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Cronenberg r invente

Robert Pattinson

spécial Cannes 25 pages

extrême droite

la bête qui ronge l’Europe

M 01154 - 860 - F: 2,90 €

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Allemagne 3,80€ - Belgique 3,30€ - Canada 5,75 CAD - DOM 4,20€ - Espagne 3,70€ - Grande-Bretagne 5,20 GBP - Grèce 3,70€ - Italie 3,70€ - Liban 9 000 LBP - Luxembourg 3,30€ - Maurice Ile 5,70€ - Portugal 3,70€ - Suède 44 SEK - Suisse 5,50 CHF - TOM 800 CFP

No.860 du 23 au 29 mai 2012 www.lesinrocks.com

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j’ai joué au docteur avec

The Shoes

 L

a scène est surréaliste. Dans la salle de bains de la chambre 514 de cet hôtel de la rue Montmartre à Paris, des gouttes de sang dégoulinent depuis le doigt de Benjamin Lebeau, et s’écrasent dans le lavabo. L’entaille est profonde. “J’ai voulu refaire un trou dans une ceinture avec le couteau de mon père. Il s’est replié sur ma main.” Posté devant son ordinateur, dans un coin de la petite pièce, Guillaume Brière, l’autre moitié des Shoes, bonnet vissé sur le crâne, observe la plaie d’un œil, occupé à finaliser le mix qu’ils joueront le soir même au Social Club, à Paris. “T’es vraiment trop con !”, lui lance-t-il, rigolard. Benjamin plaisante moyennement. Il a vraiment mal. “Je viens d’aller chercher la trousse à pharmacie de l’hôtel. J’ai mis du désinfectant, mais là, ça me pique à mort.” Comme pour prouver qu’il ne fait pas de cinéma, il s’approche puis écarte la plaie. “Si je fais ça, on voit bien que…” Effectivement, pas besoin d’être chirurgien pour comprendre que la cicatrice se verra un bon bout de temps. Dans le petit sac, on trouve de l’alcool à 70 degrés. “Je pense que je vais jongler”, appréhende-t-il, sur le rythme du métronome. Le bruit régulier du petit bip, couplé à la blessure, donne le sentiment d’être aux urgences. Sur un morceau strident, le jeune trentenaire détaille sa mésaventure. “C’était un vieux couteau. En plus, j’avais bouffé avec.” Entre deux pansements, le blessé en profite pour sortir une bouteille de champagne. Avant de l’ouvrir, il fait une petite blague à son pote en lui tendant un casque old school. “Il est horrible ! Tu te fous de ma gueule ou quoi ?, s’amuse Guillaume, mort de rire. C’est un casque d’ordi avec un micro. Qu’est-ce que tu veux que je fasse avec un casque d’ordi ?” Chambreur, Benjamin sort un engin plus récent. “Mais il est trempé d’alcool !”, s’étonne son binôme, tout en se dirigeant vers le bureau. Alors que l’un s’attelle à caler un son, l’autre danse. Mais pas sur la musique.

“je me suis retrouvé dans le même train que Jean-Luc Lahaye. Il avait une veste avec écrit Peace”

Benjamin vient de verser un demi-litre d’alcool sur son index et, manifestement, il douille. “Y a mille fois pire hein, commente-t-il pour rassurer l’assemblée, mais c’est une douleur… enfin, tu vois quoi.” Et la réaction ne se fait pas attendre, le sang pisse de plus belle. Cette fois, son compère s’inquiète, l’air grave. “Là, c’est pas normal. Ça goutte vraiment beaucoup, il faut faire un garrot.” Puis, écœuré par l’hémorragie, s’exclame : “Ça me dégoûte un peu.” Le métronome redémarre. Les traces de sang inspirent Benjamin. “On pourrait tourner un Faites entrer l’accusé.” Après une courte intervention, le rescapé fait péter le bouchon. Et détend l’atmosphère autour de quelques anecdotes. “Quand on a joué à Saint-Brieuc, je me suis retrouvé dans le même train que Jean-Luc Lahaye. Il avait une veste avec écrit Peace dans le dos.” Il pose un silence et enchaîne. “Un autre coup, c’était Ségolène Royal. Avec elle, j’ai fait une photo”, précise-t-il, montrant l’image en question, enregistrée sur son téléphone. Il est bientôt minuit, l’heure d’aller installer le matériel. Sur le départ, Guillaume trifouille les ultimes arrangements, attentif aux conseils de son camarade. “Ce soir, c’est complet”, relève ce dernier, doigt momifié. La nuit ne fait que commencer. texte et photo Romain Lejeune album Crack My Bones (Green United Music) concert le 13 juin à Paris (Olympia)

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No.860 du 23 au 29 mai 2012 couverture Robert Pattinson par Nathaniel Goldberg/trunkarchive.com

05 quoi encore ? 10 on discute édito de Serge Kaganski

12 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

14 on décrypte Serge July, sens dessus dessous ; l’ère de rien ; le mot

Nathaniel Goldberg/trunkarchive.com

The Shoes

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16 événement Louis Nicollin, président de Montpellier et champion de France de football

26

18 la courbe ça va ça vient ; billet dur

20 nouvelle tête

Guillaume Binet /M.Y.O.P

Singtank

22 hommage Donna Summer (1948-2012)

24 à la loupe

les premiers pas du nouveau gouvernement

52

30 sortir de la crise entretien avec Pierre Larrouturou

32 ça se dispute droite et gauche, quelles stratégies ?

36 que le meilleur perde les politiques en quête de défaite

38 le péril brun où en est l’extrême droite en Europe ? reportage en Grèce dans le fief du parti néonazi l’Aube dorée et zoom sur les figures montantes du nationalisme

38 Maro Kouri/Polaris/Starface

26 Ayrault 1

Writer Pictures/Leemage

Snoop et Jean-Roch en font trop à Saint-Tropez

50 nickel Chromatics Kill for Love, nouvel album des Américains, distille une electro à la beauté sombre

52 flash-back sur Kerouac une exposition et deux textes inédits : l’auteur beat reprend la route

50

56 le journal de Cannes (1) rencontre avec Robert Pattinson et David Cronenberg, portraits choisis, critiques sévères… 23.05.2012 les inrockuptibles 7

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34

82 Fez + Retour vers le futur

84 Richard Hawley de l’acide dans le thé anglais

86 mur du son Gossip au Festival des Inrocks...

87 chroniques Norah Jones, Rapattitude, Iggy Pop, Team Me, Lonely Drifter Karen…

98 morceaux choisis Hyphen Hyphen, Becoming Real…

100 concerts + aftershow Inrocks Lab Party

102 ouvriers en 2012 la persistance d’une culture commune

104 romans Adam Braver, Christopher Sorrentino…

108 tendance les comiques FOG et Patrick Besson

110 bd Au travail d’Olivier Josso Hamel…

112 Tchekhov par Isabelle Lafon + La voix est libre + L’Art de la fugue

114 Valerie Snobeck/Davide Balula + Raphaël Zarka

116 où est le cool cette semaine ? dans la casquette…

118 Arte décoloré toute une journée en noir et blanc

120 Juliette Volcler militante des ondes libres

121 Emmanuel Laurentin l’histoire au cœur

122 Eric Boustouller interview du pdg de Microsoft France

124 séries Desperate Housewives, la der des ders

126 programme tv enfance au travail profitez de nos cadeaux spécial abonnés

p. 129

128 la revue du web sélection

130 best-of le meilleur des dernières semaines

rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Hélène Fontanaud, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène, David Doucet, Geoffrey Le Guilcher idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot cahier villes Alain Dreyfus collaborateurs E. Barnett, G. Binet, R. Blondeau, T. Blondeau, M.-A. Burnier, M. de Abreu, G. Denis, M. Despratx, J.-B. Dupin, J. Goldberg, O. Joyard, M. Judith, L. Laporte, C. Larrède, J. Lavrador, P. Le Bruchec, N. Lecoq, T. Legrand, R. Lejeune, H. Le Tanneur, L. Mercadet, P. Mouneyres, P. Noisette, V. Ostria, E. Philippe, B. Valsson, R. Waks lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel, Azzedine Fall éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares vidéo Basile Lemaire graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Laetitia Rolland, Amélie Modenese conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Luana Mayerau, Nicolas Jan publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél 01 42 44 18 12 coordinatrice Sarah Hami tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 15 31 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 00 13 directeur et directrices de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 Isabelle Albohair tél.  01 42 44 16 69 Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web Chloé Aron tél. 01 42 44 19 98 coordinatrice Lizanne Danan tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 assistante Sarah Carrier tél. 01 42 44 15 68 marketing, promotion directrice du développement Caroline Cesbron promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/rp Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 chef de projet Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 assistante promotion marketing Margaux Scherrer tél. 01 42 44 16 68 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement HAPY PARIS les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19 infos 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement France 1 an : 115 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 3 579 352,38 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général David Kessler assistante Valérie Imbert directeur général adjoint Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Sonia Pied administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2012 directeur de la publication David Kessler © les inrockuptibles 2012 tous droits de reproduction réservés ce numéro comporte un supplément “Chroniques lycéennes” jeté dans l’édition abonnés et l’édition kiosque vente au numéro France ; un encart 4 pages “Forum des images” jeté dans les éditions kiosque et abonnés des départements 75, 78, 91, 92, 93, 94 et 95.

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le nouveau gouvernement c’est aussi un joli retour de hype de l’Ouest cc @lesinrocks #labretagne

l’édito

travailler moins, gagner plus

Serge Kaganski

armoriquement tweeté par dbeaurepaire Couper la télé ou se couper du monde

France 3, Thalassa (2002)

Et si l’une des pistes les plus prometteuses pour résoudre la crise était la réduction du temps de travail ? En ce moment, tout le monde parle de croissance. Mais de laquelle parle-t-on ? De la croissance “de droite”, qui consiste à rogner sur la protection sociale et à détricoter le droit du travail ? Ou de la croissance “de gauche”, qui consiste à investir et à créer des emplois ? Et à supposer que l’on pense à la relance de type keynésien, il ne suffit pas de la décréter pour qu’elle advienne. Même en lançant de grands plans de développement durable européens, pas sûr que des taux de croissance significatifs et une baisse sérieuse du chômage adviennent rapidement. D’autant que le mur des dettes encombre une partie de l’horizon. Alors, travailler moins ? Politiquement, les 35 heures n’ont pas bonne presse. Excellente dans l’esprit, la loi Aubry a hélas été appliquée sans souplesse ni négociations branche par branche, désorganisant les services publics. Pourtant, de nombreux pays européens travaillent moins de 40 heures sans que cela fasse scandale. En outre, avec le développement des emplois précaires ou à temps partiel, la moyenne d’heures ouvrées par habitant baisse mécaniquement. La durée du temps de travail décroît et le chômage croît, quoiqu’en dise et promette la droite. On ne peut plus masquer cette donnée en creusant nos dettes et en vivant à crédit perpétuel. Elevons le débat à hauteur historique en citant Albert Einstein, qui écrivait en 1933, alors que l’avènement d’Hitler créait le chaos économique, dans Comment je vois le monde : “Le progrès technique qui pourrait libérer les hommes d’une grande partie du travail nécessaire à leur vie est le responsable de la catastrophe actuelle.” Du XIXe au milieu du XXe siècle, les gains de productivité ont peu augmenté alors que le temps de travail a considérablement baissé avec la semaine de 40 heures. Depuis l’après-guerre, c’est l’inverse. Le temps de travail a peu bougé alors que la productivité faisait des bonds de géants : ordinateurs et robots font le travail jadis dévolu aux gens en un processus massif et mondial. Là réside peut-être le grand bug qui est en train de rendre dingues et pauvres des millions de gens. Travailler moins, ce n’est pas une lubie de feignant mais une hypothèse macro-économique logique qui va dans le sens de l’histoire, du progrès social et des évolutions technologiques. Elle peut aussi contribuer à rendre nos vies plus vivables.

le sport, une politique à combattre Cet été, si tu n’aimes pas le sport, va t’isoler dans une cabane au Groenland ou débranche ta télé. Ou tu vas souffrir. France Télévisions t’imposera successivement RolandGarros, la coupe d’Europe de foot, le Tour de France et les JO. Le pire, c’est que tu paies une redevance pour “ne pas voir ça” et que, toi

comme moi, on connaît déjà les gagnants de ces compétitions. Roland-Garros ? Une finale avec Nadal, Federer ou Djokovic. La coupe d’Europe ? Sans surprise, dans le dernier carré on retrouvera l’Allemagne, la Hollande, l’Italie l’Espagne. Le Tour de France ? Joker. Tout dépendra des substances qui traînent sur le marché à ce moment-là (pour rouler en haute montagne à la vitesse d’une mobylette, c’est important). Pour finir, les JO : 1. Etats-Unis, 2. Chine, 3. Russie. Echappatoire : le cinéma. A 10 euros la place, c’est donné. Au pire, va voir un concert, 45 euros pour 1 heure de show… Si c’est trop cher, achète un CD à 15 euros. Le téléchargement a bon dos. La culture pour tous qu’ils disaient… Heureusement il nous reste les bouquins… Ah merde, la TVA vient d’augmenter. Damien Zagala

la politique, un sport de combat Je me réjouis que de numéro en numéro vous ouvriez votre magazine à la gauche de la gauche et à son porte-drapeau, Jean-Luc Mélenchon. Et de voir que même Serge July lui consacre son “Sens dessus dessous”, quoique sans sympathie, on s’en doute. Que veut-il montrer ? Que Mélenchon mènerait face à Marine Le Pen à Hénin-Beaumont un combat sans danger (plutôt que de se présenter “à Toulon, ou dans l’est de la France face à des candidats lepénistes menaçants”) et, en fait, dirigé contre les socialistes. Quand il s’agit d’affronter le FN, soit on essuie les railleries des commentateurs parce qu’on n’a pas atteint les objectifs ambitieux qu’on s’était fixés, soit on est soupçonné d’avoir des arrière-pensées. Quelles sont les propositions du PS pour lutter contre l’extrême droite ? A-t-il une autre solution que le-serrage-de-ceinture-généralisé-qui-vanous-permettre-de-rembourser-la-dette-et-ensuite-on-aura-de-lacroissance-et-alors-le-bonheur-reviendra ? Parce que ça, ça ne marchera pas, et nous en savons les conséquences : trop de gens malmenés par cette politique attribueront leurs misères à leur voisin fonctionnaire, ou musulman, ou qui a l’air de l’être, et la menace continuera d’enfler. Le Front de gauche a défini une stratégie : l’affrontement direct. Ne pas rogner sur les principes républicains et sur les principes de gauche. On affirme haut et fort que le problème n’est pas le voisin, l’étranger, mais la répartition du pouvoir et des richesses. Monsieur July, Jean-Luc Mélenchon peut bien se présenter dans n’importe quelle circonscription, son arrivée sera certainement un soulagement pour beaucoup de gens. Thomas Bonnaud

écrivez-nous à [email protected], lisez-vous sur http://blogs.lesinrocks.com/cestvousquiledites

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction

la Serbie nationaliste

Tomislav Nikolic a été élu grâce à sa campagne antieuropéenne… avant de rassurer Bruxelles. Après la Hongrie, un nouveau pays d’Europe centrale bascule sous la coupe d’un nationaliste. Contre toute attente, l’ancien homme fort de Slobodan Milosevic, Tomislav Nikolic, a remporté l’élection présidentielle en Serbie dimanche dernier. Donné favori, le président sortant Boris Tadic avait transformé la campagne en référendum proeuropéen. Interlocuteur apprécié par Bruxelles, Tadic avait réussi à sortir son pays de son isolement politique et économique. En mars, la Serbie avait d’ailleurs obtenu le statut de pays candidat à l’UE. Après une campagne résolument hostile à l’Union européenne, son adversaire Tomislav Nikolic a depuis tempéré ses propos et tenu à rassurer Bruxelles au soir de sa victoire : “La Serbie maintiendra sa voie européenne.” Alors que le chômage touche 24 % de la population, ce leader nationaliste de 60 ans a su tirer parti de la mauvaise situation économique du pays.

Issam Abdallah/Demotix/Corbis

Andrej Isakovic/AFP

le moment

la Syrie sème le trouble à Beyrouth Deux morts, dix-huit blessés, selon l’agence nationale libanaise. Lundi matin, des rixes ont éclaté à Beyrouth entre sympathisants des insurgés syriens et pro-Bachar al-Assad. Ces affrontements font suite à la mort d’un dignitaire sunnite tué dimanche par l’armée dans le nord du Liban. Le pays connaît de nombreuses tensions depuis quelques jours : les confrontations intereligieuses ont déjà entraîné la mort de dix autres personnes. Courroye privé d’éthique On s’y voyait déjà. Le 30 mai prochain, le juge Philippe Courroye devait venir débattre à l’Ecole nationale de la magistrature sur le thème “Ethique du magistrat, éthique du journaliste”. Mis en examen pour “collecte illicite de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal et illicite” (soit la dissection de factures téléphoniques de journalistes du Monde), puis bénéficiaire d’une très opportune annulation de procédure pour vice de forme, il avait assurément beaucoup de choses à dire sur le sujet. Las, frappé d’un soudain éclair de lucidité ou intimidé par la tournure médiatique que prenait l’événement révélé par Libération, Courroye a préféré annuler sa venue. Au grand désappointement de ses fans. un innocent exécuté au Texas ? Mis à mort en 1989 pour le meurtre de Wanda Lopez, Carlos DeLuna a été déclaré innocent

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Heilemann/CameraPress/Gamma-Rapho

l’image

Official White House, photo by Pete Souza

mardi dernier par James Liebman. Ce professeur de droit à l’université de Columbia et cinq de ses étudiants ont publié un rapport – après cinq ans d’enquête – qui dédouanerait Carlos DeLuna : à l’époque des faits, il aurait été confondu avec un sosie lui aussi prénommé Carlos. Depuis 1976, le Texas totalise 482 des 1 295 exécutions réalisées sur le territoire américain. la mission commando de Di Matteo Lorsqu’il est nommé, en mars dernier, entraîneur du club de Chelsea à la dérive, Roberto Di Matteo sait que sa mission est éphémère. Peu expérimenté, l’Italien de 41 ans a pourtant trouvé la recette pour relancer les joueurs clés de son équipe (John Terry, Frank Lampard, Didier Drogba) et remporter deux trophées (la Cup puis la Ligue des champions). Durant trois mois, les Blues n’ont pas pratiqué un jeu flamboyant mais en bon disciple d’Arrigo Sacchi, Di Matteo aura su leur inculquer une culture de la gagne et du jeu défensif. Il aura réussi à offrir à Roman Abramovitch, propriétaire-milliardaire du club, un titre que ce dernier espère depuis 2003 et l’investissement de pas moins de deux milliards d’euros en neuf ans. premier vol plané pour Montebourg ? Selon le tout nouveau ministre du Redressement productif, le gouvernement “encaissera surement des échecs”. Consciemment ou non, Arnaud Montebourg a anticipé l’information donnée dimanche par Le Figaro : Air France prévoit un accroissement du temps de travail et un plan de départs volontaires concernant 5 000 postes d’ici 2015. Une réduction des effectifs qui pourrait rapidement ricocher sur les commandes d’A380. Les zones de turbulences arrivent plus vite que prévu. ci-Bee gît En boucle depuis l’annonce de la disparition de Robin Gibb emporté par un cancer à l’âge de 62 ans, toujours les mêmes rengaines de la période disco des Bee Gees, assorties de commentaires lol déjà archi-usés (“Staying alive uh uh uh”). Certes, avec la BO de La Fièvre du samedi soir (1977), le trio des frères Gibb aura accédé à une notoriété internationale et contribué pleinement à l’essor de la moquette pectorale et des gourmettes XXL. Mais, à l’époque des rafales de hits imparables, on parle plus du bellâtre Robin Gibb de la fratrie, Barry, que du timbre vocal fragile de Robin. C’est pourtant lui, dans les années 60, qui chante sur la plupart des grandes constructions baroques du groupe, New York Mining Disaster, Holiday, Massachusetts ou I Started a Joke. Maintenant que la cloche fatale a sonné pour lui, il n’est pas inutile de s’en souvenir et d’écouter encore une fois Saved by the Bell, titre qu’il avait enregistré en solo.

rencontre au sommet

Opération G8 réussie : l’image des chefs d’Etat devant la finale de la Ligue des champions a fait le tour du monde. Quand Cameron exulte, il conduit un chopper invisible. Obama pousse un râle de supporter mesuré. Merkel se tasse un peu plus qu’à l’accoutumée dans son tailleur. Menton posé sur l’index, Hollande reste normal. Samedi, le direct de la finale de la Ligue des champions opposant Chelsea au Bayern Munich a déridé un instant les dirigeants des pays les plus industrialisés (G8) réunis sans cravate à Camp David pour discuter de l’Afghanistan et de la crise économique. Au moment du tir au but de Didier Drogba donnant la victoire aux Blues, seul Barroso s’agrippe, impassible, au dossier d’un fauteuil. Pas facile de prendre parti pour un club anglais ou allemand quand on porte le costard de président de la Commission européenne. Le cliché a une nouvelle fois été saisi par Pete Souza. L’ex-photo-reporter, devenu photographe officiel de la Maison Blanche, est également l’auteur du contrechamp qui a fixé, face à un autre écran, l’anxiété de la Situation Room qui diffusait alors l’assaut mené sur la demeure d’Oussama Ben Laden au Pakistan. Pour parfaire cette opération de com footballisticopolitique, manquent quand même bières et pizzas sur la table.

D. D., G. Le G. et B. Z., avec la rédaction 23.05.2012 les inrockuptibles 13

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sens dessus dessous par Serge July

l’ère de rien

on the road again avec François Hollande

U

ne semaine après l’investiture de François Hollande, Sur la route investit les écrans français avec une solide couverture média (ah, la cover de Jalouse !). Après le président normal, le routard fou, Neal Cassady. De qui une certaine jeunesse française, mettons, les lecteurs des Inrocks, se sent-elle le plus proche ? A sa parution en France au début des sixties, le roman de Kerouac dynamitait l’horizon, nombre d’ados se jurèrent de vivre eux aussi leur histoire on the road avec une vieille caisse, des copains, du sexe et de la dope, et beaucoup le firent. En 2012, c’est la crise qui dynamite l’horizon et c’est peu dire que voter Hollande et faire comme Kerouac obéissent à des aspirations contraires. Se réfugier dans le cocon normal par crainte d’un avenir incertain, ou tout plaquer et partir dans l’espoir d’un avenir incertain. Ne pas savoir ce que sera demain, avec qui, sous quel toit, et encore mieux sans toit, face aux étoiles : objectif merveilleux aux époques sûres, entreprise hasardeuse au temps des plans sociaux et du chômage. Les Tanguy se consoleront peut-être à l’idée que Kerouac, l’immense Jack, hors ses escapades, vécut chez sa mère jusqu’à la mort. Léon Mercadet

le mot

[l’épée de Damoclès]

Francis Le Gaucher

la double réforme de 2000 Jacques Chirac, de concert avec Lionel Jospin, son cohabitant socialiste, réforme la Constitution et rend très improbable toute perspective de cohabitation entre une majorité présidentielle et une majorité parlementaire. Jacques Chirac en connaît un rayon : il a été successivement Premier ministre de cohabitation et Président de cohabitation. En raccourcissant le septennat de deux ans, ils mettent en adéquation le mandat présidentiel et le mandat législatif. C’est ainsi qu’en 2002 Jacques Chirac se dote d’une chambre UMP et Nicolas Sarkozy élu en 2007 fait de même. C’est la règle du jeu et cette réforme a hyperprésidentialisé le régime, avant même l’élection de Nicolas Sarkozy. la droite cohabitationniste Jean-François Copé, secrétaire général de l’UMP, mène ses troupes à la bataille législative de juin en leur promettant une cohabitation. C’est une double étrangeté dans la bouche de dirigeants d’un parti se revendiquant du gaullisme et de sa version chiraquienne. Selon ce scénario surréaliste, ils entendent transformer le vote législatif en censure de l’élection présidentielle, en invalidation, avant même que le Président élu ait mis en œuvre son programme. Que l’UMP cherche à décrocher le maximum de députés est logique. Que son argument étrangle la fonction présidentielle montre une grande disposition au “n’importe-quoinisme”. une loi de la Ve Avant la réforme de 2000, chaque législative consécutive d’une présidentielle avait confirmé la majorité présidentielle. Le système français repose sur l’élection du Président et l’élection législative lui donne les moyens de gouverner et de mettre en œuvre sa politique. C’est une confirmation avec des députés élus au scrutin majoritaire à deux tours sur la base d’une circonscription. Cela se traduit par un différentiel dans les taux de participation. Massif pour la présidentielle, ce taux est tombé à 58,2 % au premier tour de 2007, et en recul au second à 57,9 %. Il devrait en être de même en 2012. le suspense de juin S’il y en a un, il n’est pas dans une défaite de la gauche. François Mitterrand réélu avec plus de 54 % en 1988 n’avait obtenu qu’une majorité parlementaire relative “ouverte”, qu’il avait, il est vrai, appelée de ses vœux. Il a été servi, Michel Rocard Premier ministre ayant dû fabriquer au coup par coup des majorités ad hoc. Le suspense est à ce niveau. François Hollande obtiendra-t-il une majorité absolue qui lui permettra de gouverner sans se soucier de ses alliés, ou une majorité plus restreinte et donc plus conditionnelle ? En période de crise, il est peu probable que l’obstruction ait la moindre séduction.

Nepenthes

la règle du jeu

“La crise grecque est une véritable épée de Damoclès” (toujours dire “véritable” lorsque la métaphore n’a pas grand-chose à voir avec la réalité). “La dette est une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de François Hollande.” Menacés par la justice, “les policiers ont une sorte d’épée de Damoclès sur (sic) la tête”. Ce glaive incertain, apparu il y a vingt-quatre siècles, s’est transformé en poncif il y a environ deux cents ans. Depuis, il revient avec régularité dès que la situation s’y prête : aujourd’hui, par exemple. On connaît l’histoire. Vers 400 avant notre ère, le courtisan Damoclès vantait les joies du pouvoir à Denys l’Ancien, tyran de Syracuse. “Tu c rois ? répondit Denys. Je te cède la place pour un jour.” Voici notre envieux dans les délices lorsqu’en plein banquet il leva la tête et vit au plafond une épée nue pointée sur lui et que ne retenait qu’un crin de cheval. Terrifié, Damoclès déposa aussitôt son éphémère royauté. Jolie parabole, quoique en général peu adaptée à la situation puisque le Damoclès moderne, lui, ne s’enfuit pas. MAB

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Loulou, c’est lui

Le triomphe de Montpellier, champion de France de football pour la première fois de son histoire, est d’abord celui de son président, l’inénarrable Louis Nicollin.

 O

n va voir Nicollin comme on va voir Mocky ou Murat. Dans l’espoir d’une horreur dont on pourra se régaler et s’offusquer en même temps. Et Nicollin déçoit rarement. Il parle de “tarlouzes”, de “burnes” ou de “branlette espagnole”, en direct, à l’antenne de Canal+. “S’il faut, on ira se tremper le cul à Lourdes”, grognait-il, il y a quelques années, alors que son équipe sombrait. Ces dernières semaines, il rigolait : “Montpellier, champion de France ? Si je suis Marseille, Lyon ou Paris, je me poignarde le cul avec une saucisse.” Depuis dimanche soir, Montpellier, treizième budget de Ligue 1, est champion de France et cela ne rime à rien. Nicollin, 68 ans, le sait. Il a gagné contre la bienséance, contre les pronostiqueurs, contre le foot moderne, contre le PSG du Qatar. Loulou, l’éboueur en chef, le charretier qui faisait honte à sa mère, l’inculte qui a raté son bac trois fois et n’a pas fini le seul bouquin qu’il ait jamais entamé, Le Grand Meaulnes, plus fort que les pétrodollars de la capitale ? N’importe quoi. Car ce titre-là, si convoité, il n’est même pas allé le chercher. Il n’a pas mis sa fortune (la 311e de France selon Challenges) sur la table, ainsi qu’il le fit au début des années 90 se payant Eric Cantona et Stéphane Paille comme on choisit les plus belles bouteilles sur le menu, au restaurant. Cette fois, il n’a rien changé. Il a compté ses sous. Il a acheté malin et promu des jeunes du centre de formation. Il a surtout fait confiance à ceux qui l’entourent depuis des années, voire des décennies. Car Nicollin, l’insatiable collectionneur (de maillots de foot, de soldats de plomb, de journaux…), garde aussi les gens. Derrière le folklore, la couperose et les insanités lui valant régulièrement les remontrances des associations antihomophobie, l’histoire est là. Nicollin perpétue. Prolonge. Il a toujours fait ainsi. Après tout, c’est un “fils de”, un héritier. Son père Marcel vendait du charbon à Lyon. Au sortir de la guerre, une grève des éboueurs éclata. A la demande de la mairie, Marcel se recycla. Puis décrocha ses premiers contrats. Les marchés alimentaires de Lyon. La collecte des ordures, dans le XVe arrondissement de Marseille. A la mort de Marcel, en 1977, la boîte comptait 500 employés. Louis hérita. Il fit prospérer l’œuvre paternelle. Aujourd’hui, ils sont 4 500 salariés et le chiffre d’affaires annuel culmine à 300 millions d’euros. Le développement passe par l’étranger. Des marchés ont récemment été conquis en Algérie ou au Qatar. “J’ai un père qui s’est levé avant moi, disait-il il y a deux ans dans So Foot. Le tout c’est de le reconnaître, de bosser derrière et de ne pas brûler ce qu’il a fait… Bon, j’estime que je n’y suis pas trop mal

Louis Nicollin célèbre le titre de champion de France de Montpellier après la victoire à Auxerre (1-2), le 20 mai

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Samuel Dietz/Maxppp

“des fois, je trouve qu’il vaut mieux manger en compagnie de dix balayeurs que d’un joueur de foot” arrivé. Et j’espère que derrière, ça continuera.” Ses deux fils sont programmés pour lui succéder à la tête du groupe. Pour le moment, ils sont dans le sport. Olivier s’occupe du club de rugby de la ville, également propriété de la famille. Laurent est président délégué du club de foot. Il gère les affaires courantes. Louis n’a même plus besoin de se déplacer. Il vient aux matchs, parfois à un entraînement dans la semaine. Il a tout sécurisé. A tous les niveaux de l’organigramme, on retrouve des anciens, des proches, des fidèles. Pascal Baills, Bruno Carotti, Philippe Delhaye bientôt… Quand il aime, il ne lâche plus. S’il n’y a pas de place au club, c’est dans le groupe, troisième opérateur français de traitement d’ordures ménagères et de déchets industriels, qu’il recase. De nombreux anciens joueurs du club y bossent. A des postes de direction. Faouzi Mansouri est responsable du développement dans les pays arabes. Franck Lucchesi dirige le site du Pontet, dans le Vaucluse. “Je travaille avec ceux que j’aime et en qui j’ai confiance”, dit-il. En dehors du boulot, ses amis se nomment Platini ou Depardieu. Georges Frêche, l’autre poids lourd de Montpellier, avec lequel il effectuait des pesées comparatives (en 2010, le politique accusait 118 kg pour 1,87 m, l’entrepreneur 153 kg pour 1,76 m), était “son ami absolu”. Mais ce n’est pas la politique, ou les idées, qui le font vibrer. En la matière, il oscille au gré des années, des élections, et des contrats à décrocher. Il se revendique gaulliste. Il se dit à droite au niveau national et gauche au niveau local, à Montpellier. Il est franc-maçon. Mais ce sont les gens qui le passionnent. Frêche lui parlait de droit romain, le cultivait. Depardieu le fait marrer. Platini l’impressionne. En tant que joueur. Puis maintenant à la tête de l’UEFA. Avec ses joueurs, Nicollin est pareil. Il marche à l’émotion. Il double ou triple leurs primes les soirs de victoire. Les casse en mille morceaux après une défaite. Souvent, il dit qu’il leur préfère ses ouvriers. Une fois, il lança : “Des fois, je trouve qu’il vaut mieux manger en compagnie de dix balayeurs que d’un joueur de foot.” Bruno Carotti se souvient du jour où l’équipe fut convoquée au petit matin par le patron. “Il nous a montré le départ des camions de son entreprise. Pour nous faire savoir que si on ne se bougeait pas sur le terrain, il nous ferait ramasser les poubelles.” Contraint par son père, c’est ce que Louis Nicollin fut obligé de faire, tous les étés, pendant de longues années. “Quand je travaillais avec les ouvriers de mon père, se souvient-il, il fallait toujours que je gratte quelque chose à mon oncle qui dirigeait. Je te le faisais chier pour un quart d’heure de douche, dix minutes de ci, de pause ceci cela, plein les couilles, balayer les garages, j’en avais toujours plein le cul, moi.” Il dit que son langage fleuri et sa détestation des verbeux, maniant des mots compliqués, lui viennent de là. Mais Colette, sa femme depuis trente ans, a une autre explication. “Ses débordements verbaux, c’est une façon de se protéger, de mettre de la distance et de cacher sa profonde sensibilité.” Marc Beaugé 23.05.2012 les inrockuptibles 17

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Alain Resnais

retour de hype

le biopic d’Yves Saint Laurent par Bertrand Bonello

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

“tu trouves pas qu’Alain Minc c’est surtout le sosie d’un moustique ?”

“tu crois qu’on a plus de chance de sortir de l’euro ou de gagner l’Euro ?”

“nan, moi je vais pas à Cannes si j’ai rien à y faire, t’vois”

Georges Bataille

“en juin, n’oublie pas le fichier joint”

Nelson Monfort se déguiser en tomate les coiffures emo Jay-Z

le jean de Cécile Duflot Les Diseux

Les Diseux Un des morceaux du prochain album de Carla Bruni sera dédicacé aux méchants journalistes. Hihihihi. Le jean de Cécile Duflot était surtout excessivement moche. Jay-Z Après Barack Obama, Jigga (no homo) s’est positionné pour le mariage gay. Les coiffures emo qui cachent une partie du visage pourraient avoir des conséquences ophtalmologiques

“pour une hypothétique version porno du Audiard, je propose le titre Dérouille et dors”

proches de celles du strabisme. Et là : obligés d’écouter Thom Yorke plutôt que My Chemical Romance. Georges Bataille Une journée d’étude lui sera consacrée, le vendredi 1er juin, à la bibliothèque du Centre Pompidou. “Nan, moi je vais pas à Cannes si j’ai rien à y faire, t’vois” Ou la phrase de dégoûté par excellence. D. L.

billet dur

 C

Franco Battiato

her Pierre Salviac, Pour avoir très finement conseillé sur Twitter à tes consœurs journalistes de “baiser utile” en vue de devenir première dame, RTL t’a ordonné de prendre ta valise et d’aller ouvrir des vannes ailleurs. Perso, je trouve la sanction disproportionnée. D’autant qu’elle émane d’une station qui laisse quotidiennement libre antenne à Eric Zemmour – phallocrate dogmatique, bien plus dangereux qu’un commentateur de rugby en semi-retraite – et héberge depuis trente-cinq ans l’égrillard fan-club de Sacha Guitry. Maintenant, Pierrot, il faut que tu arrêtes d’ajouter à ton imbécilité virile le ridicule d’une posture de martyr en cherchant à te faire passer pour un mix entre Danièle Gilbert (virée sous Mitterrand) et Michel Polac (éjecté sous Chirac), t’accordant au passage une importance qu’hormis en tes rêves mégalo tu n’as point. Ainsi, le jour de la passation de pouvoir à celui qui, dans tes

délires, a causé par alliance ta perte, tu annonçais la fermeture pour cause de censure de ton compte Twitter, suicidant ainsi par ce geste chevaleresque une belle série de blagues pourries que tu réserveras désormais à l’exclusive appréciation de tes potes de troisième mi-temps. Moi, je te suivais depuis longtemps sur ce fil virtuel et j’avoue avoir eu souvent l’envie de t’emplâtrer, notamment lorsque tu menais un odieux combat pour faire dégager des Africains qui campaient dans ton quartier, usant alors d’un vocabulaire plus proche des valeurs de la lepénie que de celles de l’ovalie. Tel un égout refoulant les olfactives pensées d’un beauf en surchauffe, internet a fait remonter depuis d’autres “œuvres” de ton cru, à propos des pédés, des Turcs ou encore du rugbyman d’origine vietnamienne François Trinh-Duc, rebaptisé par tes soins “Trou Duc”. Cette délicatesse va nous manquer, à peu près autant que celle d’Eric Besson qui s’est lui aussi sabordé du dernier lieu où, comme toi, il aurait pu avoir l’impression d’exister encore un peu. Je t’embrasse pas, ce serait un baiser inutile. Christophe Conte

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Singtank Premier album pop impeccable pour une sœur et un frère prometteurs.

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près un passage remarqué au Festival des Inrocks, on retrouvait Singtank début mai sur la scène du Komedia à Brighton, dans le cadre de l’excellent festival Great Escape. Le duo, qui réunit le frère et la sœur Alexandre et Joséphine de La Baume, y dévoilait les chansons de leur premier album, In Wonder. Soit un disque de pop-songs radieuses et efficaces, dont le groupe a confié la réalisation au producteur Nellee Hooper, connu pour ses collaborations avec Björk et Massive Attack. “On lui a envoyé des demos pour avoir son avis, se souvient Alexandre. Il nous a d’emblée proposé de venir enregistrer dans son studio. Nous n’avions ni album ni label. C’était incroyable pour nous.” La paire a façonné son album entre Londres et Los Angeles après avoir pris soin de réviser ses classiques : Pixies, Pulp, The White Stripes… “Jarvis Cocker est un modèle, pour cette façon qu’il a d’écrire des pop-songs qui racontent aussi quelque chose de très juste sur la société.” De son côté, In Wonder trouve la justesse en basculant entre indierock impeccable et folksongs espiègles. Le groupe, qui prendra bientôt la route des concerts, pourrait aussi égayer les pages cinéma des magazines. Comédienne, Joséphine, qui a joué pour Romain Gavras et Bertrand Tavernier, figure au casting de Confession d’un enfant du siècle, de Sylvie Verheyde, en Sélection officielle à Cannes (Un certain regard). Johanna Seban album In Wonder (East West France/Warner), disponible le 28 mai. concert le 12 juin à Paris (Maroquinerie) 20 les inrockuptibles 23.05.2012

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Donna Summer of love L’icône du disco s’est éteinte la semaine dernière à l’âge de 63 ans. Rétrospective.

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Michael Putland/Dalle



ans Thank God It’s Friday, film disco de 1978 signé Robert Klane, elle était Nicole Sims, une jeune choriste ambitieuse qui profitait du retard à l’allumage de la tête d’affiche (les Commodores) pour s’emparer de la scène d’un club new-yorkais, leur volant la vedette. Scène miroir ô combien fidèle à ce que furent les vrais débuts de la jeune LaDonna Adrian Gaines, devenant reine du disco en Donna Summer. L’histoire de la musique noire abonde de ces petites chances saisies au vol aux immenses conséquences. Sa mort, à l’âge de 63 ans des suites d’un cancer du poumon, résonne à travers le monde comme l’épilogue postdaté d’un âge d’or, tandis que son nom reste à jamais identifié à un genre musical, de façon aussi intime que ceux

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de Jimi Hendrix au psychédélisme et de James Brown au funk. Mais revenons à la petite LaDonna, à ses rêves d’enfant : devenir, à l’instar de Diana Ross, cette femme noire qui ensorcelle par le glamour de ses robes et subjugue par la beauté de sa voix. Née au cœur de l’hiver, un 31 décembre 1948, dans une famille où l’on ne badine pas avec les principes bibliques, il aurait été bien difficile à ce stade de deviner en elle la future interprète d’un hymne au sexe comme Love to Love You Baby, où elle s’abandonne à simuler 23 orgasmes (mais au fond, les simulait-t-elle ?). Difficile de concevoir que cette innocente enfant qui a intégré très tôt la chorale de son église dans le quartier de Mission Hill à Boston, va se changer en interprète de la plus brûlante porn-song de l’histoire. A la fin des années 60, LaDonna, tout juste installée à New York, est auditionnée pour chanter dans la version allemande de Hair. S’en suit un premier séjour en Allemagne où elle accompagne la troupe, puis un engagement à l’Opéra populaire de Vienne. Elle s’installe à Munich en 1971 pour épouser Helmut Sommer, patronyme qu’elle anglicisera bientôt en Summer. Se manifestent alors ses premières velléités solo. Pour autant, elle gagne sa vie en cumulant les engagements en tant que choriste. Lors d’une séance studio avec le groupe US Three Dog Night, elle profite d’un malentendu à propos de l’heure du rendez-vous avec les musiciens pour se présenter aux producteurs Giorgio Moroder et Pete Bellotte à qui elle fait écouter ses propres titres. Cette audace est récompensée. Un premier album produit en 1974 par le duo s’intitule Lady of the Night. Titre prophétique : un an plus tard sort Love to Love You Baby. Le succès dans les clubs européens

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l’interprète de la plus brûlante porn-song de l’histoire est immédiat. Il attire l’attention du label new-yorkais créé par Neil Bogart, Casablanca, qui vient de signer Kiss et le Parliament de George Clinton. Le disco n’en est qu’à ses balbutiements. Avec le Never Can Say Goodbye de Gloria Gaynor et le Don’t Leave Me This Way de Thelma Houston (tante de Whitney), Love to Love You Baby fait partie des premiers succès féminins du genre. Il en sera un des agents de contamination les plus virulents. Tandis que le single atteint la deuxième place des charts américains, permettant à l’album de se vendre à plus d’un million d’exemplaires, une version remixée de 17 minutes devient un must absolu dans les clubs. Ainsi inaugurée, la longue série de succès du couple Summer/Moroder va prendre un virage décisif en 1977 avec I Feel Love qui se démarque de la disco old-school et deviendra une source d’inspiration pour toute la première génération de groupes electro. En chiffres, Donna Summer pèse quelque 130 millions d’albums. En symbole, elle vaut beaucoup plus. Quand bien même aurait-elle renié sa période de diva disco (“musique du péché”) après son retour dans les bonnes grâces de l’Eglise suite à une vilaine dépression, se serait-elle égarée ces dernières années en vaines reprises (La Vie en rose de Piaf), elle n’en demeure pas moins une des voix les plus bandantes de l’histoire et une influence majeure au sein d’un courant qui accueille aussi bien Lady Gaga que Gossip. Une de ces voix libératrices collant à merveille avec une époque joyeusement hédoniste où le sida n’existait pas encore. Francis Dordor

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Snoop et Jean-Roch, les boules Doublette improbable pour tube de l’été douteux, avec Saint-Tropez, The Doggfather semble abandonner le rap game pour la pétanque.

