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facebook 10 ans

Vincent Macaigne

le funambule

J. J. Abrams

passe au roman

Asgeir

coulée de folk

comment un réseau social a changé nos vies

M 01154 - 948 - F : 3,50 €

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Allemagne 4,40 € - Belgique 3,90 € - Canada 6,99 CAD - DOM 4,80 € - Espagne 4,30 € - Grande-Bretagne 6,30 GBP - Grèce 4,30 € - Italie 4,30 € - Liban 11 000 LBP - Luxembourg 3,90 € - Maurice Ile 6,30 € - Portugal 4,30 € - Suède 53 SEK - Suisse 6,50 CHF - TOM 960 XPF

No.948 du 29 janvier j au 4 février 2014

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cher Marc Le Fur par Christophe Conte

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n déroulant le trombinoscope des députés UMP de cinquième zone ayant déposé un amendement proposant de dérembourser l’avortement, seul ton visage me disait quelque chose. Difficile de te rater, remarque, Marc, à moins d’avoir eu l’heureuse idée de passer l’hiver sous les tropiques, car tu étais en première ligne il y a quelques mois à ferrailler contre l’écotaxe en tant qu’élu à l’Assemblée pour représenter la troisième circonscription des Côtes-d’Armor. Encapuchonné d’un bonnet rouge qui te faisait, reconnaissons-le ensemble, une belle tête de gland,

tu tentais sous cette coiffe générique des Bretons en colère de dissimuler grossièrement le reste de ta garde-robe. Tu sais très bien de quoi je parle, Marcounet, en évoquant la veste que tu retournais opportunément pour gratter les voix des irascibles locaux, après avoir voté pourtant sous Sarkozy la même écotaxe qui présentement te fait voir rouge. J’ai mon avis sur ton cas, je crois que tu cherches par tous les moyens à passer à la télé, quel qu’en soit le prix, à commencer par celui de tes renoncements, tel un vulgaire candidat de Secret Story ayant deux trous du cul mais cherchant à faire croire qu’il est en réalité agrégé de lettres classiques.

Depuis pas mal de temps, petit narcisse, on te voit dans tous les coups fourrés de la droite moyenâgeuse. Aux côtés de Christine Boutin en première ligne contre le mariage homo, désormais en escadrille kamikaze pour faire imploser la loi Veil et faire retourner les pécheresses au temps des aiguilles à tricoter, tu ne rates pas une occasion de marcher en crabe. Fais gaffe quand même aux algues vertes, même si j’ai retrouvé une interview où tu disais qu’il s’agissait-là “d’un problème de journalistes parisiens qui ne voient la Bretagne que par ce prisme”. Il est vrai que l’algue verte possède pour point commun avec tes combats de dégazer une franche odeur d’œuf pourri, ça crée des liens. Je précise, pour être complet question odorama, qu’on te surnomme également le “député du cochon” en raison de ton acharnement à défendre les producteurs de porcs en opposition aux écolos coupejarret qui luttent contre l’agriculture productiviste. Sans doute ta vision des mœurs est-elle un peu parasitée par tes obsessions agro-alimentaires, Marcassin. Les pédés ne seraient ainsi que des porcs qui cherchent à se marier pour venir bouffer dans la même auge sacrée que les hétéros de souche. Quant aux bonnes femmes, ces truies, elles ne penseraient qu’à se faire engrosser entre deux séances de manucure, pour le fun, et pour mieux profiter du confort tellement agréable d’une bonne IVG bien douillette aux frais des petits exploitants agricoles et des contribuables saignés à vif. Si j’étais de tes administrés de Bretagne, je me demanderais quand même si à force de passer le plus clair de ton temps dans les manifs d’arrière-garde, à vouloir copiner (comme cochon) avec toute la fange de l’extrême droite en col blanc et bonnets de couleur, tu ne serais pas au fond une petite flemmasse qui délaisse ses dossiers pour faire son jacquot au 20 heures. Je t’embrasse pas, y’a comme une odeur de cochon brûlé. 22.01.2014 les inrockuptibles 3

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No.948 du 29 janvier au 4 février 2014

Illustration Jean André

03 billet dur 06 édito 08 debrief 10 recommandé 12 interview express Didier Varrod 14 événement le smog chinois s’exporte 16 reportage la Shtar Academy 18 le monde à l’envers 20 histoire 2 22 la courbe 23 à la loupe 24 démontage 26 futurama 27 nouvelle tête Dyana Gaye 28 style 31 food 32 10 ans de Facebook

32

après un départ sur les chapeaux de roues, le réseau social finira-t-il dans le mur ? On fait le bilan, calmement

46 Asgeir, Silence absolu

46

l’Islandais livre un album fait pour l’amour

52 la France face à ses ex-colonies

Jónatan Grétarsson

Boubacar Boris Diop et Aminata Traoré analysent l’ambiguïté des rapports

56 Vincent Macaigne, comme un éclair le nouvel homme fort du jeune cinéma français explose dans Tonnerre

62 more Morricone 64 Jacques Tardi, le libertaire au festival d’Angoulême, le dessinateur commémore à sa façon la guerre de 14-18

68 J. J. Abrams écrivain avec son roman S., le créateur de Lost s’amuse à dérouter le lecteur

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Audoin Desforges pour Les Inrockuptibles

à 85 ans, le compositeur de BO reste une influence majeure

72 Olivier Mosset, le rebelle 76 cinémas Tonnerre de Guillaume Brac… 86 musiques Rodrigo Amarante… 96 livres Jean Rhys, Myriam Anissimov… 102 scènes Pippo Delbono… 104 expos Tacita Dean… 106 médias Maxime Musqua…

