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No.906 du 10 au 16 avril 2013

www.lesinrocks.com

+ édition régionale

pleins gaz

16 pages

Cahuzac hypocrisie générale

La Femme

avenir de l’electro

Christophe supplément 8 pages

Houellebecq tout un po me M 01154 - 906 - F: 3,50 €

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Allemagne 4,40 € - Belgique 3,90 € - Canada 6,99 CAD - DOM 4,80 € - Espagne 4,30 € - Grande-Bretagne 6,30 GBP - Grèce 4,30 € - Italie 4,30 € - Liban 10 800 LBP - Luxembourg 3,90 € - Maurice Ile 6,30 € - Portugal 4,30 € - Suède 53 SEK - Suisse 6,50 CHF - TOM 960 XPF

Matt Damon

BORDEAUX

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par Christophe Conte

cher Bernard Tapie

C  

’était un lendemain de 1er avril qui sentait encore fortement la marée. Un ex-ministre du Budget tout juste démissionné, pris dans la nasse d’une affaire de fraude fiscale, donnait un peu d’air à sa conscience en avouant avoir mené tout le monde en bateau, révélant sous la contrainte des canards déchaînés qui lui tournaient autour la profondeur abyssale des mensonges dont il s’était rendu coupable. Dans la petite marre médiaticopolitique, l’aveu provoquait l’un de ces tsunamis sinistrement prévisibles depuis qu’une certaine gauche aux comportements de droite a fait des eaux troubles son milieu naturel et du harponnage de la morale publique son sport favori. Les héritiers, probablement, Nanard, de ceux qui jadis te bombardèrent ministre dans un gouvernement socialiste, plantant à tout jamais une arête dans la gorge

des idéalistes et autres naïfs qui croyaient à l’étanchéité entre la gauche et le monde des affaires. Ta mémoire, Bernard, n’étant pas celle d’un poisson rouge, ce dont nous n’avions jamais douté vu ton parcours de requin, tu profitas de l’occasion pour nous administrer une belle leçon de maintien journalistique. C’est en effet sous tes nouvelles écailles de patron de presse (rires) que tu te précipitas devant le premier micro venu pour réagir à chaud aux aveux de Cahuzac. “Il est très dangereux de faire en sorte qu’il ait l’impression que sa vie est terminée parce qu’il risque de la terminer”, professais-tu, avant de poursuivre la démonstration ainsi : “Ça serait dommage qu’un nouvel accident genre Bérégovoy se produise.” Pierre Bérégovoy, ancien Premier ministre du gouvernement où tu possédais le portefeuille de la Ville, mis en cause dans une affaire de prêt douteux, s’était on s’en souvient donné la mort

un 1er mai, son honneur “livré aux chiens”, selon la formule de Mitterrand. En malaxant ces souvenirs douloureux pour la République avec le drame plus frais de Koh-Lanta, tu t’érigeais à bon compte en parangon des vertus médiatiques, cherchant – cela se sentait à plein nez – à nous émouvoir rétrospectivement sur le sort qui aurait pu être le tien lorsque tu étais plongé dans les mêmes tourmentes judiciaires. En janvier dernier, sur le plateau de BFM TV, tu évaluais d’ailleurs à “pas plus de trois lignes” le traitement qu’il convenait de donner dans tes journaux aux histoires de comptes en Suisse supposés de celui qui était encore ministre. Les journalistes que tu emploies – pas trop cher, pour pas “qu’ils aillent se payer des putes” – ont sans doute aussi voulu mourir ce jour-là. Moins toutefois que lorsque tu les obligeas, la semaine dernière, à consacrer un publi-reportage à ta fille, apprentie cagole chantante dans The Voice. Tu préfères ça j’imagine aux enquêtes de Mediapart, site fouille-vase qui, il est vrai, te cherchait – et te cherche encore – des noises à propos de l’arbitrage favorable dont tu aurais bénéficié de la part de Christine Lagarde dans l’affaire du Crédit lyonnais. Preuve de ta grandeur, ou plutôt de ton narcissisme aux limites du supportable, c’est ce même Cahuzac, que tu protèges désormais d’une connerie à laquelle il n’a sans doute pas songé, qui a diligenté l’enquête en question au sein de l’administration des finances. Tu es décidément trop bon mon Nanard, ta panoplie de journaliste en herbe commence à ressembler étrangement à celle de Jean-Michou Apathie dont nous rappelions ici-même l’élasticité des coutures avant que le dénouement de l’affaire Cahuzac plonge le bec de ce pauvre homme dans l’eau où lui aussi s’était un peu trop miroité. A vrai dire, vous feriez une belle équipe tous les deux, tu devrais l’embaucher. Le journalisme qui épargne les canailles et escamote les coups tordus aurait ainsi de belles heures devant lui. Je t’embrasse pas, on n’est pas en affaire(s). participez au concours “écrivez votre billet dur” sur

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No.906 du 10 au 16 avril 2013 couverture Michel Houellebecq par David Balicki pour Les Inrockuptibles couverture régionale Alba Lua par Audoin Desforges pour Les Inrockuptibles

cher Bernard Tapie

10 on discute MH, morceaux choisis

12 quoi encore ? gun fight avec Tyler, The Creator

David Balicki pour Les Inrockuptibles

05 billet dur

34

14 événement John Tremblay, Untitled, 2006, photo André Morin, courtesy Triple V, Paris

l’affaire Cahuzac par Denis Robert, Antoine Peillon, les Pinçon-Charlot et un membre d’un cabinet ministériel

18 business Jay-Z se lance dans le base-ball

20 entretien décryptage du sociologue Eric Fassin sur la nécessité d’une nouvelle loi sur le voile

22 nouvelle tête Léonie Pernet, musicienne électronique

24 la courbe du pré-buzz au retour de hype + tweetstat

26 à la loupe Snoop, un rastafarien un rien fumeux

28 idées

48

réinventer une école “vraiment” démocratique

30 où est le cool ? dans les maisons de Rocio Romero, les imprimés d’Anna-Sophie Berger…

54

retour à la poésie pour le Goncourt 2010. En entretien, il aborde son travail, ses obsessions, ses craintes et même ses espoirs

42 La Femme, des garçons en or premier album des Basques “strange wave”. Visite guidée de leurs lieux de jeunesse et de (ré)création à Biarritz

48 le retour de l’art cinétique une nouvelle génération fait renaître les formes et les couleurs de l’op art. Portfolio

54 Matt Damon, l’ami américain l’acteur joue dans Promised Land, réalisé par Gus Van Sant. Une charge politique dont il est l’auteur. Entretien

Damon Winter/NYT/Redux/RÉA

34 Michel Houellebecq poète

pour l’édition régionale

Bordeaux la bondissante cahier 16 pages

59 Peter Stein made in France l’Allemand, pionnier du théâtre collectif, dirige pour la première fois des acteurs français, au Théâtre de l’Odéon. Rencontre

retrouvez aussi l’édition régionale sur iPad et kiosques numériques 10.04.2013 les inrockuptibles 7

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société Everial au 01 44 84 80 34

64 Jacques Demy, l’exposition la Cinémathèque rend hommage à l’auteur des Parapluies de Cherbourg

66 sorties Derrière la colline, La Belle Endormie, Le Temps de l’aventure…

71 livres une biographie de Frank Borzage, cinéaste américain des années 20 à 50

72 dvd Lenny and the Kids et The Pleasure of Being Robbed des frères Safdie…

74 jeux vidéo

Sly Cooper – Voleurs à travers le temps…

76 séries Jane Campion réalise une minisérie

78 Chancha Via Circuito et Tremor reportage à Buenos Aires avec les fiers représentants de la scène electro-roots

80 mur du son demi-finale inRocKs lab du Nord-Est, les reprises de Brassens…

81 chroniques Low, Rachid Taha, Peace, Christophe, Suede, Theme Park, Stephen Stills…

89 concerts + aftershow Matthew E. White

90 Edgar Hilsenrath et Ayerdhal espions gays, intrigues loufoques et burlesques : le polar se fait queer

92 romans Pascal Quignard, Christophe Fiat

94 tendance des nouvelles de l’Amérique

96 bd hommage à Fred, l’auteur de Philémon

98 Apache la rencontre entre Alain Bashung et la danse hip-hop + Germinal, Poetry

102 Raymond Roussel l’influence de l’écrivain sur les artistes contemporains + Marianne Vitale

104 Haïti année zéro un documentaire dénonce la faillite de l’aide occidentale à la reconstruction

106 programmes La Promesse de Florange, Contre-histoire de la France outre-mer, Affaires familiales

109 radio sur Le Mouv’, Glitch explore les marges de la musique

111 net les lunettes de Google

112 best-of profitez de nos cadeaux spécial abonnés

pp. 46 et 108

sélection des dernières semaines

114 print the legend

mai 1993 : une leçon avec le professeur Rohmer

rédaction directeur de la rédaction Frédéric Bonnaud rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, JD Beauvallet, Pierre Siankowski comité éditorial Frédéric Bonnaud, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne, Jean-Marie Durand, Nelly Kaprièlian, Christophe Conte secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot chefs d’édition Elisabeth Féret, David Guérin reporters Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Anne Laffeter, Marion Mourgue actu rédacteur en chef Pierre Siankowski Géraldine Sarratia (chef de service), Diane Lisarelli, David Doucet, Geoffrey Le Guilcher, Guillaume Binet (photo) style Géraldine Sarratia idées Jean-Marie Durand cinémas Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain, Vincent Ostria, Erwan Higuinen (jeux vidéo) musiques JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) livres Nelly Kaprièlian scènes Fabienne Arvers expos Jean-Max Colard, Claire Moulène médias/télé/net Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint) collaborateurs O. Amsellem, D. Balicki, E. Barnett, R. Blondeau, T. Blondeau, D. Boggeri, M. Delcourt, J. Delem, A. Desforges, M. Despratx, A. Dubois, A. Fradin, H. Frappat, F. Gabriel, P. Garcia, L. García Garrido, O. Joyard, C. Larrède, J. Lavrador, N. Lecoq, H. Le Tanneur, Luz, P. Morais, P. Mouneyres, P. Noisette, E. Philippe, J. Provençal, M. Robin, L. Soesanto, P. Sourd, A. Vicente lesinrocks.com directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteur en chef Pierre Siankowski rédacteurs Diane Lisarelli, Thomas Burgel, Azzedine Fall, Carole Boinet éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomarès graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz lesinRocKs.tv chef de rubrique Basile Lemaire assistant Fabien Garel photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot second sr Fabrice Ménaphron sr François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Laetitia Rolland, Anne-Gaëlle Kamp conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Luana Mayerau, Nathalie Coulon publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél 01 42 44 18 12 coordinateur François Moreau tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 15 31 publicité commerciale, directeur Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 directrices de clientèle Isabelle Albohair tél. 01 42 44 16 69 Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web Chloé Aron tél. 01 42 44 19 98, Lizanne Danan tél. 01 42 44 19 90 coordinateur Nicolas Rapp tél. 01 42 44 00 13 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 assistant Antoine Brunet tél. 01 42 44 15 68 marketing, promotion promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 relations presse/rp tél. 01 42 44 16 68 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 chef de projet Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 assistante promotion marketing Céline Labesque tél. 01 42 44 16 68 assistant marketing direct Elliot Brindel tél. 01 42 44 16 62 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement Les Inrockuptibles, service abonnement, libre réponse 63 096, 92 535 Levallois Perret Cedex infos 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement France 1 an : 115 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 1 407 956,66 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse direction générale Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Sonia Pied administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2013 directeur de la publication Frédéric Roblot © les inrockuptibles 2013 tous droits de reproduction réservés ce numéro comporte un encart abonnement 2 pages “Edition Bordeaux” jeté dans l’édition vente au numéro des départements 24, 33, 40, 47 et 64 ; un cahier de 16 pages “Edition Bordeaux” broché dans l’édition kiosque et abonnés des départements 24, 33, 40, 47 et 64 ; un supplément de 8 pages “Christophe” jeté dans les éditions kiosque et abonnés Paris-Ile-de-France.

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l’édito

MH, morceaux choisis 1. Nous vivrons mon aimée sans aucune ironie, Et nous achèterons peut-être des canaris J’aime quand tu vas nue répondre au téléphone, Il y en a peu qui aiment et très peu qui se donnent. 2. Ça faisait vingt ans qu’on voyait l’économie de marché investir le champ libidinal sous couvert de libération des mœurs. Les années 80 me semblaient une suite logique de la glorification des égoïsmes. Les Inrockuptibles, entretien avec Marc Weitzmann, avril 1996

3. HMT Au fond j’ai toujours su Que j’atteindrais l’amour Et que cela serait Un peu avant ma mort. Configuration du dernier rivage, Flammarion, 2013

4. Je n’ai qu’un ennemi : le libertaire, le libéral. Le libertaire est un libéral en puissance, avec quelques cas particulièrement horribles, comme le sataniste ou l’écologiste radical. Les Inrockuptibles, entretien avec Bertrand Leclair et Marc Weitzmann, août 1998

5. Mes romans ne partent pas d’abord de la société mais d’abord des personnes, des personnages, de phénomènes humains que je veux retranscrire. Au fond, quand on m’interroge j’ai plus tendance à les expliciter en termes psychologiques que sociologiques. Peut-être est-ce dû à une certaine méchanceté chez moi, parce que le sociologique, c’est plus cruel. Les Inrockuptibles, entretien avec Nelly Kaprièlian, septembre 2010

6. FACE B Et puis soudainement tout perd de son attrait Le monde est toujours là, rempli d’objets variables D’un intérêt moyen, fugitifs et instables, Une lumière terne descend du ciel abstrait. C’est la face B de l’existence, Sans plaisir et sans vraie souffrance Autre que celles dues à l’usure, Toute vie est une sépulture. Tout futur est nécrologique Il n’y a que le passé qui blesse, Le temps du rêve et de l’ivresse, La vie n’a rien d’énigmatique. Configuration du dernier rivage, Flammarion, 2013

7. J’ai parfois le sentiment que Baudelaire a été le premier à voir le monde posé devant lui. En tout cas, le premier dans la poésie. En même temps, il a considérablement accru l’étendue du champ poétique. Pour lui, la poésie devait avoir les pieds sur terre, parler des choses quotidiennes, tout en ayant des aspirations illimitées vers l’idéal. Cette tension entre deux extrêmes fait de lui, à mon sens, le poète le plus important. Les Inrockuptibles, entretien avec Marc Weitzmann, avril 1996

Frédéric Bonnaud PS : un membre d’un cabinet ministériel nous a envoyé un texte, Sidération, pp. 16-17. Je n’ai rien trouvé à y ajouter.

