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James Gandolfini

mort d’un Soprano

Tour de France

le goudron, les plumes, les seringues

Stromae gar on formidable

un

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No.917 du 26 juin au 2 juillet 2013 www.lesinrocks.com

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par Christophe Conte

chère Christine Lagarde

J

e te pensais femme de chiffres, je te découvre femme de lettres. Je t’imaginais dominatrice – va savoir pourquoi – et tu te révèles plus soumise qu’une Milf de banlieue filmée en gang bang par Jacquie et Michel dans l’arrière-boutique d’un garage Esso. Tu vois à quoi je fais allusion, coquine ? Oui, voilà, à cette lettre en forme de serment d’allégeance à Nicolas Sarkozy – alias Maître Nick, alias le Kärcher neuilléen – découverte lors d’une perquisition à ton domicile par les enquêteurs de l’affaire Tapie et révélée par Le Monde. Ce que le quotidien ne dit pas en revanche, c’est la forme de cette lettre, écrite à l’encre violette sur un papier rose pâle Hello Kitty, calligraphiée de façon assez émouvante en lettres replètes et mal assurées, avec des ronds sur les “i” comme dans la phrase “Utilise-moi pendant le temps qui te convient et convient à ton action et à ton casting”. J’ai failli m’étouffer en constatant aussi que les prénoms Nicolas et Christine étaient entourés de cœurs

tamponnés avec une détermination et un soin très révélateurs. Je reconnais que c’est pas joli-joli de déflorer ainsi un courrier du cœur, mais les voyeurs que nous sommes auront été subjugués qu’en filigrane de l’entourloupe Tapie se trouvât dissimulée une affaire carpette, lorsqu’à l’époque sans doute encore ministre tu t’imaginais faire paillasson sur la route vers un second quinquennat. “Je suis à tes côtés pour te servir et servir tes projets pour la France”, écris-tu, et l’on voit aujourd’hui avec ta citation en tant que témoin assisté dans cette sombre affaire d’“escroquerie en bande organisée” combien ces projets étaient grands. “J’ai fait de mon mieux et j’ai pu échouer périodiquement. Je t’en demande pardon”, poursuis-tu, avec pour marque qui peut de contrition un  légitimement faire se demander si t’en ajoutes pas des caisses afin d’apitoyer ton maître. Ok, tu as refilé 400 millions d’euros à un caïd fort en gueule qui menaçait de tout raconter

à tes parents de cette liaison et de révéler tes lettres puériles sur le Facebook de tes copines, mais chacun fait des erreurs, Cricri, et les fautes commises par amour sont les plus excusables. Je ne suis toutefois pas certain qu’il soit resté très compréhensif, ton bel ami épistolaire, celui à qui tu écris : “Si tu m’utilises, j’ai besoin de toi comme guide et comme soutien : sans guide je risque d’être inefficace, sans soutien je risque d’être peu crédible.” Les enquêteurs de l’affaire Bettencourt ont d’ailleurs en perquisitionnant chez lui trouvé sa réponse. Je te préviens, ça fait mal : 1. T’as tes chaleurs ou quoi, la vioque ? 2. Je te demande de ne plus m’écrire, si Carla tombe dessus, je te fais bouffer ton poncho Hermès ! 3. Je vais t’expédier au FMI, ils ont l’habitude des détraqués du cul. 4. T’as essayé Devedjian ? P.-S. : FMI ne veut pas dire Femme Mature Insatiable. Quant à moi, je t’embrasse pas, je suis jaloux de celui qui reçoit “ton immense admiration”.  

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“ON NE CHERCHE PAS LA PERFORMANCE MAIS UNE ÉMOTION”

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en collaboration avec

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Anthony Neste/Time & Life Pictures/Getty Images

No.917 du 26 juin au 2 juillet 2013 couverture Stromae par Audoin Desforges pour Les Inrockuptibles

30

34 03 billet dur chère Christine Lagarde

10 édito Tony est mort

12 quoi encore ? j’ai visité l’expo Ron Mueck avec Helena Noguerra

14 reportage mais que devient Eric Besson ? un week-end d’ethnologie au musée du Quai Branly

20 roman-photo Les Parapluies de Cherbourg en feuilleton

22 nouvelle tête Adam Driver

23 la courbe

Audoin Desforges pour Les Inrockuptibles

18 événement

du pré-buzz au retour de hype + tweetstat

24 à la loupe François, le pape des bikers

26 où est le cool ? chez Ladies & Gentlemen Studio, à toutes les pages d’Out of Order, dans les abats… James Gandolfini, l’inoubliable parrain des Soprano, n’est plus. Hommage

34 Stromae est formidable 40 profession éditeur 1/4 Entretien avec Olivier Cohen, fondateur des Editions de l’Olivier

46 le Tour de France, un mythe mité et si la centième édition était la dernière ?

52 portfolio John Stezaker l’artiste anglais présente ses collages disjoints aux Rencontres d’Arles

56 Mourad Boudjellal, électron libre de l’univers de la BD à celui du rugby, itinéraire de celui qui a porté le club de Toulon au sommet de l’Europe

John Stezaker, Untitled, 2012. Courtesy de l’artiste et The Approach

après deux singles qui augurent du meilleur pour son album à venir, rencontre à Bruxelles

Jasper Juinen/Getty Images/AFP

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30 mafia blues

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société Everial au 01 44 84 80 34

62 Quadrophenia de Franc Roddam

64 sorties Before Midnight, Le Renard jaune, Biette, Les Stagiaires…

68 festivals

le cinéma chilien célébré à La Rochelle

70 livres

I Am Spartacus! de Kirk Douglas

72 jeux vidéo

la révolution The Last of Us

74 séries Jeremy Piven, le Ari Gold d’Entourage, revient dans Mr Selfridge

76 Austra et la lumière electro fut

78 mur du son Black Lips, Blood Orange…

79 chroniques Half Moon Run, Samba Touré, Grems, Kanye West, Grems, Parquet Courts, Ben Lee, Christine And The Queens…

91 concerts + aftershow FrancoFolies de Montréal

92 spécial été : livres de poche Virginia Woolf, Dominique A ou Graham Greene dans votre sac de plage…

98 bd Lastman, tome 2 de Bastien Vivès, Balak et Michaël Sanlaville

100 Pierre Molinier, vie de vice reprise du spectacle de Bruno Geslin et Pierre Maillet, dix ans après + Jean-Christophe Meurisse fait son cinéma

104 Pietro Roccasalva l’“œuvre à système” de l’Italie est à voir à Grenoble

106 docs : l’ère du crowdfunding le public est mis à contribution pour aider à monter des projets indépendants

108 Vanity Fair en VF l’institution de la presse US arrive enfin en France

109 programmes Brochet comme le poisson…

110 net les grandes oreilles d’internet et nous profitez de nos cadeaux spécial abonnés

p. 95 et p. 111

112 best-of sélection des dernières semaines

114 print the legend

janvier 2010 : face à l’ours Ellroy

Suite à une erreur, il manque la plupart des crédits photo du supplément Terrasses d’été, encarté dans ce numéro. Les voici : Thibault VanKemmel/Les barbus ; Jefflechat ; Henri Comte ; Adrien Dirand ; Elisa Pasquet ; Yann Richard

rédaction directeur de la rédaction Frédéric Bonnaud rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, JD Beauvallet, Pierre Siankowski comité éditorial Frédéric Bonnaud, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne, Jean-Marie Durand, Nelly Kaprièlian, Christophe Conte secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot chefs d’édition Elisabeth Féret, David Guérin reporters Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Anne Laffeter, Marion Mourgue actu rédacteur en chef Pierre Siankowski rédactrice en chef adjointe Géraldine Sarratia rédacteurs Diane Lisarelli, David Doucet, Geoffrey Le Guilcher, Guillaume Binet (photo) style Géraldine Sarratia idées Jean-Marie Durand cinémas Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain, Vincent Ostria, Erwan Higuinen (jeux vidéo) musiques JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) livres Nelly Kaprièlian scènes Fabienne Arvers expos Jean-Max Colard, Claire Moulène médias/télé/net rédacteur en chef adjoint Jean-Marie Durand collaborateurs P. Azoury, E. Barnett, R. Blondeau, T. Blondeau, D. Boggeri, M. Brésis, L. Chessel, Coco, M. de Abreu, M. Delcourt, A. Desforges, N. Dray, J.-B. Dupin, A. Fradin, J. Goldberg, O. Joyard, B. Juffin, C. Larrède, N. Lecoq, A. Pfeiffer, E. Philippe, J. Provençal, P. Sourd, C. Stevens, F. Stucin, S. Triquet, L. Vignoli, R. Waks lesinrocks.com directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteur en chef Pierre Siankowski rédacteurs Diane Lisarelli, Thomas Burgel, Azzedine Fall, Carole Boinet éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomarès graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz lesinRocKs.tv chef de rubrique Basile Lemaire assistant Fabien Garel photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot second sr Fabrice Ménaphron sr François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Anne-Gaëlle Kamp conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Luana Mayerau, Nathalie Coulon publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél 01 42 44 18 12 coordinateur François Moreau tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 15 31 stagiaires Caroline Mira tél. 01 42 44 44 26, Estelle Vandeweeghe (festivals) tél. 01 42 44 43 97 publicité commerciale, directeur Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 directrices de clientèle Isabelle Albohair tél. 01 42 44 16 69 Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web Chloé Aron tél. 01 42 44 19 98 Lizanne Danan tél. 01 42 44 19 90 coordinateur Stéphane Battu tél. 01 42 44 00 13 développement et nouveaux médias directrice Fabienne Martin directeurs adjoints Baptiste Vadon (promotion, médias, diversification) tél. 01 42 44 16 07 Laurent Girardot (événements et projets spéciaux) tél. 01 42 44 16 08 assistant Antoine Brunet tél. 01 42 44 15 68 assistante promotion marketing Céline Labesque tél. 01 42 44 16 68 chef de projet Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 relations presse/rp tél. 01 42 44 16 68 diffusion responsable Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 service des ventes chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 assistant marketing direct Elliot Brindel tél. 01 42 44 16 62 contact agence A.M.E. Otto Borscha ([email protected]) et Terry Mattard ([email protected] tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement Les Inrockuptibles, service abonnement, libre réponse 63 096, 92 535 Levallois Perret Cedex infos 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement France 1 an : 115 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 1 407 956,66 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse direction générale Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Sonia Pied, Frédérique Foucher administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2013 directeur de la publication Frédéric Roblot © les inrockuptibles 2013 tous droits de reproduction réservés ce numéro comporte un supplément “Les Inrocks IN Terrasses d’été” jeté dans l’édition kiosque et abonnés France ; un supplément “Atelier Van Lieshout” jeté dans l’édition abonnés Paris-Ile-France.

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plaire, pour ressembler aux mafieux des films préférés de son père, Tony explose : “It’s a movie, AJ ! A movie !” 3. James Gandolfini, lui, jouait la réalité. Pas l’exception, le moment fort, le paroxysme. Mais la routine, la répétition, l’éternel recommencement, le retour du même et des emmerdements qui vont avec. Evidemment, il couchait et tuait beaucoup, mais les filles et les meurtres constituaient son quotidien, sa fatigue. Et James Gandolfini a joué cette fatigue pendant quatre-vingt-six épisodes, interprétant le morne comme personne.

Tony est mort 1. James Gandolfini était un acteur de la trempe de Marlon Brando, Gérard Depardieu, Richard Burton, Philip Seymour Hoffman, Humphrey Bogart, Michel Piccoli, Cary Grant, ce niveau-là. Il s’est débrouillé pour mourir à Rome, d’une crise cardiaque. Il avait 51 ans. Père parmesan, mère napolitaine, mort à mi-chemin. Mort sans avoir connu la gloire cinématographique. Mort après avoir tout changé. Premier souverain d’un nouveau royaume. 2. En quatre-vingt-six épisodes des Soprano, Tony n’a jamais mis les pieds dans une salle de cinéma. Non, les films, il les (re)voyait de son canapé. En mangeant. Il aimait Nick Nolte dans Le Prince des marées, la séquence des chansons de Rio Bravo et regrettait Gary Cooper, seul contre tous dans Le train sifflera trois fois, assez mauvais western mais excellent souvenir d’enfance. Mais Tony ne pouvait pas être Gary Cooper, ni Al Pacino dans les Parrain, ni même Ray Liotta (un temps pressenti pour le rôle) ou De Niro dans Les Affranchis. Pas même Joe Pesci dans Casino. Non, lui était condamné à regarder les films à la télé, à rêver au cinéma depuis la télévision. Tony et sa télé, Sisyphe et son rocher. Et quand son crétin de fils joue les durs pour lui

4. Mais surtout, il jouait le mensonge, un homme qui ment tout le temps. A tout le monde. A quoi bon voir une psy si on ne peut lui parler des crimes que l’on commet ? Tony ne peut confesser que des broutilles au docteur Melfi, une dispute avec Carmela, un adultère de plus, une contrariété au “travail”, mais pas le meurtre de sang-froid de son cousin ou l’ordre de faire disparaître Adriana. Et quand Melfi fait son boulot d’analyste et lui enseigne que sa propre mère veut le faire descendre, Tony manque de la buter à mains nues. Cure impossible, changement compromis. James Gandolfini n’en finissait pas de jouer le grand sujet des Soprano : l’émancipation impossible, l’immobilité forcée, l’horrible appartenance et l’identité à perpétuité – tous les fondements de la Mafia. Même Meadow finira par se marier à un fils de capo et deviendra avocate pour mieux sortir papa de prison… Misère de la reproduction, empire de la nécessité. Bourdieu aurait adoré. 5. Le mensonge et la consommation. Alors que Coppola montrait l’entreprise capitaliste déifiée dans Le Parrain, David Chase, plus punk, lecteur de Marcuse, étudie l’aliénation consommatrice, le “toujours plus” américain, le gavage qui s’achève en débandade généralisée. Les crises de panique de Tony sont le prix à payer pour sa compulsion à tout consommer, les femmes comme les amis, la bouffe directement au frigo comme les parts de marché. 6. Quatre-vingt-six épisodes durant, James Gandolfini a joué cette chaudière en fusion, ce Moloch jamais rassasié, un surconsommateur qui ne parvient pas à arrêter les frais, si lointain et pourtant si proche. 7. James Gandolfini était Tony Soprano : le malhonnête homme occidental des années 2000, une crise du crédit à lui tout seul, une dette souveraine incarnée. Nous sommes tous devenus des parrains du New Jersey ? Peut-être. lire aussi p. 30

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“si j’avais fait un disque qui vendait des tonnes, je serais campagnarde”

j’ai visité l’expo Ron Mueck avec

Helena Noguerra

M

ême lorsqu’elle vous attend au bar d’un snack appelé Family Sandwich – pour cause de retard de votre part forcément inexcusable –, Helena Noguerra est sublime. Elle termine son café, hop, et on se dirige vers la Fondation Cartier et l’expo de l’artiste australien Ron Mueck, où elle a souhaité nous emmener. C’est un couple de vacanciers gigantesque et sculpté au détail près qui nous attend sous un parasol, en maillot de bain. “Regarde les pieds, et les mains. C’est dingue. Si on se laisse aller, on a vraiment l’impression de voir des vrais gens sauf qu’ils sont trop grands. Pourquoi ça nous fascine de voir

des gens comme nous mais en plus grand ? J’avoue que je ne comprend pas. Viens, on va voir leur dos.” Lors de notre déplacement autour du couple de baigneurs, une dame fait tomber son prospectus sans s’en apercevoir. Helena Noguerra le ramasse : la dame ne bouge pas, et elle finit par le lui coller entre son sac et la lanière de ce dernier. Aucune réaction, la visiteuse est aussi immobile qu’une création de Mueck. Helena Noguerra : “C’est dingue, on dirait que cette dame est anesthésiée. J’aurais pu lui prendre son portefeuille.” On lui répond qu’elle est probablement allemande et très rigide. Nous voilà derrière le couple. “Oh ! regarde, sous le caleçon de bain, ils lui ont même fait un petit slip. Et le pli du coude aussi.” Direction le sous-sol. “J’aimerais bien un mari comme ça, mais taille normale, que je pourrais utiliser comme je veux. Les Japonais font des trucs comme ça.” Escalier. “C’est mon père qui m’a parlé de cette expo. Il m’a parlé d’une petite statue qui représente le père de l’artiste. C’est celle-là que je veux voir. On prendra un petit catalogue à la fin, tiens, on n’oubliera pas. Même si je m’en fous d’avoir toutes les informations.” Devant nous, une tête posée sur un socle. Puis un jeune Noir dont le ventre a été touché par un couteau, un homme couché sur un truc gonflable, et un autre, nu dans un bateau, qui ressemble à Michel Houellebecq. “Dans mon disque, il y a une chanson qui s’appelle Michèle et Michèle, c’est sur lui.” Année zéro, son nouvel album, est attendu pour la rentrée. Mais pas de traces de la petite personne qui représente le père de Mueck. On s’adresse à une jeune guide à l’accent italien qui nous apprend que cette statue ne fait pas partie de l’expo. Petite déception chez Helena Noguerra : “On voulait tout voir, nous.” Direction un film qui montre Mueck au travail, Still Life. On s’adosse au mur, à côté d’elle. “Je me demande à quoi il pense quand il travaille. Sa femme, la vie, la mort, l’amour ?” On sort un peu du film, on parle à voix basse de Lisbonne où elle aimerait vivre, des enfants qui ne le sont plus, de la vodka-tonic, de comment elle voudrait “arrêter” de suivre cette trajectoire pleine de grâce qu’elle trace avec ses rôles, ses courts métrages, ses disques, ses livres ? Elle chuchote : “Je me demande toujours comment faire pour ne pas faire. Ça vient d’une peur, je crois, donc j’occupe l’espace à ma façon. Mais sans doute que si j’avais fait un disque qui vendait des tonnes, je serais campagnarde et je reviendrais tous les dix ans.” Le film touche à sa fin, on passe une dernière fois devant les personnages de Ron Mueck pour sortir de la Fondation. Helena Noguerra nous laisse, la matinée fut délicieuse. Le lendemain, on se rendra compte qu’on a oublié le catalogue. texte et photo Pierre Siankowski album Année zéro (Naïve), le 26 août ; des vidéos sont à découvrir sur www.helenanoguerra.fr

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qui connaît encore monsieur Besson ? Ex-député PS de la Drôme, ex-secrétaire d’Etat et ex-ministre de Sarkozy, Eric Besson n’a plus qu’un mandat : maire de Donzère. Reportage dans le Bessonland qu’il gère en parallèle de l’entreprise de consulting qu’il a créée.

E

ric Besson semble s’être volatilisé. Hormis quelques brèves apparitions aux côtés de son irradiante compagne dans les tribunes du Parc des Princes, les gradins de Roland-Garros ou sur les marches du Festival de Cannes, pas un signe. Il y a un peu plus d’un an, l’ex-ministre a plongé dans ce qu’il nous décrit aujourd’hui par mail comme une “cure d’abstinence médiatique”. Le 7 mai 2012, au lendemain de la défaite de Nicolas Sarkozy, il a créé son entreprise de conseil international, Eric Besson Consulting.

Puis a disparu des écrans. Tel l’homme qui se dénude en retournant vers la forêt, il a ôté une à une toutes les contingences qui lui collaient à la peau. Délaissé, son profil Facebook affiche comme dernière trace d’activité une triste invitation de Jean-Michel Apathie datée du 31 mai 2012. Dans la foulée, il a clos son compte Twitter pourtant légendaire. Environ 58 000 followers dégustaient quasiment 24 heures sur 24 un @Eric_Besson affûtant ses vannes acides, n’hésitant pas à se lancer dans des échanges interminables et pouvant live-tweeter un grand prix de Formule 1.

Sa personne numérique et sa personne publique se sont tues. Le 17 mai 2012, nulle trace d’Eric Besson lors de la passation de ses fonctions de ministre de l’Industrie, de l’Energie et de l’Economie numérique à Arnaud Montebourg. Son fantôme plane sur la cérémonie. Lui est déjà loin, en Floride, pour le mariage de son ami Jean-Marie Messier, prince déchu de Vivendi Universal. Aujourd’hui, comment Eric Besson occupe-t-il ses journées ? Après la défaite de son camp à la présidentielle de 2012, l’une de ses dernières

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Fabrice Hebrard/MaxPPP

il a toujours géré sa ville depuis Paris ou l’étranger

déclarations à l’AFP nous fournissait alors une piste : “Je considère avoir mis fin à ma carrière nationale, je dis bien nationale car je reste maire de ma commune.” Direction le Sud-Est donc, à 627 kilomètres de Paris via l’autoroute A6, pour s’arrêter à Donzère. Une ville de 5 300 habitants au sud de Montélimar, dans la Drôme, dont Eric Besson s’occupe bénévolement depuis 1995. Il n’a jamais touché un centime de ses indemnités de maire, il les reverse à ses collaborateurs du conseil municipal. Eric Besson se rend sur place un peu moins d’une fois par semaine, en général le vendredi et le samedi, jour de marché. Il a toujours géré sa ville ainsi : depuis Paris ou l’étranger. “Il me semble un peu moins présent qu’avant, c’est étrange car il n’est plus ministre”, note un membre de son comité de soutien, le CADD (Continuons à développer Donzère). Eric Besson réfute ce constat. S’il a manqué deux conseils municipaux successifs, c’est “à cause de voyages lointains” et non la conséquence d’une quelconque baisse d’assiduité.

Mardi 11 juin, devant la nouvelle fontaine du Champ de Mars de Donzère, sorte de longue place centrale piquée de trois rangées de platanes, quelqu’un nous retrouve pour jouer les guides. Le pas pressé, Sylvie Brunel arrive à l’heure exacte. Celle qui fut l’épouse d’Eric Besson durant presque trente ans vit toujours sur place, dans leur ferme acquise une vingtaine d’années auparavant. “Vous avez manqué Eric à trois jours près, assure-t-elle tout sourire. Il est passé me remettre les copies de mes étudiants que j’avais oubliées à la Sorbonne.” Dans son livre Manuel de guérilla à l’usage des femmes (2009), la géographe de profession avait réglé ses comptes sentimentaux en exposant les mœurs épicuriennes de son ex-mari. Pourtant, en dépit “d’une quantité de griefs impardonnables”, il y a un point sur lequel “presque aucune critique” ne serait recevable selon elle : c’est la gestion de la municipalité. Pour nous le prouver, celle qu’une passante appelle encore devant nous “madame le maire”, nous embarque dans son 4 x 4 pour un “Besson tour”. “Eric a métamorphosé cette ville”, nous assure Sylvie Brunel. D’ailleurs, il n’a jamais connu d’échec électoral depuis 1995, “ni en tant que maire, ni en tant que député” (de la Drôme, de 1997 à 2007). Et voici un Super U, des logements sociaux récents, deux stades, un tout neuf pour le foot et un autre pour le rugby, une ancienne grande chocolaterie réhabilitée en pépinière d’entreprises, un nouveau terrain de sport au milieu de “l’Enclos” – la cité HLM du coin – et des lotissements sortant de terre un peu partout. Nous découvrirons ensuite de grandes éoliennes fièrement estampillées “Ville de Donzère” et un projet d’implantation d’une zone commerciale devant abriter un Auchan, une galerie et un complexe de cinéma sur quelque 35 000 mètres carrés… Personne ne conteste les profonds changements apportés par Eric Besson. En 1995, Donzère s’apparentait à une cité-dortoir où ne vivaient que 3 500 âmes. Vingt ans plus tard, la population a grandi d’un tiers et les prix de l’immobilier ont flambé. “L’esprit de bâtisseur d’Eric, précise Sylvie Brunel, a même gagné à l’époque notre ferme…” Le slogan, employé par Eric Besson pour ses deux dernières campagnes 26.06.2013 les inrockuptibles 15

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municipales, résume bien cet “esprit” : “Continuons à développer Donzère.” Bémol à ce grand bond en avant municipal, l’opposition veut désormais appuyer sur le frein. Le titre de l’affiche placardée dans le sobre “bureau de l’opposition” distille cette volonté de retour au calme : “Bien vivre à Donzère (BVD)”. Philippe Lambert, tête de liste de l’opposition, porte la barbe et la rondeur d’un gentil grand-père. Ce jeune et calme retraité, ancien joueur de rugby, s’est mué en féroce opposant local. Il est loin le temps où il travaillait pour Eric Besson. Il fut son collaborateur pendant treize ans, dont sept en tant que premier adjoint. En février 2007, Philippe Lambert trouve d’abord “un peu cavalier” d’apprendre la démission d’Eric Besson du Parti socialiste de la bouche de son assistante parlementaire. Aucun contact avec son patron le mois suivant, assure-t-il. Coup de grâce, le 23 avril, tandis que le premier adjoint anime une réunion municipale, il découvre à la télévision la prise de campagne de Nicolas Sarkozy, présentée lors

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du meeting de Dijon : le ralliement d’Eric Besson. Quelques mois plus tard, Philippe Lambert démissionne et forme sa liste d’opposition qui fera 30 % aux municipales de 2008. “Nous, nous sommes de gauche, nous avons toujours été fidèles à nos idées et donc déçus par l’attitude de Besson”, assure Serge Taborcia, également conseiller municipal d’opposition BVD. Aux municipales de 2014, ils tenteront encore leur chance. A l’évocation de ses opposants, Eric Besson taquine :“Ni Lambert ni son équipe n’ont vraiment changé ; agressivité et sectarisme sont les mamelles de leur opposition. Pourquoi changer une méthode qui perd… et qui perdra à nouveau en 2014 ?” Vendredi 7 juin, lors du dernier conseil municipal mouvementé de Donzère, Eric Besson demande l’ajout d’un vote de soutien à une plainte qu’il vient de déposer. L’incident s’est déroulé le samedi 1er juin. Sur la large première marche menant au centre culturel de Donzère, le maire préside alors une cérémonie en plein air. A ses côtés, un membre de la famille de l’un des quatre otages français retenus au Sahel

“Besson, c’est un gars qui ne semble bien que dans le conflit” un membre de l’opposition à Donzère

s’exprime au micro. Soudain, un homme brise l’ambiance empreinte de gravité. “Je n’ai jamais eu de réponse à mes coups de téléphone, monsieur le maire !”, s’emporte l’individu, accessoirement opposant local. Monsieur le maire lui rétorque que ni le lieu, ni le moment ne lui semblent appropriés. L’opposant aurait alors, selon plusieurs témoins retrouvés par nos soins, fait un doigt d’honneur façon West Coast. Ni une, ni deux, Eric Besson se lève et “tombe la veste”, dixit un spectateur, “pour aller faire le coup de poing”. Un conseiller municipal le retient. Interrogée sur ce coup de sang étonnant, Laurence Pryslopski, la chef de cabinet d’Eric Besson, présente lors de cette scène, tempère : “C’est un Méditerranéen”, souffle-t-elle en souriant timidement.

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La semaine suivante, lors du conseil municipal, Philippe Lambert et ses trois colistiers d’opposition ont refusé de voter un quelconque soutien à la plainte d’Eric Besson suite à cet incident. “On n’a rien vu car nous n’avions pas été invités à la cérémonie, balaie Lambert. Et puis on n’enlève pas sa veste comme ça pour se battre. Eric Besson, c’est un gars qui ne semble bien que dans le conflit.” Plus pudiquement, une personne bien informée des affaires locales mais souhaitant rester anonyme pense que “Donzère permet à Besson de garder un pied dans la politique sans dire ‘je suis dans la politique’. Par contre, lui, il ne peut s’empêcher de politiser un peu la chose.” En 2009, Sylvie Brunel apprend à Hawaii, de la bouche de son mari, que Nicolas Sarkozy lui propose un ministère. Le fameux maroquin qui lie les termes “immigration” et “identité nationale”. “C’était piégeux, les enfants et moi on lui a dit de ne pas accepter, se souvient la géographe. Mais j’ai compris qu’il avait déjà pris sa décision sans nous consulter.” L’homme qui, aux dires de son ex-épouse, échangeait beaucoup

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avec ses proches, décide de plus en plus seul. Entretenant même un “goût forcené du secret”, écrit-elle dans son brûlot. Avec une même opacité, et entouré de seulement deux employés dans ses locaux du XVIe arrondissement, le maire de Donzère consacre la majeure partie de son temps à gérer les affaires de sa société Eric Besson Consulting. L’exministre a récemment confié au journal “pro-business” L’Opinion qu’il “conseille de grands groupes français et étrangers dans leur stratégie”. Environ 20 % de son activité, selon nos confrères, serait consacrée à de l’intermédiation et de la mise en réseaux. Eric Besson dit traiter “directement avec quelques patrons. Parfois, je travaille avec des numéros 2, c’est plus rare”. Il voyage dix jours par mois dans les pays du Golfe, l’Asie et l’Australie. Ses secteurs seraient l’énergie, l’industrie et l’aéronautique. En revanche, pas un mot sur ses clients. Le sujet s’avère par nature délicat : fait-il jouer ses relations acquises du temps où il servait la République pour ses affaires privées ? Fidèle à son abstinence médiatique, l’ancien ministre de Nicolas

Sarkozy s’est refusé à répondre à nos questions qui “débordent du cadre local”. On reste sur Donzère la magnifique. Samedi 8 juin, Eric Besson a passé une heure à l’assemblée générale du club de foot local, à débattre de points aussi précis que la création pour les 15-19 ans d’un maillot commun qui regrouperait les municipalités de Bourg-Saint-Andéol, Pierrelatte et Donzère. “Le foot, Eric a toujours aimé ça, nous explique Thierry Dallard, gendarme à la retraite et responsable depuis vingt-cinq ans de l’école de football des jeunes. Avant, il jouait en vétéran avec nous mais il n’a plus eu le temps quand il est devenu ministre.” Le bâtisseur a promis l’installation d’un second terrain de foot. Et déjà annoncé qu’il se représentait en 2014. Thierry Dallard, qui “n’aime pas parler politique”, pronostique que “même si demain Eric passe à l’extrême gauche, il sera élu. En tout cas, moi, je lui ai déjà dit, si tu veux absolument un club de division 1 (Besson a échoué à prendre la tête de l’OCG Nice et du FC Nantes – ndlr), nous on est en division 1 de district, viens quand tu veux.” Geoffrey Le Guilcher

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Taris, roi de l’eau de Jean Vigo (1931)

l’anthropologie déstabilise les modes de connaissance trop figés

horizons élargis Le temps d’un week-end studieux et festif, le musée du Quai Branly révèle l’ethnologie au grand public. Un panorama, en mots et en images, des cultures du monde.



ourquoi les scouts jouent-ils aux Indiens ?” C’est avec ce genre de question géniale, qui taraude encore certains enfants, que le musée du Quai Branly remplira son rôle d’éducation populaire durant un week-end spécial consacré à l’ethnologie. Le succès public de quelques expositions récentes (Les Maîtres du désordre, Maya, Exhibitions…) a révélé l’existence d’une curiosité populaire pour les horizons du “lointain” qui, écrivait Claude Lévi-Strauss “éclaire le proche”, autant que “le proche peut aussi éclairer le lointain”. Prolongeant ce geste d’élargissement des horizons, le musée organise durant deux jours

des rencontres, projections et débats (gratuits) autour des recherches passées et actuelles. Une occasion rêvée de mesurer la richesse et la variété de travaux qui se penchent autant sur la compréhension des milieux financiers que sur les mouvements des yeux (“saisir l’insaisissable”) ou les masques du populisme italien… C’est à partir des écarts apparents avec la normativité de nos regards que l’anthropologie déstabilise des modes de connaissance trop figés et ethnocentristes. Il suffira d’écouter la conférence du grand anthropologue Maurice Godelier sur les nouvelles formes de famille et des systèmes de parenté, pour recadrer les querelles rétrogrades sur le mariage pour tous

(une conférence vivement conseillée aux adeptes de Frigide Barjot, afin de réviser leurs positions à l’échelle de l’histoire et du monde !). Philippe Descola, professeur au Collège de France, s’épanchera sur la crise écologique et la crise des natures. L’auteur du classique Par-delà nature et culture invite depuis des années à “ne pas préjuger de l’universalité des outils et des concepts que l’on emploie pour définir notre manière d’être présent au monde”, comme il l’explique dans le nouveau livre de Nicolas Truong Résistances intellectuelles, les combats de la pensée critique (L’Aube). Héritier de Lévi-Strauss, lui-même héritier de Montaigne, Philippe Descola et d’autres confrères,

comme Daniel Fabre et Carlo Severi, travaillent sur cette tension entre l’universalité des Lumières qui soumet les sociétés à son cadre exclusif humaniste et le relativisme qui rejette tout critère absolu dont une culture s’autorise pour juger les autres. Pour autant, le “relativisme méthodologique” ne se dissout pas forcément dans un “relativisme éthique”. Descola note que l’anthropologie française, nourrie par la philosophie, “propose un va-et-vient entre l’étude de réalités extrêmement locales et une interrogation plus vaste sur la nature humaine, sur la manière dont des êtres s’insèrent dans le monde.” Ces décentrements du regard s’incarneront dans diverses conférences, lectures de textes fondateurs (Voltaire, Durkheim, Mauss, Leiris, Balandier, Bourdieu, Latour…) et projections de films (Jean Rouch, Margaret Mead, Stéphane Breton, Johan Van der Keuken…) qui exposeront les éclats disséminés de la révélation anthropologique. Branly ou la promesse d’un ébranlement. Jean-Marie Durand L’ethnologie va vous surprendre ! – Deux jours pour explorer le XXIe siècle : conférences, débats, concerts, projections, les 29 et 30 juin au musée du Quai Branly, Paris VIIe, www.quaibranly.fr

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Les Parapluies épisode 2/3

Ciné-Tamaris

Alors que la version numérique restaurée des Parapluies de Cherbourg est actuellement en salle, notre deuxième extrait de la version publiée en roman-photo peu après la sortie du film, dénichée dans les archives Demy de Ciné-Tamaris. A retrouver aussi dans le prochain numéro.

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Adam Driver Bientôt à l’affiche de Frances Ha de Noah Baumbach et d’Inside Llewyn Davis des frères Coen, le sexy boy de Girls est le weirdo branché d’Hollywood.