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Snoop did it again

Nous avions laissé Snoop Dogg à Coachella en compagnie d’un hologramme de Tupac, le voici avec Jean-Roch devant la gendarmerie de Saint-Tropez. Que s’est-il passé ? Cette image pourrait peut-être laisser penser que Snoop manifeste sa joie en sortant de préventive après avoir été arrêté au VIP Room en possession de quelques tonnes de résine de cannabis. Il n’en est rien. Si Snoop Dogg lève

les bras en l’air, les fesses posées sur une Méhari de location, c’est simplement pour les besoins d’un clip. Celui de son copain Jean-Roch, figure de la nuit qui a eu l’étrange idée de sortir un album – sobrement intitulé Music Saved My Life – bourré de featurings de rappeurs américains plus ou moins cotés. De Snoop à Busta Rhymes en passant par Flo Rida, il est probablement question de ce qu’on appelle “la tentation du feat

rémunérateur”, une variante de la tentation de saint Antoine mais pour les rappeurs. Ainsi, dans les années 90, Snoop s’affichait aux côtés de Dr. Dre ou de Nate Dogg. Aujourd’hui il s’agit plutôt de Katy Perry, David Guetta ou Jean-Roch. Question : son capital sympathie intimement lié à sa carrière passée, sa tête rigolote et ses prises de position capillaires peuvent-ils encore l’excuser ?

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Saintwopé, té !

Ainsi donc nous sommes à Saint-Tropez (ou plutôt Saintwopé, à l’anglo-saxonne), comme l’indique le titre du morceau et les images du clip oscillant entre une subtile référence aux Gendarmes et un Power Point de l’Office de tourisme de la ville. Pour ceux qui ne seraient pas tout à fait convaincus de la localisation de la chose, une fabuleuse introduction au clip donne à voir Karl Lagerfeld (?) en saint Pierre (??). Retrouvant Jean-Roch au milieu de nuages

roses dignes d’un Tiepolo sous acide, Karl répond à la question “Aïe Karl, iz it paradaïze ?” avec cette phrase qui restera dans les annales : “You wère never told that Saint-Tropez IZ paradaïze ?” Un sublime jeu d’acteur pour un hommage à un village de pêcheurs provençaux qui n’en demandaient pas tant et dont le mauvais karma semble surtout avoir réussi à transformer un petit éden en lieu de rendez-vous des radasses du monde entier. Soutien pour les Tropéziens.

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comme un Roch

Certains lecteurs intrigués se demandent peut-être qui est cette personne qui mime, tout sourire, la crucifixion. Réponse : né à Toulon, Jean-Roch (aucun rapport a priori avec saint Roch qui, lui, était montpelliérain) est le boss de nombreuses boîtes de nuit où le champagne coule à flots. Après avoir signé Can You Feel It en 2003, il récidive dans la musique et parvient une fois de plus à s’inscrire dans la lignée des tubes de l’été qu’on entend au Franprix et qui restent dans la tête pour l’éternité. Il incarne donc un certain genre de réussite (celle qui est très rémunératrice) : quoi de mieux qu’avoir Snoop en copain, de vivre sous le soleil et de disposer de deux potiches à l’arrière de la Méhari ? Pas grand-chose à en croire les paroles du morceau qui se bornent à une déclaration d’amour à la ville surtout appréciable pour qui préfère l’humour à la musique. Soulignons particulièrement ce moment de grâce du clip où Snoop Dogg, place des Lices, se saisit d’une boule de pétanque et la balance, au plus près du cochonnet. Epiphanie, on est Fanny. Diane Lisarelli

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les premiers pas Avec simplicité, modestie et gravité, selon le souhait du Président, les 34 ministres du gouvernement Ayrault ont pris leurs quartiers tout en devant s’accommoder du protocole et des fastes de la monarchie républicaine.

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endant la campagne présidentielle, François Hollande se prenait parfois à rêver de sa vie future à l’Elysée. “Ce sera une maison vivante. Cela ne doit pas être un endroit où l’on n’ose pas marcher sur le gravier”, souriait le candidat socialiste, qui se souvenait sans doute de ses premiers pas de jeune conseiller, en 1981. Trente et un ans plus tard, le gravier de la cour d’Honneur du palais présidentiel reste interdit aux piétons. C’est l’un des signes de la pérennité d’un protocole républicain qui a beaucoup emprunté à la monarchie. Et qui a impressionné ou embarrassé cette semaine plusieurs novices du premier gouvernement Ayrault. Jeudi 17 mai, premier conseil des ministres. Des gendarmes et des officiers de sécurité font prestement remonter sur les trottoirs les journalistes qui se risquent à poser un pied sur les cailloux finement ratissés de la cour de l’Elysée. Après 45 minutes de réunion, les trentequatre membres du gouvernement, dont cinq seulement (Laurent Fabius, Pierre Moscovici, Jean-Yves Le Drian, Michel Sapin et Marylise Lebranchu) ont une expérience gouvernementale, font leur sortie. La plupart se refusent à tout commentaire. L’écologiste Pascal Canfin s’approche quand même des journalistes, solidement cantonnés derrière des cordons rouges. “La République française reste très institutionnelle, déplore le ministre délégué au Développement. On est peut-être là aussi pour changer les choses”, ajoute-t-il, en évoquant “ce qui a cours dans les pays du Nord ou au Royaume-

Uni”. Des ministres qui font leurs courses, circulent en transports en commun et paient leurs repas pris dans leurs ministères. Pascal Canfin aurait ainsi voulu arriver à l’Elysée avec la patronne des Verts, Cécile Duflot, ministre du Logement, qui a pris le bus pour venir rue du Faubourg-Saint-Honoré, mais il a dû s’incliner devant la volonté du chef de la diplomatie, Laurent Fabius, qui souhaitait une entrée “groupée” de son pôle ministériel. Cécile Duflot a défrayé la chronique en arrivant en jean, seule, pour cette première réunion élyséenne. Certains ministres lâchent des éléments de langage lourds de sens comme : “On est au travail.” Désormais, ils ne parlent plus que du “président de la République”. Leur regard sur François Hollande a changé. Tous le décrivent comme “très grave, très sérieux, très précis dans ses consignes”. Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement, évoque, dans son premier compte rendu officiel, un conseil “sérieux, studieux, avec une forme de gravité, et en même temps empreint de chaleur humaine et de confiance”. Benoît Hamon, ministre de l’Economie solidaire, avoue avoir ressenti “beaucoup d’émotion”. Bernard Cazeneuve, ministre des Affaires européennes, vante “la simplicité” du chef de l’Etat mais aussi un ton “solennel, exigeant”. “Il est de plain-pied dans la fonction”, assure-t-il. “Il nous a dit l’amitié, oui, la familiarité, non”, témoigne un autre novice. Le rite de la “photo de famille” à l’issue du conseil des ministres permet une légère et brève détente : 17 hommes, 17 femmes encadrent alors le Président et le Premier ministre sur les trois marches du perron, côté jardin. Les places ont été dûment

précisées par le protocole, sur des papiers distribués aux intéressés. “Il y avait tellement de photographes, s’étonne Bernard Cazeneuve, on avait l’impression d’entendre une nuée de criquets quand ils déclenchaient leurs appareils.” François Hollande s’impatiente, poliment : “Il doit bien y en avoir une qui est bonne.” Puis le chef de l’Etat relève la bizarrerie qui consiste à le faire poser en la seule compagnie des femmes du gouvernement. “La parité a été supprimée, il ne reste plus que deux hommes”, rigole-t-il en désignant JeanMarc Ayrault à ses côtés avant de réclamer, sans succès, qu’une photo soit aussi organisée avec les hommes de l’équipe gouvernementale. Entre-temps, le premier décret signé de la main présidentielle est tombé : il concerne la rémunération des membres du gouvernement, réduite de 30 %

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Fleur Pellerin (ministre déléguée chargée des PME, de l’innovation et de l’économie numérique), dossier bleu de “prise de fonctions” à la main à la sortie du premier conseil des ministres, le 17 mai

conformément aux engagements pris pendant la campagne. Le salaire brut d’un ministre sera désormais de 9 940 euros (contre 14 200 auparavant) et celui d’un secrétaire d’Etat de 9 443 euros (contre 13 490). Concernant le chef de l’Etat et le Premier ministre, dont la rémunération doit passer de 21 300 euros à 14 910 euros, cette baisse sera actée dans la loi de finances rectificative qui sera adoptée avant l’été, avec effet rétroactif au 15 mai, date d’entrée en fonction de François Hollande. Les ministres ont signé une charte de déontologie, qui les engage notamment à éviter tout mélange des genres pendant l’exercice de leurs fonctions. Non-cumul des mandats, respect des règles du code de la route, utilisation du train pour les déplacements d’une durée inférieure à trois heures, refus des cadeaux supérieurs à 150 euros et de toute invitation privée,

“c’est une mission éphémère, l’Etat est tout et nous ne sommes rien” Bernard Cazeneuse, ministre des Affaires européennes

la liste est longue. Les membres du gouvernement Ayrault rempliront une déclaration d’intérêt pour préciser leur patrimoine et la gestion de leurs biens personnels. Les ministres et secrétaires d’Etat devront aussi limiter le nombre de leurs collaborateurs : 15 pour un ministre, 10 pour un secrétaire d’Etat. Les ministres arrivés à pied à l’Elysée repartent en voiture vers leurs ministères. Lors de sa première déclaration de porte-parole, une courte séance sans questions-réponses, Najat VallaudBelkacem cite François Hollande, qui a

expliqué à tous ses ministres qu’il “n’y a pas de temps à perdre pour mettre en route le changement”. Les membres du gouvernement, ont précisé d’une même voix le Président et le Premier ministre, sont “au service exclusif de l’Etat” avec pour but “de redresser le pays dans la justice”. Mot pour mot ce que martelait François Hollande pendant la campagne. Dès le jeudi soir, le travail commence. Manuel Valls, tout nouveau ministre de l’Intérieur, se rend au commissariat de Noisy-le-Sec, en Seine-Saint-Denis, où un gardien de la paix avait été mis en examen le 25 avril, après avoir tué un malfaiteur en fuite. Il joue le consensus, en disant avoir “entendu et compris l’émotion qui traverse les rangs de la police” et en ajoutant qu’il sera “inflexible dans la sanction des fautes professionnelles”. Au même moment, Najat Vallaud-Belkacem 23.05.2012 les inrockuptibles 27

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édito

un printemps rigoureux

pour certains, l’aventure pourrait être de courte durée. Outre le Premier ministre, 25 membres du gouvernement se lancent dans la bataille des législatives étrenne ses fonctions de porte-parole au 20 heures de TF1. Un peu intimidée. Tout comme Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, qui répond à un tir nourri de questions sur des entreprises menacées au 20 heures de France 2. Les ministres ont reçu le feu vert de François Hollande pour aller présenter la politique du gouvernement dans les médias. “Il nous a dit : ‘vous pouvez aller partout si vous ne dites pas de bêtises”, précise Bernard Cazeneuve. Le chef de l’Etat garde son obsession du contrôle absolu de la parole publique. Le ministre de l’Education, Vincent Peillon, qui trébuche le jeudi matin sur la semaine de cinq jours dans le primaire, se fait gentiment recadrer le vendredi matin par Jean-Marc Ayrault. Pour les ministres, il faut à la fois se débarrasser des habits de la campagne, revêtir le costume de serviteur de l’Etat et découvrir des sujets auxquels on n’était pas forcément préparé. Vendredi 18 mai, en fin de matinée. Dans son bureau du Quai d’Orsay, Bernard Cazeneuve montre le dossier bleu de “prise de fonctions” qui lui a été remis à son arrivée. Le députémaire de Cherbourg-Octeville a plongé dans le grand bain dès sa nomination. Il va se remettre aux cours d’allemand pour pouvoir rapidement converser avec son homologue outre-Rhin. Dès le dimanche 20 mai au soir, il est d’ailleurs en Allemagne, avant une réunion au Parlement de Strasbourg le mardi 22 mai. Le tout en préparant le premier dîner informel des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union, qui a lieu le mercredi 23 mai à Bruxelles. “La question,

c’est comment va-t-on faire pour que les orientations définies par le président de la République puissent permettre de surmonter la crise à laquelle nous sommes confrontés.” Bernard Cazeneuve veut garder la tête froide : “C’est une mission éphémère, l’Etat est tout et nous ne sommes rien.” Dans cette maison, qui abrite les services du protocole, lui ne s’avoue pas gêné par les manifestations extérieures du pouvoir. “L’Etat, c’est aussi cela”, plaide-t-il, en rappelant quand même les consignes de sobriété de François Hollande. “De toute façon, on est partis pour cinq ans de stakhanovisme et de rigueur absolue”. Le ministre des Affaires européennes ne “tweetera” plus, ou seulement pour faire part d’événements importants inscrits à son agenda. “Des tweets institutionnels, sobres”, précise-t-il en estimant que le réseau social, et ses 140 signes maximum, c’est “quand même des phrases brèves au service d’une pensée courte”. Comme lui, beaucoup de membres du gouvernement ont disparu des réseaux sociaux. La machine de l’Etat les a happés. Pour certains, l’aventure pourrait être de courte durée. Outre Jean-Marc Ayrault, 25 membres du gouvernement se lancent dans la bataille des législatives. La plupart d’entre eux se présentent dans des circonscriptions où François Hollande est arrivé largement en tête le 6 mai. Mais certains, comme Aurélie Filippetti (Culture), Marie-Arlette Carlotti (Personnes handicapées), ou Stéphane Le Foll (Agriculture), ont des défis plus risqués à relever. Hélène Fontanaud photo Guillaume Binet/M.Y.O.P

Les deux mots du quinquennat qui s’annonce se mêlent. Croissance et rigueur. “Croissance” parce que François Hollande ne cesse de répéter que sans croissance son programme ne peut être appliqué… et que, son programme, (priorité à l’éducation, la recherche et l’industrie innovante) s’il ne peut créer de la croissance en lui-même, est fait pour la soutenir. “Rigueur” parce que même si ce mot n’est pas assumé, François Hollande a promis que les comptes publics seront rétablis en 2017. Reste à définir ces deux mots, à s’entendre sur ce qu’ils contiennent. Et là il y a un gros malentendu, savamment entretenu par le candidat Hollande et devant lequel se trouve maintenant le président Hollande. Les Allemands (et pas simplement la droite allemande) considèrent que la croissance passe par un assouplissement du droit du travail et une relative dérégulation sociale, alors que les Français (et pas simplement la gauche française) estime que la croissance naît surtout d’une forme de relance colbertiste, de grands travaux, d’investissement massifs. Pour ce qui est de la rigueur nécessaire, c’est plus flou puisque François Hollande, comme son prédécesseur, n’accepte pas ce mot. Pourtant il s’est engagé sur un objectif d’équilibre budgétaire en 5 ans. Personne ne croit qu’il peut être atteint uniquement par des hausses d’impôts. Les hausses d’impôts sur les plus fortunés sont nécessaires pour rétablir une progressivité et un début d’égalité mais elles ne régleront pas la question des déficits. Il y aura des coupes budgétaires et des économies. Le gouvernement Ayrault qui s’est placé sous le signe de l’exemplarité et de l’honnêteté serait bien inspiré d’être honnête et exemplaire et de nous dire vite ce qu’il faudra réduire. Sans doute faudra-t-il attendre l’après-législative pour avoir une réponse… mais il la faudra bien !

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“la justice sociale, seul moyen de sortir de la crise” Membre du collectif Roosevelt 2012, l’économiste Pierre Larrouturou ne voit pas la crise actuelle comme une fatalité et propose des solutions pour relancer la croissance.

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e nouveau président de la République veut relancer la croissance en Europe. Cet objectif vous semble-t-il plausible ? Pierre Larrouturou – Il faut tout faire pour stopper la récession : il est scandaleux de laisser sombrer la Grèce, l’Italie et l’Espagne à cause des milliards de frais financiers que ces pays paient aux banques privées alors que nous montrons que, sans modifier les traités, on peut financer les Etats à 1 %. Il est indispensable aussi que l’Europe investisse très massivement dans les économies d’énergie et les énergies renouvelables. Tout cela doit être fait sans tarder et nous éviterait de basculer dans une spirale de récession. Mais il ne faut pas se raconter d’histoires : la croissance à venir ne sera jamais assez forte pour nous sortir du chômage et de la précarité. Pourquoi douter d’une relance de la croissance ? Cela fait trente ans que la France n’a pas les 2,5 % que tous nos dirigeants espèrent. Quant au Japon, le pays qui a le plus investi dans la recherche et fait les plus gros plans de relance, il n’a même pas 0,8 % de croissance en moyenne depuis que sa bulle immobilière a éclaté, il y a vingt ans. Aux Etats-Unis, la dette totale atteint 360 % du PIB et le président de la Banque centrale craint une récession historique. En Chine, la bulle immobilière éclate (baisse de 25 % des ventes de logements au premier trimestre), les exportations diminuent et le gouvernement va doubler le budget militaire d’ici 2015… Comme le dit le gouverneur de la Banque d’Angleterre, “la prochaine crise risque d’être plus grave que celle de 1930”, sauf si nous changeons très vite de politique ! L’histoire n’est pas écrite d’avance : François Hollande est membre du G8.

Il peut prendre des initiatives à la hauteur des dangers qui nous menacent. Quel contour pour le “new deal” proposez-vous aux dirigeants européens ? On ne sortira pas de la crise si on se trompe de diagnostic : nous ne sommes pas face à une crise de l’Etat-providence mais face à une crise du capitalisme dérégulé : jusqu’à l’arrivée de Ronald Reagan en 1981, l’économie américaine n’avait besoin ni de dette privée, ni de dette publique pour fonctionner. C’est à cause des politiques de dérégulation que, dans tous nos pays, la part des salaires est passée en trente ans de 67 % à 57 % du PIB, et qu’on a poussé les ménages à s’endetter pour compenser ce qu’ils ne recevaient pas en salaire. Comme l’affirmait déjà Roosevelt en 1933, la justice sociale n’est pas un luxe auquel il faudrait renoncer à cause de la crise. La justice sociale est le seul moyen de sortir de la crise. Est-il possible de réduire massivement le chômage ? Oui ! Notre collectif avance quinze propositions concrètes qui permettraient de diviser par deux le chômage en quelques années. Tout est chiffré. En matière de logement, par exemple, le patronat du bâtiment annonce qu’on va licencier 50 000 salariés cette année. C’est un non-sens quand il manque 800 000 logements et que beaucoup paient des loyers prohibitifs. En nous inspirant des Pays-Bas, nous montrons qu’on peut financer une vraie politique du logement qui créerait 200 000 emplois et ferait baisser les loyers de 25 %. Peut-on vivre “bien” sans croissance dans un pays comme le nôtre ? A quoi sert une croissance qui ne diminue pas les inégalités et qui amène à l’épuisement des ressources naturelles ? Vu les gains de productivité que permettent

ordinateurs et robots, avoir plus de croissance n’amène pas à plus de vrais emplois : aux Etats-Unis, avant la crise, il y avait déjà tellement de petits boulots que la durée moyenne du travail était tombée à 33,7 heures. De même, en Allemagne, en 2006, malgré une forte croissance, il y avait une précarité terrible : des millions d’Allemands n’avaient que des jobs à 5 ou 10 heures par semaine. Le lien croissanceemploi s’est totalement distendu. Faut-il changer radicalement le cadre de pensée du capitalisme actuel ou suffit-il d’en corriger les visages à la marge ? Il faut tordre le système, sans le casser, pour remettre à l’endroit tout ce que trente ans de dérégulation ont fait fonctionner à l’envers. La gauche doit en même temps avoir une vraie politique de régulation (fiscale, sociale, écologique) et une véritable “politique de civilisation”, comme le dit Edgar Morin. Il faut passer d’une société d’inégalité et de violence à une société plus juste, plus équilibrée, plus conviviale. Elle est à notre portée.

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“à quoi sert une croissance qui ne diminue pas les inégalités et amène à l’épuisement des ressources naturelles ?”

La réduction du temps de travail reste-t-elle une piste à explorer ? L’ancien ministre du Travail de Bill Clinton, Robert Reich, affirme que c’est LA question fondamentale, au vu des gains de productivité colossaux réalisés depuis trente ans. Les syndicats européens veulent aussi relancer ce débat car le partage du travail actuel est un non-sens : soit on travaille plein pot (39 heures en moyenne pour un temps plein en France selon l’Insee), soit on est au chômage à 0 heure, soit on galère dans un job à 15 heures par semaine. Les seuls qui profitent de ce “partage” sauvage sont les actionnaires car la peur du chômage déséquilibre la négociation sur les salaires : “si tu n’es pas content, va voir ailleurs”. Un autre partage est possible : 400 entreprises sont déjà passées à la semaine de 4 jours. L’usine ou le bureau reste ouvert 5 jours ou 6 mais chacun ne travaille que 4 jours. Une étude du ministère du Travail estime qu’un mouvement général vers les 4 jours, avec le financement qu’on propose, pourrait créer un million

et demi d’emplois. Cela changerait radicalement le rapport de force sur le marché du travail et amènerait un autre partage de la valeur ajoutée : plus pour les salariés et moins pour les actionnaires. Le silence de la gauche sur le temps de travail est troublant : ce qui fut pendant un siècle l’un de ses combats fondamentaux va-t-il devenir le tabou fondamental ? Il faut ouvrir à nouveau ce débat mais en s’y prenant d’une façon radicalement différente de ce qui a été fait à la fin des années 90. En quoi un sommet social vous paraît la priorité absolue des mois à venir ? Il y a 4 millions de chômeurs, des millions de précaires et l’Unedic annonce 400 000 chômeurs supplémentaires d’ici deux ans. Le sommet social de juillet va-t-il se contenter de quelques rustines ou va-t-on enfin prendre le taureau par les cornes ? Aux Pays-Bas, il y a trente ans, les partenaires sociaux ont travaillé pendant trois mois pour construire un nouveau contrat social qui a permis de rééquilibrer

la balance commerciale et de diviser par trois le chômage. Pourquoi n’en serionsnous pas capables ? L’histoire montre que les réformes qu’on ne lance pas en début de mandat ne sont jamais lancées ensuite. Si le nouveau gouvernement et les partenaires sociaux ne font pas preuve d’un maximum d’audace dans les prochaines semaines, la situation sociale va devenir explosive. Et si la gauche échoue, ce n’est pas une droite humaniste qui va prendre la relève… La gauche doit absolument réussir ! Qu’espérez-vous du travail mené par le collectif Roosevelt 2012 ? Avec Stéphane Hessel, Edgar Morin, Susan George, Michel Rocard, Lilian Thuram, Dominique Méda, Cynthia Fleury, Bruno Gaccio et d’autres amis, nous avons créé ce collectif pour montrer que, si on est libre par rapport aux lobbys financiers comme l’était Roosevelt et si on parle à l’intelligence des citoyens, on peut très vite mettre en œuvre des réformes qui changent radicalement la situation. C’est d’abord une question de courage. Nous étions 30 au départ. Nous sommes 50 000 aujourd’hui mais il faut que nous soyons 100 ou 200 000 le plus vite possible pour pousser nos dirigeants à l’audace. Nous sommes tous responsables de notre avenir : nous avons tous le droit et le devoir de peser sur les politiques du nouveau gouvernement. Chacun de nous peut agir. recueilli pas Serge Kaganski1 et Jean-Marie Durand www.roosevelt2012.fr 1. Serge Kaganski est membre du collectif Roosevelt 2012 Pierre Larrouturou est économiste, cofondateur du collectif Roosevelt 2012. Il vient de publier C’est plus grave que ce qu’on vous dit… mais on peut s’en sortir ! (Nova Editions), 108 pages, 3 € 23.05.2012 les inrockuptibles 31

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Au meeting de Nicolas Sarkozy à Villepinte, le 11 mars

bataille sur le front des idées A droite, la prééminence de Patrick Buisson et de sa ligne “gros rouge qui tache” fait question tandis qu’à gauche plusieurs think tanks se disputent la paternité de la victoire de François Hollande.

 L

a victoire idéologique précède toujours la victoire électorale. Cette maxime de Gramsci, vous avez trois chances sur quatre de l’entendre lorsque vous interrogez un responsable politique sur la meilleure manière de remporter une élection. Le 6 mai, François Hollande a été élu président de la République avec 51,6 % des voix, contre 48,4 % à Nicolas Sarkozy. Soit un million de voix d’écart. Les socialistes rêvaient d’un triomphe plus large. Des sondages avaient pronostiqué jusqu’à 55 % des suffrages pour le député de Corrèze. Dans les derniers jours de la campagne, François Hollande est apparu soudainement inquiet. Toutes les informations qui lui parvenaient faisaient état d’une remontée de Nicolas Sarkozy, en dépit de l’impopularité persistante du président sortant, de l’incohérence de ses propositions, de la mauvaise santé de l’économie. “On n’est pas passé loin”, a confié Nicolas Sarkozy à ses proches après sa défaite. Pour Alain Minc, l’un des “visiteurs du soir” les plus réguliers du quinquennat, la campagne clivante menée sur les thèmes de l’identité nationale – droit de vote des étrangers, viande halal, frontières – n’était certes pas celle de son cœur mais

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Placed e laB astille, le 6 mai

“une campagne se gagne en s’appuyant sur plusieurs courants. Ce n’est pas une pensée seule qui permet de gagner” François Hollande “elle a payé, en faisant gagner au président cinq à six points dans les sondages”. “On a vraiment cru à un moment que Nicolas allait réussir”, regrette un ex-ministre du gouvernement Fillon. “La ligne Buisson l’a emporté et regardez, elle a même causé des dégâts à gauche, ce qui est riche d’enseignements pour nous, pour l’avenir.” La ligne Buisson ? Patrick Buisson, conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, venu des rangs de l’extrême droite, est celui qui, avec Guillaume Peltier, transfuge lui aussi du Front national, a plaidé avec le plus d’ardeur auprès du président sortant pour une campagne dure, droitière. Une campagne “gros rouge qui tache”, lancée avant le premier tour et accentuée au lendemain du 22 avril. Au détriment d’Henri Guaino, la “plume” du Président, gaulliste social, davantage tenté par une campagne de rassemblement, sur des thèmes de protection. Au détriment aussi des centristes de l’UMP, comme Jean-Pierre Raffarin. Pour François Hollande, “la campagne de Sarkozy a failli fonctionner”. “Mais, ajoute le vainqueur, j’ai toujours pensé qu’une campagne se gagne en s’appuyant sur plusieurs courants. Souvenez-vous, en 1995, Jacques Chirac gagne parce qu’il a Philippe Séguin d’un côté et Alain Madelin de l’autre. Nicolas Sarkozy pense qu’il a gagné des points avec la ligne Buisson, mais il en aurait sans doute gagné autant en s’appuyant en même temps sur le centre. Ce n’est pas une pensée seule qui permet de gagner.” “Moi, poursuit François Hollande dans un sourire, j’ai fait une synthèse, c’est mon destin !” Petit retour en arrière. Décembre 2011. La campagne du socialiste subit un essoufflement. Désigné deux mois plus tôt par les primaires citoyennes du Parti socialiste, François Hollande veut maîtriser son tempo, affiner les thèmes qui seront les siens dans la bataille contre la droite. Un matin, il reçoit longuement à la Maison de l’Amérique latine les animateurs de la Gauche populaire, Laurent Baumel et François Kalfon, deux orphelins du courant strauss-kahnien. Ils ne sont pas venus seuls. Des chercheurs qui ont participé au petit ouvrage qu’ils ont dirigé, Plaidoyer pour une gauche populaire, sont

présents. Leurs thèses : la dénonciation d’un mépris culturel et social à gauche pour les couches populaires tentées par un vote d’extrême droite et la nécessité pour le candidat socialiste d’aller en direction de ces électeurs en abandonnant le discours “sociétal”, véritable repoussoir, selon eux. Ce jour-là, la discussion tourne autour de la conquête de ces Français les plus défavorisés, qui vivent dans des zones périurbaines ou rurales, sur fond d’inquiétude quant au vote Front national. Au soir du premier tour, alors que 6,4 millions de Français ont choisi le bulletin Marine Le Pen, les membres de la Gauche populaire croient que leurs théories vont être totalement validées par François Hollande. Mais le candidat socialiste est comme à son habitude soucieux d’équilibre. Il ne méconnaît pas d’autres revendications portées par une gauche plus universaliste, attachée au lien entre politique économique et réformes sociétales. Elle s’incarne dans le collectif Cette France-là, une arme de guerre contre le tandem Buisson-Guéant. Le 22 avril, à Tulle, François Hollande reconnaît que “la tactique de la droite décomplexée” suivie par Nicolas Sarkozy et pilotée par Patrick Buisson est sans doute “le seul choix” du président sortant. “Mais la France n’est pas sur cette ligne-là, veut-il croire. C’est aussi une conception de la République qui sera en cause dans ce scrutin.” Aux côtés de François Hollande, on trouve désormais Aquilino Morelle, l’ancienne plume de Lionel Jospin à Matignon, ex-directeur de cabinet d’Arnaud Montebourg. Un républicain de gauche, fils d’immigrés espagnols, séduit par les théories protectionnistes. Il est chargé de rehausser en tricolore les discours de François Hollande. Pendant la campagne, le socialiste a d’ailleurs délaissé le fond rouge pour les meetings, introduisant peu à peu le bleu comme couleur dominante. Aquilino Morelle ne croit guère aux think tanks, déplorant dans Le Monde “un diagnostic sophistiqué, intelligent, mais pas de prescription, ni de vision globale”. Rompu aux techniques de communication, Aquilino Morelle définit en fait le rôle que s’est attribué François Hollande, celui du synthétiseur des courants de pensée

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que le meilleur perde Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite. Fred Dufour/AFP

par Michel-Antoine Burnier

les think tanks donnent “un diagnostic sophistiqué, intelligent, mais pas de prescription, ni de vision globale” Aquilino Morelle, conseiller de François Hollande

de la gauche. Un proche du candidat PS résume plus rapidement encore l’état d’esprit de son patron : “Il fait l’éponge, il absorbe tout.” Car face à la Gauche populaire, un autre think tank revendique une part de lumière dans la victoire de François Hollande. La fondation Terra Nova a même publié une note au lendemain du 6 mai dans laquelle elle se félicite notamment d’avoir sensibilisé le candidat PS au thème de la jeunesse. Entre Terra Nova, porte-voix d’une gauche “progressiste”, et la Gauche populaire, c’est la guerre. Rien de moins. On se traite de “lepénistes de gauche” et de “procureurs staliniens”. Terra Nova avait publié il y a un an une note jugée provocatrice, dans laquelle elle expliquait que la gauche ne pourrait plus s’appuyer sur les milieux populaires tentés par un vote “identitaire” et devait donc se tourner vers “les jeunes, les femmes, les immigrés, les chômeurs, les travailleurs précaires”, véritables victimes de la mondialisation. De quoi faire bondir les animateurs de la Gauche populaire. Ils répliquent avec leur théorie de “l’insécurité culturelle” qui menacerait les Français des zones défavorisées, animés par la peur de la dépossession et du déclassement. Eux préconisent “le commun plutôt que les identités, le social avant le sociétal, l’émancipation collective plutôt que l’extension infinie des droits individuels”, seule ligne politique permettant à leurs yeux de “bâtir une majorité sociologique et électorale”. La stratégie prônée par la Gauche populaire aurait dû conduire François Hollande à renier ses engagements concernant notamment le droit de vote des étrangers ou le mariage entre personnes de même sexe. Il n’en a rien été. “C’était dans le projet socialiste”, rappelle le chef de l’Etat, qui a tout de même introduit un peu de flou dans le calendrier de réalisation. Dans son entourage, on ajoute que la réaffirmation de ces promesses dans la campagne ne lui a apparemment pas coûté de voix. Un sondage CSA indique que 60 % des électeurs des catégories populaires (ouvriers, employés, petits retraités) ont voté Hollande. Nicolas Sarkozy, engagé dans une course contre la montre, n’a pas réussi à effacer son image de président des riches au profit de celle d’un adversaire des élites mondialisées. François Hollande a lui réussi à tisser des liens entre les familles de la gauche. Mais à droite, on espère que les tensions ressurgiront vite, au rythme des difficultés économiques. Et ce jour-là, promet un proche de Nicolas Sarkozy, la ligne Buisson viendra taquiner les “ambivalences idéologiques” du nouveau président. C’est dit. Hélène Fontanaud photo Guillaume Binet/M.Y.O.P

Il ne faut jamais renoncer à une méthode qui échoue. Nous parlons des prévisions économiques et financières d’un optimisme exagéré que lancent ministres et présidents afin de se faire démentir par les institutions internationales puis par la réalité elle-même. M. Fillon en fit grand usage. Souvenons-nous : après s’être trompé pour 2011, le Premier ministre d’alors prophétisa une croissance de 2,5 % pour 2012. Nul n’y crut, ni la Commission européenne ni le FMI. M. Fillon dut baisser ses fallacieuses espérances à 2,25 %, ensuite à 1,75. Les spécialistes et la Commission n’y crurent pas davantage. M. Fillon maintint longtemps son chiffre, à la limite de l’imaginable, avant de se déjuger une fois encore et de passer à 1 %, puis enfin à 0,5, calcul qui cette fois pourrait bien se montrer exact. Voici M. Hollande sur la même ligne. Alors que la Commission européenne prévoit pour 2013 une croissance française de 1,3% et un déficit public de 4,2, le nouvel élu assure que la première atteindra 1,7 – un chiffre supérieur à celui de l’Allemagne – et que le second tombera à 3. L’intérêt du procédé, nous l’avions déjà souligné, réside en ce qu’il permet de désavouer ses propres prévisions sans reconnaître ses erreurs tout en en commettant de nouvelles. Devant l’effarante comédie que nous offre la classe politique grecque, qui pourrait encore nier la pertinence de notre théorie de la défaite ? Satisfaits

de leur éclatant revers électoral, les deux grands partis de droite et de gauche avouent sans pudeur leur répugnance à exercer le pouvoir. La Nouvelle Démocratie, soit le centre-droit, disposait de 108 sièges à l’Assemblée, le Pasok, le centre-gauche, de 41. Cela donnait un total de 149 pour une majorité à 151. A qui fera-t-on croire qu’on n’ait pu trouver dans les autres groupes deux ou trois députés vénaux qui eussent permis d’y atteindre ? Mais les deux grands partis qui se partageaient le pouvoir avant le scrutin ne veulent plus en entendre parler et pour cela se précipitent vers une deuxième défaite électorale en juin. A force de fuir, ils vont finir par révéler cet amour immodéré de la défaite qui motive en secret tout responsable politique. Attention, si cela se voit trop, la démocratie bascule et – la Grèce en a déjà fait l’expérience – le fascisme est là, qui ramasse les dépouilles. Sur le traité fiscal européen, qu’aurait dit un candidat maladroit ? En gros ceci : qu’il en accepte le texte mais qu’il convient d’urgence de le compléter par un second, consacré à la croissance. Plus subtil, M. Hollande a réclamé une renégociation du traité, ce qui suppose l’improbable : que Mme Merkel accepte de se rétracter. Comme quoi il suffit d’un mot – qui ne changera pas grand-chose à la fin – pour se jeter dans des complications dont l’intérêt n’échappe à personne. (à suivre…)

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7 mai 2012 : l’extrême droite a fait son entrée au Parlement grec. Un membre du parti de l’Aube dorée se lâche sur le balcon du QG 38 les inrockuptibles 23.05.2012

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Europe

le péril brun

ì reportage à Athènes dans le fief du parti néonazi l’Aube dorée ì portraits de six figures montantes de l’extrême droite européenne ì ses racines, ses succès, ses échecs par le chercheur Jean-Yves Camus ìen France, l’UMP drague toujours le FN

par David Doucet, Anne Laffeter et Géraldine Sarratia

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Choc à l’annonce des derniers résultats des législatives en Grèce le 6 mai dernier : le parti néonazi de l’Aube dorée remporte 7 % des suffrages, s’assurant 21 sièges sur 300 au parlement. Un vote de colère, de rejet contre les élites, contre l’Europe, contre les étrangers, les partis au pouvoir et une crise qui n’en finit plus. Mais aussi, parfois, un vote d’adhésion. La Grèce n’est pas la seule touchée par cette montée des populismes de droite. Ces dernières années, la globalisation et la crise ont accentué le sentiment identitaire, largement exploité par les partis d’extrême droite dans de nombreux pays d’Europe tels que la Norvège, la Hongrie ou les Pays-Bas. La France n’est pas en reste : avec un Front national au plus haut (17,9 % à la présidentielle), elle pourrait voir des départements tomber dans le giron frontiste lors des législatives de juin. Ce dossier tente de dresser un état des lieux de l’extrême droite en Europe aujourd’hui. A chaud, en se rendant dans les rues d’Athènes à la rencontre de l’Aube dorée, ses militants, ses dirigeants et ses méthodes ultraviolentes. Face à l’impossibilité de monter une coalition, les électeurs sont de nouveau appelés aux urnes le 17 juin. A froid, en tentant de mieux définir cet ensemble politique qui recouvre des réalités et des idéologies disparates. Passé le rejet et la haine de l’autre, peut-on identifier des socles idéologiques communs ? Qu’est-ce qui rapproche un militant du Jobbik, l’ultraviolent parti anti-Roms hongrois, et un militant de la Ligue du Nord italienne ? Quels sont les ressorts de la progression de l’extrême droite et ses nouveaux leaders ? Que se passe-t-il quand elle arrive au pouvoir et participe au gouvernement comme aux Pays-Bas, en Italie ou au Danemark ? A. L. et G. S.

C

Alexandros Michailidis/Demotix/Corbis

ça monte !

est une douce soirée de printemps dans le quartier Agios Panteleimonas d’Athènes. Un vendredi soir calme et sans histoires. Sur la petite place d’Attiki, un gamin tape des balles avec son père, des papys causent affalés sur un banc, deux femmes grignotent. Trois garçons, 16 ans maximum, cheveux très courts et T-shirts noirs, font les beaux pour impressionner les filles. “M’approche pas ou je te casse les côtes comme à l’autre”, frime l’un deux. “C’est une croix celtique à ta ceinture ?”, demande un autre à une fille avant de s’interrompre brusquement. Ils dressent le nez. A cinq mètres, deux silhouettes immaculées déchirent la nuit. Deux hommes, en djellaba et bonnet de prière, reviennent de la mosquée improvisée deux rues plus haut. Les trois ados se précipitent, l’un deux lance un violent coup de pied mais les rate. Les fantômes en blanc ont déjà détalé. Les petits caïds retournent draguer. Sur la place, à peine a-t-on levé un cil. Le ballon roule, les sandwichs s’engloutissent, les vieux finissent de tuer le temps, les étrangers sont agressés : la routine. On est sur le territoire de l’Aube dorée, parti d’extrême droite à tendance néonazie qui vient d’obtenir 21 sièges aux élections législatives du 6 mai dernier, soit 7 % des voix. Dans le quartier d’Agios

Panteleimonas, aux municipales de 2010, l’Aube dorée a attiré 20 % des suffrages. Des drapeaux grecs peints sur le sol balisent les entrées de la place Attiki. Des croix gammées raturées recouvrent les marbres de la fontaine. Les murs portent des affiches “Je vote Aube dorée pour que la région ne se salisse pas”. De jeunes hommes aux bras musclés et au crâne rasé font la loi avec l’assentiment d’une partie de la population. Dans ce quartier en déclin, l’Aube dorée applique déjà son programme : une Grèce nettoyée de ses immigrés où règne la préférence nationale. Par tous les moyens. Ali ne l’oubliera pas. Ça a failli lui coûter la vie. Ce professeur d’anglais de 34 ans, au regard doux et intelligent, a croisé la mort le soir du 11 septembre 2010 dans le pays qu’il avait pourtant choisi pour sauver sa vie. Soit neuf ans jour pour jour après la chute des Twin Towers qui déclencha la guerre qui l’a poussé à l’exil. Vers 21 h 30, Ali rentre chez lui dans le quartier d’Agios Panteleimonas quand cinq jeunes le passent à tabac. Une heure plus tard, il se réveille en sang dans le commissariat du quartier. “J’ai demandé à téléphoner à un ami, ils ont refusé. Au bout d’un moment, ils ont appelé une ambulance mais je n’ai revu la police que des mois plus tard.” Celle-ci est régulièrement accusée de fermer les yeux sur les violences envers

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“la réalité de la Grèce est une jungle. C’est la faute aux nazis peut-être ?” Nikólaos Michaloliákos, leader de l’Aube dorée

6 mai, jour des élections législatives en Grèce. A Thessalonique, des supporters de l’Aube dorée manifestent leur joie. Le parti a remporté 21 sièges sur 300

les immigrés et l’extrême gauche, voire d’y participer. “25 % des policiers et 15 % des personnels de l’armée ont voté pour l’Aube dorée”, précise le politologue Christophoros Vernardakis. Près de 56 000 immigrants arrivent chaque année en Grèce, principale porte d’entrée terrestre des clandestins en Europe. On compte 1 million d’immigrés sur 11 millions d’habitants. Selon l’ONU, neuf migrants illégaux sur dix pénètrent dans l’Union européenne en traversant la frontière gréco-turque. La solution de l’Aube dorée ? Installer des mines antipersonnel. Avec ses discours violemment anti-immigrés et anti-islam, l’Aube dorée (Chryssi Avyi en grec) a créé la surprise. Le Laos, parti d’extrême droite traditionnelle, a été poussé hors du parlement. Les Grecs ont sanctionné sa participation à la coalition gouvernementale de novembre 2011. Les deux principaux partis de gouvernement, le Pasok (gauche) et la Nouvelle Démocratie (droite), se sont effondrés. Les Grecs n’en peuvent plus des multiples mesures d’austérité imposées par l’Europe et le FMI pour régler la crise de la dette. Le chômage atteint 24 %, les suicides ont augmenté de 40 % en deux ans et 45 % de la population vit au niveau du seuil pauvreté. Seuls les nouveaux partis, comme la gauche radicale antiaustérité Syriza (16 %) ou l’Aube dorée, en sont sortis gagnants.