Patrick Fraser pour Les Inrockuptibles

peintre abstrait et témoin de cinquante ans de révolutions dans l’histoire de l’art

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les histoires d’A

Hollande ne serait pas entré dans la fonction présidentielle, tout ça ne ferait pas très sérieux et manquerait de solennité. Christine Boutin appelle carrément à sa démission. Mais pourquoi, au juste ? Parce qu’à 59 ans, il en serait à sa troisième ou quatrième histoire sérieuse ? Rappelons à Christine que tout le monde ne peut pas épouser son cousin germain une bonne fois pour toutes… Ça, c’est réservé à l’élite. François Hollande n’est qu’un homme, et comme tous les hommes, il est sûrement menteur, inconstant, faux, bavard, hypocrite, orgueilleux et lâche. Et pas très doué pour les ruptures, serait-on tenté d’ajouter. Comme tout le monde, les parfaits salauds mis à part, serait-on tenté d’ajouter. Quelles hypocrisies fait-on semblant de regretter ? Les manières de soudard d’un Chirac, curieusement confessées à sa place par une épouse vindicative qu’on ne choisirait pas comme garde-malade ? L’organisation familiale mitterrandienne, à base d’écoutes téléphoniques, de noirs complots et de grands frais pour l’Etat ?

Valérie Trierweiler et François Hollande tout juste élu Président, place de la Bastille, le 6 mai 2012

Philippe Wojazer/Reuters

Résumons-nous : depuis trois semaines, grâce aux révélations documentées du magazine Closer, les Français découvrent tout ce que leurs meilleurs auteurs leur avaient soigneusement caché depuis toujours, des choses absolument incroyables qu’ils doivent assimiler d’un coup d’un seul, dans le désarroi moral le plus complet. Qu’on peut aimer plusieurs fois dans sa vie. Ou qu’un homme peut tromper sa femme. Des trucs de dingue. Qu’on a du mal à s’imaginer IRL. Dans une pièce de Feydeau, un roman de Sagan ou un film de Truffaut, passe, mais rue du Cirque la bien nommée, dans un appartement d’amis d’amis, un vrai cinq à sept des familles, comme chez Simenon, c’est tout de même un peu fort de café. Nous sommes tous tellement choqués que nous prétendons que ça ne nous intéresse pas – non, du tout, quoi de neuf ? – tout en ne parlant que de ça. Cas classique de dénégation posttrauma, n’importe quel psychiatre vous le confirmera. Président ou pas, première dame ou pas, c’est la situation dramatique la plus classique, maintes fois vue, salement répertoriée, tellement banale, le premier hôtelier venu vous le dira. Pas de quoi fouetter un chat. Du normal, quoi. Sauf le coup des croissants apportés par le flic de service, enfin une touche d’originalité.

Ou l’exhibitionnisme arrogant d’un Sarkozy, adepte décomplexé de la femme-trophée ? A tout prendre, mieux vaut Hollande et son infinie maladresse, hésitant et terriblement emmerdé, qui ne se résout à choisir qu’après un maximum de dégâts. Que celui – ou celle, cela va de soi, nous n’allons pas tout féminiser – qui sait larguer délicatement et dans la bonne humeur lui jette la première pierre. Ou alors, il faut décider que le Président a droit à l’adultère bourgeois, pas de souci, mais qu’il n’a pas l’autorisation de changer de femme, ce qui arrive pourtant assez fréquemment au commun des mortels, non ? Hollande est bien de son temps, sentimental et brutal, délivré des convenances (il ne se marie pas) et empêtré dans des histoires aussi peu reluisantes que celles de tout un chacun. Il n’empêche que rien de bien scandaleux ne s’est produit, chacun des protagonistes jouant son rôle, et la presse, le sien, celui de dévoiler un secret qui ne peut plus en être un, alors que ce couple officiel a tellement fait comme si… en continuant de vendre une histoire morte. S’il y a mise en scène sentimentale pour plaire au bon peuple, alors il y a risque de démontage sauvage du récit, c’est comme ça et ce n’est pas plus mal. Foutez la paix à Closer, vilains tartufes ! Reste à souhaiter que nous en ayons fini avec le grotesque rôle de première dame priée de faire dans l’humanitaire. Ce serait déjà ça.

Frédéric Bonnaud 6 les inrockuptibles 29.01.2014

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tout rater et être heureux grâce aux inRocKs La semaine dernière, il était question de planète bleue et de food porn, des années lycée et d’écrans sensoriels, de réussir sa vie et du sens de la mort. Relecture.