I

l crève l’écran dans le rôle d’Adam – le sex buddy de Lena Dunham, dans sa série phénomène Girls. Torse nu ou dans des positions scabreuses la moitié du temps, son personnage hypersexué et borderline fascine ; et le parcours du vrai Adam Driver tout autant. Elevé au fin fond de l’Indiana, membre actif de la troupe de théâtre et de la chorale de son lycée, il s’engage dans les Marines après le 11 Septembre. Une grave blessure achève sa carrière militaire et le remet sur scène. Il intègre la renommée Juilliard School et fréquente le New York arty où il croise le chemin de sa bonne fée, Lena Dunham. Grande bouche, grand nez, grandes oreilles, il pensait n’avoir aucune chance en lisant la description de son personnage dans Girls : “un très beau charpentier”. Recruté aujourd’hui chez les frères Coen et dans l’indé Frances Ha de Noah Baumbach, sa tronche d’homme à tête de chou n’a pas fini de séduire.

Walter McBride/Corbis

Claire Pomarès Frances Ha de Noah Baumbach, en salle le 3 juillet ; Inside Llewyn Davis de Joel et Ethan Coen, en salle le 6 novembre

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Magna Carta Holy Grail

l’avocat

“nan, mais moi je prends mes vacances en septembre, tsé”

Jacky au royaume des filles

“ah bon ? Mais moi j’ai toujours dit YouToube”

“en fait, y paraît que c’est Shakira derrière Burial”

retour de hype

le blog mode de Nadine Morano

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

le spectre d’une année sans été

MGMT

Nulle part ailleurs Hanni El Khatib

l’animalaise Jean-Jacques Goldman au bac de français

le prénom de l’enfant de Kanye West

“Nan, mais moi je prends mes vacances en septembre, tsé” Ou le retour du collègue qui fait son intéressant. Le blog mode de Nadine Morano Qui poste de plus en plus de photos d’elle dans diverses situations. Jacky au royaume des filles Le prochain film de Riad Sattouf. Le prénom de l’enfant de Kanye West North. Pour North West. Qui l’a donc emporté sur Far ou

“mais c’est qui Kate Upton, en fait ?”

Wild Wild. L’animalaise de Pierre La Police : animalaise.arte.tv Magna Carta Holy Grail Titre du nouvel album de Jay-Z, qui aurait aussi pu ajouter (par exemple) White Album Illuminati Noah’s Ark Commonwealth Golden Ratio Julius Caesar Grand Canyon Rasputin. Goldman au bac de français C’est arrivé près de chez vous (l’épreuve du bac pro portait sur Là-bas). D. L.

tweetstat Su

David Hasselhoff @DavidHasselhoff

Sponge Bob and Patrick just called me to thank we for saving their life... Just another day on the beach! :-) 8:09 PM - 12 Juin, 13

Répondre

Retweeter

(“Bob l’Eponge et Patrick viennent de m’appeler pour nous remercier de leur avoir sauvé la vie… Juste une autre journée à la plage !)

1de% théâtre l’absurde “Un jour seulement, le ‘pourquoi’ s’élève et tout commence dans cette lassitude teintée d’étonnement”

91 %

Mitch Buchannon visiblement quelques petits soucis pour se départir du rôle de sauveteur en chef d’Alerte à Malibu

8% Bozo le clown rires enregistrés 26.06.2013 les inrockuptibles 23

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papa mobile ? Derrière l’image d’un pape en mouvement, François ferait presque oublier que les positions morales et doctrinales de l’Eglise restent, elles, au point mort.

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mon prénom, c’est François Après tout juste cent jours de pontificat, le pape François surfe toujours sur l’élan de son élection. Proche du peuple, humble, chaleureux, anticonformiste, l’homme enthousiasme au-delà des rangs des catholiques pratiquants. A Rome, le nombre de participants aux audiences papales du mercredi a presque quadruplé (de 25 000 à 100 000 personnes)

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et le pape n’hésite pas, par exemple, à bénir plusieurs centaines de motards rassemblés place Saint-Pierre à l’occasion de l’anniversaire de la marque Harley-Davidson. Pourquoi pas. Une preuve parmi d’autres que derrière petites phrases et grandes déclarations, François s’impose comme un grand communicant. Efficace sur la forme mais plus opaque sur le fond. Mystère et suspense.

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highway to paradise

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1 Reuters

Ave vroum vroum. Dimanche 16 juin, le pape François bénissait donc plusieurs centaines de motards. Voilà qui fait de belles photos, en accord avec l’image d’un souverain pontife plutôt bonhomme, multipliant les déclarations réformatrices en matière économique, sociale et interne au Vatican. Car contrairement à son prédécesseur, François a d’emblée su capter la sympathie des médias. On imagine en effet assez mal le cardinal Ratzinger recevoir de bikers au blouson de cuir rempli de patches et ce sublime tableau en cadeau, qui devrait rejoindre la pinacothèque du Vatican, aux côtés des Caravage et autres Fra Angelico. Eventuellement.

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ex-moto Moto désigne en latin ce qui est en mouvement. Si François est un progressiste en matière économique et sociale, s’il travaille à une organisation plus démocratique au sein du Vatican et s’il bénit dans la joie les fans de grosses cylindrées, il tient bien plus à la vie qu’à son terrible engin. Ce n’est pas un scoop, derrière son image de pape à la coule, François est un conservateur. En mai dernier, il appelait solennellement les gouvernements à assurer “une garantie juridique de l’embryon”, “pour protéger tout être humain depuis le premier instant de son existence”, encourageant les fidèles à se rendre à une grande marche organisée par des associations pro-life. Plus Barjot que Bardot, donc. Diane Lisarelli

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où est le cool ?

Yasuhiro Yamashita/Atelier Tekuto

par Géraldine Sarratia et Dafne Boggeri

dans ce mobil-home Pensé par l’architecte japonais Yasuhiro Yamashita pour les victimes du tsunami de 2011, le Mobile Smile Project, avec son intérieur boisé chaleureux et ses belles finitions, révolutionne l’idée qu’on se faisait du mobil-home. www.tekuto.com

avec cette robe Wood Wood Chic et décontraction au rendez-vous avec cette robe fluide aux motifs fauves que l’on portera boutonnée au col, mais les mains dans les poches. www.woodwood.dk

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dans ces chaises Eric Trine Diplômé de l’université de Biola, dans le sud de la Californie, Eric Trine est un artiste et designer basé à Portland. Il crée des objets (tables, chaises et aussi une géniale tente de camping) au design simple, clair et souvent pimenté par des structures tubulaires plus fun et Technicolor.

Fondée par Dorian Grinspan, un jeune dandy né à Paris et étudiant à Yale, cette revue sort son deuxième numéro avec une couve signée Larry Clark. Des interviews d’Angel Haze ou du photographe Ryan McGinley valent le détour. www.outofordermag.com

Rod+Wave Chair in Technicolor for Poketo, designed and made by Eric Trine. Photo Eric Trine

www.etrine.com

à toutes les pages d’Out of Order

chez ces néocow-boys urbains Oublié les hoodies et les slim : pour sa nouvelle collection, Topman, qui défilait à Londres, a misé sur un nouveau souffle très Far West, avec ces néo-cow-boys aux pantalons fluides et à l’allure très stylée. http://fr.topman.com

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boîte à outils

des hauts et des abats

 L

’onctuosité d’une cervelle, la tendreté d’un cœur, le gras corsé d’un pied de porc, les papilles d’une langue, le fumet ancestral des tripes... Vous avez la nausée ? Le monde est scindé en deux : ceux qui éprouvent une passion viscérale pour les abats et ceux que, viscéralement, ils répugnent. Ces sarcophages, angoissés et révulsés par le réalisme brutal et morbide des entrailles, apaisent leur conscience à coup de steaks hachés Charal sous alu. Les zoophages, excités par l’animalité des abats, longtemps frustrés de les voir rejetés au ban de l’histoire alimentaire par la crise de la vache folle débutée en 1996, se régalent aujourd’hui du come-back de ces mets rabelaisiens.

Les abats ont un rapport contrarié à la modernité. Avant l’invention du feu, nos ancêtres suçotaient volontiers leurs chairs riches en protéines, plus faciles à mastiquer que les muscles crus. L’âge d’or du “cinquième quartier” se situe sous l’Ancien Régime. C’est le temps des vendeurs de tripes ambulants – sorte de kébabs moyenâgeux. A l’entrée des grandes villes, les tripières vendent au bas peuple des gamelles de boyaux fumants et odorants. Bon, pas cher, rapide et calorique, tout pour plaire. “Le goût des tripes marque la nourriture populaire depuis le XVIe siècle”, raconte l’historienne Madeleine Ferrières dans Nourritures canailles (Seuil, 2007). Pourtant considérés comme des viandes inférieures, certains abats transcendent les frontières sociales et le clivage ville-campagne. Seuls le ris de veau (déjà), la moelle, la langue ou la tétine, les abats “nobles”, avaient la faveur des “gens de goût”. Les testicules (les rognons blancs), la rate et les poumons (le mou) sont de vulgaires abats “roturiers”. Puis, peu à peu, une discrète conversion s’opère. “On a de moins en moins de goût pour ce qui est proche du vivant, pour le rappel du cadavre dans l’assiette. Nous devenons des carnivores paradoxaux désirant la viande, mais seulement celle qui est sans aucun lien avec la bête dont elle provient”, écrit Madeleine Ferrières. Après une quasi-disparition de presque vingt ans, crise de la vache folle oblige, cœurs et mamelles frémissent de nouveau. Les scandales alimentaires successifs vont paradoxalement provoquer une prise de conscience éthique profitable aux abats. Au-delà des exigences de qualité et de traçabilité, le beau n’est plus aujourd’hui synonyme de bon mais de fade et de tromperie. C’est une révolution culino-philosophique : le consommateur informé se méfie aujourd’hui des apparences. Le moche a pris valeur de goût et d’authenticité. De nouveaux chefs inventifs remettent à la mode ces ingrédients comme ils l’ont fait des légumineuses oubliées. En pleine crise économique, les abats ont aussi l’avantage non négligeable d’être plus abordables (hors ris de veau et d’agneau), surtout ceux de porc. Vous reprendrez bien un petit coup de langue ? Anne Laffeter

ça va, ça vient

1327 La coupe dite à écuelle est le hit capillaire du XIVe siècle : elle se passe de coiffeur et fait mouche dans les milieux ruraux et religieux. Arborée par le novice franciscain Adso de Melk (joué par le jeune Christian Slater dans Le Nom de la rose), elle devient un signe de ralliement au peuple, la figure de proue de l’anti-ostentatoire.

1993

2013

Devenue la coiffure de choix pour petits garçons sages, elle est adoptée par Nick Carter des Backstreet Boys, qui en propose sa version audacieuse, lissée et gonflée au brushing. Le bourreau des cœurs prépubères séduit les jeunes filles par sa masculinité discrètement léchée et jamais menaçante (il leur ressemble) et rassure les mamans.

Quand Saskia de Brauw adopte la coupe au bol sur les podiums, elle l’incarne comme un arte povera du cheveu : faussement simple, vraiment universelle. Androgyne, hype, Saskia fusionne habilement Adso de Melk et Nick Carter : elle parle aux masses et séduit les filles (ainsi que quelques mamans). Alice Pfeiffer

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1999. James Gandolfini sur le tournage de la saison 1 de la série culte, dans la trattoria mythique de Tony Soprano

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requiem pour un Soprano James Gandolfini, inoubliable interprète de Tony Soprano, est mort le 19 juin. Retour sur le parcours d’une des plus grandes stars américaines des années 2000. par Olivier Joyard

Kobal Collection/Picturedesk/AFP

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a série s’était terminée en 2007 par un plan sur son visage au moment où il levait les yeux. Un regard enfantin, interrompu sèchement par dix secondes d’écran noir, avant l’apparition du générique de fin. Mais la conclusion définitive, radicale et déchirante aux Soprano a eu lieu hors champ, dans un hôtel de Rome. L’acteur James Gandolfini, alias Tony Soprano, est mort d’une crise cardiaque le 19 juin, à l’âge de 51 ans. Devant une telle montagne, il faut peut-être commencer par le plus simple. Rappeler qu’avec lui disparaît l’une des plus grandes stars américaines des années 2000, l’une des plus improbables aussi tant il ne correspondait pas aux normes en vigueur à Hollywood. A partir de 1999, année de son apparition stupéfiante sur HBO, le personnage de mafioso dépressif incarné par James Gandolfini dans la série de David Chase a secoué les foules. Il attirait régulièrement plus de dix millions de personnes devant leurs écrans le dimanche soir et faisait parler de lui des derniers saloons du Texas jusqu’aux bancs d’Harvard. “L’un des événements culturels les plus importants des cinquante dernières années”, écrivait le New York Times à propos des Soprano. Pour sa performance dans la série, James Gandolfini a remporté trois Emmy Awards (l’équivalent

des oscars de la télé) et un Golden Globe. Une pitance ridicule au regard de l’ampleur de son œuvre. On ne le dit presque jamais, mais dans les séries plus qu’ailleurs, les meilleurs acteurs représentent une force créative majeure, parfois aussi importante que celle des scénaristes. Ce sont eux qui vieillissent en direct devant nous, eux qui boivent une tasse de café trois cents fois, eux qui franchissent à l’infini le pas de leur porte. Avec James Gandolfini, ce genre de litanie n’était jamais ennuyeux. Le moindre de ses gestes pouvait bouleverser. Pendant huit ans, six saisons et quatrevingt-six épisodes, le natif du New Jersey (comme son personnage) a tenu le cap et rendu bizarrement attachant un homme pour le moins sanguinaire et cruel, patron d’une organisation criminelle en pleine crise, plombée par sa propre caricature. Un antihéros ultime, comme l’écrivent les manuels de scénario. Un monstre de subtilité et d’ambiguïté surtout, drôle et mélancolique à égalité, que Gandolfini a avalé au point de se confondre avec lui dans l’imaginaire collectif. Nourrir ses canards, mater Rio Bravo d’Howard Hawks en bâfrant de la glace, se gratter l’épaule, tuer de ses larges mains, identifier avec l’éloquence d’un roi Lear son “âme pourrie”, pleurer chez sa psy, nous faire pleurer devant la télé : telle était la mission épique de James Gandolfini, d’une variété folle et d’une ampleur extraordinaire. 26.06.2013 les inrockuptibles 31

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“quand j’ai lu le scénario du pilote, j’étais mort de rire. J’étais sûr qu’ils allaient prendre un mec suave, un mafioso à belle gueule, plus du genre premier rôle”

Anthony Neste/Time & Life Images/Getty Images

James Gandolfini, à propos des Soprano

Cigare, gourmette, piscine : un parrain dans son bain

La plus lourde de ses tâches était d’incarner le héros américain version 2.0. Un héros venu de l’étranger, dans tous les sens du terme : de l’Italie et de la télévision. Dès le premier épisode de la série, Tony Soprano regrette la disparition des vrais mecs à la Gary Cooper, ces figures puissantes et silencieuses qui ne se plaignent jamais – “the strong, silent type”. Terrassé par des crises de panique, il s’adresse alors autant à lui-même qu’à sa thérapeute. Mais ses paroles le dépassent. Sans le savoir encore, ce grand ours émouvant et dangereux est en train de reprendre le fauteuil de son idole et de quelques autres – Brando dans Le Parrain, par exemple. Une poignée de légendes du cinéma remplacées par un héros de série fragile et sans attaches ? Bienvenu dans un monde nouveau. A travers Gandolfini, Les Soprano ont mis en scène avec humour et fureur un retournement symbolique dans l’histoire des images en mouvement, ouvrant la voie à ce qu’on appelle aujourd’hui communément l’âge d’or des séries. Ce moment étrange, exaltant, où les anciennes hiérarchies ont explosé en vol, se confond peu ou prou avec les huit ans des Soprano. Dans ce panthéon, le chef-d’œuvre de David Chase côtoie The Wire, A la Maison Blanche, Six Feet under et quelques autres. Rien n’était gagné au départ, ni pour les séries, ni pour James Gandolfini. A posteriori, il est tentant de louer

l’idée de génie du choix en 1999 de cet acteur au corps atypique qui allait peu à peu démentir tous les clichés et occuper l’écran. Mais la révélation aurait pu ne jamais se produire. Ce garçon aujourd’hui si évident pour le rôle n’était pas le premièr choix imaginé par David Chase. Tout à son amour pour Les Affranchis (1990) de Scorsese, le créateur-scénariste de la série avait en tête Ray Liotta, à qui il avait même formulé une proposition. Ce dernier a alors eu l’une des meilleures idées de sa vie en refusant l’occasion. Aussi la porte s’est-elle ouverte pour James Gandolfini, que la directrice de casting Susan Fitzgerald avait remarqué dans l’un des rôles les plus marquants de sa première carrière, celui d’un homme de main capable de mettre une branlée à une femme dans True Romance (1993), de Tony Scott. Lui-même ne croyait pas vraiment en ses chances, comme il l’a raconté à l’émission Inside the Actors Studio en 2004. “Quand j’ai lu le scénario du pilote, j’étais mort de rire. J’étais sûr qu’ils allaient prendre un mec suave, un mafioso à belle gueule, plus du genre premier rôle.” James Gandolfini semblait en effet destiné à une vie d’éternel second rôle, capable d’emporter le morceau en quelques répliques, comme Hollywood en a le secret. Avant et après Les Soprano, c’est d’ailleurs la place qui lui a été presque exclusivement réservée, si l’on

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“une grande part de son génie se nichait dans ses yeux tristes. Je me souviens lui avoir dit plusieurs fois : tu ne t’en rends pas compte, tu es comme Mozart” David Chase, créateur des Soprano

excepte son face-à-face avec Kristen Stewart dans l’anecdotique Welcome to the Rileys en 2010, ainsi que le long métrage peu remarqué de John Turturro avec Susan Sarandon, Romance & Cigarettes, en 2005. On se souvient de sa composition enthousiasmante de tueur à gages gay dans le mauvais film de Gore Verbinski Le Mexicain, en 2001, comme de sa performance en voisin violent chez Nick Cassavetes (She’s So Lovely, 1997). Dans Cogan – Killing Them Softly (2012), le film ultramaniéré d’Andrew Dominik, il épousait les traits d’un tueur à gages, encore un. Il a aussi prêté sa voix à un personnage de Max et les maximonstres (2009) de Spike Jonze. Aucun chef-d’œuvre dans sa filmographie, mais au moins deux films importants : The Barber – L’homme qui n’était pas là des frères Coen (2001) et Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow, il y a quelques mois, où il incarnait Leon Panetta, directeur de la CIA au moment de la traque finale de Ben Laden. Au début 2013, Gandolfini a connu sa première grande déception post-Soprano, quand le pilote de sa nouvelle série pour HBO, Criminal Justice, a été refusé. Comme si l’attraction était fatale entre la prestigieuse chaîne câblée et l’acteur, le projet avait finalement été validé le mois dernier sous la forme d’une minisérie, désormais compromise. Plus rien ne pourra empêcher quiconque de voir en James Gandolfini l’homme d’un

seul grand rôle, comme si ce rôle était fait pour lui, à la mesure de son parcours de fils de maçon napolitain émigré aux Etats-Unis – il était le premier homme dans sa famille né sur le sol américain. L’acteur avait sa propre vision de Tony Soprano et de ce qui le rendait proche. “Tony est un mec à qui il ne reste rien, sinon son code d’honneur, qui part aussi en couilles. Il regarde autour de lui et il cherche. Eh bien, c’est la même chose avec beaucoup d’Américains. On peut aller acheter plein de choses, faire tout ce que l’on veut, mais il n’y a plus de centre. Je m’identifie à cette idée.” A l’annonce de la mort de celui qu’il a fréquenté assidûment pendant les années les plus importantes de sa vie (et avec qui il a tourné Not Fade Away, son premier film cinéma, encore inédit en France), le créateur des Soprano David Chase a exprimé sa douleur. “James était un génie. Tous ceux qui l’ont vu dans le plus petit de ses rôles savent cela. Il est l’un des plus grands acteurs de tous les temps. Une grande part de ce génie se nichait dans ses yeux tristes. Je me souviens lui avoir dit plusieurs fois : tu ne t’en rends pas compte, tu es comme Mozart. A ce moment-là, il y avait un silence à l’autre bout du fil.” Le silence durera toujours. Les Soprano, saison 4, épisode 3 : “– Putain, qu’est-ce qui est arrivé à Gary Cooper ? J’aimerais bien le savoir. – Il est mort.”

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le chouchou de Bruxelles Avec son formidable Formidable, Stromae est entré comme un coup de vent, frais et insolite, dans ce début d’été. En attendant l’album, il nous a reçus dans la capitale belge. par Pierre Siankowski photo Audoin Desforges pour Les Inrockuptibles

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ruxelles, gare du Midi. Le message tombe juste au moment où l’on descend du train de Paris. Il est signé du manager de Stromae. “Paul est dans une Fiat 500, il vous attend, il est garé en face de chez Panos.” Panos, c’est une sandwicherie locale et Paul, c’est Paul Van Haver, que vous connaissez sous le nom de Stromae – mettons-nous immédiatement au point, on dit bien “Stromaï” – “Maestro” en verlan – et non pas “Stromaé”, gros boloss. On descend les escalators, on passe devant le gigantesque Tintin accroché à un train dessiné sur l’un des murs de la gare, et on se dirige vers la sortie pour rencontrer celui qui est devenu l’une des nouvelles icônes de la vie bruxelloise en quelques clics (la vidéo de Formidable, son dernier single, a été vue plus de sept millions de fois).

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“le jour où j’ai tourné la vidéo de Formidable, je me suis senti très seul, un grand moment de solitude” Il nous attend au volant de sa voiture, en sort, immense, claque l’unique bise belge bien plus mignonne que notre double et nous invite à grimper. Direction le quartier de Laeken, dans le studio où Stromae achève son deuxième album, attendu pour septembre. Sur la route, au feu rouge, on le voit, les filles derrière leurs lunettes de soleil font mine de ne pas avoir reconnu le beau Paul. Mais se chuchotent tout de même à l’oreille des “regarde qui c’est” pas super discrets. Et puis il y a ce type à l’allure sportive qui hurle à la fenêtre : “Stromaaaae, continue, tu cartonnes !” Cool et concentré, l’intéressé lui répond d’un signe de la main et d’un “merci, mon pote” d’un calme incroyable. Lorsqu’on lui demande s’il pense être devenu une fierté locale, il répond humblement : “Je crois que les gens m’aiment bien ici, sincèrement. Au moment de la sortie de la vidéo de Formidable, j’ai vu beaucoup de bienveillance autour de moi. En revanche, le jour où je l’ai tournée, je me suis senti très seul, c’était même, je crois, l’un des plus grands moments de solitude de ma vie. J’en suis sûr, même.” Tournée en caméra cachée, la vidéo montre un Stromae ivre mort au matin, dans la foule, hagard, sur un sol détrempé, au beau milieu du rond-point Louise à Bruxelles. “J’ai eu l’idée de ce clip au moment de l’enregistrement, je me suis souvenu d’une scène, je marchais un jour dans les rues de Bruxelles et je me suis fait interpeller par un sans-abri qui m’a dit en gros ce qu’on entend dans la chanson : ‘Tu te crois beau ?’ Je n’ai jamais oublié ça et j’ai voulu le mettre en scène. C’était risqué, j’ai posé beaucoup de questions autour de moi, certaines personnes étaient vraiment contre, mais au final les gens trouvaient ça plus noble que nul.” Casque sur les oreilles, gilet bleu sur polo jaune, le longiligne Stromae zone au milieu des Bruxellois, devant les trams qui défilent. “Au moins, comme ça, les gens voient l’évolution des modèles de trams, c’est déjà ça de pris”, ironise-t-il. Dans Formidable, tourné sous le ciel rasant du pays de Benoît Poelvoorde (reviens gamin), Stromae titube comme l’on titube lorsqu’on a vécu le fond du fond du fond du drame amoureux : une balle dans le cœur, six pintes et huit vodkas tonic dans la tête. Même les policiers viennent à son aide, à tel point que ça met la larme. Lancé comme une blagounette – une rumeur avait annoncé juste avant la sortie de la vidéo un Stromae un peu pété dans les rues de Bruxelles –, Formidable est venu rappeler, et en un peu moins de cinq minutes chrono, le potentiel immense de celui que l’on avait découvert en 2010 avec son tout premier album, Cheese (propulsé, lui aussi déjà, par un single aussi classique que fulgurant : Alors on danse). Et au-delà de l’intensité du morceau, sorte de négatif absolu du Get Lucky de Daft Punk (on sort pécho les meufs jusqu’à tard chez

les Daft, on rentre tôt, seul comme un grand, et surtout comme on peut chez Stromae – avec une tout autre forme de casque sur le crâne, aïe), Formidable fixe à nouveau, et surtout, la classe avec laquelle le jeune Van Haver joue avec le français ou le belge, appelez ça comme vous voulez : il – et on – s’en fout. Il est aujourd’hui l’un des plus grands artificiers du genre – aux côtés de Booba et Benjamin Biolay, avec qui un jour, c’est sûr, il piratera sur un Tumblr quelconque le vilain poster triptyque Brassens, Ferré et Brel qui colle encore à certains murs jaunis par la clope. Jacques Brel, bien sûr, à qui beaucoup n’hésitent pas à comparer Stromae (les “r” roulés, les grands gestes, tout ça) – surtout après son interprétation foudroyante de Formidable à Ce soir (ou jamais !). S’il a déjà avoué s’intéresser comme tout citoyen d’outre-Quiévrain qui se respecte au grand chanteur mort, Stromae met plutôt la comparaison sur le compte d’un rapport au corps et au jeu de plus en plus décomplexé. “Je n’avais jamais fait de tournée avant Cheese, je me suis découvert sur scène. J’ai appris ce que je pouvais faire avec ma voix, avec mon corps. Je crois aussi que le fait d’avoir installé du matos d’enregistrement chez moi a été déterminant : tu te lâches, tu peux te taper la honte, personne ne l’entendra”, confie-t-il. Il est presque midi quand Stromae arrête sa Fiat 500 dans une rue ombragée de Laeken. “On n’est pas loin de la friterie où on venait manger des sandwichs mitraillettes en famille le dimanche”, dit-il. Il sort de la voiture et se fait attraper illico par une gamine de 10 ans qui n’en revient pas. “C’est vous, c’est vous ? Mais oui, c’est vous.” Stromae fait une photo, elle sera sur Facebook une minute plus tard, c’est certain. On entre dans un couloir exigu et c’est Lionel, le patron du studio, qui nous ouvre la porte de l’endroit où kid Van Haver met la dernière main à son album. Stromae connaît les lieux par cœur, nous fait une petite visite et sort un ordi qu’il branche sur la console. Il propose de découvrir plusieurs extraits de sa nouvelle livraison, en plus de Papaoutai, autre titre livré en éclaireur il y a de cela quelques semaines. On accepte avec une joie non dissimulée. Avant même de débuter l’écoute, Stromae fixe les grandes lignes de son disque à venir. En prêtant l’oreille, on y entendra “de la rumba congolaise, de la trap music (ce son hip-hop du Sud des Etats-Unis, né au début des années 2000 – ndlr), des trucs downtempo et bien sûr des trucs uptempo, j’adore ça. J’aime bien ce grand écart entre le populaire et l’ultra spé.” Depuis ses débuts, le jeune Bruxellois n’a jamais cessé de vouloir ouvrir au plus grand nombre les portes de son univers, tout en ménageant, au détour d’une punchline ou dans la sous-note d’une sousmélodie, une concession ferme aux spécialistes qui

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“j’ai l’impression de vouloir prévoir tout ce qui va m’arriver dans mes chansons, peutêtre pour me parer”

s’en voit flattés. “Je ne le fais pas exprès, ce n’est pas un calcul. Pour moi il n’y a pas de classifications aussi évidentes que cela en musique, je veux pouvoir tout mélanger.” Et c’est exactement cela que l’on perçoit à l’écoute des premiers morceaux de ce nouvel essai – dont Stromae lui-même ne connaît pas encore le nom, et dont les titres sont tous des “titres de travail”. Il y a Tous les mêmes, pleine de rumba congolaise donc, de house un peu jazzy tout en scansions, de trompettes mariachis, et dont le texte parle aussi des parents, des enfants – comme Formidable et Papaoutai. “J’ai l’impression que c’est une question d’âge, j’ai bientôt 30 ans, je pense au trio papa-maman-enfants, c’est une thématique qui revient de manière récurrente chez moi. Je crois que je n’en ai jamais voulu à mon père pour son absence, mais à un moment où moi-même je suis en âge d’avoir des enfants, ou d’en adopter, je sens que c’est là que mon père va me manquer. Parfois, j’ai l’impression de vouloir prévoir tout ce qui va m’arriver dans mes chansons, peut-être pour me parer.” On écoute ensuite une chanson où il est question d’un certain Paulo et de moules-frites : c’est une marche militaire un peu reggae, avec des accents gainsbouriens assumés et franchement épatants. Paulo est peut-être un ami de beuverie, c’est peut-être Stromae, on ne sait pas, mais en tout cas il aime les filles et ça lui causera du tort. Il y a cette autre chanson sombre qui cause maladie encore (chez Stromae, on n’est pas toujours là pour déconner, vous le savez, hein, formidable, alors on danse). Une chanson que Paul attaque avec une voix de tête qui sonne comme du Christophe qui ferait des câlins à Frank Ocean, c’est très beau et très

surprenant. Puis on entend un titre que Stromae voudrait comme “une sorte de Thriller 2013”, ensuite une version un peu plus oulipienne du Humain à l’eau découvert dans les leçons du Maestro, et enfin un morceau qui va mettre tout le monde sur les fesses mais on a juré de ne pas en dire plus (un indice : opéra, ouais, opéra). Bref, on peut s’en apercevoir après cette première écoute, comme beaucoup de ses jeunes collègues qui ont sorti un album en 2013 (on pense à Woodkid, à Joke), Stromae a décidé de faire preuve d’une véritable ambition, de passer un palier, de taper encore un peu plus haut. Devant nous, et avant d’aller faire une paire de photos sur les bords d’un canal, au milieu des friches industrielles, il enfile les fringues qu’il porte dans le clip de Papaoutai qui fusionne habilement le breakdance le plus fou, la folie de la sape et l’imaginaire de Malick Sidibé. “Cette tenue, ça veut dire que j’ai envie d’aller jusqu’au bout de ce personnage de Stromae, de l’investir totalement”, explique Paul Van Haver. L’écoute terminée et le costume enfilé, on reprend la Fiat 500, direction une usine désaffectée. Stromae en total look descend de la voiture sous le regard ébahi d’un ouvrier. Ses photos achevées, il s’assoit sur un banc et nous livre encore un peu plus les clés de son nouveau disque. “C’est un disque assez noir, alors que je ne suis pas comme ça. Mais j’ai un côté très réaliste. Quand je sors du personnage de Stromae, j’ai parfois des moments un peu durs. Pendant la période de compo de mon deuxième album, c’était solitude et célibat, c’était pas tous les jours marrant, mais ça m’a permis de garder le focus sur mon travail. Je suis un entertainer, mais j’ai besoin de raconter des trucs qui se passent dans la réalité. Je mets Rick Ross au défi de me dire que ce qu’il vit au quotidien se trouve dans ses chansons. Mais j’ai envie de me débarrasser du misérabilisme belge, de ce truc qu’on a ici : je crois que j’ai déjà bien surfé là-dessus. Le clip de Papaoutai, il n’est pas triste. Enfin, si, il est triste.” Il éclate de rire. Fin de journée à Bruxelles. Le soleil commence à disparaître. Stromae propose de nous ramener au train. Dans son costume d’apparat, le nouveau prince de Bruxelles nous conduit vers la gare du Midi au volant de sa Fiat 500. Ce soir, il finira de bosser sur son album. Vivement la rentrée. singles Formidable et Papaoutai (Mercury/Universal) www.facebook.com/stromae

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“la littérature, c’est l’invention du monde” Olivier Cohen, créateur des Editions de l’Olivier en 1991, inaugure notre série d’été consacrée aux éditeurs. Pour cet obsédé de la littérature depuis son plus jeune âge, la découverte de nouveaux écrivains est surtout l’occasion de rencontres humaines. par Nelly Kaprièlian photo Frédéric Stucin pour Les Inrockuptibles

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ondateur des prestigieuses Editions de l’Olivier, où il a d’abord fait connaître les grands auteurs américains (Cormac McCarthy, Jay McInerney, Richard Ford…) et anglais (Will Self), puis découvert quelques jeunes Français (Florence Seyvos, Christophe Honoré, Véronique Ovaldé…), Olivier Cohen a su faire rimer son nom avec qualité et sérieux littéraires depuis plus de vingt ans. Rencontre dans son bureau à Montparnasse avec le plus cosmopolite des éditeurs français. D’où vous vient votre cosmopolitisme ? Olivier Cohen – De ma famille : grand–père paternel séfarade, né à Oran. Ma famille maternelle vient de Bucovine, une province austro-hongroise (comme Aharon Appelfeld) ; ma mère est née à Vienne, et certains membres de ma famille sont partis en Angleterre. Vous destiniez-vous à devenir éditeur ? Pas du tout, j’ai toujours été avant tout un lecteur. J’ai commencé très tôt, à 5 ans, car ma grand-mère m’avait appris à lire. J’étais un lecteur boulimique. Les livres ont été pour moi comme un pays où j’étais attendu, où je me sentais chez moi. J’ai acquis ainsi des réflexes de lecteur, un esprit de déduction qui se met très vite en place dès que j’ouvre un livre, je peux le radiographier automatiquement. A la base de cette obsession de la littérature, il y a peut-être le divorce de mes parents. Il est probable qu’au moment où tous

les repères bougeaient durant mon enfance, la littérature soit devenue un point fixe, et le livre une sorte de maison. J’ai eu la chance de grandir dans un environnement où il y avait des livres et où l’on en parlait. Mon père vivait à l’étranger, il dirigeait une maison de disques, et écrivait des poèmes. Grand lecteur lui-même, il m’avait ouvert un compte chez un libraire, je pouvais ainsi me procurer tous les livres que je voulais lire. Et quand il revenait en France, il m’interrogeait sur mes lectures. Mon autre partenaire de lecture était mon grand-oncle, qui fait partie de la branche anglaise de ma famille : un Juif d’Europe centrale qui est devenu professeur titulaire au Trinity College à Cambridge. Tous deux étaient des initiateurs. Je pense que la lecture est avant tout un processus d’initiation plus qu’une injonction, c’est une relation bienveillante avec quelqu’un qui vous montre le chemin. Je n’aime pas cette pédagogie actuelle qui consiste à obliger à lire. Aujourd’hui, des années après, j’éprouve la même excitation vis-à-vis d’un texte que je ne connais pas. J’attends toujours que quelque chose se passe. Comment définiriez-vous ce “quelque chose” ? Regarder le monde à travers le regard de quelqu’un d’autre : et alors, un autre monde apparaît. C’est pourquoi je n’aime pas ces querelles autour du réalisme : les écrivains ne décrivent jamais le monde, ils en inventent un, ou créent des hypothèses de monde, mais jamais une copie du réel. La littérature, c’est vraiment l’invention du monde – d’une infinité de mondes possibles. Les chocs littéraires qui m’ont marqué : Hemingway et Salinger. La vie

