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No.955 du 19 au 25 mars 2014

www.lesinrocks.com

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Bret Easton Ellis : les oscars, Lindsay Lohan, Hollywood et moi

Allemagne 4,40 € - Belgique 3,90 € - Canada 6,99 CAD - DOM 4,80 € - Espagne 4,30 € - Grande-Bretagne 6,30 GBP - Grèce 4,30 € - Italie 4,30 € - Liban 11 000 LBP - Luxembourg 3,90 € - Maurice Ile 6,30 € - Portugal 4,30 € - Suède 53 SEK - Suisse 6,50 CHF - TOM 960 XPF

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Ils ont osé vivre l’instant découvrez les gueststars du nouveau clip de Metronomy dirigé par Michel Gondry Elle est où la caméra ? Piégés façon caméra cachée dans un magasin parisien, Pierre-François et Vanille ont eu la chance d’assister au tournage du clip Love Letters de Metronomy, devant la caméra de Michel Gondry. Merci qui pour cette belle aventure d’un jour ? Merci #CapturCall.

oserez-vous participer au concours #capturcall avec Les Inrocks ? rendez-vous sur capturcall.lesinrocks.com

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’était parti pour être une journée de shopping comme une autre. Vanille vient de Tours, elle est étudiante et styliste pour une nouvelle marque à Paris. Pierre-François vient de Béziers, il termine une école de cinéma et se bat pour financer son documentaire sur les anciens rugbymen. Donc, ce jour-là, ils déambulent dans les rayons de la friperie parisienne Kiliwatch, quand ils sont abordés par un olibrius tout sourire qui leur fait une proposition étrange mais néanmoins honnête et alléchante : sortir du magasin et aller faire un tour en voiture, direction une grosse surprise. Pierre-François raconte : “J’étais venu acheter un sac, c’était le hasard absolu. Au début j’ai dit non, puis j’ai senti que c’était quelque chose d’excitant, avec une vraie ampleur. Au bout d’une minute, j’ai foncé.” Vanille : “Cette personne m’a demandé si je voulais faire quelque chose d’incroyable. Elle était très insistante et convaincante…” Cette personne, qui aborde les gens pour leur promettre la lune, c’est le comédien Vérino, le MC de l’opération #CapturCall. Pour poursuivre la promotion du Captur, son rutilant premier crossover urbain lancé il y a un an et qui rencontre déjà un beau succès, Renault a donc imaginé #CapturCall : des inconnus sont invités à monter dans le Captur pour participer à un événement surprise exceptionnel, un instant de vie plus grand que le quotidien. Après le fooding (un dîner dans la grande roue des Tuileries avec le chef Jean-François Piège), le cinéma (une scène avec Audrey Lamy dans le prochain film de Jean-Paul Rouve), la mode (une robe-tableau créée par Jean-Charles de Castelbajac, une invitation VIP au défilé Maison Martin Margiela) et le sport (autour du match de rugby France-Angleterre à Saint-Denis), place à la musique.

Ce jour-là, Vanille et Pierre-François ne le savent pas mais ils traversent Paris à bord du Captur, direction Epinay, pour assister au tournage du clip Love Letters de Metronomy, réalisé par Michel Gondry. “Au début, on était un peu gênés parce qu’on était les seuls à avoir des sièges, même Michel Gondry n’en avait pas ! Mais c’était un moment génial, pour l’équipe et l’ambiance. Je suis très heureuse d’avoir vu Metronomy en vrai, des gens très cool, on a déjeuné ensemble, on a discuté. A la fin, ils ont découpé les décors du clip à nos effigies et nous les ont dédicacés !”, raconte Vanille. Pierre-François : “J’aime Metronomy, je les écoute depuis deux-trois ans. Mais l’exploit, pour moi qui commence à travailler dans le cinéma, c’était de rencontrer Michel Gondry. C’était intéressant de voir comment il travaille, de l’observer et de découvrir les décors du clip, bien barrés, ‘à la Gondry’. Il y avait un côté Truman Show déstabilisant : avec les caméras partout, on ne savait plus ce qui était vrai et ce qui ne l’était pas.” Ce qu’ils ont préféré dans cette journée arrachée à la routine du quotidien ? “Me faire piéger !”, s’amuse Vanille. “La surprise, l’excitation de l’aventure”, confirme Pierre-François. Puis #CapturCall a poursuivi sa love story avec Metronomy en abordant une quinzaine de personnes dans la rue pour les inviter au show-case exceptionnel du groupe à la Maroquinerie le 1er février. Un grand groupe dans une petite salle : une soirée magique pour les veinards qui se sont retrouvés au premier rang. Les autres peuvent garder espoir et continuer à rêver : #CapturCall nous réserve d’autres surprises. Rendez-vous sur capturcall.fr pour en savoir plus.

retrouvez l’expérience des guest-stars du clip de Metronomy en vidéo

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cher Dominique de Villepin par Christophe Conte



e pensais justement à toi l’autre jour, au moment de la disparition mystérieuse du Boeing de la Malaysia Airlines. Je me demandais où tu étais passé, toi aussi. Pas de nouvelles, pas le moindre radar médiatique pour signaler ne serait-ce qu’une preuve de vie, ou expliquer les raisons de cette éclipse prolongée et fortement inquiétante. Je te promets que j’étais à deux doigts d’appeler Jacques Pradel à la rescousse ou de lancer une alerte enlèvement. Villepinoutai ? T’étais où Dodo l’assommeur ? Celui qui a dit “fuck” à Bush et qui a tout mis en œuvre pour que Buisson

n’ait jamais le loisir de pirater la moindre conversation privée de Sarkozy président puisque celui-ci, si ton scénario diabolique avait bien tourné, aurait fini pendu au croc de boucher qu’il te destinait. Il faut dire que je venais de relire Quai d’Orsay et que, franchement, si tout ça est authentique, on peut déplorer que des mecs comme toi constituent une espèce en voie de disparition dans le paysage désormais si molletonné de la politique hexagonale. Une puissance de taureau dans le corps d’un danseur de tango, une éloquence de poète lyrique à l’extérieur et un chapelet de

charretier en privé, mi-Malraux, mi-Bigard, c’est clair qu’on n’a plus vraiment ça en magasin. On s’ennuyait donc de toi, Dominico el Magnifico, et puis boum !, miracle, tu es réapparu ! Et pas à moitié, plus flamboyant que jamais, à travers un article du quotidien anglais The Telegraph qui affirmait que tu avais touché 100 000 euros en venant retravailler une journée, en loucedé, au ministère des Affaires étrangères en septembre 2013. Une petite combine destinée à faire valoir tes droits à la retraite et, donc, à ce bonus gentiment replet. 100 000 boules ! Pour huit heures légales de boulot, ça nous satellise le taux horaire à 12 500 euros. A ce tarif-là, j’espère au moins que tu n’es pas resté à parader dans les couloirs en radotant tes exploits de matamore de l’ONU pour quelques secrétaires énamourées n’ayant jamais consolé leur libido depuis ton départ des lieux voici dix ans. J’espère que tu en as, au contraire, profité pour filer quelques conseils de maintien en forme à Fabius parce que, entre nous, tu trouves pas qu’il ressemble de plus en plus à un poulet de Loué en partance pour l’abattoir ? Ça fait certes un peu cher la séance de coaching, mais bon, pour sa retraite, on n’allait pas non plus offrir une canne à pêche et une yaourtière made in Montebourg-land au mec qui a résisté à la folie guerrière en Irak, faut être sérieux. Et puis, je sais ce que tu vas dire, 100 000 balles c’est à peu près ce que ramasse le conférencier à talonnettes pour ânonner en mauvais français des cours d’économie qu’il n’a jamais su mettre en pratique. Et c’est cent fois moins que ce que l’UMP a racketté auprès de ses militants pour éponger les surfacturations des copains de Copé. Mais, comme on a tous un peu participé au cadeau, j’espère au moins que tu nous inviteras à ton pot de départ. Je t’embrasse pas, tu prends trop cher. 19.03.2014 les inrockuptibles 9

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No.955 du 19 au 25 mars 2014 couverture détail de l’affiche de campagne de François Mitterrand en 1981 (premier tour de la présidentielle)

billet dur édito debrief recommandé interview express Mouloud Achour en une : les municipales au risque du FN

Patrick Fraser pour Les Inrockuptibles

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reportage à Saint-Gilles (Gard) et Forbach (Moselle), deux villes prenables par le Front national

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la courbe la loupe futurama style food

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entretien avec l’écrivain, scénariste de The Canyons de Paul Schrader, en salle cette semaine 

50 dans la peau de Spike Jonze le réalisateur raconte Her, rom-com d’anticipation (virtuellement) touchante

52 le conte farfelu de Quentin Dupieux Wrong Cops, quatrième long métrage d’un franc-tireur installé à L.A. Rencontre

Alexandre Guirkinger pour Les Inrockuptibles

42 Bret Easton Ellis, l’outsider

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56 Angel Haze : le flow de la colère voix singulière du hip-hop, l’Américaine sort son premier album, Dirty Gold

58 La Vipère de Thomas Ostermeier une vieillerie de Broadway prétexte à un nouvel état des lieux du capitalisme. Entretien avec le directeur de la Schaubühne

62 sex in the city avec Amy Grace Loyd

cinémas Her, Dark Touch… musiques Sharon Jones, Robin McKelle… livres Ben Marcus, Vita Sackville-West… scènes La Brume du soir… expos sorciers d’artistes médias chauvins, les journalistes sportifs ?

retrouvez p. 6 l’instant Arno Declair

Ce numéro comporte une planche de stickers “Wrong Cops” jetée dans l’édition abonnés France.

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Koria

ex-éditrice littéraire de Playboy, elle signe un premier roman envoûtant et érotique

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Photo Liliane de Kermadec/Ciné-Tamaris

Jean-Luc Godard et Anna Karina en plein interlude burlesque

de 5 à 7 et pour toujours Dans notre classement des 100 meilleurs films français de tous les temps, Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda arrive en seizième position, entre Pickpocket de Bresson et Le Rayon vert de Rohmer. Ça va, c’est digne, mais il devrait être dans le Top 10 – ou le Top 5, ou seul premier ? A ces niveaux-là, le jeu des listes devient absurde et déchirant, mais éclairant aussi – tant l’amour pour Cléo n’a cessé de croître, depuis ce Festival de Cannes 1962 où il a été vu et applaudi pour la première fois. Film adoré, vu tant de fois qu’on croit le connaître par cœur, et qui provoque même la crainte de la légère déception, du “un peu moins bien que dans mon souvenir”. Tu parles. Dès son générique en couleur, avec les cartes en plongée et les voix de la diseuse de bonne aventure et de sa cliente, la tension est là, intacte, et le premier gros plan en noir et blanc de Corinne Marchand, un regard caméra à la Bergman, demeure un irrésistible appel de fiction : Que va-t-il m’arriver ? je suis malade ? je vais mourir ? encore combien de temps ? Cléo de 5 à 7 répondra à toutes ces questions, unique exemple d’un générique qui contient la totalité des éléments et péripéties du film à venir. Ecoutez le programme… Elle était gonflée, Varda. Téméraire dans sa façon de s’emparer de motifs si mélodramatiques – la maladie et la rencontre inespérée – pour les plonger dans un bain de modernité documentaire : le Paris encore populaire, encore vivant, parfois dangereux, du mois de juin 1961. Et dans le choix de son personnage principal, ouvertement vieillot, presque suranné, au départ très littéraire : femme entretenue avec gouvernante complice, chanteuse yé-yé et cocotte de toujours, la capricieuse et superstitieuse Cléo est aussi éloignée que possible d’Agnès Varda, photographe de Jean Vilar, cinéaste avant tout le monde retrouvez le classement des 100 meilleurs films français sur

(La Pointe Courte, 1955, accrochez-vous, les gars), et ayant déjà fait un bébé toute seule. De l’une à l’autre, de 5 à 7, de la rue de Rivoli au boulevard de l’Hôpital, il y a ce chef-d’œuvre. Que l’on tient absolument à rattacher à la Nouvelle Vague, à cause de Godard et Karina, si beaux et si amoureux, acteurs burlesques chez leur copine Agnès, et des rues des XIIIe et XIVe arrondissements, enregistrées tout au long des trajets de Cléo avec les moyens du bord, en taxi et en bus 67 à plate-forme. Agnès laisse dire, parce que ce n’est pas complètement faux, au fond. Il n’empêche que le Paris de Cléo est celui des surréalistes, avec un Montparnasse encore bohème, et pas du tout celui de la “bande des quatre” des Cahiers du cinéma. Le film doit plus à André Breton qu’à André Bazin : idéalisation de la rencontre, mythologie du hasard, le très banal qui devient très étrange, le goût des signes opaques, et une affiche d’Un chien andalou au Studio des Ursulines qui s’est trouvée là, comme c’est bizarre… Sans parler du clair et courageux discours anti-guerre d’Algérie, très loin des ambiguïtés des Cahiers. Même époque, mêmes méthodes de tournage, même postsynchro que la Nouvelle Vague et, au final, un film unique dans son art du grand écart, d’une impro déconnante de Michel Legrand à la coupure du petit film burlesque en passant par l’incroyable radicalité de la séquence du taxi rue de Vaugirard, quand on écoute pendant plusieurs minutes un bulletin d’actualités à la radio, avec émeutes dans le Constantinois. Godard et Antonioni enfoncés ; Garrel et Eustache s’en souviendront. Film composite, hybride, rencontre insensée du surréalisme et de la Nouvelle Vague, Cléo ne ressemble à rien de connu. C’est sans doute pour cela que son air du temps est devenu éternel. Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda (Fr., It., 1962, 1 h 30, reprise)

Frédéric Bonnaud

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apprendre à bien blurber grâce aux inRocKs La semaine dernière, il était question de psychédélisme indien et de vœu de sociabilité, d’enthousiasme bien ponctué et de périodes sombres dans l’Atlas.

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lurb.” Je m’étais pourtant juré de ne plus jamais tenter de soigner par l’alcool ma timidité, ma fébrilité, ma détresse devant les misères du monde, la condition humaine et les discussions politiques idiotes qui nourrissent les dîners entre amis qui n’ont rien à se dire. C’est toujours pareil : dans ce genre de soirées, je cherche ma place, je bois. Je ne la trouve pas, je bois. Je me sens mieux, du coup, dans l’euphorie, je bois. Blurb. Et me voilà coincé dans les toilettes en marbre du type sympa mais important chez qui je dîne avec plein de gens brillants, à vomir les ravioles de betterave du marais de je-ne-sais-où et le consommé de raves roses aux éclats de je-ne-sais-quoi. Le naufrage. Ce sont “des choses qui ne sont ni belles à vivre, ni belles à voir”, comme les périodes sombres de Frànçois, le chanteur qui fait ta couve, cher Inrocks. Il est 21 h 30. Nous venons à peine de finir les entrées : impossible de s’esquiver. Comment reprendre le contrôle ? Se mettre en position du lotus pour se ressourcer “dans le psychédélisme indien du maître Pandit Prân Nath” ? Mouais, sauf que là, quelqu’un vient d’essayer d’ouvrir la porte et que je suis plus dans la situation du forcené tchétchène traqué dans sa grotte que dans celle du bonze contemplant la plénitude du rien sur les hauts plateaux tibétains. Mais qu’on me foute la paix ! Qu’on ne m’invite plus ! Comme un personnage d’Angot, je voudrais hurler : “N’y a-t-il donc rien d’autre qui compte dans cette vie que la sociabilité ? C’est la seule valeur, c’est ça ? Vous avez fait vœu de sociabilité, c’est ça ?” Partout, il faut faire bonne figure, subir la loi des autres, avoir l’air à l’aise. Notre seule valeur est celle qui nous est attribuée sur le grand marché de la sociabilité. Je vomis l’alcool mondain, je vomis le trop-plein de gens adaptés, de blagues appropriées, de bons mots lâchés, de sourires entendus, d’airs pénétrés, de rires impératifs. Et je vomis le blurb, non pas ce relent incontrôlé qui sort de moi, mais cette pratique de marketing bien contrôlée d’origine anglo-saxonne. Le blurb, c’est cette “petite phrase élogieuse d’un écrivain célèbre sur la couverture d’un livre” qui est “souvent agrémenté d’un point d’exclamation – pour l’enthousiasme”. Cher ami lecteur, laissez-moi vous présenter Mc Manachin. Il vient d’écrire un livre absolument géniaaaal ! Plus de rencontre fortuite : on achète un livre parce qu’il est lu, approuvé par une valeur littéraire sûre. Le livre vaut par le compliment autorisé qu’on lui a tamponné dessus. Peut-être faudrait-il universaliser la pratique. Draguer avec, inscrit sur ses fringues, les blurbs de nos conquêtes précédentes : “Fabuleux”, signé Charlotte B. “Impossible de lâcher ce (type). Toute la sauvagerie et le frisson de l’Antiquité”, signé Donna Tartt. On n’aurait même plus besoin de boire pour surmonter sa timidité, ni de surmonter sa timidité pour séduire. Dès demain, je rappelle mes ex… Je suis sûr qu’elles vont blurber l’idée. Alexandre Gamelin

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une semaine bien remplie Voyager de Shanghai à l’Argentine au Salon du livre, vibrer grâce aux Femmes s’en mêlent partout en France, réfléchir au massacre rwandais avec Alexis Cordesse, libérer l’Andalousie 70’s avec Gonzalo García Pelayo et passer le week-end en concert privé sur Canal+.

shanghai surprise Salon du livre Pour sa 34e édition, le Salon du livre met à l’honneur la littérature argentine, autour du centième anniversaire de la naissance de Julio Cortázar. Quarante-six écrivains seront présents, dont l’excellent Ricardo Piglia (Pour Ida Brown, Gallimard). Shanghai sera la ville invitée, avec une délégation de dix-sept auteurs. du 21 au 24 mars Paris XVe, salondulivreparis.com Sara Facio

Julio Cortázar

le fait génocidaire Alexis Cordesse En 1994, en moins de 100 jours, entre 800 000 et 1 million de Tutsis ont été exterminés au Rwanda par les extrémistes hutus. Depuis 1996, le photographe Alexis Cordesse recherche les traces du massacre. Et dépasse le simple témoignage pour amorcer une réflexion sur l’irreprésentable. jusqu’au 19 avril Rwanda, l’aveu/absences à la galerie Ikono (Bruxelles) du 21 mars au 25 mai Rwanda, blessures d’images au Centre du patrimoine arménien (Valence) du 27 mars au 17 mai Rwanda aux Douches La Galerie (Paris Xe) du 5 avril au 14 septembre Rwanda, Wounded Vision au musée Kazerne-Dossin, Mechelen (Belgique) Forêt primaire de Nyungwe, au Rwanda 16 les inrockuptibles 19.03.2014

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sévillanes Gonzalo García Pelayo C’est la première fois en France qu’a lieu une rétrospective intégrale des films de Gonzalo García Pelayo, aujourd’hui âgé de 65 ans. Cinéaste donc, mais aussi producteur de musique, joueur de poker, ce multicartes fantasque a filmé la libération des esprits dans l’Andalousie des années 70, en pleine transition démocratique.

Amy Winehouse

Robin/Canal+

jusqu’au 6 avril Viv(r)e la vie ! au Jeu de paume, Paris VIIIe

larsens 10 ans d’Album de la semaine

Manuela, le premier film de Pelayo, réalisé en 1975

Programmateur musical historique de Canal+, Stéphane Saunier célèbre la décennie de l’Album de la semaine. Le 23 mars, à 22 h 30, Canal+ décalé diffusera un florilège de quatre heures. L’occasion de (re)voir Amy Winehouse, Bon Iver, The Black Keys, Arcade Fire… Canal+ diffusera également, le 22 mars à 0 h 10, le concert des Queens Of The Stone Age qui a eu lieu au Zénith en novembre 2013. 22 et 23 mars sur Canal+ et Canal+ décalé

girls power Cette semaine s’ouvre la 17e édition du festival Les femmes s’en mêlent et, comme toujours, la programmation promet de très belles choses. A l’affiche, figureront notamment Angel Olsen, Le Prince Miiaou, Cults, Anna Aaron, Mesparrow, Julianna Barwick ou encore l’intransigeante Nadine Shah, qui ravira les fans de Nick Cave. On ne manquera pas non plus, lors de la soirée de clôture, les deux Stambouliotes de Kim Ki O, qui mêlent influences noise et musique traditionnelle turque. jusqu’au 4 avril à Paris et dans 35 villes de France, lfsm.net

Aylin Güngör

Alexis Cordesse/courtesy Douches La Galerie

Les femmes s’en mêlent

Le groupe Kim Ki O 19.03.2014 les inrockuptibles 17

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“une blogueuse mode est l’égale d’une Femen” Le meneur de Clique sur Canal+, Mouloud Achour, nous parle du mauvais traitement médiatique du rap, d’Eric Zemmour, de Twitter et de Tinder.

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e mot “clique”, au départ, sous-entend l’idée d’une bande réunie autour de toi. Mais la viralité de ton émission sur internet la rapproche plutôt du clic de souris… Mouloud Achour – Exactement. L’émission se poursuit sur YouTube avec des bonus. Au début, on s’est dit que Clique, c’était un truc de bande ; et puis on s’est vite rendu compte que le mot sur lequel on “cliquait” le plus, justement, c’était le mot “partager”. On a donc décidé de se transformer en passeurs d’idées, de sujets. Aujourd’hui, nos audiences sont trois fois supérieures à ce qu’elles étaient au lancement, c’est un signe. Notre chance, c’est qu’on nous laisse parler de culture, au sens large. On est loin des émissions à la 50 Minutes Inside découpées dans tous les sens, on n’est pas non plus dans la culture avec un grand “C”, ni dans les débats style café du Commerce : on essaie simplement de trouver notre propre voie. Vous souhaitez être prescripteurs ? On aime que des artistes fassent leur première télé chez nous. C’était le cas pour le rappeur Kaaris, par exemple. Canal+ nous fait confiance, ils nous laissent arriver à maturation sans nous mettre la pression et nous demandent simplement d’être complémentaires avec les autres émissions de la chaîne. Beaucoup critiquent Canal, mais ça reste la seule chaîne qui laisse tranquillement grandir ses émissions, comme Salut les Terriens, qui cartonne aujourd’hui. Canal+ tient-elle compte des audiences web de l’émission ? Clique fait énormément d’audience sur les réseaux sociaux. Le samedi, pendant l’émission, ça part dans tous les sens sur Twitter. Quand on passe la vidéo d’Elie Semoun qui répond à Dieudonné, on fait un million de visiteurs uniques. Très peu de vidéos issues de la télé font ce genre de score. Moi, ce que j’adore, c’est parler des sujets de 2014, ceux qui sont dans les trending topics (sujets les plus discutés sur le réseau – ndlr) sur Twitter. La plupart des journalistes sont sur Twitter, Instagram ou Facebook, mais ils ne s’intéressent pas forcément aux sujets web. Dans Clique, on va rencontrer les gens qui sont derrière les écrans. . Quel est l’avenir de Clique ? Avoir un site et une rédaction en complément de l’émission. Ça nous permettrait d’être plus participatifs et d’accueillir des internautes. On pourrait

croire que l’inspiration de Clique c’est la télé, mais pas du tout. C’est la presse écrite, ces magazines qui publient des entretiens au long cours. J’essaie de m’inspirer de ce que j’aime. Je ne vais pas pomper Thierry Ardisson, il a ses éléments de langage, son système d’interview, je ne peux pas faire ça. J’essaie d’interviewer les gens petit à petit, en “punchlinant” sur la longueur. Mon truc, c’est d’installer une parole jeune et de montrer que ce discours n’est pas forcément débile. Sur Twitter, tu as dit récemment quelque chose comme “en 2034, je raconterai à mes enfants que j’étais Femen et blogueuse mode, et que j’ai rencontré leur père sur Tinder”. Les gens se vident de leur substrat pour exister. Pour moi, une blogueuse mode est l’égale d’une Femen. Ce sont des gens qui s’exposent dans leurs combats ou dans leurs goûts. Mais ça ne fait rien avancer. Aucun créateur ne s’inspirera d’une blogueuse mode, aucun politique ne s’appuiera sur une Femen. Tu t’es insurgé l’autre jour sur Twitter contre le traitement que les médias réservent aux rappeurs… C’est l’idiocratie. Le pire, ce sont les émissions qui invitent les rappeurs en mode condescendant. Je ne supporte pas le discours empathique face au rap. Quand un discours social et misérabiliste remplace la musique. Sur Clique, quand on reçoit un rappeur, on essaie de rentrer dans le personnage, on va chez lui, on écoute ses morceaux, on connaît sa culture. On met un point d’honneur à ne pas tomber dans la caricature. Cette attitude des médias, c’est le résultat de trente ans de culture SOS Racisme. Pour eux, un mec qui fait du rap, c’est pas un mec qui aime la musique mais un mec qui veut s’en sortir. C’est ridicule. Franchement, je préfère voir un mec qui se moque des rappeurs, qui leur rentre dedans, plutôt qu’un mec qui va être hyper condescendant. Zemmour a fait dire plus de choses aux rappeurs que plein d’autres mecs à la télé. Après, ça reste un mec discutable, je le concède (rires). propos recueillis par David Doucet et Pierre Siankowski photo Paul Rousteau pour Les Inrockuptibles Clique Le samedi, 12 h 10, Canal+ et aussi Chaque semaine, Clique réalise un portrait de personnalité, complété par un entretien à retrouver sur lesinrocks.com 19.03.2014 les inrockuptibles 19

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un FN à deux visages A l’aune du premier tour des municipales, le Front national a déjà battu son propre record. Avec 596 listes, il en présente 84 de plus qu’en 1995, année faste où le mouvement d’extrême droite avait raflé trois mairies. Une dizaine de villes de plus de 10 000 habitants pourraient tomber dans son escarcelle. Cette percée est le résultat d’une stratégie d’implantation locale dans des territoires marginalisés. En vingt ans, le vote frontiste a fortement progressé dans le grand périurbain et reculé dans les métropoles. La France périphérique vote Marine Le Pen. Des territoires à fort taux de chômage, désindustrialisés, dont la classe moyenne est hantée par la peur d’être rattrapée par la banlieue. Légèrement schizophrène, le FN séduit deux électorats. Au nord, il tient un discours antisystème et mobilise sur l’économie et le social. Dans le sud, il s’exprime sur des problématiques droitistes et identitaires. Au-delà des résultats électoraux que le FN réalisera les 23 et 30 mars, Marine Le Pen a déjà réussi son pari. Ripolinée à la sauce laïco-républicaine, une nouvelle génération de frontistes compte s’appuyer sur son assise locale pour conquérir le pouvoir… Anne Laffeter et David Doucet

le Collard show Déjà tombée aux mains du Front national en 1989, la ville de Saint-Gilles, dans le Gard, est devenue le fief de l’avocat converti aux idées d’extrême droite, Gilbert Collard.

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quelques jours du premier tour, rien ne semble troubler la quiétude de Saint-Gilles. Pas même la victoire annoncée de l’avocat Gilbert Collard, député frontiste du Gard. Dans les ruelles étroites de cette ancienne bourgade agricole – coincée entre Nîmes et Arles –, les affiches électorales sont rares. Les maisons austères, de plain-pied, aux volets clos, laissent à peine échapper quelques bruits de télévision. Aux terrasses des cafés, l’élection municipale est loin d’être un sujet de débat. On préfère parler de l’arrivée du printemps, de tauromachie ou bien encore de la future Coupe du monde de football.

Saint-Gilles a déjà connu l’arrivée aux affaires du Front national. En 1989, et jusqu’en 1992, Charles de Chambrun avait offert au mouvement d’extrême droite sa première écharpe tricolore. Cet ancien secrétaire d’Etat de Pompidou a pourtant laissé peu de souvenirs à la population. Celui qui rêvait de transformer Saint-Gilles en “laboratoire de résolution des problèmes posés par les immigrés qui prennent les Français pour des vaches à lait” a été chassé de la mairie trois ans à peine après son arrivée, lors d’une élection municipale partielle… Mais si le Front national a déserté l’hôtel de ville, Saint-Gilles reste une terre fertile pour ses idées.

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Permanence de Gilbert Collard, Saint-Gilles, le 8 mars

Lors de l’élection présidentielle de 2012, Marine Le Pen a tranquillement viré en tête au premier tour avec 35,3 % des voix. Quant à Gilbert Collard, il a obtenu 53 % des voix – dans une triangulaire – au second tour des élections législatives. Un record. “C’est la ville où notre potentiel électoral est le plus fort. Collard a un boulevard devant lui !”, reconnaît sans détours un cadre du FN. A Saint-Gilles, tous les ingrédients semblent réunis pour que le Front national déploie ses idées : fort taux de chômage (25 % contre 14 % dans le reste de la région), petite délinquance et sentiment unanimement partagé d’être les grands perdants de la mondialisation. Dans les années 70, cette porte de la Camargue a attiré plusieurs vagues d’immigration (portugaise, espagnole, marocaine) pour ses tâches agricoles. Victime de la crise économique et des effets de la mécanisation, Saint-Gilles est devenue une cité-dortoir de Nîmes. Dans cette ville de 16 000 habitants où près de 40 % de la population est d’origine étrangère, l’absence

de perspectives économiques ne fait qu’attiser les tensions communautaires. “Saint-Gilles est victime du syndrome camarguais du rejet des étrangers, regrette le maire socialiste sortant, Alain Gaido. Il suffit d’aller dans un bistrot pour s’en apercevoir. Dès qu’ils sont un peu ronds, certains habitants font des plaisanteries anti-Arabes.” Au centre de la ville, la séparation des communautés est patente. Chacune possède son bar et vit en autarcie. Les “Blancs” se retrouvent au café de la Gare ou au café de la Poste, les “Portugais” au Mistral et les “Arabes” au café des Arts. Un établissement délabré que Gilbert Collard ne cesse de qualifier de “verrue de Saint-Gilles”. Quand on pousse la porte du café des Arts, l’atmosphère est morose malgré la musique d’ambiance. Depuis que la mairie – propriétaire des murs – n’a pas renouvelé son bail, le patron, Rachid, 42 ans, attend de toucher ses indemnités d’éviction. “Si Collard me donne mon chèque, je me casse. 19.03.2014 les inrockuptibles 21

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Il peut même transformer le bar en église, je m’en fous”, explique-t-il. Avant d’ajouter, plein de colère : “Qui a construit cette putain de France ? Ce sont nos parents. Ça fait quarante ans que je vis ici et je suis toujours l’Arabe de service. Moi, j’ai fini par m’habituer, mais le jour où ma fille me racontera qu’elle a subi ça, je craquerai. A mon âge, je n’ai plus rien à perdre.” Près d’une table de poker, Hocine, 30 ans, est tout aussi résigné : “Il y a tellement de racisme que j’ai décidé de partir. Tu ne peux pas avancer ici, tu ne peux que reculer. Si tu t’imprègnes de la mentalité de Saint-Gilles, tu deviens mauvais. Tu commences à regarder de travers les Portugais ou les Espagnols parce qu’ils sont différents.” Depuis septembre 2012 et le passage de la ville en zone de sécurité prioritaire (ZSP), les chiffres de la délinquance se sont améliorés. En seize mois, la ville a connu une diminution de 28 % des cambriolages et de 32 % des agressions à la personne. Mais le sentiment d’insécurité reste fort. Sur un banc en face de la mairie, Gisèle, 66 ans, qui vit ici depuis 1969, parle d’une recrudescence des violences en tirant sur sa e-cigarette : “Dans la rue, j’ai peur. J’ose plus afficher mes bijoux, je mets tout dans mes poches.” Avant d’ajouter en soupirant : “Il y a beaucoup de Roms et de Maghrébins, on est envahis, la ville a changé.”

