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No.969 du 25 juin au 1er juillet 2014

www.lesinrocks.com

M 01154 - 969- F: 3,50 €

faut-il regretter les

annees 90 ?

Allemagne 4,40 € - Belgique 3,90 € - Canada 6,99 CAD - DOM 4,80 € - Espagne 4,30 € - Grande-Bretagne 6,30 GBP - Grèce 4,30 € - Italie 4,30 € - Liban 11 000 LBP - Luxembourg 3,90 € - Maurice Ile 6,30 € - Portugal 4,30 € - Suède 53 SEK - Suisse 6,50 CHF - TOM 960 XPF

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cher Yann Moix par Christophe Conte

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e voilà donc à ramener ta fraise sur I-Télé. Ça se passe le mardi, à l’heure où les poules sont couchées mais où les coqs entre eux se disputent autour de l’actualité, et on voit bien l’intérêt pour la chaîne info à t’inviter dans cette basse-cour. L’engeance élucubrante, cette spécialité hexagonale, te compte il est vrai parmi ses plus glorieux spécimens. Ça aurait pu être à ta place Francis Lalanne ou Francis Huster, mais la Fédération française des Francis est actuellement surmenée du chapeau pour cause de Mondial.

Alors que toi, Yannounet, on te sent un peu sans projet, errant comme un vieux clébard asséché d’avoir pissé une trop grosse copie, ce livre de 1152 pages intitulé Naissance que seuls les condamnés à de longues peines auront enduré jusqu’au bout. Bref, t’as besoin de parler, pour dire n’importe quoi pourvu qu’on t’en laisse le temps, et après avoir donné le change à un autre grand esprit de notre époque, Steevy Boulay, dans feu L’Emission pour tous de Laurent Ruquier, tu étais sans doute en panne de joute. Alors là, toutes vannes ouvertes, tu as balancé la purée façon geyser, à tel point que ton hôte, le journaliste

Olivier Galzi, ressemblait à la fin de ton show incontrôlable à une Japonaise au sortir d’un bukkake à Guantánamo. L’actu du jour était pesante, un peu comme ton style. Plombée et pas drôle, un peu comme tes films. On s’éternisait sur la grève à la SNCF, dont les micros-trottoirs savamment triés nous répétaient jusqu’à la nausée qu’il s’agissait bel et bien d’une “prise d’otages” (coucou Ingrid Betancourt), et aussi sur ce drame atroce d’un jeune Rom de 16 ans lynché par une milice justicière des habitants d’une cité. Et toi, tel un funambule lancé à pleine vitesse sur ce fil électrique, tu n’hésitas pas une seconde à faire de ces deux événements l’illustration d’une thèse à peu près aussi révoltante et foireuse que le scénario de Cinéman. Tu opposas ainsi deux France, l’une immobile, celle des “victimes” de la SNCF, et une autre qui bouge, celle des Roms. Sur le dos d’un jeune garçon qui, pour le coup, ne bougeait plus beaucoup, tu t’es donc autorisé ce parallèle incompréhensible, pire qu’un délire de clochard au bord d’un caniveau, en avançant : “Les Roms, c’est quoi ? La liberté, la circulation. Et d’un autre côté, on a ceux qui veulent l’immobilisme, la mort de la liberté de circuler. Le Rom, c’est le Juif errant, et celui qui tabasse, c’est l’Arabe…” Avant d’aller vomir, j’ai eu cette image d’une expédition punitive de cégétistes maghrébins partis fumer un gamin, ça tenait pas vraiment la route mais on n’était plus à ça près. J’espère que dès mardi tu vas te surpasser, opposer le triumvirat vaillant de l’UMP aux salopards d’intermittents qui empêchent les spectacles de Bygmalion. Ou comparer le réveil de Schumacher et celui de l’équipe de France de foot en faisant un détour spatio-temporel par Séville 82. Ou fermer ta gueule, ce qui serait aussi une option. Je t’embrasse pas mais je veux bien l’adresse de ton dealer.

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billet dur édito debrief recommandé interview express Léa Salamé enquête les identitaires dans le métro événement festival les inRocKs Philips le monde à l’envers histoire 2 la courbe la loupe futurama nouvelle tête Feu ! Chatterton style food

40 60 Nicola Lo Calzo pour Les Inrockuptibles

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Stéphane Manel pour Les Inrockuptibles

No.969 du 25 juin au 1er juillet 2014 couverture les années 90 par Stéphane Manel pour Les Inrockuptibles

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40 les années 90, si loin, si proche

54 Takahata, cofondateur de Ghibli à 78 ans, Isao Takahata, fidèle compagnon de route de Miyazaki, adapte un conte traditionnel. Entretien

60 le train de vie de George Ezra en attendant la sortie de son premier album, nous avons accompagné le folksinger jusqu’à Budapest. Reportage

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cinémas Under the Skin, Cutter’s Way… musiques Klaxons, Bror Gunnar Jansson… livres sélection de poches pour l’été scènes Nicolas Maury expos Waywords of Seeing, la Maison Rouge médias la télé belge face à l’extrême droite

La Piscine de Jacques Deray (1969)

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Hatake Jimusho/GNDHDDTK

disséquées dans un ouvrage collectif dirigé par l’historien François Cusset, exposées au Centre Pompidou-Metz : les nineties n’étaient pas si nulles. Surtout 1994, millésime exceptionnel pour la culture

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L’Age des possibles de Pascale Ferran (1995)

génération 90, les égarés Si les années 90 résonnent encore en nous, c’est parce que beaucoup d’entre nous les ont traversées frontalement et attentivement. La décennie nous a formés, a affiné nos goûts. Cette attention fut indexée à cet “âge des possibles”, titre d’un film de Pascale Ferran sorti en 1995. Ceux qui avaient entre 20 et 30 ans alors – l’âge des auteurs d’un essai collectif, Une histoire (critique) des années 90, et des commissaires d’une exposition au Centre Pompidou-Metz –, se rappellent que nous étions un peu des “égarés”, c’est-à-dire des aventuriers (découvrir le monde et la création), mais perdus (comment saisir leurs chemins tortueux et éclatés ?).

Au sein de ce vaste paysage, parfois dévasté, chacun tracera, au nom de ses propres critères, des motifs joyeux ou mélancoliques. A la fois trop proches pour être complètement digérées, et trop lointaines pour permettre d’en conserver la mémoire totalement vive, les années 90 ont surtout eu le malheur de se retrouver coincées entre deux autres décennies “monstres” qui en ont absorbé en partie les motifs : en amont, les années 80, qui marquèrent le moment du basculement néolibéral, dont nous sommes encore les héritiers contrariés ; en aval, les années 2000, engluées dans une crise dont nous n’entrevoyons toujours pas l’issue.

D’un suicide – Kurt Cobain – à un autre – Guy Debord –, en 1994, de la fin de l’histoire à la fin de la révolution, bêtement prédies par les intellectuels réacs déjà dominants, la mort et les spectres ont hanté la décennie. Même sans mur (de Berlin), le monde restait emmuré dans une idolâtrie conservatrice et mortifère. A leurs marges, les années 90 furent parfois joyeuses, surtout pour ceux qui, échappant à la sinistrose, inventèrent d’autres formes de vie, se réfugièrent dans des alcôves ou ces zones autonomes temporaires théorisées par Hakim Bey, dont les free parties furent l’un des visages radieux.

Si l’esprit dominant des 90’s avait voulu enterrer les illusions collectives, notamment celle de la révolution, le réveil d’une pensée critique et du mouvement social au mitan de ces mêmes années a incarné le début d’autre chose : l’extension du domaine des luttes, qui n’ont plus disparu depuis, comme un écho inquiet à l’impasse politique générale.

Notre égarement avait le charme étrange d’un écartèlement entre la soumission à l’ordre dominant du mainstream et l’exploration des marges, politiques et culturelles, très vivaces. La “génération X”, évoquée par Douglas Coupland dans son roman de 1991, s’est construite sur cet écart. D’où la difficulté de réduire la décennie à des principes généraux puisque la périphérie brouillait toujours le centre, puisque les bulles agitaient l’eau tiède.

“De la fin de tout au début de quelque chose” : c’est donc au point d’intersection d’une éclipse et d’un réveil que s’ajustent les souvenirs des années 90, comme le suggère l’historien des idées François Cusset (lire entretien pp. 42-49). Entre cette fin et ce début, ce tout et ce quelque chose, ces années troublées ont oscillé au fil d’événements dispersés, dont Les Inrockuptibles, devenu hebdomadaire au milieu de ces années, furent les témoins curieux. Les témoins d’une décennie dont nous portons encore confusément les traces, sinon les souvenirs engloutis par l’accélération de tout, y compris de ce qui reste en nous ; de ce qui reste de nous, malgré tout.

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trouver le bout du tunnel grâce aux inRocKs La semaine dernière, on a évité la gueule de bois avec Jonathan Nossiter, quitté la ville avec Michel Serres et connu le succès sur le tard avec Stéphane De Groodt.

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appy birthday to me Alex, ha-ppy-birthday to me !!! 37 ans. L’âge où Vincent Van Gogh, Arthur Rimbaud et Guillaume Depardieu sont morts, un bel âge pour crever lorsqu’on est un génie : pas de risque de ce côté-là, je peux dormir tranquille. Mais de là à faire la fête, faut pas charrier. Un bilan de vie provisoire à 12/20, peut mieux faire. Mais quand ? Rien de bien honteux, rien de bien glorieux, des rêves pas tout à fait morts, mais toujours des rêves. Pour combien de temps ? Surtout ne voir personne aujourd’hui. J’éteins mon téléphone. Ni bougies, gâteau, fleurs ou couronnes. Une bonne bouteille de whisky et un bon copain admis à ma table : toi, mon cher Inrocks. Comme d’habitude, tu es à la hauteur. Sans emballage, tu m’offres Stéphane De Groodt en couve. Le cadeau parfait. De Groodt, l’espoir des gars de mon espèce : “parcours sinueux”, “attente parfois pénible”, “incompréhensions en pagaille”. Mon portrait craché. Surtout, De Groodt, c’est le late comer qui s’épanouit sur le tard. “48 ans, débarqué chez nous voilà des lustres (…) enfin rattrapé par la lumière.” Tout peut encore arriver. Il me reste au moins onze ans. Cette impression d’avancer “sans la moindre lumière au bout du tunnel”, comme Parquet Courts avant le succès, n’est pas définitive. Trinquons. Magie du whisky : tout s’éclaire. La vie va changer, il suffit de s’y mettre. Et d’éclaircir cette affaire de lumière. La lumière, ce n’est pas fait pour être vu, mais pour voir. Le succès, la reconnaissance, les feux de la rampe : ça aveugle. Le dernier film de Clint Eastwood raconte cette illusion. “Le succès ne vous apprend pas comment rendre votre épouse heureuse, ni comment éviter de dangereuses fréquentations”, ni comment être heureux, ni rien. L’idéologie d’un succès qui vous toucherait comme la grâce, comme une lumière divine, voilà l’ennemi. Pour fuir ce poison du succès, il faut quitter Paris. Jonathan Nossiter l’explique, s’appuyant sur Michel Serres : “Ceux qui vivent en ville ne savent plus rien, ils sont épuisés, n’ont plus le temps ou la capacité de réfléchir lucidement.” La ville, sa course folle au succès, à l’argent, à la win, nous plonge dans les ténèbres. Zou ! On prend la bagnole et on file à la campagne, là où, pour Nossiter toujours, “une révolution a commencé (…) pacifique, éthique, sans violence”, là où l’imagination au pouvoir s’incarne dans une bouteille de vin naturel, là où l’on peut boire sans gueule de bois. Là où le but n’est pas d’être riche ou célèbre, mais “de vivre dignement”. Trouver la lumière, c’est, “après des années à pourchasser le cool” comme Tom Krell, de “dénicher le beau” et d’en être ravis. S’en foutre d’être brillant, mais chercher l’illumination et vivre sa vie comme Krell écrit des chansons, “comme une prière. Car même si on ne croit plus en Dieu, on a toujours besoin de prier”. Beau programme pour l’année. Alexandre Gamelin

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une semaine bien remplie Fêter les yeux grands ouverts les 10 ans de la revue Kiblind, faire un grand tour à Tours pour l’expo Gilles Caron, découvrir l’art du triptyque numérique, parler ch’ti, allemand, italien ou anglais au Festival du film de La Rochelle et bien se reposer à Toulouse.

happy Kiblind “Culture visuelle et vision culturelle”, tel est le mot d’ordre de cette revue gratuite et exigeante qui fête ses 10 ans. Avec, pour l’occasion, un dossier consacré au GIF, reliquat chéri du net des nineties ou un focus sur In Paradisum, label electro à l’avant-garde. revue Kiblind n° 49, gratuit, kiblind.com

haute définition Bastards

exposition jusqu’au 7 septembre au Palais de Tokyo, Paris XVIe, palaisdetokyo.com

Harley Weir

Il nous avait déjà bluffés lors de la dernière Biennale de Lyon. L’artiste anglais Ed Atkins, porte-parole d’une génération postinternet, est de retour au Palais de Tokyo avec un triptyque vidéo qui met en scène un personnage sous influence et convoque tous les outils du numérique : images en très haute définition, flou, son immersif, etc.

Ed Atkins, Ribbons, 2014

Courtesy de l’artiste, Cabinet, Londres, et galerie Isabella Bortolozzi, Berlin

Jaakko Eino Kalevi

dodo ré mi fa sol Les Siestes électroniques Avant de s’exporter à Paris, le festival des Siestes électroniques était déjà un événement majeur de l’été toulousain. Dans la Ville rose, la manifestation proposera pour sa treizième édition quatre après-midi et soirées de concerts et DJ-sets, gratuits et en plein air (dans le jardin Compans-Caffarelli). L’occasion d’entendre notamment la dream-pop du Finlandais Jaakko Eino Kalevi, le duo indonésien Senyawa, les expérimentations pop d’Aquaserge, le r’n’b glacial de Jessy Lanza ou encore le projet Hamelin par Bernard Szajner. festival du 26 au 29 juin, Toulouse, les-siestes-electroniques.com

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Fondation Gilles-Caron

Gilles Caron, Manifestations, (Londonderry, Irlande du Nord, août 1969)

photo griffe Gilles Caron – Le conflit intérieur Rassemblant cent cinquante images et documents d’archives issus de la Fondation Gilles-Caron, de collections privées et de la collection du musée de l’Elysée, une rétrospective du travail photographique de Gilles Caron en 1970, disparu à l’âge de 30 ans au Cambodge, permet de mesurer l’un des gestes les plus forts de l’histoire du photojournalisme. Le “Capa français”, selon Henri Cartier-Bresson, avait le génie de “l’attention permanente aux gens”, rappelle Michel Poivert, commissaire de l’exposition du Jeu de paume délocalisée à Tours.

du nord au sud Festival international du film de La Rochelle La Ville blanche célèbre chaque début d’été le septième art. Ici, pas de compétition, mais des rétrospectives, des hommages et des découvertes. A l’honneur : le réalisateur Howard Hawks mais aussi Hanna Schygulla, actrice allemande muse de Fassbinder, sans oublier the one and only P’tit Quinquin que Bruno Dumont présentera en avant-première.

exposition jusqu’au 2 novembre au Jeu de paume hors les murs, Tours, jeudepaume.org

festival du 27 juin au 6 juillet, La Rochelle, festival-larochelle.org P’tit Quinquin de Bruno Dumont

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“j’ai un côté tête brûlée” Avant de succéder à Natacha Polony dans On n’est pas couché à la rentrée, Léa Salamé nous parle d’Eric Zemmour, de littérature, d’Aymeric Caron et de son enfance au Liban.

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tes-vous prête à remplacer Natacha Polony ? Léa Salamé - Je vais prendre quelques semaines de vacances et je le serai (rires). J’ai conscience que c’est un changement de vie, une vraie prise de risque. C’est très nouveau pour moi, j’ai hâte d’y être. Avez-vous hésité avant d’accepter cette proposition ? Il y a un mois et demi, Laurent Ruquier m’a envoyé un texto pour me dire qu’il souhaitait me rencontrer. Au début, je n’y ai pas cru car j’étais jusqu’à maintenant une journaliste qui animait des débats, je ne pensais pas correspondre au profil d’une éditorialiste ou d’une polémiste. Sur I-Télé, il y a autant de gens qui m’ont reproché d’être de droite que de gens qui m’ont reproché d’être de gauche. En plus, beaucoup de personnes avaient candidaté pour remplacer Natacha Polony, pas moi... Pourquoi vous ont-ils choisie ? Laurent Ruquier et Catherine Barma (productrice d’On n’est pas couché – ndlr) m’ont dit qu’ils avaient aimé mon côté pugnace et qu’ils avaient fait le choix d’une personnalité, une fille qui n’aurait pas peur de poser des questions dérangeantes. J’ai demandé deux semaines de réflexion car Canal+ m’a fait des contre-propositions et j’hésitais à quitter I-Télé. Je m’entendais très bien avec la rédaction et sa patronne, Céline Pigalle. J’ai pris beaucoup de plaisir cette année en animant des débats tous les soirs à 21 h et en présentant Ça se dispute. C’était un déchirement car j’étais vraiment bien où j’étais… Qu’est-ce qui vous a décidée alors ? Laurent Ruquier et Catherine Barma m’ont donné envie. Et à mesure que tout le monde me disait : “N’y va pas, tu vas te brûler”, j’avais envie d’y aller. J’ai un côté un peu “maverick”, un peu tête brûlée…

Dans la répartition du plateau de l’émission, il y a un chroniqueur conservateur et un chroniqueur progressiste. En remplaçant Natacha Polony, serez-vous contrainte d’adopter une posture droitière ? Je ne veux pas camper un personnage de droite, je ne suis pas sur la ligne Zemmour-Polony, mais pas sur la ligne Aymeric Caron non plus. Vous allez pourtant devoir sortir de votre réserve lorsqu’il s’agira de donner votre avis sur des produits culturels… Je me suis interrogée sur ma légitimité à critiquer un réalisateur qui a bossé sur son film pendant trois ans, mais il faudra que je le fasse. Je me suis promis de ne pas m’inventer un personnage pour plaire à l’émission. Je vais essayer d’être moi-même. Le côté politique de l’émission me fait d’ailleurs moins peur que le côté culturel. Que pensez-vous de Natacha Polony ? Elle me fait penser à une phrase de Drieu la Rochelle : “Toutes les femmes sont sérieuses comme la pluie, surtout les plus légères.” Je me l’applique également à moi-même. Durant ses trois années passées chez Ruquier, elle a gardé une cohérence, elle ne s’est pas salie. Elle a profité au maximum de cette tribune.   Et Aymeric Caron ? Je ne suis pas sûre que je reproduirai la scène de ménage perpétuelle avec Natacha Polony mais si on s’entend mal, ça se verra (rires). Je pense qu’il a compris qu’il manquait une parole forte face aux réactionnaires. Il a fait le choix d’incarner une gauche progressiste qui s’assume, au risque de passer pour une gauche donneuse de leçons. A longueur d’émission dans Ça se dispute, Nicolas Domenach répète que les idées réacs d’Eric Zemmour sont devenues “majoritaires” en France… Je pense qu’il a raison lorsqu’il dit

qu’Eric Zemmour a gagné la bataille des idées mais c’est conjoncturel. C’est une réaction au fait que la gauche est au pouvoir et qu’elle a multiplié les projets sociétaux au détriment du chômage. C’était dur d’arbitrer Ça se dispute ? Oui, mais c’était une chance inespérée. Je regardais l’émission depuis dix ans. Humainement, Domenach et Zemmour sont deux chic types. Il y a une vraie

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“je me suis interrogée sur ma légitimité à critiquer un réalisateur qui a bossé trois ans sur son film”

confrontation idéologique, deux visions de la France. C’est plus difficile pour Domenach de défendre la nuance contre un Eric Zemmour qui matraque ses arguments. De l’immigration à l’Europe en passant par la cuisson des carottes, Zemmour parvient à tout expliquer avec son système de pensée. C’est plus difficile de défendre la tolérance et l’ouverture au monde…

Ça se dispute n’est-elle pas devenue le passeur involontaire de ses idées ? Je ne pense pas, sa parole est contredite. Nicolas Domenach est efficace, il lui rentre dedans, preuves à l’appui. Je pense notamment à l’épisode sur la théorie du genre où Eric Zemmour s’appuyait sur des arguments puisés chez Egalité et réconciliation, le site d’Alain Soral.

J’aime l’intelligence de Zemmour, sa culture mais j’aime moins son outrance. Il a parfois tendance à se caricaturer lui-même… Votre nom circule pour remplacer Pascale Clark sur France Inter… J’ai très envie de faire de la radio. Si jamais mon profil intéresse, bien sûr… On sent chez vous une forme de dureté. Est-ce lié à votre enfance au Liban ? On est tous le produit de ses expériences et de son enfance. J’ai vécu dans un pays en guerre, le Liban. A l’âge de 5 ans, j’ai vécu l’exil puisque j’ai été contrainte de fuir les combats avec ma famille. Ensuite, j’ai vécu le 11 Septembre de plein fouet puisque j’étais à Manhattan et j’ai assisté en direct à l’effondrement des tours. Quelques mois plus tard, mon père, qui était en mission pour l’ONU, a échappé de peu à la mort dans un attentat à Bagdad. La violence de l’histoire, je l’ai vécue et ça participe sans doute à ma manière de faire du journalisme. Mais je suis très résiliente, je continue à avancer… Qu’avez-vous aimé au cinéma dernièrement ? La Grande Bellezza de Paolo Sorrentino. Cette décadence d’un homme qui regrette de ne plus être écrivain, cette fresque de la décadence de l’Europe, esthétiquement sublime, m’a beaucoup plu… Un livre ? J’ai adoré le Sorj Chalandon, Le Quatrième Mur. Il écrit incroyablement bien, ça parle de la guerre, de Beyrouth, de théâtre, c’est ce que j’aime. Regardez-vous la Coupe du monde ? Oui, comme toutes les femmes qui s’intéressent au football, c’est-à-dire quand les Bleus jouent. Très zémmourien, comme phrase… Oui, c’est terrible, mais je ne suis pas une passionnée de football (rires). propos recueillis par David Doucet photo Manuel Braun pour Les Inrockuptibles 25.06.2014 les inrockuptibles 17

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troubles identitaires La nouvelle campagne “antiracailles” de Génération identitaire envahit le métro, pour “sécuriser” les voyageurs. Sous couvert d’angélisme, la jeunesse d’ultradroite multiplie les opérations de com pour mieux recruter et élargir ses rangs.

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ans le métro, ils présentent bien. “Etudiants, jeunes actifs, on a créé le concept de jeunesse vigilante.” Dans une vidéo diffusée sur leur site internet, Aurélien Verhassel, leader de Génération identitaire Flandre, explique aux voyageurs les raisons de leur incruste. Parce que “la sécurité est le premier des droits aujourd’hui”, ils décident d’agir pour que “les pouvoirs publics s’emparent du problème. Le vivre ensemble vire au cauchemar actuellement”. En ouverture du teaser, un mot d’ordre : “Rejoins ton clan ! Face à la racaille, tu n’es plus seul.” Souriant dans leurs K-Way jaunes marqués du lambda

symbolique de Génération identitaire, ils sillonnent depuis le début du printemps les métros de Lille, Nantes, Lyon ou Paris. Jamais très longtemps, souvent moins d’une heure, ils s’immiscent dans les rames par grappes de vingt, pour assurer une présence “rassurante”. Sans aucune autorisation, ils font un petit tour, et puis s’en vont, aussi vite qu’ils sont arrivés. “Ils laissent tomber les références racistes, nazies, antisionistes, et communiquent sur le modèle Greenpeace. Ils sont faibles numériquement, mais ils ont très bien compris qu’à dix gars en blouson jaune, on peut faire une action relayée dans le monde entier”, explique Nicolas Lebourg, historien spécialiste des extrêmes

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“le vivre ensemble vire au cauchemar”

Alexandre Arlot/Le Parisien/Max PPP

Aurélien Verhassel, leader de Génération identitaire Flandre

Opération de “présence citoyenne” par des militants de Génération identitaire dans le métro parisien, le 9 mai

droites et coauteur, avec Joseph Beauregard, de Dans l’ombre des Le Pen – Une histoire des numéros 2 du FN (éditions Nouveau Monde). Progéniture 2.0 du Bloc identitaire, “Génération antiracailles” réunit depuis 2012 les plus jeunes fidèles du parti radical d’extrême droite. Derrière le Bloc, le clan Fabrice Robert, Guillaume Luyt et Philippe Vardon, déjà instigateurs des ex-Jeunesses identitaires, lui-même né d’Unité radicale, le groupuscule d’extrême droite dissout en 2002 après la tentative d’assassinat de Jacques Chirac par Maxime Brunerie. Génération identitaire reprend le flambeau, et mise tout sur le buzz. Pour lancer le mouvement, le 20 octobre 2012, une soixantaine de militants occupent le toit d’une mosquée pour protester contre “l’islamisation de la France”. Quelques mois plus tard, ils investissent la terrasse du Parti socialiste, rue de Solférino à Paris, pour demander la démission de François Hollande. En deux ans, ils s’inscrivent à l’extrême droite comme les maîtres du happening et de l’agit-prop. Deux objectifs : recruter toujours plus de jeunes, et s’installer peu à peu dans l’ombre de Marine Le Pen qui refuse officiellement tout accord électoral avec les identitaires. Se posant en victimes de la mondialisation, les enfants de Génération identitaire dressent leur autoportrait dans un manifeste vidéo, Déclaration de guerre : “Nous sommes la génération de ceux qui meurent pour un regard de travers, une cigarette refusée ou un style qui dérange. Nous avons fermé vos livres d’histoire pour retrouver notre mémoire. Notre seul héritage, c’est notre terre, notre sang, notre identité (…) Vous ne nous aurez pas avec un regard condescendant, des emplois-jeunes et une tape sur l’épaule : pour nous, la vie est un combat. Nous n’avons pas besoin de votre politique de la jeunesse. La jeunesse est notre politique (…) Lassés de toutes vos lâchetés, nous ne refuserons aucune bataille, aucun défi.” Lutte acharnée contre l’islam, phobie de l’insécurité, combat violent de l’immigration : en interne, on communique sur un autre ton. Avec l’autodéfense comme recours, les messages haineux se multiplient. Prônant la protection contre l’invasion étrangère version do it yourself, les jeunes identitaires tissent un réseau multirégional. Pour fidéliser les rangs “de babtous”, des stages d’autodéfense et l’ouverture de salles de sport pour “les jeunes FDS (Français de souche)”. Pour rallier les troupes, un camp d’entraînement d’une semaine rebaptisé Université d’été identitaire. Au programme : boxe, entraînement physique, chants régionalistes, formation à la communication et à la politique… à très bas prix.

Pour Nicolas Lebourg, ils séduisent avec l’islamophobie, l’autodéfense et la promesse de recouvrer une identité en intégrant un crew : “A un jeune de 22 ans qui a le sentiment d’être dans une identité flottante, hybride, construite sur internet, ils proposent d’appartenir à une communauté. Leurs parents et leurs grands-parents étaient dans la peur du travailleur immigré. Eux, c’est différent, ils ont grandi dans la société postindustrielle et globalisée. Pour eux, il n’y a plus de société, il n’y a qu’une économie globalisée. Ils défendent le foyer, le petit groupe. Ils ont pris acte de la fin des Etats nations, et opèrent un raidissement identitaire. Ce sont les enfants maudits de la globalisation.” Les enfants maudits surfent sur la protection juridique offerte par la liberté d’association, en veillant à ne pas franchir la ligne jaune. Interrogé au téléphone, un haut responsable du SCRT (Service central du renseignement territorial) assure maintenir “une surveillance au long cours” de cette faction “de l’ultradroite”. “Leurs activités, leurs appels à manifester, leurs vidéos… Avec des dents très serrées, on passe au râteau l’ensemble de ces groupes. Pour être en capacité de les identifier en cas de passage à l’acte, comme dans l’affaire Clément Méric.” Impossible d’envisager une dissolution du groupement sur le fondement de la loi de 1936. Prévue pour neutraliser les milices, elle ne peut être employée qu’à des conditions très strictes. Impossible également d’interdire leurs patrouilles. Dans le métro, ils se contentent d’assurer une présence : “Ce sont des actions light, ils sont très prudents. Mais ça nous mobilise. A Lille, à chaque fois, on déploie un dispositif policier, visible… ou discret.” Une vigilance confirmée par le ministre de l’Intérieur. Le 26 mai, Bernard Cazeneuve réagit au micro de France Inter : “En démocratie, le maintien de l’ordre, le rétablissement de l’ordre appartient à ceux qui ont des prérogatives de puissance publique. Ces groupes d’extrême droite ne sont pas là pour rétablir l’ordre dans le métro car on n’a nul besoin d’eux pour le faire – nous avons procédé dans les transports en commun à l’arrestation de 66 000 personnes l’an dernier (…) Ils sont là pour provoquer, ils sont là pour diviser.” Pour le SCRT, les jeunes identitaires ont marqué des points avec la Manif pour tous : “Ils ont repris une notoriété et une légitimité à être présents dans l’espace public. Ils ont moins d’hésitation. Aussi parce qu’ils ne peuvent pas recruter sans visibilité.” Dernièrement, les jeunes “antiracailles” ont écrit à la RATP et au préfet de police de Paris pour proposer coopération et collaboration dans “la sécurisation des transports”. Ils ne doutent de rien. Olivia Müller 25.06.2014 les inrockuptibles 19

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tour de France et outre-Manche Soirée d’ouverture dédoublée à Londres et à Paris, reformation exceptionnelle, guitares hirsutes et folk élargi : la belle affiche du festival les inRocKs Philips.

