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The Dø majeur

Ainsi soient-ils saison 2

alléluia les revoilà

expo Duchamp

le mystère du Grand Verre

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Allemagne 5,90 € - Belgique 5,30 € - Canada 9,20 CAD - DOM 6,30 € - Espagne 5,70 € - Grande-Bretagne 7,10 GBP - Grèce 5,70 € - Italie 5,70 € - Liban 14 700 LBP - Luxembourg 5,30 € - Maurice Ile 7,20 € - Portugal 5,70 € - Suède 61 SEK - Suisse 9,20 CHF - TOM 1 200 XPF

No.983 du 1er au 7 octobre 2014 www.lesinrocks.com

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cher Nicolas Sarkozy par Christophe Conte

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omme les juges de l’affaire Bettencourt, je t’ai écouté. Comme Patrick Buisson, je t’ai même enregistré, histoire de conserver une trace indélébile de ta seconde rencontre avec un mannequin. Chez Delahousse, mon Nico, tu étais comme à la maison, visiblement heureux de constater qu’en dépit de l’arrêt, décidé par toi, de la publicité sur les chaînes publiques après 20 heures, la propagande y était toujours autorisée. Ce come-back, plus encore que celui des Backstreet Boys, de la coupe mulet et des mocassins à glands, on le redoutait autant qu’il nous réjouissait. Car, autant

l’avouer, on se faisait cruellement chier sans toi, même si ton successeur, dans un registre plus Bourvil que de Funès, plus Feydeau que Les Bronzés, a tenu des promesses qui doivent le surprendre lui-même. Sur le moment, va savoir pourquoi, en te voyant revenir ainsi dans l’arène – quand même Giscard ne prétendit qu’à des princesses –, j’ai eu une pensée émue pour tous ceux qui désormais se trouveraient privés de tes conférences facturées une centaine de smics l’unité. Ce sacrifice de ta part, déjà, est bien la preuve que tu as changé, pourquoi ne pas y croire ? Même de Villepin a l’air de tomber dans le panneau, mystifié comme pas mal d’amnésiques ou de masochistes

par ce numéro d’acteur, de voltigeur, dont le teaser dominical face à Robert Redford, tel un mauvais remake des Hommes du Président, laisse présager des records de cabotinage à venir. Le temps que dure une mi-temps d’un match de foot, toi qui t’étalonne(tte) désormais sur Zlatan Ibrahimovic, tu as déployé toute l’étendue de ton jeu : feinte de modestie et de contrition, déclaration d’amour au maillot, intimidation de l’adversaire et des juges-arbitres, tacle discret sur tes propres coéquipiers (“Juppé, je l’ai connu quand j’avais 20 ans”), rodomontade de diva outragée (“Qui me rendra mon honneur ?”)… Et puis tu as fini par t’énerver, comme toujours quand tes ballons n’épousaient pas tout à fait la trajectoire prévue, allant jusqu’à insulter tes sponsors (Bygmalion, connais pas) et t’acharner sur un blessé (Hollande) au lieu de t’inquiéter des nombreux invalides dans ton camp. Même tes propos de vestiaire – avec le mariage pédé on a humilié la famille Ricoré, ce genre –, quand ton naturel de la campagne de 2012 reprenait le dessus, personne ne s’en offusqua tellement ils étaient hors jeu, insignifiants. T’aurais vraiment pas dû emprunter ses deux neurones à Morano. Trépanation, lobotomie, tout ce vocable de neurochirurgie était d’ailleurs bien curieux pour quelqu’un qui vise la tête d’un parti et celle d’un pays. Parlant de tête, quitte à te “reconnaître” en Zlatan, tu aurais pu y aller plus franco et te comparer à Zidane, lorsque celui-ci accepta sous la pression populaire de sortir de sa retraite annoncée et de revenir en équipe de France pour la Coupe du monde 2006. On sait comment tout ça s’est terminé : par un coup de boule et une défaite. Ton coup de fil intempestif, Nabilla Sarkozy, aux parents du Français assassiné en Algérie, signifiait au passage la défaite prématurée de toute espèce de dignité. Je t’embrasse pas, j’ai peur des revenants. 1.10.2014 les inrockuptibles 5

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billet dur édito debrief recommandé interview express la Belge Charline Vanhoenacker, esprit moqueur de France Inter

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événement la loi de transition énergétique entretien le journaliste David Thomson le monde à l’envers enquête taxis et VTC : la guerre continue la courbe la loupe démontage futurama nouvelle tête Bad Breeding style food

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38 The Dø secoue la grammaire pop Shake Shook Shaken, troisième album ambitieux et charnel

Zadig Productions

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Benni Valsson pour Les Inrockuptibles

No. 983 du 1er au 7 octobre 2014 couverture The Dø par Benni Valsson pour Les Inrockuptibles

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44 alléluia, revoilà Ainsi soient-ils une saison 2 encore plus aboutie

48 Caribou, electro sensible avec Our Love, il invente le beat participatif

52 Le Grand Verre de Duchamp l’homme des ready-made a-t-il réinventé ou détruit la peinture ? Réponse à Beaubourg Audoin Desforges

56 Ici commence… Alain Guiraudie le cinéaste publie son premier roman

58 la noise thérapie en HP quand grindcore, drone et sludge soignent

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60 la création selon Robert Wilson

profitez de nos cadeaux spécial abonnés

p. 102

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cinémas Still the Water, Horns, Casse… musiques Aphex Twin, Childhood… livres Edwidge Danticat, Philippe Djian… scènes Vincent Macaigne refait l’Idiot !… expos Sheila Hicks… médias Vincent Josse...

ce numéro comporte un un encart abonnement 2 pages “Edition générale” jeté dans l’édition vente au numéro ; un CD “Une rentrée 2014 volume 2” encarté dans toute l’édition

Lucie Jansch

dans les coulisses des Nègres de Jean Genet, mis en scène par le monumental Américain

