à Marseille, le parcours chaotique des évacués

à la défiance des habitants des quartiers populaires ». Elle seraitorganisée sous l'égide de la Commission nationale du débat public (CNDP), une autorité indé-.
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vendredi 23 novembre 2018 / La Marseillaise

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provence / notre dossier

à Marseille, le parcours chaotique des évacués

centre-ville

Le conseil citoyen veut une cellule d’écoute psychologique Le conseil citoyen des 1er et 6e arrondissements (Canebière – Noailles – cours Julien) « constate un certain nombre de lacunes » suite au drame de la rue d’Aubagne. Dans un communiqué, cette instance composée d’habitants et d’acteurs de quartiers censée représenter la population, demande « la mise en place d’une équipe publique d’écoute, de conseil, de suivi et d’accompagnement psychologique ouverte à tous les habitants du quartier ». Le conseil citoyen en appelle aussi à la Ville et à l’état sur les points suivants : publication et communication des arrêtés, aide juridique d’avance aux sinistrés, assurances, fonds d’avance aux sinistrés et aide aux commerces et entreprises.

Désorganisation La mairie a bien du mal à gérer l’afflux d’habitants évacués de leurs immeubles menaçants. Pour les 1217 sinistrés, obtenir des attestations et des informations est un combat quotidien.

I

nsalubrité ou menace directe ? Péril ordinaire ou péril imminent ? Depuis le 5 novembre, les évacués des logements indignes marseillais (1 217 selon le dernier décompte effectué par la mairie) sont plongés dans un univers juridique complexe dont ils commencent tout juste à déchiffrer le jargon. Ils en auront bien besoin. « J’ai l’impression d’être dans l’administration des 12 travaux d’Astérix », ironise Alice, évacuée depuis le 8 novembre de son appartement situé au 37 rue Thubaneau (1er). Le sauve-qui-peut est palpable dans les services municipaux chargés de l’accueil et de la prise en charge des évacués. Les cas signalés, au fil des ans, aux services de l’hygiène et de la sécurité resurgissent tout à coup. « Du 5 au 20 novembre, nous avons reçu 75 demandes de la mairie pour l’envoi d’experts sur le terrain », indique Dominique Bonmati, présidente du tribunal administratif. Les années précédentes, elle en recevait 50 à 60... par an. Dans l’urgence, difficile pour les évacués de connaître les démarches à suivre, les pièces à récupérer. D’autant que les procédures ne sont pas les mêmes pour tous. Certains ont reçu une attestation d’évacuation remise par les marinspompiers, d’autres par l’expert

en ligne

Une pétition pour changer le nom de la rue d’Aubagne

Au 2, rue Beauvau, les évacués de toute la ville se retrouvent pour tenter de glaner quelques informations. Photo dc

mandaté par la mairie ou le tribunal. D’autres encore n’ont rien reçu.

Arrêtés de péril : la quête

« Les pompiers et l’expert ont fait leur inspection. Un quart d’heure plus tard, ils nous demandaient de prendre des affaires pour une semaine. Le seul document que l’on a, c’est un papier qui nous autorise à dormir à l’hôtel », décrit Jessica, évacuée du 38 boulevard Philippon (4e). « On est dans une situation juridique inédite, incertaine », détaille un avocat qui tente d’aiguiller les personnes évacuées. La loi est claire : l’ordre d’évacuation est donné en cas de « péril grave et immédiat »,

attesté par un expert. Ensuite, le propriétaire des lieux est mis en demeure par le maire et doit réaliser les travaux demandés dans un délai maximal d’un mois. Une fois l’arrêté de péril pris, « le loyer versé par les occupants cesse d’être dû à compter du 1er jour du mois qui suit l’envoi de la notification ». Cet arrêté de péril oblige aussi les bailleurs à reloger leur locataire jusqu’à ce que le logement soit de nouveau habitable. « Assurance, remboursement, suspension de loyer : l’arrêté de péril permet aux locataires de réclamer leurs droits », confirme Chantal Bourglan, avocate spécialisée dans l’habitat indigne. Problème, ces arrêtés, les loca-

