maladie affective bipolaire Disturbances of oxidative and inflammatory status in schizophrenia and bipolar disorder Sylvain Grigon1,2, Jessica Deslauriers2 Université de Sherbrooke, faculté de Médecine et des Sciences de la Santé 1 Département de psychiatrie 2 Département de physiologie et de biophysique

Correspondance : Dr Sylvain GRIGNON CHUS-Hôtel Dieu 580, rue Bowen Sud Sherbrooke, Québec, J1G 2E8 Canada 819 346-110, poste 25541 Courriels : [email protected] [email protected]

Article reçu le : 8 mai 2012 Article accepté le : 25 septembre 2012

Vol.1 n°4

SYLVAIN GRIGNON

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Résumé Des anomalies du statut oxydatif et inflammatoire ont été documentées dans les maladies psychiatriques sévères que sont la schizophrénie et la maladie affective bipolaire (MAB). Leur rôle étiologique éventuel, et leur place physiopathologique, commencent à être étudiés avec précision, notamment à l’aide de modèles animaux. Les connaissances actuelles permettent en outre de préciser comment ces perturbations s’articulent avec les anomalies neurochimiques et systémiques identifiées dans la schizophrénie et la MAB. La place de la voie de la kynurénine, à l’interface entre les anomalies inflammatoires/oxydatives et neurochimiques, est notamment très étudiée. Des traitements visant les paramètres oxydatifs et inflammatoires commencent également à être testés, et seront brièvement discutés.

Summary Disturbances of oxidative and inflammatory statuses have been described for some time in schizophrenia and bipolar affective disorder (BAD), and are amenable to systematic, quantitative reviews. Ongoing investigations have focused on the position of these abnormalities with respect to the aetiology and pathophysiology of severe mental disorders. Some of these theories will be briefly discussed, notably mitochondrial disturbances in BAD and gestational immune activation in schizophrenia. The latter has been successfully implemented in rodent models, which allows a more precise understanding of the relationships between inflammatory/oxidative parameters and prominent neurochemical disturbances involving dopamine and glutamate neurotransmission. The kynurenine pathway has been much studied in this context as a potential link between inflammatory influences and neurochemical/behavioral outcomes. These results also form the basis for ongoing therapeutic investigations, which will be briefly discussed.

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SHERBROOKE Rappels cliniques

L

a schizophrénie et la maladie affective

de la pensée, la perception délirante, les idées

bipolaire (MAB) sont en général consi-

délirantes de contrôle, d’influence ou de passi-

dérées comme les maladies psychia-

vité, les hallucinations dans lesquelles des voix

triques les plus sévères, qu’il s’agisse de leur

parlent ou discutent du sujet à la troisième per-

impact clinique individuel, de l’utilisation des res-

sonne, les troubles du cours de la pensée et les

sources hospitalières, médicales et psychoso-

symptômes négatifs » (CIM10 ; Classification

ciales, ou des coûts indirects (employabilité par

statistique internationale des maladies et des

exemple) qui leur sont associés. La MAB est un

problèmes de santé connexes, 10e révision). À

« trouble caractérisé par deux ou plusieurs épi-

côté de ces caractéristiques cliniques, les tra-

sodes au cours desquels l’humeur et le niveau

vaux accumulés depuis une vingtaine d’années

d’activité du sujet sont profondément perturbés,

ont également montré l’existence de troubles

tantôt dans le sens d’une élévation de l’humeur

cognitifs qui occupent une place physiopatholo-

et d’une augmentation de l’énergie et de l’acti-

gique et pronostique importante.

vité (hypomanie ou manie), tantôt dans le sens

Les antipsychotiques sont la base du trai-

d’un abaissement de l’humeur et d’une réduc-

tement de la schizophrénie : ce sont, pharma-

tion de l’énergie et de l’activité (dépression) ».