Alexandre Isard

Configuration du dernier rivage, Flammarion, 2013

courrier Gonzales mieux que le Prozac

Configuration scénique réduite à l’essentiel pour Gonzales samedi soir à Coutances, en piano solo au théâtre municipal… Le toujours très affable, prolixe et (…) hilarant pédagogue séduit (…) et tord le cou à l’idée reçue selon laquelle le génie musical serait une entrave insurpassable signifiant la perte de contact avec ses prochains. Eh bien non, ce n’est pas toujours le cas… Preuve en est avec l’entertainer en robe de chambre et pantoufles, facétieux et pas ségrégationniste pour un sou qui annonce à peu près ceci : “J’ai composé ce morceau, basé sur l’interaction des blanches et des noires, de façon à ce qu’elles partouzent”. Hilarité générale. Chilly Gonzales se propose d’illustrer – génialement – le “majeur” et le “mineur” en musique : pour lui, la tonalité majeure est celle que se choisissent les militaires, les monarchies, précisément dominatrices “majoritaires”, les accords mineurs étant ceux naturellement utilisés, par exemple, par les “Juifs hongrois” (…) qui sont… “minoritaires” et dont les préoccupations aussi sont mineures si on se place du côté de leur “opposé” direct. (…) A mon avis, avec ce véritable sérum de vérité musical (…), l’époque pourrait non seulement interpréter “politiquement” les chansons du nouvel album de Mme Carla Bruni (…) mais en plus faire passer les textes de la dame au détecteur de mensonges (!) grâce à l’analyse des grilles d’accords (mineurs ou majeurs) qui les soutiennent (…) Et définir plus clairement un penchant politique (plutôt droite ou plutôt gauche) pour l’ex-première dame de France. Bravo Gonzales en tout cas, l’antiseptique indiqué contre la morosité. Eddy Durosier

écrivez-nous à courrier@ inrocks.com, lisez-vous sur http://blogs.lesinrocks.com/ cestvousquiledites

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“Salut, bande de têtes de bite”

Jake Lewis

Tyler, The Creator (capuche rose) s’adressant aux journalistes

j’ai fait du paintball avec

Tyler, The Creator

L

a première fois que j’ai interviewé le rappeur californien Tyler, The Creator, c’était compliqué. Il a passé une heure à éviter mes questions, à jeter des cacahouètes dans la raie des fesses d’une grosse dame attablée devant nous et à se marrer comme un gosse. Il n’était intéressé que par les chaussettes, le bacon, sa montre “qui défonce, achetée 6 dollars sur eBay” et Eminem – dont il maîtrise la discographie comme personne. Quand on a appris qu’il ne ferait pas d’interview pour la sortie de Wolf, son troisième album, on s’est dit que c’était pas plus mal. Et quand il nous a convoqués dans la campagne anglaise pour une partie de paintball, c’était encore mieux. Voilà comment on s’est retrouvés sous la grisaille de l’Essex, pétoire multicolore à la main, en guerre contre la Californie : en face de nous, cinq lascars d’Odd Future armés jusqu’aux dents et détestant les journalistes. “Salut, bande de têtes de bite”, lâche fièrement Tyler en débarquant. Normalement, au paintball, lorsqu’on est touché, on passe son tour. Mais ça, c’est quand on joue réglo : là, c’est du paintball version streets of L. A., un drive-by-peinture avec un gang de gamins d’une mauvaise foi absolue moquant les balles d’un doigt tendu ; “Même pas mort, bâtard !” Détendu, Tyler prend même quelques minutes pour discuter avec la presse, mais sans cesser de se bagarrer avec ses potes Domo et Taco ; youpi, c’est la colo, ça parle cartoons et cookies. Fatalement, lorsqu’un journaliste glisse une vraie question sur le rap, Tyler botte en touche : “Ta question me rappelle pourquoi j’ai arrêté

d’aller à l’école. Je suis confus, désolé, je ne comprends rien à ce que tu demandes.” La conversation – chaotique – vire junk-gastronomy, terrain de prédilection de Tyler : “En Angleterre, il n’y a pas de vrai bacon, ils ont cette espèce de jambon rose et flasque. Le pire, c’est le petit déjeuner : aux States, on a des gaufres, du sirop, du bacon. Ce matin, la connasse de l’hôtel m’a servi des putains de beans ! J’étais choqué !”, raconte-t-il, théâtral, le swagg de son hoody rose fluo enterré sous sa combi camouflage crépie de bouillasse. La guerre fait rage. La tour où est retranché le crew résonne de rires sonores en pleine montée de speed : “Bande de bâtards, goûtez ce flingue !” En écoutant Wolf, on se dit pourtant qu’il y a des moments où Tyler arrête de faire le con : il y a ici une hypnose noire travaillée, une cohérence et une créativité impressionnantes. Aux commandes, le rappeur est seul : “J’aime pas bosser avec l’extérieur. J’aime tout contrôler, je veux pas gérer un gars qui vient poser ses claviers ou je ne sais quoi.” Sur Wolf, aucun featuring hors de la famille O. F., à l’exception de Pharrell Williams et Erykah Badu : “J’avais 10 ans quand Erykah a fait Mama’s Gun ; c’est un peu un rêve de gosse. Et Pharrell… ben c’est Pharrell ! Je n’ai travaillé qu’avec des gens qui m’ont vraiment influencé. Les seuls qui me manquent désormais sont Roy Ayers et Eminem. Le reste, je m’en cogne.” Alors que son crew poursuit son monochrome bleu sur le dos de la presse, Tyler se replie : “Je me suis niqué la main… On a bien cartonné quand même !” Je lui dis que la partie n’est pas finie, que c’est juste lui qui est mort. Il répond qu’on fera moins les malins en écoutant Wolf. Ce qui ne devrait pas tarder : “Le disque a leaké hier soir, je sais, mais j’ai de la chance, c’est à peine cinq jours avant sa sortie. Il y a des types dont le disque fuite deux mois avant. Je me suis bien démerdé, il y a une grosse attente. Je suis un génie du marketing en fait !” Avec Wolf, brut, barré et à l’ouest des tendances, Tyler se révèle surtout en génie du rap, loin de la hype bidon à laquelle on a pu le réduire. Même s’il a perdu la guerre. texte et photo Thomas Blondeau album Wolf (Odd Future LLC/Sony)

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Denis Robert : “un tsunami fiscal”

Jean-Michel Clajot/Reporters/RÉA

Avec Révélation$ et La Boîte noire, il a été l’un des premiers à dénoncer le lobby bancaire. Dix ans se sont écoulés depuis.

bien entendu, c’est offshore Loin d’être un cas isolé, l’affaire Cahuzac éclaire d’un jour cru les usages de l’oligarchie française, voire mondiale. Comment mettre fin à des pratiques secrètes et antidémocratiques ?

U  

n ministre du Budget, responsable de la lutte contre l’évasion fiscale, qui fraudait les impôts par le truchement de comptes bancaires étrangers. Dur à croire, dur à savoir. Sans un enregistrement improbable, une enquête acharnée de Mediapart, puis une information judiciaire, Jérôme Cahuzac aurait-il, mardi 2 avril, avoué son forfait à des juges d’instruction ? Evidemment non. Deux jours plus tard, une enquête mondiale sur les paradis fiscaux nommée Offshore Leaks fait la une d’une quarantaine de grands journaux comme Le Monde, le Washington Post ou le Guardian. Une lucarne s’est ouverte sur l’identité de particuliers, banques et sociétés qui planquent leurs comptes. Des faits bruts qui donnent envie d’aller plus loin, de s’interroger sur des pratiques qui mettent à mal les lois de la République. Rencontres avec des journalistes et des sociologues spécialisés qui nous délivrent diagnostics et remèdes potentiels. Denis Robert, lanceur d’alerte il y a dix ans avec l’affaire Clearstream, prédit un tsunami. Antoine Peillon, enquêteur spécialiste de l’évasion fiscale, braque la lumière sur des services de renseignements bien disposés envers les fraudeurs et, enfin, le couple de sociologues Pinçon-Charlot analyse “le grand mensonge de la classe dominante”. Geoffrey Le Guilcher et Christophe Mollo

Observez-vous un parallèle entre Offshore Leaks et l’affaire Clearstream ? Oui. Des journalistes de ce groupe d’investigation (ICIJ) m’ont contacté après ma victoire en cassation (en 2011 – ndlr). Je leur avais laissé mes documents, en particulier un listing montrant les milliers de comptes offshore ouverts par Clearstream. Il y a dix ans, je parlais déjà dans Révélation$ des mêmes sociétés et paradis fiscaux. La liste révélée aujourd’hui est très impressionnante. Nous sommes sûrement à l’aube d’un tsunami fiscal et médiatique. Et j’espère politique et judiciaire. Où se trouve le nœud de l’évasion fiscale ? Ces sociétés offshore et ces banques possèdent des filiales qui passent par les centres névralgiques de la finance : les chambres de compensation comme Clearstream, Euroclear et les sociétés de routing comme Swift. Ces outils sont des autoroutes de la finance qui enregistrent les transactions, licites et illicites, légales et illégales. Si on met des radars et des brigades mobiles pour surveiller les flux et les

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Hermance Triay

Pinçon-Charlot : “les riches se construisent en surhommes” Sociologues, auteurs du Président des riches et de L’Argent sans foi ni loi, Monique et Michel Pinçon-Charlot éclairent la stratégie de la classe dominante.

véhicules financiers, on va commencer à les ralentir. Quel levier Hollande devrait-il actionner ? Pas besoin d’aller dans tous les paradis fiscaux de la planète. Au niveau européen, il faut contrôler dès demain Clearstream, Swift et Euroclear. Du point de vue informatique, ce n’est pas compliqué. Comment l’Union européenne peut-elle reprocher à Chypre ce que le Luxembourg et Londres font en pire ? Le lobby bancaire reste à l’évidence le plus puissant du monde. Qu’appelez-vous le lobby bancaire ? C’est assez diffus. Les mêmes personnes siègent dans les conseils d’administration des banques et des multinationales, on les retrouve à l’Elysée ou dans les ministères, comme conseillers ou “visiteurs du soir”. Cela produit un pouvoir invertébré. Même si on est mieux informé aujourd’hui qu’il y a dix ans, les bonnes questions ne sont jamais posées au gouverneur de la Banque de France, au président de l’Autorité des marchés financiers ou au ministre de l’Economie et des Finances. J’ai rencontré Hollande pendant sa campagne et débattu avec ses conseillers. On m’a demandé de rédiger une note. En vain. Qu’est-ce que le Président attend pour enfin mettre en application ce qu’il a promis au Bourget et qui a fondé sa campagne électorale ?

“Dans cette affaire, on livre en pâture un individu qui a menti. Nous, en tant que sociologues, ce qui nous intéresse, c’est le mensonge de la classe dominante. Un mensonge collectif lié aux centaines de milliards d’euros cachés dans les paradis fiscaux alors que dans le même temps on reproche aux Français d’être des assistés, d’être responsables d’une crise en réalité financière. Quand une classe collectivement mobilisée ment consciemment et cyniquement, il ne faut pas s’étonner que des individus mentent sans vergogne. Avec Eric Woerth, le prédécesseur de Cahuzac comme ministre du Budget, le conflit d’intérêts existait déjà puisqu’il était au même moment trésorier de l’UMP. L’un comme l’autre sont dans la norme de leur classe. Leur rapport ‘décomplexé’ à l’argent s’explique par le fait que les riches se construisent en sorte de surhommes ‘créateurs’ de richesses et d’emplois. Individualiser le cas Cahuzac est une bonne et une mauvaise chose. Nous pensons qu’il faut tenir les analyses dans leur complexité, même s’il y a des contradictions et des paradoxes. L’affaire Cahuzac donne une figure mémorisable à la fraude, à la finance délinquante. En même temps, c’est l’arbre qui cache la forêt d’une finance qui est un pillage des richesses mondiales. L’identification cache le fonctionnement de classe, mais on ne peut pas esquiver le fait que des individus cyniques correspondent à la violence du néolibéralisme, cette phase du développement capitaliste. Et ce sont ces mêmes individus sans foi ni loi qui transgressent les lois qu’ils font voter. Nous buvons du petit lait avec cette affaire qui fait suite à celles concernant Bettencourt ou Lagarde. Nous avons débuté nos recherches durant le premier mandat de Mitterrand en nous intéressant à des sujets – la vie dans les beaux quartiers, la chasse à courre – qui pouvaient paraître anecdotiques. Mais nous sommes des sociologues heureux car notre travail apparaît au grand jour grâce à des figures d’identification changeantes, les socialistes aujourd’hui, l’UMP hier. Chaque nouvel épisode du feuilleton illustre ce que nous avons démontré en appliquant le système de Pierre Bourdieu à la classe dominante. Sans être des prophètes, les sociologues peuvent émettre des hypothèses. L’une, pessimiste, est que le FN fasse des scores incroyables aux prochaines élections. L’autre est bien plus positive : l’affaire Cahuzac est peut-être celle de trop, celle qui permettra que se fédèrent des forces qui opéreront une transformation de la classe politique, un renouveau démocratique, car aujourd’hui la démocratie française est censitaire, en ce sens que la politique est réservée aux favorisés. Pour être candidat à une élection et pour aller voter, tout se passe comme s’il fallait justifier d’un niveau de vie confortable. Les pauvres sont hors jeu.”

