893


12MB taille 133 téléchargements 378 vues
No.893 du 9 au 15 janvier 2013

www.lesinrocks.com

Allemagne 4,40 € - Belgique 3,90 € - Canada 6,99 CAD - DOM 4,80 € - Espagne 4,30 € - Grande-Bretagne 6,30 GBP - Grèce 4,30 € - Italie 4,30 € - Liban 10 800 LBP - Luxembourg 3,90 € - Maurice Ile 6,30 € - Portugal 4,30 € - Suède 53 SEK - Suisse 6,50 CHF - TOM 960 XPF

politique

toujours aussi machos ça tourne avec Quentin Dupieux

la culture peut-elle sauver

Marseille ? capitale européenne de la culture

M 01154 - 893 - F: 3,50 €

08 893 couve def.indd 1

Keny Arkana, Nathalie Quintane, Ora-Ïto… Et aussi Joey Barton à l’OM, Tapie aux affaires + le programme de MarseilleProvence 2013

07/01/13 15:59

GAB Pub.indd 1

07/01/13 10:48

par Christophe Conte

cher Jérôme Cahuzac,

T  

u dois te sentir bien seul en ce moment, en boulet de Bercy, et pourtant ils sont nombreux à te souhaiter chaleureusement une bonne année et, du fond de leur portefeuille, à te dire merci. En raison d’une bourde qu’un détenteur du CAP compta n’aurait pas commise, une partie du budget 2013 a donc été censurée par les vieux sages du Conseil constitutionnel et notamment les 75 % prélevés à titre exceptionnel aux plus nantis. À cause de ton imprudence, de ta témérité de fantassin du boulier (contre l’avis de tous, tu as foncé droit dans le mur), la mesure symbole des promesses du printemps n’a donc pas passé l’hiver. Certains s’en réjouissent, disais-je, et le premier à avoir jappé de bonheur fut Frédéric Thiriez, le patron de la Ligue

de football professionnel. Tu sais, Thiriez, ce type à besicles et moustache en guidon qui ressemble à un notaire cocu des pièces de Labiche et qui craint, pauvre bichon, de voir partir vers des cieux fiscaux plus cléments les plus jeunes prodiges du ballon dont il a la garde – comme s’ils avaient attendu cette prétendue saignée pour s’en aller brouter ailleurs un gazon plus vert. D’ailleurs, le second à éjaculer sa joie fut étonnamment Patrick Vieira, ex-grand Bleu qui émarge aujourd’hui pour le compte d’un fonds d’investissement d’Abu Dhabi en tant que responsable du développement de Manchester City et qui tint malgré tout à féliciter lui aussi sur Twitter le Conseil constitutionnel, ce village d’Astérix de la droite. Privé de cette ponction magique, Obélix a toutefois préféré aller roter sa satisfaction

dans les bras de Poutine. Voilà où on en est grâce à toi, Jérôme. Certains t’accusent d’ailleurs d’avoir volontairement torpillé cette mesure dont tu appris l’existence, on s’en souvient, en direct à la télé durant la campagne, préfigurant de façon criante ton actuel amateurisme. Vient s’ajouter à ça la casserole de plus en plus bruyante de ce compte en Suisse dont tu aurais été jadis le détenteur, selon un lièvre soulevé par Mediapart sur la base d’un malencontreux aveu enregistré qui te fait vraiment passer, s’il est authentique, pour une buse de pedigree exceptionnel. On raconte ainsi que tu aurais mal raccroché ton téléphone au moment où tu crachais ta Valda à propos d’UBS. Jean-Michel Aphatie, son séant bien calé dans son fauteuil de contempteur des enquêtes des autres, jure et vocifère qu’il s’agit-là d’un canular de type Gérald Dahan, mais Edwy Plenel et ses limiers tiennent bon. Si cet acte manqué est vrai, et si on y empile ta bourde budgétaire, on est en droit de s’inquiéter pour l’avenir capillaire de tes anciens clients. Oui, Jérôme, n’oublions pas que tu étais, avant de devenir le ministre de la gaffe, un sémillant chirurgien esthétique spécialisé dans les greffes de cheveux et poses de moumoutes en tous genres. En observant bien certaines photos, on peut d’ailleurs constater que tu possèdes toi-même un sacré toupet. Il vaux mieux croire que tes aptitudes au scalpel sont plus au point que lorsque tu manies une calculette ou un téléphone, car sinon certains pourraient retrouver un matin trop venteux leur flambante coiffe postiche dans le caniveau. Pour le moment tout va bien, malgré la tempête tu sembles pour ta part tenir en place, inflexible et impassible face aux bourrasques judiciaires qui te menacent et malgré le coup de pied au cul constitutionnel qui vient de t’être administré. Éric Woerth, ce nom te dit quelque chose ? Je t’embrasse pas, je laisse ça à Depardieu.

participez au concours “écrivez votre billet dur” sur

9.01.2013 les inrockuptibles 3

08 893 03 Billet dur.indd 3

07/01/13 15:03

GAB Pub.indd 1

03/01/13 15:09

30

03 billet dur cher Jérôme Cahuzac

08 on discute

en partenariat avec

André Mérian

No.893 du 9 au 15 janvier 2013 couverture photo Sébastien Normand

dossier Marseille 2013

#potiontragique

10 quoi encore ? on a tiré les rois avec Yan Wagner

12 polémique le débat sur les salaires des acteurs continue

14 événement

14

18 ici à tweeter avec modération

19 ailleurs Ceuta, enclave espagnole au nord du Maroc et terre de désillusions pour les migrants africains

Guillaume Binet/M.Y.O.P

le réseau Femmes et pouvoir contre le machisme en politique

20 la courbe du pré-buzz au retour de hype + tweetstat

64

21 à la loupe rififi à Manchester City

30 Marseille, mer de cultures Alexandre Guirkinger

élue capitale européenne de la culture, la ville se métamorphose. Promenades dans le cœur battant de la cité. Avec Matthieu Poitevin, Keny Arkana, Joey Barton, Aline…

22 idées haut le burn-out, maladie du XXIe siècle

68

26 où est le cool à Marseille ? dans un camion à pizzas, chez Ideal Corpus, sur un banc public…

64 l’amour à mort d’une fille

68 Quentin Dupieux à L. A. le cinéaste nous a invités en Californie sur le tournage irréel de son nouveau film, Réalité

Quentin Dupieux

dans un récit haletant, Tout s’est bien passé, l’écrivaine Emmanuèle Bernheim raconte comment elle a aidé son père à mourir

