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les politiques à poil devant la crise

Allemagne 5,10€ - Belgique 4,50€ - Canada 7,00 CAD - DOM 5,80€ - Espagne 4,80€ - Grande-Bretagne 5,20 GBP - Grèce 4,80€ - Maurice Ile 6,50€ - Italie 4,80€ - Liban 12 500 LBP - Luxembourg 4,50€ - Portugal 4,80€ - Suède 56 SEK - Suisse 7,50 CHF - TOM 950 CFP

No.822 du 31 août au 6 septembre 2011

La guerre est déclarée

film choc

Emmanuel Carrère

sur les traces d’un flambeur

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je suis allé au rayon gospel avec

Eric Judor

 R 

endez-vous dans un grand magasin de la culture avec Eric Judor, pas loin de la place des Ternes à Paris. L’autre moitié d’Eric et Ramzy est en pleine forme. Platane, la nouvelle série qu’il vient d’écrire et dont il tient le premier rôle, sera diffusée le 5 septembre sur Canal+ (lire page 110). Eric Judor joue Eric Judor, qui se prend un platane donc, et se retrouve, après un an de coma, plein de bons sentiments, d’amour de la vie – et se met notamment au gospel. Eric trace jusqu’audit rayon en faisant des vannes. “Prends ce que tu veux, c’est sur le compte de Canal. Tu veux un plasma ? Prends, c’est cadeau.” Arrivé sur place, il fait son coming out. “J’en ai fait du gospel, j’étais adulte déjà, hein, j’étais inscrit à une chorale à Montigny-le-Bretonneux, dans le 78. Il n’y avait pas énormément d’Afro-Américains dans ma chorale, plus des gens des Yvelines en fait. Mais super chorale, je chantais Oh Happy Day, j’étais soliste, même. Mais à un moment donné, pour que je progresse, on m’a présenté un mec qui venait de Strasbourg, et le type s’est mis à chanter devant moi et il m’a humilié. Et là j’ai dit, c’est ça le gospel, c’est ça l’ambiance ? Et je me suis barré.” Voilà pour le gospel, on file au rayon Brésil pour essayer de trouver un disque de samba, et plus précisément de l’école Mangueira : “C’est le nouveau truc dans lequel je vais me mettre à fond. Les mecs

“la musique, c’est un bon truc pour rigoler”

Lucien le vendeur etEr ic (sans Ramzy)

dansent n’importe comment mais le plus vite possible, et du coup il y a une sorte de fumée qui les entoure.” Il attrape un disque, il se marre tout seul. “La musique, c’est un bon truc pour rigoler. Dans la culture hip-hop, dans la culture r’n’b, il y a des trucs clairement drôles, ça peut même être très gênant parfois. Par exemple il faut voir comment nous, les Antillais, on a récupéré l’imagerie r’n’b dans les clips de zouk : les chaînes, les grosses voitures. Dans Platane par exemple, on a vachement utilisé les ressorts comiques de la musique.” On lui demande ce qu’il écoute quand ça n’est pas pour rire. Il allume son baladeur MP3 : “John Legend, Kanye, Busta Rhymes, tiens Metronomy, j’aime bien aussi, ça fait très branchouille, y a deux morceaux que j’aime bien, The Bay et The Look, le reste ça m’a soûlé… Sinon Mary J. Blige, Marvin Gaye. Et puis j’ai les trucs pour les enfants aussi, regarde : Hannah Montana, les Jonas Brothers. Y a un morceau d’un des frères que j’adore, Nick Jonas, mais je ne me souviens plus du titre.” Détour par le rayon chanson française, blagues en cascade, sur les cheveux de Nino Ferrer “qui a l’air d’être à une fausse garden party”. Il soulève un disque de Bénabar. “Le mec était auteur pour H, tu savais ça ?” Un morceau retentit, de la soul classe et surpuissante. Il court vers un vendeur. “C’est quoi ça ?” “Bobby Womack.” Eric Judor fonce attraper le disque en compagnie de Lucien, le vendeur, qu’il checke au passage. “C’est bon ça, Bobby Womack, j’avais pas reconnu, allez je le prends, je vais payer, faut que j’y aille.” Direction les caisses, attention au platane sur le chemin du retour. texte et photo Pierre Siankowski

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No.822 du 31 août au 6 septembre 2011

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quoi encore ? Eric Judor

10 on discute courrier ; édito de Bernard Zekri

12 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

16 événement la Libye panse ses plaies

18 événement Eddy Mitchell, ultimes concerts ça va ça vient ; billet dur

21 nouvelle tête Amaelle Guiton

52

John Macdougall/ AFP

20 la courbe

22 ici leurs yeux ont fait le printemps arabe

24 ailleurs Syrie, guerre d’images à distance

26 parts de marché la neutralité du net en danger

28 à la loupe le retour des Red Hot Chili Peppers

40 le PS en terre inconnue les candidats à la primaire socialiste s’élancent pour un combat incertain

43 DSK libre de ne rien faire ses petits camarades ne l’attendent plus, mais il arrive

45 presse-citron

39 70

revue d’info acide

46 contre-attaque

un sociologue dans la cité

48 Tinariwen, rois du désert l’oasis bienfaisante du rock touareg

52 en une pourquoi la crise l’économiste Philippe Askenazy explique les raisons de l’effrondrement + une journée avec Arnaud Montebourg

62 Emmanuel Carrère entretien avec l’écrivain, qui s’empare de la vie de l’incroyable Limonov

Philippe Lopparelli/Tendance Floue

la famine dans la Corne de l’Afrique menace 12 millions de personnes

30 au cœur des bandes

Patrick Kovarik/AFP

pour sa rentrée, le parti du président devrait ranger les flingues

Vincent Lignier

39 l’UMP feint l’union

30 62

66 propagande islamophobe 70 Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm à l’assaut de la vie

Marion Poussier

une offensive médiatique mondiale

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34

76 La guerre est déclarée de Valérie Donzelli

78 sorties

La Grotte des rêves perdus, R.I.F., Neds, La Ligne blanche, Blackthorn…

82 rétrospective Blake Edwards à la Cinémathèque

84 DVD RoGoPaG…

86 Deus Ex – Human Revolution + From Dust, Edge, Gesundheit !

88 hardcore et Coran focus sur les musulmans à crête

90 mur du son Vincent Delerm, Anna Calvi…

91 chroniques Gaslamp Killer, Adam Green…

96 morceaux choisis Chairlift, Jens Lekman, Birkii…

97 concerts 98 Eleanor Catton un teen-novel machiavélique

100 romans/essais Dinaw Mengestu, Eric Laurent…

102 tendance l’académisme à la française

104 agenda les rendez-vous littéraires

105 bd Chantal Montellier, troublante militante

106 Lucinda Childs Dance + d’autres spectacles de Tanz im August

108 spécial été : la parole aux artistes Philippe Ramette

110 Eric se prend un Platane Eric sans Ramzy, hilarant

112 le 11 Septembre à la télé dix ans déjà

114 séries

rencontre avec Jeremy Piven

116 télévision Lacan vu par Gérard Miller

118 Google toujours + le géant passe à l’offensive

120 la revue du web décryptage profitez de nos cadeaux spécial abonnés

p. 113

121 vu du web la fin du Minitel

122 best-of le meilleur des dernières semaines

rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Hélène Fontanaud, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs E. Barnett, G. Binet, R. Blondeau, J. Brézillon, M.-A. Burnier, M. Despratx, A. Dubois, P. Dupont, J. Goldberg, A.-L. Gollion, O. Joyard, G. Kenedi, C. Larrède, T. Legrand, V. Lignier, A. Majirus, L. Mercadet, P. Moreira, V. Ostria, Y. Perreau, E. Philippe, J. Provençal, A. Ropert, L. Soesanto, lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Delphine Chazelas, Gaëlle Desportes, Amélie Modenese, Caroline Pereira conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Leily Eslampour, Nathalie Petit, Camille Roy, Amankaï Araya publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/ scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté de Paul-Boris Bouzin tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 coordinatrice Dounia Hajji tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 19 98 directeur et directrice de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94, Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 chef de publicité junior Chloé Aron coordinateur Guillaume Farez tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/rp Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19 infos 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 2 211 059,61 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général David Kessler directeur général adjoint Stéphane Laugier assistante du directeur général Valérie Imbert directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2011 directeur de la publication David Kessler © les inrockuptibles 2011 tous droits de reproduction réservés ce numéro comporte un encart abonnement 2 pages Belgique et Suisse jeté dans l’édition vente au numéro Belgique et Suisse ; un encart 4 pages “GNCR” jeté dans l’édition France ; un encart 4 pages “Institut Français” jeté dans l’Edition Pidf des abonnés et de la vente au numéro ; un CD “Rentrée 2011 vol. 1” encarté dans toute l’édition.

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l’édito

la règle à calcul

Bernard Zekri et Léon Mercadet

Ludivine Sagnier dans Les BienAimés

Juste pour rire, Christophe Honoré (qui est malin) devrait filmer une chaise pendant vingt minutes, pour voir si Les Inrocks ouvrent avec. méchamment twitté par Mmaestraccao berné

No.821 du 24 au 30 août 2011

Jonathan Franzen success story

M 01154 - 821 - F: 2,90 €

avec les indignés de Tel-Aviv

Chiara Mastroianni & Louis Garrel

héros romantiques de la rentrée cinéma Allemagne 3,80 € - Belgique 3,30 € - Canada 5,75 CAD - DOM 4,20 € - Espagne 3,70 € - Grande-Bretagne 4,80 GBP - Grèce 3,70 € - Italie 3,70 € - Liban 9 000 LBP - Luxembourg 3,30 € - Maurice Ile 5,70 € - Portugal 3,70 € - Suède 44 SEK - Suisse 5,50 CHF - TOM 800 CFP

No.821 du 24 au 30 août 2011

Jonathan Franzen success story

avec les indignés de Tel-Aviv

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Dans les trousses de nos parents, à l’école des années 50, les règles n’étaient pas d’or, mais d’acier. En cas d’indiscipline, l’institutrice pouvait ordonner à l’élève de se présenter devant elle, mains ouvertes, et elle lui cinglait les doigts avec le rigide instrument. Ça faisait très mal. Le jeu consistait à retirer les doigts très vite pour éviter le choc. Appliquée aux budgets des années 2010, la “règle d’or” risque elle aussi de provoquer d’intolérables souffrances. C’est ce que prouve, a contrario, l’exemple belge : la Belgique, meilleur taux de croissance du second trimestre avec 0,7 % (2,8 % annuel, un exploit) alors que la France et l’Allemagne ont fait du surplace. Pourquoi ce miracle belge ? Le pays, depuis plus d’un an, n’a plus qu’un gouvernement démissionnaire, réduit à expédier les affaires courantes, interdit de toute initiative budgétaire et donc de toute mesure d’austérité. Echappant à la rigueur risquant d’entraver la consommation et la croissance, l’économie belge se porte comme un charme. Autre exemple, historique cette fois : imaginons qu’en 1661, quand il arrive au pouvoir, Louis XIV ne se contente pas de faire arrêter Nicolas Fouquet, son dispendieux ministre des Finances, mais qu’en plus il exige de son nouveau ministre Colbert de la “rigueur”. “Monsieur Colbert, il faut cesser de vider les caisses de l’Etat, d’endetter la France. Trouvez-moi un truc !” Colbert, habile financier, pose alors comme principe que le déficit du budget ne saurait dépasser 3 % chaque année, et baptise sa trouvaille “la règle d’or”. Conséquences : dans le demi-siècle qui suit, la France perd toutes ses guerres contre l’Espagne, la Hollande, l’Autriche et l’Angleterre. Dépecé par ses ennemis, le royaume est réduit à un territoire croupion dans la zone du Massif central, avec pour capitale, mettons, Vichy, et placé sous la protection des Habsbourg. Evidemment, on ne construit pas Versailles : trop cher. Excellemment géré, le minuscule Etat échappe à la dette monstrueuse (4 milliards de livres, soit 200 milliards d’euros) qui sera celle de 1788 sous Louis XVI. Conséquence : il n’y a pas de révolution en 1789, puisque c’est la dette qui conduit à la convocation des Etats généraux et aux événements que l’on sait. En 2011, la France n’est donc pas une république, elle est restée un royaume, comme la Belgique, dans des montagnes, comme l’Autriche, dont elle a à peu près la taille. Au passage, nous n’avons pas aidé les Américains à se libérer des Anglais (dans les années 1770, l’aide aux indépendantistes nous a coûté un milliard de livres), et les Etats-Unis n’existent pas. Si, en dépit de cet affreux constat, le gouvernement Sarkozy-Fillon s’obstine à rétablir la règle d’or, opposonslui un argument de bon sens : la règle d’or existe déjà ! Elle figure en clair dans le traité de Maastricht de 1991, complété par celui d’Amsterdam en 1997, et s’appelle “Pacte de stabilité”. Lequel pacte interdit à tout Etat de la zone euro un déficit annuel supérieur à 3 %. Il suffit de respecter les traités existants. Ne pas le faire revient à dévoiler la règle d’or pour ce qu’elle est : une simple astuce politicarde dans le but de piéger la gauche.

Louis Garrel

& Chiara Mastroianni

héros romantiques de la rentrée cinéma

Allemagne 3,80 € - Belgique 3,30 € - Canada 5,75 CAD - DOM 4,20 € - Espagne 3,70 € - Grande-Bretagne 4,80 GBP - Grèce 3,70 € - Italie 3,70 € - Liban 9 000 LBP - Luxembourg 3,30 € - Maurice Ile 5,70 € - Portugal 3,70 € - Suède 44 SEK - Suisse 5,50 CHF - TOM 800 CFP

Je suis très remonté. Je suis même furieux. Je me suis rendu dans un kiosque comme chaque semaine pour avoir ma version papier des Inrocks. Le kiosquier me sort un exemplaire et je paie 2,90 € (ça a augmenté d’ailleurs, je me souviens c’était écrit “Nouveau !” quand le prix est passé de 2,50 € à 2,90 €). Je m’étonne alors que la photo de Louis Garrel soit légendée par le “couple romantique de la rentrée”. Un couple normalement ils sont deux. Je continue ma route en feuilletant mon journal et apprécie que vous parliez du film que j’ai vu hier, Les Bien-Aimés, parce que c’est vrai que Louis Garrel n’est pas mauvais, et que surtout, il est avec Chiara. Or, tout à l’heure, je vais sur le site des Inrocks et je vois dans une pub que Chiara est à la une des Inrocks. Ce n’est pas possible, me dis-je, c’est Louis Garrel. Et je me rappelle que vous aviez déjà fait le coup des deux couvertures avec une histoire de fringues. C’est la raison de ma colère. Personne ne m’avait prévenu que Chiara était sur la couverture. Et je la préfère mille fois à Louis Garrel qui ne fait blêmir que les adolescentes. Je pense que le kiosquier l’a fait exprès pour garder Chiara. Ou alors vous l’avez fait exprès pour m’obliger à racheter un nouvel exemplaire. Ce qui est malhonnête. Alexandre P.-S. : Si vous avez une version poster de Chiara, ça ira.

écrivez-nous à [email protected], lisez-vous sur http://blogs.lesinrocks.com/ cestvousquiledites

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction

Francis le Gaucher

mort d’un songwriter Jerry Leiber est mort à Los Angeles à 78 ans. Son nom figure en lettres d’or, tout près de celui du compositeur Mike Stoller, sur le juke-box de la musique vintage. Dingue de blues et de rhythm’n’blues, Jerry Leiber a écrit les textes de Hound Dog, Jailhouse Rock, Stand by Me, Spanish Harlem, On Broadway pour Elvis, Ben E. King, les Drifters ou les Coasters. parce que La filière édition du groupe Because enregistre ses meilleurs résultats depuis sa création par Emmanuel de Buretel il y a six ans. Because Editions est numéro un des charts américains et allemands avec le titre Why I Love You de Jay-Z et Kanye West. Au sommet aussi en Angleterre avec Nero, en Allemagne, Italie, Hollande, Espagne et Autriche grâce au single de Don Omar feat. Lucenzo, Danza Kuduro. fini le rhum-coca, vive le rhum-pinard Le 24, Fillon annonce l’augmentation des taxes sur le tabac, les alcools forts et les sodas. Une lutte présentée comme sanitaire mais qui ne touche ni le vin ni le rhum. Pour une raison simple, explique le député UMP Yves Bur aux Inrocks : “Derrière les bouteilles d’alcool fort, le tabac ou les sodas, vous avez des industriels. Derrière les bouteilles de vin et de rhum, vous avez des viticulteurs et des producteurs de canne à sucre.”

le mot

[fort]

Ludovic/REA

En ce début de campagne pour la primaire socialiste, vous croyez que Martine Aubry va passer plus souvent à la télévision. Pas du tout. Selon son porte-parole, elle va entrer “dans une séquence de présence médiatique extrêmement forte”. De son côté, Arnaud Montebourg n’a pas d’idées, non, mais des “idées fortes” et François Hollande fait preuve d’une “conviction forte”. Rama Yade rappelle qu’elle a eu des “mots forts” contre le régime de Kadhafi, les socialistes espèrent une “mobilisation forte” autour de leurs candidats (à ne pas confondre avec une forte mobilisation qui semblerait plus banale). Au dixième “fort”, on n’y croit plus du tout. Cela fait penser à ces écrivains débutants qui farcissent leurs textes de mots ou de phrases en majuscules comme pour mieux appuyer un faible propos. Cela ne fait que rajouter à la confusion : si tout est fort, rien ne l’est.

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l’image un polichinelle dans le tiroir à Beyoncé

Radio France/ Christophe Abramowitz

De L’Enfer au paradis : Beyoncé attend finalement son destiny’s child.

c’était Lenoir Bernard Lenoir quitte France Inter. Tout en annonçant l’arrêt de ses Black Sessions, France Inter souhaitait repousser C’est Lenoir de 22 heures à 23 heures : l’émission, lancée en 1990, n’était pas en danger mais ce décalage a miné le courage de Lenoir et de sa collaboratrice Michelle Soulier. “Entre musique pas comme les autres et vie au grand air, j’ai enfin choisi. See U in Biarritz. Caresse et bise à l’œil” , a twitté Lenoir. Les Black Sessions avaient accueilli The Cure, Radiohead, Yann Tiersen, Pavement, Franz Ferdinand ou Pulp. Bon vent à Bernard Lenoir et d’infinis mercis. purin et socialisme 22 août : une trentaine de cagoulés, opposés à la construction du nouvel aéroport nantais à Notre-Damedes-Landes, taguent la caravane de la primaire socialiste et jettent du purin à l’intérieur. Les collectivités locales à direction PS soutiennent le projet d’aéroport à l’inverse de pas mal d’habitants, de quelques écolos et d’une partie de l’extrême gauche.  bonne note Jeudi 25 : une cinquantaine de militants du PC et leur boss Pierre Laurent envahissent le hall de Standard and Poor’s, à Paris. Vingt minutes et une banderole plus tard, ils quittent les lieux en laissant des autocollants. Le 26 mai, une vingtaine d’activistes anti-G8 avaient occupé le même hall pendant une heure, installé un Monopoly de la finance et déplacé les meubles. Show show La réalisatrice Show-Chun Lee a été aperçue la semaine dernière au carrefour de Belleville – entre le resto le Président (institution du quartier chinois) et le bar de la Vielleuse. Très engagée auprès des sans-papiers chinois, elle prépare son premier long métrage : un film choral sur les trajectoires croisées de clandestins chinois, entre cinéma d’auteur et cinéma populaire asiatique, “loin du Paris rêvé par Woody Allen”.

C’est sur la scène des MTV Video Music Awards, à Los Angeles, que Beyoncé a décidé d’annoncer sa grossesse à tout le monde. Pas en déclarant, un peu émue comme le commun des mortelles : “Je suis enceinte, lol”, non mais en clôturant son live de Love on Top avec un lâcher de micro, une ouverture de veste express et des gestes appuyés du type “Héhé, je me masse le ventre… pas parce que j’ai mal digéré si vous voyez ce que je veux dire.” Suit un plan du bonhomme Jay-Z , futur papa heureux comme un prince avec son copain Kanye lui sautant sur les épaules de joie. Un moment un tout petit peu en toc mais assez émouvant pour nous faire oublier le gros raté de Beyoncé qui sortait en début de semaine le clip de 1+1. Single médiocre dont la vidéo reprend la fameuse scène de L’Enfer de Clouzot dans laquelle Romy Schneider – tout en scintillements et projections de lumière – explose de beauté. Dur de concurrencer même quand on s’appelle Beyoncé.

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le moment Rock en Seine Le festival de Saint-Cloud est devenu un rendez-vous immanquable.

The Kills

Allen pas frais Woody Allen, justement, on le repère à Rome sur le tournage de Bob Decameron. Un Woody vieilli, fragile, qui tourne une scène avec Jesse Eisenberg à la terrasse d’un café près de la galleria Farnesina. Il lui faut douze secondes pour arriver à s’asseoir. Il s’adresse peu aux acteurs, à peine aux techniciens, trop occupé à scruter son storyboard. Les touristes s’agglutinent, les paparazzi guettent. RIP Joséphine “Après Raúl Ruiz, c’est un collègue de plus qui s’en va cette semaine. Avec Joséphine, nous avons écrit une belle histoire.” Joséphine ? La disparue à laquelle Jean-Marc Barr rend hommage est le dauphin du Grand Bleu, retrouvé mort à l’âge de 38 ans dans son bassin du Marineland d’Antibes. Le cinéma français est en deuil. rentrée littéraire Le 25 au soir, sur la magnifique terrasse du Théâtre de l’Odéon, le cocktail de rentrée littéraire des Inrocks ouvre la saison. Il y a foule. Teresa Cremisi (Flammarion), toujours aussi sexy. Jean-Marc Roberts (Stock) rayonne : “Si je n’allais pas bien, je ne serais pas là.” L’élégant Eric Reinhardt, accoudé à la balustrade, discute avec Eric Laurent, sans doute des bonnes ventes de son Système Victoria. Paul Otchakovsky-Laurens et JeanPaul Hirsch (P.O.L) rayonnent tout autant, accompagnés du numéro de rentrée littéraire des Inrocks avec Jean Rolin en couve, qui annonce d’emblée : “J’ai une de ces gueules de bois !” Olivier Cohen (Editions de l’Olivier) exulte du succès de Jonathan Franzen (premier tirage à 60 000 déjà épuisé). Et c’est joyeux de voir ces éditeurs, angoissés par la crise de l’édition en juin, retrouver leur optimisme. Christine Montalbetti, Olivia Rosenthal, Michel Schneider, Santiago Amigorena, Régis Jauffret, Mathieu Lindon, Simon Liberati et bien d’autres auteurs sont heureux de se revoir. Sur le tard, débarquent les men in black des médias : Nicolas Demorand et Sylvain Bourmeau (Libé) et Ali Baddou (Canal+). censure et barbarie Le 25, à l’aube, le caricaturiste syrien Ali Ferzat est kidnappé et torturé par les services de sécurité de Bachar al-Assad. Cet acte sadique s’ajoute à l’emprisonnement des militants des droits de l’homme Walid Al-Bouni, Nawaf Bachir, George Sabra, Mohammed Galiyoun et Abdullah al-Khalil. L. M., G. S. et B. Z. et avec la rédaction

Ho New/reuters

Nicolas Joubard

Plutôt que de se souvenir d’un concert pathétique, voire embarrassant de reformation des La’s ou d’une météo de festival anglais, on retiendra plutôt l’ampleur et la ferveur du public lors de cette neuvième édition de Rock en Seine. Devenu une sorte de JMJ de l’indie-rock, où l’on vénère les guitares de toutes obédiences, le festival francilien a encore gagné, malgré la boue et une programmation moins grand public, en fréquentation, atteignant les 108 000 visiteurs en trois jours. Musicalement, outre les triomphes des Kills, Arctic Monkeys ou Foo Fighters, on n’est pas près d’oublier les concerts fulgurants de Wu Lyf, Gruff Rhys, Miles Kane ou Frànçois & The Atlas Mountains, ainsi qu’une performance renversante du collectif hip-hop Odd Future, qui a donné un coup de vieux à beaucoup d’autres artistes présents. Mais il n’y avait pas de guitares et le public a un peu boudé. Peut-être trop grossier pour Saint-Cloud ?

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la Libye panse ses plaies Pendant la prise de la capitale libyenne, les Tripolitains sont restés cloîtrés chez eux. Aujourd’hui que la ville reprend vie, les rebelles découvrent les charniers laissés par les kadhafistes avant leur fuite.

 R

afales de kalachnikov, explosions incessantes et concert de batteries aériennes : ici, la bande-son de l’après-guerre ressemble étrangement à celle du champ de bataille. Comme s’ils pouvaient se permettre de gaspiller leurs munitions ; comme si l’on ne se battait plus au sud de la capitale libyenne, à l’est, à Syrte ou Ben Jawad ; comme si les balles tirées en l’air ne retombaient jamais sur terre… Les nouveaux maîtres de Tripoli trouvent toujours une occasion de faire tonner leurs armes : le passage d’une caméra de télévision, la fin du jeûne quotidien, l’arrivée d’un convoi de vivres, la fierté incommensurable d’avoir détrôné “Chafchoufa”, le dictateur aux “cheveux en bataille”. Du coup, on ne sait plus très bien si la guerre est vraiment terminée, si les avions de l’Otan bombardent encore et si tous les snipers ont été délogés des toits.

Dans le centre-ville, plus personne ne sursaute. Des enfants jouent dans la rue, des femmes conversent sur une pelouse. Quant aux automobilistes, ils ne ralentissent déjà plus dans les chicanes installées à l’entrée des checkpoints. Sur les murs des immeubles, on devine les affiches déchirées du dictateur. Les tapisseries à son effigie sont devenues des paillassons, les pages de son livre jonchent les caniveaux. Pour que les Tripolitains sortent enfin de chez eux, il a fallu attendre vendredi midi : l’appel du muezzin. En une demi-heure, la mosquée Abou Mengel, près de l’avenue Omar el-Mokhtar, s’est remplie de fidèles. “D’habitude, il y a encore plus de monde. Il y a des gens jusque dans la rue”, nous explique l’imam Tarek. Pour rien au monde, ils n’auraient manqué la dernière grande prière du ramadan, le “premier vendredi sans Kadhafi” en quarante-deux ans.

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Le27 août , le charnier de la base kadhafiste Khamis 32 était découvert

Daniel Berehulak/Getty Images/AFP

des milliers de personnes, arrêtées à travers le pays depuis le début de la répression kadhafiste, ont disparu

“Aujourd’hui, c’est un jour saint pour tous les musulmans. Mais pour ceux de Tripoli, c’est un jour doublement spécial, car il n’est plus là.” Youssef, la cinquantaine, arrive en larmes dans la salle de prières. Tous les autres viennent le saluer, lui présentent leurs condoléances. “Mardi, nous expliquet-on, son fils Aymen a été tué. Ils ont trouvé un petit drapeau de la rébellion dans sa voiture, ils l’ont arrêté.” Pendant des jours, Youssef n’a eu aucune nouvelle. Puis un témoin lui a raconté : “Ils l’ont emmené au sud de la ville, près de la base Khamis 32, la brigade d’un des fils Kadhafi. Ce n’était pas une prison. Mardi dernier, ils ont fait croire à leurs prisonniers qu’ils allaient les libérer. Ils ont ouvert la porte et les ont mitraillés. Ils étaient 150.” Ces dernières semaines, six hommes ont disparu dans la famille de Youssef. A la mosquée Abou Mengel, les langues se délient. “Ces derniers mois ont été un enfer, raconte Messaoud. La moindre

marque de sympathie pour l’insurrection pouvait signer votre arrêt de mort. Nous ne sortions pas de chez nous, beaucoup ont passé leurs journées à regarder Al-Jazeera. On y voyait l’avancée des rebelles, la liberté à Benghazi. J’avais du mal à croire que cela arriverait jusqu’à nous.” “Personne ici n’a manifesté pour Kadhafi, insiste Mossadeq. Les grands rassemblements de soutien sur la place Verte, c’était de la propagande. Quand les frappes de l’Otan ont commencé, les kadhafistes ont ramené leurs morts du front : des libyens, des mercenaires africains. Ils disposaient les corps dans les décombres des immeubles bombardés et disaient à la télé que l’Otan tuait des civils.” Mais le cauchemar est terminé, assure le cheikh Tarek. Pour la première fois, son prêche parle de politique, de Kadhafi, des décennies de terreur, de la “Libye libre”. Lui-même n’a jamais été en odeur de sainteté avec le régime khadafiste. “Tout ici – la mosquée, l’école coranique, le centre social, les cours d’informatique – a été financé sans l’aide du gouvernement, grâce à la générosité des fidèles.” Pilote d’hélicoptère dans l’armée, l’imam a déserté en février, quand on lui a demandé de tirer sur des Libyens. Avant de fuir l’offensive des rebelles, les kataïebs de Kadhafi lui ont fait payer sa désertion. “Ils sont entrés dans la maison, nous raconte Najia, la femme de l’imam. Les gens du quartier nous avaient confié leur argent, leurs bijoux. Ils ont tout pris. Et ce qu’ils n’ont pas volé, ils l’ont détruit.” En bas, dans la rue, un camion s’est arrêté, une citerne sur la plate-forme. Des enfants accourent avec des bidons. Il n’y a plus d’eau courante depuis plusieurs jours. Pour boire, il reste encore de l’eau en bouteille, mais les stocks s’épuisent. Quelques magasins ont rouvert. Certains avaient des réserves, d’autres sont vides depuis un mois. Samedi, le principal poste-frontière avec la Tunisie a été repris par les rebelles. “D’ici quelques jours, espère cet épicier, les vivres vont arriver.” Au fur et à mesure que les rebelles avancent, les Tripolitains découvrent l’envers du régime Kadhafi. A Bab el-Aziziya, l’ancien quartier général du colonel, ils visitent les bunkers, se prennent en photo devant la “main écrasant un avion américain” : la sculpture est encore debout, enveloppée dans le nouveau drapeau noir-rouge-vert. Ici, le dictateur prononçait ses discours les plus importants. Ici, en mars, il avait promis de résister jusqu’à la mort. Est-il encore à Tripoli ? A-t-il passé la frontière algérienne dans un convoi blindé ? A-t-il fui par ces tunnels qui courent sous

la ville, de Bab el-Aziziya jusqu’au zoo, de l’aéroport jusqu’au centre-ville ? Un temps “localisé” dans un immeuble d’Abou Salim par la rébellion, le guide de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste reste introuvable. Les faubourgs sud de la capitale sont les derniers à avoir été libérés. Jeudi soir encore, deux gros porteurs brûlaient sur le tarmac de l’aéroport. Dernière poche de résistance, le quartier de Salaheddine est tombé vendredi soir. Le lendemain, les rebelles ont découvert l’insoutenable. Dans un hangar à la sortie de la ville, des dizaines de corps calcinés. On ne distingue plus que les squelettes. “Depuis plusieurs mois, on les voyait amener des civils ici, raconte un voisin. Certains avaient les yeux bandés. Mardi soir, il y a eu quatre ou cinq explosions puis des tirs, cela ne s’arrêtait plus. Impossible d’aller voir ce qu’il se passait, il y avait des snipers sur les toits.” Bachir, arrêté en mai pour avoir aidé deux rebelles à rejoindre la Tunisie, était dans le hangar quand ils ont lancé les grenades. “Nous étions 153. Après les explosions, j’ai pu m’échapper avec une quinzaine d’autres. Mais nous n’avons pas pu tous passer par-dessus le mur.” Dans la cour, plusieurs corps sont en décomposition. “Ceux qui avaient survécu aux explosions mais n’ont pas pu sortir ont été mitraillés.” Le hangar jouxte le camp Khamis 32. L’emplacement, le nombre de prisonniers… Aymen, le fils de l’homme rencontré vendredi à la mosquée, fait sans doute partie des victimes. Des milliers de personnes, arrêtées à travers le pays depuis le début de la répression kadhafiste, ont disparu. A Tripoli, on compte des centaines de morts en une semaine et les hôpitaux, débordés, manquent cruellement de médicaments. La ville panse ses plaies mais vit déjà dans l’après-Kadhafi. “Il ne peut plus revenir.” “Mieux vaut manquer d’eau et de pain, la liberté est à ce prix.” Pendant que certains se battent encore à trente kilomètres au sud de la capitale pour mater les dernières poches de kadhafistes, d’autres, en retrait, jouent à la guerre. Ceux-là n’ont pas été au front, mais on leur a donné des armes pour qu’ils protègent leur rue, leur quartier. Les habitants commencent à s’inquiéter. Une autre bataille attend les nouvelles autorités de Tripoli : récupérer les armes, convaincre ces jeunes de rentrer chez eux et d’abandonner leur petit bout de territoire. A voir comment certains petits caïds arrêtent les voitures, fouillent les coffres et paradent façon gangsta, on se dit que le retour à la normale n’est pas pour demain. Guillaume Villadier 31.08.2011 les inrockuptibles 17

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Eddy sois bon Eddy Mitchell donne cette semaine ses ultimes concerts à l’Olympia. Mais ne semble pas pour autant mûr pour le cimetière des éléphants.

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ar de l’hôtel Raphael, 15 heures. Eddy Mitchell, dit “Schmoll”, 69 ans, nous attend, bouteille d’eau et cigarettes à portée de main. Banane impeccable, barbe ultrasoignée, chemise et pantalon en jean, il reçoit pour son départ en préretraite. Il donnera les 3, 4 et 5 septembre à l’Olympia à Paris ses tout derniers concerts. D’une voix calme : “La scène, les tournées, c’est bon… Je fais ça depuis cinquante ans, j’ai les clés de toutes les villes et je connais tous les restos qui font des salades gourmandes après une heure du matin.” Les concerts, c’est fini, sans regrets. Les disques pas forcément, il laisse “la porte ouverte”. Eddy Mitchell, Claude Moine de son vrai nom, est né le 3 juillet 1942, dans le quartier de Belleville à Paris. “Mon père travaillait de nuit à la RATP et ma mère était employée de banque. J’aimais beaucoup mes parents mais je ne voulais pas vivre leur vie.” Un frère et une sœur, enfance heureuse, avec “envie de voir autre chose”. Tous les soirs à la sortie de l’école, le père l’emmène au cinéma avant d’aller bosser, préparant l’échappée belle sans le savoir. Beaucoup de westerns, “avec le Technicolor qui dégueule bien”. Le jeune Claude Moine prend conscience de l’existence de l’Amérique, qui pour l’instant reste un

paysage. “Quand on habite Belleville et qu’on voit un cavalier perdu dans une immensité d’herbe verte, ça fait un choc.” Bill Haley met la couche définitive en 1954 avec Rock around the Clock. “J’ai entendu ça pour la première fois sur la BBC, que j’écoutais en grandes ondes, tout est parti de là.” L’Amérique et rien d’autre, une Amérique qu’il fantasme mais dont il n’est pas dupe. “Je savais qu’il se passait des trucs bizarres là-bas, j’avais entendu parler de l’exécution des époux Rosenberg.” Claude Moine, qui est déjà Eddy Mitchell dans sa tête, arrête l’école à 13 ans et demi. “Je n’étais pas un cancre mais l’école ne m’intéressait pas. J’ai arrêté après mon certificat d’études.” Petits boulots. “J’ai été garçon de café, coursier, j’ai dessiné un peu, j’ai eu un tout petit contrat chez Risque-Tout, un journal qui était produit par les éditions Dupuis. Dessiner, c’était aussi mon truc.” Les livres défilent à la maison, le père a un cousin chez Gallimard qui file les invendus. “Mon père revenait avec des sacs remplis.” Aussi bien Proust et Faulkner que l’auteur de polars britannique Peter Cheyney, le favori du jeune garçon. “Aujourd’hui c’est obsolète Peter Cheyney, mais les histoires de Lemmy Caution, c’était pas mal à l’époque.” Surtout, c’est Eddie Constantine qui joue Lemmy Caution. Il est chanteur aussi, c’est l’idole de Claude Moine qui lui

pique son prénom et qui devient Eddy Mitchell (le Mitchell est en hommage à Mitchum) “pour aller jouer dans les bals et les dancings”. Il a 15 ans à peine. Il croise un type qui en a 14 et qui s’appelle Johnny Hallyday. C’est parti, les deux passent leurs après-midi au GolfDrouot. Les Chaussettes Noires débutent en 1961, c’est le premier groupe de rock de France, tout simplement. Les années 60, elles ne sont pas si insouciantes que ça. “On savait qu’on était en sursis, qu’il y avait la guerre d’Algérie. J’avais un ami plus âgé qui y était et qui nous racontait tout.” 1963, Les Chaussettes Noires se séparent, Eddy Mitchell se lance en solo. Il découvre la soul, Aretha Franklin, James Brown. Cette musique l’obsède. Premiers contacts avec l’Amérique en 1965. “J’ai été direct au Texas, c’est Jean-Marie Périer, le photographe de Salut les copains, qui m’a proposé de l’accompagner à Dallas. C’était très impressionnant par l’architecture. Mais ce n’était pas l’Amérique que j’attendais, je voyais plus un truc comme Santa Fé, avec des cactus.” Cette Amérique, il va la trouver aux studios Muscle Shoals, dans l’Alabama, studios mythiques de la soul music où il part

enregistrer pour faire comme Aretha Franklin. “Muscle Shoals, c’était un dessin de Lucky Luke. Une rue bétonnée, et au bout la prairie. Il n’y avait pas d’hôtel. Il y avait un studio, des petites maisons, et un mec qui faisait des hamburgers. Et ce mec qui faisait des hamburgers, il écrivait aussi des textes de chansons.” Des histoires comme celles-ci, Eddy Mitchell en a des centaines. Le Peabody Hotel de Memphis, “avec sa chambre Jeanne d’Arc”. Un hôtel de Nashville “où a été tourné L’Arnaqueur avec Paul Newman, et où le patron qui ressemble à W. C. Fields vous raconte des histoires toute la nuit”. A Nashville, Eddy est chez lui, même si “la ville a changé”. Il a traîné ses guêtres dans tous les studios, dans les magasins de disques d’Ernest Tubb et de Conway Tweety. On peut parler de la légende country Merle Haggard avec lui, il doit être l’un des seuls chanteurs français dans ce cas. Ses visions d’Amérique, il les a consignées dans des chansons. “Grâce au cinéma”, dit-il. Exemple, dans Sur la route de Memphis, cette phrase de génie : “A la place du mort, un chienloup.” Explication : “Cellelà, je l’ai gaulée dans Luke la main froide, on voit Paul

“j’ai connu Bashung quand il imitait Tom Jones et qu’il était produit par Dick Rivers”

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“Godard a une façon amusante de filmer Paris, mais ça reste un touriste”

Newman entrer dans un fourgon, et il y a un chien-loup, tout simplement.” Eddy Mitchell connaît le cinéma américain par cœur, il l’a montré dans La Dernière Séance, à la télévision, entre 1982 et 1998. “La Dernière Séance, c’est un été où je ne faisais pas de tournée et où je m’ennuyais un peu. J’avais un copain qui était patron des cinémas UGC, un fou de ciné, un collectionneur d’affiches. Je lui dis, un soir après tout le monde, on devrait se faire une soirée avec des films qu’on aime bien. Je voulais voir Scaramouche. On a fait une séance publique en mettant une petite pancarte : ‘Eddy Mitchell présente Scaramouche’. Complète.

Serge Moati, alors directeur de FR3, nous a proposé de filmer la suivante, puis la suivante…” La Dernière Séance, c’est aussi très probablement sa plus belle chanson, celle qui l’englobe. Sa chanson préférée de lui, c’est Le Cimetière des éléphants. Il n’a “pas à rougir” de Couleur menthe à l’eau non plus, ou encore de Il ne rentre pas ce soir. Il se rappelle avoir vu débouler le sociologue Philippe Corcuff, qui analysait ses chansons. “Il me fait un peu peur lui, le type est adorable, mais comment on peut imposer mes chansons à des jeunes ? Il s’est marré quand je lui ai dit ça.” Eddy Mitchell se souvient d’avoir mené

une vie de chanteur, mais peut-être un peu moins que les autres. “J’ai toujours été en retrait par rapport aux autres, j’avais une famille, des responsabilités.” Les chanteurs, il les connaît, il les a tous vu débuter. Gainsbourg : “Un type d’une gentillesse incroyable.” Bashung : “Je l’ai connu quand il imitait Tom Jones et qu’il était produit par Dick Rivers. Je l’aimais beaucoup.” Johnny : “C’est ma famille, on a tout vécu ensemble. Un jour, en 1961, je chantais à Juan-lesPins avec Les Chaussettes Noires, et lui à Nice. On s’était donné rendez-vous pour dîner au Versailles à Juan-les-Pins, et là,

des journalistes attendaient, ils pensaient qu’on allait se battre. Et on n’a fait que dîner.” Le panthéon de la chanson française, il ne s’y voit pas. “J’ai l’impression d’être un personnage, pas assez sérieux pour faire partie du patrimoine.” Mitchell est un personnage. Un jour, Jean-Marie Périer l’emmène dans un coin désolé du sud de la France pour le photographier en cow-boy. Il veut dégainer, il se tire dans la jambe. Sa première phrase sera : “Je suis touché.” Il se marre. “J’étais dans mon rôle jusqu’au bout.” Aujourd’hui, il vit entre Paris et Saint-Tropez. Il regarde deux films par jour, soit à peu près 700 par an. Il se fait des cycles. Il préfère Anthony Mann à John Ford. La Nouvelle Vague ? “Truffaut, j’aime, y a des histoires. Godard, c’est un cinéaste suisse, il a une façon amusante de filmer Paris, mais ça reste un touriste. On dirait un Chinois qui débarque à Paris.” Chez les nouveaux, il aime les frères Coen, James Gray. Le cinéma français ne l’intéresse pas plus que ça, mais il trouve quand même des rôles qui l’attirent. Il tourne en ce moment même le dernier Chatiliez, et bientôt un film où il doit être le père de Romain Duris : “C’est autour d’un concours où des gonzesses doivent devenir dactylo.” Eddy Mitchell est bientôt en préretraite, mais il était déjà plutôt libre avant, on dirait. recueilli par Pierre Siankowski photo Rüdy Waks 31.08.2011 les inrockuptibles 19

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le Front antiblagues sur Steve Jobs qui quitte son job

retour de hype

“j’ai fait la choré de Waka Waka avec François Hollande à l’université d’été. Bien, franchement”

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz “nous avons décidé de taxer les roudoudous”

“sale méridianopète”

les marins > tous les forains réunis

la tempête Irène

“mais sinon le départ de Bernard Lenoir, ça pose pas des problèmes niveau quota à Radio France ?”

Anonymous vs Facebook

Tha Carter IV Audio, Video, Disco ou le prochain album de Justice

Arsenal Al Pacino en Phil Spector

les sodas light

Audio, Video, Disco ou le prochain album de Justice Ah ça, vous allez en entendre parler. Anonymous vs Facebook Anonymous, ou plutôt un certain nombre de personnes se réclamant de l’entité, a décidé de détruire Facebook le 5 novembre. Tout simplement. Al Pacino en Phil Spector Al Pacino endossera le rôle de Spector pour un téléfilm de HBO. Les premières photos sont gratinées.

