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No.970 du 2 au 8 juillet 2014

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www.lesinrocks.com

supplément Avignon

Allemagne 4,40 € - Belgique 3,90 € - Canada 6,99 CAD - DOM 4,80 € - Espagne 4,30 € - Grande-Bretagne 6,30 GBP - Grèce 4,30 € - Italie 4,30 € - Liban 11 000 LBP - Luxembourg 3,90 € - Maurice Ile 6,30 € - Portugal 4,30 € - Suède 53 SEK - Suisse 6,50 CHF - TOM 960 XPF

intermittents, précaires

le combat continue

la soul luxuriante de

Jungle

Manuel Vallade, Lætitia Dosch, Stanislas Nordey

Hollywood le fantôme de la starlette X

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cher Christian Jacob par Christophe Conte

C

her Rantanplan, devrais-je dire, puisqu’il paraît que c’est le sobriquet dont t’avait affublé François Fillon au plus fort des tirs de mortiers contre le camp Copé. Rantanplan, tu sais, le chien un peu débile dans Lucky Luke, fidèle à Averell, lui-même le plus con des frères Dalton ? Ta fidélité à Averell Copé, assortie du mépris acrimonieux de Joe Dalton Sarkozy à ton égard, rend effectivement cette comparaison canine assez parlante. Lucky Fillon a tiré plus vite que son ombre dans le mille.

Sauf qu’aujourd’hui, on devrait plutôt te surnommer Rantanbonplan, ou Rantanplan de financement, car parmi les révélations en cascade dans la pathétique affaire Bygmalion, on apprend que le groupe UMP que tu présides à l’Assemblée a accordé en 2012 un prêt de 3 millions d’euros à ton parti, sans que la plupart des membres du groupe en question n’en soient tenus informés. En résumé, t’aurais sorti l’artiche – partiellement de l’argent public pour renflouer les finances de ton copain Copé, le flambeur de Meaux, à l’insu des députés que tu représentes.

Faire un prêt à Copé, je te dis ça en passant, c’est comme parier sur la Grèce championne du monde, t’es à peu près aussi sûr de revoir ton pognon que des fraises à Noël. Seulement 540 000 euros sont, paraît-il, revenus dans les caisses. Pour le reste, vu la capilotade des finances UMPistes, tu vas pouvoir en faire un cône et t’asseoir dessus. Ton nouveau surnom, c’est le Crédule agricole. Car parmi les commentaires embarrassés de tes collègues, on sent poindre un brin de condescendance qui donne néanmoins envie de te plaindre, mon Cricri. Toi l’ancien paysan, catapulté du cul des vaches jusqu’aux cénacles citadins et cyniques de la politique grâce à ses accointances chiraquiennes, tu te serais fait flouer par cet énarque à la rapacité redoutable de JFC, lequel aurait abusé de ta gentillesse proverbiale. J’imagine que tu as déjà assisté à l’accouchement d’un bovin, quand le vétérinaire enfile des gants, puis… Bref, c’est cette image qui vient à l’esprit en pensant à ton rôle dans cette histoire. Un Rantanplan, il n’avait pas tort, Fillon. Si ça continue à cette cadence, on va apprendre bientôt que tu t’es fait aussi racketter par les Balkany pour l’achat de leur bicoque à Saint-Martin, que tu as servi de porteur de valises depuis l’hôtel particulier de la vieille Bettencourt, que t’es pas tout blanc dans l’affaire Tapie et que c’est toi l’intermédiaire malaisien qui a racheté les croûtes de Guéant. Mais non, t’inquiète, tu peux desserrer les fesses. Le fusible officiel Jérôme Lavrilleux, le Kerviel larmoyant, a déjà sauté pour tout le monde, même si en arrièreplan c’est toute votre petite bande de margoulins qui donne l’impression ces derniers temps de fondre les plombs. Je t’embrasse pas, je ne te fais aucun crédit. 2.07.2014 les inrockuptibles 7

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No. 970 du 2 au 8 juillet 2014 couverture Manuel Vallade, Lætitia Dosch et Stanislas Nordey par Philippe Garcia pour Les Inrockuptibles

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billet dur édito debrief recommandé interview express le coureur cycliste Bradley Wiggins

Philippe Garcia pour Les Inrockuptibles

36 20 événement l’arrêt de l’émission Là-bas si j’y suis sur France Inter

hommage Léon Mercadet (1950-2014) le monde à l’envers la courbe la loupe démontage futurama nouvelle tête Kwamie Liv style food

52 Dan Wilton

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36 intermittents et précaires, les raisons de la colère ils se battent sur tous les fronts contre la nouvelle convention Unédic. Etat des lieux et des divisions

David Balicki pour Les Inrockuptibles

52 Jungle fever deux Londoniens rénovent en profondeur la soul anglaise

56 l’autre Reeves au Champs-Elysées Film Festival, c'est en producteur que l’on rencontre l’acteurréalisateur Keanu Reeves

58 la ghost story de Philippe Garnier quand l’écrivain-journaliste croise le fantôme d’une starlette porno des 70’s

cinémas Dragons 2, Jimmy’s Hall… musiques le Chantier aux Francofolies… livres sélection de poches pour l’été scènes Kanikuly de Cyril Griot expos l’art postinternet médias Jaurès est vivant !…

ce numéro comporte un supplément de 68 pages “Festival d'Avignon 2014” encarté dans l’édition des départements 13, 30, 84 et une sélection d’abonnés ; un programme “Route du rock” jeté dans l’édition abonnés France et dans l’édition kiosque des départements Paris-Ile-de-France, 14, 17, 22, 29, 35, 44, 49, 50, 53, 56, 72 et 85.

