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No.985 du 15 au 21 octobre 2014

www.lesinrocks.com

Allemagne 4,40 € - Belgique 3,90 € - Canada 6,99 CAD - DOM 4,80 € - Espagne 4,30 € - Grande-Bretagne 6,30 GBP - Grèce 4,30 € - Italie 4,30 € - Liban 11 000 LBP - Luxembourg 3,90 € - Maurice Ile 6,30 € - Portugal 4,30 € - Suède 53 SEK - Suisse 6,50 CHF - TOM 960 XPF

Beyoncé & co

un nouveau féminisme pop ?

SBTRKT

lʼavant-garde electro

Winogrand photographe de l’autre Amérique

Patrick Modiano

un Nobel en cavale

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entretien exclusif M 01154 - 985 - F: 3,50 €

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chère Alessandra Sublet par Christophe Conte

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aire une émission sur la tour Eiffel, je te dis ça sans méchanceté, c’est vraiment un fantasme de plouc. Etant entendu que les Japonais, autre cible possible, ne regardent pas France 2, je ne vois pas d’autre explication à ce naufrage en altitude que constitue ce rendez-vous du mercredi soir, Un soir à la tour Eiffel. Je devance tes objections outrées, c’est pas moi qui méprise les gogos qu’un tel dispositif bling-bling serait censé impressionner, mais bien ceux qui ont imaginé un tel concept.

Ah, la dame de fer, le symbole de la France, sa parure scintillante comme autant d’étoiles factices… “La tour Eiffel m’a toujours fait rêver”, dis-tu. C’est certain, on trouvera moins d’amateurs pour les pissotières de la gare de l’Est. Dans un tel décor d’apparat, on pourrait incruster un débat entre Finkielkraut et Hortefeux que le glamour naturel du lieu aurait le même effet aveuglant, ont dû se dire les cadors des programmes. Mais ils t’ont préférée, toi, Alessandra, l’inaugurale entremetteuse de comices

agricoles dans L’amour est dans le pré, l’ex-gentille passeuse de plats du très popote C à vous sur France 5, désormais tête de gondole d’une télé publique à la ramasse, qui ne sait visiblement que faire de son égérie à dents longues. Drucker – quatre-vingts ans de carrière, pas de cholestérol, reconduit jusqu’à la présidence Bruno Le Maire en 2037 – squatte les dimanches aprèm. Les samedis soir sont pour Patrick Sébastien, qui alterne des contorsionnistes mongols avec des chanteurs arthritiques. Le vendredi étant dévolu aux neurones avec Taddeï, restait le mercredi, laissé vacant par Frédéric Lopez, qui l’an dernier dans la même case mélangeait pêche à la mouche, souvenirs de confitures et confessions sur le cancer de l’utérus en téléportant un trio de people à la cambrousse. Ton émission, moins ambitieuse intellectuellement, ne repose donc que sur son luxueux contenant. Le vide du reste file le vertige, comme un mix saumuré de toute la téloche promo-intimiste façon Drucker (encore lui), Laurent Boyer et Jean-Pierre Foucault, avec un bonus Marcel Béliveau depuis le navrant canular Bedos/Trierweiler, lequel révéla surtout que l’émission elle-même n’était qu’une vaste blague dispendieuse. C’est un genre d’exploit, tu me diras, de parvenir à faire revivre tout l’esprit des ringards post-ORTF en le dissimulant sous la plastique accueillante d’un mannequin 3 Suisses et en cloquant le tout dans un monument pour touristes. C’en est un autre de prétendre à copier les late shows américains, même vaguement, et d’arriver à un résultat qui ressemble à un machin faisandé que ton pote Ardisson n’aurait même pas osé refourguer à une télé qatarie. Quant à l’enchaînement de gloussements qui te sert d’unique répartie, on se dit qu’il aurait plus volontiers trouvé écho au pavillon basse-cour du Salon de l’agriculture que dans ce pigeonnier de parvenus qui ne fait plus rêver que toi. Je t’embrasse pas, j’ai le vertige. 15.10.2014 les inrockuptibles 3

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No. 985 du 15 au 21 octobre 2014 couverture Patrick Modiano par Hidiro

billet dur édito recommandé la courbe la loupe démontage nouvelle tête SAGE style food événement écrivain de l’ombre et des zones grises, Patrick Modiano a obtenu le prix Nobel de littérature. Entretien avec le lauréat et retour sur une œuvre immense

34 le féminisme pop brandi par des stars telles que Beyoncé, Myley Cyrus, Lena Dunham ou encore Emma Watson, un nouveau féminisme a fait son apparition. Récupération marketing ou réel engagement ? Enquête

Jason LaVeris/Film Magic/Getty Images

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Hidiro

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44 SBTRKT, lettres recommandées sortie de Wonder Where We Land, un deuxième album éblouissant de maîtrise

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48 objectif Garry Winogrand première rétrospective parisienne de l’un des maîtres de la photo de rue américaine

Trunk Archive/Photo Senso

56 Shailene Woodley, l’oiseau rare la jeune actrice de Divergente poursuit sa mue auprès du sulfureux Gregg Araki

58 dans le cerveau de Charles Burns

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p. 102

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cinémas White Bird, Samba, Geronimo… musiques Murat, The Drums… livres Ruwen Ogien, Roth par Savigneau… scènes Robert Cantarella, Irina Brook expos Hans-Ulrich Obrist et l’art d'Europe médias Chante ton bac d’abord…

Calavera de Charles Burns/éditions Cornélius

avec Calavera, l’auteur de BD clôt sa trilogie sur la psyché adolescente

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Ces choses-là n’arrivent jamais, normalement. Le prix Nobel de littérature est réservé soit à de quasi-inconnus, que l’Académie suédoise prend un malin plaisir à sortir de l’ombre, au grand embarras des rédactions ; soit à des vedettes internationales, déjà célébrées comme telles, aussi intimidantes que lointaines, aux engagements respectés. Le Nobel n’est pas fait pour les écrivains de chevet, les écrivains qu’on lit vraiment, les quelques indispensables. Plus proche de la dégaine de M. Hulot que de la posture théâtrale du “grand-écrivain” – aux idées bien arrêtées sur la littérature et le monde tel qu’il va –, Patrick Modiano ne répondait pas du tout aux critères. C’est évidemment pour cela que ce Nobel à contre-emploi nous va droit au cœur. Parce qu’il récompense un romancier qui aura inventé à la fois son genre et sa langue, comme le font toujours les plus grands, sans jamais céder à l’enflure ou au désir de plaire. D’où l’accusation récurrente de monotonie, de “petite musique” devenue “rengaine”, comme l’écrivait récemment Eric Chevillard dans sa chronique du Monde, à propos de Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier. On a bien sûr le droit de ne pas aimer Modiano, Nobel ou pas, et d’expliquer tranquillement pourquoi, mais comparer son premier livre, La Place de l’Etoile, au dernier devrait suffire à faire tomber l’accusation de répétition. Au contraire : a-t-on souvent vu une écriture si profondément renouvelée, qui gomme inlassablement ses propres effets et se méfie comme de la peste de sa propre maîtrise ? De ce point de vue, les grands Modiano des années 70, mettons Rue des boutiques obscures (Goncourt 1978), paraissent presque fabriqués et trop savamment concertés si on les compare à ces bouleversantes épures que sont Dans le café de la jeunesse perdue, L’Horizon et L’Herbe des nuits. Sans parler de Dora Bruder ou Un pedigree, romans documentaires et sommets de l’œuvre. Non, Modiano n’écrit pas toujours la même chose, n’en déplaise à ses détracteurs, mais il écrit toujours des livres qui ne ressemblent

Renaud Monfourny

notre Nobel

qu’à lui, en équilibre sur un vers fameux de Baudelaire (“la forme d’une ville/Change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel”) et au gré des fantômes qui viennent à sa rencontre. Comme s’il se devait aux ombres que le passé a englouties corps et biens, à ceux – et surtout à celles – qui ont eu moins de chance et de talent que lui et dont il ne reste rien. Alors, comme dans une séquence sublime de L’Herbe des nuits où il s’agit d’aller récupérer nuitamment et à grands risques les pauvres affaires d’une pauvre jeune fille dans un appartement occupé, Modiano leur accorde les délices et les frissons de la fiction, le suspense qui fait battre plus vite le cœur du lecteur. Et ce n’est pas un hasard si, interrogé par Nelly Kaprièlian à l’occasion de son Nobel, Patrick Modiano raccorde la célèbre anecdote d’Hitchcock, qu’enfant son père fit brièvement enfermer au commissariat, à ses obsessions les plus vives. Un mauvais coup que son propre père lui avait aussi fait, en pire, et Modiano se souvient très bien de ce qu’éprouvent les proscrits, les suspects et les filles perdues. Sans cynisme aucun, sans recettes éprouvées, il est resté de leur côté, leur écrivain, celui qui décrit la violence sociale et ce qu’il faut parfois faire pour survivre, les trafics et les arrangements, au point de choquer Peter Handke, alors son traducteur vers l’allemand, qui n’en revenait pas d’une scène de fellation. A sa manière généreuse et fuyante, Modiano est resté un asocial, un romancier à succès et un parfait sauvage dont la cavale sans fin se poursuit de livre en livre. Et hop, un Nobel au passage ! Bien joué.

Jardin du Luxembourg, janvier 1996

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l’art de la réparation En décernant le prix Nobel de littérature à Patrick Modiano, l’Académie a consacré un des plus grands écrivains de ces dernières décennies. Et une œuvre envoûtante qui explore l’ombre et les marges où le souvenir le dispute à l’oubli et où se fondent des enjeux politique et poétique. par Nelly Kaprièlian photo Hidiro

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e prix Nobel de littérature, attribué le 9 octobre au Français Patrick Modiano, n’aura pas seulement provoqué une immense joie générale. Il s’agit d’un événement qui marque la consécration de l’un des plus grands écrivains français de ces dernières décennies, mais aussi d’une littérature discrète, sans cesse cohérente, qui ne surfe ni sur les modes, ni sur les engouements politiques, d’une littérature, oserait-on écrire, profondément, essentiellement littéraire. Si les jurés du Nobel semblent avoir souvent fait le choix d’écrivains “engagés” contre les injustices, ou du côté de ceux qui sont privés de voix (entre autres, Toni Morrison, 1993 ; Orhan Pamuk, 2006 ; J.M.G Le Clézio, 2008), voire d’écrivains en situation de danger politique dans leur pays, dans une tentative de les protéger (Boris Pasternak, 1958), et s’ils ont, en annonçant leur choix cette année, salué la littérature de Patrick Modiano comme l’accomplissement d’un devoir de mémoire (de l’Occupation), celle-ci va

bien au-delà de toute éventuelle réduction historique ou sociologique. Si le geste de Modiano est politique, il l’est comme toute véritable littérature se doit de l’être, comme tout véritable enjeu poétique : une extraction de tout impératif sociétal pour mieux réinventer le temps, de toute doxa pour mieux réinventer un monde, de toute injonction à la vitesse, à la nouveauté et à la productivité, pour mieux s’arrêter et creuser ses obsessions, sa psyché et les blessures d’une enfance saccagée, fouiller les marges de toute normativité et donc de tout mensonge à la recherche d’une vérité. C’est ainsi qu’en trente romans et récits, de La Place de l’Etoile (1968) à son tout dernier, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier (paru le 2 octobre), l’écrivain n’a cessé d’arpenter un Paris réel ou enfui, dévasté par les hommes et le temps, hanté par les fantômes de la mémoire, et de nous entraîner dans ces zones les plus neutres, grises, périphériques – sorte de géographie mentale,

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Période Dans le café de la jeunesse perdue, octobre 2007

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métaphore des régions obscures de l’inconscient où se cacherait le refoulé. Au nombre de ses obsessions : le passé, les thèmes de l’oubli et de la mémoire, un homme qui part à la recherche d’une femme disparue. Les romans de Modiano tournent autour d’un point aveugle, d’un manque, d’un mystère impossible à résoudre : un épisode lointain qu’un personnage s’entête à tenter de reconstituer pour mieux le nommer et ainsi le comprendre, enfin, s’en débarrasser – il s’agirait pour Modiano d’écrire moins pour se souvenir que pour oublier. Pour se défaire, par exemple de l’insécurité éprouvé par l’enfant abandonné d’internat en internat, ou de la mort de son frère Rudy, décédé à 10 ans. Né en 1945, d’un père sombre homme d’affaires et d’une mère actrice, Modiano confiait aux Inrocks, en 1996 : “Ma mémoire précède ma naissance. Dès mon enfance et mon adolescence, j’ai éprouvé un grand

malaise à cause de cette période. C’était avant tout lié à des raisons familiales : sous l’Occupation, mon père avait été obligé de se cacher mais devait quand même survivre, il s’était retrouvé dans des situations troubles, contradictoires… Tout ça m’empoisonnait (…). Les gens qui sont nés en France en 44-45 ont été le fruit d’une époque, de circonstances exceptionnelles. L’Holocauste, les disparitions, les transferts de population, les rencontres qui n’auraient jamais eu lieu en un temps normal… L’Occupation est une sorte d’abcès, comme une zone empoisonnée, qui a donné le ton de toute la suite et a pu éclairer des événements d’avant-guerre.” Ce sera dans deux livres majeurs qu’il abordera frontalement cette période : Dora Bruder (1997), dans lequel un homme tente de retrouver la trace d’une jeune fille juive déportée, et le fulgurant Un pedigree, texte bref retraçant les vingt premières années de sa vie, écrit à la manière lapidaire d’un procès verbal. Pour ce livre, peut-être son plus douloureux, l’écrivain avait

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la mémoire deviendrait l’outil vital pour retrouver les pièces manquantes d’un puzzle refusé tous les entretiens. On a beaucoup parlé du phrasé particulier de Patrick Modiano, fait de brusques interruptions, de mots laissés en suspens, d’hésitations et, soudain, d’idées fortes. La lente litanie, toujours modeste d’un homme timide, d’un homme qui doute, et parce qu’il doute, a toujours fait preuve d’une humilité désarmante. Il sait que le travail avec les mots est un corps à corps souvent difficile, que la pratique même s’avère souvent insatisfaisante, lui qui nous disait en 2012 : “J’ai souvent l’impression que le livre que je viens de finir n’est pas content, qu’il me rejette parce que je ne l’ai pas abouti. Comme on ne peut plus revenir en arrière, il me faut alors en commencer un autre, pour aboutir enfin le précédent.” Reprendre des séquences entières de sa vie, de son œuvre, recommencer à tenter de déchiffrer ses mêmes motifs traumatiques : un moment de l’enfance où Patrick, avec son frère Rudy, avaient été confiés par leur mère à l’une de ses amies vivant dans une vaste maison de la banlieue parisienne, où se croisaient des individus louches, où planait une menace constante. Un moment de sa jeunesse, entre 17 et 22 ans, où sa vie était incertaine, troublée, assombrie par les échos de la guerre d’Algérie. Et au même moment, la perte de son vrai premier roman, qui concernait cet épisode dans cette maison bizarre (qu’il tentera de reconstituer dans Remise de peine (1988) avant de l’affronter dans Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier). Comme pour remplacer ce manuscrit envolé, il avait alors écrit Place de l’Etoile, qui plaira à Queneau et sera publié en 1968, l’ancrant peut-être ainsi à la vie, le sauvant de l’existence effilochée du fantôme qu’il aurait pu devenir. Les fantômes, ce seront désormais les autres : ses personnages, ces femmes évaporées qu’un héros se met en tête de retrouver : “C’est la même personne qui revient de roman en roman, mais de façon fantomatique, pas parce que j’aime les êtres éthérés, mais comme une photo qui aurait été rongée par l’oubli. C’est l’oubli qui est le fond du problème, pas la mémoire. On peut avoir été très intime avec quelqu’un et, des années après, cette personne apparaît comme rongée, avec des pans entiers manquant dans votre mémoire. Ce sont ces fragments d’oubli qui me fascinent.” La mémoire, chez Modiano, deviendrait l’outil vital pour retrouver les pièces manquantes d’un puzzle, et les mots, les seuls fils d’Ariane qui lui permettraient de retourner sur les traces d’êtres et de lieux rongés par le temps sans se perdre lui-même, pour mieux revenir de ce voyage mélancolique et habiter au mieux son présent. L’enjeu au cœur de sa littérature n’a rien de nostalgique, mais reste le beau combat d’un homme pour reprendre possession d’une vie et réordonner le chaos : “C’est comme si, en écrivant, je faisais le rêve de pouvoir revenir en arrière et de revivre, mais en bien, ce que j’ai mal vécu à l’époque. Comme si je pouvais traverser le miroir du temps et réparer le passé.” En somme, sauver Dora Bruder.

le prix d’un Nobel Quelles retombées pour l’éditeur Gallimard et pour l’auteur lauréat ? L’effet Nobel, Anne-Solange Noble, directrice des droits étrangers chez Gallimard, a pu l’éprouver en temps réel. En pleine Foire du livre de Francfort, le plus grand rendez-vous international de l’édition, il n’a pas fallu longtemps aux éditeurs du monde entier pour se précipiter sur son stand. “J’ai dit tout de suite que je ne prendrais aucune offre sur le stand et qu’il n’y aurait pas d’enchères, explique-t-elle. On ne va pas d’un coup céder à la meilleure offre d’un éditeur qui ne s’intéressait pas à Modiano une heure avant l’annonce du prix.” En Europe, l’auteur de Dora Bruder est publié par de grands éditeurs “littéraires” : Jonathan Cape en Grande-Bretagne, Einaudi en Italie, Hanser en Allemagne, Anagrama en Espagne. Aux Etats-Unis, il est édité, entre autres, par David R. Godine, un petit éditeur de Boston qui va réimprimer à 15 000 exemplaires trois titres épuisés de Modiano (8 000 exemplaires vendus en tout jusqu’à présent). Les livres devraient être réimprimés de 3 000 à 5 000 exemplaires selon les pays. L’occasion de renégocier les à-valoir. Et d’asseoir l’aura de Modiano à l’étranger. En chiffres : 876 560 le montant en euros du Nobel de littérature 100 000 le nombre d’exemplaires de Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier que Gallimard réimprime. Le premier tirage était de 60 000. L’ensemble de ses titres, en poche et en grand format sera tiré à 200 000 exemplaires. En 2008, quand J.M.G Le Clézio a reçu le Nobel, son livre Ritournelle de la faim paru une semaine avant, avait été tiré à 140 000 exemplaires et ses ventes multipliées par dix. 36 le nombre de langues dans lesquelles sont traduits les livres de Modiano. “Il est même traduit en persan en Iran”, précise Anne-Solange Noble. “Trente-six langues, on peut difficilement faire mieux. Mais peut-être que le malayalam (langue parlée dans le sud de l’Inde – ndlr), s’ajoutera bientôt à la liste...” 20 000 exemplaires au lieu des 2 000 prévus pour la trilogie Remise de peine, Fleurs de ruine et Chien de printemps publiée par les presses de Yale aux Etats-Unis. 76 199 le classement de Missing Person (Rue des boutiques obscures) sur Amazon. Après le Nobel, il est passé à la troisième place. E. P.

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“comme si j’étais quelqu’un d’autre” Interrogé après l’annonce de son prix, l’auteur nous a fait part de sa surprise et de son trouble. propos recueillis par Nelly Kaprièlian photo Hidiro

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omment vous sentez-vous ? Patrick Modiano – Je ne m’attendais pas du tout à ce prix, donc ça m’a un peu surpris. Cela m’a fait l’effet de me dédoubler, de me dissocier, comme si j’étais quelqu’un d’autre. Il a fallu attendre un peu pour que ces deux parts de moi se raccordent, l’écrivain qui travaille en solitaire d’un côté, et le nobellisé. La veille, j’avais bien lu que des bookmakers pariaient sur mon nom, mais je ne prenais pas cela au sérieux. Je l’ai appris en marchant dans la rue, et quand on vous annonce ça, on ne réalise pas tout de suite qu’il s’agit de soi. Et puis j’avais hâte de savoir pour quelles raisons j’avais été choisi. On est toujours un peu aveugles sur ce qu’on écrit, donc je ne comprenais pas… L’Académie du Nobel semble vous avoir choisi parce que votre œuvre ferait devoir de mémoire. N’est-ce pas un peu réducteur ? Oui, c’est vrai que c’est un peu bref. Mais ils ont dit autre chose aussi sur la recherche du temps, les temps qui s’entremêlent. Cela leur était peut-être difficile de résumer tout mon travail en une seule phrase. Lors de la conférence de presse, vous avez dit que nous vivons des temps en train de changer… On me posait une question sur la France aujourd’hui, et évidemment c’était difficile d’entrer dans les détails. C’est vrai que nous traversons une période de crise, d’incertitude générale, qui est valable dans toute l’Europe. Vous qui avez beaucoup écrit sur le Paris de l’Occupation, pensiez-vous à la montée de l’extrême droite ? Oui, mais c’est la conséquence d’un malaise. Un peu comme une maladie de peau est la conséquence d’un désarroi. Diriez-vous que l’époque influence votre travail ? Comme j’écris des ouvrages de fiction, je ne peux pas échapper à mon époque. Même si on décide de vivre dans une tour d’ivoire, tout ce qu’on peut faire est forcément traversé par l’air du temps. On n’y échappe pas, on la ressent, comme un sismographe, et même si mes livres n’en rendent pas compte explicitement, le temps dans lequel j’écris mes livres s’y reflète. Votre dernier roman, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, commence de nos jours, mais plonge vite dans un

“on est toujours un peu aveugles sur ce qu’on écrit” épisode de votre enfance : quand votre mère vous avait confié, avec votre frère, à une autre femme, dans une maison étrange… Vous mettez le doigt sur un point sensible. En dehors de l’air du temps, on est quand même rattrapé par son passé, et il y a souvent dans une vie un épisode, dans l’enfance, qui vous marque et qui sert de matrice à l’imaginaire et à la fiction. Même si cet épisode semble anodin, il vous poursuit et vous fait écrire souvent les mêmes textes. Je donne souvent Hitchcock comme exemple : quand il était enfant, son père l’avait envoyé au commissariat avec une lettre pour le commissaire, et celui-ci l’avait enfermé dans une pièce où il plaçait les gens qu’il avait arrêtés. Il y est resté une heure, sans savoir quand il allait en sortir. Et quand le commissaire l’a enfin libéré, il lui a dit qu’il le remettrait là s’il se conduisait mal… Cet épisode est la matrice de ses films hantés par une menace, du suspense. Toute votre œuvre semble tourner autour de cet épisode, pourtant c’est dans votre dernier roman que vous vous y attaquez le plus directement. Pourquoi ? J’avais fait une tentative dans Remise de peine (1988)… mais là, c’est vrai que c’est d’une manière plus frontale. Au fur et à mesure qu’on vieillit, la distance temporelle qui nous sépare de l’événement s’agrandit… et j’avais peutêtre besoin d’un recul plus important pour pouvoir l’aborder. Je voulais montrer une réticence du personnage principal à se replonger là-dedans. Mais les appels téléphoniques qu’il reçoit, et le dossier qu’on lui remet vont l’y obliger. Il y a aussi l’oubli qui joue un rôle, mais ce n’est qu’une illusion, car les mêmes vieux éléments bizarres qui vous sont arrivés n’en finissent pas de resurgir. Vous êtes déjà considéré comme l’un des meilleurs écrivains français. Mais ce Nobel vous donne aujourd’hui la stature de très grand écrivain. Cela va changer quelque chose pour vous ? (rires) Non, rien du tout, car pour moi, c’est toujours la même chose…

En revanche pour les ventes, et pour certains pays anglo-saxons réticents aux traductions, ça aura peut-être un impact. Un nouveau public va s’intéresser à vos livres. Par lequel lui conseilleriezvous de commencer ? J’aurais tendance à privilégier mes livres les plus récents, car les autres sont éloignés de moi. Donc peut-être par l’avant-dernier (L’Herbe des nuits, 2012 – ndlr), et le dernier. Quand j’ai terminé un livre, j’éprouve une insatisfaction qui me replonge dans un autre et c’est comme une fuite en avant… quand je relis mes livres plus anciens, je m’aperçois que je répète des choses qui se ressemblent, parfois des séquences entières, qui reviennent comme un refrain, un ressac … Plutôt que de les éviter dans un prochain roman, vous tentez de les approfondir ? C’est une sorte de retouche perpétuelle. J’essaie de tourner autour, comme un photographe qui photographierait toujours la même personne mais en changeant à chaque fois de point de vue, qui s’approcherait puis s’éloignerait. C’est exactement cela : j’essaie toujours de trouver des points de vue différents. Quel conseil donneriez-vous à un jeune auteur ? Aujourd’hui cela me semble plus difficile d’être un jeune écrivain qu’à l’époque où j’ai commencé, la pression et la brutalité sont plus grandes, et il est plus difficile de se tenir à une forme de solitude. Je me demande quels sont les rapports d’un jeune auteur avec les maisons d’édition… Quand j’ai commencé, c’était plus artisanal, nous avions des interlocuteurs à qui nous adresser. Et je crains que pour un jeune, la pression extérieure soit si forte maintenant, qu’il aurait du mal à se tourner davantage vers l’imaginaire que vers un présent plus réaliste. En même temps, c’est idiot, car cette pression peut nourrir son imaginaire. Vous savez en quoi consistera votre discours pour le Nobel ? (rires) Non, pas encore… Peut-être, après tout, qu’on n’est pas obligé de faire un discours. Peut-être qu’on peut écrire un texte de fiction… dernier ouvrage paru Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier (Gallimard), 160 p., 16,90 € 15.10.2014 les inrockuptibles 15

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Période Du plus loin de l’oubli, cité Véron, Paris 1996 16 les inrockuptibles 15.10.2014

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Le prix Nobel 2014 vu par trois auteurs français qui ont grandi avec son œuvre. Olivia Rosenthal “une hantise de l’oubli, intime, presque terne” Le Paris vibrant, fantomatique et un peu vide de Patrick Modiano est un peu le mien. La ville y est pleine de brèches par où se faufiler et partir. Des personnages insaisissables, travaillés par l’absence des autres, c’est-à-dire aussi la leur, s’y perdent. J’ai envie de les retrouver. C’est pourquoi j’aime l’obstination de Patrick Modiano à enquêter sur ces inconnus et à les garder en mémoire. Il y a chez lui une hantise de l’oubli, intime, presque terne, le contraire d’une littérature indigeste à force d’héroïsme. Modiano me parle à l’oreille, il fait partie de ceux qui luttent contre la disparition en sachant qu’ils ne remporteront jamais la victoire. dernier ouvrage paru Mécanismes de survie en milieu hostile (Verticales)

Eric Reinhardt “nous sommes tous des personnages de Modiano” Dans le fond, c’est toujours la même sensation essentielle que les romans de Modiano nous font visiter, la sensation que le passé, tout révolu soit-il, est là, impalpable mais pourtant irrécusable, autour de nous, dans l’atmosphère, et qu’il peut parfois s’entrapercevoir, fugace, dans les reflets d’une vitrine, l’obscurité d’une porte cochère, une automobile glissant dans la nuit, la silhouette d’une femme sautant dans un autobus. La déchirante douleur du révolu et la beauté mélancolique, précieuse, indispensable, de sentir son passé autour de soi, dans la réalité, comme dans une autre salle de son présent. C’est toujours cette sensationlà, dans toutes ses variations possibles, qui luit au cœur des livres de Modiano, ténèbres qui sont la mémoire même de l’écrivain mais aussi, de livre en livre, la nôtre. C’est ce qui fait de la lecture de ses romans, pour ses lecteurs les plus anciens, une expérience étrange et envoûtante, capitale, profondément métaphysique : chaque nouveau livre réveille les traces laissées en nous par les précédents, comme si cette œuvre était un fil obsessionnel tiré à travers nos propres vies depuis notre jeunesse, notre âge d’or, notre innocence enfuie,

notre époque à nous, le paradis perdu. Et ce sont ainsi nos propres vies singulières que ses fictions rendent mystérieuses, habitées, peuplées d’ombres et de lointains rendez-vous manqués, de nuits blanches insondables sur lesquelles nous n’avons pas fini, nous lecteurs, à l’image des personnages de Modiano, de nous interroger, nous demandant ce qui se serait passé pour nous si on avait fait autrement, si on avait saisi telle main ou emprunté telle rue, accepté telle proposition, osé baiser ces lèvres intimidantes, à l’âge où on lisait nos premiers Modiano, vers 1983 pour ce qui me concerne, il y a longtemps déjà… Egarés dans nos vies pleines de mémoire, nous sommes tous des personnages de Modiano. dernier ouvrage paru L’Amour et les Forêts (Gallimard)

Anne Berest “ses livres m’ont agrandi le cœur” Certains auteurs entrent si fort dans votre cerveau qu’ils se superposent à votre regard. Modiano fait partie de ceux-là. Comme Proust, comme Houellebecq, leur littérature s’impose dans la vie quotidienne. Leur regard devient le vôtre. Je ne peux marcher avenue Frochot ou dans des quartiers perdus de Paris sans penser à Modiano. Je crois que c’est à cela que sert la très grande littérature : à mieux “voir” le monde. Mais ce n’est pas tout. Leurs livres vous font aussi comprendre les êtres qui vous entourent. Modiano, c’est ma mère. Toute mon enfance, j’ai vu ma mère faire des recherches dans son bureau. Je la voyais, concentrée, fumant des clopes dans une semipénombre. Elle fouillait des papiers en désordre. Elle disait : “Oh... c’est des trucs... sur ma famille.” Je ne comprenais pas trop (parce que fort heureusement, les enfants ne comprennent rien à leurs parents). Et puis un jour, j’ai lu toute l’œuvre de Patrick Modiano. C’est alors  que j’ai compris ma mère. Ses livres m’ont agrandi le cœur. Ils ont été une flèche lumineuse dans ma nuit. Ils m’ont indiqué une direction. dernier ouvrage paru Sagan 1954 (Stock) En 2008, elle a adapté et mis en scène avec Edouard Baer Un pedigree au Théâtre de L’Atelier. 15.10.2014 les inrockuptibles 17

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Renaud Monfourny

Catherine Deneuve et Patrick Modiano au Lutetia, Paris, mai 1997

rue des salles obscures Scénariste pour Louis Malle, acteur pour Raúl Ruiz, l’auteur d’Un pedigree a toujours été fasciné par le cinéma, comme il l’avait confié aux Inrockuptibles en 1997.