9.01.2013 les inrockuptibles 5

08 893 05 Sommaire.indd 5

07/01/13 15:54

les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34

74 The Master de Paul Thomas Anderson

76 sorties Aujourd’hui, Comme un lion, Paradis : amour, Une histoire d’amour…

80 décryptage

l’énigme Audrey Hepburn

82 dvd

Le Bachfilm, La Servante…

84 jeux vidéo

l’absence du Hobbit au rayon jeux

86 séries l’écrivain Tristan Garcia explique la fascination pour Game of Thrones

88 retour aux Villagers le prodige irlandais Conor O’Brien a retrouvé la lumière avec Awayland, deuxième album magique

90 mur du son Albin De La Simone, Don Rimini, le premier album de Willy Moon…

91 chroniques Rachel Zeffira, Blur, Bumcello, C.Sen, Bérurier Noir, Ran Blake et Sara Serpa, The Evens, 10cc…

99 concerts + aftershow Jeremy Jay

100 Le Bleu de la nuit l’icône des lettres US Joan Didion signe un grand texte sur la mort et la vieillesse

102 romans La Tunique de glace, Mélo, Portraits de femmes, XY

106 tendance le retour en force de l’absurde

107 bd Maria de Kazuo Kamimura

108 Sallinger la première pièce de Koltès, matrice de son œuvre + La Place Royale de Corneille

112 Michael Krebber rétrospective en forme de mille-feuille du peintre allemand + Les Fleurs américaines

116 France 3 a 40 ans la chaîne publique célèbre son anniversaire dans la tourmente

118 Nicolas Poincaré portrait de l’animateur de la tranche 18-20 heures d’Europe 1

119 programmes I Love Democracy : Cuba sans Fidel, La Nuit des Inrocks, Dr. CAC 2

120 best-of profitez de nos cadeaux spécial abonnés

p. 115

sélection des dernières semaines

122 print the legend

mai 1989 : une soirée pacifique chez Chris Isaak

rédaction directrice de la rédaction Audrey Pulvar rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, JD Beauvallet, Pierre Siankowski comité éditorial Audrey Pulvar, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne, Jean-Marie Durand, Nelly Kaprièlian, Christophe Conte secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot chefs d’édition Élisabeth Féret, David Guérin reporters Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Anne Laffeter, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Diane Lisarelli, David Doucet, Geoffrey Le Guilcher style Géraldine Sarratia idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain, Vincent Ostria musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint) collaborateurs E. Barnett, S. Beaujean, G. Binet, R. Blondeau, T. Blondeau, C. Bodet, C. Boullay, A. Chesnais, Coco, M. Despratx, H. Frappat, J. Gester, É. Guinot, A. Guirkinger, O. Joyard, B. Juffin, S. Lagoutte, C. Larrède, J. Lavrador, N. Lecoq, H. Le Tanneur, G. Livolsi, A. Mérian, X. Monnier, P. Morais, É. Philippe, N. Quintane, Y. Ruel, P. Sourd, S. Triquet, D. Valteau lesinrocks.com directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteur en chef Pierre Siankowski rédacteurs Diane Lisarelli, Thomas Burgel, Azzedine Fall, Carole Boinet éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomarès vidéo Basile Lemaire graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot second sr Fabrice Ménaphron sr François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Delphine Chazelas, Anne-Gaëlle Kamp, Laetitia Roland conception graphique Étienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Luana Mayerau, Nathalie Coulon, Nicolas Jan publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél 01 42 44 18 12 coordinateur François Moreau tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 15 31 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 00 13 publicité commerciale, directeur Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 directrices de clientèle Isabelle Albohair tél. 01 42 44 16 69 Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web Chloé Aron tél. 01 42 44 19 98 coordinatrice Lizanne Danan tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 assistante Alix Hassler tél. 01 42 44 15 68 marketing, promotion directrice du développement Caroline Cesbron promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 responsable presse/rp Élisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 chef de projet Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 assistante promotion marketing Jeanne Grégoire tél. 01 42 44 16 68 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement Everial les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19 infos 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement France 1 an : 115 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 407 956,66 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse direction générale Audrey Pulvar, Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Sonia Pied administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOer trimestre 2013 directrice de la publication Audrey Pulvar © les inrockuptibles 2013 tous droits de reproduction réservés

6 les inrockuptibles 9.01.2013

08 893 05 Sommaire.indd 6

07/01/13 15:55

GAB Pub.indd 1

07/01/13 09:36

Mammuth de Gustave Kervern et Benoît Delépine (2010)

l’édito

#potiontragique Trois semaines. Trois semaines de feuilleton, de polémique dans la polémique, d’invectives, de dénonciations au canon et de récupération partisane. Mais où est passé le débat de fond ? Sur la forme, un acteur, et non des moindres – l’une de nos cinq stars internationales (si, si, comptez, vous verrez) –, gavé d’oseille de la pointe des pieds jusqu’à la racine des cheveux, qui depuis bien longtemps est passé du côté obscur des forces de l’argent – celles qui oblitèrent tout, les valeurs, le passé, la vérité de l’être, ses convictions anciennes –, décide que plus, c’est toujours mieux, même quand on en a déjà tellement qu’on ne sait plus quoi en faire, s’en va monnayer sa notoriété au plus offrant. Crachant au passage sur un pays qui aura eu le culot de s’émouvoir de son départ, avec abandon de nationalité à la clé. Ces choses-là arrivent. La France perd(-ra) un citoyen qui la fit rêver, pleurer ou rire, un citoyen dont elle était fière (pas toujours) and so what… ? Fuir la France comme si l’on y vivait sous un régime autoritaire (cette blague !) et trouver refuge au sein de la “grande démocratie” russe ? Minable, on dit minable. L’attachement à une patrie, n’est-ce qu’une question d’argent, d’impôts trop lourds ? À quoi sert l’impôt ? Ne sommes-nous pas tous, chacun à son échelle, redevables, à vie, à cette patrie dans laquelle nous sommes nés ou que nous avons choisie, de l’accès au savoir qu’elle nous a offert, des hôpitaux dans lesquels elle nous soigne, de la sécurité qu’elle nous promet, de l’assistance – même imparfaite – qu’elle apporte aux moins dotés, de l’aide qu’elle nous fournit, malgré tout, pour affronter les vicissitudes de la vie ? Qui peut ainsi, l’esprit léger, s’affranchir de tout devoir de solidarité à l’égard de l’État démocratique (finalement pas si épouvantable) qui l’a vu

