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+ édition régionale

CLERMONT FERRAND 1 6 pages

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j’ai commencé la tournée avec Charlotte

Gainsbourg et Connan Mockasin

 I

l est près de 20 heures. Dans la cantine de la salle Stéréolux à Nantes, Charlotte Gainsbourg tente tant bien que mal de faire manger sa petite Joe, assise sur ses genoux. “Je l’allaite, je n’aurais pas pu envisager de partir en tournée sans elle, explique Charlotte. D’une certaine façon, elle m’oblige à hiérarchiser les priorités. Je pense beaucoup moins au concert, et ça c’est cool.” Dans une heure, la chanteuse donnera le coup d’envoi de Stage Whisper, la tournée qu’elle a conçue avec le musicien néo-zélandais Connan Mockasin, auteur de Forever Dolphin Love, un des meilleurs albums de 2011. Les deux artistes se sont rencontrés il y a un peu plus d’un an, à la demande de Charlotte. “Son album est tellement mystérieux. Ça a été un choc. J’ai tout de suite voulu savoir qui se cachait derrière ces morceaux. Je m’attendais à quelqu’un de complètement barré. Il l’est, mais il est surtout très simple et très intuitif.” Dans une chambre d’hôtel, en une nuit, Connan a écrit Out of Touch, un morceau qui, dixit Charlotte, “lui ressemble”. L’idée d’une tournée commune s’est rapidement imposée. Attablé à quelques mètres de là, le Néo-Zélandais fait le clown et joue avec un champignon géant dans son assiette. “On dirait un crabe, vous ne trouvez pas ?” La tablée se marre. “Je suis ravi de cette tournée, poursuit-il. Je suis curieux de voir ce que ça va donner. Jusqu’où on peut aller, jusqu’où elle peut aller. C’est beaucoup moins stressant que lorsque je joue en mon nom.” 20 h 30. Charlotte s’est réfugiée dans sa loge. Elle en sort furtivement, le visage tendu. Connan et le groupe foncent enfiler leurs tenues de scène, conçues par Nicolas Ghesquière. Uniformes blancs, chapeaux noirs et bottines sombres : le directeur artistique de Balenciaga a revisité

et modernisé les codes d’Orange mécanique. “Scène dans cinq minutes !” Sofia, la tour manageuse, vient frapper aux portes des loges. Charlotte sort, sublime dans une tenue blanche et futuriste. Tandis que tous se ruent vers l’ascenseur, Connan se prend une porte et éclabousse sa tenue immaculée de vin rouge. Tout le monde explose de rire. 21 h, montée sur scène. Le riff electro de Terrible Angels retentit. Très réussie, la set-list mélange titres extraits de Charlotte for Ever, d’IRM, et une étonnante reprise du Ashes to Ashes de Bowie. Charlotte passe à la batterie sur It’s Choade My Dear, un des titres de Connan. Sur Heaven Can Wait, chantée en duo, leurs timbres délicats se fondent à merveille. L’alchimie opère. 22 h 30, l’hédoniste et electro Paradisco clôt le show. Backstage, Charlotte claque une bise à Connan. Champagne. “J’aurais dû me lever sur celle-là. Ah oui… et cet enchaînement-là pourrait mieux fonctionner.” Soucieuse, elle débriefe la set-list. “J’ai du mal à avoir du recul, explique-t-elle. J’ai tellement à dealer avec mes propres angoisses que je le vis encore égoïstement. Mais je me sens plus détendue que sur ma précédente tournée. Avec Connan et ses musiciens, je suis la pièce rapportée. Ça me plaît. J’aime sentir que je suis sous sa direction.” Tellement que Mockasin devrait, après la tournée, s’atteler à l’écriture du prochain album de Charlotte. Fin août, la comédienne rejoindra un autre de ses directeurs fétiches, le Danois Lars von Trier. “J’adore le scénario qui retrace l’univers sexuel d’une femme, de ses 2 ans à la fin de sa vie. Je ne suis pas nympho, mais je me sens proche de la sensibilité de cette femme.” Minuit. La silhouette blanche disparaît. Dans une demi-heure, le tour bus mettra le cap sur La Rochelle. texte et photo Géraldine Sarratia

“avec Connan et ses musiciens, je suis la pièce rapportée. Ça me plaît”

concerts le 18 mai à Strasbourg, le 21 à Paris (Cigale), le 22 à Rouen, le 26 à Reims, le 29 à Nancy

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No.859 du 16 au 22 mai 2012 couverture Matthias Schoenaerts par Nicolas Hidiroglou

03 quoi encore ? Charlotte Gainsbourg et Connan Mockasin

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retrouvez Les Inrockuptible sur Europe 1 mercredi 16 et jeudi 17 mai, dans l’émission de Michel Field, Rendez-vous à l’hôtel. De 21 h à 22 h 30 en direct d Festival de Canne

08 on discute édito de Bernard Zekri et MAB

10 sept jours chrono le paperblog de la rédaction Serge July, sens dessus dessous ; l’ère de rien ; le mot

14 événement Jean-Luc Mélenchon explique pourquoi il se présente contre Marine Le Pen

Nicolas Hidiroglou

12 on décrypte

16 la courbe ça va ça vient ; billet dur

18 nouvelle tête Lescop

20 ici des Chinoises du Nord contraintes à la prostitution à Paris

32 AFP ImageForum

22 ailleurs dix ans après, la réussite des coopératives ouvrières argentines

24 à la loupe le Cruise s’amuse le cinéaste Larry Clark fait cavalier seul

29 présidence

Pierre-Emmanuel Rastoin/Canal+

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26 parts de marché la semaine de transition, en rupture avec le sarkozysme

32 UMP lendemains de défaite pour la droite

34 François Hollande des livres racontent l’irrésistible ascension du nouveau Président

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36 que le meilleur perde les politiques en quête de défaite

38 en route pour Cannes 2012 la révélation Matthias Schoenaerts, la confirmation Wes Anderson, Isabelle Huppert en Corée, Peter Doherty en Musset…

63 rêvons avec Beach House le groupe de dream-pop sort un quatrième album, Bloom, collection de chansons à la beauté universelle

66 Anne-Sophie Lapix à pic pendant la campagne, elle a montré qu’il était possible de faire du bon journalisme politique à la télévision

pour l’édition régionale

Clermont-Ferrand

capitale ruptive

cahier 16 pages au centre du journal couverture Mr Nô par Pierre Le Bruchec

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34

72 sorties The Day He Arrives, Contrebande

74 Prototype 2 ultraviolent mais convaincant

76 Rufus Wainwright le grand retour de l’esthète canadien

78 mur du son Blur, Primavera, Guillemots...

79 chroniques Poliça, Vinicio Capossela, Etienne de Crécy, I:Cube, Birdy…

89 morceaux choisis Aline, Esser, Animal Collective…

90 concerts + aftershow Foster The People

92 Jonathan Littell dans l’enfer de Homs

94 romans Mark Leyner, Lucía Puenzo

96 idées une biographie de Robert Faurisson

98 tendance la bibliothèque de François Hollande

100 bd Beauté tome 2 + La Crème de Crumb

102 Naomi Wallace au Français + Contre les bêtes + Roulez jeunesse !

104 Boris Achour/Anri Sala + Morgane Tschiember

106 où est le cool cette semaine ? chez Chevignon, Maison Labiche…

108 Cannes à la télé le Festival déchaîne les chaînes

111 Jacques Ellul précurseur de l’écologie

113 Sex Press les sixties, années érotiques

114 internet le marketing aime le Like

116 séries Web Therapy, Lisa Kudrow nous soigne

118 programme tv grandeur et misère de la sidérurgie

120 la revue du web sélection profitez de nos cadeaux spécial abonnés

pp. 70-71

121 vu du net Albert Londres et son prix

122 best-of le meilleur des dernières semaines

rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Hélène Fontanaud, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène, David Doucet, Geoffrey Le Guilcher idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot cahier villes Alain Dreyfus collaborateurs E. Barnett, G. Binet, R. Blondeau, C. Boinet, M.-A. Burnier, A. Caussard, M. de Abreu, C. de Greef, A. Desforges, M. Despratx, P. Dupont, N. Hidiroglou, O. Joyard, M. Judith, B. Juffin, L. Laporte, C. Larrède, S. Lavoué, J. Lavrador, P. Le Bruchec, N. Lecoq, T. Legrand, H. Le Tanneur, J.-L. Manet, H. Manning, L. Mercadet, B. Mialot, L. Michaud, V. Ostria, M. Philibert, E. Philippe, A. Pouyat, Y. Sadat, G. Sbalchiero, R. Waks lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel, Azzedine Fall éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares vidéo Basile Lemaire graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Laetitia Rolland conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Luana Mayerau publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél 01 42 44 18 12 coordinatrice Sarah Hami tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 15 31 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 00 13 directeur et directrices de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 Isabelle Albohair tél.  01 42 44 16 69 Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web Chloé Aron tél. 01 42 44 19 98 coordinatrice Lizanne Danan tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 assistante Sarah Carrier tél. 01 42 44 15 68 marketing, promotion directrice du développement Caroline Cesbron promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/rp Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 chef de projet Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 assistante promotion marketing Margaux Scherrer tél. 01 42 44 16 68 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement HAPY PARIS les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19 infos 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 3 579 352,38 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général David Kessler assistante Valérie Imbert directeur général adjoint Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Sonia Pied administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2012 directeur de la publication David Kessler © les inrockuptibles 2012 tous droits de reproduction réservés ce numéro comporte un encart abonnement 2 pages “Edition Clermont-Ferrand” jeté dans l’édition vente au numéro des départements 03, 15, 43 et 63 ; un cahier de 16 pages “Edition Clermont-Ferrand” broché dans l’édition des départements 03, 15, 43 et 63.

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l’édito

s’ouvrir à l’Europe Malgré ses divergences avec Mme Merkel, François Hollande va-t-il changer l’Europe ? Peut-être. Depuis Giscard et Mitterrand, nous avons élu le premier président de la République favorable à une marche vers le fédéralisme. M. Chirac, qui avait dénoncé à la sous-de Gaulle l’union de notre continent, devint un Européen de raison. Son Premier ministre Lionel Jospin, formé au chauvinisme révolutionnaire par le trotskisme lambertiste, fut un Européen contraint. Quant à Nicolas Sarkozy, il n’a cessé de promouvoir une Europe des Etats plutôt qu’une démocratie européenne.Durant son quinquennat, il a transformé le projet fédéral lancé par Jean Monnet et Robert Schuman en condominium franco-allemand, soit une Europe de deux nations. Comment faire aimer au peuple une politique de cabinet ? François Hollande, lui, se réclame de Jacques Delors et de François Mitterrand. Il a approuvé Maastricht et engagé le Parti socialiste, sans succès hélas, dans le “oui” au référendum de 2005 sur le traité constitutionnel. Saura-t-il rouvrir cette Europe à deux, le Merkozy, aux vingt-cinq autres adhérents ? Cela fait dix ans que l’on abandonne l’Europe à ses contempteurs d’extrême droite et d’extrême gauche. Lorsqu’en 2004, l’UE s’est élargie à dix nouveaux membres, les ex-démocraties populaires plus Chypre, personne n’a expliqué l’espoir représenté par ces adhésions pour constituer un bloc capable de parler avec les géants américain, chinois et la part du tiers-monde sur la voie du développement. A l’époque, les Européens ont laissé la parole à leurs adversaires. Pis : les Etats ont tout fait pour abaisser les institutions fédérales, poussant à leur tête des personnages qui ne faisaient consensus que par leur médiocrité et leur effacement, MM. Barroso, Van Rompuy et la nullissime baronne Ashton. L’Europe unie, avec une part croissante de fédéralisme, représente le seul avenir pour nos pays accablés par la dette et la récession. La solidarité apporte plus de solutions que de sacrifices. François Hollande osera-t-il le dire, le répéter, l’expliquer et le faire avec les autres peuples qui regardent encore vers la France ? L’Europe, c’est maintenant.

Bernard Zekri, MAB

Ce soir, ayons une pensée émue pour Marianne, Mediapart, Libé et Les Inrocks, qui à 20 h ont perdu leur fonds de commerce. #RIP méchamment twitté par Vonyer

un Brain de dérision Valérie Trierweiler a prié ses confrères journalistes de respecter sa vie privée mais qu’elle le veuille ou non, la première dame risque de devenir un nouveau marronnier de la presse française. Le site intellol Brain Magazine s’est amusé à anticiper le phénomène en détournant la couve des Inrocks et d’autres hebdos.

changement de régime Viscérale, excessive, explosive, tels sont les mots qui me viennent à l’esprit pour décrire Beth Ditto, entité si réelle que la chair et le sang semblent sortir frénétiquement des sillons (numériques) à tout instant. Beth Ditto se refuse à tout régime autre que celui du plaisir (…). Je regarde la couve des Inrocks (n° 857) et je vois là une femme dont les idéaux, l’ambition n’ont jamais été réduits. Aussi, ce corps témoigne de cette façon dont Beth Ditto a infléchi un milieu (musical y compris) qui cherchait peut-être à lui faire accepter des choses qu’elle ne voulait pas : elle s’en est nourrie pour grandir… Ce corps, c’est une manière de dire encore une fois :

“Les valeurs et les diktats que favorise la société ne sont pas les miens. Pourquoi devrais-je me plier à la façon de penser des autres ?” Avec ce corps, je vois l’image d’une femme dont l’enveloppe charnelle rend compte pour elle de sa capacité à encaisser (voire à rendre) les coups dans ce monde où l’on cherche en vain à trouver sa place pour s’apercevoir (une fois qu’on l’a trouvée) que finalement nous sommes seuls. D’ailleurs, de mon côté, si j’en fais trop, c’est parce que, tel un cyclone raflant tout sur son passage, elle aussi. A ce titre, il semble bien qu’elle ait fait sien ce proverbe qui dit : “exagérer, c’est commencer d’inventer”. Will the Lion

écrivez-nous à [email protected], lisez-vous sur http://blogs.lesinrocks.com/cestvousquiledites

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction

Audoin Desforges

Larry Clark, le Parisien Rencontre avec Larry Clark qui

le moment échecs et pap

Sans papiers depuis 2008, Fahim est devenu champion de France d’échecs. Il a enfin été régularisé. Un titre national, une déclaration du Premier ministre François Fillon et, enfin, une régularisation éclair. Il y a deux semaines, nous retraçions l’histoire de Fahim Mohammad, 11 ans, et de son père sans papiers et sans domicile fixe, en France depuis 2008. Le samedi 21 avril, le gamin bangladais est devenu champion de France pupilles d’échecs. Depuis, il aurait dû intégrer l’équipe de France. Mais il ne disposait d’aucun passeport pour participer aux tournois internationaux. Le 4 mai, interpellé par une auditrice de France Inter sur l’absurdité de cette situation, François Fillon s’engageait à régler ce problème “sans attendre la présidentielle”. Une semaine après, Fahim et son père ont été reçus à la préfecture du Val-de-Marne par le souspréfet et le directeur de l’immigration. Leurs papiers ont été réalisés sur place. Fahim dispose désormais d’un DCEM (document de circulation pour étranger mineur), valable jusqu’en 2017, et son père d’un permis de travail de trois mois. Laurent Cathala, le député-maire de Créteil, s’est engagé à trouver un logement et un travail municipal au père de Fahim. Côté équipe de France, le sélectionneur Jordi Lopez nous a confié que pour l’intégration de Fahim “le plus important a été fait”.

passait par Paris. Pas un hasard si le cinéaste sex, drugs & rock’n’roll était dans nos murs. “En 2010, j’avais une rétrospective à Paris et je suis resté quelques mois ici. Derrière le palais de Tokyo, il y a cette zone couverte de tags et de graffitis où les jeunes font du skate, un endroit très funky. Souvent, je travaillais tard dans le musée et j’avais envie d’aller me coucher, mais j’étais fasciné par ces mômes très divers : des Noirs, des Blancs, des riches, des pauvres… Ça me rappelait aussi New York dans les années 90, quand j’ai tourné Kids, et j’avais envie d’en savoir plus.” Larry a rencontré Mathieu, un jeune écrivain et poète parisien qui lui a écrit un scénario. “Il m’a aussi guidé dans le Paris de ces jeunes, leurs soirées, leurs clubs, les endroits où ils se défoncent, baisent, écoutent du rock”, ajoute l’auteur de Ken Park. Le casting réunira certains de ces mômes ainsi que des acteurs français. Tournage prévu dans la capitale en août prochain (lire aussi p. 26). l’échappée belle Outre-Manche, la ville de Brighton accueille le festival The Great Escape : plus de trois cents concerts en trois jours répartis dans tout ce que la ville compte de bars, pubs, salles et clubs. L’événement affiche une programmation vertigineuse : Alabama Shakes, La Femme, Citizens!, Willis Earl Beal, Maxïmo Park, Juveniles, Friends, Singtank… L’occasion pour nous, aussi, de découvrir sur scène ce qui sera probablement la révélation rock anglaise de 2012 : Palma Violets joue des chansons qui ressemblent déjà à des classiques et évoquent les Pixies ou les Libertines des débuts. Dans la salle, toute l’industrie du disque est là. Nick Cave aussi, juste devant nous. Et il applaudit. Bloc identitaire vs Kery James Le Bloc identitaire s’est élevé contre la programmation des concerts de Kery James, à la Maison de la culture de Grenoble (du 15 au 16 mai). En cause, Lettre à la République, un titre du nouvel album du rappeur intitulé 92.2012. Le mouvement d’extrême droite s’insurge contre le “racisme anti-Blanc” véhiculé selon lui dans les paroles, et “déplore qu’un tel concert soit programmé dans une salle (…) financée par la municipalité, le conseil général et le ministère de la Culture”. Les militants ont lancé une opération “TCF” (pour téléphone, courrier électronique, fax). Le principe : inonder de mails et d’appels les différentes structures concernées, Maison de la culture en tête… Michel Orier, son directeur, a mis en place un dispositif Kery James spécial de sécurité.

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Obama s’engage pour le mariage gay “Pour moi, à titre personnel, il est important de dire que je pense que les couples de même sexe doivent pouvoir se marier”, a déclaré Barack Obama mercredi dans un entretien accordé à la chaîne ABC. A six mois du scrutin présidentiel, il devient le premier président américain à prendre position en faveur du mariage des homosexuels. En France, François Hollande s’est engagé pendant sa campagne à le légaliser “au plus tard au printemps 2013”. Mais le vote d’une telle loi dépendra largement de la composition d’une majorité parlementaire. Autre victoire : en Argentine, on peut désormais choisir son genre librement et changer, si on le souhaite, le sexe et le nom sous lequel on a été enregistré à la naissance. “Le vécu interne et individuel du genre est tel que chacun le ressent, ce qui peut correspondre ou non au sexe assigné à la naissance. (…) Toute personne a le droit à la reconnaissance de son identité de genre, et au libre développement de sa personne en accord avec celle-là.” l’adieu aux armes Un 289e but, un titre de champion d’Italie et puis s’en va. Le capitaine légendaire de la Juventus de Turin a fait ses adieux à son club de cœur en claquant un ultime but lors du dernier match de Série A face à l’Atalanta Bergame (3-1). Surnommé Il Pinturicchio (le peintre) en raison de son extraordinaire technicité, Alessandro Del Piero aura disputé 704 matchs sous la tunique des bianconeri. Malgré les protestations des supporters de la Vieille Dame, le président Andrea Agnelli a refusé de lui offrir un an de contrat supplémentaire. Sorti avant la fin du match, Del Piero a quitté le Juventus Stadium sous l’ovation du public. doucement les basses De la grande histoire de la soulmusic, il a écrit les plus belles lignes de basse : Donald “Duck” Dunn est mort à Tokyo, le 13 mai, à l’âge de 70 ans. Bassiste maison du label Stax dans les années 60, il a donc joué sur tous les grands tubes de l’époque, avec Otis Redding, Booker T. & The M.G.’s, Rufus Thomas et une multitude d’autres. Plus tard, il a accompagné Muddy Waters, Neil Young ou Bob Dylan. Il est temps de ressortir le DVD des Blues Brothers…

Place de la Bastille, à Paris, le 12 mai

cannabis : le changement c’est maintenant ?

Une marche pour la légalisation a rassemblé des centaines de fumeurs partout en France. Un nuage cannabique s’élève de la place de la Bastille. Samedi 12 mai, plusieurs centaines de fumeurs de pétards, encadrés par de discrets policiers, ont participé à la onzième Marche mondiale du cannabis. Le cri de ralliement : la légalisation – ou dépénalisation - du cannabis en France. Sept villes françaises et plus de deux cents autres dans le monde organisaient une marche similaire le même jour. “Nous sommes là pour que cesse la guerre à la drogue dans ce pays. La gauche est passée et on espère qu’elle fasse un peu plus de choses que la droite”, a déclaré JeanPierre Galland, cofondateur du Collectif d’information et de recherche cannabique (Circ). Un espoir d’ores et déjà écorné par François Hollande lui-même. Le nouveau chef de l’Etat s’est clairement opposé à la légalisation de la marijuana dont la consommation doit, selon lui, “rester un délit”. Outre la légalisation, les participants ont réclamé la régulation de la production du cannabis et sa prescription thérapeutique. Pétards au bec sous le soleil de mai, les “ganja girls” et “ganja men” ont dansé sur les sons ragga du groupe RBH Sound qui, sur l’une de ses chansons, a enjoint les autorités à “piger que la progression doit se faire en commun”.

Basile Lemaire

Luke Sharrett/The New York Times/REDUX-RÉA

l’image

D. D., G. Le G. et B. Z., avec la rédaction 16.05.2012 les inrockuptibles 11

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sens dessus dessous par Serge July

à front renversé

l’ère de rien

le coup du scorpion

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n dit que le scorpion, acculé, avant de mourir, trouve encore l’énergie de donner un ultime coup d’aiguillon. Ainsi Claude Guéant. Lundi 7 mai, lendemain de défaite, le ministre de l’Intérieur publie un dernier décret. Cadeau de départ, il crée un nouveau fichier de police, qui apparaît dans le Journal officiel du 8 mai. Ce jour-là, alors que deux présidents côte à côte jouent la “France rassemblée” devant l’Arc de triomphe, on apprend que deux fichiers existants, le Stic des policiers (notoirement bourré d’erreurs) et le Judex des gendarmes, seront eux aussi rassemblés dans un énorme “fichier d’analyse sérielle”, mêlant suspects et victimes sur plusieurs décennies, couplé en outre à un système de reconnaissance faciale qui puisera dans les caméras de vidéosurveillance. Et alimenté par les interventions sur les réseaux sociaux tels Facebook et Twitter. Avec mention des origines ethniques, des opinions politiques et religieuses, etc. On se demande, quand même : ce timing était-il prévu de longue date ? Guéant aurait-il signé ce décret si Sarkozy n’avait pas été battu ? De quoi s’agit-il au juste ? Du zèle d’un perfectionniste désireux de parachever son œuvre ? D’une patate chaude dans les pattes du futur ministre de l’Intérieur de gauche ? D’un coup tordu de billard à plusieurs bandes ?

Léon Mercadet

le mot

[locataire de l’Elysée]

Francis Le Gaucher

le parachute rouge Le leader du Front de gauche est le Cyrano de Bergerac de la gauche radicale, volant de défi en défi, et qui a taillé son parachute dans le drapeau rouge. Il pourrait se présenter dans une dizaine de circonscriptions à la fois qu’il le ferait. Déçu par son score à la présidentielle qui l’a placé loin derrière Marine Le Pen, il ne peut rebondir qu’en croisant à nouveau le fer avec elle, en démontrant qu’il serait bien le seul vrai candidat antilepéniste, celui qui ferait reculer le populisme xénophobe, parmi les ouvriers et les employés. Un pari courageux, ces catégories populaires ne s’étant pas portées sur lui à la présidentielle : il va les rencontrer à Hénin-Beaumont. Il saute sur cette circonscription pour tenter de devenir enfin ce qu’il prétend être. la stratégie du coucou Il espère profiter du climat de corruption régnant parmi quelques édiles socialistes du Pas-de-Calais pour jouer le coucou. A en croire le leader du Front de gauche, Marine Le Pen serait en situation d’être élue. Elle a en effet réalisé une percée à la présidentielle, mais risque de disparaître aux législatives. Malgré le score du FN en avril, un triomphe électoral en juin paraît improbable. Parmi ses espérances, le siège de la circonscription d’Hénin-Beaumont fait figure de graal. Si Le Pen y est arrivée en tête au premier tour avec 35,48 % des voix, Hollande, en tête sur tout le département, n’est arrivé que deuxième (26,82 %) tandis que Mélenchon y réalisait son score national. Mais au second tour, le candidat PS obtint plus de 60 % dans la circonscription. C’est dire si l’élection de Marine Le Pen ferait figure d’exploit. un champ de ruines La 11e circonscription est ravagée par les affaires. Le maire socialiste d’Hénin-Beaumont a été révoqué suite à des détournements de fonds, le député-maire de Liévin est visé par une enquête pour abus de biens sociaux. La désignation par les militants socialistes du candidat à la députation à Hénin-Beaumont a donné lieu à des recours et accusations de fraudes. Le député sortant Albert Facon, qui avait battu Marine Le Pen en 2007 a été recalé, il a désavoué son suppléant et combattu Philippe Kemel, le maire de Carvin finalement désigné et plutôt favori. éliminer le socialiste Pour connaître l’extase électorale d’un choc au second  tour avec Marine Le Pen, Mélenchon doit devancer le candidat socialiste. Le défi à celle qu’il avait surnommé “la chauvesouris” passe par un défi aux socialistes. Il ne se présente pas à Toulon, ou dans l’Est de la France face à des candidats lepénistes menaçants, ni face à des candidats de la Droite populaire, mais face à un socialiste. C’est le combat à double face de Mélenchon : pile anti-Le Pen, face anti-Hollande.

Vous pensez François Hollande président de la République ou chef de l’Etat ? Pas du tout. Si l’on en croit la presse, il s’agit du “nouveau locataire de l’Elysée”. Quel étrange locataire qui, à l’instar de quelques autres, “le locataire de Matignon”, “le locataire de Bercy”, ne verse aucun loyer. C’est pourtant ce règlement qui devrait, selon l’étymologie et le bon sens, définir un locataire. Même le général de Gaulle, qui payait les frais de son ménage, son électricité et sa taxe d’habitation, n’acquittait pas de loyer. Alors, pourquoi locataire ? Sans doute parce que, dans une pudeur républicaine, les médias n’osent pas dire “propriétaire”. Ce qualificatif, pourtant, conviendrait mieux. Non seulement l’étrange locataire se trouve déjà logé gratis, mais il dispose de pouvoirs très supérieurs à ceux des occupants ordinaires : il peut par exemple, et toujours gratis, faire déplacer des cloisons et transformer un salon Louis XV en une création d’Agam. Seule différence avec un vrai propriétaire, et de taille, sauf pour le président de la République qui bénéficie d’un “bail de cinq ans”, les autres “locataires de Matignon” et compagnie peuvent avoir à partir du jour au lendemain. Par bonheur, comme on le voit ces temps-ci, on leur offre les cartons, les déménageurs et le déménagement. MAB

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“le FN est illégitime à diriger la République” A un mois de son affrontement avec Marine Le Pen à Hénin-Beaumont, rencontre avec un Jean-Luc Mélenchon combatif qui s’interroge autant sur la place de la gauche que sur les dérives de la droite.



près la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon a décidé de poursuivre son combat contre le Front national en se présentant sur les terres de Marine Le Pen, dans la 11e circonscription du Pas-de-Calais. Triangle rouge de Ras l’Front à sa veste, le tribun du Front de gauche nous explique pourquoi il a érigé la présidente du FN en adversaire numéro un.   Pourquoi avoir choisi de vous porter candidat face à Marine Le Pen ? Jean-Luc Mélenchon – J’ai décidé d’être candidat aux législatives pour prolonger le message que nous avons porté lors de la présidentielle. Nous voulons livrer un combat social face au Front national dans une circonscription populaire. Hénin-Beaumont est la circonscription exemplaire pour cela. Alors que l’extrême droite prospère sur la décomposition des socialistes, nous allons tenter de relever la gauche. Avec la médiatisation de

la campagne, cette bataille aura un retentissement national. Mesurez-vous le risque politique de défier le FN sur une terre où il est fermement implanté ? Je prends le risque d’être battu, et alors ? Les circonscriptions de gauche ne sont pas venues d’un claquement de doigts, elles ont toujours été gagnées au prix de luttes. En tant que figure de proue du Front de gauche, j’estime que j’ai un devoir d’exemplarité. A trois reprises, les socialistes ont tenté de parachuter quelqu’un dans cette circonscription, personne n’a voulu venir. J’assume mes responsabilités en m’y présentant comme candidat. Pourquoi avoir fait de la lutte contre le Front national l’une de vos priorités politiques ? Les gens pensent que le Front national est un cas particulier, comme s’il ne relevait pas de la politique mais de la morale. Pourtant c’est bel et bien de la politique. L’extrême droite n’est plus à la marge du système en ce moment

de l’histoire. Un peu partout en Europe, on voit que la droite ne parvient plus à gérer la société avec ses méthodes traditionnelles et s’en remet progressivement à l’extrême droite. En ciblant le Front national, je m’attaque donc à la réorientation idéologique de la droite et aux risques qu’elle fait peser sur la société. Avez-vous le sentiment que le FN n’est pas assez pris au sérieux ? Les élites ont du mal à comprendre quand le monde change et elles reproduisent à l’identique ce qu’elles ont toujours fait. Quand vous ouvrez un livre d’histoire et que vous vous arrêtez à 1789, vous vous rendez compte que Louis XVI a cinquante moyens d’échapper à la guillotine. Il ne s’en sort pas car il ne parvient pas à rompre avec l’ancien monde. Les élites sont incapables de penser la nouveauté et de voir au-delà du capitalisme sauvage et productiviste qui est en train de s’écrouler. Tous les programmes politiques sont mis au pied du mur face à la crise que nous traversons. Tout au long de votre parcours politique, vous vous êtes toujours placé en adversaire résolu de l’extrême droite. Votre enfance passée au Maroc vous a-t-elle rendu plus sensible à la question de l’immigration ? Evidemment, ça joue pour moi un grand rôle. Je crois que Le Pen père et fille ne comprennent pas ce qu’est la France. Ils sont convaincus que l’identité française est figée alors qu’elle est perpétuellement en mouvement. Aujourd’hui, on demande des brevets d’intégration à des gens qui

sont là depuis trois générations. On sousestime la douleur que cela peut représenter d’être pointé du doigt de cette façon. On finit par douter de soi-même. Grâce à mon parcours, je comprends cette violence, je la ressens et quand ces gens m’entendent parler, ils ressentent une connivence affective. Si le FN parvenait au pouvoir, vous plieriez-vous au verdict des urnes ? Jamais. J’entrerais en résistance. Ces gens-là sont illégitimes à diriger la République. Et la France pour moi, c’est la République. La France sans la République, on a déjà donné : c’est le maréchal Pétain. Vous refusez à Marine Le Pen et son parti toute possibilité d’évolution idéologique ? C’est comme si vous me demandiez si j’ai une chance d’approuver la société de l’actionnariat, c’est impossible. Ma racine politique ne me le permet pas. Contrairement aux brevets de laïcité que lui ont décernés les médias, Marine Le Pen n’est pas laïque, elle est hostile aux musulmans, ce n’est pas pareil. Ce parti n’évoluera jamais, il sera toujours génétiquement antirépublicain. Quelle est la responsabilité de la gauche dans la progression électorale du FN ? Elle est colossale. Les victoires de l’extrême droite n’ont jamais eu lieu autrement que sur la base des fautes tactiques et stratégiques de la gauche. Le Parti socialiste n’a pas réussi à retrouver le chemin qui le mènerait au cœur du peuple. Le décrochage n’est pas qu’affectif, cette gauche-là

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“je m’attaque à la réorientation idéologique de la droite”

Au revers de sa veste, Jean-Luc Mélenchon arbore l’insigne de Ras l’Front, réseau antifasciste

est aujourd’hui incapable de prouver au peuple que ses intérêts sont à gauche. Il y a une déconnexion entre son programme et les classes populaires. Nous sommes la relève. Quel regard portez-vous sur les méthodes employées par la gauche pour lutter contre le FN, que ce soit de manière morale avec SOS Racisme ou bien de manière plus spectaculaire, comme a pu le faire Bernard Tapie ? Je crois que la solution n’est ni dans les leçons de morale, ni dans les injures. Les deux méthodes ont fait la preuve de leur inefficacité. Ma méthode

est celle du débat argumenté. Prouver concrètement que nos solutions sont les bonnes et les leurs une illusion criminelle. Quelle est la solution à adopter selon vous ? La bataille morale est trop courte ! Il faut arrêter d’avoir un discours doloriste sur l’électorat du FN. On l’infantilise comme si les gens ne savaient pas qu’en glissant un bulletin de vote Front national, ils votent pour un parti raciste. A la place, je leur propose une identité patriotique, républicaine, écologiste et socialiste. L’enjeu est culturel.

Il y a aujourd’hui un sentiment assez largement répandu d’insécurité culturelle au sein de la classe ouvrière, notamment du Pas-de-Calais. Comment déconstruire cette panique morale ? L’être humain est toujours partagé entre son attirance pour la ligne d’horizon et la peur de ce qu’il va y trouver. On ne peut pas reprocher aux gens de chercher un nouveau mode d’organisation quand celui qu’ils avaient s’est effondré. Lorsque la gauche n’arrive plus à faire comprendre que la solution passe par le social, le FN débarque

et répond par l’ethnique. Les gens n’ont pas peur de l’autre ou de la globalisation, ils craignent simplement les ravages du capitalisme. Malgré vos efforts, le Front national reste le parti qui capitalise le plus fort vote ouvrier. N’est-ce pas un échec pour vous ? Je ne peux pas régler en une campagne des problèmes qui traînent depuis trente ans. Je pense que nous allons pouvoir reconquérir l’électorat ouvrier, mais ça se fera par étapes. Vous faites appel à la “communauté ouvrière”, mais dans une ville comme Hénin-Beaumont, marquée par la fermeture des mines, est-ce que cela a encore un sens ? La conscience ouvrière a été construite au prix du sang, des larmes et des fusillades. J’affirme que les solidarités communautaires ne sont pas détruites. Les gens ne se replient pas sur eux, ils se construisent autrement. Nous allons leur proposer de se construire dans la révolte. Wilhelm Reich tout comme Léon Trotsky partageaient le même avis sur la composition de la société. Le fascisme peut faire d’une poussière humaine une force. J’oppose cette méthode à Marine Le Pen. De la poussière de l’autre gauche, nous avons fait une force qui s’est donnée à voir tout au long de la campagne présidentielle, que ce soit à la Bastille, au Prado ou bien encore au Capitole. Je vais poursuivre le combat. Il ne faut pas que Marine Le Pen s’attende à ce que je rase les murs. On sera partout. Rue par rue, porte par porte, cœur par cœur. recueilli par David Doucet photo Stéphane Lavoué/Pasco 16.05.2012 les inrockuptibles 15

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retour de hype

Hénin-Beaumont

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

la sole

Beavis & Butt-Head

Kick-Ass 2 “non, par contre j’ai pas trop eu le temps de voir de films à Cannes”

Villette Sonique

Meow Para One

Paradis Ponce Pilate

“la princesse de Clèves se serait déclarée assez soulagée” “je vois toujours le visage de Claude Guéant quand je ferme les yeux”

Villette Sonique revient cette année du 25 au 30 mai. Chouette. La sole Rapport que c’est la saison de la sole qui commence. “Je vois toujours le visage de Claude Guéant quand je ferme les yeux” Tout en faisant ses cartons, le ministre de l’Intérieur a fait publier en urgence deux décrets majeurs sur le fichage

Girls

“et est-ce qu’en Hollande ils vont avoir un président dont le nom est France ?”

des individus. Sympa. Girls La série (de Lena Dunham) que tout le monde adore alors que personne n’a vu plus de quatre épisodes. Meow Le chat obèse adulé sur internet est décédé des suites de son surpoids. “Et est-ce qu’en Hollande ils vont avoir un président dont le nom est France ?” Ahahahah. D. L.

billet dur

 C

“je suis sûre que si tout le monde écoutait Sean Paul, le monde serait meilleur”

her Nicolas Sarkozy, Toi président de la République, tu as présenté le pape à Bigard et organisé un lâcher de saloperies sur la laïcité tout en envoyant des textos. Toi président de la République, tu as trouvé que l’homme africain n’était pas assez entré dans l’histoire et organisé des vols spéciaux pour que certains y retournent en vitesse. Toi président de la République, tu as réformé le Noël de l’Elysée en offrant une panoplie de soldat à BHL, un bouclier fiscal aux plus riches et un costard d’assisté aux plus pauvres. Toi président de la République, tu as choisi l’école “buissonnière”, celle des divisions et des révisions d’histoire. Toi président de la République, tu as fait embaucher Patrick Sabatier et Cyril Viguier à la télé et fait virer Didier Porte et Stéphane Guillon de la radio. Toi Président de la République, tu as ruiné les carrières de Doc Gynéco, Faudel,

Séguéla et Carla Bruni – ce dont nous te remercions au passage chaleureusement. Toi président de la République, tu as réussi à faire passer PPDA, Bayrou, Chirac et Michel Sardou pour des mecs de gauche. Toi président de la République, tu as estimé que les dictateurs arabes à l’Elysée, même à plusieurs, ça ne posait pas problème. Toi président de la République, tu as permis l’accession à de hauts postes de responsabilité à Laporte, Douillet, Morano, Lefebvre, faisant progresser la place du handicap dans la fonction publique. Toi président de la République, tu as libéré la parole d’un tas d’excités du micro comme Zemmour, Rioufol ou Ménard qui émargeaient d’habitude sur Radio Courtoisie. Toi président de la République, tu as tellement dévalué la fonction que même Jean-François Copé estime avoir ses chances. Toi président de la République, tu as été le candidat du peuple d’extrême droite, lequel t’a mis en retour une gauche en pleine poire. Toi plus président de la République, moi pas t’embrasser. Christophe Conte

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Lescop A 33 ans, le chanteur du groupe Asyl montre son côté sombre et renoue avec la mélancolie pop new-wave.

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l reçoit à deux pas du cimetière du Père-Lachaise, dans le studio où il apporte la touche finale à son premier album, qui devrait sortir à la rentrée. Regard noir et inquiétant, gueule en biseau tout droit sortie d’un film de Carax, Mathieu Lescop, 33 ans, est une nouvelle raison (avec La Femme et Mustang) d’aimer à la folie la pop française. Meilleur titre à ce jour ? La Forêt, conte cruel new-wave aux basses tendues

et aux guitares assassines sur lequel plane l’écriture ciselée et circulaire d’un Daho, époque Le Grand Sommeil. “Chez moi, tout part du texte. Quand j’écris, je pense à tout sauf à la musique. L’inspiration peut venir d’une image, d’un flash, d’une punchline”, explique ce natif de La Rochelle qui officiait jusqu’alors comme chanteur du groupe de rock à guitares, Asyl. Avec son premier album, produit par John (du duo John & Jehn), il cherche aujourd’hui

à “retrouver une intensité, comme lorsqu’on écoute Piaf, Brel, ou les Doors sans comprendre les paroles”. L’album sortira sur Pop Noire, un label créé avec des amis, afin de garder la maîtrise du projet. “Les maisons de disques ont vite tendance à ajouter du rose bonbon, lâche-t-il, sourire en coin. J’aime que la pop reste noire.” Géraldine Sarratia photo Audoin Desforges La Forêt ep 4 titres (Pop Noire)

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Loic Venance/AFP

traquées, elles se réfugient dans les salons de massage, où elles sont encore plus vulnérables face aux souteneurs

de l’abattage à La Villette A Paris, des Chinoises du Nord, les Dongbei, se voient contraintes de se prostituer. Sordide échappatoire pour rembourser le passeur et échapper à l’exploitation d’une communauté du Sud, les Wenzhou.

V

isage large et cheveux longs, pas maquillées, la quarantaine trapue et engoncée dans une grosse parka, elles sont toutes taillées sur le même modèle. Ce soir-là, boulevard de La Villette, juste avant le croisement des boulevard et rue de Belleville, des policiers mettent la pression sur les “marcheuses”, ainsi appelées car elles déambulent sans cesse pour éviter les PV pour racolage. Les femmes déguerpissent, se planquent sur les bancs entre deux fourrés. En groupe pour se réconforter, elles flippent et se poussent du coude en même temps, en rigolant. Ce sont des “Dongbei”, du nom de cette région de l’extrême nord-est de la Chine (une partie de la Mandchourie), dont la ville principale est Harbin, autrefois prospère et aujourd’hui sinistrée. A Paris, elles seraient un millier. A toutes, le passeur a laissé croire qu’il serait facile de décrocher un emploi en France. Comme serveuse dans un resto, couturière dans la confection ou nounou pour un “Wenzhou”, membre de cette communauté originaire du sud de la Chine, établie à Paris depuis longtemps, et qui

tient tous les commerces. Drôle d’inversion des rôles. Super-bosseurs et très portés sur le fric, les Wenzhou sont souvent peu éduqués et ne parlent pas le mandarin, contrairement à ces Dongbei, citadines de la classe moyenne, plutôt instruites. Vengeance (ou racisme) régionaliste ? Les familles wenzhou exploitent les femmes dongbei à leur arrivée, vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour 600 € par mois. Au bout du compte, elles sont nombreuses à choisir la rue. Théoriquement, elles ne sont pas sous la coupe d’un proxénète. Difficile à croire pour Françoise Pinot, sinologue et bénévole au Mouvement du Nid, qui agit pour tenter d’arracher les prostituées à la galère. “J’ai du mal à adhérer à cette fable. Chez les Chinois, on appartient à un réseau. On est toujours redevable de quelqu’un. Et, pour commencer, il faut rendre à son logeur, souvent un Wenzhou, qui fournit la chambre et tient les Dongbei en menaçant de révéler à leur famille leur véritable activité.” Tim Leicester, Franco-Britannique de 32 ans, a étudié et vécu en Chine. Il parle le mandarin couramment. Cette nuit encore, il est avec quelques bénévoles

à bord du Lotus Bus, la camionnette affrétée par Médecins du monde et taguée de caractères chinois, qui fait successivement halte à Crimée, Belleville, StrasbourgSaint-Denis ou porte de Choisy. Ils y font de la prévention, notamment sur les risques, notamment sanitaires, auxquels s’exposent les prostituées. Ils les informent aussi sur leurs droits face à l‘administration, la police, les agresseurs et possibles proxénètes. Tim connaît leur situation financière, juste intenable. “Le passeur a coûté 10 000 € en moyenne, passeport et visa compris. La famille s’est cotisée pour payer. Ou bien la femme est passée par un prêteur, qui leur a pris 30 % d’intérêts. En plus, elles paient des études supérieures à leur enfant, en Chine, mais aussi aux Etats-Unis ou en France.” Et de raconter que l’une de ses interlocutrices régulières a une fille en fac à Nantes. Lorsque celle-ci lui rend visite, sa mère lui fait croire qu’elle bosse dans un resto. Mais d’où leur vient ce mauvais sort de misérables ? “Le nord de la Chine a fait l’objet de restructurations industrielles monstres, avec un chômage inégalé ailleurs, explique Françoise Pinot. Dans le même temps, il y a eu une forte progression des divorces. Elles n’ont eu d’autre choix que de s’exiler.” A Paris, les blogs de la communauté chinoise abondent en messages agressifs contre ces femmes “voleuses” et “sales”, qui, plus encore, font perdre la face à la Chine. De plus en plus traquées, les marcheuses se réfugient dans les salons de massage. Pour le coup, elles y sont encore plus vulnérables face aux souteneurs. Tout cela se passe aujourd’hui, en pleine année du Dragon. [email protected] Mouvement du Nid 8, avenue Gambetta, Paris XXe, www.mouvementdunid.org Lotus Bus affrété par Médecins du monde, 62 bis, avenue Parmentier, Paris XIe, [email protected] Les Amis du Bus des femmes 58, rue des Amandiers, Paris XXe à lire Belleville Story, bd-polar de Malherbe et Perriot (Dargaud)

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Martin Acosta/Reuters

Coopérative de Grissinopoli, Buenos Aires

autogérez-vous ! En Argentine, suite à la crise de 2001, des centaines d’entreprises menacées de faillite ont été reprises par leurs ouvriers et tournent toujours dix ans après. Un exemple à suivre pour la zone euro.

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n disait leur projet révolutionnaire, téméraire, désespéré, un peu fou. “Vous vous casserez les dents. Ne dépensez ni votre énergie, ni vos économies dans ce combat”, rétorque le juge quand, il y a dix ans, les ouvriers de Grissinopoli demandent de reprendre l’usine en faillite à leur compte. Aujourd’hui, dans cette coopérative du quartier populaire de la Chacarita, à Buenos Aires, des milliers de gressins, petits pains allongés originaires d’Italie, sortent des fours qui tournent à plein régime, de 6 heures à 22 heures. Les trente travailleurs associés y gagnent tous le même salaire, en moyenne trois fois plus que chez les concurrents, et votent les décisions à la majorité. Ils ne craignent pas

d’être licenciés d’un jour à l’autre, puisqu’ici, le patron, c’est l’ouvrier. Grissinopoli n’est pas un cas isolé. La fabrique est l’une des 200 entreprises récupérées par leurs employés après la grande crise qui a secoué l’Argentine en 2001. Un phénomène qui avait fait le tour du monde, soutenu par des artistes comme Manu Chao et relaté par plusieurs documentaires comme The Take de Naomi Klein. Une décennie plus tard, loin d’avoir disparues, ces fabriques affichent une étonnante résistance. Selon le dernier recensement de l’université de Buenos Aires, seuls 10 % d’entre elles ont coulé. Le mouvement s’est étendu à tous les secteurs : métallurgie, textile, alimentation, édition, services – tel que le fameux Hôtel Bauen de Buenos Aires. Surtout des petites

et moyennes entreprises, mais aussi de vastes industries, comme les célèbres céramiques Zanon de Patagonie, qui compte près de 500 ouvriers. Résultat, au total, près de 10 000 emplois ont été sauvés. De quoi donner des idées aux travailleurs européens ? La situation économique de l’Argentine il y a dix ans fait en tout cas écho à celle de la zone euro. A l’époque, le pays est plombé par une dette abyssale et des plans de rigueur à répétition. En décembre 2001, pour lutter contre la fuite des capitaux, le gouvernement déclare le gel des avoirs bancaires. C’est l’explosion. Les manifestations “d’indignés” argentins s’enchaînent, cinq présidents se succèdent en une semaine, jusqu’à l’annonce du défaut sur la dette du pays en janvier 2002.

Dans les mois qui suivent, le PIB s’écroule, le chômage grimpe à 25 %, de nombreuses entreprises mettent la clé sous la porte. “Il n’y avait plus de travail et encore moins pour les plus âgés. Notre seul espoir était de remettre en route notre outil de production”, explique Seferino Gomez, 58 ans, chez Grissinopoli. “Au départ, le mouvement n’était pas politisé, il découlait d’une simple nécessité : manger”, rappelle Luis Caro, avocat de nombreuses usines récupérées. Mais le chemin de l’autonomie n’est pas de tout repos. Comme chez Grissinopoli, les nouveaux chômeurs campent souvent des mois dans leur usine pour éviter que les propriétaires n’emportent les machines. Ils sont souvent victimes d’une répression policière musclée. En parallèle, les ouvriers entament une lutte juridique et politique de longue haleine pour défendre leur droit au travail. Afin de relancer la production et d’acheter des matières premières, ils troquent le cuivre et les cartons des usines. “Nous travaillions jusqu’à seize heures par jour, moi je passais les coups de fil de chez moi car le téléphone était coupé”, se souvient Maria Pino, comptable de 73 ans. S’ajoutent de nouvelles questions d’organisation : “Le plus dur était de changer de mentalité, certains attendaient d’être surveillés ou de recevoir des ordres pour travailler”, concède Maria Pino. “Au départ, prendre toutes les décisions en groupe était un cassetête. Maintenant, nous allons plus vite à l’essentiel”, ajoute-t-elle.