Condoleezza Rice

Les sodas light Pas de taxe sur les sodas avec aspartame. Youpi. “Sale méridianopète” Dans le clash qui l’oppose à Alain Minc, Bayrou a traité son adversaire de “méridianopète”. Abusé. Condoleezza Rice Si l’on en croit l’album photo retrouvé dans l’un des bâtiments de son ex-QG, Mouammar Kadhafi en pinçait pas mal pour l’ancienne secrétaire d’Etat américaine de W. D. L.

billet dur Thomas Vollaire/M6

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Department of State

“tu fais pitié”

her Jean-Michel Larqué, Attends, je suis vert ! Trois semaines que je l’étais, au vert, et voilà qu’en rentrant je prends connaissance des propos, disons embarrassants, que tu as tenus le 12 août sur l’antenne décidément croquignolette de RMC Info, et dans la foulée des excuses, pas moins empêtrées, que tu t’es senti obligé de formuler alors que le Mrap menaçait de te coller un péno pour antisémitisme. Je résume : alors qu’il était question du transfert de Samir Nasri d’Arsenal à Manchester City, tu t’es mis à balancer en bredouillant une confidence que t’aurait faite Arsène Wenger, manager d’Arsenal, à propos des actionnaires du club londonien de confession juive, et de leur rapport supposément obsessionnel à l’argent. En gros, dans ta bouche, un peu pâteuse sur le moment, il ne faisait aucun doute que

le Juif et le pognon étaient d’inséparables compagnons de vestiaire. Je ne te pense pas antisémite dans le sens où je doute fort que tu sois favorable à la réouverture des chambres à gaz et à la relance de la production de Zyklon B. En revanche, sans doute est-ce la conséquence déplorable de ton long concubinage hertzien avec Thierry Roland – le type qui disait tout haut ce que tous les cons pensaient tout bas devant leur poste –, d’ancien Vert flamboyant tu t’es, au fil du temps, oxydé en beauf vert-de-gris et tu ne manques jamais une occasion, au micro, de raisonner sans ôter tes crampons. Sûr qu’en 1976, à Glasgow, tu nous as bien fait chialer avec tes potes à rouflaquettes – ah, les frères Revelli, les Gallagher du Forez – et tes poteaux carrés, mais à l’époque c’était encore les Allemands qui servaient d’exutoires à la haine ordinaire. Les mouches ont changé d’âne, comme tu dis, mais l’odeur de fumier reste la même. Je t’embrasse pas, on n’est pas poteaux (carrés). Christophe Conte

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Amaelle Guiton La nouvelle animatrice de la matinale du Mouv’ promet une info décoincée et un réveil musical tonique.

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’est un de ceux que j’ai le plus écouté.” Bernard Lenoir raccroche le micro au moment où Amaelle Guiton entre, à 36 ans, dans la toute petite famille des boss de matinale. Ce sera celle du Mouv’, la station djeun’s de Radio France. “Je suis assez fière d’être une des rares nanas qui drive une matinale d’info.” La tranche la plus stratégique et concurrentielle des ondes. L’année dernière, elle animait la tranche 12 h-14 h avec Philippe Dana. Après Sciences-Po, la Nancéienne passe brièvement par la presse écrite avant de “triper” sur la radio : à Néo, une radio associative musicale, Radio Nova, et au Mouv’ en 2009. Elle a “bouffé du micro”, comme on dit. A la radio, elle aime les “interviews punchy” de Demorand, les habillages sonores de Pascale Clark et la prog sans frontières de La Caution sur le Mouv’. Sa matinale s’organisera autour de la rédaction et sera plus “pop culture” que sa grande sœur d’Inter. A ses côtés, on retrouvera des chroniqueurs très réseaux sociaux comme Vincent Glad, Alex Hervaud et Diane Lisarelli (une de nos collaboratrices), et de jeunes philosophes iconoclastes. Amaelle résume : “Une matinale générationnelle, une vision décoincée de l’info avec des morceaux qui filent la pêche comme un bon vieux Grandmaster Flash ou un Michael Jackson.”

Anne Laffeter photo Pierre Le Bruchec le 7-9 du lundi au vendredi, de 7 h à 9 h, radio le Mouv’, www.lemouv.com 31.08.2011 les inrockuptibles 21

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Guillaume Binet/Myop

A Perpignan, retour sur un des événements clés de l’année avec trois photoreporters qui nous disent comment ils ont vécu et shooté la révolution égyptienne.

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top ! Soyons sérieux. L’actualité se télescope, un événement chasse l’autre sans que l’on ait eu (pris ?) le temps de l’analyser, de le mettre en perspective.” Cette mise en garde est signée Jean-François Leroy, véritable mastodonte du photojournalisme qui orchestre chaque année depuis vingt-trois ans le festival Visa pour l’image à Perpignan. Prendre le temps d’analyser et de mettre en perspective, c’est justement ce que propose ce rendez-vous professionnel qui, à travers ses expositions et ses rencontres, permet de marquer un temps d’arrêt sur l’année écoulée. A travers trois clichés signés et commentés par Julien Daniel, Lionel Charrier et Guillaume Binet, retour en images sur l’un des événements clés de 2011 : le printemps égyptien. recueilli par

Le 27 janvier

Lionel Charrier – “Voir une révolution, c’est magnifique, mais il ne faut pas oublier que tout s’écroule. Ici, en l’occurrence, la police. Un millier de membres de la corporation s’étaient réunis devant leur propre ministère pour dénoncer les agissements de certains officiers. Un rassemblement de jour, avec très peu de civils, uniquement des uniformes. Le climat était très tendu. Arriver au centre de cette réunion ne s’est pas fait sans peine, j’ai reçu deux coups sur la tête de la part de leurs opposants. Ces fonctionnaires voulaient manifester leur solidarité avec le peuple, mais également réclamer des hausses de salaires pour pouvoir sortir de la corruption.”

Le 14 février

Visa pour l’image jusqu’au 11 septembre à Perpignan www.visapourlimage.com

Julien Daniel/Myop

Théophile Pillault

Le 12 février

Lionel Charrier/Myop

leurs yeux ont fait le printemps arabe

Guillaume Binet – “Alors que la Tunisie vient tout juste de foutre en l’air Ben Ali, je pars couvrir ce qu’on ne considérait encore que comme une grogne dans les pays arabes. J’ai donc eu la chance d’être sur place avant que les révolutions ne se mettent en marche. Ça commençait à chauffer en Egypte, mais le droit de manifester était toujours interdit pour le peuple, sauf à domicile. Imaginez l’ironie. Je me retrouve un soir face au syndicat des journalistes égyptiens, à 300 mètres de la place Tahrir. Un camion de flics vient de prendre feu, il y a de la lacrymo partout et quelques centaines de manifestants dehors. Un mec se retourne, et sa gueule fonctionne directement à l’image. Cette photo me plaît beaucoup car elle ne porte aucun code. Il n’y a pas encore de slogans, ni de drapeaux. Juste un sentiment de liberté, de joie et d’espoir… Emotions qui ont été largement partagées dans les pays arabes qui se sont soulevés.”

Julien Daniel – “Le départ d’Hosni Moubarak a été acté le11 février, après dix-huit jours de révolte. L’ambiance est à la fête et à la liesse, beaucoup de femmes sont présentes dans la foule. La plupart des manifestations avaient lieu le soir et la place Tahrir n’est pas bien éclairée. Dans la pénombre, je repère un morceau de tôle qui cache un chantier. Le logo de Facebook y est reproduit, avec un étonnant respect de la charte graphique du site. Et puis, à côté du slogan, tu as cette femme âgée et voilée, qui ajoute une tout autre dimension à l’image… Le choc des cultures dans le même cadre.”

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Daniel Etter/The New York Times/Redux/RÉA

“ce n’est pas Facebook qui se prend une balle dans la tête”

Syrie : une guerre d’images Depuis la banlieue parisienne, Amrou, cyberdissident syrien, se bat pour informer le monde des exactions du régime de Bachar al-Assad.

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a tension se lit dans les veines de son front. Mince, nerveux, Amrou tape à toute vitesse, avec deux doigts, sur son clavier d’ordinateur. Arrivé en France il y a deux ans pour poursuivre ses études, ce Syrien de 28 ans s’est installé il y a quelques mois dans l’appartement d’un ami, en banlieue parisienne. L’un de ses deux téléphones sonne : un proche, resté en Syrie, est en train de diffuser en direct depuis Damas des images d’un rassemblement, via le site Bambuser. Aussitôt, Amrou fait suivre l’info. Sur son compte Skype, une trentaine de contacts : des militants de confiance mais aussi des responsables de chaînes internationales – Al-Jazeera, Al-Arabiya,

CNN… Il se lève, se passe les mains sur la tête. Jette un œil à la grande télévision qui diffuse des images des manifestations. Se rassoit. L’ordinateur émet des bips à mesure que les messages s’accumulent. Il y a encore quelques mois, Amrou, comme des dizaines d’autres jeunes militants installés en Syrie ou à l’étranger, essayait par tous les moyens de faire passer sur les chaînes étrangères une vidéo ou un témoin. Aujourd’hui, la bataille est celle du direct. “Notre boulot a beaucoup évolué, raconte-t-il. Grâce au live, nous maîtrisons l’image de la révolution. D’ailleurs les médias exigent désormais des vidéos de bonne qualité. Et les Syriens attendent eux aussi de voir ces images à la télévision.”

Dès les premières heures des révolutions tunisienne, égyptienne puis lybienne, Amrou a espéré que le mouvement gagnerait la Syrie – un pays qu’il dit avoir quitté “sans verser de larmes”. “Je ne dormais pas, se souvient-il. J’attendais, j’essayais de contacter des militants sur place…” Mi-mars, le mouvement démarre. En France, Amrou participe à des manifestations. Il organise un débat à l’Assemblée nationale, est reçu au Quai d’Orsay, mais refuse de rencontrer Bernard-Henri Lévy. “J’essayais de parler de la position de Paris à l’égard de la Syrie, mais ce qui se passe ici est tellement éloigné de la réalité.” Il comprend qu’il sera plus productif autrement. “Les premières semaines, Al-Jazeera n’était pas de notre côté. Cette chaîne est tellement importante dans le monde arabe ! On a été obligés de pleurer au téléphone. On leur disait que puisqu’ils n’envoyaient pas de journalistes sur place, il fallait qu’ils diffusent nos images.” Dans le salon, quatre ordinateurs sont installés. Il y en a un cinquième dans la chambre, près du lit. Juriste de formation – il prépare une thèse en droit bancaire –, Amrou a appris les bases du cyberactivisme sur le tas. “Je ne savais pas que l’on pouvait recevoir un document directement sur son adresse IP, organiser des vidéoconférences avec vingt personnes, partager son écran, envoyer des fichiers FTP… Je suis bien content d’avoir appris tout ça”, dit-il dans un sourire. Il relativise pourtant le rôle d’internet : l’important, ce sont les Syriens qui manifestent depuis cinq mois. “Ce sont eux qui ont poussé Barack Obama ou Nicolas Sarkozy à réagir (ils ont appelé au départ de Bachar al-Assad – ndlr), lâche Amrou. Et surtout, ce n’est pas Facebook qui se prend une balle dans la tête, c’est un brave gars qui est descendu dans la rue.” Parfois, bien sûr, il se décourage. Près de 2 200 civils ont été tués, selon l’ONU. Des amis sont morts, d’autres ont disparu. Fin août, le président syrien a répété, dans une interview à la télévision d’Etat, qu’il ne quitterait pas le pouvoir. Malgré tout, Amrou veut croire que le peuple va bientôt finir par l’emporter, grâce notamment aux images qui passent en boucle, plusieurs heures par jour, sur Al-Jazeera. “Bachar al-Assad perd le contrôle”, assure-t-il, les yeux rivés à l’écran. Perrine Mouterde

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brèves Google Maps réactif Alors que la rébellion venait tout juste de reprendre Tripoli, Google Maps avait déjà rebaptisé une place de la ville de son vrai nom, place des Martyrs. Khadafi avait changé ce nom en place Verte après son arrivée au pouvoir. Le changement de place Verte en place des Martyrs a été fait par un utilisateur avant d’être approuvé par Google. Apple truque Samsung C’est la guerre entre Apple et Samsung. Le premier accuse le second de plagiat et a déposé plainte aux PaysBas pour interdire la tablette Galaxy Tab de Samsung en Europe. Mais dans sa plainte, Apple aurait modifié les proportions de la tablette de son concurrent, en fournissant un photomontage trompeur, pour qu’il ait la même taille que l’iPad. Procès prometteur le 15 septembre. l’Allemagne n’aime pas le “j’aime” En Allemagne, le land du Schleswig-Holstein a déclaré illégal le bouton “j’aime” de Facebook. Ce bouton permet au site, selon l’autorité, de collecter des données sur les centres d’intérêt des usagers, pour s’en servir à des fins publicitaires. Les éditeurs web de ce land ont jusqu’à fin septembre pour retirer ce bouton de leur site, sous peine de se voir infliger 50 000 euros d’amende.

Coin ordinateur-internet à l’Alpinarium, lieu d’expositions et mur de protection contre les avalanches du Sonnberg, dans le Tyrol en Autriche

Marie-José Jarry et Jean-François Tpripelon/TOP/Gamma

des tarifs plus élevés que ceux d’aujourd’hui pour les “net-goinfres” ?

pour une neutralité illimitée Au-delà des annonces de la potentielle fin de l’internet illimité, c’est la neutralité du net qui est en danger.

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nquiétudes la semaine dernière après la publication par Owni d’un article titré “La fin de l’internet illimité”. Il présentait un document de travail de la Fédération française des télécoms (FFT )(qui comprend entre autres Orange, SFR, Bouygues) sur la “transparence de l’information consommateur”. Ce document évoquait notamment des exemples d’offres pour l’internet fixe, comme des forfaits plafonnés à un certain seuil de consommation ou n’intégrant pas automatiquement la VoIP (type Skype). Les exemples n’étaient que théoriques mais le porte-parole d’Orange, Jean-Marie Culpin, a néanmoins confirmé à Owni qu’“il y a certains forfaits sur lesquels on risque de mettre des seuils”. Devant cette éventualité, qui instaurerait donc des forfaits à plusieurs vitesses (les non plafonnés plus chers, les plafonnés moins chers), et constituerait une véritable attaque contre la neutralité du net, le monde

des télécoms et même le ministre de l’Industrie ont vite réagi. Pour Eric Besson, “le gouvernement n’envisage aucune restriction de l’accès à internet et travaille bien au contraire au développement du très haut débit fixe et mobile sur l’ensemble du territoire et pour l’ensemble des Français”. Le directeur général de la FFT a déclaré à l’AFP qu’“il n’est pas question de la fin de l’internet illimité sur [les lignes] fixes”, tout en nuançant dans Le Parisien, évoquant “des offres avec des tarifs plus élevés que ce qu’on voit aujourd’hui pour ceux qu’on appelle les “net-goinfres”, soit les gros consommateurs en bande passante. Orange, Free, Numéricable, Bouygues et SFR ont tous annoncé pour leur part qu’ils n’avaient aucune intention d’abandonner l’internet illimité. Même si, pour l’instant, on en reste là, ce coup de tonnerre aura marqué les esprits, faisant prendre conscience de l’importance de sauvegarder un internet sans discrimination. Car malgré les efforts des associations de consommateurs ou de défense d’internet pour alerter sur les atteintes possibles à la neutralité du net, celle-ci est loin d’être pérenne. On sait déjà qu’elle n’est pas respectée sur l’internet mobile, avec des débits réduits ou bloqués au-delà d’une certaine consommation et des restrictions sur la VoIP et le P2P. Pas plus loin que début juillet, les dirigeants de Vivendi, Deutsche Telekom et Alcatel-Lucent faisaient des propositions à Neelie Kroes, commissaire européenne en charge des questions numériques, pour le développement de l’internet (fixe) à haut débit. Parmi celles-ci, il était suggéré que l’Europe encourage “la différenciation en matière de gestion du trafic”, soit laisser la possibilité de créer des offres identiques à celles évoquées dans le document de la FFT. Une autre proposition ouvre la voie à de nouveaux modèles économiques où les acteurs du net paieraient les fournisseurs d’accès pour voir leurs contenus mieux diffusés. On s’éloignerait ainsi de plus en plus d’un internet libre et égalitaire. Une proposition de loi PS sur la neutralité du net a été rejetée en mars dernier par les députés. Inscrite dans le projet du PS pour 2012, la neutralité du net va devenir aussi un enjeu politique. Anne-Claire Norot

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pas de .xxx pour les stars Alors que l’extension .xxx est sur le point d’être lancée, l’autorité américaine qui la gère a d’ores et déjà bloqué certaines adresses de célébrités et d’hommes politiques afin qu’aucun site à connotation pornographique ne soit créé avec leur nom. Ainsi, pas de barackobama.xxx ou de britneyspears.xxx.

Fluide.G, le hors-série sexy de Fluide Glacial, est recto-verso, à la fois été et rentrée. Non sans ironie, ce numéro invite à claquer son smic en shopping, à pécho tranquille au travail et à compléter soi-même les bulles d’un roman-photo…

Jobs s’en va Malade, le patron d’Apple, Steve Jobs, 56 ans, a démissionné de la direction. Cela n’empêchera pas un nouvel iPhone de sortir en septembre ainsi qu’une troisième version de la tablette iPad en 2012.

la chaîne bonus de Canal+ en péril

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Les nouveaux chroniqueurs du Fou du roi sur France Inter, animé cette année par Isabelle Giordano, seront Amélie Nothomb, Marie Colmant, Frédéric Beigbeder, Sophia Aram, Aline Afanoukoé, Clara Dupont-Monod, Sonia Devillers, Daniel Morin, Ben, Thomas VB et Alexis Lacroix.

Facebook et le trafic des journaux Matt Yohe

Canal+ pourrait finalement ne pas lancer cet automne Canal 20, sa chaîne bonus sur la TNT. Le gouvernement veut changer une norme technique afin de protéger TF1 et M6, très remontées contre le projet de Canal.

nouveaux fous du roi

Christophe Abramowitz

gribouillages et galipettes

Le trafic renvoyé par Facebook vers des sites de journaux européens a doublé entre 2010 et 2011. Facebook génère 7,4 % des visites des cinq premiers journaux d’Europe.

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mort à Venice Beach Alors qu’on fête les 20 ans de Nevermind, les Red Hot Chili Peppers, increvables, ressortent un disque. Qui veut du Seven up ?

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le travail, c’est la santé

Il y a des phénomènes contre lesquels on ne peut rien. Parmi eux, les catastrophes naturelles, le tomber de tartine côté confiture ou le retour des Red Hot Chili Peppers. “Pourquoi ?”, se demanderont certains inquiets à l’idée de déterrer une part de leur adolescence refoulée depuis lors – ou tout simplement exaspérés de voir sans cesse revenir un groupe abhorré dès ses débuts. Elément de réponse avec cette interview donnée au Guardian par Flea, le légendaire bassiste dont le pseudo

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implique toujours autant de doutes quant à sa prononciation : “La créativité va et vient (…). On s’est fait un max de thunes. On pourrait être assis là sur une plage, à manger des burritos mais même quand on ne se supporte plus, on se réunit et on travaille. Igor Stravinsky était assis à son piano tous les putains de jours (…), pareil pour Nick Cave, le plus grand songwriter vivant. Il travaille. Tous les jours. Et c’est ce que nous faisons.” Vous êtes sûrs que vous voulez pas quelques burritos, plutôt ?

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alerte à Malibu Comme Stravinsky ou Nick Cave (pas rancuniers, les mecs, car Nick Cave aurait jadis affirmé : “Je passe mon temps à côté d’un poste de radio à crier ‘qu’est-ce que c’est que cette merde’, et la réponse est toujours les Red Hot Chili Peppers”), entre deux tacos les Red Hot bossent mais pas vraiment à se renouveler. En 2011, les constantes d’antan sont toujours là : bass slap, absence de T-shirt, gros plans sur les pecs, refrains sirupeux et mouvements comparables à ceux que le commun des mortels pourrait esquisser avec un essaim d’abeilles dans le slip. Hormis John Frusciante, parti vers d’autres horizons, Anthony Kiedis, leader du groupe, et Flea restent les mêmes à près de 50 ans, étrangetés capillaires et stylistiques comprises. Dans le clip, le premier apparaît d’ailleurs en pleine forme et en queue de pie doublée de satin bleu turquoise enfilé sur son torse nu. Au secours.

22, voilà les années 90 Ne nous mentons pas, beaucoup ont probablement écouté Californication et Under the Bridge en repeat dans leur chambre, plissant le front ou mimant Flea à la basse en s’imaginant du côté de L. A. les cheveux au vent et le soleil couchant qui va bien. Qu’ils se réjouissent, cette époque bénie de leur vie risque vite de revenir à la surface puisque

le come-back des années 90 est imminent. Le clip des Red Hot en est un symptôme. Car même s’ils n’ont jamais vraiment fait évoluer leur esthétique, la chose ressemble là beaucoup trop au générique d’Alerte à Malibu pour être honnête. La preuve : des bodybuildés qui font du roller, un vieil hurluberlu avec un aigle, des meufs

en maillot (string) fluo ultraéchancré. Toute cette foule bigarrée et terriblement vulgaire assistant ivre de joie à un concert des Red Hot sur un toit de Venice Beach. C’est le signal pour commencer à prier afin de ne jamais assister au come-back d’Alanis Morissette à oilpé dans les rues de New York… Diane Lisarelli

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la sociologie par

la bande

Marwan Mohammed est originaire du quartier des Hautes-Noues de Villiers-sur-Marne. Ce sociologue travaille depuis des années sur la déviance des jeunes de sa cité. par Geoffrey Le Guilcher photo Philippe Lopparelli/Tendance Floue

Marwan Mohammed, 2011

Geoffrey Le Guilcher

S  

elon vous, le public des bandes serait passé des “blousons noirs” aux “Noirs en blouson”. Marwan Mohammed – Les blousons noirs ont été un mythe médiatique très fort : “ces bandes d’ouvriers hyperviolents qui nous envahissent…” La réalité était différente. Aujourd’hui, les jeunes Noirs incarnent la dangerosité des bandes. Localement, on peut observer une telle surreprésentation. Dans mon terrain d’enquête, les bandes ont été majoritairement blanches, maghrébines puis noires, tout en restant mixtes dans leur composition. Ce qui change peu, c’est qu’elles touchent plutôt des jeunes issus de grandes fratries, de milieu modeste, en échec scolaire et qui vivent dans un environnement très porté sur la délinquance. Donc au-delà de la punchline, je pointe le raccourci des discours publics et de certaines analyses par rapport à la prédominance des origines.

Vous dites tout de même qu’il y a une majorité de Noirs dans les bandes de votre cité. La ressemblance ethnoraciale des bandes que j’ai observées reflète avant tout des mécanismes économiques, familiaux, scolaires et urbains assez classiques. Malgré le climat idéologique actuel, qui incite à tout percevoir par la culture ou la couleur, l’origine n’est pas le facteur le plus pertinent à prendre en compte, à l’inverse, par exemple, de l’expérience scolaire et de la taille des familles. Pour le reste, je ne me ronge pas de culpabilité quand je travaille sur ces sujets. Mon seul souci, c’est d’observer, d’analyser et de bien restituer. Si certains passages ont été compliqués à écrire, c’est que je percevais très bien comment on pouvait instrumentaliser mon propos. L’image que les médias donnent des bandes serait partielle ? Oui. Sans nier que la société, les quartiers populaires et le monde

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Images extraites de Windows 93, série réalisée depuis sa fenêtre par le photographe Philippe Lopparelli, en Seine-Saint-Denis. Il fait partie du collectif Tendance Floue, qui fête cette année ses 20 ans

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“le Blanc du quartier n’est pas blanc, ou moins blanc que le bourgeois, qui est plus blanc que blanc” des bandes se sont transformés ces dernières décennies, de nombreuses rédactions raisonnent en termes de dérives. J’en vois pour ma part l’origine dans le recrutement social des journalistes, les priorités rédactionnelles et politiques, les contraintes économiques de la presse, le temps disponible pour construire les sujets et la place croissante qu’occupent les faits divers. Bien sûr, certains journalistes font du travail de qualité. Que penser du jeune qui, avant d’affronter les policiers, vous assure tout sourire qu’il sera dans l’édition du Parisien du lendemain ? Ce n’est pas un constat quotidien, mais cet exemple renvoie aux enjeux de réputation et aux usages possibles de la presse locale. Les bandes critiquent les articles sur les faits divers dans les pages locales du Parisien mais elles les lisent avec attention. Et pour faire venir la presse locale, on s’en prend aux forces de l’ordre. C’est une forme d’instrumentalisation. Pourquoi utilisez-vous une phraséologie de la consommation pour signifier que les bandes apportent des réponses en “pack”ou en “forfait” à leurs jeunes membres ? L’idée de pack sert juste de métaphore : on préfère les offres tout compris aux offres partielles. De là, la force des bandes. A un moment critique

du parcours des jeunes, elles répondent à de nombreux besoins sociaux tels que la consommation, la reconnaissance, la construction identitaire ou la gestion d’une certaine conflictualité entre social et politique. Et c’est ce qui fait la faiblesse de l’école ou des familles : elles ne peuvent apporter que des réponses partielles. Mon analyse en termes de compensation sociale permet de comprendre des engagements qui, de prime abord, paraissent aberrants, irrationnels, avec en bout de course des issues peu attrayantes, souvent la prison… Telle est l’idée centrale de mon livre : on ne peut pas réduire la bande à une réponse utilitaire (vols ou petits trafics). Je pense même que les réponses symboliques priment. Vous semblez parfois hésiter à qualifier de “politique” cette compensation sociale des bandes… Il y a une ambiguïté à parler de “politique” pour des comportements qui, à première vue, relèvent de la petite délinquance. J’ai essayé de montrer que derrière la communication publique des bandes – qui ne se fait pas au hasard – il existe une vision du monde. Ces actes, ces déviances ou ces délits cachent d’autres significations. Evidemment, un téléphone portable arraché a une finalité matérielle bien établie. Mais sur vingt téléphones volés, quand on regarde le profil des

l’argot des bandes toaster ou la “mettre à l’envers” signifie arnaquer, bluffer, dissimuler ou cacher quelque chose à quelqu’un. bolos est synonyme de victime, bouffon ou client (au sens de consommateur de cannabis) ou de Blanc dans une version ethnicisée. Marwan Mohammed assure qu’il faut y greffer un prisme de classe sociale et non raciste. raton ou crevard pour quelqu’un de radin, pingre, avare ou très économe. Le verbe “crevardiser” en découle. cramé ou rodave signifie s’être fait “capter” ou prendre, cela peut être

par les parents pour un simple mensonge ou par la police pour un délit. cas soces signifie littéralement “cas social”. Le terme peut être une vanne comme il peut désigner quelqu’un de marginalisé hors des bandes ou de toute vie sociale. le “délire pilepse”, dérivé du mot “épilepsie”, qualifie les adeptes des jeux vidéo. le “délire muslim”, pour ceux qui sont (ou sont devenus) musulmans dans un éventail large “non réductible aux modérés ou aux extrémistes”, précise le chercheur.

cibles, on se demande pourquoi ces gens-là, et pourquoi dans ce contexte-là. Idem pour la participation active des bandes aux émeutes, ou leur attitude lors de grandes manifestations parisiennes, notamment celles des lycéens. Pour moi, il y a un rapport avec l’ordre social, les institutions, la chose et les discours publics, donc le politique. Les Blancs seraient des cibles privilégiées ? Pas des cibles privilégiées mais des cibles parfois désignées comme telles chez un petit nombre de jeunes de bandes pour qui l’attitude, la position sociale imaginée et la couleur de peau ne font qu’un. Mais c’est assez récent. Ça fait plus de dix ans que je sonde ces questions-là et j’ai vu peu à peu le mot “Blanc” monter en puissance en tant que catégorie pertinente de désignation. C’est le contrecoup de la progression de la ségrégation ethnoraciale. C’est aussi une conséquence de l’ethnicisation des discours politiques qui visent, de manière assez radicale, les bandes et leur public. Mais tout cela demeure très ambigu : au fond, le Blanc du quartier n’est pas blanc, ou moins blanc que le bourgeois, qui est plus blanc que blanc. L’antagonisme de classe reste très fort. Ce n’est donc pas une nouvelle forme de racisme ? Pour une extrême minorité, cela peut prendre la forme d’une croyance raciste. Mais quand vous avez des jeunes qui vous disent “on ne visait que des Blancs dans le train” et que dans la bande en question il y a des Blancs, ça devient plus complexe. Surtout lorsque l’auteur des propos est en couple avec une Blanche… La frontière entre le “bourge” et le “Blanc” semble très fine. L’école, notamment le collège, entrerait selon vous dans une logique contreproductive de réprimande de l’élève et des parents ? Je pense à l’exemple de Malko (lire le paragraphe “La déviance se renforce au collège” page 36). Tout d’abord, on ne peut réduire l’action institutionnelle à cet exemple. A la suite

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d’un incident, l’institution scolaire a amené Malko à choisir entre elle et la rue. Il y avait selon moi différentes alternatives et, dans son cas, le prix d’un reniement de la rue était trop élevé. Un autre exemple du livre illustre comment l’image institutionnelle du “parent démissionnaire” peut se construire. Elle se joue en partie lors des interactions au sein de l’institution scolaire. Ces courts moments (rendezvous, convocations) ne permettent pas de juger de l’ensemble du travail éducatif des parents dans la sphère familiale. Pourtant ils vont être décisifs, car lorsque le verdict institutionnel tombe, il bouge difficilement. Du côté de la famille, vous présentez les parents comme parfois très impliqués. Pourquoi apparaissent-ils aussi déconnectés de la réalité vécue par leurs enfants ? Les dynamiques familiales sont multiples : les ressources (économiques, relationnelles, scolaires, etc.), l’ambiance domestique, la suroccupation des logements ou encore l’usure des parents. L’une des déconnexions décisives entre les jeunes des bandes et leurs parents renvoie à la perte d’autorité éducative, celle qui permet de guider les comportements et d’orienter les choix de vie. Il ne s’agit pas d’une rupture affective, c’est la légitimité des parents qui se retrouve érodée. Comment gérer cette contradiction ? Comme ce grossiste (trafiquant de drogue) de la cité, qui cache une cigarette quand passe un voisin de ses parents… Les jeunes enquêtés se sentent pour la plupart coupables de ce qu’ils font subir à leurs parents. Du coup, tant que les parents ne savent pas, il faut préserver leur aveuglement en limitant leur accès à l’information, celle qui fait mal. Il existe ainsi dans les bandes une espèce de bonne gestion des différentes appartenances : il s’agit de jouer sur plusieurs tableaux sans se faire repérer, ce qui devient difficile à tenir sur le long terme vu le maillage local. Une situation qui bascule quand la justice s’en mêle ?

Les jeunes ont bien compris que leurs parents sont tellement fatigués et usés qu’ils en refoulent leurs doutes. Les parents ont des indices dès le départ, mais tant que les choses n’ont pas de conséquences pénales ou de retombées flagrantes, chacun reste dans le non-dit, un équilibre précaire. A partir d’un moment, les justifications ne prennent plus, mais quand les parents s’en rendent compte il est souvent trop tard. Que font les jeunes de la cité qui ne traînent pas dans les bandes ? Les bandes sont minoritaires dans leur quartier, qui rassemble une diversité de regroupements juvéniles, certains très visibles, d’autres plutôt discrets. Certains sont plus tournés vers le sport, d’autres vers la religion, l’école, le militantisme, etc. “Chacun son délire”, comme ils disent. Parfois les différents groupes se mélangent, parfois non. Au sein des bandes, les logiques d’engagement diffèrent également. Il y a toujours, par exemple, un sous-groupe de jeunes mieux armés scolairement que leurs camarades. Ils font partie de

la bande, mais choisissent les actes auxquels ils vont participer. Ils en font suffisamment pour être légitimes dans le groupe, sans rechercher les meilleures positions. Avec leurs familles, “ça va !” car ils s’exposent moins aux sanctions pénales. Dans la rue, “ils sont en place !”, et à l’école ils ne décrochent pas. Du jour au lendemain, ces jeunes ont la capacité de passer à autre chose, contrairement aux aliénés à la rue déviante. D’autres jeunes constituent l’angoisse des bandes, ce sont ceux qui sont “morts socialement”. Si on se balade maintenant dans le quartier, on va voir ce “quart-monde” sur le parking : des jeunes qui n’appartiennent à aucune bande, qui boivent et ne font rien d’autre, aucune prédation ou agression. Si violence il y a, elle se porte sur la famille ou sur eux-mêmes. Après l’école et la famille, la police n’échappe pas à vos critiques. Si la description précise de certaines dérives institutionnelles constitue une critique, alors oui, aucun acteur de mon ouvrage n’y échappe. Dans les rapports

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“la volonté qui s’exprime, c’est de pouvoir jouer le jeu comme tout le monde, pas de changer les règles” entre les forces de l’ordre et les bandes, j’ai observé une conflictualité réciproque. Parfois les policiers interviennent dans les règles et sont pris à partie ; à l’inverse, on peut aussi repérer des propos, des attitudes ou des violences contraires au code de déontologie et au bon sens du terrain... Chaque camp se réfère à un événement antérieur, il y en a tellement. Dans leur configuration actuelle, la police et la rue se poussent mutuellement au durcissement. Une forme de cohésion ? Les bandes ont une tendance à l’autodestruction et leur cohésion dépend fortement de leurs rapports hostiles avec la police et les bandes rivales. Avez-vous des solutions pour réduire les violences entre quartiers ? Les rivalités entre bandes ont des ressorts socio-économiques, spatiaux, scolaires et identitaires. Comment faire pour agir, dans le contexte actuel, sur ces différents leviers ? Les acteurs sociaux et les familles tentent d’y remédier mais leur marge de manœuvre est très réduite. Il existe par ailleurs une sorte de diplomatie de coulisse entre cités. Je pense que si deux quartiers s’entendent, c’est qu’il existe des alliances économiques (du “bizness”) ou familiales et, plus rarement, des passerelles élaborées par des militants associatifs. Ces dernières s’avèrent bien utiles pour tempérer, réguler ou stopper une spirale de violence, mais elles ne régleront pas le problème de fond. Pour des raisons morales, on ne peut pas encourager la régulation par les “cadres” de la délinquance locale mais dans les faits, elle est terriblement efficace. Au fil des années, vous parlez d’un allègement progressif de la “valise” de l’éducateur. Qu’est-ce qui a disparu ? En matière de lutte contre le phénomène des bandes, le travail de l’éducation spécialisée repose historiquement sur l’emploi. Car à partir de l’emploi, on débloque le reste. Or cet outil s’est raréfié. Notre société fonctionne toujours sur l’intégration professionnelle mais le chômage est massif, notamment chez les jeunes

et les non-diplômés. Tout le monde – familles, travailleurs sociaux, police, justice, etc. – est soumis à cette contrainte structurelle. Ces populations ne sont pas les plus revendicatrices, elles ne semblent pas peser en terme électoral. Exact, d’autant que ces jeunes, quand ils réclament quelque chose, ne pensent pas à un autre modèle social mais à trouver du boulot. Cela manifeste une aliénation forte au modèle existant, au marché, à la consommation. La volonté qui s’exprime, c’est d’avoir une part du gâteau, de pouvoir jouer le jeu comme tout le monde, et non pas de changer les règles du jeu. Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans votre enquête sur les membres des bandes ? Ma grande peur, ma grande angoisse, c’était qu’une perquisition suive de peu un entretien. Même si je donne le nom du territoire, j’ai changé tous les prénoms. Pour les cas les plus sensibles, j’ai été encore plus prudent. J’ai rencontré tout le monde individuellement et discrètement. Rares sont ceux qui ont dit : “J’ai été en entretien.” C’était encore plus complexe avec les filles, il fallait parfois justifier de s’isoler avec certaines d’entre elles. D’ailleurs, quelques-unes m’ont dit : “OK, mais on se voit sur Paris.” Et quand vous assistez à des vols, à des agressions ou à des coups de p ression ? Ce n’est pas facile d’analyser des moments comme ceux-là, qui nous heurtent et sur lesquels on est parfois amené à intervenir. Ça pose de vraies questions quand on assiste à une agression : la loi impose de la dénoncer. Si les journalistes ont quelques garanties sur la protection de leurs sources, qu’en est-il des chercheurs en sciences sociales, qui manient des informations ayant une valeur pénale ? On ne travaille pas tous sur des bases de données ou des archives. Votre terrain aurait-il été accessible à un profane, quelqu’un d’extérieur au q uartier ?

Il existe déjà beaucoup d’études sur les quartiers populaires, certaines excellentes, qui ne sont pas l’œuvre de chercheurs “du cru”. J’aurais d’ailleurs parfois apprécié venir de l’extérieur. Le principal inconvénient quand on fait partie du “village”, c’est qu’on est susceptible de diffuser des rumeurs. Certains parents m’ont dit : “Je te connais trop pour t’en parler.” Mais pour certaines familles et surtout du côté des jeunes, c’était un atout de venir de la cité. On économise le temps de la légitimation, de l’implantation et de la connaissance des acteurs, des codes, de l’histoire locale et de l’histoire des familles. Tout cela nous forge une capacité à “sentir les choses”, une intuition forte, mais qui ne doit pas devenir la source des analyses. Votre travail peut-il, en partie, éclairer les récentes émeutes au Royaume-Uni ? Je ne suis pas sûr qu’on ne trouvait que des bandes dans les rues de Tottenham. J’ai refusé la plupart des sollicitations des journalistes sur les émeutes récentes de Grande-Bretagne. Je ne connais pas suffisamment la situation britannique et j’ai estimé que je n’avais pas assez d’informations. On ne peut penser les émeutes d’une telle ampleur sans articuler les causes locales et nationales, sans prendre le temps. Les premières analyses documentées et développées paraîtront sans doute dans quelques mois, même si j’ai pu lire des choses intéressantes ici et là. J’ai juste noté qu’au moment des émeutes de 2005 les Anglais avaient raillé le modèle républicain des Français. Aujourd’hui, les Français font de même avec le multiculturalisme britannique. Cela montre bien les limites des jugements hâtifs. Marwan Mohammed est sociologue, chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), auteur de plusieurs thèses sur les jeunes en bandes et leur environnement. Son essai La Formation des bandes – Entre la famille, l’école et la rue (PUF, 536 pages, 29 €) paraîtra le 14 septembre. 31.08.2011 les inrockuptibles 35

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comment devient-on un homo bandus ?



ne bande n’est pas un gang, même si elle verse dans la petite délinquance ou ce que Marwan Mohammed nomme “le banditisme bancal”. Le sociologue la définit avant tout comme un groupe informel, dont la durée de vie oscille autour d’une dizaine d’années. Sa finalité serait sociale avant d’être matérielle. Mais comment se forment exactement les parcours déviants de ces jeunes qui peuvent faire du bizness et en même temps cacher une clope ou un joint quand des proches de la famille passent à proximité ? Pour y répondre, Marwan Mohammed vit sur place, il rencontre constamment les jeunes, leurs familles et a travaillé au collège du coin. Dans la cité des Hautes-Noues, l’homo bandus type a entre 14 et 23 ans. Il est majoritairement issu d’une famille nombreuse1 aux revenus modestes. Il aurait décroché scolairement lors de ses premières années d’école primaire et entamé sa carrière déviante au début du collège. Il a découvert assez tôt le petit trafic de stupéfiants, le bizness, et est désormais moins vu “de l’extérieur” comme un fils d’ouvrier que comme un descendant d’immigré. déclin économique et ennui “La petite Venise” était le surnom de la cité des Hautes-Noues avant qu’elle ne devienne une zone urbaine sensible. Le déclin social et économique de la cité s’est amorcé dans les années 80-90 et coïncide “avec la disparition de secteurs entiers de la production économique”. Une “désouvriérisation” du territoire marquée par un développement du secteur tertiaire, par la féminisation et la précarisation des emplois. Des bandes se sont formées et avec elles une histoire et des mythes propres au quartier (bagarre, histoires, héros…). Elles s’organisent autour de la gestion de l’ennui, n’ont pas véritablement de chef sinon quelques leaders (cela dépend de leur taille) et ne comptent pas de filles en leur sein. C’est un groupe de pairs qui commet des impairs, résume le chercheur. Mais attention, quand l’horizon devient purement

criminel, on ne parle plus de bandes mais d’“équipes spécialisées”. la déviance se renforce au collège Arrivé dans la cité à l’adolescence, éducateur, animateur local, responsable associatif, Marwan Mohammed a passé trois années au sein de l’équipe du collège des Prunais, situé à proximité de la cité. Si les bandes recrutent davantage “au fond de la classe”, un second profil de jeunes se dessine. Ces derniers ont une scolarité dans la norme qui peut basculer à tout moment. Malko2 était un élève en classe de cinquième, considéré comme turbulent mais “gérable”. Un jour, le ton monte avec son professeur de mathématiques. Ce dernier l’empoigne devant une bonne partie de la classe pour l’emmener voir la direction. Malko, “conscient des enjeux publics de la scène”, dégage son bras en ajoutant : “Tu me touches pas, tu vas faire quoi ? Moi je suis pas ton bolos !” Marwan Mohammed explique que du côté des enseignants, cet incident a quasiment débouché sur une grève (sur fond de tensions déjà existantes) et surtout changé la vision que ces derniers avaient de Malko, “laissant place à une ‘hostilité’ de principe à son égard” et à un nouveau régime de sanctions. Dans le même temps, Malko a gagné en notoriété auprès de ses camarades – “T’es trop un ouf”, “Comment tu l’as mis à l’amende !” – et dans la cité, où quelques “grands” lui demanderont le soir même de re-raconter son histoire. Une soudaine popularité qui demandera à se confirmer. Un pas de plus vers la déviance. préférer “le dehors” Ayant pénétré la sphère familiale de ces jeunes, Marwan Mohammed constate que le discours de l’institution scolaire a tendance à imposer aux parents un certain

les jeunes des bandes estiment souvent que l’ambiance familiale est “flinguée”

“regard sur eux-mêmes”. Il produirait du conflit lorsqu’il est contesté et de la fragilité au sein de la famille quand il est accepté. Lors du retour à la maison, surtout au sein des familles nombreuses, le chercheur montre comment le “dehors” (la rue) peut parfois être préféré au “dedans” (le foyer). Les jeunes des bandes estiment souvent que l’ambiance familiale est “flinguée”. Les parents sont parfois jugés comme des “ratons” ou des “crevards” car ils ne donnent pas d’argent de poche, ce qui incite à la débrouillardise pour ne pas vivre “sur leurs côtes”. le smic : style minimal d’intégration conformiste Concept de Marwan Mohammed, le “style minimal d’intégration conformiste” désigne ce qui constitue le matériel minimum que les jeunes des bandes estiment nécessaire de posséder : des choses banales comme des lecteurs MP3, des portables, des vêtements de marque, des ordinateurs, que la plupart des parents sont dans l’incapacité financière de fournir. Les jeunes des bandes se procurent leur smic en volant des “bolos” lors de sorties aux alentours, sur Paris et parfois dans les manifestations d’étudiants où ils se sentent “hors sujet” quant aux revendications exprimées. Alors ils viennent “foutre le bordel”. Seule la cause palestinienne a amené une bande du quartier à aller défiler de République à Nation. Pendant les émeutes de 2005, les “petits” du quartier des HautesNoues étaient très actifs (affrontements avec des policiers, feux de poubelles et quelques voitures brûlées). Evoquant d’éventuelles nouvelles émeutes d’ampleur en France, Marwan Mohammed constatait à la fin de notre entretien : “Il n’y a pas d’étincelle en ce moment mais le gaz fuit toujours.” G. G. 1. Le nombre moyen d’individus vivant dans un logement en Ile-de-France est de 2,34. Ce chiffre atteint 7,1 pour le public des bandes étudiées. 2. Lire entretien pages précédentes, tous les prénoms ont été modifiés.