A

vec la littérature, c’est le seul art proche de moi. Le cinéma m’a beaucoup plus frappé que la peinture ou la musique… Alors qu’il y a beaucoup de gens de ma génération qui ont bifurqué d’une manière naturelle vers le cinéma, je me demande pourquoi chez moi, c’est la littérature qui a repris le dessus… Peut-être parce que je supposais qu’il y avait

des tas de problèmes techniques qu’il fallait résoudre, je me sentais mal à l’aise avec ça. C’est comme ne jamais avoir appris à conduire, par une sorte de paresse pour les choses techniques… Ça m’avait frappé quand Claude Chabrol avait déclaré que la technique, ça s’apprenait en un après-midi… mais je suspectais que ce ne soit pas tout à fait vrai. Moi, je craignais de buter sur des problèmes d’électricien, sûrement à tort

d’ailleurs… J’étais obsédé par les plans, il m’arrivait de voir un film six fois de suite pour répertorier tous les plans. Comme le côté technique me faisait peur, j’aimais bien lire des livres sur le montage, la photographie, l’éclairage. Je lisais des trucs sur la couleur au cinéma ou sur les différentes lumières… Par exemple, je voulais comprendre en quoi les opérateurs de la Nouvelle Vague avaient rompu avec la tradition, grâce à des

trucs qui avaient été inventés par les correspondants de guerre américains. J’étais obsédé par un chef opérateur américain, Leon Shamroy, qui a tourné Péché mortel avec Gene Tierney et qui utilisait une lumière bizarre, avec des teintes très orangées… Une autre chose qui m’impressionnait quand j’étais adolescent : je pensais que tous les grands tempéraments artistiques avaient été broyés par le système… Que ce soit Welles ou Stroheim, Ophuls ou Vigo dont L’Atalante avait été retitré Le chaland qui passe… Baudelaire a été broyé par lui-même, par son propre malheur de vivre tandis qu’eux, ça venait d’éléments extérieurs qui mutilaient leurs œuvres… Bien sûr, Baudelaire, Verlaine ou Flaubert ont été traînés devant un tribunal, mais on ne mutilait pas leurs œuvres, elles restaient intègres. Alors que les cinéastes, on massacrait leurs films. Même La Règle du jeu a été coupé, Les Rapaces aussi, Lola Montès… Un metteur en scène doit utiliser beaucoup de son énergie pour persuader des producteurs, des interlocuteurs qui ne le comprennent pas, aux dépens de la pure création artistique. Je pensais que pour être cinéaste, il fallait avoir des qualités de chef… presque de chef d’entreprise, d’organisateur, il fallait savoir résoudre des problèmes pas uniquement artistiques. La littérature, il suffisait d’avoir un stylo… propos recueillis par Frédéric Bonnaud

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une semaine bien remplie

Tout sur ma mère de Pedro Almodóvar (1999)

Briller au Festival Lumière à Lyon, passer internet en revue sur papier, aller écouter le psyché-garage de Ty Segall à la Cigale, partager une journée particulière avec Thurston Moore et disséquer une relation extraconjugale sérielle avec The Affair.

illuminations Festival Lumière Entre les venues de Faye Dunaway, de Michael Cimino ou de Pedro Almodóvar, invité d’honneur de cette édition, les rétrospectives consacrées à ce dernier, à Frank Capra ou à Claude Sautet, les ciné-concerts, un cycle western-spaghetti et une nuit Alien, le Festival Lumière vous illuminera tout au long de la semaine. cinémas jusqu’au 19 octobre à Lyon, festival-lumiere.org

daydream album

album The Best Day, sortie le 20 octobre

Phil Sharp

Thurston Moore L’ex-Sonic Youth Thurston Moore (sur la photo, l’homme aux bras levés), entouré de l’ancien batteur du groupe, de la bassiste de My Bloody Valentine et d’un autre guitariste, sort The Best Day. Sur cet excellent album, il opère un retour aux fondamentaux du rock noisy – une certaine sagesse en plus.

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gare au garage Ty Segall

concert le 21 octobre à Paris (Cigale) 

Double page : Such Bijoux, photo Martyna Pawlak

Denée Petracek

27 ans et déjà quatorze albums : Ty Segall est du genre hyperactif. Un an après un sublime concert à la Maroquinerie, le Californien, figure de la scène garage-psyché, ramènera ses boucles blondes à Paris pour présenter son dernier-né, l’incroyable Manipulator. Immanquable.

like

Showtime

Nichons-nous dans l’internet

liaison dangereuse The Affair Cette série est plus que l’aventure entre un homme marié et une femme dévastée par la perte d’un enfant. Interrogés par la police, les adultérins Noah (Dominic West) et Alison (Ruth Wilson – à gauche sur la photo) racontent séparément la genèse de leur histoire.

Deuxième numéro de la revue papier semestrielle consacrée à la webculture noble. Au sommaire : une rencontre avec Caroline Delieutraz à l’origine du projet confrontant les photos de (la France de) Depardon à celles de Google Street View, le web jetable, ou l’histoire de l’art selon les algorithmes de Google. revue n° 2, 1 2 €, nichonsnousdanslinternet.fr

série sur Canal+ Séries 15.10.2014 les inrockuptibles 21

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un nouveau Björk pour 2015

retour de hype

“je suis pas pessimiste, je suis français”

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

“ah bon, mais ça existait encore, Crystal Castles ?”

“Damien Rice, c’est un chanteur cantonnais ?”

Aristote Le Pérugin

le pasteur de 7 à la maison

“si, c’est très sain le vin chaud, c’est un peu comme une soupe”

la place près du radiateur se déguiser en pompier

Twin Peaks

radiooooo.com

Léa Seydoux Bill Murray chantant Bob Dylan

Un nouveau Björk pour 2015, produit par Arca (Kanye West, FKA Twigs). “Ah bon, mais ça existait encore Crystal Castles ?” Apparemment, car la dame du groupe a annoncé l’avoir quitté. Radiooooo.com fait la part belle à la musique du passé pour inventer la radio du futur. “Je suis pas pessimiste, je suis

“y en a, c’est les araignées ou les avions ; moi, j’ai la phobie d’Alessandra Sublet”

français” Selon l’institut de sondages US Pew Research Center, la France est le pays le plus pessimiste au monde. Léa Seydoux Prochaine James Bond Girl. Aristote Première traduction de ses œuvres complètes depuis le XIXe siècle : 2 925 pages en un volume, un beau cadeau de Noël. D. L.

tweetstat Depuis quatre ans et demi sur Twitter, la chanteuse américaine rend compte de son quotidien passionnant.

8Et le%charme Télé Loisirs désuet

Cher cher

Am watching The Godfather…. God I LOVE ITALIANS 04:55 - 6 oct. 2014

Répondre

des programmes TV. Retweete

“En train de regarder Le Parrain… Dieu que J’AIME LES ITALIENS”

87 % Cannoli

“Leave the gun. Take the cannoli.” (Peter Clemenza, dans Le Parrain)

5 % Matteo Renzi

Autre twittos très actif, au style toutefois un peu plus sobre.

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bad vibrations Sous couvert d’opération caritative, une reprise des Beach Boys fait l’objet d’un clip à la hauteur de sa qualité musicale. Aussi hideux que laborieux.

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Dieu seul le sait…

Marx écrivait dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte : “Hegel a déjà dit que les grands hommes et les grands événements de l’histoire

se reproduisent toujours pour ainsi dire deux fois. Mais il aurait dû ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce.” Aussi

étrange que cela puisse paraître, c’est à cette formule que fait penser la reprise du monument God Only Knows (chanson culte des Beach Boys

sortie en 1966 sur le non moins culte Pet Sounds) par une foule de stars ayant pour point commun d’être lourdement tartinées de fond de teint.

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des tas de stars

Sachez-le : personne n’est à l’abri. A tout moment, un décideur de ce que l’on appelait “l’industrie du disque” pourrait choisir votre morceau préféré pour en faire une reprise absurde et/ou édulcorée. Un bon filon ? Sans doute. Reste que le motif avancé ici est caritatif : la BBC produit ce clip pour une opération visant à récolter des fonds pour les enfants dans le besoin. L’occasion de mobiliser une brochette de stars. De Pharrell Williams à Kylie Minogue en passant par Dave Grohl, One Direction, Elton John, Stevie Wonder, Chris Martin, Lorde, Brian Wilson himself et aussi d’autres gens très célèbres que l’on peine à reconnaître. Tous posent (séparément, merci Photoshop) pour cette image hideuse rappelant laborieusement la pochette du Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles, déjà inspiré de Pet Sounds.

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heal the world Aux nouveaux arrangements sirupeux s’ajoute une mise en image plus kitsch que la plus kitsch de tes copines. Outre les effets spéciaux donnant au tout une grande ressemblance avec l’horrible générique de Secret Story, notons la présence de toutes les figures obligées du clip caritatif. Air concerné, fronts plissés, sentimentalisme surjoué et vocalises déplacées : ne manque plus que la session d’enregistrement à grands renforts de casque audio et micro pro. L’estocade arrivant à la toute fin quand, après qu’une plume a fini sa course folle sur les touches du piano de Wilson, apparaît ce message : “FOR THE LOVE OF MUSIC”. Diane Lisarelli

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en chiffres

Weezer without you Bloqué dans l’adolescence et les nineties, le nouvel album des Américains propose un rock lourdaud porté par des riffs radoteurs.

le sujet Vingt-deux ans après ses premiers riffs, Weezer publie cet automne le dixième chapitre de sa discographie. Intitulé Everything Will Be Alright in the End, le disque a été produit par Ric Ocasek, ex-chanteur des Cars déjà aux manettes de deux albums colorés du groupe (l’album bleu de 1994 et l’album vert de 2001). Rivers Cuomo, leader lunetté de Weezer, a justifié ce choix en expliquant qu’il rendrait possible un retour “au son, aux vibrations et à l’énergie des débuts” tout en permettant aux Californiens d’explorer de nouvelles pistes. Weezer a travaillé sur près de deux cents morceaux pour finalement en retenir treize. L’album tourne, selon les dires de Cuomo, autour de trois thèmes récurrents : son rapport aux autres, son rapport aux femmes, et sa relation avec son père.

le souci Prometteuse sur le papier, la nouvelle collaboration entre Weezer et Ocasek déçoit. L’influence du producteur semble inexistante : nul nouveau souffle ici, nul retour aux formats futés que le groupe avait proposés sur ses premiers albums. A la place, Weezer aligne treize morceaux sans finesse : de Back to the Shack à I’ve Had It up to Here, une plongée dans le rock qui cogne et qui tache, avec guitares

inlassablement branchées sur la pédale disto. Pas de surprise et peu de mélodies ici : le groupe est bloqué sur les trois mêmes accords, qu’il dégaine souvent sans inspiration ou avec la finesse d’une pompe à déboucher les éviers (Cleopatra). S’agissant des thèmes évoqués par Cuomo, de grandes leçons de vie s’échappent de l’ensemble (“Pardonne ton stupide père, il a fait de son mieux, tu es sa fille”, sur le naïf Foolish Father).

le symptôme Depuis quelques années, Weezer bénéficie d’une bienveillance injustifiée. Parce que la mode est au revival nineties, on défend ces chansons qui pourtant se suivent et se ressemblent, et desquelles se dégage un parfum de Biactol périmé. Capable hier de produire de bons moments de rock teenager (les excellents Buddy Holly ou El Scorcho), la formation, dont les membres ont 45 ans en moyenne aujourd’hui, aligne des hymnes rock radoteurs et grossiers, finalement assez proches de ceux de Green Day et Avril Lavigne. Lourdaud, ce nouveau chapitre achève de nous persuader d’aller voir ailleurs. A ceux qui seraient nostalgiques d’une certaine power-pop adolescente, on conseillera plutôt de se replonger dans les albums de Nada Surf, Death Cab For Cutie ou Ben Folds. Johanna Seban

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C’est le nombre de chansons de Weezer choisies par la Banque postale pour égayer sa campagne publicitaire. Le titre, Island in the Sun, extrait de leur album de 2001, est ainsi devenu un vrai tube en France, dont même vos grands-tantes et votre mamie connaissent la mélodie (mais si, “when you’re on a holiddaaaaay”).

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C’est, en millions, le nombre d’albums vendus par Weezer aux Etats-Unis. Une quantité qu’il faut multiplier par deux à l’international puisque le groupe avait écoulé, avant la sortie de cet album, 17 525 000 disques à travers le monde.

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C’est le nombre de disques de Weezer sans nom. Pour des raisons pratiques, on a pris l’habitude de les nommer par la couleur de leur pochette. Soit, dans leur ordre de parution, l’album bleu (1994), l’album vert (2001) et l’album rouge (2008).

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Ismaël Moumin

SAGE Produite par une moitié de The Shoes, la pop élégante de cet ex-membre de Revolver se frotte à l’électronique.

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l fut pendant plusieurs années l’un des trois piliers de la formation pop française Revolver, insufflant aux radios nationales leur rare lot de tubes de qualité. Il fut également homme de l’ombre de Woodkid, signant les arrangements de cordes de son premier album. On le retrouvera désormais en solitaire : Ambroise Willaume a en effet imaginé SAGE (moins comme le qualificatif que comme le diminutif de Sagittaire, son signe astrologique), un projet solo qui le voit dérouler d’élégantes ballades pop autour de son piano.

A la production, le musicien s’est offert les services de Benjamin Lebeau, moitié des Shoes. L’occasion de frotter ses chansons, héritées de son amour pour les disques de Neil Young et de Debussy, à des arrangements empruntés au digital. En attendant un premier album en 2015, SAGE sort In Between, un ep prometteur qu’il présente sur scène ces prochaines semaines en première partie de The Dø et Christine And The Queens. Johanna Seban ep In Between (Gum Label), sortie le 27 octobre

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style

où est le cool ? par Géraldine Sarratia et Dafne Boggeri

dans l’atelier de ce shaper écolo Né dans les montagnes du nord de l’Italie, à deux heures de la Méditerranée, Luca Bressan a commencé en personnalisant des vélos avant de se lancer dans la fabrication de surfs en bois naturel. Superbes, résistantes et durables, ses planches sont designées pour la mer ou la montagne. solosurfboards.com

en sportswear élégant et désinvolte Etre chic au saut du lit : c’est la promesse de cette silhouette automnale très loose mais dynamique proposée par Sonia, la ligne plus éco de la maison parisienne Sonia Rykiel. Le haut, qui mêle imprimés pop maison et grand manteau en fausse fourrure, contraste avec le bas, plus sportswear. soniarykiel.com 30 les inrockuptibles 15.10.2014

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Marco Mucig

à toutes les pages de Riposte Le londonien et arty Riposte, qui se présente comme un “magazine intelligent pour les femmes”, sort son n° 2. Son principe est de proposer 5 idées, 4 rencontres, 3 chroniques (sur l’art, la mode ou la musique), 2 articles de fond et 1 icône. En couverture : Deborah Sussman, designeuse récemment décédée, pionnière de l’introduction d’éléments graphiques dans l’architecture. ripostemagazine.com

plus de style sur les inRocKs Style style.lesinrocks.com 15.10.2014 les inrockuptibles 31

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vous n’y échapperez pas

le ghetto gothic La rencontre de Missy Elliott et Marilyn Manson : métissé, nerveux, transversal.



e scandale éclate en mai dernier : la DJ Venus X arrête brutalement sa soirée GHE20G0TH1K (à prononcer ghetto gothic) qui brasse tout l’underground new-yorkais. Rihanna lui aurait tout piqué, hurle-t-elle furieuse sur les réseaux sociaux. Enfin, surtout son look et l’appellation. Il est vrai que les deux jeunes femmes se ressemblent étrangement : même lèvres vertes, même superposition de Creepers et de chaînes en or, de références skinhead et hip-hop, harajuku et ethnique. A la différence près que la réappropriation de Rihanna (qui avait déjà fait de même avec l’esthétique seapunk) est vidée de tout contenu politique. Or le ghetto gothic, ce mouvement transversal qui hante les bas-fonds de New York depuis plusieurs années et éclate aujourd’hui au grand jour, est accompagné d’un réel ancrage social. “Le ghetto gothic, c’est pour tous les marginaux de la société, tous les incompris. Tous les enfants de familles dominicaines qui terrifient leurs parents avec leur amour de la techno allemande et leurs piercings étranges !”, s’exclame Venus X, qui explique que cette mouvance rassemble esthétiquement et culturellement “ce qui est socialement perçu comme très noir et très blanc”. Ainsi, les soirées du genre mêlent hip-hop, transe et electro : une hybridation des extrêmes issue de la culture internet. Le dernier né du mouvement est la marque de pointe Hood By Air fondée par Shayne Oliver, ancien DJ des soirées GHE20G0TH1K et ami d’enfance de Venus X. Ici, le vêtement est utilisé “pour déconstruire les rôles et les attentes des genres, des classes, des couleurs”,

Dogue allemand, collerette en résine, tatoos et superposition de denim. Fashion week de New York, septembre 2014

explique Oliver. Sa mode mêle lignes futuristes, voire mangas, empiècements de cuir façon heavy-metal et silhouettes hip-hop rétro. Chez lui, “les hommes sont des paons et les femmes des warriors”. En 2013, au milieu de mannequins masculins à cheveux longs et de top models à l’air féroce, il a notamment fait défiler le rappeur A$AP Rocky vêtu d’une jupe et bardé de bijoux et, lors de la dernière fashion week de New York, l’artiste performeuse au crâne rasé Boychild (photo) est apparu avec un immense chien en laisse à ses côtés. Quand Rihanna passera à un autre look la saison suivante, l’armée ghetto gothic, elle, ne fera que commencer sa conquête. Alice Pfeiffer

ça va, ça vient : le bob

1986 Le rappeur Kurtis Blow fait du bob sa marque de fabrique. Il le détourne ainsi de ses connotations militaires (le chapeau couvre habituellement le crâne des marins de l’US Navy) et le réinjecte à Harlem. Repris par LL Cool J puis Eminem, le bob plaît pour sa sémiotique complexe : plié sur un côté, il peut signifier “danger”.

1998 Dans Las Vegas Parano de Terry Gilliam, Johnny Depp ne quitte presque jamais son bob. Le chapeau lui permet de se protéger du soleil, de se camoufler partiellement le visage et de se déguiser en vacancier lambda. Ainsi, le bob est une triple protection dont la banalité n’a jamais été aussi suspecte.

2014 Dans un univers postapocalyptique, la femme selon Christian Wijnants part à la pêche aux moules, bob conceptuel vissé sur le crâne. Ce faux normcore (la tenue mêle latex et cristaux Swarovski) raconte une peur du changement climatique où le vêtement sera réduit à son côté pratique et nous protégera des U.V. A. P.

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hot spot

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arler du Café chinois !? Ça va être pris d’assaut…” Les petits coins de paradis ne sont plus qu’éphémères dans le monde du foodisnob. Profitons donc des derniers instants de cet eden asiatique, planqué à deux pas de la place des Vosges. Au Café chinois (appellation d’origine mensongère puisque le lieu se dédie plus à l’Asie du Sud-Est qu’à son gros voisin), tout le monde est beau. Ce confort des yeux s’allie très bien avec un décor simple et travaillé. D’ailleurs, au magasin adjacent, on peut acheter un tas d’objets venus du Vietnam. Un tableau noir prévient : ”Ici c’est slow lunch !” Soit le genre d’endroit qu’on adorerait détester sauf que c’est beau, bon et pas cher : bol de riz au thon sauce gingembre (parfois très épicé) ou au tartare d’algues et coriandre (fraîche) avec supplément de tom yan pour les gourmands, curry végétarien… En boisson, le Café chinois propose un super jus de gingembre frais qui décalque et requinque. Viennent des desserts gourmands où le tofu soyeux au gingembre l’emporte tant sa simple évocation fait l’effet d’un câlin un dimanche de pluie. Anne Laffeter

Café chinois 7, rue de Béarn, Paris IIIe, du mardi au samedi de 12 h à 15 h, entre 10 et 20 €, tél. 01 42 71 47 43

bouche à oreille

la viande, tu l’aimes ou tu la quittes En retirant la viande de la carte du Plaza Athénée, le chef trois étoiles Alain Ducasse a fait un effet bœuf.

A  

dieu veau, vache, cochon ? A la rentrée, Alain Ducasse annonçait exclure la viande de la carte de son restaurant parisien du Plaza Athénée fraîchement rénové. Une décision médiatisée et largement commentée, même par ceux qui n’auraient jamais eu l’idée d’aller y dîner – les tarifs, à partir de 250 euros à la carte, excluent d’emblée une bonne partie de la population. Signe de progrès ou coup marketing dans l’air du temps ? Ducasse et sa belle trinité poissonslégumes-céréales relancent le débat tandis que certains réaffirment fièrement leur amour de la viande rouge et des matières grasses comme s’ils faisaient leur coming-out sous un régime totalitaire (lancement en France du magazine Beef !, création de l’Amicale du gras). Alors, la viande est-elle devenue un sujet tabou en France ? C’est ce qu’avancent Franck Ribière et Vérane Frédiani, auteurs de Steak (r)évolution (La Martinière), beau livre couplé au film documentaire du même nom (en salle le 5 novembre) et préfacé par le boucher star Yves-Marie Le Bourdonnec. Eux prônent une “consommation carnée régulée” au centre d’une “économie équitable” fondée sur une “production locale et écologique”. Un manifeste noble et nécessaire

en ces temps où manger (ou ne pas manger) de la viande est devenu un choix bien au-delà de son propre estomac. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, le secteur de l’élevage fait vivre un million de pauvres à travers le monde mais contribue pour 14,5 % aux émissions de gaz à effet de serre dues à l’activité humaine. A cela s’ajoutent les effets environnementaux de l’élevage intensif : déforestation, pollution des eaux, érosion des sols et de la biodiversité. Or la demande mondiale de produits d’origine animale devrait augmenter de 70 % d’ici à 2050. De quoi donner un léger arrière-goût à ce petit barbecue. En annonçant retirer la viande de sa carte, Ducasse déclarait à l’AFP : “La planète a des ressources rares, il faut la consommer plus éthiquement, plus équitablement.” Une ligne de conduite trois étoiles… Encore loin des valeurs de la consommation de masse ? Outre Ducasse et sans pour autant prôner la conversion au végétarisme, d’autres personnalités battent le pavé. Avec Meat Free Monday, Paul et Stella McCartney encouragent depuis cinq ans cantines et particuliers à exclure la viande un jour par semaine. To beef or not to beef ? Telle sera, à l’avenir, la question. Diane Lisarelli 15.10.2014 les inrockuptibles 33

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Beyoncé, silhouette de guerrière sexy, aux avant-postes du féminisme pop. Ici lors des MTV Video Music Awards. Californie, août 2014

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le féminisme au rythme de la pop Jason LaVeris/Film Magic/Getty Images

Longtemps raillé, le féminisme est plus que jamais présent dans la pop culture. Beyoncé, Miley Cyrus ou Emma Watson multiplient les déclarations en faveur de l’égalité hommes-femmes. Une tendance accusée de reproduire des clichés hyper sexués et de récupération marketing. par Carole Boinet

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Il faut remonter au 13 décembre 2013. Beyoncé, 32 ans dont vingt-trois passés dans l’industrie musicale, sort son cinquième album solo en ligne et par surprise. Au-delà de l’incroyable coup marketing, c’est son contenu qui retient l’attention. Dans la lignée de son Run the World (Girls) (2011), qui la mettait en scène en amazone moderne et proclamait que les femmes gouvernent le monde, la chanteuse aligne deux titres féministes : Pretty Hurts, qui dénonce les diktats esthétiques, et Flawless qui intègre un extrait d’un discours de l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie. Dans la foulée, elle signe un texte dénonçant les écarts de salaire entre hommes et femmes dans le rapport Shriver, piloté par Maria Shriver, l’ex-épouse d’Arnold Schwarzenegger. Résultat des courses : depuis un an, le drôle

Frank Micelotta/PictureGroup/Abaca

L

e show livré par Beyoncé aux MTV Video Music Awards le 24 août dernier restera gravé dans les mémoires. Pendant près de dix-sept minutes, la chanteuse la plus célèbre au monde interprète devant mari, enfant et les pop-stars du moment un medley de ses meilleurs titres. Celle que l’on surnomme désormais Queen B les domine tous, juchée sur des talons et moulée dans un body échancré scintillant qui vient couronner un corps revendiqué flamboyant et ultrasexy. “MTV, welcome to my world”, lance-t-elle, triomphante, à un public saisi d’admiration. A la dixième minute, Flawless débute. Beyoncé prend fièrement la pose devant le mot “Feminist” placardé sur la scène en lettres luminescentes gigantesques. Le message, d’une puissance à la hauteur de la mise en scène, s’affiche aux yeux du monde. Que s’est-il passé pour que soixante-cinq ans après la publication du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, le terme “féministe”, que l’on prononçait il y a encore peu du bout des lèvres, devienne le mot d’ordre de la plus grande pop-star actuelle ?

de slogan “Liberté, égalité, Beyoncé” fleurit sur les T-shirts de défenseurs du mariage gay, les tote-bags de fans de la première heure, les pin’s de militantes aguerries. Beyoncé est loin d’être un cas isolé. De l’industrie de la musique à celle du cinéma, de très nombreuses stars se disent et s’assument féministes. Une petite révolution pour un milieu qui percevait jusqu’alors dans sa majorité cette étiquette comme clivante ou négative. Aujourd’hui, en résonance avec les avancées sociales en matière d’égalité, les langues se sont déliées et le militantisme s’affiche à ciel ouvert : l’Américaine Miley Cyrus assure ainsi (avec une emphase qui fait sourire) être “l’une des plus grandes féministes du monde car

Simone de Beauvoir jeune fille (pas si) rangée

girls, girls, girls Déclarations, slogans, fulgurances, Olympe de Gouges manifestes ou refrains vendeurs : révolutionnaire de bonne Constitution florilège de mots d’ordre et figures ayant “La femme naît libre et demeure égale à l’homme contribué à populariser, avec plus ou moins de succès, la cause des femmes. en droits.”

“On ne naît pas femme, on le devient.” Le Deuxième Sexe, 1949

Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791

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“Madonna a appris aux jeunes femmes à être féminines et sexuelles tout en contrôlant totalement leurs vies” Miley Cyrus (à gauche) s’inspire de la gestuelle onaniste de Michael Jackson et du style Madonna, période Erotica

Photoslot/Retna/Dalle

Camille Paglia, écrivaine

(elle) apprend aux femmes à ne pas avoir peur”, la Britannique Lily Allen pourfend le sexisme de l’industrie musicale sur le single Hard out Here. Début septembre, l’actrice Emma Watson, à la tribune de l’ONU, appelait femmes et hommes à lutter main dans la main pour l’égalité, suivie de près par l’acteur Joseph Gordon-Levitt, qui se proclamait féministe dans une vidéo sur YouTube. “Nous assistons à l’émergence d’un féminisme pop, explique Andi Zeisler, rédactrice en chef de Bitch, magazine américain axé sur la pop culture et auteur du livre Feminism and Pop Culture. Les gens y viennent désormais à travers la pop culture plus que par les canaux traditionnels de l’activisme ou des théories.”

Sans surprise, internet joue un rôle déterminant dans le développement de ce nouveau féminisme, en rendant visible des discours qui ne l’étaient pas ou qui l’étaient moins. A l’heure des réseaux sociaux, des blogs, des sites d’info, les questions d’égalité sont plus que jamais à portée de clics. Au point de constituer une marque de fabrique, un argument marketing pour stars en manque de visibilité ? Lors du dernier défilé Chanel, au Grand Palais, Karl Lagerfeld met en scène une parodie de manifestation féministe (lire encadré p. 41). La lutte pour l’égalité des sexes serait-elle devenue le nouvel it-bag ? “Beyoncé a découvert que le féminisme pouvait constituer sa marque de fabrique, analyse Andi Zeisler.

Cyndi Lauper pop-star hédoniste Angela Davis panthère noire “Le succès ou l’échec d’une révolution peut presque toujours se mesurer au degré selon lequel le statut de la femme s’en est trouvé modifié, dans une direction radicale et progressiste.” If They Come in the Morning: Voices of Resistance, 1971

Girls Just Want to Have Fun

Judith Butler God (save the queer)

“Parce que nous, les filles, voulons des mediums qui NOUS parlent (…). Parce qu’à chaque fois que nous prenons un stylo ou un instrument ou faisons quelque chose, nous engageons la révolution. Nous SOMMES la révolution.”

“Nous n’avons jamais une relation simple, transparente, indéniable au sexe biologique.”

