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No.961 du 30 avril au 6 mai 2014

www.lesinrocks.com

M 01154 - 961- F: 3,50 €

le Platini à Doré

entretien croisé

Allemagne 4,40 € - Belgique 3,90 € - Canada 6,99 CAD - DOM 4,80 € - Espagne 4,30 € - Grande-Bretagne 6,30 GBP - Grèce 4,30 € - Italie 4,30 € - Liban 11 000 LBP - Luxembourg 3,90 € - Maurice Ile 6,30 € - Portugal 4,30 € - Suède 53 SEK - Suisse 6,50 CHF - TOM 960 XPF

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cher Rohff par Christophe Conte

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ersonnellement, ta guerre de salle de muscu avec Booba, j’en ai autant à cirer que des pompes d’Aquilino Morelle. Mais puisque tu as décidé sur un coup de tête de la déplacer du ring d’internet vers la vraie vie, et qu’un pauvre garçon innocent a bien failli y laisser sa jeunesse, je me propose d’en jouer les arbitres, histoire de mettre fin à l’escalade. Poutine a l’air de faire des largesses vis-à-vis de l’Ukraine, Cyril Hanouna et Jean-Marc Morandini se sont parlé, tu vois, rien n’est insurmontable, mon Rohffounet. Franchement, ta vendetta du lundi de Pâques,

quand au lieu de chercher des œufs t’es parti comme en 14 chercher des embrouilles, ça faisait un peu pitié. Ok, se faire traiter de “sale pédale” et s’entendre dire de la part d’un confrère “Tahiti Douche, lave-toi la bouche avec pour masquer l’odeur de ma queue” après ta parodie du clip de Boobichou, où on le voyait se frotter les pectoraux comme une vahiné en chaleur, je comprends que ça t’ait un peu chafouiné le calfouette. La virilité, faut pas déconner avec ça, et l’un et l’autre êtes au moins d’accord sur ce point. Tu reconnaîtras toutefois qu’en dehors du fait qu’il soit resté un peu bloqué au stade anal, il est quand même marrant

B2zozo : “Nostradamus, il prédit l’avenir avec son cul”, c’était fleuri mais bien torché, pas étonnant que tu aies senti chauffer la bouilloire. Mais tu croyais quoi, en te rendant en commando à la boutique de fringues Unkut de ton rival ? Qu’il attendrait derrière le comptoir comme un fripier ? On t’a pas dit que monsieur Benetton ne vendait pas lui-même ses pulls ? Et Grand’Mère, tu crois qu’elle fait en personne de la retape pour son café dans les rayons du Super U ? Ta naïveté est aussi touchante que ton poing est vengeur, mais tes punchlines perdent un peu de leur superbe lorsqu’on vient à n’en retenir que le punch et quelques lignes dans les faits divers. Tenez, vous devriez plutôt vous faire des bisous sur vos petites fesses noueuses, ça surprendrait plus. Non parce que sinon, Le Progrès, torchon mal nommé de la région des quenelles, va encore nous gratifier d’une infographie dégueulasse sur les caïds de banlieue qui terrorisent les fans de Jean-Pierre Pernaut, et le rap français souffrir encore des siècles d’être moins entendu qu’attendu. Qui est l’exemple ? Tu te souviens ? T’as 36 bougies sur le gâteau maintenant Rohro, faudrait voir un peu à grandir, à partir à la rencontre de la sagesse, de la tempérance, au lieu d’aller traîner aux Halles comme un loser pour des histoires de rivalité de casquettes. Sinon, à trop te rêver Tony Montana, tu vas surtout terminer vendeur chez Best Montana, à supporter les guerres futures du Rap Game en simple spectateur. Je t’embrasse pas, mais fais donc un bisou à Boobichou. Billets durs, la suite – Je t’embrasse (toujours) pas (Robert Laffont), 304 pages, 18,50 €

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© 2008 fireside Films

plus d’inRocKs avec un seul doigt

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No.961 du 30 avril au 6 mai 2014 couverture Michel Platini et Julien Doré par François Rousseau pour Les Inrockuptibles

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billet dur édito debrief recommandé interview express Barbara Pompili enquête

18 20 22 24 25 26 28 30 33

le monde à l’envers histoire 2 la courbe la loupe démontage futurama nouvelle tête The Districts style food

François Rousseau pour Les Inrockuptibles

le revenge porn : des Etats-Unis à la France

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34 Platini/Doré : une Løve story sur son dernier album, le chanteur a déclaré sa flamme au n° 10. Rencontre amicale après un début poussif, le reboot Spider-Man réussit son deuxième épisode. Analyse

2013, Columbia Pictures

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42 qu’est devenu l’homme-araignée ? 48 Mac DeMarco, perle indé à 24 ans, il sort un troisième album faussement négligé mais vraiment solaire

50 des talents fous reportage dans un asile new-yorkais où bipolaires et schizophrènes se soignent par la peinture

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56 le gabber, c’est hardcore

Danny Cohen

une semaine d’expos, de concerts et de débats pour retracer l’histoire de cette subculture née aux Pays-Bas dans les 90's

60 l’imagination au pouvoir un projet révolutionnaire est-il possible aujourd’hui ? Entretien avec le philosophe Pierre Dardot et le sociologue Christian Laval

cinémas Pas son genre, Joe… musiques Dick Annegarn, Jamaica… livres Françoise Sagan, Etgar Keret… scènes le Français fait son ciné… expos Richard Artschwager… médias retour sur Fort McMurray…

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Dennis Duijnhouwer

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En novembre dernier, Julien Doré sort un nouvel album, Løve. Dans Les Inrocks, il se confie à Jean-Marc Lalanne : “Mon seul champ lexical, c’est le discours amoureux. Même quand j’écris sur Platini, c’est une chanson d’amour. – Tu étais à peine né quand Platini était une star du foot, non ? – Oui, je suis né en 1982. Vers la fin des années 80, mon père, qui travaillait dans une compagnie aérienne, avait trouvé dans un avion sa carte professionnelle de la FFF, oubliée dans un sac sur un siège. Il n’a pas voulu la récupérer et mon père me l’a offerte. Cette carte a été une de mes reliques d’enfance. – Pourquoi parles-tu de Platini au féminin ? – Ça s’est écrit comme ça : ‘Michel, ma belle…’ C’est une référence aux Beatles. Mais ça me plaisait aussi de mettre en place une homosexualité latente dans le monde du football qui ne l’accepte pas. De toute façon, cette ambiguïté, ce côté vaporeux, suave, ‘sur le banc de touche, juste après la douche’, est présent dans le football.” “Sur le banc de touche Juste après la douche J’ai revu Michel Platini On a parlé France Et de leur défense De Toulalan et Ribéry Sur le banc de touche Juste après la douche J’ai revu Michel Platini Il était docile Il a bien grossi “C’est l’air de Paris” M’a-t-il dit Michel, ma belle, mon oiseau de nuit (Platini) Ton pied de porcelaine est gravé à vie (Platini) Michel, ma belle, mon oiseau de nuit (Platini) Ton pied de porcelaine est gravé à vie (Platini)”

FEP/Panoramic

Michel, ma belle… Tout ça écrit par un musicien né la veille du mythique France-Allemagne du Mondial 82. Quand Michel arrête sa carrière de joueur, Julien a 5 ans. Plus tard, il jouera au football, soutiendra Montpellier, et sera un joyeux adolescent de 98, champion du monde sans jamais avoir versé une larme sur des Bleus romantiques et malchanceux, footeux dans un pays de snobs où c’était soudain bien vu de s’intéresser à ces choses populaires, dégradantes et corrompues par l’argent, après des décennies d’un mépris de fer. Les élites françaises et le foot, c’est assez récent, croyez-moi. On l’envierait presque, à un détail près : il n’a pas vu jouer Platini en live. Il ne l’a pas vu inventer des gestes avec cette insolence enfantine qui faisait son charme, cette rapidité d’exécution, ce coup d’œil qui ridiculisait gentiment défenses et gardiens. Sur un terrain de foot, Platini jouait vraiment, il s’amusait et ça se voyait. Messi ou Cristiano Ronaldo sont peut-être encore plus géniaux – peut-être, hein, ça se discute… – mais ils ne rigolent pas trop, pas assez, et ça se voit aussi. Tandis que quand Platoche mettait deux coups francs consécutifs au grand Dino Zoff, un de chaque côté, un jour de 78, à Naples… D’accord, j’arrête. Le football est d’abord un jeu, “ce jeu merveilleux” dont parlait Pelé, un jeu de sales mômes, de mal élevés, qui n’hésiteront jamais à mettre la main en douce, en espérant que l’arbitre n’y verra que du feu, comme Maradona ou Thierry Henry, même s’ils gagnent déjà des montagnes d’argent et que le monde entier les traitera de tricheurs. Pas une morale, plutôt un jeu de cour de récré et un spectacle, jamais tout à fait écrit à l’avance, d’une dramaturgie terriblement addictive : qui aurait pu imaginer le dernier match de Zidane en 2006 ? Ces choses-là ne se vivent qu’une fois et personne n’est capable de les inventer. Nul mieux que le football. Malgré tout.

En1978, à Naples, Platini contourne lem ur italien

lire aussi l’interview pp. 34-40

Frédéric Bonnaud 6 les inrockuptibles 30.04.2014

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chasser la peur grâce aux inRocKs La semaine dernière, les angoisses de Deneuve chez Salvadori, des tattoos en mutation, l’ivresse d’Ozu, des univers en carton et de l’amour, comme toujours.



e sais : rien ne dure, avec le temps va tout s’en va, une hirondelle ne fait pas le printemps, c’est bon, ça va, je sais. N’empêche. Le jour se lève, elle est dans mon lit, et pour la première fois depuis tant de premiers matins, je n’ai envie ni de la jeter dehors, ni de me jeter par la fenêtre, ni d’inventer une arrivée imminente des enfants pour couper court à l’horrible moment. La prendre dans mes bras, plutôt, rire, l’emmener en vacances, lui faire vingt gosses, trouver que finalement ça déchire, le tofu, aller au marché en Vélib’, et surtout ne rien lui dire de tout ça maintenant : ça pourrait tout faire foirer… Merde. Ne replonge pas, surtout ne replonge pas. Le premier élan amoureux, c’est comme le premier verre de l’alcoolique en rehab ou le premier tatouage, le début d’une “addiction : une fois que t’as ouvert la porte, tu es désinhibé, je ne saurais pas dire si c’est pathologique, mais il y a une espèce de mutation”. Tu deviens cui-cui, cul-cul, con-con. Tu t’élèves, tu laisses ton armure en bas pour mieux voler, et quand tu es bien haut, bien léger et bien désarmé, l’aigle te bouffe le foie, tu tombes, et à la fin de l’interminable chute, tu t’écrases, moitié mort, moitié boiteux, mais content tout de même d’être revenu à toi, d’avoir enfin compris que ces envols étaient des illusions, que “tout était faux dans cet univers de carton”, et que rien ne valait la solitude, la liberté et les grands espaces que constitue le vide. “Que feras-tu de ta peur ?”, interroge la critique consacrée au livre d’Isaac Rosa. C’est la question. La peur, “censée nous protéger” du danger devient le pire des dangers quand elle conduit à “l’isolement, (…) la paranoïa”. Plus d’ivresse, on risquerait la gueule de bois, plus d’amour, ça finit mal en général, plus de bonheur : on a trop peur qu’il se sauve. On s’enterre vivant pour que la vie ne nous abîme pas trop. “Que feras-tu de ta peur ?” Je lui botterai le cul, à cette conne. Je choisis l’ivresse, comme Yasujiro Ozu qui “buvait pour écrire cent bouteilles de saké par scénario”. Je serai amoureux comme lui était ivrogne, un amoureux “qui se tient, qui ne bouge pas trop pour ne pas tomber, dans une attitude d’extrême concentration sur les choses et les gestes les plus ordinaires. Tenir le coup, tenir l’alcool”, tenir l’amour. “C’est la morale d’Ozu”, et ce sera la mienne. Amoureux titubant, attentif, tenu, conscient de la fragilité de son équilibre, faisant de l’existence “cet enchaînement harmonieux de raisonnements et d’élans, (…) de chocs terribles et d’apaisements imperceptibles”. “Il y a une espèce de mutation.” Comme le personnage de Catherine Deneuve dans le film de Pierre Salvadori, “j’ai compris que j’avais fait du monde un murmure. J’ai compris que malgré mes angoisses et mes peurs, il me fallait tout faire pour revenir aux autres”. C’est maintenant, peut-être. A nous deux, chérie ! Alexandre Gamelin

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une semaine bien remplie Visiter une usine à rêves à la Gaîté Lyrique, assister à des battles de danse à Reims, flâner dans l’univers rétrofuturiste de Peeters et Schuiten à la BNF, retrouver Damon Albarn solo à l’Alhambra, revoir les films réalisés ou défendus par les surréalistes à Toulouse.

ivre d’images Motion Factory

Conor Finnegan

“Une usine à rêves dans laquelle le spectateur est un ouvrier” : c’est ce qu’ont voulu faire, à la Gaîté Lyrique, les scénographes de l’exposition Motion Factory. L’idée est la suivante : mettre en scène des œuvres d’animation tactile et leur making-of, avec des croquis, schémas, et vestiges de tournages. On y découvre les coulisses de la réalisation, mais connaître les trucs n’enlève rien à la magie des vidéos présentées. exposition Motion Factory – Les ficelles du monde animé, jusqu’au 10 août à la Gaîté Lyrique, Paris IIIe, gaite-lyrique.net Sound of Horns de Candice Gordon

blurillaz Damon Albarn Quelques jours après la sortie de son premier album solo, Everyday Robots, Damon Albarn vient jouer à l’Alhambra de Paris. Un concert événement, hélas complet à l’heure où nous bouclons ces lignes… Les retardataires pourront se rattraper cet été puisque l’Anglais a annoncé sa participation aux festivals Days Off, Beauregard et aux Nuits de Fourvière. Pour patienter, ils se brancheront sur France 2 pour l’Alcaline du 1er mai dont il est l’invité (lire p. 100) et se procureront le hors-série que Les Inrocks consacrent à l’œuvre du musicien (en solo, avec Blur et Gorillaz) – actuellement en kiosque. concert le 5 mai à l’Alhambra, Paris Xe, damonalbarnmusic.com 10 les inrockuptibles 30.04.2014

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villes-mondes les coulisses des Cités obscures

Avec l’aimable autorisation des auteurs et des éditions Casterman. BNF, réserve des livres rares. Casterman, 1996

Les Cités obscures, la passionnante série de Benoît Peeters et François Schuiten, se dévoile à la BNF. Les auteurs ont fait don en 2013 des planches et des travaux préparatoires de quatre albums, à découvrir jusqu’au 15 juin. L’occasion de plonger dans leur univers onirique et rétrofuturiste, empruntant à l’Art nouveau, au travers duquel ils questionnent les notions d’espace, d’architecture, de politique et d’urbanisme. exposition du 6 mai au 15 juin à la Galerie des donateurs, BNF, site François-Mitterrand, bnf.fr

Le Second Rêve de Marie : parmi les insectes

l’âge d’or Le Cinéma des surréalistes

rap Champagne

La Cinémathèque de Toulouse fête ses 50 ans avec un cycle qui lui va bien : “Le cinéma des surréalistes”. L’occasion de (re)découvrir les films que les membres du mouvement ont réalisé mais aussi ceux qu’ils ont aimés, soutenus ou défendus. Résultat : une programmation hétéroclite entre avant-garde et cinéma populaire (Les Vampires, Peter Ibbetson, et Marx Brothers).

Boom Bap Festival Parrainés par 20Syl (C2C, Hocus Pocus), les Rémois de l’association Velours mélangent graffiti et photo, battles de danse et projos, Nekfeu et Deltron 3030, avec le Reims Boom Bap Festival. Neuf jours pour immerger la ville entière (de la Cartonnerie au Palais du Tau inscrit au patrimoine mondial en passant par les cafés du centre) dans la culture hip-hop à travers une programmation labyrinthique et… pétillante. festival du 3 au 11 mai, Reims, velours-asso.com

Rêves à vendre d’Hans Richter

rétrospective à la Cinémathèque de Toulouse jusqu’au 14 mai, lacinemathequedetoulouse.com 30.04.2014 les inrockuptibles 11

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“nous aurions pu rester au gouvernement” Coprésidente du groupe Vert à l’Assemblée, la députée écologiste Barbara Pompili revient sur la rupture avec Manuel Valls, le refus de voter le programme de stabilité, les élections européennes et le sexisme.

A  

peine nommé, Manuel Valls est-il déjà fragilisé ? Barbara Pompili – Manuel Valls devient Premier ministre à un moment extrêmement délicat. Il doit montrer qu’il a entendu l’appel des Français et qu’il est capable de créer une réelle synergie avec les parlementaires. S’il le fait il ne sera pas fragilisé, bien au contraire. Pourquoi avez-vous décidé de ne pas voter le programme de stabilité budgétaire du gouvernement, plan qui prévoit d’économiser 50 milliards d’euros pour ramener le déficit à 3 % du PIB ? Nous considérons qu’il faut un véritable virage dans la politique économique menée et, pour l’instant, nous ne le voyons pas arriver. Au moment où les Français ont fait savoir via les urnes qu’ils souhaitaient un infléchissement de la politique d’austérité, le gouvernement continue à faire reposer les plus gros efforts sur les ménages, ce qui devient de plus en plus insupportable pour les salariés et les retraités les plus modestes. Cette trajectoire est trop raide et pas assez étalée dans le temps. La semaine dernière, vous avez été longuement reçue à Matignon par Manuel Valls. Etait-il ouvert à la négociation ? Je reconnais qu’il y a plus d’interaction entre Manuel Valls et les parlementaires qu’avec Jean-Marc Ayrault. C’est une bonne méthode de travail mais ses marges de manœuvre sont limitées. N’est-il pas paradoxal de louer la capacité d’écoute de Manuel Valls mais d’avoir refusé de participer à son gouvernement ? La décision de ne pas participer au gouvernement a été prise dès qu’il

a été nommé. Nous ne l’avons rencontré que le lendemain de sa nomination.  Manuel Valls semble avoir tout fait pour retenir Europe Ecologie-Les Verts (EE-LV), non ? C’est vrai qu’il nous a fait une offre très intéressante en nous proposant un grand ministère de l’Ecologie comprenant l’Energie et les Transports. Il était prêt à nous confier les manettes pour piloter la transition énergétique et il nous avait promis d’injecter une dose de proportionnelle lors des futures élections. Contrairement à Cécile Duflot, vous pensez que c’était une erreur d’avoir refusé cette main tendue ? Oui, car je pense qu’il faut toujours mieux essayer que renoncer avant d’avoir tenté le coup. J’étais très méfiante comme d’autres camarades écologistes sur les moyens effectifs que nous aurions pour mener à bien cette transition énergétique. En outre, la politique économique annoncée par le président de la République réduit considérablement les marges de manœuvre pour investir. Mais je pense que c’était trop tôt pour démissionner. Cécile Duflot et Pascal Canfin ont estimé qu’ils avaient avalé trop de couleuvres au gouvernement durant deux ans pour croire de nouveau à François Hollande. Cette ligne l’a emporté. Est-ce une démarche personnelle de leur part ? Oui, car Cécile Duflot et Pascal Canfin ont fait un communiqué en annonçant qu’Europe Ecologie quittait le gouvernement avant même que nous ne soyons réunis pour en discuter collégialement.  Pensez-vous que cette décision réponde à une volonté de reprendre en main l’appareil ? J’ai lu cela dans la presse, ou encore

que c’était pour marquer des points en vue des européennes. Mais avoir une vision à si courte vue serait suicidaire pour notre parti donc je pense que Cécile Duflot et Pascal Canfin étaient sincères.  N’y a-t-il pas le risque d’un repli identitaire d’EE-LV ? Ce risque existe, c’est certain. Notre parti a toujours été traversé par un courant de gouvernement et par un courant contestataire. Cette coexistence ne va pas de soi. Je continue de penser que nous aurions pu rester au gouvernement et faire un bilan à la fin du quinquennat. Pour l’instant, nous ne pouvons pas gagner tout seuls. Je le regrette mais c’est comme ça… Pensez-vous qu’EE-LV puisse rééditer son score des européennes de 2009 – 16,3 % des voix ? La situation politique est différente et le fait que Daniel Cohn-Bendit ne soit plus là va sans doute avoir des conséquences très fortes. Même si on a de très bons candidats, ils n’ont pas encore sa stature. Mais je pense que nous pouvons faire un score très honorable.   Lors de son discours d’adieu au Parlement européen, Daniel Cohn-Bendit a réaffirmé que le fédéralisme était le seul avenir pour l’Europe. EE-LV ne devrait-il pas davantage défendre le projet d’une Europe fédérale ? L’économie a pris le pas sur la politique dans la construction européenne. Pour l’instant, les égoïsmes nationaux nous empêchent de mener une véritable politique européenne. On le voit chaque jour sur la scène internationale. C’est le manque d’Europe qui crée des problèmes… Qu’avez-vous pensé de la décision du Supplément, sur Canal+, de diffuser une séquence off de Jean-Vincent Placé ?

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“l’économie a pris le pas sur la politique dans la construction européenne”

Si Jérôme Cahuzac avoue pendant une page de pub qu’il a menti aux Français, je peux comprendre qu’un journaliste diffuse la séquence. Mais là, Jean-Vincent Placé n’a rien dit de particulier donc je ne comprends pas bien cette décision. Trouvez-vous que les propos soient plus sexistes ou insultants à l’Assemblée nationale ou sur internet ?  Sur internet. J’ai récemment répondu à une interview vidéo et la majorité des commentaires étaient ouvertement sexuels. On a tendance à reprocher aux femmes politiques de trop en faire sur le sexisme mais ce genre d’exemple

montre qu’on est encore trop souvent réduites à une paire de fesses ou de seins… Que faudrait-il faire pour changer les mentalités ? Il faut commencer dès l’école. Qu’on incite les enfants à s’interroger : pourquoi on attend d’une fille qu’elle soit douce et d’un garçon qu’il aime le foot ? Ces a priori sont intégrés très tôt et chaque sexe finit par obéir à un rôle social. A l’Assemblée nationale, on devrait être exemplaire. Pourtant, les femmes sont moins écoutées lorsqu’elles prennent la parole et le comportement de certains est indigne.

Qu’avez-vous lu dernièrement ? Le Pingouin d’Andreï Kourkov. Le récit se déroule après l’indépendance de l’Ukraine dans un pays qui peine à se reconstruire. Ballotté au milieu de tout ça, le héros vit à Kiev avec un pingouin et rédige des nécrologies de personnes qui ne sont pas encore mortes. Il y a un côté absurde à la fois doux et poétique. Le hasard a fait que la lecture de ce livre a eu une résonance particulière avec l’actualité… propos recueillis par David Doucet photo Nicola Lo Calzo pour Les Inrockuptibles 30.04.2014 les inrockuptibles 13

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un plat qui se mange très chaud Pour se venger de leur ex, certains n’hésitent pas à balancer sex-tapes et photos compromettantes sur le net. Né aux Etats-Unis, le revenge porn a déjà fait quelques victimes en France et entraîné des condamnations. Mais le flou juridique persiste.

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uand une histoire d’amour se termine, on peut se partager les meubles, la garde des enfants ou du chien mais malheureusement, rien n’est prévu pour les sex-tapes. Sylvie, enseignante de 37 ans, en a fait l’amère expérience en septembre 2012. A la fin d’un cours, des élèves la préviennent que des photos d’elle dénudée circulent sur Facebook. Sylvie comprend qu’elle est victime de revenge porn, une pratique venue des Etats-Unis qui consiste à se venger de son ex-petit(e) ami(e) en diffusant des photos ou vidéos privées à caractère sexuel sur internet. Trois mois plus tôt, Sylvie avait rompu avec son mari et quitté le domicile

conjugal pour s’installer chez ses parents avec ses deux enfants. Son ex-mari, âgé de 35 ans, alors au chômage, ne supporte pas le départ de sa famille à plus de 600 kilomètres. Il sombre “dans un état dépressif profond”, selon son avocat Mehdi Adjemi. Un soir, il se décide à se venger en publiant des photos dénudées de son ex-femme sur plusieurs blogs. Il accompagne ces photos compromettantes d’une adresse et de commentaires incitant à la consommation sexuelle. “Mon client a littéralement pété les plombs, ajoute Mehdi Adjemi. Mais il a été surpris de voir que les photos ont ensuite été récupérées à son insu pour être relayées sur d’autres sites de rencontres.” Sylvie se décide à porter plainte. L’affaire est jugée

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aux Etats-unis, le “revenge porn” est devenu un problème de société au tribunal, où elle raconte son calvaire. Au-delà des photos qui se sont propagées sur internet, plusieurs hommes sont venus lui rendre visite pour obtenir des faveurs sexuelles. Conscient du préjudice, le tribunal correctionnel de Metz se montre ferme. Le jeudi 3 avril, son ex est condamné à douze mois d’emprisonnement avec sursis pour “préjudice moral” et “atteinte à la vie privée”. Cette peine est assortie de 5 000 euros d’amende avec l’obligation de travailler et de suivre des soins médicaux. “En France, nous manquons de recul par rapport au revenge porn et c’est l’une des premières condamnations connues, constate maître Mehdi Adjemi. Cette lourde condamnation risque de faire jurisprudence.”

Si de plus en plus de cas de revenge porn arrivent sur les bureaux des juges, le système judiciaire français n’est pourtant pas encore adapté au phénomène. Dans la Manche, un jeune homme d’une vingtaine d’années a été condamné à six mois de prison pour avoir publié une vidéo de ses ébats avec sa compagne sur un site porno gratuit, à l’insu de celle-ci, mais dans le même temps, dans le Doubs, un autre homme a été relaxé. Ce dernier, âgé d’une quarantaine d’années, avait dévoilé une vidéo compromettante sur la page Facebook du nouveau compagnon de sa femme. Sur les images tournées dans un lieu public, à Bart, on voyait son ex-femme lui prodiguer une fellation. “L’article 226-1 du code pénal

dispose que le fait de transmettre sans son consentement l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé est un motif de condamnation mais cette disposition peut s’avérer insuffisante si la photo ou la vidéo est prise dans un décor naturel comme c’est le cas dans cette affaire”, explique maître Jean-Pierre Ribaut-Pasqualini, avocat au barreau de Lyon. En l’absence de directive de la chancellerie et de la création d’une infraction spécifique, chaque juge traite donc le revenge porn au cas par cas.   Si la France découvre cette pratique vengeresse, aux Etats-unis, le revenge porn est devenu un problème de société. Une véritable industrie s’est même développée autour de cette pratique. 30.04.2014 les inrockuptibles 15

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Jason L. Nelson/Admedia/Sipa

Le pionnier du genre s’appelle Hunter Moore. En 2010, après une rupture difficile, cet Américain hypertatoué de 28 ans crée un site sur lequel il publie les photos de son ancienne copine, censées rester dans la sphère privée, tout en encourageant les internautes à faire de même. Le succès est immédiat : Isanyoneup.com répond aux attentes d’un nombre incalculable de cocus. Des milliers de photos intimes d’hommes et de femmes se retrouvent sur le site accompagnées de descriptions salaces concernant leur potentiel au lit. Conscient du filon, Kevin Bollaert, transforme le revenge porn en un véritable business. Avec Ugotposted. com, cet Américain de 27 ans,a joué les maîtres chanteurs. Sur Ugotposted, contrairement aux sites de revenge porn classiques, les photos ne sont plus anonymes. Il faut renseigner le nom, voire l’adresse de la page Facebook de sa victime. En parallèle, Kevin Bollaert a créé Changemyreputation. com, une plate-forme sur laquelle les personnes victimes peuvent demander la suppression des clichés en échange de 250 à 350 dollars. Protégés par la section 230 de la Communications Decency Act (une loi visant à réguler le contenu pornographique sur internet) – qui précise que, contrairement à celui qui l’a mise en ligne, l’hébergeur n’est jamais responsable de la photo ou de la vidéo postée –, les sites de Moore et de Bollaert font des dizaines de milliers de victimes en toute impunité. C’est Charlotte Laws, une Américaine dont la fille a été victime du site d’Hunter Moore, qui a forcé la justice à réagir. Pendant des mois, elle a contacté des dizaines de victimes pour témoigner et se porter partie civile. Et elle a réussi à convaincre Facebook et PayPal de supprimer le profil et le compte d’Hunter Moore. Privé de ces deux canaux, le pape du porno revanchard ne pouvait plus faire de pub pour son site, ni recevoir de dons via la plate-forme de paiement sécurisé. Grâce au combat de Charlotte Laws, six Etats ont fini par adopter des lois anti-revenge porn. Au début du mois

l’hypertatoué Hunter Moore est le pionnier US du genre de janvier, “l’homme le plus détesté d’internet”, comme l’a surnommé le magazine Rolling Stone, a été arrêté par le FBI. Quant à Kevin Bollaert, il a été poursuivi par la justice. Aujourd’hui Ugotposted.com et Isanyoneup.com sont fermés mais d’autres sites comme Myex.com continuent de prospérer.

Rien d’étonnant lorsque l’on sait qu’une personne sur dix a déjà menacé son ex de publier des photos compromettantes et que 60 % d’entre eux sont passés à l’acte, selon une étude de la DMCA, une association américaine de défense des victimes du revenge-porn.

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des nettoyeurs du net suppriment ces contenus négatifs S’il est très difficile de faire totalement disparaître d’internet des photos ou des vidéos compromettantes lorsqu’elles ont été dupliquées des dizaines de fois sur des forums ou des plates-formes vidéo, des nettoyeurs du net existent pour supprimer ces contenus ou les dissimuler en page 3 de Google. “Avec la justice française, les délais sont souvent trop longs, surtout si les contenus à supprimer sont hébergés à l’étranger, explique Albéric Guigou, cofondateur de Reputation Squad, une agence d’e-reputation. Pour nos clients victimes de revenge porn, nous tentons d’intervenir de manière directe sur le site en question, et en parallèle nous créons des contenus positifs pour empêcher les clichés

ou vidéos compromettantes d’apparaître dans les premiers résultats des moteurs de recherches.” Le coût de l’opération oscille entre 300 et 10 000 euros en fonction des cas. Avec l’émergence du revenge porn, les sextos deviennent donc de véritables bombes à retardement. L’application Snapchat prend ce facteur en compte. Véritable arme anti-revenge porn, cette appli pour smartphone qui fait fureur auprès des 13-24 ans permet d’envoyer des photos qui s’autodétruisent au bout de quelques secondes. Le bon compromis pour éviter de voir son conjoint comme une future menace potentielle pour son e-reputation. David Doucet

p

En France, il n’existe pas de pendants aux sites de revenge porn américains. Pourtant, depuis le mois de novembre, un site s’intitulant Ugotpostedfrance a fait son apparition sur la plate-forme de blogs Wordpress, dans un relatif anonymat médiatique. Sur la page d’accueil du site, l’administrateur demande cyniquement aux internautes de lui envoyer des clichés de filles : “Vous avez aussi la possibilité d’envoyer les photos sexy des filles que vous voulez pour qu’elles apparaissent sur le site ! Et ça, dans l’anonymat le plus complet ! N’oubliez pas de préciser le prénom, nom et département de la personne présente sur les photos. Le nom n’apparaîtra pas complètement pour protéger l’identité de la personne. Ex. : Sarah D.”

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l’Italien social L’Italie toujours en récession, son Premier ministre Matteo Renzi multiplie les marqueurs de gauche, réduit le train de vie de l’Etat, taxe les banques… Une opération politique, et de com, rondement menée.

