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No.888 du 5 au 11 décembre 2012

www.lesinrocks.com

Farida Khelfa

des Minguettes aux podiums

8 personnes, 40 m2

logement l’équation impossible dossier spécial M 01154 - 888 - F: 2,90 €

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la famille Rezali dans son studio du e XVIII  arrondissement de Paris

Allemagne 3,80 € - Belgique 3,30 € - Canada 5,75 CAD - DOM 4,20 € - Espagne 3,70 € - Grande-Bretagne 5,20 GBP - Grèce 3,70 € - Italie 3,70 € - Liban 9 000 LBP - Luxembourg 3,30 € - Maurice Ile 5,70 € - Portugal 3,70 € - Suède 44 SEK - Suisse 5,50 CHF - TOM 800 CFP

politique : les cumulards résistent

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par Christophe Conte

cher Olivier Mazerolle,



e n’aurais jamais pensé avoir à écrire ça mais oui, tu m’as ému l’autre soir, lorsqu’en plein vaudeville UMP tu as soudain pété une membrane en direct sur BFM TV. On rigolait bien jusqu’ici en regardant Copé, Fillon et tous leurs sbires se déchiqueter les uns les autres comme des fauves à cause de la seule élection que la droite était partie pour gagner depuis cinq ans et qu’elle était pourtant en train de perdre à la suite d’un retourné zlatanesque contre son camp. Évidemment, à BMF TV, où l’odeur du sang et les chiquenaudes politiques attirent plus volontiers que les débats d’idées, on n’en perdait pas une miette de pain au chocolat. Et toi, même dans cette espèce de Ligue 2 du journalisme que sont les dévidoirs à info continue, tu te donnais à fond depuis déjà cinq jours. Avec, en vis-à-vis sur I-Télé, la superstar du moment Julien Arnaud, sorte de

Jean-Luc Delarue bonsaï qui campait nuit et jour devant le siège du Parti en couilles, vous étiez nos deux boussoles, un duo dissemblable et complémentaire comme dans les films de Francis Veber. Lui le puceau naïf pris dans une guérilla qui semblait le dépasser, toi le vieux routard des plateaux dont l’expertise en bavardage s’enorgueillit d’une expérience de plusieurs décennies. Lui à se cailler les miches, toi en train de fondre lentement les plombs. Je me demande si vous avez eu le temps de prendre une douche ou d’avaler un panini, parce que je crois bien vous avoir aperçus non-stop dans vos lucarnes respectives du dimanche soir au jeudi – après j’ai lâché l’affaire mais vous y étiez probablement encore –, et l’on comprend mieux les raisons de ton spectaculaire craquage. Avec Christophe Hondelatte, garçon aux mœurs étranges, proposant à Dave de lui “chier à la gueule” lors du repas

de Baffie sur Paris Première, la télé nous réserva ainsi cette même semaine une de ces sorties de route légendaires dont on parlera encore dans trente ans. C’était donc le jeudi, ça mégotait encore sur une intervention de Juppé façon Red Adair, on ne comprenait plus rien entre la Cocoe et la bande de Conare, les procurations falsifiées et les recomptages de voix, tout ce cirque commençait à nous fatiguer, mais visiblement moins que toi, quand tu lâchas, à bout de forces, “J’en ai marre de cette politique à la petite semaine, marre de commenter des inepties”, sous le regard inquiet de Ruth Elkrief. Comme chez le vieil oncle qui dégonde en plein repas de famille quand les neveux s’empoignent sur des questions d’héritage, il y avait un mélange explosif de détresse et de fureur qui torpillait brusquement l’habituelle sagesse bonhomme qui est la tienne. La famille, TA famille, Olivier, celle que tu as largement servie quand tu officiais sous Chirac en tant que responsable de l’info de France 2, menaçait d’UMPloser et d’engloutir avec elle tes derniers espoirs de reconquête. J’exagère ? Serait-ce faire outrage à ton esprit d’indépendance que d’avancer que tu regrettes Sarkozy ? Allons, allons, je conserve encore en mémoire cet autre cri du cœur lors de la passation de pouvoir entre Sarko et Hollande, quand tu t’extasias avec autant de retenue qu’une pisseuse en nage face à Justin Bieber à propos du président déchu, lâchant en direct “J’ai envie de dire merci à Nicolas Sarkozy pour cette journée”. Il n’échappa à personne alors que ces remerciements valaient pour l’ensemble de son œuvre. Comme le fait que ta colère de l’autre jour était sans doute portée par la frayeur de voir salir définitivement la même œuvre. Je t’embrasse pas mais je te souhaite un bon rétablissement. Billets durs, la compile (Ipanema Éditions), 12 €, en librairie ou en vente sur boutique.lesinrocks.com participez au concours “écrivez votre billet dur” sur

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No.888 du 5 au 11 décembre 2012 couverture par Bruno Fert/Picturetank pour Les Inrockuptibles

07 billet dur cher Olivier Mazerolle

12 on discute #cadorsintheusa

14 quoi encore ? Bertrand Belin et Éric Reinhardt mettent le feu ArcelorMittal : le combat perdu d’Arnaud Montebourg

18 reportage

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Bruno Fert/Picturetank

16 sur le vif

en Corrèze, dans l’ancienne circonscription PS de François Hollande, la fin du cumul des mandats, c’est pas maintenant

22 ici le Refuge : une association au secours des 16-25 ans victimes de l’homophobie

25 ailleurs

54

place Tahrir, les Ultras Ahlawy, supporters du club cairote, sont les nouveaux gardiens de la révolution du pré-buzz au retour de hype + tweetstat

28 à la loupe Lindsay Lohan a 60 ans (en Liz Taylor)

38 le mal-logement dossier 15 pages détresse, isolement et misère sont le quotidien d’un nombre croissant d’hommes et de femmes touchés par la crise du logement en France. Témoignages et entretien avec la ministre Cécile Duflot

Diane Sagnier

26 la courbe

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30 où est le cool ? dans une expo à Vienne, dans les loukoums Haci Bekir, en Gazelle nubuck…

34 idées haut Jean-Paul Goude

la Chine, dans sa prodigieuse croissance économique, va devoir rapidement repenser son système

54 les belles nuits en Trans le festival de musique rennais sait toujours aussi bien recevoir. Sélection aux petits oignons et galette saucisse pour tous

60 qui êtes-vous Farida Khelfa ? égérie des années 80 période Palace, l’ex-top devenue ambassadrice pour la maison de luxe Schiaparelli revient sur sa trajectoire atypique.

66

à travers Tabou, film sublime et sorcier, le réalisateur portugais traite de “ce qui a été perdu et qu’il est impossible de retrouver”. Entretien

Dorothée Smith

66 Miguel Gomes, cinémagicien

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34

72 Tabou de Miguel Gomes

74 sorties Cogan ; Anna Karénine ; Ai Weiwei, Never Sorry ; Sur le chemin des dunes…

78 livres

Adolpho Arrietta – Un morceau de ton rêve… entretien avec Philippe Azoury

79 dvd

Neige de Juliet Berto et Jean-Henri Roger

80 jeux vidéo

Hitman – Absolution : entre casse-tête et cache-cache

82 séries la vie sans Larry Hagman, alias J. R.

84 AlunaGeorge futuriste et sexy, le r’n’b du duo réchauffe

86 mur du son Nick Cave en février, Bourges au printemps, WU LYF à jamais…

87 chroniques Foals, Fanga/Maâlem Abdallah Guinea, Björk, Ty Segall, Rusconi, DIIV, The Rolling Stones en DVD… + concerts

96 le Buzz du storytelling les nouvelles formes de narration à l’aune d’internet et des médias sociaux

98 romans Patrick Mauriès, David Ebershoff

100 tendance Proust et ses fétichistes

102 bd Le Nao de Brown de Glyn Dillon…

104 Macbeth, à sang et à sang Johan Simons triture le texte et son héros shakespearien + festival Instances + Robert Lepage

108 les Circuits de Bak les scénarios fantasques de la plasticienne Bertille Bak + Rachel Harrison

112 Tristan Carné sur un plateau Danse avec les stars, Le Grand Journal ou la récente conférence de presse du président Hollande, c’est lui

114 on est Neon éblouissant, le magazine bimestriel des 25-35 ans cartonne

116 programmes Sexe, salafistes et Printemps arabe ; Mekong Hotel ; Nouvelle star…

118 net un dernier bar et une dernière série avant la fin du monde

120 best-of profitez de nos cadeaux spécial abonnés

p. 98 et 119

sélection des dernières semaines

122 print the legend

octobre 1994 : on refait le ciné avec Quentin Tarantino

rédaction directrice de la rédaction Audrey Pulvar rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, JD Beauvallet, Pierre Siankowski comité éditorial Audrey Pulvar, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne, Jean-Marie Durand, Nelly Kaprièlian, Christophe Conte secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot chefs d’édition Élisabeth Féret, David Guérin reporters Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Anne Laffeter, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Diane Lisarelli, David Doucet, Geoffrey Le Guilcher style Géraldine Sarratia idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain, Vincent Ostria musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint) collaborateurs E. Barnett, V. Berthe, G. Binet, R. Blondeau, D. Boggeri, J. Bonpain, C. Boullay, A. Caussard, R. Charbon, A. Chesnais, Coco, M. Delcourt, G. Denis, M. Despratx, A. Dubois, L. Feliciano, V. Ferrané, B. Fert, A. Guirkinger, O. Joyard, B. Juffin, B. Laemle, N. Lecoq, H. Le Tanneur, M.-L. Lubrano, P. Morais, É. Philippe, S. Pinguet, A. Royer, N. Ruffault D. Smith, P. Sourd lesinrocks.com directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteur en chef Pierre Siankowski rédacteurs Diane Lisarelli, Thomas Burgel, Azzedine Fall, Carole Boinet éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomarès vidéo Basile Lemaire graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot second sr Fabrice Ménaphron sr François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Delphine Chazelas, Amélie Modenese, Anne-Gaëlle Kamp conception graphique Étienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Luana Mayerau, Nathalie Coulon publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél 01 42 44 18 12 coordinateur François Moreau tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 15 31 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 00 13 publicité commerciale, directeur Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 directrices de clientèle Isabelle Albohair tél. 01 42 44 16 69 Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web Chloé Aron tél. 01 42 44 19 98 coordinatrice Lizanne Danan tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 assistante Alix Hassler tél. 01 42 44 15 68 marketing, promotion directrice du développement Caroline Cesbron promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 responsable presse/rp Élisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 chef de projet Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 assistante promotion marketing Jeanne Grégoire tél. 01 42 44 16 68 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement Everial les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19 infos 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement France 1 an : 115 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles 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inrockuptibles 2012 tous droits de reproduction réservés ce numéro comporte un tabloïd de 48 pages, “The Menlook Tribune”, jeté dans l’édition abonnés France

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courrier

l’édito

#cadorsintheusa Four more years. Quatre ans de plus, comme le scandent généralement les militants d’un président sortant, aux États-Unis, candidat à sa réélection. Four more years de combat, maintenant que Barack Obama est réélu. Quatre ans (au minimum deux, jusqu’aux prochaines élections de mi-mandat) de lutte contre les sénateurs et députés (les premiers sont en majorité démocrates, comme le Président, les seconds en majorité républicains), à propos des mesures à prendre pour réduire la dette publique américaine (15 000 milliards de dollars, soit 99 % du PIB). Et une nouvelle fois l’affrontement sur la question du relèvement de l’impôt pour les plus riches (les contribuables ayant plus de 250 000 dollars de revenus par an). Obama veut augmenter leur taux d’imposition de 2 %, pour le faire passer de 37 à 39,6 %. Loin des 45 % appliqués en France à partir de 150 000 euros et des 75 % prévus au-delà d’un million de revenus ? Question de point de vue. Toujours se méfier des comparaisons entre deux pays. On s’en sert quand ça arrange. Ainsi de ce constat généralisé selon lequel les États-Unis, eux, ne décourageraient pas l’initiative et la réussite financière par un matraquage fiscal. Mais quand il s’agit de comparer les systèmes judiciaires, de mesurer le niveau de développement des services publics (hôpitaux, écoles, universités notamment), où est le bien, où est le mal ? Aujourd’hui, au nom de la protection des intérêts des plus fortunés et du non-interventionnisme de l’État cher aux membres du Tea Party, les élus républicains mettent en péril un dispositif de baisse

Audrey Pulvar

d’impôt pour… les classes moyennes. L’expiration du délai de ce dispositif se traduirait par une augmentation de 2 000 dollars des impôts sur le revenu pour un foyer américain moyen. Alors que les conditions de vie de la classe moyenne américaine n’ont cessé de se dégrader depuis une vingtaine d’années et singulièrement depuis la crise des subprimes. Il faut se souvenir du choc que provoqua le livre d’Arianna Huffington, la fondatrice du Huffington Post, L’Amérique qui tombe (Fayard), où elle démontre comment cette classe moyenne s’est paupérisée, à quel point le rêve américain, voire le simple rêve d’une vie meilleure pour ses enfants, part en poussière. Voilà donc l’incroyable situation dans laquelle s’enferme un parti républicain perdant des deux dernières présidentielles : défendre les plus riches au détriment direct, concret, immédiat, visible de l’Américain moyen. L’administration Obama veut croire que le parti conservateur n’assumera pas une telle position. Pour parfaire le tableau, les négociations portent également sur une réduction des fonds dévolus aux – faibles – programmes de couverture médicale pour les plus démunis, Medicare et Medicaid, et une baisse des pensions des retraites – pourtant déjà soumises à la capitalisation. Des coupes massives dans les programmes sociaux sont aussi prévues. Ce ne sont donc pas seulement les classes moyennes qui sont menacées mais les plus pauvres qui, une nouvelle fois, paieront la crise. Comme une caricature. Où est le “bien”, où est le “mal” ? Les cadors, on les retrouve aux mêmes places, nickel. 

