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The Black Keys “le rock n’est pas mort”

Riad Sattouf

se raconte

Xavier Dolan et Edouard Louis se parlent

40 ans, toujours Besancenot

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Allemagne 5,90 € - Belgique 5,30 € - Canada 9,20 CAD - DOM 6,30 € - Espagne 5,70 € - Grande-Bretagne 7,10 GBP - Grèce 5,70 € - Italie 5,70 € - Liban 14 700 LBP - Luxembourg 5,30 € - Maurice Ile 7,20 € - Portugal 5,70 € - Suède 61 SEK - Suisse 9,20 CHF - TOM 1 200 XPF

No.962 du 7 au 13 mai 2014 www.lesinrocks.com

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cher Xavier Bertrand par Christophe Conte

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her Président, devrais-je écrire, en anticipant un peu sur le calendrier. Ne mégotons pas, Xav, il ne s’agit là que d’une affaire de patience, nous le savons bien, toi et moi. Enfin, surtout toi. En tout cas, Président, tu veux le devenir : “Oui, c’est mon ambition”, as-tu répondu, sans trembler ni même sourire de ta propre audace, à la question que te posaient deux journalistes de BFMTV au creux du mois d’avril, et ce ne fut pas, crois-le bien, le moins hilarant des canulars. “Bertrand Président”, j’ai fait un rapide sondage autour de moi, sans être tout à fait perdu d’avance, je te dois la vérité, c’est pas gagné

non plus. “Qui ça, Plastic Bertrand ?”, me suis-je vu rétorquer par d’incrédules cobayes qui, à l’évidence, te voyaient autant qualifié pour le job que le sympathique troubadour punk de Belgique. Remarque bien, c’est un nouveau ravage du syndrome Sarkollande, ça. Depuis que le petit de Funès excité et le Bourvil gaffeur ont remporté tour à tour la tombola élyséenne, n’importe quel troisième rôle se sent autorisé à tenter sa chance. Jadis, il y avait une forme d’intimidation naturelle qui retenait les moins carnassiers parmi le tout-venant du monde politique à planter leurs crocs trop faiblement aiguisés dans la parqueterie des hautes ambitions républicaines.

Désormais, on se déclare candidat à la présidence de la sixième puissance mondiale comme on fait un selfie un peu bourré avec des potes à la sortie d’un Pizza Pino. L’ambition, Xavier, c’est bien d’en avoir, personne ne t’en tiendra rigueur. Quand tu étais agent d’assurances, ça boostait tes objectifs vis-à-vis de tes collègues, et avoir réussi à échanger ce costard de VRP contre celui, bien mieux coupé, de député-maire, puis de ministre du Travail, c’est déjà socialement le genre d’ascension qui file le vertige. T’aurais pu végéter toute ta vie en chef de secteur, t’as fini par côtoyer Raffarin, un ex-camelot de chez Jacques Vabre, c’est dire si l’UMP est une sacrée rampe de lancement pour les vendeurs de cravates. Mais point trop n’en faut, retiens un peu tes ardeurs, tu vas trouer le plafond à force d’être aussi amoureux de toi-même, ou te noyer tel un Narcisse de province dans le miroir des vanités parisiennes que te tendront comme un piège certains mauvais conseilleurs. Toi qui fus à une époque membre du Club de la boussole, un truc qui sert à rien fondé par Eric Woerth, fais gaffe quand même à pas perdre le nord, ni ce qui te restait de vaguement sérieux. D’ailleurs, la blague “Bertrand Président” commençait un peu à circuler, lorsqu’à la stupeur générale on apprenait que tu venais d’être élu président. De la communauté d’agglomération de Saint-Quentin. T’es quand même un sacré blagueur, Xavounet, ta grosse tête est mûre pour celles de RTL. Je t’embrasse pas, t’es un peu trop à l’ouest. Billets durs, la suite – Je t’embrasse (toujours) pas (Robert Laffont), 304 pages, 18,50 €

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No.962 du 7 au 13 mai 2014 couverture The Black Keys par Danny Clinch

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billet dur édito debrief recommandé interview express Hélène Fillières rencontre Olivier Besancenot revient aux affaires

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42 The Black Keys à Nashville le groupe de blues-rock a pris ses quartiers dans la capitale du Tennessee. Rencontre

48 l’art de la fuite, par Xavier Dolan et Edouard Louis

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le réalisateur de Tom à la ferme et l’auteur du roman En finir avec Eddy Bellegueule travaillent sur les mêmes thèmes. Entretien croisé

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58 Riad Sattouf, de Syrie en Bretagne après un passage par la réalisation, il revient à la BD pour une série autobiographique entre Orient et Occident

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cinémas histoires de cinéma américain musiques Kelis, Brian Eno/Karl Hyde… livres Whit Stillman, Adam Thirlwell… scènes Hideki Noda, Célie Pauthe expos Thomas Hirschhorn… médias Cyrille Eldin, Matthieu Conquet…

Audoin Desforges pour Les Inrockuptibles

56 le Monumenta des Kabakov Ilya et Emilia Kabakov nous ouvrent les portes de leur Etrange Cité

Fabrizio Maltese/Contour by Getty Images

le monde à l’envers histoire 2 la courbe la loupe démontage futurama nouvelle tête Salomon de Izarra style food

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L’Arabe du futur de Riad Sattouf

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Bruno Amsellem/Signatures

le concours Sosh aime les inRocKs lab s’installe à la Gaîté Lyrique pour trois jours : un festival de concerts et de créations vidéo

Danny Clinch

20 événement

Ce numéro comporte un encart abonnement 2 pages “Edition générale” jeté dans l’édition vente au numéro ; un CD “Un printemps 2014, vol. 3” encarté dans toute l’édition. 7.05.2014 les inrockuptibles 7

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John Foley

coups et blessures Faire se rencontrer Xavier Dolan et Edouard Louis, le cinéaste de J’ai tué ma mère et l’écrivain d’En finir avec Eddy Bellegueule, parce que l’extrême difficulté de s’inventer soi-même est au cœur de leur travail. Tous deux racontent comment la possibilité d’une fuite, le refus de l’assignation sociale ou sexuelle, ne tient souvent qu’à un fil, une mince chance à saisir ou une question de vie ou de mort – qui ne se présentera jamais dans la vie de la plupart des individus, condamnés à une répétition elle-même indiscernable. Edouard Louis le dit mieux : “J’ai conçu Eddy Bellegueule comme une archéologie de la volonté. L’idée était de montrer que la volonté n’est pas quelque chose qu’on a ou qu’on n’a pas. Mais quelque chose de rendu possible ou impossible, dont il faut faire l’histoire.” La deuxième partie du roman est intitulée “L’échec et la fuite”, et décrit comment l’autoexpulsion d’Eddy vers le lycée d’Amiens et sa filière théâtre pour le bac est justement un nonchoix, une contrainte vitale, une fois qu’il a échoué à devenir un garçon comme les autres, un garçon qui couche avec des filles. “Mais d’abord, on ne pense pas spontanément à la fuite parce qu’on ignore qu’il existe un ailleurs. On ne sait pas que la fuite est une possibilité. On essaie dans un premier temps d’être comme les autres, et j’ai essayé d’être comme tout le monde.” (p. 165) Salué dès janvier par l’ensemble de la critique, qui sert donc à quelque chose, En finir avec Eddy Bellegueule est devenu un phénomène littéraire et un beau succès de librairie. Il est rare que le premier roman d’un inconnu se vende à 100 000 exemplaires, sans prix et en refusant de se soumettre au rituel promotionnel et masochiste des “émissions télévisées qui font

Edouard Louis, écrivain, auteur d’En finir avec Eddy Bellegueule

encore vendre des livres”. Ce succès-là n’a rien de suspect, et le lecteur tardif et admiratif ne peut que répéter l’évidence d’un grand écrivain de 21 ans, qui pratique le récit analytique avec une maîtrise confondante, sans sentimentalisme, sans ressentiment non plus, et qui possède une oreille littéraire digne d’un Thomas Bernhard. La musique des dialogues, c’est ce que Dolan dit avoir entendu en premier : “Ce qui m’a le plus frappé, c’est l’authenticité inimitable dans les dialogues. J’entends l’expertise de quelqu’un qui depuis toujours écoute les femmes parler. Les hommes aussi, mais les femmes surtout. Le livre illustre à la fois leurs pires défauts, leurs frustrations, leur ignorance, si je peux me permettre un tel mot, l’absence de volonté, mais aussi la grandeur de leurs rêves morts-nés.” De l’étude approfondie des travaux de Pierre Bourdieu, Edouard Louis a acquis des instruments de compréhension et de mise à distance. Ni pathos ni règlement de comptes, mais l’invention d’une écriture comme outil de précision. Rien n’est flou, mais rien ne résonne comme univoque, et le pire persécuteur est aussi montré dans son humaine et délirante complexité, tels les deux bourreaux qui finiront par acclamer Eddy lors d’une représentation théâtrale. Alors que le succès du livre a entraîné quelques détestables tentatives d’assignation à résidence – sexuelle, sociologique ou carrément policière –, Edouard Louis voit bien de quoi il s’agit : “Aujourd’hui, la question la plus contemporaine me semble être comment l’individu peut se défaire des collectifs auxquels il est assimilé de force.” lire l’interview d’Edouard Louis et Xavier Dolan p. 48

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aimer perdre grâce aux inRocKs La semaine dernière : Platini, la dictature en Argentine, la tradition gauchiste, les intellectuels qui cassent les couilles et Françoise Sagan.

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on cher Inrocks, désolé, mais non, mon pote ! C’est pas “le Platini à Doré”. C’est Platini. Point barre. Platoche. Mon Platoche en une de mes Inrocks ! Et puis, attention ! Platoche, c’est pas un footeux pour magazine culturel. Pas un récupéré par l’art contemporain, le cinéma d’auteur ou la légende du rock. Pas une icône pour les cercles littéraires new-yorkais dans lesquels on adoooore aimer les Reds de Liverpool, “ville portuaire ouvrière dont les valeurs font écho à la tradition gauchiste des milieux intellectuels”. Platoche, c’est le contraire de ça. La “tradition gauchiste”, bof. D’ailleurs, si les Brésiliens pouvaient éviter de manifester pendant la Coupe du monde, ça l’arrangerait. Le jeu d’abord, la politique dehors. Sa Coupe du monde 78 sous la dictature en Argentine ? “Je me souviens que tous les intellectuels m’ont cassé les couilles pour ne pas y aller. (…) Je ne suis pas d’accord.” S’il est de gauche, Michel, c’est au service du jeu, pour “empêcher qu’un club ou deux puissent acheter les vingt-cinq meilleurs joueurs du monde avec les moyens illimités d’un Etat”. Pas parce que l’argent, c’est sale, ou que moralement, c’est mal, mais parce que “là, le foot, ce sera fini”. Mon Platoche. Celui qu’on adorait quand le foot était encore un sport de beauf, onze connards qui courent après une balle… L’essence du foot. Un winner au palmarès long comme ça, devenu président de l’UEFA. Et pas le genre à se planquer. Sa bagnole à Michel, c’était pas juste une bagnole, “c’était la Ferrari Testarossa ! Donc ‘the’ bagnole”, tu piges ? Un pas gauchiste du tout, qui garde des souvenirs mitigés de 1981 : “Les socialistes étaient au pouvoir et (…) j’avais l’impression d’être un aristo à qui il fallait désormais couper la tête.” Mais un type qui dit de la plus terrible défaite de sa carrière (FranceAllemagne, Séville 82) : “C’est le plus beau souvenir de ma vie, ce match-là. Et on l’a perdu. Il a duré deux heures, et durant ces deux heures on est passés par toutes les émotions de la vie. Toutes. La crainte, la haine, l’amour, la joie…” L’éloge de la lose dans un monde vendu à la win : c’est pas ça “l’imagination au pouvoir” ? Va proposer l’idée au Qatar et au gouvernement ! Seule la victoire est jolie, paraît-il. Bande de nazes. Nous l’avons tous vécu notre Séville 82. Il a duré deux heures, huit mois, une vie. Nous y avons pareillement traversé “toutes les émotions”. Et aussi “la vitesse, la mer, minuit, tout ce qui est éclatant, tout ce qui est noir, tout ce qui perd, et donc permet de se trouver”, comme l’évoque Sagan. Il nous faudra encore du temps pour admettre vraiment que cette partie perdue était le sommet, et qu’une jolie victoire ne vaudra jamais une sublime défaite, parce que “c’est uniquement en se colletant avec les extrêmes de soi-même, avec ses contradictions, ses goûts, ses dégoûts, ses fureurs, que l’on peut comprendre un tout petit peu, oh, je dis bien un tout petit peu, ce que c’est que la vie”. Alexandre Gamelin

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une semaine bien remplie Voir un comique divorcé se débattre pour ses filles avec la vie, trouver bath une chauve-souris qui souffle ses bougies, écouter 400 groupes en 3 jours, se demander si l’artiste bosse en laboratoire et lire une revue mythique.

ça usine Le Printemps des laboratoires # 2 Une deuxième saison consacrée au portrait de l’artiste en travailleur et à l’économie de l’art. Au menu de ces deux journées mises en musique par le pianiste Alexey Asantcheeff et le chanteur Jan Mech : des rencontres avec l’artiste allemande Romana Schmalisch ou le sociologue et philosophe Maurizio Lazzarato, un atelier avec l’artiste Vassilis Salpistis et un débat sur la capacité des écoles d’art à produire des artistes. conférences/performances les 10 et 11 mai, aux Laboratoires d’Aubervilliers, leslaboratoires.org

marathon 35 salles, 400 groupes, 3 jours et 3 nuits : on ne compte pas les bières et les fish & chips nécessaires pour encaisser cet immense showcase de jeunes talents que propose le festival anglais The Great Escape, à Brighton. Seule certitude : on en revient les oreilles riches de nouveaux sons. festival du 8 au 10 mai, greatescapefestival.com

Warner Bros

The Great Escape Festival

batday l’anniversaire de Batman

Elli Ingram

En mai 1939, dans le numéro 27 de la revue américaine Detective Comics, apparaissait un mystérieux superhéros costumé en chauve-souris. Justicier solitaire et sans pouvoirs spéciaux, Batman venait d’être créé par Bill Finger et Bob Kane. Il fête ce mois-ci ses 75 ans, après avoir vu ses aventures se renouveler en BD ou au cinéma de façon ininterrompue. Un anniversaire que célèbrent les éditions Urban Comics en republiant dans des éditions noir et blanc cinq albums emblématiques de la carrière du personnage, comme Batman – Année Un de Frank Miller et David Mazzucchelli. bd chez Urban Comics, à partir de 19 € l’album

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sacré numéro les Cahiers du cinéma fêtent leur numéro 700 ! La mythique revue invite pour l’occasion un aréopage de 140 artistes à “décrire dans sa dimension la plus physique, une émotion qui vous a traversé et le moment de cinéma qui l’a déclenchée”. Almodóvar, Leos Carax, Will Oldham, Elfriede Jelinek, Claire Denis, Bertrand Bonello, Francis Ford Coppola, David Cronenberg… ont, entre autres, répondu à cette belle invitation. en kiosque Cahiers du cinéma, n° 700, mai 2014

New Line Cinema

Divine,d ans Polyesterd e John Waters

lose On l’attend depuis la fin 2012 ! La série douceamère de Louis C.K. est enfin de retour. Ovni du petit écran, Louie met en scène un comique fraîchement divorcé abonné à la lose, qui essaie d’être un homme équilibré une semaine sur deux pour ses filles, et passe la suivante à mélanger biture et crème glacée. Tour à tour gênante, touchante ou hilarante, Louie explore les cinquante nuances de gris de la mélancolie avec un humour noir unique. Immanquable.

Fox

Louie saison 4

série tous les lundis sur FX 7.05.2014 les inrockuptibles 13

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“Sandra Paoli, c’est un peu mon moi idéal” Durant cinq saisons de Mafiosa, Hélène Fillières a incarné Sandra Paoli, chef de clan corse. Elle revient sur ce rôle marquant, mais évoque aussi le prochain Festival de Cannes, Twitter et sa relation aux séries.



a série Mafiosa vient de s’achever. Comment quittet-on Sandra Paoli, la chef de clan que tu incarnais depuis cinq saisons ? Hélène Fillières – Je ne la quitte pas. Elle m’a énormément construite en tant que femme, en tant que personne, et m’a donné de l’assurance. Je m’habille comme elle désormais. Je crois que j’ai muté, avec elle, en huit ans. Sandra Paoli, c’est un peu mon moi idéal. Classe, dure, mais tendre à l’intérieur. Elle a une froideur pas castratrice. Elle m’a réconciliée avec ma morphologie aussi. Au début de la série, elle était dans l’hystérie, dans la représentation un peu cliché de la femme à poigne. Dans les saisons suivantes, on est allé vers l’épure, vers l’obsession. Elle est devenue plus androgyne en gagnant en grâce, élégance et sensibilité. Est-on habité différemment par un personnage de série que par un personnage de film ? Très différemment. Mafiosa, c’est huit ans de ma vie. Ça devient vraiment une deuxième identité. D’ailleurs, j’ai trouvé dans cette série

des questions qui entraient en résonance avec mes préoccupations. Qu’est-ce qu’être une femme dans un monde d’hommes, qu’est-ce qu’être une personne ? Il y a aussi la question de la colère par rapport à la famille, du déchirement par rapport à autrui. Sandra est sans concessions, elle n’a pas trop de cœur. J’aime ça chez elle. Le poids de la famille ne l’écrase pas. Elle a pu tuer son frère, trahir sa nièce. Tu retournes en Corse ? Très souvent. J’y ai trouvé une famille, choisie, pour le coup. Je m’y sens acceptée, respectée, chez moi. Au début, c’était plus difficile, ils n’aimaient pas la série. La saison 1 était féerique, fabriquée et caricaturale. Ce n’était pas ça, le monde des voyous et ça n’était pas ça, la Corse. Puis ça a changé. Là-bas, j’ai l’impression d’avoir trouvé une identité. Je pense qu’elle n’était pas très définie avant que je joue Sandra Paoli. Dans la rue, ils m’appellent tous Sandra. (rires) Dans cette ultime saison, Sandra trouve l’amour auprès d’une prostituée de luxe, jouée par Asia Argento. Vous vous connaissiez ? Non. Je la trouvais intéressante comme

femme et comme actrice. Borderline, folle et libre. C’est une très bonne idée de nous avoir rapprochées. J’aime son identité féminine : elle a ce corps, très féminin, très musclé et en même temps c’est un soldat. L’identité, la place, sont des sujets qui me travaillent. J’ai trouvé ça compliqué de trouver ma place. Sûrement parce que je viens d’une famille où les femmes sont très femmes. J’ai une mère très femme, très mère, très impressionnante. Quand on est la deuxième fille dans une fratrie, c’est dur de se positionner. Mon travail tourne autour de ça : quel corps, quelle pensée avoir ? Pas d’enfant... Ces questions-là ! Es-tu excitée par le Festival de Cannes ? Les fêtes, tout ça, c’est pas trop mon truc. Cannes est l’occasion de soutenir les gens qui comptent pour moi, le cinéma indépendant. Je fais partie de la famille Wild Bunch. Je suis très contente que Jane Campion soit présidente. C’est une cinéaste majeure. L’annonce du jury m’a réconfortée, il est bien. Pour une fois, il y a plus de femmes que d’hommes. J’y vais pour voir le film de Mathieu Amalric,

le Saint Laurent de Bonello aussi. J’étais pour son film plutôt que pour celui de Lespert. Je trouve que c’est un acte fort de la part de Thierry Frémaux de l’avoir pris, le film va être un événement. J’attends le Cronenberg avec Julianne Moore. Je suis une grande fan. Le film sur DSK d’Abel Ferrara, qui n’a pas été pris à Cannes, sort directement sur le net. Trouves-tu ça bien ? Vincent Maraval, le producteur, peut se le permettre parce que c’est un film financé par les Américains. Il n’est donc pas obligé de le sortir en salle. Aux Etats-Unis, cela existe depuis quelque temps déjà. Il profite du profil subversif du film pour essayer une nouvelle méthodologie qui consiste à ne plus passer par la salle. C’est évidemment l’avenir. Je n’ai pas le fétichisme de la salle. Les règles actuelles de la chronologie des médias datent d’avant internet. Je suis pour que les films sortent en même temps en salle et en VOD. Ceux qui sont contre disent que ça va tuer le cinéma français, ce n’est pas vrai. As-tu de la curiosité pour ce film ? Enormément. Je trouve intéressant que la fiction

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s’empare très vite de la réalité. Virginia Woolf dit que le meilleur moyen de trouver la vérité, c’est la fiction. C’est sûr. Le fait divers reste opaque. La fiction permet justement de faire fonctionner l’imaginaire et de dire une vérité. Pour la première fois, et sûrement pour anticiper l’arrivée de Netflix en France, Mafiosa a été disponible en intégralité en VOD. As-tu déjà fait du binge watching ? Un peu, à l’époque d’A la Maison Blanche. Mais depuis, très peu.

Je ne suis pas une addict de séries en tant que spectatrice. Justement parce que c’est addictif et que ça m’angoisse. Je crois que les séries contentent aussi l’être humain pour des raisons pathologiques : ça diffère l’angoisse, ça remplit. C’est comme si au lieu de picorer, on pouvait se taper le paquet de chips en entier. Je dis ça et pourtant, je suis très angoissée. Au fond, les gens qui ont un tempérament addict ne se droguent pas... Exactement. Moi, le problème, c’est

“l’identité, la place, sont des sujets qui me travaillent” que si je commence, je ne m’envoie pas un, mais quatorze paquets de chips ! (rires) Concernant les séries, j’ai conscience d’être totalement décalée par rapport à mon époque. Mais c’est comme ça. Pendant que j’écris un film, comme maintenant, j’ai aussi du mal à regarder les films des autres.

C’est paralysant. J’ai une relation plus apaisée avec les livres. Qu’as-tu lu récemment ? En finir avec Eddy Bellegueule d’Edouard Louis. J’ai trouvé ça très fort. J’ai beaucoup aimé aussi le Lola Lafon, La petite communiste qui ne souriait jamais. As-tu un compte Twitter ? Non. Je me sens totalement larguée. Les réseaux sociaux m’angoissent totalement. Je suis pas contre, c’est juste pas pour moi. Phareelle Onoyan, qui joue Carmen, ma nièce dans Mafiosa, me disait que le soir de la diffusion du premier épisode, son portable explosait avec Twitter. Moi j’ai reçu quatre coups de fil, c’était calme. (rires) Un disque ? Le dernier Daho. J’adore ses textes. La chanson En surface, elle peut me faire pleurer. On s’était rencontrés sur mon premier film, il avait fait la musique. Il travaille vraiment à créer des connexions entre les gens, les œuvres. C’est un être extrêmement inspiré et créatif. D’ordinaire, je n’aime pas trop les chanteurs “paroliers”. Lui ne dit pas pour dire, il va dans l’intime, dans des choses qui font mal, tout en étant très mélodieux. Quand il chante, on a l’impression qu’il sourit. Bowie me fait le même effet. propos recueillis par Olivier Joyard et Géraldine Sarratia photo Paul Rousteau pour Les Inrockuptibles 7.05.2014 les inrockuptibles 15

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Au siège du NPA, qui abrite également l’hebdomadaire L’Anticapitaliste, à Montreuil, le 1er mai

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40 ans, toujours Besancenot Après trois ans loin de la tête du NPA, Olivier Besancenot revient aux affaires comme tête de liste aux européennes en Ile-de-France. Séduira-t-il à nouveau l’opinion ?

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ux alentours de midi, à Montreuil. Une voiture, du rap à fond les enceintes, se gare sur le parking du siège du Nouveau parti anticapitaliste (NPA). Au volant, Olivier Besancenot. L’ancien porte-parole du NPA coupe le contact et sort du véhicule, le visage poupin qu’une barbe de trois jours ne parvient pas à masquer. “J’étais en train d’écouter Barbès Clan, un groupe de rap du XVIIIe”, sourit l’ex-facteur de Neuilly, aujourd’hui guichetier porte de Clignancourt. Avec son style sportswear d’ado, on se demande si le candidat normal, ce n’est pas lui. Même s’il s’en défend, Olivier Besancenot est bien de retour sur la scène politique. L’ex-candidat à la présidentielle est tête de liste en Ile-de-France aux élections européennes. En 2011, il avait annoncé qu’il renonçait à être candidat à la présidentielle, cédant sa place à Philippe Poutou. “Olivier répétait qu’il voulait ‘prendre le pouvoir sans être pris par le pouvoir’ et qu’il y avait une trop grande distance entre ‘son personnage dans les médias et sa propre personnalité”, explique son ami François Sabado, membre de la direction du parti. Olivier Besancenot, alors jeune père de famille, invoquait le facteur lassitude après dix ans de bons et loyaux services électoraux. “Aux yeux de l’opinion, le NPA était devenu le parti d’Olivier Besancenot, c’était totalement contradictoire avec le message collectif que nous souhaitions porter”, justifie-t-il aujourd’hui. Rappelé en première ligne sous le drapeau rouge et blanc du NPA, Olivier Besancenot assure qu’il n’a pour autant

jamais quitté le terrain des luttes sociales. “J’ai continué à mouiller la chemise en participant à des réunions publiques, des meetings ou des manifs, confie-t-il. J’ai regagné une liberté personnelle qui m’allait très bien, mais aujourd’hui l’urgence politique et sociale m’a poussé à participer à cette bataille électorale.” François Sabado renchérit : “Olivier a beaucoup tergiversé mais la crise politique et sociale a rendu indispensable sa candidature. Nous sommes un trop petit parti pour refuser de jouer le jeu politique et médiatique.” Mais que s’est-il passé pour que le leader d’extrême gauche prenne la clé des champs, il y a maintenant trois ans ? Pour le comprendre, il faut remonter au dimanche 11 mai 2008. Le porte-parole du NPA est alors l’invité de Vivement dimanche sur France 2. Sur le canapé rouge de Michel Drucker, Olivier Besancenot connaît le point d’orgue de sa starification. Couverture du Nouvel Obs, portrait dans le New York Times, demi-page dans Gala, les médias s’arrachent le leader de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). Le soir de la diffusion de l’émission, Drucker est en Provence. Il doit dîner avec le couple Chirac. Vers 20 heures, l’animateur se retrouve en tête à tête avec Bernadette Chirac. L’ancien président de la République se fait attendre. Quinze minutes plus tard, Jacques Chirac débarque avec le sourire : “Je suis un peu en retard car je voulais regarder votre émission jusqu’au bout. Vous avez eu raison d’inviter Besancenot, il a de la personnalité ce gamin. C’est un bon !” 7.05.2014 les inrockuptibles 17

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Quelques jours plus tard, les chiffres confirment l’intuition chiraquienne. L’émission réalise 21,3 % de part de marché, un record. Les sondages prédisent même un score à deux chiffres à Besancenot en cas de troisième candidature à la présidentielle. Mais cette pipolisation fait grincer des dents au sein de sa famille politique. Son principal opposant à la LCR, Christian Picquet, dénonce “une entreprise de dépolitisation de la société française et de personnalisation à l’extrême”. La politique est venue à Besancenot plus qu’il n’est venu à elle. Natif de Levallois-Perret, ce fils d’instit grandit à Louviers, dans l’Eure. En 1988, il naît à la politique après qu’un jeune ado qu’il connaît fut victime d’un crime raciste. Révolté, il adhère à SOS Racisme puis aux Jeunesses communistes révolutionnaires. “J’ai assez vite compris que le racisme était inscrit dans le code génétique de la société capitaliste.” “Olivier n’a jamais cherché à se mettre en avant, il ne marche pas à l’ego, assure son ancien prof d’allemand, Pierre Vandevoorde, animateur local de SOS Racisme et militant de la LCR. Comme Engels, il a toujours réalisé ce qu’il jugeait utile pour la diffusion de ses idées.” Vandevoorde se rappelle les premiers pas de son poulain au lycée : “Avant une mobilisation importante, l’un de nos plus vieux militants est tombé malade. Cloué au lit. Olivier venait d’arriver au lycée mais il a accepté de le remplacer au pied levé.” Surmontant son trac, le jeune homme tient tête à son proviseur avec un mégaphone et convainc ses camarades de se mettre en grève. Trois ans plus tard, il récidive lors du déclenchement de la guerre du Golfe. Prenant la tête d’une délégation de lycéens, l’apprenti révolutionnaire décide d’en découdre avec François Loncle, le député de sa circonscription qui a voté en faveur de l’engagement français en Irak. “C’était un peu chaud, se souvient amusé, François Loncle. Il faut dire que c’était un meneur d’hommes, il avait déjà un sacré charisme pour son âge.” Après avoir obtenu sa licence d’histoire à Nanterre, Olivier Besancenot décide

d’arrêter ses études pour se consacrer à son engagement. Il passe le concours de La Poste. En parallèle, son ascension au sein de la LCR est fulgurante. En 1996, il entre au comité central. Deux ans plus tard, il siège au bureau politique. Repéré par Alain Krivine, le leader de la LCR lui propose de devenir son attaché au parlement européen en 1999. Olivier Besancenot hésite puis accepte. Cette concession n’est que la première d’une longue liste. Deux ans plus tard, François Sabado lui suggère d’être le candidat de la LCR à l’élection présidentielle de 2002. Sa première réaction ? “Mort de rire”, puis “Tu déconnes ou quoi ?” Comme personne ne veut se présenter, Besancenot réclame quinze jours de réflexion qu’il passe aux Antilles avec sa copine. A son retour, il retrouve son mentor dans un café sur l’avenue des Champs-Elysées : “On va tenter le coup.” Très vite, Besancenot s’impose comme un débatteur hors pair sur les plateaux de télévision tandis que son affiche de campagne (“Olivier Besancenot, 27 ans, facteur”) marque l’opinion. “Il y a eu

un processus d’identification d’une partie du pays autour de sa personne, analyse Sabado. Avant, nous ne nous adressions qu’à des personnes politisées, il a su traduire notre message politique pour des millions de gens.” Au soir du premier tour, il recueille 4,25 % des voix, un score inimaginable pour la LCR. Deux ans plus tard, il devient l’un des hérauts du “non” au référendum sur le traité constitutionnel européen. Lors de l’élection présidentielle de 2007, devant l’insistance du parti, Besancenot rempile. A l’annonce des résultats, la direction de la Ligue exulte. Besancenot se paie le luxe de faire un meilleur score qu’en 2002 et coiffe au poteau tous les candidats de la gauche de la gauche avec 1,5 million de voix. Marie-George Buffet, Dominique Voynet, Arlette Laguiller et José Bové assistent impuissants à ce que les médias appellent désormais “l’effet Besancenot”. “Il a sorti la LCR de sa marginalisation, estime son ami, le sociologue Michael Löwy. Il a permis à notre mouvement d’acquérir une audience quatre fois plus importante que celle que