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’ennui en novembre ? Jamais ! Avec une programmation explosive et haute en couleurs, le festival les inRocKs Philips réchauffera, cette année encore, l’automne de mille brasiers. Concerts exclusifs, come-backs et découvertes : les réjouissances se dévoilent dès maintenant. Cette année, tel le Tour de France, le festival traversera la Manche pour entamer son édition à Londres. Le 11 novembre, c’est ainsi aux formidables Frànçois And The Atlas Mountains que reviendra l’honneur d’ouvrir les festivités sur la scène de la Scala, en compagnie d’invités. Au même moment, côté France, somptueuse cérémonie d’ouverture en perspective dans l’écrin noble du Casino de Paris : la Scandinave Lykke Li y dévoilera l’electro-folk mélancolique de son récent I Never Learn (avec, en ouverture, Woman’s Hour). Le lendemain, toujours rue de Clichy, le festival recevra Damon Albarn, géant de l’année avec son album solo Everyday Robots pour une date exceptionnelle, en compagnie de Moodoïd et Ibeyi. Voyageur, le festival se déclinera ensuite entre Paris, Nantes, Toulouse et Tourcoing pendant une semaine : petites salles et théâtres de velours vermeil y verront défiler des jeunes et des encore jeunes. Parmi ces derniers, on frémit dès aujourd’hui à l’idée de retrouver, pour une date exclusive en France et la

Justin Tyler Close

Linda Brownlee

Damon Albarn

Lykke Li

première de leur minitournée européenne, les légendes de The Jesus And Mary Chain. Maîtres de nombre de groupes contemporains, les frères Reid ressusciteront presque trente ans après les déflagrations débraillées de Psychocandy, qu’ils joueront dans son intégralité. Autre retour attendu, celui du Londonien Baxter Dury que son Happy Soup de 2011 avait hissé sur la plus haute marche des podiums pop. Le festival sera pour lui l’occasion de dévoiler en France son successeur. Avec lui, trois jeunes hommes agenceront un plateau sans frontières. The Acid fera renaître la folktronica étourdissante de Liminal, un premier album promis aux palmarès de l’année. L’Anglais Nick Mulvey délivrera ensuite ses folk-songs amples et aériennes, tandis que le magicien Asgeir, venu d’Islande, étalera les ballades en clair-obscur de l’envoûtant In the Silence. En contrepoint de cette programmation folk au sens large, le festival donnera l’occasion de déguster un plateau rock relevé avec ce qui se fait de plus excitant dans la famille des guitares aujourd’hui : Parquet Courts, Palma Violets, The Orwells et Benjamin Booker feront des grands écarts entre garage et blues à coups de riffs débraillés. Le regard tourné vers l’avenir comme chaque année, le festival conviera aussi une grosse délégation d’espoirs et de champions de demain : on y découvrira la soul-pop captivante du Mancunien Bipolar Sunshine, les refrains bondissants de Circa Waves, le rock’n’roll débauché de Bad Breeding, l’electro-pop mutine de Nimmo And The Gauntletts ou les guitares gredines des Eagulls, des gouapes de Leeds qui n’ont strictement rien à voir avec un quelconque Hotel California… A noter enfin qu’une soirée avec une programmation surprise est annoncée pour le 13 novembre à la Cigale. Côté pratique, tenez-vous prêts, la billetterie ouvrira jeudi 26 juin à 10 heures en exclusivité à la Fnac pour la vente des pass uniquement. Dès le 1er juillet, l’ensemble des places seront mises en vente dans tous les points de vente habituels. Johanna Seban

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Selon cette affiche publicitaire, l’herbe est plus saine que la bière ou le football

cannabis repetita Six mois après la légalisation de la marijuana dans le Colorado, les ventes sont florissantes et la criminalité en baisse. De quoi inspirer d’autres Etats ?

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ans le Colorado, l’heure est aux premiers bilans cannabiques. Depuis janvier, cet Etat de l’ouest des Etats-Unis a autorisé, après un référendum populaire, la consommation, la détention et surtout la vente de marijuana. En contrepartie de cette légalisation de l’usage récréatif du cannabis, le Colorado prélève de lourdes taxes : 15 % de droit d’accise (portant sur la quantité et non sur la valeur du produit) et une taxation sur les ventes au prix fort. Le résultat pour les finances locales est inespéré : en année pleine, l’Etat devrait encaisser de 115 à 135 millions de dollars (entre 84 et 100 millions d’euros). Le chiffre d’affaires du secteur devrait, lui, approcher le milliard de dollars. Et cette manne n’est pas prête de se tarir : en avril, les ventes de cannabis ont crû de 17 % par rapport à mars et de 58 % par rapport à janvier, premier mois de vente légale. L’avenir fiscal du Colorado semble donc radieux. Il y a, bien sûr, un effet d’aubaine : les fumeurs des Etats voisins se précipitent à Denver le week-end pour s’approvisionner (et consommer) et les touristes cannabiques venus de tous les Etats-

Unis profitent de formules “tout compris”. Mais ce qui est étonnant, c’est la résistance des ventes de cannabis thérapeutique : en avril, il a continué à se vendre 42 % de plus d’herbe à vocation médicale que récréative dans le Colorado. Pourtant, les conditions pour obtenir du cannabis thérapeutique sont plus contraignantes : il faut l’ordonnance d’un médecin et un permis de l’Etat. Cette “résistance” est facilement explicable. D’abord, le cannabis thérapeutique est moins taxé, donc moins cher. Ensuite, il est délivré par une centaine de “dispensaires” bien répartis, et depuis longtemps, sur le territoire. Les vieux fumeurs ne changent pas si facilement leurs habitudes. L’autre bilan attendu est celui de la criminalité. C’est sur ce terrain que les opposants à la légalisation se sont durement battus, prédisant une explosion des agressions. C’est l’inverse qui s’est produit. Sur les quatre premiers mois de l’année, le nombre d’agressions avec violence – typiques des délits liés aux drogues – a baissé de 5,6 %. Le seul segment criminel qui a augmenté est celui des braquages… de boutiques cannabiques : quarante-neuf de janvier à avril ! La raison est simple : ces boutiques

ne peuvent encaisser que des espèces, la loi fédérale américaine interdisant de payer une drogue avec un autre moyen de paiement, chèque ou carte de crédit. Du coup, ces petits commerces se retrouvent avec des dizaines de milliers de dollars en liquide : une aubaine pour les malfrats. Reste quelques problèmes de santé publique inattendus. La marijuana est en effet vendue sous forme d’herbe à fumer, mais aussi de sucreries. Du coup, les services d’urgence ont traité une demi-douzaine d’enfants et d’ados ayant confondu leur goûter avec les cookies de papa. Par ailleurs, les pompiers de Denver ont noté un doublement du nombre d’explosions au gaz, généralement sans victimes : il s’agissait d’enthousiastes qui essayaient d’extraire, en utilisant du butane, de l’huile de cannabis. Sur le plan politique, la bonne fortune du Colorado a fait des envieux. De nombreux Etats s’apprêtent à l’imiter dès novembre en organisant, eux aussi, des référendums sur la légalisation. Enfin, Hillary Clinton, le 17 juin, a confié sur CNN qu’elle attendait de voir le bilan de l’usage récréatif du cannabis, entre autres dans le Colorado, avant de se prononcer de manière définitive. Anthony Bellanger

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Le 20 juin, manifestation en faveur du référendum officieux portant surl ’élection du chef de l’exécutif au suffrage universel

Hong Kong gronde Dans l’ancienne colonie britannique, le mouvement Occupy Central with Love and Peace défie le gouvernement chinois dans le but d’élire le chef de l’exécutif au suffrage universel. Seules réponses de Pékin : des menaces et des cyberattaques.

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e 20 juin, allons tous voter !”, scandent les militants d’Occupy Central lors d’une marche, mi-juin, à Hong Kong. Le bruit de leurs éventails résonne entre les immeubles du quartier financier de Central. Ils invitent les Hongkongais à voter lors d’un référendum – non-officiel et organisé par leurs soins – portant sur deux points : d’abord, exiger l’élection du chef de l’exécutif au suffrage universel ; ensuite, accorder au Conseil législatif, le parlement, un droit de véto en cas de loi présentant un danger pour la démocratie. “On travaille dur du lundi au vendredi, mais on est là depuis 6 heures du matin pour dire que nous voulons voter !”, explique Bonny qui se présente comme “sino-britannique”. Son fils sur les épaules, Kevin ajoute : “Si le gouvernement ne nous donne pas une vraie démocratie, nous,

les Hongkongais, nous nous battrons.” Ip Kin-yuen, lui, est député, élu par la branche des enseignants. Il ne souhaite qu’une chose : “Que mon poste soit remis en cause par une élection au suffrage universel.” La promesse est pourtant écrite dans la Basic Law qui régit Hong Kong depuis la rétrocession à la Chine en 1997, mais la mesure est sans cesse repoussée. Las, Benny Tai, professeur de droit de la Hong Kong University, écrit en janvier 2013 dans le Hong Kong Economic Journal un article qui pose les fondations du mouvement de désobéissance civile Occupy Central with Love and Peace. Il fixe un processus en trois étapes : délibérations, vote et occupation. Pour l’instant, le processus de vote est complexe et le candidat adoubé par Pékin. Il est élu par 1 193 personnes. Elles-mêmes sont élues par vingt-huit

“circonscriptions fonctionnelles” censées représenter les différents secteurs professionnels de Hong Kong. Il en va sensiblement de même pour l’élection du Conseil législatif. Si Pékin propose le suffrage universel pour 2017, le point de discorde réside dans le processus de désignation des candidats dits “patriotes”, donc approuvés au préalable par le pouvoir central. Suite à des débats publics début 2014, Occupy a décidé d’organiser son référendum du 20 au 22 juin. Les Hongkongais peuvent voter sur internet ou avec une appli en rentrant leur nom et numéro de carte d’identité. “Nous avons des ingénieurs prêts à parer à toute attaque (suite à des cyberattaques, le vote a été prolongé d’une semaine – ndlr). En cas de problème, des bureaux de vote ont été installés aux quatre coins du territoire”, explique Benny Tai.

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la situation se dégrade dans ce bastion des libertés en Chine Mais, lundi 16 juin déjà, le site qui permet de s’inscrire pour voter a subi une attaque par déni de service : plusieurs milliards de connexions reçues en même temps l’ont planté. Le lendemain, c’est le quotidien en langue chinoise pro-Occupy Apple Daily qui est tombé en rade pour la même raison. Quelques jours avant l’anniversaire des 25 ans du massacre de Tian’anmen, le 4 juin, le site du premier musée ouvert à Hong Kong sur les événements était inaccessible. Lundi 23 juin, 700 000 votants (sur 3,5 millions d’électeurs) avaient déjà participé à un scrutin qualifié de “risible” par Pékin. Si la proposition qui ressortira du vote dans quelques jours n’est pas acceptée par le gouvernement, Occupy Central ira, à deux pas du Conseil législatif, squatter une avenue en plein centre financier. Pour l’exécutif, le chef de la police et Pékin, la réputation économique de Hong Kong est en jeu. Même le ministre de l’Education a menacé les enseignants de “conséquences sur leur carrière” s’ils encouragent les étudiants à s’y rendre. Les chambres de commerce de l’Inde, du Canada, de l’Italie et de Barheïn ont également publié une annonce avertissant que le mouvement allait paralyser l’économie locale. Dix jours avant le référendum, le gouvernement central de Pékin a publié un livre blanc réaffirmant son autorité sur Hong Kong. Des militants l’ont aussitôt brûlé en place publique. La police est prête. Les militants aussi. Ils ont suivi des stages d’entraînement pour résister pacifiquement. Benny Tai est déterminé et calme quand il explique : “Si nous sommes arrêtés, nous reviendrons le lendemain. Et si nous

sommes encore arrêtés, nous reviendrons encore. Jusqu’à ce que notre demande soit acceptée.” Il est assez clair que la proposition d’Occupy Central ne le sera pas. Benny Tai et ses troupes vont alors entamer un bras de fer “et plus le nombre de votants sera important, plus on aura de poids dans la balance pour les négociations”. Bastion des libertés en Chine, la situation de Hong Kong se dégrade lentement. Depuis 2002, le territoire est passé de la dix-huitième à la cinquante-huitième place au classement de Reporters sans frontières portant sur la liberté de la presse. Marguerite Nebel

histoire 1 A la suite des deux guerres de l’Opium perdues par la Chine impériale au XIXe siècle, la Grande-Bretagne acquiert le droit d’occuper Hong Kong. En 1984, Margaret Thatcher et Deng Xiaoping parviennent à un accord sur le futur statut du territoire (lors de la rétrocession de 1997). Il est décidé que la Chine communiste ne toucherait pas au caractère particulier de Hong Kong avant 2047. On parle alors du modèle “un pays, deux systèmes”. L’article 45 de la Basic Law, miniconstitution du territoire, promet de façon ambiguë la mise en place graduelle du suffrage universel. Si Hong Kong est le lieu des libertés en Chine, le gouvernement central affirme de plus en plus son autorité. On craint aussi pour la liberté de la presse. En un an, trois journalistes ont été attaqués, dont Kevin Lau en février, poignardé en plein jour dans la rue. 25.06.2014 les inrockuptibles 25

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retour de hype

l’album Panini de Balotelli

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

Christine And The Queens

le septième continent

le slow France Inter

“je me sens un peu comme l’Espagne en pire”

les nouveaux emojis

“la petite sirène avait une grosse queue”

Jeanette Winterson

le rire médecin

“Yo”

Victor Hugo

Jay-Z et Beyoncé au Stade de France les 12 et 13 septembre

“j’aimerais me réincarner en fleur de courgette”

“La petite sirène avait une grosse queue” Le top transgenre Andrej Pejic joue l’une des sœurs du rôle titre de l’adaptation du conte par Sofia Coppola. Les nouveaux emojis Le Consortium Unicode annonce 250 nouveaux emojis. Dont un doigt d’honneur. “Yo” L’app qui ne sert qu’à envoyer des “yo”

“nan, moi, je vais plutôt partir en septembre”

à ses copains a levé 1,2 million de dollars de financement. Jeanette Winterson La romancière a publié sur Twitter des photos d’un lapin qu’elle a tué, cuisiné puis mangé : “Le lapin a mangé mon persil alors j’ai mangé le lapin.” “J’aimerais me réincarner en fleur de courgette” Si possible. D. L.

tweetstat Après Italie–Angleterre, l’actrice Sasha Grey a eu un commentaire éclairé, en V0, sur le capitaine italien : Suiv @SashaGrey

59“C’est %çaBocca della Verità qui est la vérité”

Pirlo pallone d’oro!!!!!! 13:47 - 15 juin 2014

Répondre

Retwe

“Pirlo ballon d’or !!!!!!”

29 % Guy Roux

Avec un physique un tout petit peu plus flatteur

12 % Dante Ciao, come stai ?

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sous la couverture Le magazine New York a fait sa une et dressé un long portrait du sulfureux photographe Terry Richardson, accusé d’agressions sexuelles. Malaise.

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cover undercover

Devant ou derrière l’appareil, ce n’est pas la première fois que Terry Richardson fait la couve. Toutefois, la story qui suit est un peu différente des autres. Entre faits divers et lifestyle, le magazine New York, pour son édition du 16 juin, choisissait en effet de faire sa une avec un long portrait du photographe de renommée internationale. Tête penchée sur le côté et air gentillet, celui que le Village Voice qualifie de “notorious sleaze fashion photographer” (photographe de mode débauché notoire) voit en effet se multiplier les accusations d’agressions sexuelles. Ainsi, comme l’indique la couverture, “ses photos transgressives (et un peu salaces) célébrées par le monde de la mode sont désormais perçues comme des pièces à conviction”. Car c’est bien connu : lors des sessions de Richardson, le petit oiseau sort souvent de sa braguette.

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un certain sourire L’air innocent de Richardson sur la photo de couve et le large espace qui lui est consacré n’ont toutefois pas manqué de scandaliser. Faut-il laisser la parole à un (présumé) “prédateur sexuel” ? Si l’article signé Benjamin Wallace met en avant l’enfance et les fêlures du photographe (où l’on apprend notamment que la nudité l’aide à faire fi de sa timidité), le portrait ne tait pas les accusations et met en avant deux plaintes déposées en 2005 restées jusque-là confidentielles. Reste que pour les adversaires de Richardson sur internet (où circule une pétition depuis octobre 2013, ayant à ce jour recueilli plus de 34 000 signatures), le portrait minore les actes répréhensibles dont il serait l’auteur. Quant à H&M, au Wall Street Journal et au magazine Vogue, ils ont déjà annoncé cesser toute collaboration.

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show case

Bien sûr, les témoignages et plaintes qui font surface dans la presse ces derniers mois ne proviennent pas du gratin (Richardson ayant photographié à peu près tous les avatars de la société du spectacle, de Miley Cyrus à Barack Obama), mais plutôt de jeunes mannequins n’ayant pas forcément osé en parler. Ridicule pour le photographe qui affirme qu’il n’a jamais forcé personne à faire quoi que ce soit. “Les gens font des choses puis ils ont des regrets mais ça n’a rien à voir avec moi”, affirme-t-il en fin psychologue. Ajoutant à propos des sessions se terminant éventuellement par des relations sexuelles : “C’était souvent en pleine journée, sans drogue et sans alcool. Il y avait de l’énergie, c’était marrant, excitant, on faisait des photos fortes et c’est tout. Que des gens qui collaborent, explorent leur sexualité et prennent des photos.” Cheeeese.

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like insecte machine Le groupe français Parrot a annoncé pour cet été le lancement de deux minidrones. D’autres travaillent sur des engins de la taille d’un insecte. Qui gagnera cette drone de guerre ?

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’est décidément la grande affaire. Les drones ont entamé leur invasion. Le groupe français Parrot en vendra dès cet été deux nouveaux. L’un s’appelle Rolling Spider. Il tient dans le creux de la main, est pourvu de quatre hélices pour décoller et flanqué de deux grandes roues disproportionnées et amovibles qui lui donnent, c’est vrai, un air d’araignée quand il grimpe un mur à la verticale. Et voici Jumping Sumo, voiture télécommandée tout-terrain et capable de bonds de près d’un mètre. Les deux sont pilotés par smartphone et dotés d’une caméra. Deux jouets a priori bien inoffensifs, en somme. Dans le spot publicitaire de la marque, on voit un gamin espiègle taquiner sa sœur avec son minidrone volant et filmant. Rien de révolutionnaire, si ce n’est une hyperdémocratisation des drones espions. Des scientifiques néerlandais présentaient au début de l’année le DelFly Explorer, le plus petit drone au monde, pas plus grand qu’une libellule. Ces chercheurs ont poussé le mimétisme animal en le dotant d’une paire d’ailes que l’insecte électronique doit agiter pour voler. Il est équipé lui aussi de caméras. Le DelFly est présenté par ses concepteurs comme un auxiliaire utile pour les équipes de secours en cas de catastrophe pour se faufiler dans les interstices des murs écroulés ou dans des puits inaccessibles sans danger. Soit. Mais un espion bien discret aussi pour les services de renseignements ou les maris jaloux. De très petits, les minidrones deviendront minuscules et la libellule se transformera en moustique. Impossible alors de distinguer le vrai du faux. Araignées, mille-pattes, abeilles, bourdons, vers luisants (vision

nocturne) : les insectes-drones plongeront le monde dans une crise de paranoïa générale. Les assureurs, les commerçants, la police, les publicitaires, enverront des nuées d’insectes espions dans les recoins de nos maisons. Nous riposterons en conséquence, l’humanité n’a de toute façon jamais aimé les insectes. A chaque technologie, sa parade. On nous vendra une crème électromagnétique répulsive dont nous nous badigeonnerons le corps. Nous nous armerons de tapettes à mouches électroniques. La guerre des drones sera déclarée. Mais elle est perdue d’avance. Des millénaires de luttes vaines nous ont appris que, jamais, on ne se débarrasse d’une guêpe à l’heure de l’apéro ; jamais non plus d’un moustique dans la chambre. “Ne bouge pas, il ne t’embêtera pas”, dira la grand-mère à son petit-fils qui laissera donc ces nanodrones le filmer tranquilles. Sans vouloir jouer les Cassandre, disons-le tout net, nous plierons. Alors, prostré dans un coin du salon, la tête dans les genoux, le bruissement des mouchesmachines dans les oreilles, haletant et délirant, nous fuirons dans la caverne de nos lointains ancêtres, la peau de nouveau boursouflée par les multiples piqûres des bestioles biologiques, mais à l’abri. Nicolas Carreau illustration Jérémy Le Corvaisier pour Les Inrockuptibles

pour aller plus loin Le DelFly Explorer www.delfly.nl

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Feu ! Chatterton Cinq garçons d’aujourd’hui portent la musique d’ici dans le futur en jetant un élégant coup d’œil sur l’héritage.

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’écoute du premier ep éponyme de Feu ! Chatterton sera un choc pour beaucoup. Une voie humblement ouverte sur d’incroyables possibles. Repérés depuis plusieurs mois sur les scènes parisiennes où ils excellent (en première partie de Fauve ≠ au Bataclan notamment), ces cinq Parisiens emmenés par les textes déjà fondamentaux et la présence

inouïe d’Arthur, leader charismatique et ultracontemporain, posent en quelques titres les bases du rock français à venir. Feu ! Chatterton, c’est l’héritage de Bashung ou de Ferré propulsé dans le sillage de The xx ou de LCD Soundsystem. Héros annoncés de la rentrée de septembre et de l’année 2015, ces jeunes gens sont déjà au cœur de l’une des plus

grandes batailles de maisons de disques jamais observée en France. A découvrir absolument. Pierre Siankowski photo Rüdy Waks pour Les Inrockuptibles ep Feu ! Chatterton, sortie le 8 septembre concerts le 12 juillet aux Francofolies de La Rochelle, le 24 août à Rock en Seine (Saint-Cloud), le 12 septembre au Point Ephémère (Paris)

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où est le cool ? par Géraldine Sarratia et Dafne Boggeri

chez la femme Vladimir Karaleev L’allure est décidée, le style rétro et minimal, la palette taupe et bleutée. Le tout, signé par Vladimir Karaleev : le designer bulgare installé à Berlin frise le sans-faute. vladimirkaraleev.com

à toutes les pages de Beau monstre Le nouveau mook de l’artiste et plasticienne Emmanuelle Mafille vient de sortir. Autoédité, sans pub, Beau monstre propose des textes, collaborations d’artistes et photographes (Eva Truffaut, Dorothée Smith, Mafille elle-même...) qui entretiennent un lien privilégié avec le quartier Belleville : le résultat – arty, touffu et intime – donne à voir et à penser. en vente à la galerie agnès b., galeriedujour.com et par mail : [email protected] 34 les inrockuptibles 25.06.2014

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en buvant un Get 27 à l’Acropol Foncez sur le site de François Prost : ce photographe autodidacte, qui bosse comme DA pendant la semaine, a réalisé une série excitante sur les clubs et les discothèques de France et de Navarre. Ils s’appellent le Mirage, l’Apollo, le Light Club ou encore le Coconuts, et sentent bon la tong, le palmier en plastique et le Get 27 un peu trop bien servi avant de reprendre la départementale.

plus de style sur les inRocKs Style style.lesinrocks.com

francoisprost.com 25.06.2014 les inrockuptibles 35

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vous n’y échapperez pas

la girlyfication du garagisme Femme au volant, brushing au tournant ?

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ne vidange, une manucure, un cupcake : c’est la triplette gagnante d’Only Girls, un garage ouvert il y a moins de deux mois et qui fait déjà parler de lui. Situé à Saint-Ouen-l’Aumône en Ile-de-France, le lieu a un argument de vente irrésistible : un staff 100 % féminin (à l’exception de son fondateur Laïd Hdachi) et des services des plus girly. Son but : repeindre en rose un univers par tradition saturé de testostérone. Quand l’attente se fait longue, une esthéticienne embauchée à plein temps propose des manucures, massages ou épilations des sourcils. Un salon de thé à l’américaine est également disponible ainsi qu’une salle de jeux pour les bambins. Mais Only Girls vante surtout la transparence de ses évaluations, chose rare envers les conductrices. “Les garagistes sont très sexistes et sous-évaluent quasiment toujours les clientes, qu’ils prennent pour des écervelées”, estime Laïd Hdachi. Là, des demoiselles mécano(tes) expliquent “en langage simple” – aux femmes de suivre et de se familiariser avec le processus. M’sieur l’patron met une chose en évidence : la discrimination dans le milieu auto est vieille comme le monde. Dès l’arrivée de madame derrière le volant, au début du XXe siècle, dictons et blagues grasses fleurissent sur sa prétendue incapacité à gérer un bolide. Pour le sociologue John Berger, une femme au volant menace l’ordre établi, qui repose sur

la segmentation genrée et binaire entre espaces public et privé. Une donzelle nulle en conduite perpétue donc l’idée antique qu’elle est incapable de survivre seule dans la jungle urbaine. Only Girls, mais aussi l’américaine Girls Auto Clinic, ou encore les soirées spécial filles de Harley Davidson sont des exemples de gendered marketing (marketing genré), qui opèrent via des signifiants girly caricaturés (escarpins ou typo en rouge à lèvres incorporés dans le logo). Et si ces nouveaux business relèvent d’un réel problème, un hic demeure : dans une tentative d’introduire la femme dans une sphère masculine, ils ne proposent finalement qu’un triste ersatz couleur barbe à papa, une copie conforme du cocon domestique dont ils promettent l’émancipation. A quand un garage, brasserie, ou PMU gender-neutral ? Alice Pfeiffer girlsautoclinic.com

ça va, ça vient : le chihuahua VIP

1992 Geena Davis, Andy Garcia et… un chihuahua mélancolique. Ce poster parodique de Héros malgré lui de Stephen Frears fait le buzz en Amérique, et s’inscrit dans une longue tradition locale d’humour animalier. Plus sympathique encore que Dustin Hoffman ? Un animal-LOL qui surpasse les classes, désacralise Hollywood, et permet de voir en notre Médor une star potentielle.

2005 Comme sa maîtresse, le chihuahua d’Hilary Duff a le poil bien peigné et l’œil brillant. Dans les bras de la pop-star, ambassadrice de la bienséance US, notre héros joue le rôle d’une poupée vivante pour jeune fille et rappelle qu’il n’est jamais trop tôt pour entretenir son instinct maternel. Chanteuse oui, mais future mère avant tout.

2014 Shopping de luxe, croisières : rien n’est trop bien pour le minichien de Paris Hilton. Ce BFF court sur pattes et éternel compagnon de selfie permet à l’héritière de simuler un peu de sensibilité au sein d’une automédiatisation constante et bimbo – tout en suggérant que tout ce qu’elle touche atteint immédiatement le statut d’icône pop. A. P.

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hot spot

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O Divin l’Epicerie

bouche à oreille

cheval de bataille Les boucheries à l’ancienne et les tripiers font un timide retour dans la capitale.



a-t-il un avenir pour les boucheries chevalines et tripiers en mal de clientèle ? Deux fois oui avec l’indétrônable CheZ Aline, connu comme le loup blanc dans le XIe arrondissement de la capitale, et l’ouverture toute fraîche d’O Divin l’Epicerie, à deux pas du métro Jourdain. La première a élu domicile dans une ancienne boucherie chevaline dont elle a remplacé le “V” par un “Z”, la deuxième est une OPA sur une triperie vieillissante de la rue de Belleville. CheZ Aline, il ne reste plus trace de ces douceurs fondantes que sont le merlan ou la bavette d’aloyau – au lieu de quoi Delphine Zampetti régale tout le quartier avec sa baguette au pot-au-feu de poulet, ses salades de poulpes/ salicorne et sa tortilla de compétition épaisse comme un oreiller. O Divin l’Epicerie en revanche, reste fidèle au passé de tripier de cette échoppe qui a conservé ses crochets de boucher et ses carreaux de céramique. Grande comme un mouchoir de poche, l’épicerie est une caverne d’Ali Baba qui aligne saucisses aux graines, rillettes de cochon et galettes de pied de cochon mais aussi poulpe précuit, jambon pata negra à la coupe et langoureuses stracciati (sorte de burrata tressée) venues des Abruzzes. Sur l’un des deux tonneaux qui encadrent la devanture et font office de comptoir d’appoint, on déguste

sur le pouce l’un des sandwichs du jour imaginés par le chef Mathieu Moity, qui officie à quelques rues de là, dans le restaurant du même nom : joues de cochon et houmous, langue-de-bœuf sauce lentille ou pintade abricot curry. “Dans quelques semaines, on trouvera aussi des tripes farcies comme celles que fait ma mère, en Algérie, où il existe beaucoup de plats à base de poumon ou de cœur, ou un sandwich au foie de veau, vinaigre et coriandre”, complète Redha Zaïm, l’entrepreneur survolté et vrai amateur de bouffe qui se cache derrière cette folle entreprise. “L’ancien employé de la triperie a manifesté son envie de revenir travailler avec nous trois jours par semaine”, se réjouit ce touche-à-tout, qui fut patron d’un studio d’animation, auteur d’un documentaire sur la tomate, caviste occasionnel du marché de la place des Fêtes et heureux propriétaire depuis quelques jours d’un petit bistrot situé à quelques mètres du parc des ButtesChaumont qu’il promet de ressusciter pour la rentrée. “Je ne suis pas le Zorro de la triperie sur la place de Paris mais j’aime les bons produits et le savoir-faire”, commente avec modestie ce gourmand pas vraiment du genre à se mettre la rate au court-bouillon. Claire Moulène photo Doris Poe pour Les Inrockuptibles O Divin l’Epicerie, 130, rue de Belleville, Paris XXe CheZ Aline, 85, rue de la Roquette, Paris XIe

l faut s’y prendre quelques jours à l’avance pour choper une place dans ce petit restaurant discret qui s’est fait un nom aussi vite qu’il faut pour l’écrire. Quatorze couverts, pas de musique : la promiscuité bienveillante adoucit l’austérité. Derrière la petite cuisine ouverte, la chef japonaise Haruka Sawachi-Casters, une ancienne de chez Saturne et d’Abri, prépare des tapas transgenres, quelque part entre la France et le Japon, son pays d’origine. 6036 – en miles, distance séparant Paris de Tokyo – est un izakaya, restaurant typique cousin du bar à tapas espagnol. Chaque soir, on peut goûter une dizaine de petits plats à des prix abordables par rapport à ce qui se pratique en ce moment – entre 3,50 et 11,50 euros pour une addition totale selon l’appétit et la soif située entre 30 et 40 euros par tête. Ce soir-là, parmi les petites merveilles proposées, se glissent un velouté de navet, espuma de graines de sarrasin grillées ; une asperge blanche grillée, dashi en royal ; un onigiri au saumon gris et œufs de truite ; un porc basque, jus de viande, légumes de saison ; de délicieuses praires de Saint-Michel, saké, chou et des fritures de fleurs de courgette et d’asperge. La maison propose saké et vins nature ainsi qu’un service très sympa et bilingue. Les vendredis et samedis midi, le 6036 sert un teriyaki-burger à base de poulet à la japonaise, très couru. Anne Laffeter 6036 au 82, rue Jean-Pierre Timbaud, Paris XIe, ouvert le soir du mardi au samedi, de 19 h à 23 h, 01 73 71 38 12

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1 Titanic de James Cameron 2 l’ectasy 3 David Lynch 4 Chungking Express de Wong Kar-wai 5 Sharon Stone dans Basic Instinct 6 Pierre Bourdieu 7 Edward aux mains d’argent de Tim Burton 8 Julia Roberts dans Pretty Woman 9 Naomi Campbell 10 le sous-commandant Marcos 11 Kurt Cobain 12 Björk 13 Michel Houellebecq 14 le téléphone portable 15 Kate Moss 16 Act Up 17 Zinédine Zidane 18 Uma Thurman dans Pulp Fiction

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les années

90 si loin, si proche

Le désenchantement de Houellebecq, l’explosion de la pop indé, les facéties de Tarantino, les émois des Friends… Mais aussi de nouveaux cinéastes venus d’Asie, le grand retour des luttes sociales et la naissance d’un mouvement alter. Somme toute, les 90’s n’auront pas été si nulles. Faut-il pour autant les célébrer ? Alors que le Centre PompidouMetz leur consacre une exposition, analyse par François Cusset, directeur du livre collectif consacré à cette fin de siècle, et petite chronologie subjective des événements qui les ont fondées. par Frédéric Bonnaud et Jean-Marie Durand illustration Stéphane Manel pour Les Inrockuptibles 25.06.2014 les inrockuptibles 41

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La chute du Mur, Berlin, novembre 1989

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quoi ont ressemblé les années 90, à défaut de nous avoir rassemblés autour des mêmes envies ? Si chacun en a la mémoire subjective, elles restent pour autant traversées par des motifs généraux, identifiés dans un livre collectif dirigé par François Cusset, Une histoire (critique) des années 1990. Adeptes d’une micro-histoire, entremêlant culture et politique, les auteurs éclairent cette décennie presque déjà oubliée, prise en tenailles entre le basculement idéologique majeur des années 80 et les années 2000. Dix années où la fin de tout s’imbriqua dans le début de quelque chose : un état dans lequel nous nous agitons toujours. François Cusset s’explique. Les années 90 s’achèvent avec le siècle : c’est pourquoi leur “ontologie est négative”, est-il proposé dans le livre. Mais c’est aussi “le début de quelque chose”. Comment définir cette articulation entre cette fin et ce commencement ? François Cusset – Le “décennisme” n’est évidemment pas une panacée ; le découpage d’une période dans le passé récent est toujours une opération compliquée. Ici, on peut partir de cette chronologie au moins à cause du compte à rebours millénariste : on se trouve adossé à cette fin de siècle et de millénaire. Le point de départ était que les années 90 n’existent pas. Car les années 80 restent le moment du grand tournant idéologique, d’une mutation anthropologique et culturelle. Je pense que les années 80 ont duré vingt ans. Entre ces années 80 et la fin de siècle, les années 90 disparaissent, simple prolongement d’une certaine façon. Or à voir de plus près cette décennie disparue, la première chose qui frappe, c’est qu’elle commence par les discours de la fin, dont le livre de Francis Fukuyama, La Fin de l’histoire et le Dernier Homme. On peut consigner les variantes de ces éloges de la fin.

