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No.918 du 3 au 9 juillet 2013

www.lesinrocks.com

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Allemagne 4,40 € - Belgique 3,90 € - Canada 6,99 CAD - DOM 4,80 € - Espagne 4,30 € - Grande-Bretagne 6,30 GBP - Grèce 4,30 € - Italie 4,30 € - Liban 10 800 LBP - Luxembourg 3,90 € - Maurice Ile 6,30 € - Portugal 4,30 € - Suède 53 SEK - Suisse 6,50 CHF - TOM 960 XPF

suppléme n Avignon t

MDMA

enquête sur la drogue qui monte

Disclosure le feu dans la house trash baby star 1/7

Macaulay Culkin Festival d’Avignon M 01154 - 918 - F : 3,50 €

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Balibar, Nordey : au pied du mur 01/07/13 16:14

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par Christophe Conte

cher Laurent Jalabert

C  

’est un monde qui s’écroule, la bicyclette de nos illusions qui déraille une fois encore, la petite reine qui meurt un peu plus, comme une vieille junkie passée de la colle à rustines à l’EPO et de Poupou/Yvette Horner à Pantani/Kurt Cobain. Mais dans ce repaire de drogués, on croyait pouvoir compter sur toi, Jaja, malgré ce surnom qui sentait bizarre, car tu possédais cette bonne tête du gars qui n’aurait jamais supporté qu’un maillot jaune soit entaché du rouge de la honte. Au-dessus de tout soupçon, tu étais. Le petit Virenque, avec son côté Chet Baker à pois rouges, on se doutait bien qu’il ne grimpait pas le Galibier comme un cabri avec

des Twix et du Viandox. Armstrong, je t’en parle même pas : un mec qui s’est tapé un cancer des burnes et Sheryl Crow ne peut avoir réchappé à tout ça à l’eau plate. Ullrich ou Rasmussen, à côté desquels Keith Richards et Brian Jones avaient l’air de Chevallier et Laspalès, on n’aurait pas misé non plus un rein sur la clarté de leurs urines. Mais là, apprendre au petit matin, quinze ans après les faits, que toi aussi tu trempais dans la schnouff, j’avoue que ça fait un choc. Tu es “tombé de l’armoire”, paraît-il. Nous on l’a carrément prise sur le bénitier, l’armoire. Et un bazar normand de trois tonnes, pas une commode en aggloméré de chez But ! En parlant de truc normand,

ta réaction fut assez cocasse dans le genre. “Je ne peux pas dire que ce soit faux, je ne peux pas dire que ce soit vrai”, as-tu plaidé. Un remix à la Kraftwerk du “à l’insu de mon plein gré”, cette vieille chambre à air jadis soufflée par le guignol maître Collard à Richie la poudreuse. Le peloton des faux culs et des as du pédalage dans la semoule commence à dangereusement grossir. On veut bien croire en ta bonne foi, on veut bien t’accorder le bénéfice du doute et attendre les résultats des contre-expertises. Mais quand même, ne pas savoir si c’est vrai ou si c’est faux, c’est faire preuve d’une amnésie déjà un tantinet coupable. Ce médecin à l’accent de Berlusconi qui t’aurait planté des seringues longues comme des espadons dans le cul, tu t’es jamais demandé ce qu’il foutait dans ta chambre ? Tu croyais quoi ? Qu’il venait à l’heure du loup pour t’administrer une cure de Doliprane ou un cocktail de vitamines naturelles ? Du Fruité c’est plus musclé peut-être ? Faut croire que le cyclisme, comme le compte en Suisse ou la partouze de notables, est la source la plus fertile de vierges effarouchées. Le problème, vois-tu, Lolo, c’est que le doute maintenant va planer bien au-delà des coureurs. Parti sur un tel sprint, on va bientôt apprendre que Gérard Holtz tourne à la MDMA, que Jean-René Godart se fait des orgies d’amphétamines, que Thévenet est sous meth et que Jean-Paul Ollivier doit sa mémoire pachydermique en matière de vélo à une terrible addiction au cabillaud-brocolis-crack. Peut-être même qu’à ton contact, c’est tout le service des sports de France Télévisions qui a sombré dans la came. Bilalian, Chamoulaud, Nelson Monfort, va savoir s’ils n’ont pas remplacé le pot Casaniscahouètes du dimanche soir par un pot belge bien chargé en coco ! Désolé, vous êtes trop wild pour moi les sportifs ! Je t’embrasse pas, j’attends les analyses. 3.07.2013 les inrockuptibles 3

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No.918 du 3 au 9 juillet 2013 couverture par Beu Roberts/Photodebut/Picturetank

03 billet dur

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cher Laurent Jalabert

08 édito l’esprit de Roosevelt

10 quoi encore ? j’ai rencontré Jack Johnson en tongs

12 reportage au Mali avec Pascal Canfin, ministre délégué au développement

16 phénomène le balconing, un jeu dangeureux

18 roman-photo 3/3 Les Parapluies de Cherbourg en feuilleton

20 nouvelle tête 22 la courbe du pré-buzz au retour de hype + tweetstat

Dougie Wallace

Nina Allan, romancière gothique

24 à la loupe Katerine, 100 % cool et sexy

26 idées aux Etats-Unis, l’islam est devenu un “problème de politique intérieure”

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28 où est le cool ?

Vincent Ferrané pour Les Inrockuptibles

en Bikini fauve, à Londres à la fin des 80’s, chez The Principals, en arborant un animal totem…

32 MDMA : la taz de l’extase principe actif de l’ecstasy, la pilule de l’amour opère un retour d’envergure mondiale. Et puis, comme le dit si bien Laurent Gerra : “Les Inrocks, c’est un Télérama pour drogués.”

40 Greta is Frances Ha

dans ce portrait sous influence Nouvelle Vague, la nouvelle icône du ciné indé new-yorkais se met à nu, mêlant comique et mélancolie. Rencontre

50 profession éditeur 2/4 “Les journalistes ne savent pas calculer.” Entretien avec Teresa Cremisi, pdg du groupe Flammarion

54 la vibe secrète des jeunes 40 ans à eux deux, les frères de Disclosure font main basse sur la house, suivis par d’autres gosses (King Krule, The Strypes…), futurs tenants de l’industrie musicale

60 trash baby star 1/7 que sont devenus les enfants stars du cinéma ? Premier de notre série d’été, Macaulay Culkin, retraité à 14 ans

60

Sans titre, série Bad Son, 1998, par Harmony Korine, courtesy galerie du Jour agnès b.

Par les villages de Handke ouvrira la 67e édition du Festival. Entretien avec le metteur en scène et artiste associé Stanislas Nordey, et l’une de ses comédiennes, Jeanne Balibar

Vincent Ferrané pour Les Inrockuptibles

44 au Festival d’Avignon

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société Everial au 01 44 84 80 34

66 Le Congrès d’Ari Folman

68 sorties Frances Ha, World War Z, L’Oncle de Brooklyn, Voyage à Tokyo + Voyage en Italie…

74 dvd/vod

The Incredible Burt Wonderstone…

76 jeux vidéo

Luigi et Wario en attendant Mario

78 séries retours et nouveautés pour l’été

80 Alela Diane disque d’adieu et de retrouvailles

82 mur du son Agnes Obel, Pixies, Tamikrest…

83 chroniques David Lemaitre, Mavis Staples, Skread, Oy, Surfer Blood, Diving With Andy…

91 concerts + aftershow festival Vie sauvage

92 spécial été : figures cultes réels ou imaginaires, d’hier ou d’aujourd’hui, célèbres ou inconnus : quand la littérature raconte des personnages mythiques…

100 bd Jack Joseph, soudeur sous-marin de Jeff Lemire

102 Faust par Nicolas Stemann un sommet de théâtre épique à Avignon

104 spécial été : nos expos imaginaires 1/5 : Hirsute, une exposition aux poils + Roy Lichtenstein

108 Melty, l’info générationnelle le groupe de médias en ligne fait le plein chez les moins de 30 ans

110 programmes Sport, la beauté du geste…

111 net TuneIn, la radio globale profitez de nos cadeaux spécial abonnés

p. 79 et p. 97

112 best-of sélection des dernières semaines

114 print the legend

mars 2012 : trois jours avec Mélenchon

rédaction directeur de la rédaction Frédéric Bonnaud rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, JD Beauvallet, Pierre Siankowski comité éditorial Frédéric Bonnaud, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne, Jean-Marie Durand, Nelly Kaprièlian, Christophe Conte secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot chefs d’édition Elisabeth Féret, David Guérin reporters Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Anne Laffeter, Marion Mourgue actu rédacteur en chef Pierre Siankowski rédactrice en chef adjointe Géraldine Sarratia rédacteurs Diane Lisarelli, David Doucet, Geoffrey Le Guilcher style Géraldine Sarratia idées Jean-Marie Durand cinémas Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain, Vincent Ostria, Erwan Higuinen (jeux vidéo) musiques JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) livres Nelly Kaprièlian scènes Fabienne Arvers expos Jean-Max Colard, Claire Moulène médias/télé/net rédacteur en chef adjoint Jean-Marie Durand collaborateurs A. Auproux, Thomas Ayad, E. Barnett, R. Blondeau, T. Blondeau, D. Boggeri, R. Charbon, Coco, A. Comte, M. Delcourt, A. Desforges, V. Ferrané R. Ganneval, J. Goldberg, C. Goldszal, J. Henches, O. Joyard, J. Lavrador, R. Lejeune, H. Le Tanneur, P. Mouneyres, E. Philippe, J. Provençal, B. Rose, P. Sourd, C. Stevens, L. Soesanto, F. Stucin lesinrocks.com directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteur en chef Pierre Siankowski rédacteurs Diane Lisarelli, Thomas Burgel, Azzedine Fall, Carole Boinet éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomarès graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz lesinRocKs.tv chef de rubrique Basile Lemaire assistant Fabien Garel photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee, Agathe Hocquet photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot second sr Fabrice Ménaphron sr François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Anne-Gaëlle Kamp conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Luana Mayerau, Nathalie Coulon publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél 01 42 44 18 12 coordinateur François Moreau tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 15 31 stagiaires Caroline Mira tél. 01 42 44 44 26, Estelle Vandeweeghe (festivals) tél. 01 42 44 43 97 publicité commerciale, directeur Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 directrices de clientèle Isabelle Albohair tél. 01 42 44 16 69 Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web Chloé Aron tél. 01 42 44 19 98 Lizanne Danan tél. 01 42 44 19 90 coordinateur Stéphane Battu tél. 01 42 44 00 13 développement et nouveaux médias directrice Fabienne Martin directeurs adjoints Baptiste Vadon (promotion, médias, diversification) tél. 01 42 44 16 07 Laurent Girardot (événements et projets spéciaux) tél. 01 42 44 16 08 assistant Antoine Brunet tél. 01 42 44 15 68 assistante promotion marketing Céline Labesque tél. 01 42 44 16 68 chef de projet Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 relations presse/rp tél. 01 42 44 16 68 marketing diffusion responsable Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 assistant marketing direct Elliot Brindel tél. 01 42 44 16 62 contact agence A.M.E. Otto Borscha ([email protected]) et Terry Mattard ([email protected]) tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement Les Inrockuptibles, service abonnement, libre réponse 63 096, 92 535 Levallois Perret Cedex infos 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement France 1 an : 115 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 1 407 956,66 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Sonia Pied, Frédérique Foucher administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2013 directeur de la publication Frédéric Roblot © les inrockuptibles 2013 tous droits de reproduction réservés ce numéro comporte un supplément de 68 pages “Festival d’Avignon, 2013” encarté dans l’édition des départements 13, 30, 84 et une selection d’abonnés ; un programme “Route du Rock” jeté dans l’édition abonnés et dans l’édition kiosque des départements Paris-IDF + 14, 17, 22, 29, 35, 44, 49, 50, 53, 56, 72, 85

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Roosevelt, trente-deuxième président des Etats-Unis, élu quatre fois de 1932 à 1944, Franklin de son prénom, comme la station de métro – ne pas le confondre avec son illustre homonyme et prédécesseur, Theodore, vingtsixième président. Franklin Roosevelt, l’homme du New Deal, refonte du système économicopolitique américain sous l’égide de l’Etat providence suite au délitement social de son temps. Trois années avant son arrivée au pouvoir, 1929, un crack boursier, des faillites bancaires, un chômage qui explose, la misère qui se répand… Toute ressemblance avec la crise survenue en 2008 n’est pas que pure coïncidence. Face à cette situation, Roosevelt fait passer de multiples lois dans les premières années de son premier mandat : séparation des banques de dépôt et des banques d’affaires, relance économique, grands chantiers d’intérêt général, système de retraite financé par les cotisations salariales, salaire minimum, liberté syndicale, réduction du temps de travail à 36 heures par semaine… “Etre gouverné par l’argent organisé est aussi dangereux que par le crime organisé”, disait Roosevelt, mais toute ressemblance entre lui et “l’ennemi de la finance” François Hollande serait purement fortuite. L’économiste Pierre Larrouturou a fondé le collectif Roosevelt 2012 en pensant fortement à l’action ample, rapide et déterminée du président américain, qui avait stabilisé l’économie américaine jusqu’à la dérégulation reaganienne. Très vite, Larrouturou est rejoint par des personnalités d’horizons divers (Michel Rocard, Stéphane Hessel, Susan George, Cynthia Fleury, Bruno Gaccio, etc.) qui partagent le sens de l’intérêt général et la conviction que notre gouvernement de gauche pourrait faire mille fois mieux. Roosevelt 2012 ne promet pas le Grand Soir, mais propose plus pragmatiquement des solutions à court et moyen termes telles que le remboursement des dettes publiques à un taux de 1 %, la séparation réelle des banques de dépôt et d’affaires, la fameuse taxe sur les transactions financières, etc. Autant de mesures de bon sens et réalisables très vite, qui feraient payer à la finance

Photomontage Library of Congress/Danny Clinch

l’esprit de Roosevelt

et non aux seuls peuples les pertes considérables engendrées par la Bourse-casino. Roosevelt était d’origine hollandaise mais on préférerait nettement aujourd’hui que l’action de Hollande soit rooseveltienne. Samedi dernier, un autre Américain d’ascendance hollandaise faisait chavirer le Stade de France. Depuis un an, Bruce Springsteen triomphe dans toutes les villes d’Europe où passe sa joyeuse caravane rock. Malgré la gloire et l’argent, le Boss n’a jamais oublié ses origines sociales, la dure vie de ses parents. Sa carrière, ses chansons, son ethos sont gouvernés par cette boussole. L’allégresse de ses concerts n’occulte pas des textes qui parlent d’ouvriers mariés trop jeunes et perdant leur emploi trop vite (The River), de banquiers qui engraissent sur le dos des travailleurs qui maigrissent (Shackled and Drawn), d’hommes ruinés qui rêveraient d’abattre les responsables du système (Jack of All Trades), ou de petites villes dévastées par les lois de l’économie libérale (My Hometown, Death to My Hometown)… Springsteen a soutenu Obama, mais il sympathise avec Occupy Wall Street, signe des éditos dans le New York Times où il en appelle aux valeurs fondatrices de la démocratie américaine détournées au profit d’une caste. Roosevelt, Springsteen, Larrouturou, même combat !

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“je pense que Barack Obama a l’esprit aloha”

j’ai compté les orteils de

Jack Johnson

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evant le Costes, un hôtel parisien de la très chic rue Saint-Honoré, c’est un ballet pompeux de grosses voitures allemandes aux vitres teintées, d’où sortent des winners vêtus de noir, très bronzés, les yeux cachés derrière des lunettes fumées. Nous sommes le 18 juin, le seul jour vraiment ensoleillé d’une semaine pluvieuse. Ça tombe bien : on a rendezvous avec Jack Johnson, surfeur d’Hawaii et folk-star mondiale, de passage en France pour la promo de son prochain album. Comment reconnaître Jack Johnson, qui est lui aussi riche et bronzé ? C’est simple, c’est le seul homme dans la place qui n’est pas chaussé d’impardonnables souliers vernis beaucoup trop longs et pointus, mais d’une jolie paire de tongs. En jean et T-shirt, le cheveu folâtre, décontracté sous la verrière. Lui serait plutôt low-cost. “Je suis arrivé hier soir en savates, ce n’est pas très naturel pour moi ce genre d’endroit, comme quand je me suis retrouvé à l’arrière de limousines. En général, à Paris, je vais dans un petit hôtel sympa près du Luxembourg.” Jack Johnson n’est pas un chanteur : c’est un mode de vie. Il est donc beau, riche, il vit à Hawaii près de la plage, il a des abdos en béton, il passe son temps en famille, sur une planche de surf ou à jouer de la guitare, et il répond aux interviews les orteils à l’air (on a compté, il en a dix). Il serait presque un peu énervant, Jack Johnson, à rendre jaloux. Le genre qui a gagné au Loto (il a vendu plus ou moins 15 millions d’albums) et qui continue à jouer. Jiji n’est pas dans le besoin,

plutôt dans l’envie. “Je n’ai pas de pression par rapport à la musique. J’aime bien faire du camping en famille, lire des bouquins, jouer avec des amis. De temps en temps, les chansons arrivent et je fais un album. Pour les tournées, je pars toujours en famille, c’est agréable pour les enfants. Et je reverse l’argent à des actions sociales à Hawaii, pour l’éducation, la culture, l’écologie.” Quelques jours plus tôt, Jack Johnson était à Nashville dans les studios de son pote Jack White (son manager a réalisé le magnifique docu sur la dernière tournée des White Stripes) pour un petit concert du matin un peu spécial, gravé en direct sur vinyle (encore une idée dingue de Jack White). “Un très beau moment. Je suis toujours fan de Jack White. Mon fils est en train d’apprendre la guitare en jouant la ligne de Seven Nation Army sur une corde.” Parmi les bons amis de Jack Johnson, il y a aussi le vieux héros folk-rock David Crosby, qui lui a montré des trucs à la guitare pour son nouvel album. “Il vit à Santa Barbara. Quand je suis dans le coin, on va faire un tour sur son bateau.” Puisqu’on l’a sous la main, on en profite pour lui poser des questions sur un autre Hawaïen qui a fait du chemin, Barack Obama. “Je l’ai rencontré deux fois. Je pense qu’il a cet esprit aloha (le mot hawaïen pour amour – ndlr). A Hawaii, il y a des gens de toutes les ethnies, qui apprennent les uns des autres. Obama vient de cette culture. Quand on s’est rencontrés, j’ai voulu lui serrer la main, mais il m’a fait le salut à l’hawaïenne : deux bises et l’accolade. Quand il te parle, il te regarde sincèrement dans les yeux. Je me suis senti bien à son contact.” Pour finir, on lui parle de notre copine Coralie, qui fait du surf, qui aime le folk et qui pense qu’elle se sentirait bien à son contact. “Dis-lui que je suis désolé… et que je vais fêter en septembre les vingt ans de ma rencontre avec ma femme.” Coralie aura au moins un autographe. Stéphane Deschamps photo Thomas Ayad pour Les Inrockuptibles album From Here to Now to You, sortie le 17 septembre concert le 14 septembre à Paris (Olympia)

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Lionel Bonaventure/AFP

Le 13 juin à Gao, le ministre Pascal Canfin assure le “service après-vente” de l’opérationm ilitaire

un pays à reconstruire A l’approche de l’élection présidentielle, le Mali solde les comptes de la mission Serval et continue à s’appuyer sur la France pour se redresser. Etat des lieux dans les pas de Pascal Canfin, ministre délégué au développement.

L

es écologistes sont sur le terrain pour marquer des buts”, promettait Pascal Canfin dans un récent Paris Match. En visite officielle à Gao libérée par la force Serval depuis le 27 janvier, le ministre vert du Développement ne fait pas semblant de mouiller le maillot... ou plutôt la chemise Massimo Dutti. A l’intérieur du blindé léger escortant la délégation ministérielle un cadran digital indique une température extérieure de 54°. A ce niveau, on ne s’interdit plus l’idée qu’une poule puisse pondre des œufs durs ou que le lait se mette à bouillir au sortir du pis de la vache. Casquée et sanglée d’un gilet pare-éclats de six kilos, le capitaine Stéphanie nous briefe dans la carlingue à peine climatisée sur le fameux “coup de chaud qui survient quand la chaleur provoque la déconnexion soudaine du cerveau avec les organes. Un jeune soldat en a été victime il y a deux jours. On l’a rapatrié à la limite du coma.” En cela, la victoire expéditive remportée par l’armée française dans le nord du pays a pu être facilitée par le climat plus clément du début de l’année comparé à la fournaise de cette mi-juin. De cette réussite militaire, Pascal Canfin est venu assurer ce qu’il appelle trivialement le “service aprèsvente”, soit la remise en état des infrastructures

et la relance de l’économie malienne pour lesquelles la France et la communauté internationale viennent d’allouer 3,2 milliards d’euros lors de la conférence réunissant les donateurs le 15 mai à Bruxelles. Assurer le SAV commence donc par sillonner les rues de Gao sous un soleil à vous essorer le système lymphatique de 80 % d’eau en quelques minutes, et aller à la rencontre d’une population exsangue totalement dépendante de l’aide internationale. Première étape : la station de pompage que les islamistes ont saccagée en même temps que les banques, les bâtiments administratifs, les écoles, les dispensaires, la centrale électrique. Comme nous l’explique le lieutenant-colonel Fabrice, chef des APEO (Actions sur la perception de l’environnement opérationnel), “la mission de la brigade Serval a dû répondre à des problématiques qui dépassaient les objectifs strictement militaires. Ce fut le cas de la distribution d’eau que nous avons rétablie mais aussi de tout ce qui génère des tensions au sein de la population.” Ainsi, on apprend qu’à Gao il existe une brigade de pompiers qui ne dispose d’aucun véhicule d’intervention. Que pour assurer la sécurité d’une population d’environ 78 000 habitants, seuls 84 policiers sont en fonction avec un unique 4x4 auquel manquent

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une population exsangue dépendante de l’aide internationale les pneus. Dire que les tensions sont fortes dans la ville est un euphémisme. La délinquance, à base d’extorsions et de trafics en tout genre, y atteint un tel niveau que beaucoup d’administrés, pourtant traumatisés par les dix mois d’occupation islamiste, en sont à regretter le départ des djihadistes. A Gao, où la charia sévissait voici peu, on ne rend plus la justice faute de tribunal et de juge. Face à ces nombreux déficits, face à l’impuissance de l’Etat malien à garantir la sécurité, la mission Serval, assistée d’un détachement de l’armée malienne, pare au plus pressé en attendant que la Minusma (forces de l’ONU) se déploie sur la zone et que de l’élection présidentielle du 28 juillet puisse émerger un gouvernement légitime. “Et c’est pas gagné”, glisse un gradé tandis que la délégation française se dirige à pied, suant à grande eau, vers le marché central rebaptisé “Damien Boiteux” du nom du lieutenant français mort aux commandes de son hélicoptère au premier jour de l’intervention. Comme le dernier accrochage avec les djihadistes date de quelques jours, notre escorte se positionne dans les allées où sont vendus sur des carrés de tissus, voire à même le sol, quelques mesures de riz ou des

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rouleaux de poisson séché qui attirent quantité de mouches en dégageant une odeur éprouvante. Pascal Canfin s’arrête devant un étal, intrigué par des petits cylindres noirs. “Qu’est-ce que c’est ?” demande le ministre au commerçant qui lui répond avec gentillesse, un sourire édenté aux lèvres : “De quoi oublier la faim...” Le but de ce voyage s’esquisse ainsi furtivement à la faveur de cet échange : faire que la distance entre la manne dont Canfin est l’émissaire et les besoins vitaux de la population, auxquels ce marchand tente de répondre de façon dérisoire, puisse être la plus courte possible. Pendant tout le voyage, le ministre insistera ainsi sur la transparence de l’aide et sur la mise en place d’un dispositif de vigilance qui l’accompagne. Un site internet permettra ainsi de rendre compte en temps réel de la réalisation ou non des projets. Dans la grande salle de la mairie, sous les pales de ventilateurs qui, lancés à bloc, font régulièrement disjoncter le compteur électrique, représentants de la société civile et édiles défilent au micro. Derrière la politesse protocolaire, les paroles mesurées, perce l’urgence d’une situation humanitaire extrême. Quand la présidente d’une association féministe en vient à évoquer la situation de ces femmes de Gao qui par dizaines ont

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Lionel Bonaventure/AFP

“pas de sécurité sans développement, pas de développement sans sécurité”

Pascal Canfin

été battues, violées, mariées de force, l’air déjà compact se fige un peu plus dans la salle municipale. Si la distribution d’eau a été rétablie, les besoins structurels de l’ancienne capitale de l’empire songhaï en matière de nutrition, de santé, de sécurité et d’éducation restent gigantesques. Un conseiller régional tente une comparaison : “Aujourd’hui, le Mali est un enfant à qui l’on apprend à marcher.” En écho, le ministre malien de l’Economie et des Finances parlera le lendemain d’“un nouveau 22 septembre”, allusion à la date anniversaire de l’indépendance du pays en 1960. Comme si le demi-siècle écoulé n’avait servi à rien... Concrètement, ce déplacement à Gao se traduira par la signature de conventions entre le ministre et certaines ONG. L’une chargée de “la réduction des conflits liés à la répartition des ressources naturelles” et une autre “du développement des moyens pour faire accéder la région à l’autosuffisance alimentaire” recevront respectivement 118 000 et 310 000 euros. Pendant toute la visite, l’impayable Sadou Diallo, maire médiatique et controversé de Gao, se fait à la fois onctueux et discret dans le sillage du cortège. Difficile de l’oublier pourtant, avec son chapeau à large bord et son boubou anthracite, c’est une version africaine du chef Marc Veyrat bardé d’une écharpe tricolore dans la publicité Madrange. Lui qui confiait récemment qu’il “faut vraiment être con pour être maire dans un pays pauvre comme le Mali” trimballe avec désinvolture sa réputation de mafieux ayant fait fortune grâce à la prostitution, la cocaïne et la spéculation immobilière. Tel un vautour attendant son heure pour festoyer,

on dit qu’il lorgne sur la députation et un siège à la Commission de la défense nationale... Est-ce avec ce genre de coco que la France entend aider le Mali à se reconstruire ? Canfin nous répond que précisément, c’est dans le but de court-circuiter les vieux réseaux de la corruption que le gouvernement français a fait pression pour organiser la présidentielle aussi vite. “Tout ne sera pas parfait, c’est évident, mais il faut battre le fer pendant qu’il est encore chaud !” A quelques semaines du premier tour, le 28 juillet, la tâche reste ardue. Outre la période peu propice, en pleine saison des pluies et de ramadan, il y a le problème des 174 000 réfugiés et des 298 000 déplacés. Autre point noir : l’introduction de la biométrie dans les nouvelles cartes électorales. A un mois du scrutin, il n’y avait guère plus de 20 % de l’électorat à s’être déplacé pour récupérer les fameuses cartes Nina. Plus au nord, à Kidal, si les accords signés à la mi-juin à Ouagadougou entre autorités de Bamako et rebelles touaregs peuvent augurer d’un semblant de retour à la normale, il est peu probable que la consultation parvienne à passionner une population locale qui ne s’est jamais sentie aussi peu malienne. Or tout l’édifice de la politique française au Mali repose sur une équation que Canfin n’a cessé de définir lors de son déplacement : “Pas de sécurité sans développement, pas de développement sans sécurité.” “Des accords, on en a signé plusieurs par le passé qui n’ont jamais été respectés”, tempèrent Arouna et Kiss, deux jeunes artistes rencontrés en février qui attendent beaucoup de l’élection, tout en restant circonspects. “Ici, ça a toujours marché avec le djenikanimi : un vote contre un sac de riz ! Le programme des candidats, les gens s’en foutent !” La France a beau avoir fait du Mali la vitrine de sa politique africaine, l’exemplarité de son intervention militaire et la prodigalité de son aide pourraient bien se fracasser sur un ennemi bien plus insaisissable : le désenchantement. Francis Dordor

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la tête dans le saut Le balconing, popularisé dans les années 2000, consiste à plonger dans une piscine depuis un balcon. C’est fun, c’est con, ça tue.

L

a vidéo, postée sur YouTube, a été visionnée plusieurs dizaines de milliers de fois. Il en existe des centaines d’autres… Le jeune homme hésite. La piscine est à plusieurs mètres en contrebas, assez éloignée du balcon. “Tu ne vas pas le faire, c’est clair”, taquine celui qui filme. Un autre crie : “Allez !” Une fille supplie : “Ne le fais pas. C’est fou, putain, tu peux mourir.” Le jeune homme se hisse sur le parapet. Hésite encore. Il finit par s’élancer, maladroitement, la tête la première, les jambes qui battent l’air. Son corps s’écrase dans l’eau, tout près du bord. Il émerge de la piscine, souriant, lève les bras en signe de victoire. Ça s’est joué à quelques centimètres. Mais il s’en est sorti, indemne.

on joue à se faire peur, on filme l’exploit

D’autres n’ont pas eu sa chance. Chaque année, des dizaines, jeunes le plus souvent, décèdent ou se blessent gravement. Rien qu’en juin, deux vacanciers sont morts. L’un, allemand, a tenté de sauter entre les balcons d’une résidence de vacances de Lloret de Mar, en Espagne. L’autre, anglais, a fait une chute de dix étages depuis le balcon de son hôtel, dans la station balnéaire de Sunny Beach en Bulgarie. Ils avaient 19 ans. Le phénomène aurait été lancé en 2000 par le rockeur argentin Charly Garcia qui a sauté dans la piscine d’un hôtel de Mendoza depuis sa chambre située au neuvième étage. La série et les films Jackass (“casse-cou”), ont alimenté l’appétence pour cette pratique d’une jeunesse fêtarde en quête de sensations fortes. Le balconing a été fortement médiatisé en 2010, après une série d’accidents, souvent

mortels, aux Baléares, Ibiza et Majorque en tête. Les Britanniques et les Allemands, friands de ces destinations touristiques, sont les premiers concernés. Ils débarquent en bandes d’amis dans de gigantesques complexes hôteliers conçus pour faire la fête. Ambiance spring break : l’alcool bon marché coule à flots, la drogue aussi. De nombreuses chambres sont dotées d’un balcon qui domine la piscine. La plupart des sauts se font au petit matin, après une nuit de débauche. Splash ! On joue à se faire peur, on filme l’exploit, on rigole. Trop souvent, ça dérape. A l’époque, un tabloïd anglais avait couvert le sujet avec un titre provocateur et glaçant : “It’s raining Brits.” Paul Abrey, consul britannique aux Baléares, déclarait alors : “Il va sans dire que ces pratiques sont extrêmement dangereuses et peuvent coûter la vie de ces jeunes gens, ou encore les laisser handicapés à

vie.” Le consul en poste à Sofia a renchéri ces derniers jours : “Nous constatons les conséquences dévastatrices qu’une absence momentanée de jugement peut avoir sur les victimes et leurs familles. Nous travaillons d’arrachepied pour s’assurer que les vacanciers prennent conscience de ces risques.” Le ministère des Affaires étrangères anglais vient de relancer une campagne pour sensibiliser les touristes. Les autorités espagnoles ont également réagi en demandant aux hôteliers d’augmenter la hauteur des balcons. Des amendes sont prévues pour les balconers pris en flagrant délit. Ils peuvent aussi être expulsés des hôtels. Des garde-fous qui n’ont pour l’instant pas réussi à décourager les plus inconscients et les plus ivres. Comble de l’horreur : sur internet, les vidéos de balconings ratés sont de plus en plus recherchées. Alexandre Comte

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Les Parapluies épisode 3/3

Ciné-Tamaris

Alors que la version numérique restaurée des Parapluies de Cherbourg est actuellement en salle, voici notre troisième et dernier extrait de celle publiée en roman-photo peu après la sortie du film, dénichée dans les archives Demy de Ciné-Tamaris.

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Nina Allan Avec un premier roman gothique, Complications, l’Anglaise sera l’une des découvertes de la rentrée.

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lle n’a ni le chapeau d’Amélie Nothomb, ni la clope au bec de Michel Houellebecq, mais quelle tempête s’agite sous ce rideau de cheveux blonds ! Avant de se consacrer à l’écriture romanesque, l’Anglaise Nina Allan a écrit une thèse sur Nabokov : “Je suis particulièrement fascinée par son concept de ‘chronophobie’.” Le temps, c’est bien ici la grande question.

Son premier roman est un délicieux défi à l’entendement, un enchevêtrement de séquences qui voient se débattre dans différents espaces-temps un nain génial qui trouve dans le ventre des montres les clefs du voyage dans le passé, un homme aux facettes multiples dévoré par son amour incestueux pour sa sœur… Complications n’est pas un livre que l’on pitche mais un texte qui donne à penser,

questionne, interroge ; l’œuvre d’un cerveau complexe et virtuose. Montre en main, les lecteurs français, eux, comptent les semaines : Complications paraîtra le 22 août. Tic tac… Clémentine Goldszal photo Audoin Desforges pour Les Inrockuptibles Complications (Tristram), traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Bernard Sigaud, 202 pages, 1 9,50 €

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“tu t’habilles comment, toi, pour le retour de la momie ?”

Frank Ocean

les fans de Game of Thrones

“ah non, moi, je jure jamais sur la tête de mes enfants non plus”

Berlusconi

Wendy Davis Canal+ Séries

retour de hype

“alors finalement, il a pris de l’EPO Cahuzac ou pas ?”

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

Jim Carrey

M.I.A.

“j’ai croisé Scarlett Johansson au Lidl, elle achetait du cassoulet” le cronut les herbiers “un mec qui s’appelle Pierre Estoup peut pas être vraiment méchant, si ?”

Pasolini Roma

Pasolini Roma Dès mi-octobre, une exposition explorera les rapports entre le cinéaste et la ville, à la Cinémathèque de Paris. Le retour de la momie au Manchester Museum : une statue égyptienne de 4 000 ans tourne mystérieusement sur elle-même depuis quelques jours. Jim Carrey ne veut pas faire la promo de Kick Ass 2, qu’il juge trop violent. Le cronut,

mélange improbable de croissant et de donut. Burp. Wendy Davis, sénatrice démocrate au Texas, a parlé onze heures pour bloquer le vote d’une loi contre le droit à l’IVG. “Un mec qui s’appelle Pierre Estoup peut pas être vraiment méchant, si ?” Rapport au capital sympathie des mots en “oup”. Fans de Game of Thrones En Haute-Savoie est née une petite Khaleesi. D. L.

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Alec Baldwin @ABFalecbaldwin

23 % Hulk

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Répondre

76 % Jack Donaghy

Retweeter

Même sens, presque musical, de l’insulte que son personnage culte de 30 Rock

Favori

Soulignons cette capacité à se transformer dès qu’un motif d’énervement survient (ici contre un journaliste du Daily Mail ayant écrit que sa femme tweetait pendant l’enterrement de Gandolfini)

1 % Mélenchon

Parce que les journalistes, c’est tous des cons

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il préfère l’amour en mer Un look type Croisière s’amuse et un album à venir au titre moustachu, Magnum : Katerine se la joue lover en série, version cool et sexy.

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l’été fantasmé

Lagon bleu, hibiscus et profusion de plantes tropicales, si une bonne partie de la France vit toujours en hiver, les autoproclamés tubes de l’été fleurissent tout de même çà et là. Avec Sexy Cool, le spectre d’une année sans été s’efface au profit d’un rêve moite mettant en scène des jeunes femmes d’un autre temps – à grand renfort de verres à Martini, de brushings bouffants

Love Boat

Sur le pont du bateau, il fait frais la nuit et la dérive nocturne mène fréquemment à un bar où il est bien vu de commander “quelque chose de fort” (sans glace). Au fil de l’eau, l’être humain varie comme une météo marine à laquelle on ne comprend rien. Ainsi, les paroles du nouveau morceau de Katerine mettent-elles en lumière une large palette d’émotions (“Je suis cool quand t’es cool/Je suis triste quand t’es triste/ Je suis stress quand tu stresses/Je suis sexy quand tu es sexy”). L’occasion de rappeler qu’au lieu de pleurer seul dans sa cabine, il est toujours possible de prendre le grand ascenseur de la vie pour faire connaissance avec le capitaine divorcé (et ex-alcoolique) sur la piste de danse. Surtout quand on sait qu’à la fin de la croisière, tout est toujours bien qui finit bien.

et de longues jupes se balançant doucement au rythme de pas de danse timidement esquissés sur la moquette. Le tout ressemblerait presque aux scènes nocturnes de La croisière s’amuse, juste quand il commence à faire frisquet sur le ponton et que le fil des embrouilles entre les différents passagers du Pacific Princess s’apprête à atteindre son apogée.

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Magnum pour tous

Du col roulé en Lycra de Robots après tout à l’uniforme de capitaine, voilà quelques années que Philippe Katerine change de costume et/ou de physionomie à chaque nouveau projet. Force est de constater que son prochain

album, intitulé Magnum, est un appel au voyage. Voyage spatial (rapport à la veste et à l’arrière-plan tropical) mais aussi temporel. Sexy Cool tube en (im)puissance de disco ironique donne envie de répondre par l’affirmative à ce

petit geste du bras gauche que l’on pourrait prendre pour une invitation pas beaucoup plus adroite. Produit par Sebastian, Magnum sortira le 14 octobre. Voilà qui laisse un peu de temps pour se laisser pousser la moustache. Diane Lisarelli

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Bebeto Matthews/AP/Sipa

Une affiche hostile à l’islam dans les couloirs du métro new-yorkais à la station Times Square, le 24 septembre 2012

l’Amérique face à l’islam L’islam est devenu un “problème de politique intérieure” aux Etats-Unis en 2008 et les mouvements anticharia et antimosquée traduisent un rejet nouveau des musulmans. Analyse de la sociologue Nadia Marzouki. recueilli par Jean-Marie Durand

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près l’Europe, l’Amérique rejette à son tour l’islam, pour en faire ce que vous appelez “un problème”. Quel fut le point de départ de votre réflexion ? Est-ce l’islam ou la société américaine qui vous a intéressée au premier chef ? Nadia Marzouki – Ma question de départ, c’est comment la société américaine débat d’elle-même en débattant de l’islam. Je suis partie du constat d’une convergence surprenante des modes de raisonnement sur l’islam en Europe et en Amérique, alors qu’on dit que les modèles sont différents. Ce qui est vrai en partie : les populations musulmanes en Amérique représentent

moins de 1 % de la population ; elles sont globalement issues des classes moyennes et, surtout, le musulman américain n’est pas associé à la figure de l’immigré, ou de l’exclu social, comme souvent en Europe. Néanmoins, depuis 2008, on parle de l’islam en Amérique selon les mêmes critères qu’en Europe : l’islam menacerait l’intégrité de l’identité nationale. En quoi l’année 2008 a-t-elle modifié ce regard sur l’islam ? Plus que le 11 septembre 2001, l’année 2008, correspondant à l’élection d’Obama, fait de l’islam un problème de politique intérieure et plus seulement un problème de politique étrangère. Il est paradoxal de constater que sous l’ère

Bush, il y a eu une sorte de consensus national autour du discours sur l’islam radical et le terrorisme, qui évitait de stigmatiser les musulmans américains. A partir de 2008, cela change. Un malaise profond surgit par rapport à ce premier président afro-américain. Et derrière le malaise d’une partie de la population américaine envers l’islam, on sent une contestation croissante à l’égard d’une certaine conception de la démocratie, du libéralisme politique. La critique de l’islam, c’est pour beaucoup une manière déguisée de faire valoir un point de vue raciste ; il est tout à fait acceptable dans le discours public de condamner ouvertement l’islam alors qu’il est plus difficile de parler de races.

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Qui sont les principaux activistes de cette nouvelle critique de l’islam ? En Amérique, le mouvement anticharia et antimosquée se fonde directement sur des discours de la droite européenne, notamment en Angleterre, où des groupes contestent la tradition communautariste et affirment que les Etats-Unis doivent rester le dernier espace à échapper à l’islamisation. Des politiques populistes européens tel Geert Wilders sont invités par les intellectuels américains à la tête de ces mouvements, comme Pamela Geller ou Robert Spencer ; ils se présentent comme des experts en théologie islamique, dénoncent ce qu’ils appellent la naïveté, l’aveuglement de l’Université et des intellectuels progressistes sur la question de l’islam. Pour eux, la Constitution comme la souveraineté américaines sont menacées. par l’infiltration de l’islam. Ils ont des relais médiatiques, en particulier sur Fox News, même si, depuis la défaite de 2012 et depuis que le Parti républicain a commencé à réévaluer sa stratégie, ils sont moins présents. Mais ils continuent d’agir via des think tanks comme celui de Frank Gaffney, Center for Security Policy. Ces leaders ont une capacité de nuisance significative, ne serait-ce que par leur capacité à orienter l’agenda idéologique vers la droite radicale et à influencer les représentations mainstream. Pamela Geller a, par exemple, lancé une campagne d’affichage dans les métros de New York et de Washington, des panneaux appelant à lutter contre le djihad (photo ci-contre). Que révèle, dans ce sens, la controverse sur la mosquée de Ground Zero qui a éclaté au printemps 2010 ? Un mouvement de contestation est né quand la décision a été prise de construire un centre culturel islamique sur le chantier de Ground Zero. La controverse a moins révélé une opposition entre musulmans et non-musulmans qu’une lutte entre deux conceptions de la démocratie. D’un côté, l’argumentaire libéral de l’égalité des droits, de l’autre, l’argument de l’offense morale. Pour les opposants à la mosquée, les musulmans n’arrivent pas à comprendre la souffrance que causerait la vue d’une mosquée si près de Ground Zero. Cette façon de reprocher aux musulmans une incapacité à comprendre la souffrance de l’autre est un déplacement symptomatique : il ne s’agit pas de critiquer les musulmans comme des mauvais citoyens, mais de

“le déficit de connaissance n’est pas la clé de résolution du conflit” les condamner comme moralement déficients. A partir de là, le dialogue et la résolution de conflits deviennent d’autant plus ardus et les débats sur l’islam mettent ainsi en scène le malaise d’une partie de la population par rapport à la conception libérale de la démocratie. C’est cela l’invariant sociologique que vous identifiez entre l’espace politique américain et l’espace européen ? Cet argumentaire de l’offense morale est symétrique de l’argumentaire des musulmans qui s’estimaient offensés lors de l’affaire des caricatures. Mais on l’a retrouvé aussi récemment en Europe dans le débat sur la burqa. Ce qui était reproché aux femmes musulmanes souhaitant porter la burqa, c’était bien, là encore, leur incapacité à comprendre leur manque d’empathie devant le sentiment d’horreur que provoquait la vue d’une burqa. La mise en parallèle de ces modes de revendication pousse à aller au-delà du clivage entre islamophilie et islamophobie ; ce qui paraît important, c’est la demande de reconnaissance de formes de revendications qui ne peuvent être entièrement prises en charge par le droit. Par quoi alors ? Cela reste irrésolu. Entre les libéraux qui défendent les musulmans et les autres, il y a un malentendu permanent. Les libéraux invoquent le droit ou la pédagogie : on va vous expliquer ce qu’est l’islam, et quand vous aurez compris, cela ira mieux. Sauf que cela ne marche pas. Le projet est certes bien intentionné, mais peu efficace. Le niveau de tension verbale est tel dans ces controverses que tenter d’organiser de manière un peu figée un dialogue interculturel, vaguement essentialisé, a peu de chances de réussir. Ce que j’ai constaté en étudiant ces controverses, c’est que la raison qui motive les antimusulmans, ce n’est pas un déficit cognitif. Certains peuvent être ignorants, mais ce n’est pas en connaissant mieux l’islam qu’ils vont agir politiquement de manière différente. Le déficit de connaissance n’est pas la clé de résolution du conflit. C’est pourquoi les projets qui relèvent du pédagogisme sont problématiques. Ils cherchent à créer et enseigner de façon factice les conditions

de l’égalité.Toute la difficulté, c’est une relation d’égalité de façon spontanée, et non par le biais d’un projet pédagogique. Croyez-vous, comme Raphaël Liogier dans Le Mythe de l’islamisation (Seuil, 2012), dans une sorte de mélancolie des peuples occidentaux, confrontés à leur perte de puissance ? Chez les antimusulmans, on retrouve toujours ce sentiment mélancolique de souveraineté territoriale et identitaire menacée par l’islam, et au-delà, par la globalisation, par des peurs disséminées. De nombreux membres de ces mouvements, issus pour beaucoup du Tea Party, ne sont pas forcément des islamophobes invétérés ; on est face à des dispositifs affectifs de ressentiment à l’égard de leur époque. Ils ont une conception réactive de la communauté. Pour moi, cette haine de l’islam traduit plus une conception défensive, ritualiste, de la communauté, où, pour être inclus, il faut se sacrifier. Cette logique du ressentiment explique-t-elle vos références régulières aux Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes ? Barthes me paraît pertinent pour comprendre la nature de l’échange discursif entre les individus qui participent à cette controverse. Les affaires de mosquées, de charia, relèvent plus de cette logique de la querelle amoureuse que du choc de civilisation. Elles expriment une attente déçue, un blâme. Or l’acte de blâmer n’a de sens que dans une relation sinon d’égalité absolue, du moins de réciprocité. On ne blâme pas celui dont on n’a que faire ou qui terrifie. C’est pourquoi tant qu’on analysera ces débats comme s’il s’agissait de débats rationnels, on ne pourra pas trouver les solutions adéquates. La scène de ménage, dit Barthes, n’est “ni pratique ni dialectique”. Le but, ce n’est pas de convaincre mais d’avoir le dernier mot. La question n’est donc pas de savoir comment opposer des stéréotypes positifs – l’islam est une religion de paix – à des stéréotypes négatifs – l’islam est une religion violente –, mais de savoir comment interrompre, ne serait-ce qu’un instant, la surenchère langagière par laquelle chacun veut avoir raison. Comme le dit Barthes, “c’est l’originalité de la relation qu’il faut conquérir, la plupart des blessures me viennent du stéréotype”. L’Islam, une religion américaine ? de Nadia Marzouki (Seuil), 310 pages, 22 € 3.07.2013 les inrockuptibles 27

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où est le cool ? par Géraldine Sarratia, Dafne Boggeri et Romane Ganneval

en Bikini fauve, à lézarder au soleil Impossible de ne pas penser à Grace Jones mise en scène par Jean-Paul Goude en découvrant la très géométrique série de Lætitia Hotte pour Kenzo. En vogue, l’imprimé fauve s’invite sur ce Bikini réversible aux couleurs vives. www.laetitiahotte.com

à Londres, à la fin des 80’s Grosses lunettes rondes et cerclées, chemise boutonnée au col, boucle d’oreille crucifix : Boy George et son Culture Club londonien de la fin des années 80 planent sur cette silhouette Surface To Air. www.surfacetoair.com

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D House, Lode Architecture, 2012, photo Daniel Moulinet

dans l’éthio-pop d’E. Tautz Inspirée par la vie rocambolesque de l’explorateur anglais Wilfred Thesiger, la collection été de l’ancestrale maison E. Tautz, designée par Patrick Grant, mixe excellence Savile Row et vibrations éthio-pop.

dans cette maison camouflage Proche d’un estuaire breton, entre eaux douces et salées, cette maison, ouverte sur l’extérieur grâce à ses larges baies vitrées, se referme en un refuge plus intime au premier. Son architecture ambivalente, signée par le studio Lode, se fond parfaitement dans les sous-bois. lode-architecture.com

www.etautz.com

chez The Principals Faire se rencontrer matériaux traditionnels et nouvelles technologies : telle est l’ambition de The Principals, trois designers de Brooklyn. On aime tout particulièrement cette table “Quilt”, conçue comme un patchwork en bois. theprincipals.us 3.07.2013 les inrockuptibles 29

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boîte à outils

l’animal totem, ce nouveau doudou



l fut un temps, pas si lointain, où accrocher une tête d’élan – gonflable, de surcroît – au mur de votre salon vous aurait valu l’opprobre. Où arborer des boucles d’oreille en forme de hibou, de renard, où porter un sweat-shirt orné d’une licorne stylisée, digne d’une Golf GTI overtunée, eût été synonyme de suicide fashion. Aujourd’hui, il est de bon ton de distribuer les Apéricube en pull Kenzo décoré d’un tigre. Se balader avec une bestiole pendue au lobe ou au cou, telle une amulette, ne met plus le feu aux poudres. Les trophées de chasse, en papier mâché ou en balsa, font un carton dans les boutiques du Marais. Les lieux branchés, les racks des créateurs, les portants des supermarchés de la mode et, par extension, nos vestiaires sont devenus des bestiaires

géants. Les lolcats, ces parangons de régression 2.0 urticants, font des millions de vues sur internet. Même les plus rock’n’roll s’y mettent, Jack White en tête, quand il installe – en 2012 – la promo parisienne de son album Blunderbuss au musée de la Chasse. Pour les kidults que nous sommes, l’enfance, c’était avant-hier. Il n’y a plus de mal à se faire du bien en convoquant l’imagerie de notre prime jeunesse – ou une sémiotique digne des pochettes d’albums de Saxon : car l’aigle et le cheval aérographés ont aussi leur mot à dire dans ce grand déballage de souvenirs frelatés, directement inspirés de nos années doudou, eighties “hochet” ou nineties teenage. Dans cet univers urbanisé, bétonné, hyperaseptisé où “l’homme est un loup pour l’homme” (comme dirait Montaigne ou Bernard Lavilliers), porter des broches en forme de cerf ou des imprimés lion, c’est conjurer la jungle urbaine dans laquelle on vit et contrer, par un primaire et salutaire retour aux sources, une époque ultrabalisée dans ses comportements comme ses codes. Pour Alexandra Jubé, chasseuse de tendances chez NellyRodi, “cette culture du totem correspond aussi à une quête de spiritualité à la carte, alors que les religions ‘toutes faites’ sont boudées et qu’on ne croit plus en grand-chose. On s’invente les icônes qui vont avec, la dérision en plus.” Un paganisme de pacotille qui rassure… Et tant pis si, en filigrane, on passe pour les ravis de la crèche en arborant ces inoffensifs grigris. A une période où les charts sont dominés, dans le son comme l’image, par la génération Goldorak, et où le “monde des Bisounours” est devenu une expression convoquée à tout bout de champ – et surtout d’arguments –, c’est la fête aux valeurs guimauve. Prochaine étape dans le ridicool assumé : le come-back des chaussettes à motif Lagaffe ou Mickey et des dés en peluche accrochés au rétroviseur ? Claire Stevens

ça va, ça vient le collier de chien

1782 Le collier aux multiples rangées de perles fines de la marquise de Merteuil (ici Glenn Close dans Les Liaisons dangereuses de Stephen Frears, 1988) indique son appartenance à l’élite. Les prostituées, elles, arborent le collier de chien sous la forme d’un ruban de satin noir. Dans les deux cas, il symbolise leur enfermement.

1994

2013

Ce ruban noir au pendentif new age en toc qui habille le cou de Mathilda (Natalie Portman dans Léon de Luc Besson) nous conte son aliénation sociale et les contradictions de son jeune âge. Marié au teint diaphane de l’actrice, le collier évoque les danseuses de Degas, nouant mystérieusement des rubans ébène avant de monter sur scène.

Collier de chien spécial soirée bondage, oui, mais alors allié à des couettes façon Scary Spice et des bijoux Bollywood. Quand Azealia Banks s’empare de l’accessoire (voir le clip d’Atlantis, sorti fin 2012), il est exorcisé de sa charge dominatrice pour devenir le symbole d’une ouverture culturelle et sexuelle. Alice Pfeiffer

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des hauts et des ébats

Anciennement connue sous le nom d’ecstasy, la MD fait un carton en soirées. Peu d’effets secondaires, faible addiction, grosse descente, cette fausse nouvelle drogue est devenue un phénomène mondial. Enquête substantielle auprès d’un toxicologue et d’extatiques clubbeurs. par David Doucet, avec Carole Boinet, Julie Henches et Benjamin Rose photo Dougie Wallace

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imanche 23 juin, 10 heures du matin. La lumière a pris le dessus sur les ombres de la nuit parisienne. Alors que des mamans promènent leurs poussettes sur les berges de la Seine, un vrombissement sourd s’échappe d’une péniche dotée d’une grande terrasse découverte. Un dimanche sur deux, dans des afters qui se prolongent de 7 heures jusqu’à 2 heures le matin suivant, le bateau tangue sur des rythmes house et techno. La petite centaine de jeunes de 18 à 35 ans qui se pressent à l’intérieur ont le sourire aux lèvres et l’air joyeusement ailleurs. Beaucoup d’entre eux sont sous MDMA. Signe qui ne trompe pas, beaucoup ont dans la main une petite bouteille d’eau pour éviter la déshydratation, l’effet secondaire le plus notable.   Sylvestre1, 26 ans, tient, lui, une bouteille de bière de 75 cl. Après avoir dansé durant deux heures, il vient s’oxygéner sur la terrasse. Calé sur un banc, Sylvestre prend le soleil, la tête en arrière. Sourire légèrement niais aux lèvres, il est sous MD. “La D c’est vraiment la connexion, l’amour confie-t-il l’air évasif. C’est comme marcher sur un petit nuage. Ça me permet de m’évader, d’oublier tous les soucis du quotidien. Les vicissitudes de la vie ne m’atteignent plus, je me sens libéré d’un poids. T’es heureux, t’as envie de faire connaissance avec tout le monde.” En quelques années, la MDMA est devenue la drogue la plus hype au détriment de la cocaïne. Selon un rapport de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) daté de 2010, 4,2 % des jeunes de 18 à 25 ans ont déjà pris une fois de la MDMA au cours de leur vie. Alors qu’en 2009 il y avait eu en France, comme dans le reste de l’Europe, une forte pénurie, due à des saisies massives au Cambodge, le produit a fait un retour tonitruant dans les soirées parisiennes en 2010. Un rapport récent de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) signale que la disponibilité de la substance sous ses trois formes (comprimé, poudre et cristal) est en hausse sur tout le territoire français et notamment dans les grandes villes (Bordeaux, Metz, Marseille, Paris, Rennes). D’autant plus que, contrairement à la cocaïne, son prix a considérablement baissé, passant de 80 à 55 euros le gramme en moyenne. “La prise de MDMA a augmenté de façon incroyable, c’est véritablement devenu un phénomène mondial”, confiait récemment le médecin urgentiste Robert Glatter au New York Times.