Arcelor mytho Le pot de terre et le pot de fer/acier… Vieille fable remise au goût du jour par Lakshmi, mittallurgiste de FlorangeGandrange. Le ministre du “Rendement productif” le menaçait des foudres d’une nationalisation… Aussitôt monta au créneau dame Parisot, pleureuse en chef du Medef : “C’est une expropriation !”, s’indignait-elle. Quelques semaines auparavant, la même applaudissait le volontarisme du gouvernement qui décidait de baisser, sous la forme d’un crédit d’impôts, les charges des entreprises – celle dont elle détient 38 % des parts est en perdition depuis quelques années dans les Vosges… Quelle aubaine ! Comme si c’était la première fois qu’on nationalisait en France (...). À l’arrivée des courses, le ministre téméraire, redevenu improductif, dut derechef avaler sa trompette afin de laisser M. Ayrault jouer du pipeau… Lakshmi, disait la légende, devait mettre 180 millions d’euros au pot de terre, la France et l’Europe aideraient à l’éclosion, sur place, d’une nouvelle activité : la captation de CO2, dit projet Ulcos – toujours mon lapin ? D’ici quelques années, (…) le CO2 devrait donc se retrouver dans des aquifères salins au sud de Verdun, alors que les déchets radioactifs s’entasseraient dans les sous-sols de Bure… Sur le blason de la Lorraine : “d’or, à la bande de gueules, chargée de trois alérions d’argent” on pourra alors ajouter une… poubelle. Jean-François Hagnéré

Jean-François Chopé Eh oui, chopé de main de maître par notre gourou du “Billet dur”… Et une fois de plus, ça devient rengaine, bravo pour le fond et la forme ! Il faut dire que tu ne pouvais vraiment pas passer à côté, c’est vraiment du petit lait, cette semaine à l’UMP ! Carole

écrivez-nous à courrier@ inrocks.com, lisez-vous sur http://blogs.lesinrocks.com/ cestvousquiledites

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“écrivain, c’est un métier solitaire et sédentaire. Alors j’adore être là. Pour le plaisir du déplacement, pour être avec Bertrand”

j’ai construit un feu avec

Bertrand Belin et Éric Reinhardt



e studio Yellow Arch de Sheffield est un haut lieu du rock anglais. Les Arctic Monkeys y ont beaucoup répété. Jarvis Cocker y a enregistré son album solo. Et Richard Hawley tous ses disques, avec son guitariste Shez Sheridan, qui réalise présentement le quatrième album du Français Bertrand Belin. Dans une impasse d’un quartier industriel de la ville, le studio est une ancienne fabrique de boulons qui ressemble encore à un atelier. Un bâtiment de briques (rouges) et de broc, instruments et mobilier vintage, parquet râpé, photos d’antiques héros du rock’n’roll, lumière naturelle qui baigne la control room à travers de grandes fenêtres. On a rarement vu un studio d’enregistrement aussi roots, cosy et chaleureusement bordélique – on s’y sent chez soi. Ça tombe bien, Bertrand Belin accueille ce jour-là son ami l’écrivain Éric Reinhardt, arrivé à Londres la veille pour rencontrer son agent anglais. Bertrand Belin – chanteur lettré – et Éric Reinhardt – écrivain mélomane – se sont connus il y a cinq ans, dans des circonstances amusantes. Bertrand Belin raconte : “Dans un bar à Paris, un ami m’offre le roman Cendrillon d’Éric Reinhardt. Et qui passe dans la rue pendant que j’ouvre le paquet ? L’auteur, avec son casque sur les oreilles, il regardait une vitrine de pâtisserie. On va le voir, et il vient s’asseoir et prendre un café avec nous. On a fait connaissance comme ça.”

Trois semaines plus tard, ils se retrouvent au festival des Correspondances de Manosque, multiplient les lectures musicales en duo et tissent une vraie amitié. Depuis, Éric Reinhardt est devenu un auditeur privilégié des chansons de Bertrand Belin. “Il vient en studio, je suis attentif à ses commentaires, il m’a aidé à choisir le titre de l’album précédent, Hypernuit.” À Sheffield, on commence à discuter du prochain : “Il pourrait s’appeler Construire un feu, d’après un court roman de Jack London qui m’a inspiré une chanson. C’est l’histoire d’un homme perdu dans le Grand Nord, qui doit faire un feu pour ne pas mourir de froid. Cette histoire existe en deux versions : une où il s’en sort, une où il ne s’en sort pas. Je n’ai lu que la deuxième.” Belin la raconte longuement, et on en frissonne. Pour se réchauffer, on écoute les chansons enregistrées, folk-rock étoilé et sensuel où il est question de feu, d’eau, de glace et de chemins. Bertrand nous fait écouter la chanson Comment ça se danse en version demo, puis produite par Shez Sheridan : c’est une gueuse anorexique devenue maîtresse voluptueuse de Lee Hazlewood, et c’est prometteur. Éric Reinhardt n’en perd pas une miette, il a l’air d’un gamin émerveillé. “Écrivain, c’est un métier solitaire et sédentaire. Alors j’adore être là. Pour le plaisir du déplacement, pour être avec Bertrand, voir son visage, l’entendre parler. Je pense que Bertrand est un vrai écrivain, il a une capacité à déployer des paysages intenses avec de moins en moins de mots.” Éric Reinhardt n’est pas musicien. Mais lors de leur dernière lecture musicale, en juillet, au Marathon des mots de Toulouse, il a terminé le show en tapant sur une batterie. Du coup, il s’installe pour de rire derrière celle de Tatiana Mladenovitch – alias la meilleure batteuse du monde sur la scène française. On n’entendra peut-être pas mi-mai Éric Reinhardt sur le prochain album de Bertrand Belin, finalement intitulé Parcs, mais tout n’est pas perdu : “J’ai déjà écrit trois chansons inspirées par les romans d’Éric. Il n’y a pas de plan, mais on suit un chemin. Quand on en aura une douzaine, pourquoi ne pas faire un disque ?” Tout ce petit monde finira la journée au Fagan’s, un merveilleux pub hors du temps, où des personnes âgées font un quiz en buvant des pintes, comme à la maison. Stéphane Deschamps photo Nicolas Ruffault pour Les Inrockuptibles

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ni oui ni non  E

douard Martin pour la CFDT et Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, voulaient tous deux la nationalisation du site ArcelorMittal de Florange. Ils ont perdu. Les syndicats ont pleuré. Montebourg a dû l’accepter. Les deux compagnons de route se sont parlé au café avant la conférence de presse de Jean-Marc Ayrault. “Pas de repreneur crédible”, selon le Premier ministre. Pile l’inverse de ce qu’avait dit Montebourg qui jouait là sa crédibilité. Certains diront qu’il sort affaibli de cette crise, d’autres carrément désavoué. Lui a pensé démissionner. Solidaire, Martin l’a appelé pour lui dire “Bravo” – pour avoir “mouillé sa chemise”. Montebourg a “décidé de rester”. Marion Mourgue

photo Guillaume Binet/M.Y.O.P pour Les Inrockuptibles

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“Je vous apporte les croissants, pas la réponse”, a lancé Arnaud Montebourg dans un café proche de Bercy, le 30 novembre. À quelques heures de l’expiration du délai fixé à ArcelorMittal, il était passé voir Édouard Martin (CFDT) et les syndicats qui campaient depuis plusieurs jours devant le ministère de l’Économie, à Paris

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quatre mandats et un engagement Le candidat Hollande avait promis la fin du cumul des mandats. Un projet combattu à l’Assemblée nationale par celle qui lui a succédé en Corrèze, la députée-maire PS Sophie Dessus, présidente de la communauté de communes et conseillère générale.

N

’était sa longue chevelure blonde, on la remarquerait à peine, à quelques mètres de Lionel Jospin ce mardi 27 novembre en commission des lois à l’Assemblée nationale. Discrète et silencieuse, assise à l’une des tables étroites perpendiculaires à celle de l’orateur, Sophie Dessus n’allumera pas son micro pendant les deux heures que dure la séance : l’ancien Premier ministre présente les travaux de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique. Une mission qui lui a été confiée par François Hollande. Pas une remarque. Pas une question, malgré ses désaccords. Sophie Dessus, 57 ans, députée socialiste de Corrèze, n’attire pas les projecteurs comme en 2009, quand, surnommée “la blonde de Chirac”,

elle faisait le buzz sur internet après que l’ancien président l’avait draguée sous les yeux furibards de Bernadette et devant les caméras de Canal+. Aujourd’hui, elle laisse ses confrères monter au créneau. Lionel Jospin vient d’exposer ses propositions pour moraliser la vie politique. Parmi elles, un parrainage de 150 000 citoyens plutôt que celui des maires pour introniser les candidats à la présidentielle, la fin de l’inviolabilité pénale du chef de l’État, la suppression de la Cour de justice de la République… et surtout la fin du cumul des mandats ou plus exactement la limitation stricte du cumul pour les parlementaires. Fini les députés-maires, députés-présidents de conseil général ou régional, ou députésprésidents de communauté d’agglomération. Aujourd’hui, 476 députés sur

Aller-retour Paris-Corrèze hebdomadaire : une nouvelle règle d’astreinte oblige la députée, une semaine par mois, à rester à l’Assemblée nationale

577 cumulent, soit 82 % ; et 267 sénateurs sur 348 cumulent, soit 77 %. Pour Lionel Jospin, un parlementaire peut cumuler avec un autre mandat de conseiller, mandat qui serait non rémunéré – et c’est tout.  L’exposé est riche mais c’est le seul chapitre qui intéresse les députés. Sur les douze questions posées

au Premier ministre, dix portent sur le cumul. “Limiter le cumul c’est une automutilation expiatoire pour des avanies que beaucoup ne commettent pas”, se désole Pascal Popelin, élu socialiste de Seine-Saint-Denis. Le plus virulent est sans conteste Daniel Vaillant. Le député-maire

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du XVIIIe arrondissement de Paris s’anime : “Si on limite le cumul, il faudra revaloriser les moyens. Dix mètres carrés de permanence parlementaire c’est ringard. Et pour des moyens supplémentaires… il faudra affronter l’opinion.” Fin de la séance. Lionel Jospin garde une distance courtoise avec Vaillant,

qui fut son ministre de l’Intérieur. On demande à l’ancien Premier ministre pourquoi il n’est pas allé jusqu’au bout de son idée première, le mandat unique. Il sourit : “Pour comprendre ça, il suffit de les entendre. Je craignais un blocage.” Sophie Dessus, elle, s’est déjà éclipsée. Direction le 6e bureau de l’Assemblée.

Il est 19 heures, elle a réservé la salle pour organiser la riposte avec une vingtaine d’autres députés. À titre personnel, elle a quatre mandats. Au mépris des règles instaurées au PS, elle est députée, maire d’Uzerche (3 200 habitants), présidente de la communauté de communes et conseillère

“si on limite le cumul, il faudra revaloriser les moyens” Daniel Vaillant

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Dans les couloirs de l’Assemblée nationale

générale… Et même si François Hollande lui a, de son propre aveu, tout appris sur cette circonscription de Tulle qui était la sienne, elle n’a aucune intention de le soutenir sur ce projet de limitation. Lâcher sa mairie, hors de question. Quitter la communauté de communes, ce sera en 2014 quand “sa mission sera achevée” et pour le conseil général… elle a déjà renoncé à la vice-présidence, ça suffit. Sophie Dessus s’active mais sans aller aussi loin que ces députés qui ont mis leur démission dans la balance. Cinquante-six d’entre eux ont déjà fait savoir à Bruno Leroux, président du groupe socialiste à l’Assemblée qu’ils choisiraient leur mairie plutôt que la députation. Si c’était le cas, il faudrait donc réorganiser des législatives. “Si on refait des élections là, on se tire une balle dans le pied. La droite revient tout de suite. Le Parti socialiste aurait

beaucoup à perdre”, prévient l’élue avec ce sourire chaleureux qui la quitte rarement. Convaincue de la justesse de sa cause, elle a rencontré les sénateurs menés par François Rebsamen et pris rendezvous avec Jean-Marc Ayrault pour la midécembre. Le président de la République, lui, serait parfaitement conscient de cet activisme et laisserait faire : “Il ne m’a jamais dit : tu arrêtes tout, sourit encore Dessus. Si vraiment il était contre, on le saurait.” Une passivité qu’elle a pris pour un feu vert. Car cette bataille sur le non-cumul des mandats constitue son plus gros dossier depuis son arrivée à l’Assemblée, en juin. Sophie Dessus n’a pas rédigé un rapport, pas initié ou évalué une proposition de loi ni posé une question au gouvernement. Ce n’est pas faute de volonté. Sa question à Aurélie Filippetti

a été retoquée par un administrateur du groupe socialiste au prétexte qu’elle illustrait son propos avec des titres de films. Son bilan au PalaisBourbon se résume donc à ses interventions en commission des affaires culturelles et neuf questions écrites sans réponse. Dans l’hémicycle, il lui arrive de s’ennuyer ferme : “Imaginez-vous, assis sur un fauteuil pendant des heures à discuter d’une virgule !”, s’indigne-t-elle. Sans compter cette nouvelle règle d’astreinte qui l’oblige une semaine par mois à rester à l’Assemblée nationale du lundi au vendredi pour assurer le vote des textes. “Particulièrement contraignant”, explique-telle à table le lendemain devant les patrons du nouvel Intermarché d’Uzerche. Monsieur et Madame Levet ont décidé d’oublier quelques jours

l’énorme chantier à l’entrée de la commune pour prendre quelques vacances à Paris… Avec sa casquette de député, leur maire, Sophie Dessus, les a donc invités au restaurant gastronomique de l’Assemblée et leur a pris deux tickets pour assister aux questions au gouvernement. Devant une assiette de marcassin, la conversation roule sur le cumul des mandats. Madame Levet serait plutôt contre pour favoriser la diversité des élus… Avec sincérité Sophie Dessus lui délivre l’argument massue de ceux qui cumulent : “Quand vous êtes maire et que vous n’êtes pas député allez-y pour appeler un ministre. Pour moi, cumuler, c’est faire exister le rural, si on ne peut plus cumuler, les territoires vont être à l’abandon. Ici il y a deux sortes de députés : les “hors sol”qui sortent des grandes écoles et les ruraux, qui