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Miguel Medina/AFP

Théâtre de la Ville, Paris le 29 juin

précaires et frondeurs C’est une semaine décisive dans la crise de l’intermittence. Ce vendredi 4 juillet, la CGT appelle à une grève nationale “massive” pour l’ouverture du Festival d’Avignon. Pourtant, le 20 juin, Manuel Valls a fait des annonces qu’il qualifie de “main tendue” tout en reconduisant le protocole fustigé de 2003 et l’accord Unedic du 22 mars alors que la Coordination des intermittents et précaires et la CGT avaient fait de son non-agrément un préalable à l’arrêt des perturbations. Le Premier ministre a annoncé la non-application du différé – délai de carence avant le versement des indemnités chômage. Pour pallier le manque à gagner pour l’Unedic, l’Etat va débloquer 40 millions d’euros sur la période allant de juillet à décembre 2014. Or les intermittents se disent prêts à accepter un différé en échange du retour à 507 heures sur douze mois et la réactivation de la “date anniversaire”, moment où est calculé le nombre d’heures. Ils ne réclament pas plus d’argent, mais moins de précarité de l’emploi. De plus, proposer la création d’une caisse autonome, qui ferait sortir l’intermittence de la solidarité interprofessionnelle, est une vieille lune du Medef, qui pense le régime de l’intermittence comme une subvention à la culture. Certains à gauche font entendre une autre musique en réclamant le non-agrément (signé le 26 juin par François Rebsamen, ministre du Travail). C’est le cas de Martine Aubry et des “frondeurs” socialistes. Ce groupe de députés s’oppose à la ligne présidentielle sur les questions économiques et sociales. Depuis le début de l’année, François Hollande a fait le choix de répondre aux demandes du patronat. Il a proposé la mise en place du pacte de responsabilité : l’Etat concède aux entreprises 41 milliards de baisses

de charges et d’impôts contre des promesses d’investissements et de créations d’emplois. Une politique qu’il nomme socialisme de l’offre mais qui pourrait plutôt être qualifiée de libéralisme : les profits d’aujourd’hui feront les investissements de demain. Les frondeurs estiment à l’inverse que les profits d’aujourd’hui font les dividendes d’aujourd’hui. Les députés signataires de l’Appel des 100 sont, eux, partisans d’une relance par la demande : pour cela, il faut redonner du pouvoir d’achat aux ménages grâce à des baisses d’impôts, soutenir l’investissement des collectivités locales et créer 150 000 emplois aidés et 150 000 contrats en alternance. A la mobilisation des frondeurs répond une entreprise de déstabilisation menée par les syndicats patronaux. Ces derniers ont réclamé, le 29 juin, l’application rapide et totale du pacte de responsabilité sans contreparties ainsi que le report du compte pénibilité à janvier 2016, sans quoi ils boycotteront la conférence sociale des 7 et 8 juillet. Cette conception brutale du dialogue social met en porte-à-faux le principal interlocuteur du Medef, la CFDT, qui a déclaré que le pacte serait remis en cause si le Medef mettait ses menaces à exécution. Avec la crise de l’intermittence, les députés frondeurs craignent aussi que le Parti socialiste ne se coupe d’un électorat traditionnellement de gauche. Ils cherchent donc à inverser les signaux. Parallèlement, en se droitisant, Hollande offre un boulevard à une autre gauche de gouvernement qui dessine les contours d’une autre majorité politique de gauche pour 2017 dans laquelle Martine Aubry, entre autres, est une possible alternative à François Hollande. lire aussi notre dossier pp. 36-51

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be kind, rewind grâce aux inRocKs La semaine dernière, on se souvenait des nineties. Nirvana en enfer, la rage de Despentes, la révolution de l’Association et une adolescence nébuleuse.