Il y a les ritournelles des années 80, plus pernicieuses, sur la fin du social et de l’idée de révolution. Il y a aussi la fin de la guerre, illusion vite dissipée tant la décennie la voit réapparaître – guerres du Golfe, de Yougoslavie, ou le génocide rwandais… C’est aussi la fin du monde comme extase bon marché, objet marchand tout ce qu’il y a de plus mainstream, à l’image des blockbusters hollywoodiens de ces années-là. Il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme, comme le disait le philosophe américain Fredric Jameson ; ça résume bien la période. Et puis il faut faire avec la fin d’une promesse : l’aspect spectral de la décennie, son côté fantomatique, en découle directement. La fin d’un rêve et d’une promesse n’est pas un phénomène de mœurs pour magazines, ça a lieu dans le temps long de l’histoire. En décrétant une telle fin, on force cette promesse à réapparaître par en-dessous, le canal de l’inconscient, la forme du fantôme. Bref, l’ironie de cette histoire, c’est qu’à force de décréter la fin de ces choses, on leur a conféré un statut incertain de morts-vivants. C’est une décennie obsédée par la question communiste, même si c’est au titre de son enterrement, de son obsolescence historique ; sauf qu’au milieu de la décennie, un mouvement social se réveille, comme en France fin 1995, ou avec l’altermondialisme des années suivantes ; et quand les pays émergents s’imposent à cette période, c’est parfois selon des voies bien éloignées du néolibéralisme occidental… Les spectres sont vivants. Prise en tenailles, cette décennie est-elle au fond une parenthèse ou un trait d’union ? Peut-on lui conférer une vraie substance ? La seule substance d’un temps récent est forcément une substance subjective. D’où l’enjeu méthodologique du livre : qu’est-ce que c’est qu’écrire l’histoire d’un temps qu’on a traversé, et pas toujours aimé, écrire de l’intérieur sur nos modes de résistance à ce tempslà ? Mais ces années existent aussi objectivement. Il y a un parti pris politique dans ce livre que je résumerais

chronologie d’une décennie 1990 mai Palme d’or pour David Lynch avec Sailor et Lula, road-movie qui voit cavaler Nicolas Cage et Laura Dern au son du Wicked Game de Chris Isaak. Quelques mois plus tard, Twin Peaks achève d’en faire le dieu absolu d’une génération.

décembre La naissance de l’Association transforme le paysage de la bande dessinée. Parmi ses premiers succès, Lapinot et les carottes de Patagonie de Lewis Trondheim, Journal d’un album de Dupuy et Berberian, ou encore L’Ascension du Haut Mal de David B.

Entre deux Batman, Tim Burton, le zigoto gothique du cinéma américain, réalise une série B, Edward aux mains d’argent. Avec Johnny Depp.

1991 avril Massive Attack invente avec son album Blue Lines une nouvelle façon, froide, lente et languide, de parler aux hanches. Quelques

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“une décennie obsédée par la question communiste, même si c’est au titre de son enterrement, de son obsolescence historique”

ainsi : démonter le mensonge de la transition. Le discours qui nous a été tenu a été le discours du basculement, de la transition, celui de la fin de l’histoire ayant été déclaré ringard au bout de six mois. Dans tous les domaines, la transition a été proférée. Or ce discours est doctrinal, et mensonger : aucun basculement n’est aussi monovalent, même le phénomène révolutionnaire au sens de Lénine. Le communisme officiel s’est

mois plus tard, Geoff Barrow formera Portishead. Le son de Bristol est né.

1992 avril Maus reçoit le prix Pulitzer – seul roman graphique à jamais l’avoir obtenu. Art Spiegelman livre une des premières œuvres grand public sur la Shoah. Et bouleverse la BD

écroulé tout seul, dysfonctionnel depuis déjà des décennies. La chute du mur de Berlin a rétabli des libertés politiques et invité à consommer ceux qui le pouvaient, mais le processus s’inscrit dans le temps long. Le mensonge de la transition empêche de penser cette période : il s’est donc agi aussi de replacer cette décennie dans une histoire plus large, avec sa continuité. Si c’est une continuité, n’est-elle pas une continuité vers une droitisation déjà engagée depuis le début des années 80 ? On est dans l’élan du basculement planétaire vers la droite des années 80. Frédéric Lordon montre par exemple que les grandes mesures qui achèvent de financiariser l’économie sont prises au cours des années 90. Mais la vraie différence avec les années 80, c’est qu’il semble qu’on réagisse enfin. Un réveil se fait jour après vingt ans de parenthèse, d’autocensure, de culpabilisation du mouvement social, depuis le milieu des années 70 : vingt ans, c’est lourd. Ce réveil est logique. Ce n’est pas l’inverse de la droitisation, c’est la réaction logique à la néolibéralisation du monde d’un peuple non-nommé et non-institué, mais qui sort du silence. Il est frappant de constater que chaque phénomène politique ou intellectuel se polarise autour de forces opposées : en politique, l’abstention se développe en même temps que le mouvement social se réveille ; en culture, le mainstream fait face aux contre-cultures ; dans le paysage de la pensée, le néolibéralisme dominant se heurte à la nouvelle radicalité critique… Ces contradictions sont-elles symptomatiques des années 90 ? Ces polarités renvoient pour nous à une question de méthode. Comment éclairer réciproquement la micro-histoire et la macro-histoire, en gros. Et puis oui, ce temps-là se prête bien à une approche microhistorique et micropolitique. Les contradictions dont tu parles sont elles-mêmes des phénomènes subjectifs, des tensions que la micro-histoire peut faire surgir.

mars en montrant qu’elle pouvait s’emparer de sujets graves et complexes.

mai The Real World sur MTV : des ados partageant un même appartement sont filmés en temps réel. La téléréalité s’invente, bien avant d’arriver en France avec Loft Story en 2001.

1993 février Sous la direction de Pierre Bourdieu, La Misère du monde met en lumière la misère sociale contemporaine à travers les récits de ceux qui la vivent dans leur chair. Vaste succès public d’un livre de sociologie.

Cinq mois après la sortie de son unique long métrage, Les Nuits fauves, l’acteur-réalisateur Cyril Collard meurt du sida – quelques mois après l’écrivain Hervé Guibert, le critique Serge Daney, le chorégraphe Dominique Bagouet...

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“la chute du mur de Berlin et le 11 septembre 2001 sont des bornes évidentes, mais dans les deux cas un affaissement” On a tous dû négocier subjectivement, à cette époque, entre la participation à l’esprit dominant, d’un côté, et les bulles, les alvéoles, les lignes de fuite, les fameuses zones d’autonomie temporaire, de l’autre. Et puis les contradictions sont le fait de trop gros concepts, “gros comme des dents creuses”, comme disait Deleuze. Dire “néolibéralisation du monde”, “fin du communisme”, “démocratie mondiale”, c’est nier ou simplifier des phénomènes complexes. D’où notre attachement à cette prise en compte des subjectivités, dans leur diversité. Pour que la complexité de ce moment apparaisse mieux. Ce qui en fait aussi, du coup, un livre et une décennie impossibles à résumer. Peut-on quand même identifier un début et une clôture pour cette décennie ? La chute du mur de Berlin et le 11 septembre 2001 sont des bornes a priori évidentes, simplistes, mais dans les deux cas un affaissement. Ces deux chutes, d’un mur et de tours, sont des limites commodes. Si la décennie est donc impossible à résumer, des motifs marquants se dégagent pourtant. Tu parles par exemple d’une décennie “duplice” et “fanfaronne”. Comment comprendre le sens de cette duplicité ? C’est aussi une question d’histoire culturelle : accélération du processus d’industrialisation de la culture et mutation technologique majeure font du champ culturel un centre de gravité de cette fin de siècle, au plan de la domination avec l’industrie des loisirs mais aussi de la résistance qu’on peut lui opposer. De fait, les résistances sont alors surtout culturelles. L’histoire politique et l’histoire des formes esthétiques sont ici imbriquées, indissociables. Pourquoi parler de duplicité ? Parce qu’on a tous fait semblant, participé des deux. On est face à une industrie des loisirs qui atteint une ampleur sans précédent et des chiffres de vente qu’elle n’aura plus jamais, à cause de la révolution du téléchargement et la microsegmentation du web. La pop culture atteint

son maximum quantitatif dans les années 90. Il y a donc cette industrie des loisirs omniprésente, criarde, outrancière, dont on a pu mimer les excès, ou sur laquelle on a ironisé, participant gaiement à ses excès. Tout en habitant l’inverse, en se creusant encore une fois des alvéoles, des bulles, des cellules. La contreculture est très présente dans les années 90, mais elle ne se présente pas comme telle. Retour d’un certain cinéma d’auteur à côté de la blockbusterisation ; pionniers de la culture internet, plus radicaux politiquement que ce qui s’ensuivra ; expériences collectives dans le champ de l’art, travail sur les formes de vie ; en musique, essor du rap, de la musique electro, et l’utopie des free-parties… Une audace formelle, esthétique et politique à la fois, anime aussi ces annéeslà. Cette énergie créatrice a laissé des traces, presque des promesses. Ceux qui trouvent aujourd’hui que tout fout le camp ont au moins le souvenir qu’il y a eu des choses. L’opposition dialectique ne joue pas entre domination et résistance, mais entre les échelles macro et micro, entre un discours d’ensemble et un réseau d’alvéoles et de bulles. Cette oscillation entre le centre et les périphéries possibles serait-elle donc un trait marquant, plus fort que dans les années 80 ? Le reproche le plus fréquent qu’on m’ait fait après mon livre sur le cauchemar des années 80, c’est d’avoir grossi le trait, si bien qu’ils étaient nombreux à ne pas s’y retrouver, qu’ils soient punks, militants sexuels, néositus… D’où l’attention à ces micropolitiques de bulles dans notre réflexion collective sur les années 90, par honnêteté méthodologique. Attention aux moments idéologiques qui ont l’air monochromes ; derrière, c’est toute une ruche. La question que pose ce rapport entre macro et micro, entre domination et résistance, ou entre politique et culture, est en fin de compte celle que formulait John Holloway dans un livre ultérieur : peut-on Changer le monde sans prendre le pouvoir ? Soit le rapport, aussi bien, entre changement social et mutations culturelles, du côté des formes de vie. Est-ce qu’opter pour une forme de vie alternative peut faire des émules, exister à une échelle telle qu’on peut modifier les structures politiques et économiques ?

avril 24 Hour Psycho rejoue au ralenti Psychose d’Hitchcock à raison de 2 images par seconde. La version proposée par Douglas Gordon dure donc vingt-quatre heures. Et sonne, en ces années décloisonnées, comme le mariage de l’art et du cinéma.

novembre

octobre Toni Morrison reçoit le prix Nobel de littérature. Elle est la huitième femme et le seul auteur afroaméricain à recevoir ce prix.

Coup de sabre dans le hip-hop, avec l’arrivée en trombe du Wu-Tang Clan, qui réussit dès son premier album, Enter the Wu-Tang (36 Chambers), à allier la folie de MC hallucinés (feu Ol’ Dirty Bastard en tête, Method Man) et les productions effarantes, sombres et cinématographiques du grand RZA.

1994 janvier Le 1er, jour de l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange nord-américain (Alena), quelques milliers de guérilleros zapatistes investissent la ville de San Cristóbal de Las Casas au Chiapas. Le souscommandant Marcos, superstar.

février Organisée au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, l’exposition culte L’Hiver de l’amour prend pour toile de fond les années sida et le renouvellement de la jeune scène artistique.

avril D’avril à juillet a lieu au Rwanda le génocide le plus rapide de l’Histoire : 100 jours et 800 000 morts, en majorité tutsis.

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Studio Rémi Villaggi/Metz

time capsule L’exposition La Décennie au Centre Pompidou-Metz offre l’occasion de se téléporter dans la scène artistique des années 90. par Jean-Max Colard

C

’était donc cela, les années 90 en art ? Une atmosphère de laboratoire formel située en retrait du monde, un air ambiant d’un raffinement extrême, un art poussé de l’exposition, une cinématique de l’espace, un art “à l’état gazeux”, avait dit à l’époque le philosophe de l’art Yves Michaud, un mélange d’esprit “fun” et de douce mélancolie, dans lequel le spectateur “relationnel” peut librement déambuler. Vous y êtes : indéniablement, l’exposition 1984-1999. La Décennie organisée au Centre Pompidou-Metz offre au visiteur une rare expérience de téléportation. C’est une “time capsule” qu’ont conçue ensemble la commissaire d’exposition Stéphanie Moisdon et l’artiste Dominique Gonzalez-Foerster, auteur ici d’une subtilissime scénographie. Donnant ordinairement une double vue panoramique sur la cité messine, les deux grandes baies vitrées du plateau d’exposition du premier étage sont ici obstruées. On ne pouvait raisonnablement pas nous replonger dans un bain de nineties en nous laissant la vue sur Metz 2014. En lieu et place, l’artiste a d’un côté substitué à cette réalité présente l’image d’une métropole nocturne, et à l’autre bout celle d’une forêt. On circule donc à l’abri du jour, entre ville et forêt dans une exposition qui se conçoit davantage comme une promenade synesthésique, dans un paysage plus rêvé

que réel, proche d’un jardin zen. On vient là pour méditer sur ce monde encore récent et pourtant déjà révolu, comme si l’exposition était à la fois la quintessence des années 90, mais aussi leur élégant funérarium. Les machines à remonter le temps sont-elles des horloges de haute précision ? Si je devais dater plus précisément le moment de cette “time capsule”, je dirais que l’exposition nous replonge non pas dans “LA décennie”, mais dans un espace-temps beaucoup plus restreint : entre février 1994 et juin 1995 au centre d’art du Consortium de Dijon, lieu phare et véritable foyer de cette scène artistique. On y retrouve quelques-uns des artistes de cette époque, avec des œuvres du début, quand il ne s’agissait encore que de figures prometteuses : Pierre Huyghe, Angela Bulloch, Philippe Parreno, Liam Gillick, Pierre Joseph, Maurizio Cattelan, Karen Kilimnik, Carsten Höller ou encore Felix Gonzalez-Torres, mort des suites du sida en 1996. On y retrouve surtout ce “climat esthétique” qui caractérisait le magazine le plus emblématique de cette décennie, Purple, fondé par Elein Fleiss et Olivier Zahm, cocurateurs avec Dominique Gonzalez-Foerster et d’autres artistes de la décisive exposition L’Hiver de l’amour, organisée en 1994 au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. C’est dire si la critique d’art Stéphanie Moisdon n’a pas cherché à documenter

les années 90 : renonçant à une impossible exhaustivité, elle nous en donne une vision très subjective, très personnelle. Ses années 90 à elle – “ma” décennie à moi. Ce parti pris très assumé et poussé à bout verse aussi dans l’entre-soi, à l’image des petites vitrines où quelques happy few (les curateurs Eric Troncy et Hans-Ulrich Obrist, par exemple) ont déposé leurs collections personnelles d’objets emblématiques des nineties. Plus profondément, l’exposition nous dit qu’une certaine scène artistique s’est constituée à l’époque entre Grenoble, Zurich, Londres, Dijon, Nice et New York, indifférente aux attaques qui à l’extérieur faisaient alors rage contre la nullité de “l’art comptant pour rien”, et comme oublieuse de la crise économique qui avait frappé jusqu’au monde de l’art lui-même à la fin des années 80. Mais La Décennie porte en soi une critique implicite de notre maintenant : tout se passe comme si les années 90, c’était l’expérimentation pure, c’était avant la spéculation folle du marché de l’art, c’était l’internationalisation avant la mondialisation, c’était avant l’empire de la communication, avant que l’art contemporain ne gagne cette visibilité qui est la sienne aujourd’hui en allant rejoindre les industries culturelles. Et l’on dira, comme toujours, que c’était mieux avant. expo 1984-1999. La Décennie jusqu’au 2 mars 2015 au Centre Pompidou-Metz, centrepompidou-metz.fr 25.06.2014 les inrockuptibles 45

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Ou est-ce que ça n’est que désertion, ce qui est déjà pas mal, refus de participer à une entreprise plus vaste de déstabilisation du système ? Depuis vingt ans, on a eu quelques expériences passionnantes de cet ordre, comme à Oaxaca au Mexique quand les profs et les fonctionnaires ont gouverné la ville eux-mêmes, écho politique des soulèvements du Chiapas. Plus récemment, les indignés, Occupy, posent à leur tour la même question : à quel moment peut-on articuler ensemble des expériences de désertion, des formes de vie, en les faisant glisser vers le plan du changement politique ? Est-ce que c’est possible ? Est-ce que de ce point de vue, les années 2010 et le milieu des années 90 ne se ressemblent pas sensiblement ? En tout cas dans la mesure où cette question, à laquelle on est aujourd’hui confronté, se formule en fait à ce moment-là. Le dilemme entre forme de vie et changement social d’ensemble devient critique dans les années 90. Certes, le mouvement social a toujours été traversé par cette contradiction. C’est ce que Jean-François Lyotard appelait “les deux Marx” dans Economie libidinale : d’un côté, le vieux barbu totalisant un peu déterministe, qui veut tout englober ; de l’autre, une serveuse bavaroise pulpeuse à gros seins. Ou les orgas contre les poètes. Vieille question, qui apparaît sous une forme nouvelle avec les années 90. Est-on au fond sorti des années 90 aujourd’hui ? Faut-il enjamber les années 2000 ? Il faut les enjamber. Car il me semble que le soi-disant changement de paradigme imposé par le 11 Septembre s’est essoufflé au bout de dix ans. Parenthèse qui s’est peut-être refermée avec les printemps arabes, le changement de présidence aux Etats-Unis, le mouvement social mondial… Comme si on reprenait où on en était, à la fin des années 90. Les jeunes sont, dis-tu, des “égarés” dans ces années ? Pourquoi les associer à un égarement ? Avoir 20 ans à la chute du mur de Berlin, comme la plupart des auteurs du livre, c’est être coincé dans

Le 5, mort de Kurt Cobain (lire article p. 50)

mai Homme d’affaire(s) à la tête de nombreux médias, Silvio Berlusconi accède pour la première fois aux fonctions de président du Conseil. Le début d’un long film à sketches.

septembre A quelques jours d’intervalle, deux séries majeures débutent

Philippe Wojazer/Reuters

L’“encapotage” de l’obélisque de la Concorde par Act Up, Paris, décembre 1993

novembre

août

Le 30, mort de Guy Debord.

Interview de Christine Angot, roman où sa voix puissante s’impose comme l’une de celles qui vont marquer la décennie et la littérature française à travers une “littérature de soi” sans compromis. L’Inceste paraîtra en 1999.

1995 mai aux Etats-Unis, Urgences et Friends. Rachetées par France 2, elles deviennent ultrapopulaires, respectivement en 1996 et 1997, avec l’autre grande série mainstream, X-Files, diffusée sur M6.

le “présentisme”, selon le mot de François Hartog ; en l’occurrence, n’avoir droit ni au passé, ni à l’avenir. Interdit de passé, puisqu’il est devenu immoral de se dire rebelle à 20 ans ; et la perspective d’avenir ou la promesse de long terme sont impensables. La flèche du temps est paralysée : oui, c’est l’égarement, une certaine façon de tourner en rond dans une pièce vide sans fenêtres, qu’on appelle le présent, et qui a pour ambiance l’industrie du loisir, les médias, la télé… Plus égarés, oui, qu’au début des années 80, dont j’avais trop appuyé les traits réactionnaires : en passant ses nuits au Palace, c’est vrai, on percevait moins nettement le tournant de la rigueur ! L’insouciance était encore possible. La jeunesse des années 2010 te semble-t-elle aussi é garée ? Je ne veux pas parler à sa place, mais je la trouve très différente. Concrètement, les gens de 20 ans aujourd’hui galèrent beaucoup plus que dans les années 90. Ils sont d’une grande lucidité, singeant

Sortie de La Mémoire neuve, troisième album de Dominique A. Une consécration tandis qu’aux côtés du Nantais, d’autres beaux représentants du pays comme Françoiz Breut, Katerine ou Miossec

redonnent ses lettres de noblesse à la chanson française.

juillet Symbole des guerres yougoslaves, le massacre de Srebrenica est qualifié de pire massacre commis en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Le 12, l’hebdo anglais musical NME oppose Blur et Oasis sur sa couverture alors que les deux formations s’affrontent

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Les grandes grèves, Paris, décembre 1995

AFP

“au milieu de la décennie, un mouvement social se réveille, comme en France fin 1995, ou avec l’altermondialisme des années suivantes”

les méthodes de la vente de soi pour décrocher des jobs, tout en vomissant l’esprit de l’époque. C’est une génération pessimiste, avec ses intelligences sans emploi, et des problèmes plus compliqués qu’il y a vingt ans, mais moins égarée il me semble, ne serait-ce que parce que le discours culpabilisant l’insoumission est moins présent. Il y a du jeu, et moins de propagande. Le féminisme et l’écologie ne sont-ils pas deux courants de pensée importants de cette décennie ? Le féminisme façon Judith Butler, qui émerge alors, est un féminisme universitaire qui radicalise le constructionnisme de genre venu des années 70 : mais avec assez peu de traductions militantes et sociales. Ce qui se passe surtout alors pour les minorités sexuelles, ce sont les ravages du sida, l’homophobie, ou la question trans, abordée dans le livre par Beatriz Precadio. Et en France, la question du genre ne s’impose que tard, dans les années 2000. Ce qui domine alors, c’est la question du corps, de la maladie,

dans les charts avec leurs singles Country House et Roll With It. L’Angleterre bourgeoise du Sud contre le rock working-class du Nord.

de la bioéconomie. La grande nouveauté des années 90, c’est la constitution d’un monopole capitalistique de type biopolitique. Le vrai pouvoir appartient à un vaste secteur économique qui va de l’industrie pharmaceutique à celle du loisir : les corps et les esprits sont pris en charge, stimulés, pris dans une nasse, que contrôle une industrie, comme dans un cauchemar orwellien. Le trouble bipolaire est apparu par exemple comme diagnostic dans les années 90 parce que les brevets des laboratoires qui traitaient la maniacodépression arrivaient à expiration ; ils ont du coup pu mettre sur le marché de nouvelles molécules grâce à une maladie rebaptisée, pour redéployer les ventes. Quant à l’écologie, je ne suis pas sûr qu’elle soit alors au centre ; c’est la fin d’une réticence à l’écologie, certes. Mais ce n’est qu’au début des années 2000 qu’elle s’imposera dans l’espace public. Comment analyser le regard de l’époque sur la sexualité, dont Houellebecq décrit en 1994 les formes misérables dans Extension du domaine de la lutte ?

novembre

décembre

Le 4, mort de Gilles Deleuze.

Plan Juppé de réforme des retraites et de la Sécurité sociale. Grèves et manifestations se multiplient dans toutes les villes de France. La plus importante mobilisation depuis 68.

Dans la solitude des champs de coton de Koltès recréé par Patrice Chéreau. Il joue aux côtés de Pascal Greggory cette ronde nocturne entre un dealer et son client. Scène culte : leur danse sur la musique de Massive Attack, Karmacoma.

1996 janvier Une année clé dans l’histoire du sida.

De nouveaux traitements, appelés trithérapies, permettent aux séropositifs de reprendre espoir.

juin Deuxième long métrage d’Arnaud Desplechin, Comment je me suis disputé… apporte un nouveau souffle au romanesque made in France et impose une nouvelle génération de comédiens : Mathieu Amalric, Jeanne Balibar, Emmanuelle Devos,

Chiara Mastroianni, Denis Podalydès...

septembre La comète Guillaume Dustan débarque en librairie avec un roman radical, Dans ma chambre (P.O.L), et devient l’icône gay des lettres françaises. 25.06.2014 les inrockuptibles 47

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Jack Guez/AFP

Doug Kanter/AFP

La victoire des Bleus au Mondial, Paris, juillet 1998

L’attaque du World Trade Center, New York, septembre 2001

Là aussi, l’éthique de la micro-histoire est une vigilance face aux généralités, surtout sur quelque chose comme “la sexualité dans les années 90”. En plus, là aussi il y a un décrochage entre le micro et le macro. On assiste à la pornographisation générale de l’espace public, pubs normalisées, vogue de l’exhibition de l’intime, éloge de la performance sexuelle. L’incitation omniprésente est aussi ce qui produit la misère sexuelle décrite par Houellebecq. Ne vit-on pas à la fois dans une exhibition de l’intime et une forme de puritanisme ? Ah oui, toujours le problème dialectique du rapport entre obscénité et puritanisme, l’un qui déclenche l’autre... Les médias ont mis en scène à cette époque-là une polarisation spectaculaire entre les deux ; ce qui ne veut pas dire que l’époque soit plus l’une ou l’autre ; elle fabrique simplement des polarités sous lesquelles on peut cacher la grande misère sexuelle, l’égarement, les troubles identitaires aussi ; car l’hétéronormativité bouge

nulle part. Après le déferlement de la vague French Touch, partout : Air, Cassius, Motorbass, Mr. Oizo, Etienne de Crécy et… Daft Punk.

avril

1997 janvier Où placer la France sur la carte musicale mondiale ? Avant les années 90,

Le 5, mort d’Allen Ginsberg. Immense succès du Dora Bruder de Patrick Modiano, enquête sur une jeune fille disparue pendant l’Occupation.

alors elle aussi. La réalité, là encore, est plus fine que les discours. Le graphiste et le DJ s’imposent comme deux figures de cette décennie. Pourquoi ? Pour des raisons d’abord technologiques ; ils sont les artistes d’un nouvel âge technique. Mais aussi parce qu’ils confirment la mort de l’auteur, accélèrent la fin de la pop star déifiée en figure messianique pour temps de culture de masse. Ce sont des gens invisibles, des bricoleurs malins, dans l’ombre des coulisses plus que sur l’avant-scène. Et ils participent aussi du devenir-décoratif de la création culturelle ; distiller les références, afficher la culture partout, et nulle part. Plus l’enjeu marchand : la brosse à dents de designer, c’est l’art pour tous, et plus d’argent pour l’industrie, comme le rappelait le critique Hal Foster. L’accélération, plus tard théorisée par Hartmut Rosa, ne s’impose-t-elle pas radicalement dans les années 90 ?

décembre Comment transformer un naufrage en triomphe ? C’est l’exploit accompli par James Cameron avec Titanic. Il réalise le plus grand succès de l’histoire du cinéma en fracassant un beau bateau contre un iceberg numérique. Leonardo DiCaprio ne cessera de prouver par la suite qu’il n’usurpait pas le titre autoproclamé de “king of the world”.

1998 juillet Le 12, au Stade de France, contre le Brésil, et 1, et 2, et 3-0 ! Intense moment d’euphorie dans tout le pays qui célèbre une équipe “black-blanc-beur”, et rêve pour un temps d’une France diverse et unie.

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jouez avec les nineties !

C’est central. Si on faisait une histoire socioéconomique plus classique, on dirait que ce qui est arrivé au capitalisme dans ces années-là tient entièrement dans l’impératif d’accélération. Au plan des modes de production et des taux de profit, d’abord : on part d’un processus de valorisation et on l’accélère ; les mêmes tâches doivent être faites plus vite, et si on ne suit pas, on est remplacé par quelqu’un qui va plus vite. C’est alors à la fois une doctrine et un argument démocratique, avec la question de l’accès. Il faut que les choses soient immédiatement accessibles, sans délais. Les formes de vie mutent aussi de ce côté-là. On n’a pas commencé d’envisager les conséquences de cette mutation. Et en même temps, tout en accélérant tous les processus, la décennie 90 est une période conservatrice qui pétrifie l’existant, naturalise le construit. Décalage entre accélération de l’existence et pétrification normative : tout va plus vite, mais rien ne change. C’est ce qui existait déjà qui va plus vite ; il n’y a rien de neuf. La question de l’altérité se détache aussi ; on la retrouve en philosophie avec le tournant moral, mais aussi dans la politique avec la naissance du mouvement “alter”. Comment comprendre ce motif ? La meilleure nouvelle de cette décennie, c’est d’abord le décentrement de l’Occident, l’émergence d’un monde postcolonial. Le mot “alter”, lui, signifie moins la prise en compte de la figure de l’autre que la fin de notre séparation d’avec l’autre ; c’est le règne de l’inséparé. C’est la remise en question des hiérarchies classiques, mais aussi le début de la juxtaposition des spécificités culturelles, on déploie et spatialise les différences, qui ne sont plus dans le temps, mais dans la contiguïté, l’égale valeur de leur coexistence. Par rapport à ce mouvement de décloisonnement, de relativisation, et pas de relativisme, au sens de la fin de l’extériorité et de la conscience d’un monde fini, le 11 Septembre va là aussi nous faire prendre dix ans de retard.

février C’est avec The Slim Shady LP qu’Eminem s’impose comme un monstre inédit dans le rap game. La voix prolétaire américaine la plus cinglante depuis Springsteen. décrochent leur première Palme d’or avec Rosetta, portrait vibrant d’une jeune

à voir Summer of the 90’s du 19 juillet au 24 août sur Arte

Une histoire (critique) des années 1990 – De la fin de tout au début de quelque chose (La Découverte/Centre Pompidou-Metz), dirigé par François Cusset, 402 pages, 22 €

octobre

mai

Réponses dans le hors-série des Inrocks (hebdo depuis 1995) et d’Arte (née en 1992) consacré aux années 90 ! Ciné, musique, littérature, mode, technologie, BD, séries, théâtre, art contemporain, actualités : Le Grand Quiz des années 90 vous permettra, en plus de 350 questions, de tester vos connaissances et de vivre ou revivre cette décennie en vous amusant. Un voyage dans le passé ludique et instructif.

