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Ryan Gosling

l’acteur le plus cool d’Hollywood

le carton de Nuit blanche

assumé par

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primaire PS vous ne voulez plus de Sarkozy

votez

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Allemagne 5,10 € - Belgique 4,50 € - Canada 7,00 CAD - DOM 5,80 € - Espagne 4,80 € - Grande-Bretagne 5,20 GBP - Grèce 4,80 € - Maurice Ile 6,50 € - Italie 4,80 € - Liban 12 500 LBP - Luxembourg 4,50 € - Portugal 4,80 € - Suède 56 SEK - Suisse 7,50 CHF - TOM 950 CFP

No.827 du 5 au 11 octobre 2011

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je suis allée dans l’espace avec

Julie Delpy

O

n a rendez-vous dans le hall de l’hôtel Fouquet’s sur les Champs-Elysées. Les portiers valsent entre les grosses berlines et les cougars bling bling. Dans ce décor, en bobo casual, Julie Delpy fait l’effet d’un alien. Mais soyons ouverts d’esprit. On a le droit de faire des comédies de gauche et de descendre au Fouquet’s. “J’y enregistrais une émission, rigole-t-elle, à vingt heures de boulot par jour depuis deux ans, je dois être à 5 euros de l’heure.” OK. Delpy, pendue au téléphone, ne touche plus terre. Elle a dormi deux heures. C’est promo, promo, pour son nouveau film Le Skylab, très loin de son fils de 2 ans resté à Los Angeles. “Pas facile d’être mère et réal, après je fais un break.” En guise de récré, on saute dans un taxi et on quitte la France de Sarkozy pour prendre de la hauteur au planétarium. “Je ne lis presque que les dossiers de La Recherche en ce moment.” Julie Delpy est une grosse fan de sciences et de SF, option Descartes. Gamine, elle était douée en maths, en biolo et surtout en philo. “J’aimerais bien faire un film de SF mais ça coûte cher.” D’abord, elle se voit écrire des nouvelles. Mais l’actrice-réalisatrice n’est pas du genre à croire que la vérité est ailleurs. A Philip K. Dick, elle préfère Isaac Asimov : “Un scientifique. J’aime la SF cartésienne, je n’ai jamais pu regarder Le Seigneur des anneaux.” En attendant, comme un clin d’œil, son dernier film porte le nom de la première station spatiale US, crashée sur Terre le 11 juillet 1979. “Ma mère appelait à l’époque toutes les cinq minutes pour que je ne sorte pas”, se souvient Delpy, alors en vacances en Bretagne chez sa tante, comme dans Le Skylab, où la famille se réunit le weekend du crash pour l’anniv de mamie. Après l’indé rigolo Two Days in Paris et

“regarde l’Everest. Comparé aux montagnes de Mars, c’est minus”

le tragique La Comtesse, cette chronique familiale fait dans le popu intelligent et drôle. A des années-lumière du Paris fric et toc où on est venu la récupérer. “Le Skylab parle de la famille française, de la France, avec un humour très terrien sans être caricatural”, explique-t-elle. En partie autobiographique, le film est aussi un hommage à sa mère, l’actrice Marie Pillet (maman gauchiste et féministe jouée par Delpy, hilarante). “Après son décès, c’est une façon pour moi de dire merde au sombre, d’être dans la vie.” On entre dans le palais de la Découverte. “Regarde l’Everest. Comparé aux montagnes de Mars, c’est minus.” La colonisation de la planète rouge, elle y croit. “On a intérêt à se magner, un vrai gros cataclysme et c’est fini ici.” Dans Le Skylab, il est aussi question de colonisation, mais d’une autre nature. Indochine, Algérie. “Mon père (Albert Delpy, parfait en oncle dépressif dans le film) parlait beaucoup de la guerre d’Algérie. Heureusement, il n’a eu à tuer personne car il s’est fait passer pour myope… Cette histoire n’est toujours pas réglée.” On pénètre dans le planétarium. La lumière s’éteint. Quatre mille étoiles apparaissent. La tête nous tourne. “Wahou… ça me fait penser au ciel de Tahiti.” Le voyage commence. Jupiter, Vénus, la Grande Ourse, Sirius, Mars. “Là, c’est la Voie lactée en train d’être déformée par l’antimatière !”, coupe Delpy qui enchaîne les questions au guide. Elle a de nouveau 11 ans, comme Albertine (Lou Alvarez, formidable), son héroïne rondelette à lunettes qui aime Harrison Ford, Star Wars et Alien. “Elle regarde de la SF, lit Rahan, c’est une geek, pas une lolita.” Comme son modèle. Anne Laffeter photo Yannick Labrousse/Temps Machine Le Skylab de Julie Delpy (lire critique p. 90)

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No.827 du 5 au 11 octobre 2011

03 quoi encore ? Julie Delpy

08 on discute 10 sept jours chrono

39

le paperblog de la rédaction

14 événement les temps forts des défilés printemps-été 2012 à Paris

16 événement

Denis/RÉA

courrier ; édito de Serge Kaganski

la justice se rapproche de Brice Hortefeux

18 nouvelle tête David Lescot

20 la courbe ça va ça vient ; billet dur

22 ici footballeur, Rom et vert Afghanistan, la guerre oubliée

26 à la loupe Lana Del Rey, icône numérique

28 parts de marché Arianna Huffington, fondatrice du site The Huffington Post

en une – spécial primaire PS 39 primaire, mode d’emploi

64

petit rappel des modalités du scrutin

40 un fauteuil pour six à la veille du vote des sympathisants de gauche, passage en revue des candidats

Milton H. Greene. Courtesy Joshua Greene, 2011

30

24 ailleurs

51 que le meilleur perde les politiques en quête de défaite

52 le président Coué John Moore/Getty Images/AFP

à l’Elysée, on garderait le moral, mais des candidats de rechange sont évoqués

30 Ryan Gosling, easy driver portrait d’un chien fou d’Hollywood, pilote stylé du film Drive

54 Feist ce qu’il te plaît

83

nouvel album baba et magnifique

58 vertige du désamour Pascal Rambert met en scène la fin d’un couple : cruel et beau

dossier 16 pages

64 Marilyn parle !

Nuit blanche

entre spiritualité et communautarisme

Bruno Fert

extraits de ses mémoires en exclusivité

83 le Pakistan écartelé

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racontée heure par heure

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88 Crazy Horse de Frederick Wiseman

90 sorties Le Skylab, Le Sauvage, Au seuil de la vie, Dream House, De bon matin…

94 portrait Alan Clarke, cinéaste des bas-fonds

96 dvd l’incroyable diversité du cinéma de propagande américain

98 les jeux changent le monde + El Shaddai + The Gunstringer

100 Deus étincelles de magie et de sensualité

102 mur du son Sigur Rós, R.E.M., Cesaria Evora…

103 chroniques The Kooks, Kouyaté/Neerman, Death In Vegas, The Duke Spirit, Das Racist…

112 morceaux choisis Zulu Winter, Tom Waits…

115 concerts + aftershow festival Electro-Alternativ

116 Grisélidis Réal liberté, égalité, sexualité

118 romans Sylvia Plath, Douglas Coupland, Isabelle Coudrier, Philippe Garnier…

122 tendance Finkie, Sarkozy et princesse de Clèves

124 idées Pierre Nora, historien public

126 bd City 14 de Gabus et Reutimann

128 la France à New York + Festival des théâtres de marionnettes + Instants critiques

130 XIe Biennale de Lyon + Le Printemps de septembre

132 à la recherche du cool Casely Hayford, Adeline Adeline…

134 La Gueule de l’emploi l’horreur des entretiens d’embauche

136 Jul le Diogène des caricaturistes

137 le sexe s’écoute quand Arteradio fantasme

138 séries Borgia, le vilain méchant pape

140 télévision répression en Syrie

142 mort sur le net le funéraire en ligne, secteur d’avenir profitez de nos cadeaux spécial abonnés

p. 144

145 la revue du web décryptage

146 best-of le meilleur des dernières semaines

les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34 rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Hélène Fontanaud, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs M.-A. Autet, P. Azoury, D. Balicki, E. Barnett, G. Binet, R. Blondeau, M.-A. Burnier, B. Catanese, D. Doucet, C. de Greef, M. Despratx, S. Ducros, B. Fert, F. Gabriel, J. Goldberg, E. Higuinen, O. Joyard, B. Juffin, L. Laporte, Y. Labrousse, J. Lavrador, G. Le Guilcher, H. Le Tanneur, T. Legrand, L. Mercadet, B. Mialot, P. Mouneyres, Y. Oremiatzki, V. Ostria, O. Père, E. Philippe, A. Poujol, J. Provençal, M. Rigaux, F. Rousseau, Y. Ruel, L. Soesanto, P. Sourd, P. Veinstein, N. Vermoesen lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Jérémy Davis, Amélie Modenese conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Amankaï Araya publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/ scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté de Paul-Boris Bouzin tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 coordinatrice Evelyne Morlot tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 19 98 directeur et directrice de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94, Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 chef de publicité junior Chloé Aron coordinateur Guillaume Farez tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 coordinatrice Sarah Carrier tél. 01 42 44 15 68 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/rp Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 assistante promotion marketing Margaux Scherrer tél. 01 42 44 16 68 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19 infos 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 2 211 059,61 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général David Kessler directeur général adjoint Stéphane Laugier assistante du directeur général Valérie Imbert directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2011 directeur de la publication David Kessler © les inrockuptibles 2011 tous droits de reproduction réservés ce numéro comporte un encart abonnement 2 pages Belgique et Suisse jeté dans l’édition vente au numéro Belgique et Suisse ; un encart abonnement 2 pages “Edition générale” jeté dans l’édition vente au numéro ; un CD “Une rentrée 2011 vol. 2” encarté dans toute l’édition ; un raidisseur mis sous film dans l’édition vente au numéro

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droit de réponse

l’édito

à qui la faute ? A force de s’intéresser à la crise, on finit par y perdre son grec tant les avis d’experts sont pléthore et se contredisent. Les subprimes ? La dette américaine ? La gouvernance européenne boiteuse et lente ? La croissance flaccide ? L’incurie des Etats depuis trente ans ? Une offensive lancée par le couple anglo-américain à poil contre une zone euro mieux vêtue qu’eux ? La faute aux banquiers cupides ? Aux spéculateurs inconscients ? Aux politiques lâches, ou incompétents, ou les deux ? Aux Grecs fraudeurs ? Aux Allemands égoïstes ? Aux Chinois protectionnistes nageant dans les liquidités ? Aux salauds de pauvres ? A Reagan et Thatcher ? A Keynes ? Voltaire ? Friedman ? Lièvremont ? Même confusion quand on examine les solutions éventuelles. Faut-il lancer des obligations européennes ? Donner plus de pouvoir à la BCE ? Créer une grande banque publique européenne ? Un super-ministre des finances continental ? Réduire les déficits au risque de la récession ? Relancer l’économie en oubliant la dette ? Supprimer la Bourse ? Renflouer la Grèce au risque d’être belle poire pour les Hellènes ? Interdire la spéculation ? Taxer les transactions ? Redéfinir notre politique fiscale ? Obliger les Chinois à réévaluer leur monnaie ? Revenir au sesterce ? Placer notre épargne dans des tam-tams françafricains ? On en était là de nos méditations pascaliennes (les “pascals” de 500 francs, vous vous souvenez ?) face à une boussole économico-financière affolée quand un certain Alessio Rastani nous a indiqué le nord. M. Rastani est ce “trader indépendant” qui a donné une courte mais mémorable interview à la BBC dans laquelle il disait à peu près : rien à cirer des gouvernements, c’est Goldman Sachs qui est aux manettes. Puis : vive la crise, meilleur moyen de se faire plein de blé rapidement. Une dernière pour le dessert : d’ici 12 mois, des millions de gens auront perdu toutes leurs économies, et ce n’est que le début. L’étonnant n’est pas le contenu de ces propos qui confirment ceux des Badiou, Besancenot, Mélenchon, mais leur brutale franchise ainsi que leur émetteur, un insider de la finance. Qu’Alessio Rastani soit au-delà ou en deçà de la réalité, crédible ou pas, son intervention indique une certitude dans notre océan de confusion : la guerre économique est déclarée.

Serge Kaganski

Vous avez publié dans le numéro du 20 au 26 juillet un article intitulé “Vache folle sur ordonnance” contenant des propos calomnieux et diffamatoires à mon encontre. En effet, contrairement à ce qui est évoqué en légende de ma photographie, je n’ai pas été “expert [de l’Afssaps] pour la sécurité virale des héparines en même temps que consultant pour le fabricant du Lovenox”. L’intertitre en regard de la même photographie indique “comment l’expert justifie-t-il qu’il travaillait en privé pour un médicament qu’il était censé évaluer pour la santé publique”, phrase extraite d’une partie de texte qui ne me concerne pas mais qui est accolée à ma photographie. Or je n’ai pas expertisé le dossier du Lovenox pour l’Afssaps, ce qui aurait été effectivement contraire et à l’éthique et à la loi. La réglementation du médicament imposant l’inclusion de rapports d’experts indépendants sur les différentes parties des dossiers présentés par les industriels, c’est à ce titre que j’ai écrit en 2002 un rapport qui analysait la sécurité virale de ce médicament, que la firme a inséré dans son dossier d’enregistrement. Un résumé de ce rapport très technique a par ailleurs été rendu disponible pour informer les pharmaciens hospitaliers (résumé qualifié de “brochure” sans même que son contenu soit commenté). Comme le prévoit la réglementation, j’ai déclaré cette mission pour l’industrie à l’Afssaps, en double transparence puisque ce rapport était inséré dans le dossier sous ma signature. Evidemment, l’Afssaps ne m’a pas confié le dossier Lovenox à expertiser. Les règles gouvernant la prévention des conflits d’intérêt ont donc été parfaitement

respectées, contrairement à l’affirmation de “conflit d’intérêts élevé” mentionné dans l’article. Ceci a été précisé à votre journaliste. Par ailleurs, contrairement à ce qu’indique l’article, le comité “prions” que je présidais à l’époque ne s’occupait pas des héparines car ce comité dépendait de l’Afssa (l’agence de sécurité sanitaire des aliments), une agence qui n’a rien à voir avec l’Afssaps (dite agence du médicament) en charge du dossier des héparines. La confusion me porte évidemment préjudice, car elle implique que je présidais un comité ayant à examiner un dossier sur lequel j’aurais alors eu un conflit d’intérêts. Ceci est infondé et diffamatoire. Sur le fond, que votre article n’aborde pas, je constate que près de dix ans après la rédaction de ce rapport, son contenu n’est contesté par personne. Aucun cas de “vache folle” chez les patients n’est venu invalider les conclusions de ce rapport (contrairement à ce que chacun peut comprendre du titre très accrocheur “vache folle sur ordonnance”, “cet anticoagulant… qui aurait déjà tué 80 personnes”). En conclusion, je récuse les légendes et intertitres cités, le terme de “double rôle” utilisé dans l’article, et de manière générale tout conflit d’intérêts sur ce dossier. Depuis vingt ans, je crois avoir contribué à ce que la France devienne un pilier de la sécurité virologique des médicaments, après que jeune virologue, j’ai été comme d’autres collègues profondément heurté par le scandale du sang contaminé. Ce type d’article n’apporte malheureusement pas grand-chose à l’information des lecteurs et est de ce point de vue inutilement blessant. Pr Marc Eloit

Depuis 2002, Marc Eloit est membre du groupe d’experts “sécurité virale” des produits de santé de l’Afssaps. A ce titre, à la demande du directeur général, il peut donner un avis sur la sécurité des médicaments contenant des produits biologiques (muqueuses animales, etc.) et sur le risque ou non qu’ils contiennent des virus ou des agents transmissibles, tels que des prions. Les médicaments à base d’héparine font partie du champ de ces avis. Parallèlement, et les déclarations d’intérêts publiées par l’Afssaps en attestent, Marc Eloit exerce depuis 2001 des “missions ponctuelles” pour SanofiAventis. Il s’agit de missions de conseil pour des rapports d’expertise sur l’héparine destinées à figurer dans un dossier soumis à l’évaluation de l’Afssaps. Ainsi, selon le tableau de classification des risques des conflits d’intérêts établi par l’Afssaps, le cumul de ces missions pour Sanofi-Aventis et du rôle de monsieur Eloit au sein de l’Afssaps comporte “un risque élevé de conflits d’intérêts”. Les Inrockuptibles

Ecrivez-nous à [email protected], lisez-vous sur http://blogs.lesinrocks.com/cestvousquiledites

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction

[sellette]

Francis le Gaucher

“Brice Hortefeux est désormais sur la sellette”, le juge Courroye aussi. Dans l’affaire Karachi, Thierry Gaubert et quelques autres se retrouvent “sur la sellette”. Et que fait-on lorsque l’on peut descendre de ce siège fatal ? D’après l’entourage de M. Hortefeux, “si cette affaire est purgée en octobre, on remonte en selle”. La selle serait donc l’inverse de la sellette. Cela posé, les sellettes paraissent fort occupées puisqu’on lit “les banques européennes sur la sellette”, ou le capitalisme financier, ou même “les acariens sur la sellette” (ce qui mériterait un dessin). Qu’est-ce qu’une sellette ? Ce mot, qui date du XIIIe siècle, désigne “un petit siège bas sur lequel on faisait asseoir les accusés pour les interroger” (Le Robert). L’objet n’existe plus. Il est comme tant d’autres introuvable dans le commerce. De là l’intérêt de cette métaphore qui dans son flou médiéval dispense de tout autre précision.

Simon Barber/Millennium/Plainpicture

le mot

le Royaume puni L’Angleterre sort dernière d’un classement des dix pays d’Europe où il fait bon vivre (selon le Guardian). Pourquoi ? Pas assez de soleil, retraite tardive, vacances trop courtes, bouffe, essence, alcool et cigarettes hors de prix. Ajouter émeutes, violence et criminalité, et 12 % des Britanniques veulent émigrer. Où ? Sûrement dans le pays en tête du classement : la France ! soirée très Specials Mardi 27, une collection complète de polos Fred Perry et de damiers 2 Tone se presse devant l’Olympia, où Aznavour fait relâche pour laisser place à une autre légende : The Specials. Privé de son cerveau Jerry Dammers mais nullement de ses jambes et de son cœur d’antan, le groupe anglais de Coventry nous rajeunit de trente ans en deux heures d’un show impérial où les classiques de son fabuleux répertoire se bousculent autant que la foule (bon enfant) des rude boys aux premiers rangs. des flics et des fiches Le site Copwatch déboule avec des dizaines de photos de flics, en civil ou en uniforme, accompagnées de l’identité du fonctionnaire et de commentaires sur ses pratiques. Le but ? Dénoncer violences et abus des forces de l’ordre. Les syndicats de police, Alliance Police nationale en tête, sont outrés et jugent ces “propos scandaleux, diffamatoires et mensongers”. Claude Guéant dépose deux plaintes pour diffamation. Ce sera néanmoins coton de fermer le site, hébergé aux Etats-Unis.

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l’image Michael Jackson post-mortem

Comme toutes les grandes icônes (Marilyn, Tupac, Elvis), le King of pop ne pourra reposer en paix.

Pool/AFP

Act Up vs Novartis Mercredi 28 : Act Up se pointe devant le siège français du laboratoire suisse Novartis, qui vient d’intenter une énième action judiciaire contre le gouvernement indien, leader mondial des génériques, menaçant ainsi l’accès aux traitements pour des millions de personnes. Le faux sang coule à flots et les activistes donnent de la voix sous l’œil bienveillant des policiers. La direction de Novartis refuse de recevoir Act Up et Les Inrocks. misère meurtrière Le 28 encore, un incendie ravage un squat en Seine-Saint-Denis. Six migrants tunisiens et égyptiens meurent. Claude Guéant met en cause “la réalité dramatique de l’immigration” et les “filières criminelles”. Claude Bartolone, président PS du conseil général, dénonce “le manque de places en hébergement d’urgence”. Ce drame survient pendant le procès de l’incendie d’un autre squat où avaient péri 17 personnes dont 14 enfants en 2005 à Paris. mamma Robinson est partie Sylvia Robinson, chanteuse et productrice américaine, est morte le 29 septembre, à 75 ans. C’est la fin d’une carrière longue et riche : premier album à 14 ans, tube soul éternel en 1956 en duo avec Mickey Baker (Love Is Strange) et rebelote en 1973 avec Pillow Talk. Sylvia entre dans la grande histoire comme productrice en 1979, quand elle crée le label Sugarhill, maison mère des pionniers du hip-hop de l’âge d’or, de Grandmaster Flash à Spoonie Gee. la matière musique Que faire quand les CD ne se vendent plus et que la musique se dématérialise ? Aller à l’extrême inverse, en commercialisant des coffrets coûteux bourrés de bonus, sortes de beaux livres à écouter. La tendance est à la hausse cet automne avec la sortie d’un luxueux coffret consacré au Nevermind de Nirvana, d’une intégrale richement emballée de Pink Floyd et d’une intégrale vertigineuse des Smiths, où tous les formats (vinyles, 45t, CD japonais) ont été remasterisés et réédités sous leurs pochettes d’origine. Et comme dans Pif, il y a des gadgets.

Stupeur mercredi quand déferle sur internet la photo de la dépouille de Michael Jackson. Plus de deux ans après sa mort, il y apparaît rigide, sans défense, sur un lit d’hôpital. Etrange pour celui qui avait pris l’habitude de cacher son visage derrière masques et tissus ces dernières années. Pour son ultime photo (diffusée lors du procès contre son médecin personnel accusé d’homicide involontaire), Michael Jackson, roi de la pop, n’aura même pas droit à un artefact de saint Suaire. Demeure, tout de même, son statut quasi divin ; malgré cette photo, Michael Jackson est bien entré dans la liste des icônes dont la mort officielle n’est que le début d’un autre récit. Comme Marilyn, Tupac, Elvis ou Marlon Brando certains n’en démordent pas : Michael est toujours en vie et se la coule douce quelque part sur une île.

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Joël Saget/AFP

le moment

Philippe Courroye, sous pression

Convoqué, le puissant procureur de Nanterre pourrait être mis en examen et dire adieu à sa carrière. Pour une fois, c’est lui qui va prendre place sur le fauteuil réservé aux personnes interrogées dans une procédure judiciaire. Dernier proche de Nicolas Sarkozy dans la tourmente, Philippe Courroye, procureur de Nanterre, est convoqué par la juge d’instruction Sylvia Zimmermann “aux fins de mise en examen”. La justice lui reproche rien de moins qu’une “atteinte au secret des correspondances”, une “collecte de données à caractère personnel par moyen frauduleux, déloyal ou illicite” et enfin une “violation et recel du secret professionnel”. Le procureur des Hauts-de-Seine et son bras droit, Marie-Christine Daubigney, convoquée pour les mêmes infractions, pourraient bien dire adieu à leurs carrières. Lui qui visait le prestigieux poste de procureur de Paris s’est dit indigné de “cette mise en cause calomnieuse”. C’est un commandant de l’inspection générale des services (IGS) qui a parlé à la juge d’instruction. Il assure que Courroye lui a ordonné, pendant les révélations en cascade sur l’affaire Bettencourt, de se procurer les fadettes (factures téléphoniques détaillées) des portables de journalistes du Monde. Certains syndicats de magistrats suggèrent qu’une mise en examen du procureur rendrait inévitable sa démission. 

joueurs olympiques Soirée promo d’Eurostar, sponsor des JO de Londres. Face aux Tuileries, Jarvis et Gondry invitent à boire du champagne. Le leader de Pulp distribue à la centaine d’invités des instruments verts fluo, à mi-chemin entre le tuyau de machine à laver et la vuvuzela. Une poignée de choristes à sa droite et Gondry à la batterie, Jarvis entame les premiers accords d’un morceau inédit conçu pour le film publicitaire des JO. Instrumental, aérien et brillamment orchestré, le titre impressionne par son ampleur. Maintenant qu’il est capable de jouer quatre minutes à Paris, Jarvis pourrait-il envisager un retour de Pulp dans la capitale ? B2O au POPB Samedi 1er , un an après la sortie de son album Lunatic, Booba faisait son Palais omnisport, aka le Saint-Graal du rappeur français. Une formalité pour B2O qui n’a eu aucun mal à remplir les 15 000 places de la salle. Le public est donc venu participer avec enthousiasme à une cérémonie d’autocélébration ultracalibrée à base d’écran géant, de danseuses aux chorés douteuses et de featurings de renom (Ryan Leslie, Maître Yoda). Outre deux hommages émouvants (l’un à DJ Mehdi l’autre à Bram’s, membre regretté du 92i), Booba s’est le plus souvent retrouvé seul sur scène : sans backeur, si ce n’est le public reprenant toutes ses paroles, des premiers titres de Lunatic (émouvante version a cappella de La Lettre) à Panam, extrait d’Autopsie vol. 4 à sortir mi-novembre. On contrôle la zone, négro.

Les Inrocks au tribunal A procès d’exception, dispositif d’ampleur : à partir du 4 octobre et pendant trois semaines, pour le procès en appel des tireurs présumés de Villiers-le-Bel (ils ont pris de trois à quinze ans en première instance), plusieurs journalistes des Inrocks se relaieront et publieront les comptes rendus d’audience sur un blog. Des contributeurs extérieurs (Serge Quadruppani, Ali Soumaré) s’exprimeront dans des tribunes : intellectuels, bloggeurs, professionnels de la chaîne pénale. Ce blog veut aussi être une plate-forme où proposer, contredire, débattre, renverser les points de vue pour cerner les enjeux. Vous y êtes les bienvenus (http://blogs.lesinrocks.com/villierslebel). L. M., G. S. et B. Z., avec la rédaction

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Jacques Brinon/AP/Sipa

nouvelle vie pour Kenzo Reprise en main par

renouveau et petit nouveau

le duo fondateur de la boutique américaine Opening Ceremony, Humberto Leon et Carol Lim, la maison française a livré, après quelques années de torpeur l’une des collections les plus colorées et réussies de la saison, ce qui ne va pas forcément de pair.

Les temps forts des défilés printemps-été 2012 à Paris.

A défaut d’avoir conquis la foule modeuse avec son tout premier défilé, brouillon et juvénile, le rappeur s’est rattrapé sur la piste, arrosant largement les amis en verres gratos.

DMI/Wenn.com/Sipa

Kanye West prend sa revanche au Silenzio

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François Mori/AP/Sipa

chez Dior, bientôt la lumière Pour la deuxième fois depuis la disgrâce de John Galliano, la maison défilait sans créateur star, et sans grand éclat. Dans les jours qui viennent, la confirmation de l’arrivée attendue de Marc Jacobs devrait enfin sortir l’institution de sa léthargie forcée.

Ghesquière toujours Saison après saison, année après année, Ghesquière continue de sculpter, chez Balenciaga, cette silhouette fatale, pincée à la taille et large aux épaules. Certes, c’est toujours un peu la même histoire, mais pourquoi faire la révolution quand on atteint un tel degré de constance et de quasi perfection ?

WWD/Condenast-RÉA

Marc Beaugé

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Pascal Rossignol/Reuters

Brice dévisse Proche parmi les proches de Nicolas Sarkozy, Hortefeux a vu tomber deux plaintes contre lui et s’ouvrir une enquête préliminaire. Après MAM et Woerth, un nouveau “carbonisé” de la Sarkozie ?

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as le temps de savourer sa relaxe en appel, le 15 septembre, pour sa boutade douteuse sur les “Arabes-Auvergnats” : Brice Hortefeux, placardisé comme Rachida Dati au Parlement européen et dans un vague rôle de conseiller de l’Elysée, a récolté cette semaine deux plaintes et une enquête préliminaire du parquet de Paris. Le 23 septembre, Le Monde révélait les écoutes judiciaires du portable de l’ancien ministre de l’Intérieur. Ce dernier a appelé Thierry Gaubert – ex-conseiller de Nicolas Sarkozy mis en examen – pour le mettre en garde contre les révélations faites par sa femme au juge Van Ruymbeke qui enquête sur l’affaire Karachi. Une erreur de bleu. “Elle balance beaucoup apparemment Hélène, dit Hortefeux à Gaubert. Ça m’embête de te le dire par téléphone (…). Il y a plein de choses…” Celle qui déballe beaucoup, c’est Hélène de Yougoslavie. En pleine procédure de divorce, elle assure que son futur ex-mari transportait des valises pleines de billets, en 1995, pour les remettre à Nicolas Bazire, alors directeur de campagne d’Edouard Balladur. A l’époque, Brice Hortefeux est responsable de l’organisation des déplacements et des meetings du même candidat. Contacté par Les Inrocks, Hortefeux assure avoir appelé son ami Thierry Gaubert sur la base de rumeurs. Un peu court comme explication pour les familles des victimes de l’attentat de Karachi qui ont décidé de porter plainte contre lui pour violation du secret de l’instruction, subornation de témoin et entrave à la

manifestation de la vérité. Interrogé vendredi dernier par la police sur son éventuelle connaissance du dossier judiciaire, le vice-président de l’UMP a adopté une ligne de défense un peu différente du début de semaine. Il assure qu’il a eu “une intuition” après avoir lu sur un site internet qu’un témoin accablait Thierry Gaubert. Comme si la barque judiciaire n’était pas assez chargée, une seconde plainte a été déposée contre lui par l’avocat des familles des victimes de l’attentat de Karachi, Olivier Morice, pour menace et intimidation envers sa personne. En cause, des propos reportés dans Le Nouvel Observateur où Brice Hortefeux aurait estimé que l’avocat devrait être “fracassé”, de la même façon que les journalistes “fracassent” les amis de Nicolas Sarkozy. Contrairement à tous ses amis mis en examen, l’ancien ministre de l’Intérieur a réussi l’exploit de s’inviter tout seul dans l’affaire Karachi. Encore pressenti il y a peu pour devenir le directeur de campagne de Nicolas Sarkozy pour la présidentielle de 2012, ce vieux grognard de la Sarkozie passe aujourd’hui pour un boulet. Et quand les journalistes du JDD pointent qu’il semble lâché par l’exécutif, Brice Hortefeux se sent obligé de rappeler que ses liens avec le président “sont inoxydables”. Une amitié de trente ans semblant aujourd’hui se heurter aux dures lois de la realpolitik. Dans cette mauvaise passe, Nicolas Sarkozy n’a pas daigné l’appeler de la semaine et, selon le Canard enchaîné, aurait confié en privé : “Il est carbonisé.” David Doucet et Geoffrey Le Guilcher

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David Lescot Ce passionné de jazz joue et met en scène ses propres pièces de théâtre. Il débute à l’opéra avec The Rake’s Progress de Stravinski.

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uel rapport entre la pyramide de Ponzi et Stravinski ? Aucun bien sûr. Même si David Lescot, lui, s’intéresse aux deux. Tandis qu’il fait sa première incursion dans la mise en scène d’opéra avec The Rake’s Progress d’Igor Stravinski,

il présentera bientôt Ponzi, nouvelle pièce sur celui qui fut, dans les années 1920, le précurseur de Bernard Madoff. David Lescot est un touche-à-tout, c’est sa nature. Auteur, metteur en scène, acteur, il se débrouille aussi très bien à la guitare et à la trompette.

Passionné de jazz, il est ravi de sa dernière incursion dans l’univers de Stravinski. Après 33 tours, duo incisif et drôle avec le danseur DeLaVallet Bidiefono, présenté cet été à Avignon, il poursuit son œuvre discrète mais percutante à l’opposé de toute grandiloquence :

“Je rêve d’un art total, mais à partir de l’intime. Confronter l’épique et l’intime, la poésie et la musique, l’hybridation, c’est le théâtre qui permet ça.” Hugues Le Tanneur photo Caroline de Greef The Rake’s Progress du 8 au 16 octobre à l’Opéra de Lille, www.opera-lille.fr

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“rallumer tous les soleils”

Daniel Jackson

“tellement n’dwiches”

The Sartorialist

retour de hype

Bertrand Bonello

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

“j’ose plus dire ‘bref’ depuis Bref”

les mémoires de Courtney Love Bonnie Prince Billy au Trianon Snatch Mag #9

le tennis

Rihanna “si jamais c’est vraiment la fin du monde, au moins on n’aura plus de soucis”

La Face cachée de Franck Ribéry

“et sinon au lieu d’interdire le ‘Mademoiselle’ on pourrait pas plutôt interdire Mademoiselle K ?

les smileys

“Si jamais c’est vraiment la fin du monde, au moins on n’aura plus de soucis” Le pasteur Harold Camping, qui avait déjà annoncé la fin du monde le 21 mai dernier, a fixé une nouvelle date : le 21 octobre. Cool. Les smileys “Si ce n’était pas ma fille, je ne l’aurais pas choisie pour amie et vice versa”, a déclaré sur

Jacques Toubon

RTL la mère de Tristane Banon, tout en nuançant : “Mais on échange des dizaines d’émoticones et autres petits smileys donc il n’y a absolument aucun problème sur le plan affectif.” Alors ça va. “Tellement n’dwiches” Aux dernières nouvelles, Faudel se serait reconverti en vendeur de sandwiches rue de Grenelle. D. L.

billet dur

Greg Soussan

C  

her Marc Lièvremont, Tu m’autorises à t’appeler mon lapin ? Ok, c’est bête, mais ça me fait rire. En revanche, toi tu rigoles pas avec les journalistes, en conférence de presse c’est plaquage au sol, clé de bras force 15 et grosse mandale sous la mangeoire. Ça me rappelle ma jeunesse, car pour avoir grandi dans ce que l’on appelle “un pays de rugby”, je me souviens que les rugbymen étaient généralement ceux qui ne rentraient pas de boîte de nuit à la même heure que leurs dents et se réveillaient le lendemain avec la trace de celles des autres sur leurs premières phalanges. Ah, mon lapinou, “les belles valeurs de l’ovalie” ! Bon, n’y connaissant pas grand-chose à ton jeu de baballe, je pensais au départ qu’il s’agissait d’un titre de porno, dans la même collection que Gang Gang gay chez les Dieux du stade, Derrière Bernard Laporte verte ou Ton Bouclier de Brennus, je vais te le carrer

dans… mais je m’égare. Non, sincèrement, j’ai bien aimé ta manière de claquer le beignet à ces inopportuns plumitifs qui osaient émettre des réserves sur ton équipe de ballerines après le passage des gros Blacks qui vous ont, quand même, méchamment ratissé la gueule. Tu as plus de chance que Domenech, tu te souviens, ce type qui ressemblait à un croisement de Jospin et d’Emmanuelli et qui, lorsqu’il disait un vague mot de travers à la presse, provoquait une affaire d’Etat, foutait le feu à la Fédération et manquait de terminer écartelé en place publique sous l’ordre conjugué de Roselyne Bachelot et de Jean-Michel Larqué. Avec toi c’est différent, c’est l’ovalie quoi, on se fout sur la gueule mais on s’embrasse quand même, viril, copains de manchon de canard et de calendrier des postérieurs. Bon, moi si je t’embrasse, je crois que tu vas m’en coller une, mon lapin. Christophe Conte

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Marianne Rigaux

le Rom du foot francais Insulté autant qu’acclamé en Roumanie, Banel Nicolita tente de s’intégrer en France dans son club de Saint-Etienne.

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n Rom bienvenu en France ? La presse britannique n’est pas dupe. “Saint-Etienne achète un gitan, alors que la France les paie pour s’en aller”, a titré The Guardian suite au transfert du footballeur Banel Nicolita qui a signé pour trois ans à l’Asse le 31 août, quittant le Steaua Bucarest après six saisons. Signe distinctif : il est le seul footballeur d’origine rom à jouer dans la sélection nationale roumaine. Un exploit dans un pays où les Roms sont très discriminés. “Banel est une exception. Peut-être peut-il changer l’image des Roms en Roumanie et en France”, espère Valeriu, son homme de confiance. Un vœu pieu, surtout quand un ministre de la République ne cesse de pointer la “délinquance roumaine”. A l’entraînement, le Roumain saute sur tous les ballons, sous l’œil attentif de Valeriu, qui fait aussi office de traducteur, d’agent, de garde du corps et de colocataire. “Je vais rester avec lui les premiers temps. C’est pas facile de s’intégrer sans parler français.” Nicolita sourit beaucoup mais n’est pas loquace. Il expédie l’interview, se disant “très content d’être là”. Sa famille – six frères et sœurs – est “très fière” de lui, depuis son village de Faurei (2 000 âmes). Il trouve Saint-Etienne “très calme”. La situation des Roms en France ? Le joueur élude la question. Aurait-il reçu des communicants la consigne de botter en touche ? Valeriu intervient : “Il n’aime pas parler de ses origines.” A la mairie de Saint-Etienne, on évite le sujet : dossier sensible. Depuis l’été, la municipalité

socialiste a fait expulser plusieurs squats, et, régulièrement, militants et Roms se rassemblent sur les marches de l’hôtel de ville pour exiger des relogements. “Evidemment, quand on réussit dans le milieu du sport, on est tout de suite mieux accueilli…”, note, amère, Anne-Sara, de l’association Solidarité Roms de Saint-Etienne. L’histoire de Banel Nicolita est en effet celle d’une ascension fulgurante. En 2008, à 26 ans, il incarne le meilleur espoir du foot roumain. Il doit attendre trois ans avant d’être acheté par l’Asse pour seulement 700 000 euros. Il gagnera 35 000 euros par mois, soit deux fois plus qu’au Steaua, mais moins que le salaire moyen d’un joueur de Ligue 1. Comme Thierry Henry avant lui, Nicolita a été nommé ambassadeur contre le racisme par la Fifa. Un titre symbolique, mais pas vraiment enviable, réservé aux joueurs particulièrement insultés au cours de leur carrière. “Le jour où il a reçu le brassard de capitaine du Steaua, il en a pris plein la gueule. Le brassard à un Rom ! C’est inconcevable pour certains !”, se souvient un journaliste qui le suivait à l’époque. Idem, voire pire, le jour où il a marqué contre son camp, faisant gagner le Real Madrid ! Chaque fois, Nicolita la joue fair-play et profil bas. Même lorsque, des tribunes du stade Ghencea de Bucarest, montent des “Tzigane ! Tzigane !” – injure suprême là-bas. Paradoxalement, il serait aussi le Rom le plus populaire de Roumanie, largement acclamé par la presse locale. “Il est très aimé par tout le monde”, assure Valeriu. Son prochain défi : devenir le Rom le plus aimé en France. Marianne Rigaux

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Cérémonie aux Invalides en hommage aux sept soldats tués en juillet dernier

Eric Feferberg/AFP

“une nation ne peut conduire une guerre longue sans qu’il n’y ait de débat sur ses finalités” le général Desportes

la guerre la plus longue Dix ans que la France est en Afghanistan. Qui s’en rend compte? La majorité et l’opposition s’accordent à ne pas en parler.

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l faudrait qu’il y ait des morts en Afghanistan pour qu’on en parle.” Aurore Buil avait dit ça à une collègue de la maison de retraite où elle était aide-soignante. On était en août 2008 et à la radio, elle s’en souvient, on ne parlait que de l’Ossétie du Sud. Deux heures plus tard, on lui annonçait la mort de son mari, Damien. Dix ans, 75 morts et 500 blessés français après l’entrée en guerre, le conflit en Afghanistan reste invisible en France. Quand le sujet nourrit un débat brûlant en Allemagne, a fait tomber le gouvernement néerlandais, le nom du pays n’a jamais été prononcé lors des deux débats de la primaire du Parti socialiste. “C’est incroyable, on n’est toujours pas en guerre en Afghanistan !” s’énerve Joël Le Pahun dont le fils est mort dans la même embuscade d’Uzbin, qui a fait 10 morts le 18 août

2008. “Le ministère de la Défense continue de dire que nous sommes là-bas pour former la police afghane, pour que les enfants aillent à l’école…” “On ne va pas là-bas pour se taper la belote”, disait Damien Buil à sa femme. “Les militaires savaient qu’ils partaient à la guerre, ce sont les politiques qui n’arrivent pas à le dire”, dit Aurore Buil. Depuis dix ans, un consensus mou s’est formé autour d’une guerre jamais assumée, 4 000 soldats français pour les 140 000 de la coalition. “Aucun des partis n’a intérêt à lancer un débat parce qu’il n’y a pas de bonne solution”, résume le général Vincent Desportes. “Et les résultats réels sont trop ambigus pour que l’exécutif ait intérêt à en tirer argument”, explique le général. Anciennement à la tête du collège interarmées de Défense,

il a été sanctionné pour avoir, l’an dernier, critiqué la stratégie afghane dans un entretien au Monde. “Je crois fondamentalement qu’une nation ne peut conduire une guerre longue sans qu’il n’y ait de débat et de consensus sur ses finalités”, dit-il aujourd’hui. Quand la droite se saisit – rarement – du sujet, c’est pour être le parti du patriotisme. Le député du Rhône Philippe Meunier (UMP) vient de proposer d’inscrire les noms des soldats tombés en Afghanistan sur les monuments aux morts. “Je ne veux pas mettre de politique là-dedans”, précise-t-il. Le débat, c’est un autre sujet. Après la mort de son fils, quand Joël Le Pahun a “arrêté les calmants”, il est allé faire le tour des partis politiques. “Il faudra qu’on se revoie au moment des élections”, lui a t-on répondu au Parti socialiste.

La gauche est mal à l’aise. C’est pendant la cohabitation Jospin qu’on a envoyé les premières troupes avec des objectifs diplomatiques autant que militaires. Jacques Chirac a voulu en faire plus auprès des Américains pour rattraper le non à l’Irak, se justifie Jospin aujourd’hui. “Il n’était pas question pour Lionel Jospin que la France reste là-bas pendant dix ans”, assure Louis Gautier, son ancien conseiller défense. “La gauche a manqué de vigilance.” Parmi les alliés, note le colonel Michel Goya, “La France est le seul pays à s’être engagé assez volontairement dans une zone de guerre, la Kapisa, en 2008. On a sous-estimé le danger politique et militaire. L’embuscade d’Uzbin provoque un contraste entre un combat très violent et le sentiment général qu’on n’était pas en guerre.” Les courbes de soutien de l’opinion à l’engagement militaire français s’inversent alors. Trois Français sur quatre y sont maintenant opposés, selon l’Ifop. “Il ne se passera sans doute rien d’ici mai 2012”, prévoit le colonel Goya. “On sait qu’on est sur le départ, que ce n’est pas glorieux, alors on fait tout pour minimiser les pertes”, résume Justin Vaïsse, historien et chercheur à la Brookings Institution, “la guerre est devenue une affaire de professionnels qui ne concerne plus que les villes de garnison et les familles de militaires.” Guillemette Faure

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Lana Del Rey Mysterio Entre icône hollywoodienne d’antan et it-girl postmoderne, la jeune fille ultrasophistiquée incarne à merveille la génération numérique.

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gangsta Nancy Sinatra

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Dans la moiteur de l’été surgissait Lana Del Rey. Elle à New York, nous un peu partout, son clip home made Video Games (vu près d’1,5 million de fois sur YouTube) redonnait un certain intérêt dramatique à nos vacances. Pionnière d’un nouveau genre – le “Hollywood Sad Core”, pourquoi pas – Lana Del Rey se présentait alors comme une “gangsta Nancy Sinastra”. Voix chaude et beauté mutante (cette bouche, tout de même : pourquoi ? comment ? vraiment ? ah bon ?), même en automne, Lana Del Rey continue de fasciner. Entre icône hollywoodienne d’antan et it-girl postmoderne, elle ajoute à ses talents musicaux un certain sens de la mise en scène. Tantôt Rita Hayworth période Gilda, tantôt Julia Roberts des eighties, Lana Del Rey s’inscrit exactement là où il faut dans l’air du temps. C’est-à-dire dans la nostalgie fantasmée.

Nicole Nodland

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l’esthétique Tumblr

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faites la moue pas la guerre

Dans ses clips, Lana, docteur ès minauderies, alterne extraits de films ou de dessins animés vintage avec des images d’elle en train de faire la moue. Yeux rivés vers l’objectif ou regard fragile et fuyant, elle joue habilement de son pouvoir de séduction et met toutes les armes de son côté. Crinière irréelle, fringues ultratendance, corps sculpté… la sophistication va jusqu’à la bouteille de whisky bue au goulot ou aux maxi faux ongles rose pastel (avec lesquels il doit être un peu compliqué de jouer de la guitare ?). A 24 ans, elle est la parfaite incarnation de la génération de l’autoportrait numérique, celle qui s’applique à se montrer sous son meilleur angle sur internet et se fantasme ainsi en personnage de récit.

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Avant Lana Del Rey était Lizzie Grant, mignonne blonde platine plus banale qu’envoûtante. Si l’artwork de l’album sorti sous son vrai nom (ep en 2008, album en 2009) n’a clairement rien à voir avec la sophistication qu’on lui connaît aujourd’hui, la voix entêtante et l’imaginaire rétro sont déjà là (cf. le clip difficilement trouvable sur internet de Kill Kill). Toutefois, les mythes dont Lana Del Rey se sert et s’inspire dans ses vidéos se mêlent désormais à merveille avec son image de femme fatale au bord de la crise de nerfs. Ses clips ressemblent à des Tumblr, ces blogs dits “hype”, où l’iconologie du genre est célébrée de posts en reposts : collages, bonnes meufs, citations mi-romantiques, mi-désespérées côtoient des gifs animés d’un battement de cils de Marylin Monroe, des Polaroid du vieil Hollywood ou des screenshots de films de la Nouvelle Vague. Des images qui rendent instantanément nostalgiques d’un moment qu’on n’a pourtant jamais vécu. Efficace.

Diane Lisarelli

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web maîtresse

brèves Facebook facilite l’interactivité culturelle Partager ses goûts culturels devient encore plus facile sur Facebook. Le 22 septembre, Mark Zuckerberg a confirmé l’arrivée d’une plate-forme d’applications optimisant la circulation de contenus entre utilisateurs. On pourra par exemple accéder, depuis son profil, à une chanson écoutée par un ami. Des partenaires (Spotify et Deezer pour la musique, Dailymotion pour la vidéo, etc.) donnent accès à leur contenu d’un simple clic. Les utilisateurs pourront aussi commenter leurs découvertes grâce à de nouveaux boutons. musique gratis en illimité… pendant six mois Le service de musique en ligne Spotify annonce la fin temporaire de ses restrictions d’écoute. Les nouveaux inscrits et les titulaires récents d’un compte “open” (gratuit) auront accès au catalogue musical en illimité durant six mois. Ensuite, les utilisateurs qui ne paient pas retrouveront la limitation à dix heures par mois et cinq écoutes par titre. Autre nouveauté : il faut être membre de Facebook pour accéder à Spotify.