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on cher Inrocks, “Faut-il regretter les années 90 ?” Putain, on en est là ? Vraiment ? Regretter les trente Glorieuses, Mai 68, la Belle Epoque, la révolution d’Octobre, le temps des cathédrâaaaaleuu, ou une bonne guerre, je veux bien, mais les années 90 ? François Cusset a dirigé un essai consacré à cette décennie et en pose les bornes : “la chute du mur de Berlin” et “le 11 septembre 2001”. OK. Rewind. Le jour de la chute du Mur, j’avais 12 ans. J’étais invité à dormir chez mon pote Phil qui venait de redoubler sa cinquième parce qu’il fumait déjà trop les trucs de son grand frère, et on jouait à la console. Je m’en souviens parce qu’on avait dû s’arrêter en pleine partie – son père voulait regarder l’édition spéciale du journal de Daniel Bilalian – et que, du coup, zobi la console ! Le 11 septembre 2001, j’avais fini mes études, pas de taf, je glandais dans ma chambre de bonne devant une console de jeux avec le même Phil, et nous avions interrompu quelques minutes notre vingt-troisième Coupe du monde de la semaine pour regarder les tours s’effondrer sur LCI. Nous fumions les mêmes pétards que dix ans auparavant. Entre les deux, il y aura eu la victoire de la France en Coupe Davis à Lyon, la guerre du Golfe, le but de Kostadinov éliminant les Bleus avant le Mondial de 1994, les premières branlettes devant Laly d’Hélène et les Garçons et Kelly Kapowski de Sauvés par le gong, les pétards avant les cours, l’élection de Chirac, mon acné épouvantable, Pioline remplaçant Leconte, Dangerous de Michael Jackson remplaçant Thriller, Nirvana bien sûr, mais aussi la dance-music, le Hit Machine, Indra, et le jour de mon dépucelage, qui fut aussi celui de ma première panne (“Non, chui pas puceau, c’est parce que j’ai pas l’habitude des capotes.”). Il me faudra quelques années avant de découvrir Houellebecq, Despentes, et la révolution de la BD impulsée par l’Association. Mes années 90, c’était les Profils d’une œuvre, Fluide glacial et Edika. Paris était déjà, et depuis longtemps “plus glacial qu’une chatte de nonne”, comme dit Truman Capote. Mais les premières virées de nuit, les sandwichs grecs balancés à Saint-Michel sur les bateaux-mouches, les soirées entières à la porte de la Loco ou de la Scala en espérant que le videur change d’avis, quel pied ! “Faut-il regretter les années 90” ? Faut-il regretter cette adolescence, “état gazeux et nébuleux, où rien n’est fixe ni très précis, et où néanmoins circule un nectar vital d’une force inouïe” que filme David Robert Mitchell ? Cette période où, amoureux d’Olivia G., de Nancy C., ou de Fanny S., je restais pourtant systématiquement pétrifié “assis à côté (…) d’une fille que (j’)aimais sans oser l’embrasser” ? Et pourtant. Plus libre, plus adulte, moins puceau et plus psychanalysé, considérant cette “somme de ratages partagés dans la ouate” que furent mes années 90 et mon adolescence, je n’ai qu’une seule envie : “appuyer sur replay”. Alexandre Gamelin

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une semaine bien remplie Tomber pour la France pendant ses jours off, jouer du piano debout et dans la rue, voir la vie en rose à la télé, caser une étude de phylactères à Angoulême, et faire le plein de ciné entre deux coups de mistral.

piano allegro Play Me, I’m Yours

divers lieux parisiens, jusqu’au 10 juillet, streetpianos.com/paris2014

Symon Reynolds

Lancé en 2008 le projet Play Me, I’m Yours installe temporairement des pianos en libre accès dans les villes du monde entier. Jusqu’au 10 juillet, c’est dans les rues et jardins du Grand Paris que cinquante pianos attendent qu’on les caresse. Amateurs et professionnels sont invités à venir jouer ou écouter un des quarante microconcerts d’ores et déjà organisés, comme celui que livrera Marie Modiano, sur l’île aux Cygnes (Paris XVe), le 6 juillet à 15 heures.

rose bonbon Pink Week-End Un demi-siècle de combats pour la reconnaissance des droits civiques en faveur des communautés lesbiennes, gays, bi et trans célébré en un week-end. Avec un Tracks sur l’underground queer ; un hommage à Rock Hudson (photo), l’une des premières stars à révéler sa séropositivité ; et un retour sur les émeutes de Stonewall, tournant capital dans l’histoire du mouvement gay américain. télé les 5 et 6 juillet, Arte

India Song de Marguerite Duras (1975)

bobines de FID Festival international de cinéma La cité phocéenne célèbre la 25e édition de son festival de cinéma avec plus de cent trente films, à la croisée du documentaire et de la fiction. Cette année, le FID se tient sous l’égide de Marguerite Duras, cinéaste, auteur de dix-neuf films (Nathalie Granger, India Song, Le Camion, Les Enfants…) et du scénario d’Hiroshima mon amour. à Marseille, du 1er au 7 juillet, fidmarseille.org

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Les Naufragés du temps de Paul Gillon

bd boom 1975-1997 : la bande dessinée fait sa révolution Deux magazines mythiques, qui ont bouleversé la bande dessinée à partir du milieu des années 70, sont à l’honneur au musée de la Bande dessinée d’Angoulême. A travers les histoires parallèles de Métal hurlant et d’(A suivre), l’exposition 1975-1997 : la bande dessinée fait sa révolution retrace une aventure éditoriale et artistique à la portée hors du commun, qui a vu émerger une pléiade d’auteurs influents, de Margerin à François Schuiten. expo à Angoulême au musée de la Bande dessinée, jusqu’au 26 octobre, citebd.org

très in Cinquième édition de ce très bon festival qui prend ses quartiers à la Cité de la Musique et Salle Pleyel. Au programme : Timber Timbre, M. Ward, Damon Albarn, Eels et une carte blanche à Etienne Daho qui, pour son grand retour sur scène, a notamment choisi de célébrer la scène hexagonale lors d’une soirée Tombés pour la France où se croiseront, entre autres, Dominique A, Perez, Poni Hoax, La Femme ou Frànçois & The Atlas Mountains (le 8 juillet, Salle Pleyel). concerts à Paris (Cité de la Musique et Salle Pleyel), jusqu’au 10 juillet, daysoff.fr