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on cher Inrocks, on entendrait une mouche voler, pas un bruit chez moi, luxe, calme et encéphalogramme plat. Super, super, super. Personne n’aurait un flingue ? “La solitude, c’est le luxe ultime, on n’est jamais seul quand on a une bibliothèque chez soi”, tente hardiment la part de moi qui n’est pas en ce moment même prostrée sur son canapé, en nage, envahie par l’angoisse. J’ai l’impression d’être Vincent Lacoste au lycée : “En seconde, je fumais pas mal de joints ; j’ai arrêté parce que ça me donnait des crises d’angoisse.” Pour moi, c’est le bad trip sans le joint, la double peine. Je dis à haute voix : “J’ai très froid là, faut me prendre dans tes bras, on pourrait pas faire l’amour, juste pour niquer le cosmos, comme ça ?”, mais je suis seul chez moi. Au feu les pompiers ! Une seule solution pour se remettre les idées en place, une bonne douche. J’arrive dans la salle de bains, et croise dans le miroir la seule âme qui vive dans cette thurne, moi. Oh putain, le vilain bouton, là, sur mon nez ! Un truc bien rouge à la périphérie, jaunâtre au centre et qui ne demande qu’à sortir. Va savoir pourquoi, d’un coup, l’angoisse disparaît. Mon âme se concentre sur la chose luisante, et le miracle se produit : “Soudain, la peau n’est plus un grand écran mais un enclos sensoriel et vivant. Chaque pore, chaque bouton trace la cartographie d’une histoire personnelle.” Sous la gangue de la peau, la vie palpite en moi, et je vais la faire jaillir de son “enclos sensoriel et vivant.” De mes doigts, j’appuie, très fort, et pince, pince. Comme les adeptes de food porn, je vis une “expérience d’onanisme abstinent, (…) je suis une vraie cochonne, un gros dégueulasse” ; ça fait mal, mais c’est bon ! J’appuie, je presse. Mes doigts, ma bouche, mon corps se crispent. Je guette le jaillissement du liquide jaunâtre, mon visage rougit, ça va venir, ça vient, c’est là, tout près… Ouiiiii ! Cigarette allumée dans mon canapé, soulagé, apaisé, je m’amuse de la scène qui vient de se produire. Comme dit Chris Esquerre “il faut accepter d’apparaître comme faible et peu séduisant, ce qui n’est naturel pour personne ! (…) C’est un sillon plus intéressant à creuser.” Peut-être. Je suis comme un con, tout seul, chez moi, le visage légèrement ensanglanté, et tout est bien comme ça. “Réussir sa vie, ajoute Chris Esquerre, c’est s’en foutre de la réussir et même arriver au point où on se dit, si je foire tout, eh bien, ça m’est égal, ça ne change pas grand-chose.” Tout foirer, qu’importe. Que valent nos vies sur la planète bleue, cette “boule de cons” dont parle Florent Marchet ? “La mort ou la disparition ne veulent plus dire grand-chose. C’est très réconfortant de se dire qu’on est un assemblage de cordes et de particules qui existera ailleurs et sous une autre forme”, poursuit-il. D’ici là, comme l’écrit Paul Valéry cité par Miyazaki dans le titre de son dernier film, “le vent se lève, il faut tenter de vivre”. Alexandre Gamelin

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une semaine bien remplie Redécouvrir Osamu Tezuka, le père d’Astro Boy, en savoir plus sur François grâce à Charles, synthétiser le blues avec Depeche Mode, faire le plein de courts métrages en Auvergne et méditer sur la couleur d’une vie sans argent.

¥€$ 2 livres de “freeconomy” Dans leurs ouvrages respectifs, Mark Boyle et Mark Sundeen vantent les mérites d’une vie sans argent. Si celui-ci rend la vie plus facile, il nous empêche de penser, avance Boyle, militant de la “freeconomy” – le partage de tout comme utopie concrète. Quant à Sundeen, il raconte la nouvelle vie de Daniel Suelo qui vit depuis 2000 sans argent et dit ne s’être jamais senti aussi bien. Des poches vides pour une semaine bien remplie, donc. L’Homme sans argent de Mark Boyle (Les Arènes), 256 p., 12,90 € L’homme qui renonça à l’argent de Mark Sundeen (Globe), 320 p., 19,50 €

enjoy bercy ! Depeche Mode A l’occasion de sa tournée mondiale, Depeche Mode se produira sur la scène du Palais omnisports de Paris Bercy, les 29 et 31 janvier. Le trio anglais, usine à tubes, viendra jouer en live les morceaux de leur très bon Delta Machine sorti en mars dernier.

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Anton Corbijn

les 29 et 31 janvier au POPB, Paris XIIe, depechemode.com

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fidèle Astro Tezuka : dieu du manga Créateur d’Astro Boy, chroniqueur du Japon du XXe siècle (Ayako, Barbara, L’Histoire des 3 Adolf…), le maître du manga Osamu Tezuka est décédé il y a vingt-cinq ans, en février 1989. Il sera à l’honneur dans une exposition organisée à la galerie parisienne Barbier & Mathon où l’on pourra découvrir une cinquantaine d’œuvres provenant de ses nombreux mangas, de La Vie de Bouddha à Black Jack. du 29 janvier au 28 février galerie Barbier & Mathon, Paris IXe, barbiermathon.com

hollande land Charles

Tezuka Production

Bon timing pour la revue Charles qui angle son huitième numéro sur François Hollande, aka Pépère, Inspecteur Gadget, Capitaine de pédalo, Monsieur Bricolage, Guimauve le Conquérant, Flanby, Fraise des bois… L’occasion de se demander, derrière ces sobriquets imagés, qui est vraiment notre Président ? Pour y répondre, Charles multiplie les points de vue. Parmi eux, un carnet de bord de Rachid Kasri, son ancien chauffeur (pendant plus de dix ans), pas mal calé en histoires de scooters. Astro Boy

Charles n° 8, 1 60 pages, 1 6 €

prix de court Festival du court métrage de Clermont-Ferrand A Clermont-Ferrand, le plus grand festival de courts métrages au monde célèbre le petit format en compétition nationale, internationale et expérimentale – l’occasion de rattraper les immanquables de l’année passée, comme Peine perdue d’Arthur Harari, primé à Belfort, ou le burlesque Le Quepa sur la Vilni ! de Yann Le Quellec. du 31 janvier au 8 février à Clermont-Ferrand, clermont-filmfest.com

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“les Daft ont pris ce qu’il y a de mieux dans la musique mondialisée” Directeur artistique et de la Musique de France Inter, Didier Varrod revient sur le triomphe de Daft Punk et sur la fronde contre les quotas radio.

