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No.867 du 11 au 17 juillet 2012

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Lou Doillon

renaissance rock

économie alternative

Allemagne 5,10 € - Belgique 4,50 € - Canada 7,00 CAD - DOM 5,80 € - Espagne 4,80 € - Grande-Bretagne 5,20 GBP - Grèce 4,80 € - Maurice Ile 6,50 € - Italie 4,80 € - Liban 12 500 LBP - Luxembourg 4,50 € - Portugal 4,80 € - Suède 56 SEK - Suisse 7,50 CHF - TOM 950 CFP Allema

www.lesinrocks.com

´es pour des ide sortir de la crise

Avignon

la relève

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j’ai écouté du bon rock avec

Russell Brand

“une médium m’a dit que le fantôme de Marc Bolan était mon guide spirituel. C’est bien vu, non ?”

David James



h wonderful, je crois que Russell va adorer ça !”, nous confie, dans le couloir de l’hôtel londonien où nous attendons notre tour pour interviewer Russell Brand, une dame d’un certain âge que nous prenons d’abord pour son attachée de presse – elle se révélera être sa maman. Ce que son fiston, donc, risque d’apprécier, c’est une interview en forme de blind-test que nous lui avons concoctée pour la sortie de Rock Forever, où il joue un petit rôle d’organisateur de concerts. Après Sans Sarah, rien ne va ! et American Trip, le voilà à nouveau dans un film qui tourne autour de la musique ; et si celui-ci célèbre le gros rock qui tache, c’est sur des morceaux de gourmet que nous avons décidé de l’interroger. La règle est simple : une chanson, une anecdote. C’est parti, avec Les Kinks, All Day and All of the Night. “Bon choix : j’adore les Kinks. C’est du rock de banlieue qui raconte la vie banale avec plein d’humour. Avec mes potes, dans mon Essex natal, on chantait cette chanson à tue-tête, en fumant de l’herbe dans une voiture. C’est bizarre, ça me rappelle aussi une histoire avec mon pote Davis, qui s’était fait gauler par sa mère avec cinq filles au lit. Cinq filles, putain ! A 16 ans ! T’imagines ?” Pas trop, non, mais ça ne nous empêche pas de passer à la chanson suivante : T. Rex, 20th Century Boy. “Bolan et Bowie ont précédé le genre de musique qu’on entend dans Rock Forever. C’est ce qui résonne le plus en moi. Un jour, une médium m’a dit que le fantôme de Marc Bolan était mon guide spirituel. C’est bien vu, non ? Sauf que tout le monde sait que les médiums disent aux gens ce qu’ils veulent entendre : ce jour-là, je portais un manteau en fourrure, torse nu, avec un chapelet et une bouteille de vodka à la main – forcément…” On enchaîne avec Nirvana, qui inspire moyennement notre homme. On songe alors à lui passer un morceau de son ex, Katy Perry (ou à lui demander “c’était quoi vos teenage dreams ?”), mais ce serait un coup bas – pas notre genre, et de toute façon, maman Brand veille derrière la porte, prête à bondir. Ce sera finalement I’ve Told Every Little Star de Linda Scott, un standard easy-listening qu’on entend dans Mulholland Drive de David Lynch, quand le réalisateur,

joué par Justin Theroux, auditionne des actrices. Pourquoi ? Parce que le premier est, paraît-il, un de ses amis, tandis que le second a écrit le scénario de Rock Forever. “Je connais David grâce à la méditation transcendantale et on est devenus très potes. L’autre jour, il m’appelle et me dit (il imite la voix de Lynch – ndlr) : ‘Hey Russell, y a des colibris dans mon jardin… Et je communique avec eux tu sais… je fais un son et ils me comprennent…’ Il me rappelle une heure après, et j’entends à sa voix qu’il est déçu : ‘Russell, c’est David. Je viens de passer au studio, et tu sais quoi ? Mon pote Gene m’a dit que les colibris avaient l’instinct territorial… ça veut dire que ce qu’ils essayaient de me dire c’était probablement ‘Barre-toi !’” Avant de confier Russell à sa maman, un petit Smiths, Asleep. “C’est ma chanson préférée des Smiths, nous dit-il, visiblement ému. Ça me rappelle l’époque où j’étais accro à l’héroïne et où je vivais dans un appartement au-dessus de mes moyens. Ma copine d’alors venait de me plaquer et je me retrouvais là, comme un con, dans un appart vide, le loyer pas payé depuis des mois, à écouter cette chanson en fumant de l’héro. Et je vois encore les larmes glisser sur le petit tas de poudre devant moi… Morrissey n’aurait pas imaginé meilleure anecdote, non ? Je demanderai à ce qu’ils la passent à mon enterrement, tiens.” Jacky Goldberg Rock Forever d’Adam Shankman, lire page 72

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No.867 du 11 au 17 juillet 2012 couverture Lou Doillon par Benni Valsson

03 quoi encore ? Russell Brand

12 on discute édito de Bernard Zekri et MAB

14 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

16 on décrypte Serge July, sens dessus dessous ; l’ère de rien ; le mot

18 événement 20 la courbe ça va, ça vient ; billet dur

21 nouvelle tête

Benni Valsson

entretien avec Sadou Diallo, maire de Gao au Mali

30

Aurélien Bellanger

22 ici la longue marche des sans-papiers

39

24 ailleurs l’école de police de Jéricho

26 parts de marché le Parlement européen rejette l’accord commercial anticontrefaçon

Arnaud Roine / AFP

28 à la loupe Balotelli, un Italiano vero

30 quand on parle de Lou

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“La raison aurait voulu que je devienne plombier.” Rencontre avec Lou Doillon, qui sort un album à la rentrée

39 Hollande et Ayrault l’exécutif face à sa gauche le nouveau rôle des activistes

44 Gilles Carrez entretien avec le nouveau président de la Commission des finances de l’Assemblée

François Perri/RÉA

42 agit-prop

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46 touchés par la crise économistes ou militants, ils offrent aux dirigeants leur regard d’experts

54 Gina Carano, punching belle Alexandre Guirkinger

dans le nouveau Soderbergh, elle botte le cul des meilleurs acteurs d’Hollywood

56 des ponts à Avignon rencontre avec Adèle Haenel et Nicolas Maury, entre théâtre et cinéma il s’appelle Gesaffelstein, a le teint pâle et un goût prononcé pour l’electro martiale

64 plages mythiques (2/6) à Ipanema, une bimbo balance ses hanches. Bientôt une chanson mythique

118 une BD en avant-première découvrez La Grande Odalisque de Bastien Vivès et Ruppert & Mulot

John Maier Jr./The Image Works/Roger-Viollet

62 le prince dark de la techno

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68 Piégée de Steven Soderbergh

70 sorties Les Kaïra, Les Enfants de Belle Ville, Rock Forever, Kill List…

74 interview Al Ruban raconte John Cassavetes

76 dvd La Porte du diable d’Anthony Mann

78 Gravity Rush + Lollipop Chainsaw…

80 Dirty Projectors moins barré mais toujours fascinant

82 mur du son Arctic Monkeys, Staff Benda Bilili…

83 interview Animal Collective

84 festivals Essaouira, plus qu’un sanctuaire

85 chroniques Actress, Bobby Womack, Rozi Plain, Jonathan Boulet, Tiny Ruins…

90 morceaux choisis Juveniles, Lil B, Bow Low…

91 concerts + aftershow Les Eurockéennes

92 spécial été : summer of love l’été, ça nous obsède : tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’amour sans jamais oser le demander…

99 bd Shelley + Les Chroniques mauves

100 Montpellier Danse + Week-End international à la Cité

102 série “summer camps” 2/5 Le Vent des forêts

104 où est le cool cette semaine ? dans les T-shirts April 77/Noise...

106 footballeurs d’exception portraits de joueurs engagés

108 Sunny Side of the Doc quel avenir pour le documentaire ?

109 réalité augmentée quand le virtuel invente le réel

110 le fan-club numérique un lien direct entre artistes et fans

112 séries au secours, Charlie Sheen revient

114 programme TV Hollywood usine à rêves

116 la revue du web sélection

117 vu du net le pouvoir d’achat

122 best-of le meilleur des dernières semaines

les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34 rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Hélène Fontanaud, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène, David Doucet, Geoffrey Le Guilcher idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot cahier villes Alain Dreyfus collaborateurs E. Barnett, R. Blondeau, C. Boinet, M.-A. Bruneau, M.-A. Burnier, B. Catanese, M. Despratx, A. Dubois, V. Ferrané, J. Goldberg, A. Guirkinger, E. Higuinen, O. Joyard, M. Judith, B. Juffin, A. Landivier, L. Laporte, N. Lecoq, T. Legrand, R. Lejeune, H. Le Tanneur, L. Mercadet, B. Mialot, P. Noisette, V. Ostria, E. Philippe, A. Ropert, L. Siegel, S. Trelcat, B. Valsson, A. Vicente, C. Vigogne lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel, Azzedine Fall éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares vidéo Basile Lemaire graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Luana Mayerau publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél 01 42 44 18 12 coordinatrice Sarah Hami tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 15 31 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 00 13 directeur et directrices de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 Isabelle Albohair tél.  01 42 44 16 69 Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web Chloé Aron tél. 01 42 44 19 98 coordinatrice Lizanne Danan tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 assistante Sarah Carrier tél. 01 42 44 15 68 marketing, promotion directrice du développement Caroline Cesbron promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/rp Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 chef de projet Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 assistante promotion marketing Yasmine Nick Belkhodja tél. 01 42 44 16 68 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement HAPY PARIS les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19 infos 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement France 1 an : 115 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 3 579 352,38 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse assistante Valérie Imbert directeur général adjoint Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Sonia Pied administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2012 directeur de la publication Matthieu Pigasse © les inrockuptibles 2012 tous droits de reproduction réservés

ce numéro comporte un encart abonnement 2 pages “Edition générale” jeté dans l’édition vente au numéro ; un CD “La Bande-son de l’été 2012” encarté dans toute l’édition ; un supplément de 16 pages “Inrocks IN, terrasses avec vue” dans l’édition abonnés France et l’édition vente au numéro kiosque France ; un programme de 24 pages “Route du rock” jeté dans l’édition abonnés et l’édition kiosque des départements Paris-Ile-de-France, 14, 17, 22, 29, 35, 44, 49, 50, 53, 56, 72, 85 et 86.

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l’édito

crimes contre l’humanité A quoi sert l’Unesco ? Au nord du Mali, des islamistes fous détruisent la porte sacrée de la mosquée Sidi Yahia, qui devait rester fermée jusqu’à la fin du monde. Ils s’en prennent aux admirables mausolées de la ville, ces pyramides effilées de terre et de bois, symbole d’une cité interdite et mythique des XIIe et XIIIe siècles et que l’Occident ébloui a découvertes il y a moins de deux cents ans. Des dizaines de milliers de manuscrits, une grande part de la mémoire de l’Afrique risquent eux aussi de disparaître dans le feu et la haine des intégristes. C’est un gros morceau d’humanité qui s’en va. Par malheur, ces fanatiques de la destruction n’ont rien d’original. Laissons tomber les barbares préhistoriques. On peut remonter à Alexandre le Grand brûlant Persépolis et ses splendeurs, à Alaric ravageant la Rome impériale, aux iconoclastes ou aux Francs détruisant avec système l’art byzantin, aux Espagnols et Portugais brisant idoles et palais en Amérique du Sud, et des civilisations entières avec eux. On peut y ajouter des anabaptistes dérangés et des catholiques agressifs, plus la Révolution française, l’une des plus vandales, avant la révolution bolchévique de 1917 et le maoïsme des années 60. Et les Américains en Irak qui saccagèrent par sottise les vestiges d’Ur. Ces précédents tragiques n’excusent rien. Est-ce une raison pour redoubler avec retard d’une frénésie religieuse et destructrice ? En même temps, en Libye, en Egypte, des rapaces ravagent les sites archéologiques, piochant au hasard pour trouver un or inexistant dans les murs de brique sèche, deux ou trois mille ans de notre histoire qui partent en poussière. Bien sûr, il faut compter sur l’amour du pillage, du lucre et l’indifférence des incultes. Mais dans le cas de Tombouctou comme dans le massacre des bouddhas de Bamyan il y a onze ans en Afghanistan, il y a comme une haine hystérique de l’œuvre d’art, et donc de l’homme. Comment comprendre ? Voilà dix ans, l’élection de miss Monde devait se tenir au Nigéria. Blasphème, blasphème !, s’écrièrent les plus extrémistes des mahométans. Et d’attaquer bien sûr tout ce qui ne relevait pas de leur croyance, massacrant les chrétiens, brûlant les églises. La foule furieuse criait “Allah Akbar” mais surtout une autre phrase, une phrase extraordinaire. Elle criait : “A bas la beauté !” On avait déjà tout entendu dans l’histoire des hommes, y compris le “Vive la mort !” des fascistes espagnols. Mais “A bas la beauté !”, personne n’avait encore osé glapir cela. On retrouve cet affreux sentiment chez les doctrinaires de Tombouctou. A quand “Vive la laideur !” ?

Bernard Zekri, MAB

En une des @lesinrocks : #baroin s’est coiffé avec un peigne à 5 doigts ? Faire jeune : oui mais quand même… méchamment twitté par Abeillebz spéculation Je me mate confortablement la saison 4 de Californication, où l’on retrouve le personnage de Hank Moody, clochard céleste à la répartie légendaire, adepte de la “poésie déshabillée”, alcoolique et envapé notoire… Encore et toujours fidèle à ses écarts de conduite durant cette saison, Hank Moody porte très haut l’usage de la rhétorique amoureuse, accorde une place de choix au regard-parole, à la jouissance orale au sein de ses relations avec les femmes. Hank a toujours le truc, son baratin est plus scandaleux et intime qu’une partie de jambes en l’air. Californication, comme le nom l’indique, c’est aussi un fabuleux lexique autour du “membre turgescent” (le sien surtout) : “Boys are boys and girls are choice” (The Monks) entend-on dans une scène : “Boys are boys and girls are joys/To you and me they’re more than toys/Gonna find one so I won’t be lonely”. Baiser ou se défoncer : les deux évidemment ! Californication, c’est aussi, par transfert, se créer son propre épisode décadent et dévaler à pas d’heure Sunset Boulevard, à toute blinde dans la Porsche décapotée et éborgnée de Hank, ce “pénis sur roues” qui donne un côté bohème à son errance, en faisant semblant de se foutre de tout, ce qui consiste à tout faire péter et puis tant pis si on se plante pendant que L.A. Woman (le morceau) hurle en fond sonore et que notre héros porte une mignonnette de whisky à ses lèvres tout en appuyant sur l’accélérateur. Voilà une image flamboyante d’éternité rock’n’roll : car être le passager de Hank, c’est se voir offrir un point de vue désabusé, voire cynique, sur une cité revenue depuis longtemps de son rêve hippie, avec son cortège de parasites et de désillusionnés, de stars en devenir et de faussaires. Will the lion

rectification Merci pour ce joli best-of de la décennie trouvé dans ma boîte aux lettres. Les couleurs sont super (je suis moi-même en plein trip M & M’s) et elles s’accordent à merveille avec les serviettes en papier des pique-niques de l’été. Mais enfin monsieur Inrocks, Dominique A, tu l’as oublié exprès ou bien ? Je dis pas ça juste parce que je l’aime bien, monsieur A, mais vraiment je trouve ça chelou : tu mets Psykick Lyrikah (que j’aime tout autant et j’ai mes raisons) qui doit être bien content d’y être (mais quand même !), tu mets Miossec, Katerine,

Biolay, Daniel Darc et Alain Bashung, je partage tes goûts, là, mais tu mets pas Dominique A ! Faudra que tu m’expliques ça un jour. Ah, sinon : 1. Tu t’es trompé, tu as mis Florent Marchet à la place de Bertrand Belin (mais les gens se trompent souvent). 2. Je ne commente pas Dionysos (je comprends pas comment on peut faire du Dionysos en écoutant ce qu’il écoute, Malzieu, il a des goûts exquis !), ni Gaëtan Roussel (rien que de voir le titre, la chanson me scotche la caboche). Cécile

écrivez-nous à [email protected], lisez-vous sur http://blogs.lesinrocks.com/cestvousquiledites

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction

le moment

simply the Boss

Live à Bercy, Bruce Springsteen incarne toujours le rock, mais aussi le folk, la soul ou le gospel. Le Boss et son big (E Street) Band n’ont pas loupé leur double étape parisienne, transformant Bercy en club soul, en salle de dance, en cathédrale baptiste, en cratère fumant d’euphorie collective. Si on attendait fébrilement le concert du 4, fête nationale américaine oblige, c’est finalement la soirée du 5 qui toucha à l’exceptionnel : 31 chansons, 3 h 38 sur scène, record de France battu, tout près des 3 h 43 déjà légendaires de Madrid, mais surtout une meilleure set-list et un son plus clair, mieux équilibré que la veille. Devant sa mère, sa sœur, sa fille et 18 000 fans en transe, Bruce Springsteen a plongé dans l’immense rivière de son répertoire pour en extraire un judicieux mix de nouveautés (Wrecking Ball, We Are Alive…), de tubes (Because the Night, Born to Run, Dancing in the Dark…), de classiques (Thunder Road, Racing in the Street…), de reprises (634-5789 ou Seven Nights to Rock…) et de chansons plus rares (Something in the Night, 52nd Street…). Alternant rock, soul, gospel, ballades, folk, porté par une énergie surnaturelle à son âge, envoyant des mégatonnes de vibrations généreuses à un Bercy chaviré, Springsteen a encore prouvé qu’il est le rock.

tournée des pubs à vélo Paul Heaton, l’ancien chanteur des Housemartins et de Beautiful South, s’est lancé dans une vaste tournée anglaise. Particularité : il ne joue que dans des pubs ruraux et ne se déplace, entre les villages, qu’à bicyclette. Aucune date n’est prévue, pour l’instant, dans les Alpes ou les Pyrénées. évincée du CNDC par communiqué La nomination, au Centre national de danse contemporaine d’Angers, de Robert Swinston, ancien danseur et répétiteur de la Merce Cunningham Dance Company, aujourd’hui dissoute, est tombée le 3 juillet. Evincée, par le biais d’un communiqué commun du ministère de la Culture et de la ville d’Angers, la chorégraphe Emmanuelle Huynh, qui dirigeait le CNDC et son école de danse depuis 2004, a appris la nouvelle sans avoir été consultée sur “l’accord trouvé pour qu’elle puisse accompagner jusqu’à leur terme effectif les promotions en cours”. coming-out dans le hip-hop De la France aux Etats-Unis, de Sexion D’Assaut à Eminem, le hip-hop a toujours rappelé son homophobie chronique. Les nouveaux princes du game, les Californiens Odd Future, dans leur habituelle démesure et outrance, n’ont jamais été en reste, leur leader Tyler The Creator étant dans le collimateur de plusieurs associations gays pour son usage systématique du mot faggot (“tarlouze”). D’où la surprise du coming-out de leur membre et producteur de génie Frank Ocean : “Il y a quatre ans, j’ai rencontré un homme, nous avions 19 ans et nous avons passé l’été, puis le suivant, ensemble… Presque chaque jour. C’est là que j’ai compris que j’étais amoureux. Il n’y avait aucune façon de négocier, de transiger avec ce sentiment. C’était mon premier amour, ça a changé ma vie.” Kanye West, qui est régulièrement monté au créneau contre l’homophobie, se sentira moins seul.

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L’acteur américain Ernest Borgnine, oscarisé en 1955 pour son rôle de boucher timide et amoureux dans le film Marty, est mort dimanche 8 juillet, à l’âge de 95 ans. L’acteur d’origine italienne Ernest Borgnine dans Contre-espionnage avait joué dans plus d’André De Toth (1960) d’une centaine de films, dont des classiques tels que La Horde sauvage, Les Douze Salopards, Tant qu’il y aura des hommes ou New York 1997. Son visage, dont les traits évoquaient un bouledogue, restera également associé à la série culte Supercopter dont il fut l’un des personnages phare. des clics et un couac pour Filippetti Ceux qui matent le retour de Strip-tease sur leur iPad ont eu chaud. La semaine dernière, Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, se demandait s’il fallait étendre la redevance audiovisuelle à ceux qui n’ont pas de télé, mais qui regardent les programmes via leur ordi ou leur tablette. Une vieille idée plusieurs fois rejetée par le gouvernement Fillon par crainte d’un tollé de la génération Hadopi. Le ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, l’a désavouée. “Chaque ministre a le droit d’avoir des suggestions, mais celle-ci n’est pas reprise par le gouvernement”. “Une position proche de la mienne”, a renchéri le ministre des Finances, Pierre Moscovici. Essaie encore, Aurélie. des zombies pour sauver Detroit Comment relancer l’économie de Detroit ruinée depuis la crise de l’industrie automobile ? L’entrepreneur Mark Siwak a trouvé une idée originale : utiliser les rues désertes et les buildings délabrés pour créer le décor postapocalyptique d’un nouveau parc à thème zombie. Cette expérience in real life est conçue pour durer une nuit entière. Les points de survie seront représentés par des pièces scratchées que les zombies tenteront de vous arracher. un bébé panda sème la discorde Alors que la naissance d’un panda – la première depuis vingt-quatre ans – au zoo Ueno de Tokyo aurait dû être un heureux événement, voilà qu’elle ravive des tensions dans les relations sino-japonaises. La faute au gouverneur de Tokyo, qui a proposé d’appeler le bébé (né au Japon mais de parents loués par la Chine) du nom des îles Senkaku. Les deux pays se disputent ces îles depuis toujours et elles sont régulièrement l’objet de frictions. Plaisanterie ou nationalisme, cette proposition n’a pas plu à la Chine, qui a critiqué sa “grossièreté”. Heureusement, le ton s’est radouci après la naissance, les pandas géants étant considérés comme des “trésors nationaux” par l’empire du Milieu. D. D., B. Z., avec la rédaction

l’image des Rencontres d’Arles très performantes

Pierre Huyghe, Daniel Buren, Anri Sala, entre autres, ont marqué la semaine inaugurale du festival. Soleil de plomb sur les arènes d’Arles. On entendrait les mouches voler. En l’occurrence, ce sont des abeilles qui recouvrent méticuleusement le visage inerte d’un acteur. Réadaptation de la pièce qu’il présente en ce moment à la Documenta de Kassel, la performance est signée Pierre Huyghe (photo). Elle équivaut à une heure de pure extase pour les visiteurs égarés des Rencontres d’Arles qui inauguraient cette semaine ses expositions. Tout au long de la journée, d’autres artistes, Daniel Buren, Anri Sala ou Lili Reynaud-Dewar, invités à investir ce terrain de jeu grandeur nature, ont défilé dans l’amphithéâtre romain transformé en paysage lunaire. Le projet, éphémère et collectif, s’intitule joliment Vers la lune en passant par la plage. Il est porté par la fondation Luma qui, malgré ses difficultés à faire émerger le bâtiment tant attendu de Frank Gehry, poursuit un travail exigeant en faveur de l’art contemporain.

Lionel Roux/Fondation Luma

mort d’un salopard

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sens dessus dessous par Serge July

de l’ancien régime

l’ère de rien

H ou beu ?

H  

ou beu ? t’as quoi ?” Telle est la question obligée du fumeur de drogue douce à son dealer. En cette période de l’année (début des vacances), la raréfaction de l’herbe est le problème récurrent : la récolte précédente est épuisée, la soudure n’est pas assurée, ce qui contraint l’amateur de skunk à se rabattre sur du mauvais H marocain coupé, aux effets problématiques. Cette lose ne sera sans doute bientôt qu’un mauvais souvenir si l’on en croit l’OEDT (Observatoire européen des drogues et des toxicomanies) et son rapport publié la semaine dernière. Alors que la récession frappe de nombreux secteurs économiques, la production de beu augmente en Europe ! “La Belgique, le Danemark, les Pays-Bas, la Finlande et le Royaume-Uni ont enregistré une forte hausse des niveaux de production domestique d’herbe de cannabis au cours des deux dernières décennies.” On remarque la situation nordique des pays concernés : la hausse des températures affecterait-elle déjà l’agriculture du continent ? Mais alors, pourquoi la France ne bénéficie-t-elle pas du phénomène ? A moins qu’il ne s’agisse de cultures sous serre coûteuses en énergie. Quoi qu’il en soit, un basculement massif du marché est en cours : l’OEDT précise que dans dix pays (Bulgarie, République tchèque, Grèce, Lituanie, Luxembourg, Hongrie, Pologne, Slovénie, Slovaquie et Croatie), l’herbe représente 90 % du cannabis consommé. Léon Mercadet

le mot

[feuille de route]

Francis Le Gaucher

le sarkozysme pétrifié Pendant sa campagne présidentielle, François Hollande a surfé sur le rejet du sarkozysme comme système d’attitudes et de comportements, comme culture, comme vision du monde. A la tête de l’exécutif, il continue et passe à l’acte : chaque parole, geste ou initiative est censé démontrer la rupture avec un sarkozysme qui aurait été pétrifié par la victoire hollandaise en un ensemble de représentations, codes et images incarnant l’ancien régime. Pas un jour sans que ne soit mise en scène cette opposition entre l’ancien et le nouveau, sans que le clou antisarkozyste ne soit enfoncé un peu plus. la boussole hollandaise Le rejet de l’ancien régime est devenu l’une des boussoles présidentielles. Elle indique un point de départ, une direction, elle est aussi une manière de penser et de construire les événements. Présentant la conférence sociale, le ministre Michel Sapin a dit d’emblée que ce n’était pas un “sommet” : “Sommet social, ça commence par un s, comme Sarkozy.” Celui-ci durait quelques heures, tenait lieu de dialogue social, et servait de podium à une décision prise en amont. Voilà pourquoi la “conférence” s’oppose au “sommet”, qu’elle dure deux jours et va s’étendre sur plusieurs mois. Le sommet servait à promouvoir la parole présidentielle, alors que la conférence se voudrait un lieu d’écoute, d’échange. Elle ne se tient pas à l’Elysée, siège de l’hyperprésidence, mais dans un lieu ultrasignifiant : le Conseil économique et social, c’est-à-dire l’assemblée des corps intermédiaires stigmatisés par l’ancien régime. Par conséquent, les partenaires sociaux ne sont plus convoqués comme ils l’étaient. Enfin, ce n’est pas le Président qui conduit les débats mais le Premier ministre… Une véritable leçon de choses. piqûre de rappel François Hollande répète inlassablement son credo : “Je fais de la politique.” Les piqûres de rappel sur l’ancien régime servent à entretenir, à toutes fins utiles, la mémoire collective sur Nicolas Sarkozy, et donnent un surcroît de légitimité aux initiatives de son successeur, qui s’y ressource sans arrêt. Le 14 juillet, par exemple, François Hollande s’adressera aux Français depuis un studio de télévision : les journalistes ne sont plus reçus au palais présidentiel, c’est le chef de l’Etat qui se rend auprès d’eux. Le changement d’époque est à chaque fois sursignifié. la rupture Nicolas Sarkozy avait érigé la rupture en stratégie, construisant ainsi l’hyperprésidence. Son successeur, avec ses contre-pieds systématiques s’apparentant à une politique du signe, pratique la rupture dans la rupture. Elle est censée produire le retour à une normalité démocratique.

On dirait des soldats perdus : ils réclament tous leur “feuille de route”. “Les ministres ont reçu leur feuille de route.” “Ma feuille de route, dit Jean-Marc Ayrault, c’est le projet de François Hollande.” “M. Copé voudrait donner leur feuille de route à ses troupes.” En Syrie, l’opposition “rejette la feuille de route internationale”. L’expression reste d’ailleurs interchangeable avec une autre métaphore, “fixer le cap”, elle aussi très courue chez nos grands capitaines. Cela posé, si l’on imagine le chef qui “donne la feuille de route” comme un Bonaparte dévoilant à son armée le chemin d’Austerlitz, on se trompe. Par malheur, dans la langue française, l’expression signifie tout l’inverse. Robert se montre formel : “Titre délivré par l’autorité militaire à des militaires se déplaçant isolément.” Oui, isolément ! La “feuille de route”, loin de servir à entraîner les masses, correspond aux échappées solitaires. Si l’on considère l’activisme de François Fillon, Jean-François Copé et Alain Juppé, ce n’est pas faux non plus. M.-A. B.

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Julio Pelaez/Le Républicain lorrain/MaxPPP

Sadou Diallo

“le Mali en voie d’afghanisation” Depuis sa conquête par les islamistes, le nord du Mali est soumis au chaos. Entretien avec Sadou Diallo, maire de la ville de Gao réfugié à Bamako, de passage à Paris pour alerter la communauté internationale.

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u nord du Mali, des groupes islamistes rebelles ont instauré la charia et détruisent progressivement tous les lieux saints traditionnels musulmans. De passage à Paris après avoir été contraint de fuir sa ville, Sadou Diallo, maire de Gao, porte d’entrée du nord du pays, relate le calvaire vécu par la population. Pin’s aux couleurs et à la forme du Mali accroché au revers de sa veste, l’édile réclame l’aide de la

France et met en garde la communauté internationale contre le risque d’une “afghanisation du pays”. Pourquoi avez-vous décidé de quitter votre ville et le nord du Mali ? Sadou Diallo – Ma tête avait été mise à prix par les insurgés islamistes d’Ansar Dine et du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) qui contrôlent aujourd’hui le nord du Mali. Depuis l’invasion de ma ville, le 30 mars, les islamistes ont détruit et pillé tous les biens publics et privés,

dont les cinq hôtels que je possédais. Pendant ce temps, je me suis caché pour éviter d’être tué. Au bout de sept jours, j’ai pu bénéficier de l’aide du fils d’un ami qui, devant ma surprise de le voir porter une arme, m’a expliqué qu’il y était contraint afin de sauver sa tête. Le 7 avril, ce jeune et certains de ses camarades ont accepté de m’exfiltrer avec ma famille au Niger. Comme moi, il vit aujourd’hui en exil à Bamako, mais ses amis qui nous ont aidés ont été exécutés à leur retour dans la ville de Gao.

Quelle est la situation à Gao ? Depuis le 30 mars, ma ville de 78 000 habitants vit des atrocités quotidiennes. Il y a eu plus d’une centaine de viols, des gens sont bastonnés sans arrêt dans les rues. Comme les abords de la ville ont été minés, la population est véritablement prise en otage. Comment la population vit-elle l’instauration de la charia ? Très durement. Le MNLA et Ansar Dine prétendent défendre la population touarègue mais elle ne se

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Desc ombattants islamistes d’Ansar Dine dans le nord du pays, juin 2012

reconnaît pas dans cette rébellion sanglante. Un islam rigoriste a été imposé aux populations. Les femmes sont obligées de porter le voile, les vêtements de coupe occidentale sont désormais prohibés. Dans les rues, on est puni de cent coups de fouet si l’on fume des cigarettes. Un droit de cuissage par dix djihadistes est imposé à chaque mariée qui se met à divorcer. La destruction des mausolées a également traumatisé la population qui l’interprète comme une volonté de supprimer son identité culturelle. Espérez-vous toujours un sauvetage par Bamako et l’armée officielle ? Le coup d’Etat du

Adama Diarra/Reuters

“sauver la population des souffrances mais aussi du risque d’endoctrinement terroriste”

22 mars a fortement ébranlé et déstructuré l’armée officielle. Les villes du Nord, qui sinon auraient résisté, sont tombées sans combattre. Selon les experts, il faudra au moins cinq ans pour que l’armée officielle du Mali soit en état de combattre. Personnellement, je crois en ses capacités pour peu que des moyens logistiques lui soient donnés. Mais compte tenu de son état actuel, il est urgent que la communauté internationale intervienne dans les plus brefs délais. Pourquoi plaidez-vous pour une intervention militaire ? Pour sauver la population des souffrances mais aussi du risque

d’endoctrinement terroriste. Il n’y a pas besoin d’attendre l’autorisation du gouvernement malien ou le concours de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), il faut intervenir. Il y a urgence. Je lance un cri du cœur à la France afin qu’elle reproduise ce qu’elle a fait en Libye, qui était pourtant une colonie italienne. Nous sommes une ancienne colonie française, la France a un devoir moral d’intervention. Si la France n’intervient pas, l’Afghanistan sera à vos portes. Craignez-vous une talibanisation du Mali du Nord ? Le Mali est en voie d’afghanisation. Si on laisse cette zone très fortement musulmane aux mains des intégrismes religieux, on ne pourra plus revenir en arrière. Je ne donne pas deux mois pour que la région devienne à jamais un sanctuaire du terrorisme, plus dangereux encore que celui que nous avons connu en Afghanistan. Le MNLA et Ansar Dine recrutent dans les écoles des jeunes de 16 ans. Il y a déjà sept camps d’entraînement terroriste dans ma ville de Gao et trois à Tombouctou qui recrutent de jeunes enfants mineurs. La région est devenue un vivier pour les djihadistes.   recueilli par David Doucet et Camille Vigogne Le Coat 11.07.2012 les inrockuptibles 19

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“moi, j’aurais bien vu Cali en entraîneur de l’équipe de France plutôt”

Tom Cruise

retour de hype

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

les pompiers

Fleetwood Mac

Nicki Minaj + le poulet = amour Pat Le Guen

“imagine, t’as les sourcils de Drake”

The Vaccines

Thomas VDB Frank Ocean “t’as pas de la place dans ta location, c’t’été ?” “kouuua, t’étais pas à Calvi ?”

“elle devient quoi, Valérie RossoDebord ?” le foie gras

la rentrée

The Vaccines Le nouvel album des Anglais sortira le 3 septembre. Thomas VDB Son émission d’été sur France Inter est cool. Les pompiers Les pompiers, c’est de la balle, et vice versa. Frank Ocean Le nouveau kid du r’n’b a fait son coming-out.

Nicki Minaj + le poulet = amour Après un concert, Nicki est allée se commander 3 000 dollars de poulet frit. Tom Cruise Katie Holmes l’a largué et depuis il boit des cocktails. Pat Le Guen On a reparlé de Paul Le Guen chez les Bleus. Et Pat, que devient-il ? D. L.

billet dur

les internements et les exécutions, ainsi que le vol d’œuvres d’art.” Abstraction faite, donc, de ces quelques “détails” de l’histoire, comme dirait her Stéphane Hessel, celui qui trouvait lui aussi que l’occupation nazie Un entretien que tu donnas l’an dernier à un n’avait pas été si “inhumaine”, on en conclura journal allemand a resurgi ces jours-ci sur que toute cette affaire était plus proche de la toile grâce à un chercheur éberlué comme La Grande Vadrouille que des récits considérés moi par le regard que tu portais, ô toi l’incontestable habituellement comme plus fiables. héros de la Résistance, sur l’occupation nazie. Après tout, on n’était pas nés, papy, raconte-nous Je te cite : “Il était permis à Paris de jouer des pièces encore de belles histoires de l’occupant si coolos. de Jean-Paul Sartre ou d’écouter Juliette Gréco…” Au Vél’ d’Hiv, dis, c’est un critérium “inoffensif” qui Cette dernière, dont la mère et la sœur furent se disputait ? Un concert de Juliette Gréco, peutdéportées à Ravensbrück, qui joua plusieurs années être ? Et l’étoile jaune, c’était juste un accessoire à cache-cache avec la Gestapo et qui ne commença fashion ? T’as coulé une bielle ou quoi ? C’est à chanter qu’après la Libération, appréciera l’arrêt de Derrick qui t’a chamboulé la mémoire ? sans doute l’anachronisme. Mais passons, tu dois La canicule, peut-être ? Tu veux un brumisateur ? confondre avec Tino Rossi. Malheureusement, Ton best-seller planétaire, Indignez-vous !, bréviaire la suite est moins drôle : “L’occupation allemande, contemporain de la bonne conscience Oui-Oui, dis-tu, était si on la compare par exemple avec est vendu seulement trois euros. Tes souvenirs l’occupation actuelle de la Palestine par les Israéliens, embrumés, quant à eux, ne valent pas deux balles. une occupation relativement inoffensive, abstraction Je t’embrasse pas, je vais m’instruire en matant faite d’éléments d’exception comme les incarcérations, Papy fait de la résistance. Christophe Conte

Schlappal

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Catherine Hélie/Gallimard

Aurélien Bellanger Avec son premier roman, La Théorie de l’information, il sera l’une des révélations de la rentrée littéraire.

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l a bien fait d’arrêter son doctorat de philo (même si son sujet, “La métaphysique des mondes possibles”, semblait prometteur). Bien fait aussi de quitter son boulot de libraire rue Mouffetard à Paris, pour enfin trouver le temps d’écrire. A 32 ans, après des poèmes, quelques livres inachevés ou “impubliables”, et un essai sur Michel Houellebecq paru en 2010, Aurélien Bellanger publie son premier roman et s’impose d’ores et déjà comme l’une des sensations de la rentrée littéraire. Odyssée de l’ère numérique, son livre, La Théorie de l’information (Gallimard, en librairie le 22 août), raconte le parcours de Pascal Ertanger, jeune geek timide

devenu milliardaire du net après avoir fait ses premières armes dans le Minitel rose. Toute ressemblance avec Xavier Niel, le patron de Free, et “personnage balzacien”, selon Aurélien Bellanger, n’est pas tout à fait fortuite. Mais cette clé se révèle vite anecdotique tant La Théorie de l’information, mêlant références scientifiques, personnages réels (Thierry Breton, Jean-Marie Messier et même Nicolas Sarkozy), considérations métaphysiques sur la posthumanité et le règne des machines, sidère par son ambition de roman total, en prise directe avec le monde contemporain. Une météorite dans le paysage littéraire français. Elisabeth Philippe 11.07.2012 les inrockuptibles 21

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Laure Siegel

Les 150 marcheurs, dans les salons dorés de l’Hôtel de Ville de Strasbourg, le 4 juillet

les sans-papiers défient l’Europe Durant un mois, en traversant sept pays européens, des marcheurs en situation irrégulière se sont rendus visibles pour dénoncer leur sort.

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n vit mal, on est traités pire que des chiens.” La mâchoire tremblante de rage, Cissé Toumani, 20 ans, résume la pensée générale. Débarqués de Libye l’année dernière ou terrés en banlieue parisienne depuis dix ans, 150 sans-papiers se sont réunis pour une marche d’un mois reliant Bruxelles à Strasbourg, et traversant sept pays – à pied et en bus, chasuble jaune fluo sur le dos – pour alerter l’Europe sur leur sort. Une seule association les a soutenus financièrement, le CCFD-Terre solidaire, à hauteur de 3 000 euros. Pour le reste, ils ont compté sur la générosité des communes traversées en chemin, la vente de T-shirts et la caisse de solidarité qu’ils faisaient tinter dans les rues. “Cette marche est un défi et prouve qu’il y a des failles aux frontières. C’est un moment historique pour l’homme noir en Europe”, assène Aboubakar Soumahoro, porte-parole en Italie de la Coalition internationale des sans-papiers et migrante-s. La semaine dernière, le groupe a établi son campement dans un gymnase du quartier strasbourgeois du Wacken à quelques mètres des institutions européennes sur lesquelles reposent

“en dix ans, je n’étais pas sorti de Montreuil”

leur espoir. Une délégation a rencontré des eurodéputés de gauche et écologistes et des membres de la commission des droits de l’homme du Conseil de l’Europe et leur a exposé ses revendications : régularisation de tous les sans-papiers, liberté de circulation et d’installation, respect du droit d’asile, égalité de droits entre les migrants et les Européens, fermeture des centres de rétention, etc. “Nous voulons qu’ils profitent de leur statut pour porter notre message et agir sur la législation en vigueur”, continue Aboubakar Soumahoro. Dans leur ligne de mire, le règlement Dublin II qui régit actuellement les demandes d’asile et la directive-retour qui encadre l’expulsion des sans-papiers de l’Union européenne. “Le droit européen doit être méchamment révisé, développe Marie-Dominique Dreyssé, adjointe EELV au maire de Strasbourg, en charge des solidarités. Actuellement, ce n’est pas possible de régulariser tout le monde comme ils le demandent mais il faut redéfinir des critères généreux, harmonisés entre pays. Il faut arrêter le bricolage, on ne peut pas expulser quelqu’un qui a travaillé et cotisé dix ans en France. Je milite pour une politique d’immigration profondément républicaine et nourrie de notre histoire” Une histoire que les marcheurs ont touchée du doigt tout au long de leur périple : l’ossuaire de Douaumont, tombeau de leurs grands-pères pendant la Première Guerre mondiale, Maastricht, bien sûr,

Frambois, centre de détention genevois symbolisant le durcissement de la politique migratoire en Suisse, Florange, terre de lutte ouvrière, Schengen, bourgade luxembourgeoise synonyme d’ouverture des frontières. Diara, 29 ans, est ravi d’avoir vu du pays : “En dix ans, je n’étais pas sorti de Montreuil, à enchaîner les petits boulots dans le bâtiment et la restauration. Et je ne suis jamais allé revoir ma famille en Mauritanie car je ne peux pas prendre l’avion.” La petite troupe craignait le passage Suisse-Italie, réputé dangereux pour les clandestins. “Nous avions prévenu toutes les autorités locales et nationales de notre passage, mais le contexte est particulièrement dur en Italie. Quand nous sommes arrivés, c’était incroyable, les policiers nous ont escortés sans aucun contrôle. C’était le monde à l’envers, nous avons été mieux protégés que Barack Obama !”, s’amuse Bamba Vaffi, un des leaders de la Coordination 75 des sans-papiers. Depuis un an, cet Ivoirien qui a fui la guerre civile consacre tout son temps à la lutte : manifestations, réunions, etc. “J’étais trop visible donc j’ai été régularisé il y a quelques mois. Je suis entrepreneur d’une petite société de nettoyage maintenant. Je vais un peu penser à moi mais je ne m’en fais pas, la relève est assurée.” A Paris, Turin ou Genève, les sanspapiers préparent déjà de nouvelles actions publiques et ne comptent pas s’arrêter avant la reconnaissance de leur existence. Laure Siegel

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Sur les terrains de plein air de ce centre de 9 hectares, les futurs policiers se forment aux méthodes de défense

Laure Siegel

“si nous sommes indépendants ce soir, notre police doit être opérationnelle demain matin”

à Jéricho, la police fait ses classes A la pointe des techniques internationales, l’unique école de police de Cisjordanie veut améliorer l’image des forces de sécurité palestiniennes.

