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No.849 du 7 au 13 mars 2012

www.lesinrocks.com

Benoît Jacquot pose

3 bombes à Versailles

M 01154 - 849 - F: 2,90 €

Tim Burton s’amuse au musée

un policier infiltré à Tarnac

Léa Seydoux, Virginie Ledoyen et Diane Kruger, héroïnes des Adieux à la reine Allemagne 3,80€ - Belgique 3,30€ - Canada 5,75 CAD - DOM 4,20€ - Espagne 3,70€ - Grande-Bretagne 4,80 GBP - Grèce 3,70€ - Italie 3,70€ - Liban 9 000 LBP - Luxembourg 3,30€ - Ile Maurice 5,70€ - Portugal 3,70€ - Suède 44 SEK - Suisse 5,50 CHF - TOM 800 CFP

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j’ai fait surgir des fantômes avec

Amira Casar

 A

mira Casar est attirée par les flammes : à peine rentrée de Londres où elle s’est consumée au Barbican Hall en jouant la petite Lorraine de Jeanne au bûcher (l’opéra d’Arthur Honegger sous la baguette de Marin Alsop dirigeant l’Orchestre symphonique de Londres), la voici à présent et pour quelques jours encore dans l’enfer de Beaubourg où elle ranime depuis plus d’une semaine, avec le réalisateur canadien Guy Maddin, les rêves calcinés de la mémoire du cinéma, disparus dans des feux d’artifice de nitrate d’argent et de Celluloïd. Murnau, Eisenstein, Keaton, John Ford, Mizoguchi, pour n’en citer que quelques-uns, tous ont au moins une fois vu leurs œuvres égarées, détruites ou parties en fumée. Un peu cinglé, un peu médium aussi, Guy Maddin, dont Ulysse, souviens-toi vient de sortir en salle, fait ressurgir, au Centre Pompidou et en public, les fantômes sous forme d’un work in progress d’une centaine de courts métrages qu’il emboîtera ensuite les uns dans les autres. Guy Maddin tourne comme on fait tourner les tables. Pour mettre ses acteurs en contact avec les mânes des films perdus, il dirige tout d’abord une séance de transe collective aux douze coups de midi. Tout est bon pour mettre les acteurs en convulsion : encordage-bondage, bavage de crapauds, miroir de sorcière, expulsion d’ectoplasmes, cérémonie vaudoue et tutti quanti. Qui est assez gonflé pour se prêter au jeu ? Amira, bien sûr, qui, la vérité si je mens, est toujours partante pour les expériences les plus barrées, mais aussi une flamboyante bande de cinglés. Puisque chez Maddin, on joue collectif, en voici la liste, par ordre alphabétique à défaut d’apparition : Mathieu Amalric, Rudy Andriamimarinosy, Jacques Bonnaffé, Geraldine Chaplin, Miguel Cueva, Slimane Dazi, Mathieu Demy, Jeanne de France, Adèle Haenel, Udo Kier, Ariane Labed, Elina Löwenshon, Maria de Meideros, Jacques Nolot, Christophe Paou, Jean-Baptiste Phou, Charlotte Rampling, Jean-François et Robinson Stévenin, sans oublier le formidable André Wilms.

“avec Guy Maddin, je me sens comme une fille nue sous le regard du peintre”

Ce tournage se déroule sans les temps morts qui font le quotidien pesant des productions lambda. Un vrai bonheur pour Amira Casar, qui vénère ce Canadien pas dry du tout, version débonnaire du lapin Duracell. “Guy, dit-elle, est l’un des très rares réalisateurs qui filme directement les acteurs, sans le truchement d’un chef-op. Avec lui, je me sens comme une fille nue sous le regard du peintre.” Son rôle du jour ? “Une pute dans Poto-Poto d’Erich von Stroheim, occasion idéale pour lâcher mes fantasmes les plus dingues, car ici tout est permis.” Son rôle de demain ? Thérèse Raquin, mais peu importe, les ego démesurés des stars n’ont pas leur place dans cette expérience foutraque où plus personne ne sait où il habite. Amira non plus ne sait plus où elle habite, mais elle est en revanche habitée. Les quarante-quatre réalisateurs qui l’ont fait tourner le savent bien. De ses débuts dans Erreur de jeunesse de Radovan Tadic en 1989 jusqu’au Michael Kohlhaas d’après Kleist de l’immense Arnaud des Pallières dont la sortie ne devrait pas tarder, tous ont été séduits (et nous aussi) par sa grâce, sa fantaisie, son humour et son goût de l’excentrique. Comment ne pas fondre devant quelqu’un qui vous dit en vous fixant droit dans les yeux, de son regard velouté : “J’ai la nostalgie de toutes les choses et de tous ceux que je n’ai pas connus” ? Que ceux qui savent comment ne pas nous écrivent : ils ont perdu. texte et photo Alain Dreyfus lire aussi p. 106

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No.849 du 7 au 13 mars 2012 couverture Léa Seydoux, Diane Kruger et Virginie Ledoyen par Benni Valsson

03 quoi encore ? Amira Casar

08 on discute courrier ; édito de Serge Kaganski

10 sept jours chrono Benni Valsson

le paperblog de la rédaction

12 on décrypte Serge July, sens dessus dessous ; l’ère de rien ; le mot

32

14 hommage Jérôme Brézillon (1964-2012)

16 événement panorama du protéiforme mouvement féministe

18 événement le rôle de la Turquie dans la crise syrienne Revelli-Beaumont/Sipa

22 ailleurs au Sénégal, la transition démocratique est en marche

24 tribune

40

Olivier Py dresse l’état des lieux de la culture après cinq ans de sarkozysme

28 la courbe ça va ça vient ; billet dur

30 parts de marché les smartphones dominent le monde

32 roi et reines Benoît Jacquot sort un film moderne sur Marie-Antoinette. Entretien

54

40 Jean-Luc Mélenchon le trublion de la présidentielle

46 que le meilleur perde

Yannick Labrousse/Temps Machine

en direct sur

68

les politiques en quête de défaite

48 les démons de Soko son premier album est plein de beautés folk et ses nuits de cauchemars

54 Tim Burton aux mains d’or plongée dans l’univers du plus gothique des cinéastes hollywoodiens

60 la taupe de Tarnac 68 Toussaint au Louvre écrivain, cinéaste et plasticien, JeanPhilippe Toussaint monte une exposition

Benni Valsson

pendant onze ans, un policier anglais a infiltré la gauche radicale. Enquête

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34

72 Fengming, chronique d’une femme chinoise de Wang Bing

74 sorties Elena, Le Port de la drogue, John Carter, Indignados, A l’ombre de la République…

78 dvd L’Exercice de l’Etat, Le Soulier de satin

80 Les Royaumes d’Amatur + Resident Evil – Revelations…

82 Revolver prise de pouvoir pop

84 mur du son Les femmes s’en mêlent, Céu…

85 chroniques Kap Bambino, Lindigo, Goldfrapp, Bruce Springsteen, Bright Moments…

92 morceaux choisis Burial, Radiohead, Bengale…

93 concerts + aftershow NME Tour à Brighton

94 Pierre Alferi un roman fleur bleue contemporain

96 romans Olivia Rosenthal, Amor Towles, Cécile Coulon, Rodrigo Fresán…

99 idées Gramsci par Razmig Keucheyan

100 tendance les Photomaton de Pierre et Gilles

102 bd Nocturne de Pascal Blanchet + les expos BD du moment

104 Disgrâce de Luk Perceval + Pelléas et Mélisande

106 Nouveau Festival une aventure collective à Beaubourg

108 où est le cool cette semaine ? ce qu’il faut porter (ou pas)

110 Algérie, mémoires à vif cinquante ans après l’indépendance

112 caricaturistes en Algérie un métier à risque

114 Pinterest un site d’images en pleine explosion

116 séries Extras, la bien nommée

118 programmes chefs-d’œuvre de la peinture

120 la revue du web sélection profitez de nos cadeaux spécial abonnés

pp. 67 et 117

121 vu du net survivre à Fukushima

122 best-of le meilleur des dernières semaines

rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Hélène Fontanaud, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène, David Doucet, Geoffrey Le Guilcher idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot cahier villes Alain Dreyfus collaborateurs M. de Abreu, A. de Baecque, G. Binet, R. Blondeau, M.-A. Burnier, A. Caussard, C. Desloire, M. Despratx, J. Gester, J. Goldberg, A. Guirkinger, E. Higuinen, G. Huault-Dupuy, O. Joyard, B. Juffin, Y. Labrousse, A. Landivier, L. Laporte, J. Lavrador, T. Legrand, R. Lejeune, H. Le Tanneur, L. Mercadet, P. Messina, P. Mouneyres, B. Mialot, P. Noisette, V. Ostria, E. Philippe, J. Provençal, P. Richard, A. Ropert, P. Sourd, N. Stern, B. Valsson lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares vidéo Basile Lemaire graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Thi-bao Hoang, Guillaume Falourd conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu, Mathieu Gelezeau (remplaçant) maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Nicolas Jan publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél 01 42 44 18 12 coordinatrice Sarah Hami tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 15 31 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 00 13 directeur et directrice de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 chef de publicité junior Chloé Aron tél. 01 42 44 19 98 coordinatrice Lizanne Danan tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 assistante Sarah Carrier tél. 01 42 44 15 68 marketing, promotion directrice du développement Caroline Cesbron promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/rp Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 assistante promotion marketing Margaux Scherrer tél. 01 42 44 16 68 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19 infos 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 2 211 059,61 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général David Kessler assistante Valérie Imbert directeur général adjoint Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Sonia Pied administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOer trimestre 2012 directeur de la publication David Kessler © les inrockuptibles 2012 tous droits de reproduction réservés ce numéro comporte un supplément 4 pages EnsAD dans l’édition kiosque et abonnés des départements 75, 78, 91, 92, 93, 94 et 95 ; un programme “Métis” de 16 pages dans l’édition kiosque et abonnés des départements 75, 78, 91, 92, 93, 94 et 95.

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l’édito

carton rouge La proposition d’Hollande de créer une nouvelle tranche pour les revenus annuels supérieurs à 1 million d’euros a déclenché une de ces (mauvaises) comédies dont la droite française a le secret depuis la grande peur des chars soviétiques en 1981. “Proposition symbolique” (c’est vrai), “amateurisme” (sûr que le bouclier fiscal était très pro), “mesure confiscatoire” (ouaf ouaf !) a-t-on pu entendre de part et d’autre d’une Sarkozie aux abois. Précisons que le taux de 75 % ne s’appliquerait que pour la tranche au-delà du million, ce qui rend la “spoliation” assez inoffensive. La nouveauté, c’est que la rigolade s’est étendue au milieu du foot professionnel, gisement de salaires indécents. Selon Christophe Jallet, défenseur fiscaliste du PSG, “si on était soumis à ce régime, on aurait l’impression de travailler pour pas grand-chose”. Les supporters au chômage apprécieront. Pas en reste niveau tacle à la justice sociale, les dirigeants pulvérisent aussi le mur du çon. Frédéric Thiriez et ses moustaches Belle Epoque prédit “la mort du foot”. D’après David Douillet, ceinture blanche en prévision apocalyptique, “tout va disparaître !” : les grands joueurs, les stades, les supporters ! On regrette aussi que Michel Seydoux, président du club de Lille, se soit joint à ce chœur de crocodiles pleureurs en oubliant les savoureux dialogues du film qu’il a produit (Pater) sur le “salaire maximum imposé”. Le foot incite peut-être à penser comme ses pieds, mais à ce niveau d’égoïsme et d’incivisme, c’est carton rouge ! Opposons à ces dirigeants qui préfèrent le crémeux gâteau du foot-business à l’intérêt général les propos de l’honnête Claude Onesta, entraîneur des handballeurs, double champion d’Europe, du monde et champion olympique, qui déclare dans Libération : “L’impôt, c’est un rendezvous citoyen, des crèches, des écoles... Le sport de haut niveau n’a d’intérêt qu’à partir du moment où l’exemplarité est présente dans le tableau... On ne reste pas dans un pays parce qu’il vous permet de protéger le trésor mais parce qu’on y a des amis, qu’on partage des valeurs avec ceux qui y habitent. Donc, qu’ils s’en aillent.” Preuve qu’on peut exercer dans le sport de haut niveau avec un cerveau en bon état de marche et concilier performances et citoyenneté.

Serge Kaganski

En mai 2012, partez en croisière sur le COSTA POVCON, ça nous fera des vacances ! méchamment mailé par Jean-Luc Charbonneau réponse d’une intermittente de l’audiovisuel au président de la Cour des comptes Dans le n° 847, vous avez publié une interview du président de la Cour des comptes, Didier Migaud, qui, selon vos mots, “épingle” les intermittents, et plus précisément ceux de l’audiovisuel. Je suis l’une d’entre eux. Permettez d’exprimer ma colère et le sentiment d’injustice que j’ai ressenti à la lecture de cette interview. Je l’avoue, j’étais en train de boire un café en bas de chez moi, en plein après-midi – Grand Dieu ! – quand j’ai lu l’article. Oui, contrairement à ces “permittents” visés par Didier Migaud, et qui rappelons-le ne représentent que 15 % des intermittents de l’audiovisuel, je bois souvent des cafés l’après-midi. Et ce n’est pas par fainéantise, non. C’est surtout pour sortir, voir du monde, échapper à ces angoisses de précarité qui m’envahissent quotidiennement. Je ne travaille que cinq à dix jours par mois, et croyez-moi, chaque jour passé à ne pas travailler, c’est un jour de plus dans la précarité. Je me bats, jour après jour, pour démarcher ces “boîtes de prod”, entretenir mon réseau et être à l’affût de nouvelles émissions… Alors quand je lis que “les intermittents bénéficient de règles nettement plus avantageuses que les autres”, les bras m’en tombent. D’une part parce que déclarer ce genre d’inepties prouve que Didier Migaud ne connaît pas bien son dossier. L’indemnisation des intermittents du spectacle ne dure

que 243 jours, soit 8 mois. Ainsi, nous intermittents, qui avons “un revenu supérieur au revenu médian des Français”, avons tout intérêt à retrousser nos manches, parce que cette période d’indemnisation est bien trop courte, contrairement à celle du régime général, pour que nous en profitions. D’autre part, je ne connais pas beaucoup de gens qui acceptent de vivre au quotidien avec cette flexibilité d’horaires, cette mobilité géographique et cette précarité permanente. Dire que les intermittents de l’audiovisuel profitent du système d’indemnisation de l’assurance chômage, cela revient au même que de déclarer que les bénéficiaires du RSA sont des assistés… Didier Migaud a dû s’inspirer des techniques de communication de Laurent Wauquiez… Nous en avons assez d’être désignés comme responsables de tous les maux de l’assurance chômage. Il faudrait désormais s’occuper des employeurs (boîtes de prod, chaînes de télé, agence de com ou de pub) plutôt que de pénaliser les intermittents de l’audiovisuel, qui font, comme bien d’autres en ces temps tourmentés, ce qu’ils peuvent pour payer leur loyer, tout simplement. Marie, une intermittente qui profite du système, vole l’indemnisation des chômeurs du régime général, et sera sûrement responsable de la faillite de l’Etat, donnez-moi un billet pour la Grèce, monsieur Migaud !

Ecrivez-nous à [email protected], lisez-vous sur http://blogs.lesinrocks.com/cestvousquiledites

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction

Syrie : les bouchers ont les mains libres

Kathryn Bigelow

Les journalistes exfiltrés décrivent l’horreur que vit le peuple syrien dans un pays à l’agonie.

STR/AFP

“Les bombardements commencent à 6 heures du matin et finissent à 6 heures du soir, avec une pause à midi pour que les massacreurs puissent manger.” Ces propos sont de William Daniels, exfiltré au Liban après huit jours d’enfer à Homs, cloîtré avec la journaliste Edith Bouvier. Le photographe confirme les dires de son confrère Paul Conroy, qui accompagnait Marie Colvin, la journaliste américaine tuée sur place : “J’ai travaillé dans plusieurs zones de guerre, je n’ai jamais vécu de bombardements comme ceux-là. Il ne s’agit pas d’une guerre, c’est un massacre aveugle d’hommes, de femmes, d’enfants. Une fois que les caméras seront parties, Dieu seul sait ce qu’il va se passer.” Depuis le retour d’Edith Bouvier et de William Daniels, il n’y a plus de journalistes à Homs.

Homs

Ed Araquel

le moment Ben Laden dérouté En Inde, on s’élève contre le tournage du prochain film de Kathryn Bigelow consacré à la traque de Ben Laden. S’étant heurté au refus du gouvernement du Pakistan (où l’ancien leader d’Al-Qaeda a été abattu), la production s’est installée à Chandigarh (nord de l’Inde) où elle recrée le décor de Lahore. Une situation inacceptable pour les mouvements indiens radicaux, qui refusent de voir les drapeaux de l’ennemi héréditaire flotter sur leur territoire : plusieurs manifestants se sont frottés aux forces de l’ordre et à l’équipe du film, clamant que “le gouvernement n’aurait jamais dû autoriser un tel tournage sur le sol indien. Nous ne les laisserons pas tourner ce film”. un homme est une femme On ne sait pas encore quel groupe sera sur scène avec Jack White à Paris fin avril pour le concert accompagnant la sortie de son premier album solo, Blunderbuss. Le fondateur des défunts White Stripes a recruté sur casting deux groupes de Nashville : l’un strictement composé de femmes, l’autre d’hommes. Les deux groupes tourneront avec lui et chaque soir, l’Américain décidera s’il joue avec les femmes ou les hommes. Aucune formation mixte n’est envisagée. prune pour homos L’assemblée municipale de SaintPétersbourg, deuxième ville de Russie, a voté le 29 février une loi interdisant “la propagande homosexuelle” à destination des mineurs, sous peine d’amende. Le montant variera entre 75 et 25 000 euros. Une nouvelle atteinte à la liberté qui avait de quoi alerter les consciences quelques jours avant la réélection de l’enfant du pays, Vladimir Poutine. Ceci n’ayant pas empêché cela… Jésus de la galette David Sandoval, Américain vivant au Nouveau-Mexique, est persuadé que le Christ a manifesté sa présence sur la galette de maïs que sa mère lui a cuisinée. Au lieu d’avaler son déjeuner, il a posté une image sur Facebook, où nombre de ses amis auraient évoqué un “miracle”. En 1977, une femme de Lake Arthur, avait déjà fait état de la présence d’une image de Jésus sur un burrito.

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dessin de Cardon

un conte à rebours “Le journal qui ne parle pas des candidats.” Ce qui ne l’empêche pas de parler de politique, au contraire. Conçu par le dessinateur et éditeur Frédéric Pajak, 9 semaines avant l’élection a sorti son premier numéro mercredi dernier, son deuxième sort ce 7 mars, et ainsi de suite chaque semaine jusqu’à sa disparition entre les deux tours de la présidentielle. Au sommaire du numéro inaugural (douze pages grand format), entre autres un long essai du philosophe allemand Peter Sloterdijk sur l’utilité ou non des impôts, un autre de Martin Godard sur le meilleur moyen d’enterrer son téléphone portable, et une formidable flopée de dessins signés Cardon, Willem, Muzo, pour ne citer que les premiers contributeurs. Du coup, on est (un peu) moins pressé de changer de président.

l’image les Victoires du sonotone

La cérémonie vieillissante a fait le choix des poids lourds au détriment de l’audace. Samedi soir, à l’image du palais des Congrès qui les accueillait pour la seconde fois et de France 2 qui les diffusait, la cérémonie des Victoires de la musique est une institution lourde et vieillissante (27 ans) qui peine à rendre compte de la musique au présent. Si on peut éventuellement se réjouir des trophées remportés par Orelsan (photo), Brigitte ou Justice, il faut s’inquiéter des rhumatismes d’une profession qui consacre à la pelle des artistes qui n’ont plus rien à prouver, à l’image de Catherine Ringer (interprète féminine), Jean-Louis Aubert (spectacle, concert) ou encore – à l’usure – Hubert-Félix Thiéfaine (interprète masculin et album). Quant à la Victoire du très transparent Jehro dans la catégorie musique du monde où figuraient les fabuleux Tinariwen, elle témoigne cruellement des problèmes auditifs d’une partie des votants.

Oleg Nikishin/Epsilon/Getty Images/AFP

Poutine passe en farce En Russie, dimanche 4, l’élection a parfois pris des allures de comédie burlesque. Voyage organisé pour voter plusieurs fois, pneus d’observateurs crevés, malades empêchés de voter par leur médecin, bourrage d’urnes au Daghestan. Sans oublier les Femen qui, seins nus, ont essayé de voler l’urne où se trouvait le bulletin de vote de Poutine ou la caméra de surveillance d’un bureau à Kirov pointée non pas sur les urnes mais sur une discothèque… Malgré tout, les observateurs ont relevé moins d’irrégularités qu’aux législatives de décembre. Et pour cause. En prévision du grand cirque électoral, chacun s’était armé à sa manière. Des dizaines de milliers d’observateurs surveillaient le scrutin et relayaient l’information sur internet. Ainsi, sur le blog d’Alexeï Navalny, le célèbre avocat anticorruption, on trouvait des conseils juridiques, le numéro d’une hot line, un site web où relever les fraudes avec un formulaire compatible iPhone. Bref, tout un attirail technologique au pays des bonnes vieilles fraudes massives mais 64 % des suffrages tout de même pour le tsar de l’ex-KGB. A. D., B. Z., avec la rédaction

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sens dessus dessous par Serge July

l’ère de rien

Roosevelt le bolchevique

L

a menace hollandaise de taxer à 75 % les revenus supérieurs au million d’euros a déclenché des cris de souffrance de footballeurs (à l’exception de Vikash Dhorasoo, partisan de la mesure) et l’indignation de l’UMP et de Bayrou.

Léon Mercadet

le mot

[au quotidien]

Francis Le Gaucher

Une présidentielle de crise. Ce scrutin est à nul autre pareil : il est plongé dans la crise. La crise financière mondiale, la crise de la zone euro, la crise grecque, la crise de l’Europe ; la crise française bien sûr avec la crise de l’endettement, du cafard national et de la révolte latente contre les injustices. Personne ne fait jamais campagne sur l’économie et pour cause : c’est glacial. Cette fois, on reproche plutôt aux candidats de ne pas en parler tout en sachant qu’ils ne vont pas dévoiler leurs mesures des prochains mois. On ne parle que de la crise, mais toujours en creux. Un sondage Ifop du 4 mars résume cette situation paradoxale : 64 % des sondés considèrent que les candidats abordent les sujets qui intéressent les Français, mais 68 % pensent qu’ils n’y apportent pas de solutions. Elles viendront pourtant très vite, sitôt l’élection bouclée ! Les promesses douloureuses. Pas de promesses en veux-tu en voilà. Il n’y a que des zakouskis fiscaux, au nom de “la patrie en danger”. Nicolas Sarkozy augmente la TVA de 1,6 %. François Hollande, François Bayrou et Dominique de Villepin proposent la création de nouvelles tranches d’impôts sur le revenu. Le candidat socialiste qui était entré en campagne en proposant une grande réforme fiscale rebondit avec un projet d’“impôt patriotique” : une taxe spéciale de 75 % sur les revenus supérieurs à 1 million par an. Pourtant, ce n’est que la partie émergée. La partie immergée est réservée aux économies sur les dépenses de l’Etat. Le vrai coup de froid est encore à venir. Pour ou contre Sarkozy. Un tiers seulement des électeurs qui se déclarent en faveur de François Hollande adhèrent à ses propositions. Les autres veulent d’abord le départ de Nicolas Sarkozy. Même chose chez les électeurs de Marine Le Pen : deux tiers votent contre Nicolas Sarkozy. Idem chez François Bayrou. L’horizon de la campagne, c’est la crise, mais le sujet, c’est stop ou encore Sarkozy. Dans les sondages relatifs au second tour, il est battu avec des écarts de 10 à 16 points. Résultat : plus personne n’écoute plus personne. Le “catenaccio”. Ce mot italien désigne un système ultradéfensif dans le football. Littéralement, le but est cadenassé. Efficace mais roboratif. Il en va ainsi des campagnes de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, elles sont cadenassées. Tous deux proposent des efforts terribles en filigrane. Le président candidat joue sur son expérience du pilotage présidentiel, son adversaire n’a qu’une boussole mais elle prétend combiner justice et économies. Catenaccio dans le langage électoral français se dit vote utile, l’antidote à la dispersion des voix.

Library of Congress

une campagne froide

Que des footeux ignorent l’histoire de la fiscalité n’étonne personne. C’est plus surprenant chez des politiciens professionnels. Aux Etats-Unis, quand Roosevelt accède au pouvoir en 1933, il trouve l’impôt sur les hauts revenus à 25 %. Etranglé par la crise de 1929, il le monte à 63 % en 1935 pour les revenus dépassant 200 000 dollars (soit moins que le million d’euros hollandais). En 1936, il pousse le taux à 79 %. Puis à 91 % en 1941. Kennedy le redescend à 70 % en 1964. Durant ces décennies, comme chacun sait, le capitalisme américain prospère. Nul grand patron, ni star hollywoodienne, ni champion de base-ball ne fiche le camp des Etats-Unis. Il faut attendre Reagan en 1981 pour que le prélèvement retombe à 50 %, puis à 28 % en 1986. Bill Clinton accentuera la trajectoire ultralibérale avec une imposition effective (compte tenu des niches fiscales) de 22 % à la fin de son mandat. Sous W. Bush, les riches accèdent au nirvana,16 % en 2007. Résumé : les millionnaires américains ont payé de gros impôts de 1935 à 1981, et ils n’en sont pas morts. Apparemment, les millionnaires français sont plus douillets que les Américains.

“Ce que veulent les ouvriers au quotidien”, “le quotidien des Français”, “le quotidien des magistrats” et Ségolène Royal qui “porte une crédibilité au quotidien” : le mot – qui traîne partout et sur tous les sujets depuis trente ans, pas plus – connaît une vive poussée quand s’approche une élection présidentielle. Pourquoi ? Les politiques prétendent pour quelques mois s’occuper des “exigences du quotidien”. D’où vient cet adjectif transformé en un substantif jusque-là réservé aux publications qui sortent chaque jour ? Du livre d’un vieux philosophe marxiste et créatif, Henri Lefebvre, intitulé Critique de la vie quotidienne (1947 puis 1981). Ce “quotidien” chemina par la philosophie, contourna la sociologie, pénétra la psychologie et finit par inonder la presse et la politique, surtout à la veille d’un scrutin. Le mot parvint jusqu’à la banque, comme le prouve cette circulaire d’un grand établissement : “Gérez votre portefeuille au quotidien mais pas tous les jours.” Voilà qui est clair : le quotidien, aujourd’hui, cela veut tout dire ou ne rien dire. MAB

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“Jérôme faisait des photos à El Paso. Je faisais des photos à Tucson. Trois semaines plus tôt, à Paris, nous nous étions donné rendez-vous à mi-chemin, à Rodeo, au milieu de nulle part, à la frontière du Mexique. Nous avions fixé une date et une heure précises : midi, au bar. Aucun moyen de se contacter, il fallait être là. Rodeo est juste une étape avec un saloon, une station-service et une épicerie. Quelques maisons… et rien. J’arrive au saloon, Jérôme est au bar. Il est arrivé vingt minutes avant moi. “Qu’est-ce que tu prends ? – Une Bud ?”. Le propriétaire du bar nous a hébergés. Nous sommes restés deux jours. Deux jours extraordinaires. Nous avons roulé sur les pistes en faisant le plus de poussière possible, en écoutant Johnny Cash et en rigolant. Nous avons fait des photos et nous sommes repartis chacun de notre côté.” texte et photo Patrick Messina

Nouveau-Mexique, en 2001

Jérôme Brézillon (1964-2012) Notre ami photographe est mort le 2 mars. Souvenirs.

U

n soir bien arrosé du printemps 2003, alors que nous parcourions le Mississippi à la rencontre des derniers géants du blues, Jérôme Brézillon avait pris le volant. Puis, alors que la voiture commençait à rouler, il avait sauté en marche, pour me faire une bonne blague et pour la beauté du geste. On s’était rencontrés quelques années plus tôt dans les grands espaces vides de l’Oklahoma, pour un reportage sur les traces de Woody Guthrie. Terrain d’entente idéal, et amitié naissante, entre deux gars qui rêvaient d’Amérique profonde et d’en débusquer les fantômes derrière les clichés ressassés. Des heures passées en voiture avec le grand rouquin aux yeux délavés, à bouffer des miles en écoutant des bons disques, à la recherche d’une boutique de fripes, à

la rencontre d’une image. Un jour, on s’est retrouvés en slip dans une chambre d’hôtel miteuse d’Helena, Arkansas, à comparer nos bedaines naissantes. Quelques années plus tard à Paris, quand la maladie avait fait fondre ton ventre, tu t’étais plaint de flotter dans tes vêtements. On s’était échangé des chemises de cow-boy : je t’avais donné celle que je ne pouvais plus boutonner, contre une qui t’allait trop grand. Je me souviens t’avoir demandé pourquoi tu photographiais peu les gens. Ton travail de fond sur les paysages américains, comme une mission, m’intriguait. Tu n’avais pas vraiment répondu. Moi, je me suis dit que tu photographiais l’invisible, le silence. Des lignes, des angles, des lumières de matin blanc. Un regard amical, transcendant et poétique sur la géographie.

Tes images zen, épurées, à la fois mystérieuses et bienveillantes, révélaient l’esthétique et l’intensité du vide. Tu m’as appris à comprendre le pays, tes images me parlent. Ces dernières années, on était moins partis. Mais à Paris, tu me parlais de tes travaux perso sur la peine de mort au Texas, ou sur les Indiens du Nord-Dakota, et j’aurais tellement aimé être là. La dernière fois qu’on s’est vus, tu travaillais entre deux traitements sur le bouquin de ta traversée des Etats-Unis en train. Tu as encore sauté en marche, mec. Je t’embrasse très très fort. Stéphane Deschamps exposition On Board, la série de Jérôme Brézillon sur les trains, à la galerie Art Ligue, 9, rue des Arquebusiers, Paris IIIe, les 23 et 24 mars, www.jeromebrezillon.com

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Mississippi, printemps 2003

New Jersey, juin 1997 “J’ai un billet aller et un billet retour, je roule, je m’arrête et je fais des photos. Je n’essaie pas de raconter quoi que ce soit. J’évite juste les grosses villes, et les gens. C’est à peu près tout. Mon but c’est un peu de me perdre. J’aime bien ces lieux de vie où il n’y en a pas. Je prends du plaisir à cadrer, à attendre la lumière. J’aime bien quand les lumières se mélangent. Je suis là, mais presque plus spectateur qu’autre chose. Ce qui m’intéresse c’est d’être seul. C’est presque une fiction, comme un décor dans lequel je me promène. Le vide, je trouve ça beau.” texte et photos Jérôme Brézillon 7.03.2012 les inrockuptibles 15

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les “nudistes”

french feminism Réveillées par DSK, les féministes haussent le ton à quelques semaines de la présidentielle. Tour d’horizon.

Anne Laffeter et Géraldine Sarratia

Grigoriy Vasilenko/AFP

 L

Militante ukrainienne de Femen

les féministes sociales qui sont-elles ? La majorité des féministes : les radicales marxistes ; la médiatique Isabelle Alonso et les Chiennes de garde ; les féministes “tradi” d’Osez le féminisme ! ; l’association Mix-Cité et Clémentine Autain ; les pragmatiques du Laboratoire de l’égalité. ennemis Les tâches ménagères, la violence sexiste ou sexuelle, les inégalités socioprofessionnelles, le patriarcat, le rappeur Orelsan, Eric Zemmour, les machos et Marcela Iacub. revendications Le collectif Féministes en mouvements (45 assos dont Osez le féminisme !), à l’origine de l’Appel du 6 mars adressé aux candidats à la présidentielle, demande un ministère du droit des femmes (qui figure parmi les 60 propositions de Hollande), l’égalité professionnelle, une surcotisation sur les temps partiels, le remboursement de l’IVG à 100 %, 500 000 places en crèche, 4 500 places pour les femmes victimes de violences, la suppression du délit de racolage passif, le droit à l’adoption pour les couples homo. Le Laboratoire de l’égalité vise les inégalités socioprofessionnelles. Clémentine Autain demande aussi l’allongement du congé de paternité et de rebaptiser les “maternités” en “maisons de naissance”. filiation Simone de Beauvoir, Benoîte Groult, Gisèle Halimi, Yvette Roudy.

Bertrand Langlois/AFP

a dernière victoire des féministes françaises ? Obtenir la disparition des cases “Mlle”, “nom de jeune fille” ou “nom d’épouse” des formulaires administratifs. Jugées discriminatoires et intrusives, elles incarnent pour elles la queue de comète de l’organisation par l’Etat de l’inégalité hommes-femmes. Il n’y a eu que la juriste Marcela Iacub pour faire entendre une voix discordante en proposant de garder le libertaire “mademoiselle” et de supprimer le “madame” porteur, selon elle, du stigmate d’un mariage déliquescent. Sur Twitter, toutes les “demoiselles” n’ont pas apprécié une décision vue, au pire comme liberticide, au mieux comme futile – “Osez le féminisme et Chiennes de garde n’ont vraiment pas d’autres combats à mener que la suppression du Mademoiselle.” En effet, ce décret de François Fillon, lot de consolation signé à quelques semaines des élections, met surtout en lumière l’absence de progrès, voire la régression, de l’égalité entre les sexes sous la mandature Sarkozy. “Nous rabâchons les mêmes choses depuis vingt ans et les femmes gagnent toujours 20 % de moins que les hommes”, constate Cécile Daumas du Laboratoire de l’égalité. On peut ajouter que cinq fois plus de femmes travaillent à temps partiel et qu’elles consacrent 1 heure 30 de plus au travail domestique. On ne compte encore que 18,5 % de femmes à l’Assemblée nationale et 21,8 % au Sénat. En 2011, les féministes françaises sont pourtant redevenues audibles. L’effet des partouzes “bunga bunga” de Silvio Berlusconi d’abord, mais surtout de l’affaire du Sofitel et des révélations sur la vie privée de DSK. D’un coup, on parlait à nouveau de machisme en politique, de prostitution, de libertinage, de domination masculine... Des débats vifs jusque dans les rangs des femmes et des hommes féministes, mouvement traversé par des courants parfois à l’opposé philosophiquement. L’élection présidentielle de mai prochain fait naître l’espoir d’une alternance à gauche qui prendrait en compte les revendications d’un mouvement protéiforme, dont voici les principales représentantes.

qui sont-elles ? La bloggeuse égyptienne Aalia Elmahdy, les militantes ukrainiennes de Femen, les participantes aux “marches des salopes”. le principe Se mettre à poil (Aalia Elmhady), en petite tenue ou “habillée comme une salope”, en retournant le stigmate, pour revendiquer la liberté d’expression et le droit des femmes à disposer de leur corps – et donc à s’habiller comme bon leur semble. Nées au Canada en avril 2011, les slut walks ou “marches des salopes” ont timidement pénétré en France en octobre 2011. signe particulier Pratique à risque. Fin décembre, trois militantes Femen seins nus ont été arrêtées et battues par les agents du KGB en Biélorussie. Et Aalia, la bloggeuse égyptienne, se planque toujours. filiation Les groupes anar de la fin du XIXe siècle, les hippies, les militants écolo, le photographe Spencer Tunick, John Lennon et Yoko Ono.

les femmes à barbe qui sont-elles ? Le collectif La Barbe aime le poil mais ne milite pas pour le retour à la nature. Il dénonce la sous-représentation des femmes dans les instances de pouvoir. mode opératoire Performances décalées à la Act Up. Affublées de fausses barbes, elles s’incrustent dans des conventions UMP, à l’AG du conseil d’administration de Carrefour et les remercient d’œuvrer pour la reproduction de l’ordre masculin. Leur but ? Semer la confusion des genres. le moment à oublier Leur intervention désastreuse au Petit Journal a surtout semé la confusion tout court. Comme des bleues, elles se sont fait raser gratos par Yann Barthès. cibles Le capitalisme patriarcal hétérocentré et Eric Zemmour, polémiste médiatique nostalgique du temps où bobonne restait en cuisine à pondre quinze mouflets. les cousines Clémentine Delait, plus célèbre femme à barbe de France, les pétroleuses, Jennifer Miller et les Guerrilla Girls américaines aux masques de gorille. En beaucoup moins rock’n’roll.

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les gender queer

Marcela Iacub

la libertaire qui est-elle ? Marcela Iacub est une juriste spécialisée dans la bioéthique et une polémiste postféministe provoc et subversive. Signe particulier : une des seules à avoir défendu DSK. Les autres féministes la détestent. C’est une “libérale sauvage” et une “kapo de l’ordre patriarcal”, pour la radicale marxiste Christine Delphy. ses positions Contre la victimisation et la criminalisation de la sexualité. Pour la réglementation de la prostitution libre, le porno féminin, les mères porteuses, faire du sexe une liberté comme la liberté du commerce, relancer la libération sexuelle qui a renoncé à l’émancipation. sa vision du futur Fini les ventres de baleine ! Vive l’octogénèse ! Les femmes feront pousser bébé d’amour dans un utérus artificiel et seront une fois pour toute libérées de l’esclavage de leur ventre. ses ennemis La censure, le politiquement correct, les lois sur la parité et le harcèlement sexuel, les enfants, les féministes “maternalistes”, la “police de la pensée”, les abolitionnistes (antiprostitution) et Clémentine Autain pour qui, contrairement à Iacub, le viol reste impensé et impuni. filiation Camille Paglia, Elisabeth Badinter, Simone de Beauvoir, Aldous Huxley.

qui sont-elles ? Les écrivaines Virginie Despentes et Wendy Delorme, la philosophe spécialisée dans les études de genre et postcoloniales Elsa Dorlin, la photographe et réalisatrice porno Emilie Jouvet, le collectif Les Panthères roses, la philosophe Beatriz Preciado, le sociologue Eric Fassin. leurs positions Trans, lesbiennes ou hétéros, les queer, qui dissocient le sexe du genre, militent pour une conception beaucoup plus libre et déculpabilisante de l’identité, en pratiquant une déconstruction des rôles traditionnellement masculins ou féminins. Sont également prosexe, proporno, proputes et pour la liberté de porter le voile, ou du moins pour une prise de conscience qu’il n’existe pas un voile mais des voiles, et différentes significations au fait d’arborer ce signe. contre L’essentialisme, la théorie de l’inné, la théorie freudienne de la différence des sexes, les féministes abolitionnistes (antiputes) et toutes les théories qui se basent sur la victimisation des femmes. aiment Les godes-ceintures, qui “dénouent la prétention du pénis à se faire passer pour phallus” (Preciado), les tatouages, la testostérone en sachet, le fist-fucking. filiation Donna Harraway, Michel Foucault, Jacques Derrida, Eve Sedgwick, Teresa de Lauretis, Judith Butler, Pat Califa, Leslie Feinberg, Beth Ditto, Angela Davis et le Black Feminism… Wendy Delorme dans Too Much Pussy! d’Emilie Jouvet

les “réacs” qui sont-elles ? La philosophe Michela Marzano, l’association le Mouvement du nid, les abolitionnistes, les nouvelles “naturalistes”, la psy et politique Edwige Antier. contre Le porno, la notion de contrat dans la sexualité, les “services d’accompagnement sexuel pour les personnes handicapés” (Marzano), la prostitution qui est une “traite des femmes” (les abolitionnistes), l’homoparentalité (Antier).

Les naturalistes croient en une différence de nature entre le féminin et le masculin. pour Un retour au rôle biologisant de la mère, l’allaitement et les couches lavables (les naturalistes), l’abolition de la prostitution, la pénalisation du client (le Nid). filiation Julia Kristeva, Luce Irigaray, Antoinette Fouque, une certaine lecture de la psychanalyse (Freud, Lacan). 7.03.2012 les inrockuptibles 17

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Scènes de terreur dans les rues de Homs, bombardéepar les troupes d’al-Assad

un génocide peut en cacher un autre La Turquie et la France auraient pu faire bloc pour mettre en place des couloirs humanitaires en Syrie. La décision du Conseil constitutionnel de retoquer le projet de loi sur le génocide arménien va-t-elle effacer la brouille entre ces deux pays ? Analyses d’Alain Juppé et de Didier Billion, spécialiste des relations internationales.

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lain Juppé était radieux vendredi dernier. Dans un café attenant à la mairie de Bordeaux, il tenait au petit matin un point de presse improvisé pour parler à bâtons rompus du retour d’Edith Bouvier et de William Daniels, exfiltrés la nuit précédente de l’enfer du quartier de Baba Amr à Homs, en Syrie, où les troupes fidèles à Bachar al-Assad continuent leur massacre systématique des populations civiles pour réduire ce bastion de la rébellion. Le maire de Bordeaux, pour des raisons de sécurité, n’a pas voulu détailler les moyens mis en œuvre pour sortir

Sarkozy avait prématurément annoncé, le 27 février, l’arrivée à Beyrouth des deux journalistes

de cet enfer les deux journalistes enfermés durant neuf jours dans un centre de presse clandestin, pilonné par les obus de mortier de l’armée syrienne. Ces tirs ciblés et ceux des snipers ont déjà coûté la vie au photographe français Rémi Ochlik et à Marie Colvin, la correspondante américaine de l’hebdomadaire anglais Sunday Times. Leurs corps ont été rapatriés à Paris dimanche dernier. Si Alain Juppé a laissé le soin à Nicolas Sarkozy d’annoncer que la pigiste du Figaro et son compagnon d’infortune avaient pu finalement rejoindre l’ambassade de France à Beyrouth, il ne fait aucun doute que le maire de Bordeaux est, avec les services du Quai d’Orsay, le maître d’œuvre de cette opération. Le chef de l’Etat, qui se réserve le privilège d’annoncer les bonnes nouvelles, avait d’ailleurs, le 27 février, prématurément annoncé cette exfiltration avant que ces faits finalement non avérés ne l’obligent, une fois n’est pas coutume, à faire son mea-culpa en public.