naître et grandir ? Un pays auquel, tous les jours, nous pouvons reprocher de ne pas se montrer assez égalitaire ou fraternel, dans lequel les libertés sont parfois bafouées, qui compte près de 9 millions de pauvres et des millions de mal-logés mais où, quand même, on ne regrette pas d’être nés ! La France tu ne la quittes pas, même si parfois tu l’aimes moins. Qu’est-ce qu’un impôt “trop lourd”, voire “confiscatoire” ? Celui qui, aux États-Unis, frappait à hauteur de 90 % les plus hauts revenus jusqu’au milieu des années 60, n’empêchant pourtant pas le pays de prospérer ? Celui de 80 % instauré par le général de Gaulle, pendant les Trente Glorieuses ? Ces pays s’étaient-ils alors effondrés, désertés par leurs très grandes fortunes ? Autre temps, autre réalité nous rétorque-t-on. C’est vrai. En quarante ans, les choses ont bien changé : les revenus des ménages les plus fortunés ont crevé tous les plafonds. La part des profits engrangés par les actionnaires des plus grandes entreprises et celle des revenus de leurs dirigeants dans la richesse nationale n’a cessé d’augmenter, alors que reculaient les avantages sociaux des salariés et que chutait l’emploi, premier levier à actionner pour faire croître les profits des entreprises, tandis que le chantage à la délocalisation pratiqué par certains obligeait les États, donc les contribuables, à céder toujours plus de subventions et d’abaissement des cotisations sociales patronales. De cela, on ne parle pas pendant qu’on s’esclaffe à propos du costume traditionnel russe enfilé par notre Gégé ex-national ou qu’on se désole devant ses saillies pathétiques. D’ailleurs, on finit par se demander de quoi on parle puisque, finalement, l’impôt de 75 % sur les revenus supérieurs à 1 million d’euros par an n’existera pas. On parie ?

Audrey Pulvar 8 les inrockuptibles 9.01.2013

08 893 08 Edito ok.indd 8

07/01/13 16:04

GAB Pub.indd 1

03/01/13 13:13

“j’ai surtout voté Hollande pour les changements sociétaux”

j’ai tiré les rois avec

Yan Wagner

O

n arrive aux abords de la butte Montmartre à l’heure du thé, le précieux sésame à la main. Six étages plus haut, Wagner nous ouvre, jovial, et nous fait passer au salon. Une belle pièce claire, meublée avec goût. Aucun disque apparent. Seule s’échappe du Mac posé en équilibre la voix traînante et magnétique de Lee Hazlewood. “Elle a l’air parfaite cette galette. Faut la faire réchauffer ? Notre four n’est pas terrible. Combien de temps ? Qu’est-ce que je te sers ? Thé ? Café ?” Marie, la compagne de Yan, qui réalise les vidéos projetées pendant ses concerts, nous sert un thé. On papote de tout, de rien, de la sortie du prochain Depeche Mode, qui l’excite davantage que celle du Arcade Fire produit par James Murphy. On revient sur son DJ set, épique et plutôt à l’arrache, la veille au Quartier Général, un bar de poche un peu décrépi de la rue Oberkampf. Wagner était la tête d’affiche de la Kidnapping, une boum queer mensuelle electro totalement déjantée, ponctuée par les lancers de jambon intempestifs de son organisatrice, Big Morello. Angulaire, géométrique, traçant des lignes entre standards des années 80 (Grauzone, Depeche Mode, Daho), electro plus contemporaine et minitubes maison, son set s’écoutait comme un parfait concentré de son univers, découvert avec son premier album Forty Eight Hours, un des meilleurs disques de 2012 côté français. “En ce moment, je travaille sur le live, continue Wagner en enchaînant les allers-retours dans la cuisine. Nous sommes trois, une formation totalement électronique. Du coup, je peux me concentrer sur le chant, l’album respire davantage.” Reste à mettre au point la scénographie. “Jusqu’alors, nous projetions des vidéos mais on n’est pas contents

du résultat. On ne veut vraiment pas que l’image soit un cache-misère, mais qu’elle corresponde au contraire le plus possible aux images que j’ai dans la tête. Quand j’écris, je vois toujours des images. Là, Marie travaille sur l’idée de tableaux mouvants qui s’allument et s’éteignent, chaque tableau correspondant à une chanson.” Tout juste sortie du four, la galette trône fièrement sur la table. “On fait le truc avec le torchon ?” Devant nos mines perplexes, Yan explique : “Tu la recouvres et au-dessus de chaque part tu demandes ‘c’est pour qui ?’ C’est pour pas tricher !” Marie explique que dans sa famille, le plus petit passe sous la table. On décide de s’abstenir. Je croque à pleines dents dans la fève alors que Yan me parle de Changed, son nouveau single qui sort ces jours-ci. “J’avais envie de parler de changement, de gentrification. Quand je vivais à Brooklyn, beaucoup de gens me disaient : ‘c’était mieux avant’. On entend la même chose à Paris. Je trouve ce fantasme de la ville agaçant. Tout l’intérêt des grandes villes réside dans leur mutation.” Couronne sur la tête, je le lance sur le mariage gay, qu’il a soutenu avec d’autres musiciens électroniques en posant un morceau sur le tumblr Fight For Your Right To Marry initié par Benoît Rousseau, de la Gaîté Lyrique. “Ça n’est ni un problème, ni une menace. Nous sommes en retard. Il y a une situation qui existe, que l’on ne peut pas ignorer. Il y a beaucoup d’enfants qui sont dans un vide juridique. Je suis aussi pour le droit de vote des étrangers. Mon père est américain, il vit en France depuis 1974 et ne peut toujours pas voter, je ne trouve pas ça normal. J’ai voté pour Hollande contre Sarkozy mais surtout pour les changements sociétaux. Je pensais que ça serait réglé dans les trois mois. Mais je reste confiant, je suis sûr que la loi va passer.” 17 h 30, Yan me raccompagne, ma couronne sur la tête. Le temps file vite chez les Wagner. Géraldine Sarratia concert le 22 mars à Paris (Nouveau Casino) et en tournée dans toute la France retrouvez en exclusivité, à partir du 14 janvier, son nouveau clip, Changed, sur

10 les inrockuptibles 9.01.2013

08 893 10 Quoi.indd 10

07/01/13 15:45

GAB Pub.indd 1

03/01/13 12:31

la couleur de l’argent Le cinéma français s’enflamme depuis la publication d’une tribune du producteur et distributeur Vincent Maraval dans Le Monde visant les salaires stratosphériques de certains acteurs et le mode de financement des films. Un témoignage à charge loin de faire l’unanimité.