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ans la torpeur matinale, une trentaine de policiers en uniforme bleu camouflage s’entraînent au maniement du bâton, au rythme des ordres criés par leur supérieur. L’école de police de Jéricho forme environ 500 recrues par an, affectées dans tous les districts de Cisjordanie. Créé à la suite des accords d’Oslo (1993), le centre compte une dizaine de bâtiments modernes, dont une maison palestinienne pour s’initier à l’art de la fouille à domicile et un faux bureau de police pour permettre aux élèves de s’entraîner à recevoir les plaintes. “Les premiers cours ont eu lieu le 1er novembre 1994. Sous les arbres ou contre un mur, les élèves soulevaient des poteaux électriques en guise d’entraînement physique. Le défi était

de construire un appareil de police efficace, alors qu’on partait de rien”, se souvient Zaher Sabbah, directeur de l’école de police et lieutenant-colonel à la mine affable. Comme un symbole de l’influence des pays donateurs et notamment de l’Union européenne dans le développement de la Palestine, le président de la Commission européenne José Manuel Barroso a inauguré l’école en compagnie du Premier ministre palestinien Salam Fayyad dimanche dernier. En 2008, un effort financier de 15,3 millions d’euros consenti par plusieurs pays a permis de développer logistique et spécialisations. Un investissement destiné à rendre la police palestinienne plus acceptable aux yeux de la communauté internationale, condition nécessaire au maintien des subventions.

Dans une salle de travail, un major tient une liasse de billets dans chaque main : une fausse, une authentique. Un groupe de policiers apprend à déceler à l’œil nu les faux : certificats de naissance, passeports et billets. Un autre groupe s’initie au réseau intranet de la police et se concentre sur les cours en ligne – toute dernière nouveauté – consacrés aux droits de l’homme ou à la lutte antidrogue. “Notre projet est de devenir une police informatisée et numérique”, annonce le major Samir, en charge du cours. La plupart des gradés du centre ont étudié les sciences et techniques de la sécurité dans des pays voisins, voire en Afrique ou en Occident. Des experts étrangers viennent former les troupes : les Allemands aux investigations et les Français aux stratégies anti-émeutes, par exemple.

Mais, en Cisjordanie, l’autonomie sécuritaire est un but, et un rêve : “Si nous sommes indépendants ce soir, notre police doit être opérationnelle demain matin”, explique le directeur de l’école. “Nos cours sont très complets et les jeunes n’ont plus besoin d’aller à l’étranger. Mais nos officiers vont continuer à voyager pour prendre exemple sur les meilleures techniques mondiales.” Le métier de policier est plutôt prisé. Sur 5 000 candidats, seuls 100 sont sélectionnés, sur des critères physiques, les résultats au concours et le parcours judiciaire. “La seule chose qu’on laisse passer, ce sont les infractions au code de la route, parce que tout le monde en fait ici ! Même moi !”, s’esclaffe le lieutenant-colonel, qui jure qu’Israël n’a pas son mot à dire dans la sélection des heureux élus. Vingt femmes sont sorties de la dernière promotion, aux côtés de 250 homologues masculins. Ahlam, 18 ans, voile noir autour du visage et montre rose au poignet, est l’une d’elles. Sortie première de sa promo, elle suit d’un œil attentif le cours d’autodéfense, sa matière préférée, donné par Ahmad, diplômé des forces spéciales turques : “Avant, les policiers tapaient et tiraient tout de suite, expose le gaillard dans un grand sourire. Maintenant, on leur apprend à maîtriser les différents degrés de violence et à neutraliser un suspect sans lui faire mal.” Laure Siegel

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European Union 2012 - European Parliament

brèves rembobinage chez France TV France Télévisions met en place une nouvelle fonctionnalité pour celles et ceux qui sont équipés d’une télévision connectée : le service Salto, qui permet de reprendre un programme depuis le début. Ce service, qui ne concerne pour l’instant que les cinq chaînes principales de France Télévisions, ne sera disponible qu’entre 20 heures et minuit, et ne s’appliquera qu’aux programmes en cours de diffusion. nouvelle Hadopi pour 2013 ? Lors de son discours de politique générale, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a confirmé qu’une mission sur l’acte II de l’exception culturelle française,“qui conciliera la défense des droits des créateurs et un accès aux œuvres par internet facilité et sécurisé”, avait été lancée et qu’elle devrait déboucher sur un nouveau cadre juridique dans le courant du premier semestre 2013. Parallèlement, l’Hadopi fait de la résistance et vient d’annoncer qu’au 1er juin, environ un million de premières recommandations et cent mille secondes recommandations avaient été envoyées aux usagers, et que trois cent quatorze dossiers sont en cours d’examen. démission du CNN A la suite de la nomination par le gouvernement de Jean-Baptiste Soufron (jusque-là conseiller numérique au cabinet de la ministre déléguée à l’économie numérique Fleur Pellerin) au poste de secrétaire général du Conseil national numérique, les membres de ce dernier ont démissionné collectivement, à l’exception de Gilles Babinet.

dernier Acta Le traité Acta sur la contrefaçon et la propriété intellectuelle a été largement rejeté au Parlement européen.



es textes négociés en secret font généralement de mauvaises lois.” David Martin, membre du Parlement européen et rapporteur du traité Acta (Anti-Counterfeiting Trade Agreement), critiquait de manière acide, quelques jours avant le vote du traité, la façon dont celui-ci avait été négocié. Depuis le 4 juillet, David Martin est rassuré, l’Acta ne deviendra pas une loi. Malgré la tentative du Parti populaire européen de faire reporter le vote en dernière minute, le Parlement européen s’est prononcé de façon écrasante contre l’Acta par 478 voix contre 39 (et 165 abstentions), suivant les avis des cinq commissions (libertés civiles, affaires juridiques, commerce international, industrie et développement) qui avaient statué en juin. Ce rejet a été salué à travers le monde par les innombrables citoyens et associations engagés contre le projet. Depuis 2007, le traité anticontrefaçon était discuté dans l’opacité la plus totale par les représentants de nombreux pays et en dehors de toute instance formelle. Il prévoyait notamment le renforcement des règles internationales en matière de contrefaçon et de propriété intellectuelle. Ses premières versions laissaient entrevoir des contrôles renforcés aux frontières pour tracer des fichiers illégaux, ou encore une obligation de surveillance imposée aux intermédiaires techniques. Le texte avait, depuis, été retouché et modéré.

un rejet salué à travers le monde par les innombrables citoyens et associations engagés contre le projet

Mais, vague et ouvert aux interprétations les plus diverses, l’Acta aurait toujours permis aux détenteurs de brevets (sur des logiciels, de la musique, des médicaments…) de faire valoir leurs prérogatives au-delà des frontières, et aurait favorisé les ayants droit au détriment des intérêts collectifs et des libertés individuelles. Depuis le début de l’année, les manifestations citoyennes s’étaient multipliées en Europe pour protester contre l’Acta. Cette prise de conscience avait notamment servi à alerter les députés européens. En février, le président (socialdémocrate) du Parlement européen, Martin Schulz, s’était prononcé pour une révision du texte, l’estimant insuffisamment rassurant pour les libertés fondamentales. Son rejet le 4 juillet signifie que ni l’Union européenne ni les Etats membres (à titre individuel) ne seront autorisés à le rejoindre. Le traité pourrait toujours entrer en vigueur au cas où six des pays signataires (Etats-Unis, Australie, Canada, Corée du Sud, Japon, Maroc, NouvelleZélande et Singapour) le ratifient. Mais en Australie, par exemple, une commission parlementaire a demandé en juin le report de la ratification… L’Acta semble donc enterré. Toutefois, l’investissement des lobbies a été tel sur le sujet que l’on peut craindre le retour discret de son contenu à travers d’autres projets de lois. La vigilance citoyenne est toujours de mise. Pour la Quadrature du net, qui s’était toujours farouchement opposée au projet, il s’agit désormais de “bâtir sur les ruines d’Acta une réforme positive du droit d’auteur, qui devra prendre en compte nos droits plutôt que de les combattre”. Anne-Claire Norot

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la TV détrônera le PC

antivirus français

Selon le rapport Next Gen TV 2020 de l’Idate, la télévision connectée captera 63 % du marché des services vidéo diffusés par des géants comme YouTube, Google, Facebook ou Amazon d’ici 2020. Elle détrônera ainsi le PC, premier lieu de consommation de tels services aujourd’hui.

Dafvi (Démonstrateur d’antivirus français et international), le premier antivirus français (qui plus est open source), sera opérationnel en 2014. Les premières phases de test débuteront en septembre.

Rukh Premier numéro du magazine trimestriel société et culture consacré au nouveau monde arabe. Ce mook part sur les traces des rebelles et insoumis qui font bouger la politique, mais aussi la télé, le cinéma ou la BD dans le monde arabe.

le bonneteau du mercato la TVA divise La Commission européenne a mis en demeure la France pour qu’elle cesse d’appliquer une TVA à 7 % sur le livre numérique. Selon la législation européenne, le seul taux autorisé est de 19,6 %.

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Philippe Chaffanjon quitte la direction de France Info qu’il a redressée : il est remplacé par Pierre-Marie Christin, un ancien d’Europe 1, où vient d’arriver Fabien Namias de France 2, qui accueille à sa place le journaliste économique François Lenglet, nouveau chef du service France.

SFR dans le métro La RATP a désigné SFR pour installer son réseau mobile à haut débit. L’opérateur va déployer la 3G dès le mois d’octobre, et la 4G à partir de 2013 avec l’objectif de couvrir l’intégralité du réseau (métro et RER).

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Mario, un Italiano vero Qualifié de seule vraie rock-star du foot mondial par l’ex-Oasis Noel Gallagher, Mario Balotelli prouve une nouvelle fois qu’entre la bêtise et le génie, la frontière est parfois ténue.

Mario et Balotelli

Vu tous les papiers ayant pour titre “Mais qui est Mario Balotelli ?” qui ont fleuri pendant et après l’Euro, une constatation s’impose : le footballeur de Manchester City fascine au-delà des rangs des fans de foot et autres “footix” (ces gros relous qui s’enthousiasment soudainement pour le football et délivrent des commentaires premier degré lors des grands rendez-vous). S’il est avant tout question de son jeu sur le terrain, vient ensuite son physique de BG (dont l’image principale reste désormais cette incroyable pose de gladiateur suite au premier but contre l’Allemagne) et enfin sa personnalité. C’est sur ce troisième point que les choses se compliquent. Entre le statut d’artiste maudit au grand cœur et celui de petit con provocateur sans aucun recul sur lui-même, Mario est une énigme (“enigma” en italien). Ainsi déclarait-il à France Football : “Il y a Mario et il y a Balotelli”, pour quand même conclure sur : “Je pense être un génie.” OK.

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Presidenza della Repubblica

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lumière à tous les étages

Ici, Mario pose en compagnie du président de la République italienne Giorgio Napolitano à Rome, le 2 juillet. Alors que la veille il boudait, les yeux pleins de larmes, après la défaite de la Squadra Azzura face à l’Espagne en finale de l’Euro, il est tout sourire. De quoi pousser un “ah” (italien de “ouf”) de soulagement. Car, outre ses talents de footballeur, Balotelli est une source d’amusements sans fin. Balancer des fléchettes sur les jeunes de son club pour tromper l’ennui, se rabouler sur le banc de touche avec son iPad, mettre le feu à sa maison en essayant des feux d’artifice dans sa salle de bains, tenter de taper l’incruste dans une prison pour femmes, planter

ses voitures de sport le lendemain de leur achat, sortir d’un match pour allergie à la pelouse, saboter un but offert sur un plateau en tentant une roulette-talonnade, être pote avec Drake… Mario les enchaîne avec une désinvolture insultante. De la même manière, il multiplie les bonnes actions. Ainsi est-il un des seuls footballeurs de haut niveau à fréquenter bars et restos de quartier, n’hésitant pas à débouler à l’église du coin pour la messe de Noël. La légende veut aussi qu’il ait aidé un enfant rencontré par hasard à résister à ses bourreaux du collège, offert 1 000 livres à un SDF en sortant d’un casino, ou payé le plein de tous les automobilistes d’une station. Super.

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bien dans sa Botte

Cris de singe, jets de bananes, banderoles racistes (avec inscrit “Non ci sono Neri Italiani”, soit “Il n’y a pas de Noirs italiens”), Balotelli a dû faire face aux pires clichés des tifosi bas du front. Celui qu’on décrit comme le premier Noir à enfiler le maillot de la Squadra Azzura (ce qui est contesté) et qui a grandi dans le nord de la Botte ne cesse de condamner le racisme (“Si je croise un raciste et qu’il m’insulte, je le tue”, affirmait-il tout simplement à L’Equipe). Et affirme être italien avant d’être noir. Au sélectionneur du Ghana (pays d’origine de ses parents biologiques avec qui il ne veut plus avoir aucun rapport) qui voulait lui faire défendre les couleurs d’un pays qui n’était pas le sien, il avait répondu : “Je suis italien, je me sens italien, je jouerai toujours avec l’équipe nationale italienne”. Un Italien parmi les Italiens, un Italiano vero. Diane Lisarelli

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quand on parle de Lou Fille et belle-fille de, actrice et mannequin… Le capital de crédibilité de Lou Doillonda ns la chanson était aussi mince que son tour de taille. Mais sa voix superbe et le parrainage d’Etienne Daho effacent tous les préjugés. par Christophe Conte photo Benni Valsson

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uissiez-vous, lecteurs légitimement suspicieux lorsqu’une actrice, de surcroît “fille de…”, s’approche d’un micro, entendre la voix de Lou Doillon sans en connaître la provenance. C’est la chance qui fut la nôtre il y a un an, lorsqu’Etienne Daho nous fit découvrir à l’aveugle une paire de demos dont on ressortit bouleversé et hanté pour longtemps. A qui appartenait cette voix à la présence déjà impressionnante ? A une petite sœur cachée de Cat Power ? A une chanteuse folk oubliée dans les tréfonds de l’histoire comme Karen Dalton ? Aux années 2010 ou aux années 1960 ? Une fois connu le nom de la propriétaire de ce timbre à l’élégance ébréchée et aux modulations de graves et de pas si grave, tour à tour solennel et espiègle, ce ne fut pas tant que ça une révélation. Actrice, mannequin, comédienne de théâtre exigeante, Lou Doillon possède depuis toujours une espèce de sauvagerie douce qui intrigue et s’accorde à merveille au genre de musique qu’elle a choisi d’embrasser : un folk aux ambitions aériennes et traversé d’influences ensorceleuses, de Marianne Faithfull à Patti Smith en passant par Lou Reed, naturellement chanté dans l’anglais maternel mais différemment de celui de Charlotte et à l’opposé de celui de Jane. Dans sa position de “bâtarde” de la famille royale du show-biz chic et de la vénération parfois pesante qui l’entoure, Lou a longtemps morflé en silence. Elle est aussi la fille d’un des cinéastes les moins expansifs et racoleurs qui soit, Jacques Doillon, et c’est plus volontiers vers cette ascèse artistique qu’elle penche désormais. On cherchera en vain la moindre trace de Gainsbourg dans ses gènes musicaux, même si Daho, passé du statut de fan à celui de réalisateur de son premier album, a su apporter quelques couleurs plus pop dans les austères voilages d’origine. En avant-goût du somptueux Places qui sortira à la rentrée, elle publie un premier ep, I.C.U., et, à l’écouter chanter et se raconter, on sait d’avance que Lou est là pour longtemps. Comment en es-tu venue à enregistrer cet album ? Lou Doillon – C’est ma mère qui m’a joyeusement dénoncée à Etienne Daho. S’il se passe quelque chose d’un peu magique avec ce disque, sans prétention aucune, c’est sans doute parce que cette rencontre n’aurait jamais dû avoir lieu. Etienne est un ami de ma mère et de ma sœur Charlotte, moi je le connaissais très peu. Comme il avait déjà bossé avec ma famille, pour moi c’était a priori inenvisageable de travailler avec lui. Je ne connais pas très bien sa musique, je la découvre aujourd’hui. Si j’avais démarché seule une maison de disques, je pense qu’Etienne aurait été

“avec Daho, notre rencontre a été comme une évidence alors qu’on se croisait depuis quinze ans sans quasiment s’adresser la parole”

la dernière personne au monde à laquelle on aurait pensé pour faire un album avec moi. On m’aurait collé dans les pattes un folkeux américain ou on m’aurait fait enregistrer en Angleterre, alors que ce que j’aime au contraire dans notre association, c’est cette rencontre entre la pop française et ce qui peut s’apparenter à du vieux folk. Ce n’est pas la musique qu’il aime le plus et moi je ne me sens pas plus proche que ça de la pop française : cette espèce de malentendu bizarre nous a conduits je ne sais par quelle magie à un coup de foudre artistique et humain. Tu l’expliques comment ? Nous étions tous les deux à la recherche de quelque chose. Lui n’avait pas écrit depuis longtemps, il rêvait peut-être de rencontrer une muse. Moi, j’avais besoin d’avancer ce projet de mon côté. Notre rencontre s’est imposée comme une évidence alors qu’on se croisait depuis quinze ans et qu’on ne s’était quasiment jamais adressé la parole. Il a été très marqué par le clan Gainsbourg, y compris au niveau musical, alors que je me situe ailleurs, mais, à la surprise générale, il a su se mettre à bonne distance de mes chansons et a apporté beaucoup tout en me laissant la liberté de décision. Ceux qui attendaient un duo, ou que je chante du Daho, seront surpris. Avant de les faire entendre à Daho, tu jouais facilement tes morceaux aux gens ou était-ce une sorte de jardin secret ? Au départ, il y a des années, j’éprouvais une vraie gêne à faire écouter mes chansons, c’était une occupation très solitaire. Plus tard, j’ai accepté de chanter devant les autres. A partir de là, ma guitare ne m’a plus quittée. J’ai chanté dans des squares, dans des bars au coin de la rue avec le père de mon fils. Je me trimballais à toutes les réunions de famille avec ma guitare, c’était devenu très naturel. Pourtant, malgré mon entourage familial, je n’ai jamais envisagé ça comme un métier. A la maison, je ne sentais pas cet esprit tribal que j’aime bien et qu’on retrouve quand on joue la musique avec des potes. Ma mère n’a jamais accompagné Charlotte au piano, nous ne faisions pas de la musique ensemble pour le plaisir. Moi, j’ai ce genre d’esprit et j’avais peur, en passant à quelque chose de plus professionnel, que ça devienne prétentieux, ou en tout cas trop important par rapport à la démarche initiale. Je répétais à tout le monde qu’il s’agissait juste de petites chansons, qu’il fallait les préserver comme telles. Je ne voulais pas non plus que ça coûte de l’argent, mais ça c’est une déformation qui me vient de mon père. Du coup, ça m’a soulagée que l’on fasse l’album en dix jours. Tu craignais de perdre quelque chose en passant par un studio ? J’avais peur que l’on trahisse l’aspect charmant et simple des demos. Je sais que ma mère angoissait aussi, elle avait peur que le résultat soit trop différent de ce qu’elle entendait dans la cuisine. Etienne pensait qu’on me demanderait de faire un album guitare/voix car à ses yeux ça suffisait. Il a même sans doute été

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“j’ai l’impression d’avoir été floue pendant trente ans et qu’avec ce disque on me voit enfin nette” un peu vexé et déçu qu’on lui demande de travailler sur une production plus étoffée. Une fois en studio, on a rajouté des éléments avec précaution, assez paranos à l’idée que la magie puisse s’évaporer. Ces chansons, je les porte depuis tellement longtemps que, de toute façon, je n’étais pas disposée à trop les modifier. Venant du cinéma d’auteur, avec notamment les films de mon père pour modèle, je voulais enregistrer comme on tournerait des plans-séquences, dans la continuité et non en chantant chaque mot séparément comme ça se fait couramment aujourd’hui. On tenait, Etienne et moi, à ces méthodes old school, sans effet sur la voix, sans effet du tout sur la musique. Tu aimes cette simplicité chez les autres ? C’est ce qui m’a toujours attirée dans la musique, je n’aime pas les choses trop élaborées. J’aime Dylan parce que les chansons ont l’air de sortir d’une traite, sans aucun artifice. C’est pour ça aussi que j’apprécie la démarche de toute la bande Devendra Banhart. Même si les chansons ne me passionnent pas toujours, je suis sensible au fait que la musique puisse rester aussi simple et naturelle. D’ailleurs, à peine l’album terminé, Etienne m’a dit qu’il fallait que je continue à écrire sur ma lancée, en conservant cette fluidité. J’aimerais même faire un autre album dans l’année, en tout cas très vite après celui-là. Le cinéma et le mannequinat représentaient-ils des solutions d’attente avant de pouvoir faire un disque ? J’ai souvent construit mon parcours en réaction. Il y avait deux façons de gérer ma situation familiale particulière. J’aurais pu devenir quelqu’un de perdu et m’enfoncer dans la dépression comme ça arrive malheureusement à pas mal de personnes dans mon cas. Mais j’ai choisi de montrer un profil assez joyeux, même lorsque ça n’allait pas bien, avec le désir d’attirer l’attention comme lorsque je portais des dreadlocks et des piercings partout. La seule raison pour laquelle j’ai commencé à faire du cinéma, c’est pour être avec mon père. J’ai fait mon premier film avec lui et avec ce désir d’une petite fille qui veut plaire à son père. D’autant plus qu’avec un homme aussi raide que lui, il fallait partir au combat, provoquer la rencontre. Comme tous les artistes – j’ai aussi connu ça avec ma mère –, il avait trouvé ses grandes joies au travail, dans la création. C’est l’inverse des gens normaux pour qui le travail reste un travail et qui ne se sentent heureux que le soir en rentrant à la maison. Enfant d’artiste, je voyais mes parents tristes lorsqu’ils rentraient à la maison. Leur bonheur avait l’air de se situer ailleurs, un ailleurs que je ne connaissais pas et qui forcément m’attirait. J’ai donc commencé comme troisième assistante, assistante monteuse ou scripte sur les films de mon père parce qu’autrement, il ne m’aurait jamais autorisée à être là. Ta carrière d’actrice n’a jamais été très simple… A 19 ans, j’ai vraiment connu un trou d’air, après le film Blanche de Bernie Bonvoisin qui s’était planté.

J’avais commencé très tôt dans les films de mon père, donc les gens avaient l’impression de me voir depuis trop longtemps, et moi-même j’ai admis que je n’étais pas forcément faite pour être actrice. J’étais très hostile à ce rapport de séduction qui existe entre les actrices et les réalisateurs, chose que mon père a beaucoup pratiqué. Je me suis sabordée dans un tas de castings pour écarter tout risque de carrière. Le mannequinat m’a sauvé la vie car j’avais besoin de bouffer et d’élever mon fils, mais c’est ensuite le théâtre et la rencontre avec Arthur Nauzyciel qui m’a redonné l’envie d’être comédienne. On a monté Beckett ensemble, j’ai aussi fait Lettres intimes qui prouvait qu’on pouvait poser dans les magazines ou défiler pour des couturiers et lire aussi des livres. Arthur, ça l’amuse beaucoup que je puisse me rendre à un défilé Dior le matin et porter 40 000 euros de fringues et que l’on se retrouve l’après-midi dans un TER pour aller jouer L’Image de Beckett à Orléans. La chanson, c’était un aboutissement pour toi ? Entre le cinéma, la mode et le théâtre, je pense que les gens ont eu du mal à me situer. En étant en plus la “fille de…”, ce qui commence à être lourd à porter à 25 ans lorsqu’on est soi-même parent d’un enfant, il fallait que je retrouve une forme de normalité. Cela a commencé il y a quatre ans : je vivais à l’écart du monde, une période pas forcément dépressive mais assez sombre. J’étais entourée de mes livres, de mes fantômes et je me raccrochais à mes chansons. Etienne m’a trouvée dans cet état. Ma grande joie, avec la musique, c’est qu’on commence à comprendre qui je suis vraiment, et que cet album peut même faire le lien avec le passé. J’ai l’impression d’avoir été floue pendant trente ans et qu’avec ce disque on me voit enfin nette. Tu voulais aussi surprendre, notamment avec ta voix ? Pour l’instant, j’ai du mal à réaliser qu’on parle de moi lorsque les gens se disent émus par ma voix. Je me bats pas mal avec elle, par moments elle m’échappe. Décider de chanter a été important pour moi : pour la première fois, j’avais l’impression de faire quelque chose que je ne cherchais pas à contrôler. Au cinéma, à part de rares moments de grâce qui peuvent t’échapper, tu as toujours conscience de ce que tu fais, tout est très réglé. Alors que quand je chante, j’ai la sensation de ne plus rien gérer du tout. Pour Etienne, cela semblait parfois compliqué parce qu’il m’arrivait de changer les paroles d’une prise à l’autre, ce que j’avais toujours fait jusqu’ici car ces chansons vivaient avec moi au quotidien. Le plus douloureux, c’était de devoir les arrêter dans le temps. Tu ne t’es jamais sentie inhibée par le poids de ta famille ? La raison aurait voulu que je devienne plombier, surtout pas actrice et encore moins musicienne. J’étais assez fière finalement de devenir mannequin parce que j’étais la première de la famille. Au moins, cela m’appartenait. Pour le reste, la musique a longtemps représenté la pièce sacrée, celle dans laquelle je n’avais surtout pas le droit d’entrer, du moins professionnellement. Avec ma mère, Charlotte ou le fantôme de Serge toujours très présent à travers

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“la raison aurait voulu que je devienne plombier, surtout pas actrice et encore moins musicienne”

toutes ces chapelles ardentes et le culte qui l’entoure, je savais que c’était le domaine à ne pas approcher. Là encore, Etienne m’a retournée avec des arguments très justes, me disant que n’importe quelle inconnue avec ces chansons aurait été démarchée par les maisons de disques depuis longtemps. Il m’a aussi dit : “Avec tout ce que tu as pris dans la gueule depuis quinze ans, tu ne risques plus grand-chose.” Il avait raison. D’où vient ta culture musicale ? Curieusement, d’abord de mon père. Serge a habité avec nous à la maison pendant huit ans mais au piano il ne jouait que des petites histoires de cow-boys et d’Indiens ou des chansons rigolotes pour nous amuser. Je ne l’ai jamais vu se mettre au travail, composer, jouer ses chansons. Avec ma mère, ils n’écoutaient jamais de musique. Je lui ai parlé une fois d’Hendrix, elle voyait vaguement de qui il s’agissait parce qu’elle avait prononcé son nom dans une chanson de Serge, Ex-fan des sixties. Serge avait tendance à penser qu’en dehors de lui et des compositeurs classiques, il n’y avait pas grand-chose qui valait la peine. En revanche, mon père, d’un tempérament très curieux, possède une grande culture musicale. Il m’a fait découvrir Leonard Cohen, Nick Drake, Siouxsie And The Banshees ou The Clash. Il écoute aussi beaucoup de musique indienne, pakistanaise, marocaine, il vit en permanence entouré de musique et je tiens ça de lui. J’ai toujours un iPod sur les oreilles et si la batterie

se vide, je rentre d’urgence chez moi en taxi parce que j’ai l’impression de ne plus pouvoir respirer. Dès l’âge de 12 ans, j’étais la groupie de la famille, j’allais tout le temps aux concerts, je ne tombais amoureuse que de musiciens alors que je n’ai jamais été attirée par un acteur. Voir jouer des musiciens, c’est la seule chose qui me rende jalouse. Tu n’as pas le même rapport au cinéma ? A travers mon père, j’ai découvert très tôt des cinéastes importants mais difficiles. Je pense que le premier film que j’ai vu c’était Bonjour d’Ozu. Ensuite, je me suis tapé tous les Cassavetes, les Bresson, les Dreyer et pour nous distraire, de temps en temps, on avait droit à un Laurel et Hardy. Je pense que mon père voulait me donner les clés pour comprendre ses propres films. C’est très tard que j’ai découvert Alien, les gros succès américains. Quand mes potes voulaient aller voir un Cassavetes, je n’avais qu’une envie c’était de voir Die Hard en bouffant un McDo (rires) ! A 20 ans, j’ai découvert des films de merde qui m’ont fascinée. Ça m’a passé très vite et c’est seulement là que j’ai eu envie de voir les films de Jacques. En découvrant Les Doigts dans la tête ou La Drôlesse, je me suis rendu compte à quel point j’étais jusqu’au bout des ongles la fille de Jacques Doillon. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas son travail, il reste l’artiste le plus intègre qu’on puisse imaginer. Il a toujours refusé de vendre les droits de ses films pour des remakes, il s’est tiré sans arrêt des balles dans le pied, il vit au fin fond de la Normandie et il a encore hypothéqué sa maison pour faire un film en trois semaines. Il s’enterre depuis trente ans mais je trouve ça si beau, si admirable de garder une telle éthique… Contrairement à ta mère, tu ne voulais pas dépendre de quelqu’un pour ta musique ? Si j’ai une admiration sans limites pour des chanteuses comme Patti Smith, PJ Harvey, Beth Gibbons ou Lhassa, c’est parce qu’elles ont su écrire des chansons très au-delà de ce que les hommes étaient capables d’écrire. Ma mère a été à ce point la muse de Serge que lorsqu’elle a commencé à écrire, un film ou une pièce de théâtre, les gens n’ont pas compris : ils voulaient toujours la voir idéalisée à travers les chansons de Serge. Moi, j’ai longtemps été le vilain petit canard de la famille, j’étais pas spécialement douée, pas spécialement jolie et je ne montrais rien de vraiment intéressant. Aujourd’hui, on vient me féliciter pour les chansons parce qu’on a l’impression que je me suis trouvé enfin une place à moi. Cette place, je l’ai construite à l’écart du reste de ma famille mais ça a pris du temps. J’étais sur mon île mais tout le monde n’avait d’yeux que pour la péninsule (rires). Ma mère elle-même me dit que j’ai de la chance, ce qui m’aurait semblé incroyable il y a quelques années. Maintenant, au premier événement un peu dramatique dans la famille, on se retourne vers moi et on me dit : “Toi, tu pourras t’en sortir parce que tu vas en faire une chanson.” ep I.C.U. (Barclay/Universal) album Places, à paraître en septembre

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la bande-son de l’été 2012 Passion Pit au grand galop, The Hives explosifs, Lou Doillon lumineuse et Regina Spektor en furie romantique… 1. Passion Pit Take a Walk

9. Rozi Plain Humans

Extrait en avant-première de l’album Gossamer (Sonymusic) Second galop des Américains de Passion Pit, bourré de mélodies Bisounours et de percussions à décrocher la cage thoracique : Take a Walk est l’antidépresseur de l’été.

Extrait en avant-première de l’album Joined Sometimes Unjoined (Talitres/Differ-ant) Proche de Frànçois & The Atlas Mountains et de This Is The Kit, cette fantastique Anglaise s’offre la bande-son de juillet avec ce concentré pop.

10. Regina Spektor All the Rowboats 2. The Hives Go Right ahead Extrait de l’album Lex Hives (Sonymusic) Avec un nouvel album explosif, les Hives confirment leur statut. Le groupe, redoutable sur scène, devrait allumer le feu cet été.

Extrait de What We Saw from the Cheap Seats (Sire/Warner) Dans Spektor, il y a or. Et c’est dans ce minerai qu’est taillé le sixième album de la New-Yorkaise. All the Rowboats mène la flottille d’un album éblouissant, entre furie et romantisme.

3. Plugs Set Fire Extrait en avant-première de l’album Plugs (Eurostar Records) Cousins lointains de Hot Chip ou de Breton, les Anglais de Plugs aiment tordre couleurs, synthés et mélodies pour en faire des tubes.

11. Marie Pierre Arthur Fil de soie Extrait en avant-première d’Aux alentours (Polydor/Universal) De Montréal, la rumeur monte : Marie Pierre Arthur débarque avec son power-folk des grands espaces, et c’est un enchantement.

4. School Is Cool Warpaint Extrait en avant-première de l’album Entropology (Pias) Il est loin le temps où une nymphette susurrait : “Mais oui, mais oui, l’école est finie.” “School Is Cool”, lui rétorquent ces turbo-Belges qui ont effectivement été à bonne école, avec Arcade Fire et Pixies en profs d’éducation physique.

5. The Bewitched Hands Boss Extrait en avant-première de l’album Vampiric Way (Jive Epic/Sonymusic) Leur premier Birds and Drums ne laissait aucun doute sur le devenir grandiose de la machine à tubes rémoise. Sa suite confirme “haut les mains” : un parfait hold-up pop se prépare.

12. Angus Stone Bird on the Buffalo Extrait en avant-première de l’album Broken Brights (Discograph) Echappé du duo qu’il partage avec sa sœur, l’Australien signe un recueil de folk-songs au doux spleen.

13. Get Well Soon You Cannot Cast out the Demons (You Might as Well Dance) Extrait en avant-première de l’album The Scarlet Beast O’Seven Heads (City Slang/Pias) Get Well Soon revient avec un album plantureux, à l’image de ce premier extrait à la mélancolie dévastatrice et aux arrangements en cascade.

6. Naive New Beaters La Onda

14. Hugh Coltman The End of the World

Extrait en avant-première de l’album La Onda (Cinq7/Wagram) Les Naive New Beaters reviennent, le feu dans leurs shorts en satinette. Il faudra inventer des chorégraphies absurdes pour ce zouk futuriste.

Extrait en avant-première de l’album Zero Killed (Casablanca Records/Universal) Retour gagnant du plus francophile des songwriters anglais avec un album porté par des orchestrations soignées, d’où s’échappe cette ritournelle radieuse.

7. Lou Doillon I.C.U. Extrait en avant-première de l’album Places (Barclay/Universal) Coup de cœur pour ce passage lumineux de la comédienne à la chanson, en prélude à un album réalisé par Etienne Daho. “I See You” : on la voit déjà comme une très grande.

15. PacoVolume Palest Winter Light

8. Emily Loizeau Marry Gus & Celia (avec Camille)

16. Soma Mourning Cain

Extrait en avant-première de Mothers & Tygers (Polydor/Universal) Emily Loizeau et Camille ont fait des bébés. Pas ensemble mais en même temps. C’est pour ça qu’elles se retrouvent en duo sur cet extrait.

Extrait de l’album Massive Passive (Discograph) Il a failli être archéologue en Amérique du Sud ou œnologue en Nouvelle-Zélande. Il est désormais crooner de pop en France, et c’est sans doute ce qui va le mieux à son écriture racée.

Extrait en avant-première de l’album Nobody’s Hotter Than God (Sonymusic) Après Jewel and the Orchestra paru en 2010, les Français reviendront en septembre avec Nobody’s Hotter Than God dont ce Mourning Cain, épique et épuré, fait figure de bel aperçu.

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François Hollande, à bord du sous-marin Le Terrible, au large du Finistère, le 4 juillet

tranquille mais pas trop

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ù est passé François Hollande ? Si vous le savez, ça m’intéresse !” Cet élu UMP, croisé devant l’Assemblée, est rieur en ce jour de discours de politique générale de Jean-Marc Ayrault. L’argumentaire est un peu cousu de fil blanc : le chef de l’Etat, que l’opposition se plaît à dépeindre en poltron, se planquerait derrière le Premier ministre, chargé d’annoncer la potion amère de la rigueur aux Français, deux mois après la victoire de la gauche à l’élection présidentielle. L’accusation est de plus appelée à être démentie par les faits puisque, samedi 14 juillet, le chef de l’Etat, qui se dit “absorbé”, et même “aspiré” par ses activités internationales depuis sa prise de fonctions, à la mi-mai, reprendra pied sur le terrain de la

Arnaud Roine / AFP

L’opposition peine à se structurer à gauche de la gauche face au couple Hollande-Ayrault. Mais l’Elysée se prépare au réveil des contestations. politique intérieure, avec, entre autres réjouissances, une intervention télévisée. En ce mardi 3 juillet, François Hollande est d’ailleurs à l’Elysée, où il suit les premiers pas du chef du gouvernement. Il piaffe un peu devant son écran de télévision car les joutes parlementaires lui manquent – le partage des rôles, bousculé par l’omniprésidence de Nicolas Sarkozy, est revenu à la normale. Mais si l’hôte de Matignon est un fusible et peut donc être changé dès qu’une crise le carbonise, le maître de l’Elysée sait qu’au final c’est à lui et à lui seul que sera imputé l’échec ou la réussite du quinquennat. François Hollande se dit “préparé” à l’impopularité qui pointe déjà le bout du nez dans quelques sondages. Dans le train qui le ramène du sommet de

Bruxelles, le 29 juin, il rappelait d’ailleurs avoir conçu ses cinq ans de mandat ainsi : deux ou trois ans d’efforts pour pouvoir ensuite redistribuer. “Je ne serai pas de ceux qui donnent au début pour tout reprendre, et même plus, à la fin.” Il ajoute que les réformes de société, qui ne peuvent pas attendre, seront mises en œuvre rapidement. A commencer par le mariage pour tous. Le risque assumé, c’est bien sûr le décrochage d’une opinion, déjà épuisée par quatre ans de crise économique et sociale. “On n’a pas le nez sur les sondages, souligne un conseiller élyséen, la présidence s’inscrit dans un temps long.” Et d’ailleurs, quand Jean-Marc Ayrault s’exprime à la tribune de l’Assemblée nationale, chahuté par des élus UMP impatients, c’est pour 11.07.2012 les inrockuptibles 39

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Ludovic/RÉA

promettre “le changement dans la durée”. C’est aussi pour s’engager au “redressement dans la justice”, un terme hollandais pur sucre, qui sonne plus doux à l’oreille que ceux de “rigueur” ou d’“austérité”. “L’austérité, je la refuse”, proclame JeanMarc Ayrault au journal de 20 h de TF1, le 4 juillet. La veille, seuls les députés du Front de gauche ont boudé le vote de confiance qu’il sollicitait à l’Assemblée nationale. Ils se sont abstenus. Jean-Luc Mélenchon n’y décèle rien de moins que “l’acte de naissance d’une autre gauche parlementaire”. L’eurodéputé écrit sur son blog qu’on “voit avec stupeur l’Etat mettre en œuvre le meilleur de son savoir-faire d’organisation et de planification à s’autodétruire. La nouvelle RGPP (révision générale des politiques publiques) est plus violente que la précédente, comme on le sait, puisque les postes rétablis dans l’Education nationale conduisent à une pulvérisation accélérée de tous les autres compartiments de l’Etat. Dans plus d’un secteur, la ligne de flottaison est emportée et le naufrage a commencé.” Pour le communiste André Chassaigne, “on ne peut pas prétendre relancer la croissance en éteignant tous les moteurs possibles de cette relance”. “Où sont les perspectives, sans hausse des salaires, sans investissements publics, sans mobilisation du crédit bancaire, sans relance de l’emploi industriel ?”, s’emporte-t-il face au Premier ministre à l’Assemblée. Le Front de gauche tempête encore plus fort contre la volonté de François Hollande de faire ratifier le traité budgétaire européen qu’il a tout juste réussi à tempérer lors du sommet de Bruxelles, grâce à l’adoption par les pays de l’Union d’un pacte de croissance doté de 120 milliards d’euros. La gauche de la gauche réclame un référendum que le chef de l’Etat ne lui concèdera certainement pas, nourri par le souvenir cuisant de sa défaite lors du référendum sur la constitution européenne de 2005. Dès lors, la contestation menée par le Front de gauche semble s’essouffler. “François, viens sur ta gauche, ça te changera !” Sur la place de l’Hôtel de ville de Reims, où le chef de l’Etat s’offre,

A l’Assemblée nationale, après le discours de politique générale de Jean-Marc Ayrault, le 3 juillet

ce dimanche 8 juillet, une “déambulation” après son déjeuner avec Angela Merkel, deux hommes, casquette vissée sur la tête, rigolent en attendant de pouvoir immortaliser l’instant avec leur téléphone portable. “On lui fait confiance, dit l’un d’entre eux, mais on sait que ce sera difficile de changer les choses.” Pour Frédéric Sawicki, professeur de sciences politiques et spécialiste du Parti socialiste, François Hollande n’a guère de soucis à se faire dans l’immédiat s’il regarde sur sa gauche. “Pendant la campagne présidentielle, puis législative, les socialistes n’ont pas promis monts et merveilles. Le redoublement du discours de la droite sur la situation catastrophique du pays a renforcé l’opinion dominante, la pensée unique. Il y a l’exemple de l’Espagne, de l’Italie, sans parler de la Grèce, et,

le Front de gauche compte sur le levier de la rue pour établir un nouveau rapport de force au sein de la majorité

quand le gouvernement annonce des hausses d’impôts pour les plus riches, la limitation des niches fiscales, et même la fin des heures supplémentaires, les gens se disent que ça pourrait être pire. Et la souffrance, la tristesse qu’on lit sur le visage de JeanMarc Ayrault, eh bien cela n’encourage pas à la multiplication des protestations !” Un sondage Ifop, réalisé pour le Journal du dimanche, montre même que 67 % des Français sont prêts à faire des efforts pour redresser la situation économique du pays. L’enquête précise que 84 % des sondés pensent que les classes moyennes et populaires ne seront pas épargnées par la hausse des impôts et des prélèvements. Mais les Français semblent en effet se résigner à la période de rigueur annoncée à demi-mot par Jean-Marc Ayrault. François Hollande et le gouvernement peuvent-ils dès lors baisser la garde et penser que tout ira pour le mieux dans une sorte d’atonie jusqu’aux élections intermédiaires ? Bien sûr que non. Car il y a des raisons de rester vigilant. Les socialistes ont déjà regretté la décision des députés du groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR) de s’abstenir lors du vote de mardi. “C’est toujours grave de ne pas voter la confiance”, a dit le président de l’Assemblée, Claude Bartolone.