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“au départ, le mouvement n’était pas politisé. il découlait d’une nécessité : manger” Peu à peu, les efforts portent donc leurs fruits. Courant 2002, des ouvriers réunis en coopératives, comme chez Grissinopoli, obtiennent le droit de louer leur usine. Par la suite, une législation plus favorable facilitera leur rachat, avec vingt ans pour rembourser le gouvernement. “Ça marche car nous n’avons pas à payer les salaires mirobolants des anciens cadres !”, ironise Daniel Lopez, président – élu et tournant – de la coopérative Ghelco, qui fabrique des produits pour glaciers dans le sud de Buenos Aires. Et qui mieux que les ouvriers savent faire tourner leur usine ? Aujourd’hui, la coopérative rencontre

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toutefois des difficultés pour se développer. Les machines de Ghelco et son mobilier affichent un style très seventies, les ouvriers, souvent âgés, manquent de formation en marketing pour rafraîchir l’image de la marque, les banques renâclent à leur prêter. Comme il n’est pas possible de licencier un associé si l’activité ralentit, les coopératives hésitent aussi à embaucher. Ou alors emploient des contractuels, souvent moins payés, créant une nouvelle forme de hiérarchie. D’autres usines, enfin, sont toujours en conflit juridique avec leurs anciens propriétaires. C’est le cas de l’Impa,

immense fabrique d’aluminium du quartier d’Almagro aux airs de paquebot à la dérive. Mais Horacio Vera, ouvrier de 51 ans, reste optimiste. “Aujourd’hui, le gouvernement est de notre côté, souligne-t-il. Les autorités n’ont plus intérêt à nous déloger car nous représentons une source de travail. Et nous avons des appuis…” Il est vrai qu’une forte solidarité s’est établie entre ces fabriques, prêtes à unir leurs forces au moment de manifester. En développant des activités culturelles, des radios, des cours du soir, elles ont aussi conquis le soutien des habitants de leur quartier.

“La lutte continue”, reconnaît Horacio Vera. Mais pas question de quitter le navire pour autant. Horacio a eu des propositions de travail ailleurs. Il a décliné : “Grâce à la coopérative, je me suis toujours levé le matin pour travailler, je n’ai jamais mendié pour nourrir ma famille, j’ai conservé ma dignité. Et ici j’ai des responsabilités, je suis considéré…” Alors que le pays a retrouvé le chemin de la croissance, que le chômage a chuté à 7 %, d’autres usines sont régulièrement récupérées en Argentine, sûrement animées par cette même soif de liberté. Alice Pouyat

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top gun’n’roses Du khôl à la coule, un combo tattoo-téton et deux groupies achetées sur Groupon : mais qu’est-il donc arrivé à Tom Cruise ?

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attaque hardos Premier motif de soulagement  pour les blogueuses mode : ce look n’existe que pour les besoins de la promo d’un film, Rock of Ages, adaptation d’une comédie musicale à succès retraçant l’histoire de deux jeunes gens des eighties sur fond de morceaux de rock ricain mainstream de l’époque. Il s’agit donc bien là d’un long métrage à base de Def Leppard, de Bon Jovi, et autres Twisted Sister… c’est-à-dire les heures

les plus sombres de notre histoire en matière capillaire. Voilà qui explique cette queue de rat et ces faux tatouages d’un goût plus que douteux (big up au combo cœur-tétondragon). Car dans le film, Tom Cruise joue le rôle d’une grosse reusta de 1987 sobrement nommée Stacee Jaxx, dans une ambiance qui semble d’ici humer la transpi et la bière chaude. Foulard en léopard accroché au micro de rigueur.

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khôl me

“Woh ! Ça a changé, la scientologie”, pourra peut-être s’exclamer le béotien face à cette couve du magazine W. En effet, pour qui ne suit pas l’actu de Tom Cruise à la loupe et vient, en plus, de finir de manger, cette image a de quoi décontenancer. Entouré de deux jeunes filles affables, Tom, supposé n° 2 de l’Eglise de scientologie (pour rappel) se donne soudainement à voir en hardos désinvolte à grands renforts de khôl et de tattoo de gros gun pointé sur les parties génitales (c’est toujours mieux). Le cœur au bord des lèvres et les tempes vibrantes, on en vient alors à se demander ce qu’il s’est passé. Oui, que s’est-il passé pour que Tom décide en 2012, au mépris de la convention de Genève du bon goût, de remettre à la mode le style dit “Guns’n’Roses du pauvre” qu’on pensait enterré avec Jared Leto. Mais surtout que s’est-il passé pour que Tom, jeu d’acteur et délire mystico-sectaire mis à part, passe en une dizaine d’années du statut de sex-symbol à la cool à celui d’un mec complètement tue-l’amour ? Elle est loin, la scène de la cascade dans Cocktail.

Cruise en haute mer Une fois le contexte expliqué et outre le fait que plus personne ne croit que Tom Cruise a encore des groupies, cette couve laisse un arrière-goût chelou. Est-ce parce que, connaissant la petite taille de l’acteur, on l’imagine facilement perché sur un petit escabeau pour les besoins de la photo ? Ou bien parce que sa tête semble bien avoir été photoshopée, sur un corps qui ne lui appartient pas ? Un peu de tout cela. A la lecture des nombreux articles américains qui saluent d’ores et déjà la performance d’acteur de Toto, on apprend que ce dernier s’est entraîné dix heures par jour à la danse et au chant pour le rôle. Son regard mi-bovin, mi-inspiré devient alors le symbole de sa capacité à tout donner et à en faire systématiquement trop. Exactement comme un bon solo de guitare bien embarrassant. Diane Lisarelli

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“je ne veux plus avoir à faire avec tous ces putains d’intermédiaires”

Renaud Monfourny

Larry Clark

brèves pub en ligne Selon l’Observatoire international des usages et interactions des médias, la télévision a moins d’impact publicitaire qu’en 2011 : 58 % des Français interrogés déclarent que les spots télévisés ont une influence sur leurs achats contre 67 % en 2011. Le rôle d’internet s’accroît : 50 % des internautes citent la publicité en ligne comme vecteur d’influence de leur consommation, soit 27 % de plus qu’en 2011. Facebook s’applique Le réseau social a annoncé le lancement d’un App Center. Il s’agit d’un catalogue dédié aux applications sociales, sur tous les terminaux (PC, mobile, tablettes) et les systèmes d’exploitation iOS et Android. Il proposera également des applis payantes pour diversifier ses sources de revenus – jusqu’ici les applications sur FB étaient gratuites. Par ailleurs, l’introduction en Bourse du réseau social est prévue pour le 18 mai. achetez les programmes France Télévisions vient de lancer PluzzVàD, son nouveau service de vidéo à la demande. Quelque 3 000 programmes sont proposés à la location ou à l’achat, de 1,5 à 3 euros en fonction des genres. Le service est dès lors disponible sur Free. Il le sera ensuite sur Dailymotion avant d’être proposé par tous les opérateurs d’ici à la fin de l’année.

le court circuit de Larry Clark Directement du producteur au public : Marfa Girl, le dernier film du cinéaste, ne sera pas distribué en salle mais uniquement sur son site. Du jamais vu.

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e passage à Paris, Larry Clark nous a entretenus de ses derniers projets. Il vient notamment de terminer un film, Marfa Girl, tourné dans la petite bourgade de Marfa, Texas, près de la frontière mexicaine. Une ville d’artistes et de culture où George Stevens tourna Géant, l’ultime film de James Dean. Comme à son habitude, Clark a mélangé acteurs professionnels et “vraies gens”, fiction et ancrage documentaire. Mais le plus important, le plus neuf de l’affaire, c’est le mode de production et de diffusion de Marfa Girl. Clark a tourné ce film à l’impulsion, conquis par l’atmosphère de la ville, écrivant son scénario au jour le jour. Surtout, on ne verra jamais Marfa Girl dans une salle de cinéma. “Je vais le diffuser sur mon site internet, Larryclark.com. Je ne veux plus avoir affaire avec tous ces putains d’intermédiaires, producteurs, distributeurs, diffuseurs, exploitants, agents, etc. Mon film sera en pay-per-view, seulement quelques dollars, ce sera moins cher qu’une place de ciné.” Un lien direct du producteur au consommateur, en l’occurrence du réalisateur au mateur, qui fait litière de toute l’infrastructure de la profession cinématographique.

Sauf erreur, c’est la première fois qu’un cinéaste de renom diffusera un long métrage exclusivement sur la toile, sans passer du tout par les salles. Selon Clark, rien de révolutionnaire dans son geste, simplement le sens de l’histoire. “De toute façon, poursuit Clark, aujourd’hui, on regarde les films sur ordinateur ou tablette. Du moins, tous les jeunes que je connais font comme ça. La pellicule est en train de disparaître, la fabrication des films devient numérique de A à Z. J’étais récemment dans un festival où on montrait mes films en 35 mm, il ne restait qu’une seule salle dans la ville pour le 35 mm.” Si le court-circuitage des majors et d’une partie des intermédiaires qui vivent du cinéma n’est pas une mauvaise chose, on demande à Larry s’il ne regrette pas un peu que les petits écrans numériques remplacent petit à petit le grand écran. “Personnellement, je suis de la vieille école, je préfère regarder un film dans une salle avec une copie 35 mm. Mais on ne peut pas lutter seul contre l’évolution des choses, donc je m’adapte. Les kids vont de moins en moins au cinéma, ils regardent les films sur leurs écrans personnels. La salle de cinéma est devenue pour eux un événement social, ils y vont en bande pour découvrir le dernier blockbuster la première semaine. La deuxième semaine, c’est déjà trop tard ! Non, il faut l’avoir vu le premier week-end, sinon c’est ringard. Et si on loupe le nouveau blockbuster le premier week-end, alors on le voit quelques semaines après sur son ordi. C’est plus une sortie qu’un acte cinéphile : ces kids ne vont pas au cinéma pour voir un film de la façon dont vous ou moi avons découvert le cinéma. Ils n’analysent pas l’esthétique, ils vivent des émotions en groupe.” Internet n’a pas fini de bouleverser le monde que nous avons connu ces dernières décennies, inventant des espaces d’indépendance et de liberté encore inenvisageables il y a quelques années, faisant disparaître des professions entières, en créant d’autres, reconfigurant tous les modèles économiques établis. Mais le nouveau monde n’a pas encore totalement remplacé l’ancien, même pour un cinéaste hype comme Larry Clark. Son prochain film sera tourné à Paris selon un modèle économique classique, avec un producteur et un distributeur. Serge Kaganski

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Arianna change d’avis Arianna Huffington, la créatrice du Huffington Post a émis l’hypothèse de racheter le site qu’elle avait vendu en 2011 à AOL pour 335 millions de dollars. Le patron d’AOL aurait répondu qu’il lui faudrait débourser au moins un milliard de dollars pour ce rachat.

musique tactile

gare à Facebook

L’application officielle Spotify pour iPad est disponible sur l’App Store mais seulement avec un compte Premium. Cette version propose un accès complet au catalogue, des graphiques adaptés à l’écran Retina ou le mode hors connexion.

Dans le nouveau numéro du magazine culture et société Intelligent Life, Robert Lane Greene s’interroge sur les effets du système Facebook. Ou comment ce réseau est devenu un “internet au sein de l’internet” en centralisant les contenus (vidéos, photos, musique).

Times They Are a Changing le SOS de RSF “Un acteur de l’information est tué tous les cinq jours”, selon Reporters sans frontières. Depuis le 1er janvier, 22 journalistes, 7 “net-citoyens” et citoyens-journalistes ont été tués, notamment dans des zones de conflit comme la Somalie et la Syrie.

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Selon les chiffres fournis début mai par l’Audit Bureau of Circulations, le New York Times a diffusé plus d’exemplaires numériques que d’exemplaires papiers au cours des six derniers mois. Le groupe a gagné, en un an, plus de 450 000 nouveaux abonnés à ses éditions numériques. Une révolution dans le monde de la presse.

David Pujadas

France 1 Le 20 heures de France 2 fait enfin jeu égal avec celui de TF1, signe de l’investissement massif de la rédaction lors de la campagne. En dépit des hommes à la moto et des effets gadget des soirées électorales…

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Ludovic/RÉA

les ruptures de François Hollande Le socialiste a voulu apparaître dans la semaine de transition comme l’exact opposé du Nicolas Sarkozy d’il y a cinq ans. Avec une communication maîtrisée à l’extrême.



uand il reçoit un SMS pour lui demander comment il va, dans cette semaine un peu étrange entre élection et entrée en fonctions, François Hollande blague une dernière fois : “Un peu pris mais ça va.” A peine rentré de Corrèze, dimanche 6 mai au soir, le “président élu”, comme on l’a aussitôt appelé, a pu mesurer le changement brutal qui allait s’opérer dans sa vie. Le cortège de motards de la gendarmerie, gyrophares bleus clignotant dans la nuit parisienne pour lui ouvrir

la voie, la noria des deux-roues des cameramen et des photographes pistant sa voiture jusqu’à la Bastille, puis jusqu’à son domicile du XVe arrondissement, tard dans la nuit. Sans parler des premiers coups de téléphone des “grands de ce monde”. Cela l’a un peu “saisi”. “On a le 06 d’Obama !”, lance un de ses collaborateurs, pris de vertige. Toute la semaine qui précède son installation à la présidence de la République, François Hollande tente de gérer la pression croissante. Avec

un plan com simplissime : continuer d’apparaître comme un homme “normal” alors que se mettent en place autour de lui tous les fastes et usages de la monarchie républicaine française. Après tout, l’Elysée est un palais. Cette séquence dite de “transition” a pour François Hollande un but politique bien défini, très précis : il faut pratiquer une rupture avec le sarkozysme, installer une césure visible entre le quinquennat du bling-bling, de l’omniprésidence, et celui qui s’ouvre. François Hollande a promis 16.05.2012 les inrockuptibles 29

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de le placer sous le signe de la réconciliation et de la proximité entre la classe politique et les Français. Le socialiste confie vouloir “éviter les premiers effets du narcissisme institutionnel”. Dans ce scénario bien arrêté par le premier rôle de la pièce, les figurants ont une importance cruciale. On les a vus sans arrêt sur les chaînes d’information en continu : ce sont ces citoyens ordinaires qui bondissent à la rencontre de François Hollande devant son QG, quand il sort de chez lui ou du restaurant. Ou encore vendredi dans les rues de Tulle, sa ville de Corrèze, qu’il quitte avec “déchirement”. Nicolas Sarkozy apparaissait comme coupé du peuple, ses déplacements étaient balisés et ordonnés derrière des cordons de gendarmes et de policiers. Il faut vite faire différent. Encore un peu candidat et déjà président, François Hollande serre des mains à l’infini, embrasse comme du bon pain femmes et enfants, pose pour les photographes amateurs… et pour les professionnels. Les caméras le “surprennent” en pleine nuit, dans différents quartiers de Paris, souriant et disponible. “François Hollande nous a exhortés à l’exemplarité, à la simplicité, à retrouver avec les Français un contact quotidien, à rester accessibles et proches des Français, qui attendent le dialogue et non un pouvoir lointain”, explique Pierre Moscovici, directeur de campagne de l’ex-candidat. Ségolène Royal vante l’exemple des démocraties du Nord de l’Europe, où les ministres prennent le bus et font leurs courses. Mais la distance s’installe déjà entre le président élu et ses proches. “Il est plus grave, encore plus enfermé dans lui-même”, note un de ses amis. “Il prend la mesure de ce qui l’attend.” Jacques Attali, qui recruta François Hollande en 1981, estime qu’il sera à l’Elysée “quelqu’un d’aussi distant, secret, fermé et autoritaire que François Mitterrand”. Adieu normalité, bonjour présidentialité. En attendant, dans ces journées d’entredeux, François Hollande semble parfois s’étonner et même s’impatienter devant la sécurité renforcée qui accompagne désormais chacune de ses sorties. Des policiers aux mines patibulaires et aux gestes brusques ont rejoint les officiers du SPHP (Service de protection des hautes personnalités) qui entouraient le socialiste pendant la campagne. “Il va s’habituer”, affirme un responsable de son équipe, qui ajoute : “Il n’aime pas qu’on lui retire de la liberté mais ça va avec la fonction, il le sait, il retarde juste au maximum le moment où ça deviendra indépassable, inéluctable.” Le nouveau président conserve aussi

pour quelques jours son téléphone portable, qu’il devra abandonner pour un appareil crypté lorsqu’il sera à l’Elysée. François Hollande doit pratiquer une autre rupture avec le sarkozysme. Comment occuper le temps entre victoire et début officiel du mandat ? En 2007, Nicolas Sarkozy avait d’abord annoncé qu’il ferait retraite dans un lieu propice à la réflexion. Après son passage au Mont-Saint-Michel pendant la campagne, on avait cru qu’il irait dans un monastère. Il avait finalement choisi le yacht de son ami Vincent Bolloré pour une courte escapade en Méditerranée. Mauvaise pioche. Début de la litanie sur le “président des riches”. François Hollande dit souvent que Nicolas Sarkozy “a perdu 2012 en ratant le début de sa présidence”. Pour le socialiste, le plus important est donc de réussir les premiers pas. “Cette semaine doit être utile”, explique-t-il à ses amis. Il y a cinq ans, le Président partait en vacances à peine élu, cette fois, le Président se met au travail dès le lendemain de sa victoire. Crise oblige. Et il met bien évidemment en scène ce temps des responsabilités. Dans le QG de l’avenue de Ségur, transformé en antenne présidentielle, les rendez-vous s’enchaînent. “Ambassadeurs de tous les pays, unissez-vous”, plaisante un socialiste. Avec méticulosité, presque quotidiennement, Pierre Moscovici fait le compte-rendu de cette activité diplomatique intense. Entretiens téléphoniques avec Barack Obama, Angela Merkel, Mario Monti, messages de la Russie et de la Chine, rencontres avec les Européens Herman Van Rompuy et JeanClaude Juncker. Les premiers rendez-vous de l’agenda de François Hollande sont internationaux : dîner avec la chancelière allemande le 15 mai, petit déjeuner avec le président américain le 18, puis G8 durant deux jours et sommet de l’Otan le 20. Lors d’une rencontre avec la presse, le 9 mai, Pierre Moscovici est interpellé par des journalistes étrangers venus en nombre. Un Marocain lui demande si l’ambassadeur du Maroc a bien été reçu ; un Italien veut savoir si François Hollande va rencontrer son Premier ministre ; un Israélien s’interroge sur les intentions du nouveau pouvoir vis-à-vis de la crise au Proche-Orient. “C’est tourbillonnant”, glisse une des “petites mains” de la campagne, venue assister aux échanges. Toute transition a aussi ses symboles : François Hollande a mûrement réfléchi aux marques qu’il veut imprimer avant le commencement du commencement. Il reçoit l’aide inattendue de… Nicolas Sarkozy qui le convie aux cérémonies

à l’Elysée, Hollande sera “aussi distant, secret, fermé et autoritaire que Mitterrand” Jacques Attali

du 8 mai, au pied de l’Arc de triomphe. Les deux hommes commémorent d’un même élan la fin de la Seconde Guerre mondiale. Une image républicaine. Une démocratie apaisée, explique-t-on de part et d’autre en tentant de tenir en lisière les premières escarmouches sur la campagne des législatives. François Hollande choisit aussi d’entamer son quinquennat par un rappel des fondamentaux de la gauche : l’importance de la culture, la priorité donnée à l’éducation et à la recherche. Le 9 mai, il se rend au Grand Palais pour voir l’exposition Monumenta de Daniel Buren. Il y évoque “la force des symboles” dans un moment où il ne peut “pas encore agir”. Le lendemain, l’histoire fait un clin d’œil à la gauche, qui célèbre le 31e anniversaire de l’élection du premier président socialiste de la Ve République,

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édito

De retour à Tulle, le 11 mai

François Mitterrand. Au-dessus des tours de verre de la Bibliothèque nationale de France François-Mitterrand, où François Hollande est attendu en début de soirée, le ciel tourne à l’orage, le vent se lève, comme ce soir du 10 mai 1981 où la fête se déversait avec la pluie, place de la Bastille. Lionel Jospin est présent, ainsi que plusieurs ministrables, Manuel Valls, Aurélie Filipetti, Anne Lauvergeon. Pour eux, le supplice a commencé. Il faut attendre que François Hollande fasse connaître ses choix pour le gouvernement. Et dans ce domaine, le nouveau président joue aussi bien le sphinx que Mitterrand. Dans le hall ouest de la BNF, devant les globes terrestres du cosmographe vénitien du XVIIe siècle Vincenzo Coronelli, François Hollande discute longuement avec Mazarine Pingeot, la fille de François Mitterrand. Il explique que “tout mandat présidentiel doit être suivi par une grande aventure culturelle”. Pas forcément un grand équipement, comme la pyramide du Louvre ou la BNF, car la crise est passée par là, mais un “grand projet” pour lequel il se donne le temps nécessaire : “Nous verrons à la fin, c’est à la fin que cela s’inaugure, juste à la fin !” La séquence “symboles” s’achève le jour de la passation de pouvoirs, mardi 15 mai, avec les hommages à Jules Ferry et Marie Curie.

Le promoteur de l’éducation républicaine et la chercheuse d’origine polonaise. Là aussi, la rupture est recherchée avec Nicolas Sarkozy, à qui la communauté scientifique ne cesse de reprocher la mise en œuvre de la circulaire Guéant restreignant les conditions de séjour des étudiants étrangers. Il est toutefois un domaine où la coupure avec le sarkozysme se révèle plus complexe que prévu. On a reproché au président vaincu d’avoir exposé sans pudeur sa vie privée. Les premiers drames sont venus de Cécilia, première dame en fuite dès le début du quinquennat. Il y a eu ensuite “Avec Carla, c’est du sérieux” et les noces médiatisées. Dans cette pipolisation, tout le monde est coupable, les politiques qui se prêtent au jeu en affirmant pouvoir le maîtriser et les journalistes qui franchissent les lignes. En une semaine, on a eu droit à de petites polémiques sur le rôle joué par la compagne de François Hollande, la toujours journaliste Valérie Trierweiler. SMS menaçant à une collègue de Paris Match, éviction de Julien Dray du QG, tweet à ses consœurs et confrères pour leur demander de ne plus camper devant le domicile du couple présidentiel. “Chacun va trouver ses marques”, se rassure un proche de François Hollande. “La retenue va s’imposer.” Hélène Fontanaud

Régis Duvignau/Reuters

à droite, débat à bas débit L’UMP ne l’entamera pas avant les législatives parce qu’il est porteur de division, mais le parti de Nicolas Sarkozy va devoir affronter un débat idéologique essentiel pour sa survie. Un débat de même nature et de même intensité que les débats qu’ont su mener sur plusieurs décennies les partis de gauche autour de l’acceptation ou non du capitalisme et de la société marchande. La question qui se pose à la droite est d’une autre nature. Contrainte par la puissance du FN, elle a trait à son rapport à la République, à l’universalisme, au droit du sol, à la place des étrangers dans notre pays, à la définition du mot frontière. Cette question idéologique commence par un examen, un “retour d’expérience” de la stratégie adoptée par Nicolas Sarkozy lors de la présidentielle. La “droitisation” opérée par le président sortant a-t-elle permis à celui-ci de faire un score relativement honorable, lui a-t-elle permis de ne pas sombrer tout à fait alors qu’un profond rejet de sa personne s’exprimait dans l’opinion depuis des mois ? Ou alors cette stratégie droitière est-elle la cause de l’échec de Nicolas Sarkozy et du record de Marine Le Pen ? Répondre à cette question tactique c’est aussi répondre à une question idéologique. Quelle droite pour s’opposer à François Hollande ? L’UMP, fille du RPR et de l’UDF, n’a pas l’habitude de débattre des idées. Les combats de chefs et de personnalités dans un mouvement politique issu du bonapartisme via le gaullisme se résument à chercher un “leader naturel”. Les combats de personnes masquent de vraies divergences politiques qu’il serait passionnant de mettre à nu. On ne connaîtra la maturité politique de l’UMP dépourvue de son chef historique qu’à l’aune de la qualité de ses débats idéologiques qui ne pourront commencer qu’après les législatives.

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ne nous fâchons pas L’UMP serre les rangs pour les législatives. Mais entre la bataille pour le leadership et les débats autour du Front national, le parti de droite s’efforce de masquer ses dissensions.

N

icolas Sarkozy a quitté l’Elysée, mardi 15 mai, sans dernier bourrepif. Alors qu’il les affectionnait pendant la campagne présidentielle. Ses proches disent qu’il est “sans amertume”. Il a demandé à Jean-François Copé, en tant que secrétaire général de l’UMP, et à tous ceux qui pourraient avoir quelques convoitises, de rester unis pour éviter la défaite. Au moins jusqu’aux législatives. Un mois à tenir ! Ils devraient quand même pouvoir y arriver. “Ça se passe très bien”, jure-t-on la main sur le cœur dans l’entourage de JeanFrançois Copé. “C’est la cohésion totale, il n’y a pas un seul couac”, assure d’ailleurs le secrétaire général de l’UMP. Sauf que le magot est gros et l’héritage convoité par une bande de flingueurs prêts à dégainer. Outre Jean-François Copé – un peu Lino Ventura dans Les Tontons flingueurs, qui, ultraréglo pendant la campagne, l’a joué pro-Sarko mais n’a pas oublié le savoir-faire politique –, on peut aussi compter sur l’appétit grandissant de François Fillon, cinq ans à Matignon et aujourd’hui personnalité préférée des Français pour prendre la tête de l’UMP (sondage Ifop pour Sud Ouest). Sans oublier la gourmandise de Xavier Bertrand ou de Nathalie KosciuskoMorizet à qui l’entourage de Nicolas Sarkozy décerne un brevet de courage “après ce qu’elle s’est pris pendant cette campagne”, ou les critiques acerbes des anciens ministres Jean-Pierre Raffarin et Laurent Wauquiez, quasi les frères Volfoni, mais contents et qui en veulent toujours plus. Dans un entretien à Sud Ouest dimanche, le 13 mai, Jean-Pierre Raffarin confiait que la présidentielle était gagnable pour la majorité mais que “les comportements ont été davantage sanctionnés que la politique”. “Le style hyperactif de Nicolas Sarkozy a pu heurter nombre de sensibilités plus tempérées.”

Jean-François Copé, le 10 mai : “C’est la cohésion totale, il n’y a pas un seul couac”

Sur BFM-TV, le 7 mai, Laurent Wauquiez déplorait quant à lui que la campagne de l’UMP ne se soit jouée que sur certains thèmes : “Nous n’aurions pas dû seulement parler sécurité et immigration, mais parler de tout le spectre”. Il ajoute : “Mon sentiment, c’est que notre défaite n’est pas liée au fait d’avoir trop assumé nos convictions, mais de ne pas avoir assumé tout le spectre de nos convictions. Je pense que l’on n’a pas suffisamment parlé des classes moyennes.” Pas sans rappeler ceux qui, dans Les Tontons flingueurs, voudraient que “les diplomates (prennent) plutôt le pas sur les hommes d’action. L’époque serait (alors) aux tables rondes et à la détente”. Pas simple de rester groupés, dans ce contexte, jusqu’au 17 juin, second tour des législatives. Car en plus des appétits, il y a la stratégie. Quid de la droitisation ? Après la défaite de Sarkozy, l’opposition peut-elle continuer dans cette voie ? Manifestement, l’UMP n’est pas près de changer de ligne politique, arguant d’un écart plus resserré qu’attendu entre

les deux finalistes. Ainsi, le programme législatif de l’UMP reprendra pour une grande partie le projet présidentiel de Nicolas Sarkozy. Malgré les critiques de Raffarin ou de Wauquiez, on fait valoir à l’UMP la hausse du nombre d’adhérents : plus de 800 adhésions et renouvellements selon Jean-François Copé, entre le dimanche 6 mai au soir et le lundi 7 mai, ce qui pourrait amener le parti à revendiquer plus que les 261 000 cartes annoncées fin 2011. Pour autant, une question ravive les tensions entre les différentes sensibilités au sein de l’UMP : quid de la stratégie face au FN ? “Tous les jours vous posez la question sur les alliances avec le FN, s’est agacé Copé devant la presse, on a toujours été clair, ça finit par faire procès d’intention ! On a dit qu’il n’y aurait pas d’accord.” Mais à la question de savoir ce que ferait l’UMP en cas de duel PS-FN aux législatives, le patron de l’opposition a répondu laconiquement : “On verra. On en parlera au soir du premier tour.”

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“nous n’aurions pas dû seulement parler sécurité et immigration, mais parler de tout le spectre”

Lionel Bonaventure/AFP

Laurent Wauquiez

Deux lignes s’affrontent entre les partisans d’un soutien au PS, à l’image de NKM ou Chantal Jouanno, et la Droite populaire bien plus encline à se rapprocher de Marine Le Pen. Dans ce contexte, le nouveau slogan de l’UMP pour les législatives, “Ensemble, choisissons la France”, n’est pas passé inaperçu. Pour Jean-François Copé, il est une réponse à la Bastille du 6 mai où il y avait “beaucoup de drapeaux, sauf le drapeau français”. “Pour tout dire, nous avons débattu de ce slogan, a-t-il commenté en le présentant à la presse, en partant de l’image assez impressionnante de la Bastille où il y avait autant de drapeaux étrangers, après tout pourquoi pas, et aussi peu de drapeaux tricolores. Nous avons pensé qu’il y avait là peut-être un message qui n’est pas le nôtre, dans cette période où il est absolument indispensable de rassembler.” Des propos qui rappelaient étrangement ceux de Louis Aliot, le soir du second tour, ou le tweet de Florian Philippot, tous deux du FN :

“J’aurais aimé voir un peu plus de drapeaux français hier à la Bastille.” Xavier Bertrand, qui aurait préféré la formule “La France au cœur”, s’est donc agacé que le slogan ait été débattu au cours d’un petit déjeuner uniquement entre Copé, Fillon, et Juppé. Comme dans Les Tontons flingueurs… où Louis le Mexicain lançait : “J’aurais pu aussi organiser un référendum, mais j’ai préféré faire comme ça. Pas d’objections ? Parce que moi j’ai rien d’autre à dire. Je crois que tout est en ordre, non ?” Copé a esquivé. Rien de simple, donc. Seule petite satisfaction, à l’UMP, ces derniers jours, la candidature de Jean-Luc Mélenchon à Hénin-Beaumont face à Marine Le Pen. Rue de la Convention, on se frottait les mains en espérant la victoire du Front de gauche. Une pierre deux coups pour l’UMP : une concurrente de moins à droite à l’Assemblée nationale, un opposant de plus à François Hollande qui lui rappellerait ses engagements de campagne. Pour autant, le but premier de l’ancienne majorité et nouvelle opposition est avant

tout d’éviter les divisions qui favoriseraient une vague rose à l’Assemblée en juin. Jean-François Copé s’en souvient d’autant plus qu’en 1997, il avait perdu son siège de député à Meaux avec l’arrivée de la gauche de Lionel Jospin au gouvernement. Dès lors, si officiellement tous les ténors de l’UMP veulent afficher une unité sans failles, Jean-François Copé n’en oublie pas de placer ses pions pour s’assurer la mainmise sur le parti, dont il est le “leader naturel” selon Guillaume Peltier, en annonçant il y a quelques jours la création de “mouvements” qui intégreraient le Parti chrétien démocrate de Christine Boutin ou le Parti radical de Jean-Louis Borloo. Au point presse de l’UMP jeudi 10 mai, Jean-François Copé laissait transparaître ses intentions pour les semaines à venir. Bien qu’au mur quelques affiches de Nicolas Sarkozy soient encore collées, un peu dans le coin et près de la machine à café, comme un vestige d’une époque que l’on n’efface pas trop vite pour ne pas heurter les âmes sensibles, JeanFrançois Copé affichait, sans la nommer, son ambition : “J’ai fait ce choix de ne pas me pousser du col”, a-t-il glissé avant d’ajouter, trente secondes plus tard : “C’est moi qui ai pris l’initiative de réunir un bureau politique extraordinaire”, “C’est moi qui ai pris l’initiative de créer un comité stratégique qui soit collégial.” Si le député européen Alain Lamassoure estime que l’UMP “ne peut pas faire l’économie d’un leader de campagne”, qui serait aussi son candidat pour Matignon, Jean-François Copé s’est donc, dans les faits, posé en leader naturel de la droite, proposant au passage, bien avant l’annonce du nouveau gouvernement, un débat télévisé au Premier ministre. “On n’est quand même pas venu pour beurrer des sandwichs”, aurait ajouté Raoul Volfoni. Marion Mourgue 16.05.2012 les inrockuptibles 33

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éditions présidentielles Marc Chaumeil

Biographies, albums et chroniques de campagne : le duel Hollande-Sarkozy a envahi les librairies.



n 2009, Antonin André et Karim Rissouli ont semé la panique sur la planète socialiste avec leurs révélations sur les tricheries lors de l’élection de Martine Aubry au poste de première secrétaire du PS, en novembre 2008. Après Hold-uPS – Arnaques et trahisons, les deux journalistes de France 2 et Canal+ consacrent cette fois leurs talents d’investigation au président nouvellement élu, François Hollande. Ils le connaissent bien, le suivent depuis plusieurs années. Pour eux, il est “l’homme qui ne devait pas être président”, mais qui s’est peu à peu glissé dans le costume du champion de la gauche, avec sa formule gagnante de “l’homme normal”, testée lors d’un voyage à Alger en décembre 2010. “On ne me regarde plus comme un ancien premier secrétaire associé à un PS qui n’a

pas bonne presse mais comme un homme nouveau, un candidat neuf avec des idées nouvelles, défiant un président (Nicolas Sarkozy) et un candidat autoproclamé par le système (Dominique Strauss-Kahn)”, explique François Hollande aux auteurs en février 2012. La chute de DSK précipite les choses. On connaît l’histoire. François Hollande devient le favori de la primaire PS, sort en tête au premier tour. Mais il a besoin d’appuis pour remporter la bataille du second tour, le 16 octobre. C’est son ex-compagne, Ségolène Royal, qui va donner le coup de pouce décisif. Sévèrement battue le 9 octobre, elle s’interroge tout d’abord sur l’attitude à adopter vis-à-vis de François Hollande. Elle dîne avec leurs quatre enfants le 10 octobre pour avoir leur avis.

“Une discussion politique”, selon l’aîné du couple, Thomas. Ségolène Royal s’est confiée aux auteurs : “J’aurais pu me venger, j’ai partagé vingt-cinq ans de ma vie avec lui mais cela ne s’est pas terminé comme je l’aurais voulu (…). Lui, s’est-il posé la question des enfants ? Vous croyez que cela ne les a pas choqués de voir leur père contre moi au congrès de Reims ? Moi, je me suis interrogée et je me suis dit que ce serait plus apaisant pour eux si je soutenais leur père.” On apprend au détour des pages que l’idée du grand meeting en plein air de Vincennes, avant le premier tour, est venue de Thomas Hollande. Le livre raconte aussi comment François Hollande a peu à peu pris de l’assurance face à un Nicolas Sarkozy enfermé dans sa “brutalité”. Comment ce “bloc de politique” reconnaît ne jamais livrer ses émotions.

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dès le 20 décembre 2011, le slogan de campagne, “La France forte”, est trouvé et le secret doit être gardé jusqu’en février

Le BoisVignaud, en Corrèze, 23 juillet 2011, François Hollande, en président du conseil général, pendant la campagne des primaires

“Je n’ai pas de confident”, dit-il (L’homme qui ne devait pas être président, Albin Michel, 228 pages, 18 €). Pour Christine Pouget et Corinne Delpuech, journalistes à l’AFP, François Hollande a mené “la plus longue des campagnes électorales”. Dans leur livre, François Hollande – De la Corrèze à l’Elysée, les coulisses d’une victoire (L’Archipel, 308 pages, 19,95 €), elles relatent avec méticulosité chaque épisode de l’épopée. Conclue par cette confidence du socialiste à la veille du second tour : “Perdre, on assume le passé, gagner, on assume l’avenir.” Marc Chaumeil est photographe. Depuis février 2011, il a gardé un œil attentif sur François Hollande. Il publie aux éditions Privat un album de campagne (photo ci-dessus), préfacé par le biographe du

socialiste, Serge Raffy, et accompagné de textes rédigés par la journaliste Sibylle Vincendon. François Hollande, président élu (144 pages, 19,50 €) relate, photo après photo, la marche patiente du socialiste vers le pouvoir. On l’y voit, souriant en Corrèze, crispé parfois, la main toujours tendue vers l’interlocuteur. Une image marque : celle d’un livre de François Mitterrand, Mémoires interrompus, sur une table de son bureau du QG de l’avenue de Ségur. Comme un trait d’union entre les deux présidents socialistes de la Ve République. Coups pour coups – Les petits secrets et grandes manœuvres du duel HollandeSarkozy, de Nicolas Barotte et Nathalie Schuck, journalistes respectivement au Figaro et au Parisien (Editions du Moment, 288 pages, 19,95 €), est sûrement l’un des livres les plus intéressants écrits sur la campagne. Riche du double croisé sur la campagne de François Hollande et Nicolas Sarkozy, il éclaire sur la préparation ancienne du président à l’élection. Dès le 20 décembre 2011, le slogan de campagne, “La France forte”, est trouvé et le secret doit être gardé jusqu’en février. Le 21 janvier, à Cayenne, pour le off, dont on a tant parlé, car Nicolas Sarkozy y annonçait pour la première fois que s’il perdait l’élection, il se retirerait de la vie politique, les deux auteurs révèlent multitude de détails sur cette séquence et notamment que “l’Elysée a fait les choses en grand” pour “courtiser” les journalistes. “Toute la nourriture est venue par avion de Paris.” On a aussi les détails sur le meeting de Villepinte, les commentaires agacés de François Hollande à son fils Thomas après la lecture de son interview dans Le Parisien, la difficile inscription de NKM dans la campagne ou la place omniprésente de Manuel Valls près de Hollande. Et cette scène surréaliste, le 25 mars à Bastia, où Hollande peste contre ses agents de sécurité qui, tout contents de lui faire une surprise, pour une fois que les horaires de déplacements ont été tenus, lui ont réservé ainsi qu’à sa compagne une table sur le port pour un dîner en amoureux. “Le candidat bougonne, racontent les auteurs, il aurait pu passer une heure de plus en campagne ! (…) Un membre de l’équipe confirme : Serrer des mains, c’est son anxiolytique.” Enfin, on apprendra que Dominique de Villepin était prévu au meeting de la Concorde mais avait finalement refusé et que Nadine Morano, “découvrant les images du public 16.05.2012 les inrockuptibles 35

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bariolé à Vincennes” au meeting de Hollande “fait rire les invités en lançant tout haut : ‘Regardez ça, ils ne sont même pas capables de se laver ! C’est ça l’avenir de la France ?’” Benjamin Sportouch et Jérôme Chapuis dans Le Naufragé – L’histoire secrète d’une descente aux enfers (Flammarion, 336 pages, 19,90 €), reporters pour L’Express et RTL, dressent le portrait d’un président candidat qui est resté persuadé qu’il pourrait inverser le cours des choses face au favori des sondages. Un président qui, selon la confidence recueillie auprès de Jean-Louis Borloo, serait “allé voir un psy, une femme”, au début de son mandat. Ils reviennent sur la mise en place de la campagne : notamment le choix de la musique par le conseiller JeanMichel Goudard. Une musique “pour fendre la foule”, selon son souhait, enregistré en Bulgarie “pour des raisons de discrétion, de coût du travail et de souplesse”. Puis nous racontent l’agacement de Raffarin pendant cette campagne, la blague que fait Jérôme Lavrilleux à Sarkozy avant le meeting du Trocadéro en lui faisant croire que la place est vide, le bazar du meeting de Marseille dû à la précipitation du candidat pour parler avant Marine Le Pen, à Lille, ou ses habitudes d’avant discours : machine Nespresso, chouquettes, Petit(s) Ecolier(s) de Lu au chocolat au lait format pockets, et sa maquilleuse et coiffeuse Marina. Pour un coup de 956,80 euros pour chaque prestation selon ce qu’elle touchait en 2007. Grand reporter à RTL et coprésentateur de la matinale, Philippe Corbé, dans La Dernière Campagne (Grasset, 286 pages, 18 €) revient, dans un texte personnel et très bien écrit, sur les 500 jours du sarkozysme en recoupant les témoignages de ceux qui ont fait la campagne autour de Nicolas Sarkozy : Henri Guaino, Pierre Giacometti, Alain Minc, Guillaume Peltier, Nathalie Kosciusko-Morizet, Isabelle Balkany, Patrick Devedjian. Et beaucoup d’autres. Chacun livrant ses anecdotes. L’auteur y raconte aussi le décor de ses rencontres comme dans le bureau de Minc (J-89) ou avec Roselyne Bachelot (J-87) qui confesse qu’elle “a déjà choisi la musique de (son) enterrement”. Enfin, Stéphane Grand et Arnaud Leparmentier (Europe1 et Le Monde) ont écrit Nicolas Sarkozy – Les coulisses d’une défaite (L’Archipel, 282 pages, 19,95 €). Un récit quasiment au jour le jour. Ils estiment que ce fut peut-être dès l’été 2010 que le président candidat a perdu la présidentielle, avec le discours de Grenoble sur les Roms. Dès lors, “comportement inopportun, séquelles de crises, inconstance, dérive éthique : François Hollande n’a eu qu’à encaissser les dividendes de l’antisarkozysme”, écrivent-ils. “L’Elysée est tombé comme un fruit mûr, après dix ans de pouvoir de la droite et un quinquennat de Nicolas Sarkozy.” Hélène Fontanaud et Marion Mourgue

que le meilleur perde Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite. par Michel-Antoine Burnier

Avec les législatives, l’avenir s’ouvre, radieux, pour nos victoricides. D’abord, l’UMP. Chacun sait que l’ancien parti présidentiel prépare une guerre des chefs féroce entre MM. Copé, Fillon et Juppé. Nous avons déjà exposé ici les principes de cet exercice si efficace dans une stratégie de la défaite. Construit sur le modèle des calamiteux triumvirats de la République romaine, le conflit se joue à trois plutôt qu’à deux, afin de permettre trahisons et retournements d’alliances. Il convient aussi qu’au moins deux des combattants paraissent professer des idées politiques les plus proches possible afin que nulle idéologie ne vienne masquer les ambitions : c’est le cas pour MM. Fillon et Juppé. Bref, la guerre des chefs doit se montrer violente sur un territoire réduit. L’UMP a décidé pour l’instant de repousser l’affrontement au lendemain des législatives. Peut-être n’a-t-elle pas tort. Après une seconde défaite – aujourd’hui probable –, la discorde longtemps contenue n’en deviendra que plus violente. Quant au territoire, soit l’UMP, il se trouvera par définition plus réduit après un revers électoral. L’UMP est parvenue à s’enfermer dans un de ces dilemmes impossibles qu’affectionnait M. Sarkozy. Chaque terme de l’alternative mène à un péril : en cas de triangulaire perdue d’avance devant l’extrême droite, faudra-t-il laisser la place au PS ou au FN ? Dans le premier

cas, on se ridiculise, dans le second, on se déconsidère. Nul n’ignore qu’un certain nombre de sortants brûlent de s’allier aux pernicieux amis de Mme Le Pen, reniant ce que fut le gaullisme ou le libéralisme pro-européen. On sait aussi que les chefs, récusant l’idée de cette liaison puante, ne tiendront pas toujours leurs troupes. Cette divergence de taille ne manquera pas de nuire aux candidats. Sur l’inspiration du maurrassien M. Buisson, le président sorti a favorisé l’ascension du Front national : il prétendait lui piquer des voix ; tel le voleur volé, il s’est fait prendre les siennes. Ainsi se prépare de longue main l’éclatement d’un grand parti. M. Hollande peut-il se retrouver en cohabitation avec la droite après avoir perdu les élections législatives ? Difficile à croire. En revanche, le nouveau président peut s’offrir une souscohabitation bien urticante avec les écologistes d’un côté et les communistes de l’autre. Ces personnages à doctrines aussi opposées entre elles qu’aux idées de M. Hollande lui-même garantissent un exercice pénible du gouvernement. Pour cela, il suffit que le PS favorise les amis de M. Mélenchon comme ceux de Mme Duflot et leur abandonne un nombre suffisant de circonscriptions pour se priver lui-même d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale. L’objectif ne paraît pas hors de portée. (à suivre…)

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en route pour Cannes Le Festival ouvre ce mercredi et habemus un sacré président : Nanni Moretti. Va-t-il craquer pour Matthias Schoenaerts (portrait p. 40) ? S’amuser avec le nouveau film de Wes Anderson (entretien p. 48) ? S’enthousiasmer pour l’un des films les plus attendus (p. 52) ? Le suspense commence…

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Holy Motors de Leos Carax, en compétition

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our le Festival de Cannes, le changement, c’était plutôt l’année dernière. La sélection officielle n’avait connu que des succès : tous les films avaient marché en salle à leur niveau (de L’Apollonide à Polisse, en passant par Melancholia, Le Havre, Habemus papam, Pater, Minuit à Paris…) et le phénomène The Artist achevait de redéfinir le Festival comme couveuse de machines à engranger les prix. Le danger aurait été de surenchérir et de ne plus penser Cannes que comme fabrique du succès. Que les esprits inquiets se rassurent, la sélection 2012 comporte son lot d’auteurs difficiles (Carlos Reygadas,

Ulrich Seidl), de films plus noirs que noirs (la maladie d’Alzheimer par Haneke, ça promet), de gestes compliqués (le dispositif hyperconceptuel d’Alain Resnais) et de paris risqués (le retour de Carax, la délocalisation nippone de Kiarostami). Aucun recentrage en vue donc, pas de course à la séduction et à l’efficacité spectaculaire. Tout au plus une sélection américaine fringante, faite de jeunes réalisateurs en compète pour la première fois – Wes Anderson, le très coté Jeff Nichols, Lee Daniels, John Hillcoat – et de stars en virage indé (Nicole Kidman, Brad Pitt…). Quelle sera donc la première Palme de la France de François Hollande ?