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“nous sommes de nouveau en phase avec la situation politique” Olivier Besancenot

nous avions auparavant.” Au-delà de cette visibilité, le facteur renouvelle les références du mouvement trotskyste. Dans ses discours, il privilégie la Commune de Paris à la révolution de 1917, cite le Che plus que Trotski, et écoute davantage JoeyStarr ou la Scred Connexion que de vieux chants révolutionnaires. Dans la foulée du succès de 2007, Besancenot souhaite transformer la LCR en parti de masse. En février 2009, l’organisation est dissoute et laisse place au NPA. Sûr de lui, le NPA refuse de s’allier avec le Front de gauche aux élections européennes de 2009 puis aux régionales de 2010. “Besancenot aurait pu être le leader de la gauche radicale, mais on a loupé le coche”, regrette Omar

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Slaouti, ex-membre de la direction. Victime de sa “Besancenot-dépendance”, le NPA ne sort pas indemne de sa non-candidature à la présidentielle de 2012. Une partie importante du mouvement rejoint le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon pendant que Philippe Poutou, loin d’avoir le charisme de son prédécesseur, ne récolte que 1,15 % des voix. A 40 ans, Olivier Besancenot s’est résolu à revenir en première ligne. “Olivier était très content de sa retraite médiatique mais il sait qu’il a une aura plus grande que celle du parti”, raconte Michael Löwy. “Aujourd’hui, quand je discute avec lui, j’ai l’impression de parler avec le responsable politique de l’organisation. Il assume son rôle de leader politique”,

confirme le secrétaire national du Parti de gauche Eric Coquerel. “On a connu des moments difficiles, mais aujourd’hui nous sommes de nouveau en phase avec la situation politique, veut croire Olivier Besancenot. La campagne va nous permettre de nous battre pour construire une Europe des travailleurs et des peuples en prenant le meilleur des législations sociales de chaque pays comme l’établissement d’un smic européen.” Fuyant les questions personnelles durant l’entretien, le candidat du NPA craque lorsque le sujet football arrive sur la table. “Oui, bien sûr, je continue à jouer au foot à Gennevilliers”, répond Besancenot. A quel poste ? Gêné, il répond : “Je suis plutôt devant.” David Doucet photo Rüdy Waks pour Les Inrockuptibles

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Le duo lyonnais et pop Holy Two

ou artistes solos se sont prêtés au jeu des auditions “open-mic”, concept importé des scènes ouvertes des bars new-yorkais. Une épreuve casse-gueule réservée aux plus casse-cou : “Dans une même soirée, les styles musicaux sont très différents. Ce n’est pas un exercice facile mais c’est formateur”, reconnaît Juliette Armanet, sélectionnée à Mains d’Œuvres (Saint-Ouen). Pour les Lillois Okay Monday, “c’est court mais intense, ce sont des conditions de danger qui nous plaisent bien”. Didier Veillault, directeur de la Coopérative de Mai, accueillait les auditions clermontoises : “Les inRocKs lab sont devenus en très peu de temps le truc essentiel pour sentir l’effervescence musicale partout en France, et ce, quasi instantanément. On n’attend pas des siècles pour découvrir les groupes qui buzzent à Toulouse ou Clermont. C’est nerveux, frais, sérieux mais pas prise de chou.” Après une sélection crève-cœur, quinze artistes ont été retenus, de l’electro minimale du Clermontois Comausaure aux cadavres exquis des dandys parisiens Feu! Chatterton, en passant par le rap nonchalant de l’Annécien Beny Le Brownies ou la dream-pop des Lyonnais Holy Two. Les lauréats seront en concert à la Gaîté Lyrique fin mai et recevront chacun une bourse de 1 000 euros pour amorcer un projet de leur choix (réalisation d’un clip, enregistrement d’un ep...) sur le site de crowdfunding KissKissBankBank. Abigaïl Aïnouz

les inRocKs lab font leur festival Le concours Sosh aime les inRocKs lab s’installe à la Gaîté Lyrique pour présenter ses lauréats. Au programme : concerts, projections et ateliers.

V

ingt petites minutes pour s’installer, jouer, convaincre le public et le jury. C’est le challenge relevé par de jeunes musiciens repérés par les inRocKs lab. Depuis onze ans, notre laboratoire de découvertes écrème les salles de concerts et internet. A son tableau d’honneur : le cosmique Florent Marchet ou les comiques Naive New Beaters, les Clermontois Cocoon (2007), l’illusionniste Cascadeur (2008), les divines reines de la pop Christine And The Queens et Owlle (2012) ou les chatons We Are Match (2013). En 2014, le Lab est reparti sur les routes de France à la rencontre de la nouvelle scène. Deux mois de quête, 7 000 kilomètres avalés, 12 villes explorées, 2 000 candidatures reçues. Devant un jury de professionnels, près d’une centaine de groupes

Giulia Grossmann, Native American, 2012, French Kiss Production

Lucie Rimey Meille

concerts gratuits des quinze lauréats sur invitation, à retirer sur lesinrockslab.com, du 29 au 31 mai à la Gaîté Lyrique, Paris IIIe. Ateliers et projections en entrée libre.

nouvelle discipline du lab : la création vidéo Le festival sera également l’occasion de voir les films des cinq lauréats de la première édition du concours création vidéo, projetés à la Gaîté Lyrique jusqu’au 8 juin. Dédié aux artistes et aux réalisateurs émergents, l’événement, ouvert à des formats divers, sans contrainte de thème, a rassemblé plus de 500 candidatures. Les lauréats, retenus par un jury de professionnels de l’art contemporain, du cinéma et des cultures numériques, jouent des influences et des frontières poreuses entre fiction et réalité : des animations de Vincent Broquaire et de Damien Jibert au documentaire de Giulia Grossmann, du found footage de Maxime Le Moing aux collages d’Anne Horel. Anna Hess

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Marta Nascimento/RÉA

Apprentissage de la lecture, cours pour adultes à Amsterdam

on n’arrête pas le progrès L’actualité n’est pas qu’un déversoir à mauvaises nouvelles. Dans les domaines de la santé et de l’éducation notamment, il existe des raisons d’espérer.

D

’une façon générale, l’actualité n’incite pas à l’optimisme. Pourtant, la semaine dernière, une info est venue contrer le pessimisme : un laboratoire français a obtenu des résultats encourageants dans ses recherches pour élaborer un vaccin contre la dengue. Cette maladie touche de 50 à 100 millions d’individus tous les ans et tue des milliers de personnes. Ce n’est pas une maladie de pays riches et développer un vaccin est donc d’autant plus méritoire. Cette info s’ajoute à d’autres, tout aussi impressionnantes : l’hépatite C – qui touche 235 000 personnes en France et 185 millions dans le monde – est en passe d’être traitée par une nouvelle génération d’antiviraux. Bien sûr, il est encore trop tôt pour crier victoire. La prise en charge du prix exorbitant va très vite se poser. Mais tout de même, quel progrès. C’est encore plus frappant lorsque l’on se penche sur le sida. Le 23 avril 1984, le département de la santé de l’administration des Etats-Unis annonçait qu’une équipe de chercheurs avait identifié le VIH et pouvait tester les patients. Trente ans plus tard, les trithérapies permettent à des millions de séropositifs de vivre décemment dans le monde entier. La découverte d’un vaccin semble chaque jour moins lointaine. Bien sûr, des centaines de milliers de personnes infectées n’ont toujours pas accès à ces traitements, notamment en Afrique. Mais en moins

d’une génération, cette pandémie gravissime est battue en brèche. De la même façon, jamais on a été aussi proche de l’éradication d’une autre maladie : la poliomyélite. Depuis 1988, grâce à une mobilisation mondiale, le nombre d’infections a baissé de plus de 99 % ! La mortalité infantile, elle, n’a jamais été aussi faible sur notre planète. Près d’un enfant sur six mourrait dans les années 50. Moins de 5 % aujourd’hui. Même constat sur l’extrême pauvreté. Au début des années 90, plus d’un tiers de la population mondiale vivait avec moins de 1,25 dollar par jour. Vingt ans plus tard, ce taux a été divisé par deux avec un objectif réaliste d’un humain sur 10 en 2020. Quant à l’analphabétisme, il est en recul constant. Aujourd’hui, 87 % des jeunes femmes et 92 % des jeunes hommes savent au moins lire, écrire et compter dans le monde. Un résultat époustouflant obtenu en moins d’un demi-siècle. Partout, des écoles ont été ouvertes, des médecins et des infirmiers formés, des hôpitaux construits. Le résultat est patent : nous n’avons jamais été aussi nombreux à peupler la Terre, et paradoxalement, jamais les grandes famines, qui ravageaient des populations jusque dans les années 80, n’ont été si peu nombreuses. En clair, nous sommes 7 milliards et presque tout le monde parvient à se nourrir. On peut appeler ça le progrès. Anthony Bellanger

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histoire 2

Uber libérale Multinationale californienne, la société de voitures de tourisme avec chauffeur Uber s’implante en France. Mais son image de start-up sympa cache mal ses pratiques contestables.

S

ale temps pour Uber ! En guerre ouverte contre les taxis qui l’accusent de “travail clandestin”, la célèbre firme californienne de voitures de tourisme avec chauffeur (VTC) vient de se payer une bien mauvaise publicité. L’histoire remonte au 27 avril. En sortant au petit matin d’une boîte de nuit du IXe arrondissement de Paris, Julien (22 ans) et Lucas (21 ans) décident d’appeler “un Uber” pour rentrer chez eux. Julien sort son smartphone et commande une voiture grâce à son application mobile. Quelques minutes plus tard, un chauffeur en costume arrive dans sa luxueuse berline. Mais avant de les accueillir dans sa voiture, le chauffeur demande : “D’où vous sortez ? – D’une soirée gay !”, répond Julien. “Désolé, je ne prends pas les pédales”, rétorque le chauffeur, avant de partir. Furieux de ce traitement, Julien raconte l’incident sur son compte Twitter. Son message est relayé plus de 600 fois. Devant l’ampleur de la polémique, Uber annonce dès le lendemain la radiation du chauffeur. Dans son bureau de l’Assemblée nationale, Thomas Thévenoud, député socialiste, auteur d’un rapport sur les taxis et les VTC, estime que cette affaire est symtomatique du manque de réglementation des VTC : “En France, le taxi est soumis à des règles et quand il y a des problèmes, une commission de sécurité se réunit sous l’autorité de la préfecture de police pour

sanctionner les mauvais comportements. Ce n’est pas le cas pour les voitures d’Uber.” Depuis le début de l’année, les altercations entre taxis et VTC se multiplient. Caillassages, jets d’œufs, pneus crevés ou vitres cassées, la confrontation se durçit comme lors de la grève des chauffeurs de taxis en février. Si les VTC ne sont pas considérées comme des taxis puisqu’elles ne disposent pas de licence (alors qu’une plaque de taxi coûte près de 250 000 euros à Paris), elles les concurrencent via des applications mobiles en proposant un service haut de gamme. Devenue la véritable bête noire de la profession, Uber a enfoncé le clou en lançant en France une nouvelle offre en février. Baptisée UberPop, cette application permet aux particuliers de proposer leur propre service de “covoiturage urbain”. Ainsi, avec UberPop, le chauffeur conduit dans sa propre voiture et non pas dans un véhicule appartenant à la flotille de la société. Comme de bons vieux réseaux peer-to-peer tels que eDonkey ou KaZaA, Uber se transforme en une simple plate-forme informatique mettant en relation des individus. Problème, le 31 décembre, à San Francisco, un chauffeur Uber a percuté mortellement une petite fille de 6 ans qui traversait la rue. Dans un communiqué, Uber a assuré que “le chauffeur n’était pas en service au moment de l’accident”. Pourtant l’avocat de la

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Lionel Charrier/M.Y.O.P.

histoire 1 Le député PS Thomas Thévenoud a remis le 24 avril à Manuel Valls son rapport de mission sur le conflit opposant les VTC aux taxis traditionnels. Il préconise une réglementation accrue pour les VTC et une modernisation des taxis avec notamment la géolocalisation et la possibilité d’obtenir des applications

mobiles permettant la réservation par téléphone, et le paiement par carte bancaire, sans frais supplémentaires pour eux. Quant à UberPop, le service de covoiturage urbain, Thierry Thévenoud préconise son interdiction pure et simple, comme en Belgique ou en Allemagne.

famille de la fillette affirme que le chauffeur attendait une course. La firme californienne s’est défendue en déclarant qu’une voiture qui attend un client n’est pas une voiture Uber. Au-delà de cet imbroglio juridique, ce drame pose la question de la responsabilité des start-up comme Uber mais aussi Airbnb – un site d’échange d’appartements – qui surfent sur un modèle d’économie de partage pour échapper à la régulation des Etats. “C’est une bonne chose de rapprocher le client du service mais la révolution numérique ne peut pas être le Far West, prévient Thomas Thévenoud. Ces multinationales doivent respecter un certain nombre de règles juridiques mais également fiscales : 20 % des courses d’Uber (groupe financé par Google)

sont fiscalisées aux îles Caïmans, ce n’est pas normal. En remettant en cause le consentement à l’impôt, ces start-up minent le socle commun de nos démocraties.” En attendant que les Etats réagissent, Uber continue de séduire les jeunes de 25 à 35 ans en leur donnant l’impression d’appartenir à une véritable communauté. Lorsque vous entrez dans un véhicule Uber, le chauffeur vous valorise. Il vous propose une bouteille d’eau, des sucreries et vous demande vos préférences musicales. Si vous convertissez de nouveaux adeptes aux joies du VTC californien, votre fidélité est récompensée. Vous appartenez à la famille Uber ! Depuis la parution du rapport de Thomas Thévenoud préconisant une réglementation accrue des VTC, cette communauté s’est d’ailleurs mobilisée sur les réseaux sociaux pour défendre la start-up californienne. “Sur internet, la plupart des grandes fabriques bénévoles de liens collectifs comme Wikipédia se revendiquent de la communauté. Pour ces participants, il ne fait pas de doute que cette communauté acquiert une supériorité éthique sur les normes légales, analyse Dominique Cardon, sociologue spécialiste des usages et des nouvelles technologies. Ça devient plus problématique lorsque le marché réutilise ce vocabulaire à des fins ultralibérales.” David Doucet 7.05.2014 les inrockuptibles 25

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Pl@ntNet, le Shazam des plantes

Christine And The Queens

retour de hype

les travaux d’intérêt général de Silvio Berlusconi

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

Nîmes

“non mais là je suis sur un plan covoiturage pour descendre à Cannes”

Lykke Li

le cast de Star Wars: Episode VII

“ah bon ? c’est déjà passé les européennes ?”

“boh franchement, Rihanna nue ça va hein bof, pff”

Wolverine

les cartouches du jeu vidéo E. T.

Maggio, le festival de musique indépendante italienne à Paris

“si je mange beaucoup, c’est pour faire passer le goût amer de la vie, tu sais”

“si, je suis écolo, la preuve : je regarde énormément de porno”

Maggio Loin des clichés, ce festival présente le meilleur de la musique indépendante italienne, du 16 au 18 mai, au Gibus parisien. Christine And The Queens et son très bon Saint Claude, premier extrait de l’album Chaleur humaine. “Si, je suis écolo, la preuve : je regarde énormément de porno” Pornhub propose de planter un arbre toutes les cent vidéos

la pièce Booba de la Monnaie de Paris

visionnées, catégorie “big dick” (sic). De quoi œuvrer contre la déforestation. Nîmes et son excellent festival This Is Not a Love Song à la fin du mois. Les cartouches du jeu E. T., énorme bide d’Atari, avaient bien été enterrées dans le désert du Nouveau-Mexique il y a trente ans, comme le prouvent les fouilles réalisées pour le documentaire Atari: Game Over. D. L.

tweetstat Liam Gallagher épelait fièrement le nom de son ancien groupe. Un tweet par lettre. Euh, ok ? Suivre

Liam Gallagher @liamgallagher

59 % pom-pom girl

OASIS LG 22:03 - 24 avr. 2014

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Donnez-moi un O, donnez-moi un A, donnez-moi un S, donnez-moi un I, donnez-moi un S : OASIS !!!!!

24 % allumeuse Le début d’un plan com annonçant une hypothétique reformation ?

17 % Bernard Pivot

Liam a écrit le mot “OASIS” sans aucune faute d’orthographe.

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Warhol étend sa palette Dès les années 80, l’inventeur du pop art a saisi qu’une révolution numérique était en cours. Plusieurs de ses œuvres, réalisées avec des logiciels graphiques, viennent d’être découvertes.

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de GraphiCraft à YouTube Comme souvent au XXIe siècle, tout part d’une vidéo YouTube, tournée en 1985 mais mise en ligne sur le site de partage en 2008. On y voit Andy Warhol, l’index posé sur une souris XXL, en train de “peindre” le portrait de Debbie Harry par ordinateur. La scène,

irréelle, se passe lors d’une conférence de presse organisée pour le lancement de l’Amiga 1 000, premier-né d’une famille d’ordinateurs personnels restés cultes pour nombre de leurs contemporains. Particulièrement apprécié des travailleurs de l’image,

l’Amiga avait pour lui des compétences techniques et de nombreux logiciels graphiques en avance sur ses concurrents. Parmi eux, GraphiCraft qui semble avoir laissé son empreinte sur cette œuvre d’Andy Warhol retrouvée la semaine dernière.

Andy Warhol, Andy2, 1985, ©The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc., courtesy of the Andy Warhol Museum

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C’est l’artiste américain Cory Arcangel qui, en découvrant la séquence de la conférence de presse sur le net, décide de partir sur la piste d’autres (hypothétiques) œuvres numériques du maître. Au musée Andy Warhol de Pittsburgh, il trouve d’étranges disquettes archivées mais illisibles. Avec le concours du Computer Club de la Carnegie Mellon University et le Carnegie Museum of Art, il parvient finalement à exhumer les fichiers et y trouve des images numériques “enfermées depuis près de trente ans”. Etranges versions digitales des motifs récurrents de Warhol (son image, Marilyn et une boîte de soupe Campbell).

fouilles Au total, ce sont dix-huit images qui ont été découvertes (dont les deux tiers sont signées) au terme d’un processus long et délicat de plusieurs mois (précisément décrit sur le site studioforcreativeinquiry.org et documenté dans un film à sortir dans quelques jours, Trapped: Andy Warhol’s Amiga Experiments). Pour Cory Arcangel,

cette découverte place une nouvelle fois Warhol à l’avant-garde, en tant qu’artiste capable de saisir, dès le début des années 80, l’importance et les possibilités du numérique. Au-delà des images elles-mêmes, cette recherche s’impose comme un intéressant travail d’archéologie du passé proche, à la fois familier et déjà si loin. Diane Lisarelli

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on n’est pas trop avancé

en chiffres

Chroniqueur dans l’émission On n’est pas couché, Aymeric Caron publie Incorrect, essai où il pourfend les réacs. Mais gare aux truismes.

le sujet Le journaliste et chroniqueur Aymeric Caron officie aux côtés de Natacha Polony dans On n’est pas couché sur France 2. Dans Incorrect (Fayard), essai présenté comme une enquête journalistique fouillée, Caron constate que réacs et fachos, autrefois ostracisés, dominent aujourd’hui les débats. Il brocarde Zemmour, Finkielkraut, Le Pen, des menteurs patentés, et les complices de leurs manipulations : la “droite bobards” et les médias. “J’ai choisi de décortiquer le discours de tous les complices du lavage de cerveau (éditorialistes, politiques, journalistes), qui permet aux idées du Front national de prospérer”, écrit-il. “En continuant à prôner le métissage, la tolérance, l’entraide et l’opposition à toute forme de discrimination, sociale ou raciale, je suis devenu politiquement incorrect. Car minoritaire.” C’est donc lui “l’incorrect”, le seul résistant cathodique.

le souci  Bien sûr, on préfère Aymeric Caron à ceux qu’il pourfend. Le démontage des discours réacs est bien documenté et sourcé. Il convoque de bons experts (Laurent Mucchielli, Christian Mouhanna, François Gemenne, entre autres). Mais si Incorrect est une synthèse bien argumentée, ça n’est pas une enquête et Caron donne souvent l’impression de découvrir l’eau chaude. D’ailleurs, il n’évite pas les poncifs et enfile parfois

des perles qui desservent son propos : “la mode est à la haine et la haine est à la mode” ou “l’information est une religion dont les disciples sont forcément rebelles”. Il se contredit parfois, comme lorsqu’il critique l’abus de name dropping de Finkielkraut mais en use. Ou lorsqu’il vante le fact checking mais se fend d’une analyse psychologisante sur les blessures d’enfance des Zemmour, Ménard, Le Pen et Finkielkraut : “Ils dénoncent les bobos, mais ce sont les leurs, de bobos, qui les empêchent de s’émanciper d’une vision puérilement égoïste, voire haineuse, de la société.”

le symptôme Et si le sujet de cet essai pas mal fichu était Caron lui-même, qui arbore en couve une mine christico-chevaleresque ? Son style, premier degré et parfois donneur de leçons, et son écriture naïve rendent agaçant ou hilarant, c’est selon, un bouquin sympathique. Incorrect est à la fois un essai bien documenté et une petite entreprise d’autojustification. Le but ? Inscrire son style “journalistique” dans l’univers des polémistes de plateau pour se démarquer et s’en sortir la tête haute dans le monde impitoyable du clash. Dernier point : Caron dénonce à juste titre la droitisation des discours et son rôle dans la montée du FN mais se garde bien de balayer devant chez lui. Quid, par exemple, de l’abandon par le PS des classes populaires ? De cela pas un mot. Anne Laffeter

30 000

Le nombre d’exemplaires vendus de No Steak (Fayard, 2013) d’après sa fiche Wikipédia. Aymeric Caron, végétarien depuis les années 90, est un fervent défenseur de la cause animale et milite pour l’abolition de la corrida.

386

Le nombre de notes de bas de page d’Incorrect, soit un peu plus de 1,2 par page. Le gage d’un bon mémoire de maîtrise.

80

Le nombre (approximatif) de clash de Caron avec les invités d’On n’est pas couché depuis qu’il a remplacé Audrey Pulvar à la rentrée 2012 dans l’émission présentée par Laurent Ruquier. Soit environ un par samedi soir.

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laser à quoi ? Des scientifiques américains tentent de mettre au point un système permettant de contrôler la pluie et les éclairs grâce à la technologie laser.

Z

eus est inquiet et d’humeur maussade. Depuis l’Olympe, il ronge ses divins ongles en observant les hommes, qui n’en font qu’à leur tête. Avachi au comptoir de “Chez Bacchus”, il s’envoie une double vodka-ambroisie en déployant des trésors d’imagination pour trouver le fléau qu’il va pouvoir infliger aux mortels. Il referait bien le coup de Prométhée dont le foie fut dévoré inlassablement par un aigle. Mais l’époque n’est plus à ces tortures archaïques. Le dieu suprême jette un coup d’œil à l’exemplaire de la revue Nature Photonics, daté du 23 mars, qui traîne dans le rade. Sa moue trahit dégoût et mépris. Il y a lu l’article sur ce procédé mis au point par des chercheurs américains qui permettrait un jour de déclencher à l’envi la pluie et la foudre, comme lui. Eux n’usent pas de pouvoirs surnaturels, mais de deux rayons laser émis conjointement, modifiant l’équilibre électrique de l’air et peut-être un jour suffisamment puissants pour modifier celui des nuages. On voit bien l’utilité de la pluie pour arroser les régions désertiques et remplir les nappes phréatiques. Mais quel est l’intérêt de maîtriser la foudre ? Un indice : le programme de recherche est en partie financé par le département américain de la Défense. Quelle arme en effet, la foudre ! Le feu du ciel ! Pauvre bombinette nucléaire, à ranger au placard du pistolet à bouchon et du fleuret moucheté. Si le procédé fonctionne, on pourra, en plus, gâcher à volonté les vacances de nos ennemis. Affolé, Cupidon entre à son tour en furie dans le bar où Zeus médite sa vengeance. Il vient lui aussi

de lire l’article et craint pour son commerce. Ses flèches paraîtront bien dérisoires pour déclencher le sentiment amoureux comparé à notre technologie. L’être aimé s’éprendra de nous d’un coup de foudre télécommandé. Nom de Zeus ! Les artistes aussi s’empareront de l’idée et créeront de beaux spectacles nocturnes, bien plus spectaculaires que nos vieux feux d’artifice. Le Dr Frankenstein pourra, à loisir, redonner vie à ses monstrueux patchworks. Mais on commence à se connaître, on ne sait pas utiliser raisonnablement nos nouveaux jouets. A force de chatouiller les nuages selon nos désirs, le temps se détraquera et le système nous échappera. Impossible d’arrêter la grande averse mondiale et les terres disparaîtront sous les eaux. Les dieux, soulagés et goguenards, enverront tout de même Noé pour la deuxième fois à notre rescousse, non sans nous pincer la joue en sermonnant les galopins que nous sommes. Vexés, nous écoperons tant bien que mal le trop-plein, reprendrons les recherches et nous assurerons que, cette fois, l’éclair monte plutôt que de descendre. Nicolas Carreau illustration Jérémy Le Corvaisier pour Les Inrockuptibles

pour aller plus loin L’article de Nature Photonics www.nature.com/nphoton/journal/v8/n4/full/nphoton.2014.47.html www.journaldelascience.fr/technologie/articles/laser-pourcontroler-meteo-3537

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Salomon de Izarra A 24 ans, écrivain et guitariste, il glace avec Nous sommes tous morts, un premier roman apocalyptique.

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l porte le prénom d’un sage et d’un prophète, mais l’on espère que son livre, apocalypse hantée et glaçante, n’annonce pas le monde à venir. Cadavres pourrissants, créatures monstrueuses, cannibalisme, dans Nous sommes tous morts, roman qui mêle les influences de Melville et de Lovecraft, Salomon de Izarra déploie un imaginaire cauchemardesque. Partis sur le baleinier La Providence, des marins se retrouvent prisonniers d’une mer de glace. Leur calvaire est raconté par l’un d’entre eux, Nathaniel Nordnight, qui rend compte dans son journal de bord de la folie qui gagne peu à peu l’équipage. A 24 ans, Salomon de Izarra prépare une thèse sur l’écriture de l’enfermement, à l’université de Tours, et joue dans un groupe de black metal symphonique baptisé Ordeathral. Un univers outrenoir qui l’impose comme un espoir de la littérature.

Léa Crespi

Elisabeth Philippe Nous sommes tous morts (Rivages), 144 pages, 15 €

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un printemps 2014 vol. 3 The Black Keys enfiévrés, Hercules & Love Affair en liberté, Ramona Lisa toute en perversité, Broken Twin hantée et Mermonte boisé… Ça sent déjà l’été ! 1. Teleman Cristina

9. Broken Twin Sun Has Gone

extrait en avant-première de l’album Breakfast (Moshi Moshi/Pias Coop) Depuis l’an dernier, ce tube sautillant virevolte sur les réseaux sociaux et les scènes d’Angleterre. Il ne manquait plus qu’un peu de soleil pour en faire un tube d’été.

extrait de l’album May (Anti-/Pias) Rencontre d’un piano évaporé et d’une voix de sorcière pâle dans une forêt hantée, la pop enchantée de cette Danoise pourrait vite concurrencer sa compatriote Agnes Obel.

10. Sarh Sailing with Lost Souls 2. The Black Keys Fever extrait en avant-première de l’album Turn Blue (Nonesuch/Warner) Peu représentatif d’un album qui fait les yeux doux aux années 70, cet étrange single confirme l’immense liberté des Américains, qui font danser de vieux synthés pour rigoler.

extrait en avant-première de l’album Sarh (Believe) Rencontre de DJ Pone (Birdy Nam Nam) et de José Reis Fontao (Stuck In The Sound), Sarh fait de l’architecture sévère avec des brumes douces. Atmosphérique.