Pour autant, aucun parti n’a réussi à former une coalition. De nouvelles élections se tiendront le 17 juin. “Ce n’est pas seulement un vote protestataire : 40 % de ceux qui ont voté pour l’Aube dorée ont exprimé leur adhésion aux idées du parti”, précise le spécialiste de l’extrême droite Vassiliki Georgiadou. Pour le politologue Andreas Pantazopoulos, pas de doute, “l’Aube dorée est une organisation pronazi, profondément islamophobe et antisémite, qui exalte la violence politique. Ce parti est régi par une idéologie irrédentiste (nationaliste – ndlr) et païenne, il ne mise pas sur la religion orthodoxe contrairement au Laos, il utilise des images celtiques. Sa condamnation du multiculturalisme se fait sur un registre racial et ethnique.” Nikólaos Michaloliákos, son chef, élu en novembre 2010 au conseil municipal d’Athènes, y a été filmé en train de faire le salut nazi. Le drapeau de l’Aube dorée ressemble au svastika, symbole du parti national-socialiste. “Hitler jouait sur cette ambiguïté. Il disait aux Grecs qu’ils étaient aryens car ils utilisaient un symbole proche du sien”, précise l’historienne Joëlle Dalègre. Mais Nikólaos Michaloliákos n’en démord pas : il n’est pas nazi mais “nationaliste” et “patriotique”. “Les nazis étaient allemands et les fascistes italiens”, répète-t-il. Son organisation, fondée en 1980, s’inspire selon lui de l’esprit de Sparte, symbole de l’ordre et de la vertu 23.05.2012 les inrockuptibles 41

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Maro Kouri/Polaris/Starface

Petros Giannakouris/AP/SIPA

Georges Germinis, numéro 3 du parti. Il joue dans un groupe de black metal sataniste gréco-norvégien. Ici, devant le QG de l’Aube dorée à Athènes, le 7 mai

Nikólaos Michaloliákos pendant la conférence de presse du 6 mai

militaire face à la démocratie athénienne. Mais le 13 mai dernier, Michaloliákos nous a fait une “jeanmarie” lors d’une interview sur la chaîne de télévision privée Mega. “Il n’y avait pas de fours, c’est un mensonge. (...) Il n’y avait pas de chambres à gaz non plus”, a-t-il déclaré. Puis il a qualifié d’“exagération” la mort de six millions de Juifs, arguant que “beaucoup de gens de pays différents” avaient succombé dans les camps de concentration allemands comme de nombreux Japonais dans les camps américains. Un faux pas avant les élections du 1 7 juin ? La veille à 18 h 30, c’était jour d’adhésion et il y avait foule devant le siège avenue Delyanni. A l’entrée, un gros bras à gonflette et T-shirt Lonsdale fait le videur. On a le droit de monter, on a rendez-vous avec Theodoros Koudounas, monsieur “com’ journalistes étrangers”, grand brun au regard dur dont le T-shirt moule les biscoteaux. “On rejette le plan de sauvetage, on veut effacer la dette et renvoyer les étrangers. Ils attaquent les Grecs, volent, maltraitent et parfois violent les femmes donc on répond, c’est action-réaction, c’est la loi de la nature. Après, on n’est pas contre faire venir un géologue norvégien mais on n’a pas ce genre.” Musclor reprend : “Le système capitaliste et les impérialistes paient les gangs anarchistes qui détruisent Athènes. Dans quelques années, il y aura une guerre civile. L’invasion et la colonisation sont la faute de l’Europe, il faudrait commencer les exécutions à Bruxelles.” OK. Au deuxième étage, des jeunes au crâne rasé recueillent les inscriptions des nouveaux adhérents, beaucoup de jeunes. 13,6 % des 25-34 ans ont voté pour l’Aube dorée le 6 mai. Jusqu’à maintenant, le parti comptait environ

5 000 membres. Les petits nouveaux pourront acheter des objets souvenirs à l’image du parti : des T-shirts Hate Rock Café ou à l’effigie du général Grivas – collabo et milicien – avec une kalachnikov au dos, des livres sur l’histoire de la musique white trash et l’idéologie nationale-socialiste ainsi que des CD de metal. Dans la pièce se tient justement Georges Germinis, grand gars au visage rond peu aimable. C’est le numéro trois du parti. Ce boulanger de 34 ans joue dans Naer Mataron, un groupe de black metal sataniste gréco-norvégien, sous le pseudo de Kaiadas – selon la légende, le gouffre où les Spartiates jetaient les enfants handicapés. Dans un coin, des sacs de vêtements prêts à être distribués aux familles grecques démunies. Au troisième, c’est la cafète. Une série de photos rappelle les moments importants de l’Aube dorée : une cérémonie à Thessalonique en l’honneur d’Alexandre le Grand et celle du 30 août autour de la statue de Léonidas, roi de Sparte célèbre pour son opposition aux envahisseurs de l’Est, les Perses. Sur une autre, trois cents hommes font le salut nazi dans une arène. Devant la porte close du bureau du chef, des gros bras à casquette rouge et tatouages montent la garde. Un homme d’une cinquantaine d’années s’avance vers eux et lâche un salut nazi. Nikólaos Michaloliákos est attendu pour faire un discours. La salle est pleine à craquer d’hommes et de femmes de tout âge. Le chef “charismatique” s’installe derrière le pupitre, sa garde prétorienne à ses côtés. C’est un petit gros à lunettes et cheveux gris. Les musclés hurlent : “Levez-vous !” Le public obtempère martialement et reprend en chœur le slogan du parti, “Sang, honneur, Aube dorée”. Un militant filme

avec son portable. Un garde le somme d’arrêter. Un homme refait un salut, puis un deuxième. On lui demande plus de discrétion. Le leader “charismatique” commence par citer le dictateur Metaxas puis fustige “la fameuse génération de l’école polytechnique, cette génération de marxistes qui se prétendaient résistants avec leurs pantalons déchirés et leur barbichette puis ont commencé à porter des costumes Armani, à jouer en Bourse, à aller à Mykonos, à boire leur café à Kolonaki (les Champs-Elysées grecs – ndlr)”. Applaudissements nourris. Il reprend : “Le pouvoir de l’Aube dorée sommeille au cœur du peuple. La réalité de la Grèce est une jungle. C’est la faute aux nazis peut-être ? En 1945, les vainqueurs étaient l’URSS et les EtatsUnis. Ces sales journalistes ne montrent que ce qu’ils veulent car ce sont des bolcheviks sans regret.” Vient le moment des questions. Un gros Grec d’une cinquantaine d’années au visage de bouledogue veut savoir “si les coupables de notre crise iront en prison ou seront exécutés”. Oui, ils seront punis, répond le chef. Après le discours, deux hommes discutent devant l’entrée. “Il y a des signes franc-maçons et sionistes partout ! Regarde quand tu retournes une bouteille d’Heineken : les trois ‘e’ font 666.” L’autre acquiesce. Pendant ce temps, les journalistes font la queue dans le hall dans l’espoir d’interviewer Michaloliákos. Un bodybuildé particulièrement agressif avec l’inscription Pit Bull Germany sur son T-shirt hurle : “On n’est pas des animaux, dégagez !” Le jeune Ilias Kasidiaris, un des membres les plus violents de la garde rapprochée de Michaloliákos, a été élu député. Son procès pour le lynchage d’un professeur d’Université devait se tenir le 23 mai. Anne Laffeter

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“le fantasme d’une armée de néonazis” Iris

Ses racines, ses visages, son évolution : état de l’extrême droite européenne par le chercheur Jean-Yves Camus.

C

omment définir aujourd’hui l’extrême droite e uropéenne ? Jean-Yves Camus – Ce n’est pas facile. On peut considérer qu’il en existe deux définitions. La première couvre l’extrême droite qui s’oppose au système politique européen sans en attaquer directement les fondations. Elle promeut l’homogénéité culturelle et ethnique ainsi que l’ethnocentrisme, défend l’homme ordinaire et son bon sens contre les élites corrompues. La seconde retient les critères du nationalisme, de la xénophobie et du “chauvinisme de l’Etat-providence”, autrement dit la préférence nationale. Toutes deux ont un socle commun : le refus de la société multiculturelle, le rejet de toute forme de supranationalité et la préférence pour la démocratie directe sur la démocratie représentative. L’extrême droite progresse-t-elle ? Pas de façon linéaire. Le score réalisé en Grèce par l’Aube dorée reste très inquiétant mais il ne faut pas tomber dans le fantasme d’une armée de néonazis en marche. Les différents partis nationalistes européens n’agissent pas de concert, chacun dépend de sa propre histoire. L’offre politique nationale, le mode de scrutin en vigueur, l’existence ou l’absence de leader charismatique sont déterminants. L’extrême droite peut progresser et participer au gouvernement comme en Pologne en 2007 puis disparaître en retombant à 1 % des voix. De manière générale, on observe en revanche une poussée du sentiment identitaire. Une partie de la population européenne a l’impression que l’ascenseur social ne fonctionne plus et que ses repères culturels se diluent avec la globalisation. Existe-t-il une corrélation entre la crise et la progression de l’extrême droite dans certains pays ? Non, il y a des pays touchés par la crise où l’extrême droite est absente, comme l’Espagne, l’Irlande ou le Portugal, et des pays prospères où elle est forte, comme la Norvège ou la Suisse. Je distingue les droites radicales de prospérité et les droites radicales de crise. Dans les deux cas, leur progression s’articule autour de trois notions. D’abord le chauvinisme économique et social : dans un pays prospère,

comment éviter que l’étranger vienne accaparer une partie de la richesse au détriment des nationaux ; dans un pays en récession, comment réserver aux seuls nationaux le peu qui reste à distribuer. Ensuite, l’inquiétude identitaire, qui voit l’immigration extraeuropéenne comme une concurrence et un facteur de dissolution de la cohésion nationale. Enfin, une défiance très forte envers l’Europe telle qu’elle se construit : prospères, la Suisse et la Norvège s’en sont détournées ; en quasi-faillite, la Grèce récuse un plan d’austérité que lui imposent des instances non démocratiquement élues et non nationales de surcroît. Quelle est la sociologie de l’électorat qui se tourne vers l’extrême droite ? Les électorats se révèlent très différents d’un pays à l’autre, mais partout ces partis captent une part importante du vote populaire, des électeurs parfois appelés “perdants de la mondialisation”, qui se trouvent désormais aussi au sein des classes moyennes et chez les jeunes de 18-25 ans dépourvus d’éducation universitaire. La variable du diplôme joue pour beaucoup. Ce qui ne signifie pas que ces électeurs sont plus primaires que les autres mais simplement qu’ils sont davantage touchés par les délocalisations, le chômage, les déficits de formation professionnelle. Quels sont les visages de l’extrême droite européenne ? Il existe deux principales familles. La plus ancienne, l’extrême droite traditionnelle, demeure minoritaire. Certains petits mouvements se rattachent encore au fascisme, comme Forza nuova en Italie ou les phalangistes espagnols. Ce sont des formations de témoignage qui s’opposent clairement à la démocratie, comme le NPD allemand, Jobbik en Hongrie ou l’Aube dorée en Grèce. Ce courant est moins attractif car le poids historique et moral de ce qu’il véhicule reste inacceptable pour beaucoup de gens. La nouvelle extrême droite, née en Scandinavie au milieu des années 70, n’a pas de filiation idéologique avec le fascisme. Il s’agit à l’origine de mouvements antiétatiques qui ont acquis une dimension xénophobe et dénoncent une distance entre les élites et le peuple.

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6 figures à l’extrême droite Pays-Bas Geert Wilders, le peroxydé haineux

Salvatore Esposito/Contrasto/RÉA

Sa dernière trouvaille ? Un site web qui permet de dénoncer les méfaits supposés des Polonais et autres immigrés d’Europe de l’Est “toujours plus criminels” et responsables selon lui de nombreux problèmes : “incommodité, saleté, pression sur le marché du travail et problèmes d’intégration et de logement”. Carton plein : plus de 14 000 contributions le premier jour, preuve de la popularité des idées de l’hypermédiatique Wilders dans la société néerlandaise. Ancien député du Parti populaire libéral et démocrate, Wilders, 49 ans, a fondé le Parti pour la liberté qu’il dirige depuis 2006. Son ascension a été fulgurante. Depuis les législatives de 2010, il représente la troisième force politique du pays avec 15,5 % des voix. Elevé dans une famille catholique au nord du pays, Wilders se définit comme agnostique. Sa pensée politique, très fortement influencée par deux assassinats (celui du leader d’extrême droite Pim Fortuyn et celui du réalisateur Theo Van Gogh), opère une synthèse entre défense de la civilisation occidentale, économie libérale, défense de l’égalité hommes-femmes ou des homosexuels et haine farouche de l’islam. En 2011, Wilders a été poursuivi, puis relaxé, pour avoir, dans son court métrage Fitna, comparé le Coran à Mein Kampf. G. S.

Valerie Kuypers/AFP

Au pays de Gramsci – fondateur du Parti communiste italien et théoricien de “l’hégémonie culturelle” –, l’extrême droite mise sur le social et la culture pour séduire la jeunesse. Agé de 39 ans, Gianluca Iannone, colosse barbu au crâne rasé, a réussi à changer la perception du fascisme en l’espace de quelques années. En 2003, cet ancien leader du groupe de rock identitaire Zetazeroalfa fonde le mouvement CasaPound (en référence au poète américain Ezra Pound, antisémite et admirateur de Mussolini) qui aussitôt squatte un immeuble abandonné au cœur de Rome pour l’offrir à des SDF italiens. Depuis, ce “mouvement de promotion sociale” a essaimé. Une cinquantaine de locaux estampillés CasaPound ont ouvert dans tout le pays. Des librairies, des pubs mais aussi des squats portent le drapeau de la tortue, l’emblème du mouvement. Inventif, Iannone a lancé une radio (Bandiera Nera), un syndicat étudiant (Blocco Studentesco), une section sportive et même une association humanitaire qui intervient au Kosovo pour défendre “la minorité serbe en danger”. Celui qui se revendique comme un “fasciste du troisième millénaire” entend politiser toutes les étapes de la vie militante. Et si cela ne suffisait pas à entretenir cette communauté virile, il existe le rite de la cinghiamattanza : un délicieux moment “de réappropriation de la corporalité” au cours duquel les militants de CasaPound se fouettent à coups de ceinture. D. D.

Odd Andersen/AFP

Italie Gianluca Iannone, le fasciste humanitaire

Norvège Siv Jensen, la célibataire anti-Islam C’est la célibataire la plus célèbre du pays. L’an passé, une série télé d’animation, Sex og SingelSiv, proposait même chaque semaine de résoudre un épineux problème : dégoter un mec à Siv avant l’élection présidentielle de 2013 dont elle pourrait être l’une des favorites. Le FrP (Fremskrittspartiet ou Parti du progrès), qu’elle dirige depuis 2006, pèse très lourd en Norvège : depuis les législatives de 2009 où il a remporté 22,9 % des suffrages et 41 des 169 sièges au Parlement, il est devenu la deuxième force politique du pays. Jensen, qui estime ses électeurs fatigués par la bureaucratie, les taxes trop élevées et un système de santé trop coûteux, a deux priorités : le durcissement de la politique d’immigration et la lutte contre l’islam radical, qu’elle compare aux idéologies nazie ou communiste. Après les attentats de l’été 2011 commis par Breivik, beaucoup ont pointé la responsabilité du FrP. Forcée de reconnaître que le tueur avait été membre du FrP (entré en 1997, il l’a quitté en 2002), Jensen n’en a pas démordu : “Tous les débats que nous avions avant le 22 juillet ressurgiront. Tous les défis auxquels la Norvège et le monde étaient confrontés sont encore là. Al-Qaeda est encore là.” G. S.

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FlG

“il y a des pays touchés par la crise où l’extrême droite est absente et des pays prospères où elle est forte” Leur éclosion électorale remonte au début des années 80. Parfois issue de scissions avec la droite conservatrice, cette nouvelle extrême droite a vocation à gouverner. C’est le cas des partis populistes norvégien et danois, des Vrais Finlandais, du PVV de Geert Wilders aux Pays-Bas, de l’UDC suisse ou de la Ligue du Nord italienne. Ils ont érigé les musulmans en ennemis de notre civilisation. Les attentats du 11 Septembre n’ont fait qu’accroître leur islamophobie.   Ceux commis par Anders Breivik en Norvège le 22 juillet dernier ont fait ressurgir le spectre d’une extrême droite terroriste et radicale… La menace terroriste est désormais diffuse, il n’y a plus de chef d’orchestre ni d’organisation pyramidale. Breivik représente le prototype du militant qui a adhéré à un parti de droite populiste et pense avoir trouvé la limite de l’action politique légale. Où classer le Front national ? Le FN est un parti hybride au même titre que le FPÖ en Autriche ou le Vlaams Belang en Belgique. A partir de son ascension électorale au début des années 80, il a longtemps représenté un modèle pour les autres partis d’extrême droite. Il apportait la preuve que cette famille politique que tout le monde pensait enterrée en 1945 pouvait ressurgir. Aujourd’hui, Marine Le Pen cherche à liquider cet héritage mais le poids historique reste lourd à porter. Les partis populistes scandinaves, qui estiment sortir d’une autre matrice idéologique, refusent d’avoir des contacts avec le FN.

Que se passe-t-il lorsque l’extrême droite arrive au pouvoir ? L’expérience se termine souvent mal car ils perdent ainsi leur posture antisystème. Les promesses de campagne se retrouvent souvent invalidées, en particulier en matière économique et sociale. Ils sèment donc une partie de leurs électeurs. Ensuite, en forçant leurs alliés conservateurs à déplacer le curseur toujours plus à droite, ils créent des situations de non-retour (aux Pays-Bas, les partis de la coalition ont rompu leur accord de gouvernement avec Wilders) ou, comme au Danemark, entraînent le retour des sociaux-démocrates au pouvoir. S’il n’y a pas de victoire électorale, peut-on dire de l’extrême droite européenne qu’elle a réussi à remporter une victoire culturelle ? Une partie de la droite conservatrice et l’extrême droite xénophobe peuvent se rejoindre dans le rejet de la société multiculturelle. La droite tente de récupérer les électeurs de la nouvelle extrême droite en mettant en avant le thème de l’immigration et une vision fermée de l’appartenance nationale. Mais il reste une ligne de démarcation entre la droite et l’extrême droite, ligne sur laquelle Nicolas Sarkozy a buté durant sa campagne. On ne peut pas mettre la barre à droite toute puis s’arrêter au milieu du gué. La chasse sur les terres frontistes ne satisfait les électeurs frontistes que si on adopte leur vision du monde, pas si on l’imite. recueilli par David Doucet et Géraldine Sarratia Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite, est chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) pour en savoir plus The Extreme Right in Europe – Current Trends and Perspectives de Uwe Backes et Patrick Moreau (Editions Vandenhoeck & Ruprecht), 2011, 472 pages, 86 €

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Autriche Heinz-Christian Strache, le rappeur populiste Depuis la mort de Jörg Haider dans un spectaculaire accident de voiture en 2008, Heinz-Christian Strache est le nouveau leader du Parti autrichien de la liberté (FPÖ). Avec son physique de gendre idéal et ses yeux bleus, cet ancien prothésiste dentaire de 43 ans est parvenu à conquérir un électorat jusqu’ici inaccessible à l’extrême droite autrichienne : les femmes. A l’image de ce qu’a pu entreprendre Marine Le Pen en France, Strache s’est attelé à rénover l’image du FPÖ en abandonnant sa ligne antisémite et en modérant son langage, à l’exception des saillies contre l’islam et l’immigration. Candidat à la mairie de Vienne en 2010, il a réussi à capter l’attention médiatique avec une violente campagne d’affichage appelant à la défense du “sang viennois” accompagné du commentaire “trop d’étrangers ne fait de bien à personne”. Redoutable communicant, Strache séduit les jeunes avec des chansons de rap et des bandes dessinées où il se met en scène en train de combattre “l’invasion” des Turcs. Fréquemment accusé de racisme en raison de photos de jeunesse où on le voyait participer à des parties de paint-ball avec des groupes néonazis, Strache a pour l’instant gagné tous les procès qui lui étaient intentés. Crédité de 26 à 28 % d’intentions de vote dans les derniers sondages, il pourrait remporter les législatives de 2013 et ainsi accéder au pouvoir. D. D. lire De Jörg Haider à Heinz-Christian Strache, l’extrême droite autrichienne à l’assaut du pouvoir de Patrick Moreau (édition du Cerf), 640 pages, 29 €

John Heilprin/AP/Sipa

Elle est blonde, avocate et mère de trois enfants. Elle est également l’un des visages les plus glaçants de l’extrême droite européenne. Autrefois connue pour sa lutte pour le droit des femmes, des malades du sida ou des homosexuels, Morvai a peu à peu changé de discours. En 2009, tête de liste Jobbik, elle a été élue eurodéputée avec 15 % des voix. D’extrême droite, son parti s’est fait connaître par sa lutte acharnée et violente contre les Roms, responsables selon Jobbik de la baisse du niveau de vie en Hongrie. On soupçonne la Garde hongroise, milice ultraviolente pilotée par le parti, d’avoir participé à de nombreuses ratonnades menées presque chaque semaine contre des villages roms. Morvai a d’autres bêtes noires : l’Europe ou les Juifs. Elle n’a pas hésité à écrire à l’ambassadeur d’Israël pour lui dire qu’elle se réjouissait de la mort de soldats israéliens tués dans la bande de Gaza. “J’espère que vous, sales meurtriers infestés de poux, recevrez tous les ‘baisers du Hamas’.” A 48 ans, Krisztina Morvai est l’une des femmes politiques les plus populaires de Hongrie. Elle devrait se présenter à l’élection présidentielle sous l’étiquette Jobbik. En France, Marine Le Pen a affirmé que le FN avait rompu tout lien avec Jobbik. Le 5 juillet 2011, Bruno Gollnisch avait reçu Morvai à Guingamp pour un “repas champêtre” chez la responsable FN des Côtes-d’Armor. G. S.

Suisse Oskar Freysinger, le pourfendeur de minarets Avec son catogan, son teint hâlé et son air de baba cool, il ne correspond pas vraiment au stéréotype du leader d’extrême droite. Ce député populiste est pourtant l’une des voix les plus importantes dans le paysage politique suisse. Vice-président de l’Union démocratique du centre depuis mai 2012, Freysinger a infusé une ligne xénophobe à ce parti conservateur. A la pointe du combat contre l’islam, il compare la religion musulmane à un “socialisme perfectionné, l’équivalent de l’URSS auquel on aurait ajouté Dieu”. Régulièrement de passage en France, Freysinger fait figure de modèle politique pour les mouvements islamophobes français tels que le Bloc identitaire ou Riposte laïque. Agé de 52 ans, cet ancien prof de littérature a acquis une dimension internationale en décembre 2009 en devenant l’homme du “oui” au référendum suisse contre la construction de minarets, qui a rassemblé plus de 57 % des suffrages. D. D.

Bela Szandelszky/AP/Sipa

Lisi Niesner/Reuters

Hongrie Krisztina Morvai, l’avocate anti-Roms

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Kenzo Tribouillard/AFP

Marine Le Pen devant la statue de Jeanne d’Arc à Paris, le 1er mai 2012

FN, je t’aime

En France, des élus UMP multiplient les déclarations d’amour au Front national.

a digue serait-elle sur le point de céder ? Depuis 1983 et l’élection d’une liste FN-RPR à Dreux, un “cordon sanitaire” empêche toute alliance entre la droite et l’extrême droite françaises. “Entre le Front national et nous, il y aura toujours une croix de Lorraine”, prophétisait Alain Juppé lorsqu’il était à la tête du RPR. Aujourd’hui pourtant, la maxime vacille et la question d’une alliance avec le Front national ne semble plus inenvisageable au sein de l’UMP. En menant une campagne inspirée par son conseiller maurrassien Patrick Buisson, Nicolas Sarkozy a montré qu’il existait une perméabilité idéologique nouvelle entre l’UMP et le Front national de Marine Le Pen. Dans l’entre-deux tours, pendant que Gérard Longuet qualifiait la présidente du FN d’“interlocuteur” politique potentiel dans Minute, l’UMP a contacté différentes personnalités du FN pour leur demander de lancer un appel à voter Sarkozy. “C’est Bruno Larebière, un ancien journaliste de Minute proche de la majorité, qui a joué le go-between entre Patrick Buisson et certains cadres du Front. La tentative a lamentablement échoué”, confie un proche conseiller de Marine Le Pen. Au lendemain de la défaite à la présidentielle, les ultras de l’UMP n’étaient pas décidés à s’arrêter en si bon chemin. Dans un texte intitulé “La défaite de Nicolas Sarkozy : analyse d’un scrutin”, le député de Gironde et membre de la Droite populaire Jean-Paul Garraud s’est interrogé : “Une majorité des électeurs de l’UMP et des électeurs du FN veulent un rapprochement.

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“de plus en plus de sympathisants me font remarquer qu’elle n’est ni raciste ni antisémite” Thierry Mariani

Qu’est-ce qui est le plus important pour la France ?” Si la direction de l’UMP refuse toute idée d’alliance avec le Front national, la crainte des triangulaires lors des législatives fait cauchemarder les parlementaires de droite. Si l’on se fie aux résultats du premier tour de la présidentielle, le FN pourrait se maintenir dans plus de 300 circonscriptions sur 577. Dominique Tian, député sortant et candidat dans la 2e circonscription de Marseille, a annoncé qu’il ne voulait pas faire partie de “la droite la plus bête du monde en bunkérisant le FN”. Maryse Joissains-Masini, députée-maire d’Aix-enProvence et candidate dans la 14e circonscription des Bouches-du-Rhône, renchérissait en indiquant qu’elle avait “toujours défendu les valeurs de Marine Le Pen”. Plus que des tentatives désespérées de sauver leurs circonscriptions, ces déclarations répondent également à une droitisation de la base militante de l’UMP. Interviewé dans l’Express il y a deux ans, l’ancien ministre des Transports Thierry Mariani déclarait à propos de Marine Le Pen : “De plus en plus de sympathisants me font remarquer qu’elle n’est ni raciste ni antisémite, qu’elle n’a jamais été condamnée, qu’elle exprime tout haut ce que les deux tiers de nos adhérents pensent tout bas et, surtout, qu’elle dit ce que disait le RPR il y a quinze ans.” Consciente de sa popularité à droite, la présidente du FN compte bien troubler les repères de cet électorat traumatisé par l’élection de François Hollande. L’historien Nicolas Lebourg estime que l’ambition de Marine Le Pen est désormais de “faire exploser l’UMP en mettant un coup de barre sur les marqueurs de droite. Son discours risque de devenir plus libéral durant le quinquennat socialiste. Son objectif ? Transformer le FN en premier mouvement d’opposition.” David Doucet

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nickel Chromatics Noirceur, lenteur, splendeur : Kill for Love, nouvel album des Américains, distille une electro à la beauté sombre. Rencontre avec son créateur, Johnny Jewel. par Géraldine Sarratia

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iscoïde, érotique, vrillé : à sa sortie en 2007, Night Drive, troisième album de Chromatics, a provoqué une secousse langoureuse et salvatrice dans le monde de la musique électronique. Pas de basses compressées ou de headbanging chez ce groupe de Portland, qui remettait au contraire au goût du jour une certaine lenteur vintage italo-disco et proclamait son refus d’utiliser un ordinateur. Dans la foulée et la sueur, on découvrait un label, Italians Do It Better, et une flopée d’autres groupes aussi excitants que Glass Candy et Desire, rassemblés sur la désormais classique compilation After Dark. Point commun : tous ces groupes étaient des projets de Johnny Jewel, musicien multi-instrumentiste (batterie, guitare, claviers), producteur et cofondateur d’Italians Do It Better. Ce grand brun au teint pâle et au visage lunaire encre souvent ses joues de larmes noires et s’impose comme un des plus passionnants producteurs actuels. Natif de Houston, Texas, Jewel a grandi dans une famille très religieuse. Gamin, il découvre la musique électronique en matant sur MTV le clip de Cars, le classique new-wave de Gary Numan. “L’image du synthé Moog kaléidoscopique est vraiment restée gravée dans ma tête. Je peux encore l’imaginer en costard en train de jouer du synthé. Je pense que cette vidéo est à l’origine de Night Drive”, explique-t-il. Il cite également The Chauffeur de Duran Duran, qui lui a “immédiatemment donné envie de piquer le maquillage de sa mère pour leur ressembler” et le Sucker MC de Run DMC avec ses basses carrossées à la TR-808 (boîte à rythmes utilisée dans les années 80) qui l’a longtemps obsédé avec “son espace et son vide”. Trois influences qui définissent encore à merveille le son Italians Do It Better, cette façon de déployer ambiances synthétiques et noirceur khôl avec une science hallucinante de la retenue, de la lenteur. Jewel commence à enregistrer méthodiquement ses productions à l’âge de 14 ans. “Dès que j’ai mis la main sur le magnéto de mon frère, j’ai laissé tomber tout le reste. Plus de peinture, de skate ou d’école. J’étais totalement obsédé et ça n’a pas changé depuis.” Il lui aura fallu cinq ans pour venir à bout de Kill for Love, le nouvel album des Chromatics, groupe

qu’il forme avec Ruth Radelet, Nat Walker et Adam Miller. “J’atteins vraiment l’essence d’une chanson en la retravaillant sans cesse, pour tenter de capturer ma pensée. Je savais exactement à quoi devait ressembler cet album. J’emploie à dessein le mot ‘ressembler’ parce que je pouvais voir sa couleur bien avant de l’entendre.” Le groupe a enregistré entre Los Angeles, Houston, Paris et surtout Montréal et Portland, où Jewel possède deux studios reproduits à l’identique. “Les murs sont faits de miroirs. Le studio de Montréal est noir, celui de Portland blanc.” Il a également passé près de deux ans à Montréal à customiser synthés et boîtes à rythmes avec un vieux réparateur de 73 ans. “Nous voulions vraiment que cet album soit défini par un son unique”, explique-t-il. Ses proches le décrivent volontiers comme parano. Jusqu’à la sortie du disque, il refuse de faire écouter les titres à quiconque. “Je veux vraiment contrôler la façon dont notre musique apparaît, poursuit-il. Rester totalement coupé du monde nous permet de nous montrer vraiment extrêmes dans nos improvisations créatives. Le pire, ce serait la dilution. Je veux que notre disque apparaisse au monde vierge, intouché.” Une attente amplement méritée : le résultat est époustouflant. On pouvait s’attendre à une succession de tubes disco-pop d’excellente facture, dans la lignée de Night Drive, mais Jewel a le courage de ses ambitions : redéfinir la musique contemporaine en associant envolées disco noires (la torride Lady) et montées electro à un héritage pop plus narratif et venimeux, à la Velvet Underground (Candy, Kill for Love). D’une beauté sombre, Kill for Love ose la longueur, la lenteur et imprime sa séduction perverse à chaque écoute. Secoué émotionnellement et physiquement mais habité d’une confiance inébranlable, on s’y plonge comme dans une course folle, nocturne et urbaine, ponctuée d’histoires d’amour qui finissent mal, de désirs brûlants et contrariés qui se terminent souvent dans le sang. On sait désormais, comme le chante Ruth en ouverture dans sa reprise du Hey Hey My My de Neil Young, qu’avec de tels disques “le rock’n’roll ne mourra jamais”. album Kill for Love (Italians Do It Better/Differ-ant) www.myspace.com/chromatics concert le 31 mai à Paris (Gaîté Lyrique)

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Larmes sur les joues, Johnny Jewel, leader de Chromatics : “Je pouvais voir la couleur de l’album bien avant de l’entendre” 23.05.2012 les inrockuptibles 51

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ur la route fut publié le 5 septembre 1957 mais il aura fallu attendre 2010 pour le lire dans sa version intégrale, loin des purges et autres remaniements effectués par les éditeurs de Kerouac. On connaît la légende : en 1951, Kerouac l’écrit d’une traite et en deux semaines sur un rouleau de papier de plus de 36 mètres, puis met six ans à le faire publier tant il refuse les conditions des éditeurs (changer les noms, créer des chapitres, revoir la langue, virer des scènes de sexe jugées trop choquantes). Quand enfin, totalement las, il accepte en partie les corrections, le roman paraît en 1957 et connaît un succès phénoménal. Dès le jour de sa sortie, Kerouac et sa girl-friend Joyce Johnson vont à l’aube acheter le New York Times dans un kiosque de la 66e Rue à New York. Coup de chance, le critique habituel du journal est en vacances ; à sa place œuvre un jeune journaliste ouvert aux nouvelles vagues : “Sur la route est le deuxième roman de Jack Kerouac, et sa publication un événement historique dans la mesure où l’apparition d’une œuvre d’art authentique est de quelque importance à une époque où l’attention est fragmentée (…)”, écrit alors Gilbert Millstein. Le livre est lancé.

flash-back sur Kerouac L’exposition du rouleau de papier sur lequel fut écrit Sur la route et la découverte de deux inédits l’affirment : l’auteur de la beat generation n’a jamais cessé de pratiquer le roman autobiographique. par Nelly Kaprièlian photo Allen Ginsberg/Corbis

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William S. Burroughs attaque Jack Kerouac avec un poignard marocain. Ils ont écrit ensemble Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines, qui sort aujourd’hui. New York, automne 1953 23.05.2012 les inrockuptibles 53

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Jack Kerouac (à droite) et Neal Cassady, devenu Dean Moriarty dans Sur la route, photographiésp ar la femme de Neal, Carolyn, en 1952

S’il est toujours bon qu’un film redonne un coup de projecteur sur un livre, espérons que la sortie du Salles (23 mai) n’éclipsera pas la véritable actualité Kerouac : l’exposition du rouleau original de Sur la route au musée des Lettres et Manuscrits à Paris et la publication de deux inédits. Où l’on constate que Kerouac n’a jamais cessé de pratiquer le roman autobiographique. Car de la même façon que Sur la route mettait en scène Kerouac et ses amis – dont le flamboyant Neal Cassady transformé en Dean Moriarty dans le livre, dont la liberté bisexuelle et existentielle fascinait le jeune Jack –, la pièce Beat Generation et le roman au titre halluciné écrit avec William S. Burroughs, Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines, racontent des épisodes fondateurs de la vie de l’écrivain. Ecrit en 1944 à quatre mains, composé de chapitres écrits en alternance par les deux jeunes auteurs, Et les hippopotames… s’impose comme le premier texte beat,

Writer Pictures/Leemage

A l’appartement de Joyce, l’un des éditeurs débarque avec une demi-caisse de champagne, bu dans la matinée par l’écrivain qui n’en finit pas de recevoir les journalistes et d’expliquer la définition du mot beat qu’il a inventé quelque temps plus tôt pour qualifier sa génération : le mode de vie beat, la littérature beat, etc. Les invitations se mettent à pleuvoir, les filles et les garçons à se jeter dans ses bras. “Les demandes d’articles en tout genre affluaient au bureau de son agent Sterling Lord. Jack pourrait passer le restant de ses jours à écrire des papiers sur la beat generation, gagner ainsi des milliers de dollars. A l’automne, il décida d’aller à Hollywood afin de rencontrer Marlon Brando, qu’il trouvait parfait pour le rôle de Dean Moriarty dans le film Sur la route. Sa célébrité lui ouvrait désormais toutes les portes”, se souvient Joyce Johnson dans ses mémoires, Personnages secondaires (1983). Plus de cinquante ans plus tard, c’est Garrett Hedlund qui incarne Dean Moriarty dans le Sur la route réalisé par Walter Salles – après que Francis Ford Coppola, Jean-Luc Godard et Gus Van Sant en eurent rêvé.

avant Howl de Ginsberg (1956), Sur la route (1957) et Le Festin nu (1959) de Burroughs. Dans sa postface de 2008, l’exécuteur testamentaire des ayants droit de Burroughs, James Grauerholz, raconte : “Un jour d’octobre 1967, Jack Kerouac bavarde autour d’un verre, chez lui, au 271 Sanders Avenue, dans sa ville natale de Lowell, Massachusetts. Il a pour interlocuteurs trois jeunes poètes, Ted Berrigan, Aram Saroyan et Duncan McNaughton, venus l’interviewer pour The Paris Review. Sur une question à propos de The Town and the City (Avant la route), son premier roman, Kerouac dit : ‘Il en existe une autre version

cachée sous le parquet, et que j’ai écrite avec William Burroughs. Ça s’appelle And the Hippos Were Boiled in Their Tanks.” Refusé par les éditeurs en son temps, puis interdit de publication par Lucien Carr – l’un des réels protagonistes du livre – jusqu’à la mort de ce dernier en 2005, il aura donc fallu près de soixante ans pour découvrir ce romandocument d’une génération “paumée”, telle que la décrivait Kerouac, dans le New York d’après-guerre : bars, alcool à gogo, be-bop, virées entre copains, liberté sexuelle et couples hors mariage dans un Manhattan où le quartier du Bowery, où Burroughs allait créer son

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écrit en 1944, Et les hippopotames… s’impose comme le premier texte beat Bunker au 222 de la rue du même nom, était encore le lieu marginal des laissés-pour-compte du rêve américain. A l’origine, un fait divers qui secoua l’année 1944 et les deux écrivains. A Columbia University, Kerouac et Burroughs sympathisent avec le jeune et beau Lucien Carr, qui aimante depuis son enfance un homme plus âgé que lui et homosexuel, un certain David Kammerer. Le lundi 14 août, à l’aube, Lucien et David, soûls, se disputent, Lucien frappe David à coups de couteau avant de le ligoter et de jeter son corps dans l’Hudson. Il se rend d’abord chez Burroughs pour lui demander de l’aide ; celui-ci lui conseille de se rendre à la police. Puis il va trouver Kerouac avec qui il passe une journée étrange à parler, se balader, aller au cinéma et au musée, avant de se livrer à la justice. C’est cette histoire que consigne Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines – titre inspiré d’un autre fait entendu par les deux écrivains à la radio, lorsque, au cours d’un incendie dans un cirque, les hippopotames moururent dans leur eau. Dans le texte, le meurtre n’advient qu’à la fin – l’essentiel pour Kerouac et Burroughs étant de reconstituer, comme ils le feront plus tard dans leurs ouvrages respectifs, les très riches heures d’une vie quotidienne libre, totalement réinventée par une poignée de jeunes gens qui refusent le conformisme et la doxa de leurs aînés. Cette vie, c’est la leur, avec au centre eux-mêmes, maquillés par des noms fictifs : Lucien Carr s’y nomme Phillip Tourian et Dave Kammerer Ramsay Allen ou Al ; Jack Kerouac devient Mike Ryko et Burroughs s’appelle Will Dennison. Edie Parker, la petite amie de Jack, qui va devenir sa première femme, est Janie. Ce qui frappe dans le roman, c’est une volonté de dramaturgie édifiante – Phillip y achève Al à coups de hachette – associée à un cynisme désabusé qui fait froid dans le dos. Quand Phillip vient trouver à tour de rôle Will Dennison et Mike Ryko pour leur avouer son meurtre, leur flegme, leur sang-froid, étonnent. Will lui conseille de se servir de l’homosexualité

du mort et de dire à la police qu’il a voulu abuser de lui, maquillant ainsi le crime en acte de légitime défense. Ni affect ni regret. C’est comme si toutes leurs pérégrinations dans la ville, leurs cerveaux imbibés d’alcool, leurs amours désincarnés et leur attitude over cool avaient fini par les priver de toute émotion, de toute morale – annonçant, quatre décennies plus tôt, les adolescents californiens du Moins que zéro de Bret Easton Ellis. Reste une langue, parlée, rythmée, simple, beat – annonciatrice, elle, de Sur la route. La pièce Beat Generation (titre que Kerouac avait au départ souhaité pour Sur la route), en revanche, déçoit. Ecrite après le succès de Sur la route, elle met en scène des jeunes gens qui parlent des courses puis parient, sans que l’on ressente autre chose qu’une forme de vacuité à les suivre. Les filles, plus que jamais, y sont reléguées au rang de vague décorum. Pourtant, elles ont accompagné les écrivains beat, ont tenté de les aimer, de prendre la route ou d’écrire elles aussi dans une époque dont le conformisme frappait davantage les femmes. Pour elles, la liberté sexuelle se payait au prix fort – avortements, hystérectomies, insultes. Dans Personnages secondaires, Joyce Johnson raconte que Kerouac emprunta une machine à écrire et “rédigea les trois actes de sa pièce en vingt-quatre heures : ‘Impossible de dormir avant d’avoir terminé. J’ai découvert que, pour moi, écrire une pièce est un jeu d’enfants. Comme Lope de Vega, je pourrais en écrire un million.’ Il voulait l’intituler Beat Generation ‘afin de profiter de l’engouement du public.” Pas sûr qu’il ait bien fait. exposition Sur la route de Jack Kerouac : l’épopée, de l’écrit à l’écran jusqu’au 19 août au musée des Lettres et Manuscrits (Paris VIIe), www.museedeslettres.fr Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines de William S. Burroughs et Jack Kerouac (Gallimard), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun, 208 pages, 17,90 € Beat Generation de Jack Kerouac (Gallimard), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun, 128 pages, 13,90 € à lire aussi Personnages secondaires de Joyce Johnson (10/18), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Brice Matthieussent 23.05.2012 les inrockuptibles 55

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les temps de l’amour

Les gens, les films et les thèmes qui ont fait la première semaine du Festival. par Romain Blondeau, Jacky Goldberg, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne, Jean-Baptiste Morain, Pierre Siankowski photo Benni Valsson

édito

Emmanuelle Riva & Jean-Louis Trintignant actrice et acteur dans Amour de Michael Haneke De l’Amour à la mort dans le film déchirant de Michael Haneke (critique p. 72) Sélection officielle, En compétition

Le bras d’un électrophone d’un autre âge se pose en grésillant sur les sillons d’un 45t. Les deux adolescents fugueurs s’installent face à face sur la plage puis se déhanchent soudain lorsque s’élève la voix céleste d’une princesse yé-yé. “C’est le temps de l’amour/le temps des copains/et de l’aventure…” Présenté en ouverture du Festival, Moonrise Kingdom de Wes Anderson et plus particulièrement son opportune citation de Françoise Hardy ont incontestablement donné le la. Le temps de l’amour, c’est bien sûr celui des premières amours, vécues sur un mode incroyablement précoce et définitif chez Wes Anderson, plus versatile (mais parfois également douloureux) par les kids du Bronx de The We and The I, l’emballant film de Michel Gondry. Mais c’est aussi, et le cinéma souvent n’en veut rien savoir, celui des ultimes amours, le temps du crépuscule, où le sentiment embrase une dernière fois le ciel avant que tout ne disparaisse à l’horizon de la mort. C’est ce dont parle, sur un mode doux et optimiste, le beau documentaire de Sébastien Lifshitz, Les Invisibles, auquel répondent de façon cruelle la quête effrénée de sexe et d’affection des sexagénaires de Paradis : amour d’Ulrich Seidl ou de façon grandiose et bouleversante Amour de Michael Haneke. L’an dernier, la plupart des films (The Tree of Life, Melancholia…) optaient pour des interrogations métaphysiques. D’autres années, l’actualité géopolitique occupait tout le champ. Comment les formes de l’amour s’acclimatent à celles du temps humain, c’est la question commune de quelques-uns des films marquants de cette année, tournée vers l’introspection et la vie psychique. On ne le regrette pas. Car le temps de l’amour, c’est long et c’est court, ça dure toujours. On s’en souvient.