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e sacre de Daft Punk aux Grammy : cinq trophées pour un groupe français, dont celui du meilleur album, c’est une première ? Didier Varrod – Les images du concert sont impressionnantes, avec Pharrell Williams, Nile Rodgers et Stevie Wonder, mais ce qui m’a le plus marqué, le plus étonnant, c’est la montée des marches jusqu’à la scène, avec ces costumes blancs. C’est tellement classe, tellement chic, et tellement surréaliste en même temps. Je crois que les Daft Punk ont pris ce qu’il y avait de mieux dans la mondialisation de la musique et en ont fait un truc à eux. Aujourd’hui, le standard du son c’est le MP3, et eux ils ont fait, en 2013, l’album qui y répond le moins. Ils ont enregistré leur album avec les musiciens cultes de la musique de danse des années 70, et ça donne tout de suite envie de réécouter du vinyle. Quand on voit Jay-Z, Beyoncé et Paul McCartney se déchaîner devant un Get Lucky sur lequel Stevie Wonder est venu en renfort, c’est lunaire… C’est le triomphe à la française (rires). Quand on gagne la Coupe du monde de foot, c’est 3-0 devant le Brésil. Là c’est pareil : on fait danser les anciens Beatles et les rois et reines du hip-hop et du r’n’b. Peut-être qu’après cette performance, le chômage va baisser en France (rires)… Plus sérieusement, le succès des Daft devant la pop mondialisée est une réponse cinglante aux ministres de la Culture de droite comme de gauche qui continuent à penser que l’export culturel ne passe que par le cinéma, ultra-aidé, alors que la musique, ultradélaissée, y produit plus de richesses. A méditer… Et le fait que les Daft boudent les Victoires de la musique ? C’est pas cool. Après, on peut s’interroger sur les raisons, peut-être que le show n’est pas à la hauteur

de celui des Grammy. Mais les Victoires de la Musique, ça reste le choix des “professionnels de la profession”, comme disait Godard, et je trouve ça important… Après oui, on peut revoir certaines catégories, et la sélection, j’en conviens… Depuis quelques semaines, et sur la pression des radios privées, on évoque une volonté du CSA de changer la loi sur les quotas de chansons françaises à la radio. Cette loi date de 1986. Il est nécessaire de s’interroger sur des changements possibles. Alors les radios privées (une vingtaine d’entre elles, dites musicales, ont publié un communiqué – ndlr) disent : “Laissez-nous travailler, on n’est plus dans un régime soviétique.” En gros, l’idée c’est de dire que la créativité du marché français n’est plus ce qu’elle était et que les artistes qui marchent chantent en anglais. Ces arguments sont intolérables et tombent très mal. Surtout au moment où la scène française est portée par un artiste francophone tel que Stromae. A l’inverse, ces radios ne jouent pas Fauve ≠ qui remplit pourtant une vingtaine de Bataclan. Une paire de claque magistrale à leur politique : si elles s’intéressaient à “ce qui marche”, elles passeraient leurs titres. Et puis, si on regarde le Top 20 des ventes de 2013, on trouve dix-sept albums en français, et des albums que ces radios jouent – Maître Gims, Tal, M Pokora, etc. – et ce, plusieurs fois par jour… Ces radios devraient se rendre compte que la musique qu’elles jouent se vend bien. Cette politique de quotas n’est-elle pas trop contraignante ? Ce qui est terrible, c’est de parler

bouder les Victoires de la musique, c’est pas cool

de “protectionnisme” en évoquant cette loi. Alors qu’il s’agit simplement de parler de “particularisme culturel” et de se rendre compte que c’est fondamental pour la diversité culturelle. Sans cette politique de quota, qu’on peut certes aménager, pas sûr que des artistes comme Florent Marchet ou La Femme puissent émerger. Les émissions de Barbara Carlotti et de Laura Leishman, qui sont arrivées à la rentrée sur France Inter, on imagine que c’est une satisfaction pour vous… Oui, Laura Leishman prouve qu’il existe encore des stars de la radio. Son émission est très pointue, et en même temps c’est un véritable show, elle est incroyable. Mon autre satisfaction, c’est Carlotti évidemment. J’avais toujours rêvé d’une émission sur la musique par des musiciens. En Angleterre, ça existe depuis longtemps. Je crois que Carlotti a réussi à rapatrier d’anciens auditeurs de Lenoir. L’autre bonne surprise, ce sont les émissions de Bertrand Burgalat lors des dernières vacances d’hiver : quand il vous explique ce que c’est une réverb ou un delay, il met des images dessus, c’est incroyable… Vos disques pour 2014 ? Metronomy qui passe encore un palier, Breton qui propose un disque beaucoup plus construit que son précédent, avec un chanteur incroyable. Je pense aussi au disque du Brésilien Rodrigo Amarante, splendeur de folk minimaliste. J’adore le disque de Florent Marchet, celui de Fránçois And The Atlas Mountains aussi. Je pense que Christine And The Queens peut être la Stromae de 2014. Une petite Française qui rappelle Jackson, un peu intello, et qui questionne le genre, ça peut cartonner. En français, je citerais aussi Perez, plus radical que Lescop, et enfin Moodoïd et toutes les prods du label Entreprise. propos recueillis par Pierre Siankowski et David Doucet photo Yann Rabanier pour Les Inrockuptibles

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mad in China Chassé par les vents, le smog chinois s’exporte jusqu’aux côtes californiennes. En cause, la pollution dégagée par les usines produisant des biens à destination de l’Occident.

