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+ édition régionale

RENNES 16 pages

j’ai sauté sur des maires avec

Christine Boutin

 L

’heure est grave : Christine Boutin n’a recueilli qu’une centaine de signatures pour la présidentielle. Il en reste donc à peine quatre cents à obtenir d’ici la date de dépôt des candidatures. Hop hop hop !, elle profite de la tenue du 94e Congrès des maires de France, porte de Versailles à Paris, pour rameuter les élus. Son point de chasse stratégique ? La boulangerie Paul entre les WC et la sortie. “C’est un moment privilégié, c’est une unité de temps et de lieu”, s’enflamme la présidente du Parti chrétien-démocrate. Christine a sorti le grand jeu : robe de couleur orange Benetton (qu’elle boycotte pourtant depuis l’affiche de pub sur laquelle le pape embrasse un imam, mais “celle-ci, tout le monde me dit qu’elle me va bien”), pull à rayures brillantes, sac brillant, chaussures à nœud noir brillant, lunettes avec brillants… Un sans faute. En revanche, pour la ponctualité, c’est pas encore ça. Christine, quand le rendez-vous est à 15 heures et que vous arrivez à 15 h 30, les maires n’attendent pas. “Là, on est sur le reflux”, commente Xavier Lemoine, son porte-parole, avant de relativiser : “Le gros du travail, on l’a fait ce matin.” Ok, donc ce qu’on fait là ne sert à rien. Heureusement, Christine a tout prévu. Les élus, elle leur saute dessus, reluque leurs badges : “Vous êtes maire ?” Si vous répondez non, pas la peine de vous attarder. Mais si vous dites oui, alors là… Volubile, Christine Boutin ne vous lâche plus : “Vous êtes de quel coin ?” Le Lot, le Loiret, le Finistère, elle s’en fiche. L’important, c’est la signature. “Ça serait magnifique que vous m’apportiez votre parrainage”,

“mon nom est facile à retenir, ça commence avec un ‘B’, comme Boutin”

professe-t-elle en écarquillant les yeux façon “j’ai vu la Vierge Marie”. Il y a ceux qui esquive (“j’ai apporté mon soutien à une autre : Eva Joly !”), les indécis (“je réfléchis, je réfléchis”). Mauvaise réponse ! La logorrhée commence : “Ce parrainage n’est pas un soutien, les maires qui m’ont soutenue en 2002 ont été réélus sans problème, ça ne leur a pas causé de tort. Alors pourquoi vous hésitez, j’aimerais savoir ? Pourquoi ne pas m’apporter votre parrainage, hein, pourquoi ? Mon nom est facile à retenir, ça commence avec un ‘B’, comme Boutin.” Le maire n’en peut plus, il fuit. “Au plaisir monsieur, bon retour, hein…” Ses arguments ne sont nullement politiques, mais de l’ordre de l’évidence ou du déjà vu-entendu-rabâché-digéré : “Les parrainages, c’est l’expression de la démocratie, elle est mal en point si on n’a que deux partis, le premier tour est le moment du débat.” Bilan de l’après-midi : deux soutiens dont une élue, sosie à deux sous, qui n’a même pas besoin de filer son téléphone parce qu’elle est “du village d’enfance de Christine. Elle me connaît très bien”. Derrière elle, un maire a l’air fan, il prend des photos. Lui, c’est sûr, ça va marcher. La conversation s’engage. Boutin débite le même couplet, la galère des signatures, la démocratie, le premier tour… Le monsieur à la veste en velours case dans la conversation qu’il est retraité… Christine, c’est mort. En tout cas, il est “ravi d’avoir rencontré Mme Bachelot”. “Ah non, moi c’est Boutin.” Forcément, c’est couillon, ça commence pareil, avec un “B”. Marion Mourgue photo Guillaume Binet/MYOP

30.11.2011 les inrockuptibles 5

No.835 du 30 novembre au 6 décembre 2011

05 quoi encore ? Christine Boutin

10 on discute courrier ; édito de Bernard Zekri

12 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

14 on décrypte 16 événement Eva Joly, la candidate antisystème

18 ici

Bryan Adams

Serge July, sens dessus dessous ; l’ère de rien ; le mot

82

les salariés de Fralib luttent pour sauver leurs emplois

20 ailleurs agressions de femmes journalistes place Tahrir

22 la courbe ça va ça vient ; billet dur

24 nouvelle tête

45

26 parts de marché la TVA sur les produits culturels

28 à la loupe Christine Lagarde s’étire en cachemire

82 Amy Whinehouse un album posthume fait resurgir la chanteuse, solaire et romantique

45 entretien avec Vincent Peillon

Guillaume Binet/M.Y.O.P

Stalley

55

la social-démocratie selon le député PS

48 Hollande tout en nuances Aurélien Dupuis

le candidat fait face aux déformations de son projet par l’UMP

49 presse-citron revue d’info acide

50 que le meilleur perde les politiques en quête de défaite

51 débat d’idées EMI racheté, patron d’AZ licencié et jeunes artistes indépendants

55 dossier high-tech êtes-vous tactile ?

75 les morts invisibles depuis 2004, les drones de l’armée US ont tué plus de 2 000 Pakistanais

78 Amber Heard sex-symbol et excellente comédienne

80 Maurizio Cattelan rétrospective de l’artiste à New York

30 pour les abonnés

supplément Gorillaz avec ce numéro pour l’édition régionale

Rennes, ville ouverte cahier 16 pages au centre du journal 30.11.2011 les inrockuptibles 7

couverture Yann Morrison

30 quel avenir pour le disque ?

Simon Emmet

le socialisme vire à l’écosocialisme

les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34

86 Le Cheval de Turin de Béla Tarr

88 interview Béla Tarr : “Je ferme la boutique”

91 sorties Americano, Footnote, The Lady, Hara-Kiri, Welcome in Vienna...

96 dvd Les Chaussons rouges…

98 Uncharted 3 + The Elder Scrolls V – Skyrim

102 les Trans de Kütu Folk le label clermontois en force à Rennes

104 mur du son Leonard Cohen, Fredo Viola…

105 chroniques Drake, Melingo, Daniel Darc, Dear Reader, Los Campesinos!, SuperBravo…

115 morceaux choisis Django Django, Suuns, The Lanskies…

116 concerts + aftershow Jay-Jay Johanson

118 W. G. Sebald une monographie lui rend hommage

120 tendance le retour du puritanisme

121 romans Federico Jeanmaire

122 idées les écrivains expliqués par leur vie

126 bd Joshua W. Cotter

128 Suzanne Osten à Reims + Mettre en scène + Lia Rodrigues

130 Pour un art pauvre à Nîmes + Markus Raetz

132 où est le cool cette semaine ? ce qu’il faut porter… ou pas

134 Bertrand Mosca le nouveau patron de France 2 veut redonner du peps à la chaîne publique

136 les gourous de l’Elysée recettes de cuisine politique

138 séries The Big C, rire du cancer

140 programmes aux racines du Front national

142 enquête l’Allemagne n’est plus amie avec Facebook

144 la revue du web sélection profitez de nos cadeaux spécial abonnés

pp. 124 et 133 8 les inrockuptibles 30.11.2011

145 vu du net tout sur les Gaulois

146 best-of le meilleur des dernières semaines

rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Hélène Fontanaud, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène, David Doucet, Geoffrey Le Guilcher idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot cahier villes Alain Dreyfus collaborateurs D. Balicki, E. Barnett, S. Beaujean, G. Binet, R. Blondeau, M.-A. Burnier, B. Catanese, R. Dautigny, M. Despratx, D. Doucet, L. Dunois, A. Dupuis J. Goldberg, E. Higuinen, J. Jullien, O. Joyard, R. Knaebel, L. Laporte, C. Larrède, P. Le Bruchec, N. Lehouelleur, T. Legrand, L. Mercadet, B. Mialot, L. Minano, P. Noisette, F. Ortelli, V. Ostria, O. Père, E. Philippe, J. Provençal, A. Ropert, L. Soesanto, P. Sourd lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares vidéo Basile Lemaire graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Delphine Chazelas, Thi-bao Hoang, Jérémy Davis, Gaëlle Desportes, Fatima Camara conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/ scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté de Paul-Boris Bouzin tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 coordinatrice Evelyne Morlot tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 19 98 directeur et directrice de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94, Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 chef de publicité junior Chloé Aron coordinateur Guillaume Farez tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 assistante Sarah Carrier tél. 01 42 44 15 68 marketing, promotion directrice du développement Caroline Cesbron promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/rp Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 assistante promotion marketing Margaux Scherrer tél. 01 42 44 16 68 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19 infos 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 2 211 059,61 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général David Kessler assistante Valérie Imbert directeur général adjoint Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Sonia Pied administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2011 directeur de la publication David Kessler © les inrockuptibles 2011 tous droits de reproduction réservés ce numéro comporte un encart abonnement 2 pages “Edition Rennes” jeté dans l’édition vente au numéro des départements 22, 29, 35 et 56 ; un cahier de 16 pages “Edition Rennes” broché dans l’édition des départements 22, 29, 35 et 56 ; un supplément de 16 pages “Lyon Confluence” jeté dans l’édition générale ; un supplément de 16 pages “Gorillaz” jeté dans l’édition abonnés

l’édito

les clés de l’enfer Ils ont retrouvé les clés de la machine à perdre. Dans la période de turbulences que vient de traverser François Hollande, aucun éléphant n’a barri. On a laissé le héraut du PS se faire traiter de “gauche molle” (terme transmis à la droite par Martine Aubry), de “Babar”, de “capitaine de pédalo” et enfin “d’archaïque” et de “bois dont on fait les marionnettes” par l’intraitable Eva Joly. En signant des accords IVe République avec les Verts, Martine Aubry n’a refilé aux écologistes que des circonscriptions jusqu’ici promises aux fidèles de François Hollande. C’est un Diên BiênPhu électoral : les Dakotas aubrystes parachutent des légionnaires verts dans la fournaise législative. Car les Duflot à Paris, les Meirieu à Lyon vont atterrir sous les bombardements des socialistes frustrés et il n’est pas sûr qu’ils puissent résister à l’assaut. Le temps d’une primaire, on a cru que la gauche avait enterré la vieille machine à perdre dans un endroit aussi secret que la tombe de Kadhafi. Les chefs socialistes, bêche à la main, ont tant creusé qu’ils ont retrouvé l’engin. Rouillé peut-être mais en parfait état de marche. L’euro menacé d’explosion, le pays s’enfonce dans le déficit, le chômage, la récession. La France et l’Allemagne aveugles s’accrochent à leur vieux souverainisme et refusent l’évidence des solidarités nécessaires. Nous frisons un désastre qui peut faire tomber notre niveau de vie, et d’abord celui des classes populaires, d’au moins 20 % à 30 %. Et que fait-on chez nos politiques ? A droite, Sarkozy vitupère le vote des étrangers aux élections locales, revient à l’occasion sur une vieille promesse d’ouverture. A gauche, dernière lubie de la rue de Solférino, on entend cette théorie navrante : “Laissons battre Hollande à la présidentielle, nous gagnerons les législatives et notre première secrétaire gagnera la seule place digne d’elle, Matignon…” Quelle connerie, la haine ! N’oublions pas que Solférino, bataille fort sanglante, donna à Henri Dunant l’occasion d’inventer la Croix-Rouge.

M.-A. B., Bernard Zekri 10 les inrockuptibles 30.11.2011

en lisant Les Inrocks, j’apprends que Pierre Sled est le mari de Sophie Davant ! Mais WTF ?!? méchamment twitté par @SetTheFire2Rain j’aime Dick Rivers et je t’emmerde J’ai beaucoup apprécié l’article d’Isabelle Foucrier sur les goûts culinaires de Dick Rivers, aficionado de la cuisine thaï et tex-mex. Mais au moment où l’ex-leader des mythiques Chats Sauvages fête ses 50 ans de bons et loyaux services à la bonne musique qui gravite autour du rock’n’roll, avec la sortie conjointe d’un superbe album, Mister D, et d’un livre d’entretiens signé Sam Bernett, ainsi qu’une grande tournée hexagonale dont un concert mémorable et explosif au Casino de Paris, qui porte encore les stigmates d’un ras de marée de feeling et d’authenticité, j’aurais préféré de la part des Inrocks, un papier sur l’œuvre et l’actualité musicale débordante de Dick. Serge Sciboz

je suis snob et je t’emmerde Jusqu’ici, je me suis retenu. Mes amis me reprochaient déjà un certain snobisme que je reniais, on me disait intolérant, prétentieux, élitiste, intello. On me parlait d’esprit de contradiction lorsqu’au détour d’une conversation je lançais discrètement ne pas avoir trop aimé Les Ch’tis, ne pas être un grand fan de Dany Boon, mais avoir pleuré devant la beauté du dernier Bonello… J’ai tenté de me mettre à l’humour franchouillard. J’ai vu tout Kad Mérad, mais ça n’a pas pris. J’ai écouté toutes les chansons du top Deezer, plusieurs fois, elles sont entrées dans ma tête, mais c’était fort désagréable. Je m’en suis voulu. J’ai réécouté l’album de David Guetta, et même pour “danser en boîte”, je trouvais ça mauvais. Puis on m’a dit : “Tu te donnes un style…” Et j’ai répondu : “Je t’emmerde !” C’est sorti si vite de ma bouche, le premier réflexe fut de m’en vouloir, un peu. Le pauvre mec n’avait vraiment rien de méchant. Je décidai de ne pas m’excuser. Il y eut un blanc. Alors j’ai médité, cogité, essayé d’imaginer ce que serait ma vie

de bobo qui s’assume. (…) Sur Allociné, j’ai pris à partie un adorateur, donc gros voyeur, de Maïwenn ; sur Rue89, je me suis moqué d’un débile fan de Yannick Noah ; sur Doctissimo, j’ai prédit la mort à tous ces connards qui rechignent à consulter un spécialiste, s’en remettant aux internautes hypocondriaques. Dans la rue, je ne souris plus, dans les magasins je ne dis plus bonjour. J’achète Les Inrocks et je lis le magazine assis, dans le métro, tandis que des vieilles et des handicapés tiennent comme ils peuvent, debout, à mes pieds. Des fois même, je leur jette un regard moqueur. J’insulte ceux qui m’insultent, je ris au nez des gens qui me vantent les mérites d’Intouchables, Tolédano et Nakkache m’emmerdent ouvertement. Je n’ai pas vu le film mais le sais mauvais. Je n’achèterai pas le dernier album de Charlie Winston, et si je l’entends en soirée, je prendrai ce sourire méprisant, sarcastique, que j’ai naturellement chopé depuis ma métamorphose. Dzibz

écrivez-nous à [email protected], lisez-vous sur http://blogs.lesinrocks.com/cestvousquiledites

7 jours chrono le paperblog de la rédaction docteur Pepper On l’a vu sur tous les écrans, c’est lui qui gazait des manifestants assis d’Occupy Wall Street en Californie. Depuis, John Pike est devenu la cible des quolibets de la blogosphère. “Le policier qui asperge tout, tranquille, de gaz au poivre”, est photoshopé à l’infini par les bloggeurs – dans un tableau de Klimt (ci-dessous) ou sur la place Tian’anmen, etc.

le moment une victoire pour la pire équipe de foot du monde Depuis sa création en 1994, elle avait perdu ses trente matchs. Dernière au classement Fifa, l’équipe des Samoa-Américaines a enfin gagné.

Mardi 22, face au Tonga lors des éliminatoires de la Coupe du monde 2014, les Samoans ont retrouvé la dignité en gagnant 2 à 1. Si la qualification pour la Coupe reste aussi improbable qu’une baisse généralisée des impôts en Grèce, cette victoire marque la fin du calvaire pour une équipe qui fut un jour battue 31-1 par l’Australie. Dans le match contre le Tonga, les Samoa-Américaines présentaient une particularité : dans ses rangs évoluait un certain Johnny Saelua, membre du groupe des fa’afafine – des individus nés hommes mais considérés comme appartenant au “troisième sexe”. Bref, le premier footballeur transgenre à disputer un match à ce niveau. “L’équipe m’a accepté, le respect est mutuel, c’est formidable”, a déclaré Johnny Saelua. Dans l’euphorie, l’entraîneur samoan en a rajouté : “Nous avons une fille en défense centrale ! Vous imaginez ça en Espagne ou en Angleterre ?”

12 les inrockuptibles 30.11.2011

Facebook a rétréci le monde ! Lundi 21, des chercheurs de l’université de Milan expliquent que le monde a, en quelque sorte, rétréci. Grâce aux réseaux sociaux, les fameux “six degrés de séparation” (nombre maximum de poignées de main qui séparent n’importe qui de n’importe qui sur la planète) tombent à 4,74. En clair, sur Facebook, pas plus de cinq friends te séparent de Barack Obama ou d’un paysan du Yunnan. poor is cool Mercredi 23, Karl Rabeder refait parler de lui. Il y a un an, ce millionnaire autrichien renonçait à son luxueux chalet, sa limousine, ses cinq avions et sa fortune personnelle. Aujourd’hui, avec 1 000 euros par mois et sa cabane en bois, l’ex-homme d’affaires est “plus heureux qu’il ne l’a jamais été”. “Quand je revois une photo de moi l’année dernière devant mon chalet, j’ai dix ans de plus, l’air triste et fatigué”, explique Rabeder au Spiegel. Pour ne pas subir la crise, anticipons : devenons pauvres volontairement.

Ludovic/REA

l’image

un coup de gouvernail à droite. Devant les 3 000 maires réunis à l’Elysée, le Président dézingue la proposition du PS visant à accorder le droit de vote aux étrangers lors des municipales. Et contredit le Sarko de 2005 et 2008 qui s’était déclaré favorable à cette mesure. Pas de chance, lundi 28, Le Parisien annonce en une que 61 % des Français sont favorables au droit de vote des étrangers. bref, j’ai lu Tocqueville Jeudi toujours, un article sur le site du Monde : “Bref, Tocqueville avait raison”. L’idée est que la pastille culte du Grand Journal de Canal+, qui traite des aventures intimes d’un trentenaire à l’existence banale, est symptomatique de la tendance au repli sur la sphère privée de l’individu démocratique, exactement ce que Tocqueville avait annoncé dans les années 40 (1840, bien sûr) : “Je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme.” Gustave contre le cancer L’Institut de cancérologie GustaveRoussy, premier centre de lutte contre le cancer en Europe, invite des artistes tels Invader, Bruno Peinado, Claude Closky (photos), Tatiana Trouvé ou Enki Bilal à faire de la figurine Gustave un “art toy”. Afin de financer un programme de recherche, une vente aux enchères se tiendra le 7 décembre (à 19 h) chez Artcurial, à Paris, avec la complicité de Chiara Mastroianni. L. M., G. S. et B. Z. avec la rédaction

nuit d’horreur au supermarché

C’est la crise, vous avez deux heures pour consommer, et tous les coups sont permis. Dès minuit le jour de Thanksgiving, c’est le Black Friday. Rien à voir avec le Jeudi noir, Septembre noir ou tout autre jour funeste de l’histoire, c’est le premier jour des prix cassés du shopping de Noël. Ce vendredi mérite son nom au regard de l’ambiance hystérique qui règne dans les centres commerciaux. A l’exception des vendeurs, c’est quasiment un jour férié pour les Américains. Cette année encore, le cocktail “soldes de dingues + quantités limitées + grappes de surexcités” s’est révélé flippant : des bagarres partout dans le pays, une boutique de Manhattan non ouverte à minuit dévalisée et une fusillade sur un parking près de San Francisco. La palme revenant à une cliente californienne qui voulait tant une Xbox en promo qu’elle a gazé la vingtaine de clients entre elle et la console. Une overdose de Resident Evil ?

Artcurial

Sarko 2011 vs Sarko 2008 Jeudi 24, Sarkozy redonne

30.11.2011 les inrockuptibles 13

sens dessus dessous

nucléaire : le premier débat

14 les inrockuptibles 30.11.2011

l’ère de rien

senior, file-moi ton boulot !

J

eudi 24, Le Monde sort en une le sondage qui va faire causer. “Et si la France n’aimait pas ses jeunes ?” Egoïstes, paresseux ! Le sondage montre aussi que le souci numéro un (à 92 %) de nos jeunes est de trouver du boulot, et donc se loger, et avoir un peu de fric. Un nommé Arthur, pourtant privilégié (maths sup au lycée Lakanal), s’inquiète : “La génération de nos parents va bien être obligée de nous faire une place.” Alors je te réponds, Arthur : OK mec, nous les seniors on est d’accord. Pas contre passer la main. Pas de chance, on nous oblige à continuer à bosser. Retraite à 62, 65, bientôt 67. Je suis conscient de te boucher la place, mais quoi ! sinon j’aurais 1 000 euros de pension. Parce qu’il y a eu aussi, bien avant Sarkozy, Fillon et Woerth (et ça tu ne le sais pas parce que t’étais pas né, Arthur), une loi Balladur de juillet 1993, votée en douce pendant les vacances : pour le calcul de la pension, ce sont les 25 meilleures années de revenus qui comptent. Avant 1993, c’était les 10 meilleures années. Et ça change tout. Comme les “meilleures années” arrivent souvent en fin de carrière, il faut s’accrocher, étirer au max cette fin de carrière. Même si on en a plein le dos. Désolé, vieux. Léon Mercadet

le mot

Francis Le Gaucher

Ce débat n’a jamais eu lieu. Ni le choix initial du nucléaire en 1958 par le général de Gaulle, ni le basculement dans le tout-nucléaire n’ont suscité la moindre confrontation publique. Des sommes considérables ont été investies, mais les élections présidentielles se sont succédé, dont deux remportées par la gauche, sans soulever la moindre objection. La petite voix des Verts restait trop faible pour émouvoir les profondeurs de l’électorat. Jusqu’à ce que le prétendant à l’alternance se fasse le champion d’une diversification des sources d’énergie. L’Europe est critiquée à juste titre pour s’être construite sans les peuples. Au moins, il y a eu deux référendums sur le sujet et des élections européennes régulières. Pour le nucléaire, rien de rien : le débat n’a jamais été reconnu d’utilité publique. Voilà pourquoi la conjonction formidable de l’accident de Fukushima, de la sortie du nucléaire de l’Allemagne, de l’alliance des socialistes et des écologistes, et de la décision du vainqueur de la primaire citoyenne d’organiser la transition énergétique a réussi à provoquer une première absolue à l’échelle nationale. Grâce en soit rendue aux Verts et au PS : l’accord législatif signé entre les deux formations, qui prend acte de leurs désaccords sur le nucléaire, mais entérine en passant la réduction de 75 % à 50 % d’ici 2030 de la part du nucléaire dans la consommation nationale, a amorcé le premier grand débat national sur le sujet. Le premier thème de campagne de la future présidentielle a été imposé par l’opposition. La violence de la réaction du Président candidat mesure le caractère iconoclaste de l’événement. Nicolas Sarkozy, qui a la prétention de gagner les élections parce qu’il serait toujours le maître des débats, s’offusque au point d’en faire un crime de lèse-majesté et de mettre François Hollande quasiment au ban de la nation. La mère des débats. Il touche à l’indépendance énergétique, militaire, diplomatique. Chef-d’œuvre d’une nation d’ingénieurs, cette industrie, inventée par un Etat puissant qui n’avait pas renoncé à être stratège, a été longtemps l’un des rares produits d’exportation. Ce débat interpelle des couches de techniciens et d’ouvriers qui se sentent menacés par le chômage de masse et par les fermetures annoncées de nombreuses usines, sans toujours voir les opportunités d’avenir. Enfin le progrès d’hier est questionné sur ce qui reste de son actualité, et sur ses nouvelles frontières. En lançant ce débat qui en commande tant d’autres, les socialistes ne savaient sans doute pas qu’il serait aussi structurant et qu’il pesait autant dans la décision des électeurs.

Europäischer SozialFonds

par Serge July

[première dame] “L’ex-première dame”, l’inélégante expression revint dix fois, cinquante fois à la mort de Danielle Mitterrand. Il y a quelques semaines, à la naissance de sa fille, la “première dame” Carla Bruni avait déjà envahi les médias. Le malheur, c’est que les deux mots de “première dame” sont anticonstitutionnels. La loi suprême ne donne à la femme du Président aucun rôle, ni aucune place dans les institutions de la République. Elle n’existe que comme épouse du chef d’Etat : un rôle privé. D’ailleurs, personne n’aurait eu

l’idée de qualifier Mme de Gaulle de “première dame” : on la surnommait tante Yvonne. On ne le disait pas davantage pour Mme Pompidou, qui fut en revanche laidement calomniée. Ce titre usurpé, au début chuchoté, relève d’une traduction de l’américain First Lady. Aux Etats-Unis, à l’inverse, la femme du Président tient un rôle officiel. En France, l’expression se répandit avec Mme Chirac, et surtout avec M. Sarkozy qui, encore une innovation, nous présenta en un temps record, non pas une mais deux “premières dames” à l’Elysée. M.-A. B.

verte de rage Plus à l’aise sur le terrain que dans les médias, Eva Joly peaufine, loin de la capitale, son statut de candidate antisystème plébiscitée par les militants écologistes.

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n va finir par croire qu’Eva Joly fonctionne par éclipses. Après s’être exilée en Charente quatre jours pour éviter de commenter l’accord passé entre le PS et Europe EcologieLes Verts (EE-LV), la candidate écolo à la présidentielle vient de passer un weekend prolongé à Mayotte et à la Réunion. Si l’ex-juge d’instruction y allait pour rencontrer des élus et associations d’outremer, ce fut également une bonne manière de clore une semaine qui a viré au psychodrame. Candidate atypique et sans compromis, Eva Joly est en train de payer sa liberté de ton. En refusant de dire lors d’une interview sur RTL qu’elle se désisterait pour François Hollande au second tour, l’ex-magistrate a provoqué une crise au sein de son parti. Pour marquer son désaccord, son porte-parole Yannick Jadot a claqué la porte tandis que Daniel Cohn-Bendit lui a conseillé de “ne pas faire du sousMélenchon”. Lors d’une réunion de crise organisée à la hâte le 23 novembre, les dirigeants d’Europe Ecologie l’ont appelée à “jouer plus collectif” et à harmoniser sa parole avec celle du parti. Pourtant, auprès des militants, cette stratégie de différenciation fonctionne. La semaine dernière, sur la place de la petite commune viticole de Rully en Saône-et-Loire, Eva Joly fait face à une cinquantaine de journalistes. Vêtue d’un long manteau vert et d’une écharpe blanche, la candidate des écologistes à la présidentielle se montre plus à l’aise que dans les studios feutrés de la radio de la rue Bayard à Paris. Les deux mains appuyées sur son pupitre en Plexiglas, elle lance au cénacle médiatique qui l’entoure et qui pronostique sa chute depuis plusieurs jours : “Je ne doute pas que vous soyez là pour vous intéresser aux questions de 16 les inrockuptibles 30.11.2011

l’emploi dans la viticulture et le nucléaire !” Les quelques militants présents opinent du chef. Interrogé sur la démission de son porte-parole, Eva Joly esquive la question par un tacle : “Si vous sortiez du microcosme parisien et, si vous arrêtiez de vous copier les uns et les autres et que vous alliez à la rencontre des militants, vous sauriez ce qu’il en est.” Des applaudissements nourris de ses troupes viennent ponctuer la saillie. Encouragée, Eva Joly conclut, sarcastique : “Parler de la zone euro, ça ne vous intéresse pas ? J’en ai marre de commenter les commentaires.” Comme souvent au sein du peuple vert, ce qui passerait dans d’autres partis pour un défaut est ici perçu comme une qualité. Sa voix chevrotante et son accent scandinave, souvent objets de moqueries, sont toujours accueillis dans un silence religieux lorsqu’elle prend la parole. Tandis que son statut de femme novice en politique lui confère une aura certaine dans un parti qui ne supporte plus les querelles d’apparatchiks. Alors lorsque Le Figaro la qualifie d’“erreur de casting”, l’ancienne juge d’instruction ne peut rêver d’un meilleur satisfecit pour mobiliser ses militants en cette période difficile.

“Vous êtes une erreur de casting, vous ne jouez pas le jeu. Ça tombe bien, le jeu politique n’amuse plus les électeurs”, déclare le maire de la ville de Rully, François Lotteau au moment de l’accueillir. Eva Joly savoure. Avant de répliquer un peu plus tard, les pieds dans la boue, au détour de la visite d’une vigne : “Lorsqu’une presse sous influence vous attaque, c’est toujours bon signe.” A une dizaine de mètres d’elle, un militant tient une pancarte en direction des caméras de télévision sur laquelle est inscrit “Eva ou personne”. Tout au long de la journée, les partisans venus la voir multiplieront les signes d’affection à son égard. Candidate inclassable, rejetant les combinazione d’appareil, elle répond plus que nul autre à leur soif d’idéalisme

“vous êtes une erreur de casting, vous ne jouez pas le jeu. Ça tombe bien, le jeu politique n’amuse plus les électeurs” François Lotteau, maire de Rully

Jeff Pachoud/AFP

Eva Joly, devant élus et journalistes. Rully (Saône-et-Loire), le 24 novembre

et d’éthique en politique. “Eva a une dimension iconique chez les militants. Les remontées des secrétaires de fédération, qui sont un bon thermomètre de ce que pense la base, sont très positives”, souligne avec le sourire son directeur de campagne Sergio Coronado. Rassuré par les nombreux messages de soutien qu’elle reçoit, son staff peaufine son statut de candidate antisystème capable de faire de la politique autrement. “Elle rejette la petite politique sans pour autant tomber dans le poujadisme. La frontière est ténue mais Eva réussit à la tenir”, confie Julien Bayou, ex-militant de Jeudi noir, aujourd’hui membre de sa garde rapprochée. “On va sortir de cette séquence en positif et les éditorialistes finiront par manger leur chapeau comme lors de la défaite d’Hulot.” La difficulté de faire vivre sa candidature alors qu’EE-LV négocie en parallèle un accord de mandature avec le Parti socialiste n’est pas nouvelle. Tous les candidats écolos se sont heurtés à cette logique présidentielle qui ne correspond pas à leur ADN politique. Alain Lipietz, qui avait dû renoncer à porter les couleurs des Verts en 2002, estime qu’Eva Joly

joue la bonne partition. “On lui a demandé de porter le message des Verts pendant qu’on s’occupait de la tambouille politicienne, on ne peut pas lui reprocher ensuite de chercher à se différencier.” “Les gens qui lui ont tapé dessus sont les mêmes qui m’ont tapé dessus en 2007, c’est des mecs. Le pouvoir s’incarne toujours au masculin. Ça a été dur pour Ségolène Royal, Martine Aubry, ce sera dur pour Eva Joly”, estime pour sa part Dominique Voynet, qui recueillit 1,57 % des voix lors de la présidentielle de 2007. “Le traitement qu’elle subit est sexiste, on parle d’amateurisme, d’inexpérience. On n’a pas dit ça quand Mélenchon a parlé de capitaine de pédalo, pourtant c’est plus violent que ce qu’a dit Eva Joly.” Pour l’actuelle maire de Montreuil, Eva Joly sortira renforcée de cette mauvaise passe. “Tout ça va lui permettre de faire le tri entre ceux qui sont dans le collectif et ceux qui voulaient se servir de sa campagne pour briller, lui grimper sur la tête et s’imposer sur la scène politique. Il y a des moments de solitude dans une campagne, ça m’est arrivé de sentir que ceux qui sont censés vous aider sont juste là pour observer de façon goguenarde comment vous allez vous noyer.” Jusqu’au-boutiste, la candidate écolo flotte encore. En quête d’un espace politique pour faire vivre sa candidature, Eva Joly a en tout cas trouvé une nouvelle visibilité médiatique. “Pour conquérir un plus large public, elle doit désormais s’émanciper de son portrait chabrolien de juge d’instruction implacable pour laisser entr’apercevoir son côté chaleureux”, estime l’un de ses soutiens. Lors de son déplacement en Bourgogne, Eva Joly n’a quitté qu’une seule fois son long manteau vert. Sous l’œil des photographes, la FrancoNorvégienne semble se découvrir l’espace de quelques secondes. Uniquement le temps d’enfiler une veste sous son manteau et ainsi mieux affronter le froid. David Doucet 30.11.2011 les inrockuptibles 17

un éléphant, ça se bat énormément Depuis quatorze mois, les salariés de Fralib, l’usine des thés Eléphant, sont en lutte. Après avoir fait échouer un plan de délocalisation, ils tentent de transformer leur entreprise en coopérative.

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’a des Yoplait, des Madrange, des Charal, tout le monde est là.” Jeudi 24 novembre au matin, rue de Varenne, non loin de Matignon, 200 salariés syndiqués du groupe Unilever sont venus soutenir leurs copains de Fralib. L’usine des thés Eléphant à Gémenos (Bouchesdu-Rhône), propriété d’Unilever, risque de mettre la clef sous la porte, à la grande tristesse des manifestants qui réclament le maintien de leurs emplois à l’occasion d’un comité de groupe d’Unilever. Drapeaux de la CGT, autocollants invitant au boycott d’Unilever sur fond de chants révolutionnaires cubains : les Fralib ont mis le paquet. Aux premières loges, sous les fenêtres de la direction, Front

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de gauche et PC sont présents à leurs côtés : “En face, on a un groupe qui a beaucoup de moyens. Ils ont déjà dépensé 1,2 million d’euros en gardes du corps et en huissiers depuis le début de l’affaire”, a calculé Olivier Leberquier, délégué syndical CGT. Car Fralib n’en est pas à son premier combat. Tout commence en septembre 2010, quand Unilever – la multinationale aux 400 enseignes – décide de fermer l’usine et de délocaliser sa production en Pologne. Elle invoque “une perte de 20 % de parts de marché”. Ce jargon économique qui met en question la compétitivité du site laisse de marbre les salariés. Pour eux,

l’usine, qui existe depuis plus d’un siècle, est rentable. “L’année dernière, elle a fait 4,5 millions de bénéfices en comptant les deux mois de grève”, explique Jean-Marc Feutras, mécanicien chez Fralib, monté en car dans la nuit avec les autres. “La part salariale de Fralib coûte actuellement 15 centimes par paquet de thé. En Pologne, ça passe à 6 centimes. Ils veulent supprimer 182 emplois juste pour économiser 9 centimes par boîte ?” Le 17 novembre, la cour d’appel d’Aix-enProvence leur a accordé une première victoire en annulant le licenciement de 182 salariés. Elle a demandé à Unilever de revoir son plan

“ils nous proposaient 5 600 euros pour travailler en Pologne. En fait, c’était un salaire annuel…”

Ludovic/RÉA

Manifestation des Fralib près deM atignon, le 24 novembre

de sauvegarde de l’emploi, jugé insuffisant et “sans valeur”. “Ils nous proposaient 5 600 euros de salaire pour aller travailler à Katowice en Pologne, se souvient Olivier. On s’est dit, c’est énorme. En fait, c’était le salaire annuel, soit 460 euros par mois.” Aujourd’hui, les salariés manifestent pour obtenir une table ronde avec les dirigeants du groupe et les ministres concernés. Ils souhaitent obtenir la réintégration des ouvriers licenciés et présenter leur plan de reprise. Leur modèle : les Scop (Société coopérative ouvrière de production) qui renaissent dans le paysage économique : “Il y en a plus de 2 000 dans le monde. Les salariés ont une grande part dans la gestion de l’entreprise et les dirigeants ne peuvent gagner plus de cinq fois le smic”, explique Laurence Sauvage, du Front de gauche. Ils souhaitent qu’Unilever leur cède la marque Eléphant, vieille de 119 ans, les machines et les terrains de l’usine. Un projet utopique ? Pas pour les salariés, qui réfléchissent depuis un an, et souhaitent renouer avec les techniques traditionnelles du thé. “Avant, pour le thé citron, je mettais du vrai jus de citron. Unilever a tout remplacé par les arômes artificiels, moins chers”, raconte Yves Baroni, aromatiseur. Mais ils devront payer plus cher la matière première, le thé brut : “En vingt ans, le prix du thé chez nous n’a pas évolué. Ça veut dire qu’en vingt ans, les salaires des mecs qui bossent dans les plantations au Sri Lanka n’ont pas augmenté d’un euro.” Olivier leur remet les pieds sur terre : “Pour l’instant on n’en est pas là. Si on parvient à reprendre le travail et à en vivre, ça sera déjà un pied de nez au système.” France Ortelli

Mehdi Chebil/Polaris/Starface

Le Caire, 25 novembre, manifestation de femmes contre les agressions sexuellesc ommises place Tahrir

pas de place pour les femmes Une journaliste française violée par une meute d’hommes, une autre violentée par les forces de l’ordre, des dizaines de témoignages d’intimidation : les femmes bravent le danger place Tahrir, au Caire.

I

l est 21 heures, place Tahrir. Des dizaines de milliers d’Egyptiens sont revenus dans le sanctuaire de la révolution pour réclamer le départ des militaires au pouvoir depuis neuf mois. La nuit est tombée sur la place, les slogans retentissent, les drapeaux s’agitent sous l’éclairage jaune et puissant des lampadaires. La foule est si dense qu’il faut se débattre pour chaque mouvement et se prendre un coup de pied à chaque nouveau pas. Mais depuis quelques secondes, sur mon passage, dans la bousculade, les gestes sont trop précis. Comme par hasard, les mains se baladent et s’arrêtent en des endroits stratégiques. Pelotée ! Je suis pelotée par un million de mains anonymes qui me touchent, m’agrippent le pantalon, me poussent vers le sol. L’angoisse monte en même temps que la colère de l’impuissance. Mes souvenirs resurgissent et je vois le calvaire de Lara Logan, la journaliste de la chaîne CBS, agressée sexuellement sur cette même place de la Libération, le 11 février, le soir de la révolution. Cette grande reporter américaine qui a fait ses armes en Irak et en Afghanistan était tombée aux mains d’une bande d’hommes, place Tahrir, dans la liesse populaire, avant d’être secourue par un groupe de femmes.

un million de mains anonymes me touchent, m’agrippent le pantalon 20 les inrockuptibles 30.11.2011

Je sais qu’il faut partir, vite, sans attirer l’attention. Surtout ne pas rester immobile, ne pas trébucher, ne pas se laisser séparer des deux confrères. Avant d’être attirée, transportée, déshabillée et peut-être violée. Je tire mon foulard sur mes cheveux, regarde le sol pour que mon visage pâle ne retienne pas l’attention. Rémi et Julien me serrent et m’encerclent : plus une main ne passe. Cela a duré cinq minutes peut-être, mais je n’ai pas crié, je ne me suis pas débattue, je n’ai pas répondu. Dans la foule, j’ai baissé les yeux et j’ai fui. Caroline Sinz, reporter de France 3, n’a pas pu s’enfuir. Son calvaire a duré l’éternité de trois quarts d’heure. Jeudi, la journaliste et son caméraman ont été pris à partie par un groupe d’hommes dans une rue qui débouche sur la place Tahrir. Caroline raconte à l’AFP : “J’ai été tabassée par une meute de jeunes et d’adultes qui ont arraché mes vêtements et qui ont procédé à des attouchements répondant à la définition du viol.” L’agression, qui s’ajoute à celle de Lara Logan et de la journaliste américano-égyptienne Mona El-Tahawy violentée par la police deux jours avant, provoque un vent de panique dans les rédactions. Au point que Reporters sans frontières leur déconseille d’envoyer des femmes journalistes en Egypte. Dans notre petit hôtel de free-lancers, les agressions des consœurs sont un choc mais le communiqué de l’association laisse aussi un goût amer… Capucine GranierDeferre, photojournaliste française à News Pictures, se rappelle : “Quand j’ai entendu la déclaration de RSF, je me suis dis qu’il était anormal de séparer les hommes et les femmes de cette façon. Nous faisons tous un métier

dangereux et nous le savons, les risques sont différents alors il faudrait que les femmes arrêtent de sortir ?” A aucun moment la photographe de 28 ans ne s’est posé la question de rester à l’hôtel : “Suivre leurs instructions, c’est aller dans le sens de ceux qui veulent nous intimider”, jure-t-elle. Le lendemain, vendredi, jour de la prière et de manifestation. Avec Capucine, nous décidons de nous préparer à toutes les éventualités. Nous qui avons l’habitude de travailler seules, cette fois, nous serons en permanence sous la garde rapprochée d’une armée de sept photographes. Nous sortirons voilées, et après mûre réflexion, je porterai deux pantalons scotchés l’un à l’autre pour rendre l’agression éventuelle moins facile. Même procédé pour Capucine. Ce jour-là, nous ne serons pas molestées, mais toutes les femmes de Tahrir n’auront pas notre chance… “Notre fixeuse (accompagnatrice) a été prise à partie en rentrant chez elle”, témoigne le journaliste d’un hebdomadaire français. Dans la soirée, des dizaines d’Egyptiennes présentes sur la place affirmeront sur Twitter avoir été également attaquées. “Ce n’est pas normal, interroge l’une d’elles. Pourquoi toutes ces agressions soudaines ? Est-ce un moyen d’intimider les femmes pour qu’elles ne reviennent pas manifester ?” Il est vrai que nombre d’entre elles, averties des agressions, décideront de rester chez elles le lendemain. D’autres braveront le danger. “Il y avait une manifestation de femmes égyptiennes, place Tahrir, témoigne Capucine, la photographe. J’étais heureuse car je me suis dit que ceux qui avaient voulu les décourager avaient perdu.” Nour Dapremont

Drake “Occupy Laurent Wauquiez”

“après y avoir échappé deux années de suite, j’ai peur qu’on m’offre le livre de Lorànt Deutsch à Noël”

retour de hype

le verbe “bazooker”

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

Donoma

“vivement qu’on devienne des vieux cons pour dire n’importe quoi toute la journée en toute impunité”

Eva Joly présidente la Suze Don Rimini

“la nuit il n’y a pas de soleil” le tampographe Sardon Tago Mago

Herman Cain “bref, j’ai passé un réveillon de merde”

la carte musique jeune

Eva Joly présidente Et toc. “Bref, j’ai passé un réveillon de merde” Pour ceux qui n’ont ni fête ni amis, Canal+ diffusera l’intégrale de Bref le 31 décembre. Le tampographe Sardon sort les “Bons Points modernes”, des vignettes éducatives dans la plus pure tradition mais avec modernité. Le verbe “bazooker” Verbe du 1er groupe selon Wikipédia : je bazooke, tu bazookes, vous bazookez,

collés serrés. “La nuit il n’y a pas de soleil” Nicolas Sarkozy critique les énergies renouvelables… Il a oublié de préciser que si on mettait les cons sur orbite, on ne verrait plus le soleil. La carte musique jeune Gros bide (à peine 50 000 vendues en un an) pour cette carte destinée à lutter contre le méchant téléchargement en promouvant l’offre de musique légale sur le net. D. L.

billet dur

 C Assemblée nationale

her Jean-François Copé, C’est bientôt Noël, Jeff, mais si j’étais à la place de ta femme et tes gosses – Dieu m’en garde –, tu pourrais toujours te brosser pour que je te fasse un cadeau. Cette belle cravate bleu marine que tu reluquais aux Galeries Lafayette, ce laser de Maurane ou de Julien Clerc, artistes belges de grand talent, eh bien tu te les mettrais derrière l’oreille, pour ne pas dire ailleurs, et si tu ne vois pas où, demande à ton proctologue de père ! Parce que tu perds tout, Jean-François, tu ne prends pas soin de tes affaires. Pense un peu à la tristesse de ce bon monsieur Takieddine lorsqu’il aura appris dans les journaux que tu ne savais plus où tu avais mis la belle Rolex qu’il t’avait offerte, la même que la sienne, et que tu as égarée comme une vulgaire tocante de fête foraine. Une montre qui coûte plusieurs dizaines de SMIC, que même ces salauds de fraudeurs

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aux allocs ne pourraient pas se payer après des années d’assistanat, et toi bougre d’étourdi tu l’as perdue ! Bon, je te l’accorde, c’est vulgos une Rolex, c’est bon pour ce vieux maquereau fumé de Séguéla, mais t’aurais pu au moins l’offrir à Nicolas, il les collectionne ! La seule chose utile que l’on pourrait t’offrir, en revanche, c’est une cure de magnésium, car ta mémoire a l’air ces jours-ci aussi défaillante qu’un réacteur de Fukushima. Les vacances avec Ziad, dont témoignent quelques photos croquignolettes de toi en short aux côtés du marchand d’armes philanthrope, tu ne te rappelles pas non plus qui les a réglées. Tu sais plus où tu habites, JFC – pour mémoire, un appart dont on dit que le décidément généreux Takieddine aurait aussi financé les travaux –, si ça continue, tu vas finir avec la vieille Bettencourt à sucrer les fraises en mangeant des langues de chat trempées dans une camomille tiède. Pour quelqu’un qui se voyait déjà président, c’est triste. Je t’embrasse pas, il me reste de la mémoire. Christophe Conte

Nadim33

Stalley Ce jeune prodige redonne du poil de la bête au hip-hop américain.

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 B

arbe énorme et flow doux, Stalley est la découverte hip-hop de cette fin d’année. Ancien joueur de basket (il a évolué au niveau universitaire avant qu’une sale blessure ne l’oblige à jeter l’éponge), ce natif de l’Ohio – autant dire l’un des coins les plus désolés de l’Amérique aujourd’hui – vient de livrer, après trois mixtapes, un disque étincelant.

Lincoln Way Nights le place ainsi dans la foulée d’un Common ou d’un Mos Def (lequel l’a d’ailleurs invité en première partie de ses derniers concerts). Autre parrain classos pour Stalley, l’imposant Rick Ross, qui l’a signé sur son label Maybach Music, le seconde de tout son poids (c’est vous dire) sur la version remix de son single (Lincoln Way Nights encore), sur le net depuis

déjà plusieurs semaines. Le 30 novembre, le jeune Stalley sera sur la scène de la Bellevilloise à Paris, pour sa première performance française : les présents pourront très certainement dire un jour “j’y étais”. Pierre Siankowski album Lincoln Way Nights (SMC Recordings/Maybach Music) concert le 30 novembre à Paris (Bellevilloise)

La Maladie de Sachs de Michel Deville (1999)

mauvais coût culturel L’augmentation de la TVA sur les produits culturels provoque une forte inquiétude des professionnels et des consommateurs.

brèves Aligre FM revient La radio associative Aligre FM est de nouveau autorisée à émettre en Ile-de-France. L’antenne de cette pionnière de la radio libre avait été coupée fin septembre par le diffuseur, TDF, en raison d’un défaut de paiement de 40 000 euros. cherche taf sur Twitter Deux tweets français sur mille sont des offres d’emploi ou de stage, selon le cabinet Semiocast. Soit plus de 31 000 micromessages consacrés chaque semaine au recrutement. Les contrats proposés sont en majorité des stages (57 %), loin devant les CDI (37 %) et CDD (6 %). Buffy contre Amazon La rumeur annonçant un smartphone estampillé Facebook repart de plus belle. Son développement devrait se concrétiser d’ici un an et demi, d’après un site affilié au Wall Street Journal. Le téléphone, pour l’instant baptisé “Buffy”, en référence à la tueuse de vampires, devrait disposer d’un système d’exploitation dérivé d’Android et serait fabriqué par HTC. Fort du succès de sa liseuse, le géant du e-commerce Amazon devrait également lancer son propre combiné multimédia fin 2012. 26 les inrockuptibles 30.11.2011



a hausse de la TVA sur les produits culturels, annoncée le 7 novembre par le Premier ministre François Fillon, engagé dans la réduction des déficits publics, inquiète les professionnels du monde de la culture. En passant de 5,5 % à 7 %, la TVA pourrait gravement peser sur le secteur de l’édition et les librairies indépendantes, mais aussi sur les exploitants de salles de cinéma et le spectacle vivant. Réagissant immédiatement après l’annonce, François Hollande a estimé que cette hausse était un “mauvais coup porté à la culture”. “Le gouvernement, en s’attaquant aux biens et aux services culturels, en pleine crise, prive encore davantage nos concitoyens de l’accès à la culture, qui est pourtant un bien de première nécessité pour l’épanouissement de chacun, et notamment des jeunes”, a-t-il ajouté. Le secteur de l’édition, “en pleine transition vers le numérique, ne saurait être déstabilisé par un surcoût de 60 millions d’euros”, a estimé le candidat socialiste à l’élection présidentielle. Le Syndicat de la librairie française (SLF) a de son côté appelé le gouvernement à mesurer les “risques dramatiques” engendrés par cette hausse. Antoine Gallimard, président du Syndicat national de l’édition, affirmait lui aussi que cette hausse était “en contradiction avec les efforts des pouvoirs publics pour doter le secteur du livre d’un régime législatif homogène entre le livre papier et le livre

la colère traverse aussi le secteur des festivals et des concerts

numérique”. Même si Valérie Pécresse, ministre du Budget, et Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, ont proposé “une mission d’accompagnement” du secteur ainsi qu’un “soutien financier spécifique” piloté par le Centre national du livre, les librairies indépendantes, déjà fragiles face aux grandes surfaces culturelles, ont toutes les raisons de s’inquiéter. Au-delà du secteur du livre, cette hausse risque aussi de pénaliser le spectacle vivant. Les petites compagnies seront les premières visées, probablement contraintes de répercuter la hausse sur “la billetterie et les cessions de spectacles”. Le Syndeac (Syndicat des entreprises artistiques et culturelles), qui regroupe environ 325 institutions culturelles, déplore “une mauvaise nouvelle” dans un contexte déjà difficile, “entre les baisses de subvention et la réforme des collectivités territoriales”. La colère traverse aussi le secteur des festivals et des concerts. Le syndicat Prodiss-Union du spectacle musical et de variété dénonce “un coup fatal porté aux festivals de musiques actuelles”. Aller au cinéma va également coûter plus cher au spectateur, mais ne rapportera que peu à l’Etat. En 2010, 68 millions étaient perçus au titre de la TVA : à CA constant, 88 millions le seraient sur le prochain exercice. Les services de télévision par abonnement seront aussi touchés… “La culture doit redevenir une priorité politique en France”, promet Hollande. La polémique naissante autour de la TVA donnera au moins l’occasion de mesurer la sincérité de son attachement aux biens culturels. Jean-Marie Durand

média-toc

média-tic trafic de fric sur Facebook

La Tribune sombre Faute d’investisseur pour favoriser une éventuelle reprise, Valérie Decamp, la pdg de La Tribune, a décidé de placer le journal en redressement judiciaire.

Les accros de Twitter, abonnés à la Freebox Révolution, peuvent désormais tweeter depuis leur poste de télévision.

ménage à France 3

Tristan Paviot

grève à RFI Les salariés de RFI sont en grève depuis lundi 28 novembre : ils s’opposent à leur direction et refusent la fusion RFI-France 24, au nom de leur indépendance éditoriale et du maintien des moyens de RFI au sein de l’audiovisuel public.

gazouiller avec Free

Depuis le 17 novembre, aux Etats-Unis, les “amis” peuvent se transférer de l’argent sur Facebook grâce à l’appli Send Money, développée par le service de paiement en ligne PayPal.