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Michel Gondry Dans The We and The I, il filme une vingtaine de jeunes New-Yorkais dans un bus. Un film collectif et sensuel dont il dévoile ici la genèse et les intentions. réussi. Ça m’a d’ailleurs sens, c’est-à-dire Comment avez-vous guidé au montage : il était défavorisés. Mais je n’ai rencontré les jeunes hors de question de laisser essuyé que des refus. comédiens du film ? un gamin sur le carreau, J’ai finalement trouvé Michel Gondry – J’étais tout le monde a eu droit un centre d’activités à New York où je voulais extrascolaires dans le Bronx à son moment d’attention, tourner ce film depuis même si ça risquait qui s’appelle The Point. J’y longtemps car où qu’on d’affaiblir le film. Question ai fait un atelier intitulé oriente la caméra, il d’éthique. Les films du bus avec les s’y passe toujours quelque Faites-vous une hiérarchie quarante premiers inscrits chose. J’ai d’abord cherché entre vos films très ayant entre 14 et 18 ans. à avoir accès à des écoles produits, très scénarisés, Je voulais surtout faire publiques, puisque c’est type Green Hornet ou là que j’étais susceptible de participer des jeunes à un L’Ecume des jours (d’après projet cinématographique, trouver les groupes sociaux le roman de Boris Vian, les plus intéressants à mon et tant mieux si c’était

prévu pour 2013) et ceux, plus intimistes, plus petits, comme L’Epine dans le cœur ou celui-ci ? Pour moi, il n’y a pas de film mineur ou majeur. Ce qui est sûr, c’est que je me mets plus de pression sur mes “petits” films – car je n’en ai aucune de l’extérieur – que sur mes “gros” films où la pression des studios est suffisamment importante pour que je n’en rajoute pas.

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Melvil Poupaud Les réalisateurs ont souvent tendance à signer leurs films. Vous, vous vous effacez souvent devant vos sujets. Je préfère en effet que ma signature s’établisse davantage sur le fond que sur des aspects visuels. J’aime bien essayer sans cesse de nouvelles choses, me lancer des défis. Le téléphone portable est essentiel dans The We and The I, qui dit l’importance que cet objet a pris dans nos vies… C’est fou ce qu’on peut déduire d’un texto ! Par exemple, vous pouvez savoir si une fille vous file une veste rien qu’en lisant entre les lignes. Vous vous prenez une veste, et hop, vous remettez le téléphone tout de suite dans votre veste et vous passez à autre chose. Ça va beaucoup plus vite. Les échanges entre ces jeunes sont très durs, violents, sans concession et pratiquement sans réconciliation… C’est un constat assez accablant sur le collectif, non ? La violence représente leur quotidien mais j’avoue en avoir rajouté un peu. Les lois sont tellement dures à New York (on le voit quand le type passe une nuit au poste parce qu’il a resquillé dans le métro) qu’ils ne se permettent pas tout. Je me suis inspiré de certaines conneries que fait mon fils avec ses copains – mais étant donné son milieu social, il est plus protégé. Globalement, je déteste les films où les jeunes reproduisent des comportements d’adultes, genre Sa Majesté des mouches. J’essaie de faire l’inverse : que les adultes se souviennent des enfants qu’ils étaient. recueilli

acteur dans Laurence Anyways de Xavier Dolan témoigne l’acteur qui s’est investi “Quel est mon nom ?”, s’interrogeait sans réserve dans son rôle Melvil Poupaud dans sa belle – perruque, jupette en sky et talons autobiographie publiée l’année aiguilles inclus. “Je ne me suis jamais dernière (Stock), où il consignait senti mal à l’aise avec le personnage, des souvenirs (photos, textes, avec l’idée de sa transformation. dessins) de ses mille vies passées. Peut-être aurais-je eu davantage de Enfant terrible chez Raúl Ruiz dans les années 80, bellâtre indécis difficulté à assumer plus jeune, mais avec mes 40 piges, je me sens chez Rohmer et réalisateur par apaisé par rapport à certains trucs. intermittence (dont un secret Je crois que j’attendais ce grand rôle Melvil, montré à Cannes en 2006), il devra ajouter une nouvelle identité depuis longtemps, ça m’a reboosté, ça m’a redonné de l’énergie pour à son portrait fragmentaire : tourner avec d’autres cinéastes.” Laurence Anyways. Dans le nouveau Il en parle même comme d’un film du jeune prodige Xavier Dolan, “film important dans (son) parcours il campe à la perfection un prof écrivain, hétéro mal dans son genre intime”, dont la prochaine étape le mènera à une relecture du mythe qui décide de changer de sexe de Frankenstein par le plasticien au tournant des années 80. Philippe Parreno (Zidane, un portrait “Je n’avais pas vu les films de du XXIe siècle) : encore une histoire Xavier mais j’étais intrigué par sa personnalité, sa jeunesse, son de corps en transformation parcours, c’est le genre de type dans et d’apparence trompeuse. R. B. lequel je peux me reconnaître”, Sélection officielle, Un certain regard

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Matteo Garrone réalisateur de Reality Révélé à Cannes en 2008 (Grand Prix) avec l’adaptation de l’incroyable livre de Roberto Saviano sur la Mafia napolitaine, Gomorra, l’Italien revient au Festival avec une comédie singulière intitulée Reality, située à Naples elle aussi. “Je n’avais pas spécialement envie d’une continuité napolitaine. Je trouvais simplement que la ville, avec ses travers et son exubérance, représentait le théâtre idéal pour cette histoire.” Porté par un acteur plutôt parfait, Aniello Arena (actuellement incarcéré et qui, pour cette raison, n’a pas pu monter les marches), le film est un conte cruel qui retrace l’ascension d’un poissonnier, Luciano, poussé par ses enfants et devenu star grâce à la téléréalité – pas forcément pour le meilleur. Garrone a choisi pour ce film de jouer avec les codes de la comédie sociale italienne, propulsant l’épatante Loredana Simioli (dans le rôle de la femme de Luciano) sur les traces de Sophia Loren (“Elle aurait été parfaite”, dit Garrone), et utilisant la musique – du Français Alexandre Desplat – comme personnage récurrent du film : “Notre modèle était clairement Nino Rota.” Garrone ne pense pas que la présidence Moretti l’aidera à récupérer un prix. P. S. Sélection officielle, en compétition 60 les inrockuptibles 23.05.2012

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Gael García Bernal acteur dans No de Pablo Larraín Il commence par tester notre photographe islandais en lui parlant dans sa propre langue : “Laugavegur” du nom de la grosse artère du downtown Reykjavík. Le jeune acteur mexicain, 33 ans, est beaucoup plus fantasque à Cannes que dans le rôle qu’il tient pour le quatrième film du Chilien Pablo Larraín : celui de René Saavedra, un jeune et brillant publicitaire qu’on propulse, en 1988, à la tête de la campagne d’opposition au dictateur chilien Pinochet. García Bernal est sobre et précis, parfois chirurgical. “J’ai pris ce parti pris d’emblée. J’ai rencontré beaucoup de gens qui ont vécu cette époque, ils m’ont raconté le poids des souffrances des gens accablés par le régime de Pinochet. Cela m’a aussi permis de cerner la pression que ressentaient des types comme Saavedra”, explique le jeune acteur. “J’avais envie de jouer ce rôle avec le plus de précision possible. Beaucoup de gens ignorent encore ce qui s’est passé”, conclut-il, assez grave. P. S. Quinzaine des réalisateurs

Soko actrice dans Augustine d’Alice Winocour Neuf mois : c’est le temps qu’il aura fallu à l’indomptable Soko, folk-singer céleste exilée à L. A. et actrice occasionnelle (A l’origine, Bye Bye Blondie), pour convaincre la jeune réalisatrice Alice Winocour de lui confier le rôle d’Augustine dans son premier film. Elle qui affirme pourtant ne “pas s’intéresser au métier d’actrice et le trouver ennuyeux la plupart du temps” a su, dès la lecture du scénario, qu’elle était la fille idéale pour jouer cette patiente hystérique, la première identifiée comme telle par Charcot (Vincent Lindon). “Je me suis rendu malade en faisant ce film, hystérique pour de vrai. Je ne suis pas sûre de m’en être remise mais ça valait carrément le coup !” Ça le valait, en effet. J. G. Semaine de la critique, Séance spéciale 23.05.2012 les inrockuptibles 61

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Quvenzhané Wallis & Dwight Henry actrice et acteur dans Les Bêtes du Sud sauvage de Benh Zeitlin Quvenzhané Wallis, sauvageonne de 8 ans, et Dwight Henry, son père dépenaillé à l’écran, à l’aise au milieu des crocos, des crabes et des clébards, ces “Bêtes du Sud sauvage” filmées dans le bayou de Louisiane par le prodige Benh Zeitlin. Agé de seulement 28 ans lors du tournage (fauché) de ce film stupéfiant – l’un des plus beaux vus en première semaine –, Benh Zeitlin a étudié à l’université Wesleyan, dans la promo qui accueillit aussi MGMT et Santigold. “C’est incroyable comme ces gens du bayou tiennent le coup. Leur acharnement est une source d’inspiration et d’énergie sans fin.” J. G. Sélection officielle, Un certain regard

Agnès Varda réalisatrice de Cléo de 5 à 7 “Il y a des gens qui sont bankable, moi je suis festivalable, plaisante Agnès Varda. Je crois que presque tous mes films ont été sélectionnés à Cannes. Ici, c’est aussi Les Parapluies de Cherbourg, avec Jacques Demy. On n’était pas très loin quand on a appris qu’il avait la Palme, c’était en 1964.” Croisée sur la place de la Quinzaine des réalisateurs, où elle vient de façon naturelle car “la compétition ça n’est pas son truc”, Agnès Varda raconte ensuite son voyage en Chine, son “actualité” comme elle dit. “Je reviens de Pékin et de Wuhan où j’avais des expositions. J’y ai montré Les Veuves de Noirmoutier et des patates en forme de cœur (l’installation Patatutopia – ndlr). C’était assez fou de voir la tête des Chinois devant tout ça. Certains avaient vu tous mes films alors que très peu sont disponibles là-bas.” Il y a cinquante ans tout pile, Agnès Varda montait les marches avec Cléo de 5 à 7, ce “film GRAND”, comme disait Antonioni. “J’ai beaucoup travaillé sur la nouvelle copie, je la voulais parfaite. Il faut prendre soin des vieux films”, explique-t-elle en feuilletant le programme du Festival pour prendre connaissance des nouveaux cinéastes. “Je vais aller au film de Xavier Dolan tiens, pour y voir Melvil Poupaud, c’est mon ami.” Il a beaucoup de chance. P. S. Cannes Classics 62 les inrockuptibles 23.05.2012

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Peter Doherty acteur dans Confession d’un enfant du siècle de Sylvie Verheyde Sand). Le tout ressemble à une sorte Il arrive, démarche chaloupée, de Barry Lyndon pop (en moins bien bringuebalement feint quand même) et Doherty se révèle de poète qui vous ferait dire un acteur lent et fort habile en poses qu’il a un exemplaire de Lautréamont (il parle peu, secondé par une voix off qui dépasse de sa poche arrière. over-présente). Doherty : “C’est Mais là il s’agit plutôt d’Alfred de le choix de Sylvie. J’ai aimé qu’elle me Musset, adapté par Sylvie Verheyde. dirige. Sur scène, c’est moi La Confession d’un enfant du siècle, le king mais là, ça m’a plu qu’on me seul roman de Musset, s’adresse dise quoi faire.” Verheyde avoue à George Sand (dans le film, Doherty avoir convoqué Doherty non pour est Musset et Charlotte Gainsbourg,

ses talents musicaux mais pour sa dégaine de poète. Il ne s’en effarouche pas et se dit prêt à renouveler l’expérience avec elle. “Nous allons tourner un film où il sera question de prostituées à Londres, et je jouerai le rôle d’un prêtre”, conclut-il avant de se lever avec fracas et de déambuler dans la salle sans but. P. S. Sélection officielle, Un certain regard 23.05.2012 les inrockuptibles 63

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Adèle Haenel & Pio Marmaï actrice et acteur dans Alyah d’Elie Wajeman Selon que l’on préfère le goût de l’or ou celui de la rouille, ils pourraient presque faire concurrence au duo CotillardSchoenaerts pour la palme du couple le plus sexy vu à Cannes. Ils partagent pourtant moins de scènes, seront assurément moins exposés que leurs aînés, mais Pio Marmaï (qui tient ici son meilleur rôle) et Adèle Haenel (qui confirme tout le bien que l’on pensait d’elle) irradient le dernier film d’Elie Wajeman, Alyah. Lui incarne un Juif rugueux rejeté par sa famille et contraint aux petits deals pour survivre, elle, une étudiante fébrile mais sûre de ses sentiments. Leur rencontre provoque une série de miracles furtifs qui scandent ce polar racé façon James Gray. “On ressentait une réelle émulation entre nous au moment du tournage, une énergie commune assez rare, confie Pio Marmaï, hyper élégant pour sa première cannoise. Toute l’équipe était très jeune et rien n’était figé, on avait pas mal de marge pour proposer de nouvelles choses ou refaire des plans en fonction des humeurs.” C’est ce sentiment de liberté que retient aussi Adèle Haenel, qui défend deux autres films dans la sélection Un certain regard : Trois mondes de Catherine Corsini et Confession d’un enfant du siècle de Sylvie Verheyde. Mais les deux acteurs, qui partagent une même distance amusée vis-à-vis de leur métier, pensent déjà au retour, à Paris, aux prochains tournages qui les attendent – séparément, on le regrettera. R. B. Quinzaine des réalisateurs

Nahed El Sebaï, Bassem Samra, Menna Chalaby actrice, acteur et actrice dans Après la bataille de Yousry Nasrallah égyptien, Menna Chalaby Et si la récente révolution (aperçue dans Le Chaos égyptienne se résumait de Youssef Chahine). “On n’avait à un ménage à trois ? A la aucun scénario au moment de somme, forcément imparfaite, débuter le film, se souvient-elle. de désirs contradictoires Mais nous avions une idée et de passions partagées, fixe : raconter l’histoire de deux de ferveurs unanimes femmes et d’un homme dans et de petits intérêts égoïstes ? les moments qui succédèrent C’est le postulat du dernier à la révolution ; privilégier le récit film de Yousry Nasrallah, quotidien plutôt que le discours Après la bataille, fresque mipolitique.” Aussi se sont-ils romanesque, mi-documentaire embarqués pour huit mois qui ausculte les mécanismes de tournage embedded dans les de la révolution au cœur manifs de la place Tahrir et d’un trio amoureux incarné les milieux activistes, avec par des acteurs incendiaires : au final “l’impression d’avoir les fidèles du réalisateur, Bassem Samra, Nahed El Sebaï, pris part à un projet important”, témoigne l’intense Bassem et la nouvelle it-girl du cinéma

Samra. “Le film a également été fait en réaction à l’émergence d’un islamisme radical en Egypte, qui envisage le cinéma et toute forme de création comme des menaces, ajoute-t-il. Rien que

notre présence ici, à Cannes, en compétition, est un geste fort adressé à ces censeurs.” Une autre bataille. R. B. Sélection officielle, En compétition

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Isabelle Huppert actrice dans Amour de Michael Haneke et In Another Country de Hong Sangsoo Vous êtes partie en Corée sans rien savoir de ce qu’allait raconter le film de Hong Sangsoo, paraît-il… C’est vrai. Il n’avait pas écrit de scénario, il le rédigeait par morceaux au jour le jour et on le découvrait au fil du tournage. Je n’aime pas du tout comparer les cinéastes entre eux mais il y a beaucoup de points communs entre la méthode de Hong Sangsoo et celle de Godard. Sur Sauve qui peut (la vie), je n’avais évidemment pas lu de scénario et j’avais demandé à Jean-Luc, avant de commencer, de me dire quand même un mot sur le personnage. Il m’avait répondu :“Ce sera le visage de la souffrance.” Hong, lui, m’a dit qu’il choisissait d’abord le lieu, que chaque film naissait d’un endroit qu’il avait envie de filmer, d’habiter. “Après, je peuple avec des personnages induits par le lieu.” Déjà, j’étais séduite. Pourtant, le film paraît très écrit, très construit… Il y a une vraie distorsion entre sa méthode, en apparence très erratique, et ce que produit le film lorsqu’on le voit, où tout paraît très concerté, très organisé. C’est un cinéma d’une précision incroyable. Hong fait énormément de prises et sait parfaitement ce qu’il veut formellement. Je crois qu’il n’y a pas un seul plan de face de moi dans le film. C’est vraiment moi qui regarde un pays étranger et lui qui me regarde regarder. Donc la caméra est toujours placée de trois quarts, oblique… Pouvez-vous synthétiser le sujet du film ? Non, justement, pas tellement. Il y en a plusieurs. La solitude je crois, la dépendance, la jalousie… Et aussi le chemin vers l’assouvissement d’un désir,

celui de ces trois femmes pour un maître nageur. Le désir est longtemps contenu, quelque chose se réalise, aboutit sur une forme de déception. Mais tout ça est indémêlable, on ne peut pas vraiment nommer de quoi parle le film. Je dirais plutôt qu’il laisse songeur et c’est ça qui est beau, qui est vraiment pour moi du cinéma. Votre personnage dans le film de Michael Haneke… Je ne parlerais pas de personnage à propos d’Amour. Ah bon ? Pourquoi ? Le cinéma de Haneke procède par soustractions. J’interprète une femme face à ses parents qui meurent. Elle pourrait être moi, elle pourrait être tout le monde, ce n’est pas un personnage particulier avec son cortège de petites stratégies fictionnelles. C’est ce qui rend le film si

bouleversant. L’identification qu’il produit est démente. Il y a des phrases, des situations que j’ai vécues. Chacun peut reconnaître ce sentiment d’être si démuni face à quelque chose qui s’arrête avec la mort d’un proche et l’étonnement que la mobilité de la vie se poursuive. Quel que soit le rôle ou le film que vous proposerait Michael Haneke, vous diriez oui ? Bien sûr. Ça ne m’a pas échappé que dans ce film je n’allais pas avoir le rôle principal (rires). Je ne me vois pas dire non à Michael. Comme avec Chabrol avant. Nous traçons quelque chose ensemble, dont les films sont les prétextes mais où la relation est encore plus forte que les films. recueilli par J.-M. L. Les deux films figurent dans la Sélection officielle et sont en compétition 23.05.2012 les inrockuptibles 65

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Dario & Asia Argento réalisateur et actrice de Dracula 3D hommage rendu par Thierry Frémaux. Il y a un sentiment de fierté, partagé avec Plus de trente ans après les chefs-d’œuvre sa fille, mais aussi un peu d’amertume Suspiria, Inferno…, et alors que sa chez le maestro ce matin. “Depuis mes filmographie accuse une sérieuse baisse premiers films dans les années 70, je pense à de tension, le Festival reconnaît sa place au Cannes, nous confie Dario Argento, impérial cinéaste avec un sens du timing discutable. au bras de la démente Asia. J’avais toujours Série Z hallucinée, soft-porn aux couleurs l’espoir de figurer en compétition et je saturées et petit théâtre grand-guignol, trouvais injuste l’absence du cinéma de genre ce Dracula 3D, envisagé comme une réponse au Festival.” Samedi soir, pour la première à Twilight et au vampirisme teen, confirme fois de sa carrière, le master of horror a bien le déclin du cinéma d’Argento mais monté les marches du Palais et présenté avec un panache et un esprit de résistance au public Dracula 3D, précédé d’un vibrant

irrésistibles. “Je voulais redonner à Dracula son caractère original, son romantisme, sa force”, ajoute Argento, qui a pu compter sur la présence électrique de sa fille, fidèle “compagnon de travail” à qui il a fait subir mille outrages dans ses films. “Notre relation a beaucoup évolué, dit Asia. J’avais peur au début de ne jamais le contenter, mais je me suis libérée et on a réussi à créer quelque chose de parfaitement fusionnel.” Une sorte de pacte diabolique, en somme. R. B. Sélection officielle, Hors compétition

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les films Des comédies enlevées, des mélos déboussolants, des ratages en beauté.

Au-delà des collines

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Paradis : amour

de Cristian Mungiu

de Pablo Larraín

d’Ulrich Seidl

avec Cosmina Stratan, Cristina Flutur, Valeriu Andriuta, Dana Tapalaga (Roum., Fr., Bel.) Sélection officielle En compétition

avec Gael García Bernal, Alfredo Castro (Chili, E.-U., Mex.) Quinzaine des réalisateurs

avec Margarethe Tiesel, Peter Kazungu, Inge Maux (Aut., All., Fr.) Sélection officielle En compétition

Une nonne, une amoureuse et Dieu… Cinq ans après la Palme d’or surprise de 4 mois, 3 semaines, 2 jours, Mungiu était attendu. Loin de la Roumanie urbaine contemporaine, ce deuxième film se passe “au-delà des collines”, dans un lieu hors du temps : un monastère orthodoxe, perturbé par l’arrivée de l’amie d’une des nonnes. Relevant du microgenre des films de communautés dérangées par un élément exogène, Au-delà des collines évoque des classiques comme Le Narcisse noir ou Frontière chinoise, revus par Bergman, voire Lars von Trier. Si Mungiu cède de temps à autre à un formalisme pictural un peu daté, son film est constamment strié d’une tension tour à tour sauvage ou sous-jacente. La dynamo électrisante de l’affaire reste la relation entre Alina et Voichita, la première aimant passionnément la seconde, cette dernière aimant Dieu. Un match entre amour religieux et amour profane allumé aux fièvres mystiques. Mungiu a l’intelligence de ne pas “charger” le clergé, de ne pas céder à la facilité du film bouffe-curé, ce qui rend d’autant plus forte sa dénonciation de l’archaïsme des religions. Par ailleurs, cela nous change de voir la critique de la religion passer par le christianisme orthodoxe plutôt que par le fondamentalisme musulman. Pendant 2 h 30 sans ennui, Mungiu confirme qu’il est un meneur d’actrices et de dramaturgie hors pair. S. K.

La lutte politique vue comme une comédie. C’est le quatrième film du Chilien Larraín, dont nous avions déjà pu apprécier Tony Manero en 2008 et Santiago 73, post mortem en 2010. Deux films tragiques qui se déroulaient pendant le putsch du général Pinochet contre le président Allende en 1973 et mettaient en scène des personnages déréglés mentalement (tous deux interprétés par Alfredo Castro, que l’on retrouve ici). No suit les événements de 1988, au moment où Pinochet, poussé par la pression internationale, organise un référendum censé le conforter dans sa position de maître absolu du Chili. René Saavedra (García Bernal), un jeune publicitaire, est contacté par l’opposition pour tenter de gagner une élection qui semble perdue d’avance. Comment convaincre les Chiliens d’aller voter “non” au référendum ? La réussite du film tient au fait que Larraín, contre toute attente, transforme la lutte politique contre une tyrannie militaire en une comédie (certes dramatique – les protagonistes y risquent quand même leur vie) sur les ressorts de la propagande humoristique comme un des beaux-arts. Avec en arrièrefond cette question si actuelle : doit-on faire de la politique comme on vend une lessive ? Les meilleures fins justifientelles tous les moyens ? Un film galvanisant qui tombe à pic et qui a ravi le public de la Quinzaine. J.-B. M.

Un film malveillant et désagréable. Dog Days puis Import/Export (déjà en compétition à Cannes) nous avait familiarisés, bien contre notre gré, avec la vision du monde d’Ulrich Seidl. Le monde est un cloaque. Rien d’autre ne le compose que différentes formes de misère, dont le cinéaste s’abreuve dans un même élan de dégoût et de délectation. Les boucsémissaires de sa misanthropie sadique sont cette fois des Autrichiennes middle age en mal de sexe et d’amour mais aussi les gigolos kenyans qui les contentent. Ce ne sont pas seulement les personnages que Seidl exécute mais aussi ceux qui les interprètent : acteurs africains et autrichiens confondus, filmés sous toutes les coutures avec la plus grande malveillance. L’épreuve la plus pénible de ce début de festival. J.-M. L.

In Another Country d’Hong Sangsoo avec Isabelle Huppert, Yu Junsang (Cor. du Sud) Sélection officielle En compétition

Se dépayser ici est un enchantement. “Dans un autre pays”, nous dit le titre. Beaucoup de grands auteurs internationaux s’y sont risqués, parfois pour se surpasser (Antonioni), souvent pour se perdre un peu (Kiarostami, par exemple, s’était un peu égaré en Toscane – Copie conforme – et on lui souhaite de s’être retrouvé cette année

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Melvil Poupaud dans Laurence Anyways de Xavier Dolan

Isabelle Huppert dans In Another Country d’Hong Sangsoo

au Japon, avec Like Someone in Love). Hong Sangsoo s’était, lui, aventuré dans un autre pays avec son film parisien Night and Day (2008). In Another Country en est l’expérience symétrique. C’est l’autre pays qui vient à lui par le truchement d’Isabelle Huppert et c’est la Corée désormais qui est envisagée comme une terre étrangère à travers les yeux d’un cinéaste coréen qui identifie son regard à celui d’une star française. Tout le monde sort gagnant de ce roboratif exercice de dépaysement. L’actrice tout d’abord : interprétant tour à tour trois personnages, Isabelle Huppert se laisse porter par la partition de HSS, en épouse le tempo sans forcer, avec une grâce, une légèreté et une disponibilité étourdissantes. Le cinéma de Hong Sangsoo, lui, sort intact de cette ingestion d’un corps étranger, toujours aussi affûté dans sa minutie descriptive des errements amoureux mais peut-être jamais aussi ludique et radieux. L’enchantement de ce début de Festival. J.-M. L.

Laurence Anyways de Xavier Dolan avec Melvil Poupaud, Suzanne Clément, Nathalie Baye, Monia Chokri (Can., Fr.) Sélection officielle Un certain regard

Les amours ne sont plus imaginaires… Quitté deux ans plus tôt sur un petit film parfait, Les Amours imaginaires, bijou pop au ciselage de feu, Xavier Dolan, le juvénile Québécois, revient avec un film moins parfait mais peut-être plus grand. Plus hétérogène, tout en cassures de tons entre chromos chantilly (ralentis, musique à fond, feuilles mortes qui tournoient

au vent) et violence parfois cassavetienne des échanges, le film n’est pas seulement long (2 h 39), il est ample. Et aussi complexe, dans sa façon par exemple de légèrement biaiser le sujet annoncé (le crossgender) pour en traiter un autre, en apparence plus commun, mais qu’il aborde de façon particulièrement habitée : les rechutes et les rémissions d’une histoire d’amour qui ne peut ni continuer ni mourir. Sur plus de dix ans, Laurence (c’est le garçon) et Fred (c’est la fille) n’en finissent pas de ne pas se quitter tout à fait et Dolan “sismographie” de façon ultrasensible ces bizarres sautes du temps et des sentiments. La belle réussite du film, c’est aussi sa direction d’acteurs. Une alchimie opère entre le jeu expressif, appuyé, spectaculaire de l’actrice québecoise Suzanne Clément et celui au contraire très infra, d’une délicatesse inouïe, de Melvil Poupaud. Faire tenir ensemble l’outré et l’imperceptible, le criard et le sombre, c’est le grand mérite du cinéma fougueux et accueillant de Xavier Dolan. J.-M. L.

Mekong Hotel d’Apichatpong Weerasethakul avec Jenjira Pongpas, Maiyatan Techaparn, Sakda Kaewbuadee (Thaï., G.-B.) Sélection officielle Séances spéciales

Un poème entre réalisme et onirisme. Comme tous les films récents de Weerasethakul (Palme d’or il y a deux ans avec Oncle Boonmee), ce moyen métrage flirte avec les frontières, d’abord géographiques – un hôtel désuet situé entre la Thaïlande et le Laos, où passe le Mékong – mais aussi formelles – entre documentaire et fiction, entre répétition et tournage, à la fois dans les coulisses d’un long métrage à venir et en pleine réalisation (au sens de passage à la réalité) d’un film qui ne verra peut-être jamais le jour. Et puis, comme toujours chez le Thaïlandais, à la frontière du réalisme 23.05.2012 les inrockuptibles 69

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Valérie Lemercier et Denis Podalydès dans Adieu Berthe – L’enterrement de mémé de Bruno Podalydès

et de l’onirisme, du rationnel et du fantomatique, du lugubre et de l’humour, de la putréfaction des corps et de leur expansion bien vivante et sexuelle, de l’actualité la plus vive (une inondation bien réelle) et de l’éternel (les spectres des défunts qui reviennent hanter les vivants et ronger leurs entrailles). Le film fluctue avec lenteur et langueur au rythme du Mékong, créant une atmosphère propice à la rêverie du spectateur. Mekong Hotel dure une heure, il aurait pu en durer une demie, ou trois heures. Qu’importe, puisque le temps ici semble parfois figé et qu’Apichatpong nous offre, une fois de plus, la vision singulière d’un lieu très précis, dont les détails pourraient se projeter de façon homothétique à la taille de la Terre et de l’humanité tout entières. J.-B. M.

Adieu Berthe – L’enterrement de mémé de Bruno Podalydès avec Denis Podalydès, Isabelle Candelier, Valérie Lemercier, Michel Vuillermoz (Fr.) Quinzaine des réalisateurs

Une belle comédie pharmacienne. Désarroi : c’est le mot qui résumerait le mieux le nouveau film de Bruno Podalydès, trois ans après Bancs publics. Le désarroi du personnage principal, un pharmacien de banlieue interprété par Denis Podalydès, quand il apprend le décès de sa grand-mère dont tout le monde semblait avoir oublié jusqu’à l’existence… Le désarroi devant les exigences de ses deux femmes (sa maîtresse et son épouse) qui ne supportent pas son indécision permanente (thème majeur de l’œuvre de Podalydès depuis Dieu seul me voit au moins), son incapacité à assumer quoi que ce soit correctement.

Les frères Podalydès (Denis est aussi le coauteur du scénario) décrivent une société sans pitié, sans compassion, où tout, jusqu’à la mort, est devenu un marché porteur et où la seule manière de survivre est de préférer l’art à la réalité (ici la magie, que le héros pratique en amateur). Toujours très graphique dans sa mise en scène, Podalydès tire tous les partis imaginables d’un décor de pharmacie (les longs tiroirs, les panneaux qui glissent), presque à la manière d’un cinéaste japonais (il est vrai aussi que le père des frères Podalydès était pharmacien). Nouvelle venue dans la troupe : Valérie Lemercier, qui interprète le rôle d’une mère et d’une amante. J.-B. M.

The We and The I de Michel Gondry avec Michael Brodie, Teresa Rivera, Laidychen Carrasco, Jonathan Ortiz, Raymond Delgado, Alex Barrios (E.-U.) Quinzaine des réalisateurs

Dans un bus, un groupe de kids en goguette. The We and The I : le titre-programme du huitième film de Michel Gondry ne pourrait être plus direct. Entre le “nous” et le “je”, entre le collectif et l’individu, comment ça marche, comment ça glisse, comment ça frictionne – et surtout, comment ça fictionne ? Ces questions, Gondry ne cesse de se les poser depuis 2006 et le tournant de sa (jeune) filmographie : Block Party, docu en apparence mineure où il filmait la préparation d’une fête de quartier à Brooklyn et la multitude de liens sociaux que cela pouvait engendrer. C’est à nouveau d’une fête qu’il s’agit au début de The We and The I, celle qu’une lycéenne du Bronx organise pour célébrer ses 16 ans et la fin de l’année scolaire. Alors que des kids délurés grimpent dans le bus après

les cours pour retrouver un foyer qu’on imagine humble, nous découvrons, en quelques plans comme saisis à la volée, la règle du je(u) régissant cette communauté temporaire qu’on ne quittera qu’une fois le trajet achevé. Il y a les insiders et les exclus, les bullies et les souffre-douleur, il y a la drague et les humiliations, les vannes et la frime – bref, la vie de lycéen telle qu’on se félicite (peut-être ?) de l’avoir lâchée… Le film, c’est sa première beauté, est fait de bric et de broc, mêlant habilement des échanges verbaux d’une rudesse d’autant plus sidérante qu’elle s’accompagne de sourires et semble institutionnalisée, à des saynètes filmées au téléphone portable dans le plus pur “style Gondry”. D’abord simples pauses lolesques (la vidéo d’un type qui se vautre sur le sol de la cuisine recouvert de beurre), ces scènes deviennent rapidement la sève du film, brisant sa routine naturaliste tout en brossant un tablau ultracontemporain des échanges sociaux. L’existence ne se vit plus seulement au présent, dit Gondry, elle est constamment doublée, redoublée par ses bourgeons numériques, petites bulles intimistes qui fleurissent sans crier gare et périssent aussitôt dans l’écume des jours. J. G.

Des hommes sans loi de John Hillcoat avec Jessica Chastain, Shia Labeouf, Mia Wasikowska, Tom Hardy (E.-U.) Sélection officielle En compétition

Un film de gangsters trop sage. Le rare Hillcoat à la réalisation (Ghosts… of the Civil Dead, La Route…), Nick Cave au scénario et à la BO, Jessica Chastain, Shia Labeouf, Mia Wasikowska, Tom Hardy au casting : on pouvait raisonnablement bander en entrant à la projo. A la fin,

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La Chasse de Thomas Vinterberg Caleb Landry Jones dans Antiviral de Brandon Cronenberg

on repart la queue entre les jambes sans avoir joui. Hillcoat semble avoir tourné son film en suivant à la virgule près le Lagarde et Michard du western et du gangster movie des années 30. Rien ne manque à l’appel des motifs attendus : les hommes sont virils, les femmes sont belles et reléguées au second plan, les méchants sont très puissants et très très méchants (à la limite du grotesque), les frères sont rivaux et différents, les voitures et costumes sont d’époque, la musique (pas mal) surgit là où on l’attend… et le spectateur s’assoupit devant un spectacle aussi mécaniquement prévisible qu’un show-western lors d’un Studio tour chez Universal. S. K.

Amour de Michael Haneke avec Jean-Louis Trintignant, Emmanuelle Riva et Isabelle Huppert (Fr., All., Aut.) Sélection officielle En compétition

Haneke découvre l’amour et le sublime. Michael Haneke fait bien de temps en temps de fermer son livre d’histoire contemporaine, de ne plus s’occuper des racines du nazisme (Le Ruban blanc) ou des métastases du colonialisme (Caché) pour exercer son art cruel du scalpel entre quatre murs. Hier La Pianiste, aujourd’hui Amour, c’est plutôt avec des sujets à échelle individuelle, humaine, voire psychologique, que le cinéaste libère la part la plus folle, la plus lyrique, la plus détraquée de son inspiration. On sait que l’amour n’a jamais tellement été son affaire, plus occupé à penser le protocole du ressentiment et de la haine. On ne s’étonnera donc pas que pour sa première étude amoureuse le cinéaste ait choisi l’extrême fin d’une histoire, le moment de sa désagrégation. La surprise, c’est que de cette fin, lorsque l’un des deux époux a progressivement perdu la motricité, la parole, l’intellection…, il dégage non pas de la misère mais du sublime. Ce qu’il filme, c’est la dernière mue de ce sentiment parmi les plus

avec Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larsen, Annika Wedderkopp, Lasse Fogelstrøm, Susse Wold (Dan.) Sélection officielle En compétition

mystérieux (l’amour donc) dans des gestes de soin, de minuscules caresses, de la communication non verbale. De cette mue, Haneke fait une apothéose : il n’y aurait pas d’amour plus fou (au sens le plus plein du terme, celui de la plus totale forclusion) que celui des derniers instants, libéré de tout état, ne pouvant se vivre que dans une rupture totale avec les mondes, après avoir congédié jusqu’aux plus proches, jusqu’aux enfants. Il fallait la forme du mélodrame pour que la violence d’Haneke trouve enfin son objet, excède la sèche leçon de vie et touche à une beauté assez sidérante. J.-M. L.

Antiviral de Brandon Cronenberg avec Caleb Landry Jones, Sarah Gadon, Malcolm McDowell (Can.) Sélection officielle Un certain regard

Le mimétisme était presque parfait. “Bonjour madame. Aujourd’hui, je vais vous prendre... un herpès de Nicole Kidman et une grippe de Tom Cruise, s’il vous plaît. Ça fera combien ?” : voilà à peu près le futur tel que l’imagine Brandon Cronenberg (fils de David), un monde où la fascination pour les stars serait telle qu’attraper leurs maladies serait considéré comme le summum du chic. Recyclant, jusqu’au grotesque se dit-on d’abord, les thématiques eighties de son père (nouvelle chair, contagion virale, conspiration de mégacorporations…), tout en adoptant son style des années 2000 avec un certain brio (plans au cordeau, glacis des affects et humour à froid), le fiston est allé jusqu’à caster un sosie de Robert Pattinson (héros du Cosmopolis du paternel) dans le rôle principal (Caleb Landry Jones, renversant). Mais le mimétisme est poussé si loin qu’un trouble finit par naître et une métalecture par s’imposer : et si cette histoire de petit employé discret qui cherche à doubler ses maîtres avec l’arme qu’ils ont eux-mêmes créée était en fait un message adressé à papa ? Tu devrais surveiller tes arrières, David. J. G.

Victimes désignées : un cerf et un pédophile. Quatorze ans depuis Festen et le Dogme ! A 43 ans, Vinterberg s’est assagi, comme les acteurs de Festen dont certains se retrouvent dans La Chasse. Foin de pseudopunkitude filmique, Vinterberg s’est coulé dans un style clean et naturaliste, lisse, amidonné et repassé comme une chemise qui sort du pressing. La chasse, c’est le rituel automnal ancestral d’un quartier cossu où les fils de la bourgeoisie locale sont censés devenir des hommes en recevant leur premier fusil et en tuant leur premier cerf. C’est aussi ce qui va arriver au personnage principal, sympathique quadra fraîchement divorcé qui se retrouve accusé d’attouchements sexuels par la fillette de son meilleur ami. La rumeur se propage et tout le quartier se retourne contre lui. La Chasse pèche par son programme univoque et pas toujours crédible : pourquoi tout le monde croirait la fillette sans preuves, pourquoi l’accusé se défend-il à peine et se comporte-t-il en victime expiatoire ? Pourquoi n’y a-t-il quasiment aucune brèche dans ce chemin de croix ? Vinterberg est avant tout occupé à dénoncer les pulsions archaïques enfouies au cœur de notre civilisation. Le thème n’est pas neuf ; il est surtout déroulé ici avec un certain manichéisme. S. K.

Les Invisibles de Sébastien Lifshitz documentaire (Fr.) Sélection officielle Séances spéciales

Un docu sur la mémoire, fragile et tendre. Les invisibles du dernier documentaire de Sébastien Lifshitz se découvrent en deux temps. Ce sont d’abord les homos, lesbiennes et bisexuels longtemps condamnés à la marge, dont le film entreprend de retracer l’histoire militante sur la forme (trop) classique d’une série d’interviews. Des activistes retraités y évoquent leur passé et soudain d’autres invisibles surgissent : ce sont des fantômes, de vieux amis et amants morts que l’on retrouve sur les photos jaunies, ces vestiges d’un temps perdu où l’on baisait caché mais où l’on était jeunes et beaux. Dans le prolongement de son sublime La Traversée (2001), Sébastien Lifshitz creuse encore le sujet de la mémoire, d’une quête des origines, dans ce documentaire fragile troué d’instants magiques, de célébrations euphoriques en souvenirs assombris. R. B.