On peut compter en tout cas sur Nanni Moretti pour accoucher d’un palmarès de gauche. Il faut espérer que les intérêts propres du cinéma – comme laboratoire où s’inventent les formes de demain – ne soient pas pour autant négligés. L’histoire donne confiance : en 1997, Moretti faisait partie d’un jury (présidé par Isabelle Adjani) qui n’avait couronné que de grands films (Le Goût de la cerise, L’Anguille, Happy Together…). Seule inquiétude : que le président, au moment de rendre public son choix, pousse un grand cri en coulisses, refuse de se présenter et s’éclipse sur la pointe des pieds. Fugueur comme son pape. Jean-Marc Lalanne 16.05.2012 les inrockuptibles 39

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de sang chaud Découvert en éleveur testostéroné dans Bullhead, Matthias Schoenaerts va mettre K.-O. la Croisette en gros cogneur dans le nouveau Jacques Audiard. Portrait d’un Flamand rosse. par Jean-Marc Lalanne photo Nicolas Hidiroglou

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u photographe, qui lui a déjà fait enlever son pull, puis sa chemise et lui demande maintenant d’ôter son marcel – dernière entrave à son torse nu –, Matthias Schoenaerts répond avec une amusante moue de petit garçon contrarié : “J’en ai marre qu’on me demande toujours de me foutre à poil !” C’est vrai qu’en seulement deux films, on a déjà beaucoup vu son torse, dont le volume s’est d’ailleurs modifié : gonflé à bloc dans Bullhead ; plus noueux et effilé dans De rouille et d’os, le nouveau film de Jacques Audiard. On ne s’étonnera pas que le cinéaste d’Un prophète ait choisi ce bel animal de 34 ans pour donner corps à une de ces fantasmagories de la masculinité brutale qu’il affectionne. Symétriquement, le cinéma de Jacques Audiard existait depuis longtemps dans l’imaginaire du jeune comédien flamand. “Je connaissais tous ses films et j’étais fan avant de savoir que j’allais travailler un jour avec lui. J’adorais cette sensibilité qui allie brutalité et finesse. Même chose chez ses comédiens qui ont souvent un côté animal mais aussi très complexe. C’est vraiment du cinéma puissant. J’ai rêvé de travailler avec lui bien avant de le rencontrer. Mais je n’osais même pas y penser, ça me paraissait inatteignable. Et puis, paf ! Un jour, l’univers s’arrange et prend la forme de tout ce dont vous avez toujours rêvé !” En apprenant que Jacques Audiard cherchait l’acteur principal de son prochain film, l’agent de Matthias avait envoyé au directeur de casting un DVD de Bullhead, pas encore distribué en France. “Ça a dû l’étonner qu’on lui propose un acteur flamand !”, ajoutet-il en riant. De fait, il n’avait joué jusque-là qu’en néerlandais. En tout cas, l’effet Bullhead est imparable : en découvrant ce thriller qui transplante la geste maffieuse scorsesienne dans l’industrie agricole du Limbourg, Audiard demande à le rencontrer. Il faut dire que la performance de Schoenaerts dans Bullhead est démente. Il y incarne un stupéfiant hommetaureau, toujours prêt à charger, perpétuellement défoncé, le corps martyrisé par les prises d’hormones, l’œil torve et le visage cabossé. Mais sous l’armure musculaire hypertrophiée gît un enfant apeuré, jamais remis d’un trauma dont le film retarde la relation. “Bullhead a vraiment été une expérience particulière. C’est un projet auquel je me suis préparé pendant des années. Quand le réalisateur Michaël R. Roskam, dont 16.05.2012 les inrockuptibles 41

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“la violence, ça me connaît. Je suis familier du pétage de câble. Mon métier m’a beaucoup calmé”

c’était le premier long métrage, me l’a présenté, il n’avait aucun financement. Mais je voulais absolument faire ce film. Un an et demi avant le tournage, on était à peu près sûrs qu’il verrait le jour. J’ai tout arrêté pour ne me consacrer qu’à la préparation, physique et mentale, du personnage. Ça a été une discipline très dure, il a fallu que je me transforme. Mais je me sentais porté par ce projet, je savais que l’univers de Michaël était très cinématographique, qu’il allait déployer cette histoire dans quelque chose de grand et de très touchant. Il faut dire que le scénario n’est pas de ceux qu’on lit tous les jours. Quand tu tombes dessus, tu te dis : Waow ! Aussitôt après, tu paniques : Mais comment je vais faire exister tout ça ?” Avant Bullhead, le comédien avait pourtant déjà parcouru du chemin. Son père, Julien Schoenaerts, était un comédien réputé du cinéma flamand et le petit Matthias apparaît à deux reprises, enfant puis adolescent, dans ses films. Il n’envisage pas encore de devenir comédien, pas non plus de devenir autre chose. “Ado, je ne voulais surtout pas me projeter dans quoi que ce soit. Le futur me faisait très peur et le passé me faisait mal. J’essayais de ne vivre que dans le présent. Du coup, j’ai fait pas mal de conneries. J’étais très instable, pas facile.” A 20 ans, il décide néanmoins de débuter des cours d’art dramatique. Pendant quatre ans, il apprend son métier, participe à des séries télé. “Ça ne se passait pas toujours bien. J’en ai fait deux. L’une est un excellent souvenir, l’autre absolument horrible. J’ai vite compris que je n’étais pas un exécutant. Je ne peux pas jouer un rôle auquel je ne crois pas, j’ai besoin d’être fier du résultat. Pour moi, être acteur c’est beaucoup plus qu’un métier.” A 24 ans, il tourne son premier long métrage avec un premier rôle. Il dit avoir ensuite un peu galéré, refusé pas mal de films d’action qui ne lui disaient rien et pas mal de comédies. “S’il y a bien une chose qu’on ne sait pas faire chez les Flamands, c’est la comédie. Rien n’est moins léger qu’une comédie flamande.” En 2006, un grand metteur en scène le choisit, pour un second rôle, dans son premier film européen après vingt ans d’exil hollywoodien : Paul Verhoeven (RoboCop, Basic Instinct) le fait tourner dans Black Book. La chance vire au cauchemar. “J’étais surexcité d’avoir été pris au casting mais quinze jours avant le tournage j’ai fait une péritonite et j’ai failli mourir. J’ai tourné en surmontant des douleurs abdominales terribles, je vomissais tout le temps. J’ai pas vraiment pu savourer.” Vient ensuite le film qui fait de lui une vedette nationale : Loft d’Erik Van Loy (2008), un thriller qui rassemble un million et demi de spectateurs en terre 16.05.2012 les inrockuptibles 43

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“ado, je ne voulais surtout pas me projeter dans quoi que ce soit. Le futur me faisait très peur et le passé me faisait mal”

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flamande (sur une population de 4 millions – un score digne des Ch’tis ou d’Intouchables chez nous). Si Loft n’a pas connu de distribution en France, le film intéresse Hollywood qui en produit le remake US, toujours réalisé par Van Loy et interprété par Schoenaerts. “Il y avait aussi le chef op de Bullhead. C’était sympa de constituer une petite trinité belge implantée à Hollywood.” Un Hollywood qui ne devrait pas tarder à lui proposer d’autres rôles, mais Matthias ne s’imagine pas pour l’instant s’installer à Los Angeles. Ni à Paris d’ailleurs, où le cinéma français, après le Festival de Cannes qui en fera une star, devrait à son tour tomber à ses genoux. “J’ai envie de tourner partout où il y a des auteurs qui m’intéressent : aux Etats-Unis, en France, en Belgique ou ailleurs. Ma seule motivation est d’entrer dans des univers de cinéma personnels et forts.” Sa dévotion pour la figure du cinéaste personnel et intransigeant est telle qu’on lui demande si à son tour il envisage de passer à la mise en scène. “J’ai envie de réaliser, c’est sûr. Mais pour l’instant, je regarde, j’apprends, j’étudie. J’ai surtout envie de raconter des histoires, de parler de l’étrangeté de cette expérience qu’est la vie. Il suffit de regarder autour de soi, de lire les faits divers pour voir à quel point c’est une chose folle, complètement étonnante. Je ne trouve pas ça facile, la vie. Aujourd’hui, je suis à peu près heureux, j’ai même des moments assez joyeux. Mais ça ne va pas de soi, la vie n’est pas une chose évidente.” Ce sentiment de n’être pas tout à fait ajusté à la vie est probablement une des ressources dans lesquelles il a puisé ses performances disjonctives dans

Bullhead ou De rouille et d’os. “C’est sûr que la violence, ça me connaît. Je suis familier du pétage de câble. C’est peut-être un sentiment lié à la jeunesse. Mon métier m’a beaucoup calmé et je suis heureux de ne plus avoir affaire à ça que sur l’écran.” Le cinéma remplit aussi sa vie comme spectateur. On échange des points de vue sur quelques films récents. Il raconte par exemple que Drive ne l’a pas complètement satisfait. “J’aime beaucoup la direction artistique, le stylisme, la direction d’acteur, mais au-delà de la forme le film ne dégage pas grand-chose. Je ne sais pas toujours de quoi ça parle. Moi, j’ai envie qu’un film soit une expérience profonde.” Comme quoi ? “The Tree of Life, par exemple. On en ressort pas tout à fait pareil.” On lui demande quels acteurs il admire. “Il y a ceux dont j’adore le travail comme Marcello Mastroianni, Philip Seymour Hoffman, Simone Signoret, Nick Nolte, Jean Gabin, Daniel Day-Lewis… Ce sont des forces de la nature. Mais je ne dirais pas que je les admire. Plutôt que des acteurs, j’admire les gens qui font des choses importantes pour l’être humain : les scientifiques, les militants des droits de l’homme…” Adolescent, disait-il, l’avenir lui faisait peur. Et aujourd’hui, succès aidant, le garçon sombre aux yeux clairs arrive-t-il mieux à se projeter dans les années qui viennent ? “Oui, quand même. J’y pense plus sereinement. J’espère des choses.” Lesquelles ? “Rencontrer encore beaucoup de bons cinéastes. Trouver une sorte d’équilibre. Gérer ma vie de sorte que je me sente heureux.” lire la critique du film pages suivantes

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De rouille et d’os de Jacques Audiard Sélection officielle, en compétition

Deux estropiés de la vie unissent leur souffrance : maîtrise et densité pour ce beau film sur la fusion des corps.

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as de bras, pas de chocolat !”, disait Omar Sy dans Intouchables. “Pas de cannes, Cannes !”, semble répliquer Jacques Audiard. Deux ans après le triomphe critique et public d’Un prophète, le cinéaste est de retour après avoir longtemps suivi le rythme d’environ un film tous les quatre ans. Autant le dire tout de suite, cette rapidité nouvelle n’est en rien synonyme de film bâclé ou mineur. Si De rouille et d’os a peut-être été plus simple à fabriquer qu’Un prophète, notamment en termes de casting, il reste un film dense, chiadé et prenant de bout en bout, qui ne pâtit absolument pas de l’éclat du précédent. Quelles que soient les affinités avec le cinéma de Jacques Audiard, quel que soit le jugement que l’on porte sur ses films, force est de constater que De rouille et d’os est parfaitement réussi. Même si on n’a pas encore vu l’ensemble des films cannois, il se pose déjà comme l’un des candidats sérieux à la Palme d’or. De quoi parle De rouille et d’os ? Père de famille à la rue, Ali (Matthias Schoenaerts) quitte le nord de la France et trouve refuge chez sa sœur et son beaufrère, qui travaillent et habitent sur la Côte d’Azur. Son fils Sam, 5 ans, l’accompagne, voire l’encombre. Ce n’est pas le Pérou mais l’accueil familial, un toit et le climat du Sud permettent à Ali et Sam de se poser et de se reconstruire. Carrure d’athlète, Ali trouve un emploi de vigile dans un dancing où il rencontre la belle Stéphanie (Marion Cotillard),

dresseuse d’orques dans le Marineland local. Un soir, elle lui téléphone : victime d’un accident du travail, elle est en fauteuil roulant, privée de ses deux jambes à partir des genoux. Le film va s’attacher à décrire minutieusement la relation entre Ali, monstre de plénitude physique, et Stéphanie, beauté amputée. Comme Sur mes lèvres, autre film d’Audiard, De rouille et d’os se fonde sur un pitch hors norme : l’histoire entre un taulard et une sourde-muette laisse place à celle entre un père déchu et une cul-de-jatte. Ce type de gimmick scénaristique pourrait certes rebuter : facilité sensationnaliste, prise en otage du spectateur, façon de définir d’emblée la singularité et la charge émotionnelle d’un film et de rendre le reste (à commencer par la mise en scène) accessoire. On pourrait aussi soutenir l’inverse : estimer qu’un tel postulat est une difficulté, un défi de mise en scène et d’éthique du regard. C’est ce qui a guidé le geste de Jacques Audiard. Au départ partenaires souhaitant combattre leur solitude, Ali et Stéphanie deviennent sex-friends, elle pour revenir vers la vie, remettre en marche son corps mutilé, lui pour l’aider et prendre du plaisir. Il n’est pas exclu que dans la psyché d’Ali, comme dans celle d’Audiard, réside une part de fétichisme tordu – voir les scènes de sexe qui montrent Ali s’activer entre des jambes atrophiées (les effets spéciaux avec Marion Cotillard affublée de moignons sont techniquement stupéfiants), empoigner une cuisse qui ne se prolonge par aucun genou,

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Marion Cotillard l’amputée

Matthias Schoenaerts le lutteur

chaque plan est impeccablement composé, éclairé, découpé tout en restant au service du récit et des personnages

mollet, pied. A priori malaisantes, ces scènes se révèlent pourtant assez belles, filmées avec douceur et sensualité. Cette relation d’amitié sexuelle, peut-être d’amour, semble avoir des vertus d’échanges à tous les niveaux. Devenu lutteur pour une organisation de combats et paris clandestins, Ali voit son intégrité morale et physique sérieusement esquintée. Au début réticente, la fragile Stéphanie semble peu à peu prendre plaisir à ce spectacle lucratif de la violence. A mesure que son homme prend des coups, elle progresse dans sa rééducation, se fait poser des prothèses mécaniques, retrouve l’usage de la station debout – qui sépare l’homme de l’animal et, symboliquement, l’humain volontaire de celui qui abandonne. Entre Ali et Stéphanie s’opère une sorte de mise à égalité des corps, l’un s’abîmant quand l’autre se reconstruit. Le scénario mène presque trop loin cette quête de parité : dans un ultime rebondissement, Ali subit lui aussi une mise à l’épreuve extrême, qui apparaît pour le coup artificielle, comme si le stade idéal de l’amour partagé devait passer par une égalité obligatoire dans le trauma. Malgré ce moment too much, De rouille et d’os est un film impressionnant de maîtrise, d’intensité et, finalement, de simplicité. Derrière la caméra, on retrouve Stéphane Fontaine, le chef opérateur star du moment, qui démontre toute l’étendue de son talent sans basculer dans la virtuosité décorative : chaque plan est impeccablement composé, éclairé, découpé tout en restant au service du récit et des personnages.

Car la plus large part de réussite du film tient dans les personnages, donc les acteurs : leurs corps, leurs phrasés, leurs interactions, leurs regards, leur palette de sentiments. Matthias Schoenaerts et Marion Cotillard sont immenses. Déjà impressionnant dans Bullhead de Michael R. Roskam, sorti en février dernier, le balèze flamand va devenir à coup sûr une star, alliant la présence physique, le visage bien dessiné, l’accent peu usité et un naturel désarmant dans toutes les situations. Taxi, l’un des premiers films où apparaissait Marion Cotillard, ne nous avait pas permis de voir en elle plus qu’une jolie actrice parmi d’autres. Puis elle a conquis l’Amérique, prouvé son talent dans Inception ou Minuit à Paris. Dans De rouille et d’os, elle est tout bonnement excellente. C’est le cas de tous les seconds rôles : Bouli Lanners, Céline Sallette, Corinne Masiero ou le petit Armand Verdure existent pleinement à côté du couple central. On a longtemps considéré Jacques Audiard comme le fils de Michel. Après Un prophète et De rouille et d’os, on se dit maintenant que Michel Audiard est le père de Jacques. Mieux : Jacques Audiard a pris une place tellement nette et autonome dans le paysage du cinéma français qu’on ne pense même plus à son père. Serge Kaganski De rouille et d’os de Jacques Audiard, avec Marion Cotillard, Matthias Schoenaerts, Bouli Lanners, Céline Sallette, Corinne Masiero, Armand Verdure (Fr., 2012, 1 h 55). En salle le 17 mai 16.05.2012 les inrockuptibles 47

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“je n’avais pas le talent nécessaire pour faire un bon scout” Wes Anderson ouvre le Festival de Cannes avec Moonrise Kingdom. Son amour pour Paris et le cinéma français, l’enfance, ses comédiens fétiches : on l’écoute. par Jean-Baptiste Morain photo Rüdy Waks

V

oilà quelques films que nous suivons de près et apprécions le cinéaste américain indépendant, auteur de La Famille Tenenbaum, La Vie aquatique, A bord du Darjeeling Limited ou du Fantastic Mr. Fox, son film d’animation d’après Roald Dahl. Cette année, il présente son nouveau film, Moonrise Kingdom, en ouverture de la compétition du Festival de Cannes, le 16 mai, le jour même de sa sortie en France. On y suit les aventures amoureuses de deux préados, Suzy et Sam (qui est scout), sur une île de La NouvelleAngleterre, l’été 1965. Wes Anderson nous reçoit dans l’appartement-bureau qu’il vient de louer entre Montparnasse et Saint-Germaindes-Prés. Ça sent encore la peinture fraîche. On doit traverser les toilettes pour passer de la cuisine, et sa verrière arrondie, au salon où notre hôte ne va pas tarder à apparaître, toujours aussi élégant, en costume marron assorti à sa longue mèche rousse.

Comment allez-vous, Wes Anderson ? Très bien, merci ! Où vivez-vous, finalement ? Aux EtatsUnis ou à Paris ? Plutôt à New York mais j’apprécie beaucoup Paris et je loue un appartement ici quelques mois par an. Pourquoi Paris ? C’est la ville que je préfère au monde. J’y viens pour écrire et surtout pour ne rien faire. J’ai tourné un court métrage ici, Hôtel Chevalier, qui précédait A bord du Darjeeling Limited. Pendant Mr. Fox, qui se fabriquait à Londres, je vivais à Paris et faisais des allersretours entre les deux villes. Vous parlez rarement de vos origines. Vous êtes bien natif du Texas ? Je suis né à Houston mais j’ai étudié à Austin. Mon père dirigeait une agence de pub et ma mère était archéologue, comme la maman de La Famille Tenenbaum. Ma mère peignait aussi et je crois qu’elle a beaucoup influencé mon regard. L’enfance tient une grande place dans votre cinéma. C’est encore plus flagrant dans Moonrise Kingdom puisque les deux héros ont 12 ans. Mais sur l’ensemble

de mes films, oui, j’en suis conscient. Mon cinéma naît, je crois, non pas de mon enfance mais de sentiments que j’avais enfant. Filmer, pour vous, ce serait replonger dans l’état de l’enfance ? Dans Moonrise Kingdom, oui. Pour les autres, je n’y ai pas réfléchi. J’ai tourné Rushmore, mon deuxième long métrage, dans la ville de mon lycée. J’évoquais et recréais clairement des souvenirs de cette époque. J’ai souvent l’impression d’utiliser mes souvenirs d’enfance mais il en sort au final quelque chose qui n’a plus rien à voir avec le souvenir originel. Dans la plupart de vos films, on retrouve souvent la même scène : dans un travelling, vous visitez le décor où se situe l’action du film, maison ou bateau, comme s’il s’agissait d’une maison de poupées. Pourquoi ? C’est vrai, même si d’un film à l’autre les mouvements de caméra ne se ressemblent pas vu que nous tournons parfois en décors naturels, parfois en studio. Pour moi, cela permet tout simplement de faire comprendre au spectateur l’endroit où nous nous trouvons. Dans Moonrise Kingdom,

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“mon cinéma naît, je crois, non pas de mon enfance mais de sentiments que j’avais enfant”

je voulais filmer la famille sur le vif, dans sa maison, comme si certaines pièces contenaient des éléments magiques, le grenier par exemple. Vous êtes le seul à tourner ce genre de plan et à le répéter de film en film. Je ne sais pas. C’est ainsi que je vois le monde. Je n’ai pas l’impression de faire des choix, cela me vient de façon automatique. Je vais vous dire : à chaque fois que je travaille sur un nouveau projet, je pense que je fais une œuvre différente. Et quand le film est terminé, les gens me disent généralement qu’il ressemble aux précédents (rires). Dans Moonrise Kingdom, vous faites un usage presque conceptuel de la musique de Benjamin Britten. J’avais choisi d’utiliser cette musique avant même d’écrire l’histoire. C’est elle qui m’a inspiré. Au départ, je n’avais aucune idée de ce que j’allais raconter mais je savais une chose : qu’on verrait cette scène où des enfants écoutent la musique de Britten sur leur tournedisque. Nous avons utilisé L’Arche de Noé parce que mon frère et moi avons joué et chanté ce morceau quand nous étions enfants et que je l’ai toujours adoré. Au fur et à mesure que j’écrivais le scénario, je cherchais des morceaux de Britten qui puissent coller aux scènes. Il a pris de plus en plus de place. Avez-vous été scout ? Pendant deux mois mais ce fut un désastre. Je savais que je ne deviendrais jamais un bon scout. Je n’avais pas le talent nécessaire et l’univers du scoutisme ne me tentait guère. Le côté scout du film vient pour l’essentiel des dessins de Norman Rockwell. On retrouve dans Moonrise Kingdom vos acteurs de prédilection mais plus dans les rôles principaux…

Les deux principaux acteurs, ici, sont les enfants. Comme on les retrouve dans toutes les scènes, les adultes deviennent des personnages secondaires. Dans mon prochain film, le personnage principal, qui est un peu fou, a un voyant personnel assisté d’un adolescent. Je donnerai les rôles à des acteurs plus connus que mes préados. Je reste attaché à mes acteurs fétiches même si je ne sais pas encore qui jouera le rôle principal de mon prochain film. On a souvent dit que vos personnages étaient des adultes qui n’arrivaient pas à devenir adultes. Peut-on dire que Moonrise Kingdom met en scène des enfants qui se comportent comme des a dultes ? Je crois surtout qu’il y a très peu de différence entre les adultes et les enfants. Les adultes manifestent tout juste un peu plus de sagesse que les enfants. C’est grâce à leur simplicité que les enfants du film parviennent à comprendre ce qui se passe et à se comporter comme des adultes. Cela apporte un sentiment d’équilibre. Quelle position occupez-vous dans le cinéma américain ? Je ne sais pas. J’ai l’impression que le cinéma américain, que l’industrie change si vite qu’il devient difficile de se situer. Ma position doit se modifier à chaque film. Je n’ai pas une vision claire de la façon dont les studios me perçoivent. J’ai passé tellement peu de temps à Los Angeles que je connais à peine le milieu hollywoodien. Ce que je sais, c’est que le cinéma est devenu un domaine où les responsables, les interlocuteurs changent d’une semaine sur l’autre. Rien n’y a la moindre consistance. En France, les cinéastes, une fois parvenus à une certaine

réputation et à un certain succès, ont la chance de pouvoir conserver cette réputation pendant longtemps. Vous êtes d’accord avec ça ? Pas forcément. De grands et vieux cinéastes français ont toujours autant de mal, voire plus, à financer leurs films. Mais sans doute moins qu’aux Etats-Unis. Quel est le plus grand cinéaste français selon vous ? Moi, j’aime Olivier Assayas, Arnaud Desplechin. J’apprécie vraiment l’intelligence du cinéma français. Aux Etats-Unis, on considère Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui comme de grands intellectuels. On les prend très au sérieux. Ils ont écrit pour Alain Resnais (On connaît la chanson), l’un des plus grands cinéastes français vivants. Ça a dû asseoir cette image d’intellectuels. J’aime beaucoup Le Goût des autres et Comme une image. J’avais bien aimé aussi Un air de famille (réalisé par Cédric Klapisch mais tiré d’une pièce de théâtre de Bacri et Jaoui – ndlr). Vous semblez très bien connaître le cinéma français. Il me plaît énormément. Mais Paris est hélas le pire endroit pour moi pour découvrir le cinéma français, à cause de l’absence de sous-titres. Vous l’avez toujours aimé ? Quand j’avais 17-18 ans, j’adorais Les 400 Coups de Truffaut et La Règle du jeu de Renoir. Vous pourriez tourner un long métrage en France ? Mon prochain film se déroule en Europe. Mais la France ou l’Angleterre sont des pays très chers. Qui sait ? Ça me plairait beaucoup, oui. traduction Harold Manning

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Le couple fugueur de Moonrise Kingdom : Sam (Jared Gilman) et Suzy (Kara Hayward)

Moonrise Kingdom de Wes Anderson Sélection officielle, en compétition Le dandy texan explore à nouveau

son petit monde coloré dans un film d’aventure euphorique.

S

i l’on sait une chose de Wes Anderson, c’est qu’il n’appartiendra probablement jamais à la famille des cinéastescaméléons, ceux dont on mesure l’évolution aux brusques changements (de ton, de forme, de récit) qui innervent leur filmographie. Le dandy texan serait plutôt du genre obtus, tendance monomaniaque, incapable de filmer la vie souterraine de quelques renards malicieux sans y importer son reliquaire pop ; incapable, aussi, de filmer l’Inde ou un hôtel parisien sans en faire les décors de sa petite collection d’obsessions. Mais à force de ne jamais dévier d’une formule qui a montré son succès, Wes Anderson s’expose aussi à un procès en paresse et l’on a trop souvent cru distinguer dans

ses derniers opus les signes d’un essoufflement prochain. Moonrise Kingdom, dès son introduction (des plans-séquences qui glissent entre les pièces d’une maison de poupée), menaçait a priori d’être ce film du déclin, tant il redistribue machinalement l’ensemble des motifs du cinéma d’Anderson, du débraillé haute couture des costumes à la perfection plastique de chaque dispositif. Le récit découvre également des personnages déjà fréquentés par le cinéaste : deux enfants solitaires in love, un jeune scout orphelin et une mini Anna Karina dépressive, qui décident le temps d’un été de fuguer ensemble sur une île au large de La Nouvelle-Angleterre. Leur disparition soudaine provoquera une suite de petites déflagrations

dans leur entourage, rouvrant quelques blessures existentielles chez des parents et tuteurs tous mortifiés (dont le fidèle Bill Murray, la recrue Bruce Willis et un Edward Norton bouleversant en grand dadais aux yeux tristes). C’est donc encore une histoire de famille (dysfonctionnelle) et d’enfance sacrifiée qu’observe Wes Anderson, mais cette fois-ci sur un mode volontiers mineur et plus buissonnier qui constitue au final la petite réussite du film et sa relative originalité. Gouverné par le rythme de la course de son jeune couple fugueur, Moonrise Kingdom s’assume en simple objet récréatif, une quête amoureuse palpitante, un geste purement libératoire et fantasmatique sur lequel la réalité n’a aucune prise (pas même la foudre qui s’abat sans

dommages sur notre héros joufflu) : une aventure à tout prix. Dans ce registre, Wes Anderson n’a toujours pas d’équivalent pour filmer l’héroïsme de l’enfance : ces cabanes que l’on érige avec trois bouts de ficelle, cet esprit de meute, ces premiers baisers qui font trembler le sol et ces combats homériques… Il prolonge au fond le mouvement de Fantastic Mr. Fox, son retour à un état sauvage conjugué à une forme d’euphorie perpétuelle qu’aucun drame ne peut entamer. On pourra certes regretter la patine tragique de ses premiers films mais au moins reconnaître le panache de l’aventure. Romain Blondeau Moonrise Kingdom de Wes Anderson, avec Edward Norton, Bill Murray, Tilda Swinton (E.-U., 2012, 1 h 34). En salle le 16 mai 16.05.2012 les inrockuptibles 51

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On ne badine pas avec Peter Doherty !

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dans la ligne de mire

Isabelle Huppert qui batifole en Corée, Peter Doherty en Musset, Alzheimer version Haneke, Nicole Kidman white trash et Robert Pattinson transfiguré par Cronenberg : close up sur vingt films attendus. par Romain Blondeau, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne, Jean-Baptiste Morain et Guillaume Sbalchiero

Confession d’un enfant du siècle de Sylvie Verheyde Quatre ans après le succès du beau Stella (l’un des derniers films de Guillaume Depardieu, l’un des premiers de Benjamin Biolay), Sylvie Verheyde réalise son quatrième long métrage, un film en costumes adapté du livre éponyme d’Alfred de Musset. Le casting fait déjà baver la Croisette : Charlotte Gainsbourg et surtout Peter Doherty ! J.-B. M. Sélection officielle, Un certain regard

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Michel Piccoli dans les jeux spéculaires d’Alain Resnais

Vous n’avez encore rien vu d’Alain Resnais

Camille redouble

In Another Country

de Noémie Lvovsky

d’Hong Sang-soo

Figure centrale du cinéma français pour la vigueur comique et profonde de ses films (Petites, Faut que ça danse !…), Noémie Lvovsky est aussi l’une de nos meilleures comédiennes (Desplechin, Jacquot, Elmaleh, Sattouf, Bonello…). Avec Camille redouble, elle retourne dans son passé façon Peggy Sue s’est mariée. Peut-on redoubler sa vie ? Tel est l’un des suspenses de ce pitch qui promet rire et mélancolie. S. K.

A toutes les raisons d’attendre le nouveau film du grand et minimaliste cinéaste sud-coréen s’en ajoute une : Isabelle Huppert. Soit l’une des plus grandes actrices françaises chez le malicieux Hong, auteur d’une œuvre conceptuelle et poétique fondée sur le retour du même et la douleur inextinguible du sentiment amoureux.

Quinzaine des réalisateurs

Sélection officielle, en compétition

J.-B. M.

A bientôt 90 ans, trois ans après l’insolite Les Herbes folles, Alain Resnais est toujours de la compétition cannoise avec un projet dans la lignée de Smoking/ No smoking, Mélo ou Pas sur la bouche : l’adaptation d’une pièce de théâtre de Jean Anouilh, Eurydice, interprétée par le gratin du cinéma resnaisien (Azéma, Arditi, Wilson, Consigny…) et quelques petits nouveaux dont les grands Michel Piccoli et Denis Podalydès. Un film tout en mise en abyme sur les mystères du temps et de la représentation. J.-B. M. Sélection officielle, en compétition

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Mekong Hotel d’Apichatpong Weerasethakul

Amour

Mud

de Michael Haneke

de Jeff Nichols

on verra aussi…

Le Ruban blanc Palme d’or, c’était il y a déjà trois ans. Haneke revient en compétition avec un film dont on dit qu’il s’agirait d’une “vraie” histoire d’amour (entre deux octogénaires)… L’amour et Haneke, on n’est pas très loin de l’antinomie, mais qui sait ? Amour bénéficie en tout cas d’un casting de luxe : Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant, ainsi qu’Isabelle Huppert (également en compétition dans le Hong Sang-soo). J.-B. M.

C’est le troisième film du petit génie américain, après Shotgun Stories en 2008 et Take Shelter en 2011, présenté à la Semaine de la critique. Cette fois-ci, pas de Michael Shannon, son génial acteur fétiche, mais Reese Witherspoon. Le pitch du film fait penser à du Mark Twain : deux ados découvrent un homme en fuite sur une île située au milieu du Mississippi.

Sélection officielle, en compétition

J.-B. M.

des films de genre Ils ne sont pas négligés cette année, grâce aux Séances de minuit. Dario Argento, grand maître de l’épouvante, père de classiques comme Suspiria ou Inferno, revient avec sa version 3D de Dracula. A côté de ce cinéaste confirmé, Wayne Blair présente son premier film, la comédie musicale The Sapphires sur la guerre du Vietnam. Maniac, film d’horreur américain de Franck Khalfoun et For Love’s Sake de Takeshi Miike, autre fiction musicale, complètent le panorama. des documentaires L’éventail des regards posés sur le monde est large et foisonnant : une révolte de villageois turcs (Der Müll im Garten Eden de Fatih Akin) ; un cri d’alarme écologique porté par Jeremy Irons (Saccagée de Candida Brady) ; un portrait du réalisateur de Tess (Roman Polanski: a Film Memoir de Laurent Bouzereau) ; l’histoire d’un crime et d’une erreur judiciaire (The Central Park Five de Ken Burns, Sarah Burns et David McMahon) ; la difficulté de vivre son homosexualité (Les Invisibles de Sébastien Lifshitz) ; un tour de France en camping-car (Journal de France de Raymond Depardon et Claudine Nougaret) ; un hommage à un musicien brésilien majeur (La Musique selon Antonio Carlos Jobim de Nelson Pereira dos Santos). des films courts On attend trois petits films, par leur format, signés par de grands noms. D’abord, le nouveau film d’Apichatpong Weerasethakul qui, après avoir remporté la Palme d’or en 2010 pour Oncle Boonmee, revient sur la Croisette avec Mekong Hotel, sorte de documentaire expérimental d’une heure, focalisé sur le fleuve asiatique et l’actrice Tilda Swinton. Le Portugais João Pedro Rodrigues et le Taïwanais Tsai Ming-liang, tous deux géographes des solitudes nocturnes et urbaines, présenteront leurs courts métrages (Walker et Manhã de San António) en clôture de la Semaine de la critique. des surprises Signalons encore un nouveau film du Sud-Coréen Im Sang-soo (L’Ivresse de l’argent), du Chinois Lou Ye (de retour dans son pays avec Mystery après l’escapade française de Love and Bruises), un film posthume de Raúl Ruiz (La Nuit d’en face), le premier film de fiction réalisé par Sandrine Bonnaire (J’enrage de son absence), l’Espagnol Jaime Rosales (dont on avait beaucoup aimé Las Horas del día puis La Soledad) avec Sueño y silencio, et Elefante blanco, le nouveau film de l’Argentin Pablo Trapero interprété par Jérémie Renier… Deux semaines ne seront pas de trop pour arriver au bout d’un tel programme. G. Sb.

Sélection officielle, en compétition

Like Someone in Love d’Abbas Kiarostami Après des ouvrages de poésie et de photos, une belle exposition à Beaubourg (avec Victor Erice) et des courts métrages expérimentaux (ou pas), Kiarostami était revenu à Cannes et au long métrage en 2010 pour un film toscan starring Juliette Binoche (Copie conforme) qui nous avait laissés dubitatifs. Like Someone in Love (avec Ryo Kase, Denden, Rin Takanashi) raconte une histoire triangulaire entre un vieux professeur, une jeune femme qui se prostitue pour financer ses études et un jeune homme jaloux. On verra si ce grand cinéaste a retrouvé l’inspiration au pays d’Ozu, si l’arc asiatique tendu entre l’Iran et le Japon plantera sa flèche dans le mille de nos cœurs cinéphiles. S. K. Sélection officielle, en compétition

Le Grand Soir de Benoît Delépine et Gustave de Kervern Qui d’autre que le binôme allumé Delépine/Kervern pouvait réunir à l’écran Albert Dupontel, Benoît Poelvoorde, Brigitte Fontaine et Gérard Depardieu ? Le Grand Soir, à l’instar de Mammuth, suit les tribulations de paumés (deux frangins, l’un punk, l’autre licencié) incapables de se mouler dans le modèle social environnant. Le tout dans le décor beckettien d’une zone suburbaine sinistre. G. Sb. Sélection officielle, Un certain regard

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Melvil Poupaud

Laurence Anyways Paperboy de Lee Daniels de Xavier Dolan

A 23 ans, Xavier Dolan revient à Cannes pour la troisième fois après J’ai tué ma mère (découvert à la Quinzaine en 2009) et Les Amours imaginaires (Un certain regard en 2010). C’est à nouveau à Un certain regard (et non pas en compète comme beaucoup le pronostiquaient) que sera présenté Laurence Anyways. On y suit sur dix ans, de 1989 à 1999, le trajet d’un homme qui change de genre et se défait peu à peu de tout ce qui constituait sa vie d’avant (boulot, couple…). C’est Melvil Poupaud, dont la mère Chantal avait réalisé elle-même un documentaire sur un sujet proche – Crossdresser –, qui enfilera les bas et hauts talons de Laurence. J.-M. L.

A perdre la raison de Joachim Lafosse

Après le plébiscité Precious, Lee Daniels revient sur la Croisette présenter Paperboy, adaptation du roman éponyme de Pete Dexter paru en 1995. L’histoire raconte l’enquête menée par deux journalistes (Zac Efron et Matthew McConaughey) sur le cas d’un condamné à mort (John Cusack) accusé du meurtre d’un shérif. Le tout au cœur de la Floride moite de la fin des années 60 et emmené par une Nicole Kidman qui s’annonce sulfureuse et trash. G. Sb.

De l’argument d’A perdre la raison, il ne faudrait rien dévoiler du tout tant la beauté du film tient à ce que son sujet, son propos, sa ligne dramatique reste indécidable presque les deux tiers du récit – pour opérer dans un sprint final un stupéfiant dégagement et tout emporter. Disons simplement qu’il s’agit là du cinquième film de Joachim Lafosse (après Nue propriété – avec Isabelle Huppert et Jérémie Renier – et Elève libre, entre autres), que Niels Arestrup y retrouve Tahar Rahim, qu’Emilie Dequenne y est bouleversante et que le film sera assurément l’un des buzz de la Croisette. J.-M. L. Sélection officielle, Un certain regard

Sélection officielle, en compétition

Sélection officielle, Un certain regard

Holy Motors de Leos Carax

Edith Scob, fantôme des Yeux sans visage

Bon sang, difficile de faire plus excitant ! Le retour à Cannes et au long métrage de Leos Carax, ancien enfant prodige des années 80 (Boy Meets Girl, Mauvais sang…), artiste maudit (Les Amants du Pont-Neuf, plus célèbre gouffre financier du cinéma français), cinéaste convalescent depuis vingt ans dont les rares signes de vie (Pola X, Merdre…) n’ont pas suffi à le ramener au premier plan. Holy Motors raconte les vies multiples d’un certain M. Oscar... A propos d’oscars, quel casting ! Denis Lavant, son double de toujours, Edith Scob (!), Kylie Minogue (!!), Eva Mendes (!!!). Et ce titre qui claque comme un inédit carbonisé d’Iggy Pop, un hommage à la sainteté soul de la Motown, une prière au MC5 ou une symphonie pour bielles et turbos ! Chef-d’œuvre ou déception, on n’en peut plus d’attendre ce nouveau film inespéré de celui qui fut le premier cinéaste à faire la couverture des Inrocks. Welcome back Leos Carax ! S. K. Sélection officielle, en compétition

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Brad Pitt

Killing Them Softly d’Andrew Dominik En 2007, son traitement original des codes du western dans L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford avait enchanté une partie de la critique et donné un coup de jeune au genre. Pour son troisième long métrage, le Néo-Zélandais

Adieu Berthe – L’enterrement de mémé de Bruno Podalydès Coécrit et interprété une fois de plus par son frère Denis (les deux lascars font aussi partie de l’aventure de Vous n’avez encore rien vu d’Alain Resnais, en compétition), le nouveau film de Bruno Podalydès sera présenté à la Quinzaine des réalisateurs. L’histoire d’un pharmacien fan de magie pris entre deux femmes. Nouvelle venue dans la bande des Podalydès (Michel Vuillermoz ou Isabelle Candelier), la classieuse Valérie Lemercier. J.-B. M. Quinzaine des réalisateurs

s’aventure dans l’univers noir et sauvage de la pègre en transposant le roman Cogan’s Trade de George V. Higgins. C’est Brad Pitt qui s’occupera de faire la lumière dans ce monde chaotique. G. Sb. Sélection officielle, en compétition

Reality de Matteo Garrone Matteo Garrone avait obtenu le Grand Prix 2008 avec le remarquable Gomorra, chronique âpre et carnée qui présentait des points de comparaison avec Un prophète de Jacques Audiard, Grand Prix 2009. Voici ces deux “palmes d’argent” réunies par la compétition 2012. Après la mafia napolitaine, Garrone s’est intéressé à la téléréalité, sujet plus très neuf mais peut-être toujours pertinent. On est curieux de voir si le réalisateur a gardé la même intensité sans fard que dans Gomorra, la même puissance de direction d’acteurs avec un casting de noms inconnus de ce côté des Alpes (Aniello Arena, Loredana Simioli). S. K. Sélection officielle, en compétition

Au-delà des collines de Cristian Mungiu Palme d’or 2007 avec 4 mois, 3 semaines, 2 jours, le cinéaste roumain, membre de cette nouvelle génération apparue à la suite de Cristi Puiu, a mis quelques années avant de se remettre de ce triomphe inattendu. Il est de retour en compétition avec le récit d’un exorcisme dans la campagne roumaine, où une jeune femme semble possédée par le démon. J.-B. M. Sélection officielle, en compétition 16.05.2012 les inrockuptibles 57

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Cosmopolis de David Cronenberg

Paul Giamatti et Robert Pattinson

The We and I de Michel Gondry Trois ans après L’Epine dans le cœur (Séance spéciale), Michel Gondry présente son nouveau film en ouverture de la Quinzaine des réalisateurs. La chronique des amours et petites contrariétés d’une bande de jeunes du Bronx (joués par des acteurs inconnus) embarqués dans un bus scolaire pour un dernier trajet avant l’été. R. B. Quinzaine des réalisateurs

Non seulement David Cronenberg tourne de bons films mais il fait aussi des enfants qui, à leur tour, réalisent des films (et dans une vertigineuse association mentale, on pense aux cassettes qui sortent du ventre de James Woods dans Videodrome). C’est ainsi que papa et fiston se livreront un duel à distance, le premier bousculant la compétition avec un film conceptuel adapté d’un roman de Don DeLillo sur la finance comme virus contaminant les êtres et le monde, le second allumant Un certain regard avec un thriller sci-fi d’horreur dont le titre, Antiviral, semble vouloir tuer le père. David dirigera le vampire le plus sexy et célèbre du monde (Robert Pattinson) et une star française qui fut l’égérie et compagne du revenant Carax (Juliette Binoche), tandis que Brandon Cronenberg a casté Sarah Gadon (aussi dans le Cosmopolis du pater) et Malcolm McDowell, éternel revenant d’Orange mécanique. Ce double shot Cronenberg sera l’occasion d’une prolifération de croisements très excitants. S. K. Cosmopolis Sélection officielle, en compétition Antiviral Sélection officielle, Un certain regard

Après la bataille de Yousry Nasrallah

Sur la route

Première présence en compétition pour l’Egyptien Yousry Nasrallah, ancien assistant puis scénariste de Youssef Chahine, auteur d’une dizaine de films (Vols d’été, 1987 ; le merveilleux Mercedes, 1993 ; La Porte du soleil, 2004…). Après la bataille pourrait bien faire l’événement, ne serait-ce que par son sujet : la révolution de la place Tahrir y est suivie du point de vue d’un jeune “cavalier” au service de Moubarak, chargé d’écraser les révolutionnaires jusqu’au jour où il s’éprend de l’une d’entre eux. On attend beaucoup de ce film qui devrait embraser dans un même feu l’actualité politique hyperchaude et le lyrisme romanesque.

de Walter Salles Le défi de Walter Salles (Central do Brasil, Carnets de voyage…) est de taille. Même Francis Ford Coppola a renoncé. Car adapter Sur la route de Kerouac, même cinquante-cinq ans après sa parution, c’est courir le risque de travestir, ou pis encore, d’étouffer la liberté et la complexité du roman. Les pérégrinations rebelles de Sal Paradise (Sam Riley), de Dean Moriarty (Garrett Hedlund) et de la belle Marylou (Kristen Stewart) passeront-elles le cap de l’écran ? Wait and see. G. Sb. Sélection officielle, en compétition

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Cannes 2012

Charles Tesson, ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma (à gauche) et Edouard Waintrop, ancien journaliste à Libération

les outsiders

Ils font leur baptême du feu : Charles Tesson à la tête de la Semaine de la critique et Edouard Waintrop à celle de la Quinzaine des réalisateurs. recueilli par Serge Kaganski et Jean-Marc Lalanne

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’était important de garder l’identité de la Quinzaine et de la Semaine ? Edouard Waintrop – J’avais 16 ans au moment des Etats généraux du cinéma qui ont donné naissance à la Quinzaine (en 1968 – ndlr) et je m’inscris dans cette lignée historique. Ma fidélité à l’esprit de la Quinzaine est plus visible dans les à-côtés de la manifestation que dans le contenu de la sélection. Par exemple, avec la Société des réalisateurs de films (SRF), on a décidé de faire un effort particulier dans l’accueil des cinéastes. Des réalisateurs français (Catherine Corsini, Pierre Schöller, Eric Guirado…) vont accueillir ceux de la Quinzaine, participer à leur conférence postséance, aux débats… Cette relation amicale entre cinéastes est un trait de l’esprit de la Quinzaine. Autre marque : l’attention aux films politiquement engagés. Bien sûr, on a sélectionné des films très bons dont le sujet n’est pas politique, mais quand Merzak Allouache passe de la comédie populaire (Chouchou) à un film virulent sur l’après-guerre civile en Algérie, ça nous intéresse. On a aussi choisi des films audacieux et fragiles, autre forme de fidélité à l’esprit de la Quinzaine. Charles Tesson – L’esprit de la Semaine découle d’une règle : sélectionner des premiers et des deuxièmes films. La Semaine a été la première section parallèle dotée d’un comité de sélection. L’esprit de la Semaine consiste d’abord à découvrir des films et à parier sur de nouveaux cinéastes. Ensuite, choisir des films qui disent l’interaction entre un cinéaste débutant et son pays : Skolimowski et la Pologne, Tanner et le nouveau cinéma suisse… Autre aspect : prendre dans une cinématographie répertoriée (Israël, Roumanie…) non pas le film de plus mais celui qui fait bouger les lignes. La Semaine comportant un petit nombre de

films, les choix sont peut-être plus aigus. Enfin, il y a l’accueil des cinéastes et des équipes, chaque film étant singularisé au sein de la programmation. A leur naissance, Quinzaine et Semaine se distinguaient de la Sélection officielle dont les films étaient choisis comme des ambassadeurs par les autorités des pays. Cette singularité est-elle plus difficile à trouver aujourd’hui, quand Un certain regard montre beaucoup de premiers films ou de cinéastes en devenir ? Charles Tesson – Il me semble qu’à l’origine, la Semaine a suivi l’émergence des nouvelles vagues du monde entier – Bertolucci, Skolimowski, le Japon, le Brésil, etc., qui n’étaient pas choisis pour la compétition officielle. Ensuite, Cannes a évolué avec Un certain regard, la Caméra d’or… Le cinéma aussi a changé. Des films non “repérés” nous parviennent encore mais de moins en moins. Certains sont pistés depuis le scénario. On repère des cinéastes dès leur premier court. Tout se sait très vite. Edouard Waintrop – L’année dernière, Thierry Frémaux a décrété que la Quinzaine n’avait plus de raison d’être. Son point de vue peut se défendre, sauf que même si la Sélection officielle a beaucoup évolué, ça reste une énorme machine et nous une machine très légère. Nous sommes plus réactifs et plus souples, eux ont des critères multiples à prendre en compte. Il faut toujours du off à côté du in : voilà pourquoi la Quinzaine existe. Mais il faut le prouver chaque année !

“il faut toujours du off à côté du in : voilà pourquoi la Quinzaine existe” Edouard Waintrop

Vos nominations sont intervenues dans des contextes différents : après un millésime réussi pour la Semaine, après une crise et la mise à l’écart brutale du précédent délégué général, Frédéric Boyer, pour la Quinzaine. Edouard Waintrop – Je suis arrivé dans ce contexte de crise, avec des équipes minées. J’ai écouté les uns et les autres puis j’ai tenté de travailler différemment, en collaboration avec les équipes, sans prétendre être le seul qui sait. Comme dirait Hollande, j’aime les gens ! Ensuite, j’ai analysé les deux dernières programmations de la Quinzaine : les films n’étaient pas mauvais mais trop sur le même registre. Sur un festival, les gens ont besoin de variété. Encore faut-il trouver les films qui permettent ces variations ! Charles Tesson – La réussite de la Semaine 2011 a créé une dynamique dans toute l’équipe et apporté plus de considération dans la profession. A la Quinzaine, on trouvait une adéquation entre la qualité du travail et l’image, et puis en deux ans l’image s’est détériorée. A la Semaine, l’image était déficitaire alors que cette sélection a souvent montré la future Caméra d’or, a promu le cinéma proche-oriental, a découvert Iñárritu, Reygadas… Ce déficit d’image a été en partie comblé en 2011, mais, du coup, il y a une nouvelle pression. Je suis maintenant d’une impatience, d’une fébrilité et d’une curiosité totales devant la découverte de la frontière entre critique et programmation ! Edouard Waintrop – Moi, je suis très serein, le plus dur est fait : boucler la programmation et assumer chacun des choix. Je sais que certains seront discutés, mais c’est la liberté critique, je n’ai aucun souci avec ça. Je me sens autant légitime à défendre ma programmation que l’est le critique pour éventuellement l’attaquer.