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d’un éditeur est faite de rencontres qui ne sont jamais fortuites : elles se préparent de longue date. Regardez ce portrait de Raymond Carver qui trône dans mon bureau : j’ai longtemps cru que j’avais eu de la chance de le rencontrer, mais j’ai compris que je l’ai rencontré car je le cherchais, parce qu’il est le résultat de mes lectures… Comment avez-vous publié Carver ? J’étais à New York, il pleuvait, je me suis réfugié dans une librairie, j’ai ouvert un livre par hasard et deux heures après je me suis rendu compte que j’étais toujours en train de le lire. J’étais très jeune et naïf, j’ai cherché qui était son agent, j’ignorais que c’était l’une des super agents littéraires de New York, Amanda Urban, elle m’a reçu poliment. J’étais alors conseiller aux éditions Mazarine. Il n’était pas publié en France. A ma grande surprise, deux semaines après, j’ai reçu une lettre disant que Carver avait décidé de me donner ma chance. J’ai choisi le livre que j’avais lu en librairie, Les Vitamines du bonheur. A sa publication en France, il est venu, et ça a été un coup de foudre immédiat et réciproque. Il était très drôle, chaleureux, il avait l’air d’un ours, un grand type un peu gauche, très généreux envers les autres. Il avait un vrai goût pour l’amitié. Il m’a fait rencontrer beaucoup de gens, des écrivains, des éditeurs, etc. C’est comme ça que j’ai rencontré et publié Richard Ford, comme il me l’avait demandé – je suivais toujours ses conseils. Son lien avec Jay McInerney, je ne l’ai découvert qu’après. J’avais acheté pour rien, à peine 800 dollars, Bright Lights Big City (Journal d’un oiseau de nuit) et c’est devenu un succès. Jay m’a fait rencontrer tout un groupe de jeunes éditeurs américains avec qui il était lié, qui sont devenus mes amis ; l’un est éditeur chez Knopf, Gary Fisketjon, et l’autre, Morgan Entrekin, est aujourd’hui le patron de Grove Press. Il décrit Carver dans Bright Lights… car Carver l’avait séquestré

Raymond Carver dans les années 80

en lui disant : “Tu dis que tu es écrivain, alors écris. Un écrivain, ça écrit, ça ne passe pas tout son temps à se droguer dans les boîtes de nuit.” Comment entrez-vous dans l’édition ? J’étais normalien, mais je ne voulais pas enseigner. J’ai rencontré Gérard Guégan et Raphaël Sorin qui venaient de quitter Champ Libre. Jean-Claude Fasquelle, qui était le pdg de Grasset, était propriétaire d’une vieille maison surréaliste qui était en sommeil, et qu’il relançait en leur en confiant la direction. Ils m’ont proposé d’être secrétaire de direction. J’avais 26 ans fin 70, je n’avais aucune expérience ; je suis devenu leur homme à tout faire, je répondais au téléphone, je renvoyais les manuscrits, je faisais du commercial, je partais en province rencontrer des libraires – bref, j’ai tout appris. Les grands libraires, qui étaient militants, sont apparus quand ils ont remplacé les œuvres de Mao par les livres des

Marion Ettlinger

“pour son premier livre traduit en France, Raymond Carver est venu, et ça a été un coup de foudre immédiat et réciproque. Il avait un vrai goût pour l’amitié”

Editions de Minuit. Ça a été une période très riche, même si ça n’a duré que quelques années. On publiait Alain Pacadis, Jean-Edern Hallier, tous les gens d’Actuel, de la science-fiction… C’était une sorte de grand bazar, avec un certain goût pour l’underground et la contre-culture. Un laboratoire où beaucoup de gens passaient, comme Jean-Jacques Schuhl. Il y avait encore quelques grands excentriques. J’ai cru que l’édition, c’était ça, être avec des amis et publier des gens qui vous plaisent. Par la suite, j’ai toujours essayé de reproduire cela. Qui étaient ces grands excentriques ? Fasquelle, par exemple, un grand bourgeois un peu anar de droite. A travers lui, j’ai découvert la mafia des prix littéraires. Fasquelle était une sorte de Don Corleone dans ce milieu, avec les cinq grandes familles de la mafia qui chaque année se réunissaient. Tout ça a évolué et s’est défait.

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Renaud Monfourny

“Jay McInerney m’a fait rencontrer tout un groupe de jeunes éditeurs américains avec qui il était lié, et qui sont devenus mes amis”

Jay McInerney en 1997

Troisc ouvertures desE ditions de l’Olivier, en 2013, 1997, 2009

Aujourd’hui, on est plus proches des Soprano (sourire)… Après je suis passé aux éditions Mazarine, où je publiais, en plus de Carver, Cynthia Ozick, P. D. James, c’était extrêmement varié. Puis, Claude Durand, une rencontre capitale dans ma vie, m’a proposé de créer une filiale de Fayard dans le groupe Hachette. Durand avait une vision de l’édition mondiale. J’ai vu vivre sous mes yeux un grand éditeur. Un homme très exigeant mais aussi dictatorial, donc trois ans après, j’ai fini par partir. Comment avez-vous fondé les Editions de l’Olivier ? Il y a vingt-deux ans quand le Seuil, à travers Claude Cherki, a proposé de me financer en me promettant une indépendance totale dans mes choix – et ça a toujours été le cas. Je voulais créer une maison d’auteurs. Ce que je ne voulais pas faire, c’était entrer dans ce système qui vous amène

insidieusement à publier des livres que vous n’aimez pas. Il y a toujours un moment où quelqu’un vous dit de publier tel livre pour faire du chiffre. Or je sais par expérience que ce type de raisonnement est toujours faussé, et que la seule chose à laquelle je pouvais me fier c’était mon jugement, même si je me trompais – bien sûr, je ne peux pas me tromper tout le temps. J’ai voulu parier sur des auteurs que j’aime, parier qu’ils s’imposent avec le temps sur un plan médiatique et commercial. Quels auteurs avez-vous réussi à imposer ? Cormac McCarthy, avec qui on a perdu de l’argent pendant dix ans : avec La Route, on a vendu plus de 600 000 exemplaires. Il avait eu plusieurs éditeurs – Laffont, Gallimard, Actes Sud… – qui avaient plus ou moins échoué. McCarthy s’est fâché avec eux, j’ai posé ma candidature et je suis devenu son éditeur au milieu des

années 90, pour Le Grand Passage. Son avant-dernier livre, Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme (No Country for Old Men), on en a vendu, en édition brochée, environ 18 000. Son agent m’a vendu La Route pas très cher, car c’était un roman très sombre, et je me suis dit qu’on n’en vendrait pas. D’emblée, on en a vendu dix fois plus, environ 180 000. Comment expliquez-vous le succès de La Route ? A mon sens, le cinéma a joué un rôle important. Il y a eu une suite de choses : le poche de No Country…, la sortie du film des frères Coen, la publication de La Route en grand format, puis le film, et le poche. Chaque étape faisait monter les enchères. S’il y a eu un tournant dans l’œuvre de McCarthy avec La Route, c’est parce que ce livre décrit quelque chose qui n’existe pas mais qui pourrait arriver, la fin du monde, et que chacun au fond connaît cela intiment, a vécu des moments où c’était, pour lui, la fin du monde. Ça me rappelle Kafka : on peut en faire des tonnes d’exégèse, les lecteurs s’y retrouvent toujours. C’est ce type de livres très rares qui suscitent des interprétations. Ce n’est pas mon livre préféré de lui, mais le plus fort. Ça a le même statut que Le Vieil Homme et la Mer dans l’œuvre d’Hemingway : un conte où chaque lecteur peut se projeter, comme si une vérité y était contenue. Vous l’avez déjà rencontré ? Non, on se parle au téléphone, ce qui est déjà beaucoup. Je m’y suis fait. Je l’ai questionné sur sa misanthropie et en fait il ne l’est pas tant que ça. C’est un homme très affable, très chaleureux, qui adore la vie, le cinéma. Il m’a répondu : “C’est extrêmement simple, j’ai décidé depuis très longtemps que je ne ferai qu’une seule chose : écrire. Pas d’interviews, ni de dédicaces, ni de cours ou de conférences.” Il a vécu parfois dans la misère, mais il ne fléchissait pas. Il n’est pas misanthrope, c’est juste qu’il refuse tout l’aspect social de la vie d’un écrivain. Il ne s’appelle pas Cormac mais Charles. Son nom d’emprunt, celui d’un roi 26.06.2013 les inrockuptibles 43

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profession éditeur 1/4

Cormac McCarthy dans les années 2000

celtique, est très symbolique de son œuvre, puisque le pays des morts, qui est un grand thème de la littérature celtique, est au centre de ses romans. D’autres paris qui ont marché ? Le Quai de Ouistreham, de Florence Aubenas. Quand elle est partie enquêter à Caen, on ne savait pas du tout ce qu’elle en rapporterait – 80 pages, 300 pages, on ne savait pas. Pour nous, c’était aussi une aventure, car ce n’était pas le type de livre qu’on trouve habituellement à l’Olivier. Le succès a été fulgurant : en quinze jours, on en avait vendu plus de 100 000 et il était numéro un des ventes. Avant, il y avait eu le succès de Trente ans et des poussières de McInerney. Pourquoi ce livre-là plus qu’un autre ? C’était, pour lui, le bon moment. Le bon livre au bon moment. Mais je ne parlerais pas de ces succès comme de “coups” d’éditeur. Je suis un artisan, pas un industriel. L’artisanat, c’est publier des auteurs qui parfois s’imposent vite, mais souvent s’imposent très lentement. Un exemple récent : Le Garçon incassable, de Florence Seyvos, attire, de toutes parts, beaucoup d’enthousiasme. Or, elle n’avait rien écrit depuis dix ans et c’est un livre discret, mais qui commence à prendre. A quoi tient le succès d’une maison d’édition ? Le développement d’une maison n’est pas seulement le résultat d’un

Derek Shapton

“Cormac McCarthy n’est pas misanthrope, c’est juste qu’il refuse tout l’aspect social de la vie d’un écrivain”

désir personnel, il faut qu’un projet rencontre une situation favorable. Il y a eu, pour l’Olivier, deux éléments favorables au début des années 90 : la mondialisation, qui a engendré un intérêt des lecteurs pour la littérature étrangère, qui en vingt ans a envahi les tables des libraires. Et puis le début des années 90 a vu l’émergence d’une nouvelle génération d’écrivains français très variés – Darrieussecq, Houellebecq, Desarthe, Nothomb, Despentes, etc. C’était une véritable explosion. Ils sont allés dans de plus petites maisons d’édition : P.O.L, Minuit, Verticales, l’Olivier. Je crois à l’existence de ces phénomènes difficiles à repérer car non homogènes. Aujourd’hui, en revanche, cela ne se produit plus. Il n’y a plus ni arrière-garde, ni avant-garde, tout est beaucoup plus confus. Qu’est-ce qui différencie la littérature française de la littérature américaine ? Je pense que la nationalité joue un rôle très secondaire. Il existe plutôt des familles de sensibilités. Pour moi, c’est avant tout une question d’auteurs. Il y a plus de rapport entre Richard Ford et Jean-Paul Dubois qu’entre Ford et McInerney, qui en plus se détestent. Cela dit, il y a des modèles dominants. Pour aller vite, même si c’est schématique : en France il y a deux courants, un romanesque, qui s’intéresse au monde,

et un courant antiromanesque, qui serait une littérature du moi. Le courant romanesque, surtout le roman réaliste, a été exporté aux Etats-Unis, où il a fait école. En France, c’est surtout l’autre tendance, qui remonte à Montaigne, qui a connu un grand succès – l’autofiction, qu’il s’agisse de roman ou de récit. J’ai résolu le problème des genres depuis le début en décidant qu’il n’y aurait rien d’inscrit sur la couverture des livres – ni “roman” ou “récit” ou “nouvelles”. J’avais l’intuition que ces sous-genres étaient en train de disparaître. Avez-vous raté certains auteurs ? J’ai refusé American Psycho. Tous les éditeurs français avaient lu ce livre et personne n’en voulait. Le seul à l’avoir accepté, c’est GérardJulien Salvy, qui est un esthète et avait créé les éditions Salvy, et qui, à la stupeur générale et pour une bouchée de pain, a publié ce livre. J’avais du mal à comprendre ce qu’était ce livre, mais, surtout, Bret Easton Ellis était le frère ennemi de Jay McInerney et je me disais que ça n’était pas possible de publier les deux, que Jay considérerait ça comme une trahison. Au tout début, au Sagittaire, on avait refusé le roman de Jean Echenoz, qui n’avait pas encore publié chez Minuit – je n’en suis pas fier. L’édition est un métier impur, pas une science, et il y a plein de facteurs qui mènent à un refus. Mais le catalogue d’un éditeur, c’est aussi la somme de tous ses refus. Par exemple, j’ai refusé Don DeLillo. Je n’y comprenais rien. Ce n’est que plus tard que j’ai réalisé que j’étais passé complètement à côté. Comment la situation éditoriale et littéraire a-t-elle évolué ? On sent que le paradigme culturel est en train de changer mais sans savoir du tout où ça va. La littérature a occupé une place importante dans la culture ; moins, maintenant, car la culture passe aujourd’hui par plein d’autres moyens. Tout ce dont on est sûr, c’est qu’on est entré dans une période de changements très rapides.

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le Tour, prends garde ! C’est la 100e édition du Tour de France, un mythe sportif et littéraire rongé par les affaires et le dopage. Et si on débranchait enfin cette institution vérolée ? par Francis Dordor et Serge Kaganski

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h le Tour de France ! Monument national ! Ses forçats de la route, ses héros de la montagne, ses duels de légende (Bartali-Coppi, Anquetil-Poulidor, Merckx-Ocaña, FignonLeMond, ArmstrongArmstrong…), ses plumes inspirées (Londres, Blondin, Nucéra…), bla-blabla ! Mais aussi sa caravane publicitaire, la mocheté de ses maillots couverts de logos, son pénible monopole sur les ondes et les infos… Et ses casseroles de dopage, ses vainqueurs déclassés, ses palmarès déraillés, ses taux d’hématocrite plus élevés que le Galibier, ses coulisses mafieuses, son hypocrisie plus massive que les massifs alpins. Un mythe, oui, mais bouffé aux mites. Comment accorder encore la moindre crédibilité sportive à une course de cobayes pharmaceutiques, à une compétition non pas entre coureurs mais entre Géo Trouvetou de la biochimie et groupes cryptomafieux ? Selon le professeur Jean-Pierre de Mondenard, médecin du sport, spécialiste du dopage et auteur de multiples livres sur le vélo, le sport cycliste (mais pas seulement) est définitivement plombé par les dopes et la médecine clandestine : “C’est illusoire d’imaginer que le monde du sport va lutter contre le dopage. On demande aux fédérations de valoriser leur sport, de faire rêver, et en même temps d’empêcher leurs licenciés d’aller vers le plus haut niveau ? C’est comme se tirer une balle dans le pied. Donc elles tirent à côté, et ça dure depuis toujours.” Pourtant, on chope bien des icônes comme Armstrong, Landis ou Contador. Selon de Mondenard, ces affaires isolées cachent la forêt. Il faudrait changer les dirigeants du sport, mais les pouvoirs politiques sont complices : “Ils veulent montrer qu’ils luttent parce que ça fait bien mais se débrouillent pour n’attraper personne ou pas grand monde. Pour lutter contre ces dérives, on aurait besoin d’une agence supranationale indépendante.” Certains disent que si tous les sportifs se dopent, ce sont quand même les meilleurs qui gagnent. Libéralisons

donc le dopage, ce serait plus franc, plus transparent. Certes, mais quid de la santé publique ? L’idée de légaliser le dopage scandalise de Mondenard : “Ça ne limiterait pas les risques. Cela ne concerne pas que les coureurs, mais aussi leur descendance. J’ai publié un bouquin là-dessus. En Allemagne, d’ex-athlètes de la RDA ont réclamé des indemnités pour les anomalies de leurs enfants. Des footballeurs algériens ont demandé des dommages et intérêts à leur fédération pour leurs enfants dont certains naissaient avec la main à l’épaule, des pieds bots ou des malformations cardiaques.” Président de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), Bruno Genevois ne partage pas le fatalisme du professeur. L’AFLD a passé cette année un accord avec l’Union cycliste internationale et pourra lutter plus efficacement que par le passé. C’est cette agence qui officiera sur l’édition 2013 du Tour. L’accord prévoit des contrôles tout au long de la saison (le fameux suivi biologique des coureurs), des contrôles avant le départ des étapes et des contrôles en course. Bruno Genevois est convaincu que les mailles antidopage vont se resserrer, permettre d’augmenter les arrestations de tricheurs et produire un effet dissuasif. On aimerait y croire autant que lui. Bruno Genevois : “Dans la lutte contre le dopage, il y a davantage de croyants que de pratiquants. Mais ça ne m’arrête pas. Il faut s’appuyer sur les personnes et institutions qui veulent œuvrer dans le bon sens, comme dans l’affaire Armstrong. Je suis convaincu de la nécessité de lutter contre le dopage, parce que ça met en cause la santé des sportifs et la santé publique et que ça fausse l’équité de la compétition sportive.

“le Tour, c’est une pièce de théâtre, un feuilleton, une dramatique, un film qui dure trois semaines” Alain Loret, du site Sport Web Intelligence

Ce combat est juste dans son principe. S’il est juste, il faut y travailler patiemment et avec détermination.” Et si le Tour était autre chose qu’une épreuve sportive ? C’est l’idée défendue par Alain Loret, rédacteur en chef de l’excellent site internet Sport Web Intelligence : “Le Tour, c’est une pièce de théâtre, un feuilleton, une dramatique, un film qui dure trois semaines. Les coureurs ne sont pas des coureurs mais des acteurs au sens premier du terme. Comment expliquer autrement le fait que Richard Virenque soit sorti en larmes du Tour en 1998 en raison de l’affaire Festina, puis montré du doigt par la presse mondiale, puis de nouveau vénéré lors de son retour trois ans plus tard ? C’est comme avec un acteur qui joue un héros et auquel le public ne reproche pas d’avoir joué un bandit dans un film précédent. Comme les acteurs de cinéma, Virenque et les autres acteurs du Tour jouent des rôles de composition.” Si le Tour est une série télé scénarisée et mise en scène, une agence de voyage faisant la promo en mondovision de la France, de ses villages et paysages, alors les critiques tombent, le dopage devient un effet spécial du show, comme la 3D dans un blockbuster hollywoodien. En évoquant les liens entre dopage et argent, Alain Loret dévoile néanmoins l’envers noir et inquiétant de ce spectacle de masse, à travers le concept de shadow sporting, le sport-business de l’ombre, équivalent du shadow banking : “Le budget du Tour, 150 millions d’euros environ, c’est l’argent visible et les sommes ne sont pas démesurées. Mais certaines ex-républiques de l’URSS ont investi beaucoup d’argent sur des équipes cyclistes. Pourquoi ? Pour blanchir de l’argent sale. On est dans un monde opaque sur lequel personne ne peut vraiment enquêter parce que c’est la mafia. L’argent invisible est probablement trois à cinq fois plus important que le budget du Tour. La mafia et le sport, c’est un ticket fortement gagnant depuis une petite dizaine d’années. Il y a un parallélisme très étroit entre les circuits du dopage et les circuits de la drogue. Blanchiment, drogue, dopage : tout est relié sous le chapeau d’organisations criminelles.”

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Lance Armstrong lors de l’examen médical der igueur, le 30 juin 2005, trois jours avantl e départ du Tour

Du braquet au racket, il n’y aurait pas l’épaisseur d’une roue lenticulaire ? Si cet alliage pourri est probable, il est difficile de le prouver et de faire tomber tout le système. La question ne se règle pas à la vitesse d’un sprint. D’autre part, les grands médias liés au Tour (L’Equipe, France Télévisions…) ne veulent pas trop enquêter sur les dessous malodorants de la selle afin de ne pas tuer la poule aux œufs d’or. Comme le disait de Mondenard, prendre un gros poisson type Armstrong de temps en temps permet au système de perdurer en redorant son image. Mais le Tour est là très loin de sa légende dorée. Et si on débranchait définitivement ce barnum aux effets délétères ? S. K. lire Les Grandes Premières du Tour de France de Jean-Pierre de Mondenard (Hugo Sport), 205 pages, 16,95 € consulter www.sportwebintelligence.fr retrouver les entretiens en intégralité sur le blog de Serge Kaganski

du goudron et des plumes Cyclisme et littérature ont toujours fait bon ménage, mariant le style à l’épopée.

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a continuité constitue le style, comme la constance la vertu. Pour remonter les courants, pour être bon nageur, il faut que, de l’occiput jusqu’au talon, le corps soit couché sur la même ligne. On se ramasse et l’on se déploie sur toute la surface en harmonie (...). L’idée doit faire de même à travers les mots et ne point clapoter en tapant de droite et de gauche, ce qui n’avance à rien et fatigue.” Ainsi Gustave Flaubert donnait-il corps à la notion bien abstraite de “style” dans une lettre à Louise Colet datée de 1853. Rédigée huit ans plus tard, 26.06.2013 les inrockuptibles 49

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au moment où Pierre Michaux, avec son fils Ernest, commençait la fabrication en série des premiers vélocipèdes, la métaphore aurait pu glisser vers un autre sport : le cyclisme. Car de style et de littérature, il sera beaucoup question dans le monde du vélo, au point que la discipline pourra paraître enchaînée à l’écrit de façon aussi solidaire qu’un pédalier l’est à une roue arrière. Dans la préface de Forcenés – paru en 2008, réédité en poche à la faveur de la centième édition du Tour de France –, Philippe Bordas franchit le pas d’une ultime intégration des deux pratiques : “Le cyclisme n’est pas un sport. C’est un genre. Les genres déclinent et disparaissent comme les civilisations. La tragédie classique, l’épopée versifiée ont disparu. Le cyclisme est mort. En tant que genre est décédé.” C’est dès l’orée du XXe siècle que journalistes et écrivains flairent qu’au-delà de la simple péripétie que propose une course cycliste se cache un terrain vierge de tout langage, dont le sous-sol est riche de ressources propices au jaillissement d’un mythe total, à la fois d’expression et de projection. Parmi les premiers, Albert Londres, père du grand reportage, suit en 1924 le Tour de France pour Le Petit Parisien. Etapes dantesques de plus de 400 kilomètres que les coureurs finissent après 22 heures de selle, la peau du cul à vif. Mutinerie au sein de la caravane, aveux des premières pratiques de dopage, c’est un nouveau monde qui surgit d’un paysage encore mal connu, la France profonde, et qui exige sa propre mécanique métaphorique ainsi que son idiome. Une défaillance devient “l’homme au marteau”, la malchance qui poursuit un coureur ayant chuté ou crevé “la sorcière aux dents vertes”. “Le rôle du langage est de donner à l’événement la majoration épique qui permet de le solidifier”, écrira plus tard Roland Barthes (Mythologies) pour qui les étapes “ont dans le Tour l’unité d’un chapitre de roman.” C’est l’époque où chaque fait de course se traduit en référence à la dialectique sociale – tel coureur issu des corons miniers ou de souche rurale s’élève dans la hiérarchie à la faveur d’une victoire – ou à la mythologie antique. Depuis Fausto Coppi dans les années 50, les grimpeurs sont dépeints le plus souvent en Icare s’envolant vers le soleil au risque d’y perdre la vie. Et se doper se conçoit encore à l’échelle prométhéenne, soit “voler à Dieu le privilège de l’étincelle” (Barthes toujours). Après guerre, Pierre Chany et Antoine Blondin se changent en Pindare des temps modernes, chantant les exploits d’un Anquetil ou d’un Merckx dans L’Equipe. “Quand Anquetil réalisait un exploit, il n’en parlait pas, précise Bordas. Il attendait que Chany le retranscrive dans le journal.” La légende n’existe qu’une fois gravée. Souvent pour la beauté du geste, des pointures de la littérature entrent en piste, tel Paul Morand qui couvre

“quand Anquetil réalisait un exploit, il n’en parlait pas. Il attendait que Pierre Chany le retranscrive dans le journal” Philippe Bordas, écrivain

les Six jours de Paris après avoir couvert d’un même lyrisme les dômes de Venise. Enfin, image ultime d’une confusion entre les arts et les résumant toutes : Charles Pélissier, dernier d’une fratrie de champions haut en couleurs, lit le Voyage au bout de la nuit entre deux étapes et sous le choc vient offrir son vélo à Céline qui, obsédé par la légèreté, l’accroche au-dessus de son bureau, là où, tenues par des pinces à linge, sont mises à sécher les pages du manuscrit de Féerie pour une autre fois. Les temps ont changé. Les écrivains du Tour n’ont plus guère l’occasion de chanter cette “légende des cycles” dont les mêmes routes sont empruntées aujourd’hui par une épreuve publicitaire à la repoussante vulgarité et d’un calamiteux ennui. Rationalité, avidité, substances de synthèse ont fini d’autodafer ce merveilleux roman d’aventures. Pour Bordas comme pour le journaliste et écrivain Eric Fottorino, autre chantre du beau style et de la belle pédalée, la rupture s’est opérée dans les années 80 avec l’entrée de Bernard Tapie dans la Grande Boucle. Bordas y voit même un parallèle entre “le déclin du cyclisme comme héroïsme et le déclin de la langue française comme héroïsme du style et de l’effort. Dans les deux cas, on a des champions et des écrivains qui sont adaptés à la télévision tandis que le phrasé de Céline et d’Anquetil disparaît. On se retrouve avec des mecs qui gèrent un moindre effort avec une perception moindre, inspirant une écriture au rabais.” Bientôt ce seront les années de plomb, celles d’Indurain vainqueur sans relief, presque sans origine, avec qui se généralise l’usage de l’EPO qui nivelle les performances, du casque quasi intégral qui gomme la souffrance des visages, et de l’oreillette qui fausse la course. Quant à l’ère Armstrong, qu’y voir sinon le reflet d’un certain fascisme sportif vendu comme divertissement de masse ? Le cyclisme a définitivement rompu avec sa dimension littéraire pour entrer dans l’interface glaciale du jeu vidéo. Il y a bien encore ici ou là quelques exceptions, quelques héros égarés dans un monde de robots, mais si peu. Le plus talentueux, le plus tragique reste Marco Pantani, grimpeur hors pair à qui le journaliste Philippe Brunel a consacré une passionnante biographie en forme de roman noir. Comparé dans le livre à Oscar Wilde, “le Pirate”, de son surnom, va finir ses jours comme l’auteur de Dorian Gray, dans des conditions sordides, dans une chambre d’hôtel sordide. Si ces mots du romancier irlandais, “C’est la douleur et tout ce qu’elle enseigne qui est mon nouveau monde”, auraient pu constituer la plus belle des épitaphes, c’est surtout à Kurt Kobain que nous fait penser en dernier ressort le coureur italien. Car comme le chanteur de Nirvana, Pantani aura été un artiste à l’ancienne largué dans un environnement contemporain vidé de toute valeur symbolique, où le langage est devenu une mer morte sillonnée par des véhicules utilitaires. Syndrome de rétropédalage nostalgique, d’échappée vers l’arrière, voilà qu’à l’approche d’une centième édition du Tour dont il n’y a pas grand-chose à attendre

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Jacques Anquetil, cycliste français quintuple vainqueur du Tour de France, se fait soigner, le 8 novembre 1958, après une chute lors des Six Jours de Paris

fleurissent des livres pour évoquer ce que fut l’âge d’or du vélo. De Forcenés, Bordas a fait un authentique manifeste poétique “où le cyclisme est à la fois le thème mais aussi le moteur de l’écriture, avec recherche de fluidité, de rythme, d’aérodynamisme.” Ancien guitariste et producteur de rock, Maxime Schmitt, auteur d’un Je me souviens de Maître Jacques, parsème quant à lui sur une centaine de pages au minimalisme maniaque une chapelure sanctifiée de rêves et de souvenirs autour du corps lumière de l’un des plus grands et plus élégants coureurs de tous les temps : Jacques Anquetil. Comme Bordas et Schmitt, Eric Fottorino se distingue au sein de la confrérie des “auteurs cyclistes” puisqu’à la fois croyant et pratiquant. Son Petit éloge du Tour de France se lit comme un livre d’heures dans lequel s’égrènent les souvenirs d’une enfance de champion en herbe et prennent place les valeurs oubliées de ce sport auquel la souffrance a pu donner une vraie dimension tragique. Si ces trois-là sont engagés dans une manière de contre-la-montre avec l’époque sans héros que nous vivons, dans une recherche du temps perdu

où la couleur d’un maillot, le nom d’un coureur oublié, la péripétie d’une étape d’anthologie sont autant de madeleines de réminiscence, Fottorino y ajoute un geste fort en symbole et en mélancolie. Accompagné de vingt-trois jeunes Français issus de la diversité, il va parcourir en éclaireur un Tour de Fête, soit les vingt et une étapes de cette centième édition de 3 400 kilomètres hérissés des vingt-neuf cols de l’épreuve officielle. C’est un tour d’enfance, presque un pèlerinage sur un chemin de Compostelle où s’est perdue la foi, comme un acte de purification sur la route salie et dégradée d’une chevauchée jadis héroïque. A moins qu’il ne s’agisse d’une simple page blanche à écrire. F. D. Philippe Bordas Forcenés (Folio) Philippe Brunel Vie et Mort de Marco Pantani (Grasset) Eric Fottorino Petit éloge du Tour de France (Folio) Maxime Schmitt Je me souviens de Maître Jacques (Le Pas d’Oiseau) http://tourdefete.lequipe.fr/ 26.06.2013 les inrockuptibles 51

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John Stezaker, Untitled, 1998. Courtesy de l’artiste et The Approach

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disjonctés Réalisés à partir d’images trouvées, de vieilles photographies d’identité, de cartes postales ou d’archives cinématographiques, les collages disjoints de l’artiste anglais John Stezaker explorent le trouble de nos psychés. Ses personnages ont l’aura du passé, mais c’est pour donner plus de profondeur à leurs fêlures intimes. Longtemps méconnu, presque oublié puis redécouvert par le marché de l’art au début des années 2000, cet artiste conceptuel et pionnier de la postphotographie est surtout un merveilleux psychanalyste de l’image, doté d’un œil graphique véritablement sorcier. Il compte parmi les invités de choix des Rencontres d’Arles, qui optent cette année pour un curieux retour vers le noir et blanc. par Jean-Max Colard

Les Rencontres d’Arles du 1er juillet au 22 septembre, www.rencontres-arles.com 26.06.2013 les inrockuptibles 53

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John Stezaker, Untitled, 2012. Courtesy de l’artiste et The Approach

John Stezaker, Untitled, 1998. Courtesy de l’artiste et The Approach

John Stezaker, Blind IV, 2012. Courtesy de l’artiste et The Approach

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John Stezaker, Muse (Film Portrait Collage) XI, 2013. Courtesy de l’artiste et The Approach

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rugby sur l’ongle En seulement sept ans, Mourad Boudjellal, président du Rugby Club Toulonnais, a bousculé l’univers pépère de l’Ovalie française. Alors qu’il vient de porter son équipe au sommet de l’Europe, rencontre avec cette sympathique grande gueule. par Serge Kaganski photo Rüdy Waks pour Les Inrockuptibles

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oilà, c’est fait ! Sept ans après avoir repris le Rugby Club Toulonnais, Mourad Boudjellal a amené ce fleuron fané de la rade au sommet de l’Europe et en finale du championnat de France. Quelle histoire ! Un mince self made man, éditeur de BD, devenu roi d’Ovalie, ce pays de notables rad-soc bedonnants de cassoulet ! Un Beur du Sud-Est fort en gueule trônant sur les cimes d’un sport longtemps terroir et ancré SudOuest ! Un descendant d’Algériens devenu icône d’une cité célèbre pour ses lignées de rugbymen (les Carrère, Herrero Gallion, Califano, ou aujourd’hui Wilkinson…) mais aussi pour avoir élu un maire FN en 1995 ! On avait forcément envie de rencontrer cet électron libre du rugby. Dès la première poignée de main, le courant passe. Mourad Boudjellal est cash, bavard, intelligent, malin, ça se sent tout de suite. Encore sous le coup de la victoire européenne sur le favori ClermontFerrand et de la défaite surprise pour le bouclier de Brennus (trophée du champion de France) face à l’outsider castrais, le président attaque : “Castres, c’est le ghostbuster des phases finales, ils ont battu le fantôme de Clermont et le fantôme de Toulon, il ne manquait plus que la musique. On n’a pas joué à notre niveau parce qu’on avait une coupe d’Europe dans les jambes.” En plus, il a le sens de la formule qui claque. Il rumine sur l’impact d’un titre européen comparé à la force émotionnelle d’un Brennus. L’Europe, c’est

plus grand, plus fort, mais le championnat de France, c’est plus ancien, historique. “La dernière fois que Toulon a gagné ce bouclier, en 1992, c’est ancré dans toutes les mémoires des Toulonnais. C’est un lien entre les générations, qui se transmettent les souvenirs. L’Europe, on est seulement le troisième club français à la gagner (après Toulouse, quatre fois, et Brive, une fois – ndlr). Cette saison était peut-être la plus belle de l’histoire du club. C’est bien, mais ça ne doit pas devenir un souvenir pour dans dix ans. Dans dix ans, je veux me rappeler de saisons que je ne connais pas encore.” Après la finale, Boudjellal a organisé un barbecue chez lui, posé la Coupe d’Europe près de la piscine, réalisant qu’il possédait l’objet le plus convoité du rugby européen. Le peuple de Toulon l’a bien compris. “L’autre dimanche à Toulon, il y avait la foule pour acclamer cette coupe. Frigide Barjot aurait dit plus de 100 000 personnes et la police 15 000, alors je vais dire 30 000.” Ce titre va-t-il faire rentrer dans le rang de l’Ovalie ce président trublion qui aime à bousculer un univers souvent retranché dans ses conservatismes ? On reproche à Boudjellal sa politique sportive “galactique” basée sur de grands joueurs étrangers achetés à coups de millions, ou le jeu physique et défensif prôné par l’entraîneur Bernard Laporte. Il balaie, expliquant que le “rugby champagne” est l’excuse des losers et que les grandes équipes se font avec de grands joueurs. “Barcelone a Messi, France 98 avait Zidane, la France de 84, Platini. On a un joueur extraordinaire, emblématique, Jonny Wilkinson, point barre.” 26.06.2013 les inrockuptibles 57

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Mourad Boudjellal tranche aussi par ses origines, dans un sport plutôt graisse d’oie que beur. Mais il résiste à tous les clichés

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Le projet rugbystico-économico-culturel de Boudjellal est de faire du RCT le club de rugby phare du Sud-Est, ralliant les supporters de Nice à Marseille, rayonnant sur un bassin de 4 millions d’âmes. La voie est libre, Toulon n’a aucun concurrent régional d’envergure. Il le sait, Mourad Boudjellal tranche aussi par ses origines, dans un sport plutôt graisse d’oie que beur, et alors que les Franco-Maghrébins branchés sport optent plutôt pour le foot, le judo ou la boxe (Boudjellal n’est plus une exception, Mohed Altrad, président du Montpellier Hérault rugby, est d’origine syrienne). Mais Boudjellal résiste à tous les clichés, dans un sens ou l’autre. Ses parents ne sont pas nés en France, lui si, et il se sent autant français que n’importe quel Français. “Etre français, c’est une culture, une langue, l’adhésion à une République, et de ce point de vue, je me sens totalement français. Mais avant tout, je suis habitant de la planète Terre. Je me sens plus proche de quelqu’un qui habite à 10 000 km avec qui je partage les mêmes émotions qu’avec un voisin de palier qui ne m’intéresse pas. C’est stupéfiant, ces gens qui s’attachent en fonction de la distance ou du lieu de naissance et non en proximité émotionnelle. Je n’arrive pas à comprendre ça. Aujourd’hui, sur toute la planète, les gamins lisent les mêmes livres, voient les mêmes films, écoutent la même musique. Les frontières géographiques sont mortes, ceux qui n’ont pas encore compris ça sont obsolètes !”