11. Nick Mulvey Cucurucu 3. Hercules & Love Affair Liberty feat. John Grant extrait en avant-première de l’album The Feast of the Broken Heart (Moshi Moshi/Pias Coop) Les New-Yorkais continuent d’inviter des voix imprévues dans leur néo-disco paillarde : c’est cette fois-ci le mélancolique John Grant qui est poussé sur le dance-floor.

4. Lykke Li No Rest for the Wicked extrait de l’album I Never Learn (LL Recordings/Warner) L’insaisissable Suédoise revient, l’humeur sombre, sur cette ballade escarpée, panoramique.

extrait en avant-première de l’album First Mind (Caroline/Universal) On pensait ce genre – le folk romantique et exalté – totalement épuisé… Par miracle, cet Anglais surdoué y déniche des mélodies vierges et des plaisirs inédits. Une star.

12. Jeremy Messersmith Ghost extrait de l’album Heart Murmurs (Glassnote/Pias Coop) Quand il ne caresse pas sa guitare, ce jeune Américain s’enfuit dans le cosmos avec sa console de jeux. Quand il en revient, sa pop est chargée de poussière d’étoiles et de beautés célestes.

5. Broods Taking You There extrait de l’ep Broods (Mercury/Universal) Leurs chansons vaporeuses hantent déjà les meilleures playlists du net. Stars dans leur Nouvelle-Zélande natale, Georgia et Caleb Nott arrivent enfin en Europe avec leur r’n’b désossé.

6. Ramona Lisa Dominic extrait de l’album Arcadia (Bella Union/Pias Coop) Avant de devenir cette pythie fascinante, Ramona Lisa s’appelait Caroline Polachek et détournait la pop avec Chairlift. Une bonne habitude qu’elle entretient ici avec perversité.

7. Mina Tindle I Command extrait en avant-première de l’album Parades (Believe) Quand Mina Tindle chante I Command, ce n’est pas un vœu pieu : avant son second album, elle impose en force cette pop-song ambitieuse.

13. Mermonte Karel Fracapane extrait en avant-première de l’album Audiorama (Clapping Music/La Baleine) Deuxième album de la troupe rennaise, Audiorama est une grande montagne russe de kraut-pop boisée ou électrique, rageuse et enivrante. De grands Bretons. le coup de cœur inRocKs lab & Sosh

14. L’Entourage Jim Morrison extrait en avant-première de l’album Jeunes entrepreneurs (Believe) Hommage aux anciens du hip-hop comme Gang Starr, ce vaste collectif rassemble des membres de 1995, S-Crew, etc. “On est des produits de notre environnement”, chantent-ils, citant également… Kurt Cobain ou Jim Morrison !

15. Le Noiseur 24x36 8. Sharon Van Etten Our Love extrait en avant-première de l’album Are We There (Jagjaguwar/Pias) Guitare spatiale, voix sensuelle et harmonies à faire fondre un bourreau, la trouble Américaine illumine cette ballade sur la Lune.

extrait de l’ep 24x36 (Pias Le Label) Ce jeune trentenaire à l’allure dandy a fait ses classes avec Frédéric Lo (Daniel Darc, Alex Beaupain…) et sur notre site CQFD. Chanson française ? Oui, mais perturbée de hip-hop, lacérée d’arrangements étranges. 7.05.2014 les inrockuptibles 35

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où est le cool ? par Géraldine Sarratia et Dafne Boggeri

chez Each x Other Conçu comme un projet à la lisière de l’art et de la mode, Each x Other invite chaque saison des artistes à s’approprier et à réinterpréter cinq items maison. Alizé Meurisse, Ruiz Stephinson, Alessandra d’Urso interviennent sur la collection printemps-été, tour à tour androgyne, rock ou oversize, comme cette silhouette signée par la Chinoise Yi Zhou. each-other.com

avec ce cartable Ras-le-bol du diktat du sac à dos qui n’en finit plus de revenir en force ? Rabattez-vous sur cet élégant cartable en cuir de la marque suédoise Sandqvist. D’une contenance de 7 litres, il peut accueillir un laptop et se porter en bandoulière. sandqvist.net

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sur ces fesses finlandaises Pendant que la France s’embourbe sur la question du décolleté au travail, la Finlande élève le débat en érigeant en symbole national Tom of Finland, ses homos priapiques, moustachus et ultrasexualisés, désormais imprimés sur timbres. En pleine tourmente, La Poste pourrait en prendre de la graine : alors, on commence par Sagat ou Dustan ?

en foulant ce tapis maki Fondé en 2011 par deux diplômés du Pratt Institute, le studio de design Chen Chen et Kay Williams, basé à Brooklyn, produit meubles, bijoux en pierre et marbre, et objets design. On aime particulièrement leurs tapis réalisés avec l’artisan de luxe Tai Ping. Somptueux et poétiques, ils semblent agréger, comme des makis géants, troncs d’arbres coupés, cellules et mystérieux microorganismes. design-milk.com

posti.fi

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vous n’y échapperez pas

le made in China branché Une génération de jeunes et fiers créateurs chinois s’impose en rejetant le low cost et une conception du luxe dictée par l’Occident.



ette silhouette de la dernière collection de la marque Sankuanz provient de la province du Fujian, en Chine. Avec ses superpositions et ses lignes oversized, elle reflète une sous-culture empreinte de hip-hop, de pop et de calligraphie. Son créateur, le très branché Shangguan Zhe, 30 ans, a une devise claire : “Fièrement fabriqué ici.” Il fait partie d’une génération créative surnommée les wenyi qingnian, ou “jeunesse cultivée”. Ces hipsters locaux et engagés rejettent le culte d’un luxe siglé et dicté par l’Occident, dont la génération précédente est encore si friande. A la place, ils cherchent à définir une identité profondément chinoise, qui revendique sa filiation avec une culture ancienne interrompue par l’avènement de Mao. Parmi eux, une vague de jeunes créateurs se consacre à produire des vêtements avant-gardistes et pleins d’histoire, de façon locale et à petite échelle. Le but ? Se débarrasser une bonne fois pour toutes de l’image d’usine low cost pour le capitalisme mondial. On peut penser à la créatrice de prêt-à-porter Masha Ma, qui mêle détails de costumes bouddhistes et minimalisme à la scandinave ; Xander Zhou, sorte de J. W. Anderson, joue de façon provocatrice avec le détournement de codes des genres ; Huishan Zhang imagine une féminité vintage et rock. Certains poussent plus loin cette quête de leurs racines : le créateur Liang Zi, par exemple, utilise de la soie cantonaise qu’il teint à la main selon une technique datant de la dynastie Ming. Quant au label Decoster Concept, il déconstruit l’uniforme maoïste

Sankuanz, collection automne-hiver 2014

et travaille le noir et blanc “en rappel à la dualité de la philosophie taoïste”, explique son créateur Ziggy Chen. Le marché de la mode est au rendez-vous : au cœur de Pékin, la boutique Dong Liang, un concept-store ultrapointu, propose exclusivement des labels de niche et artisanaux, mêlant des marques émergentes françaises, new-yorkaises et chinoises. “La clientèle est prête à accepter un sens de la qualité et du style venu d’ici. Nous avons enfin confiance en nous”, explique l’un de ses deux fondateurs, Charles Wang. Les fashionistas transnationales apprécieront. Alice Pfeiffer

ça va, ça vient : le pyjama de ville

1953 “Pourquoi ne puis-je pas tout simplement porter un pyjama ?”, s’insurge Audrey Hepburn, princesse rebelle dans Vacances romaines de William Wyler. Porter son pyjama d’homme avec le chic d’un smoking réfute la pression matriarcale d’aprèsguerre. Elle sent venir la Women’s lib des années 60 et se fantasme tomboy discrètement engagé.

2008 Dans Coco avant Chanel d’Anne Fontaine, Audrey Tautou incarne la papesse du chic français, connue pour avoir introduit des textiles communs – de sport ou d’intérieur – dans une garde-robe masculin/féminin. Une mode toute en dénuement, façon arte povera qui prend symboliquement son sens l’année de la sortie du film, quand éclate la crise des subprimes.

2014 C’est la collaboration entre Façonnable et la ligne Ç par la créatrice libanaise Mira Mikati qui introduit le terme “smyjamas” : l’idée est de brouiller les pistes entre intérieur et extérieur, et de se permettre un confort et une nouvelle intimité dans une ère de la surveillance et de la représentation permanente. A. P.

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Fabien Vallos

bouche à oreille

les nourritures intellectuelles Un artiste et un éditeur-théoricien proposent des “séminaires-repas”. Nous avons assisté au premier.

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omme de nourriture intellectuelle on ne se rassasie pas toujours, le duo formé par l’éditeur et théoricien Fabien Vallos et l’artiste Jérémie Gaulin (le premier était le professeur du second à l’école supérieure d’art de Bordeaux) a eu l’idée d’initier cette série de “comptoirs” – séminaires-repas pour huit invités – pour “dîner et (de) réfléchir” à des notions aussi vaporeuses qu’un sorbet au céleri-branche (si, si !) : la théorie de l’arbitraire, les liens entre signifiant et signifié, l’expression et le contenu… Au menu du premier comptoir, le 25 avril dernier, une réflexion pratique sur les relations entre la forme et le fond. Et pour ce faire, quoi de mieux qu’un dîner, sans assiette ni plan de table mais durant lequel chacun des convives (ce soir-là, un écrivain, une performeuse, une archiviste…) est invité à jouer des coudes et des méninges pour accéder à la dernière câpre de Pantelleria ou à l’ultime boulette de porc aux agrumes, et cueillir, à pleines mains, une grasse asperge violette de Provence surmontée de son dôme de cerfeuil ?

Dans le minuscule appartement parisien où ils reçoivent, ils accordent autant d’importance à l’équilibre virtuose des petits plats qu’à la ligne éditoriale de leur site (Chrématistique, avec certaines contributions signées Daniel Foucard, Yann Sérandour ou Tristan Garcia). Car ces petits comptoirs (ils organisèrent précédemment un banquet pour 300 personnes au Centre d’arts plastiques contemporains de Bordeaux), sont la cerise sur le gâteau d’un projet plus large mené depuis deux ans. Intitulé “chrématistique”, un terme barbare qui renvoie à l’art de s’enrichir, leur laboratoire prend des formes diverses : conceptions de textes publiés sur le site, festins gargantuesques ou confidentiels et expositions conceptuelles dont le prochain épisode se tiendra au Centre national édition art image de Chatou, à partir de juillet. Pour assister au prochain “comptoir”, précipitezvous à l’adresse chrematistique.fr/ comptoir. Les premiers à cliquer seront les premiers servis. Claire Moulène chrematistique.fr 7.05.2014 les inrockuptibles 41

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Nashville skyline

Danny Clinch

Les Black Keys continuent leur aventure avec l’influent producteur Danger Mouse. Pour disséquer leur nouvel album, Turn Blue, rencontre à Nashville où s’inventent encore les classiques de demain. par Maxime de Abreu

Patrick Carney et Dan Auerbach

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Danny Clinch

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atrick Carney, le batteur des Black Keys, nous reçoit dans sa grande maison de la banlieue sud de Nashville. Devant trône une vieille Mustang noire. A l’intérieur, deux lévriers en train de dormir, des toiles aux murs et, dans un coin de la bibliothèque, quelques statuettes en forme de phonographe. Ce sont les Grammy Awards qu’il collectionne depuis Brothers, paru il y a quatre ans maintenant. A l’époque, les Black Keys quittent Akron, leur fief de l’Ohio, pour venir s’installer dans la capitale du Tennessee. C’est ici que Dan Auerbach, l’autre moitié du groupe (guitare et chant), s’est également installé. Il a désormais son propre studio, duquel il ne sort plus beaucoup. C’est donc là-bas que l’on passe le voir, un peu plus tard, au milieu des instruments, des vinyles et des statuettes dorées (toujours les mêmes). Leurs derniers Grammys, les Black Keys les ont reçus pour El Camino, leur septième album, publié fin 2011. Souvenez-vous de Lonely Boy, single avec lequel on pouvait presque oublier que le rock n’avait pas produit d’énorme tube depuis le Seven Nation Army des White Stripes. Le rock, les Black Keys l’ont intégré via le blues en une poignée d’albums enregistrée avec les moyens du bord. Tout au long des années 2000, ils ont fait leur truc dans leur coin. Aujourd’hui, les charts ont vu défiler leurs titres et les musiciens se battent pour travailler avec eux. Récemment, Lana Del Rey a enregistré dans le studio de Dan. Le succès – désormais total – aura été tardif pour ces antirock-stars à la coule, qui toujours ont préféré bosser que surfer sur le capital mythologique des éternels groupes à guitares. Malgré le matériel qu’ils possèdent désormais, Patrick et Dan ont l’air d’artisans à l’ancienne. A Nashville, cette ville

mélodique d’un duo resté longtemps un peu rugueux. Il leur a permis de bâtir des tubes en leur montrant comment la pop pouvait ne pas dénaturer un projet né dans les odeurs de rouille. Et si, Pour leur nouvel album, les Black Keys au fond, c’est toujours le rock à papa qui domine sur Turn Blue, une nouvelle ont encore une fois travaillé avec dimension se développe dans la structure Brian Burton. Producteur prolifique et flamboyant (Gorillaz, Beck, Norah Jones) parfois complexe des morceaux et la texture toujours tendre du son. ainsi que musicien (Gnarls Barkley, Etrangement, ce groupe en apparence Broken Bells), celui que l’on connaît si classique semble être celui qui mieux sous le nom de Danger Mouse propulse actuellement le mieux le rock influence le duo depuis leur première vers l’avenir. Auprès des nostalgiques, collaboration en 2008, pour Attack & Release. Brian a su développer le sens les Black Keys ne s’excusent pas. où le temps semble parfois suspendu, ils peuvent écrire au calme et se reposer après une tournée. C’est souvent ça, la vie d’un groupe de rock.

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“trop penser à son public, c’est la meilleure façon de se perdre” Dan Auerbach

Turn Blue est votre huitième album. Quelle est la nouveauté ? Patrick Carney – On essaie toujours d’explorer de nouvelles choses. Ici, la nouveauté se trouve dans la structure des morceaux. On a beaucoup travaillé les intros et les prérefrains, par exemple. Dan Auerbach – De mon côté, j’ai beaucoup travaillé les solos de guitares. Quant aux paroles, elles sont très différentes. On s’est aussi beaucoup concentrés sur les mélodies. Nous n’avions jamais fait quelque chose qui sonne aussi classiquement rock. Etes-vous d’accord pour dire que Turn Blue est également votre album le plus pop ? Dan Auerbach – Il y a des choses très catchy, mais comment dire que cet album est pop alors qu’il commence par une chanson qui dure plus de six m inutes ? El Camino a sûrement été notre album le plus pop. Toutes les chansons étaient courtes, rapides, accrocheuses. Turn Blue est plutôt une extension de Brothers, qui aurait été filtré par El Camino. Il y a le même groove, la même soul. Patrick Carney – C’est peut-être le plus mélodique, sans doute, mais pas le plus pop. Les gens qui écoutent Taylor Swift n’aimeront pas nos morceaux !

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Après Attack & Release et El Camino, c’est le troisième album que Danger Mouse produit. Est-il devenu le troisième membre du groupe ? Dan Auerbach – Quand nous sommes en studio, c’est clairement le troisième. Il faut savoir que depuis huit ans, Brian est avant tout un ami. Nous lui faisons confiance. Et lui, il croit en nous. Patrick Carney – Ce n’est pas qu’un producteur. C’est un musicien qui participe à l’écriture des chansons. Quand nous travaillons ensemble, nous sommes à égalité. Turn Blue sonne parfois très Danger Mouse, voire très Broken Bells. Vous n’avez jamais peur de perdre ce qui a fait l’identité des Black Keys ? Dan Auerbach – En fait, je trouve que c’est Brian qui sonne parfois comme nous. Il nous influence, mais nous l’influençons aussi. Ce qu’il faut comprendre, c’est que Pat et moi ne sommes pas juste un groupe de garagerock. Les gens nous ont mis dans une boîte à l’époque de nos premiers albums. Mais, depuis, on a toujours voulu essayer de nouvelles choses. Brian n’est pas une sorte de Phil Spector qui contrôle tout. Artistiquement, nous sommes très proches. Le blues lo-fi de vos débuts ne vous manque jamais ?

Patrick Carney – Certains fans nous disent que l’on devrait réaliser un album comme en 2003… Ça fait chier d’entendre ça ! A l’époque, il n’y avait personne à nos concerts. Je le sais : j’y étais ! Faire un album qui ressemblerait à ce que nous produisions il y a dix ans serait la chose la plus facile du monde. Il n’y aurait aucun challenge. La meilleure chose pour un artiste est de travailler selon ses propres règles, quitte à ne pas satisfaire ses fans – mais en espérant que ces derniers suivent l’évolution. Evoluer n’est pas un manque de respect envers son public. Dan Auerbach – Vu où nous en sommes, si on continuait à enregistrer dans les mêmes conditions, à produire le même son, ce serait des conneries, ça paraîtrait faux. Et ce serait très chiant pour nous. Votre son a changé, mais vous utilisez toujours les mêmes instruments. Patrick Carney – Imagine que je t’enferme dans une cuisine avec un poulet, des oignons et des carottes, et que tu les manges toujours de la même façon. Au bout d’un moment, tu n’en pourras plus de toujours bouffer la même merde. La solution, c’est de changer de recette. Avec les mêmes ingrédients, tu peux faire des choses très différentes.

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“contrairement aux Strokes, nous faisons encore des concerts !” Patrick Carney Faire preuve de créativité, c’est ça qui est intéressant. Si un artiste ne ressent pas le besoin d’évoluer parce qu’il croit avoir atteint la perfection, alors c’est sans doute un putain d’idiot. Pourquoi ce titre, Turn Blue ? Dan Auerbach – C’est une référence au personnage beatnik d’Ernie Anderson, qui présentait une émission d’horreur et de séries B dans les années 60, dans l’Ohio. Ce personnage s’appelait Ghoulardi, et il répétait tout le temps des phrases comme “Stay sick!” ou “Turn blue!”. L’artwork de l’album vient aussi de là : il y avait cette spirale dans son émission. Ça colle bien aux chansons de l’album, qui sont plutôt des chansons tristes. “Turning blue”, c’est ce qui arrive quand on est asphyxié, ou choqué. Et ça veut surtout dire “Fuck you!” : c’est ça que Ghoulardi voulait dire avec cette expression ! Pourquoi avoir choisi Fever comme premier single ? Beaucoup sont restés dubitatifs face à ce morceau. Dan Auerbach – On ne choisit pas nous-mêmes les singles. Nous n’écoutons pas la radio et ne savons donc pas ce qui est bon pour ça ! On compose juste des chansons qui nous correspondent. Trop penser à son public, c’est à mon avis la meilleure façon de se perdre. C’est une très mauvaise façon d’envisager n’importe quelle forme d’art. Fever ne me semble pas si étrange. Tighten up n’était pas très différent. Si tu essaies trop de faire un tube, ça finit par se ressentir. Il ne faut pas penser à ça. Patrick Carney – Certains ont dû penser que ce morceau était l’idée de Danger Mouse, et qu’il avait foutu les Black Keys en l’air. Alors que nous avons écrit cette chanson seuls du début à la fin ! On ne peut jamais prévoir le succès d’un single. Encore aujourd’hui, je ne saurais pas expliquer pourquoi Tighten up et Lonely Boy ont aussi bien marché. Les retours que nous avons viennent surtout

de la presse, et de ceux qui laissent des commentaires rageurs sur notre page YouTube. C’est vraiment un truc de loser ! Question stupide : est-ce que le rock est m ort ? Patrick Carney – Non, le rock n’est pas mort. Il y a beaucoup de jeunes groupes qui ne se définissent pas comme des groupes de rock, mais qui malgré eux appartiennent à des sousgenres du rock. Même chez ceux qui font de la musique sur ordinateur. Dan Auerbach – Chaque genre doit être capable de se renouveler en fonction des nouvelles générations. Le rock n’est pas mort, c’est l’industrie autour qui va mal. Quand on a commencé, internet n’avait pas encore entraîner la chute des ventes d’albums. Pour vivre, il faut désormais faire des tournées. Je ne sais pas ce qui va se passer dans le futur. Les Stones, les Beatles… Je crois que ce genre de phénomènes n’existera plus. Est-ce vraiment triste que les groupes aient besoin d’aller sur scène ? Dan Auerbach – Ce qui est triste, c’est que la musique soit à ce point dévaluée. Internet a tout niqué. Les magazines de musique ferment les uns après les autres. Les gens n’achètent plus de disques. C’est terrible ! La musique est la seule forme d’art à souffrir autant. La seule chose qui ne change pas, c’est l’impact que peut avoir une chanson sur la vie des gens. Est-il possible de faire du rock sans être tourné vers le passé ? Dan Auerbach – Peu importe le genre, je crois que c’est impossible de faire de la musique sans regarder vers le passé. Putain, le hip-hop a déjà 30 ans ! Mais il ne faut pas s’inquiéter avec ça. Ce qui est important, c’est la façon dont ton cerveau va filtrer cette influence, et te pousser à faire ta propre musique.

En quoi les Black Keys sont-ils différents des autres groupes de rock apparus dans les années 2000, comme les Strokes par exemple ? Dan Auerbach – Ils ont connu les studios, les producteurs et le succès dès leur premier album. Nous, on a attendu le cinquième ! Pat et moi venons d’une petite ville. Ça nous a apporté une certaine éthique de travail. Quand on a commencé, on ne pensait pas à l’argent. On voyageait jusqu’à douze heures par jour dans notre van pour aller à un concert. Pourquoi ça ? Je ne sais pas. Aujourd’hui, ça me paraît dingue, même si j’aime toujours autant travailler. Faire de la musique, c’est devenu comme un devoir, une hygiène de vie. Patrick Carney – L’autre différence, c’est que, contrairement aux Strokes, nous faisons encore des concerts ! Vous avez des Grammys sur vos étagères et vous bossez avec Danger Mouse. C’est quoi, la suite ? Patrick Carney – Les choses n’ont pas tellement changé depuis nos débuts. La seule vraie différence, c’est qu’on a du meilleur matériel d’enregistrement. La suite ? On va continuer à évoluer, à faire des choses qui nous semblent intéressantes. L’objectif n’est pas de répéter ce que nous avons déjà fait, ni de gagner d’autres Grammys ou d’exploser les charts. Dan Auerbach – Nous avons enregistré nos premiers albums dans une cave parce que c’est tout ce que nous avions. Nous ne faisons pas de la musique pour devenir des rock-stars, mais parce qu’on aime ça ! C’est cool d’avoir ce qu’on a aujourd’hui, mais tout ça ne veut pas dire grand-chose. album Turn Blue (Nonesuch/Warner), sortie le 12 mai concerts le 4 juillet au festival Main Square, le 6 aux Eurockéennes et le 17 aux Vieilles Charrues

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La violence sociale, l’homophobie et les souffrances de l’enfance sont au cœur de leur travail. Entretien croisé entre le cinéaste Xavier Dolan et l’écrivain Edouard Louis, auteur du très remarqué En finir avec Eddy Bellegueule. Qui se rencontrent pour la première fois. propos recueillis par Jean-Marc Lalanne

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éloge de la fuite

Xavier Dolan, réalisateur de Tom à la ferme, actuellement en salle

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Bruno Amsellem/Signatures

Edouard Louis, dont le premier roman En finir avec Eddy Bellegueule, sorti en janvier 2014, a dépassé les 100 000 exemplaires vendus 07.05.2014 les inrockuptibles 49

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douard, quelle est votre relation avec le cinéma de Xavier Dolan ? Edouard Louis – J’ai découvert son cinéma avec Les Amours imaginaires. Je vivais encore en province, et j’étais tombé un peu par hasard, en marchant, sur l’affiche du film, qui m’avait attiré. Je savais que c’était un film qui traitait du thème de l’amitié, auquel je commençais déjà à m’intéresser via Michel Foucault et notamment son idée de l’amitié comme mode de vie, de l’amitié comme foyer d’invention de nouveaux types de liens. Ensuite, je me suis précipité sur son premier film, J’ai tué ma mère. Puis j’ai vu les deux suivants jusqu’à Tom à la ferme. Et vous Xavier, comment avez-vous découvert En finir avec Eddy Bellegueule ? Xavier Dolan – Un de mes amis m’a offert le livre pour mon anniversaire, en mars dernier. Ce jour-là, le livre faisait justement la une de La Presse, un quotidien de Montréal. J’ai avalé le livre. Ce qui m’a le plus frappé, c’est l’authenticité inimitable des dialogues – j’entends l’expertise de quelqu’un qui depuis toujours écoute les femmes parler. Les hommes aussi, mais les femmes surtout. Le livre illustre leurs pires défauts, leurs frustrations, leur ignorance si je peux me permettre un tel mot, l’absence de volonté, mais aussi la grandeur de leurs rêves mort-nés. C’est une autobiographie, mais sans aucune victimisation. Et puis j’adore la simplicité, la limpidité du style. Dans mon premier film, je crois qu’il y avait à la fois trop d’ambition et trop de maladresse. Cette combinaison finit souvent par faire le charme des premières œuvres. Mais je ne vois pas ça dans Eddy Bellegueule. Comme si Edouard écrivait depuis toujours. Edouard Louis – Merci ! Je voudrais revenir sur le mot “ignorance”. Je pense qu’il ne faut pas hésiter à utiliser des mots comme celui-là, en dépit de leur violence. Et pour moi, Tom à la ferme traite aussi de gens, non pas ignorants mais rendus ignorants. Par leurs conditions de vie, par l’espace d’exclusion dans lequel ils sont tenus, par toutes les logiques d’infériorisation dont ils sont les cibles. Et ne pas le dire reviendrait à ne pas essayer de transformer cet état des choses et du monde. Et puis je voudrais revenir aussi sur le mot “volonté”, un autre mot que tu as utilisé et qui me pose question. J’ai par exemple conçu Eddy Bellegueule comme une archéologie de la volonté. L’idée était de montrer que la volonté n’est pas quelque chose que l’on a ou que l’on n’a pas. Mais quelque chose de rendu possible ou impossible, dont il faut faire

l’histoire. Pourquoi on veut ça et pas autre chose que ce que l’on a, comment on désire… Je vois ça aussi dans Tom à la ferme. Qu’est-ce qui fait que Francis n’est pas parti de la ferme alors que son jeune frère l’a fait ? Lorsqu’il danse avec Tom, il lui dit : “Tu sais, je pourrais partir…” Mais qu’est-ce qui rend ce projet impossible ? Comprendre ça était un des projets de mon livre et j’ai retrouvé cette préoccupation dans le dernier film de Xavier. Xavier Dolan – Souvent, dans mon enfance, j’ai été confronté à des gens qui auraient pu être ouverts d’esprit, qui auraient pu accepter des modes de vie marginaux. Voire les incorporer dans leur propre

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“si une personne a quelque chose d’impérieux à dire, qu’elle le dise quel que soit son âge, quelle que soit sa position sociale” Xavier Dolan manière de vivre. Mais au final, il y a une meute dans la société. Cette meute, elle régimente les différents modes de vie, les restreint, empêche qu’ils ne se mélangent. Edouard Louis – Oui, dès que les gens se mettent à rêver ou à se rêver autrement, ils entendent cette meute. Elle est partout. Elle dit : “Mais pour qui tu te prends ?”… Xavier Dolan – … “Redescends sur terre !” Edouard Louis – Oui, c’est ça, ce sont des rappels à l’ordre et on finit par les incorporer. C’est le cas du personnage de la mère d’Eddy Bellegueule ou de Francis dans Tom... Lorsque la meute vous persécute, un mécanisme de défense peut-il être de trouver cette place désirable, de consentir à la place de la victime et d’y trouver même une forme de jouissance ? Edouard Louis – Je ne suis pas sûr qu’il y ait une jouissance à occuper la place de la victime chez Eddy Bellegueule. La première donnée qui l’assigne à rester à cette place, à ne pas se révolter, c’est la peur. C’est la peur qui le conduit à retourner dans le couloir du collège où ses agresseurs le frappent quotidiennement. Parce que s’il ne le fait pas, il a peur de le payer, des représailles. Et puis Eddy, comme dominé, perpétue sa propre domination, parce qu’elle est inscrite partout dans l’univers où il évolue : dans les gestes, dans les paroles, dans les façons de penser. L’homophobie est tellement omniprésente dans son univers qu’elle lui paraît naturelle. Le cas de Tom, dans le film de Xavier, est peut-être différent. Il est attiré très fortement par Francis, même si ce dernier le maltraite. Xavier Dolan – Absolument. Le personnage d’Edouard est captif d’une société alors que mon personnage cherche une expiation. Parce que, comme souvent dans les deuils, il se sent coupable de la mort du garçon qu’il aimait. En bon judéo-chrétien, il pense que dans la punition, il y a une rédemption. Edouard Louis – L’attirance de Tom pour Francis est peut-être réciproque puisque Francis est de toute évidence homosexuel. Alors que les gars qui frappent Eddy ne sont pas du tout attirés par lui. Ils cherchent juste à l’abjecter pour ce qu’il est. L’idée selon laquelle l’homophobie serait un refoulement de sa propre homosexualité me paraît absurde. Les hommes qui frappent les homosexuels ne sont pas des homosexuels contrariés mais juste des homophobes. Mais ça se construit, la violence homophobe, non ? Il y a des facteurs de causalité… Xavier Dolan – Oui, mais souvent ces explications tendent à atténuer la responsabilité de l’homophobie.