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une rentrée 2011 Deus chargé de cordes, Noel Gallagher solitaire, Camille dépouillée, Kasabian secouant, The Kooks mélancoliques… 1. Deus Keep You Close

8. Zola Jesus Vessel

Extrait en avant-première de l’album Keep You Close (Pias) Cordes en tempêtes, mélodie sinueuse, romantisme âpre : pour les Belges agités de Tom Barman, c’est le retour à la grandeur.

Extrait en avant-première de l’album Conatus (Souterrain Transmission/Pias) Zola Jesus, aka Nika Roza Danilova, est l’une des fortes têtes du songwriting US actuel. Elle avait ébloui notre automne l’an passé, et revient déjà avec un album tordu et passionnant.

2. Noel Gallagher The Death of You and Me Extrait en avant-première de l’album Noel Gallagher’s High Flying Birds (Sour Mash/Pias) Oasis éclaté, Noel Gallagher peut désormais tirer toute la gloire à lui : sa plume à l’anglaise, efficace et raffinée, racée et classique, s’affirme pleinement en solo.

9. Kasabian Switchblade Smiles Extrait en avant-première de l’album Velociraptor! (Sony/Columbia) L’humanité a besoin de gigantisme et les corps de mouvement : c’est la mission de Kasabian, réaffirmée avec force sur Velociraptor!.

10. Baxter Dury Claire 3. The Kooks Junk of the Heart (Happy) Extrait en avant-première de l’album Junk of the Heart (EMI/Virgin) Retour surprenant et réjouissant de la bande de Luke Pritchard qui signe ici un titre mélancolique et teinté d’une bonne dose de testostérone.

4. Beirut East Harlem Extrait de l’album The Rip Tide (Pompeii/Differ-ant) Enregistré loin du tumulte new-yorkais, le sublime troisième album du jeune prodige renoue avec ce que Beirut maîtrise le mieux : la démesure orchestrale sans âge ni patrie.

5. Jean-Louis Murat Les Rouges Souliers Extrait en avant-première de l’album Grand lièvre (Polydor/Universal) Pour une fois, Murat a patienté, joué à la tortue pour son Grand lièvre, et c’est un délice que de le retrouver ainsi à son sommet (d’Auvergne), entre visions universelles et regards intimistes.

6. Girls Vomit Extrait en avant-première de l’album Father, Son, Holy Ghost (Turnstile/Pias) Les têtes avaient tourné sur le rock lancinant et les psalmodies droguées des précédents disques des Californiens. Les corps risquent également de s’embraser avec la suite : ce Vomit cinglant et volcanique est l’avant-goût d’un délicieux enfer.

Extrait de l’album Happy Soup (Parlophone/EMI) En sommeil depuis Floor Show (2005), le pétulant cockney revient avec un petit chef-d’œuvre, collection de tubes discoïdes et drolatiques.

11. Piers Faccini Dreamer Extrait en avant-première de l’album My Wilderness (Tôt ou Tard) Toujours aussi prolifique, le nomade à la voix de soie entraîne sa pop ouatée sur les terres du folklore oriental avec l’étonnant Dreamer.

12. Arthur H Basquiat Extrait en avant-première de l’album Baba Love (Polydor/Universal) On retrouve Arthur H en duo avec sa sœur Izia, Jean-Louis Trintignant ou, ici, Saul Williams dans une chanson bariolée – la moindre des politesses pour rendre hommage à Basquiat.

13. The Chase I Like U Extrait de l’album The Chase (Pias) Venue du sud de la France, l’electro-pop trépidante de cette joyeuse troupe a des allures de course folle et enfantine vers l’océan un jour de fin d’été.

14. Skip The Use P.I.L. Extrait de l’ep Babylon (Polydor/Universal) Inlassables bêtes de scène, les Nordistes trouvent parfois le temps de transformer un studio en centrale nucléaire : leur P.I.L. (électrique) impose la danse – un pogo sinon rien.

7. Camille Tout dit

15. Soko Just Want to Make it New with You

Extrait en avant-première de l’album Ilo Veyou (Virgin/EMI) On avait perdu le fil de Camille et on la retrouve ici, avec ravissement, dans le plus simple appareil, en avant-première d’un album qu’elle décrit elle-même comme “dépouillé, acoustique, organique, a cappella…” Ça promet.

Extrait en avant-première de l’album I Thought I Was an Alien (Babycat Records/ Because) Quatre ans après le déchirant I’ll Kill Her, l’actrice et musicienne française exilée en Californie livrera en octobre un premier album au folk doux et intime, aussi troublant qu’attachant. 31.08.2011 les inrockuptibles 38

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édito

Patrick Kovarik/AFP

personnalisation

Copé et Fillon devraient animer les débats du campus UMP les 2, 3 et 4 septembre

l’UMP fait bloc derrière Sarkozy Le parti majoritaire fait sa rentrée le week-end prochain et attaque le Parti socialiste.

 F

acile. Alors que le PS entre de plain-pied dans la campagne de sa primaire d’octobre, l’UMP fait tout pour pouvoir afficher, le week-end prochain, une image d’unité lors de son université d’été, rebaptisée “campus” depuis plusieurs années. A Marseille, tous devraient être en rangs serrés derrière le candidat naturel de la droite, Nicolas Sarkozy, qui n’entrera sur la scène présidentielle que début 2012. Et feu sur le PS, qui a “l’immaturité” de ne pas voter la règle d’or sur les déficits publics et se “déchiquette” sur la désignation de son candidat à l’Elysée. Mais il faut se méfier de l’eau qui dort. Pendant l’été, les partisans de François Fillon et de Jean-François

Copé, qui se voient chacun comme le dauphin du président sortant pour l’élection de 2017, ont échangé des amabilités, les premiers reprochant au patron du parti ses tendances “libérales”, “trop droitières”, peu seyantes en temps de crise, et les seconds accusant le Premier ministre d’être aux abonnés absents dès que le vent se lève sur le front économique et social. Les retrouvailles risquent donc d’être animées, mais il suffira d’un froncement de sourcils de Nicolas Sarkozy pour que tout rentre dans l’ordre. Le Président ne veut pas que sa rentrée consacrée au rétablissement de sa stature internationale – crise, Libye – soit entachée par des disputes “de cour d’école”. Hélène Fontanaud

L’un des effets de l’installation de la “rigueur” au cœur du discours des candidats socialistes à la primaire est la personnalisation à outrance du scrutin. La primaire ouverte est une belle idée, mais la primaire avec un projet préétabli, et surtout, dans un contexte de crise de la dette imposant la rigueur dans les programmes, voilà de quoi étouffer toutes possibilités de se différencier par des propositions détonnantes. La rigueur impose une forme de conformisme des programmes et, du coup, renforce l’importance des “équations personnelles”. On choisira le candidat non pas tant sur ce qu’il propose que sur sa capacité à incarner la présidence (après cinq ans de Sarkozy en défaut de “présidentialité”) et sur sa capacité supposée à tenir bon pendant les crises. Dans ce contexte, François Hollande a une qualité. Il s’affiche depuis plusieurs mois comme le représentant d’une certaine rigueur et se complaît dans ce rôle de bon père la rigueur pas trop austère, ni trop pépère. Il ne s’agit pas d’apparaître en Pinay de gauche. Mais Hollande a aussi un défaut, sa réputation d’homme qui ne sait pas trancher dans le vif. Martine Aubry a une qualité, c’est une femme de fort caractère, propice à traverser les crises. Elle a un défaut, elle n’incarne pas la rigueur. Les qualités et défauts de François Hollande ou de Martine Aubry sont des traits dominants, des perceptions pas forcément conformes à la réalité. Dans ce contexte de rigueur, la personnalisation prend le dessus sur le débat démocratique.

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Chaude ambiance avec Martine Aubry, Harlem Désir et François Hollande, lors de la clôture de l’université d’été du PS à La Rochelle, le 28 août 40 les inrockuptibles 31.08.2011

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une primaire en terre inconnue Les candidats à la primaire socialiste entament leur dernière ligne droite avant le scrutin des 9 et 16 octobre. Un objet politique encore non identifié.

Morin Awaad Muguet/IP3/MaxPPP



h ! Il a fallu l’organiser cette photo ! Tous les candidats à la primaire du PS réunis en brochette à l’université d’été de La Rochelle, s’applaudissant mutuellement sur l’hymne du parti… On n’y croyait pas. Devait-elle donner envie, cette photo, d’aller voter à la primaire ? Un rien crispé, le corps tendu, les mâchoires serrées, ils n’arrivaient même pas à se regarder. Peu importe, les candidats se sont prêtés au jeu. D’autant plus volontiers qu’ils sont tous convaincus de gagner. A fortiori Martine Aubry, François Hollande et Ségolène Royal. Trois candidats persuadés d’emporter la mise dans un mois et demi à la primaire du PS. Pourtant, à La Rochelle, tous s’accordent à reconnaître qu’on ne peut pas déterminer précisément quels Français viendront voter. Ni combien ils seront. Ni sur quels critères ils le feront. Se détermineront-ils selon leurs intérêts de classe ou de corporation ou voteront-ils plutôt pour renforcer les chances de victoire en 2012, en fonction des sondages qui, à ce jour, donnent Hollande en tête ? Choisiront-ils une personnalité ou plutôt un thème de campagne ? Flou artistique total et free-style absolu. Tenez, un exemple donné par un responsable socialiste pour illustrer le dilemme : “Un postier serait-il sensible au discours d’un candidat qui lui proposerait d’améliorer son statut, ou se demanderait-il qui peut vaincre Nicolas Sarkozy au second tour ?” Dans la première hypothèse, c’est plutôt favorable à Martine Aubry qui est active sur le terrain des réseaux militants de gauche. “Si tu travailles différents réseaux comme les postiers, Greenpeace, ça ne se voit pas dans les sondages mais ça peut changer une élection”, analyse ce socialiste. Jean-Marc Germain, bras droit de Martine Aubry, a tout programmé : “Dans cette campagne, on a 10 000 volontaires. 31.08.2011 les inrockuptibles 41

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“par la position qui est la mienne aujourd’hui, j’ai un devoir supérieur aux autres de me tourner vers les Français” François Hollande Si on leur demande à chacun de convaincre cinq personnes d’aller voter pour Martine Aubry, ça fait bouger 5 % .” Un soutien de François Hollande tempère : “Il y a des réseaux de militants à la gauche de la gauche qui ne représentent rien dans la société mais qui peuvent avoir un impact en faveur d’un candidat si on est à 300 000 votants, pas si on est à un million.” Si, en revanche, les électeurs de la primaire se déplacent pour sélectionner celui ou celle qui leur paraît le plus apte à battre Nicolas Sarkozy, le moteur de la victoire sera les sondages. Tout le monde les critique, chacun sait qu’ils sont peu fiables pour ce genre d’élection… mais voilà, c’est le seul instrument de mesure sur le marché ! Dans cette hypothèse, c’est plutôt un bonus pour François Hollande, qui fait la course en tête depuis trois mois. Devant quatre cents journalistes réunis pour lui à La Rochelle pour un point qui se voulait informel, mais qui s’est transformé en conférence de presse, tant le candidat faisait figure de favori, François Hollande se fait grand prince : “Je sais ce qu’un sondage signifie : c’est une situation à un moment donné. Je sais aussi la précarité, la dangerosité d’une telle situation. Dès lors, je ne retire aucune perspective d’un sondage car il ne fait pas une élection.” Avant d’ajouter l’air-derien-mais-quand-même-je-te-rappelleque-je-suis-en-tête-et-que-je-kiffe-grave : “Il se trouve que cette situation d’avance dans les sondages dure depuis plusieurs mois et le devoir pèse sur moi. Par la position qui est la mienne aujourd’hui, j’ai un devoir supérieur aux autres de me tourner vers les Français, d’être conscient de l’enjeu de la primaire, de l’élection présidentielle et de la situation du pays.” Qu’est-ce qui explique ces sondages, outre le fait que le député de Corrèze est parti très tôt en campagne ? Pour un partisan de Martine Aubry, c’est simple : François Hollande bénéficie du soutien d’électeurs de droite dans les sondages, “ce qui lui permet d’impressionner les électeurs de gauche, qui sont ceux qui vont voter” en octobre. “Il a une capacité à s’exprimer clairement et une capacité de rassemblement, il donne confiance pour l’emporter face à Nicolas Sarkozy, s’enthousiasme Patrick Mennucci, un des hollandais. Mais bien sûr ça dépendra de qui se déplacera pour aller voter.” Ah ! bah voilà, toujours la même rengaine. Certains, un peu ronchons au PS pendant ces soixante-douze heures,

tablent sur 300 000 votants. D’autres plus majoritaires imaginent un million de votants, et Arnaud Montebourg carrément enflammé voit déjà quatre millions de Français débouler dans les villes et les campagnes : “Les gens feront la queue pour aller voter ! Peut-être qu’on devra ouvrir des bureaux de vote la nuit...” Cette campagne pour la primaire est littéralement un ovni, un inédit. En 2006, seuls les militants du PS avaient pu voter. Cette fois-ci, tous les Français, inscrits sur les listes électorales, souscrivant aux valeurs de gauche et versant au PS 1 euro minimum peuvent voter. Oui mais ça fait combien ? “Dans les campagnes, où le vote est plus acquis à François Hollande, est-ce que les gens vont faire 60 kilomètres pour aller voter ?”, fait mine de s’inquiéter un aubryste à La Rochelle. Sont vraiment solidaires entre eux, ces socialistes ! Dès lors, tout le monde attend les débats à la télé et à la radio qui vont avoir lieu entre les candidats, les 15, 28 septembre et 5 octobre, pour essayer de départager les gros poissons. D’ici là, chaque camp va devoir continuer à faire campagne : “Il n’y a aucune raison de plier bagage. C’est pas gagné mais ça mord, analyse François Lamy, directeur de campagne de Martine Aubry. Ce scrutin va fonctionner comme une municipale avec une forte mobilisation des élus et des militants sur le terrain.” Chez les aubrystes, on se veut offensif : “Il faut

sortir du duo et installer le duel sur les idées”, et serein : “Dans une élection normale, ça se joue trois semaines avant le scrutin, dans une présidentielle ça se joue quinze jours avant, pour la primaire ça va se jouer une semaine avant”. “Les gens rentrent tout juste de vacances. Il faut attendre les débats. C’est à ce moment qu’on pourra mesurer dans les sondages le corps électoral.” Dès lors, Ségolène Royal n’a aucune inquiétude d’être à la ramasse dans les sondages, convaincue qu’elle va virer en tête au soir du premier tour : “Je ne m’attends pas à remonter. D’ailleurs, j’ai dit à mon équipe qu’il fallait s’attendre à voir de mauvais chiffres jusqu’au vote.” Comment expliquer une telle assurance chez la présidente de Poitou-Charentes : “Par le terrain” et par la “personnalité de sa candidature” : “Je fais bien la synthèse entre la radicalité des valeurs économiques, la présence des valeurs écologiques et la question des valeurs traditionnelles par rapport à l’électorat populaire, celui qui a fait défaut à Lionel Jospin en 2002.” Entre François Hollande, qui surjoue “la force tranquille”, Martine Aubry, très offensive, Ségolène Royal, qui affiche la sérénité des vieilles troupes, Arnaud Montebourg et Manuel Valls, tous deux outsiders nerveux, quel est celui qui va séduire ces électeurs inconnus ? Marion Mourgue

et DSK dans tout ça ? “Il semble détruit. Un mec cassé, comme s’il était drogué. Il passe son temps à dire : ‘Qu’est-ce que j’ai fait pour qu’il m’arrive un truc pareil ?’” “Il”, c’est DSK. Celui qui raconte, un proche du couple DSK-Sinclair dans un livre riche en anecdotes récoltées entre Paris et New York sur le séisme ressenti jusqu’à Solférino après la chute de celui qui avait tout préparé pour être le candidat du PS. David Revault d’Allonnes et Fabrice Rousselot racontent dans Le Choc comment le patron du FMI avait prévu une “campagne à éclipses”, selon les conseils de Claude Bartolone. En clair : “Tu es là, mais personne ne te voit. Mais

ce sont des témoins qui parlent de toi !” L’idée : “Passer deux jours dans une ferme, chez un agriculteur de haute montagne. Personne ne le sait. Et le matin où il part, le mec va voir la presse et raconte comment il a reçu DSK chez lui !” Sauf qu’“un seul compétiteur vous manque, et la présidentielle est repeuplée”, selon le bon mot des auteurs. Car le départ brutal du favori a totalement changé la donne : a fortiori pour Martine Aubry, comme le résume Henri Emmanuelli. “Martine s’était faite à l’idée qu’elle était sortie des flûtes. Et elle se trouve de nouveau au pied de la montagne.” Avec François

Hollande et Ségolène Royal en embuscade. “La première saison du feuilleton DSK a laissé de sérieuses traces”, concluent les auteurs après avoir évoqué la réaction parfois surprenante des proches de DSK. “Indélébiles cicatrices judiciaires et médiatiques. Un dirigeant du parti confirme : comment peut-on conjecturer un retour ? Le type est passé dans la lessiveuse. Et on ne passe pas de la lessiveuse à la campagne sans passer par la case étendage et séchage.” M. M. Le Choc, New York-Solférino, le feuilleton DSK de David Revault d’Allonnes et Fabrice Rousselot (Robert Laffont), 258 pages, 17 €

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Patrick Kovarik/AFP

DSK libre et le PS libéré L’ancien patron du FMI ne va pas tarder à rentrer en France, où les socialistes ont cessé de l’attendre pour 2012.

S  

plit screen. A New York, Dominique Strauss-Kahn a récupéré jeudi son passeport, après trois mois de cauchemar judiciaire. A La Rochelle, les strauss-kahniens ont tourné la page le week-end dernier à l’université d’été du PS, qui devait être la rampe de lancement de la campagne de l’ex-patron du FMI pour l’élection présidentielle de 2012. Unité de temps, y compris météorologique, avec un ouragan sur la côte est des Etats-Unis et des bourrasques orageuses en Charente-Maritime. Mais les lieux et les destins sont désormais différents. DSK est attendu en France dans les prochains jours. Il est à Washington depuis vendredi pour des rencontres privées avec ses anciens collaborateurs du Fonds monétaire international. Une sorte de tournée des adieux, tant il semble décidé à quitter les Etats-Unis pour ne jamais y revenir. Nul ne sait non plus ce que fera l’ancien favori des sondages une fois revenu à Paris. “Aucun rendez-vous médiatique n’est calé”, assure-t-on dans son entourage. Des rumeurs avaient circulé sur une tribune dans dix quotidiens du monde entier,

ou encore sur une intervention sur TF1. “Ceux qui parlent rêvent et ne savent rien”, insiste-t-on du côté de Dominique Strauss-Kahn. A La Rochelle, il n’y a guère que la poignée des militants du Club DSK pour croire à un retour imminent de leur champion sur la scène politique. Comme un Edmond Dantès revenant terrasser tous ceux qui ont conspiré à sa perte. La majorité des strauss-kahniens est passée à autre chose, les uns choisissant Martine Aubry et les autres François Hollande pour la primaire des 9 et 16 octobre. Un sondage publié avant le week-end précisait d’ailleurs que 80 % des Français ne souhaitent pas un retour de Dominique Strauss-Kahn dans la course à l’investiture socialiste.

il n’y a guère que la poignée des militants du Club DSK pour croire à un retour imminent de leur champion sur la scène politique

Cela fait bien sûr les affaires des trois principaux candidats à la primaire, qui vivent depuis trois mois avec l’ombre tutélaire de leur aîné de Washington. “Personne ne m’a parlé de Dominique Strauss-Kahn cet été”, lance Ségolène Royal, qui a passé les mois de juillet et d’août auprès de “la France qui souffre”, pour tenter de rattraper son retard dans les sondages. Quand on demande à François Hollande, désormais épaulé par les strauss-kahniens Pierre Moscovici et Jean-Marie Le Guen, quel aurait été le thème de campagne de DSK candidat, il plaisante : “La vertu !” Quant à Martine Aubry, elle a fait réaliser des T-shirts pour sa campagne. Slogan choisi : “Yes we care”, décalque du “Yes we kahn” de son ancien allié du “pacte de Marrakech”, lui-même inspiré du “Yes we can” d’Obama. Un proche de l’ancien patron du FMI tente de positiver : “Dominique n’est pas quelqu’un pour qui le rêve élyséen était consubstantiel. C’est davantage le cas de François Hollande. On ne lui a donc pas coupé la tête. Il est blessé, oui. Mais c’est quelqu’un qui a une capacité à rebondir assez forte. 31.08.2011 les inrockuptibles 43

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si la parole de DSK est attendue, c’est surtout sur le terrain de l’expertise économique

Il aura un rôle majeur pour la présidentielle. Lequel, je ne sais pas.” Si la parole de DSK est attendue, c’est surtout sur le terrain de l’expertise économique. Dans le camp de François Hollande, on espère que l’ancien favori des sondages n’interviendra pas pour soutenir Martine Aubry dans la primaire. Le député de Corrèze est plus serein que ses propres troupes. “Autant Dominique Strauss-Kahn peut être utile si je suis désigné candidat, autant il ne m’est pas nuisible aujourd’hui, même s’il soutient Martine Aubry”, affirme-t-il. Prudents, les anciens soutiens de DSK sont très peu à juger qu’il pourrait intervenir dans la compétition interne des socialistes. Ils mettent désormais l’accent sur la période de “reconstruction”, de “réparation personnelle” qui s’ouvre pour l’ex-patron du FMI. “Dominique a été victime d’une tempête médiatique, avec une seule comparaison qui vaille en termes de unes et d’éditions spéciales, c’est le 11 Septembre et les attentats d’Al-Qaeda à New York”, souligne un de ses proches. “On a eu peur pour lui”, ajoute-t-il en évoquant l’état de grave dépression qu’a traversé DSK juste après son arrestation à New York. “Il y a déjà les spéculateurs de la finance, qui font beaucoup de dégâts, vous ne voulez quand même pas que je spécule en politique ?”, ironise un strauss-kahnien, qui raille “tous ceux qui s’expriment depuis la décision de non-lieu et qui souhaitent que Dominique se taise ou bien qu’il revienne dans la minute” en France. “C’est à lui de parler maintenant.” Dans un communiqué, qui constituait sa première expression publique depuis le début de la procédure judiciaire lancée après les accusations de viol portées par la femme de chambre du Sofitel, Nafissatou Diallo, DSK s’est réjoui de sortir d’un “cauchemar”, a remercié ses soutiens et s’est dit “impatient de rentrer à la maison”. “Je m’exprimerai plus longuement quand je serai de retour en France”, a-t-il annoncé en revenant dans sa maison du quartier new-yorkais de Tribeca, soulignant avoir traversé “une épreuve dure et injuste”. Mais, s’il est sorti innocenté du bureau du procureur Cyrus Vance, l’ancien patron du FMI reste sous la menace d’un procès civil aux Etats-Unis et de la plainte en France de Tristane Banon. La mère de la jeune femme, Anne Mansouret, était d’ailleurs présente à La Rochelle, comme pour rappeler aux socialistes qu’ils étaient loin d’en avoir fini avec les problèmes de DSK. Hélène Fontanaud

que le meilleur perde Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite. par Michel-Antoine Burnier

Oui, M. Sarkozy fait payer les riches ! C’est une vieille figure de la défaite que de voir un président de la République mener en fin de mandat une politique contraire à celle de ses débuts. Il demeure plus rare qu’il démolisse pièce à pièce ce qu’il avait construit avec soin quatre ans plus tôt, ici le bouclier fiscal, la défiscalisation des heures supplémentaires et un paquet de dégrèvements, soit les niches qu’il veut fermer aujourd’hui. Même M. Mitterrand avait laissé les dénationalisations à MM. Chirac et Balladur. M. Sarkozy nous donne par là une triple démonstration : il reconnaît qu’il s’était bien trompé en 2007 ; il se signale comme assez opportuniste pour mener d’un coup la politique inverse ; il cède aux pressions de la gauche et de l’opinion, lesquelles ne lui en marquent aucune reconnaissance. En gros, les choses ne s’étant pas passées comme il l’imaginait, M. Sarkozy nous avoue qu’il ne sait plus comment s’en tirer et qu’il essaie un peu tout. Bien vu : sa cote de confiance, qui avait gagné trois points, les perd. Enfin, pour quelqu’un qui avait promis de les baisser, quoi de plus victoricide que d’augmenter les impôts à la veille d’un scrutin ? Il s’agit sans doute d’une première dans l’histoire électorale de la République. Les socialistes, les Verts, l’extrême gauche l’ont bien compris, qui promettent tous d’en faire autant, ou plutôt davantage s’ils se retrouvaient malgré eux au pouvoir.

Le désordre financier international a tout changé, tout, sauf un monument : le projet socialiste. Mme Aubry, qui en fut l’inspiratrice et s’en dit fière, nie que la crise puisse invalider celui-là. Quant à M. Hollande, quand le Journal du dimanche lui demande : “La crise rend-elle le projet du PS caduc ?”, il répond : “Rien n’est caduc.” Tous deux imitent M. Mitterrand, qui appliqua avec bonheur en 1981 un Programme commun rédigé un an avant la première crise pétrolière. Il s’en trouva, comme il le cherchait, dans le plus grand embarras moins d’un an plus tard. Encore une grande règle de la défaite : toujours se comporter et surtout penser comme si la réalité ne bougeait jamais. Saluons, en un autre domaine, la troublante prescience de Mme Aubry. A peine lance-t-elle sa campagne pour la primaire que M. Strauss-Kahn se retrouve libre et Tripoli entre les mains des rebelles. Dans le fracas, personne ne l’entend. Rappelons qu’elle a déjà utilisé semblable scénario le 28 juin dernier pour sa déclaration très attendue de candidature ; elle choisit la date de la nomination de Mme Lagarde au FMI, ce qui lui donna l’occasion de passer bien après dans les journaux télévisés. Suivirent la libération des otages français d’Afghanistan, la révélation des mensonges de Mme Diallo et le retournement de la position de M. Strauss-Kahn. Comment fait Mme Aubry pour savoir tout cela à l’avance ? (à suivre...)

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par Christophe Conte

VGE fait Le Point sur la crise, on a failli confondre le trio Huchon-Dray-Lang à Rock en Seine avec The Horrors, Aubry en basketteuse et Royal en rugbywoman, Longuet en nostalgique réac et Sollers en ghost-writer de DSK.

les relous la vanne la plus entendue aux universités d’été

Georges Gobet/AFP

Frédéric Souloy/Gamma

Un sondage a été effectué auprès des femmes : “Aimeriez-vous coucher avec DSK ?” Résultats : 5 % oui, 10 % non et 85 % plus jamais !

Hollande a trouvé son running-gag A chaque campagne son gag. François Hollande ne sort plus son humour que pour galvaniser ses troupes. Pour les cantonales, c’était la recherche des – rares – candidats étiquetés UMP qui faisait se gondoler les salles socialistes. Pour la primaire, le député de Corrèze met la barre à gauche, en ironisant sur les riches qui veulent payer plus d’impôts (comme le pdg de Publicis, Maurice Lévy, en photo ci-dessous) “Mais qu’ils nous attendent ! Nous arrivons !”, lance-t-il à chaque meeting.

libertin voilà du boudin

panne de sève Conscient qu’un journal doit tout aux arbres, Le Point leur rendait la semaine dernière un double hommage avec un marronnier en couverture (Spécial immobilier, 25/08) et une vieille branche à l’intérieur : la tribune de Valéry Giscard d’Estaing sur la crise. Malgré les mots “ébranlé” et “secousse” dès la première phrase, le reste est assez décevant question cul, l’ancien président reconverti dans le roman vaseline se bornant ici à dispenser des leçons d’économie dont tout le monde, il faut bien le dire, se contrecarre. Qu’on lui remette du Viagra dans son Viandox !

play-list socialiste Ce week-end, ils étaient au moins trois à sécher l’université du PS pour faire les jeunes : Jean-Paul Huchon, Julien Dray et Jack Lang, power-trio aperçu à Rock en Seine (Lexpress.fr, 28/08). Certains groupes à l’affiche étaient toutefois là pour leur rappeler le bureau : CocoRosie, Cage The Elephant  et surtout Le Corps Mince De François(e) !

Libération au lendemain de la clôture de l’université d’été du parti (29/08). Citant le propos d’un partisan de Martine Aubry, le quotidien parle de “reine du money time” comme en basket, tandis qu’un peu plus loin le camp de François Hollande adresse un compliment à Ségolène Royal : “En rugby, on appelle ça un impact player.” Gare toutefois au syndrome Jospin, le seul authentique sportif parmi les ex-prétendants au trophée, qui s’est fait sortir à la mi-temps “like a shit player.”

jeunesse, esse, esse Invité de la matinale de France Inter (23/08), l’avenant et chaleureux Gérard Longuet a déclaré à propos de la Droite populaire : “On y trouve des gens que j’aime beaucoup car ils ont des réactions que j’aurais pu avoir quand j’avais 25 ans.” En gros, cette bande de beaufs ultraréacs, parfois homophobes, lui rappelle sa jeunesse, à Gégé. Remarquez, à nous aussi, ça nous rappelle sa jeunesse.

primary à tout prix

très confidentiel

La primaire du Parti socialiste, c’est du sport en engliche dans le texte ainsi que l’a rapporté

Il tarde un peu à nous la démouler, sa tribune sur la crise, Raymond Barre.

World Economic Forum/Nathalie Behring

Dans son dialogue mensuel avec son nombril intitulé à bon escient Mon journal du mois (JDD, le 28/08), le libertin Philippe Sollers est jaloux comme un pou du romanesque scabreux de l’affaire DSK, personnage auquel il semble vouloir à tout prix s’identifier. Il y va donc carrément : “DSK, blanchi, rentre en France, et je lui propose aussitôt d’être son nègre pour ses mémoires d’enfer. Le titre pourrait être L’Afrique fantôme, ou Huis clos, ou Voyage au bout de la douche, ou Les 120 nuits du Sofitel…” Ou La Tache (éditions Saint-Maclou), inspiré d’un autre Philip qui préfère écrire des livres que des blagues Carambar.

drôles de dames L’attaché de presse de Martine Aubry a fait bonne figure quand la journaliste Valérie Trierweiler, à la ville madame Hollande, lui a proposé dimanche à La Rochelle d’inviter la maire de Lille dans son émission politique sur Direct 8. Pour parler primaire et stratégie de dégommage de François Hollande, c’est un peu compliqué quand même… 31.08.2011 les inrockuptibles 45

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contre-attaque

Roberto Schmidt/AFP

Une distribution de l’aide internationale, Mogadiscio le 14 août

une famine si discrète La sécheresse qui sévit dans la Corne de l’Afrique, la pire depuis soixante ans, menace douze millions de personnes dans une indifférence presque complète. Que faire et où envoyer ses dons ?

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vec leurs yeux aussi gros que la tête et leur corps malingre, les petits paraissent les plus touchés, leurs mères ne pouvant plus allaiter. Au début de l’été, plus de 80 % des enfants qui se sont présentés dans les centres de soins souffraient de malnutrition aiguë, celle qui entraîne la mort. S’y ajoutent les images de ces colonies de fuyards avançant à l’aveugle sur des pistes de poussière. Sans nourriture, sans eau, sans but. Jusqu’à tomber, pour les plus chanceux, sur un camp de tentes, comme celui de Daddab, à la frontière kényane, qui abrite plus de 400 000 réfugiés. “L’urgence est absolue, explique Christina, 33 ans, jointe au siège d’Action contre la faim (ACF) à Nairobi. Face à l’ampleur du drame, on est parfois gagné par le découragement. Mais il suffit que l’on sauve un enfant pour se dire que l’on est sur le bon chemin.” Comme si ça ne suffisait pas, en chemin, des bandes de jeunes miliciens islamistes, les shebab, tombent à bras raccourcis sur les affamés. Certains laissent passer réfugiés et convois alimentaires, d’autres pas. C’est fonction de leur humeur ou de leurs bagarres intestines. Du coup, les ONG opèrent depuis Nairobi, au Kenya.

expatriés et bénévoles s’interdisent de se rendre dans les camps. Trop dangereux

Sur place, dans les camps, ce sont des nationaux, des Somaliens qu’elles ont formés, qui prennent le relais. Expatriés et bénévoles s’interdisent de s’y rendre. Trop dangereux. Le sujet est si sensible que les opérationnels n’en parlent qu’avec une précaution extrême. “Nous sommes scrutés. De notre discrétion dépend notre capacité d’agir.” Tout juste si, depuis Paris, une permanente s’autorise un : “Ce pays est fou !” “La sécheresse était annoncée, ça faisait des mois qu’on voyait monter la crise, note cette responsable d’ACF. On a eu beau multiplier les messages d’alerte, la réaction a été tardive. Les médias avaient d’autres sujets plus intéressants. Difficile de rivaliser avec DSK. Or c’est un axiome mécanique. Pas de couverture médiatique, pas de famine, pas de dons. Et les pouvoirs publics en profitent pour faire comme s’ils n’étaient pas au courant.” Le déclic a lieu fin juillet, le 25, avec une réunion de crise tenue à Rome. Au même moment, la Banque mondiale décidait d’octroyer plus de 500 millions de dollars pour faire face à l’urgence. Les promesses de dons augmentent mais sont encore loin de couvrir les besoins immédiats. Reste que la Somalie mobilise bien moins qu’Haïti qui avait bénéficié d’une immense émotion internationale après le séisme. Et d’ici, que faire? Des dons. Pour les susciter, ACF avait lancé en 2009 l’opération “Je déj’, je donne” : on cède un ticket resto qui sera reversé à l’organisation.

623 000 euros ont déjà été collectés et l’opération est toujours en vigueur. ACF parraine aussi toutes sortes d’initiatives : une vente aux enchères, un loto, une collecte dans une entreprise, un match de foot amateur à Metz, un concert organisé par les élèves du lycée français de Budapest, un autre par une chorale en Alsace, la représentation montée par une école de samba. Lors de ses 30 ans de mariage, un couple a organisé une collecte auprès de ses invités. Tout est bon. Avec 20 euros, on peut nourrir un enfant pendant trois mois, disent les experts. Les petits ruisseaux… [email protected]

aider Envoyer les dons à ACF, Urgence Corne de l’Afrique, Libre réponse 64731, 75681 Paris Cedex 14. Pas besoin d’affranchir. Et aussi, www.actioncontrelafaim.com ; pour les initiatives privées et spontanées, aller sur www.actioncontrelafaim.org/ ou www.jedej-jedonne.com/. Et aussi: Secours populaire, Crise alimentaire Afrique, 9-11, rue Froissart, BP 3303, 75123 Paris Cedex 03. Ou MSF, 8, rue Saint-Sabin, 75011 Paris. Service donateurs: 01 40 21 27 27, et https://don.msf.fr/don/    Sur le portail collectif infodon.fr, un espace est dédié aux dons pour lutter contre la famine dans la Corne de l’Afrique.

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un T au Sahara Porte-parole du peuple touareg, inventeur du rock du désert, nomade par essence, Tinariwen revient avec un disque lumineux et un discours qui crée des oasis dans la vie. par Stéphane Deschamps photo Jérôme Brézillon

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ilhouette sèche et immuable de coureur de fond. Visage tanné sans âge, impénétrable masque cuivré dont chaque ride, pareille au lit d’un oued, doit pouvoir raconter une histoire secrète, indiquer un chemin intime. Sous un maquis de cheveux noirs, le regard est à la fois doux et farouche, vague et intense, perdu entre l’intérieur et les confins. Ibrahim Ag Alhabib n’a pas besoin de porter le chèche pour évoquer, tout en les protégeant, ses mystères. Ibrahim est le leader historique de Tinariwen. Compositeur, guitariste et voix. Surtout voix. Producteur, ami et membre honoraire du groupe, qu’il connaît depuis la fin des années 90, le Français Jean-Paul Romann raconte cette anecdote : “Un jour, je discutais avec Ibrahim. Je lui pose la main dans le dos pendant qu’il parle et je sens cette vibration, cette résonance dans sa cage thoracique…” Le minéral Ibrahim est plus que la voix de Tinariwen. Il s’impose aussi, qu’il le veuille ou non, comme le porte-parole du peuple touareg, la caisse de résonance du Sahara – beaucoup de blanc sur la carte mais une bande-son unique au monde. Il y a dix ans Tinariwen enregistrait Radio Tisdas, son premier véritable album, dans les petits locaux d’une station de radio à Kidal, Nord-Mali, en pays touareg (Jean-Paul Romann était déjà de l’aventure). Depuis, Tinariwen a fait du chemin, vu du pays, inventé le rock du désert, croisé le succès mondial, sensibilisé l’opinion internationale à l’histoire récente et tragique des Touaregs, aboli les fichues frontières entre le rock

et les musiques du monde – de Thom Yorke à Robert Plant en passant par les underground Tunng, d’innombrables musiciens ont succombé à ces chants du désert branchés sur groupe électrogène. Tinariwen est allé très loin, oui, mais tous les horizons ne se valent pas. “Dès que je monte dans un avion, le pays me manque. La solitude, la nature, le silence, j’ai besoin de tout ça”, nous disait Ibrahim il y a une paire d’années. Il y a un an, de passage à Paris, Ibrahim s’est acheté une belle guitare acoustique, une espagnole échancrée à cordes en nylon. Point de départ, ou plutôt de retour, pour Tassili, cinquième album de Tinariwen : un disque acoustique enregistré en petit comité dans le désert de Tassili, immense vallée sablonneuse et rocailleuse à trente-cinq kilomètres de la ville de Djanet, dans le sud-est algérien. Le groupe aurait préféré enregistrer à Tessalit, son fief du Nord-Mali. Mais en raison de la présence d’Aqmi (la branche saharienne d’Al-Qaeda) et de l’incapacité des autorités maliennes à sécuriser la zone, il s’est rabattu sur la région de Djanet, plus sûre. Ce secteur, les anciens de Tinariwen, dont Ibrahim fait partie, le connaissent bien. Djanet se situe sur la route qui relie Tamanrasset (dans le sud de l’Algérie) à la Libye. Dans la deuxième moitié des années 80, les anciens de Tinariwen étaient basés à Tamanrasset. Ils empruntaient cette route et faisaient escale à Djanet, pour se rendre dans les camps libyens d’entraînement pour la rébellion, formés par le colonel Kadhafi.

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Paris, juillet 2011

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C’est la genèse rebattue du groupe : kalash en bandoulière et guitare électrique à la main, Tinariwen était un groupe de musiciens combattants dont les cassettes faisaient le tour du désert et servaient d’outils de communication, à une époque où n’existaient ni internet ni téléphones portables. La réputation de Tinariwen dans le Sahara date de ces années-là. Cette vieille histoire a pu servir un temps à vendre le groupe à un public international avide de contexte, mais Ibrahim ne veut plus en entendre parler. Les temps ont changé. Le combat du peuple touareg continue sous d’autres formes, les guerriers de Tinariwen ont déposé les armes depuis près de vingt ans, le line-up du groupe s’est rajeuni. Et si Tassili remonte aux sources du groupe, c’est encore plus loin dans la brousse et le cœur, à cause de la guitare acoustique. “Quand il est chez lui, Ibrahim passe 80 % de son temps à faire de la musique dans le désert, en acoustique, seul ou à deux. Il joue dehors, au coin du feu, mais dans un état d’intériorité extrême. Le public occidental ne le sait pas forcément, mais c’est l’essence de la musique de Tinariwen : des guitares acoustiques, des calebasses, des chœurs tranquilles, sans claquements de mains. C’est ça qu’on a voulu enregistrer, aussi calme que possible”, explique JeanPaul Romann, qui a produit Tassili. “Quand le groupe a commencé, il n’y avait pas d’électricité dans le désert. La musique, c’était autour du feu, pour les amis et l’environnement. Cet album peut paraître lent par rapport aux précédents, mais il manifeste un feu intérieur, qui brûle”, ajoute Eyadou Ag Leche, le bassiste du groupe. Tinariwen a donc enregistré en formation réduite, rejoint sur quelques titres (et dans le désert) par Kyp Malone et Tunde Adebimpe de TV On The Radio . Sur Tassili, on trouve aussi des interventions de Nels Cline, le guitariste de Wilco, et du Dirty Dozen Brass Band, une fanfare de la Nouvelle-Orléans dont les cuivres sauriens rampent et louvoient jusqu’à la source du blues. Malgré ses invités, Tassili sonne presque comme un album solo d’Ibrahim, simple écrin d’une voix grave et douce, ancienne et fragile. La musique de Tinariwen n’a jamais été aussi nuancée, lyrique, profonde, élémentaire. Musique de fin de bivouac, quand les dernières braises s’éteignent, que l’immensité étreint, qu’apparaît le frisson de l’assouf. En tamasheq, la langue des Touaregs, l’assouf est l’équivalent du blues : la clé de la musique de Tinariwen. “Il exprime d’abord un sentiment, entre la nostalgie et le plaisir. C’est Tinariwen qui a mis ce mot en musique”, précise Eyadou.

