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No.902 du 13 au 19 mars 2013

www.lesinrocks.com

junk food Kavinsky après Drive Chávez par Mélenchon

+ édition régionale

L16IpLLE ages

Judd Apatow

40 ans, toujours ado

comment l’industrie nous rend

tous accros! couv 902 + macaron.indd 1

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par Christophe Conte

chère Marine Le Pen

U  

n détail de la petite histoire n’aura échappé à personne sur la couverture du JDD qui révélait qu’un sondage te plaçait deuxième femme politique préférée des Français. Passons vite sur ce palmarès où seul parvenait à te coiffer au poteau Christine Lagarde, et qui est bien le signe que parmi les scandales alimentaires qui surgissent actuellement, la présence de LSD dans certains plats cuisinés n’est pas totalement à exclure. Sur cette couverture, disais-je, on te voyait tirer sur une clope électronique, supplétif à celles que jadis tu grillais quotidiennement par dizaines, avant qu’au tabac qui te collait aux poumons ne succède celui, bien plus inquiétant (pour nous), que tu fais dans les sondages. Il est tentant ainsi d’établir un parallèle entre la nocivité avérée de ton parti depuis des décennies et l’habileté avec laquelle tu tentes d’en dépolluer l’image.

Du temps de ton père, malgré l’encombrante présence de plus en plus toxique de ses idées au fil des élections – avec un pic de pollution enregistré le 21 avril 2002 –, il existait encore un cordon sanitaire bien étanche, du moins en apparence, entre la droite dite républicaine et l’extrême droite. La puanteur était souvent la même – rappelons-nous “le bruit et l’odeur” de Chirac – mais elle émanait de trottoirs différents, où votre tapin populiste, bien que visant les mêmes cibles, ne s’exerçait pas avec les mêmes manières. Entre le racisme crasse, franchouillard, la complaisance avec les collabos et les nazillons, les tortionnaires des colonies et les révisionnistes qui vérolaient vos rangs, et la simple stratégie électoraliste piteuse du RPR, on parvenait à faire quand même une distinction, comme entre une Gauloise sans filtre et une cigarette en chocolat, entre le goudron et les plumes.

Désormais, c’est plus flou. À l’UMP, souvent on joue avec le feu, grâce au biographe de ton père, Buisson, toujours prêt à subtiliser ta flamme pour raviver ses théories fumeuses, sur les petites gitanes roms ou les contrebandiers étrangers du métro La Chapelle qui mettraient en péril notre identité si française et, par là, tellement enviable. Le problème, avec les succédanés, est que si l’on peut aisément mesurer à court terme leur impact, sur une plus longue distance leurs effets insidieux demeurent encore inconnus. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, vient justement de commander une étude sur la cigarette électronique. Elle pourrait au passage s’interroger sur les substances hallucinogènes inhalées par ses parents lorsqu’ils l’affublèrent d’un tel prénom, mais là n’est pas le sujet. Pour la santé de ce pays déjà malade, ta présence à long terme incarne un danger sans doute infiniment plus grand que celui que constituait le folklore nationaliste sous la gouverne du fulminant patriarche qui t’en a légué l’usufruit. En résumé, ma grosse, la prétendue vapeur d’eau tiède qui semble sortir de ta bouche – par exemple sur le mariage homo – pourrait bien s’avérer plus cancérigène que la fumée des naseaux autrefois exhalée à grand bruit par monsieur ton père. Bien sûr, en demandant que l’on s’abstienne d’enseigner la Seconde Guerre mondiale à l’école ou en jouant les attachées de presse bénévoles pour l’infâme ramassis de clichés signé Laurent Obertone, La France Orange mécanique (ta mère en soubrette), tu restes dans les clous tracés par tes aïeux, prisonnière consentante des mêmes barbelés idéologiques malgré ton émancipation cosmétique qui bluffe les couillons de sondés et annihile la verve des commentateurs. L’exhibition de ton clopo factice, appendice visible de ce triomphe, coïncidait d’ailleurs avec le retour annoncé de Nico. C’est vraiment l’enfer ces vieilles addictions néfastes dont on ne parvient pas à décrocher. Je t’embrasse pas, tu nous as bien enfumés. participez au concours “écrivez votre billet dur” sur

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No.902 du 13 au 19 mars 2013 couverture par Christophe Maout pour Les Inrockuptibles couverture régionale Skip The Use par Taki Bibelas

05 billet dur 10 on discute Morin 1-Hollande 0

28

12 quoi encore ? avec Darren Tulett en Ligue des champions

14 événement

Christophe Maout pour Les Inrockuptibles

chère Marine Le Pen

Chávez par Mélenchon, l’héritage du président vénézuélien par le leader du Front de gauche

16 portrait valeur montante du FN, Florian Philippot exaspère nombre de frontistes

18 nouvelle tête Laura Mvula, chanteuse proto-soul

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20 la courbe du pré-buzz au retour de hype + tweetstat

22 à la loupe l’amitié nord-coréenne de Dennis Rodman

24 idées le film Notre monde de Thomas Lacoste fait parler la fine fleur des penseurs français