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Not in My Name Si l’émotion suscitée par les assassinats perpétrés par l’Etat islamique (EI ou Daech) et ses affidés est évidemment légitime, même s’ils sont justement conçus pour nous sidérer d’effroi, nous mettre en colère et nous faire dire et faire à peu près n’importe quoi, la pauvreté politique de la réplique occidentale laisse pantois. Comme si aucune leçon, même la plus élémentaire, n’avait été tirée de tant d’années d’errements dans l’approche – bottée et bornée, le plus souvent, et jamais désintéressée – de “l’Orient compliqué” cher à de Gaulle, et qui n’est pas parti pour se simplifier, loin de là. Alors que Barack Obama avait été élu pour extirper les Etats-Unis de leur seconde guerre d’Irak, car le désastre était patent, comment croire que la troisième – qui se contentera de bombardements, juré, pas de troupes au sol – connaîtra un plus vif succès de stabilisation de la région que les deux précédentes ? Les experts militaires américains eux-mêmes, pas plus d’ailleurs que les Français, murmure-ton dans les milieux “informés”, ne parviennent à croire à cette faribole. Il s’agit de répondre à l’émotion de l’opinion publique, de surfer autant que faire se peut sur un phénomène bien connu d’“union sacrée”, attisée en France à la mesure de l’impopularité de l’exécutif et de l’assez incroyable nullité de notre classe politique – nullité encore plus crasse quand il s’agit de politique internationale –, mais sans franchir le Rubicon de l’envoi de soldats – devenu impopulaire, à force d’échecs et de retour de cercueils. D’autant que la ligne de front est des plus floues et que l’Occident – malgré l’hypocrite renfort de ces parfaites démocraties sans tâche que sont les pétromonarchies du Golfe, berceau religieux et soutien financier des “barbares” en question – n’a plus vraiment les moyens de soutenir ni ses alliés d’aujourd’hui, comme le Premier ministre irakien chiite Haïder al-Abadi, ni ses ennemis d’hier et de

demain, comme le président syrien Bachar al-Assad. Le contexte est à la débandade généralisée, et c’est faire beaucoup d’honneur aux jihadistes de l’EI de les désigner comme le Mal, l’axe d’une nouvelle “guerre mondiale”, comme le titrait carrément Le JDD. C’est leur donner exactement ce qu’ils veulent. Bien sûr que les raids alliés sur les installations pétrolières qu’ils contrôlent leur feront mal, en attendant les inévitables dommages collatéraux et les premières bavures des représentants du Bien, mais qu’est-ce par rapport à leur tout neuf et inespéré statut d’ennemi juré des infidèles ? On voudrait qu’ils embauchent à tour de bras tous les illuminés de la planète qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Dans le même numéro du JDD, le spécialiste de géostratégie Gérard Chaliand, un homme qui sait ce qu’il dit, ce qui nous change en ces temps de bourrage de crâne triomphant, rappelle que “Daech est une version ultraminoritaire et archaïque de l’islam”. De plus, “cette organisation n’aurait jamais existé sans l’intervention américaine de 2003 en Irak (…) et la résistance (qui s’est mobilisée) contre le fait irrecevable qui consiste à marginaliser la communauté sunnite qui a dirigé le pays depuis des décennies, bien avant Saddam Hussein, même du temps de la monarchie et de l’Empire ottoman”. Alors, que faire ? Commencer par débattre et réfléchir. Se demander qui est le docteur Frankenstein et qui est sa créature ? Ne plus avaler une expression aussi ternie et épuisée que “guerre contre le terrorisme”, alors qu’elle a été inventée par George W. Bush avec les méthodes et les résultats que l’on sait. Et se rappeler que même en Irak et en Syrie, le fait religieux est une explication nécessaire mais jamais suffisante. Bref, faisons en sorte que l’effet Daech de simplification forcenée ne nous rende pas complètement idiots…

Frédéric Bonnaud 8 les inrockuptibles 1.10.2014

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devenir hétéroqueer grâce aux inRocKs La semaine dernière, des possibilités identitaires, des constructions testostéronées, de nouveaux objets du désir, des hommes doux et une femme rugissante.

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aman, ze veux pas y aller. – Pa-Pa, mon fils. Je suis ton papa. Et c’est bien, l’école. – Oui paman, mais ze veux pas y aller.” Nous sommes sur le chemin de l’école. Mon fils me prend pour sa mère. Christine And The Queens “multiplie volontiers les emprunts au vestiaire masculin”, “les hommes arborent désormais brassières, jupes-culottes et couleur rose bonbon”. Tout va bien : je suis un homme de mon époque, je suis queer. Pendant des années, c’était un vrai problème : suis-je “une femme comme les autres ?” Enfant, je jouais avec les Barbie de ma sœur, pleurais devant Princesse Sarah et empruntais en cachette maquillage et bijoux de ma mère : des “trucs de gonzesse” ? J’étais fasciné par les poitrines des femmes et rêvais d’en avoir rien qu’à moi pour y mettre de la crème hydratante. Etais-je gay ? Ç’aurait été si simple, comme étiquette. Ado, j’avais ce qu’on appelait une “sensibilité féminine” (traduire : je préférais Barbara à Metallica). Un côté fille, admettons, mais j’étais attiré par les filles. C’était le bordel, ça ne correspondait à rien, ça n’entrait pas dans les cases. Et en lisant le spécial mode, j’ai compris : j’étais en avance sur mon temps. J’étais “un hétéro-queer”, rien moins que “le visage de l’homme moderne”. Fini les assignations à résidence dans “les codes des genres”, la culpabilité de ne pas correspondre tout à fait au rôle du “vrai mec”, un peu macho, un peu gros con, mais bon bougre. “Une multitude de possibilités identitaires s’ouvrent à (moi) et (me) libèrent des constructions testostéronées vers lesquelles je suis poussé depuis (mon) plus jeune âge.” Enfin libre ! C’est par l’androgynie que la femme Saint Laurent s’est libérée. Comment n’avons-nous pas compris plus tôt que c’est par la même androgynie que les hommes se libéreraient à leur tour ? Tu nais homme, et ça ne fige plus rien. Comme pour Bonello s’attaquant à Saint Laurent, “rien n’était écrit, tout était à faire”. Plus besoin de singer un étalon-homme, de jouer au mâle dominant et autres conneries de psy des bas-fonds. Tout doit s’inventer. Comme dit la créatrice Chitose Abe : “Aucune comparaison n’est bonne, chaque évolution est profondément personnelle, imprévisible et doit venir de l’intérieur.” Je serai donc cet homme “doux, à l’aise chez lui, nouvel objet de désir et de complexités, plus fort par sa sensibilité aux côtés d’une femme rugissante” qu’incarne l’homme J. W. Anderson. Et cela sans perdre en rien ma virilité, ni porter de jupes-culottes, puisqu’il y a autant de virilités différentes que d’hommes. Mon fils et moi arrivons dans la classe. Il se précipite vers les petites voitures et la maîtresse m’alpague. “Dites-moi, vous demanderez à la maman si elle est disponible jeudi prochain ? Nous cherchons des accompagnatrices pour la sortie au musée.” Le combat ne fait que commencer. Alexandre Gamelin