Son amie, Marie, assise à ses côtés, lui coupe la parole pour pointer du doigt une voiture décapotable conduite par un jeune d’origine maghrébine : “Ils sont au chômage, mais ils paradent dans de belles bagnoles comme ça. Vous trouvez ça normal ?” Avant que l’on se quitte, les deux mamies nous encouragent à ne pas nous aventurer dans la cité sociale de Sabatot, au nord, qu’elles décrivent comme un véritable “coupe-gorge”. Sabatot est un ensemble d’immeubles de trois étages rutilant. Non loin de là, une mosquée a été construite mais elle est dépourvue de minaret et s’inscrit pleinement dans le paysage provençal. “Ce n’est pas Chicago ici, se marre sur son vélo Zouhair, 27 ans. Le vrai problème c’est l’islam, ça leur fait peur. Les vieux nous font des sourires, mais on sait que derrière ils votent FN.” Son pote Mohamed, en survêt de l’AC

“c’est la ville où notre potentiel électoral est le plus fort” un cadre du FN

Milan, ajoute en pointant du doigt plusieurs jeunes : “Il y a de tout ici : lui, il est bac + 4 ; lui, il est chef d’entreprise ; lui, il est flic ; moi j’ai un bac + 5 en finance. Il y a des bons mecs ici. Faut que Collard arrête de dire que l’on ne vit que grâce au RSA. Le Front national utilise la peur pour se faire élire mais on a bien vu ce qu’il se passe quand ils sont aux affaires. Il suffit de repenser à Vitrolles et Marignane.” Sur la carte de Saint-Gilles épinglée sur un mur de la permanence FN et représentant les différentes zones de tractage, la cité Sabatot a été barrée en rouge, comme un territoire perdu d’avance. Il semble loin le temps où Jean-Pierre Stirbois labourait les cités HLM de Dreux, lors de la percée électorale du FN, en 1983. L’avocat marseillais assure le service minimum et se contente de faire campagne sur son nom et celui de quelques stars frontistes. Le 8 mars, il a d’ailleurs fait appel à sa collègue de l’Assemblée nationale, Marion Maréchal-Le Pen, pour annoncer son programme. Devant un public de trois cents personnes, la plupart au crâne dégarni, l’avocat marseillais déroule la vulgate frontiste habituelle : “délinquance zéro”, “lutte contre les gaspillages”, “défense de la laïcité”, “consultation de la population via des référendums locaux”.

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un pauvre bilan A Vitrolles, Marignane, Orange ou Toulon, les mairies FN se sont signalées par leur incurie. “Le bilan des mairies FN est un sparadrap qui nous colle encore aujourd’hui à la peau.” Marine Le Pen, 22 avril 2013

Pour faire couleur locale, Gilbert Collard délivre tout de même une anecdote : “L’autre jour, je me promenais dans les environs de l’abbatiale et j’ai vu un sexe taggué. Ça veut dire : ‘Pissez ici.’ C’est inacceptable. Regardez le Puy du Fou, avant qu’on s’en occupe, c’était un trou. Nous, nous avons cette abbatiale que le monde entier nous envie et un port qui a été créé par Saint Louis. Qu’avons-nous fait de ces trésors ? Il faut redynamiser la ville !” Le public applaudit à tout rompre. Après le meeting, le DJ local balance Get Lucky – ignorant sans doute que Marion Maréchal-Le Pen avait bugué dessus un mois plus tôt lors d’un quiz musical sur RMC. Le public frontiste dodeline de la tête puis s’agglutine rapidement autour de “Gilbert et Marion”. Les personnes âgées s’amusent au jeu des sept différences entre Marion et sa tante Marine, les plus jeunes tentent d’obtenir une photo-souvenir à poster sur Facebook. Quinze minutes plus tard, le “Frontiste Land” prend fin. Gilbert Collard s’engouffre dans une Mercedes. “J’y vais pour éviter les incidents avec les jeunes des quartiers”, confie-t-il à une militante au moment de lui dire au revoir. Le lendemain, toute la ville se rassemble pour le grand marché dominical. Gilbert Collard se contente d’observer le spectacle de la terrasse d’un café, lunettes de soleil sur le nez. Malgré les sollicitations de son équipe, il refuse de se rendre sur place. “On ne va pas au conflit”, répète-t-il inlassablement à ses proches. Des “proches” que les méthodes “collardiennes” exaspèrent de plus en plus. Trois directeurs de campagne se sont succédé depuis le début de la campagne électorale. Et pendant que Gilbert Collard s’isole, ses ennemis font “front”. Après le dernier conseil municipal, le 13 mars, le maire socialiste et les deux candidats de droite ont poussé les tables pour prendre un verre ensemble autour de quelques tapas. “On a bu des canons et nous sommes tombés d’accord sur le fait qu’il est hors de question que la ville renoue avec son passé frontiste. Ça n’arrivera pas, faites-moi confiance”, assure le maire Alain Gaido. Verdict le 30 mars. Si Collard n’est pas élu dès le premier tour… David Doucet photo David Valteau pour Les Inrockuptibles

immigration A Vitrolles, Catherine Mégret tentera, d’instaurer la “préférence nationale” via une prime de naissance pour les familles dont l’un des parents au moins est français. Dans d’autres villes, les édiles FN suppriment les repas casher et halal dans les cantines (Marignane) ou délivrent au compte-gouttes les certificats d’hébergement (Toulon). sécurité Le nombre des policiers municipaux grimpe en flèche. A Vitrolles, ils sont surnommés “ninjas” à cause de leur attitude. Un arsenal qui n’a guère amélioré les chiffres de l’insécurité. culture Les maires frontistes ont taillé dans les subventions versées aux associations culturelles. A Orange, la mairie dirigée par Jacques Bompard contrôle les achats de la bibliothèque. A Marignane, on supprime les abonnements à Libération, La Marseillaise, au profit de Présent, Rivarol et National Hebdo. A Toulon, le centre culturel doit déprogrammer NTM “qui porte atteinte à la dignité de la femme et de la mère”, selon le maire Jean-Marie Le Chevallier. A Vitrolles, l’avenue Jean-Marie Tjibaou (leader kanak) est rebaptisée avenue Jean-Pierre Stirbois, ancien numéro 2 du FN mort accidentellement. finances Les maires frontistes ont promis de maîtriser les dépenses et les impôts locaux. Promesse tenue à Orange, grâce à des coupes radicales dans le budget, et à Toulon dont la quasi-absence d’investissements est à l’origine d’un fort désendettement de la commune. Pas à Marignane et Vitrolles dont la situation financière, très délicate avant l’arrivée des maires FN, s’est dégradée durant leur mandat. justice Les mandats des quatre maires ont été entachés d’irrégularités, qui ont conduits certains d’eux devant les tribunaux. Comme Daniel Simonpieri, ancien maire de Marignane, qui a été condamné en novembre 2011 à un an de prison avec sursis pour favoritisme, fausses factures et emploi fictif ainsi qu’à cinq ans d’inéligibilité. D. D. 19.03.2014 les inrockuptibles 23

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Marine Le Pen et Florian Philippot lors de la présentation de la liste des candidats à Forbach

à l’assaut de Forbach Le vice-président du FN, Florian Philippot, est candidat aux municipales dans cette ancienne ville minière de Moselle. Et bat la campagne dédiabolisé.

C

’est soir de vernissage rue Nationale. La galerie Têt’ de l’Art, située sur l’artère principale de Forbach, grouille de monde ce 8 mars. Notables et amateurs d’art plus ou moins affûtés jouent des coudes. Trois des postulants à la mairie serrent des paluches. A deux semaines des élections, l’ouverture d’une galerie est un enjeu électoral dans cette ville de Moselle-est de 22 000 habitants. Le plus incongru n’est pas l’accoutrement de mousquetaire de Juan Ramirez, filleul de Salvador Dalí et parrain du lieu. L’homme qui attire les regards s’appelle Florian Philippot, il est vice-président du Front national et on le donne en tête des intentions de votes au premier tour.

Mine fermée, Philippot semble tendu. “Il s’est pris quelques réflexions : normal, on est en pleine récupération !”, s’indigne une Forbachoise. “Il s’est fait filmer ici il y a quinze jours, confirme le peintre Thierry Crusem, membre du collectif de la galerie. Il nous a proposé 15 000 euros de subvention s’il était élu mais on ne veut pas de son argent.” Florian Philippot est un des artisans de la stratégie de dédiabolisation du FN portée par Marine Le Pen. La ligne ? Vieux grognards et crânes rasés sont mis au placard médiatique au profit d’une nouvelle génération mariniste plus présentable. Dans le discours, intérêt général, laïcité, social et sortie de l’euro remplacent – plus ou moins – préférence nationale et invasion des étrangers.

A 32 ans, Florian Philippot, ancien chevènementiste, énarque, incarne à la perfection ce lifting républicain. Il a convaincu Marine Le Pen de ne pas assister à la Manif pour tous. Fin août 2013, alors que la maire de Bollène, Marie-Claude Bompard (Ligue du Sud), refuse de marier deux femmes, Philippot déclare qu’elle doit “respecter la loi”. En s’inscrivant dans le giron républicain, Florian Philippot veut montrer un autre visage que celui de cette extrême droite locale. Sa présence au vernissage se veut un autre gage de respectabilité. Pourtant, dans les couloirs de la médiathèque, l’éventualité FN fait frémir. “On a très peur”, susurre un employé à l’oreille d’un visiteur. Ici personne ne parlera, devoir de réserve oblige, mais

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“la gauche et la droite n’ont rien fait : avec le FN, on ne tombera pas plus bas”

Fred Marvaux/RÉA

un électeur mosellan d’origine maghrébine

chacun a en tête le sort réservé aux bibliothèques gérées par les mairies frontistes. On sait les pressions, dépressions et mises au placard. Hervé Foucher, président de l’association d’art contemporain Castel Coucou, financée pour moitié par la ville, craint aussi des représailles : “Le FN pense à tort que l’art contemporain est élitiste.” Florian Philippot se défend :“Le maire socialiste dit que je vais fermer des structures. C’est faux, ce n’est plus le même Front que celui des années 90.” “Philippot n’attaquera pas frontalement la culture, ne videra pas la médiathèque, ce sera plus insidieux”, estime Frédéric Simon, directeur de la scène nationale Le Carreau. Ce dernier s’attend à des renégociations sur la disponibilité de sa salle qui rendraient son activité plus difficile. “En revanche, il pourrait prendre de l’argent aux centres sociaux pour tenir sa promesse de renforcer la police”, pointe-t-il. Philippot jure n’avoir “aucun a priori” mais son programme promet “la coupe dans les subventions aux associations politisées” et “communautaristes”. Les centres sociaux du Wiesberg et de Bellevue, deux quartiers populaires de Forbach, sonnent aux abonnés absents. Plus tôt dans la journée, Florian Philippot tracte mollement dans la rue commerçante, rue Nationale. Le médiatique candidat accuse une certaine popularité. A la terrasse d’un café, une trentenaire, conquise : “Voter FN alors que je suis d’origine algérienne ? Il va faire un bon nettoyage. J’habitais au Wiesberg. Deux fois, ces voyous ont cassé ma voiture.” Philippot boit du petit lait. “Forbach n’est pas Marseille, nuance Romain Janus, président de l’Union des commerçants, mais certains politiques accentuent cette image car c’est leur fonds de commerce.” Un commerce florissant. Dans la nuit du 10 mars, des heurts ont éclaté chez la voisine Behren-lès-Forbach : jets de pierres et cocktails Molotov contre la mairie, la poste et la maison des associations. Timing parfait pour le FN. “C’est une grosse cité, très pauvre, avec beaucoup d’habitants d’origine étrangère, le FN surfe là-dessus”, se désole Samia,

35 ans, documentaliste d’un collège de Behren. Sa pire crainte si le FN passe ? “Que les gens expriment plus librement des propos racistes.” Forbach connaît aussi ses quartiers chauds, comme le Wiesberg, dont les tours bleues se fondent dans le ciel, classé zone de sécurité prioritaire en octobre 2013 par Manuel Valls. Trois jours plus tôt, le 7 mars, Marine Le Pen a fait le déplacement pour soutenir la présentation de la liste Forbach Bleu Marine de son protégé. Dans le centre-ville, quelques syndicalistes de la CGT transports tentent de gâcher à coups de sifflets la parade des colistiers. Devant ce spectacle, un homme d’origine maghrébine lâche, désabusé : “En France, la gauche et la droite n’ont rien fait, les gens veulent des changements, avec le FN on ne tombera pas plus bas.” En fin de journée, l’icône Marine et son dauphin Florian sortent du bar la Calèche et s’engouffrent dans une berline. La fête est finie. Les colistiers David Schmidt, développeur informatique, et Sylvie Munier, technico-commerciale, rentrent chez eux lorsqu’une femme, chiffon autour de la tête, crie à leur hauteur : “No ! No !” “C’est à vous que je dis no !”, réplique Sylvie Munier. “C’est une Rom. Les réfugiés politiques et les cas sociaux sont logés à l’hôtel de la Poste à nos frais, 500 euros par mois, plus la nourriture et l’électricité.” Des demandeurs d’asile placés par la préfecture. David Schmidt renchérit : “J’étais au RSA l’année dernière et le CCAS (Centre communal d’action sociale – ndlr) m’a refusé un bon alimentaire, il donne à la tête du client.” Mme Munier indique deux boutiques : “Elles vont ouvrir, l’une est italienne, l’autre est une boulangerie turque. Toutes les boulangeries sont turques. Les Français ouvrent en Allemagne. Il n’y a plus d’entraide pour nous.” Cette rengaine résonne avec l’histoire de la Moselle-est. Du temps de la mine, Forbach vivait le plein emploi avec la mono-industrie du charbon. Dans les années 60, plus de quarante nationalités se partageaient le bassin : Polonais, Italiens, Allemands, plus tard les Maghrébins. 19.03.2014 les inrockuptibles 25

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les 10 villes prenables

Alexandre Renahy/Gazette Photo

Combien de maires possibles pour les Bleu Marine ?

Des militants du PS masquent les affiches du candidat Bleu Marine

Les mines régentaient tout : mairie, logement, chauffage. Puis la rentabilité a baissé, inexorablement. En 1994, le pacte charbonnier signe l’arrêt de la mono-industrie et le début d’une reconversion industrielle qui ne viendra jamais. Avec le désengagement de l’Etat et la fin du paternalisme minier prospère un fort sentiment d’abandon. Dans les années 90, la population de Forbach baisse de 20 %. Aujourd’hui, 14 % des Forbachois sont au chômage. Forbach, terre gaulliste prise par la gauche en 2008, se sent abandonnée. Philippot l’a bien compris. Sur son affiche de campagne, la croix de Lorraine et la flamme du Front s’enlacent au sommet de la tour qui domine la ville. La maire SPD de Sarrebruck, ville frontalière, a exprimé son inquiétude. Trente mille Mosellans de l’Est travaillent en Allemagne. Le 26 février, lors d’un débat sur Europe 1, le maire socialiste de Forbach Laurent Kalinowski parle en allemand. Philippot l’interrompt : “Quand vous criez en allemand, ça donne une mauvaise image.” Le représentant CDU de la Sarre se fend

“ce n’est pas le même Front que celui des années 90” Florian Philippot, candidat FN

d’un communiqué : “Le FN a une fois de plus montré son vrai visage, celui, horrible, de l’extrême droite.” Ambiance. A Forbach, la droite est divisée. La liste FN sera probablement au deuxième tour face à la liste PS. “Cette liste, quasi-reconduction de la précédente et ramassis de complaisance, n’est pas en mesure de nous défendre”, commente, affligé, un bon connaisseur de la politique locale. Philippot est aussi tête de liste aux européennes. Marine Le Pen vise la constitution d’un groupe qui donnerait à son parti exsangue collaborateurs, secrétariat, bureaux, budget com, temps de parole. Au fond, Philippot a-t-il intérêt à s’implanter dans cette ville sinistrée et est-elle sa priorité ? Nombre de Forbachois en doutent. “Philippot ? Il n’est pas d’ici”, tacle Bernard, la cinquantaine, en prenant un tract UMP. “Ici, c’est un tremplin.” Anne Laffeter

Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), 26 000 habitants en 2012 55,1 % des voix au second tour des élections législatives. le candidat Steeve Briois, secrétaire général du FN et enfant du pays, avec Marine Le Pen sur la liste. Saint-Gilles (Gard), 13 000 habitants en 2012 53,6 % des voix au second tour des élections législatives. le candidat Gilbert Collard, avocat marseillais et député de la IIe circonscription du Gard. Béziers (Hérault), 70 000 habitants en 2012 20,4 % des voix au second tour des élections législatives. le candidat Robert Ménard, ancien fondateur de Reporters sans frontières, soutenu par le FN. Fréjus (Var), 52 000 habitants en 2012 45,1 % des voix au second tour des élections législatives. le candidat David Rachline, ancien patron du Front national pour la jeunesse (FNJ). Dourges (Pas-de-Calais), 5 600 habitants en 2012 52,5 % des voix au second tour des élections législatives. le candidat Jérôme Vandesavel, ancien militaire de carrière. Forbach (Moselle), 22 000 habitants en 2012 41,7 % au second tour des élections législatives. le candidat Florian Philippot, vice-président du FN. Brignoles (Var), 16 000 habitants en 2012 39,8 % au second tour des élections législatives. le candidat Laurent Lopez, conseiller général. Carpentras (Vaucluse), 28 000 habitants en 2012 42,2 % des voix au second tour des élections législatives. le candidat Hervé de Lépinau, vice-président de la Ligue du Sud et suppléant de la députée Marion Maréchal-Le Pen. Tarascon (Bouches-du-Rhône), 12 000 habitants en 2012 57,4% des voix au second tour des élections législatives. le candidat Valérie Laupies, directrice d’école et ancienne chevènementiste. Sorgues (Vaucluse), 18 000 habitants en 2012 44,4 % des voix au second tour des élections législatives. le candidat Gérard Gérent, conseiller non encarté de l’actuelle majorité municipale UMP. Marion Maréchal-Le Pen figure en seconde position sur sa liste. D. D.

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le Pacs en scred

retour de hype

la saison 2 de True Detective

Lena Dunham

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

“c’est vrai que Kev Adams a un petit air de Copé”

John Coltrane

le Pasolini de Ferrara

“en avril, reste bien tranquille toi, sérieux”

roulons pour le côlon

Average Barbie

le livre pour enfants de Keith Richards

“Drunk in Love de Beyoncé, en français, ça l’aurait moins fait quand même, non ?” les festivals d’été

“non mais la voiture est un moyen de locomotion bien plus dangereux que l’avion, tsé” “non, moi je préfère l’hiver”

les leçons d’éthique de Michèle Alliot-Marie

Le livre pour enfants de Keith Richards Le guitariste des Rolling Stones sortira en septembre un ouvrage illustré destiné à la jeunesse et intitulé Gus & Me: The Story of My Granddad and My First Guitar. “Drunk in Love de Beyoncé, en français, ça l’aurait moins fait quand même, non ?”

Oh bébééé, soûle en amooouuur. Roulons pour le côlon A l’occasion de Mars bleu, mois dédié à la lutte contre le cancer colorectal, le grand public est invité à s’informer sur les tests de prévention. Les leçons d’éthique de Michèle Alliot-Marie Pitié. “Non, moi je préfère l’hiver”. D. L.

tweetstat La semaine dernière sur le réseau, Justin Bieber nous livrait enfin sa profession de foi : Suivre

Justin Bieberr @justinbieber

my music is my heart 09:26 - 11 mars 2014

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Paul Verlaine Baby baby baby, quelle est cette langueur qui pénètre mon cœur ?

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“ma musique est mon cœur”

52 %

Bernard Lavilliers La musique est un cri qui vient de l’intérieur (de n’importe quel pays, de n’importe quelle couleur)

41 % AVC

Une petite douleur à l’épaule gauche

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Barack et Zach entre deux fougères Pour le site Funny or Die, le président américain s’est prêté à un exercice de comique absurde avec Zach Galifianakis et a une nouvelle fois démontré ses talents d’entertainer.

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interview et malaise

Sorte de version américaine (et drôle) des interviews de Raphaël Mezrahi, Between Two Ferns est une parodie de talk-show du site Funny or Die. Animée par Zach Galifianakis depuis 2008, cette émission de quelques minutes donne à voir un dialogue souvent absurde entre une personnalité de l’industrie du spectacle et l’acteuranimateur. Le tout, entre deux fougères donc, littéralement, “between two ferns”. Interviewmalaise composée de questions maladroites ou rudes, et entrecoupée de sorties incongrues, l’exercice est couru par les acteurs de comédie (Michael Cera, Will Ferrell, Tina Fey, Steve Carell…) rompus à l’improvisation, mais plus étonnant pour un président des Etats-Unis.

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président pop Dès sa première campagne, Barack Obama s’impose comme un potentiel “président pop”. “Nice brother”, diront certains. Simple candidat aux primaires démocrates ou Président élu, il n’hésite pas, en vrac, à se déhancher sur du Beyoncé au Ellen DeGeneres Show, poser pour (et avec) le mi-trash, mi-branché Terry Richardson, participer au show satirique Colbert Report, ou faire le salut vulcanien dans le bureau ovale avec une actrice du Star Trek des 60’s.

Multiplier les références populaires en se servant de la mythologie américaine pour créer son propre mythe ? Fastoche. A côté des habituelles plumes formées à la politique, Obama convoque dès 2008 des auteurs de comédies (par exemple Kevin Bleyer, scénariste de Comedy Central pour The Daily Show with Jon Stewart) et certains de ses collaborateurs n’hésitent pas à démissionner pour entamer une carrière à Hollywood. Normal ?

un peu de sérieux Reproche n° 1 : pendant que l’on discute de comment Obama s’est retrouvé entre deux fougères, quid des vrais sujets politiques ? Beaucoup affirment qu’un président ne devrait pas se mettre en scène de la sorte, même pour promouvoir l’une de ses réformes. Selon le

producteur de l’émission (qui explique dans la presse que tout cela s’est déroulé easy et dans la bonne humeur), l’équipe d’Obama a contacté Funny or Die non pas pour montrer à quel point le Président était cool mais pour faire la promotion de l’Obamacare auprès des jeunes. C’est ce

qui s’appelle faire d’une pierre deux coups. “Si je me présentais une troisième fois, ce serait un peu comme faire un troisième Very Bad Trip. Et ça n’a pas très bien marché, si ?”, lance Obama, ironique, à Galifianakis. Gare à la gueule de bois ? Diane Lisarelli

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c’est arrivé demain Le hoverboard et les Nike à laçage automatique de Retour vers le futur 2 débarquent enfin. Censé revenir du passé le 21 octobre 2015, Marty trouvera-t-il les inventions du film ?

L

a cruauté du marketing n’a décidément aucune limite. Il y a quelques jours, une vidéo diffusée sur internet montrait Christopher Lloyd (le docteur Emmett Brown dans Retour vers le futur) présenter ce qui semblait être un authentique hoverboard, le skate volant de Marty McFly dans le deuxième volet de la trilogie, celui avec lequel il échappe au grand méchant Griff Tannen, petit-fils de Biff. Dans la vidéo, on voit Tony Hawk, le dieu des skaters, s’arracher du sol sur cet engin mythique. Moby aussi, bizarrement surgi du passé. Nom de Zeus ! Beaucoup y ont cru, une larme d’émotion au coin de l’œil. Las : c’était un coup de pub, mais très bien fait. Christopher Lloyd, contrit et hilarant, a présenté ses excuses face caméra pour avoir joué avec le culte. Selon la prophétie, Marty arrivera en DeLorean, la voiture à voyager dans le temps, le 21 octobre 2015 dans une ruelle sombre du centre de Hill Valley, la ville inventée par Robert Zemeckis, le réalisateur. A cette occasion, Nike a pris les devants et aurait l’intention de mettre au point – enfin – les chaussures à laçage automatique. Il suffit de poser son pied au fond et – clac ! – la godasse se referme dessus tel un piège à loup, en moins douloureux. La marque avait déjà tenté de faire le coup en 2011 et on avait été tenté d’y croire. Mais si le modèle présenté ressemblait fortement aux Nike de Marty, la fonction laçage automatique était absente. Quel intérêt alors ? Pour 2015, on devrait avoir le droit à une version plus aboutie. On peut applaudir ici la détermination des scientifiques qui, depuis la sortie du film en 1989, s’échinent à faire passer toutes ces trouvailles du cinéma à la réalité.

Le carburant nucléaire remplacé par les déchets ménagers, on sait faire. Les bus d’Oslo marchent au biogaz, du méthane extrait des ordures. L’image 3D qui donne l’impression de se faire niaquer par un requin, comme quand Marty découvre le Hill Valley de 2015, on connaît. La pizza déshydratée cuite en cinq secondes ? Pas encore, mais une start-up de Barcelone imprime déjà des margherita en 3D ! Nos scientifiques avaient judicieusement décidé de s’occuper plutôt des écrans plats ou des Google Glass, déjà imaginés, ou à peu près, dans le film. La disparition des CD ? Prévue aussi. Mais il reste encore du chemin. D’ici un an et demi, si l’on veut coller un peu mieux au scénario, il nous faudra trouver le moyen de faire décoller les skates et les voitures (voir Les Inrocks n° 946 du 15 janvier). Il faudra aussi des vêtements qui sèchent en trois secondes et s’ajustent à la taille du propriétaire. On y arrive, la plupart des vêtements seront, en effet, bientôt connectés. Mais surtout, en priorité, il faudrait accentuer les efforts de recherche sur le convecteur spatiotemporel. Sans ça, impossible de concevoir la plus belle et la plus folle idée du film, la machine à voyager dans le temps. Nicolas Carreau illustration Na Pincarda

pour aller plus loin La vidéo de démonstration du faux hoverboard funnyordie.com/videos/0f80c6eb22/huvr-belief?playlist=345688 Flashez le QR code pour retrouver les excuses (hilarantes) du docteur Emmett Brown lesinrocks.com

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style

où est le cool ? par Géraldine Sarratia et Dafne Boggeri

sur cette silhouette sonore Que vous soyez en route pour la prochaine Concrete ou que vous vouliez afficher de manière un peu appuyée que la musique, vous l’avez dans la peau, ce total look aux imprimés “vagues sonores” est fait pour vous. shoopshop.bigcartel.com

imprimé sur ces rouleaux adhésifs pop En plus d’être agréables à l’œil, ces bandes adhésives fines et ultracolorées de la marque allemande MT se décollent facilement, sans laisser de trace. mt-maskingtape.com

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Laure Joliet

à Los Angeles, chez Otherwild Espace combinant boutique et studio de design graphique, Otherwild, fondé par les deux artistes Marisa Suárez et Rachel Berks, est un lieu à ne pas manquer à Echo Park, Los Angeles. Une sélection très pointue d’objets (parkas de Desiree Klein, bracelets de Christine Tatomer…), le plus souvent conçus avec des artistes et designers émergents, y est proposée.

avec ce sac Poler sur le dos Design, fonctionnalité, résistance et prix accessible : on ne se lasse pas des lignes et vêtements créés par Poler, marque basée à Portland et spécialisée dans l’outdoor.

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vous n’y échapperez pas

la génération Z

J

e vous réponds dès que je rentre de l’école”, tweete Tavi Gevinson à ses 230 000 followers. Vous souvenez-vous de la bloggeuse de 12 ans à grosses lunettes qui avait créé un buzz avec ses tenues théâtrales inspirées des eighties qu’elle n’avait jamais connues, le tout shooté dans sa chambre au fin fond de l’Illinois ? Aujourd’hui lycéenne âgée de 17 ans, elle vient de signer son troisième livre et dirige le e-magazine branché Rookie. Pendant son temps libre, la petite prodige aux cheveux décolorés écoute des podcasts du philosophe slovène Slavoj Zizek ou des remix de sa copine Grimes. Tavi est la figure de proue de la génération Z, les 15-25 ans : ils ne se souviennent pas d’un monde sans crise et n’ont pas suivi les traces et diplômes des aînés pour s’immerger dans la société. Si la génération Y se démarquait par son hyperconnectivité et son nomadisme (merci Erasmus et Ryan Air), ces bambins sont sa version 4G. Ils savent coder en HTML dès le primaire, créent des blogs à la récréation et prennent des notes de cours sur leur iPad mini. Ils sont surinformés et désinhibés. Ils ne font pas de séparation entre la vie réelle et la vie digitale tant cette dernière a joué un rôle-clé dans leur éducation. Il n’y a pas de différence, donc, entre un travail en communauté et en réseau, entre une rencontre amoureuse sur Tinder ou dans un bar local. Le désincarné n’imite plus le monde tangible

Instagram de Tavi Gevinson @tavitulle

Née entre 1990 et 2000, la jeunesse nourrie à l’iPad et à Netflix cloue le bec aux trentenaires.

mais en fait entièrement partie. “C’est précisément ce sentiment de flou qui démarque les teenagers et jeunes adultes d’aujourd’hui”, analyse Mathieu Landais, scénariste du prochain film de Larry Clark, The Smell of Us, qui traite du quotidien d’un groupe de jeunes skaters à Paris. “On ressent une réelle porosité et fluidité entre les sexes, milieux, pratiques et professions.” Une génération néo-free love à la 70’s revue façon 3.0, hédoniste à souhait, voit le jour. Dans un monde où toute stabilité professionnelle semble relever de la légende urbaine, ces jeunots donnent un ton do it yourself à leur carrière. Ils font naître un entreprenariat à petite échelle et doucement solidaire, qui prône le travail de groupe et la philosophie du partage. On préfère louer des films et des chansons sur Spotify et Netflix que de les acheter. Ils plébiscitent le libre accès à l’acquisition. Crise ou pas crise, le tableau de la génération à venir est plutôt optimiste. Alice Pfeiffer

ça va, ça vient : Jennifer Lopez

1991 A 22 ans, cette danseuse du Bronx d’origine portoricaine fait sa première apparition télévisuelle dans le show In Living Color. Armée de bijoux latinos et d’une dégaine street, elle met en avant un multiculturalisme pop. A l’aube de l’ère Clinton, elle raconte une Amérique contemporaine et fière de son métissage.