Le directeur des programmes, Pierre Sled, est viré. Et, faute d’audience suffisante (environ 4,5 %), l’émission top ringarde de Cyril Viguier (photo), Vendredi sur un plateau !, ne passera pas l’hiver. Etre adoubé par l’Elysée ne suffit pas.

révolution à la télé Directeur de la prospective à France Télévisions, Eric Scherer dresse un état des lieux d’une télévision révolutionnée par le numérique dans un excellent article paru sur le site Owni.

story stretching Au FMI, quand tout part en cacahuètes, au moins il reste des M&M’s.

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Chris superstar

Tel Jésus sur la croix mais les bras en l’air et les clous en moins, Christine Lagarde est la grosse reusta du dernier Paris Match où huit pages lui sont consacrées. L’occasion de découvrir la nouvelle directrice du Fonds monétaire international dans son intimité  – “une symphonie de Mozart en fond sonore, elle nous accueille un samedi matin chez elle, au naturel”. De son bureau où on la voit en plein

monologue face à ses directeurs adjoints jusqu’à la cuisine de son meublé où, moment tendresse, appuyée contre une porte et la tête inclinée, elle s’octroie une petite pause un mug à la main, Christine Lagarde apparaît calme, sereine. La légende de cette dernière photo est claire : “Du thé, jamais d’alcool, ni de tabac. Pour Christine Lagarde, ici dans sa cuisine, une alimentation équilibrée est essentielle pour garder la forme. Sa seule faiblesse : les M&M’s.” On est rassurés pour l’équilibre économique mondial.

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un esprit sain dans un corps sain

Ainsi Christine Lagarde aurait pour seul vice les M&M’s. Douze lignes de l’article leur sont d’ailleurs consacrées. On y apprend, par exemple, qu’elle n’hésite pas à en distribuer autour d’elle pendant les réunions ; un moyen d’égayer, de détendre et de souder les troupes. Le message est clair : Christine Lagarde – qui succède à Beyoncé en tant que 9e femme la plus puissante du monde selon Forbes – est une personne équilibrée (au contraire de ?). Un esprit sain dans un corps sain qui, malgré toute la pression qui pèse sur ses épaules en ces temps de crise économique mondiale et de préapocalypse, fait chaque jour vingt minutes de yoga. La légende de la photo met une fois de plus les points sur les “i”. “Ici, c’est du stretching, un exercice d’étirement qu’elle pratique même pendant les sommets internationaux entre deux séances de travail.” Après une seconde où on tente de visualiser Christine Lagarde enfiler son justaucorps en lycra violet pour faire du stretching entre deux réunions, une question vient à l’esprit : le règne du storytelling oblige-t-il vraiment à dévoiler des détails aussi ridicules ?

toutouyoutou au FMI A la question “Peut-on faire du stretching en pull cachemire (la matière du pull est précisée dans l’article), collier de perles et bas mi-longs couleur chair ?”, Christine Lagarde répond donc “Oui”. Reste une interrogation en regardant ces photos : comment le FMI – jadis jugé par beaucoup comme une institution arrogante et dominatrice, un outil néolibéral à travers lequel l’Occident n’hésitait pas à étouffer les pays pauvres et émergeants – a-t-il changé d’image à ce point ? Pour répondre à cette autre question, on évoque le passage de DSK, son influence pour une politique de régulation des marchés, mais aussi le travail de com d’Euro RSCG. Comme quoi, deux ou trois étirements, ça n’est peut-être pas grand-chose, mais ça ne fait jamais de mal. Diane Lisarelli

quel avenir pour le disque ? Le joyau anglais EMI en passe d’être racheté par les géants Sony et Universal ; Valéry Zeitoun, patron “à l’ancienne” d’AZ, licencié ; de jeunes artistes inventeurs de leur propre économie : trois signes éclatants d’un changement d’époque. par Johanna Seban ’histoire commence avec un petit chien nommé Nipper. Né à Bristol en 1884, Nipper appartient au décorateur anglais Mark Henry Barraud. Quand celui-ci décède, le chien est adopté par le frère de son maître, le peintre Francis Barraud. En plus du Jack Russell-terrier, l’artiste hérite d’un phonographe de la marque Edison. Constatant les effets de la musique sur l’animal dès qu’il met l’appareil en marche, Francis a l’idée d’immortaliser la scène au pinceau. Soucieux de coller à la réalité, il demande à William Barry Owen, directeur de la Gramophone Company de Londres, de lui prêter un modèle plus récent. Pour remercier Owen, Francis lui montre le tableau, qu’il a intitulé La Voix de son maître. Owen adore : pour une centaine de livres, il achète les droits de l’image et en fait le symbole de Gramophone, l’entreprise qu’il dirige depuis la fin du XIXe siècle. Gramophone fait partie des premiers labels de musique au monde – un siècle avant iTunes, la société vend aussi bien des disques que les machines permettant de les écouter. L’image

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de Nipper deviendra l’emblème d’un des labels du groupe, His Master’s Voice, et de la chaîne anglaise de magasins de disques éponyme, HMV. En 1931, Gramophone s’unit à la Columbia Graphophone Company : ainsi naît la maison de disques anglaise Electric and Musical Industries. Malgré un calendrier difficile – EMI voit le jour pile entre la crise de 1929 et la Seconde Guerre mondiale –, l’entreprise devient rapidement un succès. L’année de sa création, elle inaugure les mythiques studios d’Abbey Road. D’abord spécialisée dans les artistes britanniques (Cliff Richard, Matt Monro, Frank Ifield), elle s’ouvre les portes de l’Amérique en rachetant le label Capitol en 1957 et offre des contrats d’artistes à Frank Sinatra, Nat King Cole ou les Beach Boys. Les années 60 et les Beatles se chargent de finaliser le sacre de la maison. La liste des artistes ayant depuis rejoint l’entreprise est époustouflante, qu’ils aient été découverts par ses services artistiques (Sex Pistols, Blur, Pink Floyd, Radiohead, Coldplay, Supergrass, Queen, Lily Allen…) ou l’aient rejointe via le jeu des ramifications et des rachats de labels

Jean Jullien

30.11.2011 les inrockuptibles 31

Paul Bostle

(Alain Souchon, les Rolling Stones, Camille ou Air par Virgin ; Norah Jones, Wayne Shorter ou Herbie Hancock par Blue Note). Plus qu’une maison de disques, EMI est un symbole, un emblème, comme les lettres rouges sur la façade de l’Olympia ou le passage piéton devant Abbey Road. “Maman, c’est fou, on a signé sur la même maison de disques que les Beatles”, aurait dit le jeune Thom Yorke en 1991, deux ans avant la sortie de Pablo Honey. Huit décennies se sont écoulées depuis la création de la major mais Nipper est toujours bien vivant dans les bureaux parisiens d’EMI : l’animal a donné son nom à la cafétéria. Cent quatre-vingt employés travaillent encore dans les locaux du XVIIIe arrondissement. Encore, car l’entreprise a, comme la majorité des maisons de disques, vu s’enchaîner ces dernières années une série de restructurations et de plans sociaux. Le prochain devrait être le dernier. Le 12 novembre, un communiqué officiel a annoncé le rachat d’EMI par Universal, filiale de Vivendi, pour 1,9 milliard de dollars. EMI Publishing, la branche édition du groupe, qui gère les droits d’auteur de Jay-Z, Blur, Amy Winehouse et du catalogue Jobete (Motown) ainsi que ceux de grands classiques de l’histoire (New York New York, Over the Rainbow…), devrait être vendue à Sony ATV Publishing pour 2,2 milliards de dollars. Hier encore membre de celles qu’on appelait outre-Manche les “big four” – avec Warner, Sony et Universal –, la major anglaise pourrait donc se voir avalée par sa plus grande rivale si la Commission européenne valide l’offre d’Universal au printemps. Incertains quant à leur sort, les employés se refusent à tout commentaire. 32 les inrockuptibles 30.11.2011

Blur, rois de l’indie-rock des nineties ; les Beatles traversant Abbey Road dans les sixties ; Lily Allen, sensation pop : trois découvertes EMI

Le verdict demeure d’autant plus douloureux qu’il succède à des années difficiles. En 2007, comme l’ensemble des maisons de disques, EMI souffre de l’explosion du téléchargement illégal et de son manque d’anticipation envers les bouleversements induits par internet. Ses résultats dégringolent. Le fonds d’investissement anglais Terra Firma rachète l’entreprise pour 4,2 milliards de livres. A sa tête, Guy Hands, riche financier britannique passé maître dans le rachat d’entreprises en difficulté qu’il nettoie ensuite au Kärcher avant de les revendre vite et cher. Mais une maison de disques ne se gère pas comme une usine de yaourts. “Il existe une règle fondamentale dans l’industrie du disque qu’on appelle le 80/20, explique Gildas Lefeuvre, fondateur de l’Observatoire du disque et de l’industrie musicale et auteur du site professionnel GL Connection. On sait que pour cent albums produits, quatre-vingts vont faire un flop. On s’arrange pour que les vingt qui restent fonctionnent suffisamment pour faire vivre les autres.

un disque sur trois porterait la marque Universal

Cela permet de signer des artistes en développement. Guy Hands est arrivé et a déclaré : on va virer les quatre-vingts qui ne vendent pas et ne garder que les vingt. C’est absurde : on ne sait jamais lesquels vont marcher !” Guy Hands rend leurs contrats à certains artistes, réduit les équipes. Aux postes clés d’EMI, il installe des dirigeants parachutés dans l’industrie du disque comme des chanteurs d’opéra au Salon de l’agriculture : il y a là Chris Roling, issu de l’industrie pharmaceutique ou encore Elio LeoniSceti, ancien vice-président du groupe Reckitt Benckiser, spécialisé dans les produits Harpic ou Airwick… Chargé de redonner à la major une crédibilité artistique, l’Américain Billy Mann offre des contrats à Pink ou Ricky Martin… Passionné de musique et fondateur du mythique label anglais Creation (Primal Scream, Oasis), Alan McGee résumait alors : “L’image d’EMI, c’était ce putain de boss de fonds d’investissement. On aurait pu lui présenter les nouveaux Beatles, ça n’aurait fait aucune différence : il ne les aurait même pas signés.” La méthode Hands ne tarde pas à faire ses premières victimes. Des artistes historiques quittent la maison, comme Radiohead, qui explique se sentir désormais chez EMI “comme un éléphant dans un magasin de porcelaine” et riposte en proposant son album In Rainbows en téléchargement à prix choisi sur le net. Si la démarche est innovante, symboliquement le coup est d’autant

après le téléchargement illégal, haro sur le streaming résenté initialement comme l’alternative légale au piratage, le streaming fait aujourd’hui débat. Avec les différentes offres qu’elles proposent (écoute gratuite financée par la publicité ou abonnement payant sans pub), les plates-formes comme Deezer et Spotify connaissent un succès fulgurant. “On a 1,4 million d’abonnés payants chaque mois en France”, explique Julien Simon, directeur de l’acquisition et des relations labels chez Deezer. Selon les chiffres du Snep, le Syndicat national de l’édition phonographique, le streaming financé par la pub enregistre quant à lui une hausse de 45,7 % en 2011. Pourtant, le distributeur ST Holdings, regroupant plus de 238 labels indépendants, annonçait il y a quelques jours qu’il allait retirer son catalogue de Spotify. “Bien que ces services permettent de faire connaître notre musique à des millions de personnes, nous avons peur qu’ils cannibalisent les revenus des ventes digitales traditionnelles.” Une crainte que partagent certains labels français indépendants. Maxime Peron, fondateur du label Underdog : “Ces sites soutiennent ton label et te permettent d’être exposé. Mais en termes d’achat, derrière, tu as peanuts. Si tu touches 50 euros dans l’année, c’est la folie. Pourtant, on voit bien sur Facebook que les gens passent leur journée à écouter des titres gratuitement sur Spotify. On habitue les gens à la gratuité. On devrait refuser tout ça. On n’a pas à engraisser SFR ou des gens qui vendent des téléphones.” Même constat chez Vicious Circle, où l’on explique que pour 24 185 écoutes, Deezer avait reversé au label seulement 22,85 euros. Depuis le contrat de Deezer avec Orange, les labels touchent 0,01 euro par écoute. Gildas Lefeuvre, spécialiste de l’industrie musicale, résume : “A force de faire du MP3 illégal l’ennemi public numéro un, la filière musicale n’a pas vu qu’il était en train de changer de camp. Aujourd’hui, l’ennemi c’est le streaming légal. Comment faire comprendre que la musique a une valeur alors qu’on peut y avoir accès gratuitement ?” Deezer voit dans le streaming légal un marché encore jeune, au potentiel considérable. “Dans les années 2000, un consommateur achetait deux CD par an, soit un budget de 30 euros. Avec un abonnement Premium à 9,99 euros par mois, on passe à un revenu annuel de 120 euros. C’est le début mais il y a là une potentielle source de rémunération non négligeable pour les labels.” Interrogé sur les faibles rémunérations des indépendants, Julien Simon rappelle que les accords entre Deezer et les labels consistent en un partage des revenus générés au prorata de leurs parts de marché. Une fois cette rémunération définie, “ce sont les labels qui gèrent la répartition de ces revenus avec leurs artistes. Deezer n’intervient pas”, précise-t-il. J. S.

Simon Emmet

P plus dur pour la major qu’il faut reconnaître à EMI le mérite d’avoir accompagné et soutenu le groupe pendant plus de quinze ans, lui autorisant de véritables audaces sonores et une liberté d’expression totale (singles de sept minutes, album expérimental…). La liste des déserteurs s’allonge : Paul McCartney puis les Rolling Stones rejoignent Universal, en 2007 et 2008 ; en 2009, Robbie Williams retarde volontairement le rendu de son nouvel album Reality Killed the Video Star, conscient de perturber ainsi l’exercice financier de l’entreprise et de garantir à Guy Hands une douloureuse assemblée générale avec les actionnaires. Autre conséquence du cafouillage Terra Firma : l’entreprise reste dans le rouge malgré une hausse des ventes et des résultats qui progressent à nouveau. Les succès des albums de Coldplay, Katy Perry ou David Guetta et le carton des rééditions Beatles (dix millions d’exemplaires vendus en quatre mois) ne suffisent pas à effacer la dette de la major. Contrarié dans ses prévisions, Guy Hands intente un procès à Citigroup, la banque américaine qui lui a vendu EMI : il l’accuse d’avoir imposé un prix d’achat trop élevé au regard de l’endettement de la société. Hands porte mal son nom : il perd la main et EMI retourne dans celles de Citigroup. Les rumeurs de rachat se multiplient, la plus sérieuse concernant Access Industries, le groupe du milliardaire Len Blavatnik – en mai dernier, le Russe avait déjà acquis Warner Music Group pour 3,3 milliards de dollars. Le dénouement risque d’être plus brutal encore. Les modalités du rachat par Universal restent à définir mais le scénario est simple : le plus gros rachète le plus petit. En récupérant le catalogue EMI, Universal ne se contente

30.11.2011 les inrockuptibles 33

vers une Hadopi 3 ?

Radiohead a quitté EMI en 2007 malgré la liberté artistique totale que le label lui accordait

Tom Sheehan

C

pas de conforter sa position de leader mondial, elle s’approche encore davantage d’une situation de monopole. Après l’absorption d’EMI, la nouvelle structure obtiendrait une part du marché global dépassant les 35 % : concrètement, cela signifierait qu’un disque sur trois vendu dans le monde porterait la marque Universal. Dès le lendemain de l’annonce, l’opposition s’est organisée. Impala, la structure de lobbying des producteurs indépendants d’Europe (Pias, Beggars Group, Naïve…), a demandé à la Commission européenne d’interdire le rachat. Elle pointe les dangers d’une réduction du nombre d’acteurs pour la concurrence. Mêmes inquiétudes du côté de l’Upfi, l’Union des producteurs phonographiques français indépendants, qui a publié un communiqué : “Le monde de la musique ne peut s’envisager comme un programme spatial ou nucléaire. La concentration nuit à la diversité des répertoires et des artistes.” Fondateur du label bordelais Vicious Circle (Shannon Wright, Elysian Fields, Chokebore) et président de la Feppia, la Fédération des producteurs et éditeurs indépendants d’Aquitaine, Philippe Couderc prédit des conséquences immédiates : “La fusion va créer un groupe d’un poids écrasant qui va imposer ses règles dans la diffusion de la musique. Ces règles sont soumises à des niveaux de rentabilité importants et immédiats qui vont fatalement à l’encontre des petites structures.” Mêmes craintes du côté 34 les inrockuptibles 30.11.2011

d’Underdog Records, petit label français qui produit les albums de Da Brasilians ou 4 Guys From The Future. Maxime Peron, son fondateur et unique salarié : “Pour nous les indés, il faut des gens pour porter la parole du disque auprès des hautes instances. EMI c’est mort, et chez Universal, ils n’ont besoin de personne. Ils sont en progression chaque année, ils ne vont pas aller se plaindre.” L’Américaine Daylle Deanna Schwartz, consultante en industrie musicale, a une autre analyse : “Il y aura encore moins de possibilités de signer un contrat avec une major, donc mathématiquement plus de chances de terminer chez un indépendant.” Si la vente est validée par les autorités de régulation compétentes – elle doit aussi être acceptée par les commissions japonaises, américaines et australiennes –, elle s’effectuera dans un contexte morose pour tous les acteurs de la filière du disque. “Il y a cinq ans, l’industrie du disque produisait 1 500 albums. Cette année, c’était 600”, résumait la semaine dernière David El Sayegh, directeur général du Snep, le Syndicat national de l’édition phonographique. De quoi donner à Nipper des envies de se retourner dans ce qui lui reste de tombe : la légende raconte qu’à sa mort, le chien fut enterré sous le magnolia d’un parc de Kingston Upon Thames, avant qu’on ne rase le tout pour y ériger les bureaux d’une banque. Lire aussi les témoignages de trois artistes sans maison de disques, p. 36 et le portrait de Valéry Zeitoun, licencié d’Universal en octobre, p. 38

roisade du gouvernement, les lois Hadopi 1 et 2 ont été votées après une gestation mouvementée en juin et septembre 2009, instaurant la réponse graduée et la Haute Autorité pour la protection des œuvres et la diffusion des droits sur internet (active depuis janvier 2010) : désormais, les internautes qui téléchargent illégalement reçoivent un mail d’avertissement, parfois suivi en cas de récidive d’une lettre recommandée puis d’une coupure de la connexion internet. Ardemment soutenue par les majors, la loi, qui ne s’attaque qu’au P2P, est peu adaptée aux réalités de l’internet et suscite de nombreuses critiques. Certains parlementaires de gauche comme de droite jugent son dispositif complexe, coûteux et inadapté ; les associations de défense des internautes estiment que la coupure du net est une atteinte aux libertés fondamentales ; les FAI se plaignent de la lourdeur du système. Lors d’un premier bilan en juillet dernier, l’Hadopi annonçait qu’en neuf mois, les ayants droit avaient relevé plus de 18 millions d’infractions et que plus de 900 000 adresses IP avaient été identifiées ; 20 598 internautes avaient reçu la lettre recommandée (deuxième avertissement) et une dizaine d’entre eux avaient été convoqués par l’Hadopi. Ils sont susceptibles de passer devant la justice et menacés d’une coupure de connexion, ce qui, à ce jour, n’a encore jamais été décidé. D’après Nicolas Sarkozy, la loi fonctionne. Au Forum d’Avignon, minovembre, il clamait qu’elle aurait fait reculer le piratage de 35 % – sans préciser l’origine de ces chiffres. Il y a deux ans, les opposants à la loi soulignaient déjà qu’elle ne couvrait ni le streaming ni les sites de téléchargement direct et que les internautes allaient naturellement se reporter vers ces systèmes. Nicolas Sarkozy semble s’en rendre compte puisqu’il a évoqué une loi Hadopi 3 pour s’attaquer au streaming qu’il définit comme “je vole d’un côté et je vends de l’autre”, sans distinguer offres légales (pourtant labellisées Hadopi) et sites pirates. Nicolas Sarkozy ne s’était visiblement pas concerté avec son ministre de la Culture puisque Frédéric Mitterrand déclarait quelques jours plus tard qu’il ne voyait pas l’intérêt d’une nouvelle loi, Hadopi étant une “instance de régulation attentive qui prend en compte les perpétuelles innovations technologiques”. Ce nouveau cafouillage démontre surtout que le piratage et internet sont des sujets qui ne coûtent pas cher en période préélectorale, surtout lorsqu’on demande aux FAI de mettre la main à la poche, comme ce sera le cas pour le financement du futur Centre national de la musique (équivalent du CNC pour la musique), qui devrait être mis en place au printemps 2012. Anne-Claire Norot

ces artistes qui se font label Ils sont jeunes, doués et indépendants. Les trois buzz de l’année 2011, tous venus du net, expliquent pourquoi et comment ils se tiennent à l’écart des majors. par Pierre Siankowski

1995, le hip-hop autogéré “On a vu presque toutes les majors du disque. Elles nous ont fait des ponts d’or mais rien de suffisant”, plaisante Sneazzy, l’un des valeureux MC du groupe 1995. Ils ont écoulé près de 10 000 exemplaires de leur premier mini-album, La Source, ont rempli le Bataclan de Paris le 14 novembre (avec une visite surprise d’Orelsan) et viennent d’achever une première tournée dont ils ont géré eux-mêmes l’organisation de la plupart des dates, “testant” des tourneurs à l’occasion. 36 les inrockuptibles 30.11.2011

Areno Jaz, l’un des autres MC : “Aujourd’hui, les majors sont dans un truc à 360 degrés : si tu roules avec une major, elle met le nez dans ta musique, organise ta tournée, vend ton merchandising. Que des choses qu’on peut faire nous-mêmes. C’est facile de tourner un clip puis de le lancer sur YouTube. C’est pas très compliqué non plus de faire ses T-shirts. Si c’est pour leur donner des pourcentages sur des trucs qu’on sait faire, je vois pas l’intérêt.”

Fonky Flav’, MC aussi, poursuit : “Le savoir-faire des maisons de disques se trouve aujourd’hui dans la distribution et pas tellement dans l’artistique. On peut avoir besoin d’elles pour diffuser notre musique mais pas pour la créer. C’est pour cette raison qu’on a monté une société et un label, dont on est tous actionnaires. On peut produire notre musique comme on le souhaite. On n’est pas prêts à faire les concessions artistiques que les majors demandent.”

Pierre Le Bruchec

La Femme, la pop-rock très structurée Depuis plus d’un an, les majors et autres structures indépendantes ont toutes essayé d’attirer La Femme dans leur giron. Après avoir sorti un premier ep distribué par le label Third Side, le groupe va en sortir un second lui-même et finalise actuellement son premier album loin du music-business. Encore plus fort, La Femme a réalisé il y a quelques mois une grande tournée américaine totalement do it yourself, couronnée de succès, dans plusieurs grandes villes. Marlon, leader blond décoloré du groupe : “Quand nous avons appris qu’on ne gagnait que 9 % sur un CD sorti par un label, la réflexion a été très rapide. Aujourd’hui, je ne suis pas certain qu’on gagnerait plus d’argent si on était en maison de disques. On aurait un petit confort spontané, des sapes, un restau de temps en temps, 2 000 balles par-ci, par-là. Mais surtout, on a une vision tellement précise de notre projet qu’on n’a pas vraiment envie de faire de concessions. On veut garder la mainmise sur nos créations.” La Femme, qui a énormément tourné en 2011, a mené son business seul depuis le début. Avec les limites inhérentes au travail en solo : “Internet permet de gérer beaucoup de choses mais c’est parfois compliqué. Ces derniers temps, il nous est arrivé de faire plus de paperasse que de musique. On commence donc à réfléchir à déléguer un peu, mais c’est nous qui allons organiser ça, avec des personnes de confiance. Aujourd’hui, on est plus dans une trajectoire qui nous conduirait à monter notre boîte qu’à signer en tant qu’artiste.” La Femme songe à monter son propre label et à faire distribuer son premier album en licence. “On rencontre des structures intéressées. Ce qu’on aimerait, c’est diviser le monde en trois : Amérique et Japon d’un côté, Europe, et enfin France et pays francophones. On va aussi créer notre propre boîte d’édition pour être propriétaires de nos titres. C’est important si on fait des synchronisations de pub. C’est ça qui rapporte de l’argent. Les tournées aussi bien sûr. Même si on ne désespère pas de vendre des millions de disques. On n’est pas contre le disque, loin de là”, conclut Marlon.

Madeon, l’électronique pragmatique C’est en Australie, où il est en tournée, que l’on joint au téléphone la nouvelle perle de l’electro française. Véritable idole du net, Madeon, 17 ans tout juste, est originaire de Nantes. Son indifférence pour les majors est d’abord conjoncturel : “On n’est pas antimajors par nature, ni indépendants de cœur. A ce stade de ma carrière, signer chez qui que ce soit n’est tout simplement pas vital, je me débrouille très bien tout seul. Le timing est complètement différent d’il y a dix ans, et c’est vrai, internet nous donne plus de liberté. Signer avec une maison de disques, je ne le ferai que si ça a du sens. Pour le moment, je peux m’exprimer en toute liberté dans mon coin. Un label ou une maison de disques ne me serviraient qu’à fabriquer des disques. Or sortir un disque n’est pas vital pour moi.” La carrière du jeune électronicien est pour l’instant gérée par un manager anglais. “Je gagne de l’argent en tournant, même si je sais bien qu’à un moment il faudra que je m’arrête pour faire de la musique. J’ai vu beaucoup de gens faire deux cents dates par an et terminer complètement exténués. Je pense que notre génération est beaucoup plus pragmatique que les précédentes, c’est une bonne chose”, conclut Madeon à l’autre bout du monde. 30.11.2011 les inrockuptibles 37

raconte ta life, man Fêtard magnifique et grande gueule notoire, le producteur Valéry Zeitoun a été débarqué d’Universal le mois dernier. Etait-il devenu trop flamboyant pour un milieu de plus en plus aseptisé ou avait-il simplement perdu la main ? par Marc Beaugé

38 les inrockuptibles 30.11.2011

plus tard, Bono débarque. De passage à Paris, le chanteur de U2, représenté en France par AZ, veut voir son copain Valéry, il commande une Budweiser. Zeitoun est chez lui, dans son QG, dans son élément. La soirée est belle. A une table voisine, s’installe une équipe de Mercury, un autre label d’Universal, concurrent direct d’AZ. Les clans se toisent. En raccompagnant Bono vers sa voiture, Zeitoun tombe sur un membre de la partie adverse. Un brin fanfaron, il lui présente le chanteur irlandais. Bono parti, il y revient, taquine encore. Le ton monte et Olivier Nusse, patron de Mercury, vient s’en mêler. Discret, bosseur, il n’a jamais pu encadrer la star d’AZ, qui le lui rend bien. D’une violente ruade, Nusse, ancien rugbyman, passablement éméché, finit par envoyer valdinguer Zeitoun. Le boss d’AZ est à terre, les quatre fers en l’air. Une semaine plus tard, Universal annonce son départ du groupe par communiqué. Le lien entre les deux événements ? Ténu. “Ce truc-là c’est un détail, dit Zeitoun. Nusse n’a aucun rôle dans mon histoire. Je négociais mon départ depuis

un moment.” Au vrai, la séparation avait été actée trois semaines plus tôt lors d’un dîner chez Pascal Nègre, le patron d’Universal. Ce soir-là, en tête à tête, Nègre, le pote de vingt ans, le témoin de mariage, a annoncé à Zeitoun qu’il lui enlevait la direction d’AZ et que l’attendait un poste de directeur de l’image chez Universal. Un placard, évidemment, Zeitoun l’a bien compris. Entre eux, l’histoire – la grande histoire – était terminée. Elle avait commencé à Cannes en 1989. Lors d’un repas organisé pendant le Midem, Valéry Zeitoun, 23 ans, remarque Pascal Nègre installé à une table voisine. Nègre porte une veste à carreaux, des santiags, il a de la verve, de l’énergie. A 28 ans, il est déjà le patron de la promo du label CBS. De retour à Paris, Zeitoun lui écrit une lettre et décroche un rendez-vous. Dans le bureau de Nègre, autour d’une bouteille de Chivas, il se raconte : mère goy, père juif tunisien, vendeur de cuisines puis importateur d’électroménager. Zeitoun a raté son bac deux fois mais il a animé des émissions sur Skyrock, a été

Bellak-Gorassini-Nebinger-Orban/Abaca

V

ous m’appelez pour quoi ? Pour la nécrologie, c’est ça ? Les gars, vous savez, je suis pas encore mort !” Un communiqué vient tout juste d’annoncer son licenciement d’AZ, la filiale d’Universal qu’il dirigeait depuis 2002, mais Valéry Zeitoun se marre, chambre, comme si de rien n’était. Il a toujours fonctionné ainsi. Il a toujours parlé fort, vite, haut, séduisant beaucoup de ses interlocuteurs, en repoussant aussi de très nombreux. Après plus de vingt ans dans l’industrie, Valéry Zeitoun y a certainement autant d’amis que d’ennemis, mais tous s’accordent au moins sur un point : sa sortie d’Universal lui ressemble car elle ne fut pas discrète. Sur le papier, l’affaire – la petite affaire – s’est jouée le 20 octobre dans un club huppé de Saint-Germain-desPrés. Ce soir-là, Valéry Zeitoun est au Montana avec son pote Frédéric Beigbeder, un très proche, parrain du dernier de ses quatre enfants. Des connaissances vont et viennent. Izia, la star montante d’AZ, s’arrête et prend un verre. Quelques minutes

L’ancien juré de Popstars accompagné de l’ancienne porn-star Clara Morgane au VIP Room de Jean-Roch, Cannes, mai 2009

Rachid Bellak/Bestimage

Avec Bono et Frédéric Beigbeder au Montana, le 20 octobre, avant son altercation avec le patron de Mercury

Chez Castel avec Christophe, artiste AZ débarqué en 2008 après l’échec d’Aimer ce que nous sommes

coursier à La Défense, vendeur d’espaces publicitaires pour les Pages jaunes, puis s’est retrouvé, au culot et complètement par hasard, attaché de presse de Cerrone. A défaut d’être bluffé, Nègre est amusé. Il lui trouve un poste de grouillot chez CBS. Zeitoun est chargé d’apporter les cafés et d’enregistrer les passages télé des artistes maison. Il travaille dixhuit heures par jour, monte en grade, devient bientôt attaché de presse. Quand Nègre part chez Barclay, en 1991, il le suit. Chez Barclay, Zeitoun réussit ses premiers coups. Il danse sur le bureau du programmateur musical de M6 et décroche une place en rotation pour un clip d’Harry Connick Jr. En pleine montée du FN, il parvient à faire jouer Khaled deux dimanches de suite chez Jacques Martin. Zeitoun est très bon parce qu’il n’a peur de rien. Un jour, il tient tête à Bernard Lavilliers qui le teste, l’appelle “mon jouet”. Une autre fois, il va rencontrer Lara Fabian aux Etats-Unis. Elle lui montre la pochette de son prochain album, qu’elle trouve magnifique. Il lui dit que c’est “pourri”. Séduite par sa franchise, Fabian demande à ce qu’il soit désormais son seul interlocuteur. Pagny fera plus tard la même chose. Pour moins que ça, d’autres se braquent. Zeitoun se trouve ses premiers ennemis. Dechavanne veut l’attraper parce qu’il a “mal parlé à son assistante”. Nagui aussi le cherche, parce qu’il n’a pas eu de place en business lors d’un voyage de presse. 40 les inrockuptibles 30.11.2011

C’est toujours comme ça avec Zeitoun. Il fascine ou rebute. Chez AZ, bien plus tard, il aura ses fidèles, amusés par toutes ses extravagances. Quand il glisse un billet de 20 euros dans le soutien-gorge d’une collaboratrice pour qu’elle se paie une baby-sitter et vienne boire un coup avec la bande, ils rigolent. Quand il prend par le col et menace d’emplâtrer le manager de Scissor Sisters pour une sombre histoire de logistique, ils roulent des yeux. Ceux qui n’appartiennent pas à la bande regardent leurs pompes, affligés, parfois au bord de la crise de nerfs. “Pour moi, Valéry est la définition parfaite du mot beauf”, dit une ancienne salariée du label. “Pas si simple, répond Nicolas Bedos, un copain. Derrière la première, la deuxième et la troisième couche de bling-bling, il y a un type sensible. Je me souviens qu’il avait été très ému par un compliment que je lui avais fait sur l’un de ses enfants. Je me souviens aussi de la fois où il nous avait enfermés dans sa voiture, sur un parking, en Normandie, pour nous faire écouter un morceau de Christophe. Une fois. Deux fois. On était fatigués, on voulait sortir. Mais il refusait. Il était très ému par le morceau.” Après deux ans de succès chez Barclay, Zeitoun s’en va chez Mercury puis passe bientôt chez Polydor.

“derrière la première, la deuxième et la troisième couche de bling-bling, il y a un type sensible” Nicolas Bedos

Dans le sillage de Nègre, lancé vers le sommet d’Universal, l’attaché de presse prend de l’ampleur tout au long des années 90, se rapprochant progressivement de l’artistique. Un personnage se construit. Zeitoun a toujours été un fêtard. Au lycée, déjà, dans l’appart qu’il occupait seul à Montparnasse, il y avait toujours du monde, de la musique. Mais là, le rythme est particulièrement intense. Zeitoun sort tous les jours, pour le plaisir ou les affaires. Il étend son réseau, devient pote avec Marc Lavoine, Michel Denisot ou Régine. Il mélange les genres, les gens. Ce sera toujours l’une de ses forces. Aujourd’hui, il est aussi proche de Bruce Toussaint que de Jean-Roch ou de Jean-Pierre Bernès, l’agent numéro un du football français. Il sait y faire, il est charmeur, sincère et jamais avare d’un SMS gentil. A l’époque, son QG se trouve aux Bains Douches. Un soir, devant la porte, coincée dans la foule, une nana l’interpelle : “Valéry, tu te souviens de moi ? Tu sais, quand tu étais coursier, on bossait ensemble.” Valery resitue très bien la fille. A l’époque, elle avait grossièrement repoussé ses avances, préférant celles d’un tocard en Mercedes. Elle minaude, demande un coup de main pour rentrer. Sapé comme un milord, Zeitoun savoure l’instant. “Désolé, je ne peux rien pour toi.” De toute façon, à l’intérieur, au niveau restaurant, il y a Sandra, la chef de rang. Elle l’a aidé à se remettre de sa séparation d’avec

Rachid Bellak/Bestimage

sa première femme, Muriel Cousin. Il est de nouveau amoureux. Tout lui sourit et ce n’est pas fini. A l’été 2001, Pascal Nègre appelle son pote en vacances aux Etats-Unis et lui fait la proposition du siècle. S’il accepte d’être jury dans l’émission Popstars, que lance M6, il aura son label. Son label à lui. “A cette époque, se souvient un cadre du groupe, Nègre était obsédé par l’idée qu’Universal soit visible dans les médias. Comme il n’avait ni la vocation ni le temps pour le faire, il a cherché quelqu’un de doué pour la télé. Il a misé sur Valéry. Tout le monde n’était pas convaincu mais lui y croyait vraiment.” Dans Popstars, Zeitoun lui donne raison, avec panache. Hâbleur, séducteur, il écrase l’émission et l’une de ses saillies, “Me raconte pas ta life, man !”, s’impose dans le phrasé ordinaire jusqu’à devenir le thème de sonneries téléphoniques. Zeitoun fait mieux encore. Dans la médiocrité ambiante, il repère Chimène Badi, sa toute première signature pour AZ. L’un de ses plus gros coups avec Grand Corps Malade, repéré en 2006. A la tête d’AZ, Zeitoun refuse qu’on dise qu’il est “un patron de label”. Il se veut “producteur à l’ancienne” et accepte volontiers les comparaisons avec Eddie Barclay. Lui aussi a ses fêtes, les fêtes AZ, “les fêtes à Valéry”, dit-on. Elles coûtent cher, près de 50 000 euros, mais, une fois par an, elles lui permettent, à lui et au label, de briller. Celle du 28 juin 2007 à Bobino est la plus belle de toutes. Ce soir-là, Amy Winehouse, magnifique, offre l’un des plus beaux concerts de sa carrière. Entouré de ses amis du show-biz, abreuvé de champagne, Valéry jubile. A la fin du set, il emmène Pascal 42 les inrockuptibles 30.11.2011

Nègre voir sa protégée backstage. Le patron d’Universal se présente, n’en finit plus d’énumérer ses titres de gloire. Amy le coupe : “Hey, mec, tu pourrais pas juste me trouver de la drogue ?” Zeitoun se marre. “C’est pour ça que je l’aimais, dit-il. Elle était naturelle, authentique.” Le patron d’AZ oublie juste un détail, qui a son importance. A l’origine, il ne voulait pas d’Amy Winehouse. Quand ses employés en charge de l’international, enthousiastes, sont venus lui faire écouter l’album Back to Black, il les a envoyés balader. “Elle va nous planter la promo, ce n’est pas la peine”, a-t-il lancé. Ils ont insisté, plusieurs fois. Il s’est énervé, n’a rien voulu entendre pendant des semaines. C’est finalement l’intervention express de Pascal Nègre qui permettra au disque de sortir en France. Pour Nègre, Zeitoun avait perdu la main depuis plus d’un an. Il le lui avait déjà dit, à plusieurs reprises. Il lui reprochait de trop sortir, d’arriver trop tard et trop fatigué. Il lui reprochait aussi de ne pas traiter ses artistes les plus vendeurs avec assez d’égards, raison pour laquelle Gérald de Palmas et Michel Sardou avaient quitté le label. “J’ai l’impression que c’est lui la star, pas moi”, avait lâché le chanteur de droite en claquant la porte. Ces dernières années, outre Popstars, Zeitoun a eu sa propre émission de poker sur Canal Jimmy. Il a aussi tourné dans quatre films et a même raconté sa life sur un blog.

“dix-huit bonnes années contre deux mauvaises. Et on me vire…” Valéry Zeitoun

Avec Amy Winehouse et Pascal Nègre, patron d’Universal, juin 2007

Pour Nègre, une telle exposition était envisageable tant que les succès s’enchaînaient. Mais ce n’était plus le cas. L’album de Christophe, qui avait coûté près de 500 000 euros, s’était mal vendu. L’opération de casting “Je veux signer chez AZ” n’avait pas eu le résultat escompté. Pendant que Mercury allait de carton en carton grâce à Ben l’Oncle Soul, Nolwenn Leroy ou Thomas Dutronc, AZ ne faisait plus rentrer d’argent. Valéry le savait et en souffrait. A un ami proche, il a confié avoir l’impression de ne plus savoir “la mettre au fond”. “Oui, les deux dernières années ont été difficiles, concède-t-il, mais combien y a-t-il eu de bonnes années avant ? Dix-huit. Dix-huit bonnes années contre deux mauvaises. Et on me vire…” A une autre époque, Zeitoun aurait sans doute disposé de plus de temps pour se refaire. Dans le contexte actuel, alors qu’Universal était en train de racheter EMI, le couperet est tombé. “Depuis qu’il est au board d’Universal, Nègre a besoin de montrer qu’il tient les rênes, dit un salarié d’AZ. Ça ne valait pas le coup de s’emmerder avec Valéry, un petit Français, à la tête d’un label que les Américains ont toujours eu du mal à comprendre car il n’existe pas chez eux.” “Parce que les disques se vendent moins, on aseptise le show business, on remplace les personnalités par des types ternes, lisses”, s’attriste Frédéric Beigbeder. Mais Val Pacino, comme le surnomme l’écrivain, a promis de revenir. Il a déjà reçu une demi-douzaine de propositions de jobs et travaille activement à l’écriture d’un scénario de film sur la nuit. “Je ne suis pas encore mort”, nous avait-il dit avant toute chose au téléphone.

le socialisme est-il soluble dans la crise ? En Europe, à part en France, plus aucune force politique majeure ne se réclame du “socialisme”. Vincent Peillon, chargé de l’Education auprès de François Hollande, explore les voies étroites de la social-démocratie d’aujourd’hui. Entretien, analyses et édito.

 O

n a l’impression que la crise ne sert pas les idées socialdémocrates. Y a-t-il une crise de la social-démocratie ? Vincent Peillon – Sans doute. La droite gouverne l’Europe, la Commission, le Conseil, le Parlement, et la gauche a presque disparu : elle ne gouverne directement que le Danemark et Chypre ! Mais le paradoxe, c’est que ce sont les idées de la social-démocratie qui se discutent actuellement. L’harmonisation fiscale, la régulation financière internationale, le gouvernement économique européen, tout cela figure dans les textes socialistes depuis des années ! Quant aux politiques publiques

nationales – redistribution, contrat, investissement dans la petite enfance, développement durable –, c’est pareil. Je ne vois donc pas un recul théorique des positions de la social-démocratie. L’élection de 2012 en France doit être le premier signe d’une reconquête progressiste, un printemps européen après les printemps arabes ! Comment ? D’abord, en tirant les leçons du passé. La social-démocratie s’est égarée durant les années 90 dans le social-libéralisme. Sur des sujets majeurs comme la régulation économique internationale, il n’y a pas eu la volonté d’affrontement nécessaire. Idem pour l’Europe ou le contrat social :

génuflexion devant le marché, associé aux droits de l’homme et à une vague équité. La social-démocratie s’est pour une part abandonnée elle-même. Ensuite, en menant plus durement la bataille idéologique contre la droite, ultralibérale d’abord, nationale-populiste maintenant, conduisant toujours au désastre mais fière d’elle, arrogante. Sarkozy a échoué sur tout : la croissance, la dette, le logement, le commerce extérieur, l’emploi, l’école, et même la sécurité, mais cela ne l’embarrasse pas, il va faire à nouveau la leçon à tout le monde. La télécratie sert les populismes, et Sarkozy s’y complaît. Nous devons nous y adapter pour conduire la confrontation. 30.11.2011 les inrockuptibles 45

La gauche n’a pas fait ce travail d’adaptation ? On est dans le champ du slogan, de l’ignorance, du mensonge, de l’émotion, de la simplification, de la caricature, qui, par nature, ne favorisent pas la pensée progressiste. C’est ce que vient de faire Nicolas Sarkozy, président en campagne avec les moyens de l’Etat, dans son discours de Tricastin : mentir, simplifier, faire peur. C’est pourquoi cette campagne va opposer, à travers deux hommes et deux tempéraments, deux visions de la politique et de la vie en commun : raison contre émotion, rassemblement contre divisions, constance contre incohérence, sérénité contre agitation, confiance contre peur, démocratie contre démagogie. Nicolas Sarkozy va vouloir faire croire qu’il a changé. C’était déjà le thème de 2007. Et faire comme s’il n’avait pas gouverné. Il va diviser, agresser, mentir, promettre. Il faut le laisser faire, se placer ailleurs. Le roi est nu. Et nous allons le montrer. On a l’impression qu’il y a aussi une résignation, que les gens ont du mal à croire à une alternative. C’est difficile de trouver des thèmes ? La désindustrialisation et la perte des emplois, le pouvoir d’achat, la transition écologique, l’école, l’avenir de l’Europe… Les Français ont des préoccupations, des indignations, des valeurs, des ambitions. Nous savons que la résignation sert toujours les conservatismes. “On ne peut pas faire autrement” : ce discours est toujours celui de ceux qui sont servis par le système en place. La vocation de la gauche est de le démentir. Sarkozy est le candidat de la résignation. L’argument de Nicolas Sarkozy, pour qui la France vieillissante bascule à droite, n’est-il pas pertinent ? Les gens ne sont pas naturellement orientés génétiquement, y compris nos anciens, vers la droite ou vers la gauche. Il y a un formidable appareil idéologique d’Etat, comme disait Althusser, des prolongements tentaculaires médiatiques non analysés. Et tout cela crée un esprit public qui tourne à droite, mais parce qu’il est matricé par des intérêts puissants, combatifs, organisés. C’est pourquoi dans cette élection il va falloir relever le défi de l’affrontement. Nos électeurs attendent de nous de la force. On ne va pas les décevoir. Comment combattre ces relais tentaculaires ? L’organisation de débats par les préfectures sur l’identité nationale et l’immigration a été pour moi un point de rupture. Tout le monde ne parlait que de cela, on en a même fait un prime time entre Eric Besson et Marine Le Pen, sans que cela ne dérange 46 les inrockuptibles 30.11.2011

personne ou presque. Vous avez là un bel exemple de ce que j’appelle la matrice. Comment combattre ? Il faut d’abord nommer, dévoiler, faire voir, et puis affronter. L’élection présidentielle engage la nature même de notre lien civique et social. On le voit aujourd’hui sur le droit de vote des étrangers… La gauche morale qu’on nous oppose comme une hypocrisie ou une faiblesse, c’est tout simplement la République. Elle mérite d’être défendue. Elle est attaquée. Et puis il y a la bataille économique et sociale pour s’adresser aux dix à quinze millions de Français qui sont les principales victimes de la crise et les oubliés de la politique. Certains ont cru en Sarkozy : le pouvoir d’achat, la France des propriétaires… Il les a trahis. Il les trahira encore si la possibilité lui en est donnée. François Hollande va mener cette bataille. C’est une force de son parcours : il n’a jamais trahi. Pourquoi ne pas avancer la présentation du programme de François Hollande ? Eric Besson disait que le PS a longtemps eu un programme et pas de candidat et qu’il a maintenant un candidat mais plus de programme ! François Hollande s’exprime depuis deux ans sur les trois sujets essentiels : l’éducation, l’industrie, la justice fiscale. Et il dit, incroyable performance dans un monde de girouettes, la même chose. Il est le seul aujourd’hui en France à avoir mis dans le débat public des priorités nettes, l’école, la réforme fiscale,

des propositions précises, le contrat de génération, la transition écologique, une loi de programmation sur l’école, et un thème fédérateur, la jeunesse. Il a toujours dit la vérité sur la situation économique. Le reste, c’est de la propagande. Il n’y a pas nécessité d’accélérer avant janvier ? L’accélération de Sarkozy montre bien que la fébrilité et l’inquiétude sont dans son camp. Chaque jour, il va nous faire un nouveau grand discours et une nouvelle proposition. Tout l’appareil gouvernemental est en campagne, sans aucun respect des fonctions de chacun ni des usages démocratiques. A gauche, si difficulté il y a, elle n’est pas chez François Hollande, elle est dans son environnement. C’est-à-dire ? Il faut aussi que la gauche se demande si elle veut gagner ! Après nous avoir expliqué pendant des années que Sarkozy, c’était l’abaissement national, la régression sociale et l’étouffement de la démocratie, l’exercice favori de nos partenaires, le Front de gauche, les Verts, et j’entendais aussi François Bayrou, c’est de s’attaquer

“il faut que la gauche se demande si elle veut gagner ! L’exercice favori de nos partenaires, c’est de s’attaquer à François Hollande”

édito “la télécratie sert les populismes, et Sarkozy s’y complaît. Nous devons nous y adapter pour conduire la confrontation”

à François Hollande. C’est lui faire un grand honneur, qu’il mérite sans doute puisqu’il est le favori. Mais il faut quand même veiller à une certaine intelligence collective. La droite, elle, ne se trompe pas d’adversaire : elle vise toujours François Hollande, parce qu’elle sait qu’il est celui qui peut battre Nicolas Sarkozy. Pourquoi des gens qui veulent le changement et participer au redressement de la France consacrent-ils tant d’énergie à prêter main-forte à la droite au lieu de développer leurs propositions ? Cela provoque du mépris et de la défiance chez les électeurs. Ce jeu-là a déjà beaucoup coûté à la gauche ! Les critiques de la droite portent sur la capacité de François Hollande à être un chef. Est-ce que c’est une bonne idée pour le candidat de la gauche d’aller sur le terrain de Nicolas Sarkozy ? Avoir une autorité est une chose nécessaire et dans le fond très estimable. Mais sur quoi se fonde cette autorité ? Sur la division, la menace, la force, la brutalité ? Ou sur les qualités intellectuelles et morales de la personne ? Je crois que François Hollande a une autorité forte. Il va la faire partager aux Français, qui vont le connaître de mieux en mieux et vont apprécier son respect, son écoute, son sérieux, mais aussi sa constance, sa solidité et son courage. Il n’a pas à rechercher une autorité comme celle qu’a voulu jouer Nicolas Sarkozy à coups de menton et de “casse-toi pauvre con”,

ce volontarisme qui finit soit dans la capitulation – il suffit de le regarder avec Mme Merkel –, soit dans la girouette. L’actuel président a beaucoup abaissé la fonction présidentielle et plus globalement dégradé l’image du politique. La question de la confiance aussi est posée dans cette élection. Pourquoi le choix de la jeunesse ? La France a plus de difficultés que les autres pays à se projeter dans l’avenir, et donc à le préparer et à le maîtriser. C’est la dette qu’on laisse filer, l’investissement qui n’est plus là, la jeunesse qui est maltraitée. Même les gens les plus âgés ne veulent plus de ces égoïsmes générationnels. Et ils en veulent d’autant moins qu’il y a de plus en plus de transferts directs dans les familles pour aider les plus jeunes ! Pendant sa campagne, Nicolas Sarkozy va diviser. Si nous devons nous redresser, il faut trouver un projet qui fédère. La conviction de François Hollande, c’est que la jeunesse n’est pas une catégorie mais le ferment d’un pays qui voudrait à nouveau se projeter dans l’avenir et tenir la promesse républicaine. On a senti une inflexion sur les universités. Jusqu’ici le PS semblait reconnaître que la réforme sur l’autonomie était le seul élément positif du bilan de Sarkozy. Or, François Hollande a parlé à Strasbourg de réforme de la loi LRU… Il y a un progrès dans l’idée de confier une autonomie aux universités. Le problème, c’est la mise en œuvre. Aujourd’hui, il y a huit universités mises sous tutelle. Ce qui est l’inverse de l’autonomie. Il faut revoir la gouvernance et les moyens. Il y aura donc une proposition de réforme de la LRU. Reste que le sujet majeur, ce sont les premiers cycles universitaires. Il faut penser là une grande réforme pour sortir du gâchis qui existe aujourd’hui. Quand François Hollande demande à être jugé sur la réforme de l’Education qui sera faite dans les cinq ans, c’est un bon objectif ? C’est la première fois depuis longtemps qu’un homme politique de son niveau s’engage comme cela sur l’école. Il a raison, car l’école, c’est la société de demain : notre justice, notre civisme mais aussi notre croissance et notre compétitivité. Le redressement commence par là. recueilli par Hélène Fontanaud et Marion Mourgue photo Guillaume Binet/M.Y.O.P

un nouveau compromis La social-démocratie c’est, traditionnellement, un compromis entre le marché et l’Etat. Mais aujourd’hui, le marché est mondialisé et l’Etat n’a plus prise sur les mécanismes qui régissent les échanges. Le marché et l’Etat sont déconnectés, le compromis n’est donc plus possible et la social-démocratie se délite. La nécessité de régulation et la volonté d’encadrer la finance mondiale et les folies spéculatives qui nous ont conduits aux crises systémiques qui secouent nos sociétés depuis 2008 ne s’expriment véritablement qu’en Europe. Et en Europe, c’est la France qui est le fer de lance de cette idée de brider les marchés. La France, nation politique, porte ce message depuis toujours, depuis Colbert… Dès lors, même la droite française est étatiste, régulatrice, plus ou moins planificatrice, dans la plus pure tradition gaulliste. Le libéralisme économique n’est pas le fort de la France, de droite comme de gauche. Dans ce contexte, quelle peut être l’originalité des socialistes par rapport à l’UMP ? Proposer une rigueur plus juste ? Proposer des avancées sociétales comme le mariage homosexuel, le droit de vote pour les étrangers extracommunautaires aux élections locales, un discours d’ouverture moderniste et branché ? C’est un peu court et surtout, ce n’est pas facteur de transformation de la société. Le socialisme français et européen doit se trouver un autre moteur pour défendre ce pour quoi il est fait : créer les conditions de la justice sociale et de l’épanouissement individuel. Le nouveau compromis est à trouver dans la socialécologie. Inventer une autre façon de produire et de consommer. Les idéologues de la socialdémocratie y travaillent (lire le Débat d’idées, “Le socialisme se teinte de vert”, p. 51)…

Thomas Legrand 30.11.2011 les inrockuptibles 47

Fred Dufour/AFP

la campagne Hollande à l’épreuve de la nuance Difficile pour les socialistes de combattre Nicolas Sarkozy et l’UMP, qui usent et abusent de la simplification dans la précampagne présidentielle.



n dépit des sondages, qui continuent de prédire la victoire de François Hollande en mai 2012, il y a aujourd’hui péril en la demeure pour les socialistes, confrontés à la simplification extrême menée par Nicolas Sarkozy et l’UMP. En dix jours, on a eu droit à une véritable batterie de missiles : retour à la bougie si abandon du nucléaire, élection de maires étrangers en cas d’octroi du droit de vote aux immigrés aux élections locales, abandon de la souveraineté nationale avec la perte du siège de la France à l’ONU. Face au rouleau compresseur qui s’est mis en marche à droite, François Hollande cherche toujours à imposer une palette plus nuancée. Il reste persuadé qu’il gagnera en tenant un langage de “vérité” et de “raison”, en prônant une République contractuelle et un exercice du pouvoir

les éternelles questions sur la capacité des socialistes à porter une alternative resurgissent 48 les inrockuptibles 30.11.2011

à mille lieues de l’omniprésidence de Nicolas Sarkozy. “Si je me présentais en disant que je ne peux rien faire, les Français ne me regarderaient pas comme un possible Président, et si je disais que je peux tout faire, ce serait pareil”, a-t-il dit lundi sur RMC. “Il est dans la lignée de Mendès France”, répète l’un de ses lieutenants, Vincent Peillon. Ce qui est politiquement louable mais électoralement risqué. Dimanche, François Hollande s’est rendu au salon de l’Education, porte de Versailles, à Paris. L’occasion de plaider une nouvelle fois pour sa priorité, la jeunesse. Dans les allées, on croisait des jeunes convaincus mais aussi dubitatifs, et pour certains hostiles. Les plus déterminés, qui assuraient qu’ils allaient “voter Sarkozy parce qu’il est plus dynamique” ou qu’ils ne faisaient pas confiance à François Hollande, qui “n’est pas un homme d’Etat”, étaient sans doute des militants de la France UMP qui se lève tôt, même un dimanche ! Mais dans l’entourage du candidat PS on ne sous-estime pas le danger de cet entre-deux de la campagne présidentielle, où ressurgissent les éternelles questions sur la capacité des socialistes à porter une alternative.

