A Los Angeles, des musulmanes américaines dessinent

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À Los Angeles, des musulmanes américaines dessinent l’islam de demain Debout, vêtue d’un jean, d’une longue tunique et d’un foulard doré, Aliya Hussaini entame l’adhan, l’appel à la prière dans la religion musulmane. Derrière elle, des femmes viennent progressivement s’asseoir sur un large tapis, tandis que les dernières arrivées se déchaussent à la hâte. En ce vendredi d’automne, elles sont près d’une centaine de femmes venues des quatre coins de Los Angeles à avoir répondu à l’appel de l’association “Women’s Mosque of America”, première mosquée féminine des États-Unis, créée en janvier 2015. Son but!: proposer aux femmes un environnement de prière et de dialogue chaleureux, leur offrant aussi accès à l’étude des textes et aux fonctions religieuses. “Chacune d’entre elles peut se porter volontaire pour délivrer un prêche ou diriger la prière. Notre but à terme est de les aider à acquérir des compétences et une confiance en elles, qu’elles pourront ensuite amener au sein de leurs communautés d’origine, où le pouvoir dévolu aux femmes est aujourd’hui encore trop limité”, explique Hasna Maznavi, cofondatrice de la mosquée. Parmi les fidèles rassemblées dans la petite salle de ce centre commercial huppé du sud de Los Angeles, ce qui frappe, c’est l’extrême diversité des participantes. Des Américaines de tous âges, de toutes origines, de tradition sunnite aussi bien que chiite (les deux principaux courants de l’islam). Certaines arborent des foulards colorés, d’autres des boubous africains ou bien de longs voiles aux tons plus conservateurs, tandis que quelques-unes ont fait le choix de prier tête nue, en jean et en t-shirt.

Certaines arborent des foulards colorés, d’autres des boubous africains ou bien de longs voiles aux tons plus conservateurs, tandis que quelques-unes ont fait le choix de prier tête nue, en jean et en t-shirt. axelle 185 • janvier 2016

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© Alexa Pilato

En se réappropriant le Coran et la prière, les fondatrices de la première mosquée féminine des États-Unis espèrent aussi faire évoluer le regard porté sur l’islam au sein de la société américaine. Noémie Taylor-Rosner

Pour Hasna Maznavi (à droite), cofondatrice de la “mosquée des femmes”, l’implication des musulmanes dans le domaine du religieux n’a rien de nouveau.

Elles sont étudiantes ou mères de famille, cardiologues, avocates, enseignantes, scénaristes, thérapeutes, comptables ou travaillent dans le monde de la technologie. Et toutes animées d’un même désir de changement.

CASSER LES STÉRÉOTYPES SUR LA “FEMME MUSULMANE” Pour Hasna Maznavi, l’implication des musulmanes dans le domaine du religieux n’a pourtant rien de nouveau. “À travers l’histoire, des milliers de femmes musulmanes érudites ont pendant très longtemps été consultées et considérées comme des références, avant de disparaître petit à petit, englouties au fil des siècles par des idéologies comme le salafisme et le wahhabisme!1 qui ont tué toute diversité au sein de l’islam”, estime-t-elle. C’est grâce à des initiatives comme la Women’s Mosque of America que la jeune trentenaire, scénariste à Hollywood et diplômée de Berkeley, rêve aujourd’hui de “réhabiliter la place des femmes dans l’islam”. L’occasion aussi de tordre le cou à un certain nombre de stéréotypes et de changer le regard que portent les Américains sur la religion musulmane. “Il y a un énorme travail à faire dans les médias, estime Hasna. Après le 11 septembre, j’ai com-

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Parmi les fidèles rassemblées dans la petite salle de ce centre commercial huppé du sud de Los Angeles, ce qui frappe, c’est l’extrême diversité des participantes.

pris très vite que notre image dépendait en grande partie de la manière dont nous étions représentés à l’écran, car de nombreux Américains ne connaissent pas ou très peu de musulmans dans la réalité.” Parfois, même les meilleurs efforts ne suffisent pas. La jeune scénariste se souvient de l’échec cinglant de “AllAmerican Muslim”, une série de télé-réalité sur laquelle elle a travaillé, qui montrait le quotidien de familles musulmanes dans le Michigan. “Pour les téléspectateurs, c’était trop banal, trop proche finalement de la vie de millions de familles américaines, confrontées aux mêmes problèmes”, d’infertilité ou de mariages mixtes. “Pour vendre, Hollywood a besoin de noircir le tableau.”