cologiquement, des antagonistes du récepteur

La schizophrénie est caractérisée par « des dis-

dopaminergique D2 (D2R) et il est habituel de

torsions fondamentales et caractéristiques de la

distinguer :

pensée et de la perception, ainsi que par des

 les antipsychotiques de 1re génération comme

affects inappropriés ou émoussés […]. Les phé-

l’halopéridol, caractérisés par une liaison stable

nomènes psychopathologiques les plus impor-

au récepteur D2R, et par une propension éle-

tants sont : l’écho de la pensée, les pensées

vée à induire des effets secondaires neurolo-

imposées et le vol de la pensée, la divulgation

giques, notamment de type parkinsonien ;

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SHERBROOKE  les

antipsychotiques

de

2e

génération

comme la rispéridone, caractérisés par un

la distinction entre les deux classes thérapeutiques.

antagonisme plus réversible du récepteur

Dans les deux cas, les études d’épidé-

D2R, et un antagonisme à forte affinité vis-

miologie génétique ont montré une héritabilité

à-vis du récepteur 5-HT2A ;

élevée (de l’ordre de 0,8) dont le substrat mo-

 et les antipsychotiques de 3e génération (ari-

léculaire commence également à être étudié,

piprazole), qui sont des agonistes partiels du

certains des gènes de vulnérabilité identifiés

récepteur D2R.

étant d’ailleurs communs à la schizophrénie et

Le traitement au long cours de la MAB

à la MAB. Les deux maladies présentent des

repose sur les traitements normothymiques dont

physiopathologies complexes, qui, en dépit

le prototype est le lithium, aux côtés duquel on

de multiples avancées, restent imparfaitement

retrouve plusieurs molécules antiépileptiques

expliquées à l’heure actuelle. En particulier, de

(acide valproïque, carbamazépine, lamotrigine).

multiples travaux ont montré l’existence d’ano-

Les antipsychotiques de 2e génération, notam-

malies inflammatoires et de perturbations du

ment la quétiapine (normothymique et antidé-

statut oxydatif, et ont commencé à explorer la

pressive à doses moyennes, antipsychotique

place de ces anomalies dans la pathogenèse

à doses plus élevées) brouillent actuellement

de ces maladies.

Anomalies inflammatoires et oxydatives : mise en évidence Dans la schizophrénie, il existe clairement des

et du sIL-2R (0,6). Ces résultats sont comparables

perturbations

périphériques,

chez les sujets non traités par antipsychotiques

comme l’ont montré Potvin et collaborateurs dans

(APs) et ne semblent donc pas expliqués par le

une revue systématique. Les données révisées

traitement pharmacologique [1]. Dans une étude

montrent une augmentation des concentrations

récente menée chez des patients jamais traités ou

d’IL-6 (taille de l’effet : 0,46), de l’IL-1ra (0,52)

couramment en sevrage d’APs, le diagnostic de

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inflammatoires

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SHERBROOKE schizophrénie s’est avéré un prédicteur signifi-

hyde, un marqueur de peroxydation lipidique,

catif des niveaux de protéine C réactive (PCR),

qui montre une élévation significative (taille d’ef-

avec une élévation de plus de 135 % par rapport

fet : 1.22) non-expliquée par les effets du trai-

aux contrôles ; cette élévation persistait dans un

tement [4]. Un effet encore plus marqué (taille

modèle multivarié prenant en compte de mul-

d’effet 2.49) a été rapporté dans la MAB [5].

tiples facteurs confondants et paraissait surtout corrélée à la symptomatologie négative [2].