Riot Grrrl Manifesto, 1989

Trouble dans le genre, 1990

1983

Riot Grrrl revolution’s girlfriends

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Nous sommes à une époque où les plus grandes popstars se disent qu’elles vont développer leur marque en se liant à ce mouvement qui a pourtant été diabolisé par le passé et je trouve ça fascinant.” Une appropriation mainstream qui ne va pas sans son corollaire : l’édulcoration. Le processus n’est pas nouveau. Dans les années 90, le mouvement Riot Grrrl (qui transpose dans la sphère musicale l’héritage du féminisme prosexe du début des années 80 et la théorie queer naissante) secoue la scène punk américaine puis internationale. Les inégalités hommes-femmes sont taclées dans les pages de fanzines, lors de concerts enfiévrés, au cours de réunions militantes. Les images très fortes générées par des groupes tels que Bikini

Kill ou Bratmobile plaisent au public féminin et ne tardent pas à être récupérées par la sphère mainstream. En 1994 est lancé un girls band britannique, les Spice Girls. Deux ans plus tard, malgré son refrain absolument vide de sens, leur single Wannabe explose dans le monde entier. La mode est au “girl power”. Quasiment au même moment aux EtatsUnis est monté un autre girls band : les Destiny’s Child, dont la figure de proue s’appelle Beyoncé. Dans ses chansons, le groupe incite les femmes à gagner leur indépendance à force de travail acharné. Leur single Independent Women, sorti en 1999, illustre le remake de la série Charlie’s Angels, qui met en scène un trio de femmes agents secrets. La figure de la guerrière sexy,

Spice Girls girls band marketé Madonna superstar humaniste

“And I’m not sorry (I’m not sorry)/ It’s human nature (it’s human nature)/ And I’m not sorry (I’m not sorry)/ I’m not your bitch don’t hang your shit on me (it’s human nature)” Human Nature, 1994

“I wanna, I wanna, I wanna, I wanna, I wanna really, really really wanna zigazig ha” Wannabe, 1996

Beth Ditto gossip girl

“I’m a fat, feminist lesbian from Arkansas.” CNN, 2006

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“à moins que Beyoncé ne consacre la même attention à son développement intellectuel qu’à son développement corporel, elle continuera à embrouiller les femmes” Tanya Steele, réalisatrice

Jason Szenes/EPA/MaxPPP

De Lena Dunham au naturel dans Girls, en passant par la jeune Emma Watson et son récent discours à l’ONU, jusqu’à Nicki Minaj et son dernier album à la mise en scène hypersexualisée : trois représentations du nouveau féminisme

déclinée plus tard par Beyoncé en solo, est lancée. Ce féminisme pop se présente fardé, en talons, moulé dans des tenues échancrées mais le poing levé. En février 2013, Beyoncé se réclame du féminisme tout en faisant la couve de GQ en tenue légère. Dans le livret de son dernier album, la chanteuse expose ses fesses dans toute leur volupté. Une image qui renvoie à celle figurant sur la pochette du dernier album de Nicki Minaj : on l’y voit accroupie, de dos, en string rose. Doiton y déceler, comme le dénoncent ses détracteurs, une nouvelle preuve de la contamination de la pop culture par le porno, voire un exemple navrant de réification de la femme ? Ou, au contraire, une démonstration

Beyoncé femme d’affaires

libératrice ? En exposant leurs corps, en parlant de sexe à tout bout de champ, en se collant la main à l’entrejambe comme le font certains artistes masculins, ces chanteuses se réapproprient la représentation de leur sexualité et réaffirment qu’une femme est un être aussi sexualisé qu’un homme. Une démarche qui rappelle celle de Kathleen Hanna, la leader de Bikini Kill, qui donnait ses concerts en culotte et/ou soutien-gorge, le ventre barré d’un “slut” (“salope”). Objectif : se réapproprier son corps dans une société machiste qui tend à présenter les femmes comme des êtres passifs. Aujourd’hui, le “slut” radicalement punk d’une Kathleen Hanna semble trouver sa transposition pop chez une Miley Cyrus,

Lena Dunham it-girl +++

“Who run the world ? Girls !” Run The World (Girls), 2011

Pussy Riot hooligans “Virgin Mary, Mother of God/ Become a feminist, we pray thee/ Become a feminist, we pray thee” Prière punk, 2012

“Les femmes qui disent ‘Je ne suis pas une féministe’ sont mes bêtes noires.” Interview donnée à Metro, 2013

Emma Watson ambassadrice de bonne volonté de l’ONU Femmes “Plus je parle de féminisme, plus je réalise que se battre pour les droits des femmes est devenu beaucoup trop souvent synonyme de haine des hommes. Cela doit cesser (…). Nous avons du mal à trouver un mot fédérateur, mais la bonne nouvelle est que nous avons un mouvement fédérateur. Il s’appelle HeForShe.” Discours à l’ONU, 2014

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“Beyoncé, Lady Gaga et Miley Cyrus permettent d’investir des postures qui nous ont été interdites. Elles sont des outils d’émancipation féminine” Virginie Despentes, écrivaine et réalisatrice

critiquée de toute part pour l’hypersexualisation de ses clips et concerts. Et si le combat contre le “slut shaming” était au cœur même du féminisme pop ? L’expression anglo-saxonne désigne une attitude sexiste consistant à traiter une femme de “salope” pour une tenue jugée trop sexy ou une attitude trop aguicheuse. A son paroxysme, le “slut shaming” renvoie au fait de blâmer la victime d’un viol plutôt que son agresseur. La lutte contre cette tendance passerait donc par la surexposition du corps et de la sexualité de la femme. Une démarche qui se trouve au fondement même des Slut Walk, ces “marches des salopes” au cours desquelles les participantes revendiquent leur droit à se comporter et à s’habiller comme bon leur semble. “Les pop-stars donnent la sensation qu’on peut occuper les rues sans crainte ni honte tout en montrant son corps, qu’on peut jouir de sa sexualité”, résume l’auteur Virginie Despentes. Pourtant, le féminisme d’une Beyoncé ne fait pas l’unanimité. Dans une tribune publiée sur le site Indiewire en décembre 2013, la réalisatrice américaine Tanya Steele reproche à la chanteuse de faire le jeu du patriarcat en chosifiant les femmes : “A moins qu’elle ne consacre la même attention à son développement intellectuel qu’à son développement corporel, elle continuera à embrouiller les femmes.” Même scepticisme chez l’éditorialiste du Guardian, Hadley Freeman, qui lançait à Beyoncé en janvier 2013 au détour d’un article : “Te faire photographier en sous-vêtements n’aide pas la cause des femmes.” Dans son documentaire Princesses, pop stars & girl power, diffusé le 4 octobre sur Arte, la réalisatrice Cécile Denjean assure que les Barbie, les princesses Disney et les pop-stars ne sont que différentes manifestations d’une même “girl culture” profondément sexiste. Un débat qui avait déjà fait rage autour de la série et des films Sex and the City, brandis par certaines comme des objets culturels générateurs d’émancipation, fustigés par d’autres pour leur superficialité. Lena Dunham en sait quelque chose. En janvier, le site américain Jezebel critiquait la créatrice de la série Girls, louée pour son féminisme, d’avoir accepté de se faire photoshoper en une de Vogue. Un détail qui la fout mal quand on sait que Dunham a fait de l’exposition de son corps au naturel l’une des caractéristiques de sa série et de son militantisme. “On est face à une contradiction, estime Titiou Lecoq, auteur du blog Girls and Geeks et du roman Les Morues, ma génération s’est retrouvée

à acheter des porte-jarretelles, ce qui pour la génération précédente était un symbole du patriarcat.” Le débat est vieux comme l’histoire du mouvement, explique Françoise Picq, historienne et militante. “Le féminisme remet en question des choses très fondamentales, il n’y a donc pas une voix unique. Il y aura toujours de l’intolérance par rapport à la façon dont la féministe doit se comporter.” En 1990, dans une tribune publiée par le New York Times, l’écrivaine américaine Camille Paglia défendait farouchement Madonna, attaquée pour la dimension érotique de ses clips. “Madonna est la véritable féministe, écrivait-elle, elle met à jour le puritanisme et l’idéologie suffocante du Women’s Lib américain, resté coincé dans un mode de pleurnicheries adolescentes. Madonna a appris aux jeunes femmes à être féminines et sexuelles tout en contrôlant totalement leurs vies.” Pour Virginie Despentes, les Américaines Beyoncé, Lady Gaga, Miley Cyrus sont des figures émancipatrices : “Elles ne promeuvent pas les valeurs ‘féminines’ classiques : maternité et foyer. Elles évoquent la puissance, la maîtrise, l’indépendance, l’aventure, la séduction hors mariage, des notions que l’on n’associait pas à la féminité. En devenant des créatures porno pop, elles ont saisi qu’elles incarnaient des figures sacrilèges parce qu’en rupture avec une vision traditionnelle de la femme ‘décente’, pudique, dépendante. Elles permettent d’investir des postures qui nous ont été interdites. Elles sont des outils d’émancipation féminine et je pense que beaucoup d’entre elles en sont conscientes.” Le débat, qui agite les forums aux Etats-Unis, est au cœur de l’essai Bad Feminist de Roxane Gay. Dans l’introduction de cet ouvrage acclamé, l’essayiste d’origine haïtienne soutient que nul n’est tenu à la perfection. “Je revendique le label de mauvaise féministe parce que suis humaine. Je suis bordélique. Je n’essaie pas d’être parfaite. Je ne dis pas que j’ai réponse à tout”, explique celle qui revendique la pluralité des représentations et s’insurge contre les nombreux discours antiféministes qui fleurissent sur le web. La question n’est donc pas de quantifier le féminisme – certes peu radical et ultramaîtrisé – de Beyoncé ou de le critiquer, comme un mauvais écho des discours normatifs qui expliquent aux femmes comment elles doivent se vêtir, se comporter ou quoi penser. Despentes rappelle à juste titre, qu’“on n’a pas vocation à être toutes mises dans le même sac en fonction de notre appareil génital”.

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Olivier Saillant

Parodie de manif féministe au dernier défiléChane l, le 30 septembre.

mode : le flirt féministe La mode est une industrie, le féminisme un mouvement politique. Et pourtant.

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ifficile d’être passé à côté du raz-de-marée médiatique autour de la pseudo-manifestation féministe du dernier show Chanel. Des panneaux aux slogans détournés des Women’s Lib “Make fashion not war” portés par les tops les plus en vue du moment au son du I’m Every Woman de Chaka Khan ont soulevé une même question : “Faux féminisme ou vrai girl power ?”, dixit le New York Times. Une chose est certaine : l’enseigne parisienne a toujours su capturer l’air du temps. Et le féminisme, aussi galvaudé qu’il soit, est un des buzzwords indéniables de l’année, particulièrement dans la mode. Autrefois mode et féminisme étaient deux champs

totalement incompatibles (Miuccia Prada décrivait son intérêt pour la mode dans les années 60 comme “absolument la pire chose à faire”), les deux ont pourtant un intérêt commun : le corps de la femme dans la société. Et c’est ainsi que Miucca Prada présente, pour la collection estivale 2014, des robes aux imprimés évoquant l’art féministe des 70’s, et dit défendre “la multiplicité des incarnations qu’une femme doit assumer au cours d’une même journée, d’une même vie”. Pressions et performances protéiformes au sein d’une même enveloppe corporelle : on croirait presque entendre Judith Butler. Prada n’est pas seul. Céline, avec ses vêtements refusant un sex-appeal

traditionnel, défend un confort invisible ; idem pour les chaussures plates et les touches de sportives chez Stella McCartney, qui dit “fabriquer des vêtements de vie”. Aujourd’hui, une poignée de marques repensent le corps de la femme comme la mode appréhendait autrefois celui de l’homme : une carapace élégante, respectable et tout-terrain. Et cette tendance ne se limite pas aux catwalks. Les next-wave feminists – vague de jeunes artistes féminines engagées avec Petra Collins en chef de file –, Chloe Wise ou Arvida Byström, n’hésitent pas à s’associer avec des marques comme American Apparel ou ASOS, par lesquelles elles se font photographier ou qui sponsorisent leurs expositions.

Hypocrite ? Au contraire, diront-elles : elles les perçoivent comme un mécène et une plate-forme de visibilité. Ainsi, elles détournent de façon accessible et incarnée l’image véhiculée de la femme. Ce désir d’égalité apparaît aussi dans le vêtement masculin : les lignes hommes de J.W. Anderson ou Hood By Air sont fréquemment décrites comme féministes, par leur façon de déconstruire les stéréotypes de virilité et y réinjecter une part de féminité, chahutant ainsi la binarité qui définit le genre. Si les fashionistas risquent de passer à une autre tocade dans six mois, espérons que l’énergie impulsée continuera à secouer la rue et la société. Alice Pfeiffer 15.10.2014 les inrockuptibles 41

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Les rapports hommesfemmes revus et moqués par la chanteuse LilyA llen dans son clip Hard out Here

“l’économie a un sexe” Si la pop culture a adopté le féminisme, en politique c’est une autre histoire. Marchandisation des corps, sexisme, prostitution : le point avec le sociologue Eric Fassin sur les quelques avancées et les nombreuses crispations françaises. propos recueillis par Anne Laffeter

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a loi présentée par Najat Vallaud-Belkacem sur l’égalité hommefemme votée cet été (doublement des sanctions pour les partis qui ne respectent pas la parité, quota de femmes dans les CA des entreprises de plus de 250 salariés…) propose-t-elle des avancées significatives ? Eric Fassin – La notion d’“égalité réelle” me paraît intéressante. Car on sait que le refus légal des inégalités de salaire entre les sexes n’a pas suffi à les réduire : aujourd’hui, l’écart de salaire entre les hommes et les femmes dans le privé est de 24 % selon l’Insee, dont 9 % serait purement discriminatoire. Va-t-on passer de la pétition de principe à la lutte contre les inégalités de fait ?

Il est justifié de s’attaquer à la fois à l’ensemble des domaines (économique, politique, domestique), et aux stéréotypes qui reflètent mais aussi produisent les inégalités. Cela implique bien sûr d’articuler sexe et genre – les discriminations entre les sexes et les normes de genre qui les produisent. Or ce qui m’inquiète, c’est le recul du gouvernement sur les ABCD de l’égalité à l’école. Au-delà, l’abandon du mot “genre” revient à céder aux injonctions des manifestants : “pas touche à nos stéréotypes de genre !” On ne pourra pas lutter contre les inégalités entre les sexes sans se battre sur ce terrain : ce sont les normes de genre qui font paraître “normales” des différences qui figent des inégalités. Le gouvernement a notamment mis en place un congé parental pour

les pères, en diminuant celui de la mère. Est-ce là une avancée ? Quelle ironie ! Il suffirait donc de réduire les droits des femmes pour arriver à l’égalité entre les sexes ? Dès lors, pourquoi ne pas lutter pour réduire l’espérance de vie des femmes, qui reste supérieure à celle des hommes ? Bien sûr, le retour à l’emploi n’est pas facilité par une longue absence. Mais les femmes qui font ce choix ne sont pas irrationnelles : c’est aussi que pèsent sur elles d’autres contraintes – comme la garde d’enfants. Il faut donc agir sur les contraintes qu’elles subissent, plutôt que de contraindre les femmes elles-mêmes. On sait que les emplois à mi-temps sont souvent dévolus aux femmes. Peut-on dire que la crise de la dette et que la crise économique sont sexuées ? L’économie a un sexe. Comme la politique. Comme tout dans la société. Par des mécanismes complexes, hommes et femmes ne sont pas à égalité devant l’emploi. Mais pas davantage face aux retraites. Une fois encore, cette différence de sexe est une inégalité. Et une fois encore, c’est la norme de genre qui la produit : la place des femmes dans la vie familiale explique largement leur place dans le monde du travail. Manuel Valls a donné des gages à la Manif pour tous en se faisant le héros des anti-GPA. Comment lire un tel positionnement ? Loin de rompre avec le néolibéralisme, François Hollande l’a repris à son compte. On aurait pu imaginer qu’il revendique au moins la rupture politique en matière sexuelle. Or il a reculé sur l’accès des lesbiennes à la PMA. Pire : dès la promulgation de la loi Taubira, il a sifflé la fin de la récréation. Il l’a signifié

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“lorsque Manuel Valls critique ‘un marché agressif’, on aimerait qu’il parle de la finance ou du Pacte de responsabilité… or il s’inquiète seulement de la GPA !”

clairement : plus question de continuer sur ce terrain. Il privilégie le consensus, pour se consacrer aux “choses sérieuses” – par opposition aux “questions futiles” –, à savoir l’économie. La nomination de Manuel Valls est venue confirmer qu’on en avait fini avec la politique sexuelle. Si l’hostilité des électeurs de droite est acquise – le revirement de Manuel Valls sur la GPA ne l’apaise pas ; bien au contraire, il l’encourage à faire davantage pression –, chez ceux de gauche, le soutien est aujourd’hui bien fragile. L’argument de la marchandisation des corps, repris par la Manif pour tous pour condamner la GPA, traverse aussi la gauche (Clémentine Autain, Lionel Jospin…). Qu’est-ce qui gouverne cette e ntente ? C’est une logique que j’appelle “l’exception sexuelle” – comme on parle d’“exception culturelle”. Aujourd’hui, on ne conteste pas la logique du marché – mais seulement son extension au corps, et en particulier à la sexualité. On veut soustraire le sexe à l’économie, mais sans toucher à celle-ci. C’est le cas de Manuel Valls. Lorsqu’il critique “un marché agressif” qui prospère sur la “misère économique”, on aimerait qu’il parle de la finance, ou du pacte de responsabilité engagé avec le Medef… or il s’inquiète seulement de la GPA ! Certes, tout le monde n’a pas cette hypocrisie : au Front de gauche, les critiques du capitalisme qui s’opposent à la GPA font preuve de cohérence. Mais leur angle d’attaque reste problématique : refuser la marchandisation suggère que l’économie n’aurait rien à voir avec le sexe ou la famille – ce que dément la réalité du mariage ou des redistributions d’argent entre générations. Le problème, c’est plutôt l’exploitation.

L’argument de la marchandisation des corps est aussi utilisé par les partisans de la pénalisation des clients de prostituées – volet retiré par les sénateurs de la loi sur la prostitution votée fin novembre 2013. Pourquoi la gauche est-elle indécise sur la question de la prostitution ? Une fois encore, beaucoup à gauche confondent la critique de l’argent avec la dénonciation de l’exploitation. Autrement dit, une posture morale et une logique politique. Cela entraîne des alliances improbables, autour de l’abolitionnisme, entre une gauche d’inspiration féministe et une droite moraliste. Ce n’est pas un hasard : c’est précisément au moment où la gauche ne sait plus ce qu’elle pense en matière d’économie qu’elle affirme avec virulence qu’il faut protéger le sexe de la souillure de l’argent – comme si être de gauche, c’était défendre une sexualité “pure”, plutôt que libre ou juste. Le député UMP Julien Aubert a donné du “Madame le président” à Sandrine Mazetier qui présidait l’Assemblée. Que révèle cette provocation ? Ces attaques sexistes ne sont pas les traces archaïques d’une culture machiste éternelle. Le sexisme politique dit le refus délibéré de l’égalité. C’est un symptôme du présent. Eric Zemmour n’est pas un homme des années 1940, malgré le fait qu’il réhabilite Pétain. Il parle des années 2000 et 2010. Dans un contexte où, sous couvert de combattre “la-théorie-du-genre”, on s’en prend à l’égalité. Ce sont des batailles actuelles, non des survivances du passé. Eric Fassin est sociologue, il enseigne à l’université Paris-VIII, Saint-Denis-Vincennes 15.10.2014 les inrockuptibles 43

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le masque est la plume Pas de visage identifiable et un nom de groupe quasi imprononçable. Mais impossible d’ignorer SBTRKT, son electro minimaliste et son deuxième album éblouissant de maîtrise. par Azzedine Fall

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our comprendre qui se cache derrière SBTRKT, ses consonnes alignées en lettres majuscules et ses masques cérémoniaux inspirés des cultures indienne, aztèque et ouest-africaine, il faut d’abord s’affranchir de la zone de confort dessinée par le succès du morceau Wildfire. Avec ses millions d’écoutes sur YouTube depuis 2011, son remix signé Drake et l’utilisation fréquente de sa ligne de basse pour habiller les docufictions les plus angoissants de la TNT, le single a largement dépassé la notoriété de son auteur. Et dans l’imaginaire collectif des fans de musiques actuelles, SBTRKT (prononcez “subtract”) existe aussi bien par la réussite de ce tube que par l’éclat de son premier album publié la même année et sobrement intitulé SBTRKT. Un vrai disque de producteur identifiable grâce à sa structure duale, étirée entre expérimentations électroniques et chants graciles. Avant de briller sur long format en invitant des voix claires pour aplanir ses collages de sons, le producteur anglais avait l’habitude de plaquer son imagination sur des séquences beaucoup plus courtes. Dès le début de sa carrière, à la toute fin des années 2000, SBTRKT s’est appliqué à tracer des lignes de convergences imprévisibles en remixant des morceaux d’artistes aussi éloignés que M.I.A., Radiohead ou Mark Ronson. Dans l’underground londonien, l’écho des premiers sets du DJ croise alors celui des gloires naissantes du milieu, de James Blake à Mount Kimbie. Excités par ses instrumentaux qui alternent

subtilement entre house, dubstep, hip-hop, soul, ambient et techno, quelques labels indépendants le signent pour publier une poignée d’ep. En concert comme sur les pochettes, le musicien porte déjà son masque. Idéal pour centrer le propos sur sa musique, détourner les questionnements parasites sur son âge ou sa couleur de peau et devenir “l’incarnation d’autre chose que sa propre personne”. Depuis ses premiers battements, le projet SBTRKT raconte donc une autre histoire que celle d’Aaron Jerome, jeune homme aux traits fins, bien dans sa trentaine, qui nous a donné rendez-vous pour évoquer la sortie de son deuxième album, Wonder Where We Land. Comme sur SBTRKT en 2011, le Londonien applique à la lettre le principe d’effacement, de retranchement, qu’induit son surnom (en anglais, “subtract” signifie “soustraire”). Mais malgré le retrait et la discrétion assumés par son geste artistique, le producteur profite de ce grand disque de l’année 2014 pour exploser à un niveau encore supérieur. Si les partenaires historiques (Sampha, Jessie Ware) répondent une nouvelle fois à l’appel de la tracklist, ils doivent désormais cohabiter avec des artistes d’un autre calibre comme A$AP Ferg, Ezra Koenig de Vampire Weekend ou Caroline Polachek échappée de Chairlift. Aaron Jerome explique l’enjeu du nouveau SBTRKT : “Avant la sortie de mon premier disque, personne ne savait que j’existais. C’était assez excitant de débarquer de nulle part mais je ne voulais pas sortir un album instrumental. Sans réelle existence médiatique, c’était impossible de convaincre de gros artistes de venir

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“mon anonymat me permet de laisser la musique parler à ma place. C’est ma principale ambition” prêter leur voix et leur nom. Mon label m’a mis en relation avec des chanteurs qui sont rapidement devenus des amis comme Sampha ou Jessie Ware. La plupart des chansons du premier album proviennent de sessions enregistrées un peu au hasard selon l’humeur de l’instant. Mais pour ce nouveau projet, je tenais absolument à procéder d’une autre manière, à définir un axe fort en créant une cohérence entre les différents artistes invités.” Pour donner un sens commun aux chansons de son nouvel album, SBTRKT a décidé d’exiler son matériel et son inspiration sur l’île d’Osea, minuscule territoire quasi désertique au large de l’Essex. “Je ne voulais pas louer un studio impersonnel en pleine ville et donner des rendez-vous formels pour travailler avec des ‘collègues’. Je me suis donc installé dans une résidence d’été pendant deux semaines avec quelques synthés, un piano, des boîtes à rythmes. C’était vraiment le point de départ du processus de création de l’album. Quelques artistes sont venus me rendre visite pour passer du temps sur l’île car je savais dès le départ que je voulais travailler avec eux. Ça a été le cas pour Caroline, de Chairlift, et pour Sampha : on enregistrait tout ce qui nous passait par la tête et aussi des sons d’ambiance beaucoup plus organiques captés sur place. J’ai ensuite pas mal voyagé aux Etats-Unis pour collaborer avec Warpaint, Ezra et ou A$AP Ferg.” Si l’île d’Osea constitue le point de départ et la seule unité de lieu de l’album, elle est également à l’origine de sa chanson titre : Wonder Where We Land. Un morceau dans la droite ligne du style imprimé par SBTRKT depuis trois ans, avec la voix de Sampha posée au premier plan d’une production minimaliste, langoureuse et épique. Sur scène comme sur disque, le chanteur anglais incarne le projet depuis 2010 et son timbre apaisant soufflait déjà sur la moitié des chansons du premier album. Cette année, quatre titres lui sont confiés, dont les tubes immédiats Temporary View et Gon Stay. Une confiance à double sens qui renverse parfois les rapports et laisse croire à certains que SBTRKT est en réalité le groupe de Sampha. “Sampha et moi avons grandi ensemble en tant qu’artistes.

A chaque fois que l’on rentre en studio, les chansons se composent presque d’elles-mêmes, sans effort. Son visage et sa voix sont connus mais ça ne me dérange pas du tout qu’il incarne le projet. Mon anonymat me permet de laisser la musique parler à ma place. C’est ma principale ambition. Pour le premier album, je n’accordais même pas d’interviews. Je voulais que les gens rencontrent ma musique directement, sans qu’elle soit altérée par mes propos ou une quelconque idée préconçue.” Pour avoir fantasmé sur des artistes comme Daft Punk ou Massive Attack pendant sa jeunesse, Aaron Jerome sait pertinemment que le marketing de l’absence et du secret renforce le mystère et l’intérêt pour un artiste. En retirant les voyelles de son nom de scène et en élaborant des scénographies toujours plus ambitieuses en compagnie du directeur artistique (et créateur de masques) A Hidden Place, il s’est offert une enveloppe protectrice qui vaut tous les plans de communication. “En tant qu’amateur de musique, j’adore l’idée d’avoir toujours quelque chose à découvrir sur un artiste que j’apprécie. Je connais très mal la carrière d’Aphex Twin, mais j’imagine qu’il essaie de préserver le mystère qui l’entoure. Je n’ai rien inventé en essayant de limiter les informations sur mon identité, plein de groupes l’ont déjà fait. Mon premier choc émotionnel lors d’un concert était d’ailleurs le passage de Daft Punk au festival Tribal Gathering, en Angleterre. Je devais avoir 14 ans à l’époque et je ne comprenais rien à toutes ces explosions de sons. C’était en 1996, ils ne portaient pas encore leurs casques.” Signé sur le défricheur label écossais Soma dès 1994, Daft Punk a d’abord explosé en Grande-Bretagne. Tout sauf un hasard circonstanciel, quand on sait que le Royaume-Uni a toujours été une terre d’asile hospitalière pour les musiques technologiques, des premières expériences electro-rock de New Order à l’avènement du trip-hop, sans oublier les formes les plus obstinées d’acid-house. Depuis le milieu des années 2000, Londres s’invente de nouveaux frissons digitaux sous les impulsions nuancées d’artistes comme Erol Alkan, James Blake, Jamie xx ou Daniel Avery. Avec ce nouvel album, SBTRKT confirme qu’il fait partie intégrante de cette nouvelle génération de musiciens britanniques, maîtres de la synthèse et de l’électronique. En plus de confirmer la classe de jeunes talents prometteurs comme Denai Moore ou Raury, Wonder Where We Land offre des chansons sur mesure aux stars de son casting. Malgré l’absence de leurs groupes ou collectifs respectifs, Caroline Polachek, Ezra Koenig et A$AP Ferg apparaissent plus décomplexés que jamais. Au milieu des voix, Lantern et Everybody Knows, deux morceaux vides de featuring, rappellent les progressions instrumentales de l’époque 2010. Preuve que derrière le masque et les consonnes qui s’élèvent en lettres capitales dans la graphie de son nom, SBTRKT continue d’harmoniser l’écriture de ses expérimentations initiales. album Wonder Where We Land (Young Turks/Beggars/Wagram) concert le 18 novembre à Paris (Trianon) sbtrkt.com

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The Museum of Modern Art, New York, acquisition. ©The Estate of Garry Winogrand, courtesy Fraenkel. Gallery, San Francisco, The Museum of Modern Art. Photo Scala, Florence

objectif Amérique Chroniqueur infatigable des Etats-Unis d’après-guerre, le photographe Garry Winogrand est à l’honneur au Jeu de Paume, à Paris. Regard critique sur un artiste dont les choix restent mystérieux et surprenants. par Philippe Garnier

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© Collection of Randi and Bob Fisher. The Estate of Garry Winogrand, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco. Photo: Don Ross

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a-t-il une signature photo Garry Winogrand, comme il peut y avoir une signature photo Diane Arbus (ses jumelles, par exemple), ou une photo emblématique de Walker Evans, ou de Robert Frank ? C’est une des questions qu’on finit par se poser, mais assurément pas la seule, après avoir vu la rétrospective (la seconde, mais la première de cette envergure) que lui a consacrée l’année dernière le musée d’Art moderne de San Francisco, qui arrive ce mois-ci au Jeu de Paume. Ce ne sont pourtant pas les photos

marquantes qui manquent dans cette exposition majeure, comme cet étonnant ouistiti belliqueux qui défie tout Park Avenue de l’arrière d’une décapotable, ou ce mystérieux couple surpris dans Central Park, la femme (blanche) et l’homme (noir) unifiés par la même dignité, une surréelle sérénité, et leur tendresse présumée pour les deux chimpanzés paisiblement installés dans leurs bras. Ce genre de spéculation ne viendrait pas à l’esprit si l’exposition dans son ensemble ne laissait si dubitatif. Et ces comparaisons oiseuses n’auraient pas raison d’être si Winogrand, assez tôt dans sa carrière, n’avait été justement adoubé et hissé au même rang

que les photographes cités plus haut par John Szarkowski dès son arrivée au MoMA de New York en 1962 comme conservateur du département photo du musée, commençant même à l’exposer cette année-là. C’est presque aux forceps que Szarkowski a imposé Winogrand dans le monde de la photo, en particulier lorsqu’il l’a inclus dans sa fameuse expo de 1967, New Documents, qui unissait Diane Arbus et Lee Friedlander à leur ami. On connaît la bataille menée alors par le conservateur contre la photo illustrative, ou même simplement déclarative – la photo qui veut dire quelque chose. Les trois artistes réunis dans New Documents prétendaient à des degrés divers n’être intéressés

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il y a quelque chose de maniéré dans ses clichés de traviole. Mais une grâce aussi

Central Park Zoo, New York, 1967

non par leurs sujets, mais par ce qu’ils devenaient une fois photographiés. Mais il y a rarement, sinon jamais, dans les photos de Winogrand, quelque chose d’aussi troublant que le rapport qu’entretenait Arbus avec ses sujets. Ce qu’il y a de façon irréfutable, dans son travail des années 50 et 60 surtout, c’est une incroyable énergie. Cet arpenteur de trottoirs est un photographe exténuant. Ce New-Yorkais issu du Bronx fait dès le début des photos agressives qui font la paire avec son physique de grand escogriffe et l’attitude des New-Yorkais eux-mêmes. Il fait preuve d’une curiosité insistante qui porte encore (et on ne s’en plaint

pas) le harnais du photojournalisme. C’est au 35 mm qu’il a pris les photos de sa première période citées plus haut. Il fait encore attention au cadre et à la lumière. Il y a quelque chose de maniéré dans ses clichés de traviole, pris à l’emporte-pièce – du moins voudrait-il le faire croire. Mais il y a une grâce aussi, par exemple dans les arrièreplans de cette image montrant un couple quinquagénaire très remonté, voire polisson : la vitrine et ses reflets sur la gauche, le soleil hivernal qui auréole les passants qui s’éloignent derrière eux. Ce sont des images qui interpellent : pourquoi avoir pris, de dos, ce bas d’imperméable gonflé par le vent, la seule identité de l’homme

étant deux doigts tenant une cigarette ? Même s’il n’explique rien, on est encore intéressé, parfois bluffé, par les photos de Winogrand. Et, comme lui, les passants de Manhattan semblent tous marcher avec un but, de façon presque exubérante. Les femmes, en particulier, par lesquelles le photographe paraît presque obnubilé (il publiera un livre intitulé Women Are Beautiful). Il ne les photographie pas nues, ni posant pour lui. Elles semblent recevoir son attention avec une tolérance sexy – comme celle en robe tricot dans l’ascenseur. C’est quand il commence à prendre ses photos au grand angle, à reculer davantage et à devenir encore plus transparent que ne le requiert le credo 15.10.2014 les inrockuptibles 51

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The Garry Winogrand Archive, Center for Creative Photography, Université d’Arizona. © The Estate of Garry Winogrand, courtesy Fraenkel.. Gallery, San Francisco

Dallas, 1964

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The Garry Winogrand Archive, Center for Creative Photography, Université d’Arizona. © The Estate of Garry Winogrand, courtesy Fraenkel.. Gallery, San Francisco

New York, vers 1962

de tous les photographes auxquels il est généralement associé ; c’est quand il fait entrer encore plus d’arrière-plan, encore plus de chaos et d’imprévu dans son cadre, que les choses se gâtent. L’exposition proposée ici principalement par Leo Rubinfien tente de réhabiliter la seconde moitié généralement vilipendée du travail de Winogrand, sans véritablement convaincre. Même son plus grand défenseur, Szarkowski, avait juste après la mort du photographe, en mars 1984, essayé de faire le point sur cette partie de sa carrière, allant jusqu’à payer le photographe Tod Papageorge (un ami de Winogrand, qui avait édité son dernier livre) pour passer en revue les planchescontact que ce dernier ne se souciait plus de regarder depuis des années. Il lui avait aussi demandé d’examiner un certain nombre des quelque

2 500 rouleaux de négatifs, ainsi que 4 100 rouleaux développés mais jamais référencés avec une planche-contact. Au bout du compte, cependant, Szarkowski n’avait pas jugé bon d’en inclure plus d’une ou deux dans la rétrospective qu’il allait consacrer à son ami. Même pour lui, Winogrand avait décliné, voire perdu sa voie après 1971. Non seulement il s’était mis à “bouffer de la pellicule” (son expression, “spoiling film”) de façon gargantuesque et alarmante, mais il s’était aussi mis à fonctionner comme s’il aurait toujours le temps plus tard de regarder et éditer son travail. En fait, il s’agissait aussi de dissipation et de découragement. D’une peur de constater qu’il fonçait dans le mur. Lorsqu’à la fin de sa vie il a perdu le bail de l’appartement de l’Upper West Side où il entreposait ses milliers de tirages et rouleaux, Winogrand en a fait don, en vrac, au

Center for Creative Photography de Tucson, un an avant sa mort inopinée (cancer de la vésicule biliaire). Les conservateurs de la présente exposition font grand cas de cette attitude assez unique chez Winogrand, de son dédain pour ce qui fait généralement partie du travail de photographe : le tirage et le choix. Cette attitude a bien sûr rendu le photographe célèbre, mais pas nécessairement en bien. Même quelqu’un comme William Eggleston, qui a toujours prétendu ne jamais avoir pris plus qu’un seul cliché d’un sujet à la fois, ment comme un arracheur de dents. Il m’a été donné d’inspecter à Memphis les boîtes de diapos, quelque 2 500 en nombre, parmi lesquelles il a tiré son meilleur livre, The Democratic Forest. Il est vite devenu patent que notre homme, sans aller 15.10.2014 les inrockuptibles 53

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The Garry Winogrand Archive, Center for Creative Photography, Université d’Arizona. © The Estate of Garry Winogrand, courtesy Fraenkel.. Gallery, San Francisco

Los Angeles, 1980-1983

jusqu’à mitrailler comme un photographe du dimanche, prenait beaucoup de clichés au cours d’une séance et qu’une grande partie de son talent était dans l’editing – comme il se doit pour tout le monde. Les planches-contact de Winogrand (qu’on aimerait voir en plus grand nombre) indiquent qu’il était plus proche de l’idéal d’Eggleston : il semble ne pas prendre beaucoup de clichés d’un même sujet. Et ses choix, quand il les fait, sont toujours mystérieux et surprenants – son art véritable, en fait. Cette abdication chez le photographe du devoir le plus élémentaire d’un artiste le rend singulier, certes, mais pas de la façon dont les conservateurs de l’expo aimeraient nous le faire entendre.