1999 Rebaptisée J-Lo, elle sort son premier album, On the 6 (en référence au métro qu’elle prenait pour sortir de son quartier d’enfance, le très populaire Castle Hill). Clip 2.0, déhanchements salsa, le hit mondial If You Had My Love met en avant une success-story mâtinée de street cred qui n’oublie jamais ses racines.

2014 Jenny from the Block a aujourd’hui 44 ans, deux enfants, et après une flopée de rôles dans des films grand public et de boyfriends VIP, elle annonce la sortie d’un huitième album produit par Red One. Cette femme fatale proto-Kim Kardashian incarne surtout une figure matriarcale pérenne et rassurante, la mamma version star-system.

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présente La nuit de

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Rüdy Waks

ronde de nuit

Yuksek

“On ment toujours un peu la nuit” DJ et producteur, Yuksek, de son vrai nom Pierre-Alexandre Busson, travaille actuellement à l’écriture de son troisième album. Il vient de fêter le premier anniversaire de son label, Party Fine, et de signer la bande-son de Senza Pietà, du réalisateur italien Michele Alhaique.

Flashez le marqueur vidéo ci-contre pour découvrir un contenu inédit en édition augmentée. Ou retrouvez la vidéo sur www.youtube.com/LaNuitDe

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A quand remonte votre dernière nuit bl anche ? Je n’en ai pas le souvenir. Ça doit remonter à loin. J’ai horreur de voir le soleil se coucher ou se lever. J’ai un côté vampire fin de soirée. Il y a beaucoup de nuits courtes, surtout en tournée, mais j’essaie d’éviter les nuits blanches. Qui appelez-vous en cas d’insomnie ? J’ai un sommeil de plomb. Je peux être traversé de stress énormes pendant la journée mais dès que je me couche, je dors. Votre plus beau mensonge nocturne ? Sur scène. On ment toujours un peu la nuit. Quand on monte sur scène, on est davantage le personnage que les gens perçoivent que soi-même. C’est assez schizophrénique. Votre heure préférée de la nuit ? Comment l’employez-vous ? Une heure du matin. Ce n’est pas encore vraiment tard, on peut très confortablement aller se coucher ou continuer. J’aime ce côté pivot. Travaillez-vous mieux la nuit ? Je travaille toujours la journée, de manière très structurée, comme si j’allais au bureau. Pour mon prochain album, j’ai justement envie de me faire un peu violence. J’ai envie de partir quinze jours dans une maison, volets fermés, en immersion totale, sans limites temporelles. Enfant, la nuit était-elle synonyme d’angoisse ou de quiétude ? Consciemment de quiétude, inconsciemment sûrement d’angoisse. J’étais sujet à des terreurs nocturnes. Pendant quinze ans je me suis réveillé en nage, en hurlant, avec une lampe de chevet éclatée dans la main. Je me souviens d’un voyage en Inde où je me suis réveillé en pleine nuit. Je me suis levé du lit et j’ai couru tout droit, dans un mur. Aviez-vous un rituel du coucher ? Tout petit, mes parents me chantaient une chanson et on dansait en rond. Aujourd’hui, ça semble un peu chelou. Que ne porteriez-vous jamais la nuit ? Des lunettes de soleil. Qui aimeriez-vous croiser de nuit ? Andy Warhol. Où l’emmèneriez-vous ? J’aimerais que lui m’emmène à un concert du Velvet. Vous montez dans un train de nuit. Quelle est votre destination ? Je prends l’Orient-Express pour Vladivostok. J’adorais Agatha Christie gamin, plus tard j’ai fait du russe. Cette destination déclenche tout un imaginaire. J’aime le train, sentir l’éloignement. Quelle est l’odeur de la nuit ? Un mélange d’alcool fort et de nicotine. La phrase nocturne que vous n’oseriez jamais prononcer le jour ? Je reprendrais bien une vodka.

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itinéraires Le Trianon 80, bd de Rochechouart, Paris XVIIIe “J’y ai joué récemment. J’adore. Moins impressionnant que l’Olympia et son balcon qui avance sur la scène, mais les sensations y sont très fortes.”

“C’est fermé au public mais je connais la personne qui s’en occupe. Il me l’a fait visiter.”

Jean-Luc Paillé

la chapelle expiatoire, square Louis-XVI 29, rue Pasquier, Paris VIIIe l’Hôtel du temps 11, rue de Montholon, Paris IXe “Je n’habite pas Paris. C’est là que je dors quand j’ai besoin d’y passer la nuit.”

UN LIVRE

nuit sous influences

Le Château de Franz Kafka “Mêmel orsqu’ils se déroulent de jour ses livres sont des huis clos tellement étouffants, sombres, qu’ils en deviennent nocturnes. Il n’y a pas de lumière chez Kafka.”

UN ALBUM Fantaisie militaire d’Alain Bashung “Il y a tout dans ce disque : les paroles, les arrangements, la profondeur.”

UN ÉVÉNEMENT les illuminations nocturnes à Hong Kong “La décadence totale. Il y a tellement de fric dans cette ville que chaque nuit ils font des projections en jouant avec les lumières.”

flashez la vidéo ici*

UN FILM Mulholland Drive de David Lynch “La première fois que je suis allé à Los Angeles, j’ai pris Mulholland Drive en bagnole. Tout au bout, on arrive à un ancien abri de missiles avec une vue incroyable sur la ville.”

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*Comment voir la vidéo ? 1. Rendez-vous sur l’application smartphone des inRocKs et activez l’onglet “édition augmentée”. 2. Visez la page et la vidéo apparaîtra.

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“La nuit c’est avant tout la solitude. Moi et Paris. Penser. Attendre. Préparer. Créer une histoire. L’histoire qui les fera danser, qui leur fera tout oublier. C’est à ça que sert la nuit. S’échapper. S’enfuir.”

La nuit continue sur style.lesinrocks.com/category/nuit

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bouche à oreille

un gâteau, sinon rien Eclair, pastel de nata, macaron… Depuis deux ans, les pâtisseries monoproduits se multiplient dans la capitale.



amedi après-midi dans le Marais, à Paris, c’est l’effervescence à L’Eclair de Génie, du pâtissier Christophe Adam. Les clients attendent leurs éclairs laqués aux saveurs de choco coco, caramel beurre salé ou passion-framboise. Fin d’après-midi dans le même quartier : impossible de goûter un pastel de nata de Comme à Lisbonne. “On a été dévalisés”, annonce, désolée, la serveuse. Point commun de ces pâtisseries ? Elles sont monoproduits. Selon Quentin Caillot, cofondateur de Geek & Food, agence de com culinaire et blog participatif, il y a deux raisons à l’hyperspécialisation. “Les gens veulent tester le meilleur produit, la meilleure galette, le meilleur burger, et ils visent dans le super haut de gamme : ils ne vont acheter qu’un éclair à 5 €, certes, mais ce doit être le meilleur du marché.” Jabert, responsable d’exploitation à L’Eclair de Génie, explique : “Nous faisons de la pâtisserie sur mesure, ce n’est même plus de la pâtisserie mais de l’orfèvrerie.” Effet de mode ou tendance vouée à durer ? Quentin Caillot rappelle qu’il existait déjà les bars à macarons, toujours présents sur le marché. Selon lui, la vente d’un monoproduit peut vite s’essouffler, à moins d’être “le meilleur

spécialiste et hypermédiatisé. Le succès ne peut perdurer sans un vrai produit de qualité”. La qualité est bien présente dans le délicieux éclair caramel beurre salé de Christophe Adam, hyperparfumé, frais et au design impeccable. Tout comme les pastéis de nata de Comme à Lisbonne. Ces petits gâteaux feuilletés portugais, entre le flan et la crème pâtissière vendus 2 euros, se servent tièdes, croustillants et saupoudrés de cannelle. Délicieux. Victor Silveira a ouvert Comme à Lisbonne à Paris, en juin 2011. “A l’époque, tout le monde me disait que c’était de la folie de créer une pâtisserie monoproduit mais j’avais foi en cette recette que je tiens de ma mère.” Pari réussi : il vend le week-end jusqu’à 1 300 petits gâteaux par jour. L’Eclair de Génie comptera cette année trois nouvelles boutiques parisiennes et une au Japon. Victor, lui, après avoir ouvert Tasca, un petit restaurant attenant à sa boutique, cherche un autre emplacement (stratégique) pour ses pastéis… Monoproduits : multiemplacements. Zazie Tavitian L’Eclair de Génie 14, rue Pavée, Paris 4e Comme à Lisbonne 37, rue du Roi de Sicile, Paris 4e 19.03.2014 les inrockuptibles 41

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Près de chez lui, à L. A., début mars

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l’outsider On connaissait Bret Easton Ellis écrivain à succès, le voici scénariste de The Canyons, de Paul Schrader, avant un passage annoncé à la réalisation. Entretien à Los Angeles avec une forte tête bien décidée à bousculer l’ordre des choses hollywoodiennes. propos recueillis par Jacky Goldberg photo Patrick Fraser pour Les Inrockuptibles

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Ellis déplore la multiplication et le succès critique des victim movies, type 12 Years a Slave (ci-contre) : “une façon cheap d’émouvoir le spectateur, d’enfoncer des portes ouvertes…”

I

l est exactement 16 heures lorsque Bret Easton Ellis nous ouvre la porte de son appartement, au 8e étage d’un immeuble pas follement clinquant de West Hollywood, à deux pas du Marais angelino. Une fois à l’intérieur, en revanche, la vue impressionne. Depuis son nid d’aigle, mis en scène dans son dernier roman (Suite(s) impériale(s), en 2010), l’écrivain qui se verrait bien cinéaste, a tout loisir de méditer sur la vanité de ses contemporains, lorsqu’il ne travaille pas à l’un de ses innombrables projets (dont le très attendu The Canyons de Paul Schrader, dont il a écrit le scénario), lorsqu’il ne tweete pas, ou lorsqu’il ne discute pas avec un artiste aimé (Judd Apatow, Kanye West, Gus Van Sant…) dans son excellentissime podcast (podcastone.com/Bret-Easton-EllisPodcast). A la veille de ses 50 ans, détendu, en jogging et hoodie sur son canapé, une bouteille d’eau minérale à ses pieds, il se montre deux heures durant d’une extrême affabilité, tandis qu’en face de lui, sur un énorme écran plat, CNN diffuse en boucle des images de la crise ukrainienne…

“Le Loup de Wall Street est infiniment plus politique que 12 Years a Slave”

Vous étiez en train de regarder la télé ? Bret Easton Ellis – Non, pas vraiment. Je la laisse toujours allumée, en arrièreplan. Ça me fait un bruit de fond. J’étais en train de travailler dans mon bureau avant que vous n’arriviez. A un roman ? Entre autres. Justement, c’était aujourd’hui la première fois depuis longtemps que je travaillais à mon roman. J’ai relu des notes, quelques pages déjà écrites… Et ça m’a en partie satisfait, en partie mécontenté. Alors j’ai décidé de le remettre de côté… C’est mon roman le plus autobiographique, qui relate des événements que j’ai vécus adolescent. C’est sans doute la raison pour laquelle j’ai tant de mal à l’écrire… J’ai aussi écrit quelques mails, et avancé sur différents projets. Ce que j’appelle du contenu. C’est-à-dire ? Je développe, avec la télé australienne je crois, un projet adapté d’un roman pour jeunes adultes que j’aime beaucoup, mais je ne peux pas en dire plus. Je

travaille aussi avec un jeune artiste basé à L. A., Alex Israel, qui m’a commandé des textes liés à ses peintures. Enfin, j’ai répondu à des coups de fil, à propos d’un clip que j’ai écrit pour les Dum Dum Girls, mis en ligne aujourd’hui. Voilà ce que j’ai fait. Ça et puis attendre. Des réponses. Pour des projets. D’autres projets. Vous croulez sous les projets ! Oui (sourire). Mais ça ne m’a jamais empêché de me concentrer sur ce qui m’intéresse. Un autre truc que j’ai fait aujourd’hui, c’est préparer un tournage. Vous réalisez aussi des films désormais ? Oui, c’est très récent. Je veux réaliser un film d’horreur à petit budget que j’ai déjà écrit. Et j’ai cowmmencé une mosaïque sur Los Angeles, en trois parties. Trois courts métrages d’environ 5 minutes sur différents aspects de la ville, avec différents acteurs. J’ai déjà réalisé les deux premiers, et j’attends d’avoir l’équipement nécessaire pour

Ellis sur les oscars : “Ne pas récompenser Leonardo DiCaprio est une aberration.”

le troisième, une MoVI, une sorte de caméra Steadycam en un peu plus sophistiquée. Vous allez écrire une série sur Charles Manson que Rob Zombie va réaliser ? Oui, pour la Fox, a priori. Je ne m’intéresse pas qu’à Manson, mais aussi à Sharon Tate, à Roman Polanski, à Dennis Wilson des Beach Boys, aux autres membres de la family… Je prie pour que ça se fasse, car dernièrement la plupart des choses que j’ai écrites ont fini sur une étagère… C’est un peu décevant. Quoi que j’envoie à mon éditeur, nul ou bon, c’est triste à dire, mais je toucherai une avance, ce sera publié et ça se vendra. Pour le reste, je dois encore faire mes preuves. Mais ça m’excite davantage. Pour moi, c’est très naturel de faire plein de choses en même temps. La seule chose qui ne me semble pas naturelle, en ce moment, c’est d’être assis quelque part, seul, en train d’écrire un roman.

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Pour quelles raisons ? (il réfléchit) Je crois que la forme même du roman ne m’intéresse plus. A cet instant de ma vie, en tout cas. En 2012, j’ai écrit plus que je n’avais jamais écrit de ma vie, mais presque exclusivement des scénarios. Deux longs métrages qui ont été réalisés (outre The Canyons, The Curse of Downers Grove, un petit film fantastique réalisé par Derick Martini – ndlr). Et un nombre incalculable de projets télévisuels. Certains toujours en développement, beaucoup abandonnés. J’ai aimé ça. J’ai adoré même ! Mais j’ai fini par faire un burnout. En janvier 2013, j’ai craqué, je suis tombé en dépression pendant un an. Je suis retourné voir un psy. Je me sentais nul, inutile, terrifié par la vie… J’ai tout de même fini par m’en sortir. J’ai recommencé à écrire un peu, je me suis arrêté… Et puis j’ai lu Le Chardonneret de Donna Tartt, une vieille amie, un roman très très long (lire critique dans Les Inrocks n° 946 – ndlr). Elle a mis treize ans à l’écrire. Elle a fait des recherches quotidiennes à la bibliothèque municipale de New York. Et ça m’a inspiré. Beaucoup. Alors je me suis remis à écrire… Et puis, j’ai arrêté à nouveau. Et ce n’est qu’aujourd’hui que j’ai essayé de m’y remettre. En vain. Je ne sais pas si ça a un rapport avec la concentration, avec le rythme imposé par internet, mais je n’y arrive plus. Je lis moins vite qu’auparavant et il est devenu rare qu’un roman m’emporte au point que je ne puisse plus m’arrêter de lire. Est-ce que tout ce que vous rassemblez sous le terme contenu – vos livres, scénarios, tweets, podcasts –, a la même importance à vos yeux ? Non. Le projet Manson, par exemple, m’obsède. C’est quelque chose que je brûle d’envie de faire. Le podcast, j’avais d’abord refusé puis j’ai finalement accepté quand j’ai réalisé que plus personne ne lisait de longs articles de 4 000 mots et que l’on touchait davantage de gens par ce biais. Ça, et tweeter, c’est facile, fun, et c’est tout ce dont j’ai envie pour le moment. Il faut arrêter avec le mythe du grand écrivain américain vaniteux (le terme self-important reviendra à plusieurs reprises dans la conversation – ndlr) reclus dans sa tour d’ivoire,

délivrant la vérité aux mortels par la puissance de sa prose… C’est si Empire. Que voulez-vous dire par là ? C’est une distinction que j’aime faire depuis quelque temps (explicitée en mars 2011 dans un article sur thedailybeast.com – ndlr). Empire, c’est la période qui va de 1945 à, disons, 2001-2005. C’est l’époque de mes parents, de l’Amérique dominante et sûre d’elle-même – je ne vous apprends rien. Post-Empire, c’est la période qui, progressivement, est en train de s’instaurer. Pour le dire simplement, c’est un moment particulièrement excitant où les masques tombent, où l’on n’attend plus l’autorisation pour faire les choses. On les fait soi-même, sans rien demander à personne, tant pis si ça déplaît. Charlie Sheen, Jennifer Lawrence, Kanye West : voici quelques exemples d’artistes post-Empire qui m’intéressent. Comment en êtes-vous venu à collaborer avec Kanye West sur un scénario de film ? Et de quoi s’agit-il ? C’est lui qui, un jour, m’appelle par surprise et me demande si je veux développer un scénario basé sur l’une de ses idées. J’ai d’abord refusé. Alors il m’a envoyé une copie de son album, Yeezus, avant qu’il ne sorte. Je l’ai écouté, je m’en souviens encore, j’étais dans ma voiture, au début de l’été : j’ai trouvé ça génial ! J’aime tous ses albums, depuis le début, mais celui-ci m’a soufflé. J’ai accepté de le rencontrer, et c’est la personne la plus fascinante qui soit. On a parlé trois heures, avec une franchise rare. Et j’ai accepté d’écrire un scénario. Je le lui ai remis, mais je ne sais pas où il en est. Je ne peux pas en dire plus. D’où vient le plaisir que vous prenez à écrire des scénarios ? Du fait que ça vous demande moins d’introspection qu’un roman ? Absolument. Un scénario est plus mécanique, ça demande une tournure d’esprit que j’ai en ce moment… Vous savez, quand j’étais petit, c’est vraiment le cinéma qui m’intéressait. J’ai grandi à Los Angeles, au milieu de gosses de riches dont les parents travaillaient à Hollywood. On était au courant de tous les gossips, je connaissais les dessous 19.03.2014 les inrockuptibles 45

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Bret Easton Ellis adore Girls – “Lena Dunham n’a aucune complaisance avec ses personnages, et pourtant elle nous fait les aimer (…). Et la troisième saison est de mieux en mieux.” – et considère L’Inconnu du lac comme “le meilleur film français (que j’aie) vu depuis des années”.

du business, je lisais les critiques, les scénarios qui me passaient entre les mains… Mais moi, à côté, j’écrivais. Puis quand il a été question d’aller à l’université, contrairement à tous mes amis, je ne souhaitais pas rester à Los Angeles. Alors je me suis inscrit à Bennington (sur la côte Est, dans le Vermont – ndlr). J’y ai écrit Moins que zéro, et après, tout s’est enchaîné, je suis devenu écrivain, avec un succès certain… C’était les années 80, le cinéma d’auteur s’était cassé la gueule après La Porte du paradis de Michael Cimino (1981), et il semblait alors plus enviable d’être écrivain que réalisateur. Mais au fond de moi, je n’ai jamais abandonné l’idée de faire des films. Je vois peu d’écrivains américains qui ont réussi cette reconversion. Des Français, à la pelle, à commencer par Cocteau, Pagnol, Duras ou Houellebecq, mais des Américains… ? (il réfléchit) Le seul auquel je pense est Norman Mailer. Donc c’est vrai, ça se fait peu ici. Il faut un début à tout (sourire). Quatre de vos romans ont été adaptés à l’écran, Moins que zéro, Zombies, American Psycho et Les Lois de l’attraction. Certains correctement, d’autres moins. Est-ce la frustration de ne pas contrôler le résultat qui vous pousse également à passer derrière la caméra ? Tout à fait. C’est pour ça que les écrivains deviennent réalisateurs. Après le désastre de The Informers en 2008 (adapté par Ellis lui-même et réalisé par Greg Jordan – ndlr), j’ai commencé

à y songer très sérieusement. Avec The Canyons, il était clair dès le début que Paul Schrader allait le réaliser. Mais bien qu’il ait respecté le scénario à la lettre, à quelques improvisations de Lindsay Lohan près, le film est très différent de ce que j’avais en tête. Je ne me plains pas : c’est le jeu, et je crois qu’il a fait un très bon boulot. Sans doute le meilleur possible vu les conditions : un budget minuscule, beaucoup de scènes de nuit éprouvantes pour l’équipe, un acteur porno débutant dans le cinéma traditionnel, Lindsay Lohan (il esquisse un sourire)… Je me serais tiré une balle si j’avais dû le faire. Il fallait un vétéran pour s’en sortir (il imite Schrader) : “Rien à foutre de ces conneries, si elle veut pas se mettre à poil, ben c’est moi qui vais me mettre à poil !” Cette envie de faire les choses à ma guise me titille de plus en plus fortement. Réaliser un film, ce n’est pas faire exactement ce que l’on a en tête, contrairement à un livre… C’est se confronter au réel et à ses accidents, aux acteurs, aux producteurs, à l’équipe… Vous avez raison, mais quelques réalisateurs parviennent à réaliser exactement leur vision : les frères Coen, Woody Allen, Stanley Kubrick… Plus que beaucoup d’autres, c’est certain, mais pas totalement… Et quand je vois The Canyons, c’est ce qui semble vous avoir échappé, à vous et à Paul Schrader, que je trouve le plus intéressant, à savoir Lindsay Lohan. Ah, Lindsay…

Vous avez déclaré, dans l’un de vos podcasts, que vous regrettiez qu’elle ait eu le premier rôle. Elle est pourtant magnifique ! (Souriant) Je n’ai pas exactement dit ça. J’ai dit que je regrettais que les gens n’aient vu le film qu’à l’aune de Lindsay Lohan, comme un Lindsay Lohan movie, et que l’avoir dans le rôle principal avait sans doute détourné l’attention de ce qui nous importait vraiment, à Paul et à moi. Je crois que Lindsay est formidable dans le film. Elle apporte énormément. Elle donne même plus que ce que l’on espérait. Mais il y a beaucoup de contreparties. Ça a été difficile de tourner avec elle, vous savez. Pas autant que ce qu’a écrit le New York Times (dans un fameux article de Stephen Rodrick, publié en janvier 2013, “Here’s what happens when you cast Lindsay Lohan” – ndlr), mais tout de même. Elle était dévastée. Déchirée. Incapable de respecter les horaires. Or, quand vous tournez avec un tout petit budget, ça met une pression insoutenable sur le reste de l’équipe. Mais ça encore, ce n’est pas très grave : vous avez raison, elle est très bien dans le rôle. En revanche, elle a flingué la promotion. Elle a refusé de jouer le jeu. Et comme tout le monde nous attendait au tournant, le film s’est fait massacrer. Est-ce que les mauvaises critiques vous a ffectent ? Non, jamais. Je n’ai aucun problème avec la critique parce que je fais les choses pour moi. Je suis le seul juge de mon travail. Une fois que j’ai terminé une œuvre, elle ne m’appartient plus. Je m’en éloigne. J’ai connu de mauvaises critiques dès le début, avant même Moins que zéro, aux ateliers d’écriture à la fac. Si j’avais dû écouter mes détracteurs, je n’aurais jamais rien fait. Même mon boyfriend n’aime pas ce que je fais ! Armond White, l’un de mes critiques américains préférés, l’un des esprits les plus libres de ce pays (célèbre pour

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“Charlie Sheen, Jennifer Lawrence, Kanye West : voici quelques exemples d’artistes post-Empire qui m’intéressent”

avoir violemment insulté Steve McQueen et avoir été, pour cette raison, exclu du Cercle de la critique new-yorkaise en janvier – ndlr), a détesté The Canyons. Eh bien, ça ne m’a pas empêché de trouver sa critique excellente. Il n’a peur de rien, il est totalement indépendant. Il y a trop de soi-disant critiques encensant de soi-disant chefs-d’œuvre toutes les semaines. Combien de fois par an lit-on “c’est le meilleur film américain depuis 1970” ? Bullshit. Regardez comment ont été reçus American Hustle, 12 Years a Slave, Gravity, c’est n’importe quoi. Vous avez entendu parler de la théorie du vulgar auteurism ? C’est un groupe de jeunes critiques américains qui défendent le cinéma de genre, la série B, les films a priori bas de gamme, les action flicks, les direct-to-DVD, contre les films de prestige. Je vois de quoi vous parlez, même si je ne suis pas un fin connaisseur de cette théorie. Vous savez, j’ai mis Fast and Furious 6 dans mon top 10, et je pense que Justin Lin est capable de certaines des plus belles envolées cinématographiques vues l’an dernier. Pacific Rim, même combat. Je déteste les films vaniteux, tous ces films hypocrites qui veulent que je me sente mieux en sortant, qui veulent dénoncer les injustices de l’Eglise catholique, qui m’expliquent que l’esclavage c’était vraiment pas bien… J’appelle ça les victim movies. C’est une façon cheap d’émouvoir le spectateur, de le brosser dans le sens du poil, d’enfoncer des portes ouvertes. Une des raisons pour lesquelles le cinéma américain m’a déprimé cette année est la multiplication de ces films et leur succès critique : 12 Years a Slave, Fruitvale Station, State of Grace, Dollar Buyers Club. En fin d’année, il n’y avait plus que ça sur les écrans. J’imagine que les oscars vous ont déprimé cette année ? (soupir) C’est la première fois que je

suis à ce point mortifié par la cérémonie. Je sais bien que les statuettes reviennent rarement à ceux qui les méritent le plus, que toute cette cérémonie n’est qu’un rituel compassé destiné à renvoyer à l’industrie une image agréable d’elle-même, bref je n’en attends jamais beaucoup, mais cette année, non, c’était vraiment en dessous de tout. Cate Blanchett, OK, bien que je n’aime pas beaucoup le film, mais pour le reste, ils ont eu tout faux. Ne pas récompenser Leonardo DiCaprio est une aberration. Si ce n’est pas la jalousie de ses semblables, je ne me l’explique pas. Rien n’était drôle, tout suintait la suffisance… Le sommet de l’indécence fut la blague de la pizza : faire croire que ces gens richissimes sont comme tout le monde ; Brad Pitt qui met 200 dollars dans la jarre comme si de rien n’était… Mais qu’est-ce qu’il croit ? Leo, vous remarquerez, n’a pas pris de part de pizza, et ne s’est pas mis sur le selfie. More points for Leo ! Le Loup de Wall Street est l’anti-victim movie par excellence, non ? Oui. C’est pour moi de très loin le meilleur film américain sorti en 2013. Voilà un film qui n’exprime pas de remords, qui ne cherche pas à représenter le sacro-saint point de vue des victimes, qui explore, comme peu de films l’ont fait, l’essence des 90’s (et par extension le présent), et qui le fait de façon extrêmement divertissante, de la première à la dernière minute. En outre, je ne m’intéresse pas au sujet des films, mais si on veut le faire, celui-ci est infiniment plus politique que 12 Years a Slave. Si vous ne vous intéressez pas au sujet, qu’est-ce qui définit un bon film ? Mood and atmosphere (il le répète deux fois). C’est pour ça que j’ai du mal à entendre que la télé connaîtrait actuellement un âge d’or et serait supérieure au cinéma. La télé est 19.03.2014 les inrockuptibles 47

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“les livres, nul ou bon, ça se vendra. Pour le reste, je dois encore faire mes preuves” dépendante de l’histoire, de la narration, des rebondissements. Je suis désolé, mais la meilleure des séries n’égalera jamais un bon film en termes d’humeur et d’ambiance. Prenez Breaking Bad, c’est de la bonne télé, bien fichue, mais ce n’est qu’une histoire et du storytelling. Je ne vous parle pas de Game of Thrones, totalement nul. Même mes deux séries préférées, Les Soprano et The Wire, reposent essentiellement sur l’histoire. Et le fameux plan-séquence de dix minutes de l’épisode 4 de True Detective alors ? C’est de la télé qui imite le cinéma, c’est ridicule. Tous les gens, le lendemain, qui s’extasiaient sur Twitter, j’avais envie de leur dire : “C’est de la merde.” Notez que je n’ai pas plus de considération pour le plan-séquence d’ouverture de Gravity. De la frime pour masquer le vide. Aucune série contemporaine ne trouve grâce à vos yeux ? Si, Girls. Lena Dunham y réussit quelque chose d’admirable, et d’extrêmement rare dans la pop culture d’aujourd’hui : être à la fois pleine de dédain et de compassion. Pour le formuler

autrement : elle n’a aucune complaisance avec ses personnages, et pourtant elle nous fait les aimer. Tout ça avec une simplicité apparente, sans montrer le travail. J’adore. Et la troisième saison est de mieux en mieux. Il y a aussi Mad Men, que je ne regarde qu’une fois la saison achevée, en binge watching. C’est la seule série pour laquelle je fais ça – avec House of Cards. Je n’avais rien de mieux à faire ce week-end-là et, en effet, c’était un peu une perte de temps. J’aime aussi Looking, la première série postgay, c’est-à-dire où les personnages sont gays mais qui n’est pas focalisée sur leur sexualité, le sida, le coming-out, whatever. Enfin, je dois avouer ma passion pour la télé-réalité: The Hills et The Real Housewives of Beverly Hills sont mes shows préférés. Il me semble que vous tweetez moins que par le passé. A moins que vos tweets soient plus mesurés… Vous vous êtes attiré de nombreuses inimitiés via Twitter, non ? Oui, c’est vrai que ça m’amuse un peu moins, même si je ne peux pas m’en passer. A un moment, le moindre de mes

tweets semblait devenir une affaire d’Etat. C’était ridicule. Bon, évidemment, je ne suis pas naïf, quand je tweete certaines choses, je me doute bien que ça va provoquer des réactions (sourire). Vous avez tweeté qu’Amour ressemblait à La Maison du lac filmé par Hitler… Je n’ai pas détesté le film d’Haneke, je l’ai juste trouvé exténuant. C’est comme une punition. C’est brillant mais il n’y a aucun plaisir, et moi je veux du plaisir. En parlant de lac, il me semble avoir vu passer sur Twitter que vous aimiez L’Inconnu du lac… Le meilleur film français que j’aie vu depuis des années. Postgay lui aussi. Quand je l’ai vu, j’ai pensé que mes amis hétéros n’allaient pas l’aimer. Eh bien, je me suis trompé. J’en parlais l’autre jour avec Gus Van Sant, qui était lui aussi sidéré par la puissance de ce film. Je repense à votre distinction entre Empire et post-Empire. Leonardo DiCaprio n’est-il pas l’archétype de l’acteur Empire ? Or vous l’adorez… Il faut bien quelques exceptions. lire aussi la critique de The Canyons, p. 68