Dublin, 18 mai 2013. Mourad Boudjellal soulève la Coupe d’Europe après la victoire de Toulon sur Clermont Auvergne

Mourad Boudjellal aime le rugby parce que c’est un sport à la fois très physique et ultrasophistiqué, qui “est au foot ce que les échecs sont aux dames”. Sa passion pour le jeu s’accompagne d’un regard très critique sur le milieu rugbystique, infesté selon lui de nantis qui jouent les modestes, de sénateurs accrochés à leurs ripailles et à leurs acquis et qui ont intérêt à ce que ce sport n’évolue pas. “Le président Hollande a dit qu’il était content qu’un ‘petit’ soit champion. Sait-il que Castres appartient à Pierre Fabre, dix-septième fortune française ?! (cinquante-quatrième selon Challenges – ndlr), Clermont, c’est Michelin, c’est petit ? L’argent n’est pas un souci. Ce qui me pose problème, c’est quand les riches jouent aux pauvres et disent ‘on réussit par le talent, pas par l’argent’. Moi qui passe pour le président bling-bling du rugby, à côté d’eux, je suis un funambule sans filet.”

Dans le même élan internationaliste, il fustige ceux qui lui reprochent d’enrôler des joueurs étrangers qui “prennent les places des Français”. Comment lui donner tort quand il explique qu’un rugbyman se juge sur sa qualité et non sa nationalité. Evaluant les succès de Mourad Boudjellal dans une ville qui élisait le frontiste Jean-Marie Le Chevallier en 1995, on ne peut s’empêcher d’y voir une belle ironie de l’histoire. “Quand on me demandait d’où j’étais, en 1995, je répondais ‘entre Nice et Marseille’ ! L’élection de Le Chevallier, c’était douloureux : ‘la France aux Français.’ Pfff, ces gens sont-ils conscients que si on avait appliqué ce slogan, la France serait encore au Moyen Age ?! Ils se sont fait dégager en 2001, parce qu’il ne faut pas oublier un truc avec le FN, c’est qu’ils sont incompétents ! Normal, ils héritent de tous les mauvais du monde politique, tous ceux qui n’ont pas percé dans les autres partis. Le Chevallier, on l’appelait Temesta-whisky, parce qu’il était souvent bourré comme un cochon. Un jour, je le vois tituber dans la rue, je lui dis, ‘Vous êtes quand même maire de Toulon, un peu de dignité’, et je le fais entrer dans ma boutique. Je discute avec lui, il n’était pas antipathique. C’est la force du FN aujourd’hui, apparaître sympathique.”

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“Miami m’apaise, me fait oublier mes angoisses existentielles. A Miami, j’arrête d’avoir mal à la vie” Mourad Boudjellal

Patrick Aventurier/Gamma

réussissent, deviennent avocats, médecins, businessmen… Il faut les mettre en avant et ne pas toujours rester dans les clichés des cités. Je me ballade pas mal dans les médias et je vois plein de noms avec plein de consonnes, mais on n’en parle pas. Là-dessus, il y a eu cette catastrophe du 11 Septembre qui a non seulement fait beaucoup de morts mais aussi lancé la grande confusion entre Arabe et musulman.”

Mourad Boudjellal à Soleil Productions, maison d’édition de BD d’heroic fantasy qu’il fonde en 1989

Pour autant, Boudjellal est loin d’être un gauchiste. Il en a autant contre une certaine gauche qu’il estime trop morale ou victimaire. En bon autodidacte éduqué dans la rue, il se méfie du monde politique, même s’il possède une conscience aiguë des problèmes de la société française. “Le FN dit qu’il y a des problèmes dans les cités, la gauche moraliste répond ‘absolument pas !’ Il y a des problèmes, bien sûr ! Mais est-ce parce que les gens sont pauvres ou parce qu’ils sont arabes ou noirs ? Faut-il lutter contre les Arabes ou contre la pauvreté ? C’est là-dessus qu’il faut épingler le FN. Moi-même, j’ai grandi dans une cité au milieu d’autres petits Arabes, je sais ce que c’est de ne pas pouvoir rentrer faire ses devoirs parce que vos copains se foutent de votre gueule. Ces gosses sont défavorisés par rapport à la scolarité, ils sont bombardés tous les jours de publicités, ils se disent qu’ils n’auront jamais assez d’argent pour accéder à cette consommation qu’on leur vend continuellement. Personne n’a anticipé ce problème, qui n’a rien à voir avec l’origine ethnique. Par ailleurs, plein de jeunes Beurs et Beurettes

Avec Mourad Boudjellal, aucun risque de se tromper. Il se proclame athée pur jus et n’a pas de mots assez durs pour les religions. Ses parents sont musulmans pratiquants mais, décidément, le président du RCT est un homme libre : “Les religions me font chier. La religion, c’est la peur de la mort, point barre. Le jour où on arrêtera de mourir, on arrêtera de croire en Dieu ! Ma mère respecte le ramadan, elle a 80 ans, je ne vais pas lui expliquer qu’après la mort il n’y a rien ! Moi, je ne crois pas au Père Noël. Ils me font marrer, les religieux, ils oublient une chose simple, c’est que Dieu n’existe pas, jusqu’à preuve du contraire ! Qu’ils croient, soit, mais qu’ils arrêtent de dicter des règles de vie aux autres !” Républicain, athée, laïc, rugby-rebel, citoyen du monde, décidément, il commence à nous plaire, ce Mourad. Avant le rugby, il était éditeur de BD (Soleil Productions), bâtissant sa fortune avec le best-seller d’heroic fantasy Lanfeust de Troy. La culture a marqué son parcours, mais toujours en autogestion aléatoire. “La BD m’est venue à 4 ans. Tintin ou Astérix, c’était pour les riches. J’ai grandi avec les illustrés populaires, faciles à voler : Akim, Zembla, Blek le roc… J’étais fou de BD ! Je me suis construit avec ça, et un peu avec la musique. Brel et Brassens, puis le rock. Plus tard, séjournant à Miami, j’ai découvert la salsa, Ray Barretto… Miami m’apaise, me fait oublier mes angoisses existentielles. A Miami, j’arrête d’avoir mal à la vie.” Mal à la vie, Mourad, alors que t’es le roi du pétrole ? Malgré sa réussite sociale, économique, médiatique et sportive, Boudjellal reste un angoissé, un éternel insatisfait, toujours révolté, sur le qui-vive. D’où la came rugby, la niaque des bâtisseurs, le besoin d’avancer. Etre un modèle de réussite franco-beur, un déclencheur de vocations pour les jeunes des cités, incarner l’antidote à la vision du FN le fait aussi plutôt kiffer : “Vous savez, le FN fait toujours 20 à 25 % à Toulon. Après la finale, j’ai dit : ‘Que Marine en prenne de la graine.’ Les enfants de l’immigration sont aussi capables de faire de grandes choses et d’apporter leur quote-part à la société française.” lire Ma mauvaise réputation, avec Arnaud Ramsay (Editions de La Martinière), 245 pages, 18 €

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Quadrophenia de Franc Roddam L’adaptation de l’“opéra rock” des Who sur le mouvement mod ressort en salle. Armé de tant de rétroviseurs, vers où regarde-t-on, sinon en arrière ?

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es premiers mods étaient des modernistes. En 1979, un film se souvenait d’eux et en relança la mode : Quadrophenia. De The Jam aux Merton Parkas, soudain les mods devinrent les agents conservateurs d’un mouvement comme saisi dans la pellicule. Depuis, il y aura toujours un mod canal préhistorique pour venir vous dire que Quadrophenia, ça n’est jamais qu’une caricature ayant ramené l’affaire à une bande de gamins surchauffés au speed, rugissants sur des Lambretta à multi-rétroviseurs comme des Tex Avery sauce anglaise, en bande et en bande seulement, habillés de parkas avec des cibles dans le dos. Mais il est aussi fort possible que pour une fois dans le modisme, les puristes aient tort. Dans son fond même, Quadrophenia

mérite l’estime. Car voici l’un des très rares films autour d’une musique qui soit porté par l’amour même de son mouvement – d’habitude, à cet étage, on rencontre surtout des projets voulus par des producteurs rusés. Demandez au disco, demandez à La Fièvre du samedi soir. Ce sont les Who qui voulurent Quadrophenia. Ils créèrent un opéra rock en 1973, puis il voulurent l’adapter en film (en 1979, il y avait urgence à ramener la barque Who à flot, avant naufrage) pour avoir une dernière chose à dire à la nouvelle gé-gé-génération, celle qui venait de se prendre en pleine poire le punk et ne demandait qu’à apprendre les fondements de la colère anglaise. On peut reprocher beaucoup de choses aux Who de 1979, à commencer par leur musique hier si brutale et désormais

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se distinguer mais en bande : ce fut l’équation impossible du modisme

Stingà la tête de saband e de mods

si ankylosée. Difficile en revanche de mettre en doute leur profonde connaissance de la chose mod. En 1964, Pete Townshend et les siens avaient pour manager Peter Meaden, l’une des faces les plus respectées d’Angleterre. Aussi, les moulinets de Townshend étaient les seuls à réussir à dire de l’intérieur les bouffées de liberté et de nihilisme que pouvait procurer le fait de rouler à fond en Vespa défoncé au Dinintel. En 1979, les Who étaient donc bien les derniers à pouvoir raconter aux jeunes les émeutes de Brighton, ce mod run du week-end de Pâques 1964 qui dégénéra en bataille rangée avec les rockers. Ce Brighton 64 qui sonna tout à la fois le début d’une très lourde célébrité (les mods se transformèrent en un phénomène sociologique qui fit peur aux parents) et la fin de la soirée : autant de lumière médiatique était inenvisageable pour les premiers modernistes, ceux qui avaient choisi la distinction par la musique (le be-bop de Miles Davis, les blues noirs les plus rares), les clopes (Dunhill ou rien) et les sapes (un mélange choisi de Nouvelle Vague française et d’élégance pasolinienne), pour surtout n’avoir jamais à vivre comme les autres. Pour ne jamais être rejoints.

Se distinguer, mais en bande. Ce fut l’équation impossible du modisme, ce sera la question délicate de ce film, qui de la bande élira Jimmy, un jeune mec de la classe moyenne (car non, les mods n’étaient pas des minets de la haute bourgeoisie mais des fils de petits employés qui croyaient prendre l’ascenseur social en se sapant comme des milords), qui suivra sa trajectoire instable, déchiré entre un boulot chiant, des parents qui ne comprennent rien à rien devant l’émission Ready, Steady, Go!, un passage chez le tailleur pour une veste troisboutons, une danse avec une fille qui sort avec un autre mod (l’esprit de compétition est l’une des pistes suggérées par le film), une virée en Lambretta pour chercher du speed et, ainsi remonté, une soirée où taper l’incruste. Le film avance ainsi sans jamais freiner, de Londres à Brighton, comptant à la fois sur les informations qu’il distille – on sait bien que chacun regarde ça avec les yeux du culte, repérant là le bon Fred Perry, là la bonne mise – et sur le charme de son acteur, le providentiel Phil Daniels, condensé d’arrogance et de fragilité rentrée . A Brighton – est-ce l’air de la mer ? –, le film s’élève : inoubliable séquence où Sting (oui, Sting et pas Paul Weller !) incarne le face absolu, dansant comme un dieu auquel obéit tout un ballroom. S’ensuivront dix minutes de chorégraphies du saccage, impeccables affrontements. Le dernier segment, cathartique, tombe en opéra grandiloquent : une descente de speed sévère, la solitude tant espérée et désormais insupportable, bientôt la chute d’Icare. Jimmy voudra mourir pour avoir entrevu quelque chose dans la violence euphorique de Brighton – où les mods et lui perdirent ensemble leur innocence – qui n’aura existé que dans son rêve. Devant cette fin opératique, à la fois touchante et too much, on comprend que la limite de Quadrophenia, c’est aussi les Who. Ces Who des années 70 qui en faisaient des tonnes, là où le mouvement mod lui-même n’a jamais cherché que la sécheresse en tout. Philippe Azoury Quadrophenia de Franc Roddam, avec Phil Daniels, Leslie Ash, Sting (G.-B., 1979, 1 h 57) 26.06.2013 les inrockuptibles 63

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Dark Skies de Scott Stewart avec Keri Russell, Josh Hamilton (E.-U., 2013, 1 h 36)

Before Midnight de Richard Linklater Le cinéaste indé américain clôt sa trilogie romantique. Sans inspiration et sans grâce.

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’il est une chose qui n’a jamais effrayé Richard Linklater, c’est l’expérimentation. Toujours avide de nouvelles formes narratives et formelles, le discret parrain du cinéma indépendant américain, sous-estimé en France car finalement peu vu, s’est essayé, entre autres, à la coulée discursive en environnement urbain (le fondateur Slacker, en 1991), au film à très longue échéance (Boyhood, en tournage pointillé depuis 2002), à la rotoscopie (A Scanner Darkly, adapté de Philip K. Dick, en 2006), ou encore à la vraie-fausse reconstitution d’un fait divers (le génial Bernie, 2011, scandaleusement inédit en France). Dans cette œuvre dédiée aux méandres de la parole et du temps, la série des Before (Sunrise en 1995, Sunset en 2004, Midnight en 2013), qui a pour ambition de suivre la vie d’un couple – du coup de foudre à… la mort ? –, fait figure de vaisseau amiral, sur le pont duquel on poserait les pieds tous les neuf ans, pour prendre des nouvelles de l’équipage. Etrangement, c’est peut-être aussi ce que Linklater a fait de moins stimulant, comme si, pétrifié par l’enjeu, et plus profondément par le poison de la justesse, il faisait tout son possible pour ne pas déborder de la page. On retrouve Céline et Jesse, l’écolo frenchie et l’écrivain américain, interprétés respectivement par Julie Delpy et Ethan

Hawke, désormais âgés de 40 ans, parents de deux petites filles (plus un fils issu d’un premier mariage pour Jesse), en vacances estivales en Grèce. A la croisée des chemins, ils font un examen de conscience, qui vire à la scène de ménage. Alternant des mises en scène tantôt discrètes (en champ-contrechamp paresseux), tantôt ostentatoires (très longues conversations en plansséquences), Linklater reste loin de ses modèles supposés : le Bergman de Scènes de la vie conjugale, le Rohmer du Rayon vert ou le Rossellini de Voyage en Italie. Pris en tenaille par des dialogues de bon élève (coécrits par les acteurs), renvoyant chaque personnage dos à dos (le mâle cool mais égoïste face à la femelle dévouée mais hystérique), incapable de provoquer la moindre épiphanie, il en reste au stade du constat, révélé par une vieille sage méditerranéenne : les hommes et les femmes ne s’entendent pas, mais c’est quand même joli de vieillir ensemble. Certes, mais on est en droit d’attendre autre chose d’un film, et de préférer, sur le même sujet, 40 ans, mode d’emploi de Judd Apatow, moins prétentieux dans sa forme, et beaucoup plus riche.

Une famille confrontée au surnaturel dans une banale série B vintage. Dans sa grande obstination à tout pasticher, il y a un genre annexe de l’histoire du cinéma d’horreur que l’industrie du bis contemporain avait encore négligé : la science-fiction. L’oubli est réparé avec Dark Skies, dernière production du wonderboy Jason Blum (Paranormal Activity, Sinister) qui, après une ouverture citant l’écrivain de SF Arthur C. Clarke, puise son inspiration dans la décennie 80 et l’un de ses plus célèbres avatars, Poltergeist de Tobe Hooper. L’influence n’est pas uniquement décorative ici, mais révèle plutôt une certaine conception de l’horreur, un peu oubliée, revendiquée par Scott Stewart (Priest), qui suppose un soin particulier accordé à la caractérisation des personnages, des environnements (une famille de la classe moyenne menacée par la crise et d’obscures apparitions surnaturelles). Dommage, dès lors, que le film sacrifie sa patiente exposition réaliste et ses belles digressions vers le teen-movie pour retomber dans les plus ordinaires conventions du genre, assénant entre deux jump scares l’éternel catéchisme américain selon lequel il n’y a de vraies terreurs que dans les familles dysfonctionnelles. Romain Blondeau

Jacky Goldberg Before Midnight de Richard Linklater, avec Julie Delpy, Ethan Hawke, Seamus Davey-Fitzpatrick (E.-U., Gr., 2013, 1 h 48)

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Moi, moche et méchant 2 de Chris Renaud et Pierre Coffin (E.-U., 2013, 1 h 38)

Un mois en Thaïlande de Paul Negoescu avec Andrei Mateiu (Rou., 2012, 1 h 25)

Regard aussi sobre qu’ironique sur une odyssée amoureuse à Bucarest. change, hésitation, revirement : telles sont les constantes de ce premier film roumain assez peu démonstratif, dont l’ironie, car ironie il y a tout de même, est résumée par son titre, le voyage exotique que Radu propose à sa petite amie et qui sera un révélateur de la médiocrité de ce piteux Don Juan. La charge est discrète par rapport à d’autres films roumains carrément sarcastiques, mais elle est là, enfouie sous une apparence de banalité. Par sa retenue et sa tonalité douce-amère, ce voyage au bout de la nuit du Nouvel an à Bucarest dégage une certaine froideur antonionienne. Une Notte hivernale en demi-teintes où le héros introverti se débat moralement et physiquement pour trouver une étincelle amoureuse, après s’être prêté à la comédie du jeune couple heureux. Séquence charnière et symptomatique qui exprime son indécision mais aussi sa versatilité égoïste : son trajet en taxi, où il change plusieurs fois de destination… Un type d’hésitation déjà suggéré trivialement dans un supermarché où il se demandait quelle lotion offrir à son beau-père (potentiel). Un regard assez critique sur le consumérisme, qui pour le cinéaste a gagné la sphère amoureuse – les partenaires sont considérés comme des produits. D’où les reproches qu’adresse Radu à sa petite amie Adina ; il semble critiquer ses défauts comme on le ferait avec une automobile bas de gamme, dépourvue des bonnes options (sièges en cuir, air climatisé, etc.). L’ironie du film est soulignée par sa construction en boucle, qui montre le héros répétant à la fin les mêmes actes qu’au début, et par le dernier plan, semblable au premier, du panorama de la ville. Ce film sobre, fluide et sans morceau de bravoure est une plaisante satire d’une marchandisation qui, tel un cancer, se met à contaminer les sentiments. Vincent Ostria

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Malgré la 3D et les effets spéciaux sidérants, un “moi” sans divertissement. Despicable Me 2 (littéralement “Moi méprisable”, traduit par Moi, moche et méchant 2), mine de rien, repose dès son titre sur le principe pascalien que “le moi est haïssable”, reprenant rien moins que la tradition de l’antinarcissisme moral. L’animation en 3D semblait être en effet un procédé efficace sur la voie de la dépersonnalisation du monde. Le cadre traditionnel des films de “divertissement” (Pascal, encore) – émotion, narration, identification, manichéisme – pourrait idéalement s’y estomper au profit d’une pure expérimentation sur le gag. Un gag technologique, produit essentiellement à partir des possibilités qu’offre la troisième dimension. Voici donc la suite des déconvenues de l’anti-moi Gru, avec ses trois fillettes adoptées et une foule de créatures transgéniques appelées minions, mini-serfs jouisseurs et glapissants. Mais l’aventure tombe à plat, malgré les efforts du relief pour nous lancer des objets au visage, nous inviter dans un pur espace de jeu et de non-sens. Peut-être parce que le film, pas si méchant que ça, finit forcément par nous remettre du moi à la louche, en se lestant d’un gros familialisme larmoyant peu compatible avec son ambition d’un vrai burlesque de synthèse. Luc Chessel

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Amore carne de Pippo Delbono (It., 2011, 1 h 20)

Le Renard jaune de Jean-Pierre Mocky Mocky tourne à l’arrache un de ses vieux scénarios en s’entourant d’une bande de grognards turbulents qui s’en donnent à cœur joie.

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ourné en une semaine aux studios de Bry-sur-Marne, Le Renard jaune est l’adaptation d’un roman policier de l’Américain David Alexander intitulé Au rendez-vous des tordus (The Madhouse in Washington Square), publié en 1958. En 1967, Jean-Pierre Mocky en avait écrit le scénario, le destinant à son ami et interprète André Bourvil (Un drôle de paroissien, La Grande Lessive). On imagine le tableau. Un beau jour de 2010, Jean-Pierre Mocky retrouve le script jauni du Renard jaune dans un tiroir de son bureau, souffle dessus pour en évacuer la poussière et décide que ce sera son prochain film. Le peu de moyens financiers dont il dispose l’oblige à tourner très vite. Mais il réussit – comme souvent, car le cinéma de Mocky est un cinéma d’acteurs – à s’entourer d’une bande de comédiens tous plus connus et brillants les uns que les autres : Claude Brasseur, Dominique Lavanant, Béatrice Dalle et le grand Michael Lonsdale. L’histoire est un whodunit classique à la Agatha Christie : qui a tué l’affreux Charles Senac (Bohringer), écrivain “génial” tombé dans l’alcool, que tous les clients du café du quartier, Le Renard jaune, détestent cordialement pour des raisons diverses et variées ? L’inspecteur Giraud, ancien champion cycliste (Jean-François Stévenin, cigarette électronique au bec), mène l’enquête, tandis que le vieux et gentil pianiste du Renard jaune, Nono (le zozotant

Lonsdale, génial) a décidé de faire sauter le café et tous ses habitués pour leur épargner les souffrances de la vie… Sur ce canevas, Mocky brode un petit récit moral anar comme il en a le secret, où chaque acteur peut jouer sa partition à sa guise – Béatrice Dalle, en femme au visage défiguré par son ancien amant terrible, Senac, est bouleversante. Le fils du patron du bar est un ignoble adolescent qui parle constamment la bouche pleine – il rappelle un peu Albert Juross, acteur dans Les Carabiniers de Godard et Un steak trop cuit de son frère Luc Moullet. Après une visite croquignolette à la morgue (où un employé renâcle à sortir le cadavre de Senac parce qu’il “n’a pas encore eu le temps de refroidir”…), nous découvrons peu à peu que l’assassinat de l’écrivain a porté chance à tous ceux qui le haïssaient ; par exemple, Polo le serveur (Philippe Chevallier) gagne à un jeu de hasard en ayant misé la somme d’argent que l’on a découverte dans la poche de Senac… Le malheur de l’un fait le bonheur de tous ceux qui rêvaient de le tuer. Le film de Mocky se termine sur une note nihiliste, désespérée, mais aussi romantique (les jeunes amoureux ont été épargnés) qui laisse un petit goût amer et triste dans la bouche. Jean-Baptiste Morain

Un autoportrait sans pitié de l’artiste, provocateur mais sincère. Le metteur en scène de théâtre italien Pippo Delbono est séropositif depuis des années. Avec une petite caméra, et, parfois, son téléphone mobile, il tente d’explorer la frontière qui le sépare de la mort, cette frange si fragile qu’on appelle le corps et qui le maintient dans la vie. Il rencontre ses amis artistes : Sophie Calle, Marisa Berenson, Irène Jacob, son comédien fétiche Bobò – “mon père, mon grand-père, mon amant, mon frère” –, handicapé mental qui était le sujet d’un de ses films précédents, Grido. Des poèmes de Rimbaud, de Pasolini tentent de donner un sens à un monde qui semble l’avoir perdu depuis longtemps (des images d’archives de Birkenau). Tout cela pourrait être effrayant de complaisance, de narcissisme, de frivolité (le name-dropping). Amore carne n’évite pas toujours cet écueil. Mais le cinéma – comme le théâtre – de Pippo Delbono repose sur le malaise et la provocation. Comme dans cette scène à la limite du supportable, où Delbono filme longuement sa mère dans sa cuisine, en train de lui parler et de lui faire la morale , tandis que lui, en voix off, la traite de femme “servile et médiocre”, qui n’a su que lui transmettre la culpabilité inhérente à la foi catholique. C’est violent, très violent. Sans pitié. J.-B. M.

Le Renard jaune de Jean-Pierre Mocky, avec Richard Bohringer, Béatrice Dalle, Antoine Duléry, Michael Lonsdale (Fr., 2013, 1 h 24)

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Les Stagiaires de Shawn Levy Une comédie sans allant vantant benoîtement l’univers ultracodifié – mais “fun” – de l’entreprise Google. Taper “pomme Q”. eux quadras sympas Luke Wilson (frère de) et (Vince Vaughn Will Ferrell passaient et Owen Wilson, une série d’épreuves pour le duo reconstitué pouvoir retourner à la fac –, de Serial noceurs), vendeurs Les Stagiaires se présente de montres au chômage, sans ambages comme un tentent une reconversion dépliant vantant les mérites dans le secteur du “capitalisme waoow” informatique, auquel ils (selon l’expression ne connaissent pourtant rien. de l’économiste Frédéric Les voilà donc embarqués Lordon), tel que prôné dans un stage compétitif par la marque au petit robot au siège de Google, à vert. Du college à Google, l’issue duquel, leur explique d’un campus à l’autre, un commis psychorigide, l’idée est de gommer 95 % des candidats seront tout écart, de vivre renvoyés à leurs chères éternellement dans le études. Quant aux 5 % royaume du fun, restants, ils pourront, les un royaume où flicage, chanceux, s’épanouir dans infantilisation et refonte ce paradis pour cadres cool. du langage – tout ici est Remake plus ou moins google-quelque-chose – avoué de Retour à la fac se combinent pour (Todd Phillips, 2003) – dans mieux asservir le salarié lequel Vince Vaughn, déjà, avec son consentement.

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Et avec son sourire. C’est l’avantage d’une comédie : les minuscules coups de griffe sont noyés dans la masse caoutchouteuse de la dérision permanente. En théorie, car avec Shawn Levy (réalisateur de Treize à la douzaine et Crazy Night, féroces satires contre le modèle familial dominant, LOL) aux commandes, la plupart des blagues font flop. Le film, en réalité téléguidé par l’acteur-

producteur-coscénariste Vince Vaughn (proche de Ron Paul, le leader politique des libertariens, soit dit en passant), vaut surtout comme inestimable document sur l’inconscient à l’instant T d’une firme à l’arrogance sans limites. Vous n’êtes pas d’accord ? Fermez vos Google. Jacky Goldberg Les Stagiaires de Shawn Levy, avec Vince Vaughn, Owen Wilson, John Goodman, Dylan O’Brien (E.-U., 2012, 1 h 59)

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Navidad de Sebastián Lelio

Chili con ciné Entre devoir de mémoire et fantasmes pop, le nouveau cinéma chilien s’expose au Festival de La Rochelle.



epuis le milieu des années 2000, c’est-à-dire depuis que le pays s’est doté d’un Centre du cinéma et d’écoles formatrices, il n’aura échappé à personne que quelque chose se joue au Chili. Non pas une nouvelle vague, qui supposerait une unité de style ou une ambition esthétique commune, mais une passionnante impulsion créatrice provoquée par des réalisateurs issus d’horizons divers, presque tous mis à l’honneur au Festival international du film de La Rochelle qui s’ouvrira le 28 juin. Ce sont des hommes et des femmes nés dans les années 70, étudiants sous la dictature de Pinochet et premiers témoins de

un sentiment d’insécurité, une profonde mélancolie, une pulsion de vie, un désir d’invention

la transition vers un régime démocratique, plus libre mais pas forcément moins inégalitaire. Une génération de cinéastes qui ont pour même obsession de penser leur place dans l’histoire du Chili, et pour même héritage le cinéma militant des années 60, emmené par Patricio Guzmán ou Miguel Littín. Parmi eux, un auteur emblématique s’est peu à peu distingué, Pablo Larraín, qui concluait l’an dernier avec le sémillant No une trilogie des années Pinochet amorcée avec Tony Manero en 2008 et poursuivie par Santiago 73, Post Mortem en 2010 : trois chroniques absurdes d’un régime violent et censeur, trois manières de revenir sur le point aveugle d’une histoire dont on mesure à peine les échos contemporains. Cet ambitieux travail de mémoire entrepris par Larraín, qui est surtout le désir d’affirmation d’une génération – la sienne – à laquelle on refuse la

vérité, d’autres l’ont pris en charge, parfois de manière beaucoup plus frontale. C’est le cas de Sebastián Lelio, dont le jeune cinéma, fougueux et imparfait, ausculte avec entêtement les plaies d’un pays aux fondations corrompues, de son premier film La Sagrada Familia (un exercice de huis clos façon Dogme qui dynamite l’héritage du modèle familial et religieux chilien) jusqu’au très beau teen-movie nocturne Navidad, où un groupe d’ados fomente sa propre société utopique. Dans un registre plus classique, risquant parfois l’académisme, Andrés Wood interrogeait lui aussi cette fracture générationnelle dans le portrait choral d’une jeunesse désillusionnée (La Buena Vida), tandis que le doyen Alejandro Fernández Almendras recueillait les dernières confessions d’un Chili rural voué à disparaître au cœur d’un mélo austère et puissant, Près du feu.

Entre tous ces films, a priori isolés, circulent une manière semblable d’appréhender son époque, un sentiment d’insécurité, une profonde mélancolie en même temps qu’une pulsion de vie : un désir d’invention qui fait le beau paradoxe de ce nouveau cinéma chilien. C’est toute la force d’un Cristián Jiménez (Ilusiones ópticas, Bonsái), qui édifie un petit monde à soi, irréel et romanesque, dicté par ses seuls fantasmes. Ou celle d’Alicia Scherson, dont le mémorable premier film, la comédie euphorique Play, délire un Chili pop et emprunte à un proverbe italien le mantra de toute sa génération : “Les temps sont durs, certes, mais ils sont modernes.” Romain Blondeau Le nouveau cinéma chilien au Festival international du film de La Rochelle, du 28 juin au 8 juillet. Au programme également : rétrospectives Billy Wilder, Max Linder, hommage à Jerry Lewis… www.festival-larochelle.org

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Biette Pierre Léon pratique une fervente exégèse du cinéaste et aussi de la société secrète de ses fans. erge Daney écrivait en 1978, à propos du premier long métrage de Jean-Claude Biette : “Le Théâtre des matières est tout à fait contemporain de la naissance possible d’un nouveau ‘spectateur’, qui ne serait pas (pas seulement) un consommateur culturel et dont on ne saurait qu’une chose : qu’il se compte un par un.” La rétrospective à la Cinémathèque, le récent numéro de la revue Trafic qui lui est entièrement consacré, le livre Biette, le sens du paradoxe de Pierre Léon et son film intitulé sobrement Biette permettront à de nouveaux un-par-un de se compter parmi les s(p)ectateurs du cinéaste disparu en 2003. Il s’agit d’une communauté secrète et déliée, volatile, dont Pierre Léon ébauche le portrait dans son film, en même temps qu’il cartographie ses territoires. Non pas un hommage

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Jean-Claude Biette, 1999

posthume ni une tentative d’exhaustion, mais la poursuite d’un mystère sans mystère, d’un secret sans secret. Le cinéaste Serge Bozon, l’un des personnages de ce film et de cette communauté, en donne la formule : les films de Biette donnent en partage un “secret intransitif”, dont personne ne peut s’excepter en le révélant, mais dont un par un chacun se fascine. Pierre Léon, sans s’en excepter, met en scène ce partage sans communion, en un nouveau théâtre des mémoires. La Biette Connexion tire ici les fils d’une histoire secrète du siècle et du cinéma, celle de la cinéphilie : des années 50 aux années 2000, où quelque chose de

Renaud Monfourny

de Pierre Léon cette communauté s’épuise, un rapport réciproque de provocation et d’intimation se joue entre des textes et des films, entre des revues (les Cahiers du cinéma, Trafic, La Lettre du cinéma) et des mouvements (la Nouvelle Vague et ses héritages, puis la maison de production Diagonale qui produit entre autres Biette, et ses héritages contemporains). Nous rapprocher, ravis, de Biette, comme l’actualité nous y invite, c’est aussi, un par un, nous y retrouver dans cette histoire. Pas pour rêver à la communauté perdue, mais parce que nous avons pour vivre besoin de secret, cet autre nom du cinéma. Luc Chessel Biette de Pierre Léon (Fr., 2011, 1 h 50, en salle) et aussi Jean-Claude Biette, le sens du paradoxe de Pierre Léon (éd. Capricci), 204 p., 18 € Trafic n° 85, printemps 2013 – Jean-Claude Biette, l’évidence et le secret (P.O.L), 192 p., 17 €

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Sur le tournage de Spartacus, avec Stanley Kubrick

Kirk unchained Le récit croustillant, par Kirk Douglas, de la préparation et du tournage de Spartacus (1960), dont il fut le maître d’œuvre. Un film qui précipita aussi, grâce à Douglas, la fin de la tristement fameuse liste noire d’Hollywood.

