« Châlons-en- Champagne est une ville pauvre »

là que vivent les plus aisés. Le centre-ville, creuset des inégalités. C'est dans le centre qu'il y a le plus de disparités, même si les revenus y sont supérieurs.
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CHÂLONS-EN-CHAMPAGNE LUNDI 25 JUILLET 2016

SOCIÉTÉ

« Châlons-enChampagne est une ville pauvre » Celle qu’on appelle la ville préfecture continue de s’appauvrir et perd sa population petit à petit. Un phénomène qui risque de s’accentuer dans les prochaines années. L’ESSENTIEL ▶ L’analyse des besoins sociaux, rendue par le cabinet Compas, compile les données de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) ▶ Cet état des lieux permet de connaître l’évolution de la population ou encore les niveaux de vie par quartier. ▶ Ainsi, l’on apprend que 10 % des Châlonnais vivent avec, en moyenne, 801 € par mois. ▶ Le revenu mensuel médian est de 1 501 € par mois, soit 128 € de moins que la moyenne française (métropole).

e diagnostic territorial, ça nous permet de confirmer ce que nous savons déjà empiriquement. On n’a rien découvert. Ce sont des données objectives : Châlons-en-Champagne est une ville pauvre », résume Élisa Schajer, vice-présidente du Centre communal d’action social (CCAS) de Châlons. Ce diagnostic est une synthèse des données collectées au sein des infrastructures châlonnaises (les bailleurs sociaux, l’Agglo, la Ville, la CAF…). Une collecte d’informations très lacunaire souligne cependant Alain Goze, élu d’opposition (lire par ailleurs). Toujours est-il que si l’on se réfère aux données mises à disposi-

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LES REPÈRES

tion par l’Insee, le revenu moyen d’un Châlonnais est de 1 501 € par mois, quand celui d’un Marnais est de 1 664 € par mois (1 629 € à l’échelle nationale). Cette étude permet ensuite de monter des groupes d’analyses partagées pour discuter des problèmes et trouver des solutions. Ces groupes accouchent de préconisations qui sont présentées au conseil d’administration du CCAS. Ainsi, dans le quartier du Verbeau, il y a une halte-garderie et une crèche, la question s’est posée à un moment de fermer une des deux structures. « Nous avons décidé de conserver les deux pour la simple et bonne raison que grâce au diagnostic, nous nous sommes rendu compte que dans le quartier, il y a 47,3 % de familles monoparentales sur toute la population. C’est énorme. Et beaucoup de mères de famille travaillent en horaires décalés. La halte et la crèche étaient donc indispensables. C’est un vrai geste de politique sociale menée via la petite enfance », raconte Catherine Delvallée, directrice générale des services au CCAS.

« Trop de problèmes » dans les quartiers ? Ces quartiers, dits « sensibles » souffrent aussi d’une mauvaise image intrinsèque : « Combien de fois j’ai entendu : “Je ne veux pas aller dans tel quartier, il y a trop de problèmes” alors que les choses ont changé. Ce sont des réminiscences d’un passé qui n’existe plus. C’est le serpent qui se mord la queue », soupire Dominique Vatel

Un foyer sur deux touche des aides ▶46 % des ménages sont allocataires de la CAF. ▶Pour un quart d’entre eux, ces aides représentent plus de 50 % du revenu.

« Le diagnostic territorial nous permet de confirmer ce que nous savons déjà empiriquement » l’agent immobilier et autre élu d’opposition au conseil municipal. Théorie validée par Catherine Delvallée : « Les jeunes parents ne voulaient pas entendre parler du multiaccueil pour enfants en bas âge, rue Henri-Dunant. Il a fallu organiser des réunions sur les lieux pour qu’ils acceptent d’y laisser leurs enfants, alors que tout le monde sait très bien que tout a été rénové du sol au plafond. » N’en déplaise à l’élu d’opposition comme à la directrice générale des services, les chiffres sont têtus. Derrière les murs rafraîchis, 32 % des habitants du quartier Mont-Saint-Michel–Bidée vivent sous le seuil de pauvreté (30 % au Verbeau). Ces deux quartiers sont, sans surprises, les plus pauvres. Et les moins argentés le sont encore