“le monde voyage dans des avions et nous allons encore à pied. Il faut que l’un descende ou que l’autre monte” Eyadou Ag Leche, bassiste

Au milieu des rochers, sous les étoiles, les membres de Tinariwen ne sont plus des rock-stars mais de simples Touaregs à leur place, dedans dehors, en harmonie avec les éléments. Il suffit de regarder Ibrahim pour en être convaincu : Tinariwen ne cherche pas à sortir du désert et grandir. “Ils n’ont pas d’objectif, d’ambition mercantile, même s’ils profitent de la notoriété et des retombées commerciales. Ils font leur musique, les gens l’aiment, ils en vivent, point. Sur la dernière tournée américaine, des amis à eux avaient imprimé un T-shirt avec une phrase d’Ibrahim qui dit ‘Simplicity is freedom’. Je trouve que ça les résume bien, explique Jean-Paul. Quand j’ai connu Ibrahim, il n’avait pas de maison, pas de voiture, juste une guitare à 150 euros. Il ne rêvait pas de gagner de l’argent, la réussite lui est tombée dessus. Aujourd’hui, il a un 4x4 et un téléphone portable, pour appeler en cas de panne, c’est tout. Il passe toujours ses soirées en brousse, avec un peu de thé et de la viande.” En provenance du Sahara, les nouvelles ne sont pas bonnes. Depuis deux ou trois décennies, les sécheresses récurrentes ont poussé de nombreux Touaregs à la sédentarisation. Les néocitadins aspirent à la santé, à la technologie, à l’éducation, au divertissement. Les plus jeunes n’ont pas connu le nomadisme et ne rêvent pas de conduire des chèvres dans la brousse. En dépit de son succès mondial et du rôle exemplaire qu’il tient depuis plus de vingt ans dans sa communauté, Tinariwen passera-t-il un jour pour une amicale d’anciens combattants, le chantre d’un mode de vie folklorique et de valeurs d’antan, l’assouf essoufflé par sa course à la modernité ? Si l’on s’en tient à la musique, Tassili, concentré de sève, prouve que ce jour n’est pas pour demain. Et Tinariwen est fertile. Terakaft, Tamikrest, Bombino et quelques autres (affectueusement qualifiés par Eyadou de “pièces de rechange pour Tinariwen”) forment une passionnante deuxième vague de musiciens, à la fois descendants et affranchis de l’exemple, auteurs cette année de disques personnels. Sur un plan plus général, Eyadou relativise l’hypothèse, dans une de ces tempêtes de paraboles familières aux Tamasheqs : “Nous sommes dans un moment de souffrance, je vous demande d’avoir un œil sur le désert. Le monde voyage dans des avions et nous allons encore à pied. Il faut que l’un descende ou que l’autre monte. Nous pouvons nous rejoindre : le dos de la Terre est en feu, nous sommes solidaires des gens qui en Occident réclament que l’on respecte la nature. Toutes ces usines d’uranium qui chez nous brûlent la terre et les gens, il faut les combattre. Je rêve que le peuple touareg soit en paix, que sa culture occupe sa place dans le monde. Nous mettons nos espoirs dans l’école, pour que les nouvelles générations arrivent avec une intelligence d’aujourd’hui. La modernisation représente un danger qui guette notre culture. Mais au fond, nous n’avons pas besoin de GPS, nous avons les étoiles.” album Tassili (V2/Cooperative/Pias), www.tinariwen.com concerts le 21 septembre à Paris (104), le 5 octobre à Magnyle-Hongre, le 7 à Blois, le 8 à Bègles, le 9 à Laval, le 11 à Lyon, le 12 à Poitiers, le 13 à Nanterre

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Philippe Askenazy

“il faut reconstruire un système de pensée économique” Face à un séisme économique d’une ampleur inédite, il y a urgence à trouver des solutions. A quelques mois de la présidentielle, les politiques français (tel Arnaud Montebourg, lire p. 58) sont sommés de proposer des remèdes crédibles, tandis que certains économistes se muent en activistes. Cynisme, opportunisme, incompétence des dirigeants, crise démocratique : Philippe Askenazy, membre du collectif des Economistes atterrés, décrypte les causes de la crise. entretien Serge Kaganski

Manifestation en juin dernier, à Berlin, pour l’instauration d’une taxe sur les transactions financières

Wolfgang Kumm/DPA/MaxPPP

C

Hermance Triay

omment en est-on arrivé à la situation que nous connaissons actuellement ? Philippe Askenazy – Au début des années 80, avec Reagan et Thatcher, s’est ouverte une vaste ère de libéralisme au niveau des marchés financiers, du droit du travail, de la réduction du rôle de l’Etat. Théoriquement, cela n’aurait pas dû déboucher sur une crise systémique comme celle que nous vivons. Le vrai tournant se situe à la charnière des années 1990-2000, début d’une période dite de “la grande modération”. Les financiers, les universitaires, les gouvernements de gauche ou de droite étaient tous convaincus que l’on entrait dans une phase de croissance mondiale qui allait se prolonger durablement, et ce pour diverses raisons : par exemple l’explosion d’internet et la montée des pays émergents. Puis il y a eu le 11 Septembre. Les tours se sont effondrées, la bulle internet a éclaté. Pourtant, pas de panique économique parce que les banques centrales ont injecté des tonnes de liquidités dans l’économie. On vivait donc sous une double croyance : la croissance mondiale perpétuelle et la confiance dans les autorités monétaires et budgétaires pour gérer les crises. Cette double croyance n’était-elle pas naïve, voire ir responsable ? Tant que les faits ne donnent pas tort à une croyance, on y croit. Il y avait un troisième pilier de la confiance économique globale : les acteurs financiers privés étant eux-mêmes mondialisés, ils ne couraient aucun risque si un pays était en difficulté, comme ce 31.08.2011 les inrockuptibles 53

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Thomas Padilla/maxppp

Joel Saget/Afp

Ci-dessus, manif à Paris lors de la grève du 29 janvier 2009 contre la crise. A droite, action d’Oxfam à Paris contre les promesses non tenues du G8 pour les pays pauvres

fut le cas pour l’Argentine. Ainsi, un Lehman Brothers ne pouvait théoriquement pas chuter parce que cette société était présente sur un portefeuille mondial. Dans ce monde prétendu sans risques, on a laissé se développer un certain nombre de pratiques, comme l’innovation financière avec des outils de plus en plus complexes. De leur côté, les Etats se sont laissés aller à un certain laxisme budgétaire, notamment à travers une petite compétition de dumping fiscal (instaurer une fiscalité plus faible que celle des pays voisins afin d’attirer les capitaux étrangers) dont les grands gagnants ont été les multinationales, les hauts patrimoines et les hauts revenus. En dehors de l’injustice fiscale moralement condamnable, n’était-il pas suicidaire de laisser filer les déficits et se creuser les dettes ? Ce n’était pas vécu comme intenable. Prenez le cas américain : sans compter les conflits irakien et afghan, les Etats-Unis ne seraient pas tant que ça en déficit. Si la dette se creuse, il suffit d’attendre quelques mois de croissance pour revenir à une situation d’équilibre. C’était la vision dominante dans beaucoup de pays. Souvenez-vous, Nicolas Sarkozy en 2007 avec le paquet fiscal. Il disait qu’il pouvait dépenser 15 milliards d’euros en cadeaux fiscaux parce que les prévisions économiques le lui permettaient. En 2007, on prédisait l’équilibre budgétaire pour 2010 ! Que s’est-il donc passé en 2008, au moment du début de la crise ? L’édifice de “la grande modération” s’est effondré avec l’écroulement de son pilier finance. L’idée que la mutualisation financière mondiale prévenait tout risque s’est envolée. C’est l’inverse qui s’est produit. Si un établissement tombait, il pouvait entraîner dans sa chute l’ensemble de l’édifice financier. Cette crise résulte d’un problème économique mais surtout théorique. On vivait selon des théories complètement erronées et la chute de Lehman Brothers en a été le grand révélateur. C’est terrifiant d’un point de vue intellectuel et on est maintenant devant un enjeu politique majeur : reconstruire un système de pensée économique. Cette chute était-elle inévitable ? Si Lehman Brothers était sauvable, n’aurait-on pas dû le faire au vu des conséquences catastrophiques de cette chute ? Lehman Brothers était peut-être sauvable mais d’autres établissements financiers étaient dans

“résoudre la crise démocratique permettra de résoudre celle du capitalisme” le même type de situation. Pour les sauver, il aurait fallu mettre énormément d’argent sur la table. D’une certaine manière, il a fallu aller jusqu’au déclenchement d’une crise pour pouvoir ensuite justifier les plans massifs d’aide aux banques sur le dos des peuples. Et peut-être que la banque centrale des Etats-Unis (FED), enfermée dans la vision idéologique de “la grande modération”, ne pensait pas à ce moment-là que le problème Lehman Brothers allait entraîner les autres banques dans la tourmente. A l’époque, on n’avait pas les éléments de compréhension du jeu de domino financier. Ce mécanisme a entraîné comme l’on sait des plans de sauvetage massifs par les Etats, un resserrement du crédit au niveau mondial. Puis la croissance s’est arrêtée. La crise a touché plus de la moitié de l’économie dans le monde, ce qui n’était pas arrivé depuis la Seconde Guerre mondiale. Sur le site Mediapart, l’économiste Robert Boyer pense que cette crise est plus grave que celle de 1929. Partagez-vous ce diagnostic ? Elle est plus grave parce qu’en 1929 on a su trouver rapidement une vision économique alternative, le keynésianisme. Mais aujourd’hui, on n’en a pas. On n’utilise que des rustines, les pouvoirs politiques sont faibles, on est dans un vide sidéral où on ne sait pas quoi faire. La faiblesse des réponses politiques est plus une affaire d’impuissance, voire d’incompétence, que de cynisme ou de corruption ? Premier élément, en Europe : la mauvaise structure politique européenne. Pendant “la grande modération”, l’Europe a cru bon de laisser les clés du contrôle des Etats aux marchés financiers. Ce sont eux qui prêtent aux Etats et non la Banque centrale, comme c’est le cas dans les autres pays. Deuxième problème : la grande faiblesse des gouvernements

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le réveil des économistes

Ciambelli Matteo/Sipa

Longtemps accusée de cécité, incapable de prévoir la crise et d’en analyser les mécanismes, la théorie économique se remuscle enfin. Une nouvelle génération d’économistes activistes repense les fondations d’un nouvel ordre économique.

A Rome, en juillet 2009, manif contre le sommet du G8

européens. Zapatero est sur le départ, Sarkozy va de défaite en défaite électorale, sa cote de popularité est basse, etc. Or pour changer la donne de la dépendance aux marchés, il faudrait changer les traités européens. Et pour cela, il faudrait au moins un dirigeant européen avec la compétence et le poids politique national suffisants pour porter un tel projet. Ce n’est malheureusement pas le cas. Pourtant, des solutions existent, elles sont noir sur blanc dans le manifeste d’Economistes atterrés : redistribution fiscale, pas vers le fédéralisme, mutualisation de la dette par l’émission d’euro-obligations, projets de relance économique à l’échelle européenne… On parle de ces solutions en France mais pas aux Pays-Bas ou en Finlande. Il existe au contraire des courants populistes ou nationalistes qui ne veulent pas entendre parler de mutualisation. La crise en zone euro est-elle plus ou moins grave que la crise américaine ? Les Etats-Unis ont une dette plus importante que celle de la zone euro mais elle est détenue en grande partie par des Américains (fonds de pension, etc.). Celle de l’Europe est fragmentée, les créanciers plus nombreux. D’autre part, les Etats-Unis ont la FED qui peut intervenir à tout moment, racheter de la dette américaine. La faiblesse de l’Europe, ce sont des institutions inadaptées à un monde en crise. La Banque centrale européenne (BCE) refuse d’avoir les prérogatives de la FED. Pourquoi refuser si la situation l’exige ? On peut se demander si la BCE n’est pas sous l’influence de grands acteurs financiers, qui auraient beaucoup à perdre si un changement institutionnel intervenait. Les marchés semblent réclamer tout et son contraire, du désendettement par l’austérité et de la croissance. Ces comportements sont-ils irrationnels ou cyniquement concertés, comme l’écrit Edwy Plenel, qui évoque une guerre des marchés contre les peuples ? J’ai du mal à me faire une religion. Mon collègue André Orléan dénonce l’irrationalité de marchés absurdement panurgistes. Il existe clairement des éléments d’irrationalité dans le fonctionnement des marchés. A l’autre bout existe cette vision d’un marché cynique qui spécule en toute connaissance de cause

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’ouvrir les marchés boursiers qu’une fois par trimestre pour neutraliser les effets de la spéculation financière, limiter les transactions financières à celles qui répondent aux besoins de l’économie réelle, accroître l’effort budgétaire en matière d’éducation ou d’investissements, réduire les dettes publiques en faisant payer ceux qui ont bénéficié des bulles financières et immobilières, mettre fin aux paradis fiscaux… Des dizaines de propositions de riposte à la crise existent depuis quelques mois, issues de nombreux cercles de réflexions d’économistes de plus en plus activistes. Car les économistes ont enfin des idées ! Après la crise des subprimes de 2008, on les avait accusés de n’avoir rien vu, rien anticipé, rien compris au système économique. Comme si leur cécité devant le monde réel était la rançon de leur savoir abstrait. La science économique croyait naïvement que le capitalisme était immortel, que la finance se régulait elle-même, que l’économie reposait sur des lois naturelles intangibles résumées à travers quelques modèles mathématiques inventés par les courants de l’orthodoxie libérale. Face à “l’agonie du capitalisme”, dénoncée par l’un de nos économistes les plus lucidement critiques, Paul Jorion, les économistes auraient ainsi “trahi” leur discipline. Or les derniers soubresauts de la crise ont remis les économistes face à leurs (ir)responsabilités. Aujourd’hui, les lignes bougent enfin, comme si les effets dramatiques de la crise avaient contraint la plupart des économistes à dénoncer radicalement les vices du système néolibéral et à faire preuve de perspicacité. Comme si tout le monde donnait enfin

raison aux altermondialistes que l’on considérait au milieu des années 90 comme de gentils utopistes, dont les idées, comme la taxation des transactions financières, sont désormais assumées par une partie de la droite (Sarkozy et Merkel par exemple). Au-delà des clivages théoriques et politiques qui continuent à exister, la théorie économique fait le deuil de ses préceptes néolibéraux dominants depuis la fin des années 70. Les économistes de droite revoient leur copie (de Jean-Luc Gréau à Gérard Lafay) ; les économistes régulateurs, tendance social-démocrate, se radicalisent sur le versant gauche. De Daniel Cohen à Thomas Piketty, de Romain Rancière à Frédéric Lordon, d’Henri Sterdyniak à Pierre Larrouturou, de Camille Landais à Emmanuel Saez, de la Fondation Jean-Jaurès au collectif des Economistes atterrés lancé par Thomas Coutrot, André Orléan, Philippe Askenazy…, la majorité de la discipline économique est désormais traversée par le souffle d’un réformisme radical des règles du système économique et financier mondialisé. Quitte à se distinguer sur les multiples voies possibles de sortie du capitalisme financier (démondialisation ou pas, protectionnisme ou pas, suppression de la Bourse ou pas, décroissance ou pas ?). Atterrée par ses erreurs d’analyses passées autant que par la nocivité de la finance déréglementée, cette nouvelle génération d’économistes français porte enfin un regard critique et inventif sur la crise d’aujourd’hui. Tout changer pour que les mêmes causes ne provoquent plus les mêmes effets : la science économique deviendrait-elle subversive ? Jean-Marie Durand 31.08.2011 les inrockuptibles 55

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“plus qu’une guerre, je crains plutôt un état perpétuel de crises successives, avec leurs conséquences”

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contre les Etats. Faire chuter la Grèce, c’est faire ensuite chuter d’autres pays, ce qui permet à chaque fois aux spéculateurs d’empocher des sommes astronomiques. Un troisième schéma, dit de l’opportunité, envisage que la crise est l’occasion de pousser plus loin des réformes structurelles libérales et antidémocratiques : démantèlement de l’Etat, des services publics, flexibilité du travail, etc. Ces trois schémas (irrationalité, cynisme, opportunisme) coexistent sans doute. Comment sortir de ce bourbier ? Il faudrait d’abord que les Etats desserrent l’étau de leur dépendance à la sphère financière. Ce serait un premier pas nécessaire mais pas suffisant. Il faudrait ensuite réguler à nouveau le monde de la finance puis se lancer dans des grands projets au niveau européen : fiscalité européenne unifiée allant à l’envers du dumping fiscal des dernières années en revenant aux niveaux de prélèvement des années 90, croissance verte, etc. Pour avoir une chance de réussite, ces projets doivent être portés par des gouvernements forts et pro-européens. On en est loin quand François Fillon déclare que le plus important est de conserver le AAA de la France. En effet. Il serait beaucoup plus judicieux d’essayer de construire un AAA européen. Pour réduire la dette, on parle beaucoup de baisser les dépenses de l’Etat, on promet l’austérité. Pourquoi parle-t-on si peu d’augmenter les recettes en allant ponctionner hauts revenus et bénéfices des m ultinationales ? Les gouvernements des grands pays européens sont de droite, ce n’est donc pas surprenant. Il faudrait

un changement de majorité en France ou en Allemagne, voire dans les deux pays. A moins que les peuples ne se réveillent avant. Les mouvements d’indignés peuvent-ils se transformer en une internationale des indignés portant des solutions structurées ? Ce n’est pas impossible. Que pensez-vous de la taxation des transactions financières ? Pourquoi pas, mais le problème, c’est qu’on ne sait pas du tout ce que sera le produit de cette taxe, et jusqu’à quel point les acteurs financiers la contourneront. Ce type de taxe n’empêchera pas par ailleurs la versatilité et la fragilité de la sphère financière. Est-il possible d’interdire les outils financiers à hauts risques ? On pourrait le faire mais ça ne changera pas la philosophie des acteurs financiers, qui ne se tournent pas vers l’économie réelle. Je préférerais la création d’une grande banque publique d’investissement européenne qui soutiendrait les grands projets européens. Si une telle institution existait, la sphère financière privée perdrait de son importance et se tournerait à son tour vers l’économie réelle. Il faut une sorte de plan Marshall pour l’économie européenne. Dans les solutions à plus court terme, que pensezvous des euro-obligations évoqués un peu partout ? Ça rassurerait les spéculateurs, qui seraient ainsi sûrs de ne pas perdre leur argent. Les euro-obligations limiteraient la spéculation, empêcheraient le risque de chute de l’ensemble de la zone euro, tout en étant un cadeau fait aux spéculateurs.

les mots pour comprendre agence de notation Les agences de notation ont été créées après le krach boursier de 1907, qui menaçait l’économie mondiale. Elles évaluent le risque de faillite ou de non-remboursement d’un acteur économique, un Etat ou une entreprise. Elles informent les investisseurs des risques qu’ils courent en prêtant de l’argent à tel ou tel acteur économique en lui attribuant une note, comme à l’école. Moody’s, Fitch et Standard & Poor’s, les trois agences qui se partagent presque tout le marché, sont des entreprises privées et en théorie indépendantes. Les institutions économiques paient les agences pour recevoir une note, bonne ou mauvaise. Depuis la crise des subprimes de 2008, qu’elles n’ont pas su prévoir, et la dégradation de la note de la dette des Etats-Unis par Standard & Poor’s en août 2011, elles sont très critiquées. Accusées

de conflits d’intérêts – puisqu’elles notent les sociétés qui les paient – et de posséder un pouvoir démesuré, les agences se défendent en expliquant qu’elles donnent seulement un avis, une évaluation.

AAA Les trois agences de notation ont adopté une grille de notes par lettres. Une note est le résultat de l’analyse financière effectuée par une agence. AAA correspond à un 20/20, la meilleure note possible. La France est aujourd’hui détentrice d’un triple A, tout comme dix-sept autres Etats. Grâce à cette note, l’investissement est considéré comme sûr à 100 % puisque l’emprunteur présente suffisamment de garanties pour rembourser ses dettes. Les taux d’intérêt sont, du coup, plutôt faibles. Plus le risque est élevé,

plus la note décroît et plus les taux d’intérêt augmentent.

dette souveraine C’est une dette émise ou garantie par un émetteur souverain, c’est-à-dire le plus souvent un Etat mais parfois une banque centrale. Elle est décomposée en dette domestique et dette extérieure, selon que ses créanciers résident ou non dans l’Etat. Après la Seconde Guerre mondiale, les emprunts publics ont cessé de financer des guerres. Ils servent désormais à financer l’Etat-providence et des plans de relance économique, comme après la crise financière de 2008. Aujourd’hui, la dette publique des Etats-Unis est de 15 154 milliards de dollars, soit 100 % de son produit intérieur brut (PIB). La France a une dette qui équivaut à 84,5 % de son PIB, soit 1 646 milliards d’euros.

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John Macdougall/ AFP

Des militants d’Avaaz à Berlin, juin 2005

Que pensez-vous des candidats de gauche en lice pour la présidentielle ? Je les trouve très timorés. A cause de la primaire, ils n’ont peut-être pas toute leur autonomie d’expression, mais aucune des personnalités politiques de gauche ne me semble avoir une ampleur intellectuelle telle qu’elle pourrait porter des idées vraiment puissantes. Les candidats ne font pas le poids comparés à François Mitterrand. Peut-être l’un, l’une ou l’autre va se révéler plus tard dans la campagne, mais pour le moment, c’est mou et on ne sent pas un grand travail théorique derrière. Comment définir la période que nous vivons ? Vaste question. Je pense que l’on connaît une crise du capitalisme doublée d’une crise démocratique profonde. Le financier et l’économique ont pris le pas sur le politique et le démocratique. Les peuples sont exclus du jeu, on observe des inégalités profondes, alors que les acteurs financiers sont dans une recherche du profit à court terme aux dépens des investissements de long terme. Au moment de la crise des années 1930, on a eu, d’un côté, l’Allemagne qui a

FESF Quand l’euro a été créé, le principe de non-assistance financière à un Etat a été ratifié dans les traités. Mais ce principe a explosé le 2 mai 2010 lorsque les vingt-sept membres ont prêté 110 milliards d’euros à la Grèce. Une semaine plus tard, le Fonds européen de stabilité financière (FESF) a vu le jour, afin d’agir plus rapidement. Il permet à l’Europe de lever jusqu’à 440 milliards d’euros sur les marchés et de prêter de l’argent à un taux raisonnable aux pays en difficulté. Deux autres Etats ont bénéficié de cette aide : l’Irlande (85 milliards) et le Portugal (78 milliards). Mais en cas de besoin d’un pays comme l’Espagne ou l’Italie, les 440 milliards ne suffiraient pas. Une augmentation du montant de l’aide est donc en débat. L’Allemagne y est pour l’instant opposée.

double dip C’est la crainte de tous les économistes et du monde de la finance : un “double creux” ou “double plongeon” mondial. Cette expression

sombré dans le nazisme et, de l’autre, l’Amérique rooseveltienne. Aujourd’hui, on pourrait basculer d’un côté ou de l’autre. Résoudre la crise démocratique permettra de résoudre celle du capitalisme. Ce sont des gouvernements forts et des peuples écoutés qui remettront le capitalisme sur les bons rails. Mais la crise actuelle est inquiétante. On voit progresser les extrêmes en Europe, le Tea Party aux Etats-Unis, signes de la profondeur de la crise du capitalisme et de la démocratie. Ce n’est pas “les gouvernants tous pourris”, c’est “les gouvernants tous impuissants”. Si l’avenir penche vers les hypothèses pessimistes, je ne crois pas à une guerre type Seconde Guerre mondiale, je crains plutôt un état perpétuel de crises successives avec leurs conséquences : inégalités de plus en plus creusées, climat de plus en plus délétère. à lire Les Décennies aveugles de Philippe Askenazy (Seuil, 2011, 320 pages, 20 €) Le manifeste d’Economistes atterrés est consultable sur atterres.org lire aussi Arnaud Montebourg et la démondialistaion pages suivantes

désigne une première chute du PIB, suivie d’une reprise de la croissance, qui replonge avant de redémarrer normalement. Le retour possible à la récession est aujourd’hui nourri par l’endettement et l’atonie économique des Etats, ainsi que par le ralentissement de la croissance dans les pays émergents confrontés à la reprise de l’inflation.

leur fassent perdre leur cote auprès des investisseurs. Leur émission entraînerait également un droit de regard accru de l’Europe sur les budgets nationaux et donc davantage de fédéralisme. Ils sont présentés par plusieurs experts comme une solution à la crise.

vente à découvert euro-obligations Les euro-obligations sont des obligations émises au niveau européen. La zone euro pourrait ainsi émettre ses propres titres de dette sur le marché. Aujourd’hui, certains pays comme l’Espagne, le Portugal ou la Grèce doivent faire face à des taux d’intérêt très élevés qui les empêchent de se financer sur les marchés à des conditions acceptables. Ce système reviendrait donc à mutualiser la dette et à centraliser le financement des pays membres. L’Allemagne et la France sont opposés aux euro-obligations, qui feraient bénéficier tous les Etats d’un taux unique et moyen. Ils redoutent que ces euro-obligations

Technique spéculative complexe et risquée, la vente à découvert consiste à vendre un titre dont on anticipe la baisse. L’acheteur emprunte un titre (par exemple à 100 euros) puis anticipe sa baisse. Il le revend et le rachète lorsque son cours a baissé (à 80 euros). En répétant cette technique sur des milliers d’actions en même temps, le spéculateur peut empocher de nombreux gains. Cette pratique est dangereuse car elle ne nécessite pas de posséder tout l’argent au moment de la vente. Certains spéculateurs n’hésitent pas à allier ventes à découvert et “rumeurs de marché” pour amplifier la baisse d’un titre. Il s’agit donc d’une pratique très controversée. Gabriel Kenedi 31.08.2011 les inrockuptibles 57

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rnaud Montebourg a enfilé son costume de campagne, le même qui figure sur ses affiches électorales : beige aux fines rayures bleues, cravate de la même teinte, chemise blanche, chaussures de ville en cuir non cirées, tachées par la pluie et la boue. Celles dont les semelles sont inégalement usées. Comme pour montrer que l’homme marcheur arpente les routes de France. Etrangement sans chaussettes… En cette fin août, le candidat à la primaire du PS se trouve entre l’Orne et la Dordogne pour parler de son concept de “démondialisation” : Argentan, Oradoursur-Glane, Aixe-sur-Vienne, Périgueux… Il enchaîne les rendez-vous : “On va où là ? Le maire c’est qui ? Il est pro-Hollande ? Et le premier fédéral ? Il est pour Martine ?” Visiblement, les équilibres internes au PS n’intéressent pas que les journalistes ! “Aubry et Hollande sont sur la même ligne économique que Fillon ! Sinon j’ai raté un épisode… C’est pour ça que j’ai toujours pensé que c’était des candidatures identiques et qu’il y aurait entre eux une candidature de chute car c’est la même chose. Moi je joue la qualification au premier tour !” Et si DSK revenait ? “Pas dans ma campagne en tout cas ! Il n’arrivera pas à me joindre, je suis très pris !”, botte-t-il en touche en riant. Lui qui déjà, pendant l’affaire, n’avait pas ménagé DSK. Après la visite théâtrale du centre mémorial d’Oradour-sur-Glane, après la rencontre avec la presse locale et des syndicats d’exploitants agricoles, où Arnaud Montebourg s’empiffre de fraises du cru, la visite de Périgueux et un meeting devant 250 personnes, il décline ses thèmes favoris : “Je ne suis pas candidat à gérer un système qui s’écroule ! Je formule des propositions qui visent à transformer un système et non pas à le gérer. La décision de ma candidature a été prise en raison de la gravité de la situation économique.” Et de lancer tout de go : “L’économie, c’est un peu comme un cheval fou qui se serait enfui de son enclos.”

Périgueux, le 24 août

Dans un contexte de crise, le candidat du Parti socialiste prend son bâton de pèlerin pour dénoncer la prédominance du système économique et financier sur le pouvoir politique. reportage Marion Mourgue photo Guillaume Binet/M.Y.O.P

Toujours l’art de la formule chez Montebourg. Quand il en tient une, il l’utilise. Jusqu’à l’user, comme ses chaussures “de campagne”. “Il y a des radars sur les routes de France. Pourtant, il n’y a pas de radars sur les routes de l’économie.” Une fois, deux fois, trois fois, quatre fois… Le politique s’en fiche. Il est content de son coup. Persuadé qu’en ces temps de crise ses idées font mouche. Et qu’il faut les marteler : “La dette est assez simple à résoudre, mais pour ça il faut s’attaquer à des intérêts et c’est pour ça que je propose la mise sous tutelle des banques avant qu’elles ne nous mettent sous tutelle !” Celle-là, que ne l’aura-t-on entendue ! “Jaurès disait : il faut expliquer encore, encore et encore”, confie un membre de l’équipe Montebourg. “Nous, on le fait à notre microniveau. Mais on ne le fait pas de façon ex cathedra, poursuit ce trentenaire qui prend sur ses jours de vacances pour faire campagne. On discute. On voit bien que le concept de démondialisation ne passe pas en quinze secondes sur France Info. Il faut du temps pour l’expliquer. Ce thème est parfois présent dans 31.08.2011 les inrockuptibles 59

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“l’économie est un peu comme un cheval fou qui se serait enfui de son enclos” la tête des gens sous d’autres noms comme le protectionnisme. C’est rassurant, on se dit qu’on est dans le vrai. Mais c’est vrai que le filtre du mot est exigeant…” Peu importe pour Arnaud Montebourg : “Les gens sont intelligents.” Ça ira bien ainsi. Oubliant au passage que la réception d’un message dépend aussi du moment où il est émis… A Périgueux, les thèmes de la démondialisation, de la dette, de la crise du système financier ont du mal à passer. Doux euphémisme… Il est 18 heures, les gens sont attablés pour siroter un soda en famille ou entre amoureux en terrasse, abrités par des arbres, au calme, loin des voitures. Autant dire qu’Arnaud Montebourg, qui se lance dans une tirade de vingt minutes, debout, le micro à la main, devant un panneau présentant les thèmes de sa candidature, vit un instant de solitude. Au mieux, il indiffère. Au pire, il dérange. Le politique perd même l’écoute polie de son assistance quand il se met à citer le philosophe Habermas sur la mondialisation. Le candidat, ancien avocat, lit la perplexité de ses interlocuteurs sur les visages. En plus, il bruine ! Lui enchaîne. “Y a-t-il des questions à Périgueux ?” Un ange passe. Un membre du staff se lance pour en poser une. Le soulagement se lit sur la tête du candidat. “J’ai de la compassion”, sourit Christelle, habitante du coin. “C’est courageux, ce qu’il fait”, confesse-t-elle encore. Et puis elle se tourne vers le candidat socialiste venu à la rencontre des tables pour enchaîner les serrages

de paluches : “Il faut que vous soyez convaincu pour faire ça : bon courage !” Arnaud Montebourg encaisse. “C’est pas la facilité, ce que je propose, nous confie-t-il, croyez-le bien. Mais c’est une crise d’une violence inouïe d’un système extrémiste. La radicalité est raisonnable. Ce qui est déraisonnable, c’est d’avoir peur.” Et il s’enflamme : “Quel est ce capitalisme fou, cette voracité ? La population est en train de se révolter contre le système !” Pour Montebourg, la réponse à cette crise ne peut être qu’européenne : “Ma position n’est pas nationaliste mais européenne. Il faut aujourd’hui réarmer l’UE face au reste du monde dans la crise mondiale. Ce projet de démondialisation est un retour au traité de Rome de 1957, en érigeant des barrières à l’extérieur de l’Union face à la concurrence mondiale. J’assume le protectionnisme, mais aux frontières de l’Europe, pas à l’intérieur.” Une fois ce cadre posé, le candidat socialiste à la primaire s’en prend au système financier, aux marchés qui ont introduit de “la concurrence déloyale”. “Notre projet socialiste relève d’une logique de la redistribution pour régler les problèmes des gens : avec des taxes, avec des allocations. Dans la situation actuelle, si nous ne mettons pas bon ordre dans le système financier, vous pouvez faire tous les projets que vous voulez, les marchés financiers ne nous laisseront pas faire. Tout simplement parce que les marchés ont pris le pouvoir sur la politique. Nous devons donc aller à la confrontation avec le système économique et financier qui a pris le pouvoir sur le système politique. Je propose que nous imaginions un capitalisme coopératif.” Il déroule ses idées : lors d’un meeting à côté de Périgueux, il propose que les salariés entrent à hauteur d’un tiers dans les conseils d’administration. Quelques applaudissements retentissent. Pourtant, ses idées peinent à se diffuser. Arnaud Montebourg souffre d’un manque de notoriété.

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ce qu’ils disent de la crise

Notamment sur le terrain. Peu nombreux sont ceux qui le reconnaissent : “C’est qui ? Elles sont intéressantes ses i dées ?”, demande un jeune étudiant en philosophie. Dans les rues, manque de veine, les gens à qui Montebourg se présente – “je suis candidat à la primaire citoyenne” – sont le plus souvent des touristes étrangers… Et quand ils sont français, c’est loin d’être gagné pour a utant ! “Oui on le connaît c’est, euh, c’est Oratour.” Euh... presque… Ou encore : “C’ était un soutien de Ségolène Royal (à la présidentielle 2007 – ndlr). Mais là je ne trouve plus son nom.” Arnaud Montebourg, candidat à la primaire du PS. “Ah oui, mais nous de toute façon, on ne pourra pas voter pour lui, on est lyonnais.” Il reste du boulot, la primaire étant ouverte à tous les Français, qu’ils soient ou non militants du PS. Montebourg, lui, toujours la banane, se réjouit d’être “l’outsider qui va créer la surprise”. Il a sa “stratégie” : “passer du temps avec les médias locaux”. “Je me fais une spécialité de faire les France 3 Régions. Ça vaut tous les 20 heures. Et France Bleu aussi, la radio que les mémères écoutent.” Puis il se tourne vers son staff : “Bon les gars, France Bleu c’est bien mais faut me faire inviter sur le plateau de Radio Totem. Ils n’ont jamais de candidats à la présidentielle qui viennent les voir, donc ils seront ravis.” Montebourg, dans le show. Toujours. “Nous on fait tout à l’américaine, comme Obama ! Je travaille le terrain, c’est comme ça que je vais passer devant Martine !”, fanfaronne-t-il. Persuadé que “quatre millions de personnes, soit 10 % du corps électoral, vont se déplacer”, les 9 et 16 octobre, pour la primaire. Puis il confesse en riant : “J’ai mis sept bureaux de vote dans ma fédé (Saône-et-Loire – ndlr). Ça fait plus de voix pour moi !” Et de lancer, bon paysan qu’il n’est pas (voir ses chaussures de ville !) : “C’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses.” Traduction : c’est à la fin de la guerre qu’on compte les soutiens. Certain que les siens seront au rendez-vous “puisque les sondages se trompent scientifiquement de vingt points. Regardez la primaire des écolos : Hulot devait gagner. Ça a été Joly”. En clair, Montebourg ne doute de rien. Encore moins de lui.

François Fillon, Premier ministre, le 24 août “Le seuil de tolérance à l’endettement est désormais dépassé (…), c’est moins de croissance, des taux d’intérêts plus élevés, c’est une charge indue qui est laissée aux générations futures et au bout du compte, c’est l’enlisement économique. Je dois dire que pour être crédibles, les dirigeants de l’opposition devraient faire preuve de plus de rigueur intellectuelle. Ignorer les conséquences de la plus grave crise économique depuis un demi-siècle sur les finances publiques, refuser d’admettre la responsabilité des gouvernements de droite et de gauche sur le creusement des déficits depuis trentecinq ans, ce n’est pas une preuve de sérieux et cela augure mal de la capacité à affronter les réalités économiques du monde d’aujourd’hui.” Jean-François Copé, secrétaire général de l’UMP, le 22 août “Je suis frappé par l’extrême immaturité des dirigeants du Parti socialiste, dont le symbole premier est leur refus obstiné et puéril de la règle d’or. Ce n’est pas une lubie de la droite française. La règle d’or est pratiquée dans près de quatre-vingt-dix pays.” François Hollande, candidat à la primaire PS, le 21 août “La crise ramène les uns et les autres à leur responsabilité. La droite, car elle est au pouvoir depuis dix ans et n’a rien vu venir, rien pu empêcher ni rien su régler. Nicolas Sarkozy termine son quinquennat avec une croissance au plus bas, un pouvoir d’achat en berne et un déficit du commerce extérieur record. Il aura donc du mal à prétendre disposer pour demain de solutions nouvelles. Quant à la gauche, elle doit démontrer qu’elle a une solution

pour sortir de la crise et que son programme va plus loin qu’un seul partage plus juste de l’effort. Bref, la situation actuelle disqualifie la droite mais ne qualifie pas mécaniquement tout candidat socialiste.” Martine Aubry, candidate à la primaire PS, le 23 août “Quand on a mis un pays dans cet état-là, quand il y a encore quelques semaines on fait voter une loi réformant l’impôt sur la fortune qui coûte 1,8 milliard, c’est-à-dire encore un cadeau aux privilégiés, 70 milliards en dix ans de droite, la droite aura beaucoup de mal à faire croire que c’est à cause des socialistes que le pays est dans cet état-là.” Manuel Valls, candidat à la primaire PS, le 24 août “Le risque d’un krach mondial est réel. La zone euro est directement menacée. Le prochain domino sur la liste après l’Italie et l’Espagne, c’est la France. Comme les Etats-Unis, notre pays peut subir une dégradation de sa note. Cela oblige chacun à faire preuve de responsabilité. La droite doit revenir sur toute une série de mesures qui ont lourdement pesé sur les finances publiques depuis 2002. La gauche doit, pour sa part, remettre à plat une partie de son projet et se comporter comme si elle était au pouvoir.” Eva Joly, candidate EELV (écologiste) à la présidentielle, le 24 août  “Nicolas Sarkozy fait payer depuis cinq ans les erreurs de sa politique aux Français. Le bouclier fiscal, le “travailler plus pour gagner plus” ont creusé le déficit et les inégalités. Il est regrettable qu’il ait fallu attendre la crise pour que le gouvernement prenne conscience de l’injustice de sa politique.”

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Marion Poussier

“Limonov, un loser magnifique”

Emmanuel Carrère, juillet 2011

Voyou, écrivain culte, leader politique idéologiquement glauque ou héros romanesque : qui est Edouard Limonov ? Emmanuel Carrère s’empare de sa vie pour passer au crible les convulsions de la Russie contemporaine dans une des plus passionnantes épopées de notre temps. par Nelly Kaprièlian

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st-ce qu’une vie peut représenter tout un pan de l’histoire d’un pays ? Seulement si un écrivain le décide, s’en empare. Car aucune vie n’a de sens a priori, surtout pour celui qui la vit de plain-pied. D’ailleurs, à la fin de Limonov, quand Emmanuel Carrère lui rend une dernière visite, Edouard Limonov conclut qu’il a vraiment eu une “vie de merde”. Entre celui qui a vécu cette existence de haute voltige (pas toujours du meilleur goût) qui lui a fait perdre les femmes qu’il aimait, l’a envoyé en prison, fait vivre en clandestinité car listé par les défenseurs de Poutine – au même titre que la journaliste Anna Politkovskaïa et l’ancien officier du service de contre-espionnage Alexandre Litvinenko, morts assassinés –, et l’écrivain français fort de ses amis, de sa famille, de sa réussite et de son confort, il y a des années-lumière. Emmanuel Carrère, le spectateur jouissant de sa tranquillité d’Occidental, y a trouvé avant tout le héros romanesque qu’il cherchait. A la base, l’ego fragilisé ou hypertrophié (c’est parfois pareil) d’un enfant né de l’absurdité du totalitarisme soviétique et qui s’acharnera

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à vivre avec un panache défiant toutes limites, toutes restrictions et toutes normes. Né en Ukraine en 1943, délinquant, poète underground, Edouard Limonov s’exile à New York dans les années 70. Il fréquente la jet-set puis la rue, homosexuel le temps de coucheries avec des hommes noirs, puis majordome pour un millionnaire. A Paris, au cours des années 80, il écrit pour L’Idiot international et hante le Palace vêtu d’une vareuse d’officier de l’armée Rouge. Il y croise Emmanuel Carrère, fasciné. Retour en Russie, participation à la guerre de Bosnie du côté des Serbes (oui, des Serbes…), puis passage en Tchétchénie. Entre-temps, il aura fondé le parti national-bolchevique – imaginez à peu près l’extrême droite et l’extrême gauche rassemblées –, s’opposant à Poutine, ce qui lui vaudra d’être jeté en prison… Ce n’est qu’un pâle résumé de Limonov, formidable, trépidant, passionnant roman russe du temps où la folie de la Russie semble s’être accélérée après la perestroïka. On avoue un petit regret : qu’Emmanuel Carrère n’y ait pas impliqué ses propres fantômes russes, qu’il soit resté peut-être un peu trop en retrait – pour écrire, strictement, cette autre vie que la sienne.