Antoine Peillon : “si les services secrets étaient loyaux…” Grand reporter à La Croix, auteur de Ces 600 milliards qui manquent à la France, il pointe le rôle trouble de la DCRI. Dans La Croix du 5 avril, vous révélez les défaillances de la répression fiscale. Les services de renseignement agiraient en partie pour étouffer ces scandales. Dans l’enquête que j’ai menée sur la banque UBS, deux choses m’ont été détaillées par des officiers de la DCRI (la Direction centrale du renseignement intérieur, les services secrets français – ndlr). Premièrement, la sous-direction K (cellule spécialisée dans les coups tordus – ndlr) a une connaissance très précise des mouvement financiers suspects ou illicites. Tous ? Quasiment. Ils sont en contact avec leurs collègues douaniers, renseignés par Tracfin (le service antiblanchiment de Bercy – ndlr) et entretiennent d’étroites relations avec les auditeurs internes des banques. Ils ont donc une visibilité considérable sur l’évasion fiscale. Second point : cette matière sensible est exclusivement réservée à la haute hiérarchie de la DCRI. Les politiques n’y ont pas accès ? Le livre-enquête L’Espion du Président1 démontre que ce service a protégé les affaires, y compris illégales, d’un pouvoir dont les ressources venaient notamment de grands évadés fiscaux. Des politiques du camp sarkozyste ont mis des fidèles à la tête des services et ils y sont toujours. Comment se fait-il que le nouveau pouvoir ne l’ait pas repris en main ? Peut-être par naïveté, ou par paresse. Dès sa nomination, si les services secrets étaient loyaux, Hollande aurait dû avoir les preuves de l’évasion fiscale de Cahuzac. Car je suis sûr qu’ils disposaient, depuis longtemps, d’excellentes informations. Où en sont les travaux du groupe de députés qui planchent sur l’exil fiscal ? Ils ont des expertises très profondes sur la possibilité de lutter contre la fraude. Cela permettrait une offensive politique et législative pour aboutir à un système de lutte contre l’évasion fiscale digne d’un pays moderne. La France perd chaque année de 30 à 50 milliards d’euros du fait de ce fléau. 1. L’Espion du Président d’Olivia Recasens, Didier Hassoux et Christophe Labbé (Robert Laffont) lire aussi pp. 16-17 10.04.2013 les inrockuptibles 15

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Christophe Guibbaud/RÉA

sidération Un membre d’un cabinet ministériel dénonce l’hypocrisie généralisée après les aveux de Jérôme Cahuzac.

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idération. Voilà l’impression laissée par vingt-quatre heures d’un défilé médiatique qui a vu l’hallali se poser avec une rare violence sur celui qui était présenté jusqu’à il y a peu comme “le meilleur d’entre eux”. Ce “eux” ressenti aujourd’hui plus que jamais comme un monde à part. Une faille infranchissable. Sidération. Tout d’abord face à ce que la comédie politique a de plus rance et factice. Le théâtre de boulevard d’Arnaud Montebourg. La guignolade de François Hollande, répétant avec difficulté un texte pourtant enregistré, le regard vide, le corps raide, dressé vers un point invisible qui semble incarner la stature qu’il n’atteindra probablement jamais. La prose détachée de Jean-François Copé, vernis de hauteur sur des montagnes de bassesse. Et puis, face à la question simple, disons-le, digne, de Bernard Accoyer au chef du gouvernement, la réponse de Jean-Marc Ayrault.

Non pas un moment de recueillement. Un pardon. L’humilité. La reconnaissance d’une faute collective. D’une erreur. De la nécessité d’une réflexion associant l’ensemble des représentants du peuple. Non pas non plus une adresse aux Français. Une réponse partisane, violente. Déplacée. Jouée. Des hausses de ton brutales. Un regard fuyant la caméra, fuyant l’opposition restée pourtant silencieuse dans un premier temps. Un regard étrangement fixé sur son propre camp. Un regard dépassé. Puis une autre question, écrite sur mesure à Matignon, pour Matignon. Et une autre réponse. Lue elle aussi. Ecrite par le même conseiller. Accompagnée de gestes brusques et d’incantations dérisoires. D’applaudissements mécaniques. Une réponse comme elles s’accumulent semaine après semaine, alors que tout un peuple attendait qu’enfin, derrière ces carapaces atrophiées, rejaillisse

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“tous savaient. Dès le 5 décembre (…). Quiconque avait une seule fois entendu la voix de M. Cahuzac ne pouvait douter” un homme. Dans sa crue nudité. Dans sa plus simple sincérité. Sidération. Celle des propres acteurs. “Trahison, trahison”, aurait crié Hollande. Tous défilent, s’indignent. Crient au mouton noir. Protestent de leur singularité avec une telle véhémence que l’on s’étonne. Que l’on s’interroge. Qu’ont-ils à cacher ? Qu’ont-ils à nous cacher, derrière cette répétition de termes ânonnés, dénués du moindre sentiment, de la moindre personnalité ? Qu’est-ce que ce corps qui immédiatement se forme pour mieux rejeter le reste de la nation ? Tous savaient. Dès le 5 décembre, jour de la révélation de l’enregistrement par Mediapart. Quiconque avait une seule fois entendu la voix de M. Cahuzac ne pouvait douter. L’assurance de ces journalistes pourtant esseulés en était secondaire, presque superfétatoire. Tout le monde savait. Dans les couloirs du pouvoir, il suffisait d’ouvrir les oreilles. Nul besoin d’une note de la DCRI. De ces preuves que réclamait en aboyant tel ou tel journaliste. L’évidence était là. Tous l’ont entendue. François Hollande, comme Jean-Marc Ayrault, comme Pierre Moscovici, comme tous ses collègues, ont laissé dire Jérôme Cahuzac. Ils l’ont laissé montrer sa détermination habituelle. Ils ont vu la force qui l’animait, cette force qui leur semblait éternelle. Puis, prudents, ils ont attendu les réactions de la presse. Cette première dépêche de l’AFP, remettant en doute insidieusement, inhabituellement, la véracité de l’enregistrement de Mediapart. La réserve de l’ensemble des médias. Celle de l’opposition. L’efficacité de la stratégie du tapis de bombes de ces communicants que François Hollande avait promis d’éloigner du pouvoir. L’incapacité de Mediapart à répliquer, malgré l’évidente sincérité et le sérieux de ses journalistes, malgré leur sereine obstination. Tous les ont crus enfermés dans un système payant qui devait leur coûter la vie. Ils n’arrivaient pas à diffuser massivement leurs preuves et faire saisir le peuple. Ils étaient isolés. La sidération qui s’est affichée sur tous les écrans en ce mercredi 3 avril n’est pas celle d’hommes et de femmes scandalisés par le mensonge. Elle n’est pas celle de politiques choqués et surpris par l’immoralité de Jérôme Cahuzac.

Personne ne pourrait le croire. Personne n’y croit. Et pourtant. Au-delà de la tartufferie collective, du bal des hypocrites, la sidération est là. Elle est réelle. Perceptible. Elle est la clé. Lorsque François Hollande entend, yeux dans les yeux, son ministre lui assurer qu’il n’a pas de compte en Suisse, il ne cherche pas à connaître la vérité. Il sait qu’il ne l’entendra probablement pas de cette bouche-là. Il a déjà une idée, que d’autres sources viendront confirmer. Lorsque François Hollande convoque Jérôme Cahuzac, il veut s’assurer qu’en face de lui, ce collaborateur précieux, dont la perte aurait des conséquences qu’il préférerait éviter, sera en mesure de convaincre l’opinion comme il tente de le convaincre. De maintenir sa version. De ne pas céder à la pression. Il veut s’assurer qu’il peut lui faire confiance, non pas pour lui dire la vérité, mais pour tenir. Que ce roc, quand bien même la justice finirait par faire éclater la vérité, chutera en proclamant sa virginité. En refusant son destin. En ne le compromettant pas. La sidération de François Hollande est celle d’un homme trahi, non pas par un mensonge, mais par un homme qui n’a pas supporté de vivre avec le poids de ce mensonge. Par un homme qui, en rupture complète avec des décennies d’usages, n’a pas accepté le rôle qu’on lui prédestinait. D’un homme auquel son clan avait offert un accord tacite : une sortie honorable, accompagnée d’un concert de louanges et de gestes d’amitié surfaits, contre le silence. La dénégation réciproque. Une chute douce, atténuée, avec un poste de député préservé, un avenir assuré, et ce quand bien même une condamnation interviendrait. Une sortie mafieuse, à la hauteur de ces hommes de main qui acceptent de garder silence malgré leur condamnation et la ruine de leur vie, pour l’honneur. L’homme indigné qui s’est adressé aux Français, ce mercredi 3 avril 2013, l’a fait non pour reconnaître une erreur, exprimer ses regrets, expliquer la situation. Il l’a fait pour montrer sa sidération. Celle d’un chef de clan trahi par l’un des siens. Il s’est comporté en mafieux. Georges Nicolas Georges Nicolas est un pseudonyme 10.04.2013 les inrockuptibles 17

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Jesse D. Garrabrant/NBAE via Getty Images/AFP

Jay-Z( lunettes noires) et le joueur de base-ball Robinson Canó, lors des éliminatoires de la NBA, en mai 2009, à Cleveland (Ohio)

Jay-Z dealer de sportifs Nouvelle mutation du rappeur : à 44 ans, déjà patron de label et entrepreneur, il devient agent de joueurs. Et met son aura au service de son business.



ans le petit monde des agents de joueurs de base-ball, Scott Boras est le meilleur : signature de contrats record, enchères comparables au foot européen, 157 joueurs de la MLB (Major League Baseball) lui font confiance pour représenter leurs intérêts. Et c’est ce genre d’homme qu’un des meilleurs joueurs du championnat a décidé de virer… pour engager Jay-Z à la place. Si on osait une comparaison foireuse, c’est comme si Franck Ribéry engageait Booba pour négocier une prolongation au Bayern. Le joueur en question, Robinson Canó, est en fin de contrat avec les New York Yankees. Il doit renégocier sa valeur marchande et sa situation est fragile. A propos de son choix risqué, les médias n’ont qu’une conférence de presse de quatre minutes à décortiquer où Canó répète en boucle : “Je ne veux pas entrer dans les détails”, une twitpic pixellisée où les deux bonshommes signent, et un communiqué laconique. Le lendemain, Victor Cruz, joueur des New York Giants (football américain), annonce qu’il veut aussi rejoindre Roc Nation Sports, l’empire de Jay-Z. Certes, agent de joueurs n’est pas le même business que producteur (label Roc-A-Fella, 1995), créateur de fringues (Rocawear, 1999), agent d’artistes (Roc Nation représente aujourd’hui Rihanna et Shakira) ou même copropriétaire d’une équipe de basket (il a des parts dans les Brooklyn Nets). Mais les sportifs le veulent pour une chose que personne d’autre ne peut offrir : la réussite, le swag, le carnet d’adresses. En gros, lui-même. “Robinson Canó fait du business avec Jay-Z pour une seule raison : il est cool, blogue Brian Costa du Wall Street Journal. Plus qu’un showman, c’est un homme d’affaires

rusé. Le cas rare d’un people que les autres people veulent en photo à côté d’eux.” Il a une capacité à se lier avec les athlètes “qu’un avocat ou un comptable n’aura jamais, explique le consultant sportif Marc Ganis au New York Times. Il peut leur dire : on vient d’en bas. Les femmes nous courent après. On veut faire un max de blé sans payer beaucoup d’impôts… Et puis, il y a son aura.” Dealer de crack dans une autre vie, Jay-Z a aujourd’hui son rond de serviette à la table du maire Bloomberg et conseille Alex Rodriguez (autre star des Yankees) pour ses investissements immobiliers. Il a fait un enfant à Beyoncé, petite chérie de l’Amérique. “Jay-Z a toujours été un exemple, analyse Clinton Yates, éditorialiste à The Root, qui montre à l’Amérique mainstream qu’un jeune homme noir n’a pas à se définir par son passé pour déterminer son futur.” A New York, sa cote de popularité est au plus haut depuis l’arrivée des Nets à Brooklyn en 2012. Il n’a pas investi beaucoup de sa fortune dans cette équipe de basket (il détient moins de 1 % des parts) mais a récolté tout le crédit de la fierté retrouvée de son quartier, orphelin d’équipe professionnelle depuis le départ des Dodgers en 1957. Jay-Z est surtout là pour assurer la com, avec une série de huit concerts à guichets fermés pour l’inauguration de l’antre des Nets en septembre dernier. Structure d’acier couleur rouille, le Barclays Center est à deux pas de la planque où plus jeune il cachait sa drogue, à l’époque où il crevait la dalle. Un parallèle vertigineux qu’il entretient dans ses interviews et ses chansons. Sorti d’une terre jadis jonchée de seringues, le Barclays Center est un miracle signé Jay-Z dans la tête de tout New-Yorkais, et c’est bien le principal. Une question de conflit d’intérêts pourrait enrayer ce plan de conquête napoléonien : Jay-Z, qui lorgne aussi sur des joueurs de NBA, ne peut être à la fois copropriétaire d’une équipe et agent de joueurs. Il devra donc probablement tirer un trait sur ses parts dans les Brooklyn Nets. Qu’importe : selon Forbes, elles seront transformées en actions immobilières dans le Barclays Center. “Il pourra ainsi continuer à surfer sur le succès des Nets tout en étant en règle avec la NBA. Connaissant Jay-Z, c’est probablement son plan depuis le début.” A 44 ans, l’évolution du rappeur en entrepreneur froid comme l’acier semble irréversible et totale… Comme le résume l’une de ses punchlines : “I’m not a businessman: I’m a business, man.” Maxime Robin

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Wolfgang Kumm/DPA/MaxPPP

“la gauche n’a pas rompu avec l’identité nationale” Faut-il légiférer sur le port du voile comme le préconise François Hollande ? Sociologue, Eric Fassin s’inquiète du sort fait à l’islam, vu comme une “religion d’immigrés”.



eudi 28 mars, François Hollande s’est prononcé en faveur d’une loi sur le port du foulard islamique au travail, notamment dans le domaine de la petite enfance. Une de plus après celles de 2004 sur l’école et celle de 2010 sur la burqa. Cette annonce fait suite à la polémique déclenchée par la décision de la cour de cassation d’annuler le licenciement d’une employée voilée de la crèche Baby Loup, dans les Yvelines. Manuel Valls avait dénoncé “une mise en cause de la laïcité”. Tout comme François Fillon. Dans la foulée, Elisabeth Badinter a lancé une pétition pour réclamer une loi. Selon un sondage BVA, 80 % des Français soutiendraient une telle proposition. Mais derrière le consensus gauche-droite, le terrain est miné. Décryptage avec le sociologue Eric Fassin. Pourquoi encore légiférer, est-ce de l’opportunisme politique ? Eric Fassin – Le voile n’oppose pas

Eric Fassin

la droite à la gauche ; il les réunit. Harlem Désir signe une pétition avec Jeannette Bougrab et Jacques Toubon, et Caroline Fourest avec Alain Finkielkraut. S’il y a une division, c’est au sein de la gauche – on l’a vu par exemple au NPA, qui s’est déchiré à propos d’une candidature de femme voilée.