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“ça commence toujours par un sentiment” Her est une histoire d’amour entre un homme et une machine. Joaquin Phoenix y est méconnaissable, Scarlett Johansson invisible. Rencontre avec le réalisateur Spike Jonze, qui n’en fait décidément qu’à sa guise. par Jacky Goldberg et Jean-Marc Lalanne photo Alexandre Guirkinger pour Les Inrockuptibles



a dernière fois qu’on l’a rencontré, pour la sortie de Max et les Maximonstres il y a quatre ans, Spike Jonze était diablement agité. Il bougeait arbitrairement les meubles de sa chambre d’hôtel, peinait à terminer ses phrases… Celui qu’on imagine éternel ado nous a cette fois paru apaisé, rayonnant, à l’image de son nouveau film, Her. Il ignorait au moment de l’interview, en février, qu’il allait remporter quelques jours plus tard l’oscar du meilleur scénario pour son premier effort en solo. C’est votre film le plus simple, le moins torturé. Est-ce le fait d’écrire seul qui vous a poussé dans cette direction ? Spike Jonze – Je ne sais pas… Je crois que chaque film que je fais est une photographie de qui je suis à un instant T, mais j’évite de trop intellectualiser le processus. Quand j’avais 28 ans, le film que je voulais faire était Dans la peau de John Malkovich, et ça représentait qui j’étais alors. Même si Charlie Kaufman l’a écrit, ce film faisait sens pour moi, intimement. Max… avait une histoire très forte, mais une intrigue extrêmement simple – c’est l’histoire d’une tempête émotionnelle. Adaptation, au contraire, avait de multiples lignes narratives. C’était une jungle dont on a trouvé l’issue seulement au montage. Bref, c’est très dur pour moi de répondre à votre question : je fais les films un à un,

et n’aime pas être mis dans une boîte. Vous connaissez cette vidéo où Stephen Colbert parle à George W. Bush au dîner des correspondants de la Maison Blanche ? C’est une des blagues les plus brillantes de la décennie précédente. C’était en 2006, tout le monde était frustré, et en face du mec, Colbert balance : “Ce qui est génial avec George Bush, c’est qu’il a le même avis le lundi et le mercredi, quoi qu’il se soit passé le mardi…” D’ores et déjà, quand je revois Her, j’ai l’impression qu’il ne m’appartient plus. Je ne suis plus le même que j’étais il y a trois ans, quand j’ai commencé à l’écrire – et tant mieux ! Quel était le point de départ du film : un sentiment, une idée, l’envie de tourner avec Joaquin Phoenix ? Ça commence toujours par un sentiment. A vrai dire, j’avais eu l’idée d’un homme tombant amoureux d’une intelligence artificielle il y a à peu près dix ans, mais ce n’était que les prémices. Le genre d’idée qu’on trouve amusante mais qu’on met de côté, ne sachant qu’en faire. Il a fallu tout ce temps pour qu’elle mature et devienne véritablement un film. Je compare ce processus à la création d’une planète. Au début, vous avez un nuage de poussière, et un élément un peu plus gros que les autres se met à agréger ce qu’il y a autour de lui par sa force de gravité (il fait les gestes). Et de plus en plus d’astres s’agrègent, et puis un groupe d’astres se rapproche et entre en collision avec le premier groupe,

et ainsi de suite. Dans cette phase, il ne faut surtout pas se censurer, il faut laisser son esprit divaguer. La moitié des idées que je note sur mon ordinateur n’iront pas jusqu’au bout, certaines serviront à d’autres films (il réfléchit)… Une autre métaphore me vient en tête : quand vous faites une vodka martini, vous mettez d’abord le vermouth dans le shaker, puis vous l’enlevez avant de mettre la vodka, mais il reste un résidu de vermouth sur les bords du shaker. Dans mon film, c’est la même chose : des tas de choses ont disparu, mais elles demeurent à l’état de résidu. Il en est ainsi de la voix de Samantha Morton. Sa voix n’est plus dans le film, mais son essence demeure. Elle était avec nous sur le tournage, c’est elle qui conversait avec Joaquin. Puis quand Scarlett est arrivée, elle a créé son propre personnage. Pourquoi avoir remplacé Samantha Morton par Scarlett Johansson ? Je ne suis pas très à l’aise avec cette question. Je peux juste dire que la performance de Samantha Morton, aussi excellente soit-elle, ne correspondait plus à mon idée. Je suis très bordélique dans mon processus créatif, pour le meilleur ou pour le pire. Je cherche, je découvre, j’évolue… Ce n’est pas toujours aussi douloureux pour mes collaborateurs, mais c’est comme ça. Comment en êtes-vous venu à choisir Scarlett Johansson ? Je ne cherchais pas forcément une voix célèbre. J’ai auditionné

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“j’ai demandé à Joaquin Phoenix de regarder Le Dernier Tango à Paris. J’aime la crudité de ce film”

Paris, février 2014

une trentaine de personnes, mais personne ne me convenait. J’ai fini par convier Scarlett, que je connais depuis des années, pour une petite session de lecture, juste pour voir. Evidemment, on n’auditionne pas Scarlett Johansson, mais je voulais m’assurer que sa voix correspondait à mes attentes. On a lu des passages du scénario, et ça l’a fait. Au début, elle pensait que ce serait facile pour elle, qu’il s’agirait seulement d’une voix off qu’elle pourrait faire en quelques jours. Ça a duré quatre mois ! Joaquin Phoenix a la réputation d’être un acteur très intense… Comment s’est passée la collaboration avec lui ? Très bien. Le rôle était assez précisément écrit. Je voulais qu’on

ressente son intimité au point où ça en devienne un peu embarrassant. Je voulais qu’on soit avec lui, et qu’on ait accès à des sentiments qu’habituellement on cache. Une des références que je lui ai demandé de regarder est Le Dernier Tango à Paris, de Bertolucci. J’aime la crudité de ce film. On n’a jamais l’impression qu’il y a une caméra. Pour cette raison, j’ai tourné avec une toute petite équipe : cinq ou six personnes la plupart du temps. Vous êtes-vous inspiré de I Love You de Marco Ferreri, Electric Dreams (La Belle et l’Ordinateur) de Steve Barron ou Weird Science (Une créature de rêve) de John Hughes, des films où un homme tombe amoureux d’une machine ? J’ai vu Weird Science, pas I Love You

ni Electric Dreams. Mais on m’en parle beaucoup en interview. Ainsi que de Black Mirror, une série anglaise. Vous savez, je regarde beaucoup de films, et je suis sûr que ça m’influence, mais ce n’est pas conscient. Les films que j’ai vus sont là, en moi, mais je n’y pense pas. Je m’inspire de sentiments, uniquement. Vous vivez à L. A. Dans quelle mesure la ville vous inspire-t-elle au quotidien, et pour ce film en particulier ? Je vis plutôt à New York en ce moment, mais j’ai longtemps vécu à L. A. Dans mon film, j’ai voulu représenter un L. A. intensifié. C’est-à-dire une ville hyperconfortable, où tout est plus facile, et en même temps où la solitude est plus grande que jamais. A L. A., il fait 20 degrés toute l’année, tout est pratique et facile – combien de New-Yorkais y sont venus en pensant qu’ils ne supporteraient pas et ont finalement décidé de rester ? Mais on y est très isolé, on ne se croise pas par hasard, il faut tout planifier. A L. A., le seul truc vraiment chiant c’est le trafic : on l’a supprimé. Quel est votre rapport personnel aux réseaux sociaux ? Vous passez beaucoup de temps à parler à des machines ? Non, pas vraiment. Je me contente d’envoyer des mails et des textos. lire la critique de Her p. 64 19.03.2014 les inrockuptibles 51

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“je ne cherche pas à être bizarre” Après Rubber et Wrong, voici Wrong Cops, le nouveau film de Quentin Dupieux, alias le musicien electro Mr. Oizo. Rencontre avec un franc-tireur qui pousse à l’extrême l’association du sérieux et de l’absurdité. par Jacky Goldberg et Jean-Marc Lalanne 52 les inrockuptibles 19.03.2014

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Quentin Dupieux, aujourd’hui installéà LosA ngeles, où il trouve la vie plus légère qu’à Paris

O  

n a d’abord connu le musicien qui, à la fin des années 90, sous le sobriquet de Mr. Oizo, a fait d’un gant jaune la mascotte des charts internationaux (le tube obsédant Flat Beat). Mais Quentin Dupieux a d’abord voulu être cinéaste. Puis l’est devenu, nuançant de rêverie absurde le comique à la française (Steak) ou faisant d’un pneu le héros dangereux d’un road-movie white trash (Rubber). Son quatrième long, Wrong Cops, est un nouveau conte farfelu dont il dévoile les coulisses.

Ecrivez-vous v ite ? Quentin Dupieux – Ah oui. Et sans me retourner. J’avance et je ne relis rien jusqu’au stade de la prépa. Il y a très peu de réflexion dans mon travail. Je suis bon et inspiré quand je ne suis pas en train de mouliner. J’adore aller chercher des idées au fond de mon inconscient. Contrairement à ce que l’on croit, je ne calcule pas, je ne cherche pas à être bizarre, je me penche très profondément dans mon cerveau, dans une zone où les idées sont vraiment étranges et n’ont plus aucun sens. 19.03.2014 les inrockuptibles 53

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Non seulement vous écrivez essentiellement seul, mais vous filmez aussi seul, sans chef op, puis vous montez seul... C’est souvent un leurre de croire qu’un chef op ou un monteur apportent un regard extérieur salutaire. Plus il y a de corps de métier sur un tournage et moins tu es disponible pour le cœur du film : le travail avec les acteurs. Sur mon premier film, Steak, j’avais des assistants, c’était un tournage classique, je devais répondre à des questions toute la journée et j’étais très frustré de passer à côté de ces moments avec les acteurs. Les mises en place étaient d’une lourdeur... L’annulation de ces postes a libéré quelque chose. Je préfère passer ma journée à tourner au plus près des acteurs plutôt que de faire de la très belle image. Pour moi, c’est ça faire un film. John Cassavetes est précieux là-dessus. Il est tout le temps au cœur de l’action. Steak, c’est votre seul film à gros budget ? Oui, je ne voudrais pas le revivre mais c’était un bug génial du système. Eric et Ramzy venaient de faire plusieurs films à deux millions d’entrées comme Les Dalton et ils devaient en faire un nouveau avec Thomas Langmann. Lorsqu’ils découvrent Non-film, mon court métrage, ils adorent, ils comprennent tout… Ces deux malades vont alors dire à Thomas Langmann que leur prochain film sera réalisé par le mec qui a fait Non-film. Pour Thomas Langmann, c’est une sorte de catastrophe et il essaie de torpiller l’idée. Il leur disait :

sous la plume de Mr. Oizo La BO de Wrong Cops est aussi un best-of de Mr. Oizo, le double musical de Dupieux. Dix ans après ses débuts sur disque, Quentin Dupieux sort le best-of de Mr. Oizo, son alias musical popularisé à la fin des années 90 grâce au succès du single Flat Beat. Le morceau star ne figure pas sur la compilation, mais sa formule basique infuse toute la discographie du producteur. Oizo est un punk de l’électronique et ses morceaux se composent presque exclusivement de boucles obstinées empilées à l’instinct, sans considération technique. Avec des titres comme Cut Dick, Positif, Stunt, Z ou France 7,

Dupieux rebranche la machine à tubes dans une fusion de souvenirs. Maniant les contrastes avec virtuosité, le réalisateur plante ainsi un décor sauvage et décharné pour mieux exhiber sa musique frontale. Textures poisseuses, rythmiques effrénées, progressions polluées, featuring cryptique avec Marilyn Manson : l’art brut de Mr. Oizo s’exprime sur la longueur avec ce best-of de vingt et un titres aussi jouissifs qu’inabordables. Azzedine Fall Wrong Cops – Mr Oizo Best-of (Because Music)

“Mais pourquoi pas plutôt La Tour Montparnasse 2 ?” Ils se sont accrochés et j’ai même pas filé de scénario. On a eu carte blanche. Vous tournez à Hollywood parce que vous ne voulez pas faire du cinéma français ? Je n’ai pas envie non plus de faire du cinéma américain. Si un jour mes films ressemblent à du cinéma américain, je partirai. Je tourne à L. A. essentiellement parce que j’ai envie d’y vivre et qu’à 40 ans j’ai envie de me réveiller tous les jours de bonne humeur. Qu’est-ce qui vous met de mauvaise humeur en France ? Les gens qui ne sont pas heureux. On ne va pas se mentir : on n’est pas en train de vivre l’âge d’or créatif de Paris en ce moment. Avez-vous l’impression de l’avoir connu il y a vingt ans lorsque vous apparteniez à la légendaire French Touch ? Je ne crois pas non plus. Mais c’était quand même plus sympa. C’est sûrement parce que j’avais 20 ans et que je n’étais pas heurté par les mêmes trucs. Je ne veux pas dire que c’était mieux avant, mais le fait est qu’aujourd’hui je ressens beaucoup de mauvaises énergies à Paris et que je trouve la vie à Los Angeles plus légère. Pourtant, on imagine que le milieu du cinéma à Hollywood est beaucoup plus contraignant… Sauf que moi, je tourne de façon sauvage et je contourne la pesanteur du système. Même quand je tourne avec Marilyn Manson, c’est sans passer par un agent. Simplement parce que ça l’amuse et que pour lui c’est la récré. Le système ne vous drague pas, même un peu ? Pas tellement, non. A Cannes, au moment de Rubber, on m’a envoyé des signes. A Sundance, pas tellement. Mais je ne peux pas dire que les studios ont braqué leurs projecteurs sur moi. De toute façon, je veux rester artisanal. Je n’ai aucune vue sur Hollywood. J’ai déjà accepté des commandes dans la pub, et à part celles pour Levi’s où j’avais carte blanche, c’est l’horreur. Devoir satisfaire 800 personnes qui ont leur mot à dire, c’est pas du tout pour moi. Comment le cinéma est-il entré dans votre vie ? Ado, j’avais une grosse culture vidéo-club. On passait des journées avec les copains à refaire Massacre à la tronçonneuse avec la caméra vidéo de mon père. Puis j’en ai acheté une et avec deux copains on tournait des films d’horreur pour rire, dans la forêt. C’était très mauvais, bien sûr. Je crois que si j’ai tant aimé Massacre à la tronçonneuse, ce n’est pas seulement parce qu’un mec tient une tronçonneuse et que ça fait hurler des nanas, c’est aussi pour sa facture home-movie. Ça paraît très proche de nous, vrai, cru, pas élaboré, et je ne savais pas que l’on pouvait faire des films comme ça. Qui sont vos premiers auteurs cultes ? Carpenter, pour son style. Puis le film Arizona Junior des frères Coen, que j’ai vu sur Canal+ un an après sa sortie. C’est un chef-d’œuvre absolu, à la fois un western et un film de Tex Avery. Tout à coup, j’ai vu qu’il y avait des mecs aux manettes. Chaque instant de ce film est créatif. Chaque effet de montage est incroyablement idéal.

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Luis Buñuel vous intéresse-t-il ? Quand j’ai fait mon dixième court métrage, ma copine de l’époque m’a dit : “Faudrait que tu découvres Buñuel parce que c’est ce que tu essaies de faire.” Ça m’a hyperénervé, mais j’ai fini par aller voir. Et évidemment ça m’a beaucoup plu, ça m’a conforté dans ce que je cherchais. J’adore par-dessus tout sa période française. Le Charme discret…, c’est vraiment savoureux de bout en bout. C’est étonnant tout le temps, les gags sont phénoménaux. Ce mélange d’ultrasérieux et de complètement débile est vraiment libérateur. Est-ce que Buñuel vous a encouragé dans le désir de faire un cinéma qui provoque de la gêne ? Si mes films suscitent de la gêne, je n’en suis pas comptable. J’essaie plutôt de faire marrer. Mais je vois bien que parfois le rire se glace, se nuance d’embarras… Cela dit, le rire n’est pas non plus la finalité. La finalité, c’est plutôt le rêve. J’ai envie que le film déconnecte de la réalité. Moi, au cinéma, les histoires de Sylvie qui trompe Pierre avec Paul, j’en ai rien à foutre. Justement, dans vos films, on a l’impression que vos personnages ont des pulsions mais pas de sentiments. Notamment de sentiments amoureux. Euh… C’est possible. Je ne sais pas d’où ça vient. Je n’essaie pas de mobiliser les expériences de ma vraie vie pour en faire de la fiction. Je crée à partir de quelque chose qui se trouve au fin fond de ma

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“je tourne de façon sauvage et je contourne la pesanteur du système” tronche. Peut-être qu’à cet endroit il n’y a plus que de la pulsion. On n’est plus dans “Michel est pas content alors il fait ça” mais dans “Michel fait ça. Point” ! D’une certaine façon, vous avez davantage le goût de la séduction dans votre cinéma que dans votre musique… Je suis très limité en musique. Mon monde est très réduit. Je suis dans une microzone, mais elle m’appartient. En tout cas, j’y suis enfermé. Je reste là parce que c’est le seul endroit où je peux exister. Si je voulais être les Daft Punk, j’irais droit dans le mur. J’ai l’impression d’un peu mieux maîtriser mes outils au cinéma, mais j’en suis encore au début. Mes films sont encore très en deçà de mes ambitions. lire aussi la critique de Wrong Cops, p. 69

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flow de colère En une poignée de chansons sauvageonnes et martiales lâchées sur le net, l’Américaine Angel Haze s’est imposée comme une voix singulière et puissante du hip-hop. Elle sort son premier album, Dirty Gold. par Carole Boinet d’être “la boss de New York”. Quand on lui demande pourquoi elle n’a pas écrit sur sa ville de naissance, la rappeuse répond, amère : “J’ai tout appris à New York, j’y ai découvert la musique. Donc ouais, désolée, je n’ai pas de morceau sur Detroit.” Avant de poser le pied dans la Grosse Pomme, à 16 ans, Angel Haze vivait dans le giron d’une Eglise pentecôtiste. Y étaient entre autres prohibés la musique autre que religieuse, les jeans, les bijoux et la fréquentation de personnes extérieures à la communauté. Dans ce cadre étriqué, elle est victime de plusieurs viols. Elle dévoile son traumatisme en 2012 sur le puissant Cleaning out My Closet, dont le beat est emprunté au titre du même nom d’Eminem, autre rappeur de Detroit qu’elle admire. Les paroles, violentes, n’épargnent aucun détail. Angel Haze assure pourtant ne rien vouloir changer de son passé : “C’est ce qui a forgé ma personnalité, c’est ce qui a fait que je suis qui je suis, c’est ce qui m’a permis d’écrire mes chansons.” Angel Haze est souvent associée à la scène rap queer new-yorkaise, aux côtés notamment de Mykki Blanco. Elle se défend pourtant de toute appartenance : “Je ne comprends pas cette association. Je ne m’adresse pas particulièrement à la communauté LGBT. J’ai certes vu Mykki Blanco une fois sur scène, c’était incroyable. Le genre de concert qui te happe.” Le lien entre Haze et la scène rap queer découle principalement du fait que la rappeuse se proclame “féministe hardcore” et “pansexuelle”. Dans le clip foutraque de Echelon (It’s My Way), toute de noir vêtue, elle brouille les stéréotypes de genre, chevauchant une moto, une grosse chaîne en or

autour du cou, des hommes torses nus et tatoués dans les parages. Une nette rupture avec les clips de rap et de r’n’b féminin dans lesquels les chanteuses sont souvent hautement sensualisées. Francophile, l’Américaine a réalisé des duos avec Stromae (Papaoutai) et Woodkid (I Love You). Mais, si elle les estime, elle insiste sur le fait qu’aucun artiste ne l’inspire. “Si tu demandais ça à Kanye West il répondrait : ‘Je suis Dieu, personne ne m’inspire !’, lâche-t-elle en imitant le rappeur à la perfection. Comme je n’ai pas baigné dans la musique, je n’ai jamais eu de modèle.” Plutôt paradoxal quand on sait qu’Angel Haze a réalisé une trentaine de freestyles en octobre. Elle a notamment repris Black Skinhead de Kanye West et Wrecking Ball de Miley Cyrus, en changeant à chaque fois les paroles. “A la base, je suis une parolière, pas une musicienne. Mon truc, ce sont les textes. J’aime bien avoir la musique des autres pour poser mes paroles.” C’est dans le même esprit qu’elle a fait appel au groupe canadien A Tribe Called Red pour les beats épileptiques du single qui porte leur nom. Par téléphone, DJ NDN nous l’assure : “C’est la meilleure rappeuse amérindienne que j’ai entendue de ma vie. Elle est incroyable.” Car comme eux, Angel Haze est d’origine amérindienne, mais aussi afro-américaine. Pourtant, la jeune femme est agacée quand on la renvoie à ses origines. “Ma couleur de peau comme ma sexualité sont une partie de moi, mais ne me résument pas.” En définitive, Dirty Gold est à son image : survolté, insolent, élégant. Angel Haze rappe comme elle livrerait bataille, la rage au corps et le flow rapide et aiguisé. album DirtyG old (Republic/Island/Universal)

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a poignée de main d’Angel Haze, les yeux plantés dans les nôtres, ressemble à la signature d’un contrat de confiance, à un moyen d’évaluer l’interlocutrice avant que l’interview ne commence. “Vous avez la main chaude, c’est étrange”, commente-t-elle. Une fois assise sur le canapé, la jeune rappeuse se transforme en pile électrique. Elle se tortille sur son siège, s’esclaffe avec les autres jeunes filles présentes dans la pièce, engloutit ses œufs brouillés. Sa frénésie et son impatience étaient déjà connues : fin décembre, elle a décidé de leaker elle-même son premier album, Dirty Gold, au risque de se fâcher avec ses deux labels. “Dirty Gold ne cessait d’être repoussé. Je me suis dit qu’à ce rythme-là, il sortirait en décembre 2014. J’en avais marre d’être entre deux labels qui ne parvenaient pas à se mettre d’accord sur une date de sortie. Alors je l’ai leaké. Il y a eu une engueulade sur le coup mais c’est passé.” Retiré de Soundcloud en quatrième vitesse, l’album a finalement bénéficié d’une sortie officielle le 3 mars. Son caractère de frondeuse mène parfois Angel Haze au clash. L’exemple le plus célèbre reste sa prise de bec sur Twitter avec Azealia Banks en décembre 2013, les deux rappeuses en venant à s’incendier par morceaux interposés. Sur On the Edge, Haze balançait à Banks : “Et la fois où tu étais en studio avec Missy Elliott/Et qu’elle avait peur d’être en studio avec toi, tu te rappelles ?” Le conflit était à l’origine géographique : dans un tweet, Azealia Banks avait critiqué ceux qui se revendiquent de New York sans en être originaires, ce qu’avait très mal pris Angel Haze, née à Detroit et auteur d’un morceau dans lequel elle se vante

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vipère au poing Le directeur de la Schaubühne de Berlin, Thomas Ostermeier, s’est emparé d’une vieillerie de Broadway, La Vipère. Parfait véhicule pour son amie Nina Hoss et prétexte à un nouvel état des lieux du capitalisme. propos recueillis par Fabienne Arvers photo David Balicki pour Les Inrockuptibles

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epuis ses débuts au Deutsches Theater, le metteur en scène Thomas Ostermeier noue avec la France des relations d’intense complicité. On l’a découvert au Théâtre de la Cité internationale en 1997 avec Homme pour homme, de Brecht. Deux ans plus tard, juste trentenaire, il est nommé à la direction de la Schaubühne de Berlin et, en 2004, sous la direction du tandem Baudriller-Archambault, est le premier artiste associé du Festival d’Avignon. Après Mort à Venise, d’après Thomas Mann, et Un ennemi du peuple d’Henrik Ibsen, présentés à Paris en janvier, il est de retour avec sa dernière création, La Vipère, de la dramaturge américaine Lillian Hellman, incarnée avec un talent fou et glaçant par Nina Hoss.

La Vipère remporta un grand succès à Broadway en 1939 et fut immortalisée au cinéma par Bette Davis, dans The Little Foxes de William Wyler, en 1941, avant de tomber aux oubliettes. Pourquoi la rejouer aujourd’hui ? Thomas Ostermeier – Je connais ce texte depuis dix ans mais c’est au moment où l’actrice Nina Hoss a rejoint la compagnie de la Schaubühne que j’ai pensé à le monter, parce qu’il n’y a pas beaucoup de femmes de sa génération qui ont cette force et cette capacité de jouer une grande dame, méchante, complexe et très mystérieuse, maline aussi, mais surtout vraiment méchante. Pour ça, il faut une grande actrice. Comment avez-vous convaincu Nina Hoss, excellente actrice de cinéma (notamment dans les films de Christian Petzold : Yella en 2007, pour lequel

elle a reçu le prix d’interprétation féminine au Festival de Berlin, Jerichow en 2008 et Barbara en 2012) de rejoindre la troupe de la Schaubühne ? Je la connais depuis des années. On a fait nos études ensemble à l’école Ernst-Busch. Nous étions copains à l’époque. Elle vient d’un milieu très engagé. Son père, Willi Hoss, est l’un des fondateurs du parti des Verts en Allemagne et nous, on suivait les campagnes politiques à l’école et à l’université, on faisait des manifestations. Elle est arrivée au Deutsches Theater en même temps que moi et on a travaillé ensemble sur un spectacle, L’Oiseau bleu de Maeterlinck, avant qu’elle suive une carrière cinématographique. Mais quand j’ai pris la direction de la Schaubühne en 1999, une règle stipulait que les acteurs de la troupe ne pouvaient pas faire de cinéma ou de télévision. A-t-elle dû renoncer au cinéma ? Non, on a changé les règles ! Elle est, comme tous les autres acteurs, permanente de l’ensemble mais peut aussi continuer à travailler au cinéma. Je dois dire qu’elle est très sérieuse avec nous et qu’elle sacrifie beaucoup d’offres pour travailler au théâtre. Cela dit, je pense qu’elle se considère avant tout comme une actrice de théâtre. Quant à moi, ce sont toujours les acteurs qui déterminent le choix des pièces que je monte et si je n’avais pas eu la chance que Nina Hoss rejoigne la troupe, je n’aurais pas fait La Vipère. Ce qui ne me pose d’ailleurs aucun problème parce que la chose la plus importante au théâtre, ce sont les acteurs. Nina est une actrice extraordinaire et c’est pour ça qu’on va au théâtre, c’est ce que je veux y voir. Sinon, tout le reste, la technique, la vidéo, les effets, c’est simple, facile à faire, parfois gratuit. Mais voir un jeu exceptionnel, ça n’arrive pas souvent. La pièce relate le parcours d’une femme, Regina, qui rêve d’une vie autonome et doit, pour ce faire, s’opposer à son mari banquier et à ses frères, nouveaux riches, au moment où un investisseur leur propose de participer à son entreprise. L’argent est-il pour autant le moteur de la pièce ? C’est à la fois la famille et l’argent. Qu’est-ce qui produit cette pensée vouée au profit, à la concurrence, et à quel point sommes-nous prêts à trahir, voire à tuer ? Qu’en est-il, dans nos vies aujourd’hui, de nos relations familiales et de nos émotions ? Dans la pièce, l’argent représente le pouvoir, et le combat de Regina est d’abord dû au fait qu’elle n’a pas hérité du pouvoir financier dont ont bénéficié ses frères et que possède son mari, aristocrate de surcroît. Mais au fond, cela a aussi beaucoup à voir avec le fait qu’on va mourir et à tout ce qu’on met en œuvre pour éviter d’y penser.