Cette opération a été périlleuse. La Turquie, le pays le plus influent dans la région, qui plus est frontalier de la Syrie, poursuit, tout comme la France, un intense travail diplomatique pour mettre en place des couloirs humanitaires. Mais le vote, le 22 décembre par l’Assemblée nationale puis par le Sénat, de la proposition de loi qui pénalise la négation du génocide arménien de 1915 a provoqué la colère et l’incompréhension des Turcs et gelé les relations diplomatiques entre les deux pays, interdisant de fait toute coopération bilatérale dans le dossier syrien. Pour Alain Juppé, la censure mardi 28 février de cette loi par le Conseil constitutionnel pourrait permettre de mettre entre parenthèses ce clash diplomatique et d’envisager à nouveau des actions communes. “Nicolas Sarkozy, a déclaré Alain Juppé lors de son point de presse, a l’intention de présenter à nouveau ce projet aux députés, mais la session parlementaire est terminée. Les débats

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“personne n’est en mesure aujourd’hui de faire pression sur le régime syrien” Didier Billion

Jacques Demarthon/AFP

Le 2 mars, Nicolas Sarkozy est à Villacoublay pour accueillir les journalistes exfiltrés de Syrie, Edith Bouvier et William Daniels

ne pourront reprendre qu’après les prochaines législatives. Si, par le plus grand des hasards, il n’était pas réélu, a poursuivi Alain Juppé, rien ne dit pour autant que la question ne soit pas remise sur le tapis, puisqu’au Sénat, ce projet a recueilli en sa faveur cinquante-sept voix de l’UMP, et cinquante-six du côté du groupe socialiste et apparentés.” Pour y voir plus clair dans le dossier des relations franco-turques, nous avons rencontré, non pas BHL, en pleine promo du récit de ses exploits en Libye et muet sur le drame syrien, mais Didier Billion, directeur des publications de l’Iris1, spécialiste du monde turcophone et du Moyen-Orient. La décision du Conseil constitutionnel change-t-elle la donne ? Didier Billion – Le différend s’est apaisé par rapport à la crise de fin décembre. Toutefois, il y a depuis une dizaine d’années une dégradation profonde. Il y a le paramètre Nicolas Sarkozy, qui est très peu apprécié en Turquie. Chaque fois qu’il y a une crise, on trouve une solution. Mais à chaque crise résorbée, la confiance s’érode. Les choses vont s’améliorer dans les jours ou les semaines qui viennent, mais le ressort est cassé. D’autant que si Nicolas Sarkozy est réélu, il remettra le couvert sur la loi sur la pénalisation de la négation du génocide arménien. Par ailleurs, François Hollande a des liens très étroits avec un des partis de la communauté arménienne, Dachnak, une formation radicale, nationaliste, mais membre de l’Internationale socialiste. Dans tous les cas de figure, cela n’annonce pas des jours parfaitement sereins entre les deux pays. Les autorités françaises parlent-elles d’une seule voix ? Quand Juppé – dont on sait qu’il était contre ce vote – s’était rendu en Turquie à la mi-novembre, il y avait rencontré son homologue (Ahmet Davutoglu), le Premier ministre (Recep Tayyip Erdogan) et les

entretiens avaient exclusivement porté sur les initiatives communes possibles sur le dossier syrien. Ils avaient parlé de corridors humanitaires, mais il n’y avait pas eu d’éléments très tangibles. Et puis, après le vote à l’Assemblée du 22 décembre, tout est annulé, plus de contact politique pendant un mois et demi. La Turquie a-t-elle des moyens de pression sur la Syrie ? Aujourd’hui, le régime syrien montre un véritable autisme, personne n’est capable de faire pression sur lui. Une fois de plus, la communauté internationale montre ses limites. Au Conseil de sécurité de l’ONU, il n’y aura jamais rien de voté. J’entends certains commentateurs qui considèrent qu’il faut passer outre et se dispenser de l’avis du Conseil de sécurité, ce que la France n’acceptera pas. Il y a bien les sanctions économiques, qui peuvent avoir une efficacité relative, mais ça ne résoudra pas le problème. Et de fait, les corridors humanitaires, s’ils ne sont pas gérés en direct et avec le pouvoir et le mandat de l’ONU, sont comparables à des actes de guerre. En Libye, c’était la “no-flight zone”. Une “no-flight zone”, c’est la guerre. Le moindre avion libyen qui décollait était abattu. Les Turcs, pas plus que les Français, pas plus que les deux ensemble, et pas plus que la Ligue des Etats arabes, les Etats-Unis et l’UE ne sont en situation de modifier sur le terrain ce qui s’y déroule, et le seul pays qui peut exercer des pressions positives, c’est la Russie. Mais cela reste très hypothétique. La toute récente élection de Poutine n’annonce rien de bon en ce domaine. Comment refaire alliance avec les Turcs ? Pour Nicolas Sarkozy, jamais la Turquie n’aurait sa place dans l’UE. Il a le droit de le penser, mais il y a quand même des règles de fonctionnement européennes. Les négociations sont ouvertes depuis octobre 2005. Elles sont gelées depuis un an et demi. Je pense que Nicolas Sarkozy a

utilisé le dossier turc pour chasser sur les terres du Front national qui a un vrai blocage vis-à-vis de l’élargissement de l’UE à la Turquie, musulmane. Nicolas Sarkozy s’est enfermé dans cette logique d’opposition dure de façon parfois humiliante. Il n’a pas été une seule fois en Turquie en voyage officiel en tant que président de la République. Il y est passé il y a un peu plus d’un an mais en tant que président du G20. Il n’y est resté qu’une poignée d’heures. Il a débarqué de l’avion en mâchant son chewing-gum, ce que toute la presse avait souligné. Il y a quand même un minimum de protocole à assumer, et les Turcs sont parmi ces pays qui attachent beaucoup d’importance, légitimement, à ce genre de choses. Le président de la République les a maltraités, tant sur le fond que sur la forme. Ça fait beaucoup. Une résolution sur la Syrie a été adoptée la semaine dernière par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU… La résolution déposée par la Turquie et le Qatar en début de semaine, et adoptée par l’ONU, prévoit “un accès sans entrave” aux associations humanitaires. Il est comique que cela soit le Qatar qui soit en pointe, car comme régime démocratique, on fait quand même mieux. Le Qatar et l’Arabie saoudite sont en pointe sur le dossier syrien. Autant on peut considérer la Turquie comme un Etat démocratique, avec des problèmes, des contradictions incontestables, mais où les droits de l’homme et l’Etat de droit existent, même s’ils sont parfois un peu égratignés. Mais que le Qatar ou les Saoudiens nous donnent des leçons de démocratie est, pour le dire poliment, paradoxal. Les Qataris veulent aussi, pour d’autres raisons, apparaître comme un acteur clé de la région avec des ambitions mondiales. Alain Dreyfus (à Bordeaux) et Guillaume Huault-Dupuy 1. Institut des relations internationales et stratégiques

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Issouf Sanogo/AFP

Un bureau de vote à Dakar, au premier tour

de la rue aux urnes Au Sénégal, malgré les violences préélectorales, la perspective d’une transition démocratique se précise.



u lendemain du premier tour de la présidentielle, le Sénégal mérite bien son titre d’exception démocratique en Afrique. Malgré la candidature controversée du président sortant Abdoulaye Wade, jugée anticonstitutionnelle par ses opposants, près de 52 % des électeurs ont gagné les bureaux de vote, avec pour résultat d’obliger “Gorgui” (“le Vieux”, en wolof, surnom du président de 85 ans) à affronter dans un second tour Macky Sall. C’est un sacré revers pour Wade. Lors d’une interview accordée au Journal du dimanche juste avant le scrutin, il affichait pourtant ouvertement sa confiance : “Ma majorité est si écrasante que je pense être élu avec un fort pourcentage dès le premier tour... Une révolte des Sénégalais contre moi n’est pas pensable !” C’était sans compter sur la majorité silencieuse, désireuse d’une alternance politique. La fin du règne d’Abdoulaye Wade devient de plus en plus palpable. Avant même la divulgation des résultats officiels, son équipe de campagne a confessé la tenue d’un deuxième tour. Le président sortant a finalement recueilli 34,8 % des suffrages, contre 26,6 % pour son ancien Premier ministre, Macky Sall. Les violences qui ont émaillé le processus électoral ont suscité la crainte de débordements lors du vote. Les manifestations d’opposition à la candidature du chef de l’Etat en exercice, qui ont précédé le scrutin, ont fait entre six et quinze morts en un mois. Nombre de Sénégalais redoutaient un passage en force d’Abdoulaye Wade. Dans ce contexte extrêmement tendu, des observateurs internationaux ont été

déployés sur l’ensemble du territoire. Les journalistes et les bloggeurs ont noté une forte mobilisation de la population qui s’est exprimée dans le calme. Même en Casamance, dans le sud du pays, le vote s’est plutôt bien déroulé malgré les menaces de rebelles indépendantistes de perturber le scrutin. La retenue des Sénégalais a été saluée par l’ensemble des candidats, “fiers” de leurs concitoyens. “Ils ont donné une leçon de démocratie aux porteurs de violence”, a déclaré Macky Sall. De son côté, Abdoulaye Wade a félicité son peuple pour avoir voté “dans la dignité et le calme”, alors qu’il a été accueilli sous les huées au bureau de vote à Dakar. Déstabilisé, il en a oublié sa carte d’électeur sur place. Depuis la semaine dernière, un sentiment de sérénité règne dans le pays. A Dakar, la vie a repris son cours et la perspective de débordements, évoquée en cas de réélection du Président au premier tour, s’est éloignée. Le rejet du régime en place s’est déplacé de la rue vers les urnes, pour une transition pacifique et démocratique. Autre satisfaction, le scrutin n’a pas souffert d’irrégularités majeures. Thijs Berman, chef de la mission d’observation européenne, a jugé que “l’élection a dans l’ensemble été organisée de façon adéquate, même s’il y eut des défaillances ici ou là”.

un second tour délicat pour Wade. Hormis les abstentionnistes, il ne dispose pas de réserve de voix

Les parlementaires européens regrettent notamment un manque de transparence et la lenteur de la divulgation des résultats provisoires officiels, sources de tensions. Le second tour s’annonce délicat pour Wade. Hormis les abstentionnistes, il ne dispose plus de réserve de voix. En position de faiblesse, il souhaite “explorer toutes les possibilités d’entente avec d’autres forces politiques”. Un geste interprété par ses opposants comme un aveu d’impuissance.Depuis la validation de sa candidature par le Conseil constitutionnel, l’opposition fait bloc contre le président vieillissant. Les principaux opposants ont promis de s’unir derrière le candidat le mieux placé pour le second tour. Leur mot d’ordre : “Tout, sauf Wade”. Ils ont annoncé qu’ils ne reconnaîtraient pas une éventuelle victoire de “Gorgui”. Le principal challenger d’Abdoulaye Wade, Macky Sall, paraît bien placé pour lui succéder. “Sall a le potentiel pour rallier à lui une opposition divisée, expose Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques et spécialiste de l’Afrique. Il n’a pas beaucoup de charisme mais il est très compétent et capable d’apaiser les tensions.” Si le président Wade tombe, il estime “qu’on entrera dans la normalisation d’une alternance qui a toujours caractérisé le Sénégal”. Pour autant, Macky Sall n’est pas un candidat idéal. Sa présente notoriété est la conséquence d’un rejet massif du Président actuel, non d’une validation de son projet politique, assez confus. S’il veut être crédible, il va devoir clarifier son programme avant le 25 mars, date du second round. Guillaume Huault-Dupuy

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la culture dans la tourmente Le directeur de l’Odéon, qui reprendra la direction du Festival d’Avignon en 2013, dresse l’état des lieux de la culture en France après le passage de la tornade sarkozyste. par Olivier Py

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l’origine de ces lignes, une rencontre posant la question d’une possible “idéologie sarkozyste”, qui pose à elle seule deux autres questions : la première est de savoir si Nicolas Sarkozy est effectivement idéologique. Et je m’empresse de ne pas répondre, ou de donner une réponse ambiguë. Il l’est et il ne l’est pas. Le candidat à la présidentielle est très idéologique et le Président beaucoup moins. Mais la deuxième question est encore plus complexe et appelle une réponse encore moins univoque. Si le sarkozysme existe non pas en tant que politique, mais en tant qu’idéologie, Sarkozy est-il

sarkozyste ? Je vais tenter de répondre bien que je ne sois pas politologue mais homme de théâtre. Ce qui veut dire que je fais plus de politique que les politologues et plus d’idéologie que les politiciens. Ma seule légitimité à m’exprimer tenant en réalité au fait que je suis simplement un citoyen. Le sarkozysme se résume en une formule assez simple. Le sarkozysme idéologique s’entend et non pas l’action, laquelle est liée à des paramètres très complexes et contradictoires. “La tragédie, c’est simple, le drame, c’est compliqué”, dit-on au théâtre. L’idéologie est simple, l’action politique est complexe. Le sarkozysme est construit sur une idée

fondamentale, laquelle se décline, s’oublie, se contredit ou s’impose. Cette idée peut naître à l’endroit où le capitalisme et le libéralisme ne se recouvrent pas. Il y a un espace de jeu entre deux idées de droite mais qui n’ont pas la même histoire ni le même avenir. Dans ce jeu entre le libéralisme et le capitalisme peut fleurir une politique inédite dans la tradition de la droite. Je dirais que le sarkozysme est un anticapitalisme libéral. Le libéralisme comme ennemi du capitalisme est une vieille idée qui n’avait plus de voix. Elle apparaît comme absolument neuve alors qu’elle est une idéologie héritée de la droite catholique d’avant-guerre, de la droite qui déteste l’argent, les gens

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pour avoir voulu capitaliser le nom d’un Président de gauche, Sarkozy a vu les intérêts personnels et les querelles intimes faire office de politique culturelle

de gauche ne se souviennent même plus qu’elle a existé, qu’elle a éructé avec Maurras, avec Bloy et bien d’autres, avant de se compromettre dans l’Action française. Cette idée semble irréfutable. Le sarkozysme comme anticapitalisme libéral s’est inventé dans les couloirs de Sciences Po, pas seulement par des gens de droite, quelquefois contredits par la droite qui craint de déboussoler son électorat. La réussite électorale est pourtant incontestable. Cet anticapitalisme de droite ne peut pas être réactionnaire, il est nécessairement innovant. Epris de réformes, il devient visionnaire. Il se donne comme un avenir. Oui, Nicolas Sarkozy, étudiant, activiste, ministre et candidat est idéologique. Qu’on ne se trompe pas sur la postureimposture de l’homme intuitif, presque sincère, sincère parce qu’intuitif ; il pense, et il pense en idéologue, et il est pensé par tout ce courant obscur d’économistes et d’analystes qui croit que le libéralisme est une idée neuve dans un monde à la porte du tout-virtuel.

J’en viens à ma deuxième question : Nicolas Sarkozy est-il sarkozyste ? Pas toujours, et de moins en moins à mesure que le quinquennat avance. Je dirais même qu’il commence comme libéral et finit en capitaliste. Il finit en capitaliste, comme Président et redevient libéral comme candidat, il ressuscite dans son véritable corps, de fils d’immigré, de travailleur obsessionnel, de libéral qui aime les forts, le succès, l’argent, la célébrité, etc. Car il est temps d’élargir la notion de libéralisme aux valeurs symboliques ou d’identifier le capitalisme au-delà de l’argent. Le non-renouvellement des politiques, c’est du capitalisme. Le vedettariat, c’est du capitalisme. L’immobilité des idées, c’est du capitalisme. La société fermée aux femmes, aux différences sexuelles, aux communautés urbaines, c’est du capitalisme. La culture patrimoniale, c’est du capitalisme. La France qui croit pouvoir être arrogante parce qu’elle a rédigé les droits de l’homme il y a deux siècles, c’est du capitalisme. L’anti-œcuménisme, c’est du capitalisme. Le refus du mariage homosexuel, c’est du capitalisme. La destruction progressive mais certaine de l’école de la République, c’est du capitalisme. La négation de la démocratisation culturelle, c’est du capitalisme. Ceux qui sont riches sont riches aussi en force de paroles, en médias et en symboles et ne sont pas prêts à redistribuer les outils de la parole et de l’identité à l’ensemble des citoyens. Clairement, la politique de Nicolas Sarkozy et la crise ont favorisé ceux qui possèdent l’argent, le savoir et le pouvoir. La méritocratie s’est arrêtée à la porte de l’Elysée et Nicolas Sarkozy a oublié le sarkozysme. Car le sarkozysme croyait en quelque chose, en un libéralisme libérateur ! Et nous entendrons encore ce rêve dans les jours qui viennent, même s’il apparaîtra un peu usé par les réalités du quinquennat. Il y a aussi une situation de contradiction fondamentale entre les intérêts de l’Etat et le libéralisme, un gouvernement peut être très libéral, un Premier ministre en a le loisir, un chef d’Etat pas du tout. Un chef d’Etat n’est pas prêt à rogner les prérogatives de l’Etat. Ce qui produit un étrange paradoxe, un Président hyper président et qui pourtant n’a pas l’air d’un Président. Nicolas Sarkozy ressemble plutôt au début du quinquennat à un grand patron de l’entreprise France. Il croit pourtant répondre à cette bizarrerie de la Constitution qui prévoit deux têtes à l’exécutif mais c’est au prix d’une catastrophe symbolique, la France est gouvernée mais elle n’est plus incarnée.

Elle est incarnée par sa gouvernance, son action, son agitation, diront certains, mais non plus dans sa pérennité, son héritage, sa force signifiante, son essence. Et très vite le libéral réformateur qui court à pied-à cheval-à vélo sur tous les fronts revient à la capitalisation de la valeur symbolique, la France éternelle est plus chère au cœur des Français que la France de demain. Le chef d’Etat et le Président ne peuvent pas être des libéraux, si Kadhafi est un bon contrat sur le plan libéral, c’est un désastre sur le plan politique. L’homme Sarkozy se désunit du candidat idéologue dans ce qui passe pour une idéologie du pouvoir absolu et qui est plutôt une volonté de puissance, une illusion d’immortalité, un narcissisme agrandi par une vie privée heureuse. Non pas idéologique mais psychologique, l’affaiblissement de tous les ministères, de toutes les institutions semble servir la cause du moins d’Etat, mais en réalité correspond à la puissance du chef de l’Etat, un croyant, un croyant surtout en lui-même. La difficulté de la gauche, c’est qu’en ayant changé radicalement l’idéologie de droite, Nicolas Sarkozy a privé l’opposition de bon nombre de ses bons vieux arguments. La droite n’est plus réactionnaire, ringarde, élitaire, avide, etc., du moins elle veut le faire croire. Si je m’attarde sur ce changement idéologique, c’est pour permettre aussi à la gauche d’identifier pleinement son adversaire car ces idées présentées comme nouvelles ne sont ni absurdes, ni illégitimes, ni tout à fait remises en cause par la crise. Ce sera l’enjeu de la campagne présidentielle... J’aimerais tenter d’adapter cette grille de lecture d’un libéralisme anticapitaliste à ses politiques culturelles. Je ne peux retracer la totalité de l’activité culturelle du quinquennat et je me contenterai de certains éléments saillants. Tout d’abord la profonde ambiguïté, comment la définir autrement, de cette politique culturelle. Un candidat qui s’affiche comme anticulturel entre Bigard et Mireille Mathieu, puis trois ans plus tard un Président qui cite Dreyer. Il n’y a pas, entre l’homme public et l’homme privé, de dichotomie comme on l’a sans doute justement analysé pour Chirac, amateur d’art oriental en privé et du Salon de l’agriculture en public. Non, il y a plutôt un paradoxe, un oxymore, voire une aporie, dans cette politique culturelle à la fois méprisante pour la culture savante, définie comme élitiste et non rentable, et en même temps soucieuse de laisser une trace historique et de démocratiser l’accès des chefsd’œuvre aux jeunes. Comment comprendre que l’homme qui envoie une lettre 7.03.2012 les inrockuptibles 25

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avec Hadopi, le libéral se fait liberticide. Sous couvert de protéger les artistes, c’est en fait une industrie qui cherche à mater la rébellion des consommateurs de mission humiliante à sa ministre de la Culture, en lui demandant des résultats sonnants et trébuchants soit celui qui impose la suppression de la publicité pour la télévision publique ? Ce que la gauche n’avait pas osé penser. Comment comprendre que celui qui préconise la gratuité pour les musées aux moins de 25 ans soit celui qui pénalise le téléchargement ? Entre le libéralisme de l’homme et la fonction présidentielle, il y a un hiatus qui explique une politique faite de coups de tête. Cette apparente contradiction est en fait l’envers et l’endroit de la même médaille idéologique. Il est libéral quand il exige du rendement, comme si la culture était une entreprise, mais il est anticapitaliste quand il ose penser le Grand Paris, croit en la vertu démocratique de l’architecture, et rêve d’une nouvelle civilisation, selon la formule piratée à Edgar Morin. Il est capable de citer Gramsci, et croit à la bataille des idées, ce qui sidère les oreilles de gauche. Oui, il est proche d’un révolutionnaire marxiste puisqu’il veut atteindre le capital et les capitalistes. Mais il est terriblement capitaliste quand il infiltre l’ensemble du système de communication et veut nommer lui-même le patron de Radio France. Il est capitaliste quand il s’ennuie devant Jean-Luc Lagarce à la Comédie-Française et le fait savoir, l’institution doit selon lui défendre le capital littéraire des classiques. Mais il a aussi une analyse libérale : “On ne devrait pas s’emmerder au théâtre”, donc le théâtre de divertissement est la règle. Le capitalisme en matière de culture est aussi néfaste que le libéralisme et c’est là que sa trouvaille idéologique s’épuise dans les ambiguïtés. Deux ministres de la Culture en font les frais. La première est Christine Albanel, il l’humilie avec une lettre de mission qui recadre son action. Geste terrible qui inféode un ministère réputé autonome aux visées de l’Elysée (pour le sens) et de Matignon (pour la gestion). Dans le même temps il tente de faire lire la lettre de Guy Môquet dans tous les théâtres publics avant le spectacle et l’ingérence comme la récupération politique du procédé glacent tous les directeurs, qui refusent. Christine Albanel semble pourtant pouvoir inventer en suivant son idéologie une politique culturelle libérale, elle a prouvé à Versailles qu’elle n’a pas peur du mélange des genres, du merchandising, du marketing. Mais très vite elle est doublée par une institution nouvelle, le Conseil de la création qui est pour son ministère une deuxième humiliation. Ce conseil est confié à Marin Karmitz qui est l’exemple même de la réussite

culturelle privée. C’est un héritier qui a osé réinvestir sa fortune dans une entreprise audacieuse, une grande réussite à la française, et un motif d’orgueil pour le cinéma d’art en France. Il est la preuve que culture et entreprise peuvent cohabiter si on a de l’audace et le goût de la vérité. Le capitalisme culturel pour Sarkozy est d’ailleurs associé, non pas à l’argent mais à la culture savante et élitaire. Comme en témoigne cette citation de la lettre de mission : “Notre politique culturelle est la moins redistributive du monde, financée par l’argent de tous, elle ne bénéficie qu’à un petit nombre.” Il faut donc redistribuer l’énergie culturelle et le service public se doit d’en finir avec l’élitarisme, fût-il pour tous. Le Conseil de la création est censé assurer cette redistribution, laquelle est, selon l’idée même du Conseil, assujettie aux paralysies administratives. En étant un ministre de la Culture bis, en semblant inféodé non pas à l’Etat mais au chef de l’Etat, en étant contraint par ses budgets d’assumer une certaine subjectivité, le Conseil de la création agit mais sans créer de ligne suffisamment claire pour marquer la politique culturelle de Sarkozy. Il s’épuise en étant un électron libre ou libéral face au grand capital symbolique des institutions françaises. Son deuxième ministre porte un nom prestigieux. L’admiration de Nicolas Sarkozy pour Mitterrand est sincère et correspond aussi à cette ambivalence politique que la gauche aurait tort de considérer comme seulement opportuniste ou stratégique. Un Mitterrand ne peut pas être soupçonné de libéraliser la culture même si ses goûts personnels le rapprochent plus de la culture télévisuelle, du vedettariat, de la mode, du théâtre de divertissement que de la création, la recherche, et la pensée. Frédéric Mitterrand propose alors lui aussi un concept ambigu si ce n’est pervers : “la culture pour chacun”. Il répond au précieux “élitaire pour tous” d’Antoine Vitez, devenu formule paradigmatique de la politique culturelle. Le concept trop flou semble vouloir privatiser la culture, changer le citoyen en consommateur de sa propre culture, communautariser les arts, et préférer la culture de chacun et de personne à la culture de tous qui n’appartient à personne. Il faut donc démocratiser par le bas et non plus par le haut. Devant le tollé que provoque la formule, l’idée disparaît peu à peu de la communication de la Rue de Valois. C’est pourtant le seul élément

conceptuel avancé par le ministère qui par ailleurs navigue à vue et souvent à contre-courant de l’Elysée. Nombre de nominations sont défaites le jour même et beaucoup de limogeages sont annulés dans l’espace d’une journée. Entre-temps, le Président qui voulait voler les riches, non pas pour donner aux pauvres mais pour les forcer à investir, se retrouve en pleine crise à renflouer les banques qu’il devait forcer à jouer leur rôle de moteur économique. Et pour avoir voulu capitaliser le nom d’un Président de gauche il a vu les intérêts personnels et les querelles intimes faire office de politique culturelle. C’est probablement sur le dossier du téléchargement que les complexités théoriques et les légitimités contraires sont les plus grandes. Il faut être fidèle à ses amis et à ses idées, cela ne va pas toujours ensemble quand on a des amis producteurs de disque et que l’on veut démocratiser les œuvres d’art par la libre entreprise. Avec Hadopi, le libéral se fait liberticide. Sous couvert de protéger les artistes, c’est en fait une industrie qui cherche à mater la rébellion des consommateurs. Les deux cents familles de la réaction comme on disait avantguerre pour désigner le capital et le patronat, ces deux cents familles de la production et de la médiation font face à une horde armée sans chef. La gauche, elle aussi, se prend les pieds dans le tapis entre les droits d’auteur qu’elle ne peut pas ne pas défendre et l’accès des jeunes à la culture qu’elle ne peut pas ne pas défendre, un système néolibéral de piratage est en train de réaliser le musée imaginaire de Malraux que la télévision n’a pas fait advenir, et une jeunesse internationale considère que toute la culture, savante ou populaire, devrait être accessible gratuitement et sans restriction. C’est la révolution culturelle du “Touche pas à mon iPod”. La réponse de la droite est coercitive et défend des intérêts privés, elle devrait être contre la capitalisation des objets culturels par les marchands d’accès et accompagner cette révolution. On parle avec cinq ans de retard de taxer les fournisseurs d’accès et de réinvestir la taxe sous forme de subvention à la création, comme on parle de taxer les flux financiers, et c’est Nicolas Sarkozy redevenu anticapitaliste qui en est le héraut. Entre-temps, le printemps arabe a prouvé qu’internet n’était pas qu’un système commercial mais une orientation de la civilisation que rien ne pourrait arrêter, et qu’il valait mieux apprendre à la connaître faute de pouvoir la contrôler. Le libéralisme anticapitaliste qui pourrait correspondre idéologiquement à Nicolas Sarkozy serait le téléchargement gratuit, la taxation des fournisseurs d’accès et le réinvestissement de cette manne.

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Mais les lobbies, les sphères d’influence, etc., accouchent d’une espèce de CNC du disque qu’il est difficile d’imaginer autrement que comme un cadeau fait aux producteurs d’un média obsolète. Une politique culturelle libérale anticapitaliste aurait dû favoriser la création, quitte à préférer les valeurs consensuelles à la recherche. Et pourtant, c’est le projet de Maison de l’histoire qui est retenu pour incarner cette aventure qui se voulait civilisationnelle. Le capital historique, mémoriel, hypercapitaliste, patrimonial, avec le risque de créer une histoire d’Etat, c’est-à-dire de capitaliser le destin de la nation. Le quinquennat accélère la vie politique et les projets au long terme n’ont pas la foulée nécessaire pour arriver au but. Le bilan du sarkozysme est finalement assez maigre en termes culturels. Les idées sont nombreuses, mais les réalisations impossibles, ajournées ou oubliées. Le capital culturel n’a pas été redistribué. Le ministère de la Culture a été dévalorisé, par les faiblesses, les erreurs et les humiliations de ses deux ministres. Le paysage audiovisuel a résisté à toute réforme et pourtant, il a perdu en indépendance. La précarité des artistes du spectacle n’a fait qu’augmenter et aucune

réponse n’a été donnée au statut de l’intermittence. Hadopi s’est trompée de cible et n’a servi qu’à menacer les usagers. La Maison de l’histoire a été discréditée par les historiens avant de naître, reste qu’il y a eu sanctuarisation des budgets en période de crise, assez courageusement, mais trop tard et sans réelle vision. Deux ministres faibles et un Président qui s’avoue lui-même incompétent en matière de culture n’ont pas inventé la politique culturelle de droite qui favoriserait le mécénat, repérerait les talents individuels, revaloriserait la culture populaire et régionale, relierait le patrimonial et l’histoire à l’entreprise touristique, oserait favoriser les nouveaux médias, modifierait le paysage télévisuel, assurerait le rayonnement de la marque française à l’étranger, conforterait la francophonie, proposerait une réelle interaction entre l’école et les arts, etc. C’est avec étonnement que l’on voit les politiques culturelles de droite, toujours un peu dans un complexe d’infériorité, reproduire les grandes architectures de la politique culturelle de gauche quand elles en ont les moyens. La droite en termes de culture fait souvent une politique de gauche depuis la création du ministère, elle épouse

aussi ses travers comme l’événementiel, dénoncé par des intellectuels de droite, ou le mécénat d’Etat qui semble favoriser un art institutionnel, la démagogie sociale, le saupoudrage, la mode, les paillettes, etc. Mais l’objet de ma communication était moins de dresser le bilan de la politique culturelle de Nicolas Sarkozy que de tenter d’en déconstruire les présupposés idéologiques. Les outils conceptuels du sarkozysme étaient en tout cas propres à changer la façon de “faire” la culture en France. N’oublions pas non plus qu’il y a eu sans doute projet de tuer définitivement le ministère de la Culture au profit d’un “grand ministère” – en termes de périmètre, pas d’influence forcément – de la Culture et de l’Education nationale. Et que Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture, a publié dans Le Monde une tribune où il condamne le ministère qu’il a dirigé et souhaite sa disparition. Ce ministère et le symbole politique qu’il représente sont plus en danger que jamais après ces cinq dernières années. Il est à ce jour pratiquement exsangue et avec lui tous les avenirs de la politique culturelle. Les maladies de la culture grèvent un grand corps d’Etat malade et abandonné. Mais rien d’incurable.

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retour de hype

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

“j’ai une idée de scénario : The Artist intouchable”

“à ma droite, un bien beau débat sur le halal”

Luigi Tenco

Inspiration

Dominique de Villepin “et au fait, t’as des nouvelles d’Eva Joly ?”

un oscar pour Bruno Salomone les Bayonnais

Grandaddy reformé

Chateau Marmont

les insultes de maternelle

“et sinon, y a de la place dans ta chambre d’hôtel à Cannes ou pas ?”

Salem 2012

“les riches taxés à 75 % à partir d’un million, hi hi” Olivier Giroud Hugo Chávez

Un oscar pour Bruno Salomone Dans le rôle du cochon d’Inde. Chateau Marmont Leur premier album est prêt, vivement la sortie. Salem 2012 La chasse aux sorcières a commencé. “The Artist intouchable” Un acteur handicapé et muet devient le pote d’un Africain en noir et blanc. Olivier Giroud Un but

contre l’Allemagne et le Montpelliérain est en pleine confiance. Les Bayonnais Respect. Hugo Chávez Twitter l’a dit mort et puis non, en fait. Grandaddy reformé L’un des groupes les plus sous-estimés de la pop américaine revient aux affaires pour une série de concerts. D. L. et P. S.

billet dur

C

her Jean Dujardin, Malgré cet échec cuisant aux César, pauvre loser, le véritable “intouchable”, c’est toi. Personne, et moi encore moins qu’un autre, n’aura le courage, ni même l’envie, de te contester ce statut, sous peine probable d’un lynchage en place publique suivi d’une déchéance de citoyenneté pour haute trahison à la patrie et aux intérêts de Thomas Langmann. Comme Zidane avant toi, mégoter ne serait-ce que pour la forme, par pur mauvais esprit, à propos de tes talents hors du commun, équivaudrait à tenter de remonter l’Atlantique à contre-courant sur une planche à repasser avec la technique de Brice de Nice. D’ailleurs, à propos de Zizou, j’ai remarqué que vous aviez vu le jour le même mois, et j’ai un moment cru que l’humanité avait alors été bénie des cieux, irradiée d’une semence divine. Puis je me suis rendu compte que Garou,

né de l’accouplement de Joe Cocker et d’une paire de couilles d’élan, datait également de juin 1972, ce qui ruine légèrement la démonstration. Mais j’en reviens à toi, saint Jean Dujardin d’Eden, si puissant désormais que dans la Bible Adam et Eve seront rebaptisés Chouchou et Loulou. J’ai revu toute ton œuvre – incluant Lucky Luke, tu noteras l’élasticité de ma conscience professionnelle – et il faut bien reconnaître que tu mérites amplement la demi-tonne de ferraille plaquée or qui encombre désormais ta cheminée. Et Michel Hazanavicius, qui avait La Classe américaine bien avant qu’Hollywood ne s’en aperçoive, t’accompagne dans cet exceptionnel concert unanime comme le stradivarius donne la réplique au steinway. Maintenant, les gars, on vous adore, mais on en a tellement bouffé pendant des semaines qu’on a une suggestion à vous faire : pourquoi pas vous lancer dans un remake de L’Homme invisible ? Vous devez en avoir marre des embrassades, donc je m’abstiens. Christophe Conte

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Diego Azubel/Maxppp

un smartphone, sinon rien Le World Mobile Congress vient de se terminer à Barcelone sans qu’aucune innovation majeure ne soit dévoilée dans ce secteur pourtant porteur.



a dernière étude du cabinet Strategy Analytics confirme la bonne santé du secteur : 1,6 milliard de téléphones mobiles ont été vendus en 2011, (+14 % en un an). Ces résultats témoignent de la guerre que se livrent les fabricants pour maintenir et renforcer leurs parts de marché. Numéro un, le Finlandais Nokia et ses 417,1 millions de terminaux écoulés (part de marché estimée à 26,9 %) ; Samsung deuxième avec 327,4 millions d’unités (21,1 % de part de marché et Apple troisième avec 93 millions de terminaux (6 % de parts de marché). Mais la situation n’est pas aussi favorable au constructeur finlandais qu’elle n’y paraît car les abonnés sont accros aux smartphones. Selon un rapport du cabinet Gartner, ils représentent 31 % des ventes (environ 470 millions d’unités), et en 2016, l’institut table sur le milliard ! Or, sur ce secteur, le poids lourd nordique n’arrive toujours pas à redresser la barre. L’an passé, Samsung a écoulé 97,4 millions de smartphones environ contre 93 millions pour Apple. Nokia arrive loin derrière, avec 19,6 millions. Résultat, Nokia fait grise mine. Pour 2011, il affiche une perte d’un milliard d’euros contre un bénéfice net de 1,8 milliard en 2010. Signée il y a un an, son alliance avec Microsoft ressemble à une dernière chance. Professionnels et grand public ont bien accueilli

le smartphone Lumia (sous Windows Phone, le système d’exploitation mobile de Microsoft) pour ses performances techniques et son ergonomie. Nokia a annoncé en avoir vendu plus d’un million fin janvier. Pas de quoi cependant inquiéter Apple et Samsung ! Pour se démarquer, chacun y va de son innovation, de son coup marketing. Au récent World Mobile Congress de Barcelone, Samsung a dévoilé le Galaxy Beam, smartphone intégrant un pico-projecteur (qui projette sur les surfaces planes, le contenu de l’écran). Les téléphones commencent aussi à se prendre pour des minitablettes avec des écrans de 5 pouces, (l’Optimus Vu de LG ou l’Eluga Power de Panasonic. De son côté, Asus mise sur les concepts hybrides avec son Padfone, un smartphone se logeant dans une tablette et Nokia fait dans la surenchère photographique avec le 808 Pure View équipé d’un capteur photo de... 41 millions de pixels (les clichés pris par défaut sont de 8 millions de pixels). Restent des acteurs silencieux, mais efficaces : les constructeurs chinois comme ZTE qui a ouvert près du Futuroscope de Poitiers un laboratoire de recherche dédié notamment à la 4G. Jusqu’alors cantonné au low cost, le numéro 4 mondial, avec 18,9 millions d’unités vendues au quatrième trimestre 2011, a dévoilé à Barcelone deux smartphones haut de gamme sous Android... Philippe Richard

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bras de fer entre Google et la Cnil

forte hausse sur les vidéonautes français

La Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) demande à Google de reporter la mise en place de ses nouvelles règles de confidentialité. Le moteur de recherche prévoit de fusionner ses différents services.

le Japon après la catastrophe Dans son numéro de mars, Books s’intéresse aux transformations du Japon de l’après-Fukushima. Egalement au sommaire, les femmes soldats de l’armée israélienne, Lacan et le rôle des robots dans les guerres.

Le quotidien espagnol Público, nouvelle victime de la crise de la presse papier. Il était en cessation de paiement depuis janvier. Le site, lancé en 2007, poursuivra seul son activité.

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la radio s’expose Pour fêter l’anniversaire des 90 ans de la radio, le musée des Arts et Métiers à Paris organise jusqu’au 2 septembre une exposition, Radio, ouvrez grand vos oreilles !

Le Monde des sciences Ce magazine de vulgarisation scientifique de bon niveau, déclinaison française du New Scientist, vient de sortir son premier numéro.

Musée des Arts et Métiers

Público passe au sans papier

Selon Médiamétrie, 75 % des internautes français (soit 30,3 millions) ont chacun visionné en moyenne 74 vidéos en décembre dernier, ce qui équivaut à environ 3 h 19. YouTube reste la plate-forme la plus visitée avec 21,8 millions de visiteurs uniques.

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Virginie Ledoyen, Diane Kruger et Léa Seydoux illuminent Les Adieux à la reine, en salle le 21 mars 32 les inrockuptibles 7.03.2012

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roi et reines En trois portraits de femmes dans la tourmente de l’histoire et des sentiments, le cinéaste Benoît Jacquot peint avec force la fin de règne de Marie-Antoinette, personnage fantasmatique qui n’en finit pas d’obséder notre siècle. par Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne et Antoine de Baecque photo Benni Valsson 7.03.2012 les inrockuptibles 33

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A

la dernière Berlinale, Benoît Jacquot fut accueilli triomphalement pour Les Adieux à la reine, film en majesté qui réunit trois reines de l’écran : Léa Seydoux, Diane Kruger et Virginie Ledoyen. Volubile et chaleureux, Jacquot raconte ici, deux semaines avant la sortie de son film, cette belle aventure : écouter (ou lire) cet homme qui réunit le goût, l’érudition et l’intelligence du cinéma, c’est un plaisir royal qui se partage démocratiquement. Benoît Jacquot – Pour la première fois, j’ai l’impression que mon film plaît. Il semble séduire beaucoup de monde, y compris des gens pas toujours bienveillants à l’égard de mon cinéma, comme Eric Neuhoff du Figaro. Après six ou sept couvertures des Cahiers du cinéma, me retrouver en une de Positif est une chose à la fois merveilleuse et un peu vertigineuse. Cette unanimité nouvelle à mon endroit me pose question. Je me dis “Tiens, que s’est-il passé ?” Les Adieux à la reine est votre énième film historique en costumes mais vous êtes l’un des rares à éviter l’écueil du film d’antiquaire. Mes films préférés en tant que spectateur sont pour la plupart des films en costumes : ça me donne déjà une bonne raison d’en réaliser. En France, le genre ne s’est pas illustré de façon prodigieuse. Quand Jean Renoir fait un film d’époque (French Cancan, La Marseillaise), ça a évidemment une autre allure que quand c’est André Hunebelle (Le Bossu) ou Jean Delannoy (Notre-Dame de Paris, Marie-Antoinette…). Ceux de Truffaut, Rohmer ou Rivette sont aussi très beaux. Mais pour moi, le film d’époque c’est plutôt les productions MGM courantes de George Sidney (Scaramouche, 1952) ou Richard Thorpe, y compris les chefs-d’œuvre de Fritz Lang (Les Contrebandiers de Moonfleet, 1955) ou les films italiens de Mauro Bolognini, Riccardo Freda, Vittorio Cottafavi, cinéastes négligés. Ce sont ces gens qui rendent vivant le film costumé. Quel est le secret d’un film en costumes vivant ? J’essaie d’éviter l’imagerie, de mettre le spectateur en position de plain-pied au moment de la projection. Je ne veux pas qu’il s’arrête à chaque plan sur un décor ou un costume et se dise “Oh, quelle belle époque ! Oh, comme c’est bien restitué !”. Votre premier désir de faire ce film, c’était le roman de Chantal Thomas ou la figure de Marie-Antoinette ? Pas Marie-Antoinette ! Elle m’intéresse mais pas au point de vouloir en faire un film. Non, c’est la lecture du livre, notamment cette idée d’un bouleversement majeur de la société française vu par un personnage mineur sur un temps très ramassé et dans un lieu clos. En s’attachant aux basques de Sidonie/Léa Seydoux, Les Adieux à la reine a un côté remake de votre film La Fille seule. C’était conscient dès le début du projet ? Le geste de suivre un personnage féminin comme on suit une fille dans la rue est constitutif de mon cinéma. Ici, mon personnage est celui du livre, sauf que dans le livre, elle a 50 ans et je ne voyais pas

BenoîtJ acquot, Paris, février 2012

“les pouvoirs qui vacillent mais s’accrochent, ça existe depuis la nuit des temps” comment rendre sensible la vulnérabilité, l’ingénuité de ce témoin que je choisis de suivre, avec une femme qui a déjà quelques heures de vol. Dans le livre ça fonctionne mais cinématographiquement, il me semblait nécessaire de choisir une jeune actrice encore proche de l’enfance pour incarner l’affolement, la fragilité que je cherchais à mettre au centre du film. Le film suit un personnage en particulier mais présente trois actrices célèbres en affiche. Vous êtes-vous posé la question de l’équilibre de leur temps de présence dans le film ? Constamment. Mais je m’étais fixé une loi dès le départ : on ne verrait que ce que voit ou entrevoit Sidonie/Seydoux. Si le film était une phrase, Sidonie serait le sujet et Marie-Antoinette/Kruger l’objet. Et De Polignac/Ledoyen, le verbe. En termes dramaturgiques, je dirais que Sidonie est le personnage

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Virginie Ledoyen, l’aristocrate convoitée “Comme moi dans La Fille seule, le personnage de Léa Seydoux dans Les Adieux à la reine n’arrête pas d’ouvrir des portes, en vrai et sur le monde. C’était drôle et émouvant d’être cette fois passeuse et témoin de ça. Les films de Benoît sont toujours des portraits de personnages qui s’affranchissent et basculent et en même temps des documentaires sur les acteurs en train de les interpréter. Ce n’était pas simple de jouer un pur objet de fascination en peu de scènes et surtout en très peu de mots. D’ailleurs, ce serait prétentieux de croire qu’on peut le jouer : il faut juste le laisser filmer, faire confiance au metteur en scène pour le cristalliser. Mon personnage est le produit de son époque : elle a peur de perdre ses privilèges, de perdre ce qu’elle pensait acquis pour toujours. Mais ce qui en fait le produit de son époque lui donne une résonance très contemporaine : dans notre société, tout le monde a un peu peur de ça, je crois.”

Diane Kruger, la reine désespérée

principal et Marie-Antoinette le personnage central. Alors que De Polignac serait (il cherche le bon terme)… un point de capillarité entre elles deux. Vous filmez Versailles comme un système organique… Exactement. Ce film est un huis clos paradoxal. Versailles était un lieu unique et fermé et en même temps un pays en soi. On circule des soupentes aux caves en passant par la galerie des Glaces et autres lieux les plus fastueux de l’époque, alors qu’à l’extérieur, c’est la révolution. Dans Saint-Simon, on trouve des descriptions de Versailles extrêmement évocatrices : on ouvrait une porte de la galerie des Glaces pour aller chier ou pisser derrière, et ce n’était pas nettoyé pendant des jours. Tout en restant en deçà de ce type de détail, j’ai essayé de montrer les éléments de ce lieu qui induisent un mouvement de l’histoire et la nécessité d’un renouvellement. Qu’est-ce qui vous attirait dans la temporalité concentrée sur quatre journées ? La panique. Alors qu’il existe un protocole très lourd et installé, on bascule rapidement dans ce moment où tout le monde perd ses repères. Tout à coup déboule un mouvement insurrectionnel qui va mettre à bas le vieux monde, mais ceux qui vont tomber n’y croient pas pendant un temps. C’est à la fois stupéfiant et très contemporain. Les pouvoirs qui vacillent mais s’accrochent, ça existe depuis la nuit des temps.

“Je n’avais pas de fascination particulière pour Marie-Antoinette. Après, bien sûr, je me suis documentée. J’ai découvert beaucoup de choses qui me la rendaient proche : son origine germanique, le fait qu’elle soit arrivée en France au même âge que moi. J’ai aujourd’hui l’âge exact qu’elle avait le 14 juillet 1789… Le personnage est compliqué à attraper parce qu’on ne la voit qu’en vignettes détachées, comme à travers une serrure, une porte entrouverte. Aucune scène où elle apparaît n’est en lien direct avec la précédente et en même temps entre le début et la fin, il faut la montrer totalement transformée. Le plus dur à jouer pour moi, c’est quand elle apparaît, au début, totalement dans sa bulle. Même à 16 ans, je n’avais pas une telle légèreté et j’ai du mal à comprendre qu’on puisse ne pas s’intéresser

du tout à ce qui nous entoure. Mais peu à peu, quand elle devient une amoureuse blessée, trahie, je peux m’identifier à elle. Jouer une femme désespérée, un peu folle, c’est génial pour une actrice et je crois que j’ai aujourd’hui la maturité pour incarner ça. La biographie de Stefan Zweig m’a aidée. Selon Zweig, elle a ressenti la chute du régime avant Louis XVI. C’est à la fin qu’elle devient reine. Après avoir abusé de tous ses privilèges, elle prend ses responsabilités. On se sent très bienvenue en tant que femme dans le cinéma de Benoît Jacquot. Certains cinéastes ont peur de la part hystérique de leurs personnages féminins, n’encouragent pas leurs actrices à creuser dans ce sens. Benoît, lui, m’a poussée à chercher assez loin dans ce sens. Les états d’âme féminins extrêmes, ça ne lui fait pas peur.”