Reste que le front commun avec la droite l’emporte. Au plus bas dans les sondages, le président de la République semble ainsi incarner l’opinion. On songe à la Belgique : en 2010, quand le pays était au bord de l’explosion, ses députés ont devancé la France pour bannir le voile intégral à la quasi-unanimité. Si c’est l’union nationale, contre qui sommes-nous en guerre ? La politique démocratique suppose le dissensus, et non le consensus. L’union sacrée est proclamée au nom de la laïcité ; elle n’en devient pas moins une religion nationale. Quelle est la nature de la laïcité à la française ? Si la laïcité à la française était vraiment universaliste, on ne parlerait pas seulement de l’islam. Aujourd’hui, on parlerait d’abord de l’Eglise catholique, qui a pesé de tout son poids pour s’opposer au mariage pour tous, depuis la prière du 15 août jusqu’aux manifestations et même aux prières de Civitas dans les rues – et

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“la racialisation de la religion est ce qui rapproche la ‘question musulmane’ aujourd’hui de la ‘question juive’ hier” jusque devant le Sénat. Que dirait-on s’il s’agissait de musulmans ? Et pourquoi ne dit-on rien pour des catholiques ? De même, quand les Homen du “printemps français”, version masculine des Femen, manifestent torses nus mais masqués, qui leur rappelle la loi de 2010 interdisant de dissimuler son visage ? Le voile intégral était donc bien le seul visé… Ainsi, la laïcité, érigée en religion nationale, devient aussi une religion nationaliste. La gauche revenue au pouvoir n’a pas rompu avec la politique d’identité nationale. Lors du débat sur l’islam, Nicolas Sarkozy invitait au respect mutuel “ceux qui arrivent” et “ceux qui accueillent”. C’était considérer l’islam comme une religion d’immigrés. La laïcité viserait donc seulement cette religion “étrangère” à la nation – et non le christianisme, supposé “français”. Comment expliquer qu’une conception “stricte” de la laïcité se soit imposée en France ? Ce débat n’a pas grand-chose à voir avec la laïcité. Il faudrait mettre ce mot entre guillemets. Si l’on s’en souciait vraiment, on parlerait de la séparation des Eglises et de l’Etat. Mais qui se soucie du Concordat dans l’Alsace-Moselle, où le clergé est rétribué sur fonds publics ? Qui remet en question, depuis 2004, le financement public d’écoles religieuses, le plus souvent catholiques ? Où sont donc les partisans d’une “laïcité stricte” ? Si ce n’est pas de laïcité, de quoi parle-t-on ? De la place en France d’une religion minoritaire, liée à l’histoire coloniale et à l’immigration. On peut parler d’une racialisation de l’islam. Quand Nicolas Sarkozy se vantait de nommer un “préfet musulman”, il songeait à son origine. Il a même qualifié les victimes des premiers assassinats de Mohamed Merah de “musulmans d’apparence”. La racialisation de la religion, c’est d’ailleurs ce qui rapproche la “question musulmane” aujourd’hui de la “question juive” hier. La gauche gouvernementale saute dans le piège : avec les termes “laïcité” et “République”, elle se croit dans la continuité d’un héritage universaliste. En réalité, elle reprend à son compte un héritage colonialiste qui racialise une partie de la population – les “autres”. Deux pétitions s’opposent : un appel pour une nouvelle loi sur les signes religieux lancé par Elisabeth Badinter

dans Marianne et une pétition publiée dans Le Monde, que vous avez signée, appelle à ne pas stigmatiser les musulmans. Qu’est-ce qui sépare les deux camps et quelle est leur cohérence interne ? S’est-on jamais inquiété des signes d’autres religions comme, par exemple, dans les crèches à Noël ? Parmi les crèches privées, à côté des religieuses, il en faudrait qui soient laïques. La laïcité serait donc une religion comme les autres – sauf qu’elle n’est pas égale aux autres, puisqu’elle s’impose aux crèches publiques… Pour notre pétition, le titre choisi était : “Pas de laïcité sans liberté”, pour ne pas abandonner la laïcité à ceux qui la réservent à l’islam… Mais le titre du Monde révèle combien il est difficile d’interroger les termes imposés du débat. Si la “laïcité” est une religion nationale, on s’expose à l’accusation de trahir les valeurs françaises… Elisabeth Badinter a expliqué dans Le Monde que “banaliser l’image de la femme voilée, c’est l’ériger en norme”… En France, l’islam n’est pas dominant – ce n’est pas la norme ! La rhétorique réactionnaire s’inquiète toujours de la “tyrannie des minorités”. Le voile n’est pas non plus la norme parmi les musulmanes. Mais à force de stigmatisation, on multiplie les voiles arborés en réaction, comme signe politique ostensible de solidarité. Or, pour cette philosophe qui se réclame de l’universalisme des Lumières, une femme voilée qui se dit libre est forcément manipulée ou aliénée. Mais c’est précisément l’argument que lui opposent les abolitionnistes quand elle défend la “liberté” de se prostituer. Pourquoi inverser sa logique quand il s’agit d’islam ? Cette figure de proue de la laïcité à la française depuis 1989 n’a pas l’air de s’inquiéter des mobilisations catholiques. Elle défendait déjà en 2003 “un combat qui s’adresse aux jeunes femmes de la première génération” et “d’origine maghrébine” : “Franchement, depuis longtemps, dans la société française de souche, que ce soit le judaïsme ou le catholicisme, on ne peut pas dire qu’il y ait une oppression des femmes.” La laïcité “de souche”, c’est vraiment un drôle d’universalisme… et une République qui n’a rien de drôle ! recueilli par Anne Laffeter Eric Fassin est enseignant à l’université Paris-VIII Saint-Denis. Dernier ouvrage paru Démocratie précaire – Chroniques de la déraison d’Etat (La Découverte, 2012) 10.04.2013 les inrockuptibles 21

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Léonie Pernet A 24 ans, cette DJ et clubbeuse avertie révèle une face plus tendre et mélancolique en passant au format chanson.

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on nouveau titre s’intitule Mister A, comme Aphex Twin, l’un de ses héros de jeunesse lorsqu’elle vivait à Reims et étudiait la percussion. Ou comme “angoisse”, une de ses vieilles compagnes. “J’ai passé pas mal d’années à dormir, explique Léonie en souriant. J’ai longtemps eu du mal à faire les choses.” Longtemps, tout est relatif. A 24 ans, cette multiinstrumentiste a déjà été clubbeuse intensive, joué la batteuse chez Yuksek, organisé les soirées queer Corps vs Machine ou signé un mix au moment des débats sur le mariage pour tous. Les mots de Christiane Taubira y côtoyaient des titres de Moondog ou de Scratch Massive. “Un geste à la fois esthétique et politique”, explique-t-elle avec détermination. Début mai, elle montera pour la première fois seule sur scène et ouvrira le concert de Gesaffelstein. Elle y jouera ses chansons à la beauté abrasive et mélancolique, qui trahissent un goût des mélodies apprises chez Satie et Glass et des structures plus électroniques, sans couplet-refrain. “Je n’ai jamais eu une sensibilité très pop. Le classique me faisait me sentir en décalage avec mon époque.” Qu’elle se rassure, elle y est entrée de plain-pied. Géraldine Sarratia photo Renaud Monfourny live le 2 mai à Paris (Cigale), 1re partie de Gesaffelstein soundcloud.com/leonie-pernet

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Bob Sinclar + Roselyne Bachelot

retour de hype

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

“en fait Gérard Depardieu c’est un peu notre Lindsay Lohan”

“le Qatar rachète le Printemps : voilà ça explique la météo, hihi”

les cheveux gaufrés

non mais allô quoi

The Knife “je peux pas, je suis en RTT le 26 mai”

les textes de feu Roger Ebert les pâtes fraîches

la grippe aviaire

Ian Brossat “conformément aux dispositions de l’article 11, je demande l’organisation d’un référendum national sur Woodkid”

Giorgio Moroder + Daft Punk Cat Power à l’Olympia

Cat Power sera, si tout va bien, à l’Olympia le 17 juillet. “J’ai posé une RTT le 26 mai” Si les autorités n’en font pas d’ici là un jour férié, une RTT s’impose car cette date sonne le retour tant attendu de la série Arrested Development. Quinze épisodes seront mis en ligne d’un coup sur

“Burger she wrote, burger she wrooote”

Netflix avant un hypothétique long métrage. “Le Qatar rachète le Printemps : voilà ça explique la météo, hihi” Blague officielle de la saison, hihi. Non mais allô quoi Pitié, stop. Bob Sinclar + Roselyne Bachelot = OPZR` 4VURL`:OV\SKLY HJJVTWHNUtKLML\PSSLZ KLTLU[OLWPStLZKHUZ JL[[LYLJL[[LYL]PZP[tL K\JtSuIYLJVJR[HPSJ\IHPU 7PSLaML\PSSLZ KLTLU[OLKHUZSLMVUKK\ ]LYYL9LTWSPZZLaSL]LYYL KLNSHJLWPStL(QV\[La JSKLZ\JYLSPX\PKL JSKLQ\ZKLJP[YVU]LY[ L[JSKL4VURL`:OV\SKLY *VTWSt[LaH]LJKLS»LH\ NHaL\ZLL[HQV\[La\U[YHP[ K»HUNVZ[\YHIP[[LYZ

LE MOTEL (Paris XIe)

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L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération PQ-MONKEY-MOJITO ok.indd 2

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II nouvelles têtes pop, rock, techno présentation de cinq coups de cœur ! Vous ne pourrez plus dire que vous ne saviez pas

VI de l’I.Boat au Rocher de Palmer… musique encore avec ces deux lieux à la programmation éclectique et pointue

VII … en passant par Le CarréLes Colonnes théâtre et danse à l’affiche de cette scène ouverte aux expériences novatrices

VIII le CAPC fête ses 40 ans story du musée de toutes les avant-gardes

X Cerise : sur la BD rencontre avec le fondateur de cette maison d’édition pas comme les autres

XII Vincent Feltesse en entretien le président de la CUB va-t-il faire une tête au carré à Alain Juppé ?

XIV lieux sûrs ils sont six ces lieux dont on ne peut se passer 10.04.2013 les inrockuptibles I

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spécial Bordeaux

take five Compétitive et variée, la nouvelle scène locale regorge de promesses. Nos cinq coups de cœur.

par Azzedine Fall photo Audoin Desforges

Alba Lua, vers la lumière Avec ses mille visages, ses mille groupes aux mille influences, la nouvelle scène bordelaise fourmille d’espoirs et d’initiatives difficiles à départager. Mais le premier album des quatre desperados d’Alba Lua pourrait bien contredire l’observation. Enregistré dans les studios de Joakim en 2011, Inner Seasons aurait dû sortir il y a un an si les Bordelais n’avaient pas accumulé les galères : mauvaises rencontres et problèmes contractuels ont étouffé pendant (trop) longtemps l’écho enchanteur de leur première collection de chansons. Aujourd’hui Parisiens, ils publient leur premier album le 6 mai – un des disques de l’année, déjà, étiré entre l’obsession de mélodies pop toujours entraînantes et des progressions rythmiques dignes des musiques de film qu’ils adorent. Après avoir mis en ligne leurs premières chansons sous le nom évocateur de Permanent Vacation fin 2008, les musiciens ont attendu 2010 pour changer de nom, gagner en sérieux, sortir un ep (Ballad of Joseph Merrick) et se débarrasser de l’atmosphère vacancière qui débordait de leurs premiers concerts. Avec des tubes comme When I’m Roaming Free, Hermanos De La Lluvia ou Alegria, le quatuor a désormais toutes les cartes en mains pour inverser la tendance négative dictée par les déboires organisationnels des premiers jours. Si l’aura d’Alba Lua a grandi dans l’ombre et à Bordeaux, la réputation du groupe a déjà franchi les lames de l’Atlantique pour s’inviter dans les revues et les festivals les plus rutilants du continent américain. Programmés à South By Southwest, encensés par Pitchfork, le groupe semble avoir sauté la case “port de la lune” dans sa ruée intrépide vers les sommets de la pop romantique. Au bout du chemin, la lumière les attend. album Inner Seasons (Roy Music), disponible le 6 mai II les inrockuptibles 10.04.2013

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Yann Morrison

spécial Bordeaux

et dansant, vient mélanger les plus élégantes nuances Avec un premier pop du catalogue bleu effort solitaire chanté blanc rouge pour les aviver en français, Perez d’obsessions rythmiques s’échappe de la matrice dignes des musiques anglo-saxonne qui de club. On pense à Darc régissait jusqu’ici ses et Daho pour le phrasé aventures musicales dépareillé des mélodies, (Adam Kesher, Beat Mark). à Lescop pour l’épilepsie Cramer, ep sombre alanguie, à Liquid Liquid

Perez, noire pop

pour l’ambiance grave et caverneuse. Aujourd’hui installé à Paris, Julien Perez fait partie des dix artistes résidents annuels du palais de Tokyo – musée dans lequel il expose l’incarnation visuelle de ses inspirations artistiques. Dans le registre sonore,

on ne peut que souhaiter la sortie d’un album complet dans les prochains mois. “Sophie est tout excitée” chante Perez dans les premières mesures hypnotiques du Prince Noir. Sophie n’est pas la seule. ep Cramer (Dirty) https://soundcloud.com/ perez-sound

Cargo, techno de nuit A Bordeaux, les deux garçons de Cargo, originaires de Tarbes, incarnent une certaine exception musicale. A quatre mains, le nez dans les machines, ils raniment en bord de Garonne le souvenir froid et synthétique des années Depeche Mode. Sur Dual, chanson enregistrée dans les studios de la Chambre 404, les néo-Bordelais rappellent leur ascendance avec Chateau Marmont. Aussi à l’aise dans la new-wave que dans l’electro et la techno, le groupe ne cache pas son attirance pour le tout technologique et les concerts étirés jusqu’à l’aube. Cargo, deux, nuit. Nicolas Malet

chanson Dual en écoute sur la dernière compile Bordeaux Rock https://soundcloud.com/cargofm

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Bengale, feulements pop

ep Le Dernier Tramway, disponible le 20 avril pour le Disquaire Day https://soundcloud.com/bengale

Philippe Lebruman

Avec Le Dernier Tramway et son refrain attrape-cœur, Bengale met les deux pieds dans la pop nostalgique qui emballe la nouvelle scène française, de Caen à Bordeaux. Pourtant, plutôt que de se cacher derrière un effet de mode qui ne leur sied guère, les garçons et la fille de Bengale préfèrent revendiquer des influences croisées. Du hip-hop au rock, du funk à l’electropop, du français à l’anglais, chacun des six musiciens apporte sa touche à une partition finalement inédite. Ces frères de son de Granville et Frànçois And The Atlas Mountains préparent l’avenir avec sagesse en distribuant leurs chansons au compte-gouttes sur internet. Leur première sortie physique arrive ce mois-ci, à l’occasion du Disquaire Day.