Les données concernant les anomalies centrales sont évidemment plus rares. En post

Dans la maladie affective bipolaire

mortem, Wang et al ont montré une nette aug-

(MAB), la situation est rendue plus complexe

mentation du nombre de neurones du cortex

par les polarités diverses de la maladie (manie,

cingulaire positifs pour le 4-hydroxynonenal (4-

dépression, euthymie). Les anomalies les plus

HNE) un produit de la peroxydation lipidique,

franches sont retrouvées dans la manie où il

dans la MAB (+59 %) et la schizophrénie (+47 %),

semble exister une augmentation relativement

mais pas dans la dépression majeure [6]. Cet

homogène des cytokines pro-inflammatoires qui

effet était atténué chez les patients traités, dans

ont été testées (PCR, TNF-α et IL-6) mais aussi

les deux groupes diagnostiques, et ne semble

de l’IL-1ra ; les résultats sont plus contradic-

donc pas imputable au traitement médicamen-

toires pour l’IL-4. Dans la dépression, les ano-

teux. Chez des patients bipolaires euthymiques,

malies sont moins fréquemment retrouvées et

Söderlund et al [7] ont montré une forte aug-

semblent porter sur les mêmes cytokines ; enfin,

mentation des concentrations d’IL-1b dans le

à l’euthymie, il semble exister une décroissance

liquide céphalorachidien, particulièrement pro-

de plusieurs cytokines dont IL-10 [3].

noncée chez les patients ayant présenté un état

Le statut oxydatif est également perturbé

maniaque dans l’année précédente (+675 %) ;

dans les deux maladies. Dans la schizophré-

à l’inverse, il existait une diminution (-47 %)

nie, nous avons effectué une méta-analyse des

des concentrations d’IL-6. Dans la schizophré-

concentrations périphériques de malonedialdé-

nie, Yao et al [8] ont démontré l’existence d’une

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SHERBROOKE augmentation de nitrites/nitrates dans la région

n’existe pas, à notre connaissance, de données

caudée, mais n’ont pas exploré l’existence de

montrant des modifications des taux de cyto-

formes radicalaires ou d’adduits associés. Il

kines centrales dans la schizophrénie.

Aspects étiologiques et physiopathologiques L’implication des anomalies inflammatoires et

le traitement (la normalisation du statut inflam-

oxydatives dans la MAB et la schizophrénie

matoire ou oxydatif a-t-elle un potentiel théra-

peut être abordée à travers l’étiologie (dans

peutique ?). Nous décrirons ci-dessous deux

quelle mesure ces anomalies sont-elles cau-

modèles étiologiques – parmi plusieurs autres –

sales ?), la physiopathologie (contribuent-elles

qui permettent de préciser la place des anoma-

à la production des anomalies biologiques ou

lies oxydatives et inflammatoires dans la MAB

des symptômes cliniques de la maladie ?), voire

et la schizophrénie, respectivement.

Mitochondries et MAB Des anomalies du métabolisme oxydatif ont été

glycolytique au détriment de la phosphorylation

repérées dans les maladies psychiatriques sé-

oxydative, qui pourrait être en rapport avec ces

vères, notamment dans le cortex préfrontal, en

anomalies mitochondriales. Enfin, des cultures

parallèle avec une sous-régulation de plusieurs

lymphocytaires issues de patients bipolaires ont

gènes impliqués dans les fonctions mitochon-

réagi à une privation de glucose par une sous-

driales. Des études effectuées en spectroscopie

régulation des transcrits mitochondriaux, à l’in-

par résonance magnétique ont confirmé, dans

verse des cultures contrôles, qui réagissaient,

le trouble bipolaire, l’existence d’une diminution

elles, par une surexpression des mêmes voies

du pH et une augmentation du métabolisme

métaboliques [9].

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NUMÉRO UNIVERSITÉ DE

SHERBROOKE Inflammation gestationnelle et schizophrénie Le modèle neurodéveloppemental de la schi-