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Am Spartacus! se dévore d’abord comme un délectable recueil d’anecdotes. Kirk Douglas y fait le récit du tournage de Spartacus  – et il fut homérique. En 1960, ce projet est financé à grands frais par la Columbia, désireuse de s’offrir son blockbuster en glaives et jupettes post-Ben-Hur (succès mirifique, onze oscars l’année précédente). Kirk Douglas en est le maître d’œuvre, choisissant un à un les intervenants. Si Douglas se réserve bien sûr le rôle-titre de l’héroïque insurgé, la star-producteur souhaite agréger autour d’elle les plus grands acteurs au monde. Il faudra alors composer avec un délirant concours d’ego, Laurence Olivier et Charles Laughton se jalousant le titre. Il faudra aussi repousser les avances sexuelles d’une madame Olivier (Vivien Leigh herself) déboussolée, encaisser les perfidies de Peter Ustinov, soigner la susceptibilité de Tony Curtis. Mais la plus grosse gifle vient de France. Pour le rôle féminin principal, Douglas

impose non sans mal le choix d’une jeune actrice française, révélée récemment par les films de Louis Malle, Jeanne Moreau. Il la contacte, lui dit qu’il l’adore, qu’elle est pour lui une aussi grande actrice que Bette Davis. “J’ai horreur de Bette Davis”, répond-elle, glaciale. Et Douglas de ramer en lui faisant miroiter que le film ferait d’elle une vedette hollywoodienne. Ce à quoi l’égérie Nouvelle Vague répond que ça ne la fait pas forcément rêver. Autre souci : le réal. Rapidement, Douglas prend la décision douloureuse de virer le grand Anthony Mann, dont le travail ne lui donne pas satisfaction. Là encore, il convainc la Columbia d’embaucher un cinéaste très jeune, sans aucun titre de gloire au box-office, avec lequel Douglas avait déjà tourné le très arty (aux yeux d’Hollywood) Les Sentiers de la gloire. Stanley Kubrick débarque donc sur le plateau et s’attire l’inimitié générale. C’est le portrait d’un grand névropathe que brosse Douglas : Kubrick y apparaît sournois, lâche, vaniteux, voire très sale

– un aréopage de techniciens vient même se plaindre auprès de Douglas de l’odeur nauséabonde du cinéaste et l’auteur se voit imposer la très grande gêne d’exiger de son réalisateur qu’il veuille bien se changer tous les jours. On rit donc beaucoup à la lecture de I Am Spartacus! Le temps a nuancé d’une tendresse embuée (celle d’un homme de plus de 90 ans qui raconte des événements survenus cinquante ans plus tôt) ces notations vachardes et ces flèches empoisonnées. Mais son véritable centre est ailleurs. Cette énorme superproduction est aussi le lieu d’une lutte politique féroce et Douglas la mène avec la ténacité de son personnage d’esclave décidé à faire vaciller l’empire romain. Pour écrire le scénario, Douglas le démocrate a choisi un des dix artistes américains interdits de travail par la chasse aux sorcières anticommuniste : Dalton Trumbo. Pourtant, durant toutes les années 50, Trumbo n’a cessé d’écrire pour Hollywood, obtenant même deux fois l’oscar, mais toujours sous un faux nom. L’artère dramatique du livre tient à la lutte idéologique forcenée de la star pour obtenir du studio de laisser Trumbo signer de son nom. Et ce au risque de voir le film interdit (ce que réclament, avant la sortie, des “patriotes” manifestant dans plusieurs villes contre ce film de “propagandiste rouge”). Le studio cède, le film est un grand succès, la liste noire d’Hollywood est mise en échec. La même année, Kennedy est élu et une page de l’Amérique se tourne. Mais justement pas tout à fait. Et c’est la plus grande vertu de ce livre impressionnant de vigueur intellectuelle. Le vieux monsieur n’a rien perdu de sa distance critique, et il écrit aussi quelques lignes très fortes sur l’Amérique contemporaine, qui a substitué la menace terroriste à la menace communiste et utilise toujours la peur de l’étranger comme ficelle inusable pour manipuler l’opinion. I am Spartacus! n’est pas qu’une formidable story de cinéma, c’est aussi la dissection très fine d’une chose pas si courante dans une vie, et plus mystérieuse qu’il n’y paraît : un véritable acte de courage dans un moment politique décisif. Jean-Marc Lalanne I Am Spartacus! de Kirk Douglas (Capricci), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie-Mathilde Burdeau, 192 pages, 19 €

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contagion Trip dans une Amérique dévastée et infestée de zombies, The Last of Us impressionne par son inventivité, son sens du détail et sa richesse ludique. Une vraie révolution.



t soudain, passant sa tête à travers le mur en miettes de l’immeuble, une girafe. Aucune trace de peur dans ses yeux alors que l’on s’approche doucement et que le temps semble avoir cessé de s’écouler. C’est l’une des séquences les plus marquantes de The Last of Us. L’une des plus surprenantes, aussi, car le jeu vidéo, a fortiori lorsqu’il prend place dans un univers postapocalyptique, ne nous a pas habitués à ce genre

de rencontre. Mais la dernière création du studio californien Naughty Dog n’est pas un jeu comme les autres. S’il s’appuie (techniquement, plastiquement, ludiquement) sur les acquis de la trilogie Uncharted, c’est pour nous emmener très loin des aventures bon enfant qui ont fait sa gloire. The Last of Us est un voyage, au fil des saisons, à travers une Amérique dévastée. De la population ne semblent subsister, hors de la zone de quarantaine

que l’on quitte au début, que des groupes armés dont nos héros ont toutes les raisons de se méfier. Notre alter ego est un certain Joel, chargé d’escorter Ellie, une adolescente immunisée contre l’infection qui, depuis deux décennies, a changé tant d’hommes en d’effrayants mutants dont la morsure est contagieuse. Vous avez dit zombies, La Nuit des morts-vivants et The Walking Dead ? C’est effectivement ce territoire encombré que sillonne The Last of Us, mais

“si ça attaquait l’homme…” Coprésident (français) du studio Naughty Dog, Christophe Balestra commente The Last of Us, dont il a supervisé le développement. Nature “Dans l’univers de The Last of Us, la nature a retrouvé son pouvoir. Elle gagne du terrain et s’empare de ce qu’on lui avait pris. Cela passe aussi par les yeux d’Ellie, qui s’émerveille de ce qu’elle découvre, elle qui n’avait jamais vu une forêt. C’était important pour nous de créer ce contraste entre quelque chose de très oppressant, la menace du virus et des infectés, et cette beauté naturelle.” Champignon “Les cordyceps, ces champignons responsables de l’infection, existent vraiment. Ils ne s’en prennent pas à l’espèce humaine mais ils peuvent toucher des fourmis. On a vu un documentaire de la BBC qui nous a inspirés parce que c’était assez bizarre à regarder.

On était un peu mal à l’aise et on s’est demandé ce qui se passerait si ça attaquait l’homme. Il y a donc un côté scientifique plus ou moins plausible, ce qui renforce la réalité dans laquelle Joel et Ellie se retrouvent.” Rencontres “Ce qui nous intéresse, c’est de raconter l’histoire de Joel et d’Ellie au travers des gens qu’ils rencontrent. Il nous fallait donc un cast de personnages pour rendre les protagonistes plus intéressants et voir comment ils interagissent avec eux. Ces éléments-là racontent aussi le monde dans lequel ils essaient de survivre. Pour nous, c’était important de raconter ces petites histoires au milieu de la grande.” recueilli par E. H.

en prenant les chemins de campagne (littéralement : forêts et cours d’eau ne manquent pas) plutôt que l’autoroute, grâce notamment au choix d’une origine du mal – un champignon – qui le libère de l’“académisme” mort-vivant. Et lui permet d’inventer un prédateur aveugle, humain au troisième stade de la contamination, qui s’annonce par un claquement à glacer le sang. Comme dans toute bonne fiction zombie, ce sont cependant les vivants qui nous importent et, plus précisément, la relation particulièrement fine entre Joel et Ellie. Merveilleusement écrit et ne laissant au hasard aucun détail (une affiche dans une chambre d’ado, une lettre abandonnée sur une table…) susceptible de rendre son monde à la fois vrai, funèbre et lumineux, The Last of Us fait figure d’aboutissement pour cette branche du jeu vidéo qui a toujours eu à cœur de dialoguer avec le cinéma, brouillant magistralement la frontière entre la place du joueur et celle du spectateur. Jamais, d’ailleurs, le choix de rendre interactive (ou non) telle ou telle portion de la poignante aventure ne paraît arbitraire. Lors du récent salon E3 de Los Angeles a été présentée la nouvelle génération de consoles. Celle du jeu est déjà là. Erwan Higuinen The Last of Us Sur PS3 (Naughty Dog/Sony), environ 60 €

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mais qui a tué Ari ? Le drame historique anglo-américain Mr Selfridge marque le retour de l’acteur Jeremy Piven (Ari Gold dans Entourage). Une déception, malgré un charme évident.

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ous l’avons suivi à la trace entre 2004 et 2011 pendant les huit saisons d’Entourage – dont quelques-unes de trop, il faut bien le reconnaître. Dans cette série HBO sur les coulisses d’Hollywood, Jeremy Piven a incarné une idée des années 2000, à travers son personnage d’agent survolté, le bien nommé Ari Gold. Une idée de l’époque peu reluisante, fondée sur le goût du pouvoir, du mensonge et de l’argent, mais néanmoins irrésistible et pleine de swing. Ari Gold parlait vulgairement et très vite, un peu trop vite pour ses contemporains en général et ses proches en particuliers, victimes vaguement consentantes de ses monologues enragés. Second rôle dans les premiers épisodes, il était devenu peu à peu le héros incontournable de la série, pour cause de génie évident. Ari Gold personnifiait l’image type, à la fois repoussante et fascinante, d’un monde compliqué et agressif : le nôtre. Il s’est finalement imposé comme l’un des connards les plus ambigus et jouissifs de toute l’histoire des séries. De quoi se souvenir de lui pour quelques années encore. On attendait Jeremy Piven au tournant pour son premier rôle important postEntourage. Le voici dans la peau d’un autre bonimenteur, Harry Selfridge, fondateur

au début du siècle dernier du grand magasin du même nom. Ce self-made man américain était venu chercher à Oxford Street, en plein cœur de Londres, la recette du succès. Il a fini par régner sur les fashionistas de la capitale britannique, avant même que le terme ne soit inventé. “Nous allons révolutionner la mode”, lance-t-il joyeusement dans le premier épisode de Mr Selfridge. A ce moment précis, l’amateur reconnaît aisément le sourire carnassier et enjôleur de Jeremy Piven, la séduction de celui qui est capable de tout vendre, n’importe quoi, n’importe quand, y compris en portant un collier de barbe et un haut-de-forme, comme c’est le cas ici. Serait-il même capable de nous faire prendre une série pas férocement innovante pour la nouvelle bombe venue d’Angleterre et une concurrente crédible à Downton Abbey ? Cela reste à voir. Malgré ses atours plutôt excitants – amour, fringues et drame historique se côtoient ici avec joie –, Mr Selfridge met un certain temps à trouver une vitesse de croisière intéressante. Et quand elle la trouve, ce n’est jamais pour atteindre les cimes. Coproduite par l’Amérique (PBS) et l’Angleterre (ITV), elle bénéficie pourtant des scénarios du solide Andrew Davies, qui a notamment coécrit la House of Cards originale il y a une vingtaine d’années

et les deux Bridget Jones. Un pilier de la fiction britannique, pour résumer. Mais ce CV ronflant ne fait pas de lui un Emile Zola en puissance. Pour mémoire, Zola a écrit le classique Au bonheur des dames, inspiré de l’histoire du Bon Marché, auquel on ne peut s’empêcher de penser ici, tout comme on pense à The Paradise, la série qu’en a tiré l’année dernière et avec succès la BBC. Un peu prude, Mr Selfridge manque singulièrement de panache et d’audace, un défaut paradoxal quand il s’agit de scruter le parcours d’un homme d’affaires hors normes. Certaines intrigues gentilles, voire lisses, forment une brume fictionnelle assez déplaisante. Quand le jour se lève enfin, Mr Selfridge atteint une certaine lascivité, voire une forme d’élégance. Mais l’élégance et le style n’ont pas toujours grand-chose à voir. A l’image de Jeremy Piven, qui hésite constamment entre le surjeu et une vision plus sobre de son personnage, Mr Selfridge cherche un équilibre qu’elle ne trouve pas. On la regardera donc par pure nostalgie ; soit pour admirer le look du début du XXe siècle, soit pour retrouver quelques traces évaporées du personnage d’Ari Gold. Olivier Joyard Mr Selfridge, saison 1 (dix épisodes) à partir du 2 juillet, 20 h 45, OCS Max

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à suivre… Série séries, deuxième Le festival prend ses quartiers pour la deuxième année à Fontainebleau (3-6 juillet). Au programme, avant-premières (la danoise Rita, les anglaises Utopia, Line of Duty et Mr Selfridge – lire ci-contre), tables rondes et rencontres, notamment avec l’équipe d’Un village français. On découvrira aussi des images exclusives de la suédoise Real Humans, saison 2 – la série avait été découverte ici l’an dernier. serieseries.fr

24 heures chrono, saison 4

50 Cent a le Power La chaîne du câble américain Starz (Spartacus, Boss) vient de commander Power, une série dramatique produite par 50 Cent. Le rappeur a eu l’idée de mettre en scène un patron de night-club également baron de la drogue en pleine remise en question. Courtney Kemp Agboh (The Good Wife) officiera comme showrunner. Elle promet “un monde de beauté, de luxe, de danger et de mort”.

Seinfeld : la réunion Ne nous emballons pas : aucun nouvel épisode de la sitcom géniale n’est prévu. Mais Kirstie Alley a invité Jason Alexander (l’inénarrable George Costanza) et Michael Richards (l’enfonceur de portes Kramer) dans sa nouvelle comédie Kirstie, que la chaîne TV Land diffusera à l’automne. Youpi.

agenda télé Hell on Wheels (D8, le 26 à 20 h 50) Sans être révolutionnaire, ce western situé en 1865 reste au-dessus du lot grâce à son pedigree AMC – la chaîne de Mad Men, Breaking Bad et The Walking Dead. The Ricky Gervais Show (OCS Novo, le 28 à 20 h 40) Saison 3 de la série animée de l’humoriste britannique. Tout avait commencé par une émission de radio et un podcast dans les années 2000, avant que HBO et Channel 4 ne rachètent l’idée. Showrunners : Vince Gilligan (OCS Max, le 29 à 23 h 35) La série documentaire d’OCS s’amourache du créateur moustachu de Breaking Bad. A voir quelques semaines avant la diffusion des derniers épisodes de la série.

Canal+ de fictions Canal+ souhaite lancer une chaîne exclusivement consacré aux séries. A quoi pourrait-elle ressembler ? a nouvelle est tombée via la lettre d’informations professionnelle Satellifax : Canal+ veut lancer à la rentrée Canal+ Séries, une chaîne qui consacrera son antenne exclusivement aux fictions télé. Une petite révolution dans le PAF, qui répond toutefois à une certaine logique. Logique générale, d’abord, étant donné l’ampleur économique et culturelle prise par le genre. Logique interne à la chaîne cryptée, ensuite, puisque Canal+ se voit aujourd’hui forcée d’étoffer son offre face à la concurrence de plus en plus crédible de BeIn Sport et OCS, le bouquet cinéma et séries d’Orange. Le projet est actuellement entre les mains du CSA, qui doit rendre son avis prochainement. Si celui-ci est favorable, Canal+ Séries devrait profiter d’emblée du catalogue rassemblé par la chaîne cryptée depuis plus de vingt ans, de Seinfeld à 24 heures chrono en passant par Cold Case ou Desperate Housewives. Mais l’enjeu majeur concernera les séries en cours de production, principalement américaines. La chaîne pourrait les dévoiler en version originale sous-titrée dès le lendemain de leur diffusion originale, répondant ainsi aux désirs naturellement impatients des sériephiles. Une manière de s’adapter coûte que coûte aux pratiques d’une génération de pirates. Reste à savoir quelles pépites pourront alimenter cette case. Grâce à son contrat de première exclusivité avec HBO (la chaîne de Game of Thrones), OCS possède une longueur d’avance. En attendant, rien n’empêcherait Canal+ Séries de proposer Homeland en direct des Etats-Unis. La saison 3 débute le 29 septembre. O. J.



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l’aurore Austra Avec un album aussi dense que dance, les Canadiens s’extirpent de leurs vieilles frusques gothiques pour offrir leur electro à la lumière. Une sublime mutation.



Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

ien sûr, la transformation capillaire – on l’avait quittée rousse, on la retrouve blonde platine – aurait dû nous mettre sur la voie : la Katie Stelmanis que l’on retrouve deux ans après le succès de Feel It Break, le premier album d’Austra, n’est plus tout à fait la même. La leadeuse du groupe originaire de Toronto qui a su, à l’aube des années 2010, rendre contemporains khôl, vieilles dentelles et ambiances electro goth, a accompli une petite révolution. Un changement d’attitude, une façon de se positionner par rapport aux autres et à la musique qui transparaît à chaque note, chaque beat de l’excellent Olympia. Un deuxième album qui parvient, avec coolness et presque nonchalance, à un petit tour de force : énoncer plus clairement que jamais l’identité d’Austra tout en prenant à revers quasiment tous les principes – esthétiques et humains – sur lesquels reposait le groupe. Car jusqu’alors, Austra était surtout Stelmanis. Grandie à Toronto, passionnée d’opéra, virtuose vocalement et rompue depuis l’adolescence à la composition, la jeune femme avait pris l’habitude d’écrire ses morceaux seule, sur son ordinateur. Puis elle les présentait au reste du groupe qui l’aidait à affiner les arrangements. Le son d’Austra portait les stigmates de sa production : un assemblage de sons préprogrammés, le plus souvent empilés les uns sur les autres, très froids, avec lesquels contrastait la voix puissante et incantatoire de Stelmanis. Dès Home, magnifique premier single d’Olympia, on sut que le groupe avait pris un tournant. Après une partie dans un style très torch-song et intime au piano, la chanson mue en un redoutable hymne house porté par des basses chaudes et un souffle dance-floor directement venu de Chicago. La métamorphose s’amorce à la fin de la tournée, longue, éprouvante et pleine d’enseignements de Feel It Break, en janvier 2012. Le groupe a pu ouvrir pour de gros monstres indie tels que The xx ou

Gossip et a énormément appris sur scène. “J’avais tendance à m’enfermer en moi-même quand je sentais le public frileux. Beth Ditto fait l’inverse : elle crie ‘regardez-moi’. Et ça finit toujours par marcher. Ça a été une grande leçon”, explique Katie. Elle apprend également énormément au contact de vieux albums de Cat Power ou de ceux de Perfume Genius, qui lui tiennent compagnie pendant un long break à Seattle. “Pour la première fois, j’ai vraiment écouté les paroles des chansons. Jusqu’alors, les mots étaient avant tout des sons, je n’y accordais pas d’importance. Ces artistes m’ont bouleversée. J’ai réalisé que j’avais envie de communiquer des émotions aussi fortes dans mes chansons. Dans la vie de tous les jours, je communique très mal.” Sortis très unis de la tournée, où ils avaient commencé à composer ensemble, Stelmanis, Maya Postepski (batterie, programmation) et Dorian Wolf (basse) partent s’enfermer en studio – un gros bâtiment posé au bord de l’autoroute, dans le Michigan. Ils dorment sur place et n’en ressortiront que cinq semaines plus tard. “Il n’y avait rien d’autre à faire. On était tous un peu cinglés”, rigole Katie. Tous les trois, ils posent les balises du futur Olympia : un disque électronique aux sonorités chaudes, totalement enregistré live, à la façon d’un vieux groupe disco de la fin des 70’s. “Maya a beaucoup travaillé avec de vieilles boîtes à rythmes 909. C’est une direction que pas mal d’artistes sont en train de prendre, explique-t-elle. La mouvance qui consiste à tout faire par ordinateur touche à sa fin. Les musiciens

un disque électronique aux sonorités chaudes, totalement enregistré live, à la façon d’un vieux groupe disco de la fin des 70’s

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on connaît la chanson

masterchefs

Norman Wong

Josh Homme et Mark Lanegan concoctent la bande-son d’une émission culinaire pour la télé US. Pour qui sonne le gras.

électroniques reviennent dans le monde réel. Je crois que les gens ont envie d’imperfection.” On ne peut qu’acquiescer, en pensant aux derniers disques de Daft Punk ou de The Knife, qui renouent complètement avec cette recherche de sons organiques, chauds. Le résultat, Olympia, est une réussite totale. En collant presque exclusivement au dance-floor, le disque aligne les tubes, de l’inaugurale et enlevée What We Done? au tourbillon rythmique Fire, en passant par la très groovy Annie (un titre qui laisse éclater le talent de Postepski). Et si les thèmes des chansons restent dark et intimes (on y parle beaucoup, comme souvent chez Stelmanis, de culpabilité

et de peur de l’abandon), les nouveaux arrangements, plus house et techno, changent totalement la façon dont on perçoit la voix puissante de la chanteuse. Parfois sursignifiant et trop ouvertement sombre, Austra prend une nouvelle dimension plus lumineuse et adopte une position musicale beaucoup plus ambitieuse, à la frontière des genres, loin des catacombes. Géraldine Sarratia album Olympia (Domino/Sony) concert le 14 août à Saint-Malo (Route du rock), le 7 novembre au Festival les inRocKs (soirée Domino/Double Six) www.austramusic.com en écoute sur lesinrocks.com avec

On a d’abord cru à un poisson d’avril, plus brochet que friture par la taille. Josh Homme et Mark Lanegan se prenant le chou sur le générique d’un rendez-vous gustatif de CNN, et puis quoi encore ? On connaît, depuis toujours, l’éclectisme du leader des Queens Of The Stone Age quand il s’agit de fourrer sa guitare partout, et cette obsession qu’a Lanegan de répondre présent dès qu’il est question de featuring. De là à ce qu’ils fassent des ménages, il y avait quand même un fossé qu’on n’osait les voir franchir. Une fois traversé ce Rubicon, y aurait-il encore une limite ? Dans une totale confusion des genres, les visions les plus troubles nous montaient au cigare : Alice Cooper chez Pierre Bellemare, Lee Ranaldo coanimant le télé-achat, Thurston Moore déclamant “Choisissez bien, choisissez But !” On est donc soulagé d’apprendre que ce léger pas de côté, à quelques semaines de la récente sortie d’un nouvel album de QOTSA, se fera dans le respect d’une ligne très “bromance” et potache – le présentateur toqué de l’émission, Anthony Bourdain, comptant parmi les proches d’Homme. Josh Homme est en haut, qui fait du gâteau ? Lanegan en bas, qui fait du chocolat ? Cuisine et décibels allant rarement de pair – cf. le Rock Lobster des B-52’s ou l’élégantissime Sandwich of Love des Mentors –, on était en droit de douter du résultat. Or, si la tambouille infernale de ces evil twins sent moins la poudre que les aromates, on a apparemment échappé à l’exercice de style épluche-légumes. Opaque comme une purée de pois, cette petite musique, dixit Bourdain, “vous fera dresser les cheveux sur la tête”. Pour l’homme au baryton tellurique et le colosse à la voix d’argile, la mayo n’a pas encore tourné.

Claire Stevens 26.06.2013 les inrockuptibles 77

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Jazz à la Villette, la prog C’est déjà la rentrée, avec la programmation du festival Jazz à la Villette (du 3 au 15 septembre) qui vient de tomber : on y croisera le marathon de John Zorn (trois concerts le même jour), Bryan Ferry (photo) et son orchestre, un hommage à Neil Young par Rodolphe Burger, Arthur H en chanteur de jazz ou encore Chic avec Nile Rodgers (récemment entendu chez Daho et Daft Punk). www.jazzalavillette.com

cette semaine

Tame Impala à l’Olympia Sing Sing My Darling

le Bikini fête ses 30 ans Pour célébrer ses trois décennies d’existence, la fameuse salle de concert toulousaine, qui avait disparu avec l’explosion de l’usine AZF avant de se relocaliser à Ramonville, s’offre quatre soirées de live. Un anniversaire où l’on retrouvera des groupes locaux (The Dodoz, Dunst!, Sing Sing My Darling) et d’ailleurs (Yuksek, Is Tropical, Panteros 666). La programmation complète et de chouettes photos souvenirs sont à retrouver sur le site de la salle. du 27 au 30 juin à Toulouse, www.lebikini.com

Ce mercredi soir, les Australiens de Tame Impala débarquent à Paris pour faire voyager le public de l’Olympia. Electricité psyché et grands refrains pop ne sont pas en option. le 26 juin à Paris (Olympia), www.tameimpala.com

vous reprendrez bien un peu de Blood Orange ? On avait fêté avec beaucoup d’amour le premier album de Blood Orange, énième projet de l’intenable tête pensante de Lightspeed Champion. Après avoir accompagné Solange Knowles en tournée, Devonté Hynes semble prêt à donner une suite à Coastal Grooves puisqu’il vient d’annoncer avoir terminé l’enregistrement d’un second disque intitulé Cupid Deluxe. Pas de date de sortie encore mais l’impatience est déjà là.

Shawn Brackbill

Les Black Lips et leur flower punk décadent bientôt de retour. Les doux dingues Américains ont annoncé qu’ils travaillaient sur la suite du fabuleux Arabia Mountain. Si le sixième album du groupe s’était offert les services du producteur Mark Ronson, c’est cette fois-ci au tour d’une moitié des Black Keys, Patrick Carney, de rejoindre la bande d’Atlanta, dont le prochain disque verra aussi une apparition du leader de Deerhunter, Bradford Cox.

A. Whitehead

un Black Keys chez les Black Lips

neuf

Willie Nelson

TK Anderson

Techniques

Rainy Milo Son prénom est peut-être un hommage au printemps 2013. Mais c’est l’éclaircie dès que chante Rainy Milo, d’une de ces voix qui ralentit la vie. On a évoqué Lily Allen pour tenter de cerner ce chant à la fois pop, suave et héritier d’une longue lignée anglaise. Une musique d’après fête, d’après tout, qui s’écoute tard dans la nuit. www.rainymilo-official.com

Découvert par les oreilles de renard de Kitsuné, Techniques rappelle, après Daft Punk, à quel point la nostalgie peut être joyeuse, fougueuse, fêtarde. Car c’est à un turbulent sommet américano-anglais des années 90 que convie son Switch, qui se termine sur un pétaradant accord de paix entre Madchester et Chicago. facebook.com/Techniquesmusic

Bérurier Noir Du punk au fest-noz, un destin. C’est Coop Breizh, un label dédié à la culture bretonne, qui réédite les vieux albums des pyromanes légendaires Bérus. Beaucoup de live dans la dernière livraison. Des braises breizh, des brûlots de clowns psychopathes toujours aussi sauvages et inquiétants, vingtcinq ans après les (mé)faits. www.coop-breizh.fr

Vieux héros hippie-country, le Texan Willie Nelson a fêté ses 80 ans ce printemps. Toujours vert et prolifique, il en profite pour sortir un nouvel album en famille très réussi, Let’s Face the Music and Dance, garanti sans duos poisseux ni production clinquante. Ça faisait longtemps et ça fait du bien. www.willienelson.com

vintage

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John Londono

décrocheurs de lune Dès leur premier album, les Canadiens de Half Moon Run trouvent une alchimie parfaite entre le classique et le moderne, le lustré et l’aventureux, jusqu’à chasser sur les mêmes terres que Radiohead.

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n an après la mise en orbite de leur premier album Dark Eyes sur leurs terres canadiennes, les quatre de Half Moon Run sont en France, à la conquête de la Vieille Europe. Ils répondent poliment, pas de passionnante analyse, pas de discours construit autour de l’essence artistique. Ce n’est pas de la morgue mal placée, ils ne s’en foutent pas ; les jeunes gens ont choisi d’économiser leur fougue et leur énergie pour des jeux plus excitants que l’exégèse et le commentaire. Comme écrire des chansons, par exemple. Puis les faire s’envoler sur scène, où leurs concerts intenses et nerveux happent les esprits, où leur chanteur à voix voltigeuse, beau comme DiCaprio, possédé comme Jeff Buckley et romantique comme Chris Isaak, impose immédiatement un charisme magnétique. Ils se foutent d’autant moins de réussir qu’ils n’ont que trop goûté au saumâtre et à la douleur que peut constituer, quand on rame péniblement dans la galère financière, l’enregistrement d’un premier disque. “On essayait juste de se débrouiller seuls. On a commencé à travailler en ColombieBritannique, d’où on vient, puis on est retournés à Montréal. On bossait la journée, des jobs pénibles, puis on filait directement au studio, où on planchait toute la nuit.

Ça recommençait le lendemain. C’était épuisant, et très long, car tout était neuf pour nous.” Tout était effectivement inédit. Devon, Dylan, Conner et Isaac ne sont pas des amis de trente, de quinze ni même de dix ans. Fraîchement débarqués de leurs bleds à Montréal, ils se rencontrent grâce à une connaissance commune. Première répétition : une chimie, un miracle opère d’emblée. Half Moon Run, collectivement, naît et découvre en quelques gestes une magie que d’autres ont mis des années à simplement envisager. Rien de révolutionnaire, pas de refondation de la musique moderne, pas de bouleversement de l’ordre des notes ou de chamboulement du parallélisme des lignes des partitions. Une chose, pourtant, tout aussi précieuse : les quatre jeunes hommes, certains doctes musiciens de conservatoire, les autres autodidactes jouant à l’instinct, à l’oreille et aux tripes, maîtrisent et combinent ensemble tous les codes de leur domaine, savent à la fois polir leurs

un chanteur à voix voltigeuse, possédé comme Jeff Buckley et romantique comme Chris Isaak

chansons comme des nobles classiques rock ou folk et se risquer à des échappées et circonvolutions plus aventureuses. Ils maîtrisent les savoirs anciens sur le bout de leurs quarante doigts, citent Leonard Cohen, Dylan, les Beatles, la country ou Fleetwood Mac comme influences primordiales. Mais les évolutions plus modernes irriguent tout autant leurs veines. Les Canadiens ont ensuite suivi la route chaotique d’ados cherchant leur voie, écoutant de tout et écoutant leur temps, les Smashing Pumpkins, Nine Inch Nails… “et Radiohead”, admettent-ils volontiers. Car si on pense, belles références, à Arcade Fire, aux Fleet Foxes, à Midlake, à Jeff Buckley, à Cold War Kids ou à leur pote Patrick Watson à l’écoute du versatile, sensible, parfois un brin convenu mais souvent magnifique Dark Eyes, ce sont surtout les vertigineuses montagnes russes de Thom Yorke et des siens que Half Moon Run réussit à dévaler, dès le premier essai. De quoi s’assurer un avenir de platine : on en mettrait notre colonne vertébrale à flamber. Thomas Burgel album Dark Eyes (Indica/Polydor/Universal) concerts le 4 juillet à Orléans, le 5 à Hérouville-Saint-Clair (Festival Beauregard), le 19 à Carhaix (Vieilles Charrues) www.halfmoonrun.com 26.06.2013 les inrockuptibles 79

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si les mots sont sévères, la musique, elle, demeure une fête

le sourire du Mali Dans un pays en crise, le musicien Samba Touré ravive l’esprit d’Ali Farka Touré et sort un album envoûtant.