Dorian And The Dawn Riders, marcheurs d’aube En quelques mois, Dorian est passé du statut de bidouilleur solitaire à celui de valeur montante de la scène bordelaise. Sur le parcours embué de ses expérimentations, le jeune musicien a coutume de convoquer différentes voix et atmosphères pour grandir le spectre ondoyant d’une pop toujours plus sensible et onirique. Depuis les premières maquettes envoyées à Nova Sauvagine il y a un an à peine, le projet a su gagner en maturité et en clarté. Dorian Et Ses Marcheurs D’Aube ont même fait leurs premiers pas sur les scènes parisiennes en mars, avec des concerts à l’International et au Divan du Monde. Disponible en digital depuis le 2 avril, l’ep Distance, ouvre grand la porte de l’irréel et dessine quelques-unes des belles rêveries soniques que le Bordelais est capable d’intimer. Arrangements graciles, écho poursuivant et progressions envoûtantes ne sont pas en option. ep Distance https://soundcloud.com/ dorian-and-the-dawnriders 10.04.2013 les inrockuptibles V

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spécial Bordeaux

bienvenue aux clubs Les programmations de l’I.Boat et du Rocher de Palmer participent au renouveau de la culture musicale dans la région. De quoi séduire un public pluriel et toujours plus nombreux.

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e premier est amarré aux Bassins à Flots depuis bientôt deux ans. L’ombre de la structure rouge du second plane sur le parc Palmer depuis presque trois ans. Avec des ambitions différentes mais complémentaires, l’I.Boat et le Rocher de Palmer s’ajoutent aux dynamiques Rock School Barbey et Krakatoa et contredisent l’idée selon laquelle Bordeaux ne serait qu’une cité paisible, belle, mais endormie. En proposant une programmation alternative étalée entre indie, pop, folk et arts visuels, l’I.Boat s’est positionné, depuis l’été 2011, en marge des autres lieux. Alors que le 4Sans rendait son dernier souffle électronique, le bateau en a profité pour séduire les noctambules amateurs de mixes à 130 BPM et de rencontres désinhibées. Emmenée par Olivier Guet (direction), Benoît Guerinault (programmation) et Michèle Daroque-Caillabet (communication/ programmation club), l’équipe ne fait pas mystère du caractère essentiel de sa billetterie de nuit. Si, en semaine, certains concerts peinent à remplir la cale de l’ancien ferry, l’I.Boat attend le week-end pour prendre des allures de bateau ivre et tanguer sous l’excitation d’une jeunesse parfois plus motivée par le frisson éthylique que par l’émotion scénique. Pour tenter d’équilibrer l’engouement, Benoît Guerinault mise sur des choix affirmés : “Il arrive que l’on se ramasse sur la billetterie, c’est un risque à prendre. Les Bordelais n’ont peut-être pas ou plus l’habitude de se mobiliser pour des groupes qu’ils

connaissent peu. Mais on a aussi eu de bonnes surprises, comme le jour où Juveniles a annulé sa date au dernier moment. Au départ, Lescop devait assurer la première partie. Son nom commençait à bien grossir et on a décidé de le garder en tête d’affiche. Finalement, on a failli exploser la jauge de la salle ! La Femme, WhoMadeWho, Duchess Says ou Aucan sont aussi de super souvenirs.” Alors que l’I.Boat joue des courants de la culture alternative, le Rocher de Palmer compte sur le mélange des genres et des cultures pour séduire un public pluriel. Sorti de terre en 2010 à Cenon, la salle opère de grands détours par les musiques du monde, le jazz et le classique. A sa tête depuis sa création en 1984, Patrick Duval a mis l’éclectisme au cœur de la programmation. Tony Malaby, le Staff Benda Bilili, The Kills, Patti Smith ou les BB Brunes, tous sont passés au Rocher. Pour aller plus loin, la salle s’est associée aux trois autres Smac (Scènes de musiques actuelles). Organisée autour du Rocher, du Krakatoa, de la Rock School Barbey et de Rock & Chanson, la “Smac d’agglo” aura la mission de proposer un projet musical durable et transversal. Et, pourquoi pas, ranimer des sentiments d’avant-garde et d’unité en sommeil depuis la disparition du festival Sigma. Azzedine Fall lerocherdepalmer.fr iboat.eu

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Marc Coudrais

Pudique acide, de Mathilde Monnier et Jean-François Duroure, sera joué le 16 avril

Carré magique Pluridisciplinaire, ouverte à la création et à l’international, la scène conventionnée Le Carré-Les Colonnes pratique l’utopie et la solidarité depuis 2010.



’union fait la force. C’est sur la base de ce constat à forte valeur utopique qu’est né, en 2008, le projet de réunir les structures culturelles de Blanquefort et de Saint-Médarden-Jalles : Le Carré des Jalles, unique scène de dimension nationale depuis son ouverture en 2003, et Les Colonnes de Blanquefort, scène conventionnée pour la jeunesse, dont le festival Echappée Belle fête cette année ses 20 ans. “Dans un environnement aux financements contraints, on a voulu inventer un modèle solidaire de coopération territoriale (…) pour gagner en force aussi bien dans la diffusion que dans la production de spectacles pluridisciplinaires, avec une large place pour le cirque, les nouvelles technologies et l’international”, explique Sylvie Violan, directrice depuis 2010 de cette scène conventionnée atypique, qui a reçu le soutien des deux communes, de la CUB, du conseil général, de la Région et de l’Etat. Un fonctionnement simple et efficace : une seule équipe, un seul budget, une seule programmation répartie dans trois lieux, la grande salle du Carré, les 260 places des Colonnes et une petite jauge à Saint-Médard, Les Grands Foyers, dédiée à la création et aux performances. Et un public en progression constante, aussi curieux de découvrir des formes nouvelles, notamment lors du festival Des Souris et des Hommes, qu’enchanté de retrouver des artistes reconnus (James Thierrée et Mathilde Monnier

en avril). A son actif, un soutien à la création sous forme de résidences d’artistes (huit par an, dont celle de James Thierrée, accueilli un mois en novembre dernier pour concevoir le décor de sa nouvelle pièce, Tabac rouge) et un axe fort d’éducation artistique et culturelle pour la jeunesse, de la crèche à l’université… Les artistes régionaux y sont bien sûr chez eux. On découvrira en février le bel hommage à Alain Bashung dans le spectacle d’Hamid Ben Mahi, Apache (Des défis à relever). Cette semaine, le collectif de filles La Grosse Situation créera son Voyage extra-ordinaire, un voyage à la Jules Verne sur un mode contemporain, après trois ans de gestation et de résidence au CarréLes Colonnes, qui produit le spectacle. Prochaine étape : obtenir le label “scène nationale”, ce qui en ferait la deuxième de la région après Bayonne, pour pérenniser une structure innovante aujourd’hui entièrement financée par les collectivités territoriales. La réponse au courrier de candidature récemment adressée à la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, est attendue à l’heure où Sylvie Violan s’apprête à mettre en œuvre son prochain mandat artistique, de mai 2013 à avril 2016. Fabienne Arvers Voyage extra-ordinaire par La Grosse Situation, les 10 et 11 avril à Blanquefort www.lecarre-lescolonnes.fr 10.04.2013 les inrockuptibles VII

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Robert Morris, Steam, 1995. Photo : F. Deval/Mairie de Bordeaux

spécial Bordeaux

40 ans, toujours costaud Depuis quatre décennies, le CAPC accompagne les avant-gardes artistiques. Bref récit d’un beau parcours et de quelques impasses.

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e CAPC a des bonnes raisons de fêter ses 40 ans. Pas seulement en raison de son prestigieux passé, associé aux années de son premier directeur, Jean-Louis Froment, mais aussi pour son moment présent, l’un des plus excitants de son histoire, sous la direction de Charlotte Laubard. Mais reprenons du début. En 1973, Jean-Louis Froment, enseignant aux beaux-arts de Bordeaux, crée l’association Centre d’arts plastiques contemporains et organise au palais de la Bourse l’exposition Regarder ailleurs, où une icône de la performance, Gina Pane, côtoie Claude Viallat, figure du mouvement Supports Surfaces. Dès 1974, le CAPC s’installe dans le majestueux Entrepôt Lainé et dix ans

après, sous l’impulsion du ministre de la Culture, Jack Lang, en lien avec la municipalité de Jacques Chaban-Delmas, il devient Musée d’art contemporain. Les travaux sont conduits par les architectes Denis Valode et Jean Pistre qui dévoilent l’ampleur d’une nef de 1 000 mètres carrés devenue l’emblème du musée : les artistes y engagent des projets in situ qui frapperont les esprits. Richard Serra y installe ses monumentales Threats of Hell, Daniel Buren signe une expo mythique. Les avant-gardes y prennent position (l’antiform, l’arte povera, l’art conceptuel ou l’art minimal), et l’on assiste au retour de la peinture avec un Keith Haring couvrant le CAPC de graffitis. Des années fastes durant lesquelles la chorégraphe Régine Chopinot et

Jean-Paul Gaultier organisent un défilé, le gourou Harald Szeemann est invité comme commissaire, Andrée Putman signe le mobilier d’intérieur, tandis que le toit du CAPC se dote d’installations permanentes comme le paysage miniature de l’artiste du land art Richard Long. Il faut voir Chaban-Delmas inaugurer un tapis de pollen de Wolfgang Laib, imperturbable face à la bourgeoise locale, pour comprendre comment cette aventure a été possible. “L’art peut changer la vie d’un enfant, d’un jeune, même à son insu, encore faut-il qu’il puisse le voir”, lançait-il à l’époque. Jean-Louis Froment, lui, se fabrique une réputation artistique qui le rend célèbre jusqu’à Manhattan, mais l’arrivée d’Alain Juppé à la mairie, délaissant

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“le musée ne peut pas à lui seul soutenir une scène locale !” Charlotte Laubard, directrice du CAPC

la politique culturelle, met fin à son mandat. “J’ai remis de l’ordre là où il n’y en avait plus. Je vous rappelle que la chambre régionale des comptes avait rédigé un rapport très sévère sur la gestion du lieu”, se défendait encore récemment Juppé dans Ouest-France. “Il m’a fallu du temps pour mesurer la blessure que cela représentait : la manière dont les éditions ont été mises au pilon, dont le lieu s’est transformé, appauvri, le désaveu total de mon équipe, le désamour très fort dans lequel cette institution a été placée”, se souvient Froment. Avant de partir, en 1996, l’expo Traffic proposée par Nicolas Bourriaud, ouvre le musée aux jeunes-turcs de l’esthétique relationnelle. On lit alors dans Le Monde qu’“une exposition se tient sans trop s’y tenir” où “une génération d’artistes privilégie le modelage des relations humaines à la production des formes”. Place ensuite à Henry-Claude Cousseau et Marie-Laure Bernadac, dont le passage par le CAPC sera marqué en 2000 par l’exposition Présumés innocents qui essayait de sortir le thème de l’enfance d’une certaine vision édulcorée. Le retrait du soutien de la mairie et l’attaque portée par une association de droite catholique crée un précédent : un directeur de musée et deux commissaires se retrouvent au tribunal. Reporté sur plus de dix ans, le procès

n’aura finalement pas lieu, mais les séquelles se font encore sentir. “Une telle affaire va développer une forme d’autocensure dans les milieux artistiques, c’est grave”, prévenait à l’époque Cousseau dans Libération. Dès les années 2000, le CAPC enregistre une baisse massive de sa fréquentation dans le sillage de l’arrivée de Maurice Fréchuret à la direction. Il faudra attendre Charlotte Laubard, en 2006, pour que la donne change. D’abord dans l’inscription en réseau au niveau des musées européens. Ensuite, dans une vision renouvelée de l’art, inscrite dans un contexte élargi (musique, architecture, cinéma, littérature mais aussi mass media, folk et culture populaire) où les expositions sont placées sous l’égide du storytelling. Qu’il s’agisse de celle autour de Brian Wilson ou de la revisitation de l’underground français associé au psychédélisme, ces expos “doivent raconter une histoire”, confirme Charlotte Laubard, accompagnée depuis sa prise de fonctions par deux brillants curateurs, Yann Chateigné puis Alexis Vaillant. Le public retrouve le chemin du Musée et se rajeunit, avec pas loin de 150 000 visiteurs par an. Seul bémol : la difficulté du CAPC à trouver un rôle dans la construction