26 où est le cool ? chez Ginger et Fred ; non loin d’Alicante…

28 junk food, l’addiction s’il vous plaît

42 Kavinsky, le discret il conduit de main de maître un premier album à l’electro vrombissante. Portrait

46 Judd Apatow/Leslie Mann rencontre avec un drôle de couple de cinéma qui nous donne le mode d’emploi de la vie de famille

50 reportage au Mali comment l’état d’urgence a réduit au silence des musiciens du pays, allant jusqu’à toucher les griots

59 les Wachowski au sommet leur nouveau blockbuster underground, Cloud Atlas, impressionne. Entretien

Guillaume Binet pour Les Inrockuptibles

les méthodes de l’industrie agroalimentaire pour rendre les consommateurs accros révélées dans un livre de Michael Moss. Décryptage d’un chercheur en neurosciences

50 pour l’édition régionale

Lille plein cap sur le Nord cahier 16 pages retrouvez aussi l’édition régionale sur iPad et kiosques numériques 13.03.2013 les inrockuptibles 7

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34

62 Cloud Atlas de Lana & Andy Wachowski et Tom Tykwer

64 sorties Camille Claudel 1915, 40 ans, mode d’emploi, Le Monde fantastique d’Oz…

69 dvd

L’Assassin, La Rivière rouge

72 jeux vidéo

Persona 4 Golden + Year Walk

74 séries la digne fin de Dr House + Lena Dunham meets Judd Apatow

76 Devendra Banhart le retour de Monsieur Bricolage

78 mur du son Primal Scream, Connan Mockasin…

79 interview Bernard Lenoir refait des playlists

80 chroniques Family Atlantica, Woodkid, Babx, The Asphodells, Young Dreams…

88 concerts + aftershow les 10 ans d’Ed Banger

90 Dominique Quessada que faire de la disparition de l’Autre ?

92 romans Jean-Marc Roberts, Paul Auster, Alban Lefranc, Rachid O., Dennis Lehane

96 tendance écriture, sexe et intimité

97 bd Culbutes de Sammy Harkham

98 Katie Mitchell Mademoiselle Julie revisité + Fractures (Strangers, Babies)…

102 Théo Mercier auto-ethnologie précoce de son œuvre + The Souls, a Twice-Told Tale…

106 guerre d’Irak, dix ans après deux documentaires reviennent sur ce conflit insensé

108 programmes Emmanuel Bourdieu évoque la vie du journaliste antisémite Édouard Drumont + Argentine, les 500 bébés volés de la dictature…

110 net un rêve d’éducation online profitez de nos cadeaux spécial abonnés

p. 16 et p. 101

112 best-of sélection des dernières semaines

114 print the legend

les artistes de la mise en page

rédaction directeur de la rédaction Frédéric Bonnaud rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, JD Beauvallet, Pierre Siankowski comité éditorial Frédéric Bonnaud, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne, Jean-Marie Durand, Nelly Kaprièlian, Christophe Conte secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot chefs d’édition Élisabeth Féret, David Guérin reporters Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Anne Laffeter, Marion Mourgue actu rédacteur en chef Pierre Siankowski Géraldine Sarratia (chef de service), Diane Lisarelli, David Doucet, Geoffrey Le Guilcher, Guillaume Binet (photo) style Géraldine Sarratia idées haut Jean-Marie Durand cinémas Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain, Vincent Ostria, Erwan Higuinen (jeux vidéo) musiques JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) livres Nelly Kaprièlian scènes Fabienne Arvers expos Jean-Max Colard, Claire Moulène médias/télé/net Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint) collaborateurs E. Barnett, E. Bester, R. Blondeau, D. Boggeri, J. Bonpain, A. Comte, M. de Abreu, M. Despratx, N. Dray, L. Feliciano, H. Frappat, J. Goldberg, O. Joyard, B. Juffin, C. Larrède, N. Lecoq, R. Lejeune, H. Le Tanneur, Luz, C. Maout, P. Morais, E. Philippe, J. Provençal, M. Robin, A. Ropert, Y. Ruel, L. Soesanto, P. Sourd, L. Vignoli lesinrocks.com directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteur en chef Pierre Siankowski rédacteurs Diane Lisarelli, Thomas Burgel, Azzedine Fall, Carole Boinet éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomarès graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz lesinRocKs.tv chef de rubrique Basile Lemaire assistant Fabien Garel photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot second sr Fabrice Ménaphron sr François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Delphine Chazelas, Amélie Modenese, Laetitia Rolland conception graphique Étienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Luana Mayerau, Nathalie Coulon publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél 01 42 44 18 12 coordinateur François Moreau tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 15 31 publicité commerciale, directeur Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 directrices de clientèle Isabelle Albohair tél. 01 42 44 16 69 Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web Chloé Aron tél. 01 42 44 19 98 coordinatrice Lizanne Danan tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 assistant Antoine Brunet tél. 01 42 44 15 68 marketing, promotion promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 relations presse/rp tél. 01 42 44 16 68 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 chef de projet Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 assistante promotion marketing Céline Labesque tél. 01 42 44 16 68 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement Les Inrockuptibles, service abonnement, libre réponse 63 096, 92 535 Levallois Perret Cedex infos 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement France 1 an : 115 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 1 407 956,66 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse direction générale Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Sonia Pied administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOer trimestre 2013 directeur de la publication Frédéric Roblot © les inrockuptibles 2013 tous droits de reproduction réservés ce numéro comporte un encart abonnement 2 pages “Spécial Lille” jeté dans l’édition vente au numéro des départements 59 et 62 ; un cahier de 16 pages “Spécial Lille” broché dans l’édition kiosque et abonnés des départements 59 et 62