Retour sur la péniche. Quelques sets de musique plus tard, Mateo, 21 ans, nous explique les règles pour tenir lors d’un after. “Quand tu t’y rends, tu as différentes façons de tricher pour tenir. Elles varient selon les lettres de l’alphabet : C (cocaïne), D (MDMA) et enfin K (kétamine). Le mieux, c’est la quatrième lettre, la D”, raconte-t-il. La MDMA est devenue la potion magique pour tenir physiquement lors de longues soirées electro. Selon un rapport de l’OFDT (lire encadré p. 38) datant de 2004-2005, 70 % des personnes interrogées dans des contextes festifs liés au milieu techno (bars, clubs et discothèques) confiaient en avoir déjà absorbé. Ce chiffre s’élevait à 90 % dans les milieux alternatifs (teknivals, free parties, zones off des festivals) . Comme beaucoup de consommateurs, Matéo parle de la MDMA comme d’une drogue nouvelle, contrairement à la coke qui serait devenue “ringarde”. Pourtant, la MDMA, principe actif de l’ecstasy a été synthétisée il y a plus d’un siècle par les laboratoires Merck en Allemagne, juste avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale. La MD aurait même été utilisée sur le front où ses propriétés stimulantes, auraient été censées atténuer la fatigue et redonner le moral aux soldats. Mais Merck réfute ces allégations. Réapparue dans les années 70 en psychiatrie, la molécule connaît ses premiers usages récréatifs dans les clubs new-yorkais à la fin des années 80. Une décennie plus tard, l’ecsta devient même la came préférée des rave parties. Victimes de leur succès et de la hausse de la demande, les comprimés d’ecstasy subissent alors différentes techniques d’adultération (ils sont mélangés avec de la caféine, du speed, de la kétamine ou bien encore de l’aspirine). La réputation de l’ecstasy se dégrade. Mais, comme souvent sur le marché de la drogue, il suffit d’un ripolinage marketing pour relancer le produit. Au début des années 2000, la MDMA réapparaît sous forme de cristaux qu’il est nécessaire de réduire en poudre afin d’avoir recours au sniff ou à l’ingestion. Cette plus grande pureté rassure le consommateur et fait repartir la MDMA. Mateo en est convaincu, la MDMA est la meilleure drogue possible : “C’est bien parce que ça ne coûte pas trop cher et parce que c’est facile à absorber. Après l’avoir ingéré, tu te dis qu’il ne faut surtout pas regarder sa montre. Au bout de 30 à 40 minutes, tu sens la montée et tu es fixé sur ce qui va t’arriver. En général, les effets durent de 6 à 8 heures.” Comme la plupart des consommateurs de MD, Mateo a ingéré la substance grâce à un “para”, c’est-à-dire une petite dose de poudre contenue dans une feuille à rouler qu’il a avalée

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en buvant un verre comme s’il prenait une aspirine. “J’ai gobé le para avant d’arriver dans la queue. Et c’est trop marrant parce qu’ils m’ont fouillé et ils ont trouvé un emballage mais c’est tout ! Eh oui, ‘consumed ! It’s in my belly, motherfucker !’”, jure-t-il dans un sabir de franglais. Sa consommation discrète explique également le succès du produit. Alors que de plus en plus de clubs parisiens font la chasse aux drogues et notamment à la cocaïne en enlevant les loquets des portes ou bien encore les abattants des cuvettes des WC afin d’empêcher les gens de sniffer, la MD se révèle très simple à absorber. Mateo est en pleine montée. “C’est comme si ton corps devenait une sorte de musée que tu te mets à contempler, confie-t-il, extatique. Tu te découvres de l’intérieur. T’as l’hormone du bonheur sécrétée puissance mille donc forcément t’as envie de rencontrer des gens. Le contact de la peau, c’est énorme aussi. Ça te donne envie de faire des massages aux gens. S’embrasser c’est dément sous MD. Regarder un bébé ça doit être pas mal aussi”, ajoute-t-il en se marrant. Il se met à parler de plus en plus vite et remue les bras de manière frénétique. “Oh it’s good stuff, it’s fucking good stuff. We’re friends, lâche-t-il au moment de nous embrasser sur la joue. Je ressens une impression de plénitude,

“de la chaleur des orteils aux globes oculaires : je ressens bien-être et plénitude” Mateo

de bien-être. Je ressens de la chaleur des orteils aux globes oculaires, mes yeux squizzent. J’ai l’impression d’être plus intelligent, mais en fait je suis juste plus con.” Le débit de ses paroles devient de plus en plus difficile à suivre. Cela ne l’empêche pas d’entamer un laïus totalement halluciné sur la construction des ponts. “Toute construction de pont commence toujours par une étude avec des géomètres pour voir le nivellement, assène-t-il sûr de son fait. Ensuite, ce sont des ingénieurs qui font les ponts et donc ils calculent le tout et voilà ils posent un pont et hop ! Et les gens finissent par marcher dessus.” Même s’il n’a pas encore la crédibilité d’un ingénieur des Ponts et Chaussées, Mateo nous aura au moins permis de vivre en live les effets directs de la MD. 3.07.2013 les inrockuptibles 35

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Timofey Baldin

Changement d’ambiance, une semaine plus tôt, dans un appart du XIXe arrondissement où une quinzaine de trentenaires dansent sur les sons electro du DJ norvégien Todd Terje. Parmi eux, Aurélien, 27 ans, et deux amis ont pris de la MDMA. Comme tous les mois, un dealer est passé chez eux afin de les réapprovisionner. Loin de se limiter aux seules raves, la MDMA est en passe de devenir la “nouvelle drogue de choix de l’élite urbaine”, comme l’écrivait récemment le Daily Mail. Des traders aux hipsters, son usage s’est répandu partout. Si les pupilles d’Aurélien et ses amis n’étaient pas légèrement dilatées, personne ne pourrait se douter

elle est en passe de devenir la nouvelle drogue de choix de l’élite urbaine

qu’ils sont sous MD. “Je m’autorise à prendre de la MD car mon environnement professionnel et familial est relativement stable, explique-t-il. Quand je ne me sens pas serein, je ne vais pas prendre le risque de me mettre dans un état second.” Si l’addiction à la MDMA est réputée être assez faible, les descentes peuvent se révéler rudes. L’ecstasy agit en libérant une plus grande quantité du neurotransmetteur appelé sérotonine qui régularise entre autres les émotions, l’humeur, l’appétit et qui contrôle les impulsions. Son épuisement dans le cerveau quelques heures après la prise peut engendrer un état de dépression et certains effets secondaires comme des troubles neuropsychiatriques (angoisse, hallucinations), des nausées, maux de tête ou bien encore des difficultés à trouver le sommeil. Le réseau Drug Abuse Warning rapporte que le nombre d’hospitalisations relatives à la prise de MD a doublé depuis 2004 aux Etats-Unis. Au cours de la soirée, Aurélien se montre cajoleur et enjoué. Il embrasse ses amis et multiplie les compliments et les accolades avec la gent féminine. “C’est une drogue sociale, confie-t-il. J’en prends pour sublimer une soirée qui s’annonce prometteuse.

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entretien

“un stimulant qui favorise les contacts” Le docteur Agnès Cadet-Taïrou, spécialiste des nouvelles drogues, décrypte les usages de la MDMA.

Q  

uelle est la différence entre MDMA et ecstasy ? Quand le mouvement techno est arrivé en France, dans les années 90, est apparu le produit nommé ecstasy. Il se présentait essentiellement sous forme de comprimés mais la MDMA en était le principe actif. La MDMA est le nom d’une molécule alors que l’ecstasy est le nom commercial de cette drogue. A partir de 2003, le comprimé d’ecstasy a perdu en popularité, car il était de moins en moins pur, mais aussi tout simplement parce qu’il n’était plus à la mode. Il était considéré, dans les milieux qui consomment, comme une drogue pour débutants. La poudre était vue comme quelque chose de plus branché. Dans les milieux festifs, il y a toujours une recherche de singularité. Peut-on parler, actuellement, de retour de la  MDMA ? En 2009, on a constaté une grosse pénurie de MDMA en Europe à cause de la saisie d’un produit chimique entrant dans sa composition. Depuis 2010, cette drogue revient, généralement sous forme de poudre.

Comme c’est une nouvelle génération d’usagers, plus jeunes, ils ne font pas le lien entre MDMA et ecstasy. Certains pensent que c’est une nouvelle drogue qui arrive, alors qu’en réalité c’est la même chose. Et comme c’est un produit qui paraît nouveau, ça attire énormément. Comment prend-on de la MDMA ? Elle est souvent sniffée. Certains la prennent en parachute, c’est-à-dire qu’ils mettent la poudre dans un bout de papier et l’avalent. Ce qui se développe aussi, c’est la prise “en chassant le dragon” : on met la poudre sur un papier d’aluminium, on la fait chauffer par en-dessous et on respire les vapeurs. Quels sont ses effets ? C’est un stimulant, mais cette drogue a surtout un effet empathogène qui favorise les contacts. Et puis ce n’est pas un hasard si c’est arrivé avec le mouvement techno : en démultipliant les sensations, la MDMA permet de mieux ressentir la musique. C’est une drogue qui s’adapte bien à la fête. C’est pourquoi ce sont surtout les 25-35 ans qui en prennent. En général,

après on a une grosse déprime, même si cela dépend des doses prises et de la susceptibilité de chacun. Les usagers prennent souvent d’autres choses pour contrer la descente, comme des benzodiazépines (des médicaments psychotropes – ndlr) ou des opiacés. Provoque-t-elle une addiction ? Elle est réputée en provoquer assez peu, ce qui est aussi dû au fait que ce n’est pas une substance qu’on consomme quotidiennement. La MDMA est cependant neurotoxique : une consommation régulière peut entraîner des dégâts au cerveau. Il y a également une complication assez grave appelée syndrome d’hyperthermie maligne : on a chaud, on ne s’hydrate pas assez, on a alors une forte fièvre qui peut entraîner un décès. Jusqu’à présent il y a eu assez peu de décès parce que poudres et comprimés étaient peu dosés. Mais on assiste aujourd’hui à une augmentation de la pureté des produits qui circulent. En 2009, on trouvait 47 % de MDMA dans les

poudres, en 2012 on en trouve 63 %. La MDMA tend-elle à remplacer la cocaïne ? Même s’il y a une concurrence entre les deux produits car ce sont des stimulants, elles n’ont pas les mêmes effets et ne sont pas utilisées pour les mêmes choses. Les usagers prennent de la cocaïne en privé. La MDMA est destinée à un usage plus récréatif et a un effet plus long. Quand on veut tenir toute la soirée, il vaut mieux prendre de la MDMA. Mais actuellement, les usages de substances illicites se font surtout sur le mode du polyusage : beaucoup d’usagers prennent plusieurs drogues. Est-elle consommée partout en Europe ? Les pays les plus consommateurs sont les Pays-Bas, la République tchèque, la Slovaquie, la Roumanie, les pays Baltes et la Grèce, selon un rapport de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies de 2013. recueilli par C. B. Le docteur Agnès Cadet-Taïrou est responsable du pôle Tendances récentes et nouvelles drogues à l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). 3.07.2013 les inrockuptibles 37

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les chiffres clés consommateurs personnes interrogées qui ont déjà expérimenté la MDMA (ou ecstasy) par tranche d’âge baromètre santé 2010, INPES

2,7%

4,2% 18-64 ans

18-25 ans

1,9%

6,8% 17 ans

26-34 ans

90

dans des lieux festifs relevant du milieu techno (bars, clubs et discothèques) Quanti-festif, OFDT, 2005

70%

%

dans des milieux alternatifs (technivals, free parties, zones off des festivals) Quanti-festif, OFDT, 2005

tarifs E MDMA LE GRAMM MDMA LE COMPR IME

5 0,0 0 à 6 0,0 0 €

0 7, 0 0 €

effets 75 à

120 mpic in

1 er 30 à effet 60 m in

d ron 3urée h 30

envi

desc ente

effets secondaires : angoisse, nausées, maux de tête… Quand je suis sous MD, j’ai beaucoup d’affection pour mon prochain”, ajoute-t-il. Dans une société qui porte au pinacle la réussite individuelle, tel le héros de Bret Easton Ellis dans American Psycho qui s’envoie de la cocaïne à chaque page, le retour en grâce de la MDMA n’est pas anodin. Considéré comme l’un des pères de la MDMA, le pharmacologue et chimiste américain Alexander Shulgin en parlait comme d’une drogue entactogène, au sens où elle pousse au contact humain. La MDMA disperse les ego et pousse au rapprochement des corps. Sa consommation seul chez soi n’a aucun intérêt. Jusque dans les années 60, les hippies utilisaient le LSD pour se trouver spirituellement, de la même manière, la MD semble répondre à de nouvelles aspirations à faire la fête ensemble, dans un hédonisme partagé. Près d’Aurélien, affalé sur un canapé, son ami Christophe confirme. A 28 ans, cet ingénieur se révèle être un récent converti. “Je n’avais même jamais fumé avant de prendre de la MD mais j’ai commencé avec des amis dans un cadre festif et depuis je continue”, sourit-il. Un brin philosophe, il ajoute : “Camus disait : ‘Un homme ça s’empêche’, là tu ne te retiens plus. Tu as vraiment envie de te rapprocher des gens, tes yeux deviennent des gyrophares, tu es totalement désinhibé, toutes les barrières s’effacent.” Vers 7 heures du matin, le soleil s’est levé et il ne reste que cinq personnes dans ce grand appartement parisien. C’est le moment où Aurélien se décide à rejoindre un ami dans un night-club du XVIIIe arrondissement. Il fait une partie du chemin à pied, le reste en taxi, pas le moins du monde fatigué. Dès qu’il pénètre dans l’établissement, Aurélien prend un second “para”, histoire de rester “éveillé”. Il ne retrouve pas son ami mais cela ne l’empêche pas de danser seul durant plusieurs heures. A 13 heures, la boîte finit par fermer ses portes et tous les clients sont contraints de sortir. Avec d’autres “clubbers”, Aurélien s’assoit sur la place située en face du club. Un dialogue s’engage avec deux couples. “Un after chez moi, ça vous branche ?”, balance Aurélien. Les deux couples acquiescent et débarquent dans son appartement situé non loin de là. Une fois chez lui, Aurélien baisse les stores, allume sa sono et poursuit sa soirée comme si de rien n’était. Au bout d’une heure, l’un des couples demande à utiliser sa douche et finit par faire l’amour à l’intérieur. A 15 h 30, les invités quittent les lieux et Aurélien se décide à aller dormir. Sa soirée avait débuté vingt heures plus tôt. D. D., avec J. H. et B. R. 1. Les prénoms ont été changés

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We Found Love, clip de Rihanna

Time to Pretend, clipd e MGMT

nom de code : Molly Née avec la techno-house à la fin des années 80, la MDMA a depuis infiltré les scènes rock et hip-hop.

C

ombien de personnes ici ont vu Molly ?”, lance Madonna le 24 mars 2012 sur la scène de l’Ultra Music Festival de Miami, essentiellement electro. La star, venue présenter un artiste, n’est pas à la recherche d’une copine : Molly est le nom de code donné à la MDMA. Si le producteur canadien Deadmau5 la traite d’irresponsable via Facebook, la chanteuse

est loin d’être la première à faire clairement référence à cette drogue. Vulgarisée par la mouvance techno-house à la fin des années 80, l’ecstasy marque la décennie 90, inspirant à Pulp son provoquant Sorted for E’s and Wizz, avant de passer de mode. Elle fait son retour au milieu des années 2000 sous la forme de son composant principal, la MDMA, et délaisse un peu l’electro pour envahir la

scène hip-hop et tous les festivals de rock, dont elle est devenue la drogue officielle. Entre deux références à la marijuana et au “syrup”, les rappeurs citent une certaine Molly : Lil’Wayne sur le Roman Reloaded de Nicky Minaj, Kanye West sur Mercy, Childish Gambino sur Unnecessary, Gucci Mane sur Trap Back ou Jay-Z qui clame “MDMA got you feelin’ like a champion” sur Empire State of Mind.

En avril dernier, Rick Ross dérape en racontant sur U.O.E.N.O : “J’ai mis Molly dans son champagne, elle ne le savait même pas. Je l’ai ramenée à la maison et je me suis fait plaisir, elle ne le sait même pas.” Accusé de faire l’apologie du viol, le rappeur est plaqué par son sponsor, Reebok. Un mois plus tard, interrogé par le Huffington Post au sujet de sa référence à une femme qui prend de la Molly sur son remix de Hate Being Sober, 50 Cent explique : “Je suis en train d’écrire et la fille avec laquelle je suis prend vraiment un molly.” “Et puis c’est une bonne phrase”, ajoute-t-il. Devenue très cool, la référence à la MDMA est récupérée par des artistes mainstream, comme Madonna, qui nomme son album d’un paronymique MDNA, ou encore Rihanna qui semble expérimenter la drogue de l’amour dans le clip épileptique de We Found Love. On y voit la chanteuse, pupilles dilatées, prendre des drogues et s’envoyer en l’air avec le mannequin Dudley O’Shaughnessy sur le beat club et horripilant de Calvin Harris. Côté pop-rock, citons MGMT dont les titres aux accents psychédéliques respirent la MDMA, même s’ils ne la citent jamais clairement. Au sujet de It’s Working, Andrew Vanwyngarde avait pourtant déclaré à SPIN en 2010 : “C’est comme faire du surf sous ecsta.” Face à l’engouement général, le rappeur Kendrick Lamar préfère, lui, écrire à la fin du clip de Bitch, “Don’t Kill My Vibe : ‘Death Molly’.” C. B.  3.07.2013 les inrockuptibles 39

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Greta d’urgence Avec le premier rôle de la comédie autobiographique Frances Ha, Greta Gerwig poursuit son ascension fulgurante et s’impose en bonne fée du cinéma indépendant US. par Romain Blondeau photo Vincent Ferrané pour Les Inrockuptibles

L

a jeune femme qui nous reçoit en tailleur ce matin dans sa chambre de palace parisien est ce que l’on appelle communément une it-girl. Comprendre : la fille du moment, celle qui incarne à la perfection son époque et pour laquelle tout le monde vibre. Elle est venue parler de son dernier film, Frances Ha, dont elle a coécrit le scénario avec son boyfriend, Noah Baumbach : une comédie en noir et blanc qui a remporté tous les suffrages aux EtatsUnis après un passage remarqué au dernier Festival de Berlin. Elle, c’est Greta Gerwig, une actrice new-yorkaise de 29 ans, chevelure blonde sur visage diaphane, yeux vert amande et large sourire ensorceleur, quelque chose d’une grande beauté classique hollywoodienne. Depuis trois ans, elle s’est fait connaître au-delà du circuit indé confidentiel grâce à ses rôles face à Ben Stiller dans Greenberg ou dans la comédie dandy hautement addictive de Whit Stillman, Damsels in Distress. A chaque fois, Greta Gerwig incarnait cette jeune héroïne romantique et vaguement

névrosée, dans un mélange singulier de préciosité comique et de mélancolie, de gravité et de légèreté. Elle s’est inventé un personnage, une voix, un style, dont l’originalité détonne dans le cinéma américain et attise les curiosités : depuis la sortie de Frances Ha, la presse US ne jure plus que par elle, Bret Easton Ellis l’a élue “meilleure actrice du moment” sur Twitter, et l’on murmure déjà qu’Hollywood serait en train de la courtiser. Une soudaine popularité devant laquelle Greta Gerwig s’avoue un peu démunie : “J’ai toujours ce sentiment de ne pas faire partie de ce milieu, de rester une étrangère, dit-elle. Les gens que je fréquente ont grandi entourés d’écrivains, de peintres, de cinéastes… ils ont été conditionnés. Moi, je viens d’un environnement beaucoup plus ordinaire et j’ai l’impression d’être encore illégitime, un peu déconnectée des autres.” La confession, qu’elle nous livre sans aucune forme d’apitoiement, donne une idée assez exacte du personnage : Greta Gerwig s’est faite seule, avec une assurance et une détermination rares dans le commun des actrices américaines. Elle est née à Sacramento, en Californie, dans une famille très catholique, “très classe moyenne”, dont elle garde un souvenir ému.

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Damsels in Distress de Whit Stillman (2011)

“Je vivais dans un monde assez conservateur, loin d’être cool, mais je me sentais protégée et libre d’expérimenter ce que je voulais : la danse, le théâtre, l’escrime… J’idéalisais la vie à New York et ça m’a donné une ambition, une envie, que d’autres, plus privilégiés, n’ont pas forcément eues.” La jeune Greta Gerwig cultive alors une passion précoce pour les artistes autodidactes : elle écoute les songwriters du Bronx des années 60, et parcourt l’œuvre du dramaturge Edward Albee, qui la convainc de se lancer dans le théâtre. Avant sa majorité, elle déménage à Manhattan pour poursuivre ses études d’art dramatique. Les galères commencent alors : sans argent, sans perspective, Greta Gerwig vit de petits arrangements, “avec trois dollars en poche certains jours et une question obsédante : où vais-je dormir ce soir ?” En même temps, elle fréquente la nouvelle jeunesse new-yorkaise, rencontre les frères Safdie (Lenny and the Kids) et partage pendant quelques années un bureau avec Lena Dunham, la future créatrice de Girls, qui restera l’une de ses plus proches amies.

“je rêve d’être Denis Lavant dans Holy Motors”

En 2005, elle s’entiche d’un acteur qu’elle rejoint une semaine à Chicago, où il doit tourner son nouveau film, LOL. Le réalisateur s’appelle Joe Swanberg, c’est une figure montante du mouvement mumblecore (des films do it yourself fondés sur l’improvisation), et il se souvient très bien du jour où il aperçut pour la première fois cette jeune blonde. “On était en pleine préparation du film lorsque je l’ai vue traverser la rue pour nous rejoindre. J’ai demandé qui était cette fille, et j’ai tout de suite compris qu’elle allait devenir une star de cinéma, nous dit-il. Sa manière d’être, de bouger, de vous regarder, il y avait chez elle quelque chose d’une évidence.” Joe Swanberg lui confie alors un second rôle dans LOL et la rappelle un an plus tard pour son nouveau film, Hannah Takes the Stairs (inédit en France), tourné sans argent, toujours dans les conditions d’improvisation. Cheveux courts, un peu garçonne, Greta Gerwig irradie dans cette comédie générationnelle qui fait d’elle l’une des new faces les plus côtées de ce cinéma indépendant établi à Austin. “Je garde un très bon souvenir de cette époque, de ce que les gens ont appelé le mumblecore. Mais, franchement, je n’arrive plus à revoir ces films, confie-t-elle. Le travail d’improvisation, les films bricolés, amateurs, tout ça ne m’intéresse plus, j’ai l’impression d’être arrivée au bout de cette démarche.” Ce dont rêve Greta Gerwig, qui n’a pas peur d’affirmer haut et fort ses ambitions, c’est d’un cinéma plus littéraire, plus sophistiqué, quelque chose qui

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Greenberg de Noah Baumbach (2010), avec Ben Stiller

ressemblerait à ses vieux fantasmes d’Europe – elle idolâtre les films de Rohmer et Truffaut. C’est Noah Baumbach (Les Berkman se séparent, 2005) qui lui offre un premier rôle à sa mesure dans Greenberg (2010) et la fait connaître hors des Etats-Unis. Sur le tournage, l’actrice, 26 ans à l’époque, révèle un tempérament d’hyperbosseuse, refait jusqu’à cinquante prises et réécrit parfois son personnage. Une volonté qui a su séduire un autre réalisateur, Whit Stillman, lorsqu’il préparait le casting de Damsels in Distress (2011) : “J’avais pensé à l’origine confier le rôle à une actrice plus confirmée, une star, mais Greta a ce caractère curieux et très impliqué qui l’a emporté, nous racontet-il. Elle cherche toutes les possibilités pour son rôle, se met en danger, expérimente. C’est une collaboration étroite avec les cinéastes qui l’intéresse. Et puis elle a une intelligence, une présence particulière à l’écran. On a beaucoup parlé de Grace Kelly à son propos, mais je la vois aussi comme une héritière d’Irene Dunne ou Myrna Loy.” Dans l’idéal, Greta Gerwig nous dit qu’elle voudrait tout jouer, casser un peu la logique des type casting, mélanger naturalisme et fantaisie. “Les rôles qu’on nous propose sont souvent trop sages, trop réalistes. Je rêve de pouvoir jouer à la fois une vieille femme et le roi Lear, de pouvoir être dans un registre dramatique et ensuite de me mettre à danser ; en fait, je rêve d’être Denis Lavant dans Holy Motors !” Au lieu d’attendre ce genre de rôle, Greta Gerwig a donc décidé d’être très sélective (on

l’a aperçue chez Woody Allen dans To Rome with Love), mais aussi d’écrire ses propres personnages, de devenir elle-même un auteur. Ainsi est née Frances Ha, sa deuxième collaboration avec Noah Baumbach et l’un des films dont elle se dit la plus fière : une sorte d’autoportrait sous influence Nouvelle Vague où l’actrice met à nu une partie de son histoire, de son environnement familial à Sacramento à ses années précaires dans le New York des années 2000. “Noah m’a proposé d’écrire le film avec lui et d’imaginer un alter ego comique. Je suis donc partie d’anecdotes ou de souvenirs, et j’ai fini par gribouiller trois pages de scénario. Là où je me retrouve le plus dans ce personnage, c’est dans son enthousiasme un peu naïf. Sa manière de courir dans la rue lorsqu’elle est heureuse par exemple, ou au contraire de s’effondrer au moindre problème.” Cette capacité à s’impliquer dans un rôle, à engager un peu de soi, c’est précisément ce qui fascine chez Greta Gerwig. “Au-delà de sa beauté, de son esprit ou de son humour, il y a une hyperprésence chez elle, un rapport unique à son texte qui me fait penser à Jean-Pierre Léaud”, témoigne la réalisatrice française Mia Hansen-Løve, qui fera jouer l’actrice dans quelques scènes de son prochain film, Eden. Les deux femmes se sont rencontrées il y a peu à New York. Elles ont parlé de cinéma et d’autres choses. Mia Hansen-Løve se souvient d’une “évidence”. lire aussi la critique de Frances Ha p. 68 3.07.2013 les inrockuptibles 43

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à la belle étoile L’une y a fait ses premiers pas en 1993, l’autre avait jusqu’alors refusé d’y monter une création. La cour d’Honneur du Festival d’Avignon devient ce drôle d’endroit pour une rencontre réunissant Jeanne Balibar et Stanislas Nordey dans Par les villages de Peter Handke. par Fabienne Arvers et Patrick Sourd photo Vincent Ferrané pour Les Inrockuptibles

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En répétition au Théâtre de Chaillot. Paris, mai 2013 3.07.2013 les inrockuptibles 45

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space culte et scène primitive, la cour d’Honneur du palais des Papes est plus que jamais l’héroïne de cette 67e édition du Festival d’Avignon. Soir après soir, la cour va accueillir spectacles et créations de Jérôme Bel ou Boris Charmatz et Anne Teresa De Keersmaeker, et des one shots signés des représentants les plus marquants d’une aventure de dix ans orchestrée par Vincent Baudriller et Hortense Archambault. La cour encore où Jeanne Balibar rejoint la troupe de Stanislas Nordey – Emmanuelle Béart, Annie Mercier, Véronique Nordey, Laurent Sauvage et quelques autres –, et où le metteur en scène ose ce qu’il n’a jamais fait : “La cour, je n’y aurais pas pensé si Vincent et Hortense ne me l’avaient suggérée. Une ou deux fois dans le passé, on me l’avait proposée et j’ai toujours dit non car je ne savais pas ce que j’avais envie d’y dire. Au début, j’avais deux certitudes : il fallait que ça soit une écriture d’aujourd’hui, j’ai donc vite évacué beaucoup d’auteurs – Shakespeare, Eschyle et consorts (rires)… Ensuite, ce lieu est souvent dédié à la représentation des puissants : les rois, les reines, les papes, et j’avais envie d’y faire entendre une parole autre. Je me suis souvenu des deux grandes traversées textuelles de Par les villages, les monologues de l’ouvrier Hans et de Nova, qui se répondent, et je me suis dit que cette parole-là pouvait trouver sa place devant 2 000 personnes. Pour moi, Par les villages est la plus belle pièce qui ait été écrite ces cinquante dernières années. De plus, j’aime énormément la façon dont Peter Handke, l’auteur, s’est déplacé dans sa propre histoire théâtrale. Il commence par faire des pièces parlées, Outrage au public, Introspection, Prédiction, qui sont en réaction au théâtre de son époque. Ensuite, il se déplace et fait du théâtre-narration, du théâtre-roman, La Chevauchée sur le lac de Constance, c’est encore une autre forme. Après, avec Par les villages, il s’adosse vraiment à Eschyle et aux tragédies grecques. Plus tard, il se déplace encore et fait une pièce sans paroles, L’heure où nous ne savions rien l’un de l’autre. Dernièrement, il écrit un dialogue amoureux, Les Beaux Jours d’Aranjuez. J’aime la manière dont il travaille en inventant continuellement de nouvelles formes.” Quant à son rôle d’artiste associé, Stanislas Nordey n’en fait pas un bâton de maréchal : “Ça ne change pas

“avoir l’immensité du ciel étoilé au-dessus de sa tête, c’est carrément hallucinant comme expérience intime”

Jeanne Balibar

grand-chose… Honnêtement, je m’en fous. Je ne sais pas comment dire, mais je ne suis pas là à penser : ‘Ça y est, c’est la consécration de ma vie.’ D’un autre côté, ce qui a été formidable, ce sont les deux ans passés avec Dieudonné Niangouna, que je ne connaissais pas, et avec tous les gens travaillant avec lui. Aller en Afrique aussi… Je n’y étais jamais allé. Voir comment on travaille là-bas, les types d’économie, d’énergie. C’était passionnant de discuter avec cet homme-là.” Une association entre les deux artistes qui fonctionne d’abord sur la découverte de l’autre et le partage. Pour Jeanne Balibar, revenir à la mythique cour d’Honneur réveille des souvenirs extraordinaires et une époque où le hasard et le destin ont fait d’elle, sous la direction de Jacques Lassalle, une star du théâtre : “Evidemment, c’est très émouvant pour moi... Disons que je ne pense pas tous les jours que la première fois de ma vie où j’ai joué dans une pièce de théâtre, c’était dans la cour d’Honneur du palais des Papes et dans Dom Juan de Molière avec la troupe de la Comédie-Française. Mais c’est assez agréable d’avoir l’occasion d’y repenser (rires), car lorsque ça m’arrive, je me dis que c’est sidérant comme première expérience d’avoir un tel espace comme aire de jeu, je ne parle même pas du poids historique et symbolique, mais tout simplement du lieu. Avoir l’immensité du ciel étoilé au-dessus de sa tête, ne serait-ce que ça, c’est carrément hallucinant comme expérience intime.” Une rencontre sur le plateau qui n’a rien de fortuite mais qui cherchait une occasion de se concrétiser. “Pensant à Jeanne pour le rôle de Nova, enchaîne Stanislas Nordey, je m’étais dit que si je ne trouvais pas une Nova qui soit plausible, je ne ferais pas cette pièce. Jeanne est passée de Frank Castorf à Yves-Noël Genod, d’Alain Françon à Boris Charmatz, il y a dans cet éclectisme un mouvement que j’adore. Je ne savais pas si elle allait me dire oui mais je pensais que la voir réussir à être complètement ce qu’elle est, et en même temps la sentir entièrement à l’écoute d’une proposition de mise en scène ou de chorégraphie vraiment singulière créerait forcément quelque chose entre elle et moi. Quand j’ai envie de travailler avec des gens pour la première fois, je pense qu’il faut trouver le bon espace textuel. Là, ça me paraissait possible que notre première rencontre se concrétise sur ce rôle.” En écho, Jeanne précise : “Je connais son travail depuis très longtemps parce que j’ai une pratique de spectatrice, même si je suis loin d’avoir vu tous ses spectacles. Il a commencé un peu avant moi… Très jeune, j’ai vu ses toutes premières propositions et il y a eu beaucoup d’illuminations, notamment sa mise en scène de Vole mon dragon d’après Hervé Guibert. On a partagé aussi une expérience courte, mais fondatrice pour l’un comme pour l’autre, lors d’un travail avec Anatoli Vassiliev organisé par Michelle Kokosowski. C’est un compagnonnage de toujours même si c’est la première fois qu’on se rencontre dans le travail. Ce qui m’intéresse, c’est justement de m’ouvrir dans l’expérience même du plateau à des pratiques spéciales (rires) ou plutôt spécifiques au théâtre de Stanislas.”

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Kinzenguele

Dieudonné Niangouna, le deuxième artiste associé, en répétition à Brazzaville pour Shéda, la création qu’il présentera à Avignon, du 7 au 15 juillet (relâche le 10), à la carrière de Boulbon

la belle décennie Avec une 67e édition largement ouverte à l’Afrique, Hortense Archambault et Vincent Baudriller concluent avec panache dix ans passés à la défense, tous arts confondus, d’un grand festival de création.

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ous couvert d’un dispositif qui a déjà fait ses preuves – mettre en place un binôme d’artistes associés –, Vincent Baudriller et Hortense Archambault font du neuf pour leur dernière édition avec un focus sur le continent africain, via l’auteur, acteur et metteur en scène congolais Dieudonné Niangouna, en tandem avec l’acteur et metteur en scène Stanislas Nordey. Un coup de dés jamais n’abolissant le hasard, c’est la surprise témoignée par Stanislas Nordey en découvrant le nom de l’autre artiste associé qui donne tout son sel à l’affaire. “Comment saviezvous ?”, lance-t-il aux codirecteurs qui se rappellent alors leur propre étonnement :

“Vous saviez quoi ?” Et Nordey de révéler : “Je suis d’origine congolaise.” “Coïncidence mystérieuse, son arrière-grand-père maternel était congolais. Stanislas Nordey n’était encore jamais allé en Afrique. En septembre 2012, nous sommes partis ensemble au Congo. Nous sommes d’abord allés à Pointe-Noire, la ville d’où les bateaux partaient avec leur cargaison d’esclaves. C’est de là qu’est parti son arrière-grand-père. (…) Il y avait un symbole fort de cette histoire avec la présence de Stanislas qui devenait ainsi le cousin congolais de Dieudonné”, racontent Vincent et Hortense. Avec, comme arrièreplan, cette rencontre qui permet à l’un de renouer avec ses racines et à l’autre de jouer le guide de ce retour au pays natal, la programmation de cette 67e édition du Festival d’Avignon

s’inscrit au plus profond de l’intime et donne à Par les villages de Peter Handke (le retour d’un fils prodigue sur les terres de sa jeunesse), le choix de Stanislas Nordey, un autre niveau de lecture. De son côté, Dieudonné Niangouna revient avec son spectacle Shéda sur le Congo d’aujourd’hui et s’entoure des artistes d’un continent parcouru par la violence des guerres civiles dont ils se font les témoins. Venus du CongoBrazzaville, de la République démocratique du Congo, du Burkina Faso, de Côte d’Ivoire ou d’Afrique du Sud, metteurs en scène, performeurs ou chorégraphes, ils tirent le portrait d’une Afrique bouillonnante d’espoirs, où l’urgence de créer est aussi impérieuse que celle de se battre pour vivre.

A l’heure du bilan, saluons dix ans d’un festival durant lesquels Vincent Baudriller et Hortense Archambault n’ont jamais cessé de prendre des risques pour nous faire découvrir in situ et brut de décoffrage les œuvres de leurs invités, en écho au virage pris en 1967 par Jean Vilar : faire d’Avignon un creuset des arts où théâtre, danse, performance, arts plastiques et cinéma dialogueraient à parts égales. Avec l’idéed’une série de flash-backs dédiée aux artistes d’un soir, d’Ostermeier à Marthaler, de Castellucci à Charmatz et Fabre, tout ce qui a compté cette dernière décennie se retrouve à fêter cette der des ders qui s’annonce mémorable. Avec l’inauguration de la FabricA, un espace de résidence pour les artistes et une salle de répétitions aux dimensions de la cour d’Honneur, les deux directeurs laissent à leur successeur Olivier Py les clés de la maison Avignon, agrandie de la pièce manquante que Vilar appelait déjà de ses vœux en 1966. Qu’en fera-t-il ? Perpétuera-t-il la notion d’artistes associés ? Celle d’un festival ouvert à toutes les disciplines ? Et quid du choix depuis 2004 d’organiser Avignon depuis Avignon et surtout loin de Paris ? Au final, l’héritage du Festival, repensé de fond en comble par Vincent Baudriller et Hortense Archambault, semble un pas en avant définitif sur lequel il sera délicat de revenir. F. A. et P. S. 3.07.2013 les inrockuptibles 47

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Reste la question du choix de monter Peter Handke à Avignon, là où, en 1995, des artistes se sont réunis et ont fait la grève de la faim pour protester contre la guerre de Yougoslavie au lendemain du massacre de Srebrenica. Est-il besoin de rappeler les positions de Handke qui alla jusqu’à se recueillir en 2006 sur la tombe de Slobodan Milosevic (accusé par le Tribunal pénal international de La Haye de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide), responsable de la purification ethnique ? “Cette attitude est incompréhensible pour moi, répond Stanislas Nordey. Pour une raison toute simple, j’ai lu Handke depuis l’adolescence. Le plus incompréhensible, c’était de voir que l’homme m’apparaissait à ce point disjoint de l’écrivain… C’est sans doute pour ça que ça ne me pose pas de problèmes de monter Par les villages, parce que son geste politique, que je serais incapable d’expliquer, me semblait incompatible avec ce que j’avais lu de lui. Si loin de l’endroit du regard ouvert, du paysage d’un théâtre et de la poésie de textes qui laissent toujours une part à l’incertitude. Qu’un acte aussi définitif soit assumé publiquement m’avait troublé. Impossible de faire le lien entre ces deux Handke. C’est une position personnelle. En plus, un telle attitude m’était apparue d’une certaine manière presque suicidaire. Je peux le dire simplement. Ce qui m’intéresse, c’est de faire passer le geste d’écriture avant tout.” Une position à laquelle se range Jeanne Balibar : “Je n’ai rien à ajouter, moi, ma foi. Je suis aussi sur cette ligne-là…” Une ligne qui, en refusant de faire payer à l’auteur les errances de l’homme, n’exclut pour autant ni le danger, ni le risque inhérent au jeu sur le plateau. “Au tout début de mon texte, poursuit Jeanne

Jean-Louis Fernandez

A gauche, Claire-Ingrid Cottanceau, Stanislas Nordey et Jeanne Balibar

“ce qui m’intéresse, c’est de faire passer le geste d’écriture avant tout” Stanislas Nordey

Balibar, Nova, mon personnage, dit : ‘Oui, le danger existe : c’est grâce à lui que je peux parler comme je vais parler : dans la résistance.’ Cette phrase-là définit absolument ma ligne de conduite : oui le danger existe, c’est grâce à lui que ça va se passer comme ça va se passer et je pense qu’il y a là-dedans une forme de résistance. On ne peut pas mieux résumer la situation ! Donc, j’espère qu’il y aura aussi du non-savoir, même vingt ans après. C’est clair, l’actrice que je serai quand on entrera sur scène le 6 juillet n’est pas du tout la même que celle que j’étais le 6 juillet 1993. Par contre, ce qui sera du même ordre, qui m’intéresse et me motive, c’est de ne pas savoir ni où je mets les pieds, ni où on va. On tâtonne beaucoup sur ce texte qui est très difficile et si, jusqu’au jour d’entrer en scène, on n’en sait toujours pas plus, ça me va quand même. Petit à petit, ce qui est devenu important, c’est d’y aller en donnant aussi à voir ce que l’on ne sait pas.” Par les villages de Peter Handke, mise en scène Stanislas Nordey, avec Jeanne Balibar, Emmanuelle Béart, Raoul Fernandez, Moanda Daddy Kamono, Olivier Mellano, Annie Mercier, Stanislas Nordey, Véronique Nordey, Richard Sammut, Laurent Sauvage. Au Festival d’Avignon, cour d’Honneur du palais des Papes, du 6 au 13 juillet à 21 h (relâche le 9), www.festival-avignon.com

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“éditeur par peur de devenir écrivain” Teresa Cremisi fête cette année ses cinquante ans de présence sur la scène littéraire européenne. Des éditions Garzanti de Milan à Gallimard, elle a côtoyé les grandes figures de la littérature – Moravia, Pasolini, Sollers… Aujourd’hui à la tête de Flammarion, elle a obtenu le Goncourt pour Houellebecq et publie Angot et Reza. par Nelly Kaprièlian photo Frédéric Stucin pour Les Inrockuptibles

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omment êtes-vous devenue éditrice ? Teresa Cremisi – Ça a été une vocation très précoce, à 18 ans. Je suis devenue éditrice par goût pour la littérature et par peur de devenir écrivain. J’ai envoyé trois CV à trois maisons d’édition. C’était l’époque où l’on trouvait du travail facilement et, dans mon CV, il n’y avait pas grandchose sinon que je parlais trois langues, le français, l’italien et l’anglais. Les trois maisons ont voulu m’engager. J’ai choisi Garzanti, parce que ça n’était pas loin de chez moi à Milan, et, pendant trois ans, j’y ai fait le travail de lexicographe pour un dictionnaire français-italien. Trois années très austères, mais que j’ai adorées. Même si je parle plusieurs langues, j’ai toujours considéré que ma langue est le français, car je suis le produit d’une civilisation très particulière : je viens d’Alexandrie où mes parents sont nés et où toute la haute bourgeoisie, dont je viens, parlait français. J’ai toujours su que je rentrerais un jour en France, ce qui est un paradoxe puisque personne dans ma famille n’y avait mis les pieds. Paris était ma patrie imaginaire, aujourd’hui réelle, et le restera toujours. Y avait-il des livres chez vous ? Il y avait beaucoup de livres dans ma famille. Mon père était un homme d’affaires, il lisait beaucoup Montherlant, bizarrement. Et l’été, nous le passions à Paris. Ma mère était un sculpteur reconnu, qui travaillait dans un endroit qui s’appelait l’Atelier, en français. C’est là que venaient Camus, Gide, etc. Et on allait au café en face qui s’appelait l’Elite. Vous voyez, tous ces noms français de lieux à Alexandrie… Après les éditions Garzanti, vous vous installez en France en 1989 pour travailler chez Gallimard… C’était une période très excitante, Antoine venait d’être nommé pdg, il était en conflit avec son frère et sa sœur, je n’avais pas de titre réel même si tout le monde disait que j’étais la numéro deux. Je suis venue parce que j’avais confiance en lui. J’ai d’abord hésité, j’avais 40 ans, j’étais connue à Milan, j’étais codirecteur de la maison Garzanti, et puis j’avais deux enfants. On s’est débrouillés au jour le jour sans plan de bataille particulier.

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Avez-vous été bien reçue par le monde de l’édition parisien ? Tout le monde m’a très bien accueillie. Mais je me souviens d’une anecdote très amusante : Roger Grenier, qui était charmant avec moi chez Gallimard, m’invite à dîner chez lui un soir avec quinze personnes, et mon voisin de droite, Bruno Gay-Lussac, qui était le neveu de Mauriac et le petit-fils du grand savant, qui avait publié vingt livres chez Gallimard, très NRF donc, se met à raconter à la cantonade que la NRF est finie car ils ont mis une Italienne à sa tête (rires), et il continue comme ça longtemps… Alors je lui ai dit : “L’Italienne, c’est moi !” Il m’a tourné le dos, furieux. Jean-Bertrand Pontalis, Roger Grenier, Pierre Nora, François Erval, en somme tous les barons de Gallimard, ont tous été très gentils à mon arrivée. Dominique Aury était ma voisine de bureau, elle était charmante, confiante, elle avait l’air d’une bonne sœur. Le problème, c’était autre chose : il fallait publier, se défendre. Quels souvenirs gardez-vous du milieu intellectuel italien dans les années 70 ? Les années 60, 70, 80 ont été une période géniale en Italie, du point de vue de la créativité et des grands auteurs, de Pasolini à Morante, qui était vraiment un génie. Plusieurs bandes de dandys gravitaient autour de certains pôles, dont le couple Moravia-Morante, même s’ils n’étaient plus ensemble, et ces bandes mêlaient écrivains, journalistes, cinéastes. Je me souviens de Fellini à la fin, quand plus personne ne voulait le produire, il avait l’air d’un monument fatigué. Chez Garzanti, nous avons publié Pasolini. Pasolini était un homme très doux une partie de la journée, très brutal une autre partie, et très convivial une autre encore, mais très courte. Il vivait chez sa mère, mais presque tous les soirs il y avait des dîners chez cette femme extraordinaire et très cultivée, Laura Betti, une actrice de ses films, qui se comportait avec lui comme une épouse. D’ailleurs, il s’y rendait en maître de maison. Et puis il y avait une partie sombre qui commençait plus tard dans la nuit et qui l’a mené à la mort. Je l’ai vu deux fois avec des jeunes gens et j’ai eu une impression de grande brutalité, j’ai compris ce qu’était une sexualité homo brutale – je pense que Foucault était dans ce genre de rapports. Quand on travaillait avec lui sur ses textes, Pasolini était très attentif, et très pédagogue. Alberto Moravia publiait chez Bompiani, et je ne l’ai croisé que deux fois, mais une fois il m’a dit quelque chose que je n’oublierai jamais : “Cara, devenir riche, c’est à la portée de beaucoup de gens. Bien dépenser l’argent qu’on a quand on est riche, c’est à la portée de très peu de personnes.” Il avait décidé de dire la vérité dès son plus jeune âge, et c’est ce qui en fait un grand écrivain dès l’âge de 23 ans avec un livre sur la société italienne où l’on comprend ce que la bourgeoisie devient sous le fascisme et pourquoi elle soutient le fascisme : Les Indifférents. Quelles sont les rencontres qui ont le plus compté ? Elles sont très nombreuses. Mais aujourd’hui, il y en

“avant, l’éditeur était vu comme un avare qui pillait ses auteurs, aujourd’hui, c’est un pauvre benêt qui signe des à-valoir déments et qui se ruine”

a un qui compte pour moi au point que je me réveille la nuit s’il a un problème, c’est Michel Houellebecq. C’est drôle cette amitié. J’irais jusqu’au bout du monde pour lui apporter une aspirine et ça n’a rien à voir avec le métier d’éditeur. Je suis douée pour l’amitié. Je suis portée à comprendre et à aimer les défauts, je m’amuse facilement, j’aime une certaine légèreté, je ne suis pas une emmerdeuse. Et puis il y a comme un filtre en moi qui m’empêche de transmette à mes amis les choses lourdes ou difficiles que tout le monde vit. Je me raconte peu. C’est important pour un éditeur d’être doué pour l’amitié quand on s’occupe de stars telles que Christine Angot, Yasmina Reza, etc. ? Ah, j’aime beaucoup les stars ! Il y a toujours une raison pour laquelle on devient une star, une originalité profonde, une vision personnelle de la vie, quelque chose qui irradie. Sont-elles d ifficiles ? Mais j’aime les gens difficiles ! Ça ne veut pas dire que je peux les supporter longtemps, mais j’ai une grande indulgence envers les artistes. Ce n’est pas un hasard si, adolescente, je pardonnais tout à Rimbaud, même si c’est injuste – il pissait dans les escaliers, il a dû tuer quelqu’un à Chypre, il a déserté, etc. J’aime que le style soit une extension de la personnalité. Philippe Sollers en est un parfait exemple : entre les mots qu’il peut dire à une table de restaurant ou en se promenant, et ceux qu’il sort au bout de sa plume en écrivant, il n’y a aucune rupture. Au début, Sollers n’a pas été des plus faciles avec moi mais ensuite, en me décrivant les êtres et les choses de façon acérée, et même si je n’ai pas adhéré à tout ce qu’il me disait, il m’a décillé les yeux. Il m’a autorisé une plus grande liberté. Quels sont les paris que vous avez faits et qui ont marché ? Quand Franz-Olivier Giesbert m’a apporté le texte du livre sur Chirac en 2006. C’était un signe d’amitié extraordinaire car j’étais dans un état de grande fragilité : je venais de quitter Gallimard et de reprendre Flammarion. Le livre comprenait pas mal de risques – y compris l’affaire Clearstream dont on ne parlait pas

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encore. J’ai pris ce risque. Et on en a vendu 450 000. Alors j’ai compris que quand on dépasse les 450 000 exemplaires, les risques n’existent plus… On vous a parfois reproché de payer trop cher, de faire des “coups” avec des livres qui n’ont pas marché… Il y a un paradoxe de l’image de l’éditeur depuis que j’ai commencé ce métier : avant, l’éditeur était vu comme un avare qui pillait ses auteurs, aujourd’hui, c’est un pauvre benêt qui signe des à-valoir déments et qui se ruine. Avant, c’était un Arpagon, maintenant, c’est un con. Mais le vrai problème, c’est que les journalistes ne savent pas calculer. Le Goncourt, comment ça se prépare ? A l’époque, chez Gallimard, c’était plus facile, car la plupart des jurés étaient des auteurs maison ou même des membres du comité de lecture, donc la transmission de l’information, qui est quand même la chose la plus importante pour qu’un livre figure dans les listes, se faisait tout naturellement. Ce qui n’est pas le cas de Flammarion puisque nous sommes absents des jurys depuis toujours. Et ça continue. Résultat : ni Angot ni Olivier Adam ou Serge Joncour, dont les livres étaient importants la rentrée dernière, n’ont figuré sur les listes… Si les trois mêmes avaient été chez Gallimard ou Grasset, ça aurait été différent.

Renaud Monfourny

John Foley/Opale/Flammarion

Christine Angot

Michel Houellebecq

Comment la situation éditoriale a-t-elle évolué ? La France reste le plus beau pays où être éditeur, parce qu’elle respecte sa littérature et en publie beaucoup. Mais ça se détériore. Quelque chose est en train de changer. La librairie change : Virgin, Chapitre, la Fnac sont en train de disparaître. Alors, on a de plus en plus besoin de faire des best-sellers pour palier au manque de ventes. Christine Angot et vous-même venez d’être condamnées à payer 40 000 euros pour atteinte à la vie privée pour le livre Les Petits. Un commentaire ? Je trouve la condamnation très lourde et très injuste. C’est une atteinte aux droits de l’écrivain. Plusieurs éditeurs, dont vous-même, ont refusé de publier le prochain roman de Pierre Mérot pour des raisons idéologiques. Or, finalement, vous venez de l’inscrire à vos programmes de rentrée… Pourquoi ? Je ne l’ai pas refusé. C’est le précédent que j’avais refusé et il était sorti chez Laffont. Il y a quelque chose qui ne me plaît pas du tout à voir un texte refusé par la terre entière. Et comme Flammarion avait publié Mammifères, cela allait de soi de publier celui-ci. C’est un roman où le personnage rentre dans un délire d’extrême droite, oui, mais précisons-le clairement : c’est une fiction. 3.07.2013 les inrockuptibles 53

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la vibe secrète des jeunes Les frères Lawrence de Disclosure, 40 ans à eux deux, publient Settle, premier album paillard et produit à la maison. Ou comment deux gosses ont flanqué la fessée à la dancemusic anglaise. par Ondine Benetier

Latch



ls viennent de virer les vétérans de Daft Punk du sommet des charts anglais et de coiffer au poteau Queens Of The Stone Age dans la course au numéro 1 du top britannique avec leur premier album. Quand on les rencontre, Guy et Howard Lawrence ont pourtant moins l’air de jeunes producteurs aux dents longues que de frêles oisillons à peine sortis du nid. Sourires polis affichés comme au déjeuner de famille dominical, les deux frangins ne retiennent pas leur enthousiasme lorsqu’arrive sur la table une poignée d’amandes au chocolat données par un serveur zélé.

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Le scénario aurait pu être d’une écrasante banalité : produits d’une famille de musiciens, les deux Lawrence grandissent à Reigate, petite ville sans histoire du Surrey dans le sud-est de l’Angleterre. On colle une batterie dans les bras de Guy à l’âge de 3 ans. Quatre ans plus tard, il apprend la guitare, tandis que son petit frère fait de même à la basse et au piano. Guy monte un groupe, donne des cours de batterie dans la cave d’un disquaire et aurait pu terminer sa course comme un énième wannabee Oasis, si son chemin n’avait pas croisé celui des clubs vers 17 ans, autant dire hier. Le choc est brutal pour le gamin qui a grandi avec les disques pop de ses parents. L’aîné des Lawrence se prend le dubstep en pleine face, puis découvre James Blake, SBTRKT, Joy Orbison, TEED et s’initie à la house, embarquant son jeune frère dans son apprentissage. Ils suivent des cours de musique à l’école mais, enfants de la génération Y, c’est sur le logiciel Logic qu’ils donnent naissance à leurs premiers beats. “On a presque tout appris nous-mêmes ou en copiant les autres. On a passé des heures à apprendre à se servir des programmes en essayant de refaire des beats qu’on avait entendus dans certains titres qu’on aimait”, se rappelle Howard. Un premier morceau posté

Latch

Si on décèle bien quelques sursauts d’arrogance toute juvénile chez l’aîné, Guy, on ne peut que très vite lui pardonner ses petits effets de style (bâillements rythmés, étirements appuyés et ton de petit coq) tant ses joues de poupon trahissent son jeune âge. A 19 et 22 ans, les frères Lawrence vivent encore chez leurs parents, mais sont en passe de devenir les maîtres du monde. Ou du moins de leur monde, celui d’une house-music bâtie pour séduire autant les fans de Beyoncé que ceux de James Blake. Un premier morceau, Control, leur avait déjà donné le titre de dauphins de la dance UK en avril dernier et voilà qu’en un seul album, ils viennent d’arracher celui de jeunes rois. De leur chambrette au stade Wembley, en quelques mois.

sur un MySpace moribond lance la machine. Le soutien infaillible d’Annie Mac, présentatrice et DJ de BBC Radio 1, enfonce le clou jusqu’à faire repérer les garçons par SBTRKT, qui leur propose ses premières parties, et par Joe Goddard de Hot Chip, qui sort plusieurs de leurs singles, dont Control, sur son label, Greco-Roman. C’est pourtant Latch, que l’on retrouve sur Settle, qui leur ouvre les charts anglais à l’automne 2012. La recette de Disclosure est maline : bâtir un morceau qui prend sa source dans la house old school et lui coller un refrain pop contagieux. Porté par la voix, jusque-là inconnue, de Sam Smith, et par des beats taillés au cordeau, Latch rafle la onzième place du top single britannique. Quelques mois plus tard, White Noise et You & Me prennent les deuxième et dixième places des charts, déchaînant au passage les foules. “Parce qu’on a grandi avec de la pop des années 70 et 80, c’est inscrit dans nos têtes qu’un morceau doit avoir des couplets et un refrain plutôt qu’une montée et un drop. On est plus sensibles à la

“on essaie de faire de la musique underground qui termine malgré nous en tête des charts”

structure pop qu’à la structure club. C’est une des raisons pour lesquelles nos morceaux sont beaucoup joués à la radio, et c’est aussi pour ça que les gens se sentent plus facilement connectés à notre musique”, avance le cadet de la fratrie. “On a simplement fait la musique qu’on voulait entendre, ajoute son aîné. Quand on a commencé, il n’y avait que des trucs horribles en tête des charts britanniques, comme David Guetta. Aujourd’hui, il y a tellement de chouettes groupes.” S’ils encensent leurs héros, les producteurs J Dilla, Todd Edwards ou Zed Bias, c’est à la jeune garde que le duo fait appel pour apporter une touche pop à sa house pour nuits blanches. En plus de Howard, qui prête notamment sa voix à la classieuse et hypnotisante F for You, et un sample extrait d’un discours de coaching au centre de l’implacable When a Fire Starts to Burn, AlunaGeorge, Eliza Doolittle, Jamie Woon, Ed MacFarlane (Friendly Fires), Jessie Ware et London Grammar se succèdent ainsi sur Settle, qui ressemble autant au top 10 de Hype Machine qu’à un manifeste de la jeunesse anglaise pour qui la frontière entre underground et mainstream n’a plus rien de concret. “On essaie de faire de la musique underground qui termine malgré nous en tête des charts”, ricane Guy.

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the kids are all right Ils ont entre 15 et 22 ans et mettent une raclée à leurs aînés en live, dans les ventes ou sur les réseaux sociaux. Portraits de futurs tenants de l’industrie musicale.

Shamil Tanna

King Krule

Rascals l’enfance du rap Ils ne dépassent pas 60 ans à eux trois, traînent avec Dizzee Rascal depuis leurs 7 ans et rappaient déjà quand leurs camarades de classe jouaient encore à la marelle. Les Rascals – anciennement Lil’ Rascals – ont connu leur quart d’heure de gloire lorsqu’ils ont participé, à 12 ans à peine, au titre Bang Your Headz, gros succès en Angleterre. De Bow, cœur cockney des faubourgs londoniens, berceau du grime et des radios pirates, ces gosses au flow malin préparent depuis leur invasion : signés chez Virgin avant même la sortie de leur première mixtape, les Anglais ont prouvé avec le titre Ape Shit qu’il fallait désormais compter sur eux. Raid prévu très bientôt. www.rascalsofficial.com

Madeon le prince du live “A 19 ans, le mec fait déjà des concerts sold out à Las Vegas !”, s’était écrié le vieux Diplo lorsqu’on avait évoqué le jeune Madeon lors d’une récente interview. Moins de 20 printemps au compteur et le Français, qui compose depuis ses 11 ans, a déjà écumé les clubs et les festivals de la planète avec son electro

maison et le mash-up Pop Culture qui l’a lancé (presque vingt millions de vues sur You Tube !). De Coachella aux premières parties de Lady Gaga (!), les concerts du Nantais affichent complet sans que le jeune homme – qui n’a sorti qu’un ep l’an passé – ait un seul album en poche.