Entre micro-histoire, critique, sociologie, philosophie… comment pourrait-on finalement qualifier votre approche collective pour expertiser les années 90 ? J’ai proposé aux contributeurs de placer au cœur de leur méthode le déplacement des catégories existantes. Une chose importante pour comprendre le livre, c’est le surtitre de chaque chapitre : ce sont à chaque fois deux catégories avec un slash entre les deux, comme télé/ciné, sexe/genre, high-tech/ low-tech, art/exposition, musique/pop, cinéma/ télévision, idées/textes, pouvoirs/résistances… C’est donc le rapport changeant entre ces deux choses qui compte, plus que les découpages classiques. Les catégories bougent dans les années 90, c’est tout un glissement épistémologique, un redécoupage. On essaie tous de suivre le déplacement de ces catégories, de se situer sur leur zone d’intersection. C’est aussi évidemment de l’histoire engagée, de l’histoire expérimentale, de la para-histoire. Un joyeux bordel, et un contre-manuel d’histoire.

travailleuse prête à tout pour survivre. La même année, le jury Cronenberg remet aussi trois prix à L’Humanité de Bruno Dumont. Trop de prix pour les pauvres et pas assez de glamour et de stars, se plaignent certains journalistes (de droite).

1999

Trois ans après le succès d’estime de La Promesse, les frères Dardenne

En kiosque, 100 pages, 5,95€

ì'DQVTXHO«SLVRGH de X-Files les agents du FBI Mulder et Scully couchent-ils ensemble ? A – Le premier B – Le dernier C – Jamais   ì4XHOHVWOHQRPGXOHDGHU moustachu impliqué dans le démontage d’un restaurant McDonald’s à Millau en août 1999 ? A – Christophe Aguiton B – Jean Stache C – José Bové D – Pierre Tartakowsky

Le 19, mort de Nathalie Sarraute.

novembre Le Nouvel Esprit du capitalisme de Luc Boltanski et Eve Chiapello montre comment le capitalisme renonce au principe fordiste de l’organisation hiérarchique du travail pour en développer une nouvelle en réseau, fondée sur l’initiative des acteurs, au prix de leur sécurité matérielle et psychologique.

En marge de la troisième conférence de l’OMC à Seattle, d’importantes manifestations ont lieu. Venus du monde entier, les alters parviennent à bloquer le sommet et à médiatiser leur cause. Jean Echenoz reçoit le prix Goncourt pour son roman Je m’en vais, faux roman d’aventures. wwww

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Renaud Monfourny

Jeff Buckley

De Jeff Buckley à Virginie Despentes, du jeune cinéma français à Massive Attack, 1994 est un millésime exceptionnel. Les Inrocks pensent sérieusement à passer en hebdo. par Stéphane Deschamps

1994, l’année des



ans l’histoire de la musique, 1994 est une année sans précédent. Bien sûr, il y a eu 1993, déjà un grand millésime. Mais c’est en 1994, sur les cendres encore fumantes de Kurt Cobain, que renaît la musique. Pas le rock, la musique. Car ça fuse de partout : dans le rock donc, mais aussi dans le hip-hop, l’electro et la chanson en France. La musique indé la plus

improbable se retrouve dans les charts (Loser de Beck), on apprend le nom d’une nouvelle musique (le trip-hop), et les années 2000 s’inventent déjà dans un bar de Detroit… Jeff Buckley (Grace) et les grands classiques Le premier (et unique) véritable album studio de Jeff Buckley est emblématique de cette grosse quinzaine d’albums qui ont marqué leur année de sortie, leur époque, et la nôtre.

Les classiques, ceux qu’on écoute encore aujourd’hui. Sans nostalgie ni complaisance, mais parce qu’ils étaient et sont restés très bons, parfois gorgés de tubes. Ils ont lancé, relancé ou confirmé des carrières longues (à l’exception de Jeff Buckley et Nirvana, en cessation d’activité pour cause de décès). La liste est impressionnante : Definitely Maybe d’Oasis, Ill Communication des Beastie Boys, Mellow Gold de Beck (“I’m a loser baby…”), Dummy de

Portishead, Fun de Daniel Johnston, Protection de Massive Attack, Illmatic de Nas, Southernplayalisticadillacmuzik d’OutKast, Parklife de Blur, Vauxhall and I de Morrissey, His ’n’ Hers de Pulp, CrazySexyCool de TLC, Weezer de Weezer, Roman Candle d’Elliott Smith, Teenager of the Year de Frank Black (ou comment survivre aux Pixies), Bakesale de Sebadoh, No Quarter de Page & Plant, Dog Man Star de Suede, The Downward Spiral de Nine Inch Nails,

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Chungking Express de Wong Kar-wai

Stephen Apicella-Hitchcock

un agréable courant d’air frais au cinéma

Liz Phair

Efflorescence du cinéma asiatique, exceptionnel bourgeonnement du cinéma français : les deux faits majeurs cinéphiles des années 90 culminent en 1994. Sur le front asiatique, c’est la découverte dans les grands festivals européens de deux cinéastes majeurs. A Locarno, le grand écheveau pop Chungking Express éblouit les 6 000 spectateurs de la Piazza Grande et impose le nom de Wong Kar-wai à un cercle élargi. A Venise, le jeune Taïwanais Tsai Ming-liang obtient le Lion d’or avec son Vive l’amour au titre trompeur (solitude et mutisme au programme). Quant au Festival de Cannes, s’il traîne un peu à se mettre à l’heure asiatique, il ne rate pas en revanche le grand printemps auteuriste du cinéma français : Pascale Ferran obtient la Caméra d’or pour Petits arrangements avec les morts, tandis que se déversent dans les différentes sélections des films produits pour une série d’Arte (la mythique Tous les garçons et les filles de leur âge...). Parmi eux : Trop de bonheur de Cédric Kahn, L’Eau froide d’Olivier Assayas et Les Roseaux sauvages d’André Téchiné, doyen de la bande, mais dont le film, dans sa légèreté de facture et sa grâce juvénile, est tout entier porté par ce grand courant d’air frais. Autre rendez-vous avec l’histoire (et la jeunesse) : c’est un deuxième film, d’un grand gars hilare de 32 ans, qui obtient cette année-là la Palme, Pulp Fiction de Quentin Tarantino. J.-M. L.

lumières la BO de Pulp Fiction, American Recordings de Johnny Cash (le début de sa résurrection), Crooked Rain Crooked Rain de Pavement, I Could Live in Hope de Low, Chatterton de Bashung (Ma petite entreprise), Welcome to the Cruel World de Ben Harper (Like a King), Unplugged in New York de Nirvana… Kurt Cobain est mort en avril 1994, mais l’actu ne nous a pas accordé une seconde pour une minute de silence. Bonus-track : c’est en 1994 que Jack

et Meg White se sont rencontrés dans un bar de Detroit. Ce qui prouve que cette satanée année a aussi joué un rôle déterminant dans l’existence du plus beau groupe des années 2000. Liz Phair (Whip-Smart) et les classés sans suite L’Américaine Liz Phair avait fait grosse impression avec son premier album Exile in Guyville, sorti en 1993. Avec son honorable deuxième album, bien sans plus, elle entre

dans la catégorie des musiciens qui ont eu du mal à passer le cap du premier (ou du deuxième, ou du troisième) album. Ceux auxquels on promettait la gloire, mais dont on a fini par ne plus écouter les nouveaux albums, et à propos desquels on se demande aujourd’hui, sans vraiment chercher plus loin : mais que sont-ils devenus ? Avec : Cake, Elastica, Swell, The Lemonheads, Lisa Germano, Kristin Hersh, G-Love And Special

Sauce, The Frank And Walters, Shed Seven, Veruca Salt, Echobelly ou (au rayon pharmaceutique) Morphine et Codeine (le leader des premiers est mort en 1999, et les seconds se sont séparés en 1994). Il y aussi toute cette scène anglaise de groupes qui portaient des noms mignons de petites voitures asiatiques ou de produits cosmétiques (Lotion, Shampoo, Gene, Dodgy, Jale, Smash, Lush, Bud), totalement périmés aujourd’hui. 25.06.2014 les inrockuptibles 51

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Je danse le mia : IAM rencontre Michel Gondry

Renaud Monfourny

MC Solaar (Prose Combat) et la France au top du hip-hop pop La France, elle n’en finit pas de danser, danser, danser. Pas au bal masqué, mais “le mia” d’IAM, gros tube de l’année 1994. Ça ne date pas d’aujourd’hui, mais ça se confirme : le hip-hop est entré dans les charts et dans la culture populaire – l’album Prose Combat de MC Solaar en est une autre preuve. Préparée aux coups par le succès de Nirvana, la France s’éclate aussi la tête avec le Tostaky de Noir Désir, dont l’album Dies Irae documente la furie scénique. Mais la paire de tubes éternels des enfants, des consommateurs de substances illicites

et des postalternatifs, c’est Mangez-moi et OCB de Billy Ze Kick Et Les Gamins En Folie. Avec Massilia Sound System, on vit bien la queue de comète du rock alternatif – c’est d’ailleurs le vieux label Bondage qui sortira Nijinsky, l’album de l’amorce du retour de Daniel Darc. Loin de là, aux Victoires de la musique, c’est Foule sentimentale d’Alain Souchon qui est chanson de l’année, et on a connu pire. Des carrières se dessinent discrètement : un jeune chanteur qui a l’air de sortir du cathé sort un étrange album où il ne chante pas, c’est Katerine et L’Education anglaise. A Toulouse, Diabologum sort son deuxième album, et vingt ans après Michel Cloup est toujours là. Laurent Garnier sort Shot in the Dark, sur son label F Com, créé en 1994. A la rédac des Inrocks, on célèbre le deuxième album du chanteur suisse Jean Bart – qui ça ? On a mieux fait de s’emballer aussi pour la démo, puis le premier album, titré Boire, de Miossec.

Renaud Monfourny

Parenthèse co(s)mique : en novembre 1994, dans son numéro 60, ce journal annonce la sortie du nouvel album de My Bloody Valentine (le successeur du classique Loveless) pour le printemps 1995. On l’attendra finalement jusqu’en 2013.

Michel Houellebecq et Virginie Despentes dynamitent le roman français Deux auteurs vont marquer la décennie dès 1994, en jetant leurs pavés dans la mare d’une littérature française qui s’enlise, chez leurs aînés, dans l’académisme du sujet “noble”, du bon goût et du style. Michel Houellebecq publie son premier roman, Extension du domaine de la lutte (Maurice Nadeau), et détonne avec une langue qui se veut neutre, banale, ordinaire, pour dire tout ce que la littérature aura jusque-là laissé de côté : la vie quotidienne, l’entreprise, le désarroi sexuel, et délivrer sa vision sociologisante du rapport amoureux, quand le sexe se teinte d’ultralibéralisme, avec concurrence et déchets à la clé, comme n’importe quel produit lancé sur le marché. De son côté, Virginie Despentes fait un formidable bras d’honneur à toute forme de bienséance en signant Baise-moi (Florent Massot), premier roman à toute allure où elle balaie le bon goût stylistique en restituant l’argot contemporain, et fait des femmes les sujets de leur destin à travers deux filles violentes en cavale. Après eux, la littérature française ne sera plus jamais la même. N. K.

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l’autre maître de Ghibli S’il s’est inspiré d’un conte japonais du Xe siècle pour son nouveau film, Isao Takahata, 78 ans, est un réalisateur totalement ancré dans notre époque. Entretien avec le fidèle compagnon de route de Miyazaki. par Théo Ribeton photo Geoffroy de Boismenu pour Les Inrockuptibles

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ans l’ombre de la divinité Miyazaki, son collègue et cofondateur du studio Ghibli, Isao Takahata a composé une œuvre somptueuse. Si la notoriété de Takahata n’égale pas celle de Miyazaki, c’est peut-être que son œuvre est trop diverse, moins traversée par une patte unique et des effets de signatures immédiatement repérables. Son nouveau film, Le Conte de la princesse Kaguya, vient en tout cas remettre les pendules à l’heure : son auteur est un grand maître de l’animation, au raffinement souverain. Passé par la comédie (Mes voisins les Yamada), le drame historique (Le Tombeau des lucioles), et même le documentaire, Takahata renoue, grâce au discret et modeste Conte de la princesse Kaguya, avec ses deux plus beaux registres : le conte et le mélodrame.

Votre précédent long métrage, Mes voisins les Yamada, date de 1999. Comment avez-vous occupé ces quinze dernières années ? Isao Takahata – Dès l’époque où je travaillais sur Mes voisins les Yamada, j’ai été amené de façon de plus en plus régulière à écrire des textes. Après la fin de cette production, j’ai publié à de nombreuses reprises des écrits sur l’histoire de l’art, ou plus précisément – je tiens à cette distinction – sur l’art et sur les œuvres elles-mêmes. Plusieurs livres sont parus (notamment un ouvrage sur les liens entre l’animation japonaise contemporaine et les rouleaux peints du XIIe siècle – ndlr). Cela n’a pas pour autant été une retraite du cinéma et de l’animation : deux projets importants sont entrés en préparation, mais sont arrivés à une impasse. Nous avons été obligés d’y renoncer. Y a-t-il une communication entre votre érudition en matière d’art et votre

travail dans l’animation ? Le Conte de la princesse Kaguya connaît-il des sources d’inspiration picturales dans l’estampe japonaise ou l’aquarelle, par exemple ? Mon intérêt pour l’art traditionnel japonais n’est pas supérieur à celui que je porte à l’art occidental, dans tous les registres picturaux. Parvenu à l’âge qui est le mien, il est cependant vrai que j’ai réfléchi au fil des ans à la relation que cela pouvait avoir avec le cinéma d’animation. Par exemple, le dessin animé sur celluloïd, technique très répandue dans l’animation, n’est pas du tout un registre technique que j’apprécie. C’est un domaine étroit sur le plan formel. J’ai espéré depuis longtemps pouvoir explorer d’autres approches, d’autres rendus pour le film d’animation. Le Conte de la princesse Kaguya répond à ce souhait, comme certains de mes films précédents, même si encore une fois ce n’est pas en lien exclusif avec la tradition japonaise.

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Pavillon de la reine, place des Vosges, Paris, juin 2014

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TMS/Toho

“je n’ai aucune intention d’opérer un retour vers le folklore, de revaloriser le passé”

Kié la petite peste (1981). Sa grande comédie de mœurs, burlesque et dramatique, où résonne volontiers Ozu

Studio Ghibli

Le Tombeau des lucioles (1998). Malmenépar son statut empesé de film historique (les bombardements deK obe), un poignant conte social et fraternel

Qu’en est-il des traditions de croyances, et de la place du shinto et du bouddhisme dans Kaguya ? Pour moi, il n’y a pas du tout d’aspect traditionnel. Je ne suis pas croyant à l’intérieur d’un système religieux. J’ai ma propre vision de la vie et de la mort, mais cela ne s’inscrit pas dans le contexte d’une doctrine. Cette question de la tradition m’est souvent posée, ce qui m’interpelle : je n’ai aucune intention d’opérer un retour vers le folklore, de revaloriser le passé. Ma vie et mon travail s’inscrivent dans notre époque, et c’est à notre époque que je souhaite m’adresser. Kaguya est la dernière d’une longue lignée de jeunes filles dans votre cinéma : Kié (Kié la petite peste), Taeko (Souvenirs goutte à goutte), Setsuko (Le Tombeau des lucioles). Pourquoi des filles ? Il y a un certain nombre de choses qui relèvent de la contingence, un certain nombre de projets pour lesquels je n’ai pas choisi le matériau

de départ. Mais ce qui est sûr, c’est qu’à titre personnel c’est une question qui m’intéresse : la vie des femmes, et la vie qui est faite aux femmes, les moyens qu’ont les femmes de se frayer un chemin à travers l’existence. Ce sujet m’intéresse depuis longtemps et me semble constituer un problème majeur de notre époque. Les femmes ont commencé – je dis bien “commencé” – dans la seconde moitié du XXe siècle à se libérer d’une très longue domination masculine. Elles ont la possibilité de faire plus de choix que par le passé. Et il me semble, quand on regarde autour de soi, que la population féminine a plus d’élan, plus d’énergie que la population masculine. En France comme au Japon : j’étais à Annecy il y a quelques jours pour présenter Le Conte de la princesse Kaguya au festival du cinéma d’animation. Il faisait très beau, très chaud, et les gens se baignaient dans le lac : c’étaient majoritairement des femmes, cela m’a frappé.

Comment avez-vous, de ce point de vue, tiré le matériau d’origine vers le contemporain ? Dans l’œuvre originale, Le Conte du coupeur de bambous, l’héroïne décline toutes les demandes qui lui sont faites, éconduit tous ses prétendants, jusqu’à l’empereur qui souhaite également la faire sienne. Or ce refus est la seule chose explicitement mentionnée, on n’en connaît pas les raisons. Cela m’a poussé à faire ce film, car dans ce refus inexpliqué de s’inféoder à un homme, ce souhait de s’affranchir de ce rapport, il y avait quelque chose auquel on pouvait essayer de trouver des résonances contemporaines. On peut projeter sur cette insoumission des choses qui nous parlent très clairement. Qu’avez-vous eu à soustraire du conte original, et pourquoi ? Le principal élément que je n’ai pas conservé est que le texte original traite du personnage de l’empereur

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le Japon a son Morricone

Studio Ghibli

Studio Ghibli

Souvenirs goutte à goutte (1991). Méconnu en France, son film le plus bouleversant : un pur mélodrame au féminin

Pompoko (1994). Le sommet du cinéma écolo façon Ghibli, en plus d’une géniale variation sur la métamorphose à la Barbapapa

de manière très complaisante. Après que Kaguya a éconduit ce dernier tout comme ses autres courtisans, elle entame tout de même une relation épistolaire avec lui. Plus tard, elle doit quitter le monde, et lui envoie une ultime lettre qu’elle souhaite qu’il garde comme une “part d’elle-même”, à laquelle elle joint une décoction qui se trouve être une potion d’immortalité. La lettre envoyée, elle s’en va. L’empereur, tout à son chagrin, refuse de boire cette potion d’immortalité et part la jeter dans le mont Fuji, qui à l’époque était encore un volcan en activité. Pour moi, il n’y a là qu’une forme de prévenance motivée par le souci de respecter l’image de l’empereur. Je suis sûr qu’il y a des gens au Japon qui sont insatisfaits que cette partie ait été escamotée dans le film – même si je n’ai entendu ni directement ni indirectement ce type de retours – mais je crois simplement que ce n’est pas ce qui m’intéressait dans le conte.

Vous accordez une place importante aux images fixes (une fleur, un paysage, etc.), qui s’apparentent à la fois à une négation de l’animation et, étrangement, à sa forme la plus archaïque. Quantitativement, je ne crois pas qu’il y ait plus de plans fixes que dans mes précédents films, en termes de découpage. A mon avis, cette impression vient du fait que le rendu visuel de Kaguya et les techniques picturales employées facilitent la perception de tableaux. Ce sont des images fixes qui ont leur propre complétude, par opposition à une image animée qui présente un état de transition. Récemment, un journaliste japonais a connu un certain écho en s’inquiétant des quelques scènes de nu dans le film, et du risque de censure. Cette inquiétude me semble ridicule et complètement déplacée. Le fait que des enfants soient nus est tout à fait naturel, à l’échelle de l’humanité.

Collaborateur de Miyazaki et de Kitano, l’auteur de bandes originales Joe Hisaishi ajoute pour la première fois sa touche à une réalisation d’Isao Takahata. On l’affuble parfois du titre de John Williams nippon. Si une telle distinction n’a pour but que d’honorer Joe Hisaishi, 63 ans, comme le souverain des auteurs de bandes originales japonais, collaborateur mythique de Miyazaki (depuis Nausicaä) et Kitano (notamment Sonatine et Hana-bi), elle est bien sûr méritée. Cependant, elle est erronée sur un point : s’il y a un grand compositeur occidental à rapprocher d’Hisaishi, c’est Ennio Morricone. Car on retrouve chez Hisaishi plus que chez nul autre cette écriture proprement morriconienne, dont le panache est qu’elle se présente comme tout à fait anticinématographique, bien plus à la construction de thèmes que d’atmosphères – plutôt héritée de l’opéra par exemple. Aussi parce qu’Hisaishi, à de nombreuses reprises mais toujours avec une distance coquette, a volontiers versé dans une “italianité” tout en mandolines et violons, voire dans quelque chose de plus généralement latin (il y a du Astor Piazzolla dans Le vent se lève ou Porco Rosso). De Hisaishi, nul ne peut oublier ni le dépouillement (une goutte de piano qui tinte sur une scène immobile, comme échappée d’un souvenir disparu), ni le lyrisme (les plus bouleversantes envolées symphoniques du cinéma d’animation mondial). Le Conte de la princesse Kaguya est, étonnamment, sa première collaboration avec Isao Takahata. Hisaishi y fluidifie plus que jamais la singulière tension qui a toujours présidé à son travail : celle du traditionnel et de l’universel, du primitif et du céleste. T. R. 25.06.2014 les inrockuptibles 57

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Le Conte de la princesse Kaguya (lire critique p. 66)

“la question de la vie des femmes, et de la vie qui est faite aux femmes, constitue le problème majeur de notre époque” Cette propension à ajouter des tabous est ahurissante. C’est clairement inacceptable ! Vous êtes probablement familier de ce type de remarques, vu les nombreuses allusions à des organes sexuels dans Kié ou Pompoko par exemple. Je n’ai pas eu connaissance de préoccupations allant jusqu’à la censure, jusqu’à présent. Je sais cependant qu’un film comme Kirikou et la sorcière de Michel Ocelot, pour les raisons que vous évoquez, la nudité des enfants mais aussi des femmes, a connu beaucoup de complications

lors de sa sortie aux Etats-Unis. Je trouve cela sidérant. Je ne comprends pas quelle vision du monde peut justifier cela. Si c’est bien cela la perception du corps et du monde aux Etats-Unis, c’est quelque chose qu’il faut tout bonnement abattre. Cela me rappelle l’anecdote suivante : après une projection de Kié en France, j’avais été questionné par une dame qui avait également connaissance de Pompoko, et qui se disait interpellée par les récurrences du motif des testicules d’un film à l’autre. Je lui ai répondu qu’évidemment ce motif revient et que c’est un organe sexuel, mais

que culturellement, au Japon, vous trouverez, si vous avez un peu de curiosité, que pendant très longtemps cela n’a pas du tout été un tabou. Dans la culture de la représentation picturale, c’est un motif avec lequel on s’amuse, qu’on tourne en dérision. Aujourd’hui, sous l’influence occidentale, c’est devenu un tabou, mais ce n’est pas du tout le cas au départ. Comment envisagez-vous l’avenir ? Il y a une chose qui me frappe, c’est que de façon quasiment systématique dans les entretiens, tout le monde me parle d’une déclaration, attribuée à moi, selon laquelle Kaguya serait mon dernier film. Certes, les possibilités sont grandes pour que ce soit le dernier, à l’âge qui est le mien. D’autre part, le coût de mon ambition est élevé : les budgets nécessaires à la concrétisation de mes projets ne peuvent pas toujours être réunis. Mais je n’ai jamais dit “J’arrête de faire des films”. Je ne suis pas du tout dans une logique de retraite comme Hayao Miyazaki. Pour peu que j’aie l’énergie physique, morale, mentale, et que les moyens nécessaires soient rassemblés, je n’ai aucune raison d’arrêter !

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le prince George La voix et la sagesse d’un folk-singer centenaire dans le corps d’un ado blondinet : en attendant la sortie de son premier album, nous avons accompagné George Ezra en train jusqu’à Budapest, la ville de ses fantasmes. par Noémie Lecoq photo Nicola Lo Calzo pour Les Inrockuptibles

R   Budapest, mai 2014

ien de plus facile que de repérer George Ezra à l’intérieur de la gare de l’Est : il suffit de chercher un grand blond avec un étui à guitare, entouré d’un essaim d’une trentaine de personnes. Ce jour-là, on rejoint l’Ezra Express, vaste opération visant à emmener ce jeune songwriter de son fief de Bristol à Budapest. Pourquoi ce pèlerinage ? Pourquoi ce concept délicieusement désuet de voyage en train ? C’est en sillonnant l’Europe sur des rails pendant un mois que George Ezra a écrit la majorité de ses chansons, une expérience fondatrice qui suit les préceptes de ses héros troubadours – seul avec sa guitare acoustique et ses pensées, griffonnant sur des carnets à idées. Depuis dix-huit mois, il interprète un morceau charmant intitulé Budapest sans jamais y avoir mis les pieds. Il fallait donc y remédier en organisant un périple original quoiqu’un brin démesuré, avec à chaque ville-étape un concert et de nouveaux arrivants (gagnants d’un concours, représentants du label et journalistes) qui viennent se greffer au groupe. Après des escales à Londres, Bruxelles et Paris, il est l’heure de repartir. Avec une voix profonde qui contraste avec son visage enjoué, George Ezra nous accueille d’un “Bienvenue à bord” tonitruant. Derrière son nom flamboyant, l’Ezra Express est un simple TGV sans aucun lien de parenté avec la locomotive à vapeur du Poudlard Express, de l’Orient Express ou du Darjeeling Limited. C’est parti pour six heures de route direction Munich. Avant de faire plus ample connaissance, George Ezra commence par s’octroyer une sieste pour souffler un peu.

Depuis plus d’un an, il est en tournée permanente, souvent seul en train à parcourir la Grande-Bretagne dans toutes les diagonales imaginables pour assurer des premières parties, puis plus récemment des têtes d’affiche. A ses débuts, il a fait ses armes dans toutes les arrière-salles de pubs de Bristol. La saison des festivals qui approche ne va pas calmer la situation. “Je ne me projette pas au-delà d’une semaine, nous confie-t-il, sinon ma tête va exploser.” A 21 h 30, arrivée à Munich. Sous une pluie battante, en hommage à son single lancinant Did You Hear the Rain?, on l’accompagne dans une ancienne centrale électrique, reconvertie en salle de concerts. Le public est installé sur des tapis ou des sièges futuristes en forme de bancs d’église – le volume de cette nef de béton lui donne un écho de cathédrale industrielle. A peine arrivé, George Ezra entre en scène. L’angelot sociable et détendu qui a passé sa journée à déambuler en chaussettes dans le train se change en ange déchu. Une guitare sèche déglinguée qui va droit au but. La voix surpuissante d’un seigneur des ténèbres, nourrie par des cicatrices et des épreuves qu’il n’a souvent vécues que dans ses cauchemars. Des chansons tour à tour torturées et apaisantes, puisées aux sources du folk, du blues et de la soul. Encore sonné par cette messe noire, on reprend la route dès le lendemain matin, direction Budapest. La durée du trajet aidant (sept heures et demie), on se prend à rêvasser : Woody Guthrie, Hank Williams, Johnny Cash et Bob Dylan réunis tous les quatre dans un train de marchandises brinquebalant à travers les Etats du Sud américain. 25.06.2014 les inrockuptibles 61

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une guitare sèche déglinguée qui va droit au but. La voix surpuissante d’un seigneur des ténèbres, nourrie par des épreuves qu’il n’a souvent vécues que dans ses cauchemars Le projet Ezra Express est désormais riche d’une soixantaine de personnes, réunies dans une voiture entière. Sur le siège d’à côté, George Ezra nous raconte son parcours. “Je viens de la région du Hertfordshire, au nord de Londres. J’ai grandi entouré de musique, avec une mère artiste et un père qui chante et joue de la guitare, mais ils ne m’ont jamais forcé à suivre cette direction. C’est peut-être pour ça que j’ai été attiré. Peu à peu, la musique est passée de l’arrière-plan au premier plan de ma vie.” Quand on lui demande par quelles étapes l’amoureux de musique est devenu musicien, il hausse les épaules et ricane : “A vrai dire, je ne me considère toujours pas comme un musicien, ni comme un guitariste. J’adore écrire des chansons et, si je joue, c’est seulement pour les accompagner. Je n’ai jamais cherché à améliorer ma technique. Elle s’est développée naturellement, à force de jouer. Je me vois plutôt comme un storyteller.” La dernière fois qu’on a croisé cette ambition d’un autre temps, c’était chez Jake Bugg, un autre surdoué du folk. George Ezra ne fait pas son âge. Il vient tout juste d’avoir 21 ans, mais on lui en donnerait cinq de moins. A l’inverse, la force de sa voix et les tourments de ses textes semblent le vieillir de plusieurs décennies. A 13 ans, il se met à la basse et, un an plus tard, demande à son père de lui apprendre à jouer de la guitare. Il se met à chanter dans la foulée. “Ça n’a pas été évident. En fait, j’ai vraiment commencé à chanter seul sur scène en arrivant à Bristol il y a trois ans. J’y ai suivi des études de songwriting avec des matières comme histoire de la pop-music, théorie musicale, structures de chansons…” Aussi passionnants que ces sujets paraissent, il arrête après douze mois ses trois années de formation grâce à un mot d’excuse de choc : un contrat chez Columbia. Cet hiver, il a été sélectionné dans la très select liste BBC Sound of 2014 qui parie sur les talents à venir (aux côtés de Jungle, Banks, FKA Twigs, Nick Mulvey…). Pendant le trajet, après s’être fait laminer aux dominos par des fans belges, il se promène avec un casque pour faire écouter son album en avant-première

à tous ceux qui le lui demandent. La production étincelante, très orchestrée, offre un contraste saisissant avec les versions brutes qu’il interprète en concert. “Bientôt, je jouerai avec un groupe. On est en train de répéter, dès qu’on a un peu de temps libre. C’est incroyable de ressentir cette puissance derrière moi. Les chansons sont complètement différentes, comme si elles en avaient besoin. Jouer seul avec ma guitare, ça a des limites. En studio, j’essaie de faire entrer en collision mon amour pour des musiques du passé et une volonté de rester ancré dans le présent, de mélanger un style ancien et un son contemporain, avec des paroles et des outils d’aujourd’hui.” La joie est palpable quand il pose le pied à Budapest. Sa chanson du même nom, une merveille de pop frêle et lumineuse, rentre au bercail. Le lendemain après-midi, il la joue dans un écrin de verdure à deux pas du Danube. Quelques heures plus tard, on le retrouve au Hello Baby Bar, un palais du XIXe siècle dont la cour intérieure a été couverte. Une scène s’ouvre sur des balcons en fer forgé et des moulures décrépies, dans un décor irréel au glamour fané. Comme on peut le deviner, la foule fait un triomphe au morceau Budapest, que George Ezra se fait un plaisir de jouer une seconde fois en rappel, en prononçant le nom de la capitale avec l’accent hongrois. “C’est comme si un voyage scolaire déglingué s’achevait, nous glisse-t-il le lendemain matin, à l’heure des adieux. Plus jeune, je participais à des pièces de théâtre et c’est ce même esprit de groupe que j’ai ressenti.” Le titre de son premier album, Wanted on Voyage (littéralement, “réquisitionné pour le voyage”), prend alors tout son sens. Ces trois mots sont traditionnellement inscrits sur l’étiquette des bagages que l’on souhaite conserver avec soi pendant un trajet. Cette fois, l’Anglais a emmené dans ses valises des gens venus de toute l’Europe et des rêves en pagaille, débordant de son baluchon. album Wanted on Voyage (Columbia/Sony Music), disponible sur le site officiel de l’artiste le 30 juin concert le 28 novembre à Paris (Gaîté Lyrique) georgeezra.com

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Under the Skin de Jonathan Glazer

Un film fascinant qui, sous la peau de la science-fiction, interroge le statut de la star Scarlett Johansson et, plus largement, la puissance du cinéma.



e synopsis du nouveau film du Britannique Jonathan Glazer (déjà auteur de Birth) tel qu’il est proposé sur tous les sites de cinéma pose un problème. On y lit qu’“une extraterrestre arrive sur Terre pour séduire des hommes avant de les faire disparaître”. Or il se trouve que tout ce qui est dit dans cette phrase n’est que suggéré dans le film, et que c’est ce qui en fait le prix. Que voyons-nous ? Une petite lumière dans la nuit. Dans l’obscurité, d’étranges matières se glissent et s’emboîtent les unes dans les autres. Qu’est-ce donc ? Des vaisseaux spatiaux dans l’espace (c’est le côté kubrickien du film) ? Non. Apparemment la fabrication, en extrême gros plan, d’un œil humain. C’est celui d’une créature qui revêt l’apparence d’une femme (sa peau, ses vêtements).