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courrier l’édito

Morin 1 Hollande 0 1. Ce François Hollande est décidément difficile à suivre. Quand Stéphane Hessel meurt, il décide – alors que personne ne lui avait rien demandé – un hommage national, les honneurs militaires, les Invalides, une retransmission télévisée et tout le tremblement. Il arrive avec une demi-heure de retard, prononce un discours assez terne, et finit par adresser des reproches au défunt. La conception hollandaise du dernier hommage laisse perplexe. Ça commençait bien, pourtant : “Un droit fondamental était floué, il protestait, signait, défilait si c’était nécessaire. Une oppression s’abattait sur un peuple, il manifestait.” Ça, c’est valable pour n’importe quel peuple, sauf un, devinez lequel : “Il pouvait aussi, porté par une cause légitime comme celle du peuple palestinien, susciter, par ses propos, l’incompréhension de ses propres amis. J’en fus.” De l’art très hollandais de dire une chose et son contraire dans la même phrase ; de commencer en disant que c’est cool et de terminer en disant que non, finalement, c’est pas cool. Et tout ça devant le cercueil de celui qui suscitait “l’incompréhension de ses propres amis”. Pour mon oraison funèbre, je trouverai mieux que François Hollande et le scribe de génie qui lui a écrit ça… 2. La suite est à l’avenant : “La sincérité n’est pas toujours la vérité. Il le savait. Mais nul ne pouvait lui disputer le courage.” Intéressante cette distinction entre “la sincérité” et “le courage” d’un côté et “la vérité” d’un autre ; et cette subtile façon de suggérer qu’il ne saurait y avoir de “vérité” en cette matière ardue qu’est

Frédéric Bonnaud

“la cause du peuple palestinien”. Sincérité et courage, oui ; vérité, non, faut pas pousser… Quant au “Il le savait”, il revient à faire parler le mort alors qu’on se trouve devant sa dépouille et à lui faire renier son propre engagement. Ventriloquisme et obscénité rhétorique que Sarkozy lui-même n’aurait sans doute pas osés… Tout ça pour quoi ? Il s’agit de ramasser la mise de l’hommage solennel à une grande figure de gauche rassembleuse, en des temps d’extrêmes difficultés politiques, tout en tentant de ménager ceux qui qualifiaient Hessel de “maître à ne pas penser”. Ce calcul d’épicier est aussi absurde qu’irréaliste et résume, hélas, la face la plus médiocre du hollandisme de gouvernement : le manque de courage politique et la tentation constante de ménager la chèvre et le chou. 3. Il restait au Président à se faire engueuler par le dernier grand intellectuel français. Ce qui fut fait l’après-midi même, au cimetière du Montparnasse, quand Edgar Morin – en pleine cérémonie des adieux – laissa soudain éclater sa colère : “Les malheureux qui ne comprennent pas que sa position de vérité pour la Palestine est due à son humanisme, à sa compassion, à sa bonté, ceux-là errent complètement !” Et quand Morin choisit les mots “position de vérité”, il répond très précisément à la pauvre dissertation présidentielle et à la tartufferie de son distinguo sincérité/vérité. Morin s’indignait ; Hessel aurait aimé voir ça. retrouvez l’intégralité du discours d’Edgar Morin sur youtu.be/HhEJ5p8UDrA

in Impressionnant de voir comment David Bowie (…) a une nouvelle fois pris tout le monde de vitesse (…). À une époque (celle des réseaux sociaux) où il faut à tout prix faire parler de soi pour exister et où l’espace (médiatique) est saturé, Bowie, lui, se moque de brasser de l’air, qui préfère la constance aux sursauts. Nonobstant cette démonstration de maîtrise de soi et de son image (…) nous l’en remercions. Car de par son absence (imposée ou non), David Bowie a mis en évidence tout ce qui merde dans le business depuis que l’ère de la téléréalité est en marche : l’absence d’amour-propre, de mystère, de (Jean) génie. (...) En 1977, lors de la sortie de Low, RCA proclamait ce slogan célèbre : “Il y a la nouvelle vague, il y a l’ancienne et il y a David Bowie.” Pour toutes ces raisons, il se pourrait bien qu’en 2013 ce soit toujours le cas... Eddy Durosier

out Jaoui et Bacri donnent l’impression que, depuis vingt-cinq ans, le monde n’a pas changé, qu’il n’y a pas eu la guerre en Irak, que le 11 septembre n’a pas eu lieu, que le mariage pour tous n’est pas une nouveauté, que la crise n’existe pas, que le “genre” n’existe pas, que la révolution technologique n’a pas bouleversé le quotidien des hommes ; là où d’autres cinéastes cherchent à évoluer (…), eux utilisent les mêmes bouts de ficelles, les mêmes rythmes, les mêmes scènes posées (…)… Le temps n’a pas de prise sur eux (…). Hélas, le spectateur, lui, a évolué (…) et est devenu exigeant face et grâce à une production cinématographique pléthorique et toujours novatrice. Quand il va voir un Jaoui-Bacri, il aimerait suivre l’évolution d’un couple qui lui donnerait à voir leur nouvelle compréhension de ce monde en pleine mutation. Eh ben, non, rien ; rien de nouveau. Et au bout du conte, que de l’ennui. Adrien Adeux