King Krule le dauphin touche-à-tout La date de sortie de son premier album, 6 Feet Beneath the Moon, n’a pas été choisie au hasard : le 24 août, King Krule aura 19 ans, un âge auquel tous ses copains se demandent encore ce qu’ils vont bien pouvoir faire de leur vie. Archy Marshall, lui, a trouvé depuis 2010 et ses premiers pas sous le nom de Zoo Kid. Avec sa blue wave profonde et sa voix de slacker, le jeune Anglais semble aussi à l’aise dans le spleen que sur le post-dubstep du second album de Mount Kimbie à qui il a prêté son timbre de fumeur de Gitanes. Nominé au prestigieux BBC Sound of 2013 qui annonce les plus gros espoirs de l’année, le rouquin a autant les faveurs de Morrissey que de Frank Ocean. Une cour en or pour un futur roi : il est entre les mains de l’équipe d’Adele. album 6 Feet Beneath the Moon (True Panther/XL Recordings/ Beggars), sortie le 24 août www.kingkrule.co.uk

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The Strypes

Sorti sur leur propre label, PMR, et presque entièrement enregistré à la maison, le disque reflète une volonté de donner à la jeunesse britannique de la musique faite par ses pairs : une house libérée des contraintes, parfois pop à outrance, produite finement, mais diablement tapageuse. Mais pas question de se limiter à un public de jeunes poulains : “Une bonne chanson de Disclosure, c’est une chanson qui plaît à la fois à notre mère et à nos potes. On n’enverra jamais un titre à notre manager que nos amis ou notre maman n’aiment pas”, explique sérieusement Guy. Malgré la bienveillance de madame Lawrence, la dance-music anglaise ressemble à un immense terrain de jeux pour ces deux sales gosses. Si Howard s’est gentiment fait remercier par son école pour absentéisme aigu, et que Guy s’amuse à glisser des extraits de films porno dans ses morceaux (What’s in Your Head, made in YouPorn), la fratrie est bien décidée à envoyer balader les clichés de l’EDM (electronic dance music) en incorporant des instruments à son live (l’un à la batterie, l’autre à la basse et au micro) ou en jouant, prises débranchées bien en évidence sur le sol, face au stade de Wembley lors d’une fête de la radio Capital FM, où on leur avait demandé de se plier au jeu du playback. “On a grandi en jouant de plusieurs instruments donc c’était impensable pour nous de ne pas en avoir sur scène. Je crois que c’est en voyant Mount Kimbie que j’ai réalisé qu’on pouvait faire de la musique électronique tout en y incorporant des instruments live. C’était fascinant de les voir sortir une guitare au milieu de toutes leurs machines. Je me rappelle m’être dit : mais qu’est-ce qu’ils foutent ? Ils jouent de la guitare alors qu’ils font de la dance-music. Il faut que j’appelle Howard !” Et son petit frère de conclure dans un rire : “Et puis jouer notre musique live, c’est aussi une manière de montrer qu’on est bien à l’origine de ces titres, qu’on les a écrits et qu’on sait les jouer, pas comme d’autres que je ne citerai pas.” Et toc. album Settle (PMR/Island/Barclay/Universal) concerts le 7 juillet à Belfort (Eurockéennes), le 17 août à Saint-Malo (Route du rock)

Jake Bugg et The Strypes les maîtres du old school

XXYYXX le boss des réseaux sociaux Déjà 160 000 potes sur Facebook, des vues par millions sur YouTube, plus de 80 000 followers et pas un titre en dessous de 35 000 écoutes sur Soundcloud (son remix de Beyoncé atteint tranquillement les 270 000 écoutes) : XXYYXX, alias Marcel Everett, n’est boosté par aucun label, mais a déjà sorti deux albums à 17 ans. Sans la moindre promo, sans tournée, l’Américain originaire de Floride distille ses remixes et ses morceaux à l’electro sensuelle et minimale de sa chambre d’ado directement sur internet. Et trouve son public là où il passe le plus de temps : derrière son écran. xxyyxx.bandcamp.com

D’un côté Jake Bugg, 19 ans, de l’autre The Strypes, entre 15 et 16 ans : pas besoin d’avoir dépassé la moitié de siècle pour célébrer Johnny Cash ou le blues des sixties. Si l’on attend encore de voir ce que donneront les jeunes Irlandais à la sortie de leur premier album en septembre, Bugg, lui, a déjà raflé la mise en 2012 avec son premier disque en se classant numéro un des charts britanniques – depuis vendu à plus d’un million d’exemplaires. Soit plus que l’œuvre solo de Liam Gallagher. album Jake Bugg (Mercury/Universal) ; Blue Collar Jane (Rocket Music/Mercury/Universal) jakebugg.com thestrypes.com

Only Real le chef de bande “Baby music for babies”, annonce sa présentation Facebook. On ne le contredira que sur un point : à 22 ans, Only Real a dépassé depuis quelques années le stade de poupon. Avec sa tête d’éternel gamin, le Londonien se fiche pourtant pas mal du monde des adultes. Entre son entêtement à ne pas répondre aux sollicitations des maisons de disques qui lui courent après depuis deux ans, ses heures passées au skate-park et celles consacrées à faire “de la musique à guitares pour ceux qui n’aiment pas les guitares”, Niall Galvin s’est aussi constitué une armée de fans transis qui mangent, s’habillent et dorment Only Real. Un retour de l’esprit de meute enfiévrée comme celle qui avait suivi WU LYF en 2011. Ça promet. soundcloud.com/onlyreal

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maman, j’ai raté la vie ? Acteur à 4 ans, star à 10, retraité à 14 : retour sur le parcours hors norme de Macaulay Culkin, enfant chéri de l’Amérique avec Maman, j’ai raté l’avion, aujourd’hui quasiment disparu des écrans radars. par Romain Charbon et Jean-Marc Lalanne

E  

nveloppé d’une gabardine noire, blond et pâle, le jeune homme arpente les trottoirs parisiens du Xe arrondissement. Parce qu’il nous a semblé le reconnaître, on le suit, glissant devant les devantures vitrées des coiffeurs africains entre Château-d’Eau et StrasbourgSaint-Denis. Pourtant, personne sinon nous ne se retourne sur son passage, ni n’identifie celui qui fut, il y a vingt ans, dans le top 5 des acteurs les mieux payés d’Hollywood. Nul ne sait très bien ce que Macaulay Culkin – car oui, c’est bien lui – trafique à Paris. Il se promène, il semblerait qu’il n’ait pas grand-chose d’autre à faire. Depuis quelques mois, il a quitté New York et circule en Europe. La rumeur colporte qu’il fut temporairement le roommate d’un autre exilé parisien, Peter Doherty. En mars dernier, les yeux dissimulés par des lunettes à monture rouge et le crâne curieusement surmonté d’une queue de cheval courte et haute, on l’apercevait à l’inauguration de la foire du Trône. L’ancienne star de cinéma y croisait des people d’aujourd’hui, pourtant quasiment de son âge : Cindy de Secret Story 3, Alban et Amélie des Anges de la téléréalité 5… En avril, il suivait son ami Adam Green en tournée sur les routes britanniques. Lors du concert de Brighton, le folk-singer au look de rabbin (chapeau noir et petite barbe) invite même Macaulay à le rejoindre sur scène. Ensemble, ils se lancent dans une version un peu approximative, comme dans un karaoké arrosé, du Kokomo des Beach Boys. Sur scène (la vidéo est sur YouTube), il paraît aux anges. Dégingandé, malhabile

quand il bouge (un comble pour un garçon qui a fait très tôt de la danse classique), il ressemble encore à un adolescent qui se marre sans se défaire complètement de son mal de vivre. L’allure a gardé quelque chose d’enfantin, mais les traits sont tirés et émaciés. On peinerait à lui donner un âge. Macaulay a un peu tous les âges. Venant à peine de franchir la trentaine – 33 ans en août prochain –, il ne saurait être vieux. Retraité du cinéma depuis vingt ans, survivant fantomatique de son propre mythe d’enfant star du siècle dernier, il ne saurait non plus être seulement jeune. Macaulay Culkin naît à New York, l’été 80 donc (celui d’Upside down de Diana Ross et de Call Me de Blondie), dans une famille où rien ne compte sinon la précocité artistique. Son père, Christopher Culkin, dit Kit, a étudié la danse à l’American Ballet de NYC (comme Macaulay trente ans plus tard), fait de la figuration enfant au théâtre et à la télé, apparaît même adolescent au détour d’une scène de West Side Story (1961). La suite de la carrière de Kit sera plus clairsemée. C’est dire s’il va s’employer à mettre la pression à sa progéniture pour accomplir le destin d’enfant star qu’il a convoité mais foiré pour lui-même. Peut-être pour maximiser les chances d’engendrer une étoile, Christopher Culkin et sa compagne Patricia ont pas moins de sept enfants. Macaulay est le troisième, et tous font des panouilles dans des pubs, des films… Après plusieurs seconds rôles très jeune, dès 4 ans, dans des séries puis des films (on se souvient peut-être de lui en fils de Tim Robbins dans L’Echelle de Jacob d’Adrian Lyne), Macaulay décroche la timbale, à 9 ans, dans le rôle du petit Kevin McCallister de Maman, j’ai raté l’avion (1990).

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Courtesy galerie du Jour agnès b.

Macaulay Culkin shooté par Harmony Korine. Sans titre, série Bad Son, 1998

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Avec près de 300 millions de dollars engrangés sur le seul sol américain, le film s’impose comme le plus gros carton de l’année 1990. Les années qui suivent sont donc logiquement celles de la Culkinmania et, dans la foulée, Macaulay porte vers les cimes du box-office un mélo bucolique en culotte courte, My Girl (1991), où il donne son premier baiser à une petite fille qui a perdu sa maman. Le dénouement, qui voit le jeune garçon attaqué par un essaim d’abeilles et succomber à ses piqûres, fait pleurnicher l’Amérique prépubère. Et, en 1992, le petit Kevin revient dans Maman, j’ai encore raté l’avion (eh oui ! ses parents indignes sont partis une seconde fois en vacances en l’oubliant à la maison, LOL), pour lequel Macaulay touche 3,5 millions de dollars. C’est désormais son père qui gère sa carrière, et ses manières brutales dans les négos le font détester du tout-Hollywood. Après le triomphe programmé de la suite de Maman, j’ai raté l’avion, les cachets de Macaulay flambent encore. C’est pour 8 millions de dollars par film qu’on obtient ses mines mignonnes tout en haussements de sourcils. Il est urgent de battre le fer tant qu’il est chaud car la grâce enfantine est la plus périssable de toutes et, dès l’année suivante, la charmante physionomie miniature de Macaulay subit tout un tas de poussées et d’élongations. L’adolescence pointe son nez menaçant, à la plus grande frayeur du clan Culkin, qui aurait bien aimé que le poussin aux œufs d’or ne se métamorphose pas si vite. Pour prendre de vitesse ce fléau naturel, Kit Culkin

Collection National Gallery (Oslo)/Rue des Archives/ADAGP

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A l’époque, l’empire Disney ne s’est pas encore complètement refait une santé (Aladdin et Le Roi lion sont à venir), Pixar est embryonnaire et Dreamworks n’existe pas. Le film a pour lui la voie royale du marché enfantin et familial – tout être humain né entre 1980 et 1995 a dû voir le film en VHS entre cinq et huit fois avant ses 10 ans. Produit par le roi du teen-movie John Hughes (Breakfast Club, La Folle Journée de Ferris Bueller), réalisé par Chris Colombus (bientôt maître d’œuvre d’innombrables blockbusters, de Madame Doubtfire aux premiers Harry Potter), Maman, j’ai raté l’avion exauce un fantasme enfantin basique, celui de voir sa famille entière disparaître par magie et de se retrouver le Robinson de sa propre maison, désertée, convertie en territoire à la fois fabuleux (où tout est permis, sauter partout, regarder des films d’horreur, engloutir tout ce que le réfrigérateur recèle de sucré) et terrorisant (dehors, le danger rôde et pourrait s’immiscer). Idéal incarné par Macaulay Culkin, parfait chérubin blond pour l’Amérique blanche et chrétienne, assez irrésistible en bout de chou facétieux, prompt à toutes les acrobaties. Subissant les assauts d’une paire de cambrioleurs peu finauds (en tête, Joe Pesci), il glisse parmi les meubles comme une petite créature de cartoon, poursuivant en prise de vue réelle les antiques courses de Tom et Jerry. Parmi les mille pitreries de Macaulay/Kevin, l’une d’elles frappe l’esprit, au point de figurer sur l’affiche : au pic de l’affolement, l’enfant hurle en appuyant ses mains sur ses joues. Les doigts effectuent une pression sur le visage de sorte que les traits paraissent tirés vers le bas. La figure, en proie à une légère déformation, semble couler. On dirait Le Cri d’Edvard Munch. Ou encore le masque allongé du tueur de Scream (qui n’existe pas encore). Quelque chose de très pictural et assez inquiétant nuance en tout cas d’un peu d’effroi l’aimable pantalonnade.

le cri  Dans la plupart de ses films, et parfois plusieurs fois par film, Macaulay Culkin pousse un cri : son cri. Ses mains appuient sur ses joues en les déformant, le visage coule. La posture évoque un autre Cri, celui du peintre expressionniste norvégien Edvard Munch (1893)

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Avec Michael Jackson aux Bermudes, en 1991. Ils furent amis jusqu’à la mort du chanteur en 2009

et son fils prennent un risque maximal en tournant un thriller retors à destination d’un public plus adulte, Le Bon Fils. Le tour de force tient à un contre-emploi absolu : l’adorable Macaulay y joue le rôle d’un enfant psychopathe et criminel ! Totalement tordu, quasiment gothique (tendance Rebecca d’Hitchcock), Le Bon Fils (1993) est un film assez fou et étrangement parlant sur la période difficile que traverse la jeune idole. Comme cet enfant déstabilisé par l’arrivée dans sa famille d’un cousin dont il craint qu’il lui vole l’amour de sa mère, Macaulay est une star menacée. L’ironie ultime est que dans le rôle de la menace, un jeune acteur de six mois son cadet fait son apparition, qui connaîtra ensuite la gloire qui va échapper à Macaulay : Elijah Wood. Acteur depuis le plus jeune âge, Elijah Wood fait partie de ces dizaines d’enfants lancés pour devenir le nouveau Macaulay Culkin ; il est le seul qui fera une véritable carrière et Le Bon Fils montre ce passage de relais sous forme d’un affrontement à mort. Avec son finale infanticide hallucinant qui voit Macaulay tomber dans un ravin et s’écraser, le film marque un coup de frein au box-office du wonderkid. La baisse de régime tourne à la cata avec Casse-Noisette (1993), qui tente d’optimiser ses talents de danseur : 20 millions de dollars de budget, 2 de recettes. Si les films suivants redressent un peu la barre, aucun ne dépasse les 50 millions de dollars (six fois moins que les Maman, j’ai raté…). Le sort en est jeté : fin 94, âgé de 14 ans, Macaulay prend la décision de suspendre sa carrière. “J’en plaisante souvent, mais oui on peut dire que j’ai pris ma retraite à 14 ans”, dira-t-il dix ans plus tard – lors d’une des rares interviews accordées depuis son retrait des écrans – au show télé de Larry King. Il y évoque ce jour où, se promenant avec sa mère, il parle de ses projets de vacances.Elle lui dit que cela est impossible car il doit tourner un film. Il décide

McReight/Rex/Sipa

la grâce enfantine est vite périssable et, dès 1993, la charmante physionomie de Culkin subit poussées et élongations de ne pas le faire et sa mère le soutient, face à l’autorité de son manager de père qui prend la nouvelle comme un camouflet et un avis de licenciement. Le couple ne survit d’ailleurs pas à cet obus. Christopher Culkin et Patricia se séparent courant 95 et engagent une bataille juridique de chiffonniers pour se disputer la garde du plus précieux de leurs sept enfants, et surtout la gestion de sa fortune personnelle, estimée alors à 17 millions de dollars. En attendant l’issue juridique, Macaulay va du domicile de l’un à celui de l’autre et son adolescence, elle, ne va pas sans souci. Dans une édition de mai 96, le Chicago Tribune recense toutes les bêtises accumulées en quelques mois par le garçon de 15 ans : il fait des graffitis sur les murs de l’appart familial, se teint les cheveux en bleu, boit des bières, sèche l’école… Plus grave, il appelle un jour la police pour se plaindre d’être battu par son père. Des officiers du NYPD débarquent dans l’appartement de l’Upper West Side pour demander des comptes à Kit Culkin. Celui-ci finit par confesser avoir giflé son fils pour qu’il range sa chambre. Bien que ne portant pas de traces de blessures physiques, Macaulay maintient ses accusations de maltraitance. Une plainte est déposée et Culkin senior doit comparaître au tribunal. S’il ne sera jamais inculpé pour maltraitance, l’épisode ne plaide pas vraiment en sa faveur dans le conflit juridique qui l’oppose à son ex-compagne pour gérer la fortune du fiston. Lequel fiston se jette à son tour dans la bataille : à 16 ans, il amorce une procédure d’émancipation afin de se libérer du joug parental. Il obtient gain de cause et peut disposer de sa fortune avant l’âge de sa majorité. Que faire après avoir tiré un trait sur sa vie de star puis sur celle de fils méritant et fructueux ? S’inventer à toute allure une vie d’adulte à soi, quitte à brûler un peu les étapes. En 1998, à moins de 18 ans, il épouse la comédienne Rachel Miner (pour divorcer deux ans plus tard). La même année, il ressuscite devant les caméras, mais pour imposer une image à l’encontre de celle, rassurante et policée, de ses jeunes années. Harmony Korine le filme pour un clip des Sonic Youth : Sunday. Le très beau plan-séquence inaugural le montre s’observant, un peu médusé, dans un miroir. Son visage s’est allongé mais on reconnaît le kid des early nineties. Néanmoins, l’œil est vitreux. Plus tard, il roule longuement une pelle à une jeune fille, joue à humecter ses grosses lèvres de sa langue indolente, gratter un peu la guitare aux côtés de Thurston Moore. Il paraît 3.07.2013 les inrockuptibles 63

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sortir d’un inédit de Larry Clark, tombé d’un roman sulfureux de Dennis Cooper, anticipe même les rêveries mortifères autour de l’adolescence de Gus Van Sant. Dans la foulée, Harmony Korine en fait un de ses modèles privilégiés et publie un album de portraits de lui avec son épouse Rachel, intitulé The Bad Son – un clin d’œil à son film Le Bon Fils et une référence à ce qu’il semble devenu : un fils divorcé de ses parents, un “mauvais garçon” autour duquel planent des rumeurs de débauche et de toxicomanie. De fait, il est arrêté en septembre 2004 dans la ville d’Oklahoma en possession de quelque 17 grammes de marijuana, de xanax et de clonazepam. Dans ses interviews, il dément pourtant cette réputation de grand junkie fréquemment relayée sur le net. En juin dernier, Twitter allait même jusqu’à annoncer son décès. D’autres sites racontent que sa consommation de stupéfiants serait décuplée depuis sa rupture avec l’actrice Mila Kunis (That ‘70s Show, Black Swan) après huit ans de vie commune. Son père, dont le jeune homme disait chez Larry King qu’il ne souhaitait plus le revoir, s’inquiétait sur le site InTouch, l’an dernier, non sans opportunisme, de son état de santé. Mais la part la plus fascinante du trajet de Macaulay Culkin tient peut-être à l’amitié qui le lia pendant près de vingt ans à Michael Jackson. C’est lorsque l’enfant était au faîte de sa gloire que la pop-star entreprit de le rencontrer et lui proposa, en 1991 (entre les deux Maman, j’ai raté l’avion), de jouer dans le clip de son tube Black or White. Dès lors, Macaulay et Michael deviennent amis et l’enfant est reçu fréquemment à Neverland. Dans ses interviews, il dit que c’est un des endroits où il s’est senti le plus à son aise, le mieux protégé. Il raconte aussi que Michael pouvait mieux que quiconque comprendre la pesanteur de la relation à son père. Lorsque le chanteur est accusé de pédophilie en 1993 puis en 2003, Culkin ira chaque fois témoigner en sa faveur. “Oui j’ai dormi dans sa chambre, mais vous ne comprenez pas qu’elle s’étend sur deux étages, comprend trois salles de bains.” Devenu adulte, Macaulay reste proche du chanteur, qui lui propose même de devenir le parrain de deux de ses enfants, Prince Michael et Paris. A la mort de l’idole, en juin 2009, The Sun affirme même que Macaulay aurait fait don de son sperme et serait le père biologique d’au moins un de ses enfants. L’hypothèse est séduisante et il serait assez beau qu’après avoir congédié juridiquement son propre père, le jeune homme délègue à un autre (et pas la plus conventionnelle des figures parentales)

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après l’avoir filmé pour un clip des Sonic Youth, Harmony Korine en fait un de ses modèles privilégiés

En février 2006, West Hollywood, avec Mila Kunis (Black Swan…), sa petite amie de l’époque. Selon certains tabloïds, leur rupture aurait intensifié son addiction aux drogues dures. En août 2012, The National Enquirer en faisait même une couve choc

le soin de sa paternité. Mais dans les jours qui suivent ces allégations, via le site TMZ, Culkin dément vigoureusement ces rumeurs. Entre les destins de Jackson et Culkin, les rimes sont nombreuses : gloire précoce, figure abusive d’un père manager, harcèlement médiatique… Pourtant, quelque chose de symétriquement inverse se fait jour. Michael Jackson avait déifié l’enfance, organisé son monde de façon à en faire perdurer pour toujours l’illusion. D’une certaine façon, Culkin n’a jamais fait que l’inverse. Très tôt, il s’est attaché à liquider tous les reliquats de l’enfance : en devenant le plus jeune retraité du monde, en défaisant juridiquement les liens qui l’attachaient à ses parents, en se mariant et divorçant avant l’âge de 20 ans, en faisant de toute sa vie une sorte de longue troisième mi-temps, d’interminable après-match où tout est déjà joué. Si cet été, au hasard d’une balade parisienne, vous veniez à le croiser dans une rue, surtout ne l’interpellez pas. Dans une interview accordée au site New York Magazine, lors de la sortie en 2007 de son attachant autoportrait littéraire intitulé Junior, il déclarait : “J’ai travaillé à me dissocier mentalement de ‘Macaulay Culkin’. A tel point que si quelqu’un m’appelle comme ça dans la rue, je ne répondrai pas. Quand j’avais 14 ans, j’ai arrêté, j’ai dit que je ne recommencerai jamais. Alors dites à mon propos ce que vous voulez. Que je suis un fou, que je suis un drogué. Je m’en fous complètement. Ce n’est plus de moi que vous parlez, mais de vous. Alors allez-y, amusez-vous bien…”

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Gaillard/IP/Starface

A Paris, le 29 mars 2013, pour le 50e anniversaire de la foire du Trône

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Le Congrès d’Ari Folman Une fable sur le vertige des nouvelles images, qui se clôt en mélo déchirant. Par le réalisateur de Valse avec Bachir. a commence par des larmes : celles de Robin Wright, sermonnée par son agent (Harvey Keitel, attachant brontosaure aussi largué que sa cliente) qui lui reproche d’avoir, depuis trop longtemps, fait de mauvais choix de carrière. Tout cela, cependant, n’aura bientôt plus d’importance, puisque de choix il n’y aura plus : il y aura ceux qui se seront pliés au nouvel ordre cinématographique et qui, scannés par quelques grands studios (en l’occurrence “Miramount”), verront leurs avatars numériques agir indépendamment sur des écrans toujours plus envahissants ; et puis il y aura les autres, au chômage. Larmes d’un personnage, larmes d’une actrice ? Malgré les incessants démentis de l’intéressée (“Ce n’est pas moi, ce n’est pas moi”, répétait-elle à Cannes, où le film fit l’ouverture opportune de la Quinzaine des réalisateurs), il est impossible de ne pas voir dans cette fiction, imaginée par

le méphistophélique Ari Folman, un décalque quasi identique de la réalité. Jugez : Robin Wright s’appelle ici Robin Wright, elle a explosé, nous dit-on, dans Princess Bride et Forrest Gump, et elle est une mère divorcée qui a refusé les bons rôles pour élever ses deux enfants. Sachant qu’elle – la vraie – s’est également fait “scanner” pour deux films de Robert Zemeckis (La Légende de Beowulf et Le Drôle de Noël de Scrooge), cela fait beaucoup de coïncidences… En fait, ce tremblement est le premier d’une longue liste, qui n’ambitionne pas moins que d’exploser la paroi, de plus en plus fine, entre réel et fiction, dans la lignée des films de Satoshi Kon (Perfect Blue), des romans de Philip K. Dick ou, donc, de Stanislas Lem, dont Folman adapte ici librement Le Congrès de futurologie. Pendant une première demi-heure très enlevée, drôle, grinçante, et somme toute modeste, le film suit l’actrice hésitante, de réunions de travail en scènes de famille, se demandant si elle doit ou non céder

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Robin Wright

aux sirènes du scan. Les films de SF débiles qu’on lui promet sont-ils pires que les pensums sur le nazisme où elle s’est déjà illustrée ? Pas sûr. Finalement, une mise en application dudit scan – plus beau portrait de la sweet texan blond dont on pouvait rêver – conclut superbement cette première partie. Puis le film change de registre, presque d’argument. Vingt ans plus tard, nous voilà passés de la “prise de vue réelle” (drôle d’expression, au demeurant, comme si une image pouvait être réelle…) à l’animation. Une animation au style cartoonesque, joliment désuet et au bord de la saturation baroque, qui pastiche le dessin des frères Fleischer (Betty Boop, Popeye, etc.). Dans le futur, imagine Folman, quelques grands conglomérats orchestreront la fusion entre cinéma et psychotropes, fournissant à des armées de spectateurs-zombies un spectacle permanent, substituant à leurs regards un monde qui s’accordera enfin, et cette fois-ci pour de bon, à leur désirs. Tu rêves d’être Clint Eastwood, d’avoir des ailes ou de voir les femmes comme dans un tableau de Picasso ? Easy. On aurait cependant tort de ramener le propos du film à un platonisme caricatural : ce bon vieux monde tangible menacé par les ombres aliénantes,

le cinéaste ne cesse de se demander si l’illusion ne serait pas, au fond, préférable à l’insoutenable réel blablabla. Au contraire, l’auteur de Valse avec Bachir ne cesse de se demander si l’illusion ne serait pas, au fond, préférable à l’insoutenable réel. Surtout, plutôt que de s’appesantir sur les implications philosophiques, il se jette corps et âme dans les yeux mélancoliques – mais jamais nostalgiques – de son actrice, embrassant ses destinées sur plusieurs décennies. L’emballement narratif (et graphique) qui en résulte – et risque, avouons-le, d’en perdre certains – est ce qu’il y a de plus vertigineux dans Le Congrès. Ce moment où, toutes amarres larguées, rien n’importe plus qu’une mère à la recherche fébrile d’un fils, réminiscence d’un petit robot désespéré en quête de sa mère dans A.I. Et finalement tout se terminera par des larmes : les nôtres. Jacky Goldberg Le Congrès d’Ari Folman, avec Robin Wright, Danny Huston, Harvey Keitel (E.-U., 2013, 2 h) 3.07.2013 les inrockuptibles 67

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Frances Ha

de Noah Baumbach De la Nouvelle Vague à Woody Allen, un kaléidoscope inspiré et jubilatoire d’émois cinéphiles emporté par l’irrésistible Greta Gerwig.



arfois coscénariste de Wes Anderson (La Vie aquatique, Fantastic Mr. Fox), Noah Baumbach réalise des films moins délirants, moins graphiques, moins ancrés dans un imaginaire enfantin que le dandy texan, même si l’on y sent comme chez Anderson un vrai tropisme cinématographique pour la France. Baumbach avait auparavant réalisé Les Berkman se séparent et Greenberg. Ses personnages, descendants évidents de Jean-Pierre Léaud et de Woody Allen, d’Anna Karina et de Diane Keaton, tentent de réussir leur vie dans un quotidien, une société auxquels ils cherchent courageusement à s’intégrer, presque à s’agripper, comme s’il s’agissait d’un train en marche bien décidé à ne jamais ralentir pour les aider à monter. Ils sont névrosés, le savent, mais ça ne les aide pas beaucoup – sinon à garder patience,

courage, et à continuer vaille que vaille. Ici, le côté allénien et Nouvelle Vague du film est renforcé par le noir et blanc, quelques scènes parisiennes, des airs de jazz ou la musique composée par Jean Constantin pour Les Quatre Cents Coups de Truffaut. De ce point de vue-là, Frances Ha est tout aussi touchant, agréable et familier qu’agaçant pour un spectateur français qui pourrait n’y voir qu’une traduction branché intellectuel new-yorkais de classiques Nouvelle Vague et post-Nouvelle Vague (Carax compris, le film reprenant la course urbaine de Mauvais sang sur le Modern Love de Bowie). Bien sûr, la Nouvelle Vague reste un sujet très sensible en France, sans doute parce que, cinéphile ou cinéaste, tout le monde se sent un jour contraint, souvent malgré soi, de se positionner par rapport à elle, et que cette obligation peut s’avérer très lourde symboliquement,

ne serait-ce que parce qu’elle semble inévitable. Alors oui, la légèreté du regard de Baumbach sur le sujet tranche forcément avec le surmoi pesant que ressentent les Français… Mais voilà : il y a aussi Greta Gerwig dans le coup. Greta Gerwig, compagne de Baumbach (on s’en fiche), coscénariste et interprète principale du film (ça nous intéresse). Elle jouait déjà dans Greenberg, mais elle est ici le courant d’air frais qui emporte le film ailleurs que dans une série d’hommages un peu stériles. Nous voici ainsi dans un film de filles. L’histoire : une jeune femme de 27 ans, Frances, rêve de devenir un jour chorégraphe, de monter sa propre compagnie. Mais elle rêve surtout. Pas tout à fait sortie de l’enfance, elle partage son appartement avec une coloc, Sophie. Elles s’adorent et font les folles. Mais un jour, Sophie s’en va. Frances doit quitter l’appartement. Comment va-t-elle faire pour se

débrouiller seule et réussir sa vie, ne serait-ce qu’entrer dans sa vie ? Le scénario décrit avec subtilité et délicatesse la relation à épisodes entre Sophie et Frances. Mais tout l’intérêt du film réside surtout dans ce personnage un peu loufoque, perdu et pourtant obstiné, et dans l’interprétation très physique qu’en donne Greta Gerwig. Cette jeune paumée new-yorkaise, certes fille de Marie Rivière dans Le Rayon vert ou de Mia Farrow dans Hannah et ses sœurs, est avant tout Frances, une figure très actuelle, incarnée en la seule personne de son actrice. C’est grâce à elle que le film se dépasse lui-même. Enfin, saluons le dernier plan – ingénieux, complice, touchant – du film, qui donne tout son sens au titre. Jean-Baptiste Morain Frances Ha de Noah Baumbach, avec Greta Gerwig, Mickey Sumner… (E.-U., 2012, 1 h 26) lire aussi le portrait de Greta Gerwig p. 40

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Ingrid Bergman et George Sanders dans Voyage en Italie

voyage, voyage Voyage à Tokyo d’Ozu et Voyage en Italie de Rossellini, sortis à un an d’intervalle au début des années 50, retrouvent ensemble le chemin des salles. Deux manifestes discrets de la modernité cinématographique.



oulez-vous voyager dans le cinéma moderne ? Les hasards de la distribution proposent cette semaine deux billets avec embarquement immédiat. Par ordre d’apparition sur les écrans, on commencera par Tokyo. Un couple de retraités quitte sa ville de province pour rendre visite à ses enfants établis dans la grande métropole. Tout ne baigne pas dans le bonheur et l’harmonie au sein des familles pressurisées par le “miracle économique” japonais de l’après-guerre. Fils et fille sont occupés par leur travail et leurs propres enfants. Tournés vers le présent et l’avenir, ils n’ont pas le temps, ni peut-être le désir, de s’occuper de leurs vieux parents. Mélo en sourdine antifamilialiste, Voyage à Tokyo serait-il un éloge réactionnaire de la vieillesse ? Non, parce qu’Ozu ne filme pas sur un ton dénonciateur, revendicatif ou définitif. Sa modernité (ou sa nipponité ?) réside dans sa délicatesse de style, un mélange de douceur et d’acuité qui respecte chaque personnage dans toutes ses raisons. Ainsi, la génération des quadras semble froide, matérialiste, mais Ozu leur accorde aussi du temps pour que l’on comprenne leur situation. Parmi eux, la bru, veuve d’un autre fils décédé du vieux couple, se montre attentionnée, parce qu’elle a plus de temps disponible : ce personnage atteste que le cinéaste ne condamne pas une génération. Plutôt que l’essence des êtres, Ozu dénonce (à voix feutrée) le contexte socio-économique du Japon, qui modèle les gens et déchire l’ancien modèle familial. Empreint d’un certain fatalisme, Voyage à Tokyo saisit avec finesse la solitude de la vieillesse mais semble l’inclure dans un cycle inhérent à l’existence.

Après l’implosion de la famille, celle du couple. Réalisé un an après le Ozu, Voyage en Italie documente la lente et inexorable séparation entre Katherine et Alexander, joués par les immenses Ingrid Bergman et George Sanders, aussi géniaux sous le regard acéré et dépouillé de Rossellini que sous les ors hollywoodiens. On dit souvent à un couple qui bat de l’aile qu’il devrait faire un voyage pour se ressourcer. Sous la caméra impassible de Rossellini, le voyage est ici au contraire le révélateur (y compris au sens photographique du terme) de l’agonie d’un amour. Laconique, minimal en dialogues, comportementaliste, refusant le psychologisme et les habituelles péripéties d’une fiction classique, Voyage en Italie est un film de l’intériorité, du non-dicible. Voir la scène bouleversante où Katherine prend conscience de la faillite de son couple en découvrant le fossile d’un couple de Pompéi enlacé depuis des siècles : il faut un tiers “révélateur” pour qu’un couple ne résiste plus à la pleine compréhension de ce qui se passe en lui. Film en partie autobiographique (Bergman était Mme Rossellini), le plus antonionien de Rossellini (sauf en ce qui concerne le “miracle” de la fin), Voyage en Italie était sorti dans une relative indifférence, seulement défendu (avec fougue) par Rivette et Truffaut. Aujourd’hui, ce film est l’un des plus éclatants fleurons de la modernité cinématographique. Serge Kaganski

Chieko Higashiyama et Chishû Ryû dans Voyage à Tokyo

Voyage à Tokyo de Yasujirô Ozu, avec Chishû Ryû, Chieko Higashiyama (Jap., 1953, 2 h 16, reprise) Voyage en Italie de Roberto Rossellini, avec Ingrid Bergman, George Sanders (It., 1954, 1 h 37, reprise)

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en salle quoi de neuf, doc ? Marseille met sa blouse blanche, sort son stéthoscope et ausculte le monde. Le Festival international du documentaire propose, toute cette semaine, cent cinquante films dont beaucoup de premières mondiales. Avec deux mots d’ordre : témoigner du réel et soutenir le cinéma “audacieux, pertinent, insoumis”. Une rétrospective de Pier Paolo Pasolini conduit la sélection des Ecrans parallèles, avec Théorème ou Enquête sur la sexualité. FID Marseille jusqu’au 8 juillet, lieux et programme sur www.fidmarseille.org

hors salle

World War Z

Paris loves cinema Sortez les tambours, les sifflets et les cotillons : le festival Paris Cinéma s’est installé dans la capitale et promet de vous en faire voir, de bons films. Soit six cents heures de projection, une brocante, un ciné-karaoké et des avant-premières de tous les côtés. A noter cette semaine : La Palme d’or 2013 La Vie d’Adèle – Chapitres 1 & 2, une rétrospective Natacha Régnier et un panorama consacré à la Belgique. Paris Cinéma jusqu’au 9 juillet, lieux et programme sur www.pariscinema.org

court mais costaud Au début du parcours de chaque réalisateur, il y a le court métrage. La Cinémathèque de Grenoble célèbre ce format sous la lumière des étoiles, cinq jours durant. Une bonne pelletée d’œuvres toutes fraîches, pour se tenir au courant de ce qu’il se fait de plus inventif parmi la jeune création. En marge, la traditionnelle Nuit blanche reprend le palmarès du Festival international du film d’animation d’Annecy. Festival du film court en plein air jusqu’au 6 juillet, place Saint-André, Grenoble, www.cinemathequedegrenoble.fr

autres films Basilicata Coast to Coast de Rocco Papaleo (It., 2010, 1 h 45), La Dernière Recrue de Luc Murat (Fr., 2013, 1 h 37) Fanny de Daniel Auteuil (Fr., 2012, 1 h 42), Ma meilleure amie, sa sœur et moi de Lynn Shelton (E.-U., 2011, 1 h 30) Pour une femme de Diane Kurys (Fr., 2012, 1 h 50) Rampart d’Oren Moverman (E-U., 2012, 1 h 47) Les Reines du ring de Jean-Marc Rudnicki (Fr., 2012, 1 h 37) White Lie de Nyima Cartier (Fr., 2013, 1 h 15)

de Marc Forster

Brad Pitt inconséquent et bien coiffé dans un blockbuster qui dépolitise et affaiblit la figure du zombie.

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récédé d’un buzz de mauvais augure (budget explosé, guerre froide entre Brad Pitt et le réalisateur, tournage d’une nouvelle fin pour le film), World War Z échappe à l’arrivée à l’accident industriel annoncé. Reste que cette adaptation du roman de Max Brooks (fils de Mel et d’Anne Bancroft, auteur inspiré du Guide de survie en territoire zombie) tient d’un “world work in progress” mal rapiécé. Le défi était de faire d’un film de zombies un blockbuster au moment où les réussites du genre se nichent dans la série TV (The Walking Dead) et le jeu vidéo (Resident Evil). Pour se distinguer, World War Z se la joue global, ouvert et (presque) optimiste, à travers l’enquête globe-trotter de Brad Pitt pour identifier l’origine de la pandémie qui transforme les êtres humains en morts-vivants excités. L’occasion d’y plaider gentiment pour la coopération internationale, en particulier lors d’un passage barré à Jérusalem. Un remake de la chute biblique de Jéricho qui démontre le seul atout (technique) de World War Z : les scènes de foule, les invasions de zombies filmées comme des attentats ou des manifestations qui dégénèrent. Donc, Marc Forster filme les zombies comme des fourmis mais son regard est aussi lointain, resté dans l’hélico,

aussi fixe qu’un jeu PC en “point-andclick” nineties

quand il faut gérer le facteur humain. Soit le vivre-ensemble disloqué, la société réduite à des réfugiés, la barbarie pointant lorsqu’on veut survivre pendant l’apocalypse. L’essence du genre, que l’on trouve dans The Walking Dead. A voir Brad Pitt traverser le monde en touriste, cheveu impeccable, indestructible et fantomatique (comme le reste du casting), c’est raté. Quand World War Z revient aux fondamentaux claustrophobes posés par George A. Romero, l’échec est encore plus patent. Dans ce dernier acte, on évacue la foule et on s’enferme avec les zombies. On flirte explicitement avec le jeu vidéo lorsque Pitt doit appréhender les lieux, faire des plans, y chercher un objet vital. Après avoir couru beaucoup (“le mouvement, c’est la vie”, assène l’ancien employé de l’ONU Pitt), le film ralentit la cadence. En vain. C’est aussi fixe qu’un jeu PC en “point-and-click” nineties (Monkey Island). Brad Pitt en face-à-face immobile avec un zombie, c’est “Je te tiens, tu me tiens par la barbichette”. Un vide, là où le zombie est censé être le miroir de nos anxiétés, de la peur des masses anonymes, appauvries, affamées – le prolétariat des monstres. World War Z est un film catastrophe bancal où les mortsvivants auraient pu être remplacés par n’importe quoi : aliens, clients un premier jour de soldes ou fans trop enthousiastes de Justin Bieber. Léo Soesanto World War Z de Marc Forster, avec Brad Pitt, Mireille Enos (E.-U., 2013, 1 h 56)

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L’Oncle de Brooklyn de Daniele Ciprì et Franco Maresco avec Salvatore Gattuso (It., 1995, 1 h 38)

Le premier film inédit des Siciliens déviants Ciprì et Maresco. La provocation par le primitivisme. omme la lumière des étoiles mortes, origines, alliée à une profonde dérision. la filmographie du tandem Ciprì Dérision qui rejoint la cruauté iconoclaste et Maresco nous parvient avec un long du Buñuel des débuts et la candeur retard. Leur troisième et ultime picaresque de certains Pasolini. long métrage, Le Retour de Cagliostro (2003), Au centre de cette chanson de geste est sorti avant Toto qui vécut deux fois (1998), sado-moyenâgeuse sans réelle trame qui a précédé cet Oncle de Brooklyn (1995). romanesque, il y a une famille, évidemment Parfait complément de Toto, il en partage déglinguée, inactive, à qui la Mafia intime le style, la thématique et la folie. d’héberger un vieil homme étrange et Foncièrement parodique, ce film tente mutique, surnommé “l’oncle de Brooklyn”. de saper sur un mode archaïque, plus L’apothéose de ce happening permanent, primitif que trash, des mythes siciliens tels émaillé de maints morceaux de bravoure que Mafia et religion, en dérapant du (scènes de banquet mafieux avec chanteur côté de la sexualité. Dans ce monde sans nul, rencontre de deux cortèges femmes (leurs rôles sont tenus par des d’enterrement), est une farandole finale hommes), un paysan prostitue son ânesse, sur un terrain vague, avec une musique un autre invective le spectateur et crache à la Nino Rota. Car cette farce sur la caméra. Cette cour des miracles en carnavalesque a aussi des accents noir et blanc, où nains, biscornus, borgnes, felliniens, mais en plus féroce. Au fond, au obsédés, affreux, sales et méchants lieu d’être de purs nihilistes sapeurs de se croisent et se recroisent, est moins tradition, Ciprì et Maresco furent les seuls, un prolongement scato-crado de la dans les années 1990, à perpétuer comédie à l’italienne qu’une régénération les particularismes du cinéma italien venus (ou dégénération) brute du cinéma des du néoréalisme. Vincent Ostria



Jeunesse de Justine Malle avec Esther Garrel (Fr., 2012, 1 h 15)

Exercice autobiographique sensible mais assez fade. La fille de Louis Malle filme celle de Philippe Garrel dans un récit autobiographique. L’illustration d’un épisode douloureux de la vie de la jeune cinéaste : le moment du déclin rapide de son célèbre père, atteint d’une maladie incurable au moment où elle vit ses premières expériences amoureuses, peu exaltées. Au-delà du sujet et de cette histoire de filiation, on est

frappé de voir à quel point Justine Malle entre dans le cinéma à pas feutrés et semble constamment craindre un faux pas (voire comment elle se “couvre” avec un découpage très conformiste). Un travail poli et policé, quasiment neutre, à l’instar de ses personnages de khâgneux

au langage châtié qui font des manières pour baiser (l’un d’entre eux répugne même à dire “coucher”). Ce n’est ni lourd ni mal fait, mais il faut parfois sortir un tout petit peu de ses gonds pour exister. Cette jeunesse posée et compassée n’en a que le nom. V. O. 3.07.2013 les inrockuptibles 73

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Identification d’une femme de Michelangelo Antonioni avec Tomas Milian, Daniela Silverio, Christine Boisson (It., Fr., 1982, 2 h 10)

The Incredible Burt Wonderstone de Don Scardino Carell, Carrey, Buscemi : une belle brochette d’acteurs comiques dans un film à l’humour tout en retenue mais généreux.

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eine de voir The Incredible Burt Wonderstone sortir en VOD tel un objet honteux, alors qu’à l’instar du Monde Fantastique d’Oz le film prend la prestidigitation comme prétexte pour défendre une belle idée de l’entertainment. En surface, c’est un Will Ferrell-movie (la rédemption d’un pauvre type qui se croit pro dans son domaine) dans le monde criard et choucrouté des magiciens de Las Vegas. C’est donc drôle sans se forcer. Carell et Buscemi sont une paire de magiciens de casino cramés après dix ans du même show. Arrive un concurrent flamboyant (Carrey) pour qui “magie = performance maso”. Par exemple, se retenir d’uriner pendant vingt-quatre heures. Il est très question de retenue dans ce duel de styles, magique et comique : un Carrey en héros de cartoon grinçant, tendance Jackass, contre un Carell au bord de l’explosion, occupé à sauver ce qui reste de dignité. The Incredible Burt Wonderstone plaide pour la seconde ligne. Montrer peu en magie comme en humour – à l’instar de James Gandolfini qui, dans son dernier rôle au cinéma,

joue tout sur sa voix et non sur son physique trop évident –, être pudique dans l’introspection. Le film vaut ainsi en autoportrait discret de Carell perplexe sur sa carrière. Comment préserver le comique comme art délicat de la mécanique, ne pas être en pilotage automatique ? La patte Carell a toujours été discrètement originale : physique tendre passe-partout, technique névrosée de Peter Sellers. Il faut le voir agiter ses mains d’illusionniste à la limite du TOC. La part Sellers n’a jamais été aussi éclatante qu’ici. The Party est en ligne de mire (bronzage à la Hrundi V. Bakshi de Carell, reprise du gag du dynamitage de décor), tandis que l’acteur se ressource auprès du maître Alan Arkin (bref interprète intérimaire de l’inspecteur Clouseau). D’où un film pudique et assez généreux : Carrey y est l’ennemi, mais génial et bien mis en valeur en Houdini christique bodybuildé. Léo Soesanto

Dans sa dernière œuvre, Antonioni regarde l’amour et les femmes comme les plus grands mystères de l’univers. Un film formellement éblouissant. Le film Dernier film du cinéaste italien avant l’AVC qui le laissa aphasique jusqu’à sa mort en 2007, Identification d’une femme est en quelque sorte le Huit et demi d’Antonioni, qui y met en scène Niccolò, un réalisateur célèbre fraîchement divorcé qui semble se trouver en panne d’inspiration (l’acteur cubain Tomas Milian). Il va la chercher auprès des femmes (très libérées) qu’il rencontre, en les interrogeant sur leur sexualité. Il a une aventure avec l’étrange aristocrate Miva (Daniela Silverio), qui lui vaut des menaces de la part d’un homme dont il ignore l’identité. Miva de toute façon le laisse tomber quand elle comprend qu’il est incapable d’amour. Il rencontre ensuite Ida (Christine Boisson), une comédienne. L’attrait du film est dans sa mise en images. Antonioni, une fois de plus, met en scène les inconstances du désir, concentre sa caméra sur les femmes, souvent nues, dans des scènes assez crues même pour l’époque. Le film est fascinant, envoûtant (notamment une longue scène où les deux amants principaux se perdent dans le brouillard), presque inquiétant. Antonioni filme l’amour comme un film fantastique, introduit du mystère, de l’ésotérisme et de l’angoisse, capable d’éveiller la peur par un simple mouvement d’appareil. Une recherche formelle passionnante qui se termine d’une façon très étonnante, démontrant une fois de plus (après L’Eclipse ou les fusées de La Notte) que chez Antonioni la cosmologie et les sentiments humains ne font qu’un, l’amour et le désir n’étant qu’une des composantes de notre univers. Le DVD Identification d’une femme n’existait pour le moment pas en DVD dans une édition française. Gaumont en profite pour le sortir également en Blu-ray, bonne occasion pour admirer encore un peu mieux la photo magnifique de Carlo Di Palma. Des suppléments didactiques. Jean-Baptiste Morain Gaumont, environ 23 € en DVD, 26 € en Blu-Ray

The Incredible Burt Wonderstone de Don Scardino, avec Steve Carell, Jim Carrey, Steve Buscemi (E.-U., 2013, 1 h 40), en VOD

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en attendant Mario Les comparses du plombier moustachu, Luigi et Wario, occupent (bien) le terrain cet été sur la Wii U, avant le retour de la star prévu pour Noël.

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n Mario peut en cacher un autre. Si l’on ne compte plus les jeux (de plate-forme, de rôle, de sport…) mettant en vedette le plombier Nintendo, la firme japonaise n’en a pas moins ressenti le besoin de lui inventer des doubles pour tenir certains rôles peu compatibles avec la réputation héroïque du Charlot des jeux vidéo. D’abord lui a été donné un frère du nom de Luigi, grand dadais à casquette verte souvent tourné en ridicule, en particulier dans les (brillants) Luigi’s Mansion, où il affronte les fantômes en claquant des dents. Changement de programme avec New Super Luigi U, qui n’est pas un nouveau jeu mais un “contenu additionnel” à télécharger pour New Super Mario Bros U : la carte du monde ne change pas mais elle abrite 82 nouveaux niveaux et c’est cette fois Luigi qui s’y colle. La logique est celle du remix hardcore, du réagencement inspiré et néanmoins cruel des éléments du jeu (tuyaux, trous, blocs, ennemis…) dont les conséquences sont avant tout d’ordre rythmique. Si l’on y fait la même chose (sauter, courir, ramasser des trésors…), New Super Luigi U ne se pratique pas sur le même tempo que les aventures de Mario. Il faut aller plus vite – on ne dispose que

de cent secondes pour atteindre l’arrivée de chaque niveau – alors même que les sauts flottants de Luigi inciteraient plutôt à flâner. C’est cette contradiction apparente qui fait le prix de New Super Luigi U – en justifiant que son héros ne soit pas Mario. Le cas de Wario est différent. Cet ancien méchant de Super Mario Land 2 (1992) est moins un Mario en négatif que son “ça” incarné, son refoulé, un grossier personnage avide de richesses et qui met ses doigts dans son nez. Il est donc fort logiquement devenu le porte-étendard de la série Wario Ware, dont les micro-épreuves – d’une durée de deux à cinq secondes, pas plus – misent tout sur l’impulsion, la réaction spontanée, pour offrir une réjouissante déconstruction du médium vidéoludique lui-même. Game & Wario en est une sorte de spin-off qui, sous le même habillage, prend la forme d’une collection de défis plus classiques (résoudre un puzzle, repousser des assaillants, faire une descente à ski…) sur lesquels on s’échinera à obtenir le meilleur score possible. Bien que moins ambitieux que les authentiques Wario Ware, le jeu constitue, dans le sillage de Nintendo Land, une agréable démonstration du potentiel de la manette à écran tactile de cette Wii U qui peine à trouver son public. Et sur laquelle le duo LuigiWario est invité cet été à occuper le terrain en attendant le retour, annoncé pour décembre, du vrai Mario. Erwan Higuinen New Super Luigi U sur Wii U (Nintendo), 19,99 € en téléchargement. A paraître en version boîte le 26 juillet Game & Wario sur Wii U (Intelligent Systems/Nintendo), environ 45 €

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La Bible Super Nintendo Editions Pix’n Love, 384 pages, 39,90 € Après s’être penchées, dans de précédentes Bibles…, sur les ludothèques de l’Amiga, de la PC Engine et de la NES, les éditions Pix’n Love passent minutieusement en revue les plus de deux mille jeux tournant sur la Super Nintendo, de Aaahh!!! Real Monsters à Zoop en passant par les classiques Super Mario Kart, Final Fantasy VI, Donkey Kong Country ou Yoshi’s Island. Ce riche ouvrage collectif retrace aussi en détail l’histoire de la console 16-bits lancée au Japon en 1990, en n’oubliant ni les jeux annulés (tel Star Fox 2) ni les versions collector. Et l’on ne se lasse pas d’admirer ses reproductions de pochettes et de publicités d’époque. E. H.

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Grid 2 Sur PS3, Xbox 360 et PC (Codemasters/Namco Bandai), de 40 à 60 € Le jeu de course se met à l’heure des les Anglais de Codemasters ont sites de partage et des réseaux sociaux. élaboré un savant compromis entre Dans Grid 2, le pilote que l’on incarne le poids des véhicules et leur a été repéré sur YouTube et ne maniabilité, qui donne sa personnalité cherche pas à gagner de l’argent mais au gameplay en bravant la vieille des fans au fil de ses prouesses distinction entre arcade et simulation. dans les rues de Chicago, Barcelone Et pour la gloire, c’est sur le vrai ou Paris changées en circuits. YouTube que Grid 2 nous invite à publier Maîtres du genre (avec Dirt, F1, Toca…), nos exploits. E. H.

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DianeKr uger, trèsa ttendue dans The Bridge

un été en séries Retours, nouveautés et rescapés : petit guide subjectif pour affronter une saison télévisuelle chaude.

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egarder des séries sans sacrifier totalement sa vie sociale demande un certain sens de l’organisation mais aussi un minimum d’aide. Puisque l’été reste la saison la plus propice aux marathons d’épisodes, voici une sélection de nouveautés et de retours à ne pas manquer. Les retours Le 11 août est la date la plus attendue par les sériephiles. Ce jour-là commence sur la chaîne américaine AMC la diffusion des huit derniers épisodes de Breaking Bad. Un climax forcément tendu après cinq années folles passées auprès de Walter White, prof de chimie malade d’un cancer devenu “parrain”. Au programme, un affrontement avec son beau-frère, qui a découvert ses activités illégales. “Il y aura du sang”, a prévenu le showrunner Vince Gilligan. Celui-ci a toutefois réussi à garder le secret sur la conclusion de la série, élaborée en petit comité dans la salle d‘écriture de Burbank. Dans un style radicalement différent, on verra la deuxième saison de The Newsroom (à partir du 15 juillet sur OCS à la demande) du grand scénariste Aaron Sorkin (A la Maison Blanche, The Social Network), même si les débuts trop didactiques de cette série HBO sur une chaîne d’info en continu

avaient un peu déçu l’année dernière. Cette fois, le présentateur Vill McAvoy et ses équipes sont confrontés à plusieurs séquences de l’actu des dernières années, comme Occupy Wall Street et la décision de la Cour suprême concernant la loi Obama sur l’assurance maladie. Au détour d’un article récent du Hollywood Reporter, on apprenait qu’Aaron Sorkin prenait toujours six douches par jour pour réussir à écrire et qu’il avait décidé de recommencer la saison 2 à zéro après avoir tourné deux épisodes, insatisfait de ses choix initiaux… Les nouveautés Peu de nouveautés exceptionnelles mais quelques séries à voir, comme l’adaptation par FX de la création suédo-danoise The Bridge – à partir du 10 juillet. Un récit de suspense entre les Etats-Unis et le Mexique qui débute avec la découverte d’un corps… sur la frontière. Au casting, l’intéressante Diane Kruger, qu’on espère retrouver au niveau de sa prestation dans Inglourious Basterds. La présence à l’écriture de l’excellente Meredith Stiehm (Cold Case, Homeland) achève de rendre l’affaire alléchante. De son côté, AMC profite de la fin de Breaking Bad pour lancer le même jour Low Winter Sun, une histoire de flic corrompu à Detroit adaptée d’une minisérie anglaise de 2006. Après la fin de Southland, la création

du quasi inconnu Chris Mundy (un ancien d’Esprits criminels) endossera-t-elle le rôle de meilleure série policière de l’époque ? Enfin, les amoureux de Six Feet under prendront des nouvelles de Brenda (l’actrice australienne Rachel Griffiths) dans une dramédie écrite par une scénariste de Friday Night Lights, sur un camp de vacances. Son titre ? Camp, évidemment – le 10 juillet sur NBC. Les rescapés Dexter a survécu ces dernières années à beaucoup de mauvais épisodes. Au point où nous en sommes, autant voir la huitième et dernière saison – depuis le 30 juin sur Showtime. Toujours au rayon des monuments essorés, on trouve l’anglaise Skins, qui change de nom pour sa septième et ultime saison et s‘appelle maintenant Skins Redux – sur E4 depuis le 1er juillet. Le choix des scénaristes de faire revenir plusieurs personnages majeurs, de Cassie (Hannah Murray) à Effy (Kaya Scodelario) en passant par James (Jack O’Connell), donne envie de s’y replonger. Pour finir, on pourra enfin voir en France la géniale Top Boy, tentative made in England de retrouver l’esprit de The Wire. Dailymotion met en ligne l’intégralité de la saison 1 en VOST (www.dailymotion.com/ hub/x2g3) en attendant la suite prévue sur Channel 4 cet automne. Olivier Joyard

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à suivre… Canal+ Séries arrive Le CSA a donné l’agrément à Canal+ Séries, nouvelle chaîne thématique consacrée comme son nom l’indique aux séries. Constituée à 70 % de rediffusions – et donc à 30 % de programmes originaux –, celle-ci devrait proposer des nouveautés en diffusion au rythme américain. Des annonces devraient avoir lieu dans les jours qui viennent.

Hannibal cartonne C’est devenu une habitude. Le site torrentfreak.com a publié fin juin la liste des séries les plus téléchargées via BitTorrent cette saison. Game of Thrones arrive largement en tête avec plus de cinq millions de piratages par épisode, devant The Big Bang Theory, How I Met Your Mother et The Walking Dead. La surprise vient de la présence dans le top 5 de la nouveauté sanglante Hannibal, avec 2,1 millions de téléchargements en moyenne depuis ses débuts en avril. La série a été renouvelée de justesse par NBC.

Doctor Who

paradis geek

Pour la cinquième année, le Comic’ Con en version française installe ses sabres laser à Paris. u départ était une convention de fans de comics et de sciencefiction réunis pour la première fois à San Diego en 1970, afin de rencontrer leurs idoles, comme Ray Bradbury ou Jack Kirby, l’un des inventeurs (entre autres) de Captain America et X-Men. Quarante-trois ans plus tard, la culture geek règne sur le monde et le Comic’ Con est devenu un rendez-vous majeur de l’agenda culturel et marketing hollywoodien, après avoir élargi son spectre aux jeux vidéo, au cinéma et aux séries. L’événement attire acteurs et auteurs Lazy Company importants, auxquels rendent visite en tournage des dizaines de milliers de curieux OCS a annoncé la mise chaque été en Californie. Depuis 2009, en production d’une deuxième une déclinaison française existe, dont la saison de sa comédie militaire cinquième édition se tient en même temps qui revendique plus ou moins que Japan Expo. “Ce genre d’événement ouvertement les influences commence à entrer dans la culture française croisées de Tarantino et mais c’est nouveau, raconte Alain Carrazé, de La Septième Compagnie (!). directeur de 8 Art City, société en charge Dix épisodes de 22 minutes de la programmation série du Comic’ Con. seront à voir en 2014. Avant, il suffisait d’évoquer une convention Star Trek pour qu’on nous regarde de travers.” Il n’est évidemment pas obligé d’arriver en “cosplay” pour entrer au Comic’ Con, Skins (June, le 6 à 22 h 10) Alors que même si l’excentricité reste encouragée, la série est de retour pour un ultime pour le meilleur et parfois pour le pire. tour de piste – lire ci-contre –, pourquoi Côté animations, on notera des rendezne pas réviser la deuxième saison vous de bon niveau avec un focus sur de Skins, peut-être la plus intéressante ? Doctor Who à l’occasion du 50e anniversaire de la série anglaise (masterclass du Revenge (Canal+ Family, le 7 à 20 h 40) scénariste mythique Mark Gatiss, expo En dehors des séries destinées consacrée au Tardis, table ronde) et une à être diffusées en journée, Revenge rencontre avec le créateur des Revenants est l’un des derniers soaps américains Fabrice Gobert, consacrée au décryptage sophistiqués, encore plus amusant des références visuelles et narratives et tordu que le reboot de Dallas. Saison 2. de la première saison. “C’est la série fantastique française qui sort du lot, elle avait QI (OCS Max, le 8 à 15 h 40) Rediffusion sa place ici”, conclut Alain Carrazé. O. J. d’une série française à la fois légère

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agenda télé

et profonde, bricolée avec beaucoup d’imagination, sur la reconversion en étudiante spécialisée philo d’une ancienne star du X.

Comic’ Con Saison 5 du 4 au 7 juillet au Parc des expositions de Villepinte (93), comic-con-France.com 3.07.2013 les inrockuptibles 79

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à propos d’un garçon Sur son quatrième album, le très bon About Farewell, Alela Diane dit adieu à son ex. Un homme de perdu, des fans qui reviennent.

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lela Diane a toujours adoré les plumes. Elle les collectionne, s’en fait offrir, s’en plante parfois dans les cheveux. Elle est donc bien placée pour connaître la différence entre un kilo de plumes et un kilo de plomb. La preuve avec About Farewell, son quatrième album, autoproduit (elle s’est fait remercier par le label Rough Trade, qui avait sorti le précédent), qui raconte assez ouvertement son divorce avec Tom Bevitori (un amour de jeunesse, qui était aussi guitariste dans son groupe) le long de dix chansons pas exactement tralala pouet pouet. Mais dans ce disque de la folkeuse californienne (maintenant installée à Portland), ça se passe comme souvent dans la musique roots américaine (et comme dans le classique D.I.V.O.R.C.E de Tammy Wynette) : plus la vie est dure, plus les chansons sont bonnes. Car il est sacrément bon, cet album. Sans doute son meilleur depuis The Pirate’s Gospel en 2006, premier album et premier pas d’une belle idylle entre Alela Diane et la France – c’est ici qu’elle a vendu le plus de disques, et le plus tourné. On la rencontre justement à Paris. “Un petit pou, ouais”, répond-elle, en français, quand on lui demande si elle a fini par apprendre notre langue. On redoutait de retrouver une Alela défaite, le plumage terne et les idées grises. En vrai, c’est tout le contraire. Elle est souriante, drôle, pleine de projets, comme quelqu’un qui a surmonté ses problèmes et se prépare à un avenir radieux.