On peut faire de cet éclatement un projet artistique en soi, rétrospectivement, comme essayait de le faire l’intéressé à la fin de sa vie. Sauf que son attitude se couplait aussi à son alcoolisme, à son découragement, et sans doute au soupçon qui devait l’assaillir d’avoir échoué à produire une œuvre aussi cohérente que celle de ses collègues, ou même un livre phare, un livre qui dirait tout, comme The Americans de Robert Frank, ou American Photographs de son héros Walker Evans – deux livres qu’il vénérait plus que tout dans sa jeunesse. Cruellement, Evans a toujours eu pour Winogrand le plus profond mépris – allant jusqu’à le mettre à la porte lorsque le jeune photographe est venu lui demander de le recommander

pour sa première bourse Guggenheim. “Ce type Winogrand”, s’exclamait encore Evans à la fin de sa vie. Il n’avait d’estime ni pour sa façon de photographier, ni pour les gens qu’il photographiait. Winogrand a pourtant été pionnier dans plusieurs domaines : il s’intéresse très tôt à la bourgeoisie, aux banlieues, aux tract houses désespérantes qu’il découvre dans les faubourgs de l’Ouest américain. A cet égard, nulle photo dans son œuvre n’est plus frappante que celle intitulée Albuquerque. En apparence, elle montre une de ces tract houses, et le tricycle renversé fait immédiatement penser à la fameuse photo couleur d’Eggleston qui faisait la couverture de son premier livre, William Eggleston’s

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New York, vers 1962

Guide. Mais il y a un air de catastrophe (atomique ?) dans ce ciel tourmenté, dans la façon dont le bambin avance sur le ciment comme un château branlant. Winogrand, après 1970, prend beaucoup (trop, jugeait Evans) de photos de la fenêtre de sa voiture. La quantité est un peu tuante, jusqu’à ce qu’on tombe sur la femme étendue dans le caniveau de Sunset Boulevard comme une biche renversée. Elle est blonde, en robe, et semble dormir. Elle est prise au vol. On se demande si quelqu’un va s’occuper d’elle. Si Winogrand s’est seulement arrêté.

ses photos agressives font la paire avec son physique de grand escogriffe et l’attitude des New-Yorkais eux-mêmes

rétrospective Garry Winogrand jusqu’au 8 février au Jeu de Paume, Paris VIIIe, jeudepaume.org 15.10.2014 les inrockuptibles 55

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l’oiseau rare

Egérie pour ados depuis Divergente, Shailene Woodley poursuit sa mue d’actrice et s’encanaille avec le sulfureux Gregg Araki pour White Bird. propos recueillis par Romain Blondeau

S

hailene Woodley semblait destinée au parcours classique des baby-stars. Attirée par le métier d’actrice depuis ses 5 ans, cette jeune femme issue de la middle-class californienne s’est d’abord illustrée dans des séries mineures avant de connaître son premier rôle dans un oscar movie en 2011 (The Descendants d’Alexander Payne, où elle est la fille de George Clooney) et de devenir une égérie pour ados dans la franchise des blockbusters Divergente. Mais à la marge de ce trajet balisé, elle s’est distinguée par des choix singuliers : le beau teen-movie The Spectacular Now de James Ponsoldt et aujourd’hui White Bird de Gregg Araki, où elle révèle sa vraie nature d’actrice, à la fois juvénile et bizarrement mature, grave, presque blessée. Peu cinéphile – elle dit choisir ses films à l’instinct –, franche et directe, Shailene Woodley détonne à Hollywood, où elle s’impose dans la short-list d’une nouvelle génération d’acteurs à suivre. C’est étonnant de vous voir chez Gregg Araki. Comment êtes-vous arrivée sur le projet ? Shailene Woodley – J’ai vu Mysterious Skin il y a environ quatre ans et j’ai été très émue, impressionnée par le style du film, la mise en scène de Gregg. J’ai tout de suite dit à ma manager que je devais absolument rencontrer ce type. Par chance, ils étaient amis. J’aurais accepté n’importe quel rôle dans White Bird, même de la simple figuration. Qu’est-ce qui vous a attirée en particulier dans l’œuvre d’Araki ? J’adore le fait qu’il fasse à la fois des comédies un peu délirantes comme Kaboom ou des drames comme Mysterious Skin, tout en gardant sa signature. C’est une question de style, de ton mais surtout d’audace : Gregg est l’un des

seuls à Hollywood à oser montrer les relations humaines et la sexualité de manière réaliste, cash. Pour une actrice, c’est forcément un pari intrigant. Justement, le film vous montre sous un nouveau jour : vous y êtes une jeune femme sexuée, très sûre de ses désirs. Etait-ce une volonté de rompre avec votre image de teenage icon ? Je ne pense pas en termes de stratégie, je ne fais pas les films pour les autres. Nous avions longuement parlé de la nudité avec Gregg : je lui ai dit que ça ne me gênait pas, tant que c’était justifié. Encore une fois, c’est un impératif de réalisme : vous ne pouvez pas parler de la jeunesse et des relations sentimentales sans vous confronter au sexe. Sinon, autant ne pas faire de film. J’ai lu que vous regrettiez vos années passées dans la série La Vie secrète d’une ado ordinaire où vous incarniez une adolescente enceinte. Vous disiez que la série était trop conformiste… Hum… D’abord je dois dire que je suis reconnaissante envers cette série. J’avais 15 ans au début du tournage et ça m’a permis d’accéder à d’autres rôles. Je me souviens avoir été tout de suite passionnée par le scénario, qui évoquait avec précision la vie quotidienne d’un lycée et abordait des sujets tabous, comme la grossesse chez les adolescentes. Juno1 venait de sortir et je voyais la série comme une suite du film, un show moderne auquel les ados pourraient s’identifier. Mais l’histoire est devenue de plus en plus conventionnelle, avec des nouveaux personnages et des enjeux auxquels je ne pouvais moralement pas adhérer. Je me suis retrouvée un peu piégée parce que j’étais sous contrat… Peut-on dire que votre rôle dans le très beau The Spectacular Now, un teen-movie plus noir, est la conséquence de cette première déception ? Je savais en tout cas ce que je voulais éviter. Ce sont deux projets différents : The Spectacular Now est un film indé,

sans pression d’une chaîne ou d’un studio, qui pouvait donc se permettre plus de liberté. Aujourd’hui, je suis très fière d’avoir participé à un tel film parce que je sais que James Ponsoldt deviendra l’un des plus grands cinéastes américains. Il fait partie de cette nouvelle génération, avec Sean Durkin (réalisateur de Martha Marcy May Marlene – ndlr), qui va s’imposer. Vous avez été au centre d’une polémique lorsque vous avez déclaré à Time que vous n’étiez pas féministe. C’est une position assez étonnante pour une actrice de votre génération. Toute cette histoire m’a fait marrer et m’attriste aussi un peu. J’ai simplement dit que je n’étais pas à l’aise avec le terme “féministe”, que je trouve très limité. J’ai grandi avec le féminisme, celui des années 70 et 80 m’est familier, mais je ne vois pas en quoi revendiquer ce terme serait une obligation pour ma génération. Je crois plutôt au sisterhood : il n’y a rien de plus puissant qu’une femme soutenant une autre femme, sans condition, peu importe son opinion politique. Quelles sont les actrices qui vous ont le plus inspirée ? Léa Seydoux. Pour La Vie d’Adèle mais aussi pour ses rôles dans Inglourious Basterds ou The Grand Budapest Hotel. Son naturel me fascine. Et puis il y a Marion Cotillard dans De rouille et d’os, le plus beau film que j’aie jamais vu. C’est étrange, toutes mes actrices préférées sont françaises ! Vous avez d’ailleurs un point commun avec la plus mythique d’entre elles, Catherine Deneuve : vous êtes toutes les deux passionnées par les plantes… Catherine qui ? Ah, je ne vois pas qui c’est… 1. comédie de Jason Reitman sur une ado qui tombe enceinte et tente de faire adopter son bébé (2007) lire aussi la critique de White Bird p. 62

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“Plus qu’au féminisme, je crois au ‘sisterhood’ : il n’y a rien de plus puissant qu’une femme soutenant une autre femme…”

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“Tintin a infiltré mon subconscient” Peintre subtil de l’adolescence tourmentée, Charles Burns clôt avec Calavera une trilogie en couleurs parsemée d’indices sur sa jeunesse et ses goûts artistiques. par Anne-Claire Norot



près s’être consacré pendant une dizaine d’années à Black Hole, son chef-d’œuvre au noir sur les tourments de l’adolescence, l’auteur américain Charles Burns a entamé en 2008 une trilogie qui poursuit son travail d’exploration de la psyché de la jeunesse. Dans Toxic (2010), La Ruche (2012) et Calavera, qui paraît ces jours-ci, il met en scène Doug, jeune homme qui revit dans une réalité alternée et fantastique les événements qui l’ont laissé mystérieusement blessé et traumatisé. De son trait limpide, entre Hergé et le style EC Comics des années 50, Charles Burns fait des allers-retours entre passé et présent, rêve et réalité. Il construit un jeu de piste palpitant, où les objets, les symboles et les couleurs – qu’il utilise pour la première fois – ont tous une signification essentielle. Dans Calavera, Doug a vieilli. Toujours titillé par les démons du passé, il tente de faire la paix avec lui-même. Une œuvre complexe et passionnante où Burns finit par donner toutes les clés (ou presque) qui permettent de recomposer la tragique histoire de Doug et où se cachent quelques références à sa propre vie et aux artistes qui l’ont inspiré. Dans quel état d’esprit êtes-vous après la fin de votre trilogie ? Charles Burns – L’histoire que je voulais raconter est terminée et je suis satisfait de ne pas l’avoir

dénaturée. J’ai toujours peur de ne pas arriver à me concentrer suffisamment ou à trouver les ressources pour terminer une histoire compliquée et pour relier convenablement tous les fils de l’intrigue mais je suis content du résultat… Enfin, je ne suis jamais vraiment “content” de quoi que ce soit, mais c’est encore le mot qui convient le mieux. Quel a été votre processus créatif ? Saviezvous depuis le début comment terminer le récit ? Je savais quelle histoire je voulais raconter, j’avais un début, un milieu et une fin. Mais je laisse toujours assez d’espace pour que le récit puisse respirer – au cas où des idées inattendues se présenteraient. Quand je travaille sur une histoire, je prends des notes et je les révise constamment. Finalement, ce qui m’intéresse le plus, c’est comment l’histoire est racontée et dans quelle mesure mes mots et mes images arrivent à porter mes idées. J’ai commencé la narration avec l’intention de me concentrer sur une période bien précise de ma vie – étudiant en art en 1977-1979 et impliqué dans la scène punk à San Francisco – mais finalement c’est devenu quelque chose de bien plus dense et intéressant pour moi. Vous travaillez habituellement en noir et blanc et la trilogie est en couleurs. Pourquoi ?  Je voulais qu’elle prenne la forme d’un album classique, auquel les lecteurs français et belges sont habitués mais qui m’apparaît encore comme exotique ainsi qu’à la plupart des lecteurs américains.

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“je n’ai eu aucun mal à quitter l’adolescence – j’avais plus qu’envie de laisser tout ça derrière moi” J’ai toujours aimé l’apparence de ces livres en couleurs et je voulais essayer d’utiliser ce même format. Je n’avais encore jamais fait de BD en couleurs et ça m’intéressait de relever ce challenge – créer une histoire qui ne serait pas uniquement une version colorisée de mes albums en noir et blanc mais dans laquelle la couleur ferait partie intégrante du récit. J’ai aimé employer un nouvel élément pour raconter mon histoire et j’ai adapté ma façon de dessiner. On retrouve des cases, des couleurs ou des objets d’un album à l’autre. Ça vous plaît d’inventer un jeu de piste pour le lecteur ? Je n’en ai pas conscience mais j’aime essayer de transcrire le fonctionnement de mon cerveau, ma façon fragmentée d’associer couleurs, textures et images. La répétition des couleurs et de l’imagerie monte en puissance au fur et à mesure de l’histoire et les images prennent de plus en plus de signification. Vous avez créé votre propre bootleg, Johnny 23, dans lequel vous jouez avec les cases de Toxic et inventez un langage. Pourquoi vouloir ainsi déconstruire et reconstruire votre travail ? Je me suis bien amusé à créer les bandes dessinées étrangères et les magazines qui apparaissent dans la trilogie, comme ceux que distribue Johnny dans La Ruche. Ces BD répondent à des événements qui se passent dans l’autre réalité, celle où vit Doug. J’ai imaginé ce Johnny 23 parce que je voulais créer un objet physique qui prolongerait cette sensation de plonger dans un autre monde, une autre culture. J’ai utilisé une encre violette sur un papier blanc à la tonalité chaude, pour imiter les BD vintage mexicaines et japonaises. Je voulais aussi dessiner une version en cut-up de l’histoire, à la façon dont William Burroughs menait ses expériences littéraires. Burroughs a de l’importance pour vous ? Comme mon personnage Doug, je l’ai lu à la fin de l’adolescence. J’étais impressionné par l’intensité de son imaginaire et de ses histoires. C’est son côté écrivain “visuel” qui m’attirait le plus. Je me souviens qu’il y avait des passages dans ses histoires qu’il m’était presque impossible de supporter : trop viscéral, trop laid. J’ai toujours admiré sa capacité et son courage à explorer le côté sombre de sa conscience. Je voulais appliquer sa technique du cut-up dans certaines parties de mon histoire mais, dans mon cas, ce procédé n’avait rien d’aléatoire – mes cut-up étaient soigneusement prémédités.

Dans la trilogie, vous montrez votre fascination pour Hergé. Comment avez-vous découvert Tintin ? Au début des années 60, seuls six albums de Tintin étaient publiés aux Etats-Unis. Mon père, qui appréciait les bandes dessinées et a vite compris à quel point moi aussi j’aimais ça, me les a offerts avant même que je ne sache lire. J’ai passé des heures innombrables à les regarder. Le monde qu’Hergé avait créé prenait vie à mes yeux comme aucune autre bande dessinée n’avait jamais réussi à le faire. A l’arrivée, ma trilogie n’a aucun rapport avec Tintin, ce n’est pas une version sombre ou alternative des extraordinaires histoires d’Hergé. Mais elle signifie beaucoup sur la façon dont ses couleurs riches, son imaginaire et son monde dense et étranger ont infiltré mon subconscient quand j’étais petit. Dans vos BD, vous mettez toujours en scène des adolescents. Qu’est-ce qui vous fascine dans cette p ériode ? Peut-être parce que je suis très immature, je ne sais pas… Doug prend de l’âge au fur et à mesure des trois albums. Dans Toxic, je lui donne 23 ans. Dans La Ruche, il a environ 25 ans et à la fin de l’histoire, il pourrait avoir dans les 28 ans, presque 29. Techniquement, ce n’est pas vraiment un adolescent. Mais je vois ce que vous voulez dire. Simplement, moi, pendant cette courte période, j’ai subi certaines des expériences les plus intenses et difficiles de ma vie. Certains des passages dramatiques de la trilogie reflètent-ils des moments de votre propre vie ? Malheureusement oui. Dans Calavera, on retrouve Doug six ans plus tard. Il est devenu un adulte désabusé qui se bat toujours avec son passé. Ça a été dur pour vous de devenir adulte, de devenir père ? Je n’ai eu aucun mal à quitter l’adolescence – j’avais plus qu’envie de laisser tout ça derrière moi, croyez-moi ! Et mes enfants sont la meilleure chose que j’ai faite. Néanmoins, ça ne m’empêche pas de me triturer l’esprit et d’analyser mes pensées sur la responsabilité, la parentalité, la mortalité – particulièrement la mortalité. Alors que je travaillais sur Calavera, j’ai eu une conversation avec mon père de 89 ans pour savoir ce qu’il voudrait que je fasse de ses cendres… après avoir dessiné mon personnage principal en train de disperser les cendres du sien depuis un pont. Calavera (Cornelius), 64 pages, 21,50 €

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White Bird de Gregg Araki

Une jeune fille sur les traces de sa mère disparue. Gregg Araki ravale sa punkitude pop au profit d’une élégance à feu doux.

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regg Araki est connu pour son esthétique punk pop, sa relecture postmoderne et survoltée des sous-genres (fantastique, horreur, teenmovie…), son image de trublion transgenre, incarnée dans des films comme The Doom Generation, Nowhere, Smiley Face ou Kaboom. Or, il n’est pas certain que ce volontarisme esthétique et transgressif soit son meilleur atout de cinéaste. Dans les films précités, une fois posé et affirmé son univers libertaire teenage, il ne se passe plus grand-chose de très excitant. Comme si l’exposition surlignée d’un univers bien codé (sex & drugs & rock’n’roll & colorisme pop) figeait ses films dans des effets de signature superficiels et en chassait tout mystère, toute profondeur, toute surprise. Pas un hasard si le meilleur film d’Araki est

Mysterious Skin, précisément parce que le cinéaste y affirme moins une griffe qu’il ne prend soin de son récit, de son personnage et d’un thème fort. Bonne nouvelle, White Bird s’inscrit dans la veine arakienne moins tonitruante de Mysterious Skin et se présente comme son (deuxième) meilleur film. Adapté d’un roman de Laura Kasischke, Un oiseau blanc dans le blizzard, le film est le récit d’une enquête intime : celle de Kat Connors, 17 ans, au sujet de la disparition soudaine et mystérieuse de sa mère, laissant la jeune fille seule avec son père. A partir de cet événement, le film se déplie en amont, montrant quelques épisodes de la vie de la famille Connors du temps où la maman était présente, puis en aval, quand Kat doit vivre avec cette absence inexpliquée et qu’elle tente d’élucider ce mystère. Araki détaille avec finesse la relation mère/fille, faite

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EvaG reen, une mère disparaît

de mimétisme et de rivalité, de possession maternelle et d’étouffement ado, de moments de complicité ou de guerre ouverte, le tout sur fond de bovarysme smalltown. Entre la mère et la fille, un père effacé, sous l’emprise de l’amour non réciproque pour son épouse, et le boyfriend de Kat, aux charmes duquel la mère ne semble pas insensible. Père en retrait, mère omniprésente, Araki pèle avec finesse toutes les petites insatisfactions quotidiennes qui mijotent dans une supposée famille modèle et peuvent aboutir à de graves dérèglements. La norme familiale insidieusement imposée par la société ne correspond pas toujours (pas souvent même) avec les désirs des individus. La partie “au présent” est tout aussi prenante et subtile : on y voit d’abord une Kat qui paraît peu affectée. Puis, avec l’aide d’un amant policier, elle entreprend de découvrir et comprendre les raisons et circonstances de sa disparition… Si White Bird déploie une force tranquille en comparaison des stridents The Doom Generation ou Kaboom, Araki n’en a pas pour autant abandonné la singularité de sa vision ni son empathie éternelle pour les ados ; simplement il les exprime sur un ton plus apaisé, plus subtil. La touche Araki passe par la reconstitution de l’esthétique des années

Araki pèle avec finesse toutes les petites insatisfactions quotidiennes qui mijotent dans une supposée famille modèle

80 et 90, le fétichisme des costumes, objets et mobilier, la précision des cadres, des séquences oniriques neigeuses assez fortes, une BO qui réveille des souvenirs vibrants (The Jesus & Mary Chain, Echo & The Bunnymen, The Cure…) et surtout un attachement jamais démenti pour les “exclus” de la norme sociale majoritaire : l’ado Kat, ses copains gays ou obèse, sa desperate housewife de mère… Mix réussi d’observation sociale, d’introspection des névroses familiales, de comédie, de mélo onirique et de polar, White Bird doit beaucoup à ses acteurs, tous très bons, mais dont ressortent particulièrement Shailene Woodley, émouvante et pugnace, et Eva Green en mère à la fois victime (de l’ennui conjugal) et sorcière (avec sa fille). Signe de l’humour d’Araki : faire de la super sexy Green une femme avec qui personne ne veut coucher. Quelque part entre Todd Haynes, John Waters et Jonathan Caouette, réverbérant aussi de lointains échos lynchiens, White Bird scintille dans la petite galaxie du meilleur ciné indé américain. Serge Kaganski White Bird de Gregg Araki, avec Shailene Woodley, Eva Green, Christopher Meloni (E.-U., 2 014, 1 h 31) lire aussi l’interview de Shailene Woodley pp. 56-57 15.10.2014 les inrockuptibles 63

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Omar Sy

Samba

d’Eric Toledano et Olivier Nakache Les auteurs du hit Intouchables récidivent avec un feel-good movie plus retors qu’il n’y paraît.

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n apparence, Samba reconduit exactement la formule d’Intouchables, le précédent carton du tandem ToledanoNakache, qui affola les curseurs du box-office en 2011 et dont on avait pu dire, à l’époque, combien son rire démagogique et son traitement maladroit sinon cynique des rapports de classes nous avaient paru insupportables. Sur le même air de fable réconciliatrice et thérapeutique, ce nouveau film entreprend à son tour de raconter la France, mais cette fois-ci par le biais

le réalisme innerve l’écriture des cinéastes, qui osent une ambiguïté inattendue

d’une rencontre amoureuse. On y découvre le personnage de Samba (Omar Sy), un immigré sénégalais installé à Paris depuis dix ans, qui multiplie les jobs précaires et vit sous la menace permanente d’une expulsion. Arrêté après un contrôle policier, il fait la connaissance d’une bénévole d’association, Alice (Charlotte Gainsbourg, dont l’exigence du regard est pour beaucoup dans l’intérêt du film), une bourgeoise en plein burn-out qui a quitté son boulot afin de venir en aide aux immigrés. Elle et lui se rapprocheront, s’aideront et s’aimeront enfin, selon le protocole œcuménique si cher au duo Toledano-Nakache, qui consiste en un gommage utopique des différences de classes et d’origines.

Mais si la finalité de Samba rejoint a priori celle d’Intouchables, c’est dans leur démonstration que les films diffèrent, et que le dernier trouve une certaine profondeur. La nouveauté se joue ici d’abord dans la manière quasi documentaire dont les cinéastes abordent leur sujet : de l’accent étudié d’Omar Sy (Dardenne style) à ses scènes de travail, nombreuses et détaillées, le film saisit avec acuité un Paris ouvrier et clandestin. Bien sûr, pour remplir le cahier des charges du feel-good movie, les auteurs ne peuvent s’empêcher des écarts fantaisistes (une scène gênante de strip-tease sur les toits de la ville), mais ils choisissent de baigner leur fable dans une eau plus réaliste, donc complexe. Et cet effort ne se niche pas que dans

les détails ; il innerve aussi l’écriture des cinéastes, qui osent une ambiguïté inattendue. Samba raconte en définitive la même histoire qu’Intouchables : celle d’un bourgeois blanc handicapé (l’infirmité est ici affective, le personnage de Charlotte Gainsbourg étant dépressif et solitaire) qui, au contact d’un prolétaire, noir, retrouvera sa vitalité. La nouveauté est que cette vision utilitaire des rapports humains n’avance plus masquée. Il y a quelque chose d’un mépris de classe, d’un égoïsme qui résiste chez Alice (voir cette scène, malaisante, où elle hurle sa colère contre un ouvrier qu’elle juge incompétent), tandis que le personnage d’Omar Sy n’est pas qu’une béquille rigolarde, un bon Noir, mais un homme parfois trouble, capable de trahison, lui-même lucide sur le bénéfice qu’il peut tirer de son union avec une bourgeoise. Cette ambiguïté se diffuse jusque dans le versant romantique du film : la première scène de sexe est trop maladroite, trop sèche, pour ne pas y lire la conscience d’exploitation réciproque qui hante les personnages. On pourrait discuter de cette morale individualiste et cynique, mais la mise à nu de ses rouages, l’audace d’assumer une part d’obscurité au cœur d’un feel-good movie populaire constitue une vraie surprise. Romain Blondeau Samba d’Eric Toledano et Olivier Nakache, avec Charlotte Gainsbourg, Omar Sy (Fr., 2014, 1 h 58)

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Le Sel de la terre de Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado L’art baroque du photographe Sebastião Salgado enluminé par le regard complice de Wim Wenders. es aventures du photographe la famine, reste elle-même assez Sebastião Salgado, 70 ans, extérieure ? Si son travail n’a rien de sec, explorées par son fils Juliano, auquel clinique et froid, Salgado stylise s’est joint le cinéaste Wim Wenders. ce qu’il photographie. Il embellit le réel, Le moins que l’on puisse dire, c’est que le picturalise, notamment par l’emploi ce documentaire colle au travail de Salgado systématique du noir et blanc, par dont, dans le film, la figure elle-même sa passion pour le contre-jour, sa manière semble parfois surgir de ses photos, de faire ressortir les nuages, de donner grâce à un dispositif compliqué. Si Wenders aux parties claires de ses tirages un aspect a été sollicité pour apporter un point de vue nacré… Salgado est un réaliste baroque. extérieur, c’est un peu raté car il adhère C’est encore accentué dans le film par sans réserve à l’œuvre dont il retrace l’omniprésence de la musique vaguement la genèse avec son auteur (il avoue même élégiaque de Laurent Petitgand, qui être un fan de la première heure et que enlumine et dramatise les catastrophes certains tirages de Salgado se trouvent humaines dont Salgado a longtemps au-dessus de sa table de travail). été le chroniqueur. Mais peut-il y avoir un point de vue De là à taxer le film de doloriste, extérieur sur un artiste dont la vision il n’y a qu’un pas, que l’on ne franchira pas. des guerres, de la souffrance et de Car Wenders et Salgado fils rappellent

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que le photographe ne s’est pas exclusivement focalisé sur la souffrance pittoresque du tiers-monde. On le voit lors d’une séquence quasiment idyllique où il partage le quotidien d’une tribu de chasseurs d’Amazonie. Par ailleurs, il y a tout le volet écologique de l’œuvre mais aussi de la vie du photographe ; avec sa femme Lélia, il a, pendant des décennies, entièrement reboisé le vaste territoire aride et raviné entourant la ferme de ses parents. Cette partie plus concrète et “terre à terre” du documentaire permet à notre romantique Allemand (Wenders) de ne pas aller encore une fois se perdre du côté des anges. Vincent Ostria Le Sel de la terre de Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado (Fr., 2014, 1 h 49)

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Lilting ou la Délicatesse de Hong Khaou avec Ben Whishaw, Cheng Pei-pei, Andrew Leung, Ben Whishaw (G.-B., 2014, 1 h 26)

Céline Sallette

Geronimo de Tony Gatlif

Guerre de gangs entre communautés gitanes autour d’un mariage forcé. Des fulgurances, mais au prix de beaucoup d’agitation.