écrivez-nous à courrier@ inrocks.com, lisez-vous sur http://blogs.lesinrocks.com/ cestvousquiledites

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Basile Lemaire

j’ai regardé Manchester United-Real Madrid au pub avec

Darren Tulett

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n se creusait la tête depuis une semaine pour trouver un bar qui diffuse le foot sans être beauf, histoire de coller avec le plus élégant des footeux. Pas la peine, deux jours avant le match, Darren Tulett nous envoie un texto : “Hi Lisa. Viens à Boulogne, j’y vais avec des amis et collègues.” Il est comme ça Darren, easy going. Résultat, on s’est retrouvés, à deux pas de L’Équipe et de BeIN Sport (pour qui Darren bosse), à l’Island Pub (situé cours de l’île Seguin), un bar bien moins tradi que son nom le laisse penser et pas hostile du tout, même si, vu de l’extérieur, il semblait très minoritairement féminin ce soir-là. En entrant, on a vu les pop-corn sur les tables, les écrans plats au mur et les hamburgers pour ceux qui regardent les écrans plats au mur. Et aussi, les fameux “amis et collègues” de Darren. Des jeunes de GQ, RMC Sport, BFMTV, BeIN Sport… et lui, costume gris et foulard de soie à pois, régnant au milieu sans avoir rien demandé. Au moment où on se disait qu’on allait jouer le jeu en essayant de distinguer les bleus des rouges et de ne pas penser à Michel chaque fois qu’on entendrait le nom de Welbeck (attaquant de Manchester), Darren a levé son verre – une pinte de bière brune, le monsieur est britannique – à la qualification de Manchester. Sans trop y croire, un peu pour la beauté du geste. Le pronostic de Monsieur Football anglais ce serait plutôt “2-2  avec l’élimination de Manchester United. Mais comme je suis Anglais, je suis pour Manchester”.

“il ne faut jamais aller aux toilettes pendant un match”

Même si, son “club de cœur”, c’est Brighton. Un peu comme si un supporter de l’OM soutenait le PSG, bon. “Chez nous, c’est différent”, justifie-t-il. La preuve, à la 48e minute, il s’est levé comme l’entraîneur sur son banc quand le Madrilène Ramos a marqué contre son camp et donné l’avantage aux Mancuniens. “Ah ! Voilà, ça va mieux”, soupire-t-il en se rasseyant. On lui demande alors s’il pense qu’une défaite du Real ferait partir l’entraîneur José Mourinho : “Je pense qu’il a envie de retourner en Angleterre, à Manchester notamment” tout en trouvant que ce serait un peu bizarre : “You never go back.” Ne pas se retourner, ce serait sa règle aussi ? Ne jamais repartir vivre en Angleterre qu’il a quittée il y a vingt-quatre ans ? Ni chez Canal+ où il a passé dix ans avant d’être débauché par la chaîne qatarie ? Pour le moment en tout cas, il n’y pense pas et s’étonne juste que les Français aient encore envie de le voir à la télé avec son accent british. Alors il prend et s’amuse beaucoup. Dans Lunch Time, nouvelle émission qu’il présente depuis mi-février, il s’est fixé un but : ouvrir cette chaîne 100 % sport à des personnalités qui ne soient pas forcément des pros mais qui entretiennent un lien, quel qu’il soit, avec le sport, “même si c’est pour dire ‘je déteste ça, je n’en fais jamais’, se marre-t-il. Sauf que les gens ne viennent pas quand ils n’ont rien à vendre. Soit ils viennent parce qu’ils m’aiment bien, soit parce que je les connais, soit parce qu’ils adorent le sport”. Et ça fait déjà du monde : Michaël Youn, Rama Yade, Éric Elmosnino, François Baroin se sont succédé sur son plateau. 56e minute. Darren se lève à nouveau, coup de sifflet de l’arbitre et carton rouge pour Nani. “Comme quoi il ne faut jamais aller aux toilettes pendant un match.” D’autant que l’expulsion du milieu de terrain de Manchester a fait basculer la rencontre. À la 66e, le Real marque, puis double la mise trois minutes plus tard. Ébullition chez les quelques pro-Madrid du bar. Il se retourne, flegmatique : “Tout d’un coup, ils sont tous espagnols, les mecs autour de moi.” Ses potes le titillent : “Darren, tu veux pas de dessert, t’as déjà les boules, hein ?” Il sourit. Non, le seul truc qui l’agace, ce sont les deux buteurs, “un ancien de Tottenham et Ronaldo qui sort son ancien club”. Alors, certes, Manchester a perdu (2-1), mais, fair-play, l’Anglais battu a gardé son sourire. Et on n’a pas pensé à Houellebecq, déjà une belle perf. Lisa Vignoli Lunch Time du lundi au vendredi en clair, de 12 h 30 à 13 h 30, BeIN Sport

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“je suis un intellectuel discipliné, lui un militaire intellectualisé” Touché par la mort du président vénézuélien, Jean-Luc Mélenchon explique comment Hugo Chávez a inspiré sa façon de faire de la politique. Et adresse quelques piques à François Hollande.