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“pour jouer une femme vraiment méchante, complexe et très mystérieuse, il faut une grande actrice comme Nina Hoss”

Arno Declair

NinaH oss estR egina, la “Vipère” d’Ostermeier

Regina n’est pas le seul personnage féminin de la pièce, qui décline toute une palette de femmes plus ou moins victimes, battantes, vulnérables ou fortes… Oui, et c’est ce qui rend la pièce intéressante. On ne voit pas un seul caractère féminin qui représente un idéal ou une seule qualité féminine. Le personnage de Birdie, l’épouse de l’un des frères de Regina, alcoolique et complètement folle, est en même temps totalement lucide sur ce qu’elle vit et porteuse d’une pensée existentialiste très libératrice. Libératrice pour le public aussi si l’on en juge par les applaudissements de la salle à la fin du monologue de Birdie lors de la première à Berlin en janvier – le seul moment du spectacle où les spectateurs ont réagi ! Il faut dire qu’on a pas mal rajouté de texte à ce monologue. En fait, on a non seulement coupé un tiers de la pièce originale mais on l’a presque entièrement réécrite, notamment le dernier acte. En ce qui concerne ce monologue, il parle justement de toute une génération de Berlinoises qui ont la quarantaine, sont quittées par leurs maris pour des femmes plus jeunes, se retrouvent chez elles avec leurs enfants et se cachent pour aller faire leurs courses au supermarché parce qu’elles ne peuvent plus acheter de nourriture bio. A Berlin, beaucoup de femmes connaissent ce destin, mais c’est

aussi pour elles l’occasion de refaire des études quand les enfants sont grands. Le public a applaudi au constat qu’elle fait de sa situation : “Désormais, personne ne m’attend. Et c’est peut-être ça la révolution, le fait que je ne sois plus utile pour être exploitée par le capitalisme. Dès lors, je suis la seule vraie rebelle autonome.” Cela fait quinze ans que vous dirigez la Schaubühne. Comment le projet initial a-t-il évolué ? La chose la plus importante qui ait changé, c’est la décision de faire reposer le poids de l’institution sur plusieurs épaules, à savoir celles des plus grands metteurs en scène du théâtre international. Au début, l’essentiel de la programmation reposait sur Sasha Waltz et moi, puis sur Falk Richter ou Luk Perceval. Maintenant, je fais deux productions par an et toutes les autres, une dizaine en tout, sont réalisées par des artistes comme Michael Thalheimer, Katie Mitchell, Romeo Castellucci, Rodrigo García, Alvis Hermanis ou, bientôt, Kirill Serebrennikov. Tous les ans, fin mars, la Schaubühne programme le festival FIND, dédié à une région du monde. Qu’allons-nous y découvrir en 2014 ? L’Amérique du Sud. Avec, notamment, la mise en scène par Alex Rigola de 2666, de l’écrivain chilien Roberto Bolaño, qui est, à mon avis, le plus beau roman de ces quinze dernières années, inspiré des assassinats inexpliqués de femmes à Ciudad Juárez. Fin mai auront lieu les élections européennes. Qu’auriez-vous envie de dire aux eurosceptiques face à la montée des nationalismes et au climat réactionnaire qui secoue le continent ? Cela n’a rien à voir avec l’Europe, mais beaucoup à voir avec la crise du capitalisme. Et lors d’une crise, on cherche des coupables et on veut les sacrifier. Pour la plupart des gens, l’Europe signifie les contraintes du marché, les programmes d’austérité d’Angela Merkel, le chômage en Italie, en Espagne ou en Grèce. Le problème, c’est qu’on identifie l’Europe à l’euro et au marché. Une Europe qui n’est plus celle des Lumières, mais celle des deux guerres mondiales du XXe siècle, des camps… L’Europe est à l’origine de la monstruosité humaine la plus féroce. La montée des nationalismes est une réponse à une peur matérialiste et la nation a toujours été une réponse aux peurs du peuple. Et la crise s’étend. A Moscou, en janvier, pour présenter Mort à Venise, j’ai pris la parole pour dédier le spectacle à la communauté homosexuelle de Russie. Le théâtre a été attaqué, les murs couverts de graffitis homophobes et antisémites qui visaient le directeur du festival, Lev Dodine, qui est juif. Dans le foyer, on a même trouvé une tête de cochon et nos deux noms inscrits à côté. C’est ça, la Russie de Poutine, qui veut rassembler les forces les plus réactionnaires. Et, là aussi, c’est un phénomène de crise. La Vipère de Lillian Hellman, mise en scène Thomas Ostermeier. Spectacle en allemand surtitré en français, du 27 mars au 6 avril aux Gémeaux de Sceaux (92), tél. 01 46 61 36 67, lesgemeaux.com

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sex in the city Longtemps éditrice littéraire à Playboy, Amy Grace Loyd signe l’envoûtant roman d’une fascination érotique entre deux femmes perdues dans l’effervescence et la promiscuité new-yorkaise. par Nelly Kaprièlian photo François Rousseau pour Les Inrockuptibles

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my Grace Loyd a depuis toujours eu envie d’écrire. Mais si elle a attendu d’avoir 45 ans pour publier son premier roman, Le Bruit des autres, c’est parce qu’elle était trop occupée à éditer les textes des autres – James Ellroy, Margaret Atwood, Denis Johnson, John Updike, Stephen King, Nadine Gordimer, etc. – dans les pages de Playboy où elle a travaillé de 2005 à 2011. “On oublie trop souvent que Playboy a une vraie tradition littéraire. Dans les années 50, on y publiait pas moins de quatre nouvelles par numéro.” Cette jolie blonde vive et énergique aura réussi à y publier les bonnes feuilles de L’Original de Laura, l’inédit de Vladimir Nabokov paru en 2009, raflant l’exclu sous le nez du New York Times et de Vanity Fair. “Parce que nous avions les moyens de faire une offre importante, mais aussi parce que le fils de Nabokov pensait que son père aurait adoré être publié dans Playboy. Hugh Hefner a soutenu financièrement les Civil Rights. C’est un homme très moderne. En libérant l’homme de l’idée de famille nucléaire, il a émancipé la femme au passage. Hélas, les clichés concernant Playboy sont tenaces. Et j’ai eu beaucoup de mal à convaincre certains auteurs d’y écrire. J’ai réalisé que l’Amérique était bien plus conservatrice que je ne le pensais. Et encore aujourd’hui : vous ne pouvez pas imaginer à quel point les gens ont été choqués par les scènes de sexe de mon livre.”

Des scènes tendance sadomasochiste, et une scène érotique très explicite entre deux femmes. Mais c’est surtout comme si le sexe était partout diffus dans Le Bruit des autres, sous la forme d’une tension érotique entre les personnages. “Celia et Hope, les deux héroïnes, utilisent le sexe comme une anesthésie, pour ne plus penser à leur chagrin. D’ailleurs, je crois que beaucoup de gens utilisent le sexe comme une drogue.” Celia, jeune veuve qui ne se remet pas de la mort subite de son mari, vit en recluse dans l’immeuble qu’elle possède, à Brooklyn, dont elle loue les appartements. C’est dans l’un d’eux qu’emménagera Hope, une très belle fille désespérée par la fin de son mariage, qui va vite fasciner Celia. Vont-elles s’aimer, se haïr, se faire du mal ou, au contraire, se sauver mutuellement ? Loyd construit une sorte de remake hanté, mystérieux, de La Vie mode d’emploi de Perec : chaque étage délivre son petit roman à travers la vie de ses habitants. Celia n’en finit pas d’entrer chez ses locataires en leur absence, de les épier, de fouiller leur domicile, et de les entendre se disputer ou faire l’amour (dont Hope avec son amant Les, lors d’une scène SM seulement restituée par les sons, à la violence d’autant plus insupportable.) Loyd joue constamment sur l’intrusion des autres dans nos vies : “Je me suis tout simplement inspirée des appartements successifs que j’ai occupés à New York. Les New-Yorkais n’en peuvent plus d’entendre leurs voisins. On vit les uns sur les autres. J’adore New York autant que je la déteste !”

Et le roman entier ressemble à un enfer de promiscuité – le pire va arriver et le lecteur passera son temps à le redouter. “J’ai adoré être dans la tête de Celia, car elle fait ce dont j’ai toujours eu envie : ne pas avoir à travailler, se retirer du monde. Elle décide de ne plus participer à la vie, quand la société américaine, après un deuil, vous pousse à rebondir. Elle repousse cette culture de l’action qui ne laisse pas de place au chagrin.” De passage à Paris pour présenter son livre, Loyd ne cache pas sa joie de voir que des journalistes s’y intéressent. “Quand on est éditeur, on devient cynique et je pensais que je n’aurais jamais de lecteurs. En Amérique, les librairies ferment, les journaux réduisent leurs pages littéraires, le niveau culturel baisse. Dans le milieu de l’édition, tout le monde est angoissé. Ça me redonne espoir de voir qu’un livre sur une veuve triste peut trouver son public.” Le Bruit des autres est plus que ça : poétique et d’une finesse psychologique inouïe, il n’en finit pas de fouiller le vertige que la mort ou la rupture laisse dans la psyché de ceux qui aiment encore, et la façon dont chacun trouve des parades pour s’en sortir, au risque de se mettre en danger. Tout peut basculer, nous dit ce roman envoûtant, et l’étrangeté réside moins à l’extérieur qu’en soi. Aux prises avec les autres, leur présence trop envahissante, mais aussi leur faculté à nous ramener à la vie. “Finalement, c’est un roman optimiste”, et quoi qu’elle en pense, très américain. Le Bruit des autres (Stock/La Cosmopolite), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch, 272 pages, 20 € 19.03.2014 les inrockuptibles 63

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Her de Spike Jonze Une fable à peine futuriste qui explore avec une maestria modeste la frontière entre la chair et le virtuel. Spike Jonze est de retour, plus ambitieux et talentueux que jamais.



ans Jeanne Dielman… de Chantal Akerman, Delphine Seyrig est un corps sans voix (seuls de rares dialogues permettent d’entendre les légendaires timbre et flow de l’actrice). Dans La Voix humaine de Roberto Rossellini (première partie d’Amore, adaptée de la pièce de Cocteau), on ne voit et on n’entend qu’Anna Magnani, dans une conversation amoureuse téléphonique avec un interlocuteur hors champ. Le nouveau film de Spike Jonze est une sorte de variation de ces expérimentations sur l’incarnation cinématographique, la disjonction entre corps et voix, image et son, présence et absence à l’écran : une actrice célèbre (Scarlett Johansson) y “figure” par sa seule voix (l’inverse de Delphine Seyrig), et un acteur (Joaquin Phoenix) est seul à l’écran, dialoguant avec une partenaire par téléphone interposé (pendant masculin et technologiquement modernisé de Magnani).

Her est situé dans un Los Angeles du proche futur. Les gratte-ciel y ont poussé comme des champignons, les déplacements urbains se font dans un grand vortex techno-architectural (métros, corridors vitrés, passerelles design, ascenseurs…). Très réussi dans sa vision plastique d’une mégalopole à horizon dix ans, Her ne projette pas un futur anxiogène à la Metropolis ou Blade Runner mais une anticipation à peine exagérée de notre présent, une société consumériste et confortable, sourdement rongée par les difficultées relationnelles, la mélancolie et la solitude. Le job de Theodore Twombly (Phoenix) consiste justement à lutter contre ces maux de l’aliénation moderne : il rédige des lettres d’amour pour les multiples clients d’une société qui commercialise les sentiments et l’écriture, denrées devenues rares. Lui-même en pleine séparation et vaguement dépressif, Twombly s’achète un nouveau logiciel de compagnie :

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on croit à cette romance entre un corps et une voix, on souhaite qu’elle dure

Joaquin Phoenix

une voix féminine avec laquelle il converse au téléphone à tout moment, comme avec un ami proche. Rapidement, entre lui et “her”, naît une histoire d’amour… Her est une rom-com de l’ère techno qui fonctionne parfaitement au premier degré du genre, ce qui est déjà une réussite en soi. Bien que l’un des deux protagonistes soit invisible, on croit à cette romance entre un corps et une voix, on souhaite qu’elle dure, on est navré quand des dissensions pointent au sein de ce couple d’un nouveau genre. Ajoutons que Spike Jonze parvient à réinventer le génial Joaquin Phoenix, méconnaissable avec sa moustache et ses grandes lunettes, beaucoup plus sobre que dans The Master (pas dur, certes), plus émouvant et nuancé que dans The Immigrant. Her constitue d’ores et déjà une étape importante pour l’acteur : Joaquin y est déphoenixé, comme Belmondo fut débébelisé dans La Sirène du Mississippi ou Stavisky. Mais sous la rom-com d’anticipation et les subtiles performances d’acteur palpite un film plus conceptuel qu’il en a l’air et qui pose mille questions théoriques d’ordre aussi bien cinématographique qu’existentiel. Un logiciel informatique sera-t-il un jour doué de sentiments (question jadis posée par 2001 et Kubrick) ? Une relation amoureuse est-elle envisageable entre un humain et un programme ? Une relation charnelle virtuelle accomplie est-elle possible ?

Un personnage de cinéma peut-il exister sans apparaître à l’écran ? Le corps de l’acteur est-il soluble non seulement dans le virtuel mais aussi et plus simplement dans le son ? Où se joue l’incarnation cinématographique ? Si la voix de Her avait été celle d’une inconnue (éventuellement laide) plutôt que celle de Scarlett Johansson, comment le film en aurait-il été affecté, et dans quelles proportions ? La société devra-t-elle un jour tolérer la “différence” du cyborg comme elle a appris (ou doit continuer d’apprendre) à accepter les autres minorités ethniques ou sexuelles ? A toutes ces interrogations, Spike Jonze répond par un oui timide, fragile, encore perclus de doute. Her est une fable qui nous pousse dans nos retranchements éthiques et conceptuels, teste notre réflexion sur la dernière frontière entre l’humanité et les machines, la chair et le virtuel. Le savoureux paradoxe (digne de Resnais) est de nicher cette pelote philosophique dans un objet filmique aussi émouvant et séduisant que ludiquement grave et humblement novateur. Après le surcoté Dans la peau de John Malkovich ou le décevant Adaptation, Spike Jonze signe là un fulgurant retour. Serge Kaganski Her de Spike Jonze, avec Joaquin Phoenix, Scarlett Johansson, Amy Adams (E.-U., 2 014, 2 h 06) lire aussi l’entretien avec Spike Jonze p. 50 19.03.2014 les inrockuptibles 65

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Dark Touch de Marina de Van

Sous le voile du film (très) horrifique, un réquisitoire implacable et déchirant contre les parents maltraitants.

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ark Touch a formellement tout du film de genre contemporain. En l’occurrence, un film d’horreur mettant en scène une jeune fille de 11 ans, Neve, qui, dans une vaste maison isolée de la campagne irlandaise, assiste à la mort de ses parents, tués à coups de meubles, de morceaux de verre et de diverses cisailles volantes par une force mystérieuse. Mais voilà : ses parents, bien que notables, étaient des parents sadiques (on ne voit rien, sinon des traces de brûlures de cigarettes, des bleus, des taches de sang, une ceinture que le père retire des passants de son pantalon). Jusque-là, tout est normal, dirions-nous.

la société tout entière va payer, car elle est mauvaise

Mais Marina de Van, déjà auteur de deux très beaux films (Dans ma peau en 2001, et le magnifique et honteusement méprisé Ne te retourne pas en 2007, avec Monica Bellucci et Sophie Marceau), où elle métaphorisait à merveille des souffrances psychiatriques (autophagie, dédoublement de personnalité), n’œuvre pas dans le futile et le léger, le gore ludique. Comme son titre l’indique, Dark Touch est un film sombre, extrêmement désespéré, bien plus effrayant sur son versant psychologique que sur son versant criminel et spectaculaire. Il décrit l’évolution des sentiments chez une petite fille confrontée à l’horreur de la maltraitance parentale. Les pouvoirs télékinésiques de Neve servent à assouvir, d’abord de manière inconsciente, puis en toute connaissance de cause, sa vengeance.

Après avoir “tué” ses parents sans le vouloir, elle sauvera deux enfants tabassés tous les jours par leur furie de mère et tuera celle-ci, toujours à l’aide des forces qu’elle abrite. Des forces surhumaines, puisque Neve a étouffé son petit frère en le serrant dans ses bras dès le début du film, alors qu’elle semblait vouloir le sauver d’un incendie. Un policier avait dit : “Une enfant de l’âge de Neve ne peut pas avoir la force d’avoir fait ça.” Ses forces la dépassent. Alors cette histoire d’enfant atrocement maltraitée va évoluer par degrés vers l’horreur la plus absolue. Les enfants du village, ces êtres infestés par la violence de leurs parents, comme dans le célèbre conte du joueur de flûte, vont en pâtir. C’est la société tout entière qui va payer, car elle est mauvaise. Parce qu’il n’y a pas de bons parents, semble dire le film

(c’est tout juste si un couple échappe au réquisitoire). Puis, après une parodie de psychodrame où les trois enfants violentés et vengeurs inversent les rôles avec le couple – si dégoulinant de gentillesse, de gestes de tendresse et de bons sentiments déplacés – qui a recueilli Neve après la mort de ses parents, celle-ci accepte son sort, dans le but de sauver la société de ces forces irrépressibles et dangereuses dont elle n’a pas la maîtrise. De grands psychosomaticiens pensent que certaines maladies hémorragiques auto-immunes feraient leur lit dans l’inceste refoulé dans l’enfance. On dit alors que les organes pleurent des larmes de sang. Jean-Baptiste Morain Dark Touch de Marina de Van, avec Missy Keating, Marcella Plunkett, Padraic Delaney (Fr., Irl., Suède, 2014, 1 h 30)

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Portrait of Jason de Shirley Clarke La réalisatrice de La Bataille de Solférino, Justine Triet, nous parle d’un de ses films cultes, qui ressort en salle. ’est un film sur le spectacle de soi. (sur sa grand-mère) ou Histoire du Japon C’est un exercice de confession. racontée par une hôtesse de bar d’Imamura, C’est une odyssée de l’échec. il faudrait y ajouter la descente éthylique Et c’est quasiment du stand-up. de Jason, qui boit et fume continuellement Jason Holliday, combinaison de toutes – et que Clarke monte en floutant les marginalités possibles de l’Amérique l’image, embrassant ainsi au montage des sixties (il est noir, homosexuel, call-boy, toute l’ivresse qui gagne le personnage, prostitué), fait face à la caméra de Shirley et le film avec lui. Clarke qui, hors champ et accompagnée En filigrane, Portrait of Jason traduit d’un certain Carl, lui demande de raconter également une authentique haine sa vie. Pendant toute une nuit il se donne d’Hollywood, qui s’exprime dans le corps en spectacle, tour à tour fascinant même de Jason : il incarne la limite et agaçant. “Arrête de rire Jason ! Parle-nous du show, une surface euphorique détruite de toi ! Ta mère, ton enfance, les hommes de l’intérieur. Ce n’est pas anodin que tu as aimés…” Devant ces questions, que Shirley Clarke, tête de file avec Jason esquive, swingue avec virtuosité. Jonas Mekas de l’underground new-yorkais Il éclate de rire, et fait toujours contraster des années 60, décide de filmer l’horreur des situations décrites un tel déraillement du spectacle. (le racisme, l’homophobie, la violence, etc.) Jamais un exercice de portrait au cinéma avec son invincible jovialité. ne s’est à ce point construit sur une lutte, Si le film évoque d’autres portraits opposant brutalement (jusqu’à l’insulte) filmés comme Numéro zéro d’Eustache le sujet filmé et le cinéaste. Rythmé

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par les “I’ll never tell” de Jason, le film oppose la réalisatrice à une carapace de gaieté qu’elle et son compagnon (encore plus violent) ne parviennent jamais vraiment à percer. C’est toute la captivante amertume de Portrait of Jason, qui s’efforce d’affûter son écoute, de toucher la douleur, la gravité, jusqu’au vertige, et c’est quand il y parvient miraculeusement que cet entretien chaotique, imparfait, atteint de sidérantes zones de grâce. propos recueillis par Théo Ribeton Portrait of Jason de Shirley Clarke avec Jason Holliday (E.-U., 1966, 1 h 45, reprise)

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James Deen et Lindsay Lohan

The Canyons de Paul Schrader Un néo-film noir sexy dans l’enfer hollywoodien, où rayonne Lindsay Lohan en princesse cramée.



açades en ruine, abîmées par le temps, bâtiments vides, laissés à l’abandon. Les premières images de The Canyons, une série de plans fixes sublimes découvrant des salles désertées de Los Angeles, annoncent clairement le programme : ici, le cinéma est considéré comme mort, sinon agonisant. De la part du réalisateur, le revenant Paul Schrader, et du scénariste, Bret Easton Ellis, l’aveu n’a rien de très surprenant : l’un comme l’autre ont souvent dit, écrit ou filmé la disparition d’une certaine idée du cinéma d’auteur et de son sanctuaire, la salle, et The Canyons fut lui-même produit sous les radars, via une campagne de crowdfunding. Mais le film dépasse heureusement très vite cet état de fait et, comme la plupart des théoriciens de la mort du cinéma, Ellis et Schrader se révèleront, au final, d’ardents défenseurs de leur art, soufflant sur ses dernières braises, investissant chaque plan d’un puissant désir. Tout se passe ici dans les coulisses ténébreuses de l’usine à rêves, Hollywood, où l’on découvre un couple borderline incarné par la pornstar James Deen et Lindsay Lohan, lui en producteur cynique, elle en actrice dépressive et idéaliste trompée. Entre le néo-noir et la romance, les manipulations et les affaires de coucherie, The Canyons épouse la forme d’un soap transgressif à l’atmosphère

enivrante, un drame de chambre passé au filtre de l’œuvre d’Ellis, dont il constitue une sorte d’abrégé superficiel mais séduisant. Le portrait démystifié d’une ville de Los Angeles corrompue par le fric et la dope, l’image d’une jeunesse suicidée, d’un monde aux désirs artificiels, tous les motifs chers à l’écrivain sont ici convoqués dans un nouveau lamento postmoderne au mood alangui et magnétique, évoquant Le Privé de Robert Altman. Film de Bret Easton Ellis et de Paul Schrader, dont on retrouve le formalisme tranchant, The Canyons est aussi et plus sûrement un film de Lindsay Lohan, tant l’actrice cramée imprime à chaque plan sa beauté bouleversante. Dans ce rôle quasi autobiographique, l’ancienne égérie Disney, abîmée par ses addictions diverses, prouve l’immense actrice qu’elle est encore et oriente le film vers un conte de fées malade. Qu’importe, dès lors, tous les discours et les complaintes sur la mort du cinéma ; il n’y a rien de plus beau et de plus émouvant en cet instant que les larmes d’une ex-enfant star prisonnière de son miroir aux alouettes. Romain Blondeau The Canyons de Paul Schrader, avec Lindsay Lohan, James Deen (E.-U., 2 013, 1 h 39) lire aussi l’entretien avec Bret Easton Ellis p. 42

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Wrong Cops de Quentin Dupieux Le cinéaste poursuit son exploration absurde et radicale d’une Amérique maboule. u moment même tout en restant inscrit mais qui peu à peu dénote où sort Wrong Cops, dans l’imaginaire Dupieux, une nouvelle variation dans cinquième long en constitue une étonnante le regard et l’écriture du métrage d’une remise en question. cinéaste. Ici, il ne vise plus filmographie passionnante Dans les décors le tour de force surréaliste, entamée en 2001 avec ordinaires d’une banlieue la blague potache Non-film, Quentin Dupieux, américaine, le film ou le manifeste nonsense. aka Mr. Oizo annonce chronique le quotidien d’un Au contraire, il n’a jamais qu’il entre déjà en salle flic pourri (Mark Burnham), semblé plus sérieux, filmant de montage pour un nouveau autour duquel gravite les obscénités de sa bande projet, Reality. Cette vitesse un chapelet de personnages de flics corrompus avec les de tournage, presque déglingués, musicien yeux d’un documentariste sans aucun équivalent dans borgne, pervers sexuel halluciné, qui explore le cinéma français, souligne ou blonde sadique, tous une Amérique malade, une obsession de plus incarnés par la frange encore plus inquiétante en plus évidente chez la plus marginale qu’elle est plausible. l’auteur : celle de la de l’humour US (Eric Derrière l’apparente fabrication impatiente d’une Wareheim, du duo Tim and gratuité du film, son côté œuvre, d’une délimitation Eric, ou Steve Little, de la cirque freak, Quentin de son propre territoire série Eastbound and Down). Dupieux raconte en fait son fictionnel, traversé par Sur cet air a priori banal angoisse d’une normalité les mêmes motifs et figures de parodie de polar, Quentin effrayante, qu’incarne (Eric Judor). Dupieux, comme à son à lui seul le contre-emploi En quelques années habitude, brouille les pistes drôle et assez émouvant seulement s’est ainsi et déploie une accumulation de Marilyn Manson. Dans dessinée une méthode de saynètes absurdes le rôle d’un vieil ado apeuré, Dupieux, résumée par à l’intérieur desquelles la rock-star délaisse tout certains signes distinctifs il provoque toujours son folklore sulfureux et (image numérique, un dérèglement, un prouve bien qu’au royaume économie do it yourself accident tantôt comique, des fous les plus dangereux et humour absurde), dont tantôt terrifiant : une biche ne sont pas forcément on craint à chaque fois qui surgit dans le cadre, ceux que l’on croit. R. B. l’essoufflement, cet instant un homme qui se tranche où la singularité se mue la gorge sans sommation. Wrong Cops de Quentin en formule. Un soupçon Les sketches se suivent Dupieux, avec Mark Burnham, balayé avec panache ainsi, creusant un humour Eric Judor (Fr., 2014, 1 h 25) lire aussi p. 52 par ce nouvel opus qui, agressif, inconfortable,

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Fox

Keri Russell

jeux de dupes The Americans, la série d’espionnage située dans les eighties, réaffirme son identité et ses ambiguïtés avec sa saison 2. Captivant.

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etrouver une série a toujours le goût particulier du recul et de la réflexion, au moins autant que de la fébrilité, surtout quand il s’agit d’une deuxième saison. Une nouvelle conquête aimée il n’y a pas si longtemps revient dans nos bras, mais tout de même : la couleur du ciel n’était pas la même qu’aujourd’hui. S’était-on trompé ? La transition s’avère difficile aussi pour les scénaristes. Quand, inquiets de voir leur bébé disparaître, ces stressés irrécupérables ont tout mis dans une première salve d’épisodes, il ne leur reste parfois plus grand-chose à offrir. L’histoire est parsemée de deuxièmes saisons décevantes, de 24 heures chrono à Desperate Housewives en passant par Friday Night Lights – oui, même elle, mais c’était à cause de la grève des scénaristes en 2007. Après une entrée en matière en 2013 très convaincante, voire par moments fulgurante, The Americans ne peut plus espérer l’effet de surprise vintage. On connaît l’histoire, à la fois brutale et sobre, de ce couple d’espions soviétiques, Elizabeth (Keri Russell) et Philip (Matthew Rhys), infiltrés à la perfection dans l’Amérique de Reagan, alors au sommet de la guerre froide avec Moscou. Ils ont été mariés par le KGB, ont fait des enfants, parlent anglais beaucoup mieux qu’Arnold Schwarzenegger et sont maintenant obligés de se demander s’ils s’aiment ou s’ils font encore semblant. C’est Scènes de la vie conjugale chez les espions. Faire son introspection tout en multipliant les missions dangereuses ressemble à un défi quotidien, que les deux épisodes déjà diffusés au moment où nous écrivons ces lignes parviennent à réactiver rapidement. Le choix des showrunners Joe Weisberg et Joel Fields est aussi simple que non

spectaculaire : ne pas trancher dans la tonalité de la série, d’essence contemplative, respecter le rythme construit au fil des épisodes inauguraux, mais pousser les curseurs un peu plus loin. Une manière de réaffirmer son identité illustrée par l’une des intrigues fortes de ce début de saison, quand le destin tragique d’une autre famille d’espions (sur le modèle de celle des héros) éclaire leur propre fragilité. Un couple et ses enfants, l’Amérique rêvée et l’Amérique réelle : tel est le fond de cette série moins politique en tant qu’analyste des rapports Est-Ouest que dans sa façon d’interroger la famille de base au pays de l’Oncle Sam, ses mensonges, sa nature peut-être carcérale. Dans cet ordre d’idées, autre chose nous émeut plus qu’avant dans The Americans. Ce sont ces plans, nombreux, sur Philip, Elizabeth et parfois d’autres personnages, réglant seuls et en secret on ne sait quel dossier pressé, alors qu’ils sont censés avoir enfin du temps libre. Au milieu d’un après-midi à la fête foraine avec les enfants, une mission impromptue se dessine : le soir, quand le bon peuple dort, ils s’éclipsent, l’air inquiet, pour résoudre une affaire ; s’ils trouvent un magazine de cul dans les tiroirs d’une personne en filature, il ne leur viendrait pas à l’esprit de le feuilleter. Les personnages de The Americans ne mènent pas simplement une double (ou parfois une triple) vie : ne penser à rien leur est interdit. L’intranquillité les fait avancer, de gré ou de force. Ils se promènent, toujours pressés, multiples, hantés par les fantômes de ceux qu’ils auraient pu être. Il va sans dire que nous les suivrons encore longtemps. Olivier Joyard The Americans saison 2, tous les mardis, 20 h 45, Ca nal+ Sér ies

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à suivre… Ainsi soient-ils revient Ce sera l’un des événements de la saison 5 du festival parisien Séries Mania (du 22 au 30 avril au Forum des images). La série religieuse d’Arte dévoilera les deux épisodes inauguraux de sa deuxième saison, avant un retour prévu à l’automne. Les spectateurs de Séries Mania verront aussi Black Mirror, True Detective, Looking, Ray Donovan, Mafiosa ou Real Humans saison 2.

10 % relancée Scénaristes et producteurs de tous les pays, n’abandonnez jamais. Plus de cinq ans après avoir été développée une première fois par Canal+ avec le scénariste Nicolas Mercier, la série initiée par Dominique Besnehard sur le monde des agents d’acteurs a finalement trouvé refuge sur France 2. 10 % va être réalisée par Cédric Klapisch et Lola Doillon et écrite notamment par Fanny Herrero.

True Detective cartonne 3,5 millions de téléspectateurs sur HBO pour le splendide épisode final diffusé le 9 mars, sans compter le replay : True Detective a réalisé son meilleur score au meilleur moment. La saison 2, programmée pour 2015, sera construite autour d’une nouvelle intrigue et de nouveaux personnages. Bye bye Matthew McConaughey et Woody Harrelson, donc.

agenda télé The Big C (Canal+, le 20 à 22 h 35) La comédie la plus dramatique qui soit (l’héroïne est atteinte d’un cancer) se termine avec cette saison 4. Laura Linney fait merveille dans ces quatre épisodes d’une heure au goût de Six Feet under. Louie (OCS City, le 23 à 20 h 40) Avant son retour au mois de mai, il est temps de réviser la troisième saison de Louie, la plus belle comédie télé d’aujourd’hui. Le comique de stand-up Louis C.K. y propose son introspection avec style et intelligence.

Lizzy Caplan et Beau Bridges

masculin/ féminin Féministe et subtile, Masters of Sex mérite que l’on passe nos nuits avec elle. ans les premiers épisodes, une forme de doute pouvait subsister. Cette histoire inspirée de la vie de William Masters et Virginia Johnson, pionniers des recherches scientifiques sur la sexualité aux Etats-Unis à partir des années 1950, tirait-elle parti de son titre accrocheur et de la mode des séries vintage depuis Mad Men ? Quelques fausses pistes ont fait craindre le pire. Mais la délicatesse a gagné. Sans atteindre le chef-d’œuvre – peut-être pour la saison 2, en septembre sur Showtime ? –, la création de Michelle Ashford s’est imposée comme l’une des meilleures surprises de l’année passée. A la base, un couple mal assorti et donc passionnant. D’un côté, un homme de science (Michael Sheen) préoccupé par les secrets de l’orgasme et tentant de faire accepter à sa hiérarchie la perspective d’y consacrer des fonds ; de l’autre, une jeune mère célibataire séduisante et libérée (incroyable Lizzy Caplan) en passe de devenir son bras droit et plus si affinités. Souvent douce et pleine d’humour dans sa représentation du cul (belles séquences où des cobayes harnachés d’électrodes viennent faire l’amour sous les yeux de la médecine – et donc sous les nôtres), Masters of Sex parvient à tirer des fils de plus en plus sombres et complexes, avec notamment l’apparition d’un autre couple totalement bouleversant, incarné par Allison Janney et Beau Bridges. Le tout en restant claire sur son point de vue, résumable ainsi : les femmes sont l’avenir de l’homme. Mais ça, on le savait déjà. O. J.