D

epuis qu’a débuté le feuilleton de l’exilé fiscal et nouveau citoyen russe Gérard Depardieu, la France aurait donc découvert les secrets du star system, ses excès manifestes et sa cupidité rendus plus insupportables encore dans un contexte de crise économique. Les acteurs seraient trop payés, leurs agents trop puissants, les films trop chers, et l’année écoulée serait “un désastre”, entend-on un peu partout depuis la publication d’une tribune dans Le Monde daté du 29 décembre, intitulée avec fracas “Les acteurs français sont trop payés !”. Plus personne n’ignore aujourd’hui le nom de son auteur, celui par qui le scandale est arrivé, Vincent Maraval, producteur, distributeur, et cofondateur de la société Wild Bunch. Le texte en question, évoquant les recettes décevantes des films les plus chers de l’exercice 2012 (Les Seigneurs, Astérix, Stars 80…), incrimine une niche d’acteurs aux rémunérations exorbitantes mais à la rentabilité plus qu’incertaine. Dany Boon (3,5 millions d’euros pour Un plan parfait), Daniel Auteuil (1,5 million en

moyenne), Vincent Cassel (entre 1 et 1,5 million pour Mesrine) et d’autres figurent au rang des profiteurs, mais, selon le billet, le vrai coupable de cette inflation, c’est le modèle de financement du cinéma français dans son ensemble. Ce fameux dispositif alimentant la production à coups de subventions directes (l’avance sur recettes du CNC, les chaînes publiques, les fonds régionaux…) et surtout d’obligations d’investissement des chaînes privées. “Les acteurs sont riches de l’argent public et du système qui protège l’exception culturelle”, résumait l’auteur du brûlot, ouvrant une polémique sans limites et, s’exaspère le producteur et membre du Club des 131 Patrick Sobelman, un débat “inaudible, biaisé, et indécent pour le grand public”. De nouvelles tribunes sont venues depuis corriger les approximations du texte de Vincent Maraval, récusant sa logique comptable (sur l’année dite “désastreuse” ou sur la rentabilité des films) et défendant la base du modèle du financement du cinéma français. “Le danger de cette tribune, qui part d’une réalité concrète,

c’est la confusion qui y est faite sur le rôle des subventions publiques, affirme le cinéaste et producteur Robert Guédiguian (Les Neiges du Kilimandjaro). Lorsque l’on dit que les acteurs sont riches de l’argent public, c’est faux et ça alimente les fantasmes sur un milieu de privilégiés, assis sur les impôts des gens. Il faut rappeler le génie du système vertueux français, qui repose sur l’autofinancement et le fonds de soutien du CNC.” Au cœur de la polémique, le producteur Thomas Langmann (Stars 80, entre autres films ciblés par Vincent Maraval), dénonce lui aussi les “dérives démagogiques” suscitées par le débat : “Il n’est pas question de nier la part de subventions publiques, marginale sur les films concernés, mais il faut la dissocier de cette affaire sur le salaire des stars.” Si certains professionnels contestent donc la méthode et les arguments employés par Vincent Maraval, tout le monde s’accorde néanmoins sur son constat : l’inflation réelle des cachets de vedettes. “Oui, les prix des acteurs ont grimpé, suivant les évolutions du marché, poursuit Thomas Langmann. Il y a encore quinze ans, vous

n’aviez que quatre ou cinq groupes qui produisaient des films ; mais depuis on a assisté à l’apparition des indépendants (Mars, Wild Bunch, EuropaCorp) et des antennes françaises des majors… Sur les projets les plus attractifs, on se retrouve désormais à cinq ou six producteurs intéressés, et forcément ça augmente les enchères, donc les cachets des stars. Ce sont des gens consentants qui participent à cette concurrence féroce, parfois même en oubliant la déontologie – et je m’inclus dedans.” Dans cet étroit réseau de concurrence, les chaînes de télévision, surtout privées, ont une grande part de responsabilité dans la flambée des prix des acteurs : ce sont elles qui fixent la cote des têtes d’affiche auxquelles elles accorderont leurs investissements, celles capables de leur assurer une garantie d’audience. Directeur du cinéma à Canal+, le premier financier du cinéma français, Manuel Alduy se dit peu concerné par cette affaire, mais reconnaît avoir été parfois confronté à ce genre d’exigences salariales “démesurées” chez certaines vedettes : “Lorsque les producteurs nous approchent

12 les inrockuptibles 9.01.2013

08 893 12-13 Sur le vif.indd 12

07/01/13 16:00

Dany Boon danse-t-il sur un volcan ? (Un plan parfait)

avec des devis incluant des cachets d’acteurs trop élevés, nous engageons un processus de négociation. Il nous arrive aussi de plafonner nos investissements si l’on juge que le projet n’est pas assez porteur, de ne pas mettre le préachat (en moyenne 20 % du film) à la hauteur de ce que le producteur souhaiterait. Tous les abus évoqués ces derniers jours ne représentent qu’une part minoritaire des devis, et peuvent être régulés. Il faut simplement signaler les excès aux talents en question et se mettre d’accord entre producteurs et diffuseurs.” Plutôt qu’un plafonnement légal du salaire des acteurs (solution avancée par Maraval), c’est donc une autorégulation et un dialogue que préconisent d’abord certains professionnels. Un processus déjà engagé depuis quelque temps selon Sylvie Pialat, productrice au Films du Worso (À perdre la raison) : “Justement, pour lutter contre l’inflation des salaires des vedettes, on a commencé à se parler entre producteurs, à comparer les prix, à s’informer sur le cachet que l’on avait attribué à tel ou tel acteur. C’était impensable et complètement tabou il y a encore quelques années,

explique-t-elle. Il faut aussi rappeler que certaines stars baissent leurs exigences salariales lorsqu’elles veulent tourner avec un réalisateur qu’elles estiment.” C’est ainsi que le très populaire Vincent Lindon a accepté un salaire minime sur le tournage du dernier film de Claire Denis, Les Salauds (coproduit par la société de Vincent Maraval, Wild Bunch). “Les acteurs n’ont pas de prix fixe, tout ça n’obéit pas à une loi économique qu’il s’agirait de dénoncer, confirme le cinéaste Benoît Jacquot (Les Adieux à la reine). Prenez Dany Boon, celui que tout le monde accable, figurez-vous qu’il m’a dit récemment que si j’étais intéressé, il accepterait de tourner avec moi pour une somme ridicule en comparaison de ce qu’il gagne dans le circuit commercial. Jamais aucun acteur ne m’a empêché de faire un film à cause de ses prétentions salariales. Le problème, ce sont les coûts de fabrication des films incriminés dans cette affaire.” Car derrière le symbole médiatique de quelques vedettes surpayées, c’est toute une partie de l’industrie qui est frappée d’inflation. Partant du budget moyen d’une production française