Comme si elle était plus subie que choisie. Dans la vie, on choisit la façon dont on évacue sa propre violence. Moi par exemple, j’ai beaucoup de violence en moi. Mais je ne tape pas sur la gueule des homosexuels. (rires) Je préfère briser des objets. L’homosexualité d’Eddy est d’une certaine façon le prétexte. Parce qu’il est efféminé, faible physiquement, il est une proie facile et les autres le choisissent pour ça. Mais s’il n’était pas là, ils choisiraient celui qui boite, celui qui est plus maigre ou plus gros que les autres… Ils ont juste besoin de retourner de la violence sur quelqu’un. Pensez-vous que l’intensité de l’homophobie varie selon les milieux sociaux ? Edouard Louis – Je le crois, oui. Il y a des conditions de vie où la violence qui favorise l’homophobie est plus forte. Mais cette violence, je ne l’impute pas à des individus. Quand j’ai publié le livre, beaucoup de gens m’ont dit : “Vous savez, si vous aviez grandi dans un milieu plus favorisé, plus bourgeois, plus intellectuel, on ne vous aurait pas frappé, craché au visage, mais on n’en aurait pas moins pensé.” Peut-être, mais je crois que j’aurais préféré qu’on n’en pense pas moins mais qu’on ne me frappe pas ! (rires) Xavier Dolan – C’est sûr que c’est mieux d’être homosexuel dans une rue du Marais qu’à Hallencourt où Edouard est né. Mais quand on voit ce qui s’est passé autour du mariage pour tous, on se dit aussi que c’est mieux d’être homosexuel au Québec qu’en France aujourd’hui. Une telle mobilisation contre l’égalité des droits entre homosexuels et hétérosexuels est inenvisageable au Québec ? Xavier Dolan – J’ai du mal à imaginer ça au Québec, c’est vrai. Je ne suis pas sûr qu’on donnerait autant d’espace à une telle opposition, que leur point de vue soit à ce point relayé par les médias comme si c’était une question de société cruciale… Le droit des homosexuels, l’homoparentalité ne créent plus vraiment de tensions aujourd’hui dans l’espace public. La décision du CSA d’empêcher la diffusion à une heure de grande écoute de votre clip pour la chanson College Boy du groupe Indochine a-t-elle un rapport avec l’homophobie ? Xavier Dolan – Non, pas du tout puisqu’il n’est pas question d’homosexualité dans le clip. Un collégien se fait frapper, torturer et crucifier par d’autres mais rien ne le désigne comme homosexuel. Je voulais même que le choix de ce garçon paraisse complètement arbitraire. Il porte quand même du vernis noir sur les ongles… Xavier Dolan – Ce qui n’est ni le signe, ni la preuve de l’homosexualité. (rires) 07.05.2014 les inrockuptibles 51

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“celui qui vient d’un milieu d’où ne viennent pas habituellement les écrivains suscite un soupçon d’imposture” Edouard Louis Mais pour revenir à la décision du CSA, je pense que la motivation était plutôt de protéger les adolescents de la violence à l’écran, même si cette violence vise à dénoncer la violence. Le présupposé qu’on ne dénonce pas la violence par la violence m’a toujours paru démagogique. Moi, je ne sais pas comment parler de la violence sans la montrer, montrer ses procédés, ses effets… Edouard, vous avez aussi été accusé d’être trop violent. Envers les personnages de votre livre, et possiblement envers votre famille. Vous pensez que vous n’aviez aussi pas d’autre choix que la violence ? Edouard Louis – Quand j’ai découvert le clip de College Boy à la télé, j’ai été littéralement renversé. J’étais en train de terminer En finir avec Eddy Bellegueule et j’avais l’impression que ce que filmait Xavier ressortait d’une même volonté que ce que je faisais en écrivant. Donc, pour ma part, je reconnaissais ce petit garçon du clip comme un homosexuel persécuté. Ou en tout cas comme un enfant constitué comme tel par les autres, avant même qu’il ne sache très bien identifier son désir lui-même. Et, oui, comme Xavier, je pense que c’est essentiel politiquement et artistiquement de montrer la violence, toute la violence qui constitue ce qu’on appelle une vie et qui est à l’œuvre silencieusement. C’est une des responsabilités de la littérature ou du cinéma. Xavier Dolan – C’est évident que le livre d’Edouard a déjà rencontré certains lecteurs qui sont de jeunes gens qui sont ou ont été sujets de brimades. Mais le livre est si fort, et aussi si simple dans son expression, si accessible, que je suis convaincu qu’il a été lu aussi par des gens susceptibles d’effectuer ces brimades, d’être agressifs avec des garçons comme Eddy. Le livre va peut-être déplacer quelque chose en eux, les faire réfléchir. Avez-vous déjà eu des propositions d’adaptation au cinéma pour Eddy Bellegueule ? Edouard Louis – Oui, plusieurs. L’une d’elles est assez avancée, mais je n’ai pas le droit d’en parler pour l’instant. L’étiquette de récit autobiographique vous convient-elle pour parler de votre livre ? Edouard Louis – Autobiographie, autofiction, écriture sur soi, de soi, en dessous de soi… (rires) Je ne sais pas quelle est la plus juste. Mais, je l’ai déjà dit, ce récit est l’adaptation d’événements que j’ai vécus. Je n’ai rien inventé. Mais ces événements ont été ressaisis par un travail de construction, d’écriture, disons par la littérature. C’est ce qui explique sans doute que les personnes qui sont liées à ces événements ne se reconnaissent pas dans le livre. Je sais d’ailleurs

que pour J’ai tué ma mère, Xavier a subi les mêmes choses que moi. Des gens sont allés vérifier auprès de ses proches s’il avait vraiment vécu ce qui est raconté dans le film. Comme si la vérité que j’ai essayé de retranscrire par la littérature ou que Xavier a montré dans son film pouvait être perceptible immédiatement par un journaliste en reportage sur les lieux du récit. C’est une vision un peu pauvre de ce qu’est la réalité. Xavier, vous avez aussi vécu ce genre de fact checking ? Xavier Dolan – Je crois que le livre d’Edouard suscite ça. Que quelque chose dans l’énonciation rend curieux de savoir ce qui aurait été vécu et ce qui aurait été romancé. J’ai tué ma mère est un peu différent là-dessus, je crois. Les faits racontés ne suscitent pas le même bouleversement chez le spectateur, qui leur fait se demander si de telles choses sont possibles dans la vie. Une mère envoie son fils en pension, on se fout de savoir si c’est vrai ou pas. Ça n’excite pas le voyeurisme. Il y a des gens qui ont vaguement essayé de savoir si ma mère était comme ça, mais dans une proportion moindre que pour Eddy Bellegueule. De toute façon, clairement, j’ai beaucoup romancé ce que j’avais vécu pour des raisons de construction dramatique. Vous parliez de meute et de rappel à l’ordre. Avez-vous vécu les soupçons de travestissement de la réalité comme un rappel à l’ordre ? Edouard Louis – Ce que j’ai senti dans ce qui n’est quand même qu’une toute petite partie de la réception du livre heureusement, c’est une certaine haine du transfuge de classe. Celui qui vient d’un milieu d’où ne viennent pas habituellement les écrivains suscite en effet un soupçon d’imposture ou je ne sais quoi d’autre. Quelque chose m’a stupéfait par exemple, c’est que plus le livre rencontrait d’écho et plus les journalistes m’appelaient Eddy, comme un effort acharné pour me remettre à ma place. Xavier Dolan – Moi aussi, tu sais, je pourrais t’appeler Eddy tellement j’ai l’impression qu’en lisant ton livre, j’ai partagé ton intimité. Et je ne pense pas que ce soit de ma part une volonté de te ramener à ta caste. Vous, Xavier, vous êtes un peu le contraire d’un transfuge de classe. Vous êtes dans le métier du spectacle depuis l’âge de 4 ans… Xavier Dolan – Oui, mais ça ne me donnait pas vraiment d’accès à la réalisation de films. Au contraire, quand, adolescent, je disais que je voulais réaliser et non plus seulement jouer, on ne me prenait pas au sérieux et on m’encourageait plutôt à rester à ma place. Mais je n’ai quand même pas l’impression d’avoir dû m’affranchir d’un carcan. L’avantage que j’ai eu, c’est d’avoir un peu d’argent.

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J’ai pu, à 18 ans, dépenser tout ce que j’avais gagné dans ma vie pour produire un film auquel personne ne croyait. Et heureusement, le retour sur investissement a été intéressant. (rires) Edouard Louis – Cette autonomie du créateur dont parle Xavier, je la vois dans ses films. Et même de l’autonomie tout court. Pendant très longtemps, on s’est posé la question de comment réimbriquer l’individu dans le collectif… C’est la question de Freud, par exemple, ou d’une autre manière de Sartre ou de Durkheim. Comme si elle avait régi la pensée, cette question, pendant un siècle. Aujourd’hui, j’ai l’impression que quelque chose change et que la question qui émerge est : comment l’individu peut se défaire des collectifs

auxquels il est assimilé de force. C’est la question que pose Geoffroy de Lagasnerie dans son livre La Dernière Leçon de Michel Foucault. Cela me semble aussi la question que posent certains films de Xavier. C’est par exemple comment ce fils peut se défaire du modèle auquel veut le contraindre sa mère dans J’ai tué ma mère. C’est aussi le combat de Laurence dans Laurence Anyways. L’action politique et le problème théorique ne seraient plus aujourd’hui l’intégration dans un collectif mais la fuite. Comment peut-on fuir ? La fuite, Xavier, c’est un mot auquel vous conférez aussi une valeur positive ? Xavier Dolan – C’est un mot qui définit toute ma vie. J’ai réalisé J’ai tué ma mère pour fuir… J’ai voulu présenter le film à Cannes pour fuir… Le désir de fuite est à l’origine de toutes les grandes étapes de ma vie. C’est ce qui m’a poussé à trouver les endroits où des gens étaient prêts à m’accueillir et m’entendre. On vous renvoie beaucoup votre précocité par rapport à l’âge moyen auquel les gens prennent la parole artistiquement. Quel est votre point de vue ? Xavier Dolan – Ce qu’on appelle ma jeunesse fait partie de moi mais je ne me vois pas comme ça. Je ne me suis jamais demandé pourquoi j’ai réalisé un premier film avant l’âge habituel. Je l’ai fait parce que parler de ce qui m’habitait était une urgence totale. Je ne saurai sûrement jamais pourquoi cette urgence était si forte. “Aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années.” C’est faux, bien sûr, ça ne vaut pas pour les seules âmes bien nées mais pour n’importe qui. Si une personne a quelque chose d’impérieux à dire, qu’elle le dise quel que soit son âge, quelle que soit la position sociale qu’elle occupe. Elle n’a besoin d’aucune autorisation. Edouard Louis – De toute façon, l’âge est un irréalisable. Dans le livre, à un moment donné, je rentre du collège où on m’a frappé et je dis que je suis plus vieux que ma mère. Ces coups m’ont vieilli. Eddy ne correspond pas à son âge, je ne correspond pas à mon âge, Xavier non plus et vous non plus sans doute : personne ne correspond à son âge. On est traversé par des vécus pluriels, on a 50 ans un jour et 12 ans le lendemain. Xavier Dolan – Ah oui. Récemment, j’ai perdu ma grand-mère et j’ai eu l’impression de prendre vingt piges. Le lendemain, j’ai vu Captain America et j’avais à nouveau 12 ans. Mais mon propos, ce que j’ai à partager, est intemporel, il vient d’un endroit qui échappe à l’âge biologique. Tom à la ferme de Xavier Dolan, en salle En finir avec Eddy Bellegueule d’Edouard Louis (Seuil) 07.05.2014 les inrockuptibles 53

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espèces d’espaces Pour la sixième édition de Monumenta, Ilya et Emilia Kabakov nous ouvrent les portes de leur Etrange Cité, où chaque bâtiment constitue un monde en soi. par Claire Moulène photo Audoin Desforges pour Les Inrockuptibles

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’est une ironie du sort dont Ilya et Emilia Kabakov se seraient sans doute passés. Alors que ces artistes russes, qui ont fait leur réputation sur la critique du régime soviétique, s’apprêtent à occuper la nef du Grand Palais, Vladimir Poutine vient d’annoncer sa décision d’établir au sein de la fédération de Russie une nouvelle politique culturelle d’Etat. Confié au ministre de la Culture Vladimir Medinski, qui a récemment déclaré que la Russie devait “protéger” sa culture des errements de la culture contemporaine européenne, ce projet rappelle évidemment les pires heures de l’époque soviétique. “Les Kabakov sont très touchés par ce qui se passe en Ukraine et en Russie. Le climat s’est durci. Les artistes sont très inquiets, certains ont vu leurs ordinateurs confisqués”, confirme Jean-Hubert Martin qui, après avoir signé la première exposition personnelle d’Ilya Kabakov en 1985 à la Kunsthalle de Berne, est aujourd’hui le commissaire de l’exposition Monumenta.

Agé de 80 ans, exilé définitivement aux Etats-Unis depuis 1992, Ilya Kabakov reste marqué par les longues années de surveillance du régime soviétique. Peintre, illustrateur de livres pour enfants et figure de proue d’un art conceptuel à la russe, celui qui compte à ce jour parmi les artistes les plus influents de la scène internationale eut régulièrement à rendre des comptes au KGB. “Ilya Kabakov a obtenu son premier passeport en 1987”, se souvient encore le commissaire, qui le rencontre pour la première fois à la fin des années 70 alors qu’il prospecte pour la préparation de l’exposition Paris-Moscou au Centre Pompidou. “Après son installation à la

fin des années 80 à Long Island, Kabakov ne voulait pas retourner en Russie. Il a attendu l’an 2000 et la proposition de rétrospective du musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg pour y retourner.” Cet exil marque en effet un tournant majeur dans l’œuvre de Kabakov. D’abord parce que cette époque coïncide avec son association, à la scène comme à la ville, avec sa compagne Emilia qui, à propos de leur duo, commente avec humour : “Je fais tout ce qu’Ilya ne fait pas.” Depuis, les Kabakov courent le monde avec leur art de l’installation, dont ils sont aussi les meilleurs théoriciens. “Pour moi, (l’installation) inaugure une période novatrice et décisive, d’une portée égale aux trois grandes périodes qui se sont succédé dans l’histoire de l’art européen : celles de l’icône, de la fresque et du tableau”, écrit ainsi Ilya Kabakov dans un texte du catalogue de l’exposition que lui consacre en 1995 le Centre Pompidou. Au Grand Palais, cette démonstration du pouvoir de l’installation immersive atteint son apogée. Au point d’accoucher d’une ville entière, L’Etrange Cité, qu’une armée de maçons et de charpentiers s’évertue à faire sortir de terre. Pour le spectateur-promeneur, la visite commence par une première embûche, un immense mur d’enceinte qui protège cette ville fortifiée, déployée comme un champignon atomique sous la verrière du Grand Palais. Une immense coupole lumineuse, inspirée par l’orgue de lumière du compositeur russe du début du XXe siècle Alexandre Scriabine, donne ensuite le ton de l’épopée. Passée une grande arche triomphale mais déjà en ruine, il pourra visiter tour à tour les cinq bâtiments et les deux chapelles qui quadrillent ce territoire grand comme un terrain de foot. “Le premier bâtiment est un musée où les cimaises sont vides et où seuls les halos de lumière indiquent l’emplacement

des toiles. Une musique de Bach contribue à la mise en scène. Ici encore, on est en plein phénomène synesthésique, avec le transfert du visuel à un autre sens, l’écoute, beaucoup plus abstrait. Chacun est invité à refaire son musée imaginaire, commente Jean-Hubert Martin. Chacun des bâtiments entretient des liens avec l’immatériel et la métaphysique. Le musée est un lieu laïque, bien sûr, et il n’y a aucune fascination particulière pour le fait religieux chez eux, mais ils pensent aussi que c’est un lieu sacré.” Suivront une ville tibétaine dotée de son double céleste, une installation baptisée Portails, douze peintures figurant le même motif mais réalisées, pour chacune, dans un style pictural particulier ; deux chapelles peuplées de peintures de propagande ou d’inspiration baroque ; et un centre de l’énergie cosmique. “Chaque architecture est accompagnée de récits, décrypte Jean-Hubert Martin. Pour ce dernier espace, par exemple, c’est l’histoire d’un observatoire construit sur les vestiges de fouilles archéologiques où l’on aurait découvert des calices servant à communiquer avec le cosmos.” Artistes de la narration par excellence, les Kabakov utilisent en effet la fiction comme un matériau à part entière, à l’image de La Maison aux personnages de Bordeaux, hantée par de drôles de locataires, ou de cette improbable généalogie fictive mise en branle en 2000, Une histoire alternative de l’art : Rosenthal, Kabakov, Spivak, pour laquelle Ilya s’inventa un père spirituel, Charles Rosenthal, un double baptisé Kabakov (!) et un disciple, Igor Spivak. Une histoire (de l’art) à tiroirs, dont les Kabakov sont aujourd’hui les maîtres d’œuvre incontestés. L’Etrange Cité du 10 mai au 22 juin, nef du Grand Palais, Paris VIIIe, grandpalais.fr

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Le couple Kabakov au Grand Palais, avril 2014 7.05.2014les inrockuptibles 57

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Planches extraites de L’Arabe du futur – Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984)

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retour aux sources

Avec L’Arabe du futur, premier volet d’une série autobiographique qui nous emmène de Syrie en Bretagne, Riad Sattouf délaisse un temps le cinéma et revient à la BD par la très grande porte. Son œuvre la plus personnelle à ce jour. par Anne-Claire Norot et Pierre Siankowski photo Rüdy Waks pour Les Inrockuptibles

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’est une bande dessinée, signée Riad Sattouf, que l’on attendait rien que pour son titre : L’Arabe du futur. Booba, Edward W. Saïd, Philip K. Dick, voilà les références qui, dans l’attente d’en savoir plus, se mélangeaient dans nos têtes. Finalement, il aura fallu patienter deux ans pour l’avoir entre les mains, cet album. Riad Sattouf était d’abord convoqué au cinéma pour l’hilarant Jacky au royaume des filles, sorti au début de l’année 2014, son deuxième film en tant que réalisateur. Il était aussi occupé à soigner son œuvre la plus personnelle à ce jour, et certainement la plus réussie. Ce dernier livre, qui se dévore, raconte son enfance passée entre la France, la Libye et la Syrie, dans la foulée de la rencontre entre son père et sa mère au restaurant universitaire de la Sorbonne, au tout

début des années 70. La mère est originaire de Bretagne et fait ses études à Paris. Le père est syrien, né dans un petit village près d’Homs, l’épicentre de la révolte syrienne depuis 2011. De cette rencontre amoureuse naît, en 1978, le petit Riad, dont les aventures sont aujourd’hui le sujet principal de L’Arabe du futur, récit à la fois autobiographique, décalé mais aussi sombre à ses heures, d’une enfance passée entre la France et les pays arabes, entre une famille bretonne et une autre syrienne, mais aussi avec les figures de Mitterrand, Kadhafi ou encore Hafez el-Assad. “Ce livre, je l’ai recommencé plusieurs fois. J’étais occupé par le cinéma, mais je voulais surtout trouver la forme qui convenait pour raconter des trucs aussi personnels. Le véritable déclencheur a été le début de la guerre en Syrie. Ma famille est originaire d’Homs, et, à ce moment-là, j’ai dû en aider certains à venir en France pour fuir la guerre qui commencait. Ça n’a

pas été facile, ça a été même très dur d’obtenir des autorisations, des papiers. Je crois que j’ai écrit L’Arabe du futur pour me venger de tout ça”, plaisante Riad Sattouf dans l’atelier parisien qu’il partage avec deux autres auteurs de BD, Mathieu Sapin et Christophe Blain. Il poursuit, plus sérieux. “La Syrie n’a jamais été aussi connue que depuis la guerre, c’est malheureux. Mais, en réalité, les gens ne savent pas grandchose de ce pays, pour ne pas dire rien. C’était aussi l’occasion d’en parler. La dernière fois que j’y suis allé, c’était dans les années 90. Et puis j’ai dû arrêter de m’y rendre, pour des raisons très pratiques : j’aurais été obligé de faire mon service militaire là-bas. A 18 ans, je suis devenu français, mais pour les Syriens, tu n’es jamais autre chose qu’un Syrien (rires). C’est le grand classique, tu arrives et tu te tapes un service de deux ans. Evidemment, je n’ai pas envie de ça.” 7.05.2014 les inrockuptibles 59

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“je me souviens quand mon père lit le Livre vert de Kadhafi en Libye, je me rappelle de tout : l’ambiance, le cadre émotionnel, ma mère qui se foutait de lui” Pour L’Arabe du futur, Sattouf a donc décidé de se replonger activement dans la Syrie de ses souvenirs – il l’avait déjà évoquée dans Ma circoncision, en 2004, mais pas avec autant de détails et de sensibilité. “Je voulais faire un livre uniquement basé sur ma mémoire. Mais ensuite – ça va venir dans les prochains épisodes –, j’ai aussi eu l’envie que les autres membres de ma famille évaluent la justesse de mes souvenirs. Parce qu’il y a forcément des choses que je fantasme, même si au fond, j’ai le sentiment d’avoir des souvenirs assez clairs”, explique-t-il. Premier volet d’une série, L’Arabe du futur nous fait voyager et évoluer avec autant de pudeur que de dérision dans la tête d’un gosse nettement plus malin que la moyenne (un dessin représentant

Pompidou pondu dans une maternelle bretonne manquera de l’envoyer à “L’Académie des surdoués”, et puis finalement, non). Et, comme d’habitude chez Riad Sattouf, il y a ces détails qui tuent, cette façon de mettre les tics de langage en scène, de pointer du crayon les trucs les plus absurdes et les plus débilos. Sauf que ce trait lucide qu’il réservait jusqu’ici aux jeunes boutonneux, à Pascal Brutal ou à son pote Jérémie, c’est désormais aux siens et à lui-même qu’il a décidé de l’appliquer. Un grand-père un peu chaud lapin, une mamie qui vous lèche l’œil, un oncle qui s’appelle Mohamed mais qu’il faut appeler Hadj Mohamed et qui porte le keffieh, une voisine bretonne arriérée qui vit comme au

Moyen-Age, Waël et Mohamed, les petits copains de Syrie qui lui laissent les “petits soldats juifs” pour jouer : L’Arabe du futur est aussi une fantastique galerie de portraits, dont Sattouf entend user et abuser. “Je me dis depuis longtemps que les membres de ma famille sont des personnages. Avant ma toute première BD, j’avais écrit un scénario qui se passait déjà en Syrie. Et je mettais en scène les gens que je connaissais de là-bas. Et puis je suis passé à autre chose en laissant ça de côté. C’est vrai qu’en général, j’ai raconté assez peu de vrais trucs sur moi. Quelque chose comme Retour au collège, c’est essentiellement de l’observation. Là, c’est la première fois que je me mets en scène comme ça.” Ainsi suit-on partout la famille Sattouf, qui se cale dans les pas d’un père qui a décidé, au sortir de l’université, de s’engager en faveur du panarabisme de l’époque. “Il était obsédé par l’éducation des Arabes. Il pensait que l’homme arabe devait s’éduquer pour sortir de l’obscurantisme religieux”, explique Sattouf dans son livre. Auteur d’une thèse sur “L’opinion publique française à l’égard de l’Angleterre de 1912 à 1914”, son père, Abdel-Razak Sattouf, refuse un poste de maître-assistant à Oxford et emmène sa famille à Tripoli, où on le nomme maître tout court. La famille Sattouf quitte la France. Nous sommes en 1978, et la Libye est alors dirigée par le colonel Mouammar Kadhafi, dont le Livre vert, qui dénonce le capitalisme exploiteur et le communisme totalitaire, est alors un best-seller dans les pays arabes. “Mon repère, c’était beaucoup mon père, il était assez habité. C’est toujours lui qui décidait de nous emmener, qui nous demandait de le suivre pour sa carrière, c’était le chef de la famille. Quand t’es gamin, tu regardes et tu trouves ça génial, même si, à certains moments, tu n’assumes pas, tu l’enfouis quelque part. Mon regard, c’est celui forcément admiratif d’un enfant porté sur quelqu’un qui fait un peu n’importe quoi, mais à qui on pardonne beaucoup. Je me souviens très bien quand mon père

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“c’est vrai qu’en général, j’ai raconté assez peu de vrais trucs sur moi. C’est la première fois que je me mets en scène comme ça” lit le Livre vert de Kadhafi en Libye, je me rappelle de tout : l’ambiance, le cadre émotionnel, de ma mère qui se foutait de lui. Ce qui m’intéressait, c’était de retrouver ce genre de situation.” Pour le père de Riad Sattouf, l’étape libyenne est une semi-désillusion. C’est la découverte des files d’attente pour la nourriture à la sortie des coopératives, des décisions arbitraires du Guide (Kadhafi promulguant notamment des lois qui obligent les gens à échanger leurs emplois). A tel point qu’en 1982, la famille grimpe dans l’avion et quitte Tripoli pour la Bretagne et la famille de sa mère. C’est la découverte pour le petit Sattouf, 4 ans, de la vie en France, plus confortable que celle d’avant. “On sentait qu’il y avait plus d’argent, plus de moyens en France. En Libye – comme en Syrie plus tard d’ailleurs –, si l’éclairage

public était pété, c’était parti pour cinq ans. Les feux rouges ne fonctionnaient pas, bref il n’y avait pas de service public, même si les gens faisaient comme s’il y en avait un. Par exemple, il y avait des postes, mais avec personne derrière le guichet. En France, on changeait tout de suite la lumière dans la rue, il y avait un type pour prendre les lettres : les choses semblaient fonctionner d’elles-mêmes.” C’est aussi la découverte de ses petits camarades de maternelle. “Ça a été très dur pour moi. Je ne comprenais pas bien ce que disaient les enfants. Je regardais souvent les gamins parler pendant la récré, mais j’avais le sentiment qu’ils ne se parlaient pas vraiment, c’était des débuts de phrases sans fin qui voulaient certainement dire un truc psychanalytique mais ça n’avait aucun sens. 7.05.2014 les inrockuptibles 61

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“à l’époque, je ne me rendais pas compte qu’on vivait en dictature en Syrie. Mitterrand, Kadhafi, Assad, chaque pays avait son chef. C’était un peu comme des Big Jim pour moi” Je me souviens en Bretagne d’un gosse qui était toujours assis sur un tracteur en plastique, et c’était impossible de l’en enlever, il chouinait dès qu’on l’en décrochait.” L’incartade bretonne ne dure pas des lustres, juste le temps pour Riad Sattouf de rencontrer la famille de sa mère. Abdel-Razak Sattouf n’a pas cherché de travail en France et déménage sa famille, désormais agrandie d’un deuxième garçon, vers sa Syrie natale où il a accepté un poste de maîtreassistant. Là-bas, Riad découvre ses cousins syriens. “C’étaient de véritables petits hommes, pas des enfants. Ils ne pleuraient pas lorsqu’ils tombaient. Ils étaient capables d’aller à un endroit sans changer d’avis entretemps.

J’ai l’impression qu’ils étaient beaucoup plus intelligents que moi. Alors que les Français à la maternelle étaient gogols. Les enfants syriens ou libyens étaient beaucoup plus matures, peut-être parce qu’ils étaient plus livrés à euxmêmes. En France peut-être que les enfants étaient trop choyés… Je ressentais vraiment ça, même si ça n’était pas forcément conscient.” La Syrie, c’est la prise de conscience d’une certaine forme de rapport à la virilité, qui va sous-tendre ensuite l’œuvre de Sattouf (dans ses films comme dans ses BD, Pascal Brutal en tête). “C’est marrant, mais quand je m’écoute parler français, j’ai l’impression de parler de façon très efféminée, en faisant des manières. C’est peut-être parce que j’ai appris à parler français avec

ma mère. En arabe je ne parlais pas du tout comme ça, j’étais beaucoup plus viril. Petit, je regardais beaucoup les hommes parler. En Syrie, j’ai découvert le statut de l’homme fort. Il y avait une certaine noblesse et solennité dans leur façon de se comporter, qu’on retrouvait jusque dans les insultes. Je vais essayer de retranscrire ça dans les volets qui vont suivre. Ce truc de l’homme viril à moustache. L’exemple type, c’est Saddam Hussein. Il s’est toujours présenté comme un homme très fort, avec une armée immense, qui change souvent de tenue. Mais en fait, il était nul, et quand il a commencé à emmerder ses voisins, il s’est fait balayer d’un revers de la main.” Il y a aussi le contexte social, politique et religieux de la Syrie d’Hafez el-Assad, pas forcément à la portée d’un enfant,

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mais que le petit Sattouf commence à envisager à force d’observation candide. “A l’époque, je ne me rendais pas compte qu’on vivait en dictature en Syrie. J’entendais les adultes en causer mais je ne comprenais pas bien. Mitterrand, Kadhafi, Assad, chaque pays avait son chef, c’était un peu comme des Big Jim pour moi. Kadhafi, il était beau physiquement, et c’était une sorte de playboy, il était pris en photo dans ParisMatch, il avait un côté assez héroïque, pour un gosse. Assad était différent, d’une autre génération. Les gens en parlaient moins, et puis il était alaouite. Kadhafi, c’était plus une rock-star. En Libye, il y avait une vraie unité nationale autour de lui. En Syrie, c’était plus compliqué, on sentait que c’était des gens qui vivaient les uns à côté des autres.”