Dix ans après le choc du 21 avril 2002 et l’élimination de Lionel Jospin au premier tour de la présidentielle, le PS demeure un parti idéologiquement fragile. Qui peine toujours à convaincre les jeunes et les classes moyennes et populaires. Plusieurs sondeurs ont mis en garde les socialistes contre leur ivresse des sommets après la primaire. Certes, près de trois millions de Français ont voté pour désigner le candidat PS mais les électeurs qui ont déserté la gauche depuis dix ans ne sont pas venus aux urnes. Si dans une récente enquête TNS-Sofres, François Hollande est jugé plus sincère et plus honnête que “le candidat sortant”, comme il a l’habitude de désigner Nicolas Sarkozy, les Français ne sont que 43 % à l’estimer capable de tenir ses engagements. Comment faire espérer le “réenchantement du rêve français” annoncé par le candidat PS quand la crise restreint le champ du possible ? En martelant ses priorités et en restant dans “le cercle de la raison”, veut-il croire. Droite et gauche sont d’accord sur une chose : le théorème de Gramsci selon lequel “la victoire idéologique précède toujours la victoire électorale”. Hélène Fontanaud

presse citron

par Christophe Conte

Europe Ecologie-Les Verts en quête d’implant quinquennal, Besson prêt à se retourner, les intentions de vote de Didier l’Embrouille, Morin pile au milieu et Jacques Attali en prophète de fin d’année.

verbateam Paris terre d’accueil Danièle Hoffman-Rispal, victime du parachutage de Cécile Duflot, riposte : “Ce n’est pas en mettant une femme contre une autre qu’on va augmenter la parité”, omettant de dire de combien serait augmentée une parité qui plafonne à 18 % à l’Assemblée…

bis repetita Après la candidature de Jean-Pierre Chevènement, qui fleure bon la campagne 2002, et son 21 avril, le remake de 2007 par François Bayrou : “Je vais tout faire pour être présent au deuxième tour.” Tout semble mis en œuvre pour faire enfin évoluer notre société : en 2012, le troisième homme pourrait bien être une femme.

Nostradamus gueule A l’approche de Noël, il arrive fréquemment qu’un illuminé s’emploie à gâcher la fête et à faire peur aux enfants en promettant du sang, de la sueur et des larmes à la place de la console Nintendo qui devait leur atterrir dans les chaussons. Cette année, c’est l’ineffable visionnaire myope Jacques Attali qui nous fout les chocottes dans une interview donnée à 20 minutes (25/11) où il annonce “une chance sur deux pour que l’euro n’existe plus à Noël”. Malgré la barbe qu’il arbore désormais comme DSK, notre prophète de l’Apocalypse n’a pas fini de nous raser.

Noël mammaire Comme en 2002 après la sortie de route d’Alain Lipietz qui l’avait conduit à se présenter à la présidentielle, on a bien cru cette semaine que Noël Mamère allait à nouveau entrer en cours de jeu pour remplacer Eva Joly, partie aux pâquerettes le temps d’un “lost week-end” en Charente (Libération, 23/11). Mais à la suite de l’affaire des prothèses en silicone défectueuses, EE-LV s’est dit qu’un implant Mamère n’était plus tout à fait sans danger.

21 novembre, demandant aux fans de l’ancien Chat Sauvage pour qui ils comptaient voter en 2012. La plupart des sondés penchaient à droite, voire à l’extrême droite. Mais c’est André, 71 ans, qui aura lâché la meilleure idée : voter blanc, ou voter Dick ! Nous pensons effectivement que Dick Rivers est le mieux armé pour sortir ce pays du marasme. Avec Richard Anthony comme Premier ministre.

salon du prêt-à-partir Selon Le Canard enchaîné (23/11), Nicolas Sarkozy serait fumasse à l’encontre d’Eric Besson qui, ce sont les mots du chef, “n’en fout plus une rame” et serait invisible. D’après nos informateurs, l’actuel ministre de l’Industrie aurait été vu dans une boutique de fringues du quartier de Solférino, essayant une veste réversible, puis gare du Nord réservant des billets pour la Hollande. Mais on dit ça, on dit rien.

Homme de bon sens et de consensus, Hervé Morin a profité de l’annonce de sa candidature pour proposer un passage aux 37 heures (LePoint.fr, 26/11) ! Ce vaillant coupeur de poire en deux inaugure donc la réponse de Normand aux questions essentielles de la prochaine mandature. Et ceux qui s’interrogeaient sur l’utilité de sa démarche onaniste tiennent leur réponse : Morin n’a aucune espèce d’intérêt, sinon celui de nous faire rire.

tout est Dick

très confidentiel

Drôle d’idée du Parisien (25/11), qui a laissé traîner ses micros sur le trottoir du Casino de Paris où se produisait Dick Rivers le lundi

“La mort de Danielle Mitterrand me laisse orpheline”, a déclaré l’humoriste Mélanie Laurent. Merde alors, Tata avait elle aussi une fille cachée !

Hervé Morin, pitre

à quand l’appli Richard Prasquier ? Alors qu’Apple a annoncé qu’il retirait l’application “Juif/ Pas Juif” au niveau mondial, Richard Prasquier dresse la liste des députés juifs évincés par les socialistes en vue des législatives. “Il est tentant de parler d’antisémitisme. Certains l’ont déjà fait et je me garderai bien de les suivre.” Même dressée par le président du Conseil représentatif des institutions juives de France, une liste de Juifs reste une liste de Juifs.

vintage Dans son combat contre le parachutage du Premier ministre pour les législatives, Rachida Dati a reçu le soutien inattendu de Maxime Le Forestier qui propose le ministère de l’Intérieur à François Fillon : “Si t’es vraiment trop gêné d’être payé à ne rien faire, tu peux toujours te recycler chez tes petits frères. Je crois qu’on engage dans la police, parachutiste…” (extrait de Parachutiste, 1972).

retour vers le futur De son côté, François Fillon fait de la lutte contre la récidive “sa priorité absolue”. Au point de ne pas voter pour son chef l’année prochaine ? 30.11.2011 les inrockuptibles 49

affaires intérieures

que le meilleur perde

la guerre au centre est lancée

Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite.

t de 13 ! Hervé Morin est le 13e politique à s’être lancé dans la bataille présidentielle en se déclarant candidat pour le Nouveau centre. Et pas n’importe où : du pont de Normandie, sous un chapiteau planté en bord de Seine à Berville-sur-Mer, dans l’Eure, devant 500 personnes et dix-sept parlementaires sur les trente-neuf que compte son parti. Là où, précisément, Hervé Morin revendique des attaches familiales. C’est facile comme dans une série télé. Mais là, le candidat reste crédité – au mieux – de 1 % d’intentions de vote dans les sondages. Il faut dire que ses petits amis du Modem, du Parti radical et de l’UMP ne font rien pour l’aider. Ainsi, François Bayrou avait-il pris soin de lui griller la politesse quelques jours plus tôt en mettant fin au vrai-faux suspense, sur TF1, en annonçant sa candidature. Même Jean-Louis Borloo, officiellement retiré de la course, avait décidé de tout faire pour le gêner en raflant le 20 h de France 2 le jour de l’annonce de la candidature de Morin. En politique, c’est bien connu, il n’y a pas de petit cadeau. Tout cela n’aurait pas de saveur si les amis des amis ne s’en mêlaient pas. S’il “respecte le choix” de François Bayrou, qu’il “ne connaît pas très bien”, et de son “ami” Hervé Morin, Jean-François Copé a lancé une mise en garde au nom de l’UMP : “Attention à ce qu’on ne disperse pas trop nos voix car les 21 avril tels que nous les avons connus en 2002 pour le PS, ça n’est pas la propriété exclusive du PS.” Et si, avec tout ça, il y avait encore une tête qui dépassait, l’UMP a réponse à tout : présenter, aux législatives, des candidats de la majorité face à ceux du Nouveau centre. Pas sûr finalement que le chiffre 13 porte chance à Hervé Morin… Marion Mourgue

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Hervé Morin est crédité de 1 % d es intentions de vote

50 les inrockuptibles 30.11.2011

par Michel-Antoine Burnier

Bravo : Mme Joly est parvenue en quelques jours à perdre son AAA politique. Elle se mélenchonise, à mi-chemin entre Robespierre et Georges Marchais, cet homme qui savait faire battre la gauche dans des législatives gagnées d’avance. Pour le moment, c’est un succès : Mme Joly s’enfonce à 4 % et M. Hollande a cédé 9 points. Ah, les beaux appartements ! Voici une méthode inratable pour tout responsable politique qui aspire à la défaite. Il lui suffit d’occuper un logement plus ou moins social de l’Etat ou de la ville de Paris, de payer un loyer très inférieur au prix du marché et, de préférence, posséder un ou deux appartements à soi que l’on loue au lieu d’y habiter. C’est encore mieux si l’on se retrouve assujetti à l’impôt sur la fortune, fût-ce par intermittence : le riche doit donner l’impression qu’il détourne l’aide destinée aux pauvres. Telle est l’ingénieuse manœuvre de M. Chevènement. Celui-ci acquitte en effet un loyer de 1 519 euros pour 120 m² rue Descartes à Paris, au quartier Latin. Le logement appartient à la Ville. Dans le privé, on ne pourrait trouver l’équivalent pour moins de 3 000, voire 3 500 euros. Notre candidat eut la sagesse de ne pas obtempérer aux lettres de la municipalité qui lui demandait d’abandonner les lieux. Ce comportement cumule plusieurs avantages. D’abord, il révèle l’affaire. Ensuite, il est économique :

à l’inverse de tant d’autres actions victoricides qui peuvent mener à la ruine, celle-ci rapporte chaque mois la différence entre le prix du marché et le prix consenti. Enfin, il ne manifeste qu’une indélicatesse et un mépris porté aux mal-logés : nulle menace de garde à vue, de procès, de prison... Seul risque, celui, mineur, d’un déménagement hâtif. Voilà pourquoi la méthode a eu de nombreux adeptes. On se souvient de M. Juppé demandant à la ville de Paris de diminuer le loyer déjà léger de son fils alors que lui-même avait fait réaliser pour plusieurs millions de travaux, aux frais du contribuable, dans un autre appartement de la Ville qu’il occupait. Dix ans plus tard, le pieux M. Gaymard, ministre de l’Economie, s’installa avec ses huit enfants dans un 600 m², 14 400 euros de loyer payés par l’Etat. Devant le scandale, M. Gaymard dut quitter le gouvernement. Peu après, on découvrit que le directeur de cabinet de la non moins pieuse Mme Boutin louait un 190 m² à Paris pour 1 000 euros par mois. Puis c’est M. Tron, le podophile, que l’on débusqua dans une position du même genre. Tous ceux-là, y compris M. Juppé, ont dû déménager dans la honte et la précipitation. M. Chevènement, lui, ne capitule pas. Il se défend, proteste, refuse de partir. Qu’il persiste : cela pourrait se terminer aux aurores avec un commissaire de police et un huissier. (à suivre...)

débat d’idées

le socialisme se teinte de vert La pensée socialiste s’est longtemps appuyée sur le progrès technique et le productivisme pour améliorer le bien-être des hommes. Aujourd’hui, l’enjeu écologique bouleverse la donne en profondeur.



i certains cadres socialistes se crispent encore sur la question écologique, si certains élus, comme Gérard Collomb, osent comparer les écolos à des “Khmers verts”, si le nucléaire forme encore la principale pomme (verte) de discorde entre le PS et les amis d’Eva Joly, quelque chose a néanmoins changé dans le corpus idéologique du socialisme. L’écologie y a désormais toute sa place ; mieux, elle s’est imposée comme le cœur de la rénovation d’une pensée politique usée sur beaucoup de coutures. Par-delà les politiques locales menées avec plus ou moins d’audace environnementale par les élus socialistes, des figures du parti, d’Henri Weber à Gaëtan Gorce, théorisent aujourd’hui ce tournant idéologique. La bascule théorique de la social-démocratie française va jusqu’à bouleverser sémantiquement son propre nom : le socialisme se baptise désormais “éco-socialisme”. Plus qu’un simple artifice ou une coquetterie démagogique, l’imposition du préfixe traduit la radicalité d’une vision renouvelée de la société et de la manière de la transformer. Pour Henri Weber, député européen et secrétaire national adjoint du PS chargé de la mondialisation, auteur de La Nouvelle Frontière – Pour une social-démocratie du XXIe siècle, cette force politique se trouve aujourd’hui “acculée à une troisième refondation”, après celles des années 1920 (abandon du dogme de la conquête révolutionnaire du pouvoir) et des années 50 (abandon des objectifs marxistes de la nationalisation intégrale des entreprises et de la direction 30.11.2011 les inrockuptibles 51

le progrès, trop longtemps associé à l’évolution des sciences et technologies, doit devenir “progrès humain”

de l’économie par le plan) : la refondation écologique en forme le dessein. Idée partagée par le sénateur de la Nièvre Gaëtan Gorce qui, dans son livre L’Avenir d’une idée – Une histoire du socialisme, avance que “la prise en compte de l’enjeu écologique constitue d’emblée pour l’idée socialiste une nécessité”, voire “une formidable opportunité”. Avec la prise en compte du principe de réalité écologique, le socialisme a selon lui l’occasion de “redéfinir son rapport au progrès”, notion ambiguë, trop longtemps associée à l’évolution de la science et des technologies. La reconfiguration du concept de progrès passe par la reconnaissance de “l’ambivalence du progrès scientifique” (principe de précaution) et par l’élargissement de la notion vers celle, plus ouverte, de “progrès humain”, c’est-à-dire la prise en compte des différents critères permettant de mesurer la qualité de vie de chacun. La crise dans laquelle est entrée la modernité, théorisée en 1986 par Ulrich Beck dans La Société du risque, oblige aujourd’hui à modifier l’analyse fondée sur la foi absolue dans le progrès technique. Les socialistes ont enfin intégré le “principe responsabilité”, défini par le philosophe Hans Jonas (référence majeure des écolos), à leur corps de valeurs. Longtemps, rappelle Weber, la gauche a vécu dans la conviction que les ressources naturelles étaient infinies et inépuisables, donc gratuites. Surtout, l’idée d’un nécessaire et salutaire productivisme a longtemps fait l’objet d’un dogme politique, sans lequel le système d’organisation économique ne valait rien. Pour développer l’économie et le bien-être, il fallait produire et encore produire, aveuglément, incessamment. La gauche socialiste a enfin appris, ces dernières années, qu’à force de creuser cette voie, un péril guettait le monde. “La social-démocratie doit rompre avec

l’éco-socialisme offre “la possibilité à l’idée socialiste de réactualiser plusieurs de ses valeurs identitaires” Gaëtan Gorce 52 les inrockuptibles 30.11.2011

le productivisme et intégrer à son programme fondamental l’apport de l’écologie politique”, insiste Henri Weber. Car quatre types de menaces, désormais clairement identifiés, pèsent sur la planète : l’épuisement des ressources naturelles (pétrole, eau douce, métaux), les pollutions de l’environnement (air, sols, eau, aliments), l’érosion de la biodiversité (disparition des espèces, mais aussi des services de régulation des écosystèmes qu’elles assuraient) et enfin le réchauffement climatique. La rupture du lien entre “plus” et “mieux”, longtemps portée dans un silence poli par les pères de l’écologie politique comme René Dumont ou André Gorz, commence seulement à être reprise par la gauche. Remise en cause du productivisme, c’est-à-dire de la foi aveugle dans la possibilité d’une croissance illimitée, l’écologie politique reconfigure radicalement, de ce point de vue, le socialisme. Elle le subvertit autant qu’elle le ramène à la raison. Pour autant, estiment les hiérarques socialistes, le défi de l’éco-socialisme reste de réaliser la synthèse “entre l’impératif social de reconquête du pleinemploi qui exige un sentier de haute croissance, et celui, écologique, de la transition vers une économie sobre en carbone et en matières premières” : c’est-à-dire s’efforcer de concilier croissance, progrès social et défense de l’environnement. Aux trois objectifs qui, rappelle Weber, définissaient traditionnellement le socialisme démocratique – instituer une démocratie accomplie, assurer la maîtrise de la société sur son avenir, et en particulier sur le fonctionnement de l’économie, promouvoir une civilisation humaniste –, s’en ajoute désormais une quatrième, toute aussi décisive : “préserver la nature et notre cadre de vie”. Pour opérer ce tournant, les socialistes s’écartent de quatre formes d’écologie politique souvent répertoriées – radicale, réactionnaire, conservatrice et libérale – pour se situer du côté de “l’écologie progressiste”. Une écologie pragmatique qui, sur la question sensible de la décroissance, par exemple, préfère la complexité à la simplification du discours. Typique d’un faux débat, la décroissance

est parfois nécessaire – décroissance du trafic autoroutier, des industries polluantes, de l’élevage en batteries, de l’agriculture usant de pesticides… –, autant que la croissance lorsqu’elle est vertueuse – croissance du fret ferroviaire, du parc de logements sociaux, de l’agriculture bio, des services aux personnes… Comme l’affirme Gaëtan Gorce, si le socialisme est encore une idée qui a de l’avenir, c’est que l’éco-socialisme offre “la possibilité à l’idée socialiste de réactualiser plusieurs de ses valeurs identitaires”, à commencer par la justice sociale, “dont le contenu s’est flouté au fil du temps”. Par l’impulsion nouvelle qu’il serait censé apporter aux idéaux de redistribution et de lutte pour un meilleur partage des ressources et des richesses, l’éco-socialisme est “une sorte de retour aux sources” ; “le premier socialisme ne s’est-il pas d’abord soucié d’harmonie”, de “réconcilier l’individu avec la société, c’est-à-dire avec son environnement entendu au sens large ?”, souligne Gorce. Autre valeur identitaire à développer : la transformation profonde de nos systèmes d’administration publique, rendue indispensable par les bouleversements écologiques. “L’éco-socialisme est inséparable d’une éco-démocratie”, c’est-à-dire d’un “socialisme soucieux de l’environnement démocratique”. Un chantier déjà exploré par des auteurs comme Dominique Bourg et Kerry Whiteside (Vers une démocratie écologique, Seuil, 2010), pour qui la sauvegarde de la biosphère exige de repenser la démocratie elle-même et les procédures délibératives. Si le socialisme démocratique a encore un sens dans l’espace politique contemporain, il ne peut ainsi que se déployer sur la base de cette refondation écologique : parallèlement à l’autre grand chantier de réflexion du moment – la question de l’égalité, dans laquelle elle s’imbrique naturellement –, ce nouvel élargissement intellectuel forme désormais le socle de sa promesse d’émancipation. Jean-Marie Durand La Nouvelle Frontière – Pour une socialdémocratie du XXIe siècle d’Henri Weber (Seuil), 2 28 pages, 1 7 € ; L’Avenir d’une idée – Une histoire du socialisme de Gaëtan Gorce (Fayard), 370 pages, 2 2 €

êtes-vous

tactile? le fabuleux destin des tablettes et des smartphones

Aurélien Dupuis

dossier coordonné par Anne-Claire Norot

la révolution au bout des doigts Le succès des tablettes et des smartphones va-t-il signer la fin des PC ? par Anne-Claire Norot

au sommaire 56 58

60 62 64 66

Justin Tallis/Report Digital/RÉA

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le PC vit-il ses dernières heures ? la communication ne passe plus par la parole édition, presse : les nouveaux débouchés les effets pervers de la mutation des jeux vidéo la tablette comme outil de création plus d’écran et bientôt plus de doigts sélection des nouveautés high-tech

56 les inrockuptibles 30.11.2011

V

oilà, ce n’est plus une utopie : on peut être à la fois totalement mobile et parfaitement connecté à son univers numérique grâce aux écrans tactiles, au wifi et à la 3G. Apple a joué là-dedans un rôle immense et précurseur avec l’iPhone et son écran tactile en 2007, puis l’iPad en 2010. En France, au premier semestre 2011, les ventes de smartphones ont connu une croissance proche de 80 %. Dans un rapport paru en juillet, le cabinet GfK prévoit qu’à la fin de l’année, elles dépasseront celles des mobiles classiques, avec 11,9 millions de smartphones vendus. Dernières arrivées sur le marché, les tablettes commencent à trouver leur public. Entre janvier et mai, 350 000 exemplaires ont été vendus contre 435 000 pour toute l’année 2010. Ces tendances sont confirmées à l’internationale par Gartner : le cabinet avance que les ventes atteindront plus de 63 millions d’unités en 2011 contre 17,6 en 2010. A côté de l’iPad, qui écrase la concurrence avec près des trois quarts du marché, les modèles sont de plus en plus nombreux, sous le système d’exploitation Android de Google pour la plupart. Du constructeur français pionnier Archos à Asus, Motorola, Toshiba ou Samsung, le choix est vaste. Amazon vient même de lancer (aux Etats-Unis) sa propre tablette Android, le Kindle Fire. Le prix est raisonnable (199 dollars) et les ventes démarrent fort. Elles devraient atteindre près de 5 millions à la fin de l’année. Le boom est tel que les PC de bureau, les ordinateurs portables et les netbooks, dont les ventes se tassent sinon diminuent depuis quelques mois, sont en passe de devenir obsolètes. D’après GfK, en France, les ventes de PC de bureau et portables ont baissé sur les cinq premiers mois de l’année 2011, respectivement de - 16 % et de - 4 % par rapport à la même période en 2010. Au niveau mondial, “l’industrie du PC a eu des performances plus faibles que d’habitude à cette période”, explique Mikako Kitagawa, analyste principal chez Gartner. Et d’ajouter : “La popularité des appareils comme les iPad ou les smartphones a déplacé les dépenses des consommateurs loin des PC.” Face à l’incertitude sur l’avenir des PC, HP, le premier constructeur d’ordinateurs au monde, a sérieusement envisagé d’en arrêter la production. Comment une telle performance est-elle possible ? Car ces appareils sont légers, simples à utiliser et à manipuler. L’écran tactile est convivial, intuitif. Il a libéré l’utilisateur des accessoires encombrant : les fils, la souris et surtout le clavier. S’allumant beaucoup plus rapidement qu’un portable ou un netbook, ils permettent une utilisation instantanée, sans attendre la mise en route de logiciels.

l’informatique devra adapter ses produits traditionnels : portables plus légers, smartphones avec des écrans plus grands

Enfin, ils permettent une connexion constante à son réseau et au net. Même si au moment du lancement de l’iPad, on ne savait pas précisément quels usages en feraient les consommateurs, ceux-ci ont expérimenté depuis ses nombreuses possibilités. Aujourd’hui, ils utilisent les tablettes en large majorité à domicile, principalement pour le surf sur internet, les mails, les vidéos, les réseaux sociaux et les jeux. Curieux pour un appareil si mobile. Les appareils tactiles sont de plus au centre d’un riche écosystème d’applications, utiles ou pas, drôles ou pratiques, dont la seule limite reste l’inventivité des développeurs. La combinaison appareil + application peut donner naissance à des utilisations inattendues. Ainsi, dotés de l’application ad hoc, smartphones et tablettes peuvent se transformer en télécommande pour d’autres appareils (télé, chaînes hi-fi, peut-être domotique). Ils peuvent aussi servir de terminal de cartes de crédit (appli Square). Trois chercheurs des universités de Jazan et Deakin viennent d’ailleurs d’imaginer un logiciel qui permettrait de sécuriser les identifications en demandant aux internautes de dessiner leur mot de passe sur l’écran. Les appareils tactiles ont cependant des limites. Les smartphones coûtent plus cher que les téléphones classiques et les tablettes plus que les netbooks. De plus, ils ne peuvent pas concurrencer les PC portables ou ultraportables en matière de travail : le clavier tactile, suffisant pour taper un email, n’est pas pratique pour écrire de longs textes et travailler. Certains constructeurs l’ont bien compris, comme Asus qui fabrique une tablette, l’Eee Pad Transformer Prime, transformable en ultraportable par l’ajout d’un clavier dédié. Pour David Willis de Gartner, le succès des appareils tactiles risque de bouleverser le paysage informatique, qui devra adapter ses produits traditionnels. “ Avant, les portables étaient des appareils lourds qu’on emportait avec soi et qu’on n’utilisait qu’à certains moments de la journée. Aujourd’hui, on devrait voir plus de portables très légers, avec des batteries qui durent plus longtemps et qui ressembleront à des tablettes avec un clavier. De l’autre côté du spectre devraient apparaître des smartphones avec des écrans plus grands, destinés à recevoir plus de données.” Tablettes et smartphones ne concurrencent pas seulement les ordinateurs. Multifonctionnels, ils rivalisent aussi avec les appareils électroniques destinés à un seul usage comme les GPS, les appareils photo ou les lecteurs MP3, dont les ventes ont baissé de près de 7 % en 2011 – celles des iPod déclinent depuis près de deux ans. Pour Jordan Selburn, analyste chez iSuppli, “les utilisateurs peuvent remplacer une floppée d’outils dédiés par un seul appareil multitâche et gagnent en fonctionnalité et en mobilité tout en économisant de l’argent”. La convergence numérique n’est plus une utopie et remodèle en profondeur l’industrie de l’informatique comme celle de l’électronique grand public. 30.11.2011 les inrockuptibles 57

Carnegie Mellon University

L’OmniTouch, développé par Microsoft Research, permet de transformer n’importe quelle surface en écran tactile

mes mains ont la parole Chats, mails, textos, messages sur Facebook, Twitter, bornes tactiles en tout genre : la communication ne passe plus par la parole. par Marc Beaugé

O

n ne dit plus rien. On ne dit plus à la vendeuse du McDo que l’on voudrait de la sauce barbecue pour accompagner les nuggets. On ne dit plus à ses potes que l’on est à la bourre. On ne dit plus au type du guichet à la SNCF de se magner un peu parce que le train part dans cinq minutes. On ne dit même plus à sa copine que c’est fini, laisse tomber chérie, tu ne me mérites pas. On ne dit plus rien parce que l’on préfère tapoter. Au McDo ou à la SNCF, on peut désormais passer sa commande via des bornes tactiles. Dans la plupart des enseignes de grande distribution, il existe des caisses automatiques qui permettent de scanner soi-même ses courses et de les payer sans avoir à s’adresser à qui que ce soit. Dans la sphère privée, le cheminement est exactement le même : au travers des mails, SMS, chats, forums, Twitter, messages sur Facebook, l’information transite de plus en plus par les doigts et de moins en moins par la bouche. L’an dernier, une étude réalisée par Nielsen aux Etats-Unis a ainsi démontré 58 les inrockuptibles 30.11.2011

que l’on téléphonait moins avec son portable. Après avoir atteint un pic en 2007, le volume annuel de coups de fil n’a cessé de baisser. La durée même des communications tend à se réduire. Si un coup de fil durait en moyenne trois minutes en 2005, il dure désormais moins de deux minutes. Trop intrusif, l’appel tend à être remplacé par les messages en tout genre, en particulier les SMS. L’an dernier, une autre étude Nielsen établissait que les adolescents de 13 à 17 ans envoyaient et recevaient en moyenne 3 339 SMS par mois, soit plus de cent par jour. La parole s’amenuise aussi au boulot. Dans un open-space, il est fréquent que des collègues soient reliés entre eux par Google Chat, Yahoo! Messenger ou Facebook, bien qu’ils ne soient installés qu’à quelques mètres les uns

en 2010, les ados américains auraient envoyé et reçu en moyenne 3 339 SMS par mois, soit plus de cent chaque jour

des autres. Cela permet de parler sans importuner les voisins de bureau. Et, sait-on jamais, cela pourrait aussi être un moyen de baver sur le patron tranquillou. Si le remplacement du papotage par le tapotage n’est pas un phénomène nouveau (le principe du courrier électronique a été posé dès 1965), il semble s’accentuer irrémédiablement. Il est ainsi ironique de constater que Skype, destiné à favoriser la transmission de la parole, dispose d’une application chat, alors qu’il y a quinze ans, quand il s’agissait d’envoyer en toute discrétion des messages cochons sur le Tatoo de la plus belle fille du lycée, il fallait encore transiter par une malheureuse standardiste. Grâce à elle, il subsistait de la parole dans les messageries. Aujourd’hui, c’est donc l’inverse. Même dans les services destinés à faire circuler la parole, les doigts s’activent. Les doigts parlent, leur vocabulaire s’est enrichi, et on peut leur faire dire autre chose que “laisse-moi monter dans ta caisse, steup” (pour l’auto-stop), ou “va te faire voir !” (pour…)

Yana Paskova/The New York Times/Redux/RÉA

qui table dessus ? Livres ou presse, les éditeurs cherchent de nouveaux débouchés via les tablettes, avec des résultats mitigés. par Béatrice Catanese 60 les inrockuptibles 30.11.2011

U

n nouvel eldorado pour la presse”, “Le sauveur de la presse”, “Planche de salut” titraient les journaux en avril 2010 à propos de l’iPad. Avant même la sortie officielle de la tablette, beaucoup d’éditeurs étaient déjà dans les starting-blocks. Le New York Times et Wired aux Etats-Unis, Le Monde en France… Le web avait fait du mal au papier ? Le moment était venu de prendre une revanche grâce à l’ardoise high-tech. Dix-neuf mois plus tard, la révolution espérée a-t-elle eu lieu ? Tous les grands journaux possèdent aujourd’hui une appli sur tablette, voire

en France, l’ebook représente moins de 1 % du chiffre d’affaires de l’édition

deux. Selon une enquête iMonitor d’octobre, près d’une appli sur deux en Europe est une appli presse, et la France en compte cent vingt. La presse a donc parié sur les tablettes pour contrer la baisse des ventes en kiosque et le “tout-gratuit” d’internet. Mais si le quotidien allemand Bild n’a pas hésité à imposer une édition numérique payante à ses lecteurs, le gratuit, au moins partiel, est bien ancré en France. Pourtant, il faut rentabiliser le coût de conception des applis – environ 20 000 euros. Les éditeurs de presse rivalisent de créativité pour attirer un nouveau lectorat. Podcasts, diaporamas, makingof… Certains ont même imaginé

des publications “iPad only”, comme Project, magazine de design et technologie, et The Daily, lancé par Rupert Murdoch en février. Proposé à seulement 0,99 dollar par semaine ou 39,99 dollars par an, il ne compte pourtant que 120 000 lecteurs hebdomadaires, contre les 500 000 nécessaires pour être viable. The Daily n’est pas le seul en difficulté. Les chiffres de l’OJD américain montrent que les ventes des versions numériques de magazines – Vanity Fair, Glamour et même le geek Wired, au lancement triomphal – baissent chaque mois depuis avril 2010. Certaines sont pourtant déjà rentables, comme Géo, édité par Prisma. “Les téléchargements de l’appli Géo sur tablette se comptent en dizaines de milliers depuis son lancement en avril 2010, ce qui n’est pas mal compte tenu du nombre d’utilisateurs de tablettes et de son prix”, indique Frédéric Daruty, directeur du pôle Prisma média digital. Pour 4,99 euros, le lecteur accède au numéro sur Venise, New York ou la Corse avec diaporamas géolocalisés, guides, cartes, etc. “Il faut bien sûr apporter une valeur supplémentaire par rapport au magazine papier et au web pour intéresser les usagers”, poursuit Frédéric Daruty. Les lecteurs risquentils de délaisser le papier au profit d’une version tablette plus interactive et plus complète ? “Il y aura peut-être une cannibalisation à un moment donné, mais pour l’instant la pénétration reste très faible. Cela dit, ça crée une visibilité supplémentaire pour la marque.” Outre les versions numériques disponibles sur les sites de presse et les applis AppStore et Android, les kiosques comme Relay, Zinio ou Newsstand d’Apple, lancé mi-octobre, sont aussi un bon moyen de diffusion. Mais en France, la presse a boycotté d’emblée le kiosque d’Apple, sauf France-Soir et La Tribune, en difficulté financière. S’adapter à l’iPad, qui représente 70 % du marché des tablettes, c’est se plier aux conditions d’Apple : une commission de 30 %, une grille tarifaire figée et une rétention des informations personnelles des lecteurs. “Ce dernier point est le plus grave, précise Frédéric Daruty. Mais nous aimerions parvenir à un accord car l’iPad offre un usage qui correspond à nos contenus.”

La réticence était la même chez les maisons d’édition face à Apple et son iBookstore – impossible de fixer ses propres prix. Même problème avec Amazon et son Kindle, les deux étant d’ailleurs des systèmes fermés. Les éditeurs français ont donc préféré dans un premier temps miser sur les plates-formes Eden Livres ou Numilog. La donne a changé avec l’adoption de la loi sur le prix unique du livre numérique en mai dernier, permettant à l’éditeur seul de fixer le prix de ses livres numériques. Flammarion a été le premier en France à signer un accord avec Amazon, en septembre dernier. Pour contrer les deux géants américains, une trentaine de libraires et éditeurs, adossés au Syndicat de la librairie française, viennent de s’associer à Orange et SFR pour lancer début 2012 un système permettant d’acheter des livres numériques directement dans les librairies. Les éditeurs français sont maintenant bien conscients de l’importance prise par les tablettes. Gallimard, Flammarion et La Martinière ont développé l’appli Eden Reader, disponible sur l’AppStore, qui permet au lecteur d’accéder à l’ensemble des ebooks des trois éditeurs sur son iPad. En France, l’ebook représente moins de 1 % du chiffre d’affaires de l’édition, contre 8 % aux Etats-Unis. Mais selon une enquête OTO Research publiée dans Les Echos mi-octobre, 41 % des utilisateurs français de tablettes lisent des livres numériques. La demande existe donc, en particulier pour les livres-applications conçus spécifiquement pour les tablettes – guides de voyage, livres d’art ou livres jeunesse. Le Sous-marin de Scott, publié par Square Igloo, allie par exemple lecture, vidéos, jeux pédagogiques interactifs et prise de photos au prix de 2,39 euros. Adapter le papier à la tablette ne suffit donc pas toujours. Aux éditeurs de repenser entièrement leurs contenus pour coller à la “magie” et à l’interactivité de la tablette. Flammarion l’a compris et lancera en décembre sur iPad L’Homme volcan, un livre musical de Mathias Malzieu, chanteur de Dionysos et auteur de La Mécanique du cœur. Reste à faire face à la réalité des coûts de conception. 30.11.2011 les inrockuptibles 61

500 millions de téléchargements pour Angry Birds sur iPhone

Du graphisme basique à l’univers complexe : Doodle Jump (2009)et Infinity Blade 2, qui sort le 1er décembre

double jeu Malgré son indéniable essor, le jeu vidéo tactile a fragilisé de nombreux développeurs. par Erwan Higuinen

M

odern Warfare 3 vient de prendre d’assaut la planète jeu vidéo. Son éditeur, Activision, ne fait pas mystère de ses ambitions : dépasser les ventes records du précédent volet de sa saga militaire Call of Duty, Black Ops, écoulé à plus de 25 millions d’exemplaires. Pas mal mais pas si impressionnant à l’échelle d’une autre guerre virtuelle, plus joyeuse et colorée, qui oppose une bande d’oiseaux en colère à de vils cochons verts. En deux ans, les différents épisodes d’Angry Birds, jeu star de l’iPhone adapté depuis sur smartphones Android et Windows (mais aussi sur Mac, PC et PSP), ont donné lieu à plus de 500 millions de téléchargements d’après son développeur finlandais Rovio. Un demi-

62 les inrockuptibles 30.11.2011

milliard : le double des ventes cumulées de tous les jeux Mario. Evidemment, le prix d’Angry Birds (0,79 euro), très inférieur à celui des jeux vidéo “classiques”, relativise la performance commerciale. C’est sans compter sur la mutation en cours. Selon une étude du cabinet américain Flurry, le marché du jeu vidéo portable a totalement changé en deux ans. En 2009, 70 % des recettes appartenaient à la DS, 11 % à la PSP et 19 % aux plates-formes iOS et Android. En 2011, ces dernières s’accaparent 58 % du total contre seulement 36 % pour le portable de Nintendo qui peine à imposer (malgré des ventes depuis peu en hausse) sa 3DS lancée cette année. L’évolution est cruelle pour la firme japonaise qui a elle-même impulsé la révolution du jeu tactile avec des titres comme Nintendogs ou le Programme d’entraînement cérébral. Prouvant, à une époque où les téléphones portables se prêtaient encore mal au plaisir ludique, qu’on pouvait très bien se passer de boutons, gâchettes et touches de direction, Nintendo rame aujourd’hui pour vendre ses cartouches aux nouveaux adeptes de Doodle Jump, Fruit Ninja ou Cut the Rope pendant que, histoire d’enfoncer le clou, Jaakko Iisalo, créateur d’Angry Birds, dévoile l’une de ses sources d’inspiration dans le magazine britannique Edge : les jeux Nintendo, justement, “faciles d’accès”, “joyeux” et “se concentrant sur le cœur des mécaniques de gameplay”. Fondateur du studio parisien Arkedo, à qui l’on doit les épatants jeux DS Nervous Brickdown et Big Bang Mini, Camille Guermonprez, qui travaille à mettre sur pied une structure d’édition de jeux pour iPhone et assimilés, est témoin de ce bouleversement et constate que le jeu tactile a lui aussi changé d’époque. “Dans leur énorme majorité, les jeux qui sortaient il y a deux ans sur iPhone coûtaient moins de 100 000 euros à fabriquer. Aujourd’hui, beaucoup de ceux qui marchent ont coûté plus d’un million d’euros. En étant indépendant, ce n’est plus possible : il faut avoir levé des fonds.” Figure mythique du développement de jeux eighties réveillée par l’iPhone, le bedroom coder (celui qui développe un jeu dans son coin) est retourné se coucher : le big business a aussi gagné l’AppStore. Quand le nombre de titres disponibles se compte en dizaines de milliers, il est de plus en plus difficile de se faire remarquer. “Tu te bats contre des mecs qui ont pour obligation de faire du volume, ajoute Camille Guermonprez. Et entre un jeu qui coûte un euro et qui en vaut 10 000 parce que 10 000 personnes sont susceptibles de l’acheter et un autre qui coûte aussi un euro mais qui a été financé pour une cible d’un million, la différence se voit vite. Sur iPhone, pour un euro d’investissement sur le jeu, il faut en mettre deux, trois, quatre ou cinq non pas sur le savoir-faire mais sur le marketing.” Comment, alors, espérer aujourd’hui se lancer sur l’AppStore ? “Petit budget, énorme risque, petite rentabilité : l’idée sera d’avoir des jeux qui retomberont sur leurs pieds à 20 000 exemplaires vendus.” L’âge d’or du jeu tactile n’est donc peut-être pas terminé. Par ailleurs, avis aux fans, la mise à jour hivernale d’Angry Birds Seasons ne devrait plus tarder.

machine universelle Outil de création aux multiples possibilités, la tablette séduit des artistes novateurs et touche-à-tout. par Thomas Burgel

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’iPad n’est pas uniquement un gros iPhone sans téléphone, pas seulement un écran et des bits et des gigaoctets, une visionneuse multimédia, un navigateur internet : pionnier du genre et désormais concurrencé par les tablettes des concurrents de la firme de Tim Cook, c’est un outil. Comme tout ordinateur, le fantasme, le mythe et le désir made in Apple en plus, et grâce à son format, sa portabilité, son écran tactile, l’iPad est déjà très largement utilisé tous azimuts : par les médecins, les élèves et leurs professeurs, les pilotes de ligne, les joueurs d’échecs, les cuisiniers ou les lecteurs de comics. La tablette est aussi très rapidement devenue un support pour des artistes confirmés qui y ont trouvé, voire créé, les moyens d’explorer de nouvelles pistes conceptuelles. “Elle peut être tout ce que vous voulez qu’elle soit. C’est l’outil le plus proche de ce que j’appellerais une machine universelle”, expliquait le peintre britannique David Hockney. Le septuagénaire sait de quoi il parle : il a été l’une des figures les plus célèbres à s’emparer des possibilités, du fantasme tactile et design de l’iPad pour donner vie, avec une simple application de dessin (Brushes, quelques euros sur l’Appstore), à des œuvres exposées dans les plus prestigieux musées et galeries internationaux. D’autres ont suivi, nombreux et dans tous les domaines. Certains, comme Gorillaz, ont conçu leur œuvre sur iPad. En tournée, lors de ses moments

“la tablette peut être tout ce que vous voulez qu’elle soit” David Hockney, peintre 64 les inrockuptibles 30.11.2011

de liberté, le leader du groupe, Damon Albarn, s’amusait avec sa tablette, en découvrait le potentiel, écrivait ou enregistrait chaque soir quelques morceaux : ses tâtonnements ont donné un album, intégralement réalisé sur iPad et commercialement publié sous le nom de The Fall. D’autres ont utilisé le bidule pour transmuter la relation entre une œuvre et son “consommateur”. Fish & Game, une compagnie écossaise, a ainsi créé une pièce de théâtre interactive, Alma Mater, autour de l’iPad – un biais pour faire pénétrer le spectateur dans son déroulement. Björk également a composé son dernier album, Biophilia, autour de l’iPad, l’univers et la thématique de chaque chanson étant étendus et rendus interactifs, explorables et ludiques grâce à une application dédiée. L’effet de mode passé, la tendance pourrait perdurer et surtout s’élargir : de l’appli de retouche photo (Photogene ou les applications Photoshop) à l’éditeur de textes avancé (iA Writer, Notably), du séquenceur musical (le fameux GarageBand d’Apple existe sur iPad, où il est possible de brancher des instruments extérieurs via des adaptateurs dédiés) au synthétiseur virtuel ou instrument tactile novateur (l’exceptionnel Reactable, le iElectribe issu de la collaboration entre les synthés Korg et Gorillaz), du moteur de recherche de rimes pour poètes (PortaPoet) aux outils pour le dessin pur. “Il y a une application pour tout”, disait sans mentir la publicité officielle. Et pour tout le monde : l’artiste qui sommeille en vous peut se réveiller, il dispose déjà de tout ce dont il a besoin.

Graphisme Jamie Hewlett (capture d’écran de la démo)

La groove machine iElectribe de Korg, revisitée par Gorillaz

plus d’écran, plus de doigts ? Les labos travaillent déjà sur l’après-tactile et la disparition de tout intermédiaire corporel. par Jean-Baptiste Dupin ans l’impitoyable guerre des brevets que se livrent Apple et Samsung, ce dernier avance un argument inattendu : la marque à la pomme ne pourrait se prévaloir du principe de la tablette tactile car on entrevoit un objet similaire dans une scène de 2001 : l’odyssée de l’espace, réalisé en 1968 par Stanley Kubrick. Dans son invention d’univers saturés de technologie, la sciencefiction s’est souvent montrée visionnaire en matière d’interfaces homme-machine, et l’après-tactile, envisagé au cinéma, est déjà en gestation dans les labos. Supposée se dérouler en 2054, la séquence de Minority Report (Steven Spielberg, 2002) où Tom Cruise manipule avec dextérité une multitude d’objets holographiques n’est sans doute pas si lointaine. Dans un tout récent film promotionnel intitulé Productivity Future Vision (bit.ly/v7YwOO), Microsoft présente un tableau de notre avenir high-tech, loin d’être irréaliste – à part peut-être son ambiance de sanatorium de luxe. Bien que volontairement prospectif, il est en effet fondé sur nombre de technologies existantes ou en cours de développement par Microsoft ou d’autres, comme le papier numérique ou la réalité augmentée. Le tactile reste le moyen

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d’interaction privilégié, mais entre les mains des utilisateurs, quelque chose semble disparaître : l’écran. Les informations s’affichent sur toutes sortes de surfaces planes, qui deviennent interactives à la simple détection d’un geste ou d’une pression : sur la vitre d’un taxi apparaissent des données géolocalisées ; sur la table de la cuisine, les étapes d’une recette ; sur une carte de visite, des renseignements professionnels. Epurés et miniaturisés à l’extrême, les appareils usuels, mobile ou tablette, se dissolvent. Le contenu avale le contenant. En lançant Kinect il y a un peu plus d’un an, Microsoft pensait révolutionner le jeu vidéo en remplaçant l’utilisation des manettes par la reconnaissance des gestes du joueur. Mais le constructeur de la Xbox pourrait avoir fait bien plus. Très vite, de nombreux chercheurs et bidouilleurs ont détourné Kinect de sa vocation ludique pour en imaginer toutes sortes d’usages : pilotage de robot, vidéosurveillance nocturne, essayage vestimentaire virtuel, chirurgie… Ces initiatives esquissent une nouvelle forme d’interaction fondée sur les seuls mouvements, et l’ouverture de Kinect aux développeurs, annoncée pour

l’année prochaine, laisse augurer des applications étonnantes. Pilotera-t-on bientôt sa télévision de quelques moulinets du poignet ? Ou bien s’adressera-t-on directement à elle ? Bien que déjà largement répandue, des serveurs de hotlines aux GPS, la reconnaissance vocale pourrait exploser grâce à Siri. Application vedette de l’iPhone 4S, Siri est un assistant personnel qui écoute, agit et répond comme un Hal 9 000 de poche (bit.ly/oJynHc). Dans quelque temps, on ne parlera plus à ses interlocuteurs mais à Siri, qui se chargera de leur transmettre le message. Peut-on aller encore plus loin et supprimer tout intermédiaire corporel ? Tétraplégique suite à une agression au couteau, l’Américain Matthew Nagle a pu, grâce à l’implant d’une puce dans le cerveau, contrôler par la pensée une souris d’ordinateur et une main artificielle. Dans les laboratoires du monde entier, la possibilité émergente de capter, interpréter et exploiter les signaux électriques générés par l’activité cérébrale fait d’ores et déjà des interfaces neuronales directes (IND) une réalité. Recourant fréquemment à des capteurs externes, plus légers que des implants, ces réalisations prometteuses constituent un espoir extraordinaire pour toutes les personnes souffrant d’un handicap, mais elles pourraient aussi concerner l’ensemble de la population. En commandant mentalement son

en commandant mentalement son véhicule, un automobiliste gagnerait 200 millisecondes sur un freinage, soit 5,50 mètres à 100 km/h

véhicule, un automobiliste gagnerait 200 millisecondes sur un freinage, soit 5,50 mètres à 100 km/h. L’évolution des interfaces homme-machine tend ainsi vers une dématérialisation de l’interaction. Si dans le cas des IND, la volonté et la liberté d’action sont préservées, ces deux forces sont par ailleurs menacées : dans le métro, lorsque nous approchons des portillons, un passe sans contact en commande l’ouverture sans notre intervention ; dans certains bureaux, des détecteurs de présence suffisent à déclencher la climatisation ou à activer les systèmes d’alarme ; dans la rue, certains écrans de publicité interactive intègrent une petite caméra qui saisit le regard des passants pour mesurer l’attractivité de l’annonce… Le monde se remplit peu à peu de capteurs, reliés à des systèmes de contrôle automatisés, dont nous sommes les involontaires stimuli. Dans ce qu’on appelle l’internet des objets, les humains ne seront plus tout à fait des sujets. Comme les 50 milliards de puces, sondes et appareils divers qui se brancheront au réseau en 2020, nous aurons une adresse, un statut, une localisation, une série de paramètres et de caractéristiques, dont l’analyse permettra à notre environnement de s’adapter instantanément – à l’image de Tom Cruise, toujours dans Minority Report, déambulant dans un centre commercial où chaque vitrine l’interpelle par son nom. Comment un visiteur du passé qualifierait-il ce monde que nous contrôlons d’un doigt, d’un geste, d’une pensée, et parfois même sans y songer ? Arthur C. Clarke, l’auteur de 2001, a énoncé cette loi célèbre : “Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie.” Nous y sommes presque.