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une semaine bien remplie Entrer en éruption avec Erlend Øye, changer les règles du jeu à la biennale d’art de Rennes, veiller en compagnie de vidéastes toute la Nuit blanche, avoir Xavier Dolan comme prof de ciné et découvrir un éclairage inédit sur la guerre d’Algérie avec Benjamin Stora.

invisible La Guerre d’Algérie expliquée en images Le conflit en Algérie, longtemps resté une guerre “sans nom”, débuta il y a soixante ans. Benjamin Stora, nouveau directeur du musée de l’Histoire de l’immigration (lire p. 97), en restitue les épisodes et analyse les débats politiques qu’il a générés à partir d’un état des lieux de la recherche historique et de nombreuses photographies. Des documents rassemblés dans un beau livre, précis et éclairant. livre La Guerre d’Algérie expliquée en images (Seuil), 184 pages, 29 €

AFP

“Un seul héros le peuple” : slogan du FLN après les accords d’Evian. Alger, juin 1962

veille Nuit blanche 2014

événement le 4 octobre, programmation vidéo Sosh aime les inRocKs lab à l’Ecole normale supérieure, Paris Ve, lesinrockslab.com et quefaire.paris.fr/nuitblanche

Courtesy de l’artiste

Sous l’impulsion de son commissaire José Manuel Gonçalvès, cette douzième édition prend un tour très street art. Les œuvres de Jef Aérosol, du collectif Boamistura, de Borondo ou Spy côtoieront celles d’artistes plasticiens tels que Jacques Villeglé ou Hicham Berrada. Autre nouveauté à signaler : pour la première fois, la participation active des Inrocks avec une large sélection d’artistes passés par le concours création vidéo Sosh aime les inRocKs lab et l’Ecole des Arts-Déco. Rendez-vous le 4 octobre de 20 h à 2 h à l’Ecole normale supérieure. Igor Kelchewsky, Murder Day (2014)

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émérite Xavier Dolan Le dimanche 5 octobre, à l’occasion de la sortie de Mommy, le 8, le prodige canadien sera au Forum des images pour une master class. Si la séance affiche déjà complet, les recalés pourront en visionner l’intégralité sur le site du Forum des images.

XavierDolan sur le tournage de Mommy

Shayne Laverdière

master class le 5 octobre, Forum des images, Paris Ier, forumdesimages.fr

jouer sans entraves biennale d’art de Rennes “Pourquoi le travail est-il aujourd’hui devenu la seule source de valorisation de soi ? Avons-nous encore le droit de jouer ?” : pour l’édition 2014 de la biennale d’art contemporain de Rennes, baptisée Play Time, la commissaire Zoë Gray invite à “réfléchir à l’importance du jeu” grâce aux œuvres d’une vingtaine d’artistes (de Robert Filliou à Priscila Fernandes). festival jusqu’au 30 novembre, lesateliersderennes.fr

eyjafjallajöcool Erlend Øye, ex-moitié des Kings Of Convenience, poursuit son échappée solitaire avec un deuxième album façonné en Islande. A Reykjavík, le Norvégien s’est offert les services d’un groupe de reggae local pour mettre un peu de lumière dans ses folksongs fragiles. sky, 14)

album Legao, sortie le 6 octobre

Courtesy de l’artiste et Michel Rein, Paris/Bruxelles

Legao

Jimmy Durham, Smashing (2005) 1.10.2014 les inrockuptibles 13

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“la France est un vieux pays conservateur” Le nouveau poil à gratter de France Inter, Charline Vanhoenacker, nous parle de sa passion pour la radio, de Gaston Flosse, de P’tit Quinquin et d’Aquilino Morelle.



près Le 5-7 avec Eric Delvaux l’année dernière, vous présentez l’émission de 17 heures avec Alex Vizorek, Si tu écoutes, j’annule tout. Et dans une case très exposée, vous êtes l’auteur du billet d’humour avant les infos de 8 heures. C’est flippant ? Charline Vanhoenacker – Je ne flippe jamais et comme je n’ai pas cherché à l’obtenir – on m’a fait venir –, la pression n’est pas sur moi. Je prends les choses avec détachement. Dans les deux cas, j’essaie d’être impertinente, même si le mot est galvaudé, et pertinente. L’humour me permet de dénoncer, d’être cinglante sans que cela puisse être attaquable. Votre arrivée à Inter fait suite à un billet publié sur lesoir.be repéré par Pascale Clark. Vous brocardiez les journalistes politiques qui suivaient la campagne de François Hollande… C’est un système pervers : c’est toujours le même journaliste qui suit Hollande et s’il est élu, le journaliste le suit à l’Elysée. A lui le Air Hollande One, le tutoiement avec le pouvoir, le travail sous