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n vous a senti abattu après la mort de Chávez. Jean-Luc Mélenchon – Sa mort est un rude coup. Pour moi, la politique est une matière chaude et incarnée. On peut expliquer de dix mille façons pourquoi et comment les événements ont lieu. Mais il ne faut jamais oublier les individus qui y prennent part. Et ils sont déterminants. Ils sont des déclencheurs, des éclaireurs. Par exemple, vous n’avez pas la révolution tunisienne si vous n’avez pas un vendeur de fruits et légumes qui se suicide. La singularité d’Hugo Chávez est un paramètre essentiel dans le processus. Il n’est pas simplement “l’accomplisseur” d’une histoire, il en est le déclencheur, parce qu’à un moment il est capable d’incarner une cause dans l’imaginaire collectif. C’est un militaire dans un pays traversé par un fort sentiment national qui se sent humilié par l’action des États-Unis d’Amérique et la servilité de la classe politique vénézuélienne corrompue. Ensuite, il y a un paramètre que personne n’a pris en compte en France : Chávez n’est pas seulement marxiste. C’est un catholique, formé par la théologie de la libération. L’homme fait tous ses discours avec la référence à l’option préférentielle pour les pauvres, qui est le cœur de la théologie de la libération. C’est déterminant face à la revendication sociale immense dans le pays. Enfin, il a réintégré le peuple dans son histoire nationale avec la figure de Simón Bolívar et le processus constituant qui a refondé la République du Venezuela. Que retenez-vous de Chávez ? Il a fait la démonstration qu’on pouvait avancer sur une ligne d’offensive à la fois sociale et démocratique. Il a réhabilité l’idée de nationalisation comme moyen de récupération de la souveraineté populaire sur les éléments clés de la vie de la nation. Il a montré qu’on pouvait tenir en respect des adversaires politiques violents et putschistes avec les seules armes de la démocratie. Quand Chávez a perdu un référendum, il a respecté la décision du peuple, lui, au

contraire des autocrates de notre pays et des autres pays européens. Voilà pourquoi je le mentionne, pour remettre à sa place la critique qui se fait entendre sur lui. Au Venezuela, la démocratie a progressé ! La Constitution a été écrite et voulue par le peuple au fil d’un processus qui a duré des mois. Je suggérerais aux donneurs de leçons de proposer à leur tour en France, comme au Venezuela, des référendums révocatoires permettant de faire partir un député, un président de Région voire le président de la République. Mais bien sûr, ils ne le feront pas ! Chávez a amené un fait nouveau : la radicalité progressive et permanente du programme politique à coups de votes successifs. Ce n’est pas en une nuit qu’on collectivise tout. La démocratie n’est pas une concession, c’est au contraire une arme d’agitation et de politisation de la société. Sa démonstration a été magistrale. Il politisait tout, sans cesse. Et il conflictualisait tout aussi. Le conflit est à la base de la démocratie ! C’est même sa raison d’être. En Europe, on idéalise le consensus. C’est puéril ! Ch ávez lègue une méthode de travail et une stratégie révolutionnaire. Il vous inspire dans votre manière de vous exprimer ? Oui. En le regardant faire, même si j’ai mes propres intuitions et ma propre créativité, j’ai été encouragé à rompre avec ce côté récitant, objectiviste des leaders d’hier qui lisaient des brochures épaisses à la tribune. Un discours d’Hugo Chávez, il fallait voir comment c’était construit ! J’étais très intéressé par sa technique. C’est d’abord quelqu’un qui parle pour être entendu du très grand nombre. Non seulement dans la manière d’attraper le fil de l’histoire mais aussi de faire de

“le fondamental pour moi, c’est la méthode du harcèlement démocratique de l’oligarchie”

nombreuses pauses. Chávez, c’est un style. Il y a des moments, vous vous dites : “Mais où veut-il en venir ?” Ces digressions innombrables fonctionnaient comme méthode d’éducation populaire. Il avait le souci constant de faire comprendre ce qu’il était en train d’expliquer en incluant habilement des éléments de culture populaire. On l’a vu tout faire pendant ses discours, y compris chanter des chansons. Tout ça m’a libéré, parce que ce sont des choses que j’ai toujours portées dans ma manière d’être et de discourir. Pour moi, la parole est un art sacré et il y a une forme de lyrisme qui sert l’idée. Mais en Europe, je le reconnais, il y a des gens que cette manière de faire indispose. Y compris parmi les militants politiques du Front de gauche. Pourtant, à partir des transgressions que des hommes comme Chávez, Correa, Morales, et moi à une modeste échelle, avons faites, c’est l’installation d’un nouveau rapport à la politique, plus humain, plus intégral qui se dessine. Peut-être que je n’aurais jamais eu le courage de faire des vers comme “Viennent le temps des cerises et des jours heureux” avant d’avoir vu des hommes comme eux entrer dans des registres hier totalement inattendus pour moi. Vous vous inscrivez comme l’héritier de Chávez ? Non, ce sont deux histoires différentes. Moi je suis un intellectuel discipliné, lui un militaire intellectualisé. Mais ce que nous avons en commun, c’est la référence aux Lumières et le fil conducteur personnel de l’option préférentielle pour les pauvres, du refus de l’insupportable face à l’inacceptable misère. Il m’a apporté deux choses : d’être légitimé dans un type de pratique et de ne pas se penser comme commentateur ou témoin mais comme candidat au pouvoir. Vous en faites un tableau très élogieux. Pourtant, d’autres ont des souvenirs plus nuancés sur le personnage comme sur son bilan. N’exagérez pas ! Ce n’est pas “nuancé”, c’est caricatural ! Vous avez soit des gens qui l’idolâtrent – ce n’est pas mon cas,