Sous la protection d’un mystérieux motard, elle part errer à bord d’un pick-up dans les rues des bourgades écossaises, à la recherche d’hommes solitaires auxquels elle fait très vite des avances (ces scènes ont été filmées en caméra cachée avec de véritables passants). En chasse. Puis elle les entraîne dans un camion sombre où ils se déshabillent. Mais, aveuglés par leur désir, ils s’enfoncent et disparaissent dans un liquide noir brillant. La femme agit plusieurs fois ainsi, avec froideur, une totale insensibilité, celle qu’on attache normalement à l’être humain. Comme une psychopathe. C’est quand même plus subtil que ne le suggère le “pitch”, non ? Cela dit, prenons-le au pied de la lettre, parce qu’il est assez intéressant, au fond : Scarlett Johansson (pas le personnage, l’actrice) EST une extraterrestre. Elle est venue

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la Terre, qui n’était rien pour elle, a pénétré en elle et va la détruire

sur Terre pour séduire tous les hommes et a pris l’apparence d’une femme belle, très attirante, et séductrice – c’est-à-dire une femme qui joue de toute sa séduction pour attirer les hommes dans ses bras (et/ou son lit). Tous les événements qui se déroulent dans le film peuvent alors être pris au pied de la lettre, comme une métaphore littérale de son pouvoir de séduction, de son statut de star sex-symbol ? L’insensibilité aux autres, par exemple ? Du dédain de vedette. On découvre aussi très vite, dans des scènes à la lumière glacée, que Scarlett veut (ou a pour mission d’obtenir) la peau de ces hommes, au sens propre du mot. Une fois dans le liquide noir, qui s’avère translucide, leur peau se détache peu à peu de leur corps, aspiré par on ne sait quoi, et se met à flotter comme un vulgaire sac en plastique au milieu de l’océan. L’effet est saisissant. Mais voici qu’un jour Scarlett fait monter dans son pick-up un type qui va changer sa vision de l’humanité, en tout cas de sa partie masculine. Elle ne s’en rend sans doute pas compte, mais ce type souffre d’une maladie qui déforme son visage (un genre d’Elephant Man). Désocialisé, il va refuser tous les plaisirs qu’elle lui propose. C’est la première fois de sa vie qu’un Terrien, dont une fois de plus elle

ne peut mesurer l’étendue du malheur, repousse ses avances. Ils ne sont donc pas tous pareils, les hommes ? Alors on devine que cette peau qui n’est pas la sienne, va devenir, au contact de la nature de la Terre, comme un sas, une ouverture sur ce qu’est l’humanité, cette face étrange de vie intergalactique. Un sentiment naît en elle, puis encore un autre, puis d’autres, dont la peur. La nature pénètre en elle grâce à cette pellicule poreuse. Et elle devient aussi un danger pour elle, comme elle l’est pour nous bien sûr. La sensibilité est aussi une faiblesse, et elle n’échappera pas au mal qui rôde parfois dans les forêts isolées, au milieu des grands arbres hirsutes. La Terre, qui n’était rien pour elle, a pénétré en elle et va la détruire. Tout comme le monde entre dans notre cerveau grâce au cinéma, par ses détours et ses fantasmagories, nous ouvre à lui mais nous fait aussi découvrir des choses, des actes, des informations que nous n’aurions sans doute jamais soupçonnées ou même eu envie de connaître. Il n’y a pas de connaissance sans prise de risque. Quel film fascinant. Jean-Baptiste Morain Under the Skin de Jonathan Glazer (G.-B., E.-U., Suisse, 2013, 1 h 47), avec Scarlett Johansson, Jeremy McWilliams, Lynsey Taylor Mackay 25.06.2014 les inrockuptibles 65

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Le Cœur battant de Roberto Minervini (E.-U., It., Bel., 2013, 1 h 41)

Le Conte de la princesse Kaguya d’Isao Takahata Après celui de Miyazaki, c’est le grand retour de Takahata avec une splendide adaptation d’un conte libertaire du Moyen Age.

 B

ien moins prolifique qu’Hayao Miyazaki, son associé au sein du studio Ghibli, Isao Takahata revient à la réalisation après une éclipse de quinze ans. Si dans son précédent film, Mes voisins les Yamada, il brocardait avec poésie les citadins modernes, cette fois il illustre un conte du Xe siècle écrit par une courtisane impériale, Murasaki Shikibu. Un modeste coupeur de bambous trouve un nouveau-né dans une pousse et, avec sa femme, il a l’intuition du destin prestigieux de cet être quasi surnaturel… Grâce à une fortune providentielle découverte dans le même bois de bambous, l’homme pourra réaliser ce vœu. Mais avant, la future princesse vivra la vie libre et buissonnière d’un enfant de la campagne… Si Le Conte de la princesse Kaguya est le film le plus moralement et politiquement correct du cinéaste, prônant le libre arbitre au détriment des diktats sociaux, donc d’une certaine manière à l’encontre des valeurs traditionnelles nipponnes, il se singularise par son style et son ton. Takahata qui, rappelons-le, n’est pas dessinateur lui-même et change souvent de style visuel, s’est affranchi depuis longtemps des rigueurs de la ligne claire que Miyazaki a continué à cultiver jusque dans son dernier film (Le vent se lève). Ici, un peu comme dans Mes voisins les Yamada,

Takahata a opté pour un tracé d’esquisse, irrégulier et crayonné, et des couleurs à l’aquarelle, qui confèrent de la légèreté au dessin, et donc au récit. Cette décontraction formelle est au diapason du ludisme et du rapport à la nature de la future princesse et de ses compagnons de jeu. A ce vert paradis des distractions enfantines, on oppose la rigueur de la haute société, la vie de palais et les rituels millimétrés, infligés à la princesse qui cesse de s’appartenir pour devenir une icône. Elle est, in fine, l’instrument de l’ascension sociale, style Bourgeois gentilhomme, du coupeur de bambous. Mais Takahata n’est nullement manichéen. Il sait célébrer également les splendeurs de la civilisation. Mais cet univers de beauté, de libertés ou de contraintes, est oblitéré par une fatalité transcendantale, que le cinéaste exprime avec une poésie infinie mêlée d’amertume. Car Le Conte de la princesse Kaguya n’est pas une simple fable pour enfants, mais une œuvre philosophique à plusieurs niveaux. Comme Le Tombeau des lucioles, il traite de la mort, mais sur un mode presque surréel. La fable mélancolique conserve de bout en bout une grâce et une légèreté euphorisantes. Vincent Ostria

Entre mystère et empathie, immersion documentaire dans le Texas rural. Le Texas rural de nos jours, deux familles : l’une, à dominante féminine, fabrique du fromage de chèvre, l’autre, à dominante masculine, élève des taureaux de rodéo. Les deux clans sont chrétiens fervents et amateurs d’armes à feu, Bible Belt oblige. Roberto Minervini s’est plongé dans ce rugueux quotidien et s’est intéressé particulièrement à Sara et Colby, les deux grands ados de chaque famille entre lesquels s’ébauche une relation ténue mais que l’on pressent profonde. Le Cœur battant est un documentaire en immersion, un travail ethno-anthropologique légèrement fictionnalisé. Si ce genre n’a rien de neuf (Robert Flaherty, Jean Rouch…), le film de Minervini convainc par l’empathie, la douceur et le mystère de son regard. On se doute que le réalisateur ne partage pas les valeurs de ses sujets, mais il ne les juge pas et nous permet, par le cinéma, de ressentir et de comprendre de l’intérieur ces familles dont le degré d’altérité est maximal pour qui n’est pas texan. Minervini est inspiré par Sara, dont chaque apparition (seule, avec Colby, ses sœurs, sa mère ou ses chèvres) flirte avec la grâce. Un peu comme si un personnage de Dreyer s’immisçait dans un western white trash. Serge Kaganski

Le Conte de la princesse Kaguya d’Isao Takahata (Jap., 2013, 2 h 17) lire aussi l’entretien avec Isao Takahata p. 54

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Ronit Elkabetz

Le Procès de Viviane Amsalem de Shlomi et Ronit Elkabetz Chronique d’une séparation contrariée par un tribunal rabbinique, dans un style à la théâtralité élaborée. ans Le Procès de Viviane parties. Les juges, à la moindre Amsalem, le spectateur retrouve occasion, tentent de mettre en les deux personnages créés cause la moralité de la plaignante. par l’actrice israélienne Ronit On retrouve dans ce troisième Elkabetz dans ses deux films film tout ce qui faisait le charme précédents (Prendre femme, réalisé de Prendre femme : la description par elle seule, et Les Sept Jours, d’une société multiculturelle où le avec son frère Shlomi) : Viviane, mélange des langues (hébreu, mais qui ne voulait plus vivre avec aussi français, arabe, car la famille son mari Elisha (Simon Abkarian). est d’origine marocaine) reflète Les deux premiers films mettaient la diversité des mentalités. Les déjà en scène leurs désaccords, seconds rôles, hauts en couleur, leurs conflits, et les pressions donnent un aspect pagnolesque au morales et religieuses exercées film, évitant qu’il ne tombe dans le sur Viviane par les deux familles pamphlet féministe ou antireligieux. pour qu’ils demeurent ensemble. Tout repose enfin sur l’opposition Mais le temps a passé, et Viviane, ludique et l’équilibre entre qui vit séparée d’Elisha depuis l’interprétation spectaculaire et plusieurs années, voudrait divorcer. admirable d’Elkabetz (toujours dans Or la loi religieuse ne peut l’excès et le lyrisme, comme Orane officialiser le divorce que si un Demazis chez Pagnol, d’ailleurs), tribunal de rabbins l’accepte et et le jeu plus distancié et quotidien surtout que le mari y consent. d’Abkarian. Enfin, ce que dit le film Elisha, chantre chéri de sa est universel, intemporel et renvoie synagogue, fait lanterner Viviane et chaque membre d’un couple à sa la justice, changeant d’avis comme propre ambiguïté : ce n’est pas de chemise. Car au fond, par notre séparation qui me fait le plus orgueil, il refuse l’échec de son mal, mon amour, pas même que tu couple. Le film suit, sur trois ans, puisses trouver le bonheur avec un sur un mode théâtral totalement autre, mais que je puisse l’accepter assumé (unité de lieu et d’action, sans broncher. Jean-Baptiste Morain mais non de temps), les audiences successives du procès en divorce. Le Procès de Viviane Amsalem Les témoins (frères, cousins, de Shlomi et Ronit Elkabetz, voisins) défilent, mettant à tour de avec elle-même, Simon Abkarian (Fr., Isr., All., 2014, 1 h 55) rôle à mal les arguments des deux



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Jeff Bridges, Lisa Eichhorn et John Heard

Cutter’s Way d’Ivan Passer

Reprise d’un thriller des années 80 qui fait d’une petite ville une métaphore d’un XXe siècle hanté par la fin du rêve américain et la déportation.

 L

e retour de Cutter’s Way, sorti en 1981, donne tout son sens à l’efficace système de redécouvertes, restaurations, reprises à l’œuvre sur les écrans de notre époque. Non seulement comme heureuse entrée au patrimoine d’un film du peu connu Ivan Passer, cinéaste tchèque réfugié à Hollywood après 1968. Mais encore parce qu’il éclate avec toute sa force aujourd’hui – une fois passé dans l’histoire ce que l’on nomme, comme un tout, “le XXe siècle”. Avec toute sa force mineure de polar allégorique et de grand film tendre, idéalement combinés. Deux (anti-)héros shakespeariens, Cutter et Bone, luttent pour qu’éclate la vérité sur les crimes sexuels d’un magnat du pétrole dans une petite ville. Le corps estropié du vétéran Cutter, sa chair marquée et ses mots d’esprit tranchants réclament haut et fort que s’exécute la justice, celle des vaincus et des bouffons, dans l’ordre du fascisme planétaire et du capitalisme véreux. La petite ville devient un monde où circulent les images survivantes du rêve américain en ruine et de la déportation, un western terminal où la vengeance est la seule justice qui reste.

On y voit rejoué tout le siècle, tragédie et farce où éclate le rire des victimes venu d’une Europe contagieuse pour inquiéter le large sourire californien. Cette trame allégorique, d’une enquête qui vaut pour l’histoire, d’un récit qui vaut pour le monde, accueille le spectateur dans ses mailles pour mieux le garder auprès des personnages, au plus près des éclats qui font et défont leurs vies. C’est la tendresse infinie du film, qui nous fait séjourner parmi les solitudes sans remède du mélancolique Bone (Jeff Bridges, acteur qui est presque à lui tout seul le délire du cinéma américain des années 80), du bouffon grandiose Cutter (John Heard) et de sa femme Mo (Lisa Eichhorn), dont le regard s’anime à chaque instant d’une joie possible, diluée dans l’alcool triste. Leur alliance fragile, le couperet de leurs bons mots agressifs, cette puissance vitale dérisoire face à la machine du récit et du monde qui les mène à leur fin, c’est ce qui emporte le film plus loin que son siècle reflété et qui le fait irradier d’un bonheur sombre. C’est peut-être qu’ici la vraie justice s’accomplit quand, en dernière instance, la tendresse l’emporte sur l’allégorie. Luc Chessel

à la fois polar allégorique et grand film tendre

Cutter’s Way d’Ivan Passer, avec Jeff Bridges, John Heard, Lisa Eichhorn, Patricia Donahue (E.-U., 1981, 1 h 49, reprise)

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Sangue de Pippo Delbono de et avec Pippo Delbono (It., Sui., 2013, 1 h 32)

Nouveau chapitre de son journal filmé où le réalisateur rencontre un ancien Brigades rouges et affronte la mort de sa mère. ’est toujours du cœur et au cœur que qui aborde sa foi avec une certitude détachée parle Pippo Delbono, dans mais d’une rare intensité. La prière de saint son théâtre comme dans ses films. Augustin qu’elle lègue à son fils sur son lit Sangue, son cinquième, remonte de mort est comme l’épiphanie d’un film le temps et s’affronte à l’éternité, à la vie, à qui n’oublie pas l’humour et la légèreté, que la mort. Bouleversant et apaisé, il débute Pippo appelle la “tragicomédie” du malheur : sur les dernières images tournées : “Par rapport à mes films précédents, dans les funérailles de Prospero Gallinari, des Sangue il n’y a pas de rage. Il y a une espèce Brigades rouges, qui rassemblent une foule de sagesse du regard. (...) A présent, voir le en procession, sous la neige, derrière nom de ma mère, Margherita Delbono, défiler le cercueil recouvert de roses rouges. au générique à côté de celui de Giovanni Au départ, Pippo avait rencontré Giovanni Senzani, me fait sourire ; j’ai l’impression de Senzani, membre des Brigades rouges, jouer un peu avec le côté absurde de la vie et emprisonné dix-sept ans pour l’enlèvement de la mort. Elle qui était tellement et le meurtre de Roberto Peci, et spectateur anticommuniste, non pas pour des raisons de son théâtre. Ensemble, ils voulaient sociales, mais parce qu’elle n’a jamais pu se écrire un livre : Egarés. Mais la vie a pris faire à l’idée que les communistes étaient le pas sur ce projet. Anna, la femme de athées, elle se retrouve à présent au générique Giovanni, est malade, tout comme avec un chef des Brigades rouges...” la maman de Pippo Delbono et toutes deux Quant à Giovanni, qui disait à Pippo, assis meurent à quelques jours de distance. sur la chaise vide d’Anna : “Ce monde ne me Alors, les images filmées par Pippo plaît pas, cette liberté ne me plaît pas, tiennent le carnet de bord de ce je ne sais pas quoi en faire après l’avoir rêvée double parcours, sous forme de road-movie, si longtemps”, il constate au final que de l’Italie à l’Albanie et à Paris. Elles donnent ce film, après le tournage des funérailles la parole à Giovanni qui tient à parler de de Prospero, a “terminé son long voyage son engagement dans les Brigades rouges, à travers la mort. Les films libèrent l’esprit. de l’ineffaçable douleur à revivre l’exécution Les films libèrent la vie quand ils réussissent de Roberto Peci. Et à la maman de Pippo à parler de la mort”. Fabienne Arvers

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Zero Theorem de Terry Gilliam avec Christoph Waltz, Mélanie Thierry (E.-U., Rou., G.-B., 2013, 1 h 39)

Fantaisie psyché-parano un peu surannée. Capable du meilleur comme bureaucratique et kafkaïen. du pire, Gilliam n’a jamais Une sorte d’autoremake surpassé sa transposition de Brazil, donc, en moins inspirée de La Jetée rigoureux et stylisé, où de Chris Marker (L’Armée un chauve autiste est titillé des douze singes). Ce Zero par une tentatrice exubérante Theorem kitsch et baroque dans un enfer informatisé perpétue plus ou moins bariolé. Pas très puissant, l’esprit carnavalesque de la même si on est heureux de contre-culture seventies constater que des soixanteopposée à un futur huitards allumés comme

Gilliam peuvent toujours continuer à créer en marge d’Hollywood. De tout ce barnum, on ne retiendra pas Christoph Waltz (le chauve qui ne peut pas), mais la piquante Mélanie Thierry (la tentatrice), sous-employée par le cinéma français malgré son insondable fantaisie. Vincent Ostria 25.06.2014 les inrockuptibles 69

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The Myth of the American Sleepover de David Robert Mitchell Bien plus qu’une “légende des soirées pyjama”, ce teen-movie nous transporte, heureux et transis, dans un univers indéfinissable où circulent la joie et l’inconscience. Le film Il est des films dans lesquels on aimerait habiter, pour toujours ; des films dont on voudrait qu’ils durent quatre heures, vingt-quatre heures, vingt-quatre ans, et ne soient jamais clos par les lettres END. The Myth of the American Sleepover est de ceux-là. Son (beau) titre en est à la fois une très juste description – on est bien en Amérique, au milieu de soirées pyjama, qui revêtent a priori un caractère mythique, encore plus pour ceux qui les observent ou s’en souviennent que pour ceux qui les vivent en direct –, et une fausse piste. En insistant sur le caractère américain et mythique de cette expérience supposée clé de l’adolescence, David Robert Mitchell (dont c’est le premier long métrage) semble inscrire son film dans un récit plus vaste, codifié, voire édifiant. Or, c’est bien son miracle, The Myth of the American Sleepover paraît tout aussi vierge que ses personnages, ados des classes moyennes (principalement blanches) de Detroit, qui fêtent la fin de l’été en se réunissant les uns chez les autres, par affinité, par crush, par hasard, parce qu’il faut bien tuer le temps. Conscient de ce qu’il doit à ses aînés

(Sixteen Candles de John Hughes, Halloween de John Carpenter, Dazed and Confused de Richard Linklater, pour ne citer que trois influences évidentes), Mitchell touche ici une forme de pureté originelle, un état gazeux et nébuleux, où rien n’est fixe ni très précis, et où néanmoins circule un nectar vital d’une force inouïe. Le teen-movie, et ce n’est pas la moindre de ses beautés, nous a habitués, disons depuis American Graffiti, à faire de l’adolescence un symptôme, un moment de crise existentielle, un récit fondateur où tout se jouerait sur un coup de dé providentiel. C’est d’ailleurs le sens du mot “mythe”. Pourtant, ce n’est pas l’angle que choisit David Robert Mitchell. Baignant dans de subtiles teintes rosées (pour l’image) et une sorte de clapotis aqueux (pour la bande-son), avec ses dialogues chuchotés par les acteurs (tous inconnus, tous parfaits), son film est au contraire une ode à la joie et à l’inconscience. Seule la sensualité du présent l’intéresse. Au fond, l’adolescence, pour David Robert Mitchell, n’est qu’une somme de ratages partagés dans la ouate, autant par les garçons que par les filles. Personne n’arrive à ses fins, tout le monde perd, ou se perd…

Et vous savez quoi ? Ce n’est pas très grave. Cette démocratie dans l’échec le rend finalement acceptable. Mieux : elle le rend souhaitable. C’est le sens des derniers sourires, au petit matin lorsque la fête est finie et qu’il faut repartir pour une nouvelle année. Because that’s life. Quiconque a déjà été assis à côté d’un garçon ou d’une fille qu’il aimait sans oser l’embrasser – ou a embrassé le mauvais, juste parce qu’il le croyait plus accessible –, bref quiconque a déjà eu 16 ans n’aura ainsi qu’une envie une fois les trois lettres fatidiques END inscrites sur l’écran : appuyer sur replay. Le DVD Aucun bonus pour ce film jamais sorti en salle pour d’absurdes raisons. Souhaitons plus de chance au nouveau film de David Robert Mitchell, l’ébouriffant It Follows, découvert au dernier Festival de Cannes. Jacky Goldberg The Myth of the American Sleepover de David Robert Mitchell, avec Claire Sloma, Marlon Morton (E.-U., 2010, 1 h 36), M etropolitan F ilmexport, environ 20 €

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HBO

Justin Theroux

ceux qui restent après Lost Damon Lindelof, le cocréateur de la mythique saga de science-fiction, revient avec The Leftovers, la série la plus attendue de l’été. Premières impressions.

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l aura mis quatre ans à se remettre de la fin de Lost, des controverses, des tweets d’insultes, de la fureur – et parfois de l’amour – des fans déroutés par la conclusion des aventures de l’île mystérieuse, l’un des événements pop marquants du millénaire. Damon Lindelof, cocréateur de la série de sciencefiction emblématique des années 2000 (six saisons entre 2004 et 2010), s’apprête à revenir à la télévision. Il le fait par la porte d’entrée la plus prestigieuse, celle de HBO, chaîne que le monde adule depuis Oz, The Wire, ou encore True Detective. Ces dernières années, ce garçon de 41 ans à l’allure juvénile a participé à l’écriture de quelques blockbusters (Star Trek into Darkness de son pote J. J. Abrams, Prometheus, World War Z), mais il fomentait surtout son come-back sériel, s’évaporant même de Twitter car lassé de répondre aux mêmes questions en boucle – mais que voulait dire la fin de Lost ? The Leftovers provoque depuis longtemps une forte montée d’adrénaline sériephile. Il s’agit de l’adaptation du roman éponyme de Tom Perrotta (2011) qui raconte la vie sur terre après la disparition soudaine de 2 % de la population mondiale. Ceux qui restent vs ceux auxquels on pense un peu trop, les vivants contre les morts : les ingrédients d’un mélo de science-fiction aux confins du fantastique se dessinent,

dans une lignée surnaturelle qu’a déjà empruntée Lost, bien sûr, et qu’en France Les Revenants a touchée du doigt. Lindelof a repéré le roman grâce à un texte élogieux publié par Stephen King dans le New York Times, où l’écrivain qualifiait The Leftovers – avec son sens de la formule légendaire – de “meilleur épisode de La Quatrième Dimension que vous n’ayez jamais vu”. Il a ensuite écrit le pilote avec Perrotta. En 2012, alors que la série n’avait pas encore été commandée par HBO, le scénariste racontait au site américain Vulture son intérêt pour les questions soulevées par le livre. “Dans un monde où deux cent millions de personnes se volatilisent sans explications, il est impossible de rester athée. (…) Nous sommes ramenés en arrière à un moment de l’histoire humaine où les vies étaient gouvernées par les dieux de l’Olympe où ceux du ciel (…). Cela m’a semblé dans la droite ligne des grands thèmes explorés par Lost.” Plus récemment, Lindelof a confié au magazine Entertainment Weekly la manière dont il a présenté la série à HBO. “Je leur

la vie sur terre après la disparition soudaine de 2 % de la population mondiale

ai dit que si Lost et Friday Night Lights avaient eu un bébé et que celui-ci avait été sévèrement négligé, cela donnerait The Leftovers.” Le pilote, mis en scène par Peter Berg (réalisateur du film Friday Night Lights ainsi que du pilote de la géniale série du même nom), tente de remplir le contrat. Il porte la marque sentimentale et triste de Lindelof mais souffre du défaut inhérent à beaucoup de premiers épisodes. Sollicitant à tout prix notre attachement aux personnages, autour d’un héros flic (la bombe Justin Theroux) et de sa famille décomposée, la série façonne un équilibre encore instable entre mystère et explications. Le trip planant et étrange qu’on imaginait se dessine par bribes... Rien d’alarmant pour autant. Avec en fil conducteur une interrogation sur le devenir des disparus, mais aussi un drame très simple, accroché à des personnages déphasés – que faire quand nos raisons de vivre ont disparu ? –, The Leftovers reste une promesse désirable et pourrait devenir la série qui capte en direct l’indéniable mélancolie contemporaine. Après les dix épisodes de la première saison, on saura en tout cas si Lindelof a réussi le pari qui le tient excité et angoissé depuis quatre ans : exister après l’œuvre de sa vie. Olivier Joyard The Leftovers à partir du 30 juin, OCS City, 20 h 50

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les Beatles en série ? Personne n’avait encore osé, étant donné le problème des droits musicaux. Mais NBC n’a peur de rien et a demandé au créateur des Tudors, Michael Hirst, de réfléchir à une minisérie sur le légendaire groupe pop british. Celle-ci est en développement et racontera l’histoire des Fab Four en huit épisodes, à l’horizon 2015.

Les Nouvelles Aventures de Vidocq de Marcel Bluwal (1970)

Jean-Claude Pierdet/INA

à suivre…

Crowe devient roadie Réalisateur de Presque célèbre et fin scénariste, Cameron Crowe se lance dans la série télévisée, selon le site Nikkifinke. Produite par J. J. Abrams pour la chaîne câblée Showtime, Roadies se déroulera dans les coulisses d’une tournée. Crowe en a eu l’idée et doit diriger le pilote, dont le tournage est prévu avant la fin de l’année.

Bluwal, l’âge d’or

Emblème de la télé française classique mais inventive, Marcel Bluwal se raconte dans un livre intéressant. ’état problématique de la télévision française en général, et de ses séries en particulier, ne permet pas toujours de se rendre compte que le petit écran a aussi été une affaire sérieuse dans Heroes nos contrées, avec des créateurs dignes avec Noah Bennet de ce nom. Jean-Christophe Averty Annulée après quatre saisons, est un exemple, Marcel Bluwal, 89 ans la série de SF signée Tim Kring aujourd’hui, également. Les amateurs doit revenir l’année prochaine de ce qu’on appelait encore des feuilletons, avec treize nouveaux épisodes à l’époque de l’ORTF, le connaissent. sur NBC. Avec quels La réédition récente par l’INA des Nouvelles personnages originaux ? Pour Aventures de Vidocq (1971-1973) a réveillé l’instant, seul Noah Bennet la mémoire des autres. Une comédie (le père de la cheerleader policière vivante, sexuelle, politique Claire, interprété par Jack et élégante, c’était possible. Coleman) a donné son accord. Le livre qu’Isabelle Danel consacre Zachary Quinto (Sylar) et à ce pionnier de la télévision en France Milo Ventimiglia (Peter Petrelli), se traverse comme une biographie éclatée, notamment, ont décliné. écrite à partir de nombreux entretiens Courage aux scénaristes. couvrant toutes les périodes de la vie de Marcel Bluwal : les deux ans caché dans une pièce avec sa mère après la rafle du Vel’ d’Hiv’ (sa famille est d’origine juive polonaise), son envie, une Louie (OCS City, le 26 à 19 h 55) fois devenu réalisateur, de “désembaumer” Dixième et onzième épisodes de la saison 3 les classiques, de Molière à Marivaux, des aventures du comique new-yorkais et le succès attenant. Le livre cite un texte en pleine crise d’identité, avec David Lynch élogieux d’André Bazin, cofondateur en invité spécial. Un double chef-d’œuvre des Cahiers du cinéma, sur l’une de ses à rattraper absolument. nombreuses émissions dramatiques en direct : “Nous avons senti passer l’autre soir The Office (Canal+, le 28 à 6 h 05) l’ange de la télévision dans une émission Au hasard de la grille d’été, les trois dramatique qui ne paraissait pas, a priori, derniers épisodes de la série de Stephen se signaler par des qualités exceptionnelles.” Merchant et Ricky Gervais, en version Après avoir donné sa chance à Piccoli américaine bien sûr. Celle-ci aura duré dans les années 50, Bluwal s’est essayé neuf saisons pleines de gags méchants. au cinéma, mais l’époque était à la Nouvelle Vague, qu’il n’aimait pas, et ses films (Le Monte-Charge, Carambolages) n’ont Falling Skies (OCS Max, le 29 à 17 h 35) eu qu’un faible impact. Il est retourné Quatrième fournée de la série à la télévision. Une excellente idée. O. J. postapocalyptique dont on ne pensait pas

L

agenda télé

qu’elle durerait plus de deux ans. Sans éclat, mais solide, Falling Skies revient. Nous ne sommes pas à l’abri d’une bonne surprise.

Bluwal, pionnier de la télévision d’Isabelle Danel (Scrineo), 320 pages, 24 € 25.06.2014 les inrockuptibles 73

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charts de combat Ex-représentants de la nu-rave, les Klaxons reviennent avec Love Frequency, album extravagant et monstrueux hanté par le dance-floor et la peur du vide.