Léa Seydoux, la suivante groupie “Quand j’ai dit à Benoît que j’aimais beaucoup le scénario du film, il m’a répondu : “Tu veux le faire ? Eh bien tu le fais.” J’adore ça, c’est tout lui. Il est très clair sur son désir. Ce qui n’est pas le cas de beaucoup de cinéastes. La plupart d’entre eux doutent beaucoup, sont très sinueux. Lui sait très précisément ce qu’il veut et est du coup assez tranquille. J’adorais que mon personnage n’ait qu’une idée en tête, un seul objet, obsessionnel. Son désir est à la fois sexuel et social, ça se confond et en même temps, ça le dépasse. Mais entre moi et la reine, le désir sexuel reste très cristallisé, il ne se passe rien, c’est de l’amour mais pas du sexe. En revanche, dans le prochain film d’Abdellatif Kechiche, je joue une fille homo.” propos recueillis par J.-M. L. 7.03.2012 les inrockuptibles 35

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Rétrospectivement, on sait que ces journées de juillet 1789 sont les premières du monde moderne mais aucun des protagonistes de l’époque ne s’en doutait. C’est ça qui est passionnant : on filme au présent des personnages dont on sait ce qu’ils deviendront, mais j’essaie de les filmer en donnant le sentiment qu’on ne sait pas ce qui va leur arriver. J’adore aborder les films historiques avec ce principe parce que dès lors, le film n’est plus en costumes, il est vivant. Avez-vous pensé aux révolutions arabes avec Leïla Ben Ali en Marie-Antoinette d’aujourd’hui ? Je ne le dirais pas aussi littéralement mais on peut faire cette lecture. Le soir du second tour de l’élection, si notre actuel président est viré, l’atmosphère de l’Elysée sera assurément très bizarre. Lui et son épouse se vivent manifestement en couple royal. Ça ressemblera peut-être à Napoléon et Joséphine ! Dans une version antérieure du scénario, Sidonie finissait guillotinée. Pourquoi avoir modifié cette issue tragique ? Elle ne se faisait pas guillotiner mais au lieu de passer à travers les barrages policiers, elle se faisait arrêter. J’ai changé cette fin parce que je la trouvais d’un dramatisme trop facile. J’ai préféré finir sur les mots de Sidonie en voix off, qui lui donnent un destin. Craignez-vous des lectures idéologiques du film, qui reprocheraient de s’intéresser à Marie-Antoinette alors qu’on est en pleine crise sociale ? Je n’y ai jamais pensé, déjà parce que le point de vue du film est celui d’une servante. L’empathie du film est pour Sidonie. La reine m’intéresse mais je n’ai pas de tropisme particulier pour elle. Je ne la filme pas comme un corps désirable mais comme un corps étrange, comme la reine des abeilles au milieu de sa ruche. Marie-Antoinette a eu deux moments dans sa vie : la princesse des frivolités, petite fille autrichienne gâtée qui a transformé Versailles en cabaret, puis quand les événements surviennent, la reine martyre. Le film la saisit au moment où ces deux identités mordent l’une sur l’autre. Mais ça ne m’intéressait pas de filmer ces journées-là depuis son point de vue. Sidonie brûle d’un amour impossible. La voyez-vous comme une sainte ? Une fan ? Elle a à voir avec la sainte, mais elle me fait surtout penser à ces très jeunes gens qui ont une inconditionnalité du sentiment, voire du désir, qui tient à leur extrême jeunesse et qui est un paradis perdu pour les adultes. Sidonie est soumise mais c’est une soumission volontaire, amoureuse. Je ne veux pas dérouler des évidences mais on ne peut être amoureux qu’à la condition d’être soumis à son sentiment, de s’y abandonner. “Donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”, c’est une définition de l’amour qui va très bien à Sidonie. Avez-vous vu d’autres films sur Marie-Antoinette ou Versailles ? J’ai vu le Sofia Coppola et je serais bien incapable de faire un film comme le sien, et l’inverse est sans doute vrai. Elle est très snob et très maniériste ; moi, je suis peut-être un peu snob mais pas du tout maniériste, mais j’aime bien son film. entretien Serge Kaganski Les Adieux à la reine de Benoît Jacquot, avec Léa Seydoux, Diane Kruger, Virginie Ledoyen, Noémie Lvovsky (Fr., Esp., 2012, 1 h 40) en salle le 21 mars

de quoi Marie-Antoinette est-elle le nom ? Historien de la Révolution française et critique de cinéma, Antoine de Baecque décrypte l’extraordinaire postérité de cette reine honnie. Et recense les figures contemporaines pour lesquelles la presse a exhumé son nom.

M

arie-Antoinette est partout, elle appartient à tous, biographes comme cinéastes, commissaires d’expositions autant que romanciers, éditeurs, publicitaires, créateurs de mode, artistes, et surtout publics de tout poil. Elle est tendance, en version kitsch, pop, punk, mais aussi martyre ou pécheresse. Autant la princesse était en complet décalage par rapport à la France de son temps, autant sa figure s’est épanouie dans l’imaginaire fantasmatique des différentes époques qui ont reconstitué successivement son image. A l’angoisse de ne pas avoir de place, celle de l’étrangère, de l’individualité face à la Cour, de l’adolescente dans un monde d’adultes, a succédé la prolifération des représentations qui fait de MarieAntoinette le personnage historique numéro 1 à l’échelle mondiale. Marie-Antoinette est une reine mal à son aise au XVIIIe siècle, mise à mort par l’accélération du temps révolutionnaire, qui trouve une adéquation avec son époque au début du XXIe siècle. Il faut remonter plus précisément à l’année 1997 pour comprendre l’entrée de Marie-Antoinette dans cette gloire postmoderne. C’est à travers une biographie à succès que le phénomène prend son ampleur, parue en langue anglaise en 2001 : Marie-Antoinette – The Journey d’Antonia Fraser. Pourquoi 1997 ? Fraser s’explique : “Quand j’ai commencé mes travaux sur MarieAntoinette, Lady Diana venait juste de mourir. J’ai pensé qu’il y avait de grandes similitudes entre ces deux destins tragiques. Le besoin de plaire, une certaine frivolité apparente, des époux qui n’ont absolument pas les mêmes intérêts et un rôle de mère modèle. Marie-Antoinette est une jeune femme aux yeux bleus qui a travaillé pour être belle et séduire les Français, tout

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LadyDi , juin 1988

Tim Graham/Getty Images

Diane Kruger dans Les Adieux à la reine de Benoît Jacquot (2012)

“Le besoin de plaire, une certaine frivolité apparente, des époux qui n’ont absolument pas les mêmes intérêts et un rôle de mère modèle” : MarieAntoinette et Lady Di (ci-contre) vues par l’historienne Antonia Fraser

comme Diana l’a fait pour séduire les Britanniques. C’est pourquoi je crois que Marie-Antoinette, comme Lady Di, représente le type même du bouc émissaire féminin.” 1 Ce récit en miroir des deux princesses raconte l’éclat de la jeunesse dans un Versailles rigide et monumental devenu un Buckingham Palace hostile et froid, le scandale d’être femme face à l’étiquette de la cour de France puis devant l’indifférence épaisse du prince de Galles. Le tour de force de cette révision biographique se situe exactement là : elle ne reprend pas la rengaine royaliste de la

reine martyre mais transforme MarieAntoinette en héroïne parce qu’elle devient profondément humaine, désarçonnée par la vie qu’elle mène, ou celle qu’elle ne mène pas. Ce n’est plus tant, en version ultra, une apprentie sorcière qui précipite la fin de la monarchie que la victime de la rumeur, de la réputation, en même temps qu’un pion politique que sa mère, l’impératrice Marie-Thérèse, veut placer et manipuler. Marie-Antoinette a été immédiatement haïe. Avant même son arrivée en France, Madame Adélaïde, fille de Louis XV, l’a déjà surnommée l’“Autrichienne”, ce qui

deviendra l’“autre chienne” dans la langue du peuple qui la déteste pour sa finesse, sa blancheur, son désir de faire de la culture, du goût, des hommes son domaine strictement réservé, donc secret et suspect. Dès lors, celle qu’on nommait en son temps Madame Déficit ou Madame Veto devient, chez Antonia Fraser, une Lady Di victime d’un conte de fées virant au cauchemar. Toute la volonté de Marie-Antoinette consiste à résister à ce rôle victimaire d’emblée imposé, en façonnant sa propre image pour répondre à celle qu’on lui attribue, épousant et épuisant les 7.03.2012 les inrockuptibles 37

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le culte de Marie-Antoinette participe de la psychologisation de tout rapport social l’épreuve et face à la mort. Voici la sculpture d’une psyché, individualité irréductible qui éclaire une “personnalité” en proposant à tous, et surtout à toutes, une identification possible. C’est également le contresens de notre temps : toujours vouloir comprendre via une destinée et non plus par l’histoire.

Ludovic/RÉA

Kirsten Dunst dans MarieAntoinette de Sofia Coppola (2006)

Carla Bruni-Sarkozy, mars 2008

réputations qu’on lui fait (elle sera donc femme jusqu’au bout des ongles), s’émancipant de la volonté maternelle, là encore en faisant plus que remplir le contrat imposé : réussir à faire de Louis XVI un homme, un père, un roi. Car ce qui sauve définitivement MarieAntoinette dans ce récit de l’Ancien Régime refaçonné pour aujourd’hui, c’est d’être une mère admirable. Elle est la reine du désamour, la reine scélérate, du moins scandaleuse par son corps, ses désirs, son ubris féminin, mais tout est sauvé par la protection des enfants, les quatre qu’elle met au monde, tous écrasés par la tragédie : le dauphin qui meurt en juin 1789 à 7 ans, Louis XVII qui disparaît à la prison du Temple en 1795 à 10 ans, Madame Royale qui vivra vieille fille, toujours digne mais jamais heureuse, Sophie-Béatrice, morte à 11 mois. La “fureur utérine” de la princesse débauchée, selon les pamphlets obscènes qui prolifèrent un temps, se métamorphose en bonne hystérie puisqu’elle est maternelle. La reine est sauvée. Cette figure contemporaine, Sofia Coppola la met en scène dans son film Marie-Antoinette en 2006. Le scénario

“Elle se pavane dans les rues de Paris en plein cœur de la crise financière. C’est une multimillionnaire qui fait peu pour les autres et est complètement déconnectée de la réalité.” Carla BruniSarkozy comparée à MarieAntoinette dans le Daily Mail anglais (2009)

commence par ces mots : “Au sortir de l’adolescence, une jeune fille découvre un monde hostile et codifié.” Il s’agit de montrer la découverte, mi-terrorisée, mi-amusée, des règles et des mœurs de Versailles, chicaneries, hiérarchies, interdits, étiquette, rumeurs, veuleries, caprices, clans et divisions. Face à ce monde ancien, la princesse et le prince sont deux adolescents qui se retranchent dans leur monde clos, à force d’immaturité et d’inconscience du monde extérieur. La reine mode et moderne oublie sa paire de Converse au milieu des souliers d’époque, modernité d’une pauvre petite fille riche qui tient dans l’indépendance vis-à-vis de l’étiquette, dans la revendication du privé, dans le souci de soi, dans la médiatisation de son image à travers son apparence et ses bonnes œuvres. Là où l’on retrouve Lady Di avant la lettre… De quoi cette Marie-Antoinette-là est-elle le nom aujourd’hui ? La psychologisation de tout rapport social. Dans ce portrait hypercontemporain, tout fabrique du psychologique : le caractère privé du personnage, son humanité, sa féminité, son goût pour l’art et la culture, sa passion maternelle, sa dignité devant

Car le contexte historique est implacable avec Marie-Antoinette. L’historienne Mona Ozouf le rappelle avec force. Quand on sépare la reine de France de ses avatars d’aujourd’hui, elle reprend place dans la tradition. “La liberté de Marie-Antoinette, écrit Ozouf, loin d’être celle d’une volonté réfléchie, est tout juste celle d’un caprice. La championne du retrait dans la vie privée est loin de s’être tenue à l’écart de la décision politique.” 2 Il faut donc balayer la grande complaisance : Marie-Antoinette est d’abord une femme politique. L’histoire le rappelle sans cesse : la reine impose Loménie de Brienne aux Finances après l’échec de la réforme Calonne (1786), elle veut fuir la France dès juillet 1789 pour tourner l’Europe contre les preneurs de la Bastille, elle organise en 1791 la fuite vers Varennes, elle traite avec Mirabeau puis Barnave tout en tentant de mobiliser les armées étrangères pour sauver la Couronne. Marie-Antoinette n’est pas une jolie potiche moderne, ni une intériorité valant modèle de psychologie féminine, ni une pure extériorité scandaleuse (l’apparence, rien que l’apparence). C’est une personnalité double, mêlant l’enfant gâtée et l’activiste politique. Et si les Français haïssaient, et haïssent toujours parfois (et heureusement) Marie-Antoinette, c’est parce qu’ils associent les malheurs du pays à son train de vie fastueux. Marie-Antoinette, autant qu’une psyché révélatrice de notre époque, reste la reine des aristocrates. En ce sens, davantage qu’à Lady Di, c’est à une autre princesse contemporaine qu’on doit associer la reine de France. En mai 2009, le Daily Mail anglais avait malicieusement tracé cette généalogie des first ladies, surnommant la femme de Nicolas Sarkozy “CarlaAntoinette” : “Elle se pavane dans les rues de Paris en plein cœur de la crise financière. C’est une multimillionnaire qui fait peu pour les autres et est complètement déconnectée de la réalité.” 1789 ou 2012 ? On ne saurait mieux décrire les résurgences historiques de Marie-Antoinette. 1. Le Nouvel Observateur, 18 mai 2006 2. L’Histoire, juin 2006

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dès aujourd’hui, la campagne en direct sur

“je jetterai la clé de l’Elysée dans la Seine” Jean-Luc Mélenchon semble sincère lorsqu’il dit faire passer l’intérêt général avant son ambition personnelle. Mais comment concilier cela avec l’aventure ultraindividuelle d’une candidature à la présidentielle ? Portrait d’un trublion sorti tout droit des Lumières.

 A

lors, on boit la boisson de l’ennemi !, me lance un Jean-Luc Mélenchon mi-sérieux, mi-blagueur. Vous avez soif ? Buvez de l’eau !” Nous sommes le 15 février, dans l’arrière-salle d’un café de Strasbourg, et je viens de commander un Coca. On suit le TGV Mélenchon en campagne depuis deux jours dans le but de dresser son portrait, de gratter un peu derrière le programme, les discours et les slogans, d’essayer de sonder l’épaisseur de l’homme derrière l’image forcément réductrice de “populiste de gauche au caractère de cochon”. Bien qu’ouvert, cash, chaleureux, direct dans le contact, le candidat du Front de gauche est un poil sur la défensive : “Dans les portraits, il y a toujours une incitation au narcissisme qui me gêne un peu.” Certes, cher JeanLuc, mais se présenter à la présidentielle de son pays n’est-il pas, sinon une preuve irréfutable de grosse tête, au moins le signe d’un ego au-dessus de la moyenne ? Grecs et coffre-fort Deux jours auparavant, à Paris, devant un parterre de journalistes étrangers, Mélenchon a fait le show, conforme à son image de tribun populaire. A part les Grecs

qui s’intéressent un peu à lui pour les raisons qu’on imagine, nos collègues internationaux nous ont appris que Jean-Luc Mélenchon est un illustre inconnu en dehors de l’Hexagone. Du Japon à l’Allemagne, et de l’Espagne à la Hongrie, on ne le connaît que pour des sujets particuliers comme sa position sur le nucléaire (au Japon) ou sa proximité avec le communisme (en Hongrie). En pleine forme rhétorique, Méluche s’est employé à bien se faire connaître, répondant à un confrère germanique en incendiant la politique européenne d’Angela Merkel et en pilonnant les failles du modèle allemand, ou lançant à une journaliste suisse : “Vous pouvez prévenir vos dirigeants et vos banquiers qu’avec moi, c’en sera terminé du rôle de votre pays comme coffre-fort défiscalisé de la planète entière.” Du Mélenchon sans filtre, quasiment en mode meeting ou passage télé, pugnace, droit dans ses bottes rouges, stylisé et relevé d’humour. Mais dans la banlieue strasbourgeoise de Neuhof (l’une de celles rendues célèbres par leur taux de voitures brûlées pendant le réveillon de la Saint-Sylvestre), au milieu des médecins d’un centre de santé associatif, on découvre une autre facette de Jean-Luc Mélenchon :

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Revelli-Beaumont/Sipa

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édito

Il ne réalisera peut-être pas son rêve… faire un score à deux chiffres. Il le réalisera peut-être, il s’en approche. Mais peu importe : Jean-Luc Mélenchon a déjà gagné cette élection présidentielle. Il a réuni toute la gauche de la gauche, de gré ou de force. Les candidats trotskistes sont asphyxiés. Il a surtout redonné un corps idéologique à cet espace politique laissé vacant par la position centre gauche persistante de François Hollande et du Parti socialiste. Jean-Luc Mélenchon, ancien sénateur socialiste, ancien mitterrandiste discipliné, arrive parfaitement à habiller le grand squelette du PCF. Il lui redonne une figure révoltée et bagarreuse à la mesure des désespoirs sociaux du moment. Il n’a pas encore réussi à s’ancrer dans la classe populaire autant qu’il le souhaiterait mais il fait salle comble à chaque meeting. Les analyses politiques de Méluche sont-elles pertinentes ? Chacun peut se faire un avis mais une chose est sûre : la crise du capitalisme rend son propos adéquat avec l’époque. La cohérence idéologique entre “gauchistes anti-mondialisation”, internationalistes et communistes n’était pas simple à établir. Jean-Luc Mélenchon y est arrivé en réhabilitant un républicanisme de gauche intransigeant. Une forme de gauche cocardière, un “sans-culottisme” modernisé, ouvert et un brin écologiste. Pour faire tenir cette construction idéologique étrange, le candidat du Front de gauche utilise son éloquence à l’ancienne, sa grande culture politique et littéraire. On dit que la France est une nation politique, une nation peuplée de citoyens libres et gueulards. Jean-Luc Mélenchon est l’archétype du citoyen de ce pays-là.

Thomas Legrand

Olivier Corsan/Le Parisien/Maxppp

la victoire du citoyen Méluche

Durant son mandat de ministre délégué à l’Enseignement professionnel, de mars 2000 à mai 2002

courtois, décontracté, disponible, et surtout silencieux, à l’écoute. Face à la trentaine de professionnels de santé qui lui expliquent les subtilités de la sécurité sociale alsacienne (différente du reste de la France, et qui rembourse mieux) et les problèmes d’accès aux soins dans les quartiers défavorisés, Mélenchon redevient un élève, ou plutôt un homme politique qui ne prétend pas tout savoir du haut de son estrade et qui sait prendre le temps (deux heures) de tâter le pouls du pays. Loin des limousines noires, des cortèges, des grappes de micros et caméras, et des gardes du corps qui accompagnent généralement les gros candidats, Mélenchon se déplace en voiture banale, va à pied dans les rues de Strasbourg sans protection rapprochée si ce ne sont les quelques collaborateurs de son équipe de campagne. Qu’elles soient calculées ou naturelles, son attitude, sa manière d’être et de se déplacer sont celles d’un homme comme les autres, d’un citoyen ordinaire. Santerre et ses pères Par son verbe truculent et son positionnement politique, Mélenchon pourrait faire figure de Georges Marchais d’aujourd’hui. Or, curieux paradoxe, c’est à François Mitterrand qu’il voue une admiration inconditionnelle. “Oui, j’ai été mitterrandiste, mais les gens ne savent plus ce que recouvre ce terme. Comme tout homme, Mitterrand avait une part

de lumière et une part d’ombre, mais, globalement, ce qu’il a accompli nous a instruits. Je crois à la fidélité et à la loyauté de la mémoire. Je n’ai pas une affection aveugle pour Mitterrand, mais je viens du rang et je suis heureux d’avoir connu le président de mon pays. Je ne fais pas partie de cette bonne société où on naît avec une cuiller en argent dans la bouche et où on est toujours revenu de tout. Mitterrand, c’est l’homme qui a nationalisé les banques et l’industrie et leur a foutu la pétoche.” Sans remonter jusqu’à Vichy ou la IVe République, Mitterrand fut aussi l’homme du tournant de la rigueur, de la continuité de la Françafrique, de la protection de René Bousquet, du cadeau de la cinquième chaîne à Berlusconi… Coauteur avec Lilian Alemagna d’une biographie de Mélenchon (Mélenchon le plébéien, Robert Laffont), le journaliste de Mediapart Stéphane Alliès est sidéré par le mitterrandisme de Mélenchon et par son syncrétisme politique. Il y voit un mélange de positionnement idéologique et d’affects profonds : “Mélenchon est dans l’idolâtrie revendiquée, il ne reconnaîtra aucun défaut à Mitterrand. Le tournant de la rigueur selon lui, c’était Delors. Il a un problème mal résolu avec le père. Il a été élevé par sa mère, il a très peu vu son père. Il a eu plusieurs pères en politique : Germon (son premier parrain socialiste à Massy – ndlr), Mitterrand, Jospin. Son pseudo à l’OCI (Organisation communiste internationaliste – ndlr)

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François-Xavier Marit/AFP

Avec Julien Dray (au second plan), lors de la clôture de la convention pour la VIe République, novembre 1992

“mon engagement politique est ancré dans le refus de se soumettre. Le sentiment d’émancipation est ce qu’il y a de plus profond en moi” était Santerre, nom du garde républicain qui a mené Louis XVI à l’échafaud. Mais de Santerre à sans terre ou sans père… Il dit souvent qu’il est un métèque, évoquant son déracinement du Maroc. Il est revenu en France en même temps que les rapatriés d’Algérie, et il confond souvent les deux pays, Algérie et Maroc. Depuis son rapprochement avec les communistes, il m’épate par sa capacité à réaliser la synthèse entre les socialistes, les communistes, les trotskistes, les altermondialistes… A la fin des meetings, il fait chanter L’Internationale et La Marseillaise. Faire chanter La Marseillaise aux gauchistes l’amuse !” Mélenchon relie trotskisme, PS et alliance avec les communistes par le fil conducteur des Lumières, un humanisme militant qui l’a mené de Voltaire à Marx, de Rousseau à l’écologie politique. Ce sont aussi les Lumières, la laïcité, et sa propre généalogie qui le rattachent à une entité plus inattendue, la franc-maçonnerie. “Après 1983, explique Mélenchon, je suis revenu à mes fondamentaux, les Lumières. C’est pourquoi je suis entré dans la francmaçonnerie, à laquelle appartenaient aussi mon père et mon grand-père. Je n’ai d’ailleurs pas apprécié que l’on mette mon engagement maçon sur la place publique, non pas que ce soit un secret en soi, mais je ne voudrais pas qu’on imagine que mes décisions sont prises ailleurs que dans mon mandat, mon programme et mes convictions politiques.”

Selon Alliès, la confrérie est un refuge pour Mélenchon, qui peut facilement déprimer après une claque politique, comme ce fut le cas avec le virage de la rigueur de 1983, mais aussi après sa défaite aux cantonales de 1992 ou le 21 avril 2002. Pour complexifier encore un peu plus le portrait politique de celui que beaucoup considèrent comme un “laïciste”, Mélenchon rappelle aussi son imprégnation religieuse du côté de sa mère catholique. En bon laïc, il dit n’avoir aucun problème avec la foi ou les croyants, seulement avec les institutions religieuses quand celles-ci veulent se mêler des affaires de la cité : “Ma mère était chrétienne, pratiquante, mais elle a su me montrer ce qu’était la pauvreté, dans des endroits où elle ne manquait pas, au Maroc puis en Normandie. Le lien que ma mère a établi entre sa foi et son indignation devant la pauvreté m’a influencé, je ne peux pas le nier, il fait partie de ma personne, de mon histoire.” moutons électriques Enfance, éducation, religion, jeunesse trotskiste, compagnonnage socialiste ou maçonnique, Mélenchon ne renie rien, assume sa polysémie, ses évolutions, ses virages. Rien d’anormal, quelle vie est rectiligne ou univoque ? Une chose cependant le distingue vraiment des autres candidats (à cette élection et aux précédentes) : il est le seul célibataire officiel, le seul dont on ne sache pas 7.03.2012 les inrockuptibles 43

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Stéphane Lemouton/Abaca

Lors d’une manifestation devant le siège de Standard & Poor’s, janvier 2012

Florent Dupuy/Sipa

Face aux employés de la raffinerie Petroplus, janvier 2011

grand-chose de la vie privée, conjugale, affective, parentale, le seul des impétrants importants qui n’a jamais posé dans Match avec femme et enfants. On sait qu’il a été marié jeune, qu’il a eu une fille, qu’il a divorcé dans les années 1990, qu’il aimerait écrire un roman d’amour (il l’a dit dans Gala) et c’est à peu près tout. “Je ne parle pas de ma vie privée d’abord par éthique républicaine, martèle Méluche. Je suis candidat, c’est moi, pas ma compagne, mes proches ou mon chien. Ensuite, je n’en parle pas par respect des miens. Eux n’ont pas choisi ma vie. C’est déjà pénible de me supporter, avec tout ce que je trimballe, des calendriers invraisemblables, des heures de disponibilité inouïes, et il faudrait qu’ils subissent en plus la médiatisation ? Ils ne le souhaitent pas et je dois respecter ça. Vous n’imaginez pas le caractère offensant de l’inquisition dans

la vie privée des gens. De quel droit mes proches ou ex-proches subiraient la pression de ma vie publique ? N’oubliez pas que mon engagement politique est ancré dans le refus de se soumettre. Le sentiment d’émancipation est ce qu’il y a de plus profond en moi. Je ne tiens pas compte de ce que font les autres, j’essaie de me comporter en accord avec moi-même.” Stéphane Alliès, qui le suit depuis longtemps, confirme que le candidat du Front de gauche tient parfaitement sa ligne anti-people, n’est jamais vu publiquement au bras de quiconque. Dans le sillage de cette séparation vie publique-vie privée, Mélenchon ne traîne aucune casserole financière, entretient un rapport très sain à l’argent, culpabilise dès qu’il gagne plus de 4 000 euros par mois. Ce n’est pas de ce côté de la gauche scrupuleusement honnête que

le journaliste en mal de scoop tombera sur une affaire DSK ou Woerth-Bettencourt. En revanche, quand Alliès nous apprend que Méluche se chauffe avant les meetings en chantant du Brassens, et qu’en dehors des essais philosophiques ou historiques, le frontiste de gauche apprécie les westerns et dévore la littérature de science-fiction, on découvre la culture Mélenchon – plutôt surprenante : “Je m’intéresse à tout ! Je suis partisan acharné de la littérature de gare parce que c’est là que j’ai découvert le plus de livres. J’ai dû lire 700 romans de science-fiction ! Ça peut paraître loin du matérialisme, mais je suis un matérialiste gramscien : l’identité culturelle est aussi importante que l’identité sociale. J’ai appris à écrire grâce aux bouquins de sci-fi. Le vrai titre de Blade Runner est Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? J’aime aussi beaucoup Kurt Vonnegut, écrivain qui était très anti-guerre du Vietnam. Il y a d’autres rencontres imprévues. L’année de la Chine m’a amené à acheter tous les romans traduits du chinois. J’en ai lu une centaine. J’assume d’être un personnage hétéroclite, sans méthode dans ses prospections culturelles. C’est une illustration de couverture qui m’a amené à lire mon premier roman de Van Vogt, Le Monde des A. Ça semble misérable comme entrée dans une œuvre, et pourtant, ça m’a mis sur la piste. Je suis un méditerranéen volubile mais j’ai parfois besoin du silence, de me retrancher, pour mettre les choses à distance. Mais je raconte tout ça, est-ce que c’est si intéressant ? Ce qui est intéressant, c’est ce que je propose politiquement. Le reste… Nous nous valons tous.” de Cincinnatus à Hibernatus Mélenchon rêve-t-il de moutons électriques ? Ou de lendemains qui chantent ? Après avoir sondé certains vrais ou faux paradoxes mélenchoniens, on en revient à la question du portrait et du narcissisme. Quand on entend représenter le peuple, les travailleurs, l’intérêt général, comment concilier cela avec l’aventure ultra-individuelle,

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“vous serez stupéfait de voir ce que je vais faire si je suis élu. Mon ambition n’est pas le pouvoir, pour une simple raison : j’ai déjà tout eu” piédestalesque d’une candidature à la présidentielle dans le cadre si particulier et monarchisant de la Ve République ? “Je n’adhère pas du tout au cirque entourant la présidentielle, poursuit un Méluche de plus en plus exalté. Je suis candidat parce que c’est le cadre institutionnel dans lequel on se bat. Mon projet, c’est la VIe République. Vous serez stupéfait de voir ce que je vais faire si je suis élu. Je convoquerai une Constituante, cette Constituante établira, je l’espère, un régime parlementaire comme dans toutes les démocraties européennes, et dès que ce nouveau régime aura été adopté, je jetterai la clé de l’Elysée dans la Seine et je rentrerai chez moi ! Il y a en moi du Cincinnatus (empereur romain qui a volontairement abdiqué pour retourner cultiver ses terres – ndlr). Mon ambition n’est pas le pouvoir, pour une simple raison : j’ai déjà tout eu. J’ai été le premier bachelier de ma famille. J’ai été président délégué d’un conseil général. J’ai été sénateur. J’ai été ministre. Donc, en ce qui concerne la carotte de la carrière, les honneurs, ma vie a été débarrassée assez vite de cette forme triviale de l’ambition. Par conséquent, je suis dans un autre degré d’ambition, qui est de faire

des choses à la hauteur de mes rêves de jeunesse et de ceux de mes contemporains. Il y a des gens comme moi qui n’ont jamais cessé de croire qu’on pouvait construire un paradis, ici et maintenant. Ça peut paraître très prétentieux, mais je m’en fiche ! C’est ça qui me fait me lever le matin et accepter cette vie infernale. Longtemps, ce n’était pas mon moment, j’étais trop ceci, pas assez cela. Aujourd’hui, je suis libéré, j’ai le kairos, ma tâche consiste à refonder le socialisme historique régénéré par l’intelligence de l’écologie politique. Le pain noir de la gauche, c’est fini ! A partir d’aujourd’hui, il y a chaque jour un peu plus de lumière.” Un homme politique de premier rang qui se bat pour des idées, pour l’intérêt général, et non par ambition personnelle, on en rêvait. Mélenchon serait donc celui-là ? Peut-être, mais si les sondages disent vrai, l’Elysée est encore loin. Le catholicotrotsko-socialo-mitterrando-écolo-laïcomaçono-k.dickien Méluche ne pourra espérer à court terme qu’un maroquin dans l’éventuel futur gouvernement socialiste, ou bien continuer à porter la bonne parole d’un socialisme historique revu par l’écologie pour viser éventuellement 2017.

En attendant la suite de l’aventure, alors que mon Coca s’est éventé dans la nuit strasbourgeoise et sous le feu nourri de la parole mélenchonienne, laissons la conclusion provisoire à son biographe, Stéphane Alliès : “Parfois, il avoine les journalistes sans raison, puis le lendemain, il est très sympa, très pédago, prêt à discuter et expliquer des heures. Il est cyclothymique. En fait, il est très affectif, il ne supporte pas qu’on ne l’aime pas. Par exemple, il n’a toujours pas digéré son 12 en philo au bac. En même temps, il dit tout le temps de ne pas crier son nom dans les meetings. Il sait faire la part des choses entre son ego et la politique, mais dans l’intimité, on sent qu’il aime qu’on l’aime. Il est à la fois sincère et mégalo. Il se voit dans l’histoire, dans les traces de Jaurès. C’est un politique à l’ancienne, très années 70. On sent qu’il aimerait fermer la longue parenthèse de la rigueur, reprendre le fil d’avant 83, ça peut avoir un côté Hibernatus. En même temps, on voit beaucoup de jeunes dans ses meetings, il a une dimension spectaculaire qui redonne le goût de la politique aux nouvelles générations.” Serge Kaganski

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dès aujourd’hui, la campagne en direct sur

on kiffe Villep1

que le meilleur perde

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Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite.

la présidentielle sur le web ur le web, il y a deux moyens de voyager dans le temps. Se payer une séquence nostalgie sur Wayback Machine (archives vivantes de l’internet mondial) ou se rendre sur l’un des sites de Dominique de Villepin. Nul ne sait encore s’il sera présent au premier tour de l’élection présidentielle mais il peut déjà présenter son dossier pour la cérémonie des Craypions d’or 2012, l’équivalent pour le web de ce que sont les Gérard pour le cinéma. Dès le lancement de son blog en juin 2011, l’ancien hôte de Matignon avait sans doute tapé dans l’œil du jury. Couleur de texte illisible, fond d’écran qui défile tel un bon vieux screensaver de Windows 95 : Villepin démontrait tout son LOL-potentiel. La semaine dernière, ses jeunes troupes l’ont rappelé avec maestria en lançant une plate-forme afin de soutenir sa candidature : Lesjeunesavecvillepin.fr. En guise de bannière, Dominique de Villepin apparaît avec une moustache à la Dali. Le reste du site n’aurait pas déplu au maître du surréalisme. Dès le premier onglet du site intitulé “Veni, Vidi, Villepin”, le ton “What the fuck” est donné. Compteur en temps réel pour annoncer le premier tour, newsletter, sondage de la semaine. Tout sent bon l’internet de papa du début des années 2000. Les instruments de viralité (Twitter, Facebook) sont là mais agencés à la hussarde. Le point de non-retour est sans doute atteint dans la rubrique “Call of Duty”. Non, il ne s’agit pas d’une invitation à “fraguer” en réseau avec l’ancien Premier ministre mais de vérifier votre “villepino-compatibilité” façon Meetic affinity. “Peut-être qu’un potentiel électeur de Dominique de Villepin se cache en vous, mais que vous ne le savez encore pas !”, préviennent les jeunes villepinistes. Malheureusement, on a eu beau tenter notre chance à trois reprises, on a pas retrouvé la flamme du 18 juin... David Doucet

top tweet Un tweet et les sectaires pavloviens frôlent l’apoplexie. Bonheur de Twitter. Détourner le cheminement besogneux des fourmis sectaires. Eric Besson, @Eric_Besson

@67franceinter Une provocation de plus, par des agents rémunérés, pour nuire une nouvelle fois à la campagne de Marine Le Pen... Louis Aliot, @Louis_Aliot, réagissant à l’agression d’Audrey Pulvar et Arnaud Montebourg

par Michel-Antoine Burnier

L’insulte : nous en avions perdu l’habitude depuis la fin de la IVe République. On se souvient que M. Sarkozy la remit à la mode en criant le très célèbre : “Casse-toi, pauv’ con !” Cette exclamation coupable ayant beaucoup desservi l’image du chef de l’Etat, il fallait s’attendre à quelques imitations. C’est ainsi que M. Guaino, conseiller oratoire du président sortant, lance à son interlocuteur socialiste : “Et si je vous traite de sale con ?” ; que Mme Joly, parlant de Mme Lepage, lâche : “Je l’emmerde” ; que le bonasse M. Bayrou en vient à dénoncer le “déconnomètre” de M. Hollande... Rappelons que M. Sarkozy en récidiviste avait accusé les journalistes de perversions sexuelles en les saluant d’un remarqué : “Amis pédophiles, à demain !” Pareilles exclamations présentent plusieurs avantages : 1. leur auteur passe pour un grossier personnage, indigne des fonctions qu’il exerce ou auxquelles il prétend ; 2. elles peuvent provoquer des répliques de même farine, et donc faire dégénérer le débat au détriment des idées ; 3. elles démontrent surtout que l’insultant n’a pas d’autre argument sérieux pour barrer son contradicteur. Mme Joly parvient à se brouiller avec la presse, privilège en général réservé aux gens du pouvoir. Toujours coincée entre 2 et 3 % et cherchant à s’y maintenir, la candidate écologiste s’en prend aux

éditorialistes et à leurs “dîners mondains”, où elle dénonce la source de ses échecs. Bien vu : les commentateurs en cause, à l’exception de M. JeanFrançois Kahn, répliquent à pleines colonnes. C’est l’occasion de disserter sur “l’erreur de casting” que représente la candidature de l’ancienne magistrate. A l’avenir, les journalistes détailleront davantage ses tribulations afin de prouver qu’ils n’y sont pour rien. Où sont passés les scandales ? L’histoire de Karachi n’avance pas, on entend moins les noms de M. Balladur et de son ami M. Sarkozy. L’affaire dite Woerth-Bettencourt couve sans flamber. M. Sarkozy a pris la précaution d’intégrer M. Woerth à son équipe de campagne, sage mesure en cas d’un rebondissement toujours possible. Devant ce silence à droite, ou du moins ces murmures, le PS trouve enfin l’occasion de se faire entendre. Après les poursuites pour “association de malfaiteurs” contre un M. Guérini, hiérarque socialiste des Bouchesdu-Rhône et fier de l’être, voici les fausses factures de la fédération du Pasde-Calais. Dans un livre au titre élégant, Rose Mafia, M. Dalongeville, ancien élu du PS, dénonce les trafics des petits satrapes locaux, et avec crédibilité puisqu’il en fut. Intéressant mais insuffisant pour monter une affaire nationale. Le scénario ne tiendra pas au premier soubresaut des affaires Karachi ou WoerthBettencourt. (à suivre...)

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les démons de Soko Attendu depuis cinq ans, le premier album de Soko sort enfin, collection de beautés folk enfantines et monstrueuses. La sauvageonne aux nuits peuplées de cauchemars est aussi à l’affiche du prochain film de Virginie Despentes. par JD Beauvallet photo Benni Valsson

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n 2006, une chanson se propage sur le net avec l’insistance gourmande d’un feu de prairie : la chanteuse, Soko, est française, actrice et novice. I’ll Kill Her devient un tube radio en Scandinavie, un sample chez le rappeur américain Cee Lo… Pareille carte de visite affole fatalement l’industrie : tout le monde veut alors accueillir Soko et son folk cubiste, bancal. Mais Soko est une forte tête : si elle signe un contrat, hors de question de livrer dans la foulée de cette chanson, inaudible pour elle, un album qui capitaliserait sur une réputation digne des premiers mois de Lana Del Rey. Soko refuse d’être actrice dans ses chansons, de continuer de raconter des histoires qui ne la concernent pas. Alors elle prend le temps de leur donner corps et âme : elle fuit. A l’étranger d’abord, où elle virevolte entre Los Angeles, Londres et New York ; au cinéma beaucoup (lire encadré page 52). Ainsi va Soko, fugueuse d’une réalité qui, littéralement, l’empêche de dormir. Son album, maintes fois repoussé, effacé, renié, recommencé à zéro, voit enfin le jour. Il s’appelle I Thought I Was an Alien et son titre ne ment pas : ce folk venu d’ailleurs, de trous noirs et de planètes désolées, n’a pas d’âge, pas de pays. Mais il se révèle d’une hospitalité étrange, aussi récalcitrante qu’insistante : des chansons à la fois oniriques et niquées, enfantines et monstrueuses, qui hurlent en chuchotant.

En attendant de la retrouver au cinéma le 21 mars dans le Bye Bye Blondie de Virginie Despentes, elle nous a longuement reçus. Un entretien qui, comme elle, refuse le cirque social et les jeux de rôle. Ça te fait quoi d’avoir figé tes chansons sur un objet, quelque chose qui restera ? Soko – Ça me donne envie de vomir. Si je n’avais pas aussi peur de la mort, je n’aurais jamais enregistré d’album… Donner des concerts me satisfait amplement, j’aime le fait que le seul souvenir possible soit le moment vécu. Ça a été douloureux de faire un album : j’avais l’impression de mentir dès que j’appuyais sur la touche “record”. Aussitôt parvenue au but, je me retrouve devant un vrai problème d’autodestruction. Je vis très simplement, je n’ai pas de maison, pas besoin de plus d’argent et du coup, j’ai vraiment eu peur qu’un album me pourrisse, me transforme. Mais d’un autre côté, je ne voulais pas que les seules traces qui restent de mes chansons soient une vidéo à la noix sur YouTube. Tu peux écouter ton album ? (air horrifié)… Ce n’est pas possible ! Il me hante depuis cinq ans, m’empêche de dormir, me rend malade… Physiquement, je ne peux pas. L’envie de faire de la musique, ça remonte à quand ? A la maison, il n’y avait pas beaucoup de musique, à part des radios nases… C’est à 16 ans, quand j’ai quitté ma famille, que la musique m’a happée. Je vivais seule, 7.03.2012 les inrockuptibles 49

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“j’ai longtemps eu l’impression d’avoir deux vies : celle du jour et celle des rêves” mon ordinateur était mon seul ami, je téléchargeais sans répit. Ma première découverte, ça a été les Beatles – je connaissais seulement Yesterday… Je n’en revenais pas que ça existe. C’était comme si on ne m’avait jamais donné à manger de toute ma vie… La musique est alors devenue vitale, les chansons, mes compagnons de solitude. Je me suis transformée en autiste. Au lycée, quand tu habitais encore à la campagne, tu ne connaissais personne avec qui parler de musique ? Je n’avais aucun ami. Je suis farouchement solitaire. Par exemple, je suis incapable de dîner avec plus de trois personnes, je fais des crises d’angoisse dans les aéroports… J’ai quelques problèmes avec les gens (rires)… Petite, je sortais à peine de ma chambre. Ma mère m’engueulait pour que j’aille jouer dans le jardin, mais même ça, c’était un effort. Je préférais écrire, je vivais entièrement dans ma tête. A l’école, je me retrouvais totalement marginalisée car en plus d’être asociale, j’étais très bonne élève : j’ai toujours adoré apprendre. Aller à l’école, participer à cette compétition permanente représentait une vraie douleur. Aujourd’hui encore, je souffre qu’on me compare à d’autres artistes. Heureusement, j’avais l’anglais, fondamental. Cette langue m’est parfois plus naturelle que le français, notamment pour évoquer ma musique. Je ne me suis jamais sentie française. Mon père était russo-polonais, ma mère franco-italienne… A quel moment commences-tu à faire de la musique ? Plus tard, vers 21 ans. J’allais souvent voir des groupes en concert. A chaque fois, je me mettais devant – d’abord parce que je n’y vois rien mais aussi pour ressentir les émotions des musiciens. J’adorais ce lien direct, je rêvais d’être sur scène, avec ces gens qui donnaient l’impression de tellement s’amuser, de tellement souffrir, d’être tellement dans leur monde… A tes débuts, un guitariste t’accompagnait. Tu n’étais pas musicienne ? J’ai mis du temps à m’y mettre. J’ai acheté ma première guitare après un de mes concerts à Brighton, je n’en pouvais plus de dépendre d’un guitariste… Je voulais que ça devienne entièrement ma musique. Je ne suis pas bonne guitariste mais ça me suffit pour jouer mes chansons, véhiculer des mots, un chant. Je travaille tous les jours – un besoin vital – mais sans discipline, sans heures fixes. A 20 ans, j’ai commencé à remplir des carnets d’idées de chansons, de paroles, à enregistrer des bribes de mélodies sur mon téléphone. Je fredonnais les arrangements, il me fallait donc apprendre à jouer, histoire de gagner mon autonomie. Qu’est-ce qui te pousse à écrire ? Chaque chanson est destinée à quelqu’un. Du moment qu’elle a touché cette personne, le reste, je m’en fiche. Elle ne m’appartient plus, j’en suis purgée. Ma vie tient dans mes carnets (elle sort un lourd calepin de son sac, noirci de dessins, de textes, d’accords de guitare)… Si je

les perds, je n’ai plus de vie. J’en ai huit qui dorment à Los Angeles, trois dans ma valise… Les quelques fois où j’ai cru qu’on me les avait volés avec mon sac ou que je les avais laissés sur scène, j’ai fait des crises d’angoisse dingues. Ce sont mes grimoires. Es-tu capable de ne rien faire ? Je n’ai pas pris un jour de vacances depuis trois ans. Je suis une grosse workaholic. Je fais tout moi-même, je ne peux rien déléguer : les pochettes, les photos, le site, les vidéos, les livrets… J’ai peur de mourir jeune, alors je n’ai pas une minute à perdre. C’est pour ça que je suis si peu douée pour le cirque social : pas question de gâcher mon temps. Le fait que je vive en nomade

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“J’ai peur de mourir jeune, alors je n’ai pas une minute à perdre”

accentue ça : je ne suis souvent que deux semaines dans un endroit, il faut donc tout vivre à fond. Chaque jour doit être potentiellement le meilleur de ma vie. Tu vis en nomade entre Paris, Londres, New York et Los Angeles. Ça te manque, les racines ? A 25 ans, j’ai cru que j’avais une maison à moi, à Los Angeles, avec mon hamac dans le jardin, mais le bail n’a pas été renouvelé. Je me voyais acheter un canapé, un frigo à remplir, mais j’ai dû repartir malgré moi. J’ai eu tellement de responsabilités très jeune – j’ai quitté ma campagne pour Paris à 16 ans, je me suis acheté un petit appart à 19 ans – qu’à 21 ans j’avais déjà l’impression d’être une mamie. J’ai alors

ressenti le besoin de voyages sans bagages, de rencontres, d’expériences. Il me fallait ça avant d’avoir des bébés, une famille. Il y a cinq ans, tu es devenue une star internationale sur le net avec ta chanson I’ll Kill Her. (elle coupe)… Je déteste cette chanson. C’est la deuxième que j’ai écrite et j’aurais préféré que personne ne l’entende. Je n’étais pas honnête, je racontais des histoires, j’étais encore actrice. Dans la musique, j’aime entendre et voir les souffrances, les plaies, les cicatrices des musiciens. Là, je racontais un truc qui ne m’était jamais arrivé. J’ai alors freiné les choses et refusé de sortir alors un album. Je venais de signer 7.03.2012 les inrockuptibles 51

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avec un label, on voulait trop vite me mettre des responsabilités sur les épaules. Alors j’ai disparu, j’ai voyagé, fait du yoga… Je voulais juste écrire des chansons qui avaient un sens pour moi. Je ne voulais pas de tournées, pas de promo, pas voir ma tête dans les magazines. J’annonçais mes concerts sur Facebook la veille. Ça me touchait que les gens viennent me voir parce qu’ils l’avaient décidé. Tu chantes beaucoup chez toi ? Au-delà du plaisir, c’est aussi important que de manger. Je suis au bord de la transe quand une chanson est sur le point de naître, je ne réponds plus au téléphone, aux mails… Ça suit souvent le même schéma : je suis bloquée, je me couche à 8 heures du matin, j’essaie d’écrire entre deux épisodes de South Park, je me sens très mal, suicidaire même et, au bout de quatre jours, je prends ma guitare et la chanson me tombe littéralement dessus.