Etienne Daho

Janus Kawa/Parlophone

Days off

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“j’ai croisé plusieurs fois les frères Gallagher” Vainqueur du Tour de France 2012, mais grand absent de 2014 (il a été écarté par son équipe), médaillé d’or olympique, anobli par la reine et créateur pour Fred Perry : la vie de l’Anglais Bradley Wiggins semble bien remplie. Mais la passion de ce mod atypique reste la musique, de la northern soul aux Smiths.



amin, aux murs de ta chambre, tu avais plus de posters de cyclistes ou de pop-stars ? Bradley Wiggins – Des popstars, sans l’ombre d’un doute. J’ai grandi dans un quartier populaire du nord de Londres, personne ne s’intéressait au vélo. La pop était notre langue commmune. La pop et le foot, pas le vélo… A part Indurain, c’était donc des posters de groupes : les Smiths ou Oasis. Car dans la guerre Oasis/Blur, moi, j’avais choisi mon camp. Et ce n’était pas Blur. Très jeune, tu as choisi Manchester pour t’entraîner. La scène musicale a-t-elle influencé ce choix ? Non, c’était vraiment pour profiter des installations, du vélodrome. Bien sûr, ça me faisait quelque chose de vivre dans la ville qui avait vu naître Oasis, les Stone Roses, les Smiths, l’Haçienda… J’avais 18 ans, je faisais mes pèlerinages, mais avec la discipline du cyclisme, je ne sortais pas beaucoup, j’ai finalement vu peu de concerts là-bas… J’ai été bien élevé, je connaissais la différence entre le bien et le mal, mais cette discipline me semblait le meilleur moyen d’échapper à mon milieu, à mon quartier. D’autres ont choisi le rock ou le foot : moi, le vélo. C’est ce qui rend mon histoire unique. Le vélo était mal vu à Londres. Je me faisais insulter. Je me suis même fait renverser à 12 ans, clavicule cassée. J’ai pu me payer mon premier vrai vélo de course avec l’argent de l’assurance.

Sur le Tour de France, les cyclistes sont reliés à leur directeur sportif par une oreillette, est-ce parfois tentant de plutôt écouter de la musique ? Dans la course, ça serait impossible, mais je le fais à l’échauffement ou en reconnaissance. La musique, ce n’est pas un truc dont je peux parler dans le peloton, je n’ai jamais rencontré un autre cycliste partageant mes goûts et ma passion. Il y a quelques années, quand j’étais un cycliste moyen, je voyageais même sur le Tour avec ma guitare. Mais quand je suis devenu un bon (il rigole…), j’ai eu moins de temps à lui consacrer et je l’ai laissée à la maison. J’ai une trentaine de guitares. J’en achète, j’en vends, je passe pas mal de temps sur eBay… Mes propres chansons ? Non, non, j’en suis incapable, je tente déjà de jouer celles des autres ! C’est juste un hobby. Un hobby qui t’a poussé sur la scène : en 2012, tu as accompagné ton héros Paul Weller lors d’un concert de charité, sur That’s Entertainment de The Jam… En 2012, j’ai gagné le Tour de France, empoché la médaille d’or du contre-lamontre aux Jeux olympiques de Londres.

Et pourtant, la chose la plus merveilleuse qui me soit arrivée cette année-là, ça a été de jouer avec Paul Weller ! C’était un rêve de gosse. Et puis j’ai adoré cet esprit de gang, de groupe qui règne en coulisses. J’ai alors vraiment eu l’impression de vivre un truc collectif… Je sais que ma priorité c’est mon vélo, mais ma passion reste la musique. J’ai parfois du mal à ressentir la même passion pour le cyclisme. Quel album a scellé cette passion ? The Queen Is Dead des Smiths. Dès l’intro de la première chanson, j’ai été happé… J’ai parlé plusieurs fois à Johnny Marr sur Twitter, mais je ne les ai jamais rencontrés, lui et Morrissey… Alors que j’ai croisé plusieurs fois les frères Gallagher… Même en choisissant le vélo, je n’ai pas échappé à la musique : ma première équipe pro était sponsorisée par Linda McCartney ! On raconte que, en privé, tu es un très bon DJ northern soul… Oui, c’est vrai : je collectionne les vinyles de northern soul en particulier – et de soul en général… Je les achète sur eBay, après avoir visionné ou écouté des dizaines de titres sur YouTube.

“ma première équipe pro était sponsorisée par Linda McCartney”

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Multirécompensé sur deux roues, Bradley Wiggins collectionne aussi les six-cordes. Ici, en 2008

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En… 2012

Quels souvenirs gardes-tu de ton enfance dans le quartier populaire de Kilburn à Londres ? Le quartier était assez sinistre, j’étais un gosse des rues, qui aurait pu faire des conneries s’il n’avait pas été sauvé par le cyclisme. Je dois tout au vélo : sans lui, je n’aurais sans doute jamais quitté le quartier, alors que j’ai voyagé dans le monde entier, que je mène une vie confortable… Je n’étais pas destiné à ça. Je n’oublierai jamais mon premier vélo de course, j’avais 11 ans, c’est ma mère qui me l’a acheté pour Noël. J’ai alors commencé à repousser les limites de ma vie, à aller de plus en plus loin. Mon vélo m’a accordé la liberté. Ton père, que tu as très peu connu, était lui-même cycliste. Tu n’as jamais rejeté ce sport ? Au contraire. C’est de là qu’est venue mon envie d’en découdre. Ma mère me parlait constamment de ses courses, ça me travaillait… A la télé, le seul moment où l’on voyait du cyclisme, c’était le Tour de France. Le Giro, la Vuelta, ça n’existait pas… Je regardais les trente minutes quotidiennes consacrées au Tour sur Channel 4. Je n’oublierai jamais