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n dépit des nombreux ennemis qu’elle s’est faits dans la profession aux Etats-Unis, Arianna Huffington, qui envisage de s’implanter en France, est conviée le 10 octobre au Centre de formation des journalistes (CFJ) pour la leçon inaugurale de l’école. En 2009, lorque l’école de communication de l’université de Syracuse avait décerné un prix à la fondatrice du Huffington Post, Simon Dumenco, chroniqueur média d’Advertising Age, en avait avalé son clavier : “Une école dont le but est de former des journalistes a mieux à faire que d’honorer une femme qui pense que les journalistes doivent travailler gratis.” Bill Keller, alors directeur de la rédaction du New York Times, avait allumé en mars, quand elle avait vendu son site 315 millions de dollars à AOL, celle “qui a découvert que si vous prenez du people, des vidéos de chats mignons, des posts de bloggeurs pas payés, des articles venant d’autres médias, si vous en blindez votre site et que vous ajoutez une ambiance de gauche, des millions de gens viendront”. Il la voyait en figure de proue des “recycleurs” d’infos : “En Somalie, on appellerait ça du piratage. Dans la médiasphère, c’est un modèle économique respectable.” Arianna Huffington lui avait répliqué qu’elle générait deux fois plus de pages vues que le site de son journal et lui avait demandé si le dernier journaliste économique qu’elle avait débauché du New York Times était venu chez elle éditer des vidéos de petits chats. “Elle est jugée responsable de la baisse de qualité du journalisme et de l’érosion du modèle économique, décode Kelly McBride, du Poynter Institute, un groupe de réflexion sur le journalisme, c’est injuste : elle

John Keatley/REDUX/RÉA

Arianna Huffington, fondatrice du site The Huffington Post, propose une autre façon de traiter l’info en ligne. Très controversée aux Etats-Unis, fera-t-elle école en France ? capitalise sur ce mouvement mais n’en est pas responsable.” Toujours d’après Kelly McBride, les journalistes américains ne sont pas non plus à l’aise avec le côté boîte à outils pour démocrates du site, sorte de pendant de gauche à Fox News. “En Europe, ça vous dérange moins, non, qu’on mélange l’opinion et les faits ?” Jay Rosen, prof de journalisme à la New York University (et partenaire du HuffPo sur un projet avec ses étudiants), considère que cette rancœur trahit les angoisses de la profession. “Quand les journalistes américains parlent d’Arianna, ils réagissent à ce qu’ils pensent que le HuffPo dit de leur avenir.” Il ajoute une explication culturelle. “Arianna n’a jamais été acceptée dans ce club de mecs qu’est la presse sérieuse. Elle vient d’un autre monde, de Grèce, de la politique, des célébrités, du commentaire.” (Résumer la carrière d’Arianna Huffington, 61 ans, ex-jeune auteur, divorcée d’un républicain dont elle a poussé les ambitions, puis candidate démocrate, et toujours star des talk-shows, déborderait de cette page). Six ans après le lancement du site, les médias US ont compris qu’elle allait rester dans le paysage. Pour le meilleur ou pour le pire, ils copient ses méthodes. Le Daily Beast, sur le même principe, a repris Newsweek. “Au début, on ne voyait ça que comme du trafic détourné. Depuis, les autres médias s’aperçoivent que lorsqu’elle met en avant une de leurs infos, elle leur renvoie beaucoup de trafic”, signale Steve Outing, spécialiste de la presse en ligne. Arianna Huffington aussi a changé. Moins frontale et plus rassurante pour les vieux du métier. Elle dit par exemple qu’en vacances, elle aime avoir les journaux au petit déjeuner. “Qui veut mettre de la confiture sur son MacBook ?” Guillemette Faure

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webécole Les métiers internet ont leur école européenne, lancée par les fondateurs de Free, de Meetic et de Vente-privee.com. L’EEMI a accueilli les 140 élèves de sa première promotion lundi  26 septembre. Pour quoi faire ?

pas de bonus

“Otograff” n° 1 Symbiose entre le net et le papier, le premier numéro (papier) du magazine d’actualité Otograff est en vente sur le web. Pour le numéro 2, les internautes sont invités à participer à sa création en envoyant leurs contributions. Les (futurs) lecteurs peuvent ensuite composer eux-mêmes une partie du contenu de leur trimestriel, qui leur sera envoyé à domicile.

où en est “Têtu” le non de Méheut Bertrand Méheut, président de Canal+, conteste devant le Conseil d’Etat la décision de l’Autorité de la concurrence de retirer l’autorisation de rachat du bouquet numérique TPS par le groupe Canal+.

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Tetu.com vient d’arriver dans le top 5 des sites d’info français qui suscitent le plus de réactions sur Facebook. Dans la foulée, le magazine gay et lesbien a lancé une nouvelle formule papier pour son numéro 170.

La Commission européenne refuse d’entériner les “chaînes bonus” de TF1, M6 et Canal+, trois canaux dits “compensatoires” attribués en 2007 sans mise en concurrence. Un dossier technique de plus à régler pour le gouvernement français, avec la norme de diffusion de la TNT.

Zuckerberg au top Le fondateur de Facebook a gagné cette année sa place dans le top 15 des personnalités les plus riches des Etats-Unis. Selon le magazine Forbes, le jeune pdg pèse aujourd’hui plus de 17,5 milliards de dollars (12,8 milliards d’euros).

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Ryan Gosling, easy driver Le pilote vengeur et stylé de Drive s’est imposé en quelques mois comme l’acteur le plus cool de sa génération. Portrait d’un chien fou d’Hollywood. par Romain Blondeau photo François Rousseau

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Drive de Nicolas Winding Refn : tueur taiseux mais très bien habillé



ar quel miracle un petit gamin maigrelet du Canada se retrouve-t-il, vingt ans et quelques rôles plus tard, propulsé nouveau hit boy d’Hollywood ? Avant la présentation au dernier Festival de Cannes de Drive (prix de la mise en scène), Ryan Gosling n’était un visage familier qu’auprès des aficionados d’un cinéma indépendant américain, découvert dans quelques films restés confidentiels comme Half Nelson (qui lui valut tout de même une nomination à l’oscar du meilleur acteur) ou Blue Valentine (avec Michelle Williams, sorti au printemps dernier). Dans son costume de driver, en cascadeur romantique filmé sous tous les angles (le plus souvent de la ceinture aux pectoraux) par l’ombrageux réalisateur danois Nicolas Winding Refn (Pusher, Bronson), Ryan Gosling apparaît soudain comme une évidence, une icône de cinéma en silence, un jeune Clint Eastwood, héritier moderne de Steve McQueen. Et c’est tout le cinéma US contemporain qui semble ne plus pouvoir se passer de lui : dans la comédie Crazy, Stupid, Love, le mois dernier, aux côtés de Steve Carell, et dans le nouveau et oscar friendly movie de George Clooney, Les Marches du pouvoir (26 octobre), où il tient le rôle, très Matt Damon style, d’un jeune conseiller politique idéaliste. Une consécration rapide qui semble n’avoir aucune emprise sur l’acteur que l’on rencontre : Ryan Gosling évoque sa (déjà) longue carrière, son enfance de baby-star passée sur les bancs du Mickey Mouse Club (un show télévisé qu’il intègre à 12 ans aux côtés de Britney Spears ou Justin Timberlake – chez qui il vivait ado), ses débuts d’acteur, son groupe de rock indé (les excellents Dead Man’s Bones)… Il parle aussi d’une idée du cinéma dont il est l’ardent prosélyte : un cinéma d’auteur très personnel, peu formaté et qui, selon ses termes, “a des couilles”.

“Gaspar Noé est un poète et a des putains de couilles”

Les Marches du pouvoir de George Clooney : militant démocrate à l’idéalisme malmené

Que faites-vous en ce moment ? Ryan Gosling – J’ai commencé le tournage d’un film de mafia situé dans les années 50, The Gangster Squad de Ruben Fleischer – un film d’époque, en costumes. Tout est tellement organisé, le type de grosses productions auxquelles je ne suis pas trop habitué. D’autant que dans un tout autre genre, je viens de finir un thriller de Derek Cianfrance, où j’incarne un cascadeur qui braque des banques pour faire vivre sa famille. J’avais déjà fait Blue Valentine avec Derek, j’aime beaucoup son style : on est en complète immersion avec lui, il y a beaucoup d’improvisation sur les tournages. Ce sont des expériences assez électrisantes. Vous vous êtes illustré pendant des années dans les films indépendants et l’on vous découvre maintenant dans des comédies grand public ou des blockbusters. De quel cinéma vous sentez-vous le plus proche ? J’ai fait la plupart de mes films dans le circuit indé : Danny Balint, Blue Valentine, Une fiancée pas comme les autres, et je m’épanouis plus dans ce genre de cinéma que dans les grosses productions. Ce sont de meilleurs films tout simplement parce qu’il y a moins de pression. Quand vous tournez un film pour beaucoup d’argent, cela engendre généralement trop de risques, de peurs et autres pensées contre-productives. C’est bon d’être effrayé quand on fait un film mais pour des raisons différentes. Je dois jouer dans le remake de L’Age de cristal par Nicolas Winding Refn, un film de SF à gros budget qui, peut-être, me fera changer d’avis. Derek Cianfrance, Nicolas Winding Refn : vous multipliez les projets avec les mêmes cinéastes. C’est important ce genre de relation au long cours ? C’est bizarre mais j’envisage ce type de lien avec les réalisateurs comme des mariages, et les films seraient un peu nos bébés. En ce moment, je suis plutôt porté sur la polygamie car je fréquente deux cinéastes en même temps (rires). Disons qu’on respire ensemble, on monte un projet ensemble, alors c’est indispensable de trouver la bonne personne. Et je pense qu’il n’y a pas de grand acteur sans grand cinéaste. Lorsque j’ai rencontré Nicolas Winding Refn pour Drive, les premiers contacts ont été très mauvais, c’était assez tendu. Puis on s’est retrouvés tous les deux en voiture sur

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Crazy, Stupid, Love de John Requa et Glenn Ficarra, en conseiller de Steve Carell pour pécho

l’autoroute à écouter Can’t Fight this Feeling de Reo Speedwagon et quelque chose s’est passé entre nous, on a trouvé le moyen de communiquer, presque par télépathie. Vous êtes à l’origine du projet Drive et vous aviez la possibilité de choisir le réalisateur du film. Qu’estce qui vous a attiré chez Nicolas Winding Refn ? On partageait le même rêve, cette même idée que Drive ne devait pas être un film d’action classique mais plutôt une expérience existentielle. On voulait dépasser le script et le livre (le film est l’adaptation du roman éponyme de James Sallis – ndlr), faire une sorte de film mental. Et puis Nicolas est un grand metteur en scène, c’est un fétichiste : tout ce qu’il filme devient puissamment érotique. Les réactions des gens qui ont vu Drive sont passionnantes, ils nous disent “on a l’impression d’avoir rêvé le film”, les images restent imprimées en eux longtemps après la projection. Je pense que l’on fait des films pour provoquer ce genre de réaction, pour participer à une expérience collective. Votre personnage dans Drive évoque les grandes icônes de la fiction hollywoodienne : James Dean, Steve McQueen… On a plutôt imaginé le driver comme un personnage de conte : un chevalier qui doit libérer une princesse (Carey Mulligan) des mains d’un magicien noir (la mafia). Il se bat pour la pureté et doit apprendre à domestiquer sa violence profonde. Mais les icônes que vous évoquez ont aussi une influence sur lui, c’est un type un peu paumé dans la mythologie hollywoodienne, qui se prend pour un héros de fiction. Ce que je peux comprendre car les films ont aussi beaucoup affecté ma vie et ma perception de la réalité. Quels films en particulier ? Et en quoi vous ont-ils affecté ? Enfant, la découverte de Rambo m’a profondément marqué. C’est comme si le film m’avait jeté un sort, je me prenais pour Stallone en mission. Le lendemain, j’ai rapporté un couteau de boucher à l’école et naturellement je me suis fait virer. Mes parents m’ont alors interdit de regarder des films de genre car ils estimaient que ce cinéma m’influençait beaucoup trop. Pendant longtemps, j’ai donc regardé des programmes religieux ou des documentaires

“Rambo a été un choc. Je l’ai vu dans un état de somnanbule” de la chaîne National Geographic, à mon avis encore plus violents. Je n’ai jamais revu Rambo mais je m’en souviens comme d’un choc. J’avais la sensation d’être un somnambule, d’évoluer dans un autre monde. Exactement comme mon personnage dans Drive. Avez-vous eu une enfance cinéphile ? Je n’ai pas vraiment été éduqué au cinéma mais j’avais une passion naturelle, instinctive. Peut-être l’interdit de mes parents a-t-il suscité encore plus ma curiosité pour les films, que je voyais comme des objets clandestins. On vivait dans une petite ville du Canada, Cornwall, j’allais très souvent à la bibliothèque où je dévorais tous les films disponibles. Je me souviens qu’un été, un type m’avait remarqué et m’avait dit : “Apparemment, tu aimes le cinéma, si tu veux quelque chose de vraiment bien, tu dois voir Blue Velvet.” Alors en cachette, sous la table, il m’a donné une copie VHS du film. Ça a été une autre révélation. J’étais effrayé, je me pissais dessus et je me suis dit que c’était le genre de film dans lequel je voulais travailler. Vous avez donc eu très tôt la vocation d’acteur ? Pas vraiment. En fait, je voulais être danseur, je me produisais dans une compagnie. C’est comme ça que j’ai été engagé au Mickey Mouse Club. Toutes les filles de ma classe avaient auditionné pour le show mais j’ai eu le rôle – je devais danser, parfois chanter mais aussi faire l’acteur. Le cinéma est venu un peu par accident. Il y a quelque chose de fascinant dans cette émission qui a réuni à un moment précis, dans un même lieu, les plus grandes pop-stars du futur. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ? Un moment très délicat, en réalité. Lorsque j’ai été embauché, ils se sont vite rendu compte que j’étais moins talentueux que les autres adolescents du show. Je travaillais beaucoup moins qu’eux, j’étais un peu 5.10.2011 les inrockuptibles 33

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Le casting all stars du Mickey Mouse Club : Ryan en bas à gauche en compagnie de Britney, Christina et Justin A 19 ans, aux côtés de Michael Pitt dans Calculs meurtriers de Barbet Schroeder (2002)

perdu à cette époque, alors j’errais des journées entières dans le parc Disney World. Je devenais obsédé par ce parc, par sa devise “Where dreams come true”. Etes-vous resté en contact avec vos anciens partenaires célèbres de l’émission, Britney Spears, Justin T imberlake… ? (il réfléchit longuement) Non. Quel a été le déclic pour devenir acteur ? Après le Mickey Mouse Club, j’ai vécu une période déstabilisante, vers 18 ans : je ne pouvais plus reprendre les études et j’avais le sentiment de ne pas être qualifié pour trouver un travail normal. Alors j’ai enchaîné les petits rôles à la télévision ou au cinéma, sans grande conviction, juste pour gagner ma vie. Puis Danny Balint (de Henry Bean, 2001 – ndlr) a tout changé. J’ai pris conscience de la valeur du métier d’acteur, j’ai enfin gagné un point de vue, ça n’était plus simplement un job alimentaire. C’était exactement le film dont j’avais besoin pour me réinventer. Vous avez été révélé dans des films dramatiques, nommé à l’oscar pour un rôle de prof junkie dans Half Nelson en 2007. Pourtant, c’est avec une comédie, Crazy, Stupid, Love, que vous êtes vraiment devenu populaire aux Etats-Unis. C’était salvateur, ce changement de registre ? J’ai tourné cette comédie sur ordre de mon médecin. Sérieusement ! C’était après Blue Valentine, dont

Nicolas Winding Refn, réalisateur 

“j’ai toujours su que Ryan me protégerait” “J’ai toujours voulu garder un contrôle absolu sur mes films, un statut d’indépendant. Pour Drive, mon premier film américain, il y avait plus de pression, plus de pièges à éviter. Mais j’ai toujours su que Ryan Gosling me protégerait, qu’il m’aiderait à garder le contrôle, à faire le film que je souhaitais – parce qu’il en a le pouvoir, et surtout la passion. C’est lui qui m’a choisi comme réalisateur de Drive, on partageait exactement la même idée du livre original, de ce que son adaptation devait être. J’ai toujours eu de la chance avec mes acteurs : Mads Mikkelsen, Tom Hardy, maintenant Ryan Gosling, avec qui je prévois de tourner encore. A mon avis, chaque film doit avoir son icône, son leader. Drive en a deux : Ryan Gosling et Los Angeles.”

le tournage a été pour le moins éprouvant. Il m’a prescrit de jouer dans une comédie. Pour être honnête, je me fichais un peu du scénario de Crazy, Stupid, Love mais j’ai tout de suite accepté lorsque j’ai appris que Steve Carell participait au film : c’est le meilleur acteur comique de notre génération. Selon vous, quel est le meilleur réalisateur ? Derek Cianfrance aux Etats-Unis et Nicolas Winding Refn en Europe. Je serais très heureux si je pouvais ne travailler qu’avec ces deux cinéastes. Il y en a d’autres évidemment, comme Gaspar Noé en Europe. J’ai vu tous ses films : c’est un réalisateur poète et il a des putains de couilles. On vous verra bientôt dans la fiction politique Les Marches du pouvoir de George Clooney, l’un des acteurs-réalisateurs les plus puissants d’Hollywood. Vous avez l’impression de faire partie de ce système ? Non, pas vraiment. George Clooney m’a impressionné sur ce tournage, il était scénariste, acteur, producteur, réalisateur. George fait pleinement partie du système, il vient d’une famille d’artistes, il a toujours été dans le show business. Pas moi. Vous êtes aussi chanteur et compositeur du groupe de rock Dead Man’s Bones. Quel rôle tient la musique dans votre vie ? Une part importante, même si difficilement conciliable avec le cinéma. Mais je préfère l’ambiance des plateaux aux concerts, le fait de jouer en public m’a toujours intimidé. Il n’y a pas de deuxième prise, c’est une pression énorme. On prépare un deuxième album qui devrait sortir d’ici un an. Il y a quelque chose de très morbide dans l’imagerie du groupe. D’où vous vient cette obsession pour les fantômes, les monstres ? Ma mère croyait beaucoup au surnaturel. Elle était persuadée que la maison dans laquelle nous vivions était hantée – ce qui était probablement faux. Mais cela paraissait tellement réel à l’époque, les fantômes étaient dans ma maison, dans les films que je regardais en cachette, ils faisaient partie de ma vie. L’imagerie et la musique de Dead Man’s Bones sont certainement liées à ces peurs enfantines. lire la critique de Drive p. 36 Les Marches du pouvoir de George Clooney, en salle le 26 octobre

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Drive

de Nicolas Winding Refn

Un film semblable à un bloc de granit, avec un acteur minéral comme sorti d’une roche en fusion.

U  

ne voiture file dans la nuit, zigzagant tel Pacman sur la grille de Los Angeles pour semer ses poursuivants. Arrivée sur le parking d’un stade, la Chevy Impala grise s’arrête. Son conducteur en descend et, casquette des Dodgers vissée sur la tête, s’en va réintégrer le flux compact des anonymes. Mission accomplie en cinq minutes chrono, le temps d’une séquence parfaite, d’une pureté machinique que n’aurait pas reniée Michael Mann.

Une bobine plus tard, le même conducteur – Ryan Gosling, minéral mais comme extrait d’une roche en fusion encore brûlante et friable – fonce à toute bringue sur la L. A. River, ce fameux fleuve bétonné et asséché qui a servi de décor à Terminator 2 pour une scène jumelle de celle-ci. Et c’est ici à nouveau un presque robot qui veille sur la veuve et l’orphelin assis à ses côtés. Retentit alors une chanson du groupe College, envoûtante, où une phrase

se répète en boucle : “a real human being and a real hero.” Tout Drive tient dans ces quelques paroles. Soit l’histoire d’un type sans nom, sans passé, sans famille, sans trajet propre, rien d’autre qu’une fonction (driver, pour des cascades le jour, des casses la nuit), qui ne rêve que d’une chose : être un “vrai être humain” en même temps qu’un “vrai héros”. Il n’est a priori pas d’ambition plus classique que celle-ci pour un personnage de fiction américaine, fût-elle mise en scène par un Européen, en l’occurrence le Danois Nicolas Winding Refn. Pourtant, c’est ici moins la nature de ce qu’il faut devenir qui importe que son authenticité : être un humain et un héros, soit, mais encore faut-il qu’il soit vrai. Que la surface bidimensionnelle de l’écran soudain se couvre de chair, se gonfle d’affects. C’est dans cette aspiration que le film de Refn passionne, touchant au plus juste un certain état du héros contemporain : flottant et fonceur, incertain et sentimental, de John Dillinger à Jason Bourne, de Jack Bauer à Dom Cobb. Structuré par sa bande originale néo-eighties, le film se cale ainsi, pendant une quarantaine de minutes, les plus belles, sur les pulsations sentimentales de son hero wannabe real. Dans cette première partie, Refn, qui nous avait jusqu’ici habitués à une certaine emphase stylistique (Bronson,

Le Guerrier silencieux), réalise une série B impeccable, au cordeau, sans un mot ni un plan de trop, laissant volontairement flotter son intrigue mafieuse pour mieux prendre le temps de filmer des visages et des sentiments, magnifiquement incarnés (en particulier par Carey Mulligan et Albert Brooks). Un second film commence ensuite, lorsque les rets du film noir se replient sur notre samaritain au blousonscorpion (clin d’œil au film de Kenneth Anger, Scorpio Rising ?), obligé de déployer une violence ultragraphique pour sauver sa peau. Tout aussi virtuose mais quelque peu étouffante de maîtrise, cette seconde partie ressemble plus au Refn que l’on connaît : musclé, carré, tonitruant, for men only. La musique se fait plus abstraite, le héros redevient cette machine à exécuter un plan (cette fois pour son compte), et le goût du sang vient peu à peu masquer tous les autres. Si l’on peut regretter que la parenthèse bucolique se referme un peu vite, on reste impressionné par la mise en scène de NWR, bloc de granit sans faille ou presque qui, à la façon d’un Paul Verhoeven, augure d’un bel avenir de maverick européen à Hollywood. Jacky Goldberg Drive de Nicolas Winding Refn, avec Ryan Gosling, Carey Mulligan, Albert Brooks (E.-U.,1 h 40, 2011)

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une rentrée 2011 volume 2 Une Feist toute en sobriété, des Drums sombres et dansants, un Elephanz qui trompe énormément, une Little Dragon au souffle chaud… 1. Frànçois & The Atlas Mountains Piscine Extrait de l’album E Volo Love (Domino/Pias) On aime fort la France quand elle offre des disques comme celui-là : mariant la mélancolie de Dominique A aux arrangements world de Tinariwen, E Volo Love est un grand album de 2011.

2. Feist A Commotion Extrait de l’album Metals (Polydor/Universal) Lassée du succès, Feist s’est retirée du monde pour retrouver la paix et le confort : loin du tube platiné 1,2,3,4, elle est allée enregistrer en Californie un album sobre et ample.

8. Rover Aqualast Extrait de l’ep Rover (Cinq 7/Wagram) Menés par un immense chanteur au timbre colossal, les Français de Rover agencent une pop captivante, héritée de Bowie ou Radiohead.

9. Roots Manuva Watch Me Dance Extrait de l’album 4everevolution (Big Dada/Pias) Avec Watch Me Dance, un titre de Toddla T revu et allégé, l’Anglais Roots Manuva fait valser les étiquettes et confirme son statut d’artiste hip-hop le plus éclectique du monde.

10. Fangs Automatic Rock’n’Roll 3. Hanni El Khatib Dead Wrong Extrait de l’album Will the Guns Come out (Because) Des chœurs qui font ouh ouh, la voix qui hoquète et une guitare comme en 1961 : le Californien Hanni El Khatib est un gars d’aujourd’hui mais il ravive la flamme du rock d’hier.

Extrait de l’album Automatic Rock’n’Roll (Platinum) Formé en Ecosse, Fangs déballe des bombinettes d’electro-rock robotiques et sexy, portées par une charismatique et blondissime chanteuse. Le rock’n’roll fait ici le sexe avec les beats.

11. Fruit Bats Tangie & Ray 4. The Drums In the Cold Extrait de l’album Portamento (Moshi Moshi/Cooperative/Pias) Un an à peine après le carton de The Drums, les Américains enchaînent avec un disque plus sombre mais bourré de petits tubes durs, rêches et dansants.

5. Laura Marling The Muse Extrait de l’album A Creature I Don’t Know (Cooperative/Pias) Depuis quelques années, Laura Marling rédige sans tapage quelques-uns des plus beaux chapitres de folk made in the UK. Son troisième album confirme son statut d’héritière officielle de Judee Sill.

6. General Elektriks Show Me Your Hands Extrait en avant-première de l’album Parker Street (Discograph) Aussi tortueux qu’entêtant, le retour du Français expatrié à San Francisco est à la hauteur de sa réputation : on ne résiste pas bien longtemps à l’electro-pop groovy de ce Show Me Your Hands –  haut-les-mains !

Extrait de l’album Tripper (Sub Pop/Pias) Une des belles surprises américaines de la rentrée, de la pop qui donne le diabète comme sur ce Tangie & Ray aux accents MGMTesques.

12. Balthazar I’ll Stay Here Extrait en avant-première de l’album Applause (Pias) Mélodies savantes, singles sapés pour le succès et refrains tueurs : les jeunes gandins de Balthazar, élevés au pays de Deus et Soulwax, ont tout pour vous accrocher par les oreilles.

13. Little Dragon Ritual Union Extrait de l’album Ritual Union (EMI) La voix incroyablement sexy de Yukimi Nagano, Suédoise d’origine japonaise déjà entendue sur Plastic Beach de Gorillaz, continue de conquérir les cœurs sur ce Ritual Union vaporeux.

14. DJ Cam Swim Extrait en avant-première de Seven (Inflamable Records) En Californie, le Français explore un nouveau territoire plus pop et moins brumeux où l’accompagne la voix suave et mélancolique de l’Anglais Chris James.

7. Elephanz Stereo Extrait du single Stereo (www.elephanz.com) Si la pop de ces Nantais s’amuse à flirter avec le funk venu de l’autre côté de l’Atlantique, elle trouve surtout ses racines chez ses cousins d’outre-Manche et joue de l’ambiguïté pour mieux surprendre. Un Elephanz, ça trompe énormément.

15. Jono McCleery Tomorrow Extrait de l’album There Is (Counter/Pias) Le sublime single Tomorrow nous accompagne depuis plus d’un an. Contemplatif et rêveur, porté par la voix magique de l’Anglais, lointain cousin pop et soul de Burial ou James Blake, l’album There Is prolonge encore la lune de miel.

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édito

Denis/RÉA

pour l’instant, ça mar che !

primaire, mode d’emploi Toutes les conditions requises pour s’engager dans la campagne du Parti socialiste quand on est sympathisant de gauche.

 P

remier tour le 9 octobre. Si nécessaire, un second tour est organisé le 16 octobre pour départager les deux candidats arrivés en tête au premier tour. Pour la première fois, le scrutin n’est pas réservé aux seuls adhérents du PS mais aux “sympathisants” de la gauche. Tous les citoyens français inscrits sur les listes électorales avant le 31 décembre 2010 peuvent participer au vote. Les mineurs qui auront 18 ans au moment de la présidentielle du printemps 2012 pourront voter s’ils se sont inscrits avant le 13 juillet sur le site du PS. Les étrangers membres du PS, pourront eux aussi voter, tout comme les jeunes militants mineurs, encartés au MJS (Jeunes socialistes). Dix mille bureaux de vote sont ouverts dans toute la France. Pour trouver l’adresse du bureau de vote dont vous dépendez, rendez-vous sur le site

dédié du PS : http://bureauxdevote. lesprimairescitoyennes.fr. Les 9 et 16 octobre, il faudra se déplacer physiquement dans votre bureau de vote. Aucune procuration ne sera acceptée. Il faut se munir d’une carte d’électeur ou d’une pièce d’identité et d’une pièce d’un euro, somme minimum dont il faudra s’acquitter pour voter. Chaque électeur signera une déclaration de principe sur l’honneur, assurant qu’il partage les valeurs de gauche : “Je me reconnais dans les valeurs de la gauche et de la République, dans le projet d’une société de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité, de justice et de progrès solidaire.” Les registres électoraux seront placés sous scellés devant huissier puis détruits après la primaire afin, s’engage le PS, “d’éviter tout risque de fichage des électeurs”. Hélène Fontanaud

La primaire socialiste a l’air de fonctionner. Il y aura du monde aux urnes, c’est ce que prédisent les sondages, c’est aussi ce que ressentent les candidats et les militants qui tractaient ces derniers jours. Le PS est, depuis sa création en 1971, organisé comme l’était la IVe République. C’est un parti de courants comme la IVe République était un régime de partis. La Ve République, qualifiée par les constitutionnalistes de régime semi-présidentiel, est organisée autour du président de la République et du “fait majoritaire” qui lui fournit beaucoup de pouvoir. Ainsi, pour gouverner le pays, il faut passer par la case “personnalisation”. Ce n’est pas le chef de la majorité qui accède à la tête du pays, comme en Angleterre ou en Allemagne, mais une personnalité particulière, fruit, selon le mythe gaullien, de “la rencontre d’un homme et du peuple”. La primaire est une technique astucieuse et efficace pour rendre compatible le PS avec les contraintes de la Ve République fondées sur la personnalisation. Depuis la mort de François Mitterrand, le PS et ses courants avaient étouffé tous ses enfants, tous ceux du moins qui prétendaient remplacer le père fondateur. La primaire donne de l’oxygène au candidat qui sera désigné, elle ouvre les portes d’un appareil qui ne vivait plus que pour lui-même. Si l’affluence est là, si le vainqueur sait rassembler, si les vaincus savent se rallier…, la gauche sera très difficile à battre en mai prochain.

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Hollande dans la ligne de mire Le chef de l’Etat comme l’UMP estiment que le match de la primaire est “plié” et se préparent à orienter leurs canons sur le député de Corrèze.

Le 31 mars dernier, sur France 2, François Hollande annonçait sa candidature à la primaire socialiste

Ho New/Reuters



rudent. François Hollande ne veut pas encore se projeter dans l’aprèsprimaire. “Je n’ai pas peur de gagner, j’ai peur de perdre”, souligne le toujours favori des sondages. Plus attaché que jamais à la maîtrise de toute expression publique dans cette campagne “inédite”, il s’irrite d’ailleurs de voir certains de ses amis afficher une confiance teintée d’arrogance avant le vote des électeurs de gauche des 9 et 16 octobre. Comme dans cet écho du Parisien du 28 septembre, où Jean-Marc Ayrault affirmait : “François se prépare à l’élection présidentielle, la primaire est une petite étape.” “Rien n’est joué, on n’est pas qualifié par des sondages. Même s’ils ne me désespèrent pas, ils ne me rassurent pas”, répète, un brin superstitieux, l’ex-patron du Parti socialiste, en continuant de mener campagne tambour battant, grignotant sur son sommeil pour être le soir à une fête de la Rose en Corrèze et le lendemain matin sur un marché à Arles. Un déplacement par jour, en jonglant avec les horaires de train et d’avion. Grenoble, Rouen, Toulouse, Dunkerque, pour cette dernière semaine avant le premier tour, la France est quadrillée méthodiquement. Mais la prudence n’empêche pas de penser à la suite. Surtout que dans la majorité, on estime que “le match est plié” et on prépare déjà la mère de toutes les batailles contre un adversaire que, finalement, la droite connaît assez peu, même s’il est présent dans la vie politique depuis trente ans. “Ce sera Hollande, il mène le jeu depuis que Dominique Strauss-Kahn a disparu, il s’est préparé avant les autres, il est prêt. Et dangereux”, commente un responsable de l’UMP. Pour François Hollande, les choses sont claires, “la campagne sera dure” en 2012. Mais, 5.10.2011 les inrockuptibles 41

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“je ferai la même campagne quel que soit le candidat de droite qui me sera opposé”

ajoute-t-il aussitôt, visant aussi bien le camp sarkozyste que ses rivaux de la primaire, qui se déchaînent contre lui dans la dernière ligne droite, “rien ne me touche, rien ne m’atteint”. L’ancien patron du PS note toutefois qu’“il doit bien y avoir une cellule qui doit exister à l’Elysée et qui enregistre tout ce qui est dit dans tous les débats de la primaire”. “C’est pour cela que je veille à ce que rien ne soit dit sur l’une, sur l’autre, ou sur un troisième, qui puisse porter atteinte au futur candidat. Ce serait l’intérêt de la droite, et même son rôle, d’utiliser ces propos comme autant d’arguments pour disqualifier le candidat.” François Hollande garde en mémoire les attaques dévastatrices de responsables du PS contre Ségolène Royal lors de la primaire de 2006, qui avaient été récupérées par le candidat Sarkozy en 2007. Aujourd’hui, une “cellule riposte” existe bien à droite mais elle a été créée à l’UMP. Elle travaille déjà sur les points forts et les points faibles de l’éventuel candidat PS. “La mine pour nous, ce sont les déclarations des autres candidats sur Hollande. Royal sur l’endettement de la Corrèze, Aubry sur le contrat de génération, Montebourg sur l’immobilisme… On se régale”, confie-t-on au sein du parti sarkozyste. La semaine dernière, Le Figaro a d’ailleurs donné une large place à une information sur l’aide exceptionnellement décidée par l’Etat pour voler au secours de départements en difficulté. Parmi ces collectivités locales figure la Corrèze, avec environ 1 400 euros de dette par habitant. Le quotidien du groupe Dassault s’est notamment interrogé sur la décision du président du conseil général de doter chaque collégien de 6e d’un iPad, pour un budget de 1,5 million d’euros. Pour l’instant, François Hollande prend les choses avec humour : “J’ai hérité du département le plus endetté de France et, si je suis élu président de la République, j’hériterai de la France au moment de son histoire où elle est la plus endettée. C’est une malédiction !” Il défend aussi son “contrat de génération” qui vise à unir dans l’emploi un jeune de moins de 25 ans et un senior. Il escompte en créer 200 000 pour un coût estimé à 8 à 10 milliards d’euros.

“j’ai veillé depuis plusieurs années à démontrer que j’avais la capacité pour redonner confiance aux Français”

Mais Martine Aubry a dénoncé cette mesure comme “trop coûteuse” et “inefficace”, une critique bien évidemment reprise par la droite. François Hollande bataille autant contre ses rivaux de la primaire que contre l’UMP pour imposer son idée de recruter 60 000 personnels de l’Education nationale en cinq ans pour compenser les suppressions de postes décidées par Nicolas Sarkozy depuis 2007. Il a essuyé les tirs de son ancien camarade Eric Besson en proposant une taxation particulière pour les groupes pétroliers, Total étant le premier visé. Déjà, Brice Hortefeux a amorcé une autre cartouche dans Le Journal du dimanche en s’en prenant aux projets de réforme fiscale du premier des sondages : “On a bien compris que, s’il était élu, François Hollande taxerait les riches. Or, pour lui, on est riche à partir de 4 000 euros. Les classes moyennes doivent le savoir : avec François Hollande, elles seraient les premières sacrifiées.” L’ancien ministre de l’Intérieur, pris dans la nasse de l’affaire Karachi, ne fait pas dans la nuance. A l’Elysée, c’est davantage la personnalité du socialiste qui est prise pour cible, car on estime que la compétition de la primaire “oppose des individus plus que des idées”. Nicolas Sarkozy et François Hollande se connaissent depuis longtemps, ce que ne manquent jamais de rappeler les détracteurs de l’ancien premier secrétaire au PS en rappelant la photo controversée des deux hommes à la une de Paris-Match en 2005. Mais le temps de l’union sacrée pour défendre, sans succès, le traité constitutionnel européen semble bien loin. Le chef de l’Etat s’est fortement irrité au printemps dernier de voir François Hollande appeler de ses vœux “une présidence normale” après cinq années “de présidence anormale dans tous les domaines”. “Candidat normal, candidat banal”, s’est insurgé Nicolas Sarkozy. Avant d’ironiser devant des élus de l’UMP sur sa capacité à parler à Barack Obama quand François Hollande ne peut s’adresser qu’à “monsieur Dugenou, ramasseur de champignons en Corrèze”. Aujourd’hui à l’Elysée, on fustige un candidat “assez fade”, “un humoriste qui ne prend pas de risques”. “Martine Aubry incarne la gauche, lui n’incarne rien. C’est un agent d’ambiance à qui personne en externe ou en interne n’a jamais fait confiance”, assène-t-on, avant de s’en prendre aux incohérences supposées de François Hollande. Histoire de dégoûter les centristes, orphelins d’une candidature

de Jean-Louis Borloo, qui pourraient être tentés de voter pour le socialiste, réformiste rassurant. “Le matin, Hollande se lève avec Jean-Pierre Jouyet et le soir il se couche avec Eva Joly. Comment va-t-il faire avec Mélenchon ? Avec Poutou ? Avec Arthaud ? Qu’est-ce qu’il va être obligé de lâcher ?”, lance un conseiller du Président. Qui estime que le problème principal de François Hollande serait dans une campagne “son manque d’expérience et de crédibilité”. L’accusé reste de marbre. L’inexpérience ? Le fait qu’il n’ait jamais été ministre ? “Pour Nicolas Sarkozy, on ne peut être Président que si on l’a déjà été. C’est facile. Et j’ai été premier secrétaire du PS pendant onze ans, cinq ans au pouvoir et six dans l’opposition. Quand Lionel Jospin était à Matignon, j’ai été associé à toutes les décisions du gouvernement, ça vaut bien une expérience ministérielle”. François Hollande reprend à son compte le flambeau de la “crédibilité” : “Le bilan de Nicolas Sarkozy ne sera pas jugé comme particulièrement reluisant par les Français. Ce qui sera déterminant, c’est la crédibilité de la candidature qui sera face à celle de Nicolas Sarkozy. J’ai veillé, depuis plusieurs années, à démontrer que j’avais la capacité, le parcours indispensable pour redonner confiance aux Français et réformer la France.” François Hollande, apte à saisir “les rumeurs” et “les humeurs” du temps en politique, s’emploie aussi à porter le fer là où la droite a mal aujourd’hui : il feint donc de s’interroger sur la capacité de Nicolas Sarkozy à pouvoir prétendre encore être le meilleur candidat de la droite (lire page 52). “On me dit qu’Alain Juppé est prêt à se sacrifier, que François Fillon est prêt à donner son corps à la droite… Mais attention, la tête, c’est encore Nicolas Sarkozy !”, plaisante-t-il en meeting. Avant de conclure, plus sérieux : “Le plus probable, c’est que ce soit Sarkozy, parce qu’il ne leur laissera pas le choix. Mais nous devons nous préparer à tout. Ce ne serait pas la même chose si c’était Nicolas Sarkozy ou si c’était quelqu’un d’autre.” Pour autant, François Hollande ne modifierait pas sa campagne. Il l’a expliqué dimanche matin sur Europe 1 : “Il n’y a pas de transmutation, de métamorphose, je serai le même, je poursuivrai sur les mêmes thèmes et les mêmes engagements. Je ferai la même campagne, quel que soit le candidat de droite qui me sera opposé.” Bien davantage assuré, tout à coup. Hélène Fontanaud

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A Mont-de-Marsan, le 30 septembre

Martine Aubry ne veut rien lâcher Devancée par François Hollande dans les sondages, la maire de Lille poursuit sa campagne de terrain et de réseaux. Pour imposer l’idée qu’ils sont deux à pouvoir battre Nicolas Sarkozy.



out va se jouer les 9 et 16 octobre”, lance Martine Aubry devant les cadres militants de la section de Trappes, dans les Yvelines, où elle est venue à une semaine du premier tour. Un petit message à l’attention du camarade Hollande : François-rien-n’est-joué-ànous-deux-maintenant ! Elle le répète désormais à tout bout de phrase : cette victoire, elle en a “envie”. Cette campagne, elle l’a faite. Nous l’aurait-on changée ? Fini le temps des circonvolutions, des “nous” collectifs, des “on verra le moment venu”. Maintenant, Martine Aubry l’affirme : elle veut gagner et elle pense gagner. Aurait-elle mangé du lion ? Non, juste des chips… Un petit apéritif a été organisé après le marché avec Benoît Hamon,

François Lamy et Christophe Borgel, pour remercier les troupes militantes et les encourager à donner “un dernier coup de collier” à quelques jours du premier tour. Or, pour Martine Aubry et ses proches, pas question de laisser s’installer l’idée que les jeux sont faits face à François Hollande et qu’elle pourrait être battue… Grrr, scénario d’horreur pour la maire de Lille ! “Elle a toujours tout gagné, même quand on l’annonçait perdante”, glisse Benoît Hamon, genre je dis rien, mais je le dis quand même, ça peut rassurer ! “On me parle d’un favori, mais on n’a jamais vu ça, l’élection n’a pas eu lieu”, rappelle la candidate, agacée, aux Inrocks. Rien n’est joué et elle ne compte pas pour du beurre. Fichtre ! Dès lors,

ses proches opposent le terrain aux sondages. “Vous avez vu l’accueil qu’elle reçoit sur le marché de Trappes ?, s’enthousiasme Benoît Hamon. C’est vrai qu’elle est en terre amie mais quand même !” En campagne, ne jamais négliger une terre amie, c’est bien connu… En ce samedi pleinement ensoleillé, les habitants se font prendre en photo avec “la nouvelle présidente”. Les petites filles reconnaissent “la dame qui passe à la télé” et chacun y va de son mot d’encouragement. Mieux qu’une barre chocolatée pour le moral des aubrystes et ça repart. Ou on essaie, car la foule est dense dans les petites allées du marché coloré. “Allez, allez, on avance là”, crie gentiment Benoît Hamon tout sourire, pendant 5.10.2011 les inrockuptibles 43

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Sur le marché de Trappes, le 1er octobre

que les militants distribuent des petits manuels explicatifs des primaires… sous forme de carte électorale. Succès garanti. Ils partent comme des petits pains. A l’intérieur, on trouve le bureau de vote le plus proche en fonction de son quartier et les modalités du scrutin. “J’ai vu ça au Mans et j’ai copié”, s’amuse Benoît Hamon. “Avec la primaire, on voit fleurir plein d’idées créatives et vous allez voir que cette dernière semaine va être déterminante pour Martine. Tout le monde est sur le pont.” Une mobilisation organisée notamment par les troupes de Benoît Hamon. “J’ai du monde qui sait faire ça, confie-t-il. Au PS, quand il faut tracter, on demande toujours

à mon courant. D’ailleurs, qui d’autre que nous est allé tracter plusieurs jours auprès des étudiants ?” Une vaste opération de téléphone baptisée “100 000 appels pour Martine Aubry” a aussi été lancée. Chacun des 10 000 volontaires doit appeler un maximum de personnes pour les convaincre de participer à la primaire…

“elle a toujours tout gagné, même quand on l’annonçait perdante” Benoît Hamon

et de voter pour elle, on l’aura compris. De quoi inquiéter les hollandais : “Dans les marchés, les pro-Martine sont partout ! Ça se durcit, là.” Même son mari met la main à la pâte quand un jour de campagne, un steward, fan de la candidate, assure qu’il ira voter s’il trouve le bon bureau de vote. Ni une ni deux, Mister Aubry s’exécute et sort son appli iPhone spéciale primaire. Jamais aussi bien servi que par ses proches. Avec Henri Emmanuelli et Pouria Amirshahi (l’un des secrétaires nationaux du PS), Benoît Hamon, au nom de l’aile gauche du parti, a aussi lancé sur Mediapart un appel aux électeurs

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“ce débat face à Nicolas Sarkozy, j’en rêve. Je vois très bien ce qu’il faut lui dire” Martine Aubry

de toute la gauche, militants associatifs, syndicalistes : “Je suis très sereine, confie la candidate, car il y a une forte mobilisation autour de ma candidature.” Sagacité pour les uns, autopersuasion, façon méthode Coué pour les autres… tout dépend du point de vue. Elle enchaîne en lançant un uppercut du droit à François Hollande qu’elle juge démagogique dans ses prises de position comme sur le non-cumul des mandats, ou contradictoire comme sur le zéro déficit et la sortie du nucléaire. Ou encore, pas à la hauteur comme sur le contrat de génération, la proposition phare du député de Corrèze : “Je n’ai aucun problème

à reprendre l’idée de quelqu’un, mais sur ce sujet j’ai quand même quelque expérience de ce qui marche ou pas !”, assure-t-elle en ex-numéro deux du gouvernement Jospin. “Là, tous les syndicats s’accordent à dire que c’est un effet d’aubaine qui coûte très cher et qui n’a aucun effet sur l’emploi.” Après un uppercut du droit, elle enchaîne du gauche et rhabille son rival pour l’hiver : “Je suis déterminée à me battre : les gens ont besoin de clarté dans la crise. Moi, je dis les choses, même si ça doit me faire perdre des voix, quand je les crois justes.” Un proche de Hollande s’insurge : “C’est un signe de faiblesse d’être obligé d’être dans l’attaque. Pour se valoriser, elle tape sur François.” Elle réplique : “Pour être Président, il ne suffit pas d’avoir le costume, il faut avoir un tempérament !” Puis d’un coup, sur un ton qui se veut plus doux que celui qu’elle réserve à son rival, elle assure : “Je ne suis pas la candidate des sondages pour la primaire, mais quand on regarde ceux pour la présidentielle, ils montrent que nous sommes deux à pouvoir battre Nicolas Sarkozy.” Dès lors, pas question pour les aubrystes de ne pas le faire savoir. La maire de Lille et ses soutiens ont l’intention de marteler ce message dans les derniers jours de campagne et à l’amplifier dans l’entre-deux tours, notamment le soir du meeting prévu le jeudi 13 octobre à Lille devant 3 500 personnes. “Ce débat face à Nicolas Sarkozy, j’en rêve. Je vois très bien ce qu’il faut lui dire.” Ça tombe bien, les hollandais en rêvent aussi : “Paradoxalement, il y aurait les bons et les mauvais sondages ! Même face à Nicolas Sarkozy, François est meilleur que Martine !” Alors, pour se faire entendre et ne pas se faire exclure du jeu de la primaire avant l’heure, elle avale les kilomètres, enchaîne les déplacements – une trentaine au compteur entre l’université du PS à La Rochelle et le premier tour –, les médias, les meetings. “Elle a choisi de faire de la primaire une vraie campagne électorale, résume Christophe Borgel. Et autant, en 2005, quinze jours avant le vote

pour le traité de constitution européenne, je sentais que c’était mal parti pour le oui, autant là, je perçois un intérêt très fort pour elle.” Loin des sondages, les salles sont pleines. Comme en ce vendredi soir, une semaine avant le premier tour, à Montde-Marsan dans les Landes… les terres si socialistes d’Henri Emmanuelli. Il est 20 heures, les gens se sont fait beaux pour l’occasion. Au deuxième rang, Jean-Louis Brochen écoute attentivement sa femme. “Il y a un intérêt des Français pour comprendre la crise, glisse-t-elle aux Inrocks, donc je m’arrête maintenant pour expliquer avec pédagogie qu’il n’y a pas de fatalité, pour montrer comment on peut s’en sortir sans promettre n’importe quoi, en expliquant précisément comment on finance chaque mesure.” Le staff de la candidate annonce 600 personnes dans la salle. “Non, il y en avait 350 assises, rétorque Martine Aubry, je les ai comptées. J’aime que ce soit précis.” “358 exactement”, avance François Lamy. “Ah vous voyez !, triomphe la maire de Lille. J’aime pas qu’on me dise de conneries”, s’amuse-t-elle. Pour autant, elle n’a rien loupé du discours de ses hôtes. Ça aurait été dommage : Henri Emmanuelli lui tresse des lauriers à la tribune, elle dit-il, qui a mis si tôt la question de la désindustrialisation dans le débat. Elle, aussi qui est “la vilaine dame des 35 heures”. “Ce jour-là, je me suis dit que Martine, elle n’était vraiment pas très mauvaise !” L’équivalent d’un triple A dans la bouche d’Henri Emmanuelli. Est-ce cet accueil amical ou la fin proche d’une campagne qui la rend aussi sereine et à l’aise en public ? Martine Aubry, pour une fois, joue avec la salle. Plus qu’un discours, elle est dans une conversation. Fini la voix monocorde, la candidate change de registre de langage et de rythme, emploie l’arme si “hollandaise” de l’humour, se paie François Baroin ou Nicolas Sarkozy. La salle apprécie, elle aussi, manifestement. Elle plaisante : “J’espère que vous trouverez le ou la candidate. Je préfère la candidate, au cas où vous n’auriez pas compris.” Jusqu’au bout, Martine Aubry ne veut rien lâcher. Marion Mourgue photo Guillaume Binet 5.10.2011 les inrockuptibles 45

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Ségo, c’est plus fort que toi Y croire encore, tel est le slogan des infatigables partisans de Ségolène Royal. Si elle perd, ils ne feront pas tous la campagne socialiste.