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e quotidien italien La Stampa a appelé cela “l’opération Occupy TV”. Le journal a en effet calculé que du 17 au 31 mars, le nouveau Premier ministre italien Matteo Renzi avait, en moyenne, occupé l’espace télévisuel cinq heures par jour. Discours, reportages et surtout dix-sept heures d’entretiens “exclusifs”. Loin de s’en défendre, Renzi explique sur son compte Twitter qu’il “avance comme un rouleau compresseur”, qu’une “révolution est en marche” en Italie et qu’il est “heureux de conduire” un pays “courageux et vrai”. Heureux ? Quel contraste avec un gouvernement et une présidence qui, en France, semblent enfoncés dans le pessimisme et les “économies douloureuses”. Pourtant, l’Italie ne va pas mieux que notre pays et son plan d’austérité pluriannuel n’est pas moins rude. Le chômage touche 13 % des Italiens (contre 10 % des Français), 2013 a été une année de récession en Italie (-1,9 %, contre +0,3 % chez nous) et la dette du pays flirte avec les 135 % du PIB, non loin du record grec. D’où vient donc ce feel good effect ? C’est simple : Renzi fait de la politique. D’abord, on l’a vu, il sature les médias. Un peu à la façon de Berlusconi mais en

ajoutant les réseaux sociaux et donc en jouant de l’illusion d’une communication non filtrée avec “le peuple italien”. Ensuite, il multiplie les marqueurs de gauche. Comme la vente sur eBay des voitures officielles – cinquantedeux ont déjà été cédées pour un total de 371 000 euros et une centaine d’autres devraient suivre – et la limitation à cinq véhicules de fonction par ministère. Ou encore la nomination de quatre femmes à la tête de grandes entreprises nationales, après la mise en place d’un gouvernement paritaire. Un signe bienvenu dans un pays où les femmes ont été humiliées par des années de “bunga bunga” berlusconien. Enfin, Matteo Renzi joue les Robin des Bois. D’un côté, il adresse aux Italiens gagnant moins de 25 000 euros par an un chèque mensuel de 80 euros et ce dès le mois de mai. De l’autre, il augmente les taxes sur les banques de 1,8 milliard d’euros. Pour les Italiens, comme pour les Français, et les Européens en général, les banques et leurs traders

la dette de l’Italie flirte avec le record grec

sont, à tort ou à raison, largement responsables de la crise actuelle. En les surtaxant, Matteo Renzi a donc rencontré peu d’opposition. Mais la cerise sur le gâteau, c’est que ces mêmes banques ont réagi par la voix de l’Association des banques italiennes. Elles ont chouiné. Elles se sont plaintes d’avoir à payer 6 milliards d’euros de taxes en 2014. Pour un Premier ministre de gauche, c’est inespéré ! Le monde de la finance, l’“adversaire” de François Hollande, qui se plaint, c’est tout bénef. A cela, il faut ajouter la disparition des provinces – l’équivalent de nos départements –, la réduction du nombre de communes de 8 000 à un millier. De plus, Matteo Renzi a pris un engagement devant ses citoyens : s’il n’arrive pas à mener à bien son projet, il promet de “retourner à la maison”, c’est-à-dire de démissionner. Un peu comme François Hollande, en somme. Sauf que l’Italien, malin, a lié son destin à une réforme qui dépend du monde politique : une refonte du Sénat qui pourrait aboutir à de substantielles économies concernant les salaires des parlementaires. Alors que François Hollande joue le sien sur la baisse du chômage… qui dépend avant tout du monde économique. Anthony Bellanger

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histoire 2

Adam Tanner/Reuters

Inspection d’un silo de missile nucléaire sur la base de Malmstrom, Montana

la meilleure défonce, c’est l’ecsta En charge du feu nucléaire, de jeunes militaires américains se morfondent dans des bases plantées au milieu de nulle part. Pour tromper l’ennui, ils se droguent et picolent.



lantés comme des champignons le long de l’US 83 qui relie Bismarck à Minot, ces faux silos à grains entourés de barbelés ont quelque chose d’un mauvais James Bond. Mi-fier, mi-ironique, le photographe Dave Arnston, de West Fargo, m’en a révélé l’existence en 2012 tandis que nous roulions dans une prairie morne et immense comme quinze Belgique pour couvrir le boom pétrolier du Dakota du Nord. “Nous sommes une terre de rednecks et de fous de Dieu, et on a assez de têtes nucléaires pour faire péter plusieurs fois la planète, ha ha !”

La guerre froide est terminée depuis vingt-cinq ans mais l’US Air Force entretient toujours des centaines de silos répartis dans le Wyoming, le Montana, le Colorado. Le Dakota du Nord est l’Etat qui en héberge le plus : environ 150. Etonnamment, le système de veille et d’attaque nucléaire mis en place dans les années 60 pour une éventuelle guerre totale contre l’ennemi communiste fonctionne encore aujourd’hui… Chaque jour, des militaires effectuent un tour de garde de vingtquatre heures, plusieurs dizaines de mètres sous terre. Ils font partie

en gros, un soldat en pleine montée pourrait détruire la planète depuis sa cloche à fromage perdue dans la pampa

de la Minuteman Force, qui compte en tout près quelque 10 000 soldats. Ils déchiffrent des codes compliqués sur leurs écrans de contrôle – mais regardent surtout la télévision. Devant eux se trouve une clé : tournée selon certaines modalités, elle lancerait un missile dans l’atmosphère qui s’écraserait à l’autre bout de la planète, provoquant des destructions telles que l’humanité n’en a encore jamais connu. L’ennemi, pour ces soldats, prend moins la forme d’un missile parti de Sibérie que celle de l’ennui total, voire de l’absurdité de leur tâche. Un article du Center for Public Integrity (CPI) enrichi de rapports de l’armée nous apprend que ces missions sont confiées à des militaires plutôt jeunes (moyenne d’âge 25 ans). Affectés au minimum quatre ans, traînés de base en base sans espoir d’évolution de carrière rapide, ils trouvent le temps long. Ils picolent, se droguent au travail et trichent aux examens de routine.

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Le cocotier a commencé à être secoué en août, quand une enquête interne a été lancée à la suite d’un événement peu banal : deux lieutenants pris en train de dealer des amphètes et de l’ecstasy sur la base de Malmstrom dans le Montana. Curieusement, l’investigation a laissé de côté les problèmes de drogue (l’US Army, qui s’affiche intraitable sur ces questions, n’a pas communiqué là-dessus depuis). En revanche, l’enquête s’est transformée en remise en question de la politique “zéro défaut” exigée de la part des missileers, à qui on demande de ne faire aucune erreur aux tests et aux simulations, alors qu’ils doivent justement faire des sans-faute pour être assignés à un autre job et ne jamais revenir glander dans les silos. L’US Air Force a détourné les yeux du problème depuis un bon moment, selon un ancien gradé, Bruce Blair, missileer dans les années 70. Au CPI, il révèle que dès cette époque, les soldats planquaient de l’herbe près des silos et que la défonce était une pratique très courante, quelle que soit l’étendue des responsabilités des soldats. De son côté, l’armée s’aperçoit, à travers des sondages internes, que les missileers ne sont pas heureux. Une carrière dans la guerre

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nucléaire n’est plus glamour comme dans le passé, à l’heure où les menaces contre l’Amérique se matérialisent sous la forme de sacs à dos piégés posés devant la ligne d’arrivée d’un marathon. Alors que la controverse prend de l’ampleur, un autre rapport, qui a fuité l’an dernier chez Associated Press, révèle que les missileers sont deux fois plus nombreux à terminer devant une cour martiale et à battre leur épouse que les autres soldats de l’US Air Force. On sait donc aujourd’hui que des jeunes militaires malheureux qui se bourrent la gueule en service et battent leur femme peuvent, en théorie, actionner le feu nucléaire. Bien que l’hypothèse soit infiniment peu probable, les enquêtes ne disent pas si la responsabilité du lancement d’une ogive incombe à une seule personne ou est partagée par plusieurs : en gros, un soldat en pleine montée d’ecsta pourrait détruire la planète depuis sa cloche à fromage perdue dans la pampa. Selon le colonel Vercher, commandant la base de Minot, interviewé par l’agence de presse de l’US Army, “il n’existe aucune autre unité de l’US Air Force où de si lourdes responsabilités sont confiées à de si jeunes recrues”. Maxime Robin

histoire 1 La crise en Ukraine suscite des tensions toujours plus vives entre les Etats-Unis, l’Otan et la Russie. Après avoir disparu vingt ans des écrans radar, la vieille mascotte de l’ours russe réapparaît en couverture des magazines américains et réveille le fantôme de la guerre froide. Une situation géopolitique étrange qui rappelle les années 50-60, période durant laquelle les Etats-Unis développèrent un arsenal de missiles balistiques intercontinentaux. En 1964, dans Docteur Folamour, Kubrick se demandait ce qu’il adviendrait si un paranoïaque prenait le contrôle de l’arme atomique. Et si, en 2014, c’était un gars totalement fracassé ?

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l’organisation du mariage de Kanye West

retour de hype

“bruits de bouche caractérisés en open space, c’est une faute grave, non ?”

l’alcool en poudre

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

Thomas Piketty

“si ! Ça revient à la mode le paléolithique”

les moches

“comment ça c’est plus Waka Waka l’hymne de la Coupe du monde ?”

“coin coin” Terry Richardson

Bande de filles de Céline Sciamma en ouverture de la Quinzaine des réalisateurs

Jack White

The Office UK Rohff “ah ! moi je croyais que c’était les portes du pénis entier”

les soirées Sosh aime les inRocKs lab

Les soirées Sosh aime les inRocKs lab Au terme d’un tour de France, se tiendront à la Gaîté Lyrique trois soirées (du 29 au 31 mai) avec les lauréats du concours. Les moches, ou ceux qui se voient ainsi, seraient plus enclins à faire la révolution que ceux qui pensent être “beaux”, selon une étude de la Graduate School of Business de Stanford. Kanye West, dont la vie est

un Kamoulox permanent, a demandé à James Franco et Seth Rogen de faire en live leur parodie de son clip Bound 2, lors de son mariage avec Kim K à Versailles. “Coin coin” Il aura fallu un demi-siècle avant d’éclaircir le mystère du son de canard entendu dans l’Antarctique : il s’agirait du bruit émis par une petite baleine. The Office UK Bientôt un spin-off ? D. L.

tweetstat

Public Sénat

Au repos forcé à l’hôpital, la chanteuse a décidé de se mettre à la lecture : Suivre

Miley Ray Cyrus @mileycirus

reading books so i don’t die a famous pop pop dumb dumb 19:53 - 20 avr. 2014

Répondre

“je lis des livres pour ne pas mourir comme une pop star débile”

47 %

Dumb & Dumber Mais en une seule personne

Retweeter

34 %

Favori

Bibliothèque Médicis sur LCP Un genre

19 % Le Cercle des poètes disparus Pouet pouet

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autoportrait en pied En se faisant shooter la tête par un conducteur de train péruvien, Jared Frank a généré des millions de vues sur YouTube et les monnaye par milliers. Un art consommé du contre-pied.

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dans ta facetime

Il était une fois un Canadien de 22 ans en voyage au Pérou. Dans ce qui semble être un paysage typique, ce jeune homme a le même reflexe qu’une bonne partie de sa génération : se prendre en photo. En l’occurrence, ici, devant

un chemin de fer avec un convoi local à l’approche. La suite est plus ou moins réjouissante (selon la note que l’on attribue à sa vie sur l’échelle du néant), puisque le conducteur du train en question sort son pied et lui donne, en toute

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décontraction, un gros coup dans la tête. Ni une ni deux, le héros malheureux de l’histoire met la scène filmée sur sa chaîne YouTube et récolte alors (outre une belle ecchymose) des dizaines de millions de vues.

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vidéo gag

Pourquoi un tel succès ? Parce que les vidéos courtes type Vidéo Gag (moins Alexandre Debanne et le doublage de l’enfer) impliquant une chute ou une humiliation physique semblent plaire à l’espèce humaine (ou du moins ses représentants du monde occidental). Mais aussi et surtout parce que nombreux sont nos contemporains qui ne rêvent que de donner un gros coup de semelle dans la face de n’importe quel individu pris en flagrant délit d’autoportrait à bout de bras. La séquence s’impose ainsi comme une version postmoderne du mythe de Narcisse qui meurt d’amour pour sa propre image. Et que c’est vraiment bien fait pour lui.

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un gros coup de pub Oui mais voilà. Une semaine après sa mise en ligne, la vidéo a été vue près de 30 millions de fois. Ce qui signifie que ce malheureux bienheureux pourrait très bientôt être beaucoup plus riche que tous ceux qui se sont moqués de lui. Approché par de nombreuses agences, Jared Frank (c’est son nom) travaille aujourd’hui avec Jukin Media, une

start-up californienne, afin de monétiser cette séquence. La vidéo devrait en effet rapporter entre 2 et 16 dollars par millier de vues. Une somme sur laquelle il pourrait toucher 70 %, sans compter de potentiels accords de licence. Tout est bien qui finit bien dans le meilleur des mondes. Un beau conte moderne qui en dit long sur l’époque. Diane Lisarelli

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en chiffres

on exclut qui, finalement ? En une semaine, près de 2 millions de spectateurs ont vu Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?, une comédie balourde qui, sous couvert de tolérance, s’avère douteuse.

le sujet Deuxième meilleur démarrage de l’année pour un film français (derrière Dany Boon et son Supercondriaque), Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? confirme le règne de la comédie sur le box-office bleu blanc rouge. Les couleurs du drapeau sont justement le sujet du film de Philippe de Chauveron (L’Elève Ducobu), ou plus exactement la capacité de la nation française à accueillir diverses communautés. Le film raconte ainsi, avec “humour”, les efforts d’un couple de parents cathos vieille France (Christian Clavier et Chantal Lauby) pour accepter leurs quatre gendres issus de l’immigration : l’Arabe, le Chinois, le Noir et le Juif – ce dernier est étrangement présenté comme un immigré israélien, comme si cela recouvrait une quelconque réalité sociologique…

le souci Effroyablement mal écrit et mal interprété (exception faite des deux vétérans Clavier et Lauby, dans un registre connu mais maîtrisé), dénué de mise en scène, Qu’est-ce… n’est même pas sous la moyenne des comédies françaises dites “populaires”. C’est dire si le niveau y est faible. Mais pourquoi se fouler ? Les salles sont pleines et les gens se marrent. Car Qu’est-ce… est une implacable machine fédératrice, un bulldozer marketing appuyé sur un efficace ressort comique : le cliché raciste. Au pays d’Astérix, on se tient donc les côtes en voyant des Chinois lèche-bottes, des Arabes sanguins

(Medi Sadoun, des Kaïra, est l’acteur qui s’en tire le mieux), des Juifs filous, ou des Africains qui roulent les yeux et les “r”. Comme tout le monde en prend pour son grade, à commencer par les Français croqués en râleurs aigris et prétentieux, la pilule passe. Le tour de force est de faire de petits dissensus un large consensus. Tout le monde est raciste, donc personne ne l’est vraiment.

le symptôme Bienvenue chez les Ch’tis et Intouchables l’ont prouvé : les Français aiment les fables qui réconcilient les contraires et montrent que la République, ça marche. On pourrait savoir gré au film de montrer des “jeunes issus de l’immigration” qui, avocats, banquiers ou comédiens, ont réussi et chantent La Marseillaise la main sur le cœur. De ce point de vue, même s’il est poussif, voire faux-cul, Qu’est-ce… est inattaquable. Mais le diable gît dans les détails, et c’est une blague, même pas vraiment méchante, qui révèle l’esprit du film, et partant, de la France contemporaine. “Dommage, plaisante un gendre, qu’il n’y ait pas une cinquième fille : elle aurait pu épouser un Rom !” Consternation, malaise, plus personne ne rigole. Eternelle logique du bouc émissaire : pour qu’une communauté tienne, en dépit de sa violence et de ses forces centrifuges, elle doit charger un pauvre bouc de tous les maux. Or quel meilleur client que le Rom, véritable paillasson de la République de Valls ? Jacky Goldberg

1,7 million de spectateurs sont allés voir le film dès la première semaine de sa sortie en salle. Il se classe juste derrière Supercondriaque (2,1 millions) mais devant Les Trois Frères (1,1 million). Avec un bouche à oreille ultrapositif, le film devrait atteindre les 5 millions, voire plus s’il devient un phénomène de société.

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Le nombre de films produits par Romain Rojtman, jeune producteur chez UGC, qui, depuis 2010, enchaîne les cartons (dont L’Elève Ducobu 1 et 2 et Les Profs).

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Le nombre d’expulsions de Roms étrangers de leurs lieux de vie en France en 2013 (ce qui signifie qu’ils ont été évacués de force au moins une fois dans l’année car ce chiffre représente plus de la totalité des Roms étrangers vivant en bidonville ou en squat – population évaluée à moins de 17 000 personnes). 30.04.2014 les inrockuptibles 25

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les yeux dans le mieux Google et d’autres sociétés développent des lentilles de contact ultraperfectionnées. Serons-nous bientôt dotés de la vision de Superman ? Et pour voir quoi ?

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es Google Glass ? Ringard. La firme, avant même qu’on en ait eu l’usage, les a déjà rétrécies pour les coller sur notre iris. Il y a quelques semaines, Google a déposé un brevet de lentilles de contact connectées, avec caméra intégrée et tout le bazar. Il ne s’agit que d’un dessin pour l’instant, un projet théorique. Un peu avant, on apprenait la mise au point d’une paire de lentilles à l’usage des diabétiques, capable de détecter le taux de glucose dans les larmes. Parallèlement, des chercheurs de l’université du Michigan, grâce au graphène (un matériau extrêmement fin et léger), ont imaginé des lentilles à vision nocturne, nettement moins encombrantes donc que les jumelles collées au front des soldats noctambules. Cette fonctionnalité rejoindra sans doute les lentilles connectées du géant Google. Reste tout de même quelques réglages à faire. Résoudre le problème de la chaleur qui s’en dégage, par exemple, et qui risque de nous brûler les yeux. Pas grand-chose. On devrait pouvoir les commander par un simple clignement de paupière. Un pour on, deux pour off. On suppute déjà des quiproquos. “C’est à moi que tu fais des clins d’œil ?”, demandera l’armoire à glace susceptible assise en face de vous dans le métro. Une fois la population équipée, on n’y prêtera plus attention. Déjà nous parlions seul dans la rue, via notre kit mains-libres, bientôt nos visages seront aussi déformés par les tics. Voilà pour les désagréments. Mais quel en sera l’usage ? Rendre la vue aux aveugles, éventuellement ? D’accord, très bien. Quoi d’autre ? Voir dans le noir. On pouvait allumer

la lumière, mais pourquoi pas. Alors, il nous faudra renoncer à la poésie de la nuit, c’est dommage : “Les choses de l’ombre vont vivre/Les arbres se parlent tout bas.” (Victor Hugo) La prothèse, cela dit, sera devenue bien utile à nos yeux, fatigués de tout voir, tout le temps, comme en plein jour. Elle aura d’autres fonctions : prendre tout en photo, filmer. Facile. Mais aussi : reconnaître instantanément ce type qui se dirige vers nous et dont le nom nous échappe – son identité et sa fiche signalétique s’inscriront à mesure qu’il se rapprochera. Mais on peut facilement ensuite imaginer, par ce filtre, une modification de notre perception du monde : mettre un peu plus de bleu au ciel les jours gris, donner meilleure mine à notre interlocuteur, remplacer par un sourire son air renfrogné. Lui, bien sûr, n’en aura pas conscience et sera toujours aussi chafouin, ce sera le monde vu de nos yeux, façonné par nous. Une illusion d’optique bien agréable. Mais notre super vision, l’œil du lynx dans l’orbite de l’homme, traversera aussi les murs, déshabillera d’un simple regard. La transparence totale, littéralement pour une fois. Rien ne se cachera plus, tout sera découvert. Plus rien à voir donc. Nicolas Carreau illustration Jérémy Le Corvaisier

pour aller plus loin Sight, un court métrage qui met en scène la vie d’un homme guidée par ses lentilles : http://vimeo.com/46304267

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Caitlin McCann

The Districts Idoles de l’Amérique à cheveux longs, ces ados de Philadelphie affolent les réseaux sociaux et sont appelés à remplir les stades d’ici peu.

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u récent festival américain South by Southwest, The Districts n’ont joué que dans une salle de taille modeste, mais, déjà, sur les réseaux sociaux et dans les conversations mondaines, ceux qui affirment avoir vu ce concert sont si nombreux qu’ils pourraient

remplir le Madison Square Garden. C’est dire l’excitation, voire l’affolement, que suscite la poignée de concerts et de chansons lâchés en pâture par ces adolescents affriolants de Philadelphie, capables sur un même titre d’adopter la sagesse de Neil Young, de dompter la fougue de Nirvana

ou d’endosser la grande classe des Strokes. Comme souvent quand il y a de l’Amérique roots mais indocile dans l’air, c’est le label américain Fat Possum qui a signé ces godelureaux, déjà promis à la gloire, largement au-delà de leur district. JD Beauvallet facebook.com/thedistrictsband

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où est le cool ? par Géraldine Sarratia et Dafne Boggeri

sur ce pendentif à l’œil surréaliste Basée à Londres et créée par l’illustratrice Kaye Blegvad, la marque Datter Industries propose à des prix abordables des bijoux imaginatifs et faits à la main, qui puisent leur inspiration tant dans le surréalisme que dans une culture visuelle plus pop et internet. datterindustries.com

à toutes les pages de Garagisme Fondé par le directeur artistique et photographe Gilles Uzan, le très beau Garagisme continue d’explorer en anglais les collisions entre voiture et pop culture. Au sommaire : un texte de Will Self sur la vitesse, un article sur la mort de Camus, une story sur les designers utopistes qui ont monté United Micro Kingdom, et des séries photo de CG Watkins, Osma Harvilahti, en sélection au Festival de Hyères. garagisme.com

avec cette culotte Drake Comment ne pas craquer pour cette magnifique culotte de grand-mère à l’effigie du rappeur ? Disponible en blanc, vert ou rose. A vous de voir. drakepanties.tictail.com

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Frédéric Nauczyciel, courtesy of Julie Meneret Contemporary Art

dans la scène voguing de Baltimore Si l’on excepte une incursion mainstream avec le clip Vogue de Madonna, le voguing reste, depuis son apparition dans les cabarets new-yorkais des années 60, une culture underground, queer et minoritaire. En 2011, l’artiste français Frédéric Nauczyciel est parti pendant cinq mois à la rencontre des vogueurs de Baltimore qui l’ont fasciné par leur capacité à s’inventer eux-mêmes en défiant normes, races et genres. The Fire Flies, Baltimore/Paris exposition jusqu’au 18 mai à la galerie Julie Meneret, à New York, seeyoutomorrow.free.fr

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vous n’y échapperez pas

le retour de Liverpool Liverpool FC

Les cercles littéraires new-yorkais se sont trouvé une nouvelle passion : soutenir les équipes anglaises de foot. ongtemps cantonnés au football américain et au base-ball, les New-Yorkais se sont épris d’un nouveau sport : le football. Pas de réjouissance chez les Red Bulls (chez qui joue le Frenchy Thierry Henry) ou le New York City Football Club, les deux équipes locales : le cœur de ces nouveaux footeux, surtout intellos, va aux équipes anglaises : Arsenal (chez qui jouait Henry), les clubs de Manchester et Liverpool – le grand favori de cette saison, emmené par le capitaine Steven Gerrard. Le ballon rond (anglais) a tous les avantages : il est aussi inoffensif que distingué. D’un côté, il rassure, il rassemble : “Est-ce que ce n’est pas une sorte de soulagement de pouvoir parler de la Premier League anglaise plutôt que de l’état déprimant du marché du livre ? Le foot est un excellent sujet de conversation par défaut”, analyse Sean Wilsey (coéditeur de The Thinking Fan’s Guide to the World Cup) dans le New York Times. Puis, d’un autre côté, le foot exclut : il est jugé “trop cool” pour le commun des mortels américains, inaccessible. Car les intellectuels new-yorkais n’en restent pas moins des intellectuels new-yorkais. S’ils boudent les clubs locaux, c’est que leur histoire ne fait pas rêver ces âmes romantiques et élitistes. Les Red Bulls de



New York portent ce nom car ils ont été rachetés par la marque en 2006. En tant que MetroStars (leur ancien nom), ils n’ont brillé ni par leur palmarès ni par leur storytelling. Rien à voir avec l’histoire marquée d’antithatchérisme de Liverpool, ville portuaire ouvrière dont les valeurs font écho à la tradition gauchiste des milieux intellectuels de New York. Montrer sa connaissance historique des clubs est l’essence même du plaisir. Pour le New York Times, cette nouvelle folie footballistique, “plus qu’un simple passe-temps, (est) une démonstration publique de connaissance littéraire mondiale”. Reste à savoir jusqu’à quand les hipsters américains continueront à se lever à 8 heures du matin pour aller au pub du coin voir le match de leurs British favoris. Si le foot est le cool d’aujourd’hui, son avenir est aussi incertain que celui de la barbe qui, si l’on en croit une équipe scientifique de Sydney (Australie), vient tragiquement d’atteindre son pic d’attractivité et serait sur la pente descendante. Et comment les joueurs des Red Bulls prendront-ils le fait de compter moins de supporters qu’Arsenal lors du match amical qui les opposera en juillet ? C’est Thierry Henry qui va faire la tête. Caroline Debray

ça va, ça vient : la femme à casquette

1992 Quand Chilli du trio r’n’b TLC enfile sa casquette sur le côté, c’est pour réinterroger le statut iconique de ce couvre-chef, synonyme aux Etats-Unis de culture sportive, limite militaire, et sa réappropriation par le milieu ultramasculin des rappeurs, qui la portent à l’envers. Pour la starlette, l’angle à 45 degrés de sa coiffe la positionne entre conformité pop et hip-hop engagé.

2002 La rappeuse Missy Elliott est frontale, phallique, et poursuit un tête-à-tête nerveux avec le milieu hypermacho du hip-hop. Sa casquette sur le côté refuse le calquage parfait sur un look 100 % masculin. Son léger glissement raconte une autre féminité, comme ses paroles : une culture queer, indépendante, résolument moderne.

2014 La casquette sur ce mannequin Rodarte rappelle que le plus stéréotypé des attributs masculins peut donner lieu à une féminité des plus classiques. Là, cette amazone Baby Doll vêtue d’un ceinturon en cuir injecte avec son couvre-chef streetwear une touche de street cred à sa tenue. Ghetto-diva ou poupée gonflable ? Alice Pfeiffer

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istrot de copains et bar à vin n’empêchent pas la grande cuisine. Dans l’entrée des Enfants Rouges, un petit bar accueillant met à l’aise. Des tables en Formica, une trentaine de couverts, murs blancs. Pas de chichis. Ça sent l’amateur de bons vins et de plats subtils. Le chef Daï Shinozuka (ex-Comptoir du Relais) officie en cuisine. En salle, un serveur sympa suggère un vin naturel surprenant, un Hurluberlu saint-nicolas-de-bourgueil 2012 de Sébastien David à 29 € : gourmand, frais et festif. L’entrée aérienne et animale met en appétit : bouillon clair de jus de veau, menthe et perles du Japon. Viennent ensuite un cabillaud cuit à la perfection et une pomme de ris de veau généreuse dorée au four avec des pleurotes jaunes et grises. En fromage : les affinés de la maison Sanders, un gage de qualité. Au dessert, on tangue entre un pamplemousse sorbet de lait de brebis (tendance) et une panacotta au chocolat amer et au poivre à se damner. Le tout pour 38 €. On en redemande. A. L. Les Enfants Rouges 9, rue de Beauce, Paris IIIe. Carte 26-51 € (midi en semaine), menu-carte 38 € (soir et week-end), tél. 01 48 87 80 61

Photo Christina Holmes, styliste culinaire Nir Adar, styliste Carin Schieve pour The Carton n° 7

hot spot

bouche à oreille

food is beautiful A la fois cuisinier, artiste, magicien et pubard, le styliste culinaire rend irrésistibles burgers ou salades de tomate.

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ans son nouveau film, Last Days of Summer (lire critique p. 67), le réalisateur Jason Reitman réinterprète en cuisine la séquence mythico-ridicule de poterie érotique entre Patrick Swayze et Demi Moore (Ghost, 1990). Dans ce mélo, l’acteur Josh Brolin touille, malaxe et concocte la tarte aux pommes ultime pour exciter Kate Winslet. Pour cette scène, le réalisateur a fait appel à une styliste food, Susan Spungen. Cette maquilleuse-coiffeuse-couturière crée des plats à la plastique parfaite pour le cinéma, la télé et l’édition culinaire (seul secteur de l’édition en expansion). Avec ses brosses, Coton-Tige, pince à épiler et sprays d’huile d’olive, elle met en valeur les plus beaux produits. La mise en scène de la nourriture demande ses experts. Les très bons gagnent jusqu’à 1 200 dollars par jour, d’après ABC News, et opèrent surtout dans la publicité alimentaire. Aussi surprenant que cela paraisse, tout y est vrai et comestible, même le hamburger de la pub McDo. Vrai, mais ultrastandardisé et arrangé. Aux Etats-Unis, les pratiques de cette industrie ont été redéfinies

suite à un scandale concernant les soupes Campbell en boîte. En 1970, la compagnie avait été accusée de publicité mensongère : elle rajoutait des billes de couleur dans les bols pour simuler la profusion de légumes. Delphine Brunet, 47 ans, fait peu de packaging : pas assez artistique. “C’est composé de manière artificielle, avec beaucoup de montage en post-prod. Or j’aime sublimer une recette sans jamais tricher.” Delphine est styliste culinaire depuis dix ans. C’était avant l’explosion du food business et ils étaient peu nombreux sur le marché. Elle est passée par une école d’art, aime la belle image, le produit, l’authentique. Pour le numéro 3 du magazine 180°C (en kiosque le 5 mai), elle a conçu une caponata (ratatouille froide) en bocal dont elle est assez fière. La profession a son graal : shooter la coupe de glace parfaite – elle fond sous les projecteurs. Le New-Yorkais Nir Adar travaille pour Ben & Jerry’s et Häagen-Dazs. Il est réputé pour sa technique – secrète – mais aussi pour ses contributions artistiques à Milan, Paris ou pour le magazine The Carton, qui a publié ses compositions autour de l’œuf. Tout un poème. Anne Laffeter 30.04.2014 les inrockuptibles 33

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Platini, une chanson d’amour Sur son dernier album, Løve, Julien Doré déclare sa flamme à Michel Platini. Le chanteur a eu envie de rencontrer l’idole, désormais président de l’UEFA. Nous étions là pour passer le ballon. propos recueillis par Frédéric Bonnaud et Jean-Marc Lalanne photo François Rousseau pour Les Inrockuptibles Au Park Hyatt Paris-Vendôme, le 23 avril. Julien Doré porte le maillot de la Juventus de Turin, dont Michel Platini fut le meneur de jeu de 1982 à 1987 30.04.2014 les inrockuptibles 35

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ichel, comment avez-vous découvert la chanson que Julien a écrite sur vous, intitulée Platini ? Michel Platini – Sur le net, je crois. On m’en avait parlé, j’étais curieux. Et content qu’un jeune chanteur s’intéresse à moi. Que Marcel Amont ou Enrico Macias fassent une chanson sur moi dans les années 80 m’aurait moins étonné (rires). Mais qu’un garçon de 30 ans, tout juste né quand j’ai arrêté ma carrière, ait envie de me consacrer une chanson, ça m’a surpris et flatté. J’aime beaucoup la chanson parce qu’elle ne correspond pas à la façon dont on parle en général du foot. Il y a quelque chose de doux, de tendre, cet imaginaire un peu décalé qui est celui de Julien… Julien Doré – Je ne sais pas si j’aurais pu écrire sur un joueur dont je serais le contemporain. La distance générationnelle me rendait plus libre pour aller vers quelque chose d’imagé et essayer de rendre compte de façon poétique de l’un des plus grands mythes du foot. C’est quand même curieux d’écrire sur un joueur qu’on n’a pas vu jouer… Julien Doré – En fait, mon album Løve ne contient que des chansons d’amour. Et Platini en est une. Mais il fallait que je pense à une légende comme Michel pour que les mots me viennent. Ensuite, pour le refrain, j’ai imaginé croiser le prénom Michel avec le texte lui-même mythique des Beatles. Ça a donné “Michel, ma belle...”. Ça vous a surpris qu’on parle de vous au féminin ? Michel Platini – Ben, j’ai compris que c’était une référence à Michelle des Beatles, qui pour le coup n’a pas été écrite pour moi (rires). Donc non, pas plus que ça. Vous savez, Julien, que j’ai eu deux disques d’or ? Deux disques d’or et trois Ballons d’or ? (il se marre). Julien Doré – Ah non… Michel Platini – Le premier, c’était avec les Restos du cœur, leur premier titre, écrit par Jean-Jacques Goldman. Le second en Italie, avec d’autres joueurs, pour une chanson de Noël. Je ne sais pas chanter et j’ai eu deux disques d’or ! Julien Doré – Oh vous savez, vous n’êtes pas le s eul ! (rires) Michel Platini – En fait, sur la chanson des Restos, je parle. Paul Lederman, un ami de mon agent,

“vous savez, Julien, que j’ai eu deux disques d’or ?” Michel Platini

est venu m’enregistrer pour que je dise mes deux phrases. Ma génération adorait Coluche. Vous le connaissiez personnellement ? Michel Platini – Oui, bien sûr. On avait fait des émissions de foot ensemble. Je l’avais invité dans certaines qui m’étaient consacrées… Il aimait beaucoup le foot. La veille de sa mort, nous avions battu l’Italie en huitième de finale de la Coupe du monde 86. Il avait fait un grand feu d’artifice dans sa maison pour fêter la victoire de la France. Et le lendemain, il a eu son accident de moto... Ton intérêt pour le foot remonte à quand, Julien ? Julien Doré – J’ai grandi dans une petite ville près de Montpellier, Lunel. Donc j’ai beaucoup suivi le club de Montpellier. Michel Platini – Ça va, c’est des copains. Je suis très proche de Loulou (Louis Nicollin, président du club – ndlr). Julien Doré – Quand j’ai eu ma caisse, j’allais tous les week-ends à la Mosson (le stade du club de Montpellier – ndlr) voir des matchs. J’ai fait beaucoup de futsal. J’ai monté un club et on faisait des compétitions. J’ai arrêté quand je suis entré aux beaux-arts. Ça devenait compliqué de faire les deux et, comme j’étais gardien, j’en avais un peu marre de me prendre tous ces ballons dans la gueule. Gardien de but de futsal, c’est comme au hand, les mecs te loupent pas. Mais ça me manque. En tournée, dans le car, en été, il y a toujours un ballon. On se fait des matchs avec Arman Méliès, qui est un grand supporter de Saint-Etienne, et mon autre guitariste, Darko Fitzgerald, qui supporte le PSG. La génération de l’équipe de France qui a le plus compté pour toi, c’est laquelle ? Julien Doré – Celle de la Coupe du monde 98. Je me souviens vaguement de la Coupe du monde 94, sans la France. Mais 98, ça a été décisif pour moi. Quand je revois des images des Yeux dans les Bleus, ça me fout toujours des frissons. L’autre jour, dans un hôtel, j’ai croisé Fabien Barthez, ça m’a fait un effet dingue. Mais j’ai pas osé lui parler. Pourtant, je l’ai vénéré. Mais j’aimais beaucoup Zidane évidemment, Lilian Thuram, Laurent Blanc et son but contre le Paraguay… Emmanuel Petit aussi ! Je trouvais qu’il avait vraiment la classe. Les grands joueurs de foot sont de grands interprètes. Même si le collectif est essentiel, ils impriment leur style à une action. Michel Platini – Oui, le point commun entre le foot et la musique, c’est que ça crée des émotions. Mais j’ai l’impression aussi que ce sont deux industries qui évoluent de la même façon. Quand j’étais ado, dans les années 60, il y avait des tubes, et leur durée de vie était de quelques mois. Il fallait attendre un peu pour le suivant. Aujourd’hui, il y a une accélération. C’est pareil pour le foot. A mon époque, on était un peu protégés des médias. Maintenant, un footballeur, c’est quelqu’un qui passe à la télé tous les trois jours.