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édito

Frédéric Sawicki, spécialiste du PS, estime que “le conflit le plus spectaculaire” pourrait venir des écologistes

“Le Front de gauche dans sa composition diverse – et nous attendrons de voir comment il évolue – se met aujourd’hui en marge du changement. Il a tort”, a renchéri le ministre PS du Travail, Michel Sapin. “Cela rappelle la vieille phrase de Johnson sur Hoover, le patron du FBI : ‘je préfère l’avoir à l’intérieur de la tente, qui pisse dehors, plutôt qu’à l’extérieur, qui pisse dans la tente”, s’amuse Frédéric Sawicki. “Mais le Front de gauche savait bien que, s’il entrait au gouvernement, c’était pour mener une politique dure, d’austérité. Pierre Laurent a été clair sur la non-participation des communistes au gouvernement pendant la campagne des législatives.” Dans son intervention à l’Assemblée nationale, André Chassaigne a toutefois souligné que les élus GDR ne votaient pas “contre” la confiance au gouvernement car ils entendaient bien être “constructeurs du changement tant attendu”. “Nous voulons que la gauche réussisse, nous le voulons vraiment”, a-t-il ajouté. Le Front de gauche compte en fait sur le levier de la rue pour établir un nouveau rapport de force au sein de la majorité. Mais, souligne Frédéric Sawicki, “on peut douter de la constitution d’un mouvement social puissant”. “La CGT est en plein débat sur la succession de Bernard Thibault, ce qui prive le Front de

gauche d’un relais syndical. Et la CFDT avait des revendications sur la fiscalité, sur les heures supplémentaires, que le gouvernement est en train de satisfaire. Donc je ne crois pas que la répétition d’un front intersyndical large, comme au moment de la réforme des retraites, soit probable.” Au PS, on souligne par ailleurs que les communistes “ne sont pas toujours sur la même longueur d’ondes que Mélenchon. On les a aidés à constituer leur groupe à l’Assemblée, ils ont besoin de nous pour sauver leurs municipalités en 2014. On n’est pas dans une logique d’affrontement.” Pour Frédéric Sawicki, c’est davantage en interne et du côté des écologistes que résident les éventuels dangers pour le couple HollandeAyrault. Il relativise toutefois : “La force du président de la République, c’est sa capacité à récompenser tout le monde, à lier les mains de tous. Sous Jospin, le PS n’avait pas la majorité à lui seul. Il y avait donc la gauche plurielle, des démissions régulières de ministres. Aujourd’hui on n’imagine pas Montebourg, et même Hamon, démissionner.” “Mais, si demain le gouvernement est impopulaire, s’il y a un décrochage dans l’opinion, l’espace de contestation va s’élargir”, précise le chercheur. Il estime que “le conflit le plus spectaculaire” pourrait venir des écologistes. “Ils pourraient quitter le gouvernement durant le quinquennat”, dit-il en citant les sources de déchirements possibles : la poursuite des travaux de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, un projet défendu par Jean-Marc Ayrault et combattu âprement par les Verts, un retard dans la transition énergétique et la diminution de la part du nucléaire. Un autre front pourrait s’ouvrir du côté des collectivités locales, détenues à une écrasante majorité par des socialistes et qui doivent être appelées à participer à l’effort de rigueur. Alain Rousset a déjà prévenu que les régions seraient “des alliés loyaux mais exigeants” du gouvernement. Quand il a effectué une plongée en sousmarin au large des côtes bretonnes, la semaine dernière, François Hollande apparaissait ravi dans son uniforme de sous-marinier. Mais la mer ne sera pas calme pendant cinq ans. Hélène Fontanaud

contre-pouvoir en embuscade La Ve République n’a pas organisé les contre-pouvoirs nécessaires à la bonne marche d’une démocratie moderne. Les institutions solides voulues par De Gaulle offraient un pouvoir centralisé et puissant au chef de l’Etat en réaction à l’incurie de la IVe République. Pour contrebalancer ce qui était devenu, au fil du temps, un excès manifeste, les présidents successifs ont accepté des bribes de contrepouvoirs. La société elle-même s’est organisée. La fluidité de l’information, les exigences de transparence ont créé des instruments pour que s’exerce une forme de contre-pouvoir non institutionnel. La période Sarkozy, qui s’est achevée en mai, était paradoxale. L’hyperprésident est le premier à avoir imposé à sa majorité de laisser la Commission des finances à l’Assemblée nationale à un opposant. Il est celui qui a nommé un socialiste à la tête de la Cour des comptes. Mais sa pratique du pouvoir, toujours à la limite de l’abus, son obsession de tout contrôler, son mépris affiché des corps intermédiaires en ont fait un président tout-puissant, trop puissant. Le monde associatif et la presse, piliers du contre-pouvoir, semblaient être globalement antisarkozystes. Ces contre-pouvoirs ont paru jouer un rôle décisif dans la défaite de l’ancien président. Or c’est le sarkozysme, par sa pratique du pouvoir, qui les a réveillés. Et Nicolas Sarkozy d’en subir les conséquences. Aujourd’hui ils sont aux aguets, bien vivants, et risquent d’être plus exigeants encore avec François Hollande, qui procède de l’antisarkozysme, donc un peu d’eux-mêmes. Le nouveau président a toutefois du temps devant lui avant le réveil de la contestation. La vitalité nouvelle des contrepouvoirs : voilà sans doute l’un des plus beaux acquis (certes involontaire) du sarkozysme. Merci Nicolas Sarkozy !

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A l’occasion de la visite du président gabonais Ali Bongo, des militants appellent à la fin de la Françafrique. Paris, le 5 juillet

léthargie chez les activistes Absence ou “atonie” des mobilisations du côté de Jeudi noir, Sauvons les riches, les Enfants de Don Quichotte, Génération précaire… Beaucoup, engagés à gauche pendant la campagne présidentielle, se cherchent un nouveau rôle de poil à gratter.

S   

ur le terre-plein central du boulevard Raspail à Paris, derrière l’entrée du métro Rue-du-Bac, un vieil homme arrête sa canne face à un groupe de jeunes gens. “Non, on ne cherche pas d’argent”, lui répond une militante d’Avaaz.org (mot signifiant “voix” dans plusieurs langues), ONG sur le web. La jeune militante montre à ce passant un peu dur d’oreille son petit carton indiquant “Visite d’Ali Bongo en France, 55 623 citoyens disent à M. Hollande : La fin de la Françafrique, c’est maintenant !”

Derrière elle, en ce jeudi 5 juillet nuageux, le suractif Julien Bayou, figure médiatico-militante d’une multitude d’associations et collectifs (Jeudi noir, Sauvons les riches, Avaaz.org, Génération précaire…), enchaîne les interviews. Le jeune homme dénonce l’existence “des biens mal acquis” parisiens du président gabonais, invité du jour à l’Elysée et qui possède non loin de là un hôtel particulier. Vers 12 h 45, la 32e compagnie de CRS encercle tout ce petit monde.

Malgré l’appel des organisations Ça suffit comme ça !, Survie, Greenpeace, Avaaz.org et Sauvons les riches, seulement une vingtaine de militants ont répondu à ce rassemblement. “C’est un peu surprenant, mais c’est l’été et la thématique n’a jamais trop mobilisé”, tempère un militant de Survie. Julien Bayou le concède, depuis l’élection présidentielle, “il y a bien une léthargie” dans le milieu activiste “qui se traduit notamment par une sorte d’atonie dans les mobilisations”.

Et pour cause. La gauche est au pouvoir depuis deux mois et une bonne partie de ces militants adeptes des “happenings, luttes festives et actions directes”1 ont contribué à sa victoire. Un petit nombre a intégré le NPA, d’autres sont allés chez Mélenchon ou au PS, et une dernière partie a décroché des postes dans l’équipe de campagne d’Eva Joly. Trophée inespéré pour les Enfants de Don Quichotte et Jeudi noir, après un quinquennat de luttes respectives sur la thématique des sans-abri et du logement,

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Geoffrey Le Guilcher

comment conserver à la fois un pied dans les travées du pouvoir et un second dans la rue ?

la camarade verte Cécile Duflot se retrouve à la tête du ministère en question. Comment, dès lors, conserver à la fois un pied dans les travées du pouvoir et un second dans la rue ? Le mercredi 23 mai, une semaine à peine après la nomination du gouvernement Ayrault 1, la question est posée. Une trentaine de membres de Jeudi noir se réunissent “dans un squat ami”. La bataille pour la présidentielle enfin close, il s’agit de définir une position à adopter. Il y a quelques mois, “l’ennemi commun” était identifié : l’austère secrétaire d’Etat au Logement Benoist Apparu. Aujourd’hui, à sa place, il y a “Cécile”. “On a voulu tout de suite envisager notre discours sous ce nouveau pouvoir, se souvient Elise

Aubry, militante de Jeudi noir devenue pendant la campagne responsable de la stratégie web d’Eva Joly. La peur qu’on avait, c’est que ça nous enlève de la crédibilité.” Pas de dissensus dans la petite assemblée, “personne n’a dit : non, on n’emmerdera pas le gouvernement”, assure Julien Bayou, porteur d’une casquette d’élu Europe Ecologie-Les Verts (EELV) à la Région Ilede-France. Une nouvelle “réquise” (réquisition de logements ou bureaux vacants) symbolique aura bien lieu d’ici la fin de l’année. Les activistes se disent qu’ils ont, en gros, un an pour faire passer un maximum de mesures. “Le décret bloquant les loyers, c’est bien, pointe Elise Aubry. Mais maintenant, il va falloir les baisser. Construire des logements sociaux, interdire les expulsions sans relogement, punir les villes qui n’appliquent pas la loi SRU 2…” Pour autant, Elise Aubry perçoit elle aussi que, en ce qui concerne le militantisme, “la période postélectorale s’avère un peu Flanby”. Bayou acquiesce. En 2007, la situation était inverse, le “gouvernement off”, sorte de front antiSarkozy, avait réuni quasi automatiquement entre 60 et 70 associations. Autre image apparue à Paris lors de l’hiver 20062007, ces villages de tentes montées le long du canal Saint-Martin par les Enfants de Don Quichotte. Figure de proue de l’association,

la grande gueule – au sens propre et figuré – d’Augustin Legrand. Lui aussi se retrouve porteur de la double casquette de militant indépendant des establishments et d’élu EELV à la Région Ile-deFrance. “Aujourd’hui, je ne mettrais pas un campement, reconnaît-il. Je vais attendre de voir ce que va faire Cécile. En revanche, les Enfants de Don Quichotte reviendront si les promesses ne sont pas tenues. Moi je n’ai rien à faire en politique si on ne respecte pas nos engagements.” En 1981, les militants écologistes arrivés dans le sillage d’Edmond Hervé, ministre délégué à l’Energie, surnommés par les hauts fonctionnaires “les colleurs d’affiche”, montraient un enthousiasme débordant envers “leur ministre”. En 2012, la prudence domine. Rencontré dans un café de Châtelet, le bloggeur Custin d’Astrée (créateur en 2010 de l’Observatoire du mandat, site qui calcule le taux de promesses tenues – ou non – par le gouvernement par rapport aux engagements pris durant la campagne) pense que c’est paradoxalement ce qui pourrait “sauver” François Hollande. Après examen minutieux des 60 propositions du programme socialiste, il estime que “Hollande ne s’est pas trop mouillé”. “En 2007, Sarkozy était resté assez vague et la vision des bloggeurs de droite tournait presque à l’idolâtrie. Aujourd’hui, les bloggeurs de gauche sont déjà très

critiques dès qu’une mesure ne semble pas tenue.” Retour métro Rue-du-Bac, la tentative de percer le cercle de CRS échoue. Il n’y aura pas de banderoles “Saisie des biens mal acquis” déployées devant l’hôtel particulier de Bongo. En revanche, Manuel, militant de Sauvons les riches et Jeudi noir, accessoirement corédacteur de la partie logement du programme des Verts, entonne un petit chant repris en chœur : “Bongo dictateur, Hollande complice !” La solidarité gouvernementale entre les Verts et le PS ne concerne que les ministres, nous précise tout sourire Julien Bayou. Beaucoup plus sérieux, le militantétudiant-élu formule une observation en forme de prévision : “S’il y a eu des indignés et des gens dans la rue en Espagne, aux Etats-Unis ou en Grèce, c’est avant tout parce qu’il y a eu des mecs de gauche qui ont appliqué une politique de droite. Donc, à voir dans un an ou deux…” Geoffrey Le Guilcher 1. Sous-titre du livre Un nouvel art de militer de Cyril Cavalié (photo) et Sébastien Porte (texte) qui décrit de l’intérieur comment ces nouvelles organisations ont développé sous l’ère sarkozyste des actions coup-de-poing, joviales et médiatiquement efficaces. 2. Loi solidarité et renouvellement urbain. Elle impose aux villes de disposer d’au moins 20 % de logements sociaux. 11.07.2012 les inrockuptibles 43

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“la vérité des chiffres” Depuis le 28 juin, Gilles Carrez est président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale. L’un des seuls postes importants entre les mains de l’opposition. Entretien.



ans une France rose (présidence de la République, la majorité des grandes villes et régions françaises, à l’Assemblée nationale et, pour la première fois, au Sénat), le Conseil constitutionnel et votre poste sont-ils les derniers lieux institutionnels de pouvoir pour la droite ?  Gilles Carrez – Dans beaucoup de démocraties évoluées, la présidence de la Commission des finances de l’Assemblée nationale revient à l’opposition. Plus exactement, par le biais des finances, le contrôle de l’action du gouvernement et de la majorité est confié à l’opposition. C’est le cas en Allemagne au Bundestag, depuis très longtemps au Royaume-Uni ou dans les pays scandinaves. Nicolas Sarkozy a voulu cette réforme, c’est lui qui l’a imposée en 2007. Elle s’est traduite, ce que l’on ne sait que trop peu, par une disposition juridique dans le règlement de l’Assemblée.

“nous avons accès ‘en direct’ à toute l’information émanant du gouvernement”

En 2007, quand Nicolas Sarkozy décide d’attribuer la présidence de la commission des finances à un député de l’opposition, vous vous montrez réservé et déclarez que ce poste“ne doit pas devenir une tribune politique pour critiquer systématiquement les choix fiscaux du gouvernement”. Je veillerai à prendre un soin particulier à donner les chiffres et, à partir de là seulement, à prendre une position politique. Cette réforme est positive parce qu’elle permet à l’opposition de bénéficier d’un accès aux informations que nous n’avions pas jusqu’à présent.  Le pouvoir exécutif faisait-il de la rétention d’information ? Pour avoir vécu 1997-2002 dans l’opposition, c’était extraordinairement difficile de faire son travail parlementaire dans de bonnes conditions. Désormais, nous avons accès “en direct” à toute l’information émanant du gouvernement et des administrations. Et je suis sûr que cela permettra d’éviter les polémiques stériles, les procès d’intention. Est-ce le seul levier de votre fonction ? L’autre dimension, c’est d’assurer la bonne organisation des débats et de veiller au respect des droits de l’opposition au

Thomas Padilla/MaxPPP

Le député UMP Gilles Carrez

sein de la commission. Ensuite, c’est évidemment l’accès médiatique.  Une sorte de “tribune politique” d’opposant en somme… Si je prends l’exemple de mes deux prédécesseurs, Didier Migaud avait une certaine réserve dans son expression médiatique. C’était lié à son tempérament. Jérome Cahuzac se montrait beaucoup plus punchy. C’était aussi lié à son tempérament et à sa pratique de la boxe. Pour ma part, j’envisage cette fonction avec un souci constant de pédagogie et de vérité des chiffres. Je souhaite m’imposer une certaine rigueur dans l’expression médiatique.  Pourtant, ce matin même (mercredi 4 juillet), vous sortiez de votre réserve en affirmant que, contrairement à ce qu’avait promis François Hollande, l’exonération des heures supplémentaires serait également supprimée pour les entreprises de moins de vingt salariés… Oui. Jusqu’à tard hier soir, des journalistes de bonne foi m’ont appelé pour me dire que l’on conservait les exonérations dans les entreprises de moins de vingt salariés. Regardez le texte (il nous fait lire le texte émanant du Conseil des ministres), c’est faux. Seules les exonérations patronales demeurent. J’ai interrogé le ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, sur ce point, il a bien confirmé que ce serait pour tout le monde. (Nous lui montrons un article du Monde sur notre ordinateur, et lui faisons remarquer que ses précisions n’ont pas été entendues par le quotidien, qui opère toujours une dichotomie pour les entreprises de moins de vingt salariés…) Ah, mais c’est faux. Bien, on va faire quelque chose de très intéressant. (Gilles Carrez demande à sa secrétaire d’appeler la journaliste auteur de l’article. Le téléphone sonne). Bonjour, comment allez-vous ? Il faudrait que vous méditiez l’exposé des motifs de la loi de finances car vous indiquez que l’on garde les exonérations fiscales sur les heures supplémentaires pour les entreprises de moins de vingt salariés. Relisez avec votre objectivité habituelle… (Après dix minutes de conversation, il raccroche, l’air visiblement satisfait). Elle va faire un papier là-dessus. Voilà un bon exemple du rôle que je compte tenir. Quand j’étais rapporteur du budget, combien de fois j’ai été convoqué à l’Elysée… Sarko était furax. Et pourtant, dès le premier jour, je lui avais dit qu’on allait se planter avec le bouclier fiscal. recueilli par Geoffrey Le Guilcher

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Ils sont économistes, syndicalistes, militants ou simples citoyens concernés. Organisés en collectifs, ils tentent de faire partager aux dirigeants leur regard d’experts, cherchent et proposent des solutions alternatives.

par Jean-Marie Durand et Serge Kaganski

Thanassis Stavrakis/AP/SIPA

touchés par la crise

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Athènes, mai 2012. En Grèce, le chômage a atteint 22 % en mars dernier 11.07.2012 les inrockuptibles 47

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Q

uatre ans déjà que l’on patauge dans la plus grave crise depuis le krach de 1929. Déclenché par une dette américaine privée (les fameuses subprimes, des millions de ménages qui ne peuvent plus rembourser leurs emprunts immobiliers), le virus économico-financier a muté en un mélange explosif de dette souveraine (celle des Etats), de crise bancaire, économique, sociale et politique. L’épidémie s’est propagée au reste du monde, infectant notamment l’Europe et particulièrement sa zone euro. On connaît le diagnostic et les remèdes préconisés par les experts planétaires, du moins ceux dont la pensée domine : les économies occidentales ont trop longtemps vécu à crédit, il faut désormais faire pénitence pour ramener nos déficits à zéro et stopper la croissance exponentielle de nos dettes. Le problème que pose cette politique rappelle celui des sables mouvants : plus on pratique l’austérité pour réduire dettes et déficits, plus on risque de les creuser en éteignant toute possibilité de croissance. Et à force de serrer la ceinture comme un garrot, les peuples étouffent puis explosent, dans la rue ou dans les urnes. Il existe pourtant d’autres voix et voies. Des experts, économistes et collectifs citoyens, commencent à les faire entendre de plus en plus clairement. un président fait face à la crise Prenons l’exemple du collectif Roosevelt 2012, créé par l’économiste Pierre Larrouturou, et qui compte 75 000 sympathisants/adhérents. A pparu dans le ciel politico-économique français il y a une vingtaine d’années en prônant la semaine de 4 jours, Larrouturou fut l’un des quelques économistes qui avaient publiquement anticipé la crise de 2008. Passé par le Parti socialiste puis Europe EcologieLes Verts, aujourd’hui conseiller régional indépendant d’Ile-de-France, lassé des lourdeurs des appareils politiques mais toujours convaincu que, même si la crise est grave, il existe des solutions pour en sortir, Larrouturou a décidé de lancer

le collectif Roosevelt 2012, au nom inspiré par l’action de Franklin Delano Roosevelt dans les années 30 : face à la crise économique et à la misère sociale, le président américain avait réussi à réguler la finance en taxant lourdement les multinationales et les contribuables les plus riches. L’Amérique s’était relevée. Le capitalisme a fonctionné selon l’esprit rooseveltien pendant des décennies, jusqu’à l’avènement de Ronald Reagan en 1981 : en faisant confiance au seul et saint Marché, l’ancien acteur a dérégulé la finance et l’économie. Toujours muni de courbes et de graphiques clairs et pédagogiques, Larrouturou dénonce la pensée reaganienne comme la source originelle de nos maux actuels : depuis trente ans, une part des PIB occidentaux est passée des salariés aux actionnaires. Pour compenser cette perte de pouvoir d’achat, les classes moyennes et les Etats ont emprunté, vivant de plus en plus à crédit, jusqu’à aujourd’hui, où nous sommes arrivés au bout de ce système, au pied du mur des dettes.

“nous soutenons François Hollande mais pas ses renoncements” les Economistes atterrés

la dette n’est pas le problème Pour en revenir à la zone euro, si Larrouturou ne conteste pas la gravité de notre situation (mauvaise nouvelle), il estime qu’il existe d’autres moyens que le tout-austérité pour s’en sortir. Selon lui, on se trompe souvent de diagnostic. Les dettes sont moins un problème que le coût de leur financement : si la Grèce pouvait emprunter à 1 % et non pas à 25 % comme c’est le cas actuellement, elle pourrait apurer son passif plus facilement – même chose pour l’Italie ou l’Espagne. Le caractère boiteux de la construction européenne est aussi en cause : si l’UE fédéralisait économies, fiscalités et budgets nationaux, si elle mutualisait les dettes et si la Banque centrale européenne (BCE) disposait des mêmes prérogatives que ses homologues dans le reste du monde, les marchés ne pourraient plus spéculer contre tel ou tel Etat membre et faire grimper les taux d’intérêt. Cela fait beaucoup de “si” mais qui aurait dit il y a trente ans que le mur de Berlin allait tomber ? Le collectif Roosevelt 2012 affirme aussi qu’une politique fiscale mieux répartie permettrait de boucher aisément une partie de nos déficits. Larrouturou ajoute une touche personnelle à l’état des lieux de nos maux : la durée du temps de travail, trop importante et mal répartie en notre ère d’immenses gains de productivité grâce aux ordinateurs et robots.

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Paolo Bona/Reuters

Milan, novembre 2011. La crise a entraîné en Italie une vague de suicides chez les entrepreneurs et les salariés licenciés

Fort de ces divers diagnostics, le collectif propose quelques solutions contre la crise économique à appliquer d’urgence (lire ci-contre). Recoupant les propositions d’un autre collectif, les Economistes atterrés, ces pistes crédibles, réalistes, fondées sur des données chiffrées incontestables, ne dépendent que d’une volonté politique au niveau français puis européen. le Grand Soir n’est pas la solution Des personnalités d’horizons aussi divers que Michel Rocard, Susan George, Lilian Thuram, Stéphane Hessel, Roland Gori, Cynthia Fleury ou Bruno Gaccio ont rejoint le collectif Roosevelt 2012 ou se sont affichés comme sympathisants. Roosevelt 2012 ne se veut pas un parti politique et ne propose aucun poste de pouvoir. Son objectif est plutôt d’aider les citoyens à s’emparer des questions économiques (car elles conditionnent notre vie quotidienne) puis à alimenter la réflexion et les décisions du monde politique, ainsi que le collectif l’a fait en allant distribuer un argumentaire de ses propositions aux députés le 26 juin, jour de l’ouverture de la première session de la nouvelle Assemblée. Roosevelt 2012 n’est pas non plus corseté par une idéologie. Si les grands repères qui le structurent sont la justice sociale, l’intérêt général, le progrès, donc des valeurs généralement associées à la gauche, n’importe quel démocrate

ou républicain convaincu (des centristes, des gaullistes sociaux) pourrait s’y retrouver. La crédibilité des réflexions de Roosevelt 2012 vient de ce qu’elles ne s’appuient pas seulement sur des utopies futures mais aussi sur des exemples passés : la politique de Roosevelt, les accords de Bretton Woods qui refondèrent le système financier en 1944, les accords de Wassenaar, en 1982, entre patronat et syndicats néerlandais sur la réduction du temps de travail, le programme Kurzarbeit allemand de 2009 où l’Etat subventionne des réductions de temps de travail, ce qui a permis de faire passer le taux de chômage sous les 7 % malgré la crise… Devant le désastre qui s’annonce, Roosevelt 2012 se présente avant tout comme une entité pragmatique, soucieuse aussi d’une meilleure efficacité économique. S’il a pris Roosevelt comme symbole plutôt que Marx ou Che Guevara, c’est que Larrouturou, à l’écart des idéologies, ne croit pas au Grand Soir. Davantage en phase avec la “deuxième gauche” ou la socialdémocratie même s’il n’est pas politiquement marqué, Roosevelt 2012 entérine l’économie de marché mais estime que la version actuelle du capitalisme marche sur la tête. Réformer radicalement le système sans déchaînement de violence, le remettre à l’endroit et au service du plus grand nombre, montrer que la crise et les solutions prônées jusqu’à présent par les dirigeants européens ne relèvent pas d’une fatalité, jouer un rôle d’aiguillon pour le gouvernement de gauche : tels sont les principaux désirs qui animent Roosevelt 2012. le Traité mènera à la catastrophe Autre collectif très actif dans la réflexion sur la crise, les Economistes atterrés – près de 2 000 membres en France – travaillent sur des positions et des propositions assez proches de celles de Roosevelt 2012. Depuis le lancement de leur Manifeste, en octobre 2010, ils n’ont cessé d’opposer d’autres horizons aux principes néolibéraux : la relance des investissements publics, la transition écologique, la fin de la concurrence fiscale et sociale… Remontés contre l’obsession aveugle des gouvernements

10 mesures contre la crise

La zone euro ne sortira pas de la crise par l’accumulation des plans d’austérité visant à rassurer les marchés financiers. D’autres orientations sont nécessaires. Parmi les nombreuses propositions qui circulent parmi les collectifs engagés contre les logiques néolibérales à l’œuvre en Europe, voici dix mesures clés permettant de dessiner un cadre économique nouveau, en rupture avec les politiques économiques dominantes.

1 désarmer les marchés financiers en interdisant les transactions spéculatives

2 faire garantir les dettes publiques par la BCE, de sorte que tous les pays puissent se financer à dix ans à 2 %, le taux sans risque

3 renégocier les taux excessifs auxquels certains pays ont dû s’endetter depuis 2009 et restructurer les dettes publiques insoutenables

4 mettre fin à la concurrence fiscale et déployer une vraie réforme fiscale pour faire payer le coût de la crise par le secteur financier et les patrimoines gonflés par les bulles financière ou immobilière

5 interdire aux banques et aux entreprises européennes d’avoir des activités et des filiales dans les paradis fiscaux

6 réformer en profondeur le système bancaire en recentrant les banques sur la distribution du crédit, en leur interdisant de spéculer, en séparant les banques de dépôt et les banques d’affaires

7 mettre en place des Banques publiques de développement durable (BPDD) qui collecteraient l’épargne des ménages

8 mettre fin aux politiques d’austérité, relancer l’activité et engager la transition écologique, grâce aux sommes collectées par les BPDD

9 mettre en œuvre une stratégie pour une croissance sociale et écologique

10 sécuriser les salariés et lutter contre les licenciements 11.07.2012 les inrockuptibles 49

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Paul White/AP/SIPA

Madrid, novembre 2011. En Espagne, des milliers de familles doivent abandonner leur logement. A 24, 4 %, le taux de chômage y est le plus élevé d’Europe

européens qui imposent des politiques d’austérité et de régression sociale, ces économistes appellent, entre autres, à un désarmement des marchés financiers, à une réorientation du système bancaire, à une profonde réforme fiscale, à une refonte des traités européens… Si Roosevelt 2012 entend dialoguer directement avec le pouvoir politique pour faire passer ses idées dans le monde politique, les Economistes atterrés se voient plutôt comme un groupe de pensée distinct du pouvoir : ils préfèrent garder leurs distances

avec l’Etat. Leur dernier texte d’intervention, L’Europe maltraitée, ausculte les points aveugles du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union européenne (TSCG). Ce pacte budgétaire européen, signé le 2 mars 2012 par vingt-cinq chefs d’Etat européens, mène selon eux à la “catastrophe”. La politique d’austérité “sanguinaire”, menée par les dirigeants européens, conduit l’Europe “au bord du gouffre depuis quelques années. Le pacte budgétaire radicalise les principes qui l’ont conduite dans la situation d’échec

trois livres pour en savoir plus Pierre Larrouturou C’est plus grave que ce qu’on vous dit… mais on peut s’en sortir ! (Nova Editions) Petit livre d’intervention court, concis, clair et précis du fondateur du collectif Roosevelt 2012. Le diagnostic des causes de la crise et quinze solutions possibles à mettre en place rapidement. Les Economistes atterrés L’Europe maltraitée (Les Liens qui libèrent) Autre ouvrage clair et bref qui porte un regard extrêmement critique sur la politique européenne de ces derniers mois et fait douze propositions (proches de celles de Roosevelt 2012) pour changer de cap. Le Collegium international Le monde n’a plus de temps à perdre (Les Liens qui libèrent) Comme les deux autres ouvrages, un livre d’intervention concis qui constate l’urgence à agir, par un collectif qui regroupe Stéphane Hessel, Michel Rocard, Peter Sloterdijk, Mireille Delmas-Marty, Edgar Morin… La différence : il s’intéresse davantage à l’organisation politique de notre monde à venir en prônant la création d’institutions de gouvernement mondial, faisant le constat que les plus grands problèmes d’aujourd’hui sont planétaires. Un livre qui complète les deux autres car la crise économique et la crise de l’action politique sont liées.

total dans laquelle elle se trouve”, expliquait l’un des Economistes attérés, Thomas Coutrot, lors d’une conférence de presse présentant l’ouvrage, mardi 26 juin, aux côtés de Dany Lang, Benjamin Coriat, Henri Sterdyniak… Ce Traité, qui oblige les pays membres à respecter un déficit structurel de 0,5 % du PIB contre 3 % auparavant, ne laisse aucune marge de manœuvre pour une relance par l’investissement, seule solution de sortie de la crise. “Il ne faut pas se désintéresser des déficits publics mais y faire face. Le moyen de résoudre le problème de la dette, c’est de mener une politique de croissance”, expliquentils. Contrairement à ce que François Hollande voudrait faire croire, la renégociation du Traité, annoncée avec fierté la semaine dernière, intégrant “une dimension de croissance”, ne change rien à la logique d’austérité dominante. Le pacte ne doit pas être complété mais “véritablement refondé”. “Ce pacte de croissance n’est absolument pas en mesure de contrebalancer les effets de la crise, d’autant qu’au même moment il rend les politiques de rigueur obligatoires”, estime Philippe Légé, autre Economiste atterré. L’injection annoncée de 120 milliards d’euros “pour relancer l’économie européenne” ne représente que 1 % du PIB européen et correspond en partie à des fonds structurels déjà programmés.

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l’économie au service du peuple Le Mécanisme européen de stabilité (MES) reste donc fragile. Tant que la BCE ne se décidera pas à briser la dépendance des Etats vis-à-vis des marchés financiers, la crise de l’euro se poursuivra. Seul un sursaut de l’intégration européenne pourrait dénouer la crise. En paralysant les politiques budgétaires nationales, en instaurant la “règle d’or”, ce traité va plonger l’Union dans une austérité perpétuelle. “En ne s’attaquant à aucune des causes de la crise actuelle, il risque d’aboutir à l’explosion de l’Union et à l’effondrement de la démocratie en Europe”, estiment les économistes, atterrés par tant d’aveuglement. “Nous soutenons François Hollande mais pas ses renoncements”, précisent les Economistes atterrés qui posent, au fond, la vraie question politique de nos temps incertains : quel dispositif institutionnel mettre en œuvre pour éviter que les marchés imposent leur loi aux Etats ? On ne sait si les idées de Roosevelt 2012 et des Economistes atterrés peuvent résoudre la crise. Mais elles proposent de remettre l’économie au service des peuples, et non des 1 % les plus riches, en misant sur une action politique qui décide au lieu de se soumettre. A ce titre, elles méritent qu’on les écoute et qu’on en débatte, à l’heure où nos dirigeants politiques, gauche et droite confondus, n’en finissent plus de patauger dans la crise, de pétocher devant les agences de notation et ne font plus rêver personne. Elles donnent aussi aux citoyens des outils pour mieux comprendre les ressorts de la crise et les solutions qui se profilent. De quoi secouer un gouvernement de gauche qui pécherait par excès de prudence ou de vision à court terme et réveiller une Europe trop divisée, timorée ou inféodée aux lois du Marché. www.roosevelt2012.fr atterres.org

ils ont rejoint Roosevelt 2012 Canal+

Cinq personnalités expliquent leur engagement dans le collectif.

Bruno Gaccio

Christophe Fillieule

La Banque européenne d’investissement ne verra ses fonds augmenter que de 10 milliards d’euros. Autant dire rien de substantiel. “On ne peut pas compenser une politique d’austérité de 240 milliards d’euros par an par 130 milliards sur quatre ans, estime Thomas Coutrot. On ne peut pas dire qu’il faut orienter l’Europe vers la croissance et en même temps tout faire pour remettre les budgets à l’équilibre.”

Michel Rocard ancien Premier ministre “Le collectif Roosevelt 2012 est la création de Pierre Larrouturou. Non seulement je l’ai rejoint immédiatement mais je crois même figurer parmi les cofondateurs. La raison en est simple : j’ai la conviction depuis quatre ou cinq ans que nous sommes entrés dans une crise économique et financière mondiale d’une extrême gravité, amplifée par une crise écologique aussi grave qui transforme radicalement les conditions et les moyens de lutte et de protection. Devant cette situation, les sciences humaines compétentes se sont effondrées et n’ont rien vu venir, les “sachant” se taisent ou à peu près, les politiques paniquent et n’ont pas de solution, les processus de décision en cours n’aboutissent qu’à des mesures mineures. Cela aggrave plutôt les choses. Il est donc de première importance et de première urgence de mettre en question et de diffuser dans le public le savoir et l’information sur les crises, d’imaginer et de préciser des réponses pragmatiques puissantes et non dogmatiques à ces menaces, et enfin de pousser les pouvoirs publics à décider avec audace en se passant du consensus du monde bancaire qui nous a amenés à cette crise. C’est ce que Roosevelt avait su faire en 1933. Il demeure le seul exemple à la mesure du problème.”

auteur, humoriste, producteur de télé “Pourquoi je soutiens et participe à Roosevelt 2012 ? La question m’est souvent posée par mes amis désabusés. Politiquement revenus de tout, ils ne souhaitent aller nulle part. J’ai personnellement cette tentation aussi. A quoi bon me dis-je ? Et puis Pierre Larrouturou, c’est quoi ce nom ? Pourtant nous avons sans doute un destin plus exaltant que celui de bovins contemplateurs de trains qui passent. Surtout qu’ils passent de plus en plus vite. Roosevelt 2012 c’est bien sûr quinze mesures concrètes et financées mais c’est surtout une logique. Nous avons changé de Président, ça ne servira à rien si nous ne changeons pas de logique. Nous avons peu de temps. Quelques mois avant que ne s’englue dans la politique du calcul cet espoir si mince né au mois de juin. Quelques mois pour inverser le cours suicidaire de l’histoire européenne. Une image simple que j’utilise souvent : quand on veut aller de Paris à Marseille et que sur l’autoroute on voit de plus en plus de panneaux “Lille-Bruxelles” c’est que nous ne sommes pas dans la bonne direction. Il ne sert à rien de ralentir, nous irions simplement moins vite au mauvais endroit : il faut faire demi-tour. Aujourd’hui, tout le monde a bien conscience que la finance, livrée à elle-même, s’autosatisfaisant en s’autonotant dans un onanisme financier des plus pervers nous emmène au mauvais endroit. Les sommets européens de la dernière chance – on doit en être à vingt – ne font que ralentir la marche vers l’inéluctable effondrement du système. Roosevelt en 1933, même si la situation n’est pas identique, a eu le courage d’aller contre les idées reçues et les lobbies bancaires, d’aller contre le fameux “mais on ne peut rien faire mon pauv’ vieux”. Il a séparé les activités de dépôt et de spéculation dans les banques en cinq jours. Bien sûr les banquiers ont fait la gueule. Il a tenu, sur ce sujet et sur d’autres. Son New Deal, même imparfait, a tenu cinquante ans. Puis le libéralisme, cette version porno du capitalisme, a tout sali. Aujourd’hui, il faut réinventer un contrat social. Pour ça, il faut du courage politique. De la créativité. Il faut oser. Voilà pourquoi je participe modestement à Roosevelt 2012 – je sers juste de tête de gondole de temps à autre – pour aider François Hollande et Jean-Marc Ayrault à exprimer ce courage qu’ils portent – j’en suis presque sûr, en tous cas je l’espère, au pire je le souhaite – en eux.”

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Paris, quartier de Belleville. En France, les 10 % les plus pauvres ont connu une chute de 2,1 % de leur niveau de vie entre 2008 et 2009

Aurélie Lamachère

membre de Génération précaire et de Jeudi noir “Le mouvement Génération précaire est né d’un appel à la grève spontané et diffusé sur internet, début septembre 2005, en réponse à l’existence d’une masse silencieuse, un véritable sous-salariat sans aucun droit et surtout sans parole : les stagiaires. Depuis sept ans, nous interpellons les pouvoirs publics sur la nécessité d’instaurer une rémunération minimum, progressive et sur laquelle seront prélevées toutes les cotisations sociales en vigueur pour ces jeunes de 18 à 30 ans, sur l’urgence d’une revalorisation de l’apprentissage, sur l’importance des questions d’insertion des jeunes dans l’entreprise. Force est de constater qu’en juillet 2012, beaucoup reste à faire. Non sans oublier notre grande déception quant à l’implication des pouvoirs publics pendant les sept dernières années sur ces questions sociales, économiques et sociétales, nous avons décidé de rejoindre, en groupe, le collectif Roosevelt 2012 afin de continuer le lobbying engagé, avec pour objectif d’améliorer les conditions de vie des précaires, et pour accélérer ce processus face à une nouvelle majorité qui a les cartes en main pour agir.”

François Perri/RÉA

Valentine Umansky

Patrick Pelloux président de l’Association des médecins urgentistes hospitaliers de France et chroniqueur à Charlie hebdo “S’engager dans le mouvement Roosevelt 2012, c’est montrer de l’audace et aussi que l’on ne se satisfera pas de la seule victoire de la gauche. Nous sommes à un tournant de la civilisation, la fameuse croisée des chemins. La santé a besoin d’être défendue : il faut mieux rembourser les soins, en faciliter l’accès, mener une politique de solidarité. De tous les pays riches, les Français sont ceux qui paient le plus de cotisations sociales et qui sont le moins bien remboursés. En dix ans, nous sommes passés de la septième à la vingtième place en Europe sur la politique de périnatalité ; l’Allemagne présente 1,2 professionnel de santé par personne âgée dépendante et la France seulement 0,6 ; les fonds de pension et d’investissement étrangers se font des fortunes sur le dos des vieux et des familles dans les maisons de retraite… Les exemples sont nombreux. Il faudrait dire aussi la nécessité de travailler sur la prévention dans les médecines du travail, carcérale et scolaire, le besoin de changement d’organisation des urgences… La tâche est rude mais en trois mois le changement politique est possible. On ne peut qu’être indigné par ces inégalités, par les neuf millions de personnes qui vivent en-dessous du niveau de pauvreté et ont des difficultés d’accès aux soins. Moderniser le système de santé, réaffirmer les valeurs humanistes et celles du service public : voilà des enjeux majeurs. La crise va briser des vies et nous ne devons pas abandonner les laissés-pour-compte. Enfin, nous devons être un exemple pour le monde. Aux Etats-Unis, la loi sur la protection sociale, dite Obama, validée par la Cour suprême, montre que les valeurs du Conseil national de la Résistance (CNR) ont inspiré l’évolution sociale d’un pays qui incarne un capitalisme aveugle et sourd à la crise. Nos espérances représentent une énergie pour proposer, discuter et créer des lois nouvelles, pour bâtir une société républicaine, humaniste et donc nouvelle elle aussi. Nous devons y croire et le faire, ensemble. Roosevelt est à tout le monde.”

Roland Gori psychanalyste, initiateur de L’Appel des appels “Je me suis engagé dans le collectif Roosevelt 2012 sur la base de ses analyses économiques et sociales, de sa volonté de restituer au champ du politique les prérogatives qui devraient être les siennes en matière de gouvernance des Etats et que les politiques néolibérales lui ont confisquées. Les analyses de Pierre Larrouturou montrent que les déficits publics sont la conséquence de ces politiques qui conduisent les Etats, comme les particuliers, à toujours plus s’endetter pour compenser le manque à gagner généré par le transfert des revenus des salariés vers les actionnaires. Traiter cette “folie néolibérale” requiert de l’audace : il faut faire reposer la stabilité économique et la paix dans le monde sur la justice sociale, brider les pouvoirs de la Finance par des dispositifs de régulation. Nous sommes devant un choix de civilisation, un choix anthropologique : l’humain ou l’argent. Roosevelt 2012 invite les hommes politiques à ne plus être les simples fondés de pouvoir des marchés financiers, à prendre leurs responsabilités. Il propose des solutions audacieuses, simples et concrètes à adopter d’urgence. Faute de quoi nous risquons d’entrer dans l’avenir à reculons en laissant perpétrer, par une administration purement technique et comptable de l’homme et de la nature, des crimes de civilisation qui minent la confiance des peuples et les disposent au pire.”

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punching belle Dans Piégée de Steven Soderbergh, Gina Carano botte le cul des meilleurs acteurs d’Hollywood. Dans la vie, c’est la plus douce des lutteuses.

S

a force, on la ressent dans son poignet, lorsqu’on lui serre la main, mais nulle part ailleurs. On s’attendait à une femme body-buildée aux arguments qui cognent, il n’en sera rien. La voici devant un café au lait, sourire timide, les mains sur les genoux, muée en jeune Sandra Bullock, la toxine botulique en moins, s’excusant pour son manque de préparation à l’exercice promotionnel. “C’est seulement ma troisième interview. J’en ai donné une à Los Angeles et une deuxième hier, où les journalistes posaient leurs questions en même temps. Personne ne m’a coachée. Je me suis dit qu’il fallait juste être honnête”, explique Gina Carano. A 29 ans, l’ancienne adepte de mixed martial arts – discipline à michemin entre la boxe et la lutte au corps à corps où presque tous les coups sont permis – est devenue une improbable star de cinéma. Elle vient de perdre le combat de sa vie contre sa rivale, Cristiane “Cyborg” Santos, quand Steven Soderbergh la repère à la télé. Le réalisateur cherche une actrice pour un projet

de film d’action réaliste, aux antipodes des aventures en short d’Angelina Jolie. Il tombe sous son charme et lui propose d’endosser le rôle de Mallory Kane, agent d’élite trahi par tous ses collègues. “Quand Soderbergh m’a appelée, je ne savais même pas qui il était. Je ne suis pas une de ces personnes qui restent dans la salle jusqu’au générique de fin”, dit-elle. Steven Soderbergh lui demande de “botter le cul des meilleurs acteurs d’Hollywood”. En l’occurrence, ceux de Michael Douglas, Ewan McGregor, Antonio Banderas, Channing Tatum et Michael Fassbender, avec lesquels elle partage des scènes de bagarre d’une rare violence. “Mais je n’ai fait mal à personne, jure-t-elle. En fait, je suis la seule qui s’est cassée quelque chose : le petit doigt. Bien entendu, il y a eu des plaies et des contusions. Mais j’adore les bleus. Sinon, il vaut mieux choisir un autre métier.” Elle n’a que des mots doux pour ses partenaires : “Au combat, Channing est très fort, Fassbender très rusé et Ewan très technique. S’ils pouvaient fusionner, ils deviendraient le meilleur lutteur du monde.” Sa diplomatie, limite langue de bois,

expliquerait qu’elle n’ait pas eu besoin d’accompagnement dans ses premiers pas hollywoodiens. Ou seraitce une pudeur presque évangélique ? Née au Texas, fille d’un ancien quarterback des Dallas Cowboys, Gina Carano a grandi dans un milieu très conservateur où Halloween était interdit. Le genre de famille qui quitte scandalisée une salle de cinéma pendant la projection de Forrest Gump “en raison du langage indécent”. Aujourd’hui, elle se dit toujours croyante, Dieu et la lutte l’ayant aidée à “se maintenir concentrée dans la vie”. Elle a étudié la psychologie à Las Vegas, sans obtenir son diplôme. “Peu importe, ça m’a été très utile, notamment sur ma concentration. Je suis fascinée par la puissance de l’esprit. J’ai gagné pas mal de luttes parce que j’étais plus forte mentalement que mes adversaires”, assure-t-elle. A 20 ans, elle a quinze kilos de trop et drague dans les boîtes de nuit du Nevada. Un jour, son boyfriend lui balance qu’elle est trop grosse. “Il avait raison.” Elle décide que l’heure de la remise en forme est arrivée, adhérant au refrain

hollywoodien de la rédemption par le sport. “J’ai tout de suite aimé la discipline de la lutte. J’ai aimé que ça me fasse peur et aussi le côté direct : la lutte est une bataille frontale où l’on ne poignarde pas l’autre dans le dos.” Gina aime la plage, le vin, les vêtements en cuir et “le fait d’être femme”. Féministe, comme pourrait le paraître son personnage Mallory ? “Non, ce n’est pas ça, balaie-t-elle, comme si le mot lui faisait peur. Mais j’aimerais bien développer un cinéma d’action différent, où la femme pourrait être aussi dure que tendre et délicate.” Devenue rêve humide de tout nerd qui se respecte, elle a cependant dû faire face aux charges de la presse américaine qui a estimé qu’elle avait le charisme d’Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen. “Son éventail d’expressions va du regard menaçant à la bouderie”, a ironisé The New York Times. Soderbergh a reconnu avoir eu recours à des effets spéciaux pour moduler sa voix pendant le montage. Cela ne la gêne pas. “Il aurait pu me filer la voix de Bill Clinton, je serais toujours aussi fière”, assure-t-elle.