étro Couronnes, Paris, XXe arrondissement. Vendredi 29 octobre, 18 heures. Des centaines de personnes remballent leurs marchandises. Au “marché de la misère” du boulevard de Belleville, on vend tout et n’importe quoi pour se faire quelques euros. Il y a foule, à dominante maghrébine et masculine. Au milieu, un groupe de femmes monte un stand Ségolène Royal. Monique, Candice, Claire portent des T-shirts “Pour un ordre social juste” et des écharpes rouges. Signe distinctif des militants ségolénistes. Abdoulaye Mbengue, du comité local, est à la bourre. Jeunes, vieux, femmes, tous prennent les tracts des militantes. Ils la connaissent Ségolène. En 2007, elle a combattu

Sarkozy. L’homme haït. Et ça, tous s’en souviennent. La présidente de la région Poitou-Charentes l’assure, elle va remporter la primaire socialiste. Les sondages – même interprétés avec prudence – la donnent bonne troisième à 10-11 % derrière Martine Aubry et François Hollande. Son ex-lieutenant Arnaud Montebourg la talonne. Il la dépasse et ce serait un terrible désaveu. Les mauvais sondages ? Bidon. Les médias ? Ils font la campagne de Hollande. En 2006 c’est elle qui, portée par l’opinion, est désignée devant Fabius et DSK. Pour inverser la tendance, Royal compte sur ses troupes, les militants de Désirs d’avenir, association fondée en 2006 en marge du PS. Son secrétaire général Kamel Chibli chiffre

aujourd’hui à 12 000 ses adhérents (contre 10 000 en 2007). Difficile à vérifier. Deux tiers ne seraient pas au PS. Monique, 65 ans, ne renouvellera pas son adhésion. “Reims m’a tuée, enlevé mes illusions politiques.” Au Congrès de Reims, Aubry prend le parti de quelques voix. Les royalistes l’accusent de fraude. Les deux camps s’entretuent. “Un assassinat politique... hormis dans ma section, on était traité de sous-militants, de fan.” Si Ségo ne passe pas, elle ne fera pas la campagne du deuxième tour. Elle votera Mélenchon au premier tour de la présidentielle et blanc au deuxième. De ses réseaux internes au PS, il ne reste plus grand-chose des 29 % des suffrages récoltés au premier tour à Reims

en 2008. Pour Royal, l’équation est simple : plus l’élection est populaire, plus elle engrangera de voix. “Mais cet électorat très volatil n’a pas forcément compris qu’il pouvait voter à la primaire”, précise le politologue Rémi Lefebvre, spécialiste du PS. “L’objectif est d’aller chercher ceux qui sont hors partis, en dehors des courants”, explique Chibli. Mission impossible ? Pas pour ses fervents soutiens. “On est plus mobilisés que jamais”, insiste Jeanne, 71 ans, retraitée de l’enseignement. Ils en sont persuadés, ils sont différents des autres militants. Ils sont l’avantgarde d’une révolution nommée démocratie participative, l’incarnation de la méthode Coué Ségoléniste et de son volontarisme. Elisabeth,

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Patrick Kovarik/AFP ImageForum

“l’objectif est d’aller chercher ceux qui sont hors partis, en dehors des courants”

retraitée de 63 ans : “Au meeting de Montreuil, la foule l’acclamait, on était comme transporté, les sondages on les écoute pas.” Une mission quasi messianique. Car après Ségolène, le déluge. Une jeune fille prend un tract. “C’est la plus déterminée, je la soutiens.” Pas Hassa, 57 ans : “C’est une bourgeoise.” Deux policiers interrompent la distribution. Ils les mettent en garde contre les mouvements de foule. Et vous, messieurs, Ségolène, elle vous branche ? Le premier flic éclate de rire. “Elle est pas crédible.” Sur la sécurité ? “Oui, entre autres choses, mais tout comme Sarko, comment voulez vous qu’on fasse avec le budget de la Roumanie ?” Qui est crédible ? “Ben personne depuis que Kadhafi est en fuite…”, rigole le deuxième flic.

18 h 30. Abdoulaye ouvre les HLM de la rue Picabia à quatre militantes. Lucile, retraitée de l’éducation nationale, et Jennifer, fonctionnaire de 31 ans, prennent le haut. C’est sa première fois. Elle a un peu les chocottes. Première porte. Personne. Elles posent un tract sur le paillasson. En moyenne, seule une porte sur quatre s’ouvre. Comme celle de Gaël 42 ans, ouvrier. Lucile lui parle du meeting prévu au Bataclan le 8 octobre, veille du premier tour. “Elle chante L’Internationale ou La Marseillaise ?” Lucile : “Heu… la Marseillaise”. L’homme : “Moi, je chante L’Internationale.” Lucile tente : “Vous savez que Ségolène Royal est vice-présidente de l’Internationale socialiste ?” Lui : “L’Internationale a failli en 1914, elle est passée du côté du capital au lieu de couper la tête aux dirigeants…” Lucile : “Ce n’est pas un projet d’avenir …” Au bout de 15 minutes, elles se replient. Les militants de Royal ne pratiquent pas le fast tracting. Claire, 36 ans, fleuriste, et Céline discutent trente minutes avec une locataire indécise. Leur message : tout le monde peut voter à la primaire. A 20 h 30, c’est l’heure du bilan. “Trois personnes iront voter, dont deux pour Ségolène”, répertorie Claire qui ajoute, inquiète : “On a eu un partisan de Marine Le Pen, un papa d’origine maghrébine qui veut nettoyer le quartier.” Pour elle, Ségolène est

le meilleur contrepoids à l’extrême droite. Appréciée dans les milieux populaire, la seule candidate à ne pas être victime du FN au premier tour de la présidentielle. Retour métro Couronnes. “La clef de cette élection, c’est le sursaut populaire, il faut que le vote soit massif et diversifié, on va chercher les gens”, raconte Sophie, 40 ans. Une dame dit bonjour au groupe. “Avant, elle était avec nous, maintenant elle est pour Aubry.” Comme beaucoup d’autres, Céline n’a pas digéré Reims. “Je ferais la campagne de Hollande, de Montebourg, de Valls, mais je ne pardonnerais jamais la triche d’Aubry.” Et les tromperies de Hollande ? “Le fait que ce soit son ex me le rend sympathique.” Seuls un Sarko très haut et un risque Le Pen lui feraient changer d’avis. Samedi matin, on la retrouve aux côtés d’Alain et d’Annick sur la place du général Beuret dans le XVe. Dimanche, ce sera le marché de la porte de Vanves et l’Aquaboulvard. Pour Annick, 78 ans et au PS depuis 1993, “Ségolène a donné aux militants la possibilité d’exister, avant notre parole était confisquée par l’élite du PS”. Elle ne votera pas Hollande au deuxième tour de la primaire. “Il se fout du peuple, il n’a rien à dire, aucune vision de l’avenir.” Et n’ira pas de gaieté de cœur vers Aubry. Parmi les badauds, il y a de tout. Bertrand, 45 ans, la trouve “charismatique”. Soraya, 37 ans, estime qu’“elle a de la classe et de

la ténacité”. “Elle est coincée du cul” pour François, 72 ans. Une partisane de Aubry : “Vous avez du courage de la soutenir, elle fait rire.” Marie, 87 ans, militante aubryste : “Sa personnalité me plaît pas, Je, Je, Je… Elle se plaçait à côté du parti, l’encadrement militaire, c’est possible…” Nicolas, 72 ans, partisan de Hollande : “Ils sont dans le mythe, c’est presque une secte.” Annick garde un souvenir amer de 2007. “Dans ma section, on l’a traitée de putain, ils faisaient la campagne des législatives, pas des présidentielles.” Au deuxième tour, elle ne fera pas la même chose, mais militera “avec un peu moins d’enthousiasme”. Contrairement à Alain, 51 ans : si Royal perd, ce restaurateur ne fera pas la campagne. “Je suis plus pour elle que pour ses idées, c’est une rock-star.” Ses proches ne comprennent pas. “Ils la considèrent comme une illuminée.” Un copain venu le saluer le taquine : “On est venu voir si c’était plus dynamique que dans le débat.” Jean-Pierre arrive d’un tractage commun à tous les candidats. “Les aubrystes sont très actifs, Hollande n’a pas de troupe.” Il discute avec Kevin, 24 ans, qui estime que Royal ne maîtrise pas sa communication. JeanPierre s’énerve. “Il n’a pas lu son programme.” Puis tempère : “C’est vrai qu’il y a meilleur orateur, mais il faut des personnes solides comme elle pour montrer la voie. Pas des mous. Suivez mon regard.” Anne Laffeter 5.10.2011 les inrockuptibles 47

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il a repris à son compte l’héritage politique de DSK, une ligne réformiste “sociale-libérale”

Manuel Valls s’invite dans la danse Outsider, tenant de l’aile droite au PS, le député-maire d’Evry a réussi à faire parler de lui pendant la campagne de la primaire.



ersonne ici n’a le monopole de la gauche.” Il aura suffi d’une phrase, en l’occurrence un clin d’œil à la formule de Valéry Giscard d’Estaing pétrifiant François Mitterrand lors d’un débat télévisé en 1974 (“vous n’avez pas le monopole du cœur”), pour que la campagne de Manuel Valls, qui se déroulait jusqu’ici dans l’ombre des “trois grands” (AubryRoyal-Hollande), décolle et impose le député-maire d’Evry dans le débat politique. Depuis le débat sur I-Télé, le 28 septembre, Manuel Valls est partout. Il savoure sa progression, même timide, dans les sondages. Il faut dire que l’ancien porte-parole de Lionel Jospin, jusqu’ici

ostracisé au Parti socialiste en raison de ses thèses “droitières”, a trouvé un sparring-partner en la personne d’Arnaud Montebourg, le chantre de la démondialisation, qui séduit la gauche de la gauche. “Moi, je suis là pour tenir un discours de vérité”, répète face à lui le député-maire d’Evry, qui a repris à son compte l’héritage politique de Dominique Strauss-Kahn, une ligne réformiste “sociale-libérale”. Une stratégie payante pour les deux outsiders : un sondage TNS Sofres réalisé juste après l’émission d’I-Télé montrait que Manuel Valls recueillait 37 % d’opinions favorables et Arnaud Montebourg 34 %,

loin devant Ségolène Royal, à 12 %. “Cela ne se transforme pas automatiquement en bulletins de vote”, note un responsable du PS, qui estime que “ce sera difficile pour des gens de gauche de voter pour quelqu’un qui défend la TVA sociale”. “Les Français n’attendent pas qu’on leur mente, ils savent que la situation économique est grave”, réplique Valls, qui est parti en fin de semaine faire campagne pendant trois jours sur l’île de la Réunion, où “les gens disent qu’ils en ont marre de Sarkozy”. Dans cette primaire, Manuel Valls, connu pour des positions sécuritaires que ne désavouerait pas Nicolas Sarkozy, mais qu’a saluées aussi Ségolène Royal, fait campagne sur l’économie. L’année dernière, il avait tiré à boulets rouges sur les 35 heures. Cette fois, il cible les 300 000 emplois d’avenir promis par le projet du PS, un projet ardemment défendu par Martine Aubry mais obsolète à ses yeux pour cause de crise. Il fait du désendettement sa priorité, tentant ainsi de siphonner le réservoir de voix du favori des sondages, François Hollande, son aîné qu’il n’a pas hésité à taquiner lors du débat du 28 septembre : “François, fais la synthèse ! François, tu ne vas pas conclure encore, là !” Même s’il espère une “surprise” le 9 octobre, Manuel Valls se place en fait dans la course pour la présidentielle de 2017. Il adopte ainsi la tactique de son “rival générationnel” de droite, Jean-François Copé. Après le débat du 28 septembre, le secrétaire général de l’UMP a d’ailleurs fustigé “le cap nouveau franchi par le PS dans la course aux promesses les plus démagogiques et les plus irréalisables, avec les propositions tous azimuts de nationaliser les banques, d’interdire les licenciements et de bloquer les prix”. Mais il salué Manuel Valls et le radical de gauche Jean-Michel Baylet, qui, “dans un éclair de lucidité”, ont “quand même dénoncé ce retour aux vieilles recettes communistes qui ont échoué”. Il est arrivé à Manuel Valls de faire estrade commune avec Jean-François Copé lors de colloques organisés par ce dernier au sein de son club Génération France. Le député-maire d’Evry a déjà choisi son sparring-partner pour le coup suivant. Hélène Fontanaud photo Tom van Schelven

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Aux Dock des Suds à Marseille, le 29 septembre

Arnaud Montebourg, le troisième homme ? A quelques jours du premier tour, le candidat à la primaire, plus confiant que jamais, tient un discours à la gauche du PS. Son nouvel objectif : se retrouver face à François Hollande au deuxième tour.



l y a quelques semaines, Arnaud Montebourg et son équipe torpillaient les sondages, qui “se trompent systématiquement avec vingt points d’erreur”. Depuis les deux débats à la primaire, avec les succès enregistrés dans les intentions de vote par le candidat, on se fait – comme par hasard – moins dur avec les chiffres. “On n’est pas forcément sensibles aux sondages mais quand même, ça traduit quelque chose !”, s’enthousiasme un proche du socialiste. “On sent qu’il a franchi un cap. Il n’y a pas forcément plus de monde, mais ça se traduit en termes d’écoute et de crédibilité. Le message passe mieux, Arnaud est davantage pris au sérieux.” Tiens, tiens… Fini le temps où Montebourg amusait la galerie avec son thème de la démondialisation, ses bons mots et ses effets de manche parfois surjoués. Deux débats où il a su se positionner face à Martine Aubry et à François Hollande qu’il renvoie dos à dos – “une même candidature”, “les fils de Lionel Jospin” –, et le voilà qui existe. Une gageure au PS où les quinquas restent d’éternels jeunots. Il adore. Dès lors, il ne veut plus être traité en “petit candidat” : il est dans l’actu. Mieux, il veut la faire. Comme ce jeudi 29 septembre, accompagné de Christiane Taubira, Arnaud Montebourg tient un meeting à Marseille, sur les terres de Jean-Noël Guérini,

son ennemi du PS. Même si la salle est à moitié remplie, avec 300 personnes, il a fait déplacer les gros médias. La fédération du PS ne lui a pas fait de cadeau, lui qui a dénoncé les petits arrangements entre amis avec un rapport sur les pratiques de la Fédération socialiste des Bouches-du-Rhône. Les jeux politiques de la primaire ont fini par faire le reste. Les élus du coin, à l’image de Patrick Mennucci ou Eugène Caselli, ne sont pas venus : ils ont préféré assister au meeting de Bruno Le Roux, soutien de François Hollande, qui s’est tenu le même soir. Pas la peine d’attendre que la salle se remplisse. C’est peine perdue. Plusieurs rangs de chaises restent désespérément vides. Arnaud Montebourg fait mine de ne pas les voir. Il entre sur sa chanson de campagne : “Si on reste ensemble, si on va plus loin, on refait l’histoire, on invente demain.” Abstraction faite du côté bien mielleux de la musique, la chanson résume l’état d’esprit du candidat qui y croit à mort. “Faire basculer les lignes

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“la confrontation avec les entreprises multinationales est inéluctable. Et si la gauche ne veut pas le faire, elle sera damnée”

de l’histoire, c’est notre projet”, insiste Montebourg, le bras appuyé sur le pupitre, sans lire ses notes. Orateur habile, en ancien avocat qu’il est, il capte l’attention de la salle. Et déroule ses thèmes : instauration de la VIe République, reprise en main par le peuple du pouvoir politique, mise sous tutelle du système bancaire et financier, protectionnisme aux frontières de l’Europe pour protéger l’emploi industriel. “Vous l’avez compris, la confrontation avec les entreprises multinationales est inéluctable. Et si la gauche ne veut pas le faire, elle sera damnée. Elle repartira sous les crachats de la classe ouvrière.” Habileté des mots qui claquent, langage imagé, sens de la mise en scène. Toujours. La salle applaudit chaudement. Dès lors, pas question pour le candidat PS de changer de méthode à quelques jours du premier tour de la primaire. “On a bien l’intention de continuer à faire campagne sur le même modèle”, poursuit un de ses premiers soutiens : stand-up dans les villes avec un panneau qui recense tous les thèmes de campagne, meetings même dans les plus petites bourgades, rencontres avec la presse régionale et les entreprises locales. Une manière de recaser ensuite dans les débats des exemples glanés sur le terrain. Lors du débat I-Télé, Europe 1, Le Parisien, Arnaud Montebourg fait un long dégagement sur les caissières de Carrefour. A Marseille, il parle des salariés licenciés de Fralib qui fabriquent les thés Lipton et L’Eléphant et avec qui il vient de s’entretenir dans la journée. Parler concret, à gauche toute du PS, quand d’autres candidats restent très abstraits, la méthode rappelle celle de Ségolène Royal. Pas innocent. “Arnaud en joue dans les débats télévisés, note un proche de François Hollande, en répétant, ‘comme le dit Ségolène’ ou ‘elle a raison’. Il investit son créneau politique et comme les gens considèrent qu’Arnaud représente la nouveauté, ils vont plutôt vers lui.” “Ça fait un an qu’on trace notre route, on continue”, commente l’entourage d’Arnaud Montebourg, d’autant plus ravi que la route se fait de plus en plus droite. Dans les sondages, le chantre de la démondialisation, ce “concept ringard” selon Manuel Valls, talonne Ségolène

Royal. “Je n’en ai plus qu’une à rattraper et après c’est toi”, a d’ailleurs lancé Arnaud Montebourg, rieur, à François Hollande avant le deuxième débat. Tel est son objectif, qu’il martèle à ses troupes. “J’ai besoin d’être au deuxième tour de la primaire face à François Hollande pour avoir une discussion entre amis”, glisse-t-il en fin de meeting à Marseille. Une clameur monte dans la salle. Mélange de réactions entre ceux qui rient à l’évocation de la scène et ceux qui sont galvanisés par ce qu’ils jugent être du courage politique. Arnaud Montebourg s’enflamme : “C’est le temps de se lever. C’est maintenant que nous devons changer la France”. Le candidat ressort du meeting comme un comédien groggy. Le public l’acclame, conquis. “Bravo, c’était super !” Même ceux qui, séduits par les débats télévisés, étaient venus pour se faire une opinion plus approfondie. “Je suis sûr de voter pour lui maintenant”, garantit Jacques, avant de “voter Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle. Je ne savais pas qu’Arnaud Montebourg était si à gauche.” Il n’est pas le seul à le penser… Mélenchon confie qu’entre leurs deux programmes, il y a une feuille de papier à cigarette et écrit sur son blog qu’il ferait volontiers du candidat PS son Premier ministre. D’où cette question, pourquoi Montebourg ne rejoint-il pas le Front de Gauche pour “changer le système” ? Lui dit vouloir changer “l’ancien monde” de l’intérieur du PS. “J’ai déjà répondu à Jean-Luc Mélenchon, je suis socialiste”, commentait-il il y a quelques jours sur France Inter. Avant de poursuivre sur le processus de la primaire qui vaut rassemblement derrière le vainqueur socialiste, quel qu’il soit, au nom de l’efficacité. “Mes convictions passent au deuxième plan, ce qui compte c’est la victoire. C’est ça le processus de la primaire.” Pour autant, Arnaud Montebourg envoie régulièrement des gestes d’amitié à Jean-Luc Mélenchon qu’il verrait bien entrer dans son gouvernement s’il était élu président de la République. Une manière de séduire son électorat pour incarner le troisième homme ? “Vous verrez, il y aura des surprises”… le leitmotiv de Montebourg pendant cette campagne. Marion Mourgue photo Guillaume Binet/M.Y.O.P

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Baylet, le grand inconnu

I

l a fait le deuxième meilleur score du Grand Journal qui a invité tour à tour les six candidats à la primaire ! Lui, Jean-Michel Baylet, inconnu du grand public, sénateur de Tarn-et-Garonne, radical de gauche, et qui pèse 1 % dans les sondages. Mais qui sert aussi de caution au PS : avec lui, les socialistes peuvent appeler leur scrutin “primaire citoyenne” et donner l’impression que l’enjeu n’est pas que socialo-socialiste. Pourtant, Baylet a plus fait parler de lui pour ses tenues lors des débats télévisés et ses prises de position sur le cannabis que pour son poids électoral. Chemise à rayures qui détonne, cravate à pois et déclaration en faveur de la légalisation du cannabis et sa vente en pharmacie ont braqué les caméras sur lui. Y compris celle des Guignols qui lui ont concocté spécialement une marionnette pour la campagne. Enfin qui en ont recyclé une pour l’occasion ! Mais bon, ça fait parler de lui, toujours bon à prendre en ce moment. Même pour le Parti radical de gauche qui s’offre avec la primaire une campagne de pub d’envergure nationale. M. M.

que le meilleur perde Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite.

confidentiel Valérie Trierweiler, la compagne de François Hollande, journaliste politique à Direct 8, a peu apprécié l’interview “pipolitique” du candidat socialiste par Marc-Olivier Fogiel, dans son émission Face à l’actu, le 2 octobre sur M6. Trois tweets colériques :

“Journaliste politique, c’est un métier” ; “Je ne parle pas de ma vie privée’, dit Marc-Olivier Fogiel. Alors merci de respecter celle des autres” ; “Non, je ne demande pas l’autorisation pour tweeter” En tout cas, elle a déjà gagné un surnom, donné par le journaliste médias du Point, Emmanuel Berretta : Valérie “Twitterweiler”.

par Michel-Antoine Burnier

Les scandales de la droite prennent une telle ampleur que l’on doit une fois de plus en louer les scénaristes. Regardez les mythes agités : milliardaire, attentat, valises de billets, services secrets, les histoires commencent à ressembler à une aventure d’OSS 117 interprétée par M. Jean Dujardin. Dans quel rôle ? Celui d’un M. Sarkozy vantard, séducteur et gaffeur ? D’un M. de Villepin certain de sauver la France à chaque pas ? Attendons la suite des histoires. Dans tout cela, pourtant, il manquait un élément susceptible de passionner le grand public et ses journaux familiers : une princesse. La voici : la princesse de Yougoslavie, très 1950, pauvre, abandonnée, entraînée malgré elle dans cette affaire et qui, selon l’heureux mot de M. Hortefeux, “balance beaucoup”. C’est du Audiard posthume ! Cela ne va-t-il pas éclipser le scandale WoerthBettencourt ? Pas du tout. Nous avons un procureur, docile ami de M. Sarkozy, qui se retrouve devant un juge. Imaginez quels efforts il a fallu pour en arriver là. Woerth-Bettencourt, Karachi : nous conseillons aux scénaristes de la défaite d’arrêter cette concurrence et d’alterner les épisodes de leurs scandales afin que le public ait le temps de suivre et d’en apprécier les rebondissements. La défaite présente beaucoup d’avantages. Le premier veut que l’on se dispute pour en désigner les talentueux responsables. Après l’exceptionnelle perte

du Sénat, M. Juppé en félicite M. Copé qui, par son autoritarisme arrogant, aurait permis la multiplication des dissidences. La droite dite “populaire” pense, elle, qu’il fallait se montrer plus réactionnaire encore. Le centre, qui s’en sort bien, nargue l’UMP. Quant à M. Sarkozy, il accuse tout le monde sauf lui-même. Ce Sénat hostile, il a tant cherché à l’obtenir dans les désastres organisés des élections locales. Il sait que cela va lui compliquer la tâche jusqu’à la fin de son quinquennat et l’empoisonner si, malgré ses efforts, le corps électoral le choisissait une seconde fois. Quant aux socialistes, nous leur conseillons d’user sans réserve des privilèges de l’opposition qu’ils goûtent tant : au train où va l’histoire, cela risque de ne pas durer. Ça y est : le PS a admis qu’il lui restait peu de chance d’empêcher un échec de M. Sarkozy en 2012. Il prend ses précautions. Dans leurs débats, ses candidats, imitant en cela M. Mitterrand en 1981, ont chauffé quelques espérances difficiles à satisfaire. Il semble toujours avisé de prétendre savoir administrer l’économie, gouverner le crédit et relancer l’emploi par les salaires publics. A tout hasard, ces propositions renouvelées d’autrefois pourraient produire les mêmes effets qu’en 1981-83, soit une belle reculade devant la réalité. De ce point de vue, M. Valls a bien tort de s’y opposer. (à suivre...) 5.10.2011 les inrockuptibles 51

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le président Coué Affaires, crise, sénatoriales, chômage : les nuages noirs s’accumulent pour la droite. A l’Elysée, on prétend garder le moral, mais des candidats de substitution commencent à être évoqués à l’UMP.



eule éclaircie dans le ciel sombre au-dessus de l’Elysée : l’annonce, dimanche soir sur TF1, de la non-candidature de Jean-Louis Borloo à l’élection présidentielle. Certes, la décision du centriste peut s’avérer périlleuse à terme si ses électeurs vont vers François Bayrou… ou même vers François Hollande. Mais, pour Nicolas Sarkozy, c’est une bonne nouvelle au moment où montent les rumeurs sur son incapacité à représenter la droite en 2012. Eclairant à ce sujet : un sondage Viavoice publié lundi dans Libération, indique que 68 % des

68 % des Français estiment que Nicolas Sarkozy va perdre s’il se représente

Français estiment que le président sortant va perdre s’il se représente l’année prochaine. 26 % d’entre eux placent même Alain Juppé comme meilleur candidat de l’UMP, devant Nicolas Sarkozy (21 %). Même pas peur ! Au palais de l’Elysée, on affiche la sérénité des vieilles troupes. “Il n’y aura aucune accélération du calendrier. On continue à travailler et Nicolas dira en février s’il est candidat à un second mandat”, explique-t-on dans l’entourage du Président. La tactique du gros dos. Pas bête car en ce moment rien ne marche en Sarkozie. La “représidentialisation” ? Un bide, malgré la guerre en Libye et la mobilisation européenne contre la crise. L’affaire Karachi et la

victoire de la gauche au Sénat ont ravivé les craintes des élus de l’UMP, qui redoutent d’être entraînés dans la débâcle aux législatives qui suivront la présidentielle de 2012. A l’Elysée, on ironise sur ceux qui transforment la perte de la chambre haute en “séisme législatif”. On s’emporte contre ces hebdomadaires qui titrent tous la même semaine sur “la fin de règne” de Nicolas Sarkozy. “Cela crée un effet inverse chez les gens”, assure-t-on en rappelant la règle sacrée des politiques : “Le vainqueur huit mois avant la présidentielle n’a jamais été le vainqueur au final.” Les proches de Nicolas Sarkozy ne croient pas davantage au surgissement d’un candidat miracle. “Honnêtement, je ne suis

Philippe Wojazer/Reuters

Seule bonne nouvelle : Borloo pense qu’il est temps de rentrer chez lui

pas sûr que Sarkozy puisse continuer à se présenter comme le meilleur candidat possible, explique un député, mais je suis sûr d’une chose, c’est que personne n’aura le courage de lui dire.” “Dans la Ve République, il n’y a pas de place contre le Président dans le camp du Président”, répète Jean-Pierre Raffarin. Deux noms circulent toutefois pour incarner un possible recours : celui de François Fillon, tout d’abord. Le Premier ministre a reconnu que la défaite au Sénat était “un coup sévère”. Mais il a surtout jugé que la bataille présidentielle venait de commencer. “Je mettrai toutes mes forces dans cette bataille pour permettre au président de la République d’être réélu”, a-t-il affirmé. Même souci pour Alain Juppé, le ministre des Affaires étrangères vintage de Nicolas Sarkozy. Ce fidèle parmi les fidèles de Chirac évaluait en 2008 à “une sur un million” ses chances d’être candidat en 2012. Aujourd’hui, un faux profil twitter Juppé 2012 a été créé ! Invité jeudi de l’émission Des paroles et des actes, il a soigneusement évité de froisser le camp sarkozyste. Il y a sept mois, lors de son entrée au gouvernement, il avait plaisanté en disant rejoindre le Titanic. “On a évité les icebergs (…) et, maintenant que je suis sur le bateau, je me rends compte qu’il y a un capitaine”, a-t-il susurré sur le plateau de France 2. “La direction est la bonne et je vais aider Nicolas Sarkozy sans ambiguïté”, a-t-il insisté. Tant de sollicitude, c’est touchant. Hélène Fontanaud

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Feist ce qu’il te plaît Reprendre une liberté totale après un tube interplanétaire et s’échapper pendant plus d’un an. Feist la forte tête sort de sa retraite avec un album sauvage, baba et magnifique, enregistré à Big Sur, Californie. par Thomas Burgel photo Mary Rozzy

 C

her Robert, le Horn a été arrondi le 5 février et nous sommes le 18 mars. Je continue sans escale vers les îles du Pacifique parce que je suis heureux en mer, et peut-être aussi pour sauver mon âme.” Nous sommes en 1969. A l’aide d’un lance-pierre – il avait refusé d’emporter un émetteur radio à bord –, Bernard Moitessier lance ce message terrible et dérisoire au capitaine d’un navire de passage, à destination de son éditeur et de sa famille. A une époque d’embarcations approximatives et sans technologie, le navigateur français avait entamé huit mois auparavant une aventure folle : le Golden Globe Challenge, course autour du monde par les trois caps, en solitaire et sans escale, qu’un seul des neuf partants bouclera finalement. Huit mois de solitude absolue, mystique, métaphysique, d’introspection et de recherche de sa propre vérité. Une éternité durant laquelle, devenu sauvage au monde, Moitessier a fini par s’effrayer d’un retour à la civilisation. Au moment de remonter l’Atlantique

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à Toronto, été 2011

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“que fais-tu quand tu es complètement libre, que tu n’as aucune obligation ? J’ai connu quelques réveils un peu paniqués”

en probable vainqueur vers Plymouth, il a bifurqué et est reparti, rêveur et seul, pour un second tour du monde finalement achevé à Tahiti. Que vient faire le navigateur dans un article sur Feist ? Tout, en fait. La Canadienne a lu Moitessier et son admirable récit, La Longue Route. Presque plus que de son album, elle parle longuement, passionnément, des déferlantes et des grands vents, des embruns atlantiques et des soleils indiens plein les yeux : le “Vagabond des mers du Sud” a été une influence majeure, une inspiration de vie. Feist a lu Moitessier. Mieux, elle a été Moitessier. Mondialement connue, célébrée, adorée, starisée, brinquebalée en tous sens après son album The Reminder et son tube en platine 1234, mis en orbite par une pub Apple, elle a également choisi, en haut de la vague, de prendre la tangente pour s’extraire du domaine public : comme le marin, l’ancienne punk et indomptable forte tête a esquivé la foule pour retrouver sa vérité dans une retraite solitaire et silencieuse. “Au moment où tout ce qui se passait à l’extérieur a pris le pas sur ce qui se passait en moi, mon instinct s’est réveillé pour me faire comprendre que ce n’était pas sain. Après Let It Die puis The Reminder, après des années d’activité sans interruption, j’étais littéralement vidée. Mes sens étaient stériles, je perdais ma curiosité, je n’avais plus de carburant physique, émotionnel ou musical, je me sentais au bout de quelque chose. J’étais passée de petites salles à des salles de 5 000 personnes : je portais le deuil de l’intimité

que j’avais longtemps connue dans ma musique. Je me sentais un peu moins présente lors de mes concerts, je commençais à avoir l’impression de faire des photocopies de photocopies de photocopies. J’ai clairement tracé une ligne, décidé d’une date après laquelle j’arrêterais de tourner. Je ne voulais pas vivre dans un tableau Excel. Je voulais être libre de faire ce que je voulais de mon temps et de l’espace, être libre d’aller où je le désirais et quand, être libre d’être totalement immobile aussi.” Immobile, secrète, improductive malgré quelques apparitions ou collaborations pour rendre service, Feist l’a été. Elle est rentrée chez elle, à Toronto, retrouvant sa petite maison, son jardin, son calme, le thé l’après-midi, sa famille, rien si elle le voulait. Le label était prévenu : la Canadienne prenait une année sabbatique. Sauf que. “Il m’a fallu un peu de temps pour m’habituer à nouveau à ce style de vie. J’ai dû réapprendre comment passer une journée. Que fais-tu quand tu es complètement libre, que tu n’as aucune obligation ? J’ai connu quelques réveils un peu paniqués… Au bout d’un an, je me suis rendu compte que j’avais encore besoin de temps, que j’avais à peine réappris à profiter. J’ai donc dit à tout le monde que je prenais une deuxième année. Et là, j’ai soudain eu l’impression que les gens avaient disparu. Je me sentais enfin seule, j’avais l’impression de pouvoir m’échapper, de me glisser hors du cadre. Ça collait enfin parfaitement à mon état d’esprit : j’avais besoin de ce sentiment de fuite, de discrétion, d’être la plus silencieuse possible. Les choses ont alors commencé à revenir.”

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Et les chansons à s’écrire, la brise à nouveau favorable à l’inspiration. A Toronto, elle s’est enfermée dans un cabanon de jardin où sa mère la retrouvait souvent, enfant, “cachée et endormie dans un placard”. Elle l’a converti en home studio de bric et de broc. Elle partira ensuite enregistrer dans la proche forêt ontarienne, avant de revenir au studio La Frette, aux portes de Paris, où était déjà né The Reminder. Toujours seule, avec les moyens du bord, en retrouvant le plaisir charnel de la guitare, en arrangeant les demos “à la bouche” avant de les faire écouter à ses deux camarades de toujours, Mocky et Gonzales. Ces fidèles seront appelés en renfort pour mettre le tout en forme ; le percussionniste Dean Stone et le claviériste Brian LeBarton venus ensuite apporter leur air frais à cette vieille famille. Des premières esquisses, une certitude ressort : il y a eu un 1234, il n’y aura pas de 1234 n° 2, le retour. Tant pis pour ceux qui n’attendent plus de Feist qu’une série de hits, tant pis pour ceux qui appellent ça un “suicide commercial”, tant mieux pour ceux qui espéraient un bel album un peu baba, en marge des obligations sonnantes et trébuchantes. “Inconsciemment, je voulais qu’il n’y ait pas de single, que les chansons soient intimement liées les unes aux autres, qu’elles aient une forme d’esprit de fraternité, qu’elles se répondent. 1234 n’a pas fait un bon boulot en tant que représentant d’un album complet. Qu’une chanson sorte ainsi du lot n’a aucun sens pour moi : comme les chapitres d’un même roman, si on en enlève un, le reste ne signifie plus rien. Je ne regrette pas cette période mais je ne voulais pas alimenter ce feu, je préfère le voir s’éteindre tranquillement, en allumer un autre, avec des flammes et un carburant différents.” Un air différent, aussi : celui de Big Sur, bout de fin de terre jeté dans le Pacifique californien, terre quasi vierge et sauvage, devenue mythe littéraire (“Avec chacun de leurs romans, Miller ou Steinbeck y ont enregistré l’équivalent de cinquante albums”) et choisie pour l’enregistrement. En pleine nature, entre les houles océaniques, les vents continentaux, les champs de ronces et les quelques excentriques qui peuplent ce bout de côte escarpée, la troupe a monté un studio temporaire où elle a enregistré Metals, en live et en deux semaines à peine. “Quand j’écrivais dans mon petit univers, caché du monde, je savais qu’enregistrer à Paris, par exemple, n’aurait pas de sens. J’avais besoin d’un endroit qui me soit inconnu.

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Les chansons ont choisi cet endroit : elles avaient leur propre humeur, qui m’ont menée vers la Californie, et la Californie m’a menée vers Big Sur. C’est un lieu incroyable, presque anormal. On blaguait souvent sur nos ‘transports en commun’ quotidiens : entre la maison où l’on dormait et la grange où l’on enregistrait, on devait marcher sur le chemin que prenaient les vaches, au bord d’une falaise à pic. L’océan était en bas mais il fallait marcher quarantecinq minutes pour l’atteindre, on ne l’entendait même pas des hauteurs où nous nous tenions. C’était la première fois de ma vie que je pouvais regarder l’horizon sur l’océan sans entendre ses vagues et son fracas : je voyais plus loin que je n’avais jamais vu, tout était silencieux, c’était assez mystérieux, surréaliste. L’esprit de Moitessier n’était jamais loin. Il y a quelque chose de très graphique à Big Sur, cette ligne entre terre et mer. Il y a un continent entier derrière, l’océan Pacifique devant, et tu te tiens précisément entre les deux.” Précisément aussi où se tient Metals, long en bouche, d’une grande majesté et très ambivalent. Car le son d’apparence lissée cache des échardes venimeuses, les lumières des obscurités abyssales. Naturel, organique, folk, garanti 100 % bio, c’est un disque de pleine nature : une bande de copains jouant avec plaisir autour du feu, loin des canons FM, qui se racontent des histoires et refont un monde avec de la glaise, des branchages, un peu de sueur, beaucoup d’idées et autant de cœur. Mais Metals est aussi un disque continental et moderne, discrètement scientifique, très américain : cousin assagi du Age of Adz de Sufjan Stevens, presque frère du The Greatest de Cat Power, pas loin de Bon Iver, Bonnie Prince Billy ou Low, il lie dans un dialogue permanent le classique et le moderne, le jazz et la pop, la (fr)agilité élastique de la voix de Feist et des arrangements cordés ou cuivrés, amples ou ténus, logiques ou plus tarés. “J’ai toujours aimé la nuit, il y a des tas de choses dedans qui parlent, qui chantent ou qui racontent”, a écrit l’idéaliste hippie Moitessier. Crépusculaire et phosphorescent à la fois, Metals, décrit par son auteur comme une “œuvre d’égoïsme”, est aussi cela : un album de nuit, qui s’écoute entre la peur du noir et la joie de la lune. A celui qui sait les entendre, il conte une infinité d’histoires. album Metals (Polydor/Universal), www.listentofeist.com interview intégrale sur lesinrocks.com

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Les comédiens en rupture, et en bleu, de Pascal Rambert : Stanislas Nordey, plus souvent metteur en scène, et Audrey Bonnet

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Succès unanime au Festival d’Avignon, Clôture de l’amour de Pascal Rambert transforme une scène de ménage en une performance aussi cruelle qu’éblouissante. Rencontre avec l’auteur et ses deux comédiens bouleversants. par Fabienne Arvers et Patrick Sourd photo David Balicki

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eux amants quasiment immobiles n’ont que l’usage des mots pour s’écharper. C’est Clôture de l’amour, de Pascal Rambert, spectacle d’une scène de ménage homérique qui fit l’unanimité lors du dernier Festival d’Avignon. Ce théâtre installé dans la fameuse white box des performances de l’art contemporain sous forme d’une épure au concept minimaliste fédéra tous les publics dans un même enthousiasme. Deux monologues assassins où Stanislas Nordey et Audrey Bonnet prennent un malin plaisir à se déchirer et à réduire à néant les liens qui les unissaient. Comme souvent pour les scénarios de cinéma, mais rarement au théâtre, ce texte a été écrit pour ses deux destinataires : “Pour le texte, je n’ai pas précisément pensé au cinéma, précise le metteur en scène, mais j’ai toujours écrit pour l’équipe artistique avec qui je travaille et ce fut aussi le cas pour Stanislas Nordey et Audrey Bonnet. Ayant déjà travaillé avec Audrey, j’avais son physique en tête et des sonorités dans l’oreille. Pour Stanislas, j’ai puisé à ce que je savais de lui dans la vie. Sur le plateau, c’est effectivement un peu comme au cinéma, ils sont de trois quarts dos et cadrés champ-contrechamp.” Audrey Bonnet était l’actrice du Début de l’A., pièce écrite en 2001 par Pascal Rambert, autofiction d’une rencontre amoureuse vécue par l’auteur avec l’actrice Kate Moran : “Le Début de l’A. était assez autobiographique, raconte Rambert. J’y reprenais mon histoire avec Kate. Là, j’écris vraiment pour Stan et Audrey, une façon

Marc Domage

Enr épétition au Théâtre de Gennevilliers

de coudre ensemble plusieurs séparations personnelles et d’autres vues autour de moi. C’est un objet, un artefact. J’ai tout fait pour me placer dans ce que je ressens comme la vérité des choses : quitter n’est pas ne plus aimer, c’est aimer d’une manière différente dans un nouveau temps.” Evidemment, l’expérience d’une rupture prend une autre dimension émotionnelle lorsque le personnage porte le nom de l’acteur. “On en a beaucoup parlé entre nous et on a des réponses différentes !, confie Stanislas Nordey. Au-delà du plaisir complice de savoir que quelqu’un a posé votre nom sur une pièce de théâtre, je me tiens, dans ma pratique d’acteur comme dans celle de metteur en scène, à la règle simple d’un processus d’identification absolu avec le texte… Le personnage, c’est l’auteur. Il a mis tout ce qu’il a dans le bide dans sa pièce, donc c’est lui qui parle. Il me reste alors à vivre cette immersion, c’est mon boulot depuis toujours. La première fois que nous avons récité la pièce, j’ai été davantage dévasté par sa violence que par l’identification des prénoms.” Audrey Bonnet enchaîne : “Quand j’entends mon prénom, ça vibre à des endroits très profonds, jusque dans mon inconscient. Ça m’interpelle de façon encore plus forte que si mon personnage se nommait Marthe ou Kate. Même si, intimement, ça résonnait très fortement, le fait que l’héroïne s’appelle Kate dans Le Début de l’A. fabriquait de la distance. Là, il y a un degré de réalité supplémentaire qui crépite dans l’air.” Au-delà de la tentation de rendre compte du réel, Pascal Rambert avoue s’être laissé envoûter par

“le premier jour des répétitions, je me suis dit : comment vais-je leur expliquer qu’il n’y a rien d’autre à faire que se parler ?” Pascal Rambert 60 les inrockuptibles 5.10.2011

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PascalR ambert : “On va au théâtre parce qu’on aime voir les autres souffrir”

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“c’est en jouant devant le public que j’ai réalisé à quel point ce que j’avais à dire allait dévaster les gens dans la salle” Stanislas Nordey

les mots : “C’est la beauté du mot “clôture” qui m’a aimanté. J’avais beaucoup aimé La Clôture, ce livre de Jean Rolin consacré au boulevard qui fait le tour de Paris. La Clôture a fait un trajet à l’intérieur de moi. Un peu comme la trajectoire de la planète Melancholia, dans le dernier film de Lars von Trier, “clôture” est venu se coller tel un satellite sur le mot “amour”. D’autre part, j’avais envie d’une chose très simple : une personne rentre sur un plateau et parle.” Pascal Rambert a suivi ce principe à la lettre. “Le premier jour des répétitions, je me suis dit : comment vais-je leur expliquer qu’il n’y a rien d’autre à faire que se parler ? On ne va pas commencer à sortir une chaise, faire semblant de je ne sais quoi… C’est volontairement raide. Je prétends que Clôture de l’amour correspond à un théâtre hyperarchaïque, avant même l’invention du dialogue. J’aime cette idée. Voilà pourquoi ils sont nus et se coiffent de plumes à la fin. C’est une séparation verbalisée. Mais sous d’autres cieux et en d’autres temps, les affrontements ont pu prendre d’autres formes. Dans la scénographie de Daniel Jeanneteau, les comédiens sont surexposés de façon à ce que leurs deux corps forment une sorte de proue. Qu’est-ce qu’un acteur sinon un corps saisi par une pensée ?” Cette simplicité revendiquée peut s’avérer un défi lancé aux acteurs. “Ce qui m’a le plus touché quand j’ai lu le texte, explique Stanislas Nordey, c’est le sentiment que Pascal nous avait construit des montagnes à escalader : tenir une salle par sa seule parole pendant chacun cinquante minutes. Rester sur le plateau à écouter l’autre, c’est très dur. Dès le premier jour, ça ne pouvait se travailler que dans le mouvement, dans la vague. Il s’agit d’un théâtre du corps. Pascal est quand même très fasciné par la danse contemporaine et par le mouvement du corps.” Audrey Bonnet complète : “Ce texte insuffle une respiration. Quand les mots m’arrivent, leur impact est déjà lisible dans mon corps.” Cette extrême attention portée aux postures physiques fait dire à Pascal Rambert : “C’est une pièce de danse, même si durant deux heures on ne fait que parler. Du reste, personne n’a jamais prétendu qu’une partition chorégraphique ne pourrait pas relever de la parole. Il s’agit d’un langage. Dans l’échange, il y a une sorte d’organicité qui fait réagir les corps… Si Stan s’effondre lentement, ce n’est pas simplement parce qu’elle lui dit des choses dures : j’y vois la courbe naturelle d’un corps exprimant une vraie fatigue.” Paradoxalement, la version éditée du texte de la pièce est avare d’indications, les didascalies ne rendent pas compte des surprises que nous réserve la représentation, en particulier cette chorale d’enfants

chantant Happe d’Alain Bashung à la mi-temps du combat amoureux. Là encore, Pascal Rambert puise dans son histoire : “Bashung habitait près de chez moi. Tous les matins, je le voyais emmener ses petites filles à l’école. A la fin, fatigué par la maladie, il remontait doucement la rue et s’asseyait sur un banc. Faire chanter un de ses titres par des enfants de 11 ans venant de Gennevilliers, je trouvais ça beau et très inattendu. En plus, lors de la création d’un opéra aux Etats-Unis, il m’est arrivé la même chose… On a frappé à la porte de la salle de répétitions et pour une raison de planning, j’ai vu débarquer les petites ballerines de l’opéra de Houston. Des filles de 13 ans toutes habillées en rose, c’était génial !” (rires) Un intermède idyllique en contrepoint de la violence des amants qui s’entredévorent : “C’est en jouant devant le public que j’ai réalisé à quel point ce que j’avais à dire allait dévaster les gens dans la salle, parce que tous pouvaient se retrouver dans ces mots”, constate Stanislas Nordey. Pascal Rambert en tire une théorie : “Je suis sûr qu’on va au théâtre parce qu’on aime voir les autres souffrir. C’est le principe de la catharsis. Il est dans la nature de l’être humain d’aimer voir l’autre en chier grave, très très grave. Là se situe la vérité du rapport entre notre proposition sur le plateau et la façon dont le public la reçoit.” S’agissant d’amour et pour éviter la connivence, Rambert a volontairement utilisé une langue froide et objective : “En évitant l’usage des mots langoureux, j’étais déterminé à faire mal et je savais qu’il y aurait un transfert d’énergie entre la froideur des paroles et l’état de surchauffe du corps.” La formule a fait miracle et d’Europe en Asie, les propositions affluent. “J’en suis très heureux, conclut le metteur en scène. Après Gennevilliers, on va pouvoir remonter la pièce à Zagreb, à Modène, à Rome et au Japon. D’autres équipes souhaitent aussi la créer en Pologne et aux Pays-Bas.” Nous, on verrait bien le spectacle sur une scène prestigieuse du privé, pourquoi pas le Théâtre Marigny ? “Effectivement, pourquoi pas ? Par rapport à mes textes précédents, cette pièce est d’une veine plus anglo-saxonne qui pourrait très bien trouver sa place dans une salle du West End de Londres. D’ailleurs, au sortir de notre dernière en Avignon, Patrick Bruel, présent dans le public, m’a laissé un long message, que j’ai fait écouter à Stanislas et Audrey, pour me dire tout le bien qu’il pensait de la pièce. Je ne m’attendais pas à cette unanimité, alors après Patrick Bruel, j’ai pensé : What else ?” Clôture de l’amour texte et mise en scène Pascal Rambert, jusqu’au 22 octobre au Théâtre de Gennevilliers, www.theatre2gennevilliers.com

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Marilyn parle ! l’envers de Hollywood “Je n’ai jamais rien lu sur le Hollywood que j’ai connu au cours de ces premières années. Je n’y ai jamais trouvé non plus la moindre allusion dans les ouvrages de cinéma. S’il existe des livres sur ce sujet, ils m’ont échappé, en même temps que les quelques millions d’autres livres que je n’ai pas lus. Le Hollywood que je connaissais était le Hollywood des ratés. Presque toutes les personnes que je rencontrais crevaient plus ou moins la faim ou avaient des envies suicidaires. Cela me faisait penser à ce poème : “De l’eau, partout de l’eau, mais pas une goutte à boire.” La gloire, partout la gloire, mais pas même un sourire pour nous. Nous mangions au comptoir des drugstores ; faisions la queue dans les salles d’attente. Nous étions la plus jolie équipe de chercheuses d’or qui ait jamais envahi une ville. Et nous étions si nombreuses ! Lauréates de prix de beauté, étudiantes au physique spectaculaire, sirènes locales provenant de tous les Etats de l’Union. Venues des villes et de la campagne. Des usines, des troupes de music-hall, des écoles d’art dramatique et l’une d’entre elles d’un orphelinat. Et, tout autour de nous, il y avait les dragueurs. Non pas les types importants qu’on trouvait à l’intérieur des studios, mais le menu fretin – prospecteurs de talents sans talent, agents de presse sans clients, relations publiques sans relations, et des imprésarios.