Masters of Sex saison 1, DVD et Blu-ray Sony (environ 30 et 35 €)

Misfits (OCS Choc, le 23 à 20 h 40) Cinquième et dernière saison de cette série de superhéros réaliste et inventive made in Britain, où le sexe et la mort ne sont jamais très loin derrière les délires postadolescents. 19.03.2014 les inrockuptibles 71

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les âmes fortes Nouveaux albums et concerts : Sharon Jones, Robin McKelle et Kendra Morris, trois des chanteuses soul les plus impressionnantes des Etats-Unis, ont décidé de prendre l’année en otage : elle risque de ne pas s’en remettre !

E  Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

n titrant son avant-dernier album I Learned the Hard Way, Sharon Jones pensait reléguer le plus dur derrière elle. “J’ai appris à la dure” : c’est ce qu’elle a fait toute sa vie, après tout. Des années à se faire éconduire par l’industrie du disque sous prétexte qu’elle était “trop petite, trop grosse, trop noire et trop vieille !” ; à gagner pitance comme gardienne de prison à Rikers Island, ou convoyeuse de fonds pour la Wells Fargo. Oui, à 57 ans, la chanteuse américaine pouvait espérer récolter les fruits d’une obstination à contre-courant : chanter de la soul vintage avec la flamme des grandes anciennes. Mais voilà, à la veille de la parution de Give the People What They Want, son sixième album, le plus dur était encore devant elle. Atteinte d’un cancer du conduit biliaire, elle a passé une partie de 2013 entre le bloc opératoire et les séances de chimio. La dernière remonte à la veille du jour de l’an 2014. Censée rester confinée en milieu

stérile, elle n’a pu s’empêcher d’aller réveillonner au foyer de l’hôpital. Ni résister au plaisir de s’emparer du micro pour envoyer le classique d’Aretha Franklin : Respect ! Parce que finalement c’est à ça qu’on mesure les vraies “soul ladies” : chassez le naturel, il revient toujours sur un air d’Aretha ! Et si le vécu, tout simplement, allait nous sauver de la chambre stérile où semble séquestrée la musique ? Loin de lauréates interchangeables de The Voice expectorant leur r’n’b insipide avec des couinements de truies qu’on égorge, Sharon livre une vibration entre extase et agonie propre à celles qui ont surmonté les épreuves. Un râle de “surviveuse” dévorant ses airs de détresse, de vengeance, d’orgueil comme des petits pains briochés. Le disque de Sharon ressemble à une machine remontant ostensiblement le temps jusqu’à l’âge d’or de la Motown, mais il échappe miraculeusement à l’empaillement

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Kendra Morris, entre vague àl ’âme et fantaisie barrée

Pop Robinson

finalement c’est à ça qu’on mesure les vraies “soul ladies” : chassez le naturel, il revient toujours sur un air d’Aretha !

nostalgique. Cela tient d’abord à son groupe, les impeccables Dap-Kings, à la qualité bluffante de littéralité des compositions originales et, surtout, à la présence de Sharon, qui n’a pas avalé le juke-box de sa jeunesse dans le but étriqué de pouvoir le recracher façon perroquet mais pour étaler sa vie de réprouvée avec autant de niaque revancharde que d’amour. Dans le genre “soul revivaliste”, Robin McKelle se pose là. Sur la pochette de Heart of Memphis, on la voit accoudée à la banquette d’un diner, rêveuse comme après une longue journée de travail. Née en 1976 dans l’Etat de New York, Robin ne s’était jamais rendue à Memphis avant l’enregistrement de ce cinquième album. “J’ai grandi avec Otis Redding et les artistes Stax. De fait, culturellement, j’appartiens à cette ville.” Ce retour aux sources aura pourtant été long et sinueux. Gamine, elle se destinait à l’opéra, étudiait le chant classique, roucoulait des arias en pianotant. Puis le jazz l’a recueillie. Après de copieux états de service comme choriste, elle scelle trois albums entre big-band et lounge-jazz avec un succès qui manque de la piéger. “J’ai toujours eu dans la voix cette raucité que j’essayais à tout prix de réprimer parce que ce n’était pas joli. Alors que c’est une part essentielle de moi-même.” En écoutant son formidable Heart of Memphis, difficile de ne pas y accrocher le souvenir d’Etta James, de Tina Turner et d’Aretha, furies aux vies amoureuses

en vrac et aux griffes toujours sorties. Encore un disque à l’apparente orthodoxie, épargné par la rigidité de l’hommage servile grâce à un groupe épatant, les Flytones, un répertoire original au classicisme raffiné et une interprète semblant loger à demeure à l’hôtel des cœurs brisés. Car rien de tel qu’une fille qui se prend des râteaux avec les mecs pour bien chanter. Ainsi Kendra Morris, dont l’essentiel de Banshee, son délicieux premier album soul-pop, tourne autour d’une rupture. Après des classes en section punk dans un groupe de filles de Floride (Pinktricity), un boulot de serveuse à Manhattan (au Library Bar, avec Lou Reed et Antony Hegarty pour clients !), la voilà qui révèle des talents d’interprète troublante de sensualité revêche. Un mélange de Dusty Springfield et de Courtney Love en somme. Banshee dévoile aussi des capacités de compositrice rares, elle qui fut éduquée à l’écoute des cadors (elle kiffe Leonard Cohen et Brian Wilson, reprend Pink Floyd, Lou Reed et Bowie) et est capable de torcher quelque chose d’aussi irrésistible que If You Didn’t Go avec un soupçon de vague à l’âme et une once de fantaisie barrée. Sharon, Robin, Kendra : du sang, de la sueur, des larmes ? Ou trois gouttes de rosée tombées sur le désert de sophistication électronique que tend à devenir la soul d’aujourd’hui ? Francis Dordor Sharon Jones And The Dap-Kings Give the People What They Want (Daptone/ Differ-ant), concert le 6 mai à Paris (Olympia) sharonjonesandthedapkings.com Robin McKelle And The Flytones Heart of Memphis (Okey/Sony) concert le 25 mars à Paris (Bataclan) robinmckelle.com Kendra Morris Banshee (Naïve) concert le 20 novembre à Paris (Trianon) kendramorris.fr

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Youri Lenquette

La galerie parisienne Addict accueille un événement qui met le regard photographique à l’épreuve de la déontologie : la dernière séance consacrée à Nirvana et Kurt Cobain, qui s’amuse de façon très insistante avec un revolver 22 long rifle. Basée sur le travail de Youri Lenquette, alors reporter pour le défunt mensuel Best, cette expo met donc en scène les photos du rockeur culte quelques semaines avant qu’il ne mette fin à ses jours. Une entreprise aussi délicate qu’immanquable, dont l’ambiguïté s’exprime jusque dans son titre : The Last Shooting. du 25 mars au 21 juin à la galerie Addict, Paris IIIe, addictgalerie.com

Lorde

feu vert pour We Love Green Le festival, dont ce sera la troisième édition, frappera artistiquement très fort et très juste. L’événement se déroulera les 31 mai et 1er juin au Parc de Bagatelle : deux jours, deux scènes, beaucoup d’ambiance(s) et une programmation rondelette où, avant d’autres belles confirmations, se croisent notamment Foals, Cat Power, Lorde (en exclusivité française), London Grammar, Hercules & Love Affair, Earl Sweatshirt, Pedro Winter, Joakim en live avec le désormais ex-Rapture Luke Jenner, Joy Orbison ou SBTRKT. welovegreen.fr

The Rapture, la séparation Après trois albums, une poignée d’ep et quinze ans de carrière, The Rapture se décompose. C’est par le communiqué de presse d’un événement de la Red Bull Music Academy, auquel Luke Jenner participait, qu’on a appris la nouvelle. Il était effectivement présenté comme “ancien membre de The Rapture”. L’information a par la suite été confirmée par Jonathan Galkin de DFA Records, label du dernier album, In the Grace of Your Love.

Melingo à gogo

Alfredo Srur

Ruvan Wijesooriya

des nouvelles du Showcase Le club parisien était fermé depuis un mois. Le temps de faire peau neuve, de changer de direction artistique et d’annoncer entre autres des sets de Disclosure, T.E.E.D. et Vitalic. Ce sont deux équipes de confiance qui ont repensé les lieux : Savoir Faire, label et agence de booking et de management, et We Love Art, spécialisée dans les événements culturels. Rendez-vous ce week-end pour le retour des festivités. showcase.fr

neuf

A Nashville, jouer de l’electropop extravagante doit être un sérieux moyen de finir avec plumes et goudron. Ça n’a pas l’air d’affoler Jordan Kelley et Jason Huber, cousins de province des Scissor Sisters qui se la jouent méchamment glam sur leur disco lamé : on croirait MGMT déglingué au Malibu, ivre des Bee Gees. facebook.com/Cherublamusica

Retour imminent de l’enroué crooner-star argentin Daniel Melingo, avec un maravilloso album de tango-blues romantique et décadent (Linyera, sortie le 25 mars), ainsi qu’un concert à Saint-Denis, le 9 avril, dans le cadre du festival Banlieues bleues. Gracias, amigo. danielmelingo.com

Closer Records Oceaán

Cherub

James K Lowe

Kurt Cobain s’expose à Paris

En une poignée de remixes et de titres pareillement bouleversants, apaisants et personnels, le Mancunien Oceaán est entré dans nos vies par la grande porte. Il récidive en beauté ténébreuse avec un To Lose qui gagne encore en ampleur, en suavité et, surtout, en éloquence. Musique accidentée, fascinante. facebook.com/occeaann

Townes Van Zandt Quand on avait interviewé le Texan quelques mois avant sa mort en 1997, on avait partagé son petit-déjeuner : du whisky accompagné d’histoires merveilleusement contées. Celles qu’on retrouvait sur ses albums de folk onirique, dont cinq sont réédités par les bienfaiteurs de Fat Possum. townesvanzandt.com

Vingt ans après, le rock’n’roll label havrais Closer reprend du service. Aux côtés de rééditions des grandes heures maison (Barracudas, Fixed Up), l’étal affiche d’emblée quelques primeurs du même tonneau, dont les albums de BBC ou de Hope, nouveau projet de Stéphane Hermlyn des Shredded Ermines. closerrecords.com

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Darren Ankenman

rois soleil Trois ans après l’usine à tubes Torches, les Californiens de Foster The People passent le cap du deuxième album. Avec le lumineux Supermodel, ils se remettent en question en explorant des chemins non balisés.

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n la connaît encore par cœur. Parfois, au creux de l’hiver, on la sifflote pour se réchauffer. Elle a tourné en boucle dans les lecteurs MP3, accompagné les matins de radio et les soirées en club, trouvé sa place au début de chaque compile écoutée sur les routes de vacances. Pumped up Kicks a été la chanson de l’été 2011, le tube que tout le monde a aimé, des ados sur la plage au plus farouche des indés. On peut la retrouver sur Torches, le premier album de Foster The People, mais toujours elle restera le signe d’une époque, l’évocation d’un parfum dans l’air, la couleur d’un été comme le fut, en 2008, le Kids de MGMT. Se pose alors cette question : comment revenir fièrement après ça, quand le monde entier s’est déjà mis à genoux devant vous ? Mark Foster, chanteur et leader du groupe, a sa petite idée là-dessus. “On dit souvent qu’on a toute sa vie pour préparer son premier album, et seulement quelques mois pour préparer le second. C’est vrai. J’ai vu trop de groupes que j’adore rater leur deuxième album. C’était très important pour moi de ne pas laisser cette peur m’envahir, et de ne pas laisser les autres me dicter ce que je devais faire. A l’époque, je voulais que Torches soit

parfait, que chaque chanson puisse passer à la radio. Pour Supermodel, on a voulu assumer les imperfections et s’exprimer plus collectivement en tant que groupe. On a voulu un son plus vivant. Il y aura bien sûr quelques chansons qui passeront à la radio mais c’est une sorte de concept-album : il faut l’écouter du début à la fin pour le comprendre.” On est resté un peu sceptique à la première écoute. L’album s’ouvre en effet avec Are You What You Want to Be, morceau bizarre, voire désagréable, saturé de gimmicks qui semblent taillés pour les stades. On a alors craint la lourdeur, puis l’indigestion. Mais Supermodel gagne à être connu, et révèle plein de jolies surprises à l’auditeur attentif. Comme cet ami devenu indispensable, dont l’hyperactivité et les bavardages nous ont d’abord tapé sur les nerfs, il a su se dévoiler et se montrer

“si quelqu’un trouve l’envie d’écrire ou d’être acteur en écoutant ma musique, c’est la plus belle récompense que je puisse imaginer” Mark Foster

sous son meilleur jour, en faisant preuve de beaucoup plus de finesse et de malice qu’on avait pu l’imaginer au premier contact. Ecrit entre le Maroc, la Californie et l’Angleterre, Supermodel est un album de pop ouverte au monde, ambitieuse. “La pop est un langage universel. D’après moi, c’est ce qu’il y a de plus dur à faire. Ce sont des mélodies fortes, que tout le monde peut comprendre – peu importent la langue, l’âge, le pays. Mon rêve en tant qu’artiste, c’est de pousser les autres à être plus créatifs encore. Si quelqu’un trouve l’envie d’écrire ou d’être acteur en écoutant ma musique, c’est la plus belle récompense que je puisse imaginer.” Moins tubesque mais plus fouillé que le précédent, Supermodel dévoile quelques refrains irrésistibles (Nevermind, Best Friend), des ballades presque folk (Goats in Trees, Fire Escape) et une production parfois futuriste (Pseudologia Fantastica, The Truth). Il y a en effet de quoi trouver l’inspiration, en attendant un retour insolent de l’été. Maxime de Abreu album Supermodel (Columbia/Sony) concerts le 28 mars à Paris (Gaîté Lyrique), le 6 juillet aux Eurockéennes de Belfort, du 10 au 12 à Bilbao (BBK Live) fosterthepeople.com

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Renata Raksha

Schoolboy Q Oxymoron TDE/Universal Evadé du crew de Kendrick Lamar, Schoolboy Q est le nouvel espoir du rap West Coast. Espoir en noir. omme il le dit dans son album, EPMD, Krs-One, Mc Shan, puis Jay-Z, Biggie… Kendrick Lamar est un bon gars J’ai des tics de la West Coast, du gangsta-rap, dans une ville de dingues. Moi, dans mais ma culture rap vient de l’Est.” cette ville, je suis plutôt le sale type.” C’est surtout la capacité d’interprétation Contrairement au flegmatique Kendrick, du rappeur qui rend ce verbe fascinant. qui crevait les charts en 2013 avec le Tour à tour nerveux, cynique, rentré brillant Good Kid, M.A.A.D City, Schoolboy Q ou menaçant, Q fait preuve d’une grande respecte en effet le catéchisme gangsta facilité à changer de registre vocal à la lettre : “Dès 12 ans, j’étais un bandit. – voire de voix –, à mordre ses syllabes J’ai fait tout ce qu’il ne fallait pas faire : pour mieux les expulser, jouant sur les braquer, dealer, m’embrouiller et me défoncer. répétitions, les gimmicks ou les intonations C’est ce que je dis dans le disque, je ne pour donner un relief presque théâtral raconte pas d’histoires”, explique-t-il depuis à son propos, cette instabilité de gangsterson fief de Los Angeles. fêtard au bord de l’implosion. Mais s’il ne possède pas la tempérance Rappelant Pharrell Williams et le calme de son compère, Schoolboy Q ou Alchemist mais surtout Digi+Phonics, possède d’autres atouts qui font beatmakers du label TDE, la production d’Oxymoron, son troisième album, la petite assombrie, émaillée de beats raides bombe de ce début d’année. D’abord parce et de mélodies fantomatiques, respecte que ses bravades de bandit se doublent à la lettre l’esprit de ces danses d’un recul qui, quoique dispersé, lui permet destructrices, rendant à Oxymoron couleur, de glisser une réelle humanité dans cohérence et personnalité. Entre bangers ses récits agressifs, qu’il évoque sa vie divins (Man of the Year, qui n’a pas volé son de délinquant ou ses addictions. Selon lui, titre), cascades erratiques (Prescription) cette science narrative, oscillant entre et tension pure (Break the Bank), Oxymoron recul intime et projection guerrière, doit est un album noir, dense et – très – fort. Thomas Blondeau beaucoup au rap new-yorkais : “Je suis né en 1986, j’ai grandi à L.A. et le rap West Coast schoolboyq.com n’était pas développé. Mes sources, ce sont

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Eagulls Eagulls Partisan Records Ces gouapes de Leeds sèment le chaos sur un album bruyant et rugueux. ans le clip de Nerve Endings, Tough Luck, d’une tension sorti en septembre, et d’une limpidité admirables. un cerveau se dégénère Sans laisser paraître durant plus de quatre minutes le moindre apitoiement, chacun dans une ambiance glaciale des neuf autres brûlots de et hypnotique. C’est peu cet album incisif charrie son lot ou prou ce qu’on retrouve sur de rage véhémente et repose le premier album homonyme inlassablement sur le même d’Eagulls : soit un furieux mélange schéma (formidable, le schéma) : de riffs implacables, de batterie un sens certain de la tension, de martiale et de déflagrations l’électricité primitive et du chaos destructurées. Bref, le patrimoine sonique. Du lugubre Hollow Visions du post-punk généré par à l’incendiaire Possessed, George l’Angleterre depuis les seventies Mitchell et ses fortes têtes (sur – à croire que Killing Joke ou leur blog, ils ont posté une lettre Joy Division sont enseignés pleine d’amour s’adressant “à tous dès l’école primaire de ce côté-ci les groupes de plage qui se sucent de la Manche. la bite entre eux et titillent le clito des Loin d’eux pourtant l’idée médias”) envoient donc un fabuleux de manipuler cette musique avec coup de tatane sous le menton des pincettes, en esthète. Le rock, du punk, rarement aussi pertinent chez ces cinq prolos de Leeds, que lorsqu’il vibre sous les assauts bastion de grands esprits punk furieux de quelques rockeurs comme Gang Of Four ou décérébrés. Maxime Delcourt The Mekons, ça se vit avec les tripes, eagulls.co.uk dans des recoins glauques de préférence. Ce dogme, dépourvu de calcul comme d’intention, imprègne puissamment les compositions d’Eagulls qui, entre stridence et arrogance, restent fidèles aux différents singles publiés par le groupe depuis 2011, comme l’atteste le redoutable

Sandy Kim



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la découverte du lab Faune

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en écoute sur lesinrockslab.com/faune

retrouvez toutes les découvertes sur lesinrockslab.com

Dye Cocktail citron Tigersushi/La Baleine

L’aventurier français s’offre un trip en or dans l’histoire de l’electro. On avait laissé Dye en 2011. Son electro-pop aérienne enveloppait alors voluptueusement le clip de Fantasy, manga éroticohorrifique pour émois adolescents et monstre tentaculaire. Vu 47 millions de fois sur YouTube, ce conte étrange accompagnait les belles promesses de Taki 183, album mélancolique et torturé. Trois ans après, Dye a bien grandi et sert un Cocktail citron qui fleure bon le passage à l’âge adulte. Assisté de Guillaume Teyssier, de sa compagne Angie David (sur le titre éponyme, remix d’Elli et Jacno à la sauce Breakbot) ou encore d’Egyptian Lover (qui prête sa voix à un She’s Bad 80’s à souhait), il vagabonde avec délectation de territoires nu-disco nourris aux basses funky en dream-pop sexy. Ses passerelles électroniques nous mènent parfois d’Herbie Hancock époque Future Shock aux sonorités spatiales des Midnight Juggernauts. Ajoutez un zeste de new-wave sensuelle, une dose de synthés planants et savourez ce mélange détonnant : il a le goût du plaisir assumé et de l’aventure. Alexis Hache myspace.com/dye_

Ashley Bryn Hinson

Fuyant la bête Fauve ≠, Faune s’enveloppe dans les couettes de la chanson pop, pour composer une prose métaphorique et élégante. peu de chose près, Faune devient Fauve ≠, collectif parisien et phénomène générationnel qu’on ne présente même plus. Alors, quand les premiers signent Tout est une île et que les seconds chantent 4 000 îles, la machine s’emballe. Les premiers se mettent à recevoir les demandes d’interviews des seconds, semant la confusion et le trouble. Et pourtant, Faune n’a pas grand-chose à voir avec le spoken word de ses copains d’orthographe, ni même avec ses revendications. Chantant tantôt en français, tantôt en anglais, Faune s’apprivoise difficilement et ne tient pas en place. Passant de l’afro-pop (Tout est une île, De guingois) à la pop électronique (Juste après l’avant) et le rock (L’Iréelle, On est mal), Faune est un animal nomade qui officie dans “les nuages et la pop, et tous les courants d’airs musicaux qui circulent autour”. Formée à Poitiers, cette créature mythologique à trois têtes sévit aujourd’hui entre Nantes et Paris, travaillant le jour à mettre en images leur musique et transmettant cet univers cinématographique dans ses compositions, la nuit venue. Capturant l’instantanéité, Faune digère les émotions, tricote sa prose et tire les fils sous tension de mélodies troubles. Dénouement heureux : Fauve ≠ et Faune accorderont leurs violons pour jouer ensemble le 19 mars au Stereolux, à Nantes. Abigaïl Aïnouz

Micah P. Hinson Micah P. Hinson and the Nothing Talitres

Guitare à échardes et paroles au moonshine : l’outlaw américain entretient le mythe. icah P. Hinson sort un peu toujours le même album, et on a arrêté de les compter. Mais on peut compter sur eux pour nous ramener au pays, dans le folk des grandes plaines solitaires, où des cow-boys sans cheval ni troupeau soignent leur malaise existentiel avec de l’alcool frelaté et une guitare en bois. A la première écoute, cet album ressemble à une suite d’exercices de style, de motifs obligés (les guitares qui résonnent dans le canyon, le banjo qui tricote, le vieux piano au grenier). Mais, en plus d’être doté d’une voix parfaitement caverneuse, granuleuse et imbibée, Micah P. Hinson a (encore une fois) le don d’arranger ses chansons comme s’il venait d’inventer la country, de l’emmener ailleurs. Du coup, on pense parfois à Tom Waits. Avec quelques cordes et quelques chœurs, une scie musicale, un vibraphone, une escapade country-punk en ouverture, tout au bon endroit au bon moment, Micah P. Hinson s’inscrit dans la tradition des outlaws de l’americana, qui n’en font qu’à leur tête (de mule). Avec le nouveau Timber Timbre, un grand disque de l’Amérique buissonnière – et plein d’épines dans le buisson. Stéphane Deschamps

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concerts le 25 mai à Lille, le 26 à Paris (Petit Bain) micahphinson.com

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Bombay Bicycle Club So Long, See You Tomorrow Island/Caroline/Universal Les toujours jeunes Anglais signent un disque de pop épique – de la Bombay bé. algré une moyenne d’âge Jack Steadman a enfilé la qui ne dépasse pas le quart casquette de producteur et imaginé de siècle, les membres un disque vaste et sans frontières, de Bombay Bicycle Club où les guitares côtoient les affichent déjà un beau palmarès : samples, les beats et les chœurs quatre albums en cinq ans, d’inspiration exotique. Plus proche dont ce So Long, See You Tomorrow, de We Have Band et Yeasayer qui continue de placer les quatre que des Arctic Monkeys, la musique Londoniens du côté obscur de Bombay Bicycle Club invite de la force. Ici, l’indie-rock est aujourd’hui à la danse (Carry Me), chamboulé, déstabilisé, voire à la transe (Come to), voire maltraité, il ne parle pas la langue au voyage : Feel s’inspire d’une pop officielle du royaume mélodie de charmeur de serpents de la Queen, mais le langage extraite du film de Bollywood plus complexe de Prince. Nagin. Embarquement conseillé. Johanna Seban Nourri de voyages en solitaire à travers les Pays-Bas, l’Inde, la Turquie et le Japon, le songwriter bombaybicycleclubmusic.com

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My Little Cheap Dictaphone Le rock ardent et maximaliste de Belges aux belles ambitions. My Little Cheap Dictaphone, que l’on rebaptise MLCD, voire MLCD Soundsystem pour sa capacité à enquiller en toute frénésie albums, collaborations, opéra-rock ou BO, a pour une fois freiné des quatre fers avant de se lancer dans ce nouvel effort. Chalets et mas isolés ont servi de cocon à sa conception, mais ne surtout pas compter sur eux pour

Maëlle Andre

The Smoke Behind the Sound At(h)ome/Wagram

une épure à la Bon Iver : c’est au contraire à l’effervescence maximaliste d’un Arcade Fire, à la flamboyance délurée de Flaming Lips que se mesure ce rock farouchement nord-américain. Car comme ses compatriotes de Deus ou Ghinzu, MLCD ne recule devant aucun effet glam, aucune extravagance, aucune démesure.

Mais le son, d’une richesse parfois tourneboulante, comme le songwriting, d’une fougue totalement contrôlée, transforment ce qui pourrait n’être qu’une vaste et difforme baudruche en un tour de force, tout en audace et justesse. Benjamin Montour mylittlecheap.net 19.03.2014 les inrockuptibles 81

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Shawn Brackbill

Real Estate Atlas Domino/Sony Entre folk nostalgique et sunshine pop, les Américains continuent de flâner. e troisième album a été entre une douce mélancolie et un enregistré en plein été entrain gracieux, notamment chez (d’où ces guitares gorgées Felt – Real Estate les reprennent de soleil), dans un studio parfois en concert. Ces Américains de Chicago appartenant à Wilco ne s’aventurent pas plus loin (d’où ces mélodies majestueuses), que le cocon douillet qu’ils se sont avec en guise d’ingénieur du son créé depuis 2009, sans surprise Tom Schick, déjà aux commandes mais d’une délicatesse toujours du somptueux premier album de agréable à retrouver. On les Sean Lennon (d’où cette ambiance accompagne volontiers dans leurs aérienne). Comme perdue dans un promenades sans but, pour voir songe lumineux, la voix de Martin la vie en couleurs pastel ou sépia. Noémie Lecoq Courtney survole des comptines nostalgiques pour après-midi paresseux. On a déjà croisé dans concert le 29 mai à Barcelone la pop anglaise de la fin des (Primavera Sound) années 80 ce même tiraillement realestatetheband.com

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Belle époque Act/Harmonia Mundi

Bientôt à Banlieues bleues, ce jazz débridé fait valser Fellini et Tati. Instruments à vent, option tornade : entre l’accordéoniste Vincent Peirani et le saxophoniste soprano Emile Parisien, tous deux trentenaires surdoués, le courant (d’air) passe. Conçu au départ comme un hommage à Sidney Bechet et à l’enfance du jazz, cet album en duo est surtout un grand moment de découverte

Grosse-Geldermann

Peirani & Parisien Duo Art

musicale, d’harmonies imprévisibles, de jeu en liberté et en relief. Les deux hommes retrouvent l’esprit de l’époque où le jazz était une musique joueuse et populaire, à la fois virtuose et légère. Et ils vont plus loin, font valser Fellini et Tati, se prennent pour une fanfare au complet, inventent le free-musette,

multiplient les acrobaties et les loopings, sans jamais tourner en rond ni sombrer dans une froide abstraction. Dialogue vif de deux oiseaux rares pendant la saison des amours. Ça sent le printemps. Stéphane Deschamps concert le 31 mars à Pantin (festival Banlieues bleues) banlieuesbleues.org

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dès cette semaine nouvelles locations en location retrouvez plus de dates de concerts dans l’agenda web sur inRocKsLive.com

Festival de Hyères du 25/4 au 28/4 à la villa Noailles, avec Chlöe Howl, Jaakko Eino Kalevi et C.A.R Kelis 12/5 Paris, Gaîté Lyrique.

Damon Albarn 5/5 Paris, Alhambra Arcade Fire 3 & 4/6 Paris, Zénith Assis ! Debout ! Couché ! du 21 au 23/3 à Nantes, avec Yuksek, Moodoïd, Acid Arab, etc. Rich Aucoin 17/4 Paris, Café de la Danse 22/4 Toulouse 23/4 Bordeaux 26/4 Nantes Caprices Festival du 11 au 19/4 à Crans-Montana, avec IAM, Gesaffelstein, etc. Cascadeur 20/3 HérouvilleSaint-Clair, 22/3 Limoges, 11/4 Magnyle-Hongre, 23/4 Bourges

Emily Loizeau 21/3 Lille, 22/3 Magnyle-Hongre, 28/3 Châtellerault, 3/4 Dinard, 4/4 Vannes, 5/4 Antony 11 & 12/4 La Réunion, 30/4 Vendôme, 6/5 Rouen, 16/5 Auxerre, 17/5 Thionville, 19/5 Paris, Théâtre Dejazet, 23/5 Gonfrevillel’Orcher Les femmes s’en mêlent jusqu’au 4/4 dans toute la France, avec Le Prince Miiaou, Sir Alice, Cults… Florent Marchet 21/3 Brettevillel’Orgueilleuse

28/3 SaintNazaire, 2/4 Saint-Avé 3/4 Rouen, 4/4 Lomme, 5/4 Nancy, 11 & 12/4 Paris, CentQuatre Metronomy 15/4 Lausanne, 25/4 Toulouse, 26/4 Nantes, 28/4 Paris, Zénith,

sélection Inrocks/Fnac MØ à Paris Protégée de Diplo venant du Danemark, MØ mêle le chaud et le froid. Féline et drôle, elle livre ses pépites electro-pop avec une énergie qui n’a rien à envier à ses cousines Grimes ou Azealia Banks. Son album, No Mythologies to Follow, est à vivre en live lundi à la Maroquinerie

29/4 Lille, 30/4 Caluireet-Cuire MØ 24/3 Paris, Maroquinerie Nasser 21/3 Nancy, 5/4 Paris, Bataclan Nuits sonores du 28/5 au 1/6 à Lyon, avec Agoria, Black Lips, Suuns… Patten 10/4 Paris, Glaz’art Pendentif 22/3 Pau, 27/3 Canteleu, 28/3 SaintBrieuc Pias Nites 4/4 Paris, Flèche d’Or, avec Timber Timbre et Lucius, 30/4 Paris, Maroquinerie, avec Chet Faker, San Fermin et East India Youth Printemps de Bourges du 22 au 27/4, avec Metronomy,

sélection Inrocks/Fnac Frànçois & The Atlas Mountains à Angoulême Les beaux jours sont arrivés en même temps que Piano Ombre, le lumineux dernier album de Frànçois & The Atlas Mountains. Il nous fait atteindre des sommets avec sa pop boisée et solaire. A découvrir ce mardi à la Nef d’Angoulême. Daniel Avery, Cascadeur, etc. Ricard S.A Live Sessions – Stuck In The Sound 25/3 Paris, Flèche d’Or, 26/3 Lille, 27/3 Le Havre, 31/3 Bordeaux, 1/4 Toulouse, 2/4 Montpellier, 10/4 Poitiers, 11/4 Rennes, 15/4 Metz, 23/4 Lyon Savages 21/3 Paris, Gaîté Lyrique Schoolboy Q 6/5 Paris, Bataclan, 7/5 Strasbourg, 12/5 Lyon

Temples 29/3 Paris, Maroquinerie Thomas B 26/3 Toulouse, 27/3 Bordeaux, 9/4 Metz 10/4 Paris, Gaîté Lyrique Todd Terje 11/4 Paris, Palais de Tokyo, 12/4 Lyon Festival Tilt du 20/3 au 23/3 à Perpignan, avec Kavinsky, Pachanga Boys… Weather Festival du 6 au 9/6 en Ile-de-France avec Mount Kimbie, DJ Deep, Ben Klock…

aftershow

Clap Your Hands Festival du 14 au 26/4 à Paris, Café de la Danse, avec Micky Green, Augustines, etc. Darkside 20/3 Bordeaux, 21/3 Nantes, 23/3 Paris, Olympia Disclosure 20/3 Paris, Olympia Festival Europavox du 5 au 7/6 à ClermontFerrand, avec Girls In Hawaii, Stromae, etc. Fair : le tour jusqu’au 24/5 dans toute la France, avec Rocky, Griefjoy, etc.