Patrik Giardino/Corbis Outline

par Alex Vicente

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“j’ai tout de suite aimé la discipline de la lutte. J’ai aimé que ça me fasse peur”

Pourtant, elle a hésité avant d’accepter le rôle. “A l’époque, je sortais avec quelqu’un qui ne voulait pas que je tourne ce film, sûrement parce qu’il était jaloux. Je l’ai quitté”, avoue-t-elle dans un moment d’intimité inattendu. Cet ex, le lutteur Kit Cope, l’a menacée de diffuser une sex tape et a juré avoir “baisé des filles beaucoup plus canon” avant de présenter ses excuses. “J’ai pas mal de problèmes pour sortir avec des hommes. D’abord, il faut qu’ils acceptent mon métier. Et plus j’ai du succès, plus il devient difficile pour eux de se sentir valorisés”, reconnaît-elle avec un regard désarmant. Alors qu’on s’apprêtait déjà à lui raconter nos malheurs, son assistant entre dans la chambre pour siffler la fin de ce combat qui n’en fut pas un. “Merci pour votre gentillesse”, dit-elle avant de s’éclipser. Quelques semaines plus tard, on découvre sur son compte Twitter une citation de l’écrivain Eric Hoffer, chroniqueur de la classe populaire américaine : “L’impolitesse est une pâle imitation de la force.” Les réseaux sociaux sont le miroir de l’âme. Piégée de Steven Soderbergh, lire la critique du film pp. 68-69 11.07.2012 les inrockuptibles 55

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des ponts à Avignon Adèle Haenel vient du cinéma, Nicolas Maury du théâtre. On les verra au Festival, elle chez Arthur Nauzyciel dans un chef-d’œuvre classique, lui chez Guillaume Vincent dans une création très cinématographique. Conversation ciblée. recueilli par Jean-Marc Lalanne photo Alexandre Guirkinger

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dèle, vous avez fait assez peu de théâtre jusque-là... Adèle Haenel – On peut même dire que je n’avais jamais joué au théâtre avant La Mouette. En tout cas en professionnel. Par contre, j’en ai beaucoup fait enfant, dans une salle de quartier. Mes parents avaient envie d’avoir la paix et ont vite vu que m’envoyer faire du théâtre était un bon moyen (rires). Ça m’a tout de suite accrochée. Je me souviens du premier exercice, qui consistait à imaginer qu’on cherchait une aiguille par terre et que si on la trouvait, on gagnait 10 000 francs. J’étais à fond ! Mais rapidement, j’ai découvert que regarder les autres jouer, observer les étapes de travail me passionnait tout autant. Ensuite, à l’âge de 12 ans, j’ai été choisie pour tenir un rôle important dans un long métrage (Les Diables de Christophe Ruggia, 2002). Là, j’ai découvert un niveau de travail et d’intensité de jeu très nouveau. Après ça, l’activité de ma salle de quartier me paraissait trop light. Pour autant, je n’ai pas eu envie de prendre des cours pour adultes ou de tenter une école d’art dramatique. Le cinéma m’a fait renoncer au théâtre. Et le retrouver avec Arthur Nauzyciel et La Mouette ? Adèle Haenel – C’est vraiment super ! J’avais très envie mais je pensais que je manquais de formation sérieuse. Quand Arthur m’a appelée pour me parler de la possibilité de jouer Macha, je lui ai sauté dessus et je ne l’ai plus lâché. Vous, Nicolas, le théâtre est un peu plus votre maison ? Nicolas Maury – Oui. Le cinéma l’a aussi été très tôt, mais comme spectateur. Je viens d’un village de campagne, il n’y avait pas de théâtre, alors j’ai longtemps habité au cinéma. Il me proposait un ailleurs car j’ai toujours eu l’impression que ma vie n’était pas vraiment ici. J’ai d’abord regardé les films que mon père regardait, beaucoup de westerns. Ça peut paraître loin de moi comme genre de films mais ça ouvrait un peu l’horizon. L’ailleurs, ça a donc d’abord été dans le cinéma, puis la littérature, puis le divorce de mes parents. Quel a été le chemin jusqu’au conservatoire ? Nicolas Maury – J’ai d’abord fait un bac théâtre L3, option lourde, coefficient 8. Puis je suis entré au conservatoire de Limoges, puis à Bordeaux, puis vers 20 ans je suis entré au conservatoire de Paris. En réussissant à chaque fois aux concours… Nicolas Maury – Oui, et celui de Paris est assez chaud. Adèle Haenel – C’est marrant que tu sois arrivé au théâtre par la passion du cinéma. Moi qui fais surtout du cinéma, j’ai découvert le jeu sur une scène. Nicolas Maury – Oui, nos trajets sont vraiment en

miroir. Aujourd’hui, tu reviens au théâtre quand moi j’ai très envie de faire du cinéma. De toute façon, quels que soient les parcours, je crois que c’est un métier qui ne s’apprend pas trop. C’est amusant que vous disiez ça après avoir suivi une formation aussi lourde et obtenu toutes les qualifications requises. Nicolas Maury – Après l’avoir vraiment appris, je peux dire que c’est un métier qu’on n’apprend pas (rires). Quand je vois Adèle jouer dans des films, je vois bien que ce qu’elle propose, qui parfois peut paraître brut, c’est vraiment très fort. Au fond, j’ai suivi des cours parce que je pensais que ma présence seule, ce que j’étais, n’était pas intéressante, qu’il fallait tout construire, tout apprendre, maîtriser toutes les techniques pour arriver à intéresser. Au fur et à mesure que j’apprenais, je me rendais finalement compte que dès le départ j’avais comme une petite grâce, un truc original, et que j’étais en train de le perdre… Adèle Haenel – C’est sûr que la grâce et la technique sont des questions compliquées. Ni l’une ni l’autre ne suffisent, je crois. Il faut bien doser. L’une ne sert pas forcément l’autre, mais il ne faut surtout pas s’accrocher non plus à ce qu’on croit être sa grâce parce que ça peut devenir truqué. Pour moi, une voie possible est de s’accrocher à ses partenaires, de s’ajuster à ce qu’ils proposent, d’être à leur écoute. L’Apollonide de Bonello, sur cette question de jouer en groupe, c’était fort ? Adèle Haenel – Oui, en termes de pression, c’était pas mal ! Jasmine Trinca et Céline Sallette sont des actrices super fortes… Quand je suis arrivée là, je me suis dit : “Bon d’accord, je ne vais pas tout jouer à la grâce… Je vais essayer d’être un tout petit peu technique, sinon c’est mort !” (rires) Nicolas, pouvez-vous raconter votre première expérience au cinéma, en 2004, dans Les Amants réguliers de Philippe Garrel ? Nicolas Maury – C’était énorme. Il m’avait vu jouer dans un Marivaux au Conservatoire avec Louis, son fils, et m’avait abordé en me disant que je le déstabilisais parce que j’étais un garçon mais que j’étais “érotique” (rires). Sur le tournage des Amants réguliers, il dirigeait

“je joue des rôles de jeune fille mais je vivrais très bien de jouer des mémés” Adèle Haenel

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beaucoup les comédiens en groupes mais moi il voulait que j’aie l’air de jouer seul, il me disait : “Tu dois être un film dans le film.” Dans la vie, j’ai beaucoup d’amis, pourtant de nombreux metteurs en scène voient cette forme de solitude chez moi, cette façon de ne pas appartenir à un groupe. Adèle, Les Diables, en 2002, était votre premier film. A l’époque vous aviez 13 ans puis vous avez arrêté. Est-ce que Naissance des pieuvres de Céline Sciamma, cinq ans plus tard, était votre second premier film ? Adèle Haenel – J’ai été un peu traumatisée par le tournage des Diables. J’ai eu l’impression de savoir d’un coup qui j’étais. J’étais totalement livrée à quelqu’un, j’étais une enfant, très ouverte, donc possiblement manipulable et ça peut faire des dégâts, alors j’ai arrêté. Cinq ans après, j’ai été choisie via un casting sauvage, de la même façon, pour Naissance des pieuvres, dans les rues de Montreuil. Faut dire qu’habiter Montreuil, c’est un atout si on veut faire du cinéma (rires)… J’étais plus âgée et je n’avais pas envie de foncer dans le même mur, et puis la relation avec la cinéaste n’avait rien à voir. Après Naissance des pieuvres et votre citation aux César pour ce film, vous avez à nouveau arrêté pour faire des études de commerce, c’est ça ? Adèle Haenel – Oui, j’ai fait une prépa HEC. Comme ça… Juste pour le plaisir de dormir quatre heures par nuit pendant un an et de crouler sous le travail (rires). La première expérience avait

vraiment été douloureuse, j’avais besoin de me construire un peu toute seule. Je n’avais pas vraiment envie d’être un jour DRH, mais j’avais besoin de me sentir un peu armée, moins manipulable. Après tous ces faux départs, j’ai fini par me lancer. Nicolas, parlez-nous de ce lien que vous avez construit depuis plusieurs spectacles avec Guillaume Vincent, le metteur en scène avec lequel vous travaillez cette année à Avignon ? Nicolas Maury – C’est notre quatrième spectacle ensemble. Il m’avait vu dans des travaux de sortie du Conservatoire et m’a proposé un rôle dans Nous, les héros, joué au Théâtre national de Strasbourg. C’est un texte de Jean-Luc Lagarce, d’après le Journal de Kafka. On est devenus proches. Quand on se voit, on ne se parle pas de mon rôle, de mon interprétation. On parle de forme, de la logique propre de chaque projet. On parle aussi de la vie, du milieu pédé, de nos histoires… Les places sont poreuses avec Guillaume, c’est une vraie collaboration. Et puis, quand les répétitions commencent, on reprend nos places de metteur en scène et d’acteur mais c’est un temps inscrit dans une relation plus ample et flottante. A quoi va ressembler La nuit tombe…, sa nouvelle mise en scène ? Nicolas Maury – Guillaume est l’auteur du texte. La pièce parle de la dépression, ou plutôt d’un certain état d’incertitude, juste avant l’action, quand on ne sait pas quel tour les choses vont prendre. Juste avant

Adèle Haenel a tourné dans Naissance des pieuvres (2007) ou L’Apollonide (2011). On la verra à la rentrée dans Alyah d’Elie Wajeman et Trois mondes de Catherine Corsini. Nicolas Maury est un fidèle du théâtre de Guillaume Vincent. Au cinéma, il a joué dans Les Amants réguliers (2005), Belle Epine (2010) ou Let My People Go (2011)

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“après l’avoir vraiment appris, je peux dire que comédien est un métier qu’on n’apprend pas” Nicolas Maury

un crime, juste avant une baise… A la conférence d’Avignon, beaucoup de metteurs en scène parlaient de travail sur des figures, de voyages en Amazonie faits pour qu’il ne reste rien de l’Amazonie, et toutes sortes de trucs très conceptuels. Dans La nuit tombe…, il y a des personnages, voire de la psychologie, des choses qui paraissent un peu ringardes, qui souvent font un peu peur. Il y a aussi beaucoup de portes, des papillons… Si c’était un film, ce serait un mélange d’Oncle Boonmee et de Douglas Sirk. Adèle Haenel – C’est marrant parce que c’est l’inverse de ce que l’on fait avec La Mouette. En partant d’un texte classique, la hantise d’Arthur est qu’on le joue de façon psychologique, sentimentaliste. Il faut travailler à faire émerger des thèmes, des motifs, qui sont une vision sur la pièce, qui lui font excéder le drame psychologique, l’imitation réaliste de la vie. Arthur veut dégager une dimension épique du texte de Tchekhov, faire revenir des fantômes. Nicolas Maury – La psychologie, c’est intéressant dans le théâtre de Guillaume parce que jusque-là il avait surtout investi des zones plus abstraites. Pour lui, c’est une forme de maturité, je crois, que de se colleter à quelque chose de plus narratif, avec des personnages. Mais les deux spectacles seront proches sur un point, je pense : la présence des fantômes. Isabelle Huppert emploie un mot que j’adore pour parler du travail de comédien : “indécidable”. C’est ce qu’il faut viser quand on crée. Ni classique ni contemporain, ni une chose ni son contraire, comme si le curseur n’arrivait pas à s’arrêter entre l’un et l’autre, indécidable… C’est vraiment très beau comme idée. Avez-vous déjà joué des textes vraiment classiques ? Nicolas Maury – Oui j’ai même joué du préclassique. C’est-à-dire du théâtre de la Renaissance, Hippolyte de Garnier (1573), avec Robert Cantarella, à Avignon. Je jouais Hippolyte et faisais l’ouverture, donc je commençais tout seul par trois cents vers en ancien français. C’était génial  ! Ce qui est très beau chez Garnier, c’est que le cœur n’était pas encore censé être le siège des émotions. C’est tout le corps qui est sollicité. L’amour “rampe dans ma moelle”, on sent ça autour de ses “rognons”, les personnages décrivent ce qui se passe dans leurs entrailles, et ce n’est pas une image. Par moments, on dirait du Sarah Kane. Avez-vous le sentiment, dans le cinéma français, d’être perçu comme un acteur de théâtre ? Nicolas Maury – Peut-être par les directeurs de casting qui font des films pas intéressants… Heureusement, ceux qui travaillent avec des metteurs en scène intéressants ne me voient pas comme ça.

Adèle Haenel – Moi c’est pas du tout comme ça que j’ai entendu parler de toi en tout cas. Mais bon, je crois qu’on traîne un peu dans le même milieu… Le même milieu de gens intéressants (rires). Et vous, Adèle, avez-vous l’impression d’être associée à un certain type de rôles ? Adèle Haenel – On me propose souvent le rôle de la minette. D’ailleurs, souvent, je refuse. Voire la minette qui se fait tej’… Je sais pas pourquoi. Dans Naissance des pieuvres, c’est un rôle de minette, un peu bimbo, mais le film emmenait le stéréotype ailleurs. Aujourd’hui, je joue des rôles de jeune fille, mais je vivrais très bien de jouer des mémés. J’aimerais bien tenir des rôles de mecs aussi mais les metteurs en scène veulent pas (rires). Que pensez-vous de la polémique autour de l’absence de réalisatrice dans la compétition du dernier Festival de Cannes ? Adèle Haenel – J’ai signé la pétition du collectif La Barbe. Je ne suis pas d’accord avec tous les détails du texte mais je n’avais pas envie de faire dans la finesse. Je trouvais important de m’associer à ça. Evidemment que le blocage ne se fait pas à Cannes mais en amont, au niveau de la production, mais il fallait saisir l’occasion de se faire entendre. Il faut que le cinéma soit aux avant-postes de la société et pas à la traîne, qu’il l’incite à changer et qu’il permette à chacun d’être plus libre. Nicolas Maury – Oui, je suis d’accord sur cette idée d’avant-poste. Mais plus que changer la société, mon souhait est que le cinéma nous fasse voir des choses dont on avait la prescience mais qu’on n’avait jamais vues. C’est naïf, un peu simple mais j’ai éprouvé ça en voyant la bande-annonce d’Amour de Michael Haneke. Quand Emmanuelle Riva dit : “Tu es un monstre parfois”, avec une très grande douceur… Cet écart-là me donne un sentiment de jamais-vu, je comprends quelque chose en plus sur les gens, la vie, je revois mon grandpère et ma grand-mère, des moments que j’avais oubliés que je vois représentés et qui me parlent très profondément. J’attends ça du théâtre, du cinéma… Adèle Haenel – Oui, et pas seulement des choses jamais vues : des choses invisibles en fait. Nicolas Maury – Oui, invisibles. Exactement. La Mouette d’Anton Tchekhov, mise en scène Arthur Nauzyciel, avec Adèle Haenel, Marie-Sophie Ferdane…, du 20 au 28 juillet à 22 h (relâche le 23), cour d’Honneur du palais des Papes La nuit tombe… mise en scène Guillaume Vincent, avec Nicolas Maury, Francesco Calabrese…, du 11 au 18 juillet, à 17 h et 22 h (relâche le 13), chapelle des Pénitents blancs www.festival-avignon.com

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dark touch

Nouveau prince de la techno française, Gesaffelstein a les yeux noirs, le visage pâle et un goût sans limite pour la techno martiale et oppressante. par Géraldine Sarratia photo Vincent Ferrané

I

l donne rendez-vous au Café Marly, en face de la pyramide du Louvre. On l’y trouve en plein debrief avec son manager, Manu Barron, pilier de la nuit parisienne. Les deux hommes passent en revue l’emploi du temps chargé du jeune poulain dans les semaines à venir : mixtapes, remixes et dates à n’en plus finir. En l’espace de quelques maxis, Mike Levy, alias Gesaffelstein, est devenu l’un des DJ et producteurs français les plus en vue du moment. Il revient tout juste d’Ibiza. “Pas mon endroit préféré, mais c’est important d’y être, du moins aux yeux des Américains et des Anglais.” Ce mois-ci, DJ Mag, la bible du genre, a mis Gesaffelstein et son pote Brodinski en couverture pour incarner la “french new wave”. Une nouvelle vague qui rompt avec la French Touch 2.0, son esthétique “turbine” et ses basses compressées. “Je ne me suis pas du tout reconnu dans cette scène, explique-t-il. Elle m’a mis en rage. Je ne parle pas de Justice mais de leurs suiveurs. La techno est une musique révolutionnaire, ses possibilités sont infinies. Tu peux y faire entrer des influences funk, electro, de la musique brésilienne… Cette scène a ramené la musique à la seule puissance en oubliant de développer l’atmosphère.” Ses morceaux à lui n’en manquent pas.

“avec mes remixes, j’aime l’idée de pervertir un artiste, d’obliger par exemple Lana Del Rey à sortir du glamour”

Noire, ultraviolente, sa musique renoue avec les fondamentaux techno, l’intransigeance d’Underground Resistance, les structures mentales et obsessionnelles de Drexciya, la puissance contemporaine en plus. Au début, la techno l’a pris par surprise, à l’adolescence, à Lyon. A la maison, on écoute peu ou pas de musique. Dans la chambre de sa sœur, Mike tombe sur un disque de musique électronique, qui explose en ce début 2000. “J’ai immédiatement voulu comprendre comment était faite cette musique.” Lui qui a quitté l’école à 16 ans, par ennui et “aussi parce que je faisais pas mal de conneries”, s’attelle avec sérieux à son éducation musicale. Chez un pote, il tombe sur un synthé. Le contact avec la machine lui plaît immédiatement. Il se passionne pour la modulation, les fréquences, tout l’aspect physique du son. Il produit ses premiers tracks sous le nom de Gesaffelstein, qui comprime le nom d’un album de Dopplereffekt (Gesamtkunstwerk) et Albert Einstein. “Je voulais un nom inédit, comme la musique que je produis”, explique-t-il. The Hacker, qu’il aborde après un DJ-set à Paris, le prend sous son aile. Les deux hommes pilotent aujourd’hui le label Zone. Son ep Variations sort fin 2010 sur Turbo, le label de Tiga. Accompagné de son artwork austère en noir et blanc, il fait vite figure de manifeste et devient culte. Quelques titres brillants (Viol, A Lost Era) font d’autant plus monter sa cote que l’animal cultive le mystère et fuit les interviews. Aujourd’hui, Gesaffelstein joue au minimum deux à trois fois par semaine dans des clubs d’Europe et du monde

entier. Un rythme éprouvant dont il dit ne pas souffrir. “Je ne bois pas, ou seulement quand je joue avec mes potes, précise-t-il. Je ne prends pas de drogues.” Quand il est à Paris, il s’enferme dans son studio, une petite pièce qu’il a repeinte en noir. “Je trouve cette atmosphère propice à la création. Je travaille toujours en deux temps. D’abord la recherche sonore. J’essaie de trouver de nouvelles sonorités, je note des idées, je mets au point de nouveaux sons de batterie. Je ne veux utiliser que des sons qui me sont propres. Une fois cette banque de sons constituée, la composition des morceaux est très rapide.” Pour autant, Gesaffelstein sort ses maxis avec parcimonie. Il a signé des remixes audacieux pour Cassius (Les Enfants) ou Lana Del Rey (Blue Jeans). “Aujourd’hui, un remix a autant d’écho qu’une composition. Et puis j’aime l’idée de pervertir un artiste, de l’emmener ailleurs, d’obliger par exemple Lana Del Rey à sortir du glamour.” Gesaffelstein travaille sur un nouveau live qu’il inaugurera au festival Rock en Seine à la fin de l’été. Il continuera ensuite à bosser sur son premier album, qu’il construit patiemment. “Je sais où je veux aller. Je produis aujourd’hui exactement le son dont je rêvais il y a dix ans. Je l’avais déjà en tête mais j’avais besoin de gagner en technique et en maturité.” On peut déjà parier que le disque, qui devrait voir le jour en 2013, sera dark, furieux et peuplé de nappes synthétiques oppressantes. “Je sais ce à quoi je suis bon. J’aime les musiciens qui creusent un sillon.” nouveau maxi Rise of Depravity (Bromance) concerts en tournée tout l’été, notamment au Festival de Dour (Belgique), à Rock en Seine (Saint-Cloud) et au Scopitone (Nantes) www.myspace.com/gesaffelstein1

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“Je voulais un nom inédit, comme la musique que je produis.” Paris, juillet 2012

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la déferlante Une fille gironde marche sur la plage d’Ipanema et des millions d’amateurs de bossa ne s’en remettront jamais. Histoire d’un tube planétaire. par S téphane D eschamps

La fille d’Ipanema, c’est Heloísa Eneida de Menezes Paes Pinto, dite Helô (ici, au milieu des années 60)

John Maier Jr. / The Image Works / Roger-Viollet



u printemps 1962, une jeune fille marche dans Ipanema. Elle est parfois en uniforme de collégienne et d’autres fois en Bikini, en route pour la plage. Entre l’école et la plage, elle passe devant le bar Veloso, au croisement des rues Montenegro et Prudente de Moraes. Elle a 17 ans, les yeux verts, de longs cheveux bruns, la silhouette gironde et un déhanchement à faire fondre le Pain de sucre. Le Christ du Corcovado lui-même aurait eu le vertige en la voyant. A la terrasse du Veloso, d’où l’on aperçoit la mer, deux hommes se rincent l’œil. Ils ont l’habitude de flâner au bar pour boire des bières, discuter et siffler les filles. Ils se nomment Antonio Carlos Jobim (dit Tom) et Vinícius de Moraes. Le premier est compositeur, le second poète et parolier. Quelques années plus tôt, avec le guitariste João Gilberto et la chanteuse

Elizete Cardoso, ils ont inventé la bossa-nova, cette nouvelle vague musicale qui a commencé à engloutir le monde sous un tsunami de chansons suaves et savantes, inspirées par le jazz, la musique classique européenne et la dolce vita carioca. Entre 1958 et 1962, c’est dingue ce qui se passe au Brésil. En plein essor économique, le pays gagne deux coupes du monde de futbol avec le roi Pelé et des artistes du sud de Rio fomentent une douce révolution musicale et culturelle. Du côté de Copacabana, Aproador et Ipanema, c’est un genre de Saint-Germain-desPrés-sur-Mer, où les poètes et les guitaristes s’échauffent sous le soleil plutôt qu’au fond d’une cave. Ils ont du sable entre les orteils, entre les oreilles. Ils ont trouvé leur boulevard dans la longue promenade du bord de plage aux motifs en forme de vagues dessinés par Roberto Burle Marx. 11.07.2012 les inrockuptibles 65

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La première version de la chanson, ébauchée à la terrasse du Veloso, s’appelle Menina que passa, la fille qui passe. Puis elle se transforme en A Garôta de Ipanema, la fille d’Ipanema. Elle quitte le Brésil à la fin de l’hiver 1963 pour devenir, dans un studio d’enregistrement new-yorkais, The Girl from Ipanema. Direction la gloire internationale. En Amérique, la bossa est à la mode. Tombé dedans l’année d’avant, le saxophoniste de jazz Stan Getz enregistre un album de bossa avec João Gilberto. Ils retiennent la chanson A Garôta de Ipanema mais le producteur suggère d’ajouter quelques vers en anglais au texte portugais chanté par Gilberto. C’est Astrud Gilberto, la femme de João, qui s’y colle. Chanteuse du dimanche, Astrud n’avait jamais enregistré avant, elle accompagnait juste son homme à New York. Mais elle parle un peu anglais, et elle a une voix douce, fine et mélancolique

John Maier Jr. / The Image Works / Roger-Viollet

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Quand elle passe, ondulante, devant le Veloso, à un bloc de la plage, la jeune fille est fière, elle regarde du coin de l’œil, sans s’arrêter, ces deux hommes plus âgés (Jobim a 35 ans, Moraes bientôt 50) qui la dévorent des yeux. Jobim serait sérieusement amoureux de ce pulpeux fruit défendu. Mais il est timide, marié et père de famille. A défaut de la croquer, il va la chanter.

comme un Bikini oublié sur la plage. Dans la version de l’album, qui dure plus de cinq minutes, João Gilberto chante le début puis laisse la suite à la voix d’Astrud et au saxophone de Stan Getz, qui semblent se séduire en direct. Bientôt, Astrud quittera João pour Stan. Au-delà de son efficacité (douceur et simplicité mélodique), la magie de cette chanson est sans doute là, dans son destin romantique : née du désir d’un homme pour une nymphe carioca, elle est enregistrée dans sa version définitive par deux hommes et une femme, qui va bientôt quitter l’un pour l’autre. Sur la pochette de

l’album, sorti sous le nom Getz/Gilberto en 1963, le nom d’Astrud n’apparaît même pas. Mais un an plus tard, la version éditée en single de The Girl from Ipanema (la partie chantée par João Gilberto a été coupée) devient un tube intergalactique. La chanson met la plage d’Ipanema sur la carte (postale) des mythologies contemporaines – alors qu’en vrai, pour la bohème de la bossa, c’est plutôt à Copacabana que ça s’est passé. Que celui ou celle qui n’a jamais regardé les filles ou les garçons sur la plage me jette la première tong : la fille d’Ipanema devient un fantasme universel, la nouvelle Eve d’un Eden

exotique, la silhouette symbolique de toutes ces sirènes inconnues dont on tombe amoureux le temps qu’elles passent sur la plage, sensuelles et sans suite. La chanson est de celles qu’on emporterait sur une île déserte pour s’y sentir moins seul. Mais, alors que la chanson est devenue un tube, un amusant phénomène se produit à Rio : tout plein de jeunes filles prétendent l’avoir inspirée et se disputent le titre. Il se prépare même un concours de “girls from Ipanema”. En 1965, Vinícius de Moraes décide de mettre fin à la trivialité de la situation. Lors d’une conférence

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Instituto Antonio Carlos Jobim/Universal

au-delà de son efficacité, la magie de la chanson The Girl from Ipanema est sans doute dans son destin romantique

A gauche : Helô aurait pu devenir une Bardot carioca mais elle a épousé son amour d’adolescence et plus tard a posé dans Playboy avec sa fille Ci-dessus : Vinícius de Moraes et Tom Jobim (au piano), les deux auteurs de la chanson

de presse, il révèle l’identité de la vraie muse et la décrit en ces termes : “Une fille en or, un mélange de fleur et de sirène, lumineuse et gracieuse.” Elle s’appelait Heloísa Eneida de Menezes Paes Pinto, dite Helô. Elle aurait pu devenir une icône sixties, une Bardot carioca, un prototype de it-girl tropicale. Elle aurait même pu chanter, tiens. Les propositions ne manquent pas. Mais Helô est promise à un autre destin, moins glamour mais plus convenable pour une jeune fille dans le Brésil machiste des années 60 : en 1966, elle épouse son amour d’adolescence, Fernando Pinheiro,

devient femme au foyer et mère d’une famille nombreuse. A partir des années 80, poussée par des difficultés financières (Fernando est au chômage et le couple a un fils handicapé), Helô Pinheiro reprendra son costume de garota de Ipanema : un tout petit Bikini qui lui assure le succès dans sa nouvelle vie de mannequin, playmate (elle pose dans Playboy en 1987 et en 2003, avec sa fille), animatrice télé, incarnation vivante et commerciale d’un mythe. Vinícius de Moraes est mort en 1980, Tom Jobim en 1994. De l’eau a coulé sur la plage. Le bar Veloso s’appelle aujourd’hui Garota de Ipanema et

la rue Montenegro a été rebaptisée rue Vinícius de Moraes. Helô Pinheiro a ouvert une boutique de maillots de bain juste à côté du bar (après avoir bataillé ferme contre les héritiers de Jobim et Moraes, qui lui refusaient l’exploitation commerciale du nom A Garôta de Ipanema). Helô Pinheiro a largement dépassé les 65 ans mais la chirurgie plastique fait des miracles au Brésil. La chanson, elle, fête son demi-siècle cette année. “Ce que je lui souhaite pour son anniversaire ? De rester loin du Botox !”, s’amuse le chanteur Lenine. Il est né en même temps que la bossa, en 1959, et s’est installé à Rio à 20 ans. “Je venais de Recife et j’ai choisi Rio parce qu’il y avait la mer. Sur la plage d’Ipanema, au niveau du Poste 9, tous les fous de ma génération se retrouvaient. On jouait à la balle, on avait des guitares, on applaudissait le coucher du soleil. Aujourd’hui encore, les gens vont dans ce bar qui s’appelait le Veloso. C’est touristique, mais pas trop. Par rapport à Copacabana, Ipanema a été préservé. Même à l’époque de la bossa, Ipanema semblait éloigné, isolé, pas très urbanisé, on y allait pour être tranquille. Quant à la chanson, je n’ai jamais appris à la jouer mais un jour je me suis rendu compte que je la connaissais. C’est un classique national, un peu comme La Vie en rose pour vous. Ma version préférée, je l’ai entendue un jour où

j’étais chez Milton Nascimento (chanteur, compositeur et guitariste brésilien – ndlr) avec des amis. Milton a pris sa guitare et il a chanté… La plus belle version que j’aie jamais entendue. Mais personne d’autre ne l’entendra.” “Je marche nue, les pieds nus, le vent se lève sur la plage d’Ipanema.” C’est Barbara Carlotti, autre fille du bord de mer, lointaine cousine de celle d’Ipanema, qui chante ces mots en ouverture de son dernier album. Il y a deux ans, elle partait chercher l’inspiration au Brésil. “J’avais le fantasme d’aller à Ipanema, à cause de la chanson que j’adore. J’y suis arrivée à l’aube après un long voyage en bus. L’extase ! Déjà, le panorama est magnifique. La plage est dans la ville, les gens y vont après le bureau. Il y a le soleil, la nonchalance, les filles super belles, les sportifs, le métissage. Tout le monde est différent, tout est possible. La chanson, je ne l’ai pas spécialement chantée mais je la chantonne souvent, je l’ai en tête. Tout le monde a pu s’identifier à cette nana. Il faut que la fille d’Ipanema continue à se balader sur la plage et qu’on puisse la retrouver de temps en temps. Elle est assez rohmérienne cette chanson, comme un conte d’été.” Voire d’éternété. la semaine prochaine, la plage de l’île de Saint-Kitts, dans les petites Antilles 11.07.2012 les inrockuptibles 67

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Piégée de Steven Soderbergh Un jeu d’espions ludique et enlevé, gorgé de scènes de combats saisissantes. Toute l’élégance désinvolte de la Soderbergh’s touch des bons jours.

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n ne sait si Steven Soderbergh va vraiment arrêter le cinéma comme il l’a récemment déclaré, mais si on dressait maintenant un petit bilan de son parcours, on constaterait son étonnante singularité, son éclectisme finalement assez rare sous les sunlights du cinéma américain. Soderbergh a signé des blockbusters (Contagion, Ocean’s Eleven et ses sequels…), des films hollywoodiens haut de gamme (Hors d’atteinte, Traffic, The Informant!…), des biopics prestigieux (Che, Kafka…), des petits films quasi expérimentaux (Bubble, Schizopolis…) et même un porno-soft (Girlfriend Experience). Il est entré en cinéma avec un film d’auteur plutôt bavard et cérébral (Sexe, mensonges et vidéo) grâce auquel il devint

le plus jeune palmé d’or de l’histoire de Cannes, et il est par ailleurs l’heureux producteur de Todd Haynes, George Clooney, Lodge Kerrigan. Enfin, pour quelqu’un qui veut partir à la retraite, il n’a pas moins de cinq films annoncés pour les prochaines années. Pour rayonner ainsi dans toutes les zones du cinéma, on ne voit que Gus Van Sant (avec une identité artistique plus forte mais moins d’éclat commercial). Piégée apporte une nouvelle pierre à cet édifice filmique ouvert et généreux. Mélange de série B, d’action movie et de lounge film (comme il existe de la lounge music), Piégée est un objet à la fois mineur et riche en petits plaisirs de cinéma. Son pitch est du genre rebattu : un agent secret, Mallory Kane, doit sauver sa peau,

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raccord

le baiser de l’araignée

mélange de série B, d’action movie et de lounge film, Piégée est riche en petits plaisirs de cinéma

Gina Carano met sa raclée à Ewan McGregor

son intégrité physique et morale dans un univers de l’espionnage où tout le monde est duplice, où chacun trahit pour de bonnes ou mauvaises raisons, où le simulacre est roi, où les apparences masquent toujours d’autres vérités. Premier décalage par rapport aux codes du genre, le personnage central est une femme : une femme seule contre tous, qui doit tracer sa route dans un monde d’hommes. Elle n’est pas non plus n’importe quelle femme : guerrière façon héroïne de Tarantino, à la fois sexy et farouchement indépendante, elle peut prendre n’importe qui au combat en corps à corps. Piégée est riche en séquences de fight saisissantes, réalisées sans effets spéciaux ni doublure. Car Mallory Kane est jouée par Gina Carano, petite bombasse toute en muscles et niaque butée, championne de sports de combat dans sa vie pré-cinéma. La fiction dédouble d’ailleurs la réalité du tournage, puisque la débutante Carano est elle-même entourée d’hommes chevronnés (Ewan McGregor, Michael Fassbender, Antonio Banderas, Michael Douglas, Channing Tatum, Mathieu Kassovitz…). Au cœur de ce casting quatre étoiles et masculin, Gina Carano

s’en sort aussi bien que Mallory Kane : elle les nique tous. Qu’une pléiade de stars aient accepté des seconds rôles pour se mettre au service de la logique d’un film et d’une quasi-débutante, c’est plutôt bon esprit. Mais Piégée ne vaut pas que par son féminisme et son impact physique. Soderbergh inscrit son film dans une géographie internationale (des ruelles de Barcelone aux forêts canadiennes), ménage des scènes intimistes avec dialogues ou silences introspectifs… La photo est nappée d’un élégant glacis et la BO, entre easy-listening et cocktailjazz, scande superbement les montées de tension, les suspenses latents et les séquences de combats chorégraphiés. Il est possible que Soderbergh ait autant pensé à Antonioni qu’à Tarantino ou James Bond (Profession : reporter, n’est-ce pas du Bond inversé, inverti, introverti ?). Piégée, ce n’est pas de la haute couture mais du prêt-à-porter fabriqué avec soin, goût, minutie. Parfait pour l’été. Serge Kaganski Piégée de Steven Soderbergh, avec Gina Carano, Michael Fassbender, Ewan McGregor (E.-U., Irl., 2011, 1 h 33), lire aussi le portrait de Gina Carano pp. 54-55

Si on devait ramasser en une image la façon dont Spider-Man (Sam Raimi, 2002) et The Amazing Spider-Man (Marc Webb, 2012) diffèrent, on pourrait dire que les deux films n’embrassent pas pareil. Dans le Spider-Man de 2002, la touchante Kirsten Dunst s’avance la nuit dans une ruelle battue par la pluie. Elle cherche celui qui vient de la sauver mais il s’est déjà évanoui dans l’obscurité. Lorsque soudainement l’Homme-Araignée surgit, par le haut du cadre, mais à l’envers, la tête la première. Son visage et celui de la jeune fille sont alors tout proches, face à face, mais inversés. Ce n’est pas seulement les corps que cette formidable scène inverse, ce sont aussi les genres. Le héros est alors une proie sexuelle offerte et c’est la jeune fille qui va du bout des doigts le décagouler jusqu’à libérer non pas son visage (pas question de gâcher l’excitation d’embrasser un inconnu masqué) mais seulement ses lèvres, sur lesquelles elle pose les siennes. En termes de prérogatives sexuelles, c’est elle qui mène le jeu. Dix ans plus tard, Spider-Man donne aussi un premier baiser, mais pas question désormais de déconstruire une par une les modalités du genre. Les deux amoureux sont en haut d’un building, ils se disputent un peu, la fille le plante là, très contrariée. Mais, tandis qu’elle s’éloigne, Spider-Man lâche une toile qui enserre la jeune fille et la ramène contre son buste comme le ferait un lasso. En dix ans, l’Homme-Araignée a échangé ses émois de puceau délicat contre des manières de cow-boy. Ce reboot n’est pas seulement un redémarrage, mais aussi un reformatage, esthétique, idéologique, qui se charge de remettre à l’endroit tout ce qui avait été laissé inversé.

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La Nuit d’en face de Raúl Ruiz avec Sergio Hernandez (Fr., Chili, 2012, 1 h 50)

Les Kaïra

de Franck Gastambide La petite websérie astucieuse Kaïra Shopping passée au rouleau compresseur du mauvais cinéma commercial français. Un saccage.