Paris, Libye, Bretagne, Syrie, puis re-Bretagne, puis re-Syrie : de cet itinéraire forcément particulier, Riad Sattouf a décidé de faire une gigantesque aventure qu’il met en scène au fil des pages, avec la plus grande honnêteté possible : c’est un traité d’acculturation par le haut, fascinant d’humour et d’intelligence. Découvrir L’Arabe du futur, c’est entrer encore un peu plus dans les obsessions de l’un des auteurs les plus doués de sa génération, l’un des plus drôles aussi, pour n’attendre qu’une chose : la suite des aventures du jeune Sattouf Riad, Breton de Syrie et Syrien de Bretagne. L’un ne va pas sans l’autre. L’Arabe du futur – Une jeunesse au MoyenOrient (1978-1984) (Allary Editions), 184 pages, 20,90 €. En librairie le 15 mai 7.05.2014 les inrockuptibles 63

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7 art, 7 ciel Deux livres en immersion dans un siècle de cinéma américain : du point de vue de ses grands auteurs pour Michael Henry Wilson, de celui du trouble érotique pour Linda Williams.

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crire sur le cinéma américain, ou à partir de lui, comme le font deux livres qui sortent simultanément, ne devrait jamais consister à dresser le tableau d’un certain état géographicohistorique du cinéma. Cela devrait plutôt conduire un auteur à s’interroger sur la généalogie et la nature même d’un 7e art qui, dès ses origines, s’est identifié entièrement au cinéma américain. Le cinéma est américain. L’inventeur de toutes les figures de style de sa mise en scène, le réalisateur pionnier du muet David Wark Griffith, en avait eu l’intuition lorsqu’il exhortait ainsi ses acteurs : “Nous avons découvert un langage universel. Nous sommes au-delà de Babel, au-delà de la parole. Souvenez-vous-en quand vous êtes devant la caméra.” Michael Henry Wilson, en ouverture d’A la porte du paradis, somme à l’apparence exhaustive que le critique de Positif consacre à cinquante-huit cinéastes américains (de Griffith à Steven Soderbergh et Terrence Malick), reprend la métaphore biblique citée par l’actrice fétiche de Griffith, Lillian

Gish, afin de relire un siècle d’histoire du cinéma américain (du Lys brisé de Griffith à The Tree of Life de Malick), sous l’angle théologico-politique d’un “éden perdu”, ce paradis mythique des pionniers, détruit par l’histoire avant même d’être retrouvé par les croyants. La métaphore n’est pas nouvelle, qui éclaire d’une lumière métaphysique le mythe de la frontière, pas plus qu’est novateur le dualisme auquel a recours Wilson lorsqu’il oppose les westerns de Raoul Walsh, Howard Hawks et Anthony Mann aux œuvres pessimistes, mélancoliques et désenchantées des grands auteurs “européens”, d’Erich von Stroheim à Douglas Sirk en passant par Edgar G. Ulmer et Jacques Tourneur. On ne lira donc pas A la porte du paradis comme une tentative pour repenser le cinéma (américain) à partir d’une idée forte de l’effet qu’il produit sur ses spectateurs, mais plutôt comme une collection de fiches inégales, parfois inspirées (notamment sur Jacques Tourneur, auquel Wilson a consacré un très beau livre en 2013, et sur l’actrice-

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le cinéma américain nous apprend que “l’acte même de regarder ou d’interagir via un écran est désirable, sensuel, érotique”

IsabellaR ossellini et Kyle MacLachlan dans Blue Velvet de David Lynch (1986)

réalisatrice Ida Lupino, dont il décrypte magnifiquement le “langage du corps”), parfois étonnamment plates (l’analyse de Sylvia Scarlett, œuvre la plus perverse de George Cukor, est un sommet d’ingénuité, de même que les chapitres sur Ernst Lubitsch et Vincente Minnelli ressemblent à une déclinaison de lieux communs). Ce qui finalement étonne est l’absence totale d’un pan entier de la cinématographie américaine, absence qui éclaire d’un jour passionnant ce que serait la nature secrète du cinéma (américain). De John Carpenter à George A. Romero en passant par Brian De Palma, Steven Spielberg, Joe Dante, Don Siegel, William Friedkin, Wes Craven, Larry Cohen…, A la porte du paradis fait silence sur ce qui est moins un pan du cinéma dit de genre (film fantastique, d’horreur…) qu’une pulsion à l’œuvre dans tout acte de voir, et d’être vu. C’est pourquoi il est stimulant de confronter la “somme” de Wilson à l’essai Screening Sex de Linda Williams, dont l’apparence modestement partiale dissimule en fait la nature plus ontologique. En considérant l’histoire des représentations sexuelles dans le cinéma américain, la première théoricienne américaine du cinéma pornographique, auteur d’Hard Core (1989) et de Porn Studies (2004), montre comment des actes jugés littéralement “ob/scènes” (c’est-à-dire hors/scène) sont désormais “en/scène”. Cette généalogie des fantasmes à l’écran ne les rabat pas sur des symptômes, lieux communs critiques,

mais elle en fait les représentations populaires d’une “nouvelle forme de scène sexuelle”, unissant films et spectateurs à travers la catégorie, inventée par Denis Diderot, de l’émotion, autrement dit de l’effet qu’une œuvre produit sur ses destinataires. Nous vivons dans le monde commun que nous partageons avec les fantômes des écrans, et puisque “l’obscénité ne peut plus être envisagée comme un monde à part”, le cinéma américain nous apprend que “l’acte même de regarder ou d’interagir via un écran est désirable, sensuel, érotique”. Le cinéma (américain) est bandant. A l’instar de Blue Velvet de David Lynch, dont Linda Williams analyse brillamment les puissances ambiguës, chaque film pose à ses spectateurs la question matricielle que Dorothy/Isabella Rossellini, inversant les rôles, lance à son voyeur mis à nu : “Que veux-tu ?” Et le voyeur/spectateur, bouleversé et bouleversant, de répondre : “Je ne sais pas.” De Griffith à David Lynch, c’est toujours “la même démangeaison qui nous fait nous asseoir devant nos écrans”, face à la même énigme, et à la même absence inquiétante, et bienfaisante, de réponse. Hélène Frappat A la porte du paradis – Cent ans de cinéma américain, cinquante-huit cinéastes de Michael Henry Wilson (Armand Colin), 640 pages, 39 € Screening Sex – Une histoire de la sexualité sur les écrans américains de Linda Williams, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Raphaël Nieuwjaer et Pauline Soulat (Capricci), 264 pages, 20 € 7.05.2014 les inrockuptibles 65

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Libre et assoupi de Benjamin Guedj avec Baptiste Lecaplain, Charlotte Le Bon (Fr., 2014, 1 h 33)

Une comédie informe et décousue sur les petites misères de la génération Y. ssu d’un milieu petit-bourgeois et hyper Entre la veine grossièrement potache diplômé, Sébastien (Baptiste Lecaplain) (les blagues sur la misère sexuelle n’a qu’une ambition dans la vie : ne des garçons) et l’étude de caractère surtout rien faire. Qu’on ne lui parle pas des twentysomething, ce premier film ne de plan de carrière ou de projets de famille, trouve jamais vraiment son ton, et comble il veut juste traîner toute la journée en ses errements par quelques séquences pantoufles avec ses colocs (Félix Moati, dissonantes très artificielles : ici un long Charlotte Le Bon) et attendre que le temps dialogue argotique façon Bertrand Blier, passe. Sans autre argument narratif, là une scène fantaisiste à la Kaurismäki. Libre et assoupi a donc pour ambition de S’il a au moins le mérite d’échapper aux faire le portrait d’un glandeur professionnel, pires conventions de la comédie populaire mais se heurte vite aux limites de son française, notamment à l’emprise du sujet : comment filmer l’ennui, scénario, cet étrange objet bordélique comment meubler le vide que Sébastien souffre de son manque de direction autant s’est choisi comme modèle de vie ? que d’un cruel déficit de mise en scène. R. B.

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Sarah préfère la course de Chloé Robichaud avec Sophie Desmarais, Jean-Sébastien Courchesne (Can., 2013, 1 h 37)

Un premier film canadien (presque trop) maîtrisé. Sarah, 19 ans, s’installe à Montréal pour s’entraîner dans un club d’athlétisme universitaire. Formalisme et retenue sont les deux grandes caractéristiques de ce premier film d’une Québécoise de 26 ans. Mais quelque chose lui manque. Le programme, établi dès le titre, ne subit guère d’altérations d’un bout à l’autre. En constatant que le film a été sélectionné au festival LGBT de Paris, on se dit qu’il y a peut-être une piste homosexuelle

qui pourrait expliquer quelque chose. Mais c’est tellement souterrain (une chaste soirée entre filles) que ça ne vaut guère la peine de creuser. L’absence (d’implication) de l’héroïne est précisément une constante de ce film en creux, qui se distingue surtout par ses obsessions formelles. “Le cadre est devenu important pour moi, explique Chloé Robichaud. Dans chaque film, je dessine tous mes plans, je les prends en photo lors des repérages.”

Le film s’en ressent ; certains plans d’objets ou de paysages sont d’une symétrie asphyxiante. D’un autre côté, cette gangue architecturale et plastique exerce une certaine fascination. On pense à l’œuvre de Denis Côté, compatriote de la cinéaste qui, lui, n’hésite pas à faire dissoner, voire grincer, ses fictions. Chloé Robichaud filme encore sur la pointe des pieds. Parviendra-t-elle à se décoincer ? Vincent Ostria

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de Georg Maas

L’Armée du salut

avec Juliane Köhler, Liv Ullmann (All., Nor., 2012, 1 h 37)

d’Abdellah Taïa

Gloubi-boulga norvégien à base de Stasi et de nazis. Un documentaire récemment diffusé sur France 3, Les Pouponnières du IIIe Reich, retraçait l’histoire du programme Lebensborn, avec lequel, en sélectionnant des mères porteuses blondes, les nazis pensaient obtenir le contingent de surhommes 100 % aryens dont ils rêvaient. Un délire, naturellement, dont cette fiction s’inspire pour échafauder des conséquences rocambolesques. En 1990, Katrine refuse de témoigner dans un procès des victimes de Lebensborn – cobayes dont elle faisait partie – contre l’Etat norvégien… Cela sur fond d’espionnite est-allemande et de sournois agissements de la Stasi, dont on postule qu’elle avait transformé de pauvres petits bons aryens de Lebensborn en agents secrets. Une fiction emberlificotée sur deux époques, années 60 et 90, traitée avec une lourdeur académique et une gravité papale. Le pseudo-thriller haletant tourne vite au mélo harassant. V. O.

L’écrivain Abdellah Taïa passe à la réalisation avec le portrait attachant d’un jeune homosexuel clandestin. vant de passer à la mise en scène, Abdellah Taïa a publié six romans, dont Le Jour du roi, récompensé en 2010 par le prix de Flore, ainsi qu’un recueil de lettres et de nombreuses tribunes dans les journaux à l’époque du printemps arabe. Il y témoigna de sa vie au Maroc, de son enfance meurtrie et de son engagement pour la libération de la parole homosexuelle dans un pays encore rétrograde sur la question des droits LGBT. Un parcours intime et politique dont son premier long métrage, L’Armée du salut, constitue a priori une suite logique, même s’il ne saurait être réduit au statut de film à thèse. Reprenant le point de départ de son roman éponyme publié en 2006, l’écrivain y fait le portrait d’un jeune Marocain, Abdellah (impressionnant Saïd Mrini), contraint de dissimuler son homosexualité à sa famille et de fuir les regards inquisiteurs dans son quartier populaire. La première partie du film décrit ainsi patiemment cette adolescence refoulée, suivant le rythme d’une chronique pointilliste où Abdellah Taïa infiltre le quotidien de son personnage, entre petites baises clandestines et humiliations récurrentes. Toute la force de L’Armée du salut est là, recueillie dans ces scènes élusives et comportementalistes, une série de gestes tour à tour sensuels et violents, saisis dans un dépouillement quasi bressonien. La suite du film, qui découvre le même personnage dix ans plus tard tout juste débarqué à Genève, cède à quelques facilités psychologiques jusqu’ici esquivées et paraît plus démonstrative. Du Maroc à l’Europe, on comprend alors qu’Abdellah est passé d’une aliénation à une autre, et qu’il restera partout un clandestin. L’Armée du salut est son témoignage, imparfait, fragile, mais vibrant. Romain Blondeau

D’une vie à l’autre



L’Armée du salut d’Abdellah Taïa, avec Karim Ait M’Hand, Saïd Mrini (Fr., Mar., Sui., 2013, 1 h 24) 7.05.2014 les inrockuptibles 67

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La Valse des pantins de Martin Scorsese Le film le plus parano de Scorsese, portrait édifiant du New York dingo du début des 80’s.

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l existe en marge de la filmographie de Martin Scorsese un film longtemps caché : American Boy. Un documentaire de 1978 dans lequel Scorsese tirait le portrait de son roommate, Steven Prince. Prince a été le junky le plus fringuant mais aussi le plus chaotique de toutes les années 70, et American Boy décrivait tout un quotidien d’histoires abracadabrantes où la défonce sombrait vite dans la grande parano. C’est, si vous voulez, un remake d’Italianamerican, le docu que Scorsese avait tourné sur ses parents, mais où la coke remplacerait le parmesan. Qu’American Boy soit resté un moment dans les caves de Scorsese n’a pas

empêché son influence palpable sur le reste de son œuvre. En particulier son versant paranoïaque. Il a sans doute peu à voir avec Kundun ou Hugo Cabret, en revanche il est clair que son ombre hante La Valse des pantins (1983) et After Hours (1986), deux films jumeaux qui ont toujours passé pour les films de Scorsese que la critique préfère – quand le grand public aurait voulu qu’il refasse un second Raging Bull, balançant les uppercuts. L’intimisme de La Valse des pantins, pire, son calme ironique, son classicisme fullérien (pas pour rien que Jerry Lewis regarde Le Port de la drogue à la télévision), l’ont fait passer durant des années pour

ce qu’il n’est pas : le film d’un type épuisé, en descente. Quand il est juste effrayant précisément en ce qu’il met à nu une familiarité permanente avec la paranoïa. Etrange aussi comment le temps éclaire différemment les films. A la sortie de La Valse des pantins, l’argument central était Jerry Lewis et à travers lui la célébrité tournée en satire. On riait jaune, ou noir, devant ce roi cathodique du stand-up kidnappé par un maboul (De Niro, royal et ahuri) en demande de quart d’heure warholien de célébrité. Aujourd’hui, on voit mieux à quel point ce film était avant tout un snapshot de New York. Le New York de John Lennon et de Mark Chapman, le New York des dingos croyant sortir de leur condition de sinistres inconnus en entrant en collision avec l’existence de leurs fétiches admirés. Et cette folie pure, new-yorkaise, c’est dans les secousses nerveuses qui traversent le visage de Sandra Bernhard qu’on la lit de façon terrifiante. On connaît mal en France cette sorte de Mick Jagger au féminin, mais elle est une figure importante de la culture américaine. Actrice de stand-up, grande gueule médiatique, activiste lesbienne, bitch revendiquée, amie (déchue) de Madonna, elle est ici sidérante, parcourant les rues de la ville en veste de blazer, jupe d’écolière et socquettes blanches, psychotique comme pas permis, balançant des dollars au nez d’une bande de cailles incarnées ni plus ni moins que par les Clash. Philippe Azoury La Valse des pantins de Martin Scorsese, avec Robert De Niro, Jerry Lewis, Sandra Bernhard (E.-U., 1983, 1 h 49), Carlotta, DVD et Blu-ray, environ 20 €

Les Voiliers du Luxembourg

cinéma en-chanté Trois beaux courts de Nicolas Engel, jeune cinéaste fan de Jacques Demy. Intitulé Les Voiliers du photocopie et ses alentours. Luxembourg, le premier film Calembours, nom de famille de Nicolas Engel est qui détermine une vie, intégralement en-chanté, effusion de couleurs dans la comme pouvaient souvent grisaille charentaise, portrait l’être ceux de Jacques d’idéal féminin… Cette fois, Demy, inévitable référence. c’est Les Demoiselles de C’est ainsi sans ambages Rochefort qui est cité. Et qu’il se présente comme un le miracle advient, puisque hommage aux Parapluies de de la (photo)copie surgit Cherbourg, dont il reproduit l’original(e) – littéralement la grammaire assez et théoriquement. brillamment. La reproduction Une chambre en ville vient est justement le cadre enfin en tête lorsqu’on du deuxième film d’Engel, regarde Les Pseudonymes, La Copie de Coralie, qui se le troisième film, situé déroule dans un magasin de au Havre, dans lequel

un libraire est tiraillé entre une fiction amoureuse et la violence du dehors (ses manifs, ses arrestations de sans-papiers). On sent surtout dans ce film la volonté de crever la bulle, de sortir de sa zone de confort et d’affirmer la dissonance comme façon

d’habiter le monde – programme qu’on trépigne de voir s’affirmer sur la longueur. Jacky Goldberg Les Voiliers du Luxembourg (2005, 23 min), La Copie de Coralie (2008, 22 min), Les Pseudonymes (2011, 30 min), Chalet pointu, environ 15 €

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séries bouclées, séries aimées Fargo illustre la nouvelle tendance hollywoodienne aux séries événementielles ou anthologiques, comme True Detective et American Horror Story. Une grande idée.

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ême chez les amateurs, il arrive que des voix s’élèvent contre la manière qu’ont les séries de ne jamais se terminer. Marre des saisons de trop, des lignes narratives étendues à l’infini, parfois pour pas grand-chose si ce n’est des raisons économiques. Bien qu’une grande part du plaisir pris à retrouver des personnages tienne à un principe d’éternelle répétition, l’industrie a choisi de répondre à cette préoccupation en proposant davantage de nouveaux formats. Depuis quelques mois, le mot “anthologie” connaît un revival, suivi de près par des termes aux origines un peu plus

l’atout principal est esthétique et narratif : on n’y raconte pas une histoire de la même manière

récentes : “limited series” ou “event series”. Si aucune traduction française satisfaisante n’existe pour ces deux-là, leur principe est clair quoique sujet à variations. Il s’agit de mettre en avant des récits bouclés à l’échelle d’une saison (avant de situer l’action dans un autre lieu et avec d’autres personnages si la série est renouvelée) ou de déterminer à l’avance que cet univers fictionnel durera un nombre fixe d’épisodes avant de dire bye-bye. Avant, on appelait ce dernier cas une minisérie – mais c’était avant. Depuis 2011, American Horror Story a obtenu un succès majeur en repartant à zéro ou presque, chaque année, exploit que s’apprête sans doute à reproduire la bombe HBO, True Detective. Son créateur et unique scénariste Nic Pizzolatto a confirmé lors de son récent passage à Paris que la deuxième saison, prévue pour début 2015, se

déroulerait en Californie (et non en Louisiane, comme la première) avec trois rôles principaux plutôt que deux – en revanche, il n’a pas voulu préciser si la rumeur voulant que des femmes tiennent les premiers rôles était fondée. D’autres séries prévues dans les prochains mois seront elles aussi éphémères ou douées de régénération, formant une véritable vague : Wayward Pines, produite par M. Night Shyamalan, avec Matt Dillon ; The Knick, réalisée par Steven Soderbergh, avec Clive Owen ; ou encore Aquarius, pour NBC, avec David Duchovny. Même la relance de 24 heures chrono devrait durer treize épisodes et disparaître. L’un des atouts de la forme fermée tient au fait que réalisateurs et comédiens de premier plan sont prêts à s’y consacrer, sûrs de ne pas se retrouver prisonniers, contrairement aux séries classiques où le contrat de base exige

un engagement de sept ans. True Detective a ainsi séduit Matthew McConaughey et Woody Harrelson. Du point de vue économique, les financements sont plus clairs et cadrés, car la phase du pilote est souvent laissée de côté. Mais l’atout principal de cette tendance est esthétique et narratif : on n’y raconte pas une histoire de la même manière. La vision de l’excellente Fargo (dix épisodes, depuis le 15 avril sur FX) le prouve. Cette adaptation par Noah Hawley du film des frères Coen sorti en 1996 s’inspire d’un fait divers survenu en 2006. On y suit les pas lourds de Lorne Malvo (Billy Bob Thornton), un gars étrange, tueur à ses heures, qui sème le désordre et la mort dans une petite ville du Minnesota. Alors que son influence sur un banal agent d’assurances (Martin Freeman) se déploie cruellement, les deux premiers épisodes savent à la fois rester fidèles à la glaciation et à l’ironie mordante du film, tout en mettant en place un monde nouveau, dynamique et autonome. Ici, le récit avance avec une autorité rare, peu de digressions – ou alors, très travaillées – et une forme d’évidence néanmoins mystérieuse. Est-ce illusoire ? Est-ce parce que l’on sait que la fin est déjà proche ? Peu importe : Fargo offre une expérience de spectateur à la fois familière et nouvelle. Après le générique, on se dit que le mal avancera toujours et que les séries brèves ont de l’avenir. Olivier Joyard Fargo le mardi sur FX

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brutale Gomorra Présentée en clôture du festival Séries Mania, l’adaptation en série du livre de Roberto Saviano a marqué les esprits. our sa cinquième édition, le réalisateur Stefano Sollima (Romanzo le festival parisien Séries Mania criminale) à la tête de sept épisodes sur a franchi un cap en termes de public douze. Nulle trace du style faussement (des séances quasiment toutes contemplatif qui mêlait le glauque et complètes) et dans sa programmation, le précieux dans le film de Matteo Garrone dont la dimension internationale s’est sorti en 2008 – Grand Prix du jury encore affirmée, avec la présentation au Festival de Cannes. On plonge ici en clôture des deux premiers épisodes dans la chair ardente des rues et des nuits de l’adaptation télé du livre de Roberto napolitaines de manière directe, crue, Saviano, Gomorra, en exclu mondiale. caméra portée, éclairages aléatoires, Une rareté quand les chaînes préfèrent dans la tradition bien installée de la série encore souvent se réserver la primeur policière dure à cuire. La géographie d’un lancement. du crime est autant explorée que les Aux commandes de ce polar prévu, dès personnages, ce qui donne à l’ensemble sa conception, pour franchir les frontières une assise réaliste vraiment intéressante. de l’Italie (produit par Sky Italia, acquis par Le récit classiquement tragique (père les frères Weinstein et Canal+), on trouve et fils, famille, trahisons) s’articule autour

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de la figure de Ciro, jeune membre de la Camorra (mafia de Naples) amené à grimper dans la hiérarchie, sous le patronage plus ou moins féroce du Parrain Don Pietro. L’entrée dans la série se fait à la manière forte. Très vite, on ne compte plus les morts et les cartouches scénaristiques vidées aussitôt qu’elles ont été mises dans le barillet du récit. Le signe d’une série qui, à défaut de révolutionner le genre, travaille sa matière dramaturgique comme une glaise en perpétuel mouvement. Nous voilà plongés dans la tête des truands pour longtemps. O. J. Gomorra saison 1, 12 épisodes, prochainement sur Canal+

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les délices de Kelis Après des années d’errance electro, la diva r’n’b revient aux sources avec un impeccable sixième album. Elle est en concert cette semaine.

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Ecoutez les albums de la semaine sur

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e producteur Dave Sitek nous expliquait, il y a quelques années, soigner sa suractivité quasi pathologique par la cuisine : elle seule était capable de le sortir des machines, samplers, instruments, écrans sur lesquels il a cuisiné les albums de TV On The Radio, Yeah Yeah Yeahs, Scarlett Johansson, Foals ou Oh Land. Il s’est, avec Kelis Rogers, trouvé une alliée parfaite : la demoiselle, l’une des fortes têtes historiques de la frange la plus intelligente du r’n’b US, désormais signée sur l’exigeant label Ninja Tune, est elle-même une chef (“certifiée”, est-il dit) depuis 2008. Etant donnée la paire de cordons-bleus, pas un hasard si son sixième album s’intitule Food et comprend des chansons nommées Breakfast, Jerk Ribs, Cobbler ou Biscuits n’ Gravy. Pas un hasard non plus s’il est si savoureux, soyeux, velouté, long en bouche : une soul food où pop, funk, gospel, r’n’b, amer et sucré, acide et joyeux se mixent avec une grâce et une cohésion parfaites, un disque d’une grande richesse, sensuel, libre et total, aux bouquets plus variés encore que ceux de ses prédécesseurs. Un grand album de Kelis autant qu’une grande réalisation de Sitek, en équilibre entre minimalisme moderniste et maximalisme doré, entre l’attrait pour tous et l’expérimentation discrète. Un disque qui conjugue la nostalgie soul au futur, chanté dans les hautes sphères, porté par les mélodies brillantes d’une brigade de petits tubes potentiels, enluminé par des arrangements riches, boisés et cuivrés qui, parfois, lui donnent l’allure d’un nouvel et excellent album de TV On The Radio. Kelis est enfin de retour aux affaires : la top chef, c’est elle et personne d’autre. Thomas Burgel

On vous retrouve, après quatre ans d’absence, avec un album qui séduit d’abord par son côté organique. En quoi votre collaboration avec David Sitek diffère-t-elle du travail que vous avez pu effectuer par le passé avec les Neptunes ou David Guetta ? Kelis – J’ai eu l’impression, dès le départ, qu’on partageait le même point de vue – et croyez-moi, ça ne se passe pas toujours comme ça. Entre David et moi, les choses ont été simples, la communication fluide : nous avions les mêmes idées, les mêmes références en tête. Ce qui est drôle, c’est que nous avons enregistré quelque chose de totalement différent de ce que nous avions initialement prévu, avec un son très live et un vrai groupe de bout en bout. J’ai fait un paquet de disques qui n’avaient pas cette résonance. Sitek vous a-t-il aidée à canaliser vos idées ? Non. Nous sommes juste deux musiciens de niveau égal qui avions envie de travailler ensemble. David est super, il se débrouille très bien tout seul,

“je n’ai jamais eu l’intention de me cantonner à un style musical. Je suis plurielle”

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Estevan Oriol

il n’a certainement pas besoin de moi. Et vice versa : si nous en avions eu envie, nous aurions pu écrire un opéra. Food prend un virage rétro-soul assez inattendu, compte tenu de votre discographie jusqu’ici… (Elle soupire…) On va encore m’accuser de jouer les girouettes, mais je n’ai jamais eu l’intention de me cantonner à un style musical. Je suis plurielle par définition. Quand j’avais 7 ans, mon père, qui était saxophoniste, m’a montré un piano. Il m’a dit : “Voilà, tout est là. Maintenant, à toi de jouer.” Simplissime, comme déclaration, mais cette unique phrase a posé les bases de ce que je suis en tant qu’artiste. Je ne me limite pas, je peux me permettre à peu près tout ce que je veux. Je le dis sans aucune prétention. Avez-vous souffert d’être injustement cataloguée ? Non, c’est un réflexe humain. Et si j’ai dû affronter certaines pressions, je n’ai jamais ployé. Pour tout vous dire, je n’avais aucune idée de ce qu’on attendait de moi au départ. Quand les gens ont voulu me mettre une longe, il était bien trop tard. Je crois qu’ils ont fini par comprendre de quel bois j’étais faite… (rire carnassier) Mon job, c’est de faire des disques. Libre aux autres, par la suite, d’y coller une étiquette. De par votre conception hybride de la musique, vous avez ouvert la voie

à nombre d’artistes, d’Ebony Bones à Azealia Banks ou Janelle Monáe… C’est exact, mais elles ne me sont pas redevables pour autant. Je me suis contentée de faire ce que j’avais à faire. Bon nombre d’artistes noires, de leur temps, et avec la foultitude de problèmes qu’elles ont pu rencontrer, ont pavé sans le savoir le chemin pour moi. J’aime penser que j’ai moi aussi joué mon rôle, mais ça ne veut pas dire pour autant que je mérite une médaille. La cuisine fait désormais partie de votre existence. Vous allez présenter un show culinaire à la télé américaine, et vous êtes sur le point de lancer votre propre marque de sauce, Feast. David Sitek est-il un bon cuisinier, voire un meilleur cuisinier que vos précédents collaborateurs ? Ça ne fait aucune doute… (rires) propos recueillis par Claire Stevens album Food (Ninja Tune/Pias) concert le 12 mai à Paris (Gaîté Lyrique), soirée You Need to Hear This Live (+ Dream Koala) iamkelis.com

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Earl Sweatshirt

Rouen, terre de mythes

Lisbonne stories

Oso Leone

le Primavera s’invite à la Machine Bonne nouvelle pour les malheureux qui ne seront pas au Primavera Sound : le festival espagnol s’installe à Paris le temps d’une nuit en compagnie du Nitsa Club de Barcelone. Ce sera le 10 mai à la Machine du Moulin Rouge avec Ame et Nathan Fake. Seront également présents les résidents du Nitsa, à savoir Headbirds, Oso Leone et DJ Fra du label Kompakt, par ailleurs programmateur du Primavera. Joli lot de consolation. lamachinedumoulinrouge.com

Comme chacun sait, Lisbonne est la ville la plus cool de l’univers et, coup de bol, elle n’est qu’à deux heures d’avion de la France ! Alors si vous hésitiez pour le mois de juillet, du 10 au 12, choisissez le Optimus Alive plutôt qu’un autre festival. Vous pourrez y voir les Black Keys, Arctic Monkeys, MGMT, Parquet Courts ou bien le trop rare Cass McCombs. Alors, vous attendez quoi ? optimusalive.com

des nouvelles de Four Tet L’Anglais Kieran Hebden, plus connu sous le pseudonyme Four Tet, vient d’annoncer trois prochaines sorties sur son label Text. Il y aura tout d’abord un nouvel ep, déjà titré Streetways. Puis suivra, cette fois sous le nom de Percussions, deux autres publications dont les premiers titres sont d’ores et déjà en écoute sur internet. Réjouissant. soundcloud.com/four-tet

les Libertines se reforment

Renaud Monfourny

Les mythes dans le rock : des lieux, des objets, des groupes, des images, des histoires… Du 16 mai au 14 juin, le 106, à Rouen, fait le tour de la question avec sa grande thématique de printemps intitulée Mythomania. Des expos, des films, des conférences, et bien sûr des concerts (Melt Banana, Earl Sweatshirt, Mustang, Charlemagne Palestine, The Toy Dolls, James Murphy, Brian Jonestown Massacre…). le106.com

Pete Doherty

neuf

Le groupe anglais a d’abord posté une carte de Hyde Park sur son compte Facebook, puis Carl Barât nous a invités à “libérer (notre) 5 juillet”. C’est désormais officiel : The Libertines se reformeront cet été dans le cadre du British Summer Festival à Hyde Park, pour une seule et unique date. Cette reformation se ferait essentiellement car Pete Doherty a “de gros soucis financiers”. Youpi ?