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à vos notes (1e semaine) les films

Romain Blondeau

Jacky Goldberg

Adieu Berthe – L’enterrement de mémé de Bruno Podalydès

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Amour de Michael Haneke

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Au-delà des collines de Cristian Mungiu Les Bêtes du Sud sauvage de Benh Zeitlin La Chasse de Thomas Vinterberg

Jean-Baptiste Morain

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Antiviral de Brandon Cronenberg Après la bataille de Yousry Nasrallah

Jean-Marc Lalanne

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Serge Kaganski

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Des hommes sans loi de John Hillcoat

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In Another Country de Hong Sangsoo

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Laurence Anyways de Xavier Dolan Like Someone in Love d’Abbas Kiarostami

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Moonrise Kingdom de Wes Anderson Mystery de Lou Ye

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Paradis : amour d’Ulrich Seidl



Reality de Matteo Garrone



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No de Pablo Larraín

The We and The I de Michel Gondry

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Mekong Hotel d’Apichatpong Weerasethakul

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De rouille et d’os de Jacques Audiard

Les Invisibles de Sébastien Lifshitz

Pierre Siankowski

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Cannes 2012

entretien avec un vampire

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’est au Soho House, au dernier étage d’un bâtiment qui surplombe le Sunset Strip et offre une belle vue sur Los Angeles, que Robert Pattinson nous a donné rendezvous en fin de matinée. Sur la terrasse de ce club privé qui interdit appareils photo et téléphones, il fume tranquillement, sans attaché de presse pour le fliquer (chose rare), loin des paparazzi – qui l’attendent en réalité au sous-sol, planqués dans le parking… Avec sa barbe de trois jours et sa tenue street-wear (casquette, chino marron, T-shirt et chemise à carreaux), la jeune star britannique demeure aussi élégante que l’image qu’on s’en fait depuis 2005 et son rôle de bellâtre français dans le quatrième Harry Potter. Vampire désarmé par Cupidon dans Twilight, fils à papa destroy dans Remember Me, soigneur de pachydermes dans De l’eau pour les éléphants,

bientôt à l’affiche de Bel-Ami (27 juin), Pattinson revêt dans Cosmopolis le costume d’un trader surpuissant à l’allure semi-divine, nouvelle figure torturée dans l’aréopage masculin de Cronenberg. Il s’apprête à monter les marches de Cannes avec pour la première fois un film en compétition. On sent chez Pattinson, 26 ans, une étonnante maturité et l’envie de passer à autre chose : la saga vampirique, si elle a fait de lui une idole, a manifestement représenté jusqu’ici un fardeau. Contrairement à la plupart des beaux gosses à mâchoire carrée qui fleurissent dans les blockbusters saisonniers, Pattinson a tous les atouts pour se bâtir une carrière en or, à l’instar de DiCaprio, Pitt ou Cruise qui, on l’oublie parfois, n’ont pas toujours eu la densité qu’on leur connaît aujourd’hui. D’une beauté fascinante car plus que parfaite (donc monstrueuse), cultivé sans être cuistre et d’une franchise inhabituelle dans le milieu, Rob, comme ses fans l’appellent, nous a offert plus d’une heure de bavardage.

Vous vivez à Los Angeles désormais ? Robert Pattinson – Oui, depuis peu. Au début, je ne savais vraiment pas quoi y faire et maintenant la ville me manque quand je m’en éloigne. Davantage que Londres où j’ai grandi mais que tous mes amis ont quitté. Ma famille y vit encore mais ils veulent venir ici, mes amis également. C’est dingue, il suffit de passer une journée à L. A. pour avoir envie de s’y installer (rires). Le film rompt avec votre image de jeune homme policé forgée par Twilight et les quelques films que vous avez tournés depuis. En aviez-vous conscience en acceptant le projet ? Bien sûr. J’avais peur de m’enfermer dans ce type de rôle (il réfléchit)… comme la plupart des acteurs qui débutent d’ailleurs : il est nécessaire de se diversifier très tôt. That’s the whole point. En fait, on m’a proposé le premier rôle de Cosmopolis le jour même où j’ai terminé le tournage de Twilight. Pile le moment où je commençais à avoir peur de me répéter et hop ! Cronenberg

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Robert Pattinson s’est fait les crocs avec la saga Twilight. Il les ressort pour incarner un golden boy avide chez Cronenberg. Charmant et franc, il nous a reçus à Los Angeles. par Jacky Goldberg

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Cannes 2012

“un jour, Michel Houellebecq m’a appelé mais j’ai eu peur de le rencontrer ”

Etudiant sorcier dans Harry Potter et la Coupe de feu (2005)

m’appelle ! C’est encore mieux que tout ce dont je pouvais rêver… Maintenant, je suis curieux de voir comment le film va être reçu. A l’inverse, vous cantonner à des films indépendants et ne plus jamais tourner dans un blockbuster, ça vous fait peur ? Sincèrement, si je pouvais ne jouer que dans des films comme Cosmopolis, ce serait génial. Mais ils sont très difficiles à dégoter. A vrai dire, ça ne m’intéresse pas tellement de me retrouver à l’affiche de gros films. D’abord, c’est beaucoup plus difficile à faire : vous avez vingt personnes à qui rendre des comptes ; dans Cosmopolis, une seule. Ensuite, il n’y a généralement que deux rôles possibles dans ces films-là : tu es soit un ado qui veut devenir un homme, soit un ado complètement déglingué… Quand on a à peine 20 ans, ça va, on s’amuse, on découvre un monde incroyable, les filles vous adulent. Mais ça ne peut pas durer éternellement. Que vous a dit David Cronenberg quand il vous a appelé ? Mon agent m’avait envoyé le scénario depuis plus d’un an, mais à l’époque Colin Farrell était sur le projet. Je m’étais dit : “Fuuuuuck, ce scénario déchire ! Pourquoi on ne me propose pas ça à moi ? Et pourquoi tu me l’envoies si c’est déjà pris (rires) ?” Et un an plus tard, out of nowhere, David m’appelle : “Hey, tu veux faire ce film ?” J’étais terrifié ! Le scénario me paraissait sacrément compliqué. Un an avant j’en rêvais et là, je me sentais incapable de prendre une décision. Il m’a fallu une semaine pour trouver le courage de rappeler David.

Il vous a expliqué pourquoi il vous avait c hoisi ? Non, jamais ! Il ne m’a même pas fait passer une audition. Quand je le lui ai demandé, il m’a répondu qu’il avait juste eu un feeling… Quand j’ai ajouté que je n’étais pas sûr de comprendre de quoi parlait le film, il m’a dit : “Moi non plus, c’est ce qu’on va découvrir ensemble.” Voilà pourquoi je suis hypercurieux de voir la réaction des gens, encore plus que d’habitude. Etiez-vous familier de l’œuvre de Cronenberg ? Oui, j’avais vu presque tous ses films. Lesquels préférez-vous ? Probablement Vidéodrome ou Scanners. J’aime beaucoup Crash aussi. Il a bien marché en France, non ? En Angleterre, je me souviens que les gens étaient devenus dingues à cause de ce film. Ils l’ont même interdit ! Evidemment, tout le monde voulait le voir. Quand je le visionne aujourd’hui, j’hallucine qu’on ait pu l’interdire. C’est absurde. Pensez-vous que c’est votre statut de vampire qui a attiré Cronenberg ? Dans Cosmopolis, vous jouez un trader : d’une certaine façon, un trader suce le sang des travailleurs… (dubitatif) Peut-être, oui… On peut faire un parallèle entre capitalisme et vampirisme mais le film ne porte pas sur un personnage qui voudrait tout détruire. Ce type cherche quelque chose. Il a déjà tout vu et se demande ce qu’il y a d’autre – il doit y avoir quelque chose d’autre… C’est un film assez triste en fin de compte. Le trader essaie de s’améliorer mais son instinct et ses pulsions le rattrapent.

Vous sentez-vous proche de lui ? (dodelinant de la tête) Moui… d’une certaine façon. Dans la mesure où il voit autre chose que ce qu’il a devant lui. Il pense que le monde n’est pas seulement le monde, que derrière il y a un niveau de compréhension plus élevé… Vous disiez que le scénario était complexe. Les dialogues en particulier sont très littéraires. C’est la première fois que vous vous confrontez à ça ? David se montrait intransigeant sur le respect du texte, au mot près. J’ai adoré le rythme des phrases dès la lecture du scénario, il était hors de question de les abîmer. Habituellement, le scénario ne représente qu’une matière première qu’il s’agit de faire sonner vrai sur le tournage. Là, c’était différent. Sonner vrai, ce n’est pas assez pour David. Il cherche un niveau de réalisme plus profond. Ça m’a rappelé le théâtre, que je n’ai pas pratiqué depuis longtemps. Passer des nuits à mémoriser les dialogues… En fin de compte, c’est agréable et même libérateur : à force de répéter les mots, ils deviennent mécaniques. Connaissiez-vous l’œuvre de Don DeLillo ? Je n’avais lu qu’Underworld, il y a une éternité. Pour le film, évidemment, j’ai lu Cosmopolis et, depuis, tous les autres. On me pose sans cesse cette question et je ne veux pas paraître idiot (rires). Mais c’est assez difficile pour moi d’en parler. J’adore son style mais je ne suis pas sûr d’être assez intelligent pour saisir toute la portée de ses idées. Etes-vous un grand lecteur ? Je lisais davantage il y a quelques années. Mais j’ai de plus en plus de mal

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Vampire amoureux dans Twilight, chapitre 1 : fascination (2008)

à trouver le temps et la concentration nécessaires. Je ne lis quasiment plus que des journaux et ça me prend toute la journée (rires). Il paraît que vous appréciez Michel Houellebecq… Absolument ! Vous savez qu’on a failli se rencontrer à Paris ? Il avait dû lire une interview où je parlais de ses romans et il m’a appelé alors que j’étais en promo. Mais j’ai eu peur de le rencontrer (rires). Je le regrette, ça aurait pu être chouette de dîner avec lui. Cela dit, j’adorerais jouer dans l’adaptation d’un de ses romans. Comment s’appelle le dernier déjà ? La Carte et le Territoire. Vous l’avez lu ? Pas encore mais j’ai lu le synopsis et ça ferait un superfilm. Tous ses romans feraient de bons films. Ils ont déjà fait l’objet d’adaptation, excepté le dernier et Plateforme… Ah, je ne savais pas ! Les films sont-ils réussis ? Extension du domaine de la lutte oui, assez. Je n’ai pas vu Les Particules élémentaires, réalisé par un Allemand. Quant à La Possibilité d’une île, qu’il a lui-même tourné, c’est un film très bizarre, avec des passages magnifiques et d’autres vraiment ratés… Je suis très curieux de voir tout ça. Surtout Extension…, mon préféré. Qu’est-ce qui vous plaît chez Houellebecq ? On le décrit comme un romancier cynique mais c’est faux, comme pour Cosmopolis : en surface, ses personnages peuvent passer pour de sales types mais ils essaient juste désespérément de réaliser leur vie et se retrouvent sans cesse déçus ; cette

déception qui les anime, et quelquefois les abat, est pleine d’espoir si on veut bien la regarder en face… Martin Amis a une vision proche de ça. Mais je raconte probablement n’importe quoi, ça fait des années que je ne les ai pas lus… (Il rit, se ressert du café). Quelqu’un a produit Whatever (le titre anglais d’Extension du domaine de la lutte – ndlr) en France ? Je n’en reviens pas. C’est le genre de film qu’on ne peut voir que chez vous… Vous avez une conception très amusante de ce qui est commercial ou pas, vous savez ? Cosmopolis, seul un Français pouvait le produire (Paulo Branco – ndlr) ! Sans doute. C’est comme ces grands cinéastes américains qui n’ont de public qu’en France ou presque : Coppola, Ferrara… J’ai passé une audition pour Ferrara un jour mais je n’ai pas eu le rôle. C’était avant Twilight. J’avais l’impression d’avoir réussi ma meilleure prestation, je m’étais presque cassé le bras et il a juste dit : “Ouais, OK, pas mal.” Je suis reparti en pleurant, c’était très gênant (rires) ! J’aimerais tellement parler français. Un tas de trucs que j’ai envie de faire sont en français. Ah oui ? Par exemple ? J’ai un projet avec Jean-Stéphane Sauvaire, qui a réalisé Johnny Mad Dog. Ça s’appelle Mission: Blacklist, un film sur la traque et la capture de Saddam Hussein. Et vous savez quoi ? Il veut le tourner en Irak. Fuck yeah ! Personne d’autre n’a les couilles de faire ça ! Tout le monde veut qu’il aille en Tunisie mais il insiste : ça se passe en Irak, je tourne en Irak. Il a raison ! Du moins tant qu’on n’est pas kidnappés (rires).

“vous les Français avez une conception amusante de ce qui est commercial ou pas”

Quels sont les autres réalisateurs français avec qui vous aimeriez tourner ? (sans hésiter) Audiard. C’est l’un de mes préférés. Je vais tout faire pour voir son nouveau film à Cannes. C’est la première fois que vous y allez ? Non, mais j’étais seulement venu faire de la promo. On se sent un peu con dans ces cas-là, comme une espèce de bannière vivante. J’imagine que lorsqu’on se retrouve en compétition, cela n’a rien à voir. Quand j’y pense, je me dis : voilà, tu n’auras pas totalement raté ta vie. Cannes… Je ne remercierai jamais assez David pour ça. Enfant, vous alliez beaucoup au cinéma ? Pas tellement en salle mais j’aimais bien louer des VHS. Il y avait toujours des tas de filles dans les allées du video store (rires). J’avais fini par devenir pote avec le gérant de la boutique, un vrai cinéphile. J’essayais toujours de lui soutirer des films interdits aux moins de 18 ans. Je voulais des films violents mais il me refilait plutôt des films arty. C’est comme ça que j’ai vu des Cassavetes à 12 ans, des Godard aussi… (Il marque une pause) J’aimerais tellement faire un film avec Godard. C’est le genre de trucs surréalistes dont je rêve… C’est pour ça que j’ai tourné Twilight (rires puis soupir) ! Quelle enfance avez-vous eue ? Assez ennuyeuse à vrai dire. Je voulais être musicien. Je faisais des répètes, des petits concerts. C’est à peu près tout ! Plus tard, j’ai rejoint un drama club, plein de jolies filles y traînaient (rires). Je voulais juste rester en coulisse, ça ne m’intéressait pas vraiment de jouer. Un jour, je me suis lancé… 23.05.2012 les inrockuptibles 77

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Cannes 2012

“quand je pense à Cannes, je me dis : tu n’auras pas totalement raté ta vie” Pour impressionner une fille ? Exactement. J’ai fini par jouer dans quelques pièces, un agent m’a vu et m’a contacté. C’est toujours elle qui s’occupe de moi. La semaine suivante, je passais une audition pour jouer dans Troie avec Brad Pitt. Je me suis dit What the fuck ! A l’époque, je ne comprenais pas du tout ce que je faisais. Il m’a fallu six ans pour y arriver. Ça vous énerve l’hypermédiatisation autour de Twilight, le fait d’être tout le temps suivi par des paparazzi ? Votre monde rapetisse soudain et c’est gênant, oui. En même temps, vous pouvez tourner ça à votre avantage. Même si les gens vous détestent, ils pensent à vous. Comme simple spectateur, je me dirais peut-être : mais que fout Cronenberg avec ce mec ? Moi, ça me donne une raison supplémentaire de me battre, de faire mes preuves, de leur donner tort. Oh, et puis ça va, on a aussi le droit de faire des merdes de temps en temps ! (rires) Tout n’est pas à jeter dans Twilight, loin de là. Le premier est très beau… Je suis d’accord. Je l’ai revu récemment. Catherine (Hardwicke, la réalisatrice – ndlr) est vraiment douée. En même temps qu’elle réalise, elle est totalement spectatrice, du genre à frémir quand deux personnages s’embrassent, à tressauter quand ça fait peur… Le premier était beau parce qu’il surprenait : Catherine a eu une paix royale pour tourner ce petit film dont tout le monde se foutait. Le studio a pris moins de risques pour les suivants… Je trouve le mélange d’érotisme et de pruderie très étrange, c’est difficile à réussir et, au fond, assez cronenberguien. Les personnages n’ont pas du tout un rapport au corps heureux et gentillet ; c’est très torturé. Vous travaillez sur quoi maintenant ? Je vais faire un film sur The Band, le groupe qui a joué avec Dylan : un scénario magnifique sur la nature du songwriting… Je prépare un thriller, avec un scénario également très beau mais qui n’a pas encore de réalisateur. Des tas de metteurs en scène français sont sur les rangs. Il y a quelques années, l’Amérique latine était à la mode, désormais il semble que ce soit la France… Je vais tourner un autre film de Cronenberg mais je ne sais pas

quand il compte débuter. Ce sera son premier aux Etats-Unis et il promet d’être très étrange… Les deux ou trois prochaines années vont être déterminantes pour moi : c’est maintenant que tout se joue. Vous revenez du festival de musique Coachella, on a vu les photos sur le net… Vous avez entendu quoi de bien ? Ben, rien ou presque, à cause des paparrazi. C’était tellement frustrant ! Tu veux seulement voir un concert, tranquille, danser un peu, et t’as vingt types qui te mitraillent… Tu te sens tellement con dans ce genre de situation. Bon, j’ai quand même pu voir Radiohead… Beirut, c’était pas mal aussi. Et un bout du set de Justice. J’adore leurs vidéos ! Celle réalisée par Romain Gavras ? Oui, Stress. Encore un Français qui déchire. A part les groupes que vous venez de citer, quelle musique écoutez-vous ? Pas grand-chose en ce moment, à part un groupe de hip-hop, Death Grips, qui mélange rap et techno. C’est un truc assez hardcore, pas forcément ce que j’aime d’habitude mais ils ont quelque chose en plus, un génie indéfinissable. Il y a quelques années, j’ai eu une grosse période Van Morrison, une vraie obsession. J’écoute aussi pas mal de jazz et du classique. Je dois vieillir. J’ai lu quelque part que vous admiriez les acteurs porno. C’est vrai ? J’ai dit ça ? (rires) Je ne m’en souviens pas mais pourquoi pas ! Le sujet m’intéresse en effet. J’ai toujours voulu faire quelque chose autour de cette question. C’est un des trucs les plus intéressants qui arrive à notre génération, non ? Tout le monde en voit mais personne ne veut l’avouer. C’est massif comme événement et pourtant personne n’écrit là-dessus. J’ai essayé il y a deux ans mais ça n’a pas abouti. Vous avez déjà vu les AVN awards (récompenses décernées chaque année par le magazine Adult Video News – ndlr) ? C’est hilarant. Ces gens sont si nombreux et si fiers de ce qu’ils font… Et quand il faut se battre pour la liberté d’expression, ils sont toujours en première ligne. On ne peut que les admirer. lire aussi la rencontre avec David Cronenberg pages suivantes

Cosmopolis de David Cronenberg Sélection officielle, en compétition

Une fable terrible sur le capitalisme, vue à travers les yeux d’un trader en limousine.

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a limousine serat-elle l’objet de ce printemps cinéma ? Habituellement associée au glamour hollywoodien comme aux paillettes cannoises, ces longues voitures aux vitres fumées peuplent les premières images disponibles du Holy Motors de Leos Carax et l’un de ces fétiches de la modernité constitue le décor (voire le personnage) principal du nouveau film de David Cronenberg. Mais nul crash automobile ne vient déchirer Cosmopolis. Adapté (assez fidèlement) du roman de Don DeLillo, le film raconte une traversée de Manhattan à dix à l’heure de moyenne en raison d’une visite présidentielle qui paralyse le trafic. Comme le livre, le film est construit selon la règle

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Golden boy déjanté dans Cosmopolis (2012)

des trois unités. On embarque dans la limo avec Eric Packer, golden boy cynique et sexy, et on n’en sortira quasiment plus. Cosmopolis est un film d’intérieur, presque entièrement confiné dans un lieu étroit mais mouvant. L’objectif de Packer : se faire coiffer à l’autre bout de la ville. En chemin, il discute avec ses associés (logorrhée de chiffres et de théories que l’on croirait issue du cerveau d’un mathématicien sous speed ou d’un philosophe cocaïno), croise sa jeune épouse, baise avec une maîtresse, consulte les multiples écrans qui tapissent le véhicule, regarde à travers les vitres fumées de sa voiture le spectacle d’une société au bord de l’explosion : manifestants, flics, indignés, entarteur forment

un carnaval urbain inflammable qui ne laisse aucun répit. Morceau de bravoure en soi, cette vue en coupe de New York permet toutes les lectures symboliques possibles. Babylone de l’Occident, cité phare de la civilisation capitaliste depuis une centaine d’années, le NYC de Cosmopolis est un concentré de notre monde. Les très riches et les très pauvres y cohabitent, et c’est vieux comme le monde. La nouveauté, c’est la promiscuité entre maîtres et quidams induite par les nouvelles technologies. Avant, les pauvres ne voyaient pas les riches. Aujourd’hui, le lointain n’existe plus, la prolifération des écrans et la rapidité des communications réduisent la planète à un village où tout est proche et

instantané, où désirs et frustrations, échecs et réussites, inclusion et exclusion mijotent comme dans une Cocotte-Minute. Cronenberg rend bien cette cohabitation malsaine entre les 1 % et les 99 %, filmée depuis le point de vue d’un des nouveaux maîtres. Il suffit d’ailleurs à Packer de remonter les vitres pour couper le son, voire l’image, de cette société en ébullition qu’il a contribué à chauffer. La limousine est une bulle, un cocon, un endroit protégé, régressif, coupé du monde réel, comme l’univers de luxe et de rémunérations obscènes où évoluent les moguls du capitalisme contemporain. L’habitant de ce cocon est un être mi-ange, mi-démon, un homme qui possède tout mais semble incapable de nouer une relation

normale avec autrui, perpétuel insatisfait, humain inachevé à qui il manque une case émotionnelle. Plus l’avoir est gigantesque, plus l’être est névrotique. Pour incarner Eric Packer, Cronenberg a choisi Robert Pattinson, coup de génie mutuel. L’acteur-étoile file de Twilight à Cosmopolis avec une incroyable aisance, incarne à merveille ce mélange de jeunesse et de cruauté, de sex-appeal et de déliquescence, de désir et de mort, cette maladie de la win confinant à la pathologie morbide qui irradie ce film et emblématise notre époque. Serge Kaganski Cosmopolis de David Cronenberg, avec Robert Pattinson, Paul Giamatti, Jay Baruchel, Juliette Binoche (Fr., Can., Por., It., 2012, 1 h 48), en salle le 25 mai 23.05.2012 les inrockuptibles 79

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Cannes 2012

“le lien entre argent, sexe et mort n’est plus un scoop depuis Freud” David Cronenberg décortique propos et concept de Cosmopolis. recueilli par Serge Kaganski

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osmopolis, du livre au film “Les dialogues m’ont frappé avant tout : fantastiques, cinématographiques, inhabituels, très complexes et aussi très drôles ! Généralement, les romans en comportent peu. En tant que cinéaste, j’y suis sensible : ils s’adaptent mieux à la dramaturgie du cinéma. La première version de mon scénario était une simple transcription de ceux de Don DeLillo ! Je me suis demandé : je tiens un film là ou pas ? La réponse était oui. C’est ainsi que tout a commencé.” un film limousine “Le fait que le film se passe essentiellement dans une limousine reste un concept très fort, renforcé par l’unité de temps – le film dure une journée – et de lieu, la limo se déplace le long d’une seule rue de Manhattan, la 42e. Ce concept était déjà présent dans le livre et je tenais à le conserver. Les dialogues étant très complexes, proches de l’abstraction et de la philosophie, j’ai trouvé bien de contrebalancer ça avec une certaine simplicité visuelle et narrative ainsi qu’avec des personnages de poids.” intérieur-extérieur “La Chevauchée fantastique est une bonne référence pour Cosmopolis puisque le film de John Ford se passe presque entièrement à l’intérieur d’une diligence. J’ai montré à toute mon équipe le film israélien Lebanon qui se déroule dans un char d’assaut. Je leur ai souvent aussi parlé du Bateau qui se passe dans un sous-marin. Ces lieux restent uniques et confinés mais ils avancent, comme une caméra en plein travelling. Le mouvement, le cinéma est à l’extérieur, on peut le voir à travers les vitres du véhicule.”

la finance, une drogue “Je ne sais pas si les grands financiers contrôlent le monde ou s’ils ne contrôlent rien du tout. Ce que je sais en revanche, c’est qu’ils gagnent des montagnes d’argent et qu’ils affectent la vie de millions de gens. On s’est tous réjouis quand un type comme Rupert Murdoch s’est pris une tarte à la crème dans la figure lors d’une conférence de presse en juillet 2011, parce que la réalité a rattrapé le film – DeLillo avait écrit une scène semblable il y a douze ans. Cet exemple pour montrer que pendant que nous tournions le film, celui-ci se déroulait aussi dans la vraie vie, comme les manifs Occupy Wall Street, déjà dans le livre. Pour en revenir à la finance, je ne crois pas que les banquiers ou traders de haut rang soient très cultivés. Ils ont de l’éducation, bien sûr, mais dans les limites de leur discipline. Ces jeunes loups de la finance sont peut-être doués pour élaborer des modèles mathématiques mais ils n’ont aucune profondeur sur le plan philosophique ou historique. Eric Packer, le héros de Cosmopolis, est obsédé par les chiffres mais ne sait pas comment communiquer avec ses semblables. Au bord de l’autisme, il ne fait qu’imiter les autres parce qu’il ne sait pas comment se comporter. Je crois que ce type de personnalité représente bien l’univers de la haute finance. Edouard Carmignac, grand financier, participe à la production du film : il dit qu’une des raisons pour lesquelles il aime le roman de DeLillo est que les portraits psychologiques lui semblent terriblement exacts. Ces acteurs du casino financier ne créent rien de concret, ils vivent dans l’abstraction des chiffres, dans la manipulation de l’argent. Si le monde dépendait uniquement d’eux, nous mourrions tous de faim. L’univers des

Lehman Brothers, Goldman Sachs, Madoff, etc. est inquiétant mais aussi fascinant. Je ne connais pas grand-chose aux subtilités de la finance mais j’ai le sentiment que ces gens-là ne contrôlent pas grand-chose non plus. La crise de 2008 et la dépression qui a suivi l’ont prouvé. La finance s’est transformée en une drogue étrange qui peut démolir n’importe qui.” limo-cerveau, limo-utérus “De l’extérieur, la limousine ressemble à toutes les autres. Mais une fois à l’intérieur, avec tous ses écrans, on se croirait dans un vaisseau spatial. C’est ce qu’on voulait

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“les jeunes loups de la finance sont peut-être doués pour élaborer des modèles mathématiques mais ils n’ont aucune profondeur sur le plan philosophique ou historique”

Robert Pattinson “Quand j’ai commencé à me demander quel acteur réunissait les critères voulus, j’ai pensé à Rob. Eric Packer n’est pas un personnage sympathique et il faut beaucoup de charisme pour l’interpréter. Certains acteurs ont peur de jouer un personnage négatif, surtout si c’est le rôle principal, ils craignent pour leur image. Je recherchais donc un comédien qui n’ait pas peur de jouer un pourri. C’est le cas de Robert. En même temps, il me fallait un acteur qui dégage une certaine fragilité, un côté enfantin, cet aspect jeune homme pas complètement terminé. De plus, Rob a une excellente élocution, c’est important pour ce personnage qui n’arrête pas de parler, avec un débit rapide et sur des sujets complexes. Il fallait un acteur capable de porter cette logorrhée. C’est une qualité rare chez les acteurs américains, elle est plus commune chez les Anglais. D’une certaine façon, en interprétant un trader, Rob reste dans la lignée de Twilight : il joue aussi un vampire ! Mais celui de Twilight est doux, gentil et romantique alors que le financier de Cosmopolis est un vampire dangereux.” pour le film. On a aussi l’impression d’être dans la tête d’Eric Packer. On peut aussi la comparer à un utérus. Dans une des scènes, Packer est filmé dans une position fœtale, surprotégé, coupé du monde.” Marx et Freud “Le lien entre argent, sexe et mort n’est plus un scoop depuis Freud. On peut aussi relire Marx, qui a bien analysé le capitalisme et la modernité. Qu’est-ce que la modernité selon Marx ? Rien n’est stable, tout bouge tout le temps, il n’y a plus de sécurité, on est déconnecté de la vie, les relations

sont fragiles, on passe son temps à courir après la dernière nouveauté... Le capitalisme crée, encourage, décuple tout cela. Le film illustre cette course vers l’argent et le pouvoir, cette course vers la mort. Marx et Freud avaient bien cerné ce phénomène né avec le capitalisme et que les nouvelles technologies ont accentué. Aujourd’hui, les ordinateurs s’occupent de tout, y compris des transactions financières. Tout devient de plus en plus abstrait et déconnecté de l’élément humain. On se sent devant une gigantesque entreprise morbide.”

radicalité tranquille “Je suis toujours surpris par les réactions que suscitent mes films, Crash entre autres. Ce film était l’adaptation d’un livre culte qui datait de vingt ans, c’était pour moi une affaire entendue. Lorsqu’il l’a sélectionné pour Cannes, Gilles Jacob m’a dit que Crash allait faire l’effet d’une bombe ! Il avait raison. Dans Cosmopolis, je ne vois pas ce qui pourrait faire polémique, à part peut-être les partis pris de mise en scène. Cela dit, les polémiques ne me dérangent pas, je ne fais pas ce métier pour m’ennuyer ou reproduire des formules usées.” 23.05.2012 les inrockuptibles 81

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Fez qui te plaît Il sort enfin, après quatre ans d’attente fébrile. Cela en valait la peine : Fez est un condensé de grâce, d’intelligence et de générosité.

 O brèves Angry Birds milliardaire La série Angry Birds a dépassé le milliard de téléchargements sur l’ensemble des platesformes où elle est disponible (iPhone, BlackBerry, Android…). Signe que son succès ne se dément pas, la moitié de ce total a été réalisée depuis novembre 2011. Angry Birds, dont la version Space est sortie en mars, a désormais son parc d’attractions en Finlande et a permis à son éditeur Rovio de réaliser l’an dernier un chiffre d’affaires de 75 millions d’euros (dont 30 % grâce aux produits dérivés).

n s’est beaucoup réjoui de l’essor du jeu indépendant. Des possibilités nouvelles de s’exposer que lui apporte le téléchargement – les développeurs fauchés s’émancipent des éditeurs et distributeurs établis. Des ouvertures que lui procurent les évolutions technologiques – la 2D n’est plus nécessairement le signe d’un manque de moyens mais peut être synonyme de choix esthétique. Fez est la meilleure preuve qu’il y a de l’espoir mais aussi que tout n’est pas encore gagné. Car il a fallu bien du temps à l’œuvre du studio québécois Polytron pour devenir jouable. Celle-ci détient d’ailleurs une sorte de record. Quatre ans : c’est le temps qui s’est écoulé entre le premier prix que lui a décerné l’Independent Games Festival (pour son “excellence visuelle”) et sa sortie réelle, précédée par une deuxième récompense (le Grand prix de l’IGF, en mars dernier). Cela valait la peine d’attendre. Si, depuis 2008 tout n’a pas dû être rose pour les joyeux artistes ludiques de Polytron, le fruit de leurs efforts est en tous points éblouissant. Pour donner naissance à un beau jeu vidéo, il faut une grande idée. Mais à partir de là, tout reste à faire – et tant pis si ça prend quatre ans. L’idée : le monde est ce qu’on en perçoit. Et si l’on regarde les choses autrement, il se transforme. Les gâchettes de la manette sont là pour ça.

D’une pression, tout se déplace, la perspective change. Et, tiens, cette plate-forme lointaine devient accessible, ces deux petites échelles fusionnent pour en former une grande, qui nous emmène tout en haut, vers ce petit cube scintillant qui rejoindra notre collection maniaque. Echochrome, Crush et Super Paper Mario avaient déjà joué avec les illusions d’optique que peut engendrer le passage entre des vues 2D et 3D, mais pas avec autant de grâce, d’intelligence, de générosité. Sur notre chemin s’agitent des souris, des lapins, des chenilles, des écureuils stylisés. On jurerait les connaître : leurs semblables en pixels colorés peuplaient les jeux des années 90. Les défis sont corsés, mais personne ne meurt. Un saut mal dosé nous envoie dans le vide ? Pas grave : on recommence, le temps est à l’expérimentation enfantine mais teintée, la musique aidant, d’une légère mélancolie, comme si cet univers de synthèse n’était que provisoire, comme s’il risquait de faner. On tremble, on rit, on s’interroge. Fez est grand. Erwan Higuinen Fez sur Xbox 360 (Polytron), environ 10 € en téléchargement

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Trials Evolution

éternel Retour Une déclinaison quelque peu laborieuse de la série de films Retour vers le futur. Mais dans les marges du jeu, les fans s’en donneront à cœur joie. e jeu d’aventures & Gromit, Jurassic Park, Les limites sont point & click n’est pas The Walking Dead ou autant techniques que mort. Fondé en 2004 Retour vers le futur, dont conceptuelles : l’animation par d’anciens la réinvention en cinq rame (en tout cas sur Wii), employés de LucasArts, qui épisodes, déjà disponible les interactions sont excella jadis dans le genre en téléchargement sur PC, réduites et la progression (Maniac Mansion, Monkey a aujourd’hui droit se révèle bien laborieuse Island…), Telltale s’est à une sortie en boîte malgré une difficulté revue donné pour mission de et sur consoles. à la baisse par rapport le remettre au goût du jour Le jeu démarre en 1986, aux point & click d’antan. en intégrant sa logique un an après la trilogie Reste le plaisir de batifoler (on scrute le décor en quête de Robert Zemeckis, mais dans les marges des films : d’objets à manipuler) dans ne tarde pas à nous envoyer le jeu se traîne, mais il a une forme plus moderne en 1931, où Marty McFly le mérite d’ouvrir un (notre alter ego évolue dans part à la recherche de Doc. espace dans lequel notre des lieux modélisés en 3D). Bien qu’inédite, l’intrigue imagination n’a pas fini Ces dernières années, s’inspire de Retour vers de galoper. E. H. le studio américain le futur 2 et 3 et les clins s’est spécialisé dans les d’œil ne manquent pas. Retour vers le futur sur PS3, adaptations de séries et de Mais il faudra être bon Wii et PC (Telltale Games/ films : Les Experts, Wallace public pour les goûter. Koch Media), environ 20 €

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Sur Xbox 360 (RedLynx), environ 15 € en téléchargement Trois ans après Trials HD, les parcours moto-machiavéliques de RedLynx (auquel chacun peut ajouter les siens) sont de retour en plus tout (riche, beau, subtil, cruel). Roulant en ligne droite, le joueur doit atteindre l’arrivée malgré les obstacles sans chuter en dosant sa vitesse et la position de son pilote. Le résultat est magistral.

Top Gun – Hard Lock Sur PS3 et Xbox 360 (Headstrong Games/505 Games), environ 40 € Après Retour vers le futur, voilà Top Gun : les années 80 sont à la mode dans le monde du jeu vidéo. S’inspirant de la très recommandable saga arcade Ace Combat, Hard Lock nous place aux commandes de ses avions de chasse pour une succession de missions peu inspirées. Dans le genre, on a connu pire mais aussi nettement plus palpitant.

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acid test Stupeur : le crooner anglais Richard Hawley fait parler l’électricité sur un nouvel album nettement plus tortueux et rock. Bonheur : ces quelques gouttes d’acide s’accommodent parfaitement à son thé anglais.

A  Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

près des bijoux roulés à la feuille d’or pur comme Coles Corner ou Lady’s Bridge, après un Truelove’s Gutter à la transparence diamantaire de chefd’œuvre, le nouveau disque de Richard Hawley semble briller d’un éclat moindre. Entendons-nous bien : le léger bémol que l’on ressent aux premières écoutes de Standing at the Sky’s Edge

est à la mesure du niveau où l’on situe le rockeurcrooner de Sheffield. Soit le sommet des cimes du paysage pop-rock actuel. La première chose qui frappe dans cet album, c’est le son, énorme. Le très laid-back Hawley a comme été piqué par un insecte électrique, lâchant tous les chevaux de ses guitares. “Je voulais épurer, supprimer tous les arrangements orchestraux, n’utiliser qu’une

seule arme : la guitare. Il ne faut pas oublier qu’elle était mon premier amour, après ma mère et mon père bien sûr ! C’est incroyable, tout ce qu’on peut faire avec une simple guitare.” Pas de méprise, le délicat Hawley ne s’est pas pris pour le fils caché d’Eddie Van Halen mais lorgnerait plutôt vers le psychédélisme de la fin des 60’s. Des chansons telles She Brings the Sunlight ou Leave Your Body Behind You plantent

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“c’est incroyable, tout ce qu’on peut faire avec une simple guitare”

leur reverb ondulante entre Jefferson Airplane et le Pink Floyd version Syd Barrett : toujours de la pop, mais trempée dans un buvard d’acide. “Si on entend dans le mot ‘psychédélisme’ les fleurs et les arcs-en-ciel, ce n’est pas ça du tout. Dès mon premier album, il y avait un sens de l’espace. J’ai toujours tout écouté, digéré des influences ici et là, pas plus dans ce disque que dans les précédents.”

Quand on se lance dans de telles aventures soniques, de telles digressions instrumentales, le risque est grand de passer le songwriting à la trappe. Ecueil évité. Les chansons plus dépouillées (Seek It, Don’t Stare at the Sun, Before…) révèlent leurs mélodies à nu dans la seconde partie du disque. Et au bout de plusieurs écoutes, les morceaux qui ressemblaient à des jams cosmiques seventies finissent par dévoiler leur finesse harmonique. La tonalité “space” du disque est autant dans les textes que dans le son. Alors que les ambiances nocturnes et pluvieuses dominaient les précédents albums, on entend surtout dans celui-là des mots comme “sky” ou “sun”, comme si la lumière s’était levée sur le ténébreux paysage intérieur de Richard Hawley. Le chanteur ne se sent pourtant pas plus guilleret qu’à son habitude, mais il s’est dernièrement lancé dans une quête métaphysique, se passionnant pour tout ce qui dépasse la vie humaine et l’expérience terrestre. “J’ai lu beaucoup de livres scientifiques sur l’univers, c’est très intéressant. Rien de ce qui est sur Terre n’est originaire de la Terre, tout vient du cosmos. Je ne suis pas dans un délire hippie, ce sont des scientifiques qui le disent. Tout se transforme, nous aussi. Quand nous mourons, nos molécules se recomposent en autre chose. Ça m’a rassuré sur l’idée de la mort, sans avoir besoin de recourir à une religion.” L’heure où son cadavre se transformera en poussière d’étoile n’ayant pas sonné, Richard Hawley connaît une intense activité terrestre. Il a produit un bel album

on connaît la chanson

trop bête instrumental de Duane Eddy (Road Trip), légendaire gâchette du rock avec lequel il a échangé quelques belles envolées twang, et il a écrit des chansons pour Lisa Marie Presley ! “L’album est bouclé, avec des chansons de moi et d’Ed Harcourt, produites par T-Bone Burnett. Avec Lisa Marie, on est devenus bons amis. J’ai failli tomber de ma chaise quand elle m’a appelé ! Il se trouve que l’un de ses musiciens s’était procuré mes albums, les avait adorés, Lisa Marie aussi. Mon idée n’était pas de capitaliser sur elle ou sur son nom mais de l’aider à trouver sa propre voie musicale. Je ne parlais pas de son père avec elle, question de tact. Si vous connaissiez une fille qui a perdu son père à 10 ans, vous n’aborderiez pas ce sujet, n’est-ce-pas ? Mais elle sait que je suis un fan d’Elvis, ça transparaît dans ma musique.” Un fan qui a su trouver sa propre voie avec une classe confondante. Même s’il nous a accoutumés au sublime et que Standing at the Sky’s Edge est seulement excellent, Richard Hawley fait partie de ces maîtres en élégance qu’il faut savoir reconnaître au milieu de la laideur globale. Hawley of Sheffield, c’est comme Harrods of London, l’excellence du style anglais. Serge Kaganski photo Rüdy Waks album Standing at the Sky’s Edge (Parlophone/EMI) concert le 6 juin à Paris (Bouffes du Nord) www.richardhawley.co.uk en écoute sur lesinrocks.com avec

Adam Yauch, aka MCA, fondateur des Beastie Boys, est décédé à l’âge de 47 ans. Souvenirs d’une rencontre qui n’en fut pas une. Adam Yauch, dit MCA, et moi, on ne s’est pas vraiment quittés potes (ça devait lui faire une belle jambe). C’était il y a deux ans. J’avais rencontré les Beastie Boys dans un hôtel parisien pour la sortie de leur album Hot Sauce Committee Part Two et ça ne s’était pas très bien passé entre nous. J’étais dans un mauvais jour, les Beastie aussi très certainement, et l’interview avait tourné au vinaigre : les réponses à mes questions – pas géniales, trop scolaires – n’étaient que des private jokes pourries et inutilisables ; parfois les mecs parlaient carrément d’autre chose. On avait commencé l’entretien dans leur chambre, puis poursuivi dans un taxi, et le peu d’effort fait par les Beastie avait fini par me gonfler. On m’avait proposé de poser quelques questions encore au trio mais je m’étais éclipsé sans même dire au revoir. Quelques jours plus tard, j’ai appris la maladie d’Adam Yauch, je me suis dit qu’il était peut-être déjà au courant lorsque nous nous étions croisés, et que toutes ces questions que je posais n’avaient au fond que très peu d’importance. Le jour de la mort de Yauch, j’ai réécouté les disques des Beastie Boys. Paul’s Boutique, bien sûr, Check Your Head (mon préféré) et Ill Communication. J’ai regardé des vidéos du groupe et notamment celle de Sabotage, qui annoncait presque Pulp Fiction. En écoutant et revoyant tout ça, j’ai compris que ce qui allait me manquer, chez les Beastie Boys – qui ne seront plus les mêmes sans Adam Yauch –, c’est cette fantaisie, cette façon de faire du hip-hop un peu débraillé, loin des poncifs du genre. J’ai compris que j’avais peut-être été trop premier degré, ce jour-là, à Paris. Et que les Beastie Boys n’étaient là au final que pour se battre pour notre droit à faire les andouilles. C’est moi qui ai été un peu con, ce jour-là.