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le 6 juillet 2012, à Caracas

mais dès qu’on en dit du bien, on est réputé idolâtre, donc qui a perdu tout sens critique – et puis tout le reste, c’est de la haine à l’état pur. Pourquoi ? Parce que ce Chávez n’est plus un personnage, c’est une institution. Il symbolise la frontière entre les deux mondes. Le monde du passé néolibéral qui est en train de s’effondrer, dominé par un certain nombre de puissances aux abois, et le monde nouveau qui est en train de naître dont l’épisode vénézuélien est une composante. Le personnage d’Hugo Chávez est l’objet de polémiques par nécessité. C’est s’il ne l’était pas qu’on pourrait s’inquiéter. Pour moi, ce n’est pas un modèle mais une source d’inspiration. À sa suite, j’assume la fonction de tribun du peuple ! Justement, ses amitiés ou son bilan sur le plan économique font polémique. Ces polémiques me donnent la nausée. Ses “amitiés”, c’est le vocabulaire médiatique. C’est de la propagande, c’est tout. Je n’arrive plus à regarder la télévision. Je ne supporte pas. Le président élu d’un pays vient de mourir, des centaines de milliers de gens déferlent dans les rues de dix pays, le deuil national est proclamé partout, et ici les médias de la vieille Europe frileuse glapissent leur haine de classe. En guise de bilan, on nous ressert tous les arguments de la campagne électorale de l’opposition. Jamais on ne supporterait que les Vénézuéliens fassent ça, si le président français décédait. Il est vrai que ni Sarkozy ni Hollande ne

déclenchent une telle ferveur populaire ! Quant à l’action gouvernementale, elle a des hauts et des bas dans tous les pays du monde. Au Venezuela aussi. Il n’y a pas que des réussites, il y a aussi des choses qui ont échoué. C’est évident. M’interroger sur ce point est une ruse grossière pour dire ensuite “même Mélenchon critique ceci ou cela”. C’est une manière de me faire cautionner le dénigrement. Je ne tombe pas dans le panneau. Moi je défends l’orientation générale que Chávez a mise en scène. Quand j’ai eu des critiques à faire, je les ai faites sur place et aux intéressés. Mais le fondamental pour moi, dans la politique de Chávez, à part la juste résistance acharnée aux États-Unis d’Amérique qui peut parfois l’avoir poussé à des erreurs d’évaluation, c’est la méthode du harcèlement démocratique de l’oligarchie, la récupération de la souveraineté populaire. Voilà la source d’inspiration. Nos adversaires ne savent que brandir l’épouvantail iranien. C’est court, très court ! Rien de ce qui est dit à propos de Chávez ne l’est avec objectivité. Mais que chacun compare plutôt les résultats des politiques menées. Vous avez répété “ce qu’est Chávez ne meurt jamais”... Nous, au Parti de gauche, nous avons mis en scène la révolution vénézuélienne et les révolutions d’Amérique du Sud, alors que personne n’en parlait parce qu’elles donnent à penser, donnent du courage et prouvent que le libéralisme n’est pas indépassable.

Ce qu’est Chávez ne meurt jamais, car nous sommes dans cette même vague. J’ai toujours dit qu’elle a commencé là-bas et qu’elle viendra ici. Les processus semblent plus avancés en Grèce et en Espagne qu’en France, mais le peuple français est un peuple imprévisible. Nous entrons dans une période révolutionnaire. Mais la forme que prendra la force révolutionnaire n’aura rien à voir avec l’image d’Épinal : des hommes armés sur des barricades et des femmes aux cheveux hirsutes. Comment saura-t-on que la révolution est là ? Son travail est déjà commencé. On en connaît les étapes. Des océans d’abstention, la situation pourrit sur pied, les relations sociales se tendent, l’appareil d’État se disloque et un événement fortuit bloque la machine. Je guette ces étapes. François Hollande est inapte au conflit qui arrive. Cette époque n’est pas la sienne. Il aurait été bon dans les années 90 au moment où les politiques de régulation avaient encore une chance. Or, la politique est un art d’exécution. Le Président montre depuis son élection qu’il ne comprend rien aux rapports de force avec la finance, car il croit pouvoir les régler par l’esquive. Or, le maniement des rapports de force, c’est ce qu’on apprend des révolutions latinos. Une fois, Rocard m’a dit que la différence entre lui et moi c’était les décibels. Je lui avais répondu : “Les décibels, c’est la vie.” Hollande n’est pas dans la vie actuelle. recueilli par Marion Mourgue 13.03.2013 les inrockuptibles 15