Aphex Twin

Grand Blanc Grand Blanc parce que Grand Gris, c’était moins sexy. Mais c’est là, entre sidérurgie cancéreuse et FC Metz relégué, qu’a grandi ce groupe qui a importé la morosité, l’anxiété et la poésie brutale de groupes habituellement venus de Leeds ou Manchester : Léo Ferré et Bashung chez Joy Division ? On en exige plus. soundcloud.com/grndblnc

Mais non, c’est pas Led Zep, c’est Ted Zed. Une voix tombée du ciel, en un gospel tremblant, translucide, qu’une electro à la fausse nonchalance se charge de faire marcher droit. Armé d’étonnantes références seventies (T. Rex, Todd Rundgren), le jeune Anglais fait la navette entre passé décomposé et futur déluré. tedzedofficial.com

Pennie Smith

Adrien Landre

Ted Zed

The Stone Roses L’Angleterre, encore heureuse, sonnée, hébétée, fête en grande pompe les 25 ans du premier album des Stone Roses, le NME en tête : l’hebdomadaire préfère ne pas se souvenir que, pendant des années, il a négligé ou méprisé le groupe de Manchester, avant d’être dépassé par son propre lectorat ! thestoneroses.org

Depuis vingt ans, c’est le graal des collectionneurs de musique électronique : Caustic Window serait le mythique album perdu d’Aphex Twin. Un album si rare que beaucoup doutaient de son existence, jusqu’à l’apparition récente d’un exemplaire sur un site d’enchères. L’acquéreur (13 000 $) devra faire des copies. drukqs.net

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Perou

“ce n’est absolument pas l’album que nous avions envie de faire” Karl Hyde

docteur Eno & mister Hyde Accompagné de l’Underworld Karl Hyde, Brian Eno sort un album pop, vocal et passionnant. On les a vus travailler, en toute liberté.

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n se réunissant quelques après-midi par semaine dans un loft de l’ouest londonien, Karl Hyde du groupe Underworld et Brian Eno avaient une idée en tête. Et même un concept nommé “Reickuti”, soit une rencontre entre la musique répétitive de Steve Reich et le groove endurant et hypnotique de Fela Kuti. Au final, cette pure projection née du cerveau toujours en fusion du docteur Eno vient d’accoucher de Someday World, charmant recueil de chansons pop de facture plutôt classique, traversées ici et là de phases de dérèglements contrôlés où l’édifice penche subitement, au point

de générer un début de vertige sonore dans l’oreille interne de l’auditeur. Acte manqué ? On connaît suffisamment la personnalité d’Eno, fan de doo-wop, émule de John Cage, dont le parcours ne se compare qu’à la tectonique des plaques, et la discographie à une révolution copernicienne permanente, pour savoir que bourrer de mouchoirs multicolores un chapeau et en sortir un lapin, il peut le faire. Mais de là à méduser même son compagnon d’aventure… “Je ne sais vraiment pas ce qui a pu se passer, nous avoue encore éberlué Karl Hyde près de la machine à café. Ce n’est absolument pas l’album que nous avions l’intention de faire ! A l’origine, il ne devait comporter que quatre morceaux avec une orientation très trance.” Finalement, Someday World en comporte neuf dont certains – Who Rings the Bell, par exemple – ne dépareraient pas dans les playlists radiophoniques anglaises aux côtés des London Grammar ou Lorde. “Nous avons improvisé à partir de quelques idées de base qu’avait Brian. Les mélodies sont venues quand nous nous sommes mis

à chanter. Puis les mots… Ce fut, je crois, le produit d’un refus de se restreindre, d’une liberté de ne rien s’interdire…” Une liberté qui, paradoxalement, les a menés à s’enfermer dans un format de trois ou quatre minutes avec parfois, comme sur When I Built This World, des ruptures où le thème se met à entrer en spirale sur lui-même, telle une sorcière un soir de sabbat. Karl et Brian se sont rencontrés il y a une vingtaine d’années lors d’un voyage en Bosnie. Les deux musiciens participaient à une opération de levée de fonds pour la construction, à Mostar, d’un centre de rééducation par la musique destiné aux enfants. Entre le chanteur d’Underworld – à la techno cardiostimulatrice – et le démiurge chauve, le courant passe instantanément. “Je n’ai jamais vraiment été un fan de rock. Ado, alors que tous mes potes ne juraient que par le heavy metal, j’écoutais du funk et de l’afro-beat. Autant dire qu’avec Brian l’horizon était largement ouvert.” Avec Someday World, il révèle une pop quasi liturgique, très années 80, sujette à des accès de fièvre tropicale comme en a connus la musique des Talking Heads, groupe dont Eno fut le producteur. Une séance dans le loft londonien, pour laquelle Brian et Karl se sont entourés de sept musiciens, permet d’entrevoir ce que ce projet pourrait donner en concert : une immense jam session à la Miles Davis conduite par Teo Macero, accompagnée par les musiciens de Can qui reprennent du Sly & The Family Stone (Everyday People). Barbare et bon enfant ! Mais Eno, qui n’a jamais caché son aversion pour la scène, reste prudent. “Bon, s’il le faut, finit-il par lâcher… Mais pour l’instant il s’agit d’une première étape. Savoir ce que l’on peut faire ensemble et surtout, surtout, retrouver le plaisir innocent de faire de la musique.” Francis Dordor album Eno/Hyde Someday World (Warp) eno-web.co.uk

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Fujiya & Miyagi Artificial Sweeteners Yep Roc/Differ-ant Le trio britannique réalise un cinquième album frondeur, sexuel et inquiétant. ette fois-ci est la bonne : le groupe de Brighton fait mieux que son œuvre majeure, Transparent Things. Davantage electro que le précédent Ventriloquizzing, ce nouvel album voit le trio revenir à ses premières amours : la fête, les raves du sud de l’Angleterre et les débuts du label Warp. La fusée décolle dès la chanson d’ouverture avec la disco Flaws et ne touche plus terre durant trente-huit minutes. Les morceaux anxiogènes sont merveilleusement portés par la voix poseuse de David Best. Derrière la clarté des mélodies joviales et des paroles répétées à tue-tête se cachent des histoires que l’on imagine tortueuses, truffées de sentiments inavouables et d’espoirs avortés. On croirait entendre la guitare de Magazine incarnée dans Artificial Sweeteners et Daggers. Pouvoir servir neuf morceaux dansants, bourrés de particules chimiques qui troublent vos sens, voilà la force de Fujiya & Miyagi. Avec la cruelle Little Stabs at Happiness ou l’explosive Vagaries of Fashion, tout peut basculer en un quart de seconde. Le genre de frissons qui laissent des stigmates. Brice Laemle

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fujiya-miyagi.co.uk

ep Equateur The Lava ep Zappruder Records

Déjà un changement de cap, vers l’aventure, pour ces intrépides Français. Troisième ep seulement et déjà un virage pour Equateur. Au délire tribal et futuriste des deux premiers, The Lava répond d’un clin d’œil aux influences eighties, avec ce qu’on peut imaginer de sonorités kitsch et d’allure guindée. Adieu cette voix aiguë et souple, qui faisait mourir de joie sur Haunted. Adieu la langueur science-fictionnelle d’Aquila et Luv Express. Place à l’exploration instrumentale (Ira), aux voix graves et perchées (The Lava), à la tentation de chanter en français (Cheval noir). L’ensemble est à peine moins excitant que ce qu’on connaissait. Mais il serait grave de parler d’Equateur à l’imparfait : ces jeunes Parisiens n’ont pas encore d’album – il leur reste tout à inventer. Décidément un des groupes les plus prometteurs de la nouvelle scène française. Maxime de Abreu soundcloud.com/equateur

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Iggy Azalea The New Classic Grand Hustle/Universal

Entre acide et sucre, le premier album en dents de scie de la Cendrillon du rap. e suis une rappeuse 3.0, le fruit de l’évolution du genre.” A l’heure où, dixit l’intéressée, “le hip-hop n’en est plus à une mutation près, après des années d’hybridation”, la guerre des gangs n’aura pas lieu entre la blonde australienne et sa rivale en titre, Azealia Banks. L’autre Azalea – Iggy de son prénom, 1,78 m sous la toise, des mensurations de Vénus hottentote – a donc le champ libre et taille la route, après avoir copieusement rongé son frein ou enchaîné les galops d’essai qui ont fait d’elle une attendue outsider – à commencer par l’impeccable single Work et son clip humoristico-trash. Outre une parodie de fellation et un minishort jaune canari, Iggy s’y faisait remarquer par son flow à la mitraillette et son attitude très “who’s the boss”. Moins couillu sur

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la longueur, The New Classic, dès les premières mesures de l’introductif Walk the Line, transforme son auteur en pendant féminin d’Eminem, en mode grosse fonceuse, plus teignasse que bitch, le côté couineur nombriliste en moins. Iggy n’étant jamais aussi inspirée que lorsqu’elle choisit de raconter sa vie, qui l’a vue mordre la poussière, l’inquiétant et austère Impossible Is Nothing, le très remonté Goddess ou ce Fuck Love qui rappelle la production historique de N.E.R.D. valent de l’or. Sur le versant opposé, le trop accessible 100,

le chimique Black Widow ou un Don’t Need Y’all sans mordant diluent le propos d’un album à la production parfois trop clinquante : son répertoire n’avait pas besoin de ce genre de procédé cosmétique d’habitude réservé aux bagnoles volées. Si l’ensemble brasse trop large et peut manquer de concision, il a le mérite de dresser le portrait d’une “hard workeuse” qui en a sous le capot. A suivre, donc. Claire Stevens iggyazalea.com

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Kevin Morby Harlem River Woodsist Dylan et Cohen veillent au grain sur cet album même pas disponible en France. es morts, ils ne reviennent Hammond et chœurs discrets pas”, annonce le titre du servent sa voix aérienne, dernier morceau de Harlem une voix qui semble venir tout droit River. Son auteur, Kevin des années 60 tant elle parle Morby, est en effet plutôt hanté le Dylan sans accent, sur Wild Side par les fantômes vivants : Bob (Oh the Places You’ll Go). Dylan et Leonard Cohen planent Résidant désormais à Los Angeles, sur les huit chansons de ce l’Américain a écrit son album premier disque épatant, hélas non en hommage à New York, paru de ce côté de l’Atlantique. où il a habité quelques années. En dehors d’un passage remarqué Il y a invité la chanteuse Cate lors de la dernière édition de Le Bon et le résultat (Slow Train) la Route du rock, Morby est peu est bon. L’ensemble, d’ailleurs, connu en France. On l’a pourtant est remarquable : à ceux qui ont croisé sans le savoir : à la basse aimé l’album de Foxygen l’an dans les excellents Woods dernier, on conseille de plonger et au chant chez The Babies. sans bouée dans cet Harlem River. Johanna Seban Sous son nom et en solo, il signe un disque à la production joliment facebook.com/kevinrobertmorby surannée : pedal steel, orgues

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Mozes And The Firstborn Siluh Records/Differ-ant

Nick Helderman

Mozes and the Firstborn La garage-pop euphorique et débraillée de quatre slackers hollandais. continue la virée En découvrant l’année en embarquant d’autres dernière I Got Skills, le premier single jubilatoire invités au passage : de Mozes And The Firstborn, des hormones en ébullition et une insouciance on a eu une soudaine charmante, propres à envie de sécher les cours leur âge. Attachants à bord d’une Cadillac jusque dans leurs vintage déglinguée, toutes approximations, ces fenêtres ouvertes, avec ces cancres venus d’Eindhoven. hymnes lo-fi sans calcul privilégient les guitares Leur premier album

explosives et l’esprit do it yourself sans jamais perdre de vue leur sensibilité pop, qui rejaillit dans des mélodies ensoleillées : la relève est assurée pour le rock buissonnier – et épineux. Noémie Lecoq mozesandthefirstborn.com

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Nits 40 Years (coffret 3 CD + 1 DVD) Sony Rétrospective grand format des vétérans hollandais, souvent géniaux. e long voyage à travers Ce rappel en accéléré de leurs quarante ans d’une des plus aventures en pays sensoriel belles discographies de permet de revivre certains épisodes la pop-music s’achève par un oubliés, comme la fin des seventies inédit aux accents bibliques intitulé où, un peu coincés, ils sonnaient Our Daily Bread. Au fil des années, comme du Devo mis au carré par les Nits furent en effet notre Mondrian. Avant l’apogée grandiose pain quotidien, au prix d’heures que constituent pour eux les délicieuses passées à décortiquer années 80/90 qu’ils traversèrent en les mécanismes horlogers parallèle à toutes les modes et aux de chansons qui ne ressemblent sommets des “Dutch Mountains” à aucune autre produite sur terre pour glisser vers un minimalisme et qui souvent nous firent penser chaleureux (période Ting) que la Hollande était un pays qui s’accompagnait alors de shows magique dont le génie humain avait graphiquement indépassables. fait sa patrie d’élection. D’un Un DVD des clips astucieux premier single encore marqué par et poétiques de ce groupe les “sunny sixties” (Yes or No) aux aux ambitions multimédias offre élégantes aubades contemplatives un aperçu supplémentaire de leur des derniers albums, cette grande magnificence. Christophe Conte œuvre patiente, souvent secouée nits.nl malgré ses apparences placides (on se rappelle les nombreux changements de formation, avec Henk Hofstede en seul capitaine au long cours), laisse pour seul regret de n’avoir pas été plus largement partagée. Trop excentrés, excentriques, discrets, intelligents sans doute, les Nits sont les Beatles miniaturistes d’une Europe multilingue, lettrée et rêveuse, qui reste à l’état de fantasme.



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Rezzie

Chet Faker Built on Glass Future Classic/Pias Malgré un nom-gag, ce cousin australien de James Blake parvient à toucher au cœur. n raison de possibles de fond pour les sandwicheries confusions homonymiques de hipsters – mais, comme avec avec la tête pensante James Blake, c’est à l’usure que se de LCD Soundsystem (et révèle la singularité d’un tel objet. un compatriote chanteur nommé La main de plâtre ébréchée Nick Murphy), l’Australien Nicholas de la pochette qui semble nous James Murphy s’est choisi un nom repousser est paradoxalement encore plus voyant, hommage une invitation à aller y voir un brin masochiste au James Dean un peu plus en profondeur. Elevé du jazz, dont il revendique sans à la soul de Motown comme aux fausse pudibonderie l’inspiration. euphories de la house, à cultiver Mieux vaut toutefois oublier cette en parallèle cette obsession pour coquetterie patronymique assez le jazz West Coast, il est parvenu cheap, Chet Faker n’étant à infiltrer sa musique dans les que très vaguement un Chet Baker failles (béantes) qui séparent ces faussaire, bien qu’évoluant dans continents musicaux, se donnant le très large spectre des crooners pour mission, avec cet album, d’ombres et lumières, mais à de les combler de sa seule trop bonne distance de l’Américain présence. Le Fender qui rôde à voix pâle pour qu’on se hasarde sur Release Your Problems à toute comparaison. oriente d’abord vers la fausse piste C’est plus volontiers en cousin du smooth-jazz lubrique des 80’s, des antipodes de James Blake, mais la voix plaintive nous voire parfois d’Antony, qu’on rappelle qu’on n’est pas chez les l’accueille, soit en chanteur maniéré séducteurs à moustache de L. A., mais touchant, dont la voix affectée et malgré son sax lascif, Talk s’agrippe à des musiques, Is Cheap tire plus volontiers vers c’est dit dans le titre, “bâties sur The xx en moins maladif. du verre”. On redoutait, sur la foi C’est d’ailleurs dans le des quelques singles auxquels minimalisme que Chet Faker finit on avait prêté une oreille distraite, de convaincre tout à fait (To Me, de se retrouver encore en présence l’afrobeat sous cloche de Cigarettes de l’un de ces émotifs de pacotille & Loneliness), usant de fils surjouant sa petite comédie rythmiques dénudés et de quelques narcissique sur du downtempo effets en boucle pour que sa seule sans écharde ni mystère. voix (et ses chœurs en écho) C’est la sensation qui prévaut occupe l’essentiel de l’espace. lorsqu’on passe dessus en vitesse Admirablement. Christophe Conte – l’écueil de ces disques qui facebook.com/Chetfaker finissent par devenir des bruits

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Sascha Heintze

la découverte du lab Thylacine

Cet Angevin adepte de trip-hop donne un nouveau visage à la musique électronique française. es dizaines de milliers d’écoute sur SoundCloud, Les iNOUïS du Printemps de Bourges puis une première partie de Stromae sur son CV : Thylacine commence sérieusement à se faire une place dans le paysage electro français. William Rezé, étudiant aux Beaux-Arts et saxophoniste de formation, délaisse provisoirement son orchestre mais pas son instrument pour autant, et compose une musique électronique personnelle et élégante. Adepte du sampling vocal, il fait appel à l’une de ses camarades de promotion, Camille Després, pour l’accompagner sur des improvisations : “Je ne m’intéresse pas au sens des textes, je travaille essentiellement la voix comme un instrument, pour ses sons et pour sa mélodie. Les textes des morceaux avec Camille n’ont un sens que purement mélodique.” En live, des projections graphiques et introspectives (signées Laetitia Bely) viennent traduire et sublimer cet univers dansant et planant. Et si Thylacine prend ses racines dans les compositions de Steve Reich et John Talabot (pionniers de la musique minimale), il puise également son énergie dans des constructions complexes à la Massive Attack. Loin des codes classiques de l’instrument et du chant, l’immersion est totale, les compositions de Thylacine ne sont ni faciles ni tapageuses et s’immiscent doucement en soi, de façon intuitive. En attendant le prochain ep, Blend (coédition Gum/Budde Music), qui sortira en juin, son remix de Dying Kings est à retrouver sur l’ep Relizane Remixed de We Are Match (lauréats les inRocKs lab 2013). Abigaïl Aïnouz

Carla Bozulich

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La musique envoûtante et lente d’une disciple de Nick Cave. Active depuis une vingtaine d’années sur le flanc le plus escarpé de la scène folk-rock américaine, Carla Bozulich a d’abord été repérée au sein de groupes mineurs mais attachants tels que The Geraldine Fibbers ou Scarnella. Aujourd’hui, elle officie au sein du trio Evangelista (trois albums au compteur, tous chez Constellation) et enregistre en parallèle des albums sous son nom. Conçu avec la complicité étroite du multiinstrumentiste John Eichenseer et la précieuse collaboration du batteur italien Andrea Belfi (par ailleurs membre de l’excellent trio Hobocombo), ce recueil de lentes ballades magnétiques, aux intenses reflets gothiques, ne se situe jamais très loin – il s’en approche même souvent tout près – de Nick Cave & The Bad Seeds. Diablement envoûtante, la voix de miss Bozulich parachève très bien le (noir) tableau. Jérôme Provençal carlabozulich.com

en écoute sur lesinrockslab.com/thylacine

Jennifer Kitner

retrouvez toutes les découvertes sur lesinrockslab.com

Nic Schonfeld

Boy Constellation/Differ-ant

The Horrors Luminous XL Recordings/Beggars/Wagram Les Anglais s’embarquent pour un trip sous happy pills, parfois pompeux. uatrième album, et le groupe change son fusil d’épaule. Passé une brume instrumentalo-atmosphérique, Chasing Shadows – en ouverture de ce bien-nommé Luminous – débouche sur des basses ronflantes à la U2 et son lot de “pouic-pouic” interstellaires. Autre (grosse) surprise : Faris Badwan semble avoir fumé de l’hélium, à mille lieues de son timbre de Barry White new-wave. Grosses cavalcades dominées par les guitares, les deux premiers morceaux posent la question cruciale : en a-t-on fini avec le côté Béla Lugosi métrosexuel de The Horrors, qui semblent viser l’apensanteur pop ? Interrogé quant à ce changement radical, le groupe réplique avoir recherché “une nouvelle dynamique. Notre son se devait d’être exigeant, mais aussi hédoniste et dansant, en club comme en festival.” Du coup, le résultat saute un peu trop vite aux oreilles, jusqu’à So Now You Know, impeccable tube de la mise en orbite. Luminous aligne dès lors les perles planantes comme les morceaux poussifs, voire pompeux. Joshua Hayward, guitariste, expliquait “avoir voulu sonner moins rock que d’habitude”. Au jeu du ratissage, The Horrors récupéreront large avec ce néo-stadium-rock, mais y perdront aussi leur fan-base. Claire Stevens

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thehorrors.co.uk

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dès cette semaine nouvelles locations en location retrouvez plus de dates de concerts dans l’agenda web sur inRocKsLive.com

Les 3 Elephants du 23 au 25/5 à Laval, avec Acid Arab, Fauve ≠, Détroit… Art Rock Festival du 6 au 8/6 à Saint-Brieuc, avec Casseurs Flowters, Foals, Benjamin Clementine… Black Lips 26 & 27/5 Paris, Nouveau Casino Boom Bap Festival jusqu’au 11/5 à Reims, avec Another Pixel, Lorsonik… Brian Jonestown Massacre 20/5 Lille, 21/5 Paris, Bataclan, 22/5 Rouen, 23/5 HérouvilleSaint-Clair, 24/5 Brest, 25/5 Nantes Cat Power 26/5 Nantes, 27/5 Mérignac, 29/5 Toulouse Chinese Man 9/5 Dijon 10/5 Rouen 16/5 Caluireet-Cuire 17/5 Montpellier 21/5 Lille 24/5 Paris, Zénith Benjamin Clementine 19/5 Paris, Cigale Cloud Nothing 20/5 Paris, Cigale Coming Soon 14/5 Strasbourg Crocodiles 27/5 Paris, Point Ephémère Mac DeMarco 16/5 Paris, Trabendo, 17/5 Nantes, 18/5 Saint-Josse Détroit 8/5 Amiens, 13/5 Caen, 14/5 Lille, 15/5 Bruxelles, 19/5 Mérignac, 20/5 Toulouse, 21/5 Marseille, 27 et 28/5 Nantes,

29/5 Mérignac, du 1 au 6/6 Paris, Cigale, 27/6 ClermontFerrand Future Islands 12/5 Paris, Trabendo, 13/5 Metz Garorock du 27 au 29/6 à Marmande et dans le Lotet-Garonne, avec Phoenix, Gesaffelstein, Bakermat... The Horrors 15/5 Paris, Gaîté Lyrique Les Indigènes du 29/5 au 5/6 à Nantes, avec Liars, Money, Hanni El Khatib… Isaac Delusion 28/5 Tourcoing 10/6 Paris, Gaîté Lyrique Kelis 12/5 Paris, Gaîté Lyrique Klaxons 12/5 Paris, Maroquinerie

sélection Inrocks/Fnac

avec Agoria, Black Lips, Suuns…

Schoolboy Q à Lyon Oxymoron, le dernier album de Schoolboy Q, s’inscrit dans cette tradition hip-hop West Coast qui tabasse et brille d’une lumière noire. La production est sombre, les beats raides et le flow irrésolu. Schoolboy Q est à découvrir sur scène, lundi au Transbordeur.

Primavera Sound Launch Party 10/5 Paris, Machine, avec Ame, Nathan Fake…

Le1f 13/5 Paris, Gaîté Lyrique

Schoolboy Q 12/5 Lyon

sélection Inrocks/Fnac

festival des lauréats “Sosh aime les inRocKs lab” du 29 au 31/5 à Paris, Gaîté Lyrique, avec Holy Two, Dirty Tacos, Comausaure…

Le1f à Paris Le hip-hop queer ne s’est jamais aussi bien porté qu’aujourd’hui et Le1f y est pour beaucoup. Le rappeur new-yorkais en bouscule les codes avec son flow lourd et ses productions complètement tarées. Ne reste plus qu’à découvrir son show, ce mardi à la Gaîté Lyrique.

Emily Loizeau 16/5 Auxerre, 17/5 Thionville, 19/5 Paris, Théâtre Dejazet Nuits sonores du 28/5 au 1/6 à Lyon,

Rock This Town du 13 au 24/5 à Pau, avec Cocktail Bananas, Sister Cookie… Sakifo Festival du 23 au 25/5 à Saint-Pierre, La Réunion avec Stromae, Nasser, Iza, Tamikrest…

Son Lux 22/5 Lorient, 24/5 Saint-Josse, 26/5 Paris, Café de la Danse, 27/5 Strasbourg, 28/5 Metz, 1/6 Gennevilliers Talisco 23/5 Magnyle-Hongre, 6/6 Mérignac, 8/6 Maubeuge, 10/6 Paris, Cigale Tambour Battant 21/5 Paris, Nouveau Casino This Is Not a Love Song du 29 au 31 mai à Nîmes, avec Acid Arab, Daniel Avery, Jungle…

“Vie Sauvage” 21/5 Paris, Point Ephémère, avec Le Vasco, Isaac Delusion Weather Festival du 6 au 9/6 en Ile-de-France, avec DJ Deep, Mount Kimbie, Ben Klock… Weekend des curiosités du 22 au 25 mai à Toulouse, avec Acid Arab, Fakear… We Love Green du 31/5 au 1/6 à Paris, parc de Bagatelle, avec Lorde, Foals, etc.

aftershow

JeanneChe rhal, la totale

Le Printemps de Bourges du 22 au 27 avril Pour sa 38e édition, le festival présentait ses jeunes pousses prêtes à éclore aux côtés de têtes d’affiche costaudes. L’auditorium a battu la mesure sur la prestation chorégraphiée de Christine And The Queens, dont le mashup imprévisible entre Kanye West et Christophe fait encore boum dans nos cœurs ! Jeanne Cherhal a sorti le grand jeu en costume blanc et décor de cinéma : projecteurs et piano à queue pour fêter son quinquennat à Bourges. Le Palais d’Auron, lui, a swingué avec le doo-wop du Savoyard Gaspard Royant, la Løve-machine de Julien Doré et l’émoi d’une chrysalide de toute beauté, Emilie Simon. C’est sous son manteau de pluie que le Printemps fêta le retour du roi fauve, sous le nom de Détroit, après douze ans d’absence. Grand cru pour Les Inouïs qui invitèrent le dandysme des Parisiens de Feu ! Chatterton, la new-wave à la française de Grand Blanc et la techno minimaliste du Clermontois Comausaure. La Rock’n’Beat Party afficha quant à elle complet avec 12 000 festivaliers prêts à cogner et sauter en tous sens devant la performance déglinguée de Salut C’est Cool et la symphonie électronique de Jackson And His Computerband. Fin des festivités avec une bande de Québécois qui a mangé de la dynamite, les imprévisibles multi-instrumentistes et chauffeurs de salle Misteur Valaire ! Abigaïl Aïnouz 7.05.2014 les inrockuptibles 85

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les derniers romantiques Après en avoir fait un film, Whit Stillman en a fait un roman : plongée dans le New York eighties sur fond de Sister Sledge et de désillusions, Les Derniers Jours du disco paraît enfin en France.



evenu au cinéma en 2011 avec Damsels in Distress, une comédie musicale et romantique avec Greta Gerwig, Whit Stillman avait signé en 1998 son précédent film, Les Derniers Jours du disco, avec une autre actrice blonde, Chloë Sevigny. En 2000, un éditeur américain en commandait sa “novelisation”. Dans l’introduction au livre, qui paraît enfin en France, Stillman explique pourquoi il a accepté de faire de cette histoire (de sa vie) un roman après en avoir déjà tiré un film : “Pour saisir un pan de notre vie, de notre culture, et l’enrichir. Pour traduire, décoder les épisodes que nous avons vécus et, sinon pour se les approprier, du moins en préserver la mémoire écrite.” Parce que le virage que vivent les protagonistes des Derniers Jours… est l’un des plus marquants de leur vie : il les transforme, les fait mûrir et conditionnera le reste de leur existence.