Soko au cinéma Surprenante dans un rôle de punkette amoureuse, Soko confirme tout le bien qu’on pensait d’elle. De la veste à franges au cuir clouté, du chapeau de paille à l’iroquoise, de peace and love à no future, il n’y a qu’un pas. Virginie Despentes vient de le faire franchir à Soko dans son film Bye Bye Blondie. Adaptant son propre roman, l’auteur de King Kong Théorie y fait de Soko l’incarnation jeune et punkette de Gloria (Béatrice Dalle), amoureuse à travers les âges d’une fille rencontrée à l’adolescence et retrouvée trente ans plus tard. Soko punk ? Une sorte d’évidence qui n’attendait qu’à être révélée par le cinéma. Garçonne et effrontée, avec sa jolie voix éraillée, Soko-l’actrice confirme ici tout le bien qu’on pensait d’elle après l’avoir vue en femme de ménage obstinée dans A l’origine de Xavier Giannoli, rôle pour lequel elle fut nominée pour le César du meilleur

espoir en 2010. Avant cela, les spectateurs très curieux (ou très jeunes) avaient pu la découvrir dans Mes copines de Sylvie Ayme en 2006 ou dans Clara, cet été-là de Patrick Grandperret en 2002. Celle qui apparut “longtemps” aux génériques en tant que Stéphanie Sokolinksi n’est pas une débutante, mais c’est la musique qui l’a fait exploser. Spike Jonze ne s’y est pas trompé en lui faisant interpréter une voix dans son court métrage d’animation, Mourir auprès de toi, et en tournant une partie du clip de sa dernière chanson I Thought I Was an Alien. On verra bientôt Soko dans Augustine d’Alice Winocour, qui se déroule en 1885. Elle y remet en cause les théories du docteur Charcot (Vincent Lindon) sur l’hystérie féminine. Encore un rôle sur mesure. Jacky Goldberg

Dans Bye Bye Blondie de Virginie Despentes, en salle le 21 mars

As-tu l’impression de tromper la musique quand tu tournes au cinéma ? Et vice versa ? Je déteste les chanteuses-actrices et les actriceschanteuses. Pour moi, il s’agit de deux vies qui n’ont rien à voir. La musique n’est pas un caprice, c’est vraiment intime, juste moi et mes démons. Le cinéma représente parfois juste un travail, je ne choisis pas les gens sur le plateau, je ne contrôle rien… En ce moment, je culpabilise vraiment de délaisser la musique, je suis en panique. Sur plusieurs films, je me serais cassée si je n’avais pas été payée. Sur d’autres, je prends le même plaisir qu’avec la musique. Sur le tournage de Bye Bye Blondie, je suis devenue très proche de Virginie Despentes, je l’appelle dès que j’ai un problème, elle me donne les meilleurs conseils du monde. Là, je sors du tournage d’Augustine (d’Alice Winocour, lire encadré – ndlr), un film sur le premier cas d’hystérie qu’on ait étudié. Chaque soir, je rentrais chez moi en me disant que je vivais une des expériences les plus intenses de ma vie. J’ai tourné des scènes d’une violence incroyable. Devant cent personnes, il fallait que je simule un viol par un amant imaginaire, j’arrachais mes vêtements, hurlais comme une démente, me tordais par terre, faisais trembler chaque partie de mon corps… J’ai fini par souffrir de vrais symptômes d’hystérie – alors que je ne suis pas du tout une adepte de la méthode (Stanislavski – ndlr) au fond. Mais ma main se paralysait ou je perdais toute sensation dans ma jambe… La nuit, je me réveillais en nage. Tu écris tes rêves ? Je les consigne chaque matin. Pendant le tournage, c’était comme si quelqu’un d’autre écrivait à ma place. Quand je montrais mes carnets à la réalisatrice, elle était effrayée… Elle m’avait demandé de ne rien lire sur l’hystérie avant le tournage mais là, tout y était : des cris comme “Oh maman, sauve-moi” (voix monstrueuse) ou l’impression que mon corps était couvert de plaques de métal qui tapaient le sol dans un vacarme insupportable… Ça m’a complètement dépassée. Ta peur de la mort est-elle liée à ton histoire ? Au décès de mon père, j’avais 5 ans. Il s’est couché, a fait une rupture d’anévrisme et ne s’est jamais réveillé. Un homme en pleine santé… Ça a déterminé ma vie : chaque personne autour de moi pouvait ainsi mourir d’un instant à l’autre. Ça explique mon besoin de faire des choses en permanence. Et puis… pendant toute mon enfance, je suis restée persuadée que c’était de ma faute. Je faisais des cauchemars dingues, qui finissaient presque toujours par la mort de quelqu’un. J’avais l’impression que mes rêves tuaient les gens. Mon deuxième album s’appellera My Dreams Dictate My Reality et c’est exactement ça. J’ai longtemps eu l’impression d’avoir deux vies : celle du jour et celle des rêves. Mes carnets sont pleins de ces cauchemars. En ce moment, je sens une présence sombre dans ma chambre. Une main approche peu à peu et m’étrangle. Je me réveille en hurlant, en étouffant. C’est pour ça que je dors si peu : pour ne pas laisser entrer les démons. album I Thought I Was an Alien (Because) www.myspace.com/mysoko concerts le 7 mars à Bordeaux, le 8 à Toulouse, le 10 à Monthey (Suisse), le 11 à Zurich (Suisse), le 13 à Lyon, le 14 à Lille, le 15 à Strasbourg, le 16 à Luxembourg et le 17 à Bruxelles (Belgique)

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Tim aux mains d’or Monstres amusants, enfants flippants, cimetières accueillants : tout l’univers mi-gothique, mi-acidulé de Tim Burton s’expose à la Cinémathèque française.

par Jean-Baptiste Morain photo Yannick Labrousse/Temps Machine

Nicole Cleary/Newspix/Rex/Sipa

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n préambule du catalogue de la belle exposition Tim Burton qui ouvre ses portes à la Cinémathèque française, une “petite note de l’artiste” prévient : “Quand j’ai commencé à fréquenter les musées, j’ai été frappé d’y retrouver une atmosphère semblable à celle des cimetières. Pas parce qu’ils sont morbides mais parce qu’il y règne un calme à la fois introspectif et électrisant : l’excitation, le mystère, la découverte, la vie et la mort réunies en un même lieu.” On retrouve dans la scénographie de l’exposition – créée au MoMa de New York en novembre 2009 et qui a dû s’adapter au lieu parisien – cette vision très singulière du musée : ombre et lumière, noir et blanc, vie et mort, humour et goût pour le macabre, horreur et joie mêlées, statuettes et dessins de personnages à la fois mignons et monstrueux. Pour qui connaît le cinéma de Tim Burton, rien d’étonnant. L’exposition est à l’unisson de son œuvre cinématographique.

Tim Burton dans son expo 7.03.2012 les inrockuptibles 55

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Le cinéaste américain, fruit improbable d’un multiculturalisme étrange – la sous-culture populaire américaine (BD, films B et Z, rock) et l’art européen (l’expressionnisme allemand, la littérature gothique et romantique anglo-saxonne notamment) –, a un point commun avec un autre grand cinéaste venu du dessin et dont on le rapproche rarement : Federico Fellini. Comme le maître italien, Tim Burton synthétise ses idées, ses influences, ses rêves et ses cauchemars – donc pense son cinéma – par le dessin, filtre évident du chaos sensible qui l’habite depuis sa plus tendre enfance. Jusqu’à aujourd’hui. On découvrira ainsi quelques trésors sortis de son grand coffre à dessins et qui n’avaient pas été présentés à l’exposition new-yorkaise : des serviettes en papier carrées, comme on en trouve dans n’importe quel diner, où il laisse aller son imagination avec le premier stylo à bille venu. Auparavant, dans une ambiance parfois macabre (lampes à ultraviolets et musique de Danny Elfman en intro), on aura pu découvrir son œuvre photographique (des Polaroid agrandis), ses carnets de dessins et de notes, des transpositions en sculptures de certains de ses personnages dessinés. On y verra aussi des éléments se rapportant à sa biographie (le projet de dessin animé qu’il envoya adolescent à Disney) et à chacun de ses films : les masques en latex de Batman, les têtes coupées en résine de Mars Attacks!, les masques pour les poupées de L’Etrange Noël de Monsieur Jack, le pull angora que porte Johnny Depp dans Ed Wood, la robe en lamé rouge d’Eva Green dans l’un de ses prochains films, Dark Shadows… Des éléments un peu fétichistes mais qui fascinent toujours et ne gâchent rien de l’intérêt essentiel de cette exposition : nous dévoiler l’envers du petit laboratoire de films du grand maître de Burbank. exposition Tim Burton à la Cinémathèque française (Paris XIIe), du 7 mars au 5 août rétrospective intégrale du 7 mars au 13 avril carte blanche à Tim Burton du 8 mars au 23 mai catalogue de l’exposition MoMa et Cinémathèque française, www.cinematheque.fr voir aussi la master class donnée par Tim Burton le 5 mars à la Cinémathèque française sur lesinrocks.com

“J’ai grandi dans un milieu culturellement très pauvre, où les émotions étaient presque bannies. Dessiner a été très tôt le seul moyen d’exprimer mes sentiments – c’était ça ou être tellement refoulé que je serais devenu une bombe humaine. (…) Je ressemblais à un cheval, ça a duré presque quinze ans… Aujourd’hui, je remercie mes dents immondes, ainsi que ma timidité maladive et mon isolement forcé, pour ce que je suis devenu.” A gauche : Sans titre (True Love), 1981-83

Yannick Labrousse/Temps Machine

Collection privée © 2011 Tim Burton

l’enfance 

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l’humour

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“Il est la base même de mon travail. Et pourtant, je n’ai jamais été très doué pour faire rire les gens. Enfant, j’essayais de faire des dessins rigolos ou des petits films en super-8, mais ça ne faisait rire personne. Mon humour était assez tordu. (…) Un jour, j’ai jeté des vêtements dans la piscine de notre voisin et je leur ai raconté que j’avais vu un enfant tomber à l’eau et se dissoudre, qu’il ne restait que ses fringues…” Sans titre (n° 6), 1982

l’amour des monstres

Collection privée © 2011 Tim Burton

“Dans mon école, il y avait une classe à part, que l’on montrait du doigt. Le seul critère pour y entrer était la non-conformation aux règles de la société. Cette façon de traiter la différence m’a choqué. C’est pour ça que j’aimais les films de monstres. Je connaissais parfaitement les villageois en colère qui pourchassaient la créature de Frankenstein : pas parce qu’elle était mauvaise mais parce qu’elle était différente.” Sans titre (Roméo et Juliette), 1981-84

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l’expressionnisme

Collection privée © 2011 Tim Burton

“J’ai toujours aimé l’univers des expressionnistes allemands. La plupart des premiers films sortis par les studios Universal ou même beaucoup de films d’horreur étaient fondés sur le travail des Allemands dans les années 20, comme Robert Wiene (Le Cabinet du docteur Caligari). Dans ces films, j’avais l’impression de visiter le cerveau de quelqu’un, j’en aimais le mélange de puissance et de simplicité.” Ci-contre : l’affiche du film (1920) puis Sans titre (Trick or Treat), 1980

la violence

Collection privée © 2011 Tim Burton

Collection privée © 2011 Tim Burton

“D’une façon assez perverse, je me sens assez proche des Martiens de Mars Attacks! qui tuent tous les humains. C’est un sentiment que j’ai réussi à adoucir un peu, mais à cette époque je me sentais totalement désorienté en Amérique… Je trouvais que tout était déformé, qu’on se trompait. Ça a réveillé mes instincts anarchistes, que j’aime bien laisser s’exprimer de temps en temps (rires)… Mais tuer dans mes films me suffit…” Ci-contre : Sans titre (La Triste Fin du petit enfant huître et autres histoires), 1982-84 Ci-dessous : Sans titre (Mars Attacks!), 1995

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la taupe de Tarnac Pendant sept ans et dans toute l’Europe, le policier anglais Mark Kennedy s’est fait passer pour un gauchiste radical. En France, il a fourni à la DCRI des informations sur les mis en examen de Tarnac. Récit d’une infiltration. par Camille Polloni photo Nick Stern

S

on grand corps blond tatoué aux bras, sa queue de cheval et ses petits yeux qui louchent ont fait la une des journaux anglais en janvier 2011. Mark Stone, militant gauchiste international. Mais l’habit ne fait pas le rebelle : sous la fausse identité de Stone se cache le policier Mark Kennedy. De 2003 à 2010, Stone/Kennedy a infiltré la gauche radicale anglaise et européenne. Il a vécu undercover chez les activistes écologistes, altermondialistes, anarchistes et antifascistes, partageant leurs repas, leurs fêtes, leurs manifs. Parfois leurs lits. Ils ont fini par découvrir sa trahison mais trop tard. Tout ce qu’ils faisaient et disaient depuis sept ans était déjà entre les mains de la police. Stone a aussi œuvré en France. Il semble

même avoir joué un rôle important dans l’affaire de Tarnac. Dans plusieurs pays européens, son rôle d’agent provocateur a suscité des scandales. En France, ses activités restent méconnues. L’infiltration commence en 2002. Mark Kennedy, policier à Londres depuis huit ans, rejoint la National Public Order Intelligence Unit, une agence britannique qui surveille les “extrémistes domestiques” (anarchistes, défenseurs de la cause animale…). Sa mission débute en août 2003 : il doit s’immerger dans le milieu des écologistes radicaux et gagner leur confiance. Il enfile un bermuda, attache ses longs cheveux et se rend seul sur le campement du groupe écolo Earth First. Il s’y fait des amis et leur offre ses bras pour soutenir leur cause. Il donne même de l’argent. Il dit gagner sa vie à l’étranger comme alpiniste professionnel. Avec les écolos

britanniques, il débat, manifeste, danse et boit. Personne ne doute de ce militant si zélé, toujours prêt à accrocher une banderole sur une centrale électrique ou à conduire ses camarades sur les lieux d’une action dans son pick-up bleu. Pendant sept ans, il voyage. Dans onze pays, il infiltre et espionne, nous apprend un rapport de la police anglaise : réunions internationales, “camps climat”, villages alternatifs, contre-sommets. Mais en 2009, malgré six ans de parfaite intégration, des activistes commencent à se méfier de lui. En avril, quand vingt-sept écolos sont arrêtés pour avoir planifié l’invasion d’une centrale à charbon, Mark est le seul à ne pas être poursuivi. En octobre 2010, sa petite amie, une militante, trouve dans son sac un passeport au nom de Mark Kennedy. Elle se confie à ses camarades. Ensemble, ils enquêtent

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Cheveuxc ourts et rasé de près, MarkS tone est redevenu Mark Kennedy(2011). Aujourd’hui, il ne travaille plus dans la police

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… auc ours d’une fête pour son quarantième anniversaire…

Quand il était Mark Stone : pendant une action militante dans le sud de l’Angleterre (2009)…

et trouvent des documents confirmant sa fausse identité. Ils comprennent que leur camarade est policier. Un matin, six personnes l’interrogent pendant plusieurs heures dans une maison de Nottingham, jusqu’à ce qu’il avoue. Ils le laissent partir et alertent le Guardian, qui révèle l’espionnage de l’extrême gauche par la police anglaise. Quels dégâts a commis l’infiltré ? Durant toute la période où il a agi, les polices européennes se sont coordonnées. Elles ont échangé un maximum d’informations sur les déplacements internationaux des activistes, installé des dispositifs de sécurité inviolables lors des contresommets, surveillé au plus près les mouvements jugés potentiellement déstabilisateurs ou terroristes. Pièce clandestine de ce dispositif, Kennedy a surveillé des militants allemands, islandais, italiens, espagnols et français. C’est ainsi qu’il met un pied dans l’affaire de Tarnac. Rappelons les événements de novembre 2008 : la police antiterroriste française lance un raid sur la ferme de Tarnac, en Corrèze, arrête là-bas et dans d’autres villes vingt personnes qu’elle soupçonne d’avoir comploté pour ébranler l’Etat en sabotant des voies SNCF. Dix sont mises en examen pour association

de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. En avril 2008, quand le parquet ouvre une enquête préliminaire sur ce groupe de Tarnac, il a très peu d’éléments. Il dispose du travail des Renseignements généraux (RG) sur certains de ces militants. Dans ces dossiers, plusieurs informations viennent de Mark Kennedy, qui travaillait aussi pour des policiers français. L’agent a croisé au moins trois fois les jeunes gens de Tarnac. A chaque fois, ses observations ont laissé une trace dans le dossier judiciaire établi contre les comploteurs présumés. “Il est à notre sens fort probable qu’il ait joué un rôle très important”, affirme Joseph Breham, l’un des avocats des mis en examen. Le premier contact entre Stone et les habitants de Tarnac a lieu en février 2007 à Varsovie, en Pologne. Un vendredi, cent à deux cents militants venus de toute l’Europe se retrouvent dans une salle publique pour décider des actions à mener contre le G8 d’Heiligendhamn, prévu en juin. Un autonome français de 30 ans participait à ce rassemblement. Il nous décrit les lieux : “Ça ressemblait à un centre social. Nous étions dans une salle où se tenaient parfois des concerts.” Rien de secret : tous les débats sont annoncés

sur des affiches et sur le site alternatif Indymedia. “C’était plutôt ouvert, ajoute notre témoin. Pas un truc black bloc clandestin.” Dans la foule des altermondialistes, des activistes du réseau Dissent! et des partisans de Die Linke (l’équivalent du Parti de gauche en Allemagne), cinq personnes du “groupe de Tarnac”. Sur la manière de contre-manifester au sommet du G8, les stratégies divergent. “Depuis Seattle et Gênes, c’est la discussion systématique : faut-il s’approcher de la zone rouge, bloquer les voies d’accès au sommet, faire autre chose ?” Rodées aux contre-sommets, les polices européennes renforcent chaque année leur dispositif de sécurité. Il devient de plus en plus difficile pour les militants de s’approcher des lieux. C’est là que les cinq Français de Tarnac proposent un plan B : faire irruption par surprise à Hambourg ou Berlin, loin du sommet, là où les forces de police ne se seront pas déployées préventivement. Dans la salle, Mark Stone les écoute. Il est venu avec des militants écolos anglais. Un an après, en juin 2008, la direction des RG remet au ministre de l’Intérieur un rapport confidentiel-défense intitulé : “De la contestation anti-CPE à la constitution d’un réseau préterroriste international : regard sur l’ultragauche française et européenne”. Dans ce

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… en pleine séance de tatouage en Allemagne (2009)

“avec ses tatouages et ses piercings, il avait l’air comme un poisson dans l’eau” un militant

rapport, dont des pages ont fuité dans la presse, trois personnes du groupe de Tarnac sont citées noir sur blanc comme ayant participé à la réunion de Varsovie. Le document les désigne comme “premier cercle” d’un “groupe informel d’ultragauche de type autonome” préparant des actions violentes en Europe. A la même période, la police française demande l’ouverture d’une enquête préliminaire sur le groupe de Tarnac. Dans leur demande au procureur, les policiers s’inquiètent des “rendezvous internationaux de la mouvance anarcho-autonome” et citent comme premier exemple celui de la Pologne. Pour les mis en examen de Tarnac, c’est une certitude : Mark Stone a révélé leur présence à Varsovie à la police française. L’un d’eux nous explique : “Le début de l’enquête policière se fonde sur nos prétendues relations à l’étranger. Notre seul lien avec la Pologne est cette réunion-là, à laquelle Stone a assisté. D’autres informateurs auraient pu signaler notre présence en Pologne, mais cela s’est répété ensuite : à chaque fois que Stone nous a croisés quelque

part, des éléments sur nous ont atterri dans les dossiers de la police.” Il se souvient du policier infiltré : “Tu voyais sa gueule, tu t’en rappelais. Il avait un œil qui regardait par là, il était un peu plus vieux que la plupart des participants et parlait anglais au milieu d’Allemands et de Polonais.” Joël1, militant français du réseau Dissent!, actif dans l’organisation des contre-sommets, assistait à la réunion de Varsovie. Il y avait remarqué Stone parce qu’il l’avait déjà croisé pendant la préparation du contre-sommet de Gleneagles, en 2005. “Pour moi, Mark faisait partie des gens qui avaient créé Dissent! en Angleterre. Je l’ai rencontré à Londres dans un squat qu’il avait ouvert avec des amis. Je ne lui ai pas vraiment parlé. Ce n’était pas quelqu’un qu’on abordait facilement : il était très british, un peu en retrait.” Lorsque le policier est démasqué quatre ans plus tard en 2010, Joël n’en revient pas. “Pour éviter l’infiltration, on dit qu’il faut bien connaître les gens. Mais du moment qu’il décide de vivre comme nous, d’être parmi nous pendant

des années, c’est indétectable ! Personne n’avait aucun doute à son sujet.” Indétectable, indétecté, Mark Stone fait son nid dans des petits cercles de militants pourtant prudents. Un an après Varsovie, en janvier 2008, on le retrouve à New York. Accompagné d’un ami anarchiste américain qui vit en Angleterre, il est dans le bureau d’une activiste new-yorkaise, à Manhattan. Se joignent à eux un autre Américain, un Japonais vivant aux Etats-Unis et deux Français : Julien Coupat et sa compagne Yldune Lévy, en vacances à New York. Ils ne connaissent que l’ami américain de Mark. Celui-ci les invite à rencontrer ses copains. “Ce sont des potes de potes de pays différents, avec à l’évidence des centres d’intérêt communs, qui se retrouvent au même endroit et discutent quelques heures, explique un proche de Julien Coupat. Tout le monde fait ça.” Quel souvenir les participants de cette réunion gardent-ils de Mark Stone ? “Il avait toujours l’air normal, avec ses tatouages et ses piercings, comme un poisson dans l’eau”, raconte l’un d’eux. 7.03.2012 les inrockuptibles 63

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Passemard/CL2P/Sipa

La ferme du Goutailloux en Corrèze, où habitait le groupe de Tarnac. L’été, l’endroit se transformait en lieu de rendez-vous. Mark Stone y est passé en 2008

“chaque fois qu’il nous a croisés, des éléments sur nous ont atterri chez les policiers”

un mis en examen de Tarnac

D’après ce témoin, le policier infiltré avait expliqué qu’il était venu à New York “voir son frère”. Durant la réunion, Julien Coupat prend quelques notes dans son carnet. Ce jour-là, il griffonne ce prénom : “Mark”. Quelques jours après, Julien Coupat et Yldune Lévy rentrent en France. Pour cela, ils franchissent la frontière Etats-Unis/Canada illégalement, en pleine nature, loin des douaniers. Pourquoi ? Pour entrer aux Etats-Unis, ils devaient posséder un passeport biométrique et donc donner leurs empreintes digitales. Comme ils s’y refusent, ils sont passés par le Canada, qui n’exige pas d’empreintes, en franchissant la frontière par les bois. A l’aller, pas de problème. Au retour, des camarades américains les conduisent en voiture au plus près de la frontière puis les laissent la franchir à pied pour les récupérer côté canadien. Mais avant qu’ils ne se rejoignent, la police canadienne contrôle la voiture. Elle découvre le sac à dos de Julien Coupat, son permis de conduire, son carnet et des photos de Times Square. Comprenant que le Français a dû franchir la frontière illégalement, la police canadienne saisit ses affaires, qui lui seront par la suite restituées. Quatre mois plus tard, en France, la Sous-division antiterroriste (Sdat)

demande au procureur d’ouvrir une enquête préliminaire sur le groupe de Tarnac, dont aucun membre n’a encore été arrêté. La police antiterroriste motive sa demande en dressant le portrait d’une “structure clandestine anarcho-autonome entretenant des relations conspiratives avec des militants de la même idéologie implantés à l’étranger”. Pour le prouver, les policiers citent le voyage américain de Julien Coupat et Yldune Lévy, leur passage clandestin de la frontière et leur participation à une “réunion d’anarchistes américains à New York”. Ils évoquent également un engin incendiaire lancé contre un centre de recrutement de l’armée américaine à Times Square, pour lequel l’enquête n’a trouvé aucun coupable. La police américaine a pourtant écarté une participation des Français à cette attaque puisqu’ils avaient déjà quitté les Etats-Unis. Dans leur lettre au procureur, les policiers de la Sdat affirment que ces informations leur ont été fournies par les RG. Qui pouvait révéler aux RG la présence des deux Français à la petite réunion anarchiste de Manhattan ? Les mis en examen confirment que leurs soupçons se portent sur Mark. L’un deux précise : “Les Américains présents ce jour-là ont par la suite été inquiétés par la police : ça ne peut donc pas être eux

qui ont informé les policiers français. Reste le Japonais et Stone. Vu ce qu’on sait de lui maintenant, j’en déduis que l’information vient de Stone.” Au bon endroit, au bon moment. Pendant l’été 2008, trois mois avant leur arrestation, les habitants de Tarnac voient débarquer dans leur ferme deux visiteurs. Mark Stone et son copain américain, celui qui l’accompagnait à New York. Une visite amicale, tourisme militant. “L’été, à Tarnac, il y a toujours plein de gens qui passent”, raconte un résident de la ferme du Goutailloux, transformée en lieu de rendez-vous et d’habitation collective. “Les visiteurs vont et viennent, deux jours ou deux semaines. Ils dorment sous la tente ou chez des gens. S’il y a des travaux à faire, les volontaires participent, les autres se baignent, lisent, cuisinent, se promènent, regardent des films. Stone est passé par là comme des centaines de personnes depuis des années. Je n’ai aucun souvenir de lui sinon qu’il était là. Ce n’était pas un pote et il ne nous collait pas aux basques.” Fin juillet. Mark Stone campe à Tarnac. A Paris, un policier antiterroriste rédige ce procès-verbal : “Ce jour, sommes avisés par une source désirant garder l’anonymat qu’un membre important de la mouvance anarcho-autonome d’origine italienne et agissant au niveau

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européen est susceptible de se rendre, le 30 juillet 2008 en milieu d’après-midi, à la gare de Limoges (Haute-Vienne), en provenance de Paris, afin d’y être pris en charge dans le but de rencontrer le nommé Julien Coupat.” Cet Italien, que la police considère comme un “membre important de la mouvance”, se nomme Marcello Tari, c’est un chercheur indépendant, auteur d’un livre sur le mouvement autonome italien des années 70 édité en France. Notre témoin de Tarnac ne croit pas à une coïncidence : “Une fois de plus, alors que Stone est parmi nous, un renseignement parvient à la police. Les autres militants qui passaient à la ferme n’ont pas attiré l’attention du dénonciateur mais Marcello Tari, si. Tari était présent au même G8 que Stone, qui l’a peut-être repéré à ce moment-là : comme Stone, Tari est un peu plus vieux que la moyenne.” Quels furent les liens entre Mark Stone et la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur, issue de la fusion entre les RG et la DST) ? En février 2011, L’Express apporte une nouvelle information sur les activités de Stone en France. Dans un court article, le magazine avance qu’il a informé des

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policiers français sur Tarnac : “C’est en partie grâce à lui que la DCRI a pu reconstituer les déplacements à l’étranger de Coupat.” Sans rien dire de plus. Un mois plus tôt, dans le quotidien anglais The Daily Mail, Stone avait délivré un indice : “Je ne serais jamais allé à l’étranger sans l’accord de mes supérieurs et de la police locale.” Ses explications concordent avec celles du rapport d’inspection de la police anglaise, rendu public en février 2012. Selon ce rapport, “Mark Kennedy a visité ou servi dans onze pays, à plus de quarante occasions, dont quatorze visites en Ecosse. La National Public Order Intelligence Unit (responsable de Stone – ndlr) concluait des accords avec les pays hôtes pour les déplacements de Mark Kennedy à l’étranger.” Quelques jours après la remise du rapport, le Home Office (équivalent du ministère de l’Intérieur) développe : “Tous les déplacements de Mark Kennedy étaient autorisés par le Royaume-Uni, avec l’accord des Etats concernés et un soutien du pays hôte. (…) L’autorisation de déplacement était négociée et facilitée par le réseau approprié d’officiers de liaison.” Accord du pays hôte, c’est-à-dire de la France et de ses autorités. Mais il

sera difficile d’en savoir plus. A Scotland Yard, à Londres, on ne veut rien nous dire : “Nous ne communiquons pas sur les policiers infiltrés, qu’ils soient toujours en mission ou pas.” A Paris, la DCRI a refusé de répondre à nos questions. Quand nous contactons Stone, en septembre 2011, il se dit prêt à témoigner : “Vous rencontrer et discuter de votre article pourrait m’intéresser”, nous répond-il par mail. Mais au final, il ne donne jamais suite. Un lieutenant de police, qui veut rester anonyme, revient sur la collaboration entre Mark Stone et la DCRI. Il nous explique qu’un officier français, chargé des mouvements altermondialistes et des contre-sommets à la Section contestation et violences des RG, gérait les infos fournies par Stone. Début 2007, précise notre source, l’officier montre à ses collègues la photo d’un homme posant devant une tente et le décrit comme un policier anglais infiltré avec qui il travaille. Ses collègues sont heureux de l’apprendre : “Un policier infiltré étranger représente une source de grande qualité, explique le lieutenant. C’est plus sûr qu’un indic : il ne craint pas de trahir ses copains, il s’oriente où

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“un policier infiltré étranger représente une source de qualité, plus sûre qu’un indic”

un lieutenant

Mark Stone

on le lui demande.” Selon le policier, Mark Stone pouvait informer les Français de deux façons. “Soit il avait un officier traitant à la Section traitement du renseignement qui le rencontrait et faisait passer ses infos à la Section contestation et violences ; soit il envoyait ses rapports à sa hiérarchie en Angleterre, qui transmettait tout renseignement utile à la France par le biais de la Division des relations internationales des RG.” Stone aurait aussi renseigné la DST (Direction de la surveillance du territoire). Cette fois, l’homme qui nous l’affirme est un haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur de l’époque. Il suivait de près le dossier de Tarnac. “Un policier de la DST m’a révélé que Mark Stone les informait. Selon lui, les services secrets anglais ont prévenu la DST que leur agent travaillait sur le territoire français. Par politesse, ils ont proposé à la DST de bénéficier de ses informations. Un officier traitant français, de la Sousdirection du contre-terrorisme, lui a été affecté et le débriefait régulièrement.” De quoi parlait Stone à son officier français ? “Selon mon contact à la DST, Stone était considéré comme un très bon spécialiste de l’ultragauche européenne. Les services français voient cette mouvance comme une nouvelle menace terroriste depuis 2005 environ. En matière de terrorisme, aucun renseignement n’est anodin.” A l’époque, la moindre info sur les voyages à l’étranger des militants de

Tarnac peut renforcer le soupçon d’une conspiration extrémiste et violente. “En 2008, la DCRI avait besoin d’un acte fondateur pour prouver son efficacité dans la lutte antiterroriste. Alain Bauer et Michèle Alliot-Marie avaient souscrit à la possibilité d’un attentat d’extrême gauche sur le sol français. Tarnac leur a fourni l’occasion qu’ils cherchaient pour frapper un grand coup.” Pour l’un des avocats du groupe de Tarnac, William Bourdon, la contribution de Mark Stone à l’enquête française pose problème. “Si c’est avéré, c’est aussi grave que les écoutes téléphoniques effectuées à Tarnac avant toute procédure judiciaire. La façon dont la police obtient ses preuves doit être encadrée. On dévoie la notion de terrorisme pour obtenir des preuves que l’on ne pourrait jamais utiliser dans d’autres affaires. Les services de renseignement possèdent probablement un dossier bien plus épais que le dossier judiciaire. Mais il n’a pas été dévoilé aux avocats de la défense. C’est une violation grave de la notion de procès équitable.” En 2010, après les mises en examen dans l’affaire de la SNCF, Stone continue de fréquenter les proches de la bande de Tarnac. Il passe plusieurs jours en Allemagne chez une militante antinucléaire soupçonnée d’avoir commis des sabotages sur des voies de chemin de fer dans son pays plusieurs années auparavant. Elle connaît Julien Coupat. Le juge d’instruction, Thierry Fragnoli, s’est déjà intéressé aux liens du groupe de Tarnac avec des militants allemands. Fin 2010, Stone envoie un mail à l’anarchiste américain qui l’avait mis en contact avec les Français. D’après un mis en examen de Tarnac, Stone questionnait son ami sur les projets des Français pour le G8 de Deauville prévu en mai 2011. L’Américain, qui aujourd’hui ne veut plus entendre parler de cette histoire, n’a jamais eu le temps de lui répondre : Mark Stone a été démasqué quelques jours plus tard. Dans les autres pays européens où Stone a travaillé, l’affaire a fait scandale. En Angleterre, son rôle d’agent provocateur, établi par la justice, a fait annuler deux procès d’activistes. La police anglaise a subi huit enquêtes différentes au sujet de Stone/Kennedy, entraînant des réformes dans l’organisation des services. Le sujet est d’autant plus sensible qu’il a été reproché au policier d’avoir entretenu

des relations sexuelles et amoureuses avec certaines militantes à l’insu de ses supérieurs. “Quelque chose a très mal tourné”, a déclaré le ministre de l’Intérieur britannique. Sans oublier que l’affaire Kennedy, en éveillant la méfiance des activistes et des journalistes, a permis à ceux-ci de démasquer huit autres policiers infiltrés dans les milieux d’extrême gauche. En Allemagne, où Stone a habité de longues périodes chez des militants anarchistes et antifascistes, la gauche parlementaire a mitraillé le gouvernement de questions. Savait-il ? Stone a-t-il enfreint la loi ? La police cautionnait-elle ? Le gouvernement refuse de répondre aux parlementaires. Le 26 janvier 2011, le quotidien britannique The Guardian révèle, sans être démenti, le contenu d’une réunion à huis clos au Bundestag. Le chef de la police fédérale, Jörg Zierke, affirme que Stone a été invité en Allemagne pour infiltrer le mouvement antifasciste. Il a ainsi travaillé sous contrat pour trois länder, lors de cinq visites entre 2004 et 2009. L’agent anglais a commis au moins deux délits, dont un incendie volontaire, mais les poursuites ont été abandonnées. “La police ne peut s’attaquer aux réseaux internationaux organisés et conspiratifs qu’en agissant de manière internationale et conspirative”, justifie le chef de la police allemande. En Irlande, un responsable travailliste a demandé cinq fois au ministre de la Justice de clarifier les activités de l’agent sur le territoire. Stone est soupçonné de s’être attaqué, avec d’autres militants, à des policiers irlandais pendant un sommet de l’UE à Dublin. En Islande enfin, le ministre de l’Intérieur a ouvert une enquête. Stone aurait mis en relation des militants et leur aurait enseigné des techniques de résistance non violente et de blocage des routes. Partout, l’affaire déclenche des débats parlementaires, remet en cause des enquêtes policières ou provoque de nouveaux procès. Sauf en France. Pourtant, en 2009, Stone s’est rendu à Strasbourg dans trois réunions préparatoires du contre-sommet de l’Otan. Nul ne se demande si là-bas, comme dans d’autres villes d’Europe, l’infiltré anglais a encouragé des violences. 1. le prénom a été modifié

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Une semaine d’art en Avignon

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musiques La chanteuse brésilienne Céu présente son dernier opus, Caravana sereia bloom. Un univers qui combine mélodies de son pays, reggae, incursions funky, sons acoustiques et textures électroniques.  A gagner : 5 places pour 2 personnes

Salon du livre du 16 au 19 mars, Parc des Expositions, Paris XVe

Raptus

Kiyoshi Kurosawa

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scènes

Dans Raptus, François Verret, figure de la danse contemporaine française depuis le début des années 80, confronte un acteur-danseur et un musicien. Les thèmes d’inspiration du chorégraphe reflètent, une fois encore, les remous de la société d’aujourd’hui. A gagner : 5 places pour 2 personnes pour la représentation du 20 mars

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cinémas Prolifique cinéaste, Kiyoshi Kurosawa a bâti une œuvre personnelle, saluée dans les grandes manifestations internationales. Son art de la mise en scène contribue à classer ses films parmi les plus effrayants jamais réalisés. A gagner : 40 pass

livres Pour sa 32e édition, le Salon du livre poursuit sa politique d’ouverture à l’international et fait du Japon le pays à l’honneur et de Moscou la ville invitée en les inscrivant dans ses axes thématiques. A gagner : 5 x 2 e-invitations Retrouvez Les Inrocks au Salon du livre sur le stand W69

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Toussaint, l’ouverture Un livre sur la genèse de son écriture, une exposition au Louvre, un ouvrage sur ses influences visuelles : Jean-Philippe Toussaint, l’un des auteurs les plus transversaux du moment, nous entraîne dans les coulisses de son travail d’écrivain. par Elisabeth Philippe photo Alexandre Guirkinger

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n rencontre JeanPhilippe Toussaint quelques jours avant le vernissage de son exposition au musée du Louvre : un hommage visuel à la littérature, composé de photos, d’installations et de vidéos. Cette consécration n’entame en rien la simplicité de l’écrivain belge. Son enthousiasme est contagieux. Il nous entraîne dans l’aile Sully pour nous faire découvrir le chantier de Livre/Louvre, au milieu des pots de peinture et des escabeaux. C’est aussi l’envers du décor qu’il nous invite à visiter avec L’Urgence et la Patience, texte délicat sur son travail d’écriture, à la fois profond et léger,

parsemé d’incises drôles ou décalées. L’auteur de La Salle de bain et de la très belle trilogie Faire l’amour, Fuir et La Vérité sur Marie évoque ses premiers pas d’écrivain, les auteurs qui ont eu une influence décisive sur lui, ou Crime et Châtiment, lecture fondatrice qui a agi comme une révélation : “‘Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous’, dit Kafka ? C’est le tranchant scintillant de cette hache – la littérature – que j’ai vu briller pour la première fois dans Crime et Châtiment.” Il tente aussi de mettre en mots le processus de création, alternance de jaillissements et de persévérance. Voyage dans la tête de Jean-Philippe Toussaint, écrivain, cinéaste et plasticien.

Jean-Philippe Toussaint devant Le Miracle de saint François Xavier de Nicolas Poussin, musée du Louvre, Paris, février 2012

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La Jetée de Chris Marker “J’aime ce film pour sa forme, les images fixes, le côté diaporama. J’avais envisagé ainsi le premier volet du film Trois fragments de “Fuir” réalisé pour l’exposition. Et puis le thème a un côté Borges, ou plus encore Bioy Casarès, L’Invention de Morel, avec cette réflexion abyssale sur le temps. Il est rare de voir ce film dans de bonnes conditions, tout comme Film, de Beckett, également programmé dans le cadre de l’expo.”

D’où vous est venue cette envie de rendre hommage à la littérature, que ce soit dans L’Urgence et la Patience ou avec votre exposition au Louvre ? Jean-Philippe Toussaint – Dans les premières pages d’Ardoise, Philippe Djian écrit une phrase que j’aime beaucoup : “Il y a cette idée de devoir quelque chose, d’être redevable, d’avoir une ardoise quelque part.” Il est naturel qu’un jour des écrivains disent un mot de la façon dont ils écrivent et de ce qu’ils doivent aux grands auteurs – je pense à En lisant en écrivant de Julien Gracq, à Bric et broc d’Olivier Rolin. Evidemment, on ne fait pas ça à 27 ans. Je porte l’idée d’un “hommage” depuis très longtemps et lorsqu’en 2010, on m’a proposé de concevoir cette exposition au Louvre, je me suis dit que le moment était venu. Cela me rappelle une phrase de Fuir : “C’était l’occasion, le moment opportun, la faveur ou la saison.” C’est exactement ça. J’ai alors également pensé donner deux livres : l’un, L’Urgence et la Patience, purement littéraire, sans illustration, conçu comme un livre neuf et non un livre de circonstance, pour évoquer la façon dont j’écris, les écrivains que j’admire : Beckett, Kafka, Proust… ; l’autre, sorte de catalogue de l’expo,

“si j’avais écrit au XIXe siècle, j’aurais été poète” La Main et le Regard, pensé comme une création plastique presque au même titre que l’exposition elle-même, pour faire le bilan de dix années de réflexion visuelle autour de mes photos, mes films, mes propositions plastiques. Avec L’Urgence et la Patience, vous invitez le lecteur dans votre fabrique littéraire, comme un artiste ferait visiter son atelier. J’ai toujours éprouvé une fascination pour le making-of, même si le mot anglais n’est pas très beau. J’ai d’ailleurs titré “Coulisses” toute une partie de La Main et le Regard. Mon long métrage, La Patinoire, racontait déjà le tournage d’un film, je mets mes brouillons sur internet… J’aime que ce soit ouvert, un peu comme les cuisines japonaises. Pour autant, je ne pense pas qu’en montrant les coulisses, je dévoile le mystère de la création, qui de toute façon demeure indicible. Ça démythifie sans désacraliser. Mais je sais que certains écrivains détestent montrer

la façon dont ils procèdent. Nabokov, par exemple, emploie des métaphores très déplaisantes à l’égard des brouillons. Vous donnez des détails à la fois très matériels sur votre façon de travailler – vos bureaux, vos machines à écrire – et des descriptions poétiques de la création, comparée à une immersion dans le monde des abysses. L’écriture se situe dans cet entre-deux ? Il faut concilier deux notions contradictoires : être précis dans ce que l’on veut dire, pointu, et en même temps exercer une séduction, toujours en essayant d’atteindre une forme la plus simple et limpide possible, sans fioritures inutiles. Cela demande beaucoup de temps, de patience. L’écriture telle que vous la décrivez, épurée, limpide, ressemble beaucoup à l’écriture poétique… D’ailleurs vous faites souvent référence à Charles Baudelaire. Il reste un phare pour moi, un modèle absolu de forme. Cette simplicité

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le manuscrit d’En attendant Godot de Samuel Beckett

“Ce manuscrit me touche pour trois raisons. D’abord pour le sentiment que j’éprouve pour Samuel Beckett. Il y a beaucoup d’écrivains qu’on peut admirer, très peu qu’on peut aimer. J’ai trouvé chez Beckett une complicité essentielle, humaine, une fraternité. C’est au-delà de l’admiration, plus fort et plus rare. Ce manuscrit fait aussi le lien avec Jérôme Lindon, puisque c’est un don de la famille Lindon à la Bibliothèque nationale. Et puis ça me faisait plaisir de le placer à côté d’un incunable extrêmement rare de La Divine Comédie. Samuel Beckett a toujours été un admirateur éperdu de Dante.”