d’une épidémiologie d’influenza, de périodes de

zophrénie propose que la maladie résulte

malnutrition et parmi les enfants nés à la fin de

d’anomalies précoces (génétiques, gestation-

l’hiver et au printemps (effet « saison de nais-

nelles, ou périnatales) qui restent pour l’essen-

sance » [10]). Ce dernier phénomène a donné

tiel latentes jusqu’à la puberté ou au début de

lieu à des interprétations diverses, mais pour-

l’âge adulte. Les remaniements hormonaux de

rait être relié aux infections respiratoires de

la puberté, les contraintes sociales et cognitives

l’automne et du début de l’hiver, ce qui suggère

associées au début de l’âge adulte, et d’autres

que le deuxième trimestre de la grossesse est

facteurs environnementaux comme les drogues

une période critique pour la constitution de la

récréatives contribueraient alors à favoriser

vulnérabilité schizophrénique [11]. Les consé-

l’expression clinique de cette vulnérabilité pré-

quences à long terme sont probablement en

coce, et notamment l’apparition de symptômes

rapport avec l’induction d’un état inflammatoire

psychotiques francs. Par contre, les anomalies

chez la mère et ses conséquences sur le fœ-

neuroanatomiques (comme l’amincissement

tus, plutôt que par une infection placentaire ou

cortical ou la dilatation ventriculaire), sont pré-

fœtale, beaucoup plus rare. De fait, des études

sentes avant le début de la maladie et relative-

cas-contrôles rétrospectives effectuées sur des

ment stables après le début de celles-ci, hormis

sérothèques ont montré une augmentation du

chez les patients présentant une évolution défa-

risque de schizophrénie chez les descendants

vorable, chez lesquels ces anomalies sont plus

de femmes ayant présenté un état infectieux

évolutives. Cette hypothèse tire en partie son

ou inflammatoire pendant la grossesse ; par

origine et son support empirique de données

exemple, chez des femmes déjà immunisées,

épidémiologiques montrant une augmentation

la présence d’un taux élevé d’anticorps (IgG)

de l’incidence de la schizophrénie à distance

contre le parasite toxoplasma gondii était

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NUMÉRO UNIVERSITÉ DE

SHERBROOKE associée à une nette augmentation du

mation gestationnelle (influenza, rubéole, injec-

risque de schizophrénie chez les descendants

tions génitales, taux élevés d’IL-8) et semblent

(rapport de cotes : 2,6) [12]. Ces observations

donc relativement généralisables [13].

ont été étendues à d’autres situations d’inflamLe modèle d’activation immunitaire gestationnelle de la schizophrénie

Les données épidémiologiques mentionnées

du réflexe de sursaut auditif (IPP) ; les animaux

ci-dessus ont servi de base à des modèles ani-

répondaient de manière accrue à une drogue

maux de schizophrénie, développés chez le rat

psychotomimétique (kétamine) ; à l’inverse

ou chez la souris. L’injection gestationnelle de li-

l’administration d’antipsychotiques (clozapine et

popolysaccharide (LPS) induit certaines pertur-

chlorpromazine) tendait à normaliser l’ensemble

bations comportementales et physiologiques en

de ces paramètres. De manière intéressante, le

rapport avec la schizophrénie, décelables vers

même travail montrait qu’une injection intrapé-

70 jours postnataux [14]; elle induit également

ritonéale d’acide polyinosinique:polycytidylique

des perturbations des niveaux de cytokines cir-

(poly(I:C)), un ARN double brin synthétique,

culantes repérables jusqu’à 170 jours postna-

induisait des anomalies équivalentes [16]. De

taux (IL-2, IL-6), voire jusqu’à 400 jours (TNF-α).

plus, l’implication de la réponse inflammatoire

Par contre, les concentrations d’IL-1b sont peu

maternelle a été confirmée et précisée dans le

ou pas modifiées [15]. La stimulation immuni-

travail de Smith et al. [17] à partir d’un modèle

taire a également été étudiée en infectant les

analogue : un anticorps bloquant IL-6 administré

femelles gestantes avec le virus de l’influenza :

pendant la gestation prévenait partiellement ou

la progéniture de ces souris infectées présentait

complètement les effets comportementaux de

une diminution des interactions sociales, une

l’activation immunitaire induite par le poly(I:C) ;

diminution des comportements exploratoires,

à l’inverse, l’administration gestationnelle d’IL-

ainsi qu’un déficit de l’inhibition par prépulse

6 reproduisait des anomalies similaires, tandis

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SHERBROOKE que l’IFNγ était dépourvu d’effet. Les principaux

d’activation immunitaire de la schizophrénie

résultats utilisant le poly(I:C) dans un modèle

sont résumés dans le tableau 1 [14].

