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Benjamin Clementine

naissance d’une star

toujours Charlie Girls, Broad City

les filles en séries

Jean Rolin

le roman de la guerre civile

M 01154 - 999S - F: 4,90 € - RD

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Allemagne 5,90 € - Belgique 5,30 € - Canada 9,20 CAD - DOM 6,30 € - Espagne 5,70 € - Grande-Bretagne 7,10 GBP - Grèce 5,70 € - Italie 5,70 € - Liban 15 000 LBP - Luxembourg 5,30 € - Maurice Ile 7,20 € - Portugal 5,70 € - Suède 61 SEK - Suisse 9,20 CHF - TOM 1 200 XPF

No.999 du 21 au 27 janvier 2015 lesinrocks.com

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cher Philippe Geluck par Christophe Conte

I

l m’avait échappé que la castration obligatoire des chats s’appliquait également à leurs maîtres. Aussi ai-je été étonné, puis agacé, puis révolté, puis attristé, en t’entendant mercredi midi sur Europe 1, une semaine heure pour heure après l’attaque dont a été victime Charlie Hebdo. Invité à commenter la couverture de l’héroïque numéro sorti le jour même, tu indiquais la trouver “dangereuse”, tout en ajoutant un bien faux derche “mais je la comprends”. Ben non, vois-tu, Philou, je crois que tu n’as rien compris. Ni à cette couverture digne

et bouleversante, ni à son caractère profondément respectueux, ni à la complexité en abîme de son message, ni à la désolation sensible de son auteur, encore moins à la nécessité impériale de faire front au moment le plus épineux, le plus tragique sans doute, de toute l’histoire française du dessin de presse. Toi et Plantu, les VRP du crayon, les Pipo et Bimbo de la fausse insolence pour profs de collège en retraite, on vous a vus et entendus partout pendant les jours qui ont suivi le drame. La larme à l’œil et l’humour en berne, vous rappeliez mécaniquement votre attachement

à la liberté d’expression (c’était la moindre des choses), tout en prenant d’imperceptibles distances morales vis-à-vis du sujet le plus inflammable, à savoir la représentation du prophète Mahomet. Armés du désir bien tiède de ne pas “choquer les consciences” ou “jeter de l’huile sur le feu”, vous n’avez que trop ânonné ce catéchisme convenu qui équivaut à plier aux injonctions irrationnelles et meurtrières de quelques fous. Peut-être, mais je n’ose y croire, étais-tu pour ta part animé par cette prudence sans noblesse du type qui tient à protéger son petit commerce de librairie-papeterie-objets dérivés, préservant aussi ses liens commerciaux avec des marques qui ne goûtent guère la controverse. En bref, appelons un chat un chat, ton verdict final sur Europe 1, ça sentait un peu le déballonnage, avec propulsion discrète de désodorisant pour évacuer l’odeur de soufre, le courage des uns n’ayant pas obligatoirement à stimuler la témérité des autres, et les affaires et commandes devant reprendre. Ça te regarde, mais c’est un peu lâche. Tant il est vrai qu’avec ton chat, à part une fatwa de Grosminet ou d’Hercule, le copain de Pif, tu ne risques pas grand-chose. Plus rien à craindre du tout du côté de Patapon, le chat égrillard créé par Charb, il a été assassiné avec son maître, le “dangereux” provocateur de barbus. A la manière des journalistes qui, le cul vissé à leur fauteuil dans des rédactions occidentales capitonnées, mégotent sur l’imprudence de leurs confrères qui s’aventurent sur les zones sensibles avec le risque d’être pris en otages, le dessinateur qui pointe la dangerosité du travail des autres passe pour un bandemou du fusain, un démineur du porte-mine, un couard à pas feutrés multicolores. Un charlot plutôt qu’un Charlie. Je t’embrasse pas, j’ai un chat dans la gorge. 21.01.2015 les inrockuptibles 3

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No. 999 du 21 au 27 janvier 2015 couverture Benjamin Clementine par Hidiro pour Les Inrockuptibles

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billet dur édito debrief recommandé interview express Clémentine Autain reportage le sentiment d’exclusion dans la cité des 3 000 à Aulnay-sous-Bois

20 portrait Joachim Roncin, créateur du visuel viral “Je suis Charlie”

22 analyse la nouvelle loi antiterroriste est-elle vraiment efficace ?

le monde à l’envers la courbe la loupe démontage futurama style food Benjamin Clementine, hobo bizarre

40

Hidiro pour Les Inrockuptibles

24 26 28 30 32 34 37 40

un parcours invraisemblable, un premier album en majesté : rencontre avec un clochard céleste

48 Bennett Miller, de haute lutte

50 Girls et descendance les séries de filles après le séisme Girls

50 HBO

deux premiers films remarqués et un troisième, Foxcatcher, prix de la mise en scène au dernier Festival de Cannes

54 Elisabeth Moss, la mad girl de Mad Men à Listen up Philip, une progression fulgurante dans le circuit hollywoodien

58 Jean Rolin écrit Les Evénements la France en proie à une guerre civile entre identitaires et jihadistes : un roman qui résonne étrangement avec l’actualité

62 Assange, Snowden et Manning

58

profitez de nos cadeaux spécial abonnés

p. 102

66 76 88 94 96 100

cinémas Foxcatcher, Listen up Philip… musiques BC Camplight, Simian Ghost… livres Loïc Merle, Justine Lévy… scènes François Verret, Marie Normand expos Arnaud Labelle-Rojoux… médias les Anglo-Saxons et Charlie Hebdo

ce numéro comporte un encart abonnement 2 pages “Edition générale” jeté dans l’édition vente au numéro ; un CD “Objectif 2015” encarté dans toute l’édition.