L  Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

’annonce d’un nouvel album des Klaxons avait de quoi décontenancer, surtout lorsque qu’on se souvient que leur deuxième album, Surfing the Void (2010), avait été accouché dans la douleur et diversement reçu. Le premier single dévoilé, There Is No Other Time, morceau d’eurodance à la fois hilarant et effrayant de putasserie éhontée, avait de quoi décourager et exciter notre curiosité dans le même élan, tant il semblait témoigner d’intentions extrêmes. Soyons clairs, le but des Klaxons a toujours été de se retrouver tout en haut des charts. James Righton, chanteur et claviériste : “Je pense que notre démarche est assez subversive. Dès le début, nous avons dit à notre maison de disques que nous voulions être énormes, que c’était notre

objectif absolu.” Y voir du cynisme serait néanmoins aller un peu vite en besogne. Le groupe a toujours assumé ses intentions commerciales, mais a peut-être le courage et l’assurance nécessaires aujourd’hui pour les clamer plus fort que jamais. Groupe pop total (les visuels, tenues, coupes de cheveux s’adaptent en fonction de chaque nouvel album), les Klaxons ont toujours eu le souci du détail et reconnaissent entre autres avoir passé plusieurs mois à plancher ne serait-ce que sur le nouveau logo. La présentation d’une chanson aussi impensable que There Is No Other Time en premier single de l’album est donc tout sauf le fruit du hasard : “Cette chanson est un peu comme une lettre d’intention, une manière de nous projeter en avant sans filet, affirme Jamie Reynolds,

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“dès le début, nous avons dit à notre maison de disques que nous voulions être énormes”

Kim Jakobsen

James Righton, chanteur et claviériste

chanteur et bassiste. Il dit très clairement ce que nous sommes : un groupe pop, et voilà la chose la plus pop que nous ayons. C’est la chose la plus courageuse que nous ayons faite jusqu’ici, nous en sommes très fiers. Mais nous avons toujours été un groupe provocateur, de toute façon.” Souvenons-nous qu’à leur apparition sur le circuit il y a près de huit ans avec l’album Myths of the Near Future (qui leur valut en Angleterre l’obtention du prestigieux Mercury Prize), les Klaxons se faisaient le porte-étendard d’un nouveau microphénomène musical, la nu-rave (terme affreux s’il en est). Style vestimentaire fluo, basses surgonflées mises en avant, guitares tranchantes : en gros un mélange des cultures rave et indie pour un résultat aussi efficace qu’éphémère. Depuis, énormément de choses ont changé, aussi bien dans la teneur de la scène anglaise que dans la typographie des groupes à succès. Avec la “pitchforkisation” des esprits notamment, les groupes anglais à guitares n’ont plus l’apanage de la hype internationale. De même, les charts britanniques ont radicalement évolué. Il serait presque impossible d’entendre

sur les ondes de Radio 1 des chansons comme Atlantis to Interzone ou Echoes si elles sortaient aujourd’hui. Klaxons, comme les autres, a choisi de changer pour survivre, avec pour arme principale la surenchère. La première écoute de Love Frequency est, à ce titre, assez éprouvante physiquement : New Reality ouvre le bal d’entrée avec des voix vocodées, des riffs de synthétiseurs (ou de guitares ?) remplis d’écho et de distorsion, et une structure à tiroirs qui passe du coq à l’âne sans jamais reprendre son souffle. Ce morceau à lui seul est à l’image d’un album aux influences club qui explose dans tous les sens, alterne les styles et les effets de manche, et témoigne globalement d’une peur abyssale du vide. Jamie Reynolds acquiesce d’ailleurs lorsqu’on lui suggère que la musique de Klaxons est plus hédoniste que jamais : “Oui, c’est une musique hédoniste, ‘escapist’, où l’auditeur est censé laisser ses problèmes de côté pour se concentrer sur ce qu’il écoute. Nous cherchons à provoquer une expérience universelle, et surtout partagée. La musique que nous faisons s’appréhende dans le but d’un ressenti collectif, pas individuel.” On ne peut lui donner tort, tant les chansons qui composent Love Frequency se révèlent sur scène. Le groupe a le mérite du panache : qu’il le veuille ou non, il reste enraciné dans ses origines indie, et le fait de figurer aux côtés de Flo Rida, Pitbull ou Lily Allen dans le Top 40 n’en fait pas moins une anomalie, au contraire. Il faut oser sortir un disque comme ça, prendre le risque énorme de s’aliéner une bonne partie de son public. Avec Love Frequency, les Klaxons ont donc réussi leur complétude (et non leur album de la maturité, il sont bien trop malpolis pour cela) de groupe monstrueux, en livrant un disque tout aussi monstrueux. On salue la démarche. Marc-Aurèle Baly album Love Frequency (Because) concerts le 15 août au Sziget Festival (Budapest), le 10 novembre à Paris (Gaîté Lyrique) klaxons.net 25.06.2014 les inrockuptibles 75

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le feu au Musilac

Nick Helderman

Juilletistes dans le Sud-Est, ce festival est pour vous : du 11 au 13, Musilac proposera à Aix-lesBains la meilleure prog du moment. Avec quelques exclus et de gros noms (Motörhead, Stromae, Placebo, Maceo Parker, Fauve ≠, Giorgio Moroder) et d’autres, moins connus mais tout aussi talentueux : Valerie June, Jacco Gardner (photo), Tinariwen, Conor Oberst, Seasick Steve, Frànçois And The Atlas Mountains… musilac.com

les trésors d’Aphex Twin En 1994, Aphex Twin enregistre un double album, Caustic Window, qui s’arrêtera à la phase du test pressing et ne sera donc jamais distribué. Les rares exemplaires de cet album (photo) étaient jusqu’à présent possédés par quelques chanceux collègues de l’artiste, qui le gardaient bien au chaud. Joie : après qu’un projet de crowdfunding a été lancé pour produire sa sortie, Caustic Window est désormais disponible en écoute sur internet, sur YouTube notamment.

la rentrée à Jersey les Libertines à Paris Dans la foulée de leur reformation pour un concert cet été à Hyde Park, Pete Doherty et Carl Barât annoncent une mini-tournée de cinq dates dont une  en France. Les Libertines joueront ainsi le 30 septembre au Zénith de Paris, pour la plus grande joie des (déjà) nostalgiques des années 2000. Les places devraient partir assez vite…

Josh Shinner

Ça se passera sur l’île de Jersey, au large de la Normandie, du 24 au 28 septembre : le Branchage Festival revient une nouvelle fois pour mêler musique et cinéma, poésie et projets fous en tous genres. On y verra ainsi des ciné-concerts, le récent documentaire de Gruff Rhys, le dernier Michel Gondry sur Chomsky (photo) et de bien jolies surprises. branchagefestival.com

Laura Mvula, épisode 2 Un an après la sortie de son premier album, Sing to the Moon, la chanteuse anglaise revient avec une version entièrement revisitée de ce dernier. Pour ce faire, elle s’est enfermée à Abbey Road avec le Metropole Orkest néerlandais et a réenregistré chaque morceau. C’est donc une version symphonique de ce Sing to the Moon qu’on pourra découvrir dès le 4 août.

neuf

David Bowie Stephen Steinbrink

Phoria Phoria aurait dû s’appeler Euphoria, tant son electro douce est source de jubilation : beats et béats sont ici le même mot. Mais finalement, Phoria lui va bien aussi, car cette maladie qui provoque des troubles de la vision décrit assez bien la confusion des sens, le flou artistique que génère cette musique gazeuse. facebook.com/phoriamusic

Stephen Steinbrink a grandi en plein désert de l’Arizona, avec des amis-disques signés Shins ou Elliott Smith. Dans le désert, la maison devait être une oasis : aucune trace d’aridité, de sécheresse dans ses arpèges joyeux, ses cordes cavaleuses, ses mélodies luxuriantes. stephensteinbrink.com

Gram Parsons Comptons sur le label Rhino pour, une fois encore, accomplir un beau travail archéologique à l’occasion des rééditions des deux véritables albums solos de Gram Parsons, GP (1973) et Grievous Angel (1974), monuments inégalés sur lesquels le dandysme déglingué rencontre l’Amérique roots de la country. gramparsons.com

Le cycle des rééditions des albums seventies de David Bowie continue avec la version deluxe de Diamond Dogs (1974), précédée d’un 45t picture-disc de la chanson-titre. La bonne occasion de constater que ce grand album patraque et sombre, peut-être le plus dérangé de Bowie, demeure riche en sensations fortes. davidbowie.com

vintage

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Johan Lund

les amulettes suédoises Le Suédois Bror Gunnar Jansson sort un deuxième album d’americana gothique : avis de canicule, risque d’orage et de coup de foudre violent.

S  

ur la (très belle) pochette de Moan Snake Moan, son deuxième album, on ne voit pas sa tête, coupée au niveau du cou. Le Suédois Bror Gunnar Jansson serait-il un genre de cavalier sans tête, mais avec une guitare entre les mains, arpentant les terres dévastées du post-blues sous un orage d’apocalypse ? Il y a sans doute un peu de ça. En tout cas, il a la tête ailleurs. Ce jeune homme aux traits décavés, habillé comme en 1920 et plus blanc qu’un linge dans l’armoire de Dracula, paraît sortir d’un vieux film de la Hammer, ou d’une murder-ballad des Appalaches. Ce n’est pas de sa faute : il est tombé dedans quand il était tout petit. “Dans le village où j’ai grandi, il y a une vieille chanson traditionnelle qui raconte l’histoire d’un mauvais homme, détesté par les gens, et qui finit pendu à un arbre. C’est une histoire vraie, qui s’est passée au XVIIe siècle. L’arbre n’est plus là, mais quand j’étais petit, je jouais à son emplacement exact. Je connaissais l’histoire, et c’est sûr qu’elle m’a marqué.” La marque du diable et de sa musique, le venin des légendes noires qui empoisonnent sa musique, et la rendent unique. Issu d’une lignée de musiciens, en activité depuis une poignée d’années en Suède, Bror Gunnar Jansson commence

à se tailler un beau petit succès en France : il a tourné cet hiver pendant Les Nuits de l’alligator, il a eu une page dans Libé, il vient d’enregistrer L’Album de la semaine de Canal+, et son album sort sur le label français Normandeep Blues. Bror Gunnar Jansson s’est d’abord fait remarquer par son absence : il y a quelques années, Télérama le citait dans un article sur les pépites les plus rares de la discothèque de Radio France – c’était pour son premier album, un vinyle pressé à 100 exemplaires. “Après, j’ai fait un disque à 49 exemplaires avec un label allemand. C’est marrant les éditions limitées, mais ce n’est pas très important, je veux qu’un maximum de gens aient accès à ma musique.” Pourquoi lui plutôt qu’un autre ? Parce que sa musique sort un peu, voire beaucoup, de l’ordinaire du blues contemporain, même déviant. One manband (il joue de la guitare et de la batterie en même temps, sans oublier de brailler comme un loup-garou en rut), Gunnar

“je ne comprends pas les choses commerciales, en général”

s’abreuve à d’autres sources que celles du blues. On entend dans son disque des éclats de post-punk, la rumeur d’un freak-show de fête foraine, le lointain parrainage de Tom Waits, James Chance, Nick Cave, 16 Horsepower, Tav Falco ou Johnny Dowd. Adepte des sueurs froides et des rythmes primitifs du blues, il sait varier les plaisirs et les ambiances, ralentir les tempos et composer de vraies chansons. Seul sur scène, il ajoute sur disque un saxophone, de l’orgue, du violoncelle et tout un tas d’effets de production. Eclectisme et ouverture, qui devraient mener ce disque au-delà du cercle restreint des amateurs de blues bizarre. “J’ai confiance dans mon intuition, dans ma vision d’une chanson. Et j’aime tout écouter, j’écoute du jazz contemporain, des musiques improvisées. J’aime tout, tant que ce n’est pas trop commercial. Je ne comprends pas les choses commerciales, en général.” Bror Gunnar Jansson le dit et l’assume, il n’aime donc pas ses compatriotes d’Abba. Et c’est le seul défaut qu’on lui connaisse. Stéphane Deschamps album Moan Snake Moan (Normandeep Blues) concert le 3 juillet à Paris (Sunset/Sunside), le 5 à Cognac (festival Blues Passion) brorgunnar.bandcamp.com 25.06.2014 les inrockuptibles 77

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interview

Jabberwocky Forts du succès de leur single Photomaton, les trois étudiants en médecine qui composent Jabberwocky reviennent avec le solaire Pola, porté par la voix de Clara Cappagli. Ils seront en concert à la Villa Schweppes de Calvi on the Rocks. Poitiers, Lewis Carroll et Thomas Azier : interview. “Jabberwocky”, c’est une référence au poème de Lewis Carroll ? Oui, c’est un poème qu’on retrouve dans la suite d’Alice au pays des merveilles, De l’autre côté du miroir. Lewis Carroll fusionne des mots entre eux et joue avec les sonorités. On trouve la démarche intéressante, pleine de liberté et de créativité. Comment avez-vous rencontré Golshifteh Farahani, qui joue dans le clip de Pola ? C’est notre label Pain Surprises qui a joué les entremetteurs. Golshifteh a un côté mystique qui colle à notre univers. C’est une personnalité féminine à la fois très forte et très douce, un peu comme notre musique. Qu’écoutez-vous pour faire la fête ? Beaucoup de musiques électroniques. Selon les humeurs et les soirées, on

peut écouter de la deep comme de la techno ou des morceaux plus tranquilles. Ça va de Flume à Daniel Avery, en passant par Nina Kraviz et Fakear ou Rone qui vont tous les deux travailler sur un remix de notre dernier titre Pola. Le meilleur endroit pour sortir à Poitiers ? Pour boire des verres : le Minima. On connait bien l’endroit mais on n’est pas les seuls ! A Poitiers c’est un lieu incontournable à partir de 23 h. Pour voir des concerts et découvrir de la musique, c’est plutôt au Confort Moderne ou au TAP avec les soirées Rectangle. Votre meilleur souvenir de soirée ? Dernièrement on a joué pour le Rock'n Solex à Rennes, c’était une de nos premières grosses scènes avant les festivals de cet été. On a eu un super accueil du public. La programmation

était cool, on a fait de bonnes rencontres comme Chill Bump. Mais comme tout va de surprise en surprise, le meilleur reste à venir ! Qu’écoutez-vous en ce moment ? Thomas Azier, Lana Del Rey et The Hacker. Que faites-vous avant et après un concert ? On a notre rituel Jabberwocky, avec des incantations chamaniques dignes de Lewis Carroll… Ça fait partie des choses qui doivent rester de l’autre côté du miroir. Et après on décompresse, on traîne un peu et on prépare un plan pour faire la fête.

Un endroit où vous rêveriez de jouer ? Se retrouver sur une grosse scène à Garorock, où on a l’habitude d’aller en spectateur depuis quelques années, ça serait cool. Ou à l’étranger comme Coachella parce que justement on n’a pas l’habitude d’y aller… Déjà cette année on joue sur des scènes où l’on n’imaginait pas se retrouver il y a à peine un an, comme les Solidays, les Vieilles Charrues, les Francofolies, Calvi on the Rocks, le Positiv Festival à Marseille… Avec des artistes qu’on écoute et qu’on apprécie. Au pied des Pyramides à la Jean Michel Jarre ça serait classe aussi !

playlist de nuit(s)

5 chansons pour monter en pression 1 h du mat’

2 h du mat’

3 h du mat’

4 h du mat’

5 h du mat’

Christine And The Queens Saint Claude

Sebastien Tellier Ricky l’adolescent

2Pac California Love

Joris Delacroix Air France

Daniel Avery Drone Logic

A la croisée de Camille et de Drake, du r’n’b américain et de la chanson française, il y a désormais le premier album de la nantaise Christine And The Queens, Chaleur humaine. Son single Saint Claude, est, lui, d’une sensualité désarmante.

Si l’on ne devait retenir qu’un seul morceau des dix qui composent le nouvel album de Tellier, L’Aventura, on opterait sûrement pour Ricky l’adolescent, barré, poétique et dansant à souhait.

Alors que l’été est bel et bien là, on se réécoute en boucle le génial California love de 2Pac en rêvant de la West Coast, de ses palmiers et de sa chaleur.

Sombre, furieux, étrange. A 25 ans, ce Montpelliérain mixe house, deep house et electronica, et s’assure le titre de petit prodige de l’electro française. Réédité sous forme d’ep en 2013, son titre phare Air France est un bel explosif.

Dévastateur, surpuissant, affolant… Les adjectifs ne manquent pas pour qualifier le morceau Drone Logic de Daniel Avery, et l’ensemble de son premier album du même nom. Futuriste et robotique, Drone Logic nous plonge dans une transe suintante, excitante, exaltante.

des playlists exclusives sur sur villaschweppes.com

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retour de hype

Larry Clark brade des photos

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

la courbe de la nuit Christine And The Queens

les Libertines

les claquettes de piscine Nike la robe transparente

Parquet Courts

la Kitsuné Club Night

les éclairs glacés

Terry Richardson l’italo-disco

Parquet Courts en concert le 8 juillet au Divan du Monde (Paris, XVIIIe) Les claquettes de piscine Nike c’est “caillera-chic”. Si, si. Larry Clark brade des photos Du 1er au 6 juillet, Larry Clark cèdera de vieux tirages au prix de 125 euros pièce. Avis aux kids. La Kitsuné Club Night organisée par Kitsuné le 27 juin au Yoyo, avec Klaxons et Thomas Azier en DJ-set. Christine And The Queens La Nantaise sort Chaleur humaine, à la croisée de Drake et de Camille. Les éclairs glacés La géniale idée

de Christophe Adam, pâtissier de l’Eclair de génie. Terry Richardson Le photographe américain adepte du porno-chic est dans la tourmente. La robe transparente Deux créateurs sortis de NYU ont fabriqué une robe connectée à votre smartphone qui devient transparente en fonction de vos tweets et messages facebook. Bienvenue dans le futur ! Les Libertines Une tournée européenne + une date française : le 5 septembre au Zénith de Paris. L’italo-disco La BO de l’été.

noctambule 5 soirées à ne pas manquer

Orgasmic & Fuzati

Jack White

Field Day Paris

Calvi on the Rocks

Nas et M.I.A.

le 27 juin à la Gaîté Lyrique

le 29 juin à l’Olympia

le 5 juillet au Yoyo

du 5 au 10 juillet

au Zénith le 6 juillet

Jack White est de retour avec Lazaretto. Il y revisite toute l’histoire du rock américain, avec des histoires de filles, des guitares sauvages, une batterie déchaînée et une voix rageuse. Le live devrait être de la même teneur.

Le festival londonien Field Day exporte trois groupes britanniques à Paris le temps d’une soirée electro. Le Yoyo accueillera donc Jamie xx, tête pensante de The xx, Four Tet et Floating Points.

Le festival de l’Ile de Beauté ne déroge pas à sa réputation et offre cette année encore une belle programmation. On ira ainsi voir, les pieds dans l’eau, Brodinski, Midnight Juggernauts, Joris Delacroix, Todd Terje, Acid Arab, Benjamin Clementine, Jagwar Ma, Blackstrobe, Rich Aucoin, Jackson And His Computer Band…

Le festival Paris Hip Hop a eu la géniale idée de convier le même soir Nas et M.I.A. Le premier viendra jouer son album culte Illmatic, sorti en 1994 et réédité cette année, la seconde présentera son dernier album, Matangi. A ne pas manquer.

Dix ans après le départ du DJ Orgasmic du Klub Des Looseurs qu’il avait fondé avec le rappeur Fuzati, les deux compères se retrouvent pour un album commun, Grand Siècle. L’ambiance est toujours sombre, les paroles crues et dures (“il faut que je raconte des trucs plus simples, les gens sont de plus en plus cons”), la tension bel et bien là.

plus de soirées sur villaschweppes.com

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Fauve Corp

Fauve ≠

l’art du Fair Cette année encore, le Fonds d’action et d’initiative rock est parti en tournée avec ses lauréats. Pour évoquer ce dispositif d’aide à l’émergence, rencontre avec un groupe bien placé pour en parler : Fauve ≠.

C  

’était en mars à Clermont-Ferrand, en pleine tournée du Fonds d’action et d’initiative rock (Fair). La joyeuse troupe de Le Vasco est en train de foutre le bordel sur la scène de la Coopérative de Mai. Fauve ≠ leur succédera dans quelques minutes. En attendant, on discute dans un couloir. “Jouer à la Coopé devant 1 500 personnes qui viennent pour toi, on n’aurait jamais pensé faire ça un jour. Avant l’album, on a toujours fait les trucs un peu à l’arrache, au bord de la légalité. Désormais, il faut qu’on fasse les choses proprement pour ne pas se faire emmerder. Le Fair ne sert pas qu’à donner un peu d’argent aux groupes sélectionnés. C’est une vraie équipe avec qui on échange beaucoup. Ils nous permettent de nous protéger contre certains trucs auxquels on ne penserait pas nous-mêmes. C’est bien d’avoir quelqu’un qui connait les rouages administratifs de l’industrie. Le Fair sert à nous expliquer les règles du jeu.” Comme tous les ans depuis un quart de siècle, une poignée de groupes émergents profite du soutien de cette structure créée à la demande du ministère de la Culture. Aides financières, accompagnement professionnel, stages de gestion de carrière ou encore conseils juridiques autour des droits d’auteur sont dispensés aux lauréats de chaque année. L’édition 2014 aura retenu ces noms : Le Vasco donc, mais aussi Benjamin Clementine, Mein Sohn William,

Chassol, Dom La Nena, Maissiat, Saint Michel, Superpoze, Mermonte, Rocky… et Fauve ≠, bien sûr. En un peu plus d’un an, le collectif a fait une centaine de concerts un peu partout. Ils ont produit et sorti leur ep Blizzard tout seuls et en ont vendu des dizaines de milliers. Pour leur premier album publié en février, ils ont enchaîné les rendez-vous avec les maisons de disques. “Une quarantaine”, disent-ils. Pour, au final, continuer d’autoproduire leur musique, ne signant qu’un contrat de distribution avec Warner. De quel soutien peuvent bien avoir besoin des musiciens aussi débrouillards et aguerris ? Pourquoi se frotter à une initiative des pouvoirs publics quand le discours artistique prône justement l’indépendance de création ? “On s’est inscrit au Fair via notre tourneur qui nous a conseillé de le faire. A la base, on ne savait même pas ce que c’était ! Nous ne sommes pas des marginaux. On n’est pas antisystème. On veut juste faire les choses telles qu’on en a envie, avec le moins de contraintes possibles. Pour rester indépendant, il faut connaître les lois. Le Fair nous a aidés à les comprendre.” Fauve ≠ aussi a su imposer ses règles et son style. Malgré le succès des derniers mois, le collectif n’a fait aucune concession sur son identité. Le public, les médias, l’industrie : tous se sont adaptés à leur façon de faire. C’est ça aussi l’émergence. Maxime de Abreu lefair.org

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Camille Henrot

Joakim Tropics of Love Tigersushi/Because Toujours à la lisière des genres, un beau cadeau azuréen, à consommer frais. rautrock, indie-pop, rock lui connaissait peu. Bidouillé en analogique synthétique, cocktail disco à la dans un coin de son domicile new-yorkais, française ou encore jazz-house Tropics of Love est une affaire très mellow, à ses débuts : Joakim a imposé empreinte d’indie-r’n’b, de chillwave une identité trouble mais forte sur la scène et d’effluves balnéaires, qui grimpe par hexagonale. Il incarne une excentricité douces vagues. Les prélassements les et une élégance que partagent aussi plus langoureux se trouvent en début ses collègues Ivan Smagghe, Nicolas Ker de parcours, avec la pop FM à palmiers de ou Etienne Jaumet. Bring Your Love (soutenue par les vocalises Baignant aujourd’hui autant dans exaltées du chanteur de The Rapture) la techno (son excellent side-project et le très romantique Heartbeats. Crowdspacer) que dans l’art (ses Mais, sous la plage, les pavés, collaborations avec Camille Henrot), il sert et Joakim change de sujet sans prévenir : un nouvel album/pot-pourri, comme à clin d’œil à l’avant-garde avec le collage son habitude, passant du coq à l’âne mais Chapter 2, jam electro autobiographique tendant vers une sensualité tropicale qu’on avec le tubesque This Is My Life,

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et paysage ambient drone avec la belle suite Hero, pour ne citer qu’eux. L’humeur est pourtant bien au songe et au plaisir, comme le réaffirme sur la fin une reprise inattendue du On the Beach de Neil Young. Dépassant dans la foulée Radiohead à l’exercice, elle transpose le blues exténué de l’original dans un slow électronique scintillant de grâce, caressé par le saxophone d’Etienne Jaumet, qui expose à lui seul tout le raffinement et la chaleur de Joakim. Détendu mais incarné, Tropics of Love dépeint un été 2014 de volupté et de nostalgie. Thomas Corlin joakim.tv

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A Dead Forest Index Cast of Lines ep Pop Noire/Idol

Le rappeur de Montpellier confirme qu’il maîtrise la rime huilée où le stupre le dispute à la luxure. Mais manque parfois de souffle.

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l y a deux types de rappeurs : ceux dont le verbe, ancré dans le vécu, se suffit à lui-même, colère ou frustration se chargeant de faire sonner les mots (NTM, Rohff), et ceux qui optent pour la fiction. Chez eux, c’est l’interprétation, cruciale, qui change le faux en vrai (Biggie, Booba). Joke, improbable souverain montpelliérain, boxe dans la seconde catégorie : après plusieurs ep, son premier album finit de cimenter un royaume de stupre nourri de désinvolture et de clips américains, où le champagne dégouline sur les seins de déesses fatalement chiennes. Cette poétique de la luxure peut faire sourire, mais l’imaginaire est parfaitement incarné par le rappeur, qui maîtrise le contraste entre propos et diction, susurrant les pires insanités d’un flow lent et presque doux qui en décuple le vice. Peuplé de synthétiseurs brumeux et de rythmiques économes, visant une trap veloutée, un r’n’b pourpre, un jazz défait, l’écrin de velours qui infuse les mots rend gloire à ce rap feutré qui rougeoie dans la pénombre.

Mais alors qu’il n’a qu’un pas à franchir pour rendre son format vraiment pop – comme il le fait, tous synthés dehors, sur l’impeccable Casino –, Joke dégringole à plusieurs reprises vers un rap de rue qu’il maîtrise mal, où sa voix fluette et sa colère atone peinent à imposer le Scarface inhumain qu’il prétend incarner. Ce costume un peu ample se fait d’ailleurs repasser vite fait par le bulldozer Dosseh, un invité habitué des eaux troubles de ce rap au torse bombé. En dépit de l’impressionnante qualité des productions et de la cohérence de l’univers, Ateyaba souffre d’un déséquilibre né de cette interprétation parfois forcée. Joke n’est jamais aussi fort que lorsqu’il enfile sans huile sur coussins de velours en murmurant des grossièretés surréelles – ou lorsqu’il change de registre mais reste dans sa voix, comme sur Ateyaba, où le sang qui coule n’est pas celui des menstrues, mais celui des tirailleurs, ou sur le coup de maître Anubis. Un univers dont il est alors le seul roi, autoroute sans péage pour son verbe désaxé : “Ma teub va pas se sucer toute seule, faudra t’lever à 7 heures.” Thomas Blondeau album Ateyaba (Def Jam/Universal) concerts le 20 juillet au Dour Festival, le 16 octobre à Montpellier, le 30 à Toulouse, le 1er novembre à Lyon jokemtp.com

adeadforestindex.bandcamp. com

Kim Thue

Joke rappe salace

Entre ombre et lumière, une fabuleuse initiation à un univers parallèle. Jehnny Beth (Savages) et son alter ego Johnny Hostile, têtes pensantes du label Pop Noire, ont décidément le nez creux quand il s’agit de dénicher la perle rare : dernière trouvaille en date, après Lescop ou Le Vasco, la fratrie néo-zélandaise de A Dead Forest Index. Soit, en version éthérée et contemplative, le duo le plus délicieusement anachronique du moment. Les frères Sherry partagent en effet avec leurs vaillants prédécesseurs de Dead Can Dance un goût certain pour l’ésotérisme chic et le beau bizarre. Equarri presque à l’os, leur folk organique n’en est pas moins somptueux et violemment sensuel. Cerise sur cette forêt dark : la pomme d’Adam (guitares, chant) convoque successivement les figures tutélaires de Brendan Perry ou de Nico tandis que Sam, à la batterie, vise un élégant less is more. Une dramaturgie de velours qui ravira autant les fans du Velvet Underground ou de Mazzy Star que d’Hedi Slimane. Claire Stevens

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Philippe Mazzoni

Sarh Sarh Believe La voix de Stuck In The Sound et des doigts de Birdy Nam Nam : miam miam. e projet Sarh, c’est la des genres. C’est un projet réunion de deux musiciens en soi, découlant de la fusion d’horizons éloignés : de deux cerveaux bien servis DJ Pone (de Birdy Nam par l’expérience et de riches Nam) et José Reis Fontao (de Stuck cultures musicales. In The Sound). Point commun, Contre toute attente, ils ont secoué les foules dans la Sarh lorgne ainsi vers la pop, deuxième moitié des années 2000, plus spécifiquement vers l’héritage le premier dans l’electro et electro-instrumental de la le deuxième dans le rock indé. new-wave. Oui, on parle toujours Leur collaboration pourrait de DJ Pone et de José Reis Fontao. laisser sceptique en ce qu’elle Ensemble, ils signent ici des ne raconte rien d’évident, et donc morceaux à la beauté religieuse rien de spécialement excitant (Welcome to Sarh), balnéaire au premier abord. Mais c’est (Summertime of Broken Hearts) à l’écoute de cet album (presque ou possédée (Sailing with Lost le dixième à eux deux) que Souls). Une vision affolée de l’été. Maxime de Abreu l’étonnement survient : Sarh n’est ni un empilement froid des savoirs, facebook.com/SARHMUSIC ni une superposition mécanique

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Catrin Finch & Seckou Keita Clychau Dibon Mwldan/Astar Un duo sénégallois emmène les harpes dans la stratosphère. On n’y était pas pour de la harpiste galloise Lyrisme zen, virtuosité l’attester, mais la harpe Catrin Finch et du joueur en apesanteur, fresques est sans doute l’un des de kora sénégalais Seckou transparentes, cet album plus vieux instruments Keita. Avec beaucoup est ce qui se fait de mieux du monde. La corde pincée de cordes à leurs arcs, dans le genre, bon de l’arc du chasseur à la les deux musiciens comme le silence. Stéphane Deschamps préhistoire, dont la vibration chassent les rêves, résonne encore dans égrènent les souvenirs seckoukeita.com cet album merveilleux d’une histoire commune. 25.06.2014 les inrockuptibles 83

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Vladimir Besson

la découverte du lab Belle à se damner, la pop de Calypso va enflammer les cœurs et les dance-floors cet été. près avoir officié au service de sa majesté The Cavaliers et de ses démons punk-rock, le guitariste Alexis s’évade et aspire à plus de simplicité. Fini les heures à transporter ses bécanes d’une salle de concert à un studio de répétition ! Il fait appel à son ami Boris, “savant fou de l’analogique” pour mélanger les univers très opposés de “la surf-music, de l’exotica et celui du groove analogique et froid de l’italo-disco des 80’s”. Rapidement rejointe par le vibraphone flambant neuf de Thibault et les chants des sirènes Marie-So et Liza, cette vibrante équipe parisienne entame l’épopée pop de Calypso. Sur les traces du navire du commandant Cousteau, ils voguent sur les flots bleus à la recherche de contrées exotiques à la végétation luxuriante. Après un essai de jeunesse 100 % surf-music (Summer Lies), Calypso ensorcèle avec un ep-cassette noyé de reverbs et de chants transis, sorti chez le jeune label parisien Gone with the Weed – spécialiste du format à bandes magnétiques et de packaging fait main. On y croise un Fauve africanisant, une capitale andalouse et orientale, Almeria, Un secret qui ravive le fantôme de Laura Palmer et un Wicker Boat qui navigue entre la mythologie grecque et la musique surf. En attendant la sortie de leur premier vinyle à la rentrée, rendez-vous à la plage du Glazart pour une après-midi de concerts Vicious Souk, dimanche 6 juillet (entrée libre dès 14 h). Abigaïl Aïnouz

Diane Sagnier

Calypso

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en écoute sur lesinrockslab.com/calypso

retrouvez toutes les découvertes sur lesinrockslab.com

Emily Loizeau Revisited – Piano Cello Sessions Polydor/Universal Un piano, un violoncelle et des chansons belles dans leur plus simple appareil. éclinée depuis plusieurs pont vocal entre Dalida et Barbara. mois sur scène, l’idée Mais ce sont essentiellement génitrice de ce quatrième les partitions originales – dans album (appliquer une une relecture acérée et près de esthétique intimiste à quelques l’os – qui enthousiasment : les favoris, agrémentés de quelques pizzicati de L’Autre Bout du monde, reprises chipées dans le pot la détresse absolue de Vole le de confiture des souvenirs), dévoile chagrin des oiseaux prennent ici, avec sensibilité et profondeur débarrassés des effets de mode le principe d’un best-of qui d’arrangements orchestraux, s’avancerait masqué. Ainsi, le une dimension insoupçonnée. piano et le chant de la FrancoLa proximité de la chanteuse Britannique, et le fidèle violoncelle véhicule alors émotion, tendresse d’Olivier Koundouno, s’approprient et puissance comme jamais. Une une partition de Schumann, réussite absolue. Christian Larrède une chanson d’Yves Simon, le Pocahontas de Neil Young concert le 18 juillet à Paris ou un très cinématographique (Fnac Live Festival) Gigi L’Amoroso – ici troublant emilyloizeau.fr

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Rival Sons Great Western Valkyrie Earache Records

Intense, jouissif et indispensable : le rock à son apogée. Ne tournons pas autour du pot : Great Western Valkyrie est issu du même métal précieux que les chefsd’œuvre forgés en leur temps par Led Zeppelin, The Doors et autres monstres sacrés du genre. Après avoir frappé très fort à la porte du panthéon avec Head down en 2012, Rival Sons y fait cette fois une entrée fracassante

par la grâce d’un disque dont la puissance doit autant à la voix mi-ange, mi-démon de Jay Buchanan qu’au groove diabolique distillé par l’ensemble du groupe. Non contents de rendre un digne hommage à leurs glorieux aînés, les Californiens proposent un son unique, reconnaissable entre mille : une soul torride dans un torrent

rock (monumentaux Good Things et Open My Eyes), un psychédélisme bluesy et des effusions garage tonitruantes. A l’image de son étourdissant finale, Great Western Valkyrie est un disque immense, d’ores et déjà l’album rock de l’année et un classique pour celles à venir. Alexis Hache rivalsons.com

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dès cette semaine nouvelles locations en location retrouvez plus de dates de concerts dans l’agenda web sur inRocKsLive.com

Fnac Live du 17 au 20/7 Paris, Hôtel de Ville, avec Glass Animals, Two Bunnies In Love, Kid Wise…

Garorock du 27 au 29/6 à Marmande et dans le Lot-et-Garonne, avec Phoenix, Gesaffelstein… Festival les inRocKs Philips 11/11 Paris, Casino de Paris, avec Lykke Li Live au Pont du 10 au 11/7 au Pont du Gard, avec Phoenix, London Grammar, Metronomy, James Blake…

sélection Inrocks/Fnac Garorock à Marmande Pour sa 27e édition, Garorock frappe fort avec une programmation qui fait la part belle au rock mais qui sait aussi voir large. Entre vendredi et dimanche, Marmande accueillera, entre autres, Phoenix, Acid Arab, Parquet Courts… Immanquable !