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le lieutenant de Marine evant le Bonaparte, un café de la place Saint-Germain-desPrés, Florian Philippot marche en rond et semble aux aguets. Le téléphone collé à l’oreille, l’homme a le regard concentré et l’attitude de quelqu’un qui se sent épié. Une posture cohérente avec sa situation au sein du mouvement : depuis quelques mois, il est devenu l’homme à abattre. L’atmosphère sent la poudre dans les couloirs du “Carré” – le siège du mouvement, à Nanterre – et les langues se délient dans la presse. Une telle défiance à l’égard de la direction, on n’avait pas vu ça depuis longtemps, foi de vieux grognards. En moins de deux ans, l’ancien conseiller de l’ombre de Marine Le Pen, âgé de 31 ans, est devenu le numéro 2 du Front national et la bête noire d’une partie de la famille frontiste. Après être rentré dans le bar et avoir coupé son téléphone, celui que le journal d’extrême droite Minute a surnommé “Philippot Ier” décompresse. Chemise entrouverte sur un pull bleu roi, le vice-président chargé de la stratégie et de la communication du Front national se dit “détendu” et “serein”. Quand on évoque la fronde qui monte au sein du mouvement, il se défend, explique qu’il n’est pas un “homme d’appareil” et qu’il a le “soutien des adhérents”. Que lui reproche t-on au juste ? De cumuler toutes les tares aux yeux d’un militant frontiste. Florian Philippot est un pur produit des grandes écoles dans un parti qui les exècre, une caricature du Parisien parachuté en province, un ancien chevènementiste qui a édulcoré la parole frontiste et une pièce rapportée en haut de l’organigramme du parti au détriment de collaborateurs plus anciens, qui ont soif de revanche. Dans un mouvement habitué à marcher en rangs serrés, les initiatives prises par le soldat Philippot irritent la vieille garde.

Outre le fait d’avoir convaincu Marine Le Pen de ne pas assister à la “manif pour tous”, il n’a pas hésité à déposer une gerbe sur la tombe du général de Gaulle à Colombey-les-Deux-Églises, le 9 novembre dernier. Quand on évoque l’événement auprès de Jean-Marie Le Pen, à Montretout, le président d’honneur du FN trouve la pilule difficile à avaler : “C’est un garçon assez remarquable sur le plan intellectuel mais j’ai trouvé ce geste superflu. Je pense que c’était un relatif manque de discrétion par rapport à un parti politique dans lequel il venait juste d’entrer et à qui il imposait cet acte de communication, estime t-il. Ça a choqué une partie importante du mouvement, les pieds-noirs, les harkis, les gens de l’Algérie française, qui avaient de fortes raisons de ne pas être gaullistes, hein.” De la même manière, féru des analyses de Jacques Sapir ou d’Emmanuel Todd, Florian Philippot privilégie l’économie ou le social aux fondamentaux frontistes que sont l’islam ou l’immigration. “Avant la présidentielle, il sortait des sondages qui laissaient penser que si Marine mettait l’immigration entre parenthèses et qu’elle se concentrait sur l’économie, elle aurait un boulevard devant elle. Heureusement qu’on a redressé le tir à la fin”, note un cadre du mouvement. Pourtant, Philippot continue d’entretenir un rapport privilégié avec Marine Le Pen. On évoque un “gourou” qui a “hypnotisé” la présidente du mouvement. “Elle n’écoute plus que lui. Du coup, les liens se sont distendus avec le reste des dirigeants”, regrette un autre cacique. Certains l’accusent même de déserter le travail militant pour les plateaux télévisés. “Il serait prêt à tout pour décrocher un duplex à 23 h sur NRJ 12”, persifle un membre du bureau politique. Jointe par téléphone, Marine Le Pen défend son protégé. “J’ai choisi de privilégier la méritocratie sur l’ancienneté. Aujourd’hui, on lui reproche tout et l’inverse de tout. J’ai connu les mêmes

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difficultés que Florian au début des années 2000, on m’accusait de défendre une ligne molle et de sauter une génération. C’est une sorte de bizutage qui permet de juger de la solidité de l’homme.” Malgré ce soutien indéfectible, le directeur stratégique de la campagne présidentielle n’est pas toujours bien reçu sur le terrain. Son parachutage à Forbach fut une réussite électorale (46,30 % des voix au second tour dans la sixième circonscription de Moselle) mais pas une réussite militante. Florian Philippot n’a pas gagné le cœur de tous les frontistes mosellans. “Il a débarqué avec deux ou trois membres de son équipe de Paris. Quand on lui parlait, il nous prenait pour des bœufs”, peste Alain Friderich, son suppléant, exclu peu de temps après la campagne des législatives. Quatre conseillers régionaux ont récemment claqué la porte du Front à cause de ses méthodes. ”Ce sont des cas relativement isolés, ils ne sont pas dans la même dynamique que nous et du coup, ça coince”, explique Florian Philippot... Ancien élève d’HEC et de l’ENA, il aurait pu embrasser une carrière ministérielle. Son adhésion au FN a d’ailleurs étonné ses collègues de promo qui ont gardé le souvenir d’un homme “discret” et “pudique”. Ses premiers pas de militant remontent pourtant à la campagne présidentielle de 2002 de Jean-Pierre Chevènement. Il prend alors la tête de son comité de soutien pour les grandes écoles. Ses premières émotions politiques remontent à 1999 quand le duo PasquaVilliers  faisait trembler les murs de la “technocratie européenne”. “Je me rappelle que je m’étais fait engueuler par mes parents car j’étais resté éveillé jusqu’à 2 h 30 du matin pour connaître les résultats de la liste Rassemblement pour la France. Le problème c’est que je passais mon bac de philosophie, le lendemain”, confie-t-il nostalgique. C’est d’ailleurs un proche de Charles Pasqua qui