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En 2011, son troisième album, Wild Divine, était une tentative, artistiquement mitigée et commercialement ratée, de sortir du folk pour élargir son public, entrer dans le midstream de l’americana. Signature pour le monde avec le gros label Rough Trade, album plus électrique, production à l’américaine (par Scott Litt, qui a travaillé avec R.E.M. ou Nirvana) et résultats en berne. “On espérait que l’album me fasse passer un cap aux Etats-Unis. Mais ça ne s’est pas produit. C’est Geoff Travis, le boss de Rough Trade, qui a décidé de ne pas continuer avec moi. Ça ne s’est pas mal passé mais on n’a pas atteint les objectifs. Ce n’est pas grave, j’ai tourné la page.” Alela Diane a commencé à composer les chansons de son quatrième album en tournée – son mari faisait alors encore partie du groupe. Des chansons qui disaient : “Chéri, je ne peux rien faire pour te sauver de toi-même”, ou “C’est toujours plus dur de partir” ou “Comme on tombe” et, pour finir, dans une chanson où il question d’une rose aux cent épines : “J’ai dit ce que j’avais à dire, je crois.” Alela Diane a fini d’écrire l’album chez elle, après la tournée. “En une semaine, comme un flot qui devait sortir. Je me cachais dans une pièce pour chanter, en espérant que Tom ne m’entende pas à travers les murs. Je n’avais pas encore pris la décision de partir mais ces chansons ont été les messagères, l’expression de la vérité de mes sentiments, alors que ma vie était devenue un mensonge. Je n’aurais pas pu les chanter, personne n’aurait pu les entendre, tant que je n’avais pas divorcé. Pour être bien, il fallait que je fasse ce que disaient mes chansons. C’est assez effrayant, non ?” En général, dans le folk, les gens font des chansons pour raconter leur vie – c’est même dans le cahier des charges. Mais là, et c’est plus rare, ce sont les chansons qui ont déterminé la vie d’Alela Diane (qu’elle a depuis refaite) et l’enregistrement de l’album. “Mes albums ont toujours été

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on connaît la chanson

trop blizzard

Jaclyn Campanaro

Du rock de Fauve ≠ au hiphop de Dinos Punchlinovic, le mot “blizzard” a la cote. Etrange ?

très personnels, mais avec celui-là, c’est passé à un autre niveau. Pas de métaphores, un livre ouvert. Du coup, j’ai travaillé avec une nouvelle équipe, sans mon groupe. C’est un retour au son de mes débuts, à moi-même. Je me suis retrouvée en studio avec un ingénieur du son pour enregistrer la guitare et le chant, et on a ajouté les arrangements après. Ça n’a pas été un travail collectif. C’est aussi le premier album que je fais sans l’aide de mon père. J’adore travailler avec lui mais je voulais voir comment je pouvais faire sans lui, exploiter mes idées en dehors de son influence.” Au final, About Farewell sonne pour la chanteuse comme un retour aux sources de sa musique, avec l’expérience d’une dizaine d’années dans le métier : des chansons intimes, à la mélancolie réparatrice, jouées en formation réduite

“pour être bien, il fallait que je fasse ce que disaient mes chansons. C’est assez effrayant, non ?” (avec des musiciens de Horse Feathers ou Joanna Newsom) dans le grand décor naturel du folk-rock californien. Un disque d’adieux pour elle, et de retrouvailles pour nous. Stéphane Deschamps album About Farewell (Rusted Blue/Believe) concerts les 3 et 4 juillet à Paris (Européen), les 10 & 11 à Saint-Etienne, le 12 à Arles, le 13 à Hauterives www.aleladiane.com

Alors que l’ep de Fauve ≠ se classe parmi les meilleures ventes dans les charts français, Dinos Punchlinovic, rappeur de 19 ans originaire de La Courneuve, plume affolante et rimes irrésistibles, officialise sa signature avec le label Def Jam. Si le parcours des uns diffère de la trajectoire de l’autre, les deux futurs mastodontes creusent sans le savoir leur sillon autour d’un même thème, combattu bon gré mal gré dans leurs refrains : le blizzard. Un terme inscrit dans le code génétique d’une tranche d’âge malmenée mais volontaire, représentée ici par deux modes d’expression voisins mais pas colocataires. Les premiers favorisent le spoken word, sorte de parler cash, comme pouvaient l’être les vers libres d’Arthur Rimbaud, déstructurés mais sensibles, sans cible déterminée, frontaux et bouleversants. A l’autre bout du ring, Dinos traque la rime comme un lion traque sa proie, majestueusement, avec l’envie chevillée au corps de sortir la tête de l’eau. Dans les deux cas, la thérapie est efficace et le succès déjà incontestable. La clé de ce succès, aussi brutal que passionnant à suivre, est simple : en ciblant presque de manière chirurgicale le mal de l’époque, en pointant précisément du doigt les raisons de la colère, Fauve ≠ et Dinos Punchlinovic matérialisent en musique un combat jusqu’ici abstrait et fédèrent une grande partie de la jeunesse lassée des histoires sans lendemain, à l’heure où l’expression “plan cul” fait son entrée dans le dico. De l’autre côté de la Manche, le blizzard fait aussi des siennes. Duncan Jones, le fils de David Bowie, s’apprête à réaliser l’adaptation cinématographique de World of Warcraft, dont les droits sont détenus par la maison mère du jeu vidéo online, Blizzard Entertainment. Blizzard, Entertainment. Il y a vingt ans, la société américaine ne croyait pas si bien choisir son nom.

Romain Lejeune 3.07.2013 les inrockuptibles 81

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Frank Eidel

les Pixies investissent l’Olympia

la rentrée d’Agnes Obel Célébrée pour son premier album Philarmonics, triple disque d’or en France en 2010, Agnes Obel reviendra en septembre avec son successeur. Nouveau signe d’indépendance, Aventine – que l’on découvrira le 30 septembre – a été écrit, composé et produit par la Danoise seule, avec, sur une poignée de morceaux, l’aide de la violoniste et violoncelliste Anne Müller et de Mika Posen (Timber Timbre).

Après plusieurs tournées et passages en France, c’est à l’Olympia que les Américains s’arrêteront, le 29 septembre, pour célébrer leurs vingt-sept ans de carrière. Un concert à ne pas manquer, malgré l’absence de Kim Deal qui a annoncé mi-juin, via Twitter, avoir quitté le groupe.

cette semaine

Tamikrest, retour en septembre Les rockeurs des sables seront de retour le 13 septembre avec un troisième album titré Chatma, en hommage aux femmes touarègues. Le groupe a enregistré en Europe et l’album bénéficie d’une production inédite dans la musique touarègue, avec des incursions panoramiques dans le reggae, l’ambient et le rock psychédélique. Grand disque pour la rentrée. Le groupe jouera à Paris le 15 octobre (Maroquinerie).

Jusqu’au 9 juillet, Days Off fête sa quatrième édition entre la salle Pleyel et la Cité de la musique. Le festival parisien invite notamment Rover, James Blake, Aloe Blacc, Patrick Watson et Two Door Cinema Club. jusqu’au 9 juillet à Paris (salle Pleyel et Cité de la musique), www.daysoff.fr

Renaud Monfourny

Days Off

des nouvelles d’Ellery Roberts (WU LYF) Après avoir quitté son groupe et annoncé sa dissolution, la voix de WU LYF semble se remettre sur les rails d’un projet solo. C’est en tout cas ce que laisse penser un premier morceau, Kerou’s Lament, publié sur le Tumblr du Mancunien, toujours doué en orchestrations dramatiques et hurlements de loup. Ses trois anciens complices donneront leur premier concert sous le nom de Los Porcos au Midi Festival, fin juillet. En prime, un live solo de l’ex-bassiste du gang, Francis Lung. concerts à Hyères (Midi Festival) : Los Porcos, le 27 juillet à l’Hippodrome ; Francis Lung, le 28 juillet à la Villa Noailles. elleryjamesroberts.tumblr.com, soundcloud.com/losporcos, francislung.tumblr.com

neuf

Mighty Mighty Figures

Adian Coker Le rappeur londonien réédite l’exploit de la mixtape qui fait fondre l’iPod, avec un second volume, Young World, dont est tiré un Cream patraque, sublime. Hip-hop aux beats désabusés, violons en douche froide, flow très à l’aise dans le zig-zag dézingué, production lourde et menaçante : la nuit est son amie. www.adiancoker.com

Sur leur ep, la première chanson s’appelle Vampire et la seconde Ghosts. Si les Californiens voulaient vraiment nous faire peur, il ne fallait pas mettre tant en avant la voix de fée gaie de Jillian Medford. Une voix à la fois enfantine et maîtresse, espiègle et garce. www.facebook.com/figuresla

Carl Craig On connaît ceux qui se sont inspirés de la techno fondamentale de l’Américain : ils sont des millions. On connaît moins ceux qui l’ont influencé : c’est l’objet du premier CD d’un coffret qui regroupe aussi ses tracks du moment et un volume entier dédié à la méditation. Sous le titre, justifié pour lui, de Masterpiece. www.carlcraig.net

Avec leur orgue au psychédélisme de jour de fête et leurs tubes à faire danser les anoraks, les Anglais de Mighty Mighty furent parmi les oubliés de la turbulente génération C86. Un double CD, Pop Can!, se souvient de ces ahuris évadés d’un Scoubidou et de leurs chansons à faire twister les morts de rire. www.cherryred.co.uk

vintage

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tristes tropiques Avec un disque de folk-songs délicates, le Bolivien David Lemaitre se révèle en héritier crédible de Nick Drake.

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avid Lemaitre fait partie de ces artistes qu’ont nourri les voyages. Débarqué en Allemagne il y a une dizaine d’années après une enfance passée en Bolivie, il a déménagé de ville en ville, avant de poser définitivement bagage à Berlin. C’est là, dans le nord de la ville, qu’il a écrit et enregistré un premier album qui l’assied au sein d’une belle famille de songwriters paisibles qui réunirait aussi Revolver, Nick Drake, Alexi Murdoch ou les Kings Of Convenience. “Frank Zappa avait dit cette belle phrase : ‘L’esprit est pareil à un parachute, il ne fonctionne que s’il est ouvert.” Je pense que

“beaucoup de gens montent sur scène masqués ou déguisés aujourd’hui. J’ai décidé de faire l’inverse, de ne porter aucun costume”

ça s’applique à Berlin, où chacun peut être tel qu’il est. Cette ville est d’autant plus agréable pour les artistes qu’elle n’est pas terminée. Si c’était une personne, ce serait un jeune adulte d’une vingtaine d’années.” Le caractère cosmopolite de la capitale allemande va comme un gant à ce jeune homme qui, dans l’enfance, fut bercé autant par les chants révolutionnaires sud-américains que fredonnait sa maman que par les disques de pop psychédélique anglaise que collectionnait son père. “En Bolivie, nous n’avions pas accès à grand-chose s’agissant de musique. Il n’y avait pas de concerts et c’était très difficile de trouver un disque. Il fallait le commander et attendre un mois pour le recevoir. Ça a apporté un côté magique à la musique. C’est devenu quelque chose de merveilleux pour moi.” A 14 ans, le garçon monte son premier groupe avec des cousins. Il étudie ensuite le jazz et intègre

un studio comme ingénieur du son. Une fois cette technique digérée, Lemaitre décide qu’il peut revenir à l’essentiel : sa voix. Il commence alors à broder des chansons folk sans artifices, que lui inspirent les destins tragiques de Nick Drake et Sylvia Plath. “J’ai découvert Nick Drake, Sufjan Stevens, Jeff Buckley et Nina Simone… Après avoir travaillé avec de nombreux instruments, j’ai réalisé qu’il était possible d’être émouvant en simplifiant les choses, en allant vers le côté, sinon silencieux, du moins tranquille des choses. Beaucoup de gens montent sur scène masqués ou déguisés aujourd’hui. J’ai décidé de faire l’inverse, de ne porter aucun costume, même si le résultat est moins spectaculaire.” Latitude, l’album qui découle de ce cahier des charges, est d’ailleurs un disque exigeant, qui ne dévoile ses profondeurs que si l’on y prête attention. Charmant à la première écoute, il est en fait riche

et sinueux : magnifique par moments comme ceux de Piers Faccini (Valediction), charmeur avec ses accents psychédéliques (Spirals, The Incredible Airplane Party), capable de grandes choses avec peu (Olivia). “J’ai essayé de composer en pensant à la beauté qui peut s’échapper de certaines musiques tristes. La musique triste a le don de me rendre très heureux parfois (rires)…” On ne parlera pas de tristesse ici, mais d’un certain sens de la mélancolie, effectivement hérité de Nick Drake. En conclusion de son disque, le Bolivien revisite d’ailleurs son River Man. Il en offre une version fidèle et bouleversante. David a beau se nommer Lemaitre, il est avant tout l’un des meilleurs élèves contemporains du musicien anglais. Johanna Seban album Latitude (Pias) www.david-lemaitre.com en écoute sur lesinrocks.com avec 3.07.2013 les inrockuptibles 83

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Chris Strong

“ça fait soixantequatre ans que je chante, et je chantais déjà certaines des chansons de cet album quand j’étais gamine”

grande d’âme Monument historique de la soul américaine à presque 75 ans, Mavis Staples n’est pas prête pour la retraite : elle sort aujourd’hui son meilleur album.

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our l’île déserte, ou la musique qu’on aimerait emporter dans la tombe avant d’aller voir ailleurs si Dieu y est, on a déjà choisi depuis pas mal d’années : les enregistrements des Staple Singers dans les années 50 (voire début 60, parce qu’on est progressiste). Un gospel familial à quatre voix et une guitare, sur l’os et crépusculaire, le feu sacré venu des ténèbres du country-blues archaïque, annonciateur des grands incendies de la soul pour les deux décennies suivantes. Aux premiers temps des Staple Singers, Mavis avait une quinzaine d’années, et déjà une voix à faire trembler la terre, jusqu’au ciel. Le reste est de l’histoire, qui n’est jamais devenue ancienne. Plus tard, chez

Stax, la musique du groupe accompagnerait la libération des Noirs en Amérique ; puis Mavis enregistrerait avec Bob Dylan, Curtis Mayfield, Prince ou Ry Cooder. Pops Staples, fondateur du groupe, guitariste iconique et père de Mavis, est mort en 2000. Fin de l’histoire, avant l’écriture d’une suite miraculeuse. En 2010, à plus de 70 ans, Mavis Staples sortait le meilleur album de sa carrière solo (qui en compte une dizaine), You Are Not Alone, avec Jeff Tweedy de Wilco. One True Vine est le second volume (même équipe, même label), et il est encore meilleur. On le comprend, la collaboration entre Jeff Tweedy et Mavis Staples pourrait devenir aussi importante que la paire Johnny Cash/Rick Rubin il y a vingt ans.

Une renaissance et un retour aux sources, une boucle bouclée. “Oui, l’esprit est là… Ça fait soixante-quatre ans que je chante, et je chantais déjà certaines des chansons de cet album quand j’étais gamine. A l’époque de mes débuts, on était seulement accompagnés par la guitare de mon père. Et ce disque sobre, intimiste, laid-back, me rappelle mes débuts. Pendant longtemps, je n’ai pas quitté ma famille. Mais maintenant, c’est ma famille qui m’a quittée (elle a perdu sa sœur Cleotha en février – ndlr). Pourtant, en studio, je les sentais autour de moi. Jeff Tweedy m’a ramenée à mes origines.” Et pas à petits pas usés : au téléphone, Mavis Staples, 74 ans le 10 juillet, fait preuve d’une vivacité et d’une énergie délicieuses. Sur l’album, quelques classiques de la chanson religieuse, une composition du papa (Mavis tient à en mettre une sur chacun de ses albums), d’autres de Jeff Tweedy, et un beau choix de reprises, des Beatles à George Clinton en passant par Low (oui, Low). Très croyante, voire prosélyte en interview, Mavis a l’intelligence de ne pas faire de différence entre musique religieuse et profane (“C’est juste de la musique avec un message positif. Beaucoup de chanteurs ont remplacé le nom de Jésus par ‘baby’ dans les chansons, mais le message reste le même”). Le tout est très amène (surtout les gospels), arrangé soul-folk, acoustique, chaud, sensuel et traversé de moments de grâce. Alors que tout un tas de (plus ou moins) jeunes gens parviennent aujourd’hui à recréer les formules alchimiques de la soul d’hier, c’est légitimement mamie Mavis qui sort le plus beau de l’année. Pas un bibelot d’antiquaire, mais un disque gorgé d’émotion et de vie, celui qu’on écoutera encore dans dix ans, promis. “Depuis que j’ai un exemplaire de mon disque, je l’écoute tous les matins”, dit-elle. Et c’est parole d’évangile. Stéphane Deschamps album One True Vine (Anti/Pias) www.mavisstaples.com en écoute sur lesinrocks.com avec

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Nana Kofi Acquah

Oy Kokokyinaka Creaked Record/Modulor Venu d’Afrique via la Suisse, du psychédélisme à base de bruits du quotidien ! l y a cinq ans, on s’extasiait ensuite au tamis des samplers, sur l’album Por Por, Honk Horn hachés menu et fondus dans des Music of Ghana, curieux chansons electro-afro-hip-hop et enregistrement de musique pop aux formes inédites, ludiques, traditionnelle à base de vieux amicalement psychédéliques. klaxons joués par des chauffeurs Disque de voyages, mais pas de taxis ghanéens. Ils ont sans disque documentaire. Les sons doute ouvert la voie pour la concrets sont ici matière à rêver. chanteuse Joy Frempong, alias Oy. L’album révèle d’abord la vision Elle est née au Ghana, a grandi en onirique et ironique d’Oy, Suisse et est rentrée de plusieurs Afropéenne adepte des mélodies séjours en Afrique (de l’Ouest comme des ritournelles et du Sud) avec la matière sonore enfantines. Histoire d’Oy : les pieds de Kokokyinaka, son deuxième sur le continent africain et la tête album. Des sons de klaxons bien dans les nuages, excentrique, sûr (qu’on entend sur Tortoise nomade et saturée de couleurs, and Hunter, le meilleur morceau elle rappelle parfois M.I.A de l’album), mais aussi des bruits en mieux. S. D. de machines (à laver, à coudre), d’essuie-glaces, de rémouleur, concerts le 6 juillet à Belfort de feux d’artifice, de foule (Eurockéennes), le 10 à Coustellet, et du tumulte des villes africaines. le 10 août à Langres Une moisson de sons passés www.creakedrecords.com

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Marie Flore Feathered with Daggers autoproduit La petite musique de nuit d’une brillante écorchée, bientôt en concert. Nouvelle venue parmi parfois, en pointillés et Marie Flore égrène la ribambelle de fées dans une version low key, les ballades faussement électriques (Swann, les nuances d’encre et cool, mélancoliques et Le Prince Miiaou…) qui de bruine qu’affectionne langoureuses. Les accents peuplent désormais l’ex-Libertines, c’est surtout des quatuors de Brahms, en nos contrées, Marie Flore à ses consœurs françaises, sous-texte, laissent en fin de n’en est pourtant pas mais aussi à PJ Harvey ou partie place à des effusions à son coup d’essai. Fiona Apple, qu’on pense dignes de Pulp. Une belle Dès 2009, un premier à l’écoute de ce cinq-titres plante jamais urticante, et mini-album sous le bras, – entrelacs d’humeurs envoûtante comme l’opium. Claire Stevens elle écumait les scènes, aqueuses et chafouines seule ou en compagnie de oblige. De sa voix râpeuse parrains tel Pete Doherty. ou d’éther posée sur concert le 14 juillet à Paris Si cette princesse des des claviers crépusculaires (Trabendo) www.marieflore.me faux-semblants emprunte et des guitares rageuses, 3.07.2013 les inrockuptibles 85

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Kirin J Callinan Embracism XL Recordings/Beggars/Naïve Improbable et désirable, le premier album d’un Australien libre penseur. as facile d’avoir l’air sain lorsque votre premier album multiplie les références à la théâtralité musicale de Nick Cave et aux rythmes à la fois baroques et toxiques de Tom Waits. Mais Kirin J Callinan se fiche complètement de son image. Composer un rock irraisonnable et écorché lui suffit. C’est en tout cas la première sensation ressentie à l’écoute d’Embracism, œuvre aussi sauvage que tendue. Laquelle impose d’emblée avec l’austère Halo une intensité effrayante, à coups de groove poisseux et de riffs morveux. Cette aisance à jouer avec les codes du rock, à rendre charismatique la plus simple des mélodies, à magnifier ses morceaux de cuivres grinçants et de bruissements électroniques peut sans doute s’expliquer par la présence de Kim Moyes (The Presets) à la production et de Chris Taylor (CANT, Grizzly Bear) au mixage, dont on retrouve la patte sur des ballades capiteuses telles que Scraps et Landslide. Grand disque ! M. D.

 P Surfer Blood Pythons Warner Les teignes de Floride reviennent avec un album aussi fougueux qu’inventif. lors que l’on connaissait les Floridiens sur le terrain des divagations rachitiques et bordéliques, ils révèlent ici leur déviance pour un rock puissant, acide, porté par des guitares grésillantes et des arrangements emphatiques, sorte de mix corrosif entre les acrobaties mélodiques de The Jesus & Mary Chain et le romantisme suranné des Smiths. Gil Norton (Pixies, Echo And The Bunnymen) et Rob Schnapf (Beck, Guided By Voices) sont aux manettes, et ça s’entend. Mais peu importe à vrai dire les figures tutélaires de Pythons, tant que subsiste chez Surfer Blood ce goût pour les rythmes enjoués, les mélodies bouillonnantes et tordues, et les refrains flamboyants. Comme sur Weird Shapes, certainement le meilleur morceau de Weezer depuis dix ans, aussi rageur que nonchalant. Maxime Delcourt

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www.facebook.com/KirinJCallinan

www.surferblood.com en écoute sur lesinrocks.com avec

Bajram Bili Narcotique et langoureuse, de l’electro pour prendre son bain dans le shimmy. On connaît très bien à toute une agitation molle, autoroute de mercure. Very le fog auquel le titre hébétée, de l’electronica good trip. Simon Triquet fait référence : lourde des Boards Of Canada au www.facebook.com/bajrambili et toxique, cette brume shoegoazing de My Bloody en écoute sur lesinrocks.com hante la musique du Valentine en passant avec Tourangeau depuis son par le krautrock de Neu!. premier ep, You’re a Ghost Etrange mélange donc de in a Tipi. Musique vague rigueur métronomique et plus que Nouvelle Vague, de divagations méditatives, ce psychédélisme Sequenced Fog évoque tout en nappes souillées la conduite en zig-zag, sert d’asile poétique pompette, sur une

Luke Stephenson

Sequenced Fog ep Another Record

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F/LOR Blackflakes Prohibited Records

Lili Perez

Instrumental et haletant, un album en forme de trip dans les tripes. Projet solo de Fabrice Laureau, par ailleurs bassiste au sein du très aventureux groupe NLF3, F/LOR franchit aujourd’hui le cap du premier album, qui révèle un univers musical aussi foisonnant que percutant, au confluent de l’electronica la plus bigarrée et du postrock le plus déluré. De ce périple sonore évoquant une errance urbaine échevelée, Sweet Dirty Ballet, irrésistible petite comptine viciée, constitue le parfait climax. Jérôme Provençal

Andrew Wyatt Descender Downtown/Cooperative/Pias

Johanna Seban www.andrewwyatt.net

www.f---lor.tumblr.com en écoute sur lesinrocks.com avec

Elodie Daguin

Un magicien pop confie ses chansons à un orchestre philharmonique. Décoiffant. Ce n’est pas le fils de Robert : l’Américain Andrew Wyatt est la voix de Miike Snow. Pas du genre à se faciliter l’existence en solo, se fixant comme dogme d’enregistrer son nouvel album en un mois, après avoir envoyé ses partitions à l’orchestre philharmonique de Prague. Peu importe que son directeur lui ait répondu que ses morceaux étaient trop bizarres et indéfrichables, et qu’il valait mieux reporter les sessions : Wyatt a sauté dans le premier avion pour la République tchèque. Drôle de projet : c’est un disque qui ressemble à du Sufjan Stevens produit par Scott Walker (Cluster Subs), qui flambe avec ses orchestrations baroques et ses cordes complexes (She’s Changed), qui évoque souvent une musique de film (Horse Latitudes) ou des vieux disques de Van Dyke Parks et Al Stewart, qui fait peur (Descender) puis rassure (And Septimus…). Beau programme.

Diving With Andy Is This Me? Universal Troisième sans-faute du plus délicat des groupes français. esserré en duo, Diving With Andy poursuit en le rendant encore plus fluide le dialogue entre les mots et la voix de Juliette Paquereau et les enluminures musicales du virtuose Rémy Galichet. En ôtant le léger glacis bubblegum qui sur les deux premiers albums leur donnait des airs de Cardigans frenchies, ils se rapprochent ici un peu plus du songwriting américain canonique d’une Judee Sill, avec intonations Suzanne Vega prononcées (Me Without a Song) si jamais celle-ci avait croisé la route d’Elliott Smith. Des Believe Me ou Say a Word, pour la partie la plus radieuse, ou, au contraire, les plus assombris Is This Me? ou So Much Water relèvent d’un classicisme qui rime avec classe ultime. Plus volontiers marqué années 80 (ils citent Eurythmics, pourquoi pas), Orange & Tangerine ouvre une autre voie plus joueuse et canaille mais reste une exception dans un disque qui s’achève en beauté par l’intense The Girl I Would Be et surtout par un titre en français bouleversant, Celle qui, pour lequel Carla Bruni aurait vendu son mari. Christophe Conte



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various artists Kenya Special

Thomas Babeau

Soundway Records/Differ-ant

Skread Instrus vol. 2 7th Magnitude/Believe Producteur pour Booba, Diam’s et surtout Orelsan, Skread compile ses instrumentaux. l n’a pas volé son nom : disque ; il connaissait des détails Skread (discret, en verlan) qui ne m’effleuraient pas, n’est pas du genre à parader. de la composition aux contrats.” Son nom n’est connu que Travailleur de longue haleine de ceux qui décryptent les crédits dans un univers de beatmakers des disques ; ils l’ont découvert sur en mode livraison rapide, Skread La Boulette de Diam’s ou Tallac de porte sa réussite sur lui. Le Booba. Alors qu’il signe aujourd’hui blondinet parle précis, d’une voix tube sur tube derrière Orelsan, mesurée, et sait où il va : “Avec on se souvient de ce Caennais Orel, c’est un travail sur la longueur, inconnu qui, il y a dix ans, envoyait je veux créer un univers. L’album Le ses mixtapes aux magazines Chant des sirènes a été ce terrain : de rap : “Ça a démarré par hasard. tu prends ce couplet, tu le mets ici ; J’étais étudiant, je faisais des beats ce refrain, il sera plus efficace sur et j’en envoyais à droite à gauche. tel autre titre, etc. C’est un travail Brusquement, Booba en a pris un, de cohérence globale, un truc de puis Diam’s, puis plein d’autres…” producteur.” Orel confirme : “J’avais Mais il y a plus : Skread délaisse trouvé ce gimmick pas mal que je rapidement le sampling pour voulais mettre à la fin d’un morceau. se tourner vers la composition. Skread ne voulait pas, il m’a fait chier “Au début, tu empiles des samples pendant des jours et a fini par me mais tu es vite coincé car le sample convaincre de faire un autre morceau en lui-même est une limite. avec. C’est devenu La Terre est Pour sortir de la ‘boucle’, il te faut ronde et ce gimmick, c’est le refrain composer, ‘jouer’ la musique.” que tout le monde connaît… Claviers et expandeurs forment Il a cent fois plus de flair que moi.” peu à peu l’ossature de son travail Sur sa compilation, Skread avec Orelsan, auprès duquel livre le négatif de ce travail, il endosse par ailleurs un rôle de les pianos, les breaks et les plus en plus global : “Sans lui, il gammes qui ont fait d’Orelsan – ne se serait pas passé grand-chose, et d’autres – des héros du rigole Orelsan. C’est lui qui m’a rap français. Thomas Blondeau poussé à rapper, à enregistrer, c’est http://tinyurl.com/Skread-Official lui qui savait comment on sort un

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Spectaculaires découvertes dans les trésors oubliés des musiques du Kenya. Hot. Les gens de Soundway Records comptent parmi ces philanthropes fouineurs qui déterrent régulièrement des trésors sonores auxquels nos oreilles n’auraient sans doute jamais eu accès. S’il s’est d’abord fait connaître avec ses explorations/ exhumations en Afrique de l’Ouest (Ghana, Nigeria, Bénin…), le label londonien ne dédaigne pas le versant oriental du continent. Pour preuve Kenya Special, double compilation qui égrène trente-deux perles rares des années 1970 et 1980 – provenant pour la plupart d’obscurs 45t – et restitue toute l’inventivité de la turgescente scène kényane d’alors. Balançant sévèrement entre funk, afro-beat, rumba, rocksteady et autres musiques chaloupées, ces morceaux semblent jaillir d’une même inépuisable corne d’abondance et, réunis, composent un cocktail on ne peut plus enivrant. Jérôme Provençal www.soundwayrecords.com en écoute sur lesinrocks.com avec

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le single de la semaine Michel Cloup Duo J’ai peur de nous MC Duo/Ici d’Ailleurs

iamamiwhoami Bounty To Whom It May Concern/Cooperative/Pias Sensation du net il y a quatre ans, le duo electro suédois enchante. épasser, absolument, séparément, ne pouvaient pas l’esthétique absconse, ce dévoiler l’amplitude de cet album, nom de groupe qui bataille sa narration qui manquait souvent avec la langue, ces titres au précédent, Kin. Dans la lignée du cryptés – une chanson s’appelle récent et excellent album d’Austra, même u-2, ça va rapporter gros Bounty se danse ainsi avec l’air sur le moteur de recherche renfrogné, songeur ou désabusé, iTunes ! Il faut ici oublier la froideur en une pop chimérique ou un r’n’b d’apparat et cette culture qui signifierait “rêve et banquise” et du mystère, à la Factory Records, unirait, le temps d’une ronde folle et parce que, musicalement, débridée, Crystal Castles et Cocteau les Suédois ont quitté l’opaque. Twins. Une ronde qui, bien sûr, Originellement sortis ne tourne pas rond. JD Beauvallet en singles (et sublimes vidéos), dont la suite des titres administratifs www.iamamiwhoami.com – b, o ou y – forme à l’arrivée en écoute sur lesinrocks.com avec le mot “bounty”, les morceaux,

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James Holden The Inheritors Border Community/La Baleine

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Stéphane Deschamps

son titre. Il y a pourtant, sous une allure austère, beaucoup d’humanité dans des morceaux comme Renata et The Caterpillar’s Intervention, et une brillante créativité dans des compositions comme The Illuminations. Autant d’hymnes à la transe qui refusent de choisir entre la nervosité d’une rave et les étirements illuminés d’une electronica gracieuse et gracile. L’ultime Self-Playing Schmaltz, magistral spleen techno, conforte cette idée : James Holden est totalement dans son époque, mais aussi complètement ailleurs. Maxime Delcourt www.jamesholden.org

www.michelcloup.com en écoute sur lesinrocks.com avec

Manuel Rufie

Tapageuse ou délicate, l’electronica de l’Anglais s’humanise. Human after all? ertains artistes requièrent une attention sans faille : se contenter de quelques titres suffirait à fausser l’expérience. De par son obsession d’envisager la musique comme un espace futuriste, savant et voué aux sons analogiques, James Holden, assurément, est l’un d’entre eux. Depuis dix ans, l’Anglais trace en effet un parcours d’une exigence et d’une qualité irréprochables – son DJ-Kicks sorti en 2010 suscite toujours étourdissement et pogo fiévreux. Ce que confirme largement The Inheritors, deuxième album aussi aventureux et sadique que le livre de William Golding auquel il emprunte

L’ex-Diabologum branche sa guitare dans l’acide et le mauvais sang. Electrifiant. Pour ceux qui ont raté le début : Michel Cloup Duo est un groupe toulousain dans la lignée de Fauve ≠. Humour. Car en vrai, Michel Cloup serait plutôt le grand frère, en activité depuis une vingtaine d’années avec divers groupes (dont Diabologum) et dernièrement réincarné en duo avec le batteur Patrice Cartier. Il y a deux ans, premier album (Notre silence) cathartique et terrassant, rare alchimie de chansons autobiographiques sur une musique de maître zen hardcore. A la fin de l’album, il y avait ce titre, Un film américain, qui laissait présager une suite plus légère, détachée, fictive. Il n’en est rien : sur ce 45t, en préambule au second album, Michel Cloup plonge encore sa guitare multi-lames dans l’intimité de ses angoisses, sans complaisance ni concessions. Deux titres, J’ai peur de nous et Vieux frère, comme un miroir sale, mais sincère. Ça fait mal aux oreilles et ça vrille les nerfs : c’est donc du bon.

Patrice Cartier et Michel Cloup 3.07.2013 les inrockuptibles 89

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dès cette semaine

Youssoupha, The Smashing Pumpkins, etc.

Eminem 22/8 Saint-Denis, Stade de France

Festival Beauregard du 5 au 7/7 à HérouvilleSaint-Clair, avec New Order, Local Natives, Nick Cave & The Bad Seeds, Vitalic, Bloc Party, The Hives, Juveniles, etc.

Eurockéennes de Belfort du 4 au 7/7, avec Blur, Phoenix, M, Asaf Avidan, Two Door Cinema Club, Boys Noize, The Smashing

Fnac Live du 18 au 21/7 à Paris, parvis de l’Hôtel de Ville, avec Concrete Knives, Natas Loves You, Isaac Delusion,

en location

retrouvez plus de dates de concerts dans l’agenda web sur inRocKsLive.com Christine And The Queens, Mesparrow, Alex Beaupain, Granville, etc. Foals 26/10 Nîmes, 1/11 ClermontFerrand, 2/11 Bordeaux, 3/11 Toulouse, 5/11 Nantes, 7/11 Strasbourg 12/11 Paris, Zénith Half Moon Run 15/11 Paris, Trianon

Local Natives 20/11 Paris, Bataclan MGMT 8/10 Paris, Olympia Midi Festival du 26 au 28/7 à Hyères, avec Peter Hook & The Light, The Horrors, King Krule, Mount Kimbie, Mykki Blanco, AlunaGeorge, Christopher Owens, etc.

aftershow

Pendentif

festival Vie sauvage du 21 au 23 juin à Bourg-sur-Gironde Loin des line-up boulimiques, le village de Bourg-sur-Gironde accueillait la seconde édition de Vie sauvage, microfestival pluvieux mais heureux célébrant le temps d’un week-end la scène locale et son terroir. Pour la soirée Warm Up, le concert surprise de Jérôme Violent (projet parallèle de Bengale et Moon) réveille le Café du Port avec un set caustique et pas mal de second degré. Le lendemain, c’est au parc de la Citadelle, sur les hauteurs du village, que les héros bordelais Pendentif, à peine remis de leur voyage en Russie, enveloppent le public dans un bain mélodique et amoureux. Biberonnés aux Beatles, les louveteaux de Dream Paradise réchauffent les festivaliers avec classe pendant que le disquaire historique de Bordeaux, Martial Jesus de Total Heaven, prépare un set DJ électrique. Transfuge d’Ariel Pink et de The Shins, le multi-instrumentiste KIM bricole un set DIY avec son loopstation. Le soleil se couche derrière un tapis de nuages et le vent se lève, mais rien n’arrête le monstre folk aux visages multiples Arch Woodmann. Les douze coups de minuit sonnent et la pleine lune vient tenir la chandelle au collectif Fauve ≠. Le public connaît les paroles sur le bout des doigts. On sort les briquets sur Nuits fauves. Le chanteur s’agite comme sur un ring, boxant avidement notre cœur. “Merci d’être restés ! Nique sa mère la pluie.” Le set terminé, on se dirige vers la buvette pour goûter la cuvée spéciale de côtes-de-bourg à l’effigie du festival. Abigaïl Aïnouz session d’hiver de Vie sauvage le 28 novembre à Bordeaux (I.Boat) avec Retro Stefson & guest

Mélina Quintin

Aline 13/7 La Rochelle, 20/7 Colmar, 22/8 Sète Atoms For Peace 6/7 Paris, Zénith Babyshambles 3/10 Paris, Zénith Big Festival du 17 au 21/7 à Biarritz, avec Neil Young & Crazy Horse, Wu-Tang Clan, The Bloody Beetroots, Gary Clark Jr., Orelsan, Cassius, Breakbot, Busy P, Kavinsky, Brodinski, Is Tropical, etc. Benjamin Biolay 7/7 HérouvilleSaint-Clair, 9/7 Albi, 14/7 La Rochelle, 20/7 Carhaix, 22/7 Carcassonne Jake Bugg 21/11 Paris, Olympia, 22/11 Lille, 9/12 Lyon, 10/12 Toulouse, 11/12 Nantes Calvi on the Rocks du 5 au 10/7, avec Brodinski, Yuksek, Gramme, Black Strobe, Jagwar Ma, Tahiti Boy, Midnight Juggernauts, Mai Lan, Isaac Delusion, Louisahhh!!!, Cassius, etc. Riff Cohen 25/7 Grenoble Days off Festival du 1er au 9/7 à Paris, avec Two Door Cinema Club, Patrick Watson, Chilly Gonzales, Lou Doillon, James Blake, Beck, Jacco Gardner, Lambchop, Band Of Horses, etc. Dour Festival du 18 au 21/7, avec Gramatik, Thee Oh Sees, Mark Lanegan Band, Pelican,

Eldorado Music Festival du 16 au 22/9 à Paris, Café de la Danse, avec Rodolphe Burger & Olivier Cadiot, Thomas Azier, Gramme, Laura Marling, Gym, etc.

Pumpkins, Jamiroquai, Tame Impala, My Bloody Valentine, Major Lazer, etc.

nouvelles locations

The National 18/11 Paris, Zénith The Peacock Society les 12 & 13/7 à Paris, parc Floral, avec Richie Hawtin, Gesaffelstein, Luciano, T. E. E. D, Joris Delacroix, Hot Natured, Carl Craig, The Aikiu, Brodinski, The Magician, Bambounou, etc. Phoenix 12/11 Marseille, 14/11 Lyon, 15/11 Nantes, 16/11 Toulouse, 23/11 Lille Primal Scream 14/11 Paris, Cigale Rock en Seine du 23 au 25/8 à Saint-Cloud, avec Phoenix, A$AP Rocky, Franz Ferdinand, Alt-J, La Femme, Kendrick Lamar, Tame Impala, etc. La Route du rock du 14 au 17/8 à Saint-Malo, avec Local Natives, Disclosure, Tame Impala, Hot Chip, Nick Cave & The Bad Seeds, Austra, Suuns, Parquet Courts, Jacco Gardner, Iceage, Concrete Knives, Orval Carlos Sibelius, Zombie Zombie, Fuck Buttons, TNGHT, etc. Sziget Festival du 5 au 12/8 à Budapest, avec Azealia Banks, Bat For Lashes, Michael Kiwanuka, Skip & Die, T. E. E. D., Dizzee Rascal, Regina Spektor, Woodkid, Tame Impala, The Bots, Gesaffelstein, The Cribs, etc. Vampire Weekend 21/11 Paris, Zénith Yo La Tengo 3/11 Nantes

la découverte du lab Caspian Pool Quand Annecy rêve de glam-rock et de patin à glace. ow Bird et Jimmy Q sont sur un bateau de la mer Caspienne quand un clavier tombe à l’eau. Une vague de froid s’en échappe et voilà que les deux Annéciens enfilent leur combinaison de patinage artistique en Lurex. La bande-son d’un vieux vinyle de Bowie craque pendant que leurs patins fendent la glace. Mordus d’electro 80’s et prenant un plaisir malin à mixer glam-rock et italo-disco, les Caspian Pool vont faire des émules avec leurs combinaisons à paillettes et leur son organique. Pour leur premier album Tropical Inside, ils ont choisi d’enregistrer à domicile, dans leur studio Song Factory à Annecy, et invité l’Anglais Oliver Wright (Hot Chip) pour un mix analogique soufflant un air chaud à en faire éclater des grains de maïs. Cerise sur le gâteau, ils ont confié le mastering au prestigieux Mazen Murad (Blur, DJ Shadow, Björk, Muse…). En attendant sa sortie, on peut découvrir en ligne leur clip Right/ Wrong, faussement tourné avec une caméra digitale et mixé à des effets de jeu vidéo ping-pong. La tête dans les étoiles, ils rêvent de partir en tournée au Japon et de remixes signés Chateau Marmont. Pirouettes de claviers à l’horizon ! Abigaïl Aïnouz

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en écoute sur lesinrockslab.com/ caspianpool

actualités du concours découvrez la nouvelle scène d’Ile-de-France avec notre application “Sosh aime le lab”, Facebook.com/lesinrocks

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spécial

été

figures cultes

Library of Congress

Réels ou imaginaires, célèbres ou oubliés : rencontres littéraires hors du commun avec des personnages mythiques

une star sacrifiée Jerry Stahl retrace la déchéance d’une figure des débuts d’Hollywood, “Fatty” Arbuckle, première grande star comique, accusé à tort de viol. Un roman noir sur l’Amérique puritaine.



ui se souvient de Roscoe “Fatty” Arbuckle ? A part une poignée de centenaires hypermnésiques et quelques cinéphiles avertis, personne. Pourtant, entre 1910 et 1920, à l’aube de l’industrie hollywoodienne, cet acteur corpulent a fait se poiler l’Amérique entière, s’imposant vite comme un acteur et réalisateur culte, la première star comique du cinéma muet. La tarte à la crème, c’est lui. Idem pour les gigues effrénées et les cabrioles. Cette gloire éphémère prendra subitement fin en 1921 lors d’une fête arrosée à San Francisco : Arbuckle est inculpé pour le viol et l’homicide involontaire d’une starlette nommée Virginia Rappe.

Possédant tous les attributs du coupable idéal, “Fatty” incarne le grand corrupteur de l’Amérique innocente. De cette vie brisée par l’effroyable machine hollywoodienne, le cinéaste underground Kenneth Anger a tiré l’un des plus poignants chapitres d’Hollywood Babylone (Tristram), réédité en mars. Longtemps censuré, son livre sur les coulisses criminelles et sexuelles de l’âge d’or d’Hollywood ne pouvait passer à côté de cette légende noire, sorte de péché originel de La Mecque du cinéma. En 2004, Jerry Stahl, écrivain et scénariste installé à L. A. (il a écrit une série pour HBO, Hemingway & Gellhorn, produite par feu James Gandolfini), lui a à son tour consacré un livre. Basé sur

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Hollywood, l’envers du mythe Partie intégrante de sa légende, la face sombre d’Hollywood a nourri une foultitude de romans. A commencer par Le Quatuor de Los Angeles de James Ellroy (Rivages/Noir), fresque épique et désabusée révélant l’envers de la machine triomphante, entre drogue, chirurgie esthétique et ragots. Sur le même thème, Karoo de Steve Tesich (Monsieur Toussaint Louverture),

les faits réels, ce qu’on a appelé “l’affaire Roscoe Arbuckle”, Moi, Fatty retrace à la façon de faux mémoires le contexte et les rouages d’une machination, la tragédie médiatique et judiciaire qui préside à la chute d’un homme “du vedettariat au statut d’objet de haine collective”. Bien avant la déchéance annoncée, on comprend vite que ce pionnier du film burlesque a traversé bien des épreuves avant d’accéder à la célébrité. Rejeton d’une famille de huit enfants, bébé anormalement gros, haï par son père, le petit Roscoe du roman s’évade de la grisaille domestique du Kansas en prenant le chemin des planches, “colporteur en gaudrioles” chez les forains puis dans l’univers du music-hall. Révélé dans un rôle de “petit gros mauresque” aux ordres d’un magicien, puis repéré par une huile des studios, le “gros lard” fait son nid à Hollywood, pris dans la roue des grands producteurs tels que la Keystone Film Company et la Paramount, avec qui il signe un contrat mirobolant en 1919. Rival de Chaplin, bienfaiteur de Buster Keaton, son allié dans la tempête, il est le premier acteur comique à passer derrière la caméra, tournant la série des Fatty – quarante-cinq courts métrages pour la seule année 1914. Il saura à merveille convertir un handicap en arme de séduction massive. Pour Arbuckle, le monde du spectacle est l’endroit où tout se transpose miraculeusement et “où ce qui aurait valu d’être conspué dans la vie réelle suscitait l’adoration des foules”. Ce narcissisme inversé, qui a pour culte le ridicule, propulse le genre comique, fait pleuvoir gloire et argent sur son meilleur grammairien et forme les débuts du star system. Hollywood comme accélérateur de destins est l’objet de la première partie, confession acide et magistrale sur les mécanismes intimes de la célébrité, qui sublime les tâcherons en vedettes, les branques en stars du grand écran, avant de se renverser en vecteur de déchéance et de renvoyer cendrillons peroxydées

relate avec brio les turpitudes d’un scénariste dans une “usine à rêves” rongée par le fric et le cynisme, tandis que Bret Easton Ellis fait la satire ultradérangeante de la jet-set hollywoodienne dans Suites impériales (10/18). Last but not least, Le Dernier Nabab de Scott Fitzgerald, sur la déchéance d’un producteur, porté à l’écran en 1976 par Elia Kazan.

et bellâtres paumés à leurs origines, c’est-à-dire plus bas que terre. Bien que la chute de Fatty, proche du coup monté, excède les frontières d’Hollywood au profit d’une conspiration d’envergure nationale, visant à faire de la star comique le bouc émissaire d’une époque réputée décadente. Moi, Fatty dresse le tableau de ce début des années 1920, dévoilant de manière féroce les ressorts d’un puritanisme résurgent et punitif. Pris dans le tourbillon judiciaire, l’acteur, accusé de crime sexuel, devient la cible des lobbies féministes, ligues de vertu et chrétiens évangélistes mais aussi, bien sûr, du voyeurisme de la presse à scandales et de la vindicte populaire, qui diabolisent Hollywood et le voient comme de modernes Sodome et Gomorrhe, lieu de toutes les perditions. Paria, maudit, Arbuckle décrit sa lente chute, lâché par les studios et les producteurs poltrons – Schenck et Zukor – qui valident le fameux code Hayes, le système de censure qui sévira jusqu’au milieu des années 1960. A travers le lynchage de ce géant sacrifié, star et symbole de l’Hollywood “dépravé”, Jerry Stahl brosse le portrait de l’Amérique puritaine, austère et drastique, bannissant l’homme qu’elle avait porté aux nues. Trop gros, trop poupon, trop vulnérable, Roscoe “Fatty” Arbuckle sait qu’il a trinqué pour toute la gent de l’industrie cinématographique : “Hollywood était peut-être si méchant qu’il fallait qu’un Jésus de cent vingt kilos meure pour expier ses péchés.” Son alter ego de papier se console en endossant les habits de prophète près d’un siècle plus tard. Emily Barnett Moi, Fatty (Rivages/Noir), traduit de l’anglais par Thierry Marignac, 368 pages, 9,65 €

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spécial

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Jean-Jacques Lefrère et Philippe Oriol La feuille qui ne tremblait pas – Zo d’Axa et l’anarchie Le Limier de Kenneth Brannagh (2007)

Flammarion, Au fil de l’histoire, 312 pages, 23 €

le lecteur superstar Premier livre interactif, Marelle, le roman-dédale de l’Argentin Julio Cortázar, transfigure le lecteur en héros romanesque. Par un jeu de miroirs et de dédoublements, il devient son propre personnage culte. ombattre un dragon, sauver et son étrange disparition. Elle appartient une princesse, se faire la malle à cette catégorie d’héroïnes énigmatiques avec le trésor d’un magicien. et envoûtantes, sœur de la Doña Prouhèze Enfant, on pouvait vivre toutes du Soulier de satin de Claudel ou de ces aventures grâce aux Lol V. Stein, l’évanescente icône durassienne. “livres dont vous êtes le héros”. A la sortie du livre, Cortázar s’étonna A la fin d’un paragraphe numéroté, on avait de la façon dont le public s’identifiait à ses le choix entre plusieurs possibilités et le personnages. C’était pourtant prévisible. scénario se modifiait au gré de nos envies. Pris au jeu (de piste) élaboré par Paru en 1963, Marelle, de l’Argentin l’écrivain, le lecteur est partie prenante Julio Cortázar, est un peu l’ancêtre de ces de cette œuvre labyrinthique. Il en devient romans interactifs. Explosant les codes le véritable héros. Un changement traditionnels de la narration, Cortázar de perspective opéré par la volonté même a en effet imaginé un livre qui pouvait de Cortázar et de son double de fiction, se lire de plusieurs façons. Soit de manière Morelli, l’écrivain de prédilection d’Horacio, classique soit en commençant par dont les théories littéraires scandent le chapitre 73 et en poursuivant la lecture Marelle dans un jeu de mise en abyme : selon l’ordre indiqué à la fin de chaque “(…) le véritable et l’unique personnage chapitre et à l’aide d’un mode d’emploi qui m’intéresse c’est le lecteur, fourni en préambule. Le lecteur est invité dans la mesure où un peu de ce que j’écris à sauter de chapitre en chapitre comme devrait contribuer à le modifier, à le l’on saute de case en case à la marelle. faire changer de position, à le dépayser, C’est donc à cloche-pied que l’on suit à l’aliéner”, écrit Morelli. Par un jeu les déambulations entre Terre et Ciel de miroir hypersophistiqué, chaque lecteur d’Horacio et de la Sibylle, deux déracinés de Marelle se retrouve transfiguré qui s’aiment, se perdent et se retrouvent en personnage romanesque auquel à travers leurs doubles. Sur fond de il peut vouer son propre culte. E. P. musique jazz dont la langue de Cortázar Marelle (L’Imaginaire reproduit le rythme syncopé, on passe Gallimard), des ambiances enfumées et éthyliques traduit de l’espagnol de Saint-Germain-des-Prés à l’atmosphère par Laure Guille délétère d’une clinique de Buenos Aires. et François Rosset, Bien sûr, Horacio et la Sibylle forment 602 pages, 13,50 € un couple mythique de la littérature, figures erratiques de l’amour fou. Sibylle surtout, avec son nom de prophétesse, son enfant malade rebaptisé Rocamadour

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Le libre parcours d’une figure oubliée de l’anarchisme en France. Si l’anarchisme a eu ses maîtres à penser – Proudhon, Bakounine, Stirner… –, il ne s’est jamais limité à un cadre théorique. Tout, dans son projet, invite paradoxalement à se dégager de ses précèptes figés et d’une ligne politique à suivre à la lettre. Les plus grands anarchistes ne sont-ils pas ceux-là mêmes qui se détachent de toute doctrine et de toute forme d’ordre ? Le destin de Zo d’Axa, figure oubliée et épique d’une histoire parallèle de l’anarchisme, incarne à cet égard cet esprit libertaire que rien n’entrave, “que rien n’enrôle et qu’une impulsive nature guide seule”, comme il l’écrivait dans son hebdomadaire L’Endehors, fondé en 1891. Un “hors-laloi, un hors-d’école, un isolé chercheur d’au-delà”, se qualifiait cet aventurier, journaliste, directeur du journal subversif La Feuille entre 1897 et 1899, qui présenta un âne comme candidat officiel aux élections. Jean-Jacques Lefrère et Philippe Oriol retracent le parcours fiévreux de ce subversif absolu qui marqua secrètement l’histoire de la IIIe République par ses articles antimilitaristes et antibourgeois et son goût pour la liberté. Seul contre tous, contre les maîtres, les dieux, les peuples mêmes. Zo d’Axa ou un “idéal-type”, à défaut d’être un type idéal. Jean-Marie Durand

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La face soft et gentillette du méchant Fantômas au cinéma (Jean Marais dans Fantômas se déchaîne d’André Hunebelle, 1965)

welcome back, Fantômas ! Vénéré par les surréalistes, mis en chanson par Guy Debord et popularisé par le cinéma, le personnage créé par Souvestre et Allain a l’étoffe d’un héros mythique. Il revient avec une intégrale de ses aventures et une “biographie”.

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n frac, un masque, un poignard. Cent ans après ses premières apparitions, l’ombre iconique de Fantômas, le “génie du crime”, plane toujours et revient hanter le paysage littéraire avec la publication de l’intégralité de ses aventures. L’occasion de redécouvrir ce personnage dont l’image ténébreuse fut, dans les années 60, cannibalisée et brouillée par les films d’André Hunebelle avec Louis de Funès et Jean Marais, comédies gentillettes qui firent basculer l’énigmatique assassin du côté obscur de la force à l’insignifiance burlesque de la farce. A l’origine, Fantômas est la créature de deux auteurs, Pierre Souvestre, un avocat reconverti dans les affaires et l’écriture, et Marcel Allain, son collaborateur, chargés par l’éditeur Arthème Fayard d’inventer un héros récurrent pour la collection “Le livre populaire”. En 1911 paraît ainsi le premier roman, Fantômas, qui contient déjà les ingrédients qui feront le succès de la série : la violence, la modernité (l’espace urbain, les nouvelles techniques d’investigation), les rebondissements abracadabrantesques, le duo Juve-Fandor (le détective et le journaliste), la mystérieuse Lady Beltham et, surtout, les multiples métamorphoses de Fantômas “l’Insaisissable”. Maître du déguisement et de la transformation, Fantômas a tous les visages et n’en a aucun ; il est à la fois partout et nulle part, au centre de l’histoire et toujours en fuite.

Une identité plastique, volatile et mouvante, à l’image de l’œuvre de Souvestre et Allain, qui se plie à toutes les interprétations. Les crimes de Fantômas n’ont pas de mobiles et cette absence de sens ne demande qu’à être comblée par des lectures sans cesse renouvelées, des adaptations cinématographiques de Louis Feuillade en 1913 à une version mexicaine, en passant par Hollywood, la BD et même Guy Debord, avec la chanson anarchiste La Java des bons enfants. Comme le rappellent les universitaires Loïc Artiaga et Matthieu Letourneux (qui signent aussi les préfaces aux œuvres complètes) dans leur essai très stimulant, ce sont les avant-gardes, et en particulier les surréalistes, qui font passer Fantômas du statut de mythe populaire à celui de mythe littéraire. Blaise Cendrars, Apollinaire ou encore Max Jacob vouent un véritable culte au “bandit magnétique” – Apollinaire et Jacob fondant même une Société des amis de Fantômas. Pour Cendrars, c’est “l’Enéide des temps modernes” ; Jacob, lui, y voit du “Nietzsche pour les boniches”. Pour Artiaga et Letourneux, avec leurs couvertures outrancières et leurs titres accrocheurs – Le mort qui tue, Le Policier apache, Le Pendu de Londres –, leur écriture ponctuée d’argot et d’incohérences narratives, les romans de Souvestre et Allain pervertissent les codes de la culture bourgeoise. “Il y a de la provocation malicieuse dans les positions d’Apollinaire

et des surréalistes, notent-ils. Mais elle fait sens en ce qu’un criminel comme Fantômas leur permet d’exprimer la mise à mort des esthétiques académiques héritées du XIXe siècle.” “Retour grimaçant du refoulé”, Fantômas apparaît alors comme une figure de la transgression, à la fois monstrueuse et séduisante. Il exerce sur le lecteur le même charme trouble que sur Lady Beltham, sa maîtresse. Bien sûr, le style désuet de Souvestre et Allain, parsemé de “morbleu”, “gigolettes” et autres victimes “émotionnées”, prête aujourd’hui à sourire et tend à amoindrir la charge subversive du personnage. Mais le mystère de Fantômas demeure. Sa cruauté gratuite, inexpliquée, continue de déconcerter. Fantômas, c’est le diable qui avance masqué. Le mal absolu. Elisabeth Philippe Fantômas de Pierre Souvestre et Marcel Allain, édition intégrale, tomes 1 et 2 (Bouquins), 1 312 pages et 1 280 pages, 30 € chaque volume Fantômas ! – Biographie d’un criminel imaginaire de Loïc Artiaga et Matthieu Letourneux (Les Prairies ordinaires), 183 pages, 21 €

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spécial

Adolph de Meyer, The Granger Collection NYC/Rue des Archives

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Luisa Casati, 1912

la gothique flamboyante Première femme surréaliste avant le surréalisme, dernière vraie fashion icon, la Marchesa Casati imagina sa vie comme une suite de performances. Magique.



uisa Casati n’était pas une artiste sans œuvre, comme l’on pourrait le croire, mais plutôt une héroïne de roman vivant hors d’un roman. Si Gabriele D’Annunzio fut son amant, c’est avant tout elle qui fut son propre écrivain, son propre personnage, et sa vie un espace romanesque qu’elle écrivit à coups de saynètes visuellement puissantes. Celle qui disait vouloir devenir une œuvre d’art vivante construisait son existence en une multitude de tableaux : sa longue silhouette drapée de noir, ses immenses yeux verts encerclés de khôl, ses cheveux roux sauvages lui faisant une tête de Méduse. Elle apparaissait encerclée de deux guépards, ou portant pour seul collier

son cobra – résidant un temps au Ritz, elle demandait aux valets de le nourrir de lapins vivants –, et arriva à un bal masqué donné par Etienne de Beaumont dans un costume fait d’ampoules électriques qui provoquèrent un court-circuit et faillirent la tuer. Elle fit de chacun des palais qu’elle habita (à Venise, Rome, Capri ou aux environs de Paris) l’antre luxueux d’une magicienne gothique accro à l’occultisme et aux mystères de la métempsychose. Elle transforma la place Saint-Marc, à Venise, en salle de bal privée. Et l’on raconte qu’à Venise encore, à la nuit tombée, elle se promenait nue avec son singe, une couronne d’aigrettes et des flots de perles pour seuls atours.