And The Atlas Moutains, Kavinski, Tinariwen… Orgasmic & Fuzati 27/6 Paris, Gaîté Lyrique Paris International Festival of Psychedelic Music du 4 au 6/7, avec The Soft Moon, Toy, Cabaret Contemporain, The KVB, Zombie Zombie… Parquet Courts 8/7 Paris, Divan du Monde, 9/7 La Rochelle Peacock Society du 11 au 13/7 à Paris, Parc Floral, avec Richie Hawtin, Cassius, Agoria, Darkside, Ron Morelli… Positiv Festival le 5/7 et le 16/8 à Bellegarde et Marseille,

sélection Inrocks/Fnac Orgasmic & Fuzati à Paris Le producteur Orgasmic et le rappeur Fuzati se connaissent depuis TTC mais Grand Siècle est le premier album qu’ils coproduisent. Le premier s’occupe des beats, quand le second déverse ses punchlines assassines. Ils se retrouveront à la Gaîté Lyrique vendredi. avec Flume, Disclosure, Gramatik…

Moderat, Caribou, Thee Oh Sees…

Le Rock dans tous ses états les 27 et 28/6 à Evreux, avec Massive Attack, Interpol, MGMT, Fritz Kalkbrenner…

Solidays du 27 au 29/6 à Paris (Longchamp), avec Breton, Erol Alkan, Fauve ≠… Suicide 8/7 Paris, Gaîté Lyrique

Rock en Seine du 22 au 28/8 à Saint-Cloud, avec Arctic Monkeys, The Prodigy, Portishead…

Terre du son du 11 au 13/7 à Monts, avec Woodkid, Fakear, Nasser, Salut C’est Cool…

La Route du rock du 13 au 16/8 à Saint-Malo, avec Darkside,

Jack White 29 et 30/6 Paris, Olympia

aftershow

Lélia Loison

A$ap Ferg 10/7 Paris, Trabendo Festival Beauregard du 3 au 6/7 à HérouvilleSaint-Clair, avec Damon Albarn, Pixies, Midlake… Black Keys + The Kills 15/7 Nîmes Calvi on the rocks du 5 au 10/7 à Calvi, avec Caribou, Darkside, De La Soul… Festival de Carcassone du 27 au 29/6 à Carcassone, avec Etienne Daho, Lana Del Rey, Franz Ferdinand… Christine And The Queens 27/9 Sannois, 1/10 Paris, Olympia, 15/10 ClermontFerrand, 22/10 Bordeaux, 23/10 Toulouse, 24/10 Nîmes, 29/10 Rouen Days Off du 1er au 10/7 à Paris, Cité de la Musique/ Salle Pleyel, avec Etienne Daho, Damon Albarn, Anna Calvi… Eurockéennes du 4 au 6/7 à Belfort, avec Pixies, Black Keys, Metronomy, SBTRKT, Jagwar Ma… festival La Ferme électrique les 4 et 5/7 à Tournanen-Brie, avec Movie Star Junkies, OiseauxTempête, Orval Carlos Sibelius…

Francofolies du 10 au 14/7 à La Rochelle, avec Asaf Avidan, Blind Digital Citizen, Christine And The Queens…

Montreux Jazz Festival du 4 au 19/7 à Montreux, avec Pharrell Williams, Jungle, OutKast… Musilac Festival du 11 au 13/7 à Aix-les-Bains, avec Frànçois

Mobb Deep le 18 juin à Paris (festival Paris Hip-Hop) Le festival Paris Hip-Hop s’est ouvert la semaine passée sur le concert triomphal de Mobb Deep, coup d’envoi d’une quinzaine qui s’annonçait déjà mouvementée. Abrités sous la coupole imposante du Trianon, les deux rappeurs du Queens sont venus livrer aux initiés les éclats d’une discographie désormais cataloguée dans les classiques du genre. Le concert débute sur le dantesque Survival of the Fittest et dès que résonne l’écho des premières rimes, on sent d’office une foule conquise aux faits d’armes des rappeurs Havoc et Prodigy. Tandis que le duo délivre sa messe, le public observe la scène avec une admiration proche du religieux, scandant chaque parole et manifestant sa ferveur dans les rares instants de silence. Tout au long du show, le tandem jongle entre les tubes passés et les nouveautés, faisant la part belle aux inédits de l’album The Infamous Mobb Deep, double lp comprenant une réédition du mythique The Infamous de 1995. L’apogée du concert s’opère sur l’incontournable Shook Ones Part II, qui annonce le dernier round d’un combat gagné d’avance. Le groupe quitte la scène en grands princes (du Queens), sous l’ovation de la foule et sans oublier de serrer la main à l’intégralité du premier rang. Lélia Loison 25.06.2014 les inrockuptibles 85

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spécial

été

livres de poctcionhe de

Notre séle poches à emmener partout cet été.

l’été meurtrier De la Riviera à la petite bourgeoisie de province, Alain Page et Simenon ont relaté les liens passionnels et toxiques entre amants criminels. Des vacances sanglantes en perspective.



lain Delon à moitié nu au bord d’une piscine. La caméra s’avance vers lui, glisse sur l’eau, comme un œil voyeur et inquiétant. Hors champ, Romy Schneider plonge, aspergeant son compagnon qui bondit, pris d’effroi et de saisissement. Le couple se mord dans un baiser. Ainsi démarre le film culte de Jacques Deray, La Piscine, sorti en 1969. On connaît son succès, coïncidant avec l’idylle des acteurs dans la vie, et la révélation de la toute jeune Jane Birkin, sans savoir nécessairement qu’un livre est à son origine. Au début des années 60, Alain Page a fréquenté la bande de Sagan. Cette galaxie de jeune gens sexy et virevoltant de fiestas à Saint-Germain en vacances sur la Côte d’Azur. “Rire ensemble, boire ensemble, suer ensemble. S’ennuyer ensemble”, résume bien l’auteur dans l’avant-propos de ce texte publié en 1968. Sauf que l’ennui, loin d’être anecdotique, forme le cœur du roman dont il a nourri autrefois le projet : “Je vis, comme en filigrane, la mort rôder au milieu des corps bronzés. Dès lors, il me fallait mettre en scène cette tragédie.”

Soit deux couples dans une luxueuse villa de Saint-Tropez. La quiétude du premier, formé par Jean-Claude et Marianne, deux trentenaires d’une beauté insolente, mais déjà inutile, vacante, sans objet, est troublée par l’apparition du sémillant Harry, ex-amant de Marianne, et sa fille, la sublime Pénélope. Une tentation. Deux serpents dans le “désert vitrifié” de ces amants trop repus et adeptes de “joutes visuelles”. Dans leur demeure “balayée par le soleil qui détruit toute volonté”, s’engage un jeu mortel entre les quatre protagonistes. Traquer la jalousie, la convoitise, la haine cachées sous le vernis des bonnes manières et des soupirs, des danses suaves et des baisers volés sous la tonnelle, c’est ce que La Piscine parvient à contenir dans un huis clos solaire et asphyxiant. Les messes basses et les non-dits, les petits jeux pervers, les phrases à double sens prennent ici corps dans une stratégie de combat proprement romanesque, où voix intérieure et dialogues venimeux finissent noyés dans le scotch et les ritournelles du tourne-disque.

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Alain Delon et Romy Schneider dans La Piscine de Jacques Deray (1969)

Si Pénélope, par sa virginité tentatrice, ondoyante, est le ver tragique dans la pomme, celui par qui le crime arrive ne peut être que Jean-Claude – héros envieux et manipulateur, qui a tout et souffre encore de ne pouvoir se faire un pagne avec le scalp de son rival. La deuxième partie de La Piscine, autour de l’enquête policière, sonne comme un brusque retour au réel, avec l’intrusion d’un flic tatillon et pugnace confrontant les héros à leur vacuité. Dans ce monde torride, le drame glamour engage un virage à 360 degrés, emboîtant le pas aux romans les plus noirs de David Goodis et Patricia Highsmith. On en vient à se demander si l’amour physique n’est pas plus dangereux qu’on ne le croit. Après les étreintes déliquescentes, “sans pudeur et dévorantes” du couple de jet-setteurs, place à la grande passion toxique chez Simenon. Adapté au cinéma par Mathieu Amalric, La Chambre bleue relate la liaison extraconjugale d’un père de famille, Tony, avec son ancienne camarade d’école, Andrée. Tout bascule quand leur relation, de plus en plus délétère, “quitte la chambre surchauffée qui sentait le sexe” pour un horizon funeste : la mort du mari d’Andrée et, plus tard, la mise en examen de son amant. Il ne s’agit pas seulement, pour Simenon, d’un énième et beau prétexte pour déglinguer la petite bourgeoisie de province des années 50, coincée entre l’Hôtel de la gare et la foire aux bestiaux,

nourrie de rumeurs et de pulsions. Ou pointer les rituels besogneux et vains du système judiciaire. Pas seulement. L’auteur tricote ici, dans ce roman paru en 1963, un puissant réseau temporel, entre présent et passé, restituant un désordre psychique complexe et noueux qui condamne le héros à des fragments de souvenirs et des bribes de phrases – “Tu m’aimes, Tony ?”, “Je t’ai fait mal ?”, “Tu m’en veux ?”.... Dans cette Chambre bleue, on passe de la fièvre érotique à un bureau froid où l’amant soupçonné de crime est soumis à un âpre interrogatoire. Procéduriers, rivés aux faits, juge et policiers manipulent une matière sensible sans la comprendre. Simenon joue habilement de ce clivage. Vidée d’affects, que reste-t-il d’une vie dépecée jusqu’à l’os ? D’un roman à l’autre, la question pourrait être la même : la loi est-elle compatible avec la logique intime de chacun ? La société peut-elle tolérer les amants ? Qu’il s’agisse des bords de la Riviera ou de la France profonde, de faune rurale ou de jeunesse dorée, chaque être humain en est rendu au même constat : les facettes éparses et inconciliables de son être social et de son moi profond. Emily Barnett La Piscine d’Alain Page (Archipoche), 256 pages, 1 2 € La Chambre bleue de Georges Simenon (Le Livre de poche), 185 pages, 5,60 € 25.06.2014 les inrockuptibles 87

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Roger Higgins/Library of Congress

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Truman Capote en 1959

Truman show Frivole, drôle, parfois profonde et désespérée, la correspondance de Truman Capote compose un portrait de l’écrivain en ami généreux et avide de potins. Irrésistible.

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l y a les bals à Ischia “avec lanternes vénitiennes pour venir en aide à la lune, et punch au lacrima christi pour venir en aide à l’humour”, les moments de bonheur partagé avec son amant Jack Dunphy, en Italie ou en Grèce, accompagnés de toute leur

ménagerie, dont la petite chatte Diotima, sauvée des eaux ; les amitiés flamboyantes, fugaces ou durables, avec Marilyn Monroe, Humphrey Bogart, John Huston, Chaplin, Audrey Hepburn, Lee Radziwill et sa sœur Jackie Kennedy ; ses “swans” (figures de la jet-set),

la coupure “De sang-froid” Il y a un avant et un après De sang-froid. “Ce sera un chef-d’œuvre. Je le veux car, si ce n’est pas un chef-d’œuvre, ce n’est rien”, déclare Truman Capote à son éditeur. L’enquête sur ce quadruple meurtre commis au fin fond du Kansas et l’écriture du livre transforment Truman Capote et le ton de sa correspondance s’en ressent. Entre 1959, date à laquelle il découvre le fait divers, et 1966, quand est publié De sang-froid, Capote envoie de nombreuses lettres à Alvin Dewey, l’inspecteur qui a résolu l’affaire, et à sa femme Mary. Entre eux, les liens sont affectueux. Capote donnera même des conseils d’écriture à l’un des fils du couple. On trouve aussi des lettres de Capote à Perry Smith, l’un des deux meurtriers, dont l’une accompagnée de ces vers d’un poème canadien : “Il existe une race d’hommes qui ne s’intègre pas aux autres.” Phrase qui vaut pour Perry Smith autant que pour Capote.

ses succès. Et puis, il y a les moments de doute, de détresse, les cures de désintoxication, les deuils, un dernier télégramme désespéré. Tout cela affleure dans la correspondance de Capote qui couvre près de cinquante années, de 1936 à 1982, et dessine un portrait tout en nuances de l’auteur de Petit déjeuner chez Tiffany, épousant ses humeurs, oscillant avec lui d’un état à l’autre, de la frivolité la plus exubérante à une profonde lucidité. De ces lettres vives, spontanées et irrésistibles, se dégagent tout l’humour de Capote, mais aussi son besoin constant et touchant d’affection. La première, écrite en 1936 à l’âge de 12 ans, est adressée à ce père qui ne l’a pas élevé et dont il a rejeté le nom : “Je te serais reconnaissant de ne plus m’appeler que Truman Capote, car tout le monde désormais me connaît sous ce nom-là.” Un ton sec, cinglant, qui tranche avec les chatteries qu’il prodigue à ses autres destinataires, amis, amants ou éditeurs, de Cecil Beaton à Richard Avedon en passant par Gloria Vanderbilt, William Styron. Pour eux, il n’a pas de mots et de surnoms assez tendres : “enivrant magnolia”, “petit oiseau”, “charmant petit lapin”. Avide de gossip, cet incurable mondain et langue de vipère hors pair réclame les derniers potins lorsqu’il se trouve loin de New York : “Ecrivez-moi une lettre remplie de commérages.” Pour distraire

ses correspondants – et les encourager à lui écrire plus souvent –, il invente le jeu de la “chaîne des liaisons internationales”, qui consiste à savoir qui a couché avec qui (et avec certaines chaînes, il arrive vite à Hitler), et n’hésite pas à se montrer d’une délicate cruauté pour épingler les défauts de ses ennemis. Ses lettres fourmillent d’anecdotes délicieuses ou insolites comme le déjeuner qu’il veut organiser avec André Gide et Christian Dior en Sicile, son flirt avec Montgomery Clift, ou de formules tel ce “Paris plus glacial qu’une chatte de nonne”. Généreux et soucieux des autres, Capote prodigue des conseils souvent avisés, qu’il s’agisse de littérature ou de peines de cœur. Lui-même évoque fréquemment son travail, ses lectures, les difficultés qu’il rencontre sur un texte, ses angoisses : “Je ne veux à aucun prix être taxé d’escroquerie ; j’entends par escroquerie : faire perdre son temps au lecteur.” Impossible de perdre son temps en se plongeant dans ces lettres, qui nous semblent presque adressées, comme écrites par un ami brillant et attachant. Un plaisir décidément trop bref. Elisabeth Philippe Un plaisir trop bref (10/18), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jacques Tournier, 576 pages, 9,10 €

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quand Edith piaffe Scènes de sexe torrides, amours interdites, les textes rassemblés dans ce livre dévoilent la sensualité d’Edith Wharton. Capiteux. ’ai dans la manche un synopsis d’inceste qui les ferait tous passer pour des comptines de jardin d’enfants”, écrit Edith Wharton à son ami Bernard Berenson en 1935. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ces mots teintés de provocation sexuelle – “tous” désignant Moravia, Faulkner et Céline – sont bien de l’auteur du Temps de l’innocence, écrivaine des désirs étouffés et des amours contrariées par les conventions bourgeoises. Elle-même mène une existence dont la sensualité est absente. Jusqu’à sa rencontre avec Morton Fullerton, aristocrate écossais, qui lui fait découvrir la passion physique. La romancière américaine a alors 46 ans. Epiphanie charnelle, cette éphémère relation est sans doute à l’origine des brèves esquisses érotiques longtemps cachées dans les archives de Yale et rassemblées dans ce volume. Le texte qui ouvre le livre, “Fragment impubliable”, est une courte scène très “hot” entre un certain M. Palmato et sa maîtresse. Rien ne manque, ni le feu de cheminée, ni “le tapis en peau d’ours noire”. Si le sexe, fellation incluse, est décrit de façon explicite, il plane sur ces lignes un secret sur la nature des liens qui unissent les deux amants. S’agit-il du “synopsis d’inceste” évoqué dans la lettre de 1935 ? Dans ce non-dit réside la part réellement sulfureuse du fragment.

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Library of Congress



Un art de l’ellipse purement whartonien que l’on retrouve dans “Intrigue”, qui reprend les mêmes personnages et éclaire le fragment “impubliable”. Cette fois, l’histoire est centrée sur Beatrice Palmato. Sa mère folle et dépressive, la jeune Beatrice a partagé “une étroite intimité” avec son père. Une fois mariée et devenue mère à son tour, Beatrice refuse avec violence que son mari embrasse leur petite fille. Seulement suggéré, effleuré, le scandale n’en a que plus d’éclat. Tout comme l’ironique cruauté de la courte nouvelle “Le Prétexte”, sur les illusions amoureuses d’une femme mûre de la haute société. Même décorsetée, Edith Wharton conserve toute sa maîtrise. E. P. Beatrice Palmato – Fragment érotique et autres textes (Rivages), traduit de l’anglais et présenté par Maxime Rovere, 144 p., 6,10 €

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Jonathan Cott Rencontres avec John et Yoko

Tristram

10/18, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Michel Marny, 240 pages, 7,50 €

rock’n’roll life La publication d’un second volume d’articles de Lester Bangs permet un retour sur l’histoire d’amour agitée entre le rock et le plus légendaire de ses critiques.

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n monument d’inspiration, de pugnacité, de passion, de partialité, de pertinence – et, tout aussi souvent, d’impertinence. Un amoureux fou de rock, un chantre de l’électricité sauvage, un prophète du punk, un déçu du punk, un punk dans l’âme et une âme en peine aussi : entre la musique et la vie, Lester Bangs avait choisi la première, au point de mettre la seconde en danger. Car le plus flamboyant des critiques rock entretenait un rapport douloureux à son art fétiche : dans Fêtes sanglantes & mauvais goût, second recueil des articles (entre autres) qu’il publia (ou pas) entre 1969 et 1982, l’inquiétude, le désarroi et une conscience intranquille percent sous l’exubérance de l’écriture. Nourrie dès l’adolescence de la lecture de Kerouac, cette écriture brûle stops et feux rouges, ignore les lignes jaunes, double dans les virages, chahute la syntaxe, crépite de néologismes, déborde de chaleur et pétille d’un humour potache et pataphysique. Mais à l’enthousiasme d’un découvreur de continents – ceux du jazz, du rock garage et du heavy-metal – succède à partir du milieu

des années 70 une désillusion sournoise. Quand Lester est déçu par les Rolling Stones ou par Lou Reed, la prose euphorisante des années Creem – le magazine de Detroit dont il fit la meilleure revue rock du monde – fait place aux interrogations de la période new-yorkaise ; en triomphant, l’esthétique dont il avait contribué à jeter les bases permet l’émergence de Sid Vicious et de ses bataillons d’imitateurs. Le rêve est fini : “Il est infiniment difficile ces temps-ci d’être un déviant ou même de prendre un peu de bon temps bien crétin sans qu’un cryptouniversitaire codificateur ou (pire encore ?) l’industrie de la mode ne vous tombe dessus pour vous piquer votre attitude et vous laisser à poil et tout frissonnant dans la file d’attente des chômeurs culturels…” A la fois pilier du CBGB’s et ermite rivé à sa machine à écrire, Lester ne survivra pas aux années new-wave : incapable de renouveler son panthéon de héros, il prend à 33 ans congé d’un monde où les mavericks de sa trempe n’ont plus leur place. Bruno Juffin

Approuvé par Yoko Ono, un recueil d’interviews livre la version officielle de sa vie avec John Lennon. “Un génie discret” : quand le sujet même du livre d’un journaliste loue en ces termes l’auteur, un certain degré de connivence ne peut être exclu. Si le compliment jaillit de la plume de Yoko Ono, le soupçon se mue en certitude – cette maniaque du contrôle d’image ne tolère que l’hagiographie. A défaut de briller par leur impertinence, les interviews – réalisées entre 1968 et 1980 – permettent toutefois à John Lennon de revenir sur ses engagements politiques, de célébrer les héros en cuir noir de son adolescence et d’avouer ses angoisses de songwriter : “Je pense toujours que ça ne vaut rien, que c’est de la merde, que c’est bon pour la poubelle.” Ce penchant pour l’autocritique ne trouve guère d’écho chez Cott : convaincu d’avoir en face de lui deux génies, l’ancien journaliste de Rolling Stone voit dans les écrits de Yoko des instructions “exaltantes pour le cœur et l’esprit”. Autant dire que le livre passe sous silence les dix-huit mois très alcoolisés (le fameux “lost week-end”) durant lesquels la vie privée de Lennon fit le bonheur des tabloïds : redevenu mari au foyer, le chanteur s’interroge sur les périls de la célébrité (“Les gens veulent-ils que moi et Yoko nous suicidions sur scène ?”) avec une lucidité qui fait rétrospectivement froid dans le dos. B. J.

Fêtes sanglantes & mauvais goût (Tristram), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Paul Mourlon, 512 pages, 11,95 €

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Peter Haars Prokon Editions Matière, traduit du norvégien par Laurent Bruel, 56 pages, 13 €

ivre de la jungle Bluffant et fantasque, Alma de Claire Braud allie humour décalé et préoccupations écologiques.

A  

vec Mambo, paru en 2011, on découvrait avec ravissement l’univers fantasque et ébouriffant d’une jeune auteur, Claire Braud. Trois ans plus tard, elle revient enfin avec Alma, et l’attente en valait la peine. Alma est une agricultrice qui habite dans une jungle perdue et paradisiaque. Autour d’elle gravite une petite communauté soudée de cultivateurs-bricoleurs, qui vivent en bonne entente avec la nature et les animaux. Mais la tranquillité n’est qu’apparente. Alma et ses amis subissent les menaces de soldats qui réquisitionnent leur troupeau et cherchent à les chasser de leur terre. Furieuse, Alma décide de saboter sa ferme, tandis que ses amis restés au village lui préparent sa fête d’anniversaire. S’enchaînent alors des catastrophes délirantes et des rebondissements loufoques sous le crayon virevoltant de Claire Braud. Son trait, d’une extraordinaire légèreté, emprunte parfois à Sempé, parfois à Ruppert (d’ailleurs remercié en début d’ouvrage) et Mulot. Ses dessins, qui semblent parfois sortis d’un carnet

de croquis, sont simplement juxtaposés et leur succession donne un rythme échevelé au récit. La profusion de personnages renforce d’ailleurs cet aspect trépidant. Car malgré le titre, Claire Braud ne se concentre pas uniquement sur Alma. Elle entremêle les destinées toutes plus pittoresques les unes que les autres – le fils d’Alma, sa sœur, les ex-amants de celle-ci, les soldats pathétiques et bras cassés… –, multipliant d’autant les possibilités d’exprimer son imagination loufoque. Mais Alma n’est pas qu’un récit à l’humour décalé. L’air de rien, Claire Braud parle d’écologie, de tourisme destructeur et de lutte pour la préservation de l’environnement. Elle met aussi en scène des personnages qui, sous leur apparence déjantée, tentent de faire la paix avec leur passé, avec eux-mêmes, et d’aller de l’avant. Comme on l’espérait après avoir lu Mambo, qui effleurait déjà ces thèmes, Claire Braud tient toutes ses promesses et enchante à nouveau en exprimant de façon délicieusement enlevée ses préoccupations pleines d’humanité. Anne-Claire Norot

Une fable contre la société de consommation dessinée dans l’esprit du pop art. Graphiste norvégien, Peter Haars (1940-2005) publia deux bandes dessinées, dont la spectaculaire Prokon en 1971. Dans cette fable à charge contre la société de consommation, une cité idyllique où règne un parfait bonheur consumériste est perturbée par l’horrible Dr Dracenstein. Ce savant fou a inventé un spray qui rend les objets éternels – et donc annihile le besoin d’acheter, mettant en péril toute l’économie. Bande dessinée pop art en diable, Prokon reprend à son compte les codes du genre. Peter Haars s’approprie notamment des objets emblématiques des trente glorieuses (automobiles, aérosol…), des personnalités (Daniel Cohn-Bendit, Tina Turner, Boris Karloff…), imitant la fausse jovialité de la publicité pour mieux critiquer la culture de masse. Graphiquement, il utilise des éléments exploités par Roy Lichtenstein : onomatopées, points, gros plans. Et, avec humour, restitue ainsi aux comics tout ce que le pop art lui avait emprunté. A.-C. N.

Alma (L’Association), 120 pages, 24 €

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lui c’est l’autre Acteur ouvert à toutes les métamorphoses, Nicolas Maury se découvre chanteur dans Son son, un autoportrait musical concocté avec le musicien Julien Ribot.



e jour où Nicolas Maury est venu aux Inrocks pour une interview, une prise de vue se déroulait dans la salle de réunion avec Yves-Noël Genod et Jonathan Capdevielle, travesti en blonde à talons aiguilles aux dessous chics. Nicolas Maury ayant joué dans Je peux/Oui d’Yves-Noël Genod, il l’a rejoint pour le saluer et répondu à son étreinte langoureuse en reculant d’un pas : “Non, moi, tu sais, je suis plutôt tendance protestant.” Tout Nicolas Maury est là, résumé dans cet écart et cette distance, faite d’humour et de sérieux, exprimée de sa voix au timbre haut et clair qui s’accorde si bien avec sa silhouette et son visage aux traits fins qui rappellent Montgomery Clift, mais qu’il

sait transformer ou même travestir à loisir, lui qui se considère comme “un acteur au féminin”. Une capacité à semer le trouble sur la part de féminin au cœur du masculin, et inversement, qui semble lui être consubstantielle et lui a valu des rôles magnifiques au cinéma comme au théâtre. Le dernier en date au cinéma étant celui de la gouvernante travestie des Rencontres d’après minuit de Yann Gonzales en 2013. Et au théâtre, la même année, le rôle de Phocion dans Le Triomphe de l’amour de Marivaux mis en scène par Galin Stoev. Nicolas Maury aime les parcours au long cours avec les réalisateurs ou metteurs en scène qu’il a côtoyés, comme Guillaume Vincent ou Robert Cantarella. Il a démarré

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“organiser des solitudes avec des gens qui partagent quelque chose dans l’hétérogène, dans l’acceptation de l’autre”

sur les planches avec ce dernier et le retrouvera à la rentrée pour un feuilleton théâtral écrit à plusieurs mains au Théâtre Ouvert pour jouer le rôle de Faust, un ostéopathe. Ou Mikael Buch qui lui a offert son premier grand rôle au cinéma dans Let My People Go! – une comédie hilarante où il interprète Ruben, un facteur juif et homosexuel, mi-finlandais, mi-français, aux prises avec une famille qui part en vrille. Mais lorsque Galin Stoev est venu lui proposer un rôle dans Marivaux, Nicolas Maury ne le connaissait pas. “Galin est à la fois intense et discret, secret, avec une chose très nette dans le regard. Il m’a demandé de lire le rôle de Phocion dans Le Triomphe de l’amour. J’ai pensé : ‘Un chevalier... Je m’ennuie déjà !’ Et après l’avoir lu, ça peut paraître étrange, mais je me suis dit : c’est exactement moi, Phocion. Par exemple, quand il dit : ‘Ce n’est pas le tout que d’aimer, mais il faut avoir la force de se le dire et de se le dire tous les jours.” Pour moi, ça a été une rencontre phénoménale entre mon désir et ma libido d’acteur-actrice. C’est inouï Marivaux, ce sont des êtres qui se manipulent et qui, à la fois, sont totalement ouverts dans les relations humaines. Et il écrit le corps aussi, le corps qui souffre, le corps qui n’a plus rien à dire.” Lui qui a tourné avec Patrice Chéreau à 16 ans dans Ceux qui m’aiment prendront le train, avec Philippe Garrel dans Les Amants réguliers – qui lui apprend ce qui devient une clé pour la suite : “La caméra ne filme pas que les dialogues, mais surtout la pensée” –, distingue radicalement le théâtre et le cinéma : “Au cinéma, il y a une chose qui ne nous appartient pas, c’est le casting, le pouvoir de vie et de mort, même une fois qu’on est dans un film. Les scènes dans lesquelles on a joué peuvent être coupées, mais on garde son nom au générique. C’est contractuel et c’est absurde ; ça m’est arrivé sur plusieurs films. C’est pas grave, je suis toujours du côté du metteur en scène. Mais le métier de cinéma me blesse beaucoup ; moins le théâtre, parce que j’ai l’impression qu’on me donne un peu les moyens de faire mon chemin pour exister. Et si on ne me le donne pas, je le prends !”