 C

omédie populaire française versus peuple français, éternel je t’aime moi non plus. Mille fois vérifiée par le passé – chaque semaine ou presque, à vrai dire –, cette sentence trouve en Les Kaïra une nouvelle illustration, d’une rare acuité. Car il y avait là tout pour faire, enfin, une grande comédie sur les “mecs de banlieue”, les kaïra, donc, benoîtement annoncées par le titre. Las. Conçue au départ pour le web, puis promue sur l’antenne de Canal+, la série Kaïra Shopping, dont ce film est l’adaptation, se déclinait en vignettes de deux minutes, hilarants instantanés en plan fixe, où trois types en jogging Fila s’épanchaient sans discontinuer sur la galère, les meufs et les pits, avec une verve et une simplicité inédites. La parole, enjeu des meilleurs “banlieue movies” (Etat des lieux, L’Esquive, Wesh Wesh…), y trouvait un écrin parfait, exemplairement dépouillé et suffisamment frontal pour laisser advenir une vérité écorchée – et poilante. La première séquence du film, absurde babil kebab en main, laisse espérer une telle direction. Très vite hélas, les impératifs commerciaux reprennent leurs droits : il faut scénariser, multiplier les points de vue, les personnages secondaires, les sous-intrigues, bref étoffer – et finalement étouffer. Franck Gastambide, membre

du trio qui s’improvise ici réalisateur, commence par embarquer ses lascars dans une épopée porno (ils veulent faire du X, soit), qui culmine très vite dans une scène de casting menée par l’excellent François Damiens ; c’est la meilleure scène du film et celui-ci ne s’en remettra pas, malgré quelques saillies drolatiques ci et là. On pourrait s’interroger à l’infini sur notre incapacité à passer du langage TV à la forme cinématographique quand les Américains, eux, sont si souvent parvenus à adapter leurs sketches du Saturday Night Live, mais ce n’est même pas le plus rageant ici. La plus grande faillite des Kaïra, c’est plutôt son lissage forcené, cet acharnement à effacer toute trace de subversion d’un scénario qui ne demandait pourtant que ça. Il est frappant de constater comment chaque scène, dès qu’elle semble aborder un sujet un tant soit peu clivant (le contrôle au faciès, la discrimination à l’entrée des boîtes, l’homosexualité refoulée, le machisme des grands frères, la misère sexuelle, etc.), est immédiatement écourtée, stoppée dans son élan par une pirouette qui ne fâchera personne. Ce culte peureux du consensus achève ainsi de faire rentrer Les Kaïra dans le rang. Triste rang. Jacky Goldberg

Le dernier film tourné par Ruiz. Plusieurs vies et une seule mort s’entremêlent jusqu’au vertige dans ce film testamentaire tourné par Raúl Ruiz alors qu’il se savait condamné. Celso traverse différentes périodes de son existence, entre réalité, imaginaire et au-delà  (pourquoi les distinguer ?) : il dialogue avec un certain Jean Giono, un ami instituteur et traducteur de français, il converse, enfant, avec un capitaine tout droit sorti d’un roman de Stevenson, il fait l’objet d’un obscur complot… La mort n’a rien d’incongru chez le grand cinéaste chilien, qui l’a chatouillée bien des fois. Ruiz compose malicieusement mais aussi inlassablement avec cette ironie du sort comme si, tout en n’ayant pas froid aux yeux, il repoussait le moment de mettre un terme à ses fictions – des vies et des morts confondues – en les rejouant sans cesse. Peuplée d’“ombres spéciales qui font de la lumière”, la nuit regardée par Ruiz n’est jamais aussi bouleversante que quand elle rejoint, en surimpression, le mouvement infini des vagues et que la mer, ce merveilleux écran de cinéma où se projette l’imaginaire de son enfance, s’impose comme l’horizon absolu auquel il aspire. Amélie Dubois

Les Kaïra de Franck Gastambide, avec Medi Sadoun, Franck Gastambide, Jib Pocthier (Fr., 2012, 1 h 35)

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Les Enfants de Belle Ville d’Asghar Farhadi Un drame cornélien avec de belles échappées sentimentales et néoréalistes. n adolescent condamné à mort pour la visite de la sœur et/ou de l’ami chez homicide doit être exécuté à ses le père intraitable de la jeune défunte. 18 ans. Son meilleur ami et sa sœur Le mythe de Sisyphe pourrait être persan. tentent de plaider sa cause auprès En tout cas, l’une des forces du cinéma du père de la victime, seul recours possible. iranien est ce sens de la répétition, ce côté Mais celui-ci invoque la loi du talion opiniâtre. S’il y a une morte et un assassin, islamique… Fort heureusement, le film ce n’est pas un polar. Les circonstances dépasse le sujet de cours – le conflit mêmes du meurtre restent mal définies. entre la loi et la morale – grâce à son L’essentiel réside dans les rapports approche romanesque qui a le mérite de force, négociations (houleuses) de s’aventurer du côté trouble des et recherches de solutions à l’amiable. faubourgs de Téhéran (ou d’une grande ville D’où l’autre facteur qui entre en jeu iranienne similaire) et de suggérer par et complique l’affaire : l’argent. On apprend petites touches progressives et ludiques incidemment qu’en Iran, dans un tel cas, la naissance d’un amour – entre le le père de la victime doit payer un meilleur ami et la sœur du condamné. dédommagement, appelé “prix du sang”, On pourrait encore parler de néoréalisme à la famille du condamné exécuté. D’autres si le terme n’avait pas été autant galvaudé dilemmes un peu théoriques s’ajoutent à propos du cinéma iranien. Toujours est-il mais ne font pas perdre au film ses atouts que cette touchante et pudique romance formels. L’un d’eux étant le décor naturel : entre un charmant voleur et une jeune il permet de jouer de façon optimale avec le mère toujours sous la coupe d’un minable lointain et le proche, le dehors et le dedans. dealer (dont elle est ou non divorcée, Point de vue saisissant de l’intérieur ce n’est pas clair) confirme tout le bien que de la maison d’où la jeune femme voit au l’on pense de Farhadi, dramaturge hors loin le garçon posté sur les voies de chemin pair du cinéma iranien qui a fait ses de fer. Ici, la puissance et la projection preuves avec Une séparation, plébiscité par du regard comptent plus que le drame, le grand public et adoubé par la critique. qui se conclut élégamment par des points Au-delà de la love story pleine de de suspension. Vincent Ostria méandres et tout sauf béate qui fournit au film son piment, la plus belle idée de mise Les Enfants de Belle Ville d’Asghar Farhadi, en scène du film est l’éternel retour de avec Taraneh Alidoosti, Babak Ansari la même situation, voire de la même scène : (Iran, 2 004, 1 h 41)

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en salle de bon Ulmer Pittoresque Edgar G. Ulmer. Formé auprès de grands maîtres comme Murnau, Rochus Gliese, Siodmak et Max Reinhardt, il signe à 30 ans Le Chat noir, le plus gros succès Universal de 1934. Mais, hermétique aux normes hollywoodiennes, Ulmer s’écarte des sentiers balisés de l’industrie pour produire des films à part, éclectiques, parfois incohérents, souvent fulgurants. Parmi eux : Barbe-Bleue (1944), Détour (1945), L’Impitoyable (1948), Le Bandit (1955) ou encore L’Atlantide (1961). A découvrir. cycle Edgar G. Ulmer jusqu’au 5 août à la Cinémathèque Française, Paris XIIe, www.cinematheque.fr

Sous les poils de bête, le glabre Tom Cruise

hors salle

Rock Forever

la voix de Chaplin Tout naît d’une perte. En 1894, Chaplin a 5 ans. Hannah, sa mère, joue au théâtre et perd sa voix. Son fils la remplace et le public, tout de suite, adhère. De cette “scène primitive” découle le parcours unique de Charlot. Ses succès, ses déboires sentimentaux, ses engagements publics… Michel Faucheux scrute cette trajectoire singulière, cette voix vagabonde qui, même trente-cinq ans après s’être éteinte, résonne encore. Chaplin de Michel Faucheux (Folio), 290 pages, 8,10 €

box-office L’Araignée règne Cette semaine, The Amazing Spider-Man réalise sans trop de surprise le meilleur démarrage de la semaine. Avec 3 942 entrées sur 21 copies parisiennes, il dépasse ainsi les frasques romaines de Woody Allen dans To Rome with Love qui, sur une combinaison pourtant plus large (29 copies), ne déplacent que 1 845 spectateurs. Enfin, Holy Motors de Leos Carax complète ce podium timide en réunissant – il est vrai sur 16 écrans seulement – 692 spectateurs.

autres films Chroniques de Tchernobyl de Brad Parker (E.-U., 2012, 1 h 30) La femme qui aimait les hommes d’Hagar Ben-Asher (Isr., All., 2011, 1 h 27) Je me suis fait tout petit de Cécilia Rouaud (Fr., 2012, 1 h 36) Ma bonne étoile d’Anne Fassio (Fr., 2012, 1 h 36) Mains armées de Pierre Jolivet (Fr., 2012, 1 h 45) La Colline des hommes perdus de Sidney Lumet (G.-B., 1965, 2 h 03, reprise) La Garçonnière de Billy Wilder (E.-U., 1960, 2 h 05, reprise) Manpower (L’Entraîneuse fatale) de Raoul Walsh (E.-U., 1941, 1 h 43, reprise) Stella femme libre de Mihalis Kakogiannis (Grèce, 1955, 1 h 40, reprise) Gloria de John Cassavetes (E.-U., 1980, 2 h 03, reprise)

d’Adam Shankman

Un musical gentillet qui passionne dès qu’on s’intéresse aux “vieux” Tom Cruise et Alec Baldwin, bien servis par un scénario retors.

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l y a deux films dans Rock Forever. Le premier est une comédie musicale gentillette, réalisée par Adam Shankman, à qui l’on doit quelques comédies familiales tout à fait oubliables (Un mariage trop parfait, Baby-sittor, Treize à la douzaine 2…), un remake aseptisé mais pas déplaisant du Hairspray de John Waters et quelques épisodes de Glee. Son nouveau film raconte l’ascension “musicale” de deux kids (Julianne Hough et Diego Boneta, sans doute échappés de leur couveuse Disney), à Los Angeles, à la fin des années 80, ce moment peu glorieux où glam et hard-rock se fondèrent dans le creuset FM pour donner naissance aux atroces Bon Jovi, Poison, Def Leppard, Guns N’ Roses… Tous sont convoqués sur la BO, pas joli-jolie. Alors que l’industrie du disque n’en finit plus d’agoniser, il est toutefois amusant – et un peu pathétique, aussi – de voir ainsi célébré son âge d’or (commercial) dans un déluge de mauvais goût assumé, qui culmine lorsque le héros voit en quelques plans sa chevelure passer de la crinière heavy metal au brushing Studio Line des boys-bands naissants. Le second film est, lui, en revanche, beaucoup plus intéressant. Il est l’œuvre d’un scénariste retors, Justin Theroux, et, à des degrés divers, des innombrables stars qui jouent leurs partitions personnelles dans cette fanfare cacophonique. Parmi elles, deux retiennent particulièrement l’attention : Tom Cruise et Alec Baldwin. Theroux, qui parallèlement à sa carrière

d’acteur (Adam Kesher dans Mulholland Drive, forever) a écrit quelques scénarios où affleurait déjà son ironie mordante (Tonnerre sous les tropiques), leur a ainsi réservé deux rôles idoines : une rock-star décadente et concupiscente pour Cruise, un tenancier de bar bourru et gay pour Baldwin. Dans le film, ils ne se croisent pas mais se toisent, et s’admirent, à distance. Et cet amour-rivalité nous raconte une autre histoire, secrète, infiniment plus belle que celle du gros rock qui tache, et qu’on pourrait résumer ainsi : ça veut dire quoi, vieillir, pour un acteur ? Cruise et Baldwin ont à peu près le même âge (la cinquantaine), ils ont tous deux explosé au même moment, précisément celui que décrit le film (en 1988, Cruise tourne dans Top Gun et Rain Man, Baldwin dans Working Girl et Beetlejuice), mais sont aujourd’hui aussi opposés que deux stars peuvent l’être. Tandis que le premier refuse catégoriquement de laisser la vieillesse marquer son corps, ressemblant toujours plus à un vampire, le second porte ses années avec sérénité, ce d’autant plus qu’elles lui ont donné du coffre et une crédibilité. Ils pourraient presque être père et fils, et cet écart insensé nous fait mesurer à quel point un acteur, au fond, ne fait que négocier, forever, avec son Dorian Gray. Jacky Goldberg Rock Forever d’Adam Shankman, avec Tom Cruise, Alec Balwin, Catherine Zeta-Jones (E.-U., 2012, 2 h 02)

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The Island de Kamen Kalev avec Laetitia Casta, Thure Lindhardt (Bul., Suè., 2011, 1 h 48)

Second film catastrophique d’un cinéaste bulgare qui promettait. Grosse déception après le superbe premier film de Kamen Kalev, Eastern Plays, précipité bulgare de bruit et de fureur urbaine. Ça commence mal : Sophie embarque son fiancé Daneel pour des vacances surprise en Bulgarie. Admettons. A l’arrivée, Daneel lui apprend qu’il est justement né en Bulgarie. On se foutrait de ce type de raccourci scénaristique si le film avait quelque chose à nous mettre sous la dent. Mais non, il n’y a rien. Ils débarquent sur une île vaguement inquiétante, où il ne va rien se passer de très original, ni très plausible, ni très bouleversant. Le pire reste à venir quand le huis clos pseudo-bergmanien bifurque vers le mysticomoralisme. Sophie, enceinte, rentre en France. Daneel disparaît et réapparaît à la télé dans le Secret Story bulgare où il déblatère sur le sens de la vie. On s’enfonce dans son fauteuil en attendant la fin des hostilités. Le plus LOL reste à venir : la dernière séquence, impayable. Vincent Ostria

Kill List de Ben Wheatley avec Neil Maskell, MyAnna Buring, Harry Simpson (G.-B., 2011, 1 h 35)

Un crossover entre Ken Loach et l’horreur gothique dans une série B flippante. ela ne trompera personne : l’ancien téléaste, clippeur et pro du marketing viral Ben Wheatley est britannique. Son nouveau film, Kill List, qui nous parvient tout frissonnant de sa hype rapportée des festivals de la planète bis, se situe au croisement de deux genres fétiches du cinéma anglais. Le premier se signale dès l’introduction sous la forme d’un portrait social-trash à l’humeur chagrine : dans une banlieue middle class au ciel désespérément bas, un couple en crise se déchire à mesure que les factures s’accumulent. Le mari, au chômage, est un ancien militaire reconverti en tueur à gages qui se tient loin des armes après une ultime mission traumatisante. Dans cette première partie assez laborieuse, Kill List navigue à vue dans les eaux de Ken Loach et de son Route Irish, auquel il emprunte un peu plus que le simple motif du retour d’Irak : ses tremblements de caméra, son appétit doloriste pour la gueule cassée de ses missionnaires. Mais tandis que le récit chemine sur le fil de cette petite chronique réaliste, une atmosphère d’étrangeté s’installe lentement, un mystère diffus contamine le film, qui bascule dans l’horreur ésotérique lorsque le personnage principal renoue avec le crime au service d’une secte obscure. Sans trop dévoiler ses secrets, on dira simplement que Kill List organise alors une collusion furieuse entre le familier et l’irréel, qu’il saisit l’effrayant vertige d’un homme confronté à des forces occultes, et que Ben Wheatley y convoque avec talent un imaginaire déserté du cinéma de genre britannique : les rituels sauvages, les croyances païennes, et tout un folklore hérité du culte The Wicker Man de Robin Hardy. Ces vieilles terreurs auxquelles Kill List administre un électrisant et nécessaire update. Romain Blondeau



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Zohra Lampert et Gena Rowlands dans Opening Night (1977)

un homme sous influence Tandis que ressortent en salle cinq films de John Cassavetes, rencontre avec Al Ruban, qui fut son producteur, chef op, monteur et surtout ami.



l Ruban – J’ai rencontré John en 1957, pendant la production de Shadows. J’avais été convié par des amis communs à une partie de base-ball à New York. L’équipe était composée de gens comme John, Seymour Cassel et toute la bande. J’ai rejoint l’équipe ce jour-là puis suis devenu leur ami. Un jour, John me demande si ça me tenterait de les rejoindre sur un tournage. Je ne connaissais rien au cinéma ! John m’a répondu qu’il n’y connaissait rien non plus et que c’était une bonne raison de s’y mettre ! C’était un excellent argument et je les ai rejoints pour tourner des scènes supplémentaires de Shadows. Travailler avec des amis, est-ce une bonne méthode ? John ne travaillait qu’avec des personnes pour lesquelles il avait du respect ou de l’amitié. Je ne sais pas si c’est toujours la meilleure façon de faire, mais c’était la bonne pour John. C’est ainsi qu’il se sentait à l’aise. Travailler avec des amis est plus relax, on est moins parano, on ne se demande pas si untel complote contre vous. Shadows parle de relation interraciale. Etait-ce choquant pour l’Amérique de 1957 ? Nous, on ne fonctionnait pas en termes de ségrégation. New York était une ville

très mélangée. Vivre aux côtés des Noirs était pour nous quelque chose de naturel. On avait l’impression de faire un film délicieux sur l’amour et la trahison, on s’amusait, j’aimais les acteurs et les techniciens et, surtout, le film était intéressant. Aujourd’hui, je vois bien en quoi ce film était novateur mais à l’époque, non, on n’intellectualisait pas. Comment se passait le tournage dans les rues de New York ? On avait un équipement léger mais aucun permis. Parfois, on sonnait chez les gens pour leur demander l’autorisation de brancher notre matériel chez eux ! Ils nous aidaient volontiers, ils appréciaient l’énergie de la jeunesse. Shadows était contemporain des nouvelles vagues. Connaissiez-vous les films européens de l’époque ? Oui. On les aimait ou pas, sans avis sophistiqué. Ces films nous ont surtout montré l’exemple : on pouvait s’y mettre nous-mêmes. Quand on a fait Shadows, on ne savait pas si on ferait jamais un autre film. On ne savait rien, et c’est toute la beauté de ce film. Un jour, John donnait un entretien à la radio pour la promo d’un film hollywoodien où il jouait. Il raconte qu’il essaie aussi de tourner son propre

film, Shadows. Le présentateur a tout de suite dit aux auditeurs d’envoyer des sous, de s’investir dans ce projet indépendant. Dans les jours suivants, John a reçu plein de dons, pour un total de 3 000 dollars ! Il s’est dit : “Putain, maintenant, il faut vraiment que je fasse ce film !” Vous avez fait la lumière de Faces et monté le film. Comment ça s’est passé ? Sur Faces, personne n’était payé, le tournage s’était étendu de façon intermittente sur plusieurs mois. J’étais fauché, je suis parti gagner ma croûte ailleurs pendant un an alors que John tournait dans Les Douze Salopards. A son retour, il m’a demandé de venir en Californie pour voir le montage de Faces. J’étais très déçu. Il manquait plein de scènes et de plans. Je lui ai dit qu’il fallait tout reprendre à zéro. Il a dit OK, si je le faisais avec lui. J’ai donc emménagé chez lui pour m’occuper du montage du film, je pensais en avoir pour un mois,

“John était un génie mais aussi un être humain très simple”

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“quand on a fait Shadows, on ne savait pas si on ferait jamais un autre film”

Tournage de Shadows, en1958, dans les rues de New York. A droite, John Cassavetes, avec deux assistants

ça a duré un an ! On a eu une superbe relation, mais quand il me demandait un changement qui ne me plaisait pas, je ne le faisais pas et j’essayais autre chose. On a eu quelques mots ! Le montage long de Faces était très original par rapport à celui des films hollywoodiens. On peut le voir comme ça aujourd’hui, mais à l’époque… Les films de John sont fondés sur les personnages, leur personnalité, leur complexité. Pour cela, il faut du temps, des plans longs, afin de tout digérer, y compris les moments calmes. Ce montage long était au service des personnages, de ce type de film. On faisait les films pour nous, pour comprendre ce qu’on faisait, pas pour plaire à tout prix au public, pas pour gagner du fric. Vous avez aussi créé la lumière de Meurtre d’un bookmaker chinois et d’Opening Night. Ce sont les circonstances. Je me suis retrouvé à ces postes parce qu’on n’avait pas assez d’argent pour payer des pros. J’ai bien aimé le boulot de chef op mais pas au point d’en faire ma carrière. Comme John, j’aimais participer à un film du début à la fin, on aimait cette atmosphère de travail et d’amitié. John était un génie mais

aussi un être humain très simple. L’amitié nous faisait tous travailler ensemble et la qualité du travail renforçait notre amitié. Nous étions une bande de New-Yorkais, avec un côté sardonique, mais nos vannes et critiques étaient constructives, elles avaient pour seul but d’améliorer notre travail. Comment John dirigeait-il les acteurs ? Shadows était improvisé. Mais tous les autres films étaient très écrits, à la virgule. John faisait répéter les acteurs pendant deux ou trois semaines avant le tournage. Au début, ils étaient imprégnés de leurs personnages. Mais John récrivait les scènes quotidiennement et il fallait être prêt le jour suivant pour la nouvelle version. John a fait jouer des amateurs, des professionnels, des acteurs chevronnés, des débutants, etc., et je ne crois pas que l’on puisse trouver un seul exemple de mauvais jeu dans toute sa filmo. Comment John vivait-il son statut de “maverick”, d’auteur un peu en marge ? John se fichait des étiquettes. Il faisait les films qu’il avait envie de tourner, sur la classe moyenne et les relations amoureuses ou familiales. Il filmait ce qu’il connaissait, il ne choisissait pas ses sujets et son style pour prendre une pose.

A l’époque, quelle était la réponse du public et de la critique à ses films ? Un petit pan du public nous était acquis mais ça ne suffisait pas économiquement pour nous permettre d’enchaîner les films. John n’était pas contre Hollywood, attention au malentendu. Il pensait juste qu’Hollywood faisait bien les films hollywoodiens mais lui voulait faire un autre type de films. Il a fait ses films pour lui, pas contre Hollywood. La critique était divisée au départ. Quand vous êtes habitué aux films hollywoodiens, voir un Cassavetes peut dérouter. Des critiques, certes minoritaires, étaient fans de nos films, mais au fur et à mesure de nos films leurs rangs ont grossi et finalement les critiques pro-Cassavetes sont devenus majoritaires. Les films de John ne sont pas gentils, amicaux, ils jouent plutôt sur l’antagonisme, demandent de l’attention, de l’engagement de la part du spectateur. On ne peut pas les regarder en mangeant du pop-corn. Mais je vais vous confier un petit secret : parfois, nos meilleures idées venaient après l’achèvement d’un film, parce que nous avions lu une critique intéressante ! Comment vivez-vous la belle postérité de John Cassavetes ? Il la mérite ! Les gens se rendent compte que le talent peut prendre un tas de formes différentes. John disait : “Si je meurs, je ne veux pas que l’on parle de moi. Je préférerais que les gens aillent voir mes films. Ces films parlent mieux de moi que n’importe quel discours.” John était quelqu’un de très vivant, un être différent de tous ceux que j’ai connus. Je pense que John était suffisamment malin pour savoir intérieurement qu’il faisait des films intéressants, qui lui survivraient, mais il était assez discret et pudique pour ne pas en parler. Faire le prochain film comptait plus que penser à son statut. recueilli par Serge Kaganski Ressortie en nouveaux masters numériques de Shadows (1959), Faces (1968), Une femme sous influence (1974), Meurtre d’un bookmaker chinois (1976) et Opening Night (1977) 11.07.2012 les inrockuptibles 75

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James Mitchell et Robert Taylor (à droite), en grand propriétaire terrien indien déchu de ses droits

La Porte du diable d’Anthony Mann

Le film Dans l’histoire si passionnante du western, La Porte du diable occupe une place cruciale : pour la première fois, le point du vue indien sur l’histoire américaine de l’occupation des sols dirige le film. Juste après la guerre de Sécession, dans un Wyoming jusque-là pacifié, un propriétaire indien de haut rang se voit du jour au lendemain menacé d’expropriation, déchu de ses droits et ravalé au rang d’indigène, de moins que rien. En face de lui, un avocat retors et brillant mettra un point d’honneur à l’abattre et une tendre jeune femme lui viendra en aide. Si le film frappe par sa dureté (en un plan dans un saloon, le lynchage d’une minorité existe avec une précision incroyablement concrète) et sa noirceur sans nuance, c’est aussi par sa manière de “faire cinéma” qu’il marque des points : l’âpreté de la pensée s’accompagne de libertés lyriques, souples et étonnantes. Par exemple, l’horrible avocat joué par Louis Calhern (l’homme qui tient Marylin Monroe dans ses bras dans Quand la ville dort de John Huston) ne se contente pas

MGM

Une date dans l’histoire si riche du western : pour la première fois, un film adopte le point de vue indien sur l’histoire américaine de l’invasion des terres. Engagé et moderniste.

de manigancer, mais entretient aussi un rapport étonnamment exalté avec la terre, objet de toutes les convoitises, appelée “sweet meadows”, comme une ritournelle élégiaque. Ou encore, le film propose un personnage féminin très original dans un genre, le western, qui n’en recèle pas tant que ça : celui d’une jeune avocate (on est dans les années 1860 !), jouée par la douce Paula Raymond, qui va se battre pour défendre l’Indien de son cœur. La manière dont cette jeune femme et sa mère découvrent avec effroi la condition miséreuse de ces Indiens qui faisaient partie intégrante du paysage vaut tous les coups de semonce, et la confiance

accordée à la part féminine de l’Histoire est tout à fait inattendue. Dans le rôle de l’Indien : Robert Taylor, qui rejoint ainsi la cohorte mystérieuse des “Blancs aux yeux bleus grimés en sioux” du cinéma hollywoodien (Debra Paget, Gene Tierney). Acteur un peu faible qui trouva le rôle de sa vie dans Traquenard (Party Girl) de Nicholas Ray, il vivait dans l’ombre de son épouse Barbara Stanwyck et n’était pas spécialement libéral en matière de politique. Il apporte cependant toute sa raideur ombrageuse à ce personnage orgueilleux qui offrira son corps en sacrifice pour son peuple – mystère du cinéma qui fait naître des convictions par le miracle de l’artifice.

Le DVD En bonus, un livre signé Bernard Eisenschitz, agrémenté d’une belle iconographie, qui raconte par le détail la genèse et la fabrication du film, revient sur l’histoire du western… Egalement, un entretien avec Bertrand Tavernier, qui en quelques aperçus lancés de sa voix grave rappelle le génie d’un acteur (Louis Calhern), évoque la postérité du film (Aldrich), analyse son mélange de pessimisme et de lyrisme, bref en sonde toutes les singularités avec une belle et communicative émotion retenue. Axelle Ropert La Porte du diable d’Anthony Mann, avec Robert Taylor, Louis Calhern, Paula Raymond (E.-U., 1950, 1 h 24), coffret DVD + livre, Wild Side Vidéo, environ 30 €

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à l’envers, à l’endroit Inspiré à la fois d’une BD de Mœbius, de la culture manga et des comics US, Gravity Rush, premier vrai nouveau jeu conçu pour la PlayStation Vita, explore les confins des lois de la physique.

 D business Sega France, c’est fini La filiale française de Sega ferme ses portes cet été, comme ses homologues allemande, espagnole, australienne et du Benelux. Cette décision fait suite à un changement de stratégie de l’éditeur japonais (et ancien fabricant de consoles) en difficulté financière, qui entend désormais se concentrer sur ses “licences fortes” (Sonic, Total War, Football Manager…) pour les jeux “en boîte” (dont la distribution française est reprise par Koch Media) et miser pour le reste sur le dématérialisé.

isponible au Japon depuis décembre et en Europe depuis février, la PlayStation Vita peine à trouver sa place sur le marché du jeu portable entre les smartphones et la 3DS de Nintendo. La faute, sans doute, à son prix (compter 240 euros pour le modèle wifi). La faute, aussi, à un catalogue ludique riche en suites et adaptations (Uncharted, WipEout, Rayman, Marvel vs Capcom, Metal Gear Solid…) mais qui manque un rien de personnalité. Son vrai grand jeu totalement neuf s’est fait attendre. Bonne nouvelle : il vient d’arriver. Ancien de Konami, Keiichiro Toyama s’est d’abord illustré dans le registre horrifique. Il fut le réalisateur du premier Silent Hill avant de donner naissance à l’audacieuse (et méconnue) série Forbidden Siren. Gravity Rush est un projet qui le travaillait depuis longtemps, depuis sa découverte de l’œuvre de Mœbius. “Le jeu est fondé sur une BD française que j’aimais quand j’étais jeune, a-t-il expliqué au site britannique Computer and Video Games. Je ne voulais pas me contenter d’utiliser ça mais le marier à la culture manga japonaise. (…) Pour le personnage principal, nous voulions créer une héroïne qui donne le sentiment de sortir d’une BD américaine, comme Batman, disons.” De ce mélange d’influences découle directement le sentiment inhabituel que provoque Gravity Rush, à la fois familier et dépaysant. Mais c’est avant tout ludiquement que le jeu nous fait perdre nos repères. Avec sa jeune héroïne

amnésique et solitaire, nous voilà gratifié du pouvoir d’inverser à volonté les effets de la pesanteur. De marcher sur les murs ou au plafond. D’emmener avec nous objets trouvés et personnages innocents. Et de nous poser en des lieux qui semblaient inaccessibles. La gravité est une force qu’il nous faut dompter, ce dont le jeu ne fait pas un gimmick mais une règle de vie. Son monde est ouvert, sa cité n’a rien à envier à celles de Crackdown et d’inFamous. Les possibilités sont immenses mais ne débouchent pas sur une impression de toute-puissance. Le temps est à la libération provisoire, le jeu exalte l’élan fragile en encourageant l’improvisation audacieuse. Au détour d’une rue, on croise des fantômes qui s’étonnent qu’on ait conscience de leur présence. Ce n’est qu’un détail, mais qui en dit long – ne serait-on pas un peu des leurs ? Gravity Rush est un voyage élégant et saccadé, qui ne ressemble à aucun autre. Erwan Higuinen Gravity Rush sur PS Vita (Sony), environ 40 €

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zombies vs cheerleader On peut être gore et acidulé, punk et pop, sanglant et ensoleillé : la preuve avec l’incroyable Lollipop Chainsaw. ’est l’horreur au euphorisants de ces invente une troisième voie : lycée de San Romero dernières années. celle de l’adolescence (référence explicite Spécimen unique éternelle, de l’artifice au George R. de d’expérience gore bubbleacidulé, de la frénésie La Nuit des morts vivants). gum, sa dernière création, rieuse et quand même par Les zombies attaquent mise en musique par moments un peu dégoûtée. et – mais on s’en doutait un le grand Akira Yamaoka Au départ comme peu – le prof de maths est de Silent Hill (mais avec à l’arrivée, c’est un jeu l’un d’eux. Heureusement, le Lollipop de 1958 des d’action, de baston, la blonde cheerleader Juliet immortels Ronald & Ruby de mutilation. Mais tout Starling (alias nous) sait y dans sa BO), ressemble à scintille, tout frétille et faire. D’un coup de pompon, une chanson des Ramones. ça grouille d’idées. Quel elle les assomme avant Infréquentable mais bonheur ce serait de faire de leur trancher la tête au irrésistible. En apparence la prochaine rentrée au moyen de sa tronçonneuse. crétin et néanmoins génial. lycée de San Romero. E. H. Game designer punk En ces temps post-salon Lollipop Chainsaw sur PS3 par excellence, Goichi Suda E3 (la grand-messe et Xbox 360 (Grasshopper (Killer 7, No More Heroes, de l’industrie vidéoludique Manufacture / Warner Bros), Shadows of the Damned) n’a qui a eu lieu le mois environ 60 € jamais fait mystère de dernier à Los Angeles) son goût pour la culture pop où l’on s’écharpe entre américaine. Assisté partisans du grand du cinéaste James Gunn spectacle sanglant (Call of (ex de Troma, réalisateur de Duty et ses amis) et du jeu Super), il donne naissance vidéo ensoleillé (qui n’est avec Lollipop Chainsaw pas que pour les petits, on à l’un des jeux les plus y tient), Lollipop Chainsaw

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Game of Thrones

Heroes of Ruin Sur 3DS (n-Space/Square Enix), env. 40 € Envie de Diablo en vacances alors qu’il n’y a de la place que pour la 3DS dans la valise ? Heroes of Ruin est là pour ça qui, en solo ou via internet en wifi, s’attache à reproduire les sensations du tube hack’n’slash de Blizzard. C’est à peu près tout – le jeu manque vraiment de personnalité – mais c’est déjà ça.

Sur PS3, Xbox 360 et PC (Cyanide/Focus), de 45 à 60 € Des adaptations de films ou de séries transpire souvent un certain cynisme. Ce n’est pas le cas de Game of Thrones, dont les auteurs, basés à Nanterre, ont eu à cœur de rester fidèles au matériau d’origine. Mais leur création souffre de trop de limites techniques pour plaire au-delà du noyau dur des fans.

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Dirty a ri Moins barré mais toujours aussi fascinant, Swing Lo Magellan signe le brillant retour des Américains Dirty Projectors et de leur farfelu leader. Même Björk les adore.

L  Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

ors d’une interview, la pire chose qui puisse frapper un journaliste (à part le poing de Liam “fooking” Gallagher), c’est la perte quasi totale de l’usage de la parole. Si l’on ajoute à cela une bonne intoxication alimentaire des familles, on obtient aisément la première place sur le podium des pires conditions de la Terre pour s’entretenir avec un groupe. C’est donc dans un état évalué par les autorités compétentes à douze sur l’échelle des Black Lips – presque aphone, franchement pâlotte et vacillante – que l’on arrive à la rencontre de David Longstreth. Heureusement, la tête pensante et chevelue des fantabuleux Dirty Projectors est à peu près dans la même forme physique : avachi dans un fauteuil, blanc comme un linge, l’œil morne, l’Américain pâtit d’un violent jetlag et de crises de bâillements incontrôlées. Longstreth

a de bonnes raisons d’être fatigué. Depuis la sortie du bluffant Bitte Orca en 2009, il n’a pas chômé : une tournée sans fin à travers le monde (notamment aux EtatsUnis, où le groupe remplit d’immenses salles), un morceau avec David Byrne sorti sur la superbe compilation Dark Was the Night, des concerts avec la petite sœur de Beyoncé, Solange Knowles, en gueststar et, surtout, une collaboration de longue haleine avec Björk qui donna lieu, en 2010, à la sortie du mini-album Mount Wittenberg Orca.

un tour de montagnes russes émotionnelles qui déstabilise sans sortir l’artillerie mélodique lourde

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on connaît la chanson

Shawn Brackbill

l’amour flou

L’année dernière pourtant, Longstreth a mis un grand coup de frein en s’exilant dans une cabane perdue au beau milieu des bois du Delaware – pas l’Etat le plus fun de la Côte Est américaine. “On voulait être près de New York pour pouvoir revenir à la maison facilement, mais aussi s’en éloigner pour éviter toute tentation”, précise-t-il. C’est là-bas, pendant onze mois, qu’il a écrit, composé et enregistré (presque seul) le squelette de Swing Lo Magellan – moins tortueux que ses prédécesseurs mais tout aussi fascinant. Pas de concept cartoonesque comme sur Bitte Orca ici : Longstreth a voulu construire un disque épuré, très personnel et donc aux antipodes de ce qu’il avait pu faire auparavant. “Tous nos précédents albums ont été bâtis autour d’un thème. Je voulais sortir de ça, faire des chansons simples centrées sur un sentiment et sur le songwriting. Bitte Orca ne parlait pas du tout de moi. Les meilleurs moments de l’album sont d’ailleurs ceux où je m’efface complètement. J’aurais pu tirer les leçons de cette expérience mais j’ai préféré aller à contre-courant. Ça ne m’intéresse pas de refaire quelque chose que j’ai déjà fait. J’ai besoin de me réinventer, de prendre des risques tout en sachant que je peux échouer. Cet album était un défi. Ecrire d’un point

de vue si personnel n’était pas évident pour moi. Parler de choses dont je ne parle jamais sans ironie, c’était effrayant”, confie-t-il. Si effrayant que le garçon avoue avoir eu du mal à revenir sur ce qu’il avait composé et à l’exposer à ses camarades sans une certaine gêne. Pensé en solitaire mais édifié par un groupe rassemblé autour de son singulier leader, Swing Lo Magellan est une plongée en apnée dans le cerveau complexe de David Longstreth. Avec une honnêteté sidérante, l’Américain s’y met à nu aussi bien intimement que vocalement – les chœurs, marque de fabrique si reconnaissable des albums des Dirty Projectors, se font cette fois-ci moins présents, moins écrasants et laissent Longstreth libre de tout mouvement. On le suit alors dans un tour de montagnes russes émotionnelles qui, de l’euphorie (Offspring Are Blank) et la mélancolie (Swing Lo Magellan) au joyeux fatalisme (About to Die) et à la sérénité amoureuse (Dance for You), déstabilise sans pour autant sortir l’artillerie mélodique lourde. Curieuse collection de morceaux plus que véritable album, Swing Lo Magellan marche sans cesse sur l’étroit fil qui sépare sincérité et théâtralité – en témoigne l’intrigante Gun Has No Trigger. Avec ses beats hip-hop dépouillés, la chanson sert autant de déversoir que de cour de récré à Longstreth, qui ne se prive pas de prendre son plus beau timbre de diva et de s’offrir son moment queenesque. “Cette chanson est minimale mais elle est aussi très dramatique, extrême. Swing Lo Magellan est très théâtral parfois, mais notre société est une grande pièce de théâtre, non ?”, lâche-t-il dans un ultime effort de lutte contre le sommeil. On n’a toujours pas récupéré notre voix, mais le bouillant cerveau des Dirty Projectors, lui, a définitivement trouvé la sienne. Ondine Benetier album Swing Lo Magellan (Domino/Pias) www.dirtyprojectors.net en écoute sur lesinrocks.com avec

En avant-première de ses concerts d’été, Blur a offert sur le net deux nouvelles chansons à ses fans. Bonne santé, mais après ? A l’image de ces couples incapables aussi bien de rester ensemble que de se séparer pour de bon, Blur a occupé la dernière décennie à s’en aller et revenir. En marge des multiples couronnements de Damon Albarn, le groupe a soulagé la frustration de ses fans en proposant compilations et concerts de reformation, en déballant un (seul !) nouveau morceau à l’occasion du Record Store Day de 2010 (Fool’s Day) et en multipliant les rumeurs sur un hypothétique enregistrement de nouvel album dont on ne voit rien venir. On a beau être supporter de la première heure, la chose a fini par lasser (le dernier album Think Tank a 9 ans). La semaine dernière, le groupe, qui clôturera les JO de Londres par un vaste concert, continuait d’alimenter la théorie du retour en dévoilant deux nouveaux titres, le temps d’une prestation diffusée en direct sur Twitter. Perché, façon Beatles 1969, sur le toit d’un immeuble surplombant le périph londonien, Blur a joué Under the Westway, jolie ballade au piano qu’on placera entre Battery in Your Leg, Best Days et le Theme from an Imaginary Film des débuts. Un second morceau vit le groupe renouer avec sa tradition de pop joueuse et bricolo : The Puritan aurait pu être une face B période Parklife. Si les titres rassurent quant à la santé de Blur, on espère que le groupe y verra surtout l’occasion de préférer l’avenir plutôt que de scruter le rétro. A la fin du mois, il publiera un coffret réunissant tous les morceaux enregistrés en vingt-et-un ans (plus de cinq heures et demie de bonus annoncées). Truffé d’inédits, dont des extraits de sessions réalisées avec Andy Partridge et Bill Laswell, la bête est grandiose et constitue un chapitre clé de la saga pop anglaise des vingt dernières années. Espérons que le groupe n’y perçoive pas la fin de l’histoire, mais la possibilité d’en entamer une nouvelle.

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Arctic Monkeys, la suite

Zack Michaels

Un an après la sortie de Suck It and See, quatrième album déjà bien costaud des singes de Sheffield, Alex Turner, leur leader, commence à évoquer la suite dans la presse. Selon l’éternel ado, le cinquième album des Arctic Monkeys devrait être encore plus balèze que son prédécesseur. “Je pense que l’on va essayer de reprendre la même direction que pour nos morceaux les plus forts. On a fait R U Mine? et c’est vers cela qu’on veut tendre pour le prochain album”, a confié l’Anglais, ajoutant au passage que le groupe aimerait retourner enregistrer à Sheffield.

ça roule pour Staff Benda Bilili Le groupe le plus éclopé et néanmoins groovy de Kinshasa, qui explosait il y a trois ans avec l’album Très très fort et grâce au docu Benda Bilili !, sera de retour début septembre, pendant les Jeux paralympiques, pour un deuxième album titré Bouger le monde. En attendant, ils feront bouger quelques festivals d’été. toutes les dates et un morceau en avant-première sur crammed.be

cette semaine

Dour Festival

Fleetwood Mac : album hommage Après la disparition cette année du guitariste Bob Weston, puis du chanteur Bob Welch, le label de Starbucks, Hear Music/Concord, s’apprête à rendre hommage à Fleetwood Mac à travers un album de reprises. Attendu pour le 14 août, Just Tell Me That You Want Me verra MGMT, Antony & The Johnsons, Best Coast, Lykke Li, The Kills, Washed Out, Tame Impala, St. Vincent, Bonnie Prince Billie ou Lee Ranaldo et J Mascis revisiter la discographie des Anglais. Certaines reprises sont déjà en écoute sur Soundcloud.

Ancien centre minier d’importance, Dour, en Belgique, s’est reconverti dans le rock. Du 12 au 15 juillet, le Dour Festival recevra notamment Franz Ferdinand, Bon Iver, Chairlift, Sébastien Tellier, The Rapture, Baxter Dury, Hanni El Khatib et les futurs héros de Juveniles. du 12 au 15 juillet à Dour, www.dourfestival.be

neuf

C’est cette question que pose le livre The First Time I Heard Joy Division/New Order, qui interroge musiciens et journalistes spécialisés sur leur découverte émerveillée des groupes mancuniens. Des musiciens de Wedding Present, Spiritualized ou Jesus & Mary Chain témoignent. Ce premier volume ingaure une série qui se penchera dans le futur sur Bowie, Kraftwerk, Pixies, R.E.M., Abba… Aucun livre n’est prévu sur Raphaël. www.kickstarter.com/projects/scottheim/the-first-time-i-heard-book-series

25 ans d’Abus dangereux

Cousin Marnie Cette jeune Irlandaise pourrait, comme Bat For Lashes – autre protégée de son producteur David Kosten –, nourrir quelques jolis cauchemars, comme le suggère la vidéo de Til Death Do Us Part, valse maudite d’une fan de la Carter Family et de hip-hop ! On la suivra de très près. www.youtube.com/watch?v=ZuV9NX6_ t3U&feature=plcp

et toi, c’était comment la première fois ?

Pariah En choisissant un nom pareil, le jeune Londonien Pariah n’a jamais prévu de racoler le mainstream. Farouchement installée dans les marges, son electro-bass hypnotique et boularde sent la pauvreté, la drogue mauvaise et la nuit glauque. Pendant que Londres fait la fête olympique, ses égouts grouillent de vie. http://soundcloud.com/pariah-r/rift-clip

Le fanzine Abus dangereux fête ses vingt-cinq ans de marge et d’autonomie. Un exploit qui méritait bien un numéro spécial, parfaitement équilibré entre un logique résumé de son histoire, un dossier consacré aux autres grands noms de la presse parallèle d’ici et quelques jolis articles tournés vers l’avenir. www.abusdangereux.net

Silver Jews Gourou d’une scène déglinguée d’Amérique, de Palace à Pavement (pour ne rester qu’à la lettre P), David Berman réédite les premiers pas de ses Silver Jews, remontant au début des années 90. L’occasion de bâtir une statue – bancale, dégueulasse et déformée – à ce génie. Et pas en argent : en or massif. www.silverjews.net

vintage

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Atiba Photo

jeux collectifs Portés aux nues avec Merriweather Post Pavilion, les intenables Animal Collective reviennent en septembre avec un album complexe, noisy et pop. Les Américains expliquent en avant-première comment il est né.

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uand avez-vous commencé à travailler sur Centipede Hz ? Dave Portner – Les choses n’ont vraiment commencé que le 1er ou le 2 janvier 2011. On s’est tous retrouvés pour commencer à jouer ensemble, en groupe – une méthode différente des précédents albums –, avec Josh (Deakin), qui revenait dans le groupe après avoir fait une pause. On a beaucoup jammé, expérimenté dans tous les sens, on a commencé à trouver des bouts de chansons qui nous intéressaient, certains s’en emparaient pour aller bosser dessus de leur côté avant de revenir pour que l’on s’y remette collectivement. On avait alors une vague idée de l’ambiance que nous cherchions, mais rien de plus. Quelle était cette ambiance recherchée ? Dave Portner – Quelque chose de plus agressif, de plus excité. Quelqu’un a prononcé le mot “mille-pattes” assez tôt pendant le processus, et on a tous trouvé qu’il décrivait assez bien ce qu’on était en

“c’est captivant de se dire que ce que l’on crée est une forme d’énergie infinie, qui peut voyager si loin”

train de faire : quelque chose de complexe, avec beaucoup de pattes, d’excroissances, l’idée de multiples sections imbriquées les unes dans les autres. Il y a aussi une idée centrale liée à la radio, aux ondes FM… Brian Weitz – On avait parlé de cette idée pendant la tournée de Merriweather Post Pavilion, mais elle n’est revenue qu’au milieu du processus de Centipede Hz. On a samplé des tonnes de choses, on s’est rendu compte que ça collait parfaitement avec le style de l’album. Il y a des choses passionnantes à la radio, des moments incertains, abstraits, des sons qui bougent d’une manière unique. Il y a aussi cette idée que les signaux FM sont suffisamment puissants pour quitter l’atmosphère et voyager dans l’espace. Ça nous a menés vers une sorte d’imaginaire extraterrestre : on pensait à un groupe, sur une autre planète, entendant des sons venus de la Terre et essayant, à sa manière, de les incorporer à sa musique… C’est captivant de se dire que ce que l’on crée est une forme d’énergie infinie, qui peut voyager si loin. Centipede Hz est noisy, parfois assez dur… Dave Portner – Il y a des moments assez anguleux, assez rêches, des moments où le son est assez sale, comme celui d’une radio cassée. Nous avons

essayé de raffiner cela, nous ne voulions pas tourner le dos aux gens, mais il est évident que l’album est sans doute moins rond, moins simple que Merriweather Post Pavilion. L’album est aussi assez pop… Brian Weitz – Oui, et ça tient à notre relation à Ben Allen, notre coproducteur, qui vient plutôt du songwriting. On lui balance des tonnes de choses et on compte sur son oreille pour que la chanson puisse s’extraire de ce chaos. Quelqu’un au Japon nous a dit que cet album lui semblait très “free”. Mais bien au contraire, il est extrêmement maîtrisé, d’un bout à l’autre. Comment pensez-vous que les gens réagiront à Centipede Hz ? Brian Weitz – Les gens qui ne nous connaissent pas très bien et qui aiment les moments les plus doux de Merriweather Post Pavilion risquent d’être un peu surpris… Il n’y a de toute façon jamais eu un Animal Collective, ni un seul type de fan d’Animal Collective. Selon moi, Centipede Hz sonne un peu comme une combinaison de toutes les substances du groupe. recueilli par Thomas Burgel album Centipede Hz (Domino/PIAS), à paraître le 3 septembre www.myanimalhome.net 11.07.2012 les inrockuptibles 83

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Karim Tibari

Le collectif ouest-africain Djembe New Style

Essaouira, ca ouïra ca ouïra Le fameux Festival Gnaoua d’Essaouira, au Maroc, a fêté ses 15 ans. On y était et on n’a pas entendu que de la musique.



ne belle endormie.” C’est ainsi que la représentante de l’Autorité palestinienne Leila Shahid se souvient d’Essaouira. C’était il y a vingt-cinq ans, à la faveur d’une première visite en compagnie de son mari le poète Mohamed Berrada. Comment imaginer que la belle deviendrait un jour l’insomniaque qu’elle est aujourd’hui ? Qu’un perpétuel brouhaha s’élèverait de ses ruelles grouillantes de visiteurs ? Que l’écho métallique des ensembles de musique gnaoua s’y répercuterait jusqu’au bout de nuits transfigurées ?