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e visage rond fendu d’un immense sourire, à même de convaincre un chamelier d’acheter des snow boots en plein désert, Samba Touré est la jovialité personnifiée. On le croise dans un quartier du centre de Bamako sous une chaleur qui, sans demander votre avis, vous habille d’une armure invisible. Samba aimerait croire que son naturel optimiste va lui suffire à chasser la nuée de tracas qui l’assaille. Mais depuis l’instauration de l’état d’urgence, les musiciens maliens le sont aussi, en état d’urgence, et lui, le jovial Samba, n’y échappe pas. Plus de concerts, plus de cérémonies, plus de quoi acheter le “condiment”… “Dimanche dernier, on m’a appelé pour faire le ‘takamba’

dans un mariage qui finalement a été annulé au dernier moment”, se désole ce bienheureux chagriné, le moral en loque. “Ah ! On est vraiment fatigué !” Certes, Dieu est là, et la solidarité fonctionne malgré tout. Quoique l’un et l’autre soient sollicités à l’extrême ces jours-ci… “J’avais quelques économies, mais depuis que les parents sont venus du Nord trouver refuge sous mon toit, elles ont fondu… J’ai trente personnes à la maison, deux familles entières à nourrir au nom de Dieu, sœurs, neveux, cousins… Si quelqu’un tombe malade, c’est la galère. Les médicaments sont chers ; manger, c’est cher.” Voilà qui résume l’humeur de son nouvel album, le troisième à l’international, intitulé Albala (“danger”, en songhaï). Un disque de crise avec ses accès de colère,

comme Fondora, où Samba invite les fouteurs de merde, coupeurs de route et autres narcojihadistes à aller se faire pendre ailleurs avec leur charia (“Ils disent vouloir nous apprendre à prier/Ils n’ont apporté que haine, violence et tristesse”) ; un disque où pèse une terrible amertume. Il faut écouter Ago Djamba (“La vie nous trompe”) ou Bana (“La Pluie”) qui dit comment l’eau tant attendue dans les villages du Nord après une longue sécheresse a fini par dévaster les récoltes. L’Afrique n’a pas eu loisir de théoriser le stoïcisme. Mais elle en a en revanche une approche quasi quotidienne, que traduisent à merveille ces chansons. Il en ressort que la vie, dans ces parages inamicaux, ne consiste pas seulement à supporter souffrances, diminutions et désespoirs mais à extraire malgré

les difficultés une présence au monde toujours plus intense. Car si les mots d’Albala sont sévères, la musique, elle, y demeure une fête. Originaire de Niafunké et grandi à Diré, deux localités de la boucle du Niger, Samba a commencé par pratiquer au sein du groupe Farafina Lolo, un mix dansant de coupé-décalé ivoirien et de soukouss zaïrois, avant de rencontrer Ali Farka Touré. “Le vieux père m’a dit : ‘Fiston, tu as du talent mais ça, c’est pas ta musique.’ A partir de là, je me suis consacré au style songhaï.” Samba accompagnera Farka en tournée mondiale à la fin des années 90 et lui rendra hommage dans Songhaï Blues en 2009. Il en est aujourd’hui l’un des plus légitimes héritiers. Tout en reptations, en guitares anguleuses et monocordes stridulants, ce blues efflanqué du delta intérieur du Niger tire de ses modestes atours un pouvoir d’envoûtement incomparable. Vers la fin de l’album, Idjé Lalo propose un takamba, rythme caractéristique du nord sur lequel dansent joyeusement Songhaïs et Tamasheqs lors des festivités. Avec un peu d’imagination, on entend même renaître le grand sourire de Samba. Francis Dordor album Albala (Glitterbeat/Differ-ant) www.samba-toure.com en écoute sur lesinrocks.com avec

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Grems Vampire Grems Industry/Usle/Musicast1 Fin en fanfare pour ce vétéran toucheà-tout du rap français. Merci pour tout. e sixième album du plus iconoclaste des rappeurs français est aussi le dernier. Papa Pomme décline une ultime fois son absurde ghetto et tire sa révérence, mais avec le majeur tendu. Pas de chant du cygne, donc, ni d’oraison débile : Grems est un loup, une racaille qui a passé treize ans à inventer et en remet une couche, entre rap, electro zinzin et flows baisés. Mais, il y a plus : sous les architectures outrées de cette musique de gogol, Grems livre un chant empli de colère envers le rap français, ses médisances et son immobilisme. Depuis treize ans, Grems a cherché autre chose, s’est moqué des obsessions du rap pour les remplacer par des sacs de trouvailles. D’ici, on réalise l’ampleur du chemin, du label De Brazza à Deephop Panel, on se souvient du projet artistique Silverbridge, des créations parallèles Olympe Mountain, Rouge A Lèvres ou PMPDJ, du collectif Fronce et des graffitis grandioses. A jamais seul sur ces territoires hybrides, ce “dérivé des anges” a livré au rap français une de ses excroissances pathogènes les plus jouissives, une vindicte dada, constante, technique et inventive – qu’on espère voir jaillir encore de quelques ep épars. Planquez vos filles, vos mères et vos rappeurs : Grems ne meurt jamais.

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Thomas Blondeau concert le 28 juin à Marmande (Garorock) www.gremsindustry.com en écoute sur lesinrocks.com avec

JBM Stray Ashes (Fargo/Pias) Enregistré dans une cabane en bois, du folk qui y a mis le feu. De Mi And L’Au à Bon Iver, on commence à connaître par cœur ces légendes d’albums enregistrés en thérapie par le grand blanc, d’âmes cassées sauvées par des mois d’isolation dans un chalet en rondins. Messieurs, trouvez autre chose. On connaît vos barbes, vos folk-songs fissurées, vos guitares pleines d’échardes. Passé par ce rite de passage, le Canadien Jesse Marchant en est ressorti avec la grosse patate (chaude). Comme ses concitoyens Timber Timbre, il ne se contente pas de jouer autour du feu de bois, mais joue avec le feu. Tout en urgence, en tension, son folk dépasse très largement le petit cadre noir du solennel pour se frotter à des ambitions et à une envergure qu’on attend généralement de Shearwater ou même d’Arcade Fire. Une chanson s’appelle On Fire on a Tightrope et elle chronique à elle seule cet album : en feu sur une corde raide. JD Beauvallet www.jbm-music.com en écoute sur lesinrocks.com avec 26.06.2013 les inrockuptibles 81

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Soso Not for Nothing Kütu Folk

Hip-hop arrangé et songeur d’un Canadien protégé par l’Auvergne. Représenté par l’écurie clermontoise Kütu Folk, le Canadien Troy Gronsdahl, alias Soso, avait été remarqué lors de l’édition 2011 des Transmusicales de Rennes. Sur son cinquième album, il déploie un hip-hop hybride, que contaminent des influences folk et rock, et agence un disque qui se veut une réflexion sur “la cruauté et l’acceptation”. Soit. Finalement, Not for Nothing reste un album assez linéaire, qui ressemble à un seul et unique chapitre sombre, inquiétant. Le Canadien y distille un hip-hop pensif au costume très nineties, qui emprunte autant aux codes du rap qu’aux cavalcades contemplatives de Godspeed. Johanna Seban sosomusic.bandcamp.com en écoute sur lesinrocks.com avec

June & Lula Yellow Leaves Columbia/Sony BO baba pour douce soirée estivale. Préparez le feu de  bois (de joie). e peur que June & Lula ne s’enferment dans un folk passéiste, et donc régressif, on craignait un peu Yellow Leaves. Quelques minutes suffisent pourtant pour comprendre que les deux amies, qui se sont rencontrées en fac de musicologie, n’ont rien perdu de leur éclat. On retrouve certes ici les mêmes rythmes béats, la même science des harmonies vocales, le même goût pour une country-folk dépouillée à l’extrême, mais le duo s’autorise désormais quelques escapades jazzy (Revert to the Wild et No More) ou des flirts osés avec la mélancolie (Naked Women). Même Dick Annegarn, pourtant peu habitué aux refrains à galipettes, ne peut faire autrement que rejoindre ces ballades épurées et venir poser son timbre cabossé sur l’espiègle Billy, certainement le morceau le plus abouti et le plus audacieux de ce disque parfait pour accueillir l’été. Maxime Delcourt www.facebook.com/juneetlula en écoute sur lesinrocks.com avec

Catherine Watine & Paul Levis This Quiet Dust thisquietdustmusic.com Les doux murmures electro d’une grande dame de la pop d’ici. Mais il y a mieux encore La grande Catherine en français dans le texte. que l’émerveillement ouaté se réserve, en compagnie Et Satie ou Fauré veilleront de ces frissonnements de Paul Levis, renommé toujours au (bon) grain électroniques, accouplés pour ses musiques de des harmonies. Christian Larrède aux cordes frémissantes théâtre, et en deux temps et à un chant de murmure : (un sept-titres digital, un Watine promet d’ici quelques www.watineprod.com single à venir), une pause mois Atalaye (“le guetteur”, récréative au mitan de la en écoute sur lesinrocks.com avec en basque), nouveau projet poésie d’Emily Dickinson.

David Levine

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Visage Hearts and Knives Blitz Club Records/La Baleine

Héros de la vaguelette néoromantique 80’s, Visage revient – sans rides ? Qui l’eût cru ? Visage est de retour ! Oui, oui, il s’agit bien ici du groupe (anglais) auquel on doit Fade to Grey, scintillant bijou de pop synthétique et l’un des plus inusables hymnes des 80’s. Près de trente ans après la sortie de son dernier album Beat Boy, Visage resurgit subitement, à peu près aussi improbable qu’une drag-queen à un congrès de l’UMP, avec un nouvel album affublé d’une croquignolette pochette et intitulé Hearts and Knives. Des cœurs et des couteaux ? On s’attend dès lors à un contenu palpitant et tranchant… Avouons, sans grosse surprise, qu’il ne l’est pas vraiment, même si Visage fait plutôt bonne figure (mention spéciale au technoïde Lost in Static) et semble n’avoir pris aucune ride – mais n’est-ce pas précisément cette volonté de gommer le passage du temps, si caractéristique de notre époque, qui rend ce retour si artificiel ? Jérôme Provençal www.theblitzclub.com en écoute sur lesinrocks.com avec

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Ben Lee Ayahuasca: Welcome to the Work LX/Modulor

Savoir Adore Our Nature Nettwerk Records/La Baleine

Un duo new-yorkais aux pop-songs aiguisées. En 2009, avec In the Wooded Forest et ses mélodies ambitieuses, on pensait tout connaître de Savoir Adore. C’était sans compter avec les audaces expérimentales de Paul Hammer et Deidre Muro dont le troisième album, Our Nature, tente un rapprochement entre l’électronique et l’organique, entre un groove à la sensualité sidérante et une pop à la fois lyrique et fantaisiste. Le duo ne fait d’ailleurs pas mystère du caractère essentiel de sa musique : universelle, innocemment bricoleuse et aux accointances identifiées. Difficile en effet de ne pas entendre l’influence de Chairlift ou de Toro Y Moi, autres Américains spécialisés dans l’efficacité pop, sur des titres comme Anywhere You Go ou At the Same Time. Reste que l’expérience procurée par la majorité de ces petits bijoux d’electro-pop 80’s (les tubesques Dreamers et Loveliest Creature), elle, n’est semblable à aucune autre. M. D.

Dixième album ambitieux et réussi pour l’ancien slacker australien. énie très précoce d’un songwriting nettement plus âgé que lui, le jeune Australien enregistrait à 16 ans son premier album solo pour le label des Beastie Boys. Sur ce naïf et très touchant Grandpa Would, Ben Lee paraissait avoir claqué toutes ses économies, en un album plein et riche qui semblait déjà un bilan, voire un générique de fin – on n’oubliera jamais Away with the Pixies ou Be a Kid. Mais il sidérait deux ans après, avec cette fois-ci son premier tube, le rutilant How to Survive a Broken Heart, qui révélait un adulescent écartelé entre la candeur d’un Jonathan Richman et la grandeur nonchalante de Pavement. Le one-hit wonder ricanait de son titre et, album après album, a creusé cette veine folk-rock branleuse avec application et un manque magnifique de mégalomanie, qui fait de lui un fournisseur très apprécié de BO insouciantes pour séries ados. Mais miracle : le slacker fait ici place à un bosseur, un maniaque du scalpel, un freak du détail, sous influence de plantes sud-américaines – set d’expériences chamaniques qui l’ont bien changé de sa cure Bud/bédos. Chansons soul illuminées, ambient contemplative ou folk trippy : Ben Lee sidère par ses ambitions et par la grâce de ses divagations. Car malgré quelques lenteurs new-age aux membres flasques, c’est un songwriting d’une maîtrise et d’une franche singularité qu’il dévoile sur cet album. On va désormais imposer l’ayahuasca, herbe cérémoniale, à tous les groupes rivés au sol. JD Beauvallet

G  

www.ben-lee.com en écoute sur lesinrocks.com avec

www.savoiradore.com en écoute sur lesinrocks.com avec 26.06.2013 les inrockuptibles 83

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Emily Wells

Sarah Friedman

Mama Partisan Records/Pias

Kanye West Yeezus Def Jam/Universal La preuve qu’on peut être un poids lourd du rap et prendre quand même des risques insensés. u laser et des beats saccadés – un certains titres que l’on imprime peu comme du Kraftwerk boosté dès la première écoute. Il y a Blood aux amphétamines –, le sample on the Leaves, avec un sample de Strange lumineux de ce qui semble être Fruit par Nina Simone et du piano pour une chorale d’enfants posé en plein milieu ouvrir ce péplum où la voix de Kanye du morceau, et Kanye West qui déboule et le beat semblent être placés sur vérins avec son flow décidé, voire semi-rageur. (un exercice 3.0 qui va laisser du sang C’est ainsi que s’ouvre Yeezus, sur un et surtout des larmes sur les feuilles, On Sight tonitruant, qui annonce la couleur un titre à écouter un matin de janvier, anthracite d’un disque porté par une fois la débâcle passée). des productions sombres et électriques. Big up aussi à l’un des titres bossés par Même tonalité pour les deux morceaux Brodinski et Gesaffelstein, Send It up, qui suivent, Black Skinhead et I Am a God, à l’urgence caverneuse, sur lequel Kanye ou l’on retrouve un Kanye seul face s’infiltre entre les sirènes furibardes et les au reste du monde, multipliant les egotrips beats métalliques. C’est viril, c’est beau et les punchs (parfois sponsorisées, et ça donne envie de traverser la capitale c’est moche). A bien l’écouter, Yeezus du crime la nuit avec le sabre de Luke rappelle parfois le groove gothique Skywalker à la main. Pierre Siankowski et clinique du Mezzanine de Massive Attack. Le disque accueille une tripotée de www.kanyewest.com featurings (Bon Iver, le rappeur chicagoan en écoute sur lesinrocks.com avec Chief Keef, Frank Ocean, Kid Cudi mais aussi les Français Daft Punk, Brodinski et Gesaffelstein). Déprimé et élégant à la fois, Yeezus nous fait songer par endroits au meilleur album de Kanye, 808s & Heartbreak, tout en parvenant aussi à sortir de son mood “fin du monde” sur

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Entre hip-hop et chansons rêveuses, cette Américaine a fait son choix : les deux. L’ancienne enfant prodige est depuis plus de sept ans un pont jeté entre la scansion du rap et les formes les plus classiques de la chanson. Avec ce programme – un double album dont le second volet est alimenté de versions décharnées et acoustiques des chansons du premier –, dont elle est ici productrice, compositrice et naturellement interprète (du chant au violon), elle élabore à coup sûr son entreprise la plus personnelle, la plus intime. Grâce à une palette sonore tout aussi confortable dans des réminiscences de bluegrass ou de gospel que dans l’usage raisonné de l’électronique et d’une noria d’instruments, Wells délivre, sur des rythmes processionnaires et solennels, un chant que l’on ressent comme initié par une grande sœur (Kate Bush) et quelques bonnes cousines (Macy Gray). D’une voix de plainte et à bout de souffle, elle atteint des sommets émotionnels (Johnny Cash’s Mama’s House) dans les mélismes hip-hop, même si on la sent moins sereine dans la soie des cordes de refrains plus conventionnels. Christian Larrède www.emilywellsmusic.com

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Parquet Courts Light up Gold Le rock flamboyant et magnifiquement new-yorkais de jeunes Texans de Brooklyn. Dandys électriques. u’on nous pardonne d’être naïf et romantique, mais on a très bien connu New York, intimement même, bien avant d’y avoir mis les pieds. On avait visité de fond en comble les trottoirs, voire les égouts de Manhattan en écoutant le Velvet, Television, les Ramones, les Feelies, Patti Smith ou Richard Hell – et encore : certains, on ne les avait même pas vraiment écoutés avant de les vénérer, juste vus en photos. Et ça suffisait pour se faire, ado, une image très précise d’un rock’n’roll noir, hautain, plein de morgue et de mort. New York ne déçoit pas : New York est un miroir. “I’ll be your mirror”, tu l’as dit ! Il y a quelques années, avant que les Strokes à leur tour n’incarnent cette vieille carne à cuir et lunettes noires, un groupe de Washington avait déjà fantasmé à distance tout ce rock new-yorkais, jusque dans ses moindres détails. Le groupe s’appelait Jonathan Fire*Eater, il débarqua à New York en parlant son argot maudit

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Ben Rayner

What’s Your Rupture?/Mom+Pop/Pias

sans le moindre accent, habitant jusqu’au bout des ongles amochés une certaine idée, turbulente, dangereuse, flamboyante du rock’n’roll. Dans un tourbillon de chansons électriques et de vies amochées, le groupe a payé au prix fort son romantisme de la déglingue – certains d’entre eux jouent aujourd’hui le rock sombre sous le nom de The Walkmen. Etudiants au Texas, dans la diabolique cité musicale de Denton (Midlake, Lift To Experience…), les Parquet Courts ont fait le même rêve : jouer, incarner des chansons new-yorkaises. Comme leurs illustres aînés précités, comme les Modern Lovers rêvaient eux aussi de cette ménagerie des fous depuis leur paisible Boston, ils ont usé jusqu’à l’os ce riff de guitare qui hurle “New York” à chaque fois qu’on a le bonheur

de l’entendre : un mélange de coolitude, d’anxiété, de nervosité, d’urgence, d’incompétence, d’exaspération, de nonchalance. Ils en ont fait des chansons aussi désuètes que surexcitantes, dépassant rarement les deux minutes, mais qui en ces quelques secondes postillonnées posent le décor, l’humeur, la grâce dégueulasse. Ceux qui préféreraient rester à New York, les Converse sur le trottoir, plutôt que de suivre le récent (et magnifique) album des Strokes dans ses complexes tréfonds, trouveront dans ces chansons expéditives un délicieux produit de substitution : amer, sec et pétillant. JD Beauvallet parquetcourts.wordpress.com

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La pop sacrée et sarcastique d’un gang lillois sans scrupules. rofitant de la prophétie maya pour abréger les souffrances de leur formation adolescente Marvin Hood, quatre jeunes Lillois reviennent sur le devant de la scène le lundi suivant la fin du monde et se rebaptisent Okay Monday. Leur mission sur Terre : bastonner de la pop qui se joue très fort et qui fait saigner du nez. Travaillant étroitement avec l’ancien leader de Curry & Coco (lauréat inRocKs lab 2008), Okay Monday ne fait pas dans la bubble pop chouinante et met un poing (d’honneur) à réciter des paroles pimentées d’humour noir, un brin cyniques même, comme dans Wrong Girl at the Wrong Place (at the Wrong Time). On se laisse volontiers détourner par leur désinvolture adolescente et débridée, à la croisée entre les Californiens ceintrés de Weezer (belle époque) et les Ecossais noisy de Teenage Fanclub. Voix suraiguë et cheveux savamment désordonnés, les Lillois se dérobent ainsi au cliché rétro, tout en respectant scrupuleusement la règle d’or de leurs idoles 60’s : guitare-basse-batterie accompagnées d’un clavier et de chœurs. Repérés par les Inouïs du Printemps de Bourges, une cinquantaine de concerts et de joyeuses premières parties en poche, ils préparent actuellement un ep qui sortira au début de l’année prochaine. Abigaïl Aïnouz

 P

en écoute sur lesinrockslab.com/ okaymonday

actualités du concours découvrez la nouvelle scène d’Ile-de-France avec notre application “Sosh aime le lab”, Facebook.com/lesinrocks

The Pigeon Detectives We Met at Sea Cooking Vinyl/Pias

Des seconds couteaux de la britpop deviennent adultes. Mouais. Ça ne pouvait pas durer : l’adolescence et ses tourments hormonaux ne sauraient ad vitam aeternam nourrir les chansons de ces gouapes de Leeds, leur fournir à vie cette énergie folle, cette exaspération, cette urgence, ce besoin de brailler en chorales mâles, cette envie d’en découdre. La scène, leur habitat naturel, les avait jusqu’ici formatés, façonnés : de ce tic pénible aussi, les Pigeon Detectives s’évadent avec ce quatrième album. Dans une surenchère nécessaire (à moins de simuler l’excitation pour les années à venir), le son se durcit au même rythme que l’écriture se fait plus complexe, plus patiente. Reste à savoir si la sophistication sied à ce genre de garnements, parfois bien endimanchés dans des chansons trop adultes, rétrogrades et sérieuses pour eux. Simon Triquet www.thepigeondetectives.com en écoute sur lesinrocks.com avec

John Abbott

Okay Monday

Nicolas Djavandshir

la découverte du lab

Cécile McLorin Salvant Woman Child Mack Avenue Records/Universal Une chanteuse en or ravive un jazz en miel. Soleil sur la nostalgie. ’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes. L’album de Cécile McLorin Salvant, jeune chanteuse de jazz franco-américaine, correspond bien au proverbe : du jazz classique, dans la tradition des années 20 à 50, qui ne cache pas ses inspirations (Sarah Vaughan, Ella Fitzgerald et Billie Holiday sont citées sur la pochette). Des chansons souvent venues du très vieux blues, qu’elle ravive de sa voix comme un coulis de miel, entourée d’instruments acoustiques. Genre de première de la classe (elle a longtemps étudié le piano, le chant lyrique et même le droit), Cécile McLorin Salvant aborde le jazz par sa face sud, la langueur et les sentiments plutôt que la virtuosité – album garanti sans scat. Si son disque vaut beaucoup plus qu’un bibelot sépia comme l’industrie rétromaniaque en démoule à la chaîne, c’est parce qu’elle a réchauffé son vieux pot et sa soupe sur un feu de bois plutôt qu’au micro-ondes. Des étincelles volent. Stéphane Deschamps



concerts le 2 juillet à Paris (Café de la Danse), le 5 à Monségur, le 24 à Vannes, le 30 à Avignon www.cecilemclorinsalvant.com en écoute sur lesinrocks.com avec 86 les inrockuptibles 26.06.2013

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We Are Loud Whispers Suchness Hardly Art/Pias Un groupe trans-Pacifique murmure une pop qui fait le bonheur. ntre Sonya Westcott et pas la minutie de The Notwist, Ayumu Haitini, entre Seattle mais même enregistré et le Japon, il y a beaucoup virtuellement en allers-retours d’eau, mais c’est l’océan de données informatiques Pacifique, et pacifique, leur trans-Pacifique, il en apprivoise musique l’est. D’une douceur la grandeur, la flamme, l’étrangeté, infinie, elle tricote à la main electro en un drôle de psychédélisme et folk, en une pop de chambre avec chuchoté. D’ailleurs, dans des lithos de Raoul Dufy au mur et l’indie-pop bien moribonde, des chansons de The Postal Service combien d’albums cette année sur les étagères. Et aussi des commenceront par un tiercé instruments précieux sous le lit, aussi magique que Orange qui attendent avec les monstres et Blossom, This Time et You Surround, les idées noires la nuit pour danser trois chansons qui, à peine évadées la pavane. Car cette pop-là, aux de leurs lèvres, ne quittent plus apparences paisibles d’aquarelle, les nôtres ? JD Beauvallet sait aussi se faire noir fusain. Suchness ne possède certes www.facebook.com/weareloudwhispers pas l’ampleur de Sufjan Stevens, en écoute sur lesinrocks.com pas la fougue de Belle & Sebastian, avec

 E

le single de la semaine Christine And The Queens Effeuillage nocturne de sentiments pour l’ep d’une Française surdouée. On l’avait laissée au chevet de ses Queens imaginaires Mac Abbey et Miséricorde. Revoilà la fille illégitime du roi de la pop (feu !) et de l’artiste performeur Andy Kaufman avec un nouvel ep transgenre, travestissant tantôt l’anglais, tantôt le français. Coup de théâtre : ce troisième acte de sa discographie, remettant au placard les reines de la nuit, offre à Christine son premier grand rôle,

Frederico Cabrera

Nuit 17 à 52 Because Music

celui d’un passe-muraille qui s’écrit “now walk” en rentrant sur la scène de Loving Cup. Sa voix se démultiplie sur les pistes telle une armée de clones et se retrouve projetée dans un supershow 3D digne de Beyoncé. En reprenant

Photos souvenirs de William Sheller, Christine joue de l’accordéon avec nos a priori et goûte un plaisir extrême à nous mener doucement où elle a envie de nous perdre, comme un Don Juan avide de séduire sa proie. Abigaïl Aïnouz concert le 20 juillet à Paris (Hôtel de Ville, Fnac Live Festival) www.christineandthequeens.com en écoute sur lesinrocks.com avec 26.06.2013 les inrockuptibles 87

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playlist de nuit(s)l

&

5 chansons pour monter en pression

1 h du mat’ Hypnolove – Winter in the Sun Oxymore de saison et de circonstance pour le tube funky des Toulousains d’Hypnolove. En moins de quatre minutes, Winter in the Sun réussit le pari d’éclipser les nuages et installe un soleil irréductible dans le cœur et les oreilles des fans de funk et d’electro. 2 h du mat’ Polo&Pan! – Rivolta Avec un titre cosmopolite, mêlant influences world music et electro, Polo&Pan! proposent une balade jouissive en forme de lente montée. Au bout de la progression : la chaleur d’un été que l’on continue d’attendre. 3 h du mat’ Talisco – Your Wish Pop charmante et electro dansante : Talisco mélange les esthétismes sur Your Wish, chevauchée emballée dans un univers à la fois folk et psyché. De quoi exaucer les souhaits de publics aussi contradictoires que la structure de son titre phare. 4 h du mat’ Alka – Bâtards Suprêmes (Lafayette Remix) Remixée par l’élégance synthétique de La Fayette, la voix d’Alka se noie dans une mer de beats claqués qui plongent l’héritage d’Elli et Jacno dans un abîme noir et lugubre. 5 h du mat’ Cymbals – The End De Londres, Cymbals se plonge dans l’atmosphère froide de la new-wave pour mieux la réchauffer d’une production grave et actuelle. En ressort The End, morceau idéal pour accompagner les premières lueurs du jour et les dernières danses de nuit.

de la musique jusqu’à l’aube sur villaschweppes.com

beforel Les groupes à ne pas rater à Calvi Du 5 au 10 juillet prochain, Calvi on the Rocks fêtera sa onzième édition sous le soleil corse. On connaît enfin l’affiche complète du festival : parmi la nuée de groupes invités, une petite dizaine d’immanquables.

On retrouvera avec la même envie la classe synthétique de Matthew Dear. Depuis l’année dernière, et la sortie de l’album Beams, l’Américain s’est éloigné de la techno froide et obsédée de ses débuts pour s’autoriser quelques détours élégants par la pop et la rêverie. Idéal pour séduire par le feu et la glace. Avec une foule de jeunes groupes aussi talentueux que prometteurs, un vent

frais et novateur viendra caresser les festivaliers de Calvi cette année. En tête de file, Louisahhh!!! soufflera sa deep house suave et sexuelle pour confirmer sur scène la grandeur de son ep Transcend, sorti sur Bromance. Brodinski sera également de la partie pour fêter la vitalité de son label, tandis que Yuksek, Flume, Rich Aucoin ou encore Hypnolove exalteront l’ambiance de la Villa Schweppes, délocalisée à Calvi pour l’occasion. Pour vous préparer en musique – et si vous cherchez encore la B.O de l’été – les Australiens de Jagwar Ma viendront présenter les tubes de Howlin, véritable bombe explosée entre rock, house et electro. Leur premier album renferme autant de tubes que de pistes, et on imagine déjà l’ambiance de leur concert en bord de plage à Calvi, début juillet. Madchester sans la grisaille, sous le soleil et les pieds dans l’eau, ça donne aussi envie.

La compilation Villa Schweppes est dès maintenant disponible en téléchargement sur iTunes.

Vous pourrez y retrouver tous les artistes présents à la Villa Schweppes de Cannes et de Calvi.

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DR, Valentin Le Cron

Avec une programmation plus précise que clinquante, Calvi on the Rocks se rappelle au bon souvenir de ses débuts raffinés pour fêter ses onze ans, tout en promettant quand même quelques têtes d’affiche. Outre Xavier de Rosnay  (de Justice), il faudra aussi compter avec Midnight Juggernauts,  Mark Ronson et Cassius. Auteur d’un disque totalement débridé, entre funk et electro, Jamie Lidell assurera de son côté le bombardement de bonne humeur du festival.

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Cupid Deluxe

retour de hype

retour de bâton

hype

The Aikiu

Dire du mal de Daft Punk

Shawn Brackbill

buzz

pré-buzz

la courbe de la nuit Kraftwerk

Parler à la troisième personne comme Kanye West Les chansons de l’innocence Angel Haze

+ =x

Woodkid MGMT à l’Olympia le 8 octobre

Frank Ocean enfin à Paris

Cupid Deluxe comme le titre du nouvel album de Blood Orange. Devonté Hynes, qui se cache derrière le projet depuis 2010, l’a annoncé lui-même sur Facebook. Ne reste plus qu’à caler une date de sortie. Angel Haze + Woodkid = x Depuis début juin, on balance nos têtes sur une nouvelle version de l’attrape-cœur I Love You de Woodkid. Invitée sur le nouveau morceau, Angel Haze, relève sombre et technique de Missy Elliott, en profite pour distribuer ses meilleures punchlines.Frank Ocean enfin à Paris L’année dernière, Frank Ocean avait été contraint d’annuler ses

Embarassing Night Club Photos Of The Week

deux concerts prévus à Rock en Seine et au Stade de France. Il sera pour la première fois sur scène à Paris le 3 juillet prochain. Rendez-vous au Zénith. Embarassing Night Club Photos Of The Week De plus en plus viral sur la toile, le site qui collectionne les pires photos de soirée propose maintenant des déclinaisons par pays et par ville. On vous conseille la version “Glasgow”. Les chansons de l’innocence Le premier extrait du nouvel album d’Etienne Daho donne des envies d’ailleurs chronologiques : un peu moins de quatre minutes pour retrouver l’innocence  des eighties.

noctambule Le meilleur des soirées à venir

dès cette semaine Aeropop 28/6 à Paris, Social Club, avec Aeroplane et Yelle Astropolis Festival du 4 au 7/7 à Brest, avec Gesaffelstein, Kavinsky, Woodkid, Nina Kraviz, Mondkopf, Pachanga Boys, SebastiAn,

Blawan, Kink… Beauregard du 5 au 7/7 à Hérouville St-Clair, avec New Order, Local Natives, Nick Cave & The Bad Seeds, Vitalic, Bloc Party, The Hives, Juveniles… Big Festival Du 17 au 21/7 à Biarritz,

avec Neil Young, Wu-Tang Clan, The Bloody Beetroots, Gary Clark Jr., Orelsan, Breakbot, Busy P, Kavinsky, Cassius, Brodinski, Is Tropical… Calvi On The Rocks du 5 au 10/7 avec Brodinski, Yuksek,

Flight Facilities, Cassius, Jagwar Ma, Louisahhh !!!, Gramme, Black Strobe, Tahiti Boy, Midnight Juggernauts… Days Off Du 1er au 9/7 à Paris, avec Beck, Lou Doillon, James Blake, Jacco Gardner,

Two Door Cinema Club, Chilly Gonzales, Patrick Watson, The Magnetic North, Rover, Lambchop, Aloe Blacc… Europride 10/7 à Marseille avec Fatboy Slim Foals 26/10 à Nîmes, 1/11 à ClermontFerrand, 2/11 à Bordeaux, 3/11 à Toulouse,

5/11 à Nantes, 7/11 à Strasbourg, 12/11 à Paris, Zénith. Midi Festival du 26 au 28/7 à Hyères, avec The Horrors, AlunaGeorge, Peter Hook & The Light, King Krule, Christopher Owens, Mount Kimbie, Mykki Blanco…

Pantiero du 11 au 13 juillet à Cannes, avec The Hives, Duchess Says, Dirty Beaches, Frustration, Darkstar, Ghostpoet, Leif, Hudson Mohawke… The Peacock Society les 12 et 13/7 à Paris, avec

Richie Hawtin, Joris Delacroix, The Magician, Adana Twins, Carl Craig, Gesaffelstein, Luciano, Brodinski, T-E-E-D, Bambounou… Phoenix 12/11 à Marseille, 14/11 à Lyon, 15/11 à Nantes, 16/11 à Toulouse, 23/11 à Lille

plus de soirées sur villaschweppes.com

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dès cette semaine

Babyshambles 3/10 Paris, Zénith Beauregard du 5 au 7/7 à HérouvilleSaint-Clair, avec New Order, Local Natives, Nick Cave & The Bad Seeds, Vitalic, Bloc Party, The Hives, Juveniles, etc. Big Festival du 17 au 21/7 à Biarritz, avec Neil Young & Crazy Horse, Wu-Tang Clan, The Bloody Beetroots, Gary Clark Jr., Orelsan, Breakbot, Busy P, Kavinsky, Cassius, Brodinski, Is Tropical, etc. Benjamin Biolay 7/7 HérouvilleSaint-Clair, 9/7 Albi, 14/7 La Rochelle, 20/7 Carhaix, 22/7 Carcassonne Jake Bugg 21/11 Paris, Olympia, 22/11 Lille, 9/12 Lyon, 10/12 Toulouse, 11/12 Nantes Calvi on the Rocks du 5 au 8/7, avec Brodinski, Yuksek, Gramme, Black Strobe, Jagwar Ma, Tahiti Boy, Midnight Juggernauts, Mai Lan, Isaac Delusion, Louisahhh!!!, Cassius, etc. Riff Cohen 25/7 Grenoble Days off Festival du 1er au 9/7 à Paris, avec Two Door Cinema Club, Patrick Watson, Chilly Gonzales, Lou Doillon, James Blake, Beck, Jacco Gardner, Lambchop, Band Of Horses, etc.