Paul Rousteau pour Les Inrockuptibles

pour le philosophe Geoffroy de Lagasnerie, les lanceurs d’alerte ont débloqué nos imaginaires politiques

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Joel Saget/AFP

Le Triomphe de la République, place de la Nation, Paris, le 12 janvier

en cet instant fragile… Un bon dixième de la population adulte de ce pays a donc décidé de se procurer coûte que coûte au moins un exemplaire d’un journal que pas grand-monde n’achetait il y a encore quinze jours, quand tout son personnel était encore en vie, d’humeur combative et joyeuse mais avec des caisses désespérément vides. Ils ne vont pas être déçus, tous ces nouveaux et enthousiastes lecteurs de Charlie. Le mardi, j’ai donné mon exemplaire à un ami qui salivait mais j’ai eu le temps de constater que c’était bien le même journal que d’habitude, le même fanzine – comme dirait Luz – plein de dessins grossiers. Promesse tenue. Et le mercredi, pour la première fois de ma longue vie de lecteur de journaux, j’ai vu des files de cinéma devant des kiosques. Je me suis frotté les yeux, j’ai mis un moment à comprendre. Je savais la vie ironique mais à ce point, c’est abuser. Et puis, peu à peu, les choses commencent à rentrer dans l’ordre, mais pas tout à fait pareil, comme si quelque chose avait vraiment changé entre le mercredi 7 et le dimanche 11 janvier, mais quoi, au juste ? Que s’est-il passé de fondateur ? Personne ne le sait, personne n’est capable de le dire, mais tout le monde sent que la France a bougé sur son axe, comme si elle s’était enfin souvenue de quelque chose d’essentiel, comme réveillée en sursaut, émergeant d’une interminable phase dépressive, prête à se remettre à réfléchir. On a eu l’impression paradoxale que le racisme ordinaire, et ses nouveaux habits islamophobes, devenu courant et trop bien admis, était à nouveau perçu comme embarrassant, malaisant et surtout moins bien toléré après un tel événement. Illusion d’optique, qui sera vite démentie une fois passée la période

de deuil et de soins ? Peut-être, mais le pire n’est pas sûr et l’impression demeure que l’aberration terroriste était si énorme qu’elle ne peut être confondue avec une religiosité tranquille, très variable dans ses pratiques et bien plus proche de la sécularisation républicaine que du séparatisme. Cette histoire-là n’est pas écrite et rien ne dit qu’elle sera apocalyptique, n’en déplaise aux prophètes de malheur. Le nombre de mariages mixtes et les 15 % d’engagés dans l’armée française d’origine ou de pratique musulmane – qui font des guerres au combien discutables en terre d’islam – sont des indices plutôt réconfortants. Au fond, malgré tout et à rebours des fausses évidences, la société française se créolise plus qu’elle ne se balkanise. Et c’est bien cela qui rend malade tous les commerçants de la communautarisation fictive, soudain moins certains de l’efficacité de leur tactique d’essentialisation des individus, au mépris des valeurs et des croyances de chacun. Savez-vous, par exemple, que beaucoup de “musulmans” sont en fait tout ce qu’il y a de plus athées, voire subtilement agnostiques ? Le mieux serait encore de continuer à s’engueuler, comme nous savons si bien le faire, comme nous le faisons si bien depuis les jours suivants la grande manifestation, avec cette façon unique, que le monde entier nous envie, de nous traiter mutuellement d’“islamo-gauchiste” ou de “laïciste abruti”. Tout le monde n’est pas Charlie, bien sûr, et les identitaires ne vont plus tarder à faire entendre leur grosse voix. Raison de plus pour continuer à parler enfin d’autre chose que des 3 % du PIB ou de l’ouverture des magasins le dimanche. Puisque tout le monde paraît avoir compris que ce n’était pas l’essentiel, tout compte fait.

Frédéric Bonnaud 6 les inrockuptibles 21.01.2015

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La semaine prochaine, entrez dans les coulisses des inRocKuptibles Je me souviens d’Abel Ferrara en son gourbi new-yorkais, entouré d’un posse chelou, incapable de tenir en place, quittant l’interview toutes les cinq minutes pour aller se faire une ligne dans la pièce à côté. Serge Kaganski

spécial numéro 1000 mercredi 28 janvier en kiosque

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tirer une gueule d’enterrement grâce aux Inrocks Ils étaient venus, ils étaient tous là. Eric Reinhardt, Virginie Despentes, Slavoj Zižek et les Bisounours. Il manquait juste Charlie, le fils maudit.

M

on cher Inrocks, c’est joli, un enterrement. Tout le monde est venu : la famille, les amis, les proches, et d’autres. Certains chantent, certains pleurent, certains expliquent. Certains ont préparé des textes rigolos qu’ils lisent en pleurant, d’autres restent silencieux. Certains ont des fous rires, parce qu’au moment le plus pathétique mamie a pété, parce qu’un pigeon a chié sur pépère, parce qu’on se retrouve avec un paquet de cendres dans les mains et que c’est tout ce qu’il reste. On échange des souvenirs, on partage notre incompréhension, certains sont révoltés, d’autres se prennent dans les bras, certains cachent leur douleur, d’autres la contrôlent si peu qu’on se demande s’ils ne la mettent pas en scène. Certains sont au premier rang, d’autres voudraient s’y faufiler. Beaucoup s’approprient le drame. “Je lui ai parlé il y a dix jours, les choses sont allées si vite. Je n’ai pas su lui dire à temps que je l’aimais. La dernière fois que nous nous sommes vus, il voulait partir en voyage : prémonitoire, non ?” Et il y en a souvent un qui voudrait envoyer chier tout le monde, dire que non, ducon, ça n’était pas prémonitoire, qu’il avait d’autres chats à fouetter que savoir si tu l’aimais, et qu’on ferait bien de tous la fermer. Chacun vit les choses comme il peut. Nous sommes indulgents dans ces momentslà. Nous sommes ensemble. Et après tout, pourquoi cette tragédie ne nous ressouderait-elle pas ? Il faut se voir plus souvent ! Organisons un dîner, promis, hein ? Puis vient le temps de l’héritage, des notaires, des revanches et des partages. La dispersion. Eric Reinhardt s’est dit “que ce drame avait permis à notre peuple une fulgurante prise de conscience”. Et que nous avions compris “qu’il fallait s’unir autour d’un principe impérieux : dépasser la haine ordinaire et le régime de la division continuelle”, tandis que d’autres, déjà, demandaient aux musulmans de se justifier, à Taubira de s’excuser, aux Bisounours de la fermer. “On a chacun nos petites obsessions”, dit Virginie Despentes qui pointe “ce régime des armes et du droit à tuer” qu’elle nomme “masculinité”. Je suis un homme “modéré” : not in my name. LOL. “On a chacun nos petites obsessions.” Je trouve dans le texte de Slavoj Zižek la formulation de la mienne. Zižek décrit le dernier homme nietzschéen, horizon de la civilisation occidentale, comme un type “incapable de rêver, lassé par la vie, (qui) ne prend pas de risques, recherchant seulement le confort et la sécurité, une expression de tolérance entre les uns et les autres”. Un type trop au fait de la complexité du monde pour s’emballer, et qui en crève. Zižek cite un vers de William Butler Yeats. “Les meilleurs ne croient plus en rien, les pires se gonflent de l’ardeur des passions mauvaises.” Partout, les passions mauvaises gonflent les voiles des “pires” de tous bords. Il faudrait retrouver l’ardeur sans les passions mauvaises. Rêve nécessaire, vaste programme. En attendant, Lexomil. Alexandre Gamelin