Extraits de Productivity Future Vision (Microsoft, 2011) : une idée de notre avenir high-tech

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touche-moi si tu peux

Un clavier escamotable, une puce sur des gants, un écran sur le réfrigérateur, un chargeur universel : sélection des nouveautés high-tech. par Philippe Richard photo Aurélien Dupuis

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1. pour dessiner sans tacher

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Le Crayola ColorStudio HD de Griffin permet de dessiner sur l’iPad. Couplé à une application ColorStudio HD (gratuite), ce crayon magique fonctionne comme le marqueur Crayola et laisse libre cours à l’imagination de vos enfants. Ce logiciel dispose d’environ cinquante jeux et pages d’activités. 40 €

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2. l’iPhone killer ? Le Samsung Galaxy Nexus a un écran de 11,81 cm (contre 8,89 pour l’iPhone) et un processeur puissant. Il a aussi une puce NFC permettant le paiement sans contact et facilitant les échanges entre deux Nexus. Entre 9,90 € et 55 € avec abonnement

3. la musique sans fil Compacte et pratique, l’enceinte Anyroom de ION permet d’écouter de la musique avec son iPod/ iPhone/iPad dans toutes les pièces. Pas besoin de câble, la diffusion audio utilisant la connexion sans fil Bluetooth. 170 €

4. pour bien écrire avec sa tablette Utiliser le clavier virtuel n’est pas toujours pratique. Autant opter pour le clavier escamotable Logitech Fold-Up Keyboard. Refermé, il se loge sous l’iPad. Ouvert, il accueille la tablette positionnée à un angle idéal pour écrire. 100 €

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5. une biblio dans la poche

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Le Sony Reader wifi est le livre électronique le plus léger au monde avec un écran tactile de 15 cm. Pesant seulement 168 g et affichant 9 mm d’épaisseur, il peut télécharger les eBooks via une connexion sans fil avec une autonomie de douze heures. 150 €

6. un casque pour Skype Les modèles Memphis d’iGo sont munis d’oreillettes pivotantes, d’un microphone et d’un adaptateur Skype intégré. Disponible en noir et rouge ou marron et or, il est pliable et peut facilement se glisser dans n’importe quel sac. 25 € 30.11.2011 les inrockuptibles 69

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7. un monstre de puissance Le smartphone LG Optimus 3D bénéficie de hautes performances : processeur double cœur et double mémoire. Cette puissance lui permet d’afficher des vidéos Full 3D ou de lancer plusieurs applications sans ressentir de ralentissements. Entre 50 € et 70 € avec abonnement

8. avec ou sans disque La gamme Archos G9, sous Android 3.2, se décline en deux tailles : 20,32 et 25 cm. Dotés d’un processeur ARM cadencé jusqu’à 1,5 GHz, les différents modèles sont disponibles avec une mémoire flash (en 8 ou 16 Go) ou avec un disque dur de 250 Go. Entre 250 € et 400 €

9. le tactile au bout du gant Proposé par CHI&JO, société de design, le Glove Tip est une petite puce discrète et détachable facilement. Composée de deux boutons, elle rend conducteurs les gants, quelle que soit leur matière. Plus besoin d’enlever vos moufles pour envoyer un texto. 15 € (pack de 2 paires)

10. un écran sur son réfrigérateur

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Le porte-tablette de Belkin permet de placer l’iPad 2 sur la porte d’un réfrigérateur, sur un meuble ou sur un mur. Il tient solidement grâce à des bandes adhésives 3M. On peut le retirer sans abîmer la paroi. 35 € 11

11. casque ultraléger Le v-JAYS ne pèse que 60 grammes. Mais il a tout d’un grand avec un haut-parleur dynamique de 40 mm. Ce casque suédois est fourni avec une rallonge et un jeu d’oreillettes en mousse supplémentaire. 60 €

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14. deux écrans sinon rien

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Fonctionnant sous Android, la Sony Tablet P est composée de deux écrans de 14 cm, utilisables indépendamment ou de façon combinée. Elle permet d’accéder à des contenus exclusifs de Sony. 600 €

12. un dock sur le mur Le Bluelounge MiniDock de Crazyphonic est un support léger (17 g) et vertical pour iPod et iPhone. Fourni avec 3 pads en mousse (1,5 mm, 2,5 mm et 3,5 mm d’épaisseur) pour une compatibilité parfaite avec les différents modèles, il assure aussi la recharge. 20 €

15. pour les enfants

13. la TNT partout

16. chargeur universel

Le Tizi de Belkin est un tuner TNT. Compatible avec l’iPad et l’iPhone, il transmet la TV via wifi. Il enregistre aussi les vidéos sur l’appareil d’Apple sans perte de qualité. 150 €

L’i4, de la société espagnole IDAPT, est compatible avec plus de 4 000 appareils, de l’iPad au BlackBerry en passant par les oreillettes, les GPS… Plusieurs coloris disponibles. 50 €

A chacun sa tablette : pour les enfants, VideoJet propose la Kids PAD. Tournant sous Android 2.2, ce modèle a un écran tactile de 18 cm, une puce wifi, un port mini USB et un bumper orange qui le protège en cas de chute. 120 €

Elie Jorand

Rennes, ville ouverte

Le Frac Bretagne

Alors que, comme chaque automne, la ville entre en Trans, nous avons visité les quartiers du futur et rencontré ceux qui font vivre et bouger la capitale de la Bretagne.

II architecture du neuf, du Nouvel, et quelques autres bâtisseurs de pointe pour un urbanisme vert

IV théâtre après le succès du festival Mettre en scène, rencontre avec François Le Pillouër, directeur du TNB

VI Transmusicales Juveniles, des Rennais en haut de l’affiche

VIII politique le PS est à la mairie depuis 1977, mais tout n’est pas rose pour autant

X des traducteurs accusés de trahison FrançoiseM orvan et André Markowicz, traducteurs rennais énervent les intégristes du nationalisme breton

XII reportage Criée, Frac, biennale… : un dynamisme artistique conquérant

XIV répertoire les étudiants de Sciences Po Rennes dévoilent leurs meilleures adresses coordination Alain Dreyfus 30.11.2011 les inrockuptibles I

édito

à l’Ouest, du nouveau Rennes ne s’arrête jamais : à peine un festival s’achève qu’un autre commence. Mettre en scène a confirmé en novembre la place de choix du TNB sur la scène théâtrale européenne, tout en faisant plier, en douceur mais avec fermeté, le genou aux intégristes qui, confondant église et maison d’intolérance, ont tenté d’interdire manu militari le spectacle “impie” de Castellucci. Les premiers jours de décembre, les 33es Transmusicales vont faire entendre des chants moins liturgiques, aptes à faire vibrer la capitale bretonne jusqu’à l’aube et même au-delà. Politiquement homogène, Rennes pourrait s’appeler la Ville rose si le nom n’était pas déjà pris. Cette domination sans partage du PS, qui dure depuis plus de trente ans, n’a pas viré à la bureaucratie totalitaire, même si d’aucuns murmurent qu’il vaut mieux avoir sa carte du parti pour mener à bien ses projets. Le bon côté de cette mainmise, c’est qu’elle permet de mettre en place une politique cohérente et concertée dans des domaines clés. La création du métro n’était pourtant pas du goût des écolos, qui lui préféraient un tramway et voyaient dans cette entreprise souterraine un jouet aussi inutile qu’onéreux. Rennes partage d’ailleurs avec Lausanne le titre de plus petite ville au monde possédant ce type d’équipement. La création d’une deuxième ligne à l’horizon 2018, pour un budget estimé à un milliard d’euros, permettra de relier au centre des quartiers limitrophes comme la Courrouze ou des communes plus défavorisées, comme Maurepas, qui compte le plus grand nombre de grands ensembles à l’ancienne. Cette hégémonie permet aussi une politique urbanistique cohérente, avec des opérations de prestige telle la transformation du couvent des Jacobins en centre des congrès, mais surtout avec des programmes de logements sociaux et de réhabilitation qui donnent la sensation d’une qualité de vie bien supérieure à la moyenne nationale. Encore relativement épargnée par le chômage avec sa population active en grande partie protégée par son statut dans la fonction publique, Rennes semble être une des villes les mieux armées pour affronter les tempêtes de la crise.

Les Inrockuptibles II les inrockuptibles 30.11.2011

la cité de vert Avec ses audacieux projets urbanistiques et ses éco-quartiers imaginés par des pointures de l’architecture, Rennes réalise le rêve de la ville à la campagne. par Alain Dreyfus photo Elie Jorand

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ortzamparc et Nouvel : Rennes inspire les cadors de l’architecture. Le premier est l’auteur des Champs Libres, un ovni aux lignes aériennes ouvrant sur une esplanade du centre-ville, qui joue du brut et de la transparence et abrite la bibliothèque municipale, un musée, un planétarium, des espaces d’exposition et même une “cantine numérique”, dont on espère qu’elle sert autre chose que des repas virtuels. Jean Nouvel, quant à lui, s’apprête à bâtir un immeuble au bord de la Vilaine : 12 étages, 40 appartements, mur végétal, verre, jardins d’hiver, terrasses… pour la somme pas vraiment modique de 6 000 euros le mètre carré. Livraison courant 2013. Autre grand projet en cours,

Les urbanistes Bernardo Secchi et Paola Vigano réinventent le Rubik’s Cube pour le quartier de la Courrouze

la transformation, avec force verre et bois, du couvent des Jacobins en centre des congrès, dont la maîtrise d’ouvrage a été confiée à Jean Guervilly et qui devrait être achevée en 2016. Voilà pour le prestige, mais des réalisations plus modestes méritent largement le détour. Le nouveau Frac Bretagne (lire p. XII), bloc monolithique anthracite et acier, dont les colonnes d’Aurélie Nemours, alignement de menhirs revu par la grande dame de l’abstraction géométrique, renforcent l’aspect hiératique. Ce bel outil culturel, signé Odile Decq et Benoît Cornette, vient d’ouvrir et offre à la Région un espace à la mesure de ses collections contemporaines. Le Frac voisine avec les Archives départementales d’Ibos & Vitart. Il faut être extrêmement myope pour les rater puisque, derrière un rideau de verre, la fonction de ce lieu

d’une élégance simplissime est inscrite en lettrage géant tout le long des 140 mètres de façade. Le bâtiment, en libre accès, dispose d’une salle de consultation (58 kilomètres de rayonnage) et d’un auditorium. A l’extérieur, l’édifice est recouvert d’un bardage métallique, sous une toiture végétale. La Courrouze est en passe de réaliser le rêve d’Alphonse Allais, qui préconisait d’installer les villes à la campagne. Cet éco-quartier conçu par le couple d’urbanistes italiens Bernardo Secchi et Paola Vigano est en cours de finition. Avec ses immeubles de rapport qui réinventent joliment le Rubik’s Cube, cet ensemble de logements sociaux sera relié au centre par la ligne B du métro. Le but de l’opération est inscrit en gros sur un château d’eau visible de loin : “Vivre en ville, habiter dans un parc”. Que demande le peuple ? 30.11.2011 les inrockuptibles III

Habit(u)ation, écrit et mis en scène par Anne-Cécile Vandalem. Un moment phare du festival

maître en scène Alors que la dernière édition du festival Mettre en scène a tenu toutes ses promesses, même celle du scandale intégriste, rencontre avec François Le Pillouër, directeur du TNB.

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rançois Le Pillouër a une double casquette. Triple, si l’on compte celle dont il se couvre le chef pour se protéger des bourrasques rennaises. Directeur du Théâtre national de Bretagne (TNB), il est également président du Syndeac (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles), dont le bureau vient de renouveler son mandat pour deux ans. Il est vrai que sa façon de coller à l’image du Breton têtu fait merveille dans les négociations. Nicolas Sarkozy lui a fait récemment un compliment involontaire en le traitant “d’éternel opposant” lorsque, à l’Elysée, le président essayait de faire passer en douceur la création du Centre national de la musique. Une nouvelle usine à gaz concoctée pour squeezer un ministère de la Culture jugé “obsolète” par les experts ultralibéraux du Château, tout en offrant, entre autres, une manne de 40 millions d’euros aux gros éditeurs phonographiques, essentiellement ponctionnée sur le budget du Centre national du cinéma (CNC).

un échantillon alléchant de ce qui se fait de plus audacieux sur les plateaux du Vieux Continent IV les inrockuptibles 30.11.2011

Mais l’activité principale de cet ancien prof de maths consiste à gérer depuis 1994 le Théâtre national de Bretagne, colosse au budget annuel de 14 millions d’euros, dont la moitié en recettes. Ce “théâtre national autoproclamé” au statut mosaïque (mi-maison de la culture, mi-Centre dramatique national, il comprend aussi école de comédiens qui passera en 2012 des mains de Stanislas Nordey à celles d’Eric Lacascade), dispose d’une aura comparable à celle de ses confrères les mieux dotés. Le festival Mettre en scène, achevé il y a dix jours, a confirmé la dimension européenne du bunker rennais, en proposant à ses 30 000 spectateurs (dont 14 000 abonnés) un échantillon alléchant de ce qui se fait de plus audacieux sur les plateaux du Vieux Continent. De Thomas Ostermeier venu monter sur place un Othello avec son équipe de la Schaubühne de Berlin au Polonais Krzysztof Warlikowski revisitant Shakespeare sous forme de contes africains, en passant par une myriade d’impromptus et de spectacles de jeunes metteurs en scène encore inconnus venus de Belgique ou d’Italie, l’édition 2011 a fait mouche. Le scandale attendu s’est produit comme prévu, les milito-pénitents vendéens de Civitas ayant tenté de perturber, avec 1 500 fidèles,

Sur le concept du visage du fils de Dieu le spectacle “blasphématoire” de Romeo Castellucci. “Dieu merci, ils en ont été pour leurs frais, raconte Le Pillouër. Leur plus bel exploit a consisté à exaspérer les policiers venus en nombre et pourtant peu chauds pour protéger les gesticulations des théâtreux de l’ire des bien-pensants. Lorsque les intégristes se sont mis à scander ‘Mort à la République !’, les troupes des Compagnies républicaines de sécurité se sont sentis visées, et n’étaient pas loin eux aussi de crier au blasphème”. Le festival terminé, Le Pillouër développe la deuxième édition de Prospero, une expérience originale qui réunit avec le TNB six autres théâtres, belge, italien, portugais, finlandais, britannique et allemand qui mettent au pot équipes et compétences pour créer de nouveaux spectacles. “Un dépaysement un peu casse-gueule, mais qui crée une mise en danger propice à la création”, dit Le Pillouër. A l’entrée de Onzième, sublime création de François Tanguy (cf. Les Inrocks du 23 novembre), un mot écrit à la craie sur un tableau noir dédiait le spectacle à Marie-Odile Wald, directrice adjointe du TNB, décédée le 3 octobre dernier. Un hommage discret pour une proche de François Le Pillouër dans la vie et le travail, dont le fantôme bienveillant hantera encore longtemps les coursives du TNB. A. D.

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ls s’appellent Juveniles, et comme si cette déclaration d’intention ne suffisait pas, leur premier single s’intitulait We Are Young. Crâneur, flambeur flamboyant, il parlait plus de leur musique que d’eux-mêmes : pop insolente, remuante, à pantalons étroits et idées larges. La branlitude, savamment entretenue, était dans l’ADN même du groupe, formé en marge de deux groupes à l’electro paillarde et déconnante de la scène rennaise, les Wankin’ Noodles et les Russian Sextoys – les “Branle-nouilles” et les “Godemichés ruskofs”. Le potache indie-goguenard à son sommet : il fallait que jeunesse se passe. “La potacherie faisait partie du projet Wankin’ Noodles, on avait bâti notre identité dessus. Avec Juveniles, on a commencé à gommer ces erreurs d’adolescence, à tenir un discours plus clair, notamment avec le diptyque Juveniles/We Are Young… Nous avons tout bâti sur ce nom et cette chanson.”

acmé Juveniles Fiers de leur jeunesse et de leur coolitude, les Juveniles sont parmi les groupes rennais invités des Transmusicales. En quelques mois à peine, ils sont déjà au centre d’un buzz national : pas mal pour des (faux) branleurs. par JD Beauvallet photo Elie Jorand VI les inrockuptibles 30.11.2011

Très vite, on soupçonna ainsi les Juveniles d’être de faux nonchalants, des slackers de façade : une chanson plus récente, en contrepoids parfait de l’insolence de We Are Young, le confirmait très vite : Hard Working Girl. Il y était question de labeur et de sueur. Et de cul sans doute, mais qu’importe : on savait déjà, et eux aussi, que leur fougue, leur effronterie, leur adolescence brandies ne seraient qu’accessoires de mode, gadgets solubles dans le temps, s’il n’y avait, derrière cette posture, une évidente maniaquerie, un goût nettement moins flashy pour l’artisanat sans gloriole. Un peu à la Yelle, autres Bretons travailleurs sous des airs désinvoltes. Pas étonnant que les deux groupes se croisent aujourd’hui sur le prestigieux label Kitsuné, qui lui aussi pratique ce perfectionnisme nonchalant, sous la houlette de Gildas Loaëc, encore un Breton amoureux d’electro eighties, décidément… Attitudes de dandys mais mains dans le cambouis : JS, leur chanteur, confirme. “Nous n’avons pas eu le choix : très vite, les Trans nous ont invités à jouer, il a donc fallu s’y mettre, nous n’avions que quelques mois. Nous passons notre vie dans notre local, une utopie que l’on partage avec d’autres groupes rennais, comme les Popopopops ou Manceau… Ne consacrer sa vie qu’à la musique, passer des heures à régler un son, à jouer avec nos vieux instruments, c’est le rêve… C’est un bon moyen de repousser à plus tard l’âge adulte, de jouir pleinement des derniers feux adolescents.” Il est bien fini le temps où, en France, on parlait la pop avec un accent, comme une langue étrangère et incompréhensible. La pop est première langue chez les Juveniles, qui s’expriment avec fluidité et aplomb dans ce patois anglais, voire mancunien. Ils ne font pas de la pop : ils jouent de la pop, sans décalage sonique ou temporel avec tous les Metronomy ou LCD Soundsystem de leur âge. La géographie peut désormais raser les murs : ces grands Bretons valent beaucoup de

“ne consacrer sa vie qu’à la musique, passer des heures à régler un son, à jouer avec nos vieux instruments, c’est le rêve” Grands-Bretons. Comme eux, ils sont remontés aux sources, en crawl, dans les eaux sombres de la new-wave, les remous bouillonnants de l’electro-pop : en écoutant, à longueur d’après-midi désœuvrées, des centaines d’albums dans l’appartement que partageaient JS et Pierre dans le centre de Rennes. “The National, WU LYF, on les a usés… Il y a un côté un peu geek, maniaque chez nous !” Tous ces albums, tourmentés, agités ou flamboyants ne sont pas tombés dans l’oreille de sourds. Puisque le groupe semble vouloir se résumer, lui et ses intentions, dans ses intitulés de chansons, on finira en évoquant un des nouveaux titres de Juveniles : Ambitions. Car humainement et musicalement, le groupe ne manque pas d’ambitions, à l’image de JS qui a quitté Marseille pour s’installer à Rennes, afin de “vivre enfin dans une ville rock”. D’où sa joie exubérante de participer cette année aux Transmusicales : “Aller aux Trans en tant qu’acteurs et plus comme spectateurs, c’est un énorme motif de fierté. Surtout que nous n’existions même pas lors des dernières Trans.” juvenilesmusic.bandcamp.com concert le 2 décembre aux Transmusicales, Ubu

ligne de bars Il y a certes, lors du marathon des Transmusicales avec Hanni El Khatib, SBTRKT, Spank Rock, Breton, Nguzunguzu, Colin Stetson, Hollie Cook, les artistes Kütu Folk, Haight Ashbury, Ghostpoet et des dizaines d’autres (lire p. 102), de quoi s’amuser quelques longues, longues, longues et belles heures. Mais le raout rennais de l’hiver étant total, les découvertes et excitations ne s’arrêtent pas aux salles officielles et aux événements “on” du festival. Il se passe ainsi également chaque année, lors des remuants Bars en Trans, suffisamment de choses pour se dessiner une belle aventure dans les débits de bonheur du centre-ville – les plus heureux des fouineurs ont ainsi pu, lors des précédentes éditions, goûter à des concerts intimes de Feist, Stuck In The Sound, Lilly Wood & the Prick ou de Brigitte, parmi beaucoup

d’autres, avant leur explosion publique. Concoctée par Bruno Vanthournout et Philippe Le Breton, parfaitement complémentaire de celle des Transmusicales (on vous conseille d’ailleurs vivement d’associer les deux), la programmation 2011 des Bars en Trans est exceptionnelle : riche et variée, pleine de petits camarades déjà connus, notamment découverts sur l’inRocKs lab, ou de passions neuves pour les mois à venir. Grâce aux partenariats montés avec le FME et les Francofolies de Montréal, géniaux défricheurs de la Belle Province, le pays invité cette année est le Canada, et en particulier l’adoré cousin québécois : on surveillera particulièrement les monts et merveilles de Monogrenade, l’âpre et passionnant Pat Jordache, Mister Heavenly, les beautés folk de Leif Vollebekk, l’énergie furieuse des

Breastfeeders ou celle, pas moins nucléaire, de Young Empires. Et parmi les Français prometteurs, qui constituent la majeure partie de la presque centaine de groupes programmés, on ne manquera pas, sauf prétexte vital, les déjà bientôt grands Hold Your Horses ! et les bouillants Crane Angels, nos bons camarades La Femme, les splendeurs de Botibol, les bleus et torturés The Good Damn, les formidables Pendentif, l’electro furibarde de Rocky, la kaléidoscopique Christine & The Queens, la belle Owlle ou le maelström sonique d’Hyphen Hyphen. Et si, par le plus grand des hasards, vous vouliez venir faire un petit coucou à l’équipe des Inrocks, ce sera au Backstage, le jeudi 1er décembre, à partir de 20 heures. Thomas Burgel programmation complète des Bars en Trans sur www.barsentrans.com 30.11.2011 les inrockuptibles VII

Jean-Marc Gatté, responsable PS : “40 % de la population active dépend de la fonction publique”

la ville presque rose Si le PS domine la vie politique locale depuis 1977, les particularismes régionaux s’invitent dans les débats et redessinent les enjeux.

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a domination du PS sur Rennes et sa région ne date pas d’hier et semble encore promise à des lendemains qui chantent. Depuis Edmond Hervé, à présent sénateur, a enchaîné cinq mandats successifs depuis 1977, avant de passer la main en 2008 à son dauphin Daniel Delaveau. Le PS a eu plus de trente ans pour développer ses réseaux et se doter d’un maillage associatif solide et bien ancré. Pour Jean-Marc Gatté, responsable de la section Rennes Centre-Sud du PS, “la sociologie explique pour une bonne part ce succès : 40 % de la population active dépend de la fonction publique et plus largement, dans l’Ille-et-Vilaine, le poids du monde agricole a fondu au profit d’une population d’employés et de cadres. Si l’on ajoute à cela un chômage relativement bas (7,1 % sur Rennes et d’un point inférieur à la moyenne nationale pour la Région), on obtient un portrait-robot de l’électeur PS”. Hormis la fermeture en 2007 de ST Micro, une entreprise de la ZUP Sud qui a mis ses 600 employés sur le carreau, Rennes n’a pas eu à subir de catastrophes majeures pour l’emploi, propres à profiter aux extrêmes. “Le score record du FN, reprend Jean-Marc Gatté, a atteint 20 % dans la ZUP Sud aux dernières cantonales. Un chiffre qu’il faut relativiser, puisque seuls 30 % des inscrits s’étaient déplacés pour voter pour un scrutin qui n’attire pas les foules. Sur Rennes et la région, le FN plafonne autour de 5 %.” Et les Verts dans tout ça ? S’ils ont quelques élus à la mairie, la région n’est pas un terreau propice à leur montée en puissance, sans doute parce qu’il n’y a pas de centrale nucléaire en Bretagne. Les problèmes de pollution ne sont pas absents pour autant. “Le lisier déversé par la filière porcine – la Bretagne compte 3,5 millions de porcs –, correspond en un jour à la totalité du fioul lourd déversé par l’Erika sur les côtes bretonnes en 1999, soit 18 000 tonnes”, précise Jean-Marc Gatté. L’opposition traditionnelle a elle aussi du plomb dans l’aile. S’il ya à Rennes une forte tradition chrétienne,

VIII les inrockuptibles 30.11.2011

la mainmise de l’UMP sur l’UDF n’a pas été une bonne affaire pour cette dernière. La seule victoire à droite fut l’élection du RPR Yvon Jacob, qui a défait Edmond Hervé aux législatives de 1993. Depuis, tout est rentré dans l’ordre rose : aux dernières municipales, le PS a obtenu 61 % des suffrages, le Modem 12 % et l’UMP 27 %. L’extrême gauche a peu de poids en ville, mais active à l’université Rennes-II. “Lors des primaires, des autonomes ont perturbé le scrutin pour s’opposer au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, proche de Nantes mais qui desservirait aussi Rennes.” Une primaire équilibrée jusqu’à la caricature puisque au premier tour, seules deux voix séparaient Martine Aubry de François Hollande, qui l’a emporté avec 52 % des suffrages. L’opposition peut prendre des détours inattendus. Ancien guitariste et compositeur du groupe Marquis De Sade, Frank Darcel milite au Parti breton. Ce mouvement pratique avec les Verts des alliances de circonstance, notamment contre la construction du métro, “un joujou coûteux qui ne désenclavera pas les communes plus éloignées, puisqu’il ne sort pas de la rocade”, dit le toujours rockeur. Le Parti breton milite pour une Bretagne réunifiée avec la Loire-Atlantique et autonome, à l’image de l’Ecosse ou de la Catalogne, et pour une renaissance de la langue bretonne. Des thèses qui ont des points de convergence avec celles de l’Institut de Locarn (lire p. X), avec qui Jean-Yves Le Drian, président PS du conseil régional de Bretagne, entretient des relations cordiales. Sous des apparences plutôt lisses, le microcosme politique rennais est sans doute plus complexe qu’il n’y paraît. A. D. photo Elie Jorand

sur le front de l’emploi, Rennes n’a pas eu à subir de catastrophes majeures propres à profiter aux extrêmes

les traducteurs et les identitaires Françoise Morvan et André Markowicz, traducteurs et écrivains renommés, sont en butte à un ostracisme diffus dans la région. Leur crime : avoir fustigé les dérives nationalistes bretonnes.

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rançoise Morvan et André Markowicz vivent dans une petite rue calme du centre de Rennes. Calme trompeur : d’une part, c’est dans cette venelle apparemment sans histoire que vécut le jeune Destouches, nom d’état civil de l’éructant LouisFerdinand Céline, lorsqu’il étudiait la médecine à la faculté toute proche, devenue depuis musée des Beaux-Arts. D’autre part, c’est dans un pavillon discret de cette même ruelle que les grands de la littérature mondiale, comme dans une officine clandestine de chirurgie esthétique, viennent subir, dans la douleur mais pour un résultat probant, des liftings au scalpel afin de retrouver l’éclat de leur jeunesse. Le nationalisme breton y passe aussi sans anesthésie sur le billard. Mais chaque chose en son temps Entre les mains habiles du couple de traducteurs, Dostoïevski, Tchekhov, Pouchkine, Mandelstam, Marlowe, Synge et Shakespeare, pour n’en citer que quelques-uns, sont patiemment débarrassés des oripeaux dont les avaient revêtus leurs prédécesseurs, qui avaient fait leur la fameuse sentence “traduction-trahison”. Leur travail, en effet, consistait davantage à adapter avec une liberté sans limites les grands textes étrangers au goût français de leur temps plutôt que de s’en tenir à la littéralité, souvent brutale, des manuscrits originaux. “On ne peut pas leur en faire le reproche, tempère André Markowicz. La traduction est le reflet d’une époque, et rien ne dit que dans peu d’années, notre propre travail ne sera pas à son tour dépassé.” Aussi respectueuse de ses X les inrockuptibles 30.11.2011

De nombreux exemplaires de l’essai de Françoise Morvan ont été déchirés

grands ancêtres, Françoise Morvan, qui achève une traduction du Roi Lear, dit aussi son admiration pour l’œuvre de François-Victor Hugo, dont la traduction complète de l’œuvre de Shakespeare, Pléiade à l’appui, a longtemps fait autorité, avant que beaucoup d’autres s’y collent, pour des résultats divers. Si Françoise Morvan et André Markowicz jouissent d’une notoriété non usurpée, qui excède largement les frontières de la Bretagne dans leur domaine de compétences, celle-ci ne se double pas sur place d’un réseau mondain, ou simplement amical, très développé. “Autour de nous, c’est un peu l’omerta”, disent-ils. Pourquoi ? C’est

un essai de Françoise Morvan, Le Monde comme si (Actes Sud, réédité dans la collection de poche de la même maison, Babel), qui leur a valu cet ostracisme. Cet ouvrage, publié en 2002, s’attaque frontalement, et pire encore, avec humour, au nationalisme et aux dérives identitaires bretonnes. On croyait révolu le temps des actions violentes des séparatistes locaux, depuis un sinistre 19 avril 2000, où l’explosion d’une bombe au McDonald’s de Quévert, près de Dinan, avait coûté la vie à une jeune employée du fast-food. Même si le livre en question a valu dans un premier temps des menaces de mort à son auteur et des exemplaires déchirés sur les présentoirs des libraires du cru, l’ostracisation a pris des formes plus insidieuses. “A la bibliothèque des Champs libres (un nouvel outil culturel en centre-ville, signé Portzamparc – ndlr), explique Françoise Morvan, il faut des demandes insistantes pour obtenir l’achat de mes livres qui s’opposent à la dérive identitaire et la réécriture de l’histoire que je dénonce. En tant qu’auteur, autant dire que je n’ai aucune existence en Bretagne.” Bretonne d’origine (le couple partage son temps entre Rennes et la maison natale de Françoise, à Rostrenen), cette agrégée de lettres connaît fort bien la culture populaire régionale, sur laquelle elle a abondamment écrit et publié. Férue de contes et de légendes, Françoise Morvan pourrait appeler tous les lutins du coin par leur petit nom. Elle a traduit entre autres avec son compagnon les Anciennes Complaintes de Bretagne (Editions Ouest-France),

Fred Tanneau/AFP

n’est pas close : aujourd’hui, elle progresse sous une façade beaucoup plus présentable. Pour les deux traducteurs, c’est l’institut de Locarn qui l’incarne. Installé non loin de Guingamp, ce think tank à la bretonne a été fondé par Joseph Le Bihan, ancien prof de géostratégie à HEC et qui, d’après L’Humanité, dresserait une hiérarchie entre “les ‘peuples à culture molle’ et ceux ‘à culture énergique’ appelés à dominer la planète” (tinyurl.com/lhuma). Jean-Pierre Le Roch, fondateur d’Intermarché, est également à l’origine de l’institut. Tenant de l’Etat-région contre l’Etatnation, Locarn a été porté sur les fonts baptismaux par l’archiduc Otto de Habsbourg, “chantre de l’Europe chrétienne dont on a pu souligner les liens avec l’Opus Dei”, affirme Françoise Morvan.

recueil bilingue richement illustré de chansons de femmes antérieures à la Révolution française, des gwerz, qu’on peut lire comme un manifeste féministe avant la lettre. “Il y a une coïncidence curieuse aux Champs libres, dit Françoise Morvan. Au rez-de-chaussée, il y a une exposition permanente sur l’affaire Dreyfus (le capitaine a été jugé à Rennes – ndlr). Au sixième et dernier étage, un espace conséquent et tout aussi permanent est consacré à Henri Pollès (1909-1994), écrivain et bibliophile breton. Qui était Henri Pollès ? Celui qui déplorait, le 11 janvier 1943, dans La Bretagne, un journal qui paraissait avec la bénédiction de l’occupant, que le folklore français se soit ‘négro-

la Vallée des saints, un Disneyland armoricain qui exalte “la mémoire collective bretonne” judaïsé’ et qualifiait Harlem de ‘ville noire fécondée par le bacille juif’. Il faut regarder de très près pour trouver dans l’expo sa carte de correspondant de La Bretagne, sans explications au sujet de ce journal.” L’histoire des liens de l’ultranationalisme breton avec le nazisme pendant la guerre n’est plus à faire (Celtes et Aryens, même combat), même si elle est souvent passée sous silence. Mais l’histoire

Ce réseau compte une belle distribution à son générique : on y trouve, entre autres François Pinault, Edouard Leclerc, Vincent Bolloré et Alain Glon, numéro un du secteur de l’agroalimentaire breton. Ce dernier annonce clairement la couleur : “Dans un pays où les commissaires de police deviennent préfets, notre problème, c’est la France”, déclarait-il en août 2010 lors de l’université d’été de l’institut. Auteur du label “produit en Bretagne”, Locarn, qui entend promouvoir la langue bretonne, a aidé à la création par l’un de ses membres, Patrick Le Lay, de TV Breizh, dont les taux d’audience sont encore loin de libérer, contrairement à TF1, un ratio substantiel de “temps de cerveau disponible”. A Rennes, lors de chaque match de l’équipe locale, propriété de François Pinault, on entonne l’hymne “national” breton. Le dernier projet en date de la nébuleuse Locarn est la création d’un ensemble de mille statues sacrées en granit (trois mètres de haut et dix tonnes chacune), baptisée la “Vallée des saints”. Des saints bretons et non français, précisons-le, car il s’agit, là encore, de créer une identité qui ne soit pas française. Ce Disneyland armoricain constituera, selon ses concepteurs, “l’île de Pâques bretonne du troisième millénaire et un haut lieu de spiritualité qui honorera la mémoire collective bretonne”. Si elle n’existait pas, il fallait l’inventer. A. D. 30.11.2011 les inrockuptibles XI

L’ancien bâtiment de France Télécom accueillera la prochaine biennale d’art contemporain XII les inrockuptibles 30.11.2011

l’art, ce combat Le projet de fusionner le Frac avec la Criée, centre d’art de réputation mondiale, fait grincer bien des dents. Pour autant, Rennes bénéficie d’un dynamisme artistique toujours plus conquérant, notamment avec sa biennale d’art contemporain, dont l’édition 2012 sera consacrée aux pionniers.

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a naissance d’un outil somptueux va-t-elle être fatale à un lieu phare de l’art contemporain de la ville ? C’est cette situation paradoxale que décrit Jean-Marc Huitorel, enseignant, commissaire d’exposition et critique à Art Press, qui, pour avoir publié L’art est un sport de combat (éditions Analogue), sait à quel point la situation des artistes et de ceux qui se battent pour leur donner visibilité et moyens de vivre et travailler peut se révéler chaotique. Exposé des faits : l’ouverture prochaine du nouveau Frac Bretagne, sur la ZAC de Beauregard est évidemment réjouissante. “Ce serait parfait, dit Jean-Marc Huitorel, si elle ne s’accompagnait pas de menaces sur l’avenir de la Criée, le centre d’art du centre-ville qui a fait depuis des années un formidable travail de découvreur.” La Criée jouit d’une réputation internationale inversement proportionnelle à ses petites dimensions, tant par son travail pédagogique que par la qualité et l’audace de sa programmation. Soutenu par l’Etat et les tutelles locales, la Criée vient de se voir proposer par la mairie une fusion avec le Frac. Une perte d’indépendance qui n’est pas du goût de son directeur et créateur, Larys Frogier, qui vient de démissionner. Décision d’autant plus douloureuse que la Criée devait, jusqu’à il y a peu, obtenir un nouveau lieu dans une ancienne brasserie Kronenbourg qui aurait fait passer sa surface d’exposition de 200 à 1 000 mètres carrés. “Le projet est tombé à l’eau”, déplore Huitorel, qui souligne la méfiance des édiles face à un domaine dont ils saisissent mal les enjeux et l’intérêt. La situation du musée des Beaux-Arts, “bel endormi”, dit-il, qui vit sur ses acquis et ses collections, n’organise pas d’expo temporaire, et surtout pas contemporaine, est emblématique de cet état de fait. Voilà pour les mauvaises nouvelles. Mais les bonnes ne manquent pas. Témoin, l’inauguration toute récente, dans le cadre du l’université de Rennes-II, des Archives de la critique d’art. “Un projet unique, comparable à ce que fait l’Ime” (l’Institut mémoires de l’édition contemporaine – ndlr), dit Jean-Marc Huitorel. Ce centre dispose déjà d’un bel espace qui a déjà installé, sur ses 1,4 kilomètre de linéaires, les fonds Restany, Boudaille et LamarcheVadel. La critique est aisée mais l’art difficile ? “Non, répond-il, alors que la notion d’œuvre devient de plus en plus immatérielle, l’art est volatil et la critique fragile, et ces archives seront un espace précieux pour les chercheurs”.

Jean-MarcH uitorel, auteur, enseignant, commissaired ’expo et critique à Art Press

Les autres bonnes nouvelles, c’est la santé de lieux indépendants Tel 40mcube (Les Inrocks, n° 784 ) ou le Bon Accueil, qui, le long du canal Saint-Martin, joue avec dynamisme la pluridisciplinarité avec des artistes émergents : jusqu’au 11 décembre, on y verra Esope reste ici et se repose #5 de Cédrick Eymenier ; Laetitia Benat et des musiciens ; et à partir du 6 janvier, Je suis le petit chevalier de Félicia Atkinson, avec en bonus une performance d’Ensemble Economique et High Wolf. L’art et l’économie ne font pas mauvais ménage. Bruno Caron, pdg de Norac, groupe agroalimentaire rennais (4 000 salariés, filiales en Espagne et au Brésil), s’est pris de passion pour l’art contemporain et a donné l’impulsion décisive à la création de la biennale de Rennes qui sera l’an prochain à sa troisième édition, dans les étonnants ex-locaux de France Télécom. Cette impulsion se manifeste par un don de 1 million d’euros (ouvrant à l’entreprise une déduction d’impôt de 60 % grâce à la nouvelle loi sur le mécénat), soit la moitié du budget, le reste étant pris en charge par les tutelles habituelles. Bruno Caron aime à sa façon la lutte des classes. Il a exigé que le thème des premières biennales tourne autour de l’économie et l’entreprise, “un thème qui n’exclut pas de la part des artistes un regard critique, voire dévastateur, sur ces sujets on ne peut plus actuels”. L’édition 2012 aura pour thème “le pionnier”. “Au sens large, précise Bruno Caron. Les immigrés qui débarquent en France en terrain hostile et qui doivent tout reconstruire sont à leur manière des pionniers.” A. D. photo Elie Jorand 30.11.2011 les inrockuptibles XIII

Les étudiants de Sciences Po Rennes vous font découvrir des endroits insolites ou incontournables de la capitale bretonne. Faites-leur confiance, ils ont écumé la ville en long et en large.

Arnaud Chappier

adroites adresses

bars

librairies

L’Artiste assoiffé

Librairie Le Failler

Un bar-expo situé place Sainte-Anne, dans un cadre convivial. Le lieu multiplie les initiatives (battles de rap, concours de peintures…), qui rassemblent un public d’habitués et de novices. Les tarifs sont abordables et les vins proposés, impeccables. Vous boirez ici la meilleure embuscade de Rennes. 4, rue Saint-Louis

En quête d’un ouvrage précis ou d’humeur à flâner entre les rayons, vous trouverez votre bonheur rue Saint-Georges, parmi les 80 000 références de cette chouette librairie créée en 1925. L’accueil des tauliers y est chaleureux, et ils organisent moult rencontres et séances de dédicaces avec les auteurs. 8-14, rue Saint-Georges www.librairielefailler.fr

Le Saint-Georges Dans l’une des rues les plus fréquentées de la ville, ce bar jeune, ouvert 7 jours sur 7 est idéal pour boire des verres en regardant un match. La grande attraction est une barque intégrée dans le décor. 37, rue Saint-Georges

Le Sambre Ce petit rade près de la place Sainte-Anne accueille de nombreux concerts, notamment pendant les Bars en Trans. Chanson française, rock, pop, techno, reggae ou electro. A boire et à manger du mardi au dimanche, de 17 h à 1 h. Attention, bar souvent bondé le jeudi soir. 34, rue d’Antrain

El Teatro Dans une maison classée du vieux Rennes, El Teatro attire les noctambules. Cadre historique, intimisme et musique branchée jusqu’à 3 heures du matin. 4, rue Saint-Guillaume www.elteatro.fr XIV les inrockuptibles 30.11.2011

Ariane Idée osée que celle d’ouvrir une librairie entièrement dédiée au voyage, mais pari

réussi pour Michel et Pascal ! La boutique déborde depuis 1989 de guides et de cartes propres à combler l’âme des globe-trotters, dans lesquels il faut trouver le fil… Franchir le seuil d’Ariane, c’est déjà la promesse d’un beau voyage. 20, rue du Capitaine-Dreyfus www.librairie-voyage.com

concerts

assises, 800 debout), le lieu a cependant reçu quelques artistes internationaux (principalement de musique électronique). L’Etage permet aussi aux jeunes groupes de se produire, via des fakes où sets acoustiques et fulgurances electro se côtoient. Esplanade Charles-de-Gaulle www.leliberte.fr

La Salle de la Cité

L’Etage (Le Liberté) Salle annexe née de la rénovation du Liberté, l’Etage offre une acoustique irréprochable qui plonge le public dans une ambiance intimiste très agréable. De taille modeste (400 places

C’est une des plus anciennes salles de concerts de la métropole bretonne (1925). Structure centrale des premières éditions des Trans (bien avant qu’elles n’enflamment le parc des expositions de Saint-Jacques),

trois adresses du guide Fooding 2012 Pour découvrir d’autres bons plans à Rennes et partout en France, demandez le guide Fooding 2012 à votre kiosquier. 9,90 €, mais une seule fois par an ! L’Arsouille 17, rue Paul-Bert 35000 Rennes Tél. 02 99 38 11 10 De midi à 14 h (sauf samedi) et de 20 h à 22 h 30. Fermé dimanche et lundi. Dans son vieux bistrot Art déco couvert de mosaïques d’Isidore Odorico, Christophe Gauchet ressuscite depuis des lustres un mythe flamboyant. Celui de Milord l’Arsouille, dieu de la fête, jamais le dernier à pitancher. Avec pas moins de 6 000 bouteilles et 250 références sur trois millésimes, la cave tient parfaitement le rang. Du chardonnay Clos du Tue-Bœuf

(3,80 € le verre, 33 € la bouteille) aux beaujolais d’Yvon Métras, en passant par le morgon de Guy Breton 2004, la légende se lit au fond des verres. La nostalgie d’apparat sert d’écrin à une carte burlesque et racée qui, du local au bio, réveille les vanités. Entre deux ballons, la terrine d’araignée de cochon au cassis et les brochettes d’onglet de bœuf aux grenailles et fèves bombardent les admirateurs ameutés. Le crumble abricot, trop sage, sonne comme une contravention après tant d’excès. Formule 15-18,50 € (midi). Compter 30 à 45 € à la carte le soir. Droit de bouchon 7 €. Y. S.  

en 2006, l’établissement a la grande ambition de participer à la formation d’une “conscience citoyenne” : des conférences y sont donc organisées chaque mois avec des intervenants reconnus. Un endroit à la fois vivant et calme, idéal pour travailler. 10, cours des Alliés www.leschampslibres.fr

galeries Le Choix d’Isa Les Champs libres, bâtiment concu par Christian de Portzamparc ce haut-lieu de la scène rennaise accueille encore une partie de la programmation du festival. La Cité, assimilée à la “Maison du peuple”, peut accueillir jusqu’à 1 200 personnes. 10, rue Saint-Louis

centre culturel/ musée Les Champs libres Déjà, son architecture se fond avec goût dans le paysage urbain. Ensuite, ce centre culturel, hyperdynamique, touche tous les publics et tous les âges. Trois pôles s’y distinguent : la bibliothèque, le musée de Bretagne et l’Espace des sciences. Ouvert

Entrer dans cette galerie est synonyme de retour en enfance : Le Choix d’Isa est l’atelier-galerie rose bonbon de la peintre Isabelle Brisset. Entre les toiles flashy de l’artiste, également hôtesse des lieux, vous apprécierez les citations humoristiques sur les poutres. L’endroit ne se remarque pas de l’extérieur mais mérite le détour. 8, place Sainte-Anne brissetfrancois.free.fr

La Galerie du Parlement  Installée sur la plus belle place de Rennes, la Galerie du Parlement se distingue par des œuvres d’une grande diversité et d’une grande qualité. Autre avantage : l’agencement et l’éclairage des sculptures comme des peintures offrent au visiteur la possibilité de les observer de manière optimale. Prenez donc le temps d’admirer les tableaux

Le Bouchon des Halles place Honoré-de-Commereuc 35000 Rennes Tél. 06 16 28 15 46 De 10 h à 15 h. Fermé dimanche et lundi ; samedi en juillet-août. Au mur, des lithographies “Dubo Dubon Dubonnet” côtoient des affiches de l’Union laitière des fermiers. Au comptoir, en plein cœur des halles centrales, un maître autant gouailleur que ripailleur cuisine son marché à l’inspiration. Laquelle séduit depuis un an. Phéromones en action, testostérone en ébullition, avocats, médecins et banquiers vident leur nostalgie sur les tables, au risque de s’oublier. L’histoire le dira après la terrine de tête et de langue de veau, tout en muscle, à faire suer la fonte. Trois entrées, trois plats du jour : du lapin sauce moutarde à la poêlée de spaghettis aux coques et pétoncles, le tout-Rennes se retrouve en festin, enivré au sauvignon de Touraine (3 € le verre) et aux bons mots de Rabelais : “Lever matin n’est point bonheur. Boire matin est le meilleur.”

d’Emmanuel Michel : sa peinture presque photographique nous a beaucoup touchés. 1, place du Parlement www.galerieduparlement.com

cinémas L’Arvor Symbole de l’engagement audiovisuel à Rennes, le cinéma l’Arvor, souvent décrit comme une des salles les plus originales de la région, participe activement à la démocratisation des films d’art et d’essai. Toujours à l’affût, une équipe de passionnés bénévoles donne de son temps pour un public sensible au cinéma de proximité. Une programmation de qualité, constituée en majorité de films d’auteurs, est proposée ici, qui contribue à l’engouement des Rennais pour ce cinéma. 29, rue d’Antrain

Le Ciné-TNB Le Théâtre national de Bretagne (TNB) ne brille pas que par sa scène : il fait aussi la part belle au cinéma d’art et d’essai, avec deux salles aux programmations éclectiques et résolument internationales. Les cinéphiles s’y délecteront à moindre coût (6 € la place, 4 € le tarif réduit) de projections originales, de grands classiques (en VO) et de nouveautés, le tout en profitant d’un vrai confort. 1, rue Saint-Héllier

Pot lyonnais 8 €, coupe de champagne 6 €. Plat du jour 9 €, menu 15 €. Y. S. 

Miam et cætera 5, place de Bretagne 35200 Rennes Tél. 02 99 30 46 43 De 9 h 30 à 15 h 30. Fermé dimanche. Pas besoin de sourire pour décrotter le sabot. Ici, les serveuses sont comme les plantes carnivores, dociles en apparence, à couper au couteau sous leurs oripeaux. La batterie de sandwichs (4,80-8,90 €) est pourtant bon enfant, fourrée au veau de lait fermier et jambon au torchon. Locaux, cuisinés à la dernière minute, les petits plats titillent la basse-cour des grands. Le pain vient de chez Cozic, les légumes des salades, de chez Annie Bertin. Tout est bio, des galettes de poisson (9,70 €) aux fraises délicieusement montées en tartes (3,80 €). On se damnerait à taper le cul des vaches, sans pourtant espérer trouver l’amour dans ce pré-là. Y. S. 30.11.2011 les inrockuptibles XV

Aamir Qureshi/AFP

Les partisans pakistanais de la lutte anti-drones brûlent la réplique d’un de ces avions sans pilote. Islamabad, 28 octobre 2011

les morts K invisibles Depuis 2004, les drones de l’armée américaine ont tué plus de 2 000 habitants des zones tribales pakistanaises. Les familles des civils abattus demandent justice. par Noémie Lehouelleur

areem Khan a l’allure altière, porte la barbe longue et le turban traditionnel des tribus pachtounes. La fierté de son regard dissimule mal son accablement. Il se souvient parfaitement de ce jour de décembre 2009. Son frère et son fils buvaient un thé. En quelques secondes, une frappe de drone américain a pulvérisé la maison. Les deux hommes sont morts sur le coup. La CIA assure qu’elle visait un haut responsable d’Al-Qaeda. Quelques jours plus tard, Kareem a rencontré Me Shahzad Akbar qui, dans les années 90, a poursuivi l’ancienne Premier ministre Benazir Bhutto pour corruption. L’avocat raconte : “Il m’a demandé : ‘Est-ce que ces tirs sont légaux ?’ Je lui ai répondu non. – Mais qu’est-ce que je peux faire ? – Tu peux traduire les responsables 30.11.2011 les inrockuptibles 75

Trois millions et demi de personnes vivent dans ces villages isolés à plus de 3 000 mètres d’altitude. Une frontière perméable les sépare de l’Afghanistan. C’est un des effets pervers de la guerre qui se déroule depuis 2001 dans ce pays voisin : les combattants d’Al-Qaeda et les talibans ont fui au Pakistan, organisant leurs positions et relançant la formation de candidats au djihad dans des camps d’entraînement. Dès son arrivée à la Maison Blanche, l’administration Obama a voulu s’occuper du problème. Mais le relief accidenté et montagneux décourage toute opération au sol. Les Américains ont alors opté pour des combats aériens avec des avions sans pilote, les drones, qui lancent des missiles téléguidés. Washington entend ainsi minimiser les pertes dans ses rangs et ménager l’opinion publique américaine, déjà défavorable à la guerre en Afghanistan. En moins de trois ans, les tirs de drones se sont intensifiés, causant plus de 2 000 pertes. Les autorités pakistanaises ne se sont jamais franchement opposées aux tirs de drones. Leur collaboration est acquise à Washington depuis 2001, dès les premiers jours de la guerre contre la terreur au lendemain des attentats du 11 Septembre. En dix ans, le Pakistan aurait touché 20 milliards de dollars des Américains en aide civile et militaire, de quoi faire taire les récalcitrants. Barack Obama justifie sa stratégie en assurant que les frappes de drones sont chirurgicales et ne font aucune victime civile. Il tente de parer aux critiques 76 les inrockuptibles 30.11.2011

Athar Hussain/Reuters

en justice.” Me Akbar se saisit du dossier. A l’époque, il ne se rend pas compte du défi qu’il relève. Eplucher les rapports médicaux, interroger les autorités, se renseigner sur les victimes, recouper les articles de journaux : un travail à plein temps… Il travaille aujourd’hui avec quatre enquêteurs sur place. D’abord, il fallait convaincre la population locale de parler. Les chefs tribaux de l’ouest pakistanais ont plutôt l’habitude de régler leurs problèmes entre eux, lors des conseils de sages, les jirga. Mais comment riposter à des attaques venues du ciel ? Désemparés, ils se sont rangés aux côtés de l’avocat. Cinquante familles de victimes veulent obtenir justice, pour une fois par la voie conventionnelle.