Les drugstores et les petits bistrots regorgeaient d’imprésarios prêts à vous lancer si vous vous enrôliez sous leur bannière. Leur bannière était en général un drap de lit. Je les ai tous connus. Tous des ratés et des faisans. Certains étaient de véritables escrocs, et dangereux. Mais pour nous, ils représentaient ce qui pouvait le plus nous rapprocher du cinéma. Alors on s’asseyait à leurs tables, et on les écoutait débiter leurs bobards, exposer leurs combines. Et on voyait Hollywood à travers leurs yeux – un bordel surpeuplé, un manège où les lits tenaient lieu de chevaux de bois. Parmi ces arnaqueurs et ces paumés, il y avait également une bonne collection de “has been”. La plupart était des acteurs et des actrices qui avaient été évincés du cinéma ; personne ne savait trop pourquoi, à commencer par eux. Ils avaient eu des “grands rôles”. Ils montraient des albums pleins de photos d’eux et d’articles de journaux. Et ils fourmillaient d’anecdotes sur les grands patrons au nom magique qui dirigeaient les studios – Goldwyn, Zanuck, Mayer, Selznick, Schenk, Warner, Cohn. Ils les avaient côtoyés et avaient même échangé des conversations avec eux. Assis dans les bistrots minables devant une bière qu’ils faisaient durer une heure, ils parlaient des grands du cinéma, en les appelant par leurs prénoms. “Sam m’a dit…”, et “J’ai répondu à L. B…”, et “Je n’oublierai jamais l’enthousiasme de Darryl quand il a vu les rushes”.

Photo Milton H. Greene. Courtesy Joshua Greene, 2011

En 1954, la star dictait son autobiographie au scénariste Ben Hecht. Publiées vingt ans plus tard puis tombées dans l’oubli, ces vraies mémoires de Marilyn ressortent le 17 octobre dans une nouvelle édition agrémentée de photos prises par Milton H. Greene. Extraits en exclusivité.

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Quand je me rappelle ce Hollywood, sans espoir, barbotant dans la débine et le mensonge, que j’ai connu il y a quelques années seulement, je sens une certaine nostalgie m’envahir. C’était un endroit plus humain que le paradis dont je rêvais et que j’ai trouvé. Les gens qui le peuplaient, les faisans et les ratés, étaient des personnages plus colorés que les grands hommes et les artistes célèbres que je devais connaître bientôt. Même les escrocs qui me tendaient des chaussetrapes et essayaient de m’emmener en balançoire me paraissent maintenant plutôt plaisants et faciles à vivre. Il y avait Harry, par exemple, le photographe, qui n’arrêtait pas de prendre des photos de moi quand il avait de quoi se payer des plaques pour son appareil.” (extrait du chapitre 9, Plus haut, plus haut, encore plus haut)

la découverte du sexe “Dans ma solitude, je pensais beaucoup au passé et comprenais mieux Norma Jean, cette enfant au cœur glacé. Jamais elle n’aurait survécu si son cœur avait été accessible à l’amour. Maintenant, dès qu’il avait un quart d’heure de retard, j’étais au supplice en l’attendant. Si j’avais vraiment aimé quelqu’un ou quelque chose dans mon enfance et mon adolescence, j’aurais souffert mille morts tous les jours. Peut-être les ai-je souffertes après tout, mais en le dissimulant soigneusement. Sans doute est-ce pour cette raison que l’amour est si douloureux pour moi, et que mon cœur semble toujours sur le point d’éclater de souffrance et de nostalgie. Je pensais beaucoup à lui et aux autres hommes. Mon amant était un être fort. Je ne veux pas dire par là qu’il se montrait dominateur. Un homme fort n’a nul besoin de dominer une femme. Sa force, il n’a pas à la mesurer contre une femme éperdue d’amour pour lui, donc faible. Il l’exerce contre le monde. Quand il entrait dans ma chambre et me prenait dans ses bras, tous mes ennuis s’envolaient. J’oubliais aussitôt Norma Jean et cessais de voir les choses par ses yeux. J’oubliais même que je n’étais pas photogénique. J’avais l’impression de faire peau neuve, je n’étais plus une actrice, à la recherche d’un monde aux couleurs chatoyantes. Toute la gloire, la beauté, tout le génie dont j’avais rêvé étaient réunis en moi. Quand il me disait “je t’aime”, je me sentais plus comblée que si un millier de critiques m’avaient sacrée grande vedette en chantant mes louanges. J’essayais de comprendre pourquoi la vie était tellement différente de ce qu’elle avait été avant lui. Pourtant la situation n’avait pas changé – pas plus d’espoir, ni de travail en perspective, toutes les portes fermées. Mes problèmes étaient toujours présents, du premier au dernier, mais ils étaient devenus comme un tas de poussière balayé et poussé dans un coin.

Il y avait une chose absolument nouvelle – le sexe. Le sexe est une chose bien déroutante quand il vous laisse de glace. Quand je me réveillais le matin, après mon premier mariage, je me demandais si le monde entier était fou, à faire en permanence un tel battage autour du sexe. C’était un peu pour moi comme si j’avais entendu vanter du matin au soir les mérites incommensurables de la poudre à récurer. Puis une idée se fit jour en moi. Les autres – les femmes – étaient différentes de moi. Elles éprouvaient des sensations qui m’étaient inconnues. Ensuite, quand je me mis à lire, je tombai sur des mots comme “frigide”, “marginale” et “lesbienne”. Je me demandai alors si je n’étais pas les trois à la fois. Un homme qui m’avait embrassée une fois m’avait dit qu’il était bien possible que je sois lesbienne parce que apparemment le contact des hommes – en l’occurrence, le sien – ne provoquait chez moi aucune réaction. Je ne tentais pas de riposter, parce que j’aurais été bien en peine de dire qui j’étais. Parfois je me demandais même si j’étais un être humain et je n’aspirais plus qu’à mourir. Sans compter cette tendance inquiétante chez moi à toujours éprouver du plaisir en regardant une femme bien faite. Maintenant que j’étais amoureuse, je savais qui j’étais. Pas lesbienne, en tout cas. Quant au monde, il n’était pas si fou d’être à ce point excité par le sexe. En vérité, il ne l’était pas assez. Un seul nuage assombrissait mon paradis et il ne cessait de grossir. Au début, rien n’avait compté pour moi en dehors de mon amour. Au bout de quelques mois, je commençais à m’interroger sur le sien. Je regardais, j’écoutais, je regardais encore… impossible de me faire une opinion. J’étais incapable de dire s’il m’aimait vraiment. Quand nous étions ensemble, il était tout sourires et me taquinait beaucoup. Je savais que je lui plaisais et qu’il était heureux de se trouver avec moi. Mais son amour semblait sans commune mesure avec le mien. La plupart des propos qu’il me tenait avaient une tournure critique. Il me reprenait quand je donnais mon avis, ne cessait de me faire remarquer à quel point j’étais ignorante et ne comprenais rien à la vie. C’était vrai, en un sens. J’essayais d’en savoir plus en dévorant livre sur livre. J’avais une nouvelle amie, Natacha Lytess. Elle était “coach” et c’était une femme très cultivée. Elle me guida dans mes lectures. Je lus Tolstoï et Tourgueniev. Ces deux auteurs me passionnèrent, je ne pouvais pas poser un de leurs livres avant de l’avoir fini. Je rêvais ensuite de tous les personnages dont j’avais ainsi fait la connaissance et les écoutais se parler entre eux. Mais je n’avais pas l’impression pour autant d’enrichir mon esprit.” (extrait du chapitre 16, Mon premier amour) Confession inachevée de Marilyn Monroe en collaboration avec Ben Hecht (Robert Laffont), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Janine Hérisson, préface de Joshua Greene traduite de l’anglais (Etats-Unis) par Antoine Monvoisin, 252 pages, 20 €

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retour sur

Nuit blanche Paris 2011

Sculpture publique de Julien Berthier au métro Anvers : La Concentration des services

avec assumé par

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direct live

03 h 05. Un sketch étrange de l’artiste Christophe Brunnquell réalisé pour la webtélé Nuit blanche live

eci n’est pas seulement un journal de Nuit blanche, ni le compte rendu de toutes les expos, installations, vidéos ou performances d’art contemporain vécues tout au long de la nuit de samedi à dimanche dans les rues de Paris. C’est aussi le journal d’une expérience inédite lancée par Les Inrocks, la marque mobile Sosh et la Ville de Paris : soit la création d’une chaîne culturelle d’un soir, la retransmission en live d’une traversée multimédia de l’événement. De 20 heures à 4 heures du matin, des critiques d’art et des journalistes des Inrocks mais aussi vingt-quatre bloggeurs de toutes tendances ont sillonné la ville et la foule pour envoyer sur la plate-forme Nuit blanche live un flux d’images et de textes : interviews d’artistes, vidéos filmées au téléphone mobile, rencontres avec des personnalités diverses de l’art et de la culture, séquences télé, tweets excités… Retransmise en direct sur le parvis de l’Hôtel de Ville et sur le site Nuitblanchelive.paris.fr, aujourd’hui retranscrite dans ces pages, cette masse protéiforme d’informations, de ressentis et de commentaires explore une manière plurielle et mutimédia de couvrir un événement culturel d’importance. Graphosphère, blogosphère, vidéosphère, médiasphère, tous ensemble ! Les Inrockuptibles

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Coup d’envoi de la programmation de Nuit blanche 2011 et de Nuit blanche live, chaîne culturelle d’un soir, sur la place de l’Hôtel-de-Ville. C’est parti pour une nuit de déambulation artistique dans Paris, de rencontres, de tweets, de vidéos associant pour un soir artistes, journalistes et bloggeurs.

thecool.e.t

20 h 10

Demain le ciel sera rouge de Christian Boltanski au Théâtre de l’Atelier

#“Elle est sur un nuage et coupe, coupe, coupe du papier’’, poétiquement twitté par @darkplanneur

Alors qu’il vient à peine de terminer le montage de son œuvre, on parvient à rencontrer Vincent Ganivet dans

la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, dans le IVe, là où sont montées les arches autoportantes de sa sculpture Caténaires 4.1.2. Trois jours intensifs de montage, une seule sculpture portante sur les deux prévues initialement ; l’œuvre s’impose par sa dimension matérielle, dans des questions de relations, de tension et de force. Le parpaing, matériau premier de l’œuvre, se donne à lire comme la première pierre, le point de départ de quelque chose. La sculpture, à la fois minimaliste et spectaculaire, reprend les principes ancestraux de l’architecture dans un dialogue avec l’un des lieux les plus anciens de Paris.

20 h 30

Muni de parapluies translucides, les Parisiens font l’expérience d’une pluie diluvienne en plein été indien, au cœur de l’Hôtel d’Albret. Purple Rain, l’œuvre de Pierre Ardouvin qui investit ce lieu du IVe arrondissement, est un des événements phare de Nuit blanche 2011. Une interminable file d’attente s’est déjà formée pour sentir tomber cette pluie mauve.

20 h 35

L’artiste Julien Berthier s’est posté sur le terre-plein central du métro Anvers, dans le IXe, avec une sculpture

publique qui, sans rien inventer, remet en perspective la rationalisation urbaine moderne. Le plasticien s’en explique : “On trouve dans La Concentration des services un toit végétal, un kakémono, une caméra de surveillance, un haut-parleur, un panneau solaire, une boîte postale, un horodateur, une poubelle, un parking à vélos… A la fois on économise de la matière en simplifiant le paysage, mais il reste une hyperrationalisation de la ville. Moi j’aime Naples pour ses strates historiques et techniques. Je trouve terrifiant d’attendre le bus à Porto, Londres ou Paris sous le même objet. Les gens sont encouragés à toucher et c’est tout l’intérêt de Nuit blanche de présenter cette sculpture là où elle est censée être, mais en même temps c’est une expérience relativement déceptive puisqu’il s’agit juste d’un Abribus multifonction : je n'invente aucune forme, je ne fabrique aucune expérience.”

20 h 59

#“Purple Rain, l’installation star de la nuit blanche, tient ses promesses. Expérience suréelle”, tweeté trempé par temps d’été par versac à propos de la création de Pierre Ardouvin où les gens se bousculent. Ambiance Michel Legrand vs Prince.

Bruno Fert/Picturetank

21 h 00 La performance de Sashiko Abe. L’artiste japonaise laisse parler les petits papiers. Elle va les découper rituellement jusqu’à l’aube

Attrapé au vol devant le Théâtre de l’Atelier, alors qu’il tentait de s’échapper pour aller dîner, Christian Boltanski

s’explique sur le format hybride de sa proposition. “Ce qui m’intéresse, c’est de trouver une forme qui soit entre le spectacle vivant et l’installation. L’exposition est un art de l’espace, on s’y promène, tandis que le théâtre est un art du temps avec un début et une fin. On peut rester dans Demain le ciel sera rouge le temps qu’on veut. La durée n’y est pas imposée. J’avais cette idée depuis longtemps mais

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elle était parfaite pour moi dans le cadre de Nuit blanche.” Au balcon et sur scène, ses comédiens déclament leurs prophéties dans une ambiance monacale, on entendrait les mouches voler. “Ce n’est pas vraiment une pièce de théâtre, plutôt une sorte d’oracle”, une parade en somme face “aux faux prophètes, nombreux en ce moment”.

21 h 20

Le cœur de Jeanne Cherhal balance pour la Gaîté Lyrique, nouvel écrin de la scène artistique parisienne :

“On s’attend à quelque chose d’arty, et pas à ce qu’un public populaire vienne squatter ici.” La chanteuse voit ses yeux fumer dans l’installation La Technologie autour de nous de l’artiste mexicain Rafaël Lozano-Hemmer. Léger bémol sur l’aspect ludique et interactif de l’œuvre : “Ce n’est pas ce qui me touche le plus. Mais j’ai adoré l’expo de Cyprien Gaillard au Centre Pompidou. Il se demande comment se situer devant un monde à la fois en mutation et en ruine. Il y a une nostalgie joyeuse dans ses Polaroid.”

21 h 40

Au café Saint-Jean, place des Abbesses, dans le XVIIIe, à l’heure de l’apéritif tardif, rencontre avec la candidate PS, attablée avec une poignée d’artistes, galeristes et personnalités du monde de la culture. C’est votre première Nuit blanche ? Martine Aubry – Non, je viens chaque année. C’est toujours un beau succès, le temps est là, et il y a de belles découvertes, donc je suis ravie. Nuit blanche est-il comparable aux actions culturelles menées à Lille, comme Lille 2004 ou le programme continu lille3000 ? Nous faisons plutôt à Lille des formats de plusieurs mois avec des grandes expositions entre deux. Mais je trouve formidable qu’à Paris on découvre de jeunes artistes aux côtés d’artistes très confirmés comme Boltanski. C’est aussi l’occasion pour des hommes et des femmes de toutes cultures, de toutes catégories sociales de se rencontrer, de faire la queue ensemble, de partager des émotions. Je crois qu’il n’y a que la culture qui permette cela. Le format événementiel, éphémère, est-il compatible avec une politique culturelle de fond ? L’événementiel ne suffit pas à faire une politique culturelle. Je privilégie un mode de culture approfondi. Avec lille3000, on travaille sur le thème du fantastique pour 2012. A chaque fois, on explore un thème en particulier, on va l’expliquer dans les écoles. En 2009, Europe XXL a lancé des débats notamment sur l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Sur la question des Roms, nous avions fait de la Tziganie le 28e pays européen. D’ailleurs, les Lillois ont très bien réagi à l’horrible discours de Grenoble de Sarkozy en juillet 2010 car ils ont compris qui étaient les Roms. Mais les habitants de Paris sont déjà plus avancés dans le domaine culturel et ils savent profiter de ces événements à leur juste mesure. Vous maintenez ce que vous avez dit lors du Festival d’Avignon sur la nécessité d’augmenter le budget de la culture ? C’est un choix politique que j’assume totalement. Je comprends qu’on ne le partage pas.

Bruno Fert/Picturetank

“l’événementiel ne suffit pas à faire une politique culturelle” Martine Aubry

#“Purple Rain c’est dingue, mais ça mouille un peu. A faire en couple, définitivement’’, amoureusement tweeté par @martinmédus

Déambuler sous l’averse pourpred e Pierre Ardouvin

Claire Moulène et Judicaël Lavrador des Inrocks interviewent Martine Aubry

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J'ai fait ce choix à Lille au niveau culturel et éducatif. J’aimerais porter cette politique au niveau national. 200 millions d’euros par an quand on vient de baisser l’impôt sur la fortune d’1,8 milliard, ça ne me paraît pas si délirant. La culture et l’art contemporains permettent d’ouvrir la sensibilité des enfants et de se poser des questions sur notre société. Il est encore tôt dans cette Nuit blanche. Quel sera votre parcours ? Je suis allée voir l’installation de Julien Berthier qui pose des questions sur la ville et ses signes. Et celle de Boltanski, toujours plein d’imaginaire, d’apparitions. Et je m’apprête à aller voir les personnages fantasmagoriques de Fabrice Hyber, que j’aime beaucoup. Je vais aussi rencontrer des artistes, des galeristes.

21 h 41

Bruno Fert/Picturetank

#“C’est malin, par association d’idées, j’ai November Rain dans la tête.” Tweeté en chantant par @versac sous la pluie pop de Purple Rain. Si certains pensent à Prince, d’autres évoquent Guns N’ Roses.

21 h 55

Le voyage d’hiver à Auschwitz de Miroslaw Balka, au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme

Bertrand Burgalat sous le parapluie de Jean-Max Colard des Inrocks

La tension monte d’un cran dans les Arènes de Montmartre, dans le XVIIIe. Des tigres en porcelaine y ont été disposés en demi-cercle. Des cris de joie accompagnent l’arrivée des “porteurs” de tigres on entend même un “Ave César !”, rappelant que dans la Rome antique, les tigres étaient chez eux dans l’arène. Chacun se place fièrement devant son félin et cherche des yeux l’artiste, Marcello Maloberti, caché dans la foule. C’est de lui que viendront les consignes. L’instant est solennel : chaque porteur lève son totem, marque un temps d’arrêt, avant de le lancer dans un bruit assourdissant. Après le départ des porteurs, restés graves au milieu des débris, c’est l’émeute dans l’amphithéâtre où les spectateurs achèvent les restes de la performance. “On ne s’attendait pas à pareille réaction, note Pierre Bal-Blanc, le directeur du Centre d’art de Brétigny-sur-Orge qui a accueilli l’artiste tout l’été en résidence, mais il s’agit bel et bien d’une expérience collective.”

22 h 04

“Nuit blanche ne coûte pas plus d’un café par habitant”, explique Christophe Girard. Arrivés au musée d’Art et d’Histoire

du judaïsme, dans le IIIe, on rencontre une première fois l'instigateur de l’aventure il y a dix ans. Des Nuits blanches de Dostoïevski au film de Visconti, en passant par le festival d’opéra de Savonlinna, l’adjoint au maire chargé de la culture prend le temps d’évoquer les influences qui ont motivé l’événement mais aussi les débats qui l’entourent. Refusant de jouer la carte du festif contre les structures muséales pérennes, Christophe Girard pense également cette initiative comme une manière de repenser une ville, de la bousculer, de renouer avec l’idée d’invention. “La culture n’est pas un supplément, c’est un élément structurant d’un type de civilisation”, affirme-t-il. Pourvu que la ligne artistique combine à la fois des choix pointus et des propositions pour le plus grand nombre.

22 h 08

Tarzan Noir. Les tigres de porcelaine de Marcello Maloberti rugissent aux arènes de Montmartre

#“Un yéti, des arches nostalgiques, un ovni atterri dans un cloître merveilleux”, joyeusement tweeté par @zeparisienne emballée par trois œuvres en particulier : l’animal de Fred Sapey-Triomphe, les ogives de Vincent Ganivet et la sculpture futuriste du Collectif de la Dernière Tangente dans le cloître des Billettes dans le Marais.

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22 h 10

“on cherche tous à être ce qu’on n’est pas” Bertrand Burgalat

Le public joue avec l’œuvre Bâtiment de LeandroE rlich exposée au 104

Rencontre avec l’homme-orchestre de Tricatel sous une pluie pourpre : l’occasion de repenser les influences entre art contemporain, musique et cinéma.

#“Assez fou l’effet d’être allongé et de se croire dans le vide au 104 !”, tweeté en apesanteur par @kikukoloko

Dans la rue, face au Centre culturel suisse, dans le IIIe, c’est une ambiance de village africain. Les spectateurs

dansent et interagissent avec des images d’un village d’Ouganda. Mais derrière le décor de son installation interactive réalisée avec Camille Scherrer, le photographe Suisse Yann Gross raconte l’origine de ce projet : parti à la recherche d’un endroit pour faire du skate dans le paysage peu urbanisé de l’Afrique de l’Est, il découvre en Ouganda la seule et unique rampe. Loin de la rue, un spot est né. On invite alors le graphiste Yorgo Tloupas dans la conversation, vêtu comme un sapeur, apportant sa vision plus culturelle et sociale du skate. S’il arbore le costume taillé plutôt que les baskets démesurées, le directeur artistique du magazine Intersection et du futur Vanity Fair français a néanmoins son mot à dire : il est skateur de longue date. “Ce projet se rapproche de la manière dont on a tous commencé à skatter, dans nos villages et campagnes sans vraiment savoir ce qui se passait ailleurs, avant internet, les magazines. J’avais vu la vidéo, les photos et j’avais adoré. Le skate, au-delà de la pratique sportive, peut générer autre chose, une culture alternative. C’est aussi un des rares sports ou l’aspect visuel est prépondérant. On est confronté chaque année à plus de 500 visuels de planches, ça a développé mon sens critique et visuel.” Regards croisés sur une pratique idéalement sportive et inéluctablement culturelle.

Gonzague Dambricourt/Nikon

22 h 45

Kikukoloko

Que t’évoque Purple Rain ? Bertrand Burgalat – C’est la seule chanson de Prince que je n’aime pas et qui me poursuit ! En revanche, j’aime ce qu’il a fait avant et tout ce qui est un peu plus psychédélique. On est là dans un univers à la Gene Kelly et de ton côté, tu travailles sur des musiques de film. Est-ce que cette installation convoque des choses intéressantes dans ton travail ? Ces choses-là sont de l’ordre de la religion. J’ai envie d’y croire. Il y a quelque chose de très instinctif, avec une évocation qui provoque des réminiscences. Je trouve que c’est très réussi. Par contre, je suis daltonien, donc je vois plus le côté “Rain” que “Purple”. Ton label Tricatel et tes productions témoignent d’un lien ténu à l’image. Quel regarde portes-tu sur l’art contemporain pour enrichir ta propre imagerie ? Ça commence à m’intéresser, mais au départ je me suis mis à la musique car je n’étais pas sensible au discours sur l’art. Mais je n’établis pas de hiérarchie. Dernièrement, je me nourris plus de livres et de films que de musique pour m’inspirer. Souvent les artistes veulent sortir des contraintes de l’art pour atteindre l’émotion produite par le concert, par exemple. On cherche tous à être ce qu’on n’est pas, ce qui est sain. L’art contemporain est un domaine où il y a un dynamisme qu’on trouve plus difficilement dans la musique. Tout en tournant autour d’équations du XXe siècle comme celles de Duchamp, les plasticiens sont peut-être moins rattachés au poids du passé.

Les arches de parpaing de Vincent Ganivet à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris

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22 h 57

Au pied de la butte Montmartre, Virginie Yassef réactive une installation imaginée en 2009. D’énormes traces de griffes balafrent un mur de huit mètres. On dirait un presque monochrome endommagé. “J’ai conçu cette œuvre comme une sculpture. L’échafaudage qui porte le mur fait partie de l’œuvre.” Le titre de l’œuvre imposante relate une bien drôle aventure : Il y a 140 millions d’années, un animal glisse sur une plage fangeuse du Massif central. “Je me suis inspirée de l’histoire scientifiquement vraie d’un ptérosaure, une sorte de reptile ailé, qui a dérapé alors qu'il était pourchassé par un dinosaure plus gros que lui.” Comme souvent dans son travail, Virginie Yassef joue avec la distance, le burlesque. “J’ai imaginé une relecture de cette séquence historique dans le présent et j’en ai réévalué l’échelle.” Une petite fille lui donne un dessin : “Regardez, elle a dessiné un vrai ptérosaure, avec trois griffes.”

23 h 10

#“Mystère, mystère au Théâtre de l’Atelier”, tweet énigmatique de @darkplanneur face aux pythies de Christian Boltanski : des comédiennes déclament des vérités contradictoires sur le futur. Pas de doute, Demain le ciel sera rouge.

23 h 12

Flashes lumineux rouges dans le funiculaire de Montmartre, à un rythme évoquant un cœur qui bat.

La pulsation accélère à la montée et décélère progressivement à la descente. Dans la cabine téléphérique, France Dubois parle in situ d’ExtraSystole : “J’ai voulu créer la manifestation d’une émotion partagée. L’accélération de ce battement de cœur, c’est aussi la sensation qu’on éprouve en arrivant sur le site de Montmartre. On vient de monter toutes ces marches et on a cette vue époustouflante sur Paris.”

23 h 20

Bruno Fert/Picturetank

#“Spécial quand même, le spectacle de Douglas Gordon”, méchamment tweeté par @olympeblogueuse, visiblement insensible à Henry Hopper, fils (et sosie) de Denis, donnant à voir son corps en proie à des émotions extrêmes dans Henry Rebel Drawing.

23 h 58

#“Pour Purple Rain, revenez dans deux heures ! Je répète, revenez dans deux heures !”, sagement tweeté par @zeparisienne à l'attention des nombreux curieux venus se rafraîchir sous la pluie magique de Pierre Ardouvin. Décidément, le hit de Nuit blanche 2011.

Quand une griffe de ptérosaure permet à Virginie Yassef de réinventer le monochrome

Extra-Systole de France Dubois. A Montmartre, même les funiculaires ont un cœur

00 h 02

#“L’œuvre de Boltanski n’enthousiasme pas tout le monde... Les avis sont très partagés”. Tweet sceptique de @paddythèque pour une pièce pourtant censée faire consensus.

Bruno Fert/Picturetank

00 h 15

Au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme (IIIe), on rencontre Jérémie Elkaïm, habitué du quartier. Evoquant avec

modestie et humour le succès du film La guerre est déclarée, sélectionné pour les oscars, l’acteur avoue apprécier l’art contemporain – le film The Clock de Christian Marclay – mais surtout les musées – le Louvre. Face à Heaven, une œuvre de Miroslaw Balka, il déclare pourtant : “J’adore le côté ludique de cette exposition, les enfants ont envie de s’accrocher !” Il pointe les tubes de plexiglas qui brillent au-dessus des têtes. “Spectaculaire !”

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00 h 35

ainsi au 5 000e visiteur. Filip Gilissen commente avec émotion l’effet produit par son œuvre qui a provoqué une explosion unique au cours de la nuit. Certains jettent des paillettes dans les airs. “Les gens retombent en enfance. Il y a une sorte d’alchimie entre le charme du lieu, la nature de la crypte et l’installation. C’est une œuvre accessible mais qui en même temps pose la question de la définition de l’œuvre d’art.” Un “climax”, comme le suggère l’artiste belge, à l’image d’une Nuit éphémère et jouissive.

00 h 55

On remonte dans la nef de Saint-Jean de Montmartre pour ne pas manquer Barbed Salt Lamps de Sigalit Landau. L’installation, datant de 2007, se révèle brûlante d’actualité. L’artiste israélienne, qui représentait son pays à la Biennale de Venise cette année, expose ses sculptures en fil de fer barbelé qui, plongées dans la mer Morte, se sont recouvertes de cristaux de sel. Thématique et matériau avec lesquels elle a déjà travaillé puisque l’œuvre qui l’a lancée était une vidéo dans laquelle elle se mettait en scène, pratiquant le hula hoop avec des barbelés. Le travail de l’Israélienne oscille en permanence entre engagement et poésie.

Bruno Fert/Picturetank

On arrive à point nommé à l’église Saint-Jean de Montmartre, place des Abesses, pour assister dans la crypte à une explosion de confettis et d’applaudissements. Winner Takes It All se déclenche

La file d'attente s’allonge devant l’installation de Boltanski au Théâtre de l’Atelier

Rencontre avec l'acteur JérémieE lkaïm

Soshial blogueur

Il suit tous les événements parisiens avec ses coblogueurs. La nouvelle marque mobile Sosh l’a choisi pour brancher son oreille à Nuit Blanche Live.

Blogueur musique et lifestyle depuis six ans, Borey Sok, 28 ans, accumule un nombre impressionnant de casquettes. Auteur du livre Musique 2.0, chroniqueur sur iTélé la Radio, consultant en communication sur internet, il a fondé le site Pleaz.fr, une communauté de blogueurs tout horizon

avec des intérêts différents mais une passion commune : découvrir et partager. Pas un hasard donc si la nouvelle marque mobile Sosh, 100 % connectée, spécialement conçue pour les “digital natives”, l’a choisi lui et son équipe, curieux de tout, à l’affût de l’actualité culturelle et technologique. Il raconte : “Quand Sosh m’a contacté, j’ai été surpris de découvrir une offre réellement à l’écoute, et peut-être une des premières marques entièrement tournée vers l’échange avec ses utilisateurs.” Une philosophie dans laquelle il se retrouve. Sa première Nuit Blanche a été l’occasion de découvrir et de faire partager un Paris différent : “C’est un événement extraordinaire qui donne accès aux travaux d’artistes internationaux dans des lieux vraiment atypiques. Grâce à Nuit Blanche Live, je savais où étaient les bons spots et mes followers n’ont rien manqué.”

Odile Roujol@Borey

Borey Sok/blogueur musique et lifestyle/Pleaz.fr et www.musique2point0.fr

“Le pass Nuit Blanche Sosh nous a permis de découvrir un maximun d’œuvres pour les partager avec notre communauté.”

rendez-vous sur www.lesinrocks.com/nuitblanche

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Bruno Fert/Picturetank

I Will Keep a Light Burning, installation au square Louise-Michel

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01 h 05

“j’essaie de parler de l'invisible” Renaud Auguste-Dormeuil Depuis l’esplanade du Sacré-Cœur, on contemple une voûte céleste installée non pas dans le ciel de Paris, mais dans les jardins de Montmartre. Lumineux. Nous sommes juste au-dessus de votre pièce. De quoi s'agit-il ? Renaud Auguste-Dormeuil – Ici nous sommes quasiment au point culminant de Paris. Je voulais que le ciel tel qu'il sera dans cent ans soit visible depuis le point le plus élevé puisqu’il s’agit d’une constellation. Dans mon travail, j’interroge l’élasticité de l’œuvre d’art dans le temps, un temps qui n’est pas encore advenu. Contrairement à Boltanski, je m’intéresse plus à la question de l’oracle, qui permet de faire le lien entre le temps et l’homme, qu’à la prophétie, qui est davantage liée à l’écriture. Cette pièce fait partie d'une série amorcée depuis plusieurs mois, est-ce que le fait qu’elle se trouve dans ce lieu lui donne une nouvelle ampleur ? Ici on est dans des conditions idéales : on peut recréer dans l'espace un phénomène d'obscurité, d'éveil de sentiments. J'essaye de parler de l'invisible, des images de la mort qui n'existent pas. Ce travail parle de notre petitesse dans l'univers et de l'élasticité de l'œuvre qui traverse le temps. Justement, à propos du temps, on a croisé Christian Boltanski qui a mis en place une sorte de marathon avec des comédiennes qui lisent l'avenir, y a-t-il un lien entre vous ? On pourrait dire qu’il y a un lien sur la prophétie, mais la prophétie c'est l'écriture de l'homme. Ce qui m'intéresse c'est la destinée de l'homme, qui nous échappe puisqu’aucun destin n'est écrit. Il n'y a que des gens qui décident de notre destinée. L’oracle nous permet de faire le lien entre le temps et l'homme. Cette œuvre est plus un oracle qu'une prophétie.

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01 h 08

L’artiste Thomas Lélu nous sort momentanément de la Nuit blanche pour nous plonger au Bus Palladium

(IXe) qui fête ses 46 ans d’existence et d’histoire rock, et ça sent la fin de soirée pour oiseaux de nuits hors de contrôle. Ça hurle, ça chahute : Nicolas Ullmann est dans son rôle habituel de trublion. Lélu/Ullmann, drôle de tandem : “On a des projets de cinéma, de comédie, de radio, de western”, dévoile Lélu. Plutôt des projets d’alcool ?

01 h 21

Le bloggeur Naro doit être un lève-tôt. A travers la vidéo qu’il a captée du court métrage Paris s’éveille projeté sur

Gonzague Dambricourt/Nikon

les murs de la galerie d’art W, rue Lepic (XVIIIe), on découvre une variation sur le thème des déplacements urbains matinaux, entre esthétique BD interactive et dessin animé. Les protagonistes du film sont les visiteurs de la galerie, hilares de se voir évoluer dans une bande dessinée.

01 h 45

Promenade sous les voûtes du lycée Jacques-Decour, avenue Trudaine (IXe). Carlos Amorales a recouvert les murs de ce vieux bâtiment de 30 000 papillons en papier

Barbed Salt Lamps, les sculptures de Sigalit Landau à l'église Saint-Jean de Montmartre

noir qui se fondent à la perfection dans le décor. Prolifération d’insectes, dissémination inquiétante qui évoque l’imaginaire des films de série Z ou d’horreur. Mais Black Cloud raconte avant tout l’image mentale qu’a eue l’artiste à la mort de sa grand-mère. Vanité gracile, volatile et paradoxalement merveilleuse. Peut-être l’une des œuvres les plus poétiques de Nuit blanche.

Bruno Fert/Picturetank

01 h 53

Dance (All Night/Paris) performance participative de Mélanie Manchot

Ce n’est pas là où les lights brillaient de mille feux et attiraient comme un papillon le badaud moyen qu’il fallait se

rendre (en s’assurant du coup d’avoir tous les mêmes photos et vidéos). Une myriade de petites pépites se cachaient dans cette programmation de Nuit blanche. Encore fallait-il creuser un peu. Et les dénicheurs de merveilles rares n’auront sans doute pas manqué de se donner rendez-vous au collège des Bernardins dans le Ve pour admirer la performance interminable (5 heures !) de Joseph Ghosn. Les raisons pour s’en prendre plein les mirettes et les conduits auditifs ne manquaient pas : de la bonne techno minimaliste, la meilleure sans doute, celle qui vient de Détroit. Mais la véritable surprise – à condition d’être là au bon moment – était sans doute l’apparition de Rhys Chatham, un trompettiste allumé improvisant sur des rythmes électroniques hypnotiques. Et l’on se dit que les fous qui se sont bousculés pour se faire tremper sur un air de Prince ont sans doute manqué un des concerts-performances les plus audacieux de cette édition (même si le niveau, sur un plan musical en tout cas, était de très haute voltige).

02 h 10

#C’est la guerre pour Purple Rain ! Impossible à faire, deux heures de queue, tout le monde vénèr !”, très méchamment tweeté par @marionrocks, prête à brandir les armes pour vivre l’expérience la plus folle de Nuit blanche. Et pas de quartier !

02 h 30

Jean-Max Colard avec Thomas Lélu et Nicolas Ullmann en phase de création intense au Bus Palladium

Square des Batignolles (XVIIe)se tient un grand colloque de superhéros, imaginé par Fabrice Hyber. On les retrouve en compagnie des deux directeurs artistiques qui après avoir organisé l'édition de 2009 ont imaginé cette 10e Nuit blanche. Alexia Fabre insiste sur la rencontre de ces “hyberhéros” avec le public : “Ils se prêtent pendant toute la nuit

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à des activités diverses. On se fait prendre en photo avec eux, on peut leur parler.” De son côté, Frank Lamy défend la quantité d'innovations pour cette édition : “Sur les 35 projets de la programmation, la moitié sont nouveaux. Il faut retenir le collectif BGL, la fantastique performance de Mélanie Manchot, sorte de discothèque silencieuse, l’œuvre de Renaud Auguste-Dormeuil…” Alexia tire un bilan de ces deux années en tant que commissaire : “Ce sont les lieux qui nous ont inspirés. On a souhaité gardé un regard à la fois ancré dans le réel et poétique, distancié.” Frank conclut : “Faire ça deux fois est une très belle expérience ; on pourrait rempiler, mais place aux autres maintenant.”

Il fait frais chez Pierre Ardouvin, il pleut à verse même, quand la nuit s’étire dans une moiteur tenace. “Purple

Rain, c’est littéralement la mise en forme de la chanson de Prince : la pluie, la couleur violette et la version très dépouillée de la chanson, raconte l’artiste, on n’est pas dans un format karaoké. Il n’y a ni parole ni solo, j’ai évacué la dimension romantico-lyrique pour ne garder que la dimension mélancolique.” Très sensible à la dimension populaire de son œuvre – lorsqu’il suspend son linge sur toute la façade du musée d’Art moderne de la Ville de Paris ou orchestre son “bal perdu” à grand renfort de neige artificielle – Pierre Ardouvin, encore une fois, prend visiblement du plaisir à suivre la chorégraphie des milliers de visiteurs venus se perdre sous les pluies diluviennes de la cour de l’Hôtel d’Albret.

Black Cloud. Invasion de papillons au lycée JacquesDecour, la poésie noire de Carlos Amorales

Gonzague Dambricourt/Nikon

02 h 40

Fashion Sosheuse

Elle sait tout du dernier it-bag et Sosh lui a proposé de décrypter toutes les tendances de Nuit Blanche Live. MarieLuvPink/blogueuse mode/www.marieluvpink.com

Blogueuse mode depuis près de cinq ans, MarieLuvPink aime partager ses bons plans fashion sur la toile. Ce n’est pas un hasard si elle se sent proche de l’esprit Sosh, la nouvelle marque mobile 100 % connectée. Pour cette jeune femme bien dans ses stilettos, le bon plan, c’est une affaire

de famille : “Ma maman me traînait dans les stocks de grandes marques rue d’Alésia dès mon plus jeune âge. A force de shopper comme une tarée, j’étais LQVFULWHGDQVGHVÀFKLHUVFOLHQWVHWMH recevais beaucoup d’invitations à des ventes privées, que je partageais ensuite via des mailings.” Mais partager, c’est aussi être solidaire : “J’organise également des événements dont des ventes privées de créateurs, et aussi des projets caritatifs comme des vide-greniers solidaires pour des associations.” Samedi, elle était sur le pont pour livrer ses impressions sur Nuit Blanche Live : “C’était ma toute première Nuit Blanche, une super occasion de sortir et de live-tweeter ! J’ai passé toute ma soirée à bouger…” Une blogueuse en mouvement, à l’image de la communuté 6RVK8QHÀOOHjVXLYUHWRXWVLPSOHPHQW

MarieLuvPink devant la Maison de la Suède... “Happening sans Krisprolls... Mince alors !”

rendez-vous sur www.lesinrocks.com/nuitblanche

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02 h 45

Ambiance spectrale place Baudoyer (IVe), entre les cylindres de tissu de l’installation Off de l’artiste et architecte italien Francesco Girardi, The Ghost Market. “J’ai voulu faire une étude sur le marché, architecture éphémère qui modifie les parfums, les bruits. Normalement, les marchés ont lieu pendant la journée dans une ambiance chaleureuse. Pour mon marché de nuit, j’ai représenté au contraire quelque chose de très froid”, explique Francesco Girardi

02 h 56

#"Faire tomber la pluie par nuit de beau temps en octobre, c’est bien une idée d’artiste !”, tweeté par @paddytheque, ravi de se rafraîchir les idées au son des guitares de la chanson culte de Prince.

03 h 05

Ambiance feutrée et recueillie dans le petit Théâtre Ouvert de la cité Veron (XVIIIe). Katie Paterson a installé un piano mécanique qui joue la Sonate au clair de lune de Beethoven. Mais pas n’importe quelle version : celle qui a été envoyée sur la Lune en morse. Parmi les spectateurs, l’artiste Christophe Brunnquell s’est glissé, masqué, et demande à être trouvé dans l’auditoire. Sketch éclair, surréaliste, volontairement gênant.

Bruno Fert/Picturetank

03 h 20

No I’m Waiting for de Samuel François à l'Institut suédois

En fin de soirée, on se retrouve au Bateau-Lavoir de Montmartre, dans l’atelier du peintre François Boisrond.

L’artiste a peint durant six heures sous le regard des spectateurs. Un film tourne en boucle sur le mur : Passion de Jean-Luc Godard, dans lequel une équipe de cinéma reconstitue des tableaux célèbres tels que La Petite Odalisque d’Ingres ou L’Entrée des croisés dans Constantinople de Delacroix. Boisrond fait le chemin inverse : retour du film vers la peinture.

03 h 25

“il nous faut des dirigeants plus cultivés” Christophe Girard Second rendez-vous et début de bilan avec l’adjoint au maire, chargé de la culture de la Ville de Paris, toujours dans l’atelier du peintre François Boisrond.

L'atelier du peintre François Boisrond au Bateau-Lavoir de Montmartre

Christophe Girard et François Boisrond répondent aux questions de Jean-Marie Durand et Jean-Max Colard

Premier constat : il y avait un monde fou ! Christophe Girard – C’était vraiment impressionnant. L’année prochaine, il faudrait bannir les 4x4, envisager que certaines rues soient piétonnes, car c’était parfois dangereux. Mais il y a eu très peu d’incidents, ce qui est exceptionnel avec deux millions et demi de spectateurs dans les rues de Paris. Etes-vous heureux, ce soir ? Oui, bien sûr. Je repense à ce qu’on s’est dit en début de soirée sur le sens et les symboles. Mais quelques heures plus tard, j’aime bien l’idée de la perte de sens. N’est-ce pas intéressant, cette espèce d’ivresse populaire ? Nuit blanche se propose comme un exutoire. C’est vrai aussi pour les artistes : j’ai l’impression que certains se sont un peu libérés ce soir. Ça me plaît assez que cette Nuit blanche nous échappe, qu’elle devienne un phénomène dans un phénomène. Quelque chose de plus s’est passé. Après Nuit blanche, Bertrand Delanoë m’a décrit les œuvres qu’il avait vues. Il a été très impressionné par Boltanski avec qui il a eu une vraie conversation. Il a aimé Purple Rain et les papillons de Carlos Amorales. C’était excellent.

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Nuit blanche à Paris vous apparaît-elle comme un laboratoire d’une politique culturelle au niveau national ? Un programme ? J'ai plaidé dans Libération pour un ministère de la Culture, de la Communication et du Numérique. Je publie bientôt un Petit Livre rouge de la culture. On ne peut plus parler de la culture et de la place des artistes de la même façon. Notre vie a totalement changé. On est dans une immense précarité, psychique, sociale, affective. Il faudrait remettre les choses à plat. Sortir de ce saupoudrage de soutien général qui permet aux politiques d’avoir la paix. Au bout du compte, il n’y a plus de vision. Il nous faut des dirigeants plus cultivés. Je m’inquiète de qui sera le prochain président de la République. Si on n’a pas un François Mitterrand (qui était littéraire) du XXIe siècle, on va encore perdre du temps. #“Le silence règne à Saint-Eustache, le public est couché sur le dos, l’œuvre est hypnotique !”, tweet réjoui par @paddytheque, hypnotisé par l’installation vidéo de Pascal Dombis Pourquoi ? What_Next ?

03 h 50

Echoués à la piscine de Château-Landon, investie par l’artiste Tsai Chia-wen et son œuvre Fluid, on commence à repenser

l’aventure. Une Nuit blanche à la fois mélancolique et ludique, évoquant tantôt le spleen tantôt la fête. Une Nuit blanche hors temps, qui réfléchit la question de l’anachronique avec des propositions tournées vers le passé mais aussi vers le futur. coordination Jean-Max Colard, Claire Moulène, Yohav Oremiatzki équipe rédactionnelle Alice Poujol, Paloma Veinstein, Noëmie Vermoesen photo Bruno Fert/Picturetank

Bruno Fert/Picturetank

03 h 40

Dans la cour du lycée Chaptal, projection du film Ex, réalisé par Jacques Monory en 1968

#“Je suis HS, je veux mon lit”, tweet fatigué par @borey

Lifestyle Sosheur

Il est jeune, il est beau. Sosh l’a invité à donner ses avis différents, sa vision décalée sur Nuit Blanche Live. Martin Médus/blogueur lifestyle/martinmedus.com

“Salut à tous !” C’est la phrase signature de Martin Médus, 21 ans, parisien à lunettes noires et blogueur décalé. (QTXHOTXHVPRWVLOVHGpÀQLWFRPPH “créatif, subversif, provocateur, un peu fou, parfois drôle”. Après sept ans

de théâtre et des études de cinéma à New York, il prépare actuellement des projets TV bien avancés. En attendant, il ne tient pas en place. Tout ce qu’il vit, il le partage avec sa communauté. Avec sa caméra, LOÀOPHVRQXQLYHUVVHVFRXSVGHJXHXOH ses délires, ceux de ses amis et les aventures de son chat. Sosh, la nouvelle marque mobile 100 % connectée, est à l’image de son lifestyle : jeune et toujours sur le coup. L’événement Nuit Blanche ? “J’ai bien aimé le concept du parcours Nuit Blanche Live que m’a proposé de vivre Sosh. Ça a été l’occasion d’être au bon endroit au bon moment et j’ai pu partager l’événement sous le meilleur angle possible.”

“Le temps d’une nuit, la pluie de Paris était magique, Purple Rain, l’œuvre incontournable de Nuit blanche.”

rendez-vous sur www.lesinrocks.com/nuitblanche

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le Pakistan, pays écartelé

Rizwan Tabassum/AFP

Base arrière des talibans, le Pakistan connaît une désespérance sociale et une montée du communautarisme qui mettent en péril ses traditions musicales et mystiques inspirées du soufisme. par Francis Dordor

A Karachi, février 2011 5.10.2011 les inrockuptibles 83

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29/09/11 18:03

…et sur le plateau du Begum Nawazish Ali Show

“même si la tâche est compliquée, je me suis donné pour rôle de promouvoir la tolérance dans mon pays” Ali Saleem, drag queen et présentatrice télé

John Moore/Getty Images/AFP

AliS aleem dans les loges…

Q

ui prétend qu’Allah est un dieu sectaire ? Certainement pas Ali Saleem qui se proclame musulman sincère et fier de sa religion. “Quand j’étais petit, je faisais toujours la même prière dans ma chambre : s’il te plaît, Allah, fais que je sois une femme !” Prière exaucée : depuis 2005, habillée en drag queen, Ali Saleem anime l’une des émissions les plus suivies de la télévision pakistanaise : le Begum Nawazish Ali Show.

un drag queen à la télé Lorsqu’on entend parler de lui pour la première fois, c’est dans un taxi entre Islamabad et Lahore, et on pense à un canular. Comment ? Au Pakistan, cité comme un bastion du fondamentalisme, patrie des talibans après l’Afghanistan, où le sort des minorités sexuelles est l’un des moins enviables de la planète, on aurait confié un talk-show à un homo habillé en femme ? Quelques clips sur YouTube plus tard, on n’a qu’une envie : rencontrer cette vedette du petit écran drapée dans des saris colorés dignes d’une star de Bollywood qui accule responsables politiques,

chefs d’industrie et leaders religieux sur des sujets aussi sensibles que la corruption et le sexe. Le surlendemain, à Karachi, Ali nous reçoit dans le salon d’une maison au cœur d’un quartier résidentiel, à deux pas d’une mosquée. Passée la déception de le trouver en T-shirt et pas rasé quand on l’espérait en tenue pimpante et maquillé comme à la télé, on savoure le bagout et les manières sophistiquées de celui qui s’est fait connaître grâce à ses imitations de Benazir Bhutto avant de créer le personnage de Begum Nawazish Ali. Mélangeant emphase et humour, assumant jusqu’au bout des ongles son statut de diva gay au pays des imprécateurs et de la loi antiblasphème, Ali nous parle de lui et de son pays. Ni l’un ni l’autre ne vont bien. des crispations identitaires Il y a quelques semaines, la police d’Islamabad, la capitale du pays, le plaçait en garde à vue à la suite d’une plainte déposée par sa mère pour violence. Un différend d’ordre financier les aurait opposés. Ce pénible épisode, source de grande agitation émotionnelle, fait suite à une série de tragédies qui ont frappé son entourage. D’abord le meurtre non élucidé de son ami

le styliste Sheikh Amer Hassan que la presse bien-pensante s’est hâtée d’imputer aux turpitudes du milieu homosexuel. Puis l’assassinat du gouverneur de la province du Pendjab Salman Taseer, un proche, abattu en janvier dernier par l’un de ses gardes du corps pour des motifs religieux. Son tort ? S’être publiquement opposé à la loi dite “antiblasphème” et avoir soutenu Asia Bibi, paysanne chrétienne mère de cinq enfants accusée par ses voisins musulmans d’avoir empoisonné le puits de son village (elle y avait bu après une journée de travail). Asia Bibi a été condamnée à mort par un juge de Lahore en novembre 2010 et moisit depuis en prison malgré les appels du pape et de nombreuses organisations humanitaires. Ces événements en disent long sur la montée des crispations identitaires au Pakistan. Au désespoir d’Ali Saleem, ils détériorent un peu plus l’image de son pays, déjà associé au terrorisme islamique. “J’aimerais pouvoir dire que notre mauvaise réputation est exagérée, dire qu’il existe ici une jeunesse formidable, talentueuse et pleine d’espoir, comparable à celle de Tunisie ou d’Egypte, ce qui est vrai. Sauf que nous vivons l’un des pires moments de notre histoire.”