d’une scène artistique régionale. S’il a accompli un travail de réparation historique (la rétrospective de Présence Panchounette et bientôt l’invitation du festival Sigma) et organisé des résidences d’artistes régionaux, la ville, elle, a perdu de son attrait pour les artistes. “Le musée ne peut pas à lui seul soutenir une scène locale ! Ce qui manque ici, ce sont des espaces de taille ‘moyenne’, principalement des lieux de production et de travail”, se défend la directrice. Reste que malgré sa programmation enthousiasmante, le CAPC a perdu 100 000 euros de budget ces trois dernières années, le tiers de la somme allouée à la production des expositions et événements. Avec l’arrivée de la Meca (Maison de l’économie créative et de la culture en Aquitaine, où sera intégré le Frac Aquitaine) et du Centre culturel et touristique du vin, les parts du gâteau ne risquent pas d’augmenter. “Il faut inventer de nouveaux modèles institutionnels. Il ne s’agit pas seulement d’un changement de statut administratif, il faut d’abord développer une nouvelle identité et un nouveau fonctionnement”, ajoute Charlotte Laubard. Avec une énergie et une ténacité indéniables, le projet actuel du CAPC laisse croire qu’il a là aussi un rôle majeur à jouer. Un pionnier de 40 ans. Pedro Morais

l’ardu contemporain Quand ils ne ferment pas, les lieux d’expo s’expatrient pour gagner en visibilité, à l’instar de la galerie Cortex Athletico. Les lieux d’exposition dédiés à l’art contemporain, comme la galerie ACDC ou l’espace A Suivre, sont nombreux à avoir fermé. La biennale Evento est, elle, suspendue. Mais la galerie Cortex Athletico, elle, installée à Bordeaux depuis dix ans, a ouvert, le 15 février, une antenne à Paris, près du Centre Pompidou. Appel d’air ou aveu d’échec ? La capitale représente-t-elle un passage obligé pour subsister ? Si ce choix se perçoit a priori comme un départ nécessaire de

la périphérie vers le centre, le directeur de Cortex Athletico, Thomas Bernard, nous présente l’ouverture de sa galerie parisienne comme une envie positive de changer de lieu : “On a regardé d’autres villes mais Paris semblait une évidence en termes de flux.” Il considère que la galerie parisienne donne un écho à Bordeaux : “Il s’agit d’instaurer deux lieux complémentaires plutôt que de les penser comme deux structures séparées.” Malgré cet enthousiasme apparent, on ne peut négliger une amertume sous-jacente et

soupçonner la nécessité d’être plus visible, y compris dans les médias : la galerie parisienne se situe dans un espace dynamique, forcément plus proche des collectionneurs, entourée de nombreux confrères, alors que la fermeture des lieux bordelais consacrés à l’art contemporain engendre une solitude certaine et des connexions limitées. On peut d’ailleurs regretter que les galeries ACDC ou Cortex Athletico n’aient pas été associées à la biennale Evento et ne profitent pas du rayonnement que pourrait

apporter le CAPC, aujourd’hui peu ouvert aux structures locales. Soucieux de ne pas entrer en conflit avec les institutions bordelaises, Thomas Bernard reste très discret à ce sujet. Quoi qu’il en soit, il continue de valoriser sa scène artistique d’origine : sa première exposition parisienne est consacrée à l’artiste bordelais Masahide Otani. Hélène Courtel Cortex Athletico 20, rue Ferrère, à Bordeaux 12, rue du Grenier-Saint-Lazare, Paris IIIe www.cortexathletico.com 10.04.2013 les inrockuptibles IX

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le temps de la Cerise

Extrait de Clafoutis n° 5, planche de Guillaume Trouillard

Depuis dix ans, cette maison d’édition de BD trace son chemin. Récit d’un parcours du combattant avec Guillaume Trouillard, son fondateur.

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our les Editions de la Cerise, le festival de BD d’Angoulême est un peu l’étalon d’une réussite inattendue. En 2004, Guillaume Trouillard, qui n’avait pas de quoi se payer un stand, avait déniché avec ses camarades d’école “une place pour exposer avec des bouts de ficelle devant la tour médiévale”. La même année, Eric Audebert, alors libraire à Bordeaux, devenu depuis directeur de l’association 9-33 qui promeut la BD en Aquitaine, avait vu débarquer “un jeune de 22 ans plein d’énergie” mais pensait “qu’il allait se cramer”. Depuis, la Cerise a son “expo attitrée”, toujours en dehors du circuit officiel, mais il n’est “plus besoin de fléchage pour le trouver, s’amuse Guillaume Trouillard, c’est presque devenu un pèlerinage pour les habitués, un peu à l’écart des grandes machines qui brassent des milliers d’albums”. Il en fallait, de l’audace, pour s’en tenir à l’écart. Et Guillaume Trouillard, “un arbre fin et solide plutôt qu’un chien de mastiff”, selon l’un de ses amis, ne s’est pas dégonflé lorsqu’à sa sortie des beaux-arts d’Angoulême, auréolé d’une mention dessinateur très talentueux, il s’essaie à la publication des autres. Pas franchement sa vocation, si l’on en croit ses proches. Son vrai talent, à lui, c’est le dessin. Le métier qu’il rêve de faire depuis ses 4 ans. Ce qui ne l’empêche pas de “regarder beaucoup le travail de ses camarades,

raconte Dominique Hérody, son professeur à Angoulême, et de vouloir le publier”. Guillaume Trouillard tente l’aventure “sans trop savoir où (il) foutai(t) les pieds”. “J’ai senti qu’il fallait que je crée une structure pour continuer à faire exister la production artistique et la ligne qu’on avait aux beaux-arts.” Guillaume commence par Clafoutis, une revue spécialisée. “Très élégante, en grand format, avec de la couleur, bref quelque chose de rare dans le 9e art”, observe Jean-Charles Andrieu de Levis, critique pour le site Du9, consacré à la BD alternative. Après une expo improvisée à Angoulême, c’est donc Clafoutis qui lance les Editions de la Cerise. “Tout est cohérent dans la ligne de la Cerise”, juge Eric Audebert. Il s’agit donc de concevoir, de façon artisanale, en publiant ce qu’on aime. “Guillaume voulait avoir les coudées franches, faire ce qu’il voulait sans se brider”, analyse Nicolas Trespallé, journaliste et libraire bordelais. Au début, ce sont Samuel Stento, Grégory Elbaz, Vincent Perriot, acolytes de promos dont les univers convergent, qui croquent dans Clafoutis avant que Guillaume n’imprime leurs premiers albums et les siens. “Je n’avais aucune compétence d’éditeur, donc j’ai fait à peu près toutes les conneries possibles”, concède-t-il. L’aventure aurait même pu prendre fin après le numéro 2. “J’ai tenu à l’énergie et à la volonté… Pendant huit ans, j’ai porté cette structure tout seul”, d’abord de chez

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lui, puis d’un atelier fouillis rue de la Rousselle, avant de finir par engager quelqu’un pour les tâches administratives. “Contrairement à d’autres maisons d’édition, Guillaume ne fonce pas bille en tête, explique Julien Fouquet-Dupouy, ancien des Requins Marteaux qui a rejoint la Cerise depuis un mois, il prend son temps pour publier des œuvres correspondant à un univers visuel pointu.” En clair, il  ne publie pas des albums pour faire de l’argent. A rebours d’une industrie de la BD qui fonctionne à crédit, la Cerise se démarque par sa prévoyance : “Lorsque Guillaume a un projet, poursuit Julien, il regarde

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s’il dispose de l’argent nécessaire, sinon il attend la vente d’autres albums, les subventions ou les revenus d’activités annexes.” Si bien qu’en réunion avec le conseil régional, à la recherche de subsides, il sèche sur les budgets prévisionnels : “Je ne fais pas des bouquins pour rembourser les mises de départ ou prendre des parts de marché.” On l’aura compris, la maison marche à l’affect. Un créneau qui fonctionne. Dix ans après le lancement, les comptes se portent plutôt bien. “Les albums de la Cerise ont le mérite de s’inscrire dans le temps et de ne pas s’évanouir”, considère

Eric Audebert. Publiés il y a quatre ou cinq ans, certains se vendent encore. Car Guillaume Trouillard a doté sa maison d’une vraie ligne éditoriale, dictée par la primauté de l’univers visuel, “un dessin pictural qui ne cache pas un certain classicisme et dont les influences ont toujours été au-delà de la BD”. Une ligne inspirée, aussi, par un certain engagement, bien que son auteur s’en défende. “La Cerise n’est pas une maison d’édition écolo”, prévient-il. Pas de tract dans ses pages, mais une approche subtile, parfois teintée d’humour, des travers de la marche effrénée du monde. Au bout de dix ans, “Guillaume

“j’ai tenu à l’énergie et à la volonté… Pendant huit ans, j’ai porté cette structure tout seul” Guillaume Trouillard

est devenu un vrai éditeur, au sens où il sait ce qui correspond à la Cerise”, observe Dominique Hérody. Lui accepte toujours difficilement la dénomination : “Je suis plus un auteur qui s’est doté d’une structure d’édition.” Une structure qui ne laisse que deux ou trois heures de dessin par jour à celui qui, en 2008, recevait le prix des lecteurs de Libération pour son album Colibri. Anthony Cerveaux

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“Bordeaux mérite une vraie campagne municipale” Vincent Feltesse sera-t-il candidat en 2014 ? La réponse réside sans doute dans les arguments bien rodés du député et président de la CUB. Entretien.

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ous êtes originaire de Beauvais et avez vécu en région parisienne. Pourquoi avoir choisi Bordeaux ? Vincent Feltesse – Je suis arrivé à Bordeaux par une succession de hasards. C’est une ville que je ne connaissais pas avant 1994. Je l’ai découverte en allant au mariage d’une amie. Une révélation. Puis, en juin 1994, je suis contacté par JeanNoël Jeanneney, qui me propose d’aller travailler en Gironde au conseil général avec Philippe Madrelle et Alain Rousset. Je n’étais pas militant socialiste mais la possibilité de travailler sur les affaires sociales m’intéressait. Je suis donc arrivé, sans être girondin ni encarté, en septembre, quelques mois avant Alain Juppé. Vous devenez ensuite maire de Blanquefort en 2001, jusqu’en 2012. Quels souvenirs en gardez-vous ? C’était différent de ce que j’avais fait auparavant. En cabinet, j’étais dans les dossiers. Là, c’est la réalité du terrain, la proximité humaine, la douleur aussi. Vous ne pouvez pas tout résoudre, mais on vous demande beaucoup. J’étais très jeune et j’ai eu à gérer le dossier Ford. Des histoires comme celle-là, il y en a peu en France, voire en Europe. Une usine qui devait fermer pour laquelle on devrait finalement préserver les 1 000 emplois. C’est aussi une très belle

histoire avec les ouvriers et les syndicats, j’ai beaucoup appris à leur contact. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous présenter à la tête de la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB) en 2007 ? J’ai eu très tôt un tropisme pour l’urbanisme, car l’avenir des territoires passe par le fait métropolitain. La communauté urbaine n’est pas qu’un lieu technique et financier où chaque maire arrive avec ses commandes, elle est aussi un lieu d’élaboration politique. La réalité du quotidien des gens est moins à l’échelle de la commune qu’à celle de l’agglomération, leur bassin de vie est plus large. Et en 2007, après le départ d’Alain Rousset, il y a une configuration particulière : Alain Juppé était minoritaire et Henri Houdebert, le plus légitime à gauche, dit qu’il faut favoriser la jeune génération et évoque ma candidature. Je me présente en interne, l’emporte de trois voix, et deviens ainsi le plus jeune président de communauté urbaine. Une grosse communauté, puisqu’on gère un budget de 1,3 milliard d’euros, dans une configuration politique particulière : mon premier vice-président s’appelle Juppé. Quelles sont les relations avec Alain Juppé à la tête de la CUB ? Quand j’arrive, il me dit : “Je ne vous connais pas, racontez-moi votre vie.” Même si j’étais un peu connu quand même, puisque je présidais le groupe socialiste à la CUB. J’ai une idée assez précise de ce que je veux faire

de l’institution : être plus proche des communes et avoir une stratégie pour la métropole bordelaise. Les premiers temps, même si je change pas mal de choses à la tête de la CUB sur des projets importants (tramway, Euratlantique, Lyonnaise des eaux), la cogestion avec Alain Juppé se passe relativement bien. Aujourd’hui, les choses sont en train de changer politiquement. J’ai l’impression qu’Alain Juppé a pu voir ma candidature de député comme un crime de lèsemajesté, et la preuve que j’allais aller contre lui aux municipales. Or, à une élection locale, on ne va pas contre quelqu’un mais pour un territoire. Il y a donc moins de fluidité qu’avant et une tentation de la part de la ville de mener ses opérations seule, comme pour la campagne Osez Bordeaux. Ça n’a pas de sens que la ville porte seule une marque, mais c’est le choix d’Alain Juppé. Il s’agit de tactique politique. Vous parlez souvent de “décennie bordelaise”, qu’entendez-vous par là ? Il y a des phénomènes structurels que vous retrouvez partout. Par exemple, l’embellissement très réussi de Bordeaux, on le retrouve à Lyon, Nantes ou Rennes. Mais au sein de ce phénomène commun,

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Vincent Feltesse et Alain Juppé : un duel qui pourrait avoir du relief

il y a des territoires qui émergent, qui prennent de l’avance sur d’autres. Lille a été dans ce cas, et Pierre Mauroy a été visionnaire dans la capacité à reconvertir sa ville après la crise industrielle. Entre 2010 et 2020, aucune autre agglomération ne fera autant d’investissements publics et privés que Bordeaux. Donc oui, c’est une décennie extrêmement importante pour la métropole bordelaise. Vous avez été directeur de la campagne numérique de François Hollande, Noël Mamère dit de vous que vous êtes un geek. La webcitoyenneté est-elle l’avenir de la politique ? Les outils numériques sont un atout pour démultiplier la mobilisation. Tout ce qu’on a fait pendant la campagne sur les réseaux sociaux, le porte-à-porte, la levée de fonds n’auraient pas été possible sans internet. Maintenant, il faut voir si ces outils permettent de bâtir une nouvelle forme de citoyenneté, y compris dans l’élaboration du projet. Regardez les dernières campagnes numériques : en 2007, il y a eu pas mal de débats sur le contenu, alors qu’en 2012, peut-être parce que Twitter n’autorise que 140 caractères, peut-être parce que le débat s’était déjà fait lors des primaires, et peut-être aussi parce

que Sarkozy a un côté plus brutal, il n’y a pas eu tellement de débats. On a été très focalisé sur le buzz, les petites phrases… On va voir si le numérique peut donner un supplément démocratique aux prochaines élections municipales. Allez-vous vous présenter aux élections municipales de 2014 ? On verra quelle sera ma décision, mais Bordeaux mérite une vraie campagne municipale, un vrai débat sur son avenir. Alain Juppé a un bon bilan, que je ne conteste pas, mais tout ce qu’il a fait, c’est un peu ce qu’il avait proposé en arrivant en 1995. Bordeaux a connu Jacques Chaban-Delmas pendant presque cinquante ans, à un moment où d’autres villes voyaient arriver une nouvelle génération d’élus. On ne peut pas se permettre de se dire qu’on est sur les rails parce qu’on a un bon bilan… Si on veut que la dynamique de la décennie bordelaise se poursuive et s’amplifie, il faut continuer à impulser une vision des choses et des projets. Je m’y emploie en tant que président de la communauté urbaine : Bordeaux ne peut pas se contenter de vivre sur ses acquis, repliée sur elle-même. recueilli par Anthony Cerveaux 10.04.2013 les inrockuptibles XIII

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spécial Bordeaux

lieux sûrs Six spots loin de l’ennui pour boire, lire, écouter et voir.