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occupy Cannes

Hugues Anhes

Les Inrocks et les Audi talents awards montent le son au Festival.

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i vous aimez le bon son et les open-bars, si vous êtes fatigués à l’avance par les soirées sur la plage à écouter entrelacés le dernier Bob Sinclar et un vieux Kool And The Gang, ne flippez plus, nous pensons à vous. Pour la seconde année consécutive Les Inrocks, en association avec les Audi talents awards, réchauffent la nuit cannoise en proposant une programmation musicale quotidienne concoctée par JD Beauvallet. Soirée d’ouverture, le 17 mai, avec l’opulente diva Beth Ditto et ses potes de Gossip, dont le Perfect World, hybride parfait de soul chaudasse et de rock martelant, est notre hymne perso du Festival. Pour ouvrir la marche, se succéderont, après la révélation des Audi talents awards 2012, en courts métrages et musique de films, les Nantais de C2C, lauréat Audi talents awards, et le merveilleux Cascadeur, des bijoux pop plein sa besace. Le 18, on se remémorera que le monde de demain, quoi qu’il advienne, nous appartient, la puissance est dans nos mains, alors écoute ce refrain… de Tomorrow’s World, le nouveau projet de Jean-Benoît Dunckel, moitié de Air, associé cette fois à Lou Hayter du New Young Pony Club. A l’affiche aussi,

Yan Wagner, dont les liens de parenté avec le compositeur de Parsifal ne sont pas avérés mais dont l’élégante electro affirme en tout cas une solide ascendance Jacno/New Order. Le 19, c’est Willy Moon qui vous fera violenter la pelouse par son rock post-fifties. Place ensuite au pur envoûtement de Lescop, l’excellent songwriter français fan de Daho et de Joy Division. On se voit déjà, une bière à la main, pogoter gentiment sur le mortel La Forêt tandis que le soleil se couche dans des reflets orangés sur la Croisette. Le 20, les Citizens! débarquent de Londres avec leur rock glamour en diable, couvés par leur producteur Alex Kapranos, chanteur des Franz Ferdinand. Leur roommate de concert sera Saint Michel, formation pop made in Versailles dont le premier ep a déjà beaucoup buzzé. Le 21, les 2 Many’s DJ chauffent les platines et défoncent l’ambiance dans un de ces sets de folie dont ils ont le secret pour célébrer la soirée Sosh. Le 22, la villa se fait latina avec El Hijo de la Cumbia. Le jeune musicien argentin teinte d’electro sa cumbia, genre musical caliente d’origine colombienne. Le 23, les Californiens de The Bots et leur blues énervé dans la lignée des Black Keys entrent en piste. Le même soir,

les Parisiens de Stuck In The Sound nous remueront les entrailles avec leurs ballades étranglées entre furie et douceur. Le 24, soyons juvéniles et concrets ! Les Français synthépop de Juveniles et la power-pop joviale des Concrete Knives se succéderont sur scène avant de se mélanger pour un set à quatre mains. Le 25, c’est hip-hop avec Ghostpoet, petit protégé de Mike Skinner (The Streets), rappeur storyteller qui nous parle de Londres. Hip-hop carrément, avec les Bordelais Odezenne et leur rap franc aux rimes mitraillettes. Le 26, ceux qui auront survécu nous aideront à démonter la rampe electro et à passer la serpillière. Mais pas avant d’avoir dansé comme des malades avec Club Cheval, qui promet une belle relève aux Daft Punk et à Justice. Ajoutons à l’usage de notre fanbase que toute l’équipe du journal sera là, qu’il sera possible de nous parler ou nous toucher, que Serge Kaganski servira des mojitos et que Pierre Siankowski vous raccompagnera chez vous en mob après les soirées. Bon Cannes alors ! Et on se voit à la Villa, non ? Les Inrocks La Villa Inrocks & Audi talents awards, du 17 au 26 mai, de 18 h à 23 h, entrée sur invitation. Gagnez des places sur lesinrocks.com 16.05.2012 les inrockuptibles 61

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Pierre Le Bruchec pour Les Inrockuptibles

spécial Clermont-Ferran d

Garciaphone farfouille chez Spliff

a lave affair

Les Inrocks poursuivent leur tour de France des régions et des métropoles. Cette semaine, Clermont-Ferrand. Loin des grands axes de circulation nationaux, elle affiche pourtant une belle vitalité.

II rencontre Adjoint au maire, Simon Pourret décrit les ambitions de la cité

IVV spectacle vivant Nomade, la Comédie de Clermont mêle audace et éclectisme

VI cinémas Si le Festival de Cannes bat son plein, il ne faut pourtant pas oublier l’autre grand rendez-vous du cinéma

VIII musiques Panorama d’une scène rock, folk et electro particulièrement dense

XIII art contemporain David Lynch est à l’honneur au Frac. Histoire d’un lieu au succès croissant

XIVV répertoire les bonnes adresses coordination Alain Dreyfus 16.05.2012 les inrockuptibles I

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spécial errand Clermont-F l’édito

au-dessus du volcan Si Clermont-Ferrand ne séduit pas d’emblée, il suffit d’y passer quelques jours pour devenir accro à la poésie de ses façades noircies. De fait, les autochtones tentés de prendre la clé des champs ne courent pas les rues. D’une part parce qu’une clé est inutile pour atteindre ces champs, ces montagnes et ces lacs, accessibles du centre en un clin d’œil. Ensuite, parce que cette cité bâtie sur un volcan où l’on peut boire jusqu’à plus soif l’eau des fontaines publiques est irriguée d’une formidable énergie tellurique. A l’écart des flux TGV mais pas de ceux du tourisme vert, Clermont, sans doute nourrie par une paradoxale immigration anglo-saxonne attirée par l’industrie du pneu, est devenue capitale du rock, dont la Coopé et le festival Europavox sont les symboles. Mais pas seulement, car cette ville jeune ne souffre pas du syndrome mortifère des villes de province : ici, pas un soir sans concert. Sur le podium culturel, la capitale de l’Auvergne s’octroie avec le court métrage la deuxième marche des festivals de ciné les plus fréquentés après Cannes. Avec en plus l’étiquette de l’avant-garde : la plupart des grands réalisateurs ont fait leurs armes dans ce format. Ouvrière et champêtre, enclavée mais ouverte, Clermont voudrait se défaire de son “avantageretard”. Mais dans les chaos de la mondialisation, on se demande si le retard n’est pas un avantage.

Les Inrockuptibles

le pari de Clermont Les atouts de la capitale de l’Auvergne sont trop souvent négligés. Inventaire de ses ressources avec Simon Pourret, adjoint au maire.

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lermont-Ferrand, ville sans qualité ? Mais quelle métropole peut se vanter d’avoir autant d’artères affichant sur ses plaques un tel aréopage de vertus ? La cité déroule les rues de l’Amitié, de la Bonté, de la Bienfaisance, du Courage, de la Charité, de la Confiance, du Devoir, de la Foi, de la Jeunesse, de la Volonté et de la Vaillance. N’en jetez plus. Ces patronymes qui quadrillent en légion le quartier ouvrier de la Plaine et celui, plus “sensible”, des Vergnes sont les vestiges du paternalisme gonflé des Vulcains de l’industrie pneumatique régnant sur la ville pendant presque deux siècles. La municipalité, socialiste depuis la Libération, n’a pas encore jugé utile pour faire contrepoids de créer une rue du Chagrin et une autre de la Pitié, en hommage au film de Marcel Ophüls tourné à Clermont-Ferrand en 1969, qui eut le mérite de porter la première estocade à la mythologie alors en cours d’une France héroïque, unanimement dressée contre l’occupant nazi. Mais qui connaît Clermont-Ferrand ? Grâce à Giscard, homme au bras long de 1974 à 1981 et aussi maire de la limitrophe Chamalières qui préféra un méga aéroport à une jonction TGV, la ville est la grande oubliée du réseau reliant Lille, Paris, Lyon et Marseille.

Cette carence ne prendra fin – au mieux – qu’à l’horizon 2019. En attendant, la capitale de l’Auvergne, à trois heures et demie de Paris et à plus de deux de Lyon sa voisine, est propice à tous les contournements. Il suffit de demander autour de soi, voire à soi-même, pour sonder à son sujet les abysses d’une ignorance œcuménique. Au point que certains, abusés par un écrivain local, rêvent d’y faire escale pour contempler, à l’ombre des tours de la basilique de Notre-Dame-du-Port, le retour des chalutiers alourdis par leur fraîche cargaison de Saint-Nectaire. C’est dire. Pour aggraver son cas, Clermont ne fait rien pour attirer le chaland. Le voyageur est d’abord cueilli à froid par des faubourgs sans attraits, puis, dans les ruelles de la vieille ville, surpris par la teinte noirâtre des murs. Au point de se dire que la capitale de l’Auvergne mériterait un bon coup de karcher. Le summum étant atteint, tout en haut, par une cathédrale majestueuse mais couleur de suie. Ce, avant qu’on ne lui fasse savoir que cette grisaille ne doit rien aux fumées des usines mais tout à la pierre de basalte des volcans. Clermont est enclavée, certes, mais dans un cadre unique, qui met la balade dans une nature sublime, entre lacs et cratères apaisés, à quelques minutes du centre. Cette position

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“je crois que l’avenir de la France se joue dans les quartiers” Pascal Chareyron/La Montagne/Maxppp

Simon Pourret

en retrait des grands flux de circulation, “c’est l’avantage-retard”, dit Simon Pourret, 42 ans, féru de dialectique, adjoint au maire (PS) de Clermont chargé de la jeunesse et de la politique de la ville. Simon Pourret n’est pas pour rien dans le rayonnement culturel qui met un sérieux bémol aux restrictions qui précèdent. L’édile, dont on murmure qu’il est bien placé pour prendre la succession de Serge Godard, qui ne sollicitera pas un nouveau mandat, lui-même successeur depuis 1997 de Roger Quilliot mort en 1998, et ministre de l’Urbanisme et du Logement de 1981 à 1983 sous un Mitterrand en état de grâce. Si le jeune élu peut afficher des ambitions, c’est en grande partie parce qu’il dirige le Transfo, une structure qui fédère toutes les activités culturelles de la ville, tant pour la musique que pour le théâtre, la danse et le cinéma, sans oublier les arts plastiques et la littérature, tout en proposant, en lien avec l’université qui compte plus de 35 000 étudiants, des formations dans tous ces domaines. Simon Pourret ne se cantonne pas à ces activités et s’attaque aussi concrètement au chômage. “Si, dit-il, dans la région Auvergne, le nombre des demandeurs d’emploi tutoie la barre des 10 % de la population active, celui des 18-25 ans – et Clermont est une ville jeune – atteint le double. Dans les cités des quartiers nord et sud, il touche 40 % des habitants.”

Comment y remédier ? Il n’y a pas de solution miracle, ça se saurait, mais ça n’empêche pas Simon Pourret de labourer son territoire en “créant des espaces de rencontre, et, en France, il n’y en a pas tant que ça”. Qu’est-ce qu’un “espace de rencontre” ? “Tout au long de l’année, dit-il, j’organise des réunions, une trentaine par an en moyenne, entre chefs d’entreprises et jeunes des cités, sur leur terrain. Ça ne débouche pas automatiquement sur des embauches, mais au moins les uns et les autres s’écoutent, se parlent. Il y a souvent chez les jeunes des projets très élaborés. Je crois que l’avenir de la France se joue dans les quartiers, et il est indispensable d’y créer des envies et de la fluidité.”

Si Michelin a été le grand pourvoyeur d’emplois et a fait beaucoup pour l’image de la ville (la silhouette enrobée de Bibendum est présente à chaque coin de rue), c’est beaucoup moins le cas aujourd’hui. Les délocalisations ont frappé et les effectifs, plus de 30 000 salariés en 1970, ont été divisés par deux. Il n’y a presque plus de production sur place, mais l’ensemble des services administratifs du manufacturier sont toujours là. “Michelin, précise Simon Pourret, va investir 100 millions d’euros pour la création de son centre de recherche à Ladoux, à échéance 2017. Par ailleurs, le numéro un du pneu est la seule entreprise du CAC 40 qui ait son siège social en dehors de Paris.” Il est peu probable que les autres entreprises Une fluidité nécessaire pour apaiser du CAC déménagent leurs sièges les tensions. Le 31 décembre 2011, à Clermont, d’autant que la ville, de une interpellation plus que musclée tradition ouvrière, a voté à plus de 63 % avait entraîné la mort neuf jours plus en faveur de François Hollande tard, des suites d’un malaise cardiaque, au deuxième tour. de Wissam El-Yamni, 30 ans. Ces faits “Cadre idyllique, ville jeune (la moyenne avaient entraîné une flambée de violence d’âge est de 32 ans), Clermont est une ville à la Gauthière, le quartier de la victime. où il fait bon vivre. Vous ne trouverez Autopsie, contre-autopsie, enquête de quasiment personne ici qui ait envie la police des polices, l’affaire n’est pas d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs, close, “mais, souligne Simon Pourret, dit Simon Pourret. Le seul problème, une marche pacifique a été un moment c’est que les atouts de Clermont ne sont important de dignité républicaine. S’il y a pas suffisamment verbalisés. Ça sera le pari des problèmes de délinquance dans les des années à venir.” Un pari qui n’a rien cités, il n’existe pas ici, comme c’est souvent d’irréaliste pour la ville qui a vu naître le cas ailleurs, de zones dites de non-droit”. Blaise Pascal en 1623. Alain Dreyfus 16.05.2012 les inrockuptibles III

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Christophe Raynaud de Lage

My Secret Garden de Falk Richter, mise en scène Stanislas Nordey (assis), avec lui-même, Laurent Sauvage et Anne Tismer

la Comédie ambulante La scène nationale de Clermont a fait du nomadisme sa marque de fabrique. Sans domicile fixe, elle propose des spectacles dans toute la ville et la région et privilégie la création internationale.

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our assister à My Secret Garden de Falk Richter, mise en scène et interprétée par Stanislas Nordey, le non-initié doit contourner la Maison de la culture, bâtiment de béton dont l’esthétique austère se calque – étrange idée – sur celle de la Mutualité sociale agricole attenante. Ce fourre-tout géant et mastoc est consacré à l’opéra, aux concerts classiques, à la danse, au rock et au Festival du court métrage, entre autres. Deux salles (Jean-Cocteau, 1 408 places et Boris-Vian, 274 places) permettent la tenue tout au long de l’année de spectacles dit vivants. Ce qui oblige les programmateurs à des numéros d’équilibristes pour éviter les télescopages. Car pour l’instant, la Comédie de Clermont-Ferrand, scène nationale, ne dispose pas de salle à elle. On le sait : pour les optimistes, la contrainte est stimulante. Jean-Marc Grangier qui préside aux destinées de la Comédie depuis plus de dix ans, est de leur nombre. A l’avenir, si tout va bien, la structure qu’il dirige devrait bénéficier d’un lieu dédié. L’ancienne gare routière,

derrière la Maison de la culture, est un magma d’où devrait surgir sous peu un théâtre flambant neuf. Sous peu mais sous réserve, car avant que les travaux ne débutent, les archéologues vont y faire leurs trous. Et par Toutatis, s’ils exhument des vestiges propres à rebooster la légende de Vercingétorix ou de ses vainqueurs, les fidèles de la Comédie (42 000 spectateurs en 2011 dont près de 5 000 abonnés) devront encore attendre quelques années pour être arrimés à un point fixe. “Le nomadisme a du bon et j’aime l’idée d’un théâtre échangeur, rythmé de départs et d’arrivées”, dit Jean-Marc Grangier, qui apprécie que le nouveau lieu prenne place sur un site où se bousculaient les autocars. Faute de lieu, le nomadisme est devenu une seconde nature pour un théâtre au budget (en baisse de 6 %, les temps sont durs) de 2,3 millions d’euros dont 500 000 euros de recettes. Actuellement, la Comédie fait tourner dans de petites communes de la région un spectacle de marionnettes de Johanny Bert écrit par un drôle

de guignol du nom de Heiner Müller. On aime bien les cousins germains à Clermont, qui a reçu l’an passé le Hamlet revu et corrigé par Thomas Ostermeier et sa troupe de la Schaubühne. On n’a rien contre les Polonais non plus, puisque Krzysztof Warlikowski a débuté ici la tournée française de La Fin. On n’est pas non plus ritalophobe puisque Pippo Delbono est attendu sous peu. Mais quand la Comédie de Clermont reçoit dans ses (presque) murs, c’est pour lutter contre les enfermements. Témoin, la pièce de Falk Richter citée plus haut : sur une scène à la fois austère et clinquante (un mur de caisses en aluminium obstrue le fond du plateau), l’auteur raconte avec une violence et une verve inouïes son enfance dans une Allemagne reconstruite en univers pavillonnaire. La démultiplication en trois personnages et en une multitude de récits emballe le rythme pris alors de sublimes et souvent hilarants à-coups de folie. Si l’Allemagne qui ne cesse de se cogner à son passé hitlérien passe sous le hachoir de l’auteur, Falk Richter pointe avec la même acuité l’invasion du libéralisme économique qui éteint toutes formes de pensée, toutes classes sociales confondues. Une définition de la démocratie inattendue et on ne peut plus bienvenue pour des spectateurs clermontois saturés, comme d’autres, par les outrances d’une campagne pestilentielle. A. D. lacomediedeclermont.com

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le bref en grande forme Le Festival international du court métrage a permis l’émergence de grands cinéastes. Mais il a su garder son ancrage local en intégrant la forme courte à la vie culturelle clermontoise.

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n rendez-vous à La Jetée. Qui a vu le court métrage éponyme de Chris Marker pourrait s’imaginer une officine grisonnante, digne du cabinet où se trame l’impensable expérience du film. On est vite détrompé en visitant le gîte du Festival de Clermont-Ferrand, coloré, pétillant, suffisamment vaste pour contenir des quintaux d’archives (rien de moins que toutes les œuvres envoyées au comité de sélection, primées ou non, depuis la création de l’événement). Depuis douze ans, l’équipe occupe à l’année ces lieux, dédiés non seulement aux préparatifs du festival mais à la promotion du film court en France et dans le monde – un sacerdoce de longue haleine, qui fait vivre ici les quinze membres de l’association Sauve qui peut le court

métrage. Ceux-ci ont fait de La Jetée un sanctuaire multiple : on y vient pour consulter films et livres, se plonger dans les rétrospectives, initier les têtes blondes à la grammaire des images en mouvement. Et, bien sûr, on y organise la manifestation en ellemême, qui repeuple littéralement Clermont chaque début d’année : plus de 150 000 billets y sont vendus en moyenne. Il est devenu le festival de cinéma français le plus fréquenté après Cannes. Comment un groupe de copains, rencontrés dans les cercles cinéphiles de l’université clermontoise, en arrivet-il à une telle popularité mondiale ? Lorsque Antoine Lopez crée les Semaines du court métrage en 1979, l’entreprise semble destinée aux rats de ciné-clubs auvergnats, suffisamment toqués

pour s’enchaîner à longueur de temps des bandes 35 mm aussi courtes qu’obscures. Mais au bout de deux ans, Sauve qui peut le court métrage s’assemble autour de la conviction qu’une demande réelle existe pour ces petits riens, ces bibelots baroques et souvent bariolés tournés par d’illustres inconnus – parmi lesquels des noms aussi variés que Gérard Krawczyk ou Leos Carax. Une compétition est intégrée aux festivités, et les Semaines du court métrage deviennent alors un festival à part entière. Il comprend une sélection nationale et internationale, ainsi qu’un Labo – segment thématique brassant

des inclassables, unis par des obsessions voisines. Enrichie au fil des ans de nouveaux collaborateurs qui échangent constamment leurs casquettes – sélection, promotion, communication –, l’association prend de l’ampleur et finit par ressembler à une sorte d’ONG internationale, farouchement dévouée à la défense du court métrage. A sa prolifération, aussi : en 1986 est créé le Marché du film court, plate-forme d’échanges où les scripts tentent leur chance auprès des producteurs spécialisés dans le genre, de plus en plus nombreux. L’économie du court connaît peu d’équivalents à ce jour.

l’ouverture et le polymorphisme servent de points de ralliement

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Strangulation Blues de Leos Carax (1980)

Coloscopia de Benoît Forgeard (2010)

Quand on interroge le comité de sélection sur sa ligne directrice, il semble qu’après trente-trois ans d’activité la question soit encore débattue. Si certains s’attachent à la mise en scène avant tout, tandis que d’autres sont friands de dramaturgie, l’ouverture et le polymorphisme servent de points de ralliement. “La ligne est liée à l’essencemême du court métrage, qui est la diversité incarnée, soutient Antoine Lopez. On ne peut pas appliquer, comme un autre festival, des critères trop fixes, parce que le médium est trop volatile, insaisissable par nature. On fait donc des choix très divergents, et c’est justement la confrontation de points de vue très divers qui fait la saveur clermontoise.” Un bref regard sur la liste des cinéastes révélés au pied des volcans corrobore le propos : Clermont a balayé un large spectre de

sensibilités et de formes, défrichant aussi bien le cinéma popu de Klapisch ou Jeunet, les douces dingueries de Guy Maddin ou Benoît Forgeard, ou le réalisme engagé d’un Mahamat Saleh Haroun. Aucun doute, d’ailleurs, que le long métrage a été marqué par Clermont, au moins en France. Antoine Lopez ne dissimule pas cette fierté. “Il suffit de voir ce que sont devenus les auteurs sélectionnés pour voir qu’on a joué un petit rôle. Le cinéma français ne serait pas tout à fait ce qu’il est aujourd’hui sans Clermont, j’en suis à peu près persuadé.” Mais le travail de fourmi des organisateurs n’a pas seulement façonné le cinéma contemporain, il a également imprégné la vie culturelle locale. La grand-messe du court métrage est devenue au fil des ans une attraction populaire,

prisée bien au-delà des sphères de professionnels de la profession. Durant le festival, les cinéastes et critiques venus du bout du monde côtoient des restaurateurs du fin fond de la Lozère, qui ferment boutique chaque année pour ne pas rater les dernières curiosités filmiques en date. Tout est étudié pour que cohabitent ces deux faunes : ateliers pratiques, tables rondes, mais aussi rencontres fortuites dans les cantines peuplées de cinéastes férus d’aligot. Résultat, loin de susciter un engouement éphémère chez la population, le format court est devenu une véritable spécialité régionale. Soutenue et même sollicitée par les collectivités, l’équipe diffuse les films à travers les réseaux scolaires, et organise des projections dans les campagnes environnantes.

Fatalement, la population locale s’est appropriée cette culture constitutive de l’identité du terroir. “Lorsque le court fait l’actualité sur le plan national, comme avec Le Jour le plus court (opération de diffusion massive créée en 2011 – ndlr), les vieilles dames du coin nous disent : qu’est-ce que ça veut dire, les Parisiens essaient de nous piquer le court métrage ? Ils sont en tout cas demandeurs de ces films, même en dehors du festival”, assure Georges Bollon, qui supervise les enseignements cinéma dans les lycées d’Auvergne. Tout l’indique : il s’est créé dans les parages comme un microclimat cinéphile, une drôle d’addiction galopante aux œuvres brèves. Pour ce genre a priori impopulaire et quasi invisible, c’était loin d’être gagné. Yal Sadat 16.05.2012 les inrockuptibles VII

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spécial errand Clermont-F

le rock y coule de source

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ongtemps, c’est à Jean-Louis Murat qu’est revenu le mérite d’incarner la scène musicale d’Auvergne. Celui que l’on s’est plu à rebaptiser le crooner du 6-3 avait, plus que quiconque, braqué les projecteurs sur la région. Mais ça, comme il est coutume de le dire dans une publicité pour bigleux, c’était avant. Si Murat enchaîne depuis trente ans les chapitres d’une singulière histoire discographique, depuis quelques années, l’Auvergne égaye aussi les colonnes des magazines musicaux du nom de ses nouveaux représentants sonores. La liste impressionne : Cocoon, Cracbooms, Mustang, Zak Laughed, The Elderberries, Kaolin, Quidam, Subway, Mr Nô, Hill Valley et tous les émissaires du collectif Kütu Folk (The Delano Orchestra, Garciaphone et St. Augustine, pour n’en citer que quelques-uns). Un casting de péplum pour Clermont-Ferrand, une ville qui héberge en ses murs 150 000 habitants. Raison souvent évoquée pour expliquer ce dynamisme sonore : l’arrivée en masse, au siècle dernier, d’immigrés anglais et américains venus travailler chez Michelin. Motor City française, Clermont regorge ainsi de jeunes groupes biberonnés au rock de leurs parents anglo-saxons : c’est le cas, par exemple, des Elderberries, dont quatre des cinq membres sont de parents britanniques ou canadiens. “C’est une ville ultra postindustrielle, explique aussi Mr Nô, jeune

Pierre Le Bruchec pour Les Inrockuptibles

Dynamisée par ses structures et ses agitateurs, la ville affiche une belle vitalité sonore. Une richesse musicale héritée de son passé industriel et nourrie par les paysages alentour. Panorama.

Alexandre Rochon, membre de The Delano Orchestra et cofondateur du collectif Kütu Folk, sur les toits de la Pépinière de Mai

champion electro de la cité. Quand le pôle ouvrier s’est cassé la figure, les jeunes se sont emmerdés et se sont mis à faire de la musique, comme en Angleterre. Si vous prenez Cocoon, le père de Mark était déjà musicien.” Cette vitalité, les musiciens de la ville s’accordent à l’attribuer aussi au travail de sa salle de concerts. Pour atteindre ses portes, il faut se rendre à quelques encablures du centre, et rejoindre la bien nommée rue Serge-Gainsbourg. Construite sur les vestiges de l’ancienne coopérative Michelin, la Coopérative de Mai y œuvre, depuis 2000, à la richesse culturelle de Clermont-Ferrand, sous la direction de Didier Veillault, ex-programmateur du Plan à Ris-Orangis. “Ce qui me plaît ici, c’est que tu peux assister à une soirée

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electro à 2 heures du matin avec Mr Nô, et te retrouver perdu au milieu des vaches le lendemain. J’ai senti qu’il y avait beaucoup de possibilités, des tas de choses à construire.” Avec une salle pouvant accueillir 1 500 personnes et un club d’une capacité de 400, celle qu’on surnomme “la Coopé” est devenue un lieu de passage obligé pour les musiciens. Elle a vu défiler Elliott Smith, Alain Bashung, les White Stripes, Patti Smith, Franz Ferdinand, Morrissey, The Wedding Present, Godspeed You! Black Emperor, The Brian Jonestown Massacre, The Rakes… Pour la septième année consécutive, elle accueillera du 25 au 27 mai le festival Europavox. En recevant des artistes de vingt-deux nationalités différentes, dont les Hives, Django Django, Amadou & Mariam ou Ewert

de jeunes groupes biberonnés au rock de leurs parents anglo-saxons venus travailler chez Michelin And The Two Dragons, l’événement positionne Clermont-Ferrand au cœur de la cartographie sonore européenne – 26 000 festivaliers sont attendus. Arrivé dans la ville l’été dernier, l’ancien Parisien Christophe Basterra, ex-rédacteur en chef du magazine Magic, souligne l’originalité du festival : “J’aime beaucoup l’idée et la démarche prospective d’Europavox, parce que ça correspond à ce qu’on cherchait à faire avec Magic : montrer aux gens qu’il se passe des choses 16.05.2012 les inrockuptibles IX

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spécial errand Clermont-F

de Quidam, il propose d’enseigner la création de chansons aux collégiens de la région. Voisins également, les bureaux de l’agence de production audiovisuelle Riot House ou ceux du label indépendant Kütu Folk, dont les albums squattent, depuis six ans, nos étagères et nos oreilles… “Dans le cahier des charges du collectif, explique Alexandre Rochon, membre de The Delano Orchestra, il y avait la volonté de faire un label dont les groupes pourraient rester totalement libres. Dans leur musique, dans l’esthétique des albums.” Kütu Folk, qui a signé un partenariat avec les machines à coudre Singer il y a un an, propose ainsi des albums aux pochettes cousues artisanalement, mais pas de fil blanc – une besogne que se partagent Alexandre et sa maman. “En 2011, on a fait six sorties, donc on a dû en coudre environ dix mille. J’aime ce côté artisanal, mécanique.” Après une année 2011 marquée par une belle carte blanche aux Transmusicales de Rennes, 2012 verra le label publier quatre nouveaux albums. A ceux de St. Augustine et Garciaphone prévus en mai et en août (voir p. XII) succéderont deux nouveaux disques de The Delano Orchestra, Eitsoyam et l’instrumental The Escape. La formation dévoilera ce diptyque le temps d’une création inédite au Théâtre de la Ville Zak Laughed à Paris, le 20 décembre. En 2011, l’association le Damier est venue consolider encore davantage ce dynamisme structurel. Conscientes qu’elles avaient tout à gagner à se rassembler, près de cinquante entreprises culturelles auvergnates se sont réunies sous son nom : la Coopérative de Mai, le festival Europavox, Kütu Folk, Sophiane, Sauve St. Augustine qui peut le court métrage… “Nous avons constaté un vrai dynamisme autour de l’image et de la musique en Auvergne, explique la directrice du Damier, Katia ailleurs qu’en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, Bouferrache. Compte tenu des mutations technologiques que les scènes espagnole, belge, italienne, allemande et économiques, ces entreprises ne pourront pas ou autres sont dignes d’intérêt.” s’en sortir en s’isolant.” En adhérant au Damier, les Outre la diffusion – près de 130 concerts par an –, la structures bénéficient d’un accompagnement sur les Coopérative de Mai, labellisée Smac (Scène de musiques salons professionnels comme le MaMA ou l’Eurosonic, actuelles), assure une mission d’accompagnement des et d’outils de promotion et de conseil mutualisés. artistes locaux. Maintes fois programmés sur sa scène, Quand les musiciens clermontois quittent la rue Hill Valley, vus récemment au Printemps de Bourges, Serge-Gainsbourg – et ses larmes n’y pourront rien bénéficient ainsi du soutien de l’équipe. “La Coopé te changer –, ils se croisent dans les bars et salles permet de faire des concerts ici et t’aide pour aller jouer de concerts de la ville : le Baraka, le Bikini, le Raymond en région. Ils nous ont proposé de faire la première partie Bar, le Derrière, le Bar des Beaux-Arts… “La ville est d’un gros groupe comme Sum 41, alors qu’on est encore assez petite pour qu’on se connaisse tous, explique petits. Ils parlent de notre projet à leurs contacts… Ils nous François-Régis Croisier de St. Augustine. On partage ont aussi aidés à trouver un réalisateur pour notre ep.” les mêmes bars, les mêmes endroits pour répéter.” Accolés aux bureaux de la salle, ceux de la Pépinière Outre ces nombreux repaires rock, il faut saluer de Mai hébergent d’autres agitateurs de la scène le 101, refuge pour les musiques électroniques ouvert culturelle du coin. On y trouve les locaux en centre-ville il y a quelques mois, ou l’Electric Palace, de Microphone : projet tenu par un ancien membre lieu éphémère proposé à l’occasion du Festival du

“avec Zak Laughed ou Dempster Highway, on aime aller se balader sur les volcans, au lac de Servières, au lac de Guéry”

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“la Coopé te permet de faire des concerts ici et t’aide pour aller jouer en région” Hill Valley

court métrage. “Le chapiteau existe dix jours de l’année, explique Christophe Basterra, et propose des concerts gratuits. C’est un projet géré par des étudiants de l’université d’Auvergne dans le cadre de leur cursus. En janvier, l’affiche Juveniles, La Femme, Mustang, concoctée spécialement par la Coopé, avait quand même une sacrée allure.” Autre centre névralgique de la ville, le disquaire Spliff, tenu par Gilbert Biat, est cité par les musiciens locaux comme une institution. “Ce sont des activistes, développe St. Augustine. On y trouve tout, des nouveautés et des vieilleries rares.” La chasse aux albums se complète chez le libraire-disquaire les Volcans ou, pour les vinyles, au marché aux puces de Salins le dimanche matin. L’après-midi, le jour du Seigneur est souvent synonyme d’échappée belle : si sa richesse structurelle joue un rôle primordial, Clermont-Ferrand doit aussi la santé de sa scène musicale à sa situation géographique. Pour beaucoup, ce sont le cadre

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et la nature environnante qui favorisent la création. “En trois minutes, on peut sortir de Clermont, poursuit St. Augustine. Avec Zak Laughed ou Dempster Highway, on aime aller se balader sur les volcans, au lac de Servières, au lac de Guéry.” Dans la grandeur des paysages auvergnats, Alexandre du Delano Orchestra pense même avoir décelé l’origine d’une certaine forme de musicalité locale. “J’ai l’impression de puiser énormément à 70 kilomètres d’ici. C’est une atmosphère très dure, chargée en histoire et en mélancolie. D’un côté, c’est assez difficile d’y rester sans tomber dans des états quasi dépressifs. Mais c’est aussi très inspirant et ça nourrit une forme d’écriture. J’aime penser que ça explique un contenu atmosphérique et sincère qu’on retrouve dans les différents disques du label.” Pour paraphraser Murat : par notre âme et notre sang, col de la CroixMorand, nous les garderons tous. Johanna Seban suite du dossier page suivante

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Mustang

Mr Nô

Garciaphone Vezelay

St. Augustine

cinq noms à suivre Rock racé, folk aérien et raffiné mais aussi de l’electro robotique ou contemplative : ici, tout est possible. par Johanna Seban photo Pierre Le Bruchec

Mr Nô

Mustang

St. Augustine

Garciaphone

Vezelay

On l’a découvert via les InrocksLab, avec un remix de ses voisins Elderberries. Depuis, Mr Nô a enchaîné les dates en France et ailleurs – on l’a par exemple vu, aux côtés de Peter Hook, jouer pour la réouverture de l’Haçienda à Manchester. Braquant les projecteurs sur le milieu electro local – quand c’est souvent sa scène rock qui lui vole la vedette – Mr Nô, alias Benoît Perret, a déjà publié The Snake ep – trois titres grisants et glaçants, noirs et robotiques qui en font le cadet de Vitalic ou Agoria. “J’aime le Bauhaus, Star Wars, la mélancolie, la puissance sombre. J’aime cette beauté froide des machines, le fait qu’elles peuvent tout de même sortir des nappes émouvantes.” Un deuxième ep est attendu dans l’année. www.mrno.net

Gueules d’anges et allures de dandys pour le trio clermontois Mustang : après l’excellent A 71, qu’on aurait bien à l’époque rebaptisé “Route 66”, le groupe, guidé par le captivant chanteur et parolier Jean Felzine, enchaînait l’automne dernier avec un Tabou de rock et de roll. Tubes chromés qui rutilent, guitares rockabilly mais pas que, refrains hargneux qui convoquent, avec la même fougue, Dutronc et Elvis, le Velvet et Roy Orbison : ces Mustang dévorent la route. www.legroupemustang.com

St. Augustine est un beau trésor caché du pays auvergnat. Fan de Grandaddy, de la bande dessinée de Daniel Clowes et de la gravure de Dürer, son auteur François-Régis Croisier publie ce mois-ci Soldiers, un deuxième album folk à l’écriture fragile et raffinée. Enregistré dans le studio d’un ami, plein à craquer de vieux instruments vintage, ce disque est celui d’un songwriter qui aime aussi bien Leonard Cohen que les Supremes, mais surtout “les choses qui vacillent entre la perfection et la fêlure”. Et que vous ne croiserez pas souvent au Bikini. “J’habite Montferrand, un village médiéval. Je sors peu dans Clermont, je suis un ours.” www.myspace.com/ staugustinelovesyou

C’est avec Tornadoes, petit bijou de folk aérien, qu’était arrivé à nos oreilles Garciaphone. “J’ai bricolé ce morceau en quelques minutes avec une boîte à rythmes et une mélodie de guitare.” Aperçu ensuite aux Transmusicales de Rennes lors de la carte blanche confiée à son collectif Kütu Folk, le Français, de son vrai nom Olivier, publiera cet été son premier album. Un disque qui devrait voir le musicien, initialement batteur, flirter avec le songwriting de ses héros – Elliott Smith, Pixies, Sebadoh ou Midlake. Les fans de ces derniers, en tout cas, tiennent ici leur futur champion. facebook.com/garciaphone

Signé sur le label anglais Planet Mu, Vezelay vit en composant des musiques pour la publicité. Pour le plaisir, en revanche, il agence de magnifiques parenthèses d’electro contemplative – il en a réuni un chapelet sur l’ep Lyre. Pourtant, Matthieu, de son vrai nom, vient du rock, celui de Jeff Buckley et de Radiohead. “L’electro est venue plus tard avec des artistes comme Aphex Twin. J’aime le côté un peu laid des sons dans la musique électronique, j’ai l’impression que ça explique le monde moderne. Je trouve qu’un synthétiseur parle plus de 2012 qu’une guitare aujourd’hui.” Aller écouter le titre Sedative, vivement conseillé aux fidèles de Beach House et Burial. vezelay.bandcamp.com

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Importante collection, mécènes et visiteurs au rendez-vous, le Fonds régional d’art contemporain affiche une santé insolente. L’actuelle expo David Lynch en est une preuve supplémentaire.

P

oisson d’avril : David Lynch est venu le premier du mois des canulars pour visiter Man Waking from Dream (“l’homme qui se réveille d’un rêve”, en auvergnat), l’expo que lui consacre depuis janvier le Frac Auvergne. Il n’y a pas de hasard, tant Clermont-Ferrand avec ses rues tortueuses et ses façades noircies à la graisse de volcan décline un univers proche de celui de l’auteur de Mulholland Drive. Une expo conséquente, puisque le Frac, après des années de pénitence dans un réduit au fond d’une impasse, a pris ses aises depuis janvier 2010 dans les 1 500 mètres carrés d’un ancien magasin d’ameublement tout près de la cathédrale la plus sombre de France. Un lieu sacré idéal pour célébrer des messes noires à la gloire d’un dieu du genre pas commode. Outre des dessins animés et des films inconnus sous nos cieux, tel le thriller le plus court du monde, un format de 52 secondes tourné avec une caméra et une pellicule identiques à celles des frères Lumière, l’essentiel de l’expo Lynch est consacré à son travail sur pierre lithographique. “C’est un matériau lynchéen par excellence, dit Jean-Charles Vergne, maître des lieux et commissaire à ses heures. Pour faire une litho, on est obligé de dessiner à l’envers, un rêve pour

Ludovic Combe. Courtesy Frac Auvergne

un Frac en tenue de gala Vue de l’exposition Man Waking from Dream

ce spécialiste du renversement. De plus, les pierres qu’il a utilisées sont celles des éditions Item, les successeurs de l’imprimerie Mourlot, dont les châssis ont vu passer les œuvres des plus grands créateurs du siècle dernier. Lynch, peintre à ses débuts, s’est adapté à cette technique à une vitesse sidérante et s’est servi en toute conscience des fantômes des maîtres anciens inscrits dans cette matière minérale. Les pierres, tout comme David Lynch, ont de la mémoire.” Jean-Charles Vergne, qui dirige le Frac depuis 1996 (il avait alors 24 ans), n’a pas le cursus d’un conservateur lambda, puisqu’il a attrapé le virus de l’art contemporain alors qu’il s’ennuyait dans une école de commerce. Il lui en est cependant resté quelque chose puisqu’il a su faire partager sa passion à un bon nombre d’entrepreneurs locaux, dont Michelin, jusqu’ici plus sensible à la Formule 1 qu’aux formules plus nébuleuses des artistes. Il est vrai que depuis 2003, les actions de mécénat s’accompagnent d’avantages fiscaux non négligeables. Lorsqu’un mécène fait un don de 10 000 euros, les contreparties accordées font que le coût réel est de 1 500 euros. Le plus actif dans ce club de mécènes est un homme au regard clair.

Henri Chibret, par ailleurs président du Frac, est l’un des plus grands fabricants européens de produits ophtalmiques. Cette politique d’intérêts bien compris permet à Jean-Charles Vergne de présenter un bilan à faire pâlir d’envie un ancien président. Le Frac détient une collection de 430 œuvres, d’une valeur estimée à plus de 12 millions d’euros. En 1996, la fréquentation du Frac plafonnait à 6 000 visiteurs par an. L’an passé, ce sont quelque 125 000 visiteurs qui ont fréquenté les 22 expositions organisées à Clermont et dans la région par cette institution. L’avenir ? Apparemment, tout roule : la prochaine expo, The Slide Show, qui débute en juin, présentera des planches de skate customisées par une dizaine d’artistes allumés et, en même temps, les travaux sensuels et monstrueux de Michel Gouéry, qui a inspiré pour le catalogue un texte à la papesse lubrique d’Art Press, Catherine Millet. Le Frac est-il en position hégémonique à Clermont ? Pas tout à fait : la galerie In Extenso, rue de la Coifferie, effectue un travail remarquable sur le même créneau avec peu de moyens et un local microscopique. Mais le Frac aussi a commencé petit. A. D. Man Waking from Dream jusqu’au 20 mai, tél. 04 73 90 50 00, www.fracauvergne.com 16.05.2012 les inrockuptibles XIII

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spécial errand Clermont-F adroites adresses Les bons plans, les bons spots. librairies, musique La Compagnie du chat noir On ne risque pas ici de fatiguer les yeux puisque cette petite échoppe, située au pied de la cathédrale, est la première librairie sonore de France. On pourra dire en sortant et pour une fois à bon escient, “Je ne l’ai pas lu, mais j’en ai entendu parler”. Ceux qui ne sont pas totalement analphabètes pourront trouver dans les rayons un large échantillonnage de la production totalement loufoque du duo suisse Plonk & Replonk, cartes postales et autocollants, et notamment celui-ci, propre à vous refiler un vertige métaphysique : “Autocollants interdits sur cet emplacement”. 1, rue des Gras, du mardi au samedi de 10 h 30 à 19 h tél. O4 73 90 53 14 Si Clermont est particulièrement bien pourvue en librairies d’occasion, proposant en général un choix d’excellente qualité, La Librairie, qui ne s’est pas foulée pour se trouver un patronyme accrocheur, est la seule indépendante de la ville, équipée aussi d’une Fnac et d’un Gibert. Située non loin de la cathédrale dans le quartier des antiquaires et des marchands de livres rares, cette vaste boutique avec loggia consacrée aux beaux-arts, propose un fonds important propre à combler les lecteurs exigeants. On y organise aussi de nombreuses rencontres. Récemment, Henri Alleg, auteur de La Question, s’est prêté de bonne grâce à celles des Clermontois. 14, rue Pascal, tél. 09 60 52 11 50

Spliff Capitale du rock et en passe de devenir celle de l’electro, Clermont se devait d’avoir son disquaire indépendant. Spliff fait le joint entre la scène mondiale et locale et offre dans ses bacs une sélection impressionnante de CD, mais aussi de vinyles, ainsi qu’un choix conséquent d’affiches, de fanzines et de T-shirts pour exhiber à fleur de peau ses obédiences musicales. 8, rue de la Treille, tél. 04 73 91 88 54 www.spliffministore.com

galeries, musées Galerie Claire Gastaud En face du Frac, cet espace conséquent ouvert en 1986 est devenu au fil des ans un haut lieu de l’art contemporain en Auvergne. Quelques grandes figures comme Riopelle, Cueco, Erró, Peter Klasen, Dennis Oppenheim, Villeglé et Viallat y ont été accrochés. Mais la galerie ne se cantonne pas aux valeurs sûres. Elle soutient

Aurélien Molle

La Librairie

aussi des artistes encore peu reconnus comme Martin Bourdanove, Denis Falgoux, Li Fang ou Hilary Dymond et mène une politique d’acquisitions, en collaboration avec les institutions culturelles locales. 7, rue du Terrail, tél. O4 73 92 07 97, www.claire-gastaud.com

Hôtel Fontfreyde Dédié à la photo, l’Hôtel Fontfreyde propose, sur la surface de 500 mètres carrés d’un ancien hôtel particulier, des expositions monographiques d’artistes ou des projets originaux, souvent en lien avec les arts plastiques. Les expos sont confiées à des commissaires invités. En ce moment, et jusqu’au 26 de ce mois, c’est Garance Chabert qui s’y colle. Sous le titre, Tout va très bien, Madame la Marquise, celle-ci a imaginé la collection d’une certaine Mathilde Fontfreyde, coquette vieillissante et repentie. Pour illustrer les rebondissements et les excès de son existence, la supposée Fontfreyde a fait travailler entre autres Cécile Hesse, Gaël Romier et un certain Mac Adam, connu pour ses penchants nécrophiles. Les photographes sages peuvent aussi postuler pour une résidence à l’hôtel. 34, rue des Gras, tél. 04 73 42 31 81 [email protected]

cinémas Les Ambiances Si le Capitole, place de Jaude, généraliste, propose des cycles de classiques du 7e art, les Ambiances est LE ciné art et essai pur jus des Clermontois. On y organise des animations, des débats et des événements autour de l’actualité cinéphilique. L’expo Lynch au Frac a ainsi donné lieu à une rétrospective complète de l’auteur. 7, rue Saint-Dominique, tél. 04 73 93 31 76 www.cinema-lesambiances.fr

restos Le Bistrot Bancal On plaint le personnel qui doit emprunter non-stop deux escaliers à pic pour passer de la cuisine, située dans les hauteurs à la mezzanine offrant une vue imprenable sur les fourneaux situés à l’opposé pour servir les clients. On y mange bien, simplement, pour un prix correct à midi si on se contente d’une belle assiette de fromages ou de charcutailles, le tout arrosé d’un vin garanti non trafiqué. La carte des desserts est propice à la régression : outre le pain perdu, la barbe à papa est la spécialité de la maison. 15, rue de Chaussetiers, ouvert du mardi au samedi tél. 04 73 14 23 92

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trois adresses du Guide Fooding 2012 à Clermont-Ferrand Pour découvrir d’autres bons plans à Clermont-Ferrand et partout en France, téléchargez l’appli Fooding 2012 (2,99 €).

Le Sisisi

Vue de l’expo Genius Loci à l’Hôtel Fontfreyde

Le Garçon Boucher Comme son intitulé l’indique, les végétariens (sauf repentis ou masochistes) n’y sont pas les bienvenus. Les amateurs de saignant y seront en revanche copieusement servis puisque le patron est boucher de son état. A midi, la (petite) pièce de bœuf est au menu du jour à 12 euros, et le soir, c’est plus gros et plus cher, mais c’est la vie. Terrasse agréable et service oscillant selon nos sondages entre franchement désagréable et véritablement exquis. 24, rue de l’Ange. Fermé le lundi, le samedi midi et le dimanche. tél.  04 73 31 44 10

L’Odevie Ici, c’est tendance chic, tout en bois et Inox, excepté le contenu des assiettes, où l’on trouve entre autres de délicieux tajines de poisson façon Marrakech, des coquilles Saint-Jacques rôties, du foie gras fait maison et autres émulsions de citronnelle. Service délicieux et attentionné. Dommage que l’addition retienne aussi l’attention. En compensation, les cerises à l’eau-de-vie qui donne son nom à l’établissement sont offertes à la fin du repas. Le plus : c’est un des rares restos de Clermont à être ouvert le lundi. 1, rue Eugène-Gilbert, du lundi au samedi. tél. 04 73 93 90 00

14-16, rue Massillon, tél. 04 73 14 04 28 De midi à 14 h 30 (sauf samedi) et de 20 h 30 à 22 h 30 (23 h jeudi-samedi). Fermé dimanche et lundi. Hot spot du Clermont piéton, sniffé autant par les vétérans de bar ou les routards de comptoir que par un staff d’habitués plus quinqua à Rolex que vingtenaires sans un rond, le Sisisi prodigue des nourritures distrayantes ou distraites. Asperges en crumble, foie gras en tiramisu, suprême de pintade aux petits pois et morilles, omble chevalier extra sur lequel le chef déverse son frigo et ses cageots (too much), ou un praliné vanille-chocolat avec paillettes de sucre qui éclatent les gencives. Murs gris taillés à la truelle, verrière, gribouillis dans la grande salle du fond… ça a plutôt de la bouche. Comme le verre de saint-véran Domaine des Deux Roches à 3,50 €, le saumur-champigny de Legrand à 18 € et le givry de Joblot 2006 à 35 €. Formule 13 € (midi), carte 30 €. G. D.