(5,4 millions d’euros), Vincent Maraval dénonçait ces films “trop chers” et non rentables protégés par les subventions des chaînes télé, dont l’unique but serait de payer les salaires d’acteurs, de producteurs et réalisateurs – le fameux “above the line”. “C’est d’abord une question d’incompétence, explique Benoît Jacquot. Sur ces films de marché, les réalisateurs ne connaissent pas leur métier, les tournages prennent plus de temps et donc d’argent. Ensuite, il faut dire que certains producteurs ont tout intérêt à ce que leur film soit surbudgété, puisqu’ils vivent sur les hypertrophies de tournage grâce à l’argent des chaînes privées.” Mais en période de fragilisation du modèle économique du cinéma français (coupes budgétaires imposées au CNC, baisse à venir des investissements de la télévision…), ces productions de “nababs”, dont les cachets des vedettes sont les symboles, font tache et creusent un peu plus le fossé entre riches et pauvres dans l’industrie. “Ce que je lis dans le texte de Maraval, c’est finalement un appel à la moralisation de certaines pratiques abusives du cinéma français, témoigne

“jamais aucun acteur ne m’a empêché de faire un film à cause de ses prétentions salariales” Benoît Jacquot

le réalisateur Olivier Assayas (Après mai). Cette idée selon laquelle l’argent injecté dans un film à gros budget doit être au moins récompensé, qu’il doit y avoir un effort consenti par tous, acteurs, techniciens, pour qu’il y ait un maximum à l’écran.” Alertée par l’ampleur de la polémique, la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, a indiqué de son côté que l’État ne pouvait rien contre l’inflation des cachets des stars, indépendante des subventions publiques, avant de rappeler son soutien au CNC. Elle a néanmoins annoncé des changements à venir dans le mode de financement du cinéma français, sans en fixer tous les détails. Façon, peut-être, de se prémunir contre de nouvelles polémiques. Romain Blondeau 1. Groupe de professionnels du cinéma français engagé dans la défense des films dits du milieu lire aussi “Raccord” page 75 9.01.2013 les inrockuptibles 13

08 893 12-13 Sur le vif.indd 13

07/01/13 16:00

Chantal Jouanno, 43 ans, ex-secrétaire d’État chargée de l’Écologie, ex-ministre des Sports de Nicolas Sarkozy, sénatrice UDI

en finir avec le sexisme en politique Plusieurs élues, de droite comme de gauche, ont créé le réseau Femmes et pouvoir pour dénoncer le machisme en politique. Six d’entre elles expliquent les raisons qui les ont poussées à se mobiliser.

 E

x-ministres, parlementaires ou conseillères municipales, elles dénoncent le chemin de croix réservé aux femmes en politique. Lasses des tâches subalternes, des rumeurs de coucheries ou des insultes, plusieurs d’entre elles viennent de lancer Femmes et pouvoir, un réseau animé par une jeune polytechnicienne, Julia Mouzon. Le réseau rassemble les élues de droite et de gauche qui veulent jouer pleinement leur rôle. Pour la première fois, elles témoignent de leurs difficultés et des solutions pour les surmonter.

Chantal Jouanno “Beaucoup d’hommes considèrent qu’il n’y a pas d’intellectuel au féminin” Ce dont j’ai souffert le plus, c’est la rumeur d’une liaison avec Nicolas Sarkozy. Je n’ai pas été soutenue dans mon camp et ce bruit, repris partout, a même été colporté par des femmes de droite. C’est Élisabeth Guigou, au Parti socialiste, qui a eu les mots les plus justes : “Ça vous collera à la peau toute votre vie, m’a-t-elle dit. Il ne faut pas en avoir honte, ça permet de dédramatiser.” Bien sûr, cette rumeur a été relayée dans un univers de concurrence habituelle et normale chez les femmes.

Mais derrière, on trouve ce message : “Elle n’est pas légitime, elle est arrivée en couchant.” Quand un homme de mon propre camp m’a traitée de “connasse” à l’Assemblée, là encore, j’ai reçu des messages de soutien de la gauche. Les hommes sont plus solidaires entre eux. Les femmes devraient apprendre à l’être. Aujourd’hui, j’ai envie d’écrire le “Guide de la politique pour les nulles”. Dernièrement, j’ai parlé à une femme lourdement draguée par un élu, je lui expliquais que c’est le machisme le plus simple. Il faut alors savoir envoyer paître

14 les inrockuptibles 9.01.2013

08 893 14 Evé OK.indd 14

07/01/13 15:26

Julia Mouzon, 28 ans, polytechnicienne, fondatrice de Femmes et pouvoir, ex-conseillère au ministère des Finances

“je rêve d’une sorte d’empowerment à l’américaine où il existe des écoles pour promouvoir les filles” Julia Mouzon

avec dérision – on peut même s’amuser du physique de son interlocuteur – mais surtout éviter que ce soit public. La meilleure méthode c’est l’humour. Monter ce réseau politique de femmes permet dans un premier temps de diffuser des infos et surtout des messages d’alerte. Si une femme a été victime d’une injustice ou de remarques misogynes, on doit réagir aussitôt. L’idée, c’est aussi de pouvoir faire appel à une autre pour avoir un conseil. Au quotidien, ce qui m’a été le plus insupportable en tant que ministre, c’était de sentir que mes décisions étaient réinterrogées. Beaucoup d’hommes considèrent qu’il n’y a pas d’intellectuel au féminin. Une femme politique aura moins d’autorité. Quand j’étais ministre de l’Écologie, les hommes n’osaient pas trop contester. Mais, par conséquent, on considérait que j’avais des qualités techniques, mais pas politiques, ce qui est encore une manière de vous marginaliser. Ensuite, je suis passée aux Sports, un milieu archimachiste. Là, la lutte était permanente. La grande majorité des fédérations sont présidées par

des hommes et il me fallait constamment imposer ma décision, passer en force. Quand j’ai pris une femme comme directrice de cabinet, certains se sont exclamés : “Encore une femme !” On n’aurait jamais dit ça pour un homme. Il faut sans cesse apporter les preuves de ses compétences. Mais les plus rétrogrades sont parfois les femmes elles-mêmes. Quand je me suis fait siffler en tenue courte à l’Assemblée, certaines de l’UMP ont fait une contre-manif pour dire qu’elles, au contraire, n’avaient jamais eu de problème à porter des jupes. Mais ce qui me révolte le plus, encore aujourd’hui, c’est d’entendre dans la bouche des femmes que je suis sénatrice parce que je suis une femme.