Total Heaven

bar L’Apollo Depuis 1997, ce bar est un incontournable de la vie nocturne bordelaise. Central, au cœur du quartier historique de la ville, le lieu diffuse de la musique très recommandable (soul, funk, rock) et attire le chaland avec d’excellentes margaritas. Le nom du bar fait référence à l’Apollo, mythique salle de spectacles d’Harlem chère à James Brown. 19, place Fernand-Lafargue, tél. 05 56 01 25 05, www.apollobar.fr

design Docks Design Deux étages répartis sur 300 mètres carrés : sur les quais de la Garonne, la boutique propose une remarquable offre de mobilier – canapés, sièges, luminaires, meubles, objets signés par des designers. On y trouve de belles marques : Cinna, MDF Italia, Muuto, Zeus, Molteni, Desalto… Avec le concours d’architectes et de décorateurs, Docks Design

propose aussi des conseils en aménagement d’intérieur. 4-7, quai Richelieu, tél. 05 56 44 54 62, www.docks-design.com

disquaire Total Heaven Tenu par les figures locales Martial et Babouche, Total Heaven est de très loin le meilleur endroit pour acheter des disques ou profiter des showcases (de Tender Forever à Kim, de Crane Angels à Julien Pras, toute la clique bordelaise est passée par là). On y trouve un peu, voire beaucoup, de tout : vinyles, nouveautés, rééditions, CD, DVD, fanzines, T-shirts, places de concerts, expos… 6, rue de Candale, tél. 05 56 31 31 03, total.heaven.free.fr

librairie La Mauvaise Réputation Au cœur du vieux Bordeaux, dans le quartier Saint-Pierre, la librairie La Mauvaise Réputation se veut “un espace

spécialisé dans la diversité”. BD, livres d’artistes, imports : on y trouve un vaste choix de lectures, que viennent régulièrement compléter des expositions consacrées à divers artistes, illustrateurs, graphistes ou photographes. Pour fêter ses dix ans, La Mauvaise Réputation a été invitée par l’Espace à Vendre, à Nice : les deux institutions partagent la double exposition 10 ans de Mauvaise Réputation, soit vingt-huit sérigraphies inédites d’artistes tels Pierre La Police, Pakito Bolino, Moolinex, Willem, Aurélie William Levaux ou Winshluss. 19, rue des Argentiers, tél. 05 56 79 73 54, lamauvaisereputation.free.fr

danse Le Cuvier Le Centre de développement chorégraphique de l’Aquitaine fait peau neuve. Grâce à un nouvel espace, qui sera inauguré le 27 septembre, il réaffirme sa place de pôle

ressources dédié à la danse. Encore un peu de patience… Château Feydeau, avenue Ile-de-France, à Artigues-près-Bordeaux, tél. 05 57 54 10 40, lecuvier-artigues.com

galerie Le Soixante-neuf Situé entre l’Institut culturel Bernard-Magrez et le CAPC, le Soixante-neuf propose six expos par an, mêlant graphisme, photo, vidéo, peinture, installations… Dans le cadre du festival Itinéraires des photographes voyageurs, la galerie expose le photographe Laurent Villeret, jusqu’au 28 avril. L’occasion pour l’artiste de dévoiler l’univers onirique de son projet, Les Héliotropes, sorte de carnet de voyage qu’il tient depuis dix ans en transférant des Polaroid sur aquarelle. 69, rue Mandron, tél. 06 63 10 17 68, facebook.com/lesoixanteneuf par Johanna Seban et Christophe Mollo 10.04.2013 les inrockuptibles XIV

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Christophe paradis éperdus

dix albums réédités, un CD d’inédits, une carte blanche au MK2

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labo bizarre Alors qu’il ouvre ses archives avant de se pencher vers l’avenir pour un nouvel album, Christophe demeure l’énigme la plus opaque de l’histoire de la musique en France. Portrait d’un chanteur populaire d’avant-garde.



hristophe est le chanteur des mondes engloutis, des paradis perdus, du temps jamais retrouvé, des errances entre chien et loup et des aubes de haute solitude. C’est aussi le chanteur de La Dolce Vita, de Succès fou, de Main dans la main et bien sûr d’Aline. Des romances de transistor venues ponctuer des albums aux ambitions démesurément larges et complexes pour l’oreille moyenne, qui font de lui le plus incompris des chanteurs célèbres, un oxymore vivant qui déambule dans les zones grises de la variété et du rock. Le seul à avoir à la fois chanté du Barbelivien et fait un duo avec Alan Vega. Un Brummell nyctalope qui ne crache pourtant pas sur une partie de boules en plein cagnard à Saint-Tropez. Si l’œuvre est le miroir de l’artiste, chez Christophe le miroir est un trompe-l’œil aux bordures kitsch et aux abîmes infinis. Parfois une glace sans tain derrière laquelle, comme dans son appartement-studio d’enregistrement donnant sur la rue, il observe ces passants qui le trouvent un peu opaque, “un peu menteur”, tel que le décrit la chanson d’ouverture d’un de ses plus grands disques, Le Beau bizarre. Mais le puzzle éparpillé qui fait office chez lui de biographie suffit amplement à tout comprendre de Christophe. Né Daniel Bevilacqua, enfant rital d’une banlieue blême de l’après-guerre, Juvisy-sur-Orge, il a grandi en rêvant aux destins calcinés des bluesmen, et s’est retrouvé à 20 ans à faire le pantin au Golf Drouot et chez les yéyés. Un prénom, Aline, tatoué à vie sur la conscience, et le voilà vedette d’un cirque, celui de Salut les copains, qu’il abandonne en pleine gloire après

quelques 45-tours de piste (Les Marionnettes, Excusez-moi monsieur le professeur) pour aller rejoindre un vrai cirque, celui d’Alexis Gruss. Ami des gitans, des forains, pièce rapportée d’un monde fellinien qui l’électrise plus que celui de la chansonnette, il entre un jour dans la cage d’un lion qui porte le même nom que celui qu’il s’est choisi : Christophe. Quelques semaines plus tard, sans que les deux événements soient liés, les manchettes des journaux annoncent “la mort du lion Christophe”. Le chanteur Christophe se réincarne pour sa part en vestale blonde des années Bowie/Roxy, rival d’extravagance de Polnareff lors de concerts où les pianos volent (Olympia 1974) et où les illusions perdurent sur ce music-hall total où synthés et violons, secousses rock primitives et enluminures baroques harmonisent leurs contraires. Jean Michel Jarre écrit des textes, notamment celui des Mots bleus, équinoxe du style Christophe, slow extraterrestre du premier été giscardien. Une couronne boréale protège les studios Ferber sur les hauteurs de Paris où, tel un Merlin un peu marlou, ce collectionneur de bobines 35 mm monte et remonte un inépuisable film mental – La Fureur de vivre mise en scène par Visconti, ce genre – dont ses albums seront dès lors les bandes-son. Des Paradis perdus (1973) en Samouraï (1976), des Mots bleus (1974) en Beau bizarre (1978), de succès fous en plates infortunes, il avance coûte que coûte, refuse l’académisme, ce champ du déshonneur qui voit tomber presque tous ses contemporains français.

De cette trempe, il ne restera bientôt plus que lui et Bashung. Seulement, alors que Bashung fait sa révolution expérimentale dans les années 80, cette décennie est totalement perdue pour Christophe. Après un album “méchamment rock’n’roll”, Pas vu pas pris (1980), écrit avec son beau-frère Alain Kan, le beau bizarre se catalogue beau ringard. Dans un titre un peu Suicide et très suicidaire de 1984, il résume (en yaourt) le sentiment de l’époque : Voix sans issue. Et ce n’est pas, l’année suivante, la bluette très C. Jérôme qu’il envoie en direction de Stéphanie de Monaco (Ne raccroche pas) qui va alléger son dossier du moment. C’est pourtant un 45-tours de 1988, Chiqué chiqué, passé alors complètement inaperçu, qui va le faire rebondir au début de la décennie suivante et amorcer le culte Christophe dans les aumôneries indie-rock. Dominique A en fait une reprise magnifique sur son deuxième album, Si je connais Harry, ouvrant sans le vouloir un boulevard

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Collection personnelle

si l’œuvre est le miroir de l’artiste, chez Christophe, le miroir est un trompe-l’œil aux bordures kitsch et aux abîmes infinis

critique à l’album du grand retour, Bevilacqua, grand écheveau technoïde de 1996 qui prend quand même un râteau commercial mais replace Christophe sur ces rails futuristes qu’il avait laissé rouiller depuis quinze ans. Suivra, en 2001, le somptueux Comm’ si la terre penchait et cette inoubliable tournée du lion Christophe et sa cage de verre, scénographie surnaturelle de Dominique Gonzalez-Foerster. Un septennat supplémentaire sera nécessaire à la gestation et à l’accouchement (difficile) de Aimer ce que nous sommes (2008), seulement le dixième album du papy novö, et nouveau chef-d’œuvre. Cinq ans plus tard, Christophe n’a plus de maison de disques mais travaille sur un nouvel album qu’il espère sortir en fin d’année. Avant de le laisser filer, son ancien label lui a soumis l’idée, pour se refaire, d’enregistrer un disque de duos, comme la plupart des has-been ou vus comme tels par une industrie de plus en plus amnésique. Le joueur

de poker a d’abord répondu sobrement “ce n’est pas mon histoire”, avant d’envoyer un tracklisting où il donnerait la réplique à Bowie, Björk, Thom Yorke ou à ses favoris du moment, The Irrepressibles, mais à nulle pimbêche de The Voice. Belle fin de non-recevoir, en somme. Alors, en attendant, il a mis de l’ordre dans ses archives. Avec Paradis retrouvé, il honore une dette d’honneur post-mortem avec celui qui l’aura accompagné durant presque toute sa carrière de transformiste, le patron du label Motors, Francis Dreyfus, disparu en 2010. Les treize demos ou esquisses issues de son labo bizarre valent non seulement le détour mais au passage elles antidatent la naissance de la French Touch d’au moins trente ans, certaines venues de 1972 et sonnant toujours futuristes. “Je ne suis pas un compositeur ni un arrangeur, nous glisse Christophe lorsqu’on le rencontre chez lui un soir de neige du mois de mars, je suis quelqu’un qui fait des sons.”

A propos du prochain album, comme pour les autres, il attendra d’avoir “une robe parfaite” pour chaque morceau avant de se préoccuper des textes. Sa tête chercheuse n’est jamais déboussolée et il sait parfaitement où il va malgré les apparences, malgré cette élocution en cut-up, souvent évasive, parfois perchée, qui n’appartient qu’à lui. Dans son salon, un bon tiers de l’espace est occupé par ces fameux synthés avec lesquels il dialogue en solitaire depuis des décennies. A l’opposé, un piano à queue qu’il tente ces temps-ci d’apprivoiser. Au milieu, une table de poker pour les réunions du week-end, et quatre juke-boxes, dont certains le ventre plein de 78-tours de blues, d’autres de 45-tours dont aucun ne doit dater d’après 1965, l’année de ses débuts. Partout ailleurs, des dizaines d’objets hétéroclites, des postes de radios, des madones, des cadres qui renferment les photos d’un panthéon personnel où Bowie lorgne sur Bogart, pas très loin de Bashung. Les frères d’âme s’en vont les uns après les autres – il sera le lendemain à l’enterrement de Daniel Darc, pour lequel il a fait graver une plaque à mettre non sur la tombe mais à l’intérieur du caveau –, Christophe semble bien parti pour être le dernier, et pas seulement des Bevilacqua. Il lâche qu’il a travaillé avec Gainsbourg à l’époque du single Ne raccroche pas, sur lequel il ramait, mais qu’il coupa court malgré les bons moments en compagnie de l’hôte de la rue de Verneuil, prétextant qu’il ne souhaitait pas passer après tant d’autres. C’est parce qu’il est exclusif, extraterrestre et extravagant que Christophe est une exception. Christophe Conte

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LA ROUTE DE SALINA (1970)

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Cet ovni dans la filmographie du tonton flingueur Georges Lautner offre à Christophe l’aubaine d’une première incursion dans les musiques de films. A l’aise avec ces fantômes américains, il compose une chanson prodigieuse, The Girl from Salina, et d’autres thèmes solaires et mystérieux de haute voltige, le reste de la BO, tout aussi génial, étant l’œuvre du groupe Clinic.

d’Aline à Alien

L’ensemble des albums enregistrés par Christophe pour le label Motors viennent d’être réédités. Trente années de musiques folles et de mots bleus enrichies d’un album d’inédits complexes et fascinants.

ALINE (1965) Avant les extravagances des années 70, Christophe incarne déjà le dandysme, un peu marlou rital, un peu British de Juvisy, à l’écart des rockers de pacotille fabriqués par Salut les copains. Le slow Aline, en forme de supplique estivale, reste une plage isolée quand l’album est empreint de ce sens du tragique juvénile maquillé parfois en twist ou en pop (Les Marionnettes) mais souvent suggéré par les langueurs symphoniques (Je suis parti) qui n’ont pas le goût des bluettes mais bien celui du blues.