Florian Philippot privilégie l’économie ou le social aux fondamentaux frontistes que sont l’islam ou l’immigration le mettra en relation avec Marine Le Pen. En mai 2009, l’ancien député européen Paul-Marie Coûteaux organise un apéro en compagnie de l’actuelle présidente du FN. C’est le début d’une collaboration étroite, les rencontres s’enchaînent. Paul-Marie Coûteaux se rappelle d’un dîner chez lui, rue du Vieux-Colombier. “L’alchimie était totale”, se rappelle-t-il. Deux ans plus tard, il est lancé dans le grand bain lors de la présentation du programme économique du mouvement aux journalistes. Alors haut fonctionnaire à l’Inspection générale de l’administration (IGA), qui dépend du ministère de l’Intérieur, il prend une identité d’emprunt. Depuis, il s’est mis en disponibilité et a adhéré au Front national. Dans l’enceinte de l’IGA, ce choix a surpris quasiment tout le monde. Bénéficiant de l’appui inconditionnel de Marine Le Pen, Florian Philippot sait que les histoires d’amour entre le FN et les technocrates se finissent toujours en mélodrame. Ancien élève de Polytechnique, Bruno Mégret avait su multiplier les structures au sein de l’appareil comme d’autres jouent au Lego. Dans un parti qui a toujours préféré la croix de guerre au bicorne, l’ancien numéro 2 du FN avait gagné sa légitimité sur le terrain électoral, ce qui ne l’a pas empêché de disparaître politiquement face à Jean-Marie Le Pen. Aujourd’hui, Florian Philippot sait qu’il possède un jeu beaucoup plus maigre en poche et qu’une éventuelle disgrâce le condamnerait à un hors-piste définitif. David Doucet 13.03.2013 les inrockuptibles 17

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Josh Shinner

Laura Mvula Star en Angleterre, ce grand espoir de la proto-soul a tout pour plaire, entre Björk et Burt Bacharach.



ne jeune chanteuse qui s’échappe d’une chorale pour devenir star en solo : on n’est pas dans l’Amérique soul des 60’s, mais ici (ou presque, Birmingham en Angleterre) et maintenant. Toute petite, Laura Mvula (25 ans, née Douglas) chantait avec son frère et sa sœur pour amuser les parents – qui, ça tombe bien, étaient fans de jazz et de gospel. Plus tard, elle a étudié la musique sous toutes ses formes au conservatoire de Birmingham, puis chanté dans le groupe vocal féminin de sa tante.

Ses chansons perso, forcément basées sur la voix, sont tombées dans les oreilles d’un producteur coté, qui leur a façonné d’étonnants arrangements, symphoniques et futuristes, entre Burt Bacharach et Björk. Premier album renversant. Déjà énorme en Angleterre sur la foi d’une paire de singles, Laura Mvula débarque bientôt chez nous, sur un nuage, la voix royale. Stéphane Deschamps album Sing to the Moon, sortie le 3 juin. www.lauramvula.com   

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“tu crois que tu peux me mettre un +1 pour le conclave ?”

retour de hype

“t’es une fille, t’as pas de shampoing. Allô ?”

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

le debrief des Brit Awards par Noel Gallagher

Vanessa Paradis

la peine de mort pour les pirates l’ours polaire la gauche ploum-ploum

“me suis fait un pote cochon sur Caramail”

Riff Raff

envoyer des SMS en marchant “mais c’est qui Taylor Swift, en fait ?”

Ignition (Remix), hymne des États-Unis

la casquette chez les ex-souverains pontifes

“t’as vu les images de la baston entre Booba et La Fouine à Miami ?”

La peine de mort pour les pirates Beyoncé et Sony réclament 230 000 euros à un Suédois qui avait leaké l’album de la dame. Ignition (Remix) Le hit de R. Kelly est en passe de devenir le nouvel hymne US. C’est en tout cas ce que demande une pétition officielle sur whitehouse.gov. “Me suis fait un pote cochon sur Caramail” À une TED conference, Peter Gabriel a proposé un projet permettant aux animaux d’accéder au réseau. Le debrief

Paul Rudd

des Brit Awards par Noel Gallagher “Cette année peut se résumer par le fait d’avoir vu un membre de Muse fumer une cigarette électronique.” Envoyer des SMS en marchant Il est question d’interdire cette pratique dangereuse au Nevada. La gauche ploum-ploum Formule de M. Valls pour évoquer “la gauche idéaliste et romantique.” Vanessa Paradis Son nouveau titre, Love Song, composé par Biolay, est bien cool. Paul Rudd