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une semaine bien remplie Retrouver l’univers saturnien de Balthus au format Polaroid, entrechoquer spectacle et interview dans un théâtre colombien, mettre le feu au lac grâce à un festival genevois et réviser ses classiques cinéphiliques avec le Parrain himself.

rêveur inquiétant Balthus chez Gagosian L’an passé, le musée Folkwang d’Essen annulait son exposition consacrée aux Polaroid de Balthus, œuvres de vieillesse de l’artiste, où posait Anna, âgée de 8 à 16 ans. La rétrospective que lui consacre la galerie Gagosian Paris est l’occasion de replacer ces œuvres dans l’ensemble de son parcours, à travers une sélection de peintures, dessins et photographies. Et de renouer avec son univers saturnien et raffiné, peuplé de rêves inquiétants où le spectateur est toujours un peu voyeur.

© Harumi Klossowska, courtesy galerie Gagosian. Photo Robert McKeever

exposition Balthus, jusqu’au 28 février à la galerie Gagosian, Paris VIIIe, gagosian.com

Balthus Untitled, c.1990–2000, color Polaroid

question directe Les Jeux des nuages et de la pluie de Benjamin de Lajarte, 2011/Rezo Films

Anthony Bellanger Imaginez une interview d’1 h 30 en direct et en public. Des images, des sons, de la musique, bref quelques clés pour découvrir non pas un CV mais une culture, un monde, un univers. Celui d’une personnalité du monde culturel qui brille à l’international. C’est ce que propose notre collaborateur Anthony Bellanger avec le Théâtre de l’Avant Seine de Colombes. Premier rendezvous avec Hiam Abbass, actrice et réalisatrice, “israélo-palestino-française”. Hiam Abbass

entretien-spectacle le 29 janvier à L’Avant Seine, Colombes, lavant-seine.com

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l’hiver au show

Cold Specks

Antigel Le festival suisse déploie sa programmation pluridisciplinaire dans 21 communes genevoises. Parmi les concerts qui s’étaleront du 23 janvier au 8 février : Mogwai, Tricky, Tindersticks, TV On The Radio, Chassol, Cold Specks ou encore Feu! Chatterton. Autant de bonnes raisons de cesser votre hibernation.

Mihai Malaimare/American Zoetrope

festival du 23 janvier au 8 février à Genève, antigel.ch

don Coppola Toute la mémoire du monde Une nouvelle fois le festival Toute la mémoire du monde, à la Cinémathèque française, s’impose par sa programmation dense de films restaurés et de copies rares. Cette année, projections, rencontres, conférences et ciné-concerts seront placés sous le parrainage de Francis Ford Coppola. Outre une masterclass du réalisateur revenant sur son parcours dans les années 80, se tiendra aussi un dialogue exceptionnel sur le projet de la restauration du Napoléon d’Abel Gance dont il détient les droits (le 29 janvier). cinémas du 28 janvier au 1er février, Paris XIIe, cinematheque.fr 21.01.2015 les inrockuptibles 11

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écouter soutenir partager

Matthieu Gauchet

présentent

effet d’Echoes Echoes est un projet d’enceinte sans fil mené par la designer Charlotte Juillard et l’ingénieur du son Dominique Mafrand. Avec son design épuré et élégant, ce joli projet verra prochainement le jour grâce à Hello play! A cette occasion, nous avons posé quelques questions aux deux concepteurs. Rencontre.

Q

uelle est votre formation ? Charlotte Juillard –J’ai fait Camondo, une école de design à Paris. J’ai une formation en création et suis actuellement aux ateliers de Paris depuis six mois. Dominique Mafrand – Je suis ingénieur du son, je conçois des machines et des enceintes. Comment est venue l’idée d’Echoes ? C. J. – Avec Dominique Mafrand, on s’est dit que l’on pourrait travailler ensemble autour d’un produit. Ça a pris beaucoup de temps, presque un an et demi, pour sortir Echoes. Nous sommes indépendants, nous avons donc pris le temps de faire les bons choix pour voir naître ce projet. Le son est-il une problématique qui vous intéresse en tant que designer ? C. J. – Personnellement, c’est quelque chose auquel je suis sensible. Je n’avais pourtant jamais eu l’occasion de travailler le son et je me suis aperçue que je ne m’y connaissais pas tant que cela. C’était donc un très bel échange avec Dominique Mafrand, qui m’a permis de réaliser comment fonctionnait une enceinte. Pouvez-vous nous présenter ce projet ? D. M. – C’est une enceinte pour la maison, qui est raccordée à l’électricité.

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L’ampli à l’intérieur fait une trentaine de watts, parfait pour écouter dans des pièces de taille moyenne. C. J. – L’idée, c’était de faire un objet esthétique, qui change de ce qu’on a l’habitude de voir. Vous avez travaillé avec des artisans pour cette enceinte ? C. J. – Le corps de l’enceinte est fait à la main par un céramiste italien. C’est une pièce complexe à réaliser en céramique, qui est en plus un matériau difficile. Pourquoi avoir choisi Hello play! pour porter ce projet ? C. J. – Avec Dominique, nous sommes très complémentaires. Je m’occupe de tout ce qui est dessin, production, identité du produit. Dominique gère toute la partie technique. Notre binôme nous permettait de monter notre projet de A à Z. Nous l’avons présenté à la Design Week et les gens voulaient savoir le prix, où on pouvait la trouver… Comme nous avons eu cette bonne réception, on a voulu lancer une micro-série de cinquante exemplaires. Passer par une plateforme nous permet de savoir si les gens sont prêts à investir dans le produit et d’en produire sans prendre un trop gros risque financier. Vous avez été surpris par l’engouement autour de votre projet ? C. J. – On a été surpris, même si on sait

que le prix reste assez limitant pour certaines personnes. Au-delà de ça, plein de gens nous disent que c’est un beau projet et nous encouragent à continuer. C’est motivant.  Pendant votre collecte, avez-vous remporté plus que l’objectif que vous vous étiez fixé ? C. J. – On est arrivés avec un premier objectif, qu’on a atteint en trente jours. On en a ensuite lancé un second pour produire plus d’enceintes, moins chères, et proposer d’autres produits toujours dans la même lignée. Vous pensez donc développer une gamme ? D. M. – Oui, à toute une série d’objets qui serait déclinée sous la forme d’Echoes, toujours en édition limitée. Est-ce que vous avez utilisé vos Hello Coins ? C. J. – J’utilise beaucoup Spotify et j’en ai profité pour regarder les autres projets qui étaient proposés sur Hello play! Il y a des choses très variées. On est très contents d’y avoir participé. Qu’est ce qu’on peut vous souhaiter pour 2015 ? D. M. – Des milliers d’Echoes vendus ! Nous avons aussi des projets à l’étranger, des gens qui ont vu le site, et qui nous ont même découverts sur Hello play!