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es mégalopoles industrielles prisonnières d’une brume épaisse, jaunâtre, à l’odeur étouffante, tellement dense que l’on ne voit parfois pas à cinq mètres. Depuis l’hiver 2012, ces images cauchemardesques de gratte-ciel chinois figés dans le smog (brouillard de pollution) ont été rebaptisées “Airpocalypse”. Difficile de ne pas penser à l’hiver nucléaire postapocalyptique si bien décrit par Cormac McCarthy dans La Route : la couche de poussière voile le soleil pendant que les hommes errent à la recherche d’un monde disparu. En Chine, les jours de smog sont particulièrement féroces. Les habitants se protègent avec des masques ou en restant chez eux, comme le conseillent les autorités depuis peu. Certaines écoles ferment leurs portes. Les autoroutes sont impraticables. Les vols annulés ou retardés. A Harbin, dans le nord-est du pays, on ne voit plus de l’autre côté de la rue. A Shanghai, les policiers sont équipés de filtres à nez antipollution. Les jours de smog, les habitants suffoquent. Les autorités ont reconnu que la pollution serait responsable de 300 000 décès prématurés par an. En 2010, le journal médical anglais The Lancet les estimait à 1,2 million. “Le smog hivernal est un mélange de polluants atmosphériques en grande partie composé de particules fines et de dioxyde de soufre. Les particules fines ont un impact direct sur la santé humaine car elles pénètrent profondément les poumons”, explique Anne Boynard, chercheuse au CNRS. Cet hiver, les autorités ont lancé une alerte sanitaire de niveau élevé à l’attention des 22 millions de Pékinois et de certaines grandes villes du nord-est. Comme l’hiver dernier, les nuages de pollution atteignent des niveaux 800 à 1 000 microgrammes de particules fines par mètre cube d’air. Soit plus de 40 fois le seuil maximal quotidien recommandé par l’OMS, fixé entre 20 et 25 microgrammes. A titre de comparaison, les Etats-Unis ne dépassent que rarement les 300, l’indice jugé dangereux, et encore est-ce principalement lié à des feux de forêt. “Il est probable que les épisodes de smog soient de plus en plus fréquents en Chine”, estime Anne Boynard. Avec son équipe franco-belge, elle a réussi pour la première fois à visualiser cette pollution par satellite. A terme, cela permettra d’anticiper ces épisodes

de smog exceptionnel liés à la production d’électricité via les centrales à charbon, au chauffage domestique, à l’industrie et au trafic routier. “L’accumulation des polluants vers la surface se forme en cas de situation météo stable et d’absence de vent”, ajoute la chercheuse. Lorsque le vent se lève, le soleil brille à nouveau sur les mégalopoles. En quelques jours, les vents d’ouest traversent l’océan Atlantique et exportent vers les côtes californiennes une partie du smog chinois. Cette pollution transportée, qu’Anne Boynard observe depuis longtemps, a attiré l’attention de neuf chercheurs américains, chinois et anglais. Dans une étude publiée par la revue Proceeding of the National Academy of Sciences, ils estiment qu’un cinquième de la pollution chinoise rejetée dans l’atmosphère est due à la production de biens à l’exportation vers les EtatsUnis ou l’Europe. “L’augmentation des émissions chinoises est une des raisons pour lesquelles l’émission globale de polluants dans l’atmosphère est restée à un niveau élevé entre 2000 et 2009 et ce alors que les émissions produites par les Etats-Unis, l’Europe et le Japon avaient diminué. (…) La sous-traitance en Chine

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de la production ne soulage pas toujours les consommateurs des impacts environnementaux de la pollution”, écrivent les scientifiques. Pendant que les consommateurs américains importaient des téléphones à bas prix, la pollution chinoise explosait. Entre 2000 et 2007, la production chinoise de biens à l’exportation a augmenté de presque 400 %. Or le principal combustible des usines, le charbon, est extrêmement polluant. Selon Greenpeace Chine, sa consommation aurait doublé en dix ans. Pour Steve Davis, un des coauteurs de l’étude, la demande américaine de produits fabriqués en Chine

“il est probable que les épisodes de smog soient de plus en plus fréquents en Chine” Anne Boynard, chercheuse au CNRS

Stringer/Reuters

AChangchun, en Chine, octobre 2013

a “eu un effet boomerang” : ramener la pollution sur les côtes américaines. Selon l’étude, la pollution due à l’industrie chinoise pour l’exportation contribue entre 12 et 24 % aux niveaux de sulfate journalier de la côte ouest. Los Angeles aurait gagné une journée de smog de plus par an au-dessus du seuil d’alerte. En période d’instabilité économique, la crise écologique n’est pas en tête des priorités gouvernementales. Sauf peut-être en Chine, justement, où la qualité de l’air est devenue une obsession : les habitants sont à bout et les milieux d’affaires hongkongais, rapporte l’AFP, s’inquiètent pour l’attractivité de la ville. Selon le Washington Post, les leaders chinois ont récemment dévoilé un plan de 280 milliards de dollars qui inclurait la limitation de l’utilisation de charbon et l’interdiction des véhicules très polluants. Mais ils hésitent à sacrifier la croissance pendant que les puissantes industries d’Etat détournent les règles environnementales. En attendant l’hypothétique révolution écologique, le gouvernement envisagerait d’après un document de l’administration météorologique, d’utiliser de la pluie artificielle pour nettoyer l’air. Anne Laffeter 29.01.2014 les inrockuptibles 15

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rap en zonzon

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Tony Danza et Mouloud Mansouri, à l’origine du projet

Enzo Van Erven

Après avoir passé dix ans en prison, Mouloud Mansouri y organise des concerts. Il vient de produire Shtar Academy, un disque enregistré par un trio de détenus.