les ors de la République. Il y avait un véritable syndrome de Stockholm, conscient ou pas, chez ces journalistes. Vous n’avez pas dû vous faire de copains chez les journalistes politiques. Je n’ai jamais eu de copains journalistes politiques, ce qui m’a permis de faire ce papier. Je ne pensais pas avoir dévoilé quelque chose d’incroyable mais mon billet s’est transformé en dépêche AFP. C’est un petit milieu qui vit en cercle fermé. C’est une des raisons pour lesquelles on a su très tard que Valérie Trierweiler était la compagne de Hollande. En Belgique, le service politique tourne, on ne devient pas “à tu et à toi” avec les politiques. Vous avez débuté en tant que journaliste. Est-ce important pour vous de brouiller les lignes et de mélanger les genres ? Je revendique d’être à la fois journaliste et “humeuriste” – copyright Myriam Leroy. J’ai un passé de correspondante pour Le Soir et la RTBF, j’ai fait des reportages à l’étranger. Il y a des limites que les humoristes franchissent, pas moi. Je suis incapable

de faire des blagues sur le 11 Septembre ou sur Mohamed Merah. Mon travail est d’abord journalistique. J’ai le souci de l’exactitude. Ensuite, je la tords pour faire quelque chose d’hybride et de schizophrène que j’assume complètement. Certains commentateurs disent que vous manquez de méchanceté. Pourquoi être méchant ? C’est très français. Je cherche à être impertinente, insolente, à dénoncer. Quand je reviens sur la disparition suspecte de Jean-Pascal Couraud, dit “JPK”, en disant : “Gaston Flosse n’est absolument pour rien dans l’assassinat du journaliste JPK en 1997 à Tahiti, tout le monde sait bien qu’il est dangereux de nager au large avec un parpaing dans son sac à dos.” Qui s’en souvient encore ? Et Stéphane Guillon qui a comparé Martine Aubry a un “petit pot à tabac” ? J’ai du mal avec les blagues sur le physique. Il faut que ce soit pertinent. Sur Alain Juppé, quand je dis “avec lui on a l’impression que le temps ne passe pas, il a toujours été chauve et coincé, c’est vraiment le mec qui prend sa douche avec sa cravate”,

j’explique pourquoi il est rassurant. Qu’est-ce qui vous fait rire ? En France, il faut avoir des références : “Attention t’es sur France Inter, c’est la radio de Jacques Chancel, t’as le créneau de Guillon.” Mais pour moi, rien n’est mythique même si j’ai toujours aimé Desproges, Coluche, Les Guignols. Feriez-vous de la télé comme Sophia Aram si on vous le proposait ? J’ai eu beaucoup de propositions mais j’ai fait le choix de rester à la radio car c’est le média de la liberté totale. En télé, ta chronique passe entre dix paires de mains. Si tu tapes sur BHL, pour fédérer, on va te demander de taper sur Zemmour. Si tu tapes sur Hollande, on va te demander de mettre une pichenette à Sarkozy. A part ne plus pouvoir venir en pyjama, qu’estce que ça change d’être filmée à la radio ? Quand tu arrives à 2 heures du matin, t’as franchement pas envie d’être filmée. Je ne suis pas favorable au fait de filmer la radio. Ça casse le charme. La radio est un média

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“en Belgique, le service politique tourne, on ne devient pas ‘à tu et à toi’ avec les politiques”

intime, le plus accessible et direct. Avant, je passais beaucoup de temps en Afrique, notamment au Burkina Faso. Avec deux piles, les agriculteurs sont informés. Ils n’ont pas l’argent pour le reste mais écoutent la radio. En Haïti, après le tremblement de terre, la première chose qui s’est relevée, ce sont les antennes de radio. Dans notre monde occidental, où chacun est connecté et vit avec dix écrans, la radio est le seul média qui t’accompagne sous la douche. Stéphane De Groodt, Walter, Alex Vizorek, vous-

même. Comment jugezvous cette passion française pour les Belges ? Il y a du suivisme dans les médias français. Depuis vingt ans, on a le Thalys. Le Belge francophone connaît par cœur la politique et la culture françaises, on les regarde avec acuité et distance. Comment expliquezvous que la Belgique soit plus en avance que la France sur les mœurs ? On a légalisé le mariage homo il y a dix ans, l’euthanasie pour les mineurs cette année. On est pétri d’influences, on est un petit pays

au carrefour de l’Europe, un pays jeune. La France est un vieux pays engoncé, toujours tourné sur ses vieilles gloires, un pays conservateur presque plus catholique que la Belgique. Qu’avez-vous pensé de la séquence catastrophique de la rentrée de François Hollande ? Je n’aurais pu rêver mieux pour le lancement de mon émission et de ma chronique ! J’ai une impression mêlée de consternation totale et d’amusement. Ces gens ne touchent plus terre. Aquilino Morelle et ses mocassins qui crachent sur Hollande, Valérie Trierweiler autoproclamée première journaliste de France, les casseroles de Sarkozy et de l’UMP. L’élite française vient d’un certain milieu social, elle est produite dans un gros élevage qui s’appelle l’ENA ou Sciences-Po. Quand ils commencent à tutoyer le pouvoir, le people, à avoir un chauffeur, ils se sentent immunisés. En Belgique, nous n’avons pas de grandes écoles, il n’y a pas de people, pas de bling-bling. Que pensez-vous du fait que les musulmans soient implicitement appelés

à se désolidariser des terroristes ? Ce qui me déçoit en France, c’est la crispation sur ce genre de sujet. Ce pays est très divisé alors qu’il devrait faire de son héritage colonial dégueulasse une richesse. Je suis choquée quand on s’obstine à dire que la ville la plus violente de France est Marseille. Non, c’est Pointe-à-Pitre et Pointeà-Pitre, c’est la France ! Vous avez regardé la série P’tit Quinquin de Bruno Dumont ? Seulement une dizaine de minutes car je n’ai pas le temps. Ça m’a séduite mais je m’inquiète car je ne comprends pas tout, moi qui comprends le ch’ti et le ch’nord ! Je viens d’une petite ville sinistrée, l’équivalent de Roubaix en Belgique. Quelles séries regardez-vous ? Je n’en regarde jamais. Ça prend énormément de temps. Si demain je suis virée, je mets mon sweat à capuche et je regarde House of Cards ou Borgen. En mangeant quoi ? Des frites bien sûr ! (rires) Non, du jambon ibérique. propos recueillis par Anne Laffeter photo Rüdy Waks pour Les Inrockuptibles 1.10.2014 les inrockuptibles 15

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Devant la raffinerie Total de Donges (Loire-Atlantique)

Jean-Sébastien Evrard/AFP

les députés n’hésitent plus à solliciter les lobbies

lobbying à ciel ouvert ONG et grandes entreprises livrent une intense bataille de lobbying pour amender la loi de transition énergétique de Ségolène Royal. Une pratique qui ne se cache plus.