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les projets coups de cœur la plateforme collaborative musicale par Muzrs Réflexion de passionnés, Muzrs est une nouvelle plateforme collaborative au service de la musique. Actuellement en cours de développement, ce nouveau site internet s’adresse à tous les cibles. Elle permettra au public de jouer un rôle prépondérant, aux jeunes artistes de se démarquer du lot, et aux professionnels de découvrir de nouveaux talents déjà plébiscités. Muzrs n’attend plus que vos Hello Coins pour voir le jour !

Mort au Club Tour par Bagarre Yeux rouges incandescents et rythmique diabolique, le single Mourir au club a permis de démontrer l’étendue des possibilités du groupe Bagarre. Le quatuor partira prochainement en tournée à travers la France en compagnie du label Rouge Vinyle et du collectif Fils de Vénus. La formation réalisera à cette occasion un documentaire, des costumes, des visuels et du merchandising, et a besoin de votre soutien pour voir l’ensemble de ces projets se concrétiser. Vous pouvez les soutenir dès maintenant avec vos Hello Coins sur Hello play!, et vous préparer à la bagarre…

Soutenez gratuitement les projets en vous inscrivant sur Hello play!

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Investissez simplement vos Hello Coins dans les projets que vous aimez.

Prochainement Des concerts Hello Moments avec une date à Nîmes le 28 janvier. Au programme, les groupes Heart Of Wolves, Mofo Party Plan et Rusty Bells, dont l’interview est à retrouver sur helloplay.lesinrocks.com

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“l’union sacrée est un mirage” Clémentine Autain, directrice de la revue Regards et figure du Front de gauche, revient sur les attentats, Dieudonné, Syriza et Houellebecq.



u’avez-vous pensé de la solidarité politique autour de François Hollande le 11 janvier ? Clémentine Autain – La liberté d’expression défendue par Ali Bongo, Viktor Orbán ou Benyamin Netanyahou, c’est indécent. Et l’union sacrée est un mirage. L’Assemblée a voté dans la foulée la poursuite de la guerre en Irak. Or les Américains ont enchaîné les guerres et Al-Qaeda comme Daech ne cessent de progresser. Ces guerres sans fin produisent de la radicalisation. Parallèlement, la France vend des armes à l’Arabie Saoudite et ne soutient pas les Kurdes contre Daech). Nicolas Sarkozy parle de fermeté mais touche 100 000 euros pour une conférence au Qatar, pays qui finance les réseaux jihadistes. Amedy Coulibaly est passé par la case prison… Les “barbares” viennent de notre monde. Il faut poser la question des prisons françaises – terreau du fanatisme –, des alternatives à ces enfermements et de la réinsertion. Il faut s’attaquer sérieusement au vivre-ensemble, apporter des réponses

concrètes à cette jeunesse qui se jette dans les bras des intégristes, faute d’idéal et de projection dans un avenir meilleur. Le but des jihadistes est-il de fracturer le vivre ensemble ? Oui. Mais il est important de rappeler que les premières victimes du jihadisme dans le monde sont les musulmans. Ces fanatiques ont un projet politique de nature totalitaire et se nourrissent de la théorie du choc des civilisations. Les incidents dans quelques collèges et lycées ont indigné certains politiques… La minute de silence dans les classes n’a fait l’objet d’aucune note de cadrage pour les enseignants qui, depuis la suppression des IUFM, n’ont plus

de formation. La ministre de l’Education Najat Vallaud-Belkacem a donné publiquement des recommandations hallucinantes : au lieu de suggérer d’engager la discussion, elle a affirmé qu’il y avait trop de questionnements “insupportables” de la part des élèves. Comme si les valeurs pouvaient se transmettre par autorité. Il faut se rendre compte que la promesse républicaine sonne creux, en particulier pour les jeunes. Que pensez-vous de la garde à vue de Dieudonné ? Ce que raconte Dieudonné est d’un antisémitisme inadmissible et dangereux. Si la loi permet de le condamner, je n’irai pas le soutenir au nom de la liberté

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“les premières victimes du jihadisme dans le monde sont les musulmans” d’expression. Mais il faut faire attention à ne pas faire de lui et ses amis des martyrs et les pousser à se radicaliser encore. Il y a une crispation identitaire chez les jeunes, nourrie par la montée des injustices. J’oppose au repli identitaire, qui concerne aussi les adeptes du FN, la logique du commun. Avoir une Rolex à 50 ans n’est pas un projet transcendant. Le jour du drame, Emmanuel Macron a déclaré : “Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires.” C’est lamentable, comme idéal de gauche proposé à la jeunesse. Pourquoi le Front de gauche (FG) n’arrive-t-il pas, comme Syriza en Grèce ou Podemos en Espagne, à emporter l’adhésion populaire ? Le désastre du plan d’austérité en Grèce et le mouvement des Indignés en Espagne ont créé deux situations particulières. La contestation du système est pour l’heure captée en France par une réponse autoritaire, celle du FN. Notre gauche n’a pas capitalisé sur le “non” au traité européen de 2005. En 2007, on n’a pas été capable d’avoir une candidature commune à la présidentielle. Nous n’avons pas réussi à prolonger l’élan des 11 % de Jean-Luc Mélenchon à celle de 2012. Nous avons une façon de faire de la politique qui ne correspond plus aux aspirations actuelles. Les références et les mots sont trop souvent ceux du passé. Face à l’atomisation de la société, comment créer du lien entre l’intello précaire et un jeune de banlieue au chômage ? L’intello précaire vote pour le FG mais pas le jeune de banlieue… A gros traits, c’est ça. Et c’est un problème. Comment trouvez-vous la dernière couverture de Charlie Hebdo ? Plutôt tendre. Le but était de tuer une rédaction. J’ai eu des débats avec Charb,