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e cinéma de Tony Gatlif attire les uns pour la même raison qu’il repousse les autres : parce qu’il fulmine en pure perte, fait vrombir une sorte de machine infernale à fabriquer de la fougue et file ainsi à l’infini, sans trop s’embarrasser d’arriver ou non quelque part – la priorité, c’est le mouvement. Evidemment, son grand objet (les Tziganes) s’y prête bien. Et le cinéaste ajoute même du mouvement au mouvement. Car le gadjo Gatlif fait toujours de nouvelles inclusions, de nouvelles greffes à ce qu’il a entrepris dans les années 90, à savoir un portrait total de ce que ce monde a de bohémien : les Gitans d’Espagne (Vengo), de Roumanie (Transylvania) et ceux du passé (Liberté), ceux qui ne le sont pas mais partagent sans le savoir les mêmes valeurs (Indignados), etc. La pierre posée par Geronimo, nouvel épisode de cette fresque consacrée à la communauté, au nomadisme et à la misère, s’intéresse cette fois à un monde gitan sédentarisé, que le film fait entrer en collision avec une communauté turque (donc avec l’islam). Une liaison entre un Rom et une jeune femme promise à un mariage forcé met le feu aux poudres. Le projet a surtout ceci d’intriguant qu’il joue à plein régime la carte West Side Story, à travers une authentique guerre de clans

qu’aucun naturalisme ne vient dégonfler. On chante et danse beaucoup chez Gatlif, mais rarement pour se battre : ici, les battles flamenco/hip-hop parsèment le film et annoncent les violences réelles – on n’est pas loin du clownesque, mais Gatlif y met assez d’aplomb et de détermination pour contrecarrer le sentiment d’embarras. Pour le reste, Geronimo demeure justement, comme hélas beaucoup de films de Gatlif et cela malgré leurs fulgurances (les courses folles de Transylvania résonnent ici dans les scènes très enlevées du couple Nil et Lucky), un peu embarrassant. Le réalisateur est toujours parvenu à attirer dans ses filets des vedettes montantes, chez qui il percevait un peu de cette fougue qu’il chérit plus que tout. Aussi Céline Sallette, comme Romain Duris et Asia Argento en leur temps, marche vite, parle fort, tente de suivre le rythme volcanique de Gatlif. Mais à l’arrivée, le film souffre d’un surrégime assourdissant, traversé par quelques lignes plus inspirées : un peu de musique, une poursuite en robe de mariée, comètes buissonnières trop rares pour sauver la mise. Théo Ribeton

Un drôle de film peu commode, à l’image de son personnage principal. Dans une maison de retraite londonienne décorée comme dans les années 60 (belle idée), une vieille dame sino-cambodgienne pas commode du tout, Junn, se souvient de la dernière fois où elle a vu son fils, Kai, qui vient de mourir. Or nous apprenons que Kai était homosexuel et qu’il n’avait jamais osé le lui dire. Richard, le compagnon de Kai, va tenter par tous les moyens d’amadouer cette femme antipathique, allant même jusqu’à engager une interprète pour communiquer avec elle, qui ne parle pas un mot d’anglais. Ce film, assez brouillon sans être antipathique, comprend de nombreux problèmes. Le principal est la motivation des personnages et du réalisateur. Pourquoi Richard (et le film) consacre-t-il autant de temps et d’argent pour tenter de parler avec une femme aussi rogue, pas très intelligente et sans charme aucun ? Pourquoi le personnage secondaire du vieux prétendant british de la dame est-il autant traîné dans la boue par le scénario ? Des zones d’ombre ou des maladresses qui laissent le spectateur avec un sentiment de malaise. Que nous veut ce film si peu délicat ? Jean-Baptiste Morain

Geronimo de Tony Gatlif, avec Céline Sallette, Rachid Yous, David Murgia (Fr., 2014, 1 h 44) lire aussi p.106

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Ninja Turtles

Les Boxtrolls

de Jonathan Liebesman

de Graham Annable et Anthony Stacchi

avec Megan Fox, Will Arnett, William Fichtner (E.-U., 2014, 1 h 40)

avec les voix d’Isaac Hempstead Wright, Elle Fanning (E.-U., 2014, 1 h 37)

Retour des tortues belliqueuses dans un blockbuster aux velléités parodiques confuses et lourdingues. n commence à mesurer les dégâts de l’embarrassante goguenardise que l’école Marvel, malgré des films parfois réussis, est parvenue à propager à la production de blockbusters. Faire un film de superhéros et le parodier, c’est désormais la même chose. Un second degré machinal et sans saveur s’est imposé dans les scénarios comme une sorte de nécessité absolue du cinéma grand public, triste cran de sécurité protégeant/privant les films d’un émerveillement jugé ringard. Outre un malentendu vis-à-vis du public young adult (en fait, le film s’adresse exclusivement aux enfants), ces “Tortues Ninja” ne sont certes qu’une gouttelette mais font néanmoins déborder le vase. La mélasse pop-comique dégringole lourdement devant nos yeux et les effets de manche satiriques, avec pour sommet une pause beatbox en plein climax, ont viré à la gorgée obligatoire de vinaigre. Cette fois-ci, c’en est trop : on recrache. Théo Ribeton

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Gentils monstres et mondes cachés dans un film d’animation sans surprise. Il n’y aurait rien de spécial voisins humains… Hélas, à reprocher à ces Boxtrolls le manque d’originalité si ce n’est l’absence est l’indécrottable travers d’une étincelle véritablement du studio Laika (L’Etrange inspirée. La sensation Pouvoir de Norman, de déjà-vu imprègne Coraline), qui n’a jamais ce conte aux accents su inventer de nouvelles de Roald Dahl et de Dickens, formes pour le cinéma chevillé aux deux thèmes d’animation, et se borne incontournables du genre donc à faire de l’artisanat merveilleux que sont retardataire, certes pas le “gentil monstre” et honteux dans ses pompages le “monde caché”. Ici, des de Tim Burton et trolls nichés dans une ruche des studios Aardman, souterraine tentent de droit dans ses bottes mais regagner le cœur de leurs un peu plan-plan. T. R.

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Collection particulière

Michel Ciment (à gauche) avec Elia Kazan lors de la reprise de Baby Doll à Paris, novembre 1980

globalement Positif Il est le critique français le plus célébré par les cinéastes américains. Le monument national Michel Ciment se raconte dans un livre d’entretiens.

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u’on l’apprécie ou non, Michel Ciment est une figure incontournable de la critique française. Ici, nous l’aimons bien humainement, mais sommes souvent en désaccord avec ses choix. Le Cinéma en partage est une longue conversation menée par son complice de Positif N. T. Binh, au cours de laquelle “Michael Concrete” fait le bilan de sa vie de spectateur-journalistehistorien-critique. C’est l’occasion d’apprendre que Ciment a des origines juives, une éducation catholique, que jeune cinéphile il dévorait Positif… et les Cahiers du cinéma. Entre autres anecdotes savoureuses, il raconte ce jour où il se rend aux Cahiers pour acheter d’anciens numéros, tombe sur Truffaut, lui dit qu’il

il réaffirme son goût du beau, de l’invention formelle, des grands maîtres, de la hiérarchie des œuvres

aime beaucoup la revue mais ne comprend pas les articles de Godard. Et Truffaut de lui répondre : “Mais Jean-Luc est le meilleur d’entre nous !” – c’était au temps de l’innocence, avant la brouille Truffaut-Godard et l’entrée de Ciment dans le camp Positif. Les portraits des cinéastes qu’il a interviewés ou côtoyés sont également très riches, notamment à travers le parallèle entre les deux frères ennemis Elia Kazan et Joseph Losey, le premier délateur pendant le maccarthysme, le second victime de la liste noire. Le chapitre sans doute le plus intéressant est “Réflexions personnelles et mises au point”. Refusant les chapelles, la dichotomie Lumière/Méliès, ne voulant pas choisir entre cinéma réaliste et cinéma d’imaginaire, Ciment y réaffirme son goût du beau, de l’invention formelle, des grands maîtres, de la hiérarchie des œuvres, selon une grille respectable mais un peu académique. Si son goût pour Kubrick, Mankiewicz, Resnais

ou les Coen est peu discutable, sa conception de l’invention formelle très axée sur le visuel le conduit à défendre de bons cinéastes mais aussi de fausses valeurs prétentieuses, comme Peter Greenaway, ou à négliger de réels inventeurs comme Rivette. Ciment aime les cinéastes de la maîtrise, au point de négliger l’inconscient à l’œuvre dans les films, susceptible d’introduire de la fragilité, du mystère, une idée moins convenue de la beauté. Il privilégie aussi le récit, voire le grand sujet, ce qui le conduit à rejeter les films les plus expérimentaux de Godard ou la puissance poétique de Weerasethakul. Ses réflexions sur l’exercice critique sont tout aussi intéressantes et discutables. Ainsi, quand il affirme qu’un bon critique doit connaître les dessous d’un film, son contexte historique et culturel, on a envie de lui répondre oui, ça ne gâte rien… et non, pas nécessairement. Car l’essentiel reste le tête-à-tête subjectif entre

le film et le spectateur : ressentir, décrire et analyser cette expérience ne réclame pas forcément de connaître la bio du cinéaste ou d’avoir lu les livres reliés au sujet du film. Parmi ses qualités, Ciment est une personne ouverte au débat. Il le réaffirme dans ce livre, il n’aime pas les chapelles. Son goût de la liberté et de la polémique le conduit parfois à voir de la doxa partout (le fameux triangle des Bermudes de la critique composé des Cahiers du cinéma, du Monde et de Libération, élargi aux Inrockuptibles et à Télérama), même là où il n’y a qu’un goût différent du sien, ou à défendre des penseurs réactionnaires comme Philippe Muray par simple rejet de l’esprit de système. Son ouverture d’esprit se referme aussi parfois brutalement, comme quand il crie au scandale parce que Jacques Mandelbaum voit en L’Avventura ou Psychose des films post-Shoah. Pourquoi délégitimer ainsi un collègue avant même d’essayer de considérer ce qu’il a écrit ? Le débat, Ciment l’a souvent mené oralement, sa voix étant peut-être plus connue que ses écrits, par l’entremise du Masque et la Plume ou de France Culture. La curiosité insatiable pour le cinéma et la passion de la discussion l’habitent toujours autant, ce qui est remarquable pour un homme de 76 ans. Michel Ciment reste une personne avec qui le désaccord est plaisant et stimulant. Serge Kaganski Le Cinéma en partage – Michel Ciment, entretiens avec N. T. Binh (Rivages), 416 pages, 21 €

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Kudos Films and Television Limited

Utopia sans limites Retour de la série conspirationniste anglaise, plus brutale et plus pop que jamais. Avant le remake US par David Fincher.

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n s’amuse beaucoup avec les séries anglaises. Enfin, c’est une façon de présenter les choses, étant donné que la plupart d’entre elles, hors comédies pures (et encore), décrivent un monde où le ciel est bas et le mal rampant. Mais disons qu’elles font preuve, pour certaines d’entre elles, d’une vitalité à toute épreuve qui rend l’expérience du spectateur aussi dérangeante que réjouissante. Prenons Utopia. Apparue l’année dernière, la création du dramaturge Dennis Kelly – qui écrit tous les épisodes seul comme un grand – est sans doute ce qui se fait de plus barré sur toute la planète sérielle d’aujourd’hui. Le pitch ? Une conspiration internationale vise à rendre stérile un pourcentage flippant de la population mondiale. Cette entreprise destructrice est menée par une organisation nommée The Network, qui a agi en sous-main sur la plupart des événements historiques majeurs depuis des décennies et n’hésite pas à commettre des meurtres en masse pour parvenir à ses fins. Tout cela sous prétexte que l’espèce humaine ne survivra pas longtemps à un accroissement sans mesure des naissances. Dans la première saison, la quête d’un roman graphique contenant des clés pour contrer l’avancée de l’organisation occupait l’intrigue, à travers des personnages de geeks plus

ou moins dépassés par les événements. Utopia revient avec sa deuxième saison, diffusée l’été dernier sur Channel 4, et braquée sur les fondamentaux : un esprit comics, beaucoup de morts, une distance polie vis-à-vis des malheurs du monde, un décorum flashy. Etrange mélange. Comment s’attacher à une série qui fait de ses héros des personnages rongés de l’intérieur à un point inimaginable, souvent ridicules, sans une once d’espoir en eux – ou presque ? Tel est le défi posé à celle ou celui qui regarde Utopia. Les fans exclusifs d’Urgences ou Friday Night Lights, pour ne citer que ces deux chefs-d’œuvre du premier degré, auront peut-être du mal à le relever. Fascination et fatigue vont de pair devant cette série qui semble parfois se complaire dans la violence mais finit toujours par aller encore plus loin sans vraiment faire attention à nous. C’est peut-être son vrai talent. Même nuancé par l’ironie et un look général très BD, le propos d’Utopia demeure

même nuancé par l’ironie et un look général très BD, le propos d’Utopia demeure du style radical

du style radical. On y voit un bébé la bouche sanguinolente après qu’il a éventré un lapin hors champ. On y entend des mots qui laissent peu de place à la chaleur humaine : – “D’après moi, nous allons nous entretuer” ; “La seule maladie qui doit être éradiquée, c’est l’homme”. Ce dialogue sans détour éclaire le surprenant épisode inaugural de la nouvelle saison, situé à la fin des années 70, au cours duquel on en apprend un peu plus sur les origines et l’enfance du personnage principal Jessica Hyde – et sur les raisons qui ont mené Margaret Thatcher au pouvoir, puisque la série s’amuse aussi avec la politique-fiction. Un dialogue si peu optimiste pourrait tout aussi bien figurer dans l’autre objet pop brutal et désespéré du moment, Game of Thrones, à laquelle Utopia ressemble par moments dans le fond. Il faut sans doute prendre au sérieux le monde dépressif raconté avec une certaine légèreté par la série : c’est peut-être bien le nôtre. C’est en tous cas ce que semble penser David Fincher qui, juste après les obligations de promo liées à la sortie de son nouveau film Gone Girl, va s’atteler à la réalisation de tous les épisodes du remake américain de la série, prévu sur HBO en fin d’année prochaine. Que fera-t-il de l’esprit british de l’original ? Cela reste à voir. Olivier Joyard Utopia saison 2 à partir du 20 octobre, 20 h 50, Ca nal+ Sér ies

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à suivre… La nouvelle est tombée le 6 octobre, comme un ouragan sur le monde des séries. Vingt-cinq ans après son annulation au bout de deux saisons en juin 1991, Twin Peaks reviendra à l’antenne en 2016 sur la chaîne câblée américaine Showtime. Ses deux créateurs, Mark Frost et David Lynch, l’ont annoncé sur Twitter avant la confirmation officielle. L’acteur Kyle MacLachlan (alias l’agent Dale Cooper) s’est fendu d’un commentaire assez explicite, allusion au look de son personnage et à son goût pour le café : “Il faut que je chauffe mon percolateur et que je retrouve ma veste noire.” A la fois parodie ultime et paroxysme du genre, la série connaîtra donc une véritable fin – pour mémoire, la deuxième saison s’était faite largement sans David Lynch – avec une saison 3 constituée de neuf épisodes, tous réalisés par Lynch et coécrits par le réalisateur et Mark Frost. L’écriture est en cours et le tournage aura lieu dans les mois qui viennent. Il s’agira du retour de David Lynch derrière la caméra pour la première fois depuis Inland Empire en 2006. Reste à savoir comment Twin Peaks, souvent copiée, pourra maintenir son originalité dans le monde si concurrentiel des séries actuelles.

Moneypenny Productions

retour à Twin Peaks !

chacun cherche son QI

Troisième saison de QI, série française aux moyens limités mais aux ambitions respectables. I est une petite série attachante. La seule en France à avoir travaillé le genre peu répandu et subtil de la “dramédie” (mélange de drame et de comédie) de vingt-six minutes. Cette forme très explorée sur le câble américain depuis des années (de Nurse Jackie à Enlightened) reste une exception ici, faute de créneaux de programmation en assez grand nombre – et sans doute de diffuseurs un peu aventureux. Créée, coécrite et réalisée sans beaucoup de moyens par Olivier de Plas depuis 2012, QI raconte les aventures de Karine, alias Candice Doll, une ancienne actrice X en pleine réinvention de soi. Après la philosophie, la religion et les sciences, la jeune femme se laisse entraîner dans la nouvelle saison par un gourou vaguement new-age qui lui promet une éternelle félicité. Avec son air de ravissante idiote prête à toutes les explorations, The Knick (OCS City, le 18 à 22 h 35) sa disponibilité totale aux choses et aux Dernier épisode du très beau drama médical signé Steven Soderbergh qui, en plus êtres comme si elle glissait sur le monde, de renouveler le genre auquel il s’attaque, le personnage interprété par Alysson donne un nouveau relief à la question Paradis donne à la série une substance de la place du réalisateur dans les séries. enfantine et légèrement amère. On peut regretter que dans cette Treme (OCS City, le 19 à 21 h 35) troisième saison elle n’occupe pas encore Redif de l’ultime saison de la série sur davantage le devant de la scène, La Nouvelle-Orléans signée David Simon. éclipsée par des personnages secondaires Ceux que la personnalité du showrunner (son ancien prof de philo en plein revival de The Wire intéresse liront l’excellent lui aussi, son ex devenu star du porno livre-enquête de Brett Martin, gay malgré lui) sympathiques mais qui Des hommes tourmentés (La Martinière). brouillent parfois le fil émotionnel du récit, le tirant un peu trop vers la comédie pure. Homeland (Canal+ Séries, le 21 à 20 h 50) QI gagnerait sûrement à suivre son héroïne Le miracle a eu lieu. Alors qu’on n’en les yeux fermés, sans se soucier du reste. attendait rien, les premiers épisodes Mais elle mérite toujours le détour. O. J. rêches et émouvants de Homeland

Q  

agenda télé

saison 4 nous ont beaucoup plu. Alors, on regarde. Carrie Mathison forever.

QI saison 3 chaque lundi, 22 h, OCS City 15.10.2014 les inrockuptibles 71

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le gardien du verger Riche disque de deuil et de vie retrouvée, le nouveau Murat a été enregistré avec le très américanophile Delano Orchestra. Jamais les monts d’Auvergne n’avaient été si bien jumelés avec les Appalaches.

 M Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

on père est mort en novembre 2013. En décembre, j’ai commencé à travailler avec le Delano Orchestra. Et le 1er janvier, je suis passé à l’écriture. Tout a été bouclé en quarante jours.” Jamais éloigné de la nature, Jean-Louis Murat compare la perte du père à la chute d’une branche malade qui redonne à l’arbre de la vigueur. Et un an plus tard, voici Babel par Murat & The Delano Orchestra, double CD, triple vinyle, vingt titres mûris vitement dans sa ferme des monts Dore en Auvergne, pétris avec cette langue de France dont il est l’un des dépositaires endurcis. Empruntant les chemins rustiques de la mémoire, de l’exploration intime, toujours avec ce sens aigu de l’aérodynamisme rock, Murat signe là une œuvre qui, bien que réalisée en mode express, finit immanquablement par vous travailler en profondeur. Du coup, cette rencontre Murat/Delano, si on osait, c’est Faulkner accompagné par Lambchop, ou Cormac McCarthy

par Calexico. Une histoire d’harmonie musicale venue refléter une proximité géographique. Et l’aboutissement d’une sympathie humaine et chromatique révélée lors d’un concert donné en décembre dernier à la Coopérative de Mai de Clermont-Ferrand, à l’occasion des 50 ans de France Inter, où le sextet montferrandais épaulait l’irrédentiste de La Bourboule. Quelques kilomètres séparent la vallée de Vendeix, dont est originaire Jean-Louis, des Combrailles, berceau familial d’Alexandre Delano, fondateur du groupe. Même si pour Murat cette courte distance a suffi pour établir une vaste différence : “Le patois, les vaches, la manière de rentrer les foins : tout est différent !” Le détail est moins risible qu’il n’y paraît : tous les lieux cités dans les chansons de Babel – Sancy, Chamablanc, Le Crest, Védrine – se situent dans un rayon de trente-cinq kilomètres autour de chez lui, espace qui à l’entendre est “bien suffisant pour faire une œuvre !”.Dans ce Yoknapatawpha1

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Julien Mignot

“ma génération n’a pas été très utile jusqu’à présent. Il est peut-être temps de se montrer généreux envers celle qui suit”

auvergnat, il franchit le pont qui relie le local au global, se plaît à faire miroiter l’universel dans la parcelle. C’est d’abord un monde qui disparaît qu’il met en scène, un monde à l’agonie, agonie dont il est le témoin tour à tour désemparé, enragé, distancié, nostalgique. Ça commence avec la cavalcade de Chacun vendrait des grives, où le village passe en à peine trois couplets de 3 009 à 114 habitants (en comptant les enfants)… “J’en sais quelque chose. Ma femme, qui est conseillère municipale, le voit bien : avec soixante-dix foyers fiscaux, tu ne peux plus rien faire ! Que U2 chante le monde qui apparaît, c’est leur affaire. Moi, je préfère me concentrer sur celui qui disparaît pour mieux comprendre pourquoi il nous est si hostile. Et quel meilleur exemple de la disqualification du monde qui disparaît que ce manque de confiance vis-à-vis de notre propre langue. Suffit d’écouter ces nouveaux groupes qui baragouinent en anglais plutôt que de s’exprimer en français.” Au fond, Murat se fiche bien d’être taxé de “chanteur provincialiste”, de “barde réactionnaire”. Depuis la mort du père, et la naissance de ses petits-enfants, il se sent pousser une âme de patriarche assumant une responsabilité quasi patrimoniale. “Ma génération n’a pas été très utile jusqu’à présent. Il est peut-être temps de se montrer généreux envers celle qui suit.”

Il l’est, à sa façon. A ses musiciens, il lit du Nietzsche. A sa jeune descendance, il apprend le patois, à jardiner, donne le goût des livres. A nous, il communique à travers ses chansons les résonances du vrai pays dans un rapport toujours complexe, mais maîtrisé, à la musique anglo-saxonne, fait d’admiration et d’insoumission. “J’essaie de refaire ce lien que mon père avait rompu en quittant la campagne pour la ville, en reniant sa culture rurale. L’ironie, c’est qu’atteint d’Alzheimer, il n’avait à la fin qu’une seule idée en tête : traire les bêtes, réparer les clôtures, rentrer les foins.” De fait, Babel engrange : les adieux (Mujade Ribe), les souvenirs (Chagrin violette), les plaisanteries (Camping à la ferme), les déclarations d’amour (Tout m’attire), les histoires du temps où il y avait la guerre (Noyade au Chambon)… Voir en lui un artiste de la conservation serait évidemment idiot. En grand sensualiste devant Dieu et les femmes, en adulateur de la beauté, Murat est avant tout préoccupé d’images et de vibrations. En mystique de la source, il remonte par le langage à sa propre origine pour y saisir ce qu’il reste d’enchantement. Avec l’âge, ses disques sont devenus comme des pèlerinages. Babel c’est son hadj, sa roche de Solutré. Et sur ce chemin, dans cette ascension le rapprochant parfois de l’ineffable, les Delano l’escortent avec une musique revivifiante comme un vent de dégel sur la campagne. Francis Dordor album Babel (Pias) jlmurat.com 1. comté imaginaire du Mississippi où se situe l’action d’une grande partie des romans de Faulkner

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des nouvelles de Lorde

Alain Marie

Jeanne Balibar

La jeune Néo-Zélandaise a récemment dévoilé un nouveau titre, disponible en écoute sur internet. Son titre ? Yellow Flicker Beat. La raison de cette sortie ? La BO du prochain film de la série Hunger Games, sur laquelle devraient également figurer Diplo, Duran Duran ou encore Charli XCX. Actuellement au travail sur son deuxième album, Lorde continue d’épater la galerie.

Africolor va faire vibrer Paris Il y a an, lesinrocks.com avait publié The Yellow Fever Tour, le blog afro-gonzo du vibraphoniste David Neerman, génial récit de sa tournée africaine. Il en a fait un spectacle, avec Jeanne Balibar au micro, qui ouvrira la 26e édition du festival Africolor. Du 15 novembre au 24 décembre en Seine-Saint-Denis et à Paris, encore une belle moisson de découvertes, de créations, de rencontres et d’hommages. programme complet sur africolor.com

Ces derniers jours, quelques tweets ont affolé les fans du duo de Toronto. Alice Glass a annoncé vouloir mettre fin à sa collaboration avec Ethan Kath pour des raisons personnelles et professionnelles. L’artiste canadienne souhaiterait se consacrer à sa carrière solo, dont elle espère un succès aussi prononcé qu’avec Crystal Castles. Puisse la séparation les rendre plus sympathiques.

Mogwai n’arrête jamais Il reste encore de jolies surprises issues des sessions du huitième album des increvables Mogwai. Les Ecossais ont annoncé, pour le 1er décembre la parution d’un maxi inédit, composé de trois remixes et de trois morceaux non retenus lors de la confection de Rave Tapes. Intitulé Music Industry 3. Fitness Industry 1., le six-titres offre déjà un premier extrait à écouter sur internet : un petit tube.

neuf

Patrick Carpentier

la fin pour Crystal Castles ?

Manu Dibango au musée Comme Leonard Cohen – et la comparaison s’arrêtera là –, Manu Dibango a 80 ans. Saxophoniste légendaire, ingénieur visionnaire des ponts entre jazz et musique africaine, l’inlassable Camerounais revient fêter son annive et sa soixantaine d’années de carrière avec trois concerts parisiens en petite formation, au musée du Quai Branly du 24 au 26 octobre. manudibango.fr

The Rolling Stones

© David Levine

Laura Doggett

Fable Produite par Archive, la jeune Anglaise incarne une pop théâtrale et sombre qui fait passer Lorde ou La Roux pour une chorale de carmélites. Dès son premier single, elle impose une rage, une opiniâtreté et une vision affolante/affolée du monde suffisamment rares pour qu’on espère une suite à cette hauteur.

On n’est pas loin de Bristol : à Bath. Une chanteuse susurre le blues en plein désert calciné, à peine soutenue par une électronique mélancolique. On pense fatalement à Portishead. Surtout que Sohn est derrière, tissant avec des lambeaux de beats et des mégots de mélodies une torch-song d’ampleur. On reparlera d’elle. facebook.com/lauradoggettmusic

Série de beaux livres sur les Stones chez l’éditeur Taschen. Si l’édition de base est déjà un XL à 100 €, on ignore Astiquez les scooters : encore le prix de deux séries de nouvelles soirées limitées : un collector à mille Mod – R3VIVAL : exemplaires signé par chaque A Night of RHYTHM membre du groupe, mais aussi & SOUL – se lancent une version à cinq exemplaires, à Paris, à la offrant des tirages originaux Maroquinerie, de légendes de la photo rock. invitant à chaque taschen.com fois deux groupes et des DJ. Ça commence fort le 18 octobre avec la venue des légendes anglaises de Secret Affair, histoire de fêter dignement les 50 ans du mouvement. lamaroquinerie.fr

we are the mods

vintage

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Jacob Graham et Jonathan Pierce, aka The Drums

amour et trahison Le temps a passé depuis Let’s Go Surfing en 2009. Mais The Drums sont toujours un groupe passionnant, tout comme l’est leur troisième album Encyclopedia.

 I

l y en a qui ne vont pas être contents. On les entend déjà grogner : “c’était mieux avant !” Parce que les Drums, pour leur troisième album, ont décidé de s’aventurer loin des évidences qui étaient devenues les leurs, de repenser un peu leur esthétique, de changer de tonalité, quittant la légèreté pour laquelle on les avait tant aimés pour un son plus sombre, plus épais, parfois même plus tapageur. Jonathan Pierce et Jacob Graham ont travaillé seuls sur Encyclopedia. Leurs acolytes Adam et Connor ayant quitté le train en marche, The Drums sont revenus à leur forme originelle, pensée par deux gamins rêvant de désertion. Quand on les a découverts, ce fut comme un miracle. Miracle que, de l’Amérique profonde et conservatrice, naisse le groupe le plus insouciant du début des années 2010, et que leur musique soit ainsi capable de répandre l’amour et la joie en quelques mois seulement. A l’époque, The Drums jouissent d’une hype incroyable. Aujourd’hui, plus tellement. Le temps a passé. Même le mot “hip” ne l’est plus. Pendant trois ans, on n’a plus trop eu de nouvelles de Jacob et Jonathan. Ce dernier raconte : “Pour Encyclopedia, on voulait un album qui soit une surprise comparé aux deux premiers, et qu’il

contienne tout ce qu’on a toujours eu envie de faire. Pour ça, il fallait prendre son temps. En ce moment, on passe d’un pays à l’autre pour rencontrer la presse. Parfois, on n’a même pas le temps de déjeuner, et tout le monde nous dit que nous sommes super. Et puis, dans le pays d’après, il n’y aura que deux ou trois journalistes qui daigneront s’intéresser à nous, en nous faisant bien sentir qu’ils s’ennuient ! Tout ça est très étrange.” Pour certains, The Drums aura perdu de sa superbe. Pour d’autres, c’est l’histoire d’un groupe déjà culte qui continue de s’écrire. Et même si la passion s’évanouit, restera toujours la tendresse de mélodies taillées pour l’éternité, de celles qu’on réécoute et qu’on fredonne des années après. L’ep Summertime!, qui contenait leur premier tube, Let’s Go Surfing, est déjà loin dans les mémoires réglées à l’heure d’internet. Mais tant pis car The Drums ont de nouvelles choses à dire : Encyclopedia est la somme des informations accumulées, puis

“nous avons parfois l’impression d’être trop bizarres pour la majorité des gens” Jacob

transformées en musique, et aujourd’hui lâchées à l’étude des esprits curieux. Dessus, il y a donc de drôles de choses. Mais c’est justement là que The Drums ont su rester le même groupe, dans cette façon d’agencer efficacité pop et bizarrerie discrète, élargissant ici, simplement, le registre trop limité de la musique de plage. Au fond, ce que The Drums ont perdu, c’est leur innocence. Car ni la tachycardie de Magic Mountain, ni le calme inquiétant de Bell Laboratories, ni la distorsion de I Hope Time Doesn’t Change Him, et surtout pas les romances perdues de Break My Heart ne feront croire que le soleil brille encore sur la discographie de The Drums, qui enfin semblent se dévoiler tels qu’ils ont toujours été au-delà des apparences. Jacob : “Nous avons parfois l’impression d’être trop bizarres pour la majorité des gens… On s’est toujours senti comme des parias. Et c’est encore le cas aujourd’hui. On continue de se demander où est notre place. Tout ce qu’on peut faire pour répondre à cette question, c’est continuer de faire des albums qui nous plaisent.” Maxime de Abreu album Encyclopedia (Minor Records/La Baleine) concert le 15 novembre à Bruxelles, le 17 à Paris (Trabendo) thedrums.com lire l’entretien intégral sur 15.10.2014 les inrockuptibles 75

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interview

FKA Twigs : “ma mère me fait mes tenues de scène”

Tu as commencé comme danseuse dans des clips (Jessie J, Ed Sheeran…), où as-tu appris à danser ? J’ai pris des leçons de danse dès l’âge de 8 ans. J’ai commencé avec la danse classique, puis la danse moderne, puis le hip-hop et enfin la danse contemporaine. Je n’ai jamais cessé de danser. Aujourd’hui encore, je m’entraîne le plus possible. Les chorégraphies de tes clips et de tes concerts sont époustouflantes, tu travailles avec un chorégraphe ? Non, je travaille juste avec des amis. Si je veux faire du voguing, je demande à un de mes amis qui sait en faire de m’aider, de me corriger. C’est très détendu. Je ne vois pas ça comme un truc super sérieux. On se retrouve autour d’un café, on va en studio pour une heure ou deux où on répète. Rien d’officiel.