Première femme surréaliste avant l’invention du surréalisme, Luisa Casati incarne la dernière des grandes et vraies excentriques : vraiment flamboyante, elle n’hésita pas à se ruiner (et pourtant, elle était immensément riche) pour faire de chaque instant de sa vie une performance, finissant dans la misère à Londres, où d’aucuns l’auraient vue faire les poubelles. Luisa naît en 1881 dans une des plus grandes fortunes italiennes. Elle perd ses parents à l’adolescence, se marie à 19 ans avec le marquis de Casati, s’éprend à 21 ans de D’Annunzio, le “prince décadent” de la littérature italienne avec qui elle lit A rebours de Huysmans, cette bible du dandysme mortifère. Elle vit

rapidement séparée de son mari, envoie leur unique fille en pension et s’installe à Venise. Elle consacrera sa vie à se réinventer tout en consignant sa réinvention physique à travers une litanie de portraits qu’elle commande aux peintres en vogue de l’époque ou aux photographes (voir celui inoubliable saisi par l’objectif de Man Ray). Elle fascine Proust et le comte de Montesquiou, fréquente les Ballets russes et les futuristes italiens, commande des tenues spécialement faites pour elle à Paul Poiret mais surtout à Bakst, le créateur de costumes des Ballets russes – preuve que la vie serait, pour elle, un vaste théâtre ou ne serait pas. Mais le secret de la Casati, c’est peut-être celui d’une possession. Enfant, sa mère lui racontait les histoires de grandes figures féminines, dont le destin de la princesse Cristina Trivulzio (1808-1871), à la tête d’un salon et d’activités politiques secrètes, qui aurait été la maîtresse de Balzac, Musset, Delacroix et Chopin. Plus tard, Luisa donnera pour prénom Cristina à sa fille en hommage à cette femme qui n’a cessé de hanter et de former son imaginaire. C’est après une séance de spiritisme que Luisa meurt subitement à Londres, le 1er juin 1957. Elle sera enterrée comme elle avait vécu, en statue gothique vêtue de noir et de léopard, des faux cils exagérément longs fixés à ses yeux clos, son pékinois empaillé à ses pieds. Des décennies plus tard, son influence règne encore sur la mode, la photo ou le cinéma. Nelly Kaprièlian The Marchesa Casati – Portraits of a Muse de Scot D. Ryersson et Michael Orlando Yaccarino (Abrams), en anglais, 240 pages, env. 25 €

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RÉSERVÉS AUX ABONNÉS DES INROCKS pour bénéficier chaque semaine d’invitations et de nombreux cadeaux, abonnez-vous ! (voir page 113 ou sur http://abonnement.lesinrocks.com) Main dans la main festival Chalon dans la rue du 24 au 28 juillet à Chalon-sur-Saône (71)

musiques Le Festival transnational des artistes de la rue nous invite, pour sa 27e édition, à battre le pavé et partager des moments inoubliables tels qu’il nous les propose tous les ans. De la magie et du rire pour les plus petits, de l’émerveillement et de l’émotion pour tous, alliant spectacles et réflexions. Cette manifestation engagée autour des arts les plus divers porte également un regard critique, offensif ou bienveillant sur notre monde. à gagner : un week-end pour 2 personnes (train + hôtel + pass VIP)

un film de Valérie Donzelli

DVD Quand Hélène Marchal et Joaquim Fox se rencontrent, ils ont chacun des vies bien différentes. Hélène dirige la prestigieuse école de danse de l’Opéra Garnier, Joachim est employé d’un miroitier de province. Mais une force étrange les unit, au point que, sans qu’ils puissent comprendre ni comment ni pourquoi, ils ne peuvent plus se séparer… à gagner : 20 DVD

Rengaine un film de Rachid Djaïdani

DVD Paris, aujourd’hui. Dorcy, jeune Noir chrétien, veut épouser Sabrina, une jeune Maghrébine. Mais Sabrina a quarante frères et ce mariage plein d’insouciance vient cristalliser un tabou encore bien ancré dans les mentalités de ces deux communautés : pas de mariage entre Noirs et Arabes. Simane, le grand frère gardien des traditions, va s’opposer par tous les moyens à cette union… à gagner : 20 DVD

Sandra Nkaké le 14 juillet au festival Terres du son à Tours (37)

musiques Entre énergie soul, feeling pop-rock et BO fictive, Sandra Nkaké signe un album de chansons Nothing for Granted imaginées et réalisées à la maison. Elle y conte des destins croisés, individuels ou collectifs, tous en proie à des choix existentiels. Un vrai bonheur ! Rendez-vous le 14 juillet au festival Terres du son pour une session live exclusive et inoubliable. à gagner : 4 places

pour profiter de ces cadeaux spécial abonnés Chagall devant le miroir : autoportraits, couples et apparitions jusqu’au 7 octobre au musée national Marc-Chagall de Nice (06)

expos A l’occasion du 40e anniversaire du musée national Marc-Chagall, une exposition entièrement dédiée à l’artiste réunit près d’une centaine d’œuvres, peintures et dessins. Elle s’interroge sur l’autoportrait comme voie d’accès privilégiée à la compréhension de son œuvre. à gagner : 50 x 2 pass

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fin des participations le 7 juillet

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Don Draper, figure (sexuellement) tourmentée de la série Mad Men

la face noire d’Harry White Le héros du Démon, le roman d’Hubert Selby Jr. paru en 1976, est un grand névrosé sexuel qui préfigure d’autres personnages cultes contemporains tels que Patrick Bateman ou Don Draper. L’amour en plus.

C  

omme tous les romans d’Hubert Selby Jr., Le Démon est un livre de souffrance qui déconstruit minutieusement le rêve américain. En martyr originel, Harry White, la vingtaine fringante, jeune loup taillé pour l’ascension sociale, grimpe et dégringole sous une plume furieuse et vaguement sadique. Né au monde à la parution du livre, en 1976, cet antihéros divisé, torturé, cet american boy réduit à l’état de bête par ses irrépressibles pulsions préfigure une petite ribambelle de personnages qui hantent l’imagerie contemporaine : la famille des sociopathes en costume trois-pièces. Elément commun de base : le sexe. D’abord présenté comme un type simple, un “bon fils” qui vit encore chez ses parents, Harry White se révèle très vite – premier signe de névrose – un insatiable séducteur, amateur de femmes mariées. Péché de luxure oblige, la machine se grippe dès lors que ses escapades romantico-érotiques à la pause déjeuner le font arriver en retard au travail, que le désir commence à gêner sa concentration… On pense à Brandon, le personnage principal de Shame de Steve McQueen, qui, tiraillé entre ses pulsions et sa raison, avait de plus en plus de mal à maintenir une étanchéité entre vie sexuelle et vie sociale. Bien sûr, par la distorsion entre la forme et le fond et ce qui s’ensuit de tiraillements entre être et paraître, White évoque également Patrick Bateman, le yuppie sanguinaire d’American Psycho. Mais une différence majeure les sépare (et fait diverger plus généralement les œuvres de Selby et Bret Easton Ellis) : si Bateman se laisse aller avec délice à ses envies meurtrières, White n’en finit pas de lutter.

dominé par ses pulsions, Harry White se change en monstre, sous le regard aimant de son adorable épouse

En cela, il annonce quasi prophétiquement le plus troublé de nos héros contemporains, Don Draper, le play-boy torturé de Mad Men. Car c’est bien ce qui fait du Démon un livre terrible, qui tutoie parfois l’insoutenable : il nous plonge dans la psyché d’une âme dévorée vivante par sa face obscure. Alors qu’American Psycho brille par son sarcasme et sa froideur éclatante, ce roman-ci bouleverse car il déborde d’amour. En citant la Bible en exergue, Selby trace d’ailleurs d’entrée les contours du cadre dans lequel va se débattre sa création, jusqu’à en tomber d’épuisement : la morale, grande affaire de la vie quotidienne américaine, et ses corollaires, le péché et la culpabilité. Ainsi, même si Harry, à mi-roman, rangé et heureux, a la naïveté de croire qu’il n’a plus besoin de se “tenir sur ses gardes”, Selby sait bien que l’on n’échappe pas à ses démons. Ancien héroïnomane, il dédie d’ailleurs son roman à Bill Wilson, l’un des fondateurs des Alcooliques anonymes. Le message, en l’affaire, est clair : si tu consens à nourrir ta dépendance, c’est elle qui te mangera tout cru. Il suffira donc d’une pichenette pour replonger notre pauvre héros dans la spirale infernale des désirs impérieux. Mais avec plus à perdre, plus abrupte sera la chute. C’est sans doute ça, l’enfer de la chimère américaine : la perte de contrôle face aux passions, l’envie qui prend le pas sur la raison, l’amour et l’ambition, pour changer l’homme en bête. Dominé par ses pulsions, Harry White se change en monstre, sous le regard aimant et compassionnel de son adorable épouse. Etouffé par la pression qui pèse sur le mâle américain contemporain, il éclate de l’intérieur et se rend dans un finale éblouissant qui le voit trouver enfin la paix. Pas sûr que l’on puisse en dire autant du lecteur abasourdi. Clémentine Goldszal Le Démon (10/18), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marc Gibot, 347 pages, 7,50 €

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Marijpol La Roche au tambour Atrabile, traduit de l’allemand par Charlotte Fritsch, 112 pages, 19,50 €

flux et reflux Une plongée onirique et délicate dans la mémoire d’un jeune soudeur sous-marin orphelin, au moment où lui-même va devenir père, par le Canadien Jeff Lemire.

 L

e Canadien Jeff Lemire partage ses talents entre des récits pour l’éditeur américain DC Comics (Animal Man, Frankenstein, Agent of S.H.A.D.E.) et des écrits plus personnels, comme le superbe Essex County, paru en France en 2010, ou ce nouvel album, Jack Joseph, soudeur sous-marin. Jack Joseph est soudeur sur une plate-forme offshore de Nouvelle-Ecosse, au Canada. Alors que sa femme Susan est sur le point d’accoucher, il la laisse seule pour continuer son travail. Jack est hanté par le souvenir de son père, chercheur de trésors amateur, doux rêveur et alcoolique, qui a disparu en mer alors qu’il était enfant. Mais il est aussi désireux d’échapper à la pression de devenir père à son tour. Un jour, remontant à la surface, il découvre un monde vidé de ses habitants. Une étrange balade dans cet univers désert lui permettra de faire le point en solitaire, d’affronter angoisses et souvenirs refoulés et de faire la paix avec le passé pour accepter l’avenir. Peintre subtil du silence, de la solitude et de l’isolement, Jeff Lemire dresse

admirablement, avec peu de mots et un dessin brut proche de l’esquisse, les portraits du père et du fils. Sans émotion surfaite, sans lourdeur, dans des pages quasi muettes d’un dépouillement poignant, il mêle détails réalistes (la petite ville tranquille de bord de mer, la grossesse de Susan), flash-backs révélant la clé de l’histoire et le triste passé du père, et scènes fantastiques (les voix sous l’eau, la ville déserte, le fantôme paternel) qui amplifient la tension dramatique. La frontière entre rêve et réalité est toujours ténue et permet de belles analogies, entre la plongée dans l’eau purificatrice et la plongée dans les souvenirs, la mer et la conscience, la chasse aux trésors du père et la quête personnelle du fils – leurs traits finissent d’ailleurs par se confondre, jusqu’au moment où Jack reprend le chemin du monde réel. Un récit émouvant autour de la responsabilité, du rôle de père et d’un indestructible amour filial. Anne-Claire Norot

Une première œuvre subtile, un pied – léger – dans le fantastique. Lors de sa dernière mission, un vieux couple d’archéologues découvre dans une grotte les traces d’une mystérieuse civilisation. Pour en apprendre plus, le duo décide d’y faire séjourner pendant quatre mois un cobaye, Miriam, sous prétexte d’une expérience sur le sommeil. La jeune fille se retrouve vite face à d’étonnantes créatures poilues, sortes de chauve-souris géantes… Dans La Roche au tambour, la jeune auteur allemande Marijpol imagine un univers proche du nôtre mais basculant par à-coups dans le fantastique. Elle y mêle avec légèreté humour absurde (avec notamment des personnages secondaires délirants) et science-fiction. Son trait au crayon, doux et précis, reflète le regard empreint d’humanité qu’elle porte sur ses personnages, humains ou bêtes. Sur certaines impressionnantes pages muettes qui rythment le récit, son dessin se fait fantasmagorique, sous haute influence de L’Apocalypse de Dürer. Une première œuvre intrigante et particulièrement attachante. A.-C. N.

Jack Joseph, soudeur sous-marin (Futuropolis) traduit de l’anglais (Canada) par Sidonie Van den Dries, 224 pages, 26 €

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réservez Paris quartier d’été Un été sous le double signe de la Corée et de l’Afrique du Sud : du pays de Psy, Symphoca Princess Bari d’Eun-Me Ahn et les tambours de Noreum Machi ; d’Afrique du Sud, place à un duo Nelisiwe Xaba/Kettly Noël et à l’opéra de William Kentridge, qui intrigua le public d’Avignon l’an passé. Enfin, Isabella Rosselini devrait dévoiler son Bestiaire d’amour… du 14 juillet au 11 août à Paris, tél. 01 44 94 98 00, www.quartierdete.com

Bussang 2013, les Estivales Pour sa 118e édition, le plus ancien festival de France rend honneur à la Belgique, avec La Jeune Fille folle de son âme de Fernand Crommelynck (mise en scène Michael Delaunoy) et Et si nos pas nous portent…, cabaret singulier de Vincent Goethals, mise en musique des textes de Stanislas Cotton (un auteur que l’on découvrira aussi à travers deux pièces courtes, Clod et son Auguste et Le Roi bohème). du 13 juillet au 25 août au Théâtre du Peuple – Maurice Pottecher, Bussang (88), tél. 03 29 61 50 48, www.theatredupeuple.com

Faust semblants Pour l’ouverture de la FabricA, la nouvelle salle du Festival d’Avignon, Nicolas Stemann donne une version irrévérencieuse, drôle et pétillante du classique en deux parties de Goethe : un sommet de théâtre épique.



ette construction étrange”, note Goethe à propos de son second Faust dans une lettre au philosophe Wilhelm von Humboldt. La remarque vaut, à vrai dire, aussi pour la première partie, même si sa forme est moins hétérogène. Alors qu’il travaille sur le premier Faust, Goethe parlait déjà, écrivant à son ami Schiller, d’un “monstre de composition barbare”. Le plus étonnant étant que ce “monstre” soit devenu non seulement un classique de la littérature allemande, mais de la littérature tout court. La mise en scène protéiforme que donne aujourd’hui Nicolas Stemann des deux Faust de Goethe, dans un spectacle d’un peu plus de huit heures, déconstruit génialement cette dimension monstrueuse d’un chef-d’œuvre tellement touffu qu’on ne sait par quel bout le prendre. Nicolas Stemann, dont l’adaptation échevelée de la comédie Les Contrats du commerçant d’Elfriede Jelinek fut un des temps forts de l’édition 2012 du Festival d’Avignon, ne monte pas Faust à la lettre – ni dans son intégralité, car le spectacle durerait au moins vingt-quatre heures !

Cependant, sans s’éloigner du texte, il le travaille pour ainsi dire au corps, le mettant à l’épreuve avec une bonne dose d’irrévérence, comme seul peut le faire celui qui connaît son Faust sur le bout des doigts. C’est ainsi qu’une actrice peut s’avancer tranquillement sur la scène et déclarer tout de go : “Je me présente, Johann Wolfgang von Goethe.” De même, Stemann ne craint pas, après plus de trois heures de spectacle, d’annoncer par la voix de deux commentateurs que ce livre est tout simplement impossible à monter. Un peu plus tard, l’exposition simultanée des analyses diffusées en vidéo de trois spécialistes de Goethe ajoute encore de la confusion à ce qui est déjà passablement embrouillé. Mais peut-il en être autrement dans un monde où règne l’embrouilleur suprême qu’est Méphistophélès ? On l’oublie parfois, tant l’œuvre est bizarre – ne serait-ce qu’avec ses sauts dans l’espace et dans le temps –, mais Faust est une pièce de théâtre. C’est aussi une œuvre fragmentaire. Goethe ne voyait pas comment lui donner une forme achevée. D’où ce besoin d’y revenir

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Krafft Angerer

on l’oublie parfois, tant l’œuvre est bizarre, mais Faust est une pièce de théâtre

toujours. Au point que des années 1770, époque où il travaille sur le Urfaust (le Faust “primitif”), à 1831, où il considère avoir terminé le second Faust, le livre aura occupé la plus grande partie de sa vie. Sur scène, le comédien qui interprète seul les trois protagonistes du Prologue sur le théâtre, en ouverture de la pièce, déchire des pans entiers de l’ouvrage avec ces mots, évidemment ironiques : “Si vous donnez une pièce, donnez-la en mille fragments.” Du livre, l’acteur a fait une mâchoire qui s’ouvre et se referme en parlant. L’approchant de son oreille, il écoute ce qu’il lui dit, contrefaisant sa voix à la façon d’un ventriloque. Dans le vide du plateau, la présence de ce comédien est d’autant plus extraordinaire qu’il va ensuite interpréter à nouveau seul le Prologue dans le ciel, opposant Dieu et Méphistophélès, ainsi que les scènes suivantes, jusqu’à l’entrée de ce dernier dans le cabinet d’étude de Faust. Qu’un comédien assume une telle multiplicité de voix est déjà une façon de nous faire pénétrer dans la forme si étrange d’une œuvre qui a précisément cette nature d’amalgame. C’est aussi le moyen d’introduire le thème du double. Car évidemment, de tous les personnages qui le traversent, un seul domine, celui de Faust. Sitôt entré en scène, avant même d’avoir prononcé un seul mot en son nom, il est déjà Faust. Sauf que tout à coup, voilà qu’un deuxième Faust est présent à ses côtés. Un peu claudiquant, certes. Son double légèrement asymétrique, une parodie.

En les identifiant ainsi, Nicolas Stemann montre comment Méphistophélès et Faust forment un couple indissociable. Ne vont-ils pas jusqu’à s’étreindre parfois et même se rouler des pelles ? Copains comme cochons. Prêts à faire les quatre cents coups. Bien sûr, tout cela n’est pas univoque. Au contraire, puisque nous sommes au royaume de l’ambiguïté. Ainsi, l’acteur qui joue Faust devient lui-même Méphistophélès et vice-versa, comme s’ils mélangeaient leurs rôles. Une tendance qui s’accentue au fur et à mesure qu’on avance dans la pièce. Méphistophélès est celui qui permet à Faust d’aller au-delà de lui-même – ce n’est pas un hasard s’il débarque juste après la tentative de suicide de ce dernier. Cette présence du double est encore soulignée dans la scène où Marguerite demande à Faust s’il croit en Dieu, tout en lui disant qu’elle n’aime pas son ami. Or, à ce moment-là, contrairement à ce qui est indiqué dans l’original, Méphistophélès est non seulement présent, mais la jeune femme est littéralement prise en sandwich entre les deux acteurs. Avec le second Faust, l’affaire se complique considérablement, Goethe ayant pas mal chargé la barque avec la création d’un homuncule, la figure d’Hélène surgie tout droit de l’Antiquité, la multiplication de mascarades et autres allégories – rendues d’ailleurs de façon désopilante par des acteurs transformés en fleurs et en insectes. Et l’invention du papier-monnaie – une idée de Méphistophélès – n’arrange pas les choses. Le peuple se révolte. On arrose les manifestants de paillettes d’or. Des immeubles se dressent. Le monde industriel commence à détruire l’ordre naturel. Comment interpréter ces transformations à travers le mythe et la poésie ? C’est tout le génie de Goethe, dont Nicolas Stemann rend admirablement compte dans un spectacle pétillant d’humour et d’une inventivité inépuisable. Du très grand art. Hugues Le Tanneur Faust I + II de Goethe, mise en scène Nicolas Stemann, les 11, 13 et 14 juillet dans le cadre du Festival d’Avignon, www.festival-avignon.com 3.07.2013 les inrockuptibles 103

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spécial

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Chaque semain une exposition fictive regroupe des œuvres piochées dans l’actualité artistique de l’été.

vernissages New Orders / Des images comme des oiseaux Lancement en fanfare de la deuxième saison de la Friche La Belle de Mai dans le cadre de Marseille-Provence 2013. Au programme, une expo monstre signée Atelier Van Lieshout, qui poursuit l’écriture grandeur nature de son utopie critique, et une exposition des photographies de la collection du CNAP orchestrée par l’artiste Patrick Tosani et le commissaire Pierre Giner. à partir du 6 juillet à la Friche La Belle de Mai, Marseille, www.lafriche.org

Le Consortium Nouveau cycle au Consortium deuxième génération, à Dijon, avec une rétrospective consacrée au tout jeune Californien Alex Israel, une expo conceptuelle dédiée aux œuvres de Picasso qui ont été inspirées par sa lecture de la presse et des images télé, et un reenactment d’une exposition mythique du MoMA : The Photographic Object 1970. à partir du 4 juillet au Consortium, Dijon, www.leconsortium.fr

Courtesy The Estate of Sylvia Sleigh Alloway

nos expos imaginaires (1/5) e,

Hirsute Hirsute est une exposition de tableaux échevelés. Les artistes, se lassant de la sobriété et du bon goût, s’y sont délibérément emmêlé les pinceaux, donnant à la peinture du volume mais aucun maintien.

C  

’est une exposition ébouriffée dont les œuvres avouent volontiers qu’elles ont omis de se coiffer. Il y a en elles quelque chose qui rebique et qui se rebiffe, un peu à la manière des adolescents, c’est-à-dire contre tout et rien de précis. De ce point de vue, thématique, c’est donc une exposition un peu tirée par les cheveux. Sauf quand on regarde de près comment les œuvres se hérissent dès qu’on les approche. La peinture de Nicolas Roggy érige à sa surface des reliefs drôlement escarpés, une couche épaisse et plâtreuse qui vient de ce que le jeune artiste surcharge son support en bois de couches d’apprêt (du “structura”) coloré. Or, ce produit qui prend le dessus, au lieu de se tenir sagement au-dessous, est, une fois sec, creusé, gratté et buriné, révélant ainsi les différentes strates de couleurs, du bleu, du rouge, du jaune, qui y ont été mélangées. Dans le premier tableau, l’apprêt est poncé soigneusement jusqu’à présenter une surface concave et un éclat

translucide sur les bords qui semblent se replier comme un tas de journaux jaunis. L’autre pièce est comme en lambeaux, pauvre chose crevassée, aux ongles rognés et à la peau boutonneuse, marbrée de taches et d’auréoles douteuses, ce qui pourrait faire passer Nicolas Roggy pour l’ultime rejeton de l’abstraction matiériste d’un Fautrier charriant sa part de mauvais goût et de mauvais genre. Mais il y a encore dans cette manière de forer le tableau, de le faire suer par tous ses pores, l’idée, non pas simplement de le pourrir, mais bien de vérifier qu’il en a encore dans le ventre. A côté d’ailleurs, le réalisme forcé de la toile de Sylvia Sleigh encourage de même la peinture à reprendre du poil de la bête. C’était, certes, il y a un peu plus longtemps : son Paul Rosano Reclining date de 1974. Tignasse frisée et volumineuse,

Sylvia Sleigh encourage la peinture à reprendre du poil de la bête

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Photo André Morin, courtesy Triple V

Sylvia Sleigh, Paul Rosano Reclining,1974

Nicolas Roggy, Sans titre, 2013

pubis foisonnant, torse et cuisses velus, ce bassiste d’un groupe rock des années 70 était un des modèles favoris de l’artiste galloise, installée à New York en 1961, morte en 2010, à 94 ans. Depuis, on avait perdu l’habitude de voir autant de poils en peinture. Cela tient peut-être au goût érotique du jour pour les corps glabres. La peinture s’épile en même temps que ses modèles. Mais le charme étrange et désuet de la toile de Sylvia Sleigh tient surtout à sa facture, à cette manière rêche et pointilleuse d’appliquer le pinceau dans tous les recoins, même les plus fins – et jusqu’à cette toison pubienne dont les frisottis paraissent plus vrais que nature –, à cet excès de précision qui finit toujours par gâter l’ensemble du tableau, conférant un aspect tordu ou une allure gauche au modèle. Une beauté bizarre, donc, émane de cet éphèbe chevelu, saisi dans une position lascive que la peinture moderne réservait plutôt aux femmes. Artiste féministe, Sylvia Sleigh transgressait les diktats du genre. Son naturalisme allait de pair avec un naturisme hippie, merveilleusement rendu par une peinture au poil (près). Nina Childress, des années après, a su se jouer aussi du rôle de potiche réservé au modèle féminin en limitant le portrait à un postiche qui ne coiffe aucun visage. Les Blondes I (1997), ce sont en effet ces chevelures à frange, l’une à l’endroit, l’autre à l’envers, qui flottent sur un fond

bleu azur peint au spray. La peinture démêle la problématique du portrait pictural contemporain. Puisqu’il n’y a plus personne qui pose dans l’atelier, la relation intime du peintre au modèle s’est distendue. Dès lors, ne peut plus subsister sur la toile que cette touffe de mèches éparses, dont l’image est empruntée sans doute à une publicité pour shampoing deux-en-un. Enfin, une peinture de Carroll Dunham boucle l’accrochage. Le peintre américain, qui fait émerger d’un écheveau de lignes épaisses des personnages cartoonesques, au nez ou aux parties génitales proéminents, n’a pas son pareil pour s’emmêler les lignes de l’abstrait et du figuratif. A dire vrai, ici la peinture est taillée en pièces. Il ne s’agit que d’une reproduction, que le commissaire d’exposition a découpée en mille morceaux, avant de les coller en vrac sur un poteau. Mais la coupe lui va bien. Judicaël Lavrador Nicolas Roggy jusqu’au 13 juillet à la galerie Triple V, Paris XIIIe, tél. 01 45 84 08 36, www.triple-v.fr Sylvia Sleig Un œil viscéral, jusqu’au 1er septembre, au CAPC, Bordeaux, tél. 05 56 00 81 50, www.capc-bordeaux.fr  Le Grand Tout avec Nina Childress, jusqu’au 31 août au Frac Limousin, Limoges, tél. 05 55 77 08 98, www.fraclimousin.fr  Hello Goodbye, Thank You… avec Carroll Dunham, jusqu’au 3 août, à la galerie Castillo/Corrales, Paris XXe, tél. 01 83 96 66 43, www.castillocorrales.fr 3.07.2013 les inrockuptibles 105

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Roy Lichtenstein, Before the Mirror (Devant le miroir), 1975

persuade Lichtenstein de se tourner vers la culture vernaculaire et les choses ordinaires. “L’art ne doit pas ressembler à de l’art”, lui dit Kaprow. Ce seront d’abord des objets, un pneu, une bague, un Frigidaire, empruntés à la publicité, et que Lichtenstein reproduit en noir et blanc. Dernière station avant le pop. Collection particulière, © Estate of Roy Lichtenstein New York/ADAGP, Paris, 2013

pop

Lichtenstein, pas si pop ? La grande rétrospective Roy Lichtenstein au Centre Pompidou permet de voir son œuvre sous un nouveau jour.

pré-pop Quand il devient au début des années 60 un des maîtres du pop art américain avec son art pointilliste façon BD, Roy Lichtenstein a déjà 37 ans et arrive avec un parcours de peintre déjà bien entamé. Profil plus classique que Warhol : issu de la classe moyenne new-yorkaise, passé par des études académiques aux beaux-arts, passionné de jazz, enrôlé dans l’armée américaine et envoyé en 1944 en Angleterre puis en France – il en profite pour étudier le français –,

Roy Lichtenstein se veut d’abord un peintre moderne américain. Mais ses toiles postcubistes représentant des cow-boys et des Indiens tressautant sur des chevaux sauvages ne génèrent pas beaucoup d’excitation, pas plus que ses toiles abstraites de la fin des années 50. Le vrai changement intervient en 1960. Devenu assistant professeur à la Rutgers University, dans le New Jersey, il est influencé par son collègue Allan Kaprow. Cet artiste très versé dans la théorie et pionnier du happening

Mickey Mouse, des girls stéréotypées et sentimentales, des explosions d’avions… Fasciné par l’efficacité visuelle des comics, par la simplicité forte de ces illustrations, Lichtenstein va livrer au monde, en passant par la galerie de Leo Castelli, quelques-uns des chefs-d’œuvre du pop art. Notamment en intégrant dans ses toiles les Ben-Day dots, les fameux points venus de la reproduction imprimée, qui vont devenir la marque de fabrique de ses toiles les plus célèbres des années 1962-1965, comme Crying Girl. Dans Masterpiece (1962), une Barbie blonde stéréotypée dialogue avec un sosie de Ken devant un tableau. On y note deux traits durables de toute son œuvre : un certains sens de l’humour, et surtout la mise en abyme, la présence d’un tableau dans le tableau. Reprise, décalage, réflexivité : un autre Lichtenstein est déjà là, sous la surface lisse d’un pop art redoutablement efficace.

post-pop En vérité, le pop art n’aura pas duré longtemps. Warhol en décrète d’ailleurs la fin dès 1965. Très vite aussi, Lichtenstein s’évade d’une conception trop étroite du pop art. Ou trop successful : en 1964, le pop se répand très largement auprès du grand public,

fait la une des magazines, se trouve déjà repris par d’autres et par la publicité elle-même. En Europe, les critiques se font de plus en plus acerbes contre cet art trop peu critique, trop en phase avec l’Amérique, et ses artistes sont regardés comme de nouveaux peintres d’icônes. Le magazine Life se demande si Lichtenstein ne serait pas “le pire artiste du XXe siècle”. Bref, il faut explorer d’autres pistes.

postmoderne ? Si Lichtensein apparaît à nombre de contemporains comme celui qui s’est enfoncé dans un académisme pop, dans une peinture facile et hyperdécorative, à l’image de ses séries des Mirrors, des Entablatures ou des Interiors des années 80, d’autres y verront la marque d’un artiste plus postmoderne que franchement pop. Dès le début des années 60, en même temps que ses toiles empruntées aux comics, Lichtenstein s’adonnait déjà à des revisitations pop de l’art moderne, surréaliste ou cubiste. Mélange des styles, regard amusé de l’art sur l’art, à l’image des Brushstrokes antiexpressionistes, ces coups de pinceau violemment gestuels mais complètement figés, comme arrêtés par la technique de reproduction. Viendront plus tard les trompe-l’œil, les natures mortes cubistes, les vues d’ateliers en hommage à Matisse. Jean-Max Colard Roy Lichtenstein du 3 juillet au 4 novembre au Centre Pompidou, Paris IVe, www.centrepompidou.fr à lire hors-série Les Inrocks “Le Pop Art de A à Z + dossier Roy Lichtenstein”, en kiosque, 7,90 €

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meltyProd

l’info Melty carte Créé en 2008, le groupe de médias en ligne Melty fait le plein chez les moins de 30 ans. Grâce à des algorithmes mesurant les attentes des internautes sur l’actualité – cinéma, people, sport… –, son jeune patron Alexandre Malsch a inventé un média générationnel.

 A

u début du mois de juin, le groupe de médias en ligne Melty organisait une conférence de presse dans ses nouveaux locaux, au KremlinBicêtre. Près de l’escalier, une vieille imprimante poussiéreuse contraste avec les bureaux flambant neufs de la rédaction. “C’est un vestige, se marre Roxane, qui assure la présentation des lieux. Melty a désormais interdit l’utilisation du papier à tous ses salariés.” Les travaux se sont achevés la nuit précédant la conférence, et le résultat est bluffant. Une bande de moquette imitation herbe relie les différents points de la rédaction, décorée de manière ultramoderne. Plus étonnant encore, mais en parfaite cohérence avec la moyenne d’âge des cinquante-sept salariés de l’entreprise, des mini skate-boards, aux couleurs des différents pôles de Melty, jonchent le sol vert afin de “faciliter les déplacements”. Melty Network, qui regroupe désormais huit sites (Melty.fr, meltyFashion,

meltyStyle, meltyBuzz, meltyCampus, meltyFood, meltyXtrem et Fan2.fr), revendique être “le premier groupe média pour les 18-30 ans sur internet”. En mai 2013, lors du dernier classement de l’OJD mesurant la fréquentation des sites internet, le portail média pour les jeunes s’est hissé en 29e position, juste derrière Rue89, avec 11 millions de visiteurs. Malgré un look décontract en jean et T-shirt, Alexandre Malsch, 28 ans, cofondateur de Melty, prend un ton solennel au moment de débuter sa conférence de presse. Et pour cause, dans le public, Alexia Laroche-Joubert, productrice de Popstars chez Banijay, et Denis Olivennes, patron de Lagardère Active, l’écoutent attentivement. “Cette année représente une année stratégique importante pour nous”, confie le patron de Melty. Avec le sourire, Alexandre Malsch annonce tour à tour l’installation d’une rédaction en Italie, l’ouverture de filiales en Allemagne et au Brésil, et des partenariats de coproduction avec Lagardère et Banijay. Meltygroup,

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“nos lecteurs sont jeunes et préféreront toujours plusieurs articles courts à une longue analyse”

Alexandre Malsch, jeune fondateur et patron de Melty

qui a réalisé 2,3 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2012, en vise 4,5 en 2013. En parallèle, l’expansion internationale de son modèle doit stimuler ses sources de revenus. Le business plan annoncé prévoit 36 millions de revenus en 2016, dont 21 millions hors de France. Dans un paysage médiatique en berne, la recette de Melty détonne. Fondé en 2008 par trois ingénieurs sortant d’Epitech, ce portail pour jeunes exploite à fond des outils comme Google Trends ou Google Analytics afin de répondre aux aspirations de son lectorat. Capitalisant sur les sujets-buzz qui agitent le web, Melty ne se définit pas comme un site “journalistique”. “Nous ne sommes ni Le Monde, ni Le Point, explique Alexandre Malsch. Nous avons une rubrique d’informations par devoir car beaucoup de gens nous lisent mais nos articles sont surtout axés divertissement.” Il n’en demeure pas moins que le site peut être une source d’inspiration pour des sites d’info traditionnels. Johan Hufnagel, rédacteur en chef de Slate.fr, explique : “C’est un modèle intéressant car ils ont compris comment se construisait une information sur le web grâce aux moteurs de recherche et à une connaissance assez fine de leurs lecteurs. Mais leur lectorat est très volatil. Ils lisent l’article et s’en vont.” Véritable génie du référencement, Melty publie énormément de contenus (de trois cents à cinq cents articles par jour) tournant autour de thématiques (people,

ciné, sport) susceptibles d’intéresser son jeune public. Cette profusion d’articles a été critiquée par le site Journalismes.info, qui accuse Melty d’être une réactivation française des fermes à contenus américaines (“content farms”). C’est-à-dire des sites qui, à l’instar de Cracked.com ou d’eHow.com, publient du contenu à faible valeur ajoutée afin de générer des revenus publicitaires. Une appellation que réfute catégoriquement Alexandre Malsch. “Effectivement, nous produisons beaucoup de contenu car nous cherchons à répondre aux demandes de nos lecteurs qui sont jeunes et qui préféreront toujours plusieurs articles courts à une longue analyse. Nous ne faisons que répondre aux exigences d’une génération zapping qui consomme l’info en temps réel sur son smartphone.” D’ailleurs, Melty entend produire de plus en plus de contenus. Avec Lagardère, le portail va prendre en charge l’édition et la commercialisation des chaînes de télé MCM (musique) et June (pour les jeunes femmes), qui appartiennent au géant des médias. Alexandre Malsch entend également envoyer de plus en plus ses jeunes geeks se confronter au terrain. “Une fois par semaine, une équipe de la rédaction réalise des reportages dans un véritable exercice de journalisme classique”, explique-t-il. Lors de l’hommage public à Clément Méric, le micro vert de Melty côtoyait ceux d’Europe 1 ou de la chaîne Public Sénat. Désormais, le portail produit chaque mois plus de 230 heures de vidéos (interviews, documentaires) exclusives. Lucide sur sa marge de progression par rapport aux autres sites d’information traditionnels, Alexandre Malsh reconnaît que Melty a encore “beaucoup de choses à apprendre et à améliorer”. Avant d’ajouter, plein de malice et d’ambition : “Je pense que nous sommes un vrai média générationnel, une start-up des médias, de la même façon que Google a été une start-up de la recherche et Facebook une start-up des réseaux sociaux, toutes proportions gardées bien sûr.” Agathe Auproux et David Doucet www.melty.fr 3.07.2013 les inrockuptibles 109

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du 3 au 9 juillet Fabrique d’un Etat Documentaire de Florence Martin-Kessler et Anne Poiret. Mardi 9 juillet, 23 h 25, Arte

à la grâce de l’effort Une série de courts documentaires montre autrement le geste du sportif : comme une chorégraphie et une transe. omment restituer à l’écran oscillant entre le gros plan, l’épaisseur gracieuse le plan-séquence, le cut, le plan du geste sportif ? Comment panotique… Un alpiniste escalade rendre vie à la vitesse le massif du Mont-Blanc avec de l’action, à l’effort musculaire, une caméra collée à lui ; un à la concentration, à l’abandon pongiste, filmé au niveau des pieds, dans l’effort ? Dans le flux tape dans la balle comme de l’accélération télévisuelle, le un forcené ; un gymnaste virevolte téléspectateur échappe souvent à la sur son cheval d’arçon filmé par possibilité de comprendre la magie dix caméras ; une judoka tombe et la puissance du sportif, en dehors à terre au ralenti après un de-ashides ralentis un peu trop stéréotypés. barai… Proche, dans l’esprit, du Paul Ouazan, pilote du précieux dispositif expérimental de Douglas Atelier de recherche d’Arte, Gordon et Philippe Parreno filmant propose d’y remédier à travers une Zidane, Sport, la beauté du geste nouvelle collection documentaire déplace le regard du téléspectateur en dix épisodes de 26 minutes, vers le détail qui sue. Semblables à commentée par Christophe de pures chorégraphies, ces gestes Duchiron, Sport, la beauté du geste : rapprochent le sport de la danse : un panorama éclectique une danse aux allures de transe. Jean-Marie Durand de séquences courtes consignant les multiples gestes minuscules Sport, la beauté du geste collection qui font l’ampleur du sport. documentaire de Paul Ouazan Chaque geste génère ici (10 x 26 min), chaque dimanche du 7 juillet au 8 septembre, 12 h 55, Arte son mode de captation spécifique,

C  

Les Nouveaux Journalistes Série documentaire de Denis Robert, Nina Robert et Gilles Cayatte (4 x 52 min). Jeudi 4 juillet, 22 h 50, France 4

Une promo d’étudiants en webjournalisme filmée durant une année. Que deviendront-ils ? Si la fin des journaux est annoncée, les écoles de journalisme, elles, prospèrent à tout-va. La licence “Journalisme et médias numériques”, dirigée à l’université de Metz

Comment l’ONU tente d’organiser un nouveau pays, le Soudan du Sud. Il y a deux ans était créé le Soudan du Sud, dernier acte d’une sanglante guerre civile de cinquante ans qui a abouti à la division du Soudan entre le Nord musulman et le Sud chrétien et animiste. Le film suit les tentatives de l’ONU pour mettre sur pied un Etat là où il n’existait quasiment rien. Travail de titan, dont on observe plusieurs facettes en suivant une des responsables de l’ONU sur place, l’Américaine Lise Grande, qui tente de contourner avec diplomatie les nombreux problèmes causés par l’absence de structures. La gageure étant de transformer en société civile et pacifique une population ayant vécu dans la rébellion armée pendant des décennies. D’où les cours de civisme dispensés aux militaires, les tentatives de désarmement des villages et les dérapages sporadiques. L’essentiel du film est consacré à diverses entrevues entre membres du gouvernement, personnel de l’ONU et pays bienfaiteurs, et aux déclarations ronflantes des uns et des autres. Rien de concret en dehors d’une rutilante maquette de la reconstruction de la capitale du pays, Juba, fièrement exhibée par le vice-président, l’affable Riek Machar. On comprend cependant par quelques indices que les Chinois sont bien placés pour récolter les fruits de la création de ce pays aux gisements pétrolifères très attractifs. Vincent Ostria

par Arnaud Mercier, fait partie de ces promesses faites à des étudiants fantasmant sur le webjournalisme, nouvel horizon d’un métier reconfiguré. Seize étudiants ont été filmés durant l’année de leur formation par Denis et Nina Robert. Construite à la manière d’un feuilleton documentaire nerveusement mis en scène par Gilles Cayatte, la série invente ses personnages, révèle leurs théâtres d’opération, dévoile les règles d’apprentissage d’un métier qui, pour avoir longtemps existé dans des

configurations figées, se cherche de nouveaux modes opératoires. Filmés sur la durée, les élèves oscillent entre les doutes et les plaisirs de l’enquête, comme l’illustre l’épreuve de fin d’année (présenter devant un jury un webdoc). S’ils arrivent parfois au bout de leur rêve au terme de la formation, ces nouveaux journalistes ne sont pourtant pas au bout de leurs peines… La presse sans Gutenberg les fait patienter : les nouveaux journalistes sont aussi pour beaucoup de nouveaux précaires. JMD

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on passe d’un clic de Kameme FM (Nairobi) à The Source (New York), en transitant par Grenouille (Marseille)

radio mondiale L’alliance quasi parfaite de la radio et du web : c’est ce que propose le site TuneIn, avec un accès facile à 70 000 stations du monde entier, à des millions de podcasts, le tout accompagné de fonctionnalités pas gadget.



u milieu des années 80, Radio Nova plantait dans le désert culturel ambiant le concept de “sono mondiale”, un mouvement d’aimantation de la world music vers le public français impulsé par défrichage de ses routards à l’ouïe fine. En 2013, dans un contexte concurrentiel où tentent de s’épanouir les sites d’écoute à la demande comme Deezer, Spotify, Pandora, iTunes Radio et bientôt le streaming musical de Google, l’idée de connaissance universelle de la musique a encore fait son chemin. Mais le fantasme d’une radio mondiale, d’une unité centrale des stations existantes n’avait jusqu’ici jamais tout à fait abouti. La mise en ligne permettant aux radios de s’affranchir des limites physiques des fréquences

hertziennes, l’avenir est pourtant à un déploiement global sur le net. Certaines plates-formes existent déjà, telles Shoutcast, RadioTuna ou Streema, mais, si elles offrent un panoramique alléchant de stations internationales, elles n’ont pas atteint le degré de sophistication et de méticulosité éditoriale de TuneIn.com. “Plus utilisé que connu”, selon Julien Venetz, un de ses directeurs, le site américain apparu à Dallas en 2002 sous le nom de Radiotime se revendique aujourd’hui comme le premier service radiophonique mondial : avec plus de 70 000 stations en accès gratuit (généralistes, musicales, webradios, etc.), 40 millions d’utilisateurs par mois dans plus de 230 pays et plus d’un milliard d’heures d’écoute sur les quatre premiers mois de 2013, difficile

d’annoncer mieux. Mais derrière la rutilance des chiffres, l’étourdissement est réel, provoqué par cette disponibilité sidérante : grâce à une interface limpide, on passe d’un clic de Kameme FM (Nairobi) à The Source (New York), en transitant par Grenouille (Marseille), Quran la palestinienne, Futuro la chilienne, etc., avec une sensation de fluidité inconnue jusqu’ici… Loin de n’être qu’une gigantesque agrégation, certes enrichie de fiches techniques et de grilles détaillées, TuneIn propose de varier les modes d’approche grâce à la finesse de ses fonctionnalités. La découverte des radios par style (musique, actualités, etc.), voire par des genres encore plus précis (enquêtes, fictions, scanners de police mais aussi par nom de chansons ou d’artistes), la possibilité

de visualiser en direct ce que diffusent ses propres présélections, la recherche exhaustive d’événements live (festivals, Roland-Garros) seraient déjà suffisantes si elles ne se doublaient d’un inépuisable fonds de podcasts donnant au projet une épaisseur temporelle peu commune. Tapez par exemple “Attentat Boston” dans “recherche” et enclenchez l’excellente chronique de Mathieu Chevrier chez les Suisses d’Espace 2… Disponible sur mobile, tablette et bientôt sur certains tableaux de bord, TuneIn bouleverse la relation auditeur/flux : fini l’écoute exclusive et pénétrée pour une station élue, bonjour la pulsion, la transversalité, la profusion pour des oreilles omnivores jamais rassasiées… Pascal Mouneyres www.tunein.com 3.07.2013 les inrockuptibles 111

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album Aguas da Amazonia de Uakti Ce groupe du Brésil fabrique ses instruments. Philip Glass a composé un ensemble de morceaux pour eux, regroupés dans cet album, avec des pulsations presque techno et une esthétique unique qui m’ont beaucoup inspirée.

film

L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie Un thriller désirant, exalté et sublime.

Quadrophenia de Franc Roddam L’adaptation de “l’opéra rock” des Who sur le mouvement mod ressort en salle.

Le Renard jaune de Jean-Pierre Mocky Mocky et sa bande de grognards s’en donnent à cœur joie dans un film tourné à l’arrache.

Austra Olympia Les Canadiens s’extirpent de leurs frusques gothiques pour offrir leur electro à la lumière.

Pauvre Miss Finch de William Wilkie Collins En pleine ère victorienne, l’inventeur du roman policier signe un mélodrame subversif.

documentaire Marina Abramovic: The Artist Is Present de Matthew Akers et Jeff Dupre Pour cette performance au MoMA de New York, elle était sur une chaise et regardait droit dans les yeux la personne qui s’asseyait en face d’elle : simple, rare et vrai. recueilli par Noémie Lecoq

Norman Wong

Man of Steel de Zack Snyder Un reboot de Superman qui se hisse à la hauteur du mythe par la grâce de la mise en scène.

Les Chaussons rouges de Michael Powell et Emeric Pressburger Un film visuellement très stimulant, notamment cette scène où une femme danse à moitié dans une ville réelle et à moitié devant des décors en carton.

Katie Stelmanis Chanteuse d’Austra. Leur album Olympia est disponible.

Half Moon Run Dark Eyes Une alchimie parfaite entre le classique et le moderne, le lustré et l’aventureux.

Samba Touré Albala Le musicien ravive l’esprit d’Ali Farka Touré et sort un album envoûtant.

Bertrand Belin Parcs Sa voix grave sonne comme le tonnerre et ses dégâts sont considérables.

The Ricky Gervais Show sur OCS Novo Saison 3 de la série animée de l’humoriste britannique. WorkingGirls saison 2, Canal+ Une vision burlesque et angoissante du monde du travail. Odysseus sur Arte Un huis clos comme un Lost antique.

Un concours de circonstances d’Amy Waldman Un architecte musulman gagne le concours pour construire le mémorial du 11 Septembre : dévastateur.

Y revenir de Dominique A Le chanteur revient sur les lieux de son enfance.

Une fille bien d’Holly Goddard Jones Une poignée de personnages en quête d’une vie meilleure dans un bled du Kentucky.

Lastman, tome 2 de Bastien Vivès, Balak et Michaël Sanlaville Une BD d’action entre shonen japonais, culture pop et feuilleton à la Dumas.

Faust I et II de Goethe mise en scène Nicolas Stemann Festival d’Avignon Version irrévérencieuse, drôle et pétillante du classique de Goethe.

Ping Pang Qiu mise en scène Angélica Liddell Festival d’Avignon Angélica Liddell rêve d’une Chine impossible qu’elle voudrait “arracher au royaume des ombres”. Heavy Metal de Loïc Sécheresse L’histoire de La Hire, écorcheur et capitaine de Jeanne d’Arc, dans un style mi-Sfar, mi-Cabu.

L’Atelier mastodonte par Lewis Trondheim et ses acolytes Le quotidien d’un atelier fictif de BD.

Rituel pour une métamorphose de Saadallah Wannous, mise en scène Sulayman Al-Bassam ComédieFrançaise, Paris Une farce osée et engagée du premier auteur de langue arabe joué au Français.

Pietro Roccasalva The Unborn Museum Centre d’art Le Magasin, Grenoble Un art qui constitue à lui seul un système, un circuit personnel où se recycle tout ce que l’artiste prélève du monde.

Markus Schinwald CAPC de Bordeaux L’artiste autrichien investit toute la nef du CAPC avec une installation totale, relais de ses obsessions.

Biennale de Venise Une Biennale un peu tournée vers le passé mais qui laisse émerger des trésors : le pavillon lituanien et le film de la Française Camille Henrot, entre autres.

The Last of Us sur PS3 Trip dans une Amérique dévastée et infestée de zombies.

Remember Me sur PS3, Xbox 360 et PC Ce premier jeu d’un studio français invente une bluffante version futuriste de Paris.

Monaco - What’s Yours Is Mine sur Xbox 360 et PC Le film de casse a enfin son pendant vidéoludique. Une expérience ébouriffante.

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par Serge Kaganski

mars 2012

parties de campagne avec

Jean-Luc Mélenchon

 T

raiter la politique aux Inrocks a toujours été compliqué. Par quel bout prendre cette matière médiatiquement omniprésente ? Comment rendre ce sujet parfois austère un peu plus vivant, accessible, porteur de sens ? Doit-on avoir une approche purement journalistique, orientée, militante ? Ces questions ne nous ont jamais quittés. Comme lecteur et comme journaliste, je n’ai jamais cru au traitement politicien classique : j’ai toujours préféré le fond des idées (sociologues, économistes, philosophes, historiens, politologues…). Ou alors le portrait façon cinéaste/écrivain/ chanteur : tenter de radiographier l’homo politicus, sa personnalité, sa pensée, en se détachant de l’actualité. C’est dans cet esprit que j’ai suivi Jean-Luc Mélenchon durant trois journées de sa campagne présidentielle 2012 (son portrait devait s’inscrire dans une série sur les dix candidats qui ne s’est finalement pas faite). Réputé atrabilaire, particulièrement avec les journalistes, le candidat du Front de gauche a été durant ces journées sympathique, courtois, accessible, drôle… Devant la presse étrangère, il a bien sûr vitupéré contre les Etats-Unis, l’Allemagne, les banques, le libéralisme, fidèle à sa doctrine et à son image médiatique. Mais au milieu du personnel d’un dispensaire du Neuhof (banlieue populaire de Strasbourg), Méluche était un homme attentif, généreux de son temps et, désolé du cliché, proche du peuple. Puis dans l’arrière-salle d’un café du centre, nous avons conversé pendant une heure (alors qu’il était pressé par un agenda surbooké). Il m’a vanné quand j’ai commandé un Coca (“vous buvez la boisson de l’ennemi ?!”), semblait très content qu’on

le questionne sur ses lectures (K. Dick, Vonnegut, Van Vogt…), ses goûts en cinéma, son cheminement intellectuel et politique, ce qui devait le changer des comparaisons avec la blonde héritière de l’autre bord. Le plus frappant, c’est ce sentiment qu’il donne de mener ses combats politiques pour les Français et non par ambition personnelle : “Mon projet, c’est la VIe République, expliquait-il. Vous serez stupéfait de voir ce que je vais faire si je suis élu. Je convoquerai une Constituante, cette Constituante établira, je l’espère, un régime parlementaire comme dans toutes les démocraties européennes, et dès que ce nouveau régime aura été adopté, je jetterai la clé de l’Elysée dans la Seine et je rentrerai chez moi ! Mon ambition n’est pas le pouvoir, pour une simple raison : j’ai déjà tout eu. J’ai été le premier bachelier de ma famille. J’ai été président délégué d’un conseil général. J’ai été sénateur. J’ai été ministre. Donc, en ce qui concerne la carotte de la carrière, les honneurs, ma vie a été débarrassée assez vite de cette forme triviale de l’ambition. Par conséquent, je suis dans un autre degré d’ambition, qui est de faire des choses à la hauteur de mes rêves de jeunesse et de ceux de mes contemporains.” Ah, c’est beau. Evidemment, on n’a pas pu vérifier la conformité des actes de Mélenchon avec ces bonnes paroles puisqu’il n’a pas été élu. Il a aussi perdu la législative d’Hénin-Beaumont, puis de nouveau dérapé. Il ne sera sans doute jamais président, mais il est bon que des hommes comme lui habitent notre paysage politique, tant pour peser à gauche que pour injecter un peu de substance, de truculence et de croyance dans un univers si souvent réduit à la novlangue des communicants.

Tandis que Jean-Luc Mélenchon vise l’Elysée, Benoît Jacquot s’installe à Versailles

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DU 5 AU 26 JUILLET 2013 67e ÉDITION DU FESTIVAL D’AVIGNON

Avignon souffle chaud

cap sur l’afrique à Brazzaville avec Dieudonné Niangouna et DeLaVallet Bidiefono

dialogues Nordey/Balibar Bel/Quesne Rizzo/Linyekula

reportage Warlikowski à Varsovie

un jour au festival

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souvenirs d’artistes

tous les spectacles

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Kabaret Warszawski (Cabaret Varsovie) de Krzysztof Warlikowski, photo Magda Hueckel

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a FabricA ouvre enfin ses portes. Des feux d’artifice du Groupe F au Faust en intégrale de Nicolas Stemann, sans oublier le Kabaret Warszawski (Cabaret Varsovie) de Krzysztof Warlikowski, ce lieu de répétitions et de résidences d’artistes aux dimensions de la cour d’Honneur, rêvé par Jean Vilar dès 1966 et réalisé par le tandem Hortense Archambault/Vincent Baudriller, sera le premier espace du Festival ouvert à l’année. Cette édition est donc celle de toutes les nouveautés. Ainsi de l’événement “Des artistes un jour au Festival”, prestigieux best-of réunissant ceux qui se sont produits ici depuis dix ans, artistes associés ou invités. Attention, défilé de talents : Thomas Ostermeier, Romeo Castellucci, Christoph Marthaler, Alain Platel, Anne Teresa De Keersmaeker… S’ajoutent à cette belle liste les noms des deux artistes associés de ce 67e volet : Dieudonné Niangouna, de Brazzaville, et Stanislas Nordey, devenus de vrais complices. Un lien fort, artistique et humain, qui oriente une grande partie de la programmation vers le continent africain. Un choix qui conclut avec brio le pari d’un Avignon pluridisciplinaire et international, tel qu’il a été voulu et défendu tout au long de cette dernière décennie. Bon vent à Hortense et Vincent… et suivant la formule consacrée : “The show must go on !” Les Inrockuptibles

sommaire cap sur l’afrique 4

au Congo-Brazzaville, avec Dieudonné Niangouna et DeLaVallet Bidiefono 12 portraits de 3 artistes africains

dialogues 16 Stanislas Nordey & Jeanne Balibar 24 Jérôme Bel & Philippe Quesne 28 Christian Rizzo & Faustin Linyekula

portraits 32 6 noms à suivre

reportage 38 à Varsovie avec Krzysztof Warlikowski

un jour au festival 42 anecdotes intemporelles d’artistes phares

programme 46 avec les critiques des spectacles de : Boris Charmatz et Anne Teresa De Keersmaeker, Jan Lauwers, Katie Mitchell, Angélica Liddell, Anne Théron, Milo Rau et Philippe Quesne

couverture Kabaret Warszawski (Cabaret Varsovie) de Krzysztof Warlikowski, photo Magda Hueckel chef de projet Benjamin Cachot directeur adjoint développement et nouveaux médias Laurent Girardot coordination éditoriale Fabienne Arvers, Sophie Ciaccafava, Jean-Marc Lalanne rédacteurs Fabienne Arvers, Hugues Le Tanneur, Philippe Noisette, Patrick Sourd directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu chef d’édition Stéphanie Damiot secrétaire de rédaction Sylvain Bohy, Laurent Malet, Fabrice Ménaphron, Christophe Mollo iconographie Maria Bojikian retouche photo Antenna, Pascale Francès assistantes publicité culturelle Caroline Mira et Estelle Vandeweeghe fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure, brochage Roto Aisne SN directeur de la rédaction Frédéric Bonnaud directeur de la publication Frédéric Roblot fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski dépôt légal troisième trimestre 2013. Les Inrockuptibles est édité par Les Editions indépendantes, société anonyme au capital de 1 407 956,66 €, 24, rue Saint-Sabin, 75011 Paris, n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse © Les Inrockuptibles 2013. Tous droits de reproduction réservés. merci à Rémi Fort, Yannick Dufour, Patricia Lopez et l’équipe du Festival d’Avignon. Stéphanie Damiau et l’équipe de l’Office de tourisme d’Avignon. Ainsi que Sasha Rau, Annika Frahm, Lydie Debièvre, cinéma Utopia, imprimerie Orta, Philippe Bar supplément au n° 918 du 3 juillet 2013, sur une sélection de départements. Ne peut être vendu séparément. Ne pas jeter sur la voie publique les inrockuptibles 24, rue Saint-Sabin, 75011 Paris, tél. 01 42 44 16 16, fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com

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Carnet de route – de pistes et d’ornières – de trois jours au Congo avec l’artiste associé Dieudonné Niangouna et le chorégraphe DeLaVallet Bidiefono. En répétition pour Shéda et Au-delà, chacun instille la création de l’autre. Frères d’âme, c’est une même colère envers un pouvoir hostile qui nourrit leur détermination à créer, rempart contre la violence et la mort ambiantes. par Fabienne Arvers photo Kinzenguele

Brazza vrille

Wakeu Fogaing, auteur, metteur en scène et comédien engagé, présent dans Shéda de Dieudonné Niangouna

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“je commence tous mes spectacles ici. Il faut d’abord renvoyer la parole dans le ventre de sa mère, de là où elle vient, avant qu’elle n’aille ailleurs” Dieudonné Niangouna, metteur en scène

mercredi 16 janvier ngok, saka-saka et mainmise des artistes francophones A notre arrivée à l’aéroport de Brazzaville à 6 heures du matin, Dieudonné Niangouna vient nous accueillir après une nuit blanche à répéter Shéda. Il pète la forme ! Ciel couvert, taxis verts, direction l’hôtel Manama. On quitte le bitume pour une route de terre. Le temps d’arriver et la pluie tombe avec fracas sur les toits en tôle ondulée et creuse des flaques géantes sur la route. On avait prévu la lotion antimoustiques mais pas les bottes en caoutchouc pour affronter la fin de la saison des pluies ! Stanislas, le taxi man qui nous conduira pendant toute la durée du séjour, nous mène sur le lieu des répétitions. Pour cela, il nous faut traverser Bacongo, au sud de Brazzaville, le pont du Djoué, laissant sur notre gauche le fleuve Congo et ses rapides, avant de grimper jusqu’à la maison d’un ministre, pillée pendant les guerres civiles et abandonnée depuis. La route qui y mène est plutôt une piste, creusée d’ornières géantes par les camions des Chinois qui ont racheté la carrière de pierres toute proche. Il faut tout le talent de Stan pour avancer sans verser dans ce terrain miné. Dieudonné Niangouna loue la maison 500 euros la semaine. Le jardin, splendide (il a récemment été remis en état) et truffé de termitières, descend en pente douce vers une rivière où s’ébattent des enfants. Patrick Janvier, Ludovic Louppé et Papythio Matoudidi y sont installés et travaillent à la construction du décor qui partira ensuite en bateau de Pointe-Noire jusqu’à Marseille. Enfin, c’est ce qui était prévu : le décor ne quittera jamais le Congo et l’équipe devra le reconstruire en France quelques semaines plus tard. Près de la rivière, les acteurs et musiciens répètent sous l’œil de Dieudonné et du chorégraphe DeLaVallet Bidiefono, chargé tous les matins de leur préparation physique. A 14 heures, pause déjeuner. Une femme prépare à manger les inrockuptibles

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pour l’équipe chaque jour. C’est bon, copieux et le moment attendu par tous, nous confie Frédéric Fisbach, l’un des comédiens de la troupe internationale réunie par Dieudonné pour Shéda. A les voir répéter, se rouler dans la terre et dans l’eau, dévaler les pentes du jardin, jouer à la balle tout en disant leur texte, on se dit que la fonction de DeLaVallet indiquée dans le dossier du spectacle – préparateur des combats – n’est pas un vain mot ! Dieudonné confirme : “Je ne lui ai pas demandé de faire de la danse contemporaine ! Mais de les faire travailler dans le corps, de les dévoyer complètement. Qu’ils se débarrassent du corps respectueux du comédien par une préparation physique, du training, des courses. Comment courir, rentrer dans la boue, se jeter dedans, en sortir, grimper, sauter. Sans se faire mal. C’est un travail sur le corps, l’endurance, la respiration, les batailles.” Toute l’étendue du jardin est un espace de jeu et les répétitions se terminent avec la tombée de la nuit, vers 18 h 30. Après les notes, retour à Brazza dans le minibus qui transporte quotidiennement l’équipe. Hauts cris à chaque crevasse, mais le conducteur connaît son affaire et une myriade de lucioles nous éclairent de leur scintillement vert. Rendez-vous est pris au bar d’un hôtel où logent les comédiens pour la “tradition” : boire une Ngok, bière nationale, avant d’aller dîner. A la table d’à côté, un groupe fête joyeusement l’anniversaire d’une femme. Dieudonné : “Ce bruit, quand je suis en France, il me manque.” Le voilà lancé. Il nous parle du théâtre, de la politique culturelle au Congo, ou plutôt de son absence criante, de l’écriture et de son père qu’il imite avec délectation (“Il n’y a de littérature que française !”), des guerres civiles pendant les années 90 où tout le monde s’est battu contre tout le monde, les Nordistes contre les Sudistes, certains Sudistes contre d’autres Sudistes, les milices Cobra contre les milices Ninja, la gabegie et la corruption au pouvoir, l’incompétence, la richesse inouïe du pays et la pauvreté scandaleuse des gens.