Suki Dhanda/Camera Press/Gamma

“j’aime la culture mod, mais j’ai un souci avec les clichés passéistes”

la rivalité entre LeMond et Fignon sur le Tour 1989, cette arrivée sur les Champs, les huit secondes d’écart… J’avais 9 ans et j’ai acheté le maillot vert du Tour de France, celui du meilleur sprinteur : un signe, car j’ai fait une grosse partie de ma carrière sur piste. En Angleterre, à l’époque, sous la houlette de Chris Boardman, tous les gosses voulaient faire du sprint. Le maillot vert, c’était le plus cool. Tu te sens étranger, aujourd’hui encore, à cette culture du Tour ? D’une certaine façon, je me sens encore et toujours comme un outsider, j’ai du mal à croire que ma victoire m’autorise à rejoindre ces légendes au palmarès, que je fais partie de la famille. L’année dernière, on m’a invité à Paris à une réunion d’anciens vainqueurs, avec Hinault ou Indurain. J’ai refusé d’y aller, je me serais senti indigne, déplacé. Même si je suis fier que cette victoire se soit produite quelques semaines avant les JO où j’ai empoché la médaille d’or dans mon quartier, au nord de Londres… D’où te vient cette passion pour l’imagerie et les attributs mod ?

Dans ma famille, il n’y avait jamais eu de mod dans les sixties… Ça m’est tombé dessus comme ça, à force de traîner dans Londres, notamment sur Carnaby Street. Plus que la musique, c’est le foot qui m’a embarqué dans cette direction. On s’habillait selon les codes de notre bande. Pour suivre mes copains, j’allais voir jouer Tottenham alors que mon équipe de cœur, c’était leurs rivaux d’Arsenal ! Du coup, Tottenham, je m’en fichais, mais j’adorais le rituel, la journée autour du match, les fringues. Mais je n’ai jamais été un vrai mod, je n’ai jamais fait le pèlerinage à Brighton, jamais voulu vivre dans Quadrophenia… J’aime la culture mod, mais j’ai un souci avec les clichés passéistes. Cela dit, je collectionne les scooters, les Vespa et les Lambretta. Qui t’a donné ce goût du style ? Mon grand-père. Il était toujours en costard, ça m’en mettait plein la vue quand j’étais gosse. Avec ma bande, on était ce qu’on appelle des Perry Boys… On se sapait pour aller aux matches : chemisettes Fred Perry et chaussures Fila. Ma collaboration, des années plus tard, avec Fred Perry est donc logique. Ils voulaient créer une ligne de polos de cyclisme vintage. Ils m’ont contacté, sachant que j’étais à part dans le cyclisme. Et je ne suis pas un de ces sportifs qui porte ce qu’on lui envoie. Moi, j’achète ce que je porte, je veux choisir. Dans le milieu du rock, on regarde avec suspicion un groupe qui n’est pas dopé. Dans le cyclisme, c’est l’inverse … Surtout sur le Tour où la suspicion est permanente. Je pourrais, sans le moinde succès, passer ma vie à tenter de convaincre les gens de mon innocence. On paie l’héritage de cyclistes comme Lance Armstrong. propos recueillis par JD Beauvallet

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mais pourquoi ont-ils viré Mermet ? La nouvelle directrice de France Inter, Laurence Bloch, a annoncé l’arrêt de l’émission de Daniel Mermet, Là-bas si j’y suis. Vingt-cinq ans après sa création, le phare de la radio documentaire s’éteint. Mais la mobilisation commence.

L

à-bas si j’y suite.” C’est par ce jeu de mots plein d’espoir que Daniel Mermet avait baptisé jeudi 26 juin la dernière de la saison de Là-bas si j’y suis, l’émission de reportages au long cours fortement ancrée à gauche qu’il présentait depuis 1989. La veille, il avait déjà fait part à ses auditeurs de bruits de couloir inquiétants selon lesquels le programme ne serait peut-être pas reconduit à la rentrée. Les réactions, via le fameux répondeur de l’émission, n’avaient pas tardé : s’il fallait venir à Paris, manifester sauvagement devant le siège de France Inter ou boycotter la station pour que la direction fasse machine arrière, ils le feraient. Vendredi 27 juin au matin, la nouvelle directrice de la station, Laurence Bloch, (qui n’a pas souhaité répondre à nos questions) déclarait dans une interview lapidaire au site Ozap : depuis “vingtcinq ans, Là-bas si j’y suis nous fait vivre des moments forts, mais l’émission a perdu 100 000 auditeurs en deux ans donc on va l’arrêter”. Un groupe Facebook “Sauvons Là-bas si j’y suis” a vu le jour, et une pétition circule pour que l’émission ne disparaisse pas (le lundi 30 juin, elle avait déjà recueilli 25 000 signatures). Quand les soutiens de Là-bas si j’y suis se rassembleront, le 5 juillet à 14 heures, devant la Maison de la radio. Dans un dernier souffle,