Jean-Philippe Toussaint

les néons

dense… Si j’avais écrit au XIXe siècle, j’aurais été poète. Mais je ne pense pas que la poésie soit en phase avec notre époque. Toute ma recherche s’inscrit dans une réflexion sur la forme. Comment, après le Nouveau Roman, après de très grands auteurs comme Proust ou Faulkner, peut-on proposer une œuvre en adéquation complète avec l’époque et qui porte une attention de chaque instant à la forme ? Comment trouver une voix singulière, presque immédiatement reconnaissable ? J’ai aussi cette volonté de donner du plaisir au lecteur, je recherche sa complicité. Vous écrivez mais vous faites aussi de la photo, du cinéma, des vidéos… Cette pluridisciplinarité est indispensable ? J’ai cette curiosité globale mais je ne mélange pas tout, je veux à chaque fois trouver la spécificité du médium : je ne veux pas faire des films d’écrivain ou des installations de cinéaste. Finalement, si vous avez d’abord choisi la littérature, c’est presque un hasard, dû en partie à la lecture de Crime et Châtiment qui vous a fait prendre conscience de la puissance de la littérature, mais aussi à Jérôme Lindon, votre éditeur.

J’aurais écrit quoi qu’il arrive. Mais il est vrai que cette voie idéale vers la reconnaissance, dès mon premier roman, je la dois entièrement à Jérôme Lindon. Quand il publie La Salle de bain en 1985, Claude Simon reçoit le prix Nobel de littérature. Jérôme Lindon avait cette volonté de trouver la relève du Nouveau Roman. Quand il m’a dit qu’il comptait publier mon livre, je lui ai envoyé une lettre de six pages en lui demandant son avis sur une vingtaine de points de détails. Il m’a répondu, en substance : “Vous me recontacterez quand vous aurez fini votre travail, c’est vous l’écrivain, pas moi.” L’éditeur de tout le Nouveau Roman me considérait comme un écrivain, moi le type de 27 ans. Aujourd’hui, vous vous considérez davantage comme un écrivain ou comme un artiste ? Ça ne me viendrait pas à l’idée de me présenter comme un artiste plasticien. Mais la question de l’étiquette ne m’intéresse pas. Je suis un artiste, non au sens social du terme, mais dans le sens où je propose une vision du monde. Je tente d’exprimer ma sensibilité, éventuellement mon intelligence et mon humour…

“Ils me fascinent. C’est un mariage des mots et de la lumière. Pour l’exposition, j’ai créé L’Univers, une installation pour laquelle je suis parti de cette citation de Borges dans La Bibliothèque de Babel : “L’univers (que d’autres appellent la Bibliothèque)…” Vingt-deux néons de différentes couleurs écrivent le mot ‘livre’ en plusieurs langues, s’allument les uns après les autres puis clignotent tous ensemble avant de s’éteindre. C’est une métaphore de l’univers en expansion et du big bang. Ça me rappelle le poème Voyelles de Rimbaud.”

Toutes ces pratiques sont liées : c’est une scène de Fuir, où Marie sort du Louvre, qui a donné l’idée de l’exposition à Pascal Torres, le conservateur de la collection Edmond de Rothschild. En effet. De la même manière, pour composer La Main et le Regard, j’ai voulu mettre en relation des citations de mes textes avec mes productions visuelles, un peu comme pour un accrochage. Je pense à une formule de Delacroix : “Car qu’est-ce que composer ? C’est associer avec puissance.” Beaucoup d’associations ont d’abord été des hasards qui sont devenus des nécessités. Il faut être ouvert au hasard. Souvent les créateurs se ferment au hasard, il semble importun dans leur création. Je pense au contraire que le hasard apporte beaucoup d’imprévu, beaucoup de vie. L’Urgence et la Patience (Les Editions de Minuit), 112 pages, 11€ La Main et le Regard (Le Passage et Louvre Editions), 220 pages, 29 € exposition Livre/Louvre du 8 mars au 11 juin, aile Sully, musée du Louvre, www.louvre.fr rencontre avec Jean-Philippe Toussaint le samedi 17 mars de 14 h à 15 h, stand des Inrockuptibles au Salon du livre, porte de Versailles, Paris XVe 7.03.2012 les inrockuptibles 71

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Fengming, chronique d’une femme chinoise de Wang Bing Bouleversant témoignage d’une militante et martyre chinoise au soir de sa vie, enregistré avec une simplicité gracieuse par l’auteur du grand A l’ouest des rails.

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ang Bing, quoi qu’il arrive, restera dans l’histoire du cinéma comme l’auteur d’A l’ouest des rails (2003), cette fresque monstrueuse, gigantesque (plus de neuf heures), tournée dans les ruines rouillées d’une vaste ville-usine maoïste sur le point de disparaître, où erraient encore quelques ouvriers-fantômes, des âmes perdues et abandonnées par un Etat pressé de les oublier, et où roulaient sans cesse des trains sans fin et à présent sans but. Une œuvre longue, impressionnante, à la mesure de son sujet (la fin d’une ère) et pourtant tournée par un homme seul avec une petite caméra DV, qui témoignait d’un talent tout à fait stupéfiant pour l’image, le cadre, le plan. Le film qui sort aujourd’hui – encore un documentaire (cette fois-ci de seulement trois heures) – est le fruit d’un vaste travail d’enquête effectué par Wang à travers la Chine tout entière auprès des témoins, et souvent victimes, du long règne de Mao Tsé-toung, dans le but de réaliser une fiction, Le Fossé, qui sort la semaine prochaine. C’est à cette occasion que Wang Bing rencontre et enregistre le témoignage d’une vieille dame, He Fengming, dont

le mari est mort de faim après mille vexations, mille malheurs, et qui a raconté sa vie de militante d’abord triomphante puis martyre dans un livre qu’elle a elle-même rédigé. En attendant de commencer à tourner (plus ou moins clandestinement) Le Fossé, Wang Bing décide de demander à Fengming de lui raconter sa vie devant sa caméra. C’est ce récit époustouflant, exténuant, désespérant, passionnant, parfois comique à force d’absurdité (les allers-retours en prison, les multiples révolutions culturelles…), face caméra, d’une vieille femme assise dans son salon modeste, qui constitue l’essentiel des trois heures du film. A vrai dire, le nombre de plans du film ne doit pas dépasser celui des doigts d’une main… Après une petite introduction qui la montre rentrer chez elle dans la neige, nous allons, avec Wang Bing, nous installer face à elle dans son salon et quasiment ne plus la quitter, entrer petit à petit dans

nous entrons petit à petit dans l’intimité d’une vieille femme, et dans l’histoire de centaines de millions de Chinois

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hommage

nostalghia…

WIL Productions

Erland Josephson (1923-2012)

son récit, dans son intimité, dans l’histoire de centaines de millions de Chinois – selon le principe lanzmannien du récit évocateur. Cette petite femme qu’on devine forte est comme une arrière-grand-mère qu’on irait visiter un dimanche dans sa maison, qui nous offrirait de boire quelque chose, nous obligerait à nous asseoir dans un fauteuil, et commencerait à nous raconter sa vie depuis soixante-dix ans. Et l’après-midi passerait, nous serions loin du monde et du présent, et des images, des personnages et des événements du passé ressurgiraient dans la pièce, et le temps, un autre temps, celui des nôtres pourtant, défilerait jusqu’à la fin de l’après-midi devant nous. Alors soudain nous regarderions l’heure, et nous nous apercevrions que le temps est venu de rentrer chez nous et dans notre présent. Mais nous ne serions plus tout à fait le même. Il y a dans l’entreprise de Wang Bing, comme chez lui quand on lui parle, quelque chose de désarçonnant. A l’écouter, il ne serait jamais responsable de ce qui fait la beauté de ses films – simplicité absolue du dispositif, entêtement, refus de tout déplacement inutile de la caméra ou de changement d’objectif. A l’en croire, tout serait le fruit des seuls impératifs techniques (la petitesse d’une pièce, le problème

de la lumière)… “Mon œil !”, aurions-nous envie de dire. Mais finalement, peu importe. Que le hasard soit aussi de la partie, puisqu’il fait si bien les choses.Il y a ainsi, dans Fengming, chronique d’une femme chinoise, un effet de cinéma d’une simplicité désarmante et pourtant proprement hallucinant, et dont nous ne saurons jamais s’il a été voulu ou pas. Il décuple en tout cas l’amour que nous pouvons éprouver pour le cinéma quand il devient un art et pour ses fabricants quand ils lui font tellement confiance. Au fur et à mesure du témoignage de Fengming, la lumière du jour commence à baisser dans la pièce. La vieille dame n’y prête pas attention. Nous non plus tout d’abord : son témoignage est tellement prenant, envoûtant, édifiant. Qu’avons-nous à faire de la lumière ? Et plus elle faiblit, plus nous nous enfonçons dans l’histoire de la vieille dame, et plus les fantômes chinois viennent à notre rencontre. Juste avant que nous ne criions au procédé, Wang Bing interrompt He Fengming et lui demande avec une profonde politesse si ça la dérangerait qu’on allume la lumière. Elle accepte. Et la lumière jaillit. Jean-Baptiste Morain Fengming, chronique d’une femme chinoise de Wang Bing (Fr., Chine, 2007, 3 h 06)

Erland Josephson vient de mourir, à l’âge de 88 ans, au moment même où son grand alter ego bergmanien Max von Sydow s’apprêtait à participer à la remise des oscars à Hollywood… Le comédien suédois avait joué dans une douzaine de films d’Ingmar Bergman, entre 1946 (Il pleut sur notre amour) et 2003 (Saraband) : Scènes de la vie conjugale, Cris et Chuchotements, Face à face, Sonate d’automne, Fanny et Alexandre, Après la répétition, En présence d’un clown… En voyant Saraband, le dernier film de Bergman, on a peut-être un peu trop dit que les angoisses devant la mort exprimées par Josephson renvoyaient à celles du cinéaste, oubliant que le comédien était lui-même octogénaire et déjà atteint par la maladie de Parkinson qui allait l’emporter – ses mains tremblaient dans le film. On a souvent dit qu’Erland Josephson incarnait un versant masculin différent de celui de Max von Sydow dans le cinéma de Bergman : un personnage moins haut en couleur et ténébreux, plus gris, plus intellectuel mais aussi plus ironique et froid. Sydow travaillait à Hollywood, laissant la place à un Erland Josephson très attaché à son pays et au théâtre, comme Bergman (auquel il succéda à la tête du Théâtre dramatique royal de Stockholm en 1966). Ce qui ne l’empêcha pas de tourner à l’étranger, en Italie avec Damiano Damiani et Liliana Cavani, et avec deux autres grands cinéastes : Théo Angelopoulos (décédé il y a peu) et le Russe Tarkovski (dans Nostalghia – où il s’immolait par le feu – puis Le Sacrifice – où il incendiait sa maison).

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Indignados de Tony Gatlif avec Mamebetty Honoré Diallo, Fiona Monbet (Fr., 2012, 1 h 30)

Elena d’Andreï Zviaguintsev Les nouveaux riches et les nouveaux pauvres de la Russie libérale contemporaine saisis dans un film noir épuré.

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n hésitait à propos d’Andreï Zviaguintsev. Entré en cinéma de façon très convaincante avec Le Retour, couronné d’un Lion d’or à Venise en 2003, il nous avait ensuite refroidis avec Le Bannissement, pensum aussi splendide qu’ennuyeux, plombé par un excès de vanité formaliste. Le premier plan-séquence d’Elena nous fait redouter le pire, mais fort heureusement le formalisme voyant et creux se dissipe vite. Zviaguintsev demeure certes un esthète qui calibre ses cadrages, ses déplacements de caméra et ses lumières avec la plus grande minutie, mais ce coup-là, sa virtuosité est mise au service d’un film noir, prenant de bout en bout. Elena se passe en grande partie dans la maison cossue d’Elena et Vladimir, couple d’un certain âge appartenant à la classe des nouveaux riches de l’ère postcommuniste. Par petites touches, on apprend qu’ils forment un couple recomposé : le riche c’est lui, Elena étant issue du prolétariat. Ils ont eu des enfants de leur précédent lit : lui une fille gâtée, boudeuse et rock’n’roll, elle un fils chômeur, désargenté et père de plusieurs enfants. Car s’il existe des nouveaux riches dans la Russie libéralomafieuse contemporaine, il y a aussi des nouveaux pauvres livrés à eux-mêmes, privés des repères et des protections de l’ancien Etat soviétique (effrayante

scène de baston dans une interzone HLM). L’écart de niveau social entre les deux familles est le grain de sable qui va modifier les rapports au sein du couple, comme une nouvelle version de la lutte des classes ramenée à l’échelle domestique. Il y a du Dostoïevski dans Elena, par le nœud tissé entre condition sociale, crime et perturbation des frontières morales. Le film brosse aussi un tableau social, architectural et topographique de la nouvelle Russie, vision sombre et inquiétante qui a aussi valeur universelle, avec l’argent comme puissance létale pour ceux qui n’en ont pas assez, morbide pour ceux qui en ont trop. Par sa façon de filmer des corps dans un intérieur, d’occuper l’espace d’un appartement, de tracer des cadres et des lignes qui révèlent autant un habitat que l’état des êtres qui y vivent, Zviaguintsev fait aussi penser à Ozu. Un Ozu certes moins modeste, plus conscient de son propre talent (parfois un peu trop), mais servant un récit et une vision dont la puissance est aussi due à la formidable Nadezhda Markina, actrice qui porte le film et impressionne par un jeu remarquable d’épure et de discrétion. Serge Kaganski

Le best-seller de Stéphane Hessel revisité avec une emphase maladroite. On avait laissé Tony Gatlif sur l’accompli Liberté (2010), avec la certitude que le cinéaste bohémien pourrait désormais passer à autre chose, qu’il délaisserait enfin ses vieilles lunes (humanisme baba et chants world à la gloire des miséreux, pour caricaturer à peine). Les premiers plans de cet Indignados annulent tout espoir : Gatlif revient ici au confort de son petit folklore traditionnel ainsi qu’à ses pires effets de signature – pas loin du ratage complet d’Exils. Inspiré du best-seller de Stéphane Hessel, Indignezvous !, dont il reproduit avec une littéralité gênante quelques chapitres, son nouveau film s’éparpille entre une fiction prétexte (la fuite d’une sanspapiers africaine à travers l’Europe) et des phases documentaires sur les manifestations populaires survenues récemment, des printemps arabes aux indignés espagnols. Plutôt convaincant lorsqu’il se contente de filmer les révolutions au travail (sa veine buissonnière, la meilleure), Tony Gatlif s’abandonne encore à des séquences lyriques disgracieuses où les symboles censément poétiques clignotent à nos yeux étourdis puis aveugles. R. B.

Elena d’Andreï Zviaguintsev, avec Nadezhda Markina, Andreï Smirnov, Elena Lyadova, Alexeï Rozine (Rus., 2012, 1 h 49)

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John Carter d’Andrew Stanton avec Taylor Kitsch, Lynn Collins, Samantha Morton, Willem Dafoe (E.-U., 2012, 2 h 20)

Les aventures du premier héros de l’espace dans un blockbuster SF sans inspiration. auvais timing pour Disney : son film-phénomène du moment John Carter, censé engendrer une nouvelle franchise de référence, est en réalité vieux de plus de cent ans. Il est adapté de la saga romanesque Le Cycle de Mars de l’auteur américain Edgar Rice Burroughs : le modèle inépuisable de la science-fiction, dont l’un des personnages principaux, le fameux John Carter, est considéré comme le premier héros de la littérature à avoir conquis l’espace. Le premier et le dernier, tant il semble ramasser en un seul prototype l’ensemble des figures imposées du genre : c’est un humain “without cause”, pacifiste par expérience (sa famille a été décimée) qui se retrouve propulsé sur Mars pour sauver la planète d’un conflit entre tribus, et accessoirement s’éprendre d’une elle indigène. Ce qui frappe dans John Carter, après la laideur de son régime esthétique où se mêlent images d’animation kitsch et prises de vues réelles, c’est donc surtout la permanence d’un récit de SF tel que le cinéma hollywoodien l’écrit depuis des décennies : pour résumer, la confrontation, d’abord belliqueuse puis amoureuse, de l’homme et de son voisin extraterrestre. A ce programme, formaté jusqu’au délire, le pourtant très talentueux Andrew Stanton (auteur issu de l’animation du Monde de Nemo et de Wall-E) n’apporte presque aucune nuance. Il décline sans passion les péripéties obligatoires, personnages clés (jusqu’aux rigolos monstres sidekicks) et petites leçons de vie pas très inspirées. Sans la science du storytelling ni la profondeur des caractères que pouvait revendiquer l’Avatar de James Cameron (auquel on pense forcément), John Carter n’est au fond qu’un blockbuster de SF divertissant, à peine perturbé par quelques séquences de bataille réellement virtuoses. C’est peu pour prétendre au renouveau du genre annoncé.

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Possessions d’Eric Guirado avec Jérémie Renier, Julie Depardieu (Fr., 2011, 1 h 38)

Illustration peu délicate d’un fait divers réel sur l’assassinat d’une famille. La version romancée d’un fait divers qui défraya l’actualité il y a quelques années : l’affaire Flactif – un entrepreneur véreux du Grand-Bornand, qui avait disparu, assassiné avec sa famille par un de ses locataires. Peu importe le sujet. Ce qui frappe, c’est l’outrance avec laquelle on martèle une même idée, comme si l’on assimilait les spectateurs aux personnages un peu demeurés. Le leitmotiv convenu d’Eric Guirado c’est : la société de consommation est un piège malsain. Les Caron sont des Groseille (cf. La vie est un long fleuve tranquille) en moins drôles, des Ch’tis gagas qui émigrent à la montagne dans l’espoir d’une vie meilleure. Mais ils sont happés comme des phalènes par la télé marchande de soupe, qui les pousse au crime au nom de la “possession” (de produits industriels). Or l’envie ne pousse pas tout le monde au crime. C’est le basculement du côté obscur qu’il aurait fallu mieux explorer. Vincent Ostria

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en salle promenons-nous… Le cinéma aime se perdre en forêt. Il y trouve un défi esthétique mais aussi une matière métaphysique. D’Apichatpong Weerasethakul à Naomi Kawase, les cultures orientales cherchent à y voir l’invisible, tandis qu’en Occident les bois sont plutôt le théâtre d’un romantisme retrouvé (Lady Chatterley de Pascale Ferran). Paradis trompeur, voire enfer déguisé (Délivrance), ils peuvent aussi réveiller une mélancolie diaphane (le très beau Old Joy de Kelly Reichardt). On pourra comparer ces approches à travers différentes rencontres de ce cycle, dont une avec Patric Chiha, auteur de Domaine. cycle Mille et une forêts jusqu’au 29 avril au Forum des images, Paris Ier, www.forumdesimages.fr

hors salle vues et revues Les Cahiers du cinéma vont à la racine du cinéma de demain. Leur dossier est consacré aux multiples voies menant à la création cinématographique, qu’elles soient académiques (grandes écoles, BTS, études universitaires) ou autodidactes. De son côté, Positif consacre sa très belle couverture à Léa Seydoux, à l’affiche des Adieux à la reine, mis à l’honneur ce mois-ci (critique de Jean-Loup Bourget, et interview du réalisateur Benoît Jacquot). On y retrouvera également un dossier sur Tim Burton et son rapport à la technique.

box-office entrées des Artist L’effet oscars était attendu : The Artist engrange 247 600 entrées depuis dimanche, soit une fréquentation augmentée de 105 %. Logiquement, Les Infidèles, avec Jean Dujardin et dont un segment est tourné par Michel Hazanavicius, profite de l’événement et démarre en tête à Paris mercredi (3 468 billets vendus à 14 h le premier jour) devant le mélo de Stephen Daldry, Extrêmement fort et incroyablement près (1 089 spectateurs). Chronicle débute son exploration céleste avec succès et 458 842 entrées pour sa première semaine.

autres films Comme un chef de Daniel Cohen (Fr., 2012, 1 h 25) A l’aveugle de Xavier Palud (Fr., 2012, 1 h 34) Au cœur du combat d’Ivan Castellano (Fr., 2011, 1 h 33)

Hasta la vista de Geoffrey Enthoven avec Robrecht Vanden Thoren, Gilles De Schrijver (Bel., 2011, 1 h 53)

A l’ombre de la République de Stéphane Mercurio (Fr., 2011, 1 h 40)

L’exploration de la jungle carcérale et psychiatrique française par une équipe de contrôleurs. n des irréfutables documentaires sociaux, qu’on retrouve aussi bien sur le grand que sur le petit écran. Seule différence majeure : à la télé, ils sont souvent cantonnés aux sacrosaintes cinquante-deux minutes, qui ont un effet réducteur. Le cinéma permet le luxe de la durée. Cela mis à part, le film se contente de suivre à la lettre son sujet : les conditions de vie dans les hôpitaux psychiatriques et les prisons. La réalisatrice accompagne l’équipe d’un organe peu connu, le CGLPL (Contrôleur général des lieux de privation de liberté), qui s’efforce de déterminer par ses visites impromptues si les détenus et les patients psychiatriques sont bien traités. Equipe manifestement constituée de retraités de l’administration et de la justice, qui accomplit sa tâche avec une abnégation et une attention qui forcent le respect. Ce qu’on découvre, hormis le fait évident que les lieux d’enfermement servent avant tout à soustraire les indésirables de la société, ce sont des dérives assez troublantes d’un établissement à l’autre : à l’hôpital psychiatrique d’Evreux, certains internements d’office se font sans aucun avis médical ; à la maison d’arrêt de Versailles, une connivence suspecte entre directeur et prisonnières permet à certaines d’entre elles de dicter leur loi ; au centre pénitentiaire de Bourg-enBresse, le gavage aux médicaments est une pratique aussi courante qu’abusive. Par ailleurs, le film, véritable concentré d’humanité intimiste, a le grand mérite de donner largement la parole aux principaux intéressés, les patients et les détenus. Scène la plus dynamique et forte dialectiquement : lorsque la réalisatrice interroge tour à tour un détenu et un gardien à propos d’un problème précis (l’autorisation de téléphoner). Chacun son point de vue, chacun ses raisons. L’esprit de Renoir n’est pas loin. Vincent Ostria

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SuperGrave en pays flamand et avec des handicapés ? Belle surprise. Que trois ados décident de s’offrir une virée d’été en Espagne pour y chercher l’aventure et potentiellement perdre ce foutu pucelage, n’est pas a priori le point de départ le plus original d’une comédie. Mais si ces ados lubriques sont des handicapés (aveugle ou en chaise roulante), le film devient tout de suite plus intriguant. Le temps d’une première heure enlevée – qui doit beaucoup à l’insolence de ses jeunes acteurs –, Hasta la vista, du Flamand Geoffrey Enthoven, réussit cette hybridation un peu folle des enjeux du teen-movie (sexe, défonce et mauvais esprit) avec le drame lié au handicap, dont il ne force jamais le trait ni ne tait la douleur. En prenant plus de risques, peut-être en se confrontant davantage à la question de ces corps infirmes qui se découvrent des désirs (et à son extension scato), le film aurait même pu être l’un des plus beaux spécimens de l’espèce rare du teen-movie européen. Romain Blondeau

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Jean Peters et Richard Widmark

Le Port de la drogue de Samuel Fuller Une histoire d’amour et de pickpocket électrifiée par l’écriture éblouissante de Samuel Fuller.

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six ans d’intervalle, deux films qui devinrent deux chefs-d’œuvre proposent une histoire d’amour et de pickpocket, comme si la mise en scène, le vol et le rapport homme/femme s’additionnaient au sein d’une mystérieuse solidarité. En 1959, Robert Bresson livrera son Pickpocket et son itinéraire moral abstraitement tracé. Six ans avant, Fuller, sans la géniale rétention du cinéaste français, mais avec un laconisme comparable, met également en scène un pickpocket, lequel jette son dévolu sur une jeune femme qui trimballe à son corps défendant de compromettants documents et qui est surveillée par un policier soucieux de démanteler le réseau. Si Bresson a plutôt le génie de l’ellipse, c’est celui du “crépitement” qui caractérise Fuller. Toutes les scènes sont chargées d’un potentiel explosif, comme allumées à retardement, retenues quand il le faut, mais aussi lâchées quand il est l’heure. Les explosions sont géniales, en particulier dans les scènes entre l’homme et la femme qui passent leur temps à se taper dessus. Ça pourrait être odieux mais on comprend très vite que le tapage est comme une manière de se trouver, de se tester, et que le plus agressif est peut-être le plus amoureux – se défendre de l’amour avant d’y succomber. Avec son génie du casting, Fuller a mis face à face les

deux chats hurlants du cinéma américain (c’est une pure hypothèse, mais on se dit que les Cramps devaient adorer ce couple). L’un a une tête d’ange, une petite gueule blonde aux traits de garçonnet malingre. Richard Widmark joue comme si on l’avait privé pendant toute son enfance de nourriture et qu’il en avait conçu une rage affamée. Il a surtout le rire le plus fameux du cinéma américain, une manière de siffler entre ses dents comme un serpent si bizarrement foutu que même ceux de sa race le rejettent, écœurés. Jean Peters, c’est la partenaire et l’équivalent de Widmark. Elle appartient à ces petites teigneuses de la série B, tous crocs dehors, et fut amadouée par le doux Jacques Tourneur (les tempéraments opposés s’accordent toujours), qui lui donna le rôle de sa vie dans Anne of the Indies, où elle joue une femme pirate qui coupe les têtes comme on casse des noix de coco. Ici aussi, rien n’a grâce aux yeux des amants déchaînés, si ce n’est l’amour qui surgit comme arraché à la facilité des instants, comme dérobé à soi-même – si Lacan avait préféré être pickpocket que psy, sans doute aurait-il dit qu’aimer, c’est piquer à autrui pour mieux lui redonner le butin. Axelle Ropert Le Port de la drogue de Samuel Fuller, avec Richard Widmark, Jean Peters, Thelma Ritter (E.-U., 1953, 1 h 22, reprise) 7.03.2012 les inrockuptibles 77

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Jérôme Prébois

PierreS chœller sur le tournage avec Michel Blanc et Olivier Gourmet

l’exercice du succès Toujours en salle et couronné par trois César, L’Exercice de l’Etat sort en DVD assorti de nombreux bonus. Retour avec son auteur, Pierre Schœller, sur ce film majeur de l’année passée, qui fait écho à l’actuelle campagne présidentielle.

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u’attendiez-vous de la cérémonie des César ? Pierre Schœller – La cérémonie en elle-même, c’est toujours un peu une insulte à l’intelligence, et cela parle assez mal de notre métier. Cette grande mise en show télévisuelle et sa peur absolue de l’ennui, du temps même, sont en contradiction avec la temporalité de la fabrication d’un film, la patience méthodique que cela requiert. Cette année, on avait onze nominations alors que l’on pensait n’en avoir aucune, et au final cela nous a plutôt souri. Les César, ça fait beaucoup parler en février mais, à moins d’une razzia, c’est juste un coup de projecteur, et la lumière passe vite. L’Exercice de l’Etat a dépassé les 500 000 entrées. Avez-vous le sentiment d’avoir changé d’échelle ? Je m’attache assez peu aux questions de box-office. Ce qui m’importe surtout, c’est que le film continue d’être présent en salle dix-huit semaines après sa sortie, ce qui signifie qu’il continue de s’attirer un intérêt malgré le “tournez manège” hebdomadaire des sorties. Avec ce film, je voulais me remettre en danger d’une autre manière, essayer de bien écouter les leçons du premier. Surtout, je me suis dit que je voudrais m’accorder plus de plaisir au milieu de la tension du tournage. Et j’ai appris à faire confiance aux comédiens, leur demander beaucoup, parce qu’ils donnent beaucoup. La puissance d’incarnation d’un acteur est toujours insoupçonnée. Le film a-t-il fonctionné à l’étranger malgré son sujet très français ? Plutôt bien, on a eu un excellent accueil en Australie, au Canada, on va bientôt aux Etats-Unis. Mais la carrière

“c’est un leurre de penser qu’une figure individuelle puisse peser sur le cours des choses en politique”

des films à l’étranger reste pour moi entourée du plus grand mystère. Je crois par exemple qu’aucun film de Desplechin ne s’est vendu en Allemagne… Et puis “l’Etat” au sens où on l’entend en France, c’est impossible à traduire. On s’est arraché les cheveux pour lui trouver un titre international – The Minister. Comment envisagez-vous la suite ? J’achève le tournage d’un film Canal+ sur l’affaire Erignac. Après, on verra, je ne pense pas que l’on puisse construire quelque chose en deux films, chaque projet prend du temps et je raisonne vraiment film par film. Je ne sais pas quelle sera l’échelle du prochain. Cela dépendra vraiment du sujet, sur lequel j’ai quelques intuitions. De quel œil suivez-vous la campagne présidentielle ? Les débats que j’ai pu avoir en tournant avec le film ont surtout concerné le rapport très ambivalent que l’on entretient avec notre classe politique. Sinon, je trouve que la Ve République a mis en exergue la figure présidentielle du chef alors que, quand vous suivez le processus de décision à l’intérieur d’un cabinet présidentiel, vous voyez bien que c’est tout sauf ça. Il y a un hiatus entre l’enjeu de la campagne comme il est présenté à l’opinion et les tensions qui traversent le pays. C’est un leurre de penser qu’une figure individuelle puisse peser sur le cours des choses, même si cela ne veut pas dire que le résultat de l’élection n’est pas essentiel. Je pense personnellement que la France de Sarkozy est une abomination, mais cette France-là est aussi une France de puissances étrangères à la politique que l’élection ne devrait pas ébranler. Je suis soulagé de me lancer dans l’écriture d’un scénario sur la Révolution française et de prendre du recul par rapport aux pages politiques des journaux… Julien Gester L’Exercice de l’Etat de Pierre Schœller, avec Olivier Gourmet, Michel Blanc, Zabou Breitman (Fr., 2011, 1 h 52), TF1 Vidéo, env. 16 €

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Le Soulier de satin de Manoel de Oliveira Enfin éditée en DVD, l’adaptation majestueuse de Claudel par le grand cinéaste portugais. Le film D’où vient l’émotion liée à ce type par Luís Miguel Cintra. Sec et petit, très particulier de scène : des spectateurs il concentre toute sa force dans son visage s’installent dans un théâtre, se concentrent (sourcils méphistophéliques) et sa voix, avant que la représentation commence une voix de gorge profonde. Le génie et tendent leur regard vers la scène ? des acteurs portugais, c’est certes leur Et surtout, pourquoi cette émotion physique encore préservé d’une certaine est comme redoublée quand elle est saisie banalité contemporaine, des physiques par le cinéma, quand à l’attente des comme on pouvait en voir au XIXe siècle, mais c’est surtout leur parler à la tenue trois coups, au rassemblement civilisé nourrie d’une technique féroce du théâtre d’hommes et de femmes adoucis par et encore ancré dans des sources très la perspective de partager une aventure, anciennes de la langue. s’ajoute un parfum d’éternité ? Le film Cintra est entouré de deux merveilleuses d’Oliveira commence par ce “procédé”, et actrices blondes, le type féminin préféré tout le long de ses 410 minutes maintient d’Oliveira (car oui, il n’y a pas que des cette injonction à la Jules Verne : brunes au Portugal). La première est Anne “Regarde, de tous tes yeux regarde !” Consigny, jeune prodige de la ComédiePourquoi, lorsque les cinéastes de l’art Française. L’autre, Patricia Barzyk, et essai, lorsqu’ils s’emparent d’un texte fait partie des météores qui traversent de théâtre, s’en tiennent-ils à quelques le cinéma français. Elle a le visage de principes de mise en scène qui tournent Constance Towers (la blonde impériale de autour de la staticité plutôt que d’animer The Naked Kiss de Fuller), le corps d’Anita les mots par le biais d’une fausse vivacité Ekberg et un accent indéfinissable. (la fameuse “vie” qu’il s’agirait d’injecter) Elle fut Miss France avant d’être appelée comme le font les autres ? Oliveira, Straub, par Jean-Pierre Mocky : du podium Rivette, même combat : faire entendre à Claudel, il n’y a quelquefois qu’un pas. les textes dans leur irréductible étrangeté Les DVD Entretiens avec Jacques Parsi, plutôt que de les rendre naturels. le précieux conseiller d’Oliveira. L’argument est connu et claudélien. Axelle Ropert Dona Prouhèze ne résiste pas à la tentation de l’adultère. Elle succombera peut-être Le Soulier de satin de Manoel de Oliveira, et offre un soulier de satin en gage : si avec Luís Miguel Cintra, Patricia Barzyk, elle pèche, elle sera boiteuse. Si on devine Anne Consigny (Fr., Por., All., Sui., 1984, 6 h 50), 3 DVD, La Vie est belle Editions, environ 40 € combien le motif buñuelien de la femme qui boite a pu titiller Oliveira, amateur de perversités espiègles, c’est ici l’élévation de l’histoire intime à celle d’une nation, la force épique donnée à un argument conjugal qui irrigue l’ensemble – tant Oliveira aura aussi dans son œuvre raconté l’histoire du Portugal, ce tout petit pays au charme baroque d’une noire intensité. Le casting masculin est mené 7.03.2012 les inrockuptibles 79

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flânerie en fantasy Sur le terrain familier du jeu de rôle, Les Royaumes d’Amalur propose une variation simple mais séduisante.

 C développement de l’aide pour Ueda Plusieurs studios internes de Sony, dont celui de Santa Monica responsable des God of War, ont été appelés en renfort pour aider Fumito Ueda et son équipe à finir le très attendu The Last Guardian. Annoncé en 2009 mais en chantier depuis au moins 2007, le mystérieux projet du père d’Ico et de Shadow of the Colossus a déjà vu sa sortie repoussée plusieurs fois. Bien que n’étant plus salarié de Sony depuis la fin de l’année dernière, Ueda continue de superviser le développement du jeu en freelance.

elui-là, on ne l’a pas vraiment vu venir. Un peu éclipsé, au rayon jeu de rôle, par l’imminent Mass Effect 3 du même éditeur Electronic Arts, Les Royaumes d’Amalur – Reckoning n’a pourtant rien d’un RPG (role playing game) au rabais. L’identité de ses concepteurs est là pour en témoigner avec, outre l’écrivain R. A. Salvatore (qui a créé son univers fantasy) et l’auteur de comics Todd McFarlane (Spawn), un certain Ken Rolston aux manettes, vétéran du genre à qui l’on doit deux volets de la prestigieuse saga The Elder Scrolls : Morrowind (2002) et Oblivion (2006). La comparaison entre Amalur et le dernier épisode en date de cette dernière, l’immense Skyrim, est d’ailleurs particulièrement révélatrice. Skyrim nous lâche dans l’inconnu. Amalur nous prend par la main pour aller jouer dans la forêt derrière chez nous. Tout commence pourtant à peu près de la même façon. Après avoir créé notre personnage, nous voilà soudain plongé dans une action dont on ne saisira les enjeux que plus tard. Puis, entre la quête principale et les missions facultatives, chacun avancera à son rythme. La grande différence, donc, est la nature plus encadrée de l’aventure d’Amalur, dont l’univers ressemble davantage à une addition de zones pittoresques qu’à un écosystème cohérent. C’est sa principale limite mais, aussi, ce qui rend l’expérience plaisante – car, osons

le mot, rassurante. On n’en rêvera peut-être pas la nuit, mais c’est un jeu dans lequel il est facile d’entrer et qui, à défaut de nous emmener au bout du monde, nous offre une piquante (et très longue, si l’on se laisse charmer) promenade. D’autant que, là où Skyrim opte, sur le plan graphique, pour un photoréalisme un peu froid, lui n’aime rien tant que les couleurs vives, les paysages verdoyants, les petits villages à croquer. Il y a du Fable – l’humour en moins – chez Amalur, plastiquement mais aussi dans l’évolution de ses microsociétés, dans son amour du détail, son sens de la féerie. Et ce qu’il nous raconte entre deux combats nerveux n’est pas si “léger” que ça : rien que dans les premières heures de jeu, on aura l’occasion d’annoncer à une jeune femme, après enquête, que ses parents ont été massacrés dans la ferme familiale et de ramasser des ossements pour leur offrir enfin une sépulture. On connaît la chanson, grogneront les blasés. Certes, mais son interprétation ne manque pas de personnalité. Erwan Higuinen Les Royaumes d’Amalur – Reckoning sur PS3, Xbox 360 et PC (38 Studios/Electronic Arts), de 45 à 70 €

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la peur, petit gamer Nouveau volet musclé et attachant de la saga d’épouvante pour console portable. récédemment multiplie les points de vue dans Resident Evil…” (les personnages jouables, Découpé en douze les lieux visités, avec force épisodes conclus flash-backs et événements par des cliffhangers, le parallèles) sur son intrigue nouveau volet 3DS de la emberlificotée. saga d’épouvante nippone, Jeu en morceaux, entre historiquement nourrie l’approche atmosphérique du cinéma de George des premiers Resident Evil et A. Romero, ne dissimule le dynamisme musclé des pas sa principale source plus récents, Revelations y d’inspiration : les séries TV. gagne un rapport particulier Parce que la console à la peur. Si cette dernière a portable est le “petit écran” toujours à voir avec la perte du jeu vidéo ? Le résultat se de contrôle, cauchemar prête en tout cas très bien par excellence du gamer à une pratique nomade (privilégier l’usage du “Pad par sa manière d’assumer circulaire pro”, accessoire la nature sécable de très laid qui ajoute un l’expérience. Si tout tourne second stick bien pratique autour de l’exploration à la 3DS), elle nous assaille d’un paquebot mal éclairé sur un mode provisoire et grouillant de créatures et parcellaire plutôt que monstrueuses, Revelations continu et profond.

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Rayman Origins

Ce pourrait être un défaut. C’est en réalité ce qui fait de Revelations (lequel tient aussi de la démonstration technique des capacités de la console qui le fait tourner) un jeu attachant. Il est notre train fantôme de poche, notre petite fête foraine perso aux multiples attractions et, accessoirement, une mine d’idées à suivre pour une série qui semblait ces derniers temps un peu engluée dans le tout-action. E. H. Resident Evil – Revelations sur 3DS (Capcom), environ 45 €

Sur PS Vita (Ubisoft), environ 40 € Trois mois après les consoles de salon, la Vita accueille à son tour Rayman Origins, le merveilleux jeu de plate-forme 2D de Michel Ancel, qui resplendit sur son bel écran. Si le mode multijoueur a été laissé de côté, l’expérience se révèle si réjouissante en solo qu’il faudrait n’être qu’un affreux grincheux pour lui en tenir rigueur.

Lumines  – Electronic Symphony Sur PS Vita (Q Entertainment/Ubisoft), environ 40 € Sorte de Tetris musical pensé pour amener l’amateur de puzzle games aux limites de la transe, Lumines était présent au lancement de la PSP. Fiévreusement scintillante et pourvue d’une bande-son royale (Aphex Twin, Orbital, LFO…), la nouvelle version du jeu de Tetsuya Mizuguchi (Rez, Child of Eden) est déjà un incontournable de la Vita.

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pop power Musclé par de longues tournées des deux côtés de l’Atlantique, Revolver revient avec un album puissant, où la pop de chambre côtoie désormais les batteries et l’indie-rock. ès les premières chroniques, on avait assis Revolver sur la dernière branche de l’arbre généalogique de Simon & Garfunkel. On retrouvait chez le trio français la même science des harmonies vocales et l’équilibre savant entre songwriting pop et musique classique. Pourtant, le lien de parenté avec le duo américain est d’abord à chercher du côté du sound of silence. Conçues dans leurs chambres d’étudiants, les premières chansons de Revolver avaient pour consigne dominante celle de ne pas faire de bruit. “Au départ, notre objectif était de jouer de la musique sans pour autant déranger les voisins… Tout tournait autour du silence ! C’est en grande partie de cette contrainte-là qu’est né le concept de pop de chambre.” Pauvres voisins : derrière leurs murs et leur double vitrage, les colocataires ont manqué l’occasion d’entendre les esquisses de ce qui devint quelques mois plus tard, en 2010, le plus éblouissant recueil de pop-songs écrites en France. Parce qu’elle a les yeux revolver, mais Revolver, eux, ont des oreilles : affûtées par des années de conservatoire classique, aiguisées par des heures passées à apprendre de la pop merveilleuse d’Elliott Smith et de la musique d’Henry Purcell. Sur le stupéfiant Music for a While, les trois Français affichaient ainsi une douzaine de chansons en or, écrites et chantées avec une virtuosité et une précaution devenues rares dans l’ère post-Myspace. “On a rapidement eu cette image de garçons un peu sages, un peu lisses. On jouait sans batterie, on était timides. On n’avait jamais vraiment fait de concerts, à part chez des

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Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

amis. On avait beaucoup à apprendre. On est un groupe différent aujourd’hui.” Deux années se sont chargées de rendre le groupe plus résistant. Quatre semestres riches en événements, parmi lesquels on citera deux longues tournées aux Etats-Unis, une sélection aux Victoires de la musique, près de deux cents concerts, une grippe A, une électrocution sur scène, un passage à South by Southwest… Et pas moins de 100 000 albums vendus dans un contexte de crise du disque terrible. “On ne s’attendait pas du tout à ça. Passer à la radio, c’était déjà inespéré. Le succès rapide du single nous a épargné la phase de galère où un groupe doit convaincre car personne ne le connaît. Les gens sont venus nous voir sur scène rapidement, et on s’est aperçu qu’on pouvait faire danser le public, ce à quoi on n’avait pas pensé

“on s’est aperçu qu’on pouvait faire danser le public. On a eu envie d’écrire de nouvelles chansons dans ce sens”

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on connaît la chanson

sur une île déserte

Serge Leblon

Qui, en Angleterre, vient de fêter glorieusement ses soixante-dix ans sur le trône ?

un seul instant. On a eu envie d’écrire de nouvelles chansons dans ce sens.” Fidèle à l’esprit de ses commencements, c’est au producteur Julien Delfaud (Phoenix, Keren Ann…), déjà aux manettes de Music for a While, que le groupe a confié les commandes de Let Go. Puis, après avoir pris soin de s’offrir, pendant le mercato pop, les services d’un batteur (Maxime Garoute, aperçu chez NTM ou… Johnny), Revolver s’est libéré de la sempiternelle pression du deuxième album. “On savait très bien qu’il y avait un enjeu, qu’on nous attendait au tournant. On a décidé de s’affranchir de cette tension en assumant d’aller loin dans les caractères de chaque chanson. On ne cherchait pas l’unité mais à lâcher prise, d’où le titre de l’album.” Un cahier des charges qui explique la souplesse et les acrobaties de Let Go, qui pirouette entre indie-rock sapé pour la scène et les radios (Wind Song, Let’s Get Together), folk mille-feuille hérité de Crosby Stills & Nash (Losing You) et ballades de crooner à la Rick Nelson (le formidable slow Still qu’illustre, sur le net, une vidéo réunissant des extraits de Seize bougies

pour Sam, le teen-movie de John Hughes). Au beau milieu de cette toile polychrome se cachent My Lady I, petite perle de pop féerique dont n’aurait pas rougi McCartney, et The Letter, cascade mélodique aux eaux cristallines. Si l’ensemble de Let Go lui permet de passer haut la main l’épreuve du retour, c’est quand Revolver privilégie cette sobriété et cette virtuosité harmonique-là qu’il continue d’écrire les plus beaux chapitres de son histoire et de squatter les hauteurs du royaume pop français. Johanna Seban album Let Go (EMI) concerts le 16 mars à Sannois, le 22 à Paris (Maroquinerie), le 6 avril à Laval, le 7 à Châteaulin, le 13 à Rouen, le 14 à Tourcoing, le 18 à Limoges, le 19 à Poitiers… www.revolvermusic.tv

En Angleterre, elle est une institution absolue, que trois millions de dévots écoutent religieusement dès qu’elle prend l’antenne de la BBC. Elle a fréquenté les plus grands de ce monde, obtenu des confidences rares de ministres et d’artistes, qui lui parlent avec déférence et, surtout, sans la moindre langue de bois. Du haut de son trône depuis exactement soixantedix ans, elle s’est lentement incrustée dans l’âme anglaise, parlant à ses compatriotes avec une voix rassurante. Une pause respiratoire dans la cavale de la modernité, vestige d’un monde où la parole n’était pas interrompue, où l’on pouvait s’exprimer en longueur et en profondeur sans être catalogué “preneur de tête” ou “traîne-la-mort”. Elle est d’une autre époque, et une fois par semaine, en de mornes dimanches, on claque la porte au XXIe siècle pour une audience avec cette vieille dame d’une dignité et d’un ton surannés. On ne parle pas de la reine Elisabeth II mais d’une émission de radio de la BBC, diffusée sur Radio 4 et en podcasts malheureusement castrés de musique. Car la musique – et l’art au sens le plus large – est centrale, vitale dans cette vénérable institution que reste Desert Island Discs. Le principe est simple : chaque invité commente ses disques, livres ou objets favoris. Et là où le discours de ces politiciens, acteurs ou écrivains est le plus souvent rodé, scripté, les marottes choisies et revendiquées les poussent littéralement à l’écart de langage. En parlant de musique, de son rapport personnel à l’œuvre, l’invité s’abandonne à la confession, à l’incontrôlé. L’auteur J.K. Rowling devisant sur les Smiths, Brian Eno sur le Velvet Underground ou l’acteur Terence Stamp se souvenant de Jeff Buckley deviennent ainsi des moments d’intimité privilégiés, une longue pause en suspension dans le bavardage promotionnel. Une émission à emporter sur une île déserte. www.bbc.co.uk/radio4

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Giana Factory

Emile Carlsen

Le festival Les femmes s’en mêlent revient pour sa quinzième édition. Evidemment, la gent féminine est à l’honneur : le marathon, qui s’étendra du 20 mars au 1er avril dans plus d’une vingtaine de villes françaises, recevra cette année, entre autres, les Dum Dum Girls, Britta Persson, Christine And The Queens, Ela Orleans, Dark Dark Dark, Dillon, Mirel Wagner, Still Corners, Beth Jeans Houghton, My Brightest Diamond, Ladylike Lily, Class Actress ou Giana Factory. programme complet sur www.lfsm.net

Marcelo Gomes

la belle programmation des Femmes s’en mêlent

Céu est là Double ration de joie : le nouvel album de la Brésilienne Céu sort le 12 mars en France et il est bon, plus pop mais pas moins langoureux que les précédents. Dès le lendemain, Céu attaque une petite tournée de trois dates françaises : le 13 à Dijon, le 20 à Paris (Théâtre Traversière), le 22 à Belfort. The Shoes

WU LYF ou la vie Ils nous avaient manqué depuis leur passage au Festival Les Inrocks Black XS en novembre dernier : les chats sauvages de WU LYF reviennent en France pour une date parisienne unique. Attention aux griffures. le 8 mars à Paris (Bataclan)

concours Les Affranchis x inRocKs lab A l’occasion du Disquaire Day, qui aura lieu dans toute la France le 21 avril, France Inter et les inRocKs lab proposent un concours de reprises pour jouer dans l’émission Les Affranchis. Pour participer, il suffit de s’inscrire, jusqu’au 31 mars, sur le site des inRocKs lab afin de poster une reprise d’un des artistes réédités pour le Disquaire Day. Cette vidéo sera visée par le public puis par un jury. Résultats le 2 avril. http://lesaffranchis-vol2.lesinrockslab.com

Sylvere H

cette semaine

Fair : le tour (de France) La quatrième édition du “Fair : le tour” se déroule actuellement dans toute la France, et cela jusqu’au 11 mai. Avec vingt-six dates et vingt-six artistes programmés, ce tour de France a pour objectif de soutenir de jeunes artistes lauréats du Fair 2012, parmi lesquels on retrouve notamment Sarah W_Papsun, Concrete Knives, The Shoes, La Femme, Manceau ou Oh! Tiger Mountain. programmation complète de la tournée sur www.lefair.org/fair-le-tour-2012

neuf

Happy Mondays THEESatisfaction

Chez ce couple raffiné et pas franchement déconnant de Nashville, on a parfois l’impression que U2 reprend Mazzy Star (ou l’inverse), en une poignée de chansons solennelles aussi lyriques que renfrognées. Leur Poison & Wine est effectivement une beauté toxique, à laquelle on se torche (songs). www.myspace.com/thecivilwars

David Belisle

The Civil Wars

“I can’t get no satisfaction”, bramait un chanteur, qui ne l’obtiendra pas du côté de THEESatisfaction, soul sistas turbulentes signées par Sub Pop. Féministes et lesbiennes militantes, elles mélangent, à la façon d’un Funkadelic 2.0, funk, hip-hop, sci-fi et psychédélisme. On n’a pas fini de danser avec elles. www.theesatisfaction.com

Gainsbourg & Bardot Une partie des enregistrements de Serge Gainsbourg et de Brigitte Bardot viennent visiblement de tomber dans le domaine public. Le très esthète label londonien él Records en profite pour sortir des tiroirs quelques raretés de l’une et de l’autre, y compris un cocasse flexi-disc de Bardot ! www.cherryred.co.uk/el.asp

Pas d’album, Dieu merci, mais une grosse tournée avec les gouapes au grand complet, ainsi que des rééditions Deluxe des immenses Bummed et Pills’n’Thrills & Bellyaches. Sinon, Shaun Ryder présente à la TV anglaise une émission sur les ovnis. Avec ce qu’il a pris dans sa vie, il doit en voir partout. www.happymondaysonline.com

vintage

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Lucas Donaud

l’aventure sinueuse d’une musique brutale, sombre et violente, parsemée de belles éclaircies

fais-moi mal, Bambino Le duo bordelais Kap Bambino signe un troisième album corrosif, qui pénètre l’épiderme en profondeur.