es rappeurs parlent beaucoup de prison, mais leur point de vue est souvent extérieur. Là, c’est différent : tout a été écrit, produit et enregistré derrière les barreaux. Ça parle de l’intérieur”, prévient Mouloud Mansouri, 38 ans, lorsqu’on aborde Shtar Academy comme un énième pavé rappé au sujet de la taule. Enregistré à la verticale des miradors, le disque porte en effet les stigmates de l’enfermement. L’histoire commence il y a un an, lorsque Mouloud Mansouri et Tony Danza projettent l’organisation d’un festival de rap à la maison d’arrêt de Luynes (13), avec leur association Fu-Jo. Pour assurer la première partie de l’événement, qui rassemblait en juin 2013 Médine, Kery James ou Cut Killer, ils mettent en place un casting parmi les détenus. Les conditions draconiennes signent le sérieux du projet : pas de liberté conditionnelle pour les participants, ni de transfert pendant la durée du projet. “C’était pour éliminer les branleurs, faire comprendre qu’on était là pour bosser, que ce n’est pas pour aller voir ses potes de l’autre bâtiment… On était pires que les matons”, sourit Mouloud Mansouri. Le discours fait son effet : lors de la réunion, où se présentent 200 détenus, seuls 30 s’inscrivent. Quelques semaines plus tard, ils ne sont que 10, et tandis que les personnalités de Badri, Malik et Mirak émergent, l’idée d’enregistrer un disque devient évidente. Mouloud Mansouri se rend à Paris, signe avec le label Because et repart motiver les troupes : “Je leur ai mis la pression : j’écoute trop de rap pour que mon disque soit moyen. Puis j’ai appelé des rappeurs comme Disiz, Medine, Rocca, qui sont venus travailler avec eux sur l’écriture, le souffle…” Grand défouloir de rappeurs-taulards, l’atelier se structure peu à peu sous la pression de Tony et Mouloud, qui savent ce qu’ils veulent. “On leur a d’abord laissé déverser leur haine, mais au fil du temps, je les ai orientés vers le sujet : la prison, avec leurs mots, leurs émotions. Il a fallu insister, ils étaient pudiques.” Un travail dont l’administration pénitentiaire souligne la rigueur : “Un morceau comme Libérable est très juste sur la difficulté de la détention, et les questions qui accompagnent la libération, analyse Julien Morel d’Arleux, sous-directeur des personnes placées sous main de justice au ministère. Ils ont dépassé le côté ‘la-prison-me-faitpas-peur-je-suis-un-bonhomme’, au profit d’une réflexion intime sur le temps perdu, voire la réinsertion.”

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Au micro, ça se demande qui attendra à la sortie, ce qu’on fera de la liberté ; ça parle rêves, frustrations et “yoyos”. Selon Mouloud Mansouri, le rap est la musique la plus populaire derrière les barreaux. Et pour cause : “Les détenus sont de plus en plus jeunes, ils rentrent tôt et restent longtemps. Et comme le rap est une musique de jeunes, tous en écoutent.” Pourtant, s’il cite une poignée de titres justes, comme La Lettre de Lunatic, il démonte aussi la prétendue proximité entre rap et prison : “Les rappeurs qui font de la prison, c’est un mythe. En France, tu as Booba, Alibi, Mister You… Ça ne fait pas beaucoup.” Sur la trentaine de rappeurs extérieurs invités sur le disque (Nemir, Ekoué, Lino, Orelsan…), deux ou trois seulement y ont déjà séjourné. Pour les autres, l’enregistrement a donc quelque chose d’inédit. Mouloud Mansouri évoque les portes qui claquent, les matons qui surveillent, l’urgence : “Il fallait aller vite : en un après-midi, on choisit un thème, on compose, on écrit et on enregistre. Pour les artistes habitués à passer des semaines en studio, c’est nouveau.” Ekoué (La Rumeur) n’en retient pas moins l’expérience : “Les horaires sont stricts, tu bosses sous la vigilance des surveillants, mais j’y ai trouvé des gens

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“il fallait aller vite : en un après-midi, on compose, on écrit et on enregistre” Mouloud Mansouri

concentrés, un dialogue, une logique de travail entrecoupée de belles discussions, de freestyles… C’était assez bon enfant.” L’administration impose des règles – pas d’insultes à l’égard de la justice, des matons… – mais soutient le projet sur le terrain, via Pierre-Yves Lapresle et Laure Ferrier, référents du Service pénitentiaire d’insertion et de probation. “Pour eux, ce n’était pas évident, se souvient Mouloud Mansouri. Ils ne sont ni organisateurs ni producteurs, mais ils n’ont pas hésité à faire des heures sup.” C’est parce qu’il sait à quoi ressemble la vie derrière les barreaux qu’il a tenu à y revenir. Condamné à dix-sept années de prison – il en fera dix – pour trafic de

stupéfiants et corruption de fonctionnaire en 1999, Mouloud Mansouri garde un souvenir ému des concerts qu’il organisait depuis l’intérieur dès 2006, rares fenêtres dans sa routine bétonnée : “J’ai fait venir Sefyu, Kery James… C’était une évasion incroyable. Je n’étais plus en prison…” Depuis sa sortie, en 2008, il en a organisé des dizaines (Kery James, Olivia Ruiz, M…), parmi les quelque trois cents événements musicaux organisés chaque année en milieu carcéral. “45 % de la population carcérale a moins de 30 ans, détaille M. Morel d’Arleux. Nous ne pouvons faire l’impasse sur ces secteurs culturels. Et ce qui est intéressant ici, c’est qu’il ne s’agit pas d’un événement, mais d’un projet sur le long terme. Nous les avons vus avancer, refaire leurs textes, se questionner, enregistrer. Personnellement, j’ai un souvenir très fort du concert de juin 2013 : il y avait dans cette cour de prison une convivialité nouvelle.” Pour le rappeur Nemir, c’est aussi sur un plan symbolique que se joue ce genre de projet : “C’est une manière d’insister sur le droit à la culture, y compris dans un lieu de privation. Ça permet aux détenus d’avancer, de rester vivants, de ne pas être hors jeu.” Thomas Blondeau

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Manifestation contre la loi restreignant l’avortement en espagne, le 27 décembre 2013

Jorge Guerrero/AFP

la droite espagnole veut sa revanche et peser sur les “questions de société”

IVG, la désunion européenne Entre les tenants du droit individuel inaliénable et ceux de l’Etat tout-puissant, les pays de l’UE sont divisés sur le libre accès à l’avortement. Une dissension morale autant que politique.