Pendant une manifestation contre les attaques de drones. Karachi, 4 juin 2011 Imran Khan, chef du parti Pakistan Tehreek- e-Insaf (à gauche), et Clive Stafford Smith, directeur de l’ONG Reprieve, brandissent un reste de missile retrouvé dans les décombres d’une maison, octobre 2011

de la communauté internationale et des organisations des droits de l’homme, en plein scandale sur l’illégalité de la prison de Guantánamo. Selon l’organisation non gouvernementale britannique Reprieve, les drones au Pakistan sont un moyen pour Barack Obama de “ne plus s’encombrer de prisonniers. Alors aujourd’hui c’est simple, l’armée américaine abat directement, sans procès”. Pour Me Akbar, ces frappes aériennes sont illégales. Le Pakistan et les EtatsUnis ne sont pas en guerre. L’avocat attaque la CIA pour crimes et intrusion sur le territoire d’un Etat souverain. Il exige l’arrêt des frappes et réclame des compensations financières pour les familles des victimes. Ses clients assurent que leurs proches décédés n’ont jamais eu de liens avec des réseaux terroristes. Difficile à vérifier, les zones tribales pakistanaises sont interdites aux journalistes étrangers. Seule source d’information tangible, les chiffres publiés par la Fondation pour une nouvelle Amérique, un think tank basé à Washington qui répertorie méticuleusement les frappes grâce à des contacts sur place et dans la presse pakistanaise. Selon cette

organisation, un tiers des frappes a tué des civils innocents depuis 2004. L’éventualité de défendre des familles de talibans a bien effleuré l’esprit de l’avocat pakistanais. “Nous faisons un maximum de recherches pour déterminer l’identité de la victime et la nature de ses activités. Sincèrement, je ne pense pas défendre des terroristes. Je me suis posé la question évidemment. Mais finalement, le problème n’est pas là. Il s’agit d’attaques illégales en vertu du droit international. Je suis avocat, je défends la loi. Elle doit être la même pour tous”, affirme-t-il. Loi et guerre, officielle ou non, ne s’accordent guère. En janvier dernier, la population pakistanaise a massivement manifesté contre les drones dans les rues d’Islamabad. Devant ce tollé, Washington a rappelé son directeur de la CIA au Pakistan, officiellement pour des raisons de sécurité. Aucun procès n’a jamais eu lieu, aucun représentant américain ne s’est jamais présenté à la cour d’Islamabad pour répondre des chefs d’accusation avancés. La secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton, en visite officielle au Pakistan mi-octobre avec le chef de la CIA, n’a pas abordé

Aamir Qureshi/AFP

du moment, Imran Khan, un ancien joueur de cricket. “USA, laissez-nous tranquilles !” “La paix, pas les drones” : la foule scande des slogans hostiles aux Américains et brûle des drones en carton bricolés pour l’occasion. Face aux protestataires acquis à sa cause, Imran Khan s’en prend au gouvernement pakistanais, coupable selon lui d’accepter en silence des incursions sur son territoire.

le sujet. Contactée, l’ambassade américaine au Pakistan refuse elle aussi de s’exprimer. L’homme de loi pakistanais se montre réaliste : “La CIA reste intouchable. Notre combat consiste désormais à mobiliser la communauté internationale.” Il bénéficie du soutien des activistes de l’organisation Reprieve. Cette ONG britannique s’est rendue célèbre en faisant libérer soixante-cinq détenus de la prison de Guantánamo. Depuis six mois, quatre de ses juristes préparent l’attaque devant des cours internationales. Les chefs tribaux du Nord-Waziristan ont exceptionnellement fait le déplacement à Islamabad fin octobre

le Pakistan ne s’est jamais franchement opposé aux tirs de drones

pour alerter l’opinion publique et provoquer une mobilisation sans précédent pendant toute une journée. Dans un hôtel chic de la capitale, ils tiennent une jirga. Une vingtaine d’hommes prennent tour à tour la parole. Les discours sont clairement anti-américains, les propos peu nuancés, ils en appellent au “retrait des envahisseurs étrangers”. Au fond de la salle, on peut voir des photos et vidéos de victimes et de maisons dévastées sur grand écran. Des preuves déconcertantes étayent les récits virulents. Clive Stafford Smith, le directeur de l’ONG Reprieve, brandit un reste de missile récupéré dans les décombres d’une maison bombardée par un drone. Un numéro de série identifie la pièce métallique. “C’est ce type de preuves qu’il nous faut récolter. Plus nous en aurons, plus notre dossier sera solide devant la justice”, s’enthousiasme l’avocat de formation. La population pakistanaise semble déterminée à les collecter. Un instant plus tard, 3 000 manifestants prennent d’assaut la plus grande artère d’Islamabad. Beaucoup sont venus à l’appel du Pakistan Tehreek-e-Insaf, le parti politique de l’étoile montante

A l’autre bout du monde, l’interpellation a été entendue. En visite officielle en Australie, le Premier ministre pakistanais, Yousuf Gilani, rétorque par voie de presse à son concurrent politique que “le Pakistan n’a jamais autorisé les frappes de drones. Elles sont même au cœur des tensions entre les Etats-Unis et notre pays”. Gilani n’a pas convaincu. Des câbles de WikiLeaks révélés en fin d’année 2010 ont mis à mal sa technique de défense. Le Premier ministre et son ministre de l’Intérieur auraient rencontré dès août 2008 l’ambassadrice américaine au Pakistan au sujet des drones. Gilani aurait alors dit : “Je me moque des frappes tant qu’elles visent les bonnes personnes. Nous protesterons à l’Assemblée nationale mais nous les ignorerons.” Les faits corroborent cette passivité des autorités pakistanaises. Les parlementaires pakistanais ont bien voté une résolution pour dénoncer les frappes aériennes, mais sans le moindre effet. L’avocat britannique Clive Stafford Smith se montre plein d’espoir : “Comme pour Guantánamo, cela prendra beaucoup de temps : nous affrontons le gouvernement le plus puissant au monde. Les forces militaires et industrielles ne nous facilitent pas la tâche, elles veulent faire des drones l’arme de l’avenir. Mais je crois que la justice est de notre côté. Au final, nous gagnerons.” Ces juristes ont désormais pour ambition d’attaquer tous les gouvernements complices comme la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, accusés d’avoir favorisé ces dommages collatéraux en aidant à localiser les ressortissants djihadistes et en fabriquant les missiles. Les affaires se retrouveraient alors devant les tribunaux compétents de chaque pays et face au Rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires. Mais quand ?  30.11.2011 les inrockuptibles 77

Amber alert

Sex-symbol pour mâles hétéro, chérie par l’agence de notation FHM, la jolie bimbo Amber Heard préfère les filles. C’est surtout une excellente comédienne.

B

ien entendu, pas de question sur son homosexualité”, glisse l’attachée de presse avant de nous lâcher dans l’arène face à Amber Heard, sublime dans une soyeuse robe à fleurs au restaurant du Plaza Athénée. Pourquoi diable devrait-on cacher ce que la jeune femme, en tournée promo pour son dernier film, Rhum Express, a reconnu publiquement il y a un peu moins d’un an, et sur quoi elle s’est depuis largement expliqué dans les médias US ? C’est en décembre 2010, au gala du Glaad (l’alliance gay et lesbienne contre la diffamation), qu’Amber Heard, au bras de la photographe Tasya Van Ree, a fait son coming-out. A Hollywood, un tel geste reste rare : on imagine sans peine qu’un(e) hétéro puisse jouer un(e) homo mais l’inverse semble plus difficile à accepter. Jodie Foster a ainsi mis des années à le reconnaître, Portia de Rossi (Ally Mac Beal) a disparu des radars, quant à Lindsay Lohan, difficile de savoir ce qui, de sa bisexualité revendiquée ou de ses multiples addictions, a fini par avoir raison de sa carrière. Et Amber alors ? Si l’on en croit le très respecté classement des 100 plus belles femmes du monde selon FHM, véritable agence de notation du marché de la bimbo, elle traverse actuellement une zone houleuse, mais son embarcation semble tenir bon : 90e en 2008, 31e en 2009 et 25e en 2010, elle est aujourd’hui en 34e position. Les échecs publics de The Ward (de John Carpenter, qui n’a même pas trouvé de distributeur) et de la série The Playboy Club, où elle excelle en bunny girl, lui auront sans doute coûté ces quelques places. Rien de tragique cependant : on vit très bien avec un double A, ce que son rôle de blonde incendiaire dans Rhum Express vient confirmer. 78 les inrockuptibles 30.11.2011

Avec un charisme dément, elle parvient à faire exister son personnage autrement qu’en faire-valoir de Johnny Depp et Aaron Eckhart qui tentent chacun, en vain, de la posséder – essayez d’attraper une sirène, vous verrez. Cette adaptation académique, mais pas désagréable, du second roman autobiographique d’Hunter S. Thompson, est l’occasion pour Amber Heard d’affiner son glamour sixties, jusque-là sous-jacent. Citant Rita Hayworth, Lauren Bacall et Catherine Deneuve comme ses actrices préférées et Ayn Rand (écrivaine américaine ultralibérale qui promeut la “vertu de l’égoïsme”) comme maître à penser, elle affirme, hautaine : “Je ne compte pas la fermer parce que quelques bigots ont décidé que la nudité ou l’homosexualité étaient un problème. Je ne me sens pas supérieure parce que je suis une femme, mais je mérite exactement la même attention, les mêmes chances. Et si on ne me les donne pas, je les saisirai moi-même.” Sauvage, farouchement indépendante – elle a arrêté le lycée à 16 ans et quitté à 17 ans un cocon familial ultracatho pour tenter sa chance comme mannequin à New York –, fanatique de vieilles voitures et d’armes à feu (un reliquat de son éducation texane), l’actrice de 25 ans louvoie depuis le milieu des années 2000 dans des séries B et des comédies popu, où elle joue les filles de caractère… Sauf que la jeune femme a eu le nez d’apposer son nom aux génériques de Friday Night Lights, Never Back Down,

“je ne compte pas la fermer parce que quelques bigots ont décidé que la nudité ou l’homosexualité étaient un problème”

Délire Express, Bienvenue à Zombieland ou Hell Driver, films d’exploitation certes, mais diablement inventifs, qui ont vite fait d’elle l’égérie des bas-fonds de la cinéphilie. Longtemps, son nom a ainsi circulé sous le manteau, associé à celui de Mandy Lane, du bien nommé All the Boys Love Mandy Lane – édité en DVD par Wild Side en 2010, quatre ans après sa sortie américaine. Dans ce slasher roublard, Jonathan Levine faisait d’elle une redoutable mante religieuse sous des atours de vierge effarouchée, lui écrivant le plus bel acte de naissance possible, au couteau et à même la chair. “C’est très difficile pour les femmes dans ce business. On est vite cataloguées, et il n’y a que deux choix : ‘sexy’, et ne s’offrent à vous que des rôles de ‘love interest’ ou ‘pas sexy’, et vous devez compenser en étant drôle, bitchy, puissante, méchante… Pour faire les deux, ce qui m’intéresse, il faut batailler en permanence.” Bravant l’interdit, nous tentons tout de même, en fin d’interview, une timide question sur les conséquences de son coming-out. La réponse fuse, gentille mais un peu sèche : “Je vais être honnête avec vous, je déteste évoquer ma vie privée, et depuis mon coming-out, pas une interview sans qu’on m’en parle. J’assume tout ce que j’ai dit, je ne regrette pas de l’avoir fait, mais désormais je préfère parler de mon art et du film pour lequel je suis ici.” C’est dit : Amber Heard n’est pas une it-girl de plus, à qui l’on fait porter un drapeau et que l’on sort pour divertir la galerie. Et les agences de notation n’ont qu’à bien se tenir si elles ne veulent pas finir dans les mandibules de Mandy. Rhum Express de Bruce Robinson, avec Amber Heard, Johnny Depp, Aaron Eckhart (E.-U., 2 h, 2011) The Playboy Club série diffusée aux Etats-Unis sur NBC

Patric Shaw/Trunk Archive/Photosenso

par Jacky Goldberg

Au Guggenheim Museum, New York

Maurizio Cattelan s’est pendu Première et dernière rétrospective de Maurizio Cattelan au musée Guggenheim de New York. Un adieu aux arts fou et saisissant, le point final d’une œuvre renversante. par Jean-Max Colard a fête est finie mais l’image est renversante. A défaut d’avoir vu in situ l’exposition tomber du plafond du Guggenheim, c’est donc ainsi qu’on l’a découverte : en images, depuis Paris, sur notre écran d’ordinateur. On n’en croit pas nos yeux : à 51 ans, en pleine gloire artistique, le pantin de l’art Maurizio Cattelan annonce qu’il se retire du circuit pour se consacrer à son magazine Toilet Paper. Fatigué, à court d’idées : “Combien de poupées pourrais-je encore faire ? Combien d’animaux pourrais-je embaumer ? Mesdames et messieurs, la fête est finie. Rideau.” A l’intérieur du Guggenheim Museum de New York où s’organise ce qu’il a annoncé comme sa première et dernière exposition, l’artiste a fait un geste ultime, fou et saisissant : laissant intégralement vides les galeries latérales et n’occupant que la spirale centrale du bâtiment construit par Frank Lloyd Wright, il a suspendu au plafond cent vingt-huit œuvres qui retracent ses vingt ans de carrière et se balancent dans le vide.

David Heald/Solomon R. Guggenheim Foundation New York

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L’essentiel est là : la petite sculpture d’Hitler agenouillé et en prière (Him, 2001) ; le petit Cattelan monté sur son vélo d’enfant (Charlie, 2003), qui avait circulé entre nos jambes pendant la Biennale de Venise ; le corps affaissé de Jean-Paul II écrasé par une météorite , le cheval empaillé qui flottait déjà dans les salles dorées du Castello di Rivoli ; l’écureuil qui se suicide à sa table ; les trois enfants pendus à un arbre

qui, exposés sur une place publique de Milan, avaient été délogés pour cause de scandale… A l’évidence, cette rétrospective aussi photogénique que toutes ses créations précédentes est une pièce en soi, une œuvre totale, drolatique et tragique. Sur son blog Le Beau Vice, la critique d’art Elisabeth Lebovici n’a pas tort de rappeler combien la rétrospective peut être une manière de “ranger, arranger, organiser, archiver l’œuvre de sa vie”. Celle de Maurizio Cattelan prend alors la forme “d’un vide-grenier vertigineux, subsumant par le regard la consommation dans le sublime”. D’un coup, l’artiste la rassemble et la recycle en un tout époustouflant : All, dit le titre de la rétrospective. All about him. Cela nous rappelle que Cattelan n’a jamais travaillé autrement : à coups de one shot. N’exposant que rarement deux œuvres à la fois, il préférait tout miser sur une seule pièce, parfois aussi courte qu’un gag mais aux résonances toujours complexes. Prenant systématiquement tous les risques, il a manœuvré comme un joueur qui remet la totalité de sa fortune sur la table à chaque nouveau tour de roulette. Cattelan a ainsi réussi cet exploit de génie : construire, à force de pièces isolées, de singletons, une œuvre complète, durable et profonde, sans

“c’est tout ? Ce n’était donc que cela ?” : voilà ce que semblent nous dire ces choses mortes qui tombent du plafond

jamais s’épuiser dans une série de running gags mais en s’efforçant sans cesse de se réinventer, pour tout ensemble épater, amuser, museler et confondre la galerie. Son ultime rétrospective ressemble à ça : un simple geste, un coup de banco final. Mais un geste aussi terriblement réducteur. Ici, les œuvres les plus marquantes de sa carrière d’artiste – La Nona Ora, par exemple, qui avait tant scandalisé les catholiques de Pologne et d’ailleurs avec son pape Jean-Paul II martyrisé par une météorite ; d’autres, très chères, tel ce cheval empaillé (La Ballade de Trotski, 1996) vendu 1 560 000 euros en 2004 ; ou encore le fucking doigt d’honneur qu’il avait déposé devant la Bourse de Milan en 2010 – se trouvent réduites à peu de chose, placées en vrac dans ce tourbillon de la vie, suspendues à des filins. Comme si un marionnettiste, plus fort que le marché ou le scandale à quoi on a parfois tenté de réduire l’œuvre de Cattelan, décidait de leur sort. Il y a là, non pas une provocation nouvelle, non pas un acte irrévérencieux, et encore moins cynique, mais une désinvolture désabusée. “C’est tout ? Ce n’était donc que cela ?” : voilà ce que semblent nous dire ces choses mortes qui tombent du plafond. Comme un enfant devenu grand range les jouets de sa chambre, Cattelan leur accorde une dernière toy story, un dernier tour de manège. La fête est finie mais elle fut renversante. Maurizio Cattelan: All jusqu’au 22 janvier au Guggenheim Museum, New York 30.11.2011 les inrockuptibles 81

82 les inrockuptibles 30.11.2011

Amy pour la vie

Trois mois après le choc de sa disparition, un album posthume fait resurgir la chanteuse solaire et romantique derrière l’icône tragique et trash. par Stéphane Deschamps photo Bryan Adams

Amy Winehouse estm orte le23 juill et, à Londres

30.11.2011 les inrockuptibles 83

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’abus d’alcool est dangereux pour la santé. Mais la sobriété peut tuer. C’est la leçon tragi-comique que l’on peut tirer de la mort d’Amy Winehouse. Fin octobre, les enquêteurs ont rendu leurs conclusions : le 23 juillet, la chanteuse a succombé à une consommation excessive d’alcool alors qu’elle était en sevrage. C’était le passage de la comète Amy (19832011). Elle a traversé le ciel en zigzag, du coup un peu plus bleu, puis est partie à 27 ans avant qu’on ait eu le temps de lui dire qu’on l’aimait, back to black pour l’éternité. Plus personne ne la forcera à partir en détox, non, non, non. Amy Winehouse était entrée dans l’inconscient collectif de la culture pop en 2007, avec ce refrain sale gosse et autobiographique de la chanson Rehab : “They tried to make me go to rehab/ I won’t go go go”. A part ça, qu’a-t-on retenu de la plus petite (1,57 m) grande chanteuse des années 2000 ? Une silhouette de Betty Boop sousalimentée, belle et rebelle comme un tatouage sur le bras d’un taulard. Une voix de chat de gouttière qui aurait croqué une souris ivre. Les clichés terribles d’une vie vraiment trop rock’n’roll. Depuis le succès phénoménal de l’album Back to Black – la comète au zénith –, on avait surtout suivi ses frasques, sa déchéance, son addiction – les images pathétiques de pocharde hagarde, les concerts annulés ou sabotés par une diva divagante… Ça, c’est le refrain. Mais dans Rehab, on a eu tort d’oublier le premier couplet, celui qui disait : “Je serais mieux à la maison avec Ray (…) Il n’y a rien que tu puisses m’enseigner que je ne puisse apprendre de M. Hathaway.” Qui sont donc ces messieurs Ray et Hathaway qui paraissaient valoir tous les médecins aux yeux d’Amy Winehouse ? Le premier, c’est Ray Charles et le second, Donny Hathaway. Deux géants de la soul américaine, deux voix, profondes et satinées, de guérisseurs auprès desquels il est toujours bon de chercher refuge. Ces dernières années, pas grand-chose ne nous a été épargné de l’intimité déglinguée d’Amy Winehouse. Mais nous,

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on aurait aimé savoir si elle chantait sous la douche, quel disque elle mettait quand elle allait mal et si elle allait mieux après. Parce que c’est tout ça qu’on entend dans les chansons et la voix sans fard d’Amy : un amour pur, absolu et sans conditions de la musique, aussi vital qu’une bouée de sauvetage, ou une autre addiction. Après sa disparition, on a continué à lire et entendre des choses inconséquentes et exagérées sur son compte. Forcément plus grande morte que vivante, elle aurait donc accédé au statut d’icône éternelle, Billie Holiday du XXIe siècle, naissance d’un culte et tout le bla-bla nécrologique habituel. Des costumes de star immortelle, beaucoup trop grands pour elle, elle qu’un rien habillait. Amy Winehouse n’est ni Aretha Franklin ni Nina Simone. Une voix exceptionnelle, oui, mais avec l’ambition et le plan de carrière d’une chanteuse de bar, d’une fille normale sur qui le succès serait tombé comme on gagne au Loto. Son truc à elle, c’était juste se défoncer la tronche et chanter à l’ancienne, le plus honnêtement

possible, pour se faire du bien, pour soulager son cœur, comme on chiale un bon coup. La production rétro de ses deux albums indique qu’elle ne chantait pas pour la postérité mais plutôt par nostalgie d’un âge d’or fantasmé de la musique pop – les années 50-60, le jazz, la soul, les rythmes jamaïcains des origines. Toutes ces musiques des Amériques qui depuis un demi-siècle ont trouvé une terre d’asile en Angleterre. Son compagnon de débauche, Peter Doherty, ne veut plus rentrer chez lui parce qu’il pense que sa maison londonienne est hantée par le fantôme de son ancienne copine. Ça ne fait qu’à moitié rigoler. Parce que de son vivant déjà, Amy était un fantôme, un médium, un anachronisme, une voix de jadis et d’ailleurs habitant le corps menu d’une jeune femme d’aujourd’hui, sans doute aussi mal dans sa peau que dans son époque. Amy était un juke-box humain. Ou une éponge à musique. Ou un coup d’éponge sur le juke-box. Et ce n’est pas le posthume Lioness: Hidden Treasures, sa troisième sortie, qui va nous prouver le contraire.

bien que portée sur la bouteille, Amy Winehouse n’aimait pas le pastiche Ce disque n’est pas un nouvel album d’Amy Winehouse, plutôt un compromis entre une compilation de raretés et un embaumement. Et ce n’est certainement pas une collection de demos, de versions brutes ou de fonds de tiroirs – aux dernières nouvelles, il existerait une douzaine de chansons inédites à l’état d’ébauche mais leur sortie n’est pas prévue. Sur Lioness: Hidden Treasures, la voix d’Amy a été enregistrée de son vivant. En revanche, une partie de la musique et la production sont post-mortem, avec beaucoup de chœurs, de cordes et de suavité, comme une version panoramique et somptueuse de la variété soul orchestrée de la fin des années 60, comme si Amy Winehouse avait supervisé ce disque depuis le paradis, où tout va bien, où tout est clair, doux et harmonieux. C’est de la belle ouvrage, parfois un brin pompeuse mais digne. Le disque a été réalisé par Salaam Remi et Mark Ronson, des hommes de confiance. L’Américain Salaam Remi, producteur de hip-hop (il a notamment travaillé avec les Fugees), a enregistré Frank, le premier album de Winehouse. Mark Ronson, DJ hip-hop anglais, a produit Back to Black (puis travaillé avec Lily Allen). En accord avec la famille de la défunte, ils se sont plongés fissa dans leurs archives pour en tirer une sorte de time line musicale, d’album photos retouché. La chanson qui ouvre l’album est une reprise de Our Day Will Come, romance enregistrée en 1963 par les très oubliés Ruby & The Romantics, groupe primo-soul de l’Ohio. Le genre de chanson que l’on doit encore trouver en 45t dans quelques vieux juke-box anglais. Un tube, interprété plus tard par Cher, Isaac Hayes ou les Carpenters. Mais la version d’Amy Winehouse est coulée dans le moule de celle des Heptones, pionniers jamaïcains du rock-steady et du reggae. Et c’est une merveilleuse entrée dans Lioness: Hidden Treasures, languide et solaire, simple et légère, qui dédramatise complètement le sujet. Le morceau le plus ancien date de 2002 : c’est la première chanson d’Amy enregistrée par Salaam Remi, une version de The Girl from Ipanema plus

solaire que scolaire. La chanteuse, alors âgée de 18 ans, s’amuse, folâtre avec ce classique de la bossa-jazz. Le morceau le plus récent a été enregistré en mars 2011 aux studios Abbey Road de Londres avec le vénérable crooner Tony Bennett pour son album de duos. Ce Body & Soul, autre immense classique du jazz, arrangé à l’ancienne, Amy le chante d’une voix comme du velours humide, râpeuse et nonchalante, avec une classe hors d’âge. C’est son dernier enregistrement connu. Ces deux chansons sont ce qu’on peut appeler de vieilles scies, des incontournables du répertoire, presque des exercices de style pour chanteuse de jazz. Bien que portée sur la bouteille, Amy Winehouse n’aimait pas le pastiche. Ces chansons rebattues, elle les traite comme les autres, les interprète comme les siennes, avec la même spontanéité gouailleuse. La dernière chanson totémique, qui clôt Hidden Treasures, est A Song for You : une reprise de Leon Russell popularisée par Donny Hathaway, arrangée quasi trip-hop, qu’Amy chante (en 2009) au bout du rouleau, au bord des larmes et du précipice. Paroles prémonitoires et justes : “Et quand je serai partie/Souviens-toi de nous/ Nous étions seuls et je chantais cette chanson pour toi”. Sinon ? Des versions de Valerie, Tears Dry et Wake up Alone (qu’on retrouve plus enlevées sur Back to Black), un Halftime de 2002 avec Questlove des Roots à la batterie (Amy projetait de monter un groupe de jazz avec lui), un Like Smoke à moitié réussi, sur lequel Salaam Remi a invité Nas à rapper, un peu trop vite et hors-sujet. Au final, ce disque très romantique est une bonne surprise et un soulagement. Il s’écoute d’une traite et en longueur, comme on s’immergerait dans un bon bain fumant. Hidden Treasures, trésors cachés… Ils auraient pu mettre le titre au singulier. Parce qu’en dépit de ses ventes de disques, de sa gloire mondiale et de la surexposition médiatique de ses dérives, Amy Winehouse donnait l’impression d’être le vrai trésor caché de son histoire, oubliée au fond du bar, chantant d’abord pour ellemême après l’heure de la fermeture. album Lioness: Hidden Treasures (AZ/Universal) 30.11.2011 les inrockuptibles 85

Le Cheval de Turin de Béla Tarr

Terrassant comme un récit d’apocalypse et d’une puissance visuelle inouïe : la quintessence du cinéma visionnaire du maître hongrois.

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e 3 janvier 1889, dans une rue de Turin, un cocher fouette violemment son cheval récalcitrant. Friedrich Nietzsche, qui sort de chez lui, assiste à la scène. Il se jette brusquement au cou de l’animal, l’enlace pour le protéger, éclate en sanglots. Puis rentre chez lui, annonce à sa mère qu’il est devenu fou. Il plonge effectivement dans le retrait, l’aphasie, la vie végétative, et mourra à Weimar en 1900. Ainsi commence, par cette anecdote célèbre racontée à l’écran par une série de panneaux, Le Cheval de Turin, le nouveau et semble-t-il dernier film (c’est ce qu’il a annoncé – lire p. 88) du cinéaste hongrois Béla Tarr (auteur d’au moins deux grands chefs-d’œuvre, Les Harmonies Werckmeister, Le Tango de Satan). De Nietzsche, il ne sera jamais question dans les deux heures vingt qui viennent.

86 les inrockuptibles 30.11.2011

Pourtant, cette anecdote ne cesse de planer sur le cours du film, de le voiler de son ombre menaçante. Nous voici dans la campagne. C’est l’hiver. Un cocher à la grande barbe grise marche à côté de sa carriole et de son cheval, qu’il ne cesse de harceler. Sans doute le cocher et le cheval qui ont tant perturbé Nietzsche, se dit-on. Le plan est long, nous ressentons toute la rudesse de l’effort des êtres vivants pour se déplacer dans ce milieu hostile. Dès ce premier travelling latéral haletant, nous voici à la fois dans le réel (le temps réel d’un planséquence, la matière, les éléments : la boue, le vent, la pluie) et dans le cinéma (le romanesque, les costumes, le mythe). Béla Tarr, deux heures durant en noir et blanc, ne va rien lâcher de cet accord parfait entre l’art et la nature. Un exploit impressionnant. Pendant ces deux heures, il ne va rien décrire davantage que la vie

raccord deux heures durant, Béla Tarr ne va rien lâcher de cet accord parfait entre l’art et la nature

quotidienne, seconde après seconde, avec quelques rares ellipses, d’un vieux et grand paysan beau, hémiplégique, taiseux, rude, effroyablement misérable, avec sa fille qui lui fait à manger (une pomme de terre à peine cuite à chaque repas), l’habille, le déshabille, le change, l’aide à se lever, à s’occuper du cheval qui ne veut plus travailler ni manger. Peu à peu, la nuit va tomber sur la campagne piémontaise, la lumière s’éteindre, l’énergie quitter ce monde malheureux qui n’en avait déjà plus beaucoup, comme s’il se mettait au diapason de ce penseur que nous n’avons même pas vu et dont la lueur s’essouffle peu à peu. Deux heures aussi intenses que vides, où le moindre geste, le plus petit rictus, advient comme un événement extraordinaire, un drame nouveau, un acte de résistance au climat, à la famine, à la mort, une épiphanie du passé (soudain, l’unique photo de l’épouse et mère défunte nous taillade le cœur par l’ouverture fictionnelle et sentimentale qu’elle laisse apparaître).

Deux heures de pure beauté cinématographique en trente plans de cinq minutes chacun, qui ne tient que par la force expressive de ses images, la tension donnée au moindre plan par la caméra mouvante de Béla Tarr. La gageure, pour tout cinéaste qui travaille sur la durée du plan et recourt donc au plan-séquence (travelling, caméra à l’épaule, steadycam), c’est de ne pas y perdre toute notion de cadre. Il faut être de la trempe d’un Tarr, d’une Chantal Akerman, d’Alan Clarke (Elephant), de Gus Van Sant (Elephant et Gerry), des frères Dardenne (Le Fils, notamment), pour ne pas se laisser griser par la souplesse de la machinerie et garder le cap, préserver une structure à l’image et donc au film. Tarr, naguère, avec par exemple L’Homme de Londres, s’était fait prendre à ce piège, la longueur alourdissant le film au lieu de le propulser vers autre chose (une âme ?), le plongeant dans un formalisme qui finissait par nous paraître complaisant (ce qui n’était de tout évidence pas le but recherché). Mais ici, sans doute mû par une inspiration désespérée, l’ultime geste de Béla Tarr en tant que cinéaste est proprement stupéfiant, maîtrisé de bout en bout. Jacques Derrida écrivait, dans L’animal que donc je suis, que Nietzsche “fut assez fou pour pleurer auprès d’un animal, sous le regard ou contre la joue d’un cheval que l’on frappait. Parfois je crois le voir prendre ce cheval pour témoin, et d’abord, pour le prendre à témoin de sa compassion, prendre sa tête dans ses mains”. Le film de Tarr semble poursuivre cette vision de Derrida. C’est pourquoi nous l’aimons, c’est pourquoi ses images continueront longtemps de nous hanter, “parfois”. Récompensé en février dernier par un Ours d’argent à Berlin, Le Cheval de Turin est l’un des films les plus puissants, les plus sensoriels, les plus engagés et les plus fidèles à l’idée de modernité cinématographique. Mais aussi l’un des plus compatissants. Et donc l’un des plus beaux de 2011. Jean-Baptiste Morain Le Cheval de Turin de Béla Tarr (Fr., Suis., All., Hongrie, 2011, 2 h 26), avec Erika Bok, Mihály Kormos, Janos Derzsi lire aussi l’interview de Béla Tarr, p. 88

Hoover, homo et humain En avant-première de sa sortie française en janvier, premier regard sur le nouveau Eastwood. John Edgar Hoover fut le directeur du FBI de 1924 à 1972, année de sa mort. Si la carrière de Hoover (génialement interprété par Leonardo DiCaprio) est évoquée dans J. Edgar, c’est surtout sa vie privée, méconnue, qui intéresse Eastwood et son scénariste Dustin Lance Black (Harvey Milk). Le film valide les rumeurs sur son homosexualité, essentiellement vécue dans sa relation intime avec son bras droit Clyde Tolson. Ces allégations ont ému la fondation J. Edgar Hoover, soucieuse de préserver l’image d’un homme “marié au FBI”. Au-delà de ces prévisibles polémiques, on remarquera que cette longue idylle romantique est le seul élément biographique capable aux yeux d’Eastwood d’humaniser Hoover. Nous sommes loin d’un portrait à charge si l’on considère les casseroles que traîne Hoover et que le film n’explore pas : racisme, homophobie et anticommunisme viscéraux, paranoïa, chantage et écoutes illégales, liens supposés avec la Mafia. Eastwood dégage la dimension pathétique d’un homme qui passa sa vie à construire son propre mythe de héros américain, combattant inflexible du gangstérisme et du terrorisme communiste, alors que la plupart de ses faits de gloire relèvent de la mythomanie et de la manipulation médiatique. “L’homme le plus puissant du monde”, tel que le présente l’affiche du film, n’est-il pas justement décrit comme un impuissant, incapable de danser avec une femme ou d’empêcher Martin Luther King d’obtenir le prix Nobel de la paix, malgré des manœuvres immondes ? La manie de Hoover pour le complot et le fichage aura davantage servi à calmer ses névroses personnelles qu’à protéger l’Amérique de menaces fantômes.

Olivier Père 30.11.2011 les inrockuptibles 87

Béla Tarr : “je ferme la boutique” Tandis que sort son nouveau film et que Beaubourg le célèbre par une rétrospective, le cinéaste hongrois explique pourquoi il arrête le cinéma.

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vec Le Cheval de Turin, Béla Tarr se trouve au sommet de son art. Il va au bout de l’épure, synthétisant tout son univers avec trois fois rien. Pourtant, en pleine promo, en pleine rétrospective de son œuvre à Beaubourg, le cinéaste hongrois, 56 ans, déclare qu’il ne tournera plus de films. Et semble presque amusé par l’effet produit par sa décision. En fait, c’était prémédité de longue date : “Quand L’Homme de Londres est sorti en 2007, j’ai dit que je ferais encore un film et pas plus. Je savais, avant le tournage du Cheval de Turin, que si j’arrivais à le réaliser comme je le voulais je m’arrêterais ensuite. Si vous voyez Le Cheval de Turin puis mon premier film, Le Nid familial, vous constaterez qu’il y a un lien, que la boucle est bouclée. 88 les inrockuptibles 30.11.2011

Mon travail est terminé. Je ferme la boutique. Je ne veux pas être un vieux bourgeois qui accumule les films et se répète sans arrêt. Je ne veux pas devenir une institution, ni m’humilier en ne travaillant que pour de l’argent. Ce n’est pas mon genre. Quand je vois des gens sortir d’un de mes films les yeux brillants, c’est mon plus beau cadeau. Je ne veux pas les voir sortir en ricanant.” Ce que Béla Tarr ne dit pas, par pudeur ou par orgueil, c’est que son cinéma est difficile à financer et à distribuer. Et puis il y a le trauma du film précédent, L’Homme de Londres, réalisé en France : son producteur

“je vais créer une école de cinéma, à Split, un Bauhaus du cinéma”

initial, Humbert Balsan, s’est suicidé peu avant le tournage. “Ça a vraiment été terrible, dit Béla Tarr, un cauchemar. Le tournage a été interrompu. Ensuite nous avons dû résoudre des problèmes structurels après la mort de Humbert, trouver un moyen de relancer la production. Mais c’est du passé. On ne se souviendra que du film.” Et l’on s’en souvient non pour son intrigue tirée d’un roman de Simenon, mais pour le bain sensoriel dans lequel Tarr nous plonge. Ce qui l’intéressait, c’était “l’atmosphère du roman, la description d’un homme solitaire dans sa cage (un poste d’aiguillage – ndlr), la nuit, dans la ville endormie. Je n’aime pas les histoires compliquées. Pour moi, un film n’est pas une histoire”. C’est encore plus flagrant dans son dernier film, Le Cheval de Turin, où il ne se passe presque rien. “Il n’y a pas d’histoire du tout. On n’a pas besoin de nouvelles histoires. Si on ouvre la Bible, tout y est. Pourquoi parle-t-on toujours de l’histoire ? Je ne comprends vraiment pas.” Il a produit d’autres cinéastes hongrois, mais il “déteste lire des scénarios. Je préfère rencontrer le réalisateur, voir ce qu’il a fait avant. Je l’écoute, je cherche à comprendre son langage cinématographique, son style”. La production est une des pistes de sa reconversion. Mais il a un autre projet, plus ambitieux : “Une école de cinéma à Split, en Croatie. Ça ne sera pas vraiment une école, mais une sorte de laboratoire international ouvert aux jeunes diplômés de cinéma de toutes origines. J’en serai le directeur artistique. J’ai déjà l’accord de plusieurs cinéastes expérimentés pour diriger des ateliers : Jim Jarmusch, Gus Van Sant, Aki Kaurismäki, Carlos Reygadas, Atom Egoyan, Fridrik Thor Fridriksson. Ils viendront travailler avec de jeunes réalisateurs pendant deux ou trois semaines. J’ai aussi invité des théoriciens qui feront des cours sur l’histoire du cinéma et les styles. J’aimerais que ça devienne un Bauhaus du cinéma, un point de départ pour un autre cinéma, un autre langage. Le but n’est pas de créer des épigones de Béla Tarr, des imitateurs. Les élèves devront élaborer leur propre univers. Nous voulons leur montrer que le monde est vaste, coloré, ouvert… J’espère qu’on pourra démarrer l’école en septembre 2012. C’est un gros projet. Je suis un homme simple mais je ne fais jamais des petites choses. Je ne prends pas ma retraite.” L’envie d’abandonner la réalisation est dans l’air en ce moment : “Plusieurs de mes collègues ont dit qu’ils allaient peut-être faire comme moi. Je vais convaincre tout le monde d’arrêter de réaliser.” (rires) Vincent Ostria photo David Balicki A voir Béla Tarr – L’alchimiste, rétrospective intégrale, du 3 décembre au 2 janvier, Centre Pompidou, Paris IVe, www.centrepompidou.fr A lire Béla Tarr, le temps d’après de Jacques Rancière (Capricci), 96 pages, 7,95 €

Americano de Mathieu Demy avec lui-même, Salma Hayek, Geraldine Chaplin, Chiara Mastroianni (Fr., 2011, 1 h 45)

Un road-movie entre L. A. et Tijuana, où les images de cinéma et les souvenirs de famille ne font qu’un. vec ce premier film, Mathieu Demy arrive sur la planète réalisateur lesté d’une copieuse généalogie. Le fils d’Agnès Varda et de Jacques Demy assume crânement cet héritage de toute façon impossible à dissimuler. Americano raconte ainsi l’histoire de Martin (Mathieu Demy), appelé à Los Angeles pour régler la succession de sa mère qui vient de décéder. Il laisse à Paris sa copine, jouée par Chiara Mastroianni, elle-même cinéfille adoptive de Demy. La cinéfiliation d’Americano ne s’arrête pas là puisque le réalisateur y inscrit en guise de flash-backs des extraits de Documenteur, film californien de Varda où Mathieu apparaissait enfant. Et puis, de par sa nature de quête en forme d’errance voire de perdition, Americano évoque fortement le Model Shop de son père, suite dépressive de Lola. C’est dire si Mathieu Demy est ici habité par un élan puissant, une sorte d’enquête sur le mystère de ses origines tant familiales qu’artistiques. Cette forme flâneuse et incertaine sur des traces à la fois merveilleuses et lourdes à porter fait le charme fragile d’Americano. Il est dommage que dans sa recherche, Mathieu Demy rentre parfois bredouille. Il ne saisit par exemple pas grand-chose du L. A. d’aujourd’hui (contrairement à son père dans Model Shop) et semble plus inspiré par les rues de Tijuana, quand le film passe la frontière en son dernier tiers. Un passage clippé sur les freeways de L. A. au son du L. A. Woman des Doors résume le caractère à la fois attirant et déceptif du film, le double tranchant d’un héritage superbe mais pesant : L. A. Woman, c’est le cliché rock absolu sur la Cité des anges. Mais ce qui aurait été facilité grossière pour n’importe quel réalisateur est un souvenir intime pour Mathieu Demy : Jim Morrison fut un proche de ses parents. Serge Kaganski

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Footnote de Joseph Cedar avec Shlomo Bar-Aba, Lior Ashkenazi, Aliza Rosen (Isr., 2011, 1 h 45)

Affrontement tonitruant entre deux érudits talmudistes. Deux professeurs spécialistes du Talmud, père et fils, s’affrontent sur fond d’ambition et de ressentiment. Après la guerre au Liban dans Beaufort, Joseph Cedar opte pour une retraite plus inattendue à l’université, où le conflit se fait plus feutré, familial, textuel. Et surtout teinté de tragi-comédie, qui tient d’abord grâce à son acteur Shlomo Bar-Aba, sosie israélien de Michel Galabru. Renfrogné, au bord de l’effondrement, il redonne ses lettres de noblesse à l’expression “faire la gueule”. Le film pèche malheureusement par sa facture : une belle histoire morale à la Saul Bellow surgonflée par la mise en scène, à coups de bande-son tonitruante et d’effets de manche – voix off, digressions, ou recherche en bibliothèque filmée comme dans Fight Club. On sent que c’est pour être à la hauteur de ce petit monde qui hypertrophie tout – ego, volumes. Mais à trop en faire, Footnote est surtout à la hauteur de son titre (“note de bas de page” en anglais) : anecdotique. Léo Soesanto 30.11.2011 les inrockuptibles 91

Le Chat Potté de Chris Miller avec les voix d’Antonio Banderas, Salma Hayek (E.-U., 2011, 1 h 30)

Un second couteau de Shrek gratifié d’un film à sa gloire. Puisque leurs créations originales ne suscitent plus qu’un vague intérêt (Megamind), les studios Dreamworks, définitivement dépassés dans la petite guerre du monde de l’animation US, reviennent aux affaires avec un spin-off très opportuniste de la saga Shrek. C’est le Chat Potté, autrement “Félin Lover”, ennemi puis intime de l’ogre vert, qui bénéficie d’un film à sa gloire (et probablement d’une franchise à venir) sous la direction de l’artisan maison Chris Miller. Comme dans tout exercice de déclinaison, il a donc fallu broder une histoire autour de ce personnage de miaou superhéroïque et dragueur compulsif (affublé d’un accent hispanique), qu’un accident du destin et des mauvaises amitiés ont condamné à vivre en bandit marginal. Le passé et quelques indices psychologiques du héros à poils résolus dans un flash-back de cinq minutes (ni plus ni moins), le film peut se concentrer sur son essentiel : l’action, l’aventure, les cascades. Et c’est dans ce registre, certes limité, qu’il parvient enfin à convaincre, jouant à fond des différences d’échelle entre le monde miniaturisé des animaux et celui, immense, des hommes : le Chat Potté court, glisse et saute sur le plan, voisin du Tintin numérique de Spielberg lorsqu’il tente à son tour de repousser les lois de l’apesanteur. Toute la virtuosité des séquences d’action en 3D qui scandent le film ne conjure pas pour autant le drame des studios Dreamworks, dont chaque production depuis Shrek semble calquée sur un même modèle : humour régressif, citations pop et petite leçon de vie amène à l’adresse des kids et de leur mini porte-monnaie. Romain Blondeau

The Lady de Luc Besson Biopic très impersonnel sur l’opposante birmane Aung San Suu Kyi.



our justifier son énième retour au cinéma, lui qui avait un temps promis juré de ne plus jamais y toucher, Luc Besson explique en substance qu’il lui fallait une révélation, le genre de sujet – “politique, humain” – à vous réveiller des consciences. C’est Aung San Suu Kyi, l’opposante birmane et prix Nobel de la paix, qui a offert au roi de l’entertainment français l’occasion d’un dernier (?) round, son grand-œuvre a priori capable de réconcilier les grincheux de la critique et un public toujours plus timide (les semi-échecs cumulés de ses derniers films, Angel-A et Adèle Blanc-Sec). Pari presque assuré, tant The Lady se prémunit d’entrée contre les mauvais esprits : qui pourrait, en toute bonne foi, contester un biopic officiel – bénéficiant d’un label Amnesty International – sur l’une des personnalités les plus populaires de l’histoire récente, militante pacifique qui a sacrifié sa vie et sa liberté à la démocratie ? Des salauds sans cœur (Luc Besson, en promo, a beaucoup insisté sur l’émotion), mais pas seulement. On pourrait aussi reprocher au film – qui n’est pas le pire de son auteur, et possède même quelques beaux moments, le plus souvent grâce à Michelle Yeoh – de manquer d’aspérités (le mal généralement commun aux biopics), d’un regard de cinéaste. Il y a certes encore un peu de l’ADN de Luc Besson dans cette love story politique (les gradés de la junte militaire figurés en bad guys, les violons assourdissants du fidèle Eric Serra…) mais tout paraît formaté à l’extrême, aligné sur les productions british les plus académiques (Le Discours d’un roi, We Want Sex…). Focalisé sur l’histoire d’amour passionnelle qui lia Aung San Suu Kyi à son défunt mari, The Lady sacrifie à son roman-photo les pistes les plus passionnantes : la naissance de l’engagement politique (réduit à une question de filiation paternelle) ou l’exercice forcément égoïste du pouvoir. Mais c’eût été reconnaître à l’opposante birmane autre chose que les vertus d’un mythe : un peu d’humanité. R. B. The Lady avec Michelle Yeoh (Fr., G-B., 2011, 2 h 07)

92 les inrockuptibles 30.11.2011

Hara-Kiri de Takashi Miike avec Ebizô Ichikawa, Eita (Jap., 2011, 2 h 05)

Remake étonnamment délicat d’un chef-d’œuvre japonais de 1963. u XVIIe siècle, C’est finalement peu de choses ont changé – en pleine disette, tout l’inverse qui se produit : est ainsi soulignée par un samouraï laissant de côté ses une infinité de surcadrages déchu vient frapper penchants baroques (Ichi the et une disposition des à la porte d’un clan opulent Killer, Audition), Miike réalise personnages dans pour demander l’autorisation un mélodrame sobre, peu des espaces emboîtés de se suicider dans son spectaculaire si l’on excepte qui tracent mille frontières dojo, selon les règles de la bataille finale où se libère, infranchissables. L’effet était l’art, et ainsi garder son dans une mise en scène encore plus saisissant dans honneur. Le chef du clan se fluide, précise, coupante, la version 3D montrée à souvient que quelque temps l’énergie contenue Cannes, mais le distributeur plus tôt il avait déjà reçu une heure trente durant. a hélas décidé de s’en passer une demande analogue. Fidèle à l’original bien qu’il pour la sortie en salle. Il raconte. en simplifie la structure, L’on découvre ainsi un A l’annonce de la sélection le réalisateur stakhanoviste Miike délicat, pas forcément à Cannes d’un remake – plus de 70 films en plus doué – la plupart d’Hara-Kiri – chef-d’œuvre vingt ans, parmi lesquels un de ses films, même les plus de Masaki Kobayashi autre remake d’un classique brouillons, comportent récompensé en 1963 par nippon, 13 assassins, en 2010 – des scènes géniales – mais un Prix du jury au même se sert admirablement capable d’émouvoir à un festival – par Takashi Miike du décor pour renforcer degré insoupçonné. Que ceux (et en 3D), nombreux furent son propos. qui s’inquiètent pour sa ceux qui fantasmèrent L’abjecte rigidité du santé mentale se rassurent : la tripaille surgissant de système de classes féodal à Cannes, il présentait l’écran pour éclabousser – mais la ressortie du film cette année un autre film, les spectateurs ravis aujourd’hui tendrait à au marché. Son titre : – ou écœurés. signifier que, pour Miike, Ninja Kids. Jacky Goldberg

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Territoire perdu de Pierre-Yves Vandeweerd (Fr., Bel., 2011, 1 h 15)

Splendide et mystérieux documentaire poético-politique sur le Sahara occidental. A sa manière distante et fragmentaire, Pierre-Yves

Vandeweerd recueille, en super-8 noir et blanc, des échos de la guerre oubliée du Sahara occidental (ancienne colonie espagnole). Elle oppose l’occupant marocain au peuple sahraoui. Conflit jadis meurtrier, qui depuis quelques années est devenu un suspense vide, style “désert des Tartares”. Le cinéaste filme les réfugiés sahraouis (en Algérie), l’armée indépendantiste du Polisario, enregistre les récits de torture et d’invasion, mais surtout il s’imprègne, comme dans son précédent Cercle des noyés, de l’esprit des lieux et des gens, qu’il filme génialement, les baignant dans un continuum sonore extrêmement travaillé. Un film qui redonne foi dans une catégorie délaissée : le documentaire de création. Vincent Ostria 30.11.2011 les inrockuptibles 93

en salle Carrefour animé Si l’anime nippon et la galaxie Disney ont acquis une large audience, le cinéma d’animation international et le jeu vidéo peinent encore à se légitimer aux yeux du public adulte. Le Carrefour de l’animation est l’occasion de se pencher sur les auteurs clés du dessin animé contemporain, avec un panorama de l’animation polonaise, un hommage à la révolution tunisienne, des rencontres avec des game designers et des avant-premières (Tatsumi, premier film d’animation du Singapourien Eric Khoo). 9e Carrefour de l’animation, du 1er au 4 décembre au Forum des images, Paris Ier, www.forumdesimages.fr

Welcome in Vienna d’Axel Corti Retour d’une saga des années 80 en trois parties sur un groupe de jeunes Autrichiens juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Grandeur et subtilité.

hors salle briseur d’images On a souvent reproché au cinéma de se changer facilement en outil de propagande. Mais a-t-on déjà envisagé, à l’inverse, sa puissance iconoclaste ? S’il engendre souvent des figures d’adoration, n’est-il pas subversif par nature, lui qui adresse aux foules des grands messages en se souciant bien peu de l’orthodoxie ? L’essai de l’universitaire Marion Poirson-Dechonne creuse les rapports historiques et esthétiques du cinéma au sacré. A l’appui, un corpus recouvrant aussi bien Pasolini que les Monty Python. Le cinéma est-il iconoclaste ? de Marion Poirson-Dechonne (Cerf-Corlet), 320 pages, 35 €

box-office Twilight illumine Beau démarrage pour Twilight – Chapitre 4, sorti le 16 novembre, qui attire plus de 2 millions de spectateurs au bout de sa première semaine, se classant deuxième derrière l’indéboulonnable Intouchables (7,8 millions en trois semaines). Sorti en même temps que Twilight, Les Neiges du Kilimandjaro résiste dignement, enregistrant 180 000 entrées, tandis que L’Ordre et la Morale patine : le film-dossier de Mathieu Kassovitz, sorti le 16 également, n’a glané que 100 000 spectateurs.