Phoenix 12/11 Marseille, 14/11 Lyon, 15/11 Nantes, 16/11 Toulouse, 23/11 Lille Rock en Seine du 23 au 25 août à Saint-Cloud, avec Phoenix, A$AP Rocky, Franz Ferdinand, Alt-J, La Femme,

Kendrick Lamar, Tame Impala, etc. Sziget Festival du 5 au 12/8 à Budapest, avec Azealia Banks, Bat For Lashes, Michael Kiwanuka, Skip & Die, T. E. E. D., Dizzee Rascal, Regina Spektor, Woodkid, Tame Impala, The Bots, Gesaffelstein, The Cribs, etc. World For Tchad 26/6 Paris, Showcase

aftershow

Le Rock dans tous ses états Pour sa trentième édition, le festival haut-normand a concocté un casting de rêve. On retrouvera donc cette année The xx, Woodkid, Archive, Die Antwoord (photo), Klaxons ou encore BRNS. les 28 et 29 juin à Evreux

Le Couleur

Victor Diaz Lamich

Atoms For Peace 6/7 Paris, Zénith

Joris Delacroix, Hot Natured, Carl Craig, The Aikiu, Brodinski, The Magician, Bambounou, etc.

en location

Mark Thomas

Aline 13/7 La Rochelle, 20/7 Colmar, 22/8 Sète

Dead Can Dance 30/6 Paris, Zénith Dour Festival du 18 au 21/7, avec Gramatik, Thee Oh Sees, Mark Lanegan Band, Pelican, Youssoupha, Terror, Smashing Pumpkins, etc. Eminem 22/8 Saint-Denis, Stade de France Eurockéennes de Belfort du 4 au 7/7, avec Blur, Phoenix, M, Asaf Avidan, Two Door Cinema Club, Boys Noize, The Smashing Pumpkins, Jamiroquai, Tame Impala, My Bloody Valentine, Major Lazer, etc. Fnac Live du 18 au 21/7 à Paris, parvis de l’Hôtel de Ville, avec Concrete Knives, Natas Loves You, Isaac Delusion, Christine And The Queens, Mesparrow, Alex Beaupain, Granville, etc. Foals 26/10 Nîmes, 1/11 ClermontFerrand, 2/11 Bordeaux, 3/11 Toulouse, 5/11 Nantes, 7/11 Strasbourg 12/11 Paris, Zénith Local Natives 20/11 Paris, Bataclan Les 30 ans du Bikini du 27 au 30/6 à Ramonville avec Kid Wise, Ruby Cube, The Dodoz, etc. Midi Festival du 26 au 28/7 à Hyères, avec Peter Hook & The Light, The Horrors, King Krule, Mount Kimbie, Mykki Blanco, AlunaGeorge, Christopher Owens, Only Real, etc. The National 18/11 Paris, Zénith The Peacock Society les 12 & 13/7 à Paris, parc Floral, avec Richie Hawtin, Gesaffelstein, Luciano, T. E. E. D,

nouvelles locations

Les FrancoFolies de Montréal du 13 au 22 juin Une petite dizaine de scènes gratuites en plein air, autant de salles partenaires, pas loin de deux cents concerts en moins de dix jours : voilà, en quelques chiffres, comment les FrancoFolies de Montréal fêtaient leurs 25 ans cette année. On est encore en plein dedans à l’heure du bouclage de ce numéro, mais on y a déjà vécu de beaux moments. De Maissiat à Alex Beaupain en passant par le tout jeune Charles-Baptiste, tous ont montré que la chanson française était ici chez elle. Dans un genre plus osé, plus nerveux, plus angoissé, on pourra dire la même chose de Fauve ≠, qui aura scandé ses textes intenses et blessés devant une foule conquise. Côté québécois, on a par ailleurs découvert de belles choses : les chansons mignonnettes d’Ingrid St-Pierre ou le folk caverneux de Patrice Michaud ont en effet de quoi enthousiasmer. Mais c’est surtout la petite troupe de Le Couleur, leur pop eighties et leurs costumes de l’espace, qu’il faudra suivre de près. L’espace, voilà donc le dernier lieu où les Francos n’ont pas encore déniché quelque talent. Un jour, peut-être… Le festival est bien allé jusque dans le désert nigérien pour ramener Bombino. Ici, la francophonie n’a peur de rien. Maxime de Abreu 26.06.2013 les inrockuptibles 91

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spécial

livres de poche

On peut se dorer au bord d’une piscine et rester curieux ! Notre sélection de poches à emmener partout cet été.

 U

Bright Star de Jane Campion (2009)

été

révolution sensuelle En pleine ère victorienne, l’inventeur du roman policier, William Wilkie Collins, signe un mélodrame passionné et subversif.

ne jeune aveugle ardente et fortunée, de mystérieux jumeaux, des cambrioleurs aux méthodes sanglantes et un chirurgien adepte des opérations miracles : de quoi bâtir en 1872 un mélodrame victorien riche en substitutions d’identités et affolements du balancier amoureux. Mais un mélodrame féministe et subtilement sensuel, où la vue et la voix mentent tandis que la vérité du cœur passe par l’épiderme, par le contact cutané et par les frissons intimes. Cette révolution sensorielle s’accompagne dans Pauvre Miss Finch d’envolées étonnamment insurrectionnelles. En faisant de la veuve française d’un révolutionnaire sudaméricain la narratrice de son roman, William Wilkie Collins s’offre en guise de porte-parole une pasionaria dont le programme politique ferait presque passer celui du Front de gauche pour

une anthologie de platitudes socialdémocrates. Dotée d’une ironie ravageuse et d’une énergie folle – lesquelles ne sont nullement incompatibles avec des talents de pianiste éprise de Mozart –, cette insolite dame de compagnie rappelle que le précurseur de Conan Doyle (on lui doit les deux premiers romans policiers anglais, Pierre de lune et La Dame en blanc) et ami proche de Dickens fut également l’un des romanciers les plus progressistes de son époque. Bruno Juffin Pauvre Miss Finch (Libretto), traduction anonyme de l’anglais revue et corrigée par Frédéric Klein, 542 pages, 12,80 €

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Le Stratège de Bennett Miller (2011)

belle frappe Le premier roman de l’Américain Chad Harbach : un campus novel hypermaîtrisé et sensible, encensé par Jay McInerney et Jonathan Franzen.



u base-ball, un campus et Herman Melville. Avec ce premier livre, Chad Harbach signe un pur roman américain, un condensé de mythologies made in USA, et inscrit ses pas dans ceux d’aînés imposants, comme Philip Roth et son Grand Roman américain, où il était déjà question de battes et de gants de cuir. Un tel héritage aurait pu écraser l’ambition d’Harbach, réduire son projet à un pâle ersatz. Il n’en est rien. Henry, le héros, est un jeune prodige du base-ball qui débarque au Westish College, une petite université du Wisconsin. Garçon solitaire, il devient vite la coqueluche de l’équipe locale, baptisée les Harponneurs, un clin d’œil parmi d’autres à Moby Dick. Surdoué, Henry rattrape toutes

les balles. Jusqu’au jour où il en rate une. Impeccablement construit, L’Art du jeu est un roman sur la grâce et la perte de l’innocence, un texte sensible sur l’entrée dans l’âge adulte, et plus particulièrement dans l’âge d’homme. Même sans rien connaître au base-ball, on se prend totalement au jeu de ce livre subtil et émouvant. Elisabeth Philippe L’Art du jeu (Le Livre de poche), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Dominique Defert, 696 pages, 8,10 €

Graham Greene Mr Lever court sa chance (Pavillon Poche), traduit de l’anglais par Marcelle Sibon, François Gallix et Isabelle Delord-Philippe, 556 pages, 11,90 €

Une trentaine de nouvelles signées Graham Greene, monstre sacré de la littérature anglaise. “On peut considérer les d’entrée délicate à une contenu dans ces histoires nouvelles que j’ai écrites œuvre colossale, considérée courtes, complétant comme une série d’évasions pompeusement comme la grande fresque – d’escapades – hors la plus incontournable grahamgreenienne d’un du monde du roman.” de la littérature anglaise. XXe siècle vitaliste et foisonnant mais assombri Incartades récréatives Exotisme colonial et états par les grandes terreurs mais aussi bancs d’essai d’âmes d’expats, Seconde existentielles et le climat à l’élaboration de fictions Guerre mondiale, poids délétère qu’elles font peser plus vastes, ces trente du catholicisme et récits sur le monde. Emily Barnett nouvelles offrent une porte d’espionnage : tout est là, 26.06.2013 les inrockuptibles 93

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Joe Woolhead, courtesy of the National September 11 Memorial & Museum

poil à gratte-ciel Un architecte musulman gagne le concours pour construire le mémorial du 11 Septembre. Premier roman dévastateur de l’Américaine Amy Waldman.

Un concours de circonstances (Points Seuil), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laetitia Devaux, 480 pages, 8 €

Sylvia Plath Dimanche chez les Minton Folio, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Catherine Nicolas et Audrey van de Sandt, 112 pages, 2 €

Recueil de cinq nouvelles éblouissantes de l’auteur d’Ariel. Suicidée à 30 ans, Sylvia de mère dans les années 50, des tournures étranges : Plath a eu le temps d’écrire la dépression. Autour couple de touristes peu de fiction : un roman, d’une nouvelle phare, sur cerné par des ours, rêves La Cloche de détresse, les rapports noueux colonisateurs conduisant et une dizaine de nouvelles. d’un frère et d’une sœur, au suicide, violence Le présent recueil en réunit Dimanche chez les Minton enfantine sur fond cinq, splendeurs nourries dépeint les terreurs et de Pearl Harbor… L’acuité aux grands thèmes les non-dits de la vie psychologique combinée de son œuvre : le couple, domestique, la tyrannie du à la légèreté des images la condition d’épouse et mariage prenant souvent poétiques… E. B.

Sarah Bastin

 B

ordel de merde ! C’est un musulman !” Stupeur chez les membres du jury chargé de désigner l’architecte du mémorial dédié aux victimes du 11 Septembre, qui doit être érigé sur les ruines du World Trade Center. Le lauréat, un citoyen américain, se nomme Mohammad Khan et pour lui, c’est une victoire empoisonnée. Son nom va bientôt cristalliser les haines, devenir l’objet d’affrontements violents et déchaîner une vague d’islamophobie. Avec ce premier roman sous tension, Amy Waldman, ancienne journaliste au New York Times, montre à quel point les valeurs fondatrices des Etats-Unis ont vacillé depuis les attentats. N’épargnant personne – ni les conservateurs les plus vils ni une certaine hypocrisie progressiste –, elle fait entendre les voix discordantes d’un pays confronté à ses failles, met à nu ses contradictions. Une radioscopie grinçante de l’Amérique post-11 Septembre. Elisabeth Philippe

ma terre natale Le chanteur Dominique A revient sur les lieux de son enfance dans un subtil récit d’initiation.

 L

a nostalgie signifie littéralement la douleur du retour. En ce sens, le livre du chanteur Dominique A qui, pour ce texte, a préféré reprendre son patronyme complet d’Ané, est un récit d’apprentissage nostalgique d’où sourd une douce mélancolie. Y revenir, c’est d’abord un retour à Provins, le lieu de l’enfance, étouffant, figé dans le passé, “un lieu âpre, où vivre ne se faisait pas”, mais qui l’a profondément imprégné. C’est aussi un retour sur soi, sur son parcours, sur le pacte scellé avec la musique, cette échappatoire salvatrice. Les mots apaisent, le réconcilient avec la ville, avec son passé. L’écriture prolonge le travail cathartique de ses chansons. On y retrouve la même poésie, minimale et limpide, qui teinte la nostalgie de nuances subtiles et l’estompe peu à peu, pour faire émerger un sentiment autre, entre plénitude et détachement. E. P.

Y revenir (Points Seuil), 96 pages, 4,70 €

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spécial

avantages exclusifs

été

RÉSERVÉS AUX ABONNÉS DES INROCKS

New Orders et Des images comme des oiseaux à partir du 6 juillet à la Friche Belle de Mai à Marseille

Peter Peitsch

expos Sept mois de programmation artistique orchestrée par le Cartel autour d’Atelier Van Lieshout. Trois expositions, une foire, une édition web, des estampes, des débats, des films, des concerts pour réinventer la ville, son usage et son organisation. Ainsi qu’une traversée dans la collection photographique contemporaine du Centre national des arts plastiques. A gagner : 20 pass pour les 2 expositions

enfant sauvage Icône gay et féministe des lettres british, Jeanette Winterson publiait en 1989 ce conte gothique sur l’enfance.



n l’a (re)découverte en 2012 avec Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?, récit d’émancipation queer dans l’Angleterre puritaine des années 70. Plus de vingt ans avant cette confession poignante, Jeanette Winterson signait ce texte déjà irrigué par les thèmes de l’enfance et de l’éducation, sous forme d’un conte à la Dickens empreint de punk attitude. L’histoire de Jourdain, orphelin adopté par “la Femme aux chiens” à Londres, illustre idéalement ce mythe de l’enfant trouvé cher à Winterson,

point de départ de la construction identitaire. Roman foisonnant, féerique, en révolte contre l’ordre établi, une virée chatoyante dans les mondes imaginaires et écorchés de l’enfance. Emily Barnett Le Sexe des cerises (Points), traduit de l’anglais par Isabelle Delord-Philippe, 216 pages, 6,30 €

festival Mimi du 4 au 7 juillet sur les îles du Frioul à Marseille

Benjamin Franklin Conseils pour se rendre désagréable Rivages poche/Petite bibliothèque, traduit de l’anglais (Etats-Unis) et préfacé par François Guévremont, 96 pages, 5,10 €

Les trucs et astuces de Benjamin Franklin pour vivre seul, détesté de tous. Mais riche. Vous ne le saviez peut-être le monde, contredire tout autant de chances de pas, mais le père fondateur en permanence son se faire détester si l’on suit des Etats-Unis était un interlocuteur et si possible ses astuces pour devenir sacré comique. Benjamin le rabaisser : voilà riche, également révélées Franklin aimait publier comment vous deviendrez dans le livre. A l’en croire, dans les journaux dont il exécrable en une soirée, il faut se muer en affreux était propriétaire des petits selon Franklin qui, radin pour faire fortune. textes sarcastiques comme rappelons-le, fut aussi Après avoir lu ce petit ces Conseils pour se rendre l’inventeur du paratonnerre volume, vous perdrez tous désagréable, parus en 1750 (au cas où vous auriez peur vos amis, mais vous serez dans la Pennsylvania de vous attirer les foudres plein aux as. On ne Gazette. Interrompre tout de vos proches). Mais on a peut pas tout avoir. E. P. 26.06.2013 les inrockuptibles 95

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plus d’offres abonnés en page 111

musiques Chaque année en juillet, dans le cadre extraordinaire de l’hôpital Caroline sur les îles du Frioul, le festival Mimi (Mouvement international pour les musiques innovatrices) présente des artistes de tous horizons musicaux et géographiques. Devenu une référence européenne, le festival a choisi, dès son origine, une approche programmatique innovante et fortement trans-esthétique. à gagner : 2 pass par soir

pour profiter de ces cadeaux spécial abonnés munissez-vous de votre numéro d’abonné et participez avant le 30 juin sur 

http://special. lesinrocks.com/club

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Joseph Kessel Les Nuits de Sibérie

Library of Congress

Arthaud, 118 pages, 10,50 €

Virginia Woolf, 1928

le phare Woolf

L’errance d’un soldat français dans le Vladivostok de la guerre civile. Une virée éthylique et glaçante. C’est un texte rare, jamais republié depuis les années 30. On suit la nuit d’ivresse qui vire au cauchemar d’un jeune pilote français basé à Vladivostok en 1919. La ville aux portes de l’Asie est encore en proie aux luttes entre Blancs et Rouges. Partout, la misère, les guenilles et le gris sale du dégel. On croise sur les quais de la gare “un jeune homme, couleur d’arsenic”, des typhiques parqués dans des trains, des danseuses cocaïnées et des cosaques sanguinaires. C’est avec ces derniers que le soldat français se retrouve embarqué, d’abord invité à trinquer dans un wagon blindé, avant de finir dans un cabaret, poussé par le désir de plus en plus irrépressible d’étreindre une femme. Porté par l’écriture d’une précision fulgurante de Joseph Kessel, un récit intense et violent comme un shot de vodka. E. P.

Dans sa correspondance avec son amante Vita Sackville-West et dans un essai sur la poésie, Virginia Woolf dévoile une irrésistible légèreté.



i la fantaisie affleure par petites touches dans l’œuvre de Virginia Woolf, c’est dans ses lettres qu’elle se déploie pleinement, vive et lumineuse, à contre-courant du flux de conscience mélancolique auquel on réduit trop souvent la romancière. Dans sa correspondance avec sa maîtresse Vita Sackville-West, on découvre une Virginia drôle, légère, frivole, avide de gossips mondains ; une femme amoureuse et désirante, aguicheuse parfois. Virginia et Vita, femme de lettres anglaise mariée à un diplomate, se rencontrent à un dîner en 1922. Au départ, tout semble les opposer et Woolf juge Vita “plutôt rougeaude et noire et gauche”. Mais elle finit par s’éprendre de cette aristocrate fantasque. Passionnée, leur relation atteindra son apogée avec Orlando, biographie fantasmée de Vita écrite par Virginia. On retrouve dans Lettre à un jeune poète, essai dans lequel Woolf préconise d’allier modernité et poésie, le même ton libre et piquant, le charme discret et irrésistible d’une immense écrivaine. Elisabeth Philippe

Virginia Woolf-Vita Sackville-West, Correspondance 1923-1941 (Livre de Poche), traduit de l’anglais par Raymond Las Vergnas, 696 pages, 8,60 € Lettre à un jeune poète et autres textes de Virginia Woolf (Rivages poche/Petite Bibliothèque), traduit de l’anglais et préfacé par Maxime Rovère, 144 pages, 7,15 €

Edmund White Rimbaud Rivages, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Danièle Momont, 256 pages, 8,65 €

Vue par le romancier américain, la vie rocambolesque de l’auteur d’Une saison en enfer. En 2008 aux Etats-Unis, Edmund White revient sur la genèse de sa vocation d’écrivain, qui concorde avec sa fascination, tôt dans sa vie, pour Rimbaud. Dans ce portrait, on en apprend autant sur le poète météore, amant infernal de Verlaine, plaquant tout à 19 ans pour une carrière de trafiquant d’armes en Afrique, que sur son hagiographe et sur sa jeunesse de gay mal dans sa peau, frustré, ambitieux, suffocant d’ennui dans “l’Amérique freudienne des années 50”, exalté par le mythe de Rimbaud. Un demi-siècle plus tard, l’auteur de Mes vies, City Boy ou Jean Genet, son autre biographie notoire, rend ce vibrant hommage romancé à celui qui “a inventé l’obscurité en poésie”. Emily Barnett

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spécial

été

les mystères de Paris Les deux sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot arpentent la capitale et décryptent ses mutations. Un guide insolite et critique.



es trottoirs encombrés du Sentier au Triangle d’Or des Champs-Elysées, du tumulte de la gare Saint-Lazare au Chinatown des Olympiades, des villas du quartier de la Mouzaïa, dans le XIXe arrondissement, à celles, hyperluxueuses, du XVIe qui abritent le “ghetto du gotha” – Nicolas Sarkzoy et Carla Bruni, entre autres –, les sociologues Michel Pinçon et Monique PinçonCharlot nous entraînent dans les rues de la capitale avec la volonté de mettre en avant la diversité de Paris, façonnée par les différentes

Honoré de Balzac La Paix du ménage L’Herne, 80 pages, 7 €

La Femme abandonnée L’Herne, 87 pages, 7 €

Le faste aristocratique mis en pièces par un Balzac mordant. Figurant dans Scènes de la vie privée, premier volume de La Comédie humaine paru en 1830, ces deux brefs romans sont les deux faces d’une même pièce : l’aristocratie de la France

phases d’immigration. Une richesse sociologique menacée par les prix aberrants de l’immobilier. Pour chaque quartier, nos guides proposent un itinéraire accompagné d’un plan et de photos, et retracent son évolution. Ainsi Saint-Germaindes-Prés, passé de centre intellectuel à temple du luxe. Une déambulation savante dans l’espace et le temps. E. P. Paris – Quinze promenades sociologiques (Petite bibliothèque Payot), 336 pages, 9,65 €

napoléonienne, croquée par un Balzac que la concision ne rend pas moins féroce. Dans La Paix du ménage, satire sur le Paris mondain, une jeune femme se trouve prise au piège d’un faisceau de complots et de convoitise, tandis que La Femme abandonnée relate la déroute amoureuse d’une vicomtesse recluse en province. Sur fond de victoires bonapartistes, vies sociale et intime ne sont plus vues que par le prisme de la guerre : un art élaboré

de la séduction et de la conquête, de la feinte et du complot, toutes ces dynamiques qui font des antihéros balzaciens des paons, et de ses héroïnes des créatures habiles à fomenter leurs propres déchéances. E. B.

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Loïc Sécheresse Heavy Metal Bayou/Gallimard, 128 p., 17,25 €

multivitamines Entre shonen japonais, culture pop et feuilleton à la Dumas, Bastien Vivès, Balak et Michaël Sanlaville font un sort au récit d’aventures.

 P

rompt à s’attaquer à tous les genres (récit intimiste, d’aventures, BD de cul, péplum), Bastien Vivès s’est associé à Balak et à Michaël Sanlaville pour une BD d’action en plusieurs volumes – douze prévus, deux parus. Lastman se situe dans un univers médiéval comprenant quelques surprenants éléments de modernité (des motos…). La série est construite autour de deux personnages, Adrian Velba, jeune garçon entraîné au combat, qui participe pour la première fois à un grand tournoi, et Richard Aldana, son partenaire, un adulte énigmatique et coureur de jupons, qui cache de nombreux secrets. Après un premier tome échevelé et intrigant, le deuxième volume, à l’action tout aussi rondement menée, ne fait qu’épaissir les mystères entourant les deux héros. Ecrit et dessiné en équipe et en studio, à la manière des mangas, Lastman reprend certains codes du shonen. Adrian, orphelin de père, doté de pouvoirs magiques, va affronter des épreuves initiatiques ; de nombreux combats parsèment le récit ;

les dialogues sont sous-tendus d’un humour souvent facile ; le découpage des pages est dynamique ; les auteurs ne lésinent pas sur les gros plans de visages aux expressions outrées et sur les jolies filles aux formes pulpeuses – comme souvent chez Vivès. Mais au-delà de Dragon Ball/Naruto, Lastman trouve aussi son inspiration dans d’autres références culturelles, du jeu vidéo (les combats chorégraphiés comme dans Tekken) au roman d’aventures (Lastman est riche en trahisons, amours contrariées, secrets). La profusion d’allusions graphiques au cinéma, à la télé et à la BD – les frères Bogdanoff, V pour Vendetta, Dune… – pourrait être indigeste, mais elle est heureusement diluée dans les multiples rebondissements. Le dessin, vif et souvent proche de l’esquisse, apporte quant à lui une indispensable touche de légèreté. En reprenant à leur compte tous ces ingrédients, Bastien Vivès, Balak et Michaël Sanlaville imaginent le feuilleton – au sens dumasien du terme – du XXIe siècle.

L’histoire de La Hire, écorcheur et capitaine de Jeanne d’Arc, dans un style mi-Sfar, mi-Cabu. Pour son premier album solo, Loïc Sécheresse monte l’ampli à 11 pour une évocation gouailleuse et musclée du destin d’Etienne de Vignolles, dit La Hire (1390-1443), gentilhomme landais, homme d’arme, écorcheur et capitaine de Jeanne d’Arc. La légende lui attribue la citation (naturellement reprise ici) “Un pillage sans incendie, c’est comme une andouillette sans moutarde.” Le ton est donné et Loïc Sécheresse ne le lâche plus, mêlant dialogues résolument anachroniques et références historiques, couleurs pétaradantes et dessin débridé, quelque part entre Sfar et Cabu. Il dépeint un combattant hors pair mais de peu d’intelligence, intrépide et cruel, jouisseur et sanguin, que va totalement bouleverser sa rencontre avec Jeanne d’Arc. Le récit, à peu près respectueux de l’histoire, dérape après la mort de la Pucelle, La Hire perdant complètement les pédales (ce qui est possible) et se retrouvant ultime défenseur du Mont-Saint-Michel (ce qui est faux mais joli). La Hire est depuis des siècles notre valet de cœur ; vous ne regarderez plus jamais un jeu de cartes de la même façon. Jean-Baptiste Dupin

Anne-Claire Norot Lastman, tome 2 (Casterman), 216 p., 12,50 €

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gode pour tous Reprise (ré-)jouissante, dix ans après, et toujours au Théâtre de la Bastille, de Mes jambes, si vous saviez, quelle fumée…, le spectacle de Bruno Geslin et Pierre Maillet inspiré de la vie et de l’œuvre de Pierre Molinier.

réservez Festival d’Avignon Deux artistes associés, Stanislas Nordey et Dieudonné Niangouna, pour cette 67e édition du Festival d’Avignon, la der des der pour le tandem Baudriller-Archambault après dix ans d’une aventure artistique exceptionnelle, qui s’achève cette année par un focus sur les créations africaines et une attention particulière portée à toutes les marges inventives, celles de la banlieue comprises. De l’ouverture de La FabricA le 5 juillet, avec le Groupe F, à Patrice Chéreau le 26 juillet avec Coma de Pierre Guyotat, c’est au rythme d’une création par jour que le festival tiendra ses paris à un train d’enfer. du 5 au 26 juillet tél. 04 90 14 14 14, www.festival-avignon.com suivez au jour le jour l’équipe des Inrocks et les critiques en ligne sur le site durant toute la durée du Festival



’hommage à Pierre Molinier et son interprète principal, Pierre Maillet, n’ont pas pris une ride en dix ans. En 2004, quand il fut créé, le spectacle connut un succès tel qu’il fut joué cinq saisons d’affilée. L’époque, elle, a pris un sacré coup de vieux et régresse salement. Toute la différence est là et elle pèse son poids. Sur le rideau ondule un photomontage de jambes gainées de soie, chaussées de noirs escarpins : Vingt-quatre heures de la vie d’une femme ordinaire, l’œuvre performative de Michel Journiac. Autour de Pierre Molinier, auquel est consacré ce spectacle, d’autres figures surgissent, refluent à la mémoire. Mais déjà, le rideau s’entrouvre sur les silhouettes corsetées, bas noirs juchés sur des talons aiguilles, du trio du Théâtre des Lucioles : Pierre Maillet (alias Pierre Molinier, la petite fée), Elise Vigier et Nicolas Fayol – qui remplace aujourd’hui Jean-François

Auguste. Bienvenue dans l’antre fétichiste d’un photographe – qui fut aussi peintre en bâtiment, membre de la Société des artistes indépendants bordelais – qui nous parle d’une voix délicieuse, pleine de mots surannés, une langue du troisième âge qu’on croyait réservée aux visites provinciales à sa vieille tante ou à sa grand-mère. L’accent bordelais chante doucement mais la comparaison s’arrête là. Même si Pierre Molinier est la tante dont nous avons tous rêvé, la vraie, elle, ne se remettrait sans doute pas de ce que nous dit cette voix, de ce que voient ces yeux. Un désir exacerbé jusqu’à la forme artistique, tendu vers elle, avec véhémence.

L’art est fait pour ça, déclare Molinier à Pierre Chaveau en 1972, lors d’entretiens qui ont fourni la matrice du spectacle : “C’est-à-dire, écoutez, au point de vue technique, j’ai une grande admiration pour… Léonard de Vinci. (…) Maintenant l’imagination, évidemment, là… c’est différent. Moi, je pense que le seul art valable, c’est celui qui matérialise les passions de l’individu, c’est-à-dire ce que la société… Je suis obsédé, n’est-ce pas ? Au-delà de moi-même, je voudrais prolonger, en somme, ma personnalité. C’est en somme le refus, c’est une sorte de refus de la mort…” Celle de son père, qui se suicide, celle de sa sœur, qui meurt trop jeune,

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“il n’y a pas un cliché que Molinier n’envoie pas péter : sur la mort, la sexualité, le travail, le fétichisme, le suicide, le mariage, la religion. C’est là que ça fait un bien fou”

Victor Tonelli/ArtComArt

Pierre Maillet, comédien

celle qu’il se donne, au bout du compte, en 1976, longtemps après avoir réalisé son épitaphe et sa croix : “Ci-gît Pierre Molinier, né le 13 avril 1900, mort vers 1950... Ce fut un homme sans moralité, il s’en fit gloire et honneur. Inutile de prier pour lui.” Car, ce que les autres appellent des vices, il les nomme ses passions. Les bas, les collants, tout ce qui gaine les jambes, un fétichisme qui se fiche d’être narcissique ou du jugement des autres, mais qui aime à croiser ses semblables et ses pareils. Il faut jouir. Mieux vaut jouir un godemiché planté dans le cul que mourir, et on peut aller jusqu’à jouir de la mort sans ciller. Molinier parle

de son amour et de son admiration pour sa sœur, de leur entente et du plaisir qu’il prit sur sa dépouille : “Elle avait des jambes sensationnelles… Alors je lui ai caressé les jambes un peu. Ça m’a fait de l’effet, je me suis mis sur elle, et là j’ai joui, sur son ventre, morte… Parce que, comme ça, le meilleur de moi-même est parti avec elle… Qu’est-ce que vous voulez, la mort c’est-à-dire que c’est rien du tout, la mort, c’est rien…” A ce rien terrifiant, toute l’offense s’adresse. Jusqu’à son suicide, cette mort qu’il se donne volontairement et qui le fait “bien rigoler”. C’est Bruno Geslin qui, pour sa première mise en scène, a eu l’idée de ce spectacle autour de Pierre Molinier, se souvient Pierre Maillet : “Il trouvait qu’il avait une ressemblance avec moi, on a les mêmes initiales, on vient tous les deux du sud-ouest de la France… Il avait d’abord imaginé un spectacle autour de l’œuvre photographique de Molinier. On a commencé par refaire à l’identique ses photos. Et puis on a trouvé ce livre de Pierre Chaveau, un artiste bordelais qui avait rencontré et interviewé Pierre Molinier et avait publié un livre avec un CD de ses entretiens. Et là, on a découvert un personnage très éloigné de l’image qu’on se faisait de lui : marginal, sombre, fétichiste. On s’est rendu

compte qu’il était d’une liberté incroyable. Sa parole est importante parce que désarmante. Ce type se travestit mais il n’est pas forcément homo, il est artiste mais aussi peintre en bâtiment, marié, père de famille. On ne peut le caser nulle part. Il n’y a pas un cliché qu’il n’envoie pas péter : sur la mort, la sexualité, le travail, le fétichisme, le suicide, le mariage, la religion. C’est là que ça fait un bien fou. Il raconte ça à un moment, à propos de quelqu’un qui lui rend visite et lui dit : ‘ce qu’il y a de bien chez toi, c’est qu’ici on respire’.” Si ce spectacle réjouissait il y a dix ans parce qu’il faisait entendre une parole artistique étonnante, Pierre Maillet ne peut que constater qu’aujourd’hui, “avec toutes les régressions sur les libertés individuelles, sexuelles, cette parole prend une force et un poids qu’on ne pouvait pas prévoir quand on a décidé de reprendre le spectacle, il y a un an et demi”. Ce qui en fait, c’est un comble, une œuvre de salubrité publique ! Fabienne Arvers et Patrick Sourd Mes jambes, si vous saviez, quelle fumée… adaptation théâtrale Bruno Geslin et Pierre Maillet, avec Pierre Maillet, Elise Vigier, Nicolas Fayol, jusqu’au 30 juin au Théâtre de la Bastille, Paris XIe, tél. 01 43 57 42 14, www.theatre-bastille.com 26.06.2013 les inrockuptibles 101

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Philippe Lebruman

cochon qui s’en dédit Passant des planches au cinéma, le fondateur et metteur en scène des Chiens de Navarre, Jean-Christophe Meurisse, signe avec Il est des nôtres un premier moyen métrage à la fois tendre et cruel sur nos solitudes urbaines.