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arce qu’elle racle les pores de la peau et décrasse les tympans, la musique de Kap Bambino se voudrait hygiénique, nettoyant au passage les a priori maladroits qui ternissent encore, dans l’industrie, l’image de trop de groupes pareillement jusqu’au-boutistes. “En 2002, quand on a commencé, les gens avaient peur de notre musique, on était complètement en dehors de la French Touch. On savait d’entrée qu’on ne pourrait pas se placer dans une famille musicale particulière. Et ça nous plaisait bien.” Dix ans plus tard, après trois albums rageurs et des dizaines de concerts en France, en Angleterre, aux Etats-Unis ou en Amérique du Sud, la paire formée par Caroline Martial et Orion

Bouvier revient avec Devotion, l’aventure sinueuse d’une musique brutale, sombre et violente, parsemée de belles éclaircies. “Je vois ce disque comme une dévotion à la connerie, à notre art, aux trucs chiants, à tout quoi, se plaît à rappeler la jeune chanteuse. Ça résume assez bien notre état d’esprit et notre intention. C’est une dévotion totale à ce monstre.” Un monstre qu’ils seront parvenus à dompter, au point d’évoluer sans se trahir dans les méandres de l’industrie du disque, dont les deux Bordelais se fichent pas mal. “Au départ, on faisait nos albums via notre propre label, puis on a commencé à être chroniqués à New York, à Mexico, à Londres et ça a fait circuler le truc.” S’ils revendiquent une certaine autonomie,

conservée après une signature chez Because il y a trois ans, les deux Bordelais estiment avoir créé quelque chose de neuf. “Notre dogme était artisanal, c’est sûr, mais surtout précurseur. Parce qu’en 2002, quand tu te montais une tournée tout seul, les gens prenaient la fuite. Aujourd’hui, tout le monde est en train de faire ça.” Une infaillible débrouillardise qui colle à la peau d’une formation plus proche de la rue que des carrés VIP. “Dans l’est de Londres, on a vécu dans le ghetto de Clapton pendant pratiquement un an. Nous sommes revenus en France un mois avant les révoltes.” Combattre, lutter, rêver : tels pourraient être les maîtres verbes qui font de Devotion un album historique, au passif évident et, pour ne rien arranger,

diablement poétique. Instinctif et ténébreux, viscéral et baroudeur, le disque déroule son lot de titres grandiloquents, du venimeux et acide King Cobra à l’entêtant et colérique Burning. Désormais paré pour vivre sa première véritable tournée française, le duo a conscience du chemin parcouru et tente légitimement de représenter les artistes laissés pour compte par les programmateurs. “J’espère que des groupes comme nous pourront continuer à évoluer en dehors des réseaux, insiste Caroline. Si nous parvenons à nous amuser cette année avec Devotion, à faire des concerts et à nous balader avec notre musique, je me dis qu’il y a de l’espoir pour la scène qui est avec nous et pour les musiciens qui la rejoindront.” Un dévouement donc, aux allures missionnaires. Romain Lejeune album Devotion (Because) concerts le 13 mars à Paris (Gaîté Lyrique), le 22 à Bordeaux, le 23 à Rennes, le 24 à Limoges, le 29 à Roubaix, le 6 avril à Morlaix, le 7 à Nantes, le 30 à Mulhouse, le 5 mai à Bruxelles, le 24 à Marseille, le 25 à Toulouse www.kap-bambino.com en écoute sur lesinrocks.com avec

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“ça m’a pris direct, ce rythme qui tourne. L’esprit de l’afro-beat est dans Lindigo, joué avec d’autres instruments” Olivier Araste, chanteur

éruption maloya Lindigo incarne la nouvelle génération funky du maloya, musique endémique de la Réunion. Derrière le champ de cannes, le monde.



n jour, c’est sûr, dans un futur plus ou moins proche, on parlera du maloya comme du reggae, de la samba ou de l’afro-beat : un genre musical né quelque part, pas par hasard (lié à une histoire et un territoire), mais voué à chavirer la tête et les jambes de la terre entière. On ne sera pas peu fier de rappeler que tout avait commencé dans un improbable petit coin volcanique de France – pas l’Auvergne mais le département de la Réunion. On rappellera les noms des fondateurs (Firmin Viry, Granmoun Lélé, Danyel Waro…), qui ont défendu cette musique à une époque où elle était interdite par les autorités (jusque dans les années 80). Et on citera l’album Maloya Power, de Lindigo, en exemple de ces disques qui ont fait entrer le maloya dans le futur. Un grand pas pied nu, foulant la terre de la commune de Sainte-Suzanne, dans le nord agricole de l’île. C’est là, dans une cour, que Lindigo a enregistré son quatrième album. Olivier Araste, maousse chanteur du groupe : “Le maloya, ça se joue dehors, dans la nature, au bon moment. Le plus important, c’est le sol, la terre de la Réunion. Le cari au feu de bois, les champs de canne,

les grillons, tout ça fait que l’album est magique. On avait enregistré les trois premiers albums en studio mais le son ne me plaisait pas. Là, on commence à trouver le bon bout. C’est la base, ça décoiffe, c’est du lourd, pour moi c’est top canon.” Pour nous aussi, man. A l’origine, le maloya est une musique contestataire d’ouvriers agricoles. Un genre de blues ternaire de la Réunion, avec des influences et des instruments d’Afrique, de Madagascar et d’Inde, le tout fumant dans la grande marmite créole. Olivier Araste, 28 ans, a grandi avec le maloya traditionnel, familial, social et religieux. Il a appris en coupant la canne, puis dans les servis kabaré (fêtes réunionnaises) : “Soixante-dix personnes font les chœurs et il y a une voix lead, sans micro bien sûr. Alors tu te défonces le gosier mais quand tu y arrives, tu es chanteur de maloya.” Et là, on vient de comprendre pourquoi il y a tant de bons chanteurs à la Réunion. Mais le maloya qu’Olivier pratique depuis plus de dix ans avec Lindigo (son groupe et son surnom depuis tout petit), c’est un peu comme le passage du blues au rhythm’n’ blues, voire au funk : l’histoire est là, dans

la profondeur de champ (de canne), mais le groove est au premier plan. Il y a quelques années, un DJ réunionnais avait eu l’idée insolite de jouer la musique de Lindigo en discothèque. “Du maloya en discothèque, c’était trop bizarre. Mais les gens devenaient fous, c’était le gros tube. C’était pour tout le monde, enjoy man !” Il y a cinq ans, Olivier a découvert Fela et il ne s’en est pas remis. “Ça m’a pris direct, ce rythme qui tourne. L’esprit de l’afro-beat est dans Lindigo, joué avec d’autres instruments : les chœurs remplacent les cuivres, la cloche fait le rythme.” L’année dernière, au festival Sakifo, Lindigo a même joué avec Tony Allen, l’ancien batteur de Fela – “un rêve, une grande émotion”. Sur Maloya Power, le rythme du maloya, si dur à danser quand on n’est pas du 9.7, est une tournerie qui aspire donc des influences d’afro-beat, de funk (James Brown est un autre héros d’Olivier), de dub, de Brésil et d’Afrique – quand mélodica, balafon ou n’goni plongent dans la marmite. La production parfaite, à la fois roots et panoramique, fait de ce disque un nouvel étalon du groove réunionnais. Toujours conscient de l’histoire et de l’esprit du maloya, Olivier aime bien utiliser la rigolote expression “ancestralement parlant”. Avec Maloya Power, il va devoir apprendre à la dire au futur. Stéphane Deschamps album Maloya Power (Hélico/L’Autre Distribution) concert le 20 avril à Paris (Cabaret Sauvage) www.helicomusic.com en écoute sur lesinrocks.com avec

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Bright Moments Natives Luaka Bop/Differ-ant La pop majestueuse d’un proche de Beirut et Arcade Fire. ’album est mixé par Eno. Qu’il s’appelle Jim Eno (du groupe Spoon) ne change rien à l’affaire. Cette pop a beau simuler le train pittoresque dans une jungle instrumentale aussi ravissante que taillée au cordeau, il lui arrive de dérailler et de s’engouffrer dans des désordres et espaces étonnants. Bright Moments est le nom de guerre de Kelly Pratt. Les maniaques des lectures assidues de pochettes d’albums, ce plaisir contrarié par le MP3, l’ont déjà repéré dans l’ombre d’Arcade Fire, Beirut ou LCD Soundsystem. C’est dire s’il connaît quelques chemins de traverse pour fuir toute routine pop. Mais visiblement, même généreux avec les autres (les trompettes de Beirut !), il a gardé pour son compte, dans la solitude de son appartement new-yorkais, quelques-unes de ces idées les plus tourneboulantes, comme cet incroyable Travelling Light qui démarre la raie de côté pour finir avec des fleurs et des oiseaux dans la tignasse. Ou encore Drifters, dont toute la majesté peine à dissimuler de sombres desseins. La plupart des titres des chansons évoquent le départ, le mouvement. C’est le fantasme de cette pop de chambre qui, sans répit, fugue et divague. Merveilleux.

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JD Beauvallet www.brightmomentsmusic.com en écoute sur lesinrocks.com avec

The 2 Bears Be Strong Southern Fried/La Baleine

Hilare et contagieuse, de la dance-music qui rend idiot. Un Hot Chip en est. Ces 2 Ours sont plutôt très bien léchés : leur tanière abrite une gigantesque boule à facettes, un dance-floor en caoutchouc, des murs en chamallow et une sérieuse réserve de Prozac pour l’hiver. On n’a pas tous les jours l’occasion de danser frénétiquement, hilare, les bras au ciel et la tête dans l’arc-en-ciel, sur des chansons parlant de Throbbing Gristle, de Chris Rea ou des Congos. Remercions donc les deux Anglais pour ce sens partageur de la liesse, qui fait d’eux un Metronomy totalement décoincé, un Deee-Lite en lo-fi bariolée, des Specials pour jeu vidéo primitif, un Hot Chip qui accepterait ses refrains les plus flagrants au lieu de les saboter (Joe Goddard, cerveau trafiqué des Londoniens, se cache derrière l’un des deux ours). Inutile de résister : de Work au fantastique Heart of the Congos, cette electro jobarde et totalement gadget aura raison, avec un bras zobé en plus, des idées noires de saison. Mais là, on vend la peau de l’ours. JDB www.the2bears.co.uk en écoute sur lesinrocks.com avec

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Serge Leblon

Goldfrapp The Singles Mute/EMI

Tennis Young & Old ATPR/La Baleine

Ces Américains jouent joyeux, rapide et mixte. Champions. Tennis, c’est avant tout une histoire de cœur. Car avant d’être un duo pop terriblement doué, c’est d’abord un couple, arrivé à la musique après un voyage de sept mois qui aura tout changé pour les tourtereaux de Denver. Souvenir de cette longue virée dans l’Ouest : sur le podium de l’indie-pop en jupette d’été, deux autres duos, Best Coast et Summer Camp, devront désormais trouver l’équilibre (sur une planche de surf) et assez de place (sur la plage) pour fricoter avec les petits nouveaux. Car s’ils se sont rencontrés sur les bancs de la fac de philo, les deux amoureux de Tennis sont désormais produits par le professeur Patrick Carney, batteur à lunettes des imposants Black Keys. De cette rencontre est né Young & Old, collection de cartes postales en couleur qui risque fort de déplacer massivement les populations vers l’amour et la mer. Maxime de Abreu

Une compilation met en relief la schizophrénie de ce groupe inconstant. ormis pour des raisons contractuelles et commerciales, sortir un best-of de ses singles était la dernière des choses à faire pour Goldfrapp. Le duo anglais, en circulation depuis l’an 2000, a toujours mené un habile double jeu, alternant le sublime et le consommable et ciblant des publics peu conciliables. Aux reliefs mélodramatiques du premier album, Felt Mountain, sous inspiration Morricone/ Lee Hazlewood, succéderont ainsi les platitudes electro-glam de Black Cherry, comme plus tard les fresques pastorales du sous-estimé Seventh Tree seront barbouillées à l’aérographe 80’s par l’abominable suivant, Head First. A l’époque de Supernature, le plus juteux de leurs cinq albums, Alison Goldfrapp abandonnait toute distinction pour aller défier Kylie Minogue sur son dance-floor en carton à paillettes. Autant dire qu’ici, mis bout à bout dans le désordre, ces douze singles (notons l’absence de Clowns, pourtant l’un des plus beaux) procurent une désagréable sensation de douche écossaise, lorsqu’aux moments de grâce absolue de Lovely Head ou A&E succèdent d’anecdotiques et pâlotes imitations de pop FM eighties (Rocket). La présence de deux inédits ajoute un peu plus de confusion à cet assemblage, avec un Yellow Halo minaudant comme du Eurythmics et un plus consistant Melancholy Sky qui renoue avec les paysages ombrageux et magnétiques du premier album.

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Christophe Conte www.goldfrapp.com en écoute sur lesinrocks.com avec

www.tennis-music.com en écoute sur lesinrocks.com avec 88 les inrockuptibles 7.03.2012

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Danny Clinch

Bruce Springsteen Wrecking Ball Sony Music Songwriter encore plus nécessaire en période de crise, Springsteen sort un album important, indigné. epuis 2008, la crise Pogues en furie et incluse par des déhanchements fait rage et Bruce sur la version Deluxe). hip-hop et des loops Springsteen est Le mix roots-techno électroniques. C’est en colère. Le fils The Band scratché par RZA. du nouveau producteur d’ouvriers qu’il reste malgré Après la rage viennent Ron Aniello est parfois la gloire et les dollars en heurté, certaines chansons le rebond, l’espoir, la quête a pondu ses textes les plus sont moins inspirées de rédemption. Le gospel virulents depuis Nebraska, que d’autres (Rocky Ground, et les images bibliques mais aussi les plus dont l’idée gospel-electro s’insinuent. bibliquement résilients est plus séduisante Le déjà connu Land of depuis The Rising. Dans que sa concrétisation) et Hope and Dreams, habillé ici la première partie du film le batteur se prend pour de nouveaux arrangements défilent des couples en un champion olympique. modernistes, prolonge quête “d’argent facile”, des Mais à ces réserves près, l’appel humaniste ouvriers qui ont tout perdu on tient là un Springsteen et baptiste du People Get et rêvent “de dézinguer les important, la voix d’une Ready de Curtis Mayfield. salauds”, des “banquiers qui icône populaire qui réveille, Sur un air de folk celtique engraissent” et des “ouvriers réchauffe et rassemble et un texte qui revisite qui se serrent la ceinture”. en ces temps troublés. politiquement le Thriller Cet état des lieux Wrecking Ball est son de Michael Jackson, We Are imagé et fumant d’un rêve Indignez-vous ! Alive en appelle, avec Serge Kaganski américain volé par un ton à la Woody Guthrie, les 1 % du sommet, à l’esprit toujours vivant ces paroles qui pourraient des victimes de la violence concerts le 19 juin à incendier une soirée américaine à travers Montpellier, les 4 et 5 juillet Occupy Wall Street sont l’histoire, qu’elles soient à Paris (Bercy) www.brucespringsteen.net portés par une musique grévistes, Noirs en lutte qui puise loin dans pour les droits civiques les racines américaines ou immigrants clandestinos. tout en accueillant Les larmes ne sont pas les dernières trouvailles loin (l’ADN multi-ethnique soniques et technologiques : de l’Amérique est aussi gigues irlandaises, esprit au cœur d’American Land, Seeger Sessions secouées chanson digne de

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My Best Fiend In Ghostlike Fading Warp/Discograph

Chris Heidman

Venu de Brooklyn, du rock aussi contemplatif qu’explosif. Autrefois aux avant-postes des recherches électroniques, le label anglais Warp s’est depuis quelques années recentré sur l’écriture plus traditionnelle, mais sans jamais à ce point naviguer sur le middle of the road. Et on y est bien, en parfaite connaissance de cause. Aucune exploration, aucune avancée en terra nova dans le rock psychédélique et éloquent de ces disciples new-yorkais de Spiritualized ou Mercury Rev. Mais on se contente du pervers plaisir de partager un trip hagard avec ces songwriters patentés, qui aiment avec bonheur égal plumes d’oie, chorales angéliques, bâtons de dynamite et drogues multicolores. JD Beauvallet www.mybestfiend.com

Howler America Give up Rough Trade/Beggars/Naïve Simple copie des Strokes ? Howler mérite une écoute plus patiente. omme The Strokes, Howler Nuggets. Comme The Strokes, est né de la réunion de cinq Howler s’est attiré les faveurs bidécagénaires partageant du révéré label Rough Trade. Mais une passion commune pour à la différence des Strokes, Howler le garage-punk et la surf-music n’a pas pour base d’opération d’avant le Traité sur la nonNew York. Howler vient de prolifération des armes nucléaires. Minneapolis et, de fait, sonne dans Comme The Strokes, Howler l’ensemble plus Replacements a pour frontman un cageot au look que Ramones, plus Husker Dü de voyou de comédie musicale que Television. Ça n’a l’air de rien, et à la voix d’aristo du caniveau. et pourtant : à 1 200 miles près, Comme The Strokes, Howler Howler n’était qu’une honnête ne compose pas des chansons copie. Benjamin Mialot mais des hits aussi fonceurs (Beach Sluts), cool (Black Lagoon) et www.howlerband.com sexy (Back of Your Neck) que ceux en écoute sur lesinrocks.com dont sont fourrées les compilations avec

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John Zorn Mount Analogue Tzadik/Orkhêstra L’infatigable explorateur américain sera au festival Banlieues bleues. Sous la figure tutélaire du maître du quartet de Cyro Baptista, spirituel Georges Gurdjieff, Banquet Of The Spirits. Un disque l’inaltérable John Zorn signe avec pour réviser, avant le concert Mount Analogue une œuvre événement de John Zorn en clôture particulièrement inspirée, éclectique du festival Banlieues dont le riche nuancier musical bleues. Jérôme Provençal – on y décèle autant du jazz, de la musique classique et concert le 13 avril à Bobigny (festival contemporaine que des sonorités Banlieues bleues), avec Masada String arabisantes – prend tout son relief Trio, Mycale, Banquet Of The Spirits grâce à l’interprétation vibrante www.banlieuesbleues.org

Abdallah Oumbadougou Zozodinga LOCM/L’Autre Distribution

Kel Assouf Tin Hinane Sowarex/Socadisc Tout le blues qu’on aime, il vient de là, il vient d’Afrique. Honneur aux anciens : l’homme du Niger Abdallah Oumbadougou est l’un des pionniers de la musique touarègue moderne, encore plus modernisée sur cet album qui relie inspiration folk et production cinématique chiadée. Des morceaux très bluesy, nerveux et hypnotiques, qui font exploser des feux d’artifice dans la nuit. La voix grave et déchirée d’Abadallah Oumbadougou reste son principal atout. Même profil (le droit) pour Aboubacar Harouna, le (plus jeune) leader du groupe Kel Assouf, installé à Bruxelles depuis 2005. Aussi mouvante que les dunes du Sahara, sa musique est ouverte à des musiciens d’horizons divers, et à tous les vents : une pulsation reggae ici, un rythme afro-beat ou une kora ailleurs, l’élégie d’une flûte un peu partout. Laid-back, harmonieux et accueillant, l’album de Kel Assouf ouvre une nouvelle voie, un peu hippie, en rêvant de fleurs dans le désert. Stéphane Deschamps

concerts Abdallah Oumbadougou le 8 mars à Sannois ; Kel Assouf le 9 mars à Paris (Studio de l’Ermitage) www.kelassouf.com en écoute sur lesinrocks.com avec

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livre Boulbar

Etat des lieux des musiques extrêmes

Motor Hotel Roy Music/Sony

collectif, éditions Camion Blanc, 966 pages, 40 €

Le road-trip vibrant d’un Français dans le désert. En septembre 2010, le musicien Bertrand Boulbar et le dessinateur Vincent Gravé traversent l’Amérique en prenant dès le départ la mauvaise route, celle qui mène au chaos, au poteau. Déviation dans le rêve américain : ils cavalent aux trousses de Bukowski. L’un dessine tout ce qui ne bouge pas, l’autre (d)écrit chaque néon, chaque écharde. Boulbar en rapporte un album de plus en plus traînant, de lit défoncé en motel ensablé. Demande à la poussière, écrivait Fante et ce rock lui a demandé d’où venaient les dust balls du cinéma, d’où venaient les guitares laconiques de Ry Cooder, les torch-songs torchées de Townes Van Zandt, les road-movies en panne d’essence. L’Amérique et son rock de route, vus par la face B. Simon Triquet concert le 8 mars à Paris (Trois Baudets) www.boulbar.com en écoute sur lesinrocks.com avec

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Gargantuesque anthologie des transgressions hard, metal, punk, hardcore… oilà de quoi effrayer cette subculture subversive Christine Boutin : et rebelle par le petit bout la bande-son bruyante de la lorgnette des sorties et radicale de ces de disques. Ces chroniques cinquante dernières années fourmillent d’anecdotes, compilée en presque resituent les groupes 1 000 pages et 450 albums ! dans leur contexte musical et Des dérives psychédéliques social en décryptant l’impact de Jimi Hendrix au grindcore de de l’album. Se dessine alors Napalm Death, du satanisme en creux l’histoire des revendiqué de Coven à Slayer, musiques de traverse du psychobilly des Meteors ou comment elles réussissent au black metal de Mayhem à se renouveler et à se en passant par les délires dépasser à chaque époque. d’un Mike Patton, tous ont Une capacité salvatrice en commun d’avoir amené qui ferait passer de nos jours le rock un cran plus loin, les MC5 pour de petites repoussant sans cesse frappes pas bien méchantes… Adrien Landivier les frontières soniques et les limites éthiques. La bonne www.camionblanc.com idée de ce livre est d’aborder

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Burial Kindred ep Hyperdub/Pias Retour laconique de Burial, l’homme qui a révolutionné le son anglais. epuis 2006 et le par son énergie du désespoir, c’est fondamental Burial, ici le magistral Kindred qui continue l’Angleterre ne vit plus au ce méticuleux, scientifique même rythme – affaissé, et pourtant charnel processus effiloché. Peu d’albums ont eu d’élimination, jouant une soul là-bas, ces vingt dernières années, livide sur des rythmes au bord de une influence aussi profonde l’extinction. Eparses dans ce chaos sur la manière d’appréhender lent, quelques notes de piano le temps/musique, de bâtir même ou voix spectrales confirment une des chansons. D’entrée, Burial présence humaine dans ce glacis offrait une contribution durable, glacé qui, irrémédiablement, à la hauteur de celles léguées entraîne cette musique de plus par Portishead, The xx, Talk Talk en plus lapidaire vers le silence, ou Massive Attack (avec lesquels l’outre-musique. JD Beauvallet le Londonien évasif a collaboré www.hyperdub.net l’an passé). Si Loner impressionne

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Radiohead Identikit A l’occasion de sa tournée mondiale qui a commencé la semaine dernière à Miami, Radiohead a présenté en live deux morceaux inédits, dont Identikit. Entre chassé-croisé d’harmonies vocales et orgue synthétique installé sur une percussion lascive, les Anglais signent un nouvel angélus tribal, à l’identité livrée en kit. www.radiohead.com

Pegase Without Reasons Directeur artistique, producteur, ingé son et DJ à ses heures perdues, Pegase se lance surtout dans l’épopée d’une pop voyageant sur un cheval ailé. Empreint de rêve et de magie, son morceau Without Reasons pourrait bien finir par s’envoler. www.myspace.com/pegaseinthesky

Bengale Le Dernier Tramway Solitaires et nocturnes, une bande de garçons et de filles errent dans les rues de Bordeaux à l’heure du dernier tramway. Nouveau-né du bastion rock, Bengale préfère réciter des comptines félines et naïves, apprivoisant une pop française poétique, espèce en voie de disparition. www.lesinrocks.com/lesinrockslab/artiste/profil/bengale

Silkken Laumann On the Mend Les héritiers de Talk Talk se souviennent généralement de la seconde vie du groupe, contemplative. Le Canadien Rolf Klausener (The Acorn), lui, se souvient de la période pop, avec une chanson majestueuse. Et puisqu’il est question de “Talk”, on pense aussi aux Talking Heads. soundcloud.com/silkkenlaumann/on-the-mend-1/s-Acf95 92 les inrockuptibles 7.03.2012

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dès cette semaine

Andromakers 8/3 ClermontFerrand, 9/3 Nîmes, 15/3 Aix-enProvence, 16/3 Manosque Archive 28/3 Avoriaz, 16 & 17/11 Paris, Zénith Andrew Bird 8/3 Bruxelles Big Pink 13/3 Paris, Point Ephémère Black Weekend du 8 au 11/3 à Chamonix avec Housse De Racket, WhoMadeWho, Carl Craig, Manaré, Popof, Nôze, I:Cube, Rone, Naughty J, etc. Breton 1/4 Roubaix, 3/4 Paris, Point Ephémère, 4/4 Strasbourg, 10/4 Rouen, 13/4 Feyzin

Broadway 9/3 Annecy, 13/3 Saint-Etienne, 10/4 Paris, Boule Noire Chad Vangaalen 13/3 Lille, 14/3 Paris, Maroquinerie, 15/3 Feyzin Chassol 31/3 Paris, Café de la Danse Dans la série des Inaperçus du 7 au 10/3 à Paris, Loge, International et Mécanique Ondulatoire avec Sydney Valette, Del Cielo, Jesus Christ Fashion Barbe, OK,

Demolition Party, etc. Daniel Darc 13/3 Portes-lèsValence, 14/3 Feyzin, 16/3 Meylan, 21/3 HérouvilleSaint-Clair, 23/3 Bordeaux, 24/3 Guéret, 3/4 Strasbourg, 5/4 Paris, Trianon, 7/4 Rennes, 24/4 Tourcoing Django Django 24/4 Rouen, 25/4 Nantes, 26/4 Bordeaux, 25/5 Paris, Maroquinerie Elysian Fields 7/3 Paris, Petit Bain, 8/3 Meylan, 9/3 Annecy, 10/3 Saint-Etienne, 12/3 Oullins Ewert & The Two Dragons 18/4 Paris, Point Ephémère, 19/4 Bordeaux, 20/4

nouvelles locations

Piers Faccini Parce que ses concerts sont des moments de grâce, parce que son dernier album est de l’or pour les oreilles et parce que le décor du Trianon semble taillé pour lui, il faut courir réserver sa place pour le passage de Piers Faccini à Paris. 8/3 Bordeaux, 9/3 Portes-lès-Valence, 10/3 Marseille, 15/3 Feyzin, 16/3 Hyères, 22/3 Paris, Trianon, 23/3 Bois-Colombes Toulouse, 21/4 Hyères, 24/4 Belfort, 25/4 Bourges, 18/5 Bruxelles, 23/5 Nantes, 24/5 Strasbourg,

aftershow

Two Door Cinema Club, Metronomy & Azealia Banks (NME Tour) le 23 février à Brighton Si le magazine NME ne fait plus recette, son site et ses concerts continuent en Angleterre de passionner un public écolier et intense. Sur fond d’electro débauchée, la jeune rappeuse de Harlem Azealia Banks ouvre en beauté ce NME Tour, assurant le show chaud avec son débit ahurissant, aussi à l’aise dans le sprint que dans les contorsions. M.I.A. et Santigold prennent un coup de vieux. Il est loin le temps où Joseph Mount, timide et brinquebalant, étudiait à Brighton, tentant d’y lancer Metronomy. Si le look reste poétiquement lo-fi, le son, lui, s’est body-buildé, mis au service de voix de mieux en mieux traitées – elles sonnent parfois, pâles et chaudes, comme Steely Dan ! Le grand luxe, sans le moindre bling. La première fois qu’on avait vu les Irlandais de Two Door Cinema Club, on avait été stupéfait par la familiarité des chansons, concentrés de pop à l’immédiateté fulgurante. Impatient de retrouver le studio, le groupe continue dans cette lignée : en une écoute, on connaît déjà par cœur leurs nouveaux refrains, leurs gimmicks rusés. Mais pour le très jeune public, tous ces Something Good Can Work ou I Can Talk sont plus que des tubes : ils sont ses hymnes, repris en montagnes humaines dans une joie hystérique. JD Beauvallet

26/5 ClermontFerrand The Fall 7/3 Paris, Bataclan Frànçois & The Atlas Mountains 8/3 Marseille, 14/3 Canteleu, 15/3 Amiens, 16/3 Beauvais, 17/3 Poitiers, 22/3 La Défense, 23/3 Dijon, 24/3 Strasbourg, 30/3 Allonnes Damien Jurado 13/3 Rouen, 14/3 Paris, Maroquinerie, 15/3 Bordeaux Juveniles 17/3 Paris, Point Ephémère (avec Sarah W_Papsun) Miles Kane 30/4 Paris, Cigale Kap Bambino 13/3 Paris, Gaîté Lyrique, 17/3 Bordeaux, 23/3 Rennes, 24/3 Limoges, 29/3 Roubaix M83 8/3 Montpellier, 14/3 Bordeaux,

en location

15/3 Paris, Cigale, 16/3 Lille, 17/3 Strasbourg, 12/6 Paris, Olympia Malted Milk 10/3 ClermontFerrand, 15 & 22/3 Nantes, 24/3 Digne-lesBains Mars Red Sky 7/3 Bordeaux, 8/3 Montpellier, 30/3 Dijon, 31/3 Reims Metronomy 8/6 Marmande, 29/6 Arras, 6/7 HérouvilleSaint-Clair, 12/4 Pont du Gard, 20/7 Carhaix Moriarty 8/3 Paris, Cité de la Musique, 17/3 Magny-lesHameaux, 2/3 Lille, 30/3 La Rochelle Jean-Louis Murat 13/3 Luxembourg, 15/3 Genève, 16/3 BourgoinJallieu, 30/3 Saint-Brieuc Mustang 7/3 Nantes, 9/3 Saint-Avé, 10/3 La Roche-surYon, 15/3 Lyon, 17/3 Marseille, 23/3 Amiens, 29/3 Brest, 30/3 Caen, 31/3 Evreux NZCA/Lines 27/4 Paris, Trianon, 28/4, Nantes, 2/5 Nice Porcelain Raft 8/3 Montpellier 14/3 Bordeaux, 15/3 Paris, Cigale, 17/3 Strasbourg Radiohead 10/7 Nîmes Sarah W_Papsun 8/3 Poitiers, 9/3 Rennes, 17/3 Paris, Point Ephémère Snow Patrol 7/3 Paris, Zénith Stuck In The Sound 8/3 Poitiers, 9/3 Bordeaux, 10/3 Angers, 17/3 Nancy, 22/3 Paris, Cigale, 23/3 Marne-laVallée, 29/3 Orléans, 30/3 Rennes WU LYF 8/3 Paris, Bataclan

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P.O.L

les jolies choses A la pointe du contemporain, Pierre Alferi surprend avec un roman fleur bleue et expérimental. Un sommet de fantaisie et de grâce poétique pour dire la solitude d’une jeune femme.



eune femme seule cherche âme sœur pour enjoliver ses nuits. Dévorer à deux les croissants du dimanche. Rendre leur couleur aux jours, et tutti quanti. Ni grise ni haute en couleur, terriblement transparente en fait, l’héroïne de Kiwi, une dénommée Daniela Tripp, aurait justement tendance à confondre le dimanche avec les autres jours de la semaine. Le relief manque, cardiogramme plat. Le lot, semble-t-il, de toute vie solitaire passée à ressasser. Quand il ne s’agit pas de surfer sur

les sites de rencontres, prendre des bains de dix heures, épier ses voisins – engueulades et voix étouffées tenant lieu de douce compagnie. Tout cela ne fait pas un feuilleton, encore moins une série. Pierre Alferi fait le pari inverse : romancer une vie morte, c’est-àdire où il ne se passe rien – pour un temps du moins –, remplir les péripéties par le vide, réconcilier le drame et l’atonie. Si Kiwi évoque une solitude domestique pouvant faire penser à celle de Jeanne Dielman – l’héroïne du film de Chantal

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poète avant d’être romancier, Alferi aime le son au point de ne jamais le sacrifier au sens Akerman –, il le fait en passant par les codes hyperdramatisés du roman de gare, de la telenovela (sitcom espagnole), du “roman-feuilleton” ainsi que l’auteur l’annonce lui-même en couverture. Ainsi, parmi les mille choses délicates que compte ce roman, on notera cette affriolante promesse – qu’Alferi ne manque pas de tenir par une segmentation du livre en “saisons”, avec des “résumés” de “l’épisode” précédent. Mais aussi un titre, déroutant de minimalisme exquis, et, pour ne rien gâcher, une foule de petits dessins qui animent un peu partout le livre. Rehaussée de titres, la page devient le lieu d’une fête aussi charmante que surprenante : “Toujours rien”, “Le Vol de la petite cuiller”, “Pause pipi”, “Le Garçon aux croissants”, “L’Attaque des étrons volants”… C’est qu’à défaut d’action Kiwi ne se refuse aucune fantaisie. La suite va s’agencer en heureuses coïncidences, miracles du quotidien. Un client de la boulangerie du coin, scénariste hâbleur mais charmant, s’offre en mariage après deux rencontres. Daniela lâche son métier, la reliure, et accueille chez elle son jeune mari – qui se trouve être le fils de ses voisins, un couple de charlatans hypnotiseurs que Daniela a par le passé consultés. Il y a incontestablement du Perec dans la prose d’Alferi, dans cette boucle bouclée, ce regard distancié et méthodique posé sur les choses. Les Choses, justement, titre du premier succès de Perec (dont un inédit vient d’être réédité), l’empilement des objets, l’obsession matérialiste au sein d’un ménage. L’amour qu’elle n’a pas pour elle-même, Daniela le déporte sur son nouveau foyer. Le goût qu’elle n’a pas/plus pour la vie, elle l’ordonne, le range, le nettoie avec une méticulosité qui confine à la folie – elle finira effectivement dans un lit d’hôpital. Alferi aborde la question de la dépression avec tact et légèreté, diagnostiquée par le jargon médical “hystéroamnésie”, “délire animiste” et “Alzheimer précoce”. Une lame de fond tragique, mais

le roman garde son sourire, son swing à fossettes. On peut parler d’épiphanies de langage, car Alferi, poète avant d’être romancier, aime le son au point de ne jamais le sacrifier au sens. Les dialogues sont architecturés en escalier, et donc en poèmes, faisant claquer les allitérations au vent. Prose poétique, le mot est lâché. Alferi n’abuse jamais du procédé, il l’emmagasine dans l’histoire, quitte parfois à planer. L’une des plus belles scènes du livre expédie Daniela sur la lune. La voilà, bourrée de somnifères, flottant au-dessus de la stratosphère, “parmi les tourbillons et les traînées baveuses de la galaxie”, où “elle oublie tout projet, tout souci, tout avenir, et vogue paresseusement, suivant une ligne droite et libre entre les vortex, les comètes, à travers la glace pilée d’astres, jusqu’aux anneaux de sa planète favorite”. Sommet d’astro-poésie, d’humanité délicate où il incomberait à l’auteur d’auréoler son personnage de douceur et de bienveillance. On regrette un peu la tournure que prend l’histoire, et la suite ubuesque donnée à ces moments de grâce. Dans sa dernière partie, Kiwi s’adonne à la parodie politique, sous la forme d’une AG loufoque en faveur de la biodiversité, “anti-kiwi” et amie de la fraise. Le tout débouchera sur une big arnaque de famille. Ailleurs, d’autres figures insolites squattent le roman, comme un bègue orateur, une militante lilliputienne, des agents immobiliers partouzeurs et même une Sylvie Vartan de contrebande. Alferi livre une œuvre ovni, plus géante que naine. Jouant avec la contrainte d’un cadre, celle du soap et du feuilleton fleur bleue, il offre un singulier portrait de fille lunaire, qui contemple ses TOC comme on observe les étoiles : sans comprendre. Le roman colle à ses divagations, extravagantes et délicates. On en sort joliment secoué. L’eau de rose a rarement cette saveur. Emily Barnett Kiwi (P.O.L), 544 pages, 22 €

l’auteur 1963 Naissance 1989 Publie sa thèse sur Guillaume d’Ockham, philosophe et théologien anglais du XIVe siècle 1991 Publie Les Allures naturelles, son premier recueil de poèmes 1995 Crée la Revue de littérature générale avec Olivier Cadiot 2003 Avec le musicien Rodolphe

Burger, signe une partie des textes de Paramour, l’album de sa compagne de l’époque, Jeanne Balibar 2004 Publie Des enfants et des monstres, un ciné-livre empreint de fantastique 2009 Publie son roman Les Jumelles

en marge

trop glam Il serait temps d’inventer une soirée littéraire à l’égal des César : les Modiano de papier mâché. Il règne une injustice terrible au royaume des arts et des lettres. Pourquoi le milieu du cinématographe a droit à de grandes soirées avec robes longues, smokings, César, oscars, Lions d’or et ménagerie d’argent, quand la panacée glam du milieu littéraire se résume à un vulgaire Goncourt ? Soit zéro fête avec la grande famille des écrivains retransmise par une chaîne branchée : zéro statuette en vrai or ; zéro remerciement sublime de sincérité ; et pire que tout : zéro occasion de croiser Antoine de Caunes et que des gens mal habillés. Alors on imagine : les Nabokov d’argent de la littérature mondiale ; les Modiano de la littérature française. En direct du Théâtre du Châtelet : Yann Moix en smoking vintage Slimane pour Dior remettant un Modiano d’honneur (petite figurine de Patrick Modiano en papier mâché) à un grand écrivain américain, par exemple Philip Roth… qui ne manquerait pas d’honorer Cormac McCarthy au rayon des “grands disparus” ; Patrick Poivre d’Arvor (l’écrivain, pas l’autre) attribuant le Modiano de la meilleure mise en page à un humble maquettiste remerciant sa femme pendant douze adorables minutes ; Amélie Nothomb en chapeau Stephen Jones remettrait le Modiano du meilleur écrivain à Pascal Quignard, Emmanuel Carrère ou Marie Darrieussecq. Sauf que… et si c’était l’inverse ? Et si, dans le merveilleux royaume des arts et des lettres, c’était plutôt Carrère qu’on emploierait pour récompenser Nothomb ? Des décennies à ne pas rater la cérémonie des César nous ont appris que ce sont souvent les tocards qui s’en tirent le mieux. Imaginez Modiano remettant son mini-moi à Alexis Jenni ; puis celui-ci remercier sa mère en bégayant ; enfin, Jonathan Littell en costume à paillettes le snobant au Fouquet’s. Non, décidément, c’était une idée absurde.