Les Goûters de Justine 11 bis, rue Pascal, tél. 04 73 92 26 53 De midi (14 h 30 samedi) à 19 h. Fermé dimanche, lundi et mardi. Comme elle est pêchue, la mamie gâteau qui s’est fait son terrier et sa clientèle dans le quartier des antiquaires ! Cheveux blancs certes, mais du nerf pour vendre ses tartes (citron vraiment pas bidon, mirabelles, rhubarbe), ses gâteaux (chocolat, cannelle…), ses crumbles et ses clafoutis, tous maison. Pas loin de dix variétés (autant que de sortes de chaises et de fauteuils), qu’elle dépose sur une table en noyer (faut ce qu’il faut), en confiant son amour immodéré des espaces infinis de l’Aubrac, ou que

Montferrand est, côté monuments, plus fun que Clermont (elle a raison). Bach, Mozart, Aranjuez mettent leur grain du sucre dans le thé vert nippon. Ite, missa est. Formule tarte-salade 5,70 € (midi), pâtisseries 3,90 €. G. D.

Goûts et Couleurs 6, place du Champgil, tél. 04 73 19 37 82 www.restaurantgoutetcouleurs.com De midi à 13 h 30 (sauf lundi et samedi) et de 19 h 30 à 21 h 30. Fermé dimanche. L’an passé, on avait testé la formule à prix plancher. Mais rouler en Ferrari à Paris… Avec ses camaïeux colorés, son escadron volant au service tout sourire et son chef formé, comme on dit, dans de bonnes maisons, ce néogastro devait en avoir sous le capot. Vérification dans le menu à 47 € (avec fromages affinés) : brochette de saint-jacques et jambon sur purée de chou-fleur, bar à la plancha avec légumes estivaux et joli jus de viande citronné, ris de veau brouillon, moelleux chocolat au lait, glace cacahuète très propre… Conclusion : un travail consciencieux, tambourinant à la porte de la notoriété, plébiscité d’ailleurs par les gourmands du cru. Chardonnay bourguignon de Goisot à 31 €, moulin-à-vent 2008 de Janin à 36 €, et verre de bourgueil de Gauthier à 5 €. Formule 21 € (midi en semaine), menus 30-68 €, carte 60-70 €. G. D.

Le Guide Fooding 2012 est disponible en version électronique sur l’App Store et Samsung Apps 16.05.2012 les inrockuptibles XV

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Liz Flyntz

rêvons un peu

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A contre-courant de la culture internet et de l’agitation permanente qu’ils abhorrent, les deux Américains de Beach House se posent en artisans. Leur quatrième album, Bloom, vend du rêve à foison. par Thomas Burgel

n temps internet, deux ans représentent environ trois éternités. De nouveaux groupes, des microtendances embryonnaires, des sons vaguement inédits se déversent dans des millions de tympans ; aussitôt nés, aussitôt tweetés, aussitôt likés sur Facebook, souvent aussitôt tombés dans l’oubli. Beach House, duo de Baltimore, pourrait pendant des heures discuter de l’internet, qui a largement contribué à sa renommée. Pas pour chanter ses louanges : l’avènement du réseau des réseaux est, selon Victoria Legrand

et Alex Scally, l’un des événements les plus laids et détestables du monde moderne. “Toute l’économie de l’internet, la manière dont les gens gagnent leur pain se fondent sur des pages vues, sur des miniscoops, explique Scally. Comme toujours, l’argent demeure le problème. Ce truc représente pour nous le diable absolu. Tout ce qui a été dit à propos de Bloom est sorti avant même que nous le décidions, sur des sites qui voulaient être les premiers à donner l’information mais qui nous l’ont littéralement volée. Le disque a fuité huit semaines avant sa sortie. Il est déjà chroniqué partout, avant même notre communiqué officiel… Notre image a été brouillée dès la sortie de notre précédent album, Teen Dream. Nous ne sommes pas deux coupes

de cheveux, deux looks impeccables appuyés contre un mur pour la photo, souriant pour Urban Outfitters. Ce serait affreusement pathétique. Nous sommes des individus à part entière. On fait ce qu’on veut faire depuis nos débuts, on n’essaie pas de suivre un quelconque mouvement, on n’essaie pas d’appartenir à une culture codifiée. Nous sommes au-delà de tout ça. Nous ne voulons pas devenir des célébrités, juste être des artistes.” Deux ans ont passé depuis l’increvable Teen Dream et le duo a travaillé dur. Aussi loin que possible de la culture de la spontanéité de l’internet, il a pris le temps qu’il lui fallait, a œuvré avec une éthique protestante, presque ascétique, 16.05.2012 les inrockuptibles 63

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“nous ne sommes pas deux coupes de cheveux, deux looks impeccables appuyés contre un mur pour la photo. Ce serait affreusement pathétique”

Alex Scally

du travail. Pas question de laisser s’éteindre cette flamme qui, depuis le premier album éponyme en 2006, a permis à son art de s’affirmer, de gagner en ampleur, de trouver une beauté qu’il serait aujourd’hui impossible d’ignorer. “Nous n’avons pas de temps à perdre, explique Alex. Passer une année sans musique, ce serait vraiment étrange pour nous. Je suis un hyperactif : le lendemain de la fin de la tournée de Teen Dream, qui a duré un peu plus d’un an, je suis allé jouer dans une salle de répétitions. Qu’est-ce que je peux faire d’autre de toute façon ? Je n’ai pas de gamin, pas de maison, je n’ai rien, mis à part Victoria et notre salle de répètes à Baltimore.” Un an de tournée, d’étincelles d’idées en coulisses ou pendant les balances, une autre année pour faire éclore le magnifique bourgeon qu’est Bloom : le quatrième album de Legrand et Scally est né sur la route, à l’ancienne, au contact de leurs fans – quiconque a déjà vu Beach House sur scène sait à quel point l’expérience est aussi douce qu’intense. Le duo, chose rare, met un point d’honneur à ne pas travailler pour les tendances, à ne pas chercher l’image, ni flatter l’époque. Il cherche à offrir quelque chose de solide et de durable à tous ceux qui aiment Beach House. Simple question de respect, de soi et de l’amour reçu. “Nous sommes des êtres sensibles, dit Victoria, conscients de la manière dont on peut affecter les gens. A notre époque, je crois qu’il n’est pas si commun pour des artistes de réfléchir à ça.”

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Alex abonde dans le sens de sa compagne. “Nous mettons énormément d’énergie dans nos concerts. C’est là qu’il peut se passer quelque chose qui nous dépasse, là que l’on peut se connecter directement aux gens, là que toutes les conneries qui entourent la musique peuvent disparaître. Nous avons beaucoup de respect pour nos fans, ceux qui comprennent ce que nous sommes et ce que nous faisons. Nous sommes capables de tout pour eux : ils font notre vie, nous existons grâce à eux. Nous essayons de jouer dans des salles modestes parce que nous refusons les concerts sans vie. Nous voulons faire de beaux disques, avec de beaux packagings, que les gens vont aimer et avec lesquels ils vont vivre.” Ils ne font pas qu’essayer : ils y arrivent. Bloom est une merveille, de celles qui font pâlir en une écoute toutes les copies de Beach House nées depuis que le groupe a inventé sa dream-pop cristalline. Bloom est une sorte d’aboutissement, de prolongement, de troisième étage d’une fusée qui n’a fait jusque-là que grimper. “Si on écoute Teen Dream et Bloom, il faut vraiment être un mauvais auditeur ou de parfaite mauvaise foi pour dire que ces albums se ressemblent”, se marre Scally. On ne peut que lui donner raison. Des sonorités entre la glace et le feu, une voix belle et dure, des entrelacs mélodiques et des strates soniques infinies : si les deux albums sont l’œuvre d’un seul et même groupe, Bloom dévoile, écoute après écoute, une complexité que l’on ne trouvait pas encore dans

Teen Dream. “On ne l’a réalisé que plus tard, mais les structures des chansons de Bloom sont plus alambiquées que celles de Teen Dream, poursuit Scally. Elles commencent souvent par une sorte de question et se terminent par une grande réponse. Elles débutent petit mais suivent un crescendo, comme une narration, un voyage. Certaines suivent le schéma traditionnel couplet-refrain mais d’autres ont un songwriting beaucoup plus tordu.” Le voyage suivra le tracé que vous lui aurez choisi mais il passera, c’est certain, par toutes sortes d’émotions. “J’ai peur que les gens ne voient dans son titre (bloom signifie “bouton” – ndlr) que la jolie petite rose, explique Scally. Car cet album restitue l’expérience intégrale d’un bouton : c’est un bourgeon, il éclot, la fleur fane puis meurt. Nous attachons de l’importance à cette idée de mort.” Il est aussi difficile d’arracher une chanson de cette sculpture en diamant massif que de retirer une carte d’un château sans en provoquer la chute. Les étincelantes, vallonnées, pointillistes et changeantes Myth, Lazuli, Wild, Wishes, The Hours ou Troublemaker, notamment, s’imposent comme des chansons à la beauté et au sens universels. Elles ont droit de vie et de mort, de lumière ou d’obscurité sur les humeurs de tous ceux qui les écouteront avec l’amour qu’elles méritent. album Bloom (Bella Union/Cooperative/Pias) concerts le 29 mai à Paris (Maroquinerie), le 3 juin à Montpellier, le 4 à Bordeaux, le 5 à Nantes, le 6 à Feyzin, le 7 à Biarritz beachhousebaltimore.com interview intégrale sur lesinrocks.com

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sans peur et sans reproches En une série d’interviews rigoureuses et piquantes, Anne-Sophie Lapix a montré pendant la campagne qu’il était possible de faire du bon journalisme politique à la télévision. par Jean-Marie Durand

C

e fut comme une révélation : Marine Le Pen a apporté la grâce à AnneSophie Lapix, une grâce médiatique. Il aura suffi que la journaliste qui anime depuis quatre ans l’émission politique dominicale de Canal+, Dimanche+, affronte avant le premier tour de la présidentielle la chef du Front national, en la défiant et en la mettant devant ses contradictions, pour que sa notoriété s’élargisse soudain. “200 euros par mois en plus pour 8,5 millions de Français, cela fait 20 milliards”, insistait la journaliste devant Marine Le Pen qui ne voulait rien entendre de ses bons calculs sur le chiffrage du programme frontiste. La Marine en colère et à l’abordage (“Vous avez tort”), la Lapix droite dans ses bottes un peu trop à gauche à son goût : le duel sonna pour une fois (rare) comme la victoire de la raison journalistique devant la démagogie politique. Touchée, coulée, Marine. Pour Anne-Sophie Lapix, reconnaissance de ses pairs, louanges de nombreux commentateurs, plébiscite des téléspectateurs et des internautes… La journaliste semblait avoir réussi son “épreuve d’immunité”, comme si elle participait à un Koh-Lanta de la politique. En montrant sa pugnacité, elle se prémunissait contre les critiques habituelles visant un journalisme de télévision aplati et mou du genou devant les effets de manche des politiques. Entre interviews complices, journalistes faussement nerveux ou réellement connivents et commentaires verbeux trop près de leurs sujets – à la manière d’un Franz-Olivier Giesbert suffisant sur France 2 –, Anne-Sophie Lapix témoigne de l’existence possible d’un territoire télévisuel pour un journalisme politique rigoureux, sans pathos, sans flambe, qui refuse d’avaler passivement des couleuvres et des Flanby. Sa méthode d’interview n’a pourtant rien d’extraordinairement original : Lapix porte logiquement la contradiction à son invité, sans chercher à le déstabiliser de façon vicieuse ni à l’agresser. Simplement, elle l’interroge par exemple sur les points aveugles de son programme. Du journalisme politique tel qu’on l’apprend dans les écoles spécialisées et que les élèves n’appliquent que rarement à la télé. Marine Le Pen n’est pas la seule à avoir quitté le plateau de Dimanche+ en colère. Enervée par les questions de la journaliste, Nathalie KosciuskoMorizet, acide, l’a critiquée sur Twitter juste après son passage. “Mais elle s’est vite raisonnée et a voulu revenir”, précise Anne-Sophie Lapix, qui sait que l’ancienne porte-parole de Nicolas Sarkozy “connaît les règles du métier”. Sarkozy lui a balancé, à la suite d’une question sur le financement de sa campagne par Kadhafi, que c’était “indigne de poser une question pareille”. “D’autres, comme Nicolas Dupont-Aignan, m’ont pris à la gorge, à travers une stratégie payante d’attaque des médias”, ajoute-t-elle. D’autres encore,

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“Je suis toujours rattrapée par mon esprit de contradiction”

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sans parenté, sans affinités avec les politiques, elle assume sa solitude dans un milieu où tout le monde se fréquente, déjeune, couche ensemble comme Jean-François Copé, Martine Aubry ou Arnaud Montebourg ont, ces dernières années, pour des raisons diverses, connu quelques tensions et malentendus sur son plateau. Certains ont même longtemps refusé de revenir durant de longues périodes, comme Copé qui s’est coupé le sifflet tout seul, ronchon ; “très fâché il y a trois ans”, Jean-Luc Mélenchon s’est réconcilié et ne vient désormais sur Canal+ que pour elle, préférant sa compétence à la fausse subversion de ses collègues du Grand et du Petit Journal… : il sait qu’il pourra converser en toute confiance, lui qui s’emporte souvent contre des journalistes aux ordres du grand capital et du conformisme médiatique. Le contexte actuel de rejet des médias, instrumentalisé par les politiques – parfois avec raison (voir le film Les Nouveaux Chiens de garde), souvent à tort (une démagogie très creuse, surtout lorsqu’elle porte sur des médias à fort contenu comme Mediapart) –, a probablement joué contre Anne-Sophie Lapix. Pourtant, elle mesure très bien la part de jeu et de tensions passagères qu’elle partage avec tous les camps politiques de gauche et de droite. “Ces fâcheries tiennent plus au tempérament sanguin de certaines personnalités qu’à un quelconque positionnement idéologique de ma part”, confie-t-elle. Elle tient à cette neutralité. Mais cela est-il possible ou souhaitable devant la parole politique ? Si la question oppose nombre d’intervieweurs depuis la naissance même du journalisme, Anne-Sophie Lapix reste attachée à ces règles du métier : extérieure mais pas désintéressée, neutre mais pas passive, curieuse mais pas inquisitrice. Contrairement à quelques consœurs comme Audrey Pulvar ou Pascale Clark à la radio, engagées dans leur questionnement, elle s’accroche à son masque impassible, plus ou moins bienveillante selon les contextes. “J’ai des points de vue que j’exprime à mes proches, précise-t-elle, mais je ne suis pas une militante. Je suis toujours rattrapée par mon esprit de contradiction et obligée de m’ouvrir aux idées de tous. En général, mes avis ne sont pas tranchés.” Cette neutralité idéologique est la condition paradoxale de sa pugnacité, qui s’incarne dans sa manière de mettre sous pression ses invités, de leur couper la parole, de reposer plusieurs fois une question sans réponse. Pour être mordante, il faut savoir déjouer l’attente de son interlocuteur. Piquante, Anne-Sophie Lapix semble être née sous X dans la clinique des journalistes-intervieweurs audiovisuels ; sans parenté, sans affinités avec les politiques, elle assume sa solitude dans un milieu où tout le monde se fréquente, déjeune, dîne, couche ensemble. Beurrant élégamment sa baguette dans un salon de thé

place du Trocadéro où elle a ses habitudes, elle rit malicieusement de ces pratiques auxquelles elle a toujours voulu rester étrangère. Plutôt qu’un politique ambitieux, elle a épousé un publicitaire : plus simple, plus sain, plus confortable aussi. Elle refuse par principe tout rendez-vous et tout déjeuner avec les politiques. Une règle habituelle dans les pays anglo-saxons mais qu’elle est l’une des seules à pratiquer en France. Elle évite même de croiser ses invités avant l’interview. “Je ne les vois pas dans leur loge avant l’enregistrement de l’émission, je ne débriefe jamais avec eux après. D’ailleurs, ils partent tous fissa.” Elle explique que “cela la protège”. “J’arrive ainsi fraîche, neutre, sans a priori sur le plateau. Mais il est vrai que parfois, durant le moment des reportages, les politiques ne m’adressent pas la parole ; je vis de longs moments de solitude avec eux.” Le prix de sa liberté. Elle sait qu’une “bonne interview” n’est pas forcément un “bon moment de télé” mais qu’il arrive que les deux fusionnent dans une symbiose inespérée entre un intérêt politique et une vibration humaine. Elle mesure aussi que son émission reste un rendezvous sérieux, assez technique, où la politique échappe au divertissement pour se recentrer sur le fond des choses. Elle admire les entretiens politiques de Patrick Cohen sur France Inter et revendique la volonté de rigueur et d’austérité des questions sans sacrifier la douceur polie de la forme. Comme François Lenglet, le journaliste économique de BFM TV d’obédience très libérale, remarqué avec ses graphiques sur le plateau de Des paroles et des actes sur France 2, elle a imposé sa signature à la télé durant la campagne pour la présidentielle. “J’avais hâte que cela se termine”, confesse-t-elle aujourd’hui, lassée par une période longue et très médiatisée. “A la fin, on tournait un peu en rond.” Déjà concentrée sur le chantier de la rentrée, elle annonce des changements dans l’émission en termes de rythme et d’organisation des reportages. Le plus d’Anne-Sophie Lapix devrait pourtant rester le même : son corps à corps avec la parole politique dont elle creuse les angles morts et les sous-entendus. Depuis ses débuts sur LCI en 1999, puis sur M6 (Zone interdite) et TF1 (joker de Claire Chazal, Sept à huit), elle a peu à peu densifié sa présence et sa prise de parole. Moins lisse, plus incarnée, émancipée du prototype de la journaliste sans aspérité produit par le système télévisuel, Anne-Sophie Lapix a encore de beaux dimanches devant elle. Avec Vincent, François, Marine et les autres… prêts à affronter la rudesse qui affleure sous son joli minois. Dimanche+, le dimanche à 12 h 45, sur Canal+

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avantages exclusifs

RÉSERVÉS AUX ABONNÉS DES INROCKS pour bénéficier chaque semaine d’invitations et de nombreux cadeaux, abonnez-vous ! (voir page 28 ou sur http://abonnement.lesinrocks.com) Villa Aperta 2012 festival Perspectives

Money – It Came from Outer Space du 24 mai au 2 juin à Sarrebruck, Allemagne

scènes La plupart des gens considèrent l’argent comme monnaie d’échange. Cette naïve hérésie nous a plongés dans la crise financière actuelle. Christiane Kühl et Chris Kondek nous montrent dans cette performance théâtrale et vidéo que l’argent n’est pas un dispositif neutre, mais plutôt un gigantesque organisme vivant qui trace sa voie vers le prochain degré de son évolution. gagner : 5 places pour 2 personnes pour la représentation du 1er juin

du 31 mai au 2 juin à la Villa Médicis (Rome)

musiques Pour sa 3e édition, Villa Aperta présente un large panel de groupes, de l’electro-pop à la world-music, les dernières recrues des meilleurs labels electro français, et quelques grands noms du rock. Retrouvez Chairlift, Rachid Taha, Krazy Baldhead, Kavinsky, SebastiAn, Wire et beaucoup d’autres. A gagner : 5 pass pour 2 personnes valables pour l’intégralité du festival

Les Acacias de Pablo Giorgelli

No(w) Future : musiques et utopies jusqu’au 10 juin au 106 (Rouen)

musiques Le 106 met le cap sur les utopies. L’utopie dans les musiques actuelles, ils l’ont faite, ils l’ont vécue, certains n’en sont pas revenus. Et maintenant ? Pas de futur ? Plus d’utopie ? Dans les dispositifs mis en place, chacun pourra se faire sa propre opinion, intellectuelle et/ou sensorielle. A gagner : des places pour 2 personnes pour Mirel Wagner, Jeff Mills, Sébastien Tellier, Judah Warsky, Tortoise, Prön Flåvürdik

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DVD Sur l’autoroute qui relie Asunción à Buenos Aires, un camionneur doit emmener une femme qu’il ne connaît pas et son bébé. Ils ont devant eux 1 500 kilomètres, et le début d’une belle histoire. A gagner : 20 DVD

Warhol-Monroe Inrocks Indie Club les 25 et 26 mai à la Flèche d’Or (Paris XXe)

musiques Rendez-vous à la Flèche d’or pour un week-end 100 % Inrocks Indie Club avec : Howler + Team Me + Errors + Awolnation + Weird Dreams A gagner : 10 places pour 2 personnes pour chaque soirée

expos A vos appareils photo ! Choisissez et interprétez par une photographie l’une des six citations mythiques des deux icônes Andy Warhol et Marilyn Monroe et postez-la sur la page facebook d’Arteum. La photographie la plus plébiscitée à la fin du concours sera exposée et à gagner dans un prochain numéro (informations disponibles via la page Facebook d’Arteum)

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Le Printemps des comédiens du 5 juin au 1er juillet (Montpellier) Raoul, mis en scène et interprété par James Thiérrée

scènes Chaque année, le Printemps des comédiens accueille des spectacles dans les domaines du théâtre et du spectacle vivant. Raoul, continuateur du multiprimé La Symphonie du hanneton, oscille entre le cocasse et le merveilleux, entre l'onirique et le burlesque. A gagner : des places pour 2 personnes pour les représentations des 5, 9 et 10 juin

Gleizes-Metzinger – Du cubisme et après jusqu’au 22 septembre à L’Adresse – Musée de La Poste (Paris XVe)

expos Pour fêter le centenaire de la publication de Du cubisme, premier ouvrage théorique élaboré sur le sujet par Albert Gleizes et Jean Metzinger, L’Adresse – Musée de La Poste organise l’exposition Gleizes-Metzinger – Du cubisme et après. A gagner : 50 pass pour 2 personnes

Des arbres à abattre du 16 mai au 15 juin au Théâtre national de la Colline, Petit Théâtre (Paris XXe)

scènes Lors d’un “dîner artistique” donné par les époux Auersberger en l’honneur d’un vieux comédien du Burgtheater, le narrateur, assis dans un fauteuil à oreilles, observe l’intelligentsia viennoise avec qui il avait rompu depuis presque trente ans. A gagner : des places pour 2 personnes pour les représentations du 26 mai, 31 mai et 1er juin

Meteorologies par Peter Mettler & Fred Frith musiques Une performance live du cinéaste helvético-canadien Peter Mettler, qui produit et mixe des séquences d’images, accompagné du multi-instrumentiste américain Fred Frith, qui, lui, improvise avec ses fameuses guitares augmentées. A gagner : 5 places pour 2 personnes le 30 mai

Peter Mettler, extrait du film The End of Time, 2012

les 30 et 31 mai au Centre culturel suisse (Paris IIIe)

Sakifo Musik Festival du 1er au 3 juin à Saint-Pierre (La Réunion)

musiques Le Sakifo Musik Festival ? C’est le festival majeur de l’océan Indien. C'est un pont entre différentes cultures, voisines comme lointaines, et un lieu de croisement de tous les pays. Retrouvez Catherine Ringer, General Elektriks, Asaf Avidan, Moriarty, Patrice, et de nombreux autres artistes. A gagner : des invitations pour 2 personnes

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fin des participations le 20 mai

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The Day He Arrives d’Hong Sang-soo Le ressassement mélancolique et vertigineux du délicat cinéaste coréen.

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embre du club restreint des cinéastes prolifiques – auquel appartiennent aussi Woody Allen et le patriarche de Oliveira –, Hong Sang-soo complique les choses. Non seulement il met constamment en scène des histoires de profs de cinéma ou de réalisateurs, en général désœuvrés, lunatiques, obsédés sexuels et portés sur l’alcool, mais il a la manie de composer des œuvres à la structure chamboulée, fondées d’une manière ou d’une autre sur la répétition. Dans ses très grandes lignes, The Day He Arrives ressemble à Hahaha (2010) et encore plus au troisième film de HSS, La Vierge mise à nue par ses prétendants (2000), où, grosso modo, la même histoire était narrée deux fois, du point de vue de chacun des héros. The Day He Arrives a aussi, comme La Vierge…, la particularité

si on a souvent comparé Sang-soo à Rohmer, il est aussi proche d’un alchimiste du récit comme Resnais

d’avoir été tourné en noir et blanc et en hiver à Séoul. L’air de rien, ces simples choix confèrent au film une concentration et une sérénité qui manquaient au ludique Hahaha et encore plus au suivant, le criard Oki’s Movie (2011). Grâce au noir et blanc, mais aussi aux options spécifiques de la mise en scène, au caractère feutré et hivernal, The Day He Arrives fait presque figure de classique instantané. Cela n’empêche pas une relative loufoquerie – voir la scène où le héros entraîne au diable vauvert des étudiants de cinéma un peu lèchebottes et les laisse en plan. Mais on voit avant tout poindre une forme d’émotion disparue depuis le tranchant Woman on the Beach (2007), un des sommets de la filmographie de HSS. L’une des raisons pour lesquelles The Day He Arrives touche plus et mieux provient sans doute du procédé particulier que le cinéaste emploie ici. Au lieu de jouer avec la structure narrative et les différents points de vue, HSS travaille sur la duplication (de lieux et de situations). Il distille ça et là plusieurs

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Contrebande de Baltasar Kormákur avec Mark Wahlberg, Kate Beckinsale, Ben Foster (E.-U., G.-B., Fr., 2012, 1 h 49)

variantes de mêmes scènes, ce qui a un effet envoûtant. Si on l’a souvent comparé à Rohmer, il est aussi proche d’un alchimiste du récit comme Resnais. En gros, The Day He Arrives narre le retour à Séoul d’un cinéaste exilé depuis longtemps en province. Retrouvant son meilleur ami, il passe son temps, avec ou sans lui, à rencontrer des gens, à bavarder et/ou boire des pots. Il tombe amoureux d’une patronne de bar qui est le sosie d’une de ses ex. La scène de leur premier baiser est l’une de ces scènes réitérées avec de multiples variations. Cela produit une impression de vertige similaire à Un jour sans fin, la comédie sentimentale d’Harold Ramis où Bill Murray revivait sans cesse la même journée. Les séquences à géométrie variable renforcent le caractère romantique de l’histoire et métaphorisent l’échec permanent des héros de HSS. Pour une fois, le cinéaste a mis le doigt, avec une grande finesse, sur le hiatus qui fonde son cinéma, et dont ses héros masculins sont les éternelles victimes : leur incapacité à aimer. D’où cet éternel retour de situations et d’échecs similaires (de film en film et de scène en scène), ce ressassement de pathétiques manœuvres de séduction reposant sur une faille ontologique. Vincent Ostria The Day He Arrives (Matins calmes à Séoul) d’Hong Sang-soo, avec Yu Jun-Sang, Kim Sang Jung (Corée du Sud, 2011, 1 h 19)

Un thriller taillé sur mesure pour Mark Wahlberg, grand frère à la violence imprévisible. Crime, ecchymoses et réunions de famille : Mark Wahlberg n’a jamais été aussi brillant que dans les polars peuplés de meutes patriarcales. De The Yards à Fighter, il semble fait pour encaisser les coups au sein d’une fratrie bagarreuse, en éternel cadet boiteux – son passé de jeune teigne, formée à l’école des mandales et des guerres bitumées, n’y est sans doute pas pour rien. Cette fois, dans ce remake du hit islandais Reykjavík Rotterdam, Wahlberg s’est émancipé des magouilles familiales pour élever en paix sa propre portée. Mais un dérapage de son jeune beau-frère le force à revenir à ses fondamentaux : c’est donc lui, à présent, qui vole au secours des petits frères menacés par les caïds des quartiers. Père poule d’un côté, brute hargneuse de l’autre, il oscille entre une droiture lisse, presque douceâtre, et une violence imprévisible qui font de lui un acteur passionnant. Sur ses épaules coriaces repose entièrement ce thriller sobre et parfois poussif, qui propose tout de même le portrait d’une Louisiane chancelante, abîmée par la crise et l’ouragan Katrina. Mélancolique, virile, taiseuse : autant dire qu’elle a tout de l’aura wahlbergienne. Yal Sadat

Mark Wahlberg

en salle un art sous Acid “Le cinéma est un art.” Ainsi débute le manifeste Résister, acte fondateur de l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion, signé par 180 cinéastes en 1991. Depuis, le collectif aide, défend un cinéma exigeant, en marge. Parmi les films soutenus : Des épaules solides d’Ursula Meier, La Vie de Jésus de Bruno Dumont et pas moins de 450 œuvres qui sans lui n’auraient peut-être jamais vu le jour. 20 ans de l’Acid du 16 au 27 mai à la Cinémathèque française (Paris XIIe), www.cinematheque.fr

hors salle une insoumise à Hollywood Manipulatrice superbe dans Soudain l’été dernier, rayonnante de légèreté dans la comédie L’Impossible Monsieur Bébé, séductrice envoûtante dans Indiscrétions ou aventurière maniérée dans la romance African Queen, Katharine Hepburn fut l’une des actrices majeures d’Hollywood. Douze fois nommée aux oscars et quatre fois lauréate, elle resta pourtant toujours à part, préférant sa liberté aux diktats imposés par l’industrie. Célébrée et révoltée, belle et insoumise… Hommage mérité. Katharine Hepburn, la rebelle d’Hollywood du 16 mai au 14 juin sur TCM

Cannes à la maison Si du 16 au 27 mai vous ne pouvez pas vous rendre sur la Croisette pour le Festival de Cannes, pas d’inquiétude : Arte est là. Tous les soirs, la chaîne propose une quotidienne mêlée de reportages, entretiens et décryptages pour faire vivre les moments forts de la journée. Ajoutez à cela Blow up, le webzine de Luc Lagier, une revue commentée de festivaliers et quelques blogs, et vous aurez l’impression d’y être. Arte en direct de Cannes du 16 au 27 mai, lire aussi p. 108

autres films De rouille et d’os de Jacques Audiard (Fr., 2012, 1 h 55, lire pp. 46-47) Je te promets – The Vow de Michael Sucsy (E.-U., Fr., Br., Aus., All., G.-B., 2012, 1 h 44) Moonrise Kingdom de Wes Anderson (E.-U., 2012, 1 h 34, lire p. 51) Mille mots de Brian Robbins (E.-U., 2012, 1 h 31) Norman Foster de Deyan Sudjic (G.-B., Esp., 2010, 1 h 18) On est là ! de Luc Decaster (Fr., 2012, 1 h 50) Falling from Earth de Chadi Zeneddine (Liban, 2007, 1 h 02) La Belle et la Bête 3D de Gary Trousdale et Kirk Wise (E.-U., 1991, 1 h 24, reprise) 16.05.2012 les inrockuptibles 73

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hémoglobine party Ultraviolent et légèrement monolithique, Prototype 2 compile le meilleur des jeux à monde ouvert genre GTA. Convaincant.

 D à venir Bethesda s’attaque à World of Warcraft Dominant presque sans partage le monde des jeux de rôle en ligne (ou MMORPG) sur abonnement, World of Warcraft devrait être confronté l’an prochain à un nouveau concurrent sérieux. Fraîchement annoncé (sur Mac et PC) par l’éditeur américain Bethesda, The Elder Scrolls Online reprendra l’univers de ses jeux solo Morrowind, Oblivion ou Skyrim et se déroulera mille ans après les événements de ce dernier. Vétéran du genre, Matt Firor (Dark Age of Camelot) est aux commandes.

epuis le triomphe de GTA III à l’aube des années 2000, les jeux à monde ouvert se sont multipliés. Cette désormais nombreuse famille ludique compte des titres cinéphiles (Red Dead Redemption), des amateurs d’histoire (Assassin’s Creed), des fous de comics (Batman: Arkham City, Crackdown), des blagueurs mal coiffés (Saints Row). Prototype 2, du studio canadien Radical Entertainment, a lui aussi son petit penchant personnel : l’ultraviolence, les corps en morceaux, les flots de sang. Et la monstruosité, sauf que la créature hideuse, ou en tout cas l’une d’entre elles, c’est nous. Avec son portrait pas toujours glorieux du joueur en mutant cruel (qui court à la verticale, se laisse pousser les tentacules et dévore ses ennemis), le jeu a le mérite de prendre une direction intrigante, même si sa dimension réflexive demeure modeste. Dommage en particulier que, de missions obligatoires (traquer un sinistre individu, pénétrer dans un bâtiment…) en objectifs secondaires, son récit, à base de virus qui se propage et de vilaine organisation paramilitaire, ait pour fonction à peu près unique de justifier l’action primaire là où une petite dose d’ambiguïté n’aurait pas fait de mal. Plus abouti que le premier épisode paru en 2009, Prototype 2 évolue à l’intersection de deux autres piliers du genre. Comme inFamous, il adopte le scénario

du surhomme malgré lui qui use de ses superpouvoirs dans une ville de bande dessinée. Comme Just Cause 2, il nous change en joyeux producteurs de chaos, avec une belle collection de bases militaires (curieusement installées en plein New York) à prendre d’assaut. On peut toujours tenter l’entrée discrète mais la confrontation explosive ne saurait de toute façon tarder. Sous ses allures de provocation géante, de furieux appel à la transgression, Prototype 2 fait, au fond – et c’est son paradoxe –, figure de jeu-bon élève. Ses auteurs se sont visiblement penchés sur la concurrence, ont pris note avec soin de ce qui fonctionnait bien, de ce qui tombait à plat, de ce qui demandait à être amélioré – bonne nouvelle : l’expérience se révèle du coup des plus entraînante. Ils ont misé sur la volonté de puissance du joueur mais beaucoup moins travaillé sur la honte, le dégoût, qui, dans ce contexte, auraient pu l’accompagner. Trop gore, trop violent, Prototype 2 ? Pas forcément. Mais on l’aurait préféré un peu moins monolithique. Erwan Higuinen Prototype 2 sur PS3 et Xbox 360 (Radical Entertainment/Activision), environ 70 €. A paraître sur PC

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“je suis un type plutôt doux” Vice-président de Radical Entertainment, Dave Fracchia justifie la violence de Prototype 2. catharsis qui ont ce type de contenu, “C’est son côté excessif mais cela ne changera qui distingue Prototype 2 rien à ses tendances. des autres jeux à monde J’aime regarder des films ouvert. Aucun ne me d’horreur, pourtant je me procure le même sentiment considère comme un type cathartique. Vous pouvez plutôt doux et agréable. faire tomber un hélicoptère Mon fils a joué à Prototype pour détruire un tank et cela ne l’a pas rendu au sol… Son côté viscéral violent.” plaît aux gens, ne dérange liberté pas. Le but n’est pas “Une fois, dans le jeu, d’être réaliste : cela reste j’ai détourné un hélicoptère du domaine de la fantaisie. et je suis parti faire un tour, Nous faisons attention je me suis amusé à voler à ne pas rendre les choses aussi près que possible des trop réelles.” immeubles. C’est l’essence tendances même des jeux à monde “Je ne suis pas un expert ouvert. Vous pouvez suivre en la matière, mais mon les gens, les regarder, opinion est que si quelqu’un créer du désordre, a une nature violente, observer leurs réactions… il sera attiré par les jeux Cette liberté est la clé.”

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contagion “J’aimerais continuer à développer la série. Aujourd’hui, beaucoup de films parlent de virus, d’infection. The Walking Dead est l’une de mes séries préférées. En venant à Paris, j’ai vu Contagion dans l’avion. Cette idée m’intéresse. Mais le jeu doit plaire aux fans : c’est parce qu’ils ont acheté deux millions d’exemplaires de Prototype qu’on a pu faire le deuxième. L’essentiel est de continuer à leur apporter ce qu’ils aiment, tout en évitant de faire un jeu identique au précédent. Ne pas changer pour changer, mais pour faire mieux.” recueilli par E. H.

Rhythm Thief & les mystères de Paris Sur 3DS (Sega), environ 45 € Se déroulant dans un charmant Paris de dessin animé où opère un petit voleur d’élite accompagné de son chien, Rhythm Thief reprend la formule de la brillante série Professeur Layton en substituant aux casse-tête de cette dernière une suite d’épreuves musicales et de jeux de rythmes soignés. Le résultat est réjouissant.

Farming Simulator 2012 3D Sur 3DS (Giants Software/Focus), environ 35 € Semer, moissonner, vendre sa récolte : sur PC, Farming Simulator fut, à mi-chemin de la simulation sérieuse et du jeu de ferme Facebook, le succès commercial surprise de 2011. Ni très belle ni très riche et pas non plus follement accueillante, la version 3DS suscite surtout la perplexité. Mais ses petits tracteurs sont assez rigolos.

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le souffle au chœur Après un quinquennat raté, l’esthète canadien Rufus Wainwright revient en force avec un chef-d’œuvre fiévreux et sensible, mis en scène par Mark Ronson, qui renoue avec les élégances des grandes productions seventies.

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ors du jeu, Rufus Wainwright l’aura souvent été au cours des cinq dernières années. En tout cas hors du jeu qui l’avait vu jusqu’ici triompher en songwriter extravagant, humiliant depuis 1998 la concurrence à longueur d’albums aux beautés moirées et opulentes, entre falbalas pop, brillance Brill Building et ornements classiques. En se glissant dans les souliers de Judy Garland le temps d’un disque et d’un spectacle homo fétichistes – Rufus Does Judy at Carnegie Hall, 2007 –, il courait le risque de se briser les talents pour assouvir un fantasme anachronique. En se lançant dans l’écriture et la direction d’un opéra en français (Prima donna, 2009), il émiettait encore un peu son capital par péché d’immodestie. En revenant aux chansons avec un album lugubre et non moins prétentieux, mêlant sa plume à celle de Shakespeare (All Days Are Nights: Songs for Lulu, 2010), il laissait pour une fois de marbre ses plus ardents supporters. En publiant enfin l’an dernier un monumental inventaire (dix-neuf CD et DVD coffrés sous velours carmin), il semblait définitivement égaré dans un no man’s land mégalomane assez inquiétant. Si on ajoute à cela un deuil, celui de sa mère Kate McGarrigle, disparue d’un cancer en 2010, puis une paternité par procuration (il a fait en 2011 un enfant via une mère porteuse de luxe, la fille de Leonard Cohen, Lorca), il y avait sans doute matière en lui pour engraisser les psys au détriment des comptables de son label. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle sa maison de disques a repris la main, en lui suggérant de revenir sur terre et de s’associer avec le très bankable Mark Ronson, producteur de Lily Allen, Amy Winehouse ou encore Adele. Ce qui pouvait passer sur le papier pour une concession de la haute couture au prêt-à-porter mainstream se révèle au contraire un victorieux concours d’élégance.

Par coquetterie, le fruit de cette alliance a pour nom Out of the Game, mais une seule écoute suffit à se rassurer : grâce à Ronson, Rufus est de retour de plain-pied dans le jeu. De la chanson-titre, idéal single aux accents de Fleetwood Mac, jusqu’à la sublime élégie de huit minutes (Candles) qui clôt l’album, Wainwright retrouve comme par miracle sa baraka mélodique et sa prestance mélodramatique, sa voix de diamant et, plus précieux que tout, sa langue pendue de bel ami orgueilleux. “Je n’écoute pas beaucoup de musique actuelle, pas par snobisme mais parce que je n’ai pas une grande curiosité pour ce que font les autres. Je sais juste que les artistes que j’aime, à l’image de Bowie, Freddie Mercury, Björk ou Lhasa, ont su s’aventurer hors des sentiers balisés de la pop tout en étant capables d’y revenir avec aisance. Je me prétends l’un des leurs, je ne souffre ni de modestie ni de prétention, je pense seulement avoir fait de grands disques, d’autres un peu moins, mais dans l’ensemble je n’ai à rougir de rien.” Enregistré à New York mais volontiers tourné vers cette Californie seventies qui obsède un peu tout le monde actuellement, Out of the Game séduit par la sérénité qui en émane. Ronson, pour lequel Rufus confesse avoir eu un coup de foudre “aux frontières des sentiments amoureux”, a su inventer autour des compositions virevoltantes du Canadien un environnement totalement bienveillant, minutieusement ouvragé, pour laisser l’espace le plus vaste à l’épanouissement des compositions sans trop forcer sur l’étalage cosmétique. En amenant avec lui ses précieux Dap-Kings, musiciens et chorale black déjà à l’œuvre derrière Amy Winehouse ou Sharon Jones, Ronson est même parvenu à faire monter la température fiévreuse de plusieurs degrés à l’aide de chœurs gospel capiteux (Jericho, Rashida) qui sortent avantageusement Wainwright de sa bibeloterie habituelle. “J’ai toujours admiré Nina Simone, sa voix, mais aussi la complexité

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des chœurs gospel capiteux sortent avantageusement Wainwright de sa bibeloterie habituelle de ses compositions au piano et la vibration unique qui se dégageait de ses concerts. En enregistrant live avec un tel groupe, ce qui était nouveau pour moi, j’ai vraiment eu l’impression de capturer un peu de sa magie.” Foisonnant et éclectique, Out of the Game évoque aussi, tour à tour, les folles heures de Broadway (Welcome to the Ball) ou l’excentricité burlesque des Sparks (Bitter Tears) tout en réservant ses plus belles fulgurances à une brassée de ballades (Sometimes You Need, Song of You) qui feront sans doute la fortune de l’industrie du mouchoir – et rendront Elton John très envieux. Parmi elles, l’époustouflante Montauk, du nom de la pointe balnéaire de Long Island où Rufus et son fiancé possèdent une villa, raconte l’arrivée dans le foyer de leur fille. Même dans le registre de la sensiblerie papa gâteau, Rufus Wainwright est passé maître du jeu. Christophe Conte photo Caroline de Greef album Out of the Game (Decca/Universal) www.rufuswainwright.com en écoute sur lesinrocks.com avec

“c’était excitant d’éloigner Rufus de la musique folk” Décidément partout, le producteur Mark Ronson raconte sa collaboration avec Rufus Wainwright. “J’ai rencontré Rufus à New York en 2007, dans un club où je passais des disques. Il y a deux ans, il m’a proposé de produire son prochain disque. Je ne connaissais pas très bien ses anciens albums mais je l’avais souvent vu à la télévision. J’avais été époustouflé par son concert où il revisitait les chansons de Judy Garland, sa voix m’avait bouleversé. Puis il a commencé à m’envoyer les demos d’Out of the Game et j’ai d’emblée compris

que je pourrais travailler dessus. Je me souviens notamment de la chanson éponyme et de Sometimes You Need. Il y avait quelque chose dans l’écriture qui m’a rappelé celle des grands songwriters des seventies, des gens comme Harry Nilsson. J’ai pensé au son du Laurel Canyon, et aussi à des artistes comme T. Rex, ou à David Bowie période Young Americans. J’ai été excité à l’idée d’éloigner Rufus de la musique folk en lui proposant les services d’une

section rythmique. Je l’ai fait travailler avec mes fidèles Dap-Kings. Ils ont un peu endossé le rôle du Wrecking Crew de Phil Spector, en apportant un rythme incroyable aux chansons. La crise du disque, d’ailleurs, impose un peu cet élan aujourd’hui. On est obligés de travailler comme dans les années 60 et de faire des disques en trois semaines. Au final, c’est assez libérateur, car on n’a plus le temps de se prendre la tête pendant des heures sur telle ou telle prise.

On a partagé l’enregistrement entre Brooklyn, dans un vieil appartement reconverti en studio, plein de vieux matériel jadis utilisé par Sly & Robbie ou Al Green, et Manhattan, dans le studio généralement choisi par Sonic Youth ou Lou Reed. Il n’y a quasiment pas eu de désaccords. Les seules fois où ça nous est arrivé, je dois admettre que c’est Rufus qui avait raison. Il fait partie de ces rares personnes en qui j’ai totalement confiance.” recueilli par Johanna Seban 16.05.2012 les inrockuptibles 77

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à la Nef, le changement c’est maintenant Passation de pouvoir à la Nef, la salle rock d’Angoulême. La valeureuse association Dingo laisse la barre après dix-neuf ans de gestion mais s’en va sur un beau week-end de concerts : les 18 et 19 mai, Blood Red Shoes, The Jim Jones Revue, The Lords Of Altamont, Lewis Floyd Henry, Birdy Nam Nam et d’autres diront adieu à Dingo. www.dingo-lanef.com

Paul Postle

Blood Red Shoes

Blur majeur Vingt et un ans après la sortie de son premier album, Leisure, le groupe, qui s’apprête à reprendre le chemin de la scène pour jouer en clôture des Jeux olympiques de Londres, publiera le 30 juillet un coffret de vingt et un CD et DVD compilant toute sa carrière – de ses disques studio aux raretés ou live jamais diffusés. Une petite consolation alors que Damon Albarn annonce à qui veut l’entendre que Blur, c’est bel et bien fini. blur.co.uk/blur21

Primavera en double On portait déjà le festival barcelonais très haut dans notre cœur. Voilà qu’il se dédouble cette année avec une toute nouvelle édition portugaise qui se tiendra à Porto une semaine après sa version espagnole. Au programme : Mazzy Star, The xx, Justice (photo), M83, A$AP Rocky, Black Lips, Dominique A, Franz Ferdinand, Atlas Sound, The Rapture, Beach House, Other Lives, Rufus Wainwright, Beirut, Refused, SBTRKT, Friends, Wilco et un milliard d’autres groupes à retrouver sur le site du festival. du 30 mai au 3 juin à Barcelone ; du 7 au 10 juin à Porto www.primaverasound.com

Guillemots surprise

cette semaine

Jeffrey Lewis & The Junkyard

Les oiseaux anglais sont discrets mais ne chôment pas. Après l’incartade en solo de leur meneur, Fyfe Dangerfield, en 2010, et un troisième album publié en 2011, voilà que les Guillemots reviennent sans crier gare avec un quatrième album. Paru la semaine dernière à la surprise générale, Hello Land ! ne connaîtra pour l’instant pas de sortie physique mais est déjà disponible en téléchargement sur le site du groupe, qui prévoit d’ailleurs de publier trois autres disques cette année. http://guillemots.com

Le bon copain Jeffrey Lewis revient enfin en France avec son Junkyard. L’occasion de pleurer de rire ou de rire aux larmes au son des comptines antifolk de l’Américain, aussi drôle que touchant. le 17 mai à Lille, le 19 à Lyon, le 20 à Bordeaux, le 21 à Toulouse, le 22 à Marseille

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It’s Immaterial Brainstorm

Palma Violets L’industrie lourde de la guitare anglaise et ses filiales habituelles (festivals démesurés, magazines complices, fabricants de T-shirts…) comptent énormément sur ces jeunes pousses venues du sud de Londres pour rendre fierté et chéquier à la pop locale. Ils possèdent déjà chansons, charisme et culot. Le reste suivra. www.youtube.com

Découverts lors d’une récente tournée française, ces Américains de Portland sont d’infernaux trafiquants de bonheur, qu’ils vendent en douce sous couvert de chansons cavaleuses, qui évoquent autant l’excentricité de Vampire Weekend que la folle énergie de Two Door Cinema Club. Un ami suggère “The xx réconcilié avec la vie”. C’est ça aussi. www.myspace.com/brainstormbrainstorm

Pretty in Pink Ultime comédie romantique pour teenagers 80’s, Pretty in Pink est doté d’une BO parfaite pour comprendre ce qu’était l’adolescence à l’époque. De Please Let Me Get What I Want des Smiths à Bring on the Dancing Horses d’Echo & The Bunnymen, on réécoute ces dix morceaux à l’occasion d’une réédition spéciale Disquaire Day.