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privilèges des nantis. Si l’on en arrive aujourd’hui à parler de “talibanisation” du pays, c’est qu’une frange de la population a fini par céder à la surenchère islamiste. Dans la confusion qu’engendre la corruption des élites, le délitement de l’Etat, l’impuissance des administrations, les thèses des talibans sur la moralisation de la société finissent par séduire. Pour l’ancienne correspondante du Washington Post Pamela Constable, le Pakistan vit le temps d’une “hypereligiosité défensive” 1. Combiné à la désespérance sociale, au communautarisme, à l’antioccidentalisme, le mélange devient explosif, comme le prouvent les attentats commis dans les mosquées de Lahore et les bazars de Peshawar. Plus sournoisement, le prouvent aussi l’interruption des campagnes de vaccination contre la polio dans certaines zones rurales et l’interdiction faite aux petites filles d’aller à l’école. Pourtant, c’est aussi dans ce Pakistan-là qu’Ali Saleem

les partis politiques se font la guerre mais défendent les privilèges des nantis

Arif Ali/AFP

Akhtar Soomro/The New York Times/REA

un Etat incapable Août 2011 restera pour les Pakistanais un mois de ramadan particulièrement dantesque. Dans des quartiers pauvres de Karachi, des affrontements entre supporters de deux formations politiques rivales ont fait plus de trois cents morts, certains retrouvés décapités dans la rue. Les attentats sont quotidiens dans les zones tribales sécessionnistes du Balutchistan comme, plus au nord, les attaques menées par les talibans contre les postes militaires proches de la frontière avec l’Afghanistan. Comme si cela ne suffisait pas, des pluies diluviennes ont dévasté la région du Sind. Des milliers de familles ont perdu leur toit. En 2010 déjà, des inondations faisaient deux mille morts et un million de sans-abri. La plupart vivent encore dans des logements de fortune, illustrant l’incapacité de l’Etat à secourir sa propre population. La veille de la rupture du jeûne, fête où l’on illumine sa maison, un éditorialiste s’interrogeait : “Comment fêter l’Aïd dans ces ténèbres ?” Un autre s’inquiétait du peu de maîtrise de l’Etat au milieu des turbulences. Il y a les prix de la farine et du sucre qui triplent et les chantiers de construction qui ferment. Il y a les partis politiques qui se font la guerre mais défendent les

Manifestation de soutien au meurtrier d’un gouverneur opposé à la loi dite “antiblasphème”, 17 janvier 2011

a animé six cents émissions à la télé habillée en Bégum. “Je pense être le signe d’une certaine évolution des mentalités, reconnaît-il prudemment. Même si la tâche semble compliquée, je me suis donné pour rôle de continuer à promouvoir la tolérance dans mon pays.” Inscrit dans le top 5 des personnalités à abattre par les talibans, Ali dispose d’un numéro à appeler “en cas d’urgence” que lui ont communiqué les services secrets. Ce qui ne l’empêche pas de proclamer sa foi avec ferveur : “Mon islam est une religion d’amour et de compréhension de l’autre.” le déclin du soufisme Cet islam-là vous conduira immanquablement dans un sanctuaire soufi. Le Pakistan en compte plusieurs centaines. Ce sont des lieux paisibles et ombragés. On peut y venir seul ou en famille, prier, se reposer et même pique-niquer. On y accepte les femmes, les étrangers aussi. Certains de ces shrines vous font remonter aux sources du soufisme, courant mystique qui irrite le clergé musulman par son entêtement à chercher les vérités divines sans en passer par lui. Celui de Data Gunsh Baksh à Lahore date du XIe siècle. Il abrite le tombeau d’un saint qui fut 5.10.2011 les inrockuptibles 85

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Benjamin Loyseau/SIPA

à la mort de celui-ci en 1999, en tout une quinzaine de membres, tous frères ou cousins. L’ensemble Nizami & Party, qui sera à Paris début octobre (lire encadré ci-contre), perpétue la plus vieille tradition du qawwali et de sa figure centrale, le poète musicien d’origine perse Amir Khusro. C’est avec Khusro que le genre s’est répandu au XIVe siècle. En révoquant de l’islam les notions de péché et de salut, les soufis y introduisirent à la place le concept d’amour et d’union mystique avec Dieu, s’attirant les foudres des garants de la loi coranique. Khusro développa une musique propre à exalter les sens et à nourrir ce désir de communion, faisant en quelque sorte du qawwali l’équivalent du gospel américain.

un soir, dans une émission télé, Meesha Shafi a interprété, en T-shirt moulant et les cheveux défaits, un chant à la gloire du prophète l’auteur du premier traité persan sur le soufisme. Il y a une dizaine d’années, on pouvait y passer la nuit au son d’un ensemble de qawwali dont les chants vertigineux, les battements de mains, le son des tablas et de l’harmonium vous immergeaient jusqu’aux aurores dans un bain de pur hédonisme spirituel. La mort, en août 1997, de Nusrat Fateh Ali Khan, le qawwal le plus célèbre du Pakistan, n’explique pas le déclin soudain de cette tradition. Il y eut au printemps 2009 cet attentat commis dans le sanctuaire de Rahman Baba à Peshawar où un homme a fait sauter quatre bombes d’un coup. Vint ensuite le meurtre par les talibans d’un pîr, un maître soufi, jugé trop libéral. Assez pour faire passer le message que les shrines étaient impies aux yeux des fondamentalistes et constituaient désormais des cibles potentielles. Depuis, certains d’entre eux sont devenus des mosquées, d’autres des postes de commandements talibans, et passer une nuit à Data Gunsh Baksh à écouter

de la musique, une option hasardeuse. Plutôt que dans son quartier de Shoe Market, théâtre d’affrontements au cours de l’été, le musicien Subhan Ahmed Nizami préfère nous donner rendez-vous dans un café du centre de Karachi. Subhan redoute la disparition du qawwali. Outre sa vulgarisation due à l’arrivée des instruments électriques, l’appauvrissement de son répertoire, qui s’étiole à force de toujours jouer les mêmes morceaux plébiscités par le public, il déplore la dégradation des conditions de sécurité. “Il y a quelques années, entre les soirées privées, les récitals dans les sanctuaires et les fêtes religieuses, on pouvait donner jusqu’à trois concerts par jour, payés ou non. Aujourd’hui, on en est loin. La peur s’est installée et les gens préfèrent annuler ou reporter les réceptions.” Descendant d’une famille de musiciens venue de Delhi en Inde qui honore le répertoire des poètes soufis depuis trente-trois générations, il a pris en main le groupe que dirigeait son père

du danger de chanter Les groupes de qawwalis ne sont pas les seuls à pâtir de la situation. La célèbre chanteuse pashtoune Zarsanga, également invitée à Paris, reconnaît que beaucoup de choses ont changé. “Le chant, c’est mon métier. Mais je tiens à la vie. Il y a des soirées privées où je ne me rends plus. Je me contente des invitations officielles à la radio ou à la télé. Je me produis à Islamabad ou à Lahore mais plus à Peshawar. Trop dangereux.” Le joueur de rebab (luth) qui l’accompagne en sait quelque chose depuis qu’il a reçu une balle dans la jambe voici quelques mois. C’est dans cette région de Peshawar proche de la frontière avec l’Afghanistan que le durcissement se fait le plus sentir et que la “talibanisation” est la plus menaçante. Là, de nouveaux chefs religieux ont décidé d’interdire toute forme de divertissement, en particulier la musique, alors qu’elle est omniprésente dans ce pays. Ils s’en prennent aux ensembles qui animent les fêtes de mariages, aux danseurs, s’attaquent aux magasins de lutherie mais aussi aux cinémas, aux instituts de beauté et aux salons de coiffure. Toute cette région constitue comme une ligne de front entre soufisme et salafisme, le théâtre où la guerre ancestrale entre orthodoxes et mystiques a repris. en quête de racines “Nous vivons une grave crise d’identité, reconnaît Rohail Hyatt, producteur de Coke Studio, émission musicale vedette diffusée par douze chaînes de télévision. Beaucoup de Pakistanais ont une vision tronquée de leur histoire. Ils ignorent presque tout des cultures qui se sont succédé dans la vallée de l’Indus au cours des siècles : grecques, perses, moghols, hindous. Leur seule référence, c’est l’islam

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Zarsanga

dont les fondamentalistes, à cause de la guerre en Irak et en Afghanistan, apparaissent comme les vrais défenseurs. Sauf que si nous ne voulons pas nous fondre dans le moule occidental, nous ne souhaitons pas non plus qu’on nous identifie aux talibans. Du coup, les gens cherchent leurs racines sans savoir où les trouver.” Cette quête des racines pourrait en partie expliquer le succès que rencontre son émission depuis 2006. Avec 850 000 fans sur Facebook et 33 millions de visites sur YouTube, Coke Studio est un phénomène et un drôle de paradoxe, un peu comme le Begum Nawazish Ali Show. Sponsorisée par Coca-Cola, l’émission transpose très intelligemment les musiques traditionnelles du pays, pashtoune, panjabi, sindi ou baloutche, dans un environnement technologique moderne. Son audience est telle qu’elle transcende communautés et générations pour apparaître, en ces temps de sévère fragmentation, comme un des rares espaces de cohésion et de complicité. C’est dans ce contexte que fut révélée la chanteuse Sanam Marvi, étoile montante du sufi kalam, la musique soufie, qui fera ses débuts à Paris en octobre sur la scène du Théâtre de la Ville. A elle seule, cette belle jeune femme à la voix aussi étincelante que troublante incarne l’essentiel du soufisme, son raffinement, cette enivrante distillation entre sensualité et foi religieuse. Dans cette même émission, la non moins ravissante Meesha Shafi a interprété un beau soir de 2010 un chant à la gloire du prophète en T-shirt moulant et les cheveux défaits, suscitant de vives réactions. “On a reçu des menaces, on a subi des pressions, se souvient Rohail Hyatt. Le pire aurait été de céder à la peur et d’arrêter. Le mieux était de continuer. Ce que nous faisons.” 1. Playing with Fire (Random House, 2011)

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Sanam Marvi

un week-end pakistanais à Paris Les 8 et 9 octobre, le Théâtre de la Ville à Paris accueillera des musiciens venus de plusieurs régions du Pakistan. samedi 8 octobre à 20 h 30 Zarsanga Zarsanga, surnommée “le Rameau d’or”, est une légende. Sa carrière débute en 1965 alors que, petite bergère à la voix remarquable de clarté et d’expression, elle est invitée par la radio de Peshawar. Elle y sera aussitôt adoptée. Ancrée dans la tradition de la poésie galante pachtoune, Zarsanga n’a enregistré qu’un seul album (Songs of the Pasthu, Long Distance, 1993). Sur scène, sans âge, aussi impénétrable que mystérieuse, elle est accompagnée par l’un de ses fils aux tablas et par un joueur de rebab (luth). Sa voix est d’une étonnante pureté. Akbar Khamisu Khan et Mohammad Khan Rencontre entre deux musiciens de la région du Sind, l’un maître de l’alghoza (double flûte à bec), instrument parmi les plus anciens de cette région, l’autre joueur de nar (flûte) au son de laquelle il mêle un chant de gorge guttural. Mohammad Bashir, soruz (viole) ; Nawab Khan, nar (flûte) ; Akhtar Chenar, chant et Darehan Khan, tanbur (luth) Avec leurs visages taillés à la serpe, leurs coiffes de fakirs, leurs instruments longilignes comme des fusils, ces musiciens du Baloutchistan produisent d’abord un choc visuel d’un exotisme profond puis une véritable fascination sonore. Nawab Khan concilie dans un même souffle flûte et chant diphonique. Darehan Khan articule sur son luth

figures rythmiques et motifs mélodiques avec une exceptionnelle virtuosité. Akhtar Chenar prolonge quant à lui l’inépuisable lyrisme d’une poésie épique propre à cette région de steppes. dimanche 9 octobre à 17 h Ensemble Nizami & Party Révélé au public occidental par Nusrat Fateh Ali Khan, qui fit ses débuts en France sur la scène du Théâtre de la Ville en 1985, le qawwali est souvent une affaire de famille, comme le prouve l’ensemble Nizami & Party, composé de sept musiciens, dont les frères Subhan, Bilal et Hilal Nizami. Un genre musical dont l’existence remonte à la fondation de l’ordre soufi des Chishtiyyas au XIIe siècle à Dehli auquel est associé le poète musicien Amir Khusro (1254-1354). C’est dans le répertoire de ce dernier que puise cette formation de jeunes qawwalis. Sanam Marvi Depuis ses débuts à l’âge de 7 ans, cette chanteuse de 24 ans est immergée dans l’art du sufi kalam, poésie classique vouée à la dévotion. Inspirée par son père qui le lui a enseigné et par la diva Abida Parveen, Sanam arrive aujourd’hui à maturité. Sa voix est une troublante onction. Retrouvez ces artistes dans l’émission de Françoise Degeorges, Couleurs du monde, sur France Musique, les mercredis 5 et 19 octobre de 22 h 30 à minuit. Et au cours d’une Nuit Pakistan le dimanche 9 octobre de 1 h à 7 h

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Crazy Horse de Frederick Wiseman Le célèbre cabaret rigoureusement décortiqué, comme institution artistique et comme entreprise, par le géant du documentaire américain.

A  

près les asiles psychiatriques, hôpitaux, tribunaux, services sociaux ou salles de sport américains, après la ComédieFrançaise et l’Opéra de Paris, Frederick Wiseman poursuit son corpus monumental dédié à la radiographie “objective” des diverses institutions qui font fonctionner le corps social. Rouage moins important de la machine sociétale, élément plus frivole dans la grande fresque civilisationnelle wisemanienne, le Crazy Horse Saloon de Paris n’en est pas moins lui aussi une

institution, créée par Alain Bernardin en 1951, célèbre dans le monde entier. Le Crazy Horse se distingue du tout-venant des boîtes à strip-tease par sa haute valeur ajoutée artistique : tableaux chorégraphiés comme pour une comédie musicale, influence des principales innovations esthétiques de l’époque, musiques soigneusement sélectionnées, noms de scène amusants et poétiques (Nooka Karamel, Zonnie Rogenne, Volta Reine, etc.) et, surtout, sculpture vivante des filles par de savants jeux d’ombres, de lumières et de couleurs. Les effeuillages

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raccord

Harmony retrouvé

Antoine Poupel

derrière ses feux et son glam, le Crazy est un petit commerce de spectacle comme un autre

du Crazy sont tellement stylisés que leur charge érotique en devient subliminale, diffusant plutôt un parfum ou une idée d’érotisme que de l’érotisme au sens le plus concret ou cru du terme. Au Crazy, on voit plus des géométries colorées que des filles nues. La caméra de Wiseman saisit bien cet aspect des choses, proposant de larges extraits du spectacle actuel, chorégraphié et mis en scène par Philippe Decouflé, avec chanson finale signée Katerine – très chic. Mais le cinéaste ne s’est évidemment pas contenté d’une simple captation, aussi belle

soit-elle. Selon sa méthode analytique et behavioriste habituelle, il a discrètement posé sa caméra à tous les “endroits” stratégiques de la PME Crazy : salle, guichet d’entrée, répétitions, coulisses, réunions, vestiaire, salons d’essayage des costumes (car, oui, dans ce temple dédié à la nudité féminine, les vêtements et parures sont importants)… Il en ressort ce dont on pouvait se douter : derrière ses feux et son glam, le Crazy est un petit commerce de spectacle comme un autre. Il faut voir les séances de répétitions avec Decouflé à la baguette, aussi laborieuses, répétitives et méticuleuses que dans un théâtre, un corps de ballet ou sur un plateau de cinéma. Paradoxalement, les filles sont plus sexy saisies ainsi dans la nudité de leur labeur que sur scène dans leur “habit” de lumière : un être humain est plus érotique qu’une icône. De son côté, la costumière attitrée du Crazy enchaîne les remarques esthétiques hyper pointues (tel tissu qui rend les fesses anguleuses et qu’il faut donc proscrire) et les plaintes a priori justifiées à propos de délais de plus en plus courts et donc de plus en plus difficiles à tenir sauf à bâcler le travail. On pourrait se croire là dans n’importe quel secteur d’activité. Cette tension entre l’artistique et le business est portée à son comble lors d’une réunion entre Decouflé et la direction du cabaret. Le chorégraphe demande du temps alors que les actionnaires réclament leur retour sur investissement le plus tôt possible. Entre les deux, la directrice joue les Salomon. Eternel conflit entre l’artiste et ses commanditaires mais qui semble se tendre au point de rupture en notre époque gouvernée par l’argent et la vitesse. Crazy Horse est un documentaire gagnantgagnant. Le Crazy Horse s’y voit doté d’un cran supplémentaire d’anoblissement sous le regard d’un cinéaste exigeant et toujours fidèle à ses principes de mise en scène (pas de commentaire, pas d’entretiens face caméra…) ; le cinéma de Wiseman, habituellement sérieux, austère, voire grave, s’en retrouve allégé, colorisé, pailleté, comme un verre de Perrier soudain transformé en flûte de champagne. Serge Kaganski Crazy Horse de Frederick Wiseman (Fr., E.-U., 2011, 2 h 14)

Presque disparu des radars depuis l’absurde et inquiétant Trash Humpers, objet malade diffusé en téléchargement sur internet, Harmony Korine revient avec un nouveau film, son plus beau depuis longtemps, Snowballs. Plus exactement une (anti-)publicité de quatre minutes, réalisée pour la collection automne 2011 de la marque de prêt-à-porter américaine Proenza Schouler – un an après leur première collaboration avec Act da Fool. Dans le traditionnel décor de cinéma d’Harmony Korine (ces banlieues pavillonnaires traversées de freaks et de fantômes), Snowballs est un film-trip, une installation morbide saturée par une voix off robotique et quelques visions hallucinées. Le concept est minimal (“une évocation lointaine du mythe de la conquête de l’Ouest”, dixit le pitch officiel) mais la forme semble apaisée, revenue des expérimentations détraquées de Trash Humpers. Comme si Harmony Korine, ancien wonderboy du cinéma indépendant des 90’s (auteur de Gummo et scénariste de Larry Clark), avait trouvé une nouvelle inspiration dans les domaines jugés impurs de la publicité et du clip (il vient de réaliser un court métrage pour le groupe sud-africain Die Antwoord). Pas une compromission, mais une nouvelle étape, disons la maturité, dans la carrière de l’un des plus brillants et insaisissables cinéastes américains, dont l’année 2012 pourrait bien être celle du grand retour : il tourne actuellement un film avec Val Kilmer – un autre astre noir.

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Le Skylab de Julie Delpy L’actrice et réalisatrice s’empare du genre très seventies du film de vacances. Populaire, drôle et intelligent.

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n associe couramment la famille à la stabilité, voire même au repli. Rien de plus mouvant, pourtant, de fragile et d’inquiet. Le Skylab, comme la plupart des films décrivant cette communauté, en est l’illustration parfaite. L’action du quatrième film de Julie Delpy se déroule un jour d’été de 1979, au moment où le Skylab (une station spatiale américaine) est sur le point de s’écraser sur Terre. Une préado, Albertine, se rend en Bretagne avec ses parents gauchistes – Elmosnino et Delpy, géniaux – pour fêter en famille l’anniversaire de sa grand-mère (Bernadette Lafont – on vous laisse imaginer). Tout le monde est venu : les tantes, les oncles, les cousins, etc.

le film respecte les codes,les clichés, les archétypes sans les prendre de haut

L’espace d’un week-end, Delpy va décrire sans se presser, au milieu d’un joyeux bordel organisé et des prises de bec inhérentes à la vie familiale, tous les membres de cette famille et les différentes étapes de leur réunion franchouillarde : les retrouvailles, les préparatifs, le déjeuner bien arrosé, les chansons de fin de banquet, la virée en bord de mer, la sortie en boîte entre jeunes gens, etc. Et c’est très drôle. Après une jolie bluette indé (Two Days in Paris, 2007) puis une reconstitution historique plutôt académique et décevante sur une femme “vampire”, la comtesse Barthory (La Comtesse, 2009), Julie Delpy nous fait donc le coup du film choral à la française – tendance cacophonie. Le Skylab assume pleinement son côté “film de vacances”, si représentatif d’une frange du cinéma français des années 70, notamment les films à l’eau de rose qu’écrivait et produisait le milliardaire Marcel Dassault – Le Temps des vacances, L’Eté de nos 15 ans. Delpy réalise un film

populaire comique et intelligent, en respecte les codes, les clichés et les archétypes, sans les prendre de haut, sans craindre la vulgarité à l’occasion. Très française donc, la mise en scène rappelle par moments la construction faussement flottante et chaotique de certains Pialat, comme Passe ton bac d’abord ou Van Gogh, dans une veine plus comique. Chaque acteur a droit à son moment de gloire, de Valérie Bonneton à Noémie Lvovsky en passant par l’inénarrable Vincent Lacoste (Les Beaux Gosses). Le film sait même parfois être émouvant (la longue scène de slow en boîte). Seul petit bémol : la morale un peu consensuelle, qui semble renvoyer dos à dos les gauchistes et les fachos de la famille au nom de son unité. Dans son genre, Le Skylab est quand même une belle surprise. Jean-Baptiste Morain Le Skylab de Julie Delpy, avec elle-même, Eric Elmosnino, Vincent Lacoste, Valérie Bonneton, Bernadette Lafont (Fr., 2011, 1 h 53)

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Dream House de Jim Sheridan avec Daniel Craig, Naomi Watts, Rachel Weisz (E.-U., 2011, 1 h 31)

De bon matin de Jean-Marc Moutout avec Jean-Pierre Darroussin (Fr., Bel., 2011, 1 h 31)

Le monde impitoyable de l’entreprise épinglé dans un film trop désincarné. ean-Marc Moutout persiste et signe dans le registre social avec une nouvelle et juste dénonciation de l’enfer de l’entreprise. Elle tombe à pic en analysant avec précision les options productivistes du secteur tertiaire, où “la question humaine” devient de plus en plus aléatoire. On en a vu les effets collatéraux dans des entreprises comme Orange. Ici, c’est le secteur des banques qui est sur la sellette. Evidemment il s’agit d’une fiction, avec la stylisation que ça suppose. Elle est d’ailleurs quasiment mise en scène comme les films noirs d’antan. D’abord le drame : un cadre (Jean-Pierre Darroussin) se rend à son travail et flingue plusieurs de ses collègues avant de s’enfermer dans un bureau. S’ensuit une série de flash-backs sur le mode “comment on en est arrivé là”. Rien à dire sur la partie entreprise, sur les pressions inhumaines auxquelles est en butte Paul Wertret, vétéran respecté, qui est soudain mis au rancart, balayé par des concepts managériaux de plus en plus agressifs (“faire du chiffre” devient le seul leitmotiv de ses supérieurs). C’est sec, cinglant. On n’en dira pas autant de la dimension intime, voire sentimentale, qui a les défauts des qualités de la partie entreprise. On se rend compte que le héros est aussi froid et impersonnel que l’univers dans lequel il travaille (cf. ses dialogues avec son fils, qu’il semble à peine connaître, ou avec sa femme, idem). Le pire est qu’on prête des vertus humanitaires à cet être morne et sans chaleur : voir les séquences, qui sonnent creux, où il participe à des missions en Afrique. Idem pour ses virées familiales en voilier. Bref, ce film plein de bonne volonté reste théorique et manque de chair. Vincent Ostria

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Un film de maison hantée pas trop inspiré. Curieuse rencontre entre Jim Sheridan, metteur en scène des performances de Daniel Day-Lewis (My Left Foot, Au nom du fils), et Ehren Krueger, ici producteur, ailleurs scénariste des deux derniers Transformers. Surtout qu’elle a lieu sur un territoire largement profané, celui du film de fantôme à twist, avec révélation-surprise qui fait réinterpréter tout ce que l’on a vu auparavant, à la Sixième Sens ou Les Autres. Comment aborder un tel genre à une époque où le spectateur cynique est bombardé de spoilers sur internet ? Et même sur l’affiche française du film, on peut lire entre les lignes sans avoir vu Shutter Island. Dream House ne se pose pas ces questions, conduit son histoire (une famille s’installe dans une maison où un meurtre a été commis) en pilotage automatique, sans jamais jouer avec son spectateur qui en a malheureusement vu d’autres. Alors, on se raccroche au seul détail incongru : le casting de Daniel Craig en papa gâteau éditeur très soigné. Dream House est la démonstration par l’absurde que l’acteur semble impossible à polir ou discipliner : sommeille toujours dans ses rôles une bête enragée, que l’on aime d’abord lorsqu’elle est lâchée. Léo Soesanto

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en salle Paris chéri Présidé par la comédienne Pascale Ourbih, le festival du cinéma LGBT de Paris Chéries-Chéris fête sa 17e édition. C’est Virginie Despentes qui ouvre le festival avec son dernier film Bye Bye Blondie. Evénements majeurs : la présentation du docu Mondo Lux consacré à Werner Schroeter, Des jeunes gens mödernes de Jérôme de Missolz et la première française d’un phénomène indé US, Weekend d’Andrew Haigh. Le 8, un hommage à l’actrice et chanteuse culte Marie France, en sa présence. du 7 au 16 octobre au Forum des images, Paris Ier, www.forumdesimages.fr Catherine Deneuve

hors salle

Le Sauvage

cinéma et contemporain “L’histoire du cinéma est une discipline mouvante”, rappelle le critique et écrivain Jean-Baptiste Thoret en ouverture de son nouvel essai, Cinéma contemporain, mode d’emploi, publié chez Flammarion. Pas une histoire du cinéma dans sa totalité donc, mais une tentative pédagogique de définition d’un art contemporain qui aurait ses propres classiques (“John Ford, Jean-Pierre Melville, Luis Buñuel”), sa propre identité et sa propre technique (“Tous cinéastes ?”, interroge l’auteur en écho à la révolution numérique). Cinéma contemporain, mode d’emploi de Jean-Baptiste Thoret (Flammarion), 254 pages, 29,90 €

box-office Jacob effect Il y a donc bien un effet Twilight : c’est le film d’action Identité secrète, avec l’acteur de la franchise vampirique Taylor Lautner, qui prenait la tête du box-office de mercredi en première séance à Paris. Il devançait Un heureux événement et Un été brûlant de Garrel, qui démarrait très doucement. En deuxième semaine, La Guerre des boutons de Yann Samuell perd 56 % de son taux de fréquentation au profit de… La Nouvelle Guerre des boutons, qui rassemble plus de 500 000 spectateurs. Romain Blondeau

autres films (S)ex List de Mark Mylod (E.-U., 2011, 1 h 48) Bienvenue à bord d’Eric Lavaine (Fr., 2011, 1 h 30) Appolo 18 de Gonzalo López-Gallego (E.-U., Can., 2011, 1 h 38) Plus jamais peur de Mourad Ben Cheikh (Tun., 2011, 1 h 12) Toast de S. J. Clarkson (G.-B., 2010, 1 h 32) Agnus dei d’Alejandra Sánchez (Fr., Mex., 2010, 1 h 21) Cheburashka et ses amis de Makoto Nakamura (Jap., 2010, 1 h 20) Logorama and Co. de H5, François Alaux, Hervé de Crécy, Ludovic Houplain, David Alapont (Fr., 2009, 1 h)

de Jean-Paul Rappeneau Une irrésistible comédie d’aventures toute pimpante dans sa version restaurée.

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e Sauvage est un bijou de comédie sentimentale et d’aventures comme le cinéma français populaire a su parfois en produire. On a un peu oublié aujourd’hui l’œuvre de Jean-Paul Rappeneau, cinéaste sporadique qui atteignit le sommet de sa gloire dans les années 90 (Cyrano de Bergerac, Le Hussard sur le toit, sans doute ses films les moins intéressants). Rappeneau appartient à une bande très singulière, peu étudiée : celle des contemporains de la Nouvelle Vague qui n’en ont pas fait partie, comme Louis Malle, Philippe de Broca (qui fut certes l’assistant de Chabrol et de Truffaut) ou Alain Cavalier dans sa première période, la plus commerciale. Contrairement aux tenants de la Nouvelle Vague, tous ont suivi le cursus cinématographique traditionnel (une école pour la plupart d’entre eux, puis des scénarios et/ou l’assistanat). Tous coécrivent les films des uns ou des autres (Le Combat dans l’île de Cavalier, Zazie dans le métro de Malle, L’Homme de Rio de De Broca, La Vie de château de Rappeneau…). Tous partagent, comme les gens de la Nouvelle Vague, une passion pour le cinéma hollywoodien et plus particulièrement pour la comédie classique – Hawks, Capra –, tout en se reconnaissant les héritiers de Jean Renoir, le patron. Dans leurs comédies, on retrouve le même type de rapports de couple – une jeune femme infernale aimant bien asticoter l’homme, qui se fâche mais qui aime bien, finalement, se laisser mener par le bout du nez par cette jolie emmerdeuse –, dont le parangon

serait la paire Jean-Paul Belmondo/ Françoise Dorléac dans L’Homme de Rio. Le Sauvage est peut-être le plus beau film de Rappeneau. Tout y contribue : Yves Montand en ermite ronchon et macho, Catherine Deneuve, au sommet de sa beauté, dans le rôle d’une aventurière impossible qui semble allier son personnage de La Sirène du Mississippi à l’intrigue de Liza de Ferreri (un couple isolé sur une île), l’exotisme et le charme des mers du Sud (le Vénézuela). La belle parvient à perturber la vie d’un parfumeur revenu de tout, vivant seul sur une île. Parfois un peu mécaniquement, Rappeneau possède le sens du rythme et du burlesque. Deneuve, débit de mitraillette et cheveux au vent, prouve quelle grande actrice comique elle est. Mais Rappeneau réussit autre chose, de plus rare : les scènes sentimentales. Les années 60 ont passé, et la jeunesse de tous ces cinéastes aussi. Cavalier va changer de voie, Malle part aux Etats-Unis, de Broca réalise des films comiques décrivant des quadras un peu ratés (Le Magnifique, Le Cavaleur). La nostalgie et la peur du temps qui passe affleurent à chaque instant, et la musique de Michel Legrand, l’une de ses plus belles partitions, sème quelques grains de mélancolie dans ce tourbillon de péripéties et d’amour. Jean-Baptiste Morain Le Sauvage de Jean-Paul Rappeneau, avec Catherine Deneuve, Yves Montand (Fr., 1975, 1 h 43, reprise) Le film, dans cette version restaurée, ressort également en DVD (9,99 €) et en Blu-Ray (14,99 €) chez StudioCanal

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Au seuil de la vie d’Ingmar Bergman Reprise d’un Bergman très rare, huis clos féminin dans une chambre d’hôpital. ans une clinique d’accouchement, trois femmes partagent la même chambre. Cecilia (Ingrid Thulin) vient de faire une fausse couche, Stina (Eva Dahlbeck) est sur le point d’accoucher, tandis que Hjördis (Bibi Andersson) est soignée pour un avortement manqué. La bourgeoise Cecilia vit ce drame intime comme la faillite de son mariage et annonce à son mari son intention de divorcer. Dans la frénésie créatrice des années 50 qui lui fait enchaîner mises en scène

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de théâtre et tournages de films, Bergman réalise Au seuil de la vie le même été que Les Fraises sauvages, en 1957. Malgré le prix de la mise en scène ainsi qu’un prix collectif d’interprétation féminine à Cannes, Au seuil de la vie, œuvre de commande, n’accédera pas à l’immense notoriété du Septième Sceau ou de La Source. Encore aujourd’hui, c’est un film peu vu et peu commenté, en comparaison de ses autres titres en noir et blanc de la même période.

Il ne peut prétendre au statut de chef-d’œuvre, sans doute parce que la matière romanesque dont s’inspire Bergman, d’habitude unique scénariste de ses films, paraît assez datée, aux confins de la thèse édifiante sur les affres de la maternité. Mais Bergman demeure maître dans l’art du huis clos féminin et les murs blancs de la clinique, entre lesquels fermentent souffrances, frustrations et névroses, anticipent les salons aux tentures rouges de Cris et chuchotements.

Dans son livre Images consacré à ses films, Bergman explique qu’il gardait un souvenir négatif d’Au seuil de la vie, mais qu’il prit plaisir à le revoir lorsqu’il s’y décida. On peut expliquer cette bienveillance par l’importance des trois  actrices dans le dispositif de la mise en scène, étouffante, fétichiste. La fréquence des gros plans de ses héroïnes – figure de style récurrente chez lui, et encore davantage ici – rappelle que le cinéma de Bergman est un art du visage, et qu’il inventa “l’hyper gros plan”, pour reprendre la définition de Jacques Aumont dans son essai définitif sur l’artiste, Mes films sont l’explication de mes images. Olivier Père Au seuil de la vie d’Ingmar Bergman, avec Ingrid Thulin, Bibi Andersson, Eva Dahlbeck (Suède, 1958, 1 h 22, reprise) Le film sort en DVD (Editions Montparnasse, env. 18 €)

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Elephant,1989, qui a inspiré le film du même titre de Gus Van Sant

deux paires de Clarke Longtemps ignoré des radars critiques français, le cinéaste anglais Alan Clarke a filmé la face la plus sombre de son pays. Trente ans après, il est temps de réévaluer l’apport d’un génie singulier qui a inspiré, entre autres, Gus Van Sant.

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rois décennies après leur réalisation, quatre films d’Alan Clarke arrivent en France, en DVD. Avant ce coffret, ni The Firm, ni Made in Britain, ni Elephant n’avaient connu de sortie en salle ici – seul Scum avait été confidentiellement distribué à l’époque. Alan Clarke, c’est la tache aveugle de la critique française. Celui qu’on n’a pas vu faire, celui qui est passé des années durant sous nos radars et dont l’existence nous est revenue à la figure, à la façon d’un boomerang, il y a dix ans : Elephant de Gus Van Sant venait de rafler la Palme d’or, nous étions tous bouche bée devant les audaces formelles tentées

par le cinéaste de Portland, lorsqu’on découvrit que le film était le remake d’un court métrage anglais de 1989 signé Alan Clarke. Un ovni de quarante minutes durant lequel des hommes de dos traversent des couloirs ou des pelouses d’entraînement et, sans déclaration politique, sans mot d’ordre, sans prévenir, se livrent à des exécutions sommaires. Violence aveugle, violence sans visage, film sans personnage, sans raison, sans explication, sans psychologie : la terreur, point barre. Répétée, insatisfaite, jamais repue. Elephant, ça tue. Le film (qui s’inspire sans le nommer du climat de terreur permanente qui régnait alors en Irlande du Nord)

est plus glacial, plus tétanisant et plus radical encore que son remake american college palmé d’or. A le découvrir aujourd’hui, on le croirait tout droit sorti d’une galerie d’art, alors qu’il est un pur produit de la BBC. On mesure le gouffre qui séparera toujours la télévision anglaise de son homologue française, semi-débile. C’est même la clé de ce misérable mystère : si nous, Français, avons été incapables de remarquer un cinéaste de la trempe d’Alan Clarke, c’est tout simplement parce qu’il a fait l’essentiel de sa carrière à la télévision. L’Angleterre ayant été à l’avant-garde en matière de fermeture des salles de cinéma, une telle carrière n’est en rien le signe d’une

quelconque compromission. Pour qui en doute, il suffit de voir les films. Leur sujet est systématiquement emprunté à l’urgence du moment : la montée des thèses du National Front (Made in Britain), le terrorisme nord-irlandais (Elephant), le hooliganisme post-Heysel (The Firm), l’incarcération des délinquants adolescents (Scum). Ce style unique, limite arty, d’un maniérisme avoué, à la fois froid et bousculé, n’autorise aucune comparaison. Cette œuvre a inventé peu à peu un système formel insulaire. Anglais de tempérament, le cinéma de Clarke n’a eu qu’un seul sujet : l’Angleterre. Il la dévisage, mais il est difficile de croire

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ce qui intéresse Clarke : la béance qu’autant de violence ou de connerie laisse en nous

Tim Roth dans Made in Britain, 1983

qu’il l’aime ; il vit avec, c’est différent. Il ne s’y oppose pas. Il ne fait pas croire qu’il en dénonce les travers… Non, son cinéma ne commence à se sentir bien que lorsque le sens de cette société commence à lui tourner le dos, et qu’il lui devient impossible à lui, cinéaste, de pouvoir émettre un avis catégorique sur ses personnages. Si la France a longtemps ignoré ses films, c’est qu’ils nous laissent sans réponses (les cartésiens n’aiment pas ça) mais pleins d’interrogations. Si les personnages de Clarke, en général des merdeux depuis longtemps irrécupérables, ont un petit talent, c’est bien celui-là : s’opposer à tout et ne répondre à rien de rationnel. Clarke ne s’est jamais intéressé de très près au punk, son cinéma ne regorge pas de références musicales (bien qu’il eut, sur la fin, Danny Boyle comme producteur) mais ça le rend plus punk encore : il n’a même plus besoin de cette séduction-là. Ses films vont au charbon, ils posent un affrontement, le filment. Mais cet affrontement a lieu entre deux logiques insaisissables. Deux centres nerveux, deux pulsions. Clarke s’amuse à en filmer les coups, un moment, puis ce qui l’intéresse est ailleurs : la béance qu’autant de violence ou de connerie laisse en nous.

Souvent, sa caméra, si proche de la nuque de ses héros, est éclaboussée (de sang, de bière). C’est le prix à payer pour être au centre du cyclone et ne plus rien y comprendre. Aussi, ce que fait Clarke n’a rien à voir avec le cynisme d’un certain cinéma français qui aime renvoyer tout le monde dos à dos, les pauvres, les cons, les bourgeois. S’il a tant aimé filmer des hommes de dos, c’est qu’il préfère poser des énigmes. Et plus il creuse, plus elles ressemblent à des abîmes. Le jeune skinhead que joue Tim Roth, premier rôle incroyable, dans Made in Britain n’est pas un abruti empêtré dans ses thèses néonazies. C’est un garçon trop intelligent pour sa classe sociale, qui trouve une parade à son ennui dans la provocation et le nihilisme, même s’il sait que ça va finir les jambes brisées par des matraques de flic. Après tout, ça ou autre chose… Mieux encore, le hooligan qu’incarne comme personne Gary Oldman dans The Firm. A la fois connard avoué, rat charismatique, petite merde, il présente surtout un visage du hooligan d’une perversité sans égal : père de famille, marié, cadre, il est un meneur en pantalon à pinces (directement inspiré

du leader de l’Inter City Firm, une organisation hooligan), gérant sa façon de foutre la merde au stade comme une petite entreprise. Au fond, c’est moins un film sur les cons du foot que sur le fond moral voyou des entrepreneurs. The Firm a été l’objet d’un remake en 2009 par Nick Love. En 2010, Kim Chapiron signait avec Dog Pound son remake américain de Scum (dont le coffret Potemkine présente les deux versions, celle pour la BBC en 1977 et celle pour le cinéma en 1979). Si on ajoute Gus Van Sant, Clarke est le cinéaste le plus revisité du XXIe siècle. Il est mort en 1990 d’un cancer, à 55 ans, enterré dans l’ombre de ses vingt et un films. Parmi eux, Christine (1987), sur un couple de toxicos, absent hélas de ce beau coffret et qui risque, du coup, de rester longtemps invisible en France. Philippe Azoury coffret Alan Clarke Scum, Made in Britain, Elephant, The Firm (Potemkine/ agnès b.), env iron 40 €

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BCA/Rue des Archives/Editions Montparnasse

Février 1945, île d’Iwo Jima

Hollywar L’incroyable diversité du cinéma de propagande américain pendant la Seconde Guerre mondiale, de Pearl Harbor à la Libération. Les films Un coffret de dix-sept courts et longs métrages représentant la contribution des grands cinéastes hollywoodiens à la propagande américaine pendant la Seconde Guerre mondiale. Le cinéaste le plus pugnace, le plus efficace, le plus schématique également, est Frank Capra, qui riposte dans sa série Why We Fight à une agit-prop nazie dirigée avec maestria par Joseph Goebbels. Un film allemand en particulier incite les Américains à réagir dès leur entrée en guerre : Le Triomphe de la volonté de Leni Riefenstahl, œuvre d’une effarante perfection sur l’appareil nazi. Dans l’ensemble, Capra n’utilise que des images d’archives, puisant même dans le cinéma de fiction, pour élaborer des brûlots rythmés, mis en musique, et montés avec une formidable efficacité. Les séquences d’animation, cartes, et même certaines musiques lui sont fournies par Walt Disney. Dans Prélude à la guerre, véritable manifeste du monde libre contre la barbarie, Capra n’hésite pas à puiser chez les ennemis, en intégrant à son film manichéen (pour la bonne cause) des extraits de l’œuvre de Riefenstahl.

John Huston prend des risques inouïs en s’embarquant sur les bombardiers en mission

On reconnaît l’influence de sa propre Vie est belle dans la division imagée des deux camps en “monde blanc” et “monde noir”, où il décrit d’un côté les vertus civilisatrices des Alliés et de l’autre les conceptions maléfiques des forces de l’Axe. Les autres cinéastes, plus impliqués physiquement sur les terrains d’opération, livrent de vrais reportages de guerre, en particulier John Huston, qui se dépense sans compter et prend des risques inouïs en s’embarquant sur les bombardiers en mission, notamment dans Les Aléoutiennes, où l’on assiste en direct aux raids sur les bases nipponnes. William Wyler, dans les airs, et le plus posé John Ford, sur les mers, ne sont pas en reste. Le plus dérangeant est indéniablement Les Camps de concentration nazis de George Stevens, qui montre peut-être plus crûment encore que Nuit et brouillard de Resnais la découverte de l’horreur nazie par l’armée américaine. On apprend que les libérateurs contraignirent les autochtones voisins des camps à venir constater de visu à quel enfer ils avaient contribué soit activement, soit passivement. En fin de programme, le fameux procès de Nuremberg. Les DVD Pas de bonus. Vincent Ostria

Le Rôdeur de Joseph Losey avec Van Heflin, Evelyn Keyes (E.-U., 1951, 1 h 32)

Brillant thriller sexuel avec flic psychopathe. Le film Le Rôdeur est un des derniers grands titres du film noir, même si son importance ne fut pas immédiatement reconnue. Ce sera aussi le dernier – et meilleur – film américain de Joseph Losey, avant qu’il ne s’exile en Europe, inquiété durant le maccarthysme pour ses sympathies communistes. La réussite du film doit beaucoup à son scénariste Dalton Trumbo, absent du générique car mis sur liste noire. Le Rôdeur, thriller très sexuel et politique où un flic psychopathe s’introduit dans la maison et bientôt la chambre d’une bourgeoise esseulée, traite des rapports pervers entre classes sociales et de la frustration d’un prolétaire. Losey reprendra cette thématique dans ses films écrits par Harold Pinter en Grande-Bretagne (The Servant, Le Messager) mais avec une prétention et un intellectualisme qui fort heureusement font défaut au Rôdeur. Le DVD Présenté en coffret avec un essai d’Eddie Muller, président de la Film Noir Foundation, à l’initiative de la restauration du film de Losey. Les suppléments proposent des témoignages d’admirateurs du Rôdeur, en particulier James Ellroy, qui le décrit comme un film noir vicelard. Olivier Père Wild Side, environ 30 €

L’Amérique en guerre – La Seconde Guerre mondiale filmée par Frank Capra, John Huston, William Wyler, John Ford, John Sturges, George Stevens, Anatole Litvak et Joris Ivens Coffret 6 DVD, Editions Montparnasse, environ 4 0 €

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Bernard Lachaud

“Nousd evrions introduire le jeu sur le lieu de travail”

jeux de société Comment changer le monde ? Par le jeu vidéo, expérience collective capable de “provoquer un engagement optimiste”, affirme dans un livre la conceptrice de serious games américaine Jane McGonigal.

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ourquoi les jeux nous rendent meilleurs et comment ils peuvent changer le monde” : voilà ce qu’explique Reality Is Broken, le livre (non traduit en français) de Jane McGonigal. La jeune Américaine, conceptrice de serious games pour la Banque mondiale (Evoke, qui encourage l’entrepreneuriat à but social) ou la Bibliothèque publique de New York, était en septembre l’invitée des rencontres Regards sur le numérique de Microsoft.

à venir la Paris Games Week se précise Le jeu vidéo investira le Parc des expositions de la porte de Versailles, du 21 au 25 octobre, pour la deuxième édition de la Paris Games Week, organisée par le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisir, qui a fusionné avec l’ex-Festival du jeu vidéo. Au menu : les nouveautés de la fin d’année en accès libre, des espaces consacrés au jeu rétro ou à la création française et les compétitions de la Coupe du monde des jeux vidéo. www.parisgamesweek.com

Pourquoi les jeux devraient-ils changer le monde ? Jane McGonigal – Ils sont différents de toutes les autres formes d’art. A chaque fois que vous jouez avec quelqu’un, même l’un contre l’autre, c’est un effort coopératif. Ils créent une motivation particulière. C’est une plate-forme puissante, un moteur qui, de ce point de vue, est proche du monde écrit qui provoque l’inspiration à travers une histoire. Les jeux possèdent une capacité particulière à réunir les gens, à focaliser leur attention. Votre livre s’intitule Reality Is Broken. Que manque-t-il à la réalité que les jeux possèdent ? Il y a une sorte de twist dans la dernière partie : “Reality is better”. Ce que je dis, c’est que nous n’avons pas fait du très bon boulot avec certaines de nos institutions : l’école, le travail, le gouvernement… Et nous pourrions apprendre des jeux dans la manière de provoquer un engagement optimiste, de faire collaborer les gens. Comment percevez-vous le rapport entre les jeux “sérieux” que vous concevez et les jeux commerciaux ?