Comment es-tu passée de la danse au chant ? Je crois que je chante depuis toute petite. Ça a toujours été une activité parallèle à la danse. Quand j’ai eu 14-15 ans, je me suis davantage concentrée sur le chant que sur la danse, je ne sais pas trop pourquoi. Mais j’ai toujours voulu être chanteuse. C’était comment ton adolescence en Angleterre ? Normal. Bien. Je ne sais pas… Je n’ai connu que ça. Ma mère avait l’habitude de me dire de ne jamais sous-estimer la chance que j’avais de grandir dans un pays comme l’Angleterre qui t’ouvre plein d’opportunités, et te donne la possibilité de devenir qui tu veux. J’ai lu que tu avais fait tes armes au sein d’une troupe de cabaret, c’était comment ? Les gens étaient incroyables,

ils venaient tous de pays différents. On formait une sorte de famille. Chacun avait son spectacle. On s’amusait beaucoup. Chacun devait mettre en scène et présenter son propre spectacle, donc décider de son personnage, de ses costumes. C’était hyper créatif. Tu as toujours des tenues incroyables sur scène comme dans tes clips, c’est une passion pour toi la mode ? Ça ne va pas plus loin que “j’aime m’habiller comme bon me semble, j’aime m’habiller de façon confortable”. Tu as un créateur préféré ? Oui. Ma mère. Elle me fait quasiment toutes mes tenues de scène. Dans le morceau Preface, tu cites le poète anglais du XVIe siècle, Thomas Wyatt. Pourquoi ? Il a dit : “I love another, thus I hate myself” (“J’aime quelqu’un d’autre,

David Burton

La jeune Tahliah Barnett, alias FKA Twigs, 26 ans, n’est pas du genre à aimer parler d’elle, ni de la confection de son premier album, LP1. Pugnaces, nous sommes quand même parvenus à lui arracher quelques anecdotes.

donc je me déteste”). C’est une phrase importante pour moi. Le clip de Papi Pacify est hyper sensuel, d’où t’es venue l’idée de cette vidéo ? De quelque chose que j’ai traversé, de la vie. La vie m’influence, ce que je vis je le mets en musique. Je ne puise pas mon inspiration ailleurs. Tout vient de moi. La création, ce n’est pas de la science.

playlist de nuit(s)

5 chansons pour monter en pression 1 h du mat

2h

3h

4h

5h

Degré zéro de Grand Blanc

If It Wasn’t True de Shamir

Attak de Rustie ft. Danny Brown

Gamine de Perez

Our Love de Caribou

A la croisée de Bashung et de Joy Division, les Messins de Grand Blanc, signés sur le label Entreprise (Moodoïd), embrassent la mélancolie péri-urbaine et le mal-être rock en une poignée de morceaux réunis sur un premier ep. De futurs grands.

Originaire des environs de Las Vegas, le jeune Shamir Bailey, 19 ans au compteur, a déjà compris comment faire danser les foules. La preuve avec le génial If It Wasn’t True, où l’on retrouve pêle-mêle le voguing, le groove, l’electro, Prince, Michael Jackson. Rien que ça.

La rencontre du talentueux producteur écossais Rustie et du rappeur américain radicalement zinzin Danny Brown ne pouvait que faire des étincelles. Chose promise, chose due : Attak est une tuerie.

L’ancien leader du groupe bordelais Adam Kesher a troqué l’anglais et les guitares contre des synthés à la Daho et de la poésie bashungienne. Titre phare de son nouvel ep, Gamine remet au goût du jour l’adjectif “sauvagine” et déploie une sensualité dance-floor ultracontagieuse.

C’est l’album dont tout le monde parle et pour cause : il est fantastique. Son single du même nom, Our Love, mélange habilement douceur vaporeuse et beats frénétiques. On vous défie d’y résister.

des playlists exclusives sur villaschweppes.com

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Mothxr

Pharrell Williams au Zénith de Paris

The xx accuse Hugo Boss de plagiat

retour de hype

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

la courbe de la nuit

AlunaGeorge

le food bike

Kele Okereke

Julian Casablancas + The Voidz en concert

A$AP Rocky vs Hood by Air

Le Monseigneur

Julian Casablancas + The Voidz en concert Le 8 décembre sur la scène du Casino de Paris. Le food bike Exit le food truck, place au food bike ! Pharrell Williams au Zénith de Paris C’est du 13 au 16 octobre. Kele Okereke L’ex-leader de Bloc Party sort un nouvel album solo, Trick. Mothxr Le groupe du mec de Gossip Girl. Le Monseigneur est LE nouveau club parisien incontournable, près de Pigalle. The xx accuse Hugo Boss de plagiat Dans sa

MaMA Festival

dernière pub, Master the Light, lancée il y a déjà six mois, la marque aurait copié le titre Intro du groupe anglais… A$AP Rocky vs Hood by Air Sur son nouveau morceau, Multiply, le rappeur dézingue la marque streetwear, qu’il célébrait pourtant sur Fashion Killa… AlunaGeorge Les petits chouchous ont dévoilé un nouveau morceau, Supernatural. MaMA Festival Une cinquième édition, du 15 au 17 octobre à Paris, qui allie rencontres thématiques et concerts.

noctambule 5 soirées à ne pas manquer

Pitchfork Music Festival du 30/10 au 1er/11 à la Grande Halle de La Villette (Paris)

Sébastien Tellier

“Odyssey 5069”, la nouvelle soirée des Ambassadeurs

le 20/10 au Casino de Paris

le 18/10, lieu secret

Black Lips + guests

Quatre mois après la sortie de son huitième album, L’Aventura, qui célébre le Brésil et la bossa-nova, Tellier démarre enfin sa petite tournée. L’occasion de chanter Ricky l’adolescent (sans yaourt, s’il-vous-plaît) ailleurs que dans votre salon.

Si le lieu est tenu secret jusqu’à la dernière minute, on sait que cette troisième grande soirée des Ambassadeurs projette de nous embarquer dans un autre monde où régneront scénographie folle et costumes délirants. Ne pas oublier de faire un tour au Bar Villa Schweppes entre deux danses effrénées. Bémol : il faut être coopté par un “Ambassadeur” pour participer à la soirée.

le 23/10 à la Cigale (Paris)

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Pour son anniversaire, la bande de Noisey, le magazine musical de Vice, a convié les Black Lips à retourner la Cigale. Le New-Yorkais Bosco Delrey et les Français Frustration aussi seront de la partie. Pour les plus téméraires, un after aura lieu au club Monseigneur…

A$AP Mob  le 29/10 au Zénith de Paris Si vous vous pointez au concert d’A$AP Mob, collectif de rappeurs de Harlem dont la figure de proue est A$AP Rocky (quoique talonné par A$AP Ferg), préparez-vous à transpirer un bon coup !

Au programme de la grand-messe des hipsters européens : les mythiques Belle & Sebastian, la juvénile MØ, Caribou armé de son génial nouvel album, les punks Perfect Pussy, la star St. Vincent et les tout aussi stars Mogwai.

plus de soirées sur villaschweppes.com

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Philip Selway Weatherhouse

Tahiti 80 Ballroom Human Sounds/A+LSO/Sony Produit par Richard Swift, le sixième album de Tahiti 80 confirme le génie mélodique des Normands. n peu avant l’été, Tahiti 80 la science sonore du brillant Richard Swift se rappelait à notre souvenir (collaborateur ou producteur des Shins, amoureux en publiant la merveille des Black Keys ou de Foxygen) un terrain Crush!, chanson pop parfaite synthétique capable de révéler la grandeur qui a depuis, chaque jour, en boucle infinie, de ses ambitions. Ronde mais pointilleuse, imposé son air chaud, sa basse montée la mise en son de l’Américain frotte sur pneumatiques et son énergie la saudade électronique aux organes de petit soleil domestique. Premier extrait palpitants et dévoile à la perfection de Ballroom, Crush! était alors accompagné la dualité géniale du groupe, entre crochets d’une magnifique reprise (de volée) mélodiques instantanés et sens maniaque du Garra de Marcos Valle. La face B du détail expérimentateur. n’est pas présente sur l’album La promenade T.D.K., transformée des Français mais elle annonçait pourtant en randonnée stellaire par des envolées déjà le “joga bonito” qui s’y déroule. magiques, l’autre petit tube sur ressorts Car si le nom du groupe est pacifique, Coldest Summer, presque un morceau si son principal marché est japonais, de Hot Chip, les refrains en fleurs si son génome est anglo-saxon (le groupe enivrantes de Missing ou Seven Seas, cite autant les Beach Boys que McCartney les deux visages, menaçant et champêtre, et, cette fois, les mélanges savants de l’impressionnante The God of the Horizon, de Primal Scream sur Screamadelica), la beauté renversante de Love by Numbers, son œuvre pourrait, au total, être considérée l’amplitude formidable de Back 4 More ou comme une forme pop du “beau jeu” à le finale élastique Solid Gold : sixième album la brésilienne. Ballroom confirme : il est du groupe, Ballroom est aussi une sixième une série sans faille de chansons chaloupées étoile sur leur maillot de champions et réjouissantes, de mélodies débottées du monde pop. Thomas Burgel avec l’agilité cool d’un Garrincha, un carnaval de contre-pieds et de petits ponts, concerts le 14 novembre à Bordeaux, de galopades imprévues et de gestes fous. le 21 à Paris (Maroquinerie), le 2 décembre Autogéré sur ses trois précédents albums, à Reims, le 5 à Rouen, le 6 à Lys-lez-Lannoy tahiti80.com Tahiti 80 est cette fois allé chercher dans

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philipselway.com

Andrew Ogilvy

Fred Margueron

Bella Union/Pias Cooperative

Toujours gracieuses, les ballades mélancoliques d’un Radiohead en solitaire. A ceux qui auraient oublié d’où il vient, un seul morceau suffira à rappeler les origines de Philip Selway : Ghosts. Ce titre, le cinquième de son deuxième album, semble répondre à l’inoubliable Exit Music (for a Film) de Radiohead. On y retrouve (presque) la même ligne mélodique, les mêmes arrangements vaporeux. Car avant de composer en solo des ballades pop, Philip Selway officiait derrière la batterie du célèbre quintet d’Oxford. Succédant à l’album Familial et à l’ep Running Blind, ce Weatherhouse continue de l’imposer comme un songwriter délicat, héritier de Mark Hollis ou cousin d’Elbow pour cette façon de jouer le spleen sans chichis (Waiting for a Sign, Let It Go). Le prochain qui fait une blague sur les batteurs prend la porte. Johanna Seban

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Macy Gray The Way Kobalt/Pias L’Américaine continue de malaxer brillament soul, pop et hip-hop. Et nous laisse le cœur et les jambes en vrac. uand elle était petite, Macy Gray préférait se taire. Moquée par ses petits camarades dès qu’elle ouvrait la bouche, elle gardait sa voix à l’intérieur, dans le refuge de ce grand corps étrange. Quand elle sort son premier album en 1999, On How Life Is, énorme carton avec le tube I Try, elle fait l’effet d’être une bonne copine d’Edward aux mains d’argent et de Shrek, beautiful freak ou ange déchu, dont la voix est à la fois une anormalité et un sésame pour la gloire. Depuis (et 25 millions d’albums vendus plus tard), rien n’a changé : Macy Gray oscille (et parfois titube) selon les albums entre soul, hip-hop et pop (souvent tout mélangé) avec la constance de cette voix de souris asthmatique accouchée par une montagne éboulée. Même dans ses moins bons albums, Macy Gray reste une voix unique, une vraie chanteuse, et une bonne alternative au mainstream autotuné. Dans le communiqué de presse qui accompagne The Way, son huitième album, elle explique (et c’est vraiment très intéressant) : “Je voulais faire un disque

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qui reflète ce que je suis devenue en tant que femme, mère et artiste.” Et aussi, les kilomètres de oinjs qu’elle a consumés. Le premier morceau s’appelle Stoned et il porte bien son nom. Après, Bang Bang évoque un de ces vieux chants de pénitencier sudiste où les prisonniers purgent leur peine et la transcendent en cassant des cailloux en rythme. Plus loin, elle chante I Miss the Sex, Queen of the Big Hurt ou, dans The Way, raconte sa v(o)ie (“J’ai arrêté la drogue, depuis que j’ai décroché je n’ai plus grand-chose à dire… J’ai découvert qu’aimer un homme est surestimé”). Dans cet éternel personnage de femme fataliste à la voix et à la vie éraflées,

chaos narcissique ambulant, qu’incarne Macy Gray depuis ses débuts, The Way est un très bon cru, son grand 8. Ni avant-gardiste ni rétro, l’emballage musical évoque une version contemporaine de la soul au sens large (façon Donny Hathaway), avec beaucoup d’instruments acoustiques, des refrains pop et quelques mignardises hip-hop. De la musique pour danser le nombril à l’air, quand on a le cœur en vrac et les jambes en coton. Rien de nouveau donc, mais le sortilège de Macy Gray opère toujours. Stéphane Deschamps macygray.com

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ep Radio Elvis Juste avant la ruée en téléchargement

Le rock têtu et lettré d’un jeune premier remarqué sur les inRocKs lab. A des milliers d’encablures de Memphis, Pierre Guénard a commencé sa carrière comme slameur dans son Poitou natal, mettant au premier plan une plume inspirée par des récits de voyages et de conquistadors. Sans carte ni boussole, il a trouvé sa voix : ce marin à la peau douce l’a rauque et salée. Loin de reléguer les arrangements au décor, les cordes sensibles de sa guitare résonnent en cadence avec nos cœurs mous, jusqu’à en faire sauter les gonds. Mêlant rock lettré et chanson française, son trio Radio Elvis fait beaucoup plus que s’inspirer de ses aînés (Dominique A, Noir Désir…) et renouvelle les genres avec élégance et modernité. Après une sortie incognito l’an passé, le premier ep remasterisé et revisité du lauréat inRocKs lab s’impose comme la bonne surprise de cet automne.

Erlend Øye Legao Bubbles/Differ-ant Un peu de reggae et beaucoup d’amour sur le nouvel album d’un ancien roi. es grosses lunettes, des cheveux foufous et un large CV. Voilà comment on pourrait dresser le portrait d’Erlend Øye, Norvégien omniprésent depuis bientôt quinze ans. Celui qui fut la moitié du duo folk Kings Of Convenience et la tête pensante du projet electro The Whitest Boy Alive prolonge cet automne une carrière solo débutée en 2003 avec Unrest. Cette fois-ci, le disque se nomme Legao et Erlend, qui réside désormais à Syracuse, en Sicile, a pris l’avion pour l’enregistrer : c’est à Reykjavík, en Islande, qu’il a travaillé en compagnie du groupe local de reggae Hjálmar. Un tantinet kitsch à la première rencontre, le recueil révèle ses charmes avec les écoutes, et l’on réalise bientôt que le grand bouclé est passé maître dans l’art de délivrer de la comfort-folk. Il y a ainsi dans ces modestes ballades du sucre et de la lumière, de l’amour et de l’humour (Whistler, Bad Guy Now). Plutôt anecdotiques, les chansons sont ici portées par le timbre de voix d’Øye, à la fois fragile et charmeur (Fence Me in, Peng Pong). Sa musique ne changera pas le monde mais elle le rend plus doux ; le Norvégien devrait exister en peluche. Johanna Seban

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Abigaïl Aïnouz radioelvis.fr

Nicol Despis

concert le 16 octobre à Paris (Badaboum) facebook.com/bubblesrecords

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Mélanie Elbaz

FM Laeti For the Music Un Plan Simple/Sony Faite pour danser, de la pop avec de la soul dedans : de la poul. our la musique”, annonce revenu avec des chansons taillées le titre du deuxième pour séduire les masses et faire album de FM Laeti. danser les gens. A l’ancienne, ces Pour la musique, certes, hymnes à l’emballage rétro placent mais surtout pour la danse. aujourd’hui la chanteuse Sur ce nouveau disque, FM Laeti, Laetitia entre une Amy Winehouse soit la réunion de la musicienne (The Night Has Begun to Call) guadeloupéenne Laetitia et une VV Brown (We Go Slow). Bourgeois, du musicien FrançoisContenant notamment une reprise Marie Dru, alias FM, et de son frère sympathique de Phoenix (Run Pierre-Marie, délaisse la couleur Run Run), ce For the Music étale folk acoustique et opte pour par moments une production une pop mate et chaude, que très lisse (For the Music, Ping Pong) nourrissent de vraies influences qui en rebutera peut-être certains. soul (le premier morceau Wanna On préfère y voir un disque Dance parle couramment la langue sans second degré, qui assume de Diana Ross) avec la rigueur une couleur résolument FM (Laeti). métronomique d’un Donald Fagen. Ce n’est pas un crime. J. S. Pour composer cette nouvelle collection de chansons, le trio concerts le 24 novembre à Paris s’est coupé du monde, choisissant (Nouveau Casino), le 28 à une maison en Provence comme Sotteville-lès-Rouen, le 3 avril à refuge. De cette retraite loin Fontenay-sous-Bois, le 5 à Issoire facebook.com/fmlaeti de la foule, FM Laeti est pourtant

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Aby Ngana Diop Liital Awesome Tapes from Africa/Differ-ant Un label américain exhume un trésor caché et groovy du Sénégal. En 2014, on fête donc les (option mbalax), des boucles porte pas le nom, 20 ans des disques sortis en de synthés, des samples elle a toutes les qualités 1994 – immense millésime. stridents, une musique du meilleur rap de l’âge d’or. Il faut ajouter à la liste compacte, saturée, Aby Ngana Diop est morte l’album Liital de la griotte hypnotique et groovy, sur d’une crise cardiaque sénégalaise Aby Ngana laquelle la teigneuse Aby trois ans après la sortie Diop, sorti à l’époque en Ngana Diop et ses choristes de Liital : peut-être cassette au pays, et réédité balancent des harangues d’avoir chanté trop vite, par l’indispensable label comme des coups de pied trop fort. Stéphane Deschamps américain Awesome Tapes au cul – ça fait mal, mais from Africa. Une mitraille ça fait avancer. Si cette de rythmes traditionnels musique tradifuturiste n’en awesometapes.com 15.10.2014 les inrockuptibles 81

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Laurent Chouard.

la découverte du lab

Elève spirituelle de Joan Baez, cette jeune Parisienne chante l’amour avec grâce et pugnacité. imantée à son dictaphone depuis son plus jeune âge, Alma Forrer enregistre et consigne sur bandes ses sentiments, impressions d’injustices et détails du quotidien comme on amasse de vieux magazines. Dans sa bibliothèque, ce sont les murs de la chanson françaises qui s’embrasent (Barbara, Marie Laforêt, Michel Polnareff) sous le soleil écrasant de songwriters américains (Guy Clark, Townes Van Zandt) et de son modèle : Joan Baez (“Ma première et plus grande influence”). Remarquée lors des incontournables open mics du Pop In, la chanteuse se distingue également sur le dernier ep de son fidèle ami Baptiste W. Hamon, figure de proue de la scène country folk française, avec qui elle partage des compositions et un goût pour la scène texane. Sorti discrètement en septembre, son premier ep a été enregistré dans un home-studio parisien. Rêveuse et curieuse, elle puise ses chansons dans ses expériences personnelles : “Il y a ce thème premier qu’est la relation amoureuse, qui se décline en diverses thématiques : le corps, l’abandon (Les Jeux des autres), la trahison, la fuite (29 avril), la solitude (Où tu me mènes) et puis, l’histoire de celui-là, que j’ai longtemps regardé, et à qui, enfin, je parviens à dire je t’aime (Bobby).” Mais ne cherchez pas ce disque sur les plates-formes d’écoute en ligne, il existe uniquement en version physique. Pour le commander, il suffit d’envoyer un mail à la belle ([email protected]). En concert à Paris le 22 octobre (Les Nautes) et le 14 novembre (Trois Baudets).

Kathryna Hancock Photography

Alma Forrer

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Abigaïl Aïnouz

retrouvez toutes les découvertes sur lesinrockslab.com

She Keeps Bees Eight Houses BB Island/Differ-ant Le duo de New York sort un quatrième album qui excelle dans l’art de faire monter la sève. n craint souvent pour l’avenir la montée de sève sur cet album, de ces duos qui, passés les produit pour la première fois émois des premiers morceaux, en externe par Nicolas Vernhes ont du mal à se réinventer (Deerhunter, The War On Drugs), avec une batterie et une guitare. et qui invite notamment l’amie D’autant plus si le duo en question musicienne Sharon Van Etten. est un couple, à la vie comme Le chant est désinvolte, la guitare à la scène. Au contraire de se a pris de la voilure pour un rock laisser mourir à petit feu, lascif parcimonieusement semé She Keeps Bees nourrit sa belle de cuivres (sublime Owl) flamme de multiples éclats de bois. et de piano. Amandine Jean Jessica Larrabee est, à l’instar de ses consœurs Patti Smith ou concerts le 9 décembre à Tourcoing, Cat Power, une femme taillée à la le 10 à Paris (Trabendo), le 13 au Havre hache dans une essence précieuse, (dans le cadre du Winter Camp Festival) sans concession ni artifice. et le 11 à Paris (Silencio) Avec Andy LaPlant, batteur et alter shekeepsbees.com ego, elle maîtrise parfaitement



Ryan Adams Ryan Adams PAX-AM/Sony En revisitant ses classiques, le Petit Poucet du rock US radote et se perd en chemin. Il y a, en fait, deux Ryan Adams : d’un côté, l’éternel jeune homme de bientôt 40 ans fondu de Van Morrison, de Stephen Stills ou de Neil Young ; de l’autre, le type obsédé par la célébrité – laquelle lui aura valu de fréquenter Lindsay Lohan, d’épouser une autre starlette de sous-zone et de rester sur le bas-côté du système, faute d’une gloire pourtant amorcée avec

l’époustouflant et bien nommé Gold (2001). Adams cède ici encore à l’appel des sirènes : y participent son épouse Mandy Moore ou l’acteur-rockeur Johnny Depp. L’anecdote serait sans importance si elle n’était pas, dans le même temps, synonyme d’une fascination que cultive un homme tiraillé entre deux extrêmes : pôle Nord, l’intégrité artistique ; pôle Sud, le succès stadium. Adams, ici, se cantonne au pire à un rock paresseux, très Planet Hollywood, au mieux à une poignée de titres falots qui convoquent

les fonds de tiroirs des Stones ou un Springsteen rance. C’est au détriment d’une carrière en lacets qui compte nonobstant son lot de perles rares – cf. le précédent Ashes & Fires, gravé dans une écorce brute. Ryan Adams, lui, pue le contreplaqué à plein pif. Claire Stevens paxamrecords.com

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dès cette semaine nouvelles locations en location retrouvez plus de dates de concerts dans l’agenda web sur inRocKsLive.com

The Drums 17/11 Paris, Trabendo Bryan Ferry 21/11 Paris, Palais des Sports

BRNS 24/10 SaintEtienne, 25/10 Dijon, 28/10 Toulouse, 29/10 Montpellier, 30/10 Bordeaux, 31/10 Angers, 4/11 Lille, 7/11 Rennes Cat Power 30/10 Paris, Gaîté Lyrique Christine And The Queens 15/10 ClermontFerrand, 22/10 Bordeaux, 23/10 Toulouse, 24/10 Nîmes, 29/10 Rouen 13/11 Blois 12/12 Caen Cold Specks 23/10 Paris, Flèche d’Or Etienne Daho 15/10 Caen, du 3 au 6/11 Paris, Olympia Détroit 24/10 Limoges 25/10 Rouen, 5/11 Toulouse, 7/11 Montpellier 8/11 Pau The Dø 23/10 Caen, 7/11 Nîmes, 8/11 Nice, 9/11 Toulouse, 12/11 Bordeaux, 13/11 Nantes, 18/11 Paris, Cigale

Festival les inRocKs Philips du 11 au 18 novembre à Paris, Londres, Tourcoing, Nantes, Toulouse, Lille, Strasbourg, Lyon et Toulouse, avec Damon Albarn, The Jesus And Mary Chain, Lykke Li, Frànçois & The Atlas Mountains, Palma Violets, The Acid, Parquet Courts, Isaac Delusion, Brodinski, Cassius, Claptone, Chet Faker… Gesaffelstein 28/11 Paris, Zénith

Gruff Rhys 15/10 Paris, Point Ephémère Festival I Love Techno France le 13/11 à Montpellier, avec Vitalic, Gesaffelstein, Jeff Mills, Tale Of Us, Paul Kalkbrenner… Isaac Delusion 25/10 Lille, 12/11 Reims, 27/11 Toulouse, 28/11 Bordeaux Jamie T 27/11 Paris, Flèche d’Or Julian Casablancas + The Voidz 8/12 Paris, Casino de Paris Kasabian 7/11 Paris, Zénith Kele 25/10 Paris, Gaîté Lyrique Kishi Bashi 23/10 Paris, Point Ephémère

Klaxons 10/11 Paris, Gaîté Lyrique Little Dragon 8/11 Paris, Cigale Miossec 15/10 Lille, 24/10 Saint-Malo, 4/11 Angers, 5/11 Nantes Moodoïd 12/11 Paris, Casino de Paris Morrissey 27/10 Paris, Grand Rex Natas Loves You 15/10 Amiens, 16/10 Paris, Divan du Monde, 17/11 Dunkerque, 18/10 Roubaix, 19/11 Toulouse, 21/11 Lyon, 27/11 Paris, Maroquinerie Festival Nördik Impakt du 21 au 25/10 à Caen, avec Fakear, The Dø, Chinese Man, Fuzati...

sélection Inrocks/Fnac Ty Segall à Paris Ty Segall joue une musique libre et fougueuse, typiquement californienne. Le musicien intègre aussi les codes du grunge, qu’il s’agisse de sa tignasse à la Kurt Cobain ou des riffs incisifs qu’il jouera à la Cigale mardi soir. Pitchfork Music Festival Paris du 30/10 au 1/11 avec The Notwist, Jamie xx, How To Dress Well…

Yann Tiersen 16/10 Lyon, 22/10 Bordeaux, 24/10 Brest, 25/10 Rennes, 27/10 Paris, Olympia

Emilie Simon 3/11 Paris, Folies Bergère 7/11 Lyon, 12/11 Dijon, 13/11 Besançon

Tristesse Contemporaine 16/10 Paris, Cigale

St. Lô 19/11 Paris, Flèche d’Or Sébastien Tellier 15/10 Toulouse, 16/10 Bordeaux, 17/10 Poitiers, 18/10 Lyon, 20/10 Paris, Casino de Paris

Ty Segall 21/10 Paris, Cigale, 22/10 Toulouse, 28/10 ClermontFerrand Warpaint 24/11 Paris, Trianon, 28/11 Lille Pharrell Williams 16/10 Paris, Zénith

aftershow

Salut C’est Cool

sélection Inrocks/Fnac Sébastien Tellier à Lyon L’un des personnages les plus farfelus de la scène française poursuit son odyssée onirique samedi soir au Transbordeur. Le programme sera tropical : Tellier a décidé de s’inventer une enfance au Brésil sur son dernier album, expérimentant les rythmes bossa-nova.

festival Elektricity le 2 octobre à Reims La douzième édition du festival Elektricity se tenait du 28 septembre au 4 octobre à Reims. Autrefois présentée comme la “nouvelle capitale de l’electro”, la ville a su porter un festival devenu institution, avec chaque fois de belles surprises et toujours plus d’ambition. En haut de l’affiche cette année : Christine & The Queens, Brodinski, London Grammar… Nous, on y est passé un soir, le jeudi 2, pour une soirée tarée à la Cartonnerie, la jolie salle de musiques actuelles rémoise. On y a vu Andrew Weatherall en b2b avec Daniel Avery, le duo génial Acid Arab, le jeune Fakear et le side project de Joe Goddard de Hot Chip, The 2 Bears. Mais bizarrement, ce sont les quatre chenapans de Salut C’est Cool qui ont surtout retenu notre attention. Comme d’habitude, ils font les zinzins sur scène, sautent et dansent de façon inimitable, improvisent des “scénographies” avec ce qu’ils trouvent autour. Un show de techno dada plus proche du happening que du concert, où la musique est le topic d’un déchaînement, d’une libération. Car le public répond en pogotant joyeusement. Il a trouvé en Salut C’est Cool un nouveau visage pour l’electro, sur lequel trône un large sourire. Maxime de Abreu 15.10.2014 les inrockuptibles 83

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épisode 3 Pour les 60 ans de la Fnac, survol de six décennies d’agitation musicale

1974-1983

The Cure trouve un remède à son cafard Comment le plus névrosé des groupes anglais s’est converti à la légèreté pop.



e single s’intitule Let’s Go to Bed mais il indique plutôt un réveil en fanfare. En 1982, au sortir d’une trilogie d’albums ayant décliné toutes les teintes de la mélancolie, du gris brouillard ou tombal (Seventeen Seconds, Faith) à l’écarlate des feux intérieurs (Pornography), The Cure s’est brusquement transformé en une aimable et inoffensive machine à danser. Comme si le départ du bassiste Simon Gallup avait chassé au passage les toiles d’araignées et les tentures sonores qui leur servaient de paravent, libérant une apparente joie de vivre que l’on était

concert mythique

l’album

bien en peine de déceler jusqu’ici. Avec ce single surprise, Robert Smith et Laurence Tolhurst – qui quitta alors la batterie pour les synthés – ouvraient la voie à d’autres échappées sur le terrain fécond de la “pop stupide”, comme Smith la qualifia cyniquement a posteriori. En 1983, The Walk et surtout The Love Cats prolongèrent cette euphorie de façade, qui amena un nouveau public au groupe mais désespéra ses fans des débuts. C’est aussi grâce à cette métamorphose que The Cure deviendra l’un des groupes de stades les moins indignes des années 80.