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“pour moi, cumuler, c’est faire exister le rural ; si on ne peut plus cumuler, les territoires vont à l’abandon” Sophie Dessus gagnent sur le porte-à-porte. Cette mixité est capitale.” Quels sont donc les dossiers de maire qu’elle a pu faire avancer grâce à son mandat de député ? Le plus gros projet de sa commune : la rénovation ambitieuse de l’ancienne papeterie de la ville pour 18 millions d’euros a été entreprise en 2008. À l’époque, Sophie Dessus, sans être parlementaire, a réussi à faire contribuer Total à hauteur de 300 000 euros et à y faire venir Gérard Mestrallet, le patron de GDF Suez. En tant que députée, a-t-elle pu faire avancer des lois grâce à sa connaissance du terrain ? “Pour l’instant, aucune, avoue-t-elle avec une certaine candeur. J’attends de m’imbiber pour voir quelles causes je vais défendre.” Alors, dans le train Paris-Brive qui la dépose ce soir-là à Limoges, iPad et agenda papier posés sur la tablette, on l’interroge sur le cumul de ses indemnités. Divorcée, ex-femme d’agriculteur, mère de quatre enfants, on s’imagine qu’elle a quelques souvenirs de fins de mois difficiles. Pas vraiment. Et le flou qui entoure les chiffres est désarmant. “En tant que maire, je gagne 1 500 euros. Le conseil général me rapporte 700, je crois, la communauté de communes, 800, mon mandat de députée c’est 5 000 mais je ne suis plus très sûre.” Conclusion, madame la députée ne sait plus si elle gagne 8 000 ou 6 000 euros à la fin du mois. À 2 000 euros près. Elle nous conseille de vérifier auprès de son mari… Le lendemain, sa journée commence à Uzerche. Aujourd’hui, jeudi, Sophie Dessus est maire. Dans son bureau perché sur les

hauteurs de la ville, parapheur en main, elle est interrompue par un coup de téléphone. Un conflit de terrain entre entrepreneurs qui risque de dégénérer. Avec fermeté, elle rappelle à celui qu’elle surnomme “le mafieux”, qu’il ferait bien de se calmer surtout s’il a besoin de la mairie pour faire tourner ses projets. Puis c’est un rendez-vous avec les jeunes pour préparer la venue de Guillaume Garot, ministre délégué à l’Agroalimentaire la semaine suivante. Suit la mise au point d’un festival des arts de la rue, avant un rendez-vous à la préfecture. La décontraction de Sophie Dessus tranche avec l’occupant du bureau d’à côté. Frédéric Filippi, 42 ans, a la pâleur de ceux qui travaillent trop et négligent le sommeil. Sophie Dessus ne pouvait pas trouver mieux… Après cinq ans passés au ministère des Finances, il a choisi la Corrèze pour donner de l’air à un fils malade. Devenu directeur général des services, il fait aussi office de directeur de cabinet pour madame la maire. Et depuis qu’elle est devenue députée, il travaille quatre heures de plus par semaine. Tous les projets techniques – les neuf hectares de ferme photovoltaïque, l’exploitation des chutes d’eau, le réseau de chaleur biomasse – c’est lui. Le chantier de la nouvelle zone commerciale, lui aussi. Indispensable Filippi qui résume modestement la répartition des rôles : “Je ne suis là que pour mettre en œuvre sa politique.” “C’est lui qui travaille le plus”, concède Dessus, qui s’appuie aussi sur le dévouement de ses deux

adjoints, deux enfants du pays à la retraite, séduits par l’énergie de leur députée-maire et admiratifs de sa ténacité. Le premier, Jean-Paul Grador, ancien employé de la SNCF, garde son portable allumé nuit et jour. Un problème avec la TNT qui ne marche pas ? Des infiltrations dans une cave ? L’ascenseur placé au mauvais endroit dans la papeterie ? Il s’en charge contre 600 euros mensuels d’indemnité. “Là, aujourd’hui, on en fait beaucoup trop. J’aspire à plus de sérénité”, avoue-t-il. Jean-Pierre Lavaud, 66 ans, adjoint aux travaux, 500 euros d’indemnité, hoche la tête. “On a peutêtre donné de mauvaises habitudes. Combien de fois je me dis vivement 2014 et les prochaines municipales. J’en ai marre. L’autre jour, j’ai reçu un coup de fil à la maison pour des souris chez la sœur d’une voisine ! J’ai eu envie de tout balancer.” Mais Sophie Dessus n’est pas là pour l’entendre. C’est déjà vendredi, elle a repris sa casquette de députée. Au programme : la permanence parlementaire de Tulle à trente kilomètres d’Uzerche, pour une conférence de presse et quatre rendez-vous individuels. “À la permanence, j’y passe mais il n’y a pas de règle”, dit-elle légèrement. D’ailleurs samedi, c’est toujours en tant que députée qu’elle se rendra au nord de sa circonscription, en haute Corrèze. En six mois, elle n’y avait jamais mis les pieds. Comme elle dit, cumuler, ça permet de ne pas abandonner le territoire. Catherine Boullay photo Guillaume Binet/M.Y.O.P

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homos non grata En plein débat sur le mariage pour tous, l’association Le Refuge veut interpeller le gouvernement sur la situation des jeunes victimes de l’homophobie. Rencontre avec Mahran et Kellan, tous deux jetés à la rue par leurs parents.

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’ambiance est détendue dans les locaux parisiens du Refuge. Les garçons, rouge à lèvres et sac à main pour certains, se claquent la bise et échangent des potins. Mais derrière les rires se cache la douloureuse expérience de l’homophobie. Depuis dix ans, Le Refuge propose un hébergement ainsi qu’un accompagnement social, médical et psychologique aux homos entre 16 et 25 ans isolés, voire exclus du domicile familial. L’association dispose de 44 places d’hébergement temporaire à Paris, Lyon, Montpellier et Marseille. Trente sont actuellement sur liste d’attente. Aujourd’hui, les bénévoles s’inquiètent, car la ligne d’urgence du Refuge a vu ses appels augmenter de 52 % à l’automne 2012. “Les jeunes ont tendance à s’assumer et à revendiquer plus, explique Johan, administrateur de l’antenne parisienne. Mais les familles n’acceptent pas davantage. Le clash arrive donc plus vite.” En cause notamment le débat sur le mariage pour tous, qui a entraîné une libération de la parole chez les homophobes. Mais cette loi n’est pas une priorité pour Johan. “Les jeunes ne se sentent pas concernés par le mariage et l’adoption pour tous. Avant d’en arriver là, il faut être en vie, il faut aimer. Eux, ils en sont à se reconstruire.” Il faut, selon lui, “traiter l’homophobie en amont”. Éduquer les travailleurs sociaux, le personnel éducatif et médical. Et les familles : “On est encore dans la génération

des années 70-80. Homosexualité = pénalisation = sida. Un homosexuel est forcément malade, ou pas normal.” Chez Mahran, Tunisien de 20 ans, hébergé par Le Refuge depuis presque deux ans, on ne parlait pas d’homosexualité : “Pour eux, ça n’existe pas.” Un soir de janvier 2010, alors qu’il fréquente depuis quelques mois un garçon en cachette de son frère, musulman très pratiquant, chez qui il vit, sa belle-sœur l’appelle : “Ne rentre pas, tes frères te cherchent pour te tuer.” En fouillant dans un téléphone, ils avaient trouvé des photos de Mahran et son copain : “Je ne savais pas quoi faire. J’ai tourné dans la rue.” Il passe une première nuit dehors. Le lendemain, il se réfugie chez une amie. “Le dimanche, je suis reparti. Je ne voulais pas revenir chez elle.” Difficile pour lui de raconter son histoire et de dévoiler son homosexualité. “C’était nouveau pour moi de le dire.” Kellan1, 19 ans, de parents divorcés, a été chassé de chez lui il y a trois mois. Son père, “macho” et “impulsif”, avait des propos homophobes. Puis sa mère le surprend avec son petit ami : “On t’aime, on t’accepte comme tu es”, assure-t-elle. Une semaine plus tard, alors que Kellan se trouve chez lui avec sa meilleure amie et un copain, son père, persuadé que ce dernier est l’amoureux de son fils, met tout le monde dehors. Kellan compte sur sa mère pour arranger la situation : “Je te rappelle pour te dire si tu peux dormir à la maison”, promet-elle.

chez Mahran, Tunisien de 20 ans, on ne parlait pas d’homosexualité : “Pour eux, ça n’existe pas” Elle rappellera – deux jours plus tard. “Mon premier réflexe en attendant, est d’aller en boîte, pour passer le temps”, raconte Kellan. Déboussolé, il erre dans Paris et se force à ne pas dormir. “J’étais perdu, je ne savais plus quoi faire. Je pouvais crever, ils s’en foutaient.” Il a tenté deux fois de se suicider. Au Refuge, le constat est rude : l’homophobie intrafamiliale entraîne mal-être psychologique, conduites à risques, prostitution de survie… Si Kellan a pu se réfugier chez des amis, Mahran a vécu deux semaines dans la rue avant qu’une place se libère au Refuge. Ses frères et son père l’insultent et le menacent de mort sur son répondeur. Mahran voudrait s’adresser à la police mais craint d’être expulsé. Qu’arriverait-il ? Deux doigts sur la tempe, Mahran imite le son d’une détonation. Il a repris contact avec sa mère, en Tunisie : “T’es pas encore mort, toi ?”, s’est-elle exclamée avant de raccrocher. Anne Royer photo Antoine Chesnais

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“la police, le décret de Morsi qui s’arroge les pleins pouvoirs, mais aussi les anciens partisans de Moubarak… On ne laissera rien passer” Amr Nabil/AP/Sipa

Brasili, un Ultra Ahlawy

les gardiens de l’Égypte Fers de lance de la contestation, dès ses premiers soubresauts en janvier 2011, les Ultras Ahlawy, supporters du club de foot cairote Al Ahly, sillonnent la place Tahrir, prêts à défendre la révolution coûte que coûte.



ur la place Tahrir, tout le monde sait qu’ils sont là, mais personne ne peut dire où. “Si t’as un problème, tu cries et ils arrivent, conseille Laila, une manifestante de 19 ans qui campe près du KFC. Autrement, tu ne les vois pas.” Masqués, cagoulés ou la tête entourée d’un keffieh, ils sillonnent pourtant la place, en surveillent les entrées, vont chercher les blessés en moto quand les ambulanciers ne peuvent pas s’approcher dans les nuages de gaz et les rafales de plomb. “Heureusement qu’ils sont là, soupire Khaled, 23 ans, responsable d’un poste médical de fortune monté sous une tente. Sans eux, on aurait déjà déploré une dizaine de morts au lieu de deux.” Eux, ce sont les Ultras Ahlawy, normalement supporters du club cairote. Assis à l’avant d’une vieille Honda bleue, dans un parking du quartier de Dokki, deux d’entre eux acceptent de se livrer un peu. Mais sous pseudo, car les ordres du capo – leur chef – sont clairs : pas de médias. Sweats Adidas et jeans baggy, Moz et Brasili ont la vingtaine et déjà quelques années de pratique au sein de la section du club cairote. “Au départ, on n’est que des supporters d’Al Ahly, tempère Moz, visage rond et corps massif, on ne fait pas de politique.” “On ne revendique aucune appartenance mais on est égyptiens avant tout, s’enflamme Brasili, le visage émacié, s’il faut défendre la révolution, on est là.” Et pas seulement pour la défendre. Sur le front depuis le début, ils étaient là le jour où Moubarak a envoyé les chameaux contre les manifestants – ils y ont même perdu l’un des leurs, Mahmoud. Là encore, lorsqu’en novembre 2011 il a fallu manifester contre l’armée – ils y ont perdu Ahmed. Toujours en première ligne et désormais seuls face aux forces de l’ordre depuis que les Frères musulmans sont du côté du pouvoir. Depuis deux semaines, ils avancent sans protection, ramassant les grenades lacrymo pour les retourner aussi

sec à l’envoyeur. Avec une telle témérité qu’on ne sait plus très bien si c’est la police qui les charge ou si ce sont eux qui chargent les policiers. Ils parviennent parfois, au terme d’un corps à corps brutal, à arracher un ou deux boucliers aux CRS pour les refiler aux gamins de la rue Mohamed-Mahmoud qui assiègent le lycée français occupé par les forces de l’ordre. “C’est normal, nous on a l’habitude, sourit Moz, vu qu’on bouffe du lacrymo à tous les matchs.” Moz a beau s’en défendre, l’action des Ultras a toujours eu un sens profondément politique, depuis leur création en 2007. Ce sont eux qui les premiers en Égypte se sont défendus contre la police de Moubarak quand elle interdisait les banderoles dans les stades. Pour toute une génération, ils ont ainsi ouvert la voie de la résistance. Et l’ont payé cher. “En novembre 2011, pendant un match contre Mahalla, on s’est mis à chanter des slogans contre l’armée qui confisquait le pouvoir”, se souvient Brasili. En février 2012, à Port-Saïd, les hooligans du club local d’Al-Masry leur sont tombés dessus, à la fin du match, pour la première fois. Ils n’ont compris que trop tard ce qu’il se passait, quand les policiers ont refermé sur eux les portes du stade. Bilan : 74 morts chez les Ultras Ahlawy, lapidés, piétinés, asphyxiés. Depuis, pas un mur de Tahrir qui ne porte la marque de leur colère, inscrite à la peinture noire : ACAB, pour “All cops are bastards”. Leur cible, ce ne sont pas tant les Frères musulmans : “Eux, ils étaient avec nous sur Tahrir l’année dernière, ils sont tombés à nos côtés”, rappelle Brasili, mais tout ce qui s’oppose à la révolution : “D’abord, la police, puis le décret de Morsi qui s’arroge les pleins pouvoirs, mais aussi les felouls, ces anciens partisans de Moubarak qui profitent de l’occasion pour repointer le bout de leur nez, énumère le supporter. On ne laissera rien passer.” Et c’est pour ça que sur Tahrir on ne les appelle plus seulement les “Ultras” : on les surnomme aussi les gardiens de la révolution. Marie-Lys Lubrano 5.12.2012 les inrockuptibles 25

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“c’est quoi cette histoire de Björk qui va faire du camping à Paris ?”

les majors du cinéma

retour de hype

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

“quand je pense à Agnès Varda, j’ai des petits papillons dans le ventre”

le bo bun

les Buffalo

“pourquoi tout le monde dit qu’à l’UMP c’est une ‘querelle des gos’ ?”

Alexander Wang chez Balenciaga ?

le Louvre-Lens Dernier inventaire avant le mariage pour tous

“eh, t’as vu, Burger King revient en France”

cry me a Dick Rivers Damien Hirst

les résolutions pourries

Borgen

le clip érotico-footballistique du Don’t Deny Your Heart d’Hot Chip

Björk donnera six concerts à Paris en février et mars 2013. Deux au Zénith et quatre sous la tente d’un cirque sur l’île Seguin. “Eh, t’as vu, Burger King revient en France” La phrase que tous les relous ressortent chaque mois est désormais vraie : la chaîne de fast-food américaine a annoncé l’ouverture

de deux restaurants à Marseille et à Reims. Dernier inventaire avant le mariage pour tous Le livre de Florent Guerlain et Gaëtan Duchateau. Agnès Varda

Lumerians et Beak> le 25 novembre à Boulogne-Billancourt, festival BB Mix Un mois avant Noël, la soirée de clôture de cette septième édition du festival boulonnais rime avec cadeau prématuré. La veille, Ty Segall a semé le boxon, ce soir les Lumerians et Beak> se sont donné rendez-vous pour perdre le public dans l’espace-temps. Dès leurs premiers morceaux cosmiques, les Lumerians se trimbalent entre Égypte pharaonique fantasmée et Californie sous acide. Tyler Green et ses quatre musiciens empruntent autant au bruitisme de My Bloody Valentine qu’au psychédélisme electro de Silver Apples. Les Californiens offrent un set brutal qui hypnotise la salle du Carré Belle-Feuille. Le krautrock sous perfusion de Beak>, mené par Geoff Barrow, replonge quant à lui dans l’Allemagne de l’Ouest des 70’s. Pendant plus d’une heure d’un show épileptique – les murs de lumières aux couleurs primaires et aux formes géométriques plaident coupables –, le trio de Bristol livre une équation sonore tordue qui démange les tripes et emporte la foule. Les ascensionnelles Yatton et Blagdon Lake synthétisent la rigueur mécanique de Can et la mélancolie de La Düsseldorf. Aux côtés du bassiste surdoué Billy Fuller et du guitariste méché (et un peu soûl) Matt Williams, le cofondateur de Portishead s’amuse à la batterie. On aura du mal à oublier leurs tourbillons soniques. Brice Laemle 5.12.2012 les inrockuptibles 95

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Promo pour le dernier Batman, exemple de brouillage entre publicité et divertissement

la mort du réel Journaliste à Wired, Frank Rose a enquêté dans l’industrie culturelle pour mettre en lumière les nouvelles formes de narration. Ou comment le storytelling, via internet et les médias sociaux, a annexé nos vies.