Les développeurs ont une responsabilité vis-à-vis de la jeune génération au regard du nombre d’heures qu’elle passe sur les jeux vidéo. L’industrie devrait prendre son pouvoir au sérieux. J’espère que ces nouvelles sortes de jeux seront pour elle une source d’inspiration. Mais peut-être qu’ils resteront seulement une alternative. La “gamification”, qui vise à motiver les gens en adaptant des stratégies ludiques, a aussi quelque chose d’effrayant. Ce mouvement s’intéresse à de tout petits aspects des jeux. Si vous faites ceci, vous gagnez des points. Mais les gens jouent aussi pour la narration, pour l’esthétique, pour l’interaction sociale, pour les énigmes. Je pense que nous devrions introduire le jeu sur le lieu de travail en prenant en compte tout ce qui le constitue et pas seulement ces mécaniques stupides de feedback, parce qu’en dehors d’un contexte qui a du sens ça n’a aucune valeur. Cela doit toujours rester optionnel. Le jeu vidéo n’a-t-il pas le droit, aussi, de rester inutile ? Si un jeu vous procure des émotions positives, un sentiment de fierté, de curiosité, de stupéfaction ou d’émerveillement, c’est déjà en soi productif. Même les jeux qui ne relèvent que du divertissement ont un impact sur votre vie réelle. Ils modifient votre façon de penser et d’agir, dans une large mesure, de manière positive. recueilli par Erwan Higuinen Reality Is Broken – Why Games Make Us Better and How They Can Change the World (Vintage Digital), 320 pages, environ 20 €, en anglais

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l’empire des sens D’une ambition artistique démentielle, El Shaddai laisse aussi admiratif qu’incrédule. awaki Takeyasu n’est de connu (par ses décors, Toujours, c’est la manière pas tout à fait un dispositifs et personnages), dont se mêlent les idées inconnu. Au sein du ce n’est qu’un instant, avant plastiques et musicales défunt studio Clover, de devenir tout autre chose. qui laisse aussi admiratif cet ancien de Capcom a D’ombres chinoises sur qu’incrédule. Non pas conçu notamment le style vitraux géants en estampes les effets en eux-mêmes graphique de l’inoubliable animées, de surimpressions mais la manière dont Okami. El Shaddai est sa néoprimitives en souples ils surgissent, s’effacent toute première création en figures crayonnées, et renaissent. En un mot, tant que réalisateur et, pas El Shaddai, qui fait un peu le cérémonial. La source d’erreur, nous voilà bien subir au jeu d’action type d’inspiration de ce jeu face à un jeu de directeur God of War ce que Rez au récit incompréhensible, artistique. Ce pourrait être infligeait au shoot’em up 3D, et dont les héros ont pour une réserve – le gameplay, se révèle un incroyable nom Hénoch, Ezéchiel qui alterne combat ordinaire voyage pour les sens. ou Sariel, est par ailleurs et plate-forme exigeante, L’image passe en négatif. ouvertement biblique. Mais n’a rien de révolutionnaire –, Notre personnage évite des c’est presque la moindre c’est un compliment : cercles de feu dans un de ses audaces. E. H. El Shaddai ne ressemble à tunnel en spirale. Il y a des rien de ce à quoi on a pu bleus, des rouges, des roses. El Shaddai – Ascension of the jouer. Ou, plus exactement, Des escaliers translucides, Metatron sur PS3 et Xbox 360 (Ignition/Konami, environ 60 €) s’il évoque quelque chose au-dessus du vide.

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The Gunstringer Sur Xbox 360 (Twisted Pixel Games/Microsoft, environ 40 €) Les jeux exploitant judicieusement le système de détection de mouvements Kinect ne sont pas si nombreux. On n’en applaudira que plus chaleureusement l’arrivée de The Gunstringer. Enfin, s’il nous reste un peu de force dans les bras après avoir manipulé sa marionnette cow-boy et flingué joyeusement les cibles qui s’agitent sur l’écran. Dans son univers cartoon immédiatement attachant, l’œuvre du studio Twisted Pixel Games (‘Splosion Man, The Maw) a le mérite d’oser les variations de gameplay (plate-forme, tir à deux pistolets). Et, très arcade, se révèle aussi modeste qu’emballante.

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à la grâce de Deus Mené par le toujours passionnant Tom Barman, Deus signe un album irrégulier, d’où s’échappent des instants magiques ou de tension sensuelle.

 I Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

l y a vingt ans, Tom Barman ne jouait pas de la guitare mais du squash – son groupe aurait pu se nommer Deus de raquette. Hissé à la troisième place du classement des joueurs de son pays, le Belge avait tout de même prévu de préférer l’art à la performance sportive. Pour autant, la musique n’était pas au programme : c’est sur le cinéma que Barman avait jeté son dévolu. “J’ai arrêté le squash pour entamer des études et devenir cinéaste. Je dis souvent que le cinéma, c’est ce que je voulais faire, et que la musique, c’est ce qui s’est passé.” Remercions le destin d’avoir placé le jeune homme sur le chemin du studio :

avec Deus, Barman a tout simplement livré les chapitres les plus remarquables du rock belge des deux dernières décennies. “C’est difficile de durer ainsi. Le groupe reste une entité impossible, avec des ego qui se battent en permanence. Il y a comme une autodestruction dans tout ça, qui n’est pas du tout romantique et peut même devenir horrible. L’intimité et la proximité avec les membres du groupe, ça peut te rendre claustrophobe. Le groupe, ce n’est pas une histoire d’amour, et en même temps ça doit en être une.” Les épreuves et les embûches n’ont pas épargné la formation de Barman : elle a traversé des déserts, elle a fait évoluer son casting. “Ça n’a

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on connaît la chanson

smells like Martine spirit

Olaf Heine

“j’ai toujours voulu être dans un groupe où j’admire les autres” Tom Barman

pas tout le temps été simple, mais ces évolutions étaient nécessaires pour continuer à trouver un nouveau souffle. D’autant que j’ai toujours voulu être dans un groupe où j’admire les autres. Deus, c’est 100 % passion.” Dernier épisode de cette série à rebondissements, l’album Vantage Point affichait en 2008 la facette la plus explosive du groupe avec une poignée de titres sapés pour la scène. Ne pas se fier au titre de son successeur qui paraît ces jours-ci : Keep You Close n’est pas le disque du retour au songwriting intimiste. L’album a au contraire été en partie façonné en concert, le groupe désirant mesurer l’efficacité de ses nouvelles chansons à la réaction de son public. “Le live reste l’objectif ultime pour Deus. C’est sur scène que nous avons grandi, d’autant que nous avons toujours eu une drôle de position. Si tu es les Foo Fighters, tu enregistres un album pour pouvoir le jouer devant 40 000 personnes tous les soirs. Avec Deus, on joue pour 500 comme pour 5 000 personnes. Le disque doit marcher

partout… Et puis c’est mauvais pour ma santé de rester en studio. C’est pas sain, je bois vraiment trop d’Ice Tea.” Longtemps, Deus a traîné une réputation de groupe arty, cérébral. “On a cultivé ça parce qu’on était arrogants. On faisait la gueule sur les photos. On était dans un groupe de rock, il fallait poser un peu ! A force de constater cette image intello, j’ai fini par dire ce que je pense encore : le cerveau, c’est l’organe le plus sexy au monde. Quand je tombe amoureux, c’est toujours de l’humour ou de l’intelligence de la personne. L’objectif à atteindre pour un groupe, c’est de faire danser et pleurer en même temps.” Deus a, il est vrai, davantage fait sangloter et gigoter par le passé : Keep You Close, qui a été enregistré dans le studio personnel du groupe à Anvers, est un drôle de disque. De vrais instants de grâce (Constant Now, The Final Blast ou le formidable titre éponyme du disque) y côtoient des longueurs moins inspirées (Twice ou Dark Sets in pourtant partagé avec l’Afghan Whigs Greg Dulli). Constante de taille : Barman continue d’y chanter comme un dieu, et de confirmer sa position de plus grand rappeur qui s’ignore (The End of Romance). “Ce goût pour le phrasé, ça me vient de Gainsbourg, de Massive Attack. J’ai mis des années à oser parler sur de la musique, à m’affranchir de la mélodie. J’ai atteint un âge où je me permets davantage de choses. Mais je me demande aussi souvent à quoi sert ce que je fais. Il y a tant de problèmes dans le monde, mon cas personnel ne peut pas être aussi important… Et puis après tu écoutes Leonard Cohen et tu te dis que ça peut être important si c’est bien fait.” Johanna Seban album Keep You Close (Pias) concerts le 14 octobre au Havre, le 19 à Strasbourg, le 20 à Dijon, le 21 à Lyon, le 22 à Clermont-Ferrand, le 24 à Paris (Trianon), le 25 à Caen, le 27 à Bordeaux, le 28 à Vendôme, le 29 à Reims, le 30 à Lille

On ne le dit pas assez, mais la primaire PS a une BO. La victoire en chantant. A mi-chemin des Jackson Five et de Seven Nation Army, ils sont donc six, candidats à la primaire PS. Pour ceux qui auraient manqué le début : Martine Aubry, Ségolène Royal, François Hollande, Arnaud Montebourg, Manuel Valls et Jean-Michel Baylet. “Antisocialiste, tu perds ton sang-froid”, chantait (presque) Trust en 1980. Le 9 octobre, citoyen de gauche mélomane, on se rendra au bureau de vote avec un casque sur les oreilles. En mode shuffle, on attaque avec un petit morceau nostalgique de Ségolène Royal Trux, en plein revival 2007. Avant, Ségolène jouait avec François Hollande & The Atlas Mountains, le candidat sur les cimes des sondages. Puis elle a tenté la carrière solo, le Ségo-trip freestyle. Après, il y a le dandy anti-folk Arno Montebourg, qui parle un peu comme Arno FleurentDidier et qui chante “Crénon, crénon, qu’il est fameux d’être un Européen !” Et le gros tube arrive : “Smells Like Martine Spirit”, et c’est presque le nirvana. Le bastard-mix entre Manureva (d’en être) et La Valse à mille temps arrive à point pour Manuel Valls : “Des jours et des jours tu dérivas/Mais jamais jamais tu n’arrivas/Là-bas.” Ça vaut aussi pour l’ultime candidat, sorte de sixième roue du carrosse de la primaire, dont on n’arrive jamais à mémoriser le nom. On saute les Valls de Strauss-Khan, car il ne faut plus jamais parler du futur ex-siglé, alias DSK, K.-O., H.S., qui envisagerait, selon nos informations, de se réfugier dans le dub de LKJ, voire l’electro et le dubstep des ténèbres façon SBTRKT, NCL-SRKZ, MSTRKRFT, et tous ces groupes qui ont trouvé leurs noms dans le répertoire d’insultes du capitaine HDDCK. P.-S. : pour le deuxième tour, pensez à réécouter Si j’étais président de Gérard Lenorman.

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et Cesaria s’évapora

John Best

La fatigue et la maladie ont eu raison de sa carrière. A 70 ans, dont une vingtaine d’années passées à porter la belle et tendre parole de la saudade sur les scènes du monde entier, la star capverdienne Cesaria Evora a annoncé qu’elle prenait sa retraite, annulant du coup ses deux dates françaises d’octobre. Repos bien mérité.

A l’occasion de la sortie de leur double album live le 7 novembre, les Islandais seront à l’honneur à la Géode de Paris, avec la diffusion d’un documentaire retraçant leurs derniers concerts à l’Alexandra Palace de Londres, les 20 et 21 novembre 2008. Filmé par Vincent Morisset, déjà réalisateur de Miroir noir d’Arcade Fire, Inni sera suivi d’une tournée prévue pour 2012. www.lageode.fr cette semaine

I’m From Barcelona

Joeystarr, le retour Après Gare au jaguarr en 2006 et une reformation express de NTM deux ans plus tard, le rappeur français, que l’on a récemment vu plus souvent sur grand écran que chez les disquaires, reviendra avec un second album solo, Ego maniac, le 31 octobre, avant d’entamer une tournée à travers la France en novembre. lire concerts p. 115

Puisque l’été s’invite en octobre, on n’hésite pas une seconde à aller rejoindre les hurluberlus suédois dans leur grande tournée française. Ne pas oublier les confettis. le 5/10 à Rouen, le 6 à Brest, le 7 à Hérouville-Saint-Clair, le 8 à Rennes, le 9 à Lille, le 10 à Poitiers, le 11 à Toulouse, le 12 à La Rochelle, le 13 à Montpellier, le 14 à Lyon, le 15 à Bordeaux.

neuf

trois nouveaux titres pour R.E.M. Pour un groupe séparé, R.E.M. semble bien productif. Alors qu’elle vient d’annoncer son split la semaine dernière, la bande de Michael Stipe publiera le 14 novembre Part Lies, Part Heart, Part Truth, Part Garbage, 1982-2011, un album réunissant ses tubes ainsi que trois nouveaux morceaux inédits enregistrés dans sa ville d’origine, Athens : We All Go back to Where We Belong, A Month of Saturdays et Hallelujah.

Marvin Gaye

Zun Zun Egui Ils viennent de Bristol, ont publié quelques singles et signent cet automne Katang, premier album euphorisant d’où s’échappent des influences post-punk, tropicalistes, rock ou africaines… La rencontre des Talking Heads et de la famille Kuti, vous en rêviez ? Zun Zun Egui l’a fait. www.zunzunegui.org

Eric Mulet

Sigur Rós en live et en film

Boots Electric Après Eagles Of Death Metal, qu’il a fondé avec le Queens Of The Stone Age Josh Homme, Jesse Hughes se lance en solo avec Boots Electric, un drôle de projet qui le voit délaisser un peu les guitares pour leur préférer les refrains groovy – et se payer au passage les chœurs sexy de l’amie Juliette Lewis. www.boots-electric.com

Entremêlant le chant soyeux des crooners et la compacité sonore du rhythm’n’blues, What’s Going on fit de Marvin Gaye le Frank Sinatra noir. Quarante ans après, le classique est réédité, agrémenté d’une vingtaine de demos et d’instrumentaux. www.marvingayepage.net

Pinback Il y a treize ans, Zach Smith et Rob Crow fondaient Pinback à San Diego. Cette année, les événements nous ont souvent fait penser à un vieux trésor caché paru sur le premier album des Américains élégamment raides : Tripoli. Bonne nouvelle : Pinback sera de retour le 23 novembre au Nouveau Casino, à Paris. www.pinback.com

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Andy Whitton

“au lieu de nous séparer, nous avons trouvé une autre façon d’enregistrer”

Kooks de cœur Revenus des doutes, les Kooks se jettent enfin à l’eau avec un troisième album ambitieux et aventureux.



ifficile de croire qu’avec ses boucles d’éternel adolescent Luke Pritchard entame déjà sa huitième année au sein des Kooks. Le jeune homme vient pourtant d’avoir 26 ans et parle de l’histoire de son groupe comme s’il en avait 50. Les départs de membres fondateurs, les interminables tournées, les débuts explosifs et les pertes de repères : Pritchard n’épargne aucun détail et semble avoir vécu, plutôt sereinement, dix vies en une seule. Il faut dire que les Kooks font partie de cette génération de groupes qui, avec les Arctic Monkeys notamment,

se sont retrouvés souvent très jeunes en tête des charts anglais et des vœux de mariage de toutes les filles du pays. Depuis la sortie d’Inside in/Inside out (2006), lui et ses complices sont passés par tous les clichés de la vie de bébésmusiciens, jusqu’à sérieusement se demander s’ils avaient un avenir juste avant l’enregistrement de Junk of the Heart, leur troisième album. “Quand on a commencé les répétitions, j’avais ce sentiment étrange de ne pas vouloir être là. Je n’étais ni excité ni inspiré. Je crois que nous étions las de faire la même chose. Je me suis demandé pourquoi je continuais à faire ça, si j’avais réellement envie de rester dans ce groupe.

Mais au lieu de nous séparer, nous avons trouvé une autre façon d’enregistrer”, confie-t-il. Cette autre voie, ils l’ont trouvée dans les bras de Tony Hoffer, leur producteur attitré déjà responsable de leurs deux premiers albums. Après avoir jeté à la poubelle leur première session d’enregistrement avec le producteur de Kasabian, Jim Abbiss, Pritchard s’est enfermé avec son mentor américain pour trouver le moyen d’adapter son songwriting très pop au son plus moderne qu’il avait en tête – “un processus très expérimental, très différent de tout ce que nous avions fait auparavant”. En ressort un disque plus cohérent qui, contrairement

à ses prédécesseurs, ne ressemble en rien à une collection de singles : il possède un vrai début, un milieu et une fin. Plus symptomatique encore de la volonté du groupe de faire tomber les frontières musicales auxquelles il s’était jusqu’alors cantonné, il s’aventure sur des terres où il n’aurait jamais pensé aller. Du break imparable de Junk of the Heart à la ligne de basse reggae de Fuck the World off, les Kooks se sont tout permis. On les découvre ainsi aussi à l’aise sur Time above the Earth, pause orchestrale ambitieuse de l’album, que sur l’incursion electro sensuelle de Runaway. Une prise de risque surprenante pour les Kooks qui, par paresse, auraient pu se contenter de continuer à jouer les jolis cœurs de la pop anglaise, fidèles à ce qui reste l’épine dorsale du groupe. Car si certains titres semblent dispensables (Eskimo Kiss, Taking Pictures of You), les Kooks maîtrisent à la perfection les codes de la pop-song efficace, baignée cette fois-ci par le soleil de la Californie où ils ont enregistré l’album. “Je n’ai pas à rougir de faire de la pop évidente. La simplicité est la chose la plus difficile à faire. Si ça ne l’était pas, tout le monde écrirait les mêmes morceaux que les Beatles. Et si je ne parle pas de filles dans mes chansons, je le fais quand ?”, lâche Pritchard dans un sourire qui en dit long. Ondine Benetier album Junk of the Heart (EMI) www.thekooks.com interview intégrale à lire sur lesinrocks.com En écoute sur lesinrocks.com avec 5.10.2011 les inrockuptibles 103

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Denis Rouvre

Neerman-Kouyaté, c’est comme une marque déposée de machine à tisser du rêve

good vibrations Aventuriers des lamelles, Lansiné Kouyaté et David Neerman planent entre le balafon et le vibraphone, entre l’Afrique et l’Europe.

L

eur conversation dévisse parfois en pugilat. Alors ils se bousculent. Ils se fritent. Et à chacun ses armes : le balafon pour le Malien Lansiné, le vibraphone pour le Français David, lamelles de bois contre lamelles de métal. Un corps à corps à coups de mailloches plutôt qu’une joute verbale, où les notes remplacent les mots. Parfois ils se parlent, lentement, gentiment, avec cœur et poésie, comme deux copains dont la complicité devient d’autant plus fluide que leurs instruments respectifs sont cousins, matériaux différents mais conception identique. Dans ces momentslà, le couple Neerman-Kouyaté,

c’est comme une marque déposée de machine à tisser du rêve, une filature qui transforme Jean-Sébastien Bach, l’Orchestre Royal de Sosso, Milt Jackson et Sonic Youth en tapisserie des Gobelins. Ils se sont rencontrés il y a cinq ou six ans à l’initiative d’une animatrice de RFI. Qui est Lansiné Kouyaté ? Le rejeton de l’une des plus vieilles familles de griots mandingues, intégré à l’Ensemble national du Mali dès l’âge de 9 ans, pièce essentielle du groupe de Salif Keita dans les années 90, guest-star du projet Red Earth que Dee Dee Bridgewater a promené du Japon aux Amériques en 2008. Avec Toumani Diabaté et Ballaké Sissoko, il est aujourd’hui l’un des émissaires les plus influents de la musique mandingue, œuvrant brillamment à sa conservation comme à sa rénovation. Le parcours de David Neerman est plus sinueux, entre études de piano et de percussions classiques, un siège de batteur dans un groupe de reggae, Kana, dont il s’éjecte rapidement, et des passages dans la musique contemporaine. Ses premières

expériences au vibraphone l’entraînent vers l’Afrique et le balafon. Alors que Sarala, disque du pianiste américain Hank Jones avec l’organiste malien Cheick Tidiane Seck, lui fait envisager une possible fusion entre deux mondes, il y découvre la présence d’un jeune virtuose : Lansiné Kouyaté. Il reste “scotché”, comme il dit. Sur leur premier album Kangaba, il se laissera diriger par Lansiné sur des thèmes classiques du répertoire mandingue avec la docilité d’un jeune séminariste à l’étude d’un rituel, ou parfois ce goût de la fugue qui lui vient autant de Bach que du dub. Aujourd’hui, sur Skyscrapers & Deities, ils s’échappent plus franchement du patrimoine africain, adaptent le Requiem pour un con de Gainsbourg et plongent dans un magma sonore d’une tout autre consistance, plus brute et plus électrifiée. Le titre de l’album (“Gratte-ciel et divinités”) dit à peu près tout sur l’objet : il évoque le surgissement synchrone du visible et de l’invisible, du physique et du spirituel, du moderne et du primitif. Il capte la dimension inviolable du balafon de Lansiné – instrument sacré à la cour de certains rois bamanas, que l’on ne pouvait ni toucher ni même voir – tout en suggérant l’approche résolument grunge du vibraphone de David, branché sur des boîtes qui en modifient le son, le saturent un peu comme les likembés des Congolais de Konono n° 1 (Hawagis), ou le réduisent à l’état liquide comme un orgue de cristal (Kalo Dié). La batterie de David Aknin et la contrebasse d’Antoine Simoni donnent à ce dialogue entre les deux musiciens sa colonne vertébrale. Ballaké Sissoko le baptise de quelques notes diaprées de kora tandis que le griot caribéen Anthony Joseph lui récite une formule magique de bienvenue. Celle d’un sorcier animiste en milieu urbain face à un fétiche transfiguré, énigmatique, envoûtant. Francis Dordor album Skyscrapers & Deities (No Format/Universal) concerts le 12 octobre à Allonnes, le 26 à Nantes, le 27 à Paris (Café de la Danse), le 18 novembre à Montpellier www.noformat.net En écoute sur lesinrocks.com avec

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Adeline Mai

Little Dreams – The Canterbury Recordings Now Sounds/Cherry Red/ Socadisc

Adeline Mai

The New Wave

Sayem A City Gone Mad w/ Fever

Un trésor oublié de la Californie des sixties : réédition indispensable. The New Wave : pas la musique de corbeaux, mais le cinéma français. En Californie, au milieu des sixties, deux jeunes dandys férus de songwriting et de guitare classique forment un duo lettré, qui annonce le Summer of Love avec une dizaine de chansons suaves et sensuelles. Vibraphone, violon et clavecin (joué par Van Dyke Parks) s’égaient sur des chansons d’une douceur et d’une légèreté extrêmes, qui regardent Love ou les Zombies d’en haut. L’esprit de Burt Bacharach n’est pas loin. Celui de Jacques Demy est tout proche : le groupe reprend (en français délicieux) Autrefois (j’ai aimé une femme) des Parapluies de Cherbourg. Et c’est plutôt une ombrelle, indispensable à l’écoute d’un album rare et radieux, dont la réédition nous laisse baba.

Livrée avec une BD, la BO d’un film qui n’existe que dans la tête agitée de Sayem. u départ, ça ne devait être qu’un side-project récréatif, une BO imaginaire pour ce collectionneur de sons dont le cerveau est un disque dur bousillé par les beats, les boucles et les bandes-son. A l’arrivée, c’est un péplum, où l’on croise les sons étripés de Flairs, une BD (de BO) de superlosers signée du noir et agité Artus, et les voix malmenées de DSL ou Le Prince Miiaou (géniale). On avait connu Sayem à l’occasion du concours CQFD de 2003, avec un trip-hop carabiné où barrissait John Barry, où DJ Shadow s’agitait dans l’ombre, où Air rencontrait Herrmann. D’Herrmann à Superman ou Spider-Man, il n’y avait qu’un pas de géant, que le Français fait de travers, offrant à une “ville devenue folle” les superhéros lessivés, les antihéros et sons traumatisés qu’elle mérite. Rock renfrogné, électrautoroute, pop exaspérée ou romantique, flâneries synthétiques : Sayem a bien élargi son dédale, devenu un vaste labyrinthe, une utopie où il fait bon se perdre (écouter le féerique 436 Seconds of Happiness). “Real life sucks”, jure d’ailleurs un écran dans la BD. Et Sayem redécore la vie, la repeint en noir ou rose quand elle n’était que grise, que crise. Plus belle, la vie.

Stéphane Deschamps

JD Beauvallet

www.cherryred.co.uk

www.youaresayem.com

Disques Primeur/EMI

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Liam Blake You and Other Stories Helium/Cooperative/Pias

Growing Stone Barbès Records

The Duke Spirit Bruiser Fiction/Cooperative/Pias Racé et crasseux, du rock à l’ancienne, parfait pour respirer un coup. ans un texte magistral publié sur le net, Stefan Goldmann démontre que le goût croissant pour le vintage et les revivals s’explique par la peur, un sentiment d’insécurité face à l’avalanche de nouveaux sons, noms et sous-genres. Alors que de nouveaux hybrides, de nouvelles mutations génétiques apparaissent chaque jour (cette semaine : rapprochement entre folk et dubstep), on ne peut qu’admirer des groupes comme The Duke Spirit, accrochés en pleine tempête à leur petit lopin, à leur artisanat d’une autre époque. Voix plus gouailleuse, plus salace, électricité de plus en plus hérissée, déchiquetée, mélodies régulièrement prises à parti par les flammes de l’enfer blues : l’évolution est, à l’échelle du groupe, spectaculaire. Elle reste dérisoire comparée à l’accélération exorbitante de la musique. Et pourtant : un tel groupe à l’ancienne offre une pause respiratoire, un refuge dans le garage, un très attachant moment sans enjeu, juste pour le plaisir félin d’éructer et de tremper les harmonies dans le rouge. Anachronisme in the UK.

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JD Beauvallet thedukespirit.com En écoute sur lesinrocks.com avec

Un collectif polymorphe de Brooklyn : carnaval pendant que c’est chaud. Mélangez un bloc de percussions maracatu du Nordeste du Brésil à la rythmique d’une fanfare funk de La NouvelleOrléans ; ajoutez-y des poignées d’épices forró, cajun ou country-blues ; faites mijoter le tout sur scène de part et d’autre de l’équateur pendant neuf ans : vous obtiendrez le cocktail, improbable et explosif, de ce collectif de Brooklyn adoubé par Willie Nelson et Cyro Baptista, qui réussit la prouesse de coucher sur disque le fruit d’une union incestueuse entre mardi gras et carnaval. Yannis Ruel www.nationbeat.com

www.liamblake.co.uk En écoute sur lesinrocks.com avec

Matthew Bologna & Jesse Mann

Nation Beat

Un jeune Anglais à voix d’ange rêve des sixties californiennes. A l’époque où ils partageaient les bancs de Creation Records, Liam Gallagher d’Oasis et William Blake de Teenage Fanclub ont-ils eu un fils ? Pour dissiper tout doute, Liam Blake s’est choisi des parents de l’âge de ses grands-parents (David Crosby et Joni Mitchell) et un son garanti sans larsen, sans emphase, sans sagouinerie. Ce sera du folk, régulièrement secoué, électrifié avec cette nonchalance cool et bavarde des sixties américaines – Liam Blake aurait rêvé de vivre dans le Laurel Canyon de ces années-là. S’il a choisi ce folk-rock tantôt solaire, tantôt scolaire, il n’a pas par contre choisi sa voix. Comme chantait une de ses idoles, Leonard Cohen, “Je suis né avec ce don d’une voix en or”… Elle tire toutes les chansons vers le haut, en un chant qui saute à l’élastique, aussi à l’aise et éloquent dans le murmure mélancolique que dans le babillage en plein soleil. “Show me the way to the sun”, implore une de ses chansons. Ben t’es juste dessous, mon con. JDB

The Stepkids The Stepkids Stones Throw/Discograph/Wagram

Radieuse et rétro, la pop psychédélique d’Américains qui flirtent avec la soul. Drôle de scénario : un guitariste aperçu aux côtés d’Alicia Keys, des influences qui vont des Four Tops à Dennis Wilson et un trio dont chaque membre chante et compose. Ça offre un disque bizarroïde et épatant qui mélange sur le même titre le psychédélisme de The 5th Dimension et le groove de Stevie Wonder, les parenthèses foldingues de Super Furry Animals et le glam de Bowie. Album radieux, The Stepkids est porté par une écriture apprise dans les classiques sixties du jazz, de la pop et de la soul. Cela aurait pu donner un patchwork incohérent, ça permet au contraire un beau kaléidoscope. Johanna Seban www.stonesthrow.com/thestepkids

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Jo McCaughy

Bombay Bicycle Club A Different Kind of Fix Island/AZ/Universal Après une pause acoustique, les Londoniens remettent les doigts dans la prise. endant que leurs confrères l’aide d’un pied-de-biche), ce se perdent en tournées troisième album révèle une facette infinies et en embrouilles bien plus obscure du groupe, sans issue, tout semble qui s’est pour l’occasion adjoint rouler pour Bombay Bicycle Club. les services de Ben H. Allen, Depuis ses premiers jours, génial producteur du dernier le groupe du nord de Londres n’a album d’Animal Collective. jamais failli à sa réputation Plein de recoins, A Different Kind of de stakhanoviste : un album Fix avance masqué, fantomatique par an, rien de moins. Si Flaws (la diaphane Still), inquiétant avait fait le pari de l’acoustique, et grisant (How Can You Swallow son successeur, lui, rebranche So Much Sleep). Il frappe aussi ses câbles sur 220 volts. Pas de dans les côtes quand on s’y attend grosses démonstrations pourtant le moins (Favorite Day et What chez les quatre potes, qui ont You Want) et laisse accro, un goût usé leurs costumes réglementaires amer de fumée dans la bouche, sur les bancs de la même école, en manque jusqu’au prochain fix. Ondine Benetier mais une subtile envie de s’éloigner des compilations qu’on s’échange sous le manteau. www.bombaybicycleclubmusic.com Aussi entêtant soit-il (difficile En écoute sur lesinrocks.com avec de se sortir Shuffle de la tête sans

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Minors Ways/Times [email protected] Cette fanfare illuminée vient de France : on dirait plutôt Mars. Au rythme où avance l’exaltation, à tue-tête, de ce vaste collectif. il n’y aura bientôt plus de grande Mais là où tant d’autres vireraient différence formelle entre une au défilé scout, à la grande cérémonie de Raël, un meeting kermesse de la barbe fleurie, de Ségolène Royal et un concert il y a une urgence, une méchanceté des Minors. Tout le monde en toge, propres à ces instruments les bras tendus vers le soleil en vrac (cuivres, cordes, claviers et mille lèvres reprenant en et percussions), qui rend l’écoute psalmodiant un discours illuminé. de ce premier album fait main Comme chez Danielson Family aussi dérangeante et intense ou Silver Mt. Zion, il se dégage une que bienfaitrice. JDB impressionnante impression de jubilation, d’exorcisme des chorales www.myspace.com/mnrs 5.10.2011 les inrockuptibles 107

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Chuck Ragan Covering Ground

Cat Stevens

SideOne Dummy/Differ-ant

Death In Vegas Trans-Love Energies Portobello/Differ-ant Malgré leur longue absence, les parias de l’electro menés par Richard Fearless n’ont rien perdu de leur acidité. ongtemps, dans l’electro anglaise, radical du Detroit agité des sixties. Death In Vegas fut l’outsider Effectivement, de la brutalité de la techno menaçant, regard mauvais et sons à la sauvagerie du MC5, les grandes viciés, des Chemical Brothers inventions de Detroit nourrissent ou même de Primal Scream. Epaulé par ce cinquième album, qui a le toupet des voix invitées sans égards (Iggy Pop, de démarrer par une ballade désespérée, The Jesus & Mary Chain…), le groupe chuchotée, hippie cramée, qui explose inventait un psychédélisme à ciel en un rock sauvageon, abattu et acariâtre. menaçant, dégueulassé de nappes noires, Une chanson qui donne le ton à un album aux textures déchirées, épaisses, tendu comme un string de téléréalité, écrasantes. où les seuls moments d’espoir et de clarté Leur leader s’appelle Richard Fearless sont les silences entre les titres. et, comme son nom l’indique, il ignore Car qu’il visite techno, ambient, house tout de la peur, quitte à s’éloigner ou rock, c’est toujours dans le noir immanquablement des projecteurs et dans un bain d’acide effervescent et et honneurs qui lui étaient dûs. Mais entre inquiétant. Ainsi le long et jouisseur You la vie de pop-star et celle de nomade, Loft My Acid, qui embarque le I Feel Love il a choisi l’aventure : un dub tourmenté de Donna Summer pour une virée borgne de krautrock, d’electronica opaque, et malsaine dans les faubourgs de Detroit. de drame gothique et d’hurlements Ainsi encore l’onirique Savage Love, industriels. Dégoûté par le statu quo electro qui passe le krautock au papier de verre, anglais, Fearless partit à New York, lui fait avaler du verre pilé, pour une fonda Black Acid et passa à autre chose explosion dans le ciel digne du meilleur (cinéma, pêche à la truite, photo…). M83. Plus Tangerine Nightmare Surprise : il reforme le vaisseau amiral que Tangerine Dream. JD Beauvallet sans le fidèle Tim Holmes, mais avec la www.myspace.com/deathinvegas chanteuse Katie Stelmanis (Austra), pour En écoute sur lesinrocks.com avec cet album au titre-hommage au groupe

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Un ancien ténor du punk américain explore les folklores troubles de son pays. Boucles d’Or n’est pas entrée par effraction dans la demeure d’une famille d’ours, pas plus qu’elle n’a pris peur au retour de celle-ci. C’est dans la cabane du Gold Country de Chuck Ragan qu’elle s’était introduite et c’est en l’entendant, ragaillardi par une fructueuse partie de pêche, pousser la chansonnette qu’elle sentit venue l’heure de détaler alors qu’il montait dans les aigus. La pauvre petite sotte ! Si elle avait su que derrière cette voix de charmeur de plantigrades se cachait non seulement un cador du punk-rock floridien (en sa qualité de frontman de Hot Water Music) mais aussi l’un des songwriters les plus bouleversants d’Amérique… Souhaitons pour sa santé émotionnelle qu’elle ne tombe jamais sur les gigues pour cale de paquebot insubmersible (Nomad by Fate) et les ballades d’hillbilly au cœur gros (You Get What You Give) de ce Covering Ground magnifiquement semblable à ses prédécesseurs. Benjamin Mialot chuckraganmusic.com En écoute sur lesinrocks.com avec

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Bek Andersen for Pop Manifesto

Das Racist Relax Greedhead Music Les trois zigotos new-yorkais confirment leur statut de rock-stars du hip-hop. hut up, Dude et Sit down, Man, leurs deux mixtapes déglinguées parues en 2010, avaient laissé pantois. Joke douteuse ou véritable projet subversif, Das Racist déroutaient alors autant par leur don pour planquer leurs qualités de rappeurs derrière d’hilarants jeux de mots et un sens de l’absurde très personnel que pour leur habileté à dresser un portrait au vitriol de l’Amérique post-Bush. Produits par Patrick Wimberly de Chairlift, ces proches de la clique MGMT incendient de nouveau le hip-hop américain avec un premier album à se déboîter les hanches et la mâchoire. Epaulés par Diplo, EL-P, le clavier de Vampire Weekend ou encore Anand Wilder de Yeasayer, les Américains paraissent avoir samplé tout ce qui leur tombait sous la main : du gros rap qui tache, du rock pour stades (Brand New Dance), de la musique tout droit sortie des films de Bollywood (la bombesque Michael Jackson), du tropical et de l’electro 8-bits mal fagotée (Girl). Désorienté, on entre pourtant dans ce Relax comme dans un bazar où chaque objet, aussi bizarre, grotesque ou improbable soit-il, semble parfaitement à sa place. Tranquille, mec.

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Ondine Benetier www.dasracist.net

We Were Promised Jetpacks In the Pit of the Stomach Fatcat/Discograph La pop expéditive d’Ecossais qui brûlent les feux – et leurs guitares. On aurait pu imaginer qu’un long enregistrement dans les studios givrés de Sigur Rós, en Islande, aurait poussé les jeunes Ecossais vers une musique moins frénétique. On n’attendait pas la contemplation mais au moins un ralentissement de ces nerfs en pelote, de ces mélodies sprinteuses. Zobi la mouche. Comme chez les fondateurs Buzzcocks ou Wedding Present, c’est une pop hypernerveuse, aux chants mitraillés et aux guitares rouge vif, idéales pour danser en vrac et seul, qui poussera une fois encore le gogo au pogo. JD Beauvallet www.myspace.com/ wewerepromisedjetpacks En écoute sur lesinrocks.com avec

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Portugal. The Man In the Mountain in the Cloud Atlantic/Warner

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Emily Dyan Ibarra – John Gourley & Austin Sellers

L’un des groupes américains les plus fantasques traverse enfin l’Atlantique. l’image de ses aînés – et inspirateurs évidents – The Flaming Lips, il aura fallu attendre six albums et un transfert sur une major pour que Portugal. The Man bénéficie enfin d’une exposition internationale à sa (dé)mesure. Jusqu’ici, cette joyeuse camaraderie de fumeurs de moquettes (ou de morue ?), née à Portland de la collusion entre quatre cerveaux passablement rêveurs, cultivait son jardin psychédélique avec une foi et une insistance qui auront une forme de singularité dans sa façon donc fini par payer. In the Mountain de ravaler à la bombe fluo les décors in the Cloud, qui reçoit les faveurs toujours psyché délavés de l’époque The Move/Bee “bankable” du producteur Andy Wallace (Nevermind), claironne certes des arguments Gees, en y ajoutant pas mal de pigments que ses cinq prédécesseurs se contentaient modernes (enfin, disons “modernisés”), sans tomber non plus dans l’emplâtrage de murmurer. Avec ses guirlandes parodique ni dans le cynisme faisandé des lumineuses et ses cordes opulentes, sa mélodie en grand huit pigeonnant et son antiquaires de Haight-Ashbury. Par instants, on les confondrait presque refrain qui vous suivra tel un chewing-gum avec MGMT (Everything You See), la voix sous la semelle, le single So American acidulée de John Baldwin Gourley aidant au placé d’entrée devrait faire d’eux les futurs rapprochement, tout comme leur aptitude vainqueurs d’une tombola dont Eels à soigner à parts égales le songwriting et et quelques autres ont autrefois décroché les enluminures, à mélanger LSD et Haribo, le gros lot. Car Portugal. The Man, aux limites parfois de l’écœurement. en dehors de ce nom à la gomme, possède

Certes, on trouvera largement plus intense et profond dans la production américaine actuelle mais, en ces temps grisouilles, un tel bain à remous euphorique peut s’avérer salutaire. Christophe Conte www.portugaltheman.com En écoute sur lesinrocks.com avec

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Zulu Winter Never Leave en téléchargement La pop angélique et rusée d’Anglais avec lesquels il faudra compter. i le titre de ce single, Never rebondissements. Tout serait simple Leave, est un ordre, on obéit si Zulu Winter n’était qu’un groupe sans réfléchir une seconde : bulle internet, responsable d’un pourquoi partir quand ces coup de génie et d’épée dans l’eau. quelques minutes de pop à peine Mais tout se complique ici avec domestiquée offrent la félicité une face B qui furète, le cœur aussi et l’allégresse en un seul clic ? Car léger mais dans un registre plus Zulu Winter sait déjà tout faire, du simple et direct, qui pourrait refrain emphatique aux murmures vite affoler en hauteur les charts psychédéliques, de la dream-pop anglais. D’où cette certitude : Zulu dodue aux chorales primitives, tout Winter passera l’hiver. JD Beauvallet ça à l’intérieur de ce petit phénomène de songwriting à http://zuluwinter.blogspot.com

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The Flaming Lips Found a Star on the Ground Vous ne savez pas quoi faire aujourd’hui ? Les mabouls étoilés des Flaming Lips ont la solution : une chanson de six heures enregistrée au profit d’institutions de l’Oklahoma, leur région d’origine. Publié par le label Jackpot Records, le titre est désormais en écoute intégrale sur le net. http://soundcloud.com

Tom Waits Back in the Crowd Deuxième extrait de Bad as Me, à venir le 24 octobre, Back in the Crowd s’offre un featuring des guitaristes David Hidalgo, de Los Lobos, et Marc Ribot, collaborateur de longue date de Tom Waits. www.youtube.com

Trailer Trash Tracys Dies in 55 Si les Londoniens traînent leurs drôles d’airs depuis plus de deux ans, on ne doute pas que leur récente signature chez Domino les propulsera sous une lumière brûlante et méritée. Entre Beach House et une maison hantée, aussi sensuelles que glacées, leurs chansons happent les âmes comme un psychotrope inédit. www.youtube.com

Im Takt Afrika Elèves surdoués de LCD Soundsystem, les trois garçons d’Im Takt câlinent leurs machines avec une dextérité rarement observée depuis la séparation de leurs aînés new-yorkais. Pleine de tact et de subtilité, leur electro savante invite les années 80 au XXIe siècle. www.lesinrockslab.com/im-takt 112 les inrockuptibles 5.10.2011

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dès cette semaine

à BoulogneBillancourt, avec Silver Apples, The Monochrome Set, Etienne Jaumet & Richard Pinhas, Arch Woodman, Zombi, The Luyas, etc. Festival Elektricity jusqu’au 8/10 à Reims avec Yuksek, Emmanuelle Parrenin, Metronomy, Herman Dune, Baxter Dury, etc. Festival Factory jusqu’au 8/10 à Paris, Pantin, Massy, etc., avec Jon Hassel, Front 242, Arnaud Rebotini, Pascal Comelade, etc. Festival Fiesta des Suds du 14 au 30/10 à Marseille, avec Amadou & Mariam, Damon Albarn presents

Another Honest Jon’s Chop Up, Catherine Ringer, Seun Kuti & Egypt 80, etc. Festival Les Rockomotives du 22 au 31/10 à Vendôme, avec John Cale, The Dø, Yann Tiersen, Diabologum, Deus, Chokebore, Mondkopf, Pneu, etc. Festival Mama Event les 21 et 22/10 à Paris, avec The Bewitched Hands, Gush, Mr Nô, Rodeo Massacre, etc.

Festival Scopitone du 12 au 16/10 à Nantes, avec Agoria, Discodeine, Etienne de Crécy, Mondkopf, Housse De Racket, The Shoes, Sebastian, Yuksek, Is Tropical, Danger, etc.

Festival Les Inrocks Black XS, du 2 au 8/11 à Paris, Nantes, Lyon, Lille, Caen, Marseille et Toulouse avec WU LYF, La Femme, Concrete Knives, Owlle, Agnes Obel, Florent Marchet, Other Lives, Balthazar, Timber Timbre, Saul Williams, Hanni El Khatib, Jamie N Commons, Soirée M pour Montréal (avec Braids, Jimmy Hunt, Ensemble, Karkwa), James Blake, Laura Marling, Cults, Friendly Fires, Viva Brother, Mona, Mechanical Bride, Singtank, Fixers, Miles Kane, Foster The People, Morning Parade, Givers, Yuck, Lanterns On The Lake, Alex Winston, Sebastian, Django Django, Alex Winston, Sound Of Rum, Dry River, Dog Is Dead, Frànçois & The Atlas Mountain, Anna Calvi, Le Prince Miiaou, Dum Dum Girls, Ema, BoxViolet

Lulu Gainsbourg 2/11 ClermontFerrand, 8/11 Paris, Casino de Paris, 10/11 Bruxelles, 12/11 Saint-Lô

Inrocks Lab Party octobre 13/10 Paris, Flèche d’Or, avec Radio Radio et deux finalistes Inrocks Lab

28/11Villeurbanne, 2/12 Caen, 3/12 Lille, 8/12 Toulouse, 12 & 13/12 Paris, Bataclan, 9/12 Marseille

Housse De Racket 20/10 Paris, Gaîté Lyrique

Bon Iver 29/10 Paris, Grande Halle de La Villette

Inrocks Indie Club octobre 21/10 Paris, Flèche d’Or, avec Das Pop, Gardens & Villa, The Chase, Sarah Blasko

Jehro 10/10 Paris, Cigale

Jay Jay Johanson 6/10 Nancy, 17/11 Lille, 18/11 Caen, 21/11 Paris, Trianon, 22/11 Lyon, 23/11 Toulouse, 25/11 Montpellier, 26/11 Marseille

Joeystarr 12/11 Biarritz, 16/11 Dijon, 17/11 Nancy, 23/11 La Rochelle, 24/11 Orléans, 25/11 Sannois,

aftershow

Kaiser Chiefs 29/11 Olympia

Africa Hitech

Katerine et ses Peintres 5/10 La Rochelle, 6/10 Périgueux, 7/10 Bordeaux, 8/10 Evry, 9/10 BourgouinJallieu, 25/10 Paris, Gaité Lyrique Kill The Young 8/10 Mulhouse, 13/10 Le Mans, 14/10 Rennes, 15/10 Guéhenno, 25/10 Paris, Point Ephémère, 4/11 Le Teil, 7/11 Nice, 11/11 Nancy, 12/11 Amiens

Matthieu Borrego

4 Guys From The Future 16/11 Paris, Point Ephémère Band Of Skulls 18/10 Paris, Maroquinerie Baxter Dury 6/10 Reims, 10/12 Paris, Maroquinerie Birdy Nam Nam 5/11 Montpellier, 9/11 Toulouse, 10/11 Lyon, 11/11 Nantes, 18/11 Strasbourg, 19/11 Paris, Zénith John Cale 17/10 Paris, Maroquinerie Bill Callahan 26/10 Paris, Gaîté Lyrique Cascadeur 7/10 Paris, Cigale Concrete Knives 21/10 ClermontFerrand, 11/11 Villefranchesur-Saône, 25/11 Brest Hollie Cook 1/12 Paris, Gaîté Lyrique Cut Copy 28/11 Paris, Grande Halle de la Villette Death In Vegas 31/10 Lille, 1/11 Paris, Bataclan 3/11 Toulouse, 4/11 Montpellier, 5/11 Angoulême Dels 27/10 Paris, Nouveau Casino Deus 14/10 Le Havre, 19/10 Strasbourg, 20/10 Dijon, 21/10 Lyon, 22/10 ClermontFerrand, 24/10 Paris, Trianon, 25/10 Caen, 27/10 Bordeaux, 2/10 Vendôme, 29/10 Reims, 30/10 Lille The Drums 24/11 Paris, Machine Ema 7/11 Paris, Olympia Piers Faccini 25/10 Paris, Café de la Danse Feist 20/10 Paris, Olympia Thomas Fersen 5/3/12 Paris, Olympia Festival BB Mix du 21 au 23/10

festival Electro-Alternativ du 16 au 24 septembre à Toulouse Bien que les ambitions initiales n’aient pu être réalisées faute des budgets nécessaires, le festival toulousain Electro-Alternativ a indéniablement gagné en ampleur, offrant pour sa septième édition deux longs week-ends de réjouissances aux amateurs d’électronique en tout genre. Celui d’ouverture a été marqué par les profondes vibrations du dubstep, qui ont secoué un Bikini plein à craquer. Le même Bikini a nettement moins vibré le week-end suivant lors de la très décevante soirée BPitch Control, seul Chaim, récente recrue du label berlinois, étant parvenu à tirer son épingle du jeu avec un live tech-house joliment profilé. Beaucoup plus stimulantes ont été la soirée Warp, marquée en particulier par la prestation du Français Zeller et des Anglais Africa Hitech, et la soirée de clôture, organisée en plein air à Pech-David, zone située sur les hauteurs de Toulouse, non loin du site de l’usine AZF. Dix ans après l’explosion de ladite usine, cette soirée aux allures de miniteknival a embrasé la nuit au moyen de puissantes déflagrations sonores. En guise de bouquet final, Electric Rescue, pilier de la scène techno française en général et du Rex Club en particulier, a gratifié le public d’un live ravageur. Jérôme Provençal

nouvelles locations

en location

James Blake Kitsuné Club Night 7/10 à Paris, Machine, avec Is Tropical, Logo, Beataucue, The Twelves, Jerry Bouthier, Alexis Taylor et Icona Pop Ladylike Dragons 8/10 Paris, Flèche d’Or Les Internationales de guitare jusqu’au 15/10 à Montpellier et en LanguedocRoussillon, avec The Divine Comedy, Gaëtan Roussel, Anna Calvi, Dick Annegarn, Catherine Ringer, Kaki King, etc. Little Louie Vega ft. Ananè 6/10 Paris, Showcase Low 2/12 Paris, Gaîté Lyrique M83 30/11 Paris, Gaîté Lyrique Maad In 93 jusqu’au 8/10 à Saint-Ouen, Montreuil, Bagnolet, etc., avec The Afrorockerz, Viva & The Diva, Cheveu, Milk Coffee & Sugar, Louis Sclavis, Yom, etc. Mansfield.TYA 12/10 La Rochelle, 13/10 Brest, 15/10 Tours, 27/10 Tourcoing, 4/11 ClermontFerrand, 9/11 Limoges, 10/11 Toulouse, 12/11 Bordeaux, 17/11 Nantes, 19/11 Rennes, 1/12 Grenoble, 2/12 Lyon, 8/12 Bruxelles, 9/12 Paris, Café de la Danse Nuit SFR 8/10 à Paris,

Grand Palais, avec Cassius, Modeselektor, Crystal Fighters, etc. Pitchfork Festival 28 et 29/10 à Paris, Grande Halle de la Villette, avec Bon Iver, Aphex Twin, Wild Beasts, Lykke Li, Fucked Up, Washed Out, Stornoway, etc. Catherine Ringer 8/10 Rennes, 10/10 Nancy, 11/10 Montpellier, 14/10 Rouen, 19/10 Toulouse, 22/10 Genève, 26/10 Troyes, 8/11 Paris, Olympia, 17/11 Strasbourg, 22/11 Lille Aziz Sahmaoui & University Of Gnawa 6/10 Paris, Cabaret Sauvage Simon Scott 9/10 Paris, Gaîté Lyrique The Shoes 12/11 Nancy Soirée Generación Buenos Aires 14/10 Paris, Cabaret Sauvage, avec Babasonicos, Tan Bionica, Poncho & Tremor Soirée I’m From UK 5/10 Paris, Bus Palladium, avec D/R/U/G/S, Plugs Sound Of Rum 6/11 Paris, Cigale Staff Benda Bilili 11/10 Paris, Olympia WU LYF 2/11 Paris, Cigale, 5/12 Tourcoing, 6/12 Rouen, 7/12 Nantes, 9/12 Lyon Wye Oak 21/11 Paris, Point Ephémère

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liberté, égalité, sexualité Prostituée, écrivaine, artiste, trafiquante, taularde, féministe : Grisélidis Réal fut une éternelle amoureuse maudite. Une correspondance et des entretiens permettent de (re)découvrir cette figure de la littérature.