Pour chanter la mélancolie horizontale et le désœuvrement des faubourgs du nord de l’Angleterre, on ne connaît guère mieux que ce groupe de Liverpool. Leur pop désabusée et contemplative mais ambitieuse réussira l’exploit, dans les 80’s, de fréquenter le sommet des charts UK. Leur merveilleux album Song est réédité, avec des inédits. itsimmaterial.webplus.net/

vintage

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Polica partout Tordu et spectral, collision frontale de styles et d’humeurs, le premier album des Américains de Poliça fait dresser les poils d’admiration – et de peur.

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ans s’embarrasser d’inutiles précautions oratoires, Bon Iver a déclaré au magazine américain Rolling Stone que Poliça était “le meilleur groupe (qu’il ait) jamais entendu”. Jay-Z, garçon qui dispose d’un suivi relativement maousse sur l’internet, y a posté une de leurs vidéos. Il se dit que, discrètement, Prince en personne est venu voir sur scène à Minneapolis ses concitoyens de Gayngs, passionnant collectif dont sont issus les deux têtes pensantes de Poliça, Channy Leaneagh et Ryan Olson. On voit déjà poindre devant vos paupières inquiètes, en lettres de feu soulignant le danger des espoirs vains, le mot “hype”. Sauf que derrière le bruit et la rumeur il y a un groupe (vu sur scène lors de South By Southwest, il a littéralement mis sur le popotin) et un album, Give You the Ghost. Et que Give You the Ghost est un immense album, de ceux qui, comme le premier TV On The Radio, comme celui de Fever Ray ou ceux de Leila, exemples parmi d’autres,

une œuvre globale, expérimentale mais accessible, tordue et obsédante

font instantanément éclater leur unicité, dévoilent des terras très incognitae en naviguant loin dans les marges. Une œuvre globale, expérimentale mais accessible, tordue et obsédante où l’ensemble des univers, pop chercheuse, r’n’b pâle, dub maladif, electro concassée, funk cabossé et choses encore à définir, se mêlent en roudoudous infinis, qui gluent les synapses pour ne jamais plus les lâcher. “L’album est très répétitif, presque comme un mantra, explique Channy. J’écoutais les beats composés par Ryan et je chantais dessus. La plupart des mélodies me sont venues comme ça, ça relève presque de l’inconscient. Pareil pour les paroles : c’était de l’écriture automatique, je retranscrivais mes pensées en textes. Cet album a capturé un moment spécifique dans le temps.” Le moment a dû être bizarre pour les deux âmes, car Give You the Ghost porte bien son nom : il offre à écouter, et presque à observer, les fantômes flous et spectres vaporeux parmi lesquels il promène ses airs incertains. Indéfinis et mouvants, I See My Mother et son dub patraque, la plus musclée Violent Games, la très synthétique Dark Star, l’inquiétante The Maker ou la faussement désolée Wandering Star semblent ainsi appartenir à un autre monde, à un au-delà des genres, styles et humeurs. Rebrousser les poils,

de frousse face à l’inconnu, d’admiration face aux risques exploratoires : c’est ce que provoquent ces chansons étranges et vaudoues, rythmiquement folles, chantées par une sirène auto-tunée à méduser les âmes les plus stoïques. “Je n’aime pas ma propre voix. L’auto-tune, c’est comme se mettre sur son trente et un : si vous ne vous sentez pas très bien, que vous n’avez pas envie de sortir, il n’y a qu’un remède, se maquiller, mettre des talons hauts et une jolie robe. J’ai aussi utilisé l’auto-tune parce que ça nous met tous dans le même état d’esprit, celui de l’album. Un peu comme si on prenait tous la même drogue.” Et nous de la gober sans retenue, dans un abandon de soi et des repères. Thomas Burgel et Carole Boinet album Give You the Ghost (Memphis Industries/Pias) www.thisispolica.com en écoute sur lesinrocks.com avec

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Elettra Mallaby

en pleine crise, la musique de cet Italien est une lueur d’espoir, de rêve et de redressement

l’homèricano Vinicio Capossela déchaîne la tempête sur la chanson transalpine. Une musique qui revient de loin : du blues, de l’opéra, des abysses tyrrhéniennes et du ventre d’une baleine.

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ur la pochette de son treizième (double) album, l’Italien Vinicio Capossela joue au pirate. La photo a été prise dans le sud de l’Italie, au Castello Aragonese de l’île d’Ischia, une antique forteresse qui surplombe la mer Tyrrhénienne. Il y a deux ans, Vinicio Capossela commençait à enregistrer son album dans la sacristie du Castello Aragonese, après y avoir fait monter un piano à queue. Le début d’une odyssée vertigineuse et fantasmagorique à travers le bassin méditerranéen, ses légendes homériques, ses musiques ancestrales et la mémoire de ses peuples. D’Ischia à Rome, via la Crète, la Grèce et Milan (où Capossela réside). Puis cap vers d’autres horizons, l’Amérique de Marc Ribot, Melingo (invités sur le disque) ou Herman Melville, dont le Moby Dick

a inspiré le deuxième volet de Marinai, profeti e balene. Et si, à la fin, Vinicio a choisi de se présenter en pirate, c’est parce que ce disque est un trésor ramené de loin, volé à l’oubli des confins mythologiques. Dans le livret, cette citation de Shakespeare : “Un ciel si sombre ne pouvait s’éclaircir que par un orage.” Le disque, c’est l’orage, cathartique tempête de chansons italiennes, de folklores méditerranéens, de chants de pêcheurs, de sirènes ou inspirés par les viriles chorales protestantes américaines, de blues latin, d’opéra, de swing campagnard et d’arrangements savamment surréalistes. Un grand voyage, oui, merveilleusement fantasmé, qui engloutit l’auditeur et au final le laisse sonné sur la plage, avec l’envie d’y replonger. Vinicio Capossela, 47 ans, n’est pas un marin d’eau douce. Une star en Italie.

A l’époque de son premier album, enregistré en 1990 avec les musiciens de Paolo Conte, il se rêvait en Tom Waits italien, chanteur de piano-bar americano, se produisant même sous le pseudo de Vic Damone. Son premier album, en hommage décalé au classique jazz Round Midnight, s’appelait All’una e trentacinque circa, soit “Vers une heure trentecinq”, l’heure à laquelle il faut penser à rentrer. Alors, Vinicio a commencé à rentrer. Disque après disque, il s’est souvenu des péplums que son père l’emmenait voir au cinéma de la paroisse, de la musique des fêtes de mariage dans le village de sa grand-mère. Il a assumé ce prénom que son père lui avait donné en hommage à un accordéoniste italien. Il est tombé amoureux du rebétiko, cette musique populaire grecque qui vaut bien le blues américain. Il n’a pas rejeté les

séduisants mythes de la culture américaine mais a retrouvé ceux de ses racines méditerranéennes. “La plupart des chansons de cet album sont inspirées par la littérature et les mythes. Mais l’Odyssée, ça ne m’évoque pas la culture académique ou scolaire : c’est celle de ma grand-mère, du monde agricole, de la cuisine au feu de bois, de la magie.” Après cet album forcément magique, Vinicio est prêt à s’embarquer dans une autre aventure : il a enregistré un disque de rebétiko. “C’est la musique des tavernes de la côte, le retour au port après une longue traversée.” Alors que le sud de l’Europe sombre dans la crise, la musique de Vinicio Capossela est aussi une lueur d’espoir, de rêve et de redressement. “La crise n’est pas qu’économique, elle est aussi culturelle. On a tout donné au capitalisme, au consumérisme, et on a tout perdu. La musique authentique, c’est l’identité, la terre, ce qui reste quand on a perdu tout le reste. Dans l’Italie d’aujourd’hui, à cause de Berlusconi et de cette culture de la télé, c’est important d’apporter un message qui élève, de montrer que la vie n’est pas cette petite chose minable que montre la télé. Il n’y a pas de limite au pire. Mais au meilleur non plus.” Stéphane Deschamps album Marinai, profeti e balene (Ponderosa/Harmonia Mundi) concert le 24 mai à Paris (Casino de Paris) viniciocapossela.it

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Anders Jormin Ad Lucem ECM/Universal

Phoebe Jean & The Air Force Heartbreakers Lentonia/Module Cet espoir de l’underground américain n’en fait qu’à sa tête. Parfait. e Baltimore, outre une dance-music Sa musique, plus indocile qu’indécise, sauvageonne, électroniquée et couvre le hip-hop, le sérialisme, tribale, on a surtout fréquenté deux l’electro ou la pop d’un voile noir, lourd, extrêmes ces dernières années : mais qui n’empêche jamais ses chansons la pop onctueuse, irréelle, de Beach House ; de respirer, voire de danser. Elle les le sous-monde terrifiant, carbonisé de la chante d’une voix traînante, amochée, tout série The Wire. C’est précisément entre ces en incantations et feulements : une voix deux univers – l’onirique et l’apocalyptique, de chienne de vie, qui illumine un genre le rêveur et le crève-cœur, le bucolique et de funk lugubre, gothique, futuriste (Day Is l’urbain – que se situe l’univers très marqué Gone ou l’infernal Luvz 4 Real). Son groupe de Phoebe Jean, partie de Baltimore pour s’appelle The Air Force : ses frappes une vie de nomade en Europe. PJ, comme sont chirurgicales, s’attaquant avec férocité une certaine Harvey, possède une forte aux pieds, aux cœurs et aux cerveaux. tête, et une fierté d’artiste underground par On ne leur échappe pas. JD Beauvallet mission, refusant le confort des acquis, www.phoebejean.com les combines des petites règles d’écriture.

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Deux chanteuses pop, du latin et une contrebasse : étrange. L’une des chanteuses vient du duo Wildbirds & Peacedrums, l’autre de Thus:Owls. Anders Jormin (contrebassiste et orchestrateur de cet ovni musical) a eu la drôle d’idée de faire chanter ces Suédoises en latin. L’écriture des voix, chahutant avec un saxophone aux humeurs free mais toujours justifiées, est remarquable. Les balais et mailloches du batteur Jon Fält ponctuent le dialogue, parfois le mènent à la baguette. L’album mérite une écoute consciencieuse, faute de quoi il pourrait sembler un brin crispant. Louis Michaud www.ecmrecords.com

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Belleruche Rollerchain Tru-Thoughts/Differ-ant

Oberhofer Time Capsules II Glassnote Records Classe et morgue : une décharge électrique venue de Brooklyn. n a vu, il y a quelques semaines, Oberhofer sur scène. Mandale dans la tête : les jeunes garçonnets de Brooklyn, menés par une électrique petite frappe à peine en âge de prendre l’avion, montraient une classe rare, quelques grands titres, une poignée de vrais tubes mais, surtout, une passionnante ambivalence. Du côté brut de leur force juvénile, des petites bombes punk, rock, chromées, crasses, tubesques, quelque part entre les Strokes et les Libertines, Arctic Monkeys et les Drums. Mais le groupe est capable, par éclairs et plus encore sur son merveilleux et très surprenant premier Time Capsules II, d’aller chatouiller une pop plus grandiose et sensible, stratosphérique et merveilleusement arrangée, d’aller chercher des noises aux étoiles romantiques. Quelque chose nous dit qu’on n’a pas fini d’entendre parler d’Oberhofer. Thomas Burgel

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www.myspace.com/oberhofermusic en écoute sur lesinrocks.com avec

various artists Seriously, Eric? #4 Alter K Excellente compilation de pop moderne, par un label à grandes oreilles. Le label Alter K continue office d’hymne d’ouverture velours (Stockhaus, NZCA/ d’étirer les limites de la pop (Isaac Delusion), avant Lines). Le tout se déroule avec ses exercices (de style). la sueur d’une sorte bien sûr dans une énergie Dans une gymnastique bien de rockabilly (joliment) pleine de psychédélisme entraînée, les compilations méconnaissable (The (Spaceships Are Cool), voire Seriously, Eric? s’efforcent Experimental Tropic Blues de grande folie (The Chap). Maxime de Abreu de regrouper les sportifs Band), une fièvre tribale indépendants parmi et presque folk (Haightles plus excitants du circuit. Ashbury) et un repos bien www.alter-k.com Pour ce quatrième tour mérité dans une (pop de) en écoute sur lesinrocks.com avec de piste, la dream-pop fait chambre tapissée de

Cette sombre soul anglaise gagne en épaisseur et en profondeur. Un journaliste, qui avait forcé sur la binouze, s’était exclamé “C’est la rencontre entre Blondie et Portishead” en découvrant le précédent album des Anglais. Il voyait loin : car ce qui ne s’appliquait pas fatalement au trip-hop raisonnable de 270 Stories prend tout son sens sur le nettement plus complexe Rollerchain, qui quitte le gris mou pour des teintes autrement plus extrêmes, passant du rose vif de l’euphorie pétillante au noir opaque de la grande dépression – le home sweet home de la plupart de ces chansons collantes, qui dénichent un lien de parenté entre The xx et Massive Attack. Toujours souveraine chez Belleruche, la voix de Kathrin DeBoer virevolte en reine abeille, en reine habile au-dessus du chaos grouillant, des basses grondantes. Ses sautes d’humeur à l’élastique, parfois même indépendantes des musiques qui les accueillent, la bousculent d’une pop innocente à une soul calcinée, avec toujours cette lenteur, cette candeur qui en font un piège fatal, à la Portishead justement. JD Beauvallet www.myspace.com/belleruche en écoute sur lesinrocks.com avec

The Wave Pictures Long Black Cars Moshi Moshi/La Baleine Retrouvailles annuelles et bouleversantes avec un trio anglais très doué. On a longtemps rêvé d’un groupe qui offrirait des mixtapes à ses fans pour Noël, sortirait tous les ans un nouvel album aussi enthousiasmant que le précédent et serait allergique aux concerts millimétrés. Ce groupe existe : The Wave Pictures. Enregistré sans autres effets spéciaux que l’émotion et la liberté, Long Black Cars trouve un équilibre parfait entre fougue et délicatesse, légèreté et profondeur. Héritière de Jonathan Richman et Herman Dune, portée par les fines observations de David Tattersall, cette écriture buissonnière reste ouverte à tous les vents, pour ne jamais redescendre sur terre. Noémie Lecoq www.thewavepictures.com en écoute sur lesinrocks.com avec

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Simian Mobile Disco Unpatterns Wichita/Pias Virage radicalement electro bien négocié pour le duo de producteurs anglais. n avait jeté l’éponge, pris la aussi léchée. Avec sa techno décision d’arrêter de compter tortueuse (Cerulean), sa house le nombre de fois où le nom grisante (I Waited for You, Put de James Ford apparaissait Your Hands Together) et ses beats sous la mention “producteur” coriaces (A Species out of Control), des albums sortis ces six dernières le troisième album du duo anglais années. Depuis la parution en sent la mauvaise drogue et 2007 de Attack Decay Sustain les bad trips de fin de soirée. Il se Release, premier album de Simian drape d’obscurité, celle des squat Mobile Disco, le producteur anglais parties où la nuit n’a pas de fin aux doigts de fée a passé plus de et les corps pas de limite. temps à travailler pour les autres Si l’on regrette toutefois que que pour lui-même. Klaxons, Arctic le duo se repose parfois sur Monkeys (dont il est le producteur ses lauriers pour quelques titres attitré), The Last Shadow Puppets, un peu faciles (Interference), Peaches, Florence & The Machine Unpatterns se dresse pourtant en ou encore Crocodiles : Ford juste reflet nocturne d’une jeunesse a accumulé les productions béton britannique lasse et accablée jusqu’à rejoindre, en 2011, qui préfère noyer ses doutes en l’électrique Beth Ditto de Gossip club qu’écouter les discours vides pour son ep solo et disco. de ses aînés. Ondine Benetier Quatre ans après la sortie du furibard Temporary Pleasure, plus www.simianmobiledisco.co.uk de pop ni de rigolade dans ce en écoute sur lesinrocks.com avec Unpatterns à la production toujours



The Jeffrey Lee Pierce Sessions Project The Journey Is Long Glitterhouse/Differ-ant Nick Cave ou Bertrand Cantat réaniment le blues déchirant du Gun Club. Suite aux seize titres retrouvées à l’état Cantat, Hugo Race, d’un précédent We Are Only de brouillons sur des Mick Harvey ou Tav Falco Riders publié en 2009, carnets ou cassettes audio prorogent ainsi, avec voici le second volet du aléatoires, une hallucinante cœur et brio, une histoire Jeffrey Lee Pierce Sessions dream-team fait éclore foudroyée voici seize ans. Project, réuni une fois et mûrir les germes acides L’âme bluesy et déchirée de encore par Cypress Grove. de l’écorché californien. Jeffrey Lee Pierce y renaît, A l’instar du précédent Nick Cave très à l’aise dans noire et brillante, indemne. Jean-Luc Manet volume, The Journey Is Long un rôle sur mesure, Jim offre une lecture inédite Jones Revue plus rugueux de titres laissés en jachère que jamais, Mark Lanegan, www.glitterhouse.com par le regretté leader du Lydia Lunch, Debbie Harry, en écoute sur lesinrocks.com avec Gun Club. De ces ébauches, Steve Wynn, Bertrand 16.05.2012 les inrockuptibles 85

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Abed Azrié

Marie de Crécy

chante Adonis CD+DVD Doumak/Harmonia Mundi

Etienne de Crécy My Contribution to the Global Warming Pixadelic Un gros et beau coffret se souvient de ce qu’Etienne de Crécy a fait pour la France. eindre les toits en Et le pire, c’est qu’il s’est retenu, blanc pour réduire le le saligaud. De Only One Mind, recours systématique jolie ballade aquatique où surnage à la climatisation. la voix de corail de Keren Ann (entre Manipuler génétiquement la taille autres extraits d’une improbable des prochaines générations comédie musicale électronique) pour diminuer leurs besoins à la house toute en basse fessée nutritionnels. Exploiter l’énergie de Slap, rare et précieux rescapé géothermique des volcans pour de l’inachevé deuxième album faire baisser notre dépendance de Motorbass (le duo qu’il forma en aux combustibles fossiles. marge de ses activités d’ingénieur Ces trois solutions potentielles du son avec Philippe “Cassius” dans la lutte contre l’effet de serre Zdar), une bonne trentaine de titres ont récemment fait la une des inédits, sur un total de soixante-dix, médias. Nulle trace en revanche est là pour en témoigner. de la plus rentable : la mise Pour le reste, classiques (des aux arrêts d’Etienne de Crécy et plaisanteries funky de Superdiscount l’interdiction définitive et irrévocable aux hymnes conquérants de sa pour lui d’approcher claviers, période Beats’n’Cubes) et remixes ordinateurs, boîtes à rythmes (pour Mylo, Air, Moby, DJ Mehdi…) et autres appareils susceptibles composent le portrait, passionnant, de l’aider à poursuivre l’œuvre d’un DJ et producteur d’autant plus d’exténuation des foules qu’il mène redoutable qu’il a sévi, y compris depuis l’aube des années 90. au plus fort de cette French Touch Il le reconnaît pourtant lui-même dont il fut l’un des emblèmes, sur My Contribution to the Global avec une discrétion et un sens Warming, rétrospective en de la remise en question cinq disques de ces deux décennies admirables. Benjamin Mialot au service de l’exhalation de gaz carbonique : si les ours polaires www.etiennedecrecy.fr en viennent au cannibalisme pour en écoute sur lesinrocks.com avec survivre, c’est un peu de sa faute.

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La “poésie sacrilège” de l’auteur libanais Adonis mise en musique. Magnifique. Privé du prix Nobel de littérature en 2011, le poète libanais d’origine syrienne Adonis doit savourer cette consécration moins officielle que constitue la mise en musique de ses textes par le chanteur Abed Azrié, exilé syrien vivant à Paris depuis la fin des années 60. Une rencontre qui reflète une réelle convergence d’esprit entre le “poète sacrilège” de langue arabe, qui affirme que “le voile ne cache pas seulement le visage mais aussi le cerveau”, et le chanteur rebelle à la voix caverneuse, au regard intransigeant sur sa culture d’origine, qui s’est toujours situé par-delà le bien et le mal, le hallal et le haram. De la fusion de ces deux âmes exilées, insubordonnées et passionnément sensualistes naît ce recueil assez sublime tissé de cordes, d’accordéon, de percussions, où le chant profond, voluptueusement solennel de l’un s’accorde à ravir avec la quête d’un lien sacré avec le monde, mais libéré de la tutelle de Dieu, de l’autre. Francis Dordor www.abedazrie.com

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I:Cube “M” Megamix Versatile/Modulor Un road-trip amoureux et mouvementé dans des décennies d’electro. Brillant. n Angleterre, I-Cube est une marque fabriquant aux petits oignons des boîtes luxueuses pour ranger ses vinyles. En France, I:Cube fait exactement la même chose : il range des centaines de disques dans le boîtier d’un CD, en ordre alphabétique ou aléatoire, suivant sa dernière lubie – pop, jazz, hip-hop, disco, house, soundtrack ou genres croisés méconnaissables.

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Pionnier discret, depuis plus de quinze ans, de l’electro française métissée (il a aussi bien remixé Daft Punk que collaboré avec RZA du Wu-Tang), il livre aujourd’hui un de ces hybrides débridés à bride abattue qui font la gloire mais aussi le vague anonymat, malheureusement, de sa musique trop peu scrupuleuse des règles et des lâchetés carriéristes. Emancipé depuis son formidable et boulimique Picnic Attack de 1997, il continue son travail de sape des frontières entre continents, époques et humeurs avec une impatience palpable. Souvent plus dense que dance, sa musique sort d’un long silence avec ce lourd chahut, un joyeux et imprévisible capharnaüm. Car plus qu’un simple (double) disque, “M” Megamix devient une lettre d’amour à toutes les musiques électroniques des bas-côtés, un road-trip sans GSM, sans étape, sans rétroviseur dans cette jungle sonique, traversée fenêtres ouvertes et autoradio à fond. Si les voyages forment la jeunesse, alors celui-ci offre une étourdissante formation accélérée. JD Beauvallet versatilerecords.com

The Ritch Kids Kid Stuff Kids Tough ep Fingers In The Noise/Idol En téléchargement et bientôt en physique, le ep de saison de passionnants Français. Cette fois-ci, les pochettes ne sont pas sautillant ici, après T. Rex sur le premier ep. peintes à la main, mais l’éthique (les tics ?) Mais le patois est un bien dérisoire détail, artisanale reste la règle d’or de ce rock qui ne pèse pas lourd face à l’enthousiasme pauvre mais combattant. Les Ritch Kids, communicatif de ces refrains ultrapop nom délicieusement fuck off pour ce rock de (Rock Star, le tube qui manquait au dernier gueux, sont français, mais c’est juste pour Ting Tings), face à ces chansons antipoison, leurs passeports. Car Philippe et Laytitia antigris. Chipie et jamais cheap, ont arrêté ici de chanter dans une langue sexy et jamais vulgaire : la classe, dans maternelle qui leur allait pourtant bien, lui un genre de lutte des classes. JDB préférant cette fois en intégralité un anglais adapté à leur refrains/slogans – et à leurs www.myspace.com/theritchkids en écoute sur lesinrocks.com avec reprises amoureuses, Hank Williams 16.05.2012 les inrockuptibles 87

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Birdy Birdy Atlantic/WEA Un étonnant album de reprises par une lolita à suivre. alent précoce (lauréate par un chant tout en reliefs, d’un concours de chant à d’une grande souplesse et d’une 12 ans, classée dans les charts étonnante maturité. Happé aussi grâce à une chanson de Bon par le choix crâne de mélodies Iver, présente ici, à 14), Jasmine le plus souvent confidentielles van den Bogaerde se voit imposer (exception notable : Fire and Rain un nouveau challenge : enregistrer de James Taylor) et la personnalité un premier album exclusivement de la jeune fille, susceptible, de constitué de reprises (à l’exception Fleet Foxes à Phœnix en passant du joli mais étonnamment déchiré par The xx, d’imprimer tout du long Without a Word), le tout sous sa marque de fabrique – fermeté la houlette de tueurs aiguisés chez et suavité sont dans un bateau. Christian Larrède Florence & The Machine ou Adele. Or, juste avant de faire du petit bois de la lolita, craintivement accrochée www.officialbirdy.com à sa jupe au recto, on est saisi en écoute sur lesinrocks.com avec



It’s Only Rock’n’Roll et autres Bricoles de Philippe Paringaux (introduction de Christophe Quillien) Editions Le Mot et le Reste, 505 pages, 25 €

Une plume légendaire de la critique rock française compile ses meilleurs articles. ttention, mythe ! défilent ici, témoins d’une Et puis il y a Bricoles, Principale plume époque où le rock était chronique personnelle de Rock & Folk une aventure, où les stars où Paringaux pose de 1968 à 1973, inconscientes de leur la casquette de rock-critic Philippe Paringaux statut restaient accessibles pour ciseler des nouvelles en devient ensuite le rédac aux journalistes. Dans évocatrices qui appellaient chef jusqu’en 1990, menant une langue classique déjà des illustrations en parallèle une activité mais vibrante, traduisant de Loustal. Depuis des d’auteur de BD avec une pensée sensible années, Paringaux est Loustal. Fabuleux détecteur et profonde, Paringaux fait médiatiquement invisible, de talents, il enrôle partager ses longs moments comme secrètement d’autres Philippe (Garnier aux côtés de Led Zeppelin, retiré. Serge Kaganski et Manœuvre), Yves Adrien, Mick Jagger ou Miles Davis, Laurent Chalumeau, repère très tôt le génie Michka Assayas, François de Neil Young, du Velvet ou Gorin, leur laisse carte de Karen Dalton, invoque la blanche pourvu que le style charge séditieuse du rock soit bon. Reportages, (importante dans la France entretiens, analyses ou de Pompidou) mais fustige chroniques de disques les gauchistes de Panurge…

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Franck Loriou

Aline Aline ep accelera son/Idol/La Baleine Le concours CQFD, qu’ils ont gagné, a changé de nom. Young Michelin aussi. ainqueurs du concours forme le premier ep d’Aline, CQFD en 2009, les Young nouveau patronyme que les Michelin s’étaient envolés à Marseillais d’adoption ont choisi New York pour enregistrer pour leur groupe toujours un ep aux côtés du producteur résolument tourné vers les sixties. américain Andy Chase. De cette Pop française sensuelle et fatale session outre-Atlantique est pour les chevilles, nonchalance notamment née Hélas, pop-song rebelle et son vintage soigné : les vaporeuse que ne renierait pas quatre garçons confirment que Johnny Marr des Smiths. leurs titres accroche-cœurs sont Accompagnée du futur tube Je bois pleins d’avenir. Ne reste plus alors et puis je danse (en version qu’à crier Aline, pour qu’ils originale et remix charnel signé reviennent. Ondine Benetier Pierrick Devin et Alf Briat) et la petite bombe Deux hirondelles, elle www.facebook.com/alinepopband

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Esser Enmity. Au Festival des Inrocks 2009, on avait découvert cet hurluberlu anglais à la pop extravagante, mélangeant electro, UK Garage et rockab avec un air farfelu. Il a depuis chanté avec les Shoes et, surtout, découvert Joy Division : ça s’entend sur ce single martial et grand. www.facebook.com/esser

Animal Collective Honeycomb Après l’expérimental Transverse Temporal Gyrus, extrait de leur étrange installation au musée Guggenheim, les Américains sont de retour pour de bon avec Honeycomb, face A joyeuse et fêtarde du vinyle que le groupe sortira fin juin chez Domino. www.dominorecordco.com

Alunageorge Just a Touch C’est le lendemain de la fête absolue – ou de l’Apocalypse. Une rythmique martiale, voire sinistre, contraste diaboliquement avec l’espièglerie de ce r’n’b minimal, collant sans être gluant. Un nouveau single tellement sexué qu’il y aura des orgasmes sur le dance-floor. http://soundcloud.com/tri_angle_records

We Are Knights Turn Around You Pas encore anoblis, malgré le protectorat de souverains comme Kitsuné, les Parisiens de We Are Knights font partie de ces groupes électroniques qui dansent la farandole avec les cafards. Il y a du New Order dans cette pop dont chaque refrain cite Victor Hugo : “La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste”. www.lesinrocks.com/we-are-knights 16.05.2012 les inrockuptibles 89

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Bon Voyage 1/6 Paris, Flèche d’Or

Aline 11/6 Paris, Maroquinerie, 28/7 Hyères

Botibol 16/5 Nantes, 7/6 Biarritz, 16/6 Neuvillede-Poitou

Amadou & Mariam 2/6 Ollioules Ariel Pink’s Haunted Graffiti (+ R. Stevie Moore) 26/5 Paris, Parc de la Villette Art Rock du 25 au 27/5 à Saint Brieuc avec Breton, Rover, 1995, Juveniles, Mansfield.TYA, Orelsan, Theophilus London, Moriarty, Charlie Winston, Dionysos, Etienne de Crécy, Spoek Mathambo, etc. A$AP Rocky 12/6 Paris, Bataclan

Atlas Sound 6/6 Paris, Trabendo Austra 12/6 Paris, Trabendo Bear In Heaven 30/5 Paris, Point Ephémère The Big Sleep 18/5 Paris, Flèche d’Or The Black Lips 28/5 Marseille, 23 & 24/7 Paris, Trabendo Brendan Benson 16/5 Paris, Nouveau Casino Bon Iver 15/7 Paris, Olympia

Calexico 16/9 Paris, Trianon Cali 19/5 Lignières, 23/5 Limoges, 24/5 Villefranchesur-Saône, 25/5 Belley, 5 & 6/6 Blagnac, 7/6 Mérignac, 8/6 Nérac, 9/6 Paris, Bouffes du Nord, 13/6 SaintEstève Camille 16/5 Paris, Trianon, 18/5 Montauban, 19/5 SaintEtienne, 31/5 Reims

Caribou 10 & 11/7 Nîmes, 11 & 12/10 Paris, Bercy, 16/10 Strasbourg Caribou B2B Four 18/5 Lyon James Chance 16/5 Poitiers Chapelier Fou 29/5 Lesquin, 21/7 Tauxigny, 3/8 Boulogne Choir Of Young Believers (+ Porcelain Raft) 18/5 Paris, Café de la Danse Citizens! 7/6 Paris, Point Ephémère Leonard Cohen 28, 29 & 30/9 Paris, Olympia Coldplay 22/5 Nice, 2/9 Paris, Stade de France

Gaz Coombes 26/5 Paris, Boule noire

Death In Vegas 1/10 Paris, Olympia

Couleurs urbaines du 19/5 au 2/6 à Toulon avec Amadou & Mariam, IAM, Youssoupha, Missil, Danakil, etc.

Django Django 22/5 Tourcoing, 23/5 Strasbourg, 25/5 Paris, Maroquinerie, 26/5 ClermontFerrand

Crocodiles 5/6 Paris, Nouveau Casino

Dominique A 19/6 Paris, Casino de Paris

The Dandies 14/6 Le Mans

Dour Festival du 12 au 15/7 à Dour, avec Sebastien Tellier, Chairlift, The Rapture, Nada Surf, La Femme, St Vincent, Bon Iver, Franz Ferdinand, The Flaming Lips, Brodinski, The Shoes, Detroyer, Frànçois & The Atlas Mountains,

Days Off du 30/6 au 9/7 à Paris, Cité de la Musique, Salle Pleyel, avec Sufjan Stevens, Hot Chip, Breton, Agnes Obel, St Vincent, Damien Rice, Yann Tiersen, Antony & The Johnsons, Steve Reich, etc.

aftershow

Foster The People le 5 mai à Paris, Bataclan C’est sous l’orage qu’on accueillait, pour le week-end du deuxième tour de la présidentielle, les Californiens de Foster The People, dont la pop gorgée de soleil avait séduit immédiatement l’année dernière avec Torches, album inaugural rempli de tubes. Pour la première partie, le trio s’est adjoint d’autres loustics de Los Angeles, Mini Mansions, qui présentent leurs morceaux curieux, quelque part entre les maniaqueries géniales de Local Natives et les délires couleur de jouet de MGMT. Soirée pleine de sens, donc : Foster The People arrive bientôt avec la multicolore Houdini, avant une version complètement folle de Miss You. Viendront ensuite la douce et gentille I Would Do Anything for You, la presque reggae Broken Jaw, la très attendue Don’t Stop (Color on the Walls) et la puissante et dansante Helena Beat. Mark Foster s’époumone ainsi joliment sous des jeux de lumières plongeant le Bataclan dans une atmosphère de psychédélisme à fleur de peau, où s’épanouit parfaitement le son de ces purs produits de surf music californienne. Les joyeux lascars finiront, après le rappel, sur une version electro et déchaînée de la formidable Pumped up Kicks. Le public est comblé. Le temps d’une soirée, on a tout oublié avec Foster The People : le mauvais temps, la présidentielle et le reste. Maxime de Abreu

The Dodoz 1/6 Paris, Cigale

Selah Sue, Speech Debelle, The Subways, etc. Baxter Dury 12/5 Laval Eiffel 12/5 ClermontFerrand, 15/5 Nantes, 18/5 Rambouillet, 22/5 Roubaix, 23/5 Paris, Point Ephémère, 24/5 Lyon The Electric Ducks 26/6 Paris, Flèche d’Or Electric Guest 22/5 Paris, Maroquinerie, Hanni El Khatib 5/6 Paris, Cigale, 29/6 Belfort, 5/7 Lyon Matt Elliott 26/5 Dijon EMA 16/5 Paris, Olympia (avec Garbage), 18/5 Paris, Flèche d’Or Les Eurockéennes de Belfort du 29/6 au 1/7 à Belfort, avec Jack White, Lana Del Rey, Hanni El Khatib, Electric Guest, Busy P, Dionysos, C2C, Miike Snow, Frànçois & The Atlas Mountains, Sallie Ford, Sebastian, Django Django, The Cure, Justice, etc. Europavox du 25 au 27/5 à ClermontFerrand, avec Dionysos, The Hives, Django Django, The Kills, 1995, Stuck In The Sound, Amadou & Mariam, Woodkid, Baloji, Esser, Odezenne, Sun Glitters, Dear Reader, etc. Ewert & The Two Dragons 18/5 Bruxelles, 23/5 Nantes, 24/5 Strasbourg, 26/5 ClermontFerrand Father John Misty 8/6 Paris, Flèche d’Or Festival ÅÄÖ jusqu’au 16/5 à Paris, avec Peter

Von Poehl, Marie Modiano, Pacific!, etc. Festival Crossover du 26/5 au 3/6 à Nice, avec Cypress Hill, Metronomy, MF Doom, Popof, Charlotte Gainsbourg, Connan Mockasin, etc. Frànçois & The Atlas Mountains 16/5 Mont-deMarsan, 18/5 Montauban, 19/5 Brétignollessur-Mer, 7/6 Tours, 8/6 Saint-Lô, 14/6 Lorient, 15/6 Bourgsur-Gironde, 29/6 Montendre, 17/10 Paris, Cigale Friends 16/5 Paris, Maroquinerie Charlotte Gainsbourg (+ Connan Mockasin) 18/5 Strasbourg, 19/5 Bruxelles, 21/5 Paris, Cigale, 22/5 Rouen, 24/5 Lausanne, 26/5 Reims, 29/5 Nancy, 30/5 Grenoble, 31/5 Nice Garbage 16/5 Paris, Olympia Gallon Drunk 19/5 Lyon Garçons Mutant Disco Project 16/5 Lyon Melody Gardot 16/10 Rennes, 17/10 Rouen, 21/10 Tours, 26/10 Orléans, 5, 6 & 7/11 Paris, Olympia, 12/11 Dijon, 13/11 Grenoble, 15/11 Marseille Garorock du 8 au 10/6 à Marmande, avec Breton, Cypress Hill, C2C, Friendly Fires, Metronomy, The Specials, The Tings Tings, Charlie Winston, Orelsan, Dionysos, 1995, Skip The Use, Modeselektor, Citizens!, etc. General Elektriks 16/5 Bruxelles, 19/5 Grenoble, 23/5 Le Mans,

24/5 Angers, 26/5 SaintLaurent-deCuves, 1/6 SaintPierre, 23/6 Villeurbanne, 24/6 Paris, Solidays, 29/6 Montargis, 14/11 Paris, Zénith Get Well Soon 9/10 Rouen, 10/10 Bordeaux, 11/10 Nantes, 2/11 Tourcoing Girls 30/5 Paris, Villette Sonique, 31/5 Marseille Grimes 16/5 Paris, Flèche d’Or Guizmo 9/6 Bobigny, 16/6 Paris, Maroquinerie Haight-Ashbury 16/5 Paris, Café de la Danse, 17/5 Lyon, 29/5 Strasbourg, 31/5 Caen Hauschka 22/5 Paris, Café de la Danse Hooded Fang 26/5 Paris, Flèche d’Or Hot Chip 7/7 Paris, Cité de la Musique (avec Breton) Howler 26/5 Paris, Flèche d’Or The Hundred In The Hands 28/5 Paris, Café de la Danse Chris Isaak 12/10 Paris, Grand Rex Etienne Jaumet 16/5 & 18/5 Lyon, 28/6 Paris, Cabaret Sauvage, 30/11 Nantes, 16/12 Paris, Cité de la Musique Jay-Z (+ Kanye West) 1 & 2/6 Paris, Bercy Johannsson 22/5 Paris, Café de la Danse Norah Jones 25/5 Paris, Olympia Justice 23 & 24/5 Paris, Zénith, 25/5 Lyon, 19/7 Nîmes, 31/5 Toulouse Kap Bambino 24/5 Marseille, 25/5 Toulouse

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Dès cette semaine

Kill The Young 16/6 Le Mans L 21/5 Paris, Théâtre de l’Atelier Lambchop 5/11 Lille, 15/11 Fontaine, 16/11 Vedenheim La Femme 1/6 Paris, Flèche d’Or Jeffrey Lewis And The Junkyard 17/5 Lille, 19/5 Lyon, 20/5 Bordeaux, 21/5 Toulouse, 22/5 Marseille Liars 7/6 Paris, Nouveau Casino, 9/6 Bruxelles Theophilus London 22/5 Paris, Trianon M83 10/6 Marseille, 11/6 Lyon, 12/6 Paris, Olympia Main Square Festival du 29/6 au 1/7 à Arras avec Garbage, Azealia Banks, M83, Justice,Michael Kiwanuka, etc. Mansfield.TYA 8/6 Paris, Cigale Mars Red Sky 17/5 Epinal, 23/5 Copenhague, 24/5 Oslo, 26/5 Berlin, 30/5 Angers, 5/6 Tours, 7/7 Coutras, 16/8 Niort Mina Tindle 7/6 Paris, Bouffes du Nord Connan Mockasin 18/5 Strasbourg,

19/5 Bruxelles, 21/5 Paris, Cigale, 22/5 Rouen, 24/5 Lausanne, 26/5 Reims, 29/5 Nancy, 30/5 Grenoble, 31/5 Nice R. Stevie Moore 26/5 Paris, Parc de la Villette (+ Ariel Pink’s Haunted Graffiti), 28/5 Bordeaux, 31/5 Metz, 15/6 Dunkerque Music Is Not Fun 17/5 Toulouse, 8/6 Paris, Bus Palladium, 20/6 Strasbourg, 21/6 Saint-Dizier Mustang 9/6 Paris, 15/7 La Rochelle My Best Fiend 25/5 Evreux, 26/5 Paris, Point Ephémère Neïmo 15/6 Paris, Flèche d’Or No(w) Future jusqu’au 10/6 à Rouen, avec Sébastien Tellier, Tortoise, Yeti Lane, Grimes, Piano Chat, Jeff Mills, Mirel Wagner, Jeffrey Lewis, Haight-Ashbury, etc. Nuits Botanique jusqu’au 21/5 à Bruxelles, avec Electric Guest, 1995, Amadou & Mariam, Baxter Dury, C2C, Chapelier Fou, Citizens!, Django Django, Fanfarlo, Friends, Grimes, Housse De Racket, King Krule, La Femme,

Milagres Sunshine pop qui fleure bon l’été, cousins éloignés de Coldplay (sans les tics vocaux et les mélodies pour stades), les Américains dont le nom signifie “miracle” en portugais feront revenir le soleil début juin avec cet unique concert parisien. 5/6 Paris, Nouveau Casino

Nouvelles locations

Breton A peine deux mois après la sortie du fascinant Other People’s Problems, premier album sombre et entêtant, le collectif multimédia anglais revient en France pour une série de concerts qui se terminera en apothéose aux côtés de leurs aînés d’Hot Chip début juillet, dans le cadre du festival Days Off. 21/5 Bordeaux, 22/5 La Rochelle, 23/5 Lorient, 24/5 Nantes, 25/5 Caen, 26/5 Saint-Brieuc, 7/7 Paris, Cité de la Musique Milagres, Rover, The Rapture, The Ting Tings, etc. O’Halloran 22/5 Paris, Café de la Danse Orelsan 31/5 Paris, Olympia Owlle 26/6 Paris, Point Ephémère Pearson Sound 17/5 Lyon, 27/5 Paris, Villette Sonique Papillons de nuit du 25 au 27/5 à Saint-Laurentde-Cuves, avec Peter Doherty, Etienne de Crécy, Yuksek, Orelsan, Hollie Cook, General Elektriks, Skip The Use, Granville, etc. Pendentif 16/5 Montde-Marsan, 2/6 Bordeaux, 10/6 Marmande Petit Fantôme 14/6 Lorient, 16/6 Bordeaux Poliça 5/6 Paris, Flèche d’Or Pony Pony Run Run 26/5 Ramonville, 6/6 Céligny, 7/6 Dijon, 8/6 Montereau, 14/6 Le Mans, 16/6 Tourcoing, 23/6 Béthune, 28/6 & 1/7 Marseille, 7/7 Liège, 8/7 HérouvilleSaint-Clair, 14/7 La Rochelle,

20/7 Paris, 21/7 Spa, 30/7 Hyères Pop’pea du 29/5 au 7/6 à Paris, Théâtre du Châtelet, avec Carl Barât, Benjamin Biolay, etc. Porcelain Raft 18/5 Paris, Café de la Danse Primavera Sound du 30/5 au 3/6 à Barcelone et du 7 au 10 juin à Porto, avec Franz Ferdinand, Justice, Mazzy Star, The XX, A$AP Rocky, Baxter Dury, Beach House, Death Cab For Cutie, The Drums, Wilco, Grimes, Neon Indian, Shellac, etc. Radiohead 10/7 Nîmes, 11 & 12/10 Paris, Bercy, 16/10 Strasbourg Steve Reich 3/7 Nantes Revolver 16/5 Massy, 18/5 Bruxelles, 19/5 Aulnaysous-Bois, 24/5 Savignyle-Temple, 25/5 Marignyle-Hongre, 26/5 Bordeaux, 27/5 Toulouse, 30/5 Paris, Cigale, 7/6 Crans, 30/6 Arras, 25/10 Paris, Olympia

Le Rock dans tous ses Etats les 29 & 30/6 à Evreux, avec The Rapture, Kap Bambino, The Bots, Balthazar, Citizens!, Russian Red, Daniel Darc, Cypress Hill, Chinese Man, Crystal Castles, etc. The Roots 23/6 Paris, Zénith La Route du Rock du 10 au 12/8 à Saint-Malo, avec The xx, Stephen Malkmus, Mark Lanegan, The Walkmen, Spiritualized, My Best Fiend, Colin Stetson, etc. Rover 16/5 Magnyle-Hongre, 23/5 Brest, 24/10 Paris, Alhambra Saint Michel 26/6 Paris, Point Ephémère The Shoes 13/6 Paris, Olympia Shabazz Palaces 24/5 Reims, 25/5 Paris, Parc de la Villette Shaka Ponk 16/6 Le Mans Soft Moon 27/5 Paris, Villette Sonique Spector 22/5 Paris, Point Ephémère Regina Spektor 5/7 Paris, Trianon Staf Benda Bilili 6/6 Paris, Centquatre Sufjan Stevens 6/7 Paris, Salle Pleyel John Talabot 27/5 Paris, Trabendo Team Me 25/5 Paris, Flèche d’Or The Temper Trap 12/7 Paris, Maroquinerie Tindersticks 7/7 Caen, 8/10 Lille, 9/10 Nantes, 10/10 La Rochelle,

En location

12/10 ClermontFerrand, 13/10 Strasbourg, 14/10 SaintEtienne, 16/10 Marseille, 17/10 Montpellier, 18/10 Toulouse Trailer Trash Tracys 21/5 Paris, Divan du Monde, 22/5 La Rochelle, 23/5 Lorient, 24/5 Nantes, 26/5 Brest Tu Fawning 16/5 Paris, Petit Bain, 18/5 Mâcon Turzi 25/5 Paris, Cité de la Musique The Vaccines 30/6 Paris, Stade de France Anneke van Giersbergen 18/5 Strasbourg, 20/5 Paris, Machine, 21/5 Rennes, 22/5 Toulouse, 25/5 Montpellier Villette Sonique du 25 au 30/5 à Paris, Parc de la Villette, avec Tristesse Contemporaine, Julia Holter, Girls, Nguzunguzu, Egyptology, etc. Rufus Wainwright 10/12 Paris, Folies Bergère Washed Out 4/6 Marseille, 5/6 Montpellier, 6/6 Paris, Maroquinerie, 7/6 Bordeaux We Have Band 13/6 Paris, Trabendo Paul Weller 13/6 Paris, Bataclan Jack White 2 & 3/7 Paris, Olympia XXXY 19/5 Lyon Yacht 16/5 Lyon Yeti lane 2/6 Rouen, 8/6 Lausanne, 13/6 Rennes, 14/6 Toulouse, 15/6 Bordeaux, 18/6 Brighton, 20/6 Manchester, 21/6 Londres, 22/6 Norwich, 23/6 Charleville, 3/7 ClermontFerrand, 4/7 Paris, Trianon

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Homs, quartier de Jurat al-Shayah, 13 avril 2012

dans l’enfer de Homs Jonathan Littell a passé quinze jours dans la ville syrienne assiégée. Il livre un témoignage brut de l’horreur qui s’y joue à huis clos. Récit d’un carnage.