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nze septembre 2001. Le monde entier est rivé à son poste de télévision. Les images apocalyptiques des tours en flammes nous parviennent à travers les yeux et les oreilles d’une poignée de professionnels des médias. Dix ans plus tard, la commémoration du dixième anniversaire du drame est toujours relayé par l’ensemble des médias de masse – journalistes, intellectuels et écrivains. Mais des millions d’autres voix les ont rejoints : Twitter, Facebook, sites et plates-formes fournissent une chambre d’écho infini à un désarroi qui désormais se partage et se réinvente collectivement. C’est en ces termes, presque une parabole, que Frank Rose mesure la puissante mutation du monde depuis l’arrivée d’internet. “En 2001 n’existaient ni Flickr, ni YouTube, ni Twitter et encore moins Broadcastr. Mark Zuckerberg était encore au lycée (…). Les outils de narration

étaient encore réservés à ceux qui avaient accès aux médias de masse.” Plume à Wired, mais aussi au New York Times, à Esquire et Vanity Fair, l’auteur néglige cependant vite la sphère des médias pour se concentrer sur ce qui l’intéresse : l’impact d’internet sur le monde du divertissement. Ni essai anthropologique, ni livre de geek, Buzz s’interroge sur les frontières mouvantes de la fiction – avant et après la révolution numérique – et la définition même d’œuvre d’art. Quand a pris fin l’ère du récit linéaire traditionnel ? Existe-t-il encore des créateurs tout-puissants, uniques propriétaires de leur œuvre ? Rose répond à ces questions par une enquête au sein de l’industrie culturelle. Amarré à une solide théorie, son essai glane aussi sa matière au contact de géants d’Hollywood : George Lucas, Steven Spielberg, James Cameron ou les frères Wachowski. Tous ont en commun d’avoir été les pionniers d’une autre manière de regarder les films, et donc de les fabriquer :

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en marge

quand Giroud renaît Twitter, Facebook, sites et plates-formes fournissent une chambre d’écho infini à un désarroi qui désormais se partage et se réinvente collectivement en s’appuyant, et se démultipliant, sur un nouveau genre de narration multimédia. Lucas, avec sa trilogie légendaire, a ouvert la voie : au-delà de sa dimension de “prototype pour les narrations denses, composées de plusieurs couches”, Star Wars a généré des tonnes de produits dérivés – romans, comics, jeux vidéo, adaptations radio et additions de trilogies – enrichissant “un univers d’une complexité sans limite”. Avec A.I., de Spielberg, ou Avatar, de Cameron, les choses se corsent : la sortie du premier s’accompagne d’un jeu vidéo – conçu par Jordan Weisman, ex-ado dyslexique –, tandis que le second invente un univers fractal, en 3D, aux perspectives inouïes. Rose raconte aussi comment la sortie de Batman, The Dark Knight, en 2008, fut précédée d’une vaste campagne publicitaire sous la forme d’un jeux de piste sur le web, plongeant les fans dans le récit bien avant d’être dans la salle. Sur ce point, l’auteur relève une première zone de brouillage, entre divertissement et publicité : où commence l’un, où s’arrête l’autre ? Glissant du grand au petit écran, l’auteur désigne derrière la ramification des récits, leur force “immersive”, une dérive fascinante de l’œuvre vers un ailleurs. C’est le cas de la série Lost, dont le récit surnaturel à la Robinson Crusoé a tant fasciné – et plongé dans un abîme de perplexité – qu’il a engendré la création de dizaines de sites spécialisés (le bien nommé Lostpédia), inventant une bio, un passé et un futur aux personnages. Pas cons, les scénaristes ont fini par pomper les idées des internautes.

La question de l’interactivité est bien sûr au cœur de cet ouvrage. Les exemples de détournement de séries (qui, par leur côté feuilletonant, exerce un fort pouvoir sur l’imaginaire) sont à la fois nombreux et fertiles en fictions – allant jusqu’à l’invention de faux comptes Twitter par les personnages de Mad Men (lire encadré). Aujourd’hui, explique Rose, “nous ne consommons plus les histoires comme elles nous sont racontées ; nous les partageons les uns avec les autres”. Quitte à se les approprier complètement… George Lucas confie à quel point l’univers de Star Wars lui échappe. Selon lui, il appartient aux fans (et un peu aux majors quand même aussi). Il suffit de faire un tour des blogs pour s’en convaincre ; aujourd’hui, tout le monde se prend pour un écrivain – ou un cinéaste, avec un bon smartphone. Et le roman dans tout ça ? Prophétique, comme d’habitude. D’abord, en ouvrant le bal des révolutions techniques dans l’art avec la naissance de l’imprimerie – suivie du cinéma et de la télévision. Ensuite, en énonçant depuis ses débuts le pouvoir toujours plus enivrant et “réel” de la narration. Ainsi Don Quichotte guerroyant contre les moulins à vent parce qu’il aurait “perdu l’esprit” en lisant trop. Parfois, la confusion entre réalité et fiction surprend, égare, fascine. Mais bien malin qui pourrait dire lequel a pris le pouvoir sur l’autre. Emily Barnett Buzz (Sonatine), traduit de l’anglais (États-Unis) par Antoine Monvoison, 348 pages, 20 €

le cas Mad Men En juin 2009, Betty, l’épouse sublime et frustrée de Don Draper, publie un message sur Twitter. Il parle de lucioles et de fleurs, et fait suite à d’autres messages publiés depuis un an par des personnages de la série (Don : “Je bois un scotch

avec Roger pour qu’il n’ait pas l’impression d’être alcoolique”). Du jour au lendemain, Twitter clôture ces comptes par crainte de potentielles poursuites des producteurs et de la chaîne AMC. Incompréhension du côté des internautes.

Les avatars sur Twitter des personnages de la série contactent leurs avocats, et organisent une convention à Austin autour d’une table ronde Mad Men/ Twitter. Aujourd’hui, Betty a 34 429 abonnés. Elle vient de commander de la dinde.

Dans cet inédit, Françoise Giroud dit tout de sa vie, de L’Express et de JJSS. Un événement de janvier. Peut-on écrire un texte sur l’être qu’on a aimé mais qui nous a déçu, et le publier du vivant de cette personne ? Aujourd’hui, nombre d’auteurs (Christine Angot, Camille Laurens, etc.) diraient oui ; en 1960, Françoise Giroud se dit non. Dans Histoire d’une femme libre, inédit autobiographique à paraître le 17 janvier chez Gallimard, Giroud aime, livre, écrit, analyse, dépèce avec une acidité tendre Jean-Jacques Servan-Schreiber, l’homme qu’elle a aimé, avec qui elle a fondé et dirigé L’Express, et qui vient de la plaquer pour une jeune fille avec qui il va pouvoir, enfin, avoir des enfants. Pire : peu de temps après leur séparation, il la renvoie du journal. Le soir même, Giroud avale une dose mortelle de Gardenal. On la sauvera et elle se sauvera, elle, en écrivant ce qu’elle n’a pas pu dire à JJSS dans Histoire d’une femme libre. Les rares lecteurs à qui elle soumet le manuscrit lui conseillent de l’enterrer d’emblée : pas assez bon, disent-ils. Mais surtout, scandaleux de vérité. C’est à Alix de Saint-André, qui a fouillé les archives Giroud à l’Imec, qu’on doit d’avoir retrouvé et édité ce texte, qui, en avance sur son temps, trouve aujourd’hui toute sa place au rayon “écriture de soi”. On s’étonnera que Laure Adler, dans l’excellente biographie de Giroud qu’elle signait il y a deux ans, ait déclaré n’avoir trouvé nulle trace de ce manuscrit. Mais peu importe… Est-il bon ? Il l’est, oui, et mieux que ça même : étincelant d’intelligence, de finesse, d’analyse, de cette cruauté inhérente à la lucidité la plus extrême. À propos de JJSS après leur rupture : “En le regardant partir, je me dis que je l’avais toujours bien jugé : loyal, généreux, constant dans ses objectifs, mais implacable pour qui risquait de le déranger. Avec tout cela, on fait de grandes choses, mais pas de l’amitié.”

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Jean-Marie del Moral

éthique et chic Après Susan Sontag, Patrick Mauriès tentait en 1979 d’esquisser une définition du camp, cet insaisissable dandysme postmoderne. Son manifeste est aujourd’hui réédité, substrat stylé et composite des seventies.

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u’ont en commun JeanJacques Schuhl, les pubs Dim, la chanson All by Myself et le musée Gustave-Moreau ? Ils sont camp. Du moins, ils l’étaient en 1979, date à laquelle fut publié le Second manifeste camp signé Patrick Mauriès, devenu depuis éditeur. Ce livre, remarqué par Roland Barthes, fut pour Mauriès “une façon subreptice (la seule possible) d’entrer dans le jeu littéraire”, comme il le rappelle dans la préface de cette réédition. Une façon aussi de se mesurer, avec un mélange d’humour et d’ambition suicidaire, à l’une des plus importantes figures intellectuelles de l’époque : Susan Sontag, auteur, en 1964, des Notes on Camp, tentative de définition en fragments de l’esprit camp, néodandysme à l’ère de la culture de masse, intimement lié à l’homosexualité. Une esthétique autant qu’une éthique, un mode de vie et un état d’esprit qui privilégient l’ambiguïté, le composite, la naïveté, la surenchère, le mauvais goût. Une sensibilité à la fois évidente et indéfinissable. Comme le paragraphe 9 du Second manifeste camp stipule que “tout texte sur le camp ne peut qu’être camp”, nous allons tenter d’écrire un article camp. Le Second manifeste camp est une imitation – procédé suprêmement camp – en même temps qu’un hommage incompris à l’essai de Susan Sontag. “L’hommage n’eut pas l’heur de plaire à sa destinataire qui se

révéla, à mon grand dam, n’avoir guère le sens du second degré”, déplore Mauriès. La théoricienne du camp est-elle camp ? Dans ses Notes, Sontag définit le camp comme un art de la citation qui “voit tout entre guillemets”, un art de la reproduction à la manière des sérigraphies d’Andy Warhol, icône camp absolue. Comment dès lors refuser d’être soi-même citée ? Faut-il y voir un de ces brusques revirements propres au camp, ou un accès de mauvaise humeur ? “Le camp européen est plus informé, moins empirique que le camp américain”, écrit Mauriès. Son manifeste l’atteste, même sous forme parodique. Nourri de références à Bataille, Derrida, Lacan, son livre érudit témoigne de “l’effervescence théorique” des seventies, époque restituée par bribes à travers des noms – Candy Darling, égérie de la Factory –, des lieux – le Palace –, et résumée dans cette phrase décadente de la préface : “Moment d’aurore et de mascarade, fête sans lendemain et pourtant quotidienne, où se réjouir de vivre en pure perte, où rien ne semblait pouvoir porter à conséquences – et combien s’y brûlèrent.” Du fait de son caractère caduc, le Second manifeste camp est parfaitement camp. Et aujourd’hui, qu’est-ce qui est camp ? Lindsay Lohan, Judith Butler, la téléréalité, Cindy Sherman, Larry Clark, Versace… Il faudrait un troisième manifeste. Élisabeth Philippe Second manifeste camp (L’Éditeur singulier), 128 pages, 12 €

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Lili Elbe, née Einar Wegener

middlesex Dans le Copenhague des années 30, l’histoire vraie du premier homme à avoir changé de sexe. David Ebershoff signe une ode à l’étrangeté, à la fois joyeuse et troublante. e Certains l’aiment S’inspirant des coupures chaud de Billy Wilder de presse de l’époque, à Madame Doubtfire d’un journal intime et d’une de Chris Columbus ; correspondance, l’auteur de Mourir comme un homme relate les circonstances de João Pedro Rodrigues à de cette métamorphose Laurence Anyways de Xavier qui passionna l’Europe Dolan, le travestissement des années folles et qu’il et la transsexualité ont va restituer à travers les donné de belles histoires mœurs d’un couple hors au cinéma. Côté livres, du commun. Artiste exaltée, il faut se gratter la tête fille richissime d’un pour trouver un exemple ambassadeur américain, un peu convaincant après Greta Waud ne fut peut-être Marivaux. Une chance que pas étrangère à la David Ebershoff, écrivain transformation de son mari. de 43 ans et éditeur chez Ebershoff va plus loin : Random House, se soit le travestissement est un intéressé au cas d’Einar rêve qu’on fait à deux. Wegener, le premier Au début de Danish Girl, homme à avoir changé dont la première parution de sexe au Danemark remonte à 2001 (Stock), au début des années 30. Greta a été lâchée par

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son modèle, une cantatrice qui lui a commandé son portrait. Elle demande à Einar d’enfiler une paire de bas pour la remplacer. La séance suivante, elle lui tend une robe. Il résiste avant d’y prendre goût. Bientôt, le couple accueille une nouvelle entité en son sein : la jolie et frêle Lili, qui va littéralement absorber son créateur. Tout en illustrant l’extrême permissivité d’une époque – Greta et Lili/Einar vont au bal et au théâtre… –, ce destin hors normes butte aussi contre des murs d’incompréhension, des portes fermées. Taxée d’homosexualité, puis de schizophrénie, Lili bataille contre la normalité afin de naître à elle-même. Le tour de force d’Ebershoff étant d’y mettre beaucoup de légèreté, d’entrain et de beauté étrange, pour ne pas cantonner la question de l’identité sexuelle à un casse-tête existentiel, mais en faire un jeu, un charmant caprice. Dommage que l’adaptation ciné avec Nicole Kidman et Gwyneth Paltrow n’ait jamais vu le jour : quel film ! Emily Barnett Danish Girl (Libretto), traduit de l’anglais (États-Unis) par Béatrice Commengé, 400 pages, 10,80 €

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collection privée/musée des Lettres et Manuscrits, Paris

I love Proust Essai, enquête romancée ou recueil d’articles inédits, le papa de Swann est l’objet d’un fascinant fétichisme littéraire.