New York, début des années 80 : des jeunes gens fraîchement sortis de l’université font leurs débuts dans la vie professionnelle – la publicité pour Jimmy Steinway, alter ego de l’auteur, et l’édition pour Charlotte et Alice, les deux héroïnes – et découvrent son univers impitoyable où chacun peut se faire virer du jour au lendemain. Leurs liens se noueront à travers deux points centraux, autour desquels tourne tout le livre : le Club, sorte de deuxième Studio 54, la scène branchée par excellence, où il est très dur d’entrer, plus facile d’être éjecté, et où ceux qui réussiront à “en être” se livreront à un chassé-croisé amoureux et amical, sur fond de BO impeccable signée Sister Sledge ou Nile Rodgers ; et la blonde Alice, une jolie fille un peu inhibée, sans cesse malmenée par son amie et colocataire, la brune et cynique Charlotte,

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le disco aura été cette utopie de vie heureuse, où tout est joyeux et léger, au sein d’un monde où les rapports professionnels sont d’une dureté glacée

Kate Beckinsale et Chloë Sevigny dans Les Derniers Jours du disco de Whit Stillman (1998)

mais qui attire tous les désirs masculins et devient la pierre d’achoppement de toutes leurs rivalités. Dès le début, Jimmy Steinway a le béguin pour Alice, mais il finira par sortir avec Charlotte parce qu’entre-temps Alice, qui se sentait aussi attirée par Jimmy, a passé la nuit avec Tom, qui la larguera sans pitié quelques jours plus tard au Club en lui balançant : “Pourquoi quand une fille a envie de coucher avec un inconnu, son QI chute de quarante points ?” Elle avait cru qu’elle deviendrait “sexy” en se rendant légère, elle n’a fait que se prendre les pieds dans le tapis. Les Derniers Jours du disco regorge de cette ironie de l’existence à laquelle nous nous heurtons constamment : des malentendus et des accidents qui contrôlent nos vies bien davantage que nous-mêmes, qui nous mènent à l’échec, à dévier de la route qu’on s’était choisie, à remplacer nos désirs par d’autres, qu’on n’aurait même jamais pensé éprouver. Dans cette carte de Tendre eighties, s’ajoutent d’autres personnages hauts en couleur : Josh, un maniaco-dépressif terriblement attachant ; Holly, la troisième coloc des filles, que tous soupçonnent d’être bête, mais surtout Dez, le gérant du Club et meilleur ami de Jimmy, un womanizer qui tombe sous le charme d’Alice. Qui finira-t-elle par choisir ? Fera-t-elle un choix masochiste en la personne de Dez ? Ou Jimmy et elle finiront-ils par se retrouver dans un happy end ?

Ces questions, jamais lourdes, effleurent sans cesse le lecteur, harponné par le charme de conversations drolatiques entre les protagonistes : après s’être fait virer du Club par Van, le videur superclasse du lieu, sous prétexte qu’il trouve ringard d’avoir ces “yuppies” parmi sa clientèle, le groupe s’interroge sur la notion de “yuppie”, et si ça existe vraiment. Peut-on être maître de son destin ou non, se demandent Charlotte et Alice, et ainsi forcer les choses ? Faut-il ou non caser le mot “sexy” dans la conversation pour séduire un mec ? Les vodka-tonic et les whiskey sour s’accumulent, la coke fait son entrée sur la scène du Club, mais bientôt, le disco ne sera plus qu’un souvenir, comme les nuits pleines d’espoir et d’insouciance de leur jeunesse. A la fin, un des personnages déclare que “le disco ne sera jamais mort”, mais trop tard, l’époque et leurs vies ont basculé dans un autre temps, celui des désillusions de l’âge adulte. Tout au long du roman, le disco aura été cette “utopie” de vie heureuse, de possibles, une société secrète où l’on peut se réinventer, où tout est joyeux et léger, au sein d’un monde où les rapports professionnels sont d’une dureté glacée. Près de vingt ans après ces épisodes, tous se rassemblent une ultime fois autour de la projection des Derniers Jours du disco, le film inspiré de leur jeunesse par Jimmy Steinway/Whit Stillman, suivie de cocktails chez Petrossian. Et Dez déclare que toute sa vie amoureuse, qu’il a ratée, a été marquée par Alice, par celle qu’il n’a jamais pu atteindre, allant de fille en fille sans pouvoir les garder, hanté par ce premier échec. Et Stillman a bien fait d’en faire un roman. Ce qu’il a ajouté à un film déjà réussi, ce sont les commentaires et les pensées, la psyché de chacun, et ainsi, bien plus de profondeur psychologique et émotionnelle à chacun des personnages. Les Derniers Jours du disco a quelque chose des Lois de l’attraction de Bret Easton Ellis, la noirceur en moins, le romantisme en plus. Le roman, très beau, d’une nouvelle “génération perdue”. Nelly Kaprièlian Les Derniers Jours du disco (Tristram), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Olivier Grenot, dessins de Pierre Le Tan, 384 pages, 21,50 € 7.05.2014 les inrockuptibles 87

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Rawi Hage Carnival City

Patrice Normand/Opale/Editions de l’Olivier

Denoël, traduit de l’anglais (Canada) par Dominique Fortier, 352 p., 21,50 €

le livre à venir Peut-on lire Proust en inuit ? Tirant prétexte d’une réflexion sur la traduction, l’Anglais Adam Thirlwell esquisse une théorie polyglotte de l’art du roman. Erudit, drôle et passionnant.

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n version originale, le titre du dernier livre d’Adam Thirlwell est Miss Herbert, du nom de la gouvernante de la nièce de Flaubert, qui la première tenta de transposer Madame Bovary dans la langue de Shakespeare. En français, Miss Herbert devient Le Livre multiple. Cette métamorphose liminaire contient à elle seule les mille et une questions au cœur du texte foisonnant de Thirlwell : jusqu’à quel point une traduction doit-elle rester fidèle ? quelles libertés peut-elle prendre ? peut-on seulement tout traduire ? L’écrivain britannique de 35 ans, promu jeune prodige des lettres anglaises avec son premier roman, Politique, paru en 2004, ne répond pas ici en théoricien savant (malgré son indéniable érudition) mais en romancier, et surtout en lecteur à la fois ogresque et subtil, intriquant à sa tourbillonnante réflexion une pointe d’espièglerie, des hommages à Laurence Sterne et à son Tristram Shandy, à Vladimir Nabokov et à Samuel Beckett, auteurs polyglottes qui se sont autotraduits, mais aussi des digressions sur Barthes, Satie, Picasso, Duchamp, Schoenberg, Borges, Poe, Joyce. Tel un origami, les hypothèses de Thirlwell, tout en plis et replis, dessinent page après page les contours du concept

de “roman international”, soit l’idée que la singularité d’un roman peut être reproduite en n’importe quelle langue. Pour cela, le traducteur doit avant tout s’attacher à restituer l’esprit du texte, faire transmigrer son âme d’un idiome à l’autre. Métaphysique, le propos se fait aussi politique – voire révolutionnaire – quand Thirlwell remet en cause la notion de propriété littéraire et donc celle d’auteur. Autant de pistes empruntées tous azimuts qui le mènent à cette conclusion : “Une traduction peut devenir un nouvel original.” Mais finalement la question de la traduction n’est qu’un prétexte pour interroger la création littéraire. Ce n’est pas tant une théorie du “livre multiple” qu’Adam Thirlwell élabore que celle d’un roman unique et infini. Comme si toute la production romanesque mondiale n’était en réalité qu’un seul et même roman sans cesse réécrit, un collage de tous les textes précédents et à venir. Sachant cela, l’écrivain ne doit pas s’avouer vaincu mais se lancer dans des projets toujours plus “débridés”, “totalement multiples”. Intention séduisante que l’on a hâte de voir mise en pratique dans le prochain roman d’Adam Thirlwell. Elisabeth Philippe

L’humanité vue par un chauffeur de taxi. Dément. Il y a eu Taxi Driver de Scorsese, Night on Earth de Jim Jarmusch, les récits truculents de Dan Fante… Figure familière et intrigante de tout paysage urbain, le chauffeur de taxi est le narrateur idéal d’un roman, le personnage rêvé pour un film : discret et omniscient, spectateur de l’humanité et acteur des déambulations urbaines. Libanais installé au Canada, Rawi Hage se réapproprie cette thématique éprouvée : son narrateur, Fly, est un baroudeur né dans un cirque, d’une mère trapéziste et d’un père pilote de tapis volant, et élevé par une femme à barbe. Au volant de son taxi, il voit défiler putes et dealers, jeunes loups de la finance et touristes ivres morts. Il y a une vraie poésie dans la manière dont Hage embrasse l’humanité, à travers l’œil avisé de ce conducteur discret et bibliophile, élargissant peu à peu le champ pour tisser une intrigue dont le taxi devient le seul véhicule. On croise alors une voisine musulmane et un activiste communiste prénommé Otto. Alors que le carnaval change la ville en cirque géant, une étrange affaire de braquages littéraires fait dévier Fly de son itinéraire. Il s’agit de corriger les coupables en leur faisant lire de la grande littérature, un flingue sur la tempe. Une méthode bizarrement enthousiasmante. C. G.

Le Livre multiple (Editions de l’Olivier), traduit de l’anglais par Anne-Laure Tissut, 464 p., 26 €

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l’écume du passé Plongée violente dans la France d’après-guerre. L’anti-Pierre Lemaître. ’est un roman estampillé “thriller” mais qui, s’il procure bien ce frisson d’excitation, ce thrill délicieux, couvre tant de genres et convoque un si vaste panorama d’émotions qu’il y a quelque chose d’injuste à l’affubler d’une étiquette. Car alors, que n’est-il pas un roman d’amour, un roman historique, un roman de guerre ? Bordeaux, années 50 : à en croire les livres d’histoire, la guerre est finie depuis plus de dix ans. Et pourtant, elle est partout. Dans les silhouettes fragiles et les regards absents des rescapés des camps ; sur les murs couverts de tableaux spoliés des appartements cossus de collabos oubliés par la justice ; dans les rangs de la police, gangrenée par de grands arrangements avec la morale… Et puis il y a

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l’autre guerre, la nouvelle, celle qui envoie les jeunes garçons en Algérie au nom d’une patrie dont ils doutent à chaque instant. Il n’est pas trop de cinq cents pages pour se laisser entraîner par Hervé Le Corre – dont c’est le dixième roman – dans cette France si proche et pourtant si lointaine, soulagée et terriblement inquiète, si loin de l’image d’Epinal des fantastiques Trente Glorieuses que l’on nous ressert à l’envi. Dans l’après-guerre de Le Corre, tout est sombre, tout est enfoui, tout est troublant. Il y a Jean Delbos, ancienne racaille, mort à Auschwitz même s’il en est revenu. Renommé André Vaillant, il réapparaît pour se venger. Dans son

viseur, Darlac, un commissaire prêt à tout pour préserver son statut de petit dictateur véreux. Daniel, lui, a été sauvé, enfant, de la déportation par un couple qui l’a recueilli et élevé, et part frotter son innocence de jeune homme au désert algérien. L’écriture est âpre et brutale, les scènes de guerre à la limite du soutenable, la violence omniprésente, en lutte avec l’amour, la tendresse et la loyauté qui parviennent bon an mal an à se frayer un chemin dans les cœurs meurtris. “Après la guerre, parfois la guerre continue. Silencieuse, invisible. Le passé se présente à votre porte avec la sale gueule d’un sale flic ; même les morts reviennent. Pas toujours ceux qu’on espérait revoir”, écrit Hervé Le Corre. Son livre, lui, continue de hanter une fois refermé. Clémentine Goldszal Après la guerre d’Hervé Le Corre (Rivages), 528 p., 19,90 €

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le château enchanté de P. G. Wodehouse La magie de P. G. Wodehouse, qu’est-ce que c’est ? Deux inédits nous en offrent une merveilleuse définition.

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elham Grenville Wodehouse (1881-1975) est devenu, avec la série des Jeeves, le maître incontesté de l’humour britannique, plus cocasse et loufoque qu’Evelyn Waugh lui-même. Avec 70 romans, 200 nouvelles et 14 pièces de théâtre à son actif, pas étonnant qu’il reste encore certains de ses livres à traduire, pour le plus grand bonheur de ses fans. Les deux inédits qui paraissent aujourd’hui, Un pélican à Blandings (1969) et Si j’étais vous (1931), prouvent que la recette à la sauce P. G. n’a pas changé en quatre décennies. Wodehouse est, en quelque sorte, l’inventeur de la sitcom avant l’heure : tout le roman, toute l’intrigue se passent en un même lieu, un manoir, dont les protagonistes entrent et sortent, se croisent et se parlent, nouent un incroyable imbroglio (souvent sur trois fois rien) qu’ils devront peu à peu dénouer pour atteindre le happy end – car pas de Wodehouse sans son happy end. Un pélican à Blandings appartient à la série des “Blandings castle et Lord Emsworth”, qui reposent tous sur le même gimmick de base : un château à la campagne, où vit paisiblement Lord Emsworth, passionné par l’Impératrice,

sa truie préférée, et dont la tranquillité sera vite troublée par Connie, sa sœur ultraglamour et ultrasévère, et son frère, Galahad, vivant en vieux célibataire à Londres et passant ses soirées au Pelican Club. Le pélican à Blandings, c’est donc lui, qui sème la zizanie à force de vol de tableau, réconciliation amoureuse entre deux tourtereaux et autres menus complots absurdes tous perturbés par l’inattendu. Dans Si j’étais vous, un manoir est encore le théâtre de chassés-croisés amoureux et ici, identitaires : Tony, duc de Droitwich, apprend qu’il a été échangé au berceau avec le fils de sa nourrice, coiffeur à Londres. Ils décideront, un temps, d’échanger leurs places. Si ce Wodehouse a des allures plus graves, interrogeant le rapport de classes et la détermination sociale, il n’échappera pas à la règle wodehousienne : tout rentrera dans l’ordre, chacun retrouvera sa place initiale, enrichie d’un bonus – la fortune pour le coiffeur, et une jolie manucure pour Tony, qui échappe ainsi à un mariage arrangé avec une héritière qui n’allait l’épouser que pour son titre. C’est la morale à toute épreuve qu’aura déployée l’auteur de livre en livre : chacun, au final, retrouve sa juste place, en mieux. P. G. Wodehouse aime semer le chaos pour

mieux le désamorcer, inventer le désordre pour mieux faire le ménage, à tel point qu’il pourrait être vu comme le plus obsessionnel des auteurs s’il ne nous montrait pas en même temps que, pour réussir, il faut savoir compter sur le hasard, et faire confiance à la vie. Les châteaux de ses livres sont comme les palais enchantés des contes de fées où rien de mal ne peut jamais arriver : ni aux héros, ni, par ricochet, au lecteur tant qu’il s’y est réfugié. Ses dialogues aussi absurdes qu’excentriques, glacés au flegme anglais, qui font tout le brillant de ses romans, nous apprennent à garder notre sang-froid quoi qu’il arrive. Il suffit de se servir une tasse d’Earl Grey, de grignoter un sandwich au concombre, d’ourdir un complot absurde puis d’attendre qu’une bonne étoile nous vienne en aide. Et chez P.G. Wodehouse, elle est toujours exacte au rendez-vous. Nelly Kaprièlian

la 4e dimension García Márquez inédit Trois jours après la mort de l’écrivain colombien, le quotidien espagnol La Vanguardia a publié le premier chapitre d’une nouvelle inédite de l’auteur intitulée “Nous nous verrons en août”. Pas satisfait de la chute, Gabo ne voulait pas la faire paraître. Son éditeur, lui, aimerait bien. La famille de l’auteur tranchera.

Si j’étais vous ; Un pélican à Blandings (Les Belles Lettres), traduits de l’anglais par Anne-Marie Bouloch, 245 et 260 p.,15 € chacun

Régis Jauffret au théâtre Michel Onfray vs Houellebecq “J’ai lu Houellebecq parce qu’il fallait le lire, mais je ne l’aime pas”, a balancé à L’Express le philosophe qui n’aime rien et qui vient de publier une Contre-histoire de la littérature. Onfray déplore le “non-style” de l’écrivain. Mauvaise nouvelle pour lui – pas pour nous –, Houellebecq annonce que son prochain roman “va bon train”.

un roman du créateur de Downton Abbey Sortie le 15 mai de Passé imparfait (Sonatine), roman signé lord Julian Fellowes, le scénariste de la série britannique culte. Le livre retrace l’évolution de la haute société anglaise depuis la fin des années 60.

La troupe chilienne Teatrocinema adapte Histoire d’amour, le roman de Régis Jauffret paru en 1998 autour d’un violeur obsédé par une femme croisée dans le métro. du 13 au 28 mai au Théâtre du Rond-Point, Paris VIIIe, theatredurondpoint.fr

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western do Brasil Près de quinze ans après sa parution, le classique de Wellington Srbek et Flavio Colin, Le Brigand du Sertão, sort en France. Une superbe fresque dans le Brésil sauvage des années 1920.

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e Brigand du Sertão est sorti au Brésil au tout début des années 2000 et y est considéré depuis comme un classique. Il est le fruit de la collaboration entre le scénariste Wellington Srbek et Flavio Colin, décédé en 2002, un des plus grands dessinateurs brésiliens de bande dessinée, digne héritier des maîtres de l’âge d’or américain comme Alex Raymond ou Milton Caniff. Dans Le Brigand du Sertão, son dessin limpide au fort contraste noir et blanc (qui rappelle celui des frères Hernandez) est mis au service d’un ingénieux scénario, où les points de vue, les souvenirs et les paroles de plusieurs narrateurs s’entrecroisent. Tous concourent à retracer la rivalité sanglante qui a opposé des bandes de brigands, et leur lutte contre les envoyés du gouvernement, dans les années 1920, au cœur de la région sauvage du Minas Gerais, au sud-est du Brésil. Le journaliste Ulisses de Araujo, arrivé pour écrire un portrait du bandit sans foi ni loi Antonio Mortalma, interviewe des villageois et se retrouve pris au milieu des échauffourées. Chico, un vieil esclave affranchi au service

du plus raisonnable des hors-la-loi, revient sur les origines des affrontements… Pactes avec le diable, apparitions, femmes courageuses, esclaves héroïques, pères sans pitié, passions, violence inouïe, assassinats : dans un maelström de rebondissements représentés avec vigueur par le jeu brillant sur le cadrage et sur les onomatopées de Colin, Le Brigand du Sertão brosse le portrait d’hommes hauts en couleur et de contrées farouches, de terres où les légendes sont bien plus vivantes que la réalité. Les auteurs ne font preuve d’aucun manichéisme – les officiels peuvent être sans merci, les bandits peuvent se révéler justes – mais respectent une certaine morale : les amants séparés sont vengés, les bons repartent libres, les méchants, même repentis, meurent ou sont condamnés à errer. L’Ouest américain n’a plus le monopole du mot : Le Brigand du Sertão est un western magnifique. Anne-Claire Norot Le Brigand du Sertão (Sarbacane), traduit du portugais (Brésil) par Fernando Scheibe et Philippe Poncet, 160 pages, 22 €

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hautes tensions Adaptée peu après le 11 Septembre par Hideki Noda, The Bee s’inquiète, à travers la séquestration cauchemardesque d’une famille, des réponses guerrières apportées au terrorisme



rénésie médiatique autour d’une prise d’otages, viol d’une mère et torture d’un enfant à qui l’on coupe les doigts les uns près les autres… Si un réalisateur épris de gore s’emparait du texte de The Bee, la pièce de l’acteur, auteur et metteur en scène japonais Hideki Noda, il pourrait en faire le script insupportable du plus saignant des films trash. Pourtant, sans édulcorer son propos, les mêmes actions reprises par le théâtre métaphorique

“la formule ‘œil pour œil’ prend un sens politique au vu du chaos provoqué par les nations en guerre” Hideki Noda

d’Hideki Noda en font la matière d’un conte moral dont l’univers onirique peut être vu par tous les publics. Voilà donc Ido, un homme d’affaires sans histoires qui apprend que son épouse et son fils viennent d’être pris en otages par Ogoro, un repris de justice en cavale qui n’a d’autre revendication que d’obliger la police à lui permettre de revoir son propre fils alors que sa femme s’y refuse. Dans un terrible jeu de miroirs, Ido séquestre alors la famille d’Ogoro, inverse le rapport de force et devient le plus cruel des tortionnaires pour obtenir la libération des siens. C’est en 2002, lors de workshops à Londres puis au Japon, qu’Hideki Noda, qui est aussi le directeur du prestigieux

Metropolitan Theater de Tokyo, retravaille le texte de Yasutaka Tsutsui. “Ecrite en 1971, la nouvelle questionnait surtout le sadisme d’Ido. Comment monsieur Tout-le-monde peut-il tomber dans la barbarie ? Nous, on s’est intéressés aux victimes… Il se trouve que nous avons travaillé son adaptation juste après le 11 Septembre et répété durant l’intervention en Afghanistan jusqu’à l’invasion de l’Irak. Ainsi, la formule ‘œil pour œil’ prend un sens politique au vu du chaos provoqué par les nations en guerre.” La force des images du théâtre de Noda, proche de celui de Simon McBurney et de Robert Lepage, ouvre une troisième voix entre la violence du fait divers et celle de la dénonciation

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impasse amoureuse En montant Aglavaine et Sélysette, Célie Pauthe révèle cette pièce de Maeterlinck qui tente de réinventer l’amour. ’histoire d’un ménage à trois, écrite près d’un siècle avant le Jules et Jim de François Truffaut, c’est ainsi qu’on pourrait résumer cette pièce méconnue de Maurice Maeterlinck, Aglavaine et Sélysette. L’auteur vient de rencontrer la cantatrice Georgette Leblanc, et le coup de foudre fait trembler sur ses bases jusqu’à l’art du poète, symboliste reconnu et célèbre, qui écrit dans ses Carnets : “Je sens que j’ai fini avec les drames pour Marionnettes, avec les Maleine et les Pelléas. C’est un cul de sac.” C’est en pensant à Georgette qu’il imagine le personnage d’Aglavaine, celle qui arrive un jour dans ce bout du monde bordé par la mer où vivent Méléandre et Sélysette, couple heureux, sans histoires, en compagnie de la grand-mère et de la petite sœur de Sélysette. Bizarrerie de l’histoire : c’est par une lettre adressée à Méléandre qu’Aglavaine annonce son arrivée. Bizarre parce que Sélysette est la sœur de son défunt mari. Mais elle connaît déjà Méléandre et l’on ne sait ce qu’elle lui écrit, outre sa venue, mais les dés semblent jetés puisque Méléandre déclare tout de go à sa femme que grâce à elle, ils vont s’aimer encore mieux, “davantage, tout autrement, bien plus profondément, tu verras…” Epuré et surélevé par une volée de marches, le plateau est encadré de hauts murs pâles qui s’ouvrent sur d’autres marches et masquent, à jardin, une tour de briques, refuge de Sélysette. C’est dans ce décor neutre, à la ligne claire, que l’on assiste à l’irruption d’Aglavaine, à l’embrasement qu’elle provoque chez Méléandre, puis chez Sélysette. Entre ces trois-là, la sincérité est de mise et embrasse tout : la joie et la tristesse, l’envie de dépasser les conventions du monde et le désir d’être en accord avec son cœur. On se gardera de donner l’issue de l’histoire, jouée avec finesse et retenue par Bénédicte Cerutti (Aglavaine), Judith Morisseau (Sélysette) et Manuel Vallade (Méléandre), mais on pose la question qui taraude à la fin du spectacle : le sacrifice de soi est-il une preuve d’amour ou un exutoire à la douleur d’aimer ? Un autre cul de sac ? Fabienne Arvers

Maxim Reider

 L

de la guerre et du terrorisme. “Même si l’on peut parler ici d’un cauchemar, le rêve est depuis toujours au centre de mon travail. Je ne crois pas au réalisme, vous ne verrez ni goutte de sang, ni diatribe idéologique sur mon plateau. L’important, c’est de captiver l’attention. C’est en excitant l’imaginaire du public par la fiction que le message a une chance d’être reçu.” Ainsi, les doigts coupés de l’enfant ne sont que des crayons de couleur brisés et l’abeille du titre est un insecte énorme qui fait irruption dans le huis clos via une vidéo pour devenir une énigmatique menace, pareille à la boule de feu jaillissant des tours avant qu’elles ne s’effondrent. Patrick Sourd The Bee d’après la nouvelle de Yasutaka Tsutsui, adaptation anglaise d’Hideki Noda et Colin Teevan, mise en scène Hideki Noda, avec Hideki Noda, Petra Massey, Glyn Pritchard et David Charles, du 13 au 17 mai au Théâtre national de Chaillot, Paris XVIe, en anglais surtitré, tél. 01 53 65 30 00, www.theatre-chaillot.fr

Aglavaine et Sélysette, de Maurice Maeterlinck, mise en scène Célie Pauthe, jusqu’au 6 juin au Théâtre national de la Colline, Paris XXe, tél. 01 44 62 52 52, www.colline.fr 7.05.2014 les inrockuptibles 95

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exposition de pensée Thomas Hirschhorn invite penseurs et artistes au Palais de Tokyo, avec une “non-programmation” pourtant très réfléchie. Visite avec l’artiste.



ertains ont peut-être gardé en mémoire les 24 h Foucault, marathon foutraque que l’artiste suisse Thomas Hirschhorn organisa il y a dix ans au Palais de Tokyo. Initié par le dernier compagnon de Foucault, Daniel Defert, et l’historien Philippe Artières, ce projet hors norme prend à l’époque la forme d’une gigantesque agora de bric et de broc animée durant vingt-quatre heures par des philosophes. Dans ce chantier de la pensée, alors que le copyright commence tout juste à devenir un enjeu mondial, le public est invité à photocopier gratuitement tous les ouvrages de Foucault, en libre accès dans la bibliothèque éphémère. Un bar (où s’alignent les cocktails préférés du philosophe) et une armée de canapés recouverts de gaffer complètent le dispositif.

“l’idée était de faire en sorte que la flamme ne s’éteigne pas, que l’on produise du combustible” Thomas Hirschhorn

Dix ans plus tard, Hirschhorn est de retour, dans le même bâtiment mais un étage plus bas. Entre-temps, le mouvement Occupy et les réseaux sociaux ont bouleversé le paysage. C’est d’ailleurs un paysage qui s’offre d’abord aux visiteurs, avec cette vue plongeante sur le vaste foutoir qui a envahi le niveau –1 du Palais. Une ville dont chaque parcelle est une forteresse “poreuse et précaire” dont les murs branlants sont composés de pneus (“16 500”, précise Hirschhorn) et couronnés de banderoles et slogans revendicatifs, où les visiteurs ressemblent à des fourmis, affairées tantôt dans l’espace “workshop”, tantôt au bar, dans la salle informatique, la bibliothèque ou les deux foyers (au propre comme au figuré) qui bordent le campement. Entrons dans l’arène. Baptisé Flamme éternelle, cet “occupy”, qui n’a rien de nationaliste, flirte plutôt avec la métaphore. “L’idée était de faire en sorte que la flamme ne s’éteigne pas, que l’on produise du combustible”, commente Hirschhorn, rencontré le lendemain

du vernissage alors qu’il tient salon (comme il le fera de midi à minuit chaque jour de son exposition). Le combustible, en l’occurrence, c’est de la pensée à l’état brut, que distillent chaque jour les quatre à six intervenants invités à animer le “nonprogramme” de l’artiste. Lors de notre visite, on croise l’écrivain Fabrice Reymond, qui murmure dans une oreillette les corrections live de son dernier livre, le duo d’urbanistes Lanaspèze et Lavessière ou le jeune Pierre Frulloni, encore aux Beaux-Arts, qui livre en direct sa fiction. “Il n’y a pas de consigne, je les invite parce que je m’intéresse à leurs concepts, à leurs passions. Pour moi, c’est ça Paris, le débat intellectuel. Il n’y a pas d’horaires non plus, c’est à eux de créer leur propre audience. Je leur demande de prendre ce risque.” On repartira de la visite avec le journal du jour, produit par une poignée de volontaires, une feuille de chou dans laquelle on se délecte du commentaire de l’écrivain Manuel Joseph, l’un des

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complices d’Hirschhorn. Mais il faudra revenir demain, insiste ce dernier, qui poursuit depuis les années 2000 ce qu’il appelle sa mission de “présence et production”. “A l’époque, on entendait beaucoup parler d’esthétique relationnelle ou de community art. Je préfère les termes présence et production, qui ne dépendent que de moi”, décrypte l’artiste, qui utilise aussi, comme Pierre Huyghe lors de sa dernière expo à Beaubourg, le terme de “situation”. “La seule question valable est : suis-je capable de créer un endroit qui implique les spectateurs à hauteur d’yeux, qui n’intimide pas, qui ne veut pas éduquer non plus. Sans tout l’appareillage du marché, de l’institution ou de la culture. Une expo qui ferait simplement confiance à sa capacité d’implication”, analyse Hirschhorn. D’où le fait que les citations qui ornent les banderoles soient inachevées. “Je coupe tous les noms, références, dates ou événements. Il n’y a pas de bannière avec Snowden par exemple, parce que tout le monde ne le connaît pas. Cela supposerait un savoir préalable.” En parlant de Snowden, on en vient aux réseaux sociaux. Ont-ils changé la donne ? “Leur arrivée est stimulante mais demande de fixer encore plus clairement les choses, estime l’artiste. Présence et production, c’est la possibilité de créer ici et dans la durée. Je fais une non-programmation mais ça n’empêche pas les invités de poster sur Facebook l’heure de leur passage. Cela crée un conflit intéressant. Après, reste l’espace-temps partagé de l’exposition.”