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ifficile d’imaginer une Union européenne plus désunie que sur l’avortement. Il y a ceux qui l’interdisent plus ou moins complètement (Chypre et Malte). Ceux qui en restreignent très fortement l’accès, (la Pologne ou l’Irlande). Ceux, enfin, qui posent en principe le libre accès à l’avortement avec plus ou moins de contraintes. Dans ce camp-là, on trouve tous les pays scandinaves mais aussi la France, le Portugal, l’Italie et, parmi les plus libéraux, la GrandeBretagne, les Pays-Bas et, jusqu’à cette fameuse proposition de loi, l’Espagne. En fait, si l’Europe est si désunie, c’est parce l’avortement est au cœur de deux conceptions radicalement

opposées de la liberté individuelle, du rôle de l’Etat et de son champ d’intervention. En caricaturant à peine, on dira que s’oppose sur ce sujet l’Europe du contrat à celle de la toute-puissance publique. Dans les pays du contrat, c’est le droit individuel, inaliénable, qui prévaut. Les femmes n’ont de comptes à rendre à personne d’autre qu’à elles-mêmes pour tout ce qui touche à leur corps. L’Etat n’intervient que pour rendre leur décision souveraine plus confortable : remboursement, équipements médicaux, conseils. Dans les pays – majoritaires – où l’Etat, la collectivité, prennent le pas sur les libertés individuelles, la loi autorise l’avortement

dans la plupart des cas. Mais l’Etat n’abandonne jamais ou difficilement son droit de regard ou de contrainte. Dans ces pays, le nombre de semaines au-delà duquel l’avortement est ou non légal varie de 10 à 14, voire 22, et l’encadrement médical est plus ou moins prégnant, allant du simple certificat à des commissions de médecins. En France, la contrainte médicale – visite, temps de réflexion obligatoire – est encore très forte. Si forte qu’entre 4 000 et 5 000 Françaises font chaque année le voyage aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne ou… en Espagne. Car dans tout raisonnement (pays de contrat, pays d’Etat fort), il y a une exception. L’Espagne est celle-là. C’est à la fois un pays

où l’Etat voudrait être fort (n’a-t-il pas été modelé par les Bourbons ?) et ne peut jamais l’être tout à fait. A cause, notamment des particularismes régionaux. La seule possibilité pour l’Etat espagnol d’exercer sa puissance, et de montrer son utilité, c’est de peser sur les questions de société. Dans les années 70-80, l’Espagne a adopté des lois parmi les plus libérales d’Europe sur les prisons, les drogues, l’avortement et plus récemment sur le mariage gay. Des lois inspirées par une gauche qui se vengeait de quarante années de franquisme. Aujourd’hui, quarante autres années ont passé depuis la mort du Caudillo et la droite espagnole veut elle aussi sa revanche et donc peser sur les “questions de société”. Le gouvernement de Mariano Rajoy a essayé de revenir sur le mariage gay, mais la Cour constitutionnelle l’en a empêché. C’est donc l’avortement qui est victime de cette guerre culturelle à l’espagnole. Une guerre entre “illustrés” et “espagnolistes” qui dure depuis trois cents ans, qui a déchiré le pays pendant tout le XIXe et le XXe siècle et s’est traduit par une guerre civile. Une guerre qui, visiblement, ne connaît pas d’armistice. Anthony Bellanger

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discours de la méthode antinazie Lors d’une prise de parole improvisée, un militant social-démocrate allemand a déglingué le parti néonazi d’outre-Rhin. Patrick Dahlemann est depuis devenu un héros national.

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t si le dialogue restait le meilleur moyen de combattre l’extrême droite ? C’est la démonstration réussie de Patrick Dahlemann, jeune conseiller municipal socialdémocrate (SPD). Les faits remontent au 31 juillet 2013 dans la petite ville de Torgelow, près d’Hambourg. Le NPD, parti néonazi allemand, organise une manifestation pour protester contre l’ouverture d’un foyer de demandeurs d’asile. Du haut de son estrade, Stefan Köster, responsable régional du NPD, harangue les contre-manifestants qui viennent à sa rencontre. Sur le ton de la provocation, il apostrophe Patrick Dahlemann. “Il m’a proposé de prendre son microphone pour expliquer pourquoi nous avions prévu un accueil pour les demandeurs d’asile”, raconte ce dernier. Dahlemann relève le défi et monte à la tribune. Au milieu des huées et des cris des néonazis, ce jeune militant de 25 ans, aux cheveux courts et aux lunettes cerclées, improvise un discours : “Je comprends vos craintes mais ne vous laissez pas emporter par un discours d’extrême droite qui ne changera rien.” Avec aplomb, il ajoute : “N’oubliez pas que ces demandeurs d’asile ont dû quitter volontairement leur maison parce qu’ils avaient peur pour leur vie ou qu’ils étaient persécutés à cause de leurs opinions