Gérard Gastaud

EdouardLim onov en vareuse de l’armée Rouge, à Paris dans les années 1980, période Palace

Pourquoi Edouard Limonov ? Emmanuel Carrère – Sa vie est une sorte de super roman d’aventures, très excitant à écrire. La seule chose commune à nos deux enfances, c’est notre passion pour Alexandre Dumas. Limonov a un parcours cahotique. Il rêvait d’une vie qui ressemblerait à celle de Lawrence d’Arabie et qui en fait est devenue bizarre, toujours du côté où il ne faut pas : celui des laisséspour-compte, celui où ça se visse mal, où ça part dans des impasses. En même temps, sa vie traverse les zones glauques des vingt ou trente dernières années. Je voulais écrire sur la Russie postcommuniste et j’ai pensé qu’il pourrait faire un bon personnage conducteur pour raconter cette histoire incroyable. L’avez-vous souvent rencontré pour écrire ce livre ? Tous les jours pendant deux semaines. Rétrospectivement, je suis heureux que ces jours passés avec lui n’aient pas permis de développer un rapport de plus grande proximité, qui aurait compliqué les choses. Il n’a rien fait pour me séduire. Dans le livre, je passais mon temps à bien l’aimer puis à ne plus l’aimer du tout. Cela a été un moteur. Si j’avais ressenti de l’amitié pour lui, j’aurais été tenté de devenir son avocat. Je n’ai pas écrit une réhabilitation 31.08.2011 les inrockuptibles 63

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Traduction des légendes : Anya Gurskaya

Avec des tchetniks, dans la banlieue de Sarajevo, en 1992. A droite, Jovan Tintor, un leader serbe (cette photo et celle ci-contre sont extraites d’un livre, non-traduit, de Limonov : Anatomie du héros)

de Limonov : j’ai présenté un personnage réel mais extrêmement romanesque dont la vie permet de traverser des tranches d’histoire mal connues et qui gagnent pourtant à l’être. A ma connaissance, il n’existe pas de livres forts sur le postcommunisme. Regrette-t-il son engagement auprès des Serbes ? Non, il a toujours cru avoir raison. Il est régulièrement du côté du pire et en même temps il a des qualités. Ce qui en fait un formidable personnage romanesque. Son parti politique national-bolchevique est limite… Fasciste ou pas ? Ce parti est très compliqué. C’est une forme de contre-culture : une entité politico-culturelle bizarre, un parti de punks dont certains sont fascistes. Ceux-là, je ne les ai pas vus. D’autres, que j’ai rencontrés, sont des gens très sympathiques, ouverts, dont le radicalisme politique serait plus proche du groupe de Tarnac que de fafs. En travaillant sur la question, j’ai pris conscience de l’incroyable confusion des jugements que l’on peut porter sur eux. Les Russes que je connais en parlent comme des gens marrants, idéalistes et courageux, mais ne veulent pas pour autant les retrouver au pouvoir. On peut voir Limonov comme un vrai sale type. Pourtant, dans le livre, vous évitez de le juger. Au fond, qu’en pe nsez-vous ? Je n’ai pas arrêté de changer d’avis sur lui. Je le voyais vivre dans la clandestinité, il habitait quatre appartements différents avec des gardes du corps et en même temps participait aux fêtes les plus chic, comme une star mondaine. Je n’y comprenais rien. C’est ce genre de paradoxes, d’a priori contraires qui m’ont donné envie d’écrire. Le déclencheur a été une anecdote qu’il raconte : dans la prison sur la Volga où il a été incarcéré, les lavabos en acier étaient les mêmes que ceux de l’hôtel de luxe aménagé par Starck à New York, où le logeait son éditeur américain. Il est fier d’avoir connu autant d’extrêmes dans sa vie et j’ai croisé peu de gens avec une existence d’une telle amplitude. C’est un raté flamboyant ? Lui dirait qu’il a fédéré la jeunesse russe, ce qui est

A Moscou en 1974, vêtu d’une veste faite maison

“pour quelques dizaines de milliers de gens, c’est un héros”

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exclu : ce qu’en pense Limonov

Collection personnelle Emmanuel Carrère

Au printemps dernier, Emmanuel Carrère a envoyé son livre à Edouard Limonov. Le 1er juillet, celui-ci réagissait dans son blog. “Je suis en train de lire ma biographie, l’auteur est Emmanuel Carrère, écrivain français connu, 489 pages de texte en français. Tantôt amical, tantôt hostile. On sent que l’auteur est un intellectuel bourgeois. Il a fait un grand travail, le livre comporte neuf grands chapitres, un prologue et un épilogue. Je serais curieux de voir les critiques. Se trouvera-t-il un éditeur russe pour un tel livre ? Dans la série ‘Vies d’hommes remarquables’ ? Ça me ferait bien rire.” traduit du russe par Elena Fedina

Edouard Limonov et Emmanuel Carrère à Moscou, octobre 2007

vrai mais minoritaire. Mais quand même, pour quelques dizaines de milliers de gens, c’est un héros. Avez-vous compris son goût incessant pour l’action, la gue rre ? Il aime ça profondément. Dans les moments où il me touche, j’ai l’impression de voir quelqu’un d’obstinément et courageusement fidèle à un rêve de petit garçon chétif qui se faisait casser la gueule à la récré et qui se disait “plus tard, ils vivront une vie de péquenauds et moi je mènerai une vie d’aventurier et je les niquerai, et je serai un caïd, et j’irai en taule, et je les épaterai tous par mon courage en taule”. Il a dû rêver d’être condamné à mort... Je pense qu’il s’est toujours vécu comme ça. Il en a toujours payé le prix – aller en taule à 60 ans dans une prison de droit-commun, c’est quelque chose. Un type avec son intelligence et son talent aurait pu réussir extrêmement bien dans la vie selon des critères plus conventionnels. Il aurait pu devenir riche et célèbre. Mais au fond, il y a quelque chose en lui qui va vers les choix les plus cafouilleux. C’est un loser magnifique. Et comme écrivain ? Son œuvre n’est pas rien, même s’il n’est pas un écrivain majeur. Le poète russe préfère les grands Nègres, Journal d’un raté ou Histoire de son serviteur restent de très bons livres dans le genre trash punk, largement aussi bons que du Bukowski. Dans une mythologie rock’n’roll destroy, il a tout pour acquérir le statut d’auteur culte. Mais actuellement, il est totalement largué… Pourquoi n’avoir pas abordé votre propre histoire avec la Russie ? J’ai déjà raconté l’histoire de ma mère et de mon grand-père de long en large dans Un roman russe. De plus, chronologiquement, ça ne correspond pas avec la vie de Limonov. Dans sa vie, qu’est-ce qui vous marque le plus ? En mal, la partie bosniaque. Ce rôle de vague journaliste qui s’excite à porter des armes et à tirer, je trouve ça grotesque. Plus tard, il a vraiment fait la guerre – dans le mauvais camp, ce que je désapprouve,

mais il l’a faite. En bien, la prison. Son énergie et son courage ont été admirables. Au fond, je pense que ça le faisait jouir. Il était extrêmement proche des types avec qui il était enfermé, au point d’écrire leurs histoires. C’est quelqu’un qui vit tellement sa vie comme un roman qu’il devait se dire la même chose en la vivant que moi en l’écrivant : quel chapitre formidable ! Car pour moi, c’était jouissif d’écrire ce livre. A la fin, vous établissez un parallèle avec Poutine, à qui pourtant il s’oppose… Ils viennent du même milieu social, ressentaient de la fierté pour le communisme en préférant ignorer le goulag parce que pour eux l’essentiel était que la Russie ait vaincu l’Allemagne. Ils ont une même vision du monde : le droit du plus fort, le refus de toute espèce de sentimentalité, considérer tous les trucs de démocratie et de droits de l’homme avec un haussement d’épaules. Si Limonov ne s’était pas mis dans une position d’opposant, Poutine devrait être son héros. Que Poutine dise à l’Occident “je vous emmerde et vous ne marchez pas sur nos pieds comme ça” reste la raison de sa grande popularité en Russie. Ce qui apparaît comme typiquement russe chez Limonov, c’est son côté extrême, comme un personnage de Dostoïevski. Il est capable d’autodestruction sauf que lui rebondit toujours. Sa capacité vitale est fascinante. Au fond, c’est un personnage très nietzschéen, qui veut donner du style à sa vie. Je ne me sens absolument pas semblable à lui. Ce qui est intéressant quand on écrit des livres, c’est le nombre incroyable de façons différentes de vivre la condition d’humain. Et ce qui m’intéresse, c’est de voir celles qui sont très différentes de la mienne. Tout en ayant besoin de me mettre dans un petit coin du tableau pour montrer d’où je vois ça. Limonov (P.O.L), 489 pages, 20 €. En librairie le 8 septembre réédition Journal d’un raté d’Edouard Limonov (Albin Michel), traduit du russe par Antoine Pingaud, 279 pages, 19 € 31.08.2011 les inrockuptibles 65

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la fabrique de la haine Des Etats-Unis à l’Europe, un réseau de propagandistes islamophobes occupe le terrain médiatique avec maestria. Le tueur d’Oslo adhérait à leurs théories. Paul Moreira a enquêté sur ces idéologues dans un documentaire pour Canal+.

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ans cent ans, des historiens intrigués contempleront peut-être le moment que nous sommes en train de vivre. Au début du XXIe siècle, après trois décennies de destruction d’emplois par le transfert de l’industrie dans le tiers-monde et alors que les gouvernements et les banques flirtent avec la banqueroute, des experts autoproclamés, des imprécateurs d’Apocalypse et parfois même des animateurs de télévision, qui semblent afficher un léger dysfonctionnement psychique, s’enrichissent en martelant dans les médias que l’Islam et les étrangers basanés se trouvent sur le point de détruire la civilisation occidentale. Un Français relativement modéré, Eric Zemmour, laisse juste entendre qu’une guerre de religion ravage les quartiers nord de Paris ou affirme que certaines familles arabes interdisent à leurs enfants de parler français. L’Américain Glenn Beck voit les choses en grand. Pendant deux ans, chaque soir, sur Fox News, à 17 heures, Glenn Beck a pu sonner l’alarme : une conspiration islamo-bolchevique (Beck avait découvert des communistes américains sous on ne sait quel caillou) s’apprête à renverser le capitalisme et à installer un califat en Amérique. Tout cela financé

par le “milliardaire gauchiste” George Soros… “Amérique, réveille-toi, hurle Beck tout près de la caméra. C’est le duel final ! Celui qui gagne la partie remporte la planète !” Musique et jeu de lumières dramatiques à la Qui veut gagner des millions ? – après la pub, Beck vous en dit plus sur le complot islamiste qui va bientôt vous confisquer vos cartes de crédit ! Au bout de deux ans, en 2011, la direction de Fox News, trouvant le message “un peu répétitif”, a mis fin à l’émission. Conséquence de ce matraquage, un nombre non négligeable d’Américains ont fini par se convaincre que les Frères musulmans et le Hezbollah avaient déjà infiltré la Maison Blanche ou que la France vivait sous la terrible loi islamique, la charia : mutilations, lapidation et interdiction du jambon dans le croquemonsieur. Les activistes islamophobes ont un talent particulier pour transformer de fausses informations en réalité. Robert Spencer et Pamela Geller appartiennent au réseau mondial Stop Islamization of America (SIOA), des militants anti-islam très actifs aux Etats-Unis et en Europe du Nord (SIOE). Ils ont réussi à laisser croire que des djihadistes s’apprêtent à construire une “méga-mosquée” sur les ruines du World Trade Center : “Ils veulent ainsi célébrer leur victoire sur l’Amérique !”

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sur Fox News, Glenn Beck sonne l’alarme : une conspiration islamo-bolchevique s’apprête à renverser le capitalisme et à installer un califat en Amérique La mosquée n’en est pas une, il s’agit d’un centre culturel avec une salle de prières. Et elle ne se trouve pas à Ground Zero mais à trois cents mètres plus au nord dans une petite rue sombre et anonyme. Peu importe, 60 % des Américains sont désormais “contre la mégamosquée de Ground Zero”, selon un sondage paru dans Time Magazine en août 2010. Les idéologues islamophobes sont peu nombreux mais d’une efficacité déconcertante. Ils influencent les partis politiques et certains gouvernements. En France, on a vu Claude Guéant, le ministre de l’Intérieur de Sarkozy, reprendre mot pour mot leurs arguments ou les membres du Tea Party républicain emprunter leurs idées pour combattre le président “soi-disant américain Barack ‘Hussein’ Obama”. En Europe et aux Etats-Unis, les chaînes de radio et de télé leur ont offert d’amples tribunes.

Brendan Smialowski/The New York Times/Redux/RÉA

Le conservateur Glenn Beck face au Lincoln Memorial de Washington, août 2010. Des dizaines de milliers de personnes étaient rassemblées pour écouter le présentateur de Fox News appeler à un retour des valeurs religieuses en Amérique

Il est peu probable que les programmateurs audiovisuels aient la vulgarité de partager leurs vues mais il faut le reconnaître : ces idéologues sont une bonne affaire. Une partie du public les regarde parce qu’elle les aime et l’autre parce qu’elle les déteste. La haine et l’outrance rassemblent, font monter les audiences. P. T. Barnum, des cirques Barnum, avait verbalisé dès le XIXe siècle l’axe basique du divertissement de masse : “On ne perd jamais d’oseille à sous-estimer son public.” Ce raisonnement pragmatique (ou cynique) pouvait tenir jusqu’à Oslo. En juillet 2011, un tueur fou islamophobe hache 76 personnes à la balle explosive. Pour légitimer son geste, il a posté sur internet un document de 1 500 pages où l’on découvre que l’homme aux balles dum-dum était sous l’influence des idéologues islamophobes : Robert Spencer, cité cinquante-huit fois en référence, l’universitaire Bernard Lewis, Walid Shoebat, prédicateur chrétien fondamentaliste qui appelle à la guerre sainte, et un unique Français : le philosophe néoconservateur Alain Finkielkraut. Celui-ci avait émis une équation – l’antiracisme (qui veut le bien) est aujourd’hui l’équivalent du communisme et son versant totalitaire, la dictature stalinienne – que le tueur avait lue 31.08.2011 les inrockuptibles 67

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En France, rassemblement du Bloc identitaire, un groupuscule néonazi à l’origine de l’appel à l’apéro “saucisson-pinard” dans le quartier de la Goutte-d’Or

Derrière le pupitre, Pamela Geller, du réseau mondial Stop Islamization of America (SIOA), milite contre la mosquée imaginaire de Ground Zero

à l’envers : être raciste, c’est défendre la liberté. La liberté n’a pas de prix… Où ai-je rangé mon dernier chargeur ? Un détail aurait dû nous faire tiquer : les “idéologues dum-dum” sont devenus des sortes de stars pour des mouvements peuplés de néonazis. Des porte-voix qui peuvent aussi relayer docilement leur propagande sans rien vérifier. En France, grâce à eux, le Bloc identitaire a réussi une très belle opération médiatique. Ce groupuscule est issu du “nationalisme révolutionnaire” où l’on forme de jeunes recrues à protéger leur aryanité. Publiquement bien sûr, on assure avoir renoncé à la fascination pour le IIIe Reich et vouloir juste préserver l’identité de la France des terroirs. Derrière des portes closes, les maîtres penseurs déplorent les dégâts infligés à la race blanche par le procès de Nuremberg… Le Bloc identitaire est à l’origine de l’opération “Sylvie François”. En juin 2010, une habitante, “Française de souche”, de la Goutte-d’Or appelait à un apéro saucisson-pinard pour protester contre l’islamisation de son quartier. “Sylvie François” a pu s’exprimer sur I-télé, RMC, Europe 1 où elle racontait une vie quotidienne effroyable : les insultes des musulmans dans la rue parce qu’elle ne portait pas le voile, l’impossibilité d’acheter du jambon ou du vin dans un quartier sous domination islamique. Sur I-Télé, le polémiste Eric Zemmour s’insurge, parle de provocations musulmanes et de guerre de religion à Barbès. Le chroniqueur du Figaro Ivan Rioufol exprime son “soutien à la résistante de la Goutte-d’Or” (sous-entendu : contre l’invasion mahométane). Elizabeth Lévy, du site causeur.fr (qui veut “éradiquer les différences à la schlague”), les rejoint. Dans les médias, “Sylvie François” va répéter son message… Et pourquoi pas, si elle subit dans sa chair un tel cauchemar ? Sauf que… Après enquête, Le Nouvel Observateur révélera la mystification. “Sylvie François” est le pseudonyme d’une militante du Bloc identitaire qui habite en Alsace. C’est un bidonnage. Il n’y aura pas de démenti à la hauteur du buzz. Le Bloc identitaire

a gagné la bataille de la perception. Dans une société française ébranlée par la crise, reste une seule trace : Barbès est aux mains d’une “armée d’occupation”. Marine Le Pen utilise d’ailleurs le terme sur les ondes de France Info. Interrogé sur la légitimité du mensonge en politique, le leader du Bloc identitaire, Fabrice Robert (également “conseiller en communication”) ricane, pas mécontent de son coup : “Quand j’entends les mensonges dans les médias tous les jours, je n’ai aucun scrupule, non… On n’arrivait pas à faire passer notre message et avec l’opération ‘Sylvie François’, on a lancé le débat.” Le Bloc identitaire a édité en interne un document confidentiel : “Polémique le système”. Il y expose à ses membres une stratégie gramscienne1 de la victoire par l’hégémonie culturelle. Pour cela, écrit-il, il faut “chercher des alliés et d’éventuels idiots utiles”. Il y a un journaliste que le Bloc identitaire respecte par-dessus tout : Eric Zemmour. “Non, lui ce n’est pas un idiot utile, c’est quelqu’un qui dit la vérité”, dit Fabrice Robert. Dans l’affaire “Sylvie François”, Eric Zemmour n’a jamais émis de rectificatif public, ni reconnu avoir été le relais (involontaire ?) d’une opération de propagande. En général, les “idéologues dum-dum” ne se soucient pas de responsabilité morale. Quelques semaines avant le massacre de Norvège, j’avais posé une question à Robert Spencer, le grand inspirateur du tueur : “Et si, demain, un esprit faible interprétait votre message de travers et se mettait à tirer sur des musulmans ?” “Eh bien, vous savez quoi ?, a répondu Spencer. Je ne serais absolument pas responsable. Mais alors pas du tout…” Paul Moreira 1. Relative à Antonio Gramsci, philosophe et homme politique italien (1891-1937), fondateur du PCI Islam, antéchrist et jambon-beurre de Paul Moreira sur Canal+, le 5 septembre à 22 h 30

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à l’assaut Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm, c’est l’histoire d’une fille et d’un garçon qui s’aiment et aiment le cinéma. Qui font un enfant, et de la maladie de cet enfant font un film galvanisant, La guerre est déclarée. Plus que jamais, l’avenir est à eux. par Jean-Marc Lalanne photo Vincent Lignier

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Paris, août 2011

uivons le trajet d’une petite fille, fait de va-et-vient entre Paris et province, née à Epinal dans les Vosges, grandie à Créteil, déménagée à 14 ans à Lille, puis revenue à Paris à 19 pour suivre un garçon. “J’étais amoureuse, il fallait que je le suive à Paris. J’ai donc cherché des études que je ne pouvais pas faire à Lille. Une école publique d’archi.” C’est Valérie. Enfant, le cinéma n’était pas particulièrement valorisé dans sa famille. Elle voit des films sans développer de rapport cinéphilique. Elle aime bien faire le clown, joue des heures dans sa chambre à animer une fausse émission de radio, rate un peu sa scolarité. “J’étais nulle en classe. J’avais des problèmes de concentration dingues, j’étais illogique, toujours hors sujet dans les dissertations… J’étais mauvaise, pas adaptée. Pourtant j’étais fascinée par les premiers de la classe. Je voulais toujours être leur amie.” Un jour, la petite fille regarde à la télévision L’Effrontée de Claude Miller. Et comme toutes les petites filles de sa génération, elle se projette comme une folle sur Charlotte Gainsbourg. “Mais pourquoi ce n’est pas moi qui suis sur l’écran, maman ?” “Eh bien parce que tu ne t’appelles pas Charlotte Gainsbourg !”, répond sa mère avec pragmatisme. “Ça a eu un poids terrible cette phrase, se souvient aujourd’hui la jeune réalisatrice de La guerre est déclarée. Je me suis dit que le cinéma était un autre monde, qu’on ne pouvait pas y entrer, que je n’étais pas autorisée.” 31.08.2011 les inrockuptibles 71

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Le grand-père de Valérie Donzelli (famille issue de l’immigration italienne) était peintre et sculpteur, son père cadre et, selon elle, il ne s’est jamais épanoui dans son travail. “Il dessine très bien, faisait de très beaux dessins humoristiques. Mais toute sa jeunesse, il a eu honte de la pauvreté de son père. Alors il a fait autre chose.” Des années plus tard, quand la jeune fille abandonne ses études d’archi parce qu’elle veut devenir comédienne, “il était plus qu’inquiet, il m’a insultée, m’a dit que je deviendrais clocharde”, évoque-t-elle en riant à demi. C’est aussi l’histoire d’un petit garçon, grandi dans la petite bourgeoisie intellectuelle parisienne, père prof, mère très cinéphile. Ses parents divorcent quand il est très jeune. Le cinéma prend une place importante dans sa vie. C’est Jérémie. “Je racontais l’autre jour à mon analyste que, lorsque j’avais 8 ou 9 ans, la nouvelle compagne de mon père avait joué à un jeu télévisé, le Jeopardy, qui consistait à trouver des

questions à des réponses qu’on te donnait. Elle n’a pas remporté le premier prix, mais néanmoins un important lot de consolation : plusieurs centaines de films Warner en VHS. C’était délirant ! J’étais un enfant très seul, mon père était peu présent, j’ai regardé tous les films. Y compris Voyage au bout de l’enfer, Délivrance… le genre de films qu’on ne montre pas en général à un gamin de 10 ans. En plus, j’étais un peureux moi, un sensible.” Si une histoire de garçon propulse Valérie de Lille à Paris, l’amour fait suivre à Jérémie la trajectoire inverse. A 14 ans, il veut suivre une fille en province, écrit une lettre à ses parents pour leur expliquer qu’il veut quitter la capitale. “On dit souvent que l’amour des parents est inconditionnel. Moi je pense qu’il est très conditionnel au contraire. J’ai compris très tôt pour moi que la condition était que je donne l’impression d’être intelligent – que je le sois vraiment n’était pas l’essentiel. Alors j’étais un petit singe savant, je parlais comme un adulte.

Je leur ai écrit que je trouvais la vie à Paris aliénante, que je voulais faire une école de cheval à la campagne et en bons soixante-huitards, ils ont accepté.” Jérémie suit donc une scolarité à mi-temps, complétée par une activité de palefrenier. Lorsqu’il a 16 ans, sa mère l’incite à passer un concours pour participer à un jury jeunes au Festival de Cannes. Il fait partie des six élus et sa vie bascule au festival en 1995. Il y rencontre le jeune cinéaste Antoine Desrosières, dont le premier long, A la belle étoile, avec Melvil Poupaud et Chiara Mastroianni, vient de sortir. Les deux garçons sympathisent : le jeune cinéaste, séduit par la précocité de l’adolescent, le fait travailler dans sa maison de production, ils se lancent même dans l’écriture un peu expérimentale d’un long métrage, écrit et tourné au jour le jour, Banqueroute (qui ne verra le jour qu’en 2000). Très tôt, Jérémie veut écrire, réaliser des films. “Je n’ai jamais eu envie d’être acteur. Comme j’ai toujours eu un côté petite pute, séducteur, ça me paraissait facile de l’être. Mais j’ai toujours pensé que les acteurs étaient de la chair à canon. Même si avec le star-system, cette chair finit par devenir quasiment le canon. Mais moi je voulais plutôt être du côté de celui qui allume la mèche.” Au départ, c’est la grande sœur de Valérie qui voulait devenir comédienne. Mais lorsque celle-ci renonce, la cadette se sent alors autorisée à affirmer qu’elle aussi le désire. Elle quitte donc ses études d’archi, tente des écoles de théâtre, entre au conservatoire du Xe arrondissement. “Et là, c’était l’horreur ! J’étais très mal dans ma peau. Entre l’archi et le conservatoire, il s’était passé un an, où j’ai fait un accident cérébral, finalement pas si grave. Je ne savais pas quoi faire de mes journées, alors je suis devenue boulimique… C’était pas une période très glorieuse. Et finalement je me retrouvais dans ce cours de théâtre, avec des élèves super prétentieux, une atmosphère de rivalité horrible où tout le monde commente les exercices que tu fais… Pour vivre, je vendais des gâteaux chez Ladurée. C’est à ce moment que j’ai rencontré Jérémie dans une fête. Il m’a dit ‘Tu veux devenir comédienne ? Mais pourquoi tu vends des macarons ? Et qu’est-ce que tu fous au conservatoire ? Ça sert à rien...’ Alors j’ai tout abandonné.”

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“ce qui m’a autorisée à faire ce film, c’est de le faire avec Jérémie. On avait vécu cette histoire ensemble, il fallait qu’on en fasse quelque chose ensemble” Ils tombent amoureux. Désormais les choses vont très vite. A la fin des années 90, Jérémie Elkaïm a à peine 20 ans, il enchaîne comme comédien quelques courts métrages (François Ozon, Olivier Séror) et vient d’être engagé pour le premier long métrage de Sébastien Lifshitz, Presque rien. C’est quasiment en même temps qu’ils obtiennent un grand rôle dans un film d’auteur assez exposé : tandis que Jérémie incarne les tourments du coming-out homosexuel dans Presque rien (2000), Valérie Donzelli défend à Cannes l’année suivante Martha Martha de Sandrine Veysset (2001), où elle tient le rôle-titre. Ces deux succès de débutants ne sont pas vécus de la même façon pour l’un et l’autre. “Après Presque rien, j’ai compris qu’il allait falloir que je dépasse mes empêchements, raconte Jérémie. J’ai une vraie affection pour le film, mais je me suis dit, si tu ne fais que ça, tu ne vas pas être heureux. J’avais l’impression que jouer prenait beaucoup de place,

d’investissement, de vie, mais ne me remplissait pas vraiment.” Valérie vit ce départ avec plus d’enthousiasme. “Quand j’ai appris que Sandrine me prenait, c’était le plus beau jour de ma vie. J’adorais Y aura-t-il de la neige à Noël ?, le rôle était magnifique… Je pensais que ça serait toujours ça, ma vie d’actrice...” Mais les choses se passent un peu différemment. “Très vite, je me suis retrouvée à faire de tout petits rôles dans des films que je n’aimais pas vraiment. J’ai vraiment été déçue. Je rêvais de jouer dans de grandes comédies, de tourner avec Jean-Paul Rappeneau, j’étais extrêmement jalouse du rôle de Virginie Ledoyen dans Bon voyage…” L’un et l’autre apparaissent dans des séries télé : Le Bureau, Clara Scheller... Si Valérie est déçue, Jérémie vit ces aléas avec plus de désinvolture. “Ce dilettantisme me convenait bien. J’ai quitté mes parents très jeune, suis devenu père très jeune, j’ai gagné ma vie très jeune… J’ai vécu ces dix ans à être un peu comédien, tout en voulant écrire, comme des années

de formation, les années de fac que je n’ai pas eues. Je me suis beaucoup nourri des gens que j’ai rencontrés, des livres aussi, j’ai aussi fait beaucoup la fête… Pendant tout ce temps, j’ai beaucoup écrit, parfois avec Valérie, parfois seul. Mais un peu comme quand on fait les magasins en sachant qu’on ne va rien acheter. Un jour, j’étais content de ce que j’avais produit et le lendemain je trouvais que ça ne tenait plus la route.” Durant ces années, leur premier enfant tombe malade. Valérie : “Le cancer de Gabriel a mis aussi la question de l’écriture en sommeil. Mais le combat contre sa maladie a complètement changé mon rapport au temps. J’ai cessé de m’angoisser sur le vieillissement, j’ai compris l’importance de savoir prendre le mal en patience, de devenir endurant. A la guérison de Gabriel, avec Jérémie, nous avons eu un autre enfant et nous nous sommes séparés. J’étais enceinte et j’ai ressenti fortement la nécessité de filmer mon ventre. Très vite, sans argent, avec la chef opératrice Céline Bozon, on a tourné un court métrage, 31.08.2011 les inrockuptibles 73

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“je n’ai jamais douté que Valérie puisse devenir une bonne cinéaste. Au quotidien, elle customise tout” Il fait beau dans la plus belle ville du monde. Une productrice n’est intervenue qu’après, pour nous aider à finir.” Cette rapidité du passage à l’acte, c’est la force de Valérie Donzelli, en rupture avec l’extrême lenteur du processus de financement des films en France. Prendre de vitesse ces délibérations de commissions à rallonge, imaginer une autre économie, c’est la guerre que déclare la jeune comédienne à la pesanteur de fonctionnement du cinéma français, s’autorisant soudainement, peut-être transformée par ces épreuves personnelles, à prendre désormais en tant que cinéaste une parole qu’elle avait du mal à trouver comme comédienne. “Je n’ai jamais douté que Valérie puisse devenir une bonne cinéaste, commente Jérémie. D’abord parce qu’elle cuisine bien. Il y a trois merdes dans le frigo et elle en fait un plat super. Quand elle prend une recette, elle est incapable de la suivre, elle invente, mais c’est toujours bon. Avec les cartons de l’ordinateur, elle fait une jolie table basse. Elle customise tout. Et j’ai toujours pensé qu’elle arriverait à mobiliser ce talent-là pour faire ses films.” Le court métrage est présenté à la Quinzaine des réalisateurs, le premier long métrage est tourné dans la foulée, avec un budget de 7 000 euros (soit moins qu’un court métrage bien produit). C’est La Reine des pommes, une comédie radieuse sur la dépression amoureuse d’une fille (jouée par la cinéaste) qui voit son ex partout (et tous les rôles masculins sont tenus par Jérémie, également coscénariste). Irrésistible, le film séduit, réunit 30 000 spectateurs, ce qui au regard de son économie en fait un triomphe. Quelques semaines après sa sortie, les deux auteurs entament l’écriture du second, La guerre est déclarée. “Valérie était désormais attendue dans le registre de la comédie. Mais nous voulions faire un film qui soit le contraire de La Reine des pommes : en Scope plutôt qu’en format carré, sur un sujet

dramatique, mais qui soit haletant comme un film d’action.” Le sujet dramatique, c’est le cancer de leur fils. La question de l’autorisation (d’être actrice comme sa grande sœur ou Charlotte Gainsbourg, puis de réaliser des films) s’est toujours posée de façon aiguë pour Valérie Donzelli. Elle surgit à nouveau quand il s’agit de réinvestir un calvaire personnel de parent pour en faire une fiction. “Ce qui m’a autorisée, c’est de le faire avec Jérémie. On l’avait vécu ensemble, il fallait qu’on en fasse quelque chose ensemble. Et puis la possibilité du film est devenue évidente quand je me suis dit que ça serait un film d’action, que ça ne devait pas être la chronique de notre malheur mais le récit d’un combat, quelque chose de nerveux et positif.” Jérémie surenchérit : “Pour nous accrocher à quelque chose, nous avons tenu un journal de la maladie de notre fils et nous nous y sommes replongés pour documenter tout ce qui est médical dans le film. D’une certaine façon, la condition pour pouvoir nous lancer dans l’écriture, c’est qu’on devait réussir à raconter qu’avoir un enfant qui a un cancer du cerveau peut être épanouissant (rires). Je sais, c’est spécial de dire ça, mais nous voulions que le film puisse laisser entrevoir ça, qu’il soit hyperpositif.” En mai dernier, le film connaît un accueil triomphal à Cannes et fait d’eux des gens très demandés. Valérie enchaîne son troisième film, en tournage en octobre. Elle n’y tiendra pas le rôle féminin principal, mais l’a dévolu à Valérie Lemercier. La comédienne y sera une professeur de l’Opéra de Paris s’éprenant d’un jeune artisan miroitier débarqué de province (Jérémie). Signe particulier : le film ne sera pas chanté, mais presque entièrement dansé. Après ce tournage, Jérémie s’attellera à son premier long métrage en tant que réalisateur. Le casting est en cours. Il sait déjà qu’il n’y jouera pas, rompant là avec le système Donzelli, consistant

à tenir toutes les places à la fois (modèle dans le réel, puis auteur, puis interprète, puis réalisatrice, etc.). “C’est vrai que Valérie s’autorise plus fortement que moi à y aller vraiment. Elle est très libre. Moi, j’ai plutôt tendance à remettre les choses à leur place.” Le film, écrit avec Gilles Marchand, parlera des chamboulements provoqués dans la vie d’un jeune homme par une passion sexuelle. Après les années dilettantes viennent celles du travail intensif. Comment se voient-ils dans le paysage ? Valérie croit-elle par exemple qu’il y a quelque chose à dire sur l’émergence très forte d’une génération de cinéastes-filles ? “Bien sûr qu’il y a des choses à en dire ! Elles sont toutes là à dire que ça n’a rien à voir... Ben non, je pense que c’est important, qu’Agnès Varda la première a libéré une parole féministe dans le cinéma français, que nous nous sommes un peu délestées de cette dimension politique, mais que c’est toujours un peu un geste militant de réaliser un film en étant une femme. Ça ne va pas de soi. Moi j’assume tout à fait de faire des films de filles. Et même un film comme Polisse, qui fait très film de mecs, un homme ne l’aurait pas réalisé comme ça. Maïwenn fait du cinéma couillu de fille.” (rires) Jérémie, lui, s’interroge sur le rapport au cinéma d’auteur français comme catégorie esthétique : “Ce qui est sûr, c’est qu’un film comme La guerre est déclarée, tourné dans ces conditions, avec cette liberté, n’est possible qu’en France. J’ai l’impression que le cinéma français est une maison. Il y a ceux qui en y entrant trouvent leur place et ceux qui y entrent mais pour déplacer un peu l’ordonnance de ce qui s’y trouve. Je ne sais pas si c’est ce qu’on fait avec Valérie, mais c’est ce qu’on aimerait. Autour de moi, peutêtre parce qu’il y a eu un ras-le-bol des films un peu trop à leur place dans la maison cinéma, je vois pas mal de cinéastes plus ou moins de ma génération parvenir à la transformer un petit peu.” lire la critique du film p. 76

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La guerre est déclarée de Valérie Donzelli Un couple, un enfant, la maladie : un film à la fois bouleversant et gracieux.

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e film débute par les pas d’une infirmière claquant sur le linoléum de l’hôpital. Dans une pièce, un petit garçon tient la main de sa mère tandis que l’appareil d’imagerie médicale tonne de toutes ses forces. Ces coups de semonce, on s’en doute, annoncent le début d’une guerre que le titre nous promet. Quelle guerre ? Depuis le triomphe du film à l’ouverture de la Semaine de la critique, suivi, heureux hasard du calendrier (?), d’une exposition médiatique tous azimuts de Valérie Donzelli actrice (en deux mois : Belleville-Tokyo, L’Art de séduire, Pourquoi tu pleures ?, En ville), il est difficile d’en ignorer la teneur : c’est contre le cancer d’un enfant qu’est sonné le tocsin. De cette tragédie intime, qui a touché, “pour de vrai”,

le couple Donzelli-Elkaïm en 2003, la cinéaste tire aujourd’hui son second film, d’une splendeur proprement miraculeuse. Est-il genre plus glissant que “le film de maladie” ? matière plus poisseuse que la litanie des traitements, l’attente fébrile des examens, les engueulades de couple ? et piège plus mortel que la “sincérité”, excuse favorite des piètres cinéastes en quête d’émotions faciles ? Probablement pas. C’est d’abord en cela que La guerre est déclarée apparaît miraculeux, dans sa capacité à faire voltiger la pâte autobiographique, à rendre aérien et léger n’importe quel pétrin dramatique. Cependant, nul besoin d’en appeler à des forces mystiques pour expliquer le prodige : simple question de style. On se souvient que le premier film de Valérie Donzelli, en 2010, La Reine des pommes,

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raccord

le petit fil de fer Melancholia et Super 8 dialoguent en s’opposant.

s’écartait déjà du naturalisme pour occuper les berges colorées d’un cinéma pop, samplant la Nouvelle Vague à tout-va, faisant oublier la ténuité de son récit, qu’on devinait aussi partiellement autobiographique, par une théâtralisation joyeuse. Mais les tribulations sentimentales d’une jeune femme se prêtaient plus aisément à ce jeu formel que la maladie, propice à la gravité, à la retenue. Aussi, la grande réussite de ce deuxième film est de tenir, voire de renforcer, les positions du premier, coûte que coûte, canons braqués et baïonnettes pointées. C’est la deuxième guerre, métaphorique, que mène la cinéaste : contre la grisaille et l’informe, contre la mollesse d’un cinéma du “vrai” qui trouve ses aises de salles de classe en commissariats. Il faut voir comment une visite médicale, par un gag tout bête – la pédiatre, hilarante Béatrice de Staël, se saisit par erreur d’un téléphone en plastique –, se décharge instantanément de son poids tragique, suggéré précédemment par un zoom. Ou encore comment les secousses d’une terrible nouvelle sont à la fois décuplées

le risque de surchauffe ou l’étalage de bon goût sont dissipés par une espèce de candeur absolue

et lavées de leur pathos par le simple usage d’une chanson (la musique joue un grand rôle dans le film). Il faut voir, enfin, comment l’isolement fréquent du couple dans le cadre (face aux médecins, face à la famille) suggère, en même temps que leur solidarité enfantine, l’épuisement à venir. Il y a là une joie évidente à mettre en scène, à faire de chaque plan un enchantement, de chaque séquence la résolution d’un petit théorème. Le risque de surchauffe, ou pire, l’étalage de bon goût qui pourraient advenir sont quant à eux dissipés par une espèce de candeur absolue. Peut-être cela tient-il à la personnalité d’actrice de Donzelli, qui irradie tout le film, mais on ne perçoit aucun calcul cynique de sa part : simplement la volonté de restituer, le plus justement, des émotions vécues avec la musique et les films à ses côtés. La guerre n’est donc pas seulement déclarée, elle est gagnée, à plates coutures. Et Valérie Donzelli, ses galons désormais bien accrochés et la tête pleine d’idées (un film dansé est déjà en préparation), peut toiser sereinement la plaine en contrebas : elle est déjà conquise. Jacky Goldberg La guerre est déclarée de Valérie Donzelli, avec elle-même, Jérémie Elkaïm, Béatrice de Staël (Fr., 2 011, 1 h 40). Lire le portrait de Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm, pp. 70-74

On trouve de tout dans Melancholia : Bruegel, Wagner, Bergman aussi (ce face-à-face entre la neurasthénique et celle pleine d’allant où les forces vont bientôt s’inverser rappelle Persona). Mais dans ce défilé un peu carnavalesque d’imagerie savante et d’effets numériques papier glacé, c’est d’un motif minuscule que surgit l’émotion. Un tout petit objet, nu, presque un jouet. C’est un fil de fer recourbé sur lui-même de façon à former un manche puis à son extrémité un cercle que l’enfant a bricolé pour observer les va-etvient de la menaçante planète. Cet appareil de vision archaïque, ce sera le dernier instrument faisant foi avant l’apocalypse. Tandis que le tenant de la rationalité scientifique, malgré tous ses très sophistiqués télescopes, s’est suicidé dans l’écurie, c’est avec ce petit fil de fer que Charlotte Gainsbourg, tétanisée, observe la planète bleue. Entrera ou n’entrera pas dans le cadre ? D’un côté une grosse masse irréelle créée par des effets digitaux et de l’autre le plus rudimentaire des instruments d’observation. A cet endroit, vraiment émouvant, Melancholia évoque Super 8. Dans les deux films, le même inconscient : la menace est incarnée par de la figuration numérique (un monstre, une planète) et des outils primitifs (le super-8, un fil de fer plié en lunette) valent comme idéal contrepoint pour en observer les ravages. Dans ces films, la même peur de ce qui vient du ciel, la même lumière bleue (un reflet persistant dans Super 8, un point qui grossit dans Melancholia), la même interrogation sur ce que peut le cinéma face au désastre. Mais la réponse diffère. Chez J.J. Abrams, il peut beaucoup. Chez Lars von Trier, il ne peut rien, ne vaut que pour la beauté du geste, comme une cabane magique faite avec trois bouts de bois, illusoire cachette tandis que tout autour le monde s’embrase.

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La Grotte des rêves perdus de Werner Herzog Herzog explore une grotte préhistorique en 3D et en tire des paradoxes saisissants.

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e plus primitif (certains disent romantique) des cinéastes allemands a tourné un documentaire sur la grotte Chauvet-Pont d’Arc (Ardèche), qui recèle certaines des plus anciennes peintures de l’humanité. Pas étonnant. De toute façon, une cavité sombre et souterraine aux parois ornées de frises votives ou invocatoires d’animaux ne peut que séduire un cinéaste ; c’est un prolongement du mythe de la caverne de Platon, proto-théorie du septième art. Herzog ne se prive pas de faire le rapprochement en insistant sur la représentation du mouvement, souvent suggéré dans certains dessins d’animaux (rhinocéros, chevaux, lions, etc.) par des pattes en surnombre. Idem lorsqu’il s’amuse – assez jolie idée – à comparer les éventuelles ombres des peintres préhistoriques éclairés par leurs torches à Fred Astaire dansant avec sa propre silhouette. Au premier abord, ce film ne déparerait pas un programme de Discovery Channel ou de Planète. C’est dire à quel point il paraît respectable par rapport aux nombreux excès et déviances dont le cinéaste s’est fait une spécialité – y compris dans ses documentaires,

comme le récent Grizzly Man, où il se délectait presque des sons de l’agonie d’un zoologue mangé par un ours. S’il est aussi question d’animaux ici, ils sont représentés de manière plus distanciée. A cela, Herzog ajoute une plus-value esthétique à laquelle il fallait penser : le relief. Car s’il y a maintenant beaucoup de films de genre hollywoodiens en 3D, peu de documentaires emploient le procédé (seul Pina de Wenders, compatriote de Herzog, nous vient à l’esprit). Idée a priori un peu gadget (le réel a-t-il besoin de relief pour faire vrai ?), qui s’avère géniale dans le contexte car, tout comme les dessins pariétaux paraissent animés grâce à leur graphisme dédoublé, ils sont exécutés sur des surfaces concaves ou convexes, que le relief fait ressortir de manière éclatante. Mais Herzog ne serait pas Herzog s’il s’en tenait à une simple visite guidée de cet espace magique, isolé du monde pendant 30 000 ans, et découvert en 1994 (mais fermé au public). Faute de personnage obsessionnel comme il les adore, le cinéaste fait un détour par un musée paléolithique allemand, puis convoque un improbable “archéologue expérimental” vêtu de peaux de bêtes qui fabrique des flûtes dans des os

(avec lesquelles il joue l’hymne américain), ou bien un parfumeur français qui se fait fort de dégotter une grotte oubliée grâce à son odorat. Mais l’idée forte du film a trait au primitivisme et à la bestialité. Herzog conclut La Grotte des rêves perdus sur un élevage de crocodiles, soi-disant mutés par des émanations de la centrale de Pierrelate, qui rappellent aussi bien les hallus du héros de son Bad Lieutenant que les dessins pariétaux de la grotte. Il compare les crocos aux hommes. Pour lui, les humains seraient, comme ces sauriens, une espèce peu évoluée, qui scrute l’abîme de son passé obscur. Pour ce cinéaste médiumnique, l’homme n’a pas encore quitté sa caverne. Théorie intéressante qui fournit une perspective assez lumineuse à une exploration spirituelle au sens fort. Vincent Ostria La Grotte des rêves perdus de Werner Herzog (E.-U., Fr., All., Can., G.-B., 2 010, 1 h 30)

les humains, pour Herzog, sont une espèce peu évoluée, qui scrute l’abîme de son passé obscur

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Neds de Peter Mullan

R.I.F. de Franck Mancuso avec Yvan Attal, Pascal Elbé (Fr., 2011, 1 h 30)

Rien d’Intéressant Filmiquement : R.I.F. quoi… Une femme, épouse d’un flic excité de la gâchette et mère d’un petit garçon très gentil qui aime les chatons, disparaît en pleine campagne. Le compte à rebours enclenché pour la retrouver devrait nous prendre à la gorge, mais un sentiment de déjà-vu (en beaucoup mieux) nous laisse très en retrait de toute cette agitation forcée, vaine pantomime de bonnes vieilles séries américaines type FBI : portés disparus. Pour le sens du réalisme et des dialogues, on ira plutôt chercher du côté de Julie Lescaut. Mention spéciale à Pascal Elbé, en flic pas hyper finaud – tout est dans le débit pâteux – mais humain. Avouons aussi un faible pour les pauses “charme et confort” dans le relais-château du coin, calées entre deux, trois actions mal fichues, bourrées d’automatismes télévisuels. Très reposant. Amélie Dubois

avec Conor McCarron, Martin Bell (G.-B., Fr., It., 2010, 2 h 04)

Chronique dense de la vie de mauvais garçons dans le Glasgow des années 70. eds est le troisième film de l’acteur Peter Mullan (prix d’interprétation masculine à Cannes en 1998 pour son rôle dans My Name Is Joe de Ken Loach), après Orphans et The Magdalene Sisters (Lion d’or à Venise en 2002). Neds (Non-educated Delinquents, terme officiel employé pour désigner les loubards) appartient à la bonne vieille veine sociale du cinéma britannique, mais possède un ton assez curieux, qui oscille entre la tragédie et la comédie sans vraiment choisir. Comme si, au moment de raconter sa propre jeunesse difficile, Peter Mullan ne pouvait s’empêcher d’éprouver, malgré tout, de la nostalgie pour son adolescence rock’n’roll. L’action du film se déroule à Glasgow au début des années 70 et décrit l’itinéraire d’un adolescent d’origine ouvrière, John McGillan, bon élève sans cesse victime de la mauvaise réputation de son grand-frère délinquant qui a quitté la région. John subit aussi, comme tous les membres de sa famille, la violence de son père alcoolique, tout en essayant péniblement de trouver sa place dans le milieu des bandes de quartier qui font alors fureur. Mullan se laisse parfois aller à quelque facilité (la bande-son est notamment saturée de musique d’époque) mais son film, sans jamais faire preuve d’originalité, est tout à fait respectable. Surtout, on n’oubliera pas la performance de Mullan lui-même dans le rôle du père, monstre rouquin à lunettes qui s’autodétruit dans l’alcool, auquel il apporte une densité et une humanité assez stupéfiantes.