autres films Les Lyonnais d’Olivier Marchal (Fr., 2011, 1 h 42) Rhum Express de Bruce Robinson (E.-U., 2011, 2 h, lire portrait d’Amber Heard p. 78) Kidnappés de Miguel Ángel Vivas (Fr., Esp., 2010, 1 h 25) Je m’appelle Bernadette de Jean Sagols (Fr., 2011, 1 h 49) Jig de Sue Bourne (G.-B., 2011, 1 h 39) La Vie murmurée de Marie-Francine Le Jalu et Gilles Sionnet (Jap., Fr., 2009, 1 h 46) Gros-pois et Petit-point de Lotta Geffenblad, Uzi Geffenblad (Suède, 2011, 43 min) 94 les inrockuptibles 30.11.2011

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l y a vingt-cinq ans sortait en France Welcome in Vienna, film globalement salué par la critique – son réalisateur, Axel Corti, prématurément décédé en 1993, étant lui peu à peu oublié. Or le film distribué il y a vingt-cinq ans n’était que la dernière partie d’une trilogie, et c’est cet ensemble d’une toute autre ampleur, aux deux tiers inédit en France, donc, qui sort aujourd’hui sous le même titre global de Welcome in Vienna. Un événement cinématographique, l’une des grandes œuvres de cette année. Fondés sur un scénario largement autobiographique de Georg Stefan Troller, ces trois films chroniquent la vie de jeunes Autrichiens juifs depuis la Nuit de cristal en 1938 jusqu’à la victoire sur les nazis en 1945. Dans le premier volet, Dieu ne croit plus en nous, le personnage principal est un adolescent de 16 ans, Ferry, bourgeois juif viennois devenu orphelin au lendemain de la Nuit de cristal. On suit sa fuite de Vienne à Prague, puis d’un camp de réfugiés dans le Nord de la France jusqu’à Marseille, où il va tenter d’embarquer pour l’Amérique. Troller et Corti placent leur récit au ras du quotidien, leurs personnages sont des gens ordinaires, juifs, non-juifs, engagés ou non, pourchassés, neutres, résistants, collabos actifs ou passifs, tous pris dans la tourmente des événements. Si la grande histoire est un arrière-plan omniprésent, les auteurs s’attachent aux petits faits, à ce qui tissait l’ordinaire de chaque journée dans ce contexte extra-ordinaire : resserrement de l’étau antisémite, rencontres amicales ou amoureuses, quête de visas, nécessité de quitter son pays, discussions politiques,

tout en retenue, les auteurs n’appuient jamais sur la pédale émotionnelle

Santa Fe (1985)

existentielles ou triviales… Les auteurs décrivent tout avec subtilité, intelligence, retenue, n’appuyant jamais sur la pédale émotionnelle. Voir le long passage dans le camp français où se constitue une minicommunauté de juifs en fuite : différences de caractères, divergences idéologiques, solidarité de destins, angoisse, humour Mitteleuropa… Dans sa mise en scène, utilisant le noir et blanc et le format “carré”, insérant parfois des extraits d’images d’archives mais toujours dans la trame du récit, Axel Corti trouve une juste tonalité, entre épure moderne et stylisation, collant au récit et aux personnages mais ne se refusant pas la beauté d’une errance dans la neige aux accents de Schubert, ou encore l’ellipse d’une étreinte en enchaînant le plan d’un homme et une femme traversant une rivière torses presque nus entre les lignes ennemies avec un plan des mêmes se réveillant au matin dans le même lit. On entre dans le deuxième volet, Santa Fe, à bord d’un paquebot qui accoste le port de New York. Ironie cruelle, après avoir échappé à tous les périls de l’Europe, Ferry se noie près de la Statue de la Liberté en voulant sauver une réfugiée, laissant la place de personnage principal à un compagnon de traversée, Freddy, lui aussi jeune, autrichien et juif. Chassés d’Europe, les juifs germanophones trouvent aux Etats-Unis un paradis illusoire. Ces exilés se heurtent tour à tour à l’antisémitisme ou à la méfiance de ce qui est germanique. L’atmosphère humoristique et désenchantée de ce volet rappelle l’extraordinaire roman d’Edgar Hilsenrath, Fuck America, même si le ton de Troller et Corti est moins iconoclaste. Freddy rêve du soleil et des cactus de Santa Fe comme d’une page blanche où il pourrait repartir à zéro. Mais on ne se réinvente pas si facilement quand

on a passé les seize premières années de sa vie à Vienne. Le film du retour à Vienne (3e partie, Welcome in Vienna) est celui des retrouvailles avec un pays irrémédiablement transformé par les années de guerre et le noir souffle nazi. Atmosphère de reconstruction difficile au milieu des gravats, dénazification, anciens

tortionnaires ou collabos reconvertis agents anticommunistes ou trafiquants. Même ceux qui voudraient passer à l’Est déchantent : extraordinaire séquence dans un terrain vague avec une apparatchik soviétique. Le monde d’avant-guerre et la Vienne juive ne sont plus. Autrichien non juif, Axel Corti a voulu filmer cette histoire “non pour faire

la morale, mais pour raconter une histoire d’êtres humains” et pour en finir avec le refoulement autrichien. Troller, de son côté, souhaitait montrer l’ironie et l’absurdité de cette époque : “En France, on nous considérait comme des parasites qui prenaient le travail des autres bien qu’avoir un emploi nous était défendu ! Les autorités du camp préféraient les nazis à nous. On rendait à l’Allemagne des ennemis dangereux tandis qu’on nous gardait en détention, nous qui n’avions qu’un seul désir, nous battre pour la France.” Cette amère ironie traverse une fresque humaine et historique digne des plus grands romans, marquée du sceau de la vérité et de la complexité, alliant sobriété stylistique et retenue (donc puissance) émotionnelle, déroulant tout du long une grandeur qui ne la ramène jamais. Serge Kaganski Welcome in Vienna (1 – Dieu ne croit plus en nous ; 2 – Santa Fe ; 3 – Welcome in Vienna) d’Axel Corti, avec Gabriel Barylli, Johannes Silberschneider, Barbara Petritsch, Armin Mueller-Stahl (Sui., Aut., RFA, 1982, 1985 et 1986, 1 h 49, 1 h 58 et 2 h 07)

Liberté, la nuit

2 films de Philippe Garrel Liberté, la nuit Moira Shearer

avec Christine Boisson, Maurice Garrel, Emmanuelle Riva (Fr., 1983, 1 h 30)

Les Chaussons rouges

La Cicatrice intérieure

de Michael Powell et Emeric Pressburger

avec Pierre Clémenti, Nico (Fr., 1970, 1 h)

avec Marius Goring, Anton Walbrook, Moira Shearer (G.-B., 1948, 2 h 10)

Deux grands Garrel réunis : un beau film politique sur la guerre d’Algérie et un chef-d’œuvre psyché. Les films Le cinéma de Garrel, c’est avant tout la modernité au présent, des films voués à une éternelle jeunesse, réfractaires à l’embaumement muséographique, malgré leur proximité revendiquée avec la peinture, et pas n’importe laquelle (Ingres, Titien, Georges de La Tour). Dans Liberté, la nuit (1983), le cinéaste délaisse l’autobiographie pour aborder un épisode honteux de l’histoire de France, la guerre d’Algérie, les porteurs de valises du FLN, les attentats de l’OAS. Garrel filme ce sujet politique sous l’angle de la relation amoureuse, de la filiation et de la famille. Ses interprètes sont Maurice Garrel (son père, figure récurrente de ses films), Emmanuelle Riva, héroïne d’Hiroshima mon amour, et Christine Boisson (Identification d’une femme). Le noir et blanc change de texture, les images se figent et le mouvement se décompose lors des deux scènes de meurtre, glaciales, qui ponctuent le film. Lorsqu’une femme est fauchée par une rafale de mitraillette, sur une route de campagne française, jaillit le souvenir de Rome, ville ouverte de Rossellini et d’Anna Magnani brisée dans son élan par les balles allemandes. Garrel est “l’enfant secret” du cinéma moderne européen, dont il alimente la flamme dans ses propres films. Les DVD A Liberté, la nuit s’ajoute dans le même ensemble éditorial La Cicatrice intérieure, acmé du Garrel expérimental seventies, chef-d’œuvre en liberté et précurseur en errance et en angoisse des expériences contemporaines de Gerry ou The Brown Bunny. Olivier Père

Toute la liberté du monde dans un petit chausson de couleur. Un enchantement rouge feu. Le film Lorsqu’un personnage se Dans cette version restaurée, les met à pirouetter au cinéma, dansecoloris ocres, la teinture artificielle t-il sa vie ou au contraire la fuit-il ? des chevelures, l’épaisseur Prolonge-t-il sa belle vie par la terreuse des peaux masculines, danse ou inverse-t-il sa vie laide en les teintes sourdes, le jeu bien ? D’un côté, on aurait les films grimaçant des acteurs, la matière où la danse et la vie s’accordent pâteuse des plans mettent en valeur harmonieusement, main dans paradoxalement l’envol de la danse, la main, de l’autre des films où comme arrachée au poids de la la danse s’oppose comme remède terre par la grâce de ces chaussons à la vie. Le duo Powell/Pressburger, au rouge flamboyant. Dans son auteurs de films au charme prochain film, Vous n’avez encore biscornu, bizarrement chargés, rien vu, aux décors powelliens, et dont les héritiers revendiquent Alain Resnais est à la recherche eux-mêmes une outrance d’un rouge mystérieux, opératique (Scorsese et son Shutter un “rouge qui vibre”. Danser, Island, Aronofsky et son Black Swan, serait-ce s’émanciper des lourdeurs De Palma et son Phantom of the tragiques de la vie terrestre ? Paradise), livre avec Les Chaussons Le DVD Rencontres avec rouges son film le plus ophulsien les collaborateurs du film, ainsi (cf. Lola Montès), rejoignant ainsi qu’avec Thelma Schoonmaker, la famille de ces films sur l’art où épouse du cinéaste et monteuse une certaine ingratitude plastique de Scorsese. Axelle Ropert acquiert une forme de splendeur. Carlotta, environ 20 €

La Vie au ranch

4 films de Sophie Letourneur La Vie au ranch ; Manue Bolonaise ; Roc et Canyon ; La Tête dans le vide Les débuts d’une réalisatrice très prometteuse. Les films Dans le vivier de jeunes réalisatrices françaises apparues ces dernières années, deux axes se dessinent : l’un formaliste, fasciné 96 les inrockuptibles 30.11.2011

par les corps et le cinéma américain (Céline Sciamma, Rebecca Zlotowski) ; l’autre plus littéraire, disciple de la langue de Rohmer. Révélée l’année dernière avec le très beau La Vie au ranch, Sophie Letourneur appartient à cette dernière depuis ses premiers courts et moyens métrages. C’est le verbe (amoureux) qui fait tourner son jeune cinéma, dont la nonchalance documentaire dissimule une science très précise de l’écriture, un art assez unique du discours teen. C’est la parole heurtée, moderne et parfois confuse qui, des gamines de Manue Bolonaise aux tourbillons ado du sublime Roc et Canyon (chronique façon docu-fiction d’une colonie de vacances), semble recomposer les pièces, futiles et essentielles, d’une autobiographie. Les DVD Pas de bonus. Romain Blondeau Shellac Sud, 2 DVD, environ 25 €

Collection “Deux films de”, Why Not Productions et France Inter, environ 25 €

la grande illusion Aventures surprenantes, action trépidante, questions passionnantes : Uncharted 3, possible jeu de l’année, provoque l’émerveillement.

L  rencontre le Forum des images reçoit Philippe Ulrich Vétéran de la création vidéoludique française, Philippe Ulrich est l’un des invités d’honneur du Carrefour de l’animation, organisé pour la neuvième année au Forum des images de Paris, du 1er au 4 décembre. Le père de L’Arche du Capitaine Blood, cofondateur du défunt éditeur Cryo Interactive (1992-2002), par ailleurs écrivain et musicien, viendra évoquer sa riche carrière et son nouveau projet, annoncé pour 2012 : le jeu Captain Blood Legacy. le 4 décembre à 16 h 30 www.forumdesimages.fr 98 les inrockuptibles 30.11.2011

’aventure possède bien des noms : Ulysse, Tintin, Indiana Jones… Au pays des jeux vidéo, elle se fait désormais appeler Nathan Drake, héros savamment décoiffé et honnêtement musclé de la merveilleuse saga Uncharted. Merveilleuse parce qu’elle trouve un équilibre parfait entre l’inspiration ludique et les nécessités commerciales, mais aussi parce que son récit et, plus profondément, le regard qu’elle invite le joueur à poser sur son monde obéissent à une seule logique : l’émerveillement. Jusqu’à y perdre la raison – ce troisième épisode ne s’intitule pas L’Illusion de Drake par hasard. Une séquence tardive (le dix-huitième des vingt-deux chapitres, pour être précis) est significative. Nathan erre dans le désert, seul, perdu. Il titube, à bout de forces. Croit voir une oasis, entend des voix. Le joueur ne sait plus s’il est acteur ou spectateur, si ses actes ont encore une importance. D’ailleurs, il ne peut pas faire grand-chose, sinon avancer, chercher son chemin sous le soleil, sous les étoiles, les couleurs changent, le jeu se replie sur lui-même. A plusieurs reprises, nos possibilités d’action sont ainsi réduites et nos perceptions, troublées. Uncharted 3 nous ôte un peu de nos pouvoirs (courir, grimper, tirer, cogner), et l’aventure se niche alors dans un espace imprévu : celui subtilement créé entre la volonté (triompher des épreuves, être le plus riche, le plus beau, le plus fort) et le pouvoir réel du joueur.

Ne pas en déduire que ce troisième Uncharted, qui travaille ses motifs (la chute, le rapport entre le tout petit et le très grand), tournerait le dos à l’épopée glorieuse. De fusillades sur un bateau qui tangue en courses éperdues dans les couloirs d’un château en feu, d’un ahurissant crash d’avion à une poursuite chevaux-camions, le cahier des charges spectaculaires est largement rempli, et les moments forts ne le sont pas qu’un peu. Il y a cependant des temps délibérément faibles, des instants d’impuissance, de fébrilité. Attentifs à la conversation qui se tient entre le cinéma et le jeu vidéo, les développeurs de Naughty Dog rebondissent moins sur les affirmations que sur les questions, s’arrêtant sur les états limites, les incertitudes – est-ce moi qui mène la danse ou la fiction qui se joue de moi ? Il est un dernier point sur lequel on ne tranchera pas tout de suite, mais Uncharted 3 est un candidat très sérieux au titre de jeu de l’année. Erwan Higuinen Uncharted 3 – L’Illusion de Drake sur PS3 (Naughty Dog/Sony), environ 70 €

monde libre Situé dans un univers sidérant, un jeu de rôle qui donne envie de ne jamais en sortir. e pas se fier aux le but est ici de devenir magique déclenchera premières le citoyen d’un monde bien la gauche. On voulait juste séquences. étrange, de découvrir, ahuri, cueillir des fleurs, mais Le personnage que des lieux étonnants alors un loup nous attaque – il l’on a créé (une jeune elfe qu’on se croyait perdu dans faut bien se défendre, non ? disgracieuse, mais ce les montagnes, de tenter Normalement, on devrait pourrait être une créature des trucs et de décider avoir pour objectif bien différente) échappe en son âme et conscience de progresser dans le jeu, de justesse à la décapitation. si, oui ou non, on dérobera puis de le terminer. Mais Il y a du feu, des cris et les rares possessions là, on ne demande qu’à un incroyable dragon surgi de cette aimable vieille l’habiter, aussi longtemps d’on ne sait où. La suite sera dame qui a trouvé refuge que faire se peut – et, si plus calme ou, en tout cas, au fond des bois. possible, à ne pas l’épuiser. plus dépendante des choix Jouer un rôle, Voilà bien une preuve du joueur. Car ce nouveau littéralement, et observer supplémentaire que volet de l’éminente saga comment le peuple Skyrim est une œuvre très rôliste The Elder Scrolls, de Skyrim réagit à nos spéciale. E. H. qui corrige les erreurs de actions : voilà le véritable The Elder Scrolls V – Skyrim l’imparfait (mais néanmoins intérêt de ce sommet sur PS3, Xbox 360 et PC fascinant) Oblivion et auquel du RPG (role playing game) (Bethesda), de 50 à 70 € il fait suite deux cents ans occidental. Les possibilités plus tard, propose sont immenses – on gère une expérience de jeu l’évolution de notre éminemment malléable. personnage, et pas Plus que de triompher seulement en choisissant de l’aventure scénarisée de quelle arme tiendra notre façon assez conventionnelle, main droite et quel pouvoir

 N

Mario & Sonic aux jeux Olympiques de Londres 2012

Call of Duty – Modern Warfare 3 Sur PS3, Xbox 360, PC et Wii (Infinity Ward/Sledgehammer/ Activision), de 45 à 70 € Très spectaculaire et parfaitement rythmé en solo, d’une richesse inépuisable en ligne, le nouveau Modern Warfare respecte son cahier des charges et, bien que toujours américanocentré, s’attache à ne fâcher personne (ne visez pas les civils, amis fous de la gâchette). C’est le plus gros jeu du monde, mais toujours pas le plus audacieux.

Sur Wii (Sega), environ 50 €. A paraître sur 3DS Le temps passe : la réconciliation des vieux rivaux a eu lieu il y a déjà quatre ans. Après Pékin 2008, Mario, Sonic et leurs compères gagnent Londres pour de nouvelles (et plus nombreuses : on en compte une trentaine) épreuves sportives. Rien de révolutionnaire mais la formule se prête toujours aussi bien aux agapes vidéoludiques.

30.11.2011 les inrockuptibles 99

BIRDY HUNT, à gauche, en chemises à carreaux, chemises bleues et jeans bleus Levi’s® THEODORE, PAUL & GABRIEL, à droite, en chemise et jeans bleus, T-shirt blanc et jeans délavé, chemise rayée et pantalon velour écru Levi’s®

www.lesinrockslab.com

le concours de découvertes musicales

merci aux finalistes du mois de novembre

Théodore, Paul & Gabriel et Birdy Hunt pour leur concert à la soirée Inrocks Lab Party du 15 novembre 2011 à La Flèche d’Or – Paris

THEODORE, PAUL & GABRIEL ep

The Silent Veil déjà disponible

album à paraître en mai 2012 concerts à venir début 2012

BIRDY HUNT ep

BIRDY HUNT pt. II disponible

album

BIRDY HUNT pt. III

à paraître en mars 2012

concerts 25/11/11 à Vauréal / Le Forum 02/12/11 à Cergy-Pontoise / L’Observatoire (première partie de Puggy)

06/12/11 à Paris / Centre FGO (audition découvertes du Printemps de Bourges)

16/12/11 à Paris / Le Nouveau Casino (première partie de No One Is Innocent)

14/01/12 à Fresnes / MJC Louise Michèle

prochaine soirée Inrocks Lab Party le mardi 13 décembre 2011 à La Flèche d’Or – Paris (XXe) photo réalisée à La Flèche d’Or par Emma Pick

rejoignez la fan page Facebook Levi’s® pour être informé des concerts

des Trans haute couture Défricheuses et insoumises, les Transmusicales de Rennes affichent une fois encore une programmation éclatante. Et convient le collectif clermontois Kütu Folk le temps de cinq belles soirées.

 I Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

102 les inrockuptibles 30.11.2011

l y a quelques semaines, avec son album Ilo Veyou, niché dans une pochette joliment cousue, Camille replaçait la broderie au cœur du paysage musical. Si la démarche est délicate, on l’avait déjà aperçue ailleurs. Depuis cinq ans, le collectif clermontois Kütu Folk soigne le flacon et l’ivresse en publiant de beaux disques qu’il prend soin d’emballer dans de belles pochettes cousues à la main. Toujours désireuses d’exposer ceux que la FM néglige et que les charts ignorent, les Transmusicales de Rennes accueillent cet hiver l’équipe de Kütu Folk pour cinq soirées de concerts. Le plateau promet de beaux moments, faisant se côtoyer artistes déjà bien connus de nos oreilles

(Zak Laughed, The Delano Orchestra, St Augustine, Kim Novak) et nouvelles pousses. Parmi ces dernières, on retiendra notamment Soso, un Canadien résolu à acoquiner le hip-hop avec la pop et la soul – il devrait se produire entouré d’un quatuor à cordes et de musiciens du Delano Orchestra. Deux autres nouvelles signatures pourraient à elles seules justifier à la fois le billet pour Rennes et le principe de la galette saucisse. La première, nommée Garciaphone, est le projet du Clermontois Olivier Pérez. Biberonné à l’opéra et aux chansons populaires espagnoles par une maman originaire de Salamanque, le trentenaire a appris la trompette dès 6 ans et la batterie à l’adolescence.

De St Augustine àG arciaphone, le label Kütu Folk en force aux Trans

on connaît la chanson

Julien Mignot

le plateau fait se côtoyer artistes déjà bien connus de nos oreilles et nouvelles pousses

Etudiant, il quitte l’Auvergne pour poser ses valises au Mexique, puis en Norvège. “A Oslo, j’ai traversé une période de remise en question. Il fallait me rendre à l’évidence que je n’étais pas fait pour les études… La musique m’apparaissait comme la seule chose qui comptait. J’y ai écrit beaucoup de chansons et fait mes premiers concerts solo en tant que Garciaphone.” Un premier maxi, Divisadora, se charge aujourd’hui d’offrir aux amoureux de Midlake ou d’Elliott Smith la possibilité d’une grande romance. On l’écrit sans exagérer : depuis les Bordelais de Calc, la France n’avait pas connu prétendant aussi sérieux au trône

du royaume folk-rock. Mélodies en dentelle (Tornadoes, meilleure folk-song made in France de 2011 ?), guitares et mélancolie chipées à Grandaddy (les formidables Bad Shepherd et Blankets), production parfaite – ce jeune musicien qui avoue avoir beaucoup écouté Wilco et Bill Callahan cette année mérite sa place à leurs côtés. Autre jeune rejeton de la famille Kütu Folk, Dempster Highway publie au même moment son We Sail ep. Derrière ce nom emprunté à une route mythique du NordOuest canadien se cache Clément Fabre, un autre enfant du pays. Etudiant en architecture, musicien depuis l’enfance, le jeune homme a lui aussi choisi de voir du pays avant de coucher ses chansons sur bande. “J’ai fait un voyage d’un an au Texas. Je me suis affranchi de l’univers classique. Je vivais chez une famille fan de Grateful Dead, je baignais dans la culture musicale du SudOuest. J’allais tous les week-ends à Austin pour écouter les groupes jouer.” Conséquence directe de ce périple américain, Dempster Highway ment : son maxi a beau s’intituler “Nous naviguons”, c’est dans le sol, le bois, le bayou et la terre que s’ancrent ses belles ballades blues-rock amochées (All We Have ou Dear, à faire passer les Fleet Foxes pour de petits choristes imberbes). Le déplacement en Bretagne est vivement conseillé pour patienter jusqu’aux albums de ces probables héros de demain, prévus pour 2012. Johanna Seban concerts du 30 novembre au 4 décembre à Rennes (Aire Libre), avec The Delano Orchestra, Zak Laughed, St Augustine, Dempster Highway, Hospital Ships, Garciaphone, Evening Hymns, Soso, Kim Novak, Pastry Case www.kutufolk.com www.lestrans.com

4 artistes à voir Outre les soirées Kütu Folk, il sera indispensable de se déplacer aux Trans pour apprécier : SBTRKT Six consonnes pour ce collègue de Jamie xx et de James Blake qui sort des limites du dubstep sur un disque langoureux et humain, bien placé sur le podium de 2011. Ghostpoet Un jeune MC britannique encensé par

Mike Skinner prend la relève de Roots Manuva et de Burial sur un grand disque savant et mélancolique, où il fusionne dubstep, electro et rap. Breton Le nom parfait pour jouer aux Transmusicales de Rennes ? Pourtant, Breton vient de Londres. A la croisée des Streets et des Foals, mêlant electro cinglée, pop ronde et hip-hop désertique, les Anglais

dévoileront leur premier album, annoncé pour février. Juveniles La chance aux locaux : ils viennent de Rennes. Signés chez Kitsuné, les Bretons accrochent les cœurs avec une electro-pop emphatique et dansante qui ressuscite la moiteur des années Factory. We Are Young, promet le single. Pourvu que ça dure.

folk off En se crispant sur ses dogmes et en se réfugiant dans les MJC, le folk est devenu une musique sans joie et sans enjeux. On ne va pas ressortir du formol frelaté les dissidents dissipés de l’antifolk, association de faux incompétents aux ambitions primitives : pour quelques authentiques génies du peu (Adam Green, Jeffrey Lewis…), combien d’opportunistes, de tocards et d’impuissants ? On ne va pas non plus s’aventurer du côté du folktronica, mouvement geekard par excellence, au nom duquel des garçons évaporés mélangent, pleins d’ennui, guitares fluettes et laptops évasifs. On ne va même pas chercher refuge auprès des grands orfèvres, car en 2011, même eux ont un peu déçu – on parle pourtant de songwriters de la trempe de Bon Iver ou de Fleet Foxes. Bref : en 2011, on s’est un peu emmerdé dans le folk. On s’y attendait : en devenant une destination touristique aussi courue, le folk allait fatalement attirer les badauds low-cost qui déboulent sans idées, sans bagage, juste parce que ça paraît simple et dans l’air du temps. Retour à la MJC, ses dogmes, son orthodoxie, ses barbes fleuries, ses bardes flétris. Musique à la chaîne, flasque comme un flan, alors qu’elle peut être si belle en haillons délabrés, en satin raffiné – en extrêmes assumés (comme, par exemple, chez Kütu Folk, ci-contre). Là, c’est le centre qui l’emporte, consensus mollasson qui n’en finit pas de produire inlassablement des sous-Elliott Smith, des ersatz de Cocoon, des miettes de Sufjan Stevens. Du coup, l’écriture folk, ce vertigineux concentré d’histoires au coin du feu et de mélodies remontées des siècles, on l’a retrouvée ailleurs en 2011, dans les recoins les plus cocasses, dans l’electro jouisseuse de Justice, la musique planante de Jono McCleery ou le rock déchiqueté des magnifiques Trailer Trash Tracys. Elle a beau se cacher, se grimer, on l’a reconnue. Elle avait juste demandé l’asile poétique.

JD Beauvallet 30.11.2011 les inrockuptibles 103

Donald Christie

Fredo Viola, nouvelle aventure

Leonard Cohen, Old Ideas en janvier Les choses se précisent un peu concernant la sortie très attendue du successeur de Dear Heather, paru en 2004. Old Ideas, douzième album studio de Leonard Cohen, 77 ans, sortira le 30 janvier chez Sony et sera “sans doute son album le plus ouvertement spirituel”. “Les dix chansons de l’album abordent poétiquement quelques-uns des plus profonds dilemmes de l’existence humaine – la relation à un être transcendantal, à l’amour, la sexualité, la perte et la mort”, révèle un communiqué de presse, qui précise aussi l’arrivée d’un premier extrait, Show Me the Place, sur le site officiel du Canadien. www.leonardcohen.com

François Olislaeger

cette semaine

Le Point Ephémère dévoile l’expo Music Covers Du 2 décembre au 14 janvier, la salle parisienne le Point Ephémère abritera l’exposition Music Covers, pendant laquelle cinquante dessinateurs, illustrateurs, écrivains et peintres – dont, entre autres, Renaud Monfourny, Luz, Arnaud Viviant et Space Invaders – revisiteront les pochettes de vinyles qui les ont marqués. www.pointephemere.org

Black Lips, nuits blanches Une fois n’est pas coutume : les barjos Américains dépassent le périph pour une série de concerts à travers la France. Une bonne occasion d’aller pogoter à domicile au son des bombes “flower punk” de leur dernier album, Arabia Mountain. les 4 et 5 décembre à Paris (Maroquinerie), le 6 à Bordeaux, le 7 à Clermont-Ferrand, le 8 à Lyon et le 9 à Tourcoing

Notre ami Fredo Viola, révélation pop en 2009, n’a plus de maison de disques mais sa musique va bien, merci pour elle. Et il le prouve en proposant deux nouvelles chansons en ligne : A New Adventure et Rain or Shine. La première est une chanson pop dans la lignée de l’album The Turn, avec des enfants. La seconde est tirée d’une improvisation de vingt-sept minutes. Les deux sont magnifiques. www.fredoviola.com

le printemps de Tyler, The Creator On n’arrête plus le sale gosse du rap américain, qui annonce déjà, dans son langage fleuri, le successeur de Goblin. Intitulé Wolf et prévu pour mai 2012, le second album du meneur de jeu du collectif Odd Future, que l’on sait en ce moment même en studio avec Toro y Moi et Frank Ocean, parlera “de thune et d’acheter des trucs”, comme il l’a confié au magazine américain Spin, avant de rajouter : “Parler de viol et de corps découpés ne m’intéresse plus… Ce que je veux, c’est faire de la musique de hippie chelou

neuf

Can

L’artwork du 45t de ces Strasbourgeois ressemble à une pochette surprise. La musique aussi : jouée sur des instruments chinés sur e-Bay, Milky Way est un trésor de nostalgie électromantique, élancé et rétrofuturiste comme la fusée de Tintin : on pense aux meilleures pop-songs de Saint Etienne. luneville.blogspot.com 104 les inrockuptibles 30.11.2011

Venus de Brooklyn où l’on ne compte plus les pâles copies de MGMT, ces quatre gamins défroqués prennent la tendance à contre-pied en ressuscitant les mélodies cheesy des eighties. Voix diaphanes, beats dignes d’une BO de film érotique : l’electro-pop planante de Body Language parle, comme son nom l’indique, au corps plutôt qu’à la tête. bodylanguage.bandcamp.com

Vincent Vanoli Dans son très beau livre mélancolique Songs to Learn and Sing, l’auteur de BD Vincent Vanoli illustre des souvenirs de concerts, de rencontres ou de disques chéris racontés par quelques experts en bruit et fureur, du Français Philippe Dumez au légendaire journaliste anglais Everett True. www.vincent-vanoli.fr

Quarante ans après, le premier album du groupe cofondé par Irmin Schmidt s’offre une réédition magistrale dans son artwork original sur le label Mute. Influence majeure de la scène krautrock et de groupes contemporains – de Radiohead à Sonic Youth –, Tago Mago sera suivi de la sortie début 2012 d’un coffret réunissant les quatorze albums de Can. www.spoonrecords.com

Hildegard Schmidt

Body Language

Lunéville

sur laquelle les gens peuvent se défoncer. Pour ce troisième album, j’ai de la thune et je traîne avec mes idoles. Je ne peux pas rapper sur les mêmes merdes.”

vintage

Matt Barnes

Drake le magicien Avec un deuxième album-fleuve et sensuel, le Canadien Drake enfonce, avec le doigt, le clou d’un hip-hop léthargique.

V  

oilà maintenant plus de trois ans, et la sortie de sa première mixtape mégabuzzée sur le net, qu’on présente le Canadien Drake comme le futur immédiat de la musique. Après un premier album idéal en 2010, Thank Me Later, qui installait le jeune homme (25 ans aujourd’hui) et son hip-hop léthargique dans la plus grande douceur, la question de la suite était forcément épineuse. Car, disons-le honnêtement, l’avènement annoncé tarde un peu, et la concurrence n’a pas hésité à montrer les dents. Jay-Z et Kanye West, par exemple, après avoir poussé l’enfant aux fesses, l’ont un peu zappé pour leur superproduction de l’été, lui préférant – même dans la douleur – le lover

Frank Ocean dans le même registre (en gros, celui de la voix qui aide les filles à se mordre un peu la lèvre). Message simple : à toi de jouer, mon grand, désormais. Voilà peut-être pourquoi Drake, qui imaginait forcément le terrain un peu glissant et semé d’embûches, a intitulé son disque Take Care (“Fais attention”). Voilà sans doute aussi pourquoi il a mobilisé autour de lui une équipe rapprochée : Lil Wayne – avec qui il travaillerait actuellement en duo à la réplique du Jay-Z/Kanye –, Nicki Minaj et Rihanna, ses homie lovers de Toronto The Weeknd, le revenant toujours cool André 3000 et le poids lourd du hip-hop mondial Rick Ross, dites Ricky Rozay (à noter aussi la présence plus discrètede Gonzales à la production sur deux morceaux et de Jamie xx sur le single). Il fallait bien ce crew compact pour tenir la distance – d’un deuxième album déjà, mais surtout de ce projet pharaonique qu’est Take Care. Drake, en effet, n’a pas choisi la simplicité. Il a décidé, pour ce nouvel essai, de construire une véritable cathédrale. Le disque est long, culotté,

dégage une sensualité folle. A la première écoute, difficile de dégager des titres forts. On se laisse plutôt happer par cette tension futuriste et un peu vaudoue 2.0 qui voudrait que les habits des gens qui vous entourent quittent leur corps d’une manière ou d’une autre. Take Care, c’est la BO d’une soirée jacuzzi quelque part en Amérique du Nord. Une soirée à l’érotisme tout calculé, où l’on garde son slip et où l’on emballe dans les règles, où le respect des conventions reste de mise (Drake n’est pas ce vieux dégueu de Snoop, il est quand même capable de dire des trucs un peu réac entre deux punchlines, genre “sois cool avec tes voisins”). Voilà l’ambiance générale ressentie, avant de se prendre en pleine tête, au bout de vingt écoutes (encore faut-il passer le cap, c’est du boulot), des missiles doux comme Lord Knows (Rick Ross est extatique), Crew Love (pour vous les filles), Look What You’ve Done (pour toi que ta meuf va quitter en 2012), HYFR (si la collab à venir avec Lil Wayne est de ce niveau, on commande direct), l’entêtant Under Ground Kings ou encore Over My Dead Body et The Ride, ces morceaux d’intro et de conclusion sur lesquels Drake pose un flow parfait. Une fois Take Care apprivoisé, et c’est peut-être ce que l’auteur cherchait, on ne se pose plus aucune question sur l’avenir hypothétique de Drake, ni même de son disque : on se contente de le passer simplement, de s’affaler dedans, sans attendre quoi que ce soit d’autre qu’une prise nouvelle. C’est peut-être le propre d’un album pas facile, mais au final réussi. Pierre Siankowski album Take Care (Young Money/Barclay/Universal) www.myspace.com/drake en écoute sur lesinrocks.com avec

Alberto Garcia-Alix

“mon rôle, c’est de mettre en poésie et en musique les oubliés de la société”

sur un nerf de tango Chantre des bas-fonds de Buenos Aires, Melingo revient avec un album sur lequel planent très haut l’argot des faubourgs et une voix entaillée.



Paris, Daniel Melingo se sent chez lui. A peine débarqué d’un vol en provenance de Buenos Aires, il sirote tranquillement son maté dans un appartement du Xe arrondissement, dans un quartier qui lui va comme un gant. En bas de l’immeuble, des SDF ont installé leur literie de fortune, et sous le soleil pâlichon de fin novembre le boulevard ne semble plus vouloir charrier qu’un flot interminable de déchéance sociale. Dépaysé ? Comment Daniel le serait-il, lui le tanguero des exclus, le milonguero des ratés ? Lui dont le précédent album, Maldito tango, délivrait le saisissant portrait d’un cartonero, prototype du paumé de la capitale

106 les inrockuptibles 30.11.2011

argentine vivant dans les rues sous un empilement de cartons, sniffant de la colle et se nourrissant de détritus récupérés dans les poubelles… “Mon rôle, en tant qu’artiste, c’est de mettre en poésie et en musique les oubliés de la société”, assène cet ancien chanteur de rock qui, passé au tango, a trouvé dans l’ironie des poètes des bas-fonds de Buenos Aires, tel Luis Alposta, le parfait ingrédient pour nourrir des chansons jubilatoires avec des tranches de vie empoisonnées. Ainsi, on rirait presque du sort pourtant pitoyable réservé à ce jeune détenu devenu malgré lui “la fiancée” d’une prison, proie après laquelle tout le monde court “comme des chiens se ruent sur l’os”, et mis en scène par Daniel dans La Novia, valse

ricanante de son nouveau recueil Corazón & hueso. Ce monde où se culbutent surineurs, malfrats, taulards, prostitués et épaves en tout genre, il n’a jamais vraiment eu à l’étudier. Ayant grandi entre Parque de los Patricios et Plaza Miserere, il a côtoyé dans sa jeunesse tout ce que Buenos Aires peut compter de personnages troubles et malfaisants. “Dans ces quartiers, il suffit de pousser une porte pour trouver une histoire à mettre en musique.” Certains, comme Lucio el Anarquista (Lucio l’Anarchiste), émigré italien qui fit partie de ”la faune peuplant l’univers halluciné du tango”, ont vraiment existé. En lui rendant hommage, Melingo paie ses dettes envers tous ces auteurs oubliés

qui au début du XXe siècle utilisèrent le lunfardo à des fins poétiques. Argot des faubourgs, langage crypté de la crapule, le lunfardo est devenu depuis l’une des composantes essentielles du tango chanté. Daniel en a fait le véhicule de son art de fabuliste, au point d’insister pour que figure un glossaire en fin de livret, où l’on apprend que “vagabond” se dit “bichicome” et “insultes”, “puteadas”. Son autre accessoire d’artiste c’est évidemment cette voix canaille qui semble avoir mariné en pleine fange pendant des siècles. Aussi burinée qu’un visage de mendiant, aussi lardée d’entailles qu’un établi d’ébéniste, aussi couverte de puces qu’un clebs errant, elle nous rassure. Théâtrale à souhait, souvent comparée à celle de Tom Waits, elle partage avec la bosse de Quasimodo et le nez de Cyrano le privilège d’être une excroissance existentielle, une preuve de vie dans un monde qui s’émiette dans le virtuel. Or, si par son importance le nez de Cyrano a pu être comparé à une péninsule, la voix de Daniel mérite d’être envisagée comme une cour des miracles. Gueux, tapins, borrachos et tontos s’y empoignent. Truculence et nostalgie, méchanceté et tendresse s’y noient dans le même verre au son du chamamé, de la cueca et du tango, obsessions de toujours, troussés par son fidèle orchestre, Los Ramones del Tango. On est loin de l’exercice de style passéiste. A deux pas de l’exorcisme de fin du monde. Francis Dordor album Corazón & hueso (World Village/Harmonia Mundi) concerts les 2 et 3 décembre à Paris (Café de la Danse) www.danielmelingo.com

Sallie Ford & The Sound Outside

Simon Frederick

Dirty Radio Fargo/Naïve

Buraka Som Sistema Komba Enchufada/Module Au Portugal, cette troupe paillarde ne pense qu’à la crise. De rire. lliage toxique de basses africaines, un voisinage musical international, jetant de ragga et de techno, la nouvelle dans une même marmite rap, ragga, grime, livraison du sound-system zouk, samba, electro ou techno. portugais se pose moins comme Flanqué de la chanteuse Sara Tavares ou un disque de producteurs enfermés de l’Anglaise Roses Gabor, Buraka invente en studio, écueil du précédent, que comme une free-party à tiroirs habitée de gimmicks une bande-son de plein air. Komba, c’est au ras des pâquerettes et de claviers enfin la grande teuf joyeuse et sauvage, insistants, de basses roteuses et de beats la fête des genoux pétés, le Noël du cul saturés, à l’image de l’irrépressible en transe, entraînant sur les plages Hangover, taillé avec le cruncher-roi de Lisbonne une armée de fêtards venus Stereotyp, ou de la transe ahurissante du d’un millier de chapelles. single Up All Night. Enlevez vos doudounes, Car les breaks des trois producteurs c’est l’hiver ! Thomas Blondeau regorgent de chemins de traverse, de décrochages rythmiques et de codas www.myspace.com/burakasomsistema défoncées du bulbe qui explorent en écoute sur lesinrocks.com avec

 A

Cette semaine aux Trans, une Américaine qui swingue comme une reine. Sallie Ford est ultra millésimée, façon institutrice américaine des années 50 à lunettes d’écaille. Elle a peut-être de la naphtaline au fond des poches, mais heureusement elle a aussi un bâton de dynamite dans la gorge, et c’est parfait pour chanter le pré-rock’n’roll, teinté d’une légère touche de modernité. Entre Imelda May et Kitty, Daisy & Lewis, Sallie Ford se hisse à force d’acrobaties vocales sur le podium du revival qui swingue. Stéphane Deschamps concert le 2 décembre à Rennes (Transmusicales) www.sallieford.com en écoute sur lesinrocks.com avec

Marcus Maschwitz

Dear Reader Idealistic Animals City Slang/Pias La pop orchestrale d’une Sud-Africaine faite pour les grands espaces. Chaque chanson d’Idealistic Animals porte le nom d’une créature du bush sud-africain : ce n’est pas un hasard puisque Dear Reader, ce “lecteur” si cher à Charlotte Brontë, vient de Johannesburg. Vient, ou plutôt venait puisque, après avoir mené sa barque en trio, le groupe n’est désormais plus que le projet solo de sa chanteuse exilée à Berlin, Cherilyn MacNeil. Ce troisième album poursuit la construction de l’immense cathédrale pop orchestrale que The Younger et Replace Why with Funny avaient commencée. Epaulée par l’ex-Menomena Brent Knopf, cerveau fertile de Ramona Falls, elle a ciselé avec précision chaque corde, chaque note, élevé avec gravité chaque pierre d’Idealistic Animals. Plus sinueux que ses prédécesseurs, plus précieux encore, l’album fait figure d’épopée, de symphonie bâtie pour les grands espaces – un voyage au bout du monde sans bouger du canapé. Ondine Benetier dearreadermusic.com

Cant Dreams Come True Terrible Records/Warp Un Grizzly Bear + un Twin Shadow = love mais pas peace. La première fois qu’on (She Found a Way out), a vu Grizzly Bear sur scène, l’un des plus casse-cou on s’est d’emblée dit et émouvants de l’année. que Chris Taylor, la gueule A un ou deux dérapages de chérubin qui joue philcollinesques près. Benjamin Mialot du flûtiau, était le plus doué de la bande. Bonne pioche : www.terriblerecordsus.com le disque qu’il vient de publier avec George “Twin Shadow” Lewis sous le nom de Cant est, entre pop-songs saturniennes à la Radiohead (Rises Silent) et industrialisme 80’s façon Throbbing Gristle 108 les inrockuptibles 30.11.2011

SuperBravo A Space without Corner Les Disques Bien/ Abeille Musique

La chanteuse d’Holden en solo, sur une pop qui ne veut que la joie. Le titre de l’album – “Un espace sans coin(s)” – ne ment pas : aucune encoignure sur laquelle s’estropier dans cette pop moelleuse et douce. On y reconnaît la voix d’Armelle Pioline, d’Holden, dont les chants en méandres espiègles et zébulons irradient ces chansons faussement minimales, vraiment animales (le grand JP Nataf est dans l’ombre). De la bubblegumpop des sixties à une new-wave de surboums eighties, tout le registre de l’allégresse est ainsi visité par ces pop-songs à la joie partageuse et conquérante. JD Beauvallet www.myspace.com/ superbravomusic

Wise Blood These Wings Loose Lips Records/Cooperative/Pias

Mariachi El Bronx Mariachi El Bronx (II) Wichita/Pias

Des punks de Californie jouent les mariachis, sans chichis. Des punks virés folkeux, on en connaît. Depuis 2009, les gringos californiens du groupe hardcore The Bronx font encore mieux en déposant les guitares électriques pour jouer de la musique mexicaine traditionnelle. Leur second album, bien que chanté en anglais, est une éclatante réussite, explosion de cordes et de cuivres virevoltants, comme dans les meilleurs orchestres. Une déclaration d’amour emballante aux racines hispaniques de Los Angeles. Stéphane Deschamps concerts le 2/12 à Paris (Point Ephémère), le 3 à Mulhouse (festival TGV Generiq) www.mariachielbronx.com en écoute sur lesinrocks.com avec

De Pittsburgh, la pop possédée d’un jeune Américain ambitieux. Visage planqué derrière des flous savamment travaillés, informations et images cryptiques sur son site, le jeune homme n’a pour l’instant dévoilé qu’un premier ep déroutant, hybride de pop, d’electro, de chants gospel découpés à la lame de couteau et d’extraits de films. Comme son créateur, These Wings avance souvent masqué. D’une sensualité inquiétante (Penthouse Suites), il rampe, miaule à la mort et ronronne pour séduire. Il se tapit dans les coins les plus sombres, yeux brillants dans la nuit, pour sauter brutalement à la gorge. De sa morsure, on ne ressort pas indemne : Loud Mouths obsède autant qu’elle brûle les artères. Ondine Benetier www.myspace.com/hazemotes en écoute sur lesinrocks.com avec

Bertrand Betsch Le Temps qu’il faut 03h50/MVS Anticraft Enregistrées en couple, des chansons inconfortables et solitaires. De ses initiales BB, qui peuvent vouloir dire mélancolie et considération amoureuse, Betsch signe son sixième album, en compagnie de Nathalie Guilmot (chanteuse, plasticienne, auteur et compagne). Sous intitulé revendicatif, de modestes flonflons encadrent des remontées d’enfance en sables émouvants, et une voix de tête égrène quelques faux souvenirs de cinéma. La nuit tombe sur une fête foraine, d’où ne perce plus que ce chant fragile et caustique, qui nous rappelle que nous sommes tous des figurants de la vie. Christian Larrède www.bertrandbetsch.fr en écoute sur lesinrocks.com avec

110 les inrockuptibles 30.11.2011

The Black Box Revelation My Perception Pias Un groupe flamand américain jusqu’au bout des ongles sales. Si leur blues-rock ne défiait pas les modes, on soupçonnerait les Black Keys et les Black Box Revelation de s’être mis d’accord pour faire l’actualité de cet automne. Ici, le duo flamand (le moins roots et le moins expérimenté des deux) présente les prises de sa dernière pêche dans le delta du Mississippi : du Led Zeppelin, quelques Rolling Stones, du Neil Young, un peu de Kinks. Du commun, donc, heureusement valorisé par une belle quantité de patate et d’enthousiasme. Benjamin Mialot blackboxrevelation.com en écoute sur lesinrocks.com avec

Composer The Edge of the World InFiné/Differ-ant Ce duo français a failli ne jamais voir le jour : ç’aurait été dommage. e titre de l’album n’est pas une galéjade : c’est bel et bien au bord du monde tel qu’on le connaît que se sont installés ces chercheurs français. Au bord du monde, en marge de tout : ce premier album est une expérience génétique qui a dégénéré et dépassé largement son cadre initial. A la base, rien ne prédisposait le laborantin Eric Raynaud à travailler avec le barbu folk Guillaume Eluerd. Les expérimentations de l’un n’ont rencontré le songwriting de l’autre qu’à l’occasion d’un dogme, presque un pari : celui du label InFiné de forcer deux étrangers à composer loin du monde pendant une semaine, avec un concert

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pour sceller au dernier jour cette blind date. D’abord par fichiers, puis en studio, la rencontre organisée est ensuite devenue duo de chair, vraie confrontation esthétique et humaine : chansons translucides, les pieds dans les nuages, qui évoquent régulièrement l’outre-pop de Brian Eno, président mondial de cette station spatiale d’épuration des sons. Comme chez l’Anglais (ou même chez Wyatt ou Talk Talk, autres possibles références), on sent le fascinant travail d’élimination, de soustraction dans cette pop élusive, dans cette electro fugueuse, dont la simplicité radieuse s’est gagnée à la sueur, au labeur. Ce qui n’empêche pas les ambitions titanesques, à l’image d’un Rooftop avec vue sur l’abîme. JD Beauvallet www.infine-music.com en écoute sur lesinrocks.com avec

Penguin Prison Penguin Prison Atmosphériques

Daniel Darc La Taille de mon âme Jive/Epic/Sony L’éternel rescapé du rock français parvient encore une fois à nous crever le cœur. e sachant séparé artistiquement autant qu’elle ravit. Malgré un départ de Frédéric Lo, qui orchestra engourdi (Ira), ce nouveau tour de force se son retour parmi les vivants avec déploie bientôt en une suite majestueuse le splendide Crèvecœur (2004) de chansons-travellings entrecoupées et le moins aimé Amours suprêmes (2008), de Variations parfois cocasses, dialogues on ne donnait pas cher de la peau tatouée de films ou de studios dans lesquels Darc de Daniel Darc. C’était mal connaître la n’est jamais plus émouvant que lorsqu’il force de résistance et l’appétit de combat s’amuse de sa légende cabossée. C’était de celui qui, depuis Taxi Girl, défie en mieux avant est en l’espèce un sommet, parallèle les lois de la médecine et celles poignant et hilarant à la fois – “J’ai peur de l’attraction pour toujours se sentir des noix de coco depuis Keith Richards, j’irai férocement en vie quand de la plupart en enfer avec Richard Hell”. Et Marimbert, de ses semblables des années poudreuses qui a aussi œuvré pour Christophe et pour ne restent que des cendres. le cinéma, a su trouver l’équilibre parfait Désormais en tandem avec Laurent entre chanson sous influence divine, Marimbert, revenu quant à lui d’enfers BO de film et rock racé (My Baby Left Me, encore plus terribles (2B3, Jenifer et Quelqu’un qui n’a pas besoin de moi), la plupart des purges musicales de la télé épousant chaque pas de ce rôdeurréalité), Darc en reprend pour quelques parleur-chanteur comme si la musique saisons et convoque le Céline de Mort avait été taillée à même sa carnation, à crédit – C’est moi le printemps, single sa démarche et sa diction si particulières. enjoué – pour mieux enfoncer le clou d’une Du très léger Les filles aiment les renaissance perpétuelle qui intrigue tatouages au plus profond Sois sanctifié, c’est sans doute l’album qui révèle le mieux Daniel Darc, son âme de maudit et son âme d’enfant entremêlées. Taille XXL. Christophe Conte

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Diaboliquement produite, mémorisable et dansante, une pop fatale. On ignore quelle peut bien être la prison dont parle le pseudonyme de Chris Glover, dont la liberté chérie s’étale sur dix chansons illimitées. Son goût pour le saut à la perche du coq à l’âne a déjà coûté un album à cet héritier de Prince, jeté aux oubliettes car jugé “trop bizarre”. Plus concentré sur le sujet de la fête que sur celui de la fusion suprême de tout et son contraire, il réussit ici l’album derrière lequel cavalent les Scissor Sisters – ou même le Beck le plus funky. Car face à Animal Animal ou à A Funny Thing, toute résistance sera vaine, voire absurde : comme chez The Ting Tings ou Calvin Harris, ses évidents confrères en diableries pop, ses chansons connaissent l’entrée secrète de votre mémoire vive, celle qui ordonne de siffler sous la douche et de pianoter sur le volant. Méfiez-vous, votre mélancolie est en danger. Lucie Dunois

concerts les 6 et 7 décembre à Paris (Collège des Bernardins) www.danieldarc.fr en écoute sur lesinrocks.com avec 112 les inrockuptibles 30.11.2011

www.penguinprison.com en écoute sur lesinrocks.com avec

The Field Looping State of Mind Walls Coracle Kompakt/Module

Los Campesinos! Hello Sadness Turnstile/Pias Les Gallois mixtes et agités se rapprochent de l’âge adulte : happy sad. endant longtemps, l’âge précoce de et moins systématiquement enthousiastes, ces Gallois excités fut un argument voires illuminées. de vente, notamment pour les A l’euphorie de l’insouciance succède soirées underage – où les indie-kids aujourd’hui la gueule de bois du passage dansaient comme si la série Skins à l’âge adulte (une rupture largement intronisait un été sans fin. Depuis 2006, commentée ici), le titre Hello Sadness étant Los Campesinos! ont bien sûr grandi mais assez révélateur de la façon dont ces leur musique n’a pas vieilli, conservant pop-songs aussi patraques que foutraques dans ce quatrième album sa fougue, son accueillent désormais la mélancolie impétuosité, sa façon bien à elle d’arriver à en amie, les bras ouverts, les poings pleine vitesse et sans freiner sur les refrains. en l’air et le moral (la morale, ça serait bien Une pop embouteillée de mille idées, une aussi) dans les chaussettes. JD Beauvallet pop à éjaculation précoce que ces garçons et filles ont appris à maîtriser, à sophistiquer www.myspace.com/loscampesinos en écoute sur lesinrocks.com avec même, sur des mélodies plus ambitieuses

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Deux albums éthérés rappellent la bonne santé du label allemand Kompakt. S’abreuvant aux mêmes sources (ambient, krautrock, shoegaze, musique sérielle), Walls et The Field distillent des morceaux, instrumentaux ou à peine parsemés de légères touches vocales, manifestement conçus pour placer l’auditeur en état d’apesanteur. A ce petit jeu, The Field se montre d’une redoutable agilité : fondées sur des motifs savamment mis en boucle et dotées d’une dynamique très organique, les flottantes compositions du projet mené par le Suédois Axel Willner planent très haut et procurent tout du long cette si délicieuse sensation du bord de transe. Jérôme Provençal www.kompakt.fm

Django Django La pop rénovée de Django Django est formidable formidable. oursuivi par une poisse cruelle (accidents, labels excentriques…), Django Django a plusieurs fois manqué son rancard avec une gloire promise et éprise. Comme ses aïeuls évidents de The Beta Band, qui eux aussi arrivèrent trop tôt et se firent piller sans vergogne par la suite de l’histoire, la troupe irlando-écossaise s’est spécialisée dans une dance-music cagneuse, assouplie de refrains angéliques et d’un psychédélisme bienfaiteur.