C’est grâce à sa rencontre avec le chorégraphe Daniel Larrieu qu’il concocte son premier spectacle, Son son, dans le cadre de Sujets à vif au Festival d’Avignon en 2013. Il reprend ces jours-ci au festival (tjcc) de Gennevilliers cet autoportrait chanté, accompagné par le musicien Julien Ribot. Un truc gonflé pour quelqu’un qui n’a jamais chanté. Ses chansons, Nicolas Maury les appréhende toutes avec la même douceur, le même rythme sûr et tranquille comme une respiration qui soufflerait des mots sur des notes. Et si elles lui ressemblent tant, c’est que tous les auteurs de ses textes, outre ceux qu’il a écrit lui-même, adolescent, dans son journal intime, le connaissent bien et aiment en lui l’artiste sensible, le têtu candide et l’amoureux de la vie. On pense à Guillaume Vincent, Yann Gonzales, Sophie Fillières, Shanti Masud, Noëlle Renaude, Camille, entre autres… qui font chavirer les mots au bord de ses lèvres, auxquels il faut ajouter encore ceux à qui il pense : “Au plateau, sur le chemin en allant vers soi, je me retrouve souvent en présence de fantômes, ces êtres plus vastes, plus savants que nous. Il faut les accueillir, les écouter, les laisser fuir. Je leur chante aussi ces chansons.” C’est un autre fantôme, Roland Barthes, qui l’accompagnera pour son projet 1979 à la Ménagerie de Verre en décembre, au festival Les Inaccoutumés. “Un documentaire imaginé ou un fantasme concrétisé” à partir de textes de Barthes. L’ayant droit de l’écrivain lui ayant refusé d’utiliser ceux d’Incidents et de Soirées de Paris, craignant de voir dans le spectacle des signes de son homosexualité, “il y aura très peu de textes et mon acte d’orchestrateur, d’écrivain de corps sera de faire sens avec très peu de mots, d’organiser des solitudes, avec des gens qui partagent quelque chose dans l’hétérogène, dans l’acceptation de l’autre”. Fabienne Arvers photo Frédéric Stucin pour Les Inrockuptibles Son son interprétation Nicolas Maury et Julien Ribot, le 28 juin au Théâtre de Gennevilliers dans le cadre du festival (tjcc), theatre2gennevilliers.com 25.06.2014 les inrockuptibles 95

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Photo Martin Argyroglo, courtesy le Plateau

L d d f d e s

un œil, mais quel œil ? Hors des champs balisés de l’art contemporain, l’exposition Waywords of Seeing s’attache à rééduquer le regard. En guest-stars, les Boyle, une drôle de famille d’artistes anglais.



’est une exposition sans thème, ni jeune artiste, ni non plus de cartels. Ce qui n’est pas si fréquent aujourd’hui quand trop d’expositions ne trouvent d’autres raisons d’être qu’à la condition de promouvoir une génération, voire une scène locale ou bien d’afficher une pensée articulée (suivant un plan en deux ou trois parties). Dans Waywords of Seeing, ces “manques” sont donc davantage une prise de position, le choix d’une autre manière de cheminer dans l’art, et plus simplement à travers le champ du visible, et plus simplement encore une manière de plaider pour les yeux, pour dire que ce qui importe ici, c’est bien ce que l’on a sous les yeux, pas trop ce que l’on a dans le crâne. Et ce n’est pas du bidon quand on découvre le point de fixation de l’exposition,

ces deux salles consacrées aux Boyle. Le pluriel s’impose parce que chez les Boyle, on œuvre en famille. En 1969, le père et la mère Boyle associent leur fille et leur fils à leur travail maniaco-topographique. Très protocolaire et hyperréaliste, au point qu’il en devient totalement abstrait, voilà en quoi il consiste : chez eux, ils ont tiré, au hasard, les yeux bandés, des fléchettes sur un planisphère. Ils se rendent sur zone. Là-bas, ils ajustent le tir en usant de cartes plus précises et finissent par délimiter un territoire d’un peu plus d’un mètre carré. Dont ils vont reproduire la surface très exactement sous forme de tableaux en relief et en résine. Au Plateau, c’est une parcelle d’une friche industrielle de Barcelone qui est ainsi reproduite, sol terreux, rouge brique, avec les petits cailloux trouvés

sur place et collés au millimètre près. Mais puisque le principe est de s’enfoncer toujours plus avant dans les plis du réel ou, dit autrement, d’être un œil satellitaire capable de zoomer sur le territoire, quatre décennies avant Google Maps, ils décident d’extraire aussi un bout du sous-sol. Le terrain creusé par des pluies torrentielles, au moment où ils s’y rendent, leur offre un point de vue idéal sur les entrailles de la terre. Ils iront voir plus bas, ou plus près, photographiant au microscope électronique les insectes locaux. Le point de vue adopté ne l’est pas dans une visée scientifique. Se coller ainsi le nez au réel, au territoire, au paysage relève d’une démarche ou d’un délire psychédélique. Devant les photos, les tableaux, et l’ampleur du projet (faire coïncider la carte et le territoire), on hallucine.

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dix ans que la Maison bouge Les “dispositifs de vision” de Dan Walsh filtrent le regard de l’amateur d’art et interrogent sa perception

Pour fêter une décennie consacrée à l’art contemporain, la Maison Rouge fait le mur. Explications. our écrire La Vie mode d’emploi, pour meubler et décorer les appartements des personnages, Georges Perec avait confié cette tâche à une série d’algorithmes, de suites mathématiques. Par ce procédé, on était débarrassé des analyses psychologiques et de la notion de réalisme. Ce qui n’empêche pas le roman de fonctionner à plein régime. Etonnamment, c’est encore un algorithme qui a décidé de l’accrochage au mur des 1 200 œuvres que le collectionneur Antoine de Galbert expose pour fêter les 10 ans de sa fondation privée parisienne, la Maison Rouge. L’occasion de souligner l’éclectisme, l’originalité et la particularité de cette institution qui n’est jamais aussi passionnante que lorsqu’elle s’attache à montrer des collections, privées ou publiques, d’art contemporain ou d’art brut... Etalées au mur, du sol au plafond, positionnées à partir du calcul de leur taille, les œuvres innombrables sont juxtaposées en vrac, et le curateur qu’est l’algorithme aboutit à un énorme mélange des esthétiques, des époques. “C’est une contre-utopie provisoire, commente Antoine de Galbert. L’algorithme ignore tout ce qui encombre le monde de l’art : les hiérarchies entre les artistes, la valeur commerciale des œuvres, les effets de mode...” Presque le rêve, donc, d’un autre milieu de l’art. D’ailleurs, cette disposition calculée mais aussi hasardeuse n’empêche pas des rapprochements formels : dans les figures mutilées de corps, et surtout de visages qui reviennent régulièrement, dans la masse des œuvres achetées tout au long d’une vie, Le Mur donne une idée de la folie possessive, de la “manie” du collectionneur, et de son voyeurisme compulsif. Jean-Max Colard

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Or toute l’exposition adopte cette visée optique, voire opticienne. Pas étonnant de la part des deux commissaires, l’artiste Philippe Decrauzat et Mathieu Copeland, qui fut en charge de Vides, une rétrospective au Centre Pompidou, qui ne montrait rien que des salles vides, pleines cependant de la matière spirituelle, éthérée, politique, que les artistes y injectèrent au cours de l’histoire moderne et contemporaine. Le zoom des Boyle, hilarant comme un gaz à force d’être généralisé, n’est au Plateau qu’une des possibilités de voir autrement. Il faut aussi s’attendre à loucher dans le temps : la série de dessins de Marcia Hafif consiste dans des reproductions de peintures que l’artiste américaine a exécutées dans les années 60, mais perdues depuis. Et, surtout, à regarder les œuvres de travers avec les “dispositifs de vision” de Dan Walsh, des espèces de meubles à lunettes grossissantes ou déformantes qui ponctuent l’exposition et filtrent le regard de l’amateur d’art condamné, pour le meilleur, à la myopie ou à la presbytie. Nul besoin de savoir lire.

Le Mur jusqu’au 21 septembre à la Maison Rouge, Paris XIIe, lamaisonrouge.org

Waywords of Seeing jusqu’au 27 juillet, Frac Ile-de-France/Le Plateau, Paris XIXe, fraciledefrance.com

Photo Marc Domage

Judicaël Lavrador

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l’extrême droite à l’écart de l’écran Depuis vingt ans, la télévision belge se refuse à inviter les représentants des partis d’extrême droite. Mais ce principe connaît des failles.



ans sa chronique matinale sur France Inter, l’humoriste belge Alex Vizorek suggéra, quelques mois avant les élections municipales et européennes de 2014, une solution radicale contre la montée du FN1 : le “cordon sanitaire”. Derrière cette expression passée dans le langage courant, une mesure simple : depuis une vingtaine d’années, les médias publics et privés belges refusent de donner la parole aux mouvements d’extrême droite. Pour Alex Vizorek, les résultats sont probants : “Le plus gros score réalisé en Belgique par l’extrême droite c’est... 3 %”, soulignait-il au micro de la radio. Pourtant, cette mesure connaît quelques limites. “Il faut distinguer les parties wallone et flamande”, souligne Johanne Montay, rédactrice en chef du service politique à la RTBF, principale chaîne de télévision publique du pays. “Car, en Wallonie, les scores de l’extrême droite ont toujours été

beaucoup plus faibles qu’en Flandre. Tout le monde ne partage pas forcément mon point de vue à la RTBF, mais il me semble que le cordon sanitaire serait plus difficile à tenir si ces scores étaient élevés. Il s’avère efficace surtout à l’encontre des partis minoritaires.” De fait, cette mesure n’a jamais été vraiment appliquée dans les médias flamands, où le forcing exercé par les partis qui s’estimaient censurés est venu à bout des premières tentatives. L’origine de cette spécialité belge ne vient d’ailleurs pas des médias mais des politiques. En 1991, les élections législatives et provinciales voient les partis d’extrême droite réaliser des scores inédits, avec notamment plus de 10 % pour le Vlaams Blok (devenu Vlaams Belang). Regroupés au sein de l’appel Charta 91, tous les partis politiques s’engagent alors à ne jamais passer d’alliance avec les mouvements d’extrême droite. Le principe sera ensuite transposé dans les médias.

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Eric Herchaft/RÉA

Le “Congrès européen de la dissidence” à Anderlecht, le 4 mai 2014. Au centre en costume, le député extrêmiste Laurent Louis prépare une “quenelle”, signe de ralliement antisémite, sous les canons à eau de la police

“A la télévision et à la radio, cela consiste à ne pas inviter de responsables politiques de ces courants à participer à des débats, ni à réaliser d’entretien avec eux, précise Johanne Montay. En revanche, on peut les mentionner sous forme de séquences dans des reportages. C’est ainsi par exemple, que l’on traite les sujets sur le Front national français.” Le principe du cordon sanitaire a été très officiellement intégré dans les statuts de la RTBF ainsi que dans ceux du Conseil supérieur de l’audiovisuel belge. Ce dernier prévoit d’exclure de l’antenne des “représentants de partis, mouvements ou tendances politiques relevant de courants d’idées non démocratiques ou prônant (…) des doctrines ou messages” répertoriés en trois grandes catégories : outrage aux convictions d’autrui ; incitation à la discrimination, la haine ou la violence à l’égard d’une personne, d’un groupe ou d’une communauté “en raison de leur sexe, de leur prétendue race, de leur couleur, de leur ascendance ou origine nationale ou ethnique” ; négation, minimisation ou justification de toute forme de génocide. Avec, à la clé, le problème de l’interprétation des textes. Notamment depuis la percée du parti nationaliste N-VA (Nouvelle alliance flamande) devenu le premier du pays, et qui compte dans ses rangs d’anciens membres du Vlaams Belang. Après les élections européennes de 2014, certains ont demandé à lui appliquer

les mesures du cordon sanitaire, à l’image d’Olivier Maingain, président du parti FDF (Fédéralistes démocrates francophones). Appel resté sans suite. “Il y a très peu de monde pour considérer que la N-VA est comparable au Vlaams Belang, et pour la qualifier d’extrême droite, estime Johanne Montay. Mais la question se pose de temps à autre, avec certains élus qui n’appartiennent pas au Vlaams Belang et qui tiennent clairement des propos discriminatoires ou injurieux.” Comme c’est régulièrement le cas avec Laurent Louis, un député très médiatisé élu dans différentes formations successives entre 2010 et mai 2014, dont la dernière sortie fut de qualifier le Premier ministre Elio Di Rupo de “pédophile” dans l’enceinte du Parlement en janvier 2014. Journalistes et politiques belges s’interrogent surtout sur la façon dont certains électeurs peuvent se sentir exclus du jeu politique à travers l’application du cordon sanitaire. “Nous avons eu un débat entre nous, à la RTBF, lors des dernières élections européennes pour savoir s’il fallait ou non donner la parole aux petits partis, hors extrême droite, explique Johanne Montay. Je suis très favorable à ce type de mesure. Si la défiance envers les journalistes n’est pas aussi forte en Belgique qu’en France, elle est présente et nous devons en permanence l’avoir à l’esprit.” Martin Brésis 1. “Une marinière pour Marine”, diffusé le 29 octobre 2013 25.06.2014 les inrockuptibles 99

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Gérard Drolc

Sur les toits de Nicolas Drolc

Un documentaire raconte les insurrections de prisonniers au début des années 70. Un rappel salvateur, édité en DVD par Les Mutins de Pangée, une coopérative indé.



n mai 1968, les prisons françaises sont considérées comme les pires ratières d’Europe. La déflagration de la révolte mettra pourtant plus de trois ans avant de faire trembler leurs murs. L’opacité du système carcéral le protège-t-il des secousses extérieures ?

comme des lueurs fugaces dans la nuit du tout-sécuritaire

En novembre 1971, un vent séditieux commence à souffler dans les coursives. Trente-cinq mutineries éclatent en un an, dont deux sont assez spectaculaires pour déciller le regard des Français sur les conditions de détention. A Toul puis à Nancy, des détenus souvent très jeunes prennent possession de la prison et montent sur les toits. Surplombant la foule qui s’amasse au pied des centrales, ils balancent leurs revendications à visage découvert.

Pour ceux qui ne connaissent pas ces épisodes, inédits en France, ou pour ceux qui ont préféré les oublier (pouvoirs publics et presse réac main dans la main), Sur les toits est d’abord un choc esthétique. Vus en contre-plongée, à la fois lointains et proches grâce aux zooms des journalistes, les insurgés apparaissent comme des icônes potentielles de la révolution. Pirates à l’assaut de la forteresse Institution ou vigies de leur

propre présent sacrifiant leur avenir proche, ils sont impressionnants et beaux. Des lueurs fugaces dans la nuit du tout-sécuritaire. Quarante ans plus tard, leurs témoignages restituent le mouvement dans sa juste dimension humaine, en précisant les conditions moyenâgeuses de la réclusion. L’excellent film de Nicolas Drolc rappelle à quel point toute prison est une poudrière, ce que l’on tend à oublier aujourd’hui. Sur les toits est tout aussi précieux quand il documente les forces sociales qui s’affrontent à l’extérieur : promesses fallacieuses et répression accrue d’un côté, engagement d’intellectuels et contestation du concept même de prison de l’autre. Affirmant “percevoir l’intolérable”, Michel Foucault fonde le GIP (Groupe d’information sur les prisons) et lance une enquête immersive et clandestine. Jean-Marie Domenach, de la revue Esprit, demande des comptes au pouvoir en direct sur l’ORTF. Au final, Sur les toits s’avère autant la chronique d’un élan d’insubordination que le constat d’un désenchantement. A quoi tout cela a-t-il servi ? “Des changements mais pas déterminants”, résume l’avocat Henri Leclerc. “La prison n’est pas réformable. Il y aura toujours des révoltes”, affirme le sociologue Daniel Defert. A quand la prochaine ? Pascal Mouneyres Sur les toits documentaire de Nicolas Drolc, disponible en librairie ou sur lesmutins.org

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La cure d’austérité drastique vue et vécue par les Grecs eux-mêmes : un bilan des responsabilités. n an après qu’Arte On assiste aux réactions a consacré une journée désespérées de certains Grecs à la Grèce, une équipe moyens accablés par la réduction de journalistes revient de leurs salaires de 30 à 40 %, sur le terrain pour faire le point et par les taxes foncières sur les difficultés économiques qui leur sont tombées dessus que le pays continue à traverser (alors qu’elles étaient infimes en dépit de certaines améliorations. auparavant). Un responsable Nicolas Bloudanis, historien grec des services fiscaux appartenant spécialiste de l’économie, mène à l’extrême gauche déplore l’enquête. Régional de l’étape, il a justement que si les fonctionnaires l’avantage de maîtriser le français et les classes moyennes ont aussi bien que sa propre langue. été mis à contribution pour Il rencontre aussi bien des membres redresser l’économie grecque, du gouvernement grec que les grosses fortunes, les champions des gens du peuple, dont certains de l’évasion fiscale, demeurent ont opté pour l’extrême droite relativement épargnés. Certaines (Aube dorée) par dépit (cf. la France). catégories restent privilégiées, Comme plusieurs interlocuteurs comme l’Eglise orthodoxe de Bloudanis le rappellent, les ou les armateurs. responsables de la crise ne sont Dans cette enquête, on oublie pas seulement les élites, mais tout de rappeler que les Grecs ont le peuple grec, qui a jonglé sans aussi été blousés. Si la Grèce vivait scrupules avec la fraude fiscale au-dessus de ses moyens à coups et la corruption. La créatrice d’emprunts, certains en profitaient, d’un blog anticorruption raconte comme la banque américaine comment elle fut contrainte de Goldman Sachs, qui aurait incité verser un pot de vin de 300 euros le pays à dissimuler l’ampleur de aux urgences d’un hôpital pour sa dette en se servant au passage. qu’on s’occupe de son père victime Enquête à poursuivre… Vincent Ostria d’une hémorragie. Le documentaire enchaîne les interviews et recueille Grèce, année zéro documentaire de des témoignages, mais il prend Pierre Bourgeois et Jean Quatremer. Mardi 1er juillet, 2 2 h 30, A rte aussi la température de la rue.

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Suzanne Allee

Grèce : quoi de neuf avec la douloureuse ? les dents de l’amer A travers un sanglant fait divers, un documentaire retrace le destin des orques exploitées dans les parcs aquatiques américains. Edifiant, mais un poil lourd. Depuis sa sortie en 1975, Les Dents de la mer de Steven Spielberg s’est imposé comme l’un des tubes de l’été télévisuel. A l’orée de cet été 2014, Arte propose de ressentir un frisson équivalent sur le versant documentaire avec L’Orque tueuse (Blackfish en VO) de Gabriela Cowperthwaite qui entreprend de mener l’enquête sur un fait divers aussi spectaculaire que tragique, survenu en février 2010 : l’attaque mortelle d’une dresseuse chevronnée, Dawn Brancheau, par une orque dans le parc d’attraction aquatique Seaworld en Floride. Présenté au festival de Sundance en janvier 2013, le film a rassemblé près de 21 millions de téléspectateurs lors de sa diffusion sur CNN quelques mois plus tard. Un tel succès d’audience s’explique d’abord par le retentissement médiatique de ce fait divers, ayant fortement marqué les esprits, mais se comprend aussi très bien a posteriori, en raison de la facture très consensuelle du film, qui ne lésine ni sur les effets de (sur)dramatisation, ni sur le pathos, musiquette de circonstance à l’appui… Dans la logique accusatoire propre au système judiciaire américain, L’Orque tueuse constitue un document accablant contre la société Seaworld (un peu l’équivalent aquatique de Disneyworld) dont apparaissent ici au grand jour l’incurie (à l’origine de cet accident fatal et d’autres s’étant produit antérieurement), le cynisme et la lâcheté (aucun responsable n’ayant accepté de témoigner devant la caméra de Gabriela Cowperthwaite). En outre, débordant le cadre strict du fait divers, le film verse une pièce au (lourd) dossier des rapports ô combien douloureux entre les hommes et les autres animaux – en l’occurrence les orques, ces mammifères marins dotés d’une exceptionnelle puissance physique et cérébrale, qui se retrouvent capturés et exploités dans des conditions très dures aux seules fins de divertissement. Jérôme Provençal Surl ’île de Patmos

L’Orque tueuse documentaire de Gabriela Cowperthwaite. Dimanche 29 juin, 20 h 45, Arte 25.06.2014 les inrockuptibles 101

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Terres du son

Dans un jardin je suis entré

du 11 au 13 juillet à Monts (37)

musiques Des terres au pluriel mais un “son” qui pourrait accueillir un “s” de plus : le somptueux cadre du domaine de Candé, près de Tours, hébergera cette année encore une programmation all-star et multiple, où les horizons sont larges et les atmosphères variables. à gagner : 1 x 2 places par soir

d’Avi Mograbi

DVD Dans un jardin je suis entré fantasme un ancien Moyen-Orient, dans lequel les communautés n’étaient pas séparées par des frontières ethniques et religieuses, un Moyen-Orient dans lequel même les barrières métaphoriques n’avaient pas leur place. à gagner : 20 DVD

L’Oublié(e) du 1er au 12 juillet à la Villette, Paris XIXe

scènes

Découverte par James Thierrée, Raphaëlle Boitel prend son envol avec son premier spectacle. Elle a imaginé L’Oublié(e) comme un conte contemporain qui explore l’inconscient à travers trois destins de femmes. Un théâtre visuel hybride, à l’écriture cinématographique, empreint de matière circassienne. à gagner : 7 x 2 places pour la représentation du 1er juillet à 20 h 30

Festival Lives au Pont les 10 et 11 juillet au Pont du Gard (30)

musiques

Sans détériorer le cadre d’exception qui l’abrite, ce festival en plein air chamboule les sens : la vue de ce monument historique et l’écoute des artistes qui ont répondu présent ne laissent pas de marbre. De 17 h à 2 h du matin, ces deux soirées très recommandables, en compagnie de London Grammar, Metronomy, Phoenix, Todd Terje ou La Femme, donneront de beaux rêves. à gagner : 5 x 2 places par soir

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Eurockéennes de Belfort du 4 au 6 juillet à Belfort (90)

musiques Du haut de la presqu’île de Malsaucy, vingt-cinq ans d’Eurocks et de rock nous contemplent. Et ce n’est pas cette année que l’électricité sera coupée. Au programme : Black Keys, Pixies, Robert Plant, Temples, Jagwar Ma et bien d’autres. à gagner : 10 pass par jour

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Callan

les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société Everial au 01 44 84 80 34

no man’s land art En plein désert texan, une ville perdue est devenue un pôle de création et d’exposition d’art contemporain. Une websérie documentaire raconte. epuis 1972, date de l’installation du plasticien Donald Judd à Marfa, petite ville perdue dans le désert, le Texas est devenu un pôle de la création américaine. Certes, il l’était déjà, avec Houston, ville à la pointe de la modernité. Mais jamais l’art ne s’était inscrit dans une ville entière, comme à Marfa. Dans ce lieu où fut tourné No Country for Old Men et où l’armée US était autrefois implantée, des baraquements, des bâtiments ont été réhabilités pour servir de lieux de création et d’exposition, ou devenir des œuvres à part entière. C’est ce que l’on voit dans cette minisérie de Sébastien Carayol et Katie Callan, diffusée sur le site d’Arte, où des artistes et des habitants de la ville sont interviewés. La plupart du temps, ils n’apparaissent pas à l’écran. On entend leurs voix off sur des plans gracieux et harmonieux mettant en valeur les œuvres dans le paysage. C’est tout l’intérêt de Marfa : les pièces souvent monumentales, comme celles de Donald Judd, structures ou formes géométriques, interagissent avec l’arrière-plan, des steppes pelées avec des montagnes au loin. La beauté de ces minidocumentaires réside dans leur minimalisme, au diapason de l’esprit de Judd et de ses travaux exposés dans la ville blanche, ensoleillée, battue par les vents. Ils sont consacrés à Rob Reiner, directeur de la Fondation Chinati qui poursuit l’entreprise de prosélytisme initiée par Judd, décédé en 1994 ; à Julie Speed, peintre néosurréaliste ; à Fairfax Dorn, mécène, directrice du Ballroom Marfa, autre espace d’exposition ; à Sam Schonzeit, artiste conceptuel en résidence. Cependant, tout n’est pas éthéré et arty dans cette série qui rend également compte de la vie locale. Un épisode est consacré à Adam Bork, restaurateur new-look qui participe à l’esprit de la ville avec son camion-cuisine Food Shark. Après ce food-truck, il a ouvert une cafétéria-galerie, Future Shark. Participant à la frénésie artistique qui s’est emparée de Marfa, il collectionne les vieilles télés avec lesquelles il fait des installations, il a disposé dans la ville des autos vintage, restaurées et estampillées “Food Shark”. Comment vivre pour l’art et consommer de l’art au beau milieu de nulle part. Vincent Ostria

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I Marfa websérie documentaire de Sébastien Carayol et Katie Callan. Tous les jeudis jusqu’au 17 juillet, arte.tv

rédaction directeur de la rédaction Frédéric Bonnaud rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, JD Beauvallet, Pierre Siankowski comité éditorial Frédéric Bonnaud, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne, Jean-Marie Durand, Nelly Kaprièlian, Christophe Conte secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot chefs d’édition Elisabeth Féret, David Guérin reporters Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Anne Laffeter actu rédacteur en chef Pierre Siankowski rédactrice en chef adjointe Géraldine Sarratia rédacteurs Diane Lisarelli, David Doucet style Géraldine Sarratia cinémas Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain, Vincent Ostria musiques JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Maxime de Abreu livres Nelly Kaprièlian scènes Fabienne Arvers expos Jean-Max Colard, Claire Moulène médias/télé/net rédacteur en chef adjoint Jean-Marie Durand collaborateurs M.-A. Baly, E. Barnett, 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abonnement Les Inrockuptibles, service abonnement, bureau B 1302 60643 Chantilly Cedex [email protected] ou 01 44 84 80 34 tarif France 1 an : 115 € accueil, standard ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure Roto Aisne Société Nouvelle ZI Saint-Lazare Chemin de la Cavée 02430 Gauchy brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 326 757,51 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Elodie Valet administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2014 directeur de la publication Frédéric Roblot © les inrockuptibles 2014 tous droits de reproduction réservés. 25.06.2014 les inrockuptibles 103

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chanson Journey in Satchidananda d’Alice Coltrane Un morceau dans un état d’esprit très libre, fondé sur une ligne de basse qui se répète à l’infini, avec un mélange de harpe, de batterie, de saxophone et d’instruments indiens comme le tambûr. Une musique méditative, sensuelle et intemporelle.

Under the Skin de Jonathan Glazer Un mélodrame SF expérimental qui confirme le génie de ce cinéaste-clippeur.

Tiken Jah Fakoly Dernier appel Supplément d’âme pour ce dixième album du reggaeman ivoirien aujourd’hui exilé au Mali.

Highland Fling de Nancy Mitford Rebelles honorables de Jessica Mitford Les deux sœurs nous plongent dans l’Angleterre d’avant-guerre.

Requiem pour un massacre d’Elem Klimov Le réalisateur russe dit avoir fait ce film en réaction à ceux sur la Seconde Guerre mondiale. Ça se passe dans un village biélorusse pendant la guerre. A ne regarder qu’une seule fois parce que c’est extrêmement sombre et réaliste.

instrument Ensoniq ESQ-1 Un synthé des années 80 par une marque américaine qui a créé un son très organique avec ce modèle. propos recueillis par Noémie Lecoq

Jersey Boys de Clint Eastwood L’histoire des Four Seasons dans une mise en scène fluide au tempo vivace.

Palo Alto de Gia Coppola Un teen-movie hyperstylisé et secrètement hanté signé de la nouvelle héritière du clan Coppola.

Little Dragon Leur nouvel album, Nabuma Rubberband, est disponible. Ils seront en concert le 5 juillet aux Eurockéennes de Belfort, le 6 au Worldwide Festival et le 8 novembre à Paris (Cigale).

sur

Parquet Courts Sunbathing Animal L’un des groupes les plus excitants et teigneux du circuit sort un album flamboyant qui fleure bon New York. Vivre de paysage de François Jullien Entre concepts occidentaux et tradition chinoise, le philosophe redéfinit la notion de paysage.

Black Coal de Diao Yinan Un thriller moderne et violent qui installe son auteur aux côtés des meilleurs cinéastes chinois.

Marco Van Rijt

film

Kasabian 48:13 Un cinquième album qui fusionne rock belliqueux, electro, hip-hop et énergie baggy.

Lana Del Rey Ultraviolence Un retour en forme avec un album somptueux toujours hanté par le malheur et les spectres.

Orange Is the New Black saison 2, Netflix Pour les exclus du champ dramaturgique : gays de toutes générations, trans, troisième âge… Happy Valley BBC One Une nouvelle preuve que les Britanniques maîtrisent les polars tordus. Halt and Catch Fire saison 1, Canal+ Séries Les débuts de la course à l’ordinateur personnel.

La Pêche à la truite en Amérique de Richard Brautigan Réédition d’un chef-d’œuvre de déconstruction poétique et d’humour absurde, par l’auteur culte de la génération Woodstock.

Descente de médiums de Nathalie Quintane Une séance de spiritisme littéraire… pour faire la révolution.

Une affaire de caractères de François Ayroles Une BD qui tire prétexte d’une enquête policière pour multiplier les jeux de langage et les inventions visuelles.

Cet été-là de Jillian et Mariko Tamaki Deux fillettes confrontées aux angoisses naissantes de l’adolescence.

Mes ! Cent ! Démons ! de Lynda Barry Autobiographie à l’humour doux-amer de l’incontournable auteur de comics underground.

Lucrèce Borgia mise en scène David Bobée Fêtes nocturnes de Grignan Béatrice Dalle dote Lucrèce Borgia d’une puissance tragique inédite.

Palermo, Palermo chorégraphie Pina Bausch Théâtre de la Ville, Paris Le retour de la troupe du Tanztheater de Wuppertal à Paris.

Le Misanthrope mise en scène Clément Hervieu-Léger ComédieFrançaise, Paris Chronique d’une jeunesse qui se brûle les ailes à l’amour.

Near Real Time La Ferme du Buisson, Noisiel Gail Pickering revient sur l’expérience d’une télé communautaire des années 70.

Franz Gertsch Abattoirs de Toulouse Dans le cadre d’un festival international un peu trop sage, une expo grandiose qui sauve la mise.

Where Is My Heart? sur PC et Mac Pour ceux qui l’auraient manqué en 2011 sur les consoles Sony, une séance de rattrapage en forme de bénédiction.

Kirby : Triple Deluxe sur 3DS Kirby n’est pas qu’un gentil jeu pour enfants, c’est aussi l’un des jeux de plate-forme 2D les plus audacieux de ces derniers mois.

The Clock Centre Pompidou, Paris Signé Christian Marclay, un marathon de 24 heures dans l’histoire du cinéma. VGM – Histoire de la musique de jeu vidéo de Damien Mecheri Un livre pointu sur la place de la musique dans la bande-son.

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Martial Raysse par Renaud Monfourny

Rétrospective de ses peintures, sculptures, films, photographies et dessins au Centre Pompidou, Paris IVe, jusqu’au 22 septembre

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