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Michel Nuridsany Andy Andy Flammarion, 235 pages, 18 €

Un faussaire se fait passer pour Andy Warhol. Un roman pop et érudit entre réalité et fiction. Andy se lasse de Warhol. “Marre de sa perruque argentée, des travestis, des jolies filles qui l’entourent, qui piaillent, se détestent.” Marre de ce personnage factice qu’il a créé de toutes pièces, une fiction, peut-être sa meilleure œuvre, reproductible, comme le visage de Marilyn ou les boîtes de soupe Campbell de ses sérigraphies. Après tout, il envoie déjà son sosie Allen Midgette dans les cocktails qui l’ennuient. Il demande alors à son amant, Jean Delacroix, un faussaire français, de prendre sa place, de devenir Andy Warhol : “Un faux lui-même, ce serait cool.” Il veut se réinventer, peindre des paysages… Bien sûr tout cela – ou presque – est faux, tout droit sorti de l’imagination du critique d’art Michel Nuridsany, auteur de biographies de Warhol, Dali ou du Caravage. Mais la fantaisie est vraisemblable, l’histoire toc s’agrémente d’anecdotes qui sonnent authentiques, de détails érudits qui brouillent les pistes. Entre Paris, Manhattan et Tokyo, on croise Malraux, Lou Reed, Nico ou Bianca Jagger. Tout le roman au titre double, Andy Andy, repose sur ce jeu de reflets trompeurs entre le faux et le vrai, l’original et la copie. Pop et léger, le livre pose aussi la question plus profonde de la valeur d’une œuvre à l’ère de l’art industriel produit en série. Une supercherie romanesque faussement superficielle. Elisabeth Philippe

miroir du cinéma De Vertigo aux Parapluies de Cherbourg, Olivia Rosenthal raconte en quatorze récits pourquoi certains films nous bouleversent à notre insu. Un livre doucement poétique.



ourquoi telle scène dans tel film nous fait-elle fondre en larmes ? “On peut vivre par procuration des choses incroyablement douloureuses”, écrit Olivia Rosenthal en exergue de son nouveau livre, qui va se dérouler comme un album photos : une suite de nouvelles où un narrateur/une narratrice raconte comment un film lui a fait prendre conscience de sa souffrance, ou de son désir. Le postulat de départ, joliment poétique, c’est qu’une certaine scène incarnerait une autre scène, vécue celle-ci, qui nous fit souffrir et que l’on enfouit. Version plus optimiste : une scène incarnerait un désir que l’on n’ose s’avouer et qui nous constitue pourtant entièrement. Les films ne sont donc pour rien dans nos larmes : ils ne sont que les réactiveurs d’un sentiment passé et indicible. De ces quatorze récits, seuls le premier (le prologue) et le dernier (l’épilogue) sonnent juste. Les douze autres ressemblent par trop à des témoignages de personnes diverses (Anne-Sophie, Isabelle, Denis, etc.) – même si peut-être inventées par l’auteur – autour d’un thème. Le prologue (“Le Vertige”, d’après Vertigo d’Alfred Hitchcock, 1958) et l’épilogue (“Les Larmes”, d’après Les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy, 1964) touchent davantage, comme s’ils étaient plus fondamentaux, car plus fondamentalement liés à l’expérience de Rosenthal elle-même. Et l’on aurait aimé qu’elle fouille plus encore ces films, qu’elle leur consacre le livre entier.

Dans le premier texte, la clé est d’emblée donnée : “J’ai le vertige/Depuis que ma sœur s’est jetée par la fenêtre, j’ai le vertige.” Et plus loin : “Vertigo le film raconte l’histoire d’un homme qui par deux fois essaye de sauver une femme de la mort et par deux fois échoue. Par cet exemple, on voit que la fiction dépasse la réalité puisqu’une même femme peut se défenestrer à deux reprises (ce qui est rare) et peut, ce qui est plus rare encore, mourir deux fois de suite. Le cinéma amplifie donc la puissance des drames humains en les redoublant.” La fiction dépasse, amplifie, redouble, elle nous crie ce que nous nous taisons de notre terreur. Etre le double d’une parente morte ? Dès lors devoir mourir à son tour ? Dans l’épilogue, Rosenthal écrit autour de la dernière scène des Parapluies de Cherbourg, quand Geneviève s’arrête à une station-service et revoit Guy, l’amant qu’elle a trahi : “Je ne sais pas si je pleure/parce que malgré toutes les promesses et les mots d’amour/ils ne s’aiment décidément plus/ou si je pleure/parce que malgré le temps passé à essayer de vivre autrement/ils s’aiment encore.” Contrairement aux autres récits, ces deux textes sont écrits comme des poèmes, des odes, ou des chansons. Comme ces refrains soi-disant gais mais au fond tristes qui nous hantent sans qu’on sache vraiment pourquoi. Sauf qu’au fond de nous on le devine parfaitement. C’est cet écart-là que travaille Rosenthal. Nelly Kaprièlian photo David Balicki Ils ne sont pour rien dans mes larmes (Verticales), 120 pages, 11,50 €

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pink champagne ! Ce premier roman élégantissime, signé Amor Towles, hybride Fitzgerald avec Mad Men et réconcilie esthètes et midinettes. eaucoup Au cœur de l’intrigue, en rêvaient, une secrétaire un inconnu aux idées aussi larges l’a fait. Avec que ses jambes sont son premier interminables : évadée roman, Amor des quartiers russes Towles confie à Francis de Brooklyn, Katie Kontent Scott Fitzgerald le soin écume les clubs de jazz de scénariser une saison de Greenwich Village, de Mad Men, d’en s’infiltre dans les cercles transposer l’intrigue dans très fermés de l’Upper le Manhattan de la fin East Side, fait carrière des années 30 (un miracle dans le journalisme architectural “tout à sensation et finit par simplement si improbable, conquérir les manoirs si merveilleux, si clairement wasp du Connecticut. Pour plein de promesses, qu’on rendre crédible pareille aurait voulu passer le reste trajectoire, il est impératif de sa vie à s’en approcher d’écrire comme dansait sans jamais tout à fait Gene Kelly, de signer des l’atteindre”) et d’y faire dialogues pour lesquels pétiller métaphores, se serait damné George aphorismes et champagne. Cukor, de faire flotter

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David Jacobs

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au dessus de Central Park la note bleue de Billie Holiday et, suprême élégance, de faire paraître tout cela facile. En conciliant ainsi subtilité et vélocité – un rédac chef avisé y conseille à l’un de ses journalistes d’oublier un peu Henry James et de se mettre

à Hemingway –, Les Règles du jeu tire de leur sommeil de Celluloïd des sosies de Cary Grant en costumes Brooks Brothers, des blondes fort peu écervelées et des parangons de séduction dotés d’une classe digne de Katharine Hepburn, puis révèle que dans ce monde enchanté nul n’est jamais vraiment ce qu’il se donne un mal fou pour paraître. Et qu’un roman voué à réconcilier esthètes et midinettes peut donc cacher un hommage raffiné à Walt Whitman et à sa façon de chanter “l’humanité et le tempo, mais également les gratte-ciel et les ascenseurs et l’air conditionné et l’acier poli et le verre-miroir”. On prie pour que la saison suivante ne se fasse pas trop longtemps attendre. Bruno Juffin Les Règles du jeu (Albin Michel), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nathalie Cunnington, 506 pages, 23 €

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un homme tombe

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21 ans, Cécile Coulon n’a déjà plus rien d’un jeune auteur prodige. Son précédent roman, Méfiez-vous des enfants sages, chronique adolescente dans une Amérique fantasmée paru en 2010, était le troisième d’une étudiante clermontoise qui a commencé à publier à 17 ans. Comme un fruit qui a mûri très vite, Coulon témoigne d’une maturité et d’une cohésion formelle rarissimes pour son âge. Le roi n’a pas sommeil en est une nouvelle preuve, tant par la singularité de son univers que par son style éclatant. Aussitôt le livre ouvert, le lecteur met les pieds dans un pays sauvage, sans date et sans nom. La végétation est omniprésente, comme un berceau d’épines. Les habitants, majoritairement des ouvriers, s’épuisent à la tâche. A l’instar de William Hogan, un maître scieur, et de son épouse Mary, qui va donner naissance à leur unique enfant, Thomas. Le roi n’a pas sommeil est l’histoire de ce bébé trop chétif et bizarrement mutique, de sa mutation en tendre brute – “miaulement sorti d’un bunker”, “modèle d’altruisme aux grandes paluches”. L’enfant était de constitution fragile, la vie s’est chargée d’en faire un “homme” : par la tyrannie silencieuse d’un père, les bastons à l’école, un amour déçu. Et avant cela, la visite insidieuse d’un serpent scellant ce destin en tragédie. Le verbe brut et acéré de Cécile Coulon braconne bien sûr sur les terres du grand roman rural américain, du côté de Steinbeck (cité en exergue). La nature belle

Antoine Rozes

Entre western à la Steinbeck et tragédie sociale, l’histoire d’une déchéance masculine par une jeune romancière française surdouée. et vénéneuse fait entendre son monde de bêtes hurlantes et de fruits défendus. Elle enserre les hommes jusqu’à l’asphyxie. On pense également à Giono ou Ramuz – figures d’une littérature rustique de l’entre-deux-guerres – quand cette nature âpre et hostile met en jeu des êtres rattrapés par leurs déterminismes. Coulon confond les causalités qui enferment l’individu, abrègent sa liberté. Violence sociale (omniprésente à travers le récit de plusieurs faits divers sordides, et matérialisée par une caserne de police), pulsions naturelles, appartenance à un sexe. Thomas a des yeux de fille, il honnit la bagarre : vertus non assimilables par le genre masculin, auquel la petite société du Roi n’a pas sommeil prête peu ou prou les épaules de John Wayne. L’histoire de Thomas est celle d’un jeune homme étouffé par son statut d’homme, les corvées et les honneurs qui vont avec. Coulon en évoque tous les attributs classiques – l’alcool, le poker, la castagne, la conquête sexuelle – comme clés d’une déchéance à venir. Ici, la testostérone à outrance ne connaît que deux horizons : l’amputation ou le meurtre. Avec un sens aigu du drame, de la métaphore saillante voire saignante, cette très jeune romancière se paie en plus le luxe de signer un grand roman sur la virilité, pour une fois moins désirable qu’autodestructrice. Emily Barnett Le roi n’a pas sommeil de Cécile Coulon (Viviane Hamy), 152 pages, 17 €

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les guerres de Gramsci Longtemps minimisée en France, l’œuvre d’Antonio Gramsci trouve un nouvel écho aujourd’hui. Razmig Keucheyan éclaire les intuitions d’une pensée subversive dont même Sarkozy semble s’inspirer. ors de sa précédente campagne électorale victorieuse, en 2007, Nicolas Sarkozy avait déclaré : “Au fond, j’ai fait mienne l’analyse de Gramsci : le pouvoir se gagne par les idées.” Le leader de la droite française conservatrice critiques (2010), l’auteur et néobonapartiste se réclamant de l’une des plus souligne que ces Cahiers de prison, écrits par Gramsci célèbres figures du lors de son long séjour marxisme italien ! Il y avait en détention ordonné par les dans cette captation fascistes (de 1928 à 1935), d’héritage gramscien ont depuis “subi un processus de quoi dérouter aussi bien de canonisation” qui les les électeurs que les fait “ranger dans les cours dépositaires d’une pensée célébrée dans de nombreux d’introduction aux sciences humaines dispensés aux pays, mais étrangement quatre coins du monde dans restée assez discrète dans le paysage intellectuel la génération des classiques, sauf en France” où, malgré français. des lecteurs prestigieux Cette référence à comme Althusser et contre-courant de Sarkozy Poulantzas, Gramsci est traduisait peut-être surtout longtemps resté discret. l’ambiguïté même de Ses principaux concepts la réception de cette œuvre – hégémonie, bloc historique, souvent figée dans intellectuel organique, quelques caricatures guerre de position et guerre réductrices, comme “l’hégémonie culturelle”, “le de mouvement, révolution pessimisme de l’intelligence passive, crise organique, et l’optimisme de la volonté” Etat intégral… – continuent de nourrir la critique ou cette idée, à nouveau du capitalisme. A la lecture réactivée par Sarkozy de Gramsci, souligne depuis deux semaines, Keucheyan, “le sentiment que le pouvoir se conquiert étrange s’impose qu’il avait sur le terrain des valeurs. anticipé la situation où nous En présentant nous trouvons aujourd’hui”. et commentant les enjeux C’est ce qui explique de la pensée complexe d’ailleurs que nombre de de Gramsci consignée dans théoriciens critiques sa grande œuvre, Cahiers s’inspirent encore de lui, de prison (2 000 pages !), après qu’il eut dans le sociologue Razmig les années 60-70 influencé Keucheyan éclaire ses divers mouvements de principaux concepts et leur pensée comme les cultural circulation dans le paysage studies (Stuart Hall et critique contemporain. Richard Hoggart se sont Spécialiste de la gauche appuyés sur lui pour intellectuelle et auteur appréhender la culture du magistral Hémisphère populaire) ou les postcolonial gauche – Une cartographie studies (Edward Saïd des nouvelles pensées

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Antonio Gramsci, à30 ans , au début des années 20

s’en inspire pour formuler sa critique de “l’épistémè orientaliste” en vigueur en Occident). S’il a renouvelé la pensée critique en inaugurant des problématiques novatrices, le marxisme politique de Gramsci place surtout “la question stratégique au cœur de ses préoccupations”. Pour avoir résisté à l’usure de l’histoire, sa croyance dans le rôle subversif des intellectuels “organiques” ou dans la fonction stratégique de la culture et de l’idéologie, à opposer à la tactique politicienne, résonne dans le chaos politique actuel. Sa critique des mécanismes coercitifs de l’Etat, “instrument de la violence de classe” et “organisateur du consentement des masses”, trouve un écho saisissant à l’heure où, par exemple, le peuple grec se révolte contre sa classe dirigeante.  Jean-Marie Durand Guerre de mouvement et guerre de position d’Antonio Gramsci, textes choisis et présentés par Razmig Keucheyan (La Fabrique Editions), 338 pages, 17 €

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Bãzãr Edition © Pierre et Gilles

photö vision

De gauche à droite : Marie France, Pierre et Gilles, Annette Messager et Christian Boltanski, Serge Kruger

Les artistes Pierre et Gilles publient leur collection de photomatons récoltés durant les années 70 et 80. “Möderne”.



n ne s’en sortira jamais de cette époque”, dit lapidairement une importante rédactrice de ces pages en feuilletant la riche Autobiographie en photomatons des mythiques portraitistes des années Palace, Pierre et Gilles. Et c’est vrai que, pour ceux qui, à peine sortis de l’enfance au seuil des années 80, ont beaucoup rêvé sur les longues mèches de ces jeunes gens qu’on disait “mödernes”, l’impression de ne jamais sortir de cette scène primitive est tenace. Trente ans après, au Baron ou dans un club ultrapointu à Berlin, on danse encore sur Elli et Jacno. Le prochain Valérie Donzelli s’appelle Main dans la main et un des meilleurs premiers films de l’année L’Age atomique (toujours en hommage au duo electro-pop). On a vu réédités les chroniques puis le journal d’Alain Pacadis, les aphorismes novö d’Yves Adrien, se succéder les documentaires sur le Palace et la foule affluer dans une expo à la galerie agnès b. Ce temps très court du Paris des punks et du Palace semble avoir fixé de façon durable les codes d’une “branchitude” (le mot est vintage) qui ne veut pas mourir, à laquelle les générations suivantes n’ont cessé de revenir – jusqu’à ressortir dans les années 2000 les cravates fines et les costards noirs de la new-wave naissante. Les tentatives audacieuses de mythologiser d’autres scènes comparables mais à des périodes plus récentes, comme celle par

exemple de Tristan Garcia sur les années 90 (le mouvement Act Up, le phénomène Dustan), restent très isolées. De ces jeunes gens modernes, Pierre et Gilles ont écrit visuellement la légende. D’abord dans des photos-tableaux aux scénographies monumentales, transformant les plus beaux acteurs de l’époque en sirènes, marins, fées ou pêcheurs de perles. Mais aussi, et on le savait moins, par un travail plus conceptuel, plus documentaire, à base de Photomaton, recueillis désormais dans un album splendide. A la fin des années 60, Gilles est lycéen et il se prend de passion pour ces petites cabines où n’importe qui, pour un franc (puis trois, puis cinq), peut en cinq minutes se faire tirer le portrait. Il collectionne celles de ses potes, puis ramasse celles que des inconnus ont jetées et en dresse de grands tableaux. Pendant deux décennies, épaulé par Pierre, il poursuit ce travail, se met en scène de façon de plus en plus sophistiquée, y envoie des amis de plus en plus célèbres (des stars de la nuit comme Paquita Paquin, Edwige, Alain Pacadis, Marie France) ou qui le deviendront (Christian Leboutin, Bambou, Eva Ionesco). La cabine est publique, dans la rue, mais derrière le rideau tiré tout est permis dans cette France giscardienne peu permissive. Deux garçons s’embrassent, on montre ses fesses ou sa bite, on peut même pisser sur l’objectif dans une explosion de joie et d’irrévérence. La puissance du

Photomaton, c’est de tenir ensemble la contrainte (le cadre est imposé, le temps de pause aussi) et la liberté (personne ne regarde et tout est permis). C’est évidemment la liberté qui l’emporte et la façon dont ces centaines d’images déclinent avec une imagination folle un dispositif pourtant très rigide est d’une grande allégresse. La fonction originelle du Photomaton est de produire en masse des photos d’identité. Et c’est bousculer la notion même d’identité qui intéresse ces gamins qui ne cessent de se réinventer (transsexuels, gays, ados travestis en adultes, punkette relookée années 40, bourgeois déguisés en voyous ou prolos vivant comme des princes). Désormais, ce sont les téléphones qui produisent en masse des photos d’identité numériques. Pourtant, comme le suggère le brillant entretien liminaire avec les artistes, ce trombinoscope géant résonne fortement avec l’ère internet, où Facebook a tissé à échelle planétaire un livre de visages et condensé en kaléidoscope la face de ses amis. Ils ont décidément la peau dure ces jeunes gens modernes  si même les révolutions technologiques renforcent leur jeunesse et leur modernité.

la 4e dimension

The Believer en VF

les drogues de A à Z De A comme Abstinence à Z comme Zoo en passant par Poppers, Urine ou Cucaracha, notre collaborateur Arnaud Aubron propose avec Drogues Store (éd. Don Quichotte, 500 p., 19,90 €) un “dictionnaire rock, historique et politique des drogues”.

rencontre avec Russell Banks A l’occasion de la sortie de Lointain souvenir de la peau (Actes Sud), roman du désordre sexuel, l’écrivain américain dialoguera avec le philosophe Ruwen Ogien à la BNF. le 13 mars à 18 h 30, www.bnf.fr

Jean-Marc Lalanne Autobiographie en photomatons de Pierre et Gilles (Bãzãr Edition), 448 pages, 69 €

J. K. Rowling pour adultes La romancière qui a fait fortune avec Harry Potter, saga destinée aux enfants plus ou moins attardés, prépare un nouveau roman. “Il sera très différent de Harry, même si j’ai pris tout autant de plaisir à l’écrire”, a-t-elle annoncé dans un tweet. Beaucoup parient sur un polar. Suspense.

La revue littéraire américaine des éditions McSweeney’s débarque en France grâce aux éditions Inculte et devient, french touch oblige, Le Believer. Au sommaire du premier numéro, une conversation avec Don DeLillo, une leçon de savoir-faire signée Zadie Smith, un texte de Nick Hornby… en librairie le 20 mars, 140 p., 15 €

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Le premier livre de Rodrigo Fresán, un des chefs de file du roman latino-américain : quinze histoires insolites et décapantes pour un monument de vertige pop. econnaissable par ses retours vers le futur, ses châteaux du passé ressuscités, ses morts qui parlent, Rodrigo Fresán se devait au minimum de nous gratifier d’une réédition. Premier livre paru en 1991 en Argentine – 1999 en France sous le titre initial L’Homme du bord extérieur –, Histoire argentine a propulsé son auteur au firmament des lettres latinoaméricaines, où une série d’œuvres mutantes et essentielles (Mantra, La Vitesse des choses, Le Fond du ciel) lui ont assuré un séjour durable.



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Melania Avanzato/Opale/Seuil

la foire aux sortilèges Dans la quinzaine d’histoires que regroupe ce recueil, Fresán laisse parler son art du récit gigogne, ses scénarios emboîtés, ses personnages récurrents, sa toile spatiotemporelle sans limite. Il paie aussi son tribut aux génies qui ne cesseront par la suite d’irriguer son œuvre : Borges, Orwell, Philip K. Dick, Cheever, Mann, Flaubert, Fitzgerald, Kubrick, Walt Disney, Bowie, Dylan… La fiction prend des airs de pastiche : roman picaresque ou romantisme allemand, superposés à la terminologie

du blockbuster. Chez Fresán, la culture pop vient nourrir une virtuosité transgenre, chaque histoire valant comme numéro de haute voltige littéraire. On y croise, dans le désordre, un apprenti cuisinier fan de Mickey Mouse, des ravisseurs d’Indienne, un astrologue gay, un footballeur formé par la dictature militaire, une hôtesse de l’air nommée Pam, un chef de commando en mission secrète à Paris et même “le héros du roman que je n’ai pas commencé à écrire”… Personnages ubuesques, insolites,

rêveurs perdus dans un vaste programme romanesque difficile à résumer ici. Aux commandes de ce vaisseau postmoderne, le romancier, facétieux, endosse tous les masques. Autoproclamé “mythomane”, il est cette entité omnipotente s’invitant sans crier gare dans la fiction : Bartleby de l’écriture, passager d’un Boeing en plein crash ou joggeur foudroyé. Des farces changées en sortilèges, en malédictions. L’angoisse de la toute-puissance. Fresán œuvre en magicien, en prestidigitateur habile en pieds de nez, faisant apparaîtreet disparaître des mondes scintillants de son chapeau. Emily Barnett Histoire argentine (Seuil), traduit de l’espagnol (Argentine) par Isabelle Gugnon, 276 pages, 21 €

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night and day Le Québécois Pascal Blanchet fait revivre le New York des années 40, entre âge d’or du jazz et mouvement streamline. Somptueux.

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ew York, en cet été 1948, semble vidé de ses habitants. La canicule pèse et dans la nuit, seule porte la voix de la chanteuse Anne Scheffer, qui donne un récital depuis la radio NBC. Un écrivain dont la carrière patine et Molly, une jeune serveuse, l’écoutent, mélancoliques. Ces trois personnages, solitaires et insatisfaits, vont chacun prendre cette nuit-là des décisions qui changeront le cours de leur vie. Le Québécois Pascal Blanchet entrecroise avec poésie ces destins, reliés par la musique et les sentiments qu’elle leur inspire. C’est en s’entendant chanter “pour les cœurs esseulés”, comme l’annonce le présentateur radio, qu’Anne Scheffer décide de ne pas honorer son rendez-vous crucial avec Cole Porter. C’est sur It’s Magic que l’écrivain quitte son amie. Et c’est accompagnée par Haunted Heart de Jo Stafford que Molly part de New York. Alors que classique et jazz imprégnaient déjà ses précédents livres – La Fugue, Rapide blanc et Bologne –, Pascal Blanchet puise ici son inspiration dans les standards de l’âge d’or. La bande-son qu’il conseille à la fin de l’album est inutile, tant son récit est musical, bercé par la langueur des

morceaux et rythmé par les incidents de la nuit. Malgré l’absence de dialogue, Nocturne est tout sauf muet. Les illustrations, qui au premier abord semblent être une splendide succession de couvertures rétro du New Yorker, s’enchaînent mélodieusement et témoignent d’une fine maîtrise narrative. On pense aux histoires sans paroles d’Eric Drooker (Flood!), ou à celles de ses géniaux inspirateurs des années 30, Frans Masereel et Lynd Ward. Mais alors que ces derniers empruntaient à l’expressionnisme, Pascal Blanchet, épris d’architecture des années 30-50, rend un hommage éblouissant à l’aérodynamisme du mouvement streamline. Il représente d’un trait aux lignes pures, longues et courbes, le mobilier, les automobiles ou les bâtiments. Les buildings aux formes élancées, aux halls démesurés, écrasent de leur majesté les protagonistes, étouffés autant par leur environnement que par leur vie. Pourtant, c’est un symbole de ce courant moderniste de l’Art déco, les bus Greyhound et leurs terminaux, omniprésents dans le récit qui, pour Molly, signifieront la liberté. Anne-Claire Norot Nocturne de Pascal Blanchet (Editions de la Pastèque), 140 pages, 25,50 €

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BD on tour D’Angoulême à Louvain, la bande dessinée s’expose plus que jamais dans les galeries et musées. ’est grâce à Art Spiegelman qu’on peut admirer deux des plus belles expos de BD du moment. La très complète rétrospective consacrée à son œuvre dévoile les planches de Maus ainsi que son travail d’éditeur (la revue Raw) ou d’illustrateur. Elle sera visible à Paris, au Centre Pompidou du 21 mars au 21 mai. Son formidable Musée privé présente, quant à lui, sa vision de l’histoire de la BD au musée de la Bande dessinée d’Angoulême jusqu’au 6 mai. Montrant des pièces provenant des fonds du musée, de sa collection personnelle ou de collectionneurs américains, l’opération met en lumière les œuvres d’artistes fondateurs rarement exposés, du XIXe siècle à nos jours, comme Rodolphe Töpffer, Harvey Kurtzman (Mad) ou encore Justin Green, un des pères de la BD autobiographique (Binky Brown). Parallèlement, les expos dédiées à la BD foisonnent en ce début d’année. Philippe Druillet présente des originaux à la galerie Petits Papiers à Paris, jusqu’au 10 mars et une quarantaine d’auteurs montrent leurs talents de peintres à la Cité de la BD à Angoulême, jusqu’au 11. L’univers de l’automobile vu par la BD s’expose à Motorvillage sur les Champs-Elysées à Paris jusqu’au 20 mai, tandis que les secrets ésotériques d’Hugo Pratt sont révélés au musée de la Franc-Maçonnerie, à Paris, jusqu’au 15 juillet. En Belgique, l’univers sombre et hanté de Charles Burns est à l’honneur jusqu’au 11 mars au M Museum de Louvain (200 planches, dessins…) tandis que José Muñoz s’expose à la galerie Champaka à Bruxelles jusqu’au 18 mars et qu’une rétrospective consacrée au génial père de la souris Sibylline, Raymond Macherot, a lieu à la Maison de la bande dessinée à Bruxelles jusqu’au 10 juin. Parmi les événements à venir, on notera l’expo, du 28 au 30 mars, de planches et dessins d’auteurs incontournables (Franquin, Sempé, Giraud…) qu’Artcurial mettra aux enchères à Paris le 31. Le Néerlandais Joost Swarte et sa ligne claire investiront la Galerie Martel à Paris, du 9 mars au 5 mai. Enfin, très attendu, Robert Crumb verra son œuvre, à la fois délirante et introspective, couronnée par une grande rétrospective au musée d’Art moderne de la Ville de Paris du 13 avril au 19 août. A.-C. N.

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Néjib Haddon Hall – Quand David inventa Bowie Gallimard, 144 pages, 19 €

Une BD discrète se souvient du moment où David fit naître Bowie. Haddon Hall, manoir délabré de la banlieue londonienne, il y avait forcément quelques souris à la fin des années 60. Une petite souris témoigne aujourd’hui : elle a tout vu, tout entendu, elle a assisté à l’histoire. Cette histoire, c’est celle de David Jones, Sud-Londonien boulimique de culture, d’expériences, de rencontres. Avec sa femme Angie, il reçoit dans cette forteresse hippie beaucoup d’autres “wannabees” défoncés aux ambitions : à la pendaison de crémaillère, on se croirait dans la chanson Salvador Dali’s Garden Party des Television Personalities. Tout



le monde est présent, à différents barreaux de sa propre échelle, de Syd Barrett à Marc Bolan, de Jimmy Page à Mick Jagger… C’est là, dans une salle de répétition jalousée, que David Jones se concentre enfin sur sa seule musique : il devient David Bowie. Son histoire, qui croise tant de destins, d’impasses et de hasards, une (space) odyssée à la fois dramatique et joviale, est ici narrée d’un trait nerveux, sec, pop. Dans le jardin de Haddon Hall, ce sont les swinging sixties, leur innocence et leur insouciance, que l’on a enterrées. JD Beauvallet

Robert Crumb, exposé à Paris

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les marches de l’enfer Luk Perceval adapte un roman magistral de J. M. Coetzee, dont le cynisme désabusé donne un éclairage d’une rare violence sur la réalité sud-africaine.

première Etrange Cargo Pour la cuvée 2012 d’Etrange Cargo, approche transdisciplinaire du spectacle théâtral, six propositions de six metteurs en scène alternent créations (Yves-Noël Genod, Thomas Ferrand, Robert Cantarella), reprises (Jachères improvisations de Vincent Dupont), performances (Theo Kooijman) ou encore un laboratoire de création avec Vincent Macaigne. du 13 mars au 6 avril à la Ménagerie de verre, Paris XIe, tél. 01 43 38 33 44, www.menagerie-de-verre.org

réservez Rime of the Ancient Mariner par The Tiger Lilies Une version musicale et visuelle du poème de Samuel Taylor Coleridge qui réunit le groupe londonien The Tiger Lilies et le photographe américain Mark Holthusen, mêlant séquences vidéo, photographies et animations 3D pour un univers décalé oscillant en permanence entre Méliès et le Flying Circus des Monty Python… du 16 au 18 mars à la Maison de la musique de Nanterre, tél. 39 92, www.nanterre.fr

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ne foule d’hommes et de femmes occupe le plateau. Etrangement statiques. Et pour cause, ce ne sont pas des figurants mais des figurines, des santons grandeur nature. Les acteurs véritables, en chair et en os, sont dissimulés au milieu de ces personnages quasi réels. C’est donc en s’extrayant de cette masse humaine qu’ils commencent à exister. En choisissant cette scénographie en forme de trompe-l’œil, Luk Perceval a trouvé un moyen efficace pour transposer dans l’espace scénique une dimension essentielle du roman de J. M. Coetzee, Disgrâce. Comme beaucoup de livres de cet auteur sud-africain, Disgrâce se développe de façon inexorable sur un arrière-fond historique et humain marqué par la colonisation et l’apartheid. En installant David Lurie, professeur blanc enseignant la poésie romantique à l’université du Cap, au milieu de cette foule, Luk Perceval traduit parfaitement l’atmosphère du roman. Le spectacle doit d’ailleurs beaucoup à Gijs Scholten Van Aschat, l’acteur qui prête ses traits à David Lurie et gère en même temps une bonne partie du récit dont il est le narrateur. Agé de 52 ans, divorcé deux fois, Lurie est travaillé par l’idée de la vieillesse et de la mort. Une fois par semaine, il couche avec une prostituée. Sitôt qu’il cherche à en savoir plus sur elle, celle-ci disparaît. Longtemps, il a eu du succès avec les femmes. Mais, à son âge, jouer les Don Juan devient difficile. Mélomane, il envisage d’écrire un opéra sur Byron. Un projet qui lui trotte dans

la tête et qui se traduit sur scène par ce ukulélé dont Gijs Scholten van Aschat ne se sépare presque jamais. Entre ses mains, l’instrument a quelque chose d’un symbole phallique légèrement ridicule, voire carrément régressif dans le genre objet transitionnel renvoyant à la petite enfance. D’où, quand Lurie jette son dévolu sur une étudiante trop fragile et inexpérimentée pour résister à ses assauts, cette scène à la fois terrible et comique : l’acteur effréné tripotant fébrilement son ukulélé renverse la malheureuse cramponnée à sa chaise. Accusé de harcèlement sexuel, il quitte la ville pour rejoindre sa fille Lucy, installée dans une ferme loin de tout. Cette fois, ce n’est plus celui de midi, mais d’autres démons qui surgissent. Lucy vit dans un environnement hostile où la situation du colon blanc est en quelque sorte inversée. Quasiment sous ses yeux, elle est victime d’un viol collectif. A la colère de Lurie, sa fille oppose une étrange résignation. Comme si elle acceptait d’avance toutes les humiliations. La grande histoire rejoint ici la petite histoire, mais sur le mode le moins glorieux qui soit. Aussi peu glorieux que cette activité maussade à laquelle se livre Lurie quand il aide une amie de sa fille à euthanasier des chiens malades dans un dispensaire. Un beau spectacle sombre et désabusé, à l’image du roman. Hugues Le Tanneur Disgrâce d’après J. M. Coetzee, mise en scène Luk Perceval, du 15 au 17 mars à la Maison des Arts de Créteil, dans le cadre du festival EXIT, www.maccreteil.com

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Jan Versweyveld/Toneelgroep Amsterdam

Gijs Scholten van Aschat et Djamila Landbrug

une semaine, une vie Entre souvenirs d’Avignon et bribes de danse, Olivia Grandville signe un hymne à la vie. livia Grandville, questionnée sur de vie sont autant de mouvements le cheminement de cette création, chorégraphiés. Sur le papier qui constitue raconte cette anecdote : sa mère, le décor, des noms, des titres et des Léone Nogarède, actrice, s’est dates dessinent une géographie à la fois découverte en couverture du livre d’Antoine intime et publique. de Baecque et Emmanuelle Loyer On se souvient qu’à sa création en sur le Festival d’Avignon. Photo prise Avignon, en 2010, une faute s’était glissée : en 1947 : elle jouait la reine de Richard II. Pascal Quéneau, collaborateur artistique, Le festival s’intitulait alors Une semaine avait promis de rajouter un “c” manquant d’art en Avignon. alors à Bausch ! Depuis, Une semaine De fil en aiguille, Olivia Grandville d’art en Avignon s’est étoffé. Sans perdre a conçu ce dispositif qui fait la part belle en émotion. A Paris, une projection d’Etre à la parole. Celle de Léone – et celles libre, tourné par un collectif d’étudiants de Bartabas, de Claude Régy ou de Jean en 1968 au festival ainsi que des Vilar. Surtout, la fille prodigue a convié rencontres en seront le prolongement idéal. sur le plateau Catherine Legrand, autre Il est des semaines bien trop courtes. Philippe Noisette interprète de Dominique Bagouet. Et la danse était de la partie. D’un extrait Une semaine d’art en Avignon du 15 au 20 mars de Désert d’amour de Bagouet aux au Théâtre de la Cité internationale, Paris XIVe, versions du Sacre du printemps de Pina tél. 01 43 13 50 50, www.theatredelacite.com. et aussi le 14 avril à Istres, le 29 mai à Strasbourg Bausch ou Maurice Béjart, ces éclats

Opéra national de Paris/Christian Leiber

Jan Versweyveld/Toneelgroep Amsterdam

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Wilson, l’éternel retour Pur moment de bonheur, cette reprise de Pelléas et Mélisande dans l’impériale mise en scène de Robert Wilson tutoie la grâce des anges. ingt fois sur le métier la direction idéale du chef remettez votre Philippe Jordan, rutile ouvrage : polissez-le de tous ses mystères comme sans cesse et le un diamant noir sur lequel repolissez.” Orfèvre d’un le temps n’a pas de prise, et minimalisme qui dénude la justesse du parti pris par l’œuvre à l’os, Robert Wilson Wilson le sacre plus que semble avoir fait sienne la jamais en artiste du siècle. maxime de Nicolas Boileau Une malle pour les tant il ne se lasse pas costumes, une autre pour de retravailler à sa mise les accessoires, il n’en en scène de Pelléas et faudrait guère plus pour Mélisande, créée à l’Opéra résumer le dépouillement Garnier en 1997. qui règne sur le plateau. Pour cette cinquième Servi par l’impeccable reprise en quinze ans, l’opéra Stéphane Degout (Pelléas) de Claude Debussy, sous et la brillante prise de



rôle d’Elena Tsallagova (Mélisande), Robert Wilson fait des miracles avec trois fois rien tant le duo s’accorde à sa vision du drame des amants maudits imaginé par Maurice Maeterlinck. A travers le gris bleu d’un ciel en acier trempé et des lumières réglées au cordeau, Robert Wilson ose un éloge du vide et de l’ombre qui s’avère l’écrin rêvé pour cadrer l’insondable énigme de cette romance amoureuse aussi pure que funeste. S’exprimant à travers une distance toujours préservée entre les corps, la magie à l’œuvre dans l’opéra nous est alors révélée dans l’hypnotique chorégraphie d’un ballet quasi arrêté qui fascine comme un charme et s’inscrit en nous pour toujours. Du grand art. Patrick Sourd Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, direction musicale Philippe Jordan, mise en scène Robert Wilson, jusqu’au 16 mars à l’Opéra Bastille, Paris XIIe, www.operadeparis.fr captation réalisée en direct par Philippe Béziat diffusée sur medici.tv et operadeparis.fr le 16 mars à 1 9 h 30 7.03.2012 les inrockuptibles 105

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GisèleVie nne et Dennis Cooper, Teenage Hallucination

cabaret Elle nous avait bluffés lors du dernier Printemps de septembre avec son film ultrabizarre tourné dans une grotte. Pauline Curnier Jardin revient ce printemps à la Galerie de Noisy-le-Sec, où elle a conçu une “expositioncabaret” et invite performeurs, musiciens et artistes à lui tenir compagnie. Cœur de silex jusqu’au 21 avril à La Galerie de Noisy-le-Sec, www.noisylesec.com

forêt L’artiste suisse Vittorio Santoro déploie à la Fondation Ricard une œuvre complexe et dense où tout fait sens. Ses dessins, collages, installations allusives et pièces sculpturales convoquent des références aussi diverses que l’affaire Dreyfus, Bach ou la légende du cosmonaute Youri Gagarine. jusqu’au 31 mars à la Fondation d’entreprise Ricard, Paris VIIIe, www.fondation-entreprise-ricard.com

livret Irmavep Club présente son Livret IV au musée d’Art contemporain de Rochechouart. L’occasion pour les dixsept artistes invités (dont Dove Allouche, Giovanni Giaretta, Guillaume Leblon, Gerald Petit ou Clémence Torrès) de discuter avec la collection du musée. jusqu’au 10 juin au musée départemental d’Art contemporain de Rochechouart, www.musee-rochechouart.com

Gisèle Vienne

vernissages

OK choral Le Centre Pompidou fait son Nouveau Festival et invite des commissaires peu communs pour une aventure collective palpitante.

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u bout de trois éditions, le Nouveau Festival a bel et bien imprimé sa marque, celle d’un espace contemporain où les différents modes d’expression prennent langue. En effet, il y a de tout (peinture, sculpture, archives, films…) mais surtout ces pratiques sont discutées sur tous les tons, en chœur ou en solo, de conférences (performées) en rencontres avec les artistes, de lectures en projections commentées. Outre le live, ce que le Nouveau Festival a de festival, c’est l’offre pléthorique d’événements, d’où la suggestion de cocher sur le programme ce qu’on veut voir (écouter), donc d’y revenir régulièrement, plutôt que d’espérer en faire le tour en une seule fois. Enfin, il y a la volonté de ne pas faire marcher tout le monde du même pas, au même rythme. Des grands projets, menés par des commissaires invités (au profil très différent, avec la chorégraphe Gisèle Vienne associée à l’écrivain Dennis Cooper, l’historien d’art Pascal Rousseau, le cinéaste Guy Maddin…), constituent ainsi le noyau dur d’une manifestation où la voix d’un seul est amplifiée au contact de celles des autres. Et si la circulation entre

les expos se fait très fluide, sans ligne de démarcation trop tranchée, c’est qu’ils ont tous à voir entre eux, que tous les projets suivent une dynamique centripète. La Voix dissociée s’attache ainsi à la ventriloquie, soit une manière de parler en s’en défendant et en attribuant à d’autres, marionnettes ou (dans le passé) divinités, les paroles énoncées. Des voix résonnent, au téléphone ou, en vibrato, depuis un cabinet en bois, de vieux schémas du larynx s’étalent sous des vitrines, dans un espace tapissé de cercles imparfaits se répétant en boucle. L’expo montre comment l’art contemporain est ventriloque en jouant souvent de l’illusion et en se laissant traverser par une chorale de sources. Côté “coulisses”, en bout de course de l’Espace 315 qui abrite trente-neuf poupées adolescentes mutiques et dépravées, il ne faut pas manquer le spectacle pour un comédien et quatre marionnettes écrit par Gisèle Vienne et Dennis Cooper, qui signent aussi la section Read into My Black Holes où sont présentées les figurines fétichisées de l’Américain Morton Bartlett. Dans ce “théâtre caché” donc, qui sera à nouveau activé les 8 et 12 mars, l’extraordinaire

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encadré une manifestation où la voix d’un seul est amplifiée au contact de celles des autres Jonathan Capdevielle joue tous les rôles à la fois, littéralement ventriloqué par la fiction sans limite et totalement immorale écrite par le duo. Pauvres hères désarticulés et affublés de sweats à capuche, Dean, Wayne et Buddy, sanguinolents teenagers à qui Capdevielle prête sa voix, sont en fait des nécrophages avertis qui dévorent leurs proies après les avoir sauvagement baisées et découpées en morceaux. Sur scène, l’acteur sue et bave, laisse échapper des râles d’outre-tombe et fait du spectateur terrifié plus que médusé un complice malgré lui de ce (faux) fait divers ultragore. Littéralement pendu aux lèvres immobiles du marionnettiste, c’est à peine s’il reprend son souffle pendant les deux interludes dédiés à la lecture d’un petit livret qui prolonge l’histoire. Enfin, l’expo Les Mystères de l’Ouest, inspirée de la série télé éponyme, est un western traversé par des moments de science-fiction qui ravive la flamme de l’abstraction, dont l’histoire serait mue, selon l’historien d’art Pascal Rousseau, par l’expérience de la téléportation. Cette hypothèse très sérieuse prise de manière un peu malicieuse s’appuie par exemple sur les dessins kaléidoscopiques de Claude Bragdon, architecte et théosophe américain de l’entre-deux-guerres qui promettait que leur contemplation conduirait à la quatrième dimension. Une voie réouverte ensuite par les planches scintillantes d’un John McCracken et aujourd’hui par les motifs en losange dégradés des frères Quistrebert. Autant d’œuvres dont l’éclat mirifique est rehaussé par un accrochage palpitant et la présence d’une roulotte, cabinet de curiosité nomade, atelier, chambre noire, boîte de nuit, projet conduit depuis les années 80 par l’artiste Frédéric Vaësen. Autrement dit, presque un Centre Pompidou mobile au sein d’un Nouveau Festival qui est, à lui tout seul, un mini (mais costaud) Centre Pompidou fidèle à l’esprit des origines. Claire Moulène et Judicaël Lavrador Le Nouveau Festival jusqu’au 12 mars au Centre Pompidou, Paris IVe, www.centrepompidou.fr Photographie extraite du livre 40 portraits (2003-2008) de Gisèle Vienne (P.O.L) lire aussi page 3

l’art Sebald Pourquoi, comment une œuvre littéraire devient-elle une référence incontournable, y compris pour le champ de l’art ? Dans le cas de l’écrivain allemand W. G. Sebald (1944-2001), auquel le Centre Pompidou consacre une petite exposition conçue par l’artiste Valérie Mréjen, c’est un faisceau opaque de traits convergents. Cela commence avec la forme visuelle plus que troublante de ses livres, parsemés de photographies en noir et blanc. Images sans légendes ni crédits photo, d’autant plus fascinantes pour le lecteur que les textes de Sebald n’y font pas de renvoi explicite : c’est qu’il s’invente ici, comme l’analyse Muriel Pic dans un bel essai, L’Image-Papillon, publié d’ailleurs aux Presses du réel en 2009, un rapport flottant, rêveur, à l’archive – et Dieu sait si l’archive est devenue un médium de l’art ultracontemporain. Evidemment, la présence spectrale de ces images nous renvoie également aux ombres du passé, de la Shoah, aux traumas de l’histoire : il y a là un “vertige” de la mémoire, vertige dont le théoricien Hal Foster fait un des symptômes du contemporain. Mais l’œuvre de Sebald est précisément d’une contemporanéité paradoxale : à la fois récente, puisque commencée tardivement au début des années 90, et déjà passée, l’auteur étant décédé brutalement au volant de sa voiture en 2001, peu après la publication de son dernier chef-d’œuvre, Austerlitz. C’est aussi une littérature d’exil, transnationale, écrite en Angleterre dans une langue allemande un peu désuète, un peu passée, anachronique. Ultime vertige du présent : de ces livres émane une nouvelle conscience historique, une conception mêlée du temps passé et présent, où les temporalités diverses se superposent comme des couches fossiles. Sans jamais donner accès à un illusoire “temps retrouvé”. W. Sebald Fiction jusqu’au 12 mars au Centre Pompidou, Paris IVe, www.centrepompidou.fr

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où est le cool cette semaine ?

Mathieu Vilasco

par Laurent Laporte et Marc Beaugé

chez cet homme, créateur de la marque Visvim Vêtu de sa toge bleu marine, on dirait un gourou, et ce n’est pas complètement fortuit. Car Hiroki Nakamura, ici à Paris lors de la dernière fashion week hommes, a formé, autour de sa marque Visvim, la secte la mieux habillée au monde. Comme lui, ses adeptes ne portent que des pièces magnifiques, inspirées du vestiaire historique des Native Americans, retravaillées dans les matières les plus luxueuses. 108 les inrockuptibles 7.03.2012

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chez ces jeunes gens Habillés de l’excellente collection printemps-été de la Maison Kitsuné, ils ont l’immense mérite d’annoncer, enfin, les beaux jours.