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elphine Batho en est convaincue : ce sont les lobbies énergétiques qui ont eu sa peau. “Certaines puissances économiques n’acceptaient pas le niveau d’ambition que je fixais pour la transition énergétique”, dénonçait l’ex-ministre de l’Ecologie après son éviction du gouvernement en juillet 2013. Plus d’un an après, Batho revient avec un livre (Insoumise, Grasset, le 15 octobre) qui entend dénoncer “la connivence avec les lobbies et les puissances financières”. Quel est le niveau d’influence des lobbies sur la loi de transition énergétique défendue le 1er octobre par la ministre de l’Ecologie Ségolène Royal ? “Il faut évacuer les fantasmes autour des lobbies, sourit Arnaud Gossement, avocat en droit de l’environnement, et représentant des intérêts d’entreprises spécialisées dans les énergies renouvelables. Delphine Batho dénonce la porosité réelle qui existe entre pouvoir exécutif et entreprises. Mais le lobbying quotidien, lorsque des ONG ou des entreprises essaient de convaincre les députés, participe à une logique démocratique. Il est complètement normal.” Normal au point que les députés n’hésitent plus à afficher leurs rencontres avec les groupes d’intérêt professionnels. L’écolo François de Rugy tweete une photo depuis le congrès de la Fédération des services énergie environnement (Fedene) à Nantes. Son collègue Denis Baupin, l’un des cinq rapporteurs de la commission énergie de l’Assemblée nationale, échange avec des lobbyistes sur Twitter pendant l’examen des 2 383 amendements du projet de loi. Changement de génération, donc changement des pratiques ? “Internet a rendu le lobbying plus transparent, le dialogue semble plus public”, souligne Anne Bringault, lobbyiste pour les ONG. Le débat de la commission a été diffusé sur le site de l’Assemblée nationale, alors que seul le débat en séance publique l’était jusqu’ici. “C’est pendant ces débats de fond que les députés

se lâchent – ‘j’ai rencontré machin’, ‘j’ai dîné avec untel’. Ce genre de petites phrases est désormais public”, note un autre lobbyiste. Les députés n’hésitent pas non plus à solliciter directement les lobbies pour qu’ils leur fournissent des amendements clé en main. “Ce n’est pas choquant : 60 % des amendements déposés par les parlementaires ont été préparés par des groupes d’intérêt”, ajoute Arnaud Gossement. “Ségolène Royal a entamé une procédure accélérée sur le projet de loi (une lecture par chambre – nldr), ce qui laisse peu de temps aux parlementaires pour faire des amendements, complète Anne Bringault. Ils en ont demandé, on leur en a envoyé.” Dans le rush, certains oublient de gommer le nom du groupe d’intérêt qui le leur a fourni, à l’instar des députés socialistes Jean-Jacques Cottel et Philippe Plisson qui ont présenté les amendements 325 et 1 384 pour le compte d’Amorce, un groupe qui défend les intérêts des conseils généraux. Preuve que les lobbies travaillent bien, il arrive que le même amendement formulé à l’identique soit proposé par 42 députés différents. Exemple : les amendements 208 et 970, l’un défendu par un groupe de députés de droite, l’autre par un groupe de députés de gauche. “On pourrait progresser en transparence si les députés publiaient sur leur site la liste de tous les amendements qu’ils ont reçus. Cela permettrait de voir qui relaie quoi”, suggère Arnaud Gossement. Mais même si le lobbying se veut plus transparent, les groupes d’intérêt n’ont pas tous la même force de frappe. “Total a plus de personnel et de moyens que les syndicats d’artisans : ils pèsent beaucoup plus lourd”, souligne Anne Bringault. Même chose pour le lobby agricole qui a fait exclure les émissions de méthane produit par l’élevage des ruminants du plan de réduction des émissions de polluants atmosphériques. Mathilde Carton

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Image extraite de la vidéo de propagande de l’EI Flames of War

“le plus probable est un attentat à la Merah” Pendant plus d’un an, David Thomson, grand reporter à RFI, a suivi et interrogé des Français qui partaient se battre en Syrie. Il revient sur l’exécution d’Hervé Gourdel, l’entrée en guerre de la France et la réalité de la menace jihadiste.

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’Etat islamique est présent en Irak, en Syrie et, depuis la mort de l’otage français Hervé Gourdel, en Algérie. Est-ce qu’il s’étend ? David Thomson – C’est plutôt le jihad maghrébin qui s’est étendu en Syrie et en Irak. En 2012, les premiers combattants, qui forment aujourd’hui le gros des troupes étrangères, venaient de Tunisie. Ils passaient par les camps d’entraînement d’Ansar al-Charia à Benghazi. En Algérie, c’est une autre histoire. Depuis la fin de la “décennie noire” (la guerre civile de 1991-2002), les jihadistes locaux se sont retranchés dans les montagnes de Kabylie pour continuer la lutte contre l’armée algérienne. Seul un petit groupe dissident d’Aqmi a rejoint l’EI : Jund al-Khilafa. En décapitant Hervé Gourdel, ils ont eu un impact médiatique immense, mais en réalité ils sont à peine quelques dizaines. Toute la communication de l’EI vise à donner l’impression d’une puissance qu’ils n’ont pas. Lorsqu’ils publient