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“par un beau geste, un but, un footballeur peut suspendre le temps, comme un artiste avec une chanson” Julien Doré Tous les matchs sont diffusés. Un joueur est jugé sur un Paris-Guingamp comme si c’était décisif. Vous diriez que la pression est plus forte aujourd’hui sur les joueurs ? Michel Platini – Je ne sais pas... Je pense déjà que ce n’est pas la même pression s’ils sont français ou pas. Ibrahimovic s’en fout, je crois, de ce que la presse française peut écrire sur lui. Il ne la lit pas. Un Français comme Ménez, quand on le critique, ça doit le blesser, blesser sa famille… La différence entre Julien et un joueur de foot, c’est que quand il entre dans la salle pour un de ses concerts, les gens sont là parce qu’ils l’aiment. Un joueur de foot peut disputer un match devant un stade où les gens l’insultent. Julien Doré – Effectivement, c’est pas rien comme différence ! Ça vous est arrivé souvent ? Michel Platini – En début d’année, je suis allé voir un match, Florence-Barcelone, à Florence. Là-bas, ils détestent la Juve. Quand je suis entré avec le président dans le stade, un mec qui passait en moto a hurlé “Platini, va fanculo !” Le président s’est excusé, super gêné. Mais je lui ai dit que c’était un vrai bonheur. J’avais l’impression de revenir vingt ans en arrière ! Aller à Florence sans se faire insulter, y a pas de plaisir (rires). Je sais qu’au fond, c’est pas méchant. A l’époque où vous jouiez, vous aviez un tel détachement ? Michel Platini – La première fois que je suis arrivé pour jouer à Florence, on était tous allongés dans le bus parce que les supporters florentins avaient brisé les vitres en nous jetant des pierres. C’était difficile d’être complètement détaché (rires). On n’a gardé que les bons souvenirs de vous en équipe de France, mais il y a eu des matchs, contre Stuttgart par exemple, où vous vous faisiez siffler… Michel Platini – Je me souviens de ce match amical en août 1981, peu après l’élection de François Mitterrand. Le bouquin d’un journaliste venait de sortir qui prétendait révéler combien d’argent je gagnais. Il racontait n’importe quoi, moi-même je ne savais pas combien je gagnais à l’époque. Des chiffres étaient sortis dans la presse, les socialistes étaient au pouvoir et en entrant sur le terrain j’avais l’impression d’être un aristo à qui il fallait désormais couper la tête. J’ai dit : “Puisque c’est comme ça, je sors.” Mais le match d’après, je suis revenu et j’ai mis deux buts contre l’Angleterre (il fait un clin d’œil). Et Michel Hidalgo vous avait sorti ? Michel Platini – Oui. Le public hurle “Platini dehors”, donc je sors. Mais à l’époque, la France était un pays

où le football n’était pas du tout au centre de l’attention médiatique. Ça commençait juste. Jusqu’aux années 70, en France, tout le monde s’en foutait, du foot. Ma génération a joué au football pour montrer aux gens que c’était un sport magnifique. Avant les années 80, c’était impensable qu’un artiste, un intellectuel, parle de foot. Même Mitterrand, qui aimait vraiment le foot, n’en parlait jamais… Julien Doré – En France, c’est vrai. Mais en Angleterre, le foot et la pop sont vraiment très imbriqués. L’un comme l’autre appartiennent à la pop culture. Tous les groupes ont leur club fétiche, en parlent en interview… Avec Julien, en préparant celle-ci, on parlait de votre entretien croisé avec Marguerite Duras, publié en 1987 dans Libération… Michel Platini – Il a vraiment marqué, on m’en parle encore régulièrement ! A l’époque, je n’aurais jamais cru. Je n’ai pas compris grand-chose à ce qu’elle disait… Julien Doré – Elle avait des visions. C’est ça qui était beau ! Il y a une phrase très belle que vous lui aviez répondue. Vous disiez que le football n’est pas un sport logique. Il n’a pas de lois. Les mécanismes qui font qu’une équipe perd ou gagne sont irrationnels. Et pourtant, tout le monde passe son temps à essayer de les expliquer… Michel Platini – Bien sûr. C’est le seul sport, je crois, où tu peux être le meilleur sur le terrain pendant quatre-vingt-dix minutes et pourtant perdre. En tennis, si t’es le meilleur, tu gagnes… Julien Doré – Ah oui ! En musique, on a ça aussi : ça s’appelle les Victoires de la musique. Même si t’es le meilleur, tu perds (rires). Le moment où vous arrêtez de jouer, à 32 ans, vous l’avez vécu comme un deuil ? Michel Platini – Non parce que je n’avais plus d’essence. J’étais cuit, à plat. J’ai été blessé pendant un an. Pendant six mois, j’ai pris des anti-inflammatoires pour ne pas boiter. Il fallait vraiment que j’arrête. Mais je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire après. Je n’avais rien prévu. Je ne voulais pas être entraîneur. Je suis devenu sélectionneur de l’équipe de France presque par hasard et je n’étais pas fait pour ça. Ensuite, je me suis retrouvé président du comité d’organisation de la Coupe du monde 98, parce que Mitterrand souhaitait qu’il y ait une coprésidence. Grâce à la Coupe du monde, j’ai rencontré Sepp Blatter qui m’a demandé de l’aider à devenir président de la Fifa. Je suis devenu membre du comité exécutif

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de l’UEFA puis de la Fifa. Ça m’est un peu tombé dessus, mais j’ai fini par le souhaiter. C’est mon destin. C’est vrai que vous pleuriez dans la bagnole en rentrant de Turin en 1987, après avoir mis fin à votre carrière ? Michel Platini – D’abord, c’était pas “la bagnole”, c’était la Ferrari Testarossa ! Donc “the” bagnole ! (rires) On venait de déjeuner en Suisse avec des amis, c’était un 30 juin, à la fin de mon contrat avec la Juve, et avec Christelle, mon épouse, on roulait à 30 à l’heure sur l’autoroute tellement on pleurait. Même les gros camions nous doublaient en klaxonnant. Je pense que si Christelle m’avait dit : “allez, on fait demi-tour”, on l’aurait fait. Et Gianni Agnelli (propriétaire du club, qui avait fait venir Platini à Turin – ndlr) voulait que je continue à jouer ou que je reste travailler avec lui. Il ne voulait surtout pas que j’aille jouer ailleurs ! Mais non, je n’en pouvais plus… Alors nous sommes rentrés chez nous, à Nancy. Ça faisait longtemps qu’on était partis. Julien Doré – Vous parliez de destin. Vous y croyez ? Michel Platini – Complètement, oui. A la fatalité aussi. Je crois qu’il y a des trains à prendre à un moment donné. J’ai eu de la chance, j’ai pris de bons

trains, qui sont arrivés au bon moment. Mais si j’ai une qualité, c’est le sens de l’anticipation. Je suis tout le temps en train de penser à ce qui pourrait arriver et à m’y préparer, à comment je vais réagir, à ce que je dois dire. Ma femme me dit que je parle tout seul… (rires) Longtemps, j’ai été populaire. Aujourd’hui, je dirais plutôt que je suis respecté. Je ne peux plus vraiment être populaire, parce que mon boulot s’apparente quand même un peu à celui d’un gendarme. Je prends des coups pour protéger l’idée que je me fais du football… Mais je ne me serais pas présenté à un second mandat si c’était un boulot merdique. Mon travail, ça consiste aussi à empêcher qu’un club ou deux puissent acheter les vingt-cinq meilleurs joueurs du monde avec les moyens illimités d’un Etat, parce que là, le foot, ce sera fini… Votre boulot, c’est l’exercice d’un pouvoir ? Michel Platini – Le pouvoir, c’est un outil. Quand tu as le pouvoir, tu peux faire le bon boulot. C’est plus facile de prendre des engagements quand t’es président de l’UEFA que quand t’es consultant à Canal+ – je l’ai été aussi. 30.04.2014 les inrockuptibles 39

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“c’est assez fort de pleurer à onze dans un vestiaire… Je ne sais pas si vous avez déjà vécu ça” Michel Platini Quand on est journaliste, commentateur, on peut ne pas être d’accord mais on ne prend pas de décisions. J’ai voulu conquérir la légitimité à prendre des décisions. Même si je le fais de façon démocratique. Michel, quels sont les joueurs que vous aimez regarder jouer aujourd’hui ? Michel Platini – Il y en a que vous ne connaissez même pas parce qu’ils ne sont pas très célèbres, qui sont très bons et qui créent des choses quand ils jouent. Après, il y a les stars… Le joueur que j’ai le plus aimé, c’est Johan Cruijff (le Platini néerlandais des années 70 – ndlr). Il a été mon idole. Julien Doré – Que pensez-vous de Rémy Cabella, par exemple ? Michel Platini – C’est un très bon joueur. Des bons, il y en a beaucoup et le football français doit en créer de très bons pour pouvoir les vendre et rivaliser financièrement. Mais chaque match a quelque chose, que ce soit en Ligue 1 ou en Ligue 2. Il y a toujours un enjeu, une pression… C’est pour les émotions qu’il procure que les gens aiment tellement le foot. Exactement comme la musique. Julien, est-ce qu’il y a des matchs dont tu te souviens de chaque minute ? Julien Doré – Ma grand-mère est italienne. Je suis né le 7 juillet 1982, ma naissance a pris un peu de temps, donc ma grand-mère était obligée de suivre les matchs de la Coupe du monde à l’hôpital, aux côtés de ma mère. Ça l’a beaucoup agacée, elle était une grande supportrice de l’Italie. Et cette année-là, ils ont gagné le Mondial espagnol. Petit, j’ai des souvenirs d’elle devant les matchs de foot. Les premiers matchs dont je me souviens le plus ensuite, ce sont ceux de 98, puis ceux de Montpellier à la Mosson, contre l’Etoile rouge de Belgrade, ou le dernier match de Bruno Martini (gardien de Montpellier de 1995 à 1999 – ndlr)…Quand j’ai vu entrer les gars de Montpellier en Ligue des champions face à Arsenal, j’y croyais pas, j’étais vraiment ému. Aussi ému que quand j’écoute la musique de Neil Young. Pour moi, il y a une continuité entre l’un et l’autre. Un footballeur peut, par un beau geste, un but, suspendre le temps, comme un artiste avec une chanson me donne le sentiment que le temps s’est arrêté pendant trois minutes. Et vous Michel, un match inoubliable parmi ceux que vous avez joués ? Michel Platini – Le France-Allemagne de Séville (lors du Mondial 82 – ndlr). On a vécu des choses inoubliables. J’en avais parlé à Marguerite Duras. C’est le plus beau souvenir de ma vie, ce match-là. Et on l’a perdu. Il a duré deux heures, et durant

ces deux heures on est passés par toutes les émotions de la vie. Toutes. La crainte, la haine, l’amour, la joie… C’était un moment de vie unique, comme je n’en ai jamais vécu dans ma vie de footballeur. Et après, quand on se retrouve dans les vestiaires, on est onze à pleurer. C’est assez fort de pleurer à onze… Je ne sais pas si vous avez déjà vécu ça… Julien Doré – Moi, quand le bus de la tournée fait son dernier trajet, que les quatorze gars réalisent que c’est le dernier voyage et que moi je sais que pour que cette aventure à plusieurs se reproduise, il va falloir que je réécrive des chansons, je vous jure qu’on est tous en larmes. Même les gars les plus tatoués et les plus costauds qui portent le matériel… Michel Platini – Oui, c’est la deadline. J’ai vécu ça le jour de la finale en 98, après des années passées à l’organiser, cette Coupe du monde en France. Pour moi, pour l’équipe, c’était fini, tout simplement, rien après, point final. Alors que quand tu es joueur, il y a toujours un autre match derrière. Elle va être comment, la Coupe du monde au Brésil ? Michel Platini – Ça dépend beaucoup de comment vont se passer les choses socialement. Je n’ai pas de bons échos de la situation. Il y a des tensions, des manifs. Je ne sais pas si le pays va faire la paix pendant un mois ou au contraire se déchirer en profitant de l’impact du Mondial. En tout cas, ça va être très fliqué, militarisé. Ce qui n’est pas le but d’une Coupe du monde. Le Brésil a des problèmes sociaux et politiques, mais c’est une démocratie. En 1978, la Coupe du monde avait lieu en Argentine, sous la dictature. Quel souvenir en gardez-vous ? Michel Platini – Je me souviens que tous les intellectuels m’ont cassé les couilles pour ne pas y aller. Et Yves Montand, Simone Signoret… Il s’est passé la même chose récemment avec la Russie et les Jeux de Sotchi. Ma position a toujours été contre le boycott. Je pense qu’il vaut mieux que les sportifs se rendent sur place et expriment leur sentiment. Il y a toujours des ambassades, des échanges diplomatiques et commerciaux avec les pays incriminés, alors pourquoi le sport devrait-il être le seul à pratiquer le boycott ? Décrété par des gens qui ne s’y intéressent jamais autrement. Je ne suis pas d’accord. Julien Doré en tournée le 8 juin à Maubeuge (Les Folies de Maubeuge), le 26 à Nancy (L’Autre Regard), le 27 à Lyon (Les Nuits de Fourvière), le 11 juillet à La Rochelle (Francofolies), le 19 à Carhaix (Vieilles Charrues), les 15 et 16 novembre à Paris (Olympia) lire aussi l’édito de Frédéric Bonnaud p. 6

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que tisse Spider-Man ? Après un début poussif, le reboot Spider-Man réussit son deuxième épisode. Dissection minutieuse des motifs que l’homme-araignée prend dans sa toile. 2013, Columbia Pictures

par Romain Blondeau et Jean-Marc Lalanne

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The Amazing Spider-Man – Le destin d’un héros de Marc Webb 30.04.2014 les inrockuptibles 43

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2004, Columbia Pictures

Tobey Maguire dans Spider-Man 2 de Sam Raimi (2004) : un ado complexé

une histoire Lorsqu’au printemps 2002 est sortie l’adaptation par Sam Raimi du comics Spider-Man, on ne savait pas encore que cela inaugurait un nouvel âge du boxoffice américain, où le film de superhéros allait très vite se trouver en situation de domination. Avant, d’autres superhéros avaient déjà réussi leur mue cinématographique de façon éclatante : à la fin des années 70, Superman, sous la houlette de Richard Donner puis Richard Lester ; à la fin des années 80, Batman, réarrangé par Tim Burton. Mais étrangement, si chacune de ces deux figures de proue de l’éditeur DC Comics a généré sa franchise, aucune des deux séries n’a provoqué d’effet boule de neige et les autres adaptations de comics sont restées parcimonieuses. En revanche, lorsque la maison Marvel (les rivaux ancestraux de DC) entre dans la bataille, les superhéros deviennent les boss. L’été 2000, X-Men de Bryan Singer amorce un phénomène qu’assied la trilogie Spider-Man (2002, 2004, 2007), les trois films de Sam Raimi rapportant chacun autour de 800 millions de dollars dans le monde. Dans la foulée, la plupart des héros Marvel se sont fait une place (souvent royale) sur les écrans – Iron Man, Hulk, Captain America... –, serrés de près par les héros DC Comics, remis au goût du jour (la trilogie Batman de Nolan, les Watchmen puis le Superman de Zack Snyder). Le reboot de Spider-Man initié par Sony Pictures en 2012 intervient donc dans

un contexte où le film de superhéros est donc à son apogée (notamment grâce à Avengers). Mais se dessine déjà ce qui pourrait amorcer son déclin : les films adaptés de best-sellers de la littérature jeunesse, souvent adressés à un public plus féminin – centrés donc sur des personnages de jeunes filles et donnant lieu à des sagas où l’atermoiement amoureux n’est plus une brève halte entre deux scènes d’action mais où des conflits psychologiques extrêmement bavards menacent au contraire de reléguer le grand spectacle au second plan : ce sont Twilight, Hunger Games ou encore la nouvelle venue Divergente.

nouveaux codes C’est donc dans ce biotope en mutation que le nouveau Spider-Man s’élance et, plus encore que le premier, ce second épisode, intitulé The Amazing Spider-Man – Le destin d’un héros, en prend acte. Avec sa voix grave, ses manières moins délicates, Emma Stone a une rugosité assez étrangère à la féminité gracile qu’incarnait Kirsten Dunst

c’est peut-être pour parler plus directement au public ado que la nouvelle trilogie évacue la dimension de mue sexuelle

dans la première trilogie, qui l’apparente (un peu) aux amazones des blockbusters modernes (Jennifer Lawrence dans Hunger Games ou Shailene Woodley dans Divergente). Le film de Marc Webb n’hésite d’ailleurs pas à reproduire trait pour trait une situation de Twilight : comme Edward (Robert Pattinson), Peter Parker (Andrew Garfield) renonce à son amoureuse par peur de lui faire du mal, mais l’un comme l’autre l’épie – Edward le vampire entre dans sa chambre par effraction pour la regarder dormir, tandis que Peter l’observe déambuler dans Manhattan perché sur des buildings. Mais c’est surtout dans sa narration que ce nouveau Spider-Man dialogue avec ces blockbusters d’un genre nouveau. La trilogie de Sam Raimi restait calée sur chacun des films comme unité de récit : à chaque segment du triptyque, ses méchants, son enjeu dramatique et surtout son dénouement. Chaque Spider-Man de Raimi se clôturait sur lui-même. La nouvelle franchise adopte en revanche la narration labile propre aux blockbusters modernes pour lesquels la série télé s’est imposée comme la seule table de la loi. Rien ne doit interrompre la prolifération feuilletonesque. Pas même la fin du film. Au contraire, celle-ci se doit d’intervenir sur un climax, un cliffhanger, une péripétie qui ouvre davantage qu’elle ne referme. Cet art du flux narratif est particulièrement abouti dans The Amazing Spider-Man – Le destin d’un héros. Très nettement, un dénouement advient

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les codes du récit ont changé. Mais le personnage ? Quelles transformations a subies Peter Parker ?

2012, Columbia Pictures

Andrew Garfield dans Amazing Spider-Man de Marc Webb (2012) : le garçon le plus cool de la classe

à vingt minutes de la fin. Le sort des personnages principaux est réglé : certains meurent, d’autres sont capturés… Dès lors, à l’endroit même où un film du XXe siècle aurait balancé le générique, un bébé-récit sort du ventre du premier, réenclenche un enchaînement d’actions, introduit de nouveaux méchants et semble rapatrier dans le film présent le premier quart d’heure du film suivant. Le dernier plan est superbe dans sa façon absolue d’accomplir cette logique de suspens : c’est un arrêt sur image en plein cœur d’un combat, un coup suspendu dont la portée nous est confisquée par le générique.

adulte ou ado Les codes du récit ont donc changé. Mais le personnage ? De Tobey Maguire à Andrew Garfield, quelles transformations a subies Peter Parker ? Tobey Maguire a 27 ans lorsqu’il enfile pour la première fois la cagoule rouge. Andrew Garfield (qu’on connaissait jusque-là essentiellement pour un second rôle marquant dans The Social

Network) déjà 29 – donc 31 dans cette suite. Par deux fois, il s’agit d’envoyer sur les bancs de l’université des acteurs trentenaires ou presque et de leur faire incarner des émois adolescents. L’acteur est un peu vieux pour son personnage, mais le personnage (déjà étudiant tout de même) est aussi un peu vieux pour les situations dans lesquelles il est plongé (une vieille tante qui surveille ses sorties, un premier flirt, la découverte candide des grandes épreuves de la vie). Tobey Maguire, yeux écarquillés, excellait dans ce registre de l’étonnement enfantin permanent. Andrew Garfield s’en sort bien aussi mais en s’y prenant autrement. Son Spider-Man est à la fois, paradoxalement, plus ado et plus adulte. De l’adolescent, le personnage reprend tous les codes de lifestyle de façon vraiment volontariste : désormais Peter Parker ne se déplace plus qu’en skate, il porte des T-shirts Thrasher aux manches retroussées, ses pantalons tombent sur ses hanches… Tout en lui fait signe de ralliement aux ados planétaires.

Pourtant, il y a un point absolument constitutif du film de Sam Raimi que Marc Webb a choisi de gommer : la puberté. Le coup de génie de Raimi était de doubler la métamorphose extraordinaire d’un être humain en surhomme par celle très ordinaire d’un petit garçon en homme. La découverte de poils d’insecte au bout de ses doigts métaphorisait l’étonnement de tout ado devant la découverte de sa pilosité naissante et les premiers jets de toile qui s’échappaient de ses poignets renvoyaient à l’ambiguïté des premières éjacs. Peut-être qu’il y avait justement quelque chose de trop adulte dans ce regard attendri sur la révolution pubère. Et c’est peut-être pour parler plus directement au public ado que la nouvelle trilogie évacue cette dimension de mue sexuelle. La toile que projette Spider-Man n’est plus chez Marc Webb le symbole d’une quelconque poussée éjaculatoire mais elle prend la forme d’une main tendue héroïquement vers sa girlfriend dans une très belle scène de romance tragique. 30.04.2014 les inrockuptibles 45

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Dans son rapport au corps, au sentiment amoureux, dans son apprentissage de l’héroïsme, ce nouveau Spider-Man est ainsi plus assuré que le fragile héros de Sam Raimi. A l’ado à complexes, Marc Webb substitue le modèle plus valorisant du grand frère, déjà très affirmé dans son caractère, décochant des vannes à ses adversaires en plein combat, n’éprouvant que peu d’embarras avec les filles. Le garçon le plus cool de la classe, que tous les collégiens aimeraient être.

celui que l’on aimait trop Cette coolitude de Spider-Man, qui n’est même plus contrariée par les tourments de puceau de Peter Parker, cette aura sûre de son fait qui l’entoure, est peut-être aussi un fardeau. Et là tient la part la plus intéressante de The Amazing Spider-Man – Le destin d’un héros. L’un des charmes des comics est que personne n’y est essentiellement “méchant”. Le “méchant” est toujours un gentil pour qui le cours des choses tourne mal et qui, à un moment donné, mute. Il y a deux “méchants” dans ce nouvel épisode, et tous deux ont beaucoup aimé Spider-Man. Trop sans doute. Le premier est Max, un technicien de l’entreprise Oscorp, interprété avec malice par Jamie Foxx, qui se voit comme un “nobody”, un individu solitaire qui n’existe que par son travail et auquel personne n’accorde d’attention. “You’re not a nobody. You’re somebody!”, lui dit Spider-Man pour l’encourager après lui avoir sauvé la vie et avant de s’envoler pour en sauver d’autres à la chaîne. Mais cette phrase lancée négligemment va germer et désormais Max est obsédé par celui qui l’a regardé, l’a appelé par son prénom, l’a gentiment aidé à rassembler ses affaires éparpillées sur le sol. Il occupe désormais ses soirées à parler seul chez lui à son imaginaire. Et, bien sûr, lorsque Max le nobody opère sa mue en Electro le monstre, cette reconnaissance excessive ne tarde pas à devenir une rancune sans fond. On se sent toujours abandonné à un moment ou à un autre par ceux dont on a reçu l’attention, et le drame de Spider-Man est désormais de susciter de trop grands investissements affectifs. Même topo pour le second “méchant”. Lui est carrément son meilleur ami, le jeune milliardaire Harry Osborn (auquel

déserter son pays par amour, refuser sans hésiter sa charge de superhéros est l’une des propositions singulières de ce nouveau Spider-Man Dane DeHaan, vu dans Chronicle et The Place Beyond the Pines, prête son physique de dandy poupin), qui a hérité très peu d’amour de son puissant père mais beaucoup de pouvoir et surtout une incurable maladie dégénérative. Harry développe alors une obsession : si Peter lui donnait son sang de mutant, il guérirait. Cette idée fixe le mène jusqu’à la folie criminelle. On veut son regard, on veut son sang. On veut son amour aussi, comme Gwen, sa petite amie qui paie très cher de ne pas avoir pris l’avion pour l’Angleterre qui devait l’éloigner de Peter. C’est le principe dramatique retors de ce nouvel épisode : ce qui précipite vers le mal, la mort ou le malheur, c’est d’aimer trop le héros. C’est là le destin du titre : l’héroïsme de Spider-Man est à la fois le poison et le remède.

disparition du politique L’un des traits les plus marquants de la nouvelle franchise Spider-Man est aussi d’être la plus autocentrée des aventures superhéroïques, la moins concernée par les affaires du monde. Si Iron Man doit lutter contre un similiBen Laden, si le Batman de Christopher Nolan protège la ville des menaces terroristes et si Captain America défend son pays contre la tyrannie, Spider-Man ne se sent à l’inverse investi d’aucune mission supérieure, et il n’a aucun commentaire à faire sur l’état du monde et de l’Amérique. D’ailleurs, il se fiche pas mal du sort de ses concitoyens, insinue Marc Webb dans une scène étonnamment subversive où Spider-Man, informé que sa belle déménage en Grande-Bretagne, propose de la suivre dans son périple, suggérant avec désinvolture qu’“il doit bien y avoir quelques personnes à sauver en Angleterre”. Déserter son pays par amour, refuser sans hésiter sa charge de superhéros est l’une des propositions singulières de ce nouveau Spider-Man, dont le rapport affranchi à la politique s’incarne dans l’usage qu’il fait de New York. Tourné en

partie dans les décors réels de la ville, selon la volonté de Marc Webb de réinscrire l’homme-araignée dans l’imaginaire new-yorkais, SpiderMan est paradoxalement l’un des films de superhéros les moins travaillés par la mémoire du 11 Septembre. Ici, les buildings sont des tremplins et des obstacles entre lesquels Spider-Man voltige avec une jubilation enfantine retrouvée – aux antipodes des mégalopoles anxiogènes d’un Nolan. Le ciel de New York est redevenu un terrain de jeu…

métamorphoses En amont de ce Spider-Man, il y a donc une histoire, voire plusieurs. Celle de la permanence des comics dans la culture populaire américaine. Celle de l’hégémonie du film de superhéros au box-office mondial. Celle des nouveaux blockbusters teens auxquels le film emprunte certains codes. Celle du cinéma américain à grand spectacle qui fait son deuil du 11 Septembre. Mais en aval du film, il y a aussi des œuvres avec lesquelles il dialogue de façon plus inattendue. Comme Zoo : clinique, le roman de Patrice Blouin paru en février, qui imagine une humanité en proie à une étrange épidémie, où peu à peu les humains muteraient en animaux – un homme-crocodile, une femmeourse, un homme-libellule… Ou Bird People, le nouveau film de Pascale Ferran, présenté au prochain Festival de Cannes, qui voit une jeune femme de ménage soudainement changer d’espèce et faire l’expérience d’un état sauvage, où les problématiques (à commencer par celle de la survie) ne sont finalement pas très différentes de celles de sa condition de prolétaire harassée par le monde du travail. Ou encore Métamorphoses, le prochain film de Christophe Honoré, qui va puiser chez Ovide ses allers-retours entre états humain et animal. D’un jet de toile, Spider-Man se suspend à ce qui semble bien être la problématique – assez deleuzienne – de l’année : le salut de l’humanité passerait désormais par un devenir-animal. La bête est peut-être le seul avenir de l’homme. The Amazing Spider-Man – Le destin d’un héros de Marc Webb, avec Andrew Garfield, Emma Stone, Jamie Foxx (E.-U., 2014, 2 h 22)

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big Mac Avec Salad Days, son troisième album faussement négligé, Mac DeMarco explose calmement les frontières du rock indé. Ne cherchez plus où est le cool. par Azzedine Fall

A

u moment où vous attaquez la lecture de ces lignes, Mac DeMarco se réveille certainement de l’une de ces nuits d’ivresse qu’il prend plaisir à détailler au cours de ses concerts. Tous les ans depuis 1990, le dernier jour d’avril coïncide avec l’anniversaire du Canadien. Et, en 2014, DeMarco a au moins vingtquatre bonnes raisons de se dégommer la tête avec encore plus de puissance que d’habitude. Son troisième album sorti début avril se fond gracieusement dans les courbes d’une discographie déjà indispensable. Mieux encore, Salad Days semble bien parti pour propager la notoriété du kid d’Edmonton au-delà des festivals hype qui se battent pour le programmer depuis une paire d’années. Les deux premiers albums de Mac DeMarco (Rock and Roll Night Club et le bien nommé 2) lui ont permis d’empiler les dates dans le monde entier. Mais c’est sur son territoire, au Canada, qu’on est allés le rencontrer fin 2013. Ce soir-là, DeMarco apparaît fatigué. Il vient tout juste de boucler l’enregistrement de son troisième album et sa tournée marque un stop à Montréal. Une heure avant de monter sur la scène du Club Soda, il nous accueille dans la pénombre de sa loge, les traits tirés, une casquette délicatement posée sur une masse de cheveux que l’on devine poisseux. Sa main droite serre une bouteille de bière à moitié vide, la gauche nous tend une Molson tiède en guise de bonjour : “On vient de rentrer d’une tournée en Europe et on a encore quelques dates au Canada avant de décoller pour l’Asie et l’Australie. Heureusement qu’on a pris de l’avance pour finir d’enregistrer le nouvel album ! Je suis complètement crevé mais aussi hyperexcité de jouer

ici. J’ai quitté la ville il y a plusieurs mois pour m’installer à New York et me rapprocher de mon label mais c’est à Montréal que les choses se sont accélérées pour moi.” Quelques minutes après l’interview, Mac DeMarco claque un concert d’une classe et d’une connerie irrationnelles. A chaque apparition, le musicien sort des sons inconnus de sa guitare rafistolée, obtenue contre 30 dollars canadiens quand il était lycéen. L’animal tire aussi beaucoup la langue, superpose des reprises de Weezer et de Metallica, encourage ses musiciens dans des pratiques sexuelles qui dépassent largement les limites de l’exhibitionnisme… Il paraît que la formule intégrale n’est livrée qu’à Montréal. La ville n’est pourtant qu’une simple étape dans l’histoire migratoire complexe de Mac DeMarco. Vernor Winfield McBriare Smith IV est né à l’autre bout du Canada, à Duncan, petite ville de Colombie britannique. Sa mère, Agnes DeMarco, déménage rapidement à Edmonton et c’est dans la capitale de l’Alberta qu’elle décide de modifier l’état civil de son fils afin d’éloigner l’ombre d’un père toxicomane et négligent. McBriare Smith s’efface alors des registres et McBriare DeMarco ne reverra son père que quelques fois dans la vingtaine d’années qui suivront. Après le lycée, Mac s’installe à Vancouver. Principalement pour dormir, faire de la musique et traîner en compagnie de son pote Alex Calder avec qui il monte le groupe Makeout Videotape. Les lascars sont rapidement repérés par le magazine en ligne Pitchfork et un petit label américain (Totally Disconnected) ose publier Ying Yang, un bon album dont les meilleurs morceaux seront repris sur Rock and Roll Night Club. Le premier disque de Mac DeMarco publié