à vos pieds avec ces souliers-là car ils incarnent à la perfection l’une des microtendances les plus cool du moment. Le multicolore multimatière. Rien que ça.

Max Farago

nepenthesny.com

chez Bis, boutique mode et solidaire Ce n’est pas une friperie comme les autres. Chez Bis, où l’on pourra dénicher vêtements et accessoires à des prix imbattables (de 5 à 120 euros max), les pièces griffées ont été essentiellement collectées par le Secours catholique auprès de donateurs des beaux quartiers de Paris. Elles ont ensuite transité par un centre de tri installé dans le XIXe arrondissement de la capitale. Ouvert en janvier par Bis, celui-ci a permis de créer seize postes dont douze salariés embauchés en contrat d’insertion d’un an. Le but ? Valoriser leurs formations afin de leur permettre de retrouver une place sur le marché du travail à la fin de ce contrat. ESH Bis boutique solidaire, 7, boulevard du Temple, Paris IIIe, ouverture le 14 mars 7.03.2012 les inrockuptibles 109

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cicatrices algériennes Cinquante ans après les accords d’Evian, les souvenirs de la guerre d’Algérie affleurent comme des blessures mal refermées. Plusieurs documentaires reviennent sur ce conflit longtemps occulté. Une manière d’apaiser aussi les douleurs à vif.



ontrairement à une idée reçue selon laquelle la guerre d’Algérie aurait été un conflit sans images, de nombreux films se sont penchés sur les “événements”. Du Petit Soldat de Godard à Avoir 20 ans dans les Aurès de René Vautier, de La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo à R.A.S. de Yves Boisset, jusqu’à une flopée de documentaires dans les années 90 (Les Années algériennes, La Guerre sans nom…), les images sur la guerre d’indépendance existent et circulent. Mais, par-delà ces traces, doublées d’un important travail historiographique, il reste que la guerre ne s’est pas conclue sur ce que Benjamin Stora appelle un “consensus mémoriel”. La concurrence des “mémoires blessées” – indépendantistes, harkis, pieds-noirs, soldats, nostalgiques de l’Algérie française… – n’a cessé de s’amplifier, de sorte que les souvenirs des combats et des morts (500 000 environ durant les sept années du conflit) attisent les controverses et les douleurs encore à vif. Apaiser, comprendre, s’approprier, restituer… : l’œuvre prolifique de Benjamin Stora, dont les blessures intimes se mêlent à la rigueur de la recherche, emprunte toutes ces directions. Né en Algérie en 1950, “rapatrié” en 1962, l’historien a grandi avec la guerre, avant de l’objectiver dans ses livres et ses films. On retrouve son empreinte dans de nouveaux documentaires, diffusés sur France 2 et Arte cinquante ans après la signature des accords d’Evian. Dans Guerre d’Algérie, la déchirure (2 x 52), réalisé par Gabriel Le Bomin sur France 2, l’historien éclaire de manière exhaustive et pédagogique tous les enjeux de la guerre, depuis ses origines (les massacres de Sétif en 1945 et le 1er novembre 1954) jusqu’à sa fin (l’indépendance en juillet 1962). Construit sur un mode chronologique, le récit, fluide et précis, répond clairement

rendre le discours historique intelligible afin de permettre au public de s’approprier une page d’histoire cruciale

à une volonté de synthèse : Le Bomin et Stora embrassent l’embrasement par tous les côtés pour saisir la complexité des événements. Il s’agit moins de simplifier le discours historique que de le rendre intelligible afin de permettre à un vaste public de s’approprier une page d’histoire cruciale. Malgré les artifices du docu “grand public” (musique omniprésente, voix off de Kad Merad, colorisation…), le film émeut par la densité de ses archives, éblouissantes en dépit de leur âpreté. L’accumulation de documents réunis par la documentaliste Marie-Hélène Barbéris (reportages de l’armée, de la télé française, de la BBC, de télés de pays de l’Est, ou encore de fonds amateurs…) et leur mise en perspective restituent toutes les dimensions de cette “guerre sans nom” : les fondements du système colonial, les rivalités entre les figures du nationalisme algérien (Messali Hadj, Ben Bella…), les dévoiements de la gauche (Guy Mollet), les camps d’internement, la mobilisation de 400 000 appelés du contingent, la torture, les porteurs de valise, la stratégie ambiguë du général de Gaulle dès son retour au pouvoir, du “Je vous ai compris” à l’autodétermination, les bombes au napalm, le putsch des généraux, l’OAS, les combats qui perdurent jusqu’au départ des pieds-noirs vers la France… Outre cette parfaite mise à plat événementielle, Benjamin Stora se prête à un exercice complémentaire dans le très beau film d’Arte, Algérie, notre histoire. Sur un mode plus intime et plus incarné, l’historien revient sur sa propre expérience durant la guerre, qu’a aussi traversée, comme soldat du contingent, le réalisateur Jean-Michel Meurice. En croisant leurs souvenirs communs, ainsi que ceux d’autres témoins, dont l’écrivain Pierre Guyotat, Meurice fait le pari d’une double confession, sincère, à fleur de peau et nourrie par la réflexion d’un engagement en faveur de la vérité historique. Magnifiquement écrit, au parfait point de jonction entre le tragique et le pudique, la grande histoire et la traversée personnelle,

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au poste

plutôt mort qu’inconnu

M.Desjardin/Rapho/France 2

Un petit livre pop et incisif tire le portrait paradoxal de la célébrité à tout prix.

image extraite de Guerre d’Algérie, la déchirure, qui contient de nombreux documents inédits

son film traduit les états d’âme de toute une génération d’hommes, nés entre 1932 et 1943, poussés à faire une guerre dont ils contestaient intérieurement la légitimité et qui, après 1962, préférèrent la mettre sous le tapis… Avant que les blessures enfouies ne refassent immanquablement surface : Meurice mesure le poids de ce retour du refoulé, trouvant le chemin libérateur, mettant à distance la culpabilité et la douleur, apaisées par la réflexion et la mise en récit. Son histoire est aussi la nôtre, celle de tout un peuple confrontant son aveuglement passé à la vérité de l’histoire. Par-delà les souffrances endurées durant sept ans par tous les “acteurs” de la guerre d’Algérie, demeure l’évidence que le système colonial français ne pouvait

perdurer dans le contexte d’une aspiration générale des peuples dominés à leur indépendance. Dans un autre poignant documentaire, Palestro, Algérie : histoires d’une embuscade, analysant l’épisode de l’embuscade de Palestro en mai 1956, où une vingtaine de rappelés français furent tués par des maquisards, Rémi Lainé et l’historienne Raphaëlle Branche analysent finement les vices généraux d’un système colonial à travers des entretiens avec des anciens appelés et des indépendantistes algériens. Cinquante ans après les accords d’Evian, les déchirures de la guerre d’Algérie ne peuvent s’effacer qu’à condition d’en révéler leurs terribles traces. Jean-Marie Durand

en lisant en regardant A voir Guerre d’Algérie, la déchirure documentaire de Gabriel Le Bomin et Benjamin Stora, France 2, dimanche 11 mars, 20 h 35 (le 21 mars en DVD, France Télévisions distribution, 17 €) La Bataille d’Alger film de Gillo Pontecorvo (1965), Arte, lundi 12 mars, 20 h 35 Algérie, notre histoire documentaire de Jean-Michel Meurice, Arte, mardi 13 mars, 2 0 h 35 Palestro, Algérie : histoires d’une embuscade documentaire de Rémi Lainé, Arte, mardi 20 mars, 22 h 35

A lire La Guerre d’Algérie expliquée à tous de Benjamin Stora (Seuil), 144 p., 8 € Histoire de l’Algérie, XIX-XXe siècles de Benjamin Stora, (La Découverte), coffret 3 volumes, 30 € Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale, camps, internements, assignations à résidence de Sylvie Thénault (Odile Jacob), 384 p., 26 €) Ni valise ni cercueil, les pieds-noirs restés en Algérie après l’indépendance de Pierre Daum (Solin, Actes Sud), 432 p., 24 €

Il était fier, idiot et mal flouté. La police a interpellé un collectionneur clandestin de serpents mortels qui s’était laissé griser (griller ?) par les caméras de Sept à huit (TF1). Malgré la pixellisation de son visage, sa silhouette et son quartier ont été identifiés par ses voisins, qui l’ont alors dénoncé. Double paradoxe : le mordu des crotales avait pensé accéder à un peu de gloriole sulfureuse bien que circonscrite à un anonymat sécurisé. Par la faute d’une faille dans le système, il est désormais connu pour avoir été reconnu, puis popularisé à ses dépens par la capillarité des news sur le net. C’est exactement de ce genre d’antagonismes et de leurres mal assimilés que s’est nourri Jean-Michel Espitallier pour De la célébrité, petit opuscule aussi vif qu’un paparazzi sous caféine où il dissèque les pratiques de la grande foire aux vanités médiatiques. Pourquoi les inconnus sous-exposés ne supportent pas leur “excommunication” ? Comment les people sont devenus les représentants du vrai monde ? C’est avant tout de basculement, d’inversion des valeurs dont parle Espitallier. Avec cette idée : en ces temps du tout-infos et de transparence imposée, rien ne vaut l’aura d’un mystère, et surtout l’esquisse de son dévoilement, pour acquérir de la notoriété. “Le secret d’un mystère est qu’il ne doit pas rester secret.” C’est ce qu’avait confusément senti l’accro des reptiles. C’est ce qui fait des Anonymous les prototypes d’une célébrité nouvelle, portée par une présence/absence diffuse et permanente capable de s’incarner dans mille formes successives. Aussi menaçante qu’on la sent en danger, sur le fil. Prête à rompre. De la célébrité de Jean-Michel Espitallier (10/18), 180 p., 7,50 €

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prophètes de la caricature

Dans la presse algérienne, les jeunes caricaturistes naviguent entre censure et conservatisme social. En attendant le printemps ?



n barbu souriant interpelle les jeunes filles, un bout de tissu à la main. Mais un islamiste qui vend un string, ça ne fait pas rigoler tout le monde, en Algérie... Amine Labter, alias Vit’Amine, 31 ans, a dû renoncer en 2009 à publier ce dessin dans le mensuel qui l’employait. Direction sa page Facebook. C’est là désormais que l’on trouve les travaux les plus audacieux d’une génération de caricaturistes souvent gommés sur papier. Pendant une semaine, en janvier dernier, le Français Plantu, du Monde et l’Algérien Dilem de Liberté, ont échangé leur place et dessiné dans le journal de leur confrère. Une bonne idée. Et une illusion. Ce canard francophone algérien est l’arbre démocratique qui cache la forêt. Sur les

cent sept quotidiens que compte le pays, quelques-uns sont sérieux, mais parfois harcelés et sur la corde raide. Beaucoup d’autres sont des titres fantoches et les obligés de l’agence de publicité d’Etat. Une vingtaine seulement de journaux ont un caricaturiste attitré, et depuis longtemps Dilem est le seul à pouvoir se moquer grassement du président Bouteflika ou rire franchement de l’islam. La poignée de jeunes qui a commencé dans les années 2000 est incapable de briser des tabous et faire trembler les

La caricature gêne l’autoritarisme, l’apathie et l’islamisme ambiants

puissants, terroristes ou politiciens, comme l’avaient fait quelques virtuoses courageux pendant la guerre civile (1991-1999). Les cartoonistes étaient des résistants ; aujourd’hui, ils sont des employés dépréciés et censurés. L’époque a changé. La caricature gêne l’autoritarisme, l’apathie et l’islamisme ambiants. “Je suis dans l’autocensure. Je fais du social, parce que c’est ce qui a le plus de chances de passer”, raconte Djamel Lounis qui travaille au Jour d’Algérie depuis 2010. “Du coup, je publie certains dessins sur Internet, où je suis mon propre rédacteur en chef !” De son côté Youcef Bechkit, “Kit”, visage rond et costume élégant, caricaturiste depuis un an à El moharir al yaoumi, parle de “subtilité”. “Dessiner un policier violent, non. Une matraque ensanglantée, oui. Chercher à être subtil, c’est ce qui me plaît.” Quant à Vit’Amine, rejetant tout compromis, il a démissionné de trois journaux en quatre ans. “Ah bon, t’es payé pour ça ? C’est un métier ?” entendent parfois les dessinateurs… de la bouche des journalistes. “Les collègues ne viennent jamais me soutenir au tribunal”, soupire Abdelbaki Boukhalfa. A 34 ans, “Baki”, le jeune dessinateur d’Echorouk, a affronté une dizaine de procès depuis 2002 pour des inculpations telles qu’“atteinte à la dignité de l’Etat”. Un peu de solidarité entre dessinateurs, alors ? Où ça ? A l’Espace Noun, un des rares lieux à Alger où ils pouvaient exposer mais qui a fermé en 2010 ? Au sein d’une association professionnelle, dont l’agrément leur a été refusé ? Malgré tout, l’actualité inspire. Le printemps arabe, c’était l’éclate. “On a tous un peu abusé du bidon d’essence”, avoue Djamel Lounis, une double référence aux suicides par le feu d’Algériens et à la rente pétrolière. Ce début de 2012 est morne : un peu de foot et pas mal de Syrie, en attendant les législatives de mai. “Cela ne me dit rien de critiquer Bouteflika, je ne le dessinerai pas. J’attends le prochain président”, assume Kit. Talents gâchés ? Djamel Lounis a obtenu en janvier dernier un prix dans un festival français ; Baki et Vit’Amine ont publié un album et leurs pages Facebook sont assez bien fréquentées. Ce sont de modestes alternatives à la presse nationale, dont Baki n’attend rien. Long nez et pull à capuche, c’est un type bien qui conclut, à propos de lui-même : “Comment être optimiste quand le caricaturiste du journal le plus vendu du pays n’est pas à l’aise quand il dessine ?” Constance Desloire

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Pinterest comble un vide entre Twitter, sans images, et les blogs

collectionnite aiguë Nouveau venu dans l’univers des réseaux sociaux, le très visuel Pinterest suscite l’engouement des internautes.

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epuis la naissance de Google+, on n’avait pas vu une telle excitation à propos d’un réseau social. Pinterest, lancé par Paul Sciarra, 28 ans, ex-analyste financier, et Ben Silbermann, 29 ans, ex-employé de Google, a vu sa fréquentation multipliée par près de trente en moins d’un an, pour compter quelque 12 millions de visiteurs uniques en janvier. Mélange de Twitter et de blog Tumblr, Pinterest permet de créer des tableaux virtuels sur lesquels on peut punaiser (“pin”) et organiser des images glanées sur le web. Les membres peuvent commenter chaque image en 500 signes, suivre d’autres membres ou leurs tableaux, et reposter (à la façon des retweets) leurs images. “Enfant, je collectionnais n’importe quoi, des insectes aux livres. Ce qu’on collectionne révèle beaucoup de choses sur sa personnalité. J’ai pensé que ça serait génial de transposer cette expérience en ligne”, raconte Ben Silbermann dans une de ses (rares) interviews, sur le site de la chaîne de déco HGTV. Lancé il y a deux ans, Pinterest a commencé à avoir du succès dans le Midwest, puis la machine s’est emballée, notamment auprès du public féminin : d’après les statistiques de Google Ad Planner, les utilisateurs de Pinterest sont des femmes à 80 % – le site se destine d’ailleurs principalement à elles, expliquant dans sa fiche d’identité que “les gens utilisent Pinterest pour préparer leurs mariages, décorer leurs maisons, organiser leurs recettes préférées”. Les tableaux consacrés

à ces thèmes abondent : on en compte plus de 500 pour le mot-clé “mariage”! Alors que les pages peuplées de chats, de phrases de motivation ou de voitures pullulent, les sujets plus originaux (la cartographie, les cabanes dans les arbres…) ne manquent pas. On repère peu de pages trash – les conditions d’utilisation interdisent la nudité et Pinterest a de toute façon déjà fait des émules spécialisés dans le porno, comme Snatchly ou Pornterest. Sont présents sur Pinterest des grands magasins (Bergdorf Goodman), des ONG (Amnesty International, Unicef, WWF…), des musées (le musée d’Art moderne de San Francisco, le jardin botanique de New York), des magazines (Newsweek, le Wall Street Journal et son tableau consacré à… Pinterest, Life et son très beau tableau Vintage Retrospect), d’autres sites communautaires (Etsy), et des stars du net comme Mark Zuckerberg (pinterest.com/zuck). Certains utilisent le site pour leur travail, comme Kristen Hewitt, directrice artistique de l’éditeur Chronicle Books : “Avant, quand j’essayais d’établir une palette visuelle pour un projet, je créais de feuilles de style que j’envoyais au photographe, au styliste, à l’illustrateur, au designer. Maintenant je leur envoie un lien et on collabore sur un tableau commun.” Des jeunes créateurs y font connaître leur travail, des marques (Club Monaco, Nordstrom…) tentent de fédérer autour de leurs produits. Associé à chaque image, un lien renvoie sur son site d’origine et les marques peuvent rediriger les internautes vers leurs plates-formes.

Les membres téléchargeant des images provenant de sites marchands font aussi indirectement la promotion de ces derniers. D’après Monetate.com, Pinterest redirigerait déjà plus de trafic vers les sites marchands que Google+. Si Pinterest connaît un tel succès, c’est certainement parce qu’il comble un vide entre Twitter – qui ne permet pas de fixer et visualiser les choses –, et les blogs, mal adaptés au partage communautaire. Mais comme Twitter, il semble avoir du mal à définir un modèle économique. “On essaiera peut-être d’ajouter des pubs, mais on n’a pas encore commencé”, expliquent les fondateurs. Avec les centres d’intérêt des membres aussi clairement exprimés, les annonceurs devraient être intéressés, mais les utilisateurs, peu enclins à voir leurs données utilisées, devraient être moins enthousiastes. Enfin, Pinterest a déjà quelques détracteurs. Les défenseurs du copyright, qui voient en un copier-coller de photo une infraction, s’énervent déjà. Soucieux d’éviter la polémique en plein succès, Pinterest propose une feuille de notification de violation de copyright, et retire tout contenu signalé. Le site vient également de créer un code que les administrateurs de sites peuvent ajouter sur leur page, et qui empêche le téléchargement de leurs images.Le site de photos Flickr utilise déjà ce code pour les photos soumises au droit d’auteur. Anne-Claire Norot

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Ray Burmiston/BBC

à chaque épisode la série accueille une star dans une version parodique d’elle-même

Ricky Gervais et David Bowie

c’est Extras ! L’édition intégrale de cette sitcom british des années 2000 éclaire un peu plus le personnage Ricky Gervais.

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e cas Ricky Gervais symbolise l’attractivité éternelle de l’humour british. Depuis plus de dix ans, ce garçon mal élevé et subtilement inélégant a réussi à donner une forme et un contenu nouveaux à la comédie télé contemporaine, au même titre que quelques rares autres personnages à sa hauteur, comme Larry David, Sacha Baron Cohen et Louis CK. Ce néo-quinqua sans remords a été capable d’embraser à la fois son pays d’origine et Hollywood, qui lui réserve désormais le rôle convoité de l’amuseur public forcément redouté – voir ses prestations en tant que présentateur-vipère lors des deux dernières éditions des Golden Globes. Alors que sort en DVD zone 2 l’intégrale d’Extras, c’est une des perles (un peu) cachées de son travail qui s’offre à nous. Moins connue que The Office, cette coproduction entre la BBC et HBO a

pourtant duré aussi longtemps en Angleterre que sa grande sœur, c’est-àdire deux saisons. Si elle n’a pas connu d’adaptation américaine, elle rivalise largement en inventivité. A revoir la série cinq ans après sa dernière saillie, il n’est même pas interdit de la préférer à The Office. Peut-être parce que la satire du show business s’impose comme un sujet plus personnel pour son cocréateur – Ricky Gervais a travaillé, comme toujours, en duo avec le redoutable Stephen Merchant. Comme si tout artifice était hors sujet, les compères n’ont pas eu besoin de s’appuyer sur la béquille stylistique du faux documentaire (mockumentary) qui avait largement construit la réputation de The Office. La caméra est plus calme mais pas moins fouineuse et tout aussi ambiguë. Dans sa première saison, Extras raconte la vie terne de quelques figurants (traduction littérale du mot “extras”)

courant le cachet. Le dénommé Andy Millman navigue tristement de plateau en plateau et d’humiliation en humiliation. La frustration et le sentiment d’échec s’imposent comme ses seuls alliés. Son agent ? Cet incapable notoire ne sait pas qui est Harry Potter et négocie vraiment très mal les contrats. L’ennui des heures passées à attendre dans des costumes ridicules est filmé avec une précision et une ironie démoniaques. Sans pitié pour personne, la série a comme principe d’accueillir une star à chaque épisode dans une version parodique d’elle-même. Hollywood ne demandant qu’à pratiquer l’autodérision, Kate Winslet, Ben Stiller, Samuel L. Jackson, David Bowie, Patrick Stewart, Orlando Bloom, Daniel Radcliffe ou encore Robert De Niro ont accepté de se mettre dans des situations parfois embarrassantes. La deuxième saison accompagne le même personnage (interprété par Ricky Gervais) alors que celui-ci a réussi un gros coup en obtenant sa propre sitcom sur la BBC. Las, il s’agit d’une comédie ringarde dont lui-même a conscience qu’elle doit plus aux années 1970 qu’aux formes actuelles de la comédie. A force de compromis, Andy a dû se résoudre à produire une soupe sans saveur, même s’il est devenu célèbre. C’est à ce moment-là que la série devient réellement passionnante, quand elle ajoute à son fond naturel satirique et antipolitiquement correct une vraie réflexion sur le sens du spectacle. Qu’est-ce que faire le show ? Qu’est-ce qui est vraiment drôle ? Comment rester crédible ? Extras ne recule pas devant la montagne de questions que pose chaque jour son héros, confronté à la cruauté et à la veulerie et néanmoins fasciné par elles. Un spécimen humain plus attachant qu’il n’y paraît. Depuis la fin 2011, Gervais et Merchant ont récidivé en créant Life’s Too Short, qui raconte la vie d’un acteur nain. Cette réussite moindre éclaire encore davantage l’intérêt d’Extras. Olivier Joyard Extras saisons 1 et 2 (+ épisode spécial Noël) en DVD (BBC). Environ 20 € chaque saison

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brèves Housewives en procès Jusqu’au 12 mars se déroule à Hollywood le procès forcément bouillant opposant le créateur de Desperate Housewives, Marc Cherry, à l’actrice Nicollette Sheridan, qui interprétait la sulfureuse Edie Britt avant d’être virée pendant la cinquième saison. Sheridan accuse Cherry de l’avoir frappée lors d’une altercation sur le plateau et surtout d’avoir fait disparaître son personnage car elle s’en serait plainte auprès de la chaîne. La blonde réclame un an de salaire, plus de 4 millions de dollars. Crêpage de chignon en perspective puisque les autres actrices devraient témoigner. Voilà qui ferait un super épisode.

focus

et la lumière fut

Laura Dern rappelle qu’elle est une actrice géniale dans Enlightened, nouvelle série HBO. Community revit n n’avait jamais vraiment identifié Après avoir été proche de la grande Laura Dern dans l’annulation, la géniale série une série télé, mis à part dans comique de Dan Harmon quelques marottes personnelles, reprend ses droits sur NBC dont un épisode d’A la Maison Blanche, à partir du 15 mars, pour saison 3. C’est évidemment au cinéma terminer sa saison 3. Ira-t-elle que sa blondeur et son visage étrange plus loin ? Les semaines se sont épanouis. Créature lynchienne à venir seront décisives. depuis les années 1980 (Blue Velvet, Sailor et Lula, Inland Empire), l’actrice a Alan Ball attendu la quarantaine pour passer de quitte True Blood l’autre côté du miroir. Elle ne l’a pas fait Après cinq saisons de à moitié, puisqu’elle est créditée en tant sa série de vampire sexy mais que créatrice d’Enlightened avec l’auteur un peu limitée, le créateur du pilote et showrunner, Mike White. de Six Feet under a décidé de Au fil des épisodes de trente minutes ne plus en être le showrunner à la fois comiques et malaisants, la série pour se consacrer à ses autres raconte l’odyssée d’une femme désespérée, projets comme Banshee, sous le soleil dur de Californie. Après avoir pour Cinemax. True Blood devrait malgré tout connaître perdu son boulot et son mec, Amy passe une saison 6. quelques semaines dans une clinique vouée au bien-être, histoire de se calmer un peu. Elle en ressort transformée en militante zen, encore plus agaçante, mais pas moins hystérique qu’avant. Son retour dans la vraie vie provoque Pour l’amour du risque (Direct 8, le 7 à 16 h 50) Le début des années 1980 a vécu un embarras et un bordel considérables, au rythme de Jonathan et Jennifer Hart. professionnellement et personnellement. Ça ne fait pas de L’Amour du risque une Survoltée, littéralement illuminée, grande série, mais une vraie madeleine. Amy tente de tordre le réel sous le poids A vérifier grâce à cette rediff quotidienne. de son désir, sans être pourtant capable de l’identifier clairement. Alors, elle cherche, Scrubs (Série Club, le 12 à 20 h 15) se plante, pleure, se relève, recommence. Saison 5 d’une sitcom inventive Autour d’elle, les Autres (amis, parents, marquée par le slapstick. Puisque collègues) souffrent du même mal. c’est en VF uniquement, on se Ils ignorent ce qu’ils veulent vraiment. contentera d’admirer le tempo Mais eux ont renoncé à leur désir, pour des gags et les expressions faciales de Zach Braff. se plier aux normes sociales définies. Sous ses airs de folle, Amy/Laura Dern ne fait Boardwalk Empire (Orange Ciné Max, que leur rappeler qu’ils ont perdu la foi, au le 11 à 17 h 50) Dernier épisode de la sens large. Un genre d’acte héroïque. O. J. saison 2 de cette opulente série de mafia,

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agenda télé

précédé à 17 h 15 d’un portrait de son créateur Terence Winter, dans le cadre de la série documentaire Showrunners.

Enlightened : illuminée Sur Orange Ciné Novo à partir du 10 mars, 20 h 40 7.03.2012 les inrockuptibles 117

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émissions du 7 au 13 mars

Balade avec Djian Documentaire (Empreintes) de Kate Barry. Vendredi 9 mars sur France 5 à 21 h 30

l’art en tranches

Des tableaux célèbres sont examinés sous toutes les coutures par un comité d’experts internationaux.

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près Palettes d’Alain Jaubert et Grand’Art d’Hector Obalk, une nouvelle émission explore la peinture classique sur Arte. Conduite par Stan Neumann, documentariste reconnu, elle consiste à passer à la moulinette (virtuelle) l’œuvre d’un maître célèbre. Plusieurs de ses tableaux sont sortis de leur cadre et réinstallés sur des chevalets dans une salle du Louvre (sauf pour Nicolas Poussin). De doctes experts et historiens du monde entier sont ensuite invités à confronter leurs points de vue plutôt techniques qu’esthétiques sur tel ou tel aspect de chaque peinture, tout en abordant la biographie, l’époque, la forme, la facture, les particularités… Cinq émissions sont programmées, sur Raphaël, Rembrandt, Poussin, Watteau et Léonard de Vinci. On commence par Raphaël (11 mars), peintre de la Renaissance jadis tombé en désuétude, puis peu à peu réhabilité dans la deuxième partie du XXe siècle. On s’étonne tout de même que les connaisseurs chipotent un peu parfois sur son travail, attribuant les aspects qui ne leur plaisent pas à certains de ses élèves. Pour Rembrandt (18 mars), c’est encore plus saisissant. On a l’impression que l’obsession majeure des experts, c’est l’authenticité de l’œuvre, pas la qualité picturale. On découvre qu’une partie des tableaux présentés ne seraient pas du peintre. Le même type de bataille va faire rage autour de La Fuite en Egypte de Poussin (25 mars). Le tout est prestement présenté par une voix off omniprésente, et émaillé de séquences animées où l’on détaille les termes et les pratiques de la peinture. En définitive, une série claire et didactique, à conseiller d’emblée à des étudiants en art. Vincent Ostria

La Vie cachée des œuvres Emission de Stan Neumann et Juliette Garcias. Le dimanche, du 11 mars au 8 avril, 17 h, Arte

Déchets : le cauchemar du nucléaire Documentaire de Laure Noualhat et Eric Guéret (2009). Mardi 13 mars à 22 h 20, Arte

Comment on n’arrive pas à s’en débarrasser ? Au terme d’une longue enquête les conduisant dans les régions les plus nucléarisées du monde (Etat de Washington, l’Oural russe, La Hague en France…), on découvre la part la plus incontrôlée de l’industrie nucléaire. Aucune solution n’a été trouvée pour éliminer ces déchets que l’on enfouit sous les terres et les mers. Toutes les inconnues – scientifiques, politiques, techniques – du cauchemar sont explicitées dans le film, impressionnant par la justesse et la précision pédagogique de ses analyses : effets des radiations sur la santé, contamination de l’environnement, accidents nucléaires cachés aux populations, désinformation, mensonges des autorités (notamment en Russie), abandon des stocks d’uranium par la France en Sibérie… Jean-Marie Durand

L’écrivain nomade revient sur ses multiples pénates. Les lieux où vit Philippe Djian s’impriment dans ses livres : de Biarritz à New York, de Martha’s Vineyard à Paris, Kate Barry a filmé l’écrivain sur les traces de ces multiples espaces de vie et d’écriture qui, chez lui, ne font qu’un. Suivant à la trace le romancier dans des paysages dominés par le ciel à perte de vue, la photographe fixe le mystère de l’écrivain absorbé par son environnement autant que par sa géographie intime. Outre quelques anciens extraits d’émission de télé, où sa gueule de baroudeur un peu sauvage se révéla au public, ou une rencontre inédite et presque gênée avec Béatrice Dalle, Kate Barry filme admirablement son visage adouci par le temps, porté par une voix douce, presque en retrait du monde, centrée sur les mots, bleus comme l’enfer. JMD

Le Marin masqué Moyen métrage de Sophie Letourneur. Samedi 10 mars, 0 h 35, Arte

D’une virée débridée de deux copines, la réalisatrice de La Vie au ranch tire un road-movie hilarant. Sophie (Letourneur) et Laetitia (Goffi) quittent Paris un matin sur un coup de tête. A Quimper, elles vont loger chez le père de Laetitia, sortir en boîte dans l’espoir de retrouver “le marin masqué”, le premier grand amour de Laetitia… En voix off, les deux filles racontent au passé leur aventure. Elles parlent tout le temps, de la vie vraie, de la difficulté de vivre à deux ou de parler avec son papa, et puis des histoires toujours compliquées avec les garçons. C’est trivial, désopilant, bourré d’autodérision, toujours juste, avec cet art impayable du dialogue qui est la marque de fabrique de Letourneur – où l’on retrouve la fraîcheur des premiers Godard, des Rozier, des Eustache. Jean-Baptiste Morain

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Titouan Lamazou

Africaines des Grands Lacs

Design : Serge Mouille Documentaire de Danielle Schirman. Dimanche 11 mars 15 h 35, Arte

La vie cachée des objets. Aujourd’hui, les lampes tétons de Serge Mouille. L’impeccable émission d’Arte qui décortique en long et en large certains objets cultes ayant marqué leur époque par leur design, et dont la plupart sont devenus intemporels, fait son retour. On étudie ici une œuvre d’une grande grâce : le lampadaire noir de Serge Mouille. Un trépied arachnéen qui évoque à la fois les sculptures de Louise Bourgeois et les mobiles de Calder ; les trois lampes qui le composent ont la particularité de ressembler à un sein féminin. Un classique des années 1950, période de créativité foisonnante. On a l’occasion de le constater grâce à une série d’exemples contemporains de la lampe. V. O.

Bertrand Bonello et Eva Ionesco

Documentaire réalisé par Claire Duguet. Jeudi 8 mars, 20 h 30, France Ô

Le courage des femmes du Congo face à la guerre, à la violence, au viol. Diffusé à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, ce documentaire croise les regards de la réalisatrice Claire Duguet et de Titouan Lamazou, artiste de l’Unesco pour la Paix, sur la population féminine congolaise de la région des Grands Lacs. Parfois très durs, les témoignages de ces femmes courageuses suscitent un respect sans apitoiement. Dans un pays où les forces armées – officielles comme rebelles – font la loi et sèment la terreur, les femmes sont les premières (mais pas les seules) victimes de la violence, en particulier du viol utilisé comme arme de guerre et de la contamination par le VIH qui en est la conséquence. Alexandra Caussard

oiseaux de nuit Balade dans la nuit parisienne avec deux adeptes de la transgression. du premier Tim Burton. Malgré tous ertrand Bonello et Eva Ionesco ces excès potentiels, l’ambiance est plus se promènent dans Paris la nuit. posée que dans l’épisode mémorable Virée placée sous le signe d’Au cœur de la nuit où James Ellroy du kitsch et de l’érotisme. Kitsch : jouait au coyote dans les rues de L. A. la visite chez les artistes Pierre et Gilles, avec son confrère Bruce Wagner. parangons de l’image sulpicienne Détail amusant : bien que l’émission détournée ; et au musée des Arts forains, ait été tournée à Paris, on remarque qui titille à juste titre l’imaginaire morbide que l’équipe allemande du reportage des deux cinéastes. Erotisme : halte a mis un point d’honneur à véhiculer dans une galerie spécialisée qui devient ses invités dans une Mercedes noire le théâtre d’un quiz avec le pornophile immatriculée outre-Rhin. V. O. Christophe Bier. A propos de pornographie, on déplore que Bertrand Bonello répète des rumeurs Au cœur de la nuit : Bertrand Bonello et outrancières sur Pee-Wee Herman Eva Ionesco Documentaire d’Ilka Franzmann. (alias Paul Reubens), zébulon hystérique Samedi 10 mars, 0 h 35, Arte

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in situ Winnie au pays des sans-papiers Avec la série intitulée Je suis Winnie l’Ourson le photographe Benjamin Béchet suscite une réflexion sur la marginalisation et la stigmatisation des précaires en faisant incarner ces travailleurs de l’ombre par Blanche-Neige, Winnie ou Spider-Man. bit.ly/z1691m  

recettes de cuisine scientifique Grâce à une analyse scientifique des saveurs communes aux différents ingrédients, Foodpairing propose d’inventer des plats aux combinaisons originales et instaure un peu de nouveauté et d’audace dans le monde des sites de cuisine. Seul bémol : une grande partie du site est payante. foodpairing.com   

le dictionnaire des mondes perdus Lutter, grâce à internet, contre la disparition des dialectes et l’uniformisation du langage dans le monde : tel est l’objectif que s’est fixé Enduring Voices en mettant au point plusieurs dictionnaires “parlant” des langues menacées. on.natgeo.com/A69iYC

œuf de Pâques et koalas A chaque passage de la souris, le grand rond gris qui occupe l’écran se divise en quatre, rapetisse, change de couleur. Peu à peu apparaissent des formes, dessinant une image de plus en plus précise. Une fois cette image révélée, un easter egg permet à chaque internaute de créer sa propre page “to the max” avec une image de son choix. koalastothemax.com

la revue du web The Smart Set

Owni

retour vers le futur

Acta vs mardi gras

Aux Samoa, archipel situé entre l’Océanie et le continent américain, le 30 décembre 2011 n’a pas eu lieu. Le pays ayant décidé de changer de fuseau horaire pour faciliter ses échanges avec l’Asie au lieu de l’Amérique, ses habitants se sont endormis le 29 et se sont réveillés le 31 décembre. En 1892, les Samoa avaient déjà fait le choix inverse et avaient vécu deux fois la même journée ! Etrange de se rappeler que l’histoire du temps n’est pas universelle, mais subjective et très récente… bit.ly/zHm2y8

Le carnaval, c’est avant tout l’art du déguisement. Malheureusement, sa pratique risque d’être rendue plus difficile avec les lois sur le copyright. Légalement, les articles utilitaires comme les vêtements et la mode en général n’y sont pas soumis… sauf si l’on considère un à un des éléments du costume. Par exemple, le symbole de Batman qui y est apposé ou la forme de sa cape. La bataille judiciaire fait donc rage entre les ayants droit et ceux qui veulent juste pouvoir fêter mardi gras tranquille. bit.ly/ylyOEg

Courrier international Israël, passé et futur Le réalisateur Camille Clavel entreprend une démarche personnelle et significative : inscrire son arrière-grandmère au mémorial de Yad Vashem (Jérusalem), qui rend hommage aux victimes de la Shoah. Ce voyage symbolique a également alimenté ses réflexions sur le conflit historique qui déchire Israël en Palestine. Les sept épisodes du webdoc Vers où Israël ?, sélectionné au festival Visions du réel 2012, seront diffusés du 24 février au 6 avril 2012. bit.ly/yrCQJp

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Robert Knoth / Greenpeace

vu du net

Kenta Sato, qui a dû quitter son village contaminé pour la ville de Fukushima, a créé un compte Twitter pour pousser le gouvernement à plus de transparence.

fuites à Fukushima Un an après, malgré les incertitudes et les dissimulations des autorités, le net tente de dresser un bilan de la catastrophe.

 L

e 11 mars 2011, un puissant séisme puis un tsunami meurtrier endommageaient gravement la centrale nucléaire de Fukushima. Ce funeste anniversaire est l’occasion pour le très complet blog francophone fukushima.over-blog.fr de faire le point sur la catastrophe encore en cours (bit.ly/xfmh7z). L’opportunité aussi pour la compagnie d’électricité japonaise Tepco de faire amende honorable et de montrer qu’elle a pris les choses en main. Le 20 février dernier, la presse était donc invitée sur le site même de Fukushima (bit. ly/wslLxu) à constater le bon déroulement des opérations. Pourtant, les premières photos de l’intérieur d’un réacteur (bit.ly/ AzDkVv) laissent penser que les prévisions de Tepco ont été sous-évaluées… Négligente (bit.ly/zBrjCj), accusée d’avoir des liens avec la mafia (tgr.ph/yZ78EV) : la firme misait beaucoup sur cette visite de la presse. D’autant plus que le mois dernier, un journaliste français avait été arrêté pour avoir pénétré dans l’enceinte de la centrale (bit.ly/yuVJCV), poussant le public à se demander si Tepco n’avait pas des choses à cacher… Un an plus tard, il reste encore énormément à faire et il se passera des décennies avant un (éventuel) retour à la normale (on.ksdk.com/xXnbwD). Aujourd’hui, c’est surtout l’inefficacité du gouvernement japonais qui est pointée du doigt (bit.ly/zVyoed). Si les autorités ont récemment décidé d’envoyer des singes et

sangliers cobayes pour mesurer les niveaux de radiation dans les zones peu accessibles des forêts (bit.ly/zJvPzh, bit.ly/zPEagG), certains s’indignent que l’on ne pense pas plus aux victimes elles-mêmes et aux retombées de Fukushima sur la vie des Japonais (bit.ly/AtH3uQ). A présent, les réfugiés du nucléaire devraient regagner peu à peu leurs villages (bit.ly/y2yjON) et repeupler les étendues longtemps restées vides… Enfin, pas tout à fait puisqu’un homme, seul, a refusé de quitter le no man’s land autour de Fukushima (tinyurl.com/6s4l9pv) malgré les risques de contamination radioactive. Tous ces événements ont déjà inspiré des réalisateurs japonais (bit.ly/wrmvih) : Nuclear Nation d’Atsushi Funahashi (on.wsj. com/wIzZZt), No Man’s Zone de Toshi Fujiwara (bit.ly/xbl8So) et Friends after 3.11 d’Iwai Shunji, ont été présentés durant le Festival de Berlin 2012. Le groupe britannique Third Window Films, spécialisé dans la distribution de productions asiatiques, organise le 11 mars en Angleterre une projection en avant-première de Mitsuko Delivers réalisé par Yûya Ishii : un événement à but caritatif dont les bénéfices seront reversés à un organisme humanitaire de Fukushima (bit.ly/zlpOk1). De son côté, Greenpeace a réalisé un magnifique webreportage (photo) Shadowlands, de Robert Knoth et Antoinette de Jong sur l’après-catastrophe (bit.ly/ w82HkH). Et pendant ce temps-là, le monde poursuit sa course à l’énergie nucléaire (bit.ly/ycTop0). Alexandra Caussard 7.03.2012 les inrockuptibles 121

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livre La Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole C’est un livre brillant, drôle. Je me marre et je me sens bien à chaque fois que je le lis.

album

Ting Tings Sounds from Nowheresville Un album éclectique, très bien foutu et conçu comme une playlist.

Valérie Mréjen Forêt noire Un conte très sombre, peuplé de fantômes et de questions sans réponses.

film American Movie de Chris Smith C’est un docu sur des réalisateurs de Milwaukee. C’est grâce à ce film que j’ai commencé à regarder des documentaires. recueilli par Ondine Benetier

Chronicle de Josh Trank Des ados désœuvrés gratifiés de superpouvoirs. Malin et réussi.

Bullhead de Michaël R. Roskam Saisissant film noir flamand, autour du corps du héros, colossal et pathogène.

Liz Green O, Devotion! Malaxé, concassé, détourné, le folk de cette Anglaise est l’une des beautés les plus biscornues de ce début d’année.

Claude Lanzmann La Tombe du divin plongeur Articles, portraits et récits : d’autres facettes d’un homme aux cent vies. Lone Sloane : Délirius 2 de Philippe Druillet Parangon d’anticonformisme, de puissance et de démesure.

Memoryhouse The Slideshow Effect Un duo canadien prend la relève de Beach House sur un beau disque de dream-pop. Steve Tesich Karoo La descente aux enfers tragicomique d’un script doctor alcoolique et désabusé.

Cheval de guerre de Steven Spielberg Histoire intime puis épopée lyrique qui se termine comme un western. Du grand Spielberg.

Speech Debelle Freedom of Speech Un grand disque de hip-hop inspiré des émeutes urbaines londoniennes. Explosif.

Le Livre noir d’Anthony Mann. La Révolution française campée comme un polar. L’Apollonide de Bertrand Bonello. Un théâtre labyrinthique du désir. La Charge de la brigade légère de Tony Richardson. Une fresque au casting royal.

Jonathan Coe Désaccords imparfaits Trois nouvelles graciles, une mise en scène de subtils tête-à-tête avec des fantômes.

La Vie avec Mister Dangerous de Paul Hornschemeier Les errements d’une jeune Américaine racontés avec pudeur et enchantement.

Monogatari d’Alexandre Akirakuma Alexandre Akirakuma, alias Alex Langlois, relit le récit médiéval nippon avec maestria.

Nick Dorey

Oslo, 31 août de Joachim Trier Une journée dans la vie d’un jeune toxico sortant de rehab. Beau film d’un réalisateur inspiré par Joy Division.

The Great Twenty-Eight de Chuck Berry C’est une compilation des meilleurs morceaux de Chuck Berry, le meilleur truc que j’aie écouté de toute ma vie.

Alex Winston Alex Winston vient de sortir son premier album, Alex Winston (Pias).

The Second Woman mise en scène Guillaume Vincent Théâtre de Brétigny (91) Hommage à John Cassavetes dans les coulisses d’un opéra contemporain.

Disgrâce de Luk Perceval Festival Exit à Créteil (94) Une adaptation du roman de J. M. Coetzee : un éclairage d’une rare violence sur la réalité sud-africaine.

Se trouver de Luigi Pirandello, mise en scène Stanislas Nordey Théâtre de la Colline, Paris Emmanuelle Béart excelle dans ce Pirandello rare.

Louidgi Beltrame Galerie Jousse Entreprise, Paris Plongée dans l’univers d’un film super-8 aux multiples strates sensorielles.

LE SILENCE Une fiction Musée national de Monaco L’évocation tout en finesse d’un monde sans l’homme.

The Deer Consortium de Dijon (21) Une expo signée Eric Troncy qui fait la part belle à la peinture et qui jouit de ce qui reste de beauté crue et nue à l’époque du capitalisme financier.

The Last Story sur Wii Le créateur du mythique Final Fantasy de 1987 revient avec un jeu médiéval facétieux.

Uncharted – Golden Abyss sur PS Vita Jeu vedette du lancement de la PlayStation Vita, la nouvelle mouture d’Uncharted.

The Darkness II sur PS3, Xbox 360 et PC Dans ce jeu, la lumière fait partie intégrante de l’aventure.

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