des vidéos comme Flames of War, ils se présentent comme la quatrième armée du monde alors qu’ils ne comptent que 30 000 combattants, dont 15 000 étrangers. La question est de savoir si Ansar al-Charia en Tunisie et en Libye ou Majlis Shura Shabab al-Islam, qui tient Derna (Libye), vont rejoindre les rangs.  L’EI ressemble donc plus à une hydre à dix têtes qu’à un Etat. Les bombardements de l’armée française en Irak sont-ils un moyen de lutte efficace ? Dans l’histoire, toutes les interventions occidentales n’ont fait que renforcer le jihad. Aujourd’hui, l’EI ne fait pas l’unanimité au sein du mouvement jihadiste : ils sont en guerre contre le Front al-Nusra depuis des mois. Mais l’intervention peut fédérer ces groupes et renforcer politiquement l’EI. Cela dit, les frappes peuvent aussi les affaiblir militairement. En perdant le barrage de Mossoul, où ils ont été bombardés par l’armée française, ils ont perdu une position essentielle qui leur permettait d’assécher en eau la capitale.

L’intervention peut aussi les priver d’une partie de leurs revenus puisqu’ils tirent leurs richesses des territoires qu’ils occupent. Lorsqu’ils ont pris Mossoul, ils ont pris la banque centrale dont les coffres renfermaient 450 millions de dollars. Lorsqu’ils ont pris Deir Ezzor, ils ont pris les champs de pétrole, de gaz et la raffinerie, et vendent au marché noir pour 1 à 3 millions de dollars par jour, même si ces estimations sont à prendre avec des pincettes. On s’est même demandé si des pays européens ne leur en avaient pas acheté… Bombarder les champs de pétrole peut donc les freiner, mais ils lèvent aussi des impôts : péages aux check-points, impôts sur les chrétiens, etc. Leurs ressources sont illimitées et échappent à tous les circuits bancaires, à tous les contrôles. A côté, Al-Qaeda est dérisoire. La possibilité d’attaques en France par des jihadistes français panique la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure, ex-DCRI). Quelle est la réalité de cette menace ?

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“toutes les interventions occidentales n’ont fait que renforcer le jihad” Jusqu’à récemment, commettre des attentats en France faisait débat parmi les jihadistes. Les uns soutenaient que le jihad ne pouvait se faire que sur une terre où les musulmans sont attaqués. Les autres voulaient suivre les préceptes d’Abou Moussab al-Suri, un penseur qui a dressé une typologie du jihad dans un bouquin de 1 400 pages et en a conclu que toutes les tentatives sont des échecs et que désormais il faut pratiquer le “jihad individuel”. C’est-à-dire agir seul, avec les moyens du bord, faire un maximum de dégâts avec un gros retentissement médiatique. L’EI n’était pas dans cette logique de jihad global (au-delà de la Syrie), mais les frappes ont changé la donne. Le communiqué publié par Mohammed al-Adnani le 21 septembre donne des ordres clairs qui augmentent le risque de façon considérable : il demande de frapper partout, de tuer à coups de pierre pour ceux qui n’ont pas d’arme, ou d’utiliser leur voiture pour écraser les gens. Le scénario le plus probable est un attentat à la Merah ; un homme qui agit seul. Plusieurs Français de l’Etat islamique me confient depuis plus de deux ans leur admiration pour Merah et m’ont même dit qu’ils n’hésiteraient pas à tuer des enfants de “mécréants”. D’après la CIA et la DGSE, il y aurait un groupe de jihadistes présent en Syrie mais qui ne combat pas et dont le seul but serait la préparation d’attentats… Le groupe Khorassan est une unité du Front al-Nusra (Al-Qaeda en Syrie) composée de talibans originaires du Waziristan et d’Afghanistan venus s’installer en Syrie, pour s’entraîner, à Idlib. Ils y étaient plus tranquilles que dans leur pays, loin de la surveillance des drones. Les services secrets occidentaux sont convaincus que ce groupe a pour objectif de préparer des attentats en Occident, et c’est pour ça que la coalition les a frappés à Idlib. Mais c’est difficile à vérifier. Le cafouillage de Marseille – trois djihadistes rentrent chez eux parce que la police ne les attend pas dans le bon aéroport – est-il le signe que l’on ne prend pas la menace au sérieux ? La France présente cette histoire comme une erreur des Turcs, mais les services français ont tardé à prendre le phénomène au sérieux. Le gros des départs a eu lieu en 2013 – certains

partent encore, mais on n’est plus dans un flux exponentiel. Le gouvernement n’a rien fait. Il y a plus d’un an, un jeune m’a appelé en me disant : “C’est bon, c’est décidé, je pars demain. Tu crois que je vais passer ?” Je lui ai répondu que ça m’étonnerait franchement que les autorités françaises le laissent partir en Syrie, vu que depuis un an il postait des vidéos jihadistes sur les réseaux sociaux… Le lendemain, il tweetait son départ pour le jihad et postait depuis la frontière turque “Wesh les gars, j’étais grillé comme une cacahuète et je suis passé tranquille !” Aujourd’hui, la filière française compte entre 900 et 1 000 membres : 350 sont sur place, 37 sont morts, 180 sont rentrés, le reste est essentiellement constitué de soutiens. Ces jihadistes qui rentrent sont-ils vraiment une menace et pourquoi reviennent-ils ? En arrivant en Syrie, certains déchantent. Je connais un jeune parti en 2012 qui très tôt a été blessé à la jambe. Il était fatigué, il voulait rentrer. Ce sont les frappes qui l’ont fait changer d’avis. Et puis, le retour est difficile. Le simple fait d’être allé en Syrie est un délit. Lorsqu’ils rentrent, ils sont arrêtés et mis en prison au minimum pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Et si la justice a la moindre preuve qu’ils ont combattu et tué, ils peuvent être accusés d’homicide. Il y a même un jeune qui est accusé de meurtre pour avoir décapité un soldat de Bachar al-Assad. Pourtant, certains préfèrent rentrer et se rendre à la police plutôt que de rester là-bas. C’était le cas de Mourad Fares. A cause de la guerre entre les différents groupes jihadistes, qui peut amener des Français à se battre les uns contre les autres, il s’est vite senti isolé : il a préféré rentrer en Turquie et se rendre aux autorités. Tous les combattants ne reviennent pas avec le même passif. Certains n’ont pas tiré un coup de fusil, comme ceux qui ont rejoint la brigade française du Front al-Nusra. D’autres, comme ceux d’Ansar al-Sham, la plus grosse brigade du Front islamique, ont même combattu l’EI. Mais la justice fera-t-elle une distinction ? J’ai peur que non. propos recueillis par Marie-Lys Lubrano lire Les Français jihadistes (Les Arènes), 256 pages, 18 € 1.10.2014 les inrockuptibles 19