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n Syrie, le massacre continue. Dans une relative indifférence. Officiellement, un cessez-le-feu est entré en vigueur le 12 avril. Mais depuis, six cents personnes, en majorité des civils, auraient été tuées, victimes de la répression aveugle et sanglante menée par le régime de Bachar al-Assad. Depuis le début de la révolution syrienne, lancée en février 2011 dans le sillage du Printemps arabe, plus de 11 100 personnes ont péri. Des insurgés, des manifestants. Des femmes, des enfants. Partie de Deraa, la révolte s’est étendue à l’ensemble du pays pour muer en guerre civile. Une Armée syrienne libre (ASL) s’est constituée avec, dans ses rangs, des déserteurs de l’armée régulière. La société syrienne est aujourd’hui scindée en deux. D’un côté, les opposants au pouvoir baasiste ; de l’autre, ses fidèles, qui commettent toujours leurs exactions, malgré les condamnations quasi unanimes mais vaines de la communauté internationale. Comme si ce carnage à huis clos était devenu une fatalité. Comme s’il n’y avait plus rien à faire. C’est pour cela que le témoignage de Jonathan Littell est important et doit être lu. Ses Carnets de Homs font l’effet d’une violente piqûre de rappel face à une actualité zappeuse et oublieuse et constituent une pièce à conviction irréfutable si, un jour, Bachar et ses sbires sont traduits en justice. L’auteur des Bienveillantes est un habitué des théâtres de guerre. Il s’est déjà rendu en Bosnie, dans le Caucase, en République démocratique du Congo ou au Sud-Soudan. Fin janvier 2012, juste après la mort du journaliste Gilles Jacquier, Jonathan Littell a passé une quinzaine de jours à Homs,

ville martyre et symbole de la révolution. Envoyé là-bas par Le Monde, avec le photographe Mani, il a publié des reportages pour le quotidien et donne aujourd’hui à lire la transcription des notes prises sur place. Dès les premières lignes, il prend soin de préciser : “Ceci est un document, pas un écrit.” Un texte brut, lapidaire, sans effets de style, qui restitue au plus près l’urgence qu’il y a à dire, au milieu des rafales de tirs. Ce qui justifie la publication de ces carnets, c’est, écrit-il, “le fait qu’ils rendent compte d’un moment bref et déjà disparu, quasiment sans témoins extérieurs, les derniers jours du soulèvement d’une partie de la ville de Homs contre le régime de Bachar al-Assad, juste avant qu’il ne soit écrasé dans un bain de sang qui, au moment où j’écris ces lignes, dure encore”. Ecrivain sur le front ? On pense à Jack London en Corée, à Malraux ou Hemingway durant la guerre d’Espagne ou, plus près de nous, à Bernard-Henri Lévy en Libye. Mais contrairement à Malraux

une révolution 15 mars 2011 Début des manifestations massives à Deraa, dans le sud-ouest de la Syrie. Le lendemain, quatre personnes sont tuées. mai Hamza al-Khatib, 13 ans, est tué par l’armée. Il devient le symbole de la révolte.

août Formation de l’Armée syrienne libre et création du Conseil national syrien pour coordonner la lutte. décembre Mission des observateurs de la Ligue arabe. janvier-février 2012 Pilonnage de Homs.

mars La Syrie accepte le plan de paix de Kofi Annan, mais l’armée intensifie ses opérations contre les rebelles. 12 avril Un cessez-le-feu entre en vigueur mais n’est pas respecté. 7 mai Elections législatives.

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en marge

écriture en actes

Ho/Shaam News Network/AFP

Littell, BHL, Carrère : quand les écrivains témoignent du monde dans leurs livres ou leurs films.

ou Hemingway, Littell ne transforme pas ce qu’il a vu en fiction romanesque. Et contrairement à BHL, il ne prétend pas jouer un rôle dans le conflit. Il n’est pas acteur, mais témoin ; journaliste plus qu’écrivain. Il va à l’essentiel, privilégie les faits, même s’il laisse par moments affleurer sa subjectivité lorsqu’il évoque ses rêves, sa fatigue ou sa peur. Pour avoir entendu Jonathan Littell critiquer avec sévérité des journalistes qui avaient révélé l’existence du tunnel qui permettait d’accéder à Baba Amr, un quartier encerclé de Homs, on pouvait avoir quelques préventions avant d’ouvrir ses Carnets de Homs, craindre des formules sentencieuses et des postures héroïcoexemplaires. Les premières pages, dans lesquelles il raconte le passage clandestin de la frontière libano-syrienne, ne sont pas pour nous rassurer, notamment quand Littell signale que Mani et lui ont dû adopter des “noms de guerre”, le sien étant “Abu Emir”. Une précaution assez inutile, surtout pour Littell, à en croire des reporters de guerre qui connaissent bien le terrain. Très vite, ces détails deviennent tout à fait secondaires, d’autant que le courage de Littell est indéniable. Seul importe le compte rendu d’une situation désespérée et complexe. Dans ses notes, Littell donne la parole aux combattants de l’ASL, dont certains disent envisager l’appel au djihad, à des médecins, des habitants des villes et quartiers où il s’arrête… Ils racontent

l’oppression qu’ils subissent depuis quarante ans : “Le peuple syrien est élevé comme dans un poulailler : tu as le droit de manger, dormir, pondre, c’est tout. Il n’y a pas de place pour la pensée”, lâche le chauffeur qui conduit Mani et Littell à Baba Amr. Chacun a une histoire à raconter : un proche tué par un sniper, les provocations du pouvoir pour exciter les haines confessionnelles, les atrocités commises par les shabbiha – nervis prorégime –, des femmes enlevées et violées, des hommes torturés dans les hôpitaux militaires, des enfants égorgés… Litanie macabre. Ce que Littell entend est insoutenable, ce qu’il voit aussi : “Bilal me montre de nouveau son téléphone. Un homme avec tout le ventre ouvert, poumons et boyaux dehors que des médecins repoussent dedans. Tous ces téléphones sont des musées des horreurs.” Avec Mani, ils accompagnent les soldats lors des combats au milieu des immeubles aux murs calcinés, se rendent dans les hôpitaux de fortune où l’on trébuche sur les cadavres. Le récit est scandé par les manifestations – “C’est une liesse collective, populaire, une liesse de résistance” –, les enterrements et les prières. Entre ces moments-là subsiste “le goût gris de la guerre” qui imprègne, de la première à la dernière page, les carnets de Jonathan Littell. Elisabeth Philippe Carnet de Homs : 16 janvier-2 février 2012 (Gallimard), 256 p., 18,90 €, en librairie le 23 mai

Jonathan Littell se rend régulièrement dans les pays en difficultés, pour en témoigner dans de longs reportages – au Soudan, en Syrie (lire ci-contre), etc. Emmanuel Carrère a rendu compte de la Russie contemporaine dans des articles qui lui ont inspiré son livre Limonov, épopée russe d’aujourd’hui. Avant eux, il y eut un Jean Rolin, reporter et écrivain. Mais surtout un Bernard-Henri Lévy, qui aura rendu compte de ces guerres “oubliées”, passant plus de trente ans à se rendre sur le terrain et dépassant le statut de témoin pour celui d’acteur, tentant en vain, jusqu’à la Libye, d’alerter l’Occident et de le faire intervenir – voir son documentaire sidérant, Bosna !, qui restera comme le film-témoin de ce que l’Occident peut avoir de pire dans sa lâcheté et son refus d’intervention (en l’occurrence en Bosnie). A noter qu’après son journal de Libye (La Guerre sans l’aimer, Grasset), le documentaire qu’il a réalisé sur le même sujet, Le Serment de Tobrouk, sera programmé à Cannes en sélection officielle (le 25 mai) comme un important manifeste politique prouvant qu’on peut tirer des leçons de l’histoire et agir – histoire, entre autres, de braquer le projecteur sur l’urgence d’une intervention en Syrie ! On a beaucoup écrit sur l’engouement des écrivains pour le réel, abandonnant le roman en faveur du récit. Rien de bien nouveau, pourtant : avant eux, les inévitables Joseph Conrad, Joseph Kessel, etc. A temps troublés, écrivains qui se font reporters, témoins, et in fine, quand personne ne bouge et rien ne change, acteurs au sens d’“agissants”. Libres et non inféodés à un quelconque pouvoir, autorisés de leur expérience et de leur voix, ce sont eux qui, aujourd’hui, peuvent porter un coup fatal à l’indifférence.

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Don Carpenter Sale temps pour les braves Cambourakis, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy, 348 pages, 23 €

un truc de fou

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auvais timing. Mark, 13 ans, torse nu et moulé dans son éternel pantalon en cuir Versace, vient de recevoir une excellente nouvelle. Il a remporté le prix Vincent & Lenore DiGiacomo Oshimitsu Polymers America, qui récompense chaque année le meilleur scénario écrit par un élève du collège de Maplewood : 250 000 dollars par an. A vie. Problème numéro un : Mark n’a pas écrit le scénario en question et il ne lui reste que quelques heures pour s’y atteler. Problème numéro deux : il doit d’abord assister à l’exécution de son père toxicomane, condamné à mort pour l’assassinat au mixeur d’un vigile. Le temps presse, mais la mise à mort n’en finit pas. Son père s’éternise sur ses dernières volontés, rappelant au passage la devise familiale – “(…) n’importe quel connard doté d’un diplôme d’assistant social peut mettre un turban et lancer des fatwas à propos des gens à qui vous pouvez ou ne pouvez pas envoyer de la viande par courrier, mais il faut vraiment avoir des couilles pour changer en blonde une brunette sans calotte crânienne” – et surtout il résiste aux injections létales. Tuer le père, ça prend du temps. Pour ne rien arranger, Mark tente tant bien que mal de dissimuler l’érection provoquée par la vue de l’aisselle humide de la directrice du pénitencier.

David Plakke, Cherche-midi

Drôle et cinglé, l’Américain Mark Leyner revient avec un roman qui se contrefout des bonnes manières littéraires. Euphorisant. Après Mégalomachine, fausse autobiographie décadente et cinglée, l’écrivain américain Mark Leyner confirme qu’il a définitivement basculé du côté de l’absurde le plus débridé. Exécution est un doigt d’honneur goguenard à toute forme de bienséance littéraire. L’intrigue se noie dans des digressions en chaîne plus démentes les unes que les autres, la narration s’abstrait de toute logique. Les deux parties du livre se reflètent comme dans un miroir déformant. La première raconte l’exécution ratée ; la seconde est le scénario que Mark tire de ce moment à fort potentiel dramatique et qu’on rêverait de voir un jour porté à l’écran, avec sa scène de cunnilingus de 3 heures 30, ses personnages émouvants et ses rebondissements inattendus. Le rythme épileptique auquel Leyner aligne les punchlines, sa totale absence de tabous et de limites, et la manière parfaitement décomplexée dont il fait se  télescoper la culture pop la plus mainstream et des références érudites (Mallarmé, Brecht, Godard…) font de ce roman une drogue de synthèse supra-puissante aux effets assez proches de ceux du gaz hilarant. On rit quasiment à chaque ligne et, rien que pour ça, il faut lire Exécution. Elisabeth Philippe Exécution (Cherche-midi), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claro, 288 pages, 19 €

Le premier roman de Don Carpenter enfin traduit. Un hymne à la lose. A 17 ans, Jack Levitt a les rêves de tous les Américains mâles des années 50 : “une voiture pour rouler à 160 à l’heure… un automatique calibre 45… un tourne-disques pour pouvoir traîner au lit avec la fille et le whisky tout en écoutant How High the Moon…” Cette lune, Jack a toutefois bien peu de chances de la décrocher : né de parents préférant les courses suicidaires à moto aux promenades avec landau, il risque davantage de rejoindre au pénitencier les petites frappes de De sang-froid que de devenir le pote exubérant du Dean Moriarty de Sur la route. Fidèle à son titre original – Hard Rain Falling –, l’estomaquant premier roman de Don Carpenter (paru aux Etats-Unis en 1966 et traduit pour la première fois en français) écume une Amérique sans soleil et soumet son héros à un déluge de coups durs. De salles de billard en rings de boxe et d’arnaques minables en rixes avinées, le parcours de Jack s’achève quand un millionnaire lui achète sa femme et son fils pour un verre de whisky. Aucune de ces avanies n’est toutefois de nature à entamer sa combativité : dopée à la testostérone, la prose de Carpenter fait d’un loser archétypal l’incarnation même de l’endurance, condamné à sempiternellement tirer le mauvais numéro mais assuré de gagner le gros lot sur le plan romanesque. Bruno Juffin

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prédateurs en voie d’extinction Un requin de la finance s’exile en abandonnant sa famille. La jeune romancière argentine Lucía Puenzo prolonge sa radioscopie d’une société minée par les inégalités sociales. on premier roman comptait d’une curée à échelle nationale dont déjà une bébête difficile à avaler. va pâtir toute sa famille. Epouse botoxée, Les pirouettes aquatiques enfants et gardes du corps sont aux de “l’enfant-poisson” venaient abois, obligés de suspendre leur fabuleux alors bénir l’idylle de deux adolescentes train de vie, tandis que monsieur en fuite afin d’échapper à leur sort choisit l’exil. social, l’une étant la domestique de l’autre. Originaire de Buenos Aires, Lucía Ici, le topo est tout autre. Premier indice : Puenzo, 35 ans, fait le portrait sans une langouste furax pas prête de se concession d’une classe d’hyperriches dérider. Et une société qu’on aimerait frappés par la disgrâce. Engraissée par bien plutôt appeler bestiaire tant elle “le siècle de la consommation, du starse montre sans foi ni loi. system, de la technologie”, cette caste La Fureur de la langouste suit la traque supérieure de la société sud-américaine médiatique de Razzani, géant de l’industrie vit recluse dans des villas bunkérisées, à la tête d’un conglomérat d’entreprises enchaîne les dîners de charité et les défilés aux activités illicites. Démasqué par de mode, ne se déplace jamais sans une star de la télévision en quête de scoop, un escadron de domestiques et de vigiles. cet Onassis argentin devient l’enjeu Ebranler l’ordre de cet univers, voilà

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ce que Puenzo s’applique à faire en tendant les filets de sa belle écriture, tour à tour tendre et féroce. Vu par un enfant de 11 ans, fils de Razzani, ce naufrage familial dérive vers les eaux du désespoir et du cynisme, mais aussi d’une innocence à conquérir. Ce jeune héritier formé à être un prédateur se retrouve orphelin, mais dans la bataille il se trouve un demi-frère. A la fin, Puenzo a suffisamment déminé ce monde de chasseurs pour ouvrir la voie aux doux rêves inoffensifs d’un petit garçon. Emily Barnett La Fureur de la langouste (Stock), traduit de l’espagnol (Argentine) par Anne Plantagenet, 224 pages, 19 €

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assassin de la mémoire



e vendredi 26 décembre 2008, Dieudonné prépare un ultime dérapage pour la dernière représentation de son spectacle J’ai fait l’con, au Zénith de Paris. Devant cinq mille personnes, l’humoriste annonce goguenard la venue sur scène du “plus infréquentable des hommes”. Sous un “tonnerre d’applaudissements”, le négationniste Robert Faurisson s’avance souriant pour recevoir d’un régisseur en tenue rayée avec étoile jaune un “prix de l’infréquentabilité et

Enm ars 1991, RobertF aurisson présente les résultats d’unep rétendue expertisem ettant en doute l’existence des chambres à gaz

Photo News/Gamma

L’historienne Valérie Igounet dresse le portrait de Robert Faurisson, un provocateur qui a fait du négationnisme un fonds de commerce.

de l’insolence”. Dans la salle, Jean-Marie Le Pen et plusieurs huiles du FN assistent au spectacle. En février de cette année, dans un tout autre décor, ce falsificateur de l’histoire est à nouveau récompensé. A Téhéran, le négationniste reçoit des mains du président iranien Mahmoud Ahmadinejad le “premier prix du courage, de la résistance et de la combativité”. De l’extrême droite française à la scène politique iranienne, Robert Faurisson est devenu un point de ralliement idéologique pour des hommes qui ont trouvé

dans le négationnisme une manière respectable d’habiller leur antisémitisme. Dans sa biographie du personnage, Robert Faurisson, portrait d’un négationniste, l’historienne Valérie Igounet explique comment ce professeur de lettres a réussi à devenir l’incarnation du négationnisme en le politisant et en le rendant populaire auprès d’une frange politique radicale. Pourtant, Faurisson n’est pas l’inventeur de ce courant idéologique. Cette “interprétation” de l’histoire qui nie l’existence

du génocide des Juifs débute avant même la fin de la guerre. Les nazis sont les premiers à avoir tenté d’effacer les traces de leur extermination de masse. Comme l’explique l’historien Henry Rousso, le négationnisme ne doit donc pas seulement être perçu comme une construction intellectuelle mais bel et bien comme une “idéologie en grande partie exogène du nazisme”, un antisémitisme postgénocide. Les fondements théoriques du négationnisme vont être paradoxalement posés

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Faurisson va se pencher sur “le problème des chambres à gaz” avec un angle purement technique par un ancien déporté à Buchenwald, Paul Rassinier. Cet ancien résistant socialiste est l’un des premiers à remettre en cause l’existence des chambres à gaz dans les camps d’extermination. Son livre Le Mensonge d’Ulysse, publié en 1950, va servir de référence à plusieurs générations de faussaires de l’histoire. Antisémite obsessionnel, il est le premier à défendre la thèse selon laquelle le peuple juif et le nouvel Etat d’Israël auraient “inventé” la Shoah puisqu’ils en sont les premiers “profiteurs”. Petit professeur de lettres en province, Robert Faurisson trouve dans la lecture de Rassinier de quoi “satisfaire son goût de la provoc, sa soif de reconnaissance et son obsession des années 40”, comme le raconte Valérie Igounet. Universitaire connu pour sa lecture iconoclaste des Voyelles de Rimbaud ou des Chants de Maldoror de Lautréamont, Faurisson va appliquer les mêmes méthodes d’analyse à l’histoire. Ignorant le contexte, ce pseudohistorien va se pencher sur “le problème des chambres à gaz” sous un angle purement technique. Avec ce vernis de scientificité, il tente d’attirer l’attention sur les incohérences techniques du fonctionnement des chambres à gaz pour en nier l’existence. Lors d’une discussion avec l’un de ses élèves, Faurisson citera Goebbels : “Plus c’est gros, plus ça passe.” A partir de 1978, les thèses radicales qu’il répand dans la presse l’éloignent de la communauté scientifique

mais pénètrent le champ politique. Valérie Igounet explique que Jean-Marie Le Pen “utilise le négationnisme comme un des sous-bassements idéologiques de l’histoire du Front national”. L’antisémitisme a tout à gagner à la négation du génocide. S’érigeant en martyr de la vérité, Faurisson use et abuse des droits de réponse dès que son nom est cité dans la presse. Progressivement proscrit des médias, il se sert ensuite de ses procès pour diffuser ses thèses nauséabondes et pérenniser son statut de victime de la liberté d’expression. En 2007, il n’hésite pas à porter plainte contre Robert Badinter qui l’avait qualifié de “faussaire de l’histoire”. Débouté, il est condamné à payer 5 000 euros de frais de justice à l’ancien garde des Sceaux de Mitterrand. Tout au long de cet ouvrage, Valérie Igounet

s’interroge sur les motivations de cet homme âgé de 83 ans qui a vraisemblablement gâché sa vie professionnelle et familiale. L’explication réside peut-être dans le témoignage de l’un de ses anciens élèves, François Quilleret, qui le décrit comme un imitateur de Céline jusque dans la provocation et la déformation de la vérité : “Faurisson partage avec le très grand écrivain un antisémitisme obsessionnel, pathologique, mais le prof de province sait qu’il n’est pas un génie alors il s’est voulu inventeur d’une méthode historique. Il a réussi à se faire un nom quitte à ce que ce soit un nom d’opprobre. (…) A sa petite mesure, il a voulu finir le travail des nazis : effacer les traces du crime.” David Doucet Robert Faurisson, portrait d’un négationniste (Denoël), 450 pages, 27,50 €

étapes d’une falsification les cinq âges du négationnisme selon Valérie Igounet 1948-1967 Le négationnisme devient un prolongement de l’antisémitisme. 1967-1978 La rhétorique négationniste se structure et se diffuse en France grâce à François Duprat, idéologue et cofondateur du Front national. 1978-1985 Début de l’affaire Faurisson. En l’abordant sous un angle technique, ce prof de lettres parvient à donner au négationnisme un vernis scientifique. 1985-2000 Politisation du négationnisme, notamment au sein du Front national. Le 13 juin 1987, invité du Grand-Jury RTL, Le Pen parle des chambres à gaz comme d’“un point de détail de la Seconde Guerre mondiale”. 2000 à aujourd’hui Avec la seconde Intifada, le négationnisme pénètre le Moyen-Orient et devient un moyen de propagande politique, notamment en Iran. 16.05.2012 les inrockuptibles 97

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John Schults/AFP

la bibliothèque de Hollande Que lit François Hollande ? Inventaire de ses lectures secrètes ou imaginaires, à la vue de sa campagne réussie. ans une librairie où il se rendait durant entretient-il réellement avec les livres ? la campagne électorale pour dénoncer Quelle est sa bibliothèque secrète, la hausse de la TVA sur les livres, affective, politique ? Si de nombreux pans François Hollande s’empara de deux de sa personnalité ont été récemment livres de philosophie, Petit éloge de la mis à nu, le mystère de ses lectures gentillesse d’Emmanuel Jaffelin et Histoire persiste, en dehors de Zola et Camus, de la virilité de Corbin, Courtine et Vigarello. ses deux écrivains fétiches. Deux bons livres, dont on peut se demander On se souvient qu’un paparazzi l’avait s’ils furent choisis au hasard ou s’ils surpris en train de lire sur un bateau répondaient à un goût particulier du L’Histoire de France pour les nuls ! candidat socialiste. On pouvait en tout cas A-t-il élevé son niveau d’exigence depuis ? deviner dans ce geste de captation un signe L’analyse de tous ses discours depuis envoyé à son rival, comme pour lui signifier plusieurs mois révèle quelques efforts de que la gentillesse, une valeur morale sa part. L’insistance sur la notion d’égalité à réactiver dans une société tendue, pouvait laisse croire qu’il a lu l’essai décisif s’accommoder de cette puissance virile de Pierre Rosanvallon, La Société des égaux. dont Sarkozy n’avait en rien le monopole. Sur la question du peuple, ses références Un homme, un vrai, gentil et cultivé, restent plus floues : entre l’essai du Hollande était aussi un malin, un stratège géographe Christophe Guilluy, Fractures lucide sur le poids des symboles. françaises, également très lu à droite, Mais quelle relation le nouveau Président et les réflexions du collectif Cette France-là,



mené par un sociologue comme Eric Fassin, une forme d’ambiguïté demeure, indice d’une tension au sein de son camp entre les horizons d’une gauche dite “populaire” et une autre cherchant à détacher la question sociale de la question raciale. S’agissant des banlieues, le travail récent de Gilles Kepel (Banlieue de la République, Quatre vingt-treize) devrait influer sur sa politique de redéploiement de l’Etat social dans les territoires relégués. Sur la question de la justice et des libertés publiques, Hollande a dû lire Contre l’arbitraire du pouvoir ou le récent Dictionnaire politique à l’usage des gouvernés de Brugère et Le Blanc. Sur l’école, il est possible que l’essai de Christian Laval, La Nouvelle Ecole capitaliste, ait inspiré certaines de ses idées de reconstruction d’un modèle scolaire. Sur les inégalités, la fiscalité, la solidarité, les travaux de sociologues et économistes comme Thomas Piketty, Nicolas Duvoux, Thierry Pech, Alain Supiot, semblent intégrés dans son logiciel de pensée ; seules les manières de sortir de la crise restent encore à définir. Maintenant qu’il est parvenu aux plus hautes fonctions, on lui conseille le Cours sur l’Etat de Pierre Bourdieu, dans lequel le sociologue disparu invitait à remuscler la “main gauche de l’Etat”. Ou encore de se plonger dans le nouveau livre de Jürgen Habermas, La Constitution de l’Europe, où, sur fond de crise de l’Union, s’impose la nécessité d’une Europe des peuples. On ne saurait par ailleurs recommander à Hollande la lecture du dernier livre de Martine Aubry, Pour changer de civilisation, même si l’on sait que son livre de chevet actuel reste l’ouvrage de Pierre Favier, 10 jours en mai, récit des premiers pas de Mitterrand. De stratégie et de tactique, François Hollande aura certes besoin, mais de lecture savante aussi : le changement ne pourra faire l’économie des idées qui circulent dans le champ de la pensée. Jean-Marie Durand

la 4e dimension Max et les maximonstres orphelins L’écrivain et illustrateur pour enfants américain Maurice Sendak est décédé le 8 mai. Auteur du classique Max et les Maximonstres (Where the Wild Things Are), adapté en 2009 au cinéma par Spike Jonze, Sendak n’hésitait pas à mettre en avant la noirceur de l’imagination et les terreurs enfantines.

rendez-vous avec Michel Butor A l’occasion de la sortie des derniers volumes de ses Œuvres complètes (La Différence), le Centre national du livre organise une rencontre exceptionnelle avec l’auteur de La Modification. Géographies de Michel Butor le 21 mai, à 19 h, au CNL (Paris VIIe), www.centrenationaldulivre.fr

Rithy Panh à voix nue Dans des entretiens avec Christophe Bataille sur France Culture, le cinéaste, qui a publié en janvier L’Elimination, revient sur son enfance au Cambodge et sur la révolution khmère rouge, dans laquelle il perdit toute sa famille. jusqu’au 18 mai à 20 h 30

Franzen pleure David Foster Wallace L’auteur de Freedom vient de publier Farther away (Farrar, Straus and Giroux, 26 $), un recueil de textes personnels et engagés autour du suicide de Foster Wallace, de la technologie, du désastre écologique en Chine…

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Robert Crumb La Crème de Crumb Cornélius, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Pierre Mercier, Jean-Paul Jennequin et Emilie Le Hin, 304 p., 25 €

règlement de contes Hubert et le duo Kerascoët font la peau au conte de fées, dans un nouveau tome des aventures de leur ambivalente héroïne nommée Beauté.

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ans le premier volume de Beauté, d’Hubert et du duo de dessinateurs Kerascoët, on découvrait Morue, une jeune fille très laide, qui suite à un sort restait repoussante mais devenait belle aux yeux du monde – le tour de force des dessinateurs étant de la représenter différemment en fonction des points de vue. Morue devenait alors Beauté, sa vie de souffre-douleur était bouleversée, les hommes devenant tous fous d’elle. Après quelques mésaventures tordues, elle finissait par épouser un roi, “et c’est ainsi que la souillon devient reine de beauté”. L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais alors que le premier tome laissait déjà poindre la volonté maligne des auteurs de tordre le cou aux contes de fées et à leurs clichés, ce second tome confirme qu’ils ont décidé de leur régler leur compte une fois pour toutes, et d’entreprendre une démolition en règle de ce que décrivait le psychanalyste Bruno Bettelheim : “Le conte de fées simplifie toutes les situations. Ses personnages sont nettement dessinés ; (…)

Ils ne sont pas à la fois bons et méchants, comme nous le sommes tous dans la réalité. (…) Chaque personnage est tout bon ou tout méchant.” Dans La Reine indécise, Beauté obsède les hommes jusqu’à la folie et au meurtre gratuit. Le monde ne se divise plus en bons et en méchants, il n’est plus que complots, trahisons et violence aveugle. Les meilleurs deviennent mauvais, les preux chevaliers de sanguinaires assassins, chacun est à son tour victime et bourreau. Là où Morue inspirait de la pitié, Beauté devient ambivalente. Elle garde une part d’innocence mais, se retrouvant sans repères dans un monde dont elle ne connaît pas les codes, elle devient égoïste et cruelle à force d’être servilement encensée et adulée – comment ne pas voir là une réflexion facétieuse sur le pouvoir illusoire de la célébrité et de la superficialité en général ? Hubert et les Kerascoët, déjà auteurs du complexe Miss Pas Touche, confirment graphiquement leur jeu sur les contrastes entre apparences et réalité. Leur trait charmant, net, précis, aux couleurs gaies et franches, avec parfois des accents de psychédélisme pop, tranche brutalement avec la noirceur sans appel du propos. Jamais le merveilleux n’aura été aussi trompeur. Anne-Claire Norot

Cornélius célèbre ses 20 ans de collaboration avec Robert Crumb par une impressionnante anthologie. A travers une longue interview ainsi qu’une sélection de récits complets et de planches, La Crème de Crumb retrace la carrière de Robert Crumb, de ses illustrations commerciales pour les chewing-gums Topps aux récits psychés ou aux histoires réalisées avec sa femme. On y découvre avec bonheur des extraits de ses carnets (comme cette improvisation qui deviendra le célèbre Keep on Truckin’), on y retrouve avec joie ses personnages délirants et emblématiques (Big Foot, Fritz the Cat, Mr. Natural, Mr. Snoid…), ses fantasmes et obsessions (les filles bien charpentées), ses passions (le blues avec le formidable Patton), son autodérision, son esprit libre, caustique et corrosif. L’ordre chronologique des récits permet de suivre l’évolution et l’affirmation de son univers graphique, à la fois leste et précis, aux hachures caractéristiques. Indispensable pour comprendre comment Crumb, pionnier de l’autobiographie, inventeur de la BD pour adultes, a bouleversé en profondeur la bande dessinée. A.-C. N.

Beauté tome 2 – La reine indécise (Dupuis), 48 pages, 14,50 € 100 les inrockuptibles 16.05.2012

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Christophe Raynaud De Lage/Wikispectacle

la peste soit Mordante entrée au répertoire du Français de l’auteur américaine Naomi Wallace : avec sa pièce mise en scène par Anne-Laure Liégeois, elle plonge dans la zone grise où pourrit l’humanité.

première Rumi Missabu et Les Cockettes  A l’invitation de François Chaignaud, la Ménagerie de verre reçoit Rumi Missabu, icône de la libération gay aux Etats-Unis et membre fondateur des Cockettes, troupe de hippies à paillettes née dans les 70’s. Archives inédites, performances, discussion de Rumi Missabu avec François Chaignaud le 18 et nuit spéciale Cockettes le 19. les 18 et 19 mai à la Ménagerie de verre (Paris XIe), www.menagerie-de-verre.org

réservez La Création du monde, 1923-2012 chorégraphie Faustin Linyekula Inspiré par sa lecture du livre de Sylvie Chalaye Du Noir au Nègre, Faustin Linyekula insère la reconstitution du premier ballet d’inspiration nègre, créé en 1923 par les Ballets suédois, à une chorégraphie contemporaine qui confronte les regards que l’Occident pose sur l’Afrique, aujourd’hui comme hier. du 31 mai au 3 juin au Ballet de Lorraine, Nancy, www.ballet-de-lorraine.eu

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ifficile de trouver plus paradoxal qu’une frontière. Une idée fondamentalement conceptuelle et tragiquement concrète dont l’histoire ne cesse de faire l’expérience. Raison pour laquelle les marges, et leur volonté de s’affranchir et de transgresser les limites, sont si riches d’enseignement. C’est un peu le point de départ d’Une puce, épargnez-la de l’Américaine Naomi Wallace, auteur contemporaine qui entre au Français dans la mise en scène insolente et redoutablement aiguisée d’Anne-Laure Liégeois. Inspirée par sa lecture des écrits de Daniel Defoe sur la peste à Londres au XVIIe siècle, quand les Etats-Unis sont confrontés “aux émeutes, au sida et à la peur des troubles sociaux”, au mitan des années 90, Wallace imagine un huis clos, forcément poreux, qui unit des personnages en quarantaine que tout oppose – la classe sociale, l’âge, le sexe, la langue et l’immunité, qu’elle soit physique, économique ou politique. Un couple riche, les époux Snelgrave, est cloîtré dans sa maison pendant l’épidémie de peste qui décime en 1665 la population londonienne, avec un jeune marin et une fillette du peuple qui se sont introduits par la cave ou le toit, alors qu’un garde barricade portes et fenêtres pour empêcher toute sortie. Pas d’échappatoire, la souricière est un piège qui se referme lentement sur les préjugés, les fantasmes et la capacité à résister ou l’impossibilité de sortir de son rôle.

Pour donner chair à cette lutte du pouvoir que Naomi Wallace résume à son plus simple appareil – “Qui l’a. Qui ne l’a pas. Qui est prêt à tuer pour l’obtenir, qui est prêt à trahir. Comment on pourrait le partager” –, elle utilise une image forte : la blessure du marin dans laquelle s’introduit le doigt de l’épouse Snelgrave, sexuellement délaissée par son époux depuis qu’un incendie a maculé sa peau d’indélébiles brûlures trente ans plus tôt. Une géographie du corps où s’institue la transgression suivant les cours tumultueux de l’érotisme, de la sexualité, de la frustration et de la douleur dont la promiscuité forcée favorise la contagion. Poésie et politique s’entremêlent sans cesse, dans cette langue où la crudité dégoupille toute velléité de faire perdurer l’ordre moral dont les riches se prévalent pour mieux camoufler la perversité de l’ordre social établi. Antonin Artaud le résumait parfaitement dans Le Théâtre et son double : “Comme la colère blanche, la peste la plus terrible est celle qui ne divulgue pas ses traits.” A charge, pour le garde, de conclure avec force : “Adieu dit la croûte au prurit/ Adieu, le morpion à la bite/Adieu dit la peste à la fosse/Adieu dit le mort à ses chausses.” Eloquence du peuple… Fabienne Arvers Une puce, épargnez-la de Naomi Wallace, mise en scène Anne-Laure Liégeois, jusqu’au 12 juin au Théâtre Ephémère de la Comédie-Française (Paris Ier), www.comedie-francaise.org

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destruction massive Les animaux malades de l’homme : une fable sarcastique de Jacques Rebotier sur un sujet bien triste, interprétée par lui-même avec un humour revigorant. oudain il saisit une pâquerette l’extinction progressive du règne animal. en plastique légèrement cabossée et L’affaire semble bien engagée car, comme l’approche de sa bouche, improvisant dit Rebotier, “L’omme est un omme pour un micro : “Allô, allô… chkrkch, ici le loup”. Assis sur une chaise plantée au Paramécie, Marcel Paramécie/Objet maladie centre d’un gazon artificiel, il évoque monde/143-D13-35, MP/RW2…” L’appel une version ironique de l’homme en roi entrecoupé de parasites se résume à une du monde. Les espèces apparaissent attaque sournoise par un virus dénommé ou disparaissent selon son bon vouloir. “vir”, autrement dit l’homme. Il faut voir Mais pourquoi offrir aux enfants des Jacques Rebotier se transformer chaque animaux en peluche qui imitent des soir en ce Marcel Paramécie de scienceespèces en voie d’extinction ? Qu’il chante fiction. Un des moments hilarants, – “J’entends le loup, le renard et la belette” – et il n’en manque pas, de Contre les bêtes, ou détourne La Fontaine, Rebotier procède spectacle en solo qu’il présente en ce par glissements sémantiques et autres moment à la Maison de la poésie. manipulations verbales détonantes, Drôle, tendre et sarcastique, ce texte résumant au passage la situation d’un poète qui est aussi compositeur et générale : “Tout est ordre, schizophrénie, homme de théâtre se présente au premier harmonie.” Hugues Le Tanneur abord comme une méthode pour faire disparaître de la terre toutes ces bêtes qui Contre les bêtes de et par Jacques Rebotier, sont en trop. Ou comment la domination jusqu’au 26 mai à la Maison de la poésie (Paris IIIe), www.maisondelapoesieparis.com de l’homme sur la nature se traduit par

Emmanuel Ciepka



l’âge de cristal Désir, honte, sexualité : les premières fois des adolescents vues par la jeune Marie Normand dans une mise en scène minimale et forte. l était une première les adolescents sont fois” pourrait servir les héros involontaires, d’exergue au texte Roulez parfois tragiques, souvent jeunesse !, réécrit sur comiques, mais à jamais mesure à même le corps inévitables ? Désir, et la voix des acteurs par honte, règles, sexualité, Luc Tartar à la demande nourriture, fugue, de Marie Normand. Facebook, intimité, La metteur en scène n’est internet : quel que soit pas beaucoup plus âgée l’angle envisagé, le que ses personnages, mais meilleur conseilleur reste déjà bien expérimentée l’expérimentateur luicôté théâtre depuis 2006 même – l’avis des autres avec la création de sa n’étant au mieux que compagnie Rêve général !. l’écho plus ou moins A-t-on idée du saut dans assourdi de ce que chacun le vide que représente traverse et découvre, chaque première fois dont bon gré mal gré.

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Pour s’approcher de ces seuils en cascade qui jalonnent le passage à l’âge adulte, Marie Normand a fait le vide sur le plateau (une batterie, quelques chaises et c’est tout) et dans le texte, elle sape tout bavardage ou facilité de vocabulaire accolée à la jeunesse pour privilégier le langage des corps, entre élan et retrait, mise à nu et camouflage. Il y a ce qui se dit et ce qui ne se dit pas. Roulez jeunesse ! parle de tout, sans apprêt, mais avec cette énergie de la jeunesse bouillonnante de sensibilité qui parle au cœur et touche au but. Au final, on s’attache à des personnages qui font naître des acteurs et c’est beau ! F. A. Roulez j eunesse ! mise en scène Marie Normand, les 19 et 21 mai au festival Les Rappels de coup de théâtre à Mirecourt (88), le 27 novembre à Sens, le 30 à la Passerelle à Rixheim (68) 16.05.2012 les inrockuptibles 103

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Film Conte de feu de camp, 2012, courtesy de l’artiste & le Crédac d’Ivry, photo André Morin

L’exposition Séances de Boris Achour : ambiance “nuit américaine”

à l’image du temps Avec Boris Achour et Anri Sala on pourrait croire que l’exposition se transforme en séance de cinéma. Ce serait oublier la flânerie.

vernissage original Orchestrée par Mathieu Copeland, l’expo Le Confort moderne rend hommage à ce lieu atypique, scène de concerts mythique et centre d’art contemporain. Avec Francis Baudevin, Martina Klein, Jutta Koether et Mai-Thu Perret… jusqu’au 19 août au Confort moderne, Poitiers, www.confort-moderne.fr

international Le Jeu de paume inaugure trois expos monographiques consacrées à Eva Besnyö, photographe nomade d’origine hongroise, au plasticien français Laurent Grasso et à la vidéaste italienne Rosa Barba. à partir du 22 mai au Jeu de paume (Paris VIIIe), www.jeudepaume.org

territorial Dernier volet de la trilogie Les Nouveaux Mondes et les Anciens, une expo collective placée sous le signe antihouellebecquien du “territoire sans carte” réenvisage les représentations du monde à travers les œuvres de Niklas Goldbach, Patrick Bernier & Olive Martin, Neil Beloufa, etc. jusqu’au 16 juin à l’Espace Khiasma, Les Lilas (93), www.khiasma.net



’est l’idée d’une séance d’exposition. Une séance programmée, où des films apparaissent tour à tour sur plusieurs écrans dispersés dans l’espace, devenu multiplexe, du centre d’art ; où des sons nous appellent de l’autre côté du musée ; où l’éclairage des salles varie au cours de l’heure et “active” des sculptures ou des textes donnés à lire ; où le visiteur est invité à prendre le temps, étiré, ralenti, de l’œuvre d’art. Un format d’exposition que l’on aime, même s’il est déjà bien connu, largement exploré depuis les années 90 – que l’on songe au poisson-pilote, qui commandait l’apparition des œuvres dans l’exposition Alien Seasons de Philippe Parreno au musée d’Art moderne de la Ville de Paris ; à l’ordinateur, voire la boîte noire, qui régissait Le Château de Turing imaginé par Pierre Huyghe dans le pavillon français de la Biennale de Venise en 2001 ; plus récemment au Cellar Door de Loris Gréaud au palais de Tokyo ou aux œuvres momentanément éclairées dans l’expo collective Pick-Up du curateur Guillaume Desanges à Public en 2004, et on en passe. Mais à l’heure où, Audimat oblige, les musées compressent le temps de visite des expos et organisent surtout le flux des masses, à l’heure où le marché de l’art nous incite à voir des pièces, des pièces et encore des pièces, détachées, sur le mode compulsif des collectionneurs, il fait bon voir revenir ce format allongé, alangui, un peu ennuyeux aussi par moment, cinématique enfin, de la séance d’exposition. Avec Boris Achour au Crédac d’Ivry, la séance est plus “nocturne”, et de fait

c’est chez lui le rêve ancien d’une exposition totale : plongé pendant quarante-cinq minutes dans une “nuit américaine” nourrie de récits littéraires commandés à des écrivains, amplifiée de musique, on assiste sur les écrans à d’étranges rituels communautaires et on croise dans l’espace les mêmes objets-sculptures que ceux utilisés dans les films. Entre l’écran et le réel, entre le live et l’absence, le scénario est ouvert. Au fond, ces séances d’exposition ne se déroulent pas du tout “comme au cinéma” ; elles disent au contraire la spécificité de la forme-exposition, soit la libre déambulation physique et mentale du spectateur au sein de l’œuvre. Avec l’Albano-Franco-Berlinois Anri Sala, qui représentera la France l’an prochain à Venise, la séance, d’une heure environ, à Beaubourg prend la forme d’une symphonie audiovisuelle, parfaitement architecturée en cinq grands écrans placés en cercle comme dans un cadran solaire. Il s’y déroule un programme de quatre films dont un, très beau, évoquant le siège de Sarajevo. Deux musiques se répartissent l’espace, devenu une sorte de boîte à musique : une symphonie de Tchaïkovski et la version instrumentale d’un célèbre morceau des Clash, Should I Stay or Should I Go – une indécision qui convient à l’espace comme au visiteur, libre de son temps, de sa chorégraphie. Jean-Max Colard Boris Achour Séances, jusqu’au 3 juin et à heure fixe au Crédac d’Ivry, www.credac.fr Anri Sala jusqu’au 6 août au Centre Pompidou, Galerie sud, Paris IVe, www.centrepompidou.fr

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la femme hauts-fourneaux Retour à la forge pour Morgane Tschiember, dont les sculptures révèlent volontiers dans quelles conditions de production elles sont nées. as de repos pour les vertigineuse ; ou on Une autre pièce exhibe sculptures. Morgane passe dessus, saisi par la à la fois le geste et l’outil Tschiember, jeune perspective bien cadencée de production. Rolls est fait femme énergique, que forment l’enfilade de deux cylindres en Inox ne laisse pas ses œuvres en de bandes alternées. accolés, de telle sorte qu’ils paix une fois qu’elle a fini Plus loin, ça travaille ressemblent aux rouleaux de les usiner. Elle les fait encore : des volumes d’une rotative d’imprimerie. travailler. Elles travaillent, anguleux, moulés dans Tachée d’une bande comme on le dit d’une le béton, sont coiffés de peinture qu’elle semble charpente, dont le bois tire, d’excroissances de verre. avoir écrabouillée, l’œuvre pousse, force et fait jouer En fait, soufflé directement suggère le mouvement, la structure. C’est ce genre contre le béton, le verre, le labeur et la peinture de tension, de conflits mou et chaud à ce moment- (industrielle). L’expo internes entre les matériaux là, en a épousé les contours propose donc une image eux-mêmes ou entre dès le jour de sa fabrication. de l’artiste aux (hauts-) les créations et le lieu Ces formes n’ont donc rien fourneaux, de l’artiste d’exposition qui sont ici de gratuit : elles dépendent de retour à l’usine et de mis en œuvre. de leurs propres conditions son travail, comme d’une A commencer par de production. activité physique, technique ces longues lamelles Pour mettre en évidence et non pas technologique d’acier qui vont d’un mur ce geste de sculpteur, ou conceptuelle. Les formes à l’autre et se hissent il fallait en quelque sorte le d’ailleurs ressortent jusqu’au plafond. Elles dramatiser : d’où la forme d’un minimalisme ploient en souplesse, sans extravagante des sculptures accidenté, à la carrosserie céder, arborant un gris acier de béton, et l’équilibre drôlement amochée, qui fait passer là un souffle acrobatique des bulles de redressée, tordue. Judicaël Lavrador de chantier industriel. Mais verre qui s’y agrippent, l’autre face, laquée, nimbe sans parler de cette alliance les murs de reflets orangés. piquante de deux matériaux Swing’n’Roll & Bubbles On passe dessous, serré aux qualités divergentes, du jusqu’au 28 mai au Crac contre le mur et prenant béton (opaque et dur) et du de Sète (34), de plein fouet sa hauteur verre (translucide et fragile). crac.languedocroussillon.fr

Premier plan Swing et arrière plan Roll, courtesy Crac LR Sète 2012, photo Marc Domage

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où est le cool cette semaine? par Laurent Laporte et Marc Beaugé

chez Chevignon en plein retour Il y a quelque chose de troublant à observer une marque qui se repositionne, se met à faire de l’image, à bosser son stylisme et affirme avoir rehaussé la qualité. Faut-il y croire ? Après De Fursac, auteur d’un remarquable redressement, c’est Chevignon qui s’est lancée sur une voie similaire. L’annonce d’une collaboration avec Milan Vukmirovic (ex-Trussardi) et, surtout, l’embauche de l’excellent Ludovic Alban (ex-Carven) prêtaient à un certain optimisme. L’arrivée des premières silhouettes confirment la chose. Le saut qualitatif est gigantesque.

sur ces T-shirts signés Maison Labiche L’idée consiste à prendre de beaux T-shirts blancs col rond (mort au T-shirt à col V) et à coudre dessus, simplement, au niveau de la poitrine, des noms de rock-stars, de films, de chansons. Le choix va de Luke Skywalker à Chet Baker, en passant par Elvis, The Dude, Bukowski ou Melody Nelson… Simple et beau. maisonlabiche.com

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chez Siiri, Tiia et Elina Elles s’appellent Siiri Raasakka, Tiia Siren et Elina Laitinen. Elles sont jeunes, finlandaises et, dans un grand éclat de rire, elles viennent de remporter le Grand Prix du 27e Festival de Hyères. Leur collection anticrise et néopunk enquille plaids à franges et à paillettes, casquettes à gommettes métalliques, pattes de lapins transgéniques sur sac à dos et assume même l’élevage de macrocristaux Swarovski sur sweat-shirt. Tout ça est absolument importable, mais c’est la moindre des choses pour un festival mettant en concurrence des stylistes frais moulues, et encore insoumis aux impératifs commerciaux. Siiri, Tiia et Elina assument d’être encore des élèves et leur parfum Glue rappelle ostensiblement les petits pots de colle blanche des bancs d’école… Vainqueurs d’une bourse de 15 000 euros, les trois Finlandaises présenteront leur collection lors d’un showroom à la fashion week parisienne printemps/été 2013.

à vos pieds avec cette paire de Vans X Kenzo Après avoir mis sur pied, pour Opening Ceremony, une formidable politique de collaborations (Levi’s, Margiela, Pendleton…), Carol Lim et Humberto Leon commencent un boulot similaire chez Kenzo. Premières pièces au dossier, de très chouettes Vans reprenant l’imprimé que les créateurs avaient utilisé sur des casquettes lors de leur tout premier défilé pour Kenzo, l’an dernier. 16.05.2012 les inrockuptibles 107

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Sam Show / Roger Viollet / France 2

à la radio France Culture La station s’installe à l’hôtel Majestic Barrière de Cannes pour une série d’émissions en direct et en public dès vendredi 18 mai, avec, samedi 26, la remise du prix France Culture Cinéma. A noter le samedi 19 mai : Projection privée à 15 h, avec Charles Tesson, nouveau délégué général de la Semaine de la critique et Edouard Waintrop, nouveau délégué général de la Quinzaine des réalisateurs ; Le Carnet d’or à 17 h avec Nathalie Léger, Olivia Rosenthal et Patrick Bouvet ; et du lundi 21 au vendredi 25, Hors-champs avec Alain Cavalier.

France Inter Samedi 19 mai : On aura tout vu de Christine Masson et Laurent Delmas ; Comme on nous parle de Pascale Clark et Downtown de Philippe Collin du 21 au 25 mai… ; vendredi 25 mai, Emission spéciale de Laure Adler et Eva Bettan à 17 h.

La star sur la C roisette ? Non, sur le divan dans Marilyn dernières séances

Cannes sur tous les tons Télés et radios célèbrent le Festival de Cannes : outre les multiples émissions en direct de la Croisette pour évoquer la 65e édition, les chaînes proposent des programmations spéciales autour de figures de l’histoire du cinéma.