politiques, leur couleur ou bien encore leur religion.” Au moment de clôturer son intervention, Dahlemann pointe le doigt vers un camion du NPD sur lequel est collée une affiche “Stop à l’invasion des demandeurs d’asile” et déclare : “Ce genre de slogans ne résoudra pas vos problèmes.” “Je n’avais pas réfléchi à une intervention, ça s’est produit de manière très spontanée. J’ai réagi avec mes tripes, explique-t-il aujourd’hui. Dans ce genre de situations, on ressent toujours un sentiment de malaise, mais j’estime qu’il ne faut pas se laisser intimider par les ennemis de la démocratie.” Après le discours de Dahlemann, le leader néonazi régional reprend la parole pour dénoncer “l’immigration massive” qu’il relie (bien évidemment) à l’augmentation de la criminalité. La scène est filmée par des militants néonazis qui la mettent ensuite sur YouTube. Début janvier, Dahlemann réplique. Il poste une vidéo de quinze minutes où l’on retrouve son discours mais aussi celui du responsable du NPD assorti de commentaires qui permettent de démonter ses affirmations concernant le nombre de demandeurs d’asile, les dépenses qu’ils génèrent ou encore ses chiffres sur la criminalité. “Nous avons besoin d’arguments et de contenus pour déconstruire les mensonges des néonazis”,

“j’ai réagi avec mes tripes” Patrick Dahlemann, auteur du discours

confie Dahlemann. La vidéo fait un carton sur les réseaux sociaux et dépasse rapidement la barre des 200 000 vues. Dégoûté, le NPD finit par la faire supprimer de YouTube en faisant prévaloir son droit à l’image. Mais peu importe le retrait de la vidéo : ce fait d’armes ouvre à Dahlemann la porte des médias nationaux. “Ce geste lui a permis de gagner une véritable légitimité car, jusqu’ici, c’était un homme quasi inconnu dans le paysage politique”, estime Gilbert Casasus, spécialiste de l’Allemagne et professeur en études européennes à l’université de Fribourg. Invité sur tous les plateaux de télévision et sur toutes les radios, Dahlemann a pu ainsi expliquer les raisons pour lesquelles il défend le droit d’asile. Vingt-cinq ans plus tôt, en France, lors des législatives de 1988, un événement similaire – mais avec un discours totalement différent – a eu lieu. Bernard Tapie s’invite à un meeting du FN à Marseille et demande à prendre la parole pour présenter ses mesures sur

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l’immigration. “D’abord, on emmènerait les immigrés au port de la Joliette et on les mettrait dans un bateau, propose-t-il. Puis on tirerait le bateau bien au large. Et puis, quand il serait assez loin, on le coulerait !” Hué quelques minutes plus tôt, Tapie est acclamé. Mais quand il reprend la parole, c’est pour doucher l’assistance : “On a l’air malin, hein ? Je parle d’un massacre et vous applaudissez. C’est pas Le Pen qui est une ordure : c’est vous. Demain matin, quand vous vous regarderez dans la glace, gerbez-vous dessus.” La comparaison entre le premier mouvement d’extrême droite allemand et le Front national s’arrête à cette anecdote. Avec 5 400 membres et 1,3 % des voix aux élections, le NPD n’est qu’un microparti sans commune mesure avec celui de Marine Le Pen. Le parti néonazi obtient ses maigres voix dans des circonscriptions défavorisées d’Allemagne de l’Est avec un discours xénophobe et antisémite qui n’a guère évolué depuis cinquante ans. “La tradition nationale-socialiste perdure au sein du NPD et l’empêche de dépasser le stade groupusculaire”, estime Gilbert Casasus. “C’est un parti moribond, confirme le spécialiste de l’extrême droite Jean-Yves Camus. Le NPD cumule difficultés financières, crise de leadership et mauvais résultats électoraux, une spirale qu’il est toujours difficile à enrayer.” David Doucet

Daniel Naupold/AFP

“Il ne faut pas se laisser intimider par les ennemis de la démocratie.” Patrick Dahlemann, janvier 2014

histoire 1 Première formation d’extrême droite en Allemagne, le NPD est aujourd’hui menacé de dissolution. En décembre dernier, les seize Länder ont déposé devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe une demande d’interdiction de ce mouvement clairement néonazi. Sur une ligne révisionniste et antisémite, le NPD serait “de même nature” que le NSDAP d’Adolf Hitler, estime le Bundesrat, dans sa demande de dissolution. Il y a dix ans, une tentative d’interdiction similaire avait échoué. L’idée de s’attaquer au NPD a resurgi après la découverte en 2011 de ses liens avec une organisation criminelle d’extrême droite baptisée Clandestinité nationale-socialiste (NSU). Des membres de ce groupuscule, sont accusés d’avoir assassiné dix personnes, la plupart d’origine turque, entre 2000 et 2006.

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retour de hype

le mimosa

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz la perpétuité pour Justin Bieber

“je suis tellement fatigué, je danse comme Thom Yorke”

“je me suis fait tatouer un ‘Big Bisou Bien Baveux’ sur l’épaule, avec une ancre”

Tarantino

“si, c’est une année bissextile”

le bon père de famille le Mobilier national Damon Albarn

Love Letters de Metronomy “2015 ce sera mieux, je pense”

INTERNET ! le carton plein de Daft Punk aux Grammy Awards drakeweather.com

La perpétuité pour Justin Bieber arrêté pour conduite en état d’ivresse. Love Letters de Metronomy Le successeur de The English Riviera sortira le 10 mars. drakeweather.com Appli météo pour cœurs sensibles. Le bon père de famille Héritée du droit romain, la notion a été supprimée dans le

“attends, je cherche une cause pour pouvoir faire une pancarte qui me donne une excuse pour me prendre en photo”

cadre du projet de loi sur l’égalité femmes-hommes. “Attends, je cherche une cause pour pouvoir faire une pancarte qui me donne une excuse pour me prendre en photo” Tout cela devient très gênant. Tarantino abandonne son projet de western suite au leak du scénario. Damon Albarn