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es fans de Proust sont dans la place. À quelques mois du centième anniversaire de la parution de Swann, ils squattent déjà les programmes des éditeurs. Si la commercialisation de T-shirts “Proust Forever” ou “Marcel, on t’aime” ne semble pas encore d’actualité, chacun y va de son hommage. Depuis septembre, trois ouvrages fêtant l’homme et son œuvre sont parus. Comme si tout le monde voulait payer son tribut au papa de Swann. Et lui rendre un hommage éternel. Le moyen le plus sûr consiste à exhumer ses textes. Preuve avec Le Mensuel retrouvé, un recueil regroupant une dizaine d’articles rédigés par Proust à 19 ans. Cette trouvaille parfaitement anecdotique, qui, pour se rendre publiable, est accompagnée d’une copieuse introduction, n’en dévoile pas moins les premiers pas littéraires, et donc émouvants, d’un monstre sacré. Le tout jeune critique s’y montre corrosif – éreintant par exemple des poèmes dont “le hiératisme baudelairien produit une note vraiment fâcheuse

en 1891”. Il fait preuve en revanche d’un enthousiasme illimité quand il s’agit de commenter la mode. Sachez ainsi que “le corsage est en pleine révolution” et “la mousseline de soie (…) toujours à l’ordre du jour”. Le court volume s’achève sur deux “tableaux” esquissant un paysage normand – futur Balbec – et une belle créature nommée Odette… Autre motif d’adoration : le brillant plumitif, futur génie, a également sauvé des vies. C’est en tout cas la thèse de Proust contre la déchéance. Son auteur, Joseph Czapski, a survécu à l’enfer du goulag en 1940. Prisonnier parmi quatre cents autres soldats de l’armée polonaise, il raconte comment leur groupe survit grâce à une série de conférences sur la littérature française, afin de “défendre nos cerveaux de la rouille de l’inactivité”. Il dicte son essai sur Proust à partir de ces seuls souvenirs, disserte sur les soirées des Guermantes et la mort de Bergotte dans le réfectoire d’un couvent désaffecté et glacial de Sibérie, transformé en salle à manger pour les soldats. Une genèse bouleversante qui fait oublier le caractère très universitaire de ces Conférences au camp de Griazowietz. Les plus proustolâtres se révèlent de fervents fétichistes. Cette manie – qui a ses limites, Proust ayant été locataire d’un petit appartement comptant peu d’objets – est fort bien illustrée dans La Manteau de Proust. Cette captivante enquête relate comment Jacques Guérin, collectionneur ayant fait fortune dans les parfums, a réussi à sauver les biens de l’écrivain après sa mort, cibles de la folie destructrice – et partiellement homophobe – de sa belle-sœur. Manuscrits brûlés (on s’étrangle), ouvrages dédicacés à Robert de Montesquiou, meubles expédiés à la salle des ventes, lettres et poèmes d’amour arrachés (on enrage encore) : le défi de notre collectionneur, retracé par la journaliste italienne Lorenza Foschini, consista à les sauver un à un de la destruction. Jusqu’au fameux manteau de Marcel. Abandonné par l’épouse de Robert Proust à un brocanteur, il se retrouve utilisé comme plaid pour les jambes les jours de pêche hivernaux. C’est ainsi qu’une “pelisse de fourrure”, échappant de justesse à la ruine et aux poissons, devient la plus évocatrice et émouvante des reliques. Emily Barnett Le Mensuel retrouvé de Marcel Proust (Éditions des Busclats), 144 p., 15 € Proust contre la déchéance de Joseph Czapski (Libretto), 96 p., 5 € Le Manteau de Proust de Lorenza Foschini (Quai Voltaire), traduit de l’italien par Danièle Valin, 144 p., 15 €

la 4e dimension sous l’œil de Moscou Gide en voyage en URSS ; Nathalie Sarraute, émigrée russe à Paris ; Aragon… Intelligentsia expose les échanges intellectuels franco-russes au XXe siècle à travers des archives inédites. École nationale supérieure des beaux-arts, www.ensba.fr

bisbille chez les Nobel Il “célèbre la censure” et son Nobel est “une gifle pour (…) les droits de l’homme”.Voilà comment Herta Müller, Nobel de littérature en 2009, juge l’élection du Chinois Mo Yan, lauréat 2012.

quand Nathalie rencontre Brigitte Au cœur du roman de Nathalie Quintane, Crâne chaud (P.O.L), Brigitte Lahaie invite l’écrivaine dans son émission Lahaie, l’amour et vous sur RMC. jeudi 6 décembre, 14 heures

Assange et les dangers d’internet Dans Cypherpunks: Freedom and the Future of the Internet, son nouveau livre sorti en Grande-Bretagne, le fondateur de WikiLeaks voit en internet “un outil du totalitarisme”, étrille Facebook, Google et Twitter… Parano d’un ex-hacker ?

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Joann Sfar et Clément Oubrerie Jeangot – Renard Manouche Gallimard, 56 pages, 14,50 €

une vie normale Le quotidien d’une jeune fille en proie à de violentes pulsions, par un Glyn Dillon subtil, au trait expressif et léger.



border la maladie en bande dessinée s’avère souvent périlleux. Soit l’auteur est emporté par son sujet et laisse l’émotion couler à flots, soit au contraire l’approche reste trop clinique pour être touchante. Glyn Dillon, avec Le Nao de Brown, s’en sort pour sa part avec subtilité. Sa jeune héroïne, Nao, souffre de TOC. Mais pas de ces TOC médiatisés consistant à se laver les mains ou à vérifier que le gaz est fermé toutes les deux minutes. Elle est la proie de pensées violentes et meurtrières qui surgissent à l’improviste dans son esprit. Travaillant sur elle-même et luttant contre ses pulsions grâce à un mantra (“Maman m’aime”), elle arrive parfaitement à vivre avec sa maladie : elle travaille dans un magasin de jouets de designers, dessine, fait de la méditation dans un centre bouddhiste. Puis Nao tombe amoureuse d’un garçon qui lui aussi porte son lot de problèmes. Ce qui fait toute la force et la beauté du Nao de Brown, c’est que Glyn Dillon ne s’apitoie jamais, ne s’appesantit pas sur le TOC de Nao et sur son origine. Il raconte sa vie dans tout ce qu’elle a de plus normal, la maladie ne faisant irruption qu’au détour d’une case, de façon inattendue et brève,

comme dans la tête de Nao. De son trait expressif et léger, il montre quel est le quotidien de cette jeune fille vivante et drôle, quelles sont ses joies et ses peines, comment elle gère son problème, comment elle lutte pour exister normalement, pour que personne ne s’en rende compte. Il ne la définit et ne la caractérise pas par sa maladie, mais par son humour, son travail, ses passions – comme ce manga fantastique (totalement inventé par Dillon) dont elle est fan et dont Glyn Dillon parsème des pages au milieu du récit. Ce qui rend également Le Nao de Brown si juste, ce sont les personnages secondaires, comme le boss de Nao – qui est aussi son meilleur ami –, sa colocataire, son boyfriend. Ayant leurs propres problèmes, ces seconds rôles étoffés donnent une véritable épaisseur à l’histoire, dessinent un contexte plein de pertinence et de réalité. Plus de quarante ans après Binky Brown de Justin Green, BD autobiographique pionnière qui parlait des TOC (et à laquelle Glyn Dillon fait ici un clin d’œil), voici une autre façon réussie d’aborder les obsessions maladives. Anne-Claire Norot

La jeunesse de Django Reinhardt sous les traits d’un renard. Percutant. Après Pascin, Gainsbourg et Chagall, Joann Sfar s’attaque à une autre figure de la culture du XXe siècle, le guitariste Django Reinhardt. Mais cette fois-ci, il cède le dessin à Clément Oubrerie, qui transforme le musicien et son entourage en animaux charmants et délirants. Django est représenté en renard – parce qu’il avait orthographié son nom ainsi lorsqu’il était adolescent. Guidé par le trait mutin d’Oubrerie, Joann Sfar invente un récit solide et hilarant, suivant les vingt premières années de la vie du guitariste. Il en retrace les grandes lignes (logement en roulotte, premiers concerts, incendie de sa caravane et rééducation difficile…), mais, à son habitude, prend aussi de belles libertés avec la réalité. Le frère de Django, Joseph, est ainsi remplacé par un sympathique copain, le hérisson Niglaud, qui est aussi le narrateur de l’histoire et dont on suit en parallèle la vie des années plus tard. L’ensemble est concis, percutant. Clins d’œil et bons mots fusent. Une initiation facétieuse et enlevée à l’univers d’un des pères du jazz manouche. A.-C. N

Le Nao de Brown (Akileos), traduit de l’anglais par Achille(s), 208 pages, 25 €

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réservez Purgatoire à Ingolstadt de Marieluise Fleisser, mise en scène Maëlle Poésy Pour sa première mise en scène, Maëlle Poésy a choisi Purgatoire à Ingolstadt de Marieluise Fleisser, dramaturge allemande et compagne de Bertolt Brecht. Ingolstadt est sa ville natale, où elle se réfugie lorsque les nazis l’interdisent de publication, ainsi que le lieu fictionnel où elle analyse la jeunesse bavaroise des années 20… du 11 au 14 décembre à l’Espace des Arts, Chalon-sur-Saône, www.espace-des-arts.com

Gaze Is a Gap Is a Ghost chorégraphie Daniel Linehan Gaze Is a Gap Is a Ghost s’impose comme une éblouissante tentative de projection mentale et chorégraphique. Voir à travers les yeux d’un danseur, vivre la danse de l’intérieur, chuter avec lui, rebondir aussi dans un imperceptible va-et-vient entre le réel et la fiction chorégraphique. La magie Linehan opère… du 17 au 21 décembre au Théâtre de la Bastille, Paris XIe, www.theatre-bastille.com

Macbeth l’enragé Grâce à une mise en scène aussi rude que subtile et au talent d’interprètes remarquables, le Néerlandais Johan Simons expose à vif la violence incontrôlable du héros shakespearien. Saignant.

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as un instant la salle n’est plongée dans le noir. Johan Simons monte cette pièce de nuit qu’est Macbeth en pleine lumière, exposant aussi bien les gradins et les spectateurs que la scène. Sous cet éclairage impitoyable, les efforts de Macbeth pour dissimuler ses crimes sont sans issue. Un océan entier ne suffirait pas à nettoyer le sang qu’il a sur les mains. La violence en appelle à chaque fois à encore plus de violence dans une fuite en avant irrépressible. Comment un chef de guerre victorieux réputé pour sa bravoure se retrouve-t-il soudain embarqué dans une course désespérée contre la montre où l’enjeu serait de piéger son propre destin ? Macbeth est pris à rebours par une suite d’événements qu’il voudrait dominer sans jamais y parvenir. Impossible de ne pas penser à des tyrans contemporains comme Saddam Hussein ou Bachar al-Assad, notamment quand, assis dans une tribune en fond de scène, le visage barbouillé de sang, l’acteur Fedja Van Huêt – Macbeth impressionnant, cocktail explosif d’ambition effrénée et d’effroi lucide – lève les bras

d’un air accablé, le visage déformé par une moue désabusée, comme s’il voulait dire : “Qu’y puis-je ?” Plutôt qu’un roi siégeant à un tournoi, il évoque un boxeur sonné tentant de reprendre ses esprits avant de remonter sur le ring. Au pied de la tribune, une longue table disposée en U le sépare d’un espace vide figurant une arène aspergée de sang. Que Macbeth assiste en personne au spectacle Macbeth est une des idées judicieuses de cette mise en scène fort inspirée, où le Néerlandais Johan Simons prend par ailleurs pas mal de libertés avec le texte original. Dès le début, Macbeth est secoué de spasmes. Comme s’il savait déjà ce qui allait lui arriver, avant même l’apparition des sœurs fatales, celles-ci faisant alors écho par leurs prédictions aux noirs désirs qui tourmentent le futur assassin. L’espace au centre de la scène évoque une feuille blanche. Macbeth a hâte de remplir ce vide – avec une couronne, par exemple, celle que Lady Macbeth lui pose sur la tête pour plaisanter. Mais il se lasse. L’envoie valser. Puis il se lave les mains, comme s’il anticipait la suite des événements. Car Duncan, roi d’Écosse,

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côté jardin

dress codes

Jan Versweyveld

Un livre sur le travestissement sort à point nommé pour éclairer notre époque réactionnaire.

n’est pas encore mort. L’emblème royal gît à l’envers sur le sol. Lady Macbeth est promenée à quatre pattes, telle une chienne, au bout d’une corde au nœud coulant. Surexcitée, elle saisit la couronne entre ses dents. Des poches de sang éclatent en tombant sur la scène. Ils font l’amour dans une mare d’hémoglobine. Elle jouit sous les rugissements sauvages de son époux avant de danser au milieu du sang. Johan Simons a supprimé la scène du portier imaginée par Shakespeare pour soulager le spectateur à la suite du meurtre de Duncan. Il instille tout au long du spectacle une nuance de dérision volontairement ambiguë. Le meurtre y est associé non seulement à l’orgasme, mais aussi au jeu. De ses “fantaisies” érotiques avec sa compagne, Macbeth passe à un autre genre de jeu avec Banquo, dont ce dernier ne se remettra pas. Bientôt, la peur domine. La vue d’une paire de bottines appartenant à Fléance, rejeton de Banquo et futur roi d’Écosse selon la prédiction des sorcières, terrasse Macbeth. Il ne doute plus désormais de son sort, même s’il se battra jusqu’au bout avant d’être abattu d’une balle de révolver. Hugues Le Tanneur Macbeth de William Shakespeare, mise en scène Johan Simons, les 7 et 8 décembre à la Comédie de Reims, dans le cadre du festival Reims Scènes d’Europe, www.scenesdeurope.eu