pour qui j’avais beaucoup d’amitié, sur la ligne éditoriale de Charlie, qui n’est pas celle qu’on aurait développée à Regards. Mais entrer aujourd’hui dans le débat sur leur ligne éditoriale, c’est dire qu’ils l’auraient plus ou moins mérité. On peut ne pas être d’accord et condamner l’acte… Evidemment. Ceux qui rendent responsables de prétendus “islamogauchistes”, qui contestaient la ligne de Charlie dans le cadre d’un débat démocratique, sont en plein délire. Avez-vous lu Soumission de Michel Houellebecq ? J’en étais page 120 quand les attentats ont eu lieu. J’ai laissé passer deux jours et je m’y suis remis. Il y a quelque chose de l’époque dans ce livre, dont la misogynie et le racisme m’écœurent. Depuis ses débuts, je reconnais le grand talent littéraire de Houellebecq. Mais si les écrivains racontent le monde, ils participent aussi à le façonner. La sortie de son livre a écrasé les autres. Les grands médias portent une responsabilité. D’autres auteurs racontent le monde d’un autre point de vue, comme Virginie Despentes, Karine Tuil, qui écrit sur les questions d’identité, ou Olivier Adam, Nina Bouraoui, Eric Reinhardt sur la critique du capitalisme. Quel livre retenez-vous cette année ? J’ai beaucoup aimé Pas pleurer de Lydie Salvayre sur la guerre d’Espagne et le livre de Lola Lafon m’a bouleversée, La petite communiste qui ne souriait jamais, et son précédent, Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce. Des livres féministes où le désir de liberté est là. propos recueillis par Anne Laffeter photo Yannick Labrousse pour Les Inrockuptibles Nous avons raison d’espérer – Fragments de vie politique (Flammarion), 262 p., 16 € 21.01.2015 les inrockuptibles 15

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la cité des 3 000, oubliée de la République Dans les quartiers nord d’Aulnay-sous-Bois, de nombreux jeunes ne sont pas Charlie. Tout en défendant les thèses complotistes, ils témoignent d’un quotidien fracturé par l’exclusion sociale.

L

e week-end dernier, au marché Vieux pays dans le centre-ville d’Aulnay-sous-Bois (SeineSaint-Denis), les habitants étaient médusés. Ils venaient de découvrir le parcours des frères Belhoucine, deux complices présumés d’Amedy Coulibaly, installés à Aulnay depuis quelques années. Mehdi

Belhoucine, le cadet âgé de 23 ans, suspecté d’avoir accompagné en Turquie l’épouse d’Amedy Coulibaly, Hayat Boumeddiene, était agent municipal, employé par la mairie pour assurer un soutien scolaire aux enfants de 10 à 14 ans. Tout comme son aîné, Mohamed, ancien élève de l’Ecole des Mines d’Albi. L’un et l’autre ont cumulé des contrats

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Cyrus Cornut/Dolce Vita/Picturetank

“le vrai problème, c’est l’emploi. Sans travail, les gens ne se mélangent pas et ne se connaissent plus”

à durée limitée de 2010 à 2014. En juin dernier, Mohamed a été condamné à deux ans de prison, dont un avec sursis, pour des activités cyberjihadistes. Sa peine de prison couvrant la durée de sa détention provisoire, il n’est pas retourné en cellule. Il aurait quitté la France et l’on ignore où se trouve son frère cadet. Dans le quartier des Etangs, cité des 3 000, au nord d’Aulnay-sous-Bois, Anis, Issam et Achir1, âgés de 23 à 27 ans, suivent en direct les avancées de la lutte antiterroriste. “Il y a quelques jours, il y a eu des perquisitions dans plusieurs foyers des 3 000, avec des policiers cagoulés

armés de fusils à pompe de la taille de ma petite sœur.” Ils disent ne rien savoir de ces perquisitions ; des frères Belhoucine, non plus : “Tout ce qu’on sait, c’est qu’Aulnay, c’est magnifique. Mais ici, c’est un putain de quartier sensible.” Chaque jour, en bas de leurs immeubles, ils font le point sur les attentats parisiens, décortiquent les dernières informations glanées sur internet : “Franchement, c’est un coup monté. C’est trafiqué tout ça. On a vu la vidéo de Coulibaly, pourquoi on n’a pas vu celle des frères Kouachi ? Et le gars, il oublierait sa carte d’identité dans la voiture ?”, attaque Issam. Achir, employé à la mairie, embraie tout en tirant sur un gros joint : “C’est le Mossad qui a organisé ça, avec l’aide des soldats français. En vrai, les frères Kouachi ont été tués au Yémen. Et on est que 10 % de la population à le savoir. Ils veulent qu’Israël devienne le maître du monde. En réalité, tout le monde est contre la religion musulmane. Et là, ils font monter le degré de haine et de rejet contre notre religion. D’ailleurs, quand Lassana (Bathily) a sauvé les otages, on n’a pas insisté pour dire qu’il était musulman.” Un peu stone, il ponctue : “La liberté d’expression s’arrête là où la vérité commence. Mais on va se réveiller, on va vous niquer.” En quelques minutes, le débat s’est transformé en transe complotiste, et le nombre de participants s’est multiplié par quatre. Une voiture passe, le conducteur jette à l’assemblée : “Je suis Charlie Coulibaly.” Les jeunes saisissent l’aubaine : “Dieudonné, c’est n’importe quoi. Quand il vanne les Juifs, eux, ils ont le droit de ne pas être contents. En revanche, quand on insulte le Prophète, il ne faudrait plus rien dire. On est contre 21.01.2015 les inrockuptibles 17

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“les politiciens créent des problèmes là où il n’y en a pas. Et les médias, ils nous parlent des terroristes, mais en vrai, c’est eux qui nous terrorisent !” Charlie. Et comme on est libre en France, on a le droit de le dire.” Malik, 25 ans, fait une mise au point : “En même temps, on est tous contre le terrorisme. Notre religion, ce n’est pas de tuer, c’est d’aider son voisin. Et même le jihad, ce n’est pas ça. Le jihad, c’est un combat avec soi-même. Le combat qui va te pousser à faire du bien aux autres. Les frères Kouachi, ils ont dit qu’ils vengeaient le Prophète. Ils n’ont rien compris, wallah !” “Pour comprendre ce qu’on ressent vraiment, il faut écouter IAM, préconise Issam. T’écoutes leur chanson La Fin de leur monde, tout est dit sur ce qu’on pense, et sur ce qu’on panse.” Malik embraie, de mémoire, sur un extrait des Illusions perdues : “ll y a deux histoires : l’histoire officielle, menteuse, puis l’histoire secrète, où sont les véritables causes des événements.’ La vérité, c’est Balzac qui la détient. Et Thomas Sankara aussi. Bref, il faut écouter les anciens.” Ex-étudiant en droit, Malik est lancé : “Les politiciens créent des problèmes politiques là où il n’y en a pas. Ils utilisent la force d’un élément extérieur pour pouvoir l’utiliser à leur propre avantage. C’est de l’aïkido. Et puis les médias, ils nous parlent des terroristes, mais en vrai, c’est eux qui nous terrorisent ! On dirait qu’ils cherchent le choc des civilisations. Alors que l’identité de la France, c’est le pluralisme.” Il poursuit : “Le vrai problème, c’est l’emploi. Moi, par exemple, le droit j’adorais, mais j’ai dû arrêter pour chercher un travail que je n’ai jamais trouvé. Et aujourd’hui, sans travail, les gens ne se mélangent pas et ne se connaissent plus.” Les voix se font désormais plus douces et timides. “Quand j’étais petit, je rêvais d’être pilote de ligne, balance soudainement Anis. Mais à l’école on m’a vite fait comprendre que ce n’était pas la peine d’espérer, à cause de mon nom de