Essaouira est bien plus qu’un sanctuaire pour ces merveilleuses musiques de saltimbanques mystiques en robes de fakirs

Réveillée, la cité portuaire du sud marocain l’est, plus que jamais, à plus d’un titre. Plus une seule artère qui ne possède son riad restauré en maison d’hôtes, son ébénisterie, son restaurant, son échoppe de souvenirs. Cet authentique miracle économique, le Festival Gnaoua et musiques du monde n’y est pas étranger. Pour son quinzième anniversaire (il s’est tenu du 21 au 24 juin), les organisateurs souhaitaient établir une manière de bilan en ajoutant des paroles à la musique. Ce furent ainsi un arbre à palabres bien fructifié et un forum réunissant chercheurs, politiques, journalistes et artistes d’horizons divers autour du vaste thème des cultures en liberté. Des interventions souvent brillantes (avec la remarquable Leila Shahid), des échanges parfois véhéments, des éclairages salutaires donnèrent tout son sens à cette initiative, dans un contexte de convulsions agitant

le monde arabe, Maroc inclus. Le président du Conseil national des droits de l’homme, Driss El Yamani, y évoqua le triste sort qu’a connu un colloque prévu à l’université d’El Djedida autour de l’œuvre de l’écrivain Abdellah Taïa. Pris d’assaut par des étudiants islamistes, le doyen de l’établissement finissant à deux doigts du lynchage, l’événement dut être annulé, sous prétexte que Taïa est homosexuel et que ses écrits sont contraires à la notion de “culture propre” qu’ils défendent. Le Maroc moderne avance, mais parfois à reculons. L’espace d’un festival, les remparts d’Essaouira peuvent donc abriter plus qu’un simple petit commerce prospère, plus qu’un sanctuaire pour ces merveilleuses musiques de saltimbanques mystiques en robes de fakirs. A la lumière des récents événements, l’idée apparaît comme une évidence. C’est dans cet esprit de vigilance et d’espérance

qu’André Azoulay, président et fondateur de l’association Essaouira Mogador, parla de la vocation de ce rendez-vous annuel (dont il fut l’un des initiateurs) avec lyrisme, se disant fier d’avoir fait à l’échelle d’une ville “mieux que les Nations unies, mieux que les politiques”. Après quatre jours de festivités, personne n’aurait pu lui nier cet acquis. De cette édition un peu spéciale, nous retiendrons en particulier l’altérité complice de ces fusions où se rencontrent musiciens gnaouas et artistes du monde entier. La Malienne Oumou Sangaré, les Pakistanais Fareed Ayaz et Abu Mohammad, les Sud-Africains de Soweto Kinch, le collectif tambourinaire ouestafricain Djembe New Style, tous adossés à la vibration gnaouie, nous firent ainsi redécouvrir le destin de cette ville à l’étonnante baraka. D’avoir été à travers son histoire à la fois berbère, juive, phénicienne, romaine, arabe, africaine et hippie, elle peut s’offrir aujourd’hui en amante universelle d’un monde à espérer. D’un monde enfin guéri de ses turpitudes sectaires. Francis Dordor et aussi à signaler, la sortie du CD/DVD Festival Gnaoua et musiques du monde, retraçant l’histoire du festival à travers une sélection d’extraits des concerts (en exclusivité Fnac ou sur www.festival-gnaoua.net)

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Jonathan Boulet We Keep the Beat, Found the Sound, See the Need, Start the Heart Modular/La Baleine

Ne cherchez plus le bonheur, il est dans le disque de cet Australien dingo. entrer la tête dans Collective et Born Ruffians, les épaules en prévision où les incontrôlables galopades de la tornade. Prévoir rythmiques deviennent des des baskets capables moteurs à explosions multicolores de crapahuter sur le magma, (l’exceptionnelle ouverture s’apprêter à rebondir dans You’re a Animal), où des xylophones des geysers de bonheurs éclatants. solaires crâment leurs joies sur Puis écouter le deuxième album des guitares anguleuses (This Song de l’Australien skater-kangourouIs Called Ragged), où le méchant acrobate-uppercutter Jonathan mordant se mue, en quelques Boulet. Hurlons-le aux étoiles : mesures, en Bisounours mélodique We Keep the Beat (etc.) est (Hallowed Hag), où les hymnes un chef-d’œuvre de pop radieuse, pour masses béates les lancent sonique et enragée, sans queue dans de démentes bacchanales. Thomas Burgel ni tête et sens dessus dessous. Un disque qu’auraient pu écrire, tous ensemble au soleil, les Dodos, jonathanboulet.com Vampire Weekend, Arcade Fire, en écoute sur lesinrocks.com avec The Coral, Pavement, Animal

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The Soundtrack Of Our Lives Throw It to the Universe Haldern Pop/Differ-ant Retour des Suédois, toujours aussi habiles trafiquants de pop ancienne. Nono Gallagher, qui les avait les grognards du filou et doué invités en tournée avec Oasis, Ebbot Lundberg plaquent a dit d’eux qu’ils étaient “le présent, ainsi une flamboyance, voire une le passé et le futur du rock’n’roll”. outrecuidance, qui transforment Il n’aurait pu se contenter, systématiquement ces badernes c’est après tout son domaine de en hymnes, ces ballades en compétence, que du passé, où épopées. Un art pauvret qui, ici, fait ces Suédois font de petits miracles encore ses miracles très low-cost, de régénération. Car ils sont peu, comme sur un Faster Than the les antiquaires, les brocanteurs, Speed of Life, qui offre un absurde a ainsi faire du neuf, du virulent, film de costumes 60’s West Coast, du pertinent, du sacripant avec des fidèle à l’esprit jusqu’aux poils vieux restes de pop, des ragotons de rouflaquettes. JD Beauvallet de rock’n’roll, des débris de psychédélisme. Sur des partitions web.tsool.net anciennes et des arrangements en écoute sur lesinrocks.com avec plus franchement vierges, 11.07.2012 les inrockuptibles 85

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various artists Songs for Desert Refugees Glitterhouse/Differ-ant

Le meilleur de la musique touarègue se mobilise pour les réfugiés du désert. Dans le désert du Nord-Mali depuis très longtemps, des populations civiles ont fait les frais des combats de ces derniers mois. Près de 300 000 personnes ont rejoint des camps de réfugiés loin des zones de guerre. Vendue au bénéfice de deux ONG, cette compilation rassemble des titres inédits des grands noms de la musique touarègue : de Tinariwen à Terakaft, de Tamikrest à Bombino, cette musique n’a jamais semblé aussi urgente. S. D. www.re-aktion.com

Tiny Ruins Some Were Meant for Sea Spunk Records/Cooperative/Pias

Magnifique, le folk d’une musicienne de l’autre bout du monde. ollie Fullbrook est née en Angleterre mais réside en Nouvelle-Zélande, terre des Bats, Chills et autres protecteurs de l’humanité. Seule, la jeune femme porte le projet Tiny Ruins et Hollie fille, Hollie fille, elle pourrait vous rendre marteau. Hollie Fullbrook joue des folk-songs légères et enivrantes à la fois – si vous leur laissez une chance, certaines, comme la gracieuse You’ve Got the Kind of Nerve I Like, ne vous quitteront plus. Souvent, Hollie Fullbrook évoque une cousine éloignée d’Agnes Obel, une petite sœur de Cat Power période The Greatest. Son timbre n’est ravissant qu’en apparence : au fond, il porte une fêlure (Old as the Hills) et une fragilité délectables (Little Notes). “Certains étaient destinés à la mer”, raconte le titre de cet album – eh bien plongez maintenant. Johanna Seban

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www.tinyruins.com en écoute sur lesinrocks.com avec

DNTEL Aimlessness Pampa Activiste de l’electro toute tristounette d’Amérique, DNTEL est grand. Bientôt dix ans que le facteur n’est made in Popol Vuh, planqué dans pas passé. Et à voir la façon dont un double fond (Paper Landscape) Ben Gibbard (Death Cab For Cutie) – l’un des moments de grâce et Jimmy Tamborello (DNTEL) d’un album qui provoque une ont commenté la fermeture de leur douce hébétude : une habitude Postal Service, il y a fort à parier pour ce sorcier des sons qu’il ne passera plus jamais. et des sens. Benjamin Mialot On peut toutefois compter sur le second pour nous adresser de jolis www.myspace.com/dntel colis d’electro sentimentale et en écoute sur lesinrocks.com avec lo-fi, à l’image de cet air de synthé

Arlt Feu la figure Almost Musique/Socadisc Entre les mains du duo Arlt, la chanson française n’en mène pas large. Nos ancêtres ont allumé le feu. On ne parle pas de Johnny, mais de l’Homo erectus, encore plus vieux. Le duo français Arlt (Sing Sing et Eloïse Decazes) a repris le flambeau, frottant ses guitares et ses ritournelles jusqu’à l’étincelle et l’embrasement, pour faire danser les ombres et consumer dans la joie primitive une litanie d’obsessions esthétiques (symbolisée ici, sur le deuxième album du groupe, par une pochette en hommage à Thelonious Monk). Le premier, La Langue, était sorti fin 2010. Les impatients ont enquillé en cinq jours les dix chansons du second. Cinq sont du matin, encore un peu endormies, les gestes gourds, et cinq sont du soir, prêtes pour la transe et l’abandon, où l’on retrouve l’intensité, la langueur, les arrangements dérangés et les hallucinations verbales du premier album. Stéphane Deschamps concerts le 14 juillet à La Rochelle, le 26 à Paris (Flèche d’Or), le 25 août à Montesquiou www.myspace.com/arltmusic en écoute sur lesinrocks.com avec

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Will Bankhead

Actress R.I.P Honest Jon’s/Modulor Biblique et foisonnant, le troisième album de l’Anglais Darren Cunningham a tout d’une flèche empoisonnée. ci, au rayon des anciens des phrases inédites. dance-floors (The Lord’s sportifs recyclés Sur R.I.P, Actress Graffiti ou le finale heurté musiciens, on a Yannick n’a désormais plus besoin d’IWAAD), il tient pendant Noah. Outre-Manche, d’un recours systématique près d’une heure et meilleure pioche, c’est un aux rythmes pour baliser avec une virtuosité toute ex-footballeur de Premier son territoire sonore, en mesure janséniste League qui construit sous qui en devient du coup plus sa promesse de redéfinir l’impersonnel masque indécis et mystérieux, les lignes et l’esprit d’Actress l’une des œuvres plus chargé en minéralité de l’underground anglais les plus exigeantes (Holy Water) et en recherche des dernières saisons. et stupéfiantes apparues d’une paradoxale R.I.P est peut-être aussi ces dernières années luxuriance minimale, un titre qui sous-entend dans le radar des musiques comme le prouve la pièce que des cellules nouvelles électroniques. Jardin, dont la beauté vont naître à travers lui, Après Hazyville voici ne repose que sur quelques où Actress tiendra quatre ans, puis Splazsh éclats et frottements à l’évidence les premiers en 2010 – entrecoupés inspirés des gamelans. rôles. Christophe Conte de maxis tout aussi Cunningham s’est passionnants –, Darren imprégné ici du Paradis www.elasticartists.net/artist/ Cunningham poursuit une perdu de John Milton actress en écoute sur lesinrocks.com quête singulièrement à (1608-1674), sans souci avec l’écart des faiseurs de beats illustratif mais porté industriels ou des tapisseurs assurément par un désir d’ambient au kilomètre. de sensations virginales, Ces précédents disques de retour aux sources, donnaient un sacré comme en témoignent tournis par leur manière aussi les liens qu’il déploie d’embraser des vers les génies primitifs vocabulaires anciens de Detroit (Raven). (house, techno, electronica, Si, tardivement, cet dubstep) pour leur faire album méditatif consent cracher par exténuation à se rapprocher des

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Squarepusher Ufabulum Warp/Discograph Retour chez Warp et en demi-teinte pour le génie electro anglais. Quelle mouche a encore piqué Squarepusher ? Dans un délire futuriste tout droit sorti de Tron, la pochette d’Ufabulum n’annonce rien de bon, d’autant que ses précédents albums avaient déçu. Mais dès les premières mesures, le génial bassiste de Warp revient arpenter ses territoires originels, ceux d’une electronica splendide et complexe. Ressortant la vieille artillerie analogique, Tom Jenkinson reste aussi précis dans ses mélodies, ritournelles jouissives de quelques notes à peine, ses ambiances synthétiques sur basses groovy et rythmiques savamment breakées. Mais un je-ne-sais-quoi ou un presque rien dérange. Squarepusher oscille entre savoir-faire maîtrisé et caricature, comme sur Dark Steering ou le naïf Red in Blue. Il peut être aussi très inspiré, comme sur le ténébreux Drax 2 ou le lumineux Ecstatic Shock. Entre ces deux extrêmes, le tempéré Ufabulum… Adrien Landivier squarepusher.net

Bobby Womack

various artists Zappruder Collection #1

The Bravest Man in the Universe XL/Beggars/Naïve

Zapprudder/Modulor

Avec Damon Albarn, retour glorieux d’une légende (sur)vivante de la soul. égende égarée de la soul, il est le chaînon historique unissant Sam Cooke (il fut son guitariste), Jimi Hendrix (il fut son ami), les Stones (ils ont repris son It’s All Over Now), mais aussi Sly Stone et Janis Joplin. Mais Bobby Womack ne signifie hélas plus grand-chose pour la jeune génération, même si son nom a furtivement refait surface grâce à Tarantino (le phénoménal Across 110th Street au générique de Jackie Brown). Il a donc fallu ce mélange d’opportunisme et de gratitude quasi filiale caractérisant ce diable de Damon Albarn pour rattraper un Womack au bord du précipice, sans contrat, toxicomane, luttant contre le cancer. Après deux apparitions vocales plus que convaincantes sur le Plastic Beach des Gorillaz, Albarn fait glisser la voix bouleversante, miraculeusement préservée, du vieux soulman sur un lac gelé de nappes synthétiques et de beats électroniques. Il y inclut deux magnifiques duos, Dayglo Reflection avec la sensuellement sépulcrale Lana Del Rey, et Nothing Can Save Ya avec l’envoûtante Malienne Fatou Diawara, pour un disque qui rend justice à l’un des derniers géants de la soul. Francis Dordor

Excellente cartographie mondiale des rénovateurs de la pop-music. Finie la discrimination positive, voire les passe-droits. Depuis quelques années, on ne dit plus “bon label français” ou “excellent groupe français” mais tout simplement “bon label” ou “excellent groupe”. Dans la foulée des compilations Kitsuné, on ne demande leurs passeports à aucun des jeunes groupes insolemment rassemblés par l’excellent nouveau label Zappruder. Tous assemblés pour leur amour de la pop-music toutes confessions confondues (électrique ou électronique, fougueuse ou onirique), ces citoyens du www œuvrent tous, à leur manière, à sa rénovation, dessinant sans le savoir un manifeste. Celui d’une pop de progrès qui, de Breton à Saint Michel, de NZCA/Lines à Hooray For Earth, respecte trop l’histoire (mélodies, harmonies) pour la répéter et est trop excitée par le futur pour lui faire des promesses intenables. JD Beauvallet

www.bobbywomack.com en écoute sur lesinrocks.com avec

soundcloud.com/zappruder en écoute sur lesinrocks.com avec

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Rozi Plain Joined Something Unjoined Talitres/Differ-ant Jolie nouvelle dans le folk : plutôt que de gratter ses croûtes en solo, cette Anglaise excentrique joue en bande. ’est toujours comme ça : on pense avoir fait le tour d’une musique, en avoir exploré les moindres recoins et possibles quand soudain, on découvre une nouvelle source pétillante. Rozi Plain a ainsi l’impression d’inventer le folk foufou et on ne va surtout pas la contredire, lui parler, pontifiant et peine-à-jouir, de Joanna Newsom ou Kimya Dawson. Car Rozi Plain n’est pas proche de Frànçois & The Atlas Mountains (ils se sont aidés mutuellement et plus, car affinités) pour rien. Chez elle aussi, le folk refuse l’orthodoxie des barbus à poux et femmes à dentelles, naviguant d’Angleterre en Caraïbes en une croisière qui s’amuse beaucoup mais n’oublie pas de composer avec méticulosité des tubes qui font semblant de ne pas en être, comme Humans, See My Boat ou le très fervent et absurde I Know. En Angleterre, à force de chansons ainsi troussées de taffetas et de bure, Rozi Plain a le bras long – ce qui l’aide à grimper aux arbres et à jouer de la guitare acrobate. En première partie, elle a subjugué Devendra Banhart ou James Yorkston, et collaboré avec les deux collectifs folk les plus réformateurs du pays, Fence à Fife, en Ecosse, et Willkommen à Brighton. Cette notion de “collectif” semble fondamentale dans son approche de l’écriture, du jeu, de la vie aussi : elle lui permet toutes les fugues, les audaces, les digressions, mais aussi l’hilarité, l’euphorie des escapades en groupe – la vidéo de Humans est ainsi assez révélatrice de l’esprit débridé et ouvert de cet album. Car loin du misérabi-nombrilisme que tant de sourds du pot ont cru détecter chez Leonard Cohen ou Will Oldham, Rozi Plain ne ferme jamais sa porte ou ses fenêtres : on peut la découvrir dans une folk-song solitaire et intime avant de la retrouver, gambadant à tue-tête, en fanfare colorée quelques instants plus tard. Ça s’appelle “l’art imite la vie”. Et c’est nettement moins pénible que l’inverse. Elle s’appelle Plain, comme “normale”. On lui souhaite un joli quinquennat – tout en sachant tout ce que cette “normalité” dissimule de malice, de perversité et d’excentricité. JD Beauvallet

Simon J. Evans

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Concorde Summer House Sister Records Entre pop radieuse et rock mélancolique, des Français à retenir pour demain. C’est l’histoire d’un ancien déroule une dizaine trio déjà aperçu sous le nom de chansons pop habiles de Candy Clash, éduqué oscillant sans cesse entre chez Talking Heads, Feelies mélancolie légère et petites ou Joy Division. Devenu joies. On pense souvent quatuor, le groupe se à ESG (Makes Me Wonder), rebaptise Concorde et, sans ou à des Franz Ferdinand mauvais jeu de mots, se fait romantiques (Like to Say et une place en or sur la ligne son refrain à la mélodie en une de l’underground culbuto). Mais c’est quand parisien. L’an passé, les Français se font enfants le single Candy Boy, petite légitimes de Yo La Tengo farandole pop dont n’aurait (un Stay High ascensionnel pas rougi Vampire Weekend, du plus bel effet) qu’ils puis des premières caressent le sommet de parties de Fujiya & Miyagi, l’obélisque. Johanna Seban des Shins et de Julian Casablancas se chargeaient www.withconcorde.com du rayonnement. La suite, en écoute sur lesinrocks.com avec c’est Summer House, qui

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www.roziplain.co.uk en écoute sur lesinrocks.com avec

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Juveniles Juveniles ep AZ/Universal La BO des nuits blanches de l’été par des Rennais nés du mauvais côté de la Manche. e premier morceau s’appelle Pour mieux faire perdre toute Through the Night, mais velléité de résistance aux hanches c’est bien plus qu’une nuit et aux jambes, le duo a aussi fait qu’on aimerait passer avec appel au collectif anglais Breton l’electro-pop fatale de Juveniles pour un remix de Through the Night tant elle colle à la peau, moite aussi tortueux que troublant, ainsi de préférence. Après deux singles qu’au Français Yuksek, qui signe sortis sur le label Kitsuné, un remix bâti pour les clubs et les les Rennais livrent aujourd’hui leur nuits d’été sans fin. Ne reste que premier ep qui, comme sa pochette We Are Young pour la redescente, rouge sang, fait monter le feu aux insouciante. Ondine Benetier joues et aux lèvres. Quand Through the Night et Hard Working Girl concert le 5 novembre à Paris dégainent synthés eighties, beats (Casino de Paris) au Festival implacables et clip digne des JO de Les inRocKs, avec Hot Chip et Lescop Londres pour le premier, Blackout, www.juvenilesmusic.com lui, s’arme de riffs rêvés de l’autre en écoute sur lesinrocks.com avec côté des falaises bretonnes.

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Nas The Don (Massive Attack remix) Nas, Massive Attack et Tim Goldsworthy (DFA, UNKLE) unissent leurs humeurs sombres et leurs languides vibrations sur cet extrait de Life Is Good, prochain album du rappeur. Six minutes de hip-hop ankylosé par un dub gluant, toxique, condamné à ramper au ralenti quand il voudrait prendre ses jambes à son cou. www.lesinrocks.com

Mikhael Paskalev Jive Babe Les ingrédients du tube sont réunis dans ce titre du NorvégeoBulgare : clip lynchien, “bang bang” à la pelle, “wouh ouh ouh” en cascade et une pop qui colle aux semelles et aux tympans. Il vous reste deux mois pour apprendre à dire son nom : en septembre, à la sortie de son premier album, il sera sur toutes les lèvres. www.youtube.com

Lil B 848 Song Based Freestyle Mixtape (Historical) Quand le rappeur californien décide de faire une mixtape, il ne fait pas les choses à moitié : 855 titres (et pas 848, des petits malins ont pris le temps de compter), 5 Go d’anciens et nouveaux morceaux pour occuper les jours pluvieux de cet été maudit. www.sendspace.com/file/d106kn

Bow Low Little River Bow Low nage dans un univers bien à lui, à la croisée du westernspaghetti d’Ennio Morricone, de la new-wave eighties et du glam dansant à la MGMT. Preuve que le rock totalement barré et inventif des Caennais a tout pour séduire, ce sont les internautes qui ont financé le deuxième album du groupe, à paraître à la fin de l’année. www.lesinrockslab.com/bow-low 90 les inrockuptibles 11.07.2012

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Dès cette semaine

Barbara Carlotti 13/7 La Rochelle, 18/10 Paris, Cigale Chapelier Fou 20/7 Nancy, 21/7 Tauxigny, 3/8 Saint-Michelde-Boulogne Cloud Nothings 12/8 Saint-Malo CocoRosie 12/7 Paris, Trianon Leonard Cohen 26/9 Toulon, 28, 29 & 30/9 Paris, Olympia Coldplay 2/9 Paris, Stade de France The Cranberries 25/11 Paris, Grand Rex Death In Vegas 1/10 Paris, Olympia Etienne De Crécy 13/10 Paris, Olympia Destroyer 11/7 Paris, Nouveau Casino Deus 25/8 Saint-Cloud Alela Diane 12/7 Lyon, 14/7 Mulhouse Dour Festival du 12 au 15/7 à Dour, avec Sébastien Tellier, Chairlift, The Rapture, Nada Surf, La Femme, St. Vincent, Bon Iver, Franz Ferdinand, The Shoes, Detroyer, Fránçois & The Atlas Mountains, Selah Sue, Speech Debelle, The Subways, etc. Baxter Dury 3/8 AulnoyAymeries Eiffel 28/11 Paris, Trianon Festival Jazz à la Villette du 29/8 au 9/9 à Paris, avec Macy Gray, Trombone Shorty, Roy Ayers, Archie Shepp Big Band, etc.

Festival Plage de rock 2012 du 12/7 au 30/7 à Saint-Tropez, avec Hanni El Khatib, Other Lives, Kid Bombardos, Cast Of Cheers, Santigold, Black Lips, Veronica Falls, 1995 et Art District Fránçois & The Atlas Mountains 17/10 Paris, Cigale Francofolies de La Rochelle du 11 au 15/7, avec Joeystarr, Revolver, 1995, Barbara Carlotti, etc. Noel Gallagher’s High Flying Birds 9/10 Lille, 11/10 Lyon, 12/10 Toulouse Garbage 17/7 Arles, 22/11 Paris, Zénith Melody Gardot 16/10 Rennes, 17/10 Rouen, 21/10 Tours, 26/10 Orléans, du 5 au 7/11 Paris, Olympia Gossip 4/11 Bordeaux, 6 et 7/11 Paris, Zénith, 8/11 Lille, 10/11 Rennes, 26/11 Montpellier Granville 20/9 Paris, Flèche d’Or Richard Hawley 10/10 Paris, Cigale Inrocks Lab Party juillet 11/7 Paris, Flèche d’Or, avec Maia Vidal, Killtronik et Mermonte Norah Jones 13/7 Juanles-Pins, 13/9 Strasbourg Justice 19/7 Nîmes, 21/7 Carhaix Kap Bambino 13/7 La Rochelle, 29/9 Marseille Klub Des Loosers 11/8 Cannes, 22/9 Nîmes, 6/10 Lyon, 12/10 Paris, Gaîté Lyrique Lianne La Havas 29/8 Paris, Grande halle de La Villette

Lambchop 5/11 Lille, 15/11 Fontaine, 16/11 Vendenheim Hugh Laurie 11/7 Paris, Olympia Le Grand Souk All VIP! du 19 au 21/7 à Ribérac, avec The Shoes, The Rapture, Orelsan, Digitalism, Eiffel, etc. Jens Lekman 23/9 Paris, Gaîté Lyrique, 24/9 Strasbourg Lescop 14/7 Aix-lesBains, 15/7 La Rochelle, 18/7 Spa, 21/7 Carcassonne, 22/7 Paris, Parvis de l’Hôtel de Ville

Emily Loizeau 14/7 La Rochelle, 22/7 Spa, 11/10 Orléans, 12/10 Tourlaville, 13/10 Rouen, 16/10 Rumilly, 17/10 Nancy

Other Lives 12/7 SaintTropez, 20/7 Carhaix

Foster The People, Grimes, Bloc Party, Dionysos, etc.

Poliça 14/7 Dour, 15/7 Paris, Olympia

Marina And The Diamonds 2/9 Paris, Stade de France

Radiohead 11/7 Nîmes, 11 & 12/10 Paris, Bercy, 16/10 Strasbourg

La Route du rock du 10 au 12/8 à Saint-Malo, avec The xx, Spiritualized, Chromatics, Alt-J, Willis Earl Beal, Civil Civic, The Soft Moon, My Best Fiend, Colin Stetson, etc.

Marsatac du 20 au 30/9 à Marseille & Nîmes, avec C2C, Orelsan, Baxter Dury, Don Rimini, etc. Midi Festival du 27 au 29/7 à Hyères, avec Bon Iver, SBTRKT, Arthur Beatrice, The Shining, etc. Janelle Monáe 11/7 Paris, Trianon Orelsan 16/10 Paris, Zénith

Catherine Ringer 12/7 La Rochelle, 13/7 Tours, 22/7 Spa, 26/7 Cognac, 28/7 Sélestat, 3/8 Vence, 5/8 Saint-Florent, 8/8 Pau, 9/8 Hyères, 11/8 Landerneau, 12/8 Bruxelles Rock en Seine du 24 au 26/8 à Saint-Cloud, avec The Black Keys, Sigur Rós,

Robi 15/7 Paris, Glazart Rover 24/10 Paris, Alhambra Saint Michel 5/8 Dranouter Santigold 22/7 Carhaix Scorpions 23/11 Dijon, 24/11 Strasbourg

Skip The Use 13/7 Tours, 15/7 Aix-lesBains, 17/7 Nîmes, 19/7 Nice Stuck In The Sound 11/7 La Rochelle, 14/7 Dour, 18/7 Biarritz, 19/7 Pont du Gard, 19/7 Carhaix, 20/7 Nice 20/10 Paris, Olympia Sziget Festival du 6 au 13/8 à Budapest, avec The Stone Roses, The xx, The Roots, Citizens!, Anna Calvi, Mando Diao, 1995, etc. Tindersticks 8/10 Lille, 9/10 Nantes, 10/10 La Rochelle,

En location

12/10 ClermontFerrand, 13/10 Strasbourg, 14/10 SaintEtienne, 16/10 Marseille, 17/10 Montpellier, 18/10 Toulouse Daby Touré 12/7 La Rochelle, 26/7 Châlonsen-Champagne Two Door Cinema Club 15/11 Paris, Zénith Rufus Wainwright 10/12 Paris, Folies Bergère We Love Green du 14 au 16/9 à Paris, Parc de Bagatelle, avec Beirut, Norah Jones, Electric Guest, Django Django, Camille et James Blake

aftershow

Bertrand Cantat avec Amadou & Mariam

Romain Lejeune

Alabama Shakes 13/7 Aix-lesBains Aline 28/7 Hyères Archive 6/11 Nîmes, 9/11 Bordeaux, 10/11 Toulouse, 16 & 17/11 Paris, Zénith, 19/11 Nancy, 20/11 Lyon Awolnation 15/11 Paris, Nouveau Casino Bat For Lashes 13/7 Aix-lesBains Berlin Festival les 7 & 8/9, avec Grimes, Django Django, Of Monsters And Men, Clock Opera, etc. Bilbao BBK Live du 12 au 14/7, avec Radiohead, The Cure, The Gift, Tribes, The Kooks, Band Of Skulls, Snow Patrol, etc. Birdy 10/9 Paris, Cigale Birdy Nam Nam 30/10 Paris, Olympia The Black Keys 30/11 Lyon Black Lips 23 & 24/7 Paris, Trabendo Bloc Party 20/7 Carhaix, 24/8 Saint-Cloud, 3/11 Nantes, 4/11 Lyon, 5/11 Bordeaux, 7/11 Toulouse Bon Iver 15/7 Paris, Olympia, 28/7 Hyères, 30/7 Lyon Mathieu Boogaerts 4/12 Paris, Trianon Breton 22/9 Grenoble, 24/9 Lille, 25/9 Amiens, 26/9 Laval Calexico 16/9 Paris, Trianon, 12/11 Montpellier, 22/11 Rennes, 23/11 Massy, 24/11 Strasbourg Camille 23 & 24/10 Paris, Olympia Caribou 11/7 Nîmes, 11 & 12/10 Paris, Bercy, 16/10 Strasbourg

Nouvelles locations

Les Eurockéennes du 29 juin au 1er juillet à Belfort De l’interprétation de Whole Lotta Love de Led Zeppelin par Bertrand Cantat (invité par Amadou & Mariam) à celle de Seven Nation Army par Jack White et ses “Jackettes” ; du Boys Don’t Cry de The Cure au planétaire Hits From the Bong des membres de Cypress Hill ; du DJ-set renversant de Kavinsky (sur la plage de la presqu’île du Malsaucy) à une épique réplique d’Audio Video Disco par Justice ; de l’énergie vorace d’Hanni El Khatib à la douceur féline de Lana Del Rey, les différents live de la 24e édition des “Eurocks” ont enchanté les 100 000 festivaliers (record de fréquentation malgré l’annulation de certains concerts le samedi soir pour cause d’intempéries). D’abord sous un soleil de plomb (suivront l’orage et la boue mais sans entamer le moral des troupes locales), les spectateurs ont pu découvrir le punk suisse de Hathors. Ils se sont ensuite vu bousculés par le rock foutraque de The Mars Volta, puis stimulés par la performance apocalyptique des Américains de Dropkick Murphys, sous un ciel noir tapissé d’éclairs qui aurait plu à Tim Burton. Jovial sous les écoutilles electro-pop de Django Django, brutal dans les cordes des Suédois de Refused, drôle sous l’égide inattendue mais réussie du Comte de Bouderbala, le festival ne vieillit pas, il rajeunit. Romain Lejeune 11.07.2012 les inrockuptibles 91

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spécial

été

summer of love

L’été, ça nous obsède. Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’amour sans jamais oser le demander.

La Possibilité d’une île de Michel Houellebecq (2008)

amours chiennes A l’heure du sexto, l’amour-toujours n’a plus tellement sa place en littérature. Alors certains auteurs, par compensation, explorent d’autres pistes : la musique, les animaux ou bien encore… la voix du GPS.

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n 1969, dans un monde de passions anciennes, Iggy Pop chantait “I wanna be your dog” – soit tout à la fois “je veux être ton molosse d’amour, ta bête de désir et ton toutou soumis”. Quarante ans après, le sex-symbol punk affiche toujours son affinité avec les cabots, mais le fait cette fois au travers d’un texte de Michel Houellebecq : sur Préliminaires (2009), il verse une larme (de vieil Iguane) en vantant l’œil tendre de Fox, dernier en date d’une lignée de bâtards clonés au pelage blanc et roux. Et de conclure “A travers ces chiens, nous rendons hommage à l’amour et à ses possibilités/Qu’est-ce qu’un chien, sinon une machine à aimer ?” La formule, énoncée d’une pénétrante voix de baryton, a le mérite de résumer une

tendance décelable dans nombre de (bons) romans récents : à la bourse des sentiments, la cote du bipède y est en chute libre tandis que celle des substituts de tout poil (ou de toutes écailles) grimpe en flèche. Longtemps, les romans ont refusé de confondre amour et leurre. Pour le lecteur en culottes courtes, l’équation amoureuse se résumait, en gros, à un homme et une femme (voire deux ou trois – pour qui a grandi en relisant chaque été Les Trois Mousquetaires, l’idylle un peu fade entre D’Artagnan et Constance Bonacieux était providentiellement relevée par l’impact charnel de Milady et le piment libertin qu’introduisait Kitty, la soubrette troussée à deux profondeurs de décolleté de l’alcôve de sa maîtresse). Ensuite, tout s’est légèrement compliqué…

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en marge

Bret is dead ? Avec Les Liaisons dangereuses, Choderlos de Laclos nous a appris que l’amour c’était avant tout l’amour-propre, que toute rebuffade appelait une vengeance et que celle-ci se dégustait brûlante. Chez Proust, on a découvert que la jalousie (le “monstre aux yeux verts” de Shakespeare) pouvait être terrifiante, et que La Prisonnière et Albertine disparue resteraient à jamais indéboulonnables au top ten des romans d’horreur psychique. En lisant Nabokov, on a compris que le plus électrisant des coups de foudre (“Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme” – encore plus envoûtant en VO avec l’allitération “my sin, my soul”) pouvait être le prélude à une vertigineuse descente aux enfers, la fascination jumelle d’Aschenbach pour Tadzio (“poétique légende des âges primitifs”) produisant dans La Mort à Venise un résultat voisin. Avec Albert Cohen et Belle du Seigneur (lire page 94), on a vu le romantisme de la solitude à deux virer au sordide de la folie à deux, et se solder par l’absorption d’une dose létale de somnifères, tandis que Kerouac montrait dans Sur la route qu’il était dans la nature de l’objet de désir universel (Dean Moriarty) de rester à jamais inaccessible. Si ces romans avaient en commun de pouvoir se lire comme autant de mises en garde, leurs auteurs avaient suffisamment foi dans les possibilités dramatiques de l’amour pour faire de ce sentiment (et de ses myriades de métamorphoses et chausse-trapes) la clef de voûte d’absolus chefs-d’œuvre. Puis survinrent l’Eté de l’amour, la libération des mœurs, les fiertés gay, trans et lesbienne, le pacs, le divorce sans avocats et les familles recomposées à l’infini. Toutes choses qui, dans le domaine de la littérature, ont prestement relégué l’amour-toujours au rang des vieilles lunes, tandis qu’y prospèrent les couples en crise, les plans cul et les scènes de baise plus ou moins cocasses – si être un immense écrivain garantissait un sens infaillible de la métaphore érotique, les fans d’Updike se seraient vu épargner quelques mémorables crises de fou rire.

Quels objets parviennent-ils encore à foudroyer les héros de romans contemporains ? Quelles sont les Sanseverina ou Anna Karénine de l’univers du geek, avec ses amis Facebook, ses copines Meetic, sa souris dans la pogne et son chat sur les genoux ? La voix féminine d’un GPS (La Vie très privée de Mr Sim de Jonathan Coe) ? La musique (Juliet, Naked de Nick Hornby) ? Ou, au rayon “machines à aimer”, un assortiment de compagnons à quatre pattes et œil humide, du Fox de La Possibilité d’une île (qui valut à Houellebecq de se retrouver juré du prix 30 millions d’amis) à l’attachant Rufus d’Emily (Stewart O’Nan) en passant par le bouleversant Mr Bones de Tombouctou (Paul Auster), sans oublier le fidèle iguane (un vrai, pas le chanteur des Stooges) de Lointain souvenir de la peau (du vétéran Russell Banks) et le canasson boiteux de Cheyenne en automne (dernier roman du jeune Willy Vlautin) ? En Angleterre, un livre exploitant un filon dramatique que l’on croyait tari squatte ces jours-ci les listes de best-sellers. Par une nuit d’hiver, un junkie musicien des rues croise une créature rousse aux yeux verts : mégaflash réciproque, cohabitation immédiate, rédemption assurée – le hic étant que l’être aimé est ici un matou, héros de A Streetcat Named Bob (et star instantanée via YouTube). De quoi saluer comme un événement la récente parution d’Une simple mélodie d’Arthur Phillips, roman entièrement (et brillamment) construit autour de ce qui serait une superbe histoire d’amour à l’ancienne, si la chanteuse et le publicitaire qui s’y éprennent à distance l’un de l’autre ne se contentaient de communiquer (beaucoup) et fantasmer (encore plus) par mail, SMS, téléphone, chansons et dessins interposés. Puis, après quatre cents pages émoustillantes en diable, par se caser avec un beauf (elle) et retrouver son épouse légitime (lui). Pour, finalement, adopter un teckel. Décidément… Bruno Juffin

stranger than fiction Où le roman déclare forfait : quel T. C. Boyle (ou Chuck Palahniuk, ou George Saunders, ou tout autre enragé de la satire) pourrait rivaliser avec la réalité, quand celle-ci fait à la littérature une

concurrence à ce point déloyale ? Deux célébrités du petit monde des “objectophiles” (ou “objectum sexuals”), Wall Winther et Erika LaBrie, ont en commun d’avoir respectivement choisi

pour partenaire de vie le mur de Berlin et la tour Eiffel, la seconde assurant (vidéo à l’appui) que son mariage avec le monument parisien lui assure un plein épanouissement.

A force de tweeter ses avis critiques, Bret Easton Ellis finirait-il par oublier d’écrire son propre livre ? Une inquiétude, un stress ou une angoisse ? Appelons cela comme on voudra, mais quelque chose me réveille en ce moment au milieu de la nuit. Et là, je me surprends à penser à Bret Easton Ellis, des gouttes de sueur glacées au front. Oui, Bret Easton Ellis. L’avenir de ce brave garçon me tient à cœur, que voulezvous, et c’est là que l’anxiété me tombe dessus : mais que va-t-il devenir ? Ecrire un nouveau roman ? Ce serait ce qui pourrait lui arriver de mieux, mais hélas, j’en doute de plus en plus… Oui, je sais, il suffit que je dise cela et l’angoisse vous submerge vous aussi. Plus de nouveau Bret Easton Ellis ? Non, non, je n’en suis pas sûre, mais l’autre angoisse c’est qu’il en écrive un et qu’ il soit bâclé. Ce qui me fait dire ça, c’est que Bret semble s’être mué en critique (de tout : littérature, cinéma, télé, etc.) et qu’on sait qu’un bon livre écrit par un critique est chose aussi courante qu’une actrice à trois yeux. Oui, Bret passe son temps à tweeter ses impressions de lecture, ce qu’il pense de telle ou telle scène d’une série télé, pourquoi il faut voir tel film, un peu façon nouvelle pythie de la culture US. “Ceci est bien, cela est nul” – il faut le croire, c’est Bret qui le dit. Non, pardon : qui l’assène gentiment. Aucune “conversation” dans les tweets d’Ellis, que des “détails” : lecteurs, vous avez le droit de réagir aux conseils du prophète Bret, mais n’attendez pas de réponse de sa part, il n’entend nullement entrer dans un débat avec vous. Ces derniers jours, l’écrivain devenu critique devenu prophète soutient le porno pour mémères Fifty Shades of Grey ou le film de Sarah Polley, Take This Waltz. Il absorbe un tel nombre d’objets culturels par semaine qu’on se demande s’il lui reste encore du temps pour écrire. Un grand écrivain tué par ses tweets ? C’est bien, donc, ce qu’on finit par craindre… avec tristesse.

Nelly Kaprièlian 11.07.2012 les inrockuptibles 93

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Jonathan Rhys Meyers et Natalia Vodianova dans Belle du Seigneur de Glenio Bonder, bientôt en salle en France

“scorbut de passion”

summer of love

Si Belle du Seigneur est un poison pour les lecteurs, le livre est aussi son propre antidote, puisqu’il décrit crûment les effets secondaires de la passion : “Leur pauvre vie. Leur prétentieux cérémonial de ne se voir qu’en amants prodigieux, prêtres et officiants de leur amour, un amour censément tel qu’aux premiers jours, leur farce de ne se voir que beaux et nobles à vomir et impeccables et sans cesse sortis d’un bain et toujours en prétendu désir. Jour après jour, cette lugubre avitaminose de beauté, ce solennel scorbut de passion sublime et sans trêve.”

le trauma Belle du Seigneur Histoire d’amour absolue, indépassable, Belle du Seigneur, le livre culte d’Albert Cohen, traumatise chaque jour de nouveaux lecteurs. Un drame qui ne peut plus être tu.