Protocole expérimental

Anomalies neurochimiques

PolyIC 5 mg/kg IV G9 Souris Observations dans le cerveau fœtal (5 h après)

Ĺ niveaux de IL-1ȕ, IL-6, TNF-Į Ĺ immunoréactivité de TH Ĺ immunoréactivité de DAT

PolyIC 5 mg/kg IV G9 Souris Ļ immunoréactivité de rééline Observations à l’âge juvénile

Anomalies comportementales

Références Meyer et al. 2006 Meyer et al. 2008c

Meyer et al. 2006 ; Meyer et al. 2008b

Ĺ activité locomotrice induite par les psychostimulants (amphétamine)

PolyIC 20 mg/kg IV G9 Ļ immunoréactivité de la rééline Souris Ĺ immunoréactivité GAD67 Observations à l’âge juvénile

PolyIC 5 mg/kg IV G9 Souris Observations à l’âge adulte

PolyIC 5 mg/kg IP G12-17 Souris Observations à l’âge adulte

PolyIC 20 mg/kg IP G12.5 Souris Observations à l’âge adulte

Harvey et al. 2011

Ĺ niveaux DA Ĺ niveaux DOPAC/HVA Ļ niveaux 5-HT Ļ niveaux 5-HIAA Ļ immunoréactivité de reeline Ļ immunoréactivité de parvalbumine Ĺ immunoréactivité de TH Ļ immunoréactivité du récepteur DRD1 Ļ immunoréactivité du récepteur DRD2

Ĺ activité locomotrice induite par les psychostimulants (amphétamine et MK-801) Ļ comportement exploratoire (Open Field) Ļ PPI (de l’anglais prepulse inhibition) Ļ inhibition latente Ļ performance de mémoire (Morris Water Maze)

Ĺ niveaux DOPAC/HVA Ļ immunoréactivité du récepteur DRD2

Ĺ activité locomotrice induite par les psychostimulants (amphétamine) Ļ reconnaissance d’objet Ļ PPI (de l’anglais prepulse inhibition) Ļ comportement exploratoire (Open Field) Ļ interaction sociale Ļ PPI (de l’anglais prepulse inhibition) Ļ inhibition latente

Winter et al. 2009 ; Meyer et al. 2009 ; Meyer et al. 2008a ; Meyer et al. 2008b

Ozawa et al. 2006

Smith et al. 2007

Tableau 1. Modèle d’activation immunitaire gestationnelle chez la souris: anomalies comportementales et neurochimiques

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NUMÉRO UNIVERSITÉ DE

SHERBROOKE Les systèmes cibles neurochimiques et leur modulation inflammatoire/neurochimique Transmission dopaminergique

Tous les antipsychotiques utilisés à l’heure ac-

hydroxylase dans un modèle inflammatoire de

tuelle en clinique sont des antagonistes du ré-

schizophrénie [19].

cepteur dopaminergique D2R (D2R), une situa-

La densité des récepteurs D2R serait

tion dont l’investigation a été à l’origine de l’hy-

également plus élevée chez les patients (taille

pothèse dopaminergique de la schizophrénie.

d’effet 0,26), mais ce résultat est moins robuste

Celle-ci propose que les symptômes psycho-

sur le plan statistique ; de plus, il ne semble pas

tiques (ou positifs) de la maladie sont associés

exister de différence chez les patients « naïfs »