Boudry et Lorenz inversent les rôles pour faire bouger les lignes. ébusquer le singulier tapi dans la masse, lorgner du côté des marges, replacer au centre des figures oubliées ou caricaturées : voilà quelques-unes des obsessions de Pauline Boudry et Renate Lorenz, duo d’artistes installées à Berlin qui se présentent comme des “queer archéologues”. A la galerie Marcelle Alix, il faudra donc passer littéralement derrière le rideau de scène qui encadre l’ouverture de leur minuscule exposition pour découvrir deux piècesmanifestes. La première met en scène leur acteur fétiche, dans la peau de Jean Genet interpellant les techniciens du son chargés de l’interview qu’il donna à la BBC en 1985. Lors de cet entretien fameux, l’écrivain inverse les rôles, cherche à donner la parole à ces invisibles cachés derrière leur perche et leur micro. Ce reenactment est emblématique de la position des artistes qui invitent, à l’instar de Genet, à changer de place et de point de vue. Le deuxième film exhume deux oubliées de l’histoire : Valerie Solanas, qui s’est distinguée pour avoir tiré sur Andy Warhol en 1968 (quand elle fut aussi une féministe farouche, auteur du S.C.U.M. Manifesto), et la compositrice Pauline Oliveros, pionnière de la musique électronique et de l’écoute profonde. Pour l’occasion, Boudry et Lorenz réactivent une partition de cette dernière, datée de 1971, et fortement inspirée par le manifeste anarcho-féministe de la première. A l’écran, six musiciennes poussent à leur paroxysme cinq tonalités, créant un ensemble harmonique compétitif où une voix finit par l’emporter sur les autres. Mais au milieu de la partition, elles sont invitées à changer de rôle et, comme l’explique à l’époque Pauline Oliveros, à “absorber cette domination et la renvoyer à l’intérieur de la texture de la pièce. Si bien qu’à ce jeu de chaises musicales, toute forme de pouvoir tourne court.” C. M.



Journal Notes from Backstage jusqu’au 17 mai à la galerie Marcelle Alix, Paris XXe, marcellealix.com

Claire Moulène Flamme éternelle jusqu’au 23 juin au Palais de Tokyo, Paris XVIe, palaisdetokyo.com

To Valerie Solanas and Marilyn Monroe in Recognition of Their Desperation, 2013

Courtesy Ellen de Bruijne Projects, Amsterdam, et Marcelle Alix, Paris

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upside down

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le moustique des politiques Avec Eldin reporter, sa chronique dans Le Supplément de Canal+, Cyrille Eldin, armé d’un culot et d’un humour féroces, bouscule les codes du journalisme politique. Et parvient à transformer un milieu sous contrôle en véritable pièce de théâtre.

C  

yrille Eldin se comporte dans la vraie vie comme à l’écran, en trublion faussement séducteur. On le retrouve par un bel après-midi d’avril, au pied des locaux du Supplément, l’émission qui, tous les dimanches midi, accueille sa chronique Eldin reporter. La mine est enjouée et la main tendue s’efface au profit d’une bise. “On fait un tour dans le parc, il fait tellement beau”, annonce-t-il. Des enfants crient, courent. Il se marre : “C’est bien, les enfants, ça recadre. Moi j’en ai deux, 10 et 12 ans. Ça me met les pieds sur terre. Quand je veux présider à table, on me rappelle qu’elle est ronde et qu’il n’y a pas de chef à la maison. Ça fait des années que j’essaie de m’imposer, mais je n’y arrive pas.” D’où la télé ? “Ah non, la télé je n’y suis pas pour m’imposer mais pour m’amuser !”, répond-il, un brin offusqué.

Dans sa chronique politico-LOL, Cyrille Eldin semble prendre un plaisir fou, presque enfantin, à titiller les politiques, à mettre le doigt là où ça fait mal, sans avoir peur d’appuyer bien fort, mais toujours avec humour. En mars, au Salon de l’agriculture, il lance à Jean-Marc Ayrault : “J’ai une alerte remaniement sur mon téléphone, je vous dépose ? Vous habitez dans quel quartier ?” Une scène qui en a bluffé plus d’un, à commencer par Maïtena Biraben, présentatrice du Supplément : “Lui lancer ce message d’une grande violence dans un sourire, c’est gonflé mais c’est intelligent.” Eldin commente, questionne, vanne jusqu’à ce que les politiques, poussés dans leurs retranchements, abandonnent la langue de bois. Lors d’une réunion à Lille, en février, il s’entretient avec Martine Aubry : “Vous restez pudique, en retrait,

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Xavier Lahache/Canal+

“ce n’est pas un clown… Il en sait souvent plus que beaucoup d’entre nous car il est tout le temps sur le terrain” Maïtena Biraben

et puis vous appelez Jean-Marc (Ayrault) de temps en temps pour lui dire ça va pas du tout, là ? – Non, je le vois, on s’entend très très bien avec Jean-Marc. – Plus qu’avec François (Hollande) ?” Après un silence, Aubry répond : “Je m’entends très bien avec Jean-Marc.” Même schéma au meeting de Nathalie Kosciusko-Morizet en février, où Eldin demande à Rachida Dati si Nicolas Sarkozy est là pour soutenir NKM ou si c’est NKM qui soutient le retour de l’ancien président. En guise de réponse, Dati sourit et effectue une petite danse des épaules. Ses interviews décalées peuvent déboucher sur des échanges invraisemblables. Fin décembre, au siège de l’UMP, Eldin croise Hervé Mariton, député de la Drôme : “Dites-moi, il arrive à quelle heure Nicolas Sarkozy, parce que dans le genre je fais ma diva, je me fais prier, je fais ma star… – Vous attendez Godot ?” Eldin embraie : “Oui, c’est un peu ça, sauf que Godot n’est jamais venu et que lui va revenir.” Mariton conclut par un énigmatique : “Allez savoir…” Amoureux du verbe, Cyrille Eldin aime improviser des joutes oratoires avec les politiques. “Ce qui est formidable, c’est la maîtrise de la langue, l’art du non-dit, du sous-entendu. C’est ce que j’aime chez Feydeau comme chez certains politiques.” Avant d’être chroniqueur, Eldin a été gérant d’une société de tennis, GO au Club Med puis comédien. En 2009, il apprend que Canal+ cherche de nouveaux talents.

Ses idées plaisent et il se retrouve à assurer sa première chronique, L’Infoman, dans La Matinale. Suivra l’émission Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, puis, à la rentrée 2012, Le Supplément. A chaque fois, les politiques deviennent ses partenaires de jeu. Se sent-il désormais journaliste ? “Ce que je redoute le plus, ce sont les étiquettes.” Il continue de monter sur les planches et n’a pas de carte de presse. “Enfin si, j’ai celle de Franz-Olivier Giesbert”, précise-t-il en brandissant malicieusement la carte de presse que FOG lui a offerte sur le plateau d’i-Télé en février. “Ce n’est pas un clown. Il est très aguerri sur l’actu politique. Il en sait souvent plus que beaucoup d’entre nous car il est tout le temps sur le terrain”, estime Maïtena Biraben. Pour elle, la chronique d’Eldin fonctionne grâce au lien qu’il parvient à nouer avec les politiques de tous bords : “Il pose les questions que l’on n’ose pas poser. Il va très loin mais pas trop loin. Cyrille ne prend personne en traître, ne vole rien.” La preuve : au montage, Eldin n’hésite pas à conserver ses bides, donnant dès lors l’avantage au politique visé à l’origine par la blague. Résumer Cyrille Eldin à ses talents de punchliner serait oublier l’importance qu’il accorde à sa gestuelle. Début janvier, il claque une bise de bonne année à une Valérie Pécresse décontenancée. Lors du meeting d’Anne Hidalgo à l’Alhambra, il imite, moqueur, l’équipe de campagne de la candidate à la Mairie de Paris et la prend à son tour dans ses bras. Le 8 février, au Salon du livre politique, il pose son micro pour masser le dos d’Henri Guaino. Eldin se fait tactile pour créer une complicité avec son interlocuteur et le mettre en confiance. Ou le déstabiliser, c’est selon. A la fin de l’interview, sur le chemin du retour, il nous prend par le bras, s’enquiert de la recette du spritz et commente, guilleret, la vue imprenable sur la tour Eiffel. Les masques ne tombent pas facilement. Carole Boinet Eldin reporter dans Le Supplément, chaque dimanche, vers midi, Canal+ 7.05.2014 les inrockuptibles 99

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musique sans frontières Matin et soir sur France Culture, Matthieu Conquet explore l’actualité musicale. Tous azimuts.

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n musique, ce qui nous arrive (de bien) surgit chaque matin de la voix placide de Matthieu Conquet. Depuis septembre, aux alentours de 8 h 50, dans Les Matins de France Culture, le chroniqueur passe au crible l’actualité discographique. Plus qu’un sans-faute en termes de goûts, ses choix multiples témoignent d’une ouverture d’esprit rare à la radio, où prédomine la logique de segmentation musicale. Opposé à tout geste de clôture, Conquet circule partout en terrain conquis, par-delà les frontières, sans sacrifier l’expertise de l’écoute sur l’autel de sa curiosité. A jouer le jeu de la multitude, il court le risque de la neutralisation du goût : comment rendre compte au même niveau d’exigence du dernier disque des Pixies et de celui de la violoncelliste Ophélie Gaillard ? Entre le rock et la soul, la chanson et le lyrique, le jazz et l’opéra, il oscille avec dextérité au gré de ses humeurs matinales, convaincu que les musiques s’excluent moins qu’elles ne déploient des correspondances secrètes entre elles. Le tout est de les aimer pour des raisons propres à chacune. A 35 ans, Conquet a eu le temps de se confronter à une histoire globale de la musique, héritée de ses parents (son héritage classique) et de ses années adolescentes (plus proches de Nirvana). Il peut s’enthousiasmer pour le nouvel album de Frànçois & The Atlas Mountains et en même temps garder comme meilleur souvenir récent de concert celui du pianiste

Ivo Pogorelich au Théâtre des ChampsElysées. Dans son panthéon personnel se côtoient des personnalités aussi diverses que Gil Scott-Heron, Roy Orbison, Claudio Abbado ou Brigitte Fontaine. De ce magma, il a tiré une vraie plasticité de l’écoute, qu’il cherche à transmettre sans effets de manche. “Je refuse la position de surplomb du chroniqueur qui assène ses vérités à l’auditeur sur le mode de l’incantation”, avoue-t-il. Aux billets très écrits et trop fleuris, il préfère la simplicité d’une suggestion, d’une “impulsion”, argumentée, contextualisée, construite sur un montage laissant une grande place à la musique elle-même. Il reconnaît choisir “parfois un disque pour l’arrière de sa pochette, comme l’avouait un jour Vincent Segal”. La radio, il l’a découverte dès ses études à la Sorbonne puis au fil de stages à RFI et France Musique, jusqu’à ce que Marc Voinchet l’embarque dans son émission Tout arrive, et que Laurent Goumarre lui confie l’organisation des live de son magazine nocturne Minuit/ Dix puis de son RenDez-Vous de 19 h. Depuis, il est resté fidèle à ces deux animateurs. Pour éclairer son geste d’admiration et de transmission entrelacées, Matthieu Conquet aime citer Gertrud Stein, qui invitait à “penser avec les oreilles comme avec les yeux”. Jean-Marie Durand Les Matins de France Culture du lundi au vendredi, vers 8 h 50 Le RenDez-Vous du lundi au vendredi, à partir de 19 h, France Culture

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San Francisco, foyer du “renouveau hippie”

Madoff, l’homme qui valait 65 milliards documentaire de Jean-Louis Pérez. Vendredi 9, 23 h 10, France 3

troc en stock Etat des lieux stimulant des nouvelles manières d’envisager des modes de vie et de consommation alternatifs, fondés sur le partage. L’économie collaborative devient un horizon politique. onçu dans un esprit magazine, sur une idée de Jean-Marie Michel, ce documentaire instructif consigne les nouveaux visages d’une révolution politique encore discrète : le “sharing”, soit l’économie collaborative. Pour le réalisateur Dimitri Grimblat, c’est carrément le “renouveau du mouvement hippie” version 2.0. L’émission est présentée par Antonin Léonard, fondateur du think tank OuiShare, à la pointe de cette vague néo-nomade et partageuse. Des blogueurs adeptes de couchsurfing font le tour de la planète en échangeant expériences et services. Des architectes, graphistes, traders, travaillent coude à coude sur des platesformes cool pour 300 euros par mois. On redécouvre le covoiturage et le bed and breakfast. Au Brésil, on fait du bénévolat dans les fermes écolo, en échange du gîte et du couvert. Ces pratiques communautaires, qui zappent la famille classique, promeuvent le troc tous azimuts, s’inspirent des réseaux sociaux. Certaines pratiques sont indéniablement novatrices : la culture des légumes (gratuits) dans les rues de Todmorden (Angleterre) par ses habitants ; le développement des imprimantes 3D, future alternative au capitalisme industriel. Pour Rachel Botsman, spécialiste de l’économie collaborative, c’est “le début d’une révolution collaborative qui sera aussi importante que la révolution industrielle”. Si ces élans généreux restent encore marginaux par rapport aux effets de la consommation de masse, l’enquête de Dimitri Grimblat s’inscrit dans un contexte économique et écologique tellement tendu que l’innovation sociale et l’économie collaborative s’imposent comme le levier d’une “co-révolution” sociale. Une révolution qui fait du commun un horizon vertueux.

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Vincent Ostria Global partage documentaire réalisé par Dimitri Grimblat. Mardi 13, 20 h 55, Canal+

Retour sur une escroquerie ahurissante. Lors du krach boursier de 2008, ceux qui voulurent retirer leurs billes (= millions de dollars) confiées au financier Bernard Madoff, grand manitou de Wall Street, promoteur fou du Nasdaq, tombèrent de haut. Ils n’avaient plus rien. Car Madoff employait l’argent de ses clients pour verser des dividendes à d’autres clients, au lieu de l’investir en bourse. Il alimentait constamment cette machine folle avec de l’argent frais soutiré à de nouvelles victimes prestigieuses (célébrités, magnats, banques, etc.). On appelle cela une pyramide de Ponzi (du nom d’un célèbre escroc). Le film fait l’inventaire des dégâts : 65 milliards de dollars détournés ! On interviewe certains des pigeons et ceux qui ont résisté. Seuls quelques rares esprits avisés avaient subodoré la combine. On découvre que Madoff s’était attaqué en priorité aux membres du sélect Palm Beach Country Club, fréquenté par des milliardaires. Si quelques petits épargnants (tout est relatif) ont tout perdu dans l’histoire, la majorité des proies de Madoff étaient richissimes (cf. Liliane Bettencourt). On a presque envie de voir en Madoff un régulateur, ponctionnant les nantis trop avides. Si le documentaire est plutôt abouti, il passe rapidement sur les complicités du financier, bien que des dizaines de personnes et des banques trempèrent dans cette affaire. Si Madoff s’enrichissait avec ses arnaques, il partageait le gâteau avec ceux qui l’aidaient. Il reste un épiphénomène, pourtant révélateur de l’aberration du système. V. O. 7.05.2014 les inrockuptibles 101

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RÉSERVÉS AUX ABONNÉS DES INROCKS pour bénéficier chaque semaine d’invitations et de nombreux cadeaux, abonnez-vous ! (voir encart ou sur http://abonnement.lesinrocks.com) Quinzaine des réalisateurs du 15 au 25 mai à Cannes (06)

cinémas Section parallèle du Festival de Cannes créée par la Société des réalisateurs de films (SRF) après mai 68, la Quinzaine des réalisateurs a pour objectif de découvrir les films de jeunes auteurs et de saluer les œuvres de réalisateurs reconnus. à gagner : 10 x 2 pass journaliers pour les projections + 10 x 2 invitations pour 1 verre à la plage Quinzaine

Jazz sous les pommiers du 24 au 31 mai à Coutances (50)

musiques La 33e édition du festival sera gorgée de jazz au pluriel : des monuments, des découvertes, des artistes que l’on ne verra pas partout, six créations, trois interprètes en résidence, deux projets à plus de cent musiciens, un clin d’œil au jazz des années 40 (dans le cadre du 70e anniversaire du Débarquement de Normandie), des spectacles de rue… places à gagner : toutes les infos sur le site du Club Inrocks

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musiques Carrefour culturel de l’Amérique du Nord et du Sud, Miami est composée à plus de 50 % d’habitants qui n’y sont pas nés – historiquement originaires de Cuba, d’Haïti, et plus récemment des pays du nord de l’Amérique latine (Brésil, Venezuela, Caraïbes…), en liaison avec le boom économique que connaît la ville depuis une dizaine d’années. places à gagner : retrouvez toutes les infos sur le site du Club Inrocks

Please, continue (Hamlet) les 15 et 16 mai à l’Espace 1789 à Saint-Ouen (93)

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scènes L’affaire dont il est question est tirée d’un fait divers : un jeune homme tue le père de sa petite amie au cours d’une fête de mariage. Elle l’accuse de meurtre. Il déclare que c’est un accident. Trois ans plus tard, le procès s’ouvre. Afin de préserver l’anonymat des personnes mises en cause, les noms ont été changés. Le prévenu s’appelle Hamlet, la victime, Polonius et la plaignante, Ophélie…  à gagner : 2 x 2 places par soir de représentation

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Un jeune geek nommé Bill Gates

combat de puces La rivalité Microsoft/Apple fut incarnée quarante ans durant par deux figures antinomiques : Bill Gates et Steve Jobs. La série Duels revient sur leurs carrières parallèles et mêlées. ès la rédaction de cet article, tapé sur un Macbook (Apple) grâce au logiciel Word (Microsoft), l’opposition au cœur de ce nouveau Duels (excellente collection documentaire) est évidente. C’est une guerre entre le hardware et le software, la machine et le programme. Pour simplifier, dans les années 70, Steve Jobs et ses associés d’Apple inventent l’ordinateur personnel. Bill Gates, lui, révolutionne les programmes avec Microsoft, sans lesquels les PC actuels (Mac et autres) ne peuvent pas fonctionner. Ce clash entre le hard et le soft, complémentaires mais rivaux, est personnifié par deux hérauts, eux-mêmes fort différents : Gates, le nerd poli et altruiste qui ne fait pas de vagues, et Jobs, le baba sale gosse, narcissique et capricieux. Pas la peine de chercher longtemps lequel des deux sera une star. Au lieu d’être un long fleuve tranquille comme celle de Gates, la vie (écourtée) de Jobs va être constamment en dents de scie. Au départ, il crée Apple avec Steven Wozniak, un Géo Trouvetou sans grande envergure. De son côté, Gates fonde Microsoft avec un copain d’enfance et met au point le système d’exploitation MS-DOS, prédécesseur de son propre Windows, qui va devenir une norme mondiale. Mais un programme étant virtuel, il a besoin d’une coquille pour exister, comme le bernard-l’hermite. IBM et Apple lui fourniront ces coquilles. Microsoft prend une ampleur internationale, parallèlement à la chute d’Apple, dont les fondateurs seront débarqués. Steve Jobs se renfloue en investissant dans Pixar, pionnier du cinéma d’animation numérique. Puis l’enfant prodigue effectue son retour triomphal chez Apple. Son génie du marketing et son ingéniosité vont relancer la firme comme jamais – grâce à la série des “i”, qui débute avec le iMac –, tant qu’Apple laissera Microsoft loin derrière. La morale de ce doc sur ces hommes qui ont numérisé nos vies, c’est que si Steve Jobs n’avait jamais pris de LSD, les produits informatiques ne seraient peut-être pas devenus la nouvelle drogue dure de notre époque. Vincent Ostria

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Duels – Steve Jobs/Bill Gates : le hippie et le geek documentaire de Nicolas Glimois. Jeudi 8, 21 h 35, France 5

rédaction directeur de la rédaction Frédéric Bonnaud rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, JD Beauvallet, Pierre Siankowski comité éditorial Frédéric Bonnaud, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne, Jean-Marie Durand, Nelly Kaprièlian, Christophe Conte secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot chefs d’édition Elisabeth Féret, David Guérin reporters Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Anne Laffeter actu rédacteur en chef Pierre Siankowski rédactrice en chef adjointe Géraldine Sarratia rédacteurs Diane Lisarelli, David Doucet style Géraldine Sarratia cinémas Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain, Vincent Ostria musiques JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Maxime de Abreu livres Nelly Kaprièlian scènes Fabienne Arvers expos Jean-Max Colard, Claire Moulène médias/télé/net rédacteur en chef adjoint Jean-Marie Durand collaborateurs P. Azoury, A. Bellanger, R. Blondeau, D. Boggeri, N. Carreau, Coco, A. Desforges, H. Frappat, A. Gamelin, J. Goldberg, C. Goldszal, O. Joyard, B. Laemle, N. Lecoq, J. Le Corvaisier, A. Pfeiffer, E. Philippe, J. Provençal, P. Sourd, P. Rousteau, C. Stevens, R. Waks lesinrocks.com directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteur en chef Pierre Siankowski rédacteurs Diane Lisarelli, Thomas Burgel, Azzedine Fall, Carole Boinet, Claire Pomarès, Julien Rebucci, Maxime de Abreu éditeurs web Clara Tellier-Savary, Olivier Mialet graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem projet web et mobile Sébastien Hochart lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz responsable éditoriale du concours création vidéo Anna Hess lesinRocKs.tv chef de rubrique Basile Lemaire assistante Clémence Sgarbi photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee, Caroline De Greef photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot second sr Fabrice Ménaphron sr François Rousseau, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Amélie Modenese, Laurence Morisset, Vincent Richard (stagiaire) conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Nathalie Coulon, Luana Mayerau publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, télé) tél. 01 42 44 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél 01 42 44 18 12 coordinateur François Moreau tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 15 31 assistante Estelle Vandeweeghe tél. 01 42 44 43 97 publicité commerciale, directeur Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 directrice adjointe Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 directrice de clientèle Isabelle Albohair tél. 01 42 44 16 69 publicité web Chloé Aron tél. 01 42 44 19 98, Lizanne Danan tél. 01 42 44 19 90 coordinateur Stéphane Battu tél. 01 42 44 00 13 développement et nouveaux médias directrice Fabienne Martin directeurs adjoints Baptiste Vadon (promotion, médias, diversification) tél. 01 42 44 16 07, Laurent Girardot (événements et projets spéciaux) tél. 01 42 44 16 08 assistante Lou Durand tél. 01 42 44 15 68 relations presse/rp Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 assistante promotion presse Juliette Fouasse tél. 01 42 44 16 68 responsable éditoriale “You Need to Hear This” Marine Normand marketing diffusion responsable Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 assistante marketing direct Julie Lagnez tél. 01 42 44 16 62 contact agence Bo Conseil Analyse Média Étude Otto Borscha et Terry Mattard [email protected] ou tél. 09 67 32 09 34 abonnement Les Inrockuptibles, service abonnement, libre réponse 63 096, 92 535 Levallois Perret Cedex [email protected] ou 01 44 84 80 34 tarif France 1 an : 115 € accueil, standard ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure Roto Aisne Société Nouvelle ZI Saint-Lazare Chemin de la Cavée 02 430 Gauchy brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 326 757,51 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Elodie Valet administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2014 directeur de la publication Frédéric Roblot © les inrockuptibles 2014 tous droits de reproduction réservés. 7.05.2014 les inrockuptibles 103

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livre Eyelids of Morning d’Alistair Graham et Peter Beard L’histoire vraie d’un scientifique et d’un photographe qui étudient les crocodiles au Kenya. Illustré de photos monumentales, de tableaux et de gravures, le livre devient une méditation tragi-comique sur la relation entre l’homme et la nature.

The Amazing Spider-Man – Le Destin d un héros de Marc Webb Après un début poussif, le reboot Spider-Man réussit son deuxième épisode.

Mac DeMarco Salad Days Un album qui explose calmement les frontières du rock indé.

Je ne renie rien – Entretiens 1954-1992 de Françoise Sagan Toute la “philo” Sagan : une bouffée d’oxygène et d’intelligence.

The Act of Killing de Joshua Oppenheimer Qu’il soit nommé aux oscars m’a surpris : je le trouvais trop étrange (et trop bon) pour ça. Il raconte le génocide indonésien après le coup d’Etat de 1961, du point de vue – sans trace de repentir – de ceux qui l’ont perpétré. Une plongée fascinante et effrayante dans l’esprit humain.

tapisserie La Dame à la licorne J’essaie de la voir à chaque visite à Paris. Se tenir devant cette œuvre est une expérience bouleversante. La dame reste mystérieuse et distante mais les animaux semblent vivants, comme s’ils allaient sortir de la tapisserie. propos recueillis par Noémie Lecoq

Pas son genre de Lucas Belvaux La relation amoureuse entre deux êtres d’univers culturels différents. Une étude de mœurs patiente mais sous tension.

Conversation animée avec Noam Chomsky de Michel Gondry Deux séries d’entretiens réjouissants entre le linguiste et le cinéaste.

Dans la cour de Pierre Salvadori Une “mélancomédie” élégante sur des dépressifs qui apprennent à vivre.

James Hamilton

documentaire

Shearwater Sélection de Jonathan Meiburg. Le nouvel album de Shearwater, Fellow Travelers, est disponible.

Dick Annegarn Vélo va Du folk en français, à la musique simple et nue.

sur

7 années de bonheur d’Etgar Keret Une chronique douce-amère se déroulant à Tel-Aviv, entre Kafka et Seinfeld. EMA The Future’s Void Un impressionnant maelström colérique, dense et intense.

Coming Soon Tiger Meets Lion Une effervescence façon pluie de confettis qui se disperse dans un album bariolé.

True Detective OCS City Entre récit policier atmosphérique et réflexion métaphysique sur la douleur d’exister. The Red Road Sundance Channel Immersion en territoire indien dans une atmosphère prenante. Silicon Valley OCS City Odyssée complexe entre avant-garde numérique et Amérique “corporate”.

Hellboy en enfer de Mike Mignola Hellboy revient aux Enfers, et il n’est pas content.

Le Pays de la peur d’Isaac Rosa Un démontage de l’engrenage de la terreur : d’une intelligence salvatrice.

L’Univers de carton de Christopher Miller Hommage à la science-fiction dans un livre aussi malin que potache.

Maggy Garrison de Lewis Trondheim et Stéphane Oiry Un étonnant polar existentiel et mélancolique.

La Fille maudite du capitaine pirate de Jeremy Bastian Une jeune fille part à la recherche de son père, pirate redouté.

Le Roi Lear de Shakespeare, mise en scène Christian Schiaretti Théâtre de la Ville, Paris Avec Serge Merlin, en roi vibrant et lumineux.

Le Misanthrope de Molière, mise en scène Clément Hervieu-Léger ComédieFrançaise, Paris Chronique d’une jeunesse qui se brûle les ailes à l’amour.

Tartuffe de Molière, mise en scène Luc Bondy Ateliers Berthier, Paris L’affaire du faux dévot devient une étreinte empoisonnée sur fond de guerre des sexes.

Richard Artschwager Nouveau Musée national de Monaco Une rétrospective de l’artiste américain, mort en 2013, qui révèle son art des surfaces.

Haroon Mirza Villa Savoye, Poissy L’artiste britannique fait résonner un symbole de l’architecture moderniste, la Villa Savoye de Le Corbusier.

ASCO & Friends Triangle, La Friche Belle de Mai, Marseille Ce collectif chicano subversif a agité la scène californienne des années 70 à la fin des années 80.

Secrets of Rætikon sur PC et Mac La balade énigmatique d’un oiseau ivre de couleurs : un open-world envoûtant.

Trials Fusion sur PS4, Xbox et PC Du moto-cross équilibré, hardcore mais accessible : grâce au moteur physique, même les accidents sont rigolos.

The Unnamed Feeling gratuit en ligne L’histoire nous conduira selon nos choix à l’une des huit fins, nous plongeant dans un troublant dégradé de gris.

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Emilie Dequenne par Renaud Monfourny

L’actrice belge est à l’affiche de Pas son genre, de Lucas Belvaux.

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