moins qu’ailleurs : les 10 % des habitants aux plus faibles ressources y vivent avec tout juste 480 €. Dès lors, s’agit-il de vie, ou de survie ? Autre exemple de réflexion menée grâce aux données du diagnostic territorial : le groupe qui a travaillé sur la thématique de la précarité, s’est rendu compte des difficultés que rencontrent les jeunes. En effet, 40 % des Châlonnais de moins de 30 ans vivent sous le seuil de pauvreté, qui est de 977 € par mois. Et les 10 % les plus pauvres ne touchent que 132 € par mois. Quelques étudiants sont aussi dans l’incapacité de subvenir à leurs besoins alors qu’ils sont boursiers. « Nous sommes en train de travailler avec le Crous pour qu’à partir de l’année prochaine, ces étudiants puissent avoir accès à l’épicerie sociale. Normalement, elle n’est accessible qu’aux plus de 25 ans (sauf s’ils sont déjà parents) », affirme Élisa Schajer.

Toutes ces données permettent d’aboutir à un constat : « Il n’y a pas de riches à Châlons. Il y a des classes moyennes et quelques cadres aisés mais guère plus. Prenez le quartier Saint-Dominique : c’est une zone sensible en plein cœur de ville », détaille encore la vice-présidente du centre communal.

En dix ans les plus modestes ont gagné… 30 € par mois Dominique Vatel le confirme, il n’y a pas de grandes disparités sur le territoire châlonnais : « On trouve des maisons exceptionnelles au quartier de la gare. » Toutefois, il ne faut pas oublier que cent vingt-trois contribuables payent l’ISF (impôt sur la fortune) dans la ville préfecture. Il est aussi indéniable que les inégalités se creusent. « Entre 2001 et 2011, les 10 % d’habitants les plus pauvres ont vu leurs revenus mensuels augmenter de 30 €. Sur la même période, les 10 % les plus

Schmit, le quartier où les inégalités sont les moins fortes ▶C’est dans ce petit quartier situé au Nord du centre-ville qu’il y a le moins de disparités de revenus 543 € entre les 25 % les plus pauvres (864 € mensuels) et les 25 % les plus riches (1507 € mensuels) ▶C’est également le quartier où les « riches » le sont le moins : 1 887 € mensuels en moyenne pour les 10 % aux meilleurs revenus...

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LUNDI 25 JUILLET 2016

Dans l’opposition, Alain Goze dénonce un diagnostic territorial incomplet

Alain Goze s’interroge notamment sur le manque de synergies entre la Ville et les autres acteurs. Archive G. H.

riches ont gagné 609 € supplémentaires chaque mois », constate Catherine Delvallée. Plus inquiétant encore, les évolutions de revenus par classe d’âge : en dix ans, les moins de trente ans ont perdu 163 € par mois tandis que les 60-74 ans ont vu leur revenu mensuel augmenter de 1 088 € – quasiment un Smic ! Et la situation risque de ne pas de s’arranger, notamment à cause du vieillissement de la population et des départ de jeunes vers de plus grandes villes. « Aujourd’hui, les personnes âgées de 85 ans ont un certain niveau de revenus. Ils peuvent financer une place en maison de retraite. Mais ceux qui prendront leur place dans dix ans n’auront pas des moyens aussi élevés », redoute Élisa Schajer. D’autant plus que les Ephad devront faire face à un public plus nombreux. Dans les années 1970, Châlons-en-Champagne comptait

40 %

Des moins de 30 ans vivent sous le seuil de pauvreté.

56 000 habitants. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 45 000. Le problème d’attractivité ne date pas d’hier, et même de « bien avant le départ de l’armée », estime Alain Goze. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir des logements sociaux à proposer : 41,5 % des Châlonnais y vivent (contre 14,6 % en France). À Schmit le taux monte même à 87,2 %... Même dans le centre, un habitant sur cinq vit en logement social. Le constat dressé par l’élu d’opposition n’est pas très réjouissant : « Le taux de naissance est positif mais les famille partent très vite, et cela ne se répercute pas dans les écoles (fermetures d’établissements à la clef NDLR). À long terme qui est-ce qui va rester ? Ceux qui ne sont pas mobiles : les pauvres, enkystés dans les quartiers, et le troisième âge... » DÉBORAH COEFFIER et JUSTIN D. FREEMAN

AU VERBEAU Les 10 % les plus défavorisés vivent avec 470 € par mois.