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ces jihadistes ne sont pas difficiles à vaincre. Encore faut-il les affronter sur le terrain

Des troupes d’EIIL aux abords de Bagdad, juillet 2014

et si l’Etat islamique n’était pas si puissant ? Moyens financiers surévalués, équipement militaire quasi nul, adhésion des populations limitée : la force de frappe que l’on prête à l’EI est disproportionnée.

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propos de l’Etat islamique, commençons par dégonfler quelques baudruches. Par exemple le fameux braquage du siècle. C’était en juin, les jihadistes effaraient le monde en s’emparant de Mossoul. En quelques heures à peine, la seconde ville d’Irak passait sous le contrôle de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) qui récupérait au passage 500 millions de dollars entreposés dans quelques banques et la succursale locale de la Banque centrale d’Irak. D’une part, ce ne sont pas des dollars qui auraient été volés mais des dinars irakiens. Autrement dit, de la monnaie de singe pour les jihadistes. En Irak, tout ce qui est sérieux se négocie

en devises. Essayez d’acheter une kalachnikov avec des dinars irakiens… D’autre part, cette histoire de braquage du siècle n’a jamais été confirmée. Mieux encore : un mois après la prise de Mossoul, le Financial Times la démentait, enquête à l’appui. L’EIIL a laissé dire, drapant ainsi d’un voile romantique la réalité de ses revenus. C’est en effet un groupe terroriste comme les autres qui, pour se financer, utilise l’extorsion, le trafic – de pétrole notamment –, l’impôt “révolutionnaire” et des amis lointains et riches dans les monarchies du Golfe. Et, pour le coup, ce sont des billets verts que l’EIIL récupère. De la même façon, l’EIIL ne dément jamais les chiffres délirants publiés sur ses effectifs. On lit 20 000 voire

30 000 hommes ! En fait, les spécialistes les plus sérieux, comme la Rand Corporation, parlent de 10 000 à 15 000 maximum. Là, tout le monde laisse dire. Plus l’ennemi est formidable, plus la victoire est glorieuse. Même les peshmergas kurdes ont intérêt à exagérer le niveau d’équipement de l’EIIL pour obtenir des Occidentaux le must en matière d’armes. Aussi nous parle-t-on de stocks de missiles, de blindés ou d’hélicoptères récupérés sur l’armée irakienne. Il suffit pourtant de se pencher sur les reportages, voire la propagande de l’EIIL. On y voit des pick-ups bricolés, des armes légères et des francs-tireurs. Rien de plus. Car pour utiliser l’arsenal laissé par l’armée irakienne, il faut en avoir les clés ! C’est-à-dire les pilotes pour les hélicos,

la formation et les radars pour les missiles. Ajoutons que ces jihadistes ne sont même pas difficiles à vaincre. Encore faut-il les affronter sur le terrain. Suite à la prise de Mossoul, une longue colonne de pick-ups de l’EIIL, emportée par l’enthousiasme, a tenté d’entrer en Jordanie. Une centaine de commandos de l’armée royale jordanienne leur a donné une leçon : la colonne a été détruite et l’EIIL n’a plus jamais recommencé ce genre d’escapade bien au-dessus de ses moyens. Autre point faible, leur étirement territorial (de 10 000 à 15 000 hommes sur un territoire grand comme le Portugal). Mais c’est surtout leur stupidité doctrinale qui les fragilise à moyen terme. L’avantage stratégique d’un groupe terroriste “classique” est qu’il s’appuie sur les défaillances et la brutalité de l’Etat qu’il veut détruire pour gagner la sympathie, de la société. Or l’EIIL, lorsqu’il défait l’Etat en Syrie ou en Irak, le remplace aussitôt par une loi plus opprimante et plus sanglante. C’est pour cette raison qu’il aime tant les combattants étrangers, sans lien avec la réalité sociale du terrain. L’EIIL est un groupe terroriste comme les autres pour ses méthodes (l’assassinat ciblé et médiatisé) et son financement. Mais il est plus facile à vaincre parce qu’immédiatement détesté des sociétés qu’il prétend “libérer”. Anthony Bellanger

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enquête

les VTC grillent la priorité aux taxis Un nouvel amendement permet aux voitures de transport avec chauffeur de contourner la loi Thévenoud votée mi-septembre. Elles pourraient ainsi concurrencer les taxis sur leur domaine réservé : la prise en charge de clients sans réservation préalable.

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epuis le 18 septembre, on pensait terminée la guerre ouverte entre taxis et voitures de transport avec chauffeur (VTC). Avec le vote de la loi du député Thomas Thévenoud, l’équilibre devait être clair : aux taxis était attribuée la maraude (le droit de prendre en charge un client sans réservation préalable) en plus des réservations, tandis que les VTC devaient se contenter du marché de la réservation préalable. Mais la loi Thévenoud a connu un jeu de va-et-vient entre les deux chambres durant lequel ont été ajoutées des modifications discrètes, mais cruciales, qui permettent aux entreprises de VTC de contourner la loi. Pour bien comprendre, il faut remonter au 10 juillet, lorsque la proposition de loi de Thomas Thévenoud – pas encore connu pour ses ennuis fiscaux et son passage éclair au gouvernement – est votée en première lecture à l’Assemblée nationale. Alors que le député avait passé des mois à auditionner les entreprises de VTC avant de finaliser son projet de loi, il dégaine en séance un amendement, le numéro 116, qui leur ajoute une contrainte. A l’époque, Yan Hascoët, fondateur de la société de VTC française ChauffeurPrivé, s’indignait : “Cela fait quatre mois qu’on discute avec le député Thévenoud, cet amendement n’a jamais été évoqué.” Démenti de l’intéressé, pour qui les entreprises privées étaient au courant. Sur le fond, l’amendement 116 prévoit que les chauffeurs des VTC seront obligés