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Danny Cohen

sous son nom débarque début 2012 chez Captured Tracks : trente minutes de tuerie mélodique trempées dans une production volontairement négligée. De bonnes critiques accompagnent ce succès d’estime. Le musicien habite alors Montréal depuis un an et enchaîne les jobs alimentaires (manutentionnaire, testeur de médicaments…) pour payer ses sessions en studio. DeMarco sort vite 2, nouvelle grande demi-heure inspirée. Mis en lumière par un traitement sonore plus conventionnel, le disque empile les tubes comme Cooking up Something Good, Robson Girl, My Kind of Woman et cette merveille de ballade contemplative qu’est Ode to Viceroy. L’album propulse le gamin d’Edmonton sur les scènes du monde entier pendant une grosse année. Jusqu’à ce soir de novembre 2013, à Montréal, où il avoue sa surprise devant la ferveur qui caractérise ses concerts : “Parfois j’hallucine quand je vois tous ces gosses

surexcités qui montent sur scène pour se jeter dans la foule comme des dingues. Mais j’hallucine encore plus quand je vois les vigiles les virer sans ménagement. C’est un putain de concert, les mecs, c’est fait pour ça ! Je trouve cool de voir les gens perdre pied pendant les concerts.” Cinq mois plus tard, Salad Days est enfin disponible. D’apparence rudimentaire mais sous influences précises (Lou Reed, Jonathan Richman), l’album dévoile des morceaux solaires (Salad Days, Blue Boy, Goodbye Weekend) avant d’ouvrir la porte à des ambiances cotonneuses beaucoup plus graves (Let My Baby Stay, Passing out Pieces, Chamber of Reflection). Seule constante depuis 2012, la virtuosité masquée de Mac DeMarco continue de réveiller le rock slacker en douceur. album Salad Days (Captured Tracks/ Differ-ant) concerts le 16 mai à Paris (Trabendo), le 17 mai à Nantes (Stereolux) 30.04.2014 les inrockuptibles 49

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des talents fous Dans un asile psychiatrique de New York, bipolaires et schizophrènes peignent et sculptent à plein temps, sans gardien ni blouse blanche. Bienvenue au Living Museum. par Maxime Robin photo Jean-Christian Bourcart pour Les Inrockuptibles

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Frank Boccio, ancien trader. Ses œuvres gravitent autour del ’argent, la culpabilité et la violence

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ohn Tursi est un schizophrène qui a la folie des grandeurs. “Ne m’appelle pas John, dit-il en tendant sa main calleuse. Appellemoi Michelangelo.” Le petit homme chauve reçoit dans son atelier aux murs recouverts de tableaux aux formes colorées, presque naïves. Après examen attentif, les formes se révèlent être des performances sexuelles très stylisées, qui lui valent son surnom de Dirty Tursi. Ces œuvres sont exposées à Manhattan et vendues plusieurs milliers de dollars pièce. Il les peint à Creedmoor, un asile psychiatrique au code postal new-yorkais mais à des années-lumière des galeries d’art de Soho. L’asile abrite un programme alternatif au sein du bâtiment numéro 75, rebaptisé le Living Museum : un immense hangar empli de toiles, de fresques et de sculptures, aménagé par les malades mentaux eux-mêmes. Il n’y a ni gardien, ni blouse blanche, ni détecteur de métal. On y entre comme dans un moulin. Comme des centaines d’autres patients passés par le Museum, John Tursi a “transformé sa faiblesse en arme”. Il parle vite, par saccades, répète les choses deux fois de suite. Son œuvre est avant tout dédiée au sexe. En ce moment, il reproduit des portraits cubistes de Picasso en trois dimensions, avec des centaines de cintres en métal qu’il tord et transforme en armature. Il a déjà construit une famille d’humanoïdes à tête de cheval. Le “papa” a la taille de Joakim Noah, 2,11 mètres. Venu visiter l’asile avec sa mère, la star du basket avait proposé 10 000 dollars à Tursi pour embarquer l’homme-cheval. Tursi a refusé. “Il disait qu’il ne voulait pas le séparer du reste de sa famille et que la sculpture vaudrait bien plus d’argent plus tard, se souvient le psychiatre Janos Marton. John n’est pas pressé. Et il est malin. Il a parié que sa cote monterait... Il avait raison. Il a toujours raison, en fait.”  Un quatuor de Mozart résonne dans le hangar vaste comme un terrain de football. Le docteur propose du thé ; les pensionnaires offrent du café soluble

préparé dans un seau en plastique. L’atmosphère est calme, studieuse, amicale. Visuellement, l’endroit est totalement délirant. Des camisoles détournées de leur usage servent de canevas pour des tableaux. Les pensionnaires vont et viennent, expliquent leur démarche artistique parfois complexe. Certains attendent un état de crise psychique pour créer. D’autres entendent des voix, comme ce patient au premier étage qui a des conversations privées avec Dieu ; une salle est dédiée à leurs échanges. Le Living Museum est l’un des seuls bâtiments de Creedmoor encore en activité. Il faut le vouloir pour atteindre ce labyrinthe de buildings délabrés, isolé par quatre portions d’autoroutes en périphérie de New York. Dans les années 50, l’asile abritait plus de 7 000 aliénés. Il y avait une piscine, des gymnases. Avec l’avènement de la psychiatrie moderne et des médicaments, l’asile s’est peu à peu vidé de ses pensionnaires – il en reste moins de 500. La plupart des buildings sont à l’abandon. Les couloirs du bâtiment 25 sont recouverts d’une couche de fiente d’oiseau de 50 centimètres d’épaisseur. Dans cet environnement lugubre, le Living Museum prospère comme une fleur colorée parmi les ronces. Moitié musée, moitié squat d’artistes. Quand le docteur Marton a décidé d’investir cette ancienne cantine en 1983 avec son ami l’acteur polonais Bolek Greczynski, c’était un immense dépotoir recouvert d’un épais dépôt de graisse. Pour ce duo atypique, le Living Museum est progressivement devenu le travail d’une vie, une œuvre en perpétuelle mutation. “Bolek était très fort, se souvient Marton. Il parlait aux patients comme à n’importe qui : pour lui, ils étaient ‘des aristocrates de la pensée’.” Les pensionnaires se souviennent très bien de ce Polonais à moustache. Un esprit original qui a quitté son pays natal en 1978 alors que, auréolé du statut de dissident du communisme, il y était une star. Bolek ne gardait aucune rancune contre le régime : “Il disait qu’il n’avait pas quitté la Pologne pour des raisons politiques mais parce que le temps était pourri.” Etre artiste sous une dictature lui donnait

JohnT ursi, schizophrène. Il vend ses œuvres dans des galeries de Manhattan

de l’énergie, “il pouvait choquer, faire parler de lui. Un peu comme les Pussy Riot maintenant. Le travail d’artiste engagé a du sens dans un régime totalitaire, alors qu’aux Etats-Unis, vous passez inaperçu, on s’en fout un peu.” Bolek décédé en 1995, Marton est désormais seul aux manettes. Le vieil homme, visage anguleux et fort accent germanique, pense que tous les grands génies de ce monde sont fous à un certain degré. “Certains trichent avec l’alcool ou les drogues, mais prenez vos cinq artistes préférés, il y a de fortes chances qu’ils soient dingues.” L’un des symptômes de la folie, pour Marton, est l’extrême créativité, qui peut déboucher sur des chefs-d’œuvre si on la canalise. Le Living Museum est la mise en pratique de sa théorie. On peint des toiles dans

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tous les asiles du monde et l’art-thérapie est une pratique répandue, mais le Museum va plus loin. Plus qu’un exutoire ou une activité, ici on est artiste à temps plein. Le docteur Marton laisse les pensionnaires totalement libres de produire ce qu’ils veulent et les encourage à en faire commerce. “Il est important qu’ils puissent gagner de l’argent en vendant leur art ou en donnant des cours à d’autres patients. Le concept, c’est qu’ils changent d’identité, qu’ils passent d’aliéné à artiste. Pour certains, ça prend dix ans. Pour d’autres, un instant. Chacun va à son rythme.” Ses détracteurs lui reprochent d’idéaliser la folie : “Au contraire. Je ne souhaite à personne de devenir fou. C’est extrêmement douloureux. Mais la maladie mentale est un vecteur de création artistique et chaque

aliéné est un artiste en puissance.” Le docteur passe toutes ses journées au musée et ne se considère pas comme un surveillant. Son bureau est aussi bordélique que ceux des pensionnaires et il peint lui aussi : “Il n’y a pas d’un côté eux et de l’autre nous”, insiste-t-il. Pour lui, l’art du Living Museum, sans compromis, a sa place dans les plus grands musées de Manhattan. Il est souvent ostracisé dans la catégorie art psychotique ou art brut “mais pour moi l’art, c’est l’art. Notre musée est bien plus intéressant que le MoMA ou le Met parce qu’il est plus sincère”.  Sincère, c’est ce qu’est Ibrahim Issa. Un Afro-Américain alerte, cultivé, avec de la conversation. De tous les artistes rencontrés, c’est le seul qui semble absolument “normal”.

des camisoles détournées de leur usage servent de canevas pour des tableaux

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Ibrahim Issa, ancienpat ient. A 19 ans, il a tué sa mère lors d’une crise de parano

un patient a des conversations privées avec Dieu ; une salle est dédiée à leurs échanges Cet ancien pensionnaire de 48 ans a toujours son studio ici. Sa vision de la folie ? “Nous sommes tous frères et sœurs, nous les êtres humains. Tous du même pool génétique. Donc tous un peu débiles ! On vit des temps fous, et ça nous rend fous. Les docteurs m’ont examiné et j’ai eu quatre ou cinq diagnostics différents, ce qui est déjà assez fou en soi.” Son travail évoque souvent la condition noire. Il met aussi en scène des superhéros dans des situations triviales, tels l’Incroyable Hulk lisant le journal aux toilettes ou Superman éclusant des bières sur un canapé. D’autres tableaux, plus personnels, évoquent sa mère ou sa condition d’aliéné. Comme cette chaîne de gens nus qui s’étranglent, représentant la hiérarchie de l’administration psychiatrique et au bout, lui-même. “Quand j’ai des crises, je vois le monde dans son absurdité et je restitue cette absurdité au centuple dans mes tableaux.” Issa a l’air tellement normal qu’on se demande pourquoi il a été enfermé si longtemps. Il explique que son cas est “à relier avec la consommation de drogues”. Quelques lignes puisées dans ses Mémoires autoproduits révèlent qu’à l’âge de 19 ans, il a tué sa mère lors d’une crise de démence paranoïaque. Le tribunal l’a jugé irresponsable, mis

sous traitement et envoyé à Creedmoor. Sous médicaments, son état s’est stabilisé. Issa a commencé à peindre la nuit, dans sa cellule. Il a produit des albums folk depuis les toilettes de sa chambre “parce que l’acoustique était meilleure” ; il en offre un exemplaire. L’une des chansons, la sexy en diable Hot for Charlotte, a été composée pour la directrice de l’asile. Il lui avait même envoyé un CD par courrier. Mais après un différend pécunier (payé 2,50 dollars de l’heure pour repeindre la salle d’activités de l’asile, il réclamait une augmentation qu’il n’a pas obtenue), Issa a révisé son jugement et a peint la directrice en uniforme de soldat nazi. Tous les tableaux de sa chambre ont provisoirement été confisqués. Il a aussi été mis à l’isolement pour avoir vécu une romance avec une thérapeute de trente ans son aînée. Autant de faits d’armes qui ont posé pas mal de problèmes pour sa libération. Après plusieurs refus, Issa a finalement utilisé l’argent de la vente de ses toiles pour s’acheter les services d’un expert indépendant qui l’a déclaré apte à sortir de Creedmoor en avril 2009, près de vingt ans après son arrivée. Son art lui a littéralement rendu la liberté. Aussi étrange que soit le Living Museum, il a quelque chose d’une oasis de repos,

à l’écart du monde. “Vous ne trouvez pas que tout le monde est sympathique, gentil, ouvert ?, commente le docteur Marton lors d’une visite. C’est l’un des symptômes de la maladie mentale : l’extrême gentillesse. Quel délice de s’asseoir à côté de quelqu’un qui n’est pas en compétition et ne vous juge pas. C’est un monde plus sympa que dehors… Si on prend ce sentiment à bras-le-corps, on peut l’utiliser.” L’atmosphère pacifique du lieu s’explique, selon le docteur, par sa politique de ségrégation : un terme qui, pour lui, est loin d’être un gros mot. “Au Living Museum, nous prenons parti pour la ségrégation des malades mentaux. Il y a d’énormes avantages.” Notamment les mettre à l’abri de la peur et du rejet des fous par la société. “Le monde extérieur est cruel, encore davantage avec les aliénés. Mais si vous êtes assis avec quelqu’un de malade comme vous, vous allez vous comprendre. La maladie ne sera plus un obstacle. Le trauma commun, les persécutions créent une empathie.” Le plus surprenant est la distance que certains artistes entretiennent avec la folie. Comme s’ils l’apprivoisaient. Croisé au rez-de-chaussée, Drew Mulfall dessine des billets de banque et de l’heroic fantasy au stylo Bic. Il sait qu’il atteint un potentiel créatif maximum

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Le docteur Marton, fondateur du lieu, dans son bureau

difficiles dans un New York en pleine épidémie de crack. Il tient treize ans. Après plusieurs menaces de mort envoyées par ses élèves et cinq hospitalisations, il est aiguillé vers le Living Museum. Aujourd’hui, il dispose d’un espace bien à lui où il passe le plus clair de son temps. C’est un artiste à la personnalité discrète, isolé du monde qui l’a mâché et recraché.

dans ses périodes d’euphorie. “J’abats alors beaucoup de travail, j’en profite un maximum, jusqu’à ce que mon corps fatigue et que je me crashe.” Ce grand rockeur bodybuildé, très doux, qualifie sa condition de “folie maniaque de moyenne intensité”. Agressé sexuellement très jeune, il a commencé par sniffer la colle à maquette de son frère à 9 ans, puis il a expérimenté “toutes les drogues possibles” ; il a toujours dessiné. Diagnostiqué bipolaire, il entretient une relation particulière avec ses médicaments. Ils sont nécessaires

à son équilibre. “Le seul problème, c’est qu’ils m’empêchent de rêver.” Plus loin dans l’aile ouest, une chaise en bois hérissée d’innombrables petits bras de poupées Barbie attire l’œil. C’est l’œuvre de Frank Boccio, lunettes, voix faible et l’air sensible. Ses œuvres gravitent autour de l’argent, la culpabilité et la violence. Frank a commencé sa carrière à Wall Street en 1977, comme trader. Il n’a pas supporté longtemps ce travail qui “le dégoûtait de lui-même”. Il se tourne alors vers l’enseignement. Frank est envoyé dans des lycées

En trente ans, le docteur Marton n’a jamais eu à gérer un seul problème de violence. “C’est une expérience incroyable de travailler ici, je ne serais pas heureux autrement. Un autre job à l’asile serait une vraie purge, ajoutet-il, vraisemblablement en conflit avec l’administration. Mon programme ne coûte rien et il a un grand succès... Ça ne plaît pas aux bureaucrates, je les fais passer pour des idiots.” Son rêve serait que des programmes similaires éclosent un peu partout dans le monde mais, lassé de s’exprimer lors de colloques jamais suivis d’effets, il ne donne plus de conférences. “Partout, les asiles se vident. Il y a plein d’espaces disponibles pour créer d’autres Living Museum. Mon programme a permis à des tas de gens de se reconstruire.” Une voix résonne sur les murs du hangar : “Lunch time !”, crie John Tursi, devenu en quelque sorte le taulier du musée. Une troupe de dix personnes s’engouffre dans deux voitures direction le restaurant italien où ils ont leurs habitudes. Tursi reste un excellent exemple du bien-fondé des théories du docteur : sa famille s’était faite à l’idée qu’il était un raté, mais après avoir vu ses toiles exposées au Queens Museum of Arts, elle a renoué le contact avec lui. Ses proches se sont même cotisés pour lui payer un petit appartement. Il se proclame depuis “le plus grand artiste vivant”, ce qui fait pouffer le psychiatre. John et le docteur Marton sont de vieux amis maintenant. Difficile de croire qu’à l’époque de leur rencontre, John était complètement isolé du monde extérieur. “Il balançait sa tête d’avant en arrière dans le coin d’une pièce capitonnée. Au musée, c’est un être complètement normal et rationnel : en plus, c’est un pur génie.” John Tursi lui rend le compliment, à sa manière : “Le docteur Marton est le plus dingue d’entre nous.” 30.04.2014 les inrockuptibles 55

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gabber is not dead

Danser le plus vite possible, s’exploser la tête et oublier le quotidien. A Paris, une semaine d’événements retrace l’histoire du gabber, subculture hardcore née en Hollande au début des années 90, dont l’esthétique revient en force. par Géraldine Sarratia



nterviewés en 1995 contre un des murs de l’Energiehal, un énorme club en béton en lisière de Rotterdam, une dizaine de jeunes se succèdent face caméra. En fond sonore, de lourdes basses techno résonnent. “C’est hardcore”, répond un garçon filmé par la caméra de Wim van der Aar pour son documentaire Gabbers!1 “C’est ma musique, c’est tout pour moi”, crie une fille enthousiaste avant de s’éclipser. Ils ont entre 15 et 20 ans. Le crâne rasé, parfois surmonté d’une queue de cheval. Tous portent des vestes de sport aux couleurs vives, un bas de survêtement blanc ou un jean. Aux pieds, des Nike Air 90. Leurs yeux fatigués disent les heures écoulées, la fatigue, la bière un peu trop chaude, les montées d’ecsta. Ce sont des gabbers. Le mot, qui signifie au départ “copain” en yiddish, désigne, en ce milieu des années 90, la culture jeune la plus puissante que la Hollande ait jamais connue. Plus qu’un style musical, ce dérivé de la techno hardcore ultrarapide (entre 160 et 190 battements par minute) est devenu un mode de vie : aux Pays-Bas, un jeune sur trois est gabber. La philosophie du mouvement est, elle, aussi minimale que les bribes de mélodies synthétiques qui ponctuent les morceaux. La seule religion qui vaille ici est celle de la vitesse. “Faster is better”, répètent les gabbers comme un mantra. La légende veut que DJ Rob, résident du Parkzicht, l’autre gros club de Rotterdam, ait donné naissance au son gabber en 1989, en accélérant des titres de breakbeat anglais et de techno allemande, et en les rythmant à l’aide d’une TR-909.

Chaque week-end, comme aimantés, les gabbers répondent à l’appel des basses lourdes. Ils dansent le hakken, série de mouvements et de sauts ultrarapides qu’ils enchaînent le plus vite possible en rythme, jusqu’à ce que leurs muscles soient douloureux. On ne vient pas ici pour draguer ou parler avec son voisin. On s’explose la tête, on décharge, on trompe l’ennui. “Le gabber était un mouvement de classes populaires et peu instruites, de jeunes un peu paumés qui avaient plutôt mauvais goût et vivaient dans des villes fantômes près de bassins industriels à fort taux de chômage. Bien que populaire, ce mouvement n’avait rien de revendicatif, comme pouvait l’être celui des skinheads qui faisait de l’appartenance au prolétariat une fierté malsaine. Il y avait certes quelques extrémistes et quelques récupérations nationalistes dans la scène gabber, mais ce n’était pas la majorité. Les gars et les filles que j’ai connus à cette époque n’allaient plus au lycée. Pour la plupart, ils travaillaient déjà. Le quotidien était morne”, explique Alberto Guerrini, spécialiste du mouvement. Auteur du fanzine Gabber, in the Name of Love présenté en off de la Biennale de Venise en 2009, il réalise depuis un an Gabber Eleganza, un tumblr conçu comme une archive visuelle2. On y trouve aussi bien la collection 1995 de Raf Simons, inspirée par le mouvement, que des photos de murs d’enceintes, de looks fétichisés, de vieux gabbers. Guerrini a lui-même été gabber. Devenu énorme aux Pays-Bas dans la deuxième moitié des années 90, le mouvement essaime en Allemagne, en Belgique et en Italie. La France, mis à part le NordPas-de-Calais, est restée hermétique au gabber.

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Anna Adamo 08 GPAP 961 56 GABBER CULTURE.indd 57

Deux jeunes néogabbers italiens, 2013

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Dennis Duijnhouwer

Tête dure, crâne rasé etq ueue de cheval : le style gabber au féminin

La Nike Air 90, basket fétiche du mouvement

Dennis Duijnhouwer

“faster is better”, répètent les gabbers comme un mantra

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“J’ai découvert ce style quand j’avais 13 ou 14 ans, se souvient Guerrini. Un grand gars de ma classe écoutait du hardcore mais n’avait pas le look habituel des ravers avec les treillis et les Buffalo. Ça m’a tout de suite attiré.” Il se rase la tête et adopte le look gabber. “Je me sentais différent et fier de l’être. Il y avait un côté : ‘Hey mec, mes parents m’aiment pas, les filles ne me regardent pas. Je suis un peu gros.’ Même s’il y avait un grand sens de la fraternité, je crois que c’est la solitude qui nous réunissait. Quand j’allais danser, je n’avais pas envie de rencontrer des filles. D’une certaine façon, c’était assez religieux et spirituel. C’était également une subculture très physique.” Physique, et surtout autorisée. A la grande différence de la techno hardcore qui en France se développera de manière sauvage, subversive, car diabolisée par les autorités, la culture gabber fleurit en toute légalité. Les compiles Thunderdome, qui vulgarisent le style, s’achètent en grande surface. Les gros festivals se multiplient et réunissent des dizaines de milliers de personnes. “Les raves, le hardcore étaient très communs en Belgique et aux Pays-Bas, se souvient Mathieu Fonsny, DJ et producteur belge, actuel programmateur du Festival de Dour. On ne pouvait pas passer à côté. Ce n’était pas une culture contestataire comme en France mais bel et bien une culture un peu beauf, de supermarché. C’est peut-être ce qui explique son retour aujourd’hui. Avec le recul, on aime contempler les cultures un peu ringardes.” De fait, depuis environ un an, la culture gabber, toujours vivace aux Pays-Bas et en Belgique, tape l’incruste dans les sphères branchées. Son esthétique contamine les shoots de mode des magazines les plus pointus (le travail du styliste Jean Paul Paula, la dernière campagne de la marque Andrea Crews…) et le hipster contemporain a troqué barbes et tatouages pour une panoplie de néocaillera, avec survêt blanc, Nike Air ou claquettes de piscine. Des producteurs tels que Koudlam (qui prépare un clip inspiré par le gabber), Panteros666 ou Club Cheval récupèrent également à leur façon sonorités et codes du mouvement. A Paris, le collectif Casual Gabberz (en partie à l’origine de l’expo Gabber, lire encadré ci-contre) organise des soirées et tente de convertir la capitale aux joies du hakken. “Vingt-cinq ans après, leur engagement m’impressionne, explique Paul Orzoni, un des fondateurs de Casual Gabberz, qui produit des morceaux de hip-hop. Ces mecs n’étaient pas des diplômés de l’Ircam (Institut de recherche et coordination acoustique/musique – ndlr), c’était vraiment des prolos, des gamins.” Et quand le normcore, cette nouvelle fièvre hipster pour la “normalité” et les fringues de beauf, se révèle une coquille vide, le gabber continue de fasciner par sa radicalité, sa foi inaliénable en le hardcore et son opposition frontale aux générations antérieures. “Les médias nous décrivaient comme des drogués, des weirdos avec des mouvements de danse idiots, raconte un des anciens gabbers interviewés dans le docu Gabbers!. C’était peut-être vrai.”

une semaine à 180 bmp

En expos, concerts ou clubbing, le gabber se dévoile. A travers des photos, documentaires, flyers, pochettes de disques et documents d’archives, l’expo Gabber retrace l’histoire du mouvement tout en analysant son influence et sa filiation, musicale et stylistique. Côté photo, on s’arrêtera particulièrement sur celles de la Néerlandaise Marije Kuiper et de son compatriote Dennis Duijnhouwer (qui signe les images ci-contre). Ce collaborateur du magazine Vice a vécu en immersion auprès de gabbers et les a saisis dans leur quotidien. Intéressante aussi, la perspective apportée par la photographe basée à Milan Anna Adamo (voir l’image d’ouverture de cet article) qui nous renseigne, elle, sur le gabber à l’italienne. Côté gros son, on ira se retourner la tête au Trabendo avec quelques piliers néerlandais (DJ Distortion, du collectif Rotterdam Terror Cops, ou Chosen Few, du label gabber culte Mokum), et les Parisiens de Casual Gabberz. Les plus résistants pourront s’initier au hakken, la danse gabber, lors d’ateliers ouverts à tous. Enfin, un pop-up où l’on trouvera survêts vintage, livres, vinyles et objets rares permettra de parfaire sa panoplie. G. S. exposition Gabber, du 1er au 13 mai au Point Ephémère, Paris Xe, pointephemere.org, gabberexpo.com soirée de clôture le 10 mai au Trabendo, Paris XIXe, letrabendo.net

1. Gabbers! de Wim van der Aar (P.-B., 50 min., 2013) 2. gabbereleganza.tumblr.com 30.04.2014 les inrockuptibles 59

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l’imagination au pouvoir Un projet révolutionnaire est-il possible aujourd’hui ? Le philosophe Pierre Dardot et le sociologue Christian Laval en voient les prémices dans une notion qui se développe au cœur des mouvements sociaux : le commun. par Jean-Marie Durand

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es mouvements sociaux apparus à l’échelle du monde depuis le début des années 2000 ont remis l’idée du “commun” au centre des luttes politiques alternatives. En partant de ce foisonnement militant, Pierre Dardot et Christian Laval prolongent avec leur livre Commun – Essai sur la révolution au XXIe siècle, leur critique du néolibéralisme1 en définissant une nouvelle pensée du commun. Une invitation au dépassement du capitalisme et à la réappropriation collective des biens et services. Selon vous, le “commun” s’est imposé comme un motif récurrent que l’on retrouve dans les pratiques politiques alternatives. Comment définir cette aspiration ? Pierre Dardot – On a réfléchi à partir de l’émergence de mouvements sociaux à l’échelle mondiale, sans connexion immédiate entre eux : on s’est rendu compte que le principe du commun était à l’œuvre, sans être forcément réfléchi. Ce qui nous a marqués particulièrement, ce sont les événements du parc Gezi,

à Istanbul (en juillet 2013, le lieu, destiné à être détruit, est devenu le symbole des contestations contre le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan – ndlr) : il y avait cette idée d’espaces de vie urbains et collectifs que les citoyens d’Istanbul voulaient préserver pour l’usage commun ; il y avait la volonté de confiscation du gouvernement avec le projet de construction d’une mosquée, d’un supermarché ; il y avait en même temps la référence à la Commune, c’est-à-dire à l’autogouvernement politique local. Cette articulation nous a semblé révélatrice. A partir de ce triptyque, on a pu dégager le principe du commun. Christian Laval – Cela fait pas mal de temps qu’on réfléchit à l’alternative politique. On a entrepris de faire un diagnostic critique de l’état du monde à travers nos analyses du néolibéralisme. Nous voulions abandonner la phase de déploration qui prétend qu’il n’y a pas d’alternative, pas de mots, pas de concepts pour penser l’après-capitalisme. Or on est arrivé à une période où, dans les mouvements comme au parc Gezi, des acteurs posent eux-mêmes

Istanbul, juillet 2013 : des manifestants opposés à la fermeture du parc Gezi fêtent dans la rue la rupture du jeûne du ramadan

les termes de l’alternative, à travers l’idée des communs et de la Commune. Quels sont les axes politiques forts de ce principe du commun ? Pierre Dardot – Quand le thème a émergé à la fin des années 90, deux préoccupations s’imposaient : la défense des services publics face à leur remise en cause à l’échelle mondiale ; ce fut la grande thématique de l’altermondialisme. Puis il y eut en même temps la préoccupation environnementale. Les deux questions se sont nouées de manière pratique. Au début, il n’y avait pas de jonction entre les communs publics et les communs naturels. C’est finalement venu dans le mouvement lui-même ; les militants ont compris qu’il y avait là deux facettes du même ennemi.

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Tolga Sezgin/NAR Photos/RÉA

Christian Laval – Il y a eu une articulation entre un mouvement défensif contre l’appropriation, en réaction aux désastres engendrés par les droits de propriété, et une prise de conscience du caractère positif de la coopération, en particulier par les nouvelles technologies. La problématique du commun émerge surtout sur la ruine des illusions étatistes. Au XXe siècle, le mouvement ouvrier a confié à l’Etat un rôle de protection. Or le néolibéralisme a transformé le visage de l’Etat, sa fonction et sa forme. L’invention du commun survient donc à une période de l’histoire où l’Etat néolibéral montre à quel point la propriété étatique n’est absolument pas le moyen d’assurer une véritable redistribution des richesses.

Ce livre sur le principe du commun arrive ainsi logiquement après notre critique du néolibéralisme comme forme spécifique d’intervention étatique. D’où l’importance pour nous d’aller au-delà du partage privé-public dans la pensée et la stratégie politique, de dépasser la vieille opposition factice entre le marché et l’Etat. En quoi le commun est-il le principe qui fonde tout le reste ? Pierre Dardot – On s’astreint à un exercice auquel beaucoup avaient renoncé depuis les années 80 : un exercice d’imagination politique. Il faut envisager un autre horizon. A moins de démissionner complètement devant l’ordre existant… Ce qui nous semble important, c’est de comprendre en quoi le principe du commun, décisif

pour les mouvements d’émancipation, pourrait aussi servir de principe pour la reconstruction de la société. Cela ne signifie pas qu’il faudrait supprimer le marché ou la propriété privée. C’est la question de la subordination de toutes les formes d’organisation sociale à ce principe qui importe. Avec ce que cela implique : pour la propriété privée, il est évident qu’il est difficile d’envisager qu’elle continue de prévaloir dans la forme juridique léguée par l’histoire, c’est-à-dire avec le fameux droit d’abuser, qu’on reconnaît au propriétaire privé qui dispose en toute souveraineté de la chose, y compris du droit de la détruire. Les règles de l’usage commun doivent prévaloir sur la propriété. 30.04.2014 les inrockuptibles 61

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“la révolution est ce moment où une société se ressaisit de son destin” Christian Laval Ce qui est en cause, c’est la façon dont on peut régler collectivement un usage sans s’instituer en propriétaire. C’est un point fondamental. Les mouvements sociaux ne revendiquent pas la propriété mais plutôt le droit d’usage contre la logique propriétaire, que ce soit la logique de la propriété d’Etat ou la logique de la propriété privée. Christian Laval – En fait, dire que tout doit être organisé à partir du commun signifie que tous les secteurs de l’activité économique doivent, en tant que lieux de coproduction des biens et des services, être organisés selon des principes démocratiques. Nous retrouvons des aspirations anciennes, nées dans les luttes qui ont voulu lier l’activité de production économique et des formes démocratiques d’organisation. En quoi le commun forme-t-il un projet révolutionnaire ? Christian Laval – Nous tenons à redonner toute sa grandeur à l’idée de révolution contre le détournement et la captation dont elle a fait l’objet par la pensée conservatrice et le marketing. Certains, sans craindre l’oxymore, osaient parler de “révolution

conservatrice”. Nous devons nous réapproprier l’idée de révolution, mais sans l’entendre comme un coup d’Etat, un putsch, mais à la manière du philosophe Cornelius Castoriadis (qui conçut un projet de société visant l’autonomie individuelle et collective – ndlr) : la révolution est ce moment où une société se ressaisit de son destin, où elle repense et refonde ses institutions centrales. Les désastres sociaux et écologiques que nous subissons, l’effondrement des démocraties parlementaires sur elles-mêmes auquel nous assistons élection après élection, nous semblent indiquer qu’on va assez rapidement vers des moments très critiques. Pierre Dardot – Toute révolte n’est pas forcément une révolution. Ce qui nous semble crucial, c’est la part reconnue à l’imaginaire social. L’idée qu’une société puisse instituer de nouvelles valeurs, ce que Castoriadis appelle des “nouvelles significations imaginaires”. Une révolution, pour nous, quelle qu’en soit la forme, est un retour de la société sur elle-même : les anciennes valeurs ne peuvent plus avoir cours, il faut en instituer

la Commune de Paris, un modèle ? Un livre magistral de l’historien Robert Tombs analyse cet événement historique dont les mouvements sociaux actuels réactivent le souvenir. La Commune de Paris, de mars à mai 1871, incarne encore le modèle absolu de la révolution populaire dont Marx disait qu’elle était “un sphinx qui met l’entendement à rude épreuve”. Au-delà de la mythologie entretenue par des générations d’historiens marxistes, l’histoire de la Commune est encore en mouvement, comme le démontre l’historien anglais Robert Tombs à travers une lecture précise et dépassionnée. Son livre, impressionnant, multiplie les angles de réflexion pour saluer la force historique de l’événement tout en prenant garde de ne pas figer son image dans le formol révolutionnaire.