“Après le 11 septembre, j’ai compris très vite que notre image dépendait en grande partie de la manière dont nous étions représentés à l’écran, car de nombreux Américains ne connaissent pas ou très peu de musulmans dans la réalité.” 26

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UN TRAVAIL D’ÉDUCATION Même constat concernant la couverture médiatique de l’ouverture de la mosquée. “On nous a présentées comme des femmes opprimées, cherchant à se défendre des hommes. Il y a certes un besoin de changement, mais nous ne sommes pas non plus en guerre ouverte avec eux, explique Hasna. Au contraire, de nombreux hommes soutiennent nos initiatives et font même partie de l’équipe. Certains imams nous ont invitées à parler du projet dans leurs mosquées.” Pour lutter contre les idées reçues, Hasna mise notamment sur l’interreligieux. “Notre jumma’a [prière du vendredi, ndlr] est ouverte aux non-musulmanes, qui sont souvent surprises de découvrir un islam très différent de ce qu’elles avaient imaginé. La séparation des sexes au moment de la prière est mal comprise de l’extérieur, mais lorsque l’on se trouve sur le tapis, on prend plus facilement conscience de ce que cet acte implique pour le corps, en termes de pudeur et de confort. Il y a tout un travail d’explication à faire auprès des Américains au sujet de l’islam.” La sociologue Amel Boubekeur, professeure à l’Université Pierre Mendes-France de Grenoble, constate pour sa part que cette nouvelle génération de musulmanes américaines, dont fait partie Hasna, a “depuis le 11 septembre appris à maîtriser les médias et très largement investi les réseaux sociaux, pour y faire entendre sa voix”, après avoir pris conscience de l’impact que pouvaient avoir internet et la télévision sur son image. axelle 185 • janvier 2016

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“Nous avons gagné en maturité”, analyse Aziza Hasan, l’une des premières femmes montées à la tribune de la Women’s Mosque pour prêcher, également directrice de New Ground, une ONG favorisant le dialogue judéo-musulman à Los Angeles. “En tant que femmes, nous ne sommes pas seulement centrées autour de notre propre communauté religieuse comme l’étaient beaucoup de nos aînées qui voyaient parfois dans les mosquées un moyen de lutter contre le mal du pays, mais nous avons désormais pour but d’être utiles à toute la société américaine.”

“Les gens peuvent parfois projeter beaucoup de choses sur mon hijab, alors qu’en réalité, outre le fait que je suis musulmane, il ne dit rien de mes opinions politiques ou de mon goût prononcé pour le patinage artistique!!”

© Alexa Pilato

Il y a quelques mois, cette mère de famille de 35 ans a rejoint l’équipe de conseillers interreligieux du président Barack Obama. “Notre génération est de plus en plus diplômée, connectée, spécialisée. Bref, prête à construire l’avenir de ce pays”, explique-telle, enthousiaste, tout en reconnaissant qu’elle a la chance d’échapper à la stigmatisation dont font parfois l’objet ses amies “qui portent le voile” ou “qui ont la peau moins claire” qu’elle. Selon une étude de l’institut de sondages Gallup parue en 2009, les musulmanes américaines repré-

Le but de la “mosquée des femmes”": proposer un environnement de prière et de dialogue chaleureux, offrir aussi aux femmes l’accès à l’étude des textes et à la direction religieuse.

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© Adrienne Vitt

UNE NOUVELLE GÉNÉRATION ENGAGÉE DANS LA CITÉ

“Personnellement, je ne me suis jamais posé la question de savoir si j’étais musulmane ou américaine!! Je suis les deux”, confie Hind Makki.

senteraient le deuxième groupe religieux le plus éduqué du pays, juste derrière les femmes juives. “L’intégration des musulmans aux États-Unis a été globalement mieux réussie qu’en Europe!: d’abord parce qu’il n’y avait pas le même passé colonial, mais aussi parce que l’Immigration Act de 1955 a largement favorisé l’entrée sur le sol américain d’immigrés qualifiés, possédant un bon niveau d’éducation et d’anglais. Leur insertion professionnelle et sociale a donc été plus aisée au sein de la société américaine que pour les immigrés arrivés en Europe dans les années 60 et 70”, pense Hind Makki, blogueuse originaire de Chicago. “Personnellement, je ne me suis jamais posé la question de savoir si j’étais musulmane ou américaine!! Je suis les deux”, explique la jeune femme qui refuse d’être étiquetée en raison de son voile. “Les gens peuvent parfois projeter beaucoup de choses sur mon hijab, alors qu’en réalité, outre le fait que je suis musulmane, il ne dit rien de mes opinions politiques ou de mon goût prononcé pour le patinage artistique!!” confie-t-elle en riant. Lorsqu’elle était étudiante à Rhode Island, un État majoritairement catholique, on l’appelait même respectueusement “ma sœur”, à défaut de savoir quelle était sa religion. “Beaucoup n’avaient jamais rencontré de musulmane et ne savaient pas comment me nommer!! Même si l’islamophobie est encore loin d’avoir disparu, j’aime le fait qu’ici aux États-Unis, la foi et la liberté religieuse de chaque Américain demeurent sacrées, quelles que soient vos croyances.” ■ 1 Le salafisme est une doctrine particulière de l’islam caractérisée par sa rigueur et son rejet des innovations. Le wahhabisme est un autre courant fondamentaliste et conservateur qui considère que les musulmans qui ne pensent pas comme eux sont tout simplement des “incroyants” ou des “hérétiques” (à noter que le wahhabisme, extrêmement minoritaire, est la religion officielle de l’Arabie saoudite).

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