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Django Django

Waveforms Because

2012, comme 2010 et 2011 avant, devrait enfin être l’année de Django Django, avec un premier album où Beach Boys et LCD Soundsystem ont le même temps de parole, annoncé par un Waveforms qui réforme la pop en une matière gluante, joyeuse, mercurienne, obsédante. Go go, Django Django. JD Beauvallet www.djangodjango.co.uk en écoute sur lesinrocks.com avec

Mungo Park (United) Pilgrim Anciens chouchous CQFD, les Parisiens gagnent en ampleur sur ce single aux ambitions de titan, qui accueille sans cage quelques peluches sauvageonnes : le lyrisme d’Animal Collective ou l’insouciance effrontée des Brothers Four. Un groupe nommé d’après un personnage de T. C. Boyle mérite l’amour. www.myspace.com/mungoparkunited

The Ritch Kids Don’t Lie Ressorti à une échelle moins artisanale (les pochettes étaient toutes réalisées à la main sur le premier pressage), l’ep magique des Parisiens reste une bonne raison de danser de joie, de frotter cuir noir et dentelles sur un dance-floor arc-en-ciel. Que faut-il de plus pour que la pop française les accueille enfin en héros ? www.myspace.com/theritchkids

Suuns Red Song En plein automne, une chanson pour accélérer la venue du blizzard : lancinant, minimal, électronique, maladif et glacé, l’obsédant single des Montréalais est un hymne potentiel pour les immensités antarctiques. www.vimeo.com

The Lanskies Romeo  Porte-drapeaux d’une nouvelle scène normande aussi créative que bouillonnante, les Lanskies réchauffent l’ambiance de la cold-wave en une chanson. Héritiers de The Cure et des Stone Roses, ils inspirent l’entrain, la danse, la joie et le ravissement – le tout compilé dans Romeo, ep attrape-cœurs disponible. www.lesinrockslab.com/the-lanskies 30.11.2011 les inrockuptibles 115

dès cette semaine

4 Guys From The Future 8/12 Bordeaux Amadou & Mariam 14 & 15/1 Paris, Cité de la Musique Dick Annegarn 6/12 Cavaillon Arctic Monkeys 31/1 Paris, Casino de Paris, 3/2 Paris, Olympia, 4/2 Paris, Zénith Arthur H 2/12 Strasbourg, 9/12 Villejuif, 15/12 Agen

6/12 Bordeaux, 7/12 ClermontFerrand, 8/12 Lyon, 9/12 Tourcoing Breton 2/12 Rennes The Chase 21/1 Paris, Flèche d’Or

Austra 12/12 Bordeaux

Chateau Marmont 17/12 Saint-Ouen

Andrew Bird 6/3 Paris, Cigale, 8/3 Bruxelles

Coldplay 14/12 Paris, Bercy

The Black Keys 25/1 Paris, Zénith

Hollie Cook 1/12 Paris, Gaîté Lyrique

The Black Lips 4 & 5/12 Paris, Maroquinerie,

CSS 3/12 Paris, Gaîté Lyrique

Culture Pub on Tour jusqu’au 9/12 à Rennes, Toulouse, Lyon, etc., avec Poni Hoax, Housse De Racket, etc. Das Racist 6/12 Paris, Point Ephémère Django Django 14/2 Paris, Boule Noire Julien Doré 30/11 Nantes, 2/12 Mulhouse, 3/12 Cannes Baxter Dury 30/11 Tours, 1/12 Bordeaux, 2/12 Lyon, 4/12 Grenoble, 5/12 Belfort, 7/12 Besançon, 8/12 Evreux, 9/12 Strasbourg, 10/12 Paris, Maroquinerie, 11/12 Nantes, 22/4 Paris, Trianon

Echo & The Bunnymen 19/1 Paris, Bataclan Piers Faccini 15/12 La Rochelle, 16/12 Noisiel, 17/12 Brest, 20/1 Nancy, 21/1 Cormeillesen-Parisis, 22/1 VélizyVillacoublay, 3/3 Angoulême, 8/3 Bordeaux, 9/12 Porteslès-Valence, 10/3 Marseille, 15/3 Feyzin, 16/3 Hyères, 22/3 Paris, Trianon, 23/3 BoisColombes Feist 21/3 Paris, Zénith, 22/3 Lyon, 23/3 Lille Thomas Fersen 5/3 Paris, Olympia

Festival Les Aventuriers jusqu’au 16/12 à Fontenay-sousBois avec Gablé, Le Prince Miiaou, Yo Majesty, Mondkopf, Josh T. Pearson, The Legendary Tigerman, The BellRays, etc. First Aid Kit 7/12 Paris, Flèche d’Or Florence And The Machine 27/3 Paris, Casino de Paris Fruit Bats 10/12 Paris, Petit Bain General Elektriks 30/11 Paris, Cigale The Horrors 30/11 Lyon, 5/12 Toulouse, 6/12 Nantes, 7/12 Paris, Bataclan, 10/12 Tourcoing

aftershow

Jay-Jay Johanson le 21 novembre à Paris, Trianon Il y a quelques mois, Jay-Jay Johanson revenait à nos oreilles, après quelques albums passés plus ou moins inaperçus, avec Spellbound, un beau disque au costume et à l’élégance sobres. Se positionnant à mi-chemin entre son maître de toujours, Chet Baker, et Nick Drake, le Suédois signait le disque le plus épuré d’une carrière dont il célébrait par la même occasion les quinze ans, privilégiant l’acoustique à l’électr(on)ique, les guitares aux claviers. Sans artifices, touchant dans sa retenue, l’album réunissait assez de petites merveilles pour raviver la flamme dans nos cœurs. Sur la scène du Trianon, dont on salue au passage le cadre magnifique, Jay-Jay Johanson venait présenter la chose la semaine dernière lors d’un concert plus orchestré, moins acoustique. Très vite d’ailleurs, cela prit des allures de grand best-of. Des classiques d’antan (So Tell the Girls That I Am Back in Town, She Doesn’t Live Here Anymore, The Girl I Love Is Gone ou Milan, Madrid, Chicago, Paris) y côtoyèrent de nouveaux bijoux mélancoliques (Dilemma ou une magnifique version de On the Other Side au piano). “Mon meilleur concert depuis dix ans”, résuma l’intéressé quelques minutes après avoir quitté la scène. Johanna Seban 116 les inrockuptibles 30.11.2011

Housse De Racket 10/12 Strasbourg Nicolas Jaar 22/1 Paris, Trianon Joeystarr 2/12 Caen, 3/12 Lille, 8/12 Toulouse, 12 & 13/12 Paris, Bataclan, 9/12 Marseille Miles Kane 31/1 Paris, Casino de Paris, 3/2 Paris, Olympia, 4/2 Paris, Zénith Kid Bombardos 30/11 Paris, Maroquinerie Kim 7/12 Paris, Boule Noire L 30/11 Alençon, 1/12 Brest, 3/12 Lignières, 7/12 Paris, Cigale, 8/12 Ruffec, 9/12 Thouars, 10/12 Vihiers,

13/12 Portelès-Valence, 14/12 Villefontaine, 15/12 Chambéry, 16/12 Mâcon, 17/12 Aubagne, Little Dragon 7/12 Paris, Maroquinerie Low 2/12 Paris, Gaîté Lyrique M83 30/11 Paris, Gaîté Lyrique, 15/3 Paris, Cigale Mansfield.TYA 1/12 Grenoble, 2/12 Lyon, 8/12 Bruxelles, 9/12 Paris, Café de la Danse Florent Marchet 1 & 2/12 Bourgen-Bresse, 3/12 Nyon, 8/12 Vierzon, 9/12 Pantin, 15/12 Paris, Café de la Danse, 28/12 Huy, 1/2 Noisy-le-Sec, 2/2 Barentin, 3/2 Coutances, 4/2 Guyancourt, 5/2 BasseGoulaine, 9/2 Niort, 14/2 Champignysur-Marne, 17/2 Bastia, 9 & 10/2 Genève Mariachi El Bronx 2/12 Paris, Point Ephémère Meltones 1/12 Rennes, 2/12 Agen, 10/12 Herblay Metronomy 3/3 Paris, Zénith Miossec 29/3 Paris, Casino de Paris Miracle Fortress 8/12 Paris, Espace B Mister Heavenly 2/12 Paris, International Mondkopf 9/12 Fontenaysous-Bois, 10/12 Strasbourg Thurston Moore 11/12 Paris, Gaîté Lyrique Moriarty 30/11 Massy, 2 au 7/12 Paris, “Secret Shows” 4/12 Paris, Trois Baudets, 6/12 Paris, Cigale, 9/12 Istres, 10/12 Perpignan, 15/12 Saint-Malo, 16/12 Lorient, 12/2 Nanterre,

nouvelles locations

16/2 Poitiers, 17/2 Bergerac, 18/2 Biarritz, 29/2 Cherbourg, 2/3 Annemasse, 3/3 Chambéry, 8/3 Paris, Cité de la Musique, 17/3 Magnyles-Hameaux, 2/3 Lille Jean-Louis Murat 13/3 Luxembourg, 15/3 Genève, 16/3 BourgoinJallieu, 30/3 Saint-Brieuc Nada Surf 14/2 Paris, Bataclan, 15/2 Bordeaux, 16/2 Toulouse, 20/2 Lyon Nasser 2/12 Arles, 10/12 La Rochelle

en location

17/2 Paris, Machine, 18/2 Strasbourg Sebastian 14/12 Toulouse, 17/12 Montpellier Snow Patrol 7/3 Paris, Zénith St Vincent 30/11 Paris, Café de la Danse Still Corners 9/12 Paris, Flèche d’Or Stuck In The Sound 22/3 Paris, Cigale Suarez 14/2 Paris, Divan du Monde Tarwater 30/11 Paris, Point Ephémère, 2/12 Limoges, 3/12 Nîmes, 10/11 Strasbourg Team Ghost 17/12 Saint-Ouen

Noel Gallagher’s High Flying Birds Séparé de son inénarrable frangin, Noel Gallagher se construit hors d’Oasis avec un album humble et erratique à découvrir en live cette semaine ou en session de rattrapage en mars. 6/12 Casino de Paris, 6/3 Paris, Grand Rex Orelsan 14/12 Paris, Bataclan Pendentif 1/12 Bordeaux, 3/12 Rennes, 8/12 Québec, 9/12 Montréal, 15/12 Caen, 12/1 Paris, Point Ephémère Petit Fantôme 15/12 Caen, 3/3 Lorient, 30/3 Allonnes Real Estate 5/12 ClermontFerrand John Rouse & The Long Vacations 3/12 Paris, Flèche d’Or SBTRKT 2/12 Rennes, 16/12 Paris, Gaîté Lyrique, 15/2 Tourcoing, 16/2 Nantes,

Transmusicales de Rennes du 30/11 au 4/12 à Rennes, avec Hollie Cook, Hanni El Khatib, Breton, SBTRKT, Stuck In The Sound, Juveniles, etc. Trentemøller 2/12 Paris, Showcase Tune Yards 16/2 Lille, 17/2 Rennes, 18/2 Paris, Maroquinerie 19/2 Grenoble Didier Wampas 5/12 Paris, Bataclan Watine 2/12 Livernon, 3/12 Bayonne, 8/10 Toulouse, 9/10 Albi, 10/12 Graulhet Wilco 5/3 Paris, Grand Rex Winter Family 2/12 Nancy, 6, 10 & 13/12 Bruxelles, 28/1 Paris, Mofo Festival, 29 & 30/1 Le Mans WU LYF 5/12 Tourcoing, 6/12 Rouen, 7/12 Nantes, 9/12 Lyon Yelle 13/12 Paris, Alhambra Yuksek 30/11 Montpellier, 3/2/12 Strasbourg, 4/2/12 Metz

Jillian Edelstein/Camerapress/Gamma

exilé volontaire A partir de voyages en Europe, l’écrivain allemand W. G. Sebald s’est confronté aux thèmes de l’exil, de la destruction et de la mémoire. Dix ans après sa disparition, une brillante monographie lui rend hommage.

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la soixante-seizième minute, la chère tête blonde contemple Berlin en ruine, avant de s’y fondre pour toujours en un saut à pic aussi stupéfiant qu’inéluctable. Ainsi s’achève Allemagne année zéro, mettant un terme brutal à une vie faite de petits larcins et de débrouille. La sanction rossellinienne est sans ambages : tel est, à l’arrivée, le destin de ceux qui ont trop vu. Pour W. G. (Winfried Georg) Sebald, né dans les décombres de la guerre, il était trop tard pour mourir ou témoigner. Il a fallu écrire. Quatre romans en dix ans, publiés entre 1990 et 2001 – découverts en France au cours des années 2000 –, une carrière littéraire entamée, donc, sur le tard et prématurément brisée, lorsqu’il meurt en décembre 2001. Il n’en fallait pas moins pour qu’une œuvre déjà énigmatique fasse

118 les inrockuptibles 30.11.2011

l’objet d’une fascination grandissante, avec la “naissance d’un culte posthume, et même, dans son cas, (à) un engouement post mortem presque surnaturel”. De fait, l’auteur de cette phrase, Hadrien Laroche, est l’un des vingt contributeurs d’une monographie dont l’enjeu serait de saisir par l’affluence des points de vue l’entité d’un écrivain réputé insituable. A parcourir la toile romanesque de Sebald, “fiction documentaire” selon ses propres termes, on voit que le récit tramé se fait sans boussole, au profit d’une errance. Celle de l’écrivain a pris corps en 1966, l’année de son départ d’Allemagne pour l’Angleterre, où il enseignera la littérature jusqu’à la fin de sa vie, multipliant les voyages. Elle se prolonge dans ses livres, sillonnés de pérégrinations inquiètes, de marches aveugles, exténuantes et sans limites.

ausculter cette puissance du souvenir, cette guerre livrée à l’amnésie De Vertiges aux Emigrants, en passant par Les Anneaux de Saturne et Austerlitz, considéré comme l’œuvre indépassable de Sebald, l’arpentage du narrateur, alter ego de papier, se déploie sous le signe de l’exil et de la destruction. Paysages lunaires, villes fantômes, trains de nuit à travers l’Europe forment la toile de fond de digressions savantes et de récits d’exilés, de rêveurs groggy écorchés par l’histoire. Une foule désaxée comme autant de reflets du narrateur – cette “âme en peine”, écrira Susan Sontag, première fan américaine de Sebald. Ailleurs, des écrivains – Stendhal, Dante, Kafka, Conrad et bien d’autres – se matérialisent en visions quasi hallucinées. Cette petite balade a un prix, en l’occurrence une forme. Hélène Frappat évoque un “réseau d’échos et de coïncidences” ; Xavier Boissel parle d’une “méthode d’écriture” qui serait “fragments, polyphonie, citations, montage, digression, implosion au cœur même du continu”. On touche ici à la singularité de l’auteur, à sa modernité même, éprise de réel et de fiction. Une hybridation inédite des genres – enquête, journal de voyage, autoportrait, roman, encyclopédie –, allant jusqu’à l’inclusion de photos, qui fait de Sebald, selon Johan Faerber, “cet écrivain qui écrirait bien après la littérature”. Dans leur avant-propos, Mathieu Larnaudie et Oliver Rohe, les deux auteurs issus du Collectif Inculte à l’origine de cet hommage, affirment que cette “exploration scrupuleuse, obsessionnelle, presque maniaque du territoire et du savoir (…) a pour vocation première de contrarier le délitement de la mémoire”. L’idée, centrale dans l’œuvre sébaldienne, fait l’objet de plusieurs textes passionnants où il s’agit d’ausculter cette puissance du souvenir, cette guerre livrée à l’amnésie face aux destructions passées, et en premier lieu l’Holocauste – bien que rarement abordé par l’auteur de manière frontale. Sur ce point crucial, Sebald se départ des voix officielles. Ces pompeux garants

de la mémoire, que Will Self nomme aussi “instrumentalité historiciste”, sont à mille lieues de l’exhumation délicate pratiquée par l’auteur. Lui qui, fils d’un ancien nazi, a grandi dans le non-dit et la honte (il se faisait appeler Max, jugeant son prénom “trop wagnérien”), ne pouvait qu’élaborer une stratégie contre l’effacement et l’oubli. Son regard “s’attarde sur les décombres”, les traces visibles d’un passé refoulé (dit Xavier Boissel) qu’il lui incombe de scruter au microscope, au détail près, à rebroussepoil des interprétations surplombantes de la grande histoire. Une archéologie de la mémoire, en somme (c’est le titre d’un livre d’entretiens), qui n’exclut pas la virulence d’un essai sur les bombardements alliés des grandes villes allemandes en 1944. Avec De la destruction comme élément de l’histoire naturelle (publié en France en 2004), Sebald ressuscite “les églises démolies, les enfants calcinés, les squelettes noircis dans leurs intactes et étranges uniformes nazis” (William T. Vollmann). Manière encore de gratter une blessure, un trauma sur lequel a voulu s’asseoir “la jeune Allemagne sans scrupule” d’après-guerre (Alban Lefranc). Dès lors, le vaincu allemand fut celui qui, pour ne pas voir, se déplaçait les yeux fermés, “s’enracin(ait) dans le déracinement”. A lire Mathieu Larnaudie, l’accroche résolument moderne de Sebald résiderait là, dans ce “touriste comme paradigme de l’individu contemporain (…), la circulation des corps et des informations, le flux comme modèle de représentation du monde, la panique et l’urgence comme politique”. Plus encore qu’un écrivain, Sebald est une figure. Infiniment vagabonde, interrogeant le réel et la mémoire sans relâche, avide d’un mouvement qu’elle serait bien en peine d’enrayer, cette figure nous ressemble. Emily Barnett Face à Sebald avec des textes de Oliver Rohe, Mathieu Larnaudie, Yannick Haenel, Muriel Pic, Hélène Frappat, Will Self, Alban Lefranc, Susan Sontag… (Inculte), 408 pages, 25 €

Sebald en 7 dates 1944 Naissance en Bavière. 1960 Découvre l’histoire récente de l’Allemagne dans un documentaire sur les camps de BergenBelsen et décide, à 16 ans, qu’il quittera son pays. 1966 S’installe en Angleterre, un pays qu’il ne cessera de parcourir et qui nourrit la majeure partie de son œuvre.

1988 Première publication littéraire, Nach der natur (D’après nature, sorti chez Actes Sud en 2007), long poème en prose où apparaissent les grands thèmes de l’œuvre qui va suivre : le voyage, la violence, la destruction… années 90 L’auteur voyage à la manière

d’un explorateur à travers l’Europe, en Autriche, Italie, Pologne, Hollande… 1995 Publie Les Anneaux de Saturne, après Vertiges (1990) et Les Emigrants (1992), tous publiés en France en 2003. 14 décembre 2001 Meurt d’une crise cardiaque au volant de sa voiture. Publication d’Austerlitz.

en marge

feuilletons littéraires Où sont Stendhal, Balzac et James ? Dans les séries télé US. De Bret Easton Ellis à Jonathan Franzen, les écrivains américains ont mesuré l’impact des séries télé sur la narration contemporaine. Ellis nous confiait même que certaines séries, telle Mad Men, s’imposaient davantage comme de la littérature que certains romans du moment. A regarder la saison 4, géniale, de Mad Men, on s’interroge : qu’est-ce qui fait la qualité et la dimension littéraires de cette série ? L’ellipse – nous ne connaissons rien, au fond, des sentiments des personnages, à tel point que lorsqu’ils les expriment nous en sommes surpris. Le non-dit – certains regards où tout est dit de la psychologie, des émotions, des regrets d’un personnage, sans qu’il ait à l’exprimer via un dialogue (ça, c’est de l’ordre du soap opera et des mauvais romans) ; peut-être, aussi, parce qu’il ne se l’exprime pas à soi, et qu’en littérature les personnages s’échappent à eux-mêmes – seulement, des indices sont finement distribués par l’auteur pour que le lecteur, s’il le veut, puisse en déduire quelque chose, un état, plus souvent une ambiguïté. L’ambiguïté, donc : le droit à la complexité, à l’ambivalence, à n’être ni gentil ni méchant, à être divisé, scindé, séparé, injugeable. Et puis il y a le temps : la durée, la lenteur, des épisodes où il ne se passe quasiment rien, des scènes qui semblent sans importance mais qui pourraient bien avoir des répercussions et conséquences dans d’autres épisodes ; de ces scènes qui construisent un personnage, une vie, une trajectoire, donc une narration. En cela, si Mad Men tient du roman, c’est avant tout du roman du XIXe, de Henry James et Edith Wharton à Stendhal en passant par Zola et Balzac. C’est peut-être par ce biais, celui de la série, que cette littérature infuse la littérature américaine d’aujourd’hui.

Nelly Kaprièlian 30.11.2011 les inrockuptibles 119

Batalla en el cielo de Carlos Reygadas (2004)

du puritanisme ambiant De leçons de morale en censure, un puritanisme infantilisant effectue son retour de façon insidieuse. l y a quelques mois, alors allait barrer la route à leur donc se permettre qu’il était soupçonné champion. Aujourd’hui, de prodiguer force leçons d’agression sexuelle alors qu’on le révèle haut de morale. Symptôme et tentative de viol sur consommateur de d’un puritanisme, la personne de Nafissatou prostituées et de partouzes cette vieille lune bourgeoise Diallo, puis accusé de (ce qu’on appelle “parties et hypocrite, jamais la même chose par Tristane fines” dans les journaux de très loin. Banon, Dominique Strauss- droite), les mêmes poussent La preuve encore Kahn était présenté comme des cris d’orfraie face avec l’éviction rapide d’Eric un “séducteur”, certes un à “l’incroyable débauche” Reinhardt des sélections peu lourd, mais bon, pas de de DSK. Tenter de violer Goncourt : certains jurés quoi s’en émouvoir… Bref, il serait séduire, donc auraient trouvé trop crues n’y avait pas “mort d’homme”, pas si grave, mais aller les scènes de sexe du pour reprendre le mot chez les putes serait Système Victoria et, dès lors, désormais célèbre de Jack le pire des crimes, le choc indécent de faire lire Lang. Et beaucoup de dire absolu pour nombre de ces ce roman à de jeunes âmes. plus bas que ce n’était quand journalistes qui, bien sûr, Manque de chance, invitée à même pas une “petite ne sont jamais allés voir parler du métier de critique bécasse” comme Banon qui une prostituée et peuvent littéraire auprès de lycéens

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préparant le Goncourt des lycéens, j’ai pu constater que ces adolescents, brillants, l’avaient déjà tous lu, plutôt aimé, enfin n’avaient pas du tout été choqués par les scènes sexuelles explicites et semblaient très à l’aise pour en discuter. Autre symptôme puritain récent : le CSA mettant en garde France Culture après la diffusion d’une lecture d’un extrait des 120 Journées de Sodome du marquis de Sade, le… 23 juin 2011. Raphaël Enthoven pointait avec justesse cette dérive “paternaliste” dans sa dernière chronique de L’Express. Car il s’agit bien, à travers ces trois cas, même si à chaque fois de façon différente, d’un “paternalisme” pénible. Dans le cas de DSK, en faire un grand malade à soigner, médicaliser, paterner ; dans le cas de Reinhardt et Sade, les éliminer sous prétexte de protéger les petits enfants (qui n’écoutent guère France Culture ni n’achètent un Goncourt). Le sexe, dans toute sa dimension politiquement incorrecte, donc forcément subversive, devrait rester caché, secret, clandestin. Peut-être… Mais à force d’aller dans ce sens nous voilà pris au piège d’une société fade, avec la littérature qui lui correspond, de Marc Levy à David Foenkinos… Mièvrerie et bons sentiments assurés. Nelly Kaprièlian

la 4e dimension la voix de Frantz Fanon Georges Perec inédit Le Condottiere, c’est le titre de l’inédit de l’écrivain oulipien qui devrait paraître en mars (Seuil). Un roman de jeunesse en forme de polar autour d’un tableau de la Renaissance. Une belle façon de célébrer le trentième anniversaire de la disparition de Perec.

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Du 3 au 10 décembre, France Culture consacre un cycle d’émissions à l’auteur de Peau noire, masques blancs et des Damnés de la terre, psychiatre et militant anticolonialiste, disparu en 1961.

dans les coulisses de la primaire PS Notre collaboratrice Hélène Fontanaud publie Les Meilleurs Ennemis – L’histoire secrète de la primaire socialiste (Fayard). Une enquête coécrite par Sophie Landrin, journaliste au Monde.

l’odyssée Danielewski L’auteur culte de La Maison des feuilles a reçu une avance d’un million de dollars pour les dix premiers tomes de The Familiar, son nouveau roman-feuilleton en vingt-sept volumes (rien que ça), sur lequel on sait peu de choses, sinon qu’il s’agit d’une fillette qui trouve un chaton.

huis clos Une vieille femme prend en otage un adolescent et le force à écouter ses histoires. Avec ce monologue asphyxiant, l’Argentin Federico Jeanmaire signe un thriller d’une perversion ultraraffinée. nfermé dans une salle de bains, on ne sait jamais sur quel pied danser, quatre jours peuvent sembler aussi si l’on doit rire ou crier, compatir ou longs que mille et une nuits. Surtout condamner. Toujours entre deux feux. Car lorsqu’il faut subir le monologue tout est affaire de contrastes dans ce livre, détraqué et délirant d’une Shéhérazade métaphore d’une Argentine duale, presque de 93 ans, aussi pathétique que sadique. schizophrène, où la misère côtoie le luxe. Santiago, gamin des rues de Buenos Aires, De chaque côté de la porte de la salle aurait mieux fait de réfléchir à deux fois de bains, c’est aussi cette lutte des classes avant de braquer la petite vieille. qui se joue entre Santi et Faila. Ils se livrent Maintenant, elle le retient prisonnier chez une guerre des nerfs faite de chantages elle. Le voilà séquestré, obligé d’écouter et d’insultes. Mais la tension du texte réside les récits abracadabrantesques de sa avant tout dans le verbe retors et changeant gardienne. Ancienne maîtresse d’école, de Faila, dans ses affabulations dérisoires, Faila peut se montrer sèche et autoritaire, sa lutte désespérée contre la solitude. agonir son jeune otage d’injures avant Confident malgré lui, ami, petit-fils de se faire plus accommodante et de lui de substitution, Santi est l’otage de Faila. glisser des gâteaux et de très fines Sa libération est suspendue à la fin du récit escalopes milanaises sous la porte. Quand de la vieille femme : “Cela vous paraîtra elle ne lui fait pas la leçon en tentant peut-être égoïste, mais je préfère continuer de lui expliquer qu’on ne couche pas avec mon récit, que je comprends beaucoup sa sœur, elle déroule les épisodes de sa vie mieux que vos fadaises. Et je pense aussi minuscule et sordide : un physique ingrat, que le fait de m’écouter, si vous y mettez un viol en guise de première expérience toute votre attention, vous aidera à analyser sexuelle, un escroc pour unique fiancé… votre propre histoire.” Le lecteur, lui, est En contrepoint à cette existence plombée, l’otage de Jeanmaire, pris dans les rets elle raconte les exploits de sa mère, Delita, d’une prose prédatrice. Plus léger que l’air libre, impétueuse, prête à tout pour piloter est un livre-piège qui affirme la puissance un avion, même à tuer un homme. et la vanité du langage et, au-delà, de Sur le fil, oscillant constamment entre la littérature. Un thriller beckettien. Elisabeth Philippe l’humour et la folie, le roman de l’Argentin Federico Jeanmaire porte un titre trompeur. Plus léger que l’air est un huis Plus léger que l’air (Joëlle Losfeld), traduit clos asphyxiant, servi par une écriture de l’espagnol (Argentine) par Isabelle Gugnon, 240 pages, 2 1 € d’une perverse versatilité. Comme Santi,

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Marguerite Duras avec sa mère, en 1932

leur vie à l’œuvre

Gamma

Duras indéterminée Blanche dans un pays colonisé, Marguerite Duras a grandi du côté des dominants, mais sa famille était pauvre. Cet “entre-deux” se retrouve dans son œuvre, où les rencontres inter-classes sont nombreuses (Les Petits Chevaux de Tarquinia, Moderato Cantabile), mais vouées à l’échec. Nothomb désajustée En décalage par rapport à sa famille catholique et bourgeoise, l’écrivaine belge aurait développé une prédilection pour les personnages en marge (cancre, étranger, monstre). Lovecraft fantasmé La faillite de la famille de H. P. Lovecraft expliquerait la volonté de l’auteur américain de valoriser son capital culturel à travers une écriture du fantastique intellectuelle plutôt que sensorielle.

la littérature est-elle bio ? Dans un ouvrage collectif dirigé par Bernard Lahire, des sociologues affirment que la vie rime avec l’art et tentent d’éclairer les œuvres de Duras, Stendhal ou Lovecraft par leur biographie. Stimulant mais pas infaillible.

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ernard Lahire persiste et signe. Sociologue, spécialiste du champ littéraire, il revendique son “crime sociologique”, au point de convertir de nombreux chercheurs à sa cause. Dans ce livre collectif, tous adoptent le modus operandi du “maître” pour faire la peau à quelques idées reçues. Dans leur ligne de mire, ce que Lahire nomme “l’impasse Sainte-Beuve”, sorte de jurisprudence qui condamne d’avance toute tentative d’explication d’une œuvre par la vie de son auteur. Parce qu’elle a conduit à des simplifications consternantes, cette forme d’exégèse biographique constituerait aujourd’hui une “piste interdite”. La problématique existentielle d’un auteur

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peut pourtant s’avérer un sésame précieux pour pénétrer au cœur de sa fabrique littéraire. Bernard Lahire l’a prouvé magistralement l’an passé avec son enquête-somme sur Kafka, opérant des allers-retours constants entre la vie et l’œuvre de l’écrivain tchèque pour “entrer dans la chair même du texte” kafkaïen. A sa suite, et dans des textes beaucoup plus courts, d’autres sociologues tentent d’élucider l’œuvre d’auteurs aussi différents qu’Albert Cohen, H. P. Lovecraft, John Fante, Marguerite Duras ou Amélie Nothomb. Leur postulat de départ : “Tous les romans sont sociaux” et autobiographiques. L’œuvre est toujours, à un niveau ou à un autre, le produit des expériences sociales de son auteur.

C’est sans doute Annie Ernaux, citée en introduction, qui résume le mieux cette idée : “Cela dit, je suis persuadée qu’on est le produit de son histoire et que celle-ci est présente dans l’écriture. Donc, comptent le roman familial, le milieu d’origine, les influences culturelles et bien évidemment la condition liée au sexe.” Autant d’éléments que les sociologues dissèquent minutieusement pour essayer de comprendre ce qu’un écrivain dit de la société et pourquoi il le dit d’une certaine façon et non d’une autre, ce que Zola appelait “l’expression personnelle du monde réel qui nous entoure”. Dans L’Œuvre, “roman où (ses) souvenirs et (son) cœur ont débordé”, Zola aurait, à en croire l’étude de Frédérique Giraud, cherché à donner une image flatteuse de lui-même à travers le personnage de Sandoz, afin de retrouver une forme de légitimité, se réhabiliter face aux critiques qu’il déchaînait. Toutes les démonstrations ne se valent pas. Celle sur Martin Eden de Jack London paraît un peu trop évidente, tant la question des classes est prégnante dans ce roman. Celle sur Amélie Nothomb, pas inintéressante sur le plan sociologique, éclaire davantage le personnage Nothomb que son œuvre sans grand mystère. En revanche, l’étude sur Stendhal comme “anatomiste social” ou celle, tout en nuances, sur Marguerite Duras lue à travers le prisme de l’ambiguïté sociale, apportent des clés de compréhension nouvelles. Mais elles n’ouvrent que sur une part infime de l’œuvre. C’est peut-être là la limite des prétentions scientifiques d’une approche sociologique : elle ne peut épuiser le sens d’un texte. Sinon, il ne serait plus question de littérature. Elisabeth Philippe Ce qu’ils vivent, ce qu’ils écrivent – Mises en scène littéraires du social et expériences socialisatrices des écrivains sous la direction de Bernard Lahire (Editions des Archives contemporaines), 573 pages, 39,50 €

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NOUVEAU

Golgota Picnic de Rodrigo García, du 8 au 17 décembre au Théâtre du Rond-Point (Paris VIIIe)

du 7 au 13 décembre au Reflet Médicis (Paris Ve)

scènes Partout sur le sol, des hamburgers. Jésus est passé par là, il a multiplié les pains. Le Christ, qu’on appelle ici “el puto diablo”, finira par voir sa plaie ultime de crucifié remplie de billets de banque. A gagner : des places pour les 9, 10 et 13 décembre (voir détails sur le site)

cinémas

Stéphane Trapier/Atalante Paris

Le Festival Kinopolska célèbre, pour sa quatrième édition, le cinéma polonais en se plaçant sous le signe du Festival de Cannes. Cette année au programme : des films de Jerzy Skolimowski, Andrzej Wajda, Roman Polanski et bien d’autres. A gagner : 5 pass pour 2 personnes

Hara-Kiri : mort d’un samouraï de Takashi Miike, en salle Voulant mourir dignement, Hanshiro, un samouraï sans ressources, demande à accomplir un suicide rituel dans la résidence du clan Li, dirigé par le chef Kageyu. A gagner : 10 invitations pour 2 personnes

quatre films réunis dans une édition collector

La Noce de Bertolt Brecht, jusqu’au 1er janvier au Théâtre du Vieux-Colombier (Paris VIe)

scènes Rien ne manque à ce repas de noces… enfin presque. Les illusions volent en éclats, les frustrations enflent, pendant que se déglinguent, un à un, les meubles du ménage, faits main par le marié. A gagner : des places pour les 7 et 8 décembre (voir détails sur le site)

DVD A l’occasion de la sortie de ce coffret édition spéciale autour de La Vie au Ranch, Les Inrocks vous font découvrir les films de Sophie Letourneur: le teenmovie made in France est sorti de la puberté. A gagner : 20 coffrets

Brigitte Enguérand

Kinopolska

cinémas

coffret Sophie Letourneur

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Catherine Hélie

les choses de la vie Dans un vertigineux traité philosophique intitulé Forme et objet, Tristan Garcia se révèle un grand métaphysicien confronté au mystère des choses. ’asservissement aux choses, stricto sensu, en vaut une autre. Il faut tel que Georges Perec l’évoquait ainsi prêter une attention égale à tout dans l’un de ses plus beaux romans, ce qui est quelque chose, quoi que ce soit. Les Choses, forme un trait Une fois posé ce préalable de notre époque. Tristan Garcia, philosophe méthodologique, on entre dans ce Traité autant que romancier (La Meilleure Part des choses comme dans un labyrinthe des hommes), parle, lui, d’une “épidémie vertigineux, intimidant, presque trop vaste des choses”, d’une “désubstantialisation pour que l’on s’y retrouve à chaque page ; des choses” ou encore d’une “contamination on se perd souvent dans ses tracés, pleins chosale du présent”. Parce qu’il y a trop de détours, de digressions et d’impasses, de choses à voir, à savoir, à prendre en dont la maîtrise d’écriture compense compte, notre pensée, notre vie, nos actes pourtant l’impression d’opacité qui affleure en viennent à être “paralysés par par moments. L’errance du lecteur l’appréhension d’une complexité objective”, au cœur d’un système métaphysique avance-t-il dans l’ambitieux Forme et objet a la tension d’une épreuve quasi physique – Un traité des choses. dont on mesure, au fil des 490 pages, Après un essai sur la question qu’elle mène quelque part, même de l’animalité, Nous, animaux et humains, si ce quelque part reste complexe à situer. Tristan Garcia, 30 ans, élargit son territoire “Le plus possible, ici, aura été compris ; philosophique de manière impressionnante, à vous seulement de savoir ce que c’est”, rejoignant un nouveau courant de pensée conclut d’ailleurs Tristan Garcia, comme métaphysique incarné en France par si son ultime adresse à son lecteur intégrait des auteurs comme Pierre Cassou-Noguès, le désir d’un partage d’expérience, autant Quentin Meillassoux, Jean-Clet Martin possible que mystérieux. A l’image de ou Frédéric Nef. la série Lost, dont il fut un adepte, Forme “Comment élaborer un modèle nouveau et objet déroute par les horizons multiples de découpage des choses, des choses autour de significations qu’il ouvre. Chercher de nous, des choses en nous, de nous parmi un sens des choses, comprendre les les choses ?” : tel est le pari de ce traité, dont choses et les objets, distinguer la chose la première partie, baptisée “Formellement”, et le monde, la compréhension et l’être, est un tour de force réflexif, dépouillé retrouver l’universel et conserver le sens de toute référence explicite à l’histoire du relatif : son ontologie d’un monde plat de la philosophie (à l’inverse de la seconde et son traité de découpage des champs partie, “Objectivement”, nourrie de cosmologiques, artistiques ou ses lectures savantes). Plutôt qu’une économiques ont le prix de sa grandeur, “métaphysique de l’accès”, qui vise à penser élevé. Elevé comme l’inclinaison notre accès aux choses, Tristan Garcia fatale devant la mort, qui est à notre vie se propose de “penser les choses” et de individuée ce que le monde est à toute développer ce qu’il appelle une “ontologie chose : “un principe d’égalisation qui plate” des choses, c’est-à-dire une pensée empêche la sagesse et l’absolu, qui donne qui ne hiérarchise pas les entités du monde à toute attitude et à toute chose leur chance à partir de substances ou de principes et leur prix”. Jean-Marie Durand transcendantaux, mais qui présuppose “une égale dignité ontologique à tout Forme et objet – Un traité des choses (PUF, ce qui est individé”. N’importe quelle chose, collection Métaphysiques), 492 pages, 29 €

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30.11.2011 les inrockuptibles 125

Manu Larcenet Valérian par Manu Larcenet – L’armure du Jakolass

Dargaud, 48 pages, 11,95 €

Midwest side story Entre (tout) petits moments de vie et échappées fantastiques libératrices, une vie de teenager dans l’Amérique profonde, par Joshua W. Cotter.



la fin des années 80, un jeune garçon d’une dizaine d’années vit avec ses parents et son petit frère dans la campagne américaine. Solitaire, pas populaire à l’école, un peu empoté, il grandit sans jamais mener une vie particulièrement difficile mais doit faire face, pas très bien armé, aux tourments du monde extérieur – les camarades plus mûrs qui le maltraitent, l’incompréhension de la famille, la mort. Malgré cette trame assez banale de roman d’initiation, cet album semi-autobiographique de Joshua Cotter est tout sauf commun. Il émerveille d’abord par son graphisme, proche d’un Crumb des débuts. Joshua Cotter représente ses protagonistes sous la forme de chats anthropomorphes aux yeux vides et malgré tout d’une expressivité inouïe. Avec délicatesse et pudeur, Joshua Cotter construit ensuite un récit terriblement émouvant. Il décrit la relation solide qui lie le héros à son frère, leurs peines, leurs petites joies, leurs hobbies, à travers des scènes ordinaires mais qui sont pourtant bouleversantes et significatives : les parents qui font un cadeau à côté de la plaque, la perte d’un jouet favori, l’attente impatiente des BD dans les journaux

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du dimanche. A ces séquences réalistes, il mêle des passages fantastiques visitant l’imaginaire du jeune garçon, les mondes où il se retranche pour ne plus avoir à subir son existence, ses délires peuplés de robots vengeurs qui l’aident à vaincre son quotidien. A la manière de Chris Ware, l’auteur glisse de nombreux éléments annexes au récit (courrier des lecteurs, coupures de presse) pour enrichir et rythmer la narration. Un extrait du journal de l’école, par exemple, retrace une sortie scolaire mais permet en creux de comprendre à quel point le héros est différent de ses camarades. Dans ce récit foisonnant, on bascule sans cesse de la vraie vie à un monde fantasmé, du héros à son environnement, mais la réalité finit toujours par reprendre brutalement le dessus. Le constat est dur : rêver ne suffit pas pour s’échapper et grandir, pas plus dans une petite ville du Midwest américain qu’ailleurs. Ce regard universel sur la préadolescence ne manquera pas de rappeler des souvenirs, peut-être même de rouvrir quelques blessures d’enfance. Anne-Claire Norot Les Gratte-Ciel du Midwest (Çà et Là), t raduit de l’anglais (Etats-Unis) par Fanny Soubiran, 288 pages, 2 2 €

Valérian et Laureline revisités à la sauce Larcenet.  Pourquoi empêcher les amoureux de Valérian et Laureline de se jeter sur cette série de fausses suites ? Le premier opus, échu à Manu Larcenet, réussit son exercice de style, où la parodie ne sombre jamais dans la moquerie. Certes, les clins d’œil d’initiés à l’univers de l’Ouvre temps abondent et mieux vaut connaître la série initiale pour accéder à la substantifique moelle du récit. Pour autant, avoir lu Valérian ne s’avère jamais indispensable, tant la verve humoristique et l’univers populaire de bistrotier propre à Larcenet fonctionnent en parfaite autonomie. Seul le dessin peut décevoir, travail rapide qui semble avouer un manque d’ambition dans le registre comique. Heureusement, les couleurs aquarellées de Jeff Pourquié sont redoutables et miroitent d’éclats spatiaux et d’esbroufe visuelle. En définitive, voilà une entreprise plutôt réussie, qui contentera autant les amateurs de Larcenet que les nostalgiques de Christin et Mézières. Stéphane Beaujean

Linn Sandholm

Les Inéducables

allumée suédoise Emancipée de l’institution mais toujours à l’avant-garde des questions de société, Suzanne Osten approfondit son travail autour de la jeunesse au festival Reims Scènes d’Europe.

première Des hommes chorégraphie Bernardo Montet Point de départ de cette chorégraphie pour sept interprètes, Le Bagne de Jean Genet. Ni adaptation, ni réécriture, mais la mise en jeu d’une communauté d’individus qui ont “traversé la colonisation, l’extermination, la migration économique, l’oppression sexuelle”. du 30 novembre au 2 décembre au CCN de Tours, tél. 02 47 36 46 00, www.ccntours.com

réservez Une introduction chorégraphie Olga de Soto Présentée dans le cadre de Danser sa vie, Une introduction poursuit le travail de recherche historique et de mémoire engagé par Olga de Soto depuis histoire(s), autour de Roland Petit, pour s’intéresser à La Table verte, créée par Kurt Jooss en 1932 au Théâtre des Champs-Elysées. les 14 et 15 décembre au Centre Pompidou, Paris IVe, www.centrepompidou.fr 128 les inrockuptibles 30.11.2011

 S

uzanne Osten est de celles qui ne baissent jamais les bras et pensent que la vie est un éternel recommencement. “Ma mère était critique de cinéma mais aussi schizophrène. C’est presque une blague de commencer comme ça ! Je ne sais pas quand est venue pour moi l’idée de travailler avec le jeune public mais je suis sûre que cela correspond à une revanche.” Pour la Suédoise, le théâtre a toujours été le lieu du débat, principalement celui centré sur les rapports entre les générations et les équilibres sociaux qu’ils bousculent. Baignée par la contre-culture de la fin des sixties, influencée par le travail de la fameuse école parisienne dirigée par Jacques Lecoq, celle qui fut la première à inventer avec Babydrama un théâtre spécifiquement destiné aux bébés n’a pas craint d’entrer en conflit avec le dernier directeur du Stockholms Stadsteater (trop occupé à programmer des spectacles au succès garanti) pour faire sécession de l’institution où elle travaillait depuis plus de trente ans et obtenir, à 65 ans, la direction de son propre lieu, baptisé du nom de sa compagnie Unga Klara. A l’heure où d’autres sont poussés vers la retraite, une nouvelle vie s’ouvre pour Suzanne Osten, dédiée plus que jamais aux questions et aux problèmes liés à la jeunesse. Dans le cadre de l’édition 2011 de Reims Scènes d’Europe consacrée à la découverte du théâtre suédois, elle présente Les Inéducables, où un cours sur l’art du masque dans la commedia dell’arte sera le prétexte à la plus folle des comédies, avec un professeur débordé par ses élèves

et des parents paraissant sortir d’une telenovela pornosoft avec leurs coupes de champagne à la main. Celle qui affirme n’arriver à travailler qu’avec des personnes qui partagent ses idées a institué pour ses créations la notion d’un “public référent”, des groupes de spectateurs qui assistent aux répétitions et comptent dans le travail, au même titre que les membres de l’équipe artistique. Selon Erik Uddenberg, auteur et dramaturge d’Unga Klara, “depuis 1979 et la loi qui interdit de battre, même légèrement, un enfant, l’éducation est aujourd’hui en Suède un sujet réellement saignant. Ici, être un bon parent est très important, on est jugé en tant que personne en fonction du comportement de nos enfants.” C’est aussi la raison pour laquelle Unga Klara travaille avec Ann-Sofie Bárány, auteur de Babydrama, psychanalyste durant vingt ans avant de se dédier à l’écriture dramatique et aux liens entre théâtre et psychanalyse. Dans une mise en scène de Suzanne Osten, son texte Je te console là ? questionne les notions de survie dans la société d’aujourd’hui et la valeur des principes de consolation. Sans être ouvertement politique, ce théâtre suédois, à l’avant-garde des problèmes sociétaux, ose se mettre les mains dans le cambouis et faire des théâtres les lieux d’une parole ouverte. Fabienne Arvers et Patrick Sourd Reims Scènes d’Europe (du 1er au 17 décembre) : Les Inéducables d’Erik Uddenberg, les 14 et 15 décembre ; Je te console là ? d’Ann-Sofie Bárány, le 17 décembre, mises en scène Suzanne Osten, tél. 03 26 03 35 77, www.scenesdeurope.eu

Rhizikon de Chloé Moglia : vertigineux

culture et résistance

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ru exceptionnel, la quinzième édition de Mettre en scène témoigne de l’art accompli de réunir des artistes confirmés et des jeunes pousses prometteuses sur un même pied d’égalité. Au premier rang de nos coups de cœur, Onzième de François Tanguy s’avère un voyage de rêve au pays du théâtre, tout comme Contes africains d’après Shakespeare, signé de main de maître par Krzysztof Warlikowski, qui tisse un magnifique ouvrage en mêlant Othello et Le Marchand de Venise à des nouvelles du Sud-Africain J.M. Coetzee. Mettre en scène joue aussi les défricheurs. C’est ainsi que la jeune circassienne Chloé Moglia nous ravit avec Rhizikon, son cours au tableau noir sur la notion de vertige. Il en est de même avec Au pied du mur sans porte de Lazare, chronique d’une enfance passée en banlieue racontée comme une geste aussi touchante que poétique. Enfin, s’agissant des nouvelles

Cécile Long

Malgré les intimidations des extrémistes de Civitas, le festival Mettre en scène du TNB à Rennes a une nouvelle fois comblé les amoureux des arts de la scène. têtes, notre Palme d’or revient sans conteste à Zombie Aporia du jeune chorégraphe américain Daniel Linehan, démontage caustique des tics et des tocs des performeurs de la danse. Ombre au tableau à ce portrait d’une scène en pleine effervescence, la nouvelle donne de la transformation de nos théâtres en places fortes et la nécessité de faire appel à la police pour contrer les manœuvres des extrémistes chrétiens de Civitas. Déterminés à perturber les représentations de Sur le concept du visage du fils de Dieu de Romeo Castellucci, les censeurs ne désarment pas… Un rappel que la défense de la liberté d’expression, première parmi les valeurs fondant la République, reste l’objet d’un combat toujours d’avant-garde dans un monde où prospèrent les intégrismes. Patrick Sourd 15e festival Mettre en scène au TNB de Rennes, compte rendu

à contre-courant En tournée franco-belge, la chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues la joue collectif. n trouve de tout da Maré, près de Rio, sait ce en 2009, la continuité dans Piracema, que veut dire vivre ensemble. est évidente, même si nouvelle création Piracema n’a pas une force Et lutter. Alors ces de la Brésilienne équivalente. Le titre interprètes, qui ont apporté Lia Rodrigues. Des bribes fait référence au voyage beaucoup d’eux-mêmes de bossa-nova fredonnées à Piracema, luttent : en solo, que les poissons effectuent du bout des lèvres, des pour aller frayer. pour s’extraire du groupe, transes douces, des gestes A contre-courant, donc. sans jamais le perdre incontrôlés, des sourires Lia Rodrigues s’essaie de vue. On pense souvent à l’adresse du premier rang à Levée des conflits de à son tour à remonter dans de spectateurs, des cris l’autre sens. D’une rive Boris Charmatz, dans cette lâchés et des souffles façon progressive de glisser lointaine, elle fait courts. Cette pièce intense un horizon possible. sur la scène et d’occuper Philippe Noisette pour douze artistes qui le terrain tout à la fois. ne quitteront pas un instant Lia Rodrigues, à l’écriture le plateau est un précis affirmée, imagine des sauts Piracema de Lia eRodrigues, au 104, Paris XIX , de danse au service fugaces qui se terminent dans le cadre du Festival d’une collectivité. au sol, les corps saisis, puis d’automne, compte rendu. On imagine que épuisés, dans cet entrain en tournée le 2 décembre la chorégraphe, qui continue furieux. Après Pororoca, qui à Namur, les 17 au 18 mars à Vitry-sur-Seine à créer dans la Favela avait marqué les esprits

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Courtesy galerie Sprüth Magers, Berlin-Londres et galerie Jocelyn Wolff, Paris & Collection particulière, France/Photo Marc Domage

Au premier plan : Thea Djordjadze, Sans titre (2009-2011). Au fond : GuillaumeLe blon, Sans titre (petits et grands creusets, 2011)

l’envers du décor A Nîmes, le Carré d’art prend fait et cause pour un nouvel art pauvre. Quand l’exposition se peuple de matériaux habituellement cachés.

vernissages face cachée C’est une autre facette de Georges Tony Stoll (trop souvent réduit au photographe de l’intime) que montre cette exposition orchestrée par Jean-Marc Avrilla. Un versant traversé par l’abstraction et la pratique du collage. à partir du 3 décembre à La Galerie, 1, rue Jean-Jaurès, Noisy-le-Sec, www.noisylesec.net

maquillage Des objets et des peintures, qui flirtent avec la cosmétique tout en critiquant la société de consommation seront, pour la première fois, réunis massivement dans cette rétrospective que l’abbaye de Maubuisson consacre à Emmanuelle Villard. à partir du 30 novembre à l’Abbaye de Maubuisson, Saint-Ouen-l’Aumône, tél. 01 34 64 36 10

boule à facettes Derniers jours : en résonance avec la Biennale de Lyon, Columna 01 confronte l’art contemporain aux monuments de Vienne ou les sites urbains de Chasse-sur-Rhône. Avec, entre autres, Paul Chazal, Jean-Baptiste Ganne, Natacha Lesueur, Cédric Teisseire, Florian Pugnaire et David Raffini, Tilman, Jan Van Der Ploeg et Jean-Luc Verna. jusqu’au 8 décembre www.columna01.org 130 les inrockuptibles 30.11.2011

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es pavés bleus de Katinka Bock n’y changeront rien, le politique dure et ostentatoire restera à la porte. Loin des engagements de leurs illustres prédécesseurs de l’arte povera, les huit artistes réunis dans Pour un art pauvre ont une façon bien à eux de s’emparer du contexte socio-économique dans lequel ils évoluent. Par la bande, plutôt, et sans jamais avoir l’air d’y toucher. Certains appeleront ça du pragmatisme. “Les œuvres de ces artistes sont des indicateurs, des pointeurs, il ne s’agit pas d’un manifeste”, rappelle ainsi Françoise Cohen, la directrice du Carré d’art, qui quitte ses fonctions dans quelques jours pour prendre la tête du Fnac (Fonds national d’art contemporain). “Ils accompagnent et commentent à leur façon le retour d’une certaine pauvreté, à travers une économie de moyens et de gestes.” Et de livrer, en guise de preuve, cette anecdote : engagée depuis plusieurs mois sur un projet qui lui tenait pourtant à cœur et sur lequel le Carré d’art avait avancé, Katinka Bock a finalement renoncé à la dernière minute parce que la pièce coûtait trop cher et parce qu’elle “tenait à une légèreté financière et formelle”. Comme les autres, elle a donc débarqué à quelques jours du vernissage (ou presque) avec son stock de matériaux sous le bras et remisé contre le mur sa collection de pavés en terre cuite vernissés. Dans les salles adjacentes, Karla Black a déposé au sol une stèle en fond de teint rose poudré et suspendu au plafond ses papiers peints, tandis qu’à côté Thea Djordjadze a déroulé un pan de moquette bleue sur lequel elle a scénarisé ses objets hybridés. “Avec cette exposition, j’ai sans

cesse en tête la ‘verb list’ de Richard Serra”, raconte la commissaire de l’expo, en référence à cette compilation de cent huit verbes transitifs (rouler, raboter, plier, fendre, courber, raccourcir, déchirer…) que l’artiste minimaliste considérait comme un “langage structurant ses activités en relation avec des matériaux quelconques”. En effet, ici comme chez Serra, ce qui compte avant tout c’est la torsion (au propre comme au figuré) que les artistes imposent aux matériaux (pauvres) qu’ils ont élus. Chez Gyan Panchal, par exemple, il s’agit de poncer à la poudre de bitume la surface d’une plaque de carton plume et d’en révéler au passage les aspérités et les accidents de parcours : tâches, griffures, salissures. Mais plus encore, ce que nous montrent ici ces artistes, c’est l’envers du décor, la pratique d’atelier, comme les interventions généralement tenues secrètes pour ne privilégier que le seul rendu plastique. Ici, au contraire, les matériaux portent la trace des opérations quand ils n’exhibent pas leur (petite) nature. Si bien que l’expo se peuple de matériaux sans qualité, d’ordinaire tenus cachés : plaques d’isolation chez Gabriel Kuri, creusets en terre pour couler le métal chez Guillaume Leblon, revers de la toile chez Gedi Sibony et encore cette impressionnante réserve de bières que l’artiste Abraham Cruzvillegas a éclusées lors d’une récente résidence à Berlin. L’art pauvre ou l’art du cache (-misère) ? Claire Moulène Pour un art pauvre (inventaire du monde et de l’atelier) jusqu’au 15 janvier à Nîmes, Carré d’Art, www.nimes.fr

Markus Raetz, Reflexion II. Héliogravure, 1991. BNF/ADAGP, 2011

encadré

Markus Raetz, l’œil tactile A la BNF, échange permanent de regards entre l’artiste bernois et le spectateur. ne fois n’est pas coutume : il est des expositions qui donnent envie de parler de soi. De soi, ou plutôt de nos dadas. C’est le cas de celle, excellente, de Markus Raetz, organisée à la suite d’une donation conséquente de l’artiste à la BNF. Recentrée sur ses estampes (eaux-fortes, aquatintes, gaufrages et croquis consignés dans de minuscules carnets), elle ouvre les coulisses d’une œuvre tout entière bâtie sur ce qu’on pourrait appeler le “regard tactile”. Laissons de côté la présence massive et explicite de certains titres – Sehen (voir), Sehfeld (champ de vision) ou Fernsicht (perspective) –, qui disent l’attachement jamais démenti de cet artiste bernois à la perception. Ce qui frappe avant tout chez Raetz, c’est sa capacité à concilier au sein d’un même travail cette façon bricolée – trois fils de fer, une plaque de gélatine photosensible, une tôle de zinc détournée et le tour est joué – et sa capacité à faire “se lever les images” (ici un profil, là une courbure féminine, ailleurs un horizon marin). Ce faisant, il invite le spectateur à se contorsionner, à se positionner pour déceler le mystère de cette anamorphose aux courbes lascives ou se laisser surprendre par les variations d’un miroir reflétant tantôt le “je” (ME), tantôt le “nous” (WE). Ici, comme souvent dans les œuvres à spectateur unique (ces pièces à configuration ouverte conçues le plus souvent pour s’isoler au milieu de la foule), il s’agit de rappeler au “regardeur” la place qu’il occupe. De lui marteler, au risque parfois de se répéter, qu’il ne doit pas faire abstraction de son rôle de spectateur mais, au contraire, se “voir voyant”, en éveil permanent au sein de cette dynamique des regards échangés avec l’œuvre de cet artiste extrêmement singulier. C. M.