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Rankin

Bonne nouvelle pour les amoureux de Beth Ditto : Gossip promènera sa nouvelle énergie ultrapop entre Bordeaux, Lille, Rennes et Montpellier tout au long du mois de novembre. Les festivals d’été bien digérés, le trio présentera en effet ses nouveaux atours et son dernier album, A Joyful Noise, à l’occasion d’une nouvelle tournée française. Deux dates au Zénith de Paris sont également prévues, les 6 et 7 novembre, en association avec le Festival des Inrocks, qui fête cette année ses 25 ans. Vingt-cinq raisons de plus d’être heureux. le 4 novembre à Bordeaux, les 6 et 7 à Paris (Zénith), le 8 à Lille, le 10 à Rennes, le 26 à Montpellier

Mathieu Tonetti

Gossip : tournée française et 25 ans du Festival des Inrocks

Rouen dans le futur Jusqu’au 10 juin, Rouen vit en avance, à l’heure du festival No(w) Future, organisé par la salle le 106 et sous-titré “Musiques et utopies”. Et c’est bien : après une résidence de Jeffrey Lewis, on y croisera Mirel Wagner, Sébastien Tellier (photo), Thee Satisfaction, Jeff Mills, Emmanuelle Parrenin, Tortoise et beaucoup d’autres. Mais aussi des expos, des conférences, du cinéma. Que du beau monde, de demain. www.le106.com

Animal Collective : une date et un titre On en sait un peu plus sur le nouvel album des zinzins américains. Une semaine après avoir livré deux nouveaux titres, Honeycomb et Gotham, Animal Collective a annoncé, via un teaser posté sur son site officiel, la sortie, à la rentrée, de Centipede Hz. Le successeur de Merriweather Post Pavilion arrivera le 3 septembre dans les bacs et sera le dixième album du groupe. Joie. http://myanimalhome.net

Gaz Coombes fait la bombe à Paris Deux ans après le concert d’adieu de Supergrass à Paris, Gaz Coombes remet les pieds dans la capitale pour présenter son premier album solo, Here Come the Bombs. Un concert qui promet d’être aussi explosif que son album. le 26 mai à Paris (Boule Noire)

Silvere H

Adriano Fegundes

cette semaine

Biarritz en musique Comme chaque année, on ne dormira pas beaucoup à Biarritz au mois de juillet. Le 13, le Roxy Pro, compétition de surf féminine mondiale, ouvre le bal des nuits blanches avec une soirée de concerts gratuits qui verront The Shoes (photo), Singtank et les excellents locaux de The Dedicated Nothing secouer la plage du Port Vieux. Du 18 au 22, le Big Festival prend le relais avec quatre jours de concerts. Au programme : The Rapture, Sébastien Tellier, Peter Doherty, De La Soul, JoeyStarr, M83, Yuksek, Digitalism, Stuck In The Sound, King Charles, Birdy Nam Nam… Roxy Pro, du 10 au 14 juillet, concert gratuit le 13, www.roxy.com Big Festival, du 18 au 22 juillet, www.bigfest.fr

neuf

The Left Banke

Matt Chenot

Liesa Vand Der Aa

J. Thoven Ces Américains ont choisi le nom J. Thoven, sans doute parce que B. Thoven était déjà pris. Avec sa gueule d’angelot dégringolé du ciel sans parachute et sa voix libertaire à la Jeff Buckley, leur chanteur Jake Pappa pourrait très vite devenir un indie-pinboy – pour romantiques et adolescents. http://soundcloud.com/jthoven/ city-maze

Il n’est pas fastoche à retenir, mais n’oubliez surtout pas ce nom : avant un album qui sortira ici à la rentrée, la troublante belge se révèle déjà à travers une dizaine de petits films étranges, où cette proche d’Einstürzende Neubauten pousse la pop très loin de ses bases et pantoufles. http://www.liesavanderaa.be

accordéons de Corrèze Le soir du second tour des élections présidentielles, les images en direct de Tulle révélaient une possible orientation culturelle du quinquennat naissant : l’accordéon, si possible corrézien. Le lendemain, Les Inrocks révisaient leurs classiques : Robert Monédière, Jean Ségurel. www.accordeon.org

Pour fêter la sortie du film de l’ami (Jonathan) Caouette Walk away Renée, titre emprunté au groupe Left Banke, on réécoute en boucle ces orfèvres californiens, et leur pop à la flamboyance inégalée depuis les 60’s. Et du coup, on se jette aussi sur leurs projets parallèles, de Montage à The Beckies. www.leftbankeband.com

vintage

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Franck W. Ockenfels 3

“c’était comme se lancer dans la construction d’une maison à deux, mais sans véritable plan”

Mouse and Ms. Jones Avec un chic album coécrit par Danger Mouse, Norah Jones dévoile sa facette la plus pop. Elle joue à Paris cette semaine.

I

l y a dix ans, Norah Jones publiait son premier album. Intitulé Come away with Me, il valait à la musicienne de se retrouver sur toutes les playlists FM de la planète. Plus de dix millions d’exemplaires vendus – dont deux millions en France – et cinq Grammy Awards : alors âgée de 23 ans, l’Américaine s’offrait une entrée fracassante dans le paysage musical. Un environnement qu’elle fréquentait cependant depuis toujours – on rappelle qu’elle est la fille de Ravi Shankar et la demi-sœur de la joueuse de sitar Anoushka. Depuis ce sacre soudain, la jeune femme a enchaîné des albums en solo, partagé avec Jude Law l’affiche d’un film de Wong Kar-wai (My Blueberry Nights) et participé

à des projets parallèles. On l’a vue jouer dans le groupe The Little Willies ou l’an passé offrir sa voix à Rome, disque composé par Danger Mouse en hommage aux musiques de films d’Ennio Morricone. C’est à cette occasion qu’elle s’est liée d’amitié avec le producteur, de son vrai nom Brian Burton, et, ravie de l’expérience, a fait appel à lui pour son nouvel album Little Broken Hearts. “Brian m’avait contactée pour l’album Rome : il voulait que je chante sur certains morceaux avec Jack White. J’ai découvert son écriture mais aussi son tempérament, qui me plaisent beaucoup. Musicalement, il est très fort : j’aime son éclectisme, le fait qu’il puisse aussi bien faire Rome que le tube Crazy avec Gnarls Barkley.”

La paire s’est donc retrouvée dans le studio du producteur, dans les quartiers est de Los Angeles. “Un endroit tout petit, très chaleureux, plein de vieux claviers. On y a passé cinq jours par semaine pendant deux mois. On a coécrit tous les morceaux et joué tous les instruments nous-mêmes. C’était un peu comme se lancer dans la construction d’une maison à deux, mais sans véritable plan.” Architectes libres, les deux musiciens ont tout de même accouché de ce qui ressemble à un disque-concept. Little Broken Hearts, comme son nom l’indique, est un album de rupture amoureuse. Tout y passe : les questionnements (She’s 22), le désespoir (Take It back), les regrets (4 Broken Hearts, qu’on rebaptiserait bien “4 Broken Bells” tant sa production rappelle Broken Bells, un autre projet de Danger Mouse, avec James Mercer des Shins) et même les fantasmes de vengeance (Miriam, jolie comptine dans laquelle Jones raconte en détail la façon dont elle compte assassiner celle qui lui a volé son amour). “Ça n’était pas difficile d’écrire sur ce sujet car j’ai mêlé fiction et réalité. Tout n’est pas du vécu. J’aime les disques inspirés de ruptures. J’ai notamment un faible pour Sea Change de Beck.” Sombre dans ses textes, Little Broken Hearts est léger dans sa forme. De loin, il dévoile la facette la plus pop de Norah Jones. Souvent, son timbre de voix sucré rappelle celui de Nina Persson des Cardigans (Out on the Road, Say Goodbye). “Je ne voulais pas faire un disque triste mais un album auquel les gens pourraient s’identifier. Je crois aux vertus thérapeutiques de la musique.” Hauts les (petits) cœurs (brisés). Johanna Seban album Little Broken Hearts (EMI) concert le 25 mai à Paris (Olympia) www.norahjones.com en écoute sur lesinrocks.com avec

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Alain Garnier

IAM devant le magasin Ticaret, à Paris, en 1991

aux sources du rap A l’orée des années 90, la compilation Rapattitude révélait l’excitant potentiel du rap français. Dix ans de succès, avant le déclin. Retour sur les lieux du drame, à l’occasion de la sortie d’un coffret et d’un concert.

E

n 1990, le rap français n’existe pas. Les premiers disques de Dee Nasty (1984) ou de Destroy Man & Jhony Go (1986) demeurent trop confidentiels pour en saisir le potentiel. Solo, du groupe Assassin, se souvient pourtant de la foi quasi religieuse qui agite le milieu : “On se connaissait tous. On était dans la compétition, tout le monde se toisait, les rivalités étaient exacerbées mais on faisait bloc, on avait cette sensation

“c’était le truc du moment, toutes les majors voulaient leur rappeur” Olivier Cachin

d’être une alternative à tout le reste.” C’est ici que s’enracine la compilation Rapattitude, téléguidée par Labelle Noir et la major Virgin, qui rassemble ce rap naissant, d’Assassin à EJM, Dee Nasty ou Suprême NTM. Rapidement, les 40 000 exemplaires écoulés indiquent que la scène est assez solide pour envisager un business, malgré la presse déphasée qui n’en retient que les “yo !” et l’étrange coupe de cheveux d’Akhenaton : “C’est le truc du moment, toutes les majors veulent leur rappeur, s’amuse Olivier Cachin, qui anime alors Rapline sur M6. NTM signe chez Sony, EJM chez BMG, IAM chez Virgin…”

Jusqu’à ce que Solaar, qui rafle une Victoire de la musique en 1992, officialise le séisme. La loi dite “des quotas”, qui oblige les radios à diffuser 40 % d’œuvres d’expression française, fait le reste dès 1996, notamment via Skyrock. Désormais relayés nationalement, NTM, Fonky Family, Oxmo Puccino ou 113 empilent réussites artistiques et disques d’or, tandis que IAM et Doc Gyneco heurtent le million. Le rap est partout, en dépit des coups de plafond que se mangent NTM ou Ministère Amer, régulièrement mis en cause par les autorités.

Mais la fièvre retombe. Dès 2000, les réjouissances se raréfient, les chiffres diminuent. Saturé de recettes devenues des formules, bousculé par la crise et les majors qui mettent fin aux contrats, le rap réalise qu’il est tout seul. Défaut d’organisation que regrette Solo : “Il y a toujours eu ce ‘moi, moi, moi’ et une certaine immaturité dans la gestion du succès. On n’a jamais été dans la construction, même si certains l’ont tenté via leurs labels ; la transmission ne s’est pas faite.” Pour Dee Nasty, qui a toujours cherché à fédérer l’utopique nation rap, c’est intrinsèque au genre : “Au tout début, déjà, il y avait une scène ragga qui fonctionnait bien. Leurs sound-systems tournaient et ils se moquaient tout le temps de notre défaut d’organisation… Chez nous, il n’y avait aucune unité, c’était plein de jalousie, de rancunes.” De retour à la rue, les survivants s’autoproduisent mais, malgré quelques disques d’or (Lunatic…), la manne semble tarie. “Le milieu n’a pas bénéficié de ce qui a été généré, remarque Solo. On ne peut pas dire, au niveau social, politique ou culturel, que le hip-hop ait aujourd’hui un poids, contrairement aux Etats-Unis. Où est le Def Jam français ?” Espérons que les albums à venir des pionniers Solo et Dee Nasty insufflent de nouveau au rap français un peu de cette fièvre originelle qui les a portés si puissamment. Thomas Blondeau album Rapattitude (3 CD, Virgin/EMI) concert le 26 mai à Paris (Nouveau Casino), avec Assassin, Tonton David, EJM & DJ Fab, Rocca, Dee Nasty en écoute sur lesinrocks.com avec

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Kostia Petit pour vente-privee.com

Iggy Pop Après www.venteprivée.com Iggy Pop revisite la chanson française, avec un accent à couper au cran d’arrêt. ggy chante Brassens, tel est le pitch de ouf de ce recueil de reprises ! Un peu comme si Stallone jouait dans le prochain Assayas ou que Snoop Dogg déclamait du Mallarmé. En fait, que l’ori(lance)flamme des Stooges reprenne des chansons douces n’est pas une surprise : il a toujours clamé son admiration pour Sinatra et sa voix vieillie en fûts de chaînes a souvent fait merveille sur les ballades, comme le montrait le bon Avenue B. paru en 1999. Ce qui étonne, c’est le choix de reprises françaises. La bite humaine de Detroit semble fredonner du Joe Dassin ou du Henri Salvador sans trop comprendre les paroles, façon touriste américain perdu dans Paris qui ahane phonétiquement une phrase apprise par cœur dans un guide. Charmant, voire touchant, mais la torche du rock reste plus à l’aise et convaincante dans le répertoire américain et donne ici de belles relectures du Everybody’s Talkin’ de Fred Neil (mélodie imparable roulée dans un beau timbre de basse), du What’s This Thing Called Love de Cole Porter (idéal pour nuit consumée) ou du Only the Lonely de Roy Orbison. Pendant si longtemps félin rugissant le plus féroce du rock, Iggy rentre les griffes et ronronne, pour un album profilé crooner, intimiste et inégal. Que reste-t-il quand on a tout brûlé, connu toutes les guerres, survécu à toutes les fournaises ? Quelques chansons dénudées, murmurées au creux de la nuit, pour accompagner le dernier verre, atténuer la fatigue d’avoir trop joui et trop vécu. Serge Kaganski

I

www.iggypop.com en écoute sur lesinrocks.com avec

Absynthe Minded As It Ever Was AZ/Universal Cette étrange fanfare belge surprend et enchante. Le cinquième album de Bert Ostyn et sa bande de violoniste rêveur, organiste aérien, contrebassiste droit dans ses bottes et plus si affinités, constitue l’un des rares exemples de pop épicurienne où l’absence de formule est élevée à hauteur de l’un des beauxarts. Le quintet savait jadis touiller dans son pot belge tradition klezmer, jazz et rock. Il aborde ici un virage mélodique, tendre et généreux, riche d’une confondante instantanéité. Affect, nostalgie et sensualité nourrissent ces douze chansons riches de petites attentions et d’une pertinence mutine. Chaque refrain comme une surprise, chaque surprise comme une ouverture vers un autre univers, et un disque épatant car chaleureux. Christian Larrède www.absyntheminded.be en écoute sur lesinrocks.com avec 23.05.2012 les inrockuptibles 91

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various artists Cumbia cumbia World Circuit/Harmonia Mundi Avant la cumbia à toutes les sauces, il y avait la cumbia nature : compile parfaite. En 1981, on la connaissait sous le nom de “la musique de la pub Nescafé”. Trente ans plus tard, la cumbia a déferlé sur le monde. Cette compilation de trente classiques du label colombien Discos Fuentes, enregistrés entre 1954 et 1980, vient redonner le goût de la cumbia vintage : cuivres et accordéons facétieux, groove chaloupé, contrebasses girondes, mélodies en folie, entre salsa et rocksteady, musique rurale et exotica. Et La Colegiala, présente ici, était un sacré bon morceau – pour les palais raffinés et sensibles, comme on disait dans la pub. Stéphane Deschamps

Chris Strong

www.worldcircuit.co.uk

Birthmark Antibodies Polyvinyl/La Baleine Compliquée mais réjouissante, l’étrange pop d’un Américain zinzin. e l’Anglais Elbow à l’Américain Birthmark, c’est une influence un rien honteuse mais constante chez pas mal de musiciens alambiqués et ambitieux : Peter Gabriel. Mais Nate Kinsella, homme seul de ce projet pourtant richissime, a préféré détourner les yeux de la grandiloquence et de l’emphase, ne conservant de l’ancien chanteur de Genesis qu’une excentricité hors cadre, un mépris des routines et des plans de vol. Son truc, c’est le vol libre, les zig-zags zinzins, les chansons gigognes, quinze en une, barrées, indomptées, libres même si toujours étonnamment pop. Des fois, c’est tellement touffu et opaque qu’on s’y perd comme dans un cauchemar prog-rock, mais quand cet éminent membre de Joan Of Arc tient une mélodie et s’y accroche à peu près (la presque raisonnable Stuck, si on fait abstraction de ses mots maudits), il devient un excellent compagnon pour la gymnastique expérimentale – attention aux contusions, quand même. JD Beauvallet

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www.birthmark.bandcamp.com en écoute sur lesinrocks.com avec

Maps & Atlases Beware and Be Grateful Fat Cat/Discograph

Sweet Lights

Ces Américains font des choses coquines aux mélodies. Que peut évoquer Maps & Atlases sinon une fuite nerveuse au gré du vent ? Car si le souffle de Dave Davison fait parfois penser à Phil Collins (la pourtant belle Fever), la guimauve est ici malaxée jusqu’au durcissement, pour un son rocailleux au-dessus duquel planent les idées folk de Bon Iver (Old & Gray). Celui-ci partage d’ailleurs avec le leader de Maps & Atlases le goût d’une pilosité peu soignée : baroudeur barbu, parcourant l’Atlas sans aucune carte.

Sweet Lights Highline/La Baleine

Maxime de Abreu www.mapsandatlases.org en écoute sur lesinrocks. com avec

Réédition d’un trésor caché de la pop 60’s ? Non, un habile musicien de 2012. mes sensibles, pour qui un accord de guitares des Byrds, une envolée baroque de Left Banke ou une mélodie des Zombies peut provoquer frissons et larmes, ces Sweet Lights pourraient être la lumière de votre printemps. Commes les Sneetches ou les Posies, cet Américain, fondateur de The War On Drugs, fait dans le meuble de style, de luxe : réplique à l’identique des classiques de la jangly ou sunshine pop, en pur design sixties. Mais si le son, l’artisanat et les manies ne lui appartiennent pas, les mélodies et des arrangements loufoques sauvent largement ce ravissant premier album de la parodie, du film de costume. Et posent une question d’éthique : à combien d’exemplaires Shai Halperin, homme seul des Sweet Lights, s’est-il autocloné, pour ainsi tenir tous les instruments, les manettes, le stylo, le micro et même les chœurs ? JDB

A

www.myspace.com/sweetlights#!

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The Brian Jonestown Massacre Aufheben A Records/Differ-ant

Lonely Drifter Karen Poles Crammed Discs Le folk tendu de ces nomades se mue en une pop extraterrestre. irez les rideaux, enfermez le coucou dans la pendule et laissez cramer le bacon… Plus qu’un voyage, le dernier album du tandem hispanoautrichien Lonely Drifter Karen est une introspection. L’écoute de Poles se déroule suivant le même protocole que l’analyse du spectre d’une étoile : on cherche le nouvel élément bousculant la palette sonore de leur troisième album en balayant les pistes comme on balayerait les longueurs d’ondes. Folk contemplatif mué en pop surréaliste, cette parade extraterrestre défie la notion d’espace-temps. Des cliquetis acides, harpes métalliques et synthés longent

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les chemins sinueux de l’inconscient collectif. La voix de la chanteuse Tanja Frinta se sublime et se consume sur Exactly Light, laissant une traînée sableuse sur son passage. Sur Comet, au contraire, elle se démultiplie et des voix intérieures prennent le relais, cris ou chuchotements : plusieurs identités au service d’une schizophrénie précoce. Tout droit sortie d’un livre de science-fiction de Barjavel, la pop de Lonely Drifter Karen va faire des ravages. Abigaïl Aïnouz www.myspace.com/lonelydrifterkaren en écoute sur lesinrocks.com avec

De Berlin, le nouveau trip hallucinogène d’Anton Newcombe. Fermons les yeux sur cette pochette mystico-ésotérique. Car on sait que les spirales avachies d’Anton Newcombe savent atteindre des sommets de psychédélisme narcotique, théorie confirmée ici quand ses mélodies résistent à la torpeur. Epaulé par Will Carruthers (ex-Spacemen 3 et Spiritualized), Newcombe s’est exilé à Berlin mais son esprit continue de divaguer dans la Voie lactée. Noémie Lecoq concerts le 13 juin à Rennes, le 14 à Toulouse, le 17 à Montpellier, le 30 au Rock dans tous ses états, le 1er juillet aux Eurockéennes, le 3 à ClermontFerrand, le 4 à Paris (Trianon) www.brianjonestownmassacre. com

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Mathias Fossum

Team Me To the Treetops! Propeller Recordings Hilare, psychédélique et foutraque, la pop de Norvégiens champions en leur pays – et bientôt du monde, grâce à des concerts sublimes. ls sont norvégiens et s’appellent titre, un Show Me aux mille voix, Team Me, mais on les le ton est donné : entraîné par renommerait bien The Go Team Marius Drogsas Hagen, Team Me Me, et surtout pas Timides. se lance dans une formidable Comme les Anglais, les Scandinaves campagne sonore anticrise, – cinq garçons, une fille – jouent antispleen, anti-lose. Dans la forme des pop-songs psychotropes et du moins. “La plupart de nos illuminées. Comme eux, ils crient chansons sont tristes si vous écoutez souvent autant qu’ils chantent leurs les paroles”, nuance le chanteur. morceaux, sans jamais négliger La schizophrénie est donc totale : les chœurs pour autant. Difficile, trompettes, flûtes, glockenspiels, d’ailleurs, de ne pas entrevoir violons et claviers semblent ici un autre lien de parenté, qui traverse réquisitionnés pour assurer, dans l’Atlantique cette fois : les chansons la joie, la relève des Flaming Lips de Team Me évoquent souvent les et du Polyphonic Spree. délices psychédéliques de MGMT, Acrobate, Team Me ose mais des MGMT qui se seraient les grands écarts : dans le même shootés au gaz hilarant sous le titre de chanson, le groupe fait soleil de minuit et feraient la queue se côtoyer le brillant Patrick Wolf leu leu avec Passion Pit en se et l’affreux jojo Daniel Johns goinfrant d’omelettes norvégiennes. (ex-leader de Silverchair !). To the Treetops!, le premier album Une largesse d’esprit qui va comme du groupe, lui a été inspiré par un gant à une troupe capable de son enfance à Elverum, petite ville sauter de l’electronica joueuse au de 20 000 habitants située en plein folk épuré, parfois sur le même cœur de la Norvège. Il commence titre. Si les Norvégiens siègent à la avec une longue déflagration pop table des groupes indie-pop, leur de sept minutes : refrain rayonnant, ADN et leur démarche flirtent avec chœurs radieux… Dès le second le hip-hop et la culture du sample. En Norvège, le disque a valu au groupe une victoire de la musique l’an passé. Qu’il rencontre un succès comparable ici serait une bonne nouvelle pour le moral des Français. Johanna Seban

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concert le 25 mai à Paris (Flèche d’or) www.teamme.no 96 les inrockuptibles 23.05.2012

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Appia Kwa Bridge Strut Records/La Baleine

Pionnier de l’afro-beat, le Ghanéen reste vert et merveilleux. Deuxième album de la résurrection, toujours en compagnie de l’Afrobeat Academy, mais également du batteur Tony Allen et du non moins renommé Oghene Kologbo, guitariste originel d’Africa 70. A l’instar de Fela, le guitariste ghanéen Ebo Taylor sut, dès les années 70, apparier jazz et tradition, comptines et chants martiaux, et imposer l’afro-beat à tout un continent. Appia Kwa Bridge (du nom d’un pont où les habitants ont coutume de palabrer dans la ville natale du musicien) est un florilège de calypso groovy dans lequel l’Afrique pousse sa corne, un plat de gumbo autour duquel se retrouvent fanfare néo-orléanaise et sorciers ghanéens. Conclu par un hommage (une guitare acoustique et c’est tout) à l’épouse récemment disparue, ce merveilleux album confirme l’éternité de l’art d’Ebo Taylor. Christian Larrède concert Le 1er juin à Paris (Cabaret Sauvage) www.myspace.com/ebotaylor en écoute sur lesinrocks.com avec

Léonore Boulanger

Ebo Taylor

Jean-Daniel Botta Ammi-majus : grand goûter Le Saule Entre jazz, blues et folk, un trésor de grâce et de classe. l’écoute de Black Orchid, le dernier album de la chanteuse Malia, on s’était parfois surpris à oublier le joyau (des reprises de Nina Simone) pour mieux admirer l’écrin : une musique menée par un trio d’instrumentistes – Alexandre Saada (claviers), Jean-Daniel Botta (cordes) et Laurent Sériès (percussions) – qui déjouait les clichés avec une délicatesse rare. Avec en sus la chanteuse Léonore Boulanger et l’ocariniste Benjamin de Roubaix, fils de François), la même fine équipe se retrouve ici. L’ammi majus est une fleur en forme de petits feux d’artifice, qui pousse dans les champs et les terrains vagues, et Ammimajus un album de chanson buissonnière qu’on aime un peu, beaucoup, puis à la folie douce. Ici, Jean-Daniel Botta chante. Ammi-majus n’est pas un album de jazz. Plutôt de chansons folk. Mais du jazz, il a gardé la souplesse, le goût des digressions sensuelles. Le disque semble avoir été enregistré sur le rebord de la fenêtre, par une belle journée de printemps, en Afrique ou près d’une rivière. La guitare folk-blues d’un Mississippi John Hurt sans heurts. Des chansons sur la pointe des pieds nus, entrechats sauvages et tendres. Les fusions étales de Robert Wyatt, la minimalice de Mathieu Boogaerts, les psalmodies mélodiques de Dominique A, et bien d’autres choses plus insaisissables qu’un papillon. Un disque de fol-song(es) aérien, plein de mystères, de pollens et de promesses. Que cet album sorte au printemps n’est sans doute pas un hasard. Stéphane Deschamps



concerts le 24 mai à Paris (Scène du Canal), les 8 et 9 juin à Vareilles, le 15 à Allonnes www.lesaule.fr 23.05.2012 les inrockuptibles 97

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Hyphen Hyphen Wild Union Hyphen Club La pop atomique et frénétique d’un impressionnant collectif niçois. epuis son concert agité de seuls mentors. Parfois, on aimerait la Villa Inrocks du Festival pourtant leur conseiller de de Cannes 2011, ce collectif ne pas fatalement mettre quinze mixte et international basé chansons en une, de rester fidèles, à Nice a fait beaucoup de progrès ne serait-ce que trente secondes, à – au sens “rock progressif” une mélodie. Autant demander à un du terme. Car il est déjà loin adolescent de ranger sa chambre. le temps où Santa, Line, Puss et C’est ce bordel, cette hâte, ces Zak cavalaient jusqu’au Royaumeentassements hasardeux en piles Uni sur la promenade des Anglais, jamais droites qui font de cet ep aux trousses des empressés une expérience aussi captivante Late Of The Pier ou Foals. Dans qu’éreintante. Le premier titre ce rock cubiste, concassé, défoncé s’appelle Major Tom. Contrairement de breaks et riffs cosmiques, à ce que chantait Bowie, il a ils n’ont aujourd’hui de leçons depuis longtemps rompu le contact à recevoir de personne : leur avec la Terre. JD Beauvallet impatience, leur boulimie et leur www.lesinrockslab.com/hyphen-hyphen frénésie sont désormais leurs

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Jonny Teardrop X X En France aussi, on paie les conséquences de la marée noire The XX. Lentes comme une chanson de Low, noires comme une nuit partagée avec une seule guitare, les chansons lo-fi de Jonny Teardrop ne rendent pas hommage, comme son nom pourrait le laisser entendre, à Suicide, mais peuvent se révéler suicidaires. www.lesinrockslab.com/jonnyteardrop

Becoming Real Antartic City Pas un hasard si la chanson des Londoniens s’appelle Antartic City, et leur label, Cold World. C’est sur la banquise que s’épanouit cette soul à peine humanisée, à la manière de Massive Attack, par une voix languide qui n’en mène pas large. soundcloud.com/becoming-real

LA Vampires By Octo Octa Wherever, Boy Quand elle ne dirige pas le très bon label angeleno 100 % Silk, Amanda Brown prend en main les LA Vampires. Associée le temps de cette bombinette house au producteur electro lo-fi Octo Octa, elle revisite avec nostalgie et tendresse les 90’s. L’équipe 100 % Silk, qui mérite bien son nom, sera à Paris le 5 juin au Pompon. soundcloud.com/life-or-death-pr/la-vampires-by-octo-octa

The Dedicated Nothing Running Away Quand Sébastien Tellier chantait qu’il rêvait de “Biarritz en été”, il pensait peut-être aux jeunes Basques de The Dedicated Nothing et à leur rock urgent, sombre et ultramélodique. Après La Femme, une autre excellente raison de se rendre au Roxy Jam Festival de Biarritz, en juillet, histoire de vérifier sur pied. soundcloud.com/the-dedicated-nothing 98 les inrockuptibles 23.05.2012

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dès cette semaine

Ariel Pink’s Haunted Graffiti (+ R. Stevie Moore) 26/5 Paris, Parc de la Villette Arthur H 2/6 Saint-Denisde-Pile, 3/6 Maubeuge, 16/6 Sète, 22/6 Saint-Denis, 23/6 Ruoms, 24/6 Paris, Solidays 30/6 Tourlaville, 30/11 Paris, Trianon Art Rock du 25 au 27/5 à Saint-Brieuc, avec Breton, Rover, 1995, Juveniles, Mansfield.TYA, Theophilus London, etc. A$AP Rocky 12/6 Paris, Bataclan

Citizens! 7/6 Paris, Point Ephémère Atlas Sound 6/6 Paris, Trabendo Beach House 29/5 Paris, Maroquinerie Bilbao BBK Live du 12 au 14/7 à Bilbao, avec Radiohead, The Cure, The Gift, Tribes, The Kooks, Carizonas Glasvegas, Band Of Skulls, etc. The Black Lips 28/5 Marseille, 23 et 24/7 Paris, Trabendo Bonga 31/5 Paris, Cabaret Sauvage Bon Iver 15/7 Paris, Olympia

Gaz Coombes 26/5 Paris, Boule noire Crocodiles 5/6 Paris, Nouveau Casino Days Off du 30/6 au 9/7 à Paris, Cité de la Musique, Salle Pleyel avec Sufjan Stevens, Hot Chip, Breton, St Vincent, Steve Reich, etc. Django Django 23/5 Strasbourg, 25/5 Paris, Maroquinerie, 26/5 ClermontFerrand Dominique A 19/6 Paris, Casino de Paris Eiffel 23/5 Paris,

aftershow

Electric Guest 21/5 Paris, Cigale, 22/5 Paris, Maroquinerie Europavox du 25 au 27/5 à ClermontFerrand, avec Dionysos, The Hives, Django Django, The Kills, 1995, Stuck In The Sound, etc. Ewert And The Two Dragons 23/5 Nantes, 24/5 Strasbourg, 26/5 ClermontFerrand Extra Life 1/6 Roubaix, 2/6 Paris, Flèche d’Or, 3/6 Lyon, 4/6 Montpellier Festival Crossover du 26/5 au 3/6 à Nice, avec Cypress Hill, Metronomy, MF Doom, Popof,

Charlotte Gainsbourg, Connan Mockasin, etc. Frànçois & The Atlas Mountains 7/6 Tours, 8/6 Saint-Lô, 14/6 Lorient, 15/6 Bourgsur-Gironde, 29/6 Montendre, 17/10 Paris, Cigale Charlotte Gainsbourg (+ Connan Mockasin) 24/5 Lausanne, 26/5 Reims, 29/5 Nancy, 30/5 Grenoble, 31/5 Nice General Elektriks 23/5 Le Mans, 24/5 Angers, 26/5 SaintLaurent-deCuves, 1/6 Saint-Pierre, 23/6 Villeurbanne, 24/6 Paris, Solidays, 29/6 Montargis, 14/11 Paris, Zénith

The Aikiu

Inrocks Lab Party le 15 mai à Paris, Flèche d’Or Pour sa deuxième édition de l’année depuis la reprise du concours, la soirée Inrocks Lab Party a définitivement pris ses marques à la Flèche d’Or. C’est à Neeskens que revient la lourde tâche d’ouvrir les festivités. Seul sur scène, armé uniquement de sa guitare, le baroudeur d’origine néerlandaise dévoile un univers simple et mélancolique. De sa voix chaude et tremblotante, il chante des complaintes folk pleines de vécu que n’auraient pas reniées Joe Purdy ou Damien Rice. Vient ensuite le tour de Caandides. Caché derrière des projections, le jeune groupe parisien s’efface derrière sa pop élastique et énigmatique, toute en cassures et fêlures, dans laquelle on croit déceler certaines influences exotiques. Seul le batteur danse et gesticule dans tous les sens, comme possédé derrière ses fûts. Mais ce sont The Aikiu les véritables maîtres de la soirée. Arborant une chemise au motif vintage terriblement eighties à l’image de leur musique new-wave, le chanteur perce de sa voix froide les brumes de la scène. Les tubes imparables que sont Pieces of Gold ou The Red Kiss font leur effet et le public ne voit pas le temps passer : enchanté, il continuera de danser longtemps après. Guilhem Denis

Girls 30/5 Paris, Villette Sonique, 31/5 Marseille Gossip 4/11 Bordeaux, 6 et 7/11 Paris, Zénith, 8/11 Lille, 10/11 Rennes, 26/11 Montpellier Richard Hawley 6/6 Paris, Bouffes du Nord Hooded Fang 26/5 Paris, Flèche d’Or Hot Chip 7/7 Paris, Cité de la Musique (avec Breton) The Hundred In The Hands 28/5 Paris, Café de la Danse Jay-Z (+ Kanye West) 1 et 2/6 Paris, Bercy Norah Jones 25/5 Paris, Olympia, 13/7 Juanles-Pins, 13/9 Strasbourg

Roger Sargent

Aline 11/6 Paris, Maroquinerie, 28/7 Hyères

Point Ephémère, 24/5 Lyon

Pierre Le Bruchec

Camille 30/5 Bruxelles, 31/5 Reims, 23 & 24/10 Paris, Olympia

!!! 26/5 Paris, Gaîté Lyrique

nouvelles locations

Pop’pea Le Théâtre du Châtelet fait le grand écart entre passé et présent avec cette adaptation pop-rock du Couronnement de Poppée, opéra écrit au XVIIe siècle par Monteverdi. Le casting, léché, est à la hauteur du projet puisque Carl Barât (photo), ex-moitié des Libertines, partagera l’affiche avec Benjamin Biolay. Un groupe de rock revisitera les partitions de Monteverdi, pour un rendu électrique. du 29/5 au 7/6 à Paris, Théâtre du Châtelet Justice 24/5 Paris, Zénith, 25/5 Lyon, 19/7 Nîmes, 31/5 Toulouse Kap Bambino 24/5 Marseille, 25/5 Toulouse 18/6 Lyon Lambchop 5/11 Lille, 15/11 Fontaine, 16/11 Vedenheim La Femme 1/6 Paris, Flèche d’Or Jeffrey Lewis And The Junkyard 17/5 Lille, 19/5 Lyon, 20/5 Bordeaux, 21/5 Toulouse, 22/5 Marseille Liars 7/6 Paris, Nouveau Casino, 9/6 Bruxelles M83 10/6 Marseille, 11/6 Lyon, 12/6 Paris, Olympia Connan Mockasin 24/5 Lausanne, 26/5 Reims, 29/5 Nancy, 30/5 Grenoble, 31/5 Nice Montreux Jazz Festival du 29/6 au 14/7 à Montreux, avec Alabama Shakes, Woodkid, Lana Del Rey, Bob Dylan, Juliette Gréco, etc. My Best Fiend 25/5 Evreux, 26/5 Paris, Point Ephémère No(w) Future jusqu’au 10/6 à Rouen, avec Sébastien Tellier, Tortoise,

Yeti Lane, Grimes, Piano Chat, Jeff Mills, Mirel Wagner, Jeffrey Lewis, Haight-Ashbury, etc. Paco Volume 29/6 Paris, Bus Palladium Papillons de nuit du 25 au 27/5 à Saint-Laurentde-Cuves, avec Peter Doherty, Etienne de Crécy, Yuksek, Orelsan, Hollie Cook, General Elektriks, Skip The Use, Granville, etc. The Pogues 11/9 Paris, Olympia Poliça 5/6 Paris, Flèche d’Or Pony Pony Run Run 26/5 Ramonville, 6/6 Céligny, 7/6 Dijon, 8/6 Montereau, 14/6 Le Mans, 16/6 Tourcoing, 23/6 Béthune, 28/6 et 1/7 Marseille Radiohead 10/7 Nîmes, 11 et 12/10 Paris, Bercy, 16/10 Strasbourg Revolver 24/5 Savignyle-Temple, 25/5 Marignyle-Hongre, 26/5 Bordeaux, 27/5 Toulouse, 30/5 Paris, Cigale, 7/6 Crans, 30/6 Arras, 25/10 Paris, Olympia The Roots 23/6 Paris, Zénith

en location

Rover 23/5 Brest, 26/5 SaintBrieuc, 24/10 Paris, Alhambra Shabazz Palaces 24/5 Reims, 25/5 Paris, Parc de la Villette The Shoes 13/6 Paris, Olympia Sigur Rós 24/8 Paris, Rock en Seine Sziget Festival du 6 au 13/6 à Budapest (Hongrie), avec Placebo, The Stone Roses, The Ting Tings, Crookers, etc. John Talabot 27/5 Paris, Trabendo Team Me 25/5 Paris, Flèche d’Or Tindersticks 7/7 Caen, 8/10 Lille, 9/10 Nantes, 10/10 La Rochelle, 12/10 ClermontFerrand, 13/10 Strasbourg, 14/10 SaintEtienne, 16/10 Marseille, 17/10 Montpellier, 18/10 Toulouse Trailer Trash Tracys 23/5 Lorient, 24/5 Nantes, 26/5 Brest Turzi 25/5 Paris, Cité de la Musique Carmen Maria Vega 2/6 Pessac, 3/6 Tournus, 13 et 18/6 La Réunion, 21/6 Paris, scène Fair, 23/6 Arras, 24/6 Audincourt, 28/6 Le Havre, 30/6 PontAudemer Villette Sonique du 25 au 30/5 à Paris, Parc de la Villette, avec Tristesse Contemporaine, Julia Holter, Girls, Nguzunguzu, Egyptology, etc. Jack White 2 et 3/7 Paris, Olympia The Young Professionals 22/6 Paris, Gaîté Lyrique

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ouvriers, toujours ensemble A rebours des idées reçues, des travaux de sociologues insistent sur la persistance d’une culture ouvrière. Bien que transformée, elle se définit encore par une condition commune : l’exploitation.



n ayant pour 68 % d’entre eux voté pour François Hollande au second tour de l’élection présidentielle, les ouvriers viennent de démentir certaines idées reçues qui circulent depuis des années dans l’espace politico-médiatique : le Front national serait devenu le premier parti ouvrier de France, le vote de classe ne signifierait plus rien, la gauche ne formerait plus un horizon d’espérance pour les classes populaires… Cette ritournelle, aussi fausse dans ses analyses sociologiques que vicieuse dans ses sous-entendus idéologiques, insiste sur le gaucho-lepénisme et associe les ouvriers à un groupe social extrémiste, xénophobe et infidèle à ses engagements républicains historiques. Or, et en dépit d’une relative attraction que le FN opère chez certains ouvriers (un tiers d’entre eux ont voté pour Marine Le Pen au premier tour) et surtout de leur abstentionnisme renforcé (32 % au second tour, 19,7 % pour l’ensemble de l’électorat), les ouvriers sont restés, au moment de la lutte “finale”, attachés au camp de la gauche. Les vieilles lois sociologiques qui éclairent la structuration du vote – le niveau de revenu, l’appartenance socio-professionnelle, mais aussi la classe d’âge, le territoire, la culture locale… – se perpétuent par-delà les transformations de l’histoire et du rapport des citoyens à l’offre politique. Cet écart entre la réalité de la condition ouvrière et la représentation dominante qui s’est imposée dans le champ médiatique tient en partie à la fragilisation de son unité en tant que classe homogène et politiquement organisée. Comme le soulignait le grand sociologue Robert Castel en 2009 dans La Montée des incertitudes, “la classe ouvrière a perdu la partie”. Cette défaite signifie que la classe ouvrière n’occupe plus la position de centralité qui avait été la sienne dans l’histoire sociale depuis plus d’un siècle, précise Gérard

Mauger dans un passionnant ouvrage collectif autour de l’œuvre de Castel, dirigé par Claude Martin, Changements et pensées du changement. S’en dégage entre autres cette idée théorisée par Castel : la classe ouvrière a été “minée, contournée, débordée par une transformation sociologique profonde de la structure du salariat”. Une dépossession survenue selon lui en deux temps : le passage de la société industrielle à la société salariale puis, dès la fin des années 70, celle de l’ébranlement de la société salariale, avec le développement d’un sous-marché du travail et la constitution d’un “infra-salariat”. Pour Robert Castel, seule une recollectivisation des “situations qui se développent de plus en plus sous la forme d’une individualisation dérégulée” peut apporter les protections nécessaires à une classe ouvrière fragilisée par ces transformations. L’aliénation de la classe ouvrière se joue dans cette dépossession d’elle-même en tant que classe solidaire. Le philosophe Michaël Foessel rappelle dans le précieux Dictionnaire politique à l’usage des gouvernés, dirigé par Fabienne Brugère et Guillaume le Blanc, que le concept d’aliénation “établit, sur un mode négatif, le lien qui existe entre les capacités de dire ‘je’ et le pouvoir d’inscrire son action dans le monde”  et “contribue donc à conférer un sens politique aux sentiments de dépossession”. Cette dépossession est d’autant plus saisissante qu’elle se déploie alors même que la classe ouvrière échappe, à rebours d’un autre cliché, à son érosion numérique : les ouvriers sont plus de six millions en France et partagent, par-delà leurs activités de moins en moins homogènes, des expériences communes. Quelques sociologues, comme Stéphane Beaud et Michel Pialoux (cf. Retour sur la condition ouvrière, paru en 1999, et réédité aujourd’hui en poche), éclairent ces visages contemporains de la culture ouvrière.