taires en voient rarement la couleur. Transmis aux propriétaires ou aux syndics, ceux-ci se gardent bien de leur transmettre. « Il y a une semaine, je l’ai demandé à mon syndic et à Allo Mairie, j’attends toujours une réponse », confirme cet habitant du 1 rue Lafon (6e) évacué vendredi dernier. Plus grave, « certains logements ont été évacués au nom du principe de précaution sans arrêté de péril », confie un avocat. « Il y a un affolement généralisé du côté de la mairie, les services sont dépassés par les événements », souligne Chantal Bourglan. Une précipitation qui pourrait coûter cher aux évacués. Marius Rivière

L’association « Marseille au Centre » vient de lancer une pétition en ligne demandant au maire que « soit renommée la rue d’Aubagne en « rue du 5-Novembre 2018 » en hommage aux huit victimes. Pour que leur mémoire perdure et pour que notre vigilance empêche qu’un tel événement ne se reproduisent plus jamais, il est de notre devoir d’attribuer aux victimes, cette rue qui a emporté avec eux leurs destins », réclame l’association. Charge ensuite à la municipalité d’examiner la requête qui doit être portée et défendue lors de la commission d’attribution des noms de rues.

« Exigeons ensemble une conférence citoyenne ! » Tribune Dans une lettre ouverte adressée au ministre de la Ville, publiée dans le journal « Le Monde », hier, une cinquantaine de personnalités demandent une Opération d’Intérêt National et l’organisation d’une conférence citoyenne à Marseille pour lutter contre le logement indigne.

L

e maire et ses adjoints ne peuvent se défausser, comme ils l’ont fait jusqu’alors. Leur responsabilité est patente en tant qu’organisateur, comme le dit la loi, de la stricte surveillance des logements ». Pour une cinquantaine

de personnalités publiques (parmi lesquelles on compte l’actrice Ariane Ascaride, le député européen José Bové, Yanis Varoufakis, ancien ministre des Finances grec, etc...), la responsabilité du drame de la rue d’Aubagne ne fait aucun doute : la mairie est coupable, au mieux, de négligence. « L’incurie tue ! », confirment-il. Pour les auteurs de la tribune, l’état des lieux est connu. Ils rappellent les nombreuses enquêtes lancées au fil des ans par des associations telles que « la Fondation Abbé Pierre », « un Centreville pour tous » ou les conclusions alarmistes effectuées par Christian Nicol dans son rapport de 2015. « Seulement 1 800 logements auraient été effectivement réhabilités, selon la chambre régionale des comptes, dans le périmètre de restau-

ration immobilière depuis quinze ans », dénoncent-ils.

Mairie disqualifiée, place aux citoyens

Pour renverser la situation, les signataires demandent la réquisition des logements vacants en centre-ville (il y en aurait 36 000 à Marseille, selon la Fondation Abbé Pierre). Ils appellent aussi au lancement d’une Opération d’Intérêt National (un projet d’urbanisme à laquelle s’applique un régime juridique particulier) « mobilisant, dans le cadre d’un plan Etat-région-métropoleville, des moyens importants pour éradiquer le mal-logement dans notre cité », proposent-ils. Et parce que les services municipaux leur semblent totalement disqualifiés

pour mener à bien cette mission, ils demandent au ministre du Logement et au préfet des Bouches-du-Rhône « l’organisation d’une conférence citoyenne pour répondre à l’urgence du mal-logement et à la défiance des habitants des quartiers populaires ». Elle serait organisée sous l’égide de la Commission nationale du débat public (CNDP), une autorité indépendante, qui tirera au sort un jury citoyen, formé par l’ensemble des acteurs locaux concernés. Ils seraient chargés d’organiser les auditions de ce débat public lancé début 2019. Et les auteurs de conclure : « puisse ce vœu être partagé par les acteurs de terrain et tous ceux qui souhaitent en finir avec ce scandale et ne plus jamais avoir à vivre le drame que nous venons de subir ». M.Ri.