Talking Heads/Taxi Girl novembre 1979 au Palace, Paris

La foule des “branchés”, comme on les qualifiait à l’époque, était venue pour les esthètes new-yorkais, qui présentaient leur nouvel album Fear of Music. Mais la peur, c’est le groupe de première partie qui la fit naître, lorsque le chanteur de Taxi Girl, Daniel Darc, s’ouvrit les veines sur scène pour provoquer ce public jugé trop snob et apathique. Le groupe parisien, qui n’avait alors publié qu’un maxi, Mannequin, serait désormais précédé d’une réputation sulfureuse sur scène, qui tranchait avec l’apparente politesse de sa musique. Un malentendu qui s’amplifiera en 1980, lorsque leur second single, Cherchez le garçon, retentira sur les ondes comme l’idéal incipit des eighties synthétiques.

Le premier album de Television, groupe new-yorkais foudroyant, emballé dans une pochette signée Robert Mapplethorpe. La quintessence du son punk versant américain, donc littéraire, vibrant et sophistiqué. Avec la voix et les mots d’un Verlaine (Tom) contemporain.

un personnage

Kate Bush

Cette Anglaise précieuse sort à peine de l’adolescence lorsqu’elle publie en 1978 son premier single, Wuthering Heights. Repérée par David Gilmour (Pink Floyd), elle est comme une sœur Brontë tardivement découverte, hors de son époque et pourtant totalement en phase avec les bouleversements musicaux qui interviennent après la déferlante punk. Considérée, avec ses albums des années 80, comme l’une des plus grandes créatrices sonores de l’histoire de la pop music, elle entretiendra son mythe en ermite, retirée dans le Devon, dont elle ne sortira qu’en 2014 pour une série de concerts, ses premiers depuis 1979 !

200 titres/12 CD. 2 CD par décennie : best-of et trésors cachés, livret de 80 pages, interviews et stories

Retrouvez 60 ans de musique dans le coffret anniversaire Fnac 84 les inrockuptibles 15.10.2014

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le champ de l’amour Dans un essai iconoclaste, Ruwen Ogien déconstruit tous les stéréotypes accumulés depuis Platon sur l’amour. Un livre jouissif qui invite à élargir les territoires potentiels de l’amour plutôt qu’à le réduire à des chansons usées.

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’amour a la cote, surtout auprès des philosophes, qui ne cessent aujourd’hui encore de le glorifier, d’Alain Badiou à Luc Ferry, d’André ComteSponville à Alain Finkielkraut… Il existe une prolifération d’éloges philosophiques de l’amour. Quoi de plus normal ? Qui oserait nier cette idée ancrée en nous comme une évidence absolue qu’il n’y a rien de plus beau, vital, déchirant et intense que l’amour dans une existence ? Personne. Eh bien si, un philosophe, justement, Ruwen Ogien, très sceptique face au champ de l’amour, mais excité par les chants d’amour. Son nouvel essai, Philosopher ou faire l’amour, s’évertue à démontrer, comme le chante Brigitte Fontaine, que “l’amour, c’est du pipeau, c’est bon pour les gogos”. On retrouve tout au long de sa réflexion des extraits de chansons populaires, de Céline Dion à Sexion d’Assaut, de Françoise Hardy à Stromae, dont les phrases parfois sans queue ni tête invitent à réfléchir autrement sur l’amour. Qu’elles soient gaies ou tristes, toutes révèlent, par leur sincérité parfois puérile, la réalité d’un imaginaire amoureux que Ruwen Ogien interroge à la lumière de son “mauvais” esprit. De manière en apparence légère et joyeuse, mais au fond très conceptuelle. Pas à pas, l’auteur déconstruit subtilement les présupposés de l’amour romantique, en s’intéressant “avant tout aux problèmes logiques et moraux

que posent les idées de base de l’amour”, pour briser l’illusion de l’idée dominante consistant à faire de l’amour “une sorte d’exception par rapport aux autres questions existentielles sans proposer de justification solide à ce traitement sélectif”. Fidèle à son mode de réflexion, attaché à dénoncer le paternalisme moral ambiant et toutes les polices morales en action, Ogien s’en tient à des principes logiques. Son “éthique minimale” lui sert de cadre pour évaluer la validité des “six idées de base de l’amour” : l’amour est plus important que tout, l’être aimé est irremplaçable, on peut aimer sans raison, l’amour est au-delà du bien et du mal, on ne peut pas aimer sur commande, l’amour qui ne dure pas n’est pas un amour véritable. Discutant chacun des points, l’auteur analyse combien l’idéal amoureux romantique est en fait défectueux “non parce qu’il est irréalisable mais parce que ses idées de base sont moralistes et conceptuellement infondées”. On peut tout à fait aimer quelqu’un sans l’admirer, en méprisant profondément son caractère. On peut aussi aimer quelqu’un sans supporter sa présence. De même, l’amour qui ne dure pas peut être un amour véritable… Ogien s’écarte du Banquet de Platon, texte fondateur sur l’amour absolu, conférant au philosophe le rôle crucial de contribuer à une ascension vers un amour céleste ; comme si l’amour physique ne pouvait à lui seul définir un amour véritable. Si vous philosophez, suggère

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Platon, vous comprendrez l’intérêt de l’amour moral. D’où le dilemme, posé par Ogien de manière ludique, en clin d’œil au film des frères Larrieu, Peindre ou faire l’amour : philosopher ou faire l’amour ? Or, contre Platon et tous ses héritiers, Ogien pense qu’il n’existe “aucune bonne raison philosophique de dévaloriser l’amour physique et de survaloriser l’amour romantique”. Combattre le moralisme, c’est s’élever contre “la volonté de privilégier une certaine conception du bien et de la perfection humaine”, tournée vers des accomplissements spirituels au détriment de tous les autres, notamment corporels. Sans cynisme aucun, en triturant ses arguments logiques et en déconstruisant les grosses couches moralistes qui recouvrent les discours égarés sur l’amour, Ruwen Ogien ne propose pas pour autant d’idée définitive sur l’amour.

contre Platon et tous ses héritiers, Ogien pense qu’il n’existe “aucune bonne raison philosophique de dévaloriser l’amour physique et de survaloriser l’amour romantique”

Les Chansons d’amour de Christophe Honoré (2007) © Bac Films

Ruwen Ogien se penche sur les “chansons d’amour” écrites par Alex Beaupain pour le film de Christophe Honoré

L’amour nous échappe toujours un peu, à la fois humainement et conceptuellement. Définir l’amour n’a d’ailleurs jamais été son projet, comme il reste impossible de définir absolument le bien, le mal, la vérité, la beauté… Il préfère laisser au lecteur la liberté de chercher une définition originale, tout en estimant que “ce serait une mauvaise idée d’essayer”. Ce qui importe, c’est de saisir qu’une “conception non essentialiste” de l’amour n’impose rien de fixe, d’éternel, d’universel, afin de laisser à toutes les innovations pratiques la possibilité de se déployer. Les éloges actuels de l’amour, qui se présentent comme une forme de dépassement de soi vers l’autre, partagent ce défaut majeur, selon l’auteur : ils masquent le fait que “l’éloge de l’amour est devenu un genre qui exprime la pensée conservatrice qui sévit désormais à droite comme à gauche” et sert à “justifier le refus de toute innovation normative en matière de mariage, de sexualité ou de procréation”. La plus juste façon d’aimer l’idée de l’amour, c’est de la laisser se déplacer, pour ne pas la réduire à une certaine conception de la perfection humaine, forcément partielle et imparfaite. Ce déplacement souhaité permettrait de substituer un “et” à un “ou”, pour affirmer avec l’auteur : philosopher et faire l’amour. Jean-Marie Durand Philosopher ou faire l’amour (Grasset), 272 pages, 18 € 15.10.2014 les inrockuptibles 87

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Jean-Christian Bourcart

toutes les facettes de l’auteur sont abordées : sa prétendue misogynie, son rapport ambivalent à la judéité, à l’Amérique, mais aussi à l’écriture

le mystère Roth La critique Josyane Savigneau retrace ses vingt années d’échanges avec Philip Roth. Une façon originale de restituer la voix du grand écrivain américain, qui a renoncé à l’écriture en 2012.

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ntre eux, tout avait pourtant très mal commencé. Josyane Savigneau, alors à la tête du Monde des livres, rencontre Philip Roth pour la première fois en 1992. Pendant l’entretien, il passe son temps à regarder sa montre, évacue certaines questions d’un cassant “Too academic, another question !”, joue avec un trombone qu’il finit par jeter à la journaliste. Hautement désagréable, cette entrevue aurait pu dégoûter à tout jamais Josyane Savigneau de Philip Roth. Elle marquera au contraire le début de leur relation et de vingt ans d’échanges. Avec ce livre d’un genre plutôt rare en France, à la fois “une expérience de lecture, la traversée d’une œuvre, et, en toute conscience, un exercice d’admiration

en forme de voyage dans l’univers de Roth”, la critique restitue la voix de l’un des plus grands romanciers américains contemporains et surtout, elle lutte contre “ce sentiment pénible” – et partagé – que Roth est devenu “posthume de son vivant”, depuis qu’il a annoncé, en 2012 (aux Inrockuptibles), qu’il cessait d’écrire. On est loin ici de l’hagiographie. Au contraire, se dessine le portrait d’un Philip Roth avec ses zones d’ombre, qui se dévoile autant qu’il se dérobe. L’écrivain n’a cessé d’entretenir la confusion entre le vrai et le faux, brouillant les pistes sur l’aspect autobiographique de son œuvre, la nature de ses liens avec ses avatars, à commencer par Nathan Zuckerman, le plus célèbre de ses personnages, affirmant par ce perpétuel

jeu de masques la toute-puissance de la fiction. Ce pouvoir romanesque absolu explose dans La Contrevie, “roman fou” dans lequel tout se dédouble dans un jeu de miroirs, et surtout dans Opération Shylock, confrontation démente entre un “vrai” et un faux Roth. Dissimulé derrière tant de doubles, comment savoir qui est Philip Roth ? Josyane Savigneau ne prétend pas répondre à cette question, même si elle permet à son lecteur d’approcher au plus près de l’écrivain en le faisant pénétrer, par exemple, dans le studio de travail de sa maison du Connecticut – et, par ce biais, dans son œuvre. D’un chapitre à l’autre, on ne sait jamais sur quel Philip Roth on va tomber. L’auteur subversif de Portnoy et son complexe, roman qui lui a valu d’être traité de “juif antisémite” ? L’écrivain célébré pour Pastorale américaine ? L’éditeur d’écrivains d’Europe de l’Est (Milan Kundera, Bruno Schulz) ? Le dépressif ? Le séducteur ? “Le véritable Roth demeure insaisissable, c’est celui qui a su se démultiplier sans cesse, en une sorte de kaléidoscope, faisant apparaître des figures différentes. Chercher la seule ‘vraie’ n’aurait aucun sens.” Toutes ses facettes sont abordées : sa prétendue misogynie, son rapport ambivalent à la judéité, à l’Amérique, mais aussi à l’écriture, activité qu’il a souvent comparée à une incarcération mais dont il ne pouvait se passer. Jusqu’à ce qu’il arrête. On sent que Josyane Savigneau ne peut se résoudre à cette retraite. Elle laisse même planer un certain suspense à la fin du livre, faisant espérer que ce retrait n’est peut-être qu’une énième façon de brouiller les cartes. On aimerait tant y croire aussi. Elisabeth Philippe Avec Philip Roth (Gallimard), 224 pages, 18,50 €

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Les tribulations d’un ours égaré dans le milieu de l’édition à Manhattan. William Kotzwinkle signe une satire désopilante. uel est le pire cauchemar en dérision. Avec un humour potache d’un écrivain ? Perdre son manuscrit proche du Woody Allen des débuts dans un incendie. Mais il y a plus égaré dans une fable de La Fontaine, traumatisant encore : se faire voler l’auteur stigmatise son héros, pris entre son manuscrit par un ours. Auteur maudit, ses rêves de gloire et d’âpres tourments Arthur Bramhall mène une vie de reclus romantiques. Jusqu’au point de non-retour : à la campagne, dans l’Etat du Maine, son amour croissant pour la chasse quand survient cette double malédiction. et son goût des châtaignes l’amènent Sa déconfiture est totale, d’autant qu’il à fusionner avec le monde animal. vient de plagier un best-seller. Effondré, Pendant ce temps, l’ours chapardeur il se laisse initier aux joies de la ferme par connaît une ascension fulgurante dans un agriculteur nommé Pinette, en quête le gratin littéraire new-yorkais. Pris sous d’une nouvelle idée géniale de roman. l’aile d’un agent enthousiaste bien que Auteur phare pour la jeunesse aux souffrant de TOC, l’animal, qu’on prend pour Etats-Unis, peu connu en France (mis à un sosie d’Hemingway, publie son manuscrit, part son récit autobiographique Le Nageur explose le box-office puis vend son livre dans la mer secrète), William Kotzwinkle à Universal Studios pour un million et demi a publié en 1996 cette fable jubilatoire de dollars. Sur la route de la célébrité, sur les enfers de la création – dépression il croise éditeurs et attachés de presse chronique, solitude – brillamment tournés lancés à l’assaut du marché littéraire :

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Ted de Seth McFarlane (2012)

bête de littérature

campagne de com, shows télévisés type Good Morning America… Constamment rappelée à sa condition animale, la pauvre bête n’aime néanmoins rien tant que s’ébrouer dans Central Park. Animalité et mondanité : l’auteur joue savamment de ce décalage, alternant coups de griffes et visions ubuesques, répliques savoureuses et punchlines féroces. Une satire animalière bienvenue à l’ère du buzz et du marketing littéraire. Emily Barnett L’ours est un écrivain comme les autres (Cambourakis), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nathalie Bru, 288 pages, 22 €

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le culte du mois

Born to Be Wild Une biographie néogonzo retrace la carrière de Dennis Hopper, acteur vénéré, cinéaste maudit et furieux viveur. A lire à tombeau ouvert. Hollywood, le mythe du maverick persiste à faire fureur (de vivre). Le réalisateur d’Easy Rider en fournit aujourd’hui l’illustration hautement bankable : parues coup sur coup, deux biographies – Dennis Hopper: The Wild Ride of a Hollywood Rebel de Peter L. Winkler (2011) et Hopper: A Savage American Journey de Tom Folsom (2013) – retracent la vie (beaucoup) et l’œuvre (un peu) de l’une des plus infernales têtes de lard (tête brûlée, aussi) de l’histoire du septième art. Si le premier de ces livres reste réservé aux anglophones, le second bénéficie d’une publication française, ainsi que d’un nouveau titre – Born to Be Wild, par ailleurs classique du rock qui dépote – de nature à faire foncer les imaginations plein gaz.

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Dennis Hopper en 1992

Au milieu des années 40, un incident domestique préfigure ce que sera la carrière de Dennis Hopper. Dans une ferme du Kansas où la vie est aussi plate que les plaines s’étendant à perte de vue (et d’espoir), un gamin sniffe l’essence du tracteur de son grand-père puis, épée en bois à la main, entreprend de toréer le monstre de métal. Face aux studios, aux producteurs et aux metteurs en scène, le comédien Dennis Hopper adoptera la même attitude, tout en remplaçant l’essence par toutes les drogues imaginables – testostérone, marijuana, cocaïne ou LSD. En 1955, il tombe sous l’emprise de James Dean – quand le héros de l’Amérique teenage se fout en l’air au volant de sa Porsche, le débutant se rêve en héritier du trône. Il collectionne rôles mineurs (dans La Fureur de vivre, par exemple), starlettes

de premier plan et visites à l’hôpital – les fans de Kenneth Anger savoureront l’épisode très Hollywood Babylone mettant en scène Hopper, Nicholas Ray, Natalie Wood, une baignoire remplie de champagne et un service des urgences. Suivent des années de galère, durant lesquelles Hopper visite l’Actors Studio, copine avec Warhol, épouse la descendante d’une dynastie hollywoodienne, participe à San Francisco au légendaire Human Be-In de 1967, puis illustre sa conception personnelle de l’été de l’amour en éclatant le nez de sa femme. A ce stade, Hopper a tout juste 30 ans, et l’incroyable diversité des aventures qui l’attendent justifie quelques accélérations narratives. D’obédience explicitement gonzo, Born to Be Wild opte pour un montage ultrasec, compacte en une poignée

Renaud Monfourny

de Tom Folsom

de séquences l’épopée sous acide d’Easy Rider, s’attarde sur la débâcle droguée que fut le tournage au Pérou de The Last Movie (son western de 1971 aussi culte qu’invisible), passe un peu vite sur celui d’un brûlot nihiliste – de la chanson de Neil Young qui lui donna son titre, l’ovni punk Out of the Blue (1980) retient surtout le refrain “into the black” –, relate les démêlés d’Hopper et Brando sur le tournage d’Apocalypse Now, célèbre une rédemption passant paradoxalement par le rôle de Frank “baby wants to fuck” Booth dans Blue Velvet, surfe sur des dizaines de panouilles (et presque autant de divorces, arrestations et scandales) et finit pourtant par cerner un passionnant personnage d’ex-hippie devenu collectionneur d’armes et fervent républicain des années Reagan. En un mot, un touche-à-tout qui, en langage lynchien, fut “wild at heart and weird on top” – un trublion au cœur sauvage, avec une méga dose de bizarrerie en rab. Bruno Juffin Born to Be Wild – Dennis Hopper. Un voyage dans le rêve américain (Rivages Rouge), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Stan Cuesta, 304 pages, 22 €

la 4e dimension Conan Doyle inédit Brigitte Fontaine dégaine un polar La chanteuse électrique publie un nouveau livre, Les hommes préfèrent les hommes (Flammarion, le 5 novembre). Une quinzaine d’histoires, dont les aventures, façon roman noir déjanté, de Viandox et Spontex.

Avant d’être écrivain et de créer le personnage de Sherlock Holmes, Arthur Conan Doyle était médecin. Inédit en français, Au pôle Nord (Paulsen, le 23 octobre) rassemble ses carnets de jeune toubib embarqué sur un baleinier dans l’Arctique.

007 reprend (encore) du service Après William Boyd qui livrait il y a un an Solo, un James Bond de bonne facture, Anthony Horowitz, auteur anglais pour la jeunesse, a été choisi par les ayants droit de Ian Fleming pour écrire une nouvelle aventure de l’agent 007. Le livre paraîtra en septembre 2015.

tout Capote De Domaines hantés, son premier roman paru en 1948, qui fera de lui une star du milieu littéraire, à Prières exaucées publié à titre posthume, un volume réunit l’œuvre de Truman Capote (Quarto, le 23 octobre). Avec, bien sûr, son chef-d’œuvre De sang-froid, mais aussi sa correspondance, Un plaisir trop bref.

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Marion Montaigne Tu mourras moins bête – Science un jour, science toujours ! Delcourt, 256 pages, 19,99 €

Ulysse et délices Jean Harambat relit les derniers chants de l’Odyssée et en offre une vision à la fois contemporaine et intemporelle. Du grand art.

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éroutant Jean Harambat ! Après un album historique sur le soulèvement paysan en Gascogne au XVIIe siècle puis un récit d’apprentissage avec le rugby en toile de fond et enfin l’adaptation du dernier et méconnu roman de Robert Louis Stevenson, Hermiston, le juge pendeur, le voilà qui s’attaque au monument des monuments de la littérature occidentale, l’Odyssée. Toutefois, Jean Harambat n’a pas la prétention de transcrire dans son intégralité l’œuvre d’Homère. Il choisit de se concentrer sur les derniers chants, alors qu’Ulysse rentre sur ses terres d’Ithaque et élimine les prétendants de sa femme pour reprendre sa place. Jean Harambat évite ainsi les épisodes rebattus (les sirènes, Circée…) et insiste sur ce retour, certes moins magique, mais aboutissement crucial d’une errance – et d’une quête de soi – de vingt ans. Il évite aussi l’écueil de la plate mise en images. Il suit fidèlement le récit d’Homère, sans raccourci ni simplification, empruntant un langage poétique au ton juste et dessinant d’un trait simple qui évoque les décors des poteries antiques. Mais il a aussi eu l’idée brillante d’entrecouper les différents chapitres par des interventions de personnalités qui commentent

ou prolongent l’histoire par leur réflexion. Ces parenthèses contemporaines ouvrent des perspectives, permettent des interprétations, historiques, poétiques, philosophiques, humanistes. Ainsi, un dialogue entre le spécialiste de la Grèce antique et héros de la résistance Jean-Pierre Vernant et son petit-fils rappelle que l’Odyssée est aussi une œuvre sur le passage du temps, la mémoire et la transmission. Pierre Michon, et son audacieux rapprochement entre Ulysse et le Capitaine Haddock, montre l’inaltérable poésie de l’Odyssée ; Lawrence d’Arabie, aventurier, s’interroge sur les aspects techniques des armes d’Ulysse ; Jean-Paul Kaufmann, ancien otage, réfléchit sur la captivité et le retour au pays et à soi ; un architecte s’interroge sur la localisation du palais d’Ulysse et rappelle au passage la crise grecque… Grâce à la parole de ses invités et à son récit fluide, Jean Harambat donne une version lumineuse de cette œuvre et souligne avec intelligence sa portée universelle et intemporelle. Ou comment, depuis toujours, l’homme lutte pour trouver sa place dans le monde et n’en finit jamais de se construire. Anne-Claire Norot

Troisième volume de la série de vulgarisation scientifique hilarante de Marion Montaigne. Science un jour, science toujours ! s’ingénie à expliquer des phénomènes divers mais ô combien importants dans notre vie quotidienne. Chaque chapitre commence par un problème existentiel (“Pourquoi les ados sont mous ?” ; “Comment ça marche la gueule de bois ?” ; “Mange-t-on des araignées quand on dort ?”), à laquelle répond l’impayable professeur Moustache, au franc-parler réjouissant. Avec son langage fleuri et son humour sans limites, Marion Montaigne bouscule sans vergogne le politiquement correct et les idées reçues. Elle émaille ses démonstrations de saynètes délirantes mais toujours signifiantes, fait preuve d’une rigueur documentaire précise en s’appuyant sur de vraies études et irrigue le tout de révérences mordantes à la culture pop. Humour cru, trait simple et expressif, laminage de la bien-pensance : Marion Montaigne est bien une héritière de Reiser. A.-C. N.

Ulysse – Les chants du retour (Actes Sud BD), 240 pages, 26 €

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Christophe Raynaud de Lage

Nicolas Maury et Rodolphe Congé

le diable s’habille chez Emmaüs Cinq auteurs, autant de semaines et de créations : l’équation idéale de Notre Faust, le feuilleton théâtral mis en scène par Robert Cantarella.

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n l’an 2014, Faust, Henri de son prénom, est un ostéopathe dépressif joué par Nicolas Maury, fatigué de sa vie conjugale et incontestablement amoureux de sa sœur. Apparaissant d’abord sous les traits de Travis, chauffeur de taxi, il harangue le public, entre séduction et agressivité, dans un remake des soliloques de Robert De Niro dans Taxi Driver. Personnalité trouble qui convient parfaitement à l’acteur et à son art consommé d’exacerber la gamme des émotions, de sauter à pieds joints dans les fêlures de l’âme. On le voit ensuite à l’œuvre dans son cabinet, enchaînant les patients, et l’on se demande sous les traits duquel apparaîtra Mephisto… Dans le premier épisode de cette pièce écrite à dix mains (Stéphane Bouquet, Robert Cantarella, Nicolas Doutey, Liliane Giraudon et Noëlle Renaude), qui revisite façon série télé le mythe de Faust, on aura fait la connaissance de sa sœur hédoniste, d’un SDF énigmatique, d’un vieux confrère féru de théâtre qui lui propose de racheter son cabinet pour 900 000 euros, d’une révolutionnaire qu’il a bien connue adolescent, lorsque leurs convictions politiques les avaient poussés à constituer un groupuscule terroriste… L’épisode se termine lorsque le SDF qu’il soigne gratuitement revient lui rendre visite à la nuit tombée et que Faust lui avoue, après quelques bières, son désir de voir sa femme mourir. Vœu exaucé :

son fils Gaëtan lui téléphone et lui annonce qu’elle vient de se jeter par la fenêtre. Au deuxième épisode, on est chez Henri Faust. Veillée mortuaire étrangement privée d’émotions – comme si tout le monde acquiesçait à ce suicide –, mais propice aux crises de toutes sortes avec ceux qui s’y trouvent. On y découvre son fils, mutique, et sa belle-mère, bavarde comme une pie. Le cadre de jeu s’est élargi et exploite la configuration particulière de la salle de Théâtre Ouvert. A cour, et il faut se pencher pour suivre l’action, la salle à manger où Henri noie dans l’alcool un trop-plein d’émotions. Face au public, le salon : une bagarre avec sa soeur, le retour en chair et en os, quoique avec un sexe différent, de Timo, poète et terroriste, qui lui désigne leur prochaine victime, et l’irruption, désinvolte mais inquiétante, du SDF sous les traits d’un employé municipal venu apporter son soutien psychologique à la famille. Méphisto, ou l’art de changer d’apparence pour mieux s’incruster dans les failles de la personnalité aux multiples facettes de Faust ? A suivre lors des prochains épisodes et, pour les adeptes du binge watching, rendez-vous le 25 octobre pour une intégrale de Notre Faust en matinée ! Fabienne Arvers Notre Faust, série diabolique en 5 épisodes mise en scène Robert Cantarella, jusqu’au 25 octobre au Théâtre Ouvert, Paris XVIIIe, tél. 01 42 55 74 40, theatre-ouvert.com

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Peer Gynt, flambeur rock Iggy Pop et Sam Shepard ont mis la main à cette version joliment troussée de la pièce d’Ibsen, signée Irina Brook. eer ment comme Finalement, Iggy Pop âge de tous les possibles, il respire. signe deux chansons, où la vie semble L’affabulation est s’offrir dans un miroitement I’m the Dude et Independent quasi vitale chez Boy, interprétées par Ingvar chatoyant, sa mise ce jeune homme fougueux. Sigurðsson qui joue en scène a des accents Seulement, il y a un risque Peer Gynt. Sam Shepard a psychédéliques. Même à substituer à la réalité aussi contribué en écrivant si aucune drogue n’y est sa propre version. Celui plusieurs monologues consommée, le voyage de perdre pied à force pour le héros. Ce n’est de Peer au pays des Trolls, d’inconséquence et de évidemment pas la première où il épouse la fille du roi, ne plus savoir qui l’on est. version musicale de Peer aurait pu se passer sous L’autre versant du Gynt, la plus célèbre LSD. Plus tard, à la tête mensonge, c’est le génie étant l’opéra d’Edvard de son groupe PG And poétique. En plaçant The Trolls, il devient célèbre. Grieg. Il n’en reste pas en fond de scène une moins que les parties jouées La musique joue un rôle reproduction de Glad Day, et chantées s’intègrent essentiel dans ce spectacle eau-forte de William Blake parfaitement. L’ensemble créé il y a deux ans au représentant un jeune fait un beau spectacle, festival de Salzbourg avant homme nu, les bras bien construit, rondement d’être repris aujourd’hui écartés, se détachant sur mené. La scène où pour ouvrir la saison une aube rayonnante avec Peer accompagne sa mère du théâtre de Nice, dont laquelle il semble presque Aase dans la mort étant Irina Brook est la nouvelle ne faire qu’un, Irina Brook particulièrement réussie. directrice. C’est Hugues Le Tanneur situe clairement sa version un Peer Gynt version rock. de Peer Gynt du côté de En découvrant la pièce l’imagination triomphante. au début des années 1980 Peer Gynt d’après Henrik Pour autant, son à New York, Irina Brook Ibsen, mise en scène Irina adaptation de la pièce rêvait de la monter Brook, avec Ingvar Sigurðsson, d’Ibsen n’est pas un éloge avec Iggy Pop dans Shantala Shivalingappa, de l’inconséquence. Tournée le rôle-titre et David Bowie jusqu’au 18 octobre au Théâtre national de Nice, tnn.fr vers la jeunesse comme dans celui du roi des Trolls.

M. Rittershaus

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“une exposition de villes” L’exposition Europe, Europe commence à Oslo et continuera son périple via Lyon, Londres, Porto, etc. Hans Ulrich Obrist, l’un de ses trois curateurs, définit ce que peut être un art européen.