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omme Diogène dans son tonneau, Thomas devient un jour le centre du monde en décidant de ne plus jamais mettre un pied dehors. Solution au casse-tête de la vie urbaine, il installe sa caravane dans une friche industrielle au cœur de la capitale. Comme des fantômes, les passants ne sont plus que des silhouettes pointillistes glissant derrière la façade aux vitres translucides. Une situation rêvée pour s’inventer une utopie faite de jogging en salle clope au bec et de ballades au saxophone avec une copine nue montée à cheval sur ses épaules. Avec en poche les clés de La Générale – coopérative artistique, politique et sociale du XIe arrondissement de Paris –, Jean-Christophe Meurisse se retrouve

pour son premier tournage avec la liberté de filmer vingt-quatre heures sur vingt-quatre. L’occasion pour lui de lâcher les Chiens de Navarre et quelques amis appelés à la rescousse en les nourrissant des canevas habituels qui président à leurs créations théâtrales. “Comme il n’y a ni texte ni scénario préexistant, je demande aux acteurs d’être aussi les auteurs de leurs propres dialogues. Ils improvisent en permanence leur partition. J’adore les accidents”, précise Jean-Christophe Meurisse. Résultat : vingt heures de rushes, méthode Cassavetes, où l’on en arrive à oublier la caméra qui tourne et où les pauses pour pisser et les débordements incontrôlés font partie d’un making-of – qu’il nous présentera peut-être un jour…

Pour le reste, Il est des nôtres dure quarante-sept minutes pile poil. “C’est au montage que le film s’est fait, enchaîne Meurisse. Il fallait trouver une alchimie entre les scènes, que chacune reste forte, explicite, pas explicative. Avec Carole Lepage, la monteuse, la composition d’ensemble s’est articulée sur les émotions.” Longtemps présence invisible, même aux saluts, Jean-Christophe Meurisse, le deus ex machina de la saga des spectacles des Chiens de Navarre, trouve ici sa revanche en tant que chef de meute en assumant sa place de réalisateur en haut de l’affiche. Comme un jambonneau de soixante heures cuit à l’os, le film est infiniment tendre. Mammouth dégraissé à la pointe du couteau dans un montage cut et des cadrages au cordeau, il tient plus de l’exercice de style façon conte moral cher à Eric Rohmer que du happening soixante-huitard débauché dans sa forme. Dans le rôle de Thomas, présence majestueuse, Thomas de Pourquery, saxophoniste free-jazz à la ville, est un Bouddha sensuel plein d’empathie amoureuse pour cette petite communauté qu’il réussit à réunir autour de lui, un saint buveur, un modèle pour la philosophie. Reste son atout maître, cette caravane cosy où la générosité de la table et du congélo rempli de bières n’a d’égale que celle de son lit ouvert à tous et cette barre verticale en inox propre au dirty dancing qui appelle tout un chacun à y faire un strip-tease. Un camp de base digne d’un phalanstère de Charles Fourier, si celui-ci avait lu Rabelais. Tendresse ne veut pas dire gentillesse. Il est des nôtres s’annonce aussi méchant que cruel et sa lumière qui ne pardonne rien nous rappelle la mordante vérité qu’il y a péril en la demeure à prétendre rester un adolescent dans sa tête, alors que le temps de la jeunesse est depuis longtemps passé. Offrant son corps à la dévoration dans une eucharistie sanglante, Thomas se libère finalement de cet enfermement volontaire en ouvrant en grand les portes de son antre. Statufié en colosse de chair et de sang, il s’aperçoit qu’il fait tout à coup partie du paysage, invisible golem ignoré par les passants qui le croisent. Moralité : l’art peut être parfois le viatique incongru d’une intégration sociale réussie. Fabienne Arvers et Patrick Sourd Il est des nôtres de Jean-Christophe Meurisse, avec Thomas de Pourquery, dans le cadre du 24e Festival international du documentaire de Marseille, le 7 juillet à 19 h 45 au Théâtre national de La Criée et le 8 juillet à 18 h au Cinéma des Variétés, www.fidmarseille.org

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œuvres à système L’art de l’Italien Pietro Roccasalva constitue à lui seul un système, un circuit personnel où se recycle naturellement tout ce que l’artiste prélève du monde. A contempler tout l’été au Magasin de Grenoble.

vernissages Le Voyage à Nantes Pas question de laisser toute la place à Marseille sur le terrain de la culture. Prévu pour une seule édition, Le Voyage à Nantes remet finalement le couvert avec un parcours de quinze kilomètres et des dizaines d’installations dans l’espace public signées Lilian Bourgeat, HeHe ou Felice Varini. du 28 juin au 1er septembre dans la métropole nantaise, www.levoyageanantes.fr

Ida Tursic & Wilfried Mille Des fleurs, des canards en plastique, des monochromes et toujours un discours renouvelé sur la peinture. Voilà le programme que s’est fixé le duo de peintres Tursic & Mille, qui expose cet été en Bourgogne. à partir du 29 juin à la Galerie Pietro Sparta, Chagny (71), tél. 03 85 87 27 82

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u fond, toute œuvre est un système, faite de correspondances internes, d’échos et de résonances, de reprises, de déplacements et de variations. Généralement, cette dimension systémique n’apparaît pas tout de suite mais, la maturité aidant, elle se constitue et s’amplifie à mesure que l’œuvre grandit, se diversifie, pour devenir un vaste complexe à l’intérieur duquel s’organise tout un jeu de renvois. La particularité de l’artiste italien Pietro Roccasalva, né en 1970 à Modica, en Sicile, tient à ce fait : dès ses premières apparitions au début des années 2000, voilà une œuvre qui tourne en vase clos sur elle-même et se donne immédiatement l’allure d’un système. Elle attrape au passage quelques éléments du monde (une image d’un film, la figure d’un serveur de restaurant, le dôme d’une église en forme de presse-agrumes, autant dire des détails formels, des signes presque insignifiants), mais c’est pour mieux les ingérer, les recycler dans un circuit personnel de travaux, de références et de reprises – Roccasalva tient le monde

à distance. C’est d’ailleurs le problème apolitique des œuvres à système, mais qu’on ne s’étonne pas de les voir apparaître actuellement dans un monde en crise ouverte, en triste état – quand l’art se contente trop souvent de commenter l’état du monde sans le reformuler. Au Centre d’art du Magasin de Grenoble, qui lui consacre sa première grande exposition institutionnelle en France, l’artiste fait rejouer une autre de ses œuvres antérieures. Suivez le circuit : il a composé l’an dernier un grand tableau vivant mélangeant sculptures, objets et figurants, inspiré de La Ricotta de Pasolini, segment du film collectif RoGoPaG. Pour Grenoble, il a livré une version identique mais miniature de ce tableau vivant, installée sur une table, où les personnages sont remplacés par des figurines. Ensuite, certains dimanches, sept personnes viendront dessiner le tableau vivant en question, le temps d’une nouvelle performance. Le son enregistré de leurs crayonnages sera diffusé à l’extérieur de l’exposition. Erudit dans ses références externes, l’artiste procède surtout à une autoérudition, le tout s’organisant comme

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une suite de variations presque obsessionnelles sur des mêmes motifs, tel cet autre personnage de serveur de restaurant, tenant dans ses mains un plat en étain où se reflète le peintre. Un mot de sa technique picturale : composées à partir d’images photographiques retraitées et recomposées à l’ordinateur, puis peintes à l’acrylique ou au pastel avec un soin et une patience invraisemblables, ses peintures sont étrangement sans âge, relevant tout à la fois de la haute Renaissance italienne, de l’abstraction cubiste et de l’hyperréalisme. D’ailleurs, pour son expo au Magasin intitulée The Unborn Museum, l’artiste a modifié le plan des salles pour lui donner la forme d’un grand musée classique, ou d’art ancien, avec son grand couloir rectiligne et central. En passant de salle en salle, on suit un motif qui se répète ou se reprend, qui se mélange à un autre qui prend alors la suite, etc. L’un des grands traits formels de l’œuvre à système, c’est évidemment la mise en abyme constante : l’œuvre est à elle-même son propre miroir. En visitant l’expo, le directeur du Magasin, Yves Aupetitallot, me demanda si je voyais des artistes équivalents à Roccasalva sur la scène française. J’en mentionnerai deux. Dans l’actualité, on pourrait citer Gerald Petit, que notre collaborateur Judicaël Lavrador révèle pleinement à la Fondation Ricard. Avec une dose de sentimentalisme, son exposition L’Entremise retraite, duplique et découpe des images, des séquences

Courtesy de l’artiste et David Kordansky Gallery, L. A., photo Blaise Adilon

The Seven Sleepers, 2013

l’un des grands traits formels de l’œuvre à système, c’est la mise en abyme constante : l’œuvre est à elle-même son propre miroir

et des figures d’une relation amoureuse. Etreintes et séparations : le travail procède à la fois de la fragmentation et d’un esprit de système. Contemporaines, ces œuvres à système se déploient dans une gamme variée de médiums : un même motif passe de la peinture à la photographie, du dessin à la vidéo, de la sculpture en néon à la vidéo 3D. La variété des moyens et des pratiques mis aujourd’hui à la disposition des artistes vient ici permettre et augmenter un jeu de transferts successifs. S’il est un artiste qui dépasse l’autoésotérisme de Roccasalva, c’est Saâdane Afif. Avec son principe d’œuvres traduites en chansons qui donnent lieu elles-mêmes à des pièces nouvelles dans des médiums fort divers, Afif organise une transmédialité infinie et formule une haute idée de l’art. A l’IAC de Villeurbanne ce printemps, il a déployé l’une des expositions les plus importantes de l’année, dont la matrice était une seule et unique chanson, écrite par l’artiste Lili Reynaud-Dewar à partir d’une de ses pièces, pour ensuite déployer un opéra de travaux divers. Tout un jeu de vases non pas clos mais communicants. Jean-Max Colard Pietro Roccasalva The Unborn Museum, jusqu’au 1er septembre au Centre d’art Le Magasin, Grenoble, www.magasin-cnac.org Gerald Petit L’Entremise, jusqu’au 6 juillet à la Fondation Ricard, Paris VIIIe, www.fondation-entreprise-ricard.com 26.06.2013 les inrockuptibles 105

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Waste Land de Lucy Walker, “crowdfundé” puis nommé aux oscars en 2011

le doc sauvé par la foule ? Après avoir fait ses preuves pour la musique, le crowdfunding se développe aussi sur le net dans le domaine du documentaire. Un soutien salvateur pour les projets indé les moins consensuels.



près l’agriculture, le documentaire invente le circuit court. A la façon des maraîchers qui relancent la vente directe de fruits et légumes, des réalisateurs font désormais appel au public pour coproduire leurs films. Ils utilisent pour cela le système du crowdfunding, développé en France par une trentaine de plates-formes internet : Ulule, Touscoprod, Kisskissbankbank… En quatre ans, près de 40 millions d’euros ont été investis par ce moyen pour soutenir 60 000 projets dans divers domaines : audiovisuel, sport, mode, solidarité… A l’échelle mondiale, il a représenté 2,7 milliards de dollars (étude “Crowdfunding industry report 2013” du site massolution.com). Découvert par le grand public à travers la musique, et notamment le site MyMajorCompany, le crowdfunding se développe de plus en plus dans le secteur du documentaire. Ce sera l’un des thèmes abordés au Sunny Side of the Doc, à La Rochelle, jusqu’au 28 juin.

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“au début, les porteurs de projet étaient des étudiants. Aujourd’hui, des boîtes de production nous contactent pour compléter leurs budgets” Mathieu Maire du Poset (plate-forme Ulule) “Cette pratique permet d’aider les films indépendants à se monter, souligne le producteur Yves Jeanneau, commissaire général de ce grand marché international du documentaire. Si le contexte général est plutôt favorable au documentaire, avec 2 800 heures de diffusion par an sur les chaînes de télévision, on assiste toutefois à une uniformisation des programmes. Les films non consensuels ou d’investigation ont du mal à s’imposer. Le crowdfunding relève d’une forme de service public : il les aide à exister, grâce au public.” Le principe de financement participatif repose sur deux éléments – une somme minimale à atteindre et une durée maximale de levée de fonds – ainsi que sur les contreparties fournies en échange des dons (invitation à l’avant-première, DVD, rencontre avec l’équipe…). Parce qu’ils n’arrivent pas à remplir ces conditions, environ 50 % des projets n’aboutissent pas (les sommes sont alors remboursées). “Chez nous, la moyenne de réussite est un peu plus élevée, à 62 %, et encore plus pour les documentaires, à 69 %, explique Mathieu Maire du Poset, directeur des projets à Ulule, plate-forme créée en octobre 2010. C’est un secteur en pleine croissance. Au début, les porteurs de projet étaient des étudiants. Aujourd’hui, des boîtes de production nous contactent pour compléter leurs budgets.” Touscoprod s’est, elle, spécialisée dans l’audiovisuel dès sa création, en janvier 2009. Cette plate-forme est aujourd’hui reconnue par le département audiovisuel de la Sorbonne et par le Centre national du cinéma, où elle intervient. “Quand on s’est lancés, le crowdfunding était inconnu, raconte Matthias Lavaux, l’un des fondateurs. L’exemple qui nous a inspirés était celui d’un club de foot anglais, Ebbsfleet United, sauvé grâce à 27 000 supporters à travers un site, MyFootballClub… Notre premier projet a connu un beau succès : Fin de concession, un film de Pierre Carles sur l’histoire de TF1, qui a réuni 20 000 euros et a été diffusé en salle. Les documentaires se prêtent bien à l’outil du crowdfunding car ils touchent souvent à des sujets sensibles ou à des causes qui rassemblent des réseaux prêts à se mobiliser.” Preuve que cet outil a trouvé ses marques, il a été – indirectement – récompensé par les plus prestigieux trophées. Aux Etats-Unis, Inocente, qui raconte la vie d’une adolescente

sans papiers et artiste de rue, réalisé grâce au site Kickstarter, a obtenu en 2013 l’oscar du meilleur court métrage documentaire. Et 10 % des films présentés au festival de Sundance sont passés par le crowdfunding. Touscoprod a eu son heure de gloire en 2011 avec Waste Land, portrait d’un artiste américain de retour dans son pays natal, le Brésil : il a été nominé aux oscars. Le crowdfunding attire désormais des signatures connues, y compris dans la fiction – où l’on voit Michèle Laroque organiser avec fougue la campagne de financement participatif de son prochain long métrage, Jeux dangereux. “J’avais depuis longtemps l’envie de réaliser un portrait de Cavanna. Fondateur de Charlie Hebdo, romancier, anar, fils d’immigrés italiens, c’est un homme atypique, oublié des jeunes générations, raconte le journaliste Denis Robert. Personne n’en a voulu. Dans les chaînes de télé, je me suis heurté soit à des ignares qui ne le connaissaient pas, soit à des gestionnaires qui me disaient qu’il était trop vieux… Alors je suis passé par Kisskissbankbank. Il nous fallait 20 000 euros pour nous lancer, on en a récolté 22 300 en quarante jours. Cela nous a permis de trouver deux coproducteurs, la chaîne câblée Toute l’histoire et une télévision lorraine, Mirabelle. Et d’atteindre un budget de 90 000 euros. Comme par miracle, un des diffuseurs qui nous avaient dit non est revenu depuis sur sa décision…” Les grandes chaînes de télévision regardent encore d’un peu loin ce phénomène en plein développement. D’après Yves Jeanneau, cet outil “ne fait pas partie de leur culture, ni de leurs perspectives”. Mais il est convaincu qu’elles y viendront à terme. “Toute l’histoire du documentaire s’est faite autour de ce genre de mobilisations, rappelle-t-il. Il y a cinquante ans, la télévision n’en diffusait pas. Ce sont les projections militantes et les ciné-clubs qui les ont fait vivre. Le crowdfunding, aujourd’hui, encourage l’audace et l’originalité. A sa façon, c’est une forme de contre-pouvoir.” Martin Brésis Sunny Side of the Doc jusqu’au 28 juin à La Rochelle, www.sunnysideofthedoc.com principales plate-formes de crowdfunding fr.ulule.com, www.touscoprod.com, www.kisskissbankbank.com 26.06.2013 les inrockuptibles 107

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Les versions espagnole, américaine et italienne du magazine

VF se met à la VF Le groupe Condé Nast lance enfin la version française du magazine américain Vanity Fair : une institution de la presse, mêlant glamour et enquêtes, adaptée au lectorat hexagonal.

B  

rillant dehors, mordant dedans.” La promesse, affichée sur son site internet, était à peu près la seule chose visible depuis l’annonce du lancement de Vanity Fair en France. Pour le reste, la “VF de VF” dévoilée aujourd’hui dans les kiosques se préparait dans la plus grande discrétion, avec une équipe constituée pourtant depuis huit mois. Pour le mordant, la rédactrice en chef Anne Boulay est allée chercher Hervé Gattegno et Olivier Bouchara, respectivement nommés rédacteur en chef enquête et investigation et chef de la section reportage. Pour le brillant, Virginie Mouzat dirigera la mode et une direction artistique de haut vol. Michel Denisot endossera bien sûr le rôle de Graydon Carter, célèbre directeur du Vanity Fair américain, fleuron du groupe Condé Nast, propriétaire également de GQ, Glamour, AD… En adaptant le mythique mensuel en France, Xavier Romatet, président de Condé Nast France, entend réconcilier “l’information et le glamour”, qui, selon lui,

vont rarement de pair. “En France, juge-t-il, nous avons soit une presse dont on dit qu’elle est belle, mais qui est assez creuse, soit une presse d’investigation sérieuse mais qui est plutôt moche.” Pour y parvenir, Xavier Romatet a conservé les recettes efficaces de ce magazine centenaire qui, chaque mois, se vend à 1,25 million d’exemplaires outre-Atlantique. “Vanity Fair est un concept compliqué et exigeant”, poursuit-il. Une forme hybride en effet, qui mêle enquêtes fouillées, longs récits à cheval entre le reportage et la nouvelle, contributions extérieures (d’illustrateurs, d’écrivains) et interviews people. Le tout avec la photo comme élément éditorial. Seul “twist” dans la version française ? Une plus grande place accordée à la culture et à la mode (une série “sans mannequin”, précise-t-on, y sera consacrée chaque

mois) pour un lectorat français “plus sophistiqué que les Américains”, selon Xavier Romatet. “Surtout, explique Anne Boulay, nous avons énormément travaillé pour adapter un mélange des genres qui ne nous est pas du tout familier dans la presse française. A l’arrivée, il y a de la politique dans la mode, de la mode dans la politique, de la culture un peu partout…” Dans ce premier numéro – obtenu après quatre numéros 0 –, en revanche, pas de traductions tirées d’éditions étrangères : 100 % du contenu est français. “Néanmoins, nous n’avons pas de religion là-dessus, précise la rédactrice en chef. Si un jour nous avons envie de reprendre un récit issu du journal américain, nous le ferons.” En couverture, la posture est la même : “On ne s’interdit ni une star américaine, ni une star venue d’ailleurs, ni un vieux, rien du tout.” Alors, pour faire connaître et mettre dans

“à l’arrivée, il y a de la politique dans la mode, de la mode dans la politique, de la culture un peu partout…” Anne Boulay, rédactrice en chef

un maximum de mains ce nouveau mensuel méconnu de la plupart des Français, le premier numéro – sous embargo jusqu’à la veille de sa sortie – a été tiré à 400 000 exemplaires et se vendra 2 euros au lieu de 3,95. Pour cette troisième version européenne – après l’espagnole et l’italienne –, le groupe Condé Nast a investi 15 millions d’euros. “Si Vanity Fair pouvait faire comme GQ (qui se vend à 100 000 exemplaires par mois – ndlr), alors ce serait formidable”, rêve-t-on chez Condé Nast, avec un objectif de vente de 85 000 exemplaires par mois la première année et un équilibre à 100 000 en trois ans. Pour l’heure, la rédaction – très réduite, qui fonctionne comme un hub – est, elle, plongée dans les numéros de septembre et octobre. Quant à Anne Boulay, elle attend avant de se réjouir : “Pour avoir lancé un magazine (GQ – ndlr), confie-t-elle, je sais que ce qui compte, c’est le numéro 6. Passé l’excitation et la curiosité, en janvier, février, là on verra si ça marche.” Rendez-vous est pris. Lisa Vignoli

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du 26 juin au 2 juillet Aimé Césaire face aux révoltes du monde documentaire de Jérôme Cécil-Auffret. Mercredi 26 juin, 22 h 40, France Ô

sous le signe de la bête Dans un autoportrait plein de distance amusée, l’actrice Anne Brochet interroge le trouble de porter un nom d’animal. n dépit d’un visage très la fille-poisson interroge l’ambiguïté humain, fébrilement des affects entre les humains gracieux, Anne Brochet et les bêtes, comme Derrida dans se voit et se vit comme son texte L’animal que donc je suis. un poisson. La faute à son nom, En s’intéressant à ses pairs dont elle révèle dans un autoportrait – mesdames Vipère, Vache, fantaisiste combien il pèse sur Tortue, messieurs Teckel, Pigeon, sa vie intérieure. Comment vivre Vautour… –, marqués par cette paisiblement en portant le nom nomination forcée, elle crée d’un animal qu’elle imagine revêche, une communauté d’êtres troublés, fuyant, bourré d’arêtes et qui coincés entre deux statuts se mange en quenelles ? Comment antithétiques, dont elle serait assumer l’écart entre l’enveloppe une sorte de porte-voix réfléchie. d’un corps sans écailles et On aimerait lui suggérer de se un nom qui l’assigne à sa condition pencher désormais sur le trouble aquatique ? En questionnant sa de ceux qui portent un nom trop propre étrangeté (ou l’idée qu’elle banal pour être vraiment humain s’en fait), Anne Brochet se prête (Dupont, Durand…), qui rêvent au jeu réjouissant d’une analyse de la vitalité sauvage résonnant sauvage dans laquelle elle flotte chez tous les Marcassin et les au fil d’apparitions saisissantes. Brochet du monde. A chacun son Sous forme d’une enquête aux airs poison inoffensif. Jean-Marie Durand lacaniens, qui la conduit à des face-à-face avec ses parents mais Brochet comme le poisson aussi un orthophoniste, une documentaire d’Anne Brochet, linguiste, des pêcheurs et un rabbin, jeudi 27 juin, 23 h 05, Arte

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A l’occasion du centenaire de sa naissance, retour sur le parcours et la pensée essentielle du poète martiniquais. “Je serais un homme-juif, un homme-cafre, un homme-hindou-de-Calcutta, un hommede-Harlem-qui-ne-vote-pas, l’homme-famine, l’homme-insulte, l’homme-torture.” Dans son Cahier d’un retour au pays natal, Aimé Césaire, qui aurait eu 100 ans cette année, semble lier le destin du peuple noir dont il se fit le chantre à celui de tous les damnés de la terre. La “négritude” est un chant de révolte, dont la voix ne peut porter que si elle se fait aussi l’écho de toutes les luttes d’émancipation qui ont secoué le siècle. Césaire, homme de lettres, ami de Senghor, sera comme Sartre un intellectuel engagé, prenant fait et cause pour tous les peuples opprimés, qui à la fin de la Seconde Guerre mondiale brisent le joug des empires coloniaux. Mais, contrairement au philosophe existentialiste, il assumera aussi des fonctions politiques : compagnon de route du Parti communiste français, maire de Fort-de-France, député, puis, après sa rupture avec le PCF en 1956, créateur du Parti progressiste martiniquais en 1958… Comment se sont construits sa conscience et son parcours politiques ? La question que se pose Corentin, jeune lycéen martiniquais, qui prépare un exposé sur Césaire et le communisme, est vaste car elle est indissociable de l’histoire coloniale et des guerres d’indépendance du XXe siècle. Le documentaire, qui accompagne l’adolescent dans ses recherches, n’échappe donc pas au survol scolaire d’archives mais parvient toutefois à cerner l’esprit profondément libre de ce penseur essentiel. Nathalie Dray

Dans l’œil de Buñuel

Catherine Deneuve et Luis Buñuel sur le tournage de Belle de jour, 1966

Traversée de la filmographie du grand provocateur espagnol, avec de nombreux témoignages. Réalisé et diffusé à cette œuvre qui triture l’occasion d’un cycle Buñuel sans trêve la religion marquant le trentième chrétienne, fondement anniversaire de la mort de la civilisation occidentale. du cinéaste espagnol, Le documentaire évoque ce documentaire parcourt les films-scandales à un rythme soutenu (L’Age d’or, Viridiana sa filmographie, allant ou Belle de jour) et ne de l’œil tranché du Chien s’intéresse qu’à trois films andalou (1929), qui inaugura de sa période mexicaine sa carrière, à la femme (dont Los Olvidados), la plus dédoublée de Cet obscur méconnue et prolifique, objet du désir (1977), point et sans doute la meilleure. d’orgue troublant. Cruauté Son œuvre française, et érotisme s’allient dans celle du Charme discret

Collection privée Juan Luis Buñuel

documentaire de François Lévy-Kuentz. Lundi 1er juillet, 22 h 25, Arte

de la bourgeoisie et de Belle de jour, est plus détaillée, avec un grand nombre d’explications malicieuses de Buñuel lui-même ainsi

que des souvenirs précis de ses proches et collaborateurs, de Michel Piccoli à Catherine Deneuve en passant par Jean-Claude Carrière, scénariste attitré de sa dernière période. Une bonne introduction à l’œuvre d’un artiste affilié au surréalisme, qui scruta les mœurs de son temps sur un mode à la fois critique et poétique. Vincent Ostria 26.06.2013 les inrockuptibles 109

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A. H.

les oreilles de Mickey Le renseignement américain espionne nos conversations sur Facebook et collecte nos informations privées sur Google. Est-ce vraiment une surprise ? Non. Existe-t-il des stratégies pour se protéger ? Oui.

C  

’est bien fait”, disent-ils ! Suite aux révélations du lanceur d’alerte Edward Snowden, jeune informaticien et ancien employé de la CIA, sur Prism, cet outil de surveillance made in USA qui permet de scruter ce que le monde entier traficote sur internet en puisant dans les données que nous laissons sur les serveurs des très populaires Google, Facebook, Apple et autres Microsoft (pour ne citer qu’eux), le temps n’est pas vraiment à l’indignation. Au contraire : si certaines voix s’élèvent pour dénoncer cette banalisation de la surveillance, on entend finalement surtout les indifférents, les blasés et les redresseurs de torts. Du côté des initiés, certains donnent ainsi dans le “on vous l’avait bien dit”. Les profanes, soit la majorité d’entre nous, bien souvent utilisateurs actifs des géants du net aujourd’hui mis en cause, hésitent entre un haussement d’épaules résigné et l’adoption d’un discours depuis longtemps maîtrisé outre-Atlantique : si on n’a rien à se reprocher, alors on n’a rien à craindre. Suivant cette logique, près de 40 % des personnes interrogées en Allemagne suite à ces révélations approuveraient que l’Etat pose ses yeux sur les communications. Elles seraient près de 50 % aux Etats-Unis.

L’affaire Prism n’est-elle qu’un juste retour de bâton ? Un non-événement qui viendrait sanctionner une humanité un peu trop prompte à se foutre à poil sur internet ? Oui, c’est vrai : on savait. Depuis des années déjà, Echelon, nom de code d’un autre programme de surveillance planétaire piloté une fois encore par les Etats-Unis, scrute toutes nos conversations, y compris sur internet. Un exemple connu parmi tant d’autres soupçonnés. Que ce soit par pigeon voyageur ou par mail, qui dit communication dit interception. Oui, c’est vrai aussi : nous portons tous une part de responsabilité dans l’affaire. Nous, centaines de millions d’internautes à nous être jetés dans les bras confortables de services aussi pratiques, intelligents et progressivement devenus indispensables que Facebook, Google ou bien encore Apple. Mais est-ce à dire qu’il faut accepter sans sourciller

il est peut-être temps d’explorer les coulisses de ces prisons dorées, d’ouvrir le capot et de mettre les mains dans le cambouis

que les grandes oreilles de Mickey nous écoutent avec autant de facilité ? Au-delà de la résignation et de la flagellation, Prism peut être vu comme l’occasion idéale de repenser notre rapport à tous nos appendices connectés, smartphones, ordinateurs et bientôt objets plus intégrés encore à nos corps. L’entreprise sera loin d’être facile : les géants du net n’ont pas acquis leur titre par hasard. Mais leurs services et leurs machines ont une contrepartie, qui se fait d’autant plus prégnante aujourd’hui : on ne sait souvent rien de ce qui se passe dans leurs entrailles. Il est peut-être temps d’explorer les coulisses de ces prisons dorées, d’ouvrir le capot et de mettre les mains dans le cambouis. Des alternatives existent et des initiatives s’efforcent de les faire connaître. Encore récemment, un livre, Anonymat sur l’internet de Martin Untersinger, propose de vous “donner une palette d’outils, de l’astuce la plus simple à la stratégie la plus complexe, pour comprendre et protéger les informations que vous laissez filer à chacune de vos connexions”. De son côté, l’auteur de L’Humanité augmentée, Eric Sadin, appelle à prendre la mesure de cet “enjeu civilisationnel” et à inventer d’urgence un “Habeas Corpus numérique”. Andréa Fradin

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musiques Pour sa 25e édition, le festival des Eurockéennes s’affiche en grand format avec plus de soixante-dix concerts. Seront présents : Jamiroquai, Alt-J, Major Lazer, La Femme, Juveniles, les Smashing Pumpkins, Woodkid, Danny Brown, Phoenix, Lou Doillon, Two Door Cinema Club, Valerie June, Blur, My Bloody Valentine, Disclosure, Palma Violets et d’autres encore… à gagner : 10 pass pour les 4 jours

de Franc Roddam, en salle

cinémas Apparu sur grand écran en 1979, Quadrophenia, film britannique de Franc Roddam, inspiré du concept-album du groupe rock The Who et mettant en scène les aventures de Jimmy the Mod interprétées par l’acteur anglais Phil Daniels, ressort dans sa version restaurée le 26 juin au cinéma. à gagner : 20 x 2 places de cinéma et 20 sacs en toile

Festival Beauregard du 5 au 7 juillet au château Beauregard à Hérouville-Saint-Clair (14)

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fin des participations le 30 juin

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littérature Lanark d’Alasdair Gray Un écrivain incroyable qui commence seulement à se faire connaître au-delà des frontières de l’Ecosse. Lanark est un chef-d’œuvre épique qui exprime à la fois l’esprit de Glasgow à une période précise et l’aliénation qu’on peut ressentir à la fin de l’adolescence.

musique Bambi de Sébastien Lifshitz De l’Algérie française au gay Paris sixties, un trajet de vie trépidant et romanesque documenté par un réalisateur subtil et sensible.

L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie Un thriller désirant, exalté et sublime.

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La Route de Los Angeles ; Bandini ; Demande à la poussière de John Fante Tombé dans l’oubli puis redécouvert dans les 80’s, John Fante fait partie des rares écrivains qui ont changé l’écriture.

Star Trek into Darkness de J. J. Abrams Second mouvement de la reprise en main de la vieille Enterprise. Encore un sans-faute.

musique Le Sacre du printemps d’Igor Stravinski L’œuvre musicale la plus primitive et la puissante du XXe siècle. recueilli par Noémie Lecoq

Franz Ferdinand Leur nouvel album, Right Thoughts, Right Words, Right Action, sortira le 26 août. Ils seront en concert le 23 août à Rock en Seine.

Bertrand Belin Parcs Sa voix grave sonne comme le tonnerre et ses dégâts sont considérables. Une fille bien d’Holly Goddard Jones Une poignée de personnages en quête d’une vie meilleure dans un bled du Kentucky.

The Bling Ring de Sofia Coppola Chronique malicieuse d’une bande d’ados dévalisant les people de Beverly Hills.

Symphonie n° 9 d’Antonín Dvorák La pop-music du monde classique, qui compile les meilleurs riffs du classique avec ceux de Beethoven ! Très stimulant et émouvant.

L’Atelier mastodonte par Lewis Trondheim et ses acolytes Le quotidien d’un atelier fictif de BD.

Laura Mvula Sing to the Moon Un premier album en état de grâce. Elle ne chante pas la soul, elle l’enchante.

Juveniles Juveniles Les Rennais prennent la relève, prometteuse et flamboyante, de l’electro-pop française.

WorkingGirls saison 2, Canal+ Une vision burlesque et angoissante du monde du travail. Odysseus Arte Un huis clos comme un Lost antique. South Park Game One Une quinzième saison qui débute par un épisode consacré à Apple.

L’Eté slovène de Clément Bénech Un premier roman délicat qui met en scène une excursion estivale tournant au fiasco.

Une renaissance sartrienne d’Annie Cohen-Solal L’héritage du père de l’existentialisme, figure un peu oubliée de la philosophie.

Villa Mauresque de Flo’ch & Rivière Le duo ressuscite Somerset Maugham le temps d’un roman graphique.

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Rituel pour une métamorphose de Saadallah Wannous, mise en scène Sulayman Al-Bassam ComédieFrançaise, Paris Une farce osée et engagée du premier auteur de langue arabe joué au Français.

Mes jambes, si vous saviez, quelle fumée... adaptation Bruno Geslin et Pierre Maillet Théâtre de la Bastille, Paris Inspiré de la vie et de l’œuvre de Pierre Molinier.

Ugzu Jean-Claude Leguay, Christine Murillo et Grégoire Œstermann Théâtre du Rond-Point, Paris Un trio ravageur pour définir des mots qui n’existent pas.

Markus Schinwald CAPC de Bordeaux L’artiste autrichien investit toute la nef du CAPC avec une installation totale, relais de ses obsessions.

Loris Gréaud Louvre et Centre Pompidou, Paris Coup double pour l’artiste postapocalyptique, grand admirateur de Lynch et Burroughs, qui signe deux superproductions.

Biennale de Venise Une Biennale un peu tournée vers le passé mais qui laisse émerger des trésors : le pavillon lituanien et le film de la Française Camille Henrot, entre autres.

Animal Crossing – New Leaf sur 3DS (Nintendo) Ce jeu rare donne envie de flâner le nez au vent et offre plus de temps qu’il n’en prend.

Metro – Last Light sur PS3, Xbox 360 et PC Survivre dans un Moscou postatomique.

Remember Me sur PS3, Xbox 360 et PC Ce premier jeu d’un studio français invente une bluffante version futuriste de Paris.

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par Serge Kaganski

janvier 2010

dans l’arène face à la bête

James Ellroy

 L

’année 2010, c’est un peu récent pour un “Print”, mais je n’ai pas pu résister à James Ellroy. A mes yeux, l’auteur du Dahlia noir est découpé dans le même bois que Jim Harrison, Mohamed Ali, Charlie Parker, Martin Scorsese, James Brown, Norman Mailer, Iggy Pop, Al Pacino, Eddie Bunker ou Bruce Springsteen : du pur concentré d’americana, de la testostérone en barre, du hard-boiled calciné, de la créativité en scope et du showmanship bigger than life. En 2010, il passait par Paris pour la sortie d’Underworld USA (également le titre d’un film noir et social de Samuel Fuller, et ce n’est sans doute pas un hasard), dernier volet de son ébouriffante trilogie de l’histoire américaine : soit les années Kennedy-Luther King-Nixon boostées au jus de couilles, au bourbon sans glaçons et aux rails de coke. Cela dit, le Ellroy, c’est comme le Parisien, mieux vaut le lire que l’avoir en face de soi, c’est moins risqué. Le gars est à peu près aussi commode que l’indique sa tronche de taulard QHS à peine adoucie par des lunettes de fiotte intello. Je l’avais rencontré vingt ans avant et ça ne s’est pas arrangé. Ellroy est toujours autant de droite, arrogant, mal embouché. Mais tant mieux évidemment, ça fait de la bonne copie. Au début de notre entretien, il s’énerve déjà, estimant mes questions trop longues, trop alambiquées,

trop chargées de commentaires sur son travail. Alors il m’ordonne : “Posez-moi des questions qui commencent par ‘what’, ‘when’ ou ‘how’ !” Euh, oui m’sieur. J’essaie, ça va, la conversation reprend, mais je sens bien que mon sourire en coin l’agace prodigieusement. A un moment, j’aborde le racisme de certains de ses personnages, son talent pour écrire des dialogues qui mixent argot et xénophobie, et boum, ça pète. “Hey ! Vous me coupez la parole, là ! Ne m’interrompez pas, OK !” Il hurle, et je le sens à deux doigts de stopper l’interview et de m’en coller une. Mais ça repart, dans la coolitude la plus totale. Extraits : “Je ne veux pas savoir ce qui se passe en France, je m’en tamponne la raie du cul !”… “Lâchez-moi avec Obama !”… “Je ne sors pas au cinéma, je n’ai pas internet, pas de portable, pas de télé, je ne lis pas les journaux, je n’aime pas la foule dans les rues. Comment vous le dire ? Rien à branler de tout ça ! J’aime les femmes, la solitude, mon univers de fiction, la musique classique et les chiens.” Comment dit-on misanthrope en américain ? A la fin de cet entretien tendu, il accepte une photo-souvenir à mes côtés devant l’objectif de Benni Valsson, me prend par l’épaule, me parle courtoisement, sourit. Alors, enfoiré ou excellent comédien ? Difficile de trancher. Grand écrivain et super client pour interview, ça ne fait pas l’ombre d’un doute.

Un entretien avec le noir Ellroy mais des Inrocks aux couleurs chatoyantes de Vampire Weekend

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