de retourner entre chaque course “au lieu d’établissement de l’exploitant de (sa) voiture ou dans un lieu, hors de la chaussée où le stationnement est autorisé”. L’intention du député Thévenoud est d’éviter que les VTC ne patientent aux abords des gares et des aéroports avant qu’un client ne commande leur voiture – ce qui abolirait le privilège de maraude réservé aux taxis. Les entreprises françaises de VTC se sentent trompées. Le coût économique du retour à la base – qui peut se situer à plusieurs dizaines de kilomètres des zones de travail des chauffeurs – leur causerait un préjudice fatal. Elles organisent alors un “rassemblement éclair” (une centaine de voitures place Vauban à Paris) pour protester et se faire entendre des sénateurs, qui ont encore le pouvoir de modifier le texte. Pari réussi. Six sénateurs du groupe UDI viennent à la rescousse des VTC et présentent un texte qui modifie sensiblement l’amendement 116. Il stipule qu’un chauffeur de VTC devra retourner au siège de son entreprise entre chaque course “sauf s’il justifie d’une réservation préalable ou d’un contrat avec le client final”. La loi ainsi modifiée est adoptée par le Sénat le 23 juillet, puis votée mi-septembre par l’Assemblée nationale. “Cette modification nous permet de travailler comme avant”, affirme Yan Hascoët. D’après ses avocats, l’amendement des sénateurs – et surtout la phrase “sauf s’il justifie d’un contrat avec le client final” – permet

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“mes collègues ont été un poil malhabiles de se vanter de pouvoir profiter des brèches de la loi”

Heaton/Onlyworld/AFP

Yves Weisselberger, coprésident de l’entreprise de VTC SnapCar

de contourner l’injonction de retour à la base des voitures. “Tout client lié avec notre plate-forme signe un contrat général d’utilisation. Chaque chauffeur est donc directement en contrat avec tous nos clients, à n’importe quel moment”, continue-t-il. Par conséquent, les VTC n’auraient plus aucune obligation de retourner à leur siège entre deux courses et pourraient continuer à stationner devant les gares et aéroports. Le député Thévenoud tombe des nues. Pour lui, qui se disait satisfait de l’amendement des sénateurs fin juillet, cette notion de “contrat avec le client final” n’était destinée qu’à exempter de retour à la base les VTC liées à des entreprises “qui auraient passé un contrat, par exemple des hôtels ou le Parlement européen qui sont susceptibles de passer ce genre d’accord d’exclusivité par facilité, pour travailler avec une seule entreprise de VTC”. Pourtant, les entreprises de VTC françaises sont plusieurs à en faire la même interprétation. Yanis Kiansky, fondateur d’Allocab, se montre très sûr de lui : “Tous nos clients ont signé nos conditions générales de vente, cela représente un contrat avec le client. On a alerté les sénateurs avec nos actions et on a eu gain de cause.” Les sénateurs UDI qui ont fait passer cet amendement et cette notion de contrat avec un client sont, eux, bien embêtés. Le référent de ce texte, le sénateur Vincent Capo-Canellas, admet qu’il ne s’attendait pas à une telle interprétation : “C’était un amendement de compromis, pour aboutir à une majorité au Sénat. L’amendement en question, pour moi, ne permet pas cette forme de maraude, que nous voulons interdire pour les VTC.” Et le sénateur de préciser que la loi sera appliquée par un décret – pas encore signé – qui palliera les interprétations bien trop larges de son amendement dans les mois qui viennent. C’est également ce que craint le plus modéré Yves Weisselberger, coprésident de l’entreprise de VTC SnapCar. “Je trouve que mes collègues ont été un poil malhabiles de se vanter de pouvoir profiter des brèches de la loi.” En somme, il aurait mieux valu faire profil bas jusqu’à ce que ce décret soit signé. Un risque que Yanis Kiansky se dit prêt à prendre : “On a déjà fait reculer le gouvernement une fois (le Conseil d’Etat a suspendu en février l’exécution du décret sur le délai minimal de quinze minutes entre la réservation par le client et sa prise en charge effective par le service de VTC – ndlr), s’il y a un décret qui se met à nouveau en travers de notre chemin, on est prêts à se défendre.” Une chose est sûre, les taxis, à qui on avait promis un rééquilibrage de la concurrence avec ce retour à la base, ne se satisferont pas de ce compromis ambigu. “Si la loi est floue et qu’ils l’interprètent de cette manière, on retournera voir le Parlement et le gouvernement, et on demandera une nouvelle modification de la loi”, conclut Alain Griset, président de l’Union nationale des taxis. Marie Turcan 15.09.2012 les inrockuptibles 23

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Noël

retour de hype

Paul McCartney et le Meat Free Monday

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

“c’est comme si la vie était en train de devenir un sondage du figaro.fr”

les gens qui parlent de 4chan sans n’y avoir jamais navigué Kendrick Lamar

Gamine de Perez

“How To Be Une Grosse Provinciale”

“les enfilades suédoises c’est un peu le mojito des meubles, non ?”

le commandant Van der Weyden de P’tit Quinquin

“et toi, t’as combien de neurones ?”

“tu me passerais deux trois grains de raisins, steuplé ?”

les mémoires de Lena Dunham

Laurent Blanc Colin Farrell et Vince Vaughn dans la saison 2 de True Detective

les cadenas de l’amour

Paul McCartney s’engage pour la campagne internationale qui, comme son nom l’indique, encourage les gens à ne plus manger de viande le lundi sur meatfreemondays.com. Le commandant Van der Weyden de P’tit Quinquin