Dans quelques semaines, les répétitions de Shéda se poursuivront en France, mais cette étape à Brazzaville est essentielle : “Je commence tous mes spectacles ici, explique Dieudonné. Il faut d’abord renvoyer la parole dans le ventre de sa mère, de là où elle vient avant qu’elle n’aille ailleurs ! Pour moi, c’est très important, même si ça ne doit durer que quelques jours. C’est ce mystère-là qui transpirera dans le spectacle, cette énergie-là qu’il faut choper, ce soleil, cette complexité.” Il faut dire que Shéda est le trait d’union entre l’univers théâtral de Dieudonné Niangouna et l’invitation faite par le Festival d’Avignon d’être l’artiste associé de cette édition aux côtés de Stanislas Nordey. “Shéda était dans mon cœur depuis longtemps, mais je ne pouvais le faire qu’avec certains moyens. Quand Vincent et Hortense m’ont annoncé que j’étais artiste associé, j’ai écrit la pièce en quelques mois, j’avais déjà tout en tête. C’est difficile à résumer… Il y a cet espace qui sort d’un abîme après une grande catastrophe, un désert de pierres et de sable avec des carcasses qui traînent et des personnages qui tombent du ciel et perdent la mémoire. C’est comme un trou dans le vide, mais ce vide a un sol. C’est une poche incertaine dans un paysage certain et ils ne savent pas comment en sortir. C’est une forme de métaphore de la civilisation, de notre reconstruction et de notre devenir, de notre renaissance sur les décombres.” La soirée se poursuit dans un restaurant au bord du fleuve Congo. En face, Kinshasa et ses lumières, des barques glissent sur le courant. Au menu : saka-saka, feuilles de manioc pilées et préparées en sauce. Derrière nous, un homme salue Dieudonné. C’est le journaliste spécialiste du président Denis Sassou-NGuesso, celui qui l’accompagne partout. “C’est le griot en fait ! Le seul nommé officiellement. Il travaille pour Les Dépêches de Brazzaville et ça rend fous ceux de l’opposition…” Dieudo nous parle alors du théâtre francophone en Afrique.

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Dieudonné Niangouna et une partie de ses comédiens dans le jardin de la maison louée spécialement pour répéter

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Marion Poussier

DeLaVallet Bidiefono signe Au-delà

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“l’Etat affame les citoyens et quand ils sont malades, ils se débrouillent et ils crèvent” DeLaVallet Bidiefono, chorégraphe

Il nous dit toute sa volonté de découvrir le théâtre des régions anglophones et lusophones. “Nous, on nous a donné Victor Hugo, le théâtre. Chez les anglophones, c’est le business. Les théâtres nationaux n’existent qu’en Afrique francophone. C’est un héritage de la colonisation.” Alors, quand Dieudo décide d’ouvrir son festival Mantsina sur scène à toutes les écritures dramaturgiques contemporaines, d’où qu’elles viennent, il doit affronter le paternalisme et la mainmise des artistes francophones implicitement imposés par l’ambassade de France, sorte de chasse gardée qui résiste au cours de l’histoire, de la décolonisation de l’Afrique à la chute du mur de Berlin en 1989… “Je suis un artiste colérique et énervé !”, résumet-il dans un éclat de rire contagieux.

jeudi 17 janvier “l’indépendance a mangé ses enfants” Il est 9 heures et nous rencontrons l’auteur Sylvie Dyclo-Pomos, invitée au festival pour la lecture de sa pièce Coma bleu. Voix douce, regard dans le vague, son physique offre un contraste saisissant avec son écriture, incisive, sur le Congo et ses désastres depuis ses premières pièces : La Folie de Janus, Les Griots du boss ou L’Aveu. Coma bleu parle des explosions, en mars 2012 dans un camp militaire de Brazza-Nord qui ont fait plus de 1 000 morts et non 200 comme l’a annoncé le gouvernement. Elle est plus que critique à l’égard du pouvoir et de Sassou-NGuesso, qu’elle a toujours connu à la tête du Congo-Brazzaville, “sauf pendant les années de guerre civile, quand il avait dû céder sa place, qu’il a reprise en 1997, en s’autoproclamant président…” Pourtant, elle ne voudrait pas vivre ailleurs : “Ici, on peut toujours compter sur la famille. On ne met pas les vieux dans des maisons de retraite, comme chez vous.” Cette soif de créer pour et dans leur pays, malgré le contexte politique et l’incurie généralisée, est le point commun de tous les artistes croisés à Brazzaville.

A 14 heures, au centre culturel Sony Labou Tansi, nous avons rendez-vous pour assister aux répétitions d’Au-delà, de DeLaVallet Bidiefono. Le lieu, délabré mais très beau, est un vestige de la colonisation investi par les artistes quand il n’est pas confisqué par le pouvoir pour des réunions politiques. On y croise des chorégraphes rencontrés à Paris, Bamako ou Johannesburg : Boris NGanga, Orchie Nzaba. Sur le plateau, les danseurs sont accompagnés par un chanteur à la voix aussi rauque et grave que son corps est frêle, un Tom Waits junior qui se nomme Athaya Mokonzi et qui improvise sur un texte de Dieudonné Niangouna écrit pour le spectacle, une colère mise en mots sur la confiscation généralisée opérée sur le peuple par le pouvoir en place. La distribution finale n’est pas arrêtée mais ce qu’on voit sur scène est fort, percutant, magnifique. Des gestes acérés, des paroles soudées au rythme d’une guitare basse. Un spectacle qui a d’abord pris corps en quelques jours lors de la précédente édition du festival Mantsina sur scène, nous raconte DeLaVallet après l’interruption de la répétition pour cause de coupure d’électricité. Un aléa habituel. Sous des trombes d’eau, on s’installe à l’abri d’une paillote dans le jardin qui jouxte le centre et on discute autour d’une Ngok. DeLaVallet et Dieudonné sont frères en création comme dans la colère – leurs rires et leurs paroles résonnent du même son de cloche. Le gouvernement détourne l’argent dévolu à la culture pour s’acheter des 4x4 et des maisons et les artistes n’ont rien. Rien de rien, à part une énergie et une volonté inentamée. Ils s’organisent entre eux et se partagent le lieu. A Brazzaville, il n’existe qu’une seule salle de spectacles, celle du Centre culturel français, qui marque aussi la frontière entre le Nord et le Sud de la ville, juste après le parc où une pancarte indique la case de Gaulle. La veille, en passant devant en taxi, Dieudonné nous avait dit : “Cet endroit, on l’appelle la ‘Gueule du crocodile’.

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Répétitions de Shéda

Pendant les guerres civiles, quand tu tombais dedans, il fermait son museau et t’étais mort. C’était une grande zone de front où on te tirait dessus de loin dès que tu passais. Il y avait des montagnes de cadavres, c’était un gros cimetière ouvert. A l’Indépendance, c’est là que de Gaulle avait fait son discours. Au milieu, une petite route goudronnée traverse le centre Sony Labou Tansi et l’ambassade de France. C’est là que Brazza avait déposé le drapeau français. Depuis, on dit que l’indépendance a mangé ses enfants !” Au-delà aussi parle du rapport à la mort, “parce que j’adore la mort, nous dit DeLaVallet, mais je n’aime pas la façon dont les gens meurent ici. Personne ne se questionne quand quelqu’un meurt dans ce pays. On dit juste que tu as été mangé par un sorcier. C’est comme si le pays participait à la mort des citoyens. Déjà, l’Etat les affame et quand ils sont malades, ils se débrouillent et ils crèvent.” Il va de soi que les artistes sont dans la ligne de mire des sbires du gouvernement et ils le savent pertinemment. DeLaVallet : “Ma mère me dit toujours : ‘Dans ce monde, on est déjà mort, mais mourir est une libération.’ Parce que la vie est trop dure ici. Athaya, dans le spectacle, vient raconter sa mort et c’est important pour moi de jouer cette pièce au cloître des Célestins où ont été enterrés il y a des siècles des gens morts de la peste. J’ai envie de ramener cette mémoire à Avignon, d’ouvir cette porte et de dire, comme les gens le croient ici, qu’on ne meurt pas et que toutes ces personnes sont autour de nous et qu’avec eux, ici et aujourd’hui, on joue ensemble.” les inrockuptibles

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A Brazzaville, il n’y a pas de transports en commun mais des centaines de taxis verts qui roulent au tarif unique de 1 000 francs CFA et sillonnent jour et nuit la capitale. Celui qui nous ramène à l’hôtel ce soir-là nous montre un bâtiment, équivalent local de l’Elysée et précise : “C’est là que dorment les présidents élus démocratiquement. Un seul y a dormi jusqu’à présent !” Le territoire de la présidence est immense. Au nord de la ville, d’où est originaire le président, les routes en bon état, les immeubles neufs et des files de 4x4. Au sud, la majorité des artistes, l’immense marché Total, le plus grand de toute l’Afrique, le terrain d’enfance de Dieudonné, qui nous montre successivement son école, son collège, son lycée.

vendredi 18 janvier des mamans et un char calciné Un programme remanié plusieurs fois pour finir dans l’improvisation générale. On retourne aux répétitions de Shéda sous un soleil de plomb avant de repartir à Brazza-Nord pour rencontrer Merryl, une journaliste des Dépêches de Brazzaville, le seul quotidien congolais existant. Une rédaction vide, “le journal ne sort pas le samedi”, s’excuse Merryl. Dans les bureaux, seulement des ordinateurs, ni feuille de papier ni téléphone. La pagaille de nos rédactions n’existe pas ici, au point qu’on dirait un décor de rédaction… A deux heures de reprendre un vol de nuit pour Paris, on apprend que la toute jeune compagnie aérienne congolaise Ecair, qu’on a déjà prise à l’aller, est sur la liste noire au niveau international et que sa pdg,

interviewée par Merryl plus tôt dans la journée, se scandalise de ce blocage. Sympa… On préfère en rire ! Avant de quitter Brazza, on retourne dans le Sud. La pluie tambourine sur les vitres du taxi en direction du Djoué. Dieudonné veut nous montrer les rapides du Congo. Le temps d’y arriver, la nuit est tombée et des éclairs illuminent Kin la Belle de l’autre côté du fleuve. Une dernière Ngok et on repart vers l’hôtel. Pour éviter les bouchons, on fait un détour par le quartier de Matour et soudain, dans la pénombre, une masse fait bloc sur un trottoir. Un char calciné. Dieudonné : “Ce sont les mamans du quartier qui ont empêché qu’on l’enlève. Un matin, pendant les guerres, le président a envoyé ce char pour tirer sur la population. Après, ils ont effacé toutes les traces matérielles des combats dans toute la ville. Sauf ce char car les mamans voulaient qu’il reste là pour qu’on se souvienne, que les enfants le voient et sachent qu’un matin, les habitants ont été réveillés parce que l’armée nous tirait dessus.” Cette dernière image, on l’emporte précieusement comme un symbole fort et la trace indélébile de la résistance d’un peuple et de ses artistes à la violence du pouvoir.

Shéda

mise en scène Dieudonné Niangouna

CARRIÈRE DE BOULBON DU 7 AU 15 JUILLET 21H RELÂCHE LE 10

Au-delà

chorégraphie DeLaVallet Bidiefono

CLOÎTRE DES CÉLESTINS DU 19 AU 25 JUILLET 22 H RELÂCHE LE 21

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embedded au Congo Hortense Archambault et Vincent Baudriller racontent comment, avec Stanislas Nordey et Dieudonné Niangouna, artistes associés de cette 67e édition, ils ont chassé le crocodile, puis un frigo, pour finalement trouver ce qu’ils cherchaient vraiment : une belle histoire de fraternité.



uand on a proposé à Stanislas Nordey d’être artiste associé du Festival avec Dieudonné Niangouna, il a eu cette réponse étrange : ‘Comment vous saviez ? – ‘Vous saviez quoi ?’, lui a-t-on alors demandé. ‘Je suis d’origine congolaise.” Coïncidence mystérieuse, son arrière-grand-père maternel était Congolais. Stanislas Nordey n’était encore jamais allé en Afrique. En septembre 2012, nous sommes partis ensemble au Congo. Nous sommes d’abord allés à PointeNoire, la ville d’où les bateaux partaient avec leur cargaison d’esclaves, là même où ils levaient l’ancre. Là d’où est parti son arrière-grand-père. Au bord de la falaise qui surplombe la mer, on a pris des photos de Stanislas Nordey et Dieudonné Niangouna. C’est tellement beau qu’on pourrait croire qu’il s’agit d’un village de vacances pour touristes. En réalité, c’est plutôt désolé. Une petite stèle en briques, tombée en morceaux, laisse apparaître une phrase gravée à la main dans du béton : ‘Ici, deux millions d’esclaves ont été emmenés’. Tout est à l’abandon. La présence de Stanislas en cousin congolais de Dieudonné

devient un symbole fort de cette histoire. A la fin de notre séjour, pour marquer le coup et nous dire au revoir, Dieudonné décide d’organiser un repas de fête. L’idée : manger du crocodile. Pour cela, nous partons en voiture pour le marché aux crocodiles, traversant un quartier entièrement détruit en mars 2012 par l’explosion d’un dépôt de munitions de l’armée congolaise. Dans ce champ de ruines, le climat rappelle les souvenirs douloureux de la guerre civile quinze ans plus tôt. Sur le marché, on finit par trouver : sur une table trône un crocodile. A l’aide d’une machette, une femme ôte la veine dorsale de l’animal, puis le découpe en tranches. Nous sommes là, autour d’elle, tandis qu’elle met les morceaux de viande très rouge dans un seau en plastique. Le repas ayant lieu le lendemain, il faut se mettre en quête d’un réfrigérateur. Dieudonné téléphone à la femme qui doit préparer le crocodile, mais elle est absente. Il propose que nous allions chez sa mère, de l’autre côté de la ville, pour mettre le crocodile au frais. Nous voilà repartis, mais très vite bloqués dans les inrockuptibles

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les embouteillages. Avec les ornières, les morceaux de crocodile font des bons dans le seau en plastique. Arrivés à la maison de la mère de Dieudonné, nous apprenons qu’elle est partie pour la journée dans un village où elle doit assister à un enterrement. La maison est fermée à clef. Toujours pas de frigo. Dieudonné se souvient qu’il a deux amis qui tiennent un restaurant. On traverse à nouveau la ville en voiture. Une fois arrivés, il fait nuit. Il y a une panne d’électricité, comme cela arrive souvent au Congo. Finalement, un ami de Dieudonné se souvient qu’il connaît quelqu’un qui possède un frigo. Il part avec le crocodile. Le lendemain, le repas a lieu, une fête incroyable où tous les artistes invités au Festival étaient présents. A la fin du repas, Dieudonné lève sa bouteille de bière, avec sur l’étiquette un crocodile, au Festival d’Avignon. Pour nous, cette petite histoire africaine signifie beaucoup. Même si cela nous a pris une journée entière, on a obtenu ce qu’on voulait, se réunir et passer un moment ensemble au nom de la fraternité et de la convivialité.” recueilli par Hugues Le Tanneur

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présences africaines Qu’elles viennent du Burkina Faso ou d’Afrique du Sud, les créations d’Aristide Tarnagda, Mamela Nyamza et Brett Bailey, profondément liées à l’histoire de leurs pays, promettent des moments d’une belle intensité.

Aristide Tarnagda une parenté d’écriture avec Koltès Homme de théâtre complet, Aristide Tarnagda est auteur, acteur et metteur en scène. A Lyon, où on le rencontre en mai, il est l’un des comédiens burkinabé du collectif Béneeré présent sur le plateau d’Une saison au Congo d’Aimé Césaire, mis en scène par Christian Schiaretti au TNP de Villeurbanne, aux côtés d’une trentaine d’artistes venus d’Afrique, de Belgique et de France. Au Festival d’Avignon, il est présent à la fois dans le In, avec la mise en scène de sa pièce Et si je les tuais tous Madame ?, et dans le Off, où il jouera sa pièce Terre rouge, en collaboration avec Marie-Pierre Bésanger. Si le désir d’écrire s’est manifesté dès l’enfance, c’est par le plus grand des hasards qu’il découvre le théâtre au lycée quand son professeur de français le désigne comme volontaire dans un groupe de théâtre monté par le professeur de philosophie. “C’est bizarre à quel point certaines personnes sont déterminantes dans la vie”, constate-t-il un peu plus tard, faisant le compte de tous ses “pères”, au théâtre comme dans la vie. Après le lycée, il entame des études de sociologie à Ouagadougou et décide de combler ses heures creuses en rejoignant la troupe du Théâtre de la Fraternité, fondé par Jean-Pierre Guingané. Un jour, celui-ci leur dit : “Je suis fatigué, alors si quelqu’un veut écrire…” les inrockuptibles

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Ada Nieuwendijk

par Fabienne Arvers et Hugues Le Tanneur

Une parole qui sert de déclencheur à Aristide Tarnagda, auteur d’une dizaine de pièces, révélé en 2004 au festival Récréâtrales de Ouagadougou, dirigé par Etienne Minoungou, avec Alors, tue-moi, créé lors d’un atelier d’écriture avec Koffi Kwahulé. Autres rencontres importantes dans son parcours : celle avec Moïse Touré, qui lui fait découvrir Bernard-Marie Koltès – ce qui explique la parenté d’écriture ressentie à la lecture de Et si je les tuais tous Madame ? et du monologue de La Nuit juste avant les forêts – ou celle avec la metteur en scène Eva Doumbia qui l’invite à lire sa pièce Exils 4 à la Comédie-Française en 2007, l’année où le public d’Avignon le découvre avec la lecture de sa pièce, Les Larmes du ciel d’août. Interprété par quatre comédiens, ce monologue dialogué dresse le portrait d’un homme sondant l’urgence du moment pour décider de sa trajectoire à l’instant où son identité se fissure. Les Larmes…, comme pendant féminin de Et si je les tuais tous Madame ?

Mamela Nyamza grandir avec le goût du combat “Rebelle de naissance”, voilà comment se définit la danseuse et chorégraphe sud-africaine Mamela

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Tableau “Travail et progrès” in Exhibit B de Brett Bailey

Nyamza : “Je suis née en 1976, année où, le 16 juin, a débuté une série de manifestations de lycéens s’opposant à l’introduction de l’afrikaans comme langue principale pour l’instruction. Aujourd’hui, cette date est devenue un jour férié en Afrique du Sud, en souvenir de la répression, soldée par des centaines de lycéens tués cette année-là.” Huit ans plus tard, Mamela Nyamza commence son apprentissage de la danse. Pour son premier cours à la Zama Dance School de Gugulethu près du Cap, elle débarque en maillot de bain prenant pour modèle Brenda Fassie, star de l’afro-pop de l’époque. “Je ne savais rien de la danse classique. Je savais seulement que je devais porter un justaucorps.” Par la suite, à Pretoria, elle perfectionne sa formation de danseuse de ballet avant de faire ses premiers pas dans une compagnie où, avec Nelisiwe Xaba, elles sont les seules danseuses noires. Il faudra qu’elle passe un an aux Etats-Unis, en 1998, à l’Alvin Ailey American Dance Center, pour se retrouver pour la première fois de sa vie au milieu de danseuses de la même couleur de peau. De retour en Afrique du Sud, elle crée des chorégraphies en prise directe avec des sujets de société ou avec l’histoire de son pays, comme 19-Born – 76-Rebels, duo qu’elle présente avec la comédienne Faniswa Yisa dans le cadre des Sujets à vif, dont le titre

se réfère à la révolte des lycéens en 1976. “Ce titre signifie que nous ne sommes pas nés libres, mais que nous avons connu le goût du combat dans les années 1980 jusqu’à la libération de Nelson Mandela. Avoir vécu enfant sous l’apartheid fait de vous un rebelle. Vous êtes plus fort. Vous savez d’où vous venez et où vous allez. Avec Faniswa Yisa, nous nous connaissons depuis l’école. Nous sommes les enfants de ce combat pour l’égalité des droits. Nos parents travaillaient comme domestiques pour des familles blanches. Ils nous ont fait partager leur histoire et c’est cette histoire, et aussi la nôtre, qu’aujourd’hui nous souhaitons restituer.” L’engagement politique de Mamela Nyamza est d’autant plus fort qu’elle estime que si des progrès ont été faits dans son pays, le compte est loin d’y être. D’où la nécessité de se battre encore pour faire évoluer la situation. Et, selon elle, la danse peut être un moyen efficace pour faire passer le message : “L’Afrique du Sud ne s’est pas encore transformée. Les lois ont évolué. La liberté d’expression existe. Mais mon fils étudie encore l’afrikaans à l’école. Le fossé entre riches et pauvres est toujours aussi immense. Une minorité possède toujours la majorité des terres, ainsi que l’argent et le pouvoir. L’ancien système se répète, quoique différemment, même parmi la population noire. les inrockuptibles

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Michel Cavalca

MarcZ inga et Aristide Tarnagda (secondplan) dans Une saison au Congo d’Aimé Césaire, mise en scène Christian Schiaretti (2013)

Sans doute les femmes sont-elles plus libres et plus fortes, aujourd’hui, en Afrique du Sud. Mais cette liberté les rend en même temps plus vulnérables face aux abus sexuels, avec un taux de viols très élevé quelle que soit la couleur de peau. Il faut encore se battre pour l’égalité. Ce n’est qu’une fois que nous serons tous égaux que pourra exister enfin une vraie Afrique du Sud.”

Brett Bailey cinglante plongée dans la psyché sud-africaine Ses spectacles tournent dans le monde entier, et notamment en Europe. Pourtant Exhibit B, série de tableaux vivants inspirés des expositions coloniales où étaient exhibés des zoos humains, est la première œuvre de Brett Bailey à être présentée en France. Suivra à la rentrée House of the Holy Afro, spectacle que cet enfant terrible du théâtre sud-africain considère comme son œuvre la plus légère. En effet, beaucoup de ses pièces, comme Big Dada, sur le dictateur ougandais Idi Amin Dada, ou Ipi Zombi ?, plongée dans la psyché sud-africaine marquée par le colonialisme et le racisme de l’apartheid (et où il est aussi question de zombies), sont particulièrement cinglantes. Né en 1967 au Cap dans une famille blanche, Brett Bailey a vécu l’étrange expérience de découvrir seulement à l’adolescence la véritable réalité de son pays alors divisé par l’apartheid. La nature profonde de l’Afrique du Sud et du continent africain en général ne cessera dès lors d’être pour lui un sujet d’étude. Il séjournera notamment dans le Transkei, dans le sud-est du pays, et rassemblera une documentation sur la culture Xhosa dont il intégrera des chants et danses rituelles dans plusieurs de ses spectacles. Ce qui fascine Brett Bailey dans la culture africaine, c’est son côté disparate où les traditions se mélangent avec des éléments venus d’horizons divers. Le nom de sa compagnie, Third World Bunfight, est l’écho de ce creuset chaotique. Si ses spectacles ont pour sujet l’Afrique, ils ne cessent aussi d’explorer les relations, passées et présentes, que ce continent entretient avec le monde occidental. Il est donc presque logique que Brett Bailey en soit venu à travailler sur le thème des zoos humains, où des Africains les inrockuptibles

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Mamela Nyamza

Brett Bailey

étaient montrés derrière des barreaux comme des bêtes en cage à des spectateurs européens. “J’avais lu un livre, Africans on Stage, qui parle de ce phénomène des zoos humains qui a existé depuis le milieu du XIXe siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Je me suis aperçu que moi-même, d’une certaine manière, depuis 2001, je faisais la même chose en montrant mes spectacles où tous les interprètes sont des Africains noirs sur des scènes européennes pour divertir le public. Cette relation entre les deux m’a beaucoup intrigué. Du coup, quand le Wiener Festwochen m’a proposé de présenter une œuvre pour l’édition 2010, j’ai aussitôt pensé aux zoos humains. Ainsi est né Exhibit A, où le principe était d’établir des relations avec la colonisation en faisant référence aux colonies africaines de langue allemande et aux atrocités qui y avaient eu lieu. J’ai repris cette même approche pour Exhibit B, présenté à Bruxelles, mais le rapprochement était fait avec des colonies de langues française ou néerlandaise. L’idée, c’est de renverser le rapport en isolant le spectateur face à un acteur immobile qui le regarde droit dans les yeux. Donc ce qui est mis en scène, c’est la relation de domination entre l’Occident et l’Afrique, non seulement à travers l’histoire de la colonisation et du racisme, mais en tenant compte de la réalité de cette relation aujourd’hui quand l’Afrique est encore considérée comme un monde inférieur qu’on pille, qu’on exploite et qui sert de poubelle puisqu’on y envoie des tonnes de déchets électroniques hautement toxiques.”

Et si je les tuais tous Madame ? texte et mise en scène Aristide Tarnagda

CHAPELLE DES PÉNITENTS BLANCS DU 23 AU 26 JUILLET 15H

19-Born – 76-Rebels

conception Mamela Nyamza, dans le cadre des Sujets à vif

JARDIN DE LA VIERGE DU LYCÉE SAINT-JOSEPH DU 8 AU 14 JUILLET 11H RELÂCHE LE 11

Exhibit B

conception et mise en scène Brett Bailey

ÉGLISE DES CÉLESTINS DU 12 AU 23 JUILLET ENTRÉE TOUTES LES 20 MINUTES DE 11H30 À 15H RELÂCHE LES 17 ET 18

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Par les villages et au-delà Artiste associé, metteur en scène et comédien, Stanislas Nordey accueille la fascinante Jeanne Balibar dans sa famille d’acteurs. Ils lèvent ici le voile sur l’envie et la façon de travailler et composer ensemble, sous l’immensité du ciel étoilé de la cour d’Honneur, un poème dramatique signé Peter Handke. recueilli par Fabienne Arvers et Patrick Sourd photo Vincent Ferrané

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Marc Enguerand/CDDS

En Virginia dans Tournant autour de Galilée de Jean-François Peyret (2008), avec Bibi la truie

Première prestation de Jeanne Balibar à Avignon. Elle est Elvire dans le Dom Juan de Jacques Lasalle (1993), avec Andrzej Seweryn

 J

eanne, comment s’inscrit-on dans une famille d’acteurs comme celle de Stanislas Nordey, qui est aussi votre partenaire et metteur en s cène ? Jeanne Balibar – Je la connais depuis très longtemps parce que j’ai une pratique de spectatrice, même si je suis loin d’avoir vu tous les spectacles de Stanislas. Il a commencé un peu avant moi… Très jeune, j’ai vu ses toutes premières propositions. L’autre jour, Stanislas avait une veste à carreaux, je me demandais quand je l’avais vu jouer Treplev dans La Mouette ainsi vêtu… Ai-je inventé ça ? Stanislas Nordey – Non, c’était au Conservatoire, lors des journées de sortie de la classe de Jean-Pierre Vincent. Jeanne Balibar – Tu vois. Tout à coup, j’ai eu un flash… Et il y a eu bien d’autres illuminations, notamment sa mise en scène de Vole mon dragon d’après Hervé Guibert. On a partagé aussi une expérience courte, mais fondatrice pour l’un comme pour l’autre, lors d’un travail avec Anatoli Vassiliev organisé par Michelle Kokosowski. C’est un compagnonnage de toujours même si c’est la première fois qu’on se rencontre dans le travail. Ce qui m’intéresse, c’est justement de m’ouvrir dans l’expérience même du plateau à des pratiques spéciales (rires) ou plutôt spécifiques au théâtre de Stanislas. les inrockuptibles

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Stanislas, pourquoi avez-vous pensé à Jeanne Balibar pour Par les villages de Peter Handke ? Stanislas Nordey – Le corps, la voix, la manière dont elle se déplace, sa façon de construire son parcours de théâtre m’intéressent. Parce que moi aussi, je suis spectateur, et ça fait longtemps que je me dis que c’est quelqu’un avec qui j’aimerais partager un bout de chemin. Pensant à Jeanne pour le rôle de Nova, je m’étais dit que si je ne trouvais pas une Nova qui corresponde à quelque chose de plausible, je ne ferais pas cette pièce. Jeanne est passée de Frank Castorf à Yves-Noël Genod, d’Alain Françon à Boris Charmatz, il y a dans cet éclectisme un mouvement que j’adore. Je ne savais pas si elle allait me dire oui mais je pensais que la voir réussir à être complètement ce qu’elle est, et en même temps la sentir entièrement à l’écoute d’une proposition de mise en scène ou de chorégraphie vraiment singulière… créerait forcément quelque chose entre elle et moi. Quand j’ai envie de travailler avec des gens pour la première fois, je trouve qu’il faut trouver le bon espace textuel. Là, ça me paraissait possible que notre première rencontre se concrétise sur ce rôle. Stanislas, revenir au Festival après y avoir déjà monté de nombreux spectacles et partager le statut d’artiste associé avec Dieudonné Niangouna, ça change quoi ? Stanislas Nordey – Ça ne change pas

grand-chose d’être artiste associé… Honnêtement, je m’en fous. Je ne sais pas comment dire, mais je ne suis pas là à penser : “Ça y est, c’est la consécration de ma vie.” D’un autre côté, ce qui a été formidable, ce sont les deux ans passés avec Dieudonné Niangouna, que je ne connaissais pas, et avec tous les gens travaillant avec lui. Aller en Afrique aussi… Je n’y étais jamais allé. Voir comment on travaille là-bas, les types d’économie, les types d’énergie, c’était passionnant ce temps passé à discuter avec cet homme. Ça consiste en quoi un binôme d’artistes a ssociés ? Stanislas Nordey – Grosso modo, on s’est vus tous les deux mois pendant trois ou quatre heures depuis deux ans… pour parler de tout et de rien, de littérature, d’arts plastiques, de théâtre, des choses qu’on a envie de voir ensemble, de choses qu’on a vues et qu’on se conseille de voir, de lectures aussi. Une procédure assez informelle qui me convenait très bien. En sortant de cette expérience-là, je me dis que tous les théâtres en France devraient être dirigés comme ça. Quatre ou cinq personnes, artistes ou non, une bande, qui rêve à un mouvement. Finalement, quand je regarde la programmation, je ne sais plus ce que j’ai initié directement, mais je valide tout. Dieudonné est acteur, metteur en scène et auteur, on s’est dit : “Soyons un peu fous pendant

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le Festival, montons tous les jours sur les plateaux avec les fonctions d’acteurs, de metteurs en scène. Je pense que cela n’aurait pas été si joyeux si j’avais été tout seul. Jeanne, vous retrouvez la cour d’Honneur après y avoir joué Elvire dans Dom Juan sous la direction de Jacques Lassalle. C’était la première fois que vous jouiez sur un plateau. Qu’est-ce que ça réveille comme souvenirs ? Jeanne Balibar – Evidemment, c’est très très très émouvant pour moi. Ça ravive des souvenirs... Disons que je ne pense pas tous les jours que la première fois où j’ai joué de ma vie dans une pièce de théâtre, c’était dans la cour d’Honneur du palais des Papes et dans Dom Juan de Molière avec la troupe de la Comédie-Française. Mais c’est assez agréable d’avoir l’occasion d’y repenser (rires), car lorsque ça m’arrive, je me dis que c’est sidérant comme première expérience d’avoir un tel espace comme aire de jeu, je ne parle même pas du poids historique et symbolique, mais tout simplement du lieu. Avoir l’immensité du ciel étoilé au-dessus de sa tête, ne serait-ce que ça, c’est carrément hallucinant comme expérience intime. Il y avait aussi le rôle d’Elvire… Jeanne Balibar – Effectivement, c’était doublement hallucinant… Et ce texte-là me raccordait d’abord à Philippe Clévenot. Les deux scènes

Dans La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas, mise en scène Frank Castorf (2012)

“petit à petit, ce qui est devenu important, c’est d’y aller en donnant aussi à voir ce qu’on ne sait pas” Jeanne Balibar

d’Elvire étaient pour moi crucialement liées à Clévenot jouant les leçons de Louis Jouvet dans Elvire Jouvet 40. Cet homme fait partie de ce que j’appelle “les acteurs-fondateurs”. Il y a des voix d’acteurs qui sont pour moi la raison d’être de mon lien au théâtre, et peut-être d’une manière plus générale du lien qu’entretient le théâtre avec la société. Je dirais qu’il y avait Philippe Clévenot à côté de moi et le ciel étoilé au-dessus de ma tête ! (rires) C’était des conditions extraordinaires pour une première fois. Un cadeau de l’existence comme on en reçoit peu dans la vie. C’est une parenthèse dans le temps qui se referme. Jeanne Balibar – Etre reliée à cette arcade dans le temps est très émouvant. Après, c’est clair, l’actrice que je serai quand on entrera sur scène le 6 juillet n’est pas du tout la même que celle que j’étais le 6 juillet 93. Par contre, ce qui sera du même ordre, c’est que quand j’ai joué Elvire dans la cour d’Honneur, je ne savais absolument pas à quoi

je m’exposais, ni à quoi m’attendre : des années ont passé mais c’est encore le cas d’aujourd’hui… C’est toujours ce qui m’intéresse et me motive : ne savoir ni où je mets les pieds, ni où on va. On tâtonne beaucoup sur ce texte qui est très difficile et si, jusqu’au jour d’entrer en scène, on n’en sait toujours pas plus, ça me va quand même. Petit à petit, ce qui est devenu important, c’est d’y aller en donnant aussi à voir ce qu’on ne sait pas. Cette mise en péril est-elle une aide pour jouer Nova ? Jeanne Balibar – Au tout début de mon texte, Nova dit : “Oui, le danger existe : c’est grâce à lui que je peux parler comme je vais parler : dans la résistance.” Cette phrase-là définit absolument ma ligne de conduite : oui, le danger existe, c’est grâce à lui que ça va se passer comme ça va se passer et je pense qu’il y a là-dedans une forme de résistance. On ne peut pas mieux résumer la situation ! Donc, j’espère qu’il y aura aussi du non-savoir, même vingt ans après. Stanislas, avez-vous vu la mise en scène de Claude Régy de Par les villages datant de 1983 ? Stanislas Nordey – Je n’ai pas vu la version montée ni par Claude Régy en 1983 ni par personne depuis. J’aime travailler sur des textes qui n’ont jamais été créés parce que, pour rebondir sur ce que disait Jeanne, j’envisage toujours la possibilité de l’échec.

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Alain Fonteray

Elisabeth Carecchio

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En 2011, acteur aux côtés d’Audrey Bonnet, dans Clôture de l’amour de et par Pascal Rambert

Hervé Bellamy

En 1994, Stanislas Nordey signait la mise en scène de Vole mon dragon d’Hervé Guibert

Avoir essayé sincèrement quelque chose et n’avoir pas forcément trouvé… Il y a des spectacles où je n’ai pas trouvé, c’est important, ça compte dans le rapport avec les acteurs qui travaillent avec moi, d’accepter la possibilité qu’on se plante aussi parfois. Le choix d’un texte présente toujours une part de risque. Quelles sont vos certitudes s’agissant de la cour d’Honneur ? Stanislas Nordey – Je n’y aurais pas pensé si Vincent Baudriller et Hortense Archambault ne me l’avaient suggéré. Une ou deux fois dans le passé, on me l’avait proposé et j’ai toujours dit non car je ne savais pas ce que j’avais envie d’y dire. Au début, j’avais deux certitudes pour la cour : il fallait que ça soit une écriture d’aujourd’hui, j’ai donc vite évacué beaucoup d’auteurs – Shakespeare, Eschyle et consorts (rires)… Ensuite, ce lieu est souvent dédié à la représentation des puissants : les rois, les reines, les papes, et j’avais envie d’y faire entendre une parole autre. Je me suis souvenu des deux grandes traversées textuelles de Par les villages, les monologues de l’ouvrier Hans et de Nova qui se répondent, et je me suis dit que cette parole-là pouvait trouver sa place devant 2 000 personnes. Et vos certitudes sur Par les villages de Peter Handke ? Stanislas Nordey – Pour moi, c’est la plus belle pièce qui ait été écrite ces cinquante dernières années. De plus, j’aime énormément comment les inrockuptibles

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“j’envisage toujours la possibilité de l’échec. Avoir essayé et n’avoir pas trouvé” Stanislas Nordey

cet homme s’est déplacé dans sa propre histoire théâtrale. Il commence par faire des pièces parlées, Outrage au public, Introspection, Prédiction, qui sont en réaction au théâtre de son époque. Ensuite, il se déplace et fait du théâtre-narration, du théâtre-roman, La Chevauchée sur le lac de Constance, c’est encore une autre forme. Après, avec Par les villages, il s’adosse vraiment à Eschyle et aux tragédies grecques. Plus tard, il se déplace encore et fait une pièce sans parole, L’heure où nous ne savions rien l’un de l’autre. Dernièrement, il écrit un dialogue amoureux, Les Beaux Jours d’Aranjuez. J’aime la manière dont il travaille en inventant continuellement de nouvelles formes. Comment avez-vous procédé pour la distribution ? Stanislas Nordey – Très vite, et assez facilement, les choses se sont mises en place parce qu’on ne monte pas une pièce comme ça si on ne trouve pas les bonnes personnes. Il fallait deux frères,

Laurent Sauvage et moi : ça a du sens, car c’est notre histoire de théâtre. Emmanuelle Béart, qui ne devait pas être sur le coup, me dit un jour : “Qu’est-ce que tu fais ?” Je lui dis Handke et elle me répond : “J’adore Handke depuis que je suis toute petite. Le texte de Sophie me fait fondre en larmes.” A peu près au même moment, Jeanne me dit oui pour Nova. Annie Mercier, que je connais depuis longtemps et qui m’avait troué de troué dans le spectacle de Stéphane Braunschweig, Je disparais d’Arne Lygre, me dit oui pour l’intendante, et pour la vieille femme, ça disait bien à Véronique (Nordey – ndlr). Peter Handke assiste-t-il à des répétitions ? Stanislas Nordey – Ah, non, non, je n’aime pas que les auteurs soient là. Pas lui en particulier, mais je trouve que les auteurs, c’est horrible ce que je vais dire, ne sont pas les mieux placés pour avoir un avis… Par exemple, là, il y a encore des opacités, mais la dernière chose que je ferais, c’est prendre mon téléphone et dire : “Allo Peter ? Ça veut dire quoi ce que tu as écrit à la page 18 ?” C’est l’horreur de faire ça… Il faut assumer. Si on ne trouve pas, on va déposer la parole quand même, et le public l’entendra d’une certaine manière, et s’en saisira. Je l’ai informé de ce qu’on faisait, par courtoisie. Et j’aime l’idée que l’auteur, s’il vient voir le spectacle, puisse s’énerver, être content ou pas, peu

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Marc Domage

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Pascal Victor/ArtComArt

Acteur et co-metteur en scène avec l’auteur Falk Richter de My Secret Garden (2012)

importe. En tout cas, il va découvrir quelque chose et une bande de gens qui ont cherché une piste. Il va forcément être trahi parce qu’on est toujours trahi quand on livre quelque chose de soi et que d’autres s’en emparent. Après, on espère que cette trahison sera belle. Jeanne, dans ce poème dramatique, il s’agit de très longs monologues. Comment aborde-t-on un tel texte ? Jeanne Balibar – Puisqu’on fait le lien avec mes débuts, je suis entrée au Conservatoire en passant Oh les beaux jours de Beckett. Nombre de textes amènent à se poser cette question-là. Comment entrer dans une temporalité qui n’est pas découpée pour le public par un dialogue serré ou par l’organisation d’une intrigue ? Moi, ce qui me plaît, c’est de travailler le saut dans le vide, parce que quand ça commence, on ne sait pas quand ça va s’arrêter (rires). Ni soi ni le public. J’espère vraiment trouver comment approvisionner et apprivoiser ce saut dans le vide. C’est le problème quand on joue la comédie, que ce soit au théâtre ou au cinéma. J’ai une théorie : chaque chose qu’on pense, les gens ou la caméra la ressentent immédiatement. Si on pense : je suis partie pour cinquante minutes, les gens vont tout de suite le voir. Alors il faut ruser avec soi-même et entre soi et l’objet qu’est le texte. Quand je dis ruse, je ne parle pas de trucs factices, mais d’un chemin de ruses comme celui d’Ulysse. On part pour une odyssée

au moment où on dit la première phrase. Il s’agit autant d’organiser que d’improviser ce voyage. Stanislas Nordey – Depuis le début, j’ai proposé à Jeanne de se lancer dans la totalité du texte. Ne jamais le travailler par petits bouts. Pour qu’à chaque fois, elle en fasse l’expérience dans sa durée. Je m’interdis de l’arrêter, je préfère qu’après, on y revienne, pour que chaque moment de plateau soit un moment de représentation. Parfois Jeanne dit : “Je me suis ennuyée dedans”, on peut en parler parce qu’on est dans la durée. Pour les monologues d’Hans, je fais la même chose, je le fais toujours en entier. C’est d’abord un chemin physique, le premier des enjeux à relever. Jeanne Balibar – Oui, c’est comme si on s’entraînait au 3 000 mètres plutôt qu’au 100 mètres. Stanislas Nordey – Un double enjeu : celui de la mémoire tout bêtement et, surtout, trouver son propre tempo intérieur. Ne pas avoir peur est fondamental, et je rejoins ce que dit Jeanne. Moi, mes petits secrets, c’est de ne pas savoir quand je démarre pour 11 pages, qu’il y a 11 pages à dire. Je m’oblige à ne pas le savoir, à ne pas voir plus loin que le point qui est au bout de chacune de mes phrases. Comment entrer dans la peau d’un tel p ersonnage ? Jeanne Balibar – Moi, je m’en fous du personnage. Mais ce dont je ne me fous pas, c’est de la situation.

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“moi, je m’en fous du personnage. Mais ce dont je ne me fous pas, c’est de la situation”

Vincent Ferrané

Jeanne Balibar

Quelle est la situation dans laquelle je suis pour me sentir légitime de tenir le crachoir aussi longtemps ? (rires) Comment construire une image intérieure qui justifie pour moi de continuer à parler. C’est une chose que j’ai apprise. La première fois où j’en ai été vraiment consciente, c’est quand j’ai travaillé avec une des autres grandes actrices de ma vie, Bibi la truie, ma partenaire sur un spectacle de Jean-François Peyret. Quel enseignement avez-vous reçu de Bibi la truie ? Jeanne Balibar – Bibi est peut-être l’actrice qui m’a le plus appris au monde parce qu’elle n’en faisait qu’à sa tête (rires) et que j’étais seule avec la responsabilité de faire comprendre au public ce qu’elle faisait à l’intérieur d’une situation théâtrale un brin inhabituelle. J’étais Galilée, certes à poil et à genoux, mais en train d’expliquer à Bibi, qui jouait la princesse de Médicis, qu’elle avait tort de vouloir m’assassiner (rires) et de me reprocher mon célèbre : “Et pourtant elle tourne !” Et ça durait des plombes et des plombes et c’était très compliqué. Je n’ai pas tout de suite trouvé, mais quel plaisir quand j’ai enfin compris… Donner à voir au public, non pas ce que je fais moi, mais le sens les inrockuptibles

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qui est produit par la conjonction entre ce qu’elle fait elle et ce que je fais moi. Ça m’a fait réfléchir à cette question de la situation… et depuis, j’utilise tout le temps l’enseignement de Bibi, parce que tout peut devenir Bibi ! C’est-à-dire que là, ce matériau qui résiste, ce bloc, cette montagne de texte, de singularités, d’histoires à raconter… c’est comme Bibi au fond. C’est un truc ingérable qui me dépasse de très loin mais si j’arrive à le dompter, c’est jouissif de sentir que je fais passer la rampe à ce que je comprends de cette situation. Trouver une manière de dépasser la résistance de cette matière, c’est ça le plaisir que je cherche. Parlons des derniers engagements de Handke pendant et après la guerre en Yougoslavie… Stanislas Nordey – Moi, je n’étais pas d’accord au moment où Marcel Bozonnet a déprogrammé Peter Handke de la Comédie-Française. Quelle a été votre réaction au moment où vous avez appris qu’il était allé se recueillir sur la tombe de Milosevic ? Stanislas Nordey – Cette attitude est incompréhensible. Pour une raison simple, je lis Handke depuis l’adolescence, La Femme gauchère, Le Malheur indifférent. Le plus incompréhensible,

c’était de voir que l’homme m’apparaissait à ce point disjoint de l’écrivain… C’est sans doute pour ça que ça ne me pose pas de problèmes de monter Par les villages, parce que son geste, que je serais incapable d’expliquer, me semblait incompatible avec ce que j’avais lu de lui. Si loin de l’endroit du regard ouvert, du paysage d’un théâtre et de la poésie de textes qui laissent toujours une part à l’incertitude. Qu’un acte aussi définitif soit assumé publiquement m’avait troublé. Le geste littéraire de Par les villages ne contenant aucune ambiguïté qui pourrait me tourmenter, je ne me suis même pas demandé si j’allais monter la pièce ou pas. En plus, un tel geste m’était apparu d’une certaine manière presque suicidaire. Je peux le dire simplement. Ce que je veux, c’est de faire passer le geste d’écriture avant tout. Jeanne Balibar – Je n’ai rien à ajouter, moi, ma foi. Je suis aussi sur cette ligne-là…

Par les villages

de Peter Handke, mise en scène Stanislas Nordey

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la fin de l’illusion

Bannir la magie pour faire émerger le théâtre. Celui de Jérôme Bel et Philippe Quesne, vécu comme un processus, est à la lisière de l’expérimentation. Leurs créations respectives pour cette 67e édition étaient l’occasion d’un échange lumineux. recueilli par Hugues Le Tanneur photo Nicola Lo Calzo

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“ça veut dire quoi de répéter pour être prêt ? Prêt à quoi ? A montrer une chose figée ?” Philippe Quesne



l y a une différence notable entre vos deux démarches. Là où Philippe Quesne construit un milieu dans lequel il plonge les comédiens pour observer leur comportement, vous, Jérôme Bel, exploitez ce  qui vous est donné. Comme c’est le cas avec la création que vous présentez dans la cour d’Honneur… Jérôme Bel – Quand on me demande quelle va être ma scénographie, je réponds qu’il n’y en a pas… Que c’est la cour, et j’ajoute qu’elle est sémantique. Autrement dit, elle ne fait que parler d’elle-même. Là, j’ai un décor et un sujet qui, d’ailleurs, ne sont peut-être qu’une seule et même chose. J’ai beaucoup travaillé sur la mémoire des performeurs dans mes créations précédentes… Je me suis dit qu’il faudrait aussi envisager celle d’un lieu. Que s’est-il passé à cet endroit ? Il fallait interroger des témoins : les acteurs, les metteurs en scène, les techniciens… Mais aussi les spectateurs. C’est ce qui m’inquiétait le plus, les spectateurs, et c’est finalement ce qui fut le plus intéressant. Leur discours est moins uniforme que celui des professionnels. J’aime faire parler des gens que je ne connais pas, et qui ne les inrockuptibles

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sont jamais montés sur scène, encore moins sur celle de la cour d’Honneur. Quand j’ai fini par leur dire qu’ils seraient face au public, aucun n’a refusé. Philippe Quesne – Ma première pièce est née de l’envie de mettre du bazar sur scène pour réagir à un certain théâtre français où la scénographie n’était abordable qu’à ceux qui disposaient de gros budgets. J’ai voulu blaguer. Je venais de l’art contemporain et je savais qu’avec du polystyrène et trois bouts de Plexiglas, on pouvait remplir une scène. Les signes liés aux objets et aux matières m’intéressent. Pour Swamp Club, j’ai donc imaginé un décor particulier où immerger les acteurs. J’aime cette idée d’une équipe qui arrive à croire qu’un bout de bâche en plastique est un marais et qu’un centre d’art est installé au milieu de tout ça. Dans mes spectacles, rien n’est écrit à l’avance, le texte est inventé par les acteurs. Les gens avec lesquels je travaille apportent aussi de la matière. Il ne faut pas tricher avec ça. Vous vous situez tous deux sur un point limite : Jérôme crée des pièces qui ne sont presque plus, voire plus du tout, de la danse. Philippe invente des formes qui questionnent la notion

même de théâtre. Expliquez-nous vos démarches respectives ? Jérôme Bel – Chez moi, c’est voulu. Je me suis toujours adossé à une définition de l’art comme se situant à la limite. Pour définir mon travail, je parle de “théâtre expérimental”, qui va chercher aux limites de ce qu’il ne connaît pas. Philippe Quesne – Je n’ai jamais pensé que je me situais à un point limite. Mon premier désir de créer une pièce, après avoir travaillé pendant dix ans comme scénographe, était plus naïf. Il ne s’agissait pas de se positionner par rapport à un certain théâtre mais de voir ce que j’avais envie d’éprouver comme spectateur. Donc j’ai quand même l’impression de faire du théâtre. Contrairement à Jérôme ? Jérôme Bel – Non. Parce que moi non plus, je n’étais pas très conscient au début. J’avais lu Les Règles de  l’art de Bourdieu, où il explique qu’il y a un champ artistique et que, dans ce champ, il y a des agents. Certains sont au centre et d’autres à la périphérie. Les premiers spectacles que j’ai vus, c’étaient ceux de Pina Bausch et de Merce Cunningham et c’était aux limites. Ça ne ressemblait pas à de la danse.

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“j’aime être contre le sacré. Le pouvoir de la scène sur le public m’agace” Jérôme Bel

Philippe Quesne – C’est exactement ce que je recherche : pas tant la limite que la lisière où le spectacle est utilisé pour chercher des formes, les éprouver et, bien sûr, les montrer. J’aime quand les artistes exposent les coutures. Quand j’ai découvert ton travail en 1998, Jérôme, c’était avec Le Dernier Spectacle, où on assiste à une chose assez théâtrale finalement. De magnifiques interprètes, mais aussi un jeu qui montre la structure avec laquelle tu as travaillé. Il s’agit de désacraliser le théâtre ? Jérôme Bel – Tous les deux, on a un souci avec la tradition de l’illusionnisme. Au théâtre, c’est insupportable pour une raison simple : ça appartient au cinéma. Quand j’ai commencé, je pensais qu’il était notre concurrent. C’est le même dispositif, à peu de choses près : on s’assoit ensemble dans une salle… Mais quelle est la puissance du cinéma sinon la puissance de l’illusionnisme ? Le seul moyen de sauver le théâtre – car quand j’ai commencé, j’étais parti pour sauver le théâtre (rires) –, c’était de dire qu’on ne pouvait rien dissimuler, qu’il fallait se mettre à nu. C’est pour ça que j’ai fait cette deuxième pièce où ils étaient tous à poil sur scène.

Philippe Quesne – La question c’est : “qu’est-ce que ça veut dire de faire un vrai spectacle ?” En tant que scénographe, j’ai souvent été confronté à des metteurs en scène qui parlaient de “magie”. Certains, en répétition, disaient : “Si seulement je pouvais garder ça pour le vrai spectacle”, c’est formidable quand même ! Mais ça veut dire quoi de répéter un spectacle pour être prêt ? Prêt à quoi ? A montrer une chose fixée, figée ? Un spectacle c’est d’abord un processus. Jérôme Bel – Oui, on ne cherche pas à montrer qu’on a bien travaillé. Philippe Quesne – C’est ça, il ne s’agit pas de montrer comment un acteur a cherché en lui ce qu’il ne sait pas faire et qui de toute façon ne tiendra pas. Dès mon premier spectacle, tout devait et pouvait avoir valeur de théâtre, même sans les enjeux du drame classique, que sont souvent la tragédie, le meurtre, une tension dramatique qui viendrait de motifs du théâtre traditionnel dont on est nourris. Cela veut-il dire que vous vous percevez en rupture avec la tradition ? Jérôme Bel – L’incompréhension serait de croire qu’on est aux limites

et donc coupés de la tradition. En réalité, on part toujours de la tradition, mais pour l’amener ailleurs. Donc le lien est toujours là. C’est grâce à ces spectacles traditionnels, dont certains sont merveilleux, qu’on a pu comprendre ce qu’était le théâtre et pourquoi il fallait le pousser à d’autres endroits. En revanche, j’aime être contre le sacré, contre l’illusionnisme. Le pouvoir de la scène sur le public m’agace au fond. Comme si on prétendait que nous, sur scène, on savait quelque chose de plus, quelque chose qu’on vous cacherait. Philippe Quesne – Toutes disciplines confondues, ce que j’aime, c’est d’être touché par un artiste qui ne cherche pas à me dominer, mais me laisse de l’espace. Quelqu’un qui me propose un univers. Comme Claude Régy par exemple, ou Mike Kelley, qui me fascine. Jérôme Bel – J’insiste sur cette idée de tradition. Au théâtre, j’aime pardessus tout l’espace. Le théâtre, je le vois quand je pénètre à l’intérieur. Quand je vais à l’opéra, par exemple, au moment où le rideau se lève, parfois on entend le public qui fait “ah…”. Je trouve ça génial. Malheureusement, il n’y a plus de rideaux. Parce que dans le théâtre contemporain, on essaie de supprimer le quatrième mur. Or, nous, c’est par rapport à ça qu’on se situe. On travaille à l’intérieur d’une histoire pour la faire avancer.