le taulier de l’émission, le Joe Bar des ondes, avait susurré : “On ira jusqu’au bout, on ne lâchera rien.” En fond sonore, l’habituelle Harley-Davidson pétaradante du jingle s’éloignait. Là-bas si j’y suis parcourait les contrées de France et hors de France, à la recherche du non-dit, de l’événement qui ne parvenait pas à percer la chape de plomb médiatique. Elle débusquait l’idée dissidente au libéralisme dominant, le mouvement social qui, quand bien même il était sectoriel, n’en méritait pas moins d’être relaté, la lutte qui, mise bout à bout avec les autres, pourrait enfin faire basculer le rapport de force en faveur des damnés de la terre. Elle tendait son micro tantôt aux plus grands penseurs de la gauche critique (Noam Chomsky, Eric Hobsbawm, Frédéric Lordon, Daniel Bensaïd…), tantôt à la multitude des anonymes investis dans les combats les plus variés. Au départ pourtant, la dimension politique de l’émission n’était pas explicite. Il s’agissait d’un projet de reportages au long cours. Mais, en ces années 90 de plans d’ajustements structurels successifs, Daniel Mermet se rapproche de l’équipe du Monde diplomatique, et Là-bas si j’y suis devient le lieu où s’invente quotidiennement un monde alternatif, le point vers lequel converge tout ce que la France compte d’utopistes, de réfractaires et de militants de l’idée égalitaire.

C’est ainsi que, presque par accident, l’émission devient cette “anomalie dans le paysage radiophonique”, selon l’expression de François Ruffin, rédacteur en chef de Fakir, et reporter de Là-bas si j’y suis entre 2005 et 2012. “Si l’on avait présenté à la direction de France Inter, en 1989, le brûlot qu’elle allait devenir, elle aurait sans doute refusé de la mettre à l’antenne”, estime-t-il aujourd’hui. De fait, l’émission n’a pas échappé aux coups d’estoc politiques, camouflés en justifications économiques ou commerciales. En 2006, par exemple, le directeur de France Inter, Frédéric Schlesinger, décide de la changer de tranche horaire en la passant de 17 heures à 15 heures – créneau traditionnellement déserté par les auditeurs et risquant de diviser l’audience de moitié. Avec le recul, François Ruffin envisage à sa façon la dimension politique de cette décision : “Pendant la campagne sur le traité constitutionnel européen, en 2005, Là-bas si j’y suis avait été un point de rassemblement de la gauche critique, et de remotivation des militants. Elle avait été très efficace. Or, en 2006, à l’approche de l’élection présidentielle, elle aurait pu remplir la même fonction, donc on l’a passée à 15 heures.” Mais les auditeurs suivront. Radio France a une réaction immunitaire à Là-bas si j’y suis :

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Daniel Mermet en 2002 2.07.2014 les inrockuptibles 21

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“la gauche critique perd son principal bastion” François Ruffin, reporter

ses anticorps libéraux s’acharnent sur elle jusqu’à ce qu’elle cède. On l’ampute de dix minutes de retransmission. Puis on lui retire le vendredi. Jusqu’à aujourd’hui et sa disparition. “Il est de notoriété publique que les directions successives de France Inter essaient de faire la peau à Mermet et à Là-bas si j’y suis depuis très longtemps, sans y être jamais parvenues. Il fallait bien qu’au bout d’un moment une tentative réussisse”, constate amèrement l’économiste Frédéric Lordon, journaliste au Monde diplomatique et invité récurrent de Là-bas si j’y suis. Au-delà du producteur charismatique de l’émission, c’est aussi l’avenir de ses cinq reporters qui est en jeu. Les motifs invoqués sont les mêmes qu’en 2006 : l’audience, d’abord, serait en train de se tasser. Daniel Mermet réfute pourtant formellement cette hypothèse : “Lorsque nous avons été placés sur cet horaire en 2006, l’audience de cette tranche était de 150 000 auditeurs. Aujourd’hui elle est à 450 000 auditeurs, donc Là-bas si j’y suis a amené au moins 300 000 auditeurs à France Inter : c’est la plus grosse audience sur cette tranche dans l’histoire de la station. S’il y a eu un léger tassement cette dernière année, c’est parce qu’ils ont amputé eux-mêmes l’émission d’une heure le vendredi, et de dix minutes à la fin de chaque émission.” La direction de France Inter invoque également une “envie de renouvellement”. Il est vrai que le baroudeur des ondes n’est plus tout jeune (bientôt 72 ans). Mais, là encore, l’argument ne tient pas: “On veut rajeunir l’antenne ? Très bien ! Des jeunes, il y en a ! Son équipe est très jeune… On veut juste tirer le rideau de fer, et que la boutique n’existe plus, ce n’est pas la même chose”, remarque Frédéric Lordon. Selon Daniel Mermet, une transition a bel et bien été envisagée, sans que la direction ne donne son agrément. De plus, le concept de l’émission n’a pas pris une ride, et sa singularité demeure incontestée.