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uggestion pour une épitaphe : “Grisélidis Réal – Ecrivaine, peintre, prostituée”. Au cimetière des Rois, à Genève, un matin de 2005, le croquemort aura peut-être tiqué avant de graver ces mots de feu sur la pierre tombale. Disparue à 76 ans, l’écrivaine au look de gitane aurait supporté d’autres titres : “petit démon d’Egypte”, ainsi qu’on l’appelait enfant, plus tard “prostituée artiste” dans les bas-fonds de Munich puis “catin révolutionnaire” quand, des années plus tard, sonnera le glas polémiste. Amante fougueuse, offerte aux tortures de l’amour. Amoureuse de la folie des hommes, et peut-être avant tout de la sienne, dans les affres du corps comme dans ceux de l’écriture. En avantpropos d’une riche correspondance publiée pour la première fois, l’éditeur Yves Pagès évoque lui la “putain iconoclaste au plus près de son miroir brisé” : manière d’introduire d’emblée l’idée d’une créature femme au moi épars et rageur, à la biographie diffractée, surnaturelle dans sa sombre multiplicité, a fortiori ici, dans ces lettres adressées à différents destinataires entre 1954 et 1993. La nature des échanges y est à chaque fois différente, selon que l’épistolier prend la fonction de figure paternelle, de frère d’adoption ou d’amant sulfureux ; à cause de toutes ces terres aussi que Grisélidis a foulées, née suisse mais élevée à Alexandrie (son père y dirige une école avant de décéder prématurément),

bientôt étudiante modèle à Genève pouvant s’enorgueillir d’un diplôme de décoratrice. La première salve de lettres à Maurice Chappaz, poète reconnu de quinze ans son aîné, passe presque sous silence un mariage avec un jeune peintre, puis un premier enfant, Igor. Très vite, la machine s’affole : à 30 ans, Grisélidis est déjà mère de quatre enfants (de trois hommes différents), menant une vie de bohème, bonne à tout faire, modèle pour les peintres… L’amour, lui, a déjà pour la centième fois imprimé sa morsure dans un cou qui n’attendait que ça : “Je suis si heureuse d’être faible, livrée à mes instincts que je sens puissants comme des planètes.” Au programme : filer en Allemagne pour mener la mauvaise vie au bras d’un étudiant noir américain fou à lier, ancien GI. Tant pis pour les débuts de Grisélidis en courtisane, tant pis pour le séjour en prison (elle est incarcérée en 1963 pour trafic de stupéfiants). De retour en Suisse, le sexe tarifé ne s’arrête pas là, et la jeune femme en est quitte pour une double vie de maman poule et de prostituée. Madone et paria : la seule solution, c’était mourir. Grisélidis trouve mieux : elle va s’écrire. Son séjour trash à Munich lui inspire Le noir est une couleur, récit enfiévré qui paraît en 1974 après des mois de gestation souffreteuse : “Se dénuder jusqu’à l’os, comme ça, devant les foules, c’est terrible.” Depuis 1969, la jeune femme a cessé les passes, mais la voilà à poil de nouveau : “La vie est un assassinat permanent !” Paradoxe de l’écriture,

Grisélidis en bref 11 août 1929 Naissance à Lausanne de parents enseignants. 1938 Après avoir passé son enfance en Egypte, Grisélidis perd son père à 9 ans. 1952 Naissance de son premier enfant, Igor. 1961 Traverse la frontière allemande et s’installe à Munich avec Bill, son amant américain.

1963 Commence à se prostituer ; son séjour de sept mois en prison lui inspire un journal de captivité, Suis-je encore vivante ? 1969 Interrompt sa pratique prostitutionnelle et se lance dans l’écriture de son premier livre. 1971 Début de la relation épistolaire avec Hassine Ahmed, alors en prison, suivie d’une passion orageuse de presque dix ans.

1974 Publication du Noir est une couleur aux éditions Balland. 1980 et 1992 Parution de deux livres d’entretiens avec Jean-Luc Hennig, Grisélidis courtisane et La Passe imaginaire. 2005 Décès. Publication de Carnet de bal d’une courtisane. Suivront Les Sphinx (2006) et Suis-je encore vivante ? – Journal de prison (2008).

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en marge

reality chaud Cette rentrée, nombre de livres se fondent sur le réel. L’échec de l’imagination ?

Grisélidis Réal, 1965

une vie hors norme qui engendre une monstresse, fusion vivante de l’artiste, de la maman et de la putain à la fois poison et planche de salut, nécessaire malédiction sans laquelle il n’y a pas de survie possible. “Le seul amour qui nous reste est une hyène silencieuse qui nous ronge les tripes. Oui, c’est cela, écrire.” La vie pourtant lui réserve une nouvelle passion, sous les traits d’un gigolo tunisien qui lui déclare sa flamme à travers les barreaux d’une prison. L’amour fou, comme en témoigne une poignée de lettres renversantes : “Tue-moi Hassine. Jette-moi au fond du puits de ton regard, fais-moi chavirer de ton souffle furieux, qu’il me déchire et me ravage comme un feu dans la jungle.” Au bout de cet amour : “neuf ans de malheur”. En toute logique, à la fin de cette vie folle : la folie. D’une vie hors norme, impure et tonitruante, il faut s’attendre à ce qu’elle enfante une monstresse, fusion vivante de l’artiste, de la maman et de la putain. Grisélidis se sait du côté des “maudits”, elle qui voudrait “vivre à la tzigane”, c’est-à-dire hors des frontières morales, en butte aux “jugements pieux”, à “la Suisse bien-pensante”, à “la terrible religion

judéo-chrétienne et sa notion puante de péché”.Cette inclination se transforme en conviction dans les années 70, tandis que l’écrivaine redevenue putain – cette fois pour des raisons idéologiques – rejoint les mouvements de lutte des femmes et des prostituées à Paris. Grisélidis ouvre sa gueule, et bien. Ses entretiens avec Jean-Luc Hennig, réédités pour l’occasion sous l’intitulé Grisélidis courtisane, dévoilent sur un ton badin le hors-champ de la vie de prostituée – ou si l’on veut de psy, coach, médecin – jusqu’aux habitudes de ses clients, répertoriées dans son fameux “Carnet noir” : une “bible des délices” où elle puise pour exercer son “art”. Tandis que Grisélidis planche sur son encyclopédie naturelle à la Buffon, version cochonne, ses textes s’occupent pendant ce temps de l’ériger en héroïne romanesque, fougueuse et libre. Emily Barnett Mémoires de l’inachevé (Verticales), 381 pages, 22,90 € Grisélidis courtisane de Jean-Luc Hennig (Verticales), 181 pages, 21 €

Il paraît que la réalité dépasse la fiction. Et si c’était vrai ? On aura rarement vu autant d’écrivains, au même moment, s’inspirer du réel pour écrire récits ou romans. A titre d’exemples en cette rentrée : Limonov d’Emmanuel Carrère, Le Ravissement de Britney Spears de Jean Rolin, Jayne Mansfield 1967 de Simon Liberati, Tout, tout de suite de Morgan Sportès, Kampuchéa de Patrick Deville, etc. Paradoxalement, ce désir de faire réel, de partir du “vrai”, s’origine peut-être dans ce qui fut au centre de la littérature française cette dernière décennie, qu’on l’appelle roman autobiographique ou autofiction : quand les écrivains, dont Christine Angot en chef de file, eurent envie de dire leur vie comme elle est réellement. On aurait donc tort d’opposer écriture de soi – dite “nombriliste” par ses détracteurs – et écriture du monde (pour aller vite), tant ces deux courants participeraient d’un même désir de dire le réel, individuel ou collectif. Face à ces deux tendances, l’“imagination” ferait l’effet d’une vieille tante s’habillant encore à la mode de ses 20 ans. Peut-être faut-il voir dans ce goût des écrivains pour le réel la prise de pouvoir d’une réalité de plus en plus vorace, qui squatte toutes les narrations les plus excitantes ; un signe du temps où les documents rivalisent avec le romanesque de la littérature en termes d’intrigue et d’aventures. Contrairement peut-être à ce que pense Jonathan Franzen, pour qui le roman du début du XXIe siècle se doit de rivaliser avec cette nouvelle forme narrative (et excitante) qu’est la série télé, la littérature doit se mesurer à une autre rivale de taille, l’actu, sur son propre terrain : la réalité, un vaste ensemble qui comprendrait l’histoire, le fait divers, la politique et, au centre, une poignée de destins individuels.

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too young to die Toute l’œuvre de la météorite Sylvia Plath donne à relire une vie lucide jusqu’à la tragédie, sublimée par la poésie et un unique roman.

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ourquoi le suicide de Virginia Woolf ?”, se demande Sylvia Plath dans son journal en novembre 1952. Elle a tout juste 20 ans, elle est une étudiante extraordinairement brillante, un fort caractère, une jolie fille. Elle écrit de la poésie depuis l’enfance, multiplie les prix, va bientôt être envoyée par son université à New York où elle interviewera Elizabeth Bowen pour le magazine de mode Mademoiselle. Mais c’est aussi une âme fragile, trop lucide pour ne pas être écorchée, blessée durablement par la mort de son père. Quelques mois plus tard, pendant l’été 1953, elle se cache dans la cave de la maison maternelle, avale des somnifères et agonise là, trois jours durant, derrière un tas de bois. On l’y retrouve in extremis, elle est internée, subit des électrochocs, semble guérir, repart de plus belle à la conquête des lettres et à la reconquête d’elle-même, ce qui la conduira bientôt en Angleterre, sur le campus de Cambridge, dans les bras du poète Ted Hughes. Il n’empêche : dix ans après, à Londres, une nuit d’hiver, elle ouvrira le gaz et ne se réveillera pas. Elle laisse deux jeunes

enfants et le manuscrit d’un recueil, Ariel, qui fera d’elle une figure majeure de la poésie anglo-saxonne, en même temps qu’une sorte d’astre tragique, fugace, dont les journaux intimes, publiés au début des années 80, renforceront encore l’éclat. Il y a bien quelque chose de l’ordre du destin, et presque du mythe, dans cette courte trajectoire de Sylvia Plath, lointaine descendante bostonienne d’Emily Dickinson et lectrice fidèle de Virginia Woolf : elle incarne une forme proprement féminine d’absolu littéraire. La superbe édition de ses Œuvres en Quarto le confirme,

Writer Pictures/Leemage

Sylvia Plath en 1963 avec ses enfants

même si l’auteur virtuose et violente d’Ariel ne saurait être réduite au statut de victime – fût-elle flamboyante – de sa condition : épouse dépressive d’un grand poète infidèle, fille d’un éminent professeur qui l’a laissée orpheline, étudiante boursière dans l’Amérique conservatrice des années 50… Bien sûr, elle construit son œuvre en réaction contre ce monde où elle veut gagner sa place. Mais elle le fait avec une force et une causticité coupante qui valent, dès l’adolescence, pour une victoire. Elle s’écrit, au sens propre, et le mérite de ses Œuvres ainsi réunies, outre qu’elles proposent des traductions inédites (dont celle du Colosse, son premier recueil), est de permettre une circulation passionnante entre des textes de genres divers, qui disent tous la même expérience. Il faut relire ainsi La Cloche de verre, le seul roman de Plath, paru sous pseudonyme, en écho aux déflagrations poétiques d’Ariel (l’inouï poème Papa, par exemple) et aux pages d’introspection des journaux intimes : c’est un grand livre nerveux sur l’Amérique ainsi qu’un autoportrait cruel en jeune fille aux électrochocs, qui s’ouvre sur l’exécution des époux Rosenberg et s’achève par une pendaison. Un manifeste de l’innocence impossible, hanté par la question du suicide, à laquelle l’écriture, en définitive, ne saura jamais trouver de réponse. Fabrice Gabriel Œuvres (Quarto/Gallimard), 1 288 pages, 29 €

Sylvia et Ted Il y eut Scott et Zelda, voici Sylvia et Ted : elle, Américaine, très grande et Nouvelle-Angleterre, fille d’un savant d’origine allemande ; lui, natif du Yorkshire, séducteur patenté de Cambridge et poète célébré par d’illustres aînés (il pose

avec T. S. Eliot et W. H. Auden). Sylvia Plath et Ted Hughes se rencontrent en 1956, elle a 24 ans et lui 26, c’est une passion immédiate, ils se marient, ont deux enfants. Mais leur union s’épuise dans le Devon : Ted est infidèle,

Sylvia dépressive, elle retourne à Londres, se donne la mort à 30 ans. Son mari sera veuf une seconde fois : sa nouvelle compagne, Assia, se suicidera à son tour au gaz, en 1969, avec leur fille de 2 ans.

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les personnages jouent leur vie comme dans une série B

la réinvention du monde Cinq personnes coincées dans un bar d’aéroport assistent à la fin du monde. Un roman catastrophe très habité signé Douglas Coupland. l’heure actuelle, Sur ces bases opus un débouché heureux, Douglas Coupland conceptuelles affriolantes, option roman catastrophe. est l’un des rares Joueur_1 embarque A moins que Joueur_1 écrivains à savoir cinq personnages s’inscrive dans le terreau nous parler d’ADN, – une quadra sexy et sa plus crapuleux encore de drague internet, de fin “date”, un barman alcoolo, de la téléréalité, auquel du monde et de Daffy Duck un pasteur en cavale la contrainte ici va comme dans un même volume. et une bimbo sans cœur – un gant : écrire un roman Autant cette tendance pop dans un bar d’aéroport. sur cinq heures, fondé donc à ratisser large peut buter Une combinaison humaine sur une unité de lieu et sur une cyberprose quelque de temps. Ne pas omettre improbable soumise peu gavante (jPod), autant à un scénario qui l’est tout un vent de panique : et elle trouve dans ce nouvel autant (quoique), à savoir pourquoi pas l’Apocalypse ?

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une explosion chimique plongeant soudain le monde dans le chaos. Le bordel qui en résulte est un nouvel indice du génie rapiécé de Coupland : passage d’une scène gore à un long développement sur la théorie de l’espèce ; délires ésotériques sur la Bourse, le fondamentalisme religieux, le clonage ou la vie des planètes, comme si l’auteur s’était mis en tête de prendre toutes les crises à bras-le-corps. Dans cette valse des choses et des idées, Coupland lance des passerelles entre les êtres humains et leurs avatars, réel et virtualité, empile les réalités en invoquant Dieu et le mystère de la Création. Scotchés au sol, les personnages jouent leur vie comme dans une série B en abusant de Singapour Sling, avec cette soif d’absolu que Coupland raille si bien : darwinistes et créationnistes, ou autres marchands d’idéal, qu’importe. Le monde reste à réinventer, dans la toile et au-delà. Quand la technologie moderne croise une crise mystique, cela crée un court-circuit dans l’univers : un roman de Douglas Coupland. Emily Barnett Joueur_1 (Diable Vauvert), traduit de l’anglais (Canada) par Rachel Martinez, 312 p., 20 €

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Christine Tamalet/ Fayard

comment faire l’amour ? Dans ce premier roman-fleuve, Isabelle Coudrier joue avec les lieux communs de l’amour. Une love story tortueuse et ironique.

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ors de cette rentrée littéraire, de fins observateurs ont noté une tendance lourde, au sens propre comme au figuré : l’avalanche de très gros premiers romans français. Dans cette catégorie, le livre d’Isabelle Coudrier, scénariste qui a travaillé entre autres avec André Téchiné, tient assurément le haut du pavé. Plus de huit cents pages. Mais il serait vraiment dommage de s’en tenir à ce constat bêtement comptable, tant ce quasi-millefeuille se révèle d’une incroyable légèreté, malin et distancié malgré quelques passages superflus. A travers la relation tourmentée entre Louis et Sylvia, Isabelle Coudrier s’amuse à déconstruire tous les clichés de l’amour en même temps que ceux du grand roman classique, dont Va et dis-le aux chiens constitue à la fois un avatar, une parodie et un hommage. Soit un homme et une femme. D’un côté Louis, critique intransigeant pour La Revue du cinéma. De l’autre Sylvia, prof de maths et scénariste, qui passe de longues heures à rêver du sanatorium de La Montagne magique. Louis et Sylvia sont légèrement inadaptés au monde. Entre le réel et eux, les films et les romans font écran. Voilà leur drame. Comment s’aimer sans tomber dans le piège du déjà-vu ou du déjà-lu,

entre le réel et les héros, les films et les romans font écran. Voilà leur drame

comment inventer sa propre histoire, singulière et inédite ? “Au cas où le destin, ou n’importe quoi d’autre d’aussi crétin s’ingénierait à leur faire exécuter malgré eux des figures imposées, genre trébuchage et tombage inopiné dans les bras, ils se promirent, chacun en son for intérieur, de résister et de garder leur dignité.” Résultat, ils se tournent autour sans oser passer à l’acte, et leur premier contact physique est aussi électrisant que le moment où Julien Sorel effleure la main de Madame de Rênal dans Le Rouge et le Noir. A leur corps défendant, Louis et Sylvia vont connaître toutes les étapes archi-balisées du couple : la fusion, les scènes, un voyage à Venise et même le mariage. Va et dis-le aux chiens est un livre sur la “génération perdue” qui doit se contenter de “gérer les arriérés du désastre”, la génération d’après les Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes, qui sait que tout a été vécu, dit et écrit avant elle. Au lieu de déplorer cet excès de lucidité, vraie tragédie de la postmodernité, Isabelle Coudrier l’interroge et s’en joue, distillant une ironie qui vient bousculer le parfait agencement de son écriture. Personne n’est dupe, croit-on. Pourtant, le lecteur, tout comme les personnages, finit par baisser la garde et se laisser prendre au piège des sentiments et du happy end, “cette délicieuse niaiserie”. Un premier roman d’une justesse déconcertante sur l’amour tel qu’on le vit aujourd’hui en s’arrangeant comme on peut du désenchantement. Elisabeth Philippe Va et dis-le aux chiens (Fayard), 816 pages, 25 €

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Richard Dumas

le marchand de rêves Philippe Garnier a passé trente ans à exhumer les trésors cachés de la culture US dans des articles devenus cultes. Ils sont rassemblés en un volume collector. es termes anglais oblige, ces odes aux zinzins n’a jamais cultivé très qu’il s’est appropriés, longtemps le même petit de tout poil privilégiaient c’est probablement le détour et la bifurcation arpent de paradis. Même celui qui reflète le inopinée, et nous ont quand il l’avait défriché. mieux le secret de son art : familiarisés avec Garnier Voyageuse autant que dans un papier de Philippe le poète (des bas-côtés, volumineuse, l’anthologie Garnier, on rencontrait des bas-fonds et des motels de ses papiers (sous-titrée fréquemment un type fantomatiques), Garnier “Trente ans de journalisme”, – journaliste, biographe ou et faisant de ce fait l’impasse le dealer (d’où l’effet romancier – “rhapsodiant” de manque consécutif à son sur la palpitante décennie à propos des mollets d’une Rock & Folk, qu’effleurait il y éviction des colonnes actrice de film noir, du de Libé) et Garnier l’érudit a dix ans Les Coins coupés) hoquet d’un héros inconnu pince-sans-rire, à qui met en lumière cette du rock’n’roll ou de la prose bougeotte. Avec leurs sujets l’adverbe “ironiquement” pète-sec d’un écrivain était ce que le col dénichés dans les dur à cuire. Sous le verbe anfractuosités les plus zarbi de chemise boutonné perçait l’autoportrait : est à David Lynch. de la planète Hollyweird avec leurs cousins “péans” Au-delà des tics d’écriture (le Vitaphone, les poupées (soit “dithyrambes”), (lesquels ont fait école) érotiques en silicone, les “rhapsodies” de Garnier la trajectoire tragique du et des papiers-gags (voués ont elles-mêmes fait à être publiés un 15 août), héros d’Eraserhead, Jack vibrer une foule de cordes c’est toutefois la générosité Nance) comme dans les sensibles et expédié chez vallées perdues du Montana du regard qui fait de L’Oreille leurs boutiquiers préférés d’un sourd un poignant (l’inoubliable saga James des légions de fidèles requiem pour un métier Crumley), les nuits torrides en quête d’un album d’avant Google, celui d’un cinéma défunt (visite sérieusement sleazy (“Les de découvreur de trésors, guidée dans les draps Crampsss, c’est sssexuel”, de marchand de rêves de Louise Brooks) ou clamait un titre du Libé les souvenirs de rencontres et de paradoxal enjoliveur eighties), d’un DVD culte ou de mythes : faisant avec quelques avaleurs d’une réédition d’un bouquin de micros (Lux Interior, mentir la célèbre maxime de Nick Tosches. Des fidèles Joey Ramone), les articlesde L’homme qui tua Liberty voués à constater que, Valance, Garnier aura fleuves de Garnier ont la semaine suivante, Garnier toujours obéi à une logique prouvé que, démaquillées, était passé à autre chose : du fil en aiguille – le fil étant nos légendes préférées plus prompt à planter pouvaient être encore à haute tension et l’aiguille des banderilles qu’à brandir n’injectant que de la came plus belles. Bruno Juffin des banderoles, l’homme de première. de Libération (et parfois de Amour de certain film L’Oreille d’un sourd (Grasset), 558 pages, 23 € ces colonnes) à Los Angeles d’Edgar George Ulmer

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Marina Vlady dans La Princesse de Clèves de Jean Delannoy (1961)

la princesse et le président Dans un recueil d’essais, Alain Finkielkraut revient entre autres sur La Princesse de Clèves et son rejet violent par Sarkozy. Analyse d’une énigme.

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omme il y eut Dr Jekyll et Mr Hyde, Gainsbourg et Gainsbarre ou encore Dorian Gray et son portrait, il va finir par y avoir Finkielkraut et Finkie. Finkielkraut au meilleur de lui-même dans ses analyses littéraires subtiles et Finkie l’idéologue limite. Heureusement, c’est le premier qui revient avec un nouveau recueil d’essais littéraires, trois ans après le beau Un cœur intelligent. Certes, il semble s’agir ici de quelques conférences agrafées ensemble pour faire livre, affublé de surcroît d’un titre racoleur, Et si l’amour durait. N’empêche que son premier essai, consacré à La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette, joliment intitulé “L’Enigme du renoncement”, s’avère passionnant. La princesse de Clèves, mariée, s’éprend du duc de Nemours mais, se refusant à tromper son mari, elle refusera également,

à la mort de celui-ci, de vivre avec l’homme qu’elle aime. Pourquoi ? C’est l’un des gestes les plus mystérieux du roman français, et Finkielkraut de nous offrir une clé : “Dire ‘Je vous aime’ c’est dire ‘Je vous aimerai’, c’est parler simultanément au présent et au futur, c’est s’extraire du fleuve du temps, c’est, comme l’écrit Octavio Paz, ‘confier à une créature éphémère et changeante deux attributs divins : l’immortalité et l’immutabilité.’ Mais, affirme Madame de Clèves, ce défi métaphysique tourne toujours à la débâcle. La finitude vainc celui qui croyait la vaincre. L’amoureux n’est pas à la hauteur de la parole la plus solennelle et la plus sincère qu’il lui soit donnée de prononcer.” Par cette belle idée, Alain Finkielkraut nous donne envie de prolonger son analyse. La princesse de Clèves fréquente la cour, où vont bon train les récits des turpitudes

amoureuses des autres – bref, l’équivalent du gossip d’aujourd’hui, voire des journaux people. Son geste magnifique sera de refuser de galvauder le langage en jouant la parole contre la narration – la promesse contre le ragot. Si l’érotisme est un long refus, alors la décision de cette héroïne absolue serait peut-être à lier autant au doute de la pérennité de l’amour qu’à une érotisation de sa parole donnée à son mari défunt. S’il est aussi passionnant de se pencher sur ce cas littéraire, c’est également parce que le rejet méprisant, violent de la part de Nicolas Sarkozy à son endroit aura participé d’un symptôme contemporain. La princesse de Clèves ne peut éprouver de sentiment amoureux pour son mari (qui en souffre) et se refuse à aimer charnellement celui pour qui elle en éprouve (qui en souffre également). Dans les deux cas, une femme qui ampute un homme d’une possibilité de complétude, de jouissance – qui le castre ? Pas un hasard si un Président qui s’acharne à afficher sa virilité jusqu’à la vulgarité s’en prend justement à ce texte. Car dans des temps et dans un lieu (l’Occident) où les hommes de l’élite ne vont plus à la guerre, n’ont plus d’empires à conquérir, de prétextes pour démontrer leur force physique, que reste-t-il sinon les conquêtes féminines pour démontrer une ultime puissance virile ? Plus généralement, dans une ère du spectacle où tout amour devient un romanphoto, en des temps plus balzaciens que jamais où l’argent est roi et où tout semble soumis à un rapport prostitutionnel, le renoncement de la princesse de Clèves ne peut être qu’insupportable. Refus de la jouissance rapide et de l’hédonisme avant tout, refus d’être au centre du spectacle et de son détournement de la parole en narration frivole, enfin refus de la réification et, en extrapolant, de la marchandisation des corps et des âmes… Tout cela fait de ce roman publié en 1678 le plus grand roman politique, résistant, de ce début de XXIe siècle. Nelly Kaprièlian Et si l’amour durait d’Alain Finkielkraut (Stock), 162 pages, 17 €

la 4e dimension Flammarion, le virage numérique Après La Martinière et Hachette, Flammarion vient de signer un accord avec Apple et Amazon. Son catalogue sera téléchargeable sur iPad et Kindle. “La meilleure façon de défendre le droit d’auteur face au piratage”, selon Teresa Cremisi, pdg du groupe.

l’aura de Walter Benjamin

Assange, l’autobio pirate

A partir du 12 octobre, le musée d’Art et d’Histoire du judaïsme (www.mahj.org) consacre une expo au philosophe Walter Benjamin. A cette occasion, France Culture diffuse un feuilleton autour de son œuvre, Pages arrachées à Walter Benjamin (du 10 au 15 octobre à 20 h 30).

Annoncée pour juin, “l’autobiographie non autorisée” (sic) de Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks (il s’est opposé à la parution du livre après avoir empoché le jackpot), sort en Angleterre et c’est un fiasco. Les éditeurs étrangers, qui ont acheté les droits à prix d’or, doivent s’en mordre les doigts.

Nicolas Bedos le mytho Le chroniqueur sort une compilation de ses interventions dans l’émission Semaine critique : Journal d’un mythomane (Robert Laffont, le 3 novembre), préfacée par Régis Jauffret. Au menu : Jean d’Ormesson, Michel Onfray ou Marine Le Pen.

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Catherine Hélie

mémoire fossile A travers la réédition de ses textes essentiels durant trente ans en deux volumes, l’historien Pierre Nora signe une formidable réflexion autour des malentendus de l’usage de la mémoire en France.

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istorien public”, Nora n’a cessé depuis cinquante ans d’éditer des auteurs (plus de sept cents livres), d’enseigner à l’Université, de diriger des revues (Le Débat) et des sommes collectives (Les Lieux de mémoire), activités diverses que consignent deux ouvrages quasi testamentaires – Historien public et Présent, nation, mémoire – regroupant des dizaines d’interventions et articles parus ces trente dernières années. “J’ai servi l’histoire en élargissant son territoire et ses dimensions, notamment par l’histoire de l’histoire, en travaillant à prouver sa nécessité pour l’intelligence de l’actualité dans un monde acculé au présent et condamné aux médias et à l’immédiat, en m’accrochant à la chimère qui donne encore à l’historien, dans la cité, une place et un rôle où il n’est peut-être pas devenu complètement ridicule de voir, au-delà du sacro-saint métier consacré par Marc Bloch, quelque chose comme une raison d’être”, écrit Nora. De ce sacerdoce, sur lequel revenait récemment le biographe François Dosse (Pierre Nora, Homo historicus), l’historien tire à son tour quelques enseignements, notamment sur la manière dont la mémoire

habite notre identité nationale et la travaille parfois maladroitement. Enfant de l’école des Annales, d’un temps où explosaient les sciences humaines, dont chacune (sociologie, anthropologie, psychanalyse…) “nous entraînait très loin du classique récit national”, Pierre Nora évoque ses chemins parcourus, marqués surtout par l’expérience éditoriale des Lieux de mémoire. Parus de 1984 à 1992, en sept volumes, rassemblant une centaine d’historiens, ces Lieux – un événement

fondateur dans l’historiographie française – le trahissent autant qu’ils le résument. “Les Lieux de mémoire m’ont échappé”, confesse-t-il. C’est l’un des grands intérêts de se replonger dans ses écrits que de saisir l’ambiguïté du cœur vital de son œuvre. Car Pierre Nora, rappelant l’explosion de la vague mémorielle au tournant des années 70 et 80, s’interroge sur le “fétichisme de la trace” dans la France d’aujourd’hui. Tout est historique, tout est digne de souvenir, tout appartient à la mémoire, indique t-il, sans être dupe des angles morts de cette obsession du passé. Pensés au départ comme une aventure expérimentale et une mise en relief d’une parenté secrète entre des mémoriaux publics et des objets disparates, les Lieux de mémoire ont connu un retournement paradoxal : à rebours de toute forme de distance critique par rapport à une histoire nationale unitaire, contre l’idée originelle d’une “déconstruction” et d’une “archéologie” de l’histoire de France, le livre de Nora est devenu l’instrument par excellence de la commémoration tous azimuts. Or, pour lui, l’histoire ne doit être “ni résurrection, ni reconstitution, ni reconstruction”, mais bien une “remémoration”, qui “ne s’intéresse pas à la mémoire comme souvenir, mais comme l’économie générale du passé dans le présent”. Nora regrette en somme une perte de sens de la mémoire, devenue “une cause, une industrie, un moyen de pression”. Car si la mémoire finit par manger l’histoire, “plane alors une menace”, avance-t-il : “la disparition symétrique et complémentaire du sens des deux mots”. Ce sera peut-être l’une des grandes leçons de son histoire d’historien : la lucidité rétroactive d’un auteur face aux écarts entre ses ambitions scientifiques et leurs usages sociaux. Jean-Marie Durand Historien public (Gallimard), 534 pages, 23,50 € Présent, nation, mémoire (Gallimard), 418 pages, 25 €

devoir d’histoire Représentant brillant d’une nouvelle génération d’historiens français ouverts au dialogue avec les sciences sociales, Nicolas Offenstadt offre un panorama des enjeux qui traversent aujourd’hui le champ de l’histoire dans un Que sais-je ?, L’Historiographie. En écho à l’œuvre de Pierre Nora et aux interventions

d’un comité de vigilance sur les usages de l’histoire, créé en 2005, l’auteur s’interroge sur la question du “devoir de mémoire”, qui sous-tend une lecture univoque du passé, proche de la mémoire officielle (comme le prouve la querelle autour de la Maison de l’histoire de France). Contre le mythe d’un roman

national, l’auteur défend le “travail de mémoire”, qui insiste sur le processus de remémoration plus que sur une mémoire toute faite. L’Historiographie (PUF, coll. Que sais-je ?), 126 pages, 9 €, parution le 12 octobre 14e Rendez-vous de l’histoire du 13 au 16 octobre à Blois : rencontres, conférences, avec des centaines d’historiens

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collectif Rock Strips, Come Back Flammarion-Beaux Livres, sous la direction de Vincent Brunner, 224 pages, 25 €

ville lumière Retour décapant de City 14, l’indispensable série feuilletonesque de Gabus et Reutimann.

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n BD comme à la télé, l’excitation est à son comble quand arrive une nouvelle saison de sa série favorite. C’est le cas pour Cité 14 de Gabus et Reutimann, palpitant feuilleton qui revient enfin après une interruption de trois ans et dont on découvre avec délice les nouveaux développements. Alors que la première saison a été publiée à l’origine en douze petits fascicules, cette bande dessinée aux rebondissements incessants et aux personnages attachants (des animaux anthropomorphes très expressifs) a changé de format en changeant d’éditeur. Chaque tome comprend dorénavant deux épisodes, ce qui n’enlève rien à la puissance de l’intrigue, toujours digne des meilleurs romans d’aventures du XIXe siècle, dont Gabus et Reutimann reprennent les codes avec brio. On retrouve les deux héros, Michel l’éléphant, victime d’un terrible empoisonnement, et Hector, le castor journaliste, aux prises avec la Mafia

une intrigue digne des meilleurs romans d’aventures du XIXe siècle

qui fait régner terreur et corruption sur Cité 14. Mais dans ce nouveau tome, ils doivent avant tout faire face à leurs démons personnels et à leur passé trouble. Aux chassés-croisés avec les hommes du magnat véreux Bambell se superposent donc des drames douloureux, que l’on découvre par bribes dans des flash-backs intrigants. La psychologie des personnages s’en trouve renforcée, la sympathie à leur égard s’accroît encore. Mais l’histoire ne mollit pas pour autant et le rythme reste soutenu car Gabus et Reutimann dosent à merveille suspense et éléments tragiques. S’y ajoutent leur art pointu du cliffhanger, des dialogues au cordeau, un humour acide (le superhéros Tigerman, hystérique et démagogue, qui fait la chasse aux immigrés clandestins), des réflexions sociales (avec quelques plongées dans des bas-fonds dickensiens), des intrigues secondaires habilement amenées et toujours une représentation fascinante de cette ville-personnage, entre les utopies délirantes de Robida et le New York vivant de Will Eisner. Le tout donne à Cité 14 une texture dense et nerveuse, merveilleusement foisonnante. On attend avec hâte et l’on redoute en même temps le moment où arrivera le dénouement de cette trépidante saga. Anne-Claire Norot

Sans musique, le rock bouge encore. Deuxième tome des aventures communes des frères de lait rock et BD : ni chronologie ni préséance, les formats changeants et narrations à géométrie variable permettent qu’on pénètre dans Rock Strips, Come Back par n’importe quelle porte. Vingt-sept graphistes ont poli des planches passionnées ou sarcastiques, souvent mélancoliques, entrelardées des textes documentés et poétiques de Vincent Brunner. Bashung, en une belle évocation onirique de Philippe Dupuy, ouvre le compteur francophone. Quelques planches d’un Loustal toujours racé (Roxy Music), un bestiaire dylanien (Drangiag) ou la schizophrénie bien tempérée de Johnny Cash (Winshluss) complètent ce Magical Mystery Tour. Au royaume des Who et des sixties, Jean-Christophe Menu se souvient d’un ado pour qui les pochettes de disques disaient tout un monde, Chaumaz illustre sur un mode labyrinthique et virtuose la mutation Kraftwerk. Tous proposent un voyage subjectif, donc séduisant. Mention spéciale à Charb face aux épouvantables Mötley Crüe et confirmation du paradoxe : sans musique, le rock bouge encore. Christian Larrède

Cité 14, saison 2, tome 1 – Chers corrompus (Les Humanoïdes Associés), 64 pages, 12,90 €

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Studio7-nyc.com/Junenoire Mitchell

Création en anglais de Jan Karski (Mon nom est une fiction) d’Arthur Nauzyciel

french invasion La culture française traverse l’Atlantique et s’invite à New York pour un happening de performances réjouissantes dans le cadre du festival Crossing the Line.

 D première quatre pièces de Trisha Brown Figure clé de la postmodern dance, Trisha Brown est à l’honneur au Théâtre de Chaillot avec quatre pièces, dont une création mondiale, la première européenne des Yeux et l’Ame, et la reprise d’Opal Loop/Cloud Installation #72503 (1980) et Watermotor (1978). jusqu’au 14 octobre au Théâtre national de Chaillot, Paris XVIe, tél. 01 53 65 30 00, www.theatre-chaillot.fr

réservez Les Fuyantes mise en scène Camille Boitel Avec Boris Gibé pour la scénographie et Camille Boitel à la mise en scène, Les Fuyantes ont pour dessein de nous parler de la perception de la réalité dans la société numérique de demain. Acrobatique. du 12 au 16 octobre à Bonlieu, Annecy, tél. 04 50 33 44 00, www.bonlieu-annecy.com

étournant la traditionnelle remorque des food carts à hot dogs des rues new-yorkaises pour en faire un accueillant Spermbar, la plasticienne Prune Nourry crée l’événement en questionnant la pratique du don de sperme avec son débit de cocktails servis dans des éprouvettes de laborantin. Une des performances découvertes lors de l’ouverture du festival Crossing the Line, organisé par le French Institute et l’Alliance française, qui s’installent pour l’occasion dans les locaux des services culturels de l’ambassade de France situés sur la Cinquième Avenue et transforment en camp de base la célèbre Paine Witney House, en face de Central Park, à deux pas du Metropolitan Museum of Art (Met). Sur un concept du collectif Soundwalk, c’est muni d’un audioguide réalisé par Olivier Cadiot que nous déambulons bientôt dans les salles égyptiennes du Met à la recherche d’un jardin du paradis miniature découvert dans la tombe d’un pharaon poète. Avec Lande Part, Laurent Pichaud opte pour le plein air en dansant au creux d’un vallon de la Cedar Hill de Central Park, dans un programme où il lève la patte comme un chien pour signifier les séquences entre ses solos. De retour à la Paine Witney House, on retrouve Trajal Harrell (performeur repéré dans (M)imosa de François Chaignaud et Cecilia Bengolea) pour The Conspiration of Performance, une lecture à deux voix avec l’actrice Perle Palombe. Ils y épinglent l’impayable dénonciation de la performance commise par Baudrillard dans son essai The Conspiracy of Art. L’un des salons réunit

Raimund Hoghe et le danseur japonais Takashi Ueno pour une préfiguration de Pas de deux. Sur une bande-son qui mêle Rhapsody in Blue de George Gershwin à des plages lyriques et des chansons de variétés, les deux danseurs, juchés sur les traditionnelles getas (tongs à semelles en bois), nous offrent un moment d’exception dans le délicat enchaînement de duos minimalistes et de solos virtuoses. L’heure est venue de sauter dans un taxi, direction Brooklyn, pour un vernissage à la galerie The Invisible Dog Art Center. Dans le cadre d’une exposition consacrée par Lucien Zayan au Coréen Chong Gon Byun, une malicieuse vidéo de Marie Losier déroule un portrait amusé de l’artiste. Enfin, c’est entre les colonnes de marbre de l’escalier monumental de la Paine Witney House qu’Arthur Nauzyciel crée à la tombée du jour la version en anglais de Jan Karski (Mon nom est une fiction), d’après le roman de Yannick Haenel : un lieu idéal, dédié à la diplomatie et aux échanges culturels, pour perpétuer le témoignage du résistant polonais et prolonger son combat. Une mise en espace comme un avant-goût de l’émotion que pourrait créer la pièce sur un public américain. Preuve par ses artistes que la culture française n’est pas aussi moribonde que certains aiment à le dire. Patrick Sourd Crossing the Line 5e festival interdisciplinaire d’art et de culture, organisé par le French Institute et l’Alliance Française à New York, jusqu’au 16 octobre, www.crossingtheline.org Pas de deux chorégraphie Raimund Hoghe, du 24 au 29 novembre au Théâtre de la Cité internationale, Paris XIVe, dans le cadre du Festival d’automne, www.festival-automne.com

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A Charleville-Mézières, trois joyaux – belge, américain ou français – se sont imposés au Festival mondial des théâtres de marionnettes. e soleil a la forme d’un œuf au plat. Un sapin diffuseur d’odeur fait office de décor. Dans The Adventures of White-Man, l’Américain Paul Zaloom enrôle une multitude d’objets glanés çà et là au service d’une satire des Etats-Unis – qui pourrait facilement s’adapter à la situation européenne. Tombé du ciel, son héros, Homme-Blanc, découvre avec horreur et stupéfaction que les Blancs ne seront bientôt plus majoritaires en Amérique. L’habileté de Paul Zaloom tient beaucoup à la façon dont il fait corps avec le matériel qu’il manipule. Exposés dans un cadre filmé en plan fixe et reproduit au-dessus de lui, les objets animés par sa voix, ses bruits et ses commentaires omniprésents participent à un récit d’une vivacité et d’une drôlerie étourdissantes. Sous ses apparences de grand enfant qui s’amuserait dans sa chambre avec ses jouets, Zaloom est en réalité un pourfendeur aussi drôle qu’impitoyable de l’Amérique contemporaine, ne ménageant pas ses piques contre les tea parties, par exemple.

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The Adventures of White-Man

Paul Zaloom

sur le fil du récit On pouvait le découvrir dans le cadre du festival carolomacérien, qui fêtait cette année ses 50 ans. Autre joyau de cette programmation pléthorique, Au fil d’Œdipe, tentative de démêlage du mythe, par la compagnie française Les Anges Au Plafond, embarque le spectateur pour une folle équipée à bord d’un radeau secoué par des vagues en papier. Brice Berthoud tire, au propre comme au figuré, les fils d’un récit foisonnant avec une maestria remarquable. Enfin, dans Springville, la plasticienne et performeuse flamande Miet Warlop construit une fantaisie surréelle pleine d’humour, où objets et humains se confondent ou s’hybrident, animés par d’irrésistibles pulsions érotiques. Fulgurant. Hugues Le Tanneur The Adventures of White-Man de et par Paul Za loom ; Au fil d’Œdipe, tentative de démêlage du mythe de et par Les Anges Au Plafond ; Springville de et par Miet Warlop, dans le cadre du Festival mondial des théâtres de marionnettes de Charleville-Mézières, compte rendu

frères ennemis Reconstitution d’échanges hauts en couleur entre les critiques Georges Charensol et Jean-Louis Bory. Emouvant. d’intermèdes musicaux l faut sans doute face à des œuvres d’un goût discutable. un zeste de nostalgie – et pas des moindres – Georges Charensol a les pour faire revivre sur dont la nouveauté pose traits d’Olivier Saladin, scène les empoignades problème. Bory cherche tandis qu’Olivier Broche virulentes de Jean-Louis ses mots, s’efforce interprète Jean-Louis Bory. Bory et Georges Charensol de nuancer. Charensol est Parfois, les arguments dans l’émission Le Masque plus rentre-dedans. Mais volent bas. “Vous n’aimez et la Plume. La cinéphilie au fond, les deux hommes que les films qui font passionnée, souvent se respectent. Ce que trois mille entrées”, argumentée de façon racontent avec beaucoup s’énerve Charensol, véhémente, de son ami de tendresse et d’humour soudain à court de Olivier Broche est ces Instants critiques, c’est cartouches. Quand on sait à l’origine de ce spectacle avant tout l’histoire d’une que les films en question attachant dans lequel amitié. Comme le confirme s’appellent Bande à part, François Morel restitue la fin très émouvante. H. L. T. Pierrot le fou, Théorème, les échanges vigoureux Instants critiques adaptation L’Empire des sens ou entre ces deux critiques de François Morel et La Grande Bouffe, il y a d’une autre époque. Olivier Broche, avec lui-même, de quoi sourire. Le décor évoque un Olivier Saladin, Lucrèce Le charme du spectacle cinéma de quartier un peu Sassella, jusqu’au 23 octobre au Théâtre 71, Malakoff, doit énormément à ce décati. Ambiance rétro www.theatre71.com besoin de s’expliquer donc. Le tout ponctué

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Courtesy de l’artiste, galerie Art : Concept et Pillar Corrias Gallery, photo Blaise Adilon

Ulla von Brandenburg, Kulissen, 2011

sans les mots vernissages chamboulé Après Didier Faustino, c’est au tour de Michelangelo Pistoletto et sa fondation Cittadellarte de prendre les rênes du festival Evento avec un projet ambitieux et participatif autour de la “ré-évolution urbaine”. Evento du 6 au 16 octobre à Bordeaux, www.evento2011.com

essoufflé Dans le cadre du Festival d’automne à Paris, Anri Sala et Selja Kameric présentent leur dernier film au Centre Pompidou. Une promenade à flux tendu dans les rues assiégées de Sarajevo. Epoustouflant, au propre comme au figuré. les 7 et 8 octobre à 20 h 30 au Centre Pompidou, Paris IVe, www.centrepompidou.fr

effeuillé Pour son expo perso au Magasin de Grenoble, Mai-Thu Perret emprunte son titre The Adding Machine aux écrits de Burroughs et s’inspire de sa technique du “cut-up”. The Adding Machine du 9 octobre au 8 janvier 2012, Magasin de Grenoble, www.magasin-cnac.org

répertorié Le Cnap (Centre national des arts plastiques) présente un aperçu de ses collections colossales au Tri postal de Lille. Collector du 5 octobre au 1er janvier 2012 au Tri postal, Lille, www.collector-expo.com

La XIe Biennale de Lyon se concentre sur les images, et ce que l’on trouve derrière les images, avec une sélection d’œuvres et d’artistes cohérente et passionnante.