famille.” Sans formation ni emploi, il s’ennuie. “Pour le moment, on va dire que… je suis à la retraite.” Discriminations à l’embauche, impossibilité d’accéder à une bonne éducation, fractures sociales, tous tiennent à en témoigner. Issam enchaîne : “On était tous au collège Christine-de-Pisan, là, à 50 mètres. C’est l’école classée la plus nulle d’Ile-de-France, mais nous, on l’a tous aimée. Et puis, j’ai connu des professeurs, c’était des merveilles.” Chahine, un grand frère, intervient : “A notre époque, le CPE venait nous chercher dans les cages d’escaliers. Aujourd’hui, les petits fument leur joint devant le proviseur. Les profs, c’est plus pareil.” Malik l’apostrophe : “La vérité, c’est qu’ils sont tellement mal payés. Qu’on leur paie des heures supplémentaires et vous verrez, l’école ça changera.” Depuis des années, les enfants de la cité des 3000 additionnent périodes de chômage et contrats précaires à la mairie d’Aulnay ou à l’aéroport Charlesde-Gaulle, à quatre stations de RER. Depuis les attentats, leur avenir s’est encore assombri. Chahine raconte : “Ça fait deux semaines que j’ai commencé à travailler pour la mairie en tant que gardien de stade. Je dois signer mon contrat mais ils me demandent d’attendre. Ils disent qu’ils veulent vérifier mon casier judiciaire. Et moi, j’ai un casier. Ça sent la patate.” “On  a des casiers judiciaires parce que c’est trop dur de vivre ici. Mais nous, tout ce qu’on veut, c’est avoir un travail pour pouvoir rentrer chez nous le soir, heureux.” Tous redoutent que les révélations sur les frères Belhoucine viennent gâcher leurs relations avec la Mairie. Chahine conclut : “J’espère qu’ils ne vont pas tout mélanger.” Olivia Müller 1. les prénoms ont été modifiés

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je suis Joachim Depuis le 7 janvier, la défense de la liberté d’expression se résume à trois mots : “Je suis Charlie”. Une création de Joachim Roncin, directeur artistique de Stylist.

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rois mots s’exposent à la face du monde depuis le 7 janvier : Jesuis Charlie. Ils s’étalent sur d’immenses pancartes dans les rassemblements en hommage aux victimes des attentats. Ils s’invitent à la une de la presse internationale, dans les vitrines, à la cérémonie des Golden Globes, dans les Simpson, à la boutonnière des passants. Ce slogan, d’une puissance extraordinaire, est né dans l’esprit de Joachim Roncin, 38 ans, directeur artistique du magazine gratuit Stylist. Le 7 janvier, Roncin est en conférence de rédaction lorsqu’il apprend sur Twitter qu’une fusillade a eu lieu dans les locaux de Charlie Hebdo. Les tweets de colère, de consternation, de tristesse déferlent sur le réseau social. Roncin se demande comment exprimer le choc qu’il ressent. Que reste-til à dire face à l’horreur ? Une myriade de références lui traverse l’esprit : le “Nous sommes tous Américains” publié en une du Monde au lendemain du 11 Septembre, la série des Où est Charlie ?, que découvre son fils de 5 ans, le “Je suis un Berlinois” prononcé par Kennedy en1963, auquel il a sûrement pensé inconsciemment. “Ces idées ont créé un alliage, un métal fort qui est ce slogan”, nous expliquet-il un matin dans un café parisien. Sa barbe est de cinq jours, sa tête coiffée d’une casquette, ses yeux clairs se perdent dans

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le vague, à la recherche des mots justes pour raconter au mieux cette histoire qui le dépasse. “J’ai pris le logo de Charlie Hebdo pour en faire autre chose. C’est ce que je fais tous les jours : remixer des images, donner une nouvelle vie à des objets en les refaçonnant. J’adore la pop culture, le détournement.” Joachim Roncin conserve le logo de Charlie, adopte celui de Stylist pour “Je suis” et choisit des lettres blanches et grises sur un fond noir. A 12 h 52, l’image est tweetée : la machine virale est lancée. Aujourd’hui, on compte plus d’un million de photos postées sous le hashtag “Je suis Charlie” sur Instagram, et plus de cinq millions d’occurrences du même hashtag sur Twitter. Pour Monique Dagnaud, sociologue et directrice de recherche au CNRS, le succès de ce slogan s’explique surtout par sa construction toute simple, mais aussi parce que “le ‘Je’ entraîne une implication subjective. Ce qui fonctionne ici très bien puisque le principe d’un réseau social est de permettre aux internautes d’exprimer leur subjectivité. Dans le même temps, ce slogan a fait sens pour des millions de gens qui ressentaient un même choc émotionnel au même moment”. Partager “Je suis Charlie” est aussi devenu un moyen de se serrer les coudes. “Relayer ce message nous donne un statut social, une légitimité dans le groupe”, analyse Christine Balagué, titulaire de la chaire réseaux sociaux à l’institut Mines-Télécom

“c’est un message purement républicain, d’espoir, de paix” et vice-présidente du Conseil national du numérique. Si le pronom “je” joue un rôle dans cette viralité, il s’agit de ne pas oublier le prénom, “Charlie”. “C’est doux, agréable, enfantin. Charlie c’est le pote sympa qu’on a tous envie d’avoir”, estime Joachim Roncin. Le slogan a dès le départ provoqué une confusion : pour certains, être Charlie équivaudrait à proclamer son amour pour Charlie Hebdo. Or le mot “hebdo” n’a jamais fait partie de l’équation, souligne Roncin. “C’est un message purement républicain, d’espoir, de solidarité, de paix, de rassemblement qui dépasse Charlie Hebdo. C’est un message qui dit qu’on a le poing levé et qu’on n’a pas peur.” Si Roncin n’a jamais été un fervent lecteur du journal, il affirme admirer ses caricaturistes et salue l’irrévérence de leur ligne éditoriale. Il a rencontré Luz et Zineb El Rhazoui le 16 janvier, dans les coulisses du Grand Journal. “Luz m’est tombé dans les bras et m’a dit : ‘je ne sais pas si le mouvement aurait été ce qu’il est si tu n’avais pas écrit ces mots”, racontet-il avec émotion. Une semaine plus tard, ces fameux trois mots faisaient la une du Charlie Hebdo tiré à 7 millions d’exemplaires.