Sublime couverture, où pose en noir et blanc Albert Carroll as Emily Stevens, dans la revue musicale Grand Street Follies en 1925 : rondeur de l’épaule, fards appuyés et regard crâne fixant l’objectif pour traverser le siècle sans prendre une ride. C’est ainsi depuis la nuit des temps, nous rappelle l’auteur de La Femme et le Travesti, Chantal Aubry, avec son style inimitable, précis, dense et d’une rare insolence : l’acteur travesti vient du fond des âges et touche toutes les cultures, unies dans une même vision patriarcale de la femme reléguée et de l’homosexualité refoulée ou interdite. À la fois éminemment instructif et remarquablement illustré, son livre passe en revue toutes les formes du travestissement. L’onnagata au Japon, les damoiseaux de Chine, les travestis et chamanes de l’Inde, l’acteur travesti à l’origine du théâtre grec et de la démocratie, “où le civisme se fonde sur la subordination des femmes, l’esclavage et la xénophobie”, jusqu’au basculement monothéiste qui confine encore et toujours les femmes et bannit l’homosexualité. Outre sa beauté et son érudition, c’est bien dans l’analyse qu’il produit de l’époque “où la relégation de la femme est à nouveau brutalement affichée” que ce livre fait mouche. Si, avant le XXe siècle, le travestissement était le produit d’une contrainte sociale, il est désormais volontaire, s’affiche et aide à penser les rapports de pouvoir. L’identité sexuelle et la question du genre, au cœur des créations des chorégraphes François Chaignaud et Alain Buffard et des metteurs en scène ou acteurs Marcial Di Fonzo Bo et Krzysztof Warlikowski, sont dès lors “considérées comme une stratégie de libération”. Et nous sont d’autant plus précieuses. La Femme et le Travesti de Chantal Aubry (Éditions du Rouergue), 191 p., 38 €

Fabienne Arvers 5.12.2012 les inrockuptibles 105

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En ouverture du festival bourguignon, Dada Masilo dans un solo époustouflant. Un brin en avance sur la Saison de l’Afrique du Sud en France en 2013, le festival Instances a choisi de naviguer entre fidélité à des artistes (Johanne Saunier ou Alban Richard) et un focus Afrique du Sud réunissant Nelisiwe Xaba, Désiré Davids, Gregory Maqoma et Dada Masilo, notre coup de cœur de l’année, qui ouvrait cette 10e édition avec le solo The Bitter End of Rosemary. Dans la pénombre d’un plateau vide qu’éclairent seulement deux tubes de néon violets, Dada Masilo apparaît de dos, nue, le corps saisi par des mouvements en saccades. Elle se tord, gémit et cristallise en elle ses souvenirs d’enfance, où une vieille femme folle arpentait nue les rues de Soweto, ainsi que son désir de réunir en Rosemary la vulnérabilité d’“héroïnes” sacrificielles (cf. Hamlet, Le Sacre du printemps, La Jeune Fille et la Mort, Giselle). Folie et mort habitent son corps, disloquent l’harmonie des mouvements pour dire la fêlure et la perte. Un pur moment de grâce et de puissance mêlées. Épuisement encore avec le projet de Johanne Saunier et Mathurin Bolze, Modern Dance, qui réunit trois danseuses (Johanne Saunier, Ine Claes et Sabine Molenaar, d’une envoûtante souplesse) lancées dans un marathon de danse au rythme enfiévré de Fast Track de Miles Davis. Abandon et endurance produisent alors un effet hypnotique de belle ampleur. Fabienne Arvers à l’Espace des Arts, Chalonsur-Saône, compte rendu

Erick Labbé

festival de danse Instances

fish-eye théorie Robert Lepage propose la première partie de Jeux de cartes, pièce spécialement conçue pour s’inscrire sur les scènes d’un collectif européen réunissant des salles de théâtre circulaires. Une réussite.

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ur le modèle du fish-eye, cet objectif photographique capable de capter les images du monde en ouvrant son champ à 360°, le metteur en scène québécois Robert Lepage relève le défi d’inventer, avec Jeux de cartes, une série de quatre spectacles de théâtre aptes à être vus sous toutes leurs coutures depuis des gradins circulaires. La réponse à une commande passée par l’Anglais Marcus Davey, le Suédois Peder Bjurman, la Danoise Pia Jette Hansen, l’Espagnol Pere Pinyol, la Croate Gaella Gottwald et le Français Philippe Bachman. Ces directeurs de salles circulaires européennes, réunis sous le label du Réseau 360°, ont décidé de produire des spectacles sur mesure pour expérimenter le champ des possibles d’un imaginaire spécifiquement conçu pour les scènes rondes, qu’il s’agisse d’une salle circulaire expérimentale produite par l’architecture moderne, d’un cirque en dur du XIXe siècle ou d’une citerne d’eau, d’un gazomètre et d’une rotonde ferroviaire réhabilités en théâtres. C’est en Espagne, au Teatro Circo Price de Madrid, que le projet fut lancé en mai 2012 avec Pique, premier volet de cette tétralogie des Jeux de cartes où Robert Lepage s’inspire des vertus et des travers qu’on accorde à chacune des quatre familles des cartes à jouer pour inventer des fictions. Comme un tapis de jeu placé au centre du public, sa scène est une boîte à secrets capable de nous transporter dans l’espace et le temps. À la manière

propre au cinéma de s’affranchir des distances, son récit se construit avec une incroyable fluidité dans un montage de plans-séquences où Lepage fascine en faisant apparaître décors et personnages via des mécanismes cachés dans les entrailles du disque apparemment lisse de son plateau de bois. Nous voici à Bagdad avec une escouade de soldats durant la guerre du Golfe, puis assistant à un cérémonial sorcier dans le désert de Mojave, ou encore devenus les témoins d’une rupture dans la chambre luxueuse d’un casino de Las Vegas. Entre l’Amérique de l’argent roi et celle qui prêche la démocratie à coups de missiles, les années Bush se trouvent mises sur la sellette par un scénario à suspense digne des meilleures séries de la chaîne HBO. Magicien du théâtre ayant enfin trouvé une scène à sa démesure, Robert Lepage prend un immense plaisir à relever la gageure d’œuvrer en close-up, sans cintres ni coulisses, pour faire naître son théâtre directement sous les yeux du public. Chacun de ses tableaux nous subjugue, semble un mirage jaillissant de nulle part. L’excitante expérience d’un théâtre qui, en singularisant le regard de chaque spectateur, s’adresse à tous t s’avère d’une générosité sans pareil. Patrick Sourd Jeux de cartes 1 : Pique conception et mise en scène Robert Lepage. Les 20 et 21 décembre à Châlons-en-Champagne, du 9 au 19 janvier à Lyon, les 25 et 26 à Amiens, du 19 mars au 14 avril à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier (Paris XVIIe)

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les invisibles Plongée participative de la plasticienne Bertille Bak au cœur de diverses communautés, d’un campement rom à un couvent de religieuses.

vernissages Virginie Yassef Avec Un mur de sable vient de tomber, Virginie Yassef s’engage sur la piste d’un environnement total et narratif. Avec une suite prévue au printemps prochain à la Ferme du Buisson. jusqu’au 9 février à la Galerie, Noisy-le-Sec, www.noisylesec.net

Les Référents Quels devraient être aujourd’hui les artistes référents pour les étudiants des écoles d’art ? Réponse avec une liste certes exhaustive mais qui ne compte que cinq artistes femmes. jusqu’au 26 janvier à la galerie Édouard-Manet, Gennevilliers

Marcelline Delbecq Le Frac Champagne-Ardenne fête son anniversaire à travers une programmation de performances. Le 7 décembre, Marcelline Delbecq mettra en scène et en images son roman en cours d’écriture. le 7 décembre à 19 h 30, Reims, www.frac-champagneardenne.org

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uoi de commun entre la congrégation des Filles de la charité installée depuis belle lurette dans le VIIe arrondissement de Paris et un campement rom implanté illégalement sur un terrain vague d’Ivry-sur-Seine ? Rien a priori, si ce n’est que ces communautés, aux codes et aux pratiques cryptés pour le commun des mortels, se situent toutes deux en marge de la société. Porte-parole sans voix de cette “France invisible”, que deux journalistes engagés et un sociologue révélaient dans un ouvrage éponyme publié en 2008 1, ces deux groupes sociaux constituent aujourd’hui le “terrain”, au sens ethnologique du terme, de la jeune plasticienne Bertille Bak. Reprenant à son compte la stratégie d’observation participante utilisée par un certain nombre d’ethnologues et de sociologues depuis le début du XXe siècle, cette artiste née en 1983 s’est déjà immiscée dans une dizaine de communautés aux caractéristiques très diverses : des corons du Nord, d’où elle est originaire, aux Polonais de New York en passant par

bien qu’elle ne se départisse jamais d’un discours politique impeccable, ça déraille sec chez Bertille Bak

les Thaïlandais révoltés d’une barre d’immeubles vouée à disparaître. Cette fois-ci, avec Circuits, c’est dans l’univers calfeutré des religieuses et dans celui autrement plus bruyant (c’est même le sujet d’une des pièces présentées : une série de statistiques et de Pili, plans indicateurs lumineux d’itinéraires – comme on en trouve encore dans certaines stations de métro parisiennes –, désignant les lignes les plus sonores et donc les moins propices aux chanteurs qui font la manche dans le métro) d’une communauté rom bien organisée qui recycle, selon des lois codifiées, vaisselle, métaux et matériaux en tout genre. Pour approcher cette communauté aussi secrète qu’elle est mise en lumière par les nombreux amalgames véhiculés sur son compte ces dernières années, Bertille Bak a installé sa caravane au milieu du camp. Le temps d’instaurer la confiance nécessaire à une entreprise commune. Car Bertille Bak n’agit pas comme les documentaristes classiques ou les cinéastes du réel. Plus proche d’une Agnès Varda et de la définition de “documenteur” mise au point par cette dernière, elle imagine des scénarios souvent fantasques, drôles ou touchants, élaborés en collaboration avec les membres des groupes qu’elle approche. Ici, entre autres, une poignée d’enfants mis à contribution pour réaliser des bâches

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encadré

occupy neomodernism

Bertille Bak, Transports à dos d’hommes (video still), 2012

Selon le critique d’art Pedro Morais, il faut absolument lire la revue l’E-Flux Journal.

camouflage permettant aux caravanes de se fondre dans le décor. Dans la vidéo qu’elle en a tirée, on accède ainsi aussi bien au making-of (la réalisation de ces toiles grises et vertes) qu’à une mise sur orbite d’une situation pourtant largement arrimée au réel quand elle fait du RER passant en arrière-plan un mirador ambulant traquant du bout de ses phares la moindre trace d’activité humaine. Et c’est la même chose lorsqu’elle intègre le quatrième étage (terminus pour les sœurs en cours d’assomption) du couvent de la chapelle Notre-Dame-dela-Médaille-miraculeuse, et qu’elle extrait de cette rencontre surréaliste entretiens en bonne et due forme, objets du quotidien soigneusement disposés dans de petites boîtes à trésors et un bout de mise en scène fabriqué de toutes pièces qui prend appui sur une sculpture réalisée par ses soins. Cette dernière (un élévateur au mode d’emploi incongru) est d’ailleurs présentée comme telle dans l’espace d’exposition. Dans le film, il permet à sœur MarieAgnès, presque centenaire, d’accéder à la façade du couvent et de placarder à la manière des activistes des slogans évoquant l’amour de Dieu. Ainsi, bien qu’elle ne se départisse jamais d’un discours politique impeccable, ça déraille sec chez Bertille Bak qui, à cheval entre authenticité et fiction, fait twister le réel englué de ces invisibles pour mieux nous le faire partager. Claire Moulène 1. La France invisible, Stéphane Beaud, Joseph Confavreux, Jade Lindgaard, La Découverte (Poche/Essais n° 272) Circuits jusqu’au 16 décembre au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Paris XVIe, www.mam.paris.fr

Dans le panorama actuel des revues spécialisées d’art contemporain, E-Flux Journal s’est discrètement construit une influence auprès d’une nouvelle génération d’artistes, critiques et curateurs. Issue du réseau de mailing professionnel éponyme, disponible en ligne et imprimable à volonté selon l’éthique copyleft, la revue a été bâtie au moment de l’éclosion de la crise financière, en 2008. Elle a accompagné de près la réflexion sur la précarisation et la flexibilité du travail s’appuyant sur le modèle de l’individu créatif et anticonformiste, mais aussi les récentes révoltes du Printemps arabe ou Occupy Wall Street. Réunissant des textes de philosophes (Boris Groys, Bruno Latour, Slavoj Zizek), de critiques (Anselm Franke, Jan Verwoert) ou d’artistes (Paul Chan, Omer Fast, Liam Gillick, Renée Green, Martha Rosler), la revue se veut une tentative assez féroce de repolitisation du champ artistique, qui semblait dominé ces dernières années par des problématiques formelles, soutenant une certaine autonomie du langage de l’art et obsédé par le passé héroïque du modernisme. L’aspect le plus intéressant de la revue est sans doute son refus de se cantonner à l’analyse de l’art pour fournir un nouvel arsenal théorique. Au risque d’ériger ces pratiques discursives en nouveau paradigme venant nourrir un nombre infini de conférences-performances, d’approches fétichistes du livre, des archives et autres photocopies nostalgiques. E-Flux Journal reste toutefois un acteur-clé de la théorie critique, dont la fulgurance est perceptible dans bon nombre d’expositions actuelles. www.e-flux.com/journals

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Rachel Harrison, Hoarders, 2012, courtesy of the artist and Greene Naftali, New York, photo John Berens

Rachel Harrison à l’atelier Calder, photo Guillaume Blanc

test produits Rencontre avec l’artiste américaine Rachel Harrison, en résidence bucolique à Saché, dans l’atelier du sculpteur Calder.