Cour d’honneur

conception et mise en scène Jérôme Bel

COUR D’HONNEUR DU PALAIS DES PAPES DU 17 AU 20 JUILLET 22H

Swamp Club

conception, mise en scène et scénographie Philippe Quesne

SALLE DE SPECTACLE DE VEDÈNE DU 17 AU 24 JUILLET 16H RELÂCHE LE 20

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abstraction physique Au fil de leurs projets, les chorégraphes Christian Rizzo et Faustin Linyekula s’attachent à remettre en jeu leur perception du réel. Ou quand des parcours opposés se croisent pour révéler deux artistes sensibles hantés par leurs racines. recueilli par Philippe Noisette photo Nicola Lo Calzo

 L

’un comme l’autre, vous avez travaillé à partir du réel pour ces créations attendues à Avignon. Mais pas tout à fait de la même façon. Christian Rizzo – La pièce ne s’appelle pas “Une histoire vraie” mais D’après une histoire vraie. Le réel pour moi est le “starter”, surtout pas la finalité. Mais quel réel observe-t-on ? En ce moment, ça serait celui des répétitions ! Je pars du réel et du désir en espérant que les deux vont se croiser. Même si je ne sais pas lequel va gagner. Faustin Linyekula – Faire le choix, il y a douze ans, de revenir au Congo allait de pair avec le fait de comprendre ce qui m’intéresse : raconter des histoires. Je ne voulais pas les inventer, juste prendre ce que la vie offre, sans que cela soit des histoires d’exil pour autant et comment faire un peu de poésie avec l’ensemble. Lorsque j’entends parler Christian du réel des répétitions, c’est une dimension qui me plaît beaucoup, comme si chaque pièce devenait une part documentaire du processus. Après plus de dix ans

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à essayer de raconter les histoires du Congo, qui s’inscrivent dans une certaine urgence, il s’agit aujourd’hui de tenter de trouver un espace de respiration. Du coup, la fiction m’attire de plus en plus. Mais comment aller vers elle ? Et si la fiction était plus belle que la réalité… Christian Rizzo – On a un parcours diamétralement opposé. Il y a dix ans, je détestais le réel. Et je ne suis parti que de l’imaginaire. Ma fiction était décousue, trouée. C’est pour cela que les pièces surgissaient – pour que je puisse faire les “ourlets”. Toi, tu es retourné au Congo, moi j’ai quitté Paris. Je n’ai plus de port d’attache désormais. Et le réel m’est apparu différemment. Le théâtre est le lieu de tout sauf d’histoires – je les préfère dans un bar. Je n’arrive pas à comprendre en quoi une histoire est plus importante qu’une autre. Le choix même d’écouter ou d’inventer une histoire révèle l’immensité de celle que l’on ne dit pas. On m’en a trop raconté, de même que beaucoup de mensonges sur le pouvoir. Il n’y a plus qu’en l’abstraction que je peux encore croire.

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“faire une pièce, c’est aussi disparaître” Christian Rizzo

Faustin Linyekula – En 2001, au Congo, je suis arrivé avec ce désir de raconter des histoires. Mais il m’a fallu plusieurs années avant de trouver le courage de prendre un bout d’histoire et de le mettre sur un plateau. Le résultat s’intitulait Le Festival des mensonges, avec des discours qui tournaient en boucle. Quand tu dis “on nous a raconté des histoires… on essaie de recoller les morceaux”, ça me parle. Et si les histoires étaient un chemin ouvert vers une certaine forme d’abstraction ? A nous alors de trouver les interstices pour se faufiler. Christian Rizzo – Une histoire, elle se regarde. Très souvent, on glisse de l’histoire au thème, au message. Moi qui ai travaillé dans la pub, j’ai décidé que je ne toucherais jamais au message ! Faire une pièce, c’est aussi disparaître. Pour toi, Christian, un projet a souvent un paradoxe pour commencement… Christian Rizzo – Faire une pièce, c’est enquêter sur ce paradoxe et donc enquêter sur moi-même. De là, j’en tire des axes de travail. Au départ, ce projet était de s’interroger sur ce qu’est le folklore. J’ai vu une danse folklorique il y a dix ans en Turquie. Et la sensation née de cette vision ne m’a jamais quitté. J’ai décidé de refaire le chemin vers cette sensation. Mais est-ce que la fascination tient au vide qu’ont laissé ces hommes en partant après avoir dansé ? Un folklore est lié à une culture, à une géographie. Je suis, d’une certaine façon, à peu près de nulle part, donc le seul endroit que je connaisse, c’est le studio, le théâtre. C’est mon territoire. Ce qui m’intéresse, c’est de voir ce qu’il y a en commun sous cette différence culturelle. J’ai accaparé cette question du folklore sans doute pour me recréer un pays, une famille, le temps d’un spectacle. Faustin Linyekula – Ma danse est une tentative pour me souvenir de mon nom. J’ai une histoire avec les inrockuptibles

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“ma danse est une tentative pour me souvenir de mon nom” Faustin Linyekula

un pays. Mais quand on y retourne après plusieurs années passées ailleurs, on s’aperçoit que l’on vous a raconté des histoires jusque-là. Mon travail, c’est peut-être alors de comprendre comment m’inscrire dans cette réalité. Quand on parle de nom, très vite on se rend compte que l’on ne peut pas s’écrouler, il faut enquêter pour essayer de clarifier. Faire une pièce, c’est déterminer un bout de territoire que l’on peut occuper le temps d’un spectacle. Avec Drums and Digging, on peut parler d’enquête. Je suis retourné dans un village où j’avais vécu à l’âge de 8 ans. C’est de là que remontent mes plus vieux souvenirs de danse – de danses interdites même. Sur place, j’ai découvert que le plus grand maître de tambours avait arrêté et était devenu pasteur. Je me suis alors demandé ce qui se passe quand on se tait. De là, on a inventé ce voyage, et j’ai abandonné en quelque sorte le réel.

D’après une histoire vraie chorégraphie Christian Rizzo

GYMNASE DU LYCÉE AUBANEL DU 7 AU 15 JUILLET 18H RELÂCHE LE 11

Drums and Digging chorégraphie Faustin Linyekula

CLOÎTRE DES CÉLESTINS DU 9 AU 16 JUILLET 22H LE 13 22H10 RELÂCHE LE 14

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Les photos (pp. 32-37) sont signées Marion Poussier

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black street boy Le danseur, chorégraphe et chanteur ivoirien Franck Edmond Yao est une star du coupé-décalé. Combatif et joueur, il met à l’épreuve sa pratique de la danse de rue, mêlée à d’autres styles contemporains, dans trois spectacles.

E

n Côte d’Ivoire, on l’appelle Gadoukou la Star. Franck Edmond Yao est un as de la danse africaine dont il possède, dit-il, tous les arcanes, qu’il s’agisse de pratique traditionnelle ou contemporaine. Un savoir qu’il tient de ses parents, eux-mêmes danseurs et chorégraphes. Né en 1980, il danse dès l’âge de 6 ans, se produisant dans la compagnie familiale. Aujourd’hui, il vit dans plusieurs villes. Basé à Abidjan où il possède studio d’enregistrement et salle de répétitions (il compte d’ailleurs y ouvrir une école de danse), il passe aussi une partie de l’année entre Paris et Hambourg. C’est dans cette dernière qu’il a fait la connaissance de la chorégraphe Monika Gintersdorfer. Tandis qu’il essaie des vêtements chez un styliste ivoirien, elle le filme, et lui de se prendre au jeu et de danser tout en commentant ses gestes. De cette rencontre est née une association durable avec le tandem Monika Gintersdorfer et Knut Klassen qui

présente cette année trois spectacles auxquels participe Franck Edmond Yao, Logobi 05, La Fin du western et La Jet Set. La botte secrète de ce danseur unique, qui fait de lui un performeur irrésistible et célèbre dans toute l’Afrique de l’Ouest, c’est le coupé-décalé. Repéré, entre autres, avec Solo Béton, il a perfectionné un style issu de la rue. “Le coupé-décalé est né dans les boîtes de nuit d’Abidjan début 2002. C’est une danse qui emprunte ses codes au ziguei, expression corporelle pratiquée par les voyous des gangs où il s’agissait de montrer par sa gestuelle qu’on était le plus fort. Avec le temps, cette danse est devenue populaire, le côté agressif s’est estompé. Dans les clubs est né ce que l’on a appelé “l’esprit de la jet set” ou “l’esprit du boucan”, une façon de s’affirmer, de dire qu’on existe.” Les spectacles présentés dans le cadre du Festival se rapportent à cet univers, le plus emblématique étant peut-être Logobi 05 où Franck Edmond Yao les inrockuptibles

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confronte sa pratique de la danse de rue aux mouvements du chorégraphe Richard Siegal. En grande partie improvisée, la pièce associe gestuelle et commentaires des deux interprètes. “Ce spectacle est fondé sur un échange culturel, explique Franck Edmond Yao. On ne se contente pas de danser, on analyse nos mouvements. C’est comme un laboratoire, on ne cesse de faire des découvertes pendant qu’on danse. L’expression “logobi” pourrait se traduire par “je fais le malin”, “je me montre”. C’est toujours l’esprit du coupé-décalé, issu de la rue et transformé. L’affirmation de soi, l’esprit du boucan, mais confronté cette fois à une autre culture, ce qui lui apporte une nouvelle dimension.” Hugues Le Tanneur

Logobi 05 La Fin du western La Jet Set

conception Monika Gintersdorfer et Knut Klassen. En français traduit en anglais

GYMNASE DU LYCÉE SAINT-JOSEPH DU 9 AU 14 JUILLET 15H, 17H, 20H30 RELÂCHE LE 11

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Nouvelle tête de la mise en scène, Julien Gosselin adapte Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq. Culotté.

sans filtre U 

n visage rond et ouvert, une série d’anneaux à l’oreille, Julien Gosselin distille en peu de mots sa passion pour l’œuvre de Houellebecq. “J’ai découvert ses poèmes quand j’étais au lycée. Puis, de fil en aiguille, j’ai lu toute son œuvre. Les profs estimaient que c’était de la sous-littérature. Ce que j’ai aimé d’emblée dans les poèmes, c’est leur immédiateté. Cela me parlait directement, sans filtre.” Né il y a vingt-six ans à Calais, Julien Gosselin monte aujourd’hui Les Particules élémentaires, ce qui fait de lui le premier en France à transposer au théâtre un roman de Michel Houellebecq. Issu de l’école du Théâtre du Nord à Lille, dirigée par Stuart Seide, il s’est fait remarquer en 2012 en mettant en scène Tristesse animal noir d’Anja Hilling. Adapter à la scène les trois cents pages des Particules élémentaires ne lui fait pas peur, on  sent même une certaine les inrockuptibles

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excitation de sa part à faire entendre la prose désabusée de Michel Houellebecq. “Théâtre ou roman, pour moi, la question est la même, il s’agit de passer de l’écrit à la scène. C’est toute la difficulté. Mais encore une fois, il y a quelque chose de direct chez Houellebecq. La forme littéraire crée la forme

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théâtrale. Donc je garde la dimension romanesque. J’aime bien me confronter à ce genre de défi. Houellebecq est noir, mais en même temps il est drôle. Je ne le vois pas comme un pessimiste. Il n’aime pas la société, mais il croit en l’humain. Sa capacité à parler sans fard de la sexualité oscille parfois entre

sordide et comique. Mais, au fond, c’est un romantique.” Hugues Le Tanneur

Les Particules élementaires

texte de Michel Houellebecq, adaptation, mise en scène et scénographie Julien Gosselin

SALLE DE SPECTACLE DE VEDÈNE DU 8 AU 13 JUILLET 15H RELÂCHE LE 10

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Le désir de partager : voilà ce qui anime le chorégraphe nigérian Qudus Onikeku. C’est tout logiquement à un rituel dédié à son père qu’il nous convie pour réfléchir au temps de notre existence. Une expérience universelle et sensible.

mémoire vive L 

e mois dernier, Qudus Onikeku a fait sien l’un des studios de la Halle aux cuirs aux confins du parc de La Villette, avec pour voisin le chorégraphe DeLaVallet Bidiefono. Après des résidences à Rennes, Kuala Lumpur ou en Californie, il entame les dernières répétitions de sa création. Originaire de Lagos, Nigeria, qu’il a quitté il y a une petite décennie, Qudus faisait déjà des acrobaties dans la rue à l’âge de 5 ans. Adolescent, il se forme à la danse traditionnelle au sein des Ballets du Nigeria. Un répertoire “puissant mais également répétitif. J’ai eu besoin de

rencontres. On ne peut se connaître sans l’autre”, résume joliment Qudus Onikeku. Il danse alors dans la compagnie d’Heddy Maalem et bifurque par le Centre national des Arts du cirque de Châlons-en-Champagne : “Je n’avais pas envie de fréquenter une école de danse en France. Je n’aime pas l’idée que la danse contemporaine soit un style. Pour moi, danse, musique et théâtre sont liés.” Qudus Onikeku précise qu’en langue yoruba il n’y a pas de mot pour “art parce que l’on ne sépare pas le sacré de l’artistique ; c’est un tout”. A Avignon, il crée

Qaddish. Au départ, il y a l’œuvre de Ravel, qu’il découvre en préparant un spectacle avec des musiciens classiques en Italie : “Le Kaddish a ainsi influencé le Notre Père.” Il imagine un voyage dans la mémoire et convie son propre père, Ganiu, à entreprendre le périple jusqu’à Abeokuta, où ce dernier est né. “Il a 80 ans. La question de la mort est évidente. Il s’y prépare d’une certaine façon. Je ne voulais pas faire son éloge après, mais maintenant. Alors nous sommes allés là où je ne suis jamais allé.” Qudus Onikeku dit encore que sa “mémoire est toute petite. Je n’ai que 29 ans. les inrockuptibles

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Mais lorsque je danse, j’ai toutes ses révélations en moi”. Dans Qaddish, il y aura la mémoire du corps, les paroles coécrites avec le dramaturge Emil Abossolo-Mbo, une soprano, deux musiciens. “Le temps du spectacle est un endroit de magie avec juste le présent de la danse. L’important, ce n’est pas de savoir si le public a aimé, mais plutôt s’il a partagé une expérience avec moi.” Un autre voyage. Philippe Noisette

Qaddish

chorégraphie Qudus Onikeku

THÉÂTRE BENOÎT-XII DU 6 AU 13 JUILLET 17H RELÂCHE LE 11

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Organisateur des débats du Théâtre des idées depuis dix ans, Nicolas Truong se met en scène, entouré de Nicolas Bouchaud et Judith Henry, dans un parcours philosophique dédié à Pasolini.

vers les lueurs S 

pécialiste des mouvements de pensée dans la philosophie contemporaine, responsable des pages “Idées-Débats” du Monde, producteur à France Culture et coauteur d’Une histoire du corps au Moyen Age (2003), Nicolas Truong a le profil d’un fort en thème auquel on aurait bien tort de vouloir le réduire. “De Bondy à Aubervilliers, de SaintQuentin-en-Yvelines à Trappes, j’ai fait le tour de toutes les banlieues durant mon enfance. Si j’ai connu Jamel Debbouze et Sophia Aram, c’est parce qu’ils jouaient en bas

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de mon immeuble. J’ai même accompagné Jamel à la guitare durant un match d’impros… J’ai connu l’incroyable solidarité de la vie en banlieue et j’ai été confronté aussi à des choses terrifiantes à gérer au quotidien.” Puis ce sera le lycée Voltaire, à Paris, où, contre la deuxième vague du négationnisme, il prend position avec un texte “pompeusement intitulé, Pour en finir avec le révisionnisme, un billet devenu le premier numéro d’une revue baptisée Lettre, qui a perduré avec une certaine reconnaissance et m’a ouvert plus tard les pages du Monde

de l’éducation puis celles du quotidien”. Issu d’une famille de dix enfants, Truong a fait tous les jobs (précepteur, moniteur de ski…). Il était encore disquaire à Enghien et priait pour qu’on ne mette pas Metallica à fond quand il calait ses premiers entretiens avec Lyotard ou Castoriadis… En hommage au plaidoyer pessimiste de Pier Paolo Pasolini, qui usait de la métaphore de la disparition des lucioles pour témoigner de la fin des pensées éclairantes, Truong monte sur les planches avec Judith Henry et Nicolas Bouchaud pour le Projet Luciole, collage

de textes de philosophes contemporains aux allures de dialogue amoureux. L’apprentissage d’un “savoir-faire” de la scène qui, à la manière des inventions langagières de Mai 68, se transforme et s’érotise en une exaltante recherche d’un “saveurfaire”. Patrick Sourd

Projet Luciole

conception et mise en scène Nicolas Truong

CHAPELLE DES PÉNITENTS BLANCS LES 7 ET 8 JUILLET 15H DU 10 AU 13 15H ET 19H

Le Théâtre des idées conception et modération Nicolas Truong

GYMNASE DU LYCÉE SAINT-JOSEPH LES 15, 18, 19, 22 ET 23 JUILLET 15H ENTRÉE LIBRE

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36 | 37 Explorateurs de plateaux, les ingénieux Antoine Defoort et Halory Goerger inventent des pièces proches de la performance. Telle Germinal, fabrique drolatique d’un nouveau monde.

tout l’univers I

ls se sont rencontrés il y a une dizaine d’années dans une fête, à Lille. Depuis, Antoine Defoort et Halory Goerger, c’est un peu Bouvard et Pécuchet, unis par une amitié constructive visible dans des spectacles ingénieux, parfois à la limite de l’installation, mais surtout habilement troussés, à l’image de Germinal, leur dernière création. Des héros de Flaubert, ils ont le goût des listes et de l’examen plus ou moins méthodique des divers savoirs et technologies qui façonnent notre époque. Cela se traduit dans des spectacles, qui prennent parfois la forme de pseudo-conférences, inspirés par ce qu’ils appellent non sans humour leur “pulsion didactique”. Rapides comme l’éclair dans l’art de la conversation, on pourrait comparer Halory Goerger et Antoine Defoort à des joueurs de tennis. Le premier pratiquant un jeu à la volée, le second privilégiant le fond de court. A moins que ce ne soit l’inverse… Ainsi, quand on leur demande qui fait quoi, la réponse fuse, imparable : “On fait tout ensemble. C’est une forme de dialogue. On écrit tout à quatre mains.” D’où l’importance pour eux de signer leurs créations de leurs deux noms, même s’ils mènent chacun des projets parallèles. “La création, c’est comme un jeu, analyse Defoort. Il s’agit d’explorer des territoires définis à l’avance en

se mettant d’accord sur des règles.” Après quoi, il n’y a plus qu’à se renvoyer la balle, art dans lequel nos deux gaillards sont passés maîtres : “Pour Germinal, on a travaillé à épuiser le sujet, précise Goerger. En commençant par établir un mode d’emploi sous la forme d’un cahier des charges très précis.”

Que ce soit dans &&&&& & &&&, première collaboration, Cheval ou Germinal, on retrouve ce savant cocktail d’érudition et d’exploration sauvage avec un goût pour les cheminements farfelus et les raisonnements guidés par une logique un brin déviante. Un univers riche inspiré

autant par les très sérieuses mathématiques que la fantaisie débridée des Shadoks. Hugues Le Tanneur

Germinal

conception Antoine Defoort et Halory Goerger

THÉÂTRE BENOÎT-XII DU 16 AU 24 JUILLET 17H RELÂCHE LE 18

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willkommen, we

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lcome, bienvenue Krzysztof Warlikowski invente un cabaret glamour et dérangeant pour dire la force de résistance des artistes et traverser l’histoire, d’avant la Shoah à l’après-11 Septembre. A Varsovie, il inaugurait le Nowy Teatr, son nouveau lieu, avec deux mots d’ordre : “Let’s dance” and “Make love”. par Patrick Sourd photo Magda Hueckel

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Portraits Szymon Roginski

Le metteur en scène Krzysztof Warlikowski

La scénographe Malgorzata Szczesniak

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vec le soleil pour complice, c’est sous les meilleurs augures, ceux de la lumière cristalline d’un printemps tardif, que Krzysztof Warlikowski a ouvert, le 26 mai dernier à Varsovie, les portes du nouveau lieu où il va pouvoir s’installer avec sa compagnie, le Nowy Teatr. La crise étant passée par là, un trait a été tiré sur les promesses de projets pharaoniques faites depuis dix ans par la ville. Krzysztof Warlikowski hérite au final d’une friche industrielle qui a l’avantage d’être située quasiment en centre-ville. Après une si longue attente, la situation réjouit le metteur en scène qui avoue adorer le lieu tel qu’il est, surtout qu’il s’agit d’un des rares sites ayant survécu à la destruction durant la dernière guerre, un ensemble de bâtiments relié à une grande halle conçue en 1913 pour assurer l’entretien des premiers tramways qui roulaient dans les rues de Varsovie. “Comme toujours avec les politiques, les choses prennent du retard pour voter les financements. Pour marquer le coup et affirmer notre désir d’aller au plus vite en besogne, nous avons souhaité ouvrir le lieu dans l’état dès que nous en avons eu la possibilité pour y présenter Kabaret Warszawski (Cabaret Varsovie)”, précise Warlikowski. Avec cette première semaine de représentations, la compagnie Nowy Teatr créait l’événement via une opération “porte ouverte” permettant au public de découvrir, avant que ne démarrent les travaux, le vaste volume de son futur théâtre baignant dans son jus d’ex-atelier de mécanique à la patine séculaire. Précédé par un buzz infernal, autant dire que le tout-Varsovie de la culture avait répondu présent à l’appel de la première.

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“Comme il n’y fait qu’une création tous les deux ans, que ce soit pour l’encenser où le dénigrer, tout le monde à Varsovie attend le retour de Krzysztof comme celui du fils prodigue, s’enflamme Claude Bardouil, le chorégraphe attaché à l’histoire de la compagnie depuis (A)pollonia (2009). Dans ce contexte, la première de Kabaret Warszawski restera pour moi un souvenir inoubliable, un des plus beaux moments de théâtre de ma vie. C’était un vrai bonheur de voir les acteurs dans les coulisses se réunir en petits groupes pour observer sur les moniteurs ou par les fentes dans le décor ce qui se passait sur le plateau. Il y avait de l’électricité dans l’air et une incroyable joie dans les loges. Tous ceux qui comptent pour Krzysztof étaient dans la salle, du metteur en scène Krystian Lupa au réalisateur Jerzy Skolimowski… mais aussi la jeune génération des metteurs en scène et réalisateurs polonais. Quand Krzysztof est venu saluer, on aurait cru qu’il s’agissait d’une rock-star, toute la salle hurlait debout. En plus, c’était le jour de ses 51 ans. Comme on s’est inspiré de Shortbus pour la seconde partie du cabaret, Justin Bond, la transsexuelle qui joue le patron de la boîte dans le film, était présente ce soir-là et ce fut du délire quand elle est montée sur scène pour dédicacer à Krzysztof une version très personnelle de Happy Birthday to You.” “La nature humaine étant ce qu’elle est, une compagnie de théâtre a l’espérance de vie d’un chien, enchaîne le metteur en scène. Alors comme nous avons créé le Nowy Teatr voilà déjà quinze ans, on a presque dépassé le crédit de nos points d’existence. Je me questionne régulièrement sur notre capacité à avoir encore des choses à nous dire et sur le moyen de faire perdurer la flamme des débuts. C’est pour cela que j’ai cherché une forme un peu différente que celle de l’opéra

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Le chorégraphe Claude Bardouil

“la nature humaine étant ce qu’elle est, une compagnie de théâtre a l’espérance de vie d’un chien” Krzysztof Warlikowski

ou du théâtre pour mes retrouvailles avec les actrices et acteurs de la troupe réunie pour l’occasion au grand complet. Une forme festive correspondant aussi à l’idée de l’ouverture de notre nouveau lieu. Ce qui est étonnant avec le cabaret, c’est que chacun en a une vision différente, le ressent, le définit conformément à ses goûts. Il y a la forme historique, celle qui existait en Europe avant-guerre en Pologne comme à Berlin. Quand j’utilise cette référence, ça n’a évidemment rien à voir avec le cabaret traditionnel… Mais, je m’inscris dans un fantasme artistique très populaire, une façon de contaminer d’une autre manière le dialogue que j’essaie d’entretenir avec le public polonais.” N’ayant pu obtenir les droits d’adaptation, du film Cabaret (1972) de Bob Fosse, Krzysztof Warlikowski remonte à la source qui l’inspira, celle des nouvelles de Christopher Isherwood à l’origine de la pièce de John Van Druten, I Am a Camera et de quelques autres avatars à succès du théâtre de Broadway. “Pas question pour moi de me contenter de reproduire l’intrigue de Cabaret. Très vite, j’ai pensé à Shortbus (2005 – ndlr), le film de John Cameron Mitchell, pour faire le lien avec un endroit contemporain, un club représentant un lieu d’exterritorialité et de liberté… Un espace social dont je déplore l’absence et l’impossibilité d’exister dans la Varsovie d’aujourd’hui. Einstein aimait à dire que ‘la distinction entre passé, présent et futur n’est qu’une illusion, aussi tenace soit-elle’, c’est dans le cadre de cette réalité que je me suis proposé de travailler. D’un côté avec un matériau datant d’avant la Shoah, qui rappelle l’antisémitisme et l’homophobie régnant durant la montée du nazisme. De l’autre, les expériences d’amour libre de l’utopique Shortbus pour témoigner aussi des hécatombes de morts des années sida dans l’Amérique

post-11 Septembre. Deux catastrophes qui sont sans commune mesure, mais dont on ne tire au final aucune leçon. Une parenthèse entre un avant et un après. Une façon de me battre avec mes armes contre le retour d’une pensée réactionnaire, raciste et homophobe qui refait surface un peu partout en ce moment en Europe.” Sur la scène, on retrouve le vocabulaire minimaliste du travail de la scénographe Malgorzata Szczesniak : “Un dispositif pour jouer plutôt qu’un décor traditionnel, annonce celle qui, depuis ses débuts, accompagne le metteur en scène sur chacune de ses créations. Le délire d’inox d’un mur d’ampoules rappelle les loges du cabaret et le carrelage est une citation à l’architecture fonctionnaliste de certains bâtiments du vieux Varsovie. Impossible d’avoir un rideau de théâtre au cabaret, le mien contourne les limites du plateau de jeu sans jamais séparer les acteurs du public. Je l’ai voulu très précieux pour évoquer les guirlandes en cheveux d’anges des fêtes, mais il est composé de larges lamelles dorées, un motif hors d’échelle pour lui permettre de dialoguer avec le mur d’ampoules et le carrelage blanc.” Cadrés par ces matières brutes qui fonctionnent entre elles avec une grande simplicité et une efficacité redoutable, les costumes conçus par Malgorzata Szczesniak sont quant à eux de délicats poèmes : “Le costume doit dire autant du personnage que s’adapter sans heurts au corps du comédien, il évolue continuellement au fil des répétitions, on se demande parfois si on va arriver à le finir un jour.” Une infinitude troublante qui témoigne aussi de la vie que Malgorzata arrive à ne jamais figer sur le plateau. Paillettes, strass, robes en lamé et coiffes en plumes d’autruche sont ainsi au rendez-vous de cette revue où les numéros s’enchaînent comme autant d’acmés cruelles au fil des quatre heures du spectacle. Après l’ouverture du Nowy Teatr à Varsovie, la belle histoire du Kabaret Warszawski continue dans la prise de risque avec une programmation près de Gdansk, à Gdynia, au festival de rock Open’er qui réunit 70 000 personnes et où Krzysztof Warlikowski a déjà présenté l’année dernière Angels in America de Tony Kushner : “Un endroit si incroyable que je ne sais jusqu’où le public va aller avec nos deux mots d’ordre ‘Let’s dance’ et ‘Make love’… Il semble d’ailleurs que ce spectacle arrive à un moment charnière, constate Warlikowski. Si l’on y regarde bien, c’est avec lui qu’on va inaugurer La FabricA à Avignon et procéder à la réouverture du Théâtre de la Place, à Liège. Au final, c’est ce que je préfère… Une forme libre, ouverte, qui permet de ramasser des gens sur le chemin pour aller ensemble vers d’autres horizons.”

Kabaret Warszawski (Cabaret Varsovie)

inspiré par I Am a Camera de John van Druten, Les Bienveillantes de Jonathan Littell, Shortbus de John Cameron Mitchell et Tango de Justin Vivian Bond. Conception et mise en scène Krzysztof Warlikowski. En polonais surtitré en français

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boucle intemporelle Pour célébrer une décennie d’aventures à Avignon, les codirecteurs Hortense Archambault et Vincent Baudriller, dans le cadre “Des artistes un jour au Festival”, ont convié des créateurs des précédentes éditions à présenter un one shot de leur choix. D’où l’idée de demander à quelques figures phares du Festival de partager avec nous un souvenir marquant de leur passage dans la cité des Papes. 42 45 artistes d'un soir.indd 42

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Hamlet de Thomas Ostermeier, joué au Festival en 2008

Arno Declair

Boris Charmatz “un espace où peuvent faire histoire des pièces que l’on n’a pas vues”

Thomas Ostermeier “cette magie sera éternellement là…” L’image restera incarnée en moi à jamais, elle procède d’un flot incontrôlé d’émotions, se compose de la délicatesse du jour qui se lève, des premiers chants des oiseaux, de la vision des rayons du soleil frappant les hauts murs de la cour d’Honneur après une nuit passée à répéter. Ce moment incroyable, j’ai eu la chance de le vivre plusieurs fois, sur Hamlet en 2008 et sur Woyzeck en 2004. Un étrange sentiment de paix vous envahit alors et relativise d’un coup les inquiétudes de la nuit blanche, les doutes et les questionnements sur sa propre création. S’invitant à la répétition dans sa pure beauté, cette visite opportune de la nature et la fraîcheur piquante du petit matin me faisait penser que cette magie sera éternellement là, et que nous, les artistes, ne sommes que de passage.”

“Ce qui se trame à Avignon tient souvent plus du palimpseste que du grand soir unique. On cherche bien sûr LE spectacle ! Mais la force du Festival est de brancher les propositions contemporaines aux gestes du passé, avec le spectacle qui sera vu juste après ou juste avant, avec des enjeux politique et esthétique qui vont au-delà de l’instant présent… La cour est même l’un des très rares espaces où peuvent faire histoire, pour soi, des pièces que l’on n’a pas vues. C’est pourquoi j’aimerais plutôt évoquer Messe pour le temps présent, que je n’ai pas vu, plus que Ulysse 84 de Jean-Claude Gallotta, que j’ai vu à 11 ans ! J’ai eu la chance d’assister au montage de la scène de la cour d’Honneur, la nuit, éclairée par de puissantes lumières de chantier, avec une grue qui transportait des bouts de la scène, qui volaient au-dessus de nous. C’était pour moi, à ce moment-là, le spectacle dont je rêvais. Bien sûr, la force de ce moment ne peut pas se détacher de tout ce qui fait la cour, du fait de savoir que Nelken de Pina Bausch s’est joué là, que Jours étranges s’est animé un été, juste après la mort de Dominique Bagouet. J’ai adoré ce soir-là en amont du Festival, où la grue fabriquait les conditions des spectacles à venir, et où on voyait encore affleurer le rocher nu de la cour sur lequel reposent les gradins, mais c’est aussi parce qu’à cet instant j’entrevoyais les grands moments vécus comme spectateur, et l’excitation d’ouvrir le Festival avec enfant, en 2011.”

Baudriller réussit à me trouver dans ma cachette – j’étais pourtant sûr que personne ne m’avait suivi ! Tout le monde était parti mais Vincent s’est glissé sous la table et nous avons continué à parler comme deux idiots. C’était beau. En 1999, il y a aussi eu le soir de la première du Voyage au bout de la nuit dans la cour du lycée Saint-Joseph. Nous n’avons pas réussi à finir le spectacle. Les hurlements du public, furieux, couvraient la bande-son et le texte. Certains se sont levés, s’approchant de nous dangereusement en nous menaçant. Je me rappelle m’être enfui dans les couloirs de l’école à la recherche d’un refuge. Le brouhaha des gens qui courent résonnait dans tout le bâtiment. Je parviens à trouver une pièce et m’y enferme. Je ne fais pas un bruit, pour qu’on ne m’entende pas. Je m’aperçois que je suis en train de sourire et je suis heureux…”

Alain Platel “des gens ravis, d’autres pas contents” “Nous donnions la dernière de Bonjour madame, comment allez-vous, il fait beau, il va sans doute pleuvoir, etcetera, en 1996. Le spectacle avait beaucoup tourné. Ce soir-là, il s’est mis à pleuvoir durant la pièce. Il a fallu arrêter, nous étions en plein air au cloître des Carmes. La troupe s’est réfugiée sous la galerie mais le public n’est pas parti. Il a attendu. Et on a repris. Les spectateurs nous ont même aidés à nettoyer le plateau mouillé. Les réactions ont été assez fortes, des gens ravis, d’autres pas contents. Et c’en était fini de cette création.”

Olivier Cadiot “rire et pleurer en même temps”

Romeo Castellucci “je me suis caché, loin de tout le monde” Après la première d’Inferno (2008), je n’avais envie de parler avec personne et de ne voir personne. Je me rappelle qu’à peine le spectacle fini, je me suis caché, loin de tout le monde, et que j’ai fumé des American Spirit l’une après l’autre, en attendant que le public ait quitté la cour du palais des Papes. Je ne sais pas comment il a fait, mais Vincent

“En juin 2008, je suis parti dans un petit train rouge avec Hortense et Vincent à la rencontre de Christoph Marthaler qui fêtait le centenaire du Waldhaus, le vieux palace de Sils-Maria, en pleines montagnes suisses. Après un dîner, où le trio du bar accompagnait une cantatrice sur des airs de Chausson, on se rend compte, en sortant de la salle à manger, que Marthaler a emballé une partie de l’hôtel.

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Anne-Christine Poujoulat/AFP

Pacome Poirier/Wikispectacle

Inferno de Romeo Castellucci, Avignon 2008

Les couloirs étainet recouverts de plastique, tapis roulé, hall vidé, Shining ! Il fallait descendre dans les sous-sols où ses merveilleux acteurs-chanteurs, entassés dans des minibus Volkswagen, fredonnaient des Lieder à la bougie. C’était beau à voir tous ces spectateurs, figurants involontaires, en file indienne dans les méandres de l’hôtel. Ça se finissait avec un récital de Wagner par un colosse étendu sur le cours de tennis intérieur. Je riais et je pleurais en même temps.”

Pippo Delbono “comme si je voyais ma mère pour la première fois” “Je me souviens de beaucoup de choses d’Avignon, les spectacles, les soirées… Mais surtout je me souviens quand ma mère est venue, en 2002. C’était la première fois que j’étais invité à présenter mes spectacles au Festival. Je me souviens d’elle, dans les rues en fête, accompagnée d’une amie qui venait de la campagne. Elles n’étaient jamais allées au théâtre. Je me souviens qu’elles marchaient dans cette petite ville, frénétiques, pleines de curiosité pour quelque chose qu’elles ne connaissaient pas, qu’elles n’avaient jamais vu avant… C’était comme si je voyais ma mère pour la première fois entrer dans le monde de son fils. Son fils le rebelle, son fils désobéissant, son fils qui avait abandonné la famille, l’université pour suivre ce monde de saltimbanques, de comédiens – un monde de fous. Un monde qu’elle, ma mère, voyait pour moi sans futur. les inrockuptibles

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En la regardant marcher, amusée, j’avais l’impression qu’elle regardait avec mes yeux, pour la première fois. Dans ces rues de cette petite ville en fête, ma mère commençait à faire connaissance, et peut-être à comprendre cette vie étrange, la mienne, que pendant des années elle avait entravée, de peur que je n’arrive pas à ‘réussir dans la vie’. Après ces jours passés avec elle à Avignon, quelque chose a changé dans notre relation, dans son regard sur mon théâtre. Et c’est comme ça que je l’ai toujours vue après, à chaque fois qu’elle venait à mes spectacles. Je me souviens le jour de ses funérailles, fin mai il y a un an… Tout le village était là, pour le dernier salut à l’enseignante de tant de générations. Je me souviens d’un homme qui m’a approché avec timidité en me disant : ‘Excusez-moi, vous ne me connaissez pas mais je vous connais parce que votre mère m’a toujours beaucoup parlé de vous, de votre travail artistique. Votre mère, croyez-moi, était une grande femme. Une fois, elle m’a expliqué qu’elle n’était pas ambitieuse pour son fils, mais fière. ‘Je serais ambitieuse, m’avait-elle dit, si je disais que mon fils a fait tout ce que je voulais et il a réussi dans la vie. Mais ce n’est pas vrai. Mon fils a fait tout l’opposé de ce que je voulais qu’il fasse, et il a réussi dans la vie. Et c’est pour ça que j’en suis fière.’ Alors aujourd’hui je suis reconnaissant envers ce Festival d’été plein de vent et de soleil, pour tout cela aussi. A Avignon, pendant l’été chaud de 2002, ma mère et moi avons pris un nouveau chemin, ensemble.”

Pascal Rambert “comme un animal à côté de la beauté” “Il y aurait comme ça ces éclats de soleil dans la fontaine. On aurait bu beaucoup, longtemps. On aurait même embrassé. On serait restés comme ça, comme un animal à côté de la beauté, attendant que le jour se lève, sentant mauvais après une nuit dans le jardin à te parler.”

Sasha Waltz “la chaleur. le mistral. les pavés chauds. le mistral” “Avignon : des gens qui ont besoin de théâtre comme de bonne nourriture. La chaleur. Les pavés chauds, le mistral. Zweiland, 1999, dans le gymnase Aubanel : on se prépare à la direction collective de la Schaubühne. Jens Hillje, Thomas Ostermeier, Jochen Sandig… Euphorie et utopie. La danse et le théâtre sur un pied d’égalité. “Le Vif du Sujet”, 2000 : la musique dans la chapelle des Pénitents blancs, compétition entre parole et musique. noBody, 2002 : le ballon s’envole, je le vois déjà flotter au-dessus de la ville, disparaître au-delà de la cour d’Honneur. “Arrêtez le ballon !” : soudain je me tiens debout, actrice au cœur de ma propre mise en scène. Le vent m’y a obligée. Impromptus, 2004 : René Pollesch et Franz Schubert, face à face, séparés par un mur dans la cour du gymnase

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Courtesy Les Ballets C de la B

Bonjour madame, comment allez-vous, il fait beau, il va sans doute pleuvoir, etcetera d’Alain Platel, Avignon 1996

Papperlapapp de Christoph Marthaler, Avignon 2010

du lycée Saint-Joseph. Schubert affronte le froid du mistral. Les danseurs frissonnent dans la chaleur du mois de juillet. Les doigts de la pianiste se raidissent et gèlent au beau milieu de l’été. La fraîcheur des pierres centenaires.

Wajdi Mouawad “le calme d’Hortense, le regard de Vincent” “Le basculement, en compagnie d’Hortense et Vincent, à Beyrouth, en 2008. Soudain, bloqués dans le quartier Hamra, la route de l’aéroport fermée et les morts à Tripoli. La fuite en taxi par le Nord, le soleil, la route le long de la mer sous un ciel impeccable, le sentiment d’un déjà-vu, le calme d’Hortense, le regard de Vincent, et la beauté du pays qui défile. La frontière syro-libanaise, l’arrivée à Damas et cette soirée, insupportablement vulgaire, dans une maison impensable d’insanité, où il a fallu patienter avant d’être conduit, en pleine nuit, vers l’aéroport.”

Guy Cassiers “plus d’une raison pour rendre grâce” Les moments que j’ai aimés en Avignon sont légion, mais l’un d’eux m’est particulièrement cher : la première de Rouge décanté en 2006 dans la cour intérieure du cloître des Célestins. C’est ce spectacle qui m’a fait connaître en tant que metteur

en scène en France. Il a aussi donné le coup d’envoi de la longue carrière internationale de Rouge décanté, carrière qui est loin d’être terminée, sept ans plus tard. Ce spectacle se joue entre-temps en quatre langues : néerlandais, français, anglais et espagnol. La saison prochaine, la production sera montée à Taipei. Plus d’une raison, donc, pour rendre grâce. Mais le souvenir que je conserve chèrement va plus loin et est bien plus sensoriel. Car au départ, j’avais eu peur que l’intimité et la sérénité du spectacle ne soient anéanties par ce choix du lieu en plein air qu’est le cloître des Célestins. Le contraire s’est avéré. Le spectacle est entré en dialogue avec son environnement physique : avec les deux platanes gigantesques, avec les murs du cloître, avec les oiseaux, avec la nuit tombante, avec les sons de la vie nocturne d’Avignon… Un moment inoubliable pour moi. La fiction et la réalité adoptaient les mêmes rapports que le passé et le présent dans le spectacle : elles se chevauchaient. Avignon est une petite ville mais son rayonnement artistique est international. La raison de ce succès, selon moi, est à chercher dans le contact personnel que les organisateurs entretiennent avec leurs artistes. L’artiste se sent à la fois concerné en tant qu’individu et intégré dans une histoire bien plus grande et ancienne que la sienne. Tout comme Rouge décanté a été intégré dans la douceur de la nuit d’Avignon, sans rien perdre de son unicité. Merci.”

Josef Nadj “une communion entre artistes et public” “Asobu, dans la cour d’Honneur du palais des Papes. La pluie est venue interrompre ce plaisir. La première représentation annulée, décision de jouer deux fois de suite le lendemain. La pluie revient… Le public, dans l’attente de la seconde représentation, dit : ‘Ils jouent sous la pluie donc ils vont jouer pour nous.’ Les spectateurs nous ont soutenus, personne n’a ouvert son parapluie : une communion entre artistes et public s’est installée, en dépit de cet élément imprévisible s’introduisant dans le spectacle et finalement magnifiant la représentation.”

Arthur Nauzyciel “des âmes captives délivrées” “Matin du montage de La Mouette : brume irréelle après un violent orage, odeur du caoutchouc mouillé, chaleur montante des pierres du palais des Papes. Dans la lumière ambrée que réfléchit le mur du décor encore à terre, des particules, comme de l’or, et, dans chacune, une parcelle de sensation de mon premier Avignon vingt-cinq ans plus tôt, la voix de Madeleine Marion délivrant les âmes captives dans la lumière naissante du matin.”

Christoph Marthaler “boudindepâpe” “PalaisdeCadiotvoyagemagnifiquement manufactureboudindepâpeplusjamais maiséternellementvincenthortense olivierchristianétienne… !”

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Pour Swamp Club, le scénographe, metteur en scène et plasticien hors pair Philippe Quesne a une fois de plus construit son spectacle comme un paysage. Lire pp. 24-27 et p. 62

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Martin Argyroglo

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COUR D’HONNEUR DU PALAIS DES PAPES

Par les villages de Peter Handke, mise en scène Stanislas Nordey Avec pour porte-drapeaux deux égéries de charme, Emmanuelle Béart et Jeanne Balibar, Stanislas Nordey, artiste associé de cette édition, offre au fameux poème dramatique de Peter Handke la chambre d’échos de la cour d’Honneur comme la plus prestigieuse des caisses de résonance. Sous les allures d’une chronique consacrée au retour au pays natal d’un enfant prodigue, Handke signe, en 1982, un roman très largement autobiographique qui s’avère un état des lieux sans concession de la pensée politique et du discours sur l’art en cours en Europe à la fin du XXe siècle.

→ lire entretien pp. 16-22

DU 6 AU 13 JUILLET 21H RELÂCHE LE 9

Cour d’honneur conception et mise en scène Jérôme Bel Cet opus au titre évocateur réunit des spectateurs qui deviennent le temps d’une représentation des “acteurs”. Bel a voulu jouer sur la mémoire – celle des spectacles et celle de ceux qui y assistent. Des textes et des interprètes (dont Isabelle Huppert en vidéo) renforcent ce dispositif intrigant.

→ lire entretien pp. 24-27

DU 17 AU 20 JUILLET 22H

chorégraphie Anne Teresa de Keersmaeker et Boris Charmatz → lire critique ci-contre

DU 23 AU 26 JUILLET 22H DES ARTISTES UN JOUR AU FESTIVAL

Avignon à vie texte et mise en scène Pascal Rambert Les notes d’un carnet de route mémoriel signées par un habitué des lieux, l’auteur et metteur en scène Pascal Rambert. Un éloge

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DANS LA NUIT DU 20 AU 21 JUILLET 1H30 CARRIÈRE DE BOULBON

Shéda conception Dieudonné Niangouna Forgée au feu traumatique de la guerre civile congolaise, la parole de Dieudonné Niangouna métisse le français colonial à des formulations de phrases puisées à l’oralité du Iari, sa langue maternelle des quartiers de Brazzaville. Auteur, acteur, metteur en scène et artiste associé de cette édition, Dieudonné Niangouna projette l’histoire de ces vies mises en vrac par un trop-plein de violence dans le paysage du chaos rocheux de la carrière Boulbon. L’invention d’un lieu de rédemption, un purgatoire où victimes et bourreaux, puissants et sans-grade, se retrouvent pour se questionner sur leur passé et tenter de se projeter dans l’avenir. Avec un chœur de quatorze comédiens et musiciens recrutés aussi bien en Afrique qu’à travers l’Europe.

→ lire reportage pp. 4-11

DU 7 AU 15 JUILLET 21H RELÂCHE LE 10

Lear Is in Town

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de l’éphémère théâtral écrit “lost in translation” dans les trains et les avions. Mis en bouche avec gourmandise par Denis Podalydès de la Comédie-Française, cet hommage à l’utopie théâtrale avignonnaise est aussi une lettre d’amour aux acteurs comme premiers passeurs d’émotion.

d’après Le Roi Lear de Shakespeare, mise en scène Ludovic Lagarde Questionnant une vieillesse partant à la dérive à l’aune d’une folie oublieuse des liens du sang, la pièce déploie sa verve poétique au pied des falaises de la mythique carrière d’Avignon. Avec Johan Leysen, Laurent Poitrenaux et Clotilde Hesme… c’est en resserrant le champ sur la figure de Lear, celle de son fou et de sa plus jeune fille, la pure Cordelia, que Ludovic Lagarde propose un Lear intime, cuisiné aux petits oignons par le talent d’un duo d’exception

réunissant Frédéric Boyer et Olivier Cadiot.

DU 20 AU 26 JUILLET 22H RELÂCHE LE 23 LA FABRICA

Ouvert ! production du Groupe F, mise en scène Christophe Berthonneau Conjuguées aux compositions musicales de Scott Gibbons, les merveilles pyrotechniques du Groupe F serviront d’écrin à l’inauguration très attendue de La FabricA. Signé par l’architecte Maria Godlewska, ce lieu de résidence pour artistes, où les répétitions et les représentations pourront avoir lieu toute l’année ,était la pièce manquante à un Festival dit de création. Victoire au finish de l’équipe en place, cette ouverture contente ainsi les désirs de son fondateur Jean Vilar qui appelait déjà à sa construction dès 1966.

Kabaret Warszawski (Cabaret Varsovie)

LE 5 JUILLET 22H30 ENTRÉE LIBRE

conception et mise en scène Krzysztof Warlikowski. En polonais surtitré en français

Faust I + II

S’inspirant principalement de I Am a Camera de John Van Druten, la pièce de Broadway à l’origine du célèbre Cabaret filmé par Bob Fosse (1972), Warlikowski engage un dialogue entre la mémoire du film culte et l’excitante enquête sur la sexualité proposée par John Cameron Mitchell avec Shortbus (2005). Un voyage dans le temps où la liberté des corps est sans cesse remise en question par les épisodes tragiques de l’histoire de l’humanité. D’un cabaret berlinois, devenu nid de résistance face à la montée du nazisme, au libertaire Shortbus qui repense le sexe à New York au lendemain du 11 Septembre, Warlikowski invente un happening exempt de nostalgie pour relier le monde d’avant la Shoah à celui d’après la chute des tours jumelles. L’occasion de retrouver, via une débauche de plumes et sous une pluie de paillettes, la troupe des acteurs polonais du Nowy Teatr à qui nous devons déjà tant de spectacles inoubliables.

de Goethe, mise en scène Nicolas Stemann C’est sans doute la première fois que l’œuvre la plus célèbre de Goethe est donnée dans son intégralité sur une scène française. Pour aborder ce monument, il ne fallait pas moins que la fougue intrépide de Nicolas Stemann. Tout commence par un pacte avec le diable pour embarquer le spectateur dans un voyage de huit heures. Une équipée haletante servie par un foisonnement imaginatif comme seul sait en produire ce metteur en scène allemand, responsable d’un des plus beaux moments de l’édition 2012 du Festival avec Les Contrats du commerçant d’Elfriede Jelinek. Avec ce spectacle, Nicolas Stemann ne se contente pas de nous immerger dans l’univers de Goethe, il expose aussi sur un ton doucement ironique les folies d’un monde où les errements d’une économie financiarisée à outrance s’accompagnent d’une destruction systématique des ressources naturelles.

DU 11 AU 14 JUILLET 15H30 RELÂCHE LE 12

→ lire reportage pp. 38-41

DU 19 AU 25 JUILLET 17H RELÂCHE LE 21

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Anne Van Aerschot

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vertige du mouvement Sur une œuvre de Bach, Anne Teresa De Keersmaeker et Boris Charmatz fascinent par la maestria de leur danse.

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n n’y voit rien”, s’exclamait Daniel Arasse dans un essai lumineux sur la peinture. On n’y voit pas plus lorsque Partita 2 commence : juste une lueur dans l’entrebâillement d’une porte, la violoniste Amandine Beyer en contre-jour et puis plus rien. La virtuose empoigne alors son instrument et la Partita n° 2 de Bach avec, on l’imagine, la même intensité, dans le noir complet du Kaaitheater de Bruxelles où cette pièce a été créée dans le cadre du Kunstenfestivaldesarts. Anne Teresa De Keersmaeker nous avait autrefois habitués aux concerts de danse : on peut, cette fois, parler de concert qui se danse. La chorégraphe gagne la scène avec Boris Charmatz, compagnon de fortune, dans le silence retrouvé. Au sol, un mince trait de craie dessine un cercle. Les deux interprètes n’auront de cesse de suivre cette ligne, puis de se perdre pour emprunter d’autres chemins. Devant de scène, coulisses à vue : très vite, une architecture du mouvement, faite de sauts, de pirouettes ou de gestes lancés, s’inscrit dans l’espace. Ces deux-là dansent ensemble sans pour autant faire “couple” – seuls une épaule effleurée, des regards croisés viennent rappeler ce duo. Cette partie est presque prévisible : la suivante, où Amandine Beyer les rejoint, l’est beaucoup moins. On y voit

Anne Teresa marchant allongée, ses pas dans ceux de Boris debout. Jusqu’à ce qu’un effet de bascule renverse cet ordre. L’ombre de ton ombre et après ? A cet instant, Partita 2 devient une course en avant, souffle coupé : Anne Teresa De Keersmaeker frôle l’archet, ose le geste presque baroque d’un poignet retroussé. Signant la chorégraphie, elle nous gratifie d’un portrait à double face. La force d’un Charmatz, mains plaquées contre l’air, tel un mime, et la résistance d’une Anne Teresa trimballant son partenaire sur le dos. Imperceptiblement, les sauts se font de travers, on reprend le motif chorégraphique pour l’épuiser. “L’invisible venu dans la vision”, pour détourner les mots d’Arasse. Ces danseurs à vif, parmi les plus grands solistes contemporains de leur époque, ne sont que traces. Dans l’atmosphère ambiante, pas loin du recueillement, la Partita n° 2 de Bach emplit encore le vide. Amandine Beyer, dont la présence est un troublant jeu de miroir, s’esquive. On n’y voit rien. Et pourtant nous n’avons vu qu’eux. P. N.

Partita 2 chorégraphie Anne Teresa de Keersmaeker et Boris Charmatz, et au violon Amandine Beyer

COUR D’HONNEUR DU PALAIS DES PAPES DU 23 AU 26 JUILLET 22H

les inrockuptibles

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Marten Venden Abeele

humains trop humains Plongée dans une communauté villageoise aussi fantasque qu’inconséquente. Du Lauwers pur jus.

I

l y a le plombier, le commissaire, la boulangère, le balayeur de rue, le DJ local et un réfugié. Il y a aussi les épouses et les enfants. Et même les morts et les chiens. Sans oublier les mouettes, car nous sommes au bord de la mer. Tout se passe un 12 juin sur la place du village le jour du marché. Un an plus tôt, au même endroit, l’explosion accidentelle d’une bouteille de gaz a fait plusieurs morts. Autour de la fontaine, au centre de la place, un podium en bois a été installé. Une fête se prépare. On teste la sono à coups de larsen. Curieuse inconséquence de la part de ces villageois de programmer une fête un jour de deuil. Un enfant tombe d’une fenêtre. C’est le fils de la boulangère. Il gît mort sur le pavé tandis que les haut-parleurs diffusent une musique joyeuse. Cette dissonance initiale donne le ton doucement vrillé de ce curieux Place du Marché 76. En musique et en chansons, Jan Lauwers fait vivre un microcosme humain peuplé de personnages follement irresponsables. Chacun suit à un degré plus ou moins fort ses pulsions, qu’elles soient d’ordre sexuel ou passionnel. Le plus amusant – ou inquiétant selon le point de vue où l’on se place – étant la façon dont ces personnages justifient les inrockuptibles

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leurs actes. Chacun existe face à l’ensemble de la communauté, pour le meilleur ou pour le pire. Crimes sexuels, inceste, lynchage, zizanie, haine, sont autant de facteurs de désordre qui assombrissent l’atmosphère du village. Sauf que les morts, comme souvent dans les spectacles de Jan Lauwers, continuent d’exister. Cette licence poétique suscite une forme de légèreté. Ces villageois vivent comme si la mort n’était qu’un passage. Leur sens du tragique est du coup très relatif. D’où le charme de ce spectacle, mais aussi son étrangeté. Un rien foutraque, avec un petit goût d’inachevé, Place du Marché 76 s’apprécie comme une fantaisie chantée et jouée avec talent par une merveilleuse troupe d’acteurs. Traitant de l’inconséquence humaine, trop humaine, Jan Lauwers observe d’un œil indulgent teinté d’ironie ces villageois fantasques, tel un père de famille bienveillant. H. L. T.

Place du Marché 76 texte, mise en scène et images Jan Lauwers. En français et en anglais surtitré en français et en anglais

CLOÎTRE DES CARMES DU 8 AU 17 JUILLET 22H RELÂCHE LES 10 ET 14

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et traditionnelle, réunit huit hommes pour inventer un folklore commun.

Sans doute conception et mise en scène Jean-Paul Delore

COUR DU LYCÉE SAINT-JOSEPH

Todo el cielo sobre la tierra (El Síndrome de Wendy) texte, mise en scène, scénographie et costumes Angélica Liddell. En espagnol, mandarin et allemand surtitré en français → lire critique p. 56

DU 6 AU 11 JUILLET 22H RELÂCHE LE 8

Rausch (Ivresse) conception, mise en scène et chorégraphie, Falk Richter et Anouk Van Dijk. En allemand surtitré Ode à l’ivresse sous toutes ses formes… qu’elle s’incarne en déesse amoureuse ou en muse créatrice. L’auteur Falk Richter et la chorégraphe Anouk Van Dijk font acte de provocation en transformant nos instants de griserie et de débauche en issues de secours. Une digression sur ces états seconds qui nous permettent de repousser sans cesse les frontières du connu pour explorer des mondes neufs. Développant une pensée critique dénonciatrice du capitalisme libéral qui sait tout de nous grâce aux réseaux sociaux, les deux artistes prônent avec humour une révolution qui trouve source au cœur de l’intime encore caché. Portée par les musiques électroniques de Ben Frost, la pièce chorégraphique en appelle à Dionysos pour une bacchanale aussi libératrice que pleine d’humour.

DU 16 AU 23 JUILLET 22H RELÂCHE LE 19 CLOÎTRE DES CARMES

Place du Marché 76 texte, mise en scène et images Jan Lauwers. En français et en anglais surtitré en français et en anglais → lire critique ci-contre

DU 8 AU 17 JUILLET 22H RELÂCHE LES 10 ET 14

A partir d’un montage de textes compilant les styles d’écriture, d’Eugène Durif à Mia Couto, de Sony Labou Tansi à Dieudonné Niangouna et quelques autres… Jean-Paul Delore multiplie les rencontres langagières dans un théâtre parcellaire aux allures d’oratorio aussi éclectique qu’électrique. La réunion joyeuse d’une diaspora de saltimbanques qui partagent colères et coups de cœur pour affirmer que l’humain doit cesser d’être une variable d’ajustement soumise à la loi du plus fort.

Reise Durch die Nacht (Voyage à travers la nuit) d’après le texte de Friederike Mayröcker, mise en scène Katie Mitchell. En allemand surtitré en français → lire critique p. 52

DU 20 AU 22 JUILLET 22H LE 23 18H OPÉRA-THÉÂTRE

DU 21 AU 24 JUILLET 22H

DES ARTISTES UN JOUR AU FESTIVAL

CLOÎTRE DES CÉLESTINS

Drums and Digging chorégraphie Faustin Linyekula Le créateur des Studios Kabako est retourné dans son village d’enfance, Obilo, sur les traces de ses premiers souvenirs de danse. Avec ses complices, eux aussi à la poursuite de cette mémoire bafouée, il imagine un Drums and Digging et sa fragile construction de bambous.

→ lire entretien pp. 32-34 DU 9 AU 16 JUILLET 22H LE 13 22H10 RELÂCHE LE 14

Orlando d’après Virginia Woolf, mise en scène et scénographie Guy Cassiers. En néerlandais surtitré en français En 1928, avec Orlando, son roman culte, Virginia Woolf invente un héros transsexuel. Guy Cassiers ramène le texte à un solo de paroles en l’offrant à la voix d’une comédienne. Un somptueux labyrinthe de désirs à découvrir au fil des dédoublements de Katelijne Damen, qui incarne tour à tour le personnage d’Orlando et celui de son biographe.

LE 6 JUILLET 18H

Au-delà chorégraphie DeLaVallet Bidiefono Au-delà, et ses neuf “guerriers” (six danseurs, deux musiciens et un chanteur), met en scène le compagnonnage funeste qui rythme la vie des habitants de Brazzavile, où la mort est omniprésente. Pour faire de la scène un cri d’espoir.

Dialoge 20-13 chorégraphie Sasha Waltz Tout juste auréolée du succès de son Sacre du printemps, l’Allemande sera entourée, pour Dialoge 20-13, de ses danseurs, du Français Guillaume Bruère et du joueur de basson Burak Ozdemir.