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bannir le mariage

Joan Bardeletti/Picturetank

Oui au mariage homosexuel. Mais comment vouloir encore se marier quand on a lu toute la littérature mondiale ?

dans ces textes, on entend et on comprend l’usure, l’accident, la fatigue nerveuse, la rudesse des défis physiques Cette communauté de destins se joue en grande partie sur la question de la souffrance du corps au travail. De multiples récits, entre confessions, immersions et témoignages, ont récemment décrit le quotidien de ces corps ouvriers usés et évoqué l’inscription du travail dans la chair, par la douleur de gestes répétés, la violence d’une épreuve physique et mentale. Florence Aubenas (Le Quai de Ouistreham), Anna Sam (Les Tribulations d’une caissière), Michel Pialoux et Christian Corouge (Résister à la chaîne)… : dans tous ces textes, on entend et on comprend l’usure, l’accident, la fatigue nerveuse, la rudesse des défis physiques. Des notions que le sociologue Thierry Pillon creuse dans son livre, Le Corps à l’ouvrage, dans lequel il analyse le cadre “sensoriel” de la condition ouvrière à partir de textes d’intellectuels (L’Etabli de Robert Linhart, La Condition ouvrière de Simone

Weil…) et de témoignages d’ouvriers, mécaniciens, OS et chaudronnier rédigés depuis un siècle (Travaux de Georges Navel ; Une année ordinaire de Jean-Pierre Levaray, Ouvrière d’usine ! de Sylviane Rosière…). Traversant toutes ces paroles ouvrières dispersées dans le temps et l’espace, quelques motifs obsessionnels s’imposent : le bruit, l’odeur, la chaleur des lieux, le regard des autres… A l’usine, à la mine, à l’atelier, mais aussi dans les secteurs des services (nettoyage, entretien, manutention, livraison…), ces paroles ouvrières sont la trace d’une condition partagée. Dans ce collage éclectique de mots répétés qui disent les maux éternels, Thierry Pillon joue sur les effets de miroir et les échos entre des situations dispersées pour rappeler que le marquage du corps forme le premier trait de la condition ouvrière : la condition d’un corps à l’épreuve dont les transformations récentes du travail n’ont pas fait disparaître la rudesse. Jean-Marie Durand Le Corps à l’ouvrage de Thierry Pillon (Stock, un ordre d’idées), 196 pages, 19 € Changements et pensées du changement – Echanges avec Robert Castel sous la direction de Robert Castel et Claude Martin (La Découverte), 360 pages, 27 € Dictionnaire politique à l’usage des gouvernés sous la direction de Fabienne Brugère et Guillaume le Blanc (Bayard), 506 pages, 24 €

Retour de Londres, avec une question : où sont les SDF ? Certes, on les croise par petits groupes, un samedi soir, face au Sir John Soane’s Museum, autour d’une camionnette distribuant des repas chauds ; le lendemain, c’est sur le Strand autour d’un Pret A Manger, chaîne de fast-food chic qui leur distribue des sandwichs. A part ça, quasiment pas d’hommes ou de femmes dormant dans la rue. Paris est-elle devenue la seule capitale nantie où l’on se fiche des SDF – de plus en plus y sont abandonnés, laissés pour compte dans des états alarmants ? La première chose que fit François Hollande en arrivant au pouvoir ne fut pas de promettre que les SDF seraient assistés, épaulés pour se réinsérer dans la société et le monde du travail mais de se déclarer pour le mariage homosexuel. Question importante, certes, mais surtout devenue étrangement symbolique pour le président sortant ou celui arrivant, curseur d’un Etat réac ou libertaire, qui devient le faire-valoir de chacun selon sa politique. Pendant ce temps, des êtres vivent dehors dans des conditions inadmissibles. Inutile de rappeler qu’on est pour le mariage homosexuel – les mêmes droits pour tous ! Mais on ajoutera quand même : pour le meilleur et pour le pire. Car pire il y a : devenir aussi petitsbourgeois, coincés, sexuellement hypocrites que les hétéros – qui dit mariage dit enfants, voiture, impossibilité de bouger et culpabilité au moindre battement de cœur extraconjugal. Comment peut-on vouloir encore se marier quand on a lu Madame Bovary, Anna Karenine, Sagan, Houellebecq, Jay McInerney et à peu près toute la littérature mondiale ? Finalement, plutôt que d’autoriser le mariage homosexuel, ne serait-ce pas plus sensé d’interdire le mariage à tous, gays et hétéros ?

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Paco Ignacio Taibo II Le Retour des tigres de Malaisie

Marilyn Monroe, 1953

Bernard of Hollywood

Métailié, traduit de l’espagnol (Mexique) par René Solis, 330 pages, 20 €

Marilyn en éclats Deux ans avant sa mort, Marilyn Monroe joue sa peau sur le tournage, devenu légendaire, des Misfits. Adam Braver ressuscite un mythe au bord du gouffre en un brillant compte à rebours.

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vant l’overdose, le tombé de rideau final, ne pas négliger ce livre, un de plus, qui se collette au mythe de Marilyn. Adam Braver, auteur déjà d’une formidable reconstitution sur l’assassinat de Kennedy (22 novembre 1963), brosse un portrait de la star désaxée à la blondeur évanescente, quelques mois avant sa fin, déjà noyée dans un fleuve de médocs. “Une civilisation en ruine”, sont alors les mots de Sinatra, jetés au visage de cette pure beauté exsangue. S’il est question de lui ici, c’est que le crooner le plus adulé d’Amérique fut confident et témoin des dernières semaines de Marilyn. On est allé jusqu’à dire qu’il fut en partie responsable de sa mort, épouillant jusqu’aux dernières réserves de vie de sa petite protégée, pour la laisser choir, recluse, dans sa villa de L. A. En juillet 1962, Sinatra invite Monroe en week-end, l’avant-dernier avant sa mort, dans son fabuleux domaine de la Sierra Nevada. La star, au bord du gouffre, fragilisée par ses démêlés avec la Fox, pense trouver chez son vieil ami un havre de paix. Elle n’y étreindra qu’un homme assoiffé de plus, requin paternaliste l’adulant en “putain bénévole”. Cet épisode désertique, aliénant, paradis délocalisé en enfer, fait suite au tournage de The Misfits (Les Désaxés), connu pour sa charge hystérique, son alcoolisme, ses stars

déchues (Clark Gable, Montgomery Clift). Marilyn y joue sa consécration d’actrice respectée. Rendez-vous manqué avec elle-même, puisqu’elle accumule crises (avec Arthur Miller, son mari, également scénariste du film, et le vétéran du cinéma John Huston) et retards. Ce qui lui “avait paru comme un moyen d’échapper à Marilyn Monroe” la renvoie à son statut de fillette bégayante, son impuissance à recoller les morceaux épars de son identité. Adam Braver saisit cette dissémination du moi pour en faire un fascinant montage kaléidoscopique. Les points de vue de ceux ayant connu Marilyn (sa mère Gladys, les filles de l’usine pendant la guerre, Joe DiMaggio, son psy, etc.) s’emboîtent et forment un portrait à facettes, comme une séquence de plus au long film-roman dont Marilyn est l’objet dans la fiction contemporaine (Joyce Carol Oates, Michel Schneider, etc.). A son propos, Lee Strasberg a dit : “Il n’est pas inévitable que son passé la détruise, il pourrait encore devenir une partie de son vocabulaire et de la technique d’un nouvel art.” Dans la littérature, Marilyn n’aura jamais su mieux s’incarner que dans ces textes de la fragmentation. Emily Barnett Misfit (Editions Autrement), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie-Anne de Kisch, 320 p., 18 € exposition Seule, consacrée à Marilyn, jusqu’au 25 juillet, galerie Renoma (Paris VIIIe)

Un classique du roman d’aventures brillamment revisité par le roi du polar mexicain. Sandokan et Yañez, les fameux pirates justiciers, arriveront-ils à combattre l’ennemi impérialiste ? Parviendront-ils à vaincre Moriarty, l’infâme trafiquant d’esclaves ? Revisitant un classique du roman d’aventures du XIXe – le cycle Les Pirates de Malaisie par l’Italien Emilio Salgari –, Paco Ignacio Taibo II nous embarque dans une foisonnante odyssée à travers les mers du Sud, entre bordels luxurieux et batailles navales sanglantes. Le tandem initial – sorte de Don Quichotte et son Sancho Panza – a désormais quelques bornes au compteur mais n’a rien perdu de sa vaillance prorévolutionnaire. Ses aventures empruntent à la forme du pastiche autant qu’aux entorses, nombreuses, qui lui sont faites. A savourer donc en particulier : les multiples jeux anachroniques, libertés de langage, et un penchant pour la relecture de chef-d’œuvre en paraboles sur le monde d’aujourd’hui. Où les trafiquants d’esclaves se trouvent être des requins de la finance à la tête d’“entreprises multimillionnaires”. Où le caoutchouc, appelé aussi hévéa, incarne un autre genre d’or noir. Historien et auteur de nombreux polars, l’écrivain mexicain réussit une épopée assez virtuose, dans une veine baroque et échevelée. Amateurs d’écriture “blanche”, s’abstenir. E. B.

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S’inspirant d’un fait réel, l’écrivain new-yorkais Christopher Sorrentino raconte la cavale d’une riche Californienne devenue terroriste. Une chronique critique de l’Amérique des seventies. atty Hearst. Pendant Perruques afro, des mois, ce nom fusillades, planques dans a fait les gros des motels miteux, rien titres des journaux ne manque. On se croirait américains. En 1974, Patty, dans un film de Lumet riche héritière d’un magnat ou de Pakula. Sorrentino des médias, étudiante use et abuse des procédés à Berkeley et sagement cinématographiques. fiancée, est enlevée par Il change constamment un groupuscule d’extrême de focale, écrit façon gauche. En quelques split-screen et les scènes semaines, la jeune fille de semblent se succéder par bonne famille bascule dans flashs. Comme les fugitifs, le terrorisme. Braquages la narration ne tient pas à main armée, cavale… en place, passant sans elle finira par être arrêtée cesse d’un point de vue à et condamnée à sept années un autre : un chef terroriste, de prison. Son histoire les parents d’Alice, a inspiré des films, un flic du FBI, ou encore des livres. Joan Didion, un universitaire qui rêve chroniqueuse de l’envers d’écrire un best-seller du rêve américain, à partir de l’histoire d’Alice, lui a consacré un texte. rebaptisée Tania par L’écrivain new-yorkais ses frères d’armes. Christopher Sorrentino La princesse terroriste, s’empare à son tour du voilà une formidable mythe Hearst dans Transes, matière à fiction. Cette son premier roman évidence, Sorrentino traduit en français. Seuls la manipule avec ironie. les noms ont changé. Au terme de sept Patty Hearst est devenue cents pages torrentielles, Alice Galton, kidnappée convulsives, trépidantes par l’ALS et ralliée à malgré des longueurs, les la cause de cette poignée motivations de la conversion d’illuminés qui s’imaginent d’Alice/Tania demeurent renverser le “gouvernement opaques. Syndrome fasciste” à la tête de Stockholm ? Réelle prise d’une “Amerikkke” en de conscience politique ? plein Watergate. Une piste pourtant

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PattyHe arst, en1974, lors de l’attaque d’une banque

Keystone-France/Gamma

princesse terroriste est privilégiée : le besoin d’Alice d’avoir enfin le premier rôle, de vivre elle aussi son quart d’heure de gloire warholien dans cette société du spectacle émergente dont Sorrentino décrit parfaitement les rouages. Alice passe des heures devant la télévision, fascinée, s’absorbe dans la contemplation des unes de magazines qui dupliquent son visage à l’infini. Lorsqu’elle arrive au siège fédéral après son arrestation, “il n’y en a que pour elle. Elle s’en rend compte peu à peu, elle sait qu’elle est devenue célèbre, mais à ce point ?” Après avoir purgé sa peine, la vraie Patty Hearst est devenue actrice. Sans jamais connaître le succès que lui avait offert sa brève carrière de guérillera sexy. Elisabeth Philippe Transes (Sonatine), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Clément Baude, 736 pages, 22,30 €

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chaque époque, ses bouffons. La campagne présidentielle aura vu émerger deux talents comiques prometteurs : Patrick Besson et Franz-Olivier Giesbert, plus connu sous son nom de scène, FOG. Faisant mentir l’adage selon lequel les blagues les plus courtes sont les meilleures, nos deux fous du roi font durer le plaisir et publient chacun un livre. Dans La Présidentielle, Patrick Besson réunit pour notre plus grande joie ses hilarants pastiches rédigés pour le site du Point. Chaque jour, l’écrivain-humoriste a chroniqué l’élection présidentielle en parodiant le style d’un auteur célèbre : Duras, Perec, Tolstoï, Stéphane Bern… Niveau imitation, on est plus proche de Laurent Gerra que des pastiches de Marcel Proust. Mais ne soyons pas bégueule. Besson, qui nous avait déjà fait hurler de rire avec son texte moquant l’accent d’Eva Joly, digne des sketches de Michel Leeb (souvenez-vous, ce monsieur qui imitait les Africains et les Chinois), montre ici l’étendue de son talent. Comment ne pas apprécier un bon mot tel que “Le Vieil homme et Mamère” (rires), calembour qui mêle érudition et conscience politique ? Et que dire de la délicieuse grivoiserie avec laquelle il s’empare

de l’actualité ? Ainsi, quand il évoque, à la manière d’Albert Camus (à moins qu’il ne s’agisse de Stéphane), l’affaire DSK : “J’ai commencé par composer le numéro d’Anne, puis j’ai renoncé. De toute façon, elle devait être sur vibreur. Moi, elle m’a interdit d’être sur vibreur” (rires). Le Point semble un tel vivier d’humoristes qu’il devrait se rebaptiser “Le Point virgule”. FOG, son directeur de la rédaction, est la véritable révélation comique de 2012. Déjà, ses prestations dans l’émission Des paroles et des actes laissaient entrevoir son potentiel. Ah, ses mémorables galéjades sur les petits candidats : “Nathalie Arthaud, c’est ‘les Bronzés font de l’économie’ !” Malgré les critiques de “la populace d’internet” et de “la médiacratie bien-pensante”, FOG persiste et signe avec ses Derniers carnets. Satiriste, il n’hésite pas à brocarder les puissants. Sous sa plume, Nicolas Sarkozy devient un “Napoléon de poche”, un “Machiavel de Lion’s Club” au “babil de tyranneau latinoaméricain” ; Edouard Balladur, un homme qui semble “toujours vous présenter son postérieur avec sa bouche en forme de fondement”… Seul François Hollande paraît trouver grâce à ses yeux, ainsi que la bande de “gens bien” qui entoure le nouveau président de la République. Etonnant, non ?

FOG

Patrick Besson

Bruno Charoy

Jeux de mots lourdingues, blagues bien grasses et autodérision en roue libre. La présidentielle vue par Patrick Besson et Franz-Olivier Giesbert, deux comiques qui s’ignorent.

Arnaud Février /editions Flammarion

comédie club comment ne pas apprécier un bon mot tel que “Le Vieil homme et Mamère” ? S’il a le verbe aiguisé pour parler des autres, il n’hésite pas à le retourner contre lui avec une autodérision surréaliste. FOG confie ainsi qu’il pue quand il fait chaud, qu’il est une “machine à aimer” et qu’il aime bien picoler, même avec Marine Le Pen. On se bidonne à chaque page. Malheureusement, c’est le dernier “livre politique” de Giesbert, qui désire désormais se consacrer aux romans. Mais dans ce domaine aussi, il sait se montrer désopilant. Elisabeth Philippe Derniers carnets – Scènes de la vie politique en 2012 (et avant) de Franz-Olivier Giesbert (Flammarion), 204 pages, 17,90 € La Présidentielle – Pastiches de Patrick Besson (Grasset), 222 pages, 17 €

la 4e dimension Salman Rushdie se raconte Ce sera l’un des événements de la rentrée : la sortie, le 20 septembre, des mémoires de l’écrivain britannique. Dans Joseph Anton – Mémoires (Plon), Rushdie raconte la fatwa lancée contre lui par l’Iran, la clandestinité (Joseph Anton fut son pseudo pendant sa cavale) et son combat pour retrouver la liberté.

Fuentes, García Márquez : mort, pas mort ? On s’y perd. Lundi 14 mai, Twitter annonçait la mort de l’écrivain colombien Gabriel García Márquez. Fausse rumeur. Du coup, le lendemain, on a failli ne pas croire au décès du Mexicain Carlos Fuentes. Vraiment mort, lui.

6es Assises internationales du roman Organisées par Le Monde et la Villa Gillet, près de Lyon, elles auront lieu du 28 mai au 3 juin. Le thème cette année : “Penser pour mieux rêver”. Avec William T. Vollmann, Eric Reinhardt, Catherine Millet, Céline Minard… www.villagillet.net

les fifties de Toni Morrison L’écrivaine américaine, prix Nobel de littérature, revient à la rentrée avec Home (Bourgois, le 23 août), l’histoire d’un jeune soldat traumatisé par la guerre de Corée, avec l’Amérique ségrégationniste pour toile de fond. Elle sera l’invitée d’honneur du festival America à Vincennes (20-23 septembre).

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Otto T. & Grégory Jarry Bart O’Poil en tournage Editions flblb, 64 pages, 13 €

la BD et son double Olivier Josso Hamel plonge dans ses souvenirs liés à la bande dessinée et émeut avec un récit habile, pudique et sincère.

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out a commencé par un masque d’Obélix acheté pour carnaval quand Olivier Josso Hamel n’était qu’un bambin. Depuis, la bande dessinée a envahi sa vie, l’a infusée, lui a donné un sens. Alors qu’il sait à peine lire, Olivier, orphelin de père depuis ses 2 ans et demi, découvre chez la tante de sa mère une collection de classiques de la BD, d’Astérix à Tintin. Tout de suite attiré, il s’y réfugie. Olivier Josso Hamel explique comment il a tout d’abord appréhendé la bande dessinée – en naviguant “en aléatoire”, “sans faire grand cas du récit général”, en se laissant guider par ses sensations – et pourquoi il a toujours dessiné. Il analyse avec humour ses thèmes de prédilection d’alors – les fourbes, le rapport à l’espace. Il revient surtout sur un album en particulier, celui qui a vraiment bouleversé sa vie : La Mauvaise Tête de Franquin. La découverte de cette œuvre essentielle, qui joue sur les doubles et les masques, a été libératrice. Elle a aiguisé sa curiosité et a servi à combler le vide laissé par son père, lui aussi dessinateur (industriel).

Se projetant dans La Mauvaise Tête, le petit Olivier a pu partir à la recherche de la figure paternelle. Pour construire ce récit pudique et intelligent, qui mêle brillamment histoire familiale, déploiement d’une passion et interrogation sur le travail d’artiste, Olivier Josso Hamel redessine de nombreuses cases et des personnages qui l’ont marqué. Il reproduit même des dessins de son père et, plongeant aux sources de son art, revisite ses propres dessins d’enfant. Renouer avec leur spontanéité permet d’ailleurs à Olivier Josso Hamel d’oser ici un trait libre, et une narration émancipée et poétique. Pour mieux faire le lien avec cette passion enfantine déterminante, Au travail est même imprimé sur du papier orange, comme celui que lui donnait sa tante, petit, pour qu’il dessine. Déclaration d’amour à Spirou, à l’enfance et à son père, travail habile sur la mémoire et l’héritage, Au travail est un bouleversant récit d’initiations. Anne-Claire Norot

Un décapage en règle du discours militant. Réjouissant. Comme Bart O’Poil, le héros plus nature que vrai de leur dernier album, Grégory Jarry et Otto T. ont entrepris avec leurs “petites histoires” (des colonies, du grand Texas…) de dépoussiérer et dérider le discours militant. Grand gaillard décontracté, Bart O’Poil réalise des minipornos amateurs, mêlant humour potache, gaudriole et politique (Sans-Papiers sans pantalon, avec Cissoko Le Pen et Fetnat Hortefeux, Les filles de Fukushima ont quelque chose de plus, avec des trans…). Héritier de l’esprit Hara-Kiri, Bart O’Poil entend réinvestir le champ du plaisir pour porter un propos engagé mais positif. Vraie-fausse BD de reportage à la mode (dès la couverture, c’est En cuisine avec Alain Passard de Christophe Blain), Bart O’Poil en tournage est un pamphlet satirique à tiroirs qui distribue les baffes à tout-va mais réserve les meilleures aux pros de l’irrévérence calibrée (i. e. Canal). Le dispositif fonctionne à merveille et, de son passé de vidéaste d’entreprise au modèle économique de sa petite entreprise, Bart O’Poil est si crédible, si sympa, qu’on voudrait très fort qu’il existe. Et ses films aussi ! Jean-Baptiste Dupin

Au travail – Tome 1 (L’Association), 100 pages, 21 €

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Antonio Segura et Jordi Bernet Michel Kichka Deuxième génération Dargaud, 106 pages, 17,95 €

Un enfant de déporté raconte son expérience dans un récit à la fois drôle et poignant. epuis une œuvre aussi définitive que Maus, est-il possible pour un fils de déporté de raconter comment son père a vécu la Shoah et comment lui, son fils, a ressenti cette tragédie tout au long de sa propre vie ? C’est pourtant ce à quoi le caricaturiste Michel Kichka s’est attaqué dans cette BD autobiographique. Il y raconte son enfance et son adolescence dans la Belgique des années 1960, des années marquées par une éducation juive, hantées par les souvenirs de son père, survivant des camps, qui n’évoque cette période que par allusions caustiques. Quand, plus tard, un nouveau drame familial les touche, son père se met finalement à témoigner, alors que Michel ne pense plus qu’à se libérer de ce passé si pesant. Un récit à l’humour décapant, jamais politiquement correct, et terriblement poignant. A.-C. N.

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Kraken Drugstore, 172 pages, 19,50 €

Fable noire et politique en hommage aux récits de genre des 50’s. De très bon mauvais goût. Flic au cuir épais et (récemment décédé) à la conscience élastique, mêlent intrigues policières, Dante pourchasse sans aventures débridées, sexe, relâche le monstre terrifiant horreur et humour noir qui habite les égouts dans un irrespect total du de Metropol, le kraken. bon goût. Mais le propos est S’appuyant sur l’une des aussi politique : le monde plus persistantes légendes souterrain est l’envers de urbaines, Kraken, créée Metropol ; là, se déversent en 1983, est un hommage (littéralement) toutes aux récits de genre des les turpitudes de la ville ; années 50. Idéalement là, le crime ne prend servis par le noir et blanc plus de gants. Au détour vigoureux de Bernet, comme d’une rare scène en chez lui dans l’ambiance surface, un graffiti se fait poisseuse des égouts, explicite : “Reagan est les scénarios de Segura le Kraken”. J.-B. D.

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Fred Kihn

Tchekhov à nu Isabelle Lafon offre une Mouette d’une beauté rare, intense et pétillante. Un concentré de théâtre joué par cinq comédiennes lumineuses.

première On the Steps chorégraphie Florent Mahoukou Florent Mahoukou a créé à Brazzaville ce quatuor de danseurs, portrait sans concession d’une génération flouée “par une folle ambiance joyeuse et naïve et qui ne peut que danser jusqu’à épuisement”. Premier prix des Rencontres chorégraphiques Danse l’Afrique danse ! 2010 à Bamako. jusqu’au 26 mai au Tarmac (Paris XXe), tél. 01 43 64 80 80, www.letarmac.fr

réservez Chantiers d’Europe, Grèce/Italie Troisième édition de ces chantiers européens dédiés au théâtre, aux lectures, à la performance, à la danse et à la chanson grecques et italiennes. En ces temps de crise, un focus bienvenu sur la culture avec trois collectifs grecs indépendants (Blitz Theatre Group, Pequod et la Cie Kanigunda) et la compagnie sicilienne Zappalà Danza, ainsi que Judith Malina et la chanteuse Angélique Ionatos. du 4 au 15 juin au Théâtre de la Ville (Paris IVe), tél. 01 42 74 22 77 www.theatredelaville-paris.com

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l s’en faut parfois de rien pour saisir l’atmosphère d’une pièce de Tchekhov. Il s’agit de trouver la bonne température, le bon climat, ce parfum à la fois si léger et prenant qu’on se sent dans une proximité bienveillante avec les personnages du drame. Isabelle Lafon réussit ce miracle dans une mise en scène d’autant plus remarquable qu’elle s’appuie sur une économie de moyens confinant au minimal. Son adaptation de La Mouette rappelle ces réductions pour piano de grands opéras du répertoire. Du texte, elle a gardé l’essentiel, qui du coup donne l’impression d’être chargé d’une tension extrême. Les cinq comédiennes – dont Isabelle Lafon elle-même –, qui interprètent à elles seules tous les personnages, sont pour beaucoup dans la densité de ce qui se joue sous nos yeux. Tout passe par l’imagination. Il y a le lac et il y a la lune qui se reflète sur les eaux. Un décor naturel en somme. Au bord du lac, une estrade est montée pour jouer une pièce de théâtre. On entend les coups de marteau des ouvriers. Il règne une certaine fébrilité. Alignées face au public dans un rectangle lumineux, nos cinq comédiennes sont des passeuses. Elles donnent vie aux répliques à la fois graves et légères de Tchekhov, portent les mots comme des vibrations émotives – indiquant lorsque c’est nécessaire les didascalies. Un simple mouvement du corps suffit à signaler une sortie, par exemple. La parole se distribue de l’une à l’autre comme si elles étaient traversées

par l’intensité même du drame. Nina, comédienne en herbe, attirée par le lac “comme une mouette”, éprouve une grande passion pour Trigorine, écrivain médiocre mais célèbre. Arkadina, actrice renommée, est la compagne de Trigorine et la mère de Treplev, qui lui-même aime Nina. Il met en scène la pièce qui ouvre La Mouette, pour elle qui joue dedans mais surtout pour Arkadina, sa mère indifférente. L’efficacité de ce théâtre à nu concentré à l’extrême, c’est sa puissance d’évocation. On voit, on sent, on comprend comment tout se noue dès le départ. La vie entière ramassée en quelques secondes. Signalons que ce spectacle en tous points remarquable se joue dans un théâtre aujourd’hui menacé, la Mairie de Paris ayant décidé de ne pas renouveler sa subvention. Depuis des années, le directeur du Théâtre Paris-Villette, Patrick Gufflet, mène une démarche exemplaire de soutien à la création. Ce lieu indispensable est la victime d’une technocratie aveuglée par les mirages d’une culture bling-bling tapageuse au mépris de ceux qui effectuent un travail de fond indispensable. Souhaitons que dans un sursaut de lucidité cette administration comprenne son erreur et tourne elle aussi la page des années Sarkozy. Hugues Le Tanneur Une mouette d’après Anton Tchekhov, mise en scène Isabelle Lafon, avec Johanna Korthals Altes, Norah Krief, Gilberte de Poncheville, Judith Perillat, jusqu’au 26 mai au Théâtre Paris-Villette (Paris XIXe) www.theatre-paris-villette.com

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fortes turbulences

A cheval sur les disciplines mais pas sur les principes, le festival La voix est libre éveille depuis dix éditions les sens et les esprits en multipliant les rencontres. es lignes bougent, les frontières aux Bouffes du Nord à Paris. Ce qui ne va s’effacent. “Ai-je une patrie ?”, pas sans turbulences quand Fantazio, se demandait Rimbaud. Après chanteur très libre et dompteur de une série d’impressionnantes figures contrebasse à ses heures, s’empare de au sol en duo avec le danseur nigérien la scène en compagnie du percussionniste Qudus Onikeku, Dieudonné Niangouna Benjamin Colin sous une pluie de T-shirts mentionne ce paradoxe d’un pays, que se propose d’imprimer un plasticien le Congo, où longtemps la mère patrie de leurs amis. Puis c’est Joëlle Léandre s’appela la France. Et de plaisanter : – contrebasse et chant –, expansive, mais alors quelle était la mère patrie de la généreuse, qui entraîne dans son sillage France ? Plus tôt, le paléoanthropologue le guitariste Serge Teyssot-Gay. Pascal Picq rappelait cette vérité jadis Suit une étonnante performance méconnue des origines africaines de chant diphonique, luth et violon d’Homo sapiens. Et d’évoquer quelques par le trio Altaï Khangaï de Mongolie. nomades célèbres : Charles Darwin, Avec en point d’orgue la section d’assaut Claude Lévi-Strauss ou Bruce Chatwin. de Jac Berrocal, David Fenech et Renverser les perspectives, mélanger Ghedalia Tazartes, trois personnalités les genres, susciter rencontres et unissant leurs efforts – trompette, guitare, hybridations de tous ordres entre musique, voix – pour une excursion en apesanteur. H. L. T. danse, performance, science et poésie, tel est le principe de La voix est libre, festival La Voix est libre aux Bouffes du Nord (Paris XVIIIe), compte rendu festival qui fêtait cette année ses 10 ans

Maxime Dos

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rêvez-vous Bach ?

Yoann Bourgeois fait de la fugue un art qui échappe aux normes. a biographie tient Cavale, Yoann Bourgeois On a l’impression d’être ses promesses : s’affranchit des codes. dans le cerveau de Yoann Yoann Bourgeois L’Art de la fugue le voit Bourgeois, un rêve en trois y est décrit en affronter une matière, un dimensions exposé à nos joueur acrobate, jongleur cube de bois et ses appels yeux. C’est toute la grâce et danseur. Et il est vrai d’air, tout autant que la de ces deux fugueurs qu’il y a un peu de tout partition de Jean-Sébastien de rendre Bach ainsi visible. cela – même bien plus. Bach – jouée par Célimène Rebondir n’a jamais semblé Disons qu’entre Daudet. Dans cette maison plus chorégraphique. le circassien hors norme sans murs, le trempoline Pour évoquer l’éthique de Johann Le Guillerm et a remplacé la chambre, sa compagnie, Bourgeois l’étoile Misha Baryshnikov, la pente sert d’entrée. cite le vivant : “C’est ce dont pas moins, Bourgeois Yoann Bourgeois y on ne finit jamais de faire a trouvé une place à lui. converse avec Marie Fonte, le tour.” L’Art de la fugue fait Passé par le Cnac une découverte, danseuse de l’infini son bel horizon. Philippe Noisette de Châlons-en-Champagne devenue enfant de la balle. et le CNDC d’Angers, Une grande part de leur L’Art de la fugue jusqu’au interprète chez Maguy duo joue avec le vide 9 juin au Monfort (Paris XVe), Marin ou en dialogue et la peur qui va avec, tél. 01 56 08 33 88, www.lemonfort.fr avec Mathurin Bolze dans l’apesanteur, la solitude.

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Courtesy of the artist, galerie Frank Elbaz, Paris, photo Zarko Vijatovic

Davide Balula, The Buried Works à la galerie Frank Elbaz, à Paris

mauvais traitements Chacun de son côté, la jeune Valerie Snobeck et le confirmé Davide Balula font des misères à la toile et à son châssis.

prototype Au Frac Basse-Normandie, Julien Prévieux décortique, à travers des dessins et trois machines redoutables, les prémisses de l’informatique et les premières occurrences de l’ordinateur.  jusqu’au 24 juin au Frac Basse-Normandie, Caen, www.frac-bn.org

proactif Orchestré par la plate-forme curatoriale Le Peuple qui manque (qui signe par ailleurs une exposition au Parc Saint Léger), un symposium bienvenu en France sur la figure de “l’artiste en ethnographe”. Avec, entre autres, Peggy Buth, Clémentine Deliss, Joachim Koester, George Marcus ou Maureen Murphy.  du 26 au 28 mai au Musée du Quai Branly et au Centre Pompidou, Paris, www.lepeuplequimanque.org

proverbe Centrée sur la période 1946-1977, date à laquelle Isidore Isou déposa à la Bibliothèque Nationale sa Créatique, une exposition archi documentée autour de l’Internationale lettriste.  jusqu’au 17 juin au Passage de Retz (Paris IIIe), www.passagederetz.com



ValerieS nobeck au Consortium, à Dijon

Courtesy Le Consortium, photo Hervé Scavone

vernissages

u fond, Dame Peinture est une grande sadomasochiste. Elle aime qu’on la maltraite, qu’on la malmène, la triture, qu’on la salisse, la démembre, qu’on la traîne dans la boue, et elle trouve toujours dans ces turpitudes, dans ces soubresauts de supports et de surfaces de nouvelles aventures. La preuve : après ses river paintings, des toiles qu’il avait jetées à la rivière,

l’artiste français Davide Balula expose cette fois une série nouvelle de peintures… enterrées. Il n’y a rien sur les murs, tout se passe sous vos pieds, sous un faux plancher construit spécialement pour l’occasion à l’intérieur de la galerie : ce ne sont pas les toiles que Davide Balula expose, c’est leur enfoncement sous plusieurs tonnes de terre. On notera au passage la radicalité brute de ce display, de cette paradoxale architecture d’exposition qui dissimule les toiles au regard : des trappes découpées dans le sol, au format des peintures, permettent, quand on les soulève, de voir la terre qui recouvre les toiles de lin vierges. Une fois l’exposition terminée, celles-ci seront exhumées et tendues sur châssis pour être montrées ailleurs. Pour Davide Balula, ce conditionnement particulier n’est pas tant un acte de malveillance qu’une volonté de faire de la peinture avec un écosystème quasi naturel. C’est ainsi qu’il désigne son installation processuelle “incubateur pour toiles”, “vivarium” pictural. Quant à la jeune NewYorkaise Valerie Snobeck,

née en 1980, c’est une véritable révélation. Très destructurés, la toile et son cadre font l’objet de diverses manipulations, volontiers dégradantes. A commencer par ce filet qui recouvre les échafaudages des chantiers ou les buildings situés autour de Ground Zero, et dont elle se sert comme d’une toile, ou qu’elle tend comme ici en travers de la salle d’exposition. “Poétique du chantier” : c’est une peinture urbaine qui se donne à voir, rongée par le chaos de la ville, “ce cancer qui se porte bien”, disait justement Le Corbusier. D’autres matériaux participent à cette discordance, notamment le verre non plus poli mais sali, gratté, attaqué à l’acide, scratché comme à l’arrache. Ainsi, l’œuvre entretient des affinités aussi bien avec les combine paintings de Rauschenberg qu’avec les sculptures précaires d’Oscar Tuazon, autre grande figure d’une nouvelle et forte génération d’artistes américains. Jean-Max Colard Davide Balula The Buried Works jusqu’au 16 juin à la galerie Frank Elbaz (Paris IIIe), www.galeriefrankelbaz.com Valerie Snobeck jusqu’au 2 septembre au Consortium, Dijon, http://leconsortium.fr

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les mondes mystérieux de Zarka Raphaël Zarka continue à pister des formes géométriques qu’on a vues passer par ici. Lui est passé par là… Enquête. es trois sculptures de bois clair, de piste ou de casse-tête. Raphaël Zarka solidement arc-boutées sur leur collectionne les images d’objets, en base, ont quelque chose de ces particulier celles où pointent des formes statues mastoc dont la signification géométriques, plus ou moins alambiquées. s’est perdue depuis la nuit des temps, Les documents exposés ici ont le charme leur forme trappue semblant ainsi faire suranné des gravures de la Renaissance bloc hermétiquement contre toute ou des photos anciennes et renvoient à des tentative d’interprétation. Que les trois lieux, des figures, des périodes variées Prismatiques de Raphaël Zarka révèlent mais riches d’histoires, petites ou grandes. très manifestement leur secret Le plus passionnant dans l’expo n’est de fabrication ne change rien à l’affaire. pas de toutes les connaître. C’est bien On sait ainsi que chacune des œuvres est plutôt d’admirer la position singulière composée de seize éléments identiques, qu’adopte l’artiste : il joue autant le rôle du taillés d’un seul trait de coupe dans maître des cartes que celui de l’enquêteur, des billes de chêne. Ces modules collectant les indices, les assemblant et se s’assemblent pour prendre la forme, plus grattant au final la tête. Perplexe devant ou moins exacte, d’une clef de châssis, autant de coïncidences inexplicables, il cette petite pièce de bois triangulaire peut décider alors de s’engouffrer dans que les peintres utilisent pour consolider une autre piste. Ou bien de semer luil’armature de leur tableau. Par ailleurs, même de nouveaux indices, de réagencer des volumes très similaires apparaissent (à la main) les éléments (d’où le principe sur les aquarelles accrochées au mur : de construction des sculptures, puzzle esquisses préparatoires ou portraits dans un monde-puzzle). De ne plus croire ultérieurs, ils proposent en tout cas qu’il faut trouver la combinaison ni craquer une occurrence supplémentaire, joliment un code. Ce qu’il faut, c’est réencoder le colorée, de ces combinaisons. monde, avec des œuvres qui épaississent Qu’elles découlent d’un rigoureux son mystère. Judicaël Lavrador principe de construction géométrique ou qu’elles se débarrassent de tout ornement Les Prismatiques jusqu’au 26 mai à la galerie vaguement fétichiste, cela ne les empêche Michel Rein (Paris IIIe), tél. 01 42 72 68 13, www.michelrein.com pas de prendre part à un gigantesque jeu

Courtesy of the artist & galerie Michel Rein, Paris, photo Florian Kleinefenn

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où est le cool cette semaine?

Mathieu Vilasco

Mister Mort

Mathieu Vilasco

Mister Mort

par Laurent Laporte et Marc Beaugé

dans la casquette, toutes les casquettes lle est revenue, il y a trois ou quatre ans, portée par les types du pignon fixe, amateurs de courtes visières, et aujourd’hui elle est partout, dans toutes les formes, tous les styles, tous les imprimés, tous les contextes, pour les filles comme pour les garçons. Five panel chez Norse Projects ou Supreme, base-ball chez Ebbets Field, luxe chez Soulland, folle chez Nasir Mazhar, la casquette apparaît comme l’objet stylistique du moment. Surtout quand elle est portée légèrement relevée sur la tête, et sans effort apparent. Car il y a les têtes à casquettes et les autres, le tout étant de connaître son camp. Les choses étant bien faites, on le sait généralement en la posant sur sa tête. Si vous éprouvez alors le moindre doute, ne forcez surtout pas. Parce qu’il ne faut jamais forcer avec les fringues.

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trop de couleur distrait le spectateur Surfant sur le succès récent de The Artist, la chaîne Arte fait de la provoc et propose une journée entière en noir et blanc, de Chris Marker aux frères Coen… Pourra-t-on le supporter ?