Aurélie Courtiade

Festival de Carcassonne du 15/7 au 1/8, avec Franz Ferdinand, Massive Attack, Lana Del Rey…

Tinariwen le 11 mars à Paris (Trabendo) Son album est sorti il y a quelques semaines mais Tinariwen se fait plutôt rare sur les scènes françaises : un concert de lancement à Angers, un second dans un Trianon ras la gueule, la veille du départ du groupe pour le Texas et le festival SXSW. Première surprise : il a vraiment rajeuni, Ibrahim (le leader historique du groupe). Ah ben, ce n’est pas lui, mais un nouveau guitaristechanteur lui ressemblant (de loin), qui atteste de la faculté de renouvellement de Tinariwen. Le concert se déroule comme une tempête qui se lève : tranquille pour commencer, et déchaîné à la fin. Le son, l’ambiance, sont fidèles au dernier album : très rock, hypnotique, un mur du son mouvant qui s’épaissit et se durcit au fil des morceaux. Guitar band, plus que jamais. Avec au moins deux guitar heroes : Abdallah à la guitare acoustique, et Hassan à l’électrique. Aujourd’hui doyen du groupe, Hassan est aussi le meilleur danseur de la bande. Dans son costume traditionnel, il se trémousse et tremble comme un papillon électrocuté. Bon pour les oreilles, et les yeux. On retrouvera Tinariwen cet été dans plusieurs gros festivals français. Stéphane Deschamps 19.03.2014 les inrockuptibles 85

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les mots assassins L’Américain Ben Marcus imagine un monde dans lequel toute forme de langage serait devenue mortelle. Un thriller philosophique toxique.

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l faut toujours se méfier de la sagesse populaire. En particulier de l’adage qui nous assure que la vérité sort de la bouche des enfants. Dans le dernier roman de l’Américain Ben Marcus, c’est un poison mortel qui s’en échappe. Les mots prononcés par les enfants, qu’ils soient doux ou violents, tuent les adultes à petit feu. Sous le flux des paroles toxiques, leur visage rétrécit, leurs lèvres se rétractent, la bouche devient calleuse et le corps dépérit peu à peu. Parents d’Esther, une adolescente, Sam et Claire sont exposés à son venin langagier : “Le malaise nous submergeait lorsque nous voyions des mots, lorsque nous en entendions, lorsque plus tard nous y pensions. Nous nous repaissions du matériau putride parce que c’était notre fille qui le produisait. Nous nous en gorgions, et dans nos corps ça bouillonnait, ça pourrissait, ça macérait.” L’épidémie se répand sans que l’on en saisisse la cause. Les théories les plus folles s’échafaudent. Les enfants sont mis en quarantaine et les adultes cherchent à fuir, engoncés dans de vaines combinaisons censées les protéger du fléau. Et bientôt, ce ne sont plus seulement les mots des enfants qui empoisonnent le monde, mais toute forme de langage, qu’il soit verbal, écrit ou mimé. Toute communication devient alors impossible. Les êtres errent tels des zombies, isolés les uns des autres par un silence proprement inhumain. Le silence se trouvait déjà au cœur du précédent livre de Ben Marcus, justement intitulé Le Silence selon Jane Dark. Paru en France en 2006, ce roman de science-fiction mettait en scène

une armée de femmes tyranniques et “silentistes” condamnant les hommes à l’immobilité et au mutisme. Marcus usait alors d’une novlangue, faisant dévier les mots et la syntaxe de leur cadre habituel. Cette fois, dans L’Alphabet de flammes, l’écrivain originaire de Chicago, également professeur à Columbia et collaborateur régulier du New Yorker ou de la Paris Review, abandonne les expérimentations formelles. Pour ce thriller linguistique que l’on dirait sorti d’une hybridation des cerveaux de Ludwig Wittgenstein et de Stephen King, Marcus a recours à la langue dans son plus simple appareil, celle que l’on utilise tous les jours, celle-là même qui se révèle létale pour les personnages de son oppressante dystopie. Au point que le lecteur se trouve lui aussi contaminé par les mots délétères du livre. Cela tient en partie à l’écriture de Ben Marcus, souffle fiévreux et diaboliquement précis qui distille la peur à chaque mot, surtout dans la première partie, de loin la plus puissante. Mais la profonde impression de malaise provient aussi du sens même du roman, mouvant, incertain, creusant un gouffre vertigineux d’interrogations et de doutes. Démiurge de ce chaos romanesque, Marcus sème des indices, alimente sa prose d’allusions bibliques, ésotériques et philosophiques. A la trame apocalyptique se tisse une autre histoire, celle des “juifs sylvestres”, une communauté religieuse secrète qui se recueille dans les bois et à laquelle appartiennent Sam et Claire. Ces juifs sylvestres ont accès aux sermons

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Vincent Gallo dans Essential Killing de Jerzy Skolimowski (2010)

démiurge de ce chaos, l’auteur sème des indices, alimente sa prose d’allusions bibliques, ésotériques et philosophiques d’un rabbin par le biais d’un réseau souterrain et d’un appareil baptisé “auditor” ou encore “Bouche de Moïse”. Moïse à qui Dieu, dans l’Ancien Testament, confie son nom ineffable. Cela pourrait être une piste pour saisir l’interdit qui pèse sur la parole dans L’Alphabet de flammes. D’autant que le personnage principal se prénomme Samuel, qui signifie étymologiquement “le nom de Dieu”. A moins qu’il ne faille s’appuyer sur le mythe de la tour de Babel, dans lequel l’hybris humain est puni par le brouillage du langage, ou encore sur les différentes thèses relatives à la nocivité de la parole, celles émises par Thoreau, Nietzsche ou Luther, qui se trouvent énumérées dans un passage du roman. Mais, comme il est écrit ailleurs : “La mythologie est la tentation la plus basse.” Le sens qui se dérobe à nous se trouve peut-être ailleurs, caché ou tout simplement tu. Cette impossibilité interprétative fascine et rebute. Le lecteur se voit aussi démuni que Sam, qui tente désespérément d’élaborer un remède au mal qui ronge les hommes. Après avoir fui, abandonnant son épouse semi-morte et sa fille mortifère, Sam atterrit dans un laboratoire clandestin à l’atmosphère très ballardienne, où il cherche à inventer un alphabet qui serait sans danger. Ses expérimentations sont

testées sur des cobayes. En vain. “J’étais censé tester des lettres, des alphabets, probablement concevoir une écriture. J’étais censé aligner des symboles qui pourraient servir de code, créer un nouveau langage qui damerait le pion à la toxicité.” Le sous-texte du roman se situe peut-être alors à ce niveau : créer un nouveau langage, soustraire les mots à la banalité, n’est-ce pas ce à quoi s’emploie – ou devrait s’employer – tout écrivain ? LeBov, le “méchant” du livre – comme tout bon thriller, L’Alphabet de flammes comporte un super vilain –, assène : “Pourquoi ne pas s’en prendre à la folie qui a conduit à une utilisation si généralisée de quelque chose de si intense, de si puissant que le langage ?” Un langage utilisé à tort et à travers, pour dire tout et son contraire, dévoyé par la communication à outrance, dilué dans un flot incessant de paroles ineptes. Seule la littérature pourrait alors constituer un antidote valide. Avec ce roman hautement toxique et monstrueux, Ben Marcus en donne la preuve la plus éclatante. Pour autant, c’est une victoire amère. L’Alphabet de flammes consume tellement son lecteur qu’il lui laisse un goût de cendres. Elisabeth Philippe L’Alphabet de flammes (Editions du Sous-Sol), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Thierry Decottignies, 346 pages, 22 € 19.03.2014 les inrockuptibles 87

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Vita SackvilleWest Le Diable à Westease

Catherine Hélie/Gallimard

Autrement, traduit de l’anglais par Micha Venaille, 176 pages, 16 €

Clélia Anfray Monsieur Loriot Gallimard, 237 pages, 17,50 €

Une comédie mordante sur la famille dans la France de Jacques Chirac. Se montrer critique à l’égard du milieu d’où l’on vient, est-ce faire preuve de mépris de classe ? Après En finir avec Eddy Bellegueule, le succès et les critiques élogieuses qu’il a recueillies, voilà une romancière qui se révèle aussi féroce sur ses origines sociales en revêtant les oripeaux de la comédie. Monsieur Loriot, c’est le nom du patriarche d’une famille de Châteauroux dans les années 80, un employé de la SNCF bricoleur (il fabrique des dérouleurs d’essuie-tout) accro à la série Dallas et à Jacques Chirac. Trois filles, des petits-enfants, et une maîtresse américaine qui va surgir du passé et lui faire traverser l’océan, direction Los Angeles. Après un premier livre en 2012 – Le Coursier de Valenciennes –, Clélia Anfray construit une farce satirique sur la famille, la culture beauf et les discours réactionnaires. Chez les Loriot, on ne jure que par Télé 7 Jours et l’on hait l’une des filles qui a osé épouser un “nègre”, ou encore le socialisme, “une tocade d’artistes, de cocos, de pédés, de femmes et de jean-foutre”. Mais ne pas s’y tromper : le rire à la fois grinçant et exotique du roman a pour horizon notre présent, possiblement replié sur des valeurs que l’on pensait, hier encore, révolues ou du moins éventées. Emily Barnett

Inédit en français, un roman policier de Vita Sackville-West, connue pour ses amours avec Virginia Woolf. Elégant et espiègle. La campagne anglaise, un meurtre mystérieux et une enquête à rebondissements. Ecrit en 1947 par l’excentrique Vita SackvilleWest, romancière, poétesse et amante de Virginia Woolf, morte en 1962, Le Diable à Westease est un whodunnit à la sauce Agatha Christie, dans la plus pure tradition british. Le romancier Roger Liddiard, récemment démobilisé de la Royal Air Force, s’installe dans le charmant village de Westease, où il espère oublier les atrocités de la guerre. Il achète un moulin, tombe amoureux de la fille du pasteur et se lie d’amitié avec un vieux professeur numismate. Seule ombre à ce tableau bucolique, la présence d’un peintre machiavélique, Wyldbore Ryan. Les rêves de sérénité de Liddiard tournent court quand le révérend est retrouvé mort dans son bureau, assassiné à l’éther selon un procédé très inventif. La romancière ménage le suspense de cette intrigue teintée de Dr Jekyll et Mr Hyde avec la légèreté d’un troupeau de shetlands mais l’essentiel réside ailleurs, dans la grâce des descriptions et la réflexion sur l’art qui se dessine en creux : peut-on tout pardonner à un grand artiste ? Comme elle passait d’un sexe à l’autre dans ses amours, Vita Sackville-West a navigué avec aisance entre les genres littéraires, s’essayant même à la SF (Grand Canyon). Elle se livre ici à un délicieux exercice de style, dans lequel on ne peut s’empêcher de déceler un zeste de parodie. Elisabeth Philippe

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Des parents écrivent un livre sur le sexe, les enfants le lisent. Un roman intrigant sur les conséquences de l’écriture.

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n 1975, les Mellow vivent dans une banlieue américaine bourgeoise de la côte Est avec leurs quatre enfants qui, un beau matin, se retrouvent nez à nez avec “le livre” – une sorte de Kama Sutra post-révolution sexuelle – écrit par leurs parents. L’objet devient dès lors l’équivalent familial d’une boîte de Pandore qui, une fois ouvert, ne pourra plus être vraiment refermé puisqu’il héberge le tabou familial ultime : le mystère de la sexualité des parents. Mais la déflagration est lente et insidieuse, et c’est ce que s’applique à démontrer Meg Wolitzer. Sans jamais tenter de pointer explicitement les méfaits de la découverte de ce texte sur la famille Mellow, elle retrouve simplement le couple et ses enfants trente ans plus tard.

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Mad Men saison 1

après la révolution Claudia cherche encore un sens à sa vie, Holly a pris les voiles et dérive en Californie, Michael gobe des antidépresseurs qui pourrissent sa vie sexuelle, Dashiell gère les suites de son double coming-out : il est gay et républicain (dur). Paul et Roz, les parents, ont divorcé deux ans après leur succès en librairie. Bref, aucun d’entre eux n’est simplement heureux et épanoui. De là à en faire porter la responsabilité au livre ? La Position est, bien sûr, un roman sur la famille, où Wolitzer pose, à la manière d’un Desplechin attendri, la question de la transmission. Mais c’est aussi, et c’est ce qui rend le roman intéressant, un livre qui interroge la puissance des livres et leur pouvoir d’influence, pas uniquement sur leurs lecteurs, mais aussi sur ceux

qui les font et ceux qui les entourent. En un mot, sur la vraie vie. Méthodique, mais jamais bêtement exhaustive, Wolitzer distille par petites touches des éléments de compréhension, sans pour autant prétendre livrer une solution clé en main. Erigé en modèle, ce couple-ci n’a pas tenu le choc, et c’est une famille entière qui s’est retrouvée atomisée. La Position est le récit d’un rabibochage, qui s’ouvre et se ferme sur des réunions fraternelles, alors que le reste du livre se divise en coups de projecteur chapitrés. Le bilan doux-amer des effets secondaires des années baba cool. Clémentine Goldszal La Position de Meg Wolitzer (Sonatine), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Madeleine Nasalik, 399 pages, 22 €

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Tony Rome est dangereux de Gordon Douglas (1967)

Frank Sinatra, héros populaire et ami de la Mafia

gonzo master Proclamé père du Nouveau journalisme par Tom Wolfe, le méconnu Gay Talese a élevé le reportage au rang de genre littéraire. Et contribué à l’élaboration de quelques grands mythes américains.



ay Talese n’est pas un grand écrivain mais il a remarquablement ouvert la voie d’une relation romancée avec le réel. Au départ, il s’agit d’une forme innovante de reportage. Repéré aussitôt par Tom Wolfe, qui lui attribue la paternité du Nouveau journalisme, ce fils de tailleur italien a fait ses armes au New York Times, mais c’est dans la revue Esquire, au début des années 60, qu’il publie ses drôles d’articles qui ne ressemblent à aucun autre : voix intérieure, traces de dialogues, description de décors…

En reprenant à son compte des techniques propres au roman, Talese n’a pas seulement révolutionné le journalisme, il a aussi déplacé les frontières de la littérature. On comprend cela en le lisant aujourd’hui, à travers une sélection de textes ancrés dans le spectacle des années 50-60. L’auteur y déploie un art du portrait incarné, explosant la norme journalistique, et préfigure idéalement la vague de biographies romancées qui feront fureur un demi-siècle plus tard… Texte éponyme de ce recueil, “Sinatra a un rhume” (1966) dresse le portrait

complexe du vieillissant et plus célèbre crooner américain, à la fois pilier incontournable de l’industrie culturelle et fils modeste d’immigré sicilien, prédateur sexuel et “parrain” développant des accointances avec la Mafia. “Le Vaincu” (1964), “Ali à la Havane” (1996) et “La Saison silencieuse  du héros” (1966) s’intéressent à la retraite sportive de trois grands athlètes, Floyd Patterson, Mohammed Ali et Joe DiMaggio ; “Hemingway est parti sous d’autres cieux” (1960) retrace quant à lui le lancement épique de la Paris Review par une bande

de jeunes Américains riches et frivoles dans le Paris des années 50. Le dénominateur commun à cette quinzaine d’histoires, à lire comme autant de nouvelles littéraires, est la référence à une splendeur passée. Celui qui devait être le chroniqueur de son temps fut en fait le bâtisseur d’une légende, un inventeur de mythes nourris d’anciens monstres sacrés et des glorieuses et florissantes années d’après-guerre. Talese explique que sa grande qualité, c’est la “curiosité”. Et une fascination prononcée pour “la majorité silencieuse”, les marginaux, les travailleurs, les étrangers, auxquels il rend hommage dans “Un autre New York” ou “De mon intérêt pour la non-fiction”. Fasciné par “les femmes de ménage chargées de nettoyer les gratte-ciel”, les “monteurs de charpentes en acier travaillant entre ciel et terre”, les tailleurs immigrés et les portiers d’immeubles, Talese a fait de cette faune new-yorkaise invisible la clé de voûte d’une œuvre féconde, qu’on aimerait bien voir traduite en France. Emily Barnett Sinatra a un rhume  (Editions du Sous-Sol), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Michel Cordillot, 311 pages, 22 €

la 4e dimension autour d’Henry Roth Donna Tartt sur grand (ou petit) écran

Keith Richards, papy writer

Paru en janvier, l’envoûtant Le Chardonneret (Plon) devrait bientôt être porté à l’écran. Les producteurs de Hunger Games viennent d’en acquérir les droits. On ne sait pas encore s’il s’agira d’une minisérie télé ou d’un film.

L’art d’être grand-père selon le guitariste des Stones. Keith Richards s’apprête à publier Gus & Me – The Story of My Granddad and My First Guitar, un livre pour enfants illustré par sa fille Theodora et inspiré par sa relation avec son grand-père, guitariste de jazz qui lui a transmis le goût de la musique.

premier roman de David Cronenberg En septembre, le réalisateur canadien, qui a notamment adapté J.G. Ballard (Crash) et Don DeLillo (Cosmopolis), publiera Consumed (Scribner), l’histoire de deux journalistes qui se retrouvent mêlés à la mort d’un philosophe français marxiste et libertin.

Cas à part de la littérature US, Henry Roth, mort en 1995, est l’auteur d’un grand roman autobiographique, A la merci d’un courant violent. Rencontre avec son éditeur Olivier Cohen (L’Olivier) et son traducteur Michel Lederer, animée par notre collaboratrice Elisabeth Philippe. le lundi 24 à 19 h 30 au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, Paris IIIe, www.mahj.org

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un dernier tour de Donjon Après six ans de suspense, Joann Sfar et Lewis Trondheim livrent d’un coup deux albums de leur série phare. L’heroic fantasy ne sera plus jamais la même.

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n 1998 déboulait en librairie Cœur de canard, une réjouissante incongruité dans le paysage de l’heroic fantasy. On y découvrait bien un château, des courageux chevaliers, d’horribles monstres, mais le tout cuisiné à la sauce drolatique de Lewis Trondheim et Joann Sfar. Le canard Herbert et le dragon Marvin avaient beau être embringués dans une dangereuse aventure, il était difficile de prendre la série trop au sérieux. C’est pourtant avec de la gravité mêlée au plaisir que, seize ans plus tard, on retrouve les mêmes personnages, métamorphosés et prêts à mener un ultime (?) combat. Car ce qui ressemblait au tout départ à une excellente farce s’est développé de manière impressionnante et tentaculaire. A la tête d’une armée de dessinateurs (Blain, Larcenet, Blutch, Killoffer, Kerascoët, etc.), Sfar et Trondheim ont révolutionné de l’intérieur la très formatée fantasy. Courant sur plusieurs époques et une trentaine d’albums, l’intrigue multiple et tragicomique de Donjon intègre pourtant des motifs classiques et propres aux sagas héroïques : les artefacts magiques

(les “Objets du destin”), une force noire contre laquelle lutter (l’“Entité”)… Sans jamais tomber dans le pastiche ou la parodie, les deux cerveaux de Donjon ont pratiqué avec précision et inspiration l’art du contre-pied, s’amusant avec les codes jusqu’à les piétiner. Avec ces deux nouveaux albums, ils obéissent cependant à des contraintes imposées par l’extérieur : ne pas laisser leur série inachevée, balayer l’incertitude créée chez le public par un silence de plus de cinq ans. “Il nous a semblé important d’au moins clore tout un pan de l’histoire afin de respecter les lecteurs (…) On finit aussi par donner des voix à ces personnages fictifs, et ils nous appelaient à terminer”, explique Lewis Trondheim. Ce double feu d’artifice final ne déçoit pas. Plutôt habitué à mener des récits intimistes, Alfred, l’auteur de Come prima, a pris plaisir – ça se sent – à dessiner les incessantes bagarres de Haut Septentrion. Son trait nerveux et sa mise en scène énergique (une bluffante double page mériterait de finir en poster) font de cet épisode l’équivalent d’un comics speedé à la Hellboy.

Si Haut Septentrion dénoue quelques nœuds, il prépare le terrain à l’album dessiné par Mazan – déjà recruté par Sfar et Trondheim pour l’album Jean-Jean la Terreur. Titré de manière explicite La Fin du Donjon et se passant en quasi simultané, le deuxième livre boucle avec maestria et des clins d’œil la trame globale tout en répondant à la question centrale de Donjon, selon Joann Sfar : “l’héroïsme face au temps”. Comme promis et espéré, l’album pose la dernière pierre d’un univers à la cohérence folle. Un des grands mérites de Sfar et Trondheim tient en cette rigueur dans le délire : si, pour s’amuser, ils ont inventé des règles du jeu jubilatoires, ils s’y seront pliés… jusqu’à la fin. Avant un possible retour ? “Donjon n’a jamais été créé pour être rentable, ni pour être une pompe à fric. Le plaisir seul nous guidera”, résume Lewis Trondheim. Vincent Brunner Donjon Crépuscule 110 – Haut Septentrion de Joann Sfar, Lewis Trondheim et Alfred (éditions Delcourt), 48 pages, 10,95 € Donjon Crépuscule 111 – La fin du Donjon de Joann Sfar, Lewis Trondheim et Mazan (éditions Delcourt), 48 pages, 10,95 €

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si c’est un homme Naviguant entre intime et social, Pierre-Yves Chapalain confronte le talent d’être humain à l’enfer d’un monde contemporain qui juge la valeur d’une vie à la validité de papiers d’identité.



ne guinguette au bord du fleuve à l’heure de la fermeture. Les ampoules multicolores des guirlandes éclairent avec une tendresse nostalgique la salle de bal, où s’entassent les fûts de bière et où les chaises sont rangées sur les tables les pieds en l’air. Un détail cloche : livrées prétendument par erreur, deux couronnes mortuaires trônent au milieu du désordre, comme un message de mauvais augure. Avec Brume du soir, Pierre-Yves Chapalain (repéré alors qu’il faisait l’acteur dans les spectacles de Joël Pommerat) s’affirme comme un auteur et un metteur en scène qui compte, sans renier pour autant une filiation de cœur avec l’univers trouble et cruel de celui qui nous le fit connaître sur les planches. Partition nocturne ouvrant sur les mystères d’une intrigue familiale pour en débusquer les secrets immergés, la pièce cible le trio œdipien d’un père trop possessif, d’une fille en quête d’identité et de son amant venu de l’étranger qui refuse, pour sa propre sécurité, de dire qui il est et d’où il vient. L’histoire d’amour déclenche le chaos et, comme tombent les masques, rien ne résiste à la réaction en chaîne une fois le premier domino abattu. La belle idée de Chapalain est d’avoir deux fers au feu. D’un côté, il pointe une violence sociétale qui oblige à empiler les mensonges pour protéger le bonheur simple de vivre quand on est des migrants contraints d’avoir un jour dealé avec

la mafia des passeurs. De l’autre, il rappelle que le talent et l’art réunissent les cultures en se moquant des provenances géographiques. C’est à travers la tradition du cirque que le spectacle bascule, quand le père se prend pour Barnum à la recherche d’attractions pour sa buvette, que la fille se révèle danseuse de tango et ventriloque tandis que son amant s’avère un clown magnifique dans un époustouflant numéro de jonglage où il n’est question que de l’insoupçonnable légèreté des êtres. “On peut faire un homme n’importe où, le plus étourdiment du monde et sans motif raisonnable ; un passeport, jamais. Aussi reconnaît-on la valeur d’un bon passeport, tandis que la valeur d’un homme, si grande qu’elle soit, n’est pas forcément reconnue.” Citant en exergue de sa note d’intention Dialogues d’exilés de Bertolt Brecht, Pierre-Yves Chapalain sait que le bras de fer entre liberté artistique et carcan politique est de toutes les époques. Mais, même si, juste l’instant d’un show, il ne s’agit que d’écarter les mâchoires de la bête qui s’amuse à nous contraindre, sa démonstration est imparable, comme le rêve tant de fois remis sur le métier qu’un autre monde est possible. Patrick Sourd La Brume du soir texte et mise en scène Pierre-Yves Chapalain, avec Eric Challier, Antek Klemm, Kahena Saïghi (Théâtre de l’Echangeur, Bagnolet), jusqu’au 22 mars au Théâtre Dijon-Bourgogne, tdb-cdn

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sonateen Sur fond de crise financière, Immortels de Nasser Djemaï explore les troubles d’un groupe d’adolescents. l faut saluer la de cyberattaques. Le trouble délicatesse avec jeté par la mort d’un des laquelle Nasser Djemaï leurs ajoute une touche aborde son sujet. Mais mélancolique. Même si quel sujet justement ? tous ne vivent pas de la La jeunesse ? Peut-être. même façon la disparition A cela près que Djemaï de Samuel. A commencer se garde de tomber dans par Joachim, son frère, une approche sociologique marqué personnellement cousue de fil rouge. Pas par le drame, mais d’autant de cahier des charges donc, plus troublé que certains mais huit personnages veulent voir en lui de chair et de sang. Tous le fantôme de Samuel. bien vivants, à l’exception Il y a Mona, par exemple, de Samuel, mort dans des avec qui il a une aventure ; circonstances étranges. Ce jusqu’au moment où décès inexpliqué – suicide il comprend qu’il n’est que ou accident ? – jette une le substitut de son frère. ombre. La vie ressemble Tout du long, on sent à un vêtement trop grand. une empathie évidente de Nasser Djemaï montre la part du dramaturge pour ces corps d’adolescents ses personnages. Et pour comme embarrassés ses acteurs, dirigés avec un d’eux-mêmes. Une fille juste équilibre qui les rend sur un banc qui ferme à la fois très vrais et très machinalement sa veste de attachants. Nasser Djemaï survêtement pour cacher trouve le ton adéquat, ses seins quand un garçon empreint de pudeur et en s’approche. Détail tout même temps suffisamment simple mais qui participe précis pour traiter ce d’un paysage humain. moment si particulier de la Car ce spectacle vie où le sentiment exaltant ne s’accroche pas à une que tout est possible se intrigue qu’il s’agirait à tout double d’une vulnérabilité prix d’amener à son terme, profonde. Hugues Le Tanneur il installe un climat fait d’aspirations, d’incertitudes. Immortels de et par Nasser Djemaï, avec Clémence Soit un groupe de jeunes Azincourt, Brice Carrois, gens pris dans les Florent Dorin, Etienne Durot, interrogations de l’époque. Jean-Christophe Legendre, La crise bancaire. La dette. Marion Lubat, Julie Roux, Les restrictions imposées jusqu’au 28 mars à Malakoff, à la Grèce… La politique le 4 avril à Toulon, du 8 au 11 avril à Cergy les travaille, ils rêvent

Mario Del Curto

Yann Richard

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le temps des sorciers Sculptures vaudoues et cinéma tellurique : au cœur de deux expositions, en Alsace et près de Lyon, des artistes chamans rendent exotique ce qui nous est familier et font un usage très incarné de l’anthropologie.

L concours de création vidéo Sosh aime les inRocKs lab a lancé cette année un nouveau concours dédié aux jeunes vidéastes parrainé par Alain Della Negra. Vidéos d’art, films courts, courts métrages d’animation et clips…, il vous reste dix jours pour participer ! lesinrocks.com/ lesinrockslab

es artistes seraient-ils déjà en train d’expérimenter un monde post-capitaliste? Nombre de projets actuels font référence à l’anthropologie ou s’intéressent à des formes expérimentales de vie sociale. Ainsi, Alain Della Negra & Kaori Kinoshita ont rencontré une communauté de transe chamanique où les participants incarnent des animaux, suivant les indications du chef spirituel Loup Blanc. Filmés sur un fond vert où apparaissent des images new-age, les rituels semblent intensifiés par la présence de la caméra, mais les artistes refusent tout regard surplombant et préfèrent observer de l’intérieur le pouvoir des croyances à faire coexister différents niveaux de réalité. La vidéo est exposée dans Anti-Narcisse, l’une des expositions qui utilise l’anthropologie comme boîte à outils.

A partir des recherches d’Eduardo Viveiros de Castro (Métaphysiques cannibales, 2009), dont le travail en Amazonie emprunte la perspective des peuples étudiés, nous sommes invités à délaisser le principe d’une identité fixe pour absorber des points de vue multiples. A Saint-Fons, l’expo Nouvelles de la Kula évoque les cérémonies d’échange de dons des peuples des îles Trobriand pour placer l’art du côté des “techniques d’enchantement”, des rituels de dépense, de l’ornement, de l’animisme, de la magie et du cinéma des origines. Il est curieux d’ailleurs que les deux expositions cherchent leurs figures historiques dans le cinéma expérimental, devenu un terrain privilégié de relecture de l’histoire de l’art : le sens de la parure et de la mise en scène de soi (Kenneth Anger) et le cinéma abstrait de Len Lye, nourri des motifs primitifs aborigènes après un séjour

chez des tribus maories au début des années 20. Une symbolique qui renvoie au paysage de pierres tatouées de Thierry Liégeois, aux dessins inspirés de photos vintage de bagnards. Celles-ci sont exposées avec, punaisés sur les yeux, des papillons issus d’un élevage de chrysalides installé sur place, évoquant l’attirance ambiguë qu’exercent les criminels dans la popularisation récente du tatouage. Plutôt que de rester dans une analyse distanciée, ces artistes font corps avec le réel. Thomas Teurlai met en tension danger et séduction en suspendant une plaque de verre qui menace d’éclater sous le coup de séismes électriques. Rémi Voche se met à l’épreuve dans une vidéo en sorcier vaudou assis dans une prairie où il avale de la terre. Pris d’assaut par l’émotion, il fixe son regard sur une photo de ses grandsparents placée hors champ.