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jusqu’au 12 février à la BNF Richelieu, 5, rue Vivienne, Paris IIe, www.bnf.fr

sur les ailes de la danse De l’art et de la danse : on en veut toujours plus. Reconnaissons-le d’emblée : l’exposition Danser sa vie, qui vient de s’ouvrir au Centre Pompidou, consacrée aux rapports entre l’art et la danse tout au long du XXe siècle, offre une remarquable traversée du temps et des arts. Dense en chapitres, érudite par endroits, le tout avec une scénographie savamment rythmée qui sait alterner documents froids, vidéos-danses et installations scéniques, distillant enfin du contemporain dans les parties les plus historiques, l’exposition déroule d’un mouvement fluide et non-linéaire un siècle d’entrechats et de “lâcher prise” entre chorégraphes et plasticiens. D’où cette interrogation, qui n’est pas complètement un reproche : peut-on pour autant concevoir qu’une telle histoire se raconte uniquement par le haut, par le high, sans passer, ou si peu, ou si tard, par la pop, le jazz, le rock, le hip-hop, la house, l’electro et ses foules de ravers ? En fin de parcours, la vidéo d’Ange Leccia, évoquant La Fièvre du samedi soir, le go-go dancer de Félix Gonzalez-Torres ou The Show Must Go on de Jérôme Bel ne comblent pas cette lacune. Où sont passés ces corps dansants, branchés à l’électricité de la ville, des guitares, des amplis et des tables de mixage, ou enivrés de libération sexuelle ? C’est aussi l’histoire du XXe siècle. Certes, on nous dira qu’on n’a pas besoin du Centre Pompidou pour découvrir les déhanchements de Presley. Certes encore, l’exposition aurait perdu de son raffinement esthétique à sortir d’une histoire haute et occidentalocentrée de l’art et de la danse. Mais elle aurait gagné en “variétés”, en cultures mondialisées, en drogue, en hystérie, en postmodernisme. Et en dimension politique. Pour un Danser sa vie, volume 2 ! jusqu’au 2 avril au Centre Pompidou, Paris IVe, www.centrepompidou.fr

Jean-Max Colard 30.11.2011 les inrockuptibles 131

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chez tous les types arborant (au petit doigt, comme il se doit) cette chevalière Comme des Garçons comme-des-garcons.com

où est le cool cette semaine ? par Laurent Laporte et Marc Beaugé

dans la collaboration très réussie entre Lacoste Live! et les Parisiens Cool Cats (Pedro Winter, Michael Dupouy et So-Me) coolcats.fr 132 les inrockuptibles 30.11.2011

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sur la tête de cette jeune fille, coiffée du béret Blancq-Olibet, qui fut un temps celui des scouts de France labelleechoppe.fr

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certainement pas dans cette profusion d’éléments étiquetés cool ces derniers temps (la cravate club, la pochette, l’imprimé camp…)

oui, chez Zara zara.com

dans ce tapis kilim, encore davantage que dans ces chaussures de rando

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5 30.11.2011 les inrockuptibles 133

émissions impossibles ? A l’heure du streaming, de la baisse des audiences et de la panne d’idées, Bertrand Mosca, le nouveau patron de France 2, garde la tête froide et entend bien redonner du peps à la chaîne publique.

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ans les longs couloirs de France Télévisions, la grande silhouette frêle et la mèche blonde de Bertrand Mosca tranchent. Le nouveau directeur général de France 2 nous reçoit une de ces fins d’après-midi de  novembre où la fatigue commence à se faire sentir après une journée bien remplie. Car l’homme a du pain sur la planche : “Rémy (Pflimlin, le pdg de France Télévisions) m’a simplement dit de redresser la barre du vaisseau amiral”, rappelle-t-il. Rien de plus simple… Alors que les mauvaises audiences de rentrée de France 2 sont encore dans toutes les têtes, le nouveau taulier semble garder son sang-froid : “La seule personne à qui je rends des comptes, c’est Rémy Pflimlin.” Jusqu’à la fin de l’année, Bertrand Mosca est en mode “immersion” : réunions avec ses équipes et rendez-vous avec les producteurs se succèdent. Au programme : diagnostic, feuille de route et, parfois, thérapie de groupe. Depuis la rentrée, l’orgueil de la deuxième chaîne est touché en profondeur. Mission délicate d’autant que “la saison est engagée”, rappelle l’homme de télé. “Ma marge de manœuvre est limitée, je ne peux procéder qu’à des ajustements.” Dans son viseur, il a le coup d’après : “On se donne six mois pour préparer la rentrée de septembre.” Avec un objectif : “France 2 doit rester la chaîne leader du groupe public, même si l’arrivée de six nouvelles chaînes sur la TNT, et le rachat de Direct 8 et Direct Star par Canal+ ne sont pas là pour nous rassurer. A nous de résister ! Je vais essayer d’être aussi bon qu’à France 3 !”

“il faut avoir l’audace de bouleverser la grille pour surprendre” 134 les inrockuptibles 30.11.2011

Quand Mosca évoque son passé à la direction des programmes de France 3 entre 2000 et 2005 – le groupe public était alors dirigé par Marc Tessier, et la troisième chaîne par… Rémy Pflimlin –, on sent poindre une certaine nostalgie : “C’était la belle époque. Six ans de bonheur”, confie-t-il au détour d’une phrase. “Aujourd’hui, nous ne sommes pas dans le même contexte.” Pour autant, cet autodidacte de 54 ans, qui fut journaliste à Première et pour Gai Pied Hebdo avant de commencer à la télé au début des années 1990, n’est pas du genre à se décourager, lui qui aime tant rivaliser “d’audace”. A France 3, on lui doit des programmes tels que Les Minikeums, On ne peut pas plaire à tout le monde, et Plus belle la vie, lancé en août 2004 avec Perrine Fontaine, aujourd’hui directrice des programmes de France 2. “Le” feuilleton du service public avait commencé sa carrière durant les premières semaines à 6 % d’audience. A l’époque, Mosca et Pflimlin avaient plaidé sa cause auprès de Marc Tessier pour le garder à l’antenne… Preuve que les deux hommes ne sont pas du genre à paniquer en pleine tempête. Précisément, Mosca souhaite conforter les “fondamentaux” de France 2. Dès les premiers jours, le DG a rencontré Thierry Thuillier et Daniel Bilalian, les patrons de l’info et des sports du groupe – deux domaines où les audiences ne connaissent pas la crise – afin de “créer des passerelles”. Son idée ? Multiplier les soirées exceptionnelles sur un thème : “Créons l’événement, en programmant d’abord un documentaire ou une fiction, puis un débat, et enfin un deuxième docu.” Objectif ? Combler le retard d’audience sur les deuxièmes parties de soirées qui souffrent des tunnels de séries américaines sur TF1 ou M6. “Il faut avoir l’audace de bouleverser la grille pour surprendre”, souligne-t-il. De l’audace donc. Mais première leçon de la rentrée : France 2 se gère avec

au poste

au cœur du conflit syrien Des reporters ont pu se rendre sur le terrain.

douceur, tact et précision. “Ma ligne de conduite est la suivante : on développe des programmes, on les fabrique, et on les visionne. On ne fait pas tout en même temps. Et surtout explorons afin de se donner des possibilités, des plans B en cas d’échec.” Parmi les premières pistes déjà explorées : plusieurs pilotes d’émissions de magazines sont lancés sur de nouvelles thématiques comme la consommation, l’alimentation, l’économie. “Dans les prochains mois, la crise sera au cœur du débat, on est tous concernés.” L’émission culturelle du mercredi Avant-Premières, d’Elizabeth Tchoungui, va être diffusée plus tardivement et dans un format plus court. Des réflexions sont engagées pour la déplacer dans la case de troisième partie de soirée le jeudi. Autre projet, un magazine culturel tout en images… Sur Jean-Luc Delarue, de nouveau en congé

maladie, Mosca laisse planer le doute : “Je n’ai pas de religion sur le sujet. Tout est possible.” Question divertissement, l’homme semble plus que refroidi par les premières expériences de téléréalité sur une chaîne publique : “On y est allé, mais du bout des lèvres, et on ne l’a pas assumé totalement. D’où des programmes fades. Si c’est pour faire ça, autant ne pas y aller.” En fiction, le travail sur un feuilleton en journée – une des promesses de Pflimlin – vient tout juste de débuter. Pas de mise à l’antenne attendue avant… fin 2013 ! La rédaction devra également attendre septembre avant de disposer d’un programme court d’humour permettant de booster l’audience de son 20 heures. Mais Mosca connaît la musique : “Je suis conscient que je serai jugé rapidement à l’aune de mes résultats.” Marc Endeweld photo Raphaël Dautigny

La guerre civile gronde en Syrie. A huis clos, la répression des manifestants opposés au régime de Bachar Al-Assad a déjà fait plus de 3 600 morts en quelques mois. Très peu de journalistes occidentaux, faute de visas, peuvent rendre compte des combats sur place. Le reporter français Paul Moreira s’est, lui, rendu clandestinement dans le nord-ouest de la Syrie, par la frontière turque. Il y a filmé des soldats exaltés passés dans l’opposition, ceux qui constituent “l’armée syrienne libre”. Une armée de fortune, sans commandement, mais prête à en découdre pour mobiliser la majorité des Syriens, dont beaucoup – la bourgeoisie d’affaires en particulier – restent attachés au régime d’Assad. Moreira saisit sur le vif des combats de nuit et des manifestations en plein jour dans des villages révoltés : “Bachar dégage”, “c’est trop long, cette vie pleine de pleurs”, “bientôt nous allons attaquer Damas”, entend-on dans les rues en feu et en joie. Le reportage saisit au plus près cette révolte fragile, dont personne ne peut encore mesurer les effets à long terme. A Damas, le clan familial, soutenu par la communauté alaouite, semble ne pas vouloir transiger. Un état de guerre qu’a également constaté la reporter d’Envoyé spécial Manon Loizeau à Homs, où elle a filmé des victimes des tortures. Plusieurs moyens de pression peuvent pourtant peser sur le régime : la condamnation de la communauté internationale et de la Ligue arabe, mais aussi l’engagement possible des oulémas sunnites, qui comme l’analyse le politologue Thomas Pierret (Baas et islam en Syrie, PUF), ne cessent d’accroître leur influence au sein d’un pays lassé de l’autoritarisme sanglant de Bachar Al-Assad. En première ligne avec la résistance syrienne, lundi 5 décembre sur Canal+ à 22 h 35 Envoyé spécial, jeudi 1er décembre sur France 2 à 20 h 40

Jean-Marie Durand 30.11.2011 les inrockuptibles 135

Gérard Colé et Jacques Pilhan, célèbres conseillers com de François Mitterrand

recettes de cuisine Comment les conseillers en communication ont importé le modèle publicitaire dans l’espace politique.



l’heure du storytelling triomphant, des effets de manche bien connus des spécialistes de la communication politique, du pouvoir consolidé des “spin doctors” qui peuplent les antichambres de la République, que savons-nous précisément des règles d’un métier qui a fait de son opacité la première de ses vertus ? Les gourous de la communication, comme l’analysaient dans un livre récent Aurore Gorius et Michaël Moreau (Les Gourous de la com, trente ans de manipulations politiques et économiques, La Découverte) gardent secrètes leurs techniques

l’homme politique est devenu un produit comme un autre 136 les inrockuptibles 30.11.2011

de travail. Dans le registre de la politique, la communication a connu deux maîtres – Gérard Colé et Jacques Pilhan –, sur lesquels revient l’instructif documentaire de Cédric Tourbe, produit par Christophe Nick, Devenir président et le rester, les secrets des gourous de l’Elysée. Colé et Pilhan ont inventé en France “l’écriture médiatique”, c’est-à-dire un ensemble de règles sophistiques destinées, dans le champ politique, à “transformer l’improbable en possible et le possible en victoire”. En l’occurrence, lorsque Gérard Colé devient conseiller de François Mitterrand, à la fin des années 70, l’improbabilité de sa victoire en 1981 était alors admise par tous. Et pourtant, en pur stratège, il inventa le “produit” Mitterrand, aidé par Jacques Pilhan et Jacques

Séguéla, plus célèbre mais moins décisif que Colé. A l’époque, les gourous, qui ne juraient que par les études de la Cofremca et par les “groupes quali”, sondèrent les attentes de l’opinion et élaborèrent un argumentaire censé déstabiliser son adversaire Giscard, à partir de mots-clés consignés dans une note stratégique, baptisée “Roosevelt contre Louis XV ou l’homme qui veut contre l’homme qui plaît”, sur laquelle le candidat socialiste se reposa : pas vieux mais sage, pas tacticien mais courageux, Mitterrand incarna la “force tranquille”. Cette manière artificielle d’inscrire dans l’imaginaire national et sur l’agenda médiatique le tempérament supposé d’un leader politique s’est réellement inventée en France à ce moment-là. La communication, encore

modeste dans la France des années 70, avait trouvé ses gourous : Colé et Pilhan récidivèrent et empilèrent les coups, avec d’autres “opérations” comme “Jupiter” (la mise sur orbite de Fabius en 1984) ou “Dieu” (la stratégie visant à faire réélire en 1988 Mitterrand à partir d’une image de sphinx). Ce n’est que lorsque Edith Cresson fut nommée à Matignon en 1991 que Gérard Colé, en désaccord avec le président sur le choix, laissa Pilhan driver seul la communication d’un Mitterrand en bout de course. De quoi lui donner alors envie de rejoindre le camp adverse et devenir le conseiller de Jacques Chirac, élu en 1995. Sans chercher à saisir le paradoxe d’un engagement idéologique à géométrie variable, l’enquête de Cédric Tourbe porte sa réflexion sur une pratique dont le geste technique excède toute conviction sincère. Par-delà ses idées, l’homme politique est devenu un produit comme un autre, ou presque : l’imposition du modèle publicitaire dans l’espace politique, dont Colé et Pilhan furent les pionniers, cache autant de vices (la manipulation) que de vertus (la victoire). Lorsque le simulacre absorbe le vrai, lorsque le fond devient creux, comment ne pas se méfier des secrets des gourous de la com ? Jean-Marie Durand Devenir président et le rester, les secrets des gourous de l’Elysée, lundi 5 décembre sur France 3 à 23 h 05

“mieux vaut en rire” The Big C traite un sujet ardu, le cancer, avec humour et intelligence. L’actrice et productrice Laura Linney nous explique comment.

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ne série dont l’héroïne apprend au premier épisode qu’elle souffre d’un mélanome à un stade très avancé ne fait peut-être pas envie à tout le monde. Diffusée depuis 2010 sur Showtime, la chaîne de Weeds et de Nurse Jackie, The Big C réussit à se dépêtrer d’un pitch anxiogène pour proposer une plongée drôle et dure dans la vie d’une femme de 45 ans. Vue chez Eastwood notamment (Les Pleins Pouvoirs) et dans The Truman Show, l’actrice Laura Linney y est pour beaucoup. Elle a répondu à nos questions. Une série sur le cancer, a priori, ça ne donne pas envie. Laura Linney – Je n’avais aucune envie de faire une série télé, mais quand j’ai lu le script du pilote sur les conseils de Bob Greenblatt, l’ancien président de Showtime, j’ai trouvé un écho à de nombreuses questions qui me traversaient l’esprit à ce moment-là, notamment autour du temps : celui qu’il nous reste, celui qu’on perd. Beaucoup de mes amis sont morts jeunes. En même temps, en Amérique, il y a un dédain énorme par rapport au fait de vieillir. Je trouve cette logique folle. Pour moi, c’est un privilège de vieillir. Je pensais à tout ça, j’y voyais un beau terreau de fiction. Au-delà du cancer dont elle souffre, je considérais l’héroïne

138 les inrockuptibles 30.11.2011

de The Big C comme une femme qui doit gérer le temps qu’il lui reste. Je me suis dit que ce serait peut-être un projet intéressant dans lequel m’impliquer. Et j’ai dit oui ! Comment faire d’un sujet aussi lourd une comédie ? La série foisonne de répliques cinglantes qui appartiennent à sa créatrice, Darlene Hunt. Cette femme possède un humour étrange et piquant. Le ton général de The Big C se transforme et s’assombrit au fur et à mesure des épisodes et des expériences de Cathy, mon personnage, mais nous faisons face en permanence au même défi : la pression du sujet d’un côté, et la pression de l’humour de l’autre. C’est un drôle de mélange. J’ai vraiment été étonnée que la série puisse exister avec cette thématique dans un contexte comique. Cela surprend les gens, car on réserve plutôt les maladies aux drames. Mais ce changement de perspective me semble plutôt sain. Je pense que la meilleure façon de faire face à la vérité, c’est d’en rire. Se trouver confronté au cancer et à la perte possible de sa propre vie exige aussi de savoir s’en moquer. C’est une manière supportable de prendre la réalité en plein visage. On organise le chaos émotionnel en soi avec l’humour. Pour autant, la série n’écarte pas la question de la douleur, mais elle la traite de biais. Pour résumer, le cancer est le

contexte de The Big C, la comédie son arène et le temps, sa colonne vertébrale. Vous êtes aussi productrice de The Big C. Comment se passe le travail concret ? C’est une des raisons pour lesquelles j’ai accepté le rôle. En gros, cela signifie que je ne suis pas obligée de la boucler. Si quelque chose ne me plaît pas, je le dis. Je fréquente les plateaux depuis vingtcinq ans, ce qui n’est pas le cas des cadres de la chaîne. Je vois des choses qu’ils ne remarquent pas. Je m’implique dans le casting (j’ai par exemple suggéré l’acteur qui joue mon frère, John Benjamin Hickey), je discute avec les scénaristes, j’assiste aux réunions de production. J’adore ça. Je ne dors pas beaucoup, mais ça ne dure que trois mois et demi par an ! L’immédiateté de la télévision me plaît. Ce qui me plaît aussi, c’est d’interpréter un personnage de femme aussi complexe. Le fait que Cathy ait plus de 40 ans ne change pas grandchose pour moi, c’est comme si vous me disiez qu’il y a plein de séries avec des mecs quadras ! Comme pour n’importe quelle création, si les personnages sont bons, je suis contente. Mais c’est vrai, les chaînes du câble, et notamment Showtime, ont la sagesse de ne pas gâcher les talents qui existent et ne sont pas toujours utilisés ailleurs. Recueilli par Olivier Joyard The Big C, le 1er décembre à 1 h, puis tous les jeudis à 22 h 20 sur Canal+

brèves TF1 parle anglais Après Canal+ et ses internationales XIII et Borgia, la chaîne de Joséphine, ange gardien a décidé que le salut de la fiction française passait par la concurrence avec l’Amérique sur son propre terrain. Via EuropaCorp, TF1 va mettre en production une série policière en anglais, destinée à être vendue dans le monde entier. Contrairement à la rumeur, elle ne sera pas confiée aux créateurs de N.C.I.S., mais à “une autre grosse pointure américaine”, selon le producteur Thomas Anargyros.

Prime Suspect effacée NBC a stoppé la production de l’excellente série policière Prime Suspect, victime d’audiences faméliques. L’une des perles de l’année sera remplacée par l’adaptation de La Firme avec Juliette Lewis, dès le 8 janvier 2012.

focus

action commune

Community, la géniale comédie pop de Dan Harmon, est menacée. Mais ses fans font tout pour la sauver. es séries ne se cachent pas pour mourir. Quand une création adulée se retrouve menacée, ses fans peu nombreux mais actifs entrent en Arrested Development transe. En ce moment, les amateurs réanimée de l’éclatante Community font tout pour Une mauvaise nouvelle (lire que leur comédie préférée échappe à son ci-dessus) pouvant en cacher funeste destin. Lorsque NBC a annoncé la une bonne, on a appris le suspension en janvier de la série, pour retour de la mythique comédie cause de chiffres d’audience trop faibles, Arrested Development, le phénomène geek et viral a été immédiat. initialement diffusée sur la Fox. Résultat : on parle davantage de la série Cinq ans après l’annulation de aujourd’hui que lorsqu’elle semblait devoir la série, le géant internet poursuivre ses blagues pop et bizarres Netflix a acquis une saison 4 dans un semi-anonymat. Plusieurs pages de dix épisodes. Le créateur Facebook (“Save Community”) et un beau Mitchell Hurwitz et les acteurs Tumblr (savenbccommunity.tumblr.com) principaux (Jason Bateman, sont dédiés aux lamentations créatives des Will Arnett, Michael Cera, etc.) téléspectateurs, tandis qu’une campagne ont dit oui. sur Twitter remplace les lettres autrefois envoyées aux chaînes. Les hashtags #savecommunity et #sixseasonsandamovie accompagnent des initiatives variées, de l’insulte contre NBC à l’appel à l’aide de Terra Nova (Canal+, le 1er à 0 h 20 ) grandes marques – en 2009, Chuck avait Le meilleur épisode de cette série de survécu grâce à un partenariat avec les science-fiction préhistorique est le sandwichs Subway, initié par les fans… premier, que Canal+ diffuse dans le cadre En réaction, Dan Harmon a choisi d’être de sa soirée “Séries addicts”. La suite arrive au mois de janvier. aussi drôle que sa série. Sur son compte @ Danharmon, il précisait : “Ce soir, célébrons Showrunners (Orange Cinemax, le 4 la mise au placard de Community avec son à 18 h 20) Nerds de tous les pays, épisode le moins vendeur et le moins unissez-vous : la série documentaire de accessible !” Puis, apprenant que Arrested Virginia Vosgimorukian sur les créateurs Development allait connaître une seconde s’intéresse au cas Ronald D. Moore vie sur Netflix (lire ci-contre), il s’est (Star Trek, Battlestar Galactica). adressé à son créateur Mitchell Hurwitz : “Si cette histoire de Netflix est vraie, tu peux N.C.I.S. : Enquêtes spéciales (M6, le 2 leur parler de moi ? Je bosse dur et mon public à 20 h 50) Le vendredi, quatre épisodes adore regarder des trucs sur ordi.” Tous à la suite de N.C.I.S., l’originale. Le ensemble : #savecommunity ! O. J. samedi, quatre épisodes à la suite de

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agenda télé

N.C.I.S. : Los Angeles. Merci bien à M6 pour sa programmation imaginative et variée.

Community Saisons 1 et 2 disponibles en DVD Zone 1 30.11.2011 les inrockuptibles 139

Christophe Henry/Maha Productions

émissions du 30 novembre au 6 décembre

Qui sème le vent…

Collection privée

Téléfilm de Fred Garson, vendredi 2 décembre, 20 h 40, Arte

catégorie

au ras du Front Un documentaire analyse à partir d’archives et d’entretiens l’ascension de l’extrême droite dans le paysage politique depuis quarante ans.

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u début de l’ascension du Front national, au milieu des années 80, beaucoup doutaient de la pérennité de l’extrême droite française : le FN n’était souvent considéré que comme le symptôme d’une crise démocratique passagère. La crise a duré, le FN est devenu la troisième force politique du pays. Comment expliquer cette progression continue et cette longévité, inédite pour un parti d’extrême droite ? L’enquête de Grégoire Kauffmann, Emmanuel Blanchard et Jean-Charles Deniau, Le Diable de la République, 40 ans de Front national, creuse le mystère de cette aporie démocratique, en faisant le récit circonstancié de son évolution. La force du documentaire tient moins à ses révélations fracassantes qu’à la densification pédagogique de l’histoire du parti, nourrie d’images d’archives édifiantes et de témoignages d’hommes clés de l’épopée du FN : Pierre Vial, Pierre Ceyrac. Les visages moins connus de cette extrême droite française sont aussi la marque d’un parti dominé d’une main de fer par Jean-Marie Le Pen, dont le charisme mais aussi les circonstances dont il a toujours su tirer parti ont permis l’ascension. Dès la création en 1972 du Front par les fachos d’Ordre nouveau, Le Pen rassemble autour de lui les parties disséminées de l’extrême droite française. Son éminence grise, François Duprat, le pousse dès la fin des années 70 à relier chômage et immigration : le slogan “la France aux Français” devient un leitmotiv qui traverse les années 80 et 90. Le film retrace les étapes de la montée progressive du FN, les dérapages macabres du “diable de la République”, la dissidence mégrétiste, jusqu’à la nouvelle étape, en forme de tournant sur la question du rapport au pouvoir : le désir de le conquérir assumé par Marine, “fille du diable qui se veut séduisante”, selon le mot du Père Fouettard. Jean-Marie Durand

Le Diable de la République, 40 ans de Front national Mercredi 30 novembre, 20 h 35, France 3 140 les inrockuptibles 30.11.2011

Micmac politico-humanitaire autour de la production d’uranium au Niger. Un agent de la cellule d’urgence du Quai d’Orsay est envoyé au Niger où deux Français, membres d’une ONG antinucléaire, ont été pris en otage par des bandits islamistes. Scénariquement, l’ambition était énorme : synthétiser tout le processus de la Françafrique, en y mêlant une problématique environnementale (le nucléaire) et le terrorisme islamique. Pour incarner cet imbroglio assez bien agencé, Laurent Lucas et Natacha Régnier restent un peu prisonniers de la banalité fonctionnelle de leurs rôles. En matière de thriller politique télévisuel français, on préférait le récent L’Infiltré. Vincent Ostria

L’Interview TCM Frank Capra Lundi 4 décembre sur TCM, 22 h 20

Rare entretien du roi de la comédie sociale hollywoodienne. Une interview brute de décoffrage de Frank Capra, diffusée à l’occasion d’une intégrale du grand cinéaste hollywoodien sur TCM, qui survole en trente minutes son parcours, depuis les années 20, avec le comique lunaire Harry Langdon, grande star du muet, jusqu’au début des années 60. Le cinéaste surprend par son ton calme et modéré, qui ne cache pas son immense ambition, frustrée par le pouvoir grandissant des comédiens à Hollywood après la Seconde Guerre mondiale. Ce fut, d’après Capra, la principale raison pour laquelle il mit un terme prématuré à sa carrière. V. O.

Hommage à Amy Winehouse Dimanche 4 décembre, 20 h 35, France Ô

Quelques mois après sa mort, la soulwoman est déjà une légende. Son nom était presque celui d’un pub anglais, Winehouse, comme “maison du pinard”. Son son, lui, était résolument celui d’un pub anglais : la sono braillarde qui s’époumone à couvrir le bruit des grandes gueules du comptoir. Sans certificat d’origine contrôlée, la soul-music d’Amy Winehouse composait à chaque instant la bandeson d’un Londres gouailleur, perdu. Cinq mois après sa disparition, France Ô diffuse Live at the Porchester Hall (Londres 2007) et I Told You I Was Trouble, documentaire de Joe Kane qui retrace sa vie très dense mais très courte. S. T.

Louis XI, le pouvoir fracassé Téléfilm d’Henri Helman, mardi 6 décembre, 20 h 35, France 3

Suspense bien mené autour du machiavélique Louis XI. La vertu de ce téléfilm rythmé sur les derniers jours de Louis XI, est de mettre en valeur le climat de paranoïa permanente qui entourait ce monarque secret et manipulateur, qui apparaît comme un équivalent moins débauché, mais tout aussi cruel, de son quasi-contemporain italien, le pape Alexandre VI, alias Rodrigo Borgia. Jacques Perrin s’avère un bon choix pour le rôle principal : son masque lisse est idéal pour dissimuler la légendaire duplicité du personnage. V. O.

tous accros Comment les séries télé sont devenues une drogue dure.

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lus que n’importe quel autre objet culturel, la série télé a généré, depuis une quinzaine d’années, un phénomène d’addiction massif qui touche toutes les générations et tous les groupes sociaux. Pour analyser les mécanismes de ce type de dépendance, qui pousse à sacrifier ses nuits, voire ses jours, notre collaborateur Olivier Joyard a écouté des fans et experts, anonymes ou connus, comme l’écrivain Tristan Garcia qui compare la puissance de récit de Proust à celle de Lost (la recherche d’un temps perdu, en somme). Surtout, le journaliste analyse les modes de fabrication des

séries américaines, pour saisir en quoi les personnages nous obsèdent, devenant de troubles compagnons de vie. En interrogeant des auteurs comme Matthew Weiner ou John McNamara, en filmant une séance d’écriture collective de Breaking Bad, pilotée par Vince Gilligan, Joyard révèle les techniques d’écriture sophistiquées censées rendre dingues les addicts, quitte à décevoir ceux pour qui une série ne peut jamais vraiment s’achever, même avec de splendides funérailles. JMD Series Addicts documentaire d’Olivier Joyard. Jeudi 1er décembre, 2 3 h 05, Ca nal+

ce sont les pages de fans et le bouton “J’aime” qui posent problème

enquête

la guerre du bouton Après l’Autriche, Facebook fait face à une fronde allemande. Selon deux administrations régionales, le réseau social ne respecte ni le droit national ni les directives européennes, que la Commission veut d’ailleurs réviser.

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e front anti-Facebook s’élargit en Europe. La commission irlandaise de protection des données (le siège européen de Facebook se trouve à Dublin) examine depuis fin octobre vingt-deux plaintes déposées par un étudiant autrichien. Elles concernent notamment la conservation d’une foule d’informations pourtant prétendument supprimées. Au même moment, le réseau social fait face à une levée de boucliers en Allemagne, où il compte vingt millions d’utilisateurs. L’administration régionale chargée de la protection des données de Hambourg a allumé la mèche en août au sujet de la reconnaissance faciale, introduite en juin dans le pays. En cause : la base de données biométriques créée sans l’accord des membres déjà inscrits. “L’utilisateur qui le désire doit pouvoir se supprimer de la banque de données”, souligne Johannes Caspar, initiateur de l’action. Pour le

142 les inrockuptibles 30.11.2011

Dr Thilo Weichert, commissaire à la protection des données du Schleswig-Holstein, ce sont les pages de fans et le bouton “J’aime” qui posent problème. “Grâce à ces fonctions, Facebook constitue des profils d’internautes, explique Thilo Weichert. Or, cela n’est autorisé que si une information suffisante est donnée à l’utilisateur et qu’il a la possibilité de refuser.” Autre abus : le réseau de Mark Zuckerberg recueille aussi des informations de nonmembres par le biais de fichiers cookies. Les deux agences régionales concernées disposent de pouvoirs substantiels dans un pays fédéral comme l’Allemagne. Et elles les utilisent. Hambourg menace par exemple Facebook d’une ordonnance administrative, voire d’une amende. Thilo Weichert a de son côté mis en demeure des opérateurs publics (comme la chambre régionale de commerce et d’industrie) et privés de sites qui proposent le “J’aime” décrié. Et la ministre allemande chargée de la protection des consommateurs, Ilse Aigner, soutient ouvertement ces revendications. Elle avait elle-même fermé son profil Facebook plus tôt cette année en signe de protestation, puis appelé ses collègues du gouvernement à suivre son exemple. La pression fait un certain effet. En octobre, les responsables de Facebook Europe, Richard Allan, et de Google Allemagne, Per Meyerdierks, se sont rendus à deux reprises à Berlin, au ministère de l’Intérieur et au Bundestag, devant la commission “nouveaux médias”. “La réunion a permis de leur faire passer que le dialogue est important et les attentes élevées, ici, en matière de confidentialité, estime Sebastian Blumenthal, député libéral qui a modéré la rencontre. Nous recevons beaucoup de demandes de nos concitoyens. Ils s’inquiètent de savoir où vont leurs données et si c’est légal.” Bien conscient de cela, le ministère de l’Intérieur a annoncé travailler à un code de conduite avec les réseaux sociaux. Il devrait être prêt en mars 2012. “Un délai irréaliste”, selon Thilo Weichert. De toute façon, le texte serait non contraignant. L’urgence, pour Juliane Heinrich, porte-parole de l’Agence fédérale de protection des données, c’est bien plutôt d’adapter la loi : “Les règles juridiques allemandes dans le domaine datent pour partie des années 1970, soit bien avant internet. Mais pour légiférer sur la question, l’impulsion doit venir du ministre de l’Intérieur. Or, il ne le souhaite pas.” Reste que le débat franchit les frontières. La députée française au Parlement européen Françoise Castex a interrogé le 10 novembre la Commission sur la conformité de Facebook avec la législation des vingt-sept. “Force est de constater que le droit à l’oubli est loin d’être effectif !” s’inquiète la socialiste. La commissaire à la Justice, Viviane Reding, doit présenter fin janvier un projet de révision de la directive de 1995 sur les données personnelles. “Mais la proposition ne réglera aucune des questions litigieuses au sujet d’internet, a appris Thilo Weichert auprès d’une source interne à la Commission. Elle ne contiendra que des préceptes généraux.” Un (léger) progrès pourrait venir d’outre-Atlantique. Selon le Wall Street Journal, Facebook a récemment conclu un accord avec le gouvernement américain : dorénavant, les utilisateurs devront donner leur assentiment avant tout changement rétroactif de leurs paramètres de confidentialité. Rachel Knaebel

in situ chaînes d’élection France Télévisions et Canal+ lancent leurs sites dédiés à la présidentielle. France Télévisions propose de se repérer par candidats, partis, thématiques ou émissions. On peut suivre les tweets des hommes politiques. Idem dans la version Canal+ qui laisse une large place à la vidéo mais aussi à ses bloggeurs politiques. presidentielle2012.canalplus.fr et francetv.fr/2012

MP3 d’occasion Après les vieux bouquins, les CD ou même les vinyles devenus encombrants, on peut maintenant essayer de refourguer ses vieux MP3 qui “moisissent” dans le coin d’un disque dur. Cela dit, ReDigi n’accepte que la musique téléchargée légalement. A bon entendeur… redigi.com

toile d’artistes On pouvait retrouver ses anciens camarades ou rencontrer ses futurs collègues sur le net, voici maintenant le réseau social dédié aux arts. Présent dans 151 pays, Artilinki.com met en relation les artistes, les structures à la création et le public. Chaque membre dispose d’un portfolio pour présenter ses œuvres et projets. artilinki.com

cabot-gosse Depuis qu’il a explosé comme star montante d’Hollywood, le jeune Ryan Gosling est l’objet de toutes les attentions. Même les plus farfelues. “Ryan Gosling versus Puppy” pose une question d’une importance cruciale : entre l’acteur et un chiot, lequel des deux est le plus mignon ? Vous exprimerez votre opinion en vous appuyant sur les photos-témoins publiées quotidiennement. ryangoslingvspuppy.tumblr.com

la revue du web Owni

Wired

Rue89

ruraux sous haute surveillance

affamés

la crise stimule le street art

“La sécurité, ça n’a pas de prix”, assure un maire. Depuis quelques années, les villages de campagne mettent un sacré paquet d’argent dans la vidéosurveillance. Le record ? Baudinard-sur-Verdon, dans le Var, avec 12 caméras pour 155 habitants. Une caméra coûte entre 20 000 et 37 000 €, sans compter son entretien. Alors, pour s’équiper, les communes profitent des largesses du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), qui consacre 60 % de son budget à la vidéosurveillance. bit.ly/tigs2I 144 les inrockuptibles 30.11.2011

Pourquoi mange-t-on plus que de raison ? Pourquoi préfère-t-on généralement acheter une énorme portion de frites qu’on ne finira pas plutôt qu’une portion normale ? Selon une étude menée par des professeurs chercheurs d’HEC et du Kellogg School of Management, on en veut toujours plus, non par appétit, mais par désir d’avancer dans la hiérarchie sociale. Traduction : plus on a un statut social “faible”, plus on compense en consommant. En gros, la taille doit affirmer la puissance, même à l’heure du repas. http://bit.ly/utPRHD

Alors que la crise prend racine dans le monde, elle aura au moins eu un effet positif : inspirer les street artists. Du célèbre Shepard Fairey, qui fournit des flyers au mouvement de contestation Occupy Wall Street, aux ruines revisitées de la Grèce, en passant par le détournement des avatars du capitalisme (Monsieur Monopoly et les banquiers), on n’aura jamais vu autant de fresques, graffs et sculptures consacrés à critiquer le fric dans les rues d’Occident. bit.ly/tMLN4H

M6 Studio

vu du net

gauloiseries Les vrais Gaulois se découvrent dans une grande expo à la Villette, mais le net aussi s’attache à mieux les faire connaître. n dit d’eux qu’ils avaient peur que de la Loire (bit.ly/v2WaY8). le ciel ne leur tombe sur la tête (bit. Donc comme ça il n’y a jamais eu de camp ly/syihO1). Gaulois, une exposition romain baptisé Babaorum, ni de potion renversante (bit.ly/vgnCGl), à la Cité magique (bit.ly/uY1d2U) confectionnée par des sciences de la Villette à Paris, met un druide ? Pire, les Gaulois n’étaient en lumière depuis le 19 octobre ceux que même pas des bourrins moustachus qui l’image d’Epinal et les manuels d’histoire frappaient sur tout le monde (bit.ly/tox81j) présentaient comme “nos ancêtres” ou dévoraient des sangliers (bit.ly/ (bit.ly/o96tZd). Le but : “Bousculer tNC429) ? Les héros d’Uderzo et Goscinny les lieux communs et représentations (asterix.com) ont donné naissance à un caricaturales” sur les Gaulois grâce parc d’attractions (bit.ly/tXe2r9), à des aux découvertes archéologiques de ces films, à des buzz internet (dai.ly/rsJ5hZ), vingt dernières années, comme le port et ont même inspiré un resto à Paris (bit.ly/ gallo-romain de Ratianum, sur les bords a8dvuJ) et un poulet en barquette

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(legaulois.fr). Mais pourquoi tous ces clichés ? Notamment parce que les Gaulois ont laissé très peu d’écrits et que nous les connaissons surtout grâce aux récits, pas toujours objectifs, de leurs ennemis grecs et romains (bit.ly/vT6n8K). Mais l’exposition de la Villette n’est pas la première à vouloir chasser le cliché et lever le mystère : des livres sont parus sur le sujet, pour petits (bit.ly/uZM5B6) et grands (bit.ly/h90cKM) et des archéologues comme Jean-Louis Brunaux s’attachent à faire connaître la vérité (dai.ly/eiz3SM). Pour mieux connaître la vraie vie des Gaulois, on pourra aussi se plonger dans le visionnage de C’est pas sorcier (bit.ly/vIKVSD), prévoir un week-end dans un village reconstitué en Belgique (malagne.be) ou en Poitou-Charentes (gaulois-esse.fr) qui s’appuie sur les dernières fouilles réalisées sous l’égide de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap bit.ly/sV5t6f). Ou encore visiter un parc archéologique en Bourgogne (bibracte.fr), en Moselle (bit.ly/viZ6LC) ou en Auvergne (gergovie.arafa.fr). Il ne restera plus ensuite qu’à tester ses connaissances (bit.ly/tGN7Mi). Avant de demander la collection complète d’Astérix pour Noël. Béatrice Catanese

chanson Truth d’Alexander J’aime les chansons où le chanteur siffle au début, ça me rappelle la conquête de l’Ouest et la foi qu’on met dans les conquêtes. Et j’aime les chansons avec quelque chose d’ambitieux, qui essaie de nous faire voler au lieu de nous faire plonger ou tressauter.

Tous au Larzac de Christian Rouaud Documentaire très vivant sur le combat des paysans menacés d’expropriation dans les années 70.

Etienne Daho rééditions Deluxe et compile Monsieur Daho Célébration en grande pompe des 30 ans de carrière d’Etienne Daho, éternel adolescent toujours aux aguets.

La Sœur de Sándor Márai Un requiem post-Blitzkrieg écrit en 1946, enfin traduit en français.

The Look d’Angelina Maccarone Un docu sur Charlotte Rampling et cette scène d’anthologie où, lors d’une prise de vue, elle inverse les rôles et prend Peter Lindbergh en photo. La gêne sublime de cet homme… Ça en dit long sur la difficulté d’être photographié.

blog nerdboyfriend.com Des photos d’archives y sont publiées (Gregory Peck, Lord Mountbatten… que des hommes), avec les adresses où trouver les mêmes habits que ceux portés sur la photo. Une histoire de transmission de l’élégance… recueilli par Nelly Kaprièlian

Donoma de Djinn Carrénard Tourné pour rien, objet d’une énorme buzz sur le net, cet ovni filmique signe la naissance d’un cinéaste.

Le Stratège de Bennett Miller La frontière est mince entre les génies et les losers nous enseigne ce vertigineux film de sport sur la parole.

L’Ordre et la Morale de Mathieu Kassovitz Une minutieuse dissection des événements de la grotte d’Ouvéa par un Kassovitz sobre et tendu.

King Krule King Krule Du haut de ses 17 ans, l’ex-Zoo Kid a déjà enrôlé une armée de fans transis.

Lou Reed et Metallica Lulu Lou Reed et Metallica ont la joie de vous annoncer la naissance de Lulu, déluge de bruit blanc et d’idées noires.

Un été à Cold Spring de Richard Yates La faillite d’un jeune couple sur fond de Pearl Harbor. M83 Hurry up, We’re Dreaming Un péplum hollywoodien, blockbuster épique et pop.

Coffret Andreï Tarkovski L’intégrale de la figure absolue du cinéaste-artiste. Le Rôdeur de Joseph Losey. Brillant thriller sexuel avec flic psychopathe. Portier de nuit de Liliana Cavani. Revival nazi et succès provocateur des seventies.

146 les inrockuptibles 30.11.2011

L’Aventure marrane – Judaïsme et modernité de Yirmiyahu Yovel Un essai érudit qui permet de penser la multiplicité de nos identités depuis une réflexion sur la condition juive.

Atlas ou le Gai Savoir inquiet de Georges Didi-Huberman Montage vertigineux d’images et de références, cet essai porte un regard érudit et inédit sur le monde, l’art et l’histoire.

Aâma, tome 1 – l’Odeur de la poussière chaude de Frederik Peeters Une aventure SF pleine d’élégance.

Oui mais il ne bat que pour vous d’Isabelle Pralong Entre introspection et regard sur le monde, un récit fort et subtil.

Parle-moi d’amour ! de Robert et Aline Crumb Nausea de Robert Crumb Deux passionnants recueils très personnels.

Emanuele Scorcelletti

film

Sophie Fontanel La journaliste et auteur a publié, à la rentrée, L’Envie (Robert Laffont).

Le Cri persan chorégraphie d’Afshin Ghaffarian CND de Pantin Un solo pour dire l’impossible pari de danser dans son pays, l’Iran.

Mark Geffriaud Galerie gb agency, Paris Une expo qui gomme la toile de fond de l’expo, la césure entre les coulisses et la scène.

Rayman Origins sur PS3, Xbox 360 et Wii Le surdoué Michel Ancel présente la nouvelle mouture de son mythique Rayman.

Le Socle des vertiges de Dieudonné Niangouna Théâtre NanterreAmandiers Une pièce de groupe qui nous propulse dans le quartier des Crâneurs de Brazzaville avant les guerres civiles des années 90.

Mai-Thu Perret Magasin de Grenoble Une série d’œuvres gigognes dont la féminité n’est jamais absente.

Battlefield 3 sur PS3, Xbox 360 et PC Le nouveau Battlefield vient défier Call of Duty sur son terrain et excelle dans son mode multijoueur.

Onzième de François Tanguy Théâtre de Gennevilliers, Festival d’automne à Paris Un théâtre qui opère par déplacements et allusions, apparitions et disparitions, selon une logique proche du rêve.

Blair Thurman Galerie Triple V, Paris Une lampée de culture middleclass américaine dans l’abstraction picturale. Une expo qui pète littéralement la forme.

Sonic Generations sur PS3 et Xbox 360 Le hérisson mythique de Sega fête ses 20 ans. Un régal pour les fans.