L’auteur se détache des récits linéaires et mécanistes qui pullulent sur le sujet pour lui restituer sa vérité plus complète et complexe. Outre une révolte prolétarienne, la Commune fut une “sorte de jacquerie, d’abord patriotique”, rappelle-t-il, tout en laissant en suspens la fameuse question : fut-elle le crépuscule ou l’aurore des révolutions ? A observer aujourd’hui les multiples mouvements sociaux, qui peut nier que tout est possible ? J.-M. D. Paris, bivouac des révolutions – La Commune de 1871 de Robert Tombs (Libertalia), 470 pages, 20 €

de nouvelles. Ce noyau est important à transmettre.  Quels sont les foyers actuels où vous pensez que la révolution se prépare d éjà ? Christian Laval – Il y en a plusieurs, qui ne sont pas d’emblée connectés. On peut en citer quelques-uns : par exemple les expériences liées à internet, avec les nombreuses réflexions sur les communs qui les accompagnent, comme le logiciel libre, le wiki, les “makers”… Ou toutes les luttes qui concernent la résistance à l’accaparement des terres, à l’expropriation des paysans et à la dépossession des savoirs locaux. On en trouve beaucoup en Amérique latine – en Argentine autour des coopératives, en Bolivie autour de l’eau, au Brésil autour des mouvements des sans-terre et des luttes urbaines… En Europe aussi, il se passe des choses, surtout en Italie, pays où la réflexion est la plus avancée. La société italienne s’est mobilisée, comme on l’a vu lors du référendum sur l’eau et les biens communs en juin 2011, avec la constitution de comités de défense des biens communs qui se sont créés un peu partout. Signe des temps, on y retrouve, comme aux Etats-Unis, la jonction de pratiques sociales et une réflexion juridique très novatrice sur les communs. C’est l’objet de notre travail de montrer le rapport qui existe entre ces multiples foyers pour dégager une sorte de cohérence stratégique entre des pratiques qui relèvent d’une même logique. Les juristes critiques sont en première ligne pour tenter de faire entrer dans la Constitution et le code civil des biens communs articulant les pratiques démocratiques et les droits sociaux fondamentaux. Cela annonce une pensée nouvelle du commun. 1. La Nouvelle Raison du monde – Essai sur la société néolibérale (La Découverte, 2009) Commun – Essai sur la révolution au XXIe siècle de Pierre Dardot et Christian Laval (La Découverte), 592 pages, 25 €

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Pas son genre de Lucas Belvaux La relation amoureuse entre un homme et une femme d’univers culturels différents. Une étude de mœurs à la fois patiente et sous tension.

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n pleine polémique sur les questions de genre, le titre du nouveau film de Lucas Belvaux résonne étrangement. Son sens premier est sans doute le plus évident : “pas son genre”, soit pas d’atomes crochus. Mais comme le film fait le récit d’une liaison entre deux personnes issues de lieux, de classes sociales et de rapports au monde différents, le titre retombe aussi sur les pattes des débats actuels : la culture est chose différente de la nature et elle compte autant, si ce n’est plus. Soit donc Jennifer et Clément. Elle habite Arras où elle élève seule son fiston et exerce la profession de coiffeuse. Elle est péroxydée, lit des magazines people et des romans populaires, admire Jennifer Aniston (même prénom en plus) et chante le week-end avec deux copines, un genre de Supremes de sous-préfecture. Lui est un prof de philo parisien, provisoirement détaché à Arras, ce qu’il vit comme une punition. Il connaît par cœur son Kant et son Proust, n’a pas d’enfant, entretient des liaisons intenses mais brèves par peur de s’engager, écorchant au passage ses amantes. Venu se faire couper les cheveux, il rencontre Jennifer et ces ciseaux…

Le questionnement de Belvaux et le suspense romantique du film consistent à savoir si ces deux-là peuvent former un couple, éventuellement durable, si l’amour est plus fort que les barrières culturelles et sociales. La force du sexe et/ou des sentiments peut-elle transfigurer des clichés sociologiques ambulants et les arracher à leur déterminisme ? Belvaux va filmer dans le moindre détail l’aventure de cette fusion des contraires, comment chacun va tenter d’aller vers le territoire de l’autre et vice versa, selon le ressort classique de la screwball comedy hollywoodienne. Mais, à la vitesse des Hawks ou Capra de jadis, Belvaux oppose la patience, la minutie, dans la description de chaque étape de la liaison. Quels films va-t-on voir ? Qui invite qui à dîner ? A quel moment le premier baiser ? Puis la première nuit ensemble ? Et chez lequel on couche ? Et qui ferme les yeux pendant l’amour ? Belvaux remet en scène ce processus mille fois filmé qu’est la cristallisation de la rencontre amoureuse et quand c’est fait avec tact et précision, comme c’est le cas ici, on remarche à fond. Mais si le couple se forme, un doute, une tension, un suspense demeurent. Les intentions de la pétulante Jennifer sont

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elle se met à lire Kant, il va voir une comédie avec Jennifer Aniston vite affichées : elle a besoin d’aimer, elle a envie d’aimer, elle aime Clément. Lui est beaucoup plus retors. Considère-t-il Jennifer comme un coup ? Un passe-temps pour tuer l’ennui de la province ? Une idiote à éduquer ? Une proie à manipuler ? Un cobaye pour son prochain bouquin de philo ? Ou l’aime-t-il aussi un peu, beaucoup, tout en ayant peur de s’engager ? Outre ces questions irrésolues qui maintiennent le film sous tension, les deux font l’effort d’aller vers l’autre et c’est assez beau : elle se met à lire Kant, il va voir une comédie avec Jennifer Aniston, l’accompagne un soir au dancing où elle chante avec ses amies. Jennifer est moins cultivée que Clément mais pas moins intelligente. Pas son genre n’est pas seulement la rencontre entre deux personnes et deux classes sociales non-prédisposées à se croiser, c’est aussi le mélange quasi expérimental entre deux genres très français : le Demy-film et le Rohmer-film.

Personnage velléitaire, Clément ressemble à ces mâles rohmériens intellectuels, indécis, qui ratiocinent, mettent les affects à distance, analysent ou calculent leurs sentiments, rationalisent leurs pulsions. De son côté, Jennifer exsude une féminité extravertie, un tempérament cash, une croyance en l’amour, le goût des couleurs pétantes et des chansons, toutes choses qui en font une lointaine petite cousine des demoiselles de Rochefort ou de la Deneuve coiffeuse de L’événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la Lune (Jacques Demy, 1972) Les acteurs sont essentiels dans la réussite d’un tel film. Si Loïc Corbery véhicule les atermoiements de Clément, ses courts-circuits entre raison et sentiments, Emilie Dequenne est carrément exceptionnelle d’abattage, de générosité et de charme. Après Rosetta et A perdre la raison, elle trouve son troisième grand rôle – à croire qu’elle est décidément mieux servie par ses compatriotes belges. Et en plus, elle chante bien. Tout à fait notre genre. Serge Kaganski Pas son genre de Lucas Belvaux, avec Emilie Dequenne, Loïc Corbery, Sandra Nkake (Fr., 2013, 1 h 51) 30.04.2014 les inrockuptibles 65

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Conversation animée avec Noam Chomsky de Michel Gondry Deux séries d’entretiens entre le linguiste et le cinéaste illustrées par ce dernier. Réjouissant.

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onversation animée avec Noam Chomsky appartient à la lignée buissonnière – la plus réjouissante – de Michel Gondry, celle qu’il s’autorise à emprunter régulièrement entre deux “gros films”. Après l’exténuant Ecume des jours et avant, espère-t-on, l’adaptation du monumental Ubik, le cinéaste s’est ainsi “offert” – c’est vraiment le terme – une conversation avec Noam Chomsky, le linguiste le plus important du XXe siècle. Pour Gondry, petit film n’est pas synonyme de moindre ambition :

quatre années durant, il a illustré deux longues séances d’entretien de ses propres dessins, animés patiemment, feuille par feuille, dans la solitude de son atelier. Un travail de titan, qui frappe d’abord par son aboutissement plastique : à condition d’être sensible à ce type d’animation artisanale, le film est une splendeur visuelle, d’une densité parfois intimidante (il faut le voir en salle), mais à la hauteur de la complexité du discours de son interlocuteur – peut-être trop d’ailleurs, on y revient. Le savant, de sa voix grave et monocorde (pour tout dire envoûtante), répond ainsi

aux questions candides du novice à l’accent frenchy, qui avoue à plusieurs reprises se sentir idiot, ou du moins incompris, du fait de la barrière de la langue… Gondry aurait pu enlever ces ratures, ne laisser entendre que les passages fluides. Or, non seulement il les garde – comme il laissait, par souci de sincérité, les faux raccords et les “erreurs” dans The We and the I –, mais il y revient sans cesse par la voix off : “Voici ce que j’ai voulu dire, voilà ce que je pense.” Si le film est animé, en outre, c’est que le procédé lui paraît moins manipulateur que la simple continuité dialoguée, du fait que le spectateur, selon lui, aurait ainsi conscience d’être devant la vision d’un créateur. Profession de foi naïve – l’animation finit elle aussi par créer un effet de réel trompeur, ni plus ni moins que les prises de vues –, mais qui dit bien l’ambition de Gondry, la même que dans tous ses films : donner à voir l’intérieur de son propre cerveau. Dans l’opération, la pensée de l’éminent professeur y perd en clarté et finit hélas un peu cannibalisée par le flot d’images. On peut s’en agacer, regretter que le cinéaste refuse de s’effacer devant son sujet, mais il a au moins la sincérité de ne pas avancer masqué : c’est une conversation, pas un éloge. Surtout, il offre à Chomsky, par des questions personnelles (sur son enfance, sur sa femme) auxquelles ce dernier répond pudiquement, ce qu’il sait le mieux faire : une communion miraculeuse. Jacky Goldberg Conversation animée avec Noam Chomsky de Michel Gondry (Fr., 2013, 1 h 28)

Man of Tai Chi de Keanu Reeves avec lui-même, Tiger Hu Chen (E.-U., Chi., H. K., 2013, 1 h 45)

Keanu Reeves réactive l’art old school du kung-fu. Séduisant. 47 Ronin, ce film de kung-fu Au moment où le cinéma aux airs assumés de série B d’action semble partout nineties (époque bénie condamné à un principe du Van Damme movie de surenchère, influencé et des vidéophiles) réactive par la vague hyperréaliste un certain art classique et gonzo des films du combat, qui ne vise pas de Tony Jaa ou du carton uniquement l’exploit gore. The Raid, il y a quelque Avec l’aide précieuse du chose d’assez charmant chorégraphe Yuen Woo-ping, dans l’esprit vintage que qui collabora à la trilogie revendique Man of Tai Chi. Matrix et à The Grandmaster, Réalisé par Keanu Reeves, Keanu Reeves met qui signe là son premier habilement en scène long métrage et poursuit un crescendo de bastons son tour asiatique après

virtuoses et jubilatoires, parfaits tremplins pour les acrobaties de la star Tiger Hu Chen, à l’étrange plastique sans âge. Pour le reste, le film respecte très fidèlement le cahier des charges du genre (les conflits moraux

du maître en arts martiaux, la romance prétexte et une vague intrigue policière) et captive surtout par la place centrale qu’occupe le grand sad Keanu, dont le jeu toujours plus opaque et robotique trouve ici un écrin idéal. R. B.

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Last Days of Summer de Jason Reitman Un mélo roublard entre une dépressive jouée par Kate Winslet et un criminel (Josh Brolin), par le réalisateur de Juno, le multirécidiviste Jason Reitman. ans un petit bled story hors norme, de filmer du New Hampshire, l’attraction irrésistible une femme divorcée d’une femme pour ce tueur et visiblement déprimée qui la martyrise. Mais fidèle (Kate Winslet, abonnée au genre), à son académisme consensuel, vit isolée avec son fils de 13 ans, qui pour une fois ne se cache qui dans le foyer assume les rôles plus sous un rire sardonique, d’enfant, d’ami et de confident le cinéaste lui préfère la piste – seul manque l’amant, d’un mélodrame œcuménique. dit-il en introduction. Tout le projet de Last Days of Summer Effrayés à l’idée de se confronter consiste ainsi à défaire le preneur aux autres, la mère et son fils d’otages de sa culpabilité, refusent tout contact avec l’extérieur, à le rendre littéralement aimable. jusqu’à ce jour d’été où un accident Et qu’importe si cela suppose survient : lors d’une de leurs rares d’expédier en quelques flash-backs sorties, ils sont pris en otages franchement abjects les scènes par un homme ensanglanté du crime originel, qu’importe (Josh Brolin). Il vient de s’évader s’il faut refuser à la mère de prison où il purgeait une peine le droit de douter (elle l’aimera, pour un crime mystérieux, et parce qu’elle est seule et triste), il va séquestrer la famille pendant confirmant après Juno et son toute la durée du film, nouant personnage d’adolescente enceinte des relations intimes avec la mère que le libre arbitre n’est pas éplorée tandis que les motifs de sa le fort des femmes dans ce cinéma. culpabilité se révéleront peu à peu. Mine de rien, de film en film, A partir de ce récit, Jason Reitman s’impose comme banale variation du syndrome le réalisateur américain le plus de Stockholm adaptée du best-seller antipathique de sa génération. Romain Blondeau Labor Day de Joyce Maynard, deux choix s’offraient alors à Jason Reitman (Juno, Young Adult). Last Days of Summer de Jason Le premier aurait été de croire Reitman, avec Kate Winslet, Josh Brolin (E.-U., 2013, 1 h 51) au potentiel subversif de sa love

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Joe

de David Gordon Green Nicolas Cage, bête féroce et superbe, dans un drame gothico-sudiste parfois un peu lourd.

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ne rumeur voudrait que Joe signe le “retour” de Nicolas Cage. Or il faudrait pour cela qu’il soit un jour parti : assomption certes courante, mais discutable si l’on veut bien y regarder de près. Car malgré l’échec public de sa production des quatre ou cinq dernières années (qui ne sort pratiquement plus en salle, ou à peine), Cage n’a cessé d’y déployer avec brio, et une liberté totale, son art chamanique du jeu. Mais c’est un autre débat, et qu’importe : il excelle ici, et l’essentiel est que le monde semble à nouveau s’en rendre compte. Dans la poisseuse forêt texane (peu ou prou la même que celle de Prince of Texas, le précédent film de David Gordon Green), il incarne Joe, ex-taulard chargé avec quelques soldats de fortune d’empoisonner des arbres que la loi empêche d’abattre. C’est pour cette mission qu’il engage Gary (Tye Sheridan), ado futé fuyant un foyer à l’ambiance délétère, où règne sa brute de père. Le jeune acteur, découvert chez Terrence Malick (The Tree of Life) prête sa fougue et son opiniâtreté au personnage, quasiment calqué sur celui qu’il interprétait déjà dans Mud de Jeff Nichols. Sa présence au générique n’est d’ailleurs pas le seul point commun entre les deux films : le Sud crasseux, un père de substitution (fâché avec l’autorité) contre un père défaillant, deux acteurs carbonisés en quête de crédibilité

– se souvenir qu’il y a quelques années, le nom de Matthew McConaughey (Mud dans… Mud) prêtait à sourire –, et puis trois lettres, Mud ou Joe, qui claquent comme la queue des crotales que défient inlassablement les héros éponymes. Nulle surprise : Green et Nichols sont amis depuis la fac, assistants sur un documentaire à propos de Larry Brown, leur écrivain préféré, dont le roman éponyme a inspiré le scénario de Joe – et clairement celui de Mud. On aimerait oublier l’existence de ce dernier le temps de la projection, tant la comparaison est cruelle, mais c’est malheureusement impossible. A l’heure où le southern gothic devient un nouvel académisme, Green en reconduit ad nauseam les effets atmosphériques (couchers de soleil forcément sublimes, ralentis à la Malick…), et la morale impitoyable – là où Nichols, par son classicisme rigoureux, s’écartait de tout ce folklore. Tout est là, tout ce que l’on chérissait jadis chez l’auteur de L’Autre Rive et chez les autres, mais tout paraît désanimé, confus, automatique, pour ne pas dire caricatural comme le personnage du père alcoolique. Reste Nic Cage, autour duquel tout le monde tourne, fasciné autant qu’apeuré, comme au zoo, et qui porte décidément son nom de famille à merveille. Jacky Goldberg Joe de David Gordon Green, avec Nicolas Cage, Tye Sheridan (E.-U., 2013, 1 h 58)

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3x3D de Peter Greenaway, Edgar Pêra et Jean-Luc Godard Un assortiment de trois films courts en 3D – ou non – dominé par celui de Godard, tout en oracles funestes et grandioses. ou démonstration de 3D, et étrange attelage du temps, et non dans revlan ! La 3D, pour JLG, de cinéastes résulte un effet technologique. d’une commande de n’est pas un nouveau joujou Dans ce qui apparaît technologique mais trois films en 3D passée comme un nouveau par Guimarães à l’occasion désastres : le nazisme, post-scriptum à Histoire(s) l’échec du cinéma et, si l’on de sa désignation comme du cinéma, et peut-être Capitale européenne de a bien compris (pas sûr), le un avant-propos à son la culture. En vingt minutes, numérique. “Le numérique Adieu au langage, JLG Juste à temps de Greenaway sera la dictature”, rumine aussi qu’il faudrait prophétise-t-il, entre balaie (c’est le mot) un jour pour faire l’histoire plusieurs couches de vieux l’histoire millénaire de la d’une minute, un mois cathédrale de Guimarães films en noir et blanc et des pour l’histoire d’un jour, slogans-manifestes-jeux de etc., comme un tacle façon publicité de syndicat mots inscrits sur l’écran, d’initiative mixée à un clip à Greenaway qui résume seules concessions à l’effet de démonstration de la 3D. plusieurs siècles en Techniquement ébouriffant, de relief. vingt minutes. Car le temps Pas sûr qu’il faille cinématographiquement est chose relative, ce qui est prendre à la lettre chaque nul. Dans Cinésapiens, le encore plus vrai au cinéma : sentence du mauvais génie Portugais Pêra prend a ça vaut le coup de se taper ppui sur la cinémathèque de du cinéma, tant ses visions vingt minutes de Greenaway la ville pour administrer une sont liées à son âge et à sa ou de Pêra – qui semblent mélancolie. Ce qui est sûr, pesante et démonstrative durer des plombes – c’est que sa science du leçon d’histoire du cinéma pour s’en offrir autant de montage-collage-décollage Godard qui passent, elles, sauvée malgré tout par et son phrasé helvète son ton humoristique. comme le songe maussade underground produisent un Place à Godard (Les Trois et merveilleux de l’oracle autre sens, d’autres images, qu’il est devenu. Il est Désastres), dont le génie une puissance poétique solitaire éclate encore plus magnifique, le chagrin de dans ce type de configuration d’une bouleversante et la pythie. Serge Kaganski irréductible beauté, 3D ou comparative. D’abord, pas pas. Le relief godardien trace de Guimarães dans 3x3D de Jean-Luc Godard, son segment, et vlan ! est situé dans sa pensée Peter Greenaway et Edgar Pêra (Fr., Por., 2013, 1 h 02) Ensuite, nulle monstration du cinéma, son humeur

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Les Trois Désastres, le segment réalisé par Jean-Luc Godard 30.04.2014 les inrockuptibles 69

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HBO/Lacey Terrell

“la télévision est devenue le grand récit populaire de l’époque” Showrunner de True Detective, Nic Pizzolatto revient sur la genèse de la série et décortique ses motivations. Il s’interroge également sur les rapports qu’entretient le genre sériel avec le cinéma et la littérature.

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vec True Detective, il a créé la bombe sérielle de l’année, entre récit policier atmosphérique et réflexion métaphysique sur la douleur d’exister. De passage à Paris pour le festival Séries Mania alors qu’il écrit actuellement la saison 2, le scénariste et écrivain Nic Pizzolatto a livré quelques secrets de fabrication et exprimé son enthousiasme à travailler pour HBO. “On m’a donné les clefs d’une Ferrari, je n’allais pas la conduire lentement.” Vous avez écrit un roman et enseigné la littérature. Pourquoi être passé à la télé ? Nic Pizzolatto – Là où j’ai grandi, dans le sud de la Louisiane, la télévision a été ma première fenêtre vers la culture et le monde, au-delà des champs. Cette petite boîte m’a toujours accompagné. Je considère Dennis Potter (scénariste de The Singing Detective et Pennies from Heaven – ndlr) comme l’un des plus grands écrivains d’après-guerre, toutes disciplines confondues. Pour moi, les choses se sont précisées entre 2003 et 2004, quand HBO passait à la fois Les Soprano, Deadwood et The Wire. Ma soif de fiction se trouvait étanchée par ces séries plus que par la littérature de l’époque. Il y avait quelque chose de vital et de viscéral, elles parlaient directement

de l’expérience contemporaine. Ensuite, j’ai appris ce qu’était un showrunner, cette idée qu’à la télé, l’auteur est le scénariste. J’ai été séduit par la possibilité de contrôler tous les aspects d’une expérience créative, comme pour un livre. J’ai été peintre avant de commencer à écrire, cela pouvait aussi satisfaire ma passion pour le visuel. Mais je n’y croyais pas vraiment : il y avait un tel écart de classe, de géographie, de moyens, entre quelqu’un comme moi et les machines géantes qui fabriquent des séries… Vous auriez déclaré vous être lancé dans une série parce que plus personne ne lit de romans en Amérique. C’est vrai ? Je ne crois pas que les séries puissent remplacer l’expérience de la littérature. L’appel de l’imaginaire qu’elle provoque me semble unique. La prose et la poésie ne doivent surtout pas être remplacées. En revanche, en Amérique, c’est vrai, les gens lisent peu. La télévision est devenue le grand récit populaire de l’époque, un rôle qu’avait longtemps endossé le cinéma. Leur responsabilité est immense. On ne peut pas nier que le grand roman social du XXIe siècle, c’est The Wire. True Detective propose une enquête policière classique dans une structure narrative assez complexe entre plusieurs époques. Pourquoi ce choix ?  Sur l’un de mes premiers carnets de notes, j’avais griffonné l’idée de la voix

de Rust Cohle (interprété par Matthew McConaughey – ndlr) racontant une histoire… Une part non négligeable de la série est restée fidèle à ce point de départ : des plans fixes sur des gens qui parlent. En tant que scénariste, je ne m’autorise aucun engagement politique ou religieux. Mon engagement va exclusivement aux personnages. Les gens croient peut-être que True Detective les intéresse pour diverses raisons, mais ils regardent Cohle et Hart, c’est tout. J’ai voulu une série pleine de monologues car son sujet profond, ce sont les récits. Nous vivons et mourons par les histoires que nous nous racontons. Une enquête policière est une histoire dont on met bout à bout les éléments alors que la fin a déjà été écrite. L’une des ambitions de la série est de mettre en examen la narration : l’enquête centrale est racontée à travers plusieurs sources, à plusieurs époques différentes. Une tension se crée entre ce qui est arrivé, ce qui est dit, ce que les uns et les autres projettent… La structure discursive de True Detective est une manière pour moi d’affirmer que ce qui compte n’est pas l’enquête, mais les interactions et la dynamique des personnages. On ne suit pas la procédure du récit comme on suivrait une procédure policière. C’est pourquoi j’ai évité de faire une grande révélation au dernier épisode.

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Rust Cohle (Matthew McConaughey), personnage iconique de la série, hanté par des visions

Après, je ne cache pas que je voulais inventer des figures iconiques. Je voulais qu’après la série, quand un mec se penche sur le cas de deux flics qui discutent dans une voiture, il se gratte un peu la tête en pensant à True Detective. Par son ambition visuelle, True Detective a parfois rendu friable la frontière entre cinéma et télé. Le style visuel est d’abord celui du chef opérateur Adam Arkapaw. Pour le reste, nous avons tourné comme beaucoup de séries d’aujourd’hui. La sensation de nouveauté, à mon avis, vient du fait que les gens sont fascinés par la réalité de la Louisiane, une réalité presque magique. Nous n’y sommes pour rien ! Pour ce qui est de la comparaison avec le cinéma, je dirais que True Detective n’est pas un film de huit heures. D’abord, personne ne laisserait exister un film comme ça aujourd’hui. Cette histoire est trop étrange. Il faut trois heures avant que True Detective ne commence vraiment côté “action”. Si elle avait dû être un film, on nous aurait demandé de couper l’équivalent des trois premiers épisodes. Et de changer la structure. Je sais que comparer une série à du cinéma est censé être un compliment, mais cela me semble réducteur et injuste par rapport à ce que peuvent être les séries. Elles sont meilleures. Aux EtatsUnis, il n’y a même pas débat.

Comment avez-vous réagi aux théories plus ou moins fumeuses auxquelles True Detective a donné lieu sur internet ? Après la diffusion du deuxième épisode, j’ai laissé internet derrière moi. Mon rôle est de raconter une histoire, pas de la commenter ou d’émettre des hypothèses. Sinon, j’arrêterais d’écrire. Cela dit, j’ai appris une chose : quand on met du sous-texte dans une œuvre vue par plusieurs millions de personnes, on s’expose à des erreurs d’interprétation radicales. Ce qui ne va pas m’empêcher de mettre du sous-texte. Quel genre de showrunner êtes-vous ? Pour être efficace et mener à bien une vision personnelle, il faut être à la fois diplomate et combattant, apprendre à expliquer mais aussi à dire non. L’écriture du scénario représente 30 % du travail de showrunner, pas plus. Pendant le tournage, j’étais sur le plateau tout le temps et il m’était facile d’obtenir ce que je voulais avec les acteurs. Mais ensuite… Le combat le plus difficile

“nous vivons et mourons par les histoires que nous nous racontons”

s’est déroulé en postproduction. Il existe différentes versions de True Detective. Les montages du réalisateur (Cary Fukunaga – ndlr) étaient radicalement différents des miens, qui ont finalement été diffusés. Il m’a fallu une attention constante pour que True Detective ne devienne pas autre chose que ce que je souhaitais. Il y a eu quelques pressions pour couper dans les longues conversations et se concentrer un peu plus sur l’enquête. L’un des personnages principaux de True Detective est hanté par des visions. Est-ce votre cas ? A un moment de ma vie, plus jeune, j’ai fait comme lui l’expérience de la synesthésie (phénomène neurologique troublant la perception – ndlr). Cela m’arrive encore, mais de façon beaucoup plus mineure. En fait, l’endroit où j’ai grandi, la Louisiane, a toujours été hallucinatoire à mes yeux. Les artistes que j’aime ont des ambitions métaphysiques, il y a beaucoup de William Blake dans True Detective… Je ne crois pas à l’existence d’un autre monde au-delà du monde, ni au surnaturel, mais je pense que nous avons accès à des réalités que nous ne comprenons pas toujours. Je crois sincèrement au pouvoir des visions. propos recueillis par Olivier Joyard 30.04.2014 les inrockuptibles 71

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à suivre… 24 heures chrono en direct La télé française expérimente enfin avec les séries. Dans la nuit du 5 au 6 mai, les épisodes 1 et 2 de 24: Live Another Day (la suite à Londres de 24 heures chrono) vont être diffusés à 2 h 40 sur Canal+ avec des sous-titres fabriqués quelques minutes après la diffusion sur la Fox. Dès le lendemain, puis chaque mardi, le retour de Jack Bauer occupera le prime time de Canal+ Séries en VOST.

Turturro à la place de De Niro

miroir déformant Dans Black Mirror, la “bonne” télé critique la “mauvaise” et aussi les nouvelles technologies. Une démonstration un peu appuyée.



force de leur dire qu’elles décrivent le monde d’aujourd’hui mieux que n’importe quelle autre forme artistique, certaines séries ont peut-être fini par se prendre un peu trop au sérieux. L’hypothèse affleure devant Black Mirror, qui arrive enfin en France, deux ans et demi après la diffusion de sa première saison sur Channel 4 en Angleterre – la deuxième est passée début 2013. Construite comme une anthologie, avec des épisodes indépendants les uns des autres, cette création de Charlie Brooker s’intéresse à l’addiction contemporaine aux images et aux gadgets technologiques ainsi qu’au voyeurisme attenant. Vaste programme. Dans le chapitre inaugural, alors que

l’action se situe dans un monde parallèle au nôtre, mais bien sûr tout proche

la princesse d’Angleterre est enlevée à Londres, un ravisseur exige que le Premier ministre couche avec un cochon en direct à la télévision. Sinon, il exécutera la jeune femme... Dans le suivant, la téléréalité type X-Factor en prend pour son grade. La série fonctionne sur un parti pris simple : jouer simultanément sur des effets d’anticipation et de réalisme. L’action se situe dans un monde parallèle au nôtre (où les “points de vie” sont liés au nombre de publicités que l’on accepte de regarder, par exemple), mais bien sûr tout proche. Quelques moments émouvants peuvent survenir çà et là, quand la domesticité – sujet télévisuel central – est placée au centre du jeu. Mais on comprend assez vite que Black Mirror fronce les sourcils avec peu de subtilité et ressemble un peu aux fictions politiques eighties type Le Prix du danger, qui avaient elles-mêmes mal digéré Guy Debord – déjà. Trente ans plus tard, le repas reste indigeste, malgré les apparences de la modernité. Olivier Joyard Black Mirror saisons 1 et 2, à partir du 1er mai, 22 h 30, France 4

Après la mort du grand James Gandolfini, HBO avait promis Robert De Niro pour le remplacer dans la minisérie Criminal Justice. Mais le héros en sera finalement John Turturro, pourtant en perte de  vitesse après l’échec d’Apprenti gigolo. Le comédien de Barton Fink jouera l’avocat d’un jeune Pakistanais accusé de meurtre.

Sorkin désolé Grand moment de contrition de l’auteur mythique d’A la Maison Blanche, qui a tenu à s’excuser lors du Festival de Tribeca pour la qualité discutable des deux premières saisons de sa série The Newsroom (HBO). Tout en promettant que la troisième serait géniale.

agenda télé France Kbek (OCS, le 5 mai à 22 h 55) Une parodie des relations franco-québécoises et du monde du travail signée Jonathan Cohen et Jérémie Galan, avec notamment Simon Astier (Hero Corp). Ray Donovan (Jimmy, le 5 mai à 20 h 40) La diffusion intégrale (douze épisodes d’un coup) de la première saison de cette relecture contemporaine du film noir devrait convaincre les derniers réticents. Avec le sexy Liev Schreiber. Turn (OCS Max, le 4 mai à 20 h 40) La nouvelle série historique de la chaîne AMC (Breaking Bad, The Walking Dead) plonge avec brio mais peu d’originalité dans le monde naissant des espions durant la guerre d’Indépendance américaine.

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Guillaume Rivière

en roue, libre En beau pays gascon vit un ogre tendre, à la musique simple et nue : le Néerlandais Dick Annegarn. Son nouvel album s’appelle Vélo va, et enroule bien le braquet.