Partant du principe que “Je suis Charlie” est un slogan idéologique appartenant à tous ceux qui souhaiteraient se l’approprier, Joachim Roncin a toujours refusé de le déposer à l’Institut national de la propriété intellectuelle (Inpi). D’autres s’y sont pourtant risqués : l’Inpi a rejeté pas moins de 120 demandes, dont deux déposées dans la catégorie “armement”, dit-il, atterré. Pourtant, le slogan s’est retrouvé apposé partout, ou presque : sur des préservatifs, des mugs, des boîtiers de lunettes, des coques d’iPhone… A tel point qu’Amazon et eBay ont déclaré qu’ils reverseraient leurs commissions à Charlie Hebdo. Joachim Roncin, lui, se dit bien décidé à mettre un terme à ces récupérations commerciales, quitte à mener des actions en justice, afin de préserver “l’esprit humaniste de ce slogan”. Au même moment, en Iran, le journal réformateur Mardom-e Emrouz a été interdit par la justice pour avoir affiché “Je suis Charlie” en une. Preuve, s’il en est, que ces trois mots sont devenus en l’espace de sept jours synonymes de liberté d’expression. Carole Boinet photo Audoin Desforges pour Les Inrockuptibles 21.01.2015 les inrockuptibles 21

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Hervé Boutet/Divergence

Vu le 11 janvier 2015, pendant le rassemblement républicain à Paris qui a réuni plusieurs millions de personnes

quand la justice se radicalise Depuis les attentats qui ont secoué la France, des dizaines de personnes ont été condamnées à de la prison ferme pour “apologie du terrorisme”, tombant sous le coup d’une loi aussi récente que controversée. Au point de menacer la liberté d’expression ?

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ix mois ferme. L’Isérois de 28 ans a été condamné le 14 janvier à une lourde peine de prison pour “apologie du terrorisme”. Son tort : avoir provoqué une patrouille de police qui faisait sa ronde à BourgoinJallieu. “Ils ont tué Charlie, j’ai bien rigolé. (…) Si je n’avais pas de père ni de mère, j’irais m’entraîner en Syrie”, a lancé l’homme, aussitôt arrêté et présenté en comparution immédiate devant le tribunal correctionnel de l’Isère. Il a pris six mois, le procureur en demandait le double. L’Isérois présentait, selon une expertise médicale, “une déficience mentale légère depuis l’enfance” et une personnalité “fragile” et “immature”. Devant le tribunal, l’homme a eu beau présenter ses excuses et déclarer qu’il était ivre, rien n’y a fait. En dix jours, plus de cent procédures ont été ouvertes pour “apologie du terrorisme” ou “menaces d’actions terroristes” d’après le ministère

de la Justice, dont une contre le polémiste Dieudonné. Les arrestations se sont multipliées depuis la fusillade dans les locaux de Charlie Hebdo le 7 janvier et la prise d’otages à Paris qui a fait quatre victimes de confession juive dans le supermarché casher le 9 janvier. Cette multiplication des procédures est l’expression directe de la volonté de la garde des Sceaux, Christiane Taubira d’apporter “une réponse très réactive, ferme et individualisée à des faits et propos racistes et antisémites”, comme elle l’a expliqué le 16 janvier devant l’ensemble des magistrats antiterroristes. Depuis la loi dite “antiterroriste” du 13 novembre 2014, l’“apologie du terrorisme” est devenue une infraction pénale. Elle permet donc le placement en garde à vue ou le jugement en comparution immédiate. “Le législateur a estimé qu’en la matière il fallait avoir la possibilité de juger plus vite si nécessaire, explique Virginie Duval, présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM).

Ce n’est pas une question de sévérité, mais la réponse apportée est plus immédiate.” Quitte à agir dans la précipitation ? “Ces affaires de liberté d’expression doivent se juger avec du recul et de façon dépassionnée. On ne peut pas rendre une décision intelligente sous le coup de l’émotion”, analyse l’avocat spécialiste de la liberté d’expression, Emmanuel Pierrat. Même constat du côté de l’avocate d’un prévenu, condamné à quinze mois de prison ferme pour avoir fait l’éloge des frères Kouachi : “Je m’interroge. Une telle peine de prison, c’est un risque de radicalisation”, explique-t-elle à Médiapart. Egalement dans le viseur du gouvernement : internet. Le Premier ministre Manuel Valls en a fait mention dans son discours devant l’Assemblée nationale, au lendemain des rassemblements dans les rues de France. “J’ai demandé au ministre de l’Intérieur de m’adresser dans les

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huit jours des propositions de renforcement, a-t-il déclaré. Elles devront concerner internet et les réseaux sociaux, qui sont plus que jamais utilisés pour l’embrigadement, la mise en contact et le passage à l’acte.” Les députés applaudissent à tout rompre mais quelques dissidents s’interrogent. Le porte-parole d’Europe Ecologie-Les Verts, Julien Bayou, parle d’une volonté de censurer internet : “L’arsenal législatif dont on dispose déjà est largement suffisant, il ne faut surtout pas d’entraves aux libertés supplémentaires.” D’autant plus que, comme il le rappelle, les responsables des récents attentats ne se sont pas radicalisés ni organisés grâce au web. “Mohammed Merah, Mehdi Nemmouche, les frères Kouachi, Amedy Coulibaly… aucun n’a utilisé internet pour communiquer, aucun n’a appelé en ligne à commettre des horreurs.” Adoptée en 2011, la loi sur la sécurité intérieure Loppsi 2 donne aussi de grands pouvoirs au ministère de l’Intérieur. Son décret d’application a été notifié à Bruxelles le lendemain de