“Je pense que cette émission continuait à être pertinente, et à avoir une place sur le service public, estime Antoine Chao, reporter à Là-bas si j’y suis depuis quatorze ans. Il est important que ce genre d’émission avec un ton différent, une vision des choses différente, existe. C’est un gage de pluralisme.” Pour Daniel Mermet, les motifs de son éviction ne font donc aucun doute : “Quand vous avez débusqué ces mensonges arrogants, il reste que c’est une décision politique. C’est une émission qui déplaît, à cause de sa ligne éditoriale, à l’actuelle direction de Radio France, tout simplement.” Certains éléments, récemment ajoutés à la biographie de Daniel Mermet, ont cependant nui à sa réputation, ce qui pourrait avoir pesé dans la décision de la direction. En juin 2013, un article du journal Article 11 égratignait violemment l’image du producteur-présentateur : autoritarisme, humiliations, travail non-payé… Il apparaissait sous le jour d’un indéboulonnable grand timonier de la radio. La décision de Laurence Bloch ne laisse cependant pas de surprendre. Là-bas si j’y suis fournissait en effet une caution de gauche à peu de frais à France Inter. Pourquoi s’en débarrasser aussi brusquement, et prêter le flanc de manière aussi ostentatoire aux critiques, alors que la prise de fonction de Mathieu Gallet à Radio France n’avait fait aucune vague ? Et qui sera capable de faire plus d’audience que Mermet à 15 heures ? Daniel Mermet évoque évasivement “des attitudes de revanche personnelle qui peuvent dicter la conduite de cette direction”. Revenu à Radio France comme le numéro 2 de Mathieu Gallet, chargé du contenu éditorial de toutes les antennes du groupe, Frédéric Schlesinger garderait un souvenir cuisant de la mobilisation de 2006 : une pétition de soutien contre le changement d’horaire de l’émission avait recueilli 216 000 signatures. Schlesinger n’avait sans doute pas apprécié. Pour Frédéric Lordon,

cependant, cette suppression est aussi un symbole du temps: “Je n’exclus pas l’hypothèse de l’erreur managériale pure, additionnée d’une hypothèse auxiliaire, qui est celle de l’intolérance croissante et radicale de l’oligopole propagandiste. Il y a une espèce de radicalisation néolibérale extrêmement impressionnante et perceptible aussi bien dans le domaine des politiques publiques que dans le domaine du débat public. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant que les deux aillent de pair.” L’exécution sommaire de l’émission de Daniel Mermet est en effet un coup dur pour la gauche radicale et sa représentation dans l’espace public médiatique. Elle avait créé une relation fusionnelle avec ses auditeurs, surnommés les AMG (pour “auditeurs modestes et géniaux”), qui se réunissaient non seulement autour de leur poste radio, mais aussi lors de cafés repaires qui essaimaient l’utopie partout sur le territoire. Selon Mermet, la direction de France Inter s’égare : “Elle trahit les potentialités de cette maison, et sa vocation à être un haut lieu de l’éducation populaire. C’est à pleurer de constater que ce potentiel est entre les mains de médiocres.” Et de conclure par un aphorisme assassin : “Les médiocres sont de retour dans la vallée fertile.” François Ruffin confirme que beaucoup vont se sentir orphelins après cette disparition : “Dans la bataille des idées en cours, c’était la seule émission qui servait de trait d’union entre les différents courants de la gauche critique, et qui lui donnait un écho au-delà de nos habituels publics respectifs. Aujourd’hui, la gauche critique perd son principal bastion.” C’est un monument de la radio publique qu’on abat, et un îlot de parole indocile qui se tait. Mathieu Dejean photo Patrick Messina retrouvez l’intégralité de l’entretien avec Daniel Mermet sur

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actuel pour toujours

Maxime Bruno/Canal +

Figure d’Actuel puis de la planète Nova, le journaliste Léon Mercadet est décédé à 64 ans, le 22 juin. Après avoir exploré l’underground durant les années 70 et 80, il fut un pilier d’I-Télé et de La Matinale de Canal+, et un collaborateur des Inrocks, de 2010 à 2012.

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ngagé à l’extrême gauche, Léon Mercadet fait ses premiers pas à Rouge, le journal de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). De cette période, il tire d’ailleurs son pseudo éminemment politique : Léon pour Léon Trotski dont il suivit un temps la doctrine internationaliste, Mercadet comme Ramón Mercader, son assassin. Le jeune homme a 22 ans lorsqu’il entre au magazine Actuel. Aux côtés du chef de bande Jean-François Bizot, il dévoile un savoir encyclopédique doublé d’une forme de stakhanovisme journalistique qui impressionnent. Commence alors une aventure éditoriale dont il deviendra un des piliers. Fasciné par le voyage, attiré par l’ailleurs, Mercadet occupera longtemps les fonctions de grand

reporter, voguant d’un reportage en Afrique chez les Dogons à l’étude du travail d’un obscur savant en URSS. A l’aise dans son époque, le journaliste multiplie les expériences. Dans les années 70, il est ainsi le traducteur de Bukowski, écrivain mythique et transgressif. En 1973, détour par la case cinéma : Bizot tourne au Sri Lanka son premier et unique film, La Route, l’histoire d’un dragueur marginal qui s’envole vers l’Asie en quête d’expériences en tous genres. Léon Mercadet figure au casting, dans un des rôles principaux. En 1985, Mercadet se prend de passion pour Malraux et publie chez Grasset La Brigade Alsace-Lorraine. A la fois amoureux du passé et fasciné par la nouveauté, lorsqu’Actuel s’arrête, on le retrouve aux manettes du site web naissant de Radio Nova. Pour qualifier son ancien collègue, l’actrice Aure Atika parle