à une augmentation de la transmission dopami-

aux antipsychotiques. Par contre, la surexpres-

nergique sous-corticale, notamment au niveau

sion du récepteur D2R en réponse au traitement

du nucleus accumbens. L’utilisation de l’ima-

chronique semble bien établie ; elle pourrait

gerie fonctionnelle a permis de préciser et de

contribuer à l’apparition de l’hypersensibilité do-

quantifier le type d’anomalies dopaminergiques

paminergique et ainsi participer à la résistance

retrouvées dans la schizophrénie et a fait l’objet

au traitement antipsychotique et à la genèse

d’une méta-analyse récente [18]. Le paramètre

d’effets secondaires sévères de celui-ci tels que

le plus significativement élevé est le composant

la dyskinésie tardive [20-22]. Nous avons contri-

présynaptique (capacité de synthèse de la do-

bué à montrer l’implication du stress oxydatif

pamine, qui est notamment sous la dépendance

dans le contrôle de l’expression du D2R [23] ;

de l’activité de la tyrosine hydroxylase) avec

plus récemment, nous avons montré, in vitro,

une taille d’effet de 0,79. Ceci pourrait être mis

que la surexpression du D2R induite préféren-

en relation avec les anomalies inflammatoires

tiellement par un antipsychotique de 1re géné-

mentionnées plus haut : chez le rat, il a en effet

ration était efficacement prévenue par l’acide

récemment été montré que la neutralisation de

lipoïque, un antioxydant [24]. Ceci suggère que,

l’IL-6 prévenait la surexpression de la tyrosine

parmi leurs autres propriétés, la propension des

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SHERBROOKE antipsychotiques de 1re génération à induire un

ment thérapeutique à long terme qui leur est

stress oxydatif [25], pourrait contribuer au risque

associé [26].

plus élevé de dyskinésie tardive et d’échappeTransmission glutamatergique et GAD67

L’hypothèse glutamatergique de la schizophré-

GABAergiques positifs à la parvalbumine, au ni-

nie est l’autre grande théorie neurochimique de

veau du cortex frontal [27]. Il existe en particulier

la maladie, et a été formulée à partir d’observa-

une diminution de l’expression de la GAD67, qui

tions cliniques d’états psychotiques induits par la

est une « signature neurochimique » régulière-

phencyclidine ou la kétamine, qui sont des anta-

ment retrouvée dans la schizophrénie et la MAB.

gonistes du récepteur NMDA. Chez le rongeur,

Un travail influent a confirmé la relation directe

les effets de la phencyclidine sont mimés par

entre le blocage du récepteur NMDA et la sous-

l’invalidation génique de la sous-unité NR1 du

régulation de la GAD67, et montré l’implication

récepteur NMDA au niveau des interneurones

du stress oxydatif dans cette relation [28].

La voie de la kynurénine, interface des anomalies inflammatoires et neurochimiques ?

La kynurénine est formée à partir du trypto-

ultérieures donnent naissance à deux types de

phane sous l’action de deux enzymes, l’indolea-

composés : d’une part l’acide kynurénique, un

mine-pyrrole 2,3-dioxygenase (IDO) et la trypto-

antagoniste du récepteur NMDA et du récep-

phane 2,3-dioxygenase (TDO) (Figure 1) ; l’IDO

teur nicotinique α7, qui présente des propriétés

est une enzyme inductible par les stimuli inflam-

activatrices indirectes sur les neurones dopa-

matoires, et notamment l’interféron γ (IFNγ) ;

minergiques du mésencéphale ; et d’autre part

les glucocorticoïdes sont des activateurs trans-

une série de dérivés neurotoxiques et pro-oxy-

criptionnels de la TDO, dont l’activité catalytique

dants comme l’acide quinolinique (Figure 1).

est par ailleurs augmentée par la présence de

Des concentrations élevées (jusqu’à 3 fois) de

radicaux oxygénés. Les étapes métaboliques

kynurénine et d’acide kynurénique, ainsi que

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Figure 1. Métabolisme du tryptophane et synthèse de la kynurénine

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SHERBROOKE des perturbations des étapes enzymatiques

lies inflammatoires et oxydatives décrites plus

correspondantes, ont été décrites dans la schi-

haut ; il faut toutefois préciser que ces considé-

zophrénie et les troubles de l’humeur [29]. En

rations restent relativement théoriques, et que

raison à la fois des influences qui la modulent

l’impact clinique éventuel d’une normalisation

et de ses propriétés neurochimiques, la voie de

des niveaux de kynurénine est à l’heure actuelle

la kynurénine est donc bien positionnée pour

inconnu.