→ lire reportage pp. 4-11

LE 7 JUILLET 19H

DU 19 AU 25 JUILLET 22H RELÂCHE LE 21

Out of Context chorégraphie Alain Platel

GYMNASE DU LYCÉE AUBANEL

D’après une histoire vraie chorégraphie Christian Rizzo Le créateur ne nous a pas habitués à travailler la matière du réel. D’après une histoire vraie, qui croise danse contemporaine les inrockuptibles

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→ lire entretien pp. 32-34 DU 7 AU 15 JUILLET 18H RELÂCHE LE 11

On aurait aimé voir C(h)œurs à Avignon, mais on ne peut que se réjouir de cette reprise d’Out of Context, for Pina, qui fit un triomphe ici en 2010. Comme souvent avec Platel, émotion et intelligence du geste font bon ménage.

LE 9 JUILLET 18H

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voyage au bout de la nuit Une scénographie hybride entre théâtre et cinéma signée par l’Anglaise Katie Mitchell, et sublimée par l’interprétation de sa comédienne principale.

les inrockuptibles

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Stephen Cummiskey

I

ncroyable défi technique et proposition artistique ne se jouant que sur le tranchant des émotions, la dernière mise en scène de l’Anglaise Katie Mitchell et de son complice le vidéaste Leo Warner mobilise pas moins de six caméramen pour capter en direct l’action d’une pièce se proposant de rendre compte du fantasme théâtral de réaliser un spectacle se déroulant uniquement à l’intérieur d’un train. Comme s’il s’agissait d’un quai de gare, une imposante rame bleue de wagons-lits occupe toute la largeur du plateau et, avant que ne résonne l’annonce du départ, on reste incrédule quant à cette magie qui va nous tenir en haleine durant une heure et quinze minutes, réduits au rôle de simples observateurs de ce qui se passe derrière les vitres des compartiments-couchettes d’un train lancé dans la nuit à travers l’Europe. L’héroïne du roman de l’Autrichienne Friederike Mayröcker vient d’apprendre la mort de son père. La voici quittant précipitamment Paris pour assister, en compagnie de son mari, aux obsèques à Vienne, en Autriche. Incapable de trouver le sommeil, elle consacre le voyage à prendre des notes pour ordonner ses souvenirs en prévision du discours qu’elle doit prononcer lors des funérailles. Relayé par une voix off, le flot chaotique de ses pensées divagantes sera notre seul guide. Projetés sur grand écran, les plans de son visage en larmes et de son corps sous le choc attestent d’un désarroi qui, soudain, n’a plus de limites… De l’évidence que son couple bat de l’aile à la remémoration des images traumatiques d’une enfance où père et mère s’affrontent comme une énigme irrésolue et jusqu’au désir de tout oublier en s’abandonnant à une étreinte furtive avec un jeune contrôleur, la voici, au bord du précipice, explorant les prémices d’un travail de deuil qui bouscule les convenances en convoquant Eros tout autant que Thanatos.

Un jeu de cache-cache où le spectateur se retrouve dans la position du voyeur (confronté à la théâtralité minimaliste d’une action partiellement cachée que le cinéma nous révèle en gros plans) et simultanément dans celle du témoin mis à distance, quand il s’émerveille de la fascinante mécanique d’horlogerie d’une rame de train transformée en boîte à malices capable de s’ouvrir et pivoter pour les besoins d’un contre-champ, de contenir la chambre de l’enfance et le salon où se rejouent les scènes du passé. Hybridation réussie entre une représentation théâtrale et un tournage réalisé en studio, le projet de Katie Mitchell trouve l’accord parfait avec son auteur pour retranscrire l’écorché vif du récit son l’héroïne. Incarné avec brio par la sublime Julia Wieninger, ce portrait d’une femme mise à nue par la perte d’un être cher s’avère aussi juste que déchirant. Inoubliable. P. S.

Reise Durch die Nacht (Voyage à travers la nuit) d’après le texte de Friederike Mayröcker, mise en scène Katie Mitchell. En allemand surtitré en français

GYMNASE DU LYCÉE AUBANEL DU 20 AU 22 JUILLET 22H LE 23 18H

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Peter Brook – Sur un fil… un film de Simon Brook

OPÉRA-THÉÂTRE DES ARTISTES UN JOUR AU FESTIVAL SUITE

King Size conception et mise en scène Christoph Marthaler. En allemand surtitré en français De Polnareff à Bach en passant par les Jackson Five, la playlist iconoclaste de Christoph Marthaler s’avère une dédicace humoristique à cette cohorte disparate des hits constituant la mémoire collective des musiques dites populaires. Réunissant ses acteurs sous la bannière de l’éclectisme musical et les installant dans un lit format “king size”, le metteur en scène revisite les recettes du Boulevard dans l’avalanche surréaliste d’une multitude de coups de théâtres aussi gaguesques que poétiques.

LE 10 JUILLET 21H LE 11 18H

Quels sont les secrets de fabrication à l’origine de la magie légendaire qui irrigue les mises en scène de Peter Brook ? Sous l’objectif de la caméra de son fils Simon, Brook accepte pour la première fois de lever le voile. Il nous gratifie ainsi d’une master-class d’anthologie, l’occasion de constater qu’enseigner l’art du théâtre passe aussi par l’initiation à une philosophie qui transforme le regard que l’on porte sur le monde.

LE 12 JUILLET 11H30

Kaddish texte d’A. Ginsberg, lu par Arthur Nauzyciel Reprenant la forme d’un Kaddish, prière adressée aux morts lors des enterrements juifs, le poète américain Allen Ginsberg dédie à sa mère, trois ans après son décès, cette délirante épitaphe écrite sous l’emprise des amphétamines. Un retour sur la vie de celle qui, avant de sombrer dans la folie et de connaître les hôpitaux psychiatriques, avait été une militante communiste dans l’Amérique de la Grande Dépression des années 30.

LE 12 JUILLET 19H

Le vent souffle dans la cour d’Honneur – Les utopies contemporaines du Festival d’Avignon film de Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval, réalisé par Nicolas Klotz Comment saisir l’esprit d’Avignon, comme celui d’un vent qui ensorcelle le monde pour mieux l’exalter entre ses murs ? De la naissance du Festival en 1947 à sa transformation par Vilar en 1967 en un creuset multiculturel où Béjart côtoie Godard… Du passé au présent, Avignon, pour Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval, est une utopie sans frontières qui étend son emprise sur Londres avec Simon McBurney, Berlin avec Thomas Ostermeier, Cesena avec Romeo Castellucci ou Brazzaville avec Dieudonné Niangouna. Une carte du monde qui chaque année se renouvelle au fil des éditions pour s’incarner avec splendeur entre les murs de la cité des Papes.

LE 13 JUILLET 15H ET 18H ENTRÉE LIBRE SUR RÉSERVATION ET AUSSI LES 16, 19, 22, 25 JUILLET 17H CINÉMA UTOPIA-MANUTENTION

Hamlet en Palestine film de Nicolas Klotz et Thomas Ostermeier

RFI EN PUBLIC Pour la première fois dans l’histoire d’Avignon, Radio France International est associée au Festival avec un programme de lectures titré Ça va, ça va l’Afrique ! Installé au pied du palais des Papes, dans le jardin de Mons, RFI donne la parole aux nouvelles écritures de l’Afrique via des lectures confiées aux acteurs du Festival sous la direction de Catherine Boskowitz. Au programme : Attitude Clando de Dieudonné Niangouna par Criss Niangouna (le 11), L’Acte de respirer du poète congolais Sony Labou Tansi par Nicolas Bouchaud (le 12). On découvrira aussi, Samantha à Kinshasa de Marie-Louise Bibish Mumbu (le 13), Et les moustiques sont des fruits à pépins de Fiston Nasser Mwanza (le 14), Façons d’aimer d’Aristide Tarnagda (le 15, lire portrait p. 12), Au nom du père et du fils et de J. M. Weston de Julien Mabiala Bissila (le 16). P. S.

JARDIN DE LA RUE DE MONS DU 11 AU 16 JUILLET 11H30 ENTRÉE LIBRE les inrockuptibles

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A la genèse de ce projet, des contacts pris avec les membres du Freedom Theatre installé dans le camp de réfugiés de Jénine, dont le directeur Juliano Mer-Khamis est assassiné en avril 2011. En septembre 2012, à l’invitation du Al-Kasaba Theater de Ramallah, Thomas Ostermeier présente sa mise en scène d’Hamlet en Palestine. Hommage à la figure de MerKhamis, le film de Nicolas Klotz croise les images du drame shakespearien avec celles de la violence au quotidien vécue par le peuple palestinien.

LE 14 JUILLET 19H30

Le Pouvoir des folies théâtrales chorégraphie Jan Fabre Une création-monstre du Flamand (4 h 20), et sans doute

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Delbono convoque à travers ses déchirements la parole de ses poètes fétiches, de Rimbaud à Pasolini, d’Artaud à Eliot et Whitman. Une cérémonie baroque où la musique et l’incantation prêchent pour une transe qui se nourrit d’abord de l’écume d’un réel écorché en live et à vif.

LE 19 JUILLET 19H30

entre scène et écran

Woyzeck chorégraphie Josef Nadj

Les Territoires cinématographiques. Complices en cinéphilie, Dieudonné Niangouna et Stanislas Nordey transforment ces projections en autant de madeleines pour salles obscures. Avec Carnet de notes pour une Orestie africaine de Pier Paolo Pasolini (photo), on fera un premier lien entre Europe et Afrique avant de revoir les films d’Abderrahmane Sissako, Mahamat-Saleh Haroun, Alain Gomis. Avec Un couple et La Cité de l’indicible peur, c’est l’actrice Véronique Nordey qui est mise à l’honneur sous l’œil de Jean-Pierre Mocky. Une dédicace familiale avant un hommage à Claude Régy avec le film Brume de dieu d’Alexandre Barry, celui à Peter Brook avec Sur un fil… de son fils Simon. Sans oublier Vincent Dieutre et son film réalisé avec les élèves du TNB, Jaurès, et aussi Déchirès/Graves. P. S.

Artiste associé en 2006, souvent programmé à Avignon, Josef Nadj donne pour un soir Woyzeck, ou l’ébauche du vertige à la frontière du théâtre, du mime et de la danse.

LE 21 JUILLET 19H30

Corps… d’après le roman d’Alexandra Badea, mise en jeu Frédéric Fisbach

programme détaillé dans La Gazette d’Utopia

CINÉMA UTOPIA-MANUTENTION LE 14 JUILLET 23H ENTRÉE LIBRE

une de ses plus belles œuvres. Le Pouvoir des folies théâtrales revisite l’histoire du théâtre sous forme de tableaux vivants.

LES 15 ET 16 JUILLET 21H

Croisements, partage de Dieudonné Niangouna et Stanislas Nordey Une excitante revisitation de la traditionnelle palabre qui transcende notre rapport à la prise de becs. Compétition où il n’y aura ni vainqueur ni vaincu, la battle qui oppose Dieudonné Niangouna et Stanislas Nordey n’a d’autre but que d’être une poétique épiphanie de mots. Les deux artistes associés croisent le fer en dégainant les textes de leurs auteurs et poètes favoris. Avec l’idée de saisir

l’image éphémère d’un paysage mental partagé, ils tissent le fil à fil d’une étoffe où l’univers littéraire de l’un complète et rehausse par ses motifs celui de l’autre.

LE 17 JUILLET 19H30

Etrangler le temps avec Boris Charmatz Un hommage à Odile Duboc librement inspiré du Boléro 2. Charmatz y “dialogue” avec Emmanuelle Huynh. Un sommet.

LE 18 JUILLET 19H30

Amore e carne conception Pippo Delbono. En italien surtitré en français Enveloppée avec tendresse par les envolées suaves du violon d’Alexander Balanescu, la voix de rocaille de Pippo les inrockuptibles

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Retour aux racines, recherche d’identité, l’impossible quête de soi des habitants d’une île coupée en deux par la construction d’un mur infranchissable. Loin de la Chypre des cartes postales et des scandales financiers, deux jeunes femmes incarnées par Bénédicte Cerutti et Magdalena Constantin mènent l’enquête… L’une cherche la tombe de son amour perdu, l’autre fuit à la recherche d’un père absent. Le coup de cœur de Frédéric Fisbach pour le premier roman de la dramaturge Alexandra Badea.

LE 23 JUILLET 19H30

Schwanengesang D744 conception et mise en scène Romeo Castellucci Avec Kerstin Avemo (soprano) et Alain Franco (pianiste), la grande Valérie Dréville retrouve la belle complicité qui la lie avec Romeo Castellucci pour dénouer les mystères d’émotions contenus dans ce Chant du cygne composé par Franz Schubert. De lieder en lieder, cette soirée questionne pour Castellucci, ces larmes qui coulent “si éloignées du sentimentalisme que je déteste”.

LE 25 JUILLET 19H30

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OPÉRA-THÉÂTRE DES ARTISTES UN JOUR AU FESTIVAL SUITE

Coma

Nurith Wagner-Strauss

de Pierre Guyotat, mise en scène Thierry Thieû Niang, avec Patrice Chéreau

six feet under A Neverland, Utøya ou Shanghai, l’Espagnole Angélica Liddell nous dit qu’on est toujours seuls. Une de ses plus belles créations.

O

ù est Wendy ?” La question est répétée à plusieurs reprises d’un ton saccadé. La voix rauque, presque brisée et pourtant véhémente a des accents troublants où s’accrochent des restes d’enfance. Un peu plus tôt, entrée en scène d’un pas fantomatique, enveloppée dans une robe blanche, le bras gauche tendu en avant, Angélica Liddell évoquait quelque héroïne de roman noir. Au centre du plateau, un tertre planté de sapins miniatures où dépasse une gueule de crocodile. D’autres crocodiles pendent au-dessus de la scène donnant à l’ensemble une tonalité asiatique. Plusieurs univers se télescopent dans Todo el cielo…, d’une intensité et d’une force inouïes. A commencer par ce monticule de terre représentant aussi bien Neverland, l’île de Peter Pan, qu’Utøya, île et tombeau de la jeunesse norvégienne où l’extrémiste de droite Anders Breivik exécuta 77 personnes, essentiellement des adolescents, le 22 août 2011. C'est d'ailleurs peu après ce massacre qu’Angélica Liddell est partie à Shanghai – nom qui, si on le prononce mal, signifie “blessure” en chinois. Débarrassée de sa robe, elle s’est allongée sur la terre. Sa culotte scintille de mille feux. Elle se donne du plaisir en gémissant. Baise avec la terre. Se masturbe. Une longue masturbation. Drôle. Folle. Evidente. Une affirmation de soi libératrice. La dramaturge définit souvent son œuvre comme une “pornographie de l’âme”. les inrockuptibles

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A tous les sens du terme, on peut voir ici une mise à nu, car elle se livre encore peut-être plus que dans ses créations précédentes. La solitude, la souffrance, l’étrangeté au monde, la rage de vivre mais aussi le courage, le désespoir, l’amour… tout y est mêlé. Les accords du House of the Rising Sun des Animals ou les vers nostalgiques de Ode : pressentiments d’immortalité venant des souvenirs de la petite enfance de Wordsworth rythment le spectacle comme autant de leitmotive. A cela s’ajoutent des moments d’une rare tendresse, telle cette série de valses menée par un couple de Chinois âgés de 70 ans dont le sourire évoque une éternelle jeunesse, et enfin avec ce monologue ahurissant de force provocatrice couvrant un registre d’émotions inouï où Liddell met ses tripes sur la table avec une énergie hors du commun. Rotant, bavant, éructant, balançant ses mots telle une mitraillette, elle ferait passer l'artiste trash Lydia Lunch pour une première communiante. Un spectacle pèse-nerfs, comme un cri, même si non dépourvu d’humour, dont on sort secoué, étourdi, mais surtout ébloui par la verve féroce, la rage et la tendresse de ce qui est un authentique chant d’amour. H. L. T.

Todo el cielo sobre la tierra (El Síndrome de Wendy) texte, mise en scène, scénographie et costumes Angélica Liddell. En espagnol, mandarin et allemand surtitré en français

COUR DU LYCÉE SAINT-JOSEPH DU 6 AU 11 JUILLET 22H RELÂCHE LE 8

Autobiographie d’une dépression comme un vertige qui n’aurait pas de fin. Avec Coma, Pierre Guyota, le contestataire et l’écrivain engagé, nous livre le récit de la terrible épreuve de son corps déserté, de son esprit asservi aux affres de la souffrance mentale. Texte en main comme une ultime marque de pudeur, Patrice Chéreau fait entendre chaque station de cette passion dévastatrice qui vide le corps de l’âme et laisse son auteur K.-O. Jusqu’à l’ultime lumière qui signale le bout du tunnel, Chéreau, magistral, s’avère un acteur décidément hors pair.

LE 26 JUILLET 18H GYMNASE DU LYCÉE SAINT-JOSEPH

Le Théâtre des idées conception et modération Nicolas Truong

→ lire encadré ci-contre LES 15, 18, 19, 22 ET 23 JUILLET 15H ENTRÉE LIBRE

Logobi 05* conception Monika Gintersdorfer et Knut Klassen. En français traduit en anglais Rencontre au sommet entre le danseur et chorégraphe Franck Edmond Yao dit “Gadoukou la Star” et Richard Siegal, chorégraphe et danseur de la compagnie de William Forsythe. Improvisation dialoguée sur le thème du “logobi”, une danse des rues d’Abidjan qui se borne avec humour à épingler dans des chorégraphies surréalistes nos actes du quotidien.

DU 9 AU 14 JUILLET 15H RELÂCHE LE 11

La Fin du western* conception Monika Gintersdorfer et Knut Klassen. En français traduit en anglais Il y a deux ans, la Côte d’Ivoire était victime d’une guerre des chefs où chacun se revendiquait d’avoir gagné les élections.

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La situation ubuesque qui oppose Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara vire au cauchemar, mais le récit de cette crise par cinq acteurs Ivoiriens et deux compères Allemands prend des allures de farce pour dénoncer l’absurdité d’une vie politique dont le peuple s’avère une fois de plus la première victime.

GYMNASE DU LYCÉE SAINT-JOSEPH

LE THÉÂTRE DES IDÉES conception et modération Nicolas Truong. Entrée libre En écho aux thématiques abordées par le Festival, Nicolas Truong ouvre la discussion avec des philosophes, des historiens et des sociologues. L’occasion de ne pas rester simple spectateur et de participer au débat.

DU 9 AU 14 JUILLET 17H RELÂCHE LE 11

Comment sortir de la crise de l’avenir ?

La Jet Set*

avec Yves Citton, théoricien de la littérature, et Georges Didi-Huberman, philosophe et historien d’art

conception Monika Gintersdorfer et Knut Klassen. En français traduit en anglais Face aux crises à répétition de la société ivoirienne, le mouvement de la Jet Set a inventé à Paris le coupé-décalé. Une façon de s’amuser en dansant la parade des profiteurs tombant tout à coup en disgrâce. En argot ivoirien, “couper” signifie voler, arnaquer, tricher et “décaler” prendre ses jambes à son cou pour s’enfuir. Une soirée qui affiche pour de rire les codes du luxe et les outrances des riches parvenus qu’elle dénonce à travers son happening dansant.

DU 9 AU 14 JUILLET 20H30 RELÂCHE LE 11 → *** lire portrait du danseur Franck Edmond Yao pp. 32-33 DES ARTISTES UN JOUR AU FESTIVAL

Lecture textes lus par Olivier Cadiot S’amusant des méandres de sa propre écriture composée à la manière d’un séduisant cut-up, Olivier Cadiot se fait notre guide pour une aventureuse exploration de la jungle des mots qui composent son œuvre proliférante. Ici, le connu revêt les habits de l’étrange et l’auteur qui nous livre ainsi ses secrets se mue en une étonnante Alice traversant allégrement les miroirs et parcourant à plaisir les mille et un recoins de son pays des merveilles.

LE 22 JUILLET 20H

Sortir de la rhétorique du déclin programmé et oser à nouveau penser l’avenir. Et si la crise de l’Occident était d’abord une crise des idées…

LE 15 JUILLET 15H

Comment penser le nouveau désordre mondial ? avec Achille Mbembe, historien L’ombre de la mondialisation s’étend sur la planète… Comment repenser notre rapport à l’altérité et dénouer les malentendus entre les sociétés postcoloniales et les Etats émergents ?

LE 18 JUILLET 15H

L’Afrique est-elle l’avenir du monde ? avec Jean-François Bayart, anthropologue ; Achille Mbembe, historien ; Joseph Tonda, philosophe Déchirée par les guerres et dégrisée par la reprise en main des printemps arabes, l’Afrique ne semble pas mieux lotie que l’Europe, qui s’enfonce jour après jour dans la crise. Comment s’épauler pour que renaisse une vraie coopération misant sur l’avenir ?

LE 19 JUILLET 15H

Peut-on en finir avec la crise des banlieues ? avec Michel Kokoreff et Didier Lapeyronnie, sociologues Longtemps laboratoires sociaux et creusets des innovations urbaines, les territoires de la périphérie manquent toujours de visibilité. Comment réintégrer la banlieue dans sa place d’éclaireur des mouvements sociétaux ?

LE 22 JUILLET 15H

Quelles résistances intellectuelles ? avec Fabienne Brugère et Pauline Colonna D’Istria, philosophes

Rendez-vous avec… Wajdi Mouawad Habitué des fresques au long cours remettant au centre du plateau la condition des personnes déplacées et son

Comment prendre acte d’une cartographie des nouvelles théories critiques et comment les utiliser ? S’équiper enfin d’armes neuves, utiles pour contrecarrer la croissance du chaos libéral, et performantes pour inventer la société de demain.

LE 23 JUILLET 15H les inrockuptibles

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expérience d’une enfance traumatisée par la guerre civile libanaise, Wajdi Mouawad est l’auteur de fulgurants poèmes dramatiques qui ont des vertus d’exorcismes mémoriels. On le sait aussi friand de rencontres intimes, où c’est en conteur, comme ici, qu’il fascine son auditoire de la seule musique de sa voix.

par Lazare qui, à travers cette pièce, nous entraîne dans une poétique des banlieues inédites à ce jour. Avec pour alter ego un personnage nommé Libellule, qui dès son plus jeune âge préfère “les rêves à l’école”, Lazare prouve que l’inadaptation et l’incompatibilité à se fondre dans le moule sont parfois les seules planches de salut pour se trouver soi-même. Sans oublier les flics de la BAC et les dealers des cités, le petit monde de Lazare trace son chemin avec brio, sans angélisme ni démagogie. Une révélation.

LE 24 JUILLET 19H

DU 15 AU 18 JUILLET 18H30

TINEL DE LA CHARTREUSE

L’Argent

GYMNASE DU LYCÉE SAINT-JOSEPH DES ARTISTES UN JOUR AU FESTIVAL SUITE

Re:Walden

texte de Christophe Tarkos, mise en scène Anne Théron

d’après Walden ou la Vie dans les bois d’Henry David Thoreau, mise en scène Jean-François Peyret

→ lire critique ci-contre  DU 22 AU 25 JUILLET 18H30

“Notre vie s’émiette en menus détails. Un honnête homme a rarement besoin de compter davantage que sur ses dix doigts, et dans les cas extrêmes il peut y ajouter ses dix orteils et laisser tomber le reste.” Dans Walden ou la Vie dans les bois, Thoreau défend le dépouillement et la simplicité. Ce livre raconte sa vie quotidienne pendant deux ans dans une cabane au milieu des bois au bord de l’étang de Walden. Depuis quelques années, Jean-François Peyret s’intéresse aux expériences de Thoreau, qu’il double aujourd’hui d’une démarche théâtrale originale, où à l’immersion en milieu naturel de l’essayiste américain est associée une recherche sur le virtuel. Les acteurs présents dans l’espace de la scène existent parallèlement dans l’espace virtuel – on parle de “réalité augmentée” – façonné par la plasticienne Agnès de Cayeux. Une confrontation pleine de surprises mêlant artificiel et quête de la nature.

DU 6 AU 11 JUILLET 18H RELÂCHE LE 9

Au pied du mur sans porte texte et mise en scène Lazare Prendre du champ, inventer une parole libre, là où tout le monde parle d’enfermement, c’est le tour de force réussi les inrockuptibles

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THÉÂTRE BENOÎT-XII

Qaddish chorégraphie Qudus Onikeku Qaddish singulier que celui d’Onikeku, danseur venu du Lagos, passé, entre autres, par la Cie Heddy Maalem, et le Cnac de Châlons-en-Champagne. Il sera ici question de mémoire, de rituel, de culture yoruba.

→ lire portrait p. 35 DU 6 AU 13 JUILLET 17H RELÂCHE LE 11

Germinal conception Antoine Defoort et Halory Goerger A la manière d’un jeu où il s’agirait de sortir de l’âge des cavernes pour se lancer dans la conquête spatiale, Defoort et Goerger convoquent sur leur plateau nu les membres d’un collectif ayant mission de repenser le monde. Nourris des notices de Wikipédia, quatre zozos, parmi lesquels on retrouve nos deux créateurs, envisagent la théorie quantique et se questionnent sur Dieu pour en faire leur théâtre humoristique. Une histoire du genre humain revue et corrigée comme une bonne blague qui n’aurait pas de fin.

→ lire portrait p. 37 DU 16 AU 24 JUILLET 17H RELÂCHE LE 18

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Le Jeu de l’oie du spectacle vivant installation. Conception et réalisation Julien Fournet, avec la collaboration d’Antoine Defoort et Halory Goerger A l’intention des spectateurs curieux de se rendre compte du parcours d’obstacles que représente la création d’un spectacle aujourd’hui. Une critique amusante de l’économie culturelle.

DU 16 AU 24 JUILLET 14H À 17H ET 18H30 À 20H ENTRÉE LIBRE RELÂCHE LE 18 GYMNASE DU LYCÉE MISTRAL

Ping Pang Qiu texte, mise en scène, scénographie et costumes Angélica Liddell. En espagnol surtitré en français Apprendre le chinois autour d’une table de ping-pong. L’amour d’Angélica Liddell pour la Chine passe d’abord par l’apprentissage de sa langue avant de se confronter à la détestation de son régime. L’atrabilaire fashionista trouve avec le modèle économique chinois un sujet à sa taille pour canaliser l’état de colère impérieux qui irrigue chacun de ses spectacles.

LE 5 JUILLET 19H DU 6 AU 11 15H RELÂCHE LE 8 ET AUSSI dans le cadre de Contre-Courant LE 17 JUILLET 22H ROND-POINT DE LA BARTHELASSE

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Emilie Leloup

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flux capital Quand L’Argent convoque théâtre, danse, arts numériques et musique sur un plateau. Etourdissant.

A

vant leur condition de mortels, un autre point commun unit tous les vivants : l’argent. “Remember that time is money”, écrivait déjà Benjamin Franklin en 1748 dans Conseils à un jeune commerçant. Un propos plus que jamais d’actualité. Mondialisation aidant, les flux financiers s’accaparent tout autant nos quotidiens que le cours du monde. Médias et nouvelles technologies ne cessent d’en restituer le débit, jusqu’à la submersion d’informations et de données dont la manipulation virtuelle s’inscrit férocement au cœur de nos vies. C’est un fait, depuis le XVIIIe siècle, le sablier du temps s’est emballé, il s’écoule avec fureur et charrie avec lui les déséquilibres produits par l’équation aveugle de l’enrichissement de quelques-uns proportionnel à l’appauvrissement d’une multitude. Christophe Tarkos, poète disparu en 2004, écrit L’Argent en 1999. Convaincu que la vérité se trouve souvent “dans le pouvoir électrique et physique du langage, dans la ‘pâte-mot’ qui peut être travaillée et retravaillée sans arrêt”, il signe un texte torrentiel qui décortique jusqu’à l’os la valeur argent. Anne Théron s’en est emparé pour produire un spectacleperformance à la beauté corrosive qui transporte le public dans un voyage musical, visuel, textuel et chorégraphique d’une redoutable intensité (55 minutes chrono), porté par deux interprètes incandescents. L’acteur Stanislas Nordey

et la danseuse Akiko Hasegawa sont juchés sur une estrade en L, entourés par le public adossé aux murs et balayés d’images numériques signées Christian Van Der Borght et Philippe Boisnard, où défile en cascade la “pâte-chiffre” des flux financiers et monétaires. “L’argent est la valeur sublime”, écrit Tarkos en ouverture de son texte. Une valeur qu’il va traquer dans toutes les dimensions du vivant, les tirant de l’ombre pour les déchiffrer en pleine lumière. D’abord calme, susurrant presque les mots, Stanislas Nordey se laisse emporter par l’accélération du texte, repris en japonais par Akiko Hasegawa, quand ils ne se laissent pas déborder, ensemble, par un rock chanté à deux en japonais, corps tendus, pris par le flux verbal qui coule dans leurs veines et leurs muscles, tel du vif-argent, avant de dissocier leurs actions. Elle danse, fabrique des origamis ou prépare le thé, tandis qu’il va au bout du texte comme on grimpe un sommet, le souffle court, la volonté d’aller au bout chevillée au corps, conscient que chaque mot, chaque geste, porte en lui-même un éclat de vérité. F. A.

L’Argent de Christophe Tarkos, mise en scène Anne Théron, création vidéo Christian Van Der Borght

TINEL DE LA CHARTREUSE DU 22 AU 25 JUILLET 18H30

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GYMNASE DU LYCÉE MISTRAL

Le Début de quelque chose d’après le texte d’Hugues Jallon, mise en scène Myriam Marzouki Le coup de l’arroseur arrosé. Avec humour et en écho au Printemps arabe, Myriam Marzouki nous entraîne dans un de ces clubs de vacances où le touriste n’apprécie les joies du farniente qu’en circuit fermé. Tandis qu’une rumeur fait état de la révolte populaire, le village de vacances se transforme peu à peu en citadelle assiégée. Vivant un cauchemar aux allures d’une émission de télé-réalité, nos vacanciers nantis découvrent les joies des camps de transit où l’on manque de tout quand on a pour seul statut celui d’être des réfugiés.

DU 15 AU 20 JUILLET 18H RELÂCHE LE 19

Daniel Seiffert

Wagons libres

ondes assassines Reconstitution signée Milo Rau d’une émission de la RTLM, la radio qui appela au génocide rwandais au début des années 90.

H

ate Radio réunit des acteurs, un metteur en scène et l’International Institute of Political Murder (IIPM), fondé en 2007 pour intensifier les échanges entre les arts et la recherche dans le domaine de la reconstitution d’événements historiques. Au cœur du projet, la responsabilité de la RTLM (Radio-Télévision Libre des Mille Collines) dont les émissions, des mois avant et pendant le génocide de 1994, lançaient des appels explicites au meurtre des Tutsis et des Hutus modérés, entre deux tubes de pop congolaise. Devant le cynisme de la RTLM et l’horreur des massacres, Hate Radio met en place un dispositif scénique qui fonctionne comme une double mise à distance. Munis d’un casque qui retransmet paroles et musique, les spectateurs suivent individuellement ce qui se dit sur scène. Et si la reconstitution d’une

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émission animée par quatre journalistes, trois Rwandais et un Belge, dit le “Hutu blanc”, se fait derrière les parois vitrées d’un studio d’enregistrement, le spectacle s’ouvre et se clôt sur les récits de victimes, joués par les mêmes acteurs, mais filmés et projetés sur des écrans en avant-scène. Curieusement, ces projections semblent plus présentes, plus proches de nous, que l’audition d’une émission qui distilla la haine dix-neuf ans plus tôt dans l’indifférence et la surdité générale. Par quels canaux passe la prise de conscience ?, interroge Hate Radio aujourd’hui et en direct. F. A.

Hate Radio texte et mise en scène Milo Rau. En français et en kinyarwanda surtitré en français

AUDITORIUM DU GRAND-AVIGNON – LE PONTET DU 21 AU 24 JUILLET 18H

chorégraphie Sandra Iché Après un passage par P.A.R.T.S. ou dans la compagnie Maguy Marin, Sandra Iché n’a jamais cessé de croiser les fils d’une aventure multiple. Avec Wagons libres, autour et avec les collaborateurs de L’Orient-Express, magazine francophone beyrouthin des années 90, elle invente un jeu des “archives du futur”. Du réel au geste.

DU 22 AU 24 JUILLET 18H AUDITORIUM DU GRAND AVIGNON – LE PONTET

La Parabole des papillons de Jean Cagnard, mise en scène Michèle Addala Fruit d’un atelier de paroles dédié aux femmes habitant les quartiers populaires d’Avignon, ce spectacle où les images s’entrechoquent pour rendre compte de la diversité des points de vue a valeur d’œuvre collective. Prenant comme point de départ une légende persane du XIIe siècle où des papillons s’interrogent sur leur fascination pour la flamme d’une bougie, Michèle Addala file la métaphore d’un choc

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des cultures qui ne fait pas forcément le bonheur des plus défavorisés qui finissent souvent par s’y brûler les ailes.

DU 5 AU 9 JUILLET 16H ENTRÉE LIBRE SUR RÉSERVATION

Lagos Business Angels par le collectif Rimini Protokoll, texte et mise en scène Helgard Haug, Stefan Kaegi, Daniel Wetzel. En anglais traduit en français Amateurs du théâtre documentaire, les trois membres de Rimini Protokoll ont fait le voyage au Nigéria pour ramener la crème des business angels, les jeunes entrepreneurs de Lagos. Plus qu’un théâtre déambulatoire, il s’agit d’un véritable salon commercial où chacun vante avec talent ses produits, des chaussures aux dentelles, des poissons d’aquarium au commerce du pétrole. De stand en stand, la rencontre profite à tous, un échange de bons procédés qui ravit par sa simplicité… Ici on parle commerce, et tant pis pour les moralistes et les tenants de l’art pour l’art.

LES 14 ET 17 JUILLET 11H LES 15 ET 16 JUILLET 11H ET 18H

Hate Radio texte et mise en scène Milo Rau. En français et en kinyarwanda surtitré en français

→ lire critique ci-contre  DU 21 AU 24 JUILLET 18H

SALLE DE SPECTACLE DE VEDÈNE

Les Particules élementaires texte de Michel Houellebecq, adaptation, mise en scène et scénographie Julien Gosselin “La duchesse de Guermantes avait beaucoup moins de thunes que Snoop Doggy Dog ; Snoop Doggy Dog avait moins de thunes que Bill Gates, mais il faisait davantage mouiller les filles.” Pour la première fois en France, un metteur en scène transpose sur les planches la prose ironique de Michel Houllebecq en adaptant son roman, Les Particules élémentaires. Où l’on assistera aux destins parallèles de

deux demi-frères, Michel et Bruno, dont l’existence plate et morose témoigne du désenchantement de notre civilisation. Tandis que Bruno se perd dans une quête désespérée du plaisir sexuel, la vie amoureuse de Michel est un désastre. Maussade, désabusé, l’univers décrit par Houellebecq peut aussi être terriblement drôle. Ce spectacle audacieux est l’occasion de découvrir le travail d'un metteur en scène encore méconnu.

→ lire portrait p. 34 DU 8 AU 13 JUILLET 15H RELÂCHE LE 10

Non-Tutta (Pas-toute)

conception, mise en scène et scénographie Philippe Quesne

texte et objets Anne Tismer, conception et accessoires Silvia Albarella

→ lire critique p. 62 et entretien pp. 24-28 DU 17 AU 24 JUILLET 16H RELÂCHE LE 20

CHAPELLE DES PÉNITENTS BLANCS

Projet Luciole conception et mise en scène Nicolas Truong Quand le plaisir du jeu rime avec l’expression d’une pensée aussi plaisante que politique. En écho aux fameuses lucioles chères à Pier Paolo Pasolini, Nicolas Truong nous rappelle que la parole philosophique est un art de vivre aussi fragile que leur petite lumière virevoltant dans la nuit. A l’heure où le marketing politique a chassé les véritables penseurs du débat sociétal, c’est à travers un collage de textes puisés chez Foucault, Rancière, Semprun et Agamben que Judith Henry, Nicolas Bouchaud et Nicolas Truong s’amusent à transformer ces extraits en fragments de discours amoureux, pour flirter sans interdits et surfer sur les mots avec l’insouciance des amants.

→ lire portrait p. 36 LES 7 ET 8 JUILLET 15H DU 10 AU 13 15H ET 19H

Eloge du désordre et de la maîtrise Accompagnés par le maître les inrockuptibles

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LE 15 JUILLET DE 15H À MINUIT TROIS SÉQUENCES À 15H, 18H ET 21H ENTRÉE LIBRE SUR RÉSERVATION

Swamp Club

par Michelle Kokosowski et Stanislas Nordey

russe Anatoli Vassiliev, Michelle Kokosowski et Stanislas Nordey inventent une master-class en forme d’école buissonnière pour revisiter l’énigmatique énoncé d’un paradoxe du comédien qui pose toujours tant de questions.

Enveloppée dans la peau d’un grand monstre à pelure de laine, c’est au centre d’un cube blanc qu’Anne Tismer s’amuse de sa défroque colorée dans une performance remettant au goût du jour la fonction d’histrion. L’actrice allemande, qui tenait le rôle-titre dans Nora de Thomas Ostermeier, revient sur ce qu’elle diagnostique chez elle comme “une forme moderne de l’hystérie”, une faille qu’elle transcende avec génie dans l’art du théâtre.

LE 18 JUILLET 15H LES 19 ET 20 15H ET 19H

Et si je les tuais tous Madame ? texte et mise en scène Aristide Tarnagda Amorce d’un dialogue Nord-Sud qui hésite à marcher dans les clous. Déployer le temps qui, à un carrefour, sépare le passage du feu rouge au feu vert, pour qu’il contienne le récit d’une vie et devienne le prétexte à une humoristique adresse faite à une conductrice bloquée dans les embouteillages. A travers la confession de son héros Lamine, le Burkinabé Aristide Tarnagda invente un théâtre musical dopé par le hip-hop du groupe Faso Kombat et envoûté par les airs traditionnels d’Hamidou Bonssa.

→ lire portrait p. 12  DU 23 AU 26 JUILLET 15H 67e édition du festival d’avignon

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Martin Argyroglo

milieu ambiant Un tableau naturaliste, géographie composite où la règle des trois unités se voit savamment malmenée par Philippe Quesne.

Q

ue se passe-t-il quand on regarde un paysage ? Quelque chose se révèle progressivement. Un détail attire l’œil, puis un autre. Des formes se précisent. Les éléments s’ordonnent pour composer un ensemble. Des herbes hautes, un plan d’eau où flottent des nénuphars, des hérons qui dressent leurs cous parmi la végétation. Tout cela surplombé par la baie vitrée d’un bâtiment sur pilotis. Sur le côté droit, une pente escarpée s’élève avec en son milieu l’ouverture d’une grotte. Une brume légère ajoute à cette atmosphère une touche d’humidité. Scénographe et metteur en scène, Philippe Quesne construit ses spectacles comme des paysages. Plasticien rompu aux subtilités du théâtre, il sait comme personne installer une ambiance en jouant sur la temporalité. En apparence, rien ne se passe. Derrière un espace vitré, des individus s’affairent vaguement sur un ordinateur. Une série de micro-événements attire discrètement le regard du spectateur. A commencer par ce prompteur où des mots défilent en lettres rouges à l’entrée de la grotte. Il est doublé par un autre prompteur à l’intérieur du bâtiment. Les acteurs portent des capuchons bizarres qui évoquent le Moyen Age. A l’avant-scène, une enseigne faite les inrockuptibles

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de branchages indique les mots “Swamp Club”. On se trouve donc au milieu de nulle part, dans un endroit plutôt marécageux où semble installé un lieu de résidence pour artistes, avec sauna, relaxation, etc. Un quatuor à cordes joue même un divertimento de Mozart. Bientôt, de nouveaux venus débarqués avec valises et sacs à dos découvrent le lieu. Les paysages imaginés par Philippe Quesne ont cette particularité de se réinventer sans cesse, le moindre événement en change discrètement la nature. En ce sens, le jeu des acteurs participe aussi de cette recréation perpétuelle du milieu dans lequel ils sont immergés. De l’artifice de la nature à la nature de l’artifice sont glissés des éléments perturbateurs : une taupe géante, des hérons de jardin dont les yeux rouges clignotent dans le noir, un personnage sorti d’un tableau de Bruegel muni d’une paire de jumelles… L’ensemble, admirablement réussi, évoque une géographie composite, d’autant plus efficace qu’elle est constituée d’éléments hétéroclites. H. L. T.

Swamp Club conception, mise en scène et scénographie Philippe Quesne

SALLE DE SPECTACLE DE VEDÈNE DU 17 AU 24 JUILLET 16H RELÂCHE LE 20

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JARDIN DE LA VIERGE DU LYCÉE SAINT-JOSEPH

Sujets à vif → lire encadré ci-contre DU 8 AU 14 JUILLET 11H ET 18H RELÂCHE LE 11 PUIS DU 19 AU 25 11H ET 18H RELÂCHE LE 22

PARCOURS DANS LA VILLE

Remote Avignon conception Stefan Kaegi, mise en scène Stefan Kaegi et Jörg Karrenbauer. En français et en anglais Comment la technologie peut-elle modifier notre perception ? Coiffés d’un casque audio, cinquante promeneurs visitent Avignon hors des sentiers battus avec pour guide la voix synthétique d’une machine. Départ cimetière Saint-Véran, avenue Stuart-Mill.

LE 8 JUILLET 18H ET 18H30 DU 9 AU 19 JUILLET 10H30, 11H, 14H30, 15H, 18H ET 18H30 RELÂCHE LES 13 ET 14 SALLE FRANCHET DU LYCÉE SAINT-JOSEPH

Troisième vie de François d’Assise conception Jean Michel Bruyère, avec le collectif LFKs Ayant choisi d’occuper un abri à vélos pour en faire le lieu de leur performance, les Marseillais du collectif LFKs nous offrent avec “Le Simple et l’Ouvert”, un aperçu des éléments de jeu et de scénographie à la base de leur travail pour un film qu’ils réalisent entre Aixen-Provence et Marseille sur la vie de François d’Assise.

DU 11 AU 23 JUILLET DE 13H À 18H RELÂCHE LES 16, 17 ET 18

JARDIN DE LA VIERGE DU LYCÉE SAINT-JOSEPH

SUJETS À VIF PROG. A DU 8 AU 14 JUILLET 11H RELÂCHE LE 11

Créatures conception D’ de Kabal et Emeline Pubert La rencontre du rappeur D’ de Kabal (ex du collectif Assassin) et de la danseuse Emeline Pubert devrait réveiller la dite Vierge du Jardin !

19-Born - 76-Rebels conception Mamela Nyamza → lire portrait p. 12 L’Afrique du Sud est à l’honneur dans ce dialogue engagé mené par Mamela Nyamza, danseuse remarquable, et la comédienne Faniswa Yisa.

PROG. B DU 8 AU 14 JUILLET 18H RELÂCHE LE 11

Garden Party conception et mise en scène Ambre Kahan Jeune comédienne native d’Avignon, Ambre Kahan convie Duncan Evennou et Karine Piveteau à un “show dégoulinant avec acteurs sales”. On prend.

Perlaborer conception Vincent Dissez et Pauline Simon Vincent Dissez a fait partie de l’aventure du groupe T chan’G ! dirigé par Didier-George Gabily. Ici, il fait plateau commun avec Pauline Simon, une des jeunes pousses de la danse actuelle.

PROG. C DU 19 AU 25 JUILLET 11H RELÂCHE LE 22

Dans les bois conception Sébastien Le Guen, Jérôme Hoffmann, Dgiz Un cirque electro ? C’est un peu la promesse que nous font le fildefériste Le Guen et le compositeur Hoffmann, accompagnés du slameur Dgiz. Bien vu.

Bataille mise en scène Pierre Rigal, chorégraphie Hassan Razak et Pierre Rigal Retour de Pierre Rigal à Avignon avec cette mise en scène qui réunit Hassan Razak, danseur, et Pierre Cartonet, acrobate. Un carton, à coup sûr.

PROG. D DU 19 AU 25 JUILLET 18H RELÂCHE LE 22

Son Son voix, corps et texte Nicolas Maury, musique Julien Ribot

ÉGLISE DES CÉLESTINS

Exhibit B conception et mise en scène Brett Bailey Dénonçant le racisme et les violences du colonialisme, le Sud-Africain Brett Bailey s’inspire de faits historiques pour ces dioramas où l’éloquente immobilité du regard des vivants remplace aisément

L’acteur, et aujourd’hui réalisateur, donne Son Son, sorte “d’autoportrait chanté”, accompagné du musicien Julien Ribot. Un hit.

Scum Rodeo avec Sarah Chaumette, texte Valérie Solanas, mise en scène Mirabelle Rousseau Sarah Chaumette invite Mirabelle Rouseau à la mettre en scène sur un texte-manifeste de Valérie Solanas. Parfait. les inrockuptibles

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un long discours. Chaque tableau ayant valeur de pièces à conviction, le procès des rapports entre l’Europe et l’Afrique s’instruit à charge pour mieux rebondir sur les nouveaux échanges à venir.

CLOÎTRE SAINT-LOUIS – ÉCOLES AU FESTIVAL AVEC L’ISTS

Pro I vocation par les élèves de la Manufacture, Haute Ecole de théâtre de Suisse romande, promotion F / 2010-2013, mise en scène Arpád Schilling

→ lire portrait p. 14

DU 12 AU 23 JUILLET ENTRÉE TOUTES LES 20 MINUTES DE 11H30 À 15H RELÂCHE LES 17 ET 18

Sous le regard bienveillant du Hongrois Arpád Schilling, les jeunes élèves questionnent leur rapport au plateau entre vocation et provocation.

HÔTEL LA MIRANDE

DU 15 AU 18 JUILLET 15H ENTRÉE LIBRE SUR RÉSERVATION

Chambre 20 conception Sophie Calle Transformant sa chambre, où elle continue de vivre, en cabinet de curiosités, la reine Sophie Calle nous invite à partager pour le plaisir des yeux l’intime de sa vie, de sa toilette à son petit déjeuner en passant par des rencontres avec ses amis.

Europia fable géo-poétique par les élèves de 3e année de l’école régionnale d’acteurs de Cannes, texte et mise en scène Gérard Watkins S’interrogeant sur l’Europe d’aujourd’hui, les jeunes acteurs de l’Erac évoquent les joies de l’exception culturelle, d’Amsterdam à Stockholm, de Gdansk à Riga, Bucarest et Athènes. Des voyages théâtralisés à travers une réinterprétation signée Gérard Watkins.

DU 15 AU 19 JUILLET DE 10H À 21H ENTRÉE TOUTES LES 30 MINUTES JUSQU’À 20H30 ÉCOLE D’ART

La Porte du non-retour

DU 22 AU 25 JUILLET 15H ENTRÉE LIBRE SUR RÉSERVATION

texte, mise en scène et photographies Philippe Ducros

DIVERS LIEUX CYCLE DE MUSIQUES SACRÉES

En référence à la déportation de millions d’esclaves vers les Amériques, Philippe Ducros témoigne de son chemin fait à l’inverse, vers le Togo, l’Ethiopie et en République démocratique du Congo.

La musique baroque est à l’honneur avec un cycle de trois soirées consacrées aux “Flamboyances baroques”, où l’on peut entendre les Quatre marches pour cuivres de Telemann et la Funeral Music of Queen Mary de Purcell par le Chœur Cantabile et un ensemble de cuivres, percussions et continuo dirigé par Pierre Guiral, le 7 juillet

DU 7 AU 26 JUILLET DE 13H À 19H SANS RÉSERVATION DERNIÈRE ENTRÉE À 18H

à l’église de Roquemaure. Programme repris avec les œuvres pour orgue de Purcell, Stanley et Pasquini, ainsi que The Moving Air d’Olivier Mellano (lire ci-après), le 14 juillet à la Métropole Notre-Dame des Doms. Enfin, le programme du 7 est repris avec les œuvres pour orgue de Byrd, Clarke, Stanley et Vivaldi, le 21 juillet à l’église de Malaucène. Baroque toujours avec les “Rencontres trompette et orgue du baroque au jazz” où seront jouées des œuvres pour orgue de Buxtehude, Bach, Christophe Marchant et Small Journey, création jazz pour orgue d’Andy Emler, avec Adam Rixier (trompette) et Pascale Rouet (orgue), le 6 juillet au temple Saint-Martial. Baroque pour les “Regards croisés orgue et accordéon : musiques baroques et créations contemporaines”, où l’accordéoniste Pascal Contet et l’organiste Luc Antonini interpréteront, entre autres, Something out of Apocalypse de Pierre Jodlowsky et Plein jeu de Philippe Hurel, le 16 juillet au temple Saint-Martial. Plus contemporain, cet autre programme dédié à Michaël Levinas avec Spirales d’oiseaux II (lire ci-après), mais aussi des œuvres de Franck, Messiean, Scelsi et Lacôte, le 9 juillet à la collégiale Saint-Agricol. Plus jazz, l’Arfi présente A la vie la mort : tableau-concert d’après le tableau Le Triomphe de la mort de Bruegel, le 12 juillet à la chapelle des Italiens. Enfin, le chœur Vokalna Akademija de Ljubljana présente “Voix d’hommes slovènes” sur des œuvres de Monteverdi, Schubert, Mendelssohn, le 23 juillet

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www.musique-sacree-en-avignon.org

Michaël Levinas : le compositeur trouvère… œuvres de Michaël Levinas Dédicace à un compositeur prolixe dont Stanislas Nordey a déjà monté deux opéras, Les Nègres et La Métamorphose.

LE 9 JUILLET 12H COLLÉGIALE SAINT-AGRICOL

The Moving Hair création pour orgue à quatre mains d’Olivier Mellano Par le compositeur de Par les villages, mis en scène par Stanislas Nordey dans la cour d’Honneur.

LE 14 JUILLET 18H MÉTROPOLE NOTRE-DAME DES DOMS LES 40 ES RENCONTRES D’ÉTÉ DE LA CHARTREUSE DE VILLENEUVE

Regards conception, interprétation Séverine Fontaine Solo où un corps et un texte s’accordent pour repérer les traces des révoltes de l’enfance qui œuvrent encore chez l’artiste devenue femme.

DU 8 AU 20 JUILLET 16H RELÂCHE LES 11 ET 15 CAVE DU PAPE

Décris/ravage conception Adeline Rosenstein L’histoire de la Palestine depuis 1798. Un théâtre documentaire en forme de conférence ludique où Adeline Rosenstein remplace l’usage du Powerpoint par celui d’une compilation de paroles jamais tenues.

DU 15 AU 26 JUILLET À 20H RELÂCHE LES 18 ET 22 SALLE DES 25 TOISES

station spéciale France Culture en public. Avec ses émissions retransmises en direct depuis la vaste cour du Musée Calvet, Le RendezVous de Laurent Goumarre (de 19 h à 20 h du 15 au 19) et la tribune critique de La Dispute d’Arnaud Laporte (de 10 h 30 à 11 h 30, les 8 et 15), la présence en Avignon de France Culture fait la part belle aux artistes à travers des rencontres,

à la Métropole Notre-Dame des Doms.

des lectures et des pièces radiophoniques. A ne pas manquer, Living!, d’après la mise en scène de Stanislas Nordey (le 14 à 20 h 30) et Un rêve au-delà, texte inédit de Dieudonné Niangouna lu par l’auteur (le 17 à 11 h 30). P. S. MUSÉE CALVET DU 13 AU 26 JUILLET ENTRÉE LIBRE

Etant donnée lecture, installation Cécile Portier Une femme amnésique tente

programme/ de retrouver la mémoire à critiques travers l’ensemble des données Fabienne Arvers, informatiques qui la concernent. Hugues Le Tanneur, DU 8 AU 15 JUILLET 14H Philippe Noisette RELÂCHE LE 10 BOULANGERIE et Patrick Sourd

du 5 au 26/07/2013

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ARTISTES

SPECTACLES, FILMS, ETC.

DATES ET HORAIRES

Addala Michèle Albarella S. & Tismer A. Bailey Brett Bel Jérôme Bidiefono Delavallet Brook Peter Bruyère Jean Michel / LFKs Cadiot Olivier Calle Sophie Cassiers Guy Castellucci R. & Dréville V. Charmatz Boris Chéreau Patrice Defoort A. & Goerger H. De Keersmaeker A. T. & Charmatz B. Delbono Pippo Delore Jean-Paul Ducros Philippe Fabre Jan Fisbach Frédéric Fontaine Séverine Gosselin Julien Gintersdorfer/Klassen Gintersdorfer/Klassen Gintersdorfer/Klassen Groupe F Iché Sandra Klotz N. & Perceval É. Kokosowski M. & Nordey S. Lagarde Ludovic Lauwers Jan Lazare Liddell Angélica Liddell Angélica Linyekula Faustin Marthaler Christoph Marzouki Myriam Mitchell Katie Mouawad Wajdi Nadj Josef Nauzyciel Arthur Niangouna Dieudonné Niangouna D. & Nordey S. Nordey Stanislas Onikeku Qudus Ostermeier Thomas Peyret Jean-François Platel Alain Portier Cécile Quesne Philippe Rambert Pascal Rau Milo Richter F. & Van Dijk A. Rimini Protokoll Rimini Protokoll / Kaegi S. Rizzo Christian Rosenstein Adeline Schilling A. puis Watkins G. Stemann Nicolas Tarnagda Aristide Théron Anne Truong Nicolas Waltz Sasha Warlikowski Krzysztof

La Parabole des papillons Non-Tutta (Pas-toute) Exhibit B Cour d’honneur Au-delà Peter Brook – Sur un fil… Troisième vie de François d’Assise Lecture Chambre 20 Orlando Schwanengesang D744 Etrangler le temps Coma Germinal Partita 2 Amore e carne Sans oute La Porte du non-retour Le Pouvoir des folies théâtrales Corps… Regards Les Particules élémentaires Logobi 05 La Fin du western La Jet Set Ouvert ! Wagons libres Le vent souffle… Eloge du désordre et de la maîtrise Lear Is in Town Place du Marché 76 Au pied du mur sans porte Ping Pang Qiu Todo el cielo sobre la tierra Drums and Digging King Size Le Début de quelque chose Reise Durch die Nacht Rendez-vous avec… Woyzeck Kaddish Shéda Croisements, partage Par les villages Qaddish Hamlet en Palestine Re:Walden Out of Context Etant donnée Swamp Club Avignon à vie Hate Radio Rausch Lagos Business Angels Remote Avignon D’après une histoire vraie Décris/ravage dans le cadre des Ecoles au Festival Faust I + II Et si je les tuais tous madame ? L’Argent Projet Luciole Dialoge 20-13 Kabaret Warszawski

du 6 au 9 à 16h le 18 à 15h et les 19 et 20 à 15h et 19h du 12 au 23 de 11h30 à 15h, entrée toutes les 20 minutes (relâche les 17 et 18) du 17 au 20 à 22h du 19 au 25 à 22h (relâche le 21) le 12 à 11h30 du 11 au 23 de 13h à 18h (relâche du 16 au 18) le 22 à 20h du 15 au 19 de 10h à 21h, entrée toutes les 30 minutes le 6 à 18h le 25 à 19h30 le 18 à 19h30 le 26 à 18h du 16 au 24 à 17h (relâche le 18) du 23 au 26 à 22h le 19 à 19h30 du 21 au 24 à 22h du 7 au 26 de 13h à 19h les 15 et 16 à 21h le 23 à 19h30 du 8 au 20 à 16h (relâche les 11 et 15) du 8 au 13 à 15h (relâche le 10) du 9 au 14 à 15h (relâche le 11) du 9 au 14 à 17h (relâche le11) du 9 au 14 à 20h30 (relâche le11) le 5 à 22h30 du 22 au 24 à 18h le 13 à 15h et 18h, les 16, 19, 22, 25 à 17h le 15 à 15h, le 18 et 21h du 20 au 26 à 22h (relâche le 23) du 8 au 17 à 22h (relâche les 10 et 14) du 15 au 18 à 18h30 le 5 à 19h, du 6 au 11 à 15h (relâche le 8) et le 17 à 22h du 6 au 11 à 22 h (relâche le 8) du 9 au 16 à 22h, le 13 à 22h10 (relâche le 14) le 10 à 21h et le 11 à 18h du 15 au 20 à 18h (relâche le 19) du 20 au 22 à 22h, le 23 à 18h le 24 à 19h le 21 à 19h30 le 12 à 19h du 7 au 15 à 21h (relâche le 10) le 17 à 19h30 du 6 au 13 à 21h (relâche le 9) du 6 au 13 à 17h (relâche le 11) le 14 à 19h30 du 6 au 11 à 18h (relâche le 9) le 9 à 18h du 8 au 15 à 14h (relâche le 10) du 17 au 24 à 16 h (relâche le 20) le 20 à 1h30 du 21 au 24 à 18h du 16 au 23 à 22h (relâche le 19) les 14 et 17 à 11h et les 15 et 16 à 11h et 18h le 8 à 18h et 18h30, 9 au 19 à 10h30, 11h, 14h30, 15h, 18h, 18h30 (relâche 13 et 14) du 7 au 15 à 18h (relâche le 11) du 15 au 26 à 20h (relâche les 18 et 22) du 15 au 25 à 15h (relâche du 19 au 21) du 11 au 14 à 15h30 (relâche le 12) du 23 au 26 à 15h du 22 au 25 à 18h30 les 7 et 8 à 15h et du 10 au 13 à 15h et 19h le 7 à 19h du 19 au 25 à 17 h (relâche le 21)

AUTRES

Sujets à vif (prog. a et b / c et d) Cycle de musiques sacrées

du 8 au 14 à 11h et 18h (relâche le 11) et du 19 au 25 à 11h et 18h (relâche le 22) les 6, 12, 14, 16, 19 et 23 à 18h, les 7 et 21 à 17h, les 9, 11, 24 et 25 à 14h

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Des artistes un jour au festival les inrockuptibles

67e édition du festival d’avignon

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