U  

n atelier ouvert, ce n’est pas une exposition”, commente-t-elle d’emblée en désignant le paysage in progress qui ponctue le grand atelier du sculpteur franco-américain Calder où elle est invitée en résidence depuis trois mois. Sorte de hangar, voire de loft industriel, l’intérieur du lieu n’est pas vraiment dépaysant pour cette artiste franchement new-yorkaise basée à Brooklyn, sauf qu’il est déplacé en pleine campagne, à Saché, pas loin de Tours et tout près de la maison de Balzac. Trop rarement exposée en France, si ce n’est au Consortium de Dijon en 2008, l’occasion était belle

de lui rendre une petite visite. Dans la pièce : des blocs de sculptures colorés, des créations en cours, des tests de peinture sur des morceaux de polystyrène. “Je me demande comment je pourrais approcher la peinture, et la nuit dernière j’ai collé ça au mur : des morceaux affûtés de polystyrène assemblés en vrac sur un caisson.” Au centre, une petite collecte d’objets achetés dans la région, à commencer par un porte-bouteilles, à partager entre les vins de Loire et Marcel Duchamp. Sur les sculptures travaillées par l’antiforme et auxquelles elle reconnaît un aspect

“mastiqué”, Rachel Harrison a déjà incrusté quelques éléments : une chaussure de foot en bronze, un grand vase de restaurant posé sur l’œuvre comme sur un linteau de cheminée, un paquet de porage écossais au packaging kitschissime. Des arrangements domestiques. “J’aime les supermarchés”, s’amuse-t-elle, un lieu qui correspond bien à son art déhiérarchisé, où les soi-disant “haut” culturel et “bas” populaire ont perdu leurs repères d’antan et se mélangent sans arrêt. “Mais dans le même temps, je ne veux pas perdre l’abstraction” : alors au dos d’une sculpture aux allures de fauteuil, elle a comme

taillé la forme d’un tableau, et recouvert le tout d’une seule et même couleur, violette. Et puis il y a tout un jeu autour des socles qui s’empilent les uns sur les autres, comme si la sculpture chez elle tentait tant bien que mal, de manière un peu pathétique mais surtout burlesque, de retrouver la gravité et une capacité d’élévation. Jean-Max Colard Rumba & baba au rhum exposition collective dans laquelle une œuvre de Rachel Harrison est présentée (avec Armleder, Closky, Picabia et Steinbach), jusqu’au 2 février à la galerie Laurent Godin, 5, rue du GrenierSaint-Lazare, Paris IIIe, www.laurentgodin.com

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Carné de tous bords Réalisateur prolifique – des jeux aux talk-shows, des télécrochets aux débats politiques –, Tristan Carné séduit les chaînes et les producteurs avec son regard attentif à la scénographie et aux ambiances de plateau.

 A

ssis face au mur d’écrans d’un car-régie de La Plaine Saint-Denis, entouré d’une dizaine d’assistants et de sa scripte agitée, Tristan Carné orchestre la réalisation de la seconde saison de The Voice, bientôt diffusée sur TF1. Le regard fixé sur chaque partie du plateau, où les candidats donnent de la voix face à un jury qui leur tourne le dos, il parle à la quinzaine de caméramen répartis dans chaque coin de la scène : son rôle consiste à donner du rythme au jeu, à saisir les détails d’un moment éphémère, à capter un regard ou un geste, à serrer un plan pour l’élargir dix secondes après. Concentré et relâché à la fois, il est celui qui, dans l’ombre, fait d’une simple émission de télécrochet un vrai spectacle télévisuel, comme il sut déjà le faire avec Nouvelle star sur M6. Il y a dix jours, c’est lui qui réalisait, dans un style plus guindé, la conférence de presse de François Hollande à l’Élysée (il avait déjà filmé son meeting du Bourget

et son intronisation officielle en mai) : un genre ritualisé qu’il renouvela en filmant en plan-séquence l’entrée du Président débarquant avec solennité dans la salle et en créant un effet en trompe l’œil derrière lui pour donner l’impression d’une profondeur de champ. C’est à cette organisation d’un espace, à ces choix de découpages de plans, de placement des caméras, de lumières, de distances entre les gens sur un plateau, à cette capacité à incarner un moment de l’histoire cathodique ou politique que tient la nature du travail d’un réalisateur de télévision. Un métier mal connu du grand public, comparé aux réalisateurs de fictions ou de documentaires. L’émission de flux – variétés, talk-shows, débats, jeux… – invite moins à l’admiration évidente des téléspectateurs. Pourtant, l’intérêt qu’ils ont pour un programme est souvent lié au soin, fût-il indétectable en apparence, que le réalisateur y porte. De ce point de vue, “l’œuvre” de Tristan Carné est devenue une référence au sein

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au poste un sage au milieu d’une jungle d’ego surdimensionnés et d’anxieux patentés

de la petite famille de la télé. En charge d’une dizaine d’émissions, il est celui que tout le monde s’arrache, notamment parce qu’il circule aisément à travers tous les circuits et les genres. Variétés : Danse avec les stars, The Voice sur TF1 ; talk-shows : Le Grand Journal, Le Petit Journal, La Nouvelle Édition, sur Canal+, On n’est pas couché, Vous trouvez ça normal ?! sur France 2 ; émissions de débats politiques : Mots croisés sur France 2, C politique sur France 5 ; émissions culturelles : Grand public sur France 2 ; jeux : Tout le monde veut prendre sa place sur France 2 toujours… Son éclectisme constitue un premier signe distinctif. D’un jeu à un débat, un plateau télé reste toujours pour lui un ouvroir de réalisation potentielle, une scène où toutes les idées se déclinent en fonction d’un projet éditorial. Il confirme son goût prononcé pour la préparation en amont de chaque émission : “Je suis un projet dès sa conception, réfléchis à son organisation sur la durée. Je crois que si les producteurs m’aiment bien en général, c’est parce qu’ils se sentent accompagnés.” Comme Renaud Le Van Kim, auprès duquel il a appris son métier (ainsi qu’auprès de Jean-Louis Cap, Serge Khalfon ou Gérard Pullicino…), il se verrait bien devenir producteur : un cheminement logique lorsqu’on mesure l’énergie qu’il déploie dans un travail qui

excède le simple carcan technique. “Je gère aussi beaucoup les névroses monstrueuses des gens de télé”, reconnaît-il. Son calme apparent, sa manière assez posée et détendue d’affronter les défis d’une émission lui confèrent l’image d’un sage au milieu d’une jungle d’ego surdimensionnés et d’anxieux patentés. Il assure parce qu’il rassure. Tristan Carné a appris son métier sur le tas : les chantiers furent l’antichambre de son destin. Grâce à des petits boulots, il rencontra des réalisateurs avant de devenir assistant sur des émissions de Canal+, comme La Grande Famille ou Canaille peluche, puis de cinéastes comme Pascal Thomas ou Olivier Assayas (L’Eau froide). Le vrai moment de bascule reste sa première expérience comme réalisateur en chef de La Grosse Émission sur Comédie, en 1998. C’est là qu’il découvre le plaisir d’orchestrer un show par l’image. En 2000, il conçoit le projet d’un film produit cinq ans plus tard, Paris, je t’aime, succession de courts métrages réalisés par des cinéastes de renom (Gus Van Sant, les frères Coen…). Bien qu’intéressé par les œuvres de création, il s’en tient aujourd’hui aux plateaux de télévision. Ses personnages sont les héros et zozos de nos vies quotidiennes que la télévision met sur un piédestal parfois trop haut, ces anonymes aspirés par le régime du visible comme les personnalités publiques tenues par les lois de la médiatisation. Si la dimension artistique reste selon lui absente de son travail – “il ne faut simplement rien rater, c’est tout” –, elle se dévoile pourtant à l’écran, contredisant la croyance dominante dans le néant esthétique de la télévision de masse. Même s’il n’en revendique pas le statut, il y a dans le regard qu’il porte sur la totalité d’un plateau l’audace d’un vrai geste créatif : une attention permanente à ce qui se joue sous ses yeux, une capacité à incarner à l’écran l’épaisseur d’un moment dont il ne faut perdre aucune miette. Sa voracité et sa plasticité en ont fait l’un des maîtres d’œuvre incontestés des shows à la télé – qui, dans ses bras, se prend pour Yseult. Jean-Marie Durand photo Antoine Chesnais pour Les Inrockuptibles

feuilleton en continu Les reporters (im)mobilisés des chaînes d’info sont devenus les vrais héros de la télé. Jour après jour depuis ce fameux dimanche 18 novembre aux alentours de 23 heures – moment où la primaire de l’UMP a basculé dans la prime au n’importe quoi –, on les regarde avec circonspection et empathie : les reporters des chaînes d’info en continu mobilisés sur le front de la guerre à l’UMP, rue Vaugirard dans le XVe régiment de Paris. Ils sont devenus nos compagnons de route d’un quotidien perdu entre le vide politique et le plein dramaturgique. De Julien Arnaud d’I-Télé, géant des arcanes politiciens, à cette jeune journaliste de BFM TV, placide et guillerette…, les soutiers de l’info éternelle réussissent un geste technique vertigineux : prendre le micro tous les quarts d’heure pour commenter in situ les mouvements d’un sinistre bal de prétendants. Après d’autres exploits ces derniers mois, comme la prise d’otages à Toulouse, ces modèles de reporters spécialistes de l’immobilité (debout devant un décor mystérieux, nourris d’infos que certains – qui ? – leur soufflent dans le dos) sont les vrais héros télé de l’année. Devant cette inventivité-là, le reproche souvent fait aux chaînes de ne plus savoir créer de vrais personnages de fiction tombe de lui-même. Par cette culture du remplissage, du “covering live”, la télé réactive le modèle du feuilleton, fondé sur des règles immuables : des récitants (les reporters), des acteurs souvent méchants et vicieux (les chefs de l’UMP, Mohamed Merah…), du suspense (comment va-t-on sortir de cette impasse ?). Plutôt que de livrer une information constituée, ces reporters sont priés d’en imaginer les possibles contours à venir : ce n’est plus le journalisme qui guide la quête d’information mais la pseudo-information qui gouverne le journalisme télé, spectacle asphyxiant d’une course à l’abîme. 

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Dans le numéro en kiosque, un reportage sur les Love Commandos en Inde

le temps de grandir Près d’un an après son lancement, le magazine Neon a inventé un ton neuf et énergique pour parler des vies agitées des 25-35 ans. Ni trop sérieux, ni trop futile, il rebooste la presse pour postado.

O

n est sérieux quand on a 27 ans : sérieux mais tout autant allumé, comme si l’un pouvait aussi être la condition de l’autre. La baseline du magazine Neon, à travers un oxymore – “Soyons sérieux, restons allumés !” –, joue avec cette promesse d’ouverture à la contradiction : son lectorat de jeunes trentenaires a saisi son enjeu enjoué depuis le premier numéro lancé au printemps 2012. Beaucoup des 2535 ans ont trouvé avec ce bimestriel décliné d’un format allemand (appartenant au groupe Prisma, Neon se vend à plus de 200 000 exemplaires en Allemagne depuis 2003 !) un journal à leur image, à la mesure de leurs préoccupations, de leurs

la ligne éditoriale s’est affirmée, enrichie, musclée, comme un corps d’adolescent atteignant une certaine maturité

soucis, de leurs pratiques sociales et culturelles, de leurs rêves indéfinis. Un journal pour adulescents – ces ados engagés sur la voie rapide de l’âge adulte, mais avec le pied encore posé sur le frein – que le slogan du titre évoque explicitement en Allemagne : “Parce qu’il est temps de grandir.” Avant de ressembler aux personnages des films de Judd Apatow – les quadras remués, tombant du haut de leurs illusions –, les trentenaires ont encore envie de croire que tout est possible, notamment en amour. Le premier numéro de Neon – “L’amour, là, tout de suite” – saluait déjà l’allégresse des coups de foudre ; le numéro 5, actuellement en kiosque, se penche sur la vie conjugale sous le même toit (“Prêts pour vivre ensemble ?”) : il n’a pas fallu un an pour qu’on passe de l’élan pulsionnel à la raison domestique ! Entre les deux, le magazine s’est intéressé

aux deux autres obsessions des trentenaires : les amis (“C’est quoi, être amis ?”) et le boulot (“Jusqu’où aller pour ton job ?”). Liens amoureux, amicaux et professionnels : tout ce qui rattache cette génération aux premiers pas dans la vie adulte, décisifs mais incertains, s’incarne dans le magazine. Circulant entre ces points de repère, qui fonctionnent à la fois comme un mirage et un piège possible, les articles dessinent un visage assez juste de cette génération. Les dix journalistes de la rédaction, ayant l’âge de leurs lecteurs, partagent avec eux des codes culturels et des manières d’appréhender leur époque. Fixé sur ces motifs récurrents – amour, amitié, boulot –, le magazine s’exposait au risque d’un journalisme un peu neuneu, prisonnier des formats imposés par les modèles de presse dominants (entre la psycho pour les nuls et l’éloge du vide). Or, le journal a

inventé un ton assez neuf dans la manière de parler à cette jeunesse étudiante en fin de parcours, prête à s’émanciper de sa condition, curieuse du monde, ultraconnectée, mixte, plutôt consommatrice de presse culturelle et féminine par ailleurs. “Ce qu’on privilégie, ce sont les partages d’expériences et les conseils, mais en évitant toujours un regard moraliste, explique Philippe Bordes, qui coordonne la rédaction. Nos lecteurs ne veulent pas d’un journal branché prescripteur, ni d’un journal prise de tête.” Bâti sur cet édifice d’un monde de jeunes à éclairer, la ligne éditoriale de Neon s’est tout au long de l’année affirmée, enrichie, musclée, comme un corps d’adolescent atteignant une certaine maturité. Les angles des sujets, la variété de leurs tons et de leurs formats, entre analyse et fantaisie, savoir pratique et savoirs inutiles, donnent une vraie personnalité au journal, organisé en séquences thématiques (partager, voir, ressentir, connaître, avoir, respirer). La diffusion du bimestriel tourne aujourd’hui autour des 60 000 exemplaires : le bouche-à-oreille positif pourrait les booster encore un peu, de quoi passer en mensuel, en début d’année prochaine, peut-être. Les trentenaires égarés en sauront gré. Jean-Marie Durand

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Lars Skree

du 5 au 11 décembre

Armadillo – Dans le piège afghan

les frustrés Une enquête fait le lien entre déceptions post-Printemps arabe, montée des intégrismes, et violence envers les femmes.

E

t si l’une des raisons des violences de l’islam radical était la frustration sexuelle des hommes musulmans ? C’est l’une des thèses de cette enquête de Paul Moreira, Sexe, salafistes et Printemps arabes, menée en Égypte et en Tunisie, deux foyers ardents du Printemps arabe où, si la société et la vie quotidienne se sont en partie assouplies, les archaïsmes ont la peau dure. Dans les années 60, on voyait en Égypte des femmes en minijupes dans les rues – tout comme en Iran ou en Afghanistan. Aujourd’hui, le port du voile s’est généralisé. Il y a même une chaîne de télévision animée exclusivement par des femmes en niqab (voile intégral). Belphégor TV ? Cela n’empêche pas les Tunisiennes et Égyptiennes d’être harcelées sexuellement. Une fiction récente, Les Femmes du bus 678, évoquait le sujet. On a commencé à parler du phénomène après des viols de journalistes occidentales en Égypte. En réaction à cette situation, une jeune Égyptienne s’est exhibée nue sur internet, provoquant la stupeur dans son pays (elle a dû s’exiler) ; en Occident, les Femen ont soutenu son combat… Pendant ce temps, on parle de relégaliser l’excision en Égypte, dont on ignorait qu’elle fût si répandue dans le monde arabe. Le grand intérêt de l’enquête de Moreira est de faire de ces questions des épiphénomènes de l’inquiétante montée en puissance des musulmans intégristes en Tunisie et en Égypte, et notamment les salafistes, qui sapent lentement mais sûrement les îlots de laïcité subsistant dans ces deux pays. Cette régression sociale participe du désenchantement démocratique diffus, après les grandes illusions dont le Printemps arabe fut porteur.