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peinture éternelle Le Belge Michaël Borremans remet la peinture classique au goût du jour : comme un mauvais rêve hypnotique. our vérifier la résistance de ses œuvres, leur force, il exige ce qu’il appelle “une lumière sans pitié”, un éclairage cru qui en atteste la perfection absolue. A 50 ans, Michaël Borremans, dont une rétrospective est présentée au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, est reconnu comme l’un des plus grands peintres figuratifs vivants. Mais dans un registre old-school. Il a copié les anciens (notamment Rembrandt et Goya), cultivé une technique à l’huile virtuose. Il n’hésite pas non plus à perpétuer l’image du créateur solitaire et ascétique. Depuis deux ans, il a investi une chapelle désaffectée à Gand pour en faire un atelier. Il y peint parfois nu et raconte que l’exécution de ses toiles s’apparente à une danse. Le monde de Borremans se distingue par un traitement chosifié de l’humain : des visages semblables à des masques, des corps tronqués, des chevelures sculpturales, des vêtements inadaptés, des jeux de mains énigmatiques, des expressions méditatives. Il est par ailleurs traversé par une violence implicite et une dimension mortifère : là, un jeune homme se mutile la phalange de l’index gauche avec indifférence ; ici un personnage androgyne s’enfonce une barbe dans la bouche… Cette peinture, proche du mauvais rêve, est hantée par la présence fantomatique des maîtres sous forme de citation. Dans The Devil’s Dress, Borremans reprend ainsi L’Homme mort de Manet (la mise en scène du gisant, logé dans un improbable habit rouge). On trouve aussi des analogies visuelles avec Le Caravage, Vélasquez, Chardin ou encore Courbet. Logique : pour Borremans, la peinture est, “un témoin”, dont il utilise “le poids historique (…). C’est quelque chose d’essentiel, que tu ne peux pas améliorer. Elle est comme le pain, comme un marteau.” Mélanie Gentil

Une façon de s’immerger dans le monde présente chez Yann Gerstberger qui, parti au Mexique, établit une négociation culturelle entre des savoirs traditionnels (les teintures de ses tapisseries abstraites et les papiers découpés pour la fête des morts) et une orgie sculpturale folk inspirée d’un dessin de Jodorowsky. Rappelant aussi le pouvoir de la fiction à changer nos représentations, Kapwani Kiwanga, avant de clôturer l’exposition avec une performance, donnera une conférence en Alsace autour d’une agence spatiale africaine inspirée de l’afrofuturisme de Sun Ra. En anthropologue du futur, elle propose des narrations émancipatrices, refusant la fétichisation univoque du passé. Pedro Morais

As Sweet As It Gets jusqu’au 3 août à BOZAR, Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, bozar.be Photo Ron Amstutz, court. Zeno X Gallery Antwerp and David Zwirner New York/London

Alain Della Negra & Kaori Kinoshita, Fusion, 2012

Courtesy des artistes et Crac Alsace



The Devil’s Dress, 2011

Anti-Narcisse jusqu’au 11 mai au Crac Alsace, Altkirch cracalsace.com Nouvelles de la Kula jusqu’au 26 avril au Cnap, Saint-Fons cnap.fr 19.03.2014 les inrockuptibles 97

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les Francais d’abord Du cocorico comme s’il en pleuvait. A Sotchi comme lors des JO précédents, les commentaires des journalistes se sont révélés parfois douteux, notamment par leur indécrottable esprit cocardier.

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ès l’ouverture des Jeux olympiques de Sotchi, chaînes de télé et radios annoncèrent la couleur : sur le blanc, il n’y en aurait que pour le bleu. Les athlètes français d’abord, quels que soient leurs résultats. Samedi 8 février, sur France 2, le journal de 20 heures consacre un sujet à Martin Fourcade… sixième de la première épreuve de biathlon. Le vainqueur est un Norvégien, Ole Einar Bjoerndalen, qui obtient sa treizième médaille en six participations : une légende des Jeux. Il est à peine mentionné. Suit un sujet sur Perrine Laffont, 15 ans : éliminée en finale de ski de bosses, elle termine quatorzième. Le nom du vainqueur ? On ne l’aura pas. Le 9 février, à 9 heures, l’info du jour sur Europe 1 c’est… la treizième place provisoire d’Adrien Théaux, annoncé la veille comme “une valeur sûre” en descente. Il finira dix-huitième. Et quand Martin Fourcade gagne la première médaille française, lundi 10, l’envoyé spécial d’I-Télé s’emporte : “Martin Fourcade va-t-il devenir

la superstar de ces Jeux olympiques ?” Pendant deux semaines, comme à chaque édition, les JO se transforment en démonstration de préférence nationale. Pour connaître les performances des autres pays, à moins de lire L’Equipe ou de se raccrocher à internet, c’est mission impossible. En matière de sport en France, journalisme rime donc avec chauvinisme ? Après les JO de 2012 à Londres, le Wall Street Journal avait qualifié Nelson Monfort, commentateur-vedette de France Télés, de “journaliste le plus chauvin des Jeux”. Pour Peter Vermaas, correspondant à Paris du quotidien néerlandais NRC Handelsblad, ce n’est pas une spécificité française : “Aux Pays-Bas, pendant les JO, on n’a parlé que de patinage de vitesse, car c’est la discipline où nous sommes champions. Dans les pays où j’ai été correspondant, en Afrique du Sud et aux Etats-Unis, les journalistes ont le même réflexe. Mon pire souvenir a été la finale de la Coupe du monde de football en Afrique du Sud, opposant l’Espagne aux Pays-Bas : j’ai vu tous mes confrères se transformer en supporters hystériques.”

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“quand on voit certains journalistes tutoyer des athlètes français en leur tapant dans le dos, ce n’est pas sain” Geoffroy Deffrennes, formateur à l’Ecole supérieure de journalisme de Lille

Nelson Monfort, “journaliste le plus chauvin des Jeux” d’après le Wall Street Journal, entouré d’une équipe dec ommentateurs de France Télévisions

Journaliste sportif pendant vingt-cinq ans, formateur à l’Ecole supérieure de journalisme de Lille et auteur d’Un siècle d’olympisme (La Renaissance du livre), Geoffroy Deffrennes explique en partie ce type de dérive : “Donner la priorité à la zone géographique la plus proche du public est une règle journalistique. Quand je suivais les JO pour La Voix du Nord, je parlais d’abord des athlètes de la région, puis des Français et ensuite des autres. Et j’ai préféré suivre une finale d’escrime plutôt qu’une finale du 100 mètres, parce que des Français concouraient. Mais ce n’était pas par chauvinisme : d’une part, il y avait plus de suspense en escrime, d’autre part je soupçonnais les coureurs d’être dopés.” Lui qui a suivi quatre olympiades observe toutefois une nette dérive cocardière, et la déplore. “Quand on voit certains journalistes tutoyer des athlètes français en leur tapant dans le dos, ce n’est pas sain. Et je suis atterré par certains commentaires. A France Télévisions, tout le monde sait par exemple que Nelson Monfort ou Patrick Montel ne savent pas de quoi ils parlent. Un jour, j’ai demandé au patron des Sports de France Télévisions pourquoi il ne mettait pas de vrais journalistes à leur place. Il m’a répondu : ‘On n’a pas besoin de spécialistes. Il faut des gens enthousiastes, car le public aime ça.’ C’était il y a vingt ans.” En 2005, à 49 ans, ne supportant plus l’évolution de ce métier “très refermé sur lui-même”,

Geoffroy Deffrennes a décidé de ne plus suivre le sport. Il est aujourd’hui correspondant du Monde à Lille. Passé de France Inter à France Télévisions, Jean-Marc Michel est depuis 1999 le président de l’Union des journalistes de sport en France (UJSF), qui compte 3 200 adhérents. Il dresse lui aussi un bilan sans appel : “Ce métier perd son âme.” S’il reconnaît que ses confrères ont parfois des contraintes techniques qui les obligent à donner la priorité aux sportifs français, notamment pendant les JO, il déplore “cette espèce de ‘hourra-journalisme’ qui pousse à en faire toujours trop”. Fondateur du Palmarès de la presse sportive, qui récompense chaque année les meilleurs journalistes, il constate que les deux tiers des sujets qu’il reçoit “font dans le cocorico”. “C’est une question dont on n’a pas le temps de s’occuper à l’UJSF, déplore-t-il. Nous consacrons toute notre énergie à limiter l’impact de l’argent et du marketing qui font désormais la loi dans le sport.” De son côté, le Conseil supérieur de l’audiovisuel s’est engagé à examiner les propos tenus à l’antenne de France Télévisions pendant les derniers JO, mais pour leur contenu sexiste. Sur la question du chauvinisme, la présidente de la mission sport, Christine Kelly, ne souhaite pas répondre. “Ce sujet n’entre pas dans nos centres d’intérêt”, dit-on au CSA. See you soon, Nelson… Martin Brésis 19.03.2014 les inrockuptibles 99

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La french touch selon Benjamin Carle

la vie bleu blanc rouge Un journaliste a décidé de vivre neuf mois en consommant 100 % français. Il a survécu.

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ans son documentaire Super Size Me, Morgan Spurlock mange trois fois par jour pendant un mois chez McDonald’s et en relate les effets dévastateurs. Dans Ma vie sans pétrole de John Webster, on voit une famille vivre plus d’un an sans hydrocarbures et leurs dérivés (notamment le plastique). Les expériences monomaniaques de ce genre abondent et font de bons sujets à la télé comme au ciné. Pour le docu Made in France, le journaliste Benjamin Carle a tenté de consommer 100 % français pendant neuf mois. Il est parti de l’idée répandue selon laquelle le chômage progresserait parce que la France, comme tous les pays occidentaux, sous-traite une grande partie de ses productions dans des pays à bas salaires. D’une certaine manière, Carle a pris au mot Arnaud Montebourg (présent dans le film), qui arborait en 2012 une marinière bretonne pour inciter les Français à préférer les produits nationaux. Le journaliste filme cette expérience dans son petit deux pièces parisien. S’il est un peu ridicule d’affubler un tel documentaire d’un titre anglais, et s’il est assez léger de suggérer que les problèmes de l’emploi en France sont liés à la consommation de produits importés, cette expérience est avant tout un prétexte. Elle permet de faire un tour d’horizon rapide de l’état de l’industrie en France. Constat édifiant : très peu de confection, d’électronique et d’électroménager en général. Pas de réfrigérateur made in France. La construction automobile se délocalise à tout-va. Pour les denrées alimentaires, en dehors des produits frais (et encore), cela reste difficile à déterminer.

Ceci dit, le film a le défaut de l’émiettement et de la rapidité – sans parler des apartés comiques sur le calvaire de l’animateur/cobaye. Un aspect à lui seul mériterait un sujet complet : la délocalisation du tertiaire, qui fait planer les plus graves menaces sur l’emploi en France (en majorité de ce secteur). On connaissait le cas des plates-formes téléphoniques expatriées à l’étranger. Mais il semble que le phénomène de l’outsourcing (externalisation) fasse tache d’huile et que désormais des informaticiens et ingénieurs maghrébins soient employés dans leurs pays par des sociétés françaises pour des salaires moindres qu’en France. Il y aurait 50 à 100 000 informaticiens en offshore, ce qui supprime autant d’emplois chez nous. Le plus grave, exposé par Carle à Montebourg qui fait l’étonné, c’est que notre gouvernement, malgré ses vœux pieux à propos de la consommation franco-française, sous-traite lui-même au Maroc un programme nommé Sirhen visant à rénover l’intranet de l’Education nationale. En dehors de cet excellent segment du documentaire, Benjamin Carle en rajoute un peu pour la galerie. Il se coupe les ongles avec un Opinel en affirmant qu’il n’existe pas de coupe-ongles français (faux), ne semble pas voir qu’il reste des éléments Ikea dans son appartement patriotique, bannit le café parce qu’il est cultivé ailleurs, tout en portant du coton qui ne croît pas en Beauce… Quelques petits bémols dans un docu potache mais tout de même édifiant. Vincent Ostria Made in France – L’année où j’ai vécu 100 % f rançais documentaire de Benjamin Carle, Benjamin Audour et Karine Dusfour. Mercredi 19, 2 0 h 50, Ca nal+

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le piège afghan Reconstitution, portée par des témoignages déchirants de soldats ayant échappé à la mort, de l’embuscade d’Uzbin, en 2008, qui précipita le retrait de l’armée française d’Afghanistan. n perdant, le 18 août en guerre depuis trente ans ? de cet entrelacement 2008, dix soldats, Toutes ces questions sont de plusieurs modes tués par les talibans posées dans le documentaire de réanimation du passé. dans une embuscade de Jérôme Fritel (grand Chaque registre d’image en Afghanistan (qui fit reporter spécialiste vise, contre l’effacement aussi vingt et un blessés), de l’Afghanistan, où il a et le refoulement l’armée française a vécu souvent tourné depuis 1989) de l’épaisseur du temps, l’un des pires traumatismes qui, s’appuyant sur à mieux éclairer les ombres de son histoire récente. les témoignages de quatre passagères et définitives Il faut remonter à la guerre survivants de l’embuscade de ce passé trouble. d’Algérie pour trouver et quelques-unes de Si, comme le rappelle la trace de pareilles pertes leurs images personnelles un officier relativisant le humaines au combat prises sur le vif, éclaire les danger encouru par l’armée en une seule journée. modalités de l’embuscade française, “douze ans Cette embuscade et les traces qu’elles d’Afghanistan, c’est vingtd’Uzbin, moment tragique ont laissées sur ceux qui ont deux minutes de la guerre qui précipita le retrait échappé à l’encerclement. de 1914”, si les généraux des troupes françaises Frontalement interrogés, se sentent injustement d’Afghanistan, reste cinq ans plus tard, incompris, il reste que un point aveugle de notre les soldats décrivent leur la colère des familles des armée, à moins qu’elle arrivée en Afghanistan soldats tués, autant que ne soit le signe de son et leur journée du 18 août l’amertume des survivants, aveuglement. Un angle de manière circonstanciée. continuera de conférer mort, autant à cause Chaleur de l’air, perception à l’embuscade d’Uzbin de l’opacité technique de du danger à chaque coin l’image d’une étrange l’opération militaire, prise de rue, exiguïté du camp défaite. Une embuscade dans un piège macabre, militaire dans le désert… sans retour, lourde qu’à cause du flou des A l’évocation de leur cadre parce qu’inexpliquée, motifs politiques guidant quotidien étouffant triste parce qu’absurde, cette guerre lointaine. Quel se mêlent les souvenirs à laquelle Jérôme Fritel sens donner, au fond, à ce déchirants de l’embuscade restitue sa dimension sacrifice de dix parachutistes maudite, matérialisés par historique par-delà âgés de 20 ans ? La guerre des images d’animation 3D les doutes et les pleurs. Jean-Marie Durand menée là-bas sert-elle réalisées par Sébastien une cause juste ou pas ? Dupouey à partir des beaux La sécurité de la France dessins de Laurent Hirn. L’Embuscade documentaire doit-elle s’indexer à celle Le film tire sa singularité de Jérôme Fritel. Mardi 25, 22 h 35, France 2 qui se déploie dans ce pays esthétique et narrative

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avantages exclusifs

RÉSERVÉS AUX ABONNÉS DES INROCKS pour bénéficier chaque semaine d’invitations et de nombreux cadeaux, abonnez-vous ! (voir page 105 ou sur http://abonnement.lesinrocks.com)

rétrospective Ingmar Bergman en salle depuis le 5 mars, dans les cinémas partenaires

ASCO & Friends : Exiled Portraits  jusqu’au 6 juillet à la Friche Belle de Mai, Marseille IIIe

expos La première exposition en France du groupe d’artistes chicano ASCO, actif dans les années 70 et 80 à Los Angeles. Ce groupe pluridisciplinaire a eu recours à la performance, la photographie, le film, l’intervention urbaine et l’art public pour répondre aux inégalités politiques et sociales qui l’entouraient. à gagner : 10 x 2 places

Mekong Hotel d’Apichatpong Weerasethakul

DVD Portrait d’un hôtel situé en bordure du Mékong, dans le nord-est de la Thaïlande, et qui marque la frontière avec le Laos. Entre réalité et fiction, le film présente les liens qui unissent une mère-vampire et sa fille, deux jeunes amants et le fleuve. à gagner : 25 DVD

Showcase les 28 et 29 mars, sous le pont Alexandre-III, Paris VIIIe

musiques Animés par la même dynamique artistique, Savoir Faire et We Love Art ont voulu prolonger ce qu’ils avaient initié ensemble lors du festival The Peacock Society l’été dernier. Ils réunissent à nouveau leurs équipes et s’installent désormais au Showcase dès le 20 mars. Au programme des 28 et 29 mars : Francesco Tristano, Juan Atkins, Danton Eeprom, Clara Moto, Cassius, Cesar Merveille… à gagner : 5 x 2 places par soir

cinémas Sept chefs-d’œuvre incontournables du célèbre cinéaste suédois, pour la première fois au cinéma en versions restaurées : Sourires d’une nuit d’été, Le Septième Sceau, Les Fraises sauvages, La Source, Persona, Scènes de la vie conjugale et Sonate d’automne. à gagner : 10 x 2 places

Arrête ou je continue de Sophie Fillières, avec Emmanuelle Devos et Mathieu Amalric, en salle depuis le 5 mars

cinémas Pomme et Pierre décident de partir en forêt pour respirer un nouvel air, et tenter de donner un second souffle à leur couple qui bat de l’aile, mais Pomme refuse de rentrer et disparaît dans les taillis. L’équilibre parfait entre comédie grinçante et drame amoureux. à gagner : 20 x 2 places

pour profiter de ces cadeaux spécial abonnés munissez-vous de votre numéro d’abonné et participez sur 

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fin des participations le 23 mars

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Rue des Archives/Collection CSFF/France 5

les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société Everial au 01 44 84 80 34

légendes du siècle Le parcours parallèle des monstres sacrés Belmondo et Delon, souvent comparés et pourtant si différents. i l’un, Belmondo, impose sa présence “physique”, l’autre, Delon, se déploie dans un registre plutôt “métaphysique” : cette ligne de démarcation entre deux styles de jeu, deux types de corps, proposée par le critique Gérard Lefort, se détache dans le documentaire de Véronique Jacquinet, qui s’évertue à définir tout ce qui sépare mais aussi rassemble les deux acteurs populaires. Deux monstres sacrés dont il suffit d’exhumer les extraits des films passés pour mesurer l’épaisseur des carrières parallèles et oublier la dérive parodique de leur propre légende. S’appuyant sur des images de films mais aussi sur les témoignages d’historiens (Jean Douchet), de cinéastes (Beauvois, Klapisch, Lautner, Lelouch) et d’actrices (Claudia Cardinale), Véronique Jacquinet éclaire les figures des deux acteurs, issus de milieux sociaux opposés, bourgeois pour Belmondo, populaire pour Delon. Révélés au même moment – le premier dans A bout de souffle de Jean-Luc Godard, le second dans Plein soleil de René Clément –, Belmondo et Delon restent les visages éternels de films dont ils portent tout, jusqu’au personnage-titre : Pierrot le fou, Léon Morin prêtre, L’Homme de Rio… ; Rocco et ses frères, L’Insoumis, Le Samouraï, Monsieur Klein… Deux icônes, dont le duel supposé ne fut qu’un mythe entretenu par la comparaison futile de leurs deux beautés insolentes. Jean-Marie Durand

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Duels : Alain Delon-Jean-Paul Belmondo, le félin et le magnifique documentaire de Véronique Jacquinet. Jeudi 20, 21 h 35, France 5

Guillaume D documentaire de Julie Depardieu et Pierre-Henri Gibert. Samedi 22, 22 h 10, Ciné+ Club

Julie Depardieu salue avec pudeur la rage de vivre et le talent de son frère Guillaume. Mort il y a cinq ans, Guillaume cinéaste Pierre Salvadori, qui le fit Depardieu a laissé les souvenirs tourner dans plusieurs films d’un garçon fébrile et fracassé, – Les Apprentis, Cible émouvante, dont les facéties occupèrent plus Comme elle respire… –, mais aussi souvent les faits divers que Pierre Schoeller, avec lequel il tourna les pages culturelles. Contre cette Versailles. De Leos Carax (Pola X) image figée d’une personnalité à Jacques Rivette (Ne touchez pas excentrique et provocante, la hache), l’acteur circula en toute sa sœur Julie se propose dans liberté dans le cinéma français un documentaire coréalisé avec au mitan des années 90 et au début Pierre-Henri Gibert de restituer ce des années 2000, sans jamais qu’il y avait de plus intense en lui : sacrifier la finesse d’un jeu à la fois son plaisir de jouer. Autant qu’un intérieur et extraverti. Sans pathos garçon tourmenté, dont le film pose ni impudeur, Julie Depardieu salue, simplement le cadre, Guillaume avec l’œil d’une sœur bienveillante Depardieu fut surtout un immense et celui d’une actrice experte, acteur, engagé pleinement dans son talent fou et sa rage de vivre, ses rôles, comme le confirment le qui ne le protégèrent de rien. JMD

rédaction directeur de la rédaction Frédéric Bonnaud rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, JD Beauvallet, Pierre Siankowski comité éditorial Frédéric Bonnaud, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne, Jean-Marie Durand, Nelly Kaprièlian, Christophe Conte secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot chefs d’édition Elisabeth Féret, David Guérin reporters Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Anne Laffeter actu rédacteur en chef Pierre Siankowski rédactrice en chef adjointe Géraldine Sarratia rédacteurs Diane Lisarelli, David Doucet style Géraldine Sarratia cinémas Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain, Vincent Ostria musiques JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Maxime de Abreu livres Nelly Kaprièlian scènes Fabienne Arvers expos Jean-Max Colard, Claire Moulène médias/télé/net rédacteur en chef adjoint Jean-Marie Durand collaborateurs D. Balicki, E. Barnett, R. Blondeau, T. Blondeau, D. Boggeri, M. Brésis, V. Brunner, N. Carreau, Coco, M. Delcourt, P. Fraser, A. Gamelin, M. Gentil, J. Goldberg, C. Goldszal, A. Guirkinger, A. Hache, O. Joyard, N. Lecoq, H. Le Tanneur, B. Montour, P. Morais, N. Pincarda, A. Pfeiffer, E. Philippe, T. Ribeton, P. Rousteau, F. Rousseau, P. Sourd, Z. Tavitian, J. Triet, D. Valteau lesinrocks.com directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteur en chef Pierre Siankowski rédacteurs Diane Lisarelli, Thomas Burgel, Azzedine Fall, Carole Boinet, Claire Pomarès, Julien Rebucci, Maxime de Abreu éditeurs web Clara Tellier-Savary, Olivier Mialet graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem projet web et mobile Sébastien Hochart lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz responsable éditoriale du concours création vidéo Anna Hess lesinRocKs.tv chef de rubrique Basile Lemaire assistante Clémence Sgarbi photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee, Caroline De Greef photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot second sr Fabrice Ménaphron sr François Rousseau, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Delphine Chazelas, Laurence Morisset conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Nathalie Coulon, Luana Mayerau publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, télé) tél. 01 42 44 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél 01 42 44 18 12 coordinateur François Moreau tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 15 31 assistante Estelle Vandeweeghe tél. 01 42 44 43 97 publicité commerciale, directeur Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 directrice adjointe Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 directrice de clientèle Isabelle Albohair tél. 01 42 44 16 69 publicité web Chloé Aron tél. 01 42 44 19 98, Lizanne Danan tél. 01 42 44 19 90 coordinateur Stéphane Battu tél. 01 42 44 00 13 développement et nouveaux médias directrice Fabienne Martin directeurs adjoints Baptiste Vadon (promotion, médias, diversification) tél. 01 42 44 16 07, Laurent Girardot (événements et projets spéciaux) tél. 01 42 44 16 08 assistante Lou Durand tél. 01 42 44 15 68 relations presse/rp Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 assistante promotion presse Juliette Fouasse tél. 01 42 44 16 68 responsable éditoriale “You Need to Hear This” Marine Normand marketing diffusion responsable Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 assistante marketing direct Julie Lagnez tél. 01 42 44 16 62 contact agence Bo Conseil Analyse Média Étude Otto Borscha et Terry Mattard [email protected], tél. 09 67 32 09 34 abonnement Les Inrockuptibles, service abonnement, libre réponse 63 096, 92 535 Levallois Perret Cedex infos 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement France 1 an : 115 € accueil, standard ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure Roto Aisne Société Nouvelle ZI Saint-Lazare Chemin de la Cavée 02 430 Gauchy brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 326 757,51 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Elodie Valet administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOer trimestre 2014 directeur de la publication Frédéric Roblot © les inrockuptibles 2014 tous droits de reproduction réservés. 19.03.2014 les inrockuptibles 103

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musique Bleu nuit, ep d’Apes & Horses C’est toujours un peu vain d’essayer de décrire la musique. Aérien et viscéral, sombre mais cristallin, doux et violent, intime et pourtant vaste : ça tombe un peu à plat. Pourtant, c’est bien ce que cet ep nous inspire. On pourrait résumer en disant qu’il est très classe.

jeu vidéo

Braddock America de Jean-Loïc Portron et Gabriella Kessler Documentaire saisissant sur une ville américaine, capitale de l’acier devenue cimetière industriel.

Frànçois & The Atlas Mountains Piano Ombre Un album en forme de cavalcade dans une forêt fantasmée où se rencontrent pop et transe.

La Petite Foule de Christine Angot Angot revient avec un roman composé de fragments de portraits de ses contemporains. Aussi singulier qu’universel.

Full Throttle Super inventif, drôle et bien fait pour l’époque. Il paraîtrait que la cinématique d’intro est mythique pour n’importe quel gamer qui se respecte. On ne savait pas. On kiffait juste de mettre des coups de latte sur des zombies en motos-aéroglisseurs.

film La Parade de Srdjan Dragojevic Une version romancée de l’organisation de la seconde Gay Pride en Serbie en 2010, dix ans après la première, qui s’était terminée en bain de sang. Rires, larmes, personnages loufoques, message humaniste profond… Une pépite. propos recueillis par Noémie Lecoq

Les Chiens errants de Tsai Ming-liang Un nouveau film radical et une rétrospective à la Cinémathèque. Beau retour d’un auteur phare des 90’s.

Arrête ou je continue de Sophie Fillières Un petit précis de décomposition du couple. Hilarant et secrètement tragique.

Joan As Police Woman The Classic Avec ce quatrième album, l’Américaine se mue en panthère soul.

Foyer SainteLucie pour jeunes filles élevées par les loups de Karen Russell Un recueil d’histoires envoûtantes mêlant enfance, cosmos et fantastique.

Beck Morning Phase Un magnifique album de folk contemplatif qui signe un retour à la mélancolie et à la sobriété de Sea Change.

Les Mondes de Gotlib au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, Paris IIIe Expo sur l’inventeur de la Rubrique-à-brac et des Dingodossiers.

Ô Cruelle de Nadja Le cheminement de personnages à la rencontre de la nature (humaine).

Pharrell Williams GIRL Après ses trois énormes hits – Get Lucky, Blurred Lines, Happy – Pharrell livre enfin l’album solo qu’on attendait de lui.

House of Cards saison 2 sur Canal+ Frank est vice-président, les cartes sont rebattues. Ray Donovan sur Jimmy Les aventures glamour et brutales d’un fixeur californien. The Wire – L’Amérique sur écoute dirigé par Marie-Hélène Bacqué Un livre décortique la série US la plus influente des années 2000.

Leur premier album, Vieux frères – Partie 1, est disponible. Ils seront en concert le 26 mars à Caluireet-Cuire, le 27 à Clermont-Ferrand, le 3 avril à Strasbourg, le 4 à Nancy, du 8 au 12 à Paris (Bataclan)…

sur

Solo de William Boyd L’Anglais fait revivre le mythe en renvoyant l’agent 007 en 1969. The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson Sous des atours de récit d’aventures endiablées, la réflexion complexe d’un grand styliste sur son art.

Fauve ≠

My Lunches with Orson d’Henry Jaglom Jaglom a enregistré ses conversations avec Orson Welles. Trente ans après la mort du cinéaste, il publie ce recueil d’anecdotes vachardes.

La Planète impossible de Joseph Callioni La condition humaine, sa finitude, le hasard au cœur de cette odyssée spatiale.

Le Misanthrope de Molière, mise en scène Michel Fau au Théâtre de l’Œuvre, Paris IXe Un Misanthrope boosté au LSD qui nous entraîne au pays des rêves impurs.

Liliom de Ferenc Molnàr, mise en scène Galin Stoev au Théâtre national de la Colline, Paris XXe Galin Stoev s’amuse de la fable cruelle d’un homme qui monte au ciel et doit revenir sur terre pour réparer ses erreurs.

Une nuit à la présidence texte et mise en scène Jean-Louis Martinelli au Théâtre NanterreAmandiers Dans une république imaginaire, l’état des lieux impitoyable et drôle de l’Afrique contemporaine.

Alex Katz à la galerie Thaddaeus Ropac, Pantin Contemporain d’Andy Warhol, ce peintre pop cool n’en finit pas d’être un artiste émergent. Une expo magistrale est consacrée à ses portraits.

Philippe Thomas au Mamco, Genève Rétrospective augmentée pour le fondateur de l’agence très eighties “Les ready-made appartiennent à tout le monde”, disparu en 1995.

L’Asile des photographies à la Maison Rouge, Paris XIIe Philippe Artières et Mathieu Pernot revisitent les souvenirs d’un asile psychiatrique. Une réflexion vibrante sur le montage des archives.

South Park – Le bâton de la vérité sur PS3, Xbox 360 et PC On retrouve South Park et son art de la provocation potache. A la fois un jeu et un très bon épisode de la série.

The Pinball Arcade sur PS4 Le jeu vidéo n’a jamais oublié son glorieux ancêtre dans les bars : le flipper, ici dans un spécimen ultime du genre.

TxK Llamasoft sur PS Vita Une pure merveille qui fait figure de cousin britannique idéal des bijoux synesthésiques de Mizuguchi.

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Anaïs Demoustier par Renaud Monfourny

La comédienne est à l’affiche de Situation amoureuse : c’est compliqué, de Manu Payet et Rodolphe Lauga, en salle le 19 mars. Elle vient de tourner avec François Ozon, Robert Guédiguian et Emmanuel Mouret, dont les films sortiront dans l’année.

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