Alice Griveau Recensant les pratiques d'Alice Griveau

Recensant les pratiques d'Alice Griveau souvent réunies en un seul ensemble, on trouve la performance, la sculpture, la photographie, l'estampe et l'écriture, l'installation les réunissant dans un espace et un type de circulation. Le lieu d'exposition est l'atelier où vont être opérées les transformations : il est le chantier.
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Alice Griveau Recensant les pratiques d'Alice Griveau souvent réunies en un seul ensemble, on trouve la performance, la sculpture, la photographie, l'estampe et l'écriture, l'installation les réunissant dans un espace et un type de circulation. Le lieu d'exposition est l'atelier où vont être opérées les transformations : il est le chantier longtemps occupé où le chaos vital va se changer en trajectoire ou en parcours. C'est donc une tentative de construction laissant sa part à l'inachevé, une migration d'éléments venus de l'informe et cherchant leur place provisoire. Il y aurait peut-être un désastre au début, comme une tornade ou un bombardement, parce que tout semble partir de la ruine, du tas et de l'effondrement. La situation est celle de la tâche impossible : ni maintenance, ni restauration, ni simple collecte de fragments, elle est confrontation, mise à l'épreuve des possibilités d'un corps au seuil de la submersion. Être débordée, cela signifie entrer dans des ordres de quantité qu'on ne peut pas maîtriser. Le chantier majeur est de l'ordre des grands travaux où l'engagement physique serait premier, un engagement sans recul dans les matériaux les plus ingrats du sculpteur, matériaux pour le corps ouvrier et la conscience d'œuvrer à l'aveugle, immergé dans l'ampleur de la maison-monde dont le toit nous serait tombé sur la tête. Pour que notre texte soit aussi concret que l'art de Griveau, il faudrait raconter une histoire, celle de la création d'un de ses premiers ensembles. En 2015, elle dort à la belle étoile au bord de l'Arno à Florence quand une tornade très localisée et d'une violence incroyable brise et arrache des arbres centenaires. La photographie, témoin direct, ne sera jamais à l'échelle du désastre. Seule la sculpture peut témoigner de l'impact et du fracas. C'est ce geste et cet acte d'inscription qui nous sont montrés, ou : comment deux régimes, celui de l'image et de la matière, sont mis en contact. En effet, les photographies prises au bord de l'Arno, mikado gigantesque des arbres couchés, ont été sérigraphiées sous forme de macules noires ou d'effacements fantomatiques sur des planches de bois de différents formats déjà travaillées pour la xylographie, en une rencontre des techniques sens dessus dessous, où le bois est creusé par l'image dans sa matière même. L'inscription est lourde. Elle rentre dedans. Elle met du poids. Pour Griveau, les techniques de l'estampe proposent des matériaux riches de vieux palimpsestes et de traces effacées, comme la pierre lithographique mille fois poncée, la plaque de cuivre grattée, l'écran de soie lavée et la feuille de métal de l'offset. Il y a une contiguïté traditionnelle entre la sculpture et les techniques de l'estampe, dont la photographie argentique, de par cette opération qu'est l'empreinte. Griveau met en contact du matériel destiné à l'impression, terme où elle entend d'abord pression, écrasement, emboutissement, avec une image photographiée par elle-même ou trouvée parmi les milliards qui nous entourent. Ce contact crée une rencontre ou une boucle dans la mesure où les images, de loin ou de près, entrent en résonance avec un état général de la sculpture aujourd'hui ou avec une pensée de ce qu'elle peut être. Nous pouvons aller plus loin en avançant que les images choisies font écho à un état du monde qui est le modèle même de ce que serait la sculpture aujourd'hui. On ne peut pas dire que celle-ci témoigne, mais elle travaille avec cet état du monde où la destruction et l'encombrement dominent.

L'image et la matière ne sont pas ici termes antagonistes. S'il y a contact, c'est que quelque chose d'intime les rassemble. Ou même qu'à un certain degré les définitions s'échangent : ainsi, dans la sérigraphie par exemple, la matière de l'image est dépôt. Griveau est intéressée par la saturation de l'image à un tel niveau qu'elle devient tangible et invite au toucher-voir comme le fait la sculpture. Ainsi, jamais le ciment par exemple, ne pourrait-il être considéré comme un support, et même un bloc de mousse en polyuréthane ne saurait être considéré ainsi tellement l'unité et l'homogénéité sont grandes entre la matière et l'impression. La matière la plus brute contiendrait des images et les images les plus apparemment volatiles posséderaient un physique. Entrant dans une installation de Griveau, nous avons l'impression de nous trouver dans la fabrique même du travail. C'est un espace de gestation et de transformation dont nous suivons les métamorphoses grâce à des séries. Nous disons gestation pour intriquer le corps à la machine. Le côté répétitif et machinique des séries est propice à des transformations lentes. Nous ne dirions pas qu'elles prennent une direction ou le sens d'une évolution, mais elles partent souvent de l'informe, de la tache par exemple, pour aller vers une image pas du tout rédemptrice puisqu'elle s'abîme et se désagrège à son tour. Il n'y a pas d'évolution mais des passages, passages du papier à la tôle, empreintes d'encre lourde du ciment à la mousse. Nous sommes retenus par un mélange de rudesse et d'âpreté, comme si le lieu d'exposition véhiculait des poids et des forces. Frédéric Valabrègue