Vincent Ostria Sexe, salafistes et Printemps arabe documentaire de Paul Moreira. Lundi 10, 22 h 45, Canal+

Mekong Hotel documentaire d’Apichatpong Weerasethakul. Lundi 10, 23 h 55, Arte

Entre réel et rêve, vie et mort : sublime. Comme tous les films de Weerasethakul (Palme d’or 2010 avec Oncle Boonmee), Mekong Hotel se situe aux frontières de différents éléments, symboliques ou matériels : géographiquement – un hôtel colonial désuet à la limite de la Thaïlande et du Laos, concrétisée par le Mékong –, mais aussi formellement – entre documentaire et fiction, répétition et tournage d’un long métrage à venir. Comme toujours chez le Thaïlandais, les frontières entre réel et onirisme, vivants et morts, entre putréfaction et sexualité sont perméables. Baigné d’un air de guitare qui ne s’arrête jamais, le film vogue avec langueur au rythme du Mékong, créant une atmosphère propice à la rêverie. Mekong Hotel dure une heure, il aurait pu durer dix minutes ou cent vingt-trois heures. Un film modeste et ténu en apparence, et pourtant sublime. Jean-Baptiste Morain

Le conflit afghan filmé in situ. Un contingent de jeunes Danois part en Afghanistan rejoindre la coalition occidentale qui traque les insaisissables talibans. Janus Metz le suit à la trace. Mais son documentaire, Armadillo, est scénarisé, filmé (teintes verdâtres, effets divers), et mis en musique. Il y a des chapitres, des crescendos, des temps morts, des montées de tension aux moments clés (l’embuscade où ils atomisent cinq talibans). N’y manque même pas le trombinoscope final sur le mode : que sont-ils devenus ? Si le film démontre l’absurdité du conflit en Afghanistan, il le fait avec flonflons et trémolos. Pour voir un travail documentaire beaucoup plus brut et direct sur le même sujet, se reporter à Hell and Back Again de Danfung Dennis. V. O.

Gouhier-Guibbaud/Abacapress.com/D8

Premières Lignes

documentaire de Janus Metz. Mercredi 5, 20 h 50, Arte

Nouvelle star Mardi 11, 20 h 50, D8

Retour avec jury modifié et, surtout, nouvel animateur. Disparue il y a trois ans dans l’usure de sa formule un peu à bout de course (et de talents, après le sacre de Julien Doré en 2007), la Nouvelle star ressuscite par la grâce de la naissance de D8. Le jury a été reconstitué. Aux côtés de l’ancien André Manoukian et de l’habitué Sinclair, deux novices prennent place : Maurane et Olivier Bas, qui semblent avoir vite acquis les règles de l’intraitable évaluation des voix aspirant à la renommée. Mais la vraie vedette de cette Nouvelle star version D8 pourrait être la nouvelle coqueluche parmi les animateurs survoltés, Cyril Hanouna. Loin de la délicate attention que portait autrefois Virginie Efira aux candidats, il devrait, lui, agiter les fichus chanteurs en herbe. Jean-Marie Durand

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la revanche des geeks

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Julie Lefort

Dernière série avant la fin du monde

Un bar parisien, qui fédère les “fans des nouvelles technologies” illustres ou inconnus, lance une websérie.

 D

epuis son ouverture officielle en août à Paris, le Dernier Bar Avant la Fin du Monde a fait le buzz auprès de la communauté geek francophone, mais aussi à l’étranger. Classé “bar le plus geek du monde”, lieu de rendez-vous privilégié des événements en rapport avec les cultures de l’imaginaire, il traîne déjà un long curriculum geekae. Son dernier coup ? Réaliser une websérie, Dernière série avant la fin du monde, faite par et pour des geeks qui veulent confier le pouvoir à ceux qui étaient pointés du doigt il n’y a pas si longtemps et qui prennent de plus en plus d’importance au sein de la société. Dans les sept épisodes diffusés sur le site GoldenMoustache.com à partir du 3 décembre, le réalisateur Damien Maric met en scène trois antihéros emblématiques de la culture geek, qui devront faire face à différents scénarios de fin du monde : Hoagie (Thibaud Villanova), le fan de séries télé, Laverne

(Dorothée Girot), l’adepte de MMORPG (jeux en ligne multijoueur) et Bernard (Hervé Terrisse), le rôliste. Mise à part la quantité impressionnante de références à la culture geek, c’est la présence des guests qui crée l’événement. Dernière série avant la fin du monde rassemble en effet nombre de personnalités qui fédèrent la communauté geek d’hier et d’aujourd’hui. Tous sont venus donner un coup de pouce de façon bénévole, sans trop savoir ce qui les attendait sur le tournage. Car après tout, ce qui importe, c’est qu’un tel projet existe. Et que la vérité éclate enfin : les geeks gouvernent déjà le monde, et pas seulement dans la fiction. “Le geek est quelqu’un qui vit avec son époque. Ce sont ceux qui ne sont pas geeks qui sont en retard. Ce n’est pas pour rien que des Bill Gates ou des Steve Jobs, ces gens qui ont le pouvoir, sont les nouveaux joueurs du monde moderne. Ils sont potentiellement les nouveaux maîtres du monde”, explique Bernard Werber, l’auteur

de la trilogie des Fourmis, un des invités de la websérie. “Moi, la fin du monde, je la vois plutôt intellectuelle. Il y a trop de gens qui sont abrutis”, ironise John Lang, alias Pen of Chaos, le créateur de la saga MP3 Le Donjon de Naheulbeuk, également présent sur le tournage. “Il faut lutter pour promouvoir toutes les cultures underground, parce que ce sont des cultures qui font réfléchir les gens”, reprend-il avec sérieux. Une opinion que partage Bernard Werber : “Le problème, c’est quand vous regardez les actualités le soir et qu’on vous dit : ‘Ça, c’est la vérité.’ Les geeks sont quelque part les seuls à être dans le vrai, parce qu’ils savent qu’on est dans l’imaginaire.” Si le geek est l’avenir de l’homme, c’est donc qu’il est le seul capable de sortir de la matrice. Alexandra Caussard Dernier Bar Avant la Fin du Monde dernierbar.com Dernière série avant la fin du monde en ligne sur www.goldenmoustache.com

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livre Stasiland d’Anna Funder Les parcours croisés d’individus ayant vécu en RDA et victimes de la Stasi. Un livre très moderne, en phase avec notre quotidien où voyeurisme, respect de la vie privée et droits fondamentaux sont encore, dans des décors différents, au cœur des débats de société.

album

L’Âge atomique d’Héléna Klotz Deux adolescents dans la nuit parisienne pour une virée mi-festive, mi-mélancolique. Premier film d’une voix singulière.

Madness Oui Oui Si Si Ja Ja Da Da Les vétérans de Madness prolongent sur un nouvel album pétulant leur chronique douce-amère de la société britannique.

Nancy Fraser Le Féminisme en mouvements ; Qu’est-ce que la justice sociale ? Deux essais d’une théoricienne majeure du féminisme américain.

>> de Beak> Menée par Geoff Barrow de Portishead, leur musique propose une relecture intelligente d’un krautrock progressif enregistré en live. Si ce disque minimaliste peut paraître vide sur la forme, il sonne au contraire plein, rempli de vie.

film Incendies de Denis Villeneuve Un film canadien qui raconte l’histoire d’un drame familial au dénouement incroyable sur fond de conflit religieux. L’actrice Lubna Azabal, découverte dans Exils de Tony Gatlif, y est extraordinaire. recueilli par Noémie Lecoq

Les Invisibles de Sébastien Lifshitz Beau récit documentaire de trajets de vie d’hommes et de femmes gays d’âge mûr.

Les Lignes de Wellington de Valeria Sarmiento Un projet de Raúl Ruiz dans la lignée de Mystères de Lisbonne, porté à l’écran par celle qui partageait sa vie.

En concert le 6 décembre à Annecy, le 7 à Marseille, le 8 à Saint-Jean-deVédas, le 13 à Nantes, le 14 à Rennes, le 15 à Alençon, le 21 à Marne-la-Vallée. Leur premier album, Be Your Own King, est disponible.

Melody’s Echo Chamber Melody’s Echo Chamber Avec un album psyché, la Française touche la félicité du doigt.

Bill Clegg 90 jours Ancien accro au crack, le New-Yorkais nous enfièvre avec le vrai-faux récit de sa guérison. Tout(e) Varda L’univers de la réalisatrice, photographe et plasticienne à (re)découvrir grâce au coffret de l’intégrale de ses films.

Concrete Knives

Barbara Barbara, une femme qui chante Une riche anthologie se souvient de la grammaire fantasque de la longue dame brune.

Lana Del Rey Born to Die – “The Paradise Edition” Un véritable nouvel album, riche et langoureux.

Mad Men saison 5, Canal+ Don Drapper revient pour une saison moins appréciée que les précédentes mais tout de même captivante. Friends intégrale Blu-ray La sitcom générationnelle, avec bonus. Un événement. Les Revenants saison 1, Canal+ Une œuvre à la hauteur des séries américaines.

Salman Rushdie Joseph Anton Rushdie raconte comment il a vécu sa condamnation à mort par Khomeiny.

Nathalie Quintane Crâne chaud Pour parler de sexe et de politique, l’écrivaine se place sous l’égide de Brigitte Lahaie, l’ex-star du X.

La Confrérie des cartoonists… de Seth La saga d’un âge d’or rêvé de la BD canadienne, déployée avec humour et poésie.

La Vie secrète des jeunes t. 3 de Riad Sattouf Sattouf scrute les comportements bancals de tout un chacun. Rires et malaise.

Moi René Tardi… de Tardi Le dessinateur sur les traces de son père, soldat enragé en 1940.

Le Retour d’Harold Pinter, mise en scène Luc Bondy Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris Bondy fait entrer les bas-fonds londoniens dans le théâtre à l’italienne de l’Odéon.

Macbeth de Shakespeare, mise en scène Johan Simons Comédie de Reims Une vision à la fois rude et subtile qui rend compte de la violence du héros shakespearien. Un Macbeth saignant.

Médée de Cherubini, mise en scène Krzysztof Warlikowski Théâtre des Champs-Élysées, Paris Une tragédie contemporaine portée à l’incandescence par Nadja Michael.

Édouard Levé MAC de Marseille (13) La première rétrospective consacrée à l’œuvre d’Édouard Levé. Visionnaire et universel.

Akram Zaatari Le Magasin, Grenoble (38) Carte blanche au Libanais, qui plonge dans les archives de la guerre et réalise une archéologie au présent.

Bojan Sarcevic Institut d’art contemporain de Villeurbanne (69) L’œuvre fragile et poétique d’un sculpteur en état de grâce.

ZombiU sur Wii U Sombre et brutal, ZombiU détonne parmi les jeux de lancement de la Wii U.

Skylanders Giants sur PS3, Xbox 360 À la frontière du genre vidéoludique. Grisant.

Assassin’s Creed III sur PS3 et Xbox 360 Place à la guerre d’Indépendance américaine pour cette troisième aventure. Sans reniement ni rupture avec le fantasme du jeu total.

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par Serge Kaganski

octobre 1994

le jour où j’ai refait le cinéma avec

Quentin Tarantino

C  

haque semaine dans cette page, on essaie de lever un pan des coulisses de la fabrique des Inrocks, de raconter un souvenir hors champ du journal, une impression ou une anecdote liée à l’épisode raconté mais qui ne fut pas imprimée à l’époque. Paradoxalement, Tarantino se prête mal à cet exercice. Pourtant, l’auteur de Jackie Brown est un moulin à tchatche, un prolixe du verbe qui ferait passer n’importe quel bateleur télévisuel pour un taiseux à la Eastwood. Mais justement, la faconde tarantinienne efface les frontières entre champ et hors champ, in et off, légende et réalité, artiste et œuvre. “Couènetine” incarne tellement son travail qu’il semble directement prélevé de l’un de ses films, que le rencontrer, c’est déjà être dans son cinéma, si bien que les arrière-cuisines d’un entretien avec lui diffèrent peu de l’entretien lui-même. Quand Samuel Blumenfeld et moi le faisons passer à table à l’automne 1994, Tarantino est encore en début de carrière mais déjà une superstar : il a fait une entrée fracassante en cinéma avec Reservoir Dogs en 1992 et décroché la Palme d’or à Cannes cinq mois plus tôt pour Pulp Fiction. L’un des sujets majeurs de ses films étant le cinéma, nous avons l’idée de faire une interview “monsieur cinéma”, le faisant réagir sur un florilège de titres divers, de Rashômon à Superfly, d’Antonioni à Godard, des classiques de cinémathèque aux fleurons du cinéma bis. Cet angle assez évident tape dans le mille : Quentin adore causer cinoche

et met le feu à notre enregistreur pendant deux heures. Dans la grande tradition cinéphage, il analyse, raconte, digresse, invente des théories à s’en rompre les cordes vocales. Il compare Godard à Dylan, se remémore comment il a découvert les premiers films de John Woo à Chinatown, décrypte le sous-texte homo de Top Gun… C’est du caviar à lire, mais il est difficile de transcrire sur la page le timbre électrique de la voix tarantinienne, son débit affolant, son phrasé jouissif, sa gestuelle de pur performeur, sa passion incandescente, sa camaraderie cash et sans chichis. Tarantino sur papier, c’est excitant, en direct live, c’est dément : un spectacle en soi pour lequel on serait presque prêt à payer, un flow et un show dignes de la street culture noire américaine au milieu de laquelle il a grandi dans la south bay de L. A. De quoi faire une belle couve signée Renaud Monfourny pour ce numéro 60. J’ai souvent recroisé Tarantino. À chaque nouveau film, il était plus célèbre, plus enrobé, alors que mon temps d’antenne avec lui rétrécissait. Mais il brûlait toujours du même désir de cinéma, de pop culture, de parole, d’humour, d’échange avec le journaliste. Et restait ouvert aux facéties, comme se faire prendre en photo par Patrick Messina sous sa douche. Quentin Tarantino est l’un des cinéastes les plus stimulants des vingt dernières années mais aussi une carnassière bête médiatique. Le rencontrer est la double assurance tous risques de passer un bon moment et de faire un bon papier. À chaque fois, “Quentin m’a tuer”.

Du Tarantino à déguster à la petite cuillère dans le numéro 60

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