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ui eût cru, il y a trente ans, que la reconversion d’une chaîne de télé au noir et blanc pendant toute une journée pourrait paraître subversive ? C’est en tout cas ce que propose Arte le lundi 28 mai de 10 h 40 à tard dans la nuit. Du matin au soir on ne verra pas l’ombre d’un rouge, d’un bleu ou un vert. L’occasion de se demander pourquoi le noir et blanc a été si délaissé au cinéma alors qu’en photo il est resté une norme, associée à l’art. Voilà sans doute l’explication : l’art. Le public dit moyen ne peut pas supporter que le cinéma soit aussi un art, car en gros, art = ennui. Donc, exit le noir et blanc. Evidemment, ce n’est pas complètement vrai. Un grand nombre de cinéastes, y compris les plus commerciaux, ont fait un jour du noir et blanc : Spielberg, Besson, Allen, Leconte, et d’autres ont tourné des films sans couleurs après les années 80. Mais même si La Liste de Schindler a eu un succès et un écho internationaux, aucun film récent en noir et blanc n’a connu une popularité et une consécration équivalentes à celle de The Artist de Hazanavicius, fac-similé maniaque et rétro de film muet. Grâce à ce film, les jeunes cinéastes désireux de tourner en noir et blanc auront

la survivance du noir et blanc est sans doute due à l’influence des photographes sur le cinéma

Ulysse d’Agnès Varda

sans doute moins de difficultés à trouver un financement télévisuel (souvent incontournable) et le petit écran diffusera sans doute avec plus de décontraction des œuvres achromes. Il n’en reste pas moins qu’une journée entière de diffusion en noir et blanc est une belle provoc pour une chaîne de service public, fût-elle Arte. Succédant d’une manière plus radicale à “La Nuit bleue” imaginée par la chaîne il y a dix-huit ans, cette journée fera la part belle à des courts et longs métrages de la belle époque de la non-couleur : le début du XXe siècle où, affranchi des teintes et des paroles parasites, le cinéma s’est aventuré plus loin qu’aucun art du spectacle ne l’avait jamais fait. On en aura des exemples radicaux avec Berlin, symphonie d’une grande ville (1927) de Walter Ruttmann, un des chefs-d’œuvre du documentaire d’avant-garde et, côté court métrage, avec les merveilleux Entr’acte (1924) de René Clair, transcendé par la musique de Satie, et Fantômes du matin (1928) de Hans Richter. Cela n’empêche pas nos contemporains d’être à la hauteur, comme l’Autrichien Tscherkassky, qui avec Dream work (2002) compose un cauchemar envoûtant à base de found footage en surimpression. Ensuite, il y a les inclassables, comme le photo-roman La Jetée (1962) de Marker, sommet du fantastique français. Par ailleurs, deux longs métrages de fiction qui ne mangent pas de pain : Morocco (1930) de Josef

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au poste

jeu d’artifices Dans la comédie du pouvoir qui bascule, France 2 a su imposer ses grandes pompes.

von Sternberg avec Marlene Dietrich et The Barber (2001), film mineur des frères Coen (dont l’intérêt rétroactif est la présence de la star débutante Scarlett Johansson). La survivance, voire la résurrection du noir et blanc, est sans doute due à l’influence des photographes sur le cinéma. En témoigne par exemple le chef-d’œuvre documentaire de Bruce Weber, Let’s Get Lost (1988), sur le trompettiste et chanteur Chet Baker. Ou bien, autre exemple, plus récent : Control (2007), du photographe Anton Corbijn, biopic du leader de Joy Division, Ian Curtis, dont traite le très intéressant documentaire de Holzemer et Honickel, Tout vient du noir et se perd dans le blanc (2012). Outre Corbijn, de grands maestros du noir et blanc comme Karl Lagerfeld et le peintre Pierre Soulages y donnent leur avis éclairé ; deux personnalités qui soit dit en passant ont promu le noir en règle vestimentaire bien avant qu’il ne devienne la nouvelle norme du XXIe siècle. Dans le même ordre d’idées, deux documentaires courts de Thomas Schmitt exploreront le rôle social et culturel du noir et du blanc. Enfin, en guise de petites cerises sur le gâteau et de réjouissants zakouskis, citons l’hilarant The Girl Chewing Gum (1976), documentaire détourné de John Smith, qui filme des passants lambda et prétend diriger leurs actions ; Human Radio (2002) de Miranda Pennell, hymne sublime à la danse anonyme et spontanée

des amateurs ; ou la composition allégoricopoétique d’Isaac Julien, Looking for Langston (1989), sur un artiste afro-américain, Langston Hughes, où le cinéaste titille en noir et blanc les tabous et clichés du cinéma classique, tout en faisant (dans un style rétro) de Hughes l’allégorie de l’homosexualité black, rarement abordée. Après, on aurait peut-être aimé voir des travaux plus inventifs, qui ont renouvelé l’approche du noir et blanc ces derniers temps, comme le très novateur, esthétiquement du moins, Renaissance (2006), dessin animé de Christian Volckman, qui a inversé la norme graphique de la BD et du dessin animé, en donnant la prééminence au noir, sur lequel se découpent silhouettes et traits blancs, et lui donnent sens et volume. En dehors du court métrage programmé d’Agnès Varda, Ulysse (1982), qui fait de nombreuses entorses au noir et blanc, la seule faute de goût persistante de cette journée est due au parasitage constant de l’image par la couleur jaune. En effet, quelque part dans les années 70-80, un individu bien intentionné a cru utile de jaunir les sous-titres des films en noir et blanc. Si bien que, depuis, il est devenu difficile de voir des versions originales en pur noir et blanc. Bref, bonne journée en noir et blanc… et jaune sur Arte. Vincent Ostria Une journée en noir et blanc Programmation spéciale. Lundi 28 mai, de 10 h 40 à 3 h 20, Arte

Du suivi de la campagne – de la victoire de François Hollande à la journée d’investiture à l’Elysée –, les “historiens” des médias se souviendront d’un changement de paradigme télévisuel : le spectacle de la politique a changé d’horizon et de chaîne. Pour la première fois dans l’histoire de la télévision contemporaine, France 2 a imposé sa marque de fabrique et son style contre TF1, reléguée au statut inédit de chaîne mineure, à côté de l’événement, à côté de la plaque politique. D’une claque à une autre, d’une domination à une autre, du privé au public, d’un président à un autre, nous venons aussi d’assister à un transfert de souveraineté télévisuelle. En matière de pyrotechnie autour du spectacle électoral, France 2 est passée maître artificier, rendant TF1 étrangement sobre et dépouillée : David Pujadas et ses équipes ont soigné les effets de mise en scène. Hommes à la moto suivant le président pour rien sinon que ce rien faisait en lui-même “événement” ; confessions du fils du président une minute après la victoire ; reporters incrustés dans les bureaux du nouvel élu à Tulle et avenue de Ségur ; reporters lancés à grande vitesse sur les routes de Corrèze et les rues de Paris sous la pluie ; caméras et micros placés dans tous les lieux tenus secrets du pouvoir, afin de consigner l’histoire en direct et de briser la tradition du hors-champ qui domine la représentation du politique… Jamais on n’avait vu à la télé un tel déploiement de moyens pour dévoiler, sous tous les angles possibles, la comédie du pouvoir qui bascule. Par-delà la simplicité nouvelle de son cadre réel, ce basculement fut aussi le moment d’un tour de force télévisuel aux artifices vertigineux.

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radio

sons en lutte L’infatigable militante des ondes Juliette Volcler continue à semer les graines de la liberté dans ses entretiens au long cours et ses documentaires sonores.

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ne aventure sonore au long cours, solitaire et obstinée, qui suit des pistes peu balisées par les grandes stations généralistes. On tient avec L’Intempestive un modèle de ce que les radios libres peuvent diffuser de plus offensif : des voix débâillonnées, des pans de société dévoilés et au final un corpus documentaire solide, qui dépasse par son ambition éditoriale l’économie très précaire des associatives. A l’antenne depuis 2007 sur Fréquence Paris Plurielle, L’Intempestive est façonnée par l’intègre, l’impertinente, l’inflexible Juliette Volcler, résolue à “poser ses obsessions” sur la table de mixage. Une façon “d’assumer son arbitraire” sans compte à rendre à qui que ce soit mais sans perdre de vue son désir fondateur :

“Je m’interroge sur ce qui refuse de se plier à l’ordre dicté par l’histoire officielle”

étendre le champ de la critique sociale sur les ondes. “Je m’interroge sur ce qui va surgir, ce qui refuse de se plier à l’ordre dicté par l’histoire officielle. Je me penche sur les mauvaises herbes.” L’Intempestive sera dès sa création traversée par plusieurs courants de forces, quatre thématiques principales qui se succèdent en alternance : l’histoire des radios libres, la folie (psy et anti-psy), les frontières (migrations et exil) et enfin les territoires (imaginaire et questions urbaines). Bref, une approche de ce qui enserre et de ceux qui s’affranchissent. “Je voulais raviver la mémoire des luttes des radios indé et m’interroger sur ce que signifie être un média libre de nos jours. Pour la folie, je voulais partager mes idées sur l’antipsychiatrie et la psychiatrie sécuritaire. Mais aussi découvrir les rapports de force dans le paysage médical, les courants de pensée. Avec la série sur l’exil, je fais entre autres surgir la parole enfouie des sans-papiers, qui, si on ne la recueille pas maintenant, fera plus tard penser qu’elle n’a pas existé.” L’Intempestive a migré depuis quelques mois des antennes de FFP à celle de Radio Galère à Marseille mais l’intégralité de ses

numéros est disponible sur le site de l’émission. La mensuelle est le plus souvent composée de longs entretiens, mais aussi de moments documentaires et de captations in situ (savoureuses balades dans le tissu urbain troué de Marseille). A la fois fabrique d’archives pour les temps futurs et loupe grossissante de présents branlants, L’Intempestive permet à Juliette Volcler de mettre en pratique ce dont peu peuvent se prévaloir : une éthique du son. Qui lui fait écrire des textes salés dans les revues CQFD ou Article XI sur les manipulations en tous genres (comme l’esthétisation de la parole sociale par certains artistes sonores) et publier de longues enquêtes indispensables (Le Son comme arme chez La Découverte). “De plus en plus, le son va servir à modeler l’espace public, prévient-elle, comme l’image au XXe siècle. On fait fuir les jeunes avec des fréquences spéciales, on fait du marketing sensoriel… Qui fixera les limites ?” Pascal Mouneyres L’Intempestive Quatrième mercredi de chaque mois de 20 h à 21 h sur Radio Galère (88.4 MHz à Marseille), www.intempestive.net et www. article11.info. Rediffusion aléatoire sur FPP

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Christophe Abramowitz/Radio France

faim de l’histoire Mécanicien en chef de La Fabrique de l’histoire sur France Culture depuis 1999, Emmanuel Laurentin défend une conception ouverte de l’histoire.



’histoire sert d’abord à s’attendre à l’inattendu” : Emmanuel Laurentin aime citer cette observation de l’historien Alain Corbin. Une façon de signifier combien la matière qui le fait se lever à 4 heures du matin (habitude prise à l’époque où il présentait la revue de presse matinale de 1990 à 1996) est “explosive” et “dangereuse”, “jamais neutre”. A travers son émission quotidienne sur France Culture, La Fabrique de l’histoire, il aime jouer avec ce feu du passé qui embrase notre présent, moins pour s’amuser à se faire peur que pour mesurer la part subversive de l’histoire et tenter d’éclairer, par son biais, les brûlures du monde à travers les âges. Médiéviste de formation, marqué entre autres par les livres de Georges Duby, il s’est au fil du micro et des années penché sur l’histoire moderne et contemporaine, soucieux de tout traverser, les frontières spatiales comme les balises temporelles. Ayant beaucoup appris de Jean Lebrun ou Patrice Gélinet, il porte déjà dans ses archives plus de deux mille émissions, depuis les débuts de la quotidienne

mise en place en 1999 par Laure Adler. Il a fait de sa petite fabrique un atelier vivant de la science historique, habité autant par la rigueur et l’autorité universitaire que par le souci de la transmission à l’intention de publics éclectiques pas forcément familiers de l’école des Annales. Deuxième émission la plus podcastée de la station, La Fabrique… a créé son public à partir de cette idée que l’histoire guide en creux nos vies immédiates et une bonne partie de notre avenir incertain. Pour en restituer l’épaisseur, toutes les écritures radiophoniques s’imposent selon Laurentin : le documentaire, la trace sonore, la chronique, les débats, les longs entretiens… “Je suis un formaliste échevelé”, insiste-t-il ; d’où la nécessité de chercher sans cesse de nouvelles manières de raconter, pour ne pas se répéter après douze ans de Fabrique… et ne pas faire bégayer l’histoire elle-même. Grand intervieweur, il manie avec dextérité l’art de la conversation polie et habitée, distanciée et frontale à la fois. Une thématique générale (“Histoire du peuple”, “Quitter le pouvoir”,

le journaliste explore toutes les nouvelles tendances historiographiques, dont l’histoire globale Banques et banquiers”, “Poésie et histoire”, “Naissance des partis politiques”…) se décline chaque semaine en plusieurs sujets. L’une des séries récentes, “Imaginaire historique des hommes politiques” (Hollande, Mélenchon, Bayrou, Copé…), vient d’être publié en livre, Que doivent-ils à l’histoire ?, dans la nouvelle collection que Laurentin dirige chez Bayard. De son poste d’observation, Laurentin explore toutes les nouvelles tendances historiographiques, dont l’histoire globale, qui le passionne. Incarnée par des chercheurs comme l’Indien Sanjay Subrahmanyam, ou les Français Romain Bertrand (L’Histoire à parts égales, Seuil) et Patrick Boucheron, ce courant propose une nouvelle manière de penser l’histoire en décentrant le regard occidental sur le monde, à rebours de toute forme de récit national, dont la récente polémique autour de la Maison de l’histoire de France fut un indice éclairant. Laurentin ne veut pas pour autant s’en tenir

aux débats universitaires et reste attaché à l’écoute de toutes les traces mineures de l’histoire (les récits familiaux, les produits culturels…) qu’il analyse avec ses invités réguliers comme Arlette Farge. Avec son équipe constituée de fidèles (Séverine Liatard, Perrine Kervran, Anaïs Kien, Amélie Meffre…), il aimerait travailler sur les liens secrets entre le “très lointain” et le “très proche” pour mesurer les effets des bouleversements mondiaux sur les cultures locales. Entre le global et le local, le penser et l’agir, l’ailleurs et l’ici, il voudrait saisir ces liens “tissés” par l’histoire. S’il permet de s’attendre à l’inattendu, ce savoir historique, sans cesse élargi, pourrait aussi jouer de “la connaissance du probable” pour “faire advenir le possible”, selon le souhait que Pierre Bourdieu formait pour la sociologie. De l’inattendu au possible, l’histoire de Laurentin donne le vertige. Jean-Marie Durand La Fabrique de l’histoire du lundi au vendredi sur France Culture à 9 h 05 23.05.2012 les inrockuptibles 121

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“si l’échec scolaire recule, ça sera en partie grâce au numérique” Et cela de manière plus économique. L’autre idée reçue, c’est que le numérique nous rendrait passifs, avec des enfants décérébrés, vissés à leur écran. Or le numérique nous donne les moyens de redevenir acteurs et non spectateurs. Comme l’information est disponible pour tous, il n’y a plus le sachant et l’ignorant, tout le monde peut savoir, et donc agir et participer. On trouve des exemples dans le domaine de l’éducation, comme ces expériences où en utilisant Twitter en classe, les élèves se sentent plus motivés parce qu’ils participent. Le numérique développe aussi d’autres compétences, les soft skills : travailler en groupe, collaborer, communiquer. Si l’échec scolaire recule, ça sera en partie grâce au numérique. Contrairement à certains, Dans un essai bouillonnant et truffé d’exemples, voyez-vous d’un bon œil Eric Boustouller, pdg de Microsoft France, livre sa la diffusion plus large de l’information avec internet ? vision définitivement enthousiaste du numérique. L’information pour tous, uelle était votre Quelles sont ces c’est merveilleux parce intention avec ce angoisses que vous qu’on a tous accès à la livre ? dénoncez ? connaissance. Mais cela Eric Boustouller La première idée reçue, donne des responsabilités, – En vingt-cinq ans c’est que le numérique des obligations, et une dans l’industrie du nous isolerait. En fait, c’est légitimité à chacun. Ce n’est numérique, j’ai fait beaucoup le contraire. Il nous pas parce que tout le monde de rencontres, d’expériences. décloisonne, il crée des peut devenir journaliste d’un Ça pouvait être une bonne liens qui sont dits “faibles” jour en créant son propre idée de partager mes mais qui ont une force contenu qu’il n’y a plus de convictions, parfois extraordinaire. Les journalistes. Le journaliste passionnelles. Je voulais communautés qui va analyser, donner plus de montrer, sans angélisme, se mettent en place avec valeur aux faits. Dans que le numérique est une Viadeo, Linkedin, Twitter ou l’entreprise, ce n’est pas chance. Nous sommes Facebook nous rapprochent. parce que les collaborateurs en train de vivre une Dans le domaine de la ont l’information avant le révolution en direct, au santé, où l’on utilise déjà manager qu’il n’y a plus de rythme fou de cette industrie, par exemple la smart cane manager. Le manager a une où l’innovation est – une canne intelligente autre responsabilité, permanente et ne va pas équipée de capteurs –, c’est d’autres compétences. Dans s’arrêter. Les opportunités parce qu’on arrive à tisser le secteur des technologies, que fait naître le numérique un lien, tout virtuel qu’il c’est la même chose. dans l’éducation, la santé, soit, entre un malade et Nous vivons dans un monde l’environnement, la politique l’hôpital qu’on peut de remise en question sont plus importantes conseiller, apporter des permanente. Le numérique que les angoisses, par soins rapides ou faire modifie les rôles, ailleurs amplifiées par ses se déplacer un médecin bouleverse les modèles détracteurs… quand c’est nécessaire. économiques, et cela crée

rencontre

“le numérique nous décloisonne”



des tensions. Nous sommes dans un mouvement schumpeterien de “destruction créatrice”. Il faut continuer à être celui qui crée, pas celui qui est détruit (rires). Ressentez-vous cet état d’esprit en France ? Je crois que la France bouge. Il y a dix ou vingt ans, la plupart de ceux qui se lançaient dans le numérique voyaient d’abord la France comme un terrain de jeu. Aujourd’hui, on crée tout de suite son entreprise pour le monde – comme Criteo, un spécialiste du ciblage publicitaire, qui a déjà plus de 200 millions d’euros de chiffre d’affaires et des centaines de collaborateurs, ou Kobojo, qui développe des jeux sociaux. Quels motifs d’optimisme avez-vous pour l’avenir du numérique ? L’accès à internet est de plus en plus facile, de plus en plus économique, et même dans certains pays où c’était difficile, ça se répand très vite. Certaines barrières sautent parce que les infrastructures sont moins complexes qu’il y a dix ou trente ans. Donc on va passer très vite à trois ou quatre milliards d’utilisateurs. Ne serait-ce que sur le plan de l’accès aux connaissances et de l’accélération de la démocratie, notamment dans les pays du Sud, c’est formidable. recueilli par Anne-Claire Norot L’Atout numérique d’Eric Boustouller, (JC Lattès), 156 pages, 8 €

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toute dernière fois

Retour sur l’ultime épisode très attendu de Desperate Housewives, diffusé le 13 mai aux Etats-Unis. A voir fin juin sur Canal+.



e glas a sonné dimanche 13 mai, huit ans après les premiers pas de Bree sur les pelouses trop vertes de Wisteria Lane. A cause d’audiences en berne, il était prévu depuis un an que la saison 2011-2012 de Desperate Housewives ne connaîtrait pas de suite, ce qui a laissé à son créateur Marc Cherry tout le temps nécessaire pour réfléchir à sa sortie. S’il n’est pas question de revenir sur la baisse de qualité des aventures de nos ex-meilleures copines, observable depuis plusieurs années et largement confirmée récemment (voir Inrocks n° 854), saisissons l’occasion de mettre en lumière cette unité indépendante qu’est un dernier épisode d’une série – appelons cela un DES. Desperate Housewives mérite au moins ça. Tout comme les pilotes (premiers épisodes), les DES possèdent un rare privilège dans le monde des séries, celui d’exister par eux-mêmes. Ce sont de petites bulles closes dans un univers narratif ouvert. Au cœur d’un monde sans clôture, ils sont l’exception que personne n’oubliera. Les amateurs les classent à part, comme des blocs de souvenirs insécables, des monuments intimes. Rien n’est plus adulé ou plus honni qu’un DES. Diffusée en 1968, la fin du Prisonnier a immédiatement fait polémique et continue encore de diviser. Il y a deux ans, la conclusion théorique et œcuménique

de Lost a coûté à son cocréateur Damon Lindelof des flopées d’insultes sur son compte Twitter. Parmi nos préférés dans l’histoire moderne, citons trois derniers épisodes magnifiques : celui de Seinfeld en 1998, parfait concentré des obsessions répétitives de cette grande comédie ; celui de The Shield en 2008, d’une cohérence morale stupéfiante avec les errements de son personnage principal ; celui de Friday Night Lights, l’année dernière, modèle de sentimentalité jamais idiote, qui nous expliquait en substance qu’après les séries, la vie continue. Un bon dernier épisode de série raconte à la fois la fin d’un monde et la fin d’un rapport. Ce monde, c’est celui qui s’est déployé sous nos yeux pendant plusieurs saisons ; ce rapport, c’est celui du spectateur avec les personnages qui le quittent. Parfois, la relation est inversée, comme dans les ultimes secondes de 24 heures chrono, ponctuées par le célèbre regard caméra de Jack Bauer, suppliant en silence que personne ne l’oublie.

un bon dernier épisode raconte à la fois la fin d’un monde et la fin d’un rapport

Desperate Housewives n’a pas dérogé à la règle en proposant un finale opératique et ambitieux. Une fois les intrigues courantes expédiées, les premières larmes versées, les ultimes minutes n’ont eu qu’un seul but : prendre de la hauteur. Suivre Bree, Lynette, Susan, Gaby, leurs mecs, la vieille voisine madame McCluskey et quelques autres, pour la toute dernière fois. Rabattre délicatement le linceul sur leurs visages aimés. Leur offrir un destin. Ne surtout pas les abandonner froidement sur le bord de la fiction. Voilà pour le programme. La réalité, malheureusement, n’a pas atteint la plénitude espérée. Revenu aux affaires pour écrire cette fin, Marc Cherry a voulu rester fidèle aux fondements de la série, naviguant depuis ses débuts dans un univers ultraréférentiel. Série postsoap, postthriller, postmélo, Desperate Housewives est morte les armes à la main en proposant dans ses ultimes instants un mélange d’influences diverses, notamment celle, flagrante, de Six Feet under – peut-être le DES le plus connu et le plus commenté de tous les temps. Plutôt que de provoquer l’émotion, ce geste pop terminal nous a rendus perplexe, ce qui n’est sûrement pas le meilleur sentiment pour quitter une série qu’on aurait aimé regretter, même un peu. Pas sûr qu’on en parle encore dans dix ans. Olivier Joyard

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brèves Monte-Carlo au top Après une édition 2011 plutôt calme, le Festival de télévision de Monte-Carlo s’annonce cette année passionnant, grâce à une liste d’invités cool et variée. Du 10 au 14 juin, on retrouvera notamment les créateurs Josh Schwartz (The O.C., Gossip Girl) et Howard Gordon (Awake, Homeland), les acteurs Benjamin McKenzie (Southland) et Brian Benben (ex-Dream On) ou encore Jennifer Love Hewitt. Bon, il y aura aussi une soirée spéciale pour les 25 ans d’Amour, gloire et beauté.

HBO parodie Wall Street Parmi les projets plutôt excitants de HBO, la plus puissante chaîne câblée, figure une comédie située à Wall Street dans les eighties reaganiennes. Sans titre pour l’instant, le pilote de cette “trader comedy” est coécrit par Adam McKay, meilleur pote de Will Ferrell. Ce qui suffit largement à notre bonheur.

William Petersen dans Les Experts

focus

paroles d’experts

Les prestigieuses PUF débutent une intéressante collection consacrée aux séries. ette fois, c’est officiel : la France rattrape son retard éditorial en matière de séries. Après plusieurs dictionnaires, sommes et études parues l’année dernière, les Presses universitaires de France (PUF) mettent à leur tour en avant ce “nouvel” objet. Trois petits livres viennent de sortir dans une Fry et Laurie réunis ? nouvelle collection dirigée par Jean-Baptiste Alors que Dr House vient Jeangène Vilmer et Claire Sécail, appelée de se terminer, l’acteur anglais à s’agrandir. Trois essais écrits par des profs Hugh Laurie pourrait revenir et chercheurs passionnés. La bonne idée ? à ses premières amours Ne pas prendre en compte seulement les comiques avec son pote créations reconnues partout type Mad Men, Stephen Fry. Ensemble, mais envisager le genre dans son ensemble ils avaient fait rire le royaume et donc à travers ses racines populaires. au début des années 1990 avec A propos de Desperate Housewives, Virginie A Bit of Fry and Laurie. Fry a Marcucci base sa réflexion sur les notions annoncé sur Twitter qu’ils travaillaient à un nouveau d’ambiguïté et de brouillage idéologique projet, sans donner plus de (est-ce une série féministe ou tout le précisions, le coquin. contraire ?) tandis que Nathalie Perreur voit avec raison dans The Practice une “fiction progressiste et contestatrice”, rendant un hommage appuyé à la création de David E. Kelley. Mais c’est avec Gérard Wajcman que l’on s’amuse le plus. Contrairement aux Malcolm (Paris Première, le 24 à 19 h 55) Avant de devenir l’infâme, autres, l’écrivain et psychanalyste envisage ridicule et sublime Walter White dans la série qu’il étudie dans l’intrication de ses Breaking Bad, Bryan Cranston incarnait thèmes et de sa forme. Pour lui, Les Experts déjà un père décalé et incapable dans la ont tout d’une aventure du regard. Voilà “une sitcom rigolote Malcolm. série qui regarde le monde comme une scène de crime”. Dans son introduction, Wajcman The Good Wife (Teva, le 27 à 19 h) Notre lance également quelques pistes plus amour pour les subtils marivaudages générales : “La série télé est une mise d’Alicia Florrick est infini. Que cette en œuvre de la multiplicité dans le mode même grande série populaire ne marche pas du récit (…). La série télévisée serait la forme trop en France reste un mystère. Alors, hyper moderne. Elle répond à un éclatement, restons entre happy few. à la fragmentation contemporaine du Un.” Stimulant. O. J. Spartacus : Vengeance (Orange Cinéchoc,

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agenda télé

le 27 à 20 h 40) Violence, sexe et larmes : Spartacus, ou l’ABC de la série du câble outrancière, est de retour pour un deuxième tour de piste.

Desperate Housewives – Un plaisir coupable de Virginie Marcucci. The Practice – La justice à la barre de Nathalie Perreur. Les Experts – La police des morts de Gérard Wajcman (PUF) 23.05.2012 les inrockuptibles 125

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émissions du 23 au 29 mai

L. A. : Ellroy confidential Documentaire d’Adrien Soland. Jeudi 24 mai, 20 h 35, France 5

enfances volées Le travail des enfants reste un fléau. Et même les sociétés les plus riches n’en sont pas préservées.

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a cause des enfants s’est historiquement constituée autour de la question du travail : alors que l’éducation et l’école restent la condition de leur émancipation, beaucoup d’entre eux échappent encore à ce prisme éducatif et restent des sous-citoyens soumis à des entrepreneurs sans scrupules. Après avoir réalisé, il y a vingt ans, un documentaire sur le sujet, L’Enfance déchaînée, Hubert Dubois propose un nouvel état des lieux de la réalité du travail des enfants dans le monde avec une enquête, Enfants forçats, qui n’a pas besoin de forcer le trait pour restituer l’une des plus tristes parts du monde du travail contemporain, son visage le plus régressif : l’exploitation de l’enfance. S’il recule de manière générale, depuis notamment la “Convention 182” du Bureau international du travail en 1999, signée par de nombreux pays, ce travail des forçats semble à nouveau résister aux combats des associations et organismes internationaux (Unicef, OIT…). Plus de 215 millions de jeunes, âgés entre 5 et 17 ans, exercent encore une activité économique, dont 115 millions dans des formes proches de l’esclavage. Qu’ils travaillent dans des mines, manipulent des matériels dangereux, ou que leurs conditions de travail soient pénibles (travail de nuit, horaires trop longs…), ces enfants sont les proies d’un système économique qui ne concerne pas que les pays pauvres. Outre l’Inde, le Burkina ou la République dominicaine, où il a filmé les activités de réseaux illicites, Hubert Dubois a aussi mesuré l’élargissement de cet asservissement aux Etats-Unis, où des paysans mexicains doivent faire travailler leurs rejetons dans les champs de tabac. Parallèlement à ces portraits d’enfants martyrs, le réalisateur évoque l’Indien Kailash Satyarthi, fondateur d’une ONG qui libère les enfants et combat la pauvreté et l’illettrisme. L’archaïsme de la production s’accommode aussi de l’actualité de la crise : les droits de l’enfant restent une cause politique d’aujourd’hui. Jean-Marie Durand Enfants forçats Documentaire d’Hubert Dubois. Mardi 29 mai, 20 h 35, A rte

Un nuage sur le toit du monde Documentaire d’Agnès Moreau. Jeudi 24 mai, 22 h 20, Arte

L’air est aussi pollué au sommet de l’Himalaya qu’à Paris. Respirer l’air pur de la montagne ? Une chimère pour les habitants de l’Himalaya dont l’air est aussi pollué que celui des grandes villes européennes. Une équipe franco-italienne, installée depuis 2006 à 5 000 mètres d’altitude, y a fait la découverte d’un immense nuage de pollution : l’Atmospheric Brown Cloud. En cause ? Le carbone issu des feux de forêts et de la croissance industrielle et démographique de la région. Ses particules, en absorbant les rayons du soleil, sont ainsi responsables du réchauffement, qui perturbe les moussons et fait fondre les glaciers. L’heure est donc à la sensibilisation des jeunes populations népalaises afin de réduire les émissions de particules pour un air plus sain. M. J

Parcours attendu avec l’écrivain hard-boiled ou “Ellroy pour les nuls”. Eternel bon client, le réac James Ellroy est, d’après lui, plus apprécié des Français que de ses compatriotes. Voilà sans doute pourquoi il se prête encore une fois au parcours touristique autour de son œuvre, et au sempiternel résumé de sa vie, avec l’assassinat de sa mère, indissociable de celui du Dahlia noir… Mais il vieillit, James. Moins hargneux, élocution ralentie, chauve, il arpente avec François Busnel des lieux de ses œuvres où il n’y a plus rien à voir. Des pavillons et des pelouses à la place du glauque terrain vague où Elizabeth Short fut trouvée en pièces détachées… V. O.

La Folie des régimes Enquête de Liza Fanjeaux (Spécial Investigation). Lundi 28 mai, 20 h 55, Canal+

Maigrir à tout prix, lourd symptôme. Plus qu’un trait “léger” de notre époque, l’obsession de la minceur forme la trace d’une névrose culturelle générale. Mythe absolu d’aujourd’hui, la minceur du corps dit quelque chose (de triste) de nos représentations, contaminées par l’idéologie dominante de la beauté asséchée et déchue. Dans une enquête sur ce sujet ultrarebattu, presque vidé de sa substance à force d’avoir été liposucé par tous les magazines, Liza Fanjeaux s’attarde sur les effets les plus déments de ce désir d’amaigrissement, comme le fameux by-pass ou court-circuit gastrique : des patients sont prêts à se faire amputer l’estomac pour perdre 20 kilos en quelques jours et les reprendre six mois plus tard ! JMD

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Namibie : le génocide du IIe Reich

Le Crépuscule d’un ange

Documentaire d’Anne Poiret. Dimanche 27 mai, 22 h, France 5

Documentaire de Dominique Leeb. Jeudi 24 mai, 21 h 35, France 5

Prélude à la Shoah en Afrique australe. Entre 1904 et 1907 en Namibie, les Allemands se sont livrés à des massacres faisant près de 100 000 morts chez les Héréros et les Namas. Le IIe Reich de Bismarck y a notamment expérimenté les camps de concentration et le docteur Fischer s’est également livré à des études scientifiques à partir de cadavres dans le but d’établir une distinction entre les races. Un épisode tragique appréhendé comme un prélude de la Shoah par certains historiens. Aujourd’hui, la mémoire de ce génocide oublié se reconstruit : les descendants luttent pour que l’Allemagne reconnaisse ces massacres inaugurant, sous ses pires auspices, le XXe siècle. Magali Judith

HajraCat ic, présidente de l’Association Femmes de Srebrenica

La fin difficile de Marlène Dietrich contée par ses proches. Ce documentaire traite des dernières années de la vie de Marlène Dietrich à Paris – avec quelques rares incursions dans son passé cinématographique –, où la star s’éteignit à 90 ans en mai 1992. Titre poétique pour décrire une vieillesse, non pas misérable (elle vivait avenue Montaigne à Paris) mais triste et solitaire comme celle de Louise Brooks. Grabataire durant ses quinze dernières années, la star des stars allemandes était devenue de surcroît acariâtre et alcoolique. Seul ami fidèle et un peu souffre-douleur, Louis Bozon, l’animateur du Jeu des 1 000 francs. On aurait aimé que le film s’attarde plus sur leur étrange relation. Vincent Ostria

vélorutions Dix mille kilomètres à vélo, au plus près des désordres du monde.. dix mois, des témoins de grands conflits e vélo a la cote dans le journalisme : géopolitiques contemporains. De Paris à de plus de en plus de reporters Hiroshima au Japon, en passant par la partent sur les chemins de leurs enquêtes assis sur une selle, comme Bosnie, la Moldavie, l’Ukraine, la Géorgie, l’Azerbaïdjan, la Chine et la Corée du Sud, si l’inconfort de leur voyage créait par son parcours du combattant en selle lui-même une sensibilité plus forte aux fait écho aux dislocations de l’ex-empire paysages et aux échos du monde. Sur la soviétique et aux guerres fratricides route, les coups de pédale vibrent avec des dernières années. En recueillant l’époque, à ciel ouvert, à petite vitesse, de les témoignages de victimes et acteurs de quoi saisir à la fois les décors des conflits ces conflits, ce maillot jaune d’un et les enjeux politiques qui s’y jouent. journalisme de guerre renouvelé éclaire Comme Raphaël Krafft et Alexis les visages oubliés du monde actuel. JMD Monchovet qui suivirent la campagne électorale à vélo, Raphaël Beaugrand est parti avec sa bicyclette sur les chemins du Paroles de conflits Documentaire de Raphaël Beaugrand Jeudi 24 mai, 20 h 40, Toute l’histoire monde (10 000 km) pour filmer, durant

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in situ créer son site gratos Gratuit, Puzl est un outil de création de sites internet. Design, images, boutons, formulaires ou encore Google Maps sont proposés afin de créer un site original et sans publicité. puzl.com

la recherche par millions Million Short est un moteur de recherche qui retire les résultats les plus populaires – jusqu’à un million à chaque requête – afin d’affiner la recherche. Le but est donc de sortir des sentiers battus et de partir dans les tréfonds du net à la découverte de sites différents. millionshort.com

le marché du do it yourself Besoin d’un banc en cèdre, d’une bague fantaisie ou d’un lustre en verre soufflé et tout ça fabriqué maison ? Custommade se charge de tout. Ce site met en relation créateurs et internautes désireux de se faire fabriquer un objet sur mesure. Plus de 3 000 fabricants (ébénistes, orfèvres…) sont présents sur le site et proposent également leurs projets. www.custommade.com

voyages sur mesure Redvisitor indique les places to be des plus grandes villes de la planète : vues d’ensemble, hôtels, restaurants, sorties et expériences sont ainsi répertoriés. Le plus : les témoignages des “experts locaux” autrement dit, designers, chefs, écrivains et autres acteurs. redvisitor.com

la revue du web La Vie des idées ville globale et équitable En partenariat avec Métropolitiques, La Vie des idées revient sur les enjeux de la “ville équitable”. Définie comme capable de satisfaire localement ses besoins sans faire peser ses coûts de développement sur d’autres territoires, elle pose néanmoins toute une série de problèmes : la question de la globalisation sans l’annihilation de la diversité, celle de l’équité urbaine  et enfin la contradiction entre sa construction sur le long terme et la brièveté des cycles électoraux. bit.ly/Izgc5I

The Wilson Quarterly mort de l’appel téléphonique Nous utilisons de plus en plus nos téléphones, mais la durée des appels est en forte baisse. Notre société utilise désormais d’autres moyens pour communiquer : textos, chat, réseaux sociaux… Vanderbilt justifie ce constat par le fait que l’envoi de textos est moins cher ou que le téléphone a tendance à interrompre nos activités. Il revient aussi sur les transformations sociales provoquées par ce nouvel outil dès son apparition. bit.ly/Jql9IE

The Economist cameras are watching you De la Chine aux prisons américaines, en passant par l’aéroport d’Heathrow, les caméras à reconnaissance faciale constituent un business de plus en plus prisé. Celles du fabricant français Quividi sont capables de détecter l’âge et le sexe des passants qui s’attardent sur une publicité, tandis que SceneTap donne des informations similaires dans des bars américains. Ou comment la technologie dépasse la surveillance traditionnelle, réduisant de plus en plus l’anonymat et les libertés publiques. econ.st/GRSOei

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avantages exclusifs

RÉSERVÉS AUX ABONNÉS DES INROCKS pour bénéficier chaque semaine d’invitations et de nombreux cadeaux, abonnez-vous ! (voir page 123 ou sur http://abonnement.lesinrocks.com) Monumenta 2012 – Daniel Buren jusqu’au 21 juin au Grand Palais (Paris VIIIe)

expos Monumenta invite chaque année un artiste contemporain de renommée internationale à investir la nef du Grand Palais avec une œuvre magistrale conçue pour l’occasion. Pour la cinquième édition, Daniel Buren, l’un des plus grands créateurs français, relève le défi. A gagner : 30 pass pour 2 personnes

Festival Echappée belle du 5 au 10 juin au Carré – Les Colonnes, Blanquefort (33)

Stéphane Trapier/Atalante

scènes Ce qui était un pari ambitieux il y a vingt ans, la création d’un festival spécifique pour le jeune public, est devenu un rendez-vous attendu et reconnu. Echappée belle est un savant mélange de nature et de culture, l’un servant l’art de l’autre. A gagner : 5 pass pour 2 personnes

Un mage en été du 24 mai au 3 juin au Théâtre du Rond-Point (Paris VIIIe)

scènes

D’Olivier Cadiot, mise en scène Ludovic Lagarde. Olivier Cadiot convoque son héros récurrent, Robinson. Seul en scène, l’homme se laisse imprégner par ses souvenirs, bribes de nostalgie, colères, bonheurs et anxiétés. A gagner : 20 places pour 2 personnes pour la représentation du 31 mai

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Move to Move – Nederlands Dans Theater

Festival Latitudes contemporaines du 6 au 17 juin (Lille et Bruxelles)

scènes Les Latitudes contemporaines ont créé au nord de la France un temps fort voué aux nouvelles scènes chorégraphiques. Le festival est conçu comme un lieu de rencontres culturelles en prise avec notre époque à l’attention d’un territoire dense, complexe et frontalier. A gagner : 3 places pour 2 personnes pour Mordre la poussière par Grand Magasin à La Maison Folie Wazemmes (Lille)

le 31 mai, première mondiale, dans toute la France

cinémas / scènes Pour la première fois, Pathé Live s’associe avec le Nederlands Dans Theater, l’une des plus grandes compagnies de danse contemporaine et néoclassique, pour une retransmission en exclusivité au cinéma du spectacle Move to Move en direct du Lucent Danstheater de La Haye. Cette retransmission exceptionnelle aura lieu dans plus de 400 salles en France, en Europe et à travers le monde (info : pathelive.com). A gagner : 25 places pour 2 personnes pour chacune des villes

pour profiter de ces cadeaux spécial abonnés munissez-vous de votre numéro d’abonné et participez sur 

http://special. lesinrocks.com/club

fin des participations le 27 mai

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album Les mélodies parfaitement complexes et entêtantes du nouveau Beach House s’écoutent en boucle, comme il y a deux ans sur leur album Teen Dream.

De rouille et d’os de Jacques Audiard Maîtrise et densité pour un beau film sur la fusion des corps.

Rufus Wainwright Out of the Game L’esthète canadien revient en force avec un album fiévreux et sensible.

Je viens d’acquérir un lavis de Bill Wenzel, un illustrateur d’humour sexy assez virtuose des années 60 au style vif et élégant. Jonathan Littell Carnet de Homs Un témoignage brut de l’horreur de la répression syrienne.

bd Commissaire Toumi d’Anouk Ricard Je rêve d’une suite à cet album, mais en fait j’achète tout Anouk Ricard et toutes ses bandes dessinées sont génialement drôles. recueilli par Jean-Max Colard

Moonrise Kingdom de Wes Anderson Le dandy texan explore à nouveau son petit monde coloré.

The Day He Arrives d’Hong Sang-soo Le ressassement mélancolique et vertigineux du délicat cinéaste sud-coréen.

Dark Shadows de Tim Burton Un conte loufoque et malicieux qui fait dialoguer le passé proche et le passé lointain de l’Amérique.

Poliça Give You the Ghost Tordue et spectrale, une collision frontale de styles et d’humeurs.

Vinicio Capossela Marinai, profeti e balene Cette musique vient de loin : du blues, de l’opéra, des abysses tyrrhéniennes et du ventre d’une baleine.

Electric Guest Mondo Avec un tube et un producteur surdoué, le duo californien est prêt pour les charts.

coffret World Cinema Foundation, vol. 1 Scorsese exhume des pépites oubliées. La Flèche brisée de Delmer Daves. Le premier western pro-Indien. Très belle édition des trois premiers films de Roman Polanski.

Marc Leyner Exécution Un roman qui se contrefout des bonnes manières littéraires. Euphorisant.

Beauté tome 2 –  La reine indécise d’Hubert et Kerascoët Comment tordre le cou aux contes de fées. Jeanette Winterson Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? Star du roman anglais et icône gay, cette figure clé de la littérature britannique passe au récit le temps d’une autobiographie exaltante.

Sous la direction de FrançoiseMarie Santucci Monroerama Un livre fait enfin exploser les masques et les mensonges sur la légendaire star platine.

La Crème de Crumb de Robert Crumb Cornélius célèbre ses 20 ans de collaboration par une impressionnante anthologie.

I Am a Hero, volumes 1 et 2 de Kengo Hanazawa Une relecture hallucinée du mythe du zombie.

Renaud Monfourny

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Julien Carreyn Des filles nues en train de se livrer à des travaux pratiques : avec son Atelier des filles exposé à la galerie Crèvecœur à Paris, l’artiste Julien Carreyn redécouvre la douce utopie des MJC des années 70. Et leurs couleurs franches.

Une puce, épargnez-la de Naomi Wallace, mise en scène Anne-Laure Liégeois Théâtre Ephémère de la ComédieFrançaise, Paris Plongée dans la zone grise où pourrit l’humanité.

Contre les bêtes de Jacques Rebotier Maison de la poésie, Paris La domination de l’homme sur le nature dans un spectacle solo plein d’humour.

Roulez jeunesse ! de Luc Tartar, mise en scène Marie Normand Festival Les Rappels de Coup de théâtre, Mirecourt (88) A-t-on idée du saut dans le vide que représente chaque première fois dont les adolescents sont les héros involontaires ?

Monumenta Grand Palais, Paris Daniel Buren prend les commandes du grand vaisseau de verre et d’acier.

La Triennale Palais de Tokyo, Paris La capitale tient enfin sa grande exposition internationale et se tourne vers une vision excentrée d’un monde globalisé.

Le Monde comme volonté et comme papier peint Consortium de Dijon (21) Adapter à l’échelle de l’expo le roman de Houellebecq, La Carte et le Territoire, voici le défi de cette expo qui flirte avec l’artisanat.

Prototype 2 sur Xbox 360 Compile des meilleurs jeux à monde ouvert genre GTA.

Pandora’s Tower sur Wii Dernière gerbe de jeux pour la Wii. Le brillant Pandora’s Tower illumine son crépuscule.

Bit.Trip Complete/Saga sur Wii et 3DS D’une stimulante simplicité graphique.

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