B  Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

onjour verdure : il y a bientôt quinze ans, Dick Annegarn s’est installé dans une ancienne ferme sur la petite commune de Laffite-Toupière (80 habitants) en pays gascon, à 70 kilomètres au sud de Toulouse. Il venait de loin. Des Pays-Bas, puis Bruxelles, puis la banlieue parisienne (sur une péniche en bord de Marne), puis le quartier de Wazemmes à Lille, et pas mal de voyages (en Ethiopie, au Cambodge, au Maroc, en Tchécoslovaquie). Il revenait de loin, sauvé par son nouveau label (Tôt ou Tard) d’une vingtaine d’années de traversée du désert, après un succès précoce, aussi fulgurant qu’embarrassant, au milieu des années 70. On fête cette année les 40 ans de son éternel premier album, celui avec Bruxelles, Bébé éléphant, Sacré géranium… Mais l’homme qui nous accueille chez

lui à Laffite-Toupière ne fait pas ses quarante ans de carrière ; il ne veut pas en entendre parler, ni trop en parler. “Je ne regarde pas derrière moi”, dit-il de sa voix d’ogre tendre. Pourquoi regarder derrière, quand autour il y a douze hectares de pâturages et de bois à entretenir, les sentiers de randonnée jalonnés par les stèles des Amis du verbe (le festival de poésie orale qu’il a créé), puis les collines vertes, amples et veloutées d’un pays secret, préservé du tourisme et des panneaux publicitaires, avec la ligne enneigée des Pyrénées à l’horizon ? Dick Annegarn est ici chez lui. “J’ai rêvé de finir ma carrière comme je suis en train de la finir”, dit-il devant la cheminée où brûlent lentement les bûches d’un chêne tricentenaire. Mais Dick Annegarn, 62 ans, n’est qu’au début de sa fin de carrière.

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Annegarn a décidé de laisser aller ses chansons, comme on continue à avancer quand on arrête de pédaler D’abord, c’est lui qui le dit, il lui manque quarante trimestres de cotisations pour prétendre à la retraite. Et puis, il vient de sortir un nouvel album, Vélo va, qui va ravir le peloton de ses fans fidèles, et sans doute le grossir de nouveaux adeptes. Si Dick Annegarn boucle une grande boucle avec cet album, c’est peut-être parce qu’il est aussi bon, classique dans l’âme et promis à la postérité, que son premier. Un disque de folk en français, où l’on retrouve la rudesse mélancolique et languide de ses chansons, sa voix pâle et dense, dans l’écrin nouveau d’arrangements ciselés avec des instruments d’orchestre (moins de guitare mais du violon, de la harpe, du vibraphone, du piano…). Un disque tour à tour émouvant (Un enfant, Pire) et joueur (Vélo vole, Bonjour, Prune), aussi court (dix chansons, trente minutes) qu’immense, un pic dans la chaîne de sa discographie. Ces chansons, il les avait écrites pour d’autres, des commandes de Raphael, Calogero, Amandine Bourgeois, Johnny, Nosfell… “Depuis trois, quatre ans, c’est un festival de gens qui m’ont demandé des chansons. Après, ils les écoutent à peine et ne les chantent pas, ça fait des chansons malheureuses.” “Qui te dit que je m’intéresse ?”, répond-il quand on lui demande pourquoi il n’a pas chanté des chansons composées pour lui-même. Il écrit peu, joue peu de guitare, n’écoute pas de disques (“j’ai perdu la télécommande”) mais il se lève à l’aube, s’occupe de ses hectares, de son festival, de ses sites internet, visite ses voisins et travaille au noir sous la voûte de son crâne. “Je suis continuellement à la recherche d’une troisième note qui se combinera avec deux autres, dans un minimum complet. Elle est d’abord dans ma tête, je m’endors et me réveille la nuit en y pensant. A l’écoute de ce qui se passe dans mon crâne, pour trouver la note qui va animer une chanson. Cette recherche est une hantise,

une course-poursuite à vitesse lente. Ça prend parfois des années, c’est une tannée. Les gens ne se rendent pas compte, c’est un métier terrible.” Un métier d’artiste, quoi, qui explique aussi pourquoi Dick Annegarn avait choisi, à la fin des années 70, de plaquer la frénésie, la routine et la superficialité du music-business. Son album aurait pu s’appeler Chansons pour les autres, mais c’est Vélo va. Parce que, bien que néerlandais de naissance, Dick Annegarn ne s’est vraiment mis au vélo qu’assez récemment – il joue de la guitare acoustique mais fait du vélo électrique, parce que les côtes sont raides dans le coin, et qu’il s’est abîmé les genoux après avoir chu d’un arbre au bout de deux jours à Laffite-Toupière. Aussi, parce qu’il a décidé de laisser aller ses chansons, comme on continue à avancer quand on arrête de pédaler. Adieu verdure : quelques jours après cette visite enchanteresse à domicile, on retrouvait Dick Annegarn à Paris pour visiter l’expo de son compatriote et inspirateur Van Gogh, au musée d’Orsay. “C’est beau, mais il y a beaucoup de monde quand même”, disait-il (entre autres), sa grande silhouette penchée et solide comme un olivier dans un tableau de Van Gogh, façonnée par une vie dans le mistral. Stéphane Deschamps album Vélo va (Tôt ou Tard) concerts le 24 juin à Paris (Olympia), le 11 juillet à La Rochelle (Francofolies), le 20 juillet à Lyon (Nuits de Fourvière), annegarn.com

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Typhaine Augusto

Gonzales prof de piano “Beaucoup d’entre nous ont pris des cours de piano étant enfant et, malheureusement, la plupart ont abandonné”, explique, en introduction de son nouveau projet, Chilly Gonzales. Pour commencer ou recommencer, on pourra donc se procurer les Re-Introduction Etudes du pianiste prodige. A paraître le 14 mai et déjà en pré-commande sur son site, on découvre un livre illustré accompagné d’un CD, qui proposent 24 morceaux-cours étudiés pour qu’on puisse les jouer avec plaisir après quelques essais seulement, aidé par quelques “trucs” offerts par le Canadien. chillygonzales.com

Festival des lauréats Sosh aime les inRocKs lab Après avoir sillonné les routes à la rencontre des meilleurs espoirs de la scène musicale française, Sosh et les inRocKs lab ont enfin sélectionné les artistes pour le Festival des lauréats qui se tiendra du 29 au 31 mai à la Gaîté Lyrique. Joueront sur scène : Steamboat Woody, Dirty Tacos, Feu! Chatterton, Radio Elvis, Camp Claude, Juliette Armanet, Mofo Party

Macki Music Festival, round 1

Plan, Alpes, Comausaure, Holy Two, Beny Le Brownies, Tallisker, Boys In Lilies, MWTE et Okay Monday! La programmation du festival sera étoffée par les projections des cinq films lauréats du concours création vidéo, des ateliers ludiques et bien d’autres surprises… Invitations à retirer sur Digitick. https://mail.google.com/mail/u/0/images/cleardot.gif lesinrocks.com/lesinrockslab/

un album surprise pour Neil Young

Née de l’association du collectif de DJ La Mamie’s et du label Cracki, la première édition du Macki Music Festival verra le jour cet été entre Paris et sa banlieue. Et si les lieux exacts n’ont pas encore été dévoilés (franchement, on s’attend à de jolies surprises), les dates, elles, sont désormais fixées : ce sera les 4, 5 et 6 juillet. Au programme : Isaac Delusion, Lords Of The Underground, The Garifuna Collective ou encore Rejjie Snow, pour un jeune et joli festival sous le signe du groove. facebook.com/mackimusicfestival

A l’occasion du Record Store Day, le Canadien a sorti un album de reprises (Bob Dylan, Willie Nelson, Bruce Springsteen…) qui n’était pas prévu si rapidement : A Letter Home est disponible via Third Man Records, le label de Jack White. On y retrouve aussi deux morceaux enregistrés avec l’ex-White Stripes dont on attend l’album solo. thirdmanstore.com

Björk dans un documentaire On se souvient de Biophilia, le projet dingo de Björk sorti en 2012 sous forme d’album et d’applications iPad. Le concept en avait dérouté plus d’un avec sa volonté d’explorer les liens entre musique, technologie et nature. Petit cours de rattrapage donc, ou d’approfondissement : le documentaire revient sur l’émergence de ce projet ainsi que sur la rencontre entre la chanteuse islandaise et le vénérable zoologiste anglais David Attenborough. L’ensemble est narré par Tilda Swinton. Tout un programme.

neuf

Amon Düül II Torb

The Acid Le nom du groupe est parfait, morveux et canaille. Il pourrait limiter le trio à un simple gadget psychédélique, mais les chansons du collectif se chargent d’ouvrir les portes en grand – et pas seulement celles de la perception. Les influences, nombreuses et méconnaissables, sont ainsi toutes rongées – par l’acide. wearetheacid.com

Cassius veille jalousement sur ce duo, qui pratique la techno comme d’autres le sexe ou le sport : dans la performance, la débauche (d’énergie). Musique moite et chamanique, ivre de dépassement, jouée à l’ancienne sur des outils fabriqués à la main et au fer à souder. On en veut plus, et vite. facebook.com/pages/ TORB/262070617169483

Echo & The Bunnymen Dans les années 80, on avait connu Ian McCulloch idéal dans le rôle du fanfaron. Mais l’effondrement de sa vie personnelle comme de sa santé malmenée, a eu raison de cette façade : sur Meteorites (sortie le 26 mai), c’est un McCulloch sonné et introspectif que l’on retrouve, la voix indemne. Enfin. bunnymen.com

On s’offre un dérisoire prétexte – la réédition en vinyle de Wolf City (1972) – pour se replonger dans la musique cosmique, parfois pompeuse et souvent pompée depuis (M83 en tête), de ces chevelus allemands, qui servent chaque été de BO alors qu’on est tranquillement allongé dans l’herbe à contempler les pluies d’étoiles. amonduul.de

vintage

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Ghostpoet

musique au logis Maison des jeunes est le dernier album collégial, au Mali, de Damon Albarn et de son collectif Africa Express : entre refuge et laboratoire, une compilation vraiment réussie.

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l y a un an, la chanteuse tombouctienne Khaira Arby, en exil à Bamako, évoquait la situation dramatique de ses proches restés au Nord. Notamment celle de ses musiciens qui, le 1er avril 2012, jour où les djihadistes s’emparèrent de sa ville, fuirent en brousse pour enterrer leurs instruments. Toute musique étant haram (illicite) pour les adeptes de la charia, leur vie en dépendait. S’il ne fallait s’intéresser qu’au seul contexte, Maison Des Jeunes serait déjà un événement. Au lendemain d’un conflit dont les braises restent actives, une dizaine d’artistes originaires de Tombouctou (comme

un échange authentique, une succession d’instants intelligents, épanouis, parfois visionnaires

Songhoy Blues) ou d’ailleurs, tous reflétant une part de cette diversité qui fait du Mali un confluent culturel d’une rare fécondité, se retrouvent sur un même album, à l’initiative de Damon Albarn. L’ancien chanteur de Blur et de Gorillaz n’en est pas à son coup d’essai africain. En 2002, il inventait le concept de journal de bord musical avec Mali Music, bricolé au cours d’un premier voyage au moyen d’un laptop. Depuis, il a monté la tournée Africa Express et renouvelé au Congo l’expérience du disque collégial conçu sur place en quelques jours. En octobre dernier, il retourne à Bamako accompagné d’une poignée de good fellows dont Brian Eno, Nick Zinner de Yeah Yeah Yeahs, Olugbenga Adelekan de Metronomy et le chanteur Ghostpoet… La petite troupe prend ses

quartiers à la Maison des Jeunes de Bamako, version malienne de nos défuntes MJC, où commencent à affluer des artistes sans pedigree au regard de ce que pèsent les toubabs (les Blancs). Quelques répétitions plus tard, des collaborations se dessinent, un répertoire se met en place et ce qui (au vu des conditions aléatoires de quasi-improvisation) aurait pu tourner au concours de branlette bicolore sous les manguiers, se change en petite corne d’abondance. Il y avait du pari casse-gueule dans cette entreprise transcontinentale, celui d’une alchimie forcée, d’un speed-dating foiré. Maison des jeunes nous convie en réalité à un échange authentique, une succession d’instants intelligents, épanouis, parfois visionnaires. Les attelages, bien que

hâtivement composés, fonctionnent, révèlent à chacun une approche de l’autre sensible et imaginative. Parmi les plus évidentes réussites de ce florilège figure la performance de Bijou, chanteuse du groupe Tchoundé Blu, qui sous la patte sans surcharge d’Albarn producteur se fend d’une magnifique complainte habillée de quelques strates de synthé et d’une simple sanza. Il y a le bagout lancinant de Ghostpoet qui roule la mélancolie de Season Change sur le bois des tambours envoûtants de Doucoura. Il y a cette reprise du Yamore de Salif Keita par Kankou Kouyaté (nièce de Bassekou Kouyaté) qui, tout en évitant l’hystérie vocale dont se gargarisent trop souvent les griottes, conserve puissance et émotion. Et puis encore ce Rapou Kanou du rappeur Tal B Halala, qui balance un flow d’une poignante véhémence “scénarisée”, plus que sonorisée, par le producteur londonien Two Inch Punch. Entre Soubour, boogie nordiste de Songhoy Blues, et Denko Tapestry, instrumental endiablé produit par un Brian Eno œuvrant a minima, c’est un interventionnisme technologique respectueux de la singularité de chacun qu’abrite cette Maison des jeunes, envahie par la lumière de miel comme par l’âcre odeur de charbon brûlé de la ville. De l’anti-world-music en quelque sorte, pour un recueil qui pourrait faire date. Francis Dordor album Africa Express Presents Maison des jeunes (Transgressive/Modulor) lamaisondesjeunes.tumblr.com 30.04.2014 les inrockuptibles 77

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Misophone Lost at Sea Another Record

Jamaica Ventura Pias-Coop Les Parisiens explosent les frontières des styles : le rêve américain n’est plus un fantasme. resque quatre ans après d’une pop soignée, nerveuse, No Problem, Jamaica revient distinguée et rugueuse. Autant avec Ventura, un deuxième de fréquences contradictoires que album de classe, introduit l’on retrouve sur Ventura, nouvel par un clip plutôt malin. Comme album en partie enregistré à en 2010 avec le tube I Think I Like Los Angeles en compagnie de Peter U 2 clippé par So Me, la vidéo Franco. “Quand on a débarqué, il de Two on Two exagère la notoriété sortait tout juste de l’enregistrement du groupe parisien. On y suit de Random Access Memories. la démence fanatique d’un ado Les Daft ont d’ailleurs été d’une capable de toutes les folies pour gentillesse extrême car ils nous son groupe favori, jusqu’à se ont prêté du matériel sur place. Par faire tatouer les deux visages de exemple, la guitare à double manche Jamaica en plein milieu du dos. du clip de Robot Rock figure sur Antoine Hilaire et Florent Lyonnet tout notre album ! Ça fait toujours ont monté le groupe au milieu des du bien qu’un groupe français années 2000. C’était la belle époque cartonne à ce point-là. En plus, de MySpace, qui a accompagné les mecs font ce qu’ils veulent de A à les premiers pas d’artistes qui Z depuis le début.” comptent dans la France cool de Avec des tubes en puissance 2014 (Justice, The Shoes, comme All Inclusive, High Then Low, Kavinsky…). Antoine, la voix et la Ricky ou Houdini (un hommage guitare de Jamaica, se souvient : à Kaaris ?), les deux Parisiens “Personne ne se rendait vraiment semblent s’inspirer de l’honnêteté compte de la portée de MySpace. de leurs aînés pour continuer Les pages étaient très consultées mais à proposer une musique qui leur ça ne nous empêchait pas de publier ressemble. Au fil de l’album, des commentaires qui allaient super des riffs de métalleux chassent loin. Je me souviens avoir posté des l’écho de mélodies graciles trucs horribles sur les profils de potes et on se prend à imaginer la qui avaient des groupes très suivis. Jamaïque sous d’autres latitudes. Et puis les photos étaient crades sur Quelque part entre Phoenix et MySpace, j’aimais bien ce côté un peu les Strokes, Versailles et New York. Azzedine Fall dégueulasse dans l’identité visuelle.” A l’époque, Jamaica s’appelle encore Poney Poney et son logo concerts le 17 mai à Bruxelles animé rouge vif clignote sur les (Les Nuits du Botanique), pages web à la mode, comme pour le 17 juillet à Biarritz (Big Festival) ithinkilikejamaica.fm annoncer les courants alternatifs

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Retour des doux anglais excentriques, tombés du cosmos en pleine mer. Décidément, les titres d’albums de ces farfelus Anglais ne mentent pas sur le contenu : un précédent s’appelait I Sit at Open Windows et effectivement, le duo semblait émerveillé à la fenêtre, les yeux rouges et vagues, contemplant avec félicité un convoi d’éléphants roses – et même des noirs, tant ce folk psychédélique faisait parfois un peu peur. Et avec Lost at Sea, on le retrouve ainsi totalement largué, perdu en mer – mais elle est d’huile. Pour tromper l’ennui, le duo sort des guitares électriques foldingues pour draguer les sirènes, fait du surf sur le vague à l’âme, enseigne des chansons d’Eels aux perroquets bariolés, se souvient du folklore des tavernes en sifflant du rhum de contrebande. Cette fois, la croisière s’amuse, quitte à virer, sur l’étonnant Broken Radio par exemple, dans une folie furieuse, un grotesque effréné. L’isolement, sans doute. JD Beauvallet myspace.com/misophone

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Johnny Cash Legacy/Columbia

Parmi des rééditions déjà affolantes, un trésor inédit de l’homme en noir. a décennie 80 est pour Johnny Cash celle de la mouise, dans laquelle il s’enlise après des années 70 déjà vaseuses. Inspiration en berne, ventes en chute libre, changements de label : il devra attendre les années 90 et la série des American Recordings, avec Rick Rubin, pour une ultime renaissance et plusieurs résurrections (trois volumes sont parus après sa mort). Ces disques bien connus sont aujourd’hui réédités en vinyle, et c’est une grande émotion de les réécouter à la suite, comme des chefs-d’œuvre en péril, un chemin de musique à travers la désagrégation, l’amenuisement et la maladie, vers l’agonie,

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Johnny Cash et son fils, John Carter

Jim Marshall

Out Among the Stars ; American Recordings vol I-VI ; Unearthed

avec l’assurance de la mort au bout. Dans la même série, la réédition du coffret 5 CD Unearthed (sorti en 2003) est tout aussi indispensable : un monument au mort, qui présente trois disques de titres inédits issus des sessions avec Rubin, un album de gospel intime et une compilation. Tout cela est beau et bien, mais on le savait déjà. La vraie surprise, c’est Out Among the Stars, un album d’inédits enregistrés dans des studios de Nashville en 1981, et à L. A. en 1984. On est loin de l’esthétique folk, dépouillée, des American Recordings. Plutôt sur la route droite de la country orchestrée, formatée à la mode de l’époque, commerciale et sans surprises,

mais digne. Pour l’époque ingrate, c’est plutôt un bon cru, où l’on retrouve June Carter, Waylon Jennings, et surtout la voix zen et mâle de Johnny Cash. Un de ses disques à laisser dans la voiture, pour tracer la route des vacances au soleil. Et à la rentrée, on pétitionnera pour la réédition du vrai trésor caché de la discographie posthume de Johnny Cash : le double CD de 2006 Personal File – une cinquantaine de chansons enregistrées à domicile, entre 1973 et 1983, qui préfigurent la bouleversante intimité des American Recordings. Stéphane Deschamps johnnycash.com

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Broken Twin

Philippe Levy

May ANTI-/Epitaph/Pias Une collection de chansons sans âge sublime le (prin)temps présent. Philharmonics d’Agnes Obel, If Beauty Is a Crime de Mi & L’Au, Somewhere Else d’Indians… Les grands albums mélancoliques, pour ne prendre que ceux d’origine danoise, basculent régulièrement l’auditeur dans l’introspection. C’est ce qui rend May, premier album lustral de Broken Twin, éblouissant : ce mélange de pop solennelle et de piano boisé, tandis que le chant, d’une douceur menaçante, fantasme des veillées funèbres pleines de poésie. Et de poésie, fragile ou crépusculaire, glaciale ou hantée, il en est beaucoup question dans ces chansons d’un autre temps, en germe depuis trois ans et ingénieusement mixées par Ian Caple (Kate Bush, Tindersticks…). On pense particulièrement aux délicates Roam et No Darkness ou à la faussement rêveuse In Dreams, qu’aurait pu chanter Hope Sandoval. Sun Has Gone, prévient le single : s’il dit vrai, alors May constitue un formidable refuge. Maxime Delcourt brokentwin.com

Tuxedomoon Pink Narcissus Crammed Discs/Wagram Après une pause, les légendes californiennes relancent les aventures soniques. enus du Mexique, d’Athènes, de Bruxelles ou de New York à la demande de L’Etrange Festival, les membres du quatuor californien en sommeil depuis sept ans se sont retrouvés à Paris en 2011 pour l’interprétation unique et en direct de la musique de Pink Narcissus, film érotique gay du photographe James Bidgood – dont le sens des couleurs saturées trouve un écho évident dans les œuvres de Pierre et Gilles. L’entreprise, baroque à plus d’un titre, génère une suite onirique en douze articulations, dans laquelle s’insinuent les marques de fabrique du groupe : unissons de la trompette et du saxophone, lamento rêveur du violon, et sombre pulsation de la basse. Et, se jouant comme à l’accoutumée des genres et autres étiquettes (de la musique latine à la no-wave, en passant par la musique savante européenne, ou l’école des répétitifs américains), le groupe offre une nouvelle aventure musicale, crissante et soyeuse à la fois. Christian Larrède concert le 20 septembre à Paris (Café de la Danse) tuxedomoon.net

Majke Voss Romme



The Men Tomorrow’s Hits Sacred Bones/Differ-ant Les punks de Brooklyn se lancent dans le classic-rock : de grands hommes. Chez un disquaire, avec une impossible de laisser pensée pour Nick Hornby, une telle fureur engoncée. on se plante devant le Ils font vite craquer vendeur et on lui demande, les coutures dans une penaude, le titre de la cacophonie savamment chanson qui passe : Going orchestrée. Ici, le saxo Down, épilogue cinglant de papa est plein de rouille de ce cinquième album et de postillons, l’harmonica de The Men. Héritiers se joue strident, le piano de l’euphorie des Buzzcocks se martèle jusqu’à et des explosions des l’épuisement des phalanges. Replacements, ces punks “Les hymnes de demain”, ont mis leurs habits annonce le titre : promesse du dimanche pour tenue. Noémie Lecoq s’essayer aux hymnes wearethemen.blogspot.fr springsteeniens. Pourtant,

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The Hacker Première partie sombre et belliqueuse d’un diptyque qui se terminera en septembre. Un an après Miss Kittin, De fait, ils dégagent The Hacker livre un nouvel une telle sensation de album solo – sur Zone puissance, à commencer Music, le label qu’il codirige par le vrombissant Clear avec Gesaffelstein. Celui-ci et l’hypnotisant Parallel s’avère encore plus probant Universe, que l’on voit mal que celui de son ancienne quel dance-floor pourrait partenaire de jeu. Clin leur résister. On attend d’œil au sulfureux écrivain avec impatience la moitié américain – sous forme Love, qui s’annonce plus d’un jeu de mots anglodouce mais, espérons-le, allemand (“Kraft” signifiant tout aussi imparable. Jérôme Provençal “force” ou “puissance” dans la langue de Michael Mayer) –, l’album Love/Kraft concerts le 2 mai au Creusot (Les Giboulées), le 10 à Rennes se dévoile en deux temps : (Rock’n’Solex), le 12 juillet cinq morceaux sortent à Aix-les-Bains (Musilac), maintenant en digital, le 17 à Biarritz (Big Festival) et cinq autres – toujours soundcloud.com/the-hacker en digital – en septembre. Le tout faisant alors l’objet d’une édition physique également. Correspondant à la moitié Kraft de l’album, les cinq premiers titres en reflètent la face sombre et énergique.

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Georgie Craw

Love/Kraft, Part One Zone Music

Tiny Ruins Brightly Painted One Bella Union/Pias Coop Frêles et habitées, ces folk-songs sont des amies précieuses. oilà trois ans que Tiny Ruins est sur les routes, assurant les premières parties de Beach House, de Joanna Newsom ou des Fleet Foxes. Brightly Painted One est donc un album que la Néo-Zélandaise d’adoption, désormais accompagnée par un batteur et un bassiste, a enregistré en mouvement, y bricolant des mélodies folk plus envoûtantes qu’extravagantes, en équilibre constant entre la sérénité et la pénombre. Comme sur Carriages et Night Owl, deux ritournelles à la belle sensibilité. M. D.

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concert le 19 mai à Paris (Trois Baudets) tinyruins.com

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Adrien Landre

la découverte du lab Grand Blanc Issus de la diaspora messine, ces fans de new-wave n’en présentent pas moins une vision contemporaine. lin d’œil à Petite Noir, ou pied de nez aux requins, Grand Blanc évoque le froid et les plaines arides. Pourtant, Grand Blanc est bien habité par la vieille Europe : Bashung, Christophe ou encore Taxi Girl. “Ce qui nous intéresse chez eux c’est qu’ils écrivaient des chansons de leur temps, ils cherchaient de la musique vraiment contemporaine et actuelle pour faire leurs chansons.” Et ils n’ont pas attendu La Femme ou Fauve – dont ils ont assuré la première partie au Bataclan – pour composer en français et se faire une place dans le paysage. “Messins mais pas français”, comme le dit ironiquement Noir Boy George – autre protagoniste de cette scène lorraine (Portland, MWTE…) –, ce quatuor prend autant ses racines dans la new-wave de Manchester, la techno de Chicago que le hip-hop de NYC. Sautant les frontières, cette bande de trois garçons et une fille se retrouve sur les bancs parisiens avec boîte à rythmes, claviers et pédales d’effet. Remarqué par Entreprise (branche francophone de Third Side Records), Grand Blanc prépare un premier ep qui sortira à la rentrée. A retrouver en concert le 31 mai à Montauban et dans leur Lorraine natale, à Bulligny, le 7 juin. Abigaïl Aïnouz

Rafa Galan

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Lisa & The Lips Lisa and the Lips Vicious Circle En marge des BellRays, Lisa Kekaula continue de secouer la soul, qui gémit. roupe récréatif Casting bien pratique si l’on (après The Now Time considère que ces chansons Delegation) ou nouvelle (de somptueuses ballades incarnation des BellRays ? climatiques aux déboulés en horde Assurément en droite lignée de sauvage) prennent à chaque cette tradition qui offrit Tina Turner mesure les belles couleurs d’une à une humanité reconnaissante, nostalgie 70’s. D’un Hammond le nouveau groupe de Lisa charnu à ces guitares pointillistes Kekaula et Bob Vennum, brigade ou serpentines, parfois enrobées internationale dans laquelle d’une wah-wah délicieusement s’agitent un Suédois (le claviériste connotée, vibre l’électricité de Diamond Dogs, Henrik d’une époque qui sut faire bouger Widén) et quelques Madrilènes, les lignes entre funk, rock et soul. Christian Larrède se paie surtout le luxe de la pompe roborative d’une section lisaandthelips.com de cuivres au grand complet.

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livre

It’s Not Only Rock’n’Roll de Catherine Viale et Mathias Moreau

Editions Intervalles, 240 pages, 29 € en écoute sur soundcloud.com/grndblnc

retrouvez toutes les découvertes sur lesinrockslab.com

Un livre passionnant donne la parole aux musiciens et à leurs démons. “Mais je digresse !”, sujets du livre : le sens de diplômes. Plutôt s’exclame Micah P. Hinson de la vie, le sacré, les les musiciens aimés et dans le chapitre qui lui est mécanismes de l’inspiration amis, Français maquisards consacré. Et c’est justement et de la création, le bonheur, du rock’n’roll et baroudeurs ce qui est bien avec ce livre : la confrontation à des du rock américain en bottes la possibilité donnée à une concepts philosophiques pointues. On regrettera soixantaine de musiciens et religieux. Les auteurs, juste l’absence au de s’exprimer (sous forme de tous deux liés au vénérable sommaire de Bertrand propos recueillis) posément magazine bordelais Belin ; il aurait fait un bon et en liberté, en dehors des Abus dangereux, n’ont pas client. Stéphane Deschamps entretiens promotionnels cherché les forts en thème, editionsintervalles.com minutés et formatés. Vastes les vedettes ou les bardés

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Angel Ceballos

Protomartyr Under Color of Official Right Hardly Art/Pias

Rugueux, violent et glacial : du rock américain qui n’a pas la fête en tête. ntre cités au riche passé des cavernes via les garages. industriel, c’est un jumelage Il faut écouter Scum, Rise! ou Want logique : les allers-retours Remover pour sentir au plus près sont nombreux entre Detroit cette pulsation élémentaire et Manchester. L’Haçienda offrit du rock, sa brutalité sans fond, une tête de pont à la techno, sa noirceur sans élégance : Joy Division se nourrit de Stooges, le rock d’avant l’entertainment. et aujourd’hui, c’est ce son austère, Plus proche en ce sens, pour rester méchant et bilieux du début à Manchester, des explosions de des années 80 mancuniennnes pus de The Fall que des tourments qu’adoptent les Américains de Joy Division, Under Color de Protomartyr. Adoptent et of Official Right est au postpunk déforment : leur label Hardly Art ce que La Route de Cormac n’a jamais aussi bien porté son McCarthy est à la postapocalypse : nom, tant le groupe du colossal un témoignage accablant sur Joe Casey oppose aux perspectives un monde cramé, déshumanisé. arty de la scène anglaise d’alors Detroit, dit-il. JD Beauvallet une vraie barbarie, un dégoût, facebook.com/protomartyr une morgue qui remontent

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Milagres Violent Light Memphis Industries/Pias

Ces New-Yorkais culottés ne confondent pas grandeur et grandiloquence. Toujours à deux doigts de la grandiloquence, à trois fois rien de glisser dans le grand n’importe quoi de la pop de stade, les New-Yorkais de Milagres réussissent, depuis trois albums maintenant, un vrai petit exploit : savoir contrôler leur émoi, toucher les cœurs sans brader les larmes, explorer

sans cynisme l’esthétique musicale de l’émotion. Et si beaucoup ont depuis longtemps perdu pied dans ce registre (on pense évidemment à Coldplay, Muse, The Killers…), eux savent continuer à s’inspirer des meilleurs exemples de longévité : il y a du Radiohead dans le poignant Column of Streetlight, du Strokes

dans certaines intonations du single Jeweled Cave, et même du Sigur Rós dans les souffles profonds de Sunburn ou Idnyl. Pour ceux qui douteraient encore, on rappelle ce détail : milagres veut dire “miracles” en portugais, la langue de la saudade. Maxime de Abreu milagresmusic.com 30.04.2014 les inrockuptibles 83

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Blair Patterson

ep John & The Volta Empirical Extended ep

Will Stratton

TALK!

Gray Lodge Wisdom Talitres/Differ-ant

Un maxi enrichi de remixes : version améliorée de la tristesse. Après la sortie remarquée de leur premier ep Empirical, qui les avait emmenés en finale du concours inRocKs lab 2013, les Bordelais de John & The Volta font un retour inattendu, en invitant des artistes à les remixer. Cette pop sensible, tout en retenue et élégance, est ici retravaillée et agitée en une sauce spleenmasala, épicée et sensible à la fois. Paralyzed décolle ainsi vers la quatrième dimension, avec la version de l’Anglais Hotel International pendant que celle du Belge Piano Club se rapproche de la piste de danse. Lover’s Eyes ne fait plus déborder les lacrymales mais rentrer en transe Thom Yorke, grâce à une version transfigurée du Bordelais Cargo. Chahutant Ghost rythmé de percussions tribales, l’autre guest bordelais de ce disque, Dorian And The Dawn Riders, réveille des fantômes afro-pop jusque-là méconnus chez John & The Volta.