Julia Mouzon “J’ai cherché des modèles, des aînées auxquelles je pouvais m’identifier” À la direction du Trésor, je travaillais au service des politiques publiques auprès d’Éric Woerth et Christine Lagarde. C’est un univers très masculin. Au fur et à mesure que l’on monte au sommet

de la pyramide, il y a de moins en moins de femmes. J’ai cherché des modèles, des aînées auxquelles je pouvais m’identifier, à qui j’aurais aimé ressembler dans cinq ou vingt ans. Celles qui avaient des enfants et qui partaient à 19 heures, on leur demandait si elles avaient pris leur après-midi. Et c’est à cette heure-là que les décisions se prennent. À un moment, vous vous dites : je veux avoir des enfants et il y aura des problèmes. Le sacrifice était trop grand. Du coup, je suis partie et j’ai créé Femmes et pouvoir pour vraiment faire bouger la société. Si les femmes sont si peu nombreuses à l’Assemblée nationale, au Sénat, au congrès des maires de France, ou dans les clubs des fumeurs de cigares, elles n’ont aucune chance d’y entrer : voilà quel a été le déclencheur. Je rêve d’une sorte d’empowerment à l’américaine où il existe des écoles pour promouvoir les filles. Toutes les difficultés que les femmes rencontrent sont des difficultés collectives et je souhaite que ce mouvement leur donne la force de progresser sans misérabilisme. Je leur offre un lieu protégé pour en parler. 9.01.2013 les inrockuptibles 15

08 893 14 Evé OK.indd 15

07/01/13 15:26

Stéphane Lagoutte/M.Y.O.P pour Les Inrockuptibles

Stéphane Lagoutte/M.Y.O.P pour Les Inrockuptibles

Rachel Adil, 43 ans, conseillère en insertion professionnelle, élue d’opposition à Clamart (Hauts-de-Seine)

Géraldine Poirault-Gauvin, 37 ans, ancienne assistante parlementaire d’Édouard Balladur, conseillère UMP de Paris. En janvier 2012, furieuse de voir l’UMP investir 72 % d’hommes aux législatives, elle fonde Les Parisiennes en colère

Patricia Richard, 45 ans, consultante en communication dans l’édition, conseillère municipale PS de Saint-Maurice (Val-de-Marne). Candidate aux élections législatives en 2012

Patricia Richard

Laurence Rossignol

“Je me suis dit : si je me tais, je suis consentante” En mars dernier, je tractais sur le marché de Saint-Maurice quand arrive mon mandataire financier. Le maire vient me saluer et me dit : “Tiens, voilà votre souteneur.” En retour j’ai demandé : “Vous voulez dire quoi, qu’il relève les compteurs ?” Être traitée de prostituée parce que je suis sur le trottoir ? Je n’en ai pas dormi pendant quinze jours. Ça vient d’un grand élu, un sénateur, je me suis dit : si je me tais, je suis consentante. J’ai pensé à toutes celles qui ne peuvent pas répondre publiquement, alors j’ai fait un communiqué. Les remarques sexistes continueront tant que la classe politique n’aura pas été renouvelée. Pour moi, il était également essentiel de réagir pour casser ce que l’on voit trop souvent dans le regard des gens : qu’on est tous copains, et que l’on se couvre quel que soit le bord politique. Il y a aussi toutes ces femmes qui ne sont pas prêtes à voter pour une femme parce que nous n’avons pas cet esprit de corps. C’est pourquoi il est essentiel d’apprendre à le créer. Quand les femmes se lèvent, elles sont formidables.

“En politique, les hommes vont toujours vers les hommes” Le plus dur pour une femme n’est pas d’être élue. C’est d’être choisie par son appareil politique. Il est terriblement difficile de recevoir une investiture pour des législatives ou des sénatoriales. La compétition est redoutable. Il existe une pesanteur quasi naturelle qui vous exclut. Je ne fais pas partie des femmes que les hommes ont envie de parrainer. Femme et forte tête, j’ai moins d’amis. Si je confronte mes compétences et l’âge auquel je suis devenue parlementaire, il y a un vrai décalage. C’est une femme, Martine Aubry, qui m’a donné l’ultime coup de pouce pour y arriver. Ce que je trouve pénible, c’est de ne pas être reconnue comme un cerveau à part entière. Les hommes entre eux se parlent de sujets politiques importants. Nous, nous sommes cantonnées aux sujets thématiques. Encore aujourd’hui, au Sénat, il arrive régulièrement que l’on me prenne pour une assistante parlementaire. L’autre jour, à l’aéroport, pour un voyage d’études avec des sénateurs, on m’a demandé qui j’accompagnais. J’ai répondu que je n’étais pas leur secrétaire ou leur

assistante mais leur auxiliaire de vie ! Dans les années 90, j’avais régulièrement des réunions avec Michel Rocard. Il ne me parlait que de mes robes ou de mes boucles d’oreilles. Un jour, j’ai fini par lui dire que j’allais les lui prêter. En 1997, quand Lionel Jospin a commencé à instaurer la parité, certains hommes disaient : “Ah non, dans notre circonscription on n’a pas de femmes.” Je répondais : “Mais vous faites comment pour vous reproduire ?” Je me souviens d’un élu des Ardennes qui a demandé : “Elles savent chasser le sanglier ?” Ce qui m’a toujours frappée, c’est la capacité des hommes à se coopter. Quand ils inventent un paysage politique, les hommes vont toujours aller vers les hommes. On est là dans le registre de l’évidence. En ce qui concerne les femmes en politique, il y a trois catégories : d’abord les “dociles”, qui s’arrangent pour se mettre dans les pas d’un homme et respectent l’ordre établi par les féodaux, elles vont dire merci au chef, se contentent des strapontins et ne mangeront jamais à la table des grands. Il y a ensuite les féministes, teigneuses mais marginalisées. Il y a enfin celles qui, comme moi, pratiquent un féminisme ironique et trash

16 les inrockuptibles 9.01.2013

08 893 14 Evé OK.indd 16

07/01/13 15:27

Laurence Rossignol, 55 ans, sénatrice socialiste de l’Oise depuis 2011, viceprésidente du Conseil régional de Picardie, secrétaire nationale du PS chargée de l’Écologie

avec humour… ce qui suppose de ne pas être coincée. Mais j’ai longtemps été perçue comme terrifiante et épouvantable. Aujourd’hui, la question de la misogynie est prioritaire car elle coûte beaucoup trop cher aux femmes. Et quand elles arrivent enfin au poste qui les intéresse, c’est au prix d’un épuisement énorme.