LES PARADIS PERDUS (1973) Ces “paradis perdus” sont-ils déjà ceux des premières années, comme le suggère le zapping sur les tubes anciens en introduction ? Jean Michel Jarre synthétise à travers des paroles d’une sensualité peu commune l’impression de déboussolement qui prévaut alors, dans les brumes novö avant l’heure des studios Ferber, pour celui qui mute en direct façon Bowie. Entre glam renfrogné (Mama), glitter d’opérette (Mickey), pop ultrasensible (Le Temps de vivre) et cabaret décadent (Les Paradis perdus), le premier chef-d’œuvre d’une décennie fertile.

LES MOTS BLEUS (1974) Même équipe et même endroit, un an plus tard, pour l’album qui porte le nom d’une chanson talisman encore surgie du nuancier génial de Jarre. Les neuf minutes en travelling arrière du Dernier des Bevilacqua exorcisent façon mini opéra rock les spectres pasoliniens du passé pour mieux les projeter en Cinémascope dans les entrailles seventies du rock planant. Tout à tour virevoltant comme du Sparks (La Mélodie) et déchirant comme le Elton du même millésime (Drôle de vie), avec une Señorita altière pour mettre un peu de rouge dans tout ce bleu.

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OLYMPIA (1975) La mémoire des spectateurs qui assistèrent à cet Olympia de 1974 (et publié en double vinyle en 1975) est toujours éberluée par les effets visuels, dus au prestidigitateur Dominique Webb, avec notamment ce piano volant au-dessus des musiciens. A l’écoute, il y a aussi beaucoup de magie dans ce live, l’un des meilleurs d’un artiste français toutes époques confondues, qui reprend l’essentiel des derniers albums dans des versions encore plus dilatées, comme le sublime Emportemoi qui occupait alors toute une face.

PAS VU PAS PRIS (1980) Ne pas se fier à cette pochette façon Philippe Lavil : le premier album de la nouvelle décennie est “méchamment rock’n’roll”, donc un peu en décalage, voire en déphasage avec son époque. Le beau-frère de Christophe, Alain Kan, et Louis Deprestige, tous deux pensionnaires des disques Motors, signent des textes qui fleurent bon, en revanche, la désolation urbaine des early eighties (Minuit Boul’vard). Seul Je m’vois beau, avec son sax sexy et ses vagues airs de mambo, justifie l’image tropicale.

SAMOURAÏ (1976) Parti expirer son Oxygène ailleurs, Jean Michel Jarre a laissé place derrière la machine à écrire à Boris Bergman, lequel surenchérit dans le registre onirique, avec notamment une longue pièce en trois mouvements (Pour que demain ta vie soit moins moche) sous inspiration médiévale, à l’image de la pochette. Un hommage à Lennon (Merci John d’être venu) déborde façon Plastic Ono Band sur Tant pis si j’en oublie où Christophe s’intègre à raison parmi ses héros pop, mais l’album souffre commercialement d’un manque criant de tube. Une bonne occasion de le (re)découvrir.

CLICHÉS D’AMOUR (1983) Dernier arrêt avant l’éclipse : un album de reprises. Des standards de jazz et des airs populaires un peu désuets (Besame mucho), des clichés d’amour cinéphiles (As Time Goes by) et du Bing Crosby (White Christmas). Malgré les arrangements soyeux de Karl-Heinz Schäfer et les adaptations futées signées Philippe Paringaux, un charmant disque de série B.

LE BEAU BIZARRE (1978) La valse des paroliers capables de percer la psyché brumeuse de Christophe se poursuit, et cette fois, c’est Bob Decout qui s’y colle. Plus binaire et minimaliste que les précédents, ce portrait par fragments est l’un des plus cohérents et singuliers de Christophe, lequel n’est pas sans correspondance avec le Bashung qui renaît alors au rock. L’étiquetage “beau bizarre” lui restera comme une seconde peau, et ce disque comme le plus culte de son auteur.

BEVILACQUA (1996) Treize ans d’errance et de silence enfin rompus par ce retour fracassant, qui ne porte pas le (vrai) nom de son auteur par hasard puisqu’il en écrit pour la première fois tous les textes. Suivant la même voie accidentée que Bashung, Christophe met à jour ses logiciels technologiques et émotionnels tout en réactivant ses anciennes lubies, les Ferrari (Enzo), le vieux blues (Label obscur) et Alan Vega, qu’il convie sur l’alcaloïde Rencontre à l’as Vega. Il publiera ensuite les tout aussi fascinants Comm’ si la terre penchait (2001) et Aimer ce que nous sommes (2008) ainsi qu’un nouvel Olympia en 2002.

PARADIS RETROUVÉ (2013) On s’en doutait, le joueur de poker Christophe avait quelques atouts non retournés dans sa manche. Cette compilation qui regroupe des maquettes, esquisses expérimentales et autres “témoignages sonores” des années 70 et 80 est une bénédiction pour ceux qui ont toujours rêvé de visiter l’arrière-cuisine de ses albums officiels, voire de pénétrer l’antre fabuleusement complexe et en constante ébullition qui lui tient lieu de cerveau. Introduit par un dialogue de Boulevard du crépuscule, Silence on meurt (matrice du futur Voix sans issue) pourrait figurer tel quel sur l’album de Kavinsky ou le prochain Sébastien Tellier, comme pas mal des titres composés, voire baptisés, au gré des acquisitions de claviers (Fairlight, Harp Odyssey, le Memory Moog de Night Welcome, le piano Yamaha de Baby the Babe). Souvent Christophe chante en yaourt (“en Yop”, selon son expression) et ça renforce l’étrangeté de cette bande-son des no man’s land et des zones grises, entre techno spectrale (Carrie) et improvisation apocalyptique (Same Thing). Bref, du beau, du bizarre, des citations et des inventions, pour un inventaire des tiroirs secrets dont on nous promet d’autres volumes.

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Badlands de Terrence Malick

celluloïd heroes

Ancien tenancier de cinéma et cinéphile fétichiste, Christophe évoque ses films préférés, dont quatre feront l’objet d’une projection spéciale au MK2 Quai de Seine.



’ai beaucoup filmé au cours de ma vie. Dans ma tête, je suis beaucoup plus un réalisateur qu’un acteur ou un chanteur, mes chansons sont d’ailleurs conçues comme des petits films. J’ai abouti une fois un court métrage, un truc d’images attrapées qui a été projeté au musée d’Art moderne, mais j’ai pris conscience à un moment que pour construire une œuvre à la fois comme cinéaste et comme musicien, il fallait deux vies. Ce que j’aime dans un film, ce n’est pas forcément d’être amené du début jusqu’à la fin. Dans Badlands de Terrence Malick, j’adore évidemment toute l’histoire, mais c’est surtout la scène de fin où Charlie Sheen est amené dans l’avion qui me bouleverse à chaque

fois. J’aime les gimmicks de film, les plans qui jaillissent quand on ne s’y attend pas, comme pour la musique. Chez Kubrick, dans Barry Lyndon, je peux voir des dizaines de fois la scène où ils jouent aux cartes. Mais il faut que je revoie tout le film à chaque fois, même pour une scène, je dois être un peu maso. Quand la scène en question arrive, là, je kiffe ! Je n’ai jamais vu Apocalypse Now, par exemple, parce que ce n’est pas un film qui va dans mon sens. J’ai essayé trois fois de me le passer mais je n’y arrive pas. Je n’aime pas les films de guerre, mais comme je ne veux pas démystifier je n’ai même jamais vu la scène avec Brando. Je choisis aussi pas mal les films à partir des acteurs. Récemment, je me suis fait un cycle Isabelle Huppert,

après avoir revu La Porte du paradis de Cimino. Ça me prend comme ça, je me fais un ciné-club à partir d’un acteur. Buffalo 66, c’est avant tout Christina Ricci et Vincent Gallo, même si au-delà d’eux c’est un film dont j’adore l’écriture, les dialogues, la mise en scène. J’ai eu du mal à choisir un film de Lynch, je les aime tous, j’ai pris Elephant Man pour l’ambiance de fête foraine, l’influence de Freaks de Tod Browning. Je sais aussi que sous le maquillage il y a un de mes comédiens préférés, John Hurt, alors voilà. Certains films de Lynch sont des sculptures d’images et c’est ça qui me plaît. J’ai eu l’occasion de le croiser, notamment parce qu’il a su que j’avais inauguré son club, Le Silencio, et j’espère avoir du temps un jour pour aller le voir dans son atelier.

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Shame de  Steeve McQueen

Je n’ai pas un regard de spectateur lambda devant les films, parce que moi j’ai eu un cinéma. J’ai été projectionniste, je connais les histoires de fin de bobine, de début de bobine, les problèmes de pelloche, j’ai montré plus de cinq cents films et j’ai encore pas mal de bobines ici. Un jour, j’ai passé une copie de La Strada à Fellini. Il m’a invité à la projection au Théâtre du Ranelagh mais je n’y suis pas allé, j’ai préféré rester avec le souvenir qu’il m’avait invité. Parmi les choses plus récentes, Shame de Steve McQueen est le film qui m’a mis en manque, j’ai envie de le revoir. Quand on dit qu’un film peut déclencher des choses, en voilà un qui aura une influence sur ma création. Dès que je me lève, j’écris. Ce sont souvent des phrases qui me réveillent, j’ai besoin de les écrire aussitôt, et comme je vois des films la nuit, certaines de ces phrases en sont inspirées. Série noire de Corneau, par exemple, rappelle l’ambiance noire et urbaine du Beau bizarre, c’est un peu la même époque. En Français, j’ai choisi Pierrot le Fou, même si j’aurais pu prendre A bout de souffle, qui a été tourné dans ma rue. Godard, aujourd’hui, j’écoute plus ses interviews que je vais voir ses films, je ne sais même pas de quand date le dernier.

“je connais les histoires de fin de bobine, de début de bobine, les problèmes de pelloche, j’ai montré près de cinq cents films” J’aime aussi beaucoup le cinéma asiatique, et si je devais retenir un film de ces dernières années, ce serait Printemps, été, automne, hiver… et printemps du Coréen Kim Ki-duk. C’est un film que j’ai toujours à portée de main, le DVD est à côté de mon lit et je peux le passer comme ça en fond, je ne m’en lasse pas. C’est un film qui a une belle lenteur, une lenteur qui avance. Un peu hypnotique comme beaucoup de films asiatiques, un cinéma qui m’attire beaucoup. J’aime bien prendre une claque au cinéma, ça donne envie de se surpasser, parce que chez les autres, parfois, la barre est haute, et les plus grosses claques je les prends avec les films. C’est ce qui m’est arrivé à l’époque avec Lili Marleen de Fassbinder, notamment en raison de Hanna Schygulla. C’est le genre d’actrice, lorsqu’elle n’est pas là, elle manque, et lorsqu’elle est là on ne veut pas qu’elle parte. J’aime aussi la lumière de ce film, je l’ai aussi près

de mon lit et je me le repasse souvent à la première séance, vers 4 h 30, la nuit. Taxi Driver, c’est pareil, on est dans l’œuvre d’art absolue. Je l’ai vu plus de vingt fois, c’est peut-être pour moi le plus grand film de Scorsese. De Niro, Harvey Keitel, la musique de Bernard Herrmann, ça déchire, je ne peux pas dire mieux. The Last Picture Show de Peter Bogdanovich, c’est la même chose, c’est un film qui rassemble tout ce que j’aime : les caisses, l’ambiance du billard, du Texas, la magnifique Cybill Shepherd… Et puis, La Dernière Séance, ça aurait été bien comme titre pour terminer le cycle. Mais il a fallu ne choisir que quatre films. Sinon, j’aurais pu mettre des films japonais, d’autres films coréens. Je n’ai pas mis non plus Paris, Texas, Il était une fois en Amérique ou Zabriskie Point, c’est peut-être une faute, mais j’ai pensé que ceux-là, tout le monde devait obligatoirement les avoir déjà vus. recueilli par Christophe Conte

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infos pratiques CARTE BLANCHE À CHRISTOPHE AU MK2 QUAI DE SEINE Soirée exceptionnelle le 23 avril 20 h 30 ouverture des portes 20 h 45 concert solo (sous réserve) 21h45 projection de Badlands Programme

Shame de Steve McQueen 27 avril et 2, 4, 6, 10 et 12 mai Pierrot le Fou de Jean-Luc Godard, 27 et 30 avril et 4, 7 et 9 mai Badlands de Terrence Malick, 28 avril et 1er, 3, 5, 8 et 11 mai Elephant Man de David Lynch, 29 avril et 1er, 6, 9, 11 et 12 mai Horaire unique (10 h) pour toutes les projections, tarifs en vigueur, cartes UI acceptées, renseignements et réservations sur mk2.com

Cinéma MK2 Quai de Seine 14, quai de Seine 75019 Paris, métro Stalingrad ou Jaurès

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couverture Photos collection personnelle chefs de projet Cécile Revenu, Laurent Girardot coordination éditoriale Christophe Conte rédaction Christophe Conte secrétariat de rédaction Laurent Malet, Amélie Modenese directeur de création Laurent Barbarand réalisation graphique Jeanne Delval iconographie Maria Bojikian, Aurélie Derhee, Valérie Perraudin fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure, brochage Roto Aisne SN directeur de la rédaction Frédéric Bonnaud directeur de la publication Frédéric Roblot fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski dépôt légal 2e trimestre 2013. Les Inrockuptibles est édité par Les Editions indépendantes, société anonyme au capital de 1 407 956,66 €. 24, rue Saint-Sabin, 75011 Paris, n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal/ président Matthieu Pigasse © Les Inrockuptibles 2013. Tous droits de reproduction réservés. supplément au n° 906 des Inrockuptibles. Ne peut être vendu séparément. Ne pas jeter sur la voie publique. Merci à Nathalie Chapuy, Stéphane Berlow et Marie Novak de Dreyfus Music/BMG Rights Management, Marie-Pierre Chevalier, Estelle Savariaux et Anaïs Benguigui de MK2

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