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Jean-Baptiste Morain

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Blackthorn de Mateo Gil avec Sam Shepard, Eduardo Noriega, Stephen Rea (Fr., E.-U., Esp., Bol., 2011, 1 h 32)

La Ligne blanche

en salle

d’Olivier Torres

rétro Shirley En marge de la rétrospective Blake Edwards, la Cinémathèque française consacre aussi un hommage en quatorze films à une autre figure de la comédie hollywoodienne moderne : Shirley MacLaine. Chez Hitchcock dans la comédie policière Mais qui a tué Harry ? (1955), puis Billy Wilder (en liftière fragile dans La Garçonnière) ou Vincente Minnelli (Comme un torrent), l’actrice aura fréquenté les plus grands de la comédie US, avant d’être honorée d’un oscar tardif pour le sublime Tendres passions de James L. Brooks en 1983. Rétrospective Shirley MacLaine jusqu’au 5 septembre, à la Cinémathèque française, Paris XIIe ??

hors salle rentrée Trafic

La revue Trafic fait sa rentrée avec son numéro de septembre. Où il sera question, entre autres, du dernier documentaire de Frederick Wiseman (le très beau Boxing Gym), de Pater d’Alain Cavalier, ou du cinéma de Frank Capra – auquel sera rendu un hommage. Raymond Bellour évoquera “Le spectateur de cinéma”, Victor Burgin le “Cinéma interactif et non cinématographique”, alors que Jacques Aumont s’interrogera : “Que reste-t-il du cinéma ?”. Trafic (P.O.L), 144 pages, 16 €

box-office Far West

avec Pascal Bongard, Elliott Murphy, (Fr., 2011, 1 h 20)

La rédemption d’un père indigne dans un film très fragile. La Ligne blanche, premier film d’un cinéaste remarqué pour ses courts métrages (La nuit sera longue a été primé dans plusieurs festivals), est un film attachant. Pascal Bongard, acteur suisse plus connu des amateurs de théâtre que des cinéphiles (on l’a vu dans des seconds rôles chez Valeria Bruni Tedeschi ou Mia Hansen-Løve), y excelle, notamment dans la veulerie. L’apparition d’Elliott Murphy, songwriter culte, est assez étonnante. D’où vient alors que le film ne nous bouleverse pas plus ? que cette histoire de père indigne frappé de rédemption à la mort du sien semble un peu étirée dans le temps ? que l’explication finale semble un peu inutile ? De sa douceur, du temps qu’il s’accorde pour prendre des sentiers buissonniers ? Peut-être de tout cela à la fois. Un film fragile, ténu : c’est sa force et sa faiblesse. Jean-Baptiste Morain

L’association des cow-boys et des aliens de Jon Favreau prend la tête du box-office pour la première séance parisienne (près de 2 000 spectateurs sur 18 copies), juste devant le drame aviné Tu seras mon fils et le dernier opus de Christophe Honoré (Les Bien-Aimés). En deuxième semaine d’exploitation, La Planète des singes, les origines poursuit sa belle carrière avec près de 650 000 nouveaux spectateurs (et bientôt le cap des 2 millions franchi), alors que Captain America enrôle 500 000 réservistes.

Un western pépère avec Sam Shepard en Butch Cassidy. l y a quarante ans, ce Blackthorn aurait été vu avec condescendance. Un acteur américain (Sam Shepard) dans un western tourné en Amérique du Sud par un réalisateur espagnol (Mateo Gil, scénariste pour Alejandro Amenábar) : on aurait hurlé au western-paëlla. La globalisation du cinéma aidant (il y a du world cinema comme il y a de la world music ou de la cuisine fusion), le projet fait moins froncer le sourcil. C’est un post-scriptum apocryphe aux tribulations des hors-la-loi Butch Cassidy et Sundance Kid, popularisées à l’écran par Paul Newman et Robert Redford dans le film de George Roy Hill (1969). Butch y est bien vivant et reconverti dans l’élevage de chevaux. Un drame le remet en selle pour mieux le confronter à sa légende. Blackthorn vise le rayon “western crépusculaire” (genre La Horde sauvage, Impitoyable ou L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford entre autres) : héros voûtés, inventaire perpétuel, minutieux et maniéré des codes avant leur liquidation. A cette aune, Blackthorn est une chevauchée tranquille. Gil a du mal à doser souffle et lassitude, confond introspection et indolence (les flash-backs ratés sur la jeunesse de Butch et du Kid) lorsqu’il voudrait comme humeur un coucher de soleil sur le genre. Il évacue vite les personnages intéressants (les paysannes tueuses, la maîtresse) pour en accueillir d’indigents (on ne croit jamais au duo Shepard-Noriega). Reste une Bolivie très cinégénique, des accents tiers-mondistes sur l’exploitation des Indiens et la bonne idée d’avoir casté Sam Shepard en Butch Cassidy. L’acteur est un vrai morceau d’Amérique itinérante à lui tout seul (Les Moissons du ciel ; Paris, Texas), marqué et noble comme des idéaux révolus ou un tronc d’arbre vénérable. Dans ce cadre un peu étriqué et pépère, il a aussi parfois l’air d’un beau meuble ancien. Léo Soesanto

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Romain Blondeau

autres films Cadavres à la pelle de John Landis (G-B., 2010, 1h30) La Captive aux yeux clairs d’Howard Hawks (E.-U., 1952, 2h02) 80 les inrockuptibles 31.08.2011

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Les Winners de Tom McCarthy (E.-U., 2011, 1 h 40)

Destination finale 5 de Steven Quale (E.-U., 2011, 1 h 50)

Des jeunes affrontent la mort dans ce cinquième volet plutôt réussi de la saga Destination finale. lus discrète que sa contemporaine Saw (dont on a beaucoup dit l’influence sur le cinéma de genre), la franchise Destination finale n’en est pas moins passionnante. En dix ans et cinq films, la série initiée par James Wong a subi les outrages du temps (un glissement vers le parodique et la surenchère gore), mais son concept d’origine est resté une infaillible source de fictions et d’images : le slasher sans mobile, sans incarnation. C’est la Mort qui, dans sa représentation la plus sommaire (pas d’effets sonores ni d’ombres menaçantes), se charge ellemême de traquer ses victimes innocentes. Délégué à l’inconnu Steven Quale (ancien assistant de James Cameron), ce cinquième épisode reprend donc les maigres lignes d’une histoire déclinable à l’infini : un groupe de jeunes, sauvé par une prémonition, échappe de peu à la mort (ici dans l’effondrement d’un pont suspendu, séquence virtuose qui ouvre le film sur la promesse d’un grand spectacle). Mais la Faucheuse, cette vieille rancunière, ne supporte toujours pas que l’on contrarie ses plans et se lance à la poursuite des miraculés, qu’elle éliminera à tour de rôle. Dans ce registre, celui de la mise en scène des meurtres (seul véritable enjeu de la saga), Destination finale 5 n’est pas loin d’être le meilleur épisode : sadique, joueur (les nombreux effets de projection de la 3D), et terriblement inventif. Entre deux séquences de torture et quelques échappées comiques, Steven Quale tenterait bien d’humaniser un peu ses personnages (ces “failles dans le réel” dira le toujours effrayant Tony Todd), de trouver quelques brèches dans son scénario programmatique. Mais il ne peut rien contre le destin : celui d’une franchise fondée sur le vide ; celui de ces teens condamnés à mort. Romain Blondeau

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Un père de famille en crise dans un drame indé sans surprise. Qu’est-ce qui faisait la réussite de Winter’s Bone, l’un des derniers grands films du cinéma indépendant américain ? Peut-être sa capacité à montrer des territoires inconnus : ces forêts désertes et froides de l’Arkansas ; un décor presque fantasmagorique dans lequel Debra Granik laissait se perdre ses personnages-fantômes, victimes collatérales de la crise économique. A l’inverse, tout est immédiatement reconnaissable dans le mal nommé The Winners, qui reproduit l’ensemble des chromos gris sur gris de l’indé US : cette fameuse banlieue pavillonnaire où se débat un père de famille en pleine midlife crisis (Paul Giamatti, sans suspense), pris dans une magouille financière qui le dépasse. Et qui finira par rentrer dans le rang après une morale, assez convenue, sur la vertu du travail honnête. Déjà responsable de The Visitor, Tom McCarthy persiste dans son cinéma en mode mineur, où les drames (sociaux, familiaux) sont tempérés par un (très) léger filtre de comédie. Une forme de retenue, qu’il n’est pas interdit de considérer aussi comme un manque flagrant d’imagination. R. B.

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Un sacré bordel (1986)

Blake et dico

Petit glossaire Blake Edwards, dont l’œuvre alliant le burlesque pop et l’analyse pénétrante des déboires conjugaux est visible intégralement à la Cinémathèque française.

le chef-d’œuvre  10 (Elle en français). Réalisé en 1979, c’est le film du come-back (réussi) après une décennie maudite, l’amorce d’une ère plus faste, et toutefois méconnue, de Blake Edwards. Alter ego du cinéaste, Dudley Moore y joue un musicien en proie à la crise de la quarantaine. Marié à Julie Andrews, il décide, à la suite d’une brouille, de partir s’encanailler au bord de la mer. Là, il tombe amoureux de la sublime Bo Derek – une coiffure, à base de tresses et de perles, portera d’ailleurs son nom après le film. S’ouvre ainsi la période tardive du cinéaste, une douzaine d’années, consacrée à interroger l’identité sexuelle (Victor/Victoria, Dans la peau d’une blonde), la conjugalité (Micki & Maude, presque un sequel de 10, avec le même Dudley Moore ; L’Homme à femmes (The Man Who Loved Women), remake de Truffaut ; L’amour est une grande aventure), la vieillesse (That’s Life!, chefd’œuvre ultime). Le tout avec une grivoiserie décuplée et un appétit burlesque inentamé.

femmes, femme S’il est une obsession, évidente, chez Blake Edwards, c’est bien la féminité. La première femme importante de son cinéma est Audrey

Hepburn, immortalisée dans Breakfast at Tiffany’s (Diamants sur canapé) en 1961, avec sa cigarette, son chignon et sa rivière de diamants, avant que le poster ne soit punaisé sur tous les murs des jeunes filles. Prostituée fêlée, elle incarne les sixties à elle seule, dans toute leur frivolité et leurs cruels faux-semblants. Puis vient Julie Andrews. Connue pour Mary Poppins et La Mélodie du bonheur, l’actrice anglaise épouse Blake Edwards en 1969 et devient rapidement sa muse, son idéal-type de féminité : droite – quand les hommes, si souvent, sont courbés –, audacieuse, altière, et dotée d’une pointe de virilité qui vient troubler l’ordre sexuel (idéalement dans Victor/Victoria). Ils feront sept films ensemble, dont le dernier, That’s Life!, est un des plus beaux chants d’amour d’un réalisateur à son actrice, d’un époux à sa femme : “nous vieillirons ensemble”, lui dit-il en substance.

le gag parfait  Dans la dernière bobine de Skin Deep (L’amour est une grande aventure), John Ritter, écrivain incapable de surmonter son addiction sexuelle, est assis sur la plage, face à la mer, méditant sur le sens de la vie.

Soudain, une vague plus haute que les autres le frappe et le fait tomber à la renverse. “Eurêka !”, se dit-il. Il court chez un couple d’amis, ouvre la porte et leur déclare, illuminé : “Vous n’allez pas le croire : Dieu existe ! Et son job est d’écrire des gags !” Stupeur. Soudain, alors que la porte est toujours ouverte, une seconde vague, beaucoup plus grosse, pratiquement un tsunami, s’engouffre dans l’appartement et emporte tout sur son passage, écrivain, amis, mobilier. Cut. Sexe, catastrophe et absurdité de la vie, tout le génie de Blake Edwards est résumé ici : une vague est une vague est une blague.

idiotie  Chez Blake Edwards, c’est moins l’homme (à l’exception de l’inspecteur Clouseau, lire ci-après) que le monde qui est idiot. Reprenant la définition du philosophe Clément Rosset (l’idiotie est ce qui est un, singulier et insignifiant), on pourrait dire que le personnage edwardsien, tout à fait capable et intelligent, passe son temps à se prendre les pieds dans le tapis du réel, lui bel et bien idiot. La plupart de ses films sont ainsi l’histoire de désillusions : incapables de se satisfaire du réel tel qu’il

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est, ses personnages cherchent par tous les moyens à le contourner et finissent par s’y cogner, dans un enchaînement plus ou moins terrible, mais toujours comique, de catastrophes. La grande leçon, c’est que tout ceci n’est pas bien grave : that’s life.

Peter Sellers S’il ne devait rester qu’un acteur edwardsien, ce serait bien sûr Peter Sellers (Tony Curtis, Jack Lemmon et Dudley Moore venant juste après). Mythique Hrundi V. Bakshi, l’Indien créateur de somptueux désastres dans The Party, il est surtout l’inspecteur Clouseau dans six épisodes de La Panthère rose (dont un apocryphe, réalisé avec des rushes inutilisés de Sellers, décédé en 1980). Idiot parmi les idiots, incarnation même de l’idiotie pourrait-on dire, Clouseau mérite, au même titre que Charlot, Buster ou Hulot, d’entrer au panthéon du burlesque. Entre deux violentes disputes qui faillirent plusieurs fois tourner au divorce, Edwards et Sellers ont conçu ensemble une forme toute particulière de burlesque, fondée sur le déguisement et la chute, la destruction et la vanité, mais toujours au service des sentiments.

Californie C’est le décor de la plupart des films de Blake Edwards. Avec ses villas donnant sur la mer, ses immenses baies vitrées et sa douceur de vivre, la Californie a tout pour être un paradis. Mais c’est aussi le royaume des illusions, un monde impitoyable où tout le monde se prostitue (au propre comme au figuré), une oasis de tentations dont les neuf lettres accrochées sur la colline sont à la fois le sésame et le verrou. Ici mourut Blake Edwards le 15 décembre 2010, “entouré des siens”.

sons of a bitch  La relation de Blake Edwards avec les producteurs n’a pas toujours été pacifique, dessinant une carrière en dents de scie. Lâché sur les plateaux au crépuscule des grands studios, fin 50’s-début 60’s, il semble d’abord s’accommoder de cette période de vaches maigres, avec des comédies légères et dans l’air du temps (dont Vacances à Paris, qui ressort en copie neuve). Il en tire même un certain profit esthétique : la destruction de la maison du producteur, dans The Party en 1968,

préfigure ainsi les libertés acquises du Nouvel Hollywood. Mais en 1969, un gouffre financier (Darling Lili, fastueuse comédie musicale figurant des espions et des pilotes de chasse pendant la guerre de 1914-1918), le met en délicatesse, et alors que les jeunots prennent le pouvoir, lui se retrouve placardisé. Il s’écarte alors de la comédie pour signer quelques films de genre (Deux hommes dans l’Ouest, en 1971, somptueux western sur l’amitié virile, ou Top Secret, en 1974, un mélo sur fond d’espionnage). Un exil européen et trois Panthère rose plus tard (pour renflouer les caisses), il règle magistralement ses comptes en 1981 dans S.O.B., qui signifie, au choix, son of a bitch (fils de pute) ou standard operational bullshit (les conneries qu’on nous sert habituellement). On ne pourrait être plus clair.

une découverte Le Jour du vin et des roses (1962). C’est le diamant noir d’Edwards, le versant tragique de son œuvre. Film d’une âpreté stupéfiante, il met en scène un couple de petits-bourgeois (Jack Lemmon et Lee Remick) emporté peu à peu par l’alcoolisme. Plutôt qu’une fable dénonciatrice, Edwards inscrit l’allégresse au cœur de la terreur – notamment dans une scène à l’asile, la plus troublante qu’il ait jamais filmée – et fait trembler la cloison séparant le mélodrame de la comédie. L’alcool, comme plus tard dans The Party, Deux hommes dans l’Ouest ou Boires et déboires, y est à la fois cet accélérateur de récit, carburant essentiel du rire, et une fatalité qui nous tombe dessus, finissant par tout ravager.

Henry Mancini  L’éternel complice, l’ami de quarante ans qui a composé la plupart des BO de Blake Edwards, jazzy, voluptueuses, pétillantes et/ou mélancoliques. La postérité retiendra surtout les thèmes de Breakfast at Tiffany’s (Moon River), La Panthère rose et Peter Gunn (repris par les Blues Brothers). “Oh, dream maker, you heart breaker, wherever you’re going I’m going your way”… Jacky Goldberg Cycle Blake Edwards jusqu’au 17 octobre à la Cinémathèque française, Paris XIIe, www.cinematheque.fr 31.08.2011 les inrockuptibles 83

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La Ricotta de Pasolini

Zebraman 2 de Takashi Miike avec Shô Aikawa, Riisa Naka (Jap., 2010, 1 h 46)

RoGoPaG de Roberto Rossellini, Jean-Luc Godard, Pier Paolo Pasolini et Ugo Gregoretti Un film à sketches dominé par un Pasolini génial et un Godard très peu connu. Le film Le film à sketches a été une spécialité italienne dans les années 60  et 70. Le titre de celui-ci, RoGoPaG (d’après les initiales de ses quatre réalisateurs), reflète bien le flou de l’entreprise en question, chacun des films étant censé nous “raconter les joyeux principes de la fin du monde” et offrir une “vision sur la manière dont le monde moderne conditionne l’homme”, thème très large au demeurant, permettant toutes les libertés. Le premier d’entre eux, Pureté de Roberto Rossellini (l’histoire d’un VRP névrosé qui fait une fixette sur une hôtesse de l’air sous prétexte qu’elle ressemble à une madone), paraît aujourd’hui bien raté et daté, Rossellini portant sur la psychanalyse un regard ironique et caricatural. La faiblesse de ce court tient peut-être aussi au fait que Rossellini est en passe de laisser de côté le cinéma pour se consacrer à son grand œuvre didactique et télévisuel. On notera malgré tout que le grand cinéaste italien “invente” dans Pureté un nouveau moyen de communication : les messages filmés (en l’occurrence en cinéma amateur). Le second film est signé Godard, et c’est un petit événement de pouvoir retrouver ici ce court méconnu. Le Nouveau Monde, avec Jean-Marc Bory et la très belle Alexandra Stewart, se déroule à Paris après une explosion atomique qui change du tout au tout les rapports entre deux amoureux. Tourné entre Vivre sa vie et Les Carabiniers dans un très beau noir et blanc, Le Nouveau Monde annonce les rapports de couple du Mépris et met

en scène des jeunes gens victimes, jusque dans leur vie intime, des manipulations de la nature par l’homme. Le troisième film est très connu : c’est La Ricotta, réalisé par Pasolini. Un cinéaste (l’incarnation absolue du cinéaste, puisqu’il est interprété par Orson Welles) réalise une Passion du Christ (ce que Pasolini fera l’année suivante, avec L’Evangile selon Saint Matthieu). Un de ses comédiens, très miséreux, n’a qu’une obsession : trouver de quoi manger. Il finit par mettre la main sur de la ricotta, et s’en empiffre jusqu’à en mourir. Ce sketch ironique, qui fut violemment condamné par l’Eglise, est sans doute l’un des plus beaux films de Pasolini, la quintessence de son cinéma : religion, politique, art, misère, comédie, tout y est. Le dernier film, Le Poulet de grain, réalisé par Ugo Gregoretti et interprété notamment par Ugo Tognazzi et son jeune fils Ricky, est une charge un peu démonstrative contre la société de consommation (dans une scène de restauroute, le réalisateur substitue des volailles excitées aux clients affamés…). Le DVD En bonus, une interview mal fagotée du producteur du film, un fanfaron de première nommé Alfredo Bini, qui produisit plusieurs films de Pasolini, ainsi que Le Bel Antonio de Mauro Bolognini. Jean-Baptiste Morain

Directement en DVD, un film de superhéros farceur du prolifique Miike. Le film Le Japon a aussi ses superhéros, genre qui y est plus populaire en séries TV qu’en films (les tokusatsu, Bioman et Power Rangers de la génération Club Dorothée), qui est parfois un choix de vie (la culture du cosplay, où les fans déploient des trésors d’imagination pour s’habiller comme leurs personnages fétiches). Ce Zebraman 2, comme le premier (2004), est réalisé par Takashi Miike, prolifique pourvoyeur de provoc capable de slalomer entre yakusas atomiques, horreur et satire sociale. Zebraman 2 brouille encore les cartes, ici vidéoclip, là hommage hilare à X-Or, dystopie à la Orange mécanique, ou version luxueuse de ce film de superhéros X, Sexe de feu, cœur de glace (avec Jenna Jameson et Laure Sainclair). Dans un Tokyo futuriste, le héros affronte un extraterrestre vert géant (scènes réussies de destruction à la Godzilla) et son double maléfique, sorte de pendant japonais de Lady Gaga. Cette relecture bariolée, transgenre, d’Incassable (mal indissociable du bien) fait la réussite d’un film presque convenable à l’échelle miikienne (un enfant pourrait le regarder). Mais avec assez de mauvais esprit pour en faire une récréation rafraîchissante pour nos yeux chargés en superhéros encapés US. Le DVD Bande-annonce en bonus. Léo Soesanto WE Productions, env. 15 €

RoGoPaG de Roberto Rossellini, Jean-Luc Godard, Pier Paolo Pasolini et Ugo Gregoretti (Italie, 1963, 2 h 02), M6 Vidéo, collection Les Maîtres italiens, environ 15 €

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La Femme aux revolvers d’Allan Dwan Un film d’amour génial glissé dans un western unique, irradié par le foudroyant sex-appeal de Jane Russell. n une heure vingt et une, tout y est. merveilleux numéros de chansons Le génie de la série B, c’est de faire où le délié des gestes suspend le temps), entrer le monde dans une bouteille : elle est ici une maîtresse femme aux le rapetisser jusqu’à le faire tenir scrupules attisés par l’amour. dans une maquette âpre et essentialisée. Car c’est l’amour qui rend ce western Ici, c’est un génie inverse qui opère : unique. Aux fringants bandits, Jane Russell on part du code parcimonieux de la série B préfère un homme un peu défraîchi. pour libérer l’ampleur du monde, Il a les traits d’un moustachu onctueux on ouvre la bouteille. et retors comme le Hollywood classique Mais reprenons au début, si rapide les affectionnait (d’Adolphe Menjou qu’il fait tourner la tête. Une femme aux à Clark Gable), il s’appelle George Brent, abois débarque chez les Dalton. Très belle, c’était le partenaire préféré de Bette Davis. elle éveille bientôt les convoitises, dompte Lors d’une sublime séquence de haut la main ce monde masculin et prend promenade en carriole, il explique que la tête d’un gang qui fait main basse sur le temps périmera bientôt toute chose la ville. Ascension, gloire, richesse. et que, vanité des actions oblige, Et ce n’est pas fini. Aujourd’hui, tout est il vaut mieux se consacrer à l’essentiel : souvent trop lent (dans le cinéma l’amour. d’auteur) ou trop rapide (dans le cinéma La lucidité, loin du désenchantement commercial). Ici, c’est cette qualité qui sera le lot de tant de lourdingues filante du tempo qui frappe, certes permise westerns dits crépusculaires, mène avec par l’abattage sans ambages de la série B, sagesse vers une forme d’innocence mais adoucie par le génie méticuleux tardive que reconnaîtront ceux que la vie de Dwan : arbres qui frémissent dans a déjà éprouvés. Notre couple s’aime la nuit, menaces voilées, yeux masqués avec une lenteur veloutée que la d’une femme. sécheresse de la série B n’annonçait pas, La femme, c’est Jane Russell, et la dernière scène du film, où une la Eva Mendes de l’époque : même nez femme s’efforce de ne pas mourir pour fort, même manière de lancer ses hanches ne pas laisser seul l’homme qui l’aime, et ses épaules en avant, même grain nous le répète : les plus beaux films de beauté sur la joue, même sourire large, racontent toujours l’entrée dans l’éternité. Axelle Ropert même franchise rayonnante. Elle sera bientôt la battante sexy chère à Walsh La Femme aux revolvers (Montana Belle) et Hawks. Choyée par Dwan qui la sort d’Allan Dwan, avec Jane Russell et George Brent de son statut de bibelot érotique façonné (E.-U., 1952, 1 h 21), Editions Montparnasse, environ 1 0 € par Howard Hughes (cf. les deux

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humain, plus qu’humain En mode Blade Runner, le prequel de Deux Ex offre au joueur le luxe de se réinventer, voire de “s’augmenter”. Subjuguant.

S consoles la 3DS expose ses photos Nintendo et Magnum Photos organisent une exposition d’images en relief réalisées au moyen de consoles portables 3DS. Auteur chacun d’une trentaine de clichés, trois photographes de l’agence Magnum se sont prêtés au jeu : Martin Parr, Gueorgui Pinkhassov et Thomas Dworzak. Le résultat de l’expérience sera présenté du 1er au 17 septembre à la Magnum Gallery, 13, rue de l’Abbaye, Paris VIe. www.nintendo3ds.fr

urtout, ne pas se décourager après une heure ou deux de jeu : le début de Deus Ex – Human Revolution ne donne qu’une idée très partielle de l’expérience qu’il propose vraiment. Tentant laborieusement de venir à bout du prologue de ce prequel d’un jeu majeur (Deus Ex, 2000, coup de maître de Warren Spector et Harvey Smith), on jurerait évoluer dans un jeu de tir en vue subjective (FPS) très ordinaire ou dans une simulation d’infiltration (notre objectif : nous immiscer discrètement dans un bâtiment bien gardé) moins sophistiquée que les fleurons du genre (Metal Gear Solid, Splinter Cell). Surtout, ne pas s’arrêter à cette première impression : si Deus Ex – Human Revolution est bien un FPS et un jeu d’infiltration, il est aussi beaucoup plus que cela. Soudain, l’espace s’ouvre. Nous voilà lâché dans un Detroit légèrement futuriste (nous sommes en 2027). Plus tard, le jeu nous emmènera en Chine. Mais on se croirait surtout devenu un habitant de Blade Runner. Comme dans le film de Ridley Scott, le récit touche à la définition même de l’humain. On n’arrête pas le progrès :

qu’il suive le scénario ou non, le joueur n’aura qu’un but : comprendre

moyennant finances, chacun a la possibilité de se faire “augmenter” mécaniquement. D’améliorer sa vision, sa vitesse, sa résistance. Adam Jensen, notre héros, n’a pas eu le choix : après une mission qui a mal tourné, sa survie était en jeu, les implants mécaniques s’imposaient. Il travaille pour Sarif Industries, entreprise qui règne sur le secteur biotechnologique. Et ne va pas tarder à découvrir qu’il se passe des choses pas très nettes. Human Revolution est, au fond, un jeu d’enquête. Qu’il suive sagement le scénario ou, ce qui est chaudement recommandé, qu’il opte pour l’exploration freestyle de ce monde gagné par la mélancolie, le joueur n’aura qu’un but : comprendre. Le jeu répondra subtilement à ses interrogations, semant des indices et réagissant à ses actions (la conclusion de l’aventure, notamment, en dépendra). Et l’on se retrouve bientôt, entre deux virées en ville, à pirater les ordinateurs de nos collègues de bureau en quête d’emails révélateurs. Human Revolution est, surtout, un jeu de rôle. Littéralement : on choisit ce que l’on dit, ce que l’on fait, ce que l’on vit. Ce que l’on joue, l’homme que l’on devient. En chemin, on se heurte parfois à ses petites imperfections techniques. Mais le souffle de sa narration interactive les rend absolument négligeables. Erwan Higuinen Deus Ex – Human Revolution sur PS3, Xbox 360 et PC (Eidos Montréal/Square Enix, de 40 à 60 €)

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planète à modeler Le coup de maître mystico-écolo-démiurgique d’un vétéran français du jeu vidéo.

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n grand nom du jeu vidéo a fait son retour cet été. Depuis 1998 et Heart of Darkness, Eric Chahi, vétéran de la scène vidéoludique française, semblait être passé à autre chose. Le bruit courait que le père du légendaire Another World (1991) préférait passer son temps à parcourir le monde. Au hasard d’une errance internet, on pouvait à l’occasion tomber sur ses photos de volcans. Ces derniers, et plus généralement les phénomènes naturels, sont justement aujourd’hui au centre de son nouveau jeu. Héritier de Populous et de Black & White, From Dust appartient à l’étrange

famille des god games : le joueur y est promu au rang de dieu ayant la lourde charge des humains qu’il regarde s’agiter d’en haut. Mais le jeu tourne effrontément le dos à la vision guerrière du genre : ici, il n’y a pas d’ennemi à vaincre, sinon les éléments. Un tsunami, un volcan ou un feu de forêt menacent alors que notre peuple ne demande qu’à construire des villages. Pour lui venir en aide, le joueur dispose de quelques pouvoirs, comme celui de figer l’eau, mais l’essentiel de son activité va consister à prélever de la matière (terre, lave, etc.) quelque part pour la redéposer ailleurs et modifier ainsi la topographie des lieux.

From Dust est, littéralement, un jeu bac à sable, et le grand plaisir qu’il procure vient de l’observation des réactions en chaîne (un cours d’eau sort de son lit, par exemple) que ne manquent pas de provoquer nos expérimentations de terrassier géant. La simulation géologique est par ailleurs aussi un jeu d’énigmes entêtant et une belle aventure philosophico-poétique à la bande-son frappante et aux accents mystiques. Eric Chahi n’a pas raté son retour. E. H. From Dust sur Xbox 360 et PC (Ubisoft, environ 15 € en téléchargement). A paraître sur PS3

Gesundheit !

Edge

Sur iPhone, iPod Touch et iPad (Revolutionnary Concepts/ Konami, 0,79 ou 2,39 €) Pauvre cochon vert : de vilains monstres lui bloquent le passage. Heureusement, ils raffolent de, disons, ce qui sort de son groin quand il éternue. A lui de s’en servir pour les éloigner ou les attirer dans des pièges. Avec ses énigmes aussi audacieuses que son style graphique, Gesundheit ! est l’un des meilleurs jeux iPhone du moment.

Sur PC et Mac (Mobigame/Two Tribes, environ 7 € en téléchargement) En 2009, Edge fut l’un des premiers jeux marquants de l’iPhone. Ses niveaux en perspective isométrique, dont un petit cube cherche la sortie sur fond d’hommage musical à la préhistoire vidéoludique, n’ont rien perdu de leur charme obsédant en passant sur PC et Mac. Le jeu du studio parisien Mobigame y gagne même une maniabilité améliorée. 31.08.2011 les inrockuptibles 87

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Coran électrique Ils concilient la foi et le punk et contribuent en braillant à un islam progressiste. Les jeunes musulmans à crête du mouvement Taqwacore investissent Paris à l’occasion du sixième Festival des cultures d’Islam.

 O Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

n prend le pari : dans le flot de témoignages et de rétrospectives qui inondera les médias au moment de commémorer les dix ans des attaques terroristes du 9/11, il sera beaucoup question de l’islam aux Etats-Unis. Et l’on verra un peu partout ces mêmes portraits de musulmans modèles, libéraux laïques, costumes taillés, barbes rasées de près et discours irréprochables ; bref des musulmans “intégrés”. Il y en a d’autres, à l’inverse, pour qui le concept fragile d’intégration n’est pas forcement synonyme d’obéissance à un ordre imposé : les punks musulmans – dont les principaux représentants seront invités à Paris le 17 septembre

en clôture du Festival des cultures d’Islam (Islam & the City). Ils s’appellent The Kominas, The Secret Trial Five ou Al-Thawra, ont sorti un ou deux albums et se sont créés une petite notoriété depuis quelques années sur internet. Leurs signes distinctifs ? Ils prient Allah (avec plus ou moins de conviction), écoutent les punks de Black Flag, viennent pour la plupart des quartiers pauvres des grandes villes américaines et revendiquent le droit de pratiquer leur foi en totale liberté. On les a réunis sous le terme générique de Taqwacore (contraction de “hardcore” et “taqwa”, la piété en arabe), en référence au titre d’un roman de l’écrivain américain Michael Muhammad Knight

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on connaît la chanson

vol à l’étalage Les jugements très durs à l’égard des émeutiers anglais rappellent qu’il vaut mieux voler sur internet que dans les magasins.

Kim Badawi

“on ne veut plus être réduits au statut de formation musulmane ; nous sommes des musiciens, on fait du punk avant tout”

(The Taqwacores, Hachette), devenu la bible du mouvement. Publiée au début des années 2000, cette histoire d’une bande de jeunes musulmans de Buffalo qui se découvrent une nouvelle existence dans le punk a été le manifeste de nombreux kids en perte de repères. Comme le jeune cinéaste Eyad Zahra, qui a grandi dans les suburbs de Cleveland et se souvient très bien du choc provoqué par la lecture de The Taqwacores, dont il a fait le sujet de son premier film : “J’étais un peu paumé avant, et la lecture de ce roman m’a profondément bouleversé. En tant qu’Américain, musulman américain, j’envisageais autrement mon identité. Il n’y a aucun précepte dans le Taqwacore, c’est à chacun de pratiquer sa religion comme il l’entend, et ça a aidé beaucoup de musulmans.” Pas de préceptes donc, mais une volonté commune d’un islam arraché au traditionalisme et à l’idéologie (“Tu fais ce que tu veux, il n’y a plus de règles, plus de dignitaires religieux”, résume Eyad Zahra), dont le punk allait être à la fois le révélateur et le meilleur moyen

d’expression. Fondé par quatre musiciens de Boston, The Kominas est né sur cette impulsion en 2005 et a été propulsé premier grand groupe de Taqwacore par quelques hymnes sauvages : Rumi Was a Homo ou Sharia Law in the USA, une variation muslim des Sex Pistols (“I am an islamist, I am the antichrist”) infusée de mélodies orientales. Leurs morceaux ont fait le tour du monde et, des Etats-Unis jusqu’au Pakistan, de nombreux jeunes musulmans se sont convertis à cette religion sans église (voir le documentaire Taqwacore – The Birth of Punk Islam), au nez et à la barbe des autorités islamiques. “Nous étions encore en concert à New York, Londres, Oslo, Cardiff ces trois dernières semaines, et beaucoup de nos fans sont des ados musulmans qui ne pensent et ne vivent pas leur religion de manière conventionnelle”, explique le guitariste des Kominas, Imran Ali Malik. Avant de préciser : “On ne veut plus être réduits au statut de formation musulmane ; nous sommes des musiciens, on fait du punk avant tout.” Et, de fait, le groupe a évolué depuis 2005 : plus électrique (à l’image de leur dernier titre Ren, diffusé sur internet), il s’est volontairement écarté du folklore arabe. Un nouveau virage qui traduit bien les évolutions en cours dans le Taqwacore selon Eyad Zahra : “La mode passera et les médias se désintéresseront du mouvement, mais l’idée derrière le Taqwacore, elle, ne disparaîtra certainement pas.” Romain Blondeau Festival des Cultures d’Islam – Islam & the City du 7 au 17 septembre Soirée Taqwacore (débats, films et concerts) le 17 septembre (Institut des cultures d’Islam, Paris XVIIIe), www.institut-cultures-islam.org

“Tout le monde le faisait, et puis c’est tellement cher en magasin… Ils nous tentent avec des publicités mais on n’a pas les moyens de payer. Alors piquer deux ou trois trucs, quelle différence pour eux ?” Ce discours des récents émeutiers a offusqué l’Angleterre. Parfois commandos organisés de rapine, souvent le fait de badauds opportunistes : la vitrine était cassée, on se contentait de se servir, même de manière dérisoire. On retrouve devant les tribunaux en surchauffe des voleurs d’une bouteille de vin, de barres chocolatées… Mais c’est le principe qui prévaut : la propriété privée reste souveraine. Il a fallu 16 000 policiers déployés dans les rues de Londres pour que le commerce de la chaussure de sport, de l’écran plasma et du téléphone portable, premières cibles des vols, retrouve sa primauté. Il y a dix ans, les mêmes émeutes auraient ciblé les supermarchés du disque : on aurait vu des hordes fuir, bras chargés, les magasins HMV, Virgin ou Tower. Mais la plupart de ces magasins sont désormais fermés et les ados se fichent bien des CD. Tout le monde se serait alors scandalisé. Mais les commentateurs indignés par cette euphorie de vols sont les mêmes qui ricanent de toutes les tentatives (maladroites, inutiles ou pathétiques) qui tentent de répondre à la question du téléchargement illégal, qu’ils applaudissent parfois avec un mélange d’incompétence, de démagogie et de jeunisme. Sans Molotov et sans barres de fer, bien entendu, il s’agit pourtant du même déni de la propriété privée. Qu’on ne se trompe pas : je télécharge comme un porc, je suis un voleur. Mais dans ce cas, je mérite (ou pas) autant d’aller en prison qu’un ado de Liverpool qui a chapardé un jean pendant les émeutes.

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des livres et un spectacle pour Vincent Delerm

Anna Calvi au Festival Les Inrocks Black XS

Ceux qui l’ont vu sur scène savent combien Vincent Delerm aime inscrire ses concerts dans une perspective théâtrale. Le musicien va plus loin puisqu’il présentera, du 6 au 30 décembre aux Bouffes du Nord à Paris, un spectacle qu’il a écrit comme une pièce de théâtre. Il y interprétera le premier rôle et dévoilera une poignée de chansons inédites. L’artiste a cosigné la mise en scène du spectacle avec Macha Makeïeff. La pièce s’ouvrira en outre sur un texte original enregistré (en anglais) par Woody Allen. De quoi patienter, enfin : Delerm, qui a participé avec JP Nataf, Mathieu Boogaerts et Albin de la Simone au livre-disque pour enfants Léonard a une sensibilité de gauche, dont la sortie est annoncée pour le 3 novembre, publiera le même jour Probablement, un recueil de textes et de photos.

la présidentielle de Gaëtan Roussel

L’Anglaise ajoute son nom à l’affiche de la prochaine édition du Festival Les Inrocks Black XS. Tout comme Le Prince Miiaou, Dum Dum Girls et EMA, elle se produira le 7 novembre sur la scène de l’Olympia. A noter que Givers, Ensemble, Hanni El Khatib et Fixers ont complété la programmation du festival.

cette semaine

Bonne nouvelle : c’est Gaëtan Roussel qui présidera la prochaine édition du prix Constantin, qui célébrera cette année ses 10 ans. La liste des 10 finalistes sera publiée le 21 septembre. Le concert et la remise du prix auront lieu le 17 octobre à l’Olympia.

Elvis : 1956 et 55 qui font 2011

Primal Scream rejoue Screamadelica à Paris

Les fans d’Elvis, qui n’ont pas manqué d’allumer une bougie pour la date anniversaire de sa mort (le 16 août), s’apprêtent à en sortir cinquante-quatre de plus pour fêter la sortie fin septembre de Young Man with the Big Beat, un coffret de cinq disques compilant l’intégrale des enregistrements (studio, live, interviews) de 1956, l’année où Elvis a explosé. www.elvis1956.com

Après le MIDI Festival, la troupe de Bobby Gillespie fait escale à Paris pour rejouer son chef-d’œuvre drogué et fondateur Screamadelica. le 6 septembre à la Cigale (Paris XVIIIe)

neuf John Cale

BoxViolet Dans les rues de Brighton, déjà habituées aux beaux duos électriques (Blood Red Shoes en tête), on se retourne sur leur passage. Pourtant, personne ne connaît encore les chansons énormes de Margot Paige et Luke Ehret, deux Californiens en exil – dans un an, on les poursuivra pour des autographes ! www.myspace.com/boxviolet

Vondelpark Pas de MySpace, de Bandcamp ou de page Facebook, peu d’informations disponibles et un groupe italien homonyme qui brouille encore un peu plus les pistes. Mais, déjà, une série de morceaux qui semblent indiquer que cet Anglais sera bientôt partout. 2-step sur les bords et vaporeux au milieu, fantomatiques et mélodiques, ces morceaux font la bandeson de l’été.

Il fallait un label esthète, érudit et patient pour signer John Cale en 2012. Ça sera donc chez Double Six, division de Domino, que l’ancien violoniste du Velvet Underground sortira dans les jours à venir un nouveau maxi plein comme un œuf de vilain canard, en prélude à un album prévu pour 2012. Il y chante même en français. Enfin, on croit. www.john-cale.com

The Smiths On reparle beaucoup des Smiths en cette rentrée : avec une BD adaptant les textes et surtout avec un plantureux coffret reprenant les huit albums du groupe (en vinyle et en CD spéciaux, remasterisés par Johnny Marr), vingt-cinq singles en fac-similé et un DVD. La boîte regroupera aussi un livret, un poster, des tirages luxueux et sera disponible le 3 octobre en seulement 3 000 exemplaires. www.rhino.co.uk/store

vintage

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Theo Jemison

comme surgies de l’Apocalypse, des cloches se mettent à rugir furieusement. C’est effrayant

le tueur de la lune de fiel DJ star des nuits tordues de Los Angeles, Gaslamp Killer est devenu l’emblème du L.A. beat, groove toxique et psychédélique. Visite dans son antre.

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n ce jeudi soir, certains sont venus d’Echo Park, à l’autre bout de Los Angeles, pour l’écouter. Une fois n’est pas coutume, Gaslamp Killer a accepté de se produire dans le Westside, au Townhouse de Venice Beach. Avec son pote Flying Lotus, qui le produit sur son label Brainfeeder Records, le musicien hirsute est en train de s’affirmer comme l’emblème du L.A beat. On appelle ainsi ce son cru, mélange bizarre d’electro sombre, de dirty

beats hip-hop et de remixes de groupes obscurs qui est en train de bouleverser le paysage musical de la ville. Dès qu’il s’empare des platines, Gaslamp Killer lance son remix de There’s No Blood in Bone de la Poppy Family, groupe canadien emblématique de la pop psychédélique des seventies. Il commence par distordre la voix, pourtant magnifique, de Susan Pesklevits, qui prend sous ce traitement des tonalités à la Elephant Man. Ralentit le tempo. Et reste perché sur une note aiguë, en apesanteur. Soudain,

comme surgies de l’Apocalypse, des cloches se mettent à rugir furieusement. C’est effrayant. Aux anges, Gaslamp Killer sautille, en cadence. William Benjamin Bensussen, de son vrai nom, est né à San Diego. “J’ai passé mon adolescence à traîner dans les raves et les soirées hip-hop de la ville.” Il cite DJ Shadow et Kutmah, qui l’auraient convaincu de se mettre lui-même aux platines. C’est un jeune homme poli, réfléchi, presque réservé. Aux antipodes de l’image d’allumé adepte de satanisme, limite psychopathe, qu’il s’est construite (il faut voir, à ce propos, la pochette de son single, où il apparaît en Marilyn Manson, en gremlin ou en Rambo). A l’origine, on avait soupçonné une arnaque quand les médias locaux s’étaient entichés de ce bad boy spé qui emmenait les journalistes fumer un joint sur le haut d’un building désaffecté de Downtown. Et puis on avait découvert le magnifique I Spit on Your Grave, avec ses cuivres lancinants, ses batteries virtuoses et ce trip-hop lent en fond sonore, comme du Coltrane remixé par Massive Attack. Depuis son pupitre, Gaslamp Killer électrise la salle tout en offrant une leçon magistrale de sampling. Une sorte de déconstruction jouissive et violente des valeurs de la pop. Partant de tubes des sixties (Oh Mr. Pleasant des Kinks, Strawberry Fields Forever), il vire vite vers le décalé, le psychique et la blaxploitation, de A Time for Us de Joe Pass à Sputnik de Sidney Owens & North, South Connection. On regrette seulement qu’il ne soit pas, ce soir, accompagné de son acolyte Gonjasufi, avec lequel il a sorti l’album A Ganja and a Killer, mariage incestueux entre la mystique du Sufi et les incantations perverses du Killer. Los Angeles peut se réjouir d’avoir donné naissance à une nouvelle scène, qui résonne comme une BO parfaite pour la fin du monde. Et Captain Beefheart, s’il reste irremplaçable, d’avoir peut-être trouvé un successeur digne de ce nom. Yann Perreau www.thegaslampkiller.com 31.08.2011 les inrockuptibles 91

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Will Sterns

“petit, je voulais devenir le James Dean juif” Chanteur de charme et vedette incontestée de l’antifolk, le New-Yorkais Adam Green ne revient pas avec un album, mais avec un film absurde et halluciné, tourné avec son iPhone.