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uestion à William Burroughs, en 1967 : “Avez-vous été capable, pendant un certain laps de temps, de penser en images votre voix intérieure silencieuse ?” Réponse : “J’y arrive de mieux en mieux, en partie grâce à mon travail avec les albums et en traduisant les liens entre mots et images (…) Quand vous commencez à penser en images, sans mots, vous êtes sur le bon chemin.” Empruntant son titre, Une terrible beauté est née, à un autre lettré, le poète Yeats, pour le donner à la Biennale, la commissaire Victoria Noorthoorn suit les préceptes de l’écrivain de la beat generation. Voir en images, ou derrière les images, c’est à peu près ce à quoi s’exercent les trois plateaux de la Sucrière, centre névralgique de la Biennale, paquebot de béton échoué au milieu d’un quartier en pleine mutation où poussent des bâtiments exubérants signés Jakob et Macfarlane, Christian de Portzamparc, Odile Decq ou Didier Faustino. En préambule, une enfilade de rideaux cartonnés et colorés (comme des feuilles de papier froissées d’où les mots auraient été effacés) imaginée par Ulla von Brandenburg invite à un passage silencieux et calfeutré. Au sortir de ce dédale, on tombe nez à nez avec une immense arène mutique dont le contenu ne sera visible que du premier plateau, soit une bibliothèque calcinée conçue par le Polonais Robert Kusmirowski qui semble nous dire, avec Adorno, que la poésie n’est plus possible. Et quand on va chercher Beckett, pourtant réputé bavard, c’est une pièce éphémère comme un cri que l’on choisit avec Breath, une mise en scène aussi rapide que l’éclair qui ouvre

sur un paysage lunaire jonché de débris de plastique. Plus loin, l’Argentin Eduardo Basualdo nous met en orbite lui aussi, sans commentaire, face à un bassin calcaire qui se remplit et se vide d’une eau contaminée. A la Sucrière, plus on monte dans les étages et plus le discours, paradoxalement, refait surface… Au point que le dernier plateau, malgré une brèche ouverte par les planeurs en papier fabriqués et activés en live par l’artiste Ernesto Ballesteros, livre une démonstration consacrée aux utopies un peu trop didactique. On retiendra cependant un accrochage irréprochable, notamment au deuxième niveau, qui télescope des installations monumentales – le cratère littéraire de Kusmirowski cité plus haut ou les cimaises perforées de Pierre Bismuth – et des œuvres en sous-régime, comme les céramiques maltraitées de Katinka Bock, l’objet non identifié de Julien Discrit, qui reflète le paysage alentour au gré de sa déambulation, ou la promenade enchantée d’Aurélien Froment, qui balade ses deux acteurs sur les plateaux du Limousin. Quant aux fous lunaires de Javier Téllez, assignés à résidence dans un hôpital psychiatrique lisboète construit selon les plans de Jeremy Bentham et de son fameux Panopticon, ils ont tous perdu la voix, sauf quand il s’agit d’entonner du fado. Un chant traversé par la perte et l’exil, qui pourrait bien être la bande-son de cette biennale qui pense “sans mots”. Claire Moulène XIe Biennale de Lyon – Une terrible beauté est née jusqu’au 31 décembre à la Sucrière, au MAC de Lyon, à la Fondation Bullukian et à l’Usine T.A.S.E., www.labiennaledelyon.com

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pré-modern style Unique en son genre, le festival d’art contemporain du Printemps de septembre s’aventure cette année hors de la modernité. ans la grotte au Consortium de Dijon, à la différence des profonde où elle se refuse à montrer des années 50, ce n’est pas s’aventure, une drôle œuvres qui “représentent” centré sur le sujet, ce n’est de nonne, du genre directement le monde pas un retrait vers l’intime, Bernadette Soubirous sous et préfère “laisser parler c’est une expressivité ecstasy et Redbull, s’adonne le langage de l’art”. A l’image du monde.” Pour le coup, à des visions kitsch du musée des Abattoirs, le meilleur exemple est et délirantes : une Négresse où se rassemble un lot aussi le plus mauvais, ou le dansante, une sirène de peintures abstraites : plus douteux, et à coup sûr chevelue, des éphèbes les toiles barbouillées et le plus laid : à savoir efféminés, les jambes régressives de Joe Bradley, la prolixe peinturlure du écartées d’une femme, les découpes de tissus New-Yorkais Josh Smith, une tête de Jésus à de Sergej Jensen, une qui expose à l’Espace la place du pubis et autres grande et somptueuse EDF Bazacle des flots hallucinations. Folle œuvre au sol de l’Ecossaise de poissons et d’eaux vives, révélation de ce Printemps Karla Black et même une ainsi qu’une mochissime de septembre 2011, le film précieuse série de petites sculpture, Happy Fish. de la jeune artiste Pauline gouaches pétaradantes de Reste que, savant Curnier Jardin donne le ton feu Paul Thek (1933-1988), mélange de stars de cette nouvelle édition : le plus antipop des du marché, de figures des œuvres qui s’aventurent Américains. montantes, de valeurs hors de la référence “La peinture abstraite sûres et de Belges commune à la modernité est redevenue un espace surprises comme les films et cherchent de nouvelles de liberté, commente volcaniques de Wim voies énergétiques. Anne Pontégnie. Ce sont Catrysse, le programme Au contraire des souvent des toiles pleines “pré-moderne” de cette biennales qui s’attachent d’accidents, de recyclages, édition, dont la sculpture souvent à figurer l’état du de coïncidences, une primitive (photo) monde contemporain, ici la peinture modeste en de Thomas Houseago dans commissaire belge de cette somme, énergique aussi. la cour de la Drac pourrait édition, Anne Pontégnie, On y retrouve les traces servir de totem, est d’une également rattachée d’un expressionnisme, mais grande cohérence, et il se visite en des lieux divers comme une seule et même exposition. Où par moments s’ouvrent de nouvelles voies : communautarisme avec la parade-procession organisée par Maroussia Rebecq ; ésotérisme avec Edith Dekyndt qui nous entraîne, audioguide à l’oreille, dans une recherche érudite autour des relations entre le son et l’image ; radicalité avec Matias Faldbakken, qui décharge un camion dans une exposition conceptuelle et graphique qui revisite durement le genre du work in progress. Zombisme, enfin : Mark Leckey recompose un appartement hanté par le fantôme d’un film. En deçà, ou au-delà, du moment moderne.

Thomas Houseago, Large Standing Figur 2, 2011

Courtesy de l’artiste, Xavier Hufkens, Bruxelles et Le Printemps de septembre à Toulouse

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Jean-Max Colard Le Printemps de septembre à Toulouse – D’un autre monde jusqu’au 16 octobre, printempsdeseptembre.com 5.10.2011 les inrockuptibles 131

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évidemment, dans les cheveux de Lana Del Rey

où est le cool cette semaine ?

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contre toute attente, dans ces lunettes d’inspiration sidérurgique, cosignées par le créateur Thom Browne et le lunetier Dita

par Laurent Laporte et Marc Beaugé

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dans la peau de mouton, sous toutes ses formes (ici une paire d’Opening Ceremony)

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dans le décor, dans le mannequin et dans ses fringues signées de la marque anglaise Casely Hayford 132 les inrockuptibles 5.10.2011

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Redingote

dans ces modèles rares de Vans, en vente sur le site The Other Side of the Pillow

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au guidon de ce vélo accessoirisé d’un sac Adeline Adeline

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l’embauche à vif En filmant le recrutement d’un poste de commercial dans une entreprise d’assurances, Didier Cros met à nu la violence du monde du travail.

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ans une banale salle de réunion, assis face à une brochette de recruteurs qui les toisent comme des prédateurs leur gibier, une dizaine de chômeurs gonflés à bloc sont prêts au combat. Sous l’œil des caméras de Didier Cros, l’un d’entre eux sera recruté par le GAN pour vendre des produits d’assurance, au terme de deux journées de tests de personnalité censés sonder leur motivation et leurs compétences. Cette épreuve de force, où sont malmenés les nerfs des uns autant que la dignité des autres, a l’allure d’un jeu un peu idiot : sauf que la dimension ludique du dispositif révèle d’entrée la violence symbolique du monde du travail auquel chacun aspire, parfois à n’importe quel prix, y compris celui de l’humiliation et du bas salaire (le smic). Lors des deux journées, les recruteurs intimident, agressent, méprisent les candidats au nom de leur petit pouvoir et de leur foi aveugle dans l’entreprise. “Avez-vous été vous-même ?”, “Pourquoi avez-vous les mains moites ?”, “Vous avez de la chance d’être avec nous”… :

les interpellations constantes et les sourires hypocrites des recruteurs glacent le téléspectateur de bout en bout. Chacun doit prouver son aptitude à maîtriser la pression, prouver sa combativité, écraser la concurrence… Présent dans la salle tout au long du processus, le documentariste Didier Cros filme le recrutement, comme s’il filmait un spectacle vivant ou un match de boxe. Plusieurs caméras consignent les échanges. Au plus près des candidats et des recruteurs, Cros observe leurs joutes verbales, leur pseudo complicité tournant parfois au conflit, et même la résistance de certains face à ce jeu de dupes. Comme au théâtre (boulevard ou tragédie ? : c’est toute la question), les masques tombent, les portes claquent, les aigreurs affleurent, les vertueux sombrent, les prédateurs triomphent et déchantent… Le tour de force de La Gueule de l’emploi tient à la vitalité des images enregistrant une mise à mort, à l’énergie d’un filmage captant la platitude d’une supercherie. L’unité de temps et de lieu renforce la théâtralité du dispositif, elle-même nourrie par la riche variété de “personnages”.

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les candidats ressemblent un peu à ces candidats en surchauffe de jeux de téléréalité

Chaque candidat déploie un caractère particulier, entre acceptation enthousiaste du jeu et refus de la soumission : il y a ceux qui intègrent les règles et les formatages imposés et ceux qui s’en méfient, au point de ne pas porter la cravate, d’assumer les écarts avec la norme. Les plus rétifs au jeu de massacre quittent vite le dispositif quand les plus carrés traversent les épreuves. Héritier du cinéma direct, Didier Cros filme tout avec délectation, comme si sa vision du réel, dénuée de tout commentaire, à froid, suffisait à dévoiler son projet : approcher, à défaut de la comprendre, la folie managériale, débusquer les visages de la déshumanisation qui gagne le monde du travail. De nombreux documentaires (La Mise à mort du travail) et essais ont analysé ces dernières années les modes opératoires de la souffrance au travail. Avec La Gueule de l’emploi, ce territoire de la décomposition s’élargit en amont : la souffrance débute dans l’antichambre de l’entreprise, dans l’espace même qui précède son entrée triomphale, un espace mental conditionné par ces managers des temps actuels, que le philosophe Miguel Benasayag (cf. De l’engagement dans une époque obscure, le Passager clandestin) compare à une “petite armée d’hommes sans qualités” qui “prépare le terrain d’une société brutale et obscure”. Sans cesse infantilisés, mis en concurrence, inquiets à mesure qu’avance

la journée, les derniers candidats ressemblent un peu à ces candidats en surchauffe de jeux de téléréalité, dont on a appris à suivre les futiles mésaventures. En interrogeant, après coup, face caméra, comme dans un confessionnal, chacun des protagonistes, Didier Cros s’autorise un écart avec l’héritage brut du cinéma direct. Comme si son film n’avait d’autre recours possible que la parole distanciée de ses personnages pour rendre intelligible la froide mécanique qu’il met à nu. “On reste car on n’a pas le courage de partir”, “on est obligés d’être soumis”, “on vit dans un monde de désenchantés mais on n’a pas envie de se le dire”… : les aveux ultimes des derniers candidats Gérard et Julie témoignent d’une lucidité, à la fois rassurante et inquiétante. Que faire du principe de “servitude volontaire” ? Déjà se poser la question. Chaque candidat s’y essaie, sans pouvoir y répondre, compte tenu de la situation sociale dans laquelle il est piégé. Pour obtenir un emploi, il faut savoir exhiber la gueule appropriée, même si elle vous déplaît. La Gueule de l’emploi démasque autant les visages anxieux des salariés maltraités que ceux des néo-managers pathétiques qui poussent au “culte de la performance”, diagnostiqué par le sociologue Alain Ehrenberg. Leurs remontrances agressives, la suffisance de leurs remarques, le mépris qui s’affiche dans leur regard vide, dessinent le visage d’un monde du travail poussant l’individu dans ses retranchements grégaires et dans un conformisme compétitif. Pour autant, la lecture politique qu’autorise le film échappe à un cadre prédéterminé. Par sa forme ouverte, La Gueule de l’emploi ne revendique pas le statut de film militant. A chacun de projeter ce qu’il veut dans le dispositif de ce huis clos étouffant où, sous le vernis des rituels d’embauche, on peut déceler soit un appareil idéologique sournois, soit la forme échevelée d’un principe de réalité intégré par tous. Autant qu’une interrogation sur la culture de l’entreprise et des injonctions à la performance dans le monde du travail, Didier Cros réalise un film sur la parole, oscillant entre force de manipulation et outil de résistance et d’analyse. La Gueule de l’emploi a la gueule d’un grand film sur notre époque. Jean-Marie Durand La Gueule de l’emploi Documentaire de Didier Cros, jeudi 6 octobre, 23 h, France 2 5.10.2011 les inrockuptibles 135

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“je compense mon manque de virtuosité du dessin par le sens des situations et le travail sur le langage”

Jul l’ironiste A Charlie hebdo, comme dans son dernier album La Planète des sages, Jul s’amuse à disséquer les grandes idées des philosophes et les petits ridicules de ses contemporains.

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aisir sur le vif l’enjeu d’un brûlant sujet d’actualité ou évoquer sur le tard la pensée d’un philosophe antique : les dessins de Jul oscillent entre des horizons et des âges dispersés. Son nouvel album, signé avec Charles Pépin, La Planète des sages, une encyclopédie désopilante de l’histoire de la philosophie, témoigne de l’acuité de son trait d’esprit (des Lumières) et de son goût de rire de tout, surtout de ce qui ne s’y prête guère. Serait-ce la lecture de L’ironie de Jankélévitch qui lui a donné cette légèreté dans l’art d’affronter les monuments de la pensée ? Comment rire de (et avec) Hegel, Schopenhauer, Kant ou Deleuze ? En saisissant, de travers et par derrière, un motif absurde censé

l’éclairer indirectement. A partir du dessin tordu de Jul l’obscur, Pépin, dans un texte bref, contextualise la pensée du sage croqué. Le rapport texte-image offre ainsi une lecture légère et iconoclaste de l’histoire de la philo : la philo pour les jules. L’histoire ancienne, Jul l’a traquée dans des albums précédents, comme Silex and the City ; l’histoire présente, il la commente toutes les semaines dans Charlie hebdo, son antre où il a débuté en 1999, mais aussi dans Fluide glacial, L’Humanité, Lire, La Grande Librairie sur France 5 ou Philosophie magazine. “Je réalise plus de 40 dessins par semaine”, confie-t-il. Assez pour mesurer le poids du monde, qu’il affronte gaiement, en impur héritier de ses prestigieux pères, Gotlib, Franquin, Reiser… Proche de ses pairs

actuels (Charb, Wolinski…), il reconnaît volontiers ne pas avoir “beaucoup évolué dans la technique du dessin depuis l’enfance”. A 10 ans, en CM2, il avait un journal, Le Julien déchaîné, dans lequel il s’exerçait aux dessins d’actualité : “Je me souviens avoir travaillé sur le serpent monétaire à l’époque de Raymond Barre !” A 12 ans, il obtient le Prix junior de la BD à Angoulême. Bref, son destin est tracé : sur du papier, il se fera l’écho de son époque. Il s’autorisera simplement quelques détours, dont un passage à Normale Sup et une agrégation d’histoire – personne n’est parfait. Dans le paysage du dessin d’actualité, la petite musique de Jul détonne parmi ses confrères, en partie par sa facilité à manier les concepts et

les idées. “Je compense mon manque de virtuosité du dessin par le sens des situations et le travail sur le langage”, avance-t-il. Nourri au petit lait des “Monty Python ou du Muppet Show”, Jul déploie un geste assez anglo-saxon dans son goût du trait désopilant dont le sens particulier se dévoile à rebours du sens commun. Sa patte s’adapte bien aux récits au long cours, comme l’attestent ses précédents albums, Il faut tuer José Bové, Le Guide du moutard – Pour survivre à neuf mois de grossesse… Pour Philosophie magazine, il travaille déjà sur une nouvelle série, Platon Lagaffe, l’histoire d’un stagiaire, dont le maître de stage est Socrate, Debord le chargé de l’événementiel et Nietzsche le directeur des ressources humaines trop humaines… Aux côtés de ses complices de Charlie – Riss, Luz, Tignous, Cabu, Charb… –, dont un épais volume consigne les dessins tranchants sur les affres de l’actualité, Jul occupe un territoire singulier, où le dessin trouve son appui entre farce et gravité. Jean-Marie Durand et Anne-Claire Norot La Planète des sages – Encyclopédie mondiale des philosophes et des philosophies de Jul et Charles Pépin, (Dargaud), 80 p., 19,95 € lire aussi Charlie hebdo, Les 1 000 Unes 1992-2011, (Les Echappés), 318 p., 39 €)

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Le Fil de Mehdi Ben Attia (2010)

bande son Arteradio donne voix au sexe et nous plonge dans de grandes ondes de plaisir.

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ncore du sexe sur Arteradio ? A la faveur d’une rentrée très corsée où deux documentaires apportent leur lot de sensations fortes, il faut bien s’aviser que le sexe a trouvé avec le site de création radio un écrin idéal. Plus que la diversité des approches et des choix formels qu’autorise l’élasticité charnelle du son, ce qui frappe sur Arteradio.com, c’est l’oxymore éditorial : une liberté de ton maîtrisée. Entre crudité et rejet de toute fausse pudeur, personne ne s’y autorise à sonder l’intime n’importe comment. Peu de médias en France ont trouvé cet équilibre – la séduction plus que le racolage – en donnant cette impression de coller d’aussi près à l’évolution des mœurs. “Ce que permet la webradio, c’est l’adresse directe au solitaire assis devant son ordinateur, ce qui facilite le rapport à l’intime”, commente Silvain Gire, responsable éditorial – et très coupable. Arteradio a débuté sa saison avec la confession-fleuve d’un obsédé sexuel léger – dans la moyenne, donc – capable de raconter ses expériences initiatiques avec une franchise primesautière. Aiman, Egyptien de 33 ans exilé en France, a le rire transgressif de celui qui a vécu son apprentissage comme une aventure picaresque. Dans ses souvenirs encore brûlants, les séances de “petit train” entre garçons frustrés, les touche-pipi dans les recoins sombres des mosquées où les

dans Bande SM, Jeanne Robet capte une séance spéciale entre une dominatrice SM et son esclave

tantes qui se dévoilent sont des épisodes drolatiques nécessaires à toute maturité. C’est donc une certaine Egypte qui est déculottée, mais sont autant fessés la morale parfois paradoxale d’une société marquée par l’islam que les a priori occidentaux. Séquencée en trente fois trois minutes, L’Egyptien libéré d’Inès Léraud est l’antidote solaire à la dépression de ces derniers mois plombés par DSK. La pièce de choix de ces nouvelles mises en ligne est sans conteste la néo-goth Bande SM de Jeanne Robet. Un tour de force : capter une séance spéciale entre une dominatrice SM et son esclave sans tomber dans l’hypnotisme béat. Jeanne Robet parvient d’autant mieux à dépasser la dimension physique de la relation que sa “Courtisane des Limbes” (nom de code) manie le verbe aussi bien que le fouet (les hameçons, les crochets, les clous, au choix). C’est donc à une expérience littéraire très consciente de ses effets – parfois trop – que convie la maîtresse à la troublante voix théâtrale. La domination physique, de classe – c’est un employé de magasin de pêche – culturelle – elle corrige ses fautes de français – qu’elle exerce sur son visiteur s’enrichit heureusement d’une réelle affection, d’un respect manifeste. Peu à peu, alors que la tension monte et les soupirs s’alourdissent, l’auditeur comprend s’être embarqué dans un voyage chamanique, esprits en fusion et mystique des corps détournés. Et, volupté sonore, sans trop savoir ce que la féroce fait vraiment subir à son dévot, cliquetis et bruits de chaînes ouvrant le champ des possibles… Pascal Mouneyres L’Egyptien libéré d’Inès Léraud, mixage Samuel Hirsch ; La Bande SM de Jeanne Robet, mixage Arnaud Forest. www.arteradio.com 5.10.2011 les inrockuptibles 137

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Atlantique Productions/Canal+

le pape araignée Non dénuée de lustre, la série monumentale de Tom Fontana sur les Borgia, famille italienne du XVe siècle célèbre pour ses crimes et ses vices, reste un peu indigeste.

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es Borgia, scandaleuse famille papale des XVe et XVIe siècles, sont partout ! En 2010 sont sortis sur le sujet un film espagnol d’Antonio Hernández ainsi que le dernier volet d’un cycle de BD de Manara et Jodorowsky. En 2011, un roman en deux tomes de Claude Mossé. Et voici que déboule Borgia sur Canal+, luxueuse série européenne au budget oscillant entre 15 et 20 millions d’euros, coproduction francoallemande conçue par Tom Fontana, le créateur d’Oz et de Homicide, et tournée à Prague avec un casting international. Le hic c’est qu’en avril 2011 a démarré sur Showtime aux Etats Unis une série anglo-saxonne tournée en Hongrie, intitulée The Borgias, dont le mastermind était le cinéaste Neil Jordan. Il va sans dire que les commentateurs s’en donnent à cœur joie sur la toile, comptant les points en faveur de l’une ou l’autre version de la saga. Vu de très loin, il semble que la vision irlandaise (Jordan) l’emporte sur l’américaine (Fontana) : plus artiste, mieux interprétée. Et Jeremy Irons, incarnation subtile dans la version Jordan du personnage principal Rodrigo Borgia, qui devient le pape Alexandre VI, fait l’unanimité. Il est certain que dans la version Fontana, le vétéran John Doman a l’air un peu mastoc en pape. Il a la gouaille et l’accent

d’un gangster new-yorkais ou d’un flic hardboiled de Baltimore, comme dans la série The Wire, qui l’a fait connaître. Mais ce n’est pas un hasard si Fontana a parachuté Doman à la tête de l’Eglise catholique, en pleine période de transition entre Moyen Age et Renaissance. L’idéeforce, c’est que les Borgia sont non seulement “la première famille moderne”, mais un prototype de la Mafia. Pour cela, Fontana a mis l’accent sur la politique, les complots et la violence. La série est sombre, presque sordide et dénuée de la moindre échappée lyrique, donnant un récit d’époque au décorum indéniablement soigné, mais qui ne fait pas dans la dentelle (les premiers épisodes ont été réalisés par Oliver Hirschbiegel, auteur de La Chute, long métrage très plombé sur Hitler dans son bunker). L’intrigue démarre en 1492, année symbolique de la découverte par Colomb du Nouveau Monde, à l’aube de l’intronisation à Saint-Pierre de Rodrigo Borgia, cardinal d’origine espagnole, lui-même neveu du pape Calixte III. Avide d’argent et dénué de scrupules, Alexandre VI jouera à fond de diverses alliances pour étendre son pouvoir sur une Italie divisée en royaumes rivaux. Pour cela, il fera de ses enfants Cesare, Lucrezia, Juan et Goffredo des pions sur l’échiquier péninsulaire.

Lesquels enfants alimenteront la chronique terrible des Borgia. Cesare, instable et sadique, a servi, dit-on, à Machiavel pour son Prince. Quant à Lucrezia, mariée et démariée au gré des magouilles géopolitiques de son paternel, elle est devenue synonyme de luxure. Un des problèmes de la série tient à son casting. Exemple : Lucrezia est russe, Cesare est américain et Juan, français. D’où une diversité d’accents qui heurte l’oreille dans la VO anglaise. Gageons que la VF résoudra ce défaut, d’autant plus flagrant que Borgia est une série bavarde. Trop, même. Le dialogue est un de ses maillons faibles. Surexplicatif, il mêle des considérations géopolitiques livresques à des commentaires redondants. Cela plombe un récit qui se voudrait macbethien. On en est loin. Voir le lancinant épisode 4, presque entièrement consacré aux manips de Rodrigo pour devenir pape. Pour contraster avec cet aspect procédurier et explicatif, on recourt au sexe et au sang, avec des scènes crues et violentes. Ça ne suffit hélas pas à faire décoller une saga engluée dans ses enjeux politico-historico-sentimentaux. Vincent Ostria Borgia de Tom Fontana, tous les lundis à 20 h 55 à partir du 10 octobre sur Canal+

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HORS SÉRIE

brèves

Phénomène culturel majeur des dix dernières années, les séries télévisées jouent désormais à armes égales avec les grandes productions cinématographiques.

Les Revenants sur Canal+ Après plusieurs années de développement, la chaîne cryptée a commandé huit épisodes d’une première saison de l’adaptation en série du film de Robin Campillo, Les Revenants. Aux manettes, Fabrice Gobert (réalisateur de Simon Werner a disparu) a pris le relais de Céline Sciamma. La productrice Caroline Benjo (Haut et Court) définit le projet comme un “soap fantastique” se déroulant dans une ville de montagne reculée. Il s’agit selon elle d’un “spin off du film”. Tournage début 2012 et diffusion prévue dans un an.

Danemark, terre de série

Dans ce hors-série de 100 pages, Les Inrockuptibles radiographient les grandes séries d’hier, d’aujourd’hui et de demain et interrogent ceux qui les imaginent et les fabriquent.

New Girl, superfille

Zooey Deschanel crève l’écran dans une nouvelle comédie maligne. Les séries danoises sont ans le cortège des nouvelles séries, chaudes. Quelques mois on ne l’avait pas placée en tête de après The Killing sur AMC, liste. New Girl nous a pourtant tapé une version US de la fiction dans l’œil et s’annonce comme politique Borgen (achetée l’un des succès mérités de la saison. Voilà en France par Arte) est une comédie au potentiel générationnel actuellement développée pour NBC par Jason Katims (Friday peut-être pas digne de Friends, mais pourquoi Night Lights, Parenthood). pas de How I Met Your Mother – les paris sont ouverts. Le pitch glisse dans l’air du Bochco rempile temps, tout en respectant les fondations A 67 ans, le créateur mythique domestiques de toute sitcom qui se respecte : de Hill Street Blues, L.A. Law et un fille de bientôt 30 ans se fait larguer NYPD Blue va faire son retour par son mec et atterrit en colocation avec avec une série judiciaire. Legal trois garçons ébahis. Ses galères Affairs a été achetée par ABC sentimentales et sa propension à ne rien et sent déjà un peu le réchauffé faire occupent le temps, l’affalement avec ses histoires d’avocats sur canapé joue d’ores et déjà un rôle empêtrés dans des problèmes majeur, Dirty Dancing aussi. personnels. Mais on respecte Déjà vu ? Légèrement, sauf que New Girl trop Bochco pour dire non tout retravaille les clichés avec une fougue de de suite. tous les instants. Sa créatrice, Liz Meriwether, a l’âge de son personnage principal. Elle a écrit le scénario de Sex Friends et boit des Mojitos avec sa copine Diablo Cody. Cela n’a rien d’une assurance tous risques, mais son talent est réel. Surtout, cette scénariste Gossip Girl (TF6, le 5 à 15 h 25) punchy a trouvé l’actrice pour donner Les chaînes du câble servent d’abord à sa complainte de femme esseulée une à réviser nos classiques, même si le terme est un peu fort pour Gossip Girl. Cette substance à la fois comique et pathétique. intégrale en diffusion quotidienne devrait Dès le pilote, Zooey Deschanel invente quand même nous occuper jusqu’à l’hiver. en direct une fille à la fois pleurnicharde, sexy et horripilante, avec un naturel que Mad Men (Série Club, le 9 à 20 h 40) l’on croyait réservé au cinéma indépendant, Rediff de la troisième saison du bébé de dont elle est une égérie – remember 500 jours Matthew Weiner, à nouveau triomphant ensemble. Sauf que ses pérégrinations aux Emmy Awards. L’épisode inaugural, ont lieu sur la chaîne Fox, à une heure avec Don Draper et Salvatore Romano en de grande écoute. Les nouvelles filles voyage à Baltimore, est un chef-d’œuvre. prennent le pouvoir, et c’est plutôt frais. On espère juste que le succès laissera le temps à Zooey de continuer la musique. South Park (NRJ 12, le 11 à 12 h 15) Son groupe She & Him nous manquerait Déjà quatorze ans qu’on a envie de savoir trop. Olivier Joyard comment meurt le personnage de Kenny

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agenda télé

dans chaque épisode de South Park. Il n’y a aucune raison que ça s’arrête.

Les génériques des séries cultes : Chapeau melon et bottes de cuir, Mission : impossible, Mannix, Twin Peaks, Friends...

New Girl, tous les mardis sur Fox 5.10.2011 les inrockuptibles 139

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+ CD exclusif 12 titres

EN KIOSQUE 29/09/11 16:04

Patrick Zachmann/Magnum Photos/France 5

émissions du 5 au 11 octobre

Julia Kristeva, histoires d’amour et de passerelles Empreintes : Documentaire de Teri Wehn Damish, vendredi 7 octobre, 21 h 30, France 5

syrian killer Deux films pour décrypter la tragédie syrienne. Bientôt la fin de la dynastie Assad ?

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eux enquêtes qui suggèrent que le régime de Bachar el-Assad ne passera peut-être pas l’année. Sa répression ultrasanglante au soulèvement de mars 2011 – qui a pris de l’ampleur au fil des mois – étant un symptôme de sa faiblesse. Dans l’enfer de la répression de Sofia Amara, tourné clandestinement parmi les réseaux d’opposants au régime à travers le pays, montre que la torture est la norme en Syrie ; que l’expression “tirer sur une ambulance” y est une réalité ; que l’on sous-traite une partie de la répression des manifestants à des membres du Hezbollah libanais ou à des Gardiens de la révolution iraniens ; et que le soutien de l’armée au pouvoir est en train de s’effriter. Document évidemment assez fort que complète un second film, Le Crépuscule des Assad de Vincent de Cointet et Christophe Ayad, historique des origines de la dictature el-Assad en Syrie, amorcée par le père, Hafez, en 1970, et continuée par le fils, Bachar, en 2000. Celui-ci avait donné pendant quelques mois des signes de libéralisation mais, sans doute incapable d’assumer les conséquences d’une réelle démocratisation du pays (supposant son départ du pouvoir), il avait resserré la vis. Une chronologie, ponctuée d’interviews, mais accablante pour ce régime qui joue avec le Liban comme un chat avec une souris et laisse perdurer une débâcle économique dont tirent profit la famille du président et ses affidés. Différence majeure avec la Libye : le peuple syrien n’a pas pris les armes (en dehors des militaires dissidents) et n’est guère soutenu par l’étranger. Vincent Ostria

Permis de tuer en Syrie Thema, mardi 11 octobre, 2 0 h 40, A rte

On n’est pas que des cobayes ! Magazine hebdomadaire. Vendredi 7 octobre, 20 h 35, France 5

Un trio d’animateurs se soumet à des expériences ludico-scientifique. Quelle est la taille de l’érection d’un pou ? L’homme peut-il, comme Jésus, marcher sur l’eau ? Les trois animateurstesteurs de l’émission On n’est pas que des cobayes ! mettent à l’épreuve de la science quelques idées reçues et répondent à des questions que l’on ne s’était pas forcément posées. Sur un ton enjoué et pédagogique, Agathe, Vincent et David se soumettent à des expériences bizarres, voire saugrenues. Sorte de C’est pas sorcier ! nouvelle génération, l’émission explore ainsi, de façon ludique et décontractée, l’empire des sciences. S. D.

Portrait d’une intellectuelle en mouvement. “Je me voyage”, dit-elle en parlant de son aptitude à sonder ses identités multiples. En mouvement, la pensée de Julia Kristeva, née en Bulgarie, se construit au rythme de ses déplacements permanents. Au carrefour de la psychanalyse, de la linguistique, de la philosophie, elle cherche à éclairer de nouveaux objets de connaissance, de la cause des femmes à la question du handicap. Filmée ici lors de ses voyages, ou dans sa maison d’Ars-enRé, auprès de son mari Philippe Sollers, qu’elle rencontra à son arrivée à Paris en 1965 au sein de la revue Tel quel, Julia Kristeva confesse qu’elle se soigne “en soignant les autres”. Julia des esprits. JMD

La Toundra des enfants perdus Documentaire de Jérôme de Missolz. Vendredi 7 octobre, 23 h 05, Arte

En Sibérie, une énergique Nénetse a fondé une communauté autarcique. La vie quotidienne d’une communauté nénetse au nord de la Sibérie occidentale, où tout s’organise autour de la dynamique et autoritaire Anna Pavlovna, 60 ans, qui accueille des orphelins, dont elle est devenue non seulement la mère de substitution mais presque le gourou (orthodoxe). Une belle immersion dans l’immensité de la toundra, accompagnée par un commentaire un peu vieillot, qui permet de constater que pour réparer les dégâts de l’alcool et ses conséquences sociales (par exemple l’abandon des enfants), on peut être conduit à opter pour l’extrême inverse, le rigorisme religieux, et frôler la dérive sectaire. V. O.

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Téléfilm de Jean-Pierre Améris, mercredi 5 octobre sur France 2 à 20 h40

Une adaptation de Zola dans la tradition télévisuelle hexagonale. Adapté du roman d’Emile Zola, douzième tome des Rougon-Macquart paru en 1884, La Joie de vivre a la facture classique d’un téléfilm légèrement empesé, dans la pure tradition de la fiction patrimoniale hexagonale. Mais plutôt que de se contenter d’une sage mise à plat du roman naturaliste de Zola, Jean-Pierre Améris insuffle à sa réalisation une sombre vitalité. Porté par l’admirable Anaïs Demoustier, magnifique dans le rôle de Pauline, jeune orpheline qui sacrifie son amour pour son cousin Lazare, le téléfilm restitue parfaitement l’ambiance d’une maison bourgeoise en bord de mer en Normandie. Et capte surtout merveilleusement ≤la part quasi crépusculaire d’un monde ingrat où seule la nature, belle et sauvage, suffit à donner la joie de vivre. JMD

Sacrebleu Productions

La Joie de vivre

Free Radicals, une histoire du cinéma expérimental Documentaire de Pip Chodorov, samedi 8 octobre sur Ciné Cinéma Club à 21 h 45

Tour d’horizon du cinéma non narratif avec une myriade d’extraits. Empruntant son titre au cinéaste Len Lye, Pip Chodorov explore et commente ses souvenirs : son enfance filmée en super-8 par son père, sa découverte du genre expérimental, puis son passage à la réalisation. Ce documentaire est aussi un florilège du genre, ponctué d’interviews de stars de l’expérimental (de Stan Brakhage à Michael Snow, en passant par Stan Vanderbeek, grand pionnier méconnu). Le survol est rapide, presque exclusivement consacré à l’Amérique, mais stimulant. Une introduction rêvée, conseillée aux néophytes, à un genre économiquement pauvre, mal connu, souvent méprisé, que la pub et le cinéma mainstream ont allègrement pillé. V. O.

ballon d’oxygène La Coupe du monde de football des sans-abris redonne de l’espoir à ses participants. hanger le monde avec un ballon de Le sport est presque un prétexte. Ce qui foot ? Oui, je pense que c’est possible. touche, ce sont les portraits dignes de ces Moi, ça a changé ma vie de SDF.” deux amis kényans sortis du bidonville A Paris, cet été, la neuvième Coupe grâce au foot, d’une fille-mère émancipée par le sport, ou encore d’un adolescent du monde des sans-abris a réuni palestinien qui rêve de liberté et d’une des équipes de foot des rues portant les couleurs de soixante-quatre nations. carrière à la Ronaldo. Au final, le tournoi Ce documentaire a suivi quelques-uns des aura permis à chacun de retrouver un peu d’estime de soi, de jeter les bases d’une “exclus” investis dans la Homeless World Cup 2011. Du Kenya à l’Argentine, des réinsertion sociale et, surtout, d’avoir à camps de réfugiés palestiniens aux rues de nouveau un but dans la vie. Sandrine Ducros Montpellier, il met en lumière des individus Hors-jeu, carton rouge contre l’exclusion qui souffrent d’être ignorés et leurs premiers documentaire de Jérôme Mignard et Thomas Risch, dimanche 9 octobre, 20 h 50, Canal+ supporters, les travailleurs sociaux.

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enquête

l’éternité par le cyberespace Des cimetières virtuels proposent d’honorer les défunts par écran interposé. Jusqu’où ira le marché du funéraire en ligne ?

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ans la Silicon Valley, après l’iPhone et l’iPod, voici, dans un autre genre, i-Postmortem, une start-up qui vient de lancer deux services d’immortalité virtuelle en seize langues. Le premier, i-tomb.net permet de déposer images, messages, fleurs et bougies sur une tombe virtuelle et le second, i-memorial.com, propose de concevoir son futur mausolée virtuel, documents confidentiels et dernières volontés à la clé. Pour Jacques Mechelany, directeur général d’i-Postmortem, qui présentait l’entreprise au dernier Demo Fall, le rendezvous des start-up de la Silicon Valley, “c’est un pas en avant pour garder le souvenir des personnes aimées et pour donner aux générations futures l’opportunité de découvrir qui étaient leurs ancêtres”. Le passage à la postérité se fait dans la dignité : aucune pub disgracieuse ne vient orner les sépultures, puisque les deux sites sont rémunérés uniquement par les abonnements. Pour 50 dollars par an (deux ans minimum) sur i-Tomb et 120 dollars par an sur i-Memorial, chacun peut entrer dans l’interface à la Star Wars appelée “Galaxie” et être projeté dans le cyberespace pour l’éternité. Pour plus de tranquillité d’esprit, il est même possible de payer jusqu’à vingt ans d’avance… i-Postmortem n’est pas la première société à exploiter le filon funéraire. Le blog The Digital Beyond recense une quarantaine de lieux de recueillement virtuels rien qu’aux Etats-Unis. En France, le site Jardindusouvenir.fr propose une offre alléchante : “89 euros pour l’éternité”, un “espace mémoriel illimité dans le temps”. Certains cimetières virtuels sont même dédiés aux animaux domestiques. On trouve aussi des sites funéraires qui surfent sur la mort de célébrités telle Amy Winehouse ou sur les victimes de catastrophes comme celle du 11 Septembre (Legacy.com). Les cimetières virtuels ne manquent pas d’arguments : difficultés de déplacement, manque de place dans la vraie vie, deuil sans corps… Si ces hommages virtuels peuvent jouer un rôle thérapeutique pour ceux qui ont perdu un être cher, où s’arrête l’exploitation commerciale de la mort sur internet ? Pour Eric Delcroix, expert en médias sociaux, “le marché de la mort virtuelle est en plein essor”. Pour preuve : Jesuismort.com, qui compte 7 800 fans sur Facebook, recense 650 lettres posthumes adressées à Michael Jackson et 280 à Jésus. “Et ça va parfois très loin.

“l’internaute verra son identité numérique lui survivre sans que ses ayants droit puissent la contrôler” Murielle Cahen, avocate du droit du net Apreslamort.net propose d’envoyer des messages d’amour ou de haine au moment de son décès. On peut même assister à des funérailles sur internet ou visualiser une tombe via une webcam. Tout cela va encore prendre de l’ampleur avec la réalité augmentée”, explique-t-il. Si nos proches détiennent les droits d’auteur, ils peuvent mettre nos vidéos souvenir du CM2 sur la toile. Et le droit à l’oubli dans tout ça ? “L’extinction naturelle de la présence sur internet n’est pas pour demain ! poursuit Eric Delcroix. Même si nos proches veulent supprimer nos comptes à notre mort, il faut qu’ils connaissent les identifiants ou qu’ils envoient une demande aux responsables du site. Et il faut que la suppression des données se fasse réellement.” Sur Facebook, lorsqu’un utilisateur décède (et que Facebook est averti), le profil prend un statut “mémorial”. Impossible de laisser des commentaires, mais la page reste en ligne. Facebook encourage même ses utilisateurs à rendre hommage aux défunts dans les discussions de groupes. Pour Murielle Cahen, avocate spécialisée dans le droit du web, à son décès, “l’internaute verra son identité numérique lui survivre sans que ses ayants droit puissent la contrôler. Le danger est que cette même identité pourra être salie, malmenée.” Dernière solution : le testament numérique, qui consiste à rédiger une lettre dans laquelle on indique ses identifiants et mots de passe à un proche afin qu’il désactive nos comptes… Et surtout, ne pas oublier de désigner un porn buddy qui sera chargé de débarrasser le net et le PC de toute preuve compromettante avant que la famille ne tombe dessus. Béatrice Catanese

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NOUVEAU

¡Ya Basta Festibal! Tandem Paris – Buenos Aires, le 13 octobre à la Bellevilloise (Paris XXe)

Les inRocKs Lab Party le 13 octobre à la Flèche d’Or (Paris XXe)

musiques Découvrez le hip-hop canadien de Radio Radio ainsi que les deux finalistes du concours du mois de septembre en concert. A gagner : 5 pass premium pour 2 personnes (coupe-file + 1 conso + 1 goodie inRocKs)

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DVD Laure est un garçon manqué. Arrivée à 10 ans dans un nouveau quartier, elle fait croire à Lisa et sa bande qu’elle est un garçon. L’été devient un grand terrain de jeu et Laure devient Michaël, un garçon comme les autres… A gagner : 20 DVD

musiques Avec Tandem ParisBuenos Aires, le label Ya Basta Records fête les 10 ans de Gotan Project et la sortie de l'album La Revancha en cumbia. Au programme : milonga, concerts de Féloche, El Hijo De La Cumbia et Tremor, DJ set de Philippe Cohen Solal et Christoph H. Müller (Gotan Project).  A gagner : 10 places, 10 vinyles et 10 albums (voir détails sur le site)

Ici on noie les Algériens de Yasmina Adi, sortie en salle le 19 octobre

cinéma Ce film documentaire retrace la violente répression qu’ont subie, le 17 octobre 1961, des milliers d’Algériens de Paris et de toute la région parisienne. Ils voulaient manifester contre le couvre-feu discriminatoire qui leur était imposé et réclamer l’indépendance de l’Algérie. A gagner : 25 places pour 2 personnes à l’avant-première du 17 octobre à Paris

Pudique acide

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de Mathilde Monnier et Jean-François Duroure, du 10 au 29 octobre au Théâtre de la Cité internationale (Paris XIVe)

scènes 1984. Deux danseurs français s’expatrient à New York pour étudier chez le grand Merce Cunningham… mais désertent vite les cours. Pudique acide, réaction poétique des deux chorégraphes à cette école américaine, est repris aujourd’hui par deux jeunes danseurs, Sonia Darbois et Jonathan Pranlas. A gagner : 10 places pour 2 personnes, le 14 octobre à 20 h 30

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in situ l’école du tweet Malgré sa grande notoriété, Twitter compte à peine trois millions de membres en France et son fonctionnement reste encore un mystère pour pas mal de monde. Ce site permet aux novices de débuter dans le microblogging et de maîtriser l’art du retweet et du hashtag. twoutils.com

la vie du rail 2.0 La SNCF fait sa com en se lançant dans l’aventure du webdocumentaire. Grâce au split screen, on suit, “côté fenêtre”, des jeunes passagers et “côté couloir”, les agents dans leur quotidien. Une ambiance sitcom avec des jeunes branchés, des wagons nickel et des contrôleurs sympas. La com, c’est fait pour rêver… cotefenetrecotecouloir-sncf.com

à la pêche aux téléchargements Bayfiles, c’est le site de téléchargement direct lancé par les deux fondateurs de The Pirate Bay. Un peu refroidis par la justice suédoise l’an dernier, les anciens pirates ont lâché le peer-to-peer pour une plate-forme de téléchargement légale, en concurrence avec d’autres sites comme RapidShare ou Megaupload. bayfiles.com/

autour du monde Philippe et Josué, tous deux trentenaires, ont visité plus de cent villes en onze mois. Pour raconter leur tour du monde, ces concepteurs multimédia ont créé un site novateur. Une carte interactive retrace leur parcours et à chaque destination, il suffit de cliquer sur la bannière pour accéder aux photos, au tumblr, aux tweets et aux statuts Facebook qu’ils ont postés. 11moissanstoi.com

la revue du web Arte

College Humor

Citazine

New York, New York

gueule de bois, mode d’emploi

un lycée autogéré

Après avoir célébré la face hip-hop de la Grosse Pomme dans New York Minute, Arte revient avec un nouveau webdocu sur la ville qui ne dort jamais. Dans NY 3.0, on part à la rencontre de ceux qui créent le New York de demain, à travers douze grandes “tendances” (mode, architecture, green, gay & lesbien, high tech, etc.). Un bon moyen de découvrir la ville-monde avec un regard neuf. Le webdocu est enrichi par des contributions d’internautes, qui peuvent envoyer leurs photos et leurs idées pour la ville du futur. bit.ly/ocdchX

Il y a quarante-sept façons de se “murger”. Les amateurs de boissons alcoolisées seront contents d’en connaître la typologie. Où l’on découvre, par exemple, la gueule de bois à la Dean Martin : boire une trentaine de Martini quasi à jeun, se retrouver le lendemain avec une laryngite aiguë et se remettre sur pieds en s’administrant une trentaine de Bloody Mary. Ou encore la murge du “sommelier” : une banale dégustation de vin tourne à la cuite et révèle bientôt les goûts culturels douteux du “sommelier”. bit.ly/qc6Sqg

L’autogestion, vieille utopie soixante-huitarde ? Au sein du LAP (le Lycée autogéré de Paris), la communauté éducative croit encore que ce mode d’organisation peut motiver et responsabiliser les lycéens. Depuis 1982, cet établissement expérimental met les élèves au cœur de son fonctionnement. Un diaporama sonore instructif permet de découvrir le témoignage de quelques-uns des deux cent vingt élèves et vingtcinq professeurs qui ont choisi cette alternative rafraîchissante plutôt que le traditionnel “surveiller et punir”. bit.ly/o8aYyI 5.10.2011 les inrockuptibles 145

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livre The Illuminatus! Trilogy de Robert Anton Wilson C’est ce que je lis en ce moment, je trouve ça passionnant. C’est un peu SF, mais il y a une grande part de réalité dedans, beaucoup de faits.

film

The Drums Portamento Un deuxième album fulgurant, nourri par les tensions intimes, avec de grandes chansons.

Après le livre de François Bon Un essai érudit qui dédramatise la mutation technologique.

album Expansion Pack 2.0 de Converter Très noise, très dense… Je ne suis pas très techno mais j’aime celle, barrée et expérimentale de Converter. recueilli par Marie-Alix Autet et Géraldine Sarratia

Portrait d’une enfant déchue de Jerry Schatzberg (Re)découverte du premier film de Jerry Schatzberg. Avec une Faye Dunaway divine.

L’Apollonide – Souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello Le quotidien d’un bordel à l’aube du XXe siècle. Réflexif et sensuel, suave et toxique.

Restless de Gus Van Sant Une love story radieuse et bouleversante entre des ados obsédés par la mort.

Birdy Nam Nam Defiant Order Racines hip-hop et sève electro, ambiance de fête et gueule de bois.

Zola Jesus Conatus Electro anxieuse, aux influences indus et dubstep, secouée par des textes noirs.

Zola Jesus Conatus, son troisième album, vient de sortir.

Le Juif de service de Maxim Biller La question de l’identité posée dans un autoportrait drôle et provoc.

En même temps que la jeunesse de Jean Harambat Roman graphique poétique et atmosphérique. Les Solidarités mystérieuses de Pascal Quignard Un roman choral tumultueux qui sonde le mystère du lien à l’épreuve du temps. America de James Sturm Une histoire de l’Amérique âpre et sans concession.

Clap Your Hands Say Yeah Hysterical Un troisième album faussement serein.

Le Rabaissement de Philip Roth Le désir comme jeu de dupes, mis en scène par Roth dans l’un de ses plus subtils romans.

L’Etrangleur de Paul Vecchiali. Toute la grandeur d’un cinéma français en liberté. Le Beau Serge et Les Cousins de Claude Chabrol. Les débuts de la Nouvelle Vague. Intrégale Huillet et Straub, vol. 6 Saisissante plongée au cœur de leur art.

Angel Ceballos

Un été brûlant de Philippe Garrel Des premières brûlures aux cendres, la décomposition de l’amour selon Garrel. Vibrant.

Possession d’Andrzej Zulawski Un film génial, magnifique. Isabelle Adjani et Sam Neill sont fabuleux. La vision de Zulawski est incroyable, son film, L’important c’est d’aimer, est superbe, lui aussi.

3” de Marc-Antoine Mathieu Un polar d’une belle habileté formelle.

L’Homme inutile ou la Conspiration des sentiments de Iouri Olecha, mise en scène Bernard Sobel Théâtre de la Colline, Paris L’humour incisif et ravageur d’un auteur russe méconnu.

Micro chorégraphie Pierre Rigal Théâtre Gérard-Philipe, Saint-Denis Le rock mis en scène avec les furieux de Moon Pallas. Electrique.

Clôture de l’amour texte et mise en scène Pascal Rambert Théâtre de Gennevilliers Une scène de ménage transformée en une performance aussi cruelle qu’éblouissante.

The Seabass Fondation d’entreprise Ricard La (bonne) pêche d’artistes d’Eric Troncy pour la 13e édition du prix Ricard.

Les frères Chapuisat Centre culturel suisse, Paris Forêt de masses noires dans un espace compacté : un tour de force impressionnant.

Cyprien Gaillard Centre Pompidou, Paris La bombe française exégète de la ruine et vandale revendiqué s’incruste à Beaubourg.

Gears of War 3 sur Xbox 360 Troisième volet toujours spectaculaire mais moins lourdaud.

Resistance 3 sur PS3 Du tir en vue subjective, façon road-movie rétrofuturiste et sentimental.

Driver: San Francisco sur PS3, Xbox 360 et PC Terrain de jeu idéal pour fou du volant virtuel.

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