Amis des ménestrels américains, cette merveille est pour vous. ’est une Amérique oubliée, celle de troubadours aux destins hasardeux et au songwriting romanesque, que raconte cet album endimanché de mille cordes. Celle des David Ackles, Tim Hardin ou Fred Neil, tous ces héros des aubes qui n’en finissent pas, ces conteurs merveilleux des tourments, ces guitaristes qui, avec six ou douze cordes, réussissaient à rendre joyeuse, tintinnabulante, leur mélancolie. “Shall I go to California or shall I stay East?”, chante ce proche de Sufjan Stevens, qui, à 27 ans, semble avoir connu tous les malheurs et toutes les rédemptions, visité toutes les crevasses et tous les rêves. Littéralement : l’album a été composé alors qu’il luttait contre un cancer vorace. L’issue, joyeuse, de cette guerre explique sans doute la sérénité, voire la nonchalance de ce folk somptueusement mis en son par le compositeur et arrangeur Nico Muhly (Grizzly Bear, Antony, Björk…). A son interrogation, on lui répond de ne surtout pas bouger, tant la vue, depuis ce sommet, coupe le souffle et laisse jaillir une lumière vive, chaude et bienfaisante, celle d’un arcen-ciel miraculeux. JD Beauvallet

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concerts le 29 mai à Poitiers (Confort Moderne), le 30 à Paris (Trois Baudets) willstratton.com

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dès cette semaine nouvelles locations en location retrouvez plus de dates de concerts dans l’agenda web sur inRocKsLive.com

Les 3 Elephants du 23 au 25/5 à Laval, avec Acid Arab, Fauve ≠, Détroit… ALB 20/5 Paris, Maroquinerie Damon Albarn 5/5 Paris, Alhambra Art Rock Festival du 6 au 8/6 à Saint-Brieuc, avec Casseurs Flowters, Foals, Benjamin Clementine… Black Lips 26 et 27/5 Paris, Nouveau Casino Boom Bap Festival du 3 au 11/5 à Reims, avec Another Pixel, Lorsonik… Brian Jonestown Massacre 20/5 Lille, 21/5 Paris, Bataclan, 22/5 Rouen, 23/5 HérouvilleSaint-Clair, 24/5 Brest, 25/5 Nantes Cat Power 26/5 Nantes, 27/5 Mérignac, 29/5 Toulouse

Chinese Man 2/5 Tournefeuille 3/5 Talence 7/5 Nancy 9/5 Dijon 10/5 Rouen 16/5 Caluireet-Cuire 17/5 Montpellier 21/5 Lille 23/5 SaintHerblain 24/5 Paris, Zénith Benjamin Clementine 19/5 Paris, Cigale Coming Soon 6/5 Paris, CentQuatre, 14/5 Strasbourg Mac DeMarco 16/5 Paris, Trabendo, 17/5 Nantes, 18/5 Saint-Josse Détroit 6/5 Eschsur-Alzette 7/5 Lausanne 8/5 Amiens 13/5 Caen 14/5 Lille 15/5 Bruxelles 19/5 Mérignac 20/5 Toulouse 21/5 Marseille 27 et 28/5 Nantes 29/5 Mérignac du 1 au 6/6 Paris, Cigale 27/6 ClermontFerrand Fair : le tour jusqu’au 24/5 dans toute la France, avec Rocky, Griefjoy, etc. Flight Facilities 1/5 Toulouse, 2/5 Bordeaux, 3/5 Paris, Showcase Fuck Buttons 29/5 Paris, Machine du Moulin Rouge Future Islands 12/5 Paris, Trabendo 13/5 Metz

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Festival des Giboulées du 1 au 3/5 au Creusot, avec The Hacker, Isaac Delusion, Nasser… The Horrors 15/5 Paris, Gaîté Lyrique Les Indigènes du 29/5 au 5/6 à Nantes avec Liars, Money, Hanni El Khatib… Jungle 06/5 Nouveau Casino, Paris 25/5 Saint-Josse 28/5 Tourcoing Kelis 12/5 Paris, Gaîté Lyrique Klaxons 12/5 Paris, Maroquinerie

sélection Inrocks/Fnac Amatorski à Paris Le groupe belge Amatorski jouera à la Flèche d’Or ce vendredi. Son nouvel album From Clay to Figures regorge de trouvailles ouatées, de mélodies aériennes et de guitares cristallines, Le quatuor viendra défendre sur scène son approche lo-fi, acoustique et romantique de la musique qui a donné naissance à un genre nouveau : le “trip pop”.

Le1f 13/5 Paris, Gaîté Lyrique Emily Loizeau 6/5 Rouen, 16/5 Auxerre, 17/5 Thionville, 19/5 Paris, Théâtre Dejazet Miossec 6/5 Martigues Nuits sonores du 28/5 au 1/6 à Lyon, avec Agoria, Black Lips, Suuns… Owen Pallett 23/5 Paris, Maroquinerie Primavera Sound Launch Party 10/5 Paris, Machine du Moulin Rouge, avec Ame, Nathan Fake… Rock This Town du 13 au 24/5 à Pau, avec Cocktail Bananas, Sister Cookie… Safiko Festival du 23 au 25/5 à Saint-Pierre, La Réunion avec Stromae, Nasser, Iza, Tamikrest… Schoolboy Q 6/5 Paris, Bataclan, 7/5 Strasbourg, 12/5 Lyon Sam Smith 07/5 Paris, Trabendo Son Lux 22/5 Lorient 24/5 Saint-Josse 26/5 Paris, Café de la Danse 27/5 Strasbourg 28/5 Metz 1/6 Gennevilliers Jon Spencer Blues Explosion 20/5 Reims 21/5 Cognac 26/5 Paris, Machine du

Moulin Rouge 28/5 Annecy Talisco 25/5 Magnyle-Hongre, 6/6 Mérignac, 8/6 Maubeuge Tambour Battant 21/5 Paris, Nouveau Casino This Is Not

a Love Song du 29 au 31 mai à Nîmes, avec Acid Arab, Daniel Avery, Jungle… Weather Festival du 6 au 9/6 en Ile-de-France, avec DJ Deep, Mount Kimbie, Ben Klock…

Weekend des curiosités du 22 au 25 mai à Toulouse, avec Acid Arab, Fakear… We Love Green du 31/5 au 1/6 à Paris, parc de Bagatelle, avec Lorde, Foals, etc.

sélection Inrocks/Fnac Flight Facilities à Toulouse Le duo australien Flight Facilities n’a pas encore sorti d’album qu’il nous a déjà conquis avec son électronique pop et cotonneuse. Quelques maxis, dont le dernier Stand Still avec Micky Green, ont suffi à nous ensorceler. A découvrir au Bikini, ce jeudi 1er mai.

aftershow Sohn le 19 avril à Paris (Nouveau Casino) Tout commence dans le noir, et si la scène du Nouveau Casino s’éclaire au fur et à mesure des morceaux, le visage de Sohn reste caché sous sa capuche durant presque tout le concert. Sur scène, il est surélevé et entouré de néons qui parcourent petit à petit tout le spectre lumineux, accompagnant la montée en puissance du live. Il égrène ses ritournelles de soul électronique avec douceur et malgré quelques manières, le chanteur livre une performance d’une technicité impressionnante. Sa voix provoque bien souvent des frissons tant elle est maîtrisée. Sur des instrumentations proches des versions studio, le Viennois d’adoption truste les aigus, module son chant et ose même des vibes r’n’b en fin de concert. C’est bien cette voix qui guide les machines et délivre une dose de tendresse sur des boucles, des nappes et des chœurs tournoyants. On frôle parfois la coquetterie mais les derniers morceaux, et notamment le rappel avec Artifice et The Wheel, nous montre les capacités d’un chanteur libéré de ses poses et de sa réserve. Un chaman qui amène la dose d’humanité qu’il manquait aux musiques électroniques. Quentin Monville

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Sagan pour toujours Son goût pour la liberté, les autres, le bonheur : toute la “philosophie” Sagan dans des entretiens rassemblés comme s’ils n’en formaient qu’un. Je ne renie rien : une bouffée d’oxygène et d’intelligence.

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arfois, ce sont les morts qui semblent être les plus vivants. A l’occasion des 60 ans de la parution de Bonjour tristesse, et des dix ans de sa mort, Stock rassemble sans césures certains des entretiens de Françoise Sagan, réalisés entre 1954 et 1992, comme s’il s’agissait d’une seule et longue interview. Certains thèmes (la littérature, l’amour, l’argent, la mort) se répètent dès lors, et on a l’étrange impression de voir la pensée de Sagan se déployer à la manière d’un kaléidoscope : des variations, des approfondissements, mais avant tout une même image comme une fidélité à soi-même. On les lit d’une traite, émerveillés par la “philosophie” Sagan : son goût du bonheur, qui se construit et se manifeste chez elle par une bienveillance pour ses contemporains, une humilité

vis-à-vis d’elle-même, un refus de juger l’autre, un rejet de toute forme de fixité (les déménagements constants, l’argent qui doit circuler, donc qu’elle donne à ceux qui en ont besoin par brassées, un refus de s’attacher aux objets), un humour à toute épreuve. De sa légende, elle disait qu’elle l’avait portée comme une voilette… “Ce masque délicieux, un peu primaire, correspondait chez moi à des goûts évidents : la vitesse, la mer, minuit, tout ce qui est éclatant, tout ce qui est noir, tout ce qui perd, et donc permet de se trouver. Car on ne m’ôtera jamais l’idée que c’est uniquement en se colletant avec les extrêmes de soi-même, avec ses contradictions, ses goûts, ses dégoûts, ses fureurs, que l’on peut comprendre un tout petit peu, oh, je dis bien un tout petit peu, ce que c’est que la vie. En tout cas, la mienne.” Et très vite, de la fête : “La fête est une chose

Anne Berest et Françoise Sagan Le fils de Sagan, Denis Westhoff, a demandé à Anne Berest d’écrire sur Bonjour tristesse et sur 1954, de reconstituer la jeunesse de Sagan et l’époque dans laquelle ce premier roman est devenu un mythe. Née en 1979, Anne Berest, déjà auteur de deux romans, a livré une version subjective de cette période, celle d’une jeune romancière

d’aujourd’hui, entremêlant à la vie de Sagan sa propre vie au présent en train d’écrire le livre. Très vite, le texte rend hommage à la protection symbolique que lui offre l’œuvre de Sagan et lui permet d’affronter une étape difficile de sa vie (une rupture). Un pari risqué mais plein de charme. Sagan 1954 d’Anne Berest (Stock), 198 pages, 18 €

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Denis Westhoff

secrète, sacrée et sacrilège. La fête ne se fait pas avec des plumes dans une boîte de nuit, elle se fait dans le noir avec quelqu’un.” On disait qu’elle vivait en bande, ne se sentait bien que très entourée. A travers ces entretiens, Sagan révèle que ses vraies nécessités sont la solitude, l’indépendance, l’intimité avec elle-même, ces espaces où l’imagination peut se déployer et sauver l’être des doxas de son temps – l’obligation au bonheur, au sexe, à la performance professionnelle, aux embouteillages, à l’abrutissement de la télévision, bref, à la société. La liberté, c’est l’espace et le temps, ces luxes qui permettent d’échapper à la promiscuité, et d’avoir des jours ou des nuits devant soi, pour rêver, penser, imaginer, se forger un esprit, savoir qui l’on est, ce que l’on désire. Il y a, souvent et longuement évoquée, l’écriture, qui nécessite temps et espace, et qui l’affranchit de tout : “Un but passionnel et inaccessible – un but, malgré ou grâce à cela, toujours désirable. L’écriture, c’est imaginer ce que savait notre moi. Ecrire est la seule vérification que j’aie de moi-même. C’est, à mes yeux, le seul signe actif que j’existe, et la seule chose qu’il me soit très difficile de faire. (…) Si je n’écrivais plus, la vie serait différente, je n’aurais plus envie de trouver les mots qui correspondent à ce que je sens, je n’aurais même plus envie de comprendre ou de connaître, la vie serait morte.” Et plus loin, quand on lui demande de définir l’écriture : “Inventer ce qu’on savait déjà…

“la vie plane, le contentement, ce n’est pas la vie pour moi” Rassembler toutes nos faiblesses, celles de l’intelligence, de la mémoire, du cœur, du goût et de l’instinct, comme si elles étaient des armes… Et les jeter à l’assaut de ‘rien’, du blanc papier que notre imagination nous propose sans cesse.” Sagan, c’est une intelligence fulgurante, une poésie permanente, une bonté désarmante, une capacité si rare à se mettre à la place d’autrui : tout ce qui fait un grand écrivain, qui aura pourtant passé sa vie à ne pas en revêtir l’uniforme, à se défier, aussi, de la fixité de ce cliché-là. Est-ce le fait de s’être crue mourir plusieurs fois, qui lui aura conféré cette jolie distance, ou le fait de son “pessimisme”, comme le suggère un intervieweur : “La vie plane, le contentement, ce n’est pas la vie pour moi. J’ai déjà dit que la vie est une sinistre blague. Cela ne veut pas forcément dire que je ne sois pas optimiste. Sinistre, c’est le drame, et blague, c’est ce qui est amusant. Un drame amusant, c’est ça la vie, non ? J’ai acquis une lucidité gaie devant l’absurdité de l’existence.” Nelly Kaprièlian Je ne renie rien – Entretiens 1954-1992 (Stock), 256 pages, 19 € 30.04.2014 les inrockuptibles 87

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Raphaële Eschenbrenner Exil à Spanish Harlem

Yechiel Yanai

Seuil, 128 pages, 15 €

le rire face au vide Première incursion dans la veine autobiographique pour l’Israélien Etgar Keret. Une chronique douce-amère de sa vie à Tel-Aviv, entre Kafka et Seinfeld.

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e titre serait-il ironique ? En feuilletant rapidement 7 années de bonheur, le nouveau livre de l’Israélien Etgar Keret, on peut avoir l’impression qu’il n’est question que de tirs de roquettes, d’attentats-suicides, de guerre et de destruction. Et pourtant, même si l’on sent peser à chaque instant “le lourd nuage existentiel, noir de peur”, on rit quasiment à chaque phrase. Pas d’un rire jaune ou crispé, non. D’un rire franc, spontané, irrépressible. Scénariste de BD, réalisateur et auteur de plusieurs recueils de nouvelles, dont La Colo de Kneller et Au pays des mensonges, Etgar Keret s’aventure pour la première fois sur le terrain du récit autobiographique. Pour se raconter, il a préféré écrire en anglais plutôt qu’en hébreu. Une façon de mettre un peu de distance avec sa propre histoire par le biais d’une langue étrangère. Keret retrace donc sept années de sa vie à Tel-Aviv, de la naissance de son fils, qu’il compare tour à tour à Bouddha, Chucky ou à un criminel de guerre en puissance, à la mort de son père. Il ne s’agit pas d’une autobiographie linéaire, mais d’une succession d’histoires qui s’enchaînent comme des sketches. L’auteur se dépeint en type maladroit, un peu ridicule. Aux anecdotes futiles se mêlent des réflexions

plus graves, mais elles aussi passées au filtre comique, voire surréaliste. Comme lorsque Keret aborde l’antisémitisme : alors qu’il déjeune dans un restaurant en Bavière, il est persuadé d’entendre un ivrogne hurler “Juden raus”. Il se lève, menace l’homme, fait un esclandre, avant de réaliser qu’il a mal compris. Seulement, parfois, il n’y a pas d’erreur de compréhension. Quant aux menaces d’attaques nucléaires iraniennes sur Israël, elles deviennent un bon prétexte pour ne plus faire la vaisselle. Sans jamais tomber dans le mélo, certains passages se révèlent profondément émouvants (tel l’épisode à Varsovie, terre natale de ses parents, survivants de la Shoah), et ce mélange de tons fait toute la saveur de ces 7 années de bonheur qui offrent aussi une image contrastée de la société israélienne, montrant sa violence et ses incohérences. Keret écrit qu’il ne faut “jamais renoncer à trouver un angle qui mette la laideur sous un meilleur éclairage”. En mixant l’absurdité kafkaïenne à l’humour de la série Seinfeld, Etgar Keret exécute parfaitement ce programme et nous livre deux cents pages de bonheur. Elisabeth Philippe 7 années de bonheur (Editions de l’Olivier), traduit de l’anglais par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso, 208 pages, 18 €

Immersion nonchalante dans le New York exaltant et un peu glauque des eighties. C’est l’époque où les filles veulent avoir “un look d’enfer et un sourire qui flashe”, où l’on danse au CBGB et où l’ombre du sida commence à planer. Avec Exil à Spanish Harlem, livre inspiré de sa propre expérience de jeune Française à Manhattan, Raphaële Eschenbrenner nous plonge dans le New York des années 80. Son héroïne s’appelle Corinne – prénom qui lui-même fleure bon les eighties. Corinne vit avec Spike, son amant, musicien dans un groupe de rock baptisé les Creepy Fries, et Brad, un coloc un peu paumé et fan de muscu. Serveuse récalcitrante, réceptionniste larguée dans une agence de voyages, elle enchaîne les petits boulots et se demande souvent ce qu’elle fait dans ce pays où on lui parle sans cesse de Dieu et de la Bible. Chapitres courts et phrases brèves, les saynètes ultravisuelles se succèdent comme une série de Polaroid, des instantanés à la façon de Nan Goldin (sexe fiévreux et nuits blanches) qui nous baladent de Brooklyn à Chinatown. Un texte léger et nonchalant, tour à tour drôle ou mélancolique, parsemé de formules ironiquement grandiloquentes comme ce définitif “Mais nous étions trop fatigués pour les chefs-d’œuvre.” Raphaële Eschenbrenner restitue non seulement une époque, mais aussi et surtout une période de la vie où l’on n’a pas à faire de choix car tout semble possible. En un mot : la jeunesse. E. P.

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route barrée Dans un road-novel cocasse et cafardeux, Charles Portis délivre le permis d’inhumer de quelques utopies seventies. a route à perte de vue, une voiture, Ray Midge, empaquette un colt calibre 38, du rock’n’roll à plein volume – depuis file vers le Mexique à la poursuite d’un Las Vegas Parano, on sait qu’un olibrius lui ayant subtilisé épouse et cartes refrain des Rolling Stones peut faire de crédit, et embarque dans son équipée démarrer une épopée 70’s sur les chapeaux un acolyte mythomane, le Dr. Reo Symes. de roues. Avec le troisième livre de Charles Très vite, la traque sert de prétexte à Portis, le road-novel se retrouve délesté une plongée dans les abysses de la déveine de sa frime et de sa furie : au lieu d’entrer et de l’échec, dont l’exergue du roman, en transe au son de Sympathy for the Devil, emprunté au philosophe du XVIIe siècle Sir Thomas Browne, livre l’une des clefs : les passagers d’une guimbarde expirante y “Même les animaux proches de la classe entonnent en chœur un standard du folk : des plantes semblent animés de mouvements “Le lendemain, on était de bonne humeur et totalement irrépressibles…” En anglais, midge on a chanté Goodnight, Irene.” Une chanson (du nom du narrateur) signifie “moucheron”, dont le couplet le plus morbide (“Parfois j’ai et l’agitation des personnages s’apparente à une grande envie/de sauter dans la rivière et celle d’insectes que leur bougeotte pousse de m’y noyer”) donne une idée du ton à se fourrer dans les pires guêpiers. d’un roman qui, publié aux Etats-Unis en Portis passe ainsi à la moulinette 1979, déconstruit quelques-uns des mythes d’un implacable humour à froid les figures auxquels la décennie qu’il vient clore doit imposées du roman à la mode Kerouac son emprise sur les imaginations. ou Robbins : avec ses routes défoncées, ses Onze ans après True Grit, Charles Portis bagnoles tombant en pièces, ses hippies fait mine de reprendre la trame qui fit décatis et ses gauchistes têtes à claques, le succès des aventures de Mattie Ross et Un chien dans le moteur sonne le glas de du shérif Rooster Cogburn. Au début l’utopie de la vadrouille. Ici, toute velléité d’Un chien dans le moteur, le narrateur,

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d’action est condamnée à simultanément rater le but recherché et entraîner des conséquences aussi cocasses que fâcheuses, ce comique de l’absurde reflétant la vision aquaboniste d’un écrivain d’autant plus culte que, retranché à Little Rock, Arkansas, il y refuse avec constance demandes d’interviews et autres concessions aux vanités de la vie littéraire. Bruno Juffin Un chien dans le moteur (Cambourakis), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Adèle Carasso, 263 pages, 22 €

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la belle personne L’œuvre et la correspondance de Madame de Lafayette entrent dans La Pléiade. Où l’on découvre les nouvelles, moins connues, de cette figure amoureuse et féministe avant l’heure.

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l est amusant de voir, à quelques semaines d’intervalle, entrer deux noms aussi peu assortis que possible au catalogue de la Pléiade : Jean d’Ormesson et Madame de Lafayette. D’un côté, une juteuse opération commerciale dont le bénéficiaire a l’honneur d’être encore en vie – fait rare pour ce genre de consécration –, de l’autre, une intronisation invraisemblablement tardive pour l’aristocrate et femme de lettres qui vit briller les beaux jours de la haute société parisienne dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Si le patriarcat bon enfant, qui a ses côtés touchants (qui ne rêverait de faire des confitures avec Jean d’Ormesson ou de créer à l’instar de Julien Doré un groupe de rock portant son nom ?), a de bonnes chances de se vendre en papier bible, Lafayette n’est pas en reste : un épigramme de Sarkozy en 2008 visant La Princesse de Clèves a suffi à remettre son œuvre sur le devant de la scène. Inscrit dans la foulée au programme du concours d’entrée de l’ENS, le roman le plus célèbre de son auteur a été adapté

la même année (La Belle Personne de Christophe Honoré, en 2008) et a fait l’objet d’un documentaire orchestrant une riposte à la beaufitude présidentielle (Nous, princesses de Clèves de Régis Sauder, en 2009). Une nouvelle starification que Madame de Lafayette n’aurait peut-être pas goûtée en son temps. En 1662 paraît une nouvelle intitulée “La Princesse de Montpensier”. Notre comtesse, pourtant bien introduite dans le monde des lettres, intime de Madame de Sévigné et à la tête d’un salon, refuse de publier le texte sous son nom. Ignorant qu’une femme en est l’auteur, le tout-Paris se l’arrache, croyant reconnaître les personnalités à l’origine des amours contrariées de la belle princesse et ses quatre soupirants. Il y a indéniablement un côté gossip et voyeur dans l’œuvre de Lafayette, tout entière inspirée de faits historiques récents de son époque. Il y a aussi la dureté de ces nouvelles, concentrés de noirceur et de drame avec dix rebondissements à la seconde. Dans “La Princesse de Montpensier”,

“La Comtesse de Tende”, “Histoire de la mort d’Henriette d’Angleterre”, l’art de l’hyperbole et de la “belle langue” présent dans La Princesse de Clèves (“son style est tout à fait du beau monde”, écrit un critique) disparaissent au profit d’un enchaînement d’actions pures menant tous ces princes et ces princesses à leur perte. Brèves intrigues cinglantes comme le coup de fouet du destin, contre ces belles personnes ambitieuses ou lâches, coupables de ne pas savoir aimer. On a parfois associé la vertu de la Princesse de Clèves à un acte de résistance. Pourtant, éviter “la mer de jouissance”, ce lieu figuré sur la carte de Tendre selon une géographie amoureuse imaginée par les Précieuses de l’époque, c’est disparaître. Toutes les héroïnes de Madame de Lafayette meurent de ne pas avoir succombé à la passion – de n’en goûter que les désavantages (culpabilité, jalousie) sans jamais en jouir, soumises aux procès de la société et de la morale transmise par les aînées (la mère de la princesse de Clèves). Une fatalité éprouvée par l’écrivaine ? L’autre roman de ce volume qui ne dit pas son nom tient dans sa correspondance avec Ménage – grammairien, poète et son mentor pendant plus de trente ans. Tour à tour tendre, jalouse et enflammée, Lafayette nous apparaît, pour la première fois, sous les traits touchants d’une de ses héroïnes. Emily Barnett Madame de Lafayette – Œuvres complètes (La Pléiade), 1 664 pages, 6 0 €

la 4e dimension David Foster Wallace : un film controversé Les ayants droit de l’écrivain rejettent le biopic The End of the Tour, sur la tournée promo d’Infinite Jest. Selon ses proches, Wallace “n’aurait jamais accepté une telle adaptation” et ce film est tout sauf “un hommage”. Au vu des premières images, où l’acteur Jason Segel ressemble plus à Rambo qu’à DFW, on peut les comprendre.

Colombe Schneck recrée BB Rencontre avec la romancière à l’occasion de la sortie de son dernier livre, Mai 67 (Robert Laffont), dans lequel elle fait le récit de la brève histoire d’amour entre Brigitte Bardot et un jeune inconnu. mercredi 30 avril, 18 h, Cahiers de Colette (Paris IVe)

Charles Dickens inédit Traduit pour la première fois en français, L’Horloge de Maître Humphrey (L’Herne) raconte la vie solitaire de Maître Humphrey, un homme qui conserve des manuscrits anciens dans son horloge et fonde un club de lecture.

Luc Le Vaillant au bal des actrices On révise avant Cannes. Pour être certain de ne pas confondre Julie Gayet et Julie Delpy, on se plonge dans La Vie rêvée des filles (Fayard), galerie de portraits d’actrices – de Catherine Deneuve à Ophélie Winter – écrits par Luc Le Vaillant pour Libé.

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Emile Bravo Le Jardin d’Emile Bravo Les Requins Marteaux, 80 pages, 20 €

satan l’habite Hellboy revient aux Enfers, et il n’est pas content. Grâce au trait de Mike Mignola, le lecteur atteindra, lui, le paradis.

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es consommateurs de séries connaissent par cœur cette hystérie qui les traverse alors qu’ils assistent, après des années d’attente, au rebondissement crucial, à ce moment clé, promis depuis des lustres. Hellboy en enfer est, pour les fans, cet épisode-là, celui qu’il faut lire quand bien même certains auront sauté un ou deux volumes par ennui ou parce que le dessinateur avait pour quelque temps abandonné son poste à des seconds couteaux moins inspirés (Corben excepté). Voici enfin venu le temps – et ce n’est pas un hasard – du double retour : celui du créateur Mike Mignola au pinceau, et celui d’Hellboy le fils de Satan au royaume des Enfers. Or l’attente ne déçoit pas. Après un long passage à vide esthétique, Mike Mignola fait évoluer ses chiaroscuro de comic books dans une nouvelle direction. Dès les premières images de la série, son esthétique tout en clair-obscur faussement primitif conjuguait le goût de l’abstraction emprunté à Alex Toth au trait minéral

hérité de Jack Kirby. Mais pour faire évoluer cette grammaire aux masses parfaitement distribuées, en perpétuelle recherche du bon équilibre, Mignola s’est un temps aventuré du côté de l’épure, à tort. En échange d’une certaine efficacité, il avait perdu toute force. C’est du côté du cisèlement de la peinture classique et romantique qu’il se penche désormais pour fortifier ses compositions. Et malgré un encrage dualiste et sans dégradé, Mignola approfondit la transition de l’ombre à la lumière, le surgissement, la profondeur, en jouant uniquement sur la répartition, non pas des valeurs de gris – inexistantes dans son dessin –, mais des détails, sur les murs, la peau, les vêtements. De même, l’atmosphère et la silhouette expriment de plus en plus les sentiments qui évitent ainsi de s’incarner dans la sacro-sainte représentation du regard. Mignola, plus que jamais, avance dans l’agencement d’un chiaroscuro postmoderne qui lui est propre, d’une redoutable efficacité. Quant à l’intrigue : le roi est mort, vive le roi. En enfer, Hellboy se retrouve confronté à sa légendaire histoire familiale : ou comment, fils prodigue de Satan, il s’est fait amputer de son bras dès la naissance d’un coup de glaive paternel, afin de lui substituer l’arme destinée à déclencher l’Armageddon. Pas étonnant qu’il désobéisse. Stéphane Beaujean

Un recueil à l’humour corrosif et époustouflant d’intelligence. Les Requins Marteaux ont l’excellente idée de publier un recueil d’histoires courtes d’Emile Bravo, plus connu pour sa lumineuse série pour ado Jules ou encore sa malicieuse version de Spirou. Dans ces récits parus depuis 1999 dans la presse ou dans des albums collectifs, il manie ironie, parodie, humour doux-amer avec une intelligence époustouflante. Il y fustige le nucléaire, le capitalisme, le racisme et l’intolérance en tout genre (“Les Frères Ben Qutuz”, à la noirceur atroce). Il cloue le bec à la politique US dans “The Wild West Low”, revisite les classiques de façon iconoclaste (“Gaston : c’est du sérieux” ; “Les Aventures de Swartz et Totenheimer” – ou Blake et Mortimer nazis), met cruellement en scène la famille (“Les Dimanches de René”). Sa maîtrise des possibilités de la bande dessinée s’illustre dans “Young America”, où il utilise deux fois les mêmes cases mais avec des dialogues différents pour raconter une histoire qui passe ainsi du tragique à l’obscène. Le Jardin d’Emile Bravo confirme ce qui transparaît déjà de lui dans ses BD jeunesse : un humour corrosif au service de préoccupations humanistes. Anne-Claire Norot

Hellboy en enfer, volume 1 – Secrets de famille traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne Capuron (Delcourt), 160 pages, 15,95 € 92 les inrockuptibles 30.04.2014

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l’écran pour écrin Avec Lagarce, Claudel et Corneille revisités par l’œil de trois cinéastes, la collection La Comédie-Française fait son cinéma continue de séduire.

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umineuse idée de Muriel Mayette : confier depuis 2008 à des cinéastes la création d’un film original à partir d’un spectacle de la programmation de la Comédie-Française. On le sait, rien de pire et d’antinomique que la captation cinématographique d’une pièce de théâtre, art vivant qui s’éteint quand on le réduit aux deux dimensions d’un écran… Sauf à greffer des œuvres du répertoire théâtral au cinéma et abandonner les artifices du plateau pour le déplacer dans des décors naturels, plongeant alors les acteurs et le texte dans le cœur battant de notre temps. Trois nouveaux titres viennent enrichir

la collection. Trois pièces offertes au regard d’un cinéaste, qui en choisit le cadre et les comédiens de la troupe du Français. Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce est réalisé par Olivier Ducastel et Jacques Martineau, qui travaillent ensemble depuis 1995, année de la mort de Lagarce, malade du sida. C’est justement de cela que parle Juste la fin du monde, avec Louis (Pierre Louis-Calixte), venu rendre visite à sa famille après des années d’absence pour lui apprendre sa mort prochaine, et qui repart sans avoir rien dit après une journée de retrouvailles marquée par la tension, l’incompréhension, les reproches, la joie et la tendresse aussi, et le chagrin d’un départ qu’il sait proche et définitif.