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e cinéma, ça te trottait dans la tête depuis longtemps ? J’ai toujours voulu faire des films. A l’origine, je voulais devenir le James Dean juif, avant même de connaître James Dean. Puis, j’ai appris qui c’était et j’ai été déçu : je pensais qu’il me ressemblerait plus. Pourquoi tourner le film avec un iPhone ? C’était simplement la seule caméra que j’avais à ma disposition. En fait, je voulais faire un film qui ressemble à ce que je faisais avant, avec les Moldy Peaches : cette esthétique minimaliste me plaît. D’ailleurs, mon prochain film sera aussi réalisé avec un iPhone, même si j’ai plus de moyens à ma disposition. Je pense que mon film sera même plus réussi qu’avec une caméra normale. Le casting est assez déroutant. Comment as-tu réussi à réunir Pete Doherty et l’acteur Macaulay Culkin ? Il n’y avait pas de planning. Si un ami était disponible et voulait rejoindre le casting, il le faisait. Par exemple, Macaulay nous a accompagnés en tournée, c’était

donc naturel qu’il fasse partie du film. Et c’est un pote : on vit tous les deux à New York et Maman, j’ai raté l’avion est le meilleur film de Noël qui ait jamais été réalisé. Ton film tire clairement vers le cinéma expérimental. Des influences ? En fait je préfère les vieux films. Dans le désordre, je dirais : Bananas de Woody Allen, Fellini, Fassbinder… J’adore aussi la culture française, je suis d’ailleurs en train de lire La Confession d’un enfant du siècle d’Alfred de Musset. J’aime aussi beaucoup Serge Gainsbourg. Je veux rencontrer sa fille, j’adore Charlotte for Ever ! Le judaïsme est très présent dans The Wrong Ferarri. La foi t’obsède ? Complètement. La religion me fascine car je suis très angoissé par la mort. Mais ce n’est pas tout : je suis fan de Garfield par exemple, qui représente pour moi la quintessence de l’esprit français décadent, et qui ressemble aussi à mon ami Francesco. Petit, je voulais être dessinateur de cartoons, jusqu’à ce que mon père m’en empêche. Je suis aussi inspiré par les publicités, les peintures du Greco…

Tout se mélange : pour bien comprendre The Wrong Ferarri, il faut le voir plusieurs fois. Ce qu’on peut faire gratuitement puisque ton film est disponible sur YouTube. Je trouve que YouTube est plus intéressant que n’importe quel réalisateur américain contemporain. La démarche du partage me parle beaucoup, je veux que chacun puisse voir le film chez soi et qu’il soit accessible à tous. Je ne suis pas sûr que ce soit très légal mais ce n’est pas très important. En parallèle, le film sera aussi montré dans les salles. Rassure-nous : tu ne comptes pas délaisser la musique ? Non, non ! J’ai un projet avec Binki Shapiro, du groupe Little Joy. En ce moment, je traverse une phase musicale et compose pas mal… Mais je vais d’abord faire un deuxième film. par Anne Laurence Gollion et Alexandre Majirus Film The Wrong Ferarri – A Screwball Tradgedy www.thewrongferarri.com

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Troy Bayless

Cashier No. 9 To the Death of Fun Bella Union/Cooperative/Pias

Le meilleur des Byrds et des Charlatans sur un formidable album venu d’Irlande. Y a-t-il un son propre à la ville de Belfast, interroge le site de ces Irlandais, évoquant quelques représentants de la ville (Van Morrison, Stiff Little Fingers, The Divine Comedy…) ? Une chose est sûre : les cinq musiciens de Cashier No. 9 sont allés façonner le leur ailleurs, regardant autant vers l’Angleterre des Stone Roses que vers l’Amérique des Byrds et de Crosby. Il fait le grand écart entre mélodies West Coast (le formidable Make You Feel Better) et basses baggy (les géniaux The Lighthouse Will Lead You out et Goodbye Friend, dignes des jeunes Charlatans). Le titre de l’album est mensonger : ce n’est pas de la mort du fun qu’il s’agit ici, mais de celle de la médiocrité. Johanna Seban

Lumerians Transmalinnia Knitting Factory, en import Fnac Du psychédélisme forcené, joué par des mabouls de San Francisco. es dernières années, la toge, l’air ahuri, les bras au ciel, les yeux dans le vide et le psychédélisme cramé ont fait rimer Manson et chansons, Raël et mortel. Logiquement venus de San Francisco, mais étonnamment pas des trois glorieuses (1967-69), les Lumerians pourraient permettre d’énormes économies à la Nasa : carburant strictement à l’acide, propulsé par une basse nucléaire, leur rock autorise l’exploration de tous les arcanes du cosmos, en quelques loopings décoiffants. Visiblement boulimiques de musiques insoumises, de l’Afrique à l’Allemagne, du Brésil à New York, ces illuminés jouent (le mot n’est pas approprié : pas de fun ici) un groove hypnotique, incantatoire, défoncé, qui sabote les repères, éventre le sol, élargit monstrueusement la boîte crânienne. Mais il force à danser, en circonvolutions hallucinées, en rondes de sabbat, comme si Silver Apples, Amon Düül, Os Mutantes ou Rikki Ililonga s’entassaient aux platines. Masqués et angoissants, ces cinq garçons dans le vent cosmique redéfinissent l’acronyme LSD : les Lumerians Sont Diaboliques.

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JD Beauvallet www.cashierno9.com En écoute sur lesinrocks.com avec

www.myspace.com/ lumerians

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various artists Our Dreams Are Our Weapons Network/Harmonia Mundi

Andre Guerette

Big Talk

Miracle Fortress Was I the Wave? Republic of Music/Secret City Records/La Baleine

Second album riche en bienfaits du doux Canadien, bientôt en concert. Was I the Wave? On parlera fatalement ici de vague à l’âme, et aussi de nouvelle vague électronique des années 80, intimement liés dans le second album du Canadien. Fuyant la tradition du songwriting et de ses outils peut-être un peu trop rouillés ou soumis pour lui, Graham Van Pelt quitte sa sunshinepop songeuse pour un trip plus intimiste, fantomatique, parfaitement résumé par Spectre, phare d’un album au chagrin joyeux, léger, cosy. Le soleil a déserté la plage, soudain plus mystérieuse, plus tragique aussi, avec des icebergs qui rôdent mais jamais ne viennent troubler la quiétude de ces chansons. Mimant la simplicité bêtassou de quelques groupuscules electro-pop des eighties, elles révèlent des formes complexes et étincelantes, à l’image de l’exalté Raw Spectacle (héritier du meilleur Depeche Mode) ou du faussement innocent, faussement anodin Everything Works, dont la grandeur fait tout pour demeurer un secret. JD Beauvallet concert le 14 septembre à l’Inrocks Lab Party (Flèche d’Or, Paris, gratuit) www.miraclefortress.com

Triomphe sur YouTube, les chansons de la révolution arabe deviennent album. Ces quatorze chansons sont nées au printemps dernier dans la rue, de la rue, entre Tunis et Le Caire, et elles ont grandi sur internet : les hymnes des révolutions tunisienne et égyptienne, pour la première fois compilés sur disque après un franc succès sur YouTube. De la pop, du rap, des instruments traditionnels, et surtout de la rage, sublimée notamment par l’oud et la cithare des frères Amine & Hamza, dont l’épique The Challenge, qui clôt la compilation, est à la fois un rêve et une arme. Stéphane Deschamps

Big Talk Epitath/Pias

www.networkmedien.de

Album solo étonnant du batteur des Killers. Le problème des Killers n’a jamais été le songwriting mais le décorum, toujours surchargé, grandiloquent – leurs chansons plus humbles ou acoustiques révèlent même une écriture pop au pedigree indiscutable. En solo, leur batteur Ronnie Vannucci dégraisse ainsi les chansons de leur surcharge pondérale, en un rock imbibé de Moonshine et de campagnes profondes, de Creedence à Neil Young. Big Talk, c’est un pick-up déglingué, rouillé mais fidèle, qui roule pépère et enfumé au milieu de la route – middle of the road, certes, mais joli panorama sur l’americana. JDB

Sparrow And The Workshop

www.bigtalkmusic.com

Spitting Daggers Distiller/Modulor Malgré un groupe parfois limite, une fée électrifiée s’impose avec grâce. Le nom du groupe semble tiré d’une fable de La Fontaine : “Le Moineau et l’Atelier.” La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf aurait aussi bien fait l’affaire. Il semble y avoir ici deux groupes en un : le moineau, ce serait Jill O’Sullivan, susurrant à décrocher les anges sur des folk-songs gorgées d’éther et de taffetas ou hurlant au diable sur un rock brut, félin. L’atelier, ça serait son groupe, spécialisé dans le maniement du plomb sans gants, dans la fabrication d’enclumes. Peut-être jaloux de tant de grâce, ils ont décidé de faire du mal (mâle) aux chansons de l’Irlando-Américaine, alourdissant tout, comme si la vie était forcément un festival en plein air, dans lequel il faut tout saloper aux watts, gonfler à l’électricité. Heureusement, pas mal de chansons (Faded Glory, le très Pixies Snakes in the Grass) résistent avec insolence à ce mauvais traitement, impressionnantes de tension et de félinité, donnant déjà de furieuses envies d’album solo de la belle dinguette. JDB www.sparrowandtheworkshop.co.uk

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various artists Brand New Wayo – Funk, Fast Times & Nigerian Boogie Badness 1979-1983 Kate Garner

Comb & Razor Sound/ Differ-ant

Zomby Dedication 4AD/Beggars/Naïve Prolifique et mystérieux, ce producteur anglais ne se dévoile qu’à travers ses morceaux joueurs et entêtants. côté de lui, son collègue pas plus que d’autres son visage. Burial passerait presque pour Moins marqués dubstep que ses dernières un émule exhibo de Robbie productions, les seize morceaux Williams ou un lofteur rassemblés ici oscillent entre spleen en manque de notoriété. narcotique et euphorie tribale, effleurant Zomby, qui lorsqu’il sort un tas de genres – du r’n’b sans se dissimule sous un masque de joker gourmette, livide et dépressif, satanique, a réussi en plus de cinq ans à la drum’n’bass sans volonté guerrière –, d’activité intensive à ne rien montrer mais évitent méticuleusement d’autre que ses morceaux. On ne connaît de s’alanguir quelque part. pas plus son visage que sa véritable Œuvrant à des rapprochements identité, mais on sait en revanche audacieux, Zomby invite même Panda Bear que ce jeune stakhanoviste a déjà expurgé à poser son empreinte vocale de Beach son cerveau en surchauffe de plusieurs Boy hors sec sur Things Fall apart. centaines de titres, dispersés sur des Vortex évoque à l’autre bout du spectre les maxis, souvent simplement sur YouTube synthés acrimonieux de Suicide et Basquiat ou, beaucoup plus rarement, dans les réflexions au piano de Brian Eno. le circuit classique de la filière musicale. Quant à l’entêtant Natalia’s Song, on ne Son premier album de 2008, Where Were s’étonnerait pas qu’il finisse en générique U in ’92?, était pourtant limpide sur ses d’un jeu vidéo en réalité augmentée intentions de rembourser d’une traite dont Dedication pourrait au besoin fournir les pionniers de la rave culture – un titre toute la bande-son. Christophe Conte était explicitement baptisé Daft Punk www.myspace.com/zombyproductions Rave – et de les entraîner dans les couloirs En écoute sur lesinrocks.com avec du temps à la rencontre de leurs enfants du grime et du dubstep. Après une période de retrait volontaire pour accompagner son père mourant, dont l’agonie aura sans doute influé sur la partie la plus sombre de Dedication, Zomby revient chez les vivants en signant chez 4AD mais sans rien concéder d’autre à la lumière – les dirigeants du label ne connaissent paraît-il

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Compilation torride de disco-funks venus en sueur du Nigéria. Grâce aux fouilles altruistes de labels tels que Strut ou Soundway Records, on n’en finit pas d’exhumer des perles musicales issues du nord-ouest de l’Afrique. C’est précisément vers le Nigéria de la charnière 70-80 – brève période de griserie, liée au retour de la démocratie – que Brand New Wayo nous entraîne sur un rythme d’enfer. Première référence du label Comb & Razor Sound, émanation du blog éponyme, cette compilation lève le voile sur un pan de la musique populaire nigériane encore largement méconnu en Occident, où s’est jusqu’à présent surtout propagée la fièvre de l’afrobeat. Brûlant d’une autre fièvre (celle du samedi soir, of course) et sonnant comme d’irrésistibles hymnes hédonistes, les titres réunis ici, aux basses rebondies et aux saxos sexy, fondent funk et disco en un torride alliage : plus chaud que ça, tu meurs. Jérôme Provençal www.combandrazor. blogspot.com 31.08.2011 les inrockuptibles 95

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Chairlift Amanaemonesia Terrible/Columbia/Sony Music Chairlift revient, et fort : le nouveau single du groupe est un tube absolu. e monde appartiendra Car avant un album à venir, bientôt, corps et âmes, Chairlift a asséné au creux de l’été à Caroline Polachek, voix ce tube absolu, Amanaemonesia, troublante et beauté chanson vicieuse, à la fois rengaine brûlante des New-Yorkais Chairlift. pop parfaite et furieux dédale Le groupe a déjà goûté au tube psyché et 80’s, qui happe comme avec Bruises, utilisé sur une pub MGMT et caresse comme Feist, Apple, l’album Does You Inspire You titre synthétique et musclé, est une increvable merveille enlevé et épicé, taillé mais les chouchous hype dans la luxure et la sensualité. Thomas Burgel de Williamsburg vont très vite se rappeler à l’excellent souvenir des www.chairliftmusic.com hormones de masses en ébullition.

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Jens Lekman An Argument with Myself Quatre ans ont passé depuis Night Falls over Kortedala. Le Scandinave publiera un nouveau maxi cet automne, qu’il dévoile avec ce premier morceau rebondissant en téléchargement gratuit, sur lequel il convoque le spectre du Paul Simon de Graceland. www.jenslekman.com

Birkii Shade of Doubt Récemment repérée par la famille Kitsuné, la Parisienne Birkii compose une electro-pop chic et sucrée, romantique et légère, eighties mais jamais surannée. La relève féminine et sexy de Breakbot est déjà assurée. http://www.lesinrockslab.com/birkii

Yann Tiersen Monuments Des nouvelles, déjà, de Yann Tiersen. Un an seulement après l’impressionnant Dust Lane, le Français publie Monuments, un premier extrait atmosphérique et tempétueux de l’album Skyline à venir. Vivement. www.yanntiersen.com

I Listen to the World That Obliterates My Traces Dust-To-Digital, label américain spécialisé dans l’exhumation de trésors musicaux antiques, édite un indispensable livre de photos anciennes liées à la musique, accompagné d’une double compile de 78t. Sublimement fantomatique. www.youtube.com 96 les inrockuptibles 31.08.2011

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dès cette semaine

Clap Your Hands Say Yeah 12/9 Paris, Maroquinerie 4 Guys From The Future Nouveaux rejetons de la scène pop de Copenhague, les Danois, découverts à la Flèche d’Or avant l’été, reviennent présenter leur premier album lors d’une soirée qu’ils partageront avec la récente signature du label Domino, Twin Sister. 16/11 Paris, Point Ephémère Amadou & Mariam 14 et 15/01/12 à Paris, Cité de la Musique Angil 24/9 SaintEtienne, 29/9 ClermontFerrand, 30/9 Tours, 1/10 Rive-de-Gier, 2/10 Angers, 3/10 Orléans, 4/10 Paris, International, 5/10 Besançon, 6/10 Lyon, 8/10 Chérisay, 9/10 Dijon, 25/11 Lyon Aphex Twin 28/10 Paris, Grande Halle de la Villette Apparat 8/10 Caen, 9/10 Tourcoing, 10/10 Cenon, 11/10 Angers, 12/10 Paris, Gaîté Lyrique Architecture In Helsinki 20/10 Lille, 22/10 Caen, 25/10 Montpellier Arthur H 27/10 Paris, 104, 8/11 Caen, 9/11 Rennes, 10/11 Brest, 16/11 Lyon, 17/11 Limoges, 19/11 Genève, 23/11 Nantes, 24/11 Bordeaux, 2/12 Strasbourg, 9/12 Villejuif, 15/12 Agen Asian Dub Foundation 19/10 Caen, 20/10 Limoges, 21/10 Cahors, 22/10 Toulouse, 25/10 La Rochelle, 28/10 Besançon,

Cold Cave 5/9 Paris, Point Ephémère

29/10 Meisenthal, 10/11 Beauvais, 11/11 Cognac Band Of Skulls 18/10 Paris, Maroquinerie Battant 28/9 Limoges, 29/9 La Rochesur-Yon, 1/10 Bordeaux, 13/10 Paris, Gaîté Lyrique Baxter Dury 23/9 Paris, Point Ephémère, 29/9 Bordeaux, 6/10 Reims Beirut 12/9 Paris, Olympia Blood Orange 12/11 Paris, Nouveau Casino

Concrete Knives 21/10 ClermontFerrand, 11/11 Villefranchesur-Saône, 25/11 Brest Cut Copy 28/11 Paris, Grande Halle de la Villette Death In Vegas 1/10 Marseille, 2/10 ClermontFerrand, 3/10 Lyon, 4/10 Caen, 31/10 Lille, 1/11 Paris, 3/11 Toulouse, 4/11 Montpellier, 5/11 Angoulême Dels 27/10 Paris, Nouveau Casino

Bob Dylan 16/10 Lille, 17/10 Paris, POPB Bonaparte 4/11 Paris, Point Ephémère Bonnie Prince Billy 3/11 Paris, Trianon Brigitte 31/10 Paris, Olympia John Cale 17/10 Paris, Maroquinerie Bill Callahan 26/10 Paris, Gaîté Lyrique Camille du 1er au 13/9 à Paris, couvent des Récollets, du 12 au 18/12 à Paris, Café de la Danse Chokebore 21/10 Dijon, 22/10 Besançon, 23/10 Fumel, 24/10 Montpellier, 25/10 Marseille, 26/10 Lyon, 27/10 Périgueux, 28/10 Vendôme, 29/10 Brest, 31/10 Paris, Machine, 1/11 Caen, 3/11 Amiens, 4/11 Tourcoing, 5/11 Bruxelles, 7/11 Allonnes, 8/11 Angoulème, 9/11 Poitiers, 11/11 Metz, 12/11 Le Locle,

Deus Keep You Close, le nouvel album de la troupe de Tom Barman, est annoncé pour le 19 septembre. Suivra une belle tournée française, avec détour parisien sur la scène du Trianon. 14/10 Le Havre, 19/10 Strasbourg, 20/10 Dijon, 21/10 Lyon, 22/10 ClermontFerrand, 24/10 Paris, Trianon, 25/10 Caen, 27/10 Bordeaux, 28/10 Vendôme, 29/10 Reims, 30/10 Lille Doctor Flake 12/10 Paris, Boule Noire Julien Doré 27/10 Nancy Dum Dum Girls 5/11 Lyon, 7/11 Paris, Olympia, 8/11 Nantes, 9/11 Roubaix Dutch Uncles 28/10 Paris, Flèche d’Or EMA 7/11 Paris, Olympia The Excitements 30/9 Paris, Maroquinerie

Piers Faccini 25/10 Paris, Café de la Danse Thomas Fersen 5/3/12 Paris, Olympia Festival Electro Alternativ Du 16 au 24/9 Toulouse, avec Ellen Allien, Jackson, Beataucue… Festival Les Inrocks BlackXS du 2 au 8/11 à Paris, Nantes, Lyon, Marseille, Lille, Caen et Toulouse, avec Friendly Fires, Anna Calvi, Dum Dum Girls, Florent Marchet, Alex Winston, Yuck, James Blake, Miles Kane, Timber Timbre, Saul Williams, EMA, Agnès Obel, La Femme, Cults, Morning Parade, Wu Lyf, Foster The People, etc. Festival Les Rockomotives Du 22 au 31/10 à Vendôme, avec John Cale, Deus, The Dø, Yann Tiersen, Diabologum, Pneu Chokebore, Mondkopf, etc. Festival Radar Les 9 et 10/9 à Tourcoing, avec Mondkopf, The Leisure Society, Is Tropical, Kurt Vile & The Violators Festival Scopitone Du 12 au 16/10 à Nantes, avec Agoria, Discodeine, Etienne de Crécy, Mondkopf, Housse De Racket, The Shoes, Sebastian, Yuksek, Is Tropical, Danger, etc. Flotation Toy Warning 10/9 Tourcoing, 1/10 Bruxelles, 22/10 Evreux, 23/10 Paris, Café de la Danse, 24/10 Bordeaux, 26/10 Toulouse, 27/10 Montpellier, 28/10 Hyères, 29/10 Saint-Gall Brigitte Fontaine 17/9 Marseille

Fool’s Good 5/11 Paris, Trianon Lulu Gainsbourg 2/11 ClermontFerrand, 8/11 Paris, Casino de Paris, 10/11 Bruxelles, 12/11 Saint-Lô Ganglians 1/10 Paris, Point Ephémère Girls 18/11 Strasbourg, 19/11 Paris, Maroquinerie, 24/11 Toulon Greatest Hits + Leno Lovecraft 2/9 Paris, Flèche d’Or Handsome Furs 20/9 Paris, Point Ephémère Health 6/9 Paris, Point Ephémère Heather Nova 20/11 Paris, Bataclan, 2/11 Tourcoing Housse De Racket 20/10 Paris, Gaîté Lyrique Ben Howard 5/10 Paris, Café de la Danse Inrocks Lab Party septembre 14/9 à Paris, Flèche d’Or, avec Miracles Fortress + 3 finalistes de Inrocks Lab Bon Iver 29/10 Paris, Grande Halle de La Villette Jazz à La Villette du 31/8 au 12/9 à Paris, avec Hindi Zahra, Mulatu Astatké, Yaron Herman, Aldo Romano, Kouyaté & Neerman, ESG, Maceo Parker, Tony Allen, etc. Jehro 10/10 Paris, Cigale Jay Jay Johanson 6/10 Nancy, 17/11 Lille, 18/11 Caen, 21/11 Paris, Trianon, 22/11 Lyon, 23/11 Toulouse, 25/11 Montpellier, 26/11 Marseille The Jim Jones Revue 5/10 Alençon, 6/10 Saint-Avé,

8/10 Bègles, 9/10 Angoulême, 11/10 Mulhouse, 14/10 Creil, 15/10 Massy Kaiser Chiefs 29/11 Olympia Kasabian 22/11 Paris, Zénith The Kooks 18/10 Paris, Casino de Paris, 19/10 Bordeaux, 20/10 Toulouse, 24/10 Lyon L 3/10 Paris, Café de la Danse, 7/12 Paris, Cigale Les Internationales de guitare Du 24/9 au 15/10 à Montpellier et autres lieux du LanguedocRoussillon, avec The Divine Comedy, Gaëtan Roussel, Anna Calvi, Dick Annegarn, Catherine Ringer, Saul Williams, Kaki King, etc. M83 30/11 Paris, Gaîté Lyrique Maad in 93 Du 22/9 au 8/10 à Saint-Ouen, Montreuil, Bagnolet, etc., avec The Afrorockerz, Viva & The Diva, Cheveu, Milk Coffee & Sugar, Louis Sclavis, Yom, etc. Florent Marchet 7/10 Franconville, 13/10 Illkirch, 2/11 Paris, Casino de Paris Metronomy 5/10 Dijon, 6/10 Caen, 7/10 Lille, 8/10 Reims, 8/11 Lyon, 9/11 Montpellier, 10/11 Paris, Olympia, 11/11 Amiens, 12/11 Nantes, 13/11 ClermontFerrand Miossec 9/9 Ouessant, du 20 au 23/9 Paris, Nouveau Casino, 28/9 Rennes, 29/9 Brest, 30/9 Laval, 1/10 Caen, 4/10 Annecy, 5/10 Nancy, 6/10 Metz, 7/10 Tourcoing

Connan Mockasin 7/10 Strasbourg, 10/10 Paris, Maroquinerie, 11/10 Lille, 15/10 Marseille Mondkopf 10/9 Tourcoing, 16/9 Bordeaux, 22/9 Lyon, 30/9 Bordeaux, 1/10 Marseille, 6/10 Caen, 7/10 Amiens, 8/10 Nancy, 15/10 Nantes, 22/10 Dijon, 26/10 Vendôme, 28/10 Paris, Grande Halle de la Villette, 5/11 Rennes, 25/11 Laval, 9/12 Fontenaysous-Bois, 10/12 Strasbourg Mother Mother 8/10 Paris, Flèche d’Or Motörhead 23/10 Toulouse, 25/10 ClermontFerrand, 26/10 Nantes, 31/10 Lille, 21/11 Paris, Zénith Mulatu Atsake + The Cinematic Orchestra 1/9 Paris, Grande Halle de la Villette

Agnes Obel Les plus chanceux la découvraient l’an passé au Festival des Inrocks, à la Boule Noire. Depuis, le reste du monde est tombé amoureux de son album Philharmonics, et pourra se rattraper cet automne. 15/9 Lille, 16/9 Rouen, 17/9 Laval, 19/9 Toulouse, 23/9 Bordeaux, 20/10 Limoges, 21/10 Poitiers, 22/10 La Rochesur-Yon, 24/10 Brest, 25/10 Vannes, 26/10 Angers, 28/10 Marseille, 29/10 Nice, 1/11 Lyon, 2/11 Paris, Casino de Paris, 3/11 Caen Of Montreal 10/9 Paris, Parc de Bagatelle

nouvelles locations

Oh Land 15/11 Paris, Maroquinerie Other Lives 1/9 Paris, Flèche d’Or Peter Philly 13/10 Paris, Point Ephémère, 14/10 Bruxelles (Pias) Nites 1/9 Paris, Flèche d’Or, avec Other Lives, Bony King Of Nowhere Pitchfork festival 28 et 29/10 à Paris, Grande Halle de La Villette, avec Bon Iver, Aphex Twin, Stornoway, Wild Beasts, Washed Out, etc. Primal Scream 6/9 Paris, Cigale Catherine Ringer 4/10 ConflansSainte-Honorine, 8/10 Rennes, 10/10 Nancy, 11/10 Montpellier, 14/10 Rouen, 19/10 Toulouse, 22/10 Genève, 26/10 Troyes, 8/11 Paris, Olympia, 17/11 Strasbourg, 22/11 Lille Gaëtan Roussel 31/8 Châlonen-Champagne, 2/9 Dijon, 3/9 Lyon, 16/9 La Courneuve, 17/9 Saint-Nolff, 23/9 Rodez Santigold 6/9 Paris, Gaîté Lyrique Shabazz Palaces 25/9 Paris, Point Ephémère Sin Fang 9/9 Paris, Flèche d’Or The Shoes 12/11 Nancy Sound Of Rum 6/11 Paris, Cigale Omar Souleyman 14/9 Paris, Point Ephémère, 16/9 Lyon The Specials 27/9 Paris, Olympia Staff Benda Bilili 11/10 Paris, Olympia Stranded Horse 10/9 Bordeaux, 1/10 Bruxelles, 3/11 Pau,

en location

4/11 Bayonne, 6/11 Toulouse, 7/11 Valence, 8/11 ClermontFerrand, 9/11 Allonnes, 10/11 Evreux, 17/11 Martigues, 24/11 Paris, Maroquinerie, The Subways 11/10 Paris, Maroquinerie Selah Sue 2/11 Paris, Olympia, 25/11 Nancy Timber Timbre 3/11 Paris, Cigale, 4/11 Strasbourg, 5/11 Lyon, 6/11 Marseille Toddla T 7/10 Paris, Nouveau Casino The Toxic Avenger 29/9 Paris, Cigale Viva Brother 4/11 Paris, Boule Noire Washed Out 28/10 Paris, Grande Halle de la Villette, 29/10 Strasbourg The Wave Pictures 16/9 Paris, Café de la Danse We Love Green 10 et 11/9 à Paris, Parc de Bagatelle, avec Peter Doherty, Metronomy, Of Montreal, Selah Sue, Soko, etc. Wild Beasts 25/10 Tourcoing, 26/10 Nantes, 27/10 Vendôme, 28/10 Paris, Grande Halle de la Villette Steven Wilson 26/10 Paris, Bataclan Wire 11/11 Lorient Patrick Wolf 7/11 Paris, Maroquinerie Wu Lyf 2/11 Paris, Cigale Young Galaxy 28/10 Paris, Flèche d’Or Yuck 5/11 Paris, Boule Noire, 6/11 Montpellier, 9/11 Rennes, 10/11 Roubaix Zola Jesus 28/9 Paris, Point Ephémère

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jeunes et perverses Enseignant accusé d’avoir couché avec une élève, lycéennes perturbées, prof de saxo manipulatrice… Avec son teen-novel machiavélique, Eleanor Catton s’impose comme la révélation étrangère de la rentrée.

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n a 14, 15 ou 16 ans. Pas forcément le plus bel âge. On se cherche, on tâtonne avec maladresse, on façonne son personnage d’adulte, celui qui s’apprête à se produire sur la scène du réel. Là, plus de souffleur en coulisses, ni de droit à l’erreur. Il faut tenir son rôle, connaître son texte par cœur, le débiter d’un souffle. Jusqu’à la fin. L’adolescence comme répétition générale de la grande performance existentielle, telle est la métaphore que file Eleanor Catton dans son premier roman, un teen-novel délicieusement amoral, brillant et vénéneux. La jeune Néo-Zélandaise, aujourd’hui âgée de 26 ans, n’en a que 22 lorsqu’elle écrit La Répétition. Elle étudie alors l’écriture créative à l’université de Wellington. “J’ai commencé par écrire un monologue dans le cadre de mes cours,

explique-t-elle lorsqu’on la rencontre à Paris chez son éditeur. Puis j’ai ajouté des dialogues, presque dans un processus d’écriture automatique. Les différents morceaux ont fini par s’imbriquer et le livre a pris forme. Au départ, je ne savais pas du tout où j’allais. Finalement, le thème de l’adolescence s’est imposé. Les ados ont une telle conscience d’eux-mêmes, chacun d’eux est son propre public, le spectateur intransigeant de ses transformations, de son corps, de ses limites. L’adolescent a déjà tous les attributs d’un adulte, sans en assumer les responsabilités. De la même manière, la répétition d’une pièce de théâtre ressemble en tous points à la vraie performance, mais elle semble moins réelle, simplement parce qu’il n’y a pas de public.” Réel, imaginaire, fiction, Eleanor Catton brouille les cartes avec une virtuosité machiavélique. Elle échafaude une construction complexe et sophistiquée,

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en marge “je voulais aborder la sexualité sous l’angle de la domination. J’ai beaucoup pensé à Bataille” faisant alterner deux intrigues qui finissent par se confondre. Le roman s’ouvre ainsi sur l’histoire d’un scandale dans un lycée de jeunes filles. M. Saladin, le professeur de musique, est accusé d’avoir eu une relation sexuelle avec l’une de ses élèves. L’affaire sème le trouble chez les lycéennes : Isolde, la sœur de la “victime” ; Bridget, la copine complexée ; Julia, homosexuelle et affranchie… Elles se retrouvent soudain témoins “de la séduction sale et perverse du monde” et propulsées dans la sphère des adultes. “Je voulais aborder la sexualité sous l’angle de la domination, précise Eleanor Catton. J’ai beaucoup pensé à la façon dont Georges Bataille parle de l’érotisme, mais aussi à La Peur de la liberté du psychanalyste Erich Fromm.” Parallèlement à cette trame initiale, on suit un groupe d’étudiants dans une école d’art dramatique, qui décident de s’inspirer du fait divers impliquant M. Saladin pour leur pièce de fin d’année. Des apprentis comédiens sous l’influence d’Antonin Artaud. La romancière s’avoue fascinée par le concept du théâtre de la cruauté développé dans Le Théâtre et son double. Dans une scène, un élève se remémore cette phrase d’Artaud : “J’ai donc dit ‘cruauté’ comme j’aurais dit ‘vie’ ou comme j’aurais dit ‘nécessité’, parce que je veux indiquer surtout que pour moi il n’y a là rien de figé, que je l’assimile à un acte vrai, donc vivant, donc magique.” Rien de figé non plus dans La Répétition. Au fil des pages, la frontière entre les deux récits s’estompe insidieusement, la limite entre ce qui relève du réel ou de sa représentation se trouble. Tout est mouvant, labile, changeant. Comme si les personnages tentaient désespérément d’échapper au rôle qui leur est assigné. “La théorie du genre me passionne. Elle ouvre un nouveau champ des possibles et modifie en profondeur la façon dont on aborde la question de l’identité, analyse Eleanor Catton. Les différences

entre les sexes sont de plus en plus floues. J’ai voulu entretenir le même principe d’incertitude au niveau narratif.” Dans cette parodie de tragédie où la facticité et les artifices s’affichent avec aplomb, où chaque acteur ressemble à “un pantin articulé avec des attaches parisiennes à grosse tête de cuivre jaune”, un personnage tire les ficelles : la prof de saxophone. “C’était un personnage très amusant à écrire, raconte l’écrivaine. Il m’a été inspiré par une amie qui jouait du saxophone. Le saxo a quelque chose de très sexuel. D’ailleurs, on ne peut pas en jouer avant la puberté.” Chœur vicieux et prescient, la prof de saxophone hérite des meilleures répliques et manipule ses élèves comme des pions pour influer sur le cours de l’action en élaborant un jeu de rôle raffiné et sadique : “Quelquefois, pour s’amuser, la prof de saxophone essaie de s’imaginer ce que donnerait une autre distribution. Elle s’imagine la fille qui joue Bridget dans le rôle convoité d’Isolde, opère la conversion en esprit, lissant les pauvres cheveux qui ne ressemblent à rien en un rideau uni qui tombe, soyeux, à partir de la raie au milieu, appliquant du rose aux joues et imprimant à ces traits qui s’y prêtent si peu l’expression à la fois insouciante et blessée qui est devenue la marque d’Isolde.” Mais la seule à vraiment orchestrer cette fascinante mascarade, c’est Eleanor Catton, metteur en scène impitoyable qui maîtrise chaque détail avec une précision quasi maniaque. Elle jongle très habilement avec différentes temporalités, différents niveaux de langages, usant alternativement d’une novlangue adolescente et d’un registre plus châtié, presque précieux, émaillant sa prose d’images d’une incongruité poétique et dérangeante. Lectrice compulsive, admiratrice d’Iris Murdoch et de Janet Frame, la précoce Eleanor Catton a réussi à imposer sa voix et son style dès son premier roman. Avec une grâce éclatante. Elisabeth Philippe photo Marion Poussier La Répétition (Denoël), traduit de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Erika Abrams, 448 pages, 2 2 €

l’auteur Eleanor Catton naît en 1985 au Canada où son père, originaire de NouvelleZélande, achève son doctorat. La famille s’installe ensuite en Angleterre avant de repartir en Nouvelle-Zélande. Très tôt, Eleanor se met à écrire. “Je devais avoir 8 ans quand j’ai envoyé mon premier manuscrit à un éditeur.”

Elle suit un cursus d’anglais à l’université de Canterbury et un master en écriture créative à Wellington. En 2007, La Répétition reçoit de nombreux prix et se trouve sur la liste de l’Orange Prize. Eleanor Catton travaille à son deuxième roman, “quelque chose de différent, plus ‘fantasy’, qui se déroule au XIXe siècle”.

freedom ? La liberté sexuelle est-elle si admise ? Plusieurs auteurs semblent punir ceux qui jouissent ou font jouir. L’affaire DSK aura été terrible pour DSK mais, d’une façon cruelle, bénéfique pour les autres, posant enfin la question du pouvoir, du sexe et de la morale. Il faut préciser que le terme de “morale” ne doit pas être confondu avec “puritanisme”, mais renvoyer à “empathie”. Car ce serait peut-être cela, la base de la morale : l’empathie que nous éprouvons pour l’autre, qui nous empêche de le traiter comme nous n’aimerions pas l’être. La vie privée étant un domaine échappant à la loi (heureusement !), il ne relève donc que de la morale personnelle. Plus de morale, plus d’empathie, et l’on aboutit, à l’extrême, à l’American Psycho de Bret Easton Ellis. Car les écrivains sont ceux qui captent le mieux l’esprit d’un temps. Sur ce principe, que nous disent les romans qui sortent en ce moment ? Dans Freedom de Jonathan Franzen, Patty sombre dans la dépression parce qu’elle ne se permet pas de jouir de celui qu’elle désire – ce serait trahir son mari ; et la maîtresse du mari, désirante et jouissante, meurt bizarrement –, lui permettant de retrouver sa femme. Dans Le Système Victoria, la libérale – mais aussi libertaire, ce qui la rend sympathique – Victoria finit sacrifiée par l’auteur… parce qu’elle aura détourné le protagoniste de son mariage ? Quant au Rabaissement de Philip Roth (fin septembre), un vieil homme retrouve le plaisir grâce à une amante bien plus jeune… mais qui n’aime pas les hommes, ce qui le punira. Dans Les Revenants de Laura Kasischke, les garçons, parce qu’ils désirent les filles, finissent eux aussi assez mal. Des exemples révélateurs d’un inconscient collectif ? Si la liberté sexuelle semble être acquise, peut-être n’est-elle pas si bien assumée… Au point que des romanciers éprouveraient le besoin d’éliminer le sujet qui fait jouir car menaçant un ordre social, qu’on l’appelle le mariage ou la norme.

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Dimitri Bortnikov Repas de morts

Mathieu Zazzo

Allia, 192 pages, 9 €

le grand voyage Nouvelle variation sur le thème de l’exil et le sentiment d’être étranger, par l’Américain Dinaw Mengestu. Un roman mélancolique et lumineux.

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es belles choses que porte le ciel, Ce qu’on peut lire dans l’air… Des titres aériens, en légère suspension, à l’image des personnages qui peuplent l’univers romanesque de Dinaw Mengestu, des êtres que rien n’arrime vraiment à la vie, dans un état de flottement permanent. Dans son premier roman, Les belles choses que porte le ciel, l’écrivain américain, originaire d’Ethiopie et aujourd’hui installé à Paris, auscultait avec une grâce mélancolique l’exil, le sentiment d’être étranger et l’érosion du rêve américain à travers le parcours de son héros, Sepha, un jeune Ethiopien débarqué dans la banlieue de Washington. Avec Ce qu’on peut lire dans l’air, l’écrivain reprend les mêmes thèmes mais leur donne une résonance encore plus intime, en distillant des détails qui font écho à sa propre histoire : le père qui fuit Addis-Abeba dans les années 70 au moment de la révolution éthiopienne, l’installation à Peoria, une ville du Midwest. C’est à Peoria que débute le livre. Yosef et Mariam ont beau être mariés, ils sont pourtant de parfaits inconnus l’un pour l’autre. Yosef, opposant au régime éthiopien, est arrivé trois ans plus tôt aux Etats-Unis. Mariam vient de le rejoindre. A bord d’une Monte Carlo rouge, le couple décide de partir en vacances à Nashville, une lune de miel à retardement, prélude catastrophique à des années de cauchemar conjugal, de disputes violentes, de coups et de fuites avortées.

Une trentaine d’années plus tard, Jonas, leur fils et narrateur du roman, voit lui aussi son mariage sombrer, incapable de construire quoi que ce soit avec sa femme Angela, elle-même lestée d’un passé familial douloureux. Jonas, lui, a décidé de rompre totalement avec ses origines. Jusqu’à la mort de son père. Il refait alors le trajet de ses parents entre Peoria et Nashville. Peu à peu, il recrée leur histoire pour enfin se l’approprier, combler la distance entre eux et lui. Roman sensible et lumineux sur le déracinement, Ce qu’on peut lire dans l’air est aussi une méditation poétique sur le pouvoir des mots et de la fiction. La langue comme origine du monde, le verbe au commencement de tout. Jonas ne cesse d’imaginer des récits. Travailleur social dans un centre d’accueil pour immigrés, il romance les histoires des demandeurs d’asile pour augmenter leurs chances d’obtenir des papiers. Devenu professeur d’anglais dans un lycée huppé, il transforme en épopée l’histoire de son père, sa fuite d’Ethiopie, son passage par le Soudan et sa traversée de l’Atlantique enfermé dans un container. Un véritable roman dans le roman. “J’avais besoin d’une histoire plus aboutie que les fragments censurés qu’il détenait et m’avait transmis.” Une histoire à lui, même trafiquée, fantasmée, qui l’ancre enfin dans la vie. Elisabeth Philippe

Le roman outre-noir d’un écrivain russe en langue française. Suffocant. Les fantômes : y croire ou pas. Pour Dimitri Bortnikov, 43 ans, ex-étudiant en médecine, la question est tranchée. Son Repas de morts réanime bien les défunts chers au narrateur – Dim –, à une étincelle de leur donner la réplique, raviver la flamme du bûcher qui les a emportés. Qui ? Père, mère, frère, sœur, amante, aïeux. Tous de sang slave, tous rongés par une misère surpuissante que l’auteur réinvente en cauchemar littéraire : un grand monologue macabre, hanté, célinien, prenant racine dans les steppes de Russie pour finir sa chute dans un Paris crapuleux. Dans cet Inferno moderne, une euthanasiste repentie se mêle au funeste troupeau composé d’un soldat de la Grande Guerre, de suicidés, de putes et de maquereaux, sous une pluie d’animaux crevés. Le livre se contenterait d’être peu engageant s’il n’était pas doté d’une langue singulière, heurtée, alliage de jurons, d’éructations poétiques et de vraies larmes, dont le lecteur est sans cesse sommé de goûter toute l’amertume. L’auteur tient lui sans fléchir ce carnet de bal de la mort, injectant sa culpabilité de survivant au texte. Glauque et déroutant, suffocant et parfois indigeste : entre chaque, notre cœur balance, jusqu’au dernier mot de cette élégie grimaçante. E. B.