à la fois amoureux du passé et fasciné par la nouveauté de “grande curiosité” et de “jeunesse d’esprit”. “Avec Bizot, ils étaient plus jeunes que beaucoup de jeunes que je connaissais ou connais aujourd’hui !” Quelques années plus tard, grâce à Bernard Zekri, petit frère de la bande d’Actuel, Léon Mercadet débarque dans le groupe Canal+ (I-Télé, La Matinale). Il laisse comme entrevoir la possibilité d’une autre télé : moins formatée, plus intelligente. Un profil à part dans un monde hyper codifié dont le journaliste Bruce Toussaint, qui fit ses débuts avec Mercadet, se souvient avec émotion : “Léon était l’opposé de la télé classique. Il n’avait aucune conscience du temps télévisuel, aucune notion du timing. Il pouvait partir, en direct, dans

un exposé de cinq minutes sur l’histoire du Tibet. Passionnant ! Et le lendemain nous parler de Pelé ! Léon abordait la télé avec gourmandise, sans réticence ni snobisme, comme cela peut se produire lorsqu’on vient de la presse écrite. Il n’avait plus rien à prouver…” De 2010 à 2012, toujours dans le sillage de l’ami Zekri, il collabore chaque semaine à la rubrique actu des Inrockuptibles. Affaibli par un double cancer du cerveau et du poumon, cela faisait un an que “Léon” se tenait en retrait du monde médiatique. Le ton de Mercadet, son enthousiasme : voilà des choses qui vont terriblement manquer. Laurent-David Samama 2.07.2014 les inrockuptibles 23

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les murmures ont des oreilles D’éminents hommes politiques polonais ont vu certaines de leurs conversations privées révélées au grand public. Depuis, la chasse au mouchard agite Varsovie.

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n se croirait dans un roman de John le Carré. Ne manque ni les micros dans des restaurants à la mode, ni les ministres piégés, ni les journalistes cachotiers, ni même un relent de guerre froide. Bienvenue à Varsovie, où se trame un de ces scandales politico-médiatiques que l’on croyait disparus avec l’Union soviétique et les Lada hors d’âge. Depuis la mi-juin, l’hebdomadaire Wprost distille avec une cruelle parcimonie des enregistrements de ministres et de personnalités polonais de premier plan écoutés à leur insu pendant qu’ils dînaient en ville. Sont impliqués le gouverneur de la Banque centrale polonaise, Marek Belka, et le ministre des Affaires étrangères, Radoslaw Sikorski. Deux pointures de la vie politique nationale. Dans ces enregistrements, on entend Marek Belka exiger la tête du ministre des Finances et négocier une loi pour donner à son institution plus de pouvoir. Sur ces deux points, il a obtenu gain de cause. Dommage : deux semaines après la diffusion de ces “conversations”, plus personne ne donne cher à Varsovie de son avenir professionnel. Surtout après que Bloomberg l’eut qualifié de “pire gouverneur de Banque centrale d’Europe”. Mais l’enregistrement le plus gênant est celui où l’on entend le ministre des Affaires étrangères, Radoslaw Sikorski, s’en prendre aux EtatsUnis. L’alliance nouée entre Washington et Varsovie “ne vaut rien” et serait “de la foutaise”. On glisse sur les “pipes” aux Américains, sur “la minable estime de soi” des Polonais et leur “murzynskosc” (mentalité de nègres). Le choc a été tel que le Premier ministre Donald Tusk envisage des élections anticipées. La justice a voulu forcer la porte du magazine pour saisir ces enregistrements. Personne ne sait – sauf deux journalistes qui se taisent – qui les a effectués puis livrés. On parle de serveurs

qui a intérêt à déstabiliser le gouvernement, sinon Vladimir Poutine ?

Le rédacteur en chef de Wprost, àl ’origine des fuites, tente des ’opposer à la saisie de son ordinateur

indélicats, d’un “businessman” revanchard, mais l’hypothèse la plus croustillante est la piste russe. En effet, qui a intérêt à déstabiliser le gouvernement polonais, sinon Poutine ? La Pologne soutient avec constance l’Ukraine proeuropéenne. Quelques mois de troubles à la tête de l’indéfectible allié de Kiev, c’est tout bénef pour le Kremlin. Mais ceux qui connaissent le sérieux de Wprost ont du mal à soupçonner le magazine. Même s’il est difficile de résister à 300 000 ventes lorsqu’on tire en moyenne à 50 000. Reste la réputation bafouée du ministre des Affaires étrangères, souvent cité pour remplacer Catherine Ashton, haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité. Il semble aujourd’hui hors jeu tant cette nomination serait un camouflet à Moscou. Son élimination – politique – est un argument solide en faveur de “la piste russe”. Anthony Bellanger

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“y en a beaucoup, finalement, des mots avec ‘nazi’”

Le festival les inRocKs Philips

Beirut

Frank Ocean

le cooling break “non moi j’attends la douzième démarque”

“Rihanna + Benzema =