Le film se déroule dans un pavillon de province baigné de la lumière du printemps et l’on y suit Louis, sa mère (Catherine Ferran), sa sœur (Julie Sicard), son frère (Laurent Stocker) et sa belle-sœur (Elsa Lepoivre) de la cave au salon, du couloir à l’escalier et des chambres à la forêt voisine, comme dans un labyrinthe dont le point central – ou l’issue – consisterait à dire, au plus juste, ce qu’il en est des émotions causées par son retour. On y entend en voix off les monologues intérieurs des personnages, dans le même souffle que leurs dialogues. Tous sont justes et poignants et la langue de Jean-Luc Lagarce, répétitive, la pensée trébuchant sur les sentiments et se reprenant

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feu follet Vibrant et lumineux, le comédien Serge Merlin traverse d’un pas de chat l’aérien Roi Lear de Christian Schiaretti. n oublie souvent la scène d’ouverture du Roi Lear tant le moment crucial où le roi partage son royaume entre ses filles domine généralement tout le reste. A vrai dire, il y a bel et bien deux scènes d’ouverture dans Le Roi Lear, même si la première est souvent négligée au profit de la seconde. Dans une ambiance de cape et d’épée, avec culottes bouffantes et bottes montantes, Christian Schiaretti accorde un soin d’autant plus attentif à l’échange entre Kent et Gloucester au début de la pièce que leur conversation peut être considérée comme le signe de ce qui va suivre. Gloucester déclare en termes assez bruts préférer, entre ses deux fils, Edmond, son rejeton bâtard qu’il qualifie crûment de “fils de pute”, signifiant par là le plaisir qu’il a eu à le concevoir. C’est pourtant Edgar, l’enfant légitime qui, déguisé en Tom, sauvera Gloucester après que ce dernier aura eu les yeux crevés à cause d’Edmond. En insistant non seulement sur ce dialogue mais en faisant interpréter Edmond par Marc Zinga, un acteur africain, Christian Schiaretti établit un contexte. Sa mise en scène frappe en effet par la façon dont Lear se situe toujours en décalage par rapport aux autres protagonistes. Lear, joué avec une grâce fragile et lumineuse par l’immense Serge Merlin, évolue dans un espace parallèle qu’il ne partage même pas avec Gloucester, pourtant victime comme lui d’aveuglement. La proximité entre les deux hommes égarés sur la lande, affrontant tous deux la tempête, n’évoque jamais ce qui les rassemble, mais au contraire ce qui les sépare. Leur déchéance n’est pas du même ordre. Ils se sont trompés, mais pas de la même manière. Ils subissent les pires brutalités, mais là encore, elles sont différentes. D’où l’impression tenace que le spectacle avance à double front. Gloucester erre, les yeux crevés, sur fond de guerre civile. Lear flotte, tentant d’attraper dans l’air une forme impalpable, comme si les mots pouvaient se matérialiser. Sauf que le seul mot qui lui reste en mémoire, c’est ce “rien” que lui a répondu Cordélia à qui il demandait de dire son amour. Et c’est lui qui à présent n’a plus rien ; à croire que même le sol sous les pieds n’a plus de réalité tangible pour celui qui ressemble de plus en plus à un feu follet. Hugues Le Tanneur

O  Eric Ruf et Marina Hands dans le Partage de midi de Claude Mouriéras, d’après Paul Claudel

sans cesse à la recherche du mot juste, est la plus limpide et naturelle qui soit. Autre réussite, Partage de midi de Paul Claudel, réalisé par Claude Mouriéras dans un entrepôt en friche au jardin empli d’herbes folles. Un décor en jachère qui colle au plus près de  la ronde amoureuse entre Ysé (Marina Hands), son mari (Christian Gonon), Mesa (Eric Ruf) et Amalric (Hervé Pierre) dans des lumières et des pénombres qui subliment l’incandescence du sentiment amoureux. Enfin, Mathieu Amalric plonge L’Illusion comique de Corneille dans l’univers contemporain de la surveillance généralisée, une mise en abyme de l’image jubilatoire et efficace. Fabienne Arvers La Comédie-Française fait son cinéma (Juste la fin du monde d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau ; Partage de midi de Claude Mouriéras ; L’Illusion comique de Mathieu Amalric), éditions Montparnasse, environ 15 € chaque DVD

Le Roi Lear de William Shakespeare, mise en scène Christian Schiaretti, du 12 au 28 mai au Théâtre de la Ville, Paris IVe, theatredelaville-paris.com 30.04.2014 les inrockuptibles 95

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Photo NMNM/Sidney Guillemin

un garcon Formica Brouillant les repères, Richard Artschwager (1923-2013) interroge notre regard sur le monde. Une rétrospective monégasque permet de redécouvrir une œuvre qui échappe aux classifications.



uelle mouche a piqué cet ancien étudiant en chimie, élevé dans les paysages du Nouveau-Mexique, blessé pendant la Seconde Guerre mondiale avant de s’installer à New York où il enchaîne les jobs de photographe de bébés et de menuisier, pour qu’il se décide, à 40 ans, à faire de l’art ? Un dessin animé vu à la télé : “Un policier racontait que son fils passait son temps à clouer des planches ensemble. Exaspéré et désespéré par ce comportement asocial et incompréhensible, il décidait de ne pas l’envoyer en colonie

un art des surfaces qui retourne le paradis industriel de l’Amérique

de vacances.” Aussitôt, Richard Artschwager réalise l’une de ses premières œuvres, Portrait Zero (1961), un tas de contreplaqué cloué, suspendu par une chaîne comme une piñata en attente de se faire tabasser par les vieux gardiens de l’expressionnisme abstrait. En réalité, l’artiste sera aussi en décalage avec les avant-gardes de son temps : ses sculptures-meubles introduisent de l’affect et de l’humour dans l’austérité minimaliste, tandis que son envie de rendre incompréhensible le monde ordinaire l’éloignait du pop art. Il se trouvera à côté des jeunes Turcs de l’art conceptuel dans l’expo mythique Quand les attitudes deviennent formes (1969) avec ses blps, points noirs oblongs qui ponctuent l’espace partout où il

passera, ancêtres du tag, revêtus de touffes en crin noir, placés dans les angles des expos ou sur les murs de la ville. Parfaits “objets sans qualité”. L’artiste déjoue nos attentes pour nous ramener au simple fait de regarder. Avec le sourire, car ses contradictions sont terriblement savoureuses. Son savoir-faire de menuisier l’empêchera de s’en tenir à des jeux d’esprit et il emploie toute sa malice dans des sculptures kitsch en Formica qui explorent de fond en comble les éléments d’un meublé : porte, fenêtre, table, miroir, tapis. Les couleurs utilisées piquent les yeux et il n’est pas étonnant que l’artiste ait été ensuite revendiqué comme un parrain par la génération Néo-Géo, plus

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Haroon Mirza, Solar Powered LED Circuit Composition 3, 2014. Courtesy the artist

De gauche à droite : Triptych, 1963 Museum of Contemporary Art, Chicago, don Lannan Foundation ; Portrait II, 1963 Yale University Art Gallery, New Haven, promesse de don d’Anna Marie et Robert F. Shapiro, B.A., 1956 ; Blue Logus, 1967 Museum Ludwig, Cologne, Peter and Irene Ludwig Foundation ; Portrait Zero, 1961 Sender Collection ; Bushes III, 1972 Collection Elisabeth et Reinhard Hauff ; Train Wreck, 1968 Collection Thomas H. Lee et Ann Tenenbaum ; Description of Table, 1964 Whitney Museum of American Art, New York, don de la Howard and Jean Lipman Foundation, Inc. 66.48

z’avez pas vu Mirza ?

sardonique et complaisante avec le goût moyen. Ses peintures en grisaille de Celotex, un matériau d’isolation pour plafond, sont tirées de photos de presse et frôlent parfois la vulgarité bourgeoise, mélangeant scènes religieuses ou historiques, natures mortes et people, mais quelque chose cloche toujours. La surface grossièrement hachurée de la matière exclut le geste expressif et brouille la cohérence de l’image. Artschwager cherche à ce que les images soient avant tout des objets, ou alors l’inverse – à l’exemple de l’utilisation du Formica, qui n’est que l’image du bois. Un art des surfaces qui retourne le paradis industriel de l’Amérique du milieu du XXe siècle et poursuit le désir compulsif de l’artiste, scientifique de formation, de comprendre le monde à travers le regard. Pedro Morais

L’artiste britannique Haroon Mirza fait résonner la Villa Savoye de Poissy dessinée par Le Corbusier. La démarche est iconoclaste : lorsqu’il s’est vu proposer de créer une œuvre à la Villa Savoye, symbole de l’architecture moderne, Haroon Mirza a découvert les lieux les yeux bandés pour ne percevoir que leurs sons et vibrations. Depuis, l’expérimentateur londonien n’a toujours pas vu la maison. Sa démarche se veut politique et un brin provocatrice à l’égard des monuments nationaux. Il s’agit de dénoncer “la culture contemporaine qui exige que nous regardions”. Cette posture face à l’hégémonie de l’image lui avait permis d’obtenir le Lion d’argent à la Biennale de Venise en 2011. Initié par le Laboratoire artistique du groupe Bel dirigé par Silvia Guerra et Laurent Fiévet et en partenariat avec le Centre des monuments nationaux, son intervention constitue le deuxième volet d’un cycle de projets à réaliser dans des œuvres de l’architecture moderniste. Entrant en résonance avec l’histoire de la villa – anciennement baptisée “Les Heures claires” – où la lumière est un élément architectural, son installation est un défi technologique. Réalisée dans l’atelier de Mirza, elle est composée de panneaux solaires alimentant des LED scintillantes dont les pulsations sont transformées en sons grâce à des amplificateurs. Pendant ce temps, au Centre d’art contemporain de Saint-Nazaire, l’artiste présente Access Boot. S’inspirant du passé du Grand Café et puisant dans sa culture de DJ, il a monté un dispositif entre studio d’enregistrement et piste de danse où sont diffusés des extraits du film Le Bateau de Wolfgang Petersen. Tout en élaborant une forme propre d’écriture artistique, Haroon Mirza met en lumière les spécificités du lieu. Sophie Trelcat

Richard A rtschwager ! jusqu’au 11 mai au Nouveau Musée national de Monaco, www.nmnm.mc

The Light Hours jusqu’au 29 juin à la Villa Savoye, Poissy (78) ; jusqu’au 4 mai au Centre d’art contemporain le Grand Café, Saint-Nazaire (44), www.grandcafe-saintnazaire.fr 30.04.2014 les inrockuptibles 97

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retour à Fort McMoney Cinq mois après sa mise en ligne, le documentaire interactif de David Dufresne fait toujours débat jusque dans les églises de Fort McMurray, cette ville canadienne où le pétrole a rendu fous les habitants.

L  

’idée de présenter une matière documentaire sous forme de jeu vidéo, ça a vraiment marché”, s’enthousiasme David Dufresne, journaliste français de 46 ans et démiurge de Fort McMoney. “Ça prouve qu’on peut tenter des choses dans l’écriture et que le public est prêt à suivre si ça vaut le coup. Pour un réalisateur, c’est très motivant de le savoir.” Des centaines de milliers d’internautes se sont approprié son dernier webdocumentaire “gamifié”, une aventure interactive dont vous êtes le héros, fondée sur un travail d’enquête bien réel à Fort McMurray, au cœur d’une cité canadienne

qui grossit, fume et bedonne comme un champignon hideux sur la plus grande réserve de sables bitumeux au monde. Depuis la mise en ligne, le 25 novembre 2013, 1 488 000 pages ont été vues et 410 000 visiteurs ont sillonné les routes virtuelles de ce paysage urbain pour le moins chaotique. Les chiffres impressionnent, mais le bilan de Fort McMoney ne se lit pas seulement dans les statistiques. Comme souvent pour les webdocs interactifs, la qualité de la relation avec chaque joueur et son investissement individuel importent autant que le nombre

de connexions. “L’audience est un critère qui vient du monde de la télévision, confirme Dufresne. En revanche, ce qui me semble très significatif, ce sont les 7 000 contributions aux débats sur le site. On a quand même réussi à fonder une communauté en très peu de temps. Des joueurs ont ouvert spontanément une page Facebook pour s’entraider et discuter du jeu, d’autres m’ont envoyé leur parcours, qu’ils avaient retracé à la main sur une carte de la ville. L’entreprise Suncor, qui exploite les sables bitumeux, a recommandé à ses employés de participer au jeu. Il y a même un curé de la Fort McMurray Alliance

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“la ville ne devient jamais une sorte de Las Vegas du pétrole, alors que c’était aussi prévu, tous les scénarios sont possibles”

Philippe Brault

David Dufresne, créateur et scénariste de Fort McMoney

Church qui s’est inspiré du jeu pour ses sermons pendant plusieurs semaines, il a intitulé ses prêches ‘Fort McMoney Series’.” La manifestation la plus ironique et peut-être aussi la plus significative de la résonance de ce webdocumentaire dans le monde réel reste les tweets acerbes de la responsable de la communication de la Canadian Association of Petroleum Producers. Ses messages s’indignaient du fait que ce “projet artistique antipétrole payé par nos impôts” faisait passer Fort McMurray pour une jungle peuplée de junkies, au taux de crime surréaliste. David Dufresne s’est contenté de lui répondre de venir jouer avant d’en parler. Cette tentative de décrédibilisation démontre surtout que Fort McMoney a atteint son objectif : au-delà de l’attrait pour la “gamification” et pour

cette expérience novatrice dans l’écriture documentaire, la forme n’a pas éclipsé le fond, bien au contraire. “Le débat sur l’exploitation des sables bitumeux a fait la une du quotidien The Globe and Mail au Canada pendant toute la période du jeu. On a eu beaucoup de presse en Allemagne aussi, et en France, Fort McMoney a sensibilisé des milliers de personnes à la question du pétrole dans cette région, c’est déjà pas mal. Beaucoup d’internautes sont venus pour le jeu, mais ils sont restés pour le sujet. C’était une façon de prendre le spectateur en embuscade, car il n’y aurait pas eu presque 500 000 visiteurs sur le site si Fort McMoney n’avait pas été aussi un jeu.” Faut-il nationaliser les exploitations pétrolières ? Faut-il davantage financer les organismes d’aide sociale ? En participant aux référendums, les internautes ont modifié le profil économique et social de la ville au fil du temps, pour des résultats assez similaires à chaque épisode depuis cinq mois. Les saisons passent et se ressemblent au pays de l’or noir, 70 à 80 % des décisions validées par la communauté sont défavorables à l’industrie pétrolière. Cela change systématiquement la cité en ville fantôme, avec une courbe du chômage qui grimpe à la verticale. Dufresne, qui avait travaillé comme un forçat pour envisager tous les scénarios

au préalable, regrette presque aujourd’hui que les joueurs votent toujours pour l’écologie, jamais pour l’économie : “La ville ne devient jamais une sorte de Las Vegas du pétrole, alors que c’était aussi prévu, tous les scénarios sont possibles.” Seule petite tache notable sur le carnet de route de Fort McMoney : quelques écrans noirs et bugs récurrents ont découragé certains utilisateurs, ces derniers ayant ensuite partagé leur déception sur les réseaux sociaux en novembre et décembre derniers. Mauvaise pub. A qui la faute ? “Surtout à moi, admet Dufresne. J’ai mis toute l’équipe en retard à force de changer le scénario tout le temps, jusqu’à la dernière minute. Du coup, on n’a pas eu le temps de le tester comme on aurait voulu, et on a eu des problèmes pendant les premières semaines. Ça n’a pas duré, heureusement.” Ceux qui se sont alors enlisés sur les chaussées enneigées des boulevards de Fort McMoney peuvent aujourd’hui reprendre leur enquête. Si le temps des débats est révolu à Fort McMoney, la ville demeure accessible en ligne et son cycle de jeu revient à zéro toutes les trois semaines. David Commeillas site www.fortmcmoney.com débat avec David Dufresne sur Fort McMoney à la soirée Storycode Paris, le 2 mai à 19 h à la Mutinerie Coworking, Paris XIXe 30.04.2014 les inrockuptibles 99

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Yann Orhan/France 2

l’un des rares magazines musicaux de la télé française digne de ce nom

âme Alcaline A la belle brochette de musiciens français invités dans ses studios cosy, Alcaline, sur France 2, ajoute cette semaine Damon Albarn. Interview intimiste et live.

A  

ssis sur une méridienne au fond d’un salon confortable, la main soutenant timidement son menton affaissé, le regard caché par des lunettes le protégeant des spots d’un studio télé improvisé, dans une salle de spectacles de Pigalle, Damon Albarn se souvient de son enfance, de ses premiers émois musicaux, de l’adolescent vite absorbé par l’aventure Blur. Interrogé par le rédacteur en chef d’Alcaline, Laurent Thessier, dans ce “décor décortiqué”, que Bashung aurait pu reconstituer “sur une plage alcaline”, le chanteur se prête patiemment à l’exploration de son univers intime et musical.

C’est d’ailleurs la promesse de l’émission hebdomadaire de France 2, qui a succédé il y a près d’un an à Taratata : une promesse tenue avec cette confession discrète mais sincère du chanteur de Blur, qui du confessionnal passe à la scène du Trianon pour jouer trois chansons, dont une ancienne de Blur – To the End. Si la salle est vide, la scène est pleine de la présence magnétique de Damon Albarn, agissant et assagi, tel un vieux sage posé sur son tabouret. Depuis le lancement d’Alcaline, réalisée par Laurent Thessier lui-même (également réalisateur de plusieurs films sur des musiciens comme M, Zazie ou Souchon), et son complice Thierry Teston, c’est

la première fois que l’invité principal vient de la perfide Angleterre. Jusqu’ici, les chanteurs invités sur le divan étaient tous français. Ce qui n’est pas forcément une tare lorsqu’on s’appelle Philippe Katerine (sublime et hilarant dans une récente émission, où il évoquait sa peur des oiseaux qui tournoient et défèquent au-dessus de sa tête), Juliette Gréco, Etienne Daho, Julien Doré, Vincent Delerm, Alex Beaupain, Gaëtan Roussel, Stromae, IAM, ou d’autres artistes en devenir conviés à jouer un morceau (magnifiques Frànçois & The Atlas Mountains récemment)… Le paysage de la chanson française qui se révèle ici a de l’allure, du relief, de la fantaisie, en dépit des quelques rares émissions sacrifiant à l’inévitable aspiration des chanteurs les plus vendeurs (Florent Pagny, Zaz, Nolwenn Leroy et compagnie). Si Alcaline concentre sa ligne éditoriale sur la scène hexagonale la plus élégante du moment, elle élargit dans le même temps ses frontières à l’actualité discographique internationale dans la partie “magazine”, riche de plusieurs sujets sur ce qui agite la planète musicale (la nouvelle vague psychédélique, avec des interviews de Temples et Midlake…). Sur un mode plus pointu et tamisé que la foire pyrotechnique de Taratata, Alcaline s’est au fil des mois imposé comme l’un des rares magazines musicaux dignes de la télé française qui, à de rares exceptions près (Tracks sur Arte, Album de la semaine sur Canal+, Monte le son sur France 4, le formidable mais occasionnel Ben & Bertie Show sur Paris Première…), reste atone sur le sujet. Et si les groupes sur scène se regardent et s’écoutent désormais essentiellement sur les plates-formes web des chaînes (Arte Concert, Culturebox…), Alcaline ouvre une brèche précieuse dans cette vieille forteresse télévisuelle qui, dans son tropisme congénital, coupe le son de Katerine et de tous ses amis sans chercher à le remettre. Jean-Marie Durand Alcaline, le mag jeudi 1er mai, vers 23 h 15, France 2

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l’empire des sons De la naissance du rock à nos jours, la série documentaire Sex & Music explore les liens entre mœurs sexuelles et musique. Pas toujours excitant. exe et musique : cruciale des riot grrrls heureusement pimenté deux mots des plus apparue au début des de témoignages bienvenus, stimulants années 90, “De dominées notamment celui de pour l’imaginaire, à dominantes” retrace cette Américaine qui, dont l’emprise sur au souvenir de sa jeunesse, le processus d’émancipation l’inconscient collectif des femmes au sein d’une lâche un savoureux : ne cesse de s’affermir, “Ah ! Si les toilettes des clubs société occidentale et d’une depuis le milieu du XXe siècle, pouvaient parler…” industrie musicale avec l’avènement du s’appuyant toutes deux sur Se penchant sur des divertissement de masse. des fondations patriarcales pratiques telles que le SM, Comme son titre un chouïa qui semblent seulement le bondage et le fétichisme, racoleur l’indique, la série commencer à vaciller… le tout sur fond de metal documentaire Sex & Music Mettant en exergue des hurlant, le quatrième volet (4 x 52 minutes) examine les (“Sexe, douleur et rock’n’roll”) personnalités telles que rapports qu’entretiennent David Bowie, Patti Smith, ne manque pas de piquant sexe et musique depuis Mick Jagger ou Romy Haag, mais reste anecdotique. les années 50, marquées chanteuse-performeuse Les segments par le surgissement intermédiaires sont les plus transsexuelle et figure du rock’n’roll – la musique de la nuit berlinoise singuliers et substantiels. prise ici en considération des années 70, “Des troubles Partant des girls bands étant la musique populaire dans le genre” décrit des sixties, façonnés et (rock, techno, disco, punk…). contrôlés par des hommes, le phénomène d’indistinction Brossant un tableau entre les sexes qui pour arriver aux stars historique général, s’est manifesté depuis conquérantes d’aujourd’hui le premier volet (“De la pilule (Beyoncé, Lady Gaga, Britney les années 60, et avec une au sida”) livre un contenu intensité particulière dans Spears…), en accordant une assez convenu, les années 70, en phase place de choix à la frange

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Duffy/Getty Images/Arte

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avec le mouvement de libération sexuelle. Jusqu’à donner corps à l’idée d’un troisième sexe qui inspira à Indochine, dans les années 80, l’un de ses plus fameux tubes – dont Nicola Sirkis, chanteur du groupe, raconte ici la genèse.

Debbie Harry, de Blondie, en 1977

Jérôme Provençal Sex & Music à partir du samedi 3 mai, 22 h 45, Arte

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avantages exclusifs

RÉSERVÉS AUX ABONNÉS DES INROCKS pour bénéficier chaque semaine d’invitations et de nombreux cadeaux, abonnez-vous ! (voir page 105 ou sur http://abonnement.lesinrocks.com)

Trafic du 8 mai au 6 juin au Théâtre de la Colline, Paris XXe

scènes Traversant les saisons à l’arrière d’un camion immobile, Midch et Fanch inventent joyeusement des voies de traverse à un monde sur lequel ils n’ont que peu de prise, où passivité et indifférence sont les seules réponses à la violence d’un système qui se passerait volontiers d’eux.  à gagner : 10 x 2 places pour les représentations des 9 et 11 mai

Othello Aglavaine et Sélysette du 7 mai au 6 juin au Théâtre de la Colline, Paris XXe

scènes Rien ne semble pouvoir troubler la plénitude dans laquelle Méléandre et Sélysette vivent depuis quatre ans leur amour doux et calme, au bord de la mer du Nord. Mais quand la mystérieuse Aglavaine lui écrit pour s’annoncer, Méléandre déclare avec joie à Sélysette qu’arrive le seul être capable de faire grandir encore leur sentiment… à gagner : 10 x 2 places pour les représentations des 10 et 14 mai

Trois décennies d’amour cerné le 20 mai à Pôle Sud à Strasbourg (67)

scènes Quel rôle le sida a-t-il joué dans notre relation aux autres ? La gravité du sujet est ici portée par les corps. Puisant au cœur de l’intime, ciselant les sentiments, les affections, Thomas Lebrun entreprend la fresque charnelle de l’histoire d’une génération et de son évolution dans le temps. Reprises, motifs, points de fuite font partie de cette composition délicate.  à gagner : 4 x 2 places

The Karaoke Dialogues  du 13 au 15 mai à l’Opéra de Lille (59)

scènes Pour sa première création, dans le cadre de sa résidence à  l’Opéra de Lille, Daniel Linehan a choisi d’appliquer la méthode du karaoké à de grands classiques de la littérature, avec la complicité de sept danseurs. Attaché à la dimension chorale de la chorégraphie, il explore avec finesse et humour notre lien avec notre identité, singulière et collective. à gagner : 5 x 2 places pour la représentation du 15 mai à 20 h

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du 23 avril au 1er juin au Théâtre du VieuxColombier, Paris VIe

scènes Parce qu’il est ce général en chef de la république de Venise qui a vaincu les Turcs à Chypre, Othello, bien que maure, peut vivre son amour avec Desdémone, fille d’un grand patricien vénitien. Homme exceptionnel, paré de toutes les vertus, de tous les honneurs, rien ne compromet plus son bonheur. Rien, sinon la haine féroce, profonde, instinctive que lui voue secrètement l’un de ses hommes, Iago. à gagner : 5 x 2 places pour la représentation du 9 mai à 20 h

The Bee du 13 au 17 mai au Théâtre national de Chaillot, Paris XVIe

scènes Ecrivain, acteur, metteur en scène et directeur du Metropolitan Theatre de Tokyo, Hideki Noda dévoile un théâtre d’action où les scènes se succèdent à un rythme haletant, et nous plonge dans la psychologie de personnages pris au piège de leur propre logique.  à gagner : 5 x 2 places pour la représentation du 13 mai

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la parole des marionnettistes Les “gourous de la com”, qui sont derrière les décisions les plus importantes de la vie politique et économique, se livrent face caméra. Un document rare. i la fonction des spin doctors dans l’espace de l’information a déjà été largement déconstruite, les visages et les paroles de ces communicants demeurent assez rares à ciel ouvert. La puissance de leur influence étant indexée sur la discrétion de leur présence médiatique, ils préfèrent jouer dans l’ombre, quitte parfois à sortir du bois, pour la (bonne) cause de leurs clients aux abois, grands patrons ou élus. A travers deux enquêtes distinctes et complémentaires – l’une centrée sur la communication de crise dans le monde de l’entreprise, l’autre sur les élus politiques –, Luc Hermann et Gilles Bovon mettent à nu les techniques sophistiquées de ces “gourous de la com” auxquels se heurtent souvent les journalistes. De l’affaire Kerviel à l’affaire Richard Gasquet, de la question du travail du dimanche à la commercialisation des avertisseurs de radar pour voitures, le premier film dévoile les stratégies de manipulation des médias par ces communicants habiles à orchestrer à leur guise l’agenda médiatique et à imposer sournoisement des messages, au nez et à la barbe de journalistes dupés. Quant à l’image des politiques, les gourous les plus expérimentés ne sont pas toujours garants de leur salut, surtout lorsque les ficelles de leurs mésaventures s’avèrent un peu trop grosses, comme celles de Jérôme Cahuzac, ici évoquées. Nourri par de nombreux témoignages de ces magiciens – Stéphane Fouks, Anne Hommel, Jean-Luc Mano, Franck Louvrier, Patricia Chapelotte, Harold Hauzy… – oscillant entre illusionnisme et usurpation, Jeu d’influences met à plat un vrai jeu de dupes. Un jeu où la communication absorbe l’information lorsque celle-ci échoue à mettre suffisamment à distance ces sophistes nés, sans autres convictions que celles de berner les adeptes de la vérité.



Jean-Marie Durand Jeu d’influences – Les stratèges de la communication série documentaire de Luc Hermann et Gilles Bovon (2 x 52 min). Mardi 6, 2 0 h 35, France 5 livre Jeu d’influences (La Martinière), de Luc Hermann et Jules Giraudat, à paraître le 9 mai. jeu sur http://jeudinfluences.fr à partir du 6 mai

rédaction directeur de la rédaction Frédéric Bonnaud rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, JD Beauvallet, Pierre Siankowski comité éditorial Frédéric Bonnaud, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne, Jean-Marie Durand, Nelly Kaprièlian, Christophe Conte secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot chefs d’édition Elisabeth Féret, David Guérin reporters Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Anne Laffeter actu rédacteur en chef Pierre Siankowski rédactrice en chef adjointe Géraldine Sarratia rédacteurs Diane Lisarelli, David Doucet style Géraldine Sarratia cinémas Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain, Vincent Ostria musiques JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Maxime de Abreu livres Nelly Kaprièlian scènes Fabienne Arvers expos Jean-Max Colard, Claire Moulène médias/télé/net rédacteur en chef adjoint Jean-Marie Durand collaborateurs E. Barnett, S. Beaujean, A. Bellanger, R. Blondeau, D. Boggeri, J.-C. Bourcart, N. Carreau, Coco, D. Commeillas, C. Debray, M. Delcourt, A. Gamelin, J. Goldberg, O. Joyard, B. Juffin, C. Larrède, N. Lecoq, J. Le Corvaisier, H. Le Tanneur, N. Lo Calzo, Q. Monville, P. Morais, A. Pfeiffer, E. Philippe, J. Provençal, M. Robin, F. Rousseau, S. Trelcat lesinrocks.com directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteur en chef Pierre Siankowski rédacteurs Diane Lisarelli, Thomas Burgel, Azzedine Fall, Carole Boinet, Claire Pomarès, Julien Rebucci, Maxime de Abreu éditeurs web Clara Tellier-Savary, Olivier Mialet graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem projet web et mobile Sébastien Hochart lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz responsable éditoriale du concours création vidéo Anna Hess lesinRocKs.tv chef de rubrique Basile Lemaire assistante Clémence Sgarbi photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee, Caroline De Greef photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot second sr Fabrice Ménaphron sr François Rousseau, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Anne-Gaëlle Kamp, Vincent Richard (stagiaire) conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Nathalie Coulon, Luana Mayerau publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, télé) tél. 01 42 44 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél 01 42 44 18 12 coordinateur François Moreau tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 15 31 assistante Estelle Vandeweeghe tél. 01 42 44 43 97 publicité commerciale, directeur Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 directrice adjointe Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 directrice de clientèle Isabelle Albohair tél. 01 42 44 16 69 publicité web Chloé Aron tél. 01 42 44 19 98, Lizanne Danan tél. 01 42 44 19 90 coordinateur Stéphane Battu tél. 01 42 44 00 13 développement et nouveaux médias directrice Fabienne Martin directeurs adjoints Baptiste Vadon (promotion, médias, diversification) tél. 01 42 44 16 07, Laurent Girardot (événements et projets spéciaux) tél. 01 42 44 16 08 assistante Lou Durand tél. 01 42 44 15 68 relations presse/rp Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 assistante promotion presse Juliette Fouasse tél. 01 42 44 16 68 responsable éditoriale “You Need to Hear This” Marine Normand marketing diffusion responsable Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 assistante marketing direct Julie Lagnez tél. 01 42 44 16 62 contact agence Bo Conseil Analyse Média Étude Otto Borscha et Terry Mattard [email protected] ou tél. 09 67 32 09 34 abonnement Les Inrockuptibles, service abonnement, libre réponse 63 096, 92 535 Levallois Perret Cedex [email protected] ou 01 44 84 80 34 tarif France 1 an : 115 € accueil, standard ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure Roto Aisne Société Nouvelle ZI Saint-Lazare Chemin de la Cavée 02 430 Gauchy brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 326 757,51 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Elodie Valet administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2014 directeur de la publication Frédéric Roblot © les inrockuptibles 2014 tous droits de reproduction réservés. 30.04.2014 les inrockuptibles 103

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expo Debora Delmar Corporation au Museo Universitario del Chopo à Mexico Café soluble, Starbucks équitable, sculptures Pier-Import, yuccas, moi en meuf.

film Dans la cour de Pierre Salvadori Une “mélancomédie” élégante sur des dépressifs qui apprennent à vivre : intime et émouvant.

Night Moves de Kelly Reichardt Des militants écolos à l’assaut d’un barrage. Noir et d’une profonde intelligence.

Tom à la ferme de Xavier Dolan Un thriller psychologique sous influence hitchcockienne : exercice de style virtuose et gonflé.

EMA The Future’s Void Un impressionnant maelström colérique, dense et intense.

Le Pays de la peur d’Isaac Rosa Un démontage de l’engrenage de la terreur : d’une intelligence salvatrice.

Yann Gerstberger

musique

Pour le Confort Moderne, l’artiste a conçu une expo qui emprunte aux techniques folk mexicaines et à la street culture. Terremoto Globo Grnnnd, jusqu’au 4 mai à Poitiers, confort-moderne.fr

Cell Dope One de DJ New Jersey Drone Dance-floor dans mon atelier en moins de dix secondes. propos recueillis par Pedro Morais

Tiger Meets Lion Coming Soon Une effervescence façon pluie de confettis qui se disperse dans un album bariolé.

sur

L’Univers de carton de Christopher Miller Hommage à la science-fiction dans un livre aussi malin que potache. Maggy Garrison t.1 – Fais un sourire, Maggy de Lewis Trondheim et Stéphane Oiry Un étonnant polar existentiel et mélancolique.

Eels The Cautionary Tales of Mark Oliver Everett Un disque épanoui et accueillant : sombre dedans, lumineux dehors.

Conte de putes de Laura Gustafsson Une odyssée féministe trash et désopilante qui s’attaque à l’inégalité des sexes. Les Trois Sœurs du Yunnan de Wang Bing Un regard lucide mais sans misérabilisme sur les oubliés du miracle chinois.

Love Streams de John Cassavetes Les animaux vecteurs de LOVE ? Yes.

Diane Cluck Boneset Du folk au charme dangereux, venu de New York en première classe.

The Red Road Sundance Channel Immersion en territoire indien pour une série à l’atmosphère prenante. Silicon Valley OCS City Odyssée complexe entre avant-garde numérique et Amérique “corporate”. Mafiosa saison 5, Canal+ Derniers feux de la série corsée de Canal+.

La Fille maudite du capitaine pirate de Jeremy Bastian Une jeune fille part à la recherche de son père, pirate redouté.

Entre les jours d’Andrew Porter Une famille américaine au bord du chaos : un premier roman haletant et nostalgique.

Chamisso – L’homme qui a perdu son ombre de Daniel Casanave et David Vandermeulen Biographie de l’un des grands noms du romantisme allemand.

Le Misanthrope de Molière, mise en scène Clément Hervieu-Léger ComédieFrançaise, Paris Chronique d’une jeunesse qui se brûle les ailes à l’amour.

Tartuffe de Molière, mise en scène Luc Bondy Ateliers Berthier, Paris L’affaire du faux dévot devient une étreinte empoisonnée sur fond de guerre des sexes.

Tristan et Isolde de Richard Wagner, mise en scène Peter Sellars Opéra Bastille, Paris Une histoire d’amour et de mort magnifiée par les vidéos de Bill Viola.

Meret Oppenheim LaM, Villeneuve-d’Ascq Une dense rétrospective dédiée à cette muse de Man Ray et figure clé du surréalisme au féminin.

ASCO & Friends Triangle, La Friche Belle de Mai, Marseille Ce collectif chicano subversif a agité la scène californienne des années 70 à la fin des années 80.

Robert Overby Centre d’art contemporain de Genève Viré de sa galerie par des artistes dans les seventies, l’autodidacte californien, mort en 1993, tient sa revanche avec une expo multiforme.

Trials Fusion sur PS4, Xbox et PC Du moto-cross équilibré, hardcore mais accessible : grâce au moteur physique, même les accidents sont rigolos.

The Unnamed Feeling gratuit en ligne L’histoire nous conduira selon nos choix à l’une des huit fins, nous plongeant dans un troublant dégradé de gris.

Monument Valley sur iPhone Un héritier, façon miniature intime, de l’inoubliable Ico dont il partage l’approche cérébralosentimentale : de l’art pur.

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Clotilde Hesme par Renaud Monfourny

Elle est Elmire dans Tartuffe de Molière, mis en scène par Luc Bondy, aux Ateliers Berthier (Paris XVIIe), jusqu’au 6 juin.

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