Géraldine Poirault-Gauvin “J’étais là pour promouvoir les hommes. Après ça bloque” Cette année, c’est la première fois que l’UMP n’a pas une femme députée de Paris. Nous sommes très en retard sur les questions de parité. Avec plusieurs autres femmes politiques, nous voulons donc faire passer la loi suivante : supprimer le financement public pour les partis qui ne respectent pas la parité, nous les premiers. Cette année, l’UMP va perdre des millions d’euros pour n’avoir pas respecté la loi ! Nous devrions la respecter, ne serait-ce que par stratégie. En interne, il faut aussi mettre en place des commissions d’investiture composées à égalité d’hommes et de femmes. La situation actuelle me révolte. En 2008, j’ai fait toute la campagne du maire

du XVe arrondissement de Paris. Distribuer ses tracts, rédiger des discours. Une fois qu’il a été élu, je n’ai plus été conviée aux réunions stratégiques. J’étais là pour promouvoir les hommes. Après, ça bloque.

Rachel Adil “Si je me bats, je passe pour une pasionaria hystérique. Si j’utilise l’humour, je ne suis pas crédible” À Clamart, j’ai instauré un rituel. Je commence chaque conseil municipal en donnant la répartition du temps de parole entre hommes et femmes lors du conseil précédent : en moyenne 93 % pour les hommes, 7 % pour les femmes. Mais ça amuse tout le monde, ça ne fait rien avancer et je passe pour une originale. En 2009, j’ai voulu que l’on rembourse les frais de garde pour les élues non indemnisées. Comment font les femmes seules avec enfants qui veulent s’investir en politique ? Pendant un an, pas de nouvelles. Je présente la proposition de nouveau en 2010, on me promet une réunion qui n’a jamais eu lieu. Je finis par proposer une résolution sur l’interdiction de tomber de la neige. Une manière de montrer qu’une idée stupide avait le même destin qu’une

proposition qui faisait avancer la société. Maintenant, je suis considérée comme la boute-en-train. Si je me bats, je passe pour une pasionaria hystérique. Si j’utilise l’humour, je ne suis pas crédible. “Mme Adil, vous n’êtes pas sérieuse”, c’est devenu un refrain. Si je me tais, je suis taxée de passivité. J’ai fini par m’interroger sur ma légitimité au conseil. J’ai tellement perdu confiance en moi que j’ai réussi à faire douter de moi. Les gens se disent : son combat on s’en fout, elle est ridicule. Maintenant, je n’ai plus peur de prendre la parole, je ne me dis plus que les autres savent et pas moi. On a le droit de ne pas être dans les codes. D’ailleurs, il m’en manque encore certains. Aujourd’hui, quand je prends la parole, je suis plus détendue, j’ai grandi. Femmes et pouvoir me permet d’être moins isolée. Je veux que mon expérience serve à d’autres. Et très égoïstement, je pense à mes filles : on n’avance pas dans une ville faite pour les hommes où pas une femme n’a son nom sur une plaque dans la rue, une place ou un arrêt de bus. recueilli par Catherine Boullay photo Guillaume Binet et Stéphane Lagoutte /M.Y.O.P pour Les Inrockuptibles 9.01.2013 les inrockuptibles 17

08 893 14 Evé OK.indd 17

07/01/13 15:27

“la criminalisation des idées qui nous déplaisent ne les fait pas mieux disparaître”

Najat VallaudBelkacem entend lutter contre “les infractions en matière de provocations ou d’injures”

faut-il modérer Twitter ? Suite à des hashtags haineux, le gouvernement et les associations veulent contraindre le réseau à modérer les propos des usagers. En France ou ailleurs, d’autres défendent une totale liberté.

#  

SiMaFilleRamèneUnNoir, #UnBonMusulman, #SiMonFilsEstGay, #UnBonJuif… Suite à la publication de ces hashtags haineux sur Twitter en octobre, et à la vague d’indignation qui a suivi, le gouvernement, par le biais de sa ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, a décidé de réagir en organisant une concertation entre les associations de lutte contre le racisme et les représentants de Twitter. Son objectif : faire plier le géant américain en l’obligeant à mettre en place un contrôle des tweets. Dans une tribune publiée par Le Monde du 29 décembre, Najat Vallaud-Belkacem explique souhaiter que “l’entreprise Twitter puisse examiner les conditions de mise en place de dispositifs concourant à la lutte contre les infractions en matière de provocations ou d’injures”. Elle reproche, entre autres, au réseau de microblogging de ne pas intervenir lorsque des tweets à caractère raciste sont postés. “L’idéal serait qu’il y ait une modération en amont des tweets publiés, commente Jean-Bernard Geoffroy, président de l’association Ravad (Réseau d’assistance aux victimes d’agressions et de discriminations). La liberté d’expression est une liberté fondamentale mais qui a tout de même des limites, telles que l’injure, la diffamation ou les propos racistes.” Pour Olivier Iteanu, avocat spécialiste du droit d’internet, une concertation n’a aucune utilité. “Tout l’arsenal législatif existe déjà, il suffit de l’appliquer. On ne peut pas tenir