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u as 15 ans et, cet été, tu as décidé de lire ce roman dont tu as tant entendu parler. En tournant les pages jaunies de ton édition de poche, tu as la sensation de rejoindre une confrérie, celle des lecteurs de Belle du Seigneur. Sur le pont du bateau, sur la plage, dans le jardin, près de la piscine ou dans ton lit, tu restes rivé(e) à ton livre, subjugué(e) par l’aura de Solal le magnifique et par la beauté d’Ariane et de ses “seins fastueux”, aimanté(e) à leur passion sublime, au lyrisme exalté d’Albert Cohen qui embrase ton cœur adolescent. Dorénavant, pour toi, l’amour ne peut être qu’absolu, “poétique”, “prodigieux”, préservé du prosaïsme le plus vil – la mauvaise haleine au réveil, les borborygmes, “le grondement préliminaire et terrifiant de la chasse d’eau, tumulte funeste”. Si bien que, pendant longtemps, tu préféreras frôler l’occlusion intestinale plutôt que de te rendre aux toilettes en présence de l’être aimé. Après sa parution, en 1774, le roman de Goethe, Les Souffrances du jeune Werther, fut accusé d’être à l’origine d’une vague de suicides. Mais personne n’a évoqué

les effets autrement dévastateurs de Belle du Seigneur. Publié en 1968, le livre culte d’Albert Cohen, qui reste à ce jour l’une des œuvres les plus vendues de la collection Blanche chez Gallimard – c’est dire l’ampleur des dégâts –, a déjà engendré au moins deux générations sentimentalement traumatisées, aux illusions réduites en charpie sur “la toile cirée de l’habitude”, des êtres incapables de concevoir une relation amoureuse hors d’une chambre du Ritz et d’envisager une histoire qui ne soit pas au minimum idéale, fusionnelle, grandiose, tragique. Ou alors, autant en finir avec un flacon d’éther. Les femmes attendent désespérément leur Solal, Don Juan superbe et torturé, et finissent le plus souvent avec des clones d’Adrien Deume, l’époux falot et pathétique d’Ariane, ou avec de pauvres ersatz de Solal, fiers de leurs grotesques “babouineries” et de leurs petits manèges de séduction. Les hommes eux, rêvent d’une Ariane soumise et sensuelle, qui les aime et les vénère jusqu’à fumer leurs mégots de cigarettes et surtout jusqu’à rompre avec toutes les conventions bourgeoises. Mais rares sont les femmes qui peuvent se permettre de passer autant de temps dans

un bain qu’Ariane et qui ont le loisir de se consacrer exclusivement à se magnifier pour celui qu’elles aiment. En revanche, le réel se révèle extrêmement fidèle au livre dès lors qu’il est question de l’érosion des sentiments, de l’ennui qui s’installe dans le couple, des dîners silencieux faute de sujets de conversation, tout ce que Cohen décrit avec une implacable cruauté, qui elle aussi fait des dégâts sur les âmes sensibles. Mais les victimes de Belle du Seigneur tiennent peut-être enfin leur revanche sur ce livre qui a ruiné leur vie sentimentale : l’adaptation cinématographique à venir avec Jonathan Rhys Meyers et la top-model russe Natalia Vodianova, dont l’affiche kitschissime laisse présager le pire. Elisabeth Philippe Belle du Seigneur d’Albert Cohen (Folio), 1 109 pages, 11,50 €

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Jane Austen, les règles du je Deux siècles après sa disparition, l’écrivaine anglaise reste à la pointe pour la dissection des tumultes sentimentaux. Jane Austen, ou quand l’amour rend intelligent. t si les romanciers nimbus, la foudre artistique se traduit par un insidieux étaient de grands frappe volontiers deux fois dérèglement du moi, pris enfants, avides au même endroit. Avoir, entre, précisément, raison de jeux, de vacances à 20 ans, découvert coup et sentiments. Ou pulsions, et de divertissements ? sur coup Orgueil et préjugés Martin Amis s’amusant Des amuseurs prompts et Le Genou de Claire (l’ode dans La Veuve enceinte à à se refiler les meilleures à l’été, au badinage et aux faire de l’héroïne d’Orgueil adresses de villégiature, cueilleuses de cerises du et préjugés un Stromboli au premier rang desquelles plus sensuel des cinéastes érotique en puissance. figure aujourd’hui l’œuvre français, Eric Rohmer) Corollaire d’une ironie d’une femme de lettres prédispose peu à se tourner dramatique voulant anglaise, que le fait vers une vie de labeur que, très occupés à enjôler d’être décédée il y a près mais présente l’immense autrui, les personnages de deux siècles n’empêche avantage de révéler se mentent régulièrement nullement d’être l’une que, loin de nécessairement à eux-mêmes, l’art de des écrivaines les plus rimer avec tragédie dans Jane Austen tient à sa prolifiques du millénaire les landes du Yorkshire ou façon de mettre en scène naissant ? Par pastiches, sucreries pour diabétiques la parole. Si, à la relecture, détournements et du sentiment, l’amour on constate dans son œuvre hommages interposés, peut, en littérature comme la quasi-absence des Jane Austen jouit d’une aura au cinéma, devenir un paysages printaniers dont assez bluffante : mise à formidable outil à affûter on gardait un vif souvenir, toutes les sauces littéraires, l’esprit. c’est parce qu’ici ce sont du gore à la chick lit, Chez Austen, l’amour les dialogues eux-mêmes et inspiratrice d’une kyrielle rend intelligent, décuple qui verdoient, dessinent de films se déroulant les capacités d’analyse et des jardins anglais, des de Beverly Hills à Bollywood, met de l’élégance dans des labyrinthes et des pelouses l’auteur d’Emma et de maximes dignes d’Oscar en forme d’échiquier, sur Raison et sentiments est Wilde – on y apprend qu’en lesquels jeunes filles en éminemment bankable, et matière de sentiments fleurs, femmes de tête en le doit au fait que, parmi les “une mémoire trop fidèle robe Empire et marieuses grandes œuvres classiques, est impardonnable”. invétérées affrontent la sienne se distingue par Le tout aux dépens des des jeunes gens bien nés, sa faculté unique à s’évader personnages qui, avant garantissant à toute du musée pour susciter de tout attachés à leurs nouvelle génération nouveaux coups de foudre. principes, édictent des de lecteurs le plus ludique Contrairement à règles du jeu (et du je) dont des séjours estivaux. Bruno Juffin sa cousine des cumulol’intransigeant respect

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Keira Knightley et Matthew Macfadyen dans Orgueil et préjugés de Joe Wright (2005) 11.07.2012 les inrockuptibles 95

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summer of love Ava Gardner dans Pandora d’Albert Lewin (1951)

l’amour, c’est quoi ? A quoi reconnaît-on qu’on est amoureux ? Exemples via quelques romans qui font froid dans le dos.

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a vie regorge d’amis bien intentionnés qui, nous voyant cinq minutes célibataire, s’inquiètent : “Tu n’es pas amoureux en ce moment ?” Et quand ça arrive, s’inquiètent encore : “Tu es sûr que tu es amoureux ?” Par ailleurs, la vie regorge d’acteurs, d’actrices et autres people qui passent leur temps à confier aux magazines leurs histoires d’amour, les transformant instantanément en romans-photos. Marre de la nunucherie généralisée ? Lisez des livres, voyez des films, et vous y découvrirez que l’amour, ça a une autre gueule que les bluettes que vos proches voudraient vous faire jouer. On y constate souvent que l’amour n’est que stratégie sociale (Balzac, Maupassant, etc.), ou alors tellement métaphysique qu’il va falloir s’accrocher pour le vivre – et surtout, pour ne pas en mourir. Oubliez la vue de vos voisins au marché avec leurs trois enfants fringués bobo : l’amour, le vrai, est une chose dangereuse… On se souvient de Pandora, le film d’Albert Lewin, quand Ava Gardner

l’amour, le vrai, est une chose dangereuse

se déclare à James Mason, alias le Hollandais volant : elle emploie le mot “mystique” pour décrire l’impression qu’elle a de le connaître depuis toujours, depuis avant sa naissance, et de l’avoir ainsi non pas “connu”, mais “reconnu”. Impression aussi forte que vertigineuse d’être prisonnière d’un sort – d’un destin écrit à son insu, qu’elle rencontre enfin. L’amour, vu ainsi, n’est pas un choix mais une sublime prison temporelle, éternelle, dont on ne rompt les barreaux que par la mort. D’ailleurs, l’histoire d’amour d’Ava finira mal, très mal. Dans Le Maître et Marguerite, le chefd’œuvre de Boulgakov, on trouve l’un des plus beaux coups de foudre de la littérature, l’un des plus justement (et simplement) décrits, quand le Maître rencontre Marguerite. Il croise un jour aux abords du Kremlin une jeune femme avec un petit bouquet de fleurs jaunes. Il l’aborde, lui dit qu’il déteste les fleurs jaunes, quand il s’aperçoit soudain qu’il aime cette femme “depuis toujours”. Depuis toujours sans l’avoir jamais vue ? L’amour comme évidence d’un au-delà du temps, de la vie et de la mort. L’amour : le sentiment métaphysique par excellence, loin de l’imagerie rose bonbon des tabloïds, loin du discours des autres, c’est ce dont personne ne parle. Peut-être parce qu’ensuite la confrontation

entre métaphysique et prosaïsme du réel peut rendre fou si l’on n’a pas pris soin de l’affadir, de le neutraliser. Ne pas oublier que lorsque le Maître raconte sa rencontre, il se trouve enfermé dans un hôpital psychiatrique, atteint de dépression profonde. Et qu’est-ce, après tout, que le Dracula de Bram Stoker sinon le roman d’un homme prêt à boire le sang de ses contemporains pour se condamner à l’éternité et retrouver, même si cela doit prendre des siècles, celle qu’il aime réincarnée sous les traits de la jeune Anglaise Wilhelmina. Qui a dit que l’amour était un truc clean ? Car qu’est-ce que la vie quand celui ou celle qu’on sent aimer “depuis toujours”, de toute éternité, disparaît ? Il arrive que les physiques se dissolvent dans la métaphysique : d’où ces héros et héroïnes qui meurent “par amour”. Charles Bovary dans Madame Bovary, pour n’en citer qu’un – ou Emma elle-même, dont la soif d’absolu ne s’est pas réalisée sur terre, se heurtant au réel le plus ordinaire (l’argent). Les exemples sont pléthore. Alors la prochaine fois qu’on vous demande si vous êtes amoureux comme s’il s’agissait d’une jolie comptine pour petite fleur bleue, répondez que non – vous ne voulez ni mourir, ni devenir fou. A moins que… Nelly Kaprièlian

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affaires glacées L’été, saison chaude et érotique. Mais une lecture mal choisie peut aussitôt faire retomber la température. Typologie des livres tue-l’amour. orps de rêve, sourire Email Diamant. Vous avez identifié votre cible, celui ou celle qui deviendra votre amour de vacances, votre bluette estivale, et plus si affinités (ne rêvez pas trop quand même). Mais attention aux tares invisibles et aux vices cachés de votre Adonis ou de votre Vénus des calanques. Dans cette catégorie, il y a pire qu’une MST : un mauvais livre, le roman tue-l’amour qui vous donne envie de fuir en courant, l’essai antisexe qui vous fait sérieusement envisager une retraite dans un monastère. Prenez le best-seller, cette mycose littéraire. Tout le monde se l’est refilé, c’est dégoûtant. Cette année, si vous voyez dépasser du sac de votre proie La Liste de mes envies de Grégoire Delacourt (JC Lattès), gentil “feel-good book” delermo-gavaldien qui s’est écoulé à 150 000 exemplaires, passez votre chemin. L’objet de votre désir a sûrement autant de personnalité qu’un bernard-l’ermite ; vous méritez mieux. De même si vous surprenez

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Robert Pattinson dans Bel Ami de Declan Donnellan et Nick Ormerod (2012)

la naïade de vos rêves plongée dans Nos (pires) meilleures vacances à Las Vegas, Ma vie pour un oscar ou Cocktail Club, “comédie inédite” de Sophie Kinsella (Belfond) qui se demande si l’amitié est “soluble dans un mojito”, méfiez-vous. On croyait la chick-lit moribonde, mais le genre est plus coriace qu’un zombie. Et ses adeptes souffrent généralement du syndrome Bridget Jones : drôle cinq minutes, mais rapidement lourdingue. Et attention aux pièges. Ce n’est pas parce que vous apercevez Cosmopolis de Don DeLillo (réédité en poche chez Actes Sud) ou Bel Ami de Maupassant négligemment posés sur une serviette de bain motif coucher de soleil que vous avancez en terrain sécurisé. Ces lectures

respectables peuvent dissimuler une fan de Robert Pattinson, éprise de son personnage de vampire végétarien dans Twilight et donc convertie à l’éthique mormone de la chasteté. A vous de voir. Autre faux-ami : le pensum. Bien sûr, les œuvres complètes de Cioran délavées par les UV ou Minima Moralia d’Adorno taché de crème solaire vous mettent des étoiles plein les yeux. Dites-vous seulement que vous ne risquez pas de rigoler tous les jours. En revanche, si vous avez la chance de croiser une personne livide se promenant avec des livres qui ne semblent pas finis – des épreuves –, foncez tête baissée : c’est un(e) critique littéraire. Elisabeth Philippe 11.07.2012 les inrockuptibles 97

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certains l’aiment pervers

summer of love

Ne faites pas l’amour, faites la guerre. C’est la leçon qu’on retiendra du chef-d’œuvre de Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses. Cinq principes à suivre pour ne plus être une victime de l’amour.



ien qu’en 2012, vous avez subi cinq revers amoureux. A chaque fois, c’est la même chose : arrêt maladie, addiction au sucre, pensées suicidaires. Il faut dire que votre dernier date n’y est pas allé de main morte, vous apprenant après trois jours d’idylle qu’il (elle) était hélas à son grand regret marié(e) et allergique aux chats (le vôtre). Pris(e) dans la spirale infernale de la lose du love, vous évaluez les options qu’il vous reste : annoncer officiellement, à l’instar de l’ancien chef de l’Etat, votre retraite dans un monastère du Berry ou investir votre compte épargne-retraite dans une psychanalyse lacanienne. Il existe heureusement une solution plus radicale et moins dispendieuse :

Dangerous Liaisons de Hur Jin-ho (2012)

se replonger dans un classique de la littérature libertine, chef-d’œuvre de machiavélisme et de machination amoureuse. Ou comment envisager l’amour comme une guerre de tranchées, et votre prochain flirt comme une citadelle à assiéger sans états d’âme. 1. Pour ce faire, il vous faut être à la base une créature bafouée. Si la marquise de Merteuil n’avait pas été humiliée par le comte de Gercourt, il ne lui viendrait pas à l’esprit de ruiner le mariage de celui-ci en jetant sa future promise dans les bras de Valmont. Ainsi, plus votre ex aura été goujat(e), et votre humiliation totale – crises de larmes en public, coups de fil en pleine nuit, sous-entendus pathétiques sur Facebook –, plus votre vengeance sera terrible.

les Liaisons 2.0 Que seraient Valmont et Merteuil aujourd’hui ? La piste du remake s’impose mollement avec l’adaptation de Camille de Peretti, Nous sommes cruels, où un couple d’étudiants en lettres, fan du chef-d’œuvre de Laclos, s’amuse à briser les cœurs sur fond d’échanges de mails et de SMS. La manipulation amoureuse est également au centre des univers de Bret Easton Ellis – la relation entre Clay et Blair dans Moins que zéro et Suites impériales – ou Philippe Djian qui, après Incidences et Vengeance, s’en donne à cœur joie dans Oh, son nouveau titre à paraître en septembre. On n’omettra pas, in real life, la saga DSK, parfaite combinaison de sexe, de crapulerie et de rumeurs de machination.

2. Ensuite, la stratégie libertine consiste à repérer sa proie – celle qui va trinquer pour tous les autres. Surtout ne jetez pas votre dévolu sur une personne dont vous pourriez tomber amoureux(se). Ce serait une grave erreur, commise par le pourtant très aguerri Valmont, envoûté par la vertueuse présidente de Tourvel. 3. Une fois élue, il s’agit de séduire cette target innocente. A ce stade, la tactique du libertin varie entre flatterie, fausse candeur, mythomanie et dissimulation. Indispensable au néo-Don Juan que vous êtes, cette dernière vous permettra d’alterner cajoleries et froideur, déclaration enflammée et étourderie désinvolte. Feindre d’oublier l’anniversaire de l’autre, par exemple, donne d’excellents résultats en termes de panique amoureuse. A l’inverse, n’hésitez pas, alors que l’autre a déjà mis un pied dehors avec sa valise, à l’accabler d’éloges et de mots d’amour. 4. Votre conquête est à présent toute déroutée par votre savante perversité. A l’instar de Madame de Tourvel et Cécile de Volanges, il (elle) est comme une poule à laquelle on aurait bandé les yeux

dans une chambre noire. D’autant que vous avez pris soin, entre-temps, de vous transformer en bête de sexe. C’est d’ailleurs au terme d’une séance hautement acrobatique que vous lâchez à l’autre la nouvelle : cette relation, vous ne la sentez plus. Les raisons de votre désamour sont multiples : le divorce de vos arrière-grandsparents, vos problèmes d’urticaire, la crise de la dette dans la zone euro. 5. Peu importe la nature du pipeau, l’essentiel est de garder en mémoire la tête déconfite de votre moitié, son ego tout bousillé dans une moue d’enfant triste. Car cette histoire, il faudra la raconter. Comme Merteuil se projetant en “héroïne de ce nouveau roman” que sont Les Liaisons dangereuses, c’est par le storytelling que le stratège amoureux sublime le champ de ruines après son passage. Emily Barnett Les Liaisons dangereuses (Livre de poche), 480 p., 4,80 €

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Collectif Les Chroniques mauves Catpeople Prod, 224 pages, 21 € (7 € en version numérique sur leschroniquesmauves.com)

Au XIXe siècle, la vie et l’œuvre hors des conventions du poète Percy Shelley et de sa femme Mary, auteur de Frankenstein. Ou le romantisme poussé jusqu’à l’absolu.

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a vie romanesque du poète britannique romantique Percy Bysshe Shelley et de sa femme Mary, l’auteur de Frankenstein, a de quoi attirer les biographes. Elle a en tout cas brillamment inspiré Casanave et Vandermeulen, qui en offrent leur vision romancée dans deux albums pétillants. Mort tragiquement dans un naufrage en 1822, à 30 ans, Percy Shelley a vécu en jeune homme libre et pressé. Idéaliste, précurseur du végétarisme, il fait scandale par ses écrits sur l’athéisme dès son entrée à Oxford. Il écrit son premier roman à 18 ans, se marie à 19 puis une seconde fois, avec Mary, à 24. Mary, dont la mère était une pionnière du féminisme, a eu de son côté une éducation poussée et possède un esprit ouvert. Débutant par une fuite rocambolesque en France, leur relation est marquée par l’écriture de textes devenus des classiques du romantisme, des suicides de proches, des décès d’enfants, un séjour épique en Suisse avec Lord Byron, mais aussi une conception très libre de l’amour. Pour retracer au mieux cette existence marginale pour l’époque – et évidemment incomprise –, les auteurs ont pris le parti

de la fantaisie et de la légèreté. Ainsi, cette double biographie est trépidante, rebondissant de façon effrénée sur les incidents qui ont rythmé ces vies courtes mais bien remplies. Pas toujours proches de la réalité, Daniel Casanave et David Vandermeulen sont néanmoins fidèles à l’esprit fougueux et romantique de Shelley : leur ton est badin, ils inventent des dialogues enlevés, le trait mutin du premier sied autant à représenter l’ardeur sympathique de Shelley que la fatuité de Lord Byron. Ils évoquent de façon gracieuse l’inspiration et la création et finissent sur une très belle dérive poétique où la vie des deux époux et l’œuvre de Mary (en l’occurrence son roman apocalyptique Le Dernier Homme) se confondent. Dans la livraison continue de biographies de personnages célèbres, convenues et souvent formatées pour les bibliothèques scolaires, cette biographie tranche agréablement. Pas conventionnelle, elle célèbre en beauté ces deux vies qui ne le furent pas non plus. Anne-Claire Norot

Soizick Jaffre

on badine avec l’amour

Tranches de vie lesbiennes des années 50 à nos jours. Chris(tiane) naît en Bretagne dans les années 50. Son père aurait voulu que son aîné soit “un couillu”… A la fac à Paris, Chris découvre le mouvement féministe, la clope et la libération sexuelle sous les traits de sa compagne de chambre, pour qui elle éprouve une certaine attirance. A travers la vie d’une dizaine de personnages lesbiens (et gays), la scénariste Catherine Feunteun et cinq illustratrices (Soizick Jaffre, Carole Maurel, Cab, La Grance Alice, Louise Mars) nous font vivre une saga en douze épisodes des années 50 à nos jours. Depuis l’émergence du mouvement homo jusqu’à la Gay Pride 2011, en passant par le “cancer gay” ou la question de l’homoparentalité, Les Chroniques mauves nous plonge avec humour et finesse dans le quotidien de “vraies” gens, homos, trans, jeunes ou vieux, et nous en apprend beaucoup sur la culture lesbienne et féministe, avec de nombreuses citations d’auteurs (Monique Wittig, Beatriz Preciado…) insérées à bon escient. Loin de proposer une encyclopédie du mouvement lesbien, Catherine Feunteun s’inspire de son vécu, de ses révoltes, de ses aspirations pour créer une fiction qui peut parler à tout le monde. Béatrice Catanese

Shelley t. 1 – Percy ; Shelley t. 2 – Mary de Daniel Casanave et David Vandermeulen (Ed. du Lombard), 72 et 80 p., 14,99 € chaque volume 11.07.2012 les inrockuptibles 99

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Tandis que Bouchra Ouizguen électrisait le festival Montpellier Danse, Danya Hammoud l’envoûtait de ses charmes.

première Paris quartier d’été On l’avait cru menacé, après le déplacement de sa scène principale du Palais-Royal aux Invalides, mais PQE est toujours cette plante vivace qui pousse tout l’été sur le macadam parisien. On y retrouve Jan Lauwers (reprise de La Chambre d’Isabella), Israel Galván et La Curva, Dominique Boivin et sa performance tout terrain (Transports exceptionnels pour un danseur et une... pelleteuse !). Sans oublier Royal de Luxe, un bal contemporain et le travail du Théâtre Aftaab. du 14 juillet au 11 août tél. 01 44 94 98 00, www.quartierdete.com

réservez Les Noctibules Seizième édition du festival d’arts de rue Les Noctibules, qui met cette année le feu au lac avec le Groupe F et ses Coups de foudre, à tomber raide dingue de la pyrotechnie, après être sorti de la Bulle de rêve du collectif Le Mystérieux Art du Stulugatnuch, réunissant circassiens, plasticiens et musiciens. du 18 au 21 juillet à Annecy, tél. 04 50 33 44 11, www.bonlieu-annecy.com



a ! est un cri assourdissant. Celui d’une troupe de femmes réunies par la Marocaine Bouchra Ouizguen pour montrer la folie ordinaire, celle qui ne se cache pas. C’est dans un de ces villages pour fous, dans la région de Marrakech, que la chorégraphe a erré à son tour. Sa création ne met pas en scène ces états seconds mais leur donne voix au chapitre : monologue, éclats de rire effrayants de puissance, chant – comme ce beau dikr, sorte de litanie et point d’orgue du spectacle. Surtout, Bouchra Ouizguen trouve dans la poésie de Rûmî la traduction de ces pensées enfermées dans leurs corps. Les incroyables natures que sont Kabboura Aït Ben Hmad, Fatéma El Hanna et Naïma Sahmoud habitent ces histoires avec une aisance singulière. Découvertes dans Madame Plaza – précédent opus de Bouchra et révélation de Montpellier Danse 2009 –, elles incarnent ces vies brisées et l’espoir d’un avenir autre. Ha ! occupe le plateau à coups de diagonales, de sauts sur place. Jusqu’à ce finale où, danseuses au sol et blotties les unes contre les autres, retentit la dernière mélopée. Dans ce bas-relief pour le coup vivant, il y a une humanité qui respire la danse. Avec peu de chose, des collants noirs, des foulards, ce quatuor avale l’espace du Studio Bagouet et tout ce qu’il y a autour. La ville et nous avec. Ha !, cinquante minutes, est une claque et une caresse tout à la fois. On n’est pas sûr d’en recevoir d’autres aussi fortes cet été. Dans un festival qui entendait apporter un autre regard sur le printemps arabe, c’est du Liban que nous vient Danya

Ha ! de Bouchra Ouizguen

Compagnie O

transes de vies Hammoud : Mahalli est un solo qui porte bien son titre. “Mahalli” se traduit par “local” et “ma place”. Cette superbe danseuse a trouvé la sienne. Jeu de regards, douce transe, corps alangui ou travail de dos ondulant, elle capte notre attention. Et on ne la lâchera pas un seul instant. Danya Hammoud dit : “Mon territoire, c’est d’abord mon corps.” Quand on connaît un tant soit peu l’histoire de son pays, on ne peut que voir dans cette chorégraphie minimaliste un manifeste féministe. En écho, une jeune photographe, Rima Maroun, libanaise aussi, s’invitait à Montpellier pour donner à voir d’autres blessures, cicatrices urbaines ou mouvements intimes. On a aimé. Enfin, une autre femme arabe, à travers Hiya (“elle”), était de la partie : la propre mère du chorégraphe Brahim Bouchelaghem, qui avait déjà dans sa pièce Zahrbat croqué le portrait de son père. Quatre filles s’échangent les rôles, tiennent à distance la pure virtuosité hip-hop mais n’évitent pas toujours le piège de la narration, à l’image de cette scène, un accouchement, douloureux dans tous les sens du terme. Un simple voile marque ce territoire très personnel. Dommage que le chorégraphe n’arrive pas à s’émanciper d’une vision attendrie du genre féminin. Les “mamas” de Bouchra Ouizguen auraient sans doute pu en remontrer à ces demoiselles trop stylées. Philippe Noisette Ha ! chorégraphie Bouchra Ouizguen Mahalli chorégraphie Danya Hammoud Dans le cadre de Montpellier Danse 2012, compter endu

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j’entends plus la guitare De Melody Nelson à Roy Orbison, des performances et des spectacles sous le signe des musiques populaires le temps d’un week-end à la Cité internationale de Paris. es mythologies on ne l’entend plus tout par Serge Gainsbourg. du rock fascinent à fait de la même manière. Du spirit of ecstasy ornant au moins autant que Une performance la Rolls du narrateur au le rock lui-même. La à comparer avec Fortuna, vélo de la gamine, plié preuve avec American Rock de Massimo Furlan, où, par le choc avec la voiture, Trip, stand-up conférence durant huit minutes, noyé Fanny de Chaillé manipule ironiquement inspirée des dans une brume artificielle habilement les thèmes classiques “Connaissance sur des drones de fétichistes. Elle part du monde”, dans laquelle guitares assourdissants, de l’objet-disque faisant Stéphane Malfettes rend le spectateur est frôlé entendre les craquements compte de son voyage sur par des corps dénudés. du vinyle sur la platine les traces d’Elvis Presley, Très différent, Prévisions – tout en se gardant Roy Orbison, Jerry Lee d’exposer la Lolita, torse nu de Grand Magasin ponctuait Lewis ou Britney Spears au le festival de prophéties en jean un jouet dans les fil d’une visite des musées d’autant plus surprenantes bras sur la pochette de consacrés à ces icônes qu’elles portaient sur l’album. Entre apparitions des musiques populaires des micro-événements aussi et disparitions, noir dans leurs villes natales et lumière, jeux et combats, discrets que vérifiables. respectives. Ou comment transformer Fanny de Chaillé invente A la fois touchant un rituel érotique sobrement l’espace environnant et dérisoire, le culte dédié en un spectacle permanent. distancié. Quelques mots Hugues Le Tanneur aux rock-stars n’est pas projetés sur un écran toujours exempt de – le pitch d’un fantasme : American Rock Trip connotations religieuses. “Je te défonce ton vélo. Stéphane Malfettes Je te fais l’amour et tu meurs.” de et par Stéphane Malfettes Gonzo Conférence raconte ainsi comment, à Les corps s’enduisent et Melody Nelson la mort de Michael Jackson, de noir, huile de vidange de et par Fanny de Chaillé des fans sont venus ou cambouis de chaîne Fortuna se prosterner au musée de bicyclette. Alors quand de et par Massimo Furlan  de Los Angeles devant la musique prend le dessus Prévisions la sculpture de Jeff Koons – violons capiteux, guitares de et par Grand Magasin montrant le chanteur précises comme des Dans le cadre du festival et son singe. Le rock et incisions légères et basse Week-End international les musiques populaires insidieuse, tel un serpent à la Cité, Théâtre de la Cité étaient la thématique internationale, Paris XIVe, obsessionnel qui insinue dominante de cette édition ses arguments –, forcément compte rendu du toujours précieux festival Week-End international à la Cité, au Théâtre de la Cité internationale. Pas forcément pour le meilleur quand Olivier Normand empile les éternels clichés sur la star – version diva – dans L’Artificier. Plus convaincante, Fanny de Chaillé y reprenait notamment sa Gonzo Conférence – qui n’a de gonzo que le nom –, véritable déclaration d’amour au rock admirablement servie par la performeuse Christine Bombal. En compagnie de Grégoire Monsaingeon, Fanny de Chaillé donnait aussi à voir dans Melody Nelson, sa nouvelle création, une intéressante Fortuna déconstruction de cette de et par vénéneuse histoire d’amour Massimo Furlan et de mort imaginée

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Deuxième volet de notre série de l’été consacrée aux communautés et résidences d’artistes

vernissages flash-back Pour fêter l’arrivée d’une nouvelle directrice, Marianne Lanavère, et rendre hommage aux projets réalisés sur l’île de Vassivière sous la houlette de Chiara Parisi, une vingtaine d’artistes (Rosa Barba, Giuseppe Gabellone, Fabien Giraud, Koo Jeong-A, Ian Kiaer) investissent le centre d’art et le château. Champ d’expériences jusqu’au 23 septembre au Centre international d’art et du paysage de Vassivière (87), www.ciapiledevassiviere.com

background Au musée des Abattoirs à Toulouse, une exposition confronte des œuvres issues de la collection du Frac (Michel Blazy, Yayoi Kusama, Picasso, Peter Kogler notamment), des pièces venues d’ailleurs (Anthony McCall, Mona Hatoum) et des commandes (Lucy Skaer ou Michael Beutler). La Vie des formes jusqu’au 2 septembre aux Abattoirs, Toulouse (31), www.lesabattoirs.org

come back Derniers jours pour découvrir les projets signés Kasia Fudakowski, Carla Scott Fullerton et Jérémie Gindre au CNEAI qui rouvre ses sur l’île des Impressionnistes à Chatou. Dans le cadre de l’échange “Berlin Paris”, le Cneai y invite la librairie-galerie Chert-Motto. jusqu’au 13 juillet au Cneai à Chatou (78), www.cneai.com

Le Vent des forêts Dans les bois profonds de la Meuse surgissent chaque été des œuvres monumentales créées par des artistes qui collaborent volontiers avec les artisans de la région. Tout le monde en redemande.

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n bordure de la D101 qui serpente au cœur de la Lorraine, c’est chez Fernande Simon, bientôt 90 printemps, que se donnent rendez-vous les artistes débarqués chaque été par poignées le temps d’une résidence éclair en forêt de la Meuse. Dans cette institution sans comptoir, où s’alignent les trophées de chasse sur fond de palette pourpre – eu égard à la tapisserie d’inspiration forestière qui orne le mur –, les artistes ont leur ardoise. Avec cinq autres communes, le village de Lahaymeix prend part depuis le milieu des années 90 à un projet à ciel ouvert à l’intitulé poétique : Le Vent des forêts. Porté au départ par un “artisteaventurier”, dixit l’actuel directeur, Pascal Yonet, qui a repris les rênes il y a quatre ans et fait sauter au passage “l’appel à projet et la thématique, ces béquilles superflues” qui régissaient le fonctionnement de l’association, Le Vent des forêts invite chaque année six à dix artistes à produire une œuvre dans les bois, le long d’un des six sentiers balisés qui quadrillent les milliers d’hectares alentours. Cette année encore, il faudra s’armer de courage et de bonnes baskets pour

l’animal a ingéré un four à pain qui permettra le jour du vernissage d’organiser un banquet boulanger

atteindre les pièces – souvent monumentales – disséminées au milieu des chênes, acacias et autres noisetiers. Mais la quête ressemble parfois à celle du Saint Graal lorsque l’on tombe nez à nez avec un immense sphinx de bois aux yeux transpercés par les rayons du soleil. Esotérique et psychédélique à la fois, cette sculpture grandeur nature est signée Théodore Fivel, artiste inclassable, récemment vu au palais de Tokyo et connu dans d’autres cercles sous le pseudo du Grand Bizarre. Ça ne se voit pas tout de suite, mais l’animal a ingéré un four à pain qui permettra le jour du vernissage d’organiser un banquet boulanger ou la production “moins risquée” de pâte à sel, s’amuse l’artiste venu avec une horde d’assistants. Un peu plus loin, c’est un vaisseau en forme de kaléidoscope qu’a précipité l’Italien Ernesto Sartori. Dans la mythologie mise au point par ce jeune artiste en pointe, la pièce serait en fait “téléguidée” par un duo d’artistes imaginaires baptisés Gary et Duane. Ces deux-là, qui hantent l’artiste comme les peintures qu’il réalise en marge de ses sculptures, vivent dans une réalité parallèle fonctionnant selon les abscisses et coordonnées d’une géométrie de guingois. “Le principe de Vent des forêts est aussi de travailler avec des entreprises locales”, croit comprendre Sartori, que l’on retrouve du coup dans un vaste hangar

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Théodore Fivel, Salut pour tous, encore des agapes à moratoire orphique, VdF 2012, photo Camille Hofgaertner

Journée d’ouverture le 14 juillet, www.leventdesforets.com

Designed by Herzog & de Meuron and Ai Weiwei, photo Luke Hayes

où s’entassent des pneus déchiquetés qu’il devrait utiliser pour recouvrir sa sculpture Dans un village avoisinant, c’est dans un atelier de menuisier que Jennifer Caubet travaille à l’élaboration fastidieuse d’une gigantesque pyramide tronquée qui sera posée en équilibre à flanc de colline. “J’ai l’habitude de travailler des volumes importants mais c’est la première fois que je me consacre à un paysage”, raconte cette habituée des résidences qui, après Bâle et Anvers, se réjouit de la collaboration qu’elle a mise en place ici avec cet ébéniste très investi auprès des artistes de passage. Même son de cloche, si l’on peut dire, du côté du chaudronnier voisin qui met, une nouvelle fois, la main à la pâte en réalisant soudures et cône de métal pour deux des artistes de cette édition 2012. Echanges et collaborations sont les maîtres mots ici, rappelle Pascal Yonet, défendant mordicus cette drôle de formule qui pousse les artistes non seulement à travailler avec les artisans du coin, mais aussi à habiter chez eux. “Nous faisons surgir du ‘racinaire’, s’amuse encore le directeur. C’est un mot que j’ai trouvé pour qualifier ce que nous faisons ici.” Car la particularité de ces résidences d’artistes non balisées tient en effet pour partie à la façon qu’elles ont de sans cesse renommer et requalifier ce qu’elles jouent. Reste que certains semblent y avoir pris goût, comme Vincent Lamouroux, déjà venu en 2010, qui est de retour cette année avec un projet fou : le dessin en trois dimensions et dans les airs d’une architecture éphémère, qu’il réalisera à bord d’un petit avion le soir du vernissage. Claire Moulène

patchwork in London Le pavillon estival annuel de la Serpentine Gallery, au lieu de faire table rase du passé, tente de mêler les architectures, plans et fondations des précédents bâtiments. Que faire après ça ? erpentine 2012 : c’est au tour La superposition des plans des architectes suisses Herzog précédents crée une archéologie & de Meuron, en collaboration fictive et la mise en volume d’un avec l’artiste chinois Ai Weiwei, ensemble de lignes entrecroisées d’édifier le douzième pavillon donne forme à un auditorium d’été de la Serpentine Gallery constitué de marches irrégulières dans les jardins de Kensington, à creusées dans le sol. Habillé Londres. Les trois créateurs avaient de liège foncé, cet espace ouvert auparavant uni leurs talents pour est protégé par une fine toiture le stade olympique de Pékin tandis arrondie – flottant à 1,50 mètre que le duo helvète était devenu du sol, remplie d’eau reflétant mondialement célèbre avec le le paysage – que portent musée de la Tate Modern, déjà dans des morceaux d’anciennes la capitale britannique, en 2000. fondations reconstruites Confiée à des architectes stars auxquelles s’ajoute une nouvelle. et réunissant le gotha culturel A l’heure de l’écolo bucolique international, la construction imposé en architecture, et d’autant éphémère et annuelle de la plus dans les jardins anglais de Serpentine Gallery s’est imposée Kensington, la surprise est grande comme un événement et la radicalité de la construction incontournable. Constat obligé : promet de faire date. Jusqu’à l’époque n’est pas aux présent, les interventions réjouissances avec ce pavillon se voulaient plutôt champêtres, sombre, enterré et évoquant un avec par exemple la célébration chantier de fouilles archéologiques. de “la beauté du parc” du groupe Face à l’épineuse question de Sanaa ou l’éden clos de l’architecte comment créer un douzième projet, Peter Zumthor. Quant au Français l’idée a été de “répertorier les Jean Nouvel, il avait réalisé fragments de ceux construits entre une explosion de rouge plus 2000 et 2011” et de “les déterrer pour qu’ostentatoire. en faire une construction nouvelle”. Ici, tout au contraire la modestie est de mise avec un pavillon cryptique à peine visible. Toutes les interprétations sont possibles : le pays connaît une période de récession économique, l’artiste Ai Weiwei est retenu en Chine pour ses prises de position critiques contre le gouvernement et la conception commune du projet a été réalisée à l’aide de Skype. Quoi qu’il en soit, l’ambiance feutrée du pavillon en fait un lieu agréable pour méditer ou contempler le parc, parfait pour recevoir le célèbre marathon de clôture (les 13 et 14 octobre prochains). Cet acte radical est presque sans pitié : que faire après ça, sinon tout réinventer ? Who’s next ? Sophie Trelcat



Pavillon de la Serpentine Gallery jusqu’au 14 octobre à Londres, Kensington Gardens, www.serpentinegallery.org 11.07.2012 les inrockuptibles 103

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où est le cool cette semaine? par Laurent Laporte et Marc Beaugé

chez ce jeune type à l’allumette Bien que légèrement outré, ce jeune homme cumule incontestablement les éléments du cool. Citons pêle-mêle l’allumette, le jeu de sourcils, le crâne rasé, la cicatrice, le T-shirt blanc à col rond et le blouson de cuir noir. En l’occurrence, celui, signé de la marque Louis W, créée par Louis Wong, le designer d’APC, est absolument splendide et donne presque envie de revoir l’hiver.

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dans ce T-shirt tie-dye à message Signé par April 77 et la toute jeune marque parisienne Noise, ce T-shirt teint à la main réussit un mariage harmonieux entre le T-shirt à message, le T-shirt tie-dye et le sac en papier kraft de superette américaine. Franchement, c’était loin d’être gagné.

peut-être dans cette paire de pompes

Jake Davis

On ne savait pas quoi en penser à leur sortie, il y a trois ans, et l’on est toujours bien embarrassé aujourd’hui en observant cette image. En effet, si les vêtements “drôles” nous font rarement rire, cette paire de pompes de chez Comme des garçons est si ridicule qu’on est tenté de la trouver irrésistible.

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A travers cinq portraits de footballeurs d’exception engagés dans des combats politiques décisifs, le documentaire Les Rebelles du foot éclaire d’un œil inédit l’histoire du ballon rond.

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jouer juste tre un homme, c’est bien plus important que d’être un champion” : cet aveu cash d’Eric Cantona pourrait suffire à éclairer en quoi le King Eric reste une exception dans le football contemporain. Il fut un joueur à part, remonté contre les lois dominantes du milieu, les injonctions à la performance, les pressions des directeurs sportifs et des agents. Il s’éleva, fier comme un torero aux habits de lumière, contre l’aveuglement des joueurs hors des frontières du foot – ce monde clos sur lui-même, aux mains sales et aux pieds poisseux. Aujourd’hui encore, Cantona rêve d’un ballon rond qui ne roule pas comme une pierre ni n’amasse la mousse de l’oseille, mais d’un ballon conscient de sa fonction sociale. Si le foot forme pour certains le nouvel opium du peuple, c’est bien qu’il possède un pouvoir d’identification et de galvanisation des masses. Si le foot fait rêver les foules, ne pourrait-il pas aussi, au passage, réveiller parfois les consciences ? La question qui traverse la démarche de Cantona sert de fil rouge au beau documentaire de Gilles Perez et Gilles Rof, Les Rebelles du foot, hommage à cinq joueurs qui osèrent voir plus loin que le bout de leur nez : Carlos Caszely, Rachid Mekhloufi, Predrag Pasic, Sócrates, Didier Drogba. Comment continuer à jouer quand tout vacille autour de soi, comment vibrer sur un terrain quand le bruit des armes résonne par-delà les tribunes, comment

taper dans le ballon lorsque des balles perdues sifflent aux alentours ?  Témoin et passeur de ces cinq portraits de footballeurs d’exception, Cantona se reconnaît en eux, comme il aimerait qu’ils suscitent des vocations auprès des joueurs d’aujourd’hui obsédés par leurs valeurs financières plutôt que par les valeurs qui devraient nous guider selon lui : “Fraternité, solidarité, liberté”. Si les cinq histoires ici racontées sont d’exception, c’est qu’elles témoignent à chaque fois d’une révolte, d’une conscience humaine qui excède les purs intérêts sportifs. Plutôt que de sacrifier le foot sur l’autel des valeurs politiques, ces rebelles ont mis le foot au service de leur combat. Ils n’ont pas tourné le dos au ballon, ils l’ont réorienté vers les filets de la liberté. Tous ont incarné une certaine idée de la résistance à l’aide la seule arme en leur possession : le ballon rond. La courageuse prise de parole du joueur ivoirien Didier Drogba, poussant en 2004 les deux camps à déposer les armes en pleine guerre civile, eut de ce point de vue un impact décisif sur l’histoire de la Côte d’Ivoire. Diplomate malgré lui, le joueur calma un moment les esprits surchauffés de son pays par sa seule autorité d’avantcentre, déplacé aux avant-postes de la politique. En termes de courage, le joueur chilien Carlos Caszely reste aussi un modèle : membre de l’équipe nationale du Chili dès le début des années 70, il refusa de serrer la main au dictateur Augusto

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au poste

éconduits Le mercato des médias est aussi cruel que celui des footballeurs.