Alain Goze, conseiller municipal et communautaire d’opposition, président de l’Association des personnalités civiles socialistes, écologistes et républicaines estime que les données sociales sont (très) mal exploitées. Pour lui, le diagnostic territorial réalisé par l’agence Compas n’en est pas un : « sur base du diagnostic, il doit u avoir des recommandations », explique-t-il. Celles-ci sont désespérément manquantes. Alors que la ville et la communauté d’agglomération ont récemment signé un partenariat pour l’échange de données, l’élu d’opposition déplore que de nombreux autres acteurs n’aient pas été sollicités, que l’analyse rendue se limite à un empilement de données de l’Insee. Pas inintéressant, donc, mais très insuffisant d’autant que de nombreuses informations supplémentaires sont, en principe, disponibles : « Le Département doit mettre en place un plan gérontologique, la Protection maternelle et infantile gère les assistantes maternelles et doit rendre un bilan public tous les ans et au conseil d’administration nous ne les avons toujours pas. Le fin du fin c’est que nous avons deux conseillers départementaux au CCAS ! », tem-

Le centre-ville, creuset des inégalités C’est le quartier le plus dense de Châlons, qui regroupe près de 4 000 ménages : le centre-ville est également un lieu où l’on vit seul. Ou en tout cas beaucoup plus qu’ailleurs (1,84 habitant en moyenne par foyer, contre 2,33 au Mont-Héry, 2,27 Rive gauche ou 2,24 à Croix-Dampierre). Le logement y est aussi plus petit : près d’un tiers des appartements ne comptent qu’une où deux pièces. C’est également là que l’on trouve les plus riches Châlonnais qui touchent en moyenne 3 323 € par mois, plus que la moyenne nationale qui s’établit à 2 987 € par mois. Et si les plus pauvres gagnent presque deux fois mieux leur vie que Rive gauche ou qu’au Verbeau, les écarts entre les personnes y sont abyssaux : plus de 2 456 € d’écart entre le 1er et le 9e décile... car c’est bien là que vivent les plus aisés.

LE CHIFFRE C’est le nombre de Châlonnais à payer l’impôt de solidarité sur la fortune, en 2014. Leur patrimoine moyen est de 2 319 208 €, selon les chiffres du ministère des Finances.

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pête-t-il. Quid des informations des autres partenaires ? « Nous n’avons pas le programme pluriannuel enfance jeunesse de la CAF. Et les bailleurs sociaux ? La Ville dirige Châlons habitat, est au conseil d’administration de la Ric. Et les partenaires privés ? L’office des séniors est largement subventionné ! Pourquoi n’avons-nous pas de documents ? » Alain Goze ne comprend pas, non plus, que le Programme local de l’habitat utilise des éléments statistiques qui ne correspondent pas à ceux de l’analyse des besoins sociaux… Pire encore, souligne-t-il, un document rendu en 2014 a vu changer sa date en juin 2015. Il pointe des « copier/coller, non relus, non vérifiés » qui ont débouché sur des amendements du document. « Pas sérieux de la part du cabinet. » L’élu de gauche l’assure, « il faut recouper les informations pour se poser les bonnes questions. Les enjeux sont importants ». Il évoque notamment l’avenir du centre communal d’action sociale et soulève l’idée de « faire muter la structure vers un centre intercommunal. Il y a la question du portage de repas à domicile (pour les seniors NDLR). Il s’agit d’être plus efficace et plus efficient. »

C’est dans le centre qu’il y a le plus de disparités, même si les revenus y sont supérieurs. Archives

LA PHRASE « À long terme qui est-ce qui va rester ? Ceux qui ne sont pas mobiles : les pauvres, enkystés dans les quartiers, et le troisième âge. » Alain Goze, conseiller d’opposition