expliquer l’impact neurochimique des anomaQuelques conséquences potentielles Maladies systémiques

La schizophrénie et la MAB sont associées à

ment identifiables (dyslipidémie, diabète, taba-

une surmortalité significative (taux de mortalité

gisme, sédentarité), l’inflammation à bas bruit

due à des affections médicales entre 1.5 et 3

– repérable notamment par des niveaux élevés

fois celui des contrôles) et à une réduction de

de CRP dans ces populations [2, 30] – pourrait

l’espérance de vie évaluée à 10-15 ans, du fait

également contribuer à l’augmentation du risque

notamment d’une surmortalité cardio-vascu-

cardio-vasculaire [31, 32].

laire. En marge des facteurs de risque claireÉrosion télomérique

Les télomères sont des structures nucléopro-

clenchement de l’apoptose. Il a été montré que,

téiques terminant les chromosomes dont l’ho-

entre autres influences, le stress oxydatif exerce

méostasie résulte d’interactions entre l’élon-

un effet prédominant dans le raccourcissement

gation, la recombinaison, la réplication et le

des télomères [33], et que ce paramètre

coiffage. Le raccourcissement des télomères

peut donc être utilisé, dans une certaine

est associé à la sénescence cellulaire et au dé-

mesure, comme un marqueur cumulatif de

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NUMÉRO UNIVERSITÉ DE

SHERBROOKE stress oxydatif. Dans la schizophrénie, plu-

Des données analogues ont été obtenues

sieurs études ont montré une érosion accé-

dans le trouble bipolaire et suggèrent que

lérée des télomères, et ce dès le premier

la diminution de longueur télomérique est sur-

épisode, indépendamment de toute expo-

tout associée à la survenue d’états dépressifs

sition à un traitement antipsychotique [34].

majeurs [35, 36].

Implications thérapeutiques Dans la schizophrénie, plusieurs études de qua-

de glutathion mais présente par ailleurs des

lité méthodologique variable suggèrent un effet

propriétés modulatrices glutamatergiques [37].

positif d’associations d’antioxydants (vitamines

Des résultats préliminaires ont également été

C et E, acides gras polyinsaturés). Les don-

obtenus avec des inhibiteurs de la cyclooxygé-

nées sont plus convaincantes pour la N-acétyl

nase 2 (celecoxib notamment) dans la MAB et

cystéine, qui contribue à restaurer les niveaux

la schizophrénie [3].

Conclusion Des anomalies oxydatives et inflamma-

neurochimiques, comportementaux et systé-

toires sont clairement démontrables dans les

miques. Les premières tentatives thérapeu-

maladies psychiatriques sévères. Leur impact

tiques issues de ces approches commencent

dans la compréhension générale de ces mala-

à apparaître, et leur place précise dans l’arse-

dies commence à être mieux appréhendé et

nal thérapeutique devra être précisée dans les

permet en particulier d’intégrer certains aspects

années à venir.

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SHERBROOKE Glossaire D2R : récepteur dopaminergique de type 2

Poly(I:C) :acide polyinosinique:polycytidylique

IDO : indoleamine-pyrrole 2,3-dioxygenase

MAB : maladie affective bipolaire

IFNγ : interféron-gamma

NMDA : N-méthyl-D-aspartate

IL-1ra : antagoniste du récepteur de l’interleu-

PCR : protéine C réactive

kine-1

sIL-2R : récepteur soluble de l’interleukine-2

IL-4 : interleukine-4

TDO : tryptophane 2,3-dioxygenase

IL-6 : interleukine-6

TNF-α : de l’anglais tumor necrosis factor-alpha

LPS : lipopolysaccharide Références 1. Potvin S, Stip E, Sepehry AA, et al., Inflam-

4. Grignon S, Chianetta JM, Assessment of

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