Didier Drogba est devenu une idole en Côte d’Ivoire pour s’être opposé à la guerre civile

Pinochet peu après son coup d’Etat. Un affront qu’il paya cher puisque sa mère fut torturée par la junte. Les réalisateurs ont exhumé des archives de l’époque, dont un petit film émouvant où le joueur et sa mère exhortent les Chiliens à rejeter la dictature à travers un spot de campagne lors d’un référendum. Défier le pouvoir, à ciel ouvert : le geste admirable de Caszely se rapproche de celui de Rachid Mekhloufi, qui lui aussi plongé dans le chaos politique de son pays, l’Algérie, en 1958, assuma son engagement politique. Grand joueur de l’équipe des Verts de Saint-Etienne et même de l’équipe de France, il décida de rejoindre l’équipe de foot du FLN quelques semaines avant la Coupe du monde de 1958. Avec d’autres joueurs algériens installés en France, il participa durant la guerre à des matches de gala à travers le monde pour défendre la cause de l’Indépendance. L’histoire, tout aussi forte, du classieux Sócrates, dont le nom même souligne l’immense sagesse, incarne cette puissance d’engagement du foot pour les valeurs démocratiques. Durant la dictature militaire au Brésil au début des années 80, le “docteur” aux jambes d’antilope et aux pieds agiles, mort en décembre 2011, anima avec des sociologues et ses coéquipiers du club les Corinthians une expérience politique d’autogestion, connue sous le nom “démocratie corinthiane” : chaque décision engageant le club appartenait autant aux joueurs qu’aux

dirigeants. Le foot devenait ainsi le laboratoire d’un ordre politique à réinventer. Le slogan “Vaincre ou perdre, avec toujours la démocratie” fit de Sócrates un héros adulé par tout le pays, dont le futur président Lula, associé de près à cette démocratie parallèle. L’expérience que mena Predrag Pasic dans la Bosnie en guerre au début des années 90 apporte aussi une magistrale preuve de la capacité du sport à relier des êtres a priori irréconciliables. Pendant que leurs pères s’entretuaient dans les rues de Sarajevo assiégée, des enfants bosniaques et serbes jouèrent ensemble au sein d’une école de foot multiethnique créée par l’international yougoslave. Les images de ces enfants-joueurs et non soldats, exhumées par Gilles Perez, qui suivit le conflit en tant que reporter de guerre, illustrent magistralement cette force de rébellion cachée chez quelques rares footballeurs, dont la vision déborde les lignes du terrain et embrase le monde global. Gilles Perez et Gilles Rof réhabilitent ces gestes secrets et lucides qui élèvent l’histoire du foot en rattachant les rebelles aux pieds tendres à l’agitation du monde. Le foot est aussi un sport de combat. Jean-Marie Durand Les Rebelles du foot Dimanche 15 juillet, 20 h 40, A rte En DVD chez Arte éditions, avec en complément des entretiens avec Ken Loach, Lilian Thuram, Eric Cantona, 15 €

C’est l’un des mots clés de notre époque : “reconduit”. Dans les médias, comme dans le sport ou les entreprises, le sort des individus tient souvent à la chance d’être “reconduit” dans leur fonction. A beaucoup sont refusées les conditions d’une reconnaissance de leur travail. Des animateurs, chroniqueurs ou producteurs en subissent ces jours-ci le prix. D’Audrey Pulvar (lâchée par France Télévisions) à Isabelle Giordano (virée de France Inter), d’Elisabeth Tchoungui (éconduite de son émission Avant-premières sur France 2) ou au très cher Michka Assayas (son excellente émission Subjectif 21 sur France Musique vient d’être supprimée sans ambages), sans compter la cohorte des chroniqueurs qui comblent les vides de certaines émissions, la listes des éconduits de l’été naissant est dense. Economies, réorientations éditoriales… : les motifs ne manquent pas. Il en va de la télé et de la radio comme du foot, en réalité : les espoirs de beaux lendemains exigent toujours des réaménagements, des sacrifices, des renvois. La période du mercato, concentrant naturellement les regards sur les nouvelles recrues, reste de ce point de vue injuste pour ces sacrifiés du système audiovisuel. C’est la loi inique et inévitable des médias de ne jamais s’accrocher à ce à quoi ils disent croire : les directeurs de chaîne peuvent jurer devant leur mère que telle émission va déchirer sa race, ils ne se gêneront pas, neuf mois plus tard, pour affirmer qu’elle est sans intérêt. Tiraillés entre leur obsession pour la communication et leurs impératifs d’audience, ils font comme tous les patrons : tailler dans les effectifs, modifier les gueules de l’emploi, au risque de la gueule de bois pour ces éconduits attristés.

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Capa TV/Canal+

le docu Global gâchis, sur le gaspillage alimentaire, sera suivi d’une action “pour faire bouger les choses”

la cause du réel A l’occasion du Sunny Side of the Doc, les professionnels ont dénoncé la fragilisation financière de leur secteur et rappelé que le documentaire, de par son exigence, ne peut être confondu avec le magazine télévisé.

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ésistances. C’est le slogan choisi cette année par le Sunny Side of the Doc, rendez-vous annuel des professionnels du documentaire à La Rochelle. Dans un univers de plus en plus concurrentiel, le documentaire cherche à se réinventer et à se distinguer des autres programmes dits “du réel” tant dans ses angles que dans ses formes. Les professionnels veulent attirer l’attention du public sur ce genre à part entière, en optimisant sa résonance. “Nous travaillons sur deux axes : la longue durée et l’événementiel, indiquait Fabrice Puchault, responsable des documentaires de France 2. Le documentaire doit pouvoir exister au-delà de la chaîne. Nous voulons engager un mouvement Pluzz (télé de rattrapage), VOD, ainsi que vers la salle, afin que le film ait toutes les vies qu’il mérite.” A ce titre, Le Plus Beau Pays du monde

de Jacques Malaterre, un documentaire sur la biodiversité, sera diffusé sur France 2 et en 3D au cinéma. Cette quête de résonance mobilise toutes les chaînes. Global gâchis, le documentaire de rentrée de Canal+ sur le gaspillage alimentaire, sera suivi d’une action sur le terrain, “pour faire bouger les choses”, et Arte continuera de se greffer sur les grandes expositions, comme celle consacrée à Edward Hopper cet automne, pour revisiter l’histoire de l’art. S’inspirer de livres permet aussi de bénéficier d’une certaine notoriété. William Karel travaille pour France 2 à partir de l’œuvre de Raul Hilberg, La Destruction des Juifs en Europe. Le film (8 x 52 mn) devrait être diffusé en 2015. Planète s’intéresse, elle, au roman biographique de Marc Dugain sur J. Edgar Hoover, La Malédiction d’Edgar ; l’auteur à luimême écrit le scénario.

Mais, en dépit de sa diversité, le documentaire reste en mal d’identité et cherche à se redéfinir. L’enjeu est d’abord financier. Contrairement aux émissions de flux, le documentaire dépend de financements, complémentaires de ceux des chaînes, issus du Fonds d’aide à l’innovation audiovisuelle du CNC. Or, l’an dernier, les chaînes de la TNT ont capté une partie des fonds. “Beaucoup de (leurs) programmes relèvent davantage du registre du magazine, fabriqués en quelques jours, assure Jean-Xavier de Lestrade (Un coupable idéal) au nom de la Société civile des auteurs multimédia. Près de 2 700 œuvres documentaires ont été aidées en 2012 ; on peut s’en réjouir, mais aussi se demander où sont ces œuvres sur les écrans. On ne peut plus considérer que tout a la même valeur.” Débat épineux d’autant que la notion d’œuvre est des plus subjectives.

Le CNC a entamé une concertation pour recueillir les propositions des différentes organisations syndicales d’auteurs et de producteurs, avant de présenter les siennes en septembre. “Un documentaire de création ne se contente pas de répondre à une demande immédiate liée à une actualité, mais cherche à questionner, à durer dans le temps, à devenir un film de référence”, commente Jean-Michel Carré, qui présentait Chine – Le nouvel empire du monde, réalisé pour Arte. “Cela nécessite du temps : au moins six mois de préparation, des semaines et des semaines de tournage, de montage... C’est notre seul luxe, le temps.” Le temps et l’argent, c’est cela dont les chaînes manquent le plus. Le débat sur la vraie nature du documentaire et ses frontières risque de rester brûlant. Marie-Agnès Bruneau

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Dassault Systèmes

Comment fairejaillir une locomotive d’une BD

enfin une augmentation La réalité augmentée commence petit à petit à infiltrer la BD ou les arts. Avant de transformer un jour prochain notre quotidien ?

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out doucement, la réalité augmentée se fait une place dans le quotidien. Cette technique consiste à mélanger en temps réel des images de synthèse avec des images issues du monde réel filmées par webcam. Elle a déjà été utilisée dans des encyclopédies pour enfants, dans le tourisme (l’application Metro Paris pour iPhone) et pour des opérations marketing, comme récemment pour la Citroën C3 Picasso. Mais ces expériences ponctuelles ne touchent pas encore un large public et l’implication d’entreprises possédant maîtrise technologique et ressources financières pourrait aider à mieux concrétiser les possibilités de ce concept ludique et prometteur. A côté de firmes spécialisées comme Total Immersion, leader du domaine, de grandes entreprises s’investissent. C’est le cas de Dassault Systèmes (DS), éditeur de logiciels de conception numérique depuis 1981. Au sein de son département de mécénat technique Passion pour l’innovation, l’entreprise met les technologies qu’elle développe pour le monde de l’industrie au service de projets architecturaux (avec Frank Gehry par exemple), écolos (Icedream, simulation de remorquage d’un iceberg) ou archéologiques (Kheops Renaissance, reconstitution 3D de la construction de la célèbre pyramide). Outre des retombées en termes d’image, c’est un moyen pour DS de tester de nouveaux outils. Pour Mehdi Tayoubi, directeur de la stratégie digitale, à côté de l’utilisation de ces technologies dans l’industrie ou le jeu vidéo, “il y a plein de nouveaux usages à inventer. Au sein de ce programme, on accueille des gens passionnés qui ont des idées, qui ont besoin de technologies et de compétences en ingénierie pour réaliser leur rêve”. Parmi ces passionnés, on trouve l’auteur de BD François Schuiten. Son nouvel album, La Douce, est la première bande dessinée en réalité augmentée. Tombé amoureux d’une locomotive, la 12.004, de 1939, baptisée la Douce et découverte dans un dépôt à Louvain, il a inventé cette histoire émouvante de mécanicien désireux de sauver cette

on pourra se balader en 3D dans un Paris plus vrai que nature

belle machine promise à la casse. Ayant auparavant rencontré DS pour un autre projet, il a l’idée de leur demander de faire sortir la locomotive du livre. L’équipe de Passion pour l’innovation planche alors sur une application de réalité augmentée donnant l’impression que le train surgit du papier. Ce qui se passe effectivement lorsque l’on présente la page de garde de l’album devant une webcam. L’application est parfaitement fidèle à l’univers et au trait de l’auteur. “Ça me plaisait que le côté un peu ‘plume’ de mon trait soit lié à la technologie”, explique François Schuiten. Le projet ne s’arrête pas là. Des passionnés de chez DS sont en train de faire une maquette numérique “au boulon prêt” de la 12.004, modélisant à partir de quelques rares photos et plans tous les aspects techniques de la machine. “Leur travail est précieux, poursuit-il, grâce à eux on pourrait reconstruire la Douce à l’identique.” Surtout, l’auteur espère pouvoir prolonger la vie de la Douce avec une application de réalité augmentée pour smartphones et tablettes, qui permettrait de prendre des photos virtuelles de la loco. DS prépare une autre expérience permettant de faire découvrir au grand public la réalité augmentée. Le 26 septembre sortira chez Flammarion Paris, la ville à remonter le temps, un livre illustré sur l’histoire de Paris et comprenant différents modules de réalité augmentée. La ville, reconstituée avec l’aide d’archéologues de la Ville de Paris, prendra vie sur l’ordinateur lorsque l’on présentera les pages à la webcam. Le projet sera accompagné par la diffusion sur Planète+ d’une série de documentaires et d’un docufiction dans lequel le narrateur survolera Paris en montgolfière, tablette en main, et visitera en réalité augmentée la ville à ses différentes époques. Un site internet permettra de se balader dans Paris de façon interactive depuis son ordinateur ou sa télé 3D. Enfin, fin septembre, le parvis de l’Hôtel de Ville accueillera neuf écrans géants qui permettront de se balader en 3D dans un Paris plus vrai que nature, des arènes de Lutèce aux tours de la Bastille. De quoi se familiariser avec la réalité augmentée, en attendant la commercialisation en 2014 des Google Glass. Ces lunettes développées par Google, qui permettront de filmer ce que l’on a devant soi et d’y superposer des infos venues du net, devraient marquer une véritable percée grand public de la technologie. Anne-Claire Norot 11.07.2012 les inrockuptibles 109

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enquête

Paul Phung

WildB easts, un groupe à découvrirgr âce au service d’abonnement en ligne du label Domino

bienvenue au club Avec Drip.fm, service de téléchargement en ligne, le fan-club musical rentre dans l’ère numérique mais perd aussi de son charme.

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e 9 juin, le label anglais Domino lançait le service d’abonnement musical en ligne Domino Drip. Pour 8 euros par mois, les adhérents reçoivent deux albums aux formats WAV ou MP3 et des bonus à télécharger. Les prémices d’une révolution dans l’industrie musicale ? Peut-être, surtout si l’on considère que Domino n’est pas le seul label à lancer ce type de service : Mad Decent, Stones Throw, Planet E, Dirtybird, Ghostly International et Fool’s Gold ont également franchi le pas. Loin d’être une simple coïncidence, ces initiatives trouvent toutes leur origine dans Drip.fm, un service de téléchargement musical créé en 2011 par Sam Valenti IV, fondateur du label américain d’electro Ghostly International, et Miguel Senquiz, responsable de sa stratégie digitale. Drip.fm propose aux labels indépendants des formules adaptées à chacun et une plate-forme de téléchargement en ligne, en contrepartie d’un pourcentage sur les revenus engrangés (dont ils refusent de communiquer le montant). Le fan-club musical, directement alimenté par les artistes ou leurs labels, n’est pas une nouveauté. Pionnier du genre, Sub Pop, basé à Seattle, a créé en 1988 son Singles Club qui, pour 35 dollars par an, proposait chaque mois un 45t comprenant deux titres inédits

– avec pour première référence le debut single d’un jeune groupe d’Aberdeen au nom prometteur, Nirvana, qui reprenait le Love Buzz des Shocking Blue. Connaissant des difficultés financières, le label a abandonné son fan-club en 2009, année où Jack White prenait la relève avec The Vault : contre 5,50 euros par mois, les adhérents reçoivent vidéos, photos et places de concerts en avant-première. Il faut en débourser 16 pour obtenir tous les trois mois deux vinyles et un T-shirt en supplément. Autre singles club toujours en activité : celui de Too Pure, qui continue, malgré sa fusion avec le label 4AD, de faire parvenir douze vinyles par an à ses adhérents pour 32 euros. Comme l’explique Kurt Lane, responsable digital chez Domino au Royaume-Uni, “ce type de service crée une connexion plus directe entre artistes et fans, et permet de faire découvrir des groupes aux abonnés”. Avec Drip.fm, le fan-club, désormais numérique, perd son côté collector. Kurt Lane y voit, lui, un mal pour un bien, rappelant qu’“internet est un puissant canal de distribution qui permet de réduire les coûts

pionnier du genre, le label Sub Pop, a créé son Singles Club en 1988

de livraison”. Et d’ajouter : “L’abonnement en ligne est un modèle en pleine ascension. Les gens sont désormais habitués à accéder à du contenu de cette façon.” Le fan-club numérique, planche de salut d’une industrie musicale en perdition ? Pas si sûr car avec iTunes, Spotify, Deezer et autres, les labels indé ont de la concurrence. C’est pourquoi Sam Valenti IV mise sur l’aspect “curation” du fan-club, selon le vocable en vogue pour définir les activités de sélection, d’édition et de partage de ce type de sites : “Dans un monde où il y a plus de musique que vous ne pourrez jamais en écouter, c’est génial de laisser quelqu’un en qui on a confiance nous indiquer quoi écouter.” Ce que ne font pas les mastodontes du téléchargement légal. Pour Kurt Lane seuls les labels qui ont une identité marquée peuvent endosser le rôle de guide musical. Il ajoute : “Comme il y en a peu, le nombre d’abonnements lancés par des labels restera limité.” Un avis que partage Alex Robinson, responsable du label Stones Throw pour l’Europe, qui affirme que les majors, qui englobent trop de genres musicaux, ne pourront jamais lancer ce type de service. Mais, au vu des refus catégoriques des labels de communiquer leur nombre d’abonnés, même les fan-clubs indé pourraient ne pas rencontrer le succès escompté... Carole Boinet

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Charlie Sheen, retour bidon La nouvelle sitcom de l’acteur – éjecté de Mon oncle Charlie pour ses frasques – est moins intéressante que lui. C’est idiot et énervant.

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e résumé des épisodes précédents n’est jamais inutile quand il s’agit de séries. L’an dernier, le cas Charlie Sheen offrait à l’Amérique et au monde quelques raisons de rire ou de pleurer. Star de la sitcom la plus regardée de l’époque, Two and a Half Men (Mon oncle Charlie en VF), l’acteur explosait en plein vol après des années passées à la limite du n’importe quoi. Engueulades avec le showrunner, insultes envers l’équipe de tournage, menaces physiques, l’ami Charlie avait trop abusé de substances pour se tenir correctement en société. Résultat : viré. Personne n’est irremplaçable, la série a continué sans mister Sheen, remplacé par le dégingandé Ashton Kutcher, avec un succès moindre mais respectable. Dans la plus pure tradition spectaculaire américaine, la rédemption du banni devait avoir lieu. Depuis le 28 juin, l’opération rachat a commencé sur la chaîne du câble basique FX (celle qui a vu naître The Shield ou encore Sons of Anarchy) avec une nouvelle comédie taillée sur mesure pour le fils de Martin. Anger Management est l’adaptation d’un film éponyme de 2003 avec Adam Sandler et Jack Nicholson.

Sheen y joue le rôle d’un ancien joueur de base-ball autrefois forcé de stopper sa carrière après s’être énervé en plein match, brisant sa batte sur ses genoux. Reconverti en psy spécialiste du contrôle de la colère, il décide de consulter lui aussi après un accrochage avec le nouveau mec de son ex-femme. Le tableau est clair : Charlie Sheen l’allumé joue un homme certes allumé mais conscient de ses folies. Ce n’est malheureusement pas beau à voir. La première vraie tare d’Anger Management ? Son angle d’attaque. On attendait avec une certaine curiosité l’autoportrait de Charlie Sheen en comique désagréable et maudit. On imaginait un minimum de cruauté, voire de haine de soi. On espérait même une sitcom malade sur un type malade, capable d’emmener la comédie vers les mêmes terres fascinantes et ambiguës que les grandes Louie ou Curb Your Enthusiasm, deux modèles quand il s’agit de mettre en scène des personnalités borderline, presque misanthropes. Mais Anger Management ne propose rien de tel. La promesse de l’autoparodie dévastatrice n’est qu’un leurre, abordée de manière trop légère pour être honnête. Charlie Sheen se représente peu ou prou comme toujours,

la série évite de prendre le moindre risque en reproduisant une méthode déjà ringarde

en mec à qui on pardonne tout parce qu’il est drôle. Mais là aussi, problème : il n’est pas drôle du tout. C’est la deuxième tare. Avec une ambition formelle et narrative proche de zéro, la sitcom n’est rien d’autre qu’une resucée moins intéressante de Mon oncle Charlie. Le passage sur le câble laissait espérer la disparition du filmage en caméras multiples et des rires enregistrés, cette tradition sexagénaire en voie de disparition. Mais non. La série évite de prendre le moindre risque en reproduisant une méthode éprouvée et déjà ringarde, sans aucune spontanéité ni distance. Dans ce cadre vieillot, l’absence de Chuck Lorre (brillant scénariste et cerveau de Mon oncle Charlie) se fait sentir à tous les instants. Celui qui le remplace dans son rôle de showrunner, Bruce Helford, n’a pas une once de son esprit sarcastique et parfois pervers. La seule qui sauve l’ensemble du naufrage total s’appelle Selma Blair. L’actrice donne une réplique enjouée et tordue à la star dans le rôle d’une psy devenue sa fuckbuddy. Le reste est d’une tristesse infinie. De toute évidence, Charlie Sheen n’avait ni les épaules ni le désir pour mettre un tant soit peu son personnage en danger et le faire redécoller après le crash. Olivier Joyard Anger Management sur FX.

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brèves Devious Maids sauvé On craignait que Marc Cherry, créateur retors mais brillant de Desperate Housewives, ne retourne à sa condition d’avant le succès : habiter chez maman. Sa nouvelle série Devious Maids avait en effet été retoquée par ABC. Mais la chaîne Lifetime le sauve en promettant de diffuser cette histoire de bonnes hispaniques travaillant dans les maisons bourgeoises de Beverly Hills. Tout un programme pour 2013.

HBO aime The Newsroom Eastbound and Down (saison 4 à venir), The Newsroom (saison 2 à venir) et True Blood (saison 6 à venir) ont toutes été renouvelées par HBO, qui se rattrape un peu d’avoir fait le ménage dans ses comédies masculines cool (Hung, How To Make it In America, Bored to Death) et semble faire de nouveau confiance à ses auteurs maison.

focus

Matlock RIP Connu en France pour son rôle dans la série Matlock (19861992), Andy Griffith est mort le 3 juillet. Légende américaine, l’acteur avait commencé sa carrière au cinéma chez Elia Kazan (Un homme dans la foule, 1957) avant d’obtenir sa propre série comique, The Andy Griffith Show (1960-1968).

agenda télé The Middle (Comédie +, le 11 à 12 h) Saison 2 d’une sitcom familiale teintée d’absurde, dominée par un personnage d’enfant à la fois inquiétant et hilarant. L’acteur qui l’interprète, Atticus Schaffer, a 14 ans, mais en paraît la moitié. Les Bleus (TF6, le 14 à 11 h 10) Sans aucun lien avec le foot, Les Bleus (2006-2010) est l’une des rares séries françaises intéressantes de ces dernières années. M6, son diffuseur original, n’a pas vraiment su quoi en faire. Normal. Falling Skies (Orange cinemax, le 17 à 20 h 40) Quand les survivants d’une attaque extraterrestre tentent de s’organiser, cela donne Falling Skies, saga de science-fiction sans génie. Avec notre chouchou Noah Wyle, le Dr Carter d’Urgences, toujours là en saison 2.

joli Smash Une série musicale solide à défaut d’être innovante, entre Fame et Une étoile est née. Plaisir estival autorisé.



our une fois depuis l’ouragan Urgences, Steven Spielberg a plutôt réussi une série télé, mieux en tous cas que Terra Nova, grosse déception de l’année déjà rangée aux oubliettes. Le fait est assez rare pour être signalé, bien que Smash n’ait pas grandchose de “spielbergien” en soi, si ce n’est une tentation venue de loin. “Je trépigne de faire une comédie musicale depuis vingt ans, a expliqué l’auteur de Munich. Cette série est ce qui se rapproche le plus de l’accomplissement de ce désir.” Rien de plus, car Spielberg n’a pas réalisé le moindre épisode, se contentant de produire Smash, comme à son habitude depuis le milieu des années 80 lorsqu’il s’agit du petit écran. La créatrice de la série, Theresa Rebeck, est une dramaturge respectée à New York et une scénariste de télévision expérimentée, passée par l’école Steven Bochco (LA Law, NYPD Blue). Smash raconte la gestation difficile d’une

comédie musicale consacrée à Marylin. Nous sommes à Broadway. Cet univers de chant et de danse, où la scène et les coulisses se mêlent pour créer un étrange monde parallèle de stress et de strass, a longtemps constitué un décor rêvé pour le cinéma, depuis les gracieuses et sexy comédies musicales de Busby Berkeley dans les années 30. Reprendre ce flambeau aujourd’hui signifie forcément assumer un héritage riche et vintage. Ce passage obligé par les fantômes de l’entertainment, la série le réussit avec un certain brio. Smash a conscience d’une histoire et de gestes venus d’avant, même si elle les adapte à son époque sans sourciller. Les chansons et chorégraphies ont l’air parfois sorties directement d’une émission de téléréalité, mais ce n’est jamais un scandale esthétique. Après tout, le monde des auditions et des castings, une jeunesse dévorée par l’ambition, tout cela a existé bien avant American Idol. Smash le

rappelle à chaque instant. Le destin de ses deux héroïnes, concurrentes pour tenir le rôle de Marylin, s’inscrit dans un grand récit éternel dont la matrice serait Une étoile est née et la référence plus contemporaine Fame. Cela posé, Smash n’a pas la flamboyance et l’audace nécessaires pour se hisser à la hauteur de ses modèles. Elle ne développe pas vraiment le sens tragique qui nous la rendrait indispensable. C’est une série solide et maîtrisée, portée par un casting vraiment investi – notamment Anjelica Huston et Debra Messing. Un minimum qui tend à devenir rare sur les grandes chaînes hertziennes américaines. Lancée au mois de février comme un événement par NBC, Smash a tenu le cap et aura droit à une deuxième saison l’année prochaine. En attendant, elle offre un plaisir légèrement coupable, un frisson idéal pour l’été. O. J. Smash chaque mercredi à 23 h 20 sur TF1. 11.07.2012 les inrockuptibles 113

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Alain Monot

émissions du 11 au 17 juillet

A théâtre ouvert

Louis B. Mayer, pionnier d’Hollywood

la fabrique des étoiles Hollywood de A à Z ou presque, commenté par une foule de doctes connaisseurs et de “fils de”.

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urner Classic Movies ne se contente pas d’exploiter son immense catalogue racheté aux grands studios hollywoodiens. Il lui donne du lustre grâce à de telles émissions documentaires. Les cent ans et quelque d’Hollywood deviennent dans cette série une sorte de pâte ductile, étirée et brassée à l’envi. Beaucoup d’extraits de films, une voix off permanente (celle de Christopher Plummer, lui-même une antiquité) et une foule d’historiens pour commenter chaque facette de la Mecque du cinéma. En renfort, quelques guest-stars comme l’écrivain et scénariste Gore Vidal. Sans parler des interventions d’une flopée de parents (enfants, petits-enfants, neveux, nièces) des grandes figures d’Hollywood. Certes, on apprend des choses. Par exemple le rôle de Joseph Kennedy, père de John et Bob, qui se lança dans la production et eut une maîtresse actrice avant ses fistons (il cofonda la RKO et perdit en partie sa chemise pour les beaux yeux de Gloria Swanson). Si dans l’ensemble c’est extrêmement synthétique, ce digest rafraîchira la mémoire à certains et fournira les grandes bases aux autres. Les cinéphiles purs et durs, eux, resteront sur leur faim en raison de la rapidité du survol. Par exemple, on aurait aimé comprendre par quelle magie les futurs magnats se sont tous agglutinés à Los Angeles à ce moment-là. Il est clair que le cinéma a connu un essor fulgurant entre 1910 et 1920. Un succès dû en partie à l’emploi de méthodes inspirées de celles de l’industrie automobile (Ford). Thomas H. Ince, créateur du premier studio moderne, et ses suiveurs, ont appliqué le taylorisme au cinéma. Vincent Ostria

Mythes et stars, la grande histoire d’Hollywood Série documentaire. Les samedis de juillet et août, 19 h 35, TCM

Turner Classic Movies

Samedi 14 juillet, 21 h 40, Arte

Déshabillonsles : duels fratricides Magazine présenté par Hélène Risser. Samedi 14 juillet, 23 h 45, Public Sénat

Les péripéties de la vie politique décryptée par des spécialistes. A peine les élections achevées, les jeux de pouvoir se prolongent à travers de nouvelles péripéties : une nouvelle guerre des chefs se profile à l’UMP, un tweet ouvre des horizons de perplexité et de tension à gauche en révélant les fractures conjugales au cœur du pouvoir… Ces nouveaux duels fratricides intéressent Hélène Risser et ses invités sémiologues et linguistes dans un nouveau numéro de l’excellent magazine Déshabillons-les. Fidèle à son désir de mettre à nu les discours et de déconstruire les stratégies partisanes, l’émission analyse finement les angles morts et les non-dits de ces batailles d’hommes et de femmes, où l’affect se mêle à la soif du pouvoir, sous le regard intrusif des médias. JMD

Arte nous donne les clefs du Festival d’Avignon. De Simon McBurney, artiste associé cette année, à Christophe Honoré, de William Kentridge à Steven Cohen (photo), la nouvelle édition du Festival d’Avignon offre un panorama passionnant de la création théâtrale contemporaine : Marie Labory présente les créateurs présents cette année à travers un périple parmi les scènes dispersées dans la ville. Ensuite, Arte propose la captation du nouveau spectacle du danseur Sidi Larbi Cherkaoui, Puz/zle, qui avait déjà fait l’événement à Avignon en 2008 avec Sutra. JMD

La Minute vieille Série de courts métrages (41 x 1 min 30) réalisée par Fabrice Maruca. Du lundi au vendredi, 19 h 40, Arte

Les blagues salaces de quatre vieilles dames indignes. La tendance est aux séries en forme d’interludes humoristiques de format court : en attendant la prochaine série adaptée de la BD de Jul Silex and the City, Arte diffuse dans le cadre de son Summer of Rebels cette série de saynètes enlevées, La Minute vieille : quatre dames d’un certain âge, filmées dans leur salon désuet, se lancent dans le récit d’histoires un peu bêtes ou salaces. Le décalage entre les mots crus et l’autorité de ces femmes à l’allure straight crée son petit effet de surprise. L’énergie des quatre comédiennes – Nell Reymond, Anna Strelva, Claudine Acs et Michèle Hery – électrise surtout la minute, assez jeune. JMD

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Renaud Monfourny

Square : Christophe Honoré Magazine présenté par Vincent Josse. Dimanche 15 juillet sur Arte à 11 h 45

Rencontre avec l’artiste multicarte à l’occasion de sa nouvelle pièce à Avignon. Présent au Festival d’Avignon cet été avec sa nouvelle pièce Nouveau roman, Christophe Honoré explique pourquoi il a voulu redonner vie à une photo réunissant autour de Jérôme Lindon, patron des Editions de Minuit, les figures de la vie littéraire d’alors (Marguerite Duras, Nathalie Sarraute…). Un spectacle très attendu, avec Anaïs Demoustier et Ludivine Sagnier. Devant Vincent Josse qui l’interroge sur son parcours singulier par ses traits éclectiques, il évoque le plaisir de se déplacer, sans cesse depuis ses débuts, parmi les espaces du cinéma, du théâtre et de la littérature. JMD

Trop jeune pour mourir : John Belushi, une vie sans limites Documentaire de Jobst Knigge. Samedi 14 juillet, 23 h 50, Arte

Premier volet d’une série sur les vies “courtes mais bonnes” des stars. Figure légendaire des Blues Brothers qu’il forma à la fin des années 70 avec Dan Aykroyd dans le fameux show télévisé le Saturday Night Live, John Belushi n’a pas résisté à ses propres excès : à l’âge de 33 ans, en 1982, il succombe dans sa chambre d’hôtel du Château Marmont à Los Angeles à un cocktail chargé d’héroïne et de cocaïne. Dans le premier volet d’une série documentaire sur des stars mortes trop tôt (Kurt Cobain, Heath Ledger et Sharon Tate lui succéderont), Jobst Knigge retrace son parcours funeste et brillant. L’humour féroce et chaleureux de cet acteur découvert à Chicago au sein d’une troupe d’amateurs a animé le Hollywood du début des années 80. JMD

le rebelle et la bête de scène Johnny Cash et Joeystarr, quand la rebelle attitude s’incarne sur les planches. vec Johnny Cash, maître de la filmé ; mais grâce à des témoignages country américaine, et Joeystarr, d’anciens détenus et quelques photos pape du hip-hop français, la d’époque, Bestor Cram restitue la “rebelle attitude” célébrée cet été dimension explosive de ce moment par Arte touche à son paroxysme. Par-delà derrière les barreaux qui relança la leurs horizons musicaux distincts et carrière de Cash à ciel ouvert, les drogues leur histoire personnelle heurtée, par-delà derrière lui. Quant à Joeystarr, on le Tennessee et la Seine-Saint-Denis… le découvre ici au sommet de son énergie les deux lascars partagent une même scénique, filmé à l’Olympia le 28 mars furie, que les deux documents de ce soir dernier. JMD incarnent à merveille. Le concert mythique de Johnny Cash à la Johnny Cash at Folsom Prison, Joeystarr à l’Olympia Dimanche 15 juillet 22 h 15, Arte. prison de Folsom, en 1968, n’a jamais été

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in situ good trip Tripayo est un réseau social de voyage qui permet à ses membres de partager leurs expériences de voyages et de donner leurs recommandations pour les visites et les bons plans. On peut préparer ses voyages en établissant un planning selon les avis et conseils de la communauté.  tripayo.com

of courses Grâce à monfrigo.net, on peut désormais consulter sur son smartphone aussi bien sa liste de courses que son stock perso. On peut aussi composer des idées de recettes en fonction de ce que l’on a dans ses placards. L’inscription coûte 6 euros mais on est membre à vie. monfrigo.net

quartier social Un réseau social qui permet de sortir et d’échanger avec son quartier. On se géolocalise pour avoir accès aux bons plans tout près de chez soi : expos, concerts et soirées mais aussi les services tels que l’emprunt d’une pompe à vélo ou encore la recherche d’un partenaire de tennis. geokiwi.com

presse en ligne Alors que l’exposition La Presse à la une se termine le 15 juillet, la BNF lance un site copieux, qui retrace l’histoire de la presse, de La Gazette à internet. Albums photos, dossiers historiques, accès aux archives des quotidiens nationaux et témoignages de journalistes permettent de mieux comprendre le monde de la presse. expositions.bnf.fr/presse

la revue du web New York Times

Métropolitiques

Le Monde

overbooké !

enfances en ville

un jour à l’Assemblée

Aujourd’hui, on est souvent “super occupé”, voire même ”trop busy”. Mais que signifie vraiment au XXIe siècle être occupé ? Tim Kreider, auteur d’essais et de BD, explique que ce ne sont pas les gens cumulant plusieurs emplois qui utilisent le terme, mais plutôt ceux qui s’imposent un emploi du temps trop chargé. Poussé par la peur du vide, l’ambition ou le souci de se sentir important, on meuble au maximum les journées, renonçant à la flânerie, au farniente, “pourtant aussi indispensable au cerveau que la vitamine D l’est au corps”. nyti.ms/Mxfabd

Ayant enquêté à Paris et Milan auprès de parents d’enfants de 8 à 14 ans, Clément Rivière montre que la façon dont les parents se représentent les espaces publics influe sur leur manière d’apprendre à leurs enfants à les utiliser, en leur laissant plus ou moins d’autonomie. L’encadrement des sorties s’appuie sur des espaces considérés comme sûrs grâce aux relations de voisinage. Sans surprise, ces pratiques se révèlent beaucoup plus restrictives pour les filles, pour le contrôle de leur habillement et des sorties nocturnes, notamment. bit.ly/M1gm5m

Jour de vote est un webdocu interactif qui permet d’entrer dans la peau d’un député et de passer sa première journée à l’Assemblée. Une journée donc pour se forger une opinion sur la loi “Alexandrie” (fictive), qui propose de dépénaliser le téléchargement sur le net et de créer une grande “Bibliothèque publique numérique”. Un assistant parlementaire est présent tout au long du webdocu pour fixer des rendez-vous avec les autres députés, artistes, et lobbyistes. La journée s’achève enfin par le vote dans l’hémicycle. Passionnant. bit.ly/KY2ZAS

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Cashback de Sean Ellis (2006)

vu du net

contre-pouvoir d’achat A l’heure des soldes, le pouvoir d’achat connaît sa plus forte chute depuis vingt-huit ans. Mais, au fond, le pouvoir d’achat a-t-il vraiment baissé ? Le net nous en dit plus.

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ausse du taux de chômage, croissance en berne, repli de l’investissement des entreprises… L’activité de l’économie française s’annonce peu dynamique en 2012 (bit.ly/ MnGGHU). Et quid du pouvoir d’achat en tant que “quantité de biens et de services que l’on peut acheter avec une unité de salaire” (bit.ly/Lfkq4f) ? L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) prévoit une baisse de 1,2 % par unité de consommation, toujours pour l’année 2012 (bit.ly/ LO9ZPw), soit la plus forte chute depuis 1984, où le recul était de 1,9 % (bit.ly/ MUGsa5). Plus généralement, au cours du XXe siècle, le pouvoir d’achat du revenu moyen par foyer a connu un taux de croissance annuel moyen de 4,84 % durant les Trente Glorieuses (1948-1978), alors que les périodes 1900-1948 et 1978-1998 stagnaient relativement avec des taux allant de 0,18 % à - 0,01 % (bit.ly/MTknbk). Le pouvoir d’achat est calculé par la différence entre le revenu des ménages et l’indice des prix (bit.ly/LNIFjH), l’Insee établissant une moyenne au niveau national. Mais vu que le pouvoir d’achat varie en fonction des ménages et des catégories socioprofessionnelles, l’Institut a créé un indicateur (un peu compliqué !)

pour le sociologue Jean Viard, nous vivons une situation “quasi révolutionnaire”

pour analyser l’évolution au cas par cas (bit.ly/e0lEpV). Les prévisions de l’Insee pour l’année 2012 sont imputables à l’augmentation des taxes et des impôts par le gouvernement Fillon (bit.ly/OrsGh9). Les prix sont en hausse tandis que la plupart des salaires n’ont pas augmenté (bit.ly/xzUmGY). Seuls les plus riches ont vu augmenter leurs salaires, d’où un renforcement des inégalités de pouvoir d’achat (bit.ly/ ga46lA). Enfin, la croissance européenne faible voire nulle influe sur l’économie française (bit.ly/QhQaUc), et l’euro reste encore associé dans l’opinion à la baisse du pouvoir d’achat dix ans après son entrée en vigueur (bit.ly/tEnzob). Avec sa table de conversion euro/franc, l’Insee permet néanmoins de savoir ce qu’il en est vraiment (bit.ly/Z MsWy). Jean Viard, un sociologue proche du PS, s’inquiète de l’évolution moins rapide des revenus, comme des modes de vie et de la situation “quasi révolutionnaire” provoquée par la crise actuelle (bit.ly/eBE8qn). Pourtant, selon Dominique Seux et Jean-Marc Sylvestre, journalistes économiques, la baisse du pouvoir d’achat se révèle être un mythe (bit.ly/MNOFxh), car, si l’on calcule en minute de smic, le prix de la cigarette a certes flambé, mais là où la baguette de pain coûtait 6,3 minutes de smic en 1992, elle ne vaut que 5,6 minutes en 2012 (bit.ly/LZZ99c). Mythe ou non, ces sombres prévisions sont un coup dur pour le nouveau gouvernement malgré la revalorisation récente du salaire minimum (bit.ly/ My3h0J). Magali Judith 11.07.2012 les inrockuptibles 117

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La Grande Odalisque de Bastien Vivès et Ruppert & Mulot Tout l’été en exclusivité, les trois auteurs choisissent chaque semaine un extrait de leur nouvelle BD. Dans l’épisode précédent, deux femmes ont pénétré de nuit au musée d’Orsay.

Cette série d’été est extraite de La Grande Odalisque, à paraître le 7 septembre dans la collection Aire Libre des éditions Dupuis.

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Vivès – Ruppert – Mulot © Dupuis, 2012. www.dupuis.com

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retrouvez La Grande Odalisque la semaine prochaine 11.07.2012 les inrockuptibles 121

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album

Holy Motors de Leos Carax Conquérant et souverain, sidérant d’originalité et d’invention : Carax décoche un film génial.

Benjamin Paulin 2 Un album nourri de réflexions sur le chemin qui conduit du rap à la pop.

E. M. Forster Monteriano Un premier roman de 1905 qui impose les thèmes de l’exotisme et de la passion amoureuse.

Une collection très particulière de Bernard Quiriny Avec son personnage de dandy collectionneur de livres ennuyeux, ses anecdotes littéraires décalées et sa machine à écrire qui réécrit les grands chefs-d’œuvre. L’amour des livres et des mots jusqu’à l’absurde, très savoureux et très drôle.

film Les Nuits de la pleine lune d’Eric Rohmer L’intelligence des dialogues et des situations, les années 80 dans toute leur splendeur avec les chansons d’Elli et Jacno, Luchini génial, la vivacité, l’amour ! recueilli par Noémie Lecoq

L’Eté de Giacomo d’Alessandro Comodin Un lumineux teen-movie sous forme de chronique d’été qui bouscule avec joie les lignes du documentaire et de la fiction.

Summertime de Matthew Gordon Une Fureur de vivre contemporaine, sans chichis et sans mélo.

Adieu Berthe – L’enterrement de mémé de Bruno Podalydès L’indécision vue comme une lâcheté et une impossibilité à renoncer à ce que l’on aime.

Nicolas Repac Black Box Le compère d’Arthur H poursuit une carrière solo en compagnie des esprits de la musique noire.

Hunter S. Thompson Nouveaux commentaires sur la mort du rêve américain Textes inédits et reportages dingues. Contes et décomptes d’Etienne Lécroart Jouant des contraintes nées des mathématiques, des histoires, émouvantes et poétiques.

Patti Smith Banga L’Américaine revient avec un album électrique et ardent, son plus vivant depuis les années 70.

Liars WIXIW Un sixième album à dominante electro qui permet au trio de se réinventer avec style.

Schizophrenia de Gerald Kargl. Vue subjective du cerveau d’un tueur : une série B méconnue. Voyage vers Agartha de Makoto Shinkai. Une petite merveille d’anime niponne. Croix de fer de Sam Peckinpah. Film de guerre amer et désespéré.

Philippe Corcuff Où est passée la critique sociale ? Un manifeste théorique qui croise Bourdieu et Rancière, Boltanski et Foucault, la sociologie et la philosophie.

Irène Némirovsky La Symphonie de Paris et autres histoires Cinq merveilleuses nouvelles pour le cinéma jamais adaptées, par l’auteur de Suite française.

Le Dramaturge de Daren White et Eddie Campbell Les aventures d’un écrivain solitaire, antipathique et attachant.

Anjin San de George Akiyama Déambulation humaniste et sensuelle dans le Japon des 70’s.

Disabled Theater de Jérôme Bel et Theater Hora Festival d’Avignon En travaillant pour la première fois avec des acteurs handicapés mentaux, Bel interroge avec finesse notre aptitude relationnelle.

33 tours et quelques secondes de Lina Saneh et Rabih Mroué Festival d’Avignon Comment un fait divers répercuté révèle la complexité de la société libanaise.

Le Maître et Marguerite mise en scène Simon McBurney Festival d’Avignon Le diable est dans les détails… L’art du récit théâtral à son sommet.

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The Shaking Aspect of Summer d’Athanase Granson Il est presque inconnu, mais il fabrique du folk synthétique sublime, chanté d’une voix planante. Ce premier album, en autoproduction, a suffisamment de souffle et de délicatesse pour que je l’écoute tous les jours depuis un mois – mention spéciale pour Flûte Song.

Barbara Carlotti Son nouvel album, L’Amour, l’argent, le vent, est disponible. Elle sera en concert le 13 juillet aux Francofolies de La Rochelle, avant une grande tournée à la rentrée.

Etienne Chambaud Galerie Bugada & Cargnel, Paris Ce jeune artiste prend le contre pied des choses avec une série de tableaux en peaux retournées.

Rencontres d’Arles Arles (13) Invitée d’honneur des Rencontres, l’Ecole nationale supérieure de la photographie, tout juste trentenaire, fait son show.

Joue le jeu Gaîté Lyrique, Paris Une fois n’est pas coutume : une exposition. Qui met en branle tous les sens du verbe “jouer”.

Dragon’s Dogma sur PS3 et Xbox 360 Malgré des imperfections, un jeu qui fourmille d’idées ludiques.

Gerhard Richter Centre Pompidou, Paris Rétrospective du peintre allemand, déployant une œuvre immense qui se contredit, se réforme et se multiplie. Rune Factory – Oceans sur PS3 Etonnante hybridation entre l’aventure et la vie quotidienne.

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