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ourquoi s’intéresser aujourd’hui à la scène artistique européenne ? Qu’est-ce qui la caractériserait, à l’heure d’une mondialisation plus large ? Après Uncertain States of America, puis China Power Station et Indian Highway sur les scènes américaine, chinoise et indienne, les deux commissaires Hans Ulrich Obrist et Gunnar B. Kvaran se sont associés à Thomas Boutoux pour explorer cette fois le continent européen. Pourquoi avoir mis en place une exposition à la fois itinérante et évolutive pour aborder la scène artistique européenne ? Hans Ulrich Obrist – Pendant tout un temps, le cœur de la scène artistique européenne semblait être à Berlin. Aujourd’hui la situation est plus complexe : on dit que Bruxelles est le nouveau Berlin artistique. Mais des villes comme Paris ou Londres ont retrouvé un élan avec beaucoup de lieux alternatifs, et des villes comme Porto sont très dynamiques. Par exemple, à Londres, il y a eu une génération très forte au début des années 90, avec des espaces

autogérés, des artists run spaces qui ont complètement contribué à l’émergence des Young British Artists. Et, depuis quelques années, y émerge une nouvelle génération d’artistes formidables (Ed Atkins, Helen Marten, Felix Melia ou Josh Bitelli). On pourrait en dire autant de Zurich et de Bâle qui se sont réveillées, avec des lieux comme Hacienda à Zurich ou New Jersey à Bâle. Pour aborder cette multiplicité, il nous a semblé très vite nécessaire de mettre en place un process, une règle du jeu, avec une exposition à la fois itinérante et évolutive. Est-ce là une caractéristique de la scène artistique européenne ? Je crois que s’il y a vraiment une différence entre l’Europe et le reste du monde, ce sont tous ces espaces expérimentaux et nouveaux qui ont essaimé ces dernières années. Il n’y a pas d’équivalent dans le monde, c’est un phénomène très fort en Europe, qui me rappelle un peu le climat de Londres au début des années 90. D’ailleurs, cette exposition trace un trait pour moi avec celle que j’avais faite au musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 1996, Life/Live, consacrée à la scène anglaise. Des lieux comme City Racing ou

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SimonDe nny, New Management, 2014

photo Astrup Fearnley Museet

“il y a un grand dynamisme de la scène artistique européenne dans ce contexte de crise généralisée”

Transmission à Glasgow avaient été invités à faire des expos dans l’expo. De la même manière, à Oslo, un espace est offert à quelques-uns de ces nouveaux lieux choisis dans une première série de villes européennes, comme Treize à Paris, Arcadia Missa à Londres, Abilene à Bruxelles, etc. C’est une expo dans l’expo, qui se modifie tous les quinze jours. Pourquoi s’intéresser à l’Europe aujourd’hui ? Etonnamment, personne n’a vraiment regardé ni exposé ce contexte européen des dernières années. Ce dynamisme incroyable de lieux est en décalage complet avec la crise profonde que traverse l’Europe : crise des institutions politiques, crise de l’institution européenne elle-même, crise économique, crise culturelle… Tout cela forme une crise généralisée en Europe qui fait qu’on a eu plutôt tendance à se tourner vers d’autres scènes et d’autres continents. Mais en réalité il y a un grand dynamisme de la scène artistique européenne, qui se fait paradoxalement dans ce contexte de crise généralisée. L’idée d’aborder une scène européenne spécifique a-t-elle pour autant du sens ? A l’heure de la mondialisation, l’entité Europe est-elle culturellement viable ? Effectivement, aujourd’hui les choses se passent entre les frontières. L’Europe, tout comme l’idée de nation, ça a toujours été une entité imaginaire. Mais au fond, l’exposition Europe, Europe est moins une exposition centrée sur la nation ou le continent qu’une exposition de villes. Je pense à ce livre du professeur

de sciences politiques Benjamin Barber, intitulé If Mayors Ruled the World (“Si les maires dirigeaient le monde”, non-traduit en français – ndlr) : si les Etats-nations sont paralysés face aux mutations du monde actuel, les villes sont plus aptes aux adaptations et apparaissent comme le moteur d’une nouvelle gouvernance mondiale. Une autre différence tient au fait que nombre d’artistes appartiennent à de multiples entités géographiques. Certes, on retrouve là le contexte de la mondialisation. Mais aux Etats-Unis, par exemple, les artistes, qui y font généralement leur formation commencent à y émerger. Tandis qu’en Europe les formations se font entre les géographies, en allant étudier dans plusieurs pays, et ce phénomène est amplifié par le cursus universitaire européen LMD, qui a homogénéisé les diplômes. L’équivalence européenne des diplômes fait qu’il n’y a pas aujourd’hui de jeune artiste qui ne soit pas entre deux pays. Les écoles d’art ont intégré ce système et jouent un rôle très important dans cette situation. La démultiplication des lieux, des artistes, des curateurs a aussi un impact sur le nombre d’expositions… N’y a-t-il pas là une crise de l’exposition ? Cette question est capitale. Aujourd’hui, l’exposition est partout, elle est la vedette du XXIe siècle ! Il y a des milliers d’expositions dans toute l’Europe, dans toutes les villes, dans toutes les scènes. Il faut donc la réinterroger. L’exposition est un format libéral, au sens où le spectateur y est libre de son temps, il décide de son parcours, de sa déambulation, de sa temporalité, bien plus qu’au cinéma ou au théâtre. Mais quelles sont les limites du format de l’exposition ? La consommation : on consomme les expositions, les œuvres et les artistes. Il me semble nécessaire de développer des formats qui produisent plus de connexions. propos recueillis par Jean-Max Colard Europe, Europe jusqu’au 1er février au musée Astrup Fearnley, Oslo 15.10.2014 les inrockuptibles 97

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relevé de notes Captant la vie au quotidien de cinq adolescents préparant le bac dans le nord de la France, David André s’écarte des codes autorisés en mettant en chansons les affres de la jeunesse.

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Boulogne-sur-Mer, pas très loin de Lens, ville où Maurice Pialat tourna en 1978 Passe ton bac d’abord, une bande d’adolescents révise le bac. Sous le même ciel lourd et lumineux du nord de la France, avec les mêmes craintes et les mêmes affects qu’à 17 ans on affiche d’une manière plus ou moins contrariée. Sauf que trente-cinq ans plus tard, si le bac est resté un rite de passage, la crise économique, déjà présente chez Pialat, a fortement contaminé les âmes tourmentées, surtout celles des parents, paniqués face à l’avenir sombre promis à leurs enfants. Sauf que, surtout, les futurs bacheliers filmés dans le documentaire de David André, Chante ton bac d’abord, produit par Emmanuel François, ont mis un peu de fantaisie dans leur propre déshérence, histoire d’égayer la noirceur de leur époque. Plutôt que de déchanter et s’abandonner à la mélancolie, ils ont décidé de la mettre en chansons. Le projet du film tient

à cet élan vital et musical : chanter les éclats parfois brisés d’une vie adolescente, ses troubles et ses joies entrelacées. Comme si l’envol d’une voix triste, sous les nuages de Boulogne-sur-Mer, portait la promesse, illusoire mais intense, d’un réenchantement. Le film induit d’ailleurs en creux ce sentiment que le désenchantement et le réenchantement sont au fond un peu la même chose : ce que les deux mots partagent – l’enchantement – est plus fort que ce qui les sépare – un préfixe un peu flou. Dès les premières minutes du film, lorsque la jeune Gaëlle, la meneuse cool et enjouée de la bande, se met à chanter dans le bus qui la conduit au lycée, après avoir présenté le cadre général du récit – l’histoire de cinq ados filmés au quotidien durant leur année scolaire en terminale –, le téléspectateur saisit l’enjeu narratif : imbriquer dans un regard documentaire sur la jeunesse l’écoute d’un chant qui en densifie le visage.

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Delphine Micheli/Brother Films

Raconter, c’est aussi écouter ; écouter, c’est aussi entendre des voix qui chantent. David André ne se contente donc pas d’observer des adolescents, au lycée, en famille, dans des soirées ; il propose de décoller, au fil du temps, au hasard des plans, dans une dimension parallèle, qui surgit moins pour nous éloigner du réel que pour nous en rapprocher, par un effet paradoxal de distanciation, d’esthétisation d’une expérience qui passe par la musicalité. Ce qui résonne dans les chants, écrits par le réalisateur lui-même (et arrangés par le collectif de musiciens LoW), ce sont les doutes de ces cinq adolescents, vrais personnages d’une fiction non fictionnée. Chantant sur un mode “lo-fi”, les cinq sont autant acteurs dans cette vie qu’acteurs de leur vie. Tous appartiennent à la classe moyenne et ouvrière : Gaëlle, réfléchie, lucide, joyeuse, désireuse de rentrer dans une école d’art ; Nicolas, garçon solitaire et poète, écorché vif qui ressemble à Serge Gainsbourg lorsqu’il chante ses tourments ; Rachel, sa copine, brillante élève qui chope un 20 au bac philo ; Alex, drôle, un peu lunaire, jouant dans un groupe de rock avec son père fan des Clash ; Caroline, légèrement paumée, sans grand soutien familial… Le film circule entre ces cinq profils disparates et proches à la fois. David André saisit progressivement les failles de chacun, mais évite surtout de les réduire

à une dimension trop simpliste. Tout reste ouvert et toujours possible, en chacun d’entre eux comme au sein du collectif. Le seul motif intangible qui traverse de bout en bout le film est l’amitié qui rassemble les protagonistes, attentifs les uns aux autres : une ressource vitale et critique par laquelle chacun se construit, à son rythme, avec sa petite musique, qui résonne avec les autres. David André filme moins des chansons d’amour que des chants inquiets, comme autant de traces de l’existence d’adolescents de la France d’aujourd’hui. Les chansons posent elles-mêmes sans cesse des questions : “Comment partir d’ici ? C’est quand le présent ?”… Le film assume de ce point de vue sa fonction strictement documentaire, à travers le soin mis dans l’exploration de son sujet et des questionnements qu’il suggère. Le regard ethnographique qu’il porte sur une certaine jeunesse de la province d’aujourd’hui a valeur de témoignage partiel, mais assez emblématique des doutes qui la traversent, de la multiplicité des expériences qu’elle abrite, et de l’incertitude généralisée qui la caractérise. Sans prétendre révéler un scoop, le film esquisse les traits d’une inquiétude indexée sur un état de crise sociale larvé dont Boulogne-sur-Mer, comme tant d’autres villes françaises, affiche les stigmates. Documentaire chanté autant qu’ethnographie de la jeunesse contemporaine, Chante ton bac d’abord peut se voir comme une sorte d’objet non identifié, comme si l’irruption de la comédie musicale au cœur d’une matière documentaire aride venait brouiller, par ses artifices, les frontières et les codes balisés du genre. On peut aussi considérer cette imbrication d’un naturalisme assumé et d’une échappée musicale – et poétique – comme un geste finalement très simple, presque enfantin, qui procède d’un attachement à ce qui vibre dans le présent des jeunes de 17 ans. Le plus étonnant serait de penser que chanter sa propre vie serait en soi un geste trop singulier pour qu’il ne soit pas sincère ; l’artifice qu’a inventé ici David André restitue intensément les élans et travers d’un âge dont personne ne saura jamais s’il est le plus beau ou le plus triste de la vie. Jean-Marie Durand Chante ton bac d’abord documentaire de David André, dimanche 19, 22 h 45, France 2. En salle le 22 octobre 15.10.2014 les inrockuptibles 99

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Les Films d’ici

vers l’Est Immersion dans la troisième classe du Transsibérien. La parole au peuple russe.

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n mai et juin 2010, une fournée d’écrivains français était envoyée en Sibérie sous les auspices de la Fédération de Russie. On les convoya évidemment dans de meilleures conditions que leur collègue Dostoïevski. Première classe sur le Transsibérien. S’ensuivirent un ou deux ans après diverses productions littéraires (de Danièle Sallenave, Dominique Fernandez, etc.). Peu après, Joana Preiss emprunta le même train avec son compagnon cinéaste Bruno Dumont et en tira un film, Sibérie. Le Transsibérien amuse les Français… La faute à Cendrars ? C’est en tout cas une bonne manière pour observer le pays et ses mœurs sans s’y perdre. Stéphane Breton, documentariste et ethnologue connu pour ses films sur les Papous et sa belle collection documentaire L’Usage du monde, a fait lui aussi le voyage, armé d’une caméra. Mais il ne s’est pas calfeutré dans une voiture pour happy few. Il s’est installé en troisième classe, dans les compartiments-couchettes ouverts que fréquentent les classes modestes. On y constate que le Transsibérien est un train ordinaire (à la russe, certes). Sa seule vraie particularité est l’immense trajet qu’il parcourt (plus de 9 000 kilomètres en environ une semaine). Breton ne s’intéressant guère au paysage et étant avant tout ethnologue, il a naturellement regardé les passagers. Mais pas comme un reporter, ni comme un scientifique. Il a privilégié les abords immédiats de sa propre couchette, filmant en particulier

son voisin Vladimir, alias Volodia, un colosse barbu à l’œil malicieux, qui sera le seul qu’on ne verra pas boire (d’alcool). Car le cliché se confirme : entre la bouteille en plastique de vin ukrainien et la vodka, les Russes ne peuvent guère papoter entre eux sans trinquer. D’ailleurs, plusieurs des histoires qu’ils racontent ont trait à l’alcool. Deux copains ouvriers aux visages défaits décrivent leur tabassage en règle dans une boîte de nuit. Drame de la boisson. On comprend mieux lorsqu’ils sont rejoints par un troisième larron, bien amoché. Une femme, elle, évoque sa rencontre avec un ours dans la taïga après une nuit de libations près du lac Baïkal. En dehors des confidences récurrentes de son voisin, le cinéaste enregistre diverses conversations, picore des scènes ordinaires (des enfants discutant avec la contrôleuse). Il suit aussi Volodia qui descend sur les quais des gares où le train s’arrête pour voir ce que les babouchkas ont à vendre. Pendant tout ce temps, on n’a aucune idée de la géographie ni du temps passé. On est dans une bulle spatio-temporelle où la vie est au ralenti, entre sommeil, bavardage et gloutonnerie. C’est un ersatz d’aventure, mais un bel ersatz, qui a le mérite de faire mentir les clichés négatifs et de rectifier l’image froide et brutale renvoyée par le président actuel de ce pays complexe et fascinant. Vincent Ostria Quelques jours ensemble Documentaire de Serge Breton. Mercredi 15, 23 h 35, Arte

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souvenirs d’un Vieux Lion La vie et l’œuvre de Winston Churchill qui, soixante ans durant, a déplacé son ombre massive, imposé son intransigeance et distillé ses bons mots sur l’échiquier de la vie politique britannique et internationale. l est des vies qui ont engagement sans faille Il meurt le 24 janvier 1965, l’ampleur et la densité contre Hitler et au rôle à l’âge de 90 ans. d’un roman-fleuve. fondamental qu’il a joué, Emaillée de drames Celle de Winston Churchill alors Premier ministre, ordinaires et de joies – qui mena d’ailleurs durant la Seconde Guerre historiques, de revers une carrière d’écrivain, mondiale au sein des Alliés. cuisants et de succès récompensée par le Nobel Eclipsé par Roosevelt éclatants, la vie de Churchill de littérature en 1953, à l’entrée en guerre des prend tout son relief en parallèle de son parcours Etats-Unis, puis battu avec ce documentaire doté d’homme politique lors des élections générales d’un souffle romanesque de près de soixante ans – britanniques de 1945, adéquat. Suivant un déroulé est assurément l’une il ne sort pourtant pas chronologique, il jette d’entre elles. en triomphateur de notamment un éclairage Réalisé par David Korncette période – épilogue bienvenu sur les jeunes Brzoza, Winston Churchill, qui l’affecte en profondeur années plutôt malheureuses un géant dans le siècle relate et fait planer sur lui l’ombre du “Vieux Lion” – qui souffrit tout en images d’archives familière de la dépression, beaucoup de l’indifférence l’existence hors du commun qu’il a pris l’habitude de ses parents à son de celui qui, né en 1874, d’appeler “black dog”. égard – et rend par ailleurs a vécu près d’un siècle Cherchant alors une justice à ses talents en frôlant plusieurs fois consolation dans la peinture, d’orateur avec des extraits la mort et a laissé une son autre hobby artistique, de certains de ses empreinte indélébile dans il ne quitte pourtant plus fameux discours. Jérôme Provençal la mémoire collective, pas l’arène politique. bien au-delà des frontières Redevenu Premier ministre de son Angleterre natale. en 1951, il doit pourtant Winston Churchill, un géant S’il est passé ainsi renoncer à cette fonction dans le siècle documentaire à la postérité, Churchill en 1955 à la suite de David Korn-Brzoza. Lundi 20, 2 0 h 45, France 3 le doit avant tout à son de problèmes de santé.

Roche Productions

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avantages exclusifs

RÉSERVÉS AUX ABONNÉS DES INROCKS pour bénéficier chaque semaine d’invitations et de nombreux cadeaux, abonnez-vous ! (voir page 105 ou sur http://abonnement.lesinrocks.com)

Antigone jusqu’au 2 décembre 2014 à la Comédie-Française (salle Richelieu), Paris Ier

Promenade obligatoire les 27 et 28 novembre à l’Espace 1789 à Saint-Ouen (93)

scènes Danseuse de hip-hop, familière des battles, Anne Nguyen est aussi chorégraphe. Elle a fondé sa compagnie, Par Terre, en 2005. Depuis, elle s’attache à déstructurer les gestuelles hip-hop dans de nouveaux espaces d’écriture et d’autres géométries. Avec Promenade obligatoire, elle s’attaque à la trajectoire linéaire et à l’inéluctable marche du temps. à gagner : 2 x 2 places par soir

Yann Tiersen le 27 octobre à l’Olympia, Paris IXe

musiques Après la sortie d’Infinity, son dernier album, Yann Tiersen s’est lancé depuis début octobre dans une tournée hexagonale. Il sera à l’Olympia le 27 octobre. à gagner : 3 x 2 places

scènes Issue de l’union fatale d’Œdipe et Jocaste, Antigone est aux prises avec son destin, en révolte contre l’ordre des hommes. Ses frères, Etéocle et Polynice, se sont entretués lors de la guerre des Sept Chefs. Leur oncle, Créon, devenu roi de Thèbes, organise des funérailles solennelles pour le premier et refuse que le corps du second soit enseveli. à gagner : 5 x 2 places pour la représentation du 26 octobre à 14 h

La Fiac – Hors les murs du 17 octobre au 24 novembre au Jardin des plantes, Paris Ve

expos Les œuvres de 25 artistes internationaux (sculptures, installations, films, performances…) à découvrir dans les allées du Jardin des plantes, à la Grande Galerie de l’évolution du Muséum national d’Histoire naturelle et à la ménagerie. à gagner : 20 x 2 entrées pour la Grande Galerie et 20 x 2 entrées pour la ménagerie, dans le cadre du parcours Fiac

Philippe Decrauzat et Alan Licht les 23 et 24 octobre au Centre culturel Suisse, Paris IIIe

Romain Mader

ciné-concert Philippe Decrauzat convie le guitariste et compositeur américain Alan Licht à jouer en live pendant la projection d’une version inédite de son film Anisotropy. à gagner : 5 x 2 places par soir

pour profiter de ces cadeaux spécial abonnés munissez-vous de votre numéro d’abonné et participez avant le 19 octobre sur 

The Dø le 23 octobre au Cargö à Caen (14)

http://special. lesinrocks.com/club

musiques Dans le cadre du festival Nördik Impakt, le duo franco-finlandais jouera sur la scène du Cargö, fort du succès de son dernier album Shake Shook Shaken. à gagner : 2 x 2 places

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Skyfall de Sam Mendes (2012)

les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société Everial au 01 44 84 80 34

s’hybrider ou mourir Deux essais dressent un bilan de la révolution numérique et de son influence sur le paysage culturel, obligé de réinventer ses règles pour s’adapter aux usages. l est peut-être temps de mesurer la circulation des œuvres, prône une l’impact des technologies culture “non propriétaire” et gratuite, numériques sur le monde de faite d’emprunts et de remixes. la culture. De la musique Les nouveaux usages d’internet au cinéma, de l’édition aux médias, conduisent aussi à un conformisme nous traversons un moment de des contenus numériques, indexé bascule anthropologique, sans que à la nouvelle loi d’airain l’on sache en mesurer la radicalité des algorithmes (le code risque (sur notre rapport à soi, aux autres, de l’emporter sur l’humain, notre accès au savoir, notre rapport prédisent certains) et aux procédures à l’information, à l’argumentation…). de contrôle et de surveillance Simple inflexion des usages généralisées. Comment réguler ou réelle rupture ? alors un monde où semblent La parution concomitante dominer la plasticité, l’inventivité de deux essais complémentaires et l’indocilité ? La difficulté tient écrits, l’un par un sociologue des moins selon Emmanuel Durand médias, Rémy Rieffel – Révolution “à la définition de règles ponctuelles numérique, révolution culturelle ? –, qu’à l’élaboration d’un schéma l’autre par un entrepreneur, vicequi soit tout entier hybride, faute président de Warner France, de quoi il n’aura de prise ni sur Emmanuel Durand – La Menace les individus, ni sur les structures, fantôme – Les industries culturelles ni sur les produits”. face au numérique – permet d’en Pour un producteur de musique, définir la teneur de manière assez confronté à l’irruption du MP3 précise. Moins prospectifs que par exemple, le défi n’est pas rétrospectifs, les deux livres sont d’ériger des barrières à l’efficacité surtout lucides sur ce qui se dessine illusoire, mais de redéfinir son dans les pratiques numériques métier, c’est-à-dire découvrir actuelles. Ce qui est sûr, c’est que des talents, les aider à créer nous sommes entrés dans une et à se faire connaître. Les postures société de “l’hyperchoix”, marquée monolithiques des entreprises par l’individualisation des pratiques culturelles ne sont plus tenables. et la combinaison de modes de Les dilemmes de l’innovation consommation dispersés. s’imposent aux industries : pour Pour autant, en une petite dizaine trouver sa place dans un paysage d’années, la “menace fantôme” culturel mouvant, il faut réinventer n’a pas provoqué la déflagration sans cesse sa stratégie : annoncée. Au pire, elle a déplacé l’hybridation en forme désormais les frontières des industries le nom. Jean-Marie Durand culturelles ; au mieux, elle a élargi leurs territoires, grâce au partage. Révolution numérique, révolution Le numérique a favorisé une culturelle ? de Rémy Rieffel nouvelle sensibilité dite (Gallimard, Folio actuel), 352 pages, 8 € “connexionniste” et relationnelle, se La Menace fantôme – Les industries félicitent les auteurs, qui soulignent culturelles face au numérique que cet esprit coopératif valorise d’Emmanuel Durand, (Presses de Sciences Po), 120 pages, 14 € le rôle des amateurs, encourage

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rédaction directeur de la rédaction Frédéric Bonnaud rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, JD Beauvallet, Pierre Siankowski comité éditorial Frédéric Bonnaud, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne, Jean-Marie Durand, Nelly Kaprièlian, Christophe Conte secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot chefs d’édition Elisabeth Féret, David Guérin reporters Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Anne Laffeter actu rédacteur en chef Pierre Siankowski rédactrice en chef adjointe Géraldine Sarratia rédacteurs Diane Lisarelli, David Doucet style Géraldine Sarratia cinémas Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain, Vincent Ostria musiques JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Maxime de Abreu livres Nelly Kaprièlian scènes Fabienne Arvers expos Jean-Max Colard, Claire Moulène médias/télé/net rédacteur en chef adjoint Jean-Marie Durand collaborateurs E. Barnett, A. Bellanger, R. Blondeau, D. Boggeri, Coco, P. Garnier, Hidiro, A. Jean, O. Joyard, B. Juffin, N. Lecoq, H. Le Tanneur, A. Pfeiffer, E. Philippe, T. Ribeton, C. Stevens lesinrocks.com directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteur en chef Pierre Siankowski rédacteurs Diane Lisarelli, Thomas Burgel, Azzedine Fall, Carole Boinet, Claire Pomarès, Julien Rebucci, Maxime de Abreu éditeurs web Clara Tellier-Savary, Olivier Mialet graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem projet web et mobile Sébastien Hochart lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz assistant Lionel Nicaise responsable éditoriale du concours création vidéo Anna Hess lesinRocKs.tv chef de rubrique Basile Lemaire assistante Clémence Sgarbi photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot second sr Fabrice Ménaphron sr François Rousseau, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Laurence Morisset conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Nathalie Coulon publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, tv) tél. 01 42 44 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél 01 42 44 18 12 coordinateur François Moreau tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 15 31 assistante Estelle Vandeweeghe tél. 01 42 44 43 97 publicité commerciale, directeur Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 directrice adjointe Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 directrice de clientèle Isabelle Albohair tél. 01 42 44 16 69 publicité web Chloé Aron tél. 01 42 44 19 98, Lizanne Danan tél. 01 42 44 19 90 traffic manager Stéphane Battu tél. 01 42 44 00 13 développement et nouveaux médias directrice Fabienne Martin directeurs adjoints Baptiste Vadon (promotion, médias, diversification) tél. 01 42 44 16 07, Laurent Girardot (événements et projets spéciaux) tél. 01 42 44 16 08 assistants Antoine Brunet et Lou Durand tél. 01 42 44 15 68 relations presse/rp Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 assistante promotion presse Polyka Srey tél. 01 42 44 16 68 responsable éditoriale “You Need to Hear This” Marine Normand marketing diffusion responsable Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 assistant marketing direct Philippe Locteau tél. 01 42 44 16 62 contact agence Bo Conseil Analyse Média Etude Otto Borscha et Terry Mattard [email protected] ou tél. 09 67 32 09 34 abonnement Les Inrockuptibles, libre réponse 83378 60647 Chantilly Cedex [email protected] ou 01 44 84 80 34 tarif France 1 an : 115 € accueil, standard ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure Roto Aisne Société Nouvelle ZI Saint-Lazare Chemin de la Cavée 02430 Gauchy brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 326 757,51 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Elodie Valet administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2014 directeur de la publication Frédéric Roblot © les inrockuptibles 2014 tous droits de reproduction réservés. 15.10.2014 les inrockuptibles 103

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court métrage At Land de Maya Deren Ses images et ses films ont toujours un côté musical à mes yeux. Le tempo et le mouvement sont comme dans un rêve. Malgré de grands changements de lieu et de temps, on ne perd jamais le fil de la narration et de la logique.

album

François Truffaut Cinémathèque française, Paris A l’occasion des 30 ans de sa mort, rétrospective, livres et DVD rendent hommage à celui dont l’œuvre brûle encore.

Gone Girl de David Fincher Sous les atours d’un thriller sophistiqué à la mise en scène olympienne, une farce cruelle sur le mariage comme enfer.

Le Paradis d’Alain Cavalier Nouveau chapitre délicat et malicieux de son journal intime.

Yelle Complètement fou Le pari d’un équilibre subtil entre le sucré de la pop culture et l’acidité de la subversion.

Les années 30 reviennent – La gauche est dans le brouillard de Philippe Corcuff Le philosophe et sociologue compare les époques et livre un ouvrage éclairant.

poème Poème sur la mort d’Inger Christensen Ses poèmes parlent du temps, de l’amour, de la nature et de la mort. Je ne sais pas ce que ça donne en français, mais en danois ils ont un côté presque incantatoire. Les quatre derniers vers de celui-ci, mes préférés, ont une beauté Son dernier album, Aventine, est disponible indéfinissable. en édition deluxe. Elle sera en concert propos recueillis par Noémie Lecoq le 20 octobre à Tours.

Agnes Obel

sur

Julian Casablancas Tyranny Le chanteur des Strokes se découvre des ambitions de porte-voix sur un album rageur.

The Dø Shake Shook Shaken Le duo parisien secoue la grammaire pop avec cet album ambitieux et charnel qui enchante la rentrée.

Caribou Our Love Après des années de réclusion créative, le Canadien livre un album intime et textuel.

Rectify saison 2 Sundance Channel, saison 1 Arte La vie d’un ancien condamné à mort innocenté. Ainsi soient-ils saison 2, Arte Une suite encore plus aboutie. Les Hommes de l’ombre saison 2, France 2 Avec une première dame tourmentée et un Président affaibli.

Frank Eidel

Mommy de Xavier Dolan Un mélo électrique sur les courants d’amour d’une mère et de son fils.

Beginnings de Meredith Monk A la fois ancestrales et modernes, intimes et physiques, ces compositions vocales m’ont fait comprendre tout ce qui se cache dans le ton, les sonorités et l’expression de la voix. J’aime aussi beaucoup le morceau Paris pour piano solo, qui pourrait être du Bartók.

Les hommes tremblent de Mathieu Lindon Un SDF squatte le hall d’un immeuble et pourrit la vie de ses habitants. Un Vie mode d’emploi par temps de crise.

Berceau d’Eric Laurrent L’histoire d’une adoption confrontée à l’intolérance religieuse. Une savante déclaration d’amour d’un père à son fils.

Ici commence la nuit d’Alain Guiraudie Un triangle amoureux qui mêle gérontophilie, excréments et occitan.

Marcel Duchamp – Un petit jeu entre moi et je de François Olislaeger Un superbe objet sur la trajectoire de l’inventeur du ready-made.

Adventure Time de Michael DeForge Les créations fascinantes du Canadien cartonnent dans la BD indé US.

Voix de la nuit d’Ulli Lust Voyage plein de retenue au cœur de l’abjection nazie.

Les Nègres de Jean Genet, mise en scène Robert Wilson Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris Une ambiance de music-hall tropical pour un brûlot politique contre le racisme.

Peer Gynt mise en scène Irina Brook Théâtre national de Nice Iggy Pop et Sam Shepard ont mis la main à cette version joliment troussée de la pièce d’Henrik Ibsen.

Celui qui tombe conception Yoann Bourgeois Les Salins, Martigues ; Théâtre du Vellein, Villefontaine Un hommage à la peur, qu’elle soit du vide ou de l’humanité.

Natura Lapsa Confort Moderne, Poitiers Conçue par Laurent Le Deunff, une expo collective qui s’engouffre dans les bois pour mieux faire surgir le loup.

Marcel Duchamp. La peinture, même. Centre Pompidou, Paris La relation amour/ haine que le grand iconoclaste entretint avec la peinture.

Sheila Hicks galerie Frank Elbaz, Paris Une expo haute en couleur de cette artiste star du textile, à mi-chemin entre les arts déco et l’art contemporain.

Smarter Than You sur iPhone et iPad Variation minimaliste mais subtile sur l’éternel pierre-feuilleciseaux, ce jeu est un modèle de dépouillement ludique (et graphique).

Theatrhythm Final Fantasy – Curtain Call sur 3DS Une emballante célébration de tout ce que la musique et le jeu peuvent faire de beau quand ils s’y mettent à deux.

Hohokum sur PS3, PS4 et Vita Quoi de plus ravissant qu’un paysage kawai semi-abstrait qui s’illumine quand vous le traversez ? Attention, ovni.

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Céline Sallette par Renaud Monfourny

L’actrice tient le premier rôle dans Geronimo de Tony Gatlif, en salle cette semaine (lire la critique du film p. 66). Elle reviendra dans quinze jours dans Vie sauvage de Cédric Kahn.

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#soshinrockslab

Le Palmarès 2014 Feu! Chatterton prix du public/prix du jury Après avoir reçu une avalanche de prix découverte en 2014 (prix du public et du jury Sosh aime les inRocKs lab, prix Paris jeunes talents et prix Chorus), ces cinq dandys parisiens sont destinés à une belle carrière. Renouvelant avec élégance la chanson française (Alain Bashung, Serge Gainsbourg) sans cracher dans la soupe de leurs contemporains, ces brigands de la pop nous font danser un dernier slow jusqu’au petit matin.

Giulia Grossmann Richard Schroder

prix création vidéo

Damien Jibert prix spécial en partenariat avec l’Association nationale des écoles supérieures d’art (ANdEA) et la Fémis Avec son film Native American, l’artiste Giulia Grossmann nous entraîne au Far West… dans la forêt des Landes de Gascogne ! Des passionnés y reconstituent le quotidien des cow-boys et des Indiens. La jeune artiste a suivi les protagonistes de ce jeu de rôle, entre mise en scène et pratique documentaire.

Attention, humour noir ! Damien Jibert raconte son quotidien d’étudiant en art dans un journal caustique et grinçant en plusieurs chapitres. Inspiré de l’esthétique 8-bit et de scènes mythiques du cinéma, il se livre à un grand déballage absurde et désespéré. Un South Park existentialiste.

Sosh et les inRocKs lab remercient tous les artistes qui ont participé au concours, ainsi que les partenaires.

rendez-vous en janvier pour la prochaine édition du concours sur lesinrockslab.com

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