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en dix jours, plus de cent procédures ont été ouvertes l’attentat dans les locaux de Charlie Hebdo et devrait donc bientôt entrer en vigueur en France. Il dispose du droit de bloquer tout site internet “provoquant aux actes de terrorisme ou faisant l’apologie de ces actes”, sans passer par un juge. Ce droit de blocage est très contesté par les défenseurs des libertés individuelles sur internet, qui le jugent liberticide et contreproductif. “Ces sites peuvent faire office de ‘pots de miel’, permettent aux policiers de surveiller qui s’y rend et de mieux identifier la menace”, explique l’hacktiviste Nicolas Diaz. “Il suffit d’avoir installé un navigateur spécial pour contourner n’importe quel type de censure et continuer d’accéder à ces sites, continue Jérémie Zimmermann, cofondateur de la Quadrature du net, organisation qui “conteste la régulation extrajudiciaire”. En fin de semaine dernière, le Premier ministre britannique a annoncé que, s’il était réélu en mai

2015, il ferait interdire tous les services de messageries cryptées (comme WhatsApp ou Snapchat) que ses services de renseignements n’arrivent pas à espionner. Une position “risible” pour Nicolas Diaz, qui voit le problème plus largement. “Au lendemain d’une telle tragédie, on ne peut pas restreindre les libertés, c’est évidemment ce que les terroristes voulaient.” De nombreux politiques de droite, à l’instar de Valérie Pécresse, ont même été jusqu’à évoquer l’idée d’un Patriot Act à la française – du nom de la batterie de lois adoptées aux Etats-Unis au lendemain du 11 Septembre et vivement critiquées depuis, notamment dans le cas de l’affaire Snowden. “C’est une loi d’exception, en dehors de toute règle juridique, sans contrôle des juges, rappelle la présidente de l’USM Virginie Vidal. Elle met en garde : “Il ne faut pas s’enflammer et éviter la surenchère médiatique d’annonces législatives. Et il faut se poser la question des moyens mis en œuvre car sinon, ces lois ne serviront pas à grandchose.” Julien Rebucci et Marie Turcan

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Femme chiite lors de la commémoration rituelle de l’assassinat de l’imam Hussein – drapeau à son effigie –, petit-fils du prophète Mahomet. Décembre 2014

Ahmad Al-Rubaye/AFP

le clergé chiite n’a de cesse de montrer au monde sa modération

qui est Charlie, des chiites ou des sunnites ? Les deux principales branches religieuses de l’islam se sont opposées sur la représentation du Prophète par Charlie Hebdo, divisant de manière claire ce que l’on appelle le monde arabe.

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es terroristes ont davantage nui au prophète Mahomet que les caricatures qui le visaient, et le tort qu’ils ont causé à l’islam est sans précédent dans l’histoire.” Ces mots, prononcés après le massacre de Charlie Hebdo, auraient pu être signés par un de nos politiques. Ils ont été dits le 9 janvier par Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah libanais. L’organisation chiite n’a rien de pacifique : elle se bat en Syrie au côté de Bachar al-Assad et est depuis 2013 sur la liste des mouvements terroristes établie par l’Union européenne. Comment dès lors comprendre tant de modération dans une affaire, celle des caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo, qui a déchaîné les passions au Proche et Moyen-Orient ? Hassan Nasrallah est chiite. Son organisation est engagée en Syrie et en Irak (où les chiites dominent)

dans une lutte à mort contre le sunnisme version saoudienne. D’abord, les chiites sont moins iconoclastes que les sunnites. Le jour de l’Achoura, dans les rues de Karbala, en Irak, il n’est pas rare de voir accrochés dans les boutiques des portraits de l’imam Hussein, voire du Prophète lui-même. Ensuite, le clergé chiite n’a de cesse de montrer au monde sa “modération” face aux “fous de Dieu” sunnites d’Al-Qaeda ou de l’Etat islamique. Le sous-texte est clair : avec nous, on peut discuter. Les chiites seraient-ils donc Charlie et les sunnites, non ? Disons plutôt qu’en ce moment, il est de l’intérêt du clergé chiite de faire cette concession symbolique. Rappelons que l’ayatollah Khomeiny avait édicté en février 1989 une fatwa d’assassinat à l’adresse de Salman Rushdie à la suite de la publication des Versets sataniques.

Les sunnites, eux, représentent près de 90 % des musulmans et c’est en leur nom que les fondamentalistes recrutent en Occident et, surtout, en terre d’islam. La condamnation des attentats de Paris n’a posé aucun problème à leurs dignitaires. D’une seule voix, ils ont dit leur horreur et leur réprobation. Le débat sur Charlie Hebdo – et sur le caractère licite ou non des caricatures de Mahomet – est venu plus tard et s’est focalisé sur l’habituelle incompréhension de la vision française de la liberté d’expression dans un contexte laïque. Les temps ont changé depuis les années 2005-2006, date de la première publication des caricatures de Mahomet par le journal danois Jyllands-Posten, puis par Charlie Hebdo. A l’époque, les manifestations avaient été extrêmement violentes. Des foules parfois considérables s’en étaient pris à des ambassades, des centres culturels, des écoles occidentales. Des dizaines de personnes avaient été tuées. Aujourd’hui, les manifestations au Pakistan ou dans le monde arabe contre la une de résistance de Charlie Hebdo n’ont ni l’intensité, ni la gravité de celles de 2005-2006. Même les autorités religieuses sunnites ont été mesurées. L’université d’al-Azhar – qui exerce une certaine autorité morale – a qualifié cette caricature de “frivolité malveillante” – le service minimum. Les Américains partis d’Irak et d’Afghanistan, le terrorisme sunnite s’est retourné contre d’autres arabes (yézidis, chrétiens d’Orient) ou d’autres musulmans (chiites, Kurdes ou simples modérés). Difficile alors de mobiliser plus largement. Quant au Niger (sunnite), les manifestants anti-Charlie Hebdo ont pris ce prétexte pour parler d’autre chose : de la relégation économique et sociale des jeunes musulmans nigériens. Ils voient la jeunesse de leur région se rebeller, comme au Togo ou au Burkina Faso voisins. Et ce alors que l’ancienne puissance coloniale, la France, semble se battre contre des musulmans en Centrafrique et au Mali, notamment depuis… le Niger. Anthony Bellanger

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Viollet-le-Duc

le Mouv’ qui devient Mouv’

“je suis à la limite du Belsunce breakdown là, tu vois”

“mais non, ça fait pas grossir, les crêpes”

“à la fois les pigeons ET François Hollande sont remontés dans mon estime, tu vois”

les oscars

l’enregistrement de l’album de PJ Harvey

les linguine alle vongole pour aider le moral à remonter

retour de hype

“il a fait son rot devant La Grande Bacchanale de Poussin”