Arte

Il était une fois… Tout sur ma mère Documentaire d’Antoine de Gaudemar. Mercredi 16 mai, 22 h 15

La fine équipe de Serge July explore Tout sur ma mère, sans nul doute un sommet de l’œuvre d’Almodóvar. La croisade d’une mère éplorée (après la mort de son fils) dans la jungle transgenre de Barcelone – doublée d’une réflexion sur le théâtre… Antoine de Gaudemar interroge le réalisateur, son frère producteur, et les acteurs principaux (Cecilia Roth, Marisa Paredes, Penélope Cruz, Antonia San Juan) et fait un léger rappel des origines du cinéma d’Almodóvar. Si l’aspect sociologique est assez souligné, y compris par le spécialiste Didier Eribon, la partie

esthétique est un peu trop zappée. Pas un mot pour rappeler la véritable origine du film : Opening Night de John Cassavetes, dont le début de Tout sur ma mère est un pur décalque. Sans oublier Eve de Mankiewicz. Almodóvar n’est pas un sociologue mais un cinéphile.

Jean-Louis Trintignant, pourquoi que je vis Documentaire de Serge Korber. Lundi 21 mai, 22 h 20

Serge Korber retrace la carrière de Jean-Louis Trintignant : celle d’un acteur aussi populaire et aimé que discret et éloigné des cercles officiels du cinéma. Filmé chez lui, à Uzès, mais aussi sur les

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au poste autre actrice blonde à l’honneur : Catherine Deneuve dans un documentaire qui rend hommage au visage le plus fascinant du monde scènes de théâtre où depuis des années il aime lire des poèmes de Boris Vian, Robert Desnos ou Jacques Prévert, Jean-Louis Trintignant évoque délicatement sa vie, marquée par le plaisir intense de jouer et l’envie, consubstantielle, de s’en détacher, comme si l’essentiel d’une vie se jouait ailleurs. De son amour fulgurant avec Brigitte Bardot (après son premier succès Et Dieu créa la femme) à sa nouvelle expérience d’acteur chez Michael Haneke (son film Amour est présenté cette année à Cannes), Trintignant et Korber reviennent sur ses films clés : Le Combat dans l’île d’Alain Cavalier, Un été violent de Valerio Zurlini, Le Fanfaron de Dino Risi, Le Grand Silence de Corbucci, Z de Costa-Gavras, Un homme et une femme de Claude Lelouch, Vivement dimanche de François Truffaut…, et surtout Ma nuit chez Maud, d’Eric Rohmer, où il est irrésistible.

Catherine Deneuve, belle et bien là Documentaire d’Anne Andreu (2009). Dimanche 20 mai, 23 h 15

Anne Andreu déroule le parcours artistique de la comédienne, parcours d’une rare plénitude marqué par des rencontres avec des cinéastes décisifs. Le film s’organise en séquences autour de quelques figures. D’abord, la sœur disparue, Françoise Dorléac. Sur le tournage des Demoiselles de Rochefort, les deux sœurs rient comme des enfants, se balancent des vacheries affectueuses. Ce film leur permettait de vivre une seconde fois leur enfance, de combler ce qui dans leur vie les séparait – les très belles images du making-of restituent cet état de bonheur, juste avant le deuil. Suit l’évocation d’autres disparus, Saint Laurent, Buñuel, Mastroianni, Truffaut. Et, bien sûr, des vivants prennent la parole : Téchiné, Jacquot, Depardieu, Desplechin… Dans sa façon de télescoper de longs entretiens réalisés aujourd’hui, où l’actrice use avec brio de sa sûreté de jugement et de sa finesse d’analyse, avec des images d’archive peu connues, où se diffracte dans divers états de jeunesse ou de maturité le visage le plus fascinant du monde, le film est réussi. Mais aussi Arte Cannes, tous les jours en direct à 19 h 35 ; Personne ne bouge ! avec David Cronenberg, le dimanche 20 mai à 17 h 45 ; Gomorra de Matteo Garrone, le mercredi 23 mai à 23 h 35 ; Ceci n’est pas un film de Mojtaba Mirtahmasb et Jafar Panahi à 22 h ; The Pledge de Sean Penn mardi 22 mai à 20 h 35

Canal+

Une journée particulière Documentaire de Gilles Jacob. Canal+ Cinéma. Dimanche 20 mai à 22 h 10

Le grand manitou du Festival de Cannes est aussi réalisateur de films sur… le Festival de Cannes. Chacun son cinéma, œuvre collective de trente-cinq réalisateurs renommés célébrant les temples du septième art, produite par le Festival de Cannes, y fut présentée en 2007. Le documentaire rend compte des mondanités afférentes, qui donnent envie de plaindre ces réalisateurs. Mais ils le font eux-mêmes par l’entremise de la plus grande gueule d’entre eux, Roman Polanski. Un défilé de pantins, dont le plus étrange, Michael Cimino, has-been bionique, Ray-Ban et costard blanc, fait figure de rock-star parmi les pingouins. Le cinéma a trouvé son Michael Jackson. Mais aussi : Le Grand Journal du Festival du 16 au 25 mai à 19 h 10 à 20 h 45 ; Le Cercle le vendredi 18 mai sur Canal+ Cinéma à 22 h 25 ; Cérémonie d’ouverture le 16 mai à 19 h 15 et cérémonie de clôture le 27 mai à 19 h ; Minuit à Paris de Woody Allen, le mercredi 16 mai à 20 h 50 ; Le Gamin au vélo de Jean-Pierre et Luc Dardenne le mardi 22 mai à 20 h 50 ; My Little Princess d’Eva Ionesco à 22 h 20…

France 2

Marilyn dernières séances Documentaire de Patrick Jeudy. Mardi 22 mai, vers 23 h

Adapté du livre de Michel Schneider évoquant la relation fusionnelle que Marilyn Monroe entretint avec son psy Ralph Greenson, Patrick Jeudy recompose les moments clés de sa vie en tentant de comprendre l’impossible : qu’est-ce qui a tué Marilyn ? C’est bien une “histoire triste” qu’il raconte, une histoire “dont rien ne rachèterait la mélancolie”, pas même ces sourires insensés par lesquels Marilyn “semblait s’excuser d’être si belle”. Marilyn n’existait pas, elle voulait disparaître à force de n’être qu’une image : y compris celle d’un affolant corps nu de pin-up. C’est le désordre de son image que le film interroge patiemment. “Ce n’est pas le corps qui lui fait honte, c’est la parole”, suggère Jeudy. D’où sa facilité à poser devant les photographes : en photo, on la saisissait en silence. Malgré les images accumulées et tout ce que l’on sait d’elle, il reste un écran entre elle et le monde. Jean-Marie Durand, Jean-Marc Lalanne et Vincent Ostria

spectres de masques Le corps de la star, stade suprême de la société du spectacle. Regardez-les à l’écran : maquillés, contrôlés par une régie invisible qui leur lance des ordres dans l’oreillette. Pure illusion techno-visuelle, ils seraient des corps-machines, des intelligences artificielles, régis par la machine spectaculaire de la télévision. Ils seraient des spectres. Cette idée vient d’un fulgurant essai du philosophe Serge Margel La Société du spectral. Ce n’est pas seulement un jeu de mots surbrillant : quand tant de penseurs se demandent comment sortir de la “société du spectacle” dénoncée par Guy Debord, quand les stratégies postsituationnistes tendent à devenir elles-mêmes une rhétorique spectaculaire, de son côté Serge Margel pousse l’analyse critique et voit ce qu’il y a de l’autre côté de l’écran, dans un au-delà spectral et mortifère du spectacle : “Je suis vu par des fantômes, observé par des spectres, contrôlé par des morts.” L’exemple majeur que prend Serge Margel, c’est le corps de la star, ce corps fabriqué, maquillé, machiné, “corps même de l’illusion” : “Le corps de star est un spectre, le glamour est spectral.” Et c’est elle qui nous ouvre à la société du spectral : car le corps de star, cette “surface pelliculaire” représente “le nouveau corps du pouvoir, du pouvoir des images”, voire du “bio-pouvoir de mort” des spectres qui règnent dans ce système de domination d’un “genre” nouveau : “La souveraineté d’une société du spectacle, c’est le pouvoir de contrôler les corps par des spectres, des automates, des marionnettes, des stars. En d’autres mots la souveraineté c’est la société du spectral.” Et si ce texte hallucinant d’un philosophe hallu-ciné voyait en clair ce qui se trame de l’autre côté de l’écran ? La Société du spectral de Serge Margel, (éditions Lignes), 62 pages, 14 €

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un prophète Sociologue pionnier de la critique de la technique et de la propagande médiatique, Jacques Ellul, mort en 1994, est redécouvert par les contempteurs de la modernité technologique.

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our avoir élaboré, de manière quasi prophétique et pessimiste, une réflexion approfondie sur les effets néfastes de la technique, Jacques Ellul occupe une place assurément décisive parmi les penseurs critiques contemporains. Alors qu’on célèbre le centenaire de sa naissance, la figure de ce sociologue et théologien protestant resurgit dans le débat public. On redécouvre aujourd’hui ses écrits, on s’y réfère de plus en plus, pour des raisons qui tiennent à leur lucidité visionnaire et leur engagement humaniste, au point que de plus en plus d’auteurs y voient la source d’un manifeste politique et culturel encore efficient, à réactiver. Célébré par les écologistes (José Bové en parle souvent, Noël Mamère prépare un film sur lui), Ellul a inspiré en son temps le mouvement de la décroissance, incarné en France par Serge Latouche ou Paul Ariès (cf. son dernier livre Le Socialisme gourmand), mais aussi les critiques forcenés de la société marchande (Neil Postman, ou même le furieux Theodore Kaczynski, alias Unabomber) ou des philosophes inquiets de l’apocalypse nucléaire (Günther Anders), mais il resta pourtant un intellectuel à la marge durant toute sa vie. Sa réflexion sur les mutations sociales dues à la technique et sur les méfaits de la “société technicienne” fut longtemps occultée par l’œuvre du philosophe allemand Martin Heidegger, obsédé lui aussi par “la question de la technique”. Pourtant, comme le remarque l’un de ses lecteurs attentifs, Jean-Luc Porquet, sa pensée centrée sur l’articulation entre nature, société et technique, reste d’une profonde acuité. Si la technique peut être un instrument de libération, comme l’atteste internet aujourd’hui, et ce dont témoigne un champ de recherche très actif depuis dix ans, elle peut aussi être un instrument d’asservissement, analysait-il dans l’un de ses plus grands livres, Le Bluff technologique, paru en 1988. Un essai qui inspire les tenants actuels de la critique radicale de la modernité, au cœur de laquelle se déploie la médiasphère, envisagée comme un vecteur central de l’adaptation des individus à la société technicienne. Pour Ellul, nous sommes aliénés par notre dépendance au milieu technicien qui ne permet plus la réflexion : les objets techniques nous englobent, même si nous n’en avons pas conscience. La rapidité de l’information,

substituer à la volonté de puissance technique la volonté de “non-puissance”

Jacques Ellul appelait à un “iconoclasme indispensable à l’égard de cette effroyable machine de guerre antihumaine qu’est l’audiovisuel”

la confusion entre l’image et le vécu, l’impossibilité où l’on se trouve de faire communiquer la connaissance humaniste, l’expérience quotidienne et la connaissance technoscientifique forment, selon lui, les conditions de la tragédie moderne. Pour en neutraliser les effets, Ellul appelle à une forme de résistance, c’est-à-dire à un “iconoclasme indispensable à l’égard de cette effroyable machine de guerre antihumaine qu’est l’audiovisuel”. Il existe chez lui une méfiance à l’égard des images, de la publicité, d’une vaste machine de propagande ; cette méfiance se transforme en défiance puisqu’il invite à lutter “contre tout ce qui se fait prendre pour la vérité, hors de la parole, claire-obscure, trébuchante, significative, évocatrice, provocatrice”. Si ses héritiers actuels luttent contre les OGM, le nucléaire, les nanotechnologies, le fichage électronique… ils questionnent aussi la nature nocive des médias, ne serait-ce par leurs effets en termes de propagande, thème central dans l’œuvre de Jacques Ellul comme chez Noam Chomsky. Changer notre regard, opérer un renversement de valeurs contre la volonté de puissance technique pour lui substituer la volonté de “non-puissance” : la parole de Jacques Ellul, loin de s’être effacée, rencontre un écho saisissant auprès de ceux qui, entre scepticisme raisonné et rejet radical de toute forme de progrès technique, dissipent les écrans de fumée de notre modernité. Jean-Marie Durand Jean-Luc Porquet Jacques Ellul, l’homme qui avait (presque) tout prévu (Cherche Midi), 360 p, 18 € Stéphane Lavignotte Jacques Ellul – L’Espérance d’abord (éditions Olivétan), 96 pages, 14,50 € Frédéric Rognon Générations Ellul – Soixante héritiers de la pensée de Jacques Ellul (Labor et Fides), 392 p., 29 € Rencontres le 30 mai se tient à l’EHESS (Paris VIe) une journée d’études portant sur l’actualité des pronostics d’Ellul en matière économique. Le 7 et 8 juin, le Centre Montesquieu de recherches politiques à Bordeaux organise un colloque ayant pour thème : “Comment peut-on (encore) être ellulien au XXIe siècle ?” 16.05.2012 les inrockuptibles 111

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bite generation



i la révolution sexuelle des années 1960 conserve encore aujourd’hui son aura mythique, elle le doit en partie à la presse qui l’accompagna et en glorifia les avancées. Vincent Bernière et Mariel Primois sont ainsi à l’origine de cette anthologie qui rassemble les unes les plus marquantes de la presse anglo-saxonne et française. De 1965 à 1975, le sexe est omniprésent dans la “free press”. En même temps que la drogue, il devient un sujet à part entière à l’instar des autres rubriques dans des journaux comme Other Scenes, Yellow Dog, ou en France Actuel. D’autres, comme Suck, L’Organe ou Screw, lui sont entièrement dédiés. Aux Etats-Unis, c’est l’époque où Robert Crumb fonde le journal Zap en 1967 et invente la figure de l’artiste de BD. Grâce à l’UPS (Underground Press Syndicate), ses dessins seront largement diffusés, notamment en France,

OZ, avril 1970, David Nutter/Editions La Martinière

De 1965 à 1975, la jeunesse décide de briser les tabous du sexe contre la société. Une histoire qui s’est écrite en images dans la presse underground, dont les plus belles couvertures sont regroupées dans Sex Press. où Actuel le fait connaître. Le sexe y est omniprésent et Crumb traduit la difficulté de vivre sa sexualité dans l’Amérique pudibonde des années 1950, entre culpabilité et refoulement. En France, c’est Gotlib dans L’Echo des savanes qui publie, fin 1968, Rhââ lovely, une BD humoristique et pornographique qui traite du complexe d’Œdipe, de l’inceste. Du jamais vu à l’époque. Début 1970, le mouvement hippie explose. La monogamie vacille, les contraintes familiales sont remises en cause et les femmes revendiquent le droit de pouvoir disposer de leur corps. Partout, se forment des communautés où on fait l’amour à plusieurs plus facilement que la vaisselle et dont la presse underground française se fait l’écho enthousiaste. En 1971, Actuel consacre un reportage à une love party dans une banlieue de San Francisco. Charlie Hebdo, sous la plume de Reiser, crée une héroïne,

Jeanine, plus intéressée par son vernis à ongles que par ses enfants. Les petites annonces d’Actuel jouent un rôle actif, et l’on peut y lire des demandes du style : “Ch. deux jeunes filles 18-20 ans, jolies, sociables et douces pour fonder une communauté.” Mais cet état d’esprit dionysiaque sur fond de luttes politiques n’aura duré que peu de temps. “En dix ans, on est passés de la promotion d’une sexualité euphorique et libérée à une pornographie codifiée, explique Vincent Bernière. A la nudité joyeuse et bon enfant des premières communautés a succédé un naturisme encadré et graveleux.” Certains laissent tomber le militantisme idéaliste des débuts (“Faites l’amour, pas la guerre”) et se reconvertissent dans l’industrie du porno. Les love parties célébrant l’amour transcendant deviennent des partouzes codifiées en appartement. Une évolution dont la presse fait aussi les frais : après la suppression du mensuel S,

c’est le journal Elle et Lui qui se voit interdit par le ministère de l’Intérieur. Alors que le film Emmanuelle (1974), pourtant bien soft, remplit les salles, les autorités s’inquiètent et promulguent le 30 décembre 1975 une loi qui taxe le cinéma pornographique et le prive de subvention publique. C’est la fin de l’âge d’or du cinéma X. “Les Français privés de dessert”, dessine Reiser dans Charlie Hebdo. C’est aussi la date symbolique de la fin de la révolution sexuelle : une nouvelle génération, celle des punks, émerge fin 1975 et tourne le dos au Peace and Love pour prôner le No Future. Mais ceci est une autre histoire, qui va faire à son tour l’objet d’une anthologie des mêmes auteurs, Punk Press (sortie en novembre 2012). Marjorie Philibert. Sex Press – La révolution sexuelle vue par la presse underground de 1965 à 1975 de Vincent Bernière et Mariel Primois (Editions de La Martinière), 240 pages, 35 € 16.05.2012 les inrockuptibles 113

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campagne de la marque Stüssy : plus on “like”, plus le mannequin se déshabille

enquête

la guerre du bouton A l’affût de buzz et d’interaction, le marketing drague de plus en plus les réseaux sociaux et s’approprie leurs outils. Exemple avec le Like de Facebook.

 L

a marque de prêt-à-porter Stüssy a réussi il y a peu à créer le buzz avec sa campagne “Strip for Likes” sur Facebook (photo). Un mannequin retirait une à une ses nombreuses couches de vêtements à chaque fois qu’un internaute appuyait sur le bouton Like. La jeune femme ayant rapidement fini à moitié nue, on peut considérer que la campagne a été un succès. Cet exemple parmi d’autres révèle l’intérêt grandissant du marketing pour les réseaux sociaux et l’usage qui peut être fait de ces nouveaux outils, tel le Like. D’après une étude réalisée pour l’agence de communication Isobar intitulée “Je te like, moi non plus” publiée récemment, les internautes interprètent de façons très différentes le fait de devenir fan d’une marque sur Facebook. Globalement, “liker” une marque sur le réseau social revient à dire qu’on l’apprécie (60 %), mais aussi à la recommander à ses amis (21 %), à l’autoriser à prendre contact avec l’internaute (21 %), ou à montrer que l’on est client (14 %). Seuls 6 % des sondés reconnaissent que le Like constitue une forme d’engagement vis-à-vis de la marque. Ce qu’ils attendent de ces pages, c’est avant tout d’avoir accès à des

réductions et des offres spéciales, et de pouvoir donner son avis. Au fond, on ne “like” une marque que pour un retirer un quelconque avantage. Aujourd’hui, difficile pour une entreprise de faire l’impasse sur les réseaux sociaux, ne serait-ce que pour “éviter la diffusion d’une image négative” de la marque, comme l’explique Eric Léal, directeur d’Atchik Services, un prestataire spécialisé dans la veille, le community management et la modération. Mais concrètement, quel est l’objectif du Like pour une entreprise ? Il ne permet pas de découvrir une marque : on “like” parce que l’on connaît, voire parce que l’on est déjà client. Pour une marque émergente, le Like est un formidable outil de diffusion, simple et à moindre coût – mais encore faut-il arriver ensuite à fidéliser les internautes. Une tendance consiste à interpréter le Like comme un gage de notoriété : les internautes n’ont pas besoin d’être actifs, mais seulement nombreux. La stratégie consiste alors à créer le buzz. Mais pour une entreprise déjà établie, qui doit faire face à une concurrence féroce, et/ou quand il s’agit de vendre des produits “sérieux”, multiplier les mentions Like ne suffit pas. Les banques, par exemple, peuvent difficilement jouer sur le même créneau que Stüssy, où elles

risqueraient de perdre toute crédibilité, et tablent donc sur l’échange. Pour Eric Léal, la particularité du numérique est que l’on est passé de médias traditionnels de diffusion à un média de conversation. C’est cet aspect participatif qui constitue la vraie révolution d’internet. L’enjeu est donc bien “d’arriver à construire une vraie stratégie relationnelle” et non pas de développer une “interaction superficielle” basée sur le Like de masse. Chantal Petrachi, directrice de la communication de la Banque Populaire chez BPCE, explique que son entreprise utilise les réseaux sociaux pour renforcer les valeurs qu’elle porte, notamment en encourageant la relation de proximité et en soutenant des projets ambitieux. Ainsi, c’est avec le sponsoring voile que Banque Populaire a accru sa notoriété numérique et en particulier grâce au record établi le 6 janvier dernier par l’équipage de Loïck Peyron, vainqueur du trophée Jules Verne. Lors de cet exploit sportif, les réseaux sociaux ont permis au sponsor de faire vivre l’aventure en direct aux internautes passionnés de voile : “Sur la page Facebook, au moment de l’arrivée à Brest, on était “liké” toutes les deux secondes !”, se souvient Chantal Petrachi. Ce besoin d’interaction exprimé par les internautes a beaucoup surpris. Le boum des réseaux sociaux pouvant difficilement être anticipé, Banque Populaire a comme beaucoup d’entreprises adopté une approche empirique de ces outils. Chacun tâtonne encore et il y a parfois des ratés. La Caisse d’Epargne avait par exemple bien tenté d’investir l’univers virtuel de Second Life pour y effectuer des recrutements en ligne… puis l’engouement s’est dissipé. L’instabilité des tendances numériques fait qu’il est quasi impossible d’envisager une stratégie marketing à long terme. “On peut faire du community management sans que ça serve à rien”, plaisante Eric Léal : la communication numérique est toujours en phase de rodage et nécessite “d’être en capacité de réinventer en permanence son métier”. En somme, tout reste encore à faire. Alexandra Caussard

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les conseils psy de Phoebe L’ancienne actrice de Friends Lisa Kudrow reprend du service dans Web Therapy, une comédie qu’elle porte sur ses épaules loufoques.

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ux amateurs de séries qui se sont découvert un amour du genre ces dernières années, Friends renvoie souvent l’image d’une série ringarde, voire rétrograde. Ses aspects les plus pudibonds sont facilement raillés, ses rires en boîte ne passent pas, sa morale blanche et riche dégoûte. Et pourtant. Pendant dix ans de succès ininterrompu (1994-2004), cette sitcom générationnelle a impressionné par sa vista et son sens de l’humour en groupe complètement unique. Sans atteindre la grandeur théorique de Seinfeld, Friends a proposé un nouveau genre de comédie rapide dans son exécution et très référencée, posant joyeusement avec quelques autres les jalons de la comédie télé contemporaine. Même si les mauvaises sitcoms se multiplient chaque saison, sans la création du duo Marta Kauffman et David Crane, des perles plus extrêmes comme Arrested Development ou Community n’auraient probablement pas existé. L’une des manières de réfléchir à l’héritage de Friends huit ans après ses derniers feux, un soir de mai 2004, consiste à observer la suite qu’ont donnée à leur

un nouveau concept de consultation par chat en trois minutes

carrière ses acteurs multimillionnaires – Jennifer Aniston, Courteney Cox, David Schwimmer, Matt LeBlanc, Matthew Perry et Lisa Kudrow ont fini par toucher un million de dollars à chaque épisode ! Dans l’ordre, la première est devenue une star du ciné commercial en phase légèrement défavorable ; la deuxième une vedette de comédie télé (l’intéressante Cougar Town) plutôt déclinante ; tandis que le troisième s’occupe comme il peut en réalisant notamment des films indépendants plus ou moins réussis, comme le récent Trust. Les trois derniers semblent les plus intéressants. Matt LeBlanc s’amuse comme un fou dans une comédie agressive sur les coulisses de Hollywood (Episodes) pour laquelle il a remporté un Golden Globe au mois de janvier dernier. Matthew Perry, quant à lui, a croisé le génie d’Aaron Sorkin dans Studio 60 on the Sunset Strip et vient de retrouver un premier rôle dans une comédie (Go on), produite par un ancien de Friends, Scott Silveri, à voir en septembre. Reste Lisa Kudrow, notre chouchoute, celle qui traversa la série de manière impassible dans le costume de l’illuminée/ idiote/inquiétante Phoebe. Les choix de cette blonde sagace qui aura bientôt quarante-neuf ans apparaissent comme les plus expérimentaux, peut-être les plus fous, en tous cas les plus personnels. Kudrow a fait équipe dans un premier

temps avec le showrunner de Sex and the City Michael Patrick King, créant avec lui The Comeback. Diffusée en 2005 sur HBO, cette comédie satyrique sur la téléréalité brillait par son esprit de méchanceté absolue et sa crudité. L’ex de Friends y montrait un sens puissant de l’autodérision, une logique qu’elle pousse à bout avec Web Therapy, qu’elle a de nouveau cocréé. Comme son nom l’indique, la série a d’abord existé sur internet à partir de 2008, avant d’être diffusée sur Showtime depuis l’année dernière dans une version d’une trentaine de minutes par épisode. Lisa Kudrow y interprète Fiona Wallice, une psy égocentrique qui s’ennuie beaucoup dans la vie et tente de percer avec son nouveau concept de consultation par chat en trois minutes chrono. Champ. Contrechamp. Blabla. Ce dispositif qui pourrait sentir le gadget produit des effets comiques assez forts, dans ce qui ressemble à une version burlesque et amateur d’En analyse. Kudrow tient le crachoir avec une verve incroyable et la série décolle par moments de son socle quand madame la psy s’emporte, sort des insanités, et laisse tranquillement le malaise s’installer des deux côtés de l’écran. Dans ces moments étonnamment tendus, l’ancienne Phoebe nous ferait presque peur. Olivier Joyard Web Therapy chaque mardi à 22 h 30 sur Teva

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brèves au revoir Bree et House Alors que Desperate Housewives a terminé sa course après huit saisons le dimanche 13 mai, c’est au tour de Dr House de disparaître. Le dernier épisode des aventures du médecin misanthrope est diffusé ce lundi 21 mai aux Etats-Unis. Les grandes séries populaires des années 2000 sont définitivement enterrées.

J. J. Abrams pas fatigué Chaque saison, J. J. Abrams pointe le bout de son nez dans la grille de rentrée. Après Person of Interest et Alcatraz il y a peu, le golden boy de Hollywood a réussi à placer Revolution auprès de NBC, qui lui réserve une place au chaud pour septembre. La série, qu’Abrams se contente de produire, est écrite par Eric Kripke, créateur de Supernatural. Revolution décrit un petit groupe de survivants dans un monde déserté par toute forme d’énergie. Lost à l’âge de pierre ?

focus

Doctor Who en 1964

who’s Doctor Who ?

Une nuit entière est consacrée à la légendaire série anglaise de science fiction. ’est une des séries les plus anciennes en activité. Doctor Who compte en effet plusieurs centaines d’épisodes (800 ? Invérifiable car certains sont perdus) et existe depuis 1963. Un monument autant qu’un dinosaure, qui a toujours su se renouveler par la grâce de son concept : le fameux “doctor”, un peu justicier sur les bords, vient d’une autre planète ; il possède le pouvoir de NBC mise sur régénération et peut voyager dans l’espace la politique et dans le temps. Pratique. France 4 Peu après le lancement par reprend le mythe à la racine en proposant HBO de la comédie Veep, sur une nuit entière consacrée à Doctor Who, à une vice-présidente des USA l’occasion de la diffusion de la saison 6 – le un peu idiote et égoïste, le fameux personnage y est incarné par créneau confirme son l’acteur Matt Smith pour la deuxième attractivité en cette année saison consécutive, son scénariste principal d’élections : la chaîne NBC est le brillant Steven Moffat, monsieur vient de commander 1600 Sherlock. Penn, une sitcom avec Bill Au menu, en plus des quatre premiers Pullman dans le rôle d’un président à la tête d’une petite épisodes de cette saison diffusée pour la famille très agitée. première fois en France, plusieurs reportages instructifs sur la saga et son importance considérable dans la culture british. Les profanes apprendront notamment ce que sont les Daleks et le Clash (France 2, le 16 à 20 h 35) Conseillée Tardis. Un diplôme de geek leur sera remis par nos services (Inrocks n° 858), la série à l’issu du visionnage. Le plus intéressant ados/parents du service public revient en pour le sériephile un tant soit peu deuxième semaine, toujours sous influence curieux est le panorama des origines et de Skins. Par les producteurs de Clara Sheller. l’histoire de la série, y compris ses Chicago Code (13e rue, le 16 à 22 h 30) tournages dans les conditions du direct ! Cette belle série policière signée Cerise sur le gâteau, la chaîne propose Shawn Ryan (The Shield) n’a duré plusieurs épisodes vintage, pour la plupart qu’une seule saison. Trop dure ? Trop introuvables et donc indispensables. Le mélancolique ? Trop bien ? Le mystère plus ancien, intitulé The Edge of Destruction, reste entier. date de 1964. Un autre nous emmène à Paris en 1979 (City of Death). Pour une fois Glee (Orange Cinehappy, le 19 à 17 h 35) que la télévision se penche sur sa propre Saison 3 de la série musicale de Ryan Murphy, qui ne s’en occupe plus directement. histoire, il n’y a vraiment aucune raison de Après le carton de American Horror Story sur s’en priver. O. J.

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agenda télé

FX, ce scénariste prolifique vient de vendre à la chaine NBC une comédie sur un couple gay, The New Normal.

Nuit Doctor Who France 4, le 19 mai à partir de 20 h 35. 16.05.2012 les inrockuptibles 117

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émissions du 9 au 15 mai

Riches et célèbres, comment échapper au fisc

Point du jour/Arte

Enquête de Stéphane Malterre et Nicolas Bourgouin (Spécial investigation). Lundi 21 mai , 22 h 45, Canal+

La sidérurgie, symbole de progrès mais aussi d’asservissement.

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e la révolution industrielle à nos jours, la sidérurgie a été la source de la richesse de dynasties industrielles légendaires et le creuset de violentes luttes sociales. Ce qui domine dans ce documentaire classique, en grande partie consacré à la France et l’Allemagne et fondé sur les témoignages d’anciens patrons et ouvriers sidérurgiques, c’est le système de classes huilé qui a permis l’essor de la production industrielle, et donc du pays tout entier. La description de la mainmise des grands chefs d’industrie sur une ville et sur la vie de leurs employés, de leur naissance à leur mort, a un côté néoféodal qu’on retrouve partout – aussi bien chez les Krupp dans la Ruhr, que chez les Schneider au Creusot. Faisant un parallèle constant de l’ évolution des deux pays dans le domaine de l’acier, ce film met en évidence leurs similitudes, y compris lorsqu’une grande partie de la sidérurgie européenne sera démantelée avec perte et fracas (le conflit actuel d’Arcelor Mittal à Florange est une réplique de luttes amorcées dans les années 1970). Autre grand fait frappant : dans ce monde de maîtres, de contremaîtres, de serfs et d’esclaves (les manœuvres), on a fait appel dès les années 1950-60 à la main-d’œuvre émigrée, corvéable à merci – qui a remplacé les autochtones peu malléables –, puis aux intérimaires. Aujourd’hui, la révolution industrielle s’est déplacée en Asie. Notamment, en Inde, où l’Allemagne a jadis installé des usines modèles. On constate que si, au début du XXe siècle, les ouvriers sidérurgiques portaient des sabots pour se protéger de la chaleur des hauts-fourneaux, leurs homologues indiens travaillent pieds nus. Cela en dit long sur l’industrialisation à marche forcée de cette partie du monde. Vincent Ostria

Les Hommes du fer Documentaire d’Anaïs et Olivier Spiro. Mardi 22 mai, 22 h 35, Arte

Une vie, une œuvre : Karl Marx Emission de Thibault Henneton. Samedi 19 mai, 16 h, France Culture Le retour du prophète de la lutte des classes. Les “spectres de Marx”, déjà perçus par Jacques Derrida dans un livre paru en 1993, resurgissent aujourd’hui de tous côtés. On relit l’auteur du Capital, on en salue l’apport dans l’histoire de la théorie économique, après trente ans d’évacuation et de dénigrement cumulés. Les temps ont changé, comme si la lucidité quasi prophétique du penseur s’était enfin révélée. Car ce que Marx a anticipé au milieu du XIXe siècle est devenu notre réalité. Mais comment hériter de Marx ? Que faire de lui ? Thibault Henneton évoque la vie du philosophe, avec des spécialistes de son œuvre comme Isabelle Garo, Jean-Pierre Lefèbvre, Jacques Bidet, Frédéric Monferrand, et les auteurs de Marx, prénom : Karl, Pierre Dardot et Christian Laval. JMD

Terry O’Neill/Getty Images/Arte

morale d’acier

Combines et magouilles pour gruger le fisc. Fausses domiciliations à l’étranger, comptes en Suisse, dissimulation de patrimoine, sociétés-écrans, paradis fiscaux… Pour échapper à l’impôt, les grandes fortunes font preuve d’une ingéniosité redoutable. Malgré les déclarations des politiques et les contrôles de l’administration, les exilés fiscaux courent les rues et font perdre entre 30 et 50 milliards d’euros par an à l’Etat français. JMD

British Blues explosion Documentaire de Philip Priestley. Samedi 19 mai, 22 h 30, Arte

Une archéologie de la pop music anglaise. Dans ce documentaire sous-titré “Quand le rock réveilla l’Angleterre”, Philip Priestley évoque ce point de bascule, au début des années 60, lorsque de Liverpool à Newcastle, les teenagers se mettent à écouter une étrange musique venue d’outre-Atlantique : le bon vieux blues de Muddy Waters, John Lee Hooker ou Howlin’ Wolf. Des Animals aux Yardbirds, en passant évidemment par les Rolling Stones, ce blues irradie le nouveau son anglais des sixties. En exhumant de lointaines images de cette Angleterre vibrant aux sons du Mississippi, et en rencontrant ces survivants du rock anglais, Philip Priestley explore, en généalogiste, le cœur du moteur à explosion que fut le rock d’alors. JMD

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Looking for Gay Bollywood Documentaire de Nasha Gagnebin. Samedi 19 mai, 22 h, Pink TV

Star story : les amants toxiques du rock’n’roll

L’homosexualité reste taboue dans le cinéma indien. La plus grande industrie cinématographique du monde, Bollywood, reste très conservatrice dans la manière d’aborder les relations affectives et sexuelles. Sur 300 films par an, très peu osent aborder la question de l’homosexualité. Quasi absente, l’homosexualité surgit pourtant dans quelques films, comme Dostana, gros succès au box-office indien, qui montrait deux hétéros se faisant passer pour des gays afin de pouvoir emménager dans un loft avec une fille. Nasha Gagnebin interroge cette résistance culturelle dans le cinéma indien, en rappelant que pour la première fois,un acteur populaire a récemment fait son coming-out. Le signe d’une possible évolution de la visibilité des gays indiens. JMD

Pierre Le Bruchec/Le Mouv’

Changement de cap avec Amaelle Guiton

Emission réalisée par François Chaumont. Dimanche 20 mai, 20 h 40, Direct Star

Sex, baffes & rock’n’roll, la vie amoureuse des pop stars. De Tina et Ike Turner à Marianne Faithfull et Mick Jagger, d’Anita Pallenberg et Keith Richards à Yoko Ono et John Lennon, de Courtney Love et Kurt Cobain à Pete Doherty et Kate Moss, la légende du rock s’est souvent laissé absorber par le feuilleton des romances agitées. Comme si la condition de rockstar s’accommodait du statut d’amant maudit, dont la notoriété se déploie parfois grâce aux frasques sexuelles et affectives, mettant de côté les chansons. Le cliché a la peau dure : l’éclipse d’Amy Winehouse, malmenée par son chéri Blake Fielder, fut un nouvel indice de la toxicité de certaines liaisons dans l’histoire du rock. Des journalistes, comme Bruno Blum, Laurent Ducastel, Bertrand Dicale, Patrick Eudeline ou Olivier Cachin analysent ces affinités électriques. JMD

tous les matins du Mouv’ La matinale du Mouv’ se recadre : maîtrise, tonicité et esprit pop. ’an passé, Yassine Belattar était au ces radios pour les vieux. A son actif : une commandes d’une matinale à son impeccable animatrice, des chroniqueurs image : forte en gueule, acide, assez plutôt futés et de bonnes idées éditoriales peu consensuelle. Exit le satiriste axées sur un sens consommé de foutraque et sa libre antenne. Avec le 7-9 l’éclairage/décalage. Sans compter une d’Amaelle Guiton, le changement de cap playlist remuante. La preuve qu’une radio est radical, le recadrage évident. pour les jeunes adultes est viable. Pascal Mouneyres Plus accessible et classique, centrée sur l’info avec une couverture de l’univers web, la quotidienne du Mouv’ est un autre choix Le 7-9 animé par Amaelle Guiton. Du lundi au vendredi, 7 h, Le Mouv’ possible face aux stations généralistes,

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in situ jamais à court de taf Besoin d’un assistant en informatique, de réparer son véhicule ou que quelqu’un fasse “vos courses embarrassantes” ? Tafmania est à votre service. Le principe : un site de petites annonces de tafs dont les prix oscillent entre 5 et 15 euros. On passe commande, on suit l’avancée du taf et, une fois le taf effectué, on note le vendeur. tafmania.com

les “zergs” attaquent Google s’inspire de Starcraft en cachant un minijeu dans son moteur de recherche. Il suffit de taper “zerg rush” dans la barre de recherche pour voir apparaître de petites créatures qui engloutissent les résultats de la page. Pour les exterminer, il faut cliquer dessus. Mais l’invasion est irrésistible… Google.com (zerg rush)

terroristes repentis Lancé par le think tank Google Ideas, le réseau Against Violent Extremism entend lutter contre le terrorisme en regroupant ex-terroristes, victimes et experts qui y partagent leur expérience, en promouvant un discours non violent. Une planisphère montre les particularités des zones géographiques et leurs projets de résolution. againstviolentextremism.org

street art mondialisé Red Bull Street Art View est un réseau qui géolocalise les œuvres de street art de la planète. De New York à Paris, en passant par Johannesburg et Honolulu, l’occasion de partir à la découverte des Space Invaders et autres graffiteurs du monde. On peut même participer à cette collection en postant son lieu favori. streetartview.com

la revue du web BBC

The Guardian

New York Times

zones mortellement dangereuses

les unes refusées du New Yorker

conserver l’art de converser

La BBC dresse un planisphère répertoriant les pays les plus dangereux du monde selon le risque encouru, depuis le sida jusqu’à la chute de météorites en passant par les morsures de serpents. Réalisée à partir de statistiques de l’OMS, cette cartographie s’appuie sur le taux de décès par million d’habitants. Grâce à ce critère on apprend que le Honduras est leader pour le nombre de meurtres, que l’Australie est la zone la plus dangereuse pour les attaques de requins, et les USA pour les accidents mortels de tondeuse à gazon. bit.ly/Ijoj0E

Le Guardian propose une sélection d’illustrations du New Yorker à l’occasion de la sortie du livre de Françoise Mouly, directrice artistique du magazine culturel depuis 1993, Blown Covers. Elle y recense toutes les couvertures qui ont été refusées ou qui ont choqué lors de leur parution. On retrouve ainsi des dessins de son mari Art Spiegelman, notamment une caricature de Bill Clinton lors de l’affaire Lewinsky, ou encore la vision de Crumb sur le mariage gay. bit.ly/IzFjTb

E-mails, Twitter et Facebook investissent tous les domaines de notre société, de la politique au commerce en passant par les relations amicales voire amoureuses. Mais, ces technologies ne peuvent remplacer la conversation in real life. Sherry Turkle, spécialiste de l’influence des nouvelles technologies sur les relations humaines, s’interroge sur notre capacité à communiquer réellement, et propose de recréer des espaces de conversation. Arrêtons un peu de pianoter, regardons-nous et discutons… nyti.ms/JeNJxO

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Association prix Albert Londres

vu du net

les promesses de Londres Quatre-vingts ans après sa mort, le net se souvient d’Albert Londres. Un modèle pour les journalistes, comme en témoigne le prix qui porte son nom.

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ans la nuit du 15 au 16 mai 1932, Albert Londres disparaissait tragiquement lors de l’incendie dans le golfe d’Aden du paquebot Georges Philippar (bit.ly/IYDOLU) qui le ramenait en France à la suite d’un reportage en Chine pour Le Journal. Peu de temps après, sa fille, Florise Martinet-Londres, décide de créer le prix Albert Londres (bit.ly/ra2EvM), qui aujourd’hui encore récompense les meilleurs reportages français. Poète dans un premier temps, Albert Londres s’est consacré ensuite au journalisme pour devenir correspondant parisien pour Le Salut public de Lyon (bit.ly/JHhgm6) et journaliste parlementaire (“chambrier”) pour Le Matin. C’est néanmoins lorsque la Grande Guerre éclate qu’Albert Londres s’adonne au reportage en devenant correspondant de guerre pour Le Petit Journal (bit.ly/K4gLkw). Il marque une certaine rupture avec le style journalistique de l’époque en rendant compte des combats de l’armée d’Orient à la première personne. Tout ce qu’il voit, ressent ou sait est alors raconté de manière vive et détaillée, lui-même définissant le reporter par sa capacité de “porter la plume dans la plaie” – une maxime au retentissement toujours actuel (bit.ly/Kk1ekE). Lors d’un voyage en Guyane en 1923, Londres évolue en témoin engagé, fustigeant alors le système carcéral et les conditions inhumaines du bagne de Cayenne dans Le Petit Parisien

(bit.ly/IxmOQa). Ses récits, rassemblés dans un recueil, Au bagne (bit.ly/IJ0ceM), connaissent un retentissement tel qu’ils permettront une timide amélioration des conditions de détention. Ainsi, de l’Algérie au Congo, des Balkans à l’Inde, Londres parcourt inlassablement le monde dans le souci de faire découvrir les réalités par le biais de sa plume, toujours aiguisée. Jusqu’à son dernier reportage (bit.ly/KuNltC) et jusqu’à ce que son dernier voyage mette fin à l’aventure (bit.ly/L4dy7G). Aujourd’hui encore, le prix convoité qui porte son nom distingue chaque année les meilleurs reporters de la presse écrite (bit.ly/KXMw1R) et, depuis 1985, de l’audiovisuel (dai.ly/IYNszP). Il sera remis le 23 mai. De même, Vichy, sa ville natale, organise un événement annuel (www.albertlondres-vichy.fr) autour de sa mémoire via différentes manifestations : un musée éphémère en 2009 (bit.ly/IYOz2v) ou une BD biographique (bit.ly/IFAxmv) cette année. Albert Londres suscite également les passions aussi bien à travers des reportages sur ses traces, comme ceux effectués par des étudiantes en journalisme de l’IUT de Lannion (bit.ly/JQ2JlD) que par des critiques de son héritage (bit.ly/IMTOpr) ou encore via une interview fictive réalisée à partir d’archives (bit.ly/J5JJSD). Enfin, même les réseaux sociaux sont dans la course afin de véhiculer son “éthique de l’information fondée sur les faits” (bit.ly/II6cqL). Magali Judith 16.05.2012 les inrockuptibles 121

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album Field Music de Field Music Deux frères, dans la région sinistrée de Sunderland, défient l’adversité et construisent leur propre studio. Ce double album finira par devenir leur chef-d’œuvre.

livre

Dark Shadows de Tim Burton Un conte loufoque et malicieux qui fait dialoguer le passé proche et le passé lointain de l’Amérique.

Electric Guest Mondo Avec un tube et un producteur surdoué, le duo californien est prêt pour les charts.

Sous la direction de FrançoiseMarie Santucci Monroerama Un livre fait enfin exploser les masques et les mensonges sur la légendaire star platine.

With Revolvers Aimed… Finger Bowls de Claude Pélieu Un recueil de poésie génial. A l’époque, en pleine contre-culture à la fin des années 60, ces mots avaient sûrement un autre sens qu’aujourd’hui. Je le lis de façon plus abstraite, sans tout ce contexte politique.

film Martha Marcy May Marlene de Sean Durkin Sans rien connaître, juste parce que l’affiche me plaisait, je suis entré dans mon cinéma préféré du West End. L’un des meilleurs films que j’aie vus de toute ma vie. recueilli par Noémie Lecoq

Walk away Renée de Jonathan Caouette Lettre d’amour à une mère, entre comédie et thriller paranoïaque.

I Am a Hero, volumes 1 et 2 de Kengo Hanazawa Une relecture hallucinée du mythe du zombie.

La Rumeur Tout brûle déjà La Rumeur devient ardent sur un quatrième album pessimiste et abouti.

Roulez jeunesse ! de Luc Tartar, mise en scène Marie Normand Festival Les Rappels de Coup de théâtre, Mirecourt (88) A-t-on idée du saut dans le vide que représente chaque première fois dont les adolescents sont les héros involontaires ?

Elsa Boyer Holly Louis Elsa Boyer brouille notre perception dans un premier roman glacé.

Margin Call de J. C. Chandor Une nuit dans une banque d’affaires, la veille du krach de 2008. Haletant.

(Felt/Go-Kart Mozart) Le film documentaire Lawrence of Belgravia sera présenté à Paris (Villette Sonique), le 27 mai. Le nouvel album de Go-Kart Mozart, On the Hot Dog Streets, sortira le 25 juin. Felt: The Book est disponible sur www.firstthirdbooks.com

Garbage Not Your Kind of People Le groupe de Shirley Manson retrouve la pop effrontée de ses débuts. Jean-François Lyotard Pourquoi philosopher ? Un cours inédit de 1964, une réflexion magistrale.

Barbara de Christian Petzold Le chef de file du nouveau cinéma allemand plonge dans l’Allemagne de l’Est, dix ans avant la réunification. Un thriller froid et coupant.

Lawrence

Demain, demain – Nanterre, bidonville de La Folie, 1962-1966 de Laurent Maffre Le quotidien d’un bidonville en France. Précis et subtil.

Gossip A Joyful Noise Beth Ditto fait son coming-out pop avec un album pétaradant et tubesque.

coffret World Cinema Foundation, vol. 1 Scorsese exhume des pépites oubliées. La Flèche brisée de Delmer Daves. Le premier western pro-Indien. Très belle édition des trois premiers films de Roman Polanski.

Jeanette Winterson Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? Star du roman anglais et icône gay, cette figure clé de la littérature britannique passe au récit le temps d’une autobiographie exaltante.

Crumb – De l’underground à la genèse Musée d’Art moderne, Paris Fantasmes, délires, angoisses, tout sur le géant de la BD underground.

Récital emphatique de Michel Fau Théâtre Marigny, Paris Caricature des divas et des tragédiennes d’antan : un show où le rire est roi.

Rayahzone Ali et Hedi Thabet Théâtre de la Renaissance, Oullins (69) Les frères Thabet portent haut l’émotion. De la transe et un jeu de courants d’air(s) qui circulent dans le décor.

Monumenta Grand Palais, Paris Daniel Buren prend les commandes du grand vaisseau de verre et d’acier.

La Triennale Palais de Tokyo, Paris La capitale tient enfin sa grande exposition internationale et se tourne vers une vision excentrée d’un monde globalisé.

Le Monde comme volonté et comme papier peint Consortium de Dijon (21) Adapter à l’échelle de l’expo le roman de Houellebecq, La Carte et le Territoire, voici le défi de cette expo qui flirte avec l’artisanat.

Pandora’s Tower sur Wii Dernière gerbe de jeux pour la Wii. Le brillant Pandora’s Tower illumine son crépuscule.

Bit.Trip Complete/Saga sur Wii et 3DS D’une stimulante simplicité graphique.

Ridge Racer Unbounded sur PS3, Xbox 360 et PC Deux jeux de voitures du patrimoine revus de façon punk, voire violente. Libérateur.

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