Stéphane Lagoutte/M.Y.O.P pour Les Inrockuptibles

Glenn Glenwald, journaliste au Guardian

Twitter pour responsable du contenu des messages publiés par les internautes. En tant qu’hébergeur, sa responsabilité est atténuée, c’est-à-dire qu’il n’a pas à effectuer de censure en amont. Par contre, si la justice lui signale des contenus illégaux, il se doit de les supprimer.” Mais pour cela, une plainte doit être déposée par une personne visée ou une association de lutte contre les discriminations ou le racisme. Twitter effectue un contrôle a posteriori sur les messages à caractère pédophile et permet aux internautes de signaler les contenus abusifs. Mais la démarche ne concerne pas les propos racistes ou diffamatoires. “C’est l’une de nos premières demandes, explique Jonathan Hayoun, président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF). Twitter doit mettre en place un dispositif de signalement des comportements abusifs, qui soit facilement accessible par les internautes.” L’association a aussi assigné en référé le réseau social devant la justice, afin qu’il délivre les données permettant l’identification des auteurs de tweets antisémites. Le 18 octobre dernier, l’UEJF avait déjà remporté une première bataille, les hashtags incriminés ayant été retirés. “Twitter est une entreprise américaine qui est influencée par le premier amendement sur les libertés fondamentales, souligne Olivier Iteanu. Aux États-Unis, on peut tenir des propos révisionnistes alors que cela est interdit en France. Il y a une vraie différence d’approche concernant la liberté d’expression. Les pouvoirs publics sont tentés de censurer internet car c’est un espace qu’ils ne contrôlent pas et où la liberté d’expression est totale.” Cette différence culturelle a provoqué outre-Manche l’ire du journaliste du Guardian, Glenn Glenwald, qui va jusqu’à comparer, dans un article, la ministre française à un despote du Moyen-Orient. “La criminalisation des idées qui nous déplaisent ne les fait pas mieux disparaître et refuser d’y faire face ne fait que les renforcer”, conclut le journaliste britannique. Pour Najat Vallaud-Belkacem et les associations, l’entreprise de microblogging doit s’adapter aux réalités locales. Un message qu’elles comptaient bien faire passer lors de leur rencontre. Rencontre finalement reportée sine die, la société américaine n’ayant pas confirmé sa participation. Geoffrey Livolsi

18 les inrockuptibles 9.01.2013

08 893 18 Ici.indd 18

07/01/13 16:03

Extrait du documentaire Ceuta, douce prison

“ma famille croit que si tu es du côté espagnol, tout va bien, alors qu’ici c’est la merde”

à la porte de l’Europe À Ceuta, enclave espagnole au Maroc, des centaines de migrants africains voient se briser leur rêve de traverser la Méditerranée. Un documentaire retrace leur périple et dépeint leurs désillusions.

O  

n pensait que c’était l’Eldorado. Beaucoup de confrères ont risqué leur vie et investi beaucoup d’argent pour se rendre à Ceuta. Pourtant lorsque l’on arrive ici, on se demande si ça valait la peine de partir.” Marius, migrant camerounais, a débarqué depuis quatre mois dans cette ville autonome espagnole située au nord du Maroc. Comme lui, chaque année, des centaines d’Africains habités par l’espoir d’arriver en Europe, atterrissent, souvent au péril de leur vie, dans cette enclave espagnole éloignée d’une quinzaine de kilomètres à peine de la péninsule Ibérique. Le 29 septembre 2005, plusieurs centaines d’entre eux ont tenté de franchir la clôture séparant Ceuta du territoire marocain à l’aide d’échelles de fortune. Les gardes civils espagnols ont alors fait feu, tuant une dizaine de personnes, selon les rapports de plusieurs ONG. Présents en Espagne lors des événements, Loïc H. Rechi (pigiste pour Les Inrockuptibles – ndlr) et Jonathan Millet ont décidé de réaliser un documentaire pour raconter la condition de vie des migrants qui parviennent clandestinement sur

ce territoire. “Ceuta s’est imposé comme le point de départ idéal pour témoigner de la fermeture progressive de l’Europe autour de la Méditerranée”, estime Loïc H. Rechi. Après des mois, voire des années de périple, beaucoup d’entre eux pensent être arrivés au bout de leur voyage mais ce territoire n’est pas soumis aux accords de libre circulation de Schengen et un autre mur se dresse rapidement devant eux : la mer. Dans une scène du film, deux personnes contemplent les lumières au loin qui jaillissent du rocher de Gibraltar. L’une d’elle tend alors le bras en direction de ce bout d’Empire britannique et confie à son ami : “Dieu fait bien les choses, tu vois la mer qui nous bloque”. Dans ce documentaire poignant filmé caméra à l’épaule, on observe le quotidien des migrants qui vivent dans l’espoir d’obtenir un laissez-passer pour le continent européen et dans la peur d’être expulsés vers leur pays d’origine. Plongés dans l’incertitude complète, exilés entre terre et mer, ils tentent de gagner un peu d’argent en lavant des voitures ou en proposant de porter les sacs des autochtones à la sortie des supermarchés.

Lorsqu’ils téléphonent à leurs proches, ils sont fiers d’utiliser l’indicatif espagnol (le 0034) mais peinent à décrire le semiéchec de leur voyage vers l’Europe. “Ma famille me reproche de ne pas appeler mais si je leur dis la vérité, ils ne vont pas me croire. Ils croient que si tu es du côté espagnol, tout va bien, alors qu’ici c’est la merde. Je ne peux pas le dire à mes amis, il ne faut pas que l’on se ridiculise”, déclare l’un d’eux. Déambulant dans la rue, un Camerounais résume l’état d’esprit qui règne au sein de la communauté des migrants à Ceuta. “Je suis parti car j’ai des petits frères qui souffrent, mais Ceuta pour moi, c’est comme la porte de l’Europe et si l’on est mal accueilli dès l’entrée, ça vous donne envie de repartir.” C’est l’un des objectifs affichés du gouvernement espagnol. Dans “un livre noir” consacré à Ceuta, le réseau Migreurop affirme que la ville est un laboratoire de l’externalisation de la politique européenne d’immigration. David Doucet Ceuta, douce prison documentaire de Jonathan Millet et Loïc H. Rechi (Fr., 2012, 1 h 30). Séances le 27 janvier à Paris (bobines-sociales.org), le 31 janvier à Rouen (cinemadumonde.org), le 6 février à Paris (festival-droitsdelhomme.org/paris) 9.01.2013 les inrockuptibles 19

08 893 19 Ailleurs.indd 19

07/01/13 15:58

retour de hype

BuzzFeed

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

Solange

Balotelli vs Mancini

The Knife

Claude Sérillon

une nouvelle saison de Twin Peaks ?

“j’ai des vertiges depuis que je sais que Kim Kardashian est enceinte de Kanye West”

François Alu

“mais si j’te jure, va y avoir un nouveau Daft Punk, là” Arcade Fire x James Murphy

“t’as entendu l’histoire à propos de Marilou Berry qui va faire une croisière avec James Gray ?”

“moi, franchement, j’accepterais la légion döner, j’adore les kebabs”

Twin Peaks ? David Lynch et NBC envisageraient une nouvelle saison de Twin Peaks. François Alu aka le danseur le plus cool du Ballet de l’Opéra de Paris (OK, les autres ne sont pas mal non plus). Solange La sœur de Beyoncé remet à la mode ce prénom de bibliothécaire à la retraite