Ce qu’on peut lire dans l’air (Albin Michel), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Michèle Albaret-Maatsch, 384 pages, 22 €

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Lydie Salvayre Hymne Seuil, 240 pages, 18 €

eros machina Après la rupture amoureuse, Eric Laurrent se penche sur les premiers émois érotiques d’un jeune garçon. Une ode subtile au(x) corps féminin(s). ’amour et la fin de l’amour, et après ? des années 70. Il faudra une bonne dose Un nouveau béguin ? Un pamphlet de persévérance, et le cœur bien accroché, sur la disparition du thon rouge dans pour qu’à l’éveil succède l’envol sexuel. le Pacifique ? Après son diptyque A cet égard, les débuts amoureux du consacré au miracle/désastre amoureux garçon, entre slows mal négociés et timidité (Clara Stern, 2005) et à ses effets dans maladive, tiennent autant du côté polisson le temps (Renaissance italienne, 2008), Eric d’Antoine Doinel que des transes sexoLaurrent réalise une habile marche arrière : extatique chères au narrateur proustien. un retour aux sources de l’éros. Cela D’ailleurs, si Laurrent relate avec implique un voyage dans le passé, enfance beaucoup de facétie des séances et adolescence, à travers lequel l’auteur d’onanisme et d’envoûtement charnel va relater l’éveil puis la consolidation de grande ampleur, il n’en parle pas moins du désir pour le corps des filles. d’émotion “esthétique”, d’“expérience Lesquels exactement ? La liste du Beau”. Un épisode de matage de filles est longue, dictée par une précision à la piscine municipale se transforme ainsi du souvenir qui ne laisse pas de la rendre en ballet aquatique et abstrait, où émouvante. Premier émoi devant “les baigneuses figur(ent) d’étranges Les Sabines de Jacques-Louis David, suivi divinités, au corps à demi nu, mais dénué de près par les apparitions télévisées de tête”. Et c’est le fantasme pour la mère de Sylvie Vartan “dans ses longues robes gironde d’un camarade qui engendre à paillettes décolletées et fendues”. la rédaction d’une nouvelle érotique, Viendront ensuite Angélique, marquise et par là-même la vocation d’écrivain. des anges, une cover-girl de Penthouse, A tout moment, Laurrent flirte avec une stripteaseuse croisée dans une fête le danger d’un éros angélisé, anobli foraine et, bien plus tard, une camarade par la langue, tant celle-ci prend chez lui d’université follement punk. un tour précieux. Il faut jouer le jeu, entrer Laurrent se penche ici sur la genèse dans la phrase qui ne finit pas, creuser du désir en tant que matière brute, les matières : là où le sens se dilue au profit bordélique, avant l’intervention de tout d’une perte, défaillance de la mémoire. polissage culturel. Emergeant d’une nuit Le désir glouton aura alors achevé aveugle, le phallus de ces Découvertes son ouvrage, en érigeant un panthéon fonce tête baissée sur les modèles les plus sensualiste à la gloire du corps féminin et inattendus, des objets de fantasme soumis de ses pouvoirs magiques sur l’âge tendre. Emily Barnett photo Marion Poussier au désordre du hasard et de la censure – telle que celle-ci s’exerce encore Les Découvertes (Minuit), 176 pages, 14 € dévotement dans la France du début

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Lydie Salvayre revisite la légende de Jimi Hendrix. Beaucoup de pathos pour pas grand-chose. L’exercice d’admiration est souvent casse-gueule. Encore plus lorsqu’il prend pour objet une star du rock. Il peut vite tourner au cri du cœur tartignolle d’une groupie. Avec Rolling Stones, une biographie, François Bon évitait cet écueil. Malheureusement, Lydie Salvayre, auteur de Passage à l’ennemie, tombe dans le piège hagiographique avec son Hymne, biographie de Jimi Hendrix qu’elle déroule à partir d’un moment fondateur : le 18 août 1969, jour où Hendrix interpréta à Woodstock The Star Spangled Banner. Avec un tel fil conducteur, paroxysme de révolte rock, on s’attendait à un livre électrique et incandescent. On se retrouve avec une chanson de geste mélodramatique saturée d’anaphores poussives, qui érige le guitariste en messie, une sorte de Saint-Jimi musicien et martyr, fils d’une mère alcoolique et d’un père autoritaire, écorché vif inadapté aux lois de l’industrie musicale que Lydie Salvayre fustige avec une verve qui confine parfois à la candeur. “La légende hendrixienne (qui) se délecte du pathétique, un peu trop quelquefois, c’est l’un des travers qui guettent les légendes, et celle que j’écris est loin d’en être exempte…”, note Lydie Salvayre avec lucidité. Pourtant elle persiste et, à force d’hyperboles et de superlatifs, réduit Jimi Hendrix à une caricature d’artiste maudit. E. P. 31.08.2011 les inrockuptibles 101

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David Foenkinos

Catherine Hélie

B. Charoy

Catherine Hélie

Charles Dantzig Alexis Jenni

l’académisme à la française Si quelques perles font scintiller la rentrée littéraire, d’autres sont enfilées consciencieusement par quelques auteurs français qui sombrent dans les pièges de l’académisme. Une tendance (très) lourde. n ce début de rentrée, on aura la littérature française nous a appris qu’il Alexis Jenni : la fresque pompière. assisté au triomphe de la littérature était plus chic de souffrir avec légèreté, Un pavé + la guerre + du sérieux : étrangère sur la littérature d’être grave avec frivolité. Foenkinos sera attention, vous tenez un “chef-d’œuvre” ! française – dans la presse, parvenu à faire de cette veine élégante On le sait depuis au moins entretiens-fleuves de Jonathan Franzen un académisme : une forme tellement Les Bienveillantes de Jonathan Littell. ou David Grossman, pour une mise creuse qu’elle en a anéanti le fond. Alexis Jenni a retenu la leçon, en avant moindre des auteurs français. Charles Dantzig : le trait d’esprit. qui livre ici un premier roman, L’Art français Mais côté littérature française quand Est-ce parce qu’il signait Pourquoi lire ? de la guerre (Gallimard), marketé même, et c’est cela le pire, on voit en 2010, manifeste pour la lecture dans le même genre en plus triompher un certain académisme. Analyse (qui le contredira, franchement) ? grandiloquent. Car l’auteur semble de ce qui le constitue à travers trois cas. Charles Dantzig semble être devenu s’acharner à tomber dans tous David Foenkinos : la littérature l’incontournable grand monsieur des arts les académismes : emploi continu Bisounours. et des lettres. Il se sait intelligent du passé simple pour faire “classique” ; Foenkinos, c’est le gentil qui a vendu plus et pense que cela suffit à faire de lui phrases alambiquées pour prouver de 300 000 exemplaires de son précédent un romancier. Avec Dans un avion que c’est “écrit” : “L’immensité liquide tout livre. Comprendre : dorénavant, il aura pour Caracas (Grasset), on se retrouve obscure battait les flancs de la pharmacie forcément raison. Dans Les Souvenirs même coincé avec son cerveau le temps de nuit.” Sauf que tout ça ne camoufle pas (Gallimard), il est toujours aussi gentil. d’un vol entre Paris et l’Amérique latine, une construction simplette : alternance Il est gentil avec sa grand-mère, avec ses c’est dire. Car quand Dantzig pense, de scènes de guerre et de chapitres parents, avec les filles, avec son patron il accouche d’une foule de formules, de commentaires d’un narrateur tellement qui, lui-même, est gentil avec lui. aphorismes, réflexions qui “font mouche”. égocentrique que, lorsque sa gorge Tout le monde est gentil et malgré tout Là encore, un académisme : croire le démange (suite à “l’incursion d’un virus”), le temps passe, les gens vieillissent, qu’une succession de bons mots et autres il y voit le symptôme de tous les maux voire meurent. Bref, la vie, c’est moche… traits d’esprit suffit à faire de la littérature. de la France. Heureusement qu’il Mais parfois, c’est beau aussi. En somme, Exemple : “Si le commandant de bord se détend en peignant de la calligraphie… de l’enfilage de perles qui se croit demeure dans un silence de Dieu, Ringard ? Boursouflures et autres grave en jouant sans cesse sur la corde la chef de cabine parle aussi souvent vanités stylistiques au service sentimentaliste, badigeonné de mélasse qu’un prêtre.” Si seulement l’auteur d’un truisme : la guerre, c’est mal. Amélie Poulain. De Morand à Sagan, avait quelque chose à dire… Une fresque pompière. Nelly Kaprièlian

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la 4e dimension l’écrivain BHL Après avoir paradé à Benghazi en costume impeccable et joué les éminences grises, il publie en octobre un livre au titre grandiose : Journal d’un écrivain au temps de la guerre de Libye (Grasset). Et pas d’un philosophe ?

le mystère Parisot Pas de titre annoncé, un argumentaire énigmatique qui ne dévoile rien du sujet… Le prochain livre de Laurence Parisot demande “un certain courage” et “va surprendre”, promet Calmann-Lévy. Quel secret va révéler la présidente du Medef ? Les paris sont ouverts.

l’ami nord-coréen Curiosité. Le premier roman nord-coréen traduit en français paraît le 7 septembre (Actes Sud). Des amis, signé Baek Nam-ryong, décrit la société nord-coréenne à travers le divorce d’un couple formé d’une cantatrice et d’un ouvrier.

l’overdose Nothomb Non contente d’envahir chaque année les librairies avec ses œuvres, la romancière chapeautée parle des livres des autres. Beaucoup. Trop. Dans Le Monde où elle a désormais une chronique, mais aussi sur France Inter et au sein du jury du prix Décembre.

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Lorette Nobécourt Grâce leur soit rendue Grasset, 456 pages, 21,50 €

London’s burning Le premier roman de l’Anglais Stephen Kelman dresse le constat sans appel de la violence à travers les yeux d’un enfant. Un écho aux récentes émeutes qui ont secoué l’Angleterre.

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itrines brisées, magasins pillés, rues dévastées… Il y a quelques semaines, l’Angleterre s’embrasait. Le feu couvait depuis longtemps, entretenu par des inégalités sociales toujours plus vives. Le Pigeon anglais, premier roman du Britannique Stephen Kelman, est sorti en mars outre-Manche, mais certaines phrases semblent déjà annoncer les images de Tottenham ou de Dalston qui ont tourné en boucle sur les écrans au moment des émeutes : “La guerre était ici. La guerre pour de vrai, tu le savais, c’est tout. Y avait de la fumée partout, épaisse et noire, qui remplissait tout le ciel. On sentait le feu à des kilomètres.” Dans le livre, un terrain de jeu vient d’être incendié. Stephen Kelman, 35 ans, a exercé toutes sortes de boulots avant d’écrire. Il fut notamment travailleur social. Cette expérience lui a sans doute permis d’être plus attentif aux signes annonciateurs de la révolte. “Ces événements étaient inévitables, nous explique-t-il. Dans certains quartiers, la violence est une réalité quotidienne. Les gosses ont le sentiment qu’ils n’ont rien à perdre, aussi bien sur le plan matériel qu’en termes d’opportunités ou d’échappatoires. Il suffit d’une étincelle pour mettre le feu à leur frustration.” Le héros et narrateur du Pigeon anglais s’appelle Harrison, un garçon de 11 ans originaire du Ghana. Il vient de s’installer dans une banlieue de Londres avec sa mère et sa sœur. Le roman s’ouvre sur le meurtre d’un gamin, poignardé devant

un fast-food. Harri contemple la scène de crime : “Tu pouvais voir le sang. Il était plus foncé que tu aurais pensé. Y en avait partout par terre devant Chicken Joe’s. Ça faisait juste dingue.” Avec son copain Dean et l’aide d’un pigeon-ange gardien – idée loufoque qui n’apporte pas grandchose au livre, si ce n’est son titre –, il se met en tête de retrouver le coupable. Il joue à l’inspecteur Harri, imite les Experts avec un rouleau de ruban adhésif pour récupérer les empreintes digitales… Kelman évite miraculeusement l’écueil de la fausse candeur et de la vraie mièvrerie, piège tendu à tout roman porté par une voix d’enfant. La langue de Harri, imagée et souvent drôle, mêle argot ghanéen (“Adjei” pour “je te jure”) et sabir d’ado tout en hyperboles. Le décalage entre l’innocence de Harri et la réalité âpre, brutale, dans laquelle il évolue joue à plein et permet à Stephen Kelman d’aborder les défaillances de la société anglaise sans tomber dans le pesant roman à thèse. Son livre est au contraire une comédie grinçante et lucide. La violence est partout autour de Harri, chez les gangs qui font la loi dans le quartier, chez les flics chargés de l’expulsion d’une famille pakistanaise, dans les tours délabrées aux ascenseurs défoncés, et même au sein de sa propre famille. Ce n’est plus un dernier recours, mais une option comme une autre. Voire la seule possible. Elisabeth Philippe Le Pigeon anglais (Gallimard), traduit de l’anglais par Nicolas Richard, 336 pages, 22 €

La passion d’un couple d’écrivains chiliens exilés. Un beau roman fougueux. Au départ de Grâce leur soit rendue, neuvième livre de l’auteur, il y a le couple formé par Roberto et Unica. Tous deux se sont installés en Espagne à la fin des années 70 après avoir fui le régime de Pinochet. Tous deux sont écrivains et vont s’aimer d’un amour absolu, sauvage, dangereux, qui se soldera par le suicide d’Unica, femme surdouée et mégalo, “morte écrasée par l’ombre du monde”. Fin de l’histoire. Sauf qu’à mi-parcours le roman familial renaît pour ainsi dire de ses cendres pour suivre les pas de Kola au début des années 2000, le fils orphelin de 20 ans auquel il appartient désormais de faire seul l’apprentissage de la vie. Deux livres en un, rien de moins, plaçant d’emblée cette belle et poignante saga sous le signe de l’excès, du débordement. Nobécourt ne rigole pas avec l’amour. Elle le dépeint comme une longue corrida sanglante dont tous les protagonistes ressortent KO. Idem pour le reste : l’art, la mort, la folie, la filiation, ressassés sous une forme profonde, habitée, non exempte par endroits – on ne fait pas de mayonnaise sans casser des œufs – de grandiloquence. Comme une tragédienne trop maquillée, le roman avance pourtant d’un pas sûr, infiniment troublant pour le lecteur qui se laisse volontiers emporter par cette histoire de la folie à l’âge moderne. Emily Barnett 31.08.2011 les inrockuptibles 103

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de la parution de Freedom, mercredi 31 Aonl’occasion succombe à la Franzenmania avec la sortie en poche du premier roman de Jonathan Franzen, La Vingt-Septième Ville (Points, 670 p., 8,50 €), fiction autour d’une jeune femme originaire de l’Inde nommée à la tête de la police de Saint-Louis. Paraît également en poche Le Cerveau de mon père (Points, 96 p., 5 €), texte dans lequel Franzen décrit son impuissance face à la maladie de son père.

à venir

jeudi 1er

On ouvre le roman familial d’Arnaud Cathrine. L’auteur du Journal intime de Benjamin Lorca évoque son grand-père, Jean, dit Malcolm. Un livre sonore composé d’interviews de ses proches, avec la complicité musicale de Jeanne Cherhal et Florent Marchet.

la littérature arménienne à l’honneur Greg Martin

A voix nue > France Culture > 20 h

Jonathan Franzen

vendredi 2

On fête la rentrée littéraire dans la bibliothèque éphémère de la Bellevilloise. L’occasion de rencontrer une dizaine d’auteurs, dont François Beaune, Céline Minard et Adam Levin. A 19 h à la Bellevilloise, 19-21, rue Boyer, Paris XXe www.labellevilloise.com

samedi 3

On relit une page d’histoire avec le nouveau numéro de la revue Granta, consacré au 11 Septembre : un recueil de textes, dont un signé Nicole Krauss, qui mènent des champs de bataille de l’Afghanistan aux rues de Tunis.

Mathieu Sapin Journal d’un journal (Delcourt)

Granta n° 116, “Ten Years Later”, 12,99 £, www.granta.com

Que se passe-t-il dans les coulisses d’un grand quotidien ? Comment travaille-t-on à Libération ? Envoyé très spécial au sein du journal pendant quelques mois, l’auteur de BD Mathieu Sapin s’est immiscé dans les conférences de rédaction, a observé le travail des journalistes sur le terrain et a vécu de l’intérieur et en direct le changement de direction et l’arrivée de Nicolas Demorand. Il raconte tout cela avec sa plume à la fois candide et incisive dans Journal d’un journal. Sortie le 21 septembre

dimanche 4

On part pour la Côte d’Opale sur les traces de Charles Dickens. Une expo inédite est consacrée à l’auteur des Grandes Espérances au château d’Hardelot, qui rassemble des objets ayant appartenu à l’écrivain victorien mais aussi ses manuscrits. Jusqu’au 23 octobre, www.chateau-hardelot.fr

retombe en adolescence avec Marie lundi 5 On Darrieussecq, invitée de l’émission d’Alain Veinstein pour Clèves, plongée dans le cœur et le corps d’une jeune fille. Une chronique de la jeunesse des années 80 qui ausculte la puberté et la sexualité balbutiante.

François Bon Après le livre (Seuil)

Du jour au lendemain > France Culture > minuit

On (re)découvre le premier roman, écrit en 1926, d’Irène Némirovsky, Le Malentendu (Folio, 192 p., 5,10 €), qui paraît en poche. Le thème de la désillusion, qui nourrira l’œuvre de Némirovsky, est déjà présent dans ce livre désenchanté, histoire d’un adultère dans l’entre-deux-guerres.

En octobre, le Centre national du livre organise une grande semaine consacrée à la culture arménienne. Des écrivains arméniens, d’Arménie et des cinq continents seront invités à rencontrer le public français le temps de manifestations, colloques, projections de films, expos et concerts. L’écrit étant au cœur de la culture arménienne, cette manifestation devrait permettre de faire découvrir une littérature encore trop méconnue. “Arménie-Arménies – Terre, diaspora et littératures”, du 17 au 21 octobre à Marseille, Avignon, Valence, Lyon et Paris

Hélène Bamberger

mardi 6

Marie Darrieussecq

Autour des mutations de l’écrit, le passage de l’imprimé (le livre) au dématérialisé (le livre numérique), François Bon analyse la façon dont l’écriture peut être affectée par internet et le virtuel, notamment à travers sa pratique d’écrivain. Il développe son propos en explorant trois axes : autobiographique, anthropologique, technique. Sortie le 22 septembre

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Joann Sfar Les Lumières de la France – La Comtesse Eponyme Dargaud, 56 pages, 13,95 €

de l’autre côté du miroir Un roman graphique militant porté par le trait sublime de Chantal Montellier.

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ntre peinture, bande dessinée et dessin de presse, Chantal Montellier développe depuis près de quarante ans une esthétique d’éclatement des carcans, de subversion des codes de l’orthodoxie graphique. Et, entre féminisme et engagement politique à gauche, elle a toujours été mue, en agent démasqué, par la parole redonnée aux gens de peu et par la plus extrême défiance vis-à-vis de la norme. Elle a parfois payé le prix fort de ses engagements contre l’internement psychiatrique ou la parole officielle (la saga de Florence Rey dans Les Damnés de Nanterre). L’Inscription, c’est un peu tout cela : un roman graphique entre hyperréalisme, onirisme et fantasmes référencés (la dessinatrice a depuis belle lurette offert une synthèse émérite de la religion, et du sexe en souffrance que cela implique). Ainsi de Caroline Montbrasier, héroïne qui pète le feu à sauver des chats ou à réciter des vers, mais peine aux entournures à s’inscrire dans le réel. S’ensuit un récit où la jeune

femme, “joliment roulée la poulette”, s’invite dans un pays des merveilles entrechoquant les Indiens d’Amérique spoliés, l’amour au téléphone, Sade, la justice de classes et la justice sans classe. Le texte (des listes de “chèvres de qualité”, d’Artaud à Barthes) prend parfois le pas sur le dessin, jamais sur l’envie de dépeindre une société de désirs illusoires. Quelques planches règlent leur compte à Manara et revisitent les tristes bacchanales de l’Histoire d’O de Guido Crepax, l’une des influences avérées de la dessinatrice. Mais que l’on se rassure : L’Inscription s’achève sur une note optimiste. Car qui peut interrompre le vol d’une femme “en pleine après-midi dorée” de la liberté ? On nous prie de citer ici Lewis Carroll et Kafka. Mentionnons avant tout Chantal Montellier, qui atteint avec L’Inscription une absolue perfection du trait, en troublante artiste militante de l’humain, toujours en guerre contre les totalitarismes et autres génocides culturels. Christian Larrède

Paillarde et drôle, la dernière livraison de maître Sfar. Souvent imité, rarement égalé : Joann Sfar a fait école et de nombreux jeunes dessinateurs sont partis sur ses traces, reproduisant plus ou moins bien son style vif et malicieux. Pourtant, à chaque nouvelle parution d’un album (un fait fréquent), il est impossible de ne pas reconnaître combien son souffle et le dynamisme de son trait restent incomparables. C’est encore le cas dans ces Lumières de la France, même si parfois l’impétuosité de l’exécution prend le pas sur le souci du détail. C’est que les idées se bousculent dans la tête de l’auteur. Commençant incessamment de nouvelles séries, il a toujours une histoire à raconter qui lui permettra de partager ses réflexions facétieusement philosophiques. Dans Les Lumières de la France, il muse avec paillardise sur les contradictions et l’hypocrisie des intellectuels du XVIIIe siècle, en mettant en scène une comtesse éclairée et sexuellement bouillonnante et son mari, philosophe remettant en cause l’esclavage dont il tire pourtant sa fortune. Un Sfar léger et très cru. Anne-Claire Norot

L’Inscription (Actes Sud BD), 128 pages, 23 € 31.08.2011 les inrockuptibles 105

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première Médée opéra de Luigi Cherubini, mise en scène Krzysztof Warlikowski, direction musicale Christophe Rousset Reprise de la première mise en scène d’opéra de Krzysztof Warlikowski à la Monnaie de Bruxelles. Une transposition du drame de Médée à notre époque, qui connut à sa création en 2008 un vif succès. du 6 au 22 septembre à La Monnaie, Bruxelles, tél. +32 (0) 70 233 939, www.lamonnaie.be

réservez L’Eté sans fin de la Halle aux grains Une rentrée festive et conviviale pour La Halle aux Grains le temps d’un week-end dévolu au cirque (La Serre de Didier André et Jean-Paul Lefeuvre), aux marionnettes rock (High Dolls de l’Opéra Pagaï), à la magie (Réalité non ordinaire de Scorpène et Serge Dupuy) et au théâtre (Est ou Ouest, procès d’intention de et par Philippe Fenwick). les 17 et 18 septembre à Blois, tél. 02 54 90 44 00, www.halleauxgrains.com

mouvement perpétuel La légendaire chorégraphe minimaliste Lucinda Childs a embrasé la soirée d’ouverture du festival Tanz im August à Berlin avec une reprise de son chef-d’œuvre Dance.

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i-août, tandis que Berlin commémore le cinquantième anniversaire de l’édification de ce mur tristement célèbre qui, près de trente ans durant, scinda la ville en deux, le Tanz Im August démarre – et de quelle splendide manière ! Le coup d’envoi de cette 23e édition fut donné par la Lucinda Childs Dance Company avec Dance, l’une de ses pièces maîtresses. Après avoir suivi un cursus théâtral, Lucinda Childs,

née à New York en 1940, s’oriente vers la danse moderne, fréquentant notamment l’école de Merce Cunningham, et se lance au début des années 60 dans l’aventure capitale du Judson Dance Theater. Puis elle fonde sa propre compagnie en 1973 et engage sa recherche chorégraphique dans la voie d’un minimalisme radical. Ainsi va-t-elle s’affirmer comme l’une des figures majeures de ce courant minimaliste si régénérateur, qui est apparu aux yeux du grand public en 1976 avec Einstein

on the Beach, opéra du troisième type mis en scène par Bob Wilson sur une partition de Philip Glass et un livret comprenant, entre autres éléments disparates, des textes de Lucinda Childs (laquelle signe et interprète également plusieurs solos). Désireux de donner une suite à cette proposition esthétique hors norme, Lucinda Childs et Philip Glass vont concevoir – en parfaite synergie avec l’artiste conceptuel Sol LeWitt – une pièce baptisée tout simplement Dance,

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les corps pour le dire Outre celui de Lucinda Childs, les deux spectacles au minimalisme poétique de Begüm Erciyas et Perrine Valli ont eux aussi fait rayonner le festival berlinois.

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de magnifique au pur plaisir du mouvement, le Dance de Lucinda Childs possède une ampleur presque vertigineuse et procure l’un de ces chocs esthétiques qui restent gravés à vie dans la mémoire. Sans atteindre cette altitude-là, plusieurs des autres spectacles vus lors de la première semaine du Tanz im August ont, à des degrés divers, retenu l’attention en révélant des formes d’expression singulières. Interprétés par deux ou trois danseurs, dans des décors composés de peu d’éléments (lumière et son en constituant, la plupart du temps, les deux principaux), ces spectacles ont pour dénominateur commun une grande économie de moyens : ils ne cherchent pas à épater la galerie, mais plutôt à susciter la rêverie – et à alimenter la pensée. L’imagination et l’intelligence du spectateur sont ainsi fort joliment sollicitées par Match, drôle de joute scénique orchestrée par la chorégraphe turque Begüm Erciyas, durant laquelle chacun des trois danseurs s’attache, à l’aide de son seul corps, à figurer des choses, des lieux ou des concepts. “I am a tree” (“Je suis un arbre”), lance le premier, en tâchant, des bras et des jambes, de nous en convaincre. Les deux autres prennent le relais, et cet étonnant manège à trois tourne ainsi une heure durant. Tout en invention discrète et en ironie douce, Match porte en filigrane une interrogation pénétrante sur le langage, corporel et verbal, avec lequel les êtres humains essaient d’appréhender le monde.

créée en 1979 et promise à une (très) longue descendance. Divisée en trois parties (la partie centrale étant exécutée en solo par Lucinda Childs), la pièce joue sur plusieurs niveaux de perception, via un savant dispositif scénique superposant les magnétiques images noir et blanc de LeWitt (qui, projetées sur un écran translucide, montrent les danseurs sous divers angles), les corps en mouvement sur le plateau et les lancinantes spirales musicales de Glass,

qui semblent pouvoir se dérouler à l’infini. Agencé avec une précision presque millimétrique, l’ensemble propose au spectateur de vivre une expérience totale, d’une intensité peu commune. En 2009, trente ans après la création, Lucinda Childs a décidé de recréer Dance avec la nouvelle génération de danseurs de sa compagnie. C’est cette version, absolument bouleversante, que l’on a pu voir pendant le week-end d’ouverture du Tanz im August. La beauté et la modernité intrinsèques de la pièce sont encore amplifiées par l’écart mélancolique qui se creuse entre les images (restaurées et irradiantes comme au premier soir) des danseurs d’hier, qui flottent sur l’écran, et les corps et visages des danseurs d’aujourd’hui, qui virevoltent sur la scène. Sous des rafales d’applaudissements, Lucinda Childs est venue saluer le public avec ses interprètes, ajoutant une ultime touche de grâce à une soirée inoubliable.

Match chorégraphie Begüm Erciyas ; Déproduction et Je pense comme une fille enlève sa robe chorégraphie Perrine Valli

Je pense comme une fille enlève sa robe de Perrine Valli

Jérôme Provençal Dance chorégraphie Lucinda Childs, au festival Tanz im August, compte rendu, www.tanzimaugust.de

Dorothée Thébert

Sally Cohn

une expérience totale, d’une intensité peu commune

Jeune chorégraphe francosuisse en pleine ascension, Perrine Valli a, de son côté, fait forte impression en présentant deux spectacles – Déproduction et Je pense comme une fille enlève sa robe – incisifs. Situé au confluent de la danse, du théâtre et de la performance, Déproduction résulte d’une résidence de recherche à Tokyo et procède d’un stimulant désir de translation. En faisant se succéder sur scène deux danseurs japonais (Airi Suzuki et Kazuma Motomura) livrant en mots et en gestes leurs impressions, à la fois sur le spectacle en train de se faire et sur leur pratique artistique, Déproduction génère un va-et-vient constant entre des expériences, des cultures et des temporalités différentes, et amène très subtilement le spectateur à réfléchir sur les conditions de création de la danse contemporaine. Empruntant son titre à une phrase lumineuse de Georges Bataille, Je pense comme une fille enlève sa robe fait du corps féminin sa raison première. A partir d’un questionnement sur la prostitution, Perrine Valli compose (et interprète, avec Jennifer Bonn) un spectacle splendide dont la sophistication – les lumières et la bande sonore sont particulièrement chiadées – n’a d’égale que la puissance de suggestion. On en ressort des étoiles dans les yeux, et des brûlures dans le cœur. J. P.

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On le connaissait surtout pour ses objets-prothèses et ses autoportraits en situation (délicate). Philippe Ramette prend la tangente au Crac de Sète.

livres de rentrée guestbook Théoricien(e)s et artistes se retrouvent dans ce numéro 8 de la revue Tina pour penser et créer autour de la question du genre dans l’art et la littérature. Avec les textes de Louis(e) Debrus(ses), Elisabeth Lebovici et Amelia Jones. Tina n° 8, “Gender Surprise” (Editions Ere), 224 p., 15 €, www.editions-ere.net

(back) flipbook Raphaël Zarka confronte l’imaginaire du skate-board et celui de l’art. Une vision personnelle d’un art populaire qu’il relie au minimalisme, aux mécaniques galiléennes et à la phénoménologie. Free Ride de Raphaël Zarka (B42), 128 p., 19 €, www.bldd.fr

failbook Jim Shaw rassemble les œuvres qu’il a réalisées autour du personnage de Billy, figure du loser absolu. Objets trouvés, peintures, photos et films reprennent l’imagerie populaire pour transformer l’american dream en une sorte de cauchemar grotesque, psychédélique et drôle. My Mirage de Jim Shaw (JRP/Ringier), 216 p., 40 €, www.lespressesdureel.com

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a bonne nouvelle de cette exposition au Crac de Sète, c’est que Philippe Ramette ne fait pas du Ramette. Ou du moins pas exclusivement. Prenez ses autoportraits par exemple : alors qu’ils consistaient jusque-là en une série de mises en demeure périlleuses dans des situations pour le moins incongrues (lui, dans son insubmersible costume noir, au fond des mers ou à califourchon sur une corniche), ils prennent ici une tournure autrement plus troublante et enregistrent la lente disparition de la figure de l’artiste. A l’image de ce buste en cire, portrait tragi-comique d’un Ramette au regard fuyant par tous les trous, qui tire davantage sur le masque. A l’image encore de cette sculpture en pied, toujours à son effigie, mais où il apparaît pointant du doigt un objet invisible, les yeux masqués sous sa main droite. A l’étage, où il présente L’Ombre de moi-même, il ne reste plus que sa silhouette et ses vêtements épars disposés au sol qui jouent avec les ombres portées d’un spot lumineux. En s’écartant du devant de la scène, Philippe Ramette laisse le champ, au propre comme au figuré, à un autre rapport à l’art et à l’espace. Aux spectateurs aussi qui, niés par ses portraits “aveugles” et donc privés de toute interaction (ne serait-ce que symbolique) avec l’artiste, sont invités à investir plus directement les œuvres qu’il a laissées sur leur chemin. Conçue en collaboration avec le jeune artiste suisse Denis Savary (à qui l’on doit sans

doute en partie ce léger déplacement de la démarche de Philippe Ramette), l’exposition se déploie dans le temps et dans l’espace comme un road-movie à l’échelle du centre d’art. La bande-son grinçante et poussive, reprise d’une ancienne vidéo de Savary, diffuse les soubresauts d’un orgue accordé en direct. Elle dure quatre-vingts minutes exactement et offre ainsi une temporalité au parcours des visiteurs. Ensemble, ils ont également imaginé une série d’entonnoirs à confidences dont les extrémités surgissent au hasard des salles. Ces “traits d’union” suggèrent l’idée d’un échange aléatoire et intime entre les spectateurs. Mais c’est surtout dans les deux premières salles que Ramette bouscule le plus franchement son travail. En s’attaquant notamment aux proportions excessives de cet ancien centre de congélation, Ramette imagine une œuvre à la fois monumentale et d’une grande discrétion : un circuit pour “funambules hésitants” selon ses termes, qui serpente et prend de la hauteur. La deuxième proposition, tout aussi dénudée, a consisté à reconfigurer un petit espace sans qualité en dilatant ses cloisons et en bombant son plancher. On y perd son latin comme dans La Maison des feuilles de Mark Z. Danielewski qui poussait de l’intérieur sans jamais modifier sa surface externe. Claire Moulène Exposition monographique Philippe Ramette & interventions de Denis Savary jusqu’au 2 octobre au Crac de Sète, 26, quai AspirantHerber, Sète, www.crac.languedocroussillon.fr

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Photo Todd-White Art Photography, Courtesy White

Philippe Ramette, La Silhouette, 2011, production Crac LR, photo Marc Domage

charivari

encadré

24 heures chrono Réglez vos montres : Beaubourg propose ce week-end une diffusion exceptionnelle du film The Clock de Christian Marclay. n en a rêvé, et voilà que le Centre Pompidou exauce nos vœux : le film The Clock de Christian Marclay (2010), qui a reçu pour l’occasion le Lion d’or de la Biennale de Venise, sera diffusé 24 heures sur 24 dans la galerie Sud du samedi 3 au lundi 5 septembre. Mais on vous prévient tout de suite : jamais on n’aura autant regardé l’heure au cinéma. Non pas que ce film virtuose soit ennuyeux à périr, c’est même le contraire : grand moment de la Biennale de Venise, voilà un hommage total au septième art et surtout une étourdissante expérience de cinéma. Pour ceux, forcément nombreux, qui auraient manqué l’épisode, The Clock est un film de 24 heures consacré à la question du temps. Le tout prend la forme d’un vaste montage, à partir d’une quantité innombrable d’extraits de films où l’heure s’affiche à l’écran. 15 h 29 : Catherine Deneuve monte dans un train, 15 h 30 : Cary Grant regarde sa montre, 15 h 31 : un plan fixe sur une horloge, extrait d’un film quelconque, 15 h 31 et 30 secondes : un autre plan sur une autre horloge, 15 h 32 : un acteur de série B arrive avec deux minutes de retard à son rendez-vous, et ainsi de suite. Mais le clou hypnotique du spectacle, c’est que le film se déroule en temps direct, c’est-à-dire qu’il est vraiment 15 h 29, 15 h 30, 15 h 32 à votre montre. Parfois, le tempo ralentit, lorsque Marclay profite des interminables duels des westerns-spaghettis pour monter une séquence assez longue. Mais généralement ça va très vite, les plans s’enchaînent, les minutes filent, le rythme est haletant, le temps oppressant, et nos vies ressemblent alors à une course effrénée contre la montre, à bout de souffle. On vous recommande expressément de ne pas rater les douze coups de minuit – à minuit donc. Jean-Max Colard

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Photo Todd-White Art Photography, Courtesy White Cube, London and Paula Cooper Gallery, New York

The Clock de Christian Marclay, diffusion jour et nuit du samedi 3 au lundi 5 septembre, à partir de 11 h. Entrée par la piazza de 11 h à 21 h et par la rue Saint-Merri aux heures de fermeture. Accès libre, www.centrepompidou.fr

courte échelle Venet à Versailles : un non-événement ? Départ en grande pompe pour Venet à Versailles : devant le royal château, deux immenses parenthèses d’acier entourent et magnifient la statue équestre de Louis XIV. L’artiste préfère parler d’encadrement : mais rappelonsnous, souvenir d’études littéraires, qu’une parenthèse marque une rupture dans la phrase, dérègle l’ordre syntaxique. Et dans ses Regrets (1558), le poète Du Bellay l’utilise pour mettre en valeur le nom de son destinataire (Ronsard, ou le roi Henri II, par exemple). Pour mieux l’isoler, l’encadrer justement, à la manière d’un cartouche dans les hiéroglyphes égyptiens. C’est ce rôle à la fois emphatique et disruptif que jouent les deux immenses sculptures posées dès l’entrée. Mais une fois passée cette entrée majestueuse, le dialogue tombe à plat. Marcel Duchamp l’avait prédit en son temps d’un jeu de mots amusé : “La vente de vent est l’event de Venet.” Et de fait, cette exposition est un non-événement. D’autant plus décevant quand on songe à la politique-spectacle du Roi-Soleil et au côté blockbuster des expos de Koons (oublions Murakami) ou de Xavier Veilhan, lui qui avait su faire glisser les perspectives, introduire à Versailles du futur et de la vitesse. Car à trop vouloir respecter l’échelle du lieu, à simplement ponctuer le site d’un gribouillis de sculptures ou d’un amas de lignes effondrées dans les bassins, Bernar Venet ne fait ni rupture ni dépassement, et ses pièces sont avalées dans la grandeur du décor. On ne retrouve pas la radicalité conceptuelle du Venet des années 60 et 70, ni la violence des peintures au goudron ou des cartons-reliefs, ni l’aléatoire des premières lignes indéterminées (mais on retrouve, entre parenthèses, l’élégant décorateur de places publiques qu’il est devenu depuis, avec succès : comme ça ne gêne pas, ça plaît).

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Eric sans Ramzy, mais avec Clotilde Courau

looking for Eric Avec Platane, Eric Judor tire la fiction française vers l’humour déflationniste à l’américaine, sur les traces de Seinfeld ou Curb Your Enthusiasm. Une série gonflée et exaltante.

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evenant un soir d’un cocktail promo trop arrosé, Eric Judor se prend un platane en pleine poire. Direction H le vrai, pour un an de coma. Pendant cette longue indisponibilité, son compère Ramzy triomphe dans H la série. Le duo est donc bel et bien séparé. Sonné, dégoûté, handicapé aussi, Eric se reprend peu à peu, revient dans le métier. Mais à Canal, on ne le reconnaît même plus, d’autant qu’il débarque dans le hall en chaise roulante, si bien que sa tête peine à dépasser la hauteur du comptoir d’accueil. Autre problème, à l’hosto, Eric a volé le fauteuil roulant du fils de Luc Besson, autant dire qu’il est grillé aussi auprès du pape du cinéma commercial français. Du coup, Eric a une révélation : il sera désormais cinéaste-auteur. Et se lance avec enthousiasme dans un nouveau projet : une version black de la vie d’Edith

Piaf intitulée La Môme 2.0 next generation. A la lecture de ce long pitch, on aura une petite idée de la nouvelle série d’Eric Judor, coécrite avec François Reczulski et Hafid F. Benamar, où le comédien occupe quasiment tous les postes : scénariste, réalisateur, premier rôle et... personnage principal. Une métasérie, dans la lignée des pionniers américains du genre que furent Garry Shandling et Seinfeld, où Eric Judor joue Eric Judor et chronique sa vie de comédien à succès, de patron d’une unité de production audiovisuelle, de fournisseur de contenu pour une célèbre chaîne cryptée. Tout le métier est passé en revue : les conflits d’ego, la concurrence, la difficulté à faire passer un projet auprès d’une chaîne, les producteurs filous, les problèmes personnels... Mais Platane n’est évidemment pas un documentaire, même si le personnage campé par Eric Judor

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au poste

pris la main dans le bidon Le web contre le bidonnage de l’info.

Tibo & Anouchka/4 Mecs en Baskets/Canal+

Eric excelle à jouer un mélange de soi-même et de son double clownesque

s’appelle Eric Judor, et si tous les guests jouent leur propre rôle, de Mathieu Amalric à Clotilde Courau, de Pierre Richard (sans doute une des grandes influences d’Eric) à Monica Bellucci, de Guillaume Canet à Vincent Cassel… Si on plonge en apnée dans la vie intime et professionnelle d’Eric Judor, c’est une vie de fiction, totalement réécrite, parsemée de gags en tous genres, passée au filtre de la loufoquerie, du burlesque, du non-sens à l’anglaise, de la vanne de cité à la note humoristique déflationniste. Dans le meilleur du mauvais esprit à la Desproges, tout le monde passe à la moulinette de l’humour judorien : les producteurs, les responsables de programmes, les actrices qui s’adorent, les handicapés, les Noirs (toutes les cultures black passent sur le gril), les journalistes, les rappeurs... Pourtant, le regard de Judor n’est jamais méchant, mais plutôt tendre, libérateur, retournant tous les tics ou préjugés socioculturels sur le mode du qui aime bien vanne bien. D’ailleurs, on en profite pour signaler la totale mixité ethnique et sociale de la série, reflet de la France qui va de soi mais aussi d’un milieu cinétélé en avance sur bien d’autres. Si tout le monde se fait bâcher, Eric a la politesse de se réserver les flèches humoristiques les plus acérées et

nombreuses, ne se ménageant pas en producteur-auteur-comédien naïf, voire vaguement abruti (le platane !), mais surtout enfantin. Ce n’est sans doute pas facile de jouer un mélange de soi-même et de double clownesque, mais Eric excelle dans cet exercice, capable de déclencher le rire d’un simple changement de regard, dégageant à la fois cette part d’enfance intacte et une intelligence de soi-même et de son image assez impressionnante. Un mot de la réalisation, plutôt vive, façon caméra de reportage embedded collant bien au sujet et à l’esprit de la série, qui évite aussi bien le statisme des sitcoms que l’esthétique m’as-tu-vu de certaines séries qui veulent absolument “faire cinéma”. On s’était toujours demandé ce qu’auraient fait Laurel sans Hardy, Roux sans Combaluzier. On a vu que Jagger sans Richards et vice versa, ça ne fonctionnait pas, contrairement à Lennon et McCartney séparés. On sait maintenant qu’Eric sans Ramzy, ça marche remarquablement même si on continue d’adorer le duo. Platane c’est du platine, Judor c’est de l’or, et après Cantona, voilà le deuxième Eric superstar. Just call him Eric, monsieur Eric. Serge Kaganski Platane, sur Canal+, tous les lundis à partir du 5 septembre, à 2 0 h 50

Martine Aubry était interrogée récemment sur BFMTV 2012, rendez-vous politique d’Olivier Mazerolle, par des citoyens. Un jeune homme, simplement présenté comme “Jérémy”, l’a notamment questionnée sur l’emploi des jeunes. Rapidement reconnu par un membre de Twitter comme l’attaché parlementaire de l’UDF André Santini, son identité a fait le tour du net à la vitesse de l’éclair, donnant lieu à de nombreuses réflexions sur le fait que Jérémy n’étant pas si anonyme, la chaîne aurait dû mentionner son identité complète. Fin juin, c’était TF1 qui se faisait épingler pour avoir diffusé, dans un reportage sur le contrat de responsabilité parentale, une interview d’une soi-disant mère de famille, en réalité attachée de presse du conseil général des Alpes-Maritimes, sans enfant. Révélée sur le site d’un élu communiste, puis par France Info, l’information s’est diffusée rapidement sur les réseaux sociaux et dans les médias, ce qui a abouti à une mise en demeure de TF1 par le CSA. Il n’y a probablement pas de recrudescence de ce genre d’histoires. Simplement, avant internet, elles passaient inaperçues. Les petits coups en douce n’étaient pas démasqués, les pots aux roses n’étaient pas découverts ou en tout cas pas diffusés aussi largement. Accusé de propager rumeurs et désinformation, le web prouve qu’il a au contraire un rôle à jouer dans la moralisation de l’information. Plus question de bidonner un reportage, de faire parler de faux témoins, d’affirmer des contrevérités, d’omettre des détails importants : circulant, reprises, les news finissent toujours par être vues par quelqu’un connaissant la vérité et la révélant, vérité à son tour diffusée par les mêmes moyens. Pas vu pas pris, c’est fini.

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2011 Premières Lignes

beaucoup de monde savait ce qui se préparait, mais peut-être cela servait-il certains intérêts

2001, l’odyssée de l’angoisse Retour tous azimuts à la télé sur les événements du 11 Septembre et en particulier sur leurs prémices lointaines, de l’Egypte à l’Afghanistan.



ragique dixième anniversaire des attaques terroristes qui ont détruit le World Trade Center en septembre 2001. Plusieurs programmes sont consacrés à l’événement, constitués d’une flopée d’interviews et de documents, qui concordent tous plus ou moins et peuvent être résumés par l’image du président George W. Bush continuant à écouter sagement le topo

le 11/9 à la télé Les Routes de la terreur (1 et 2) documentaire de Fabrizio Calvi et Jean-Christophe Klotz, mercredis 31 août et 7 septembre, 20 h 40, Arte In Memoriam documentaire de Marie-Pierre Jaury et Grégoire Bénabent, lundi 5 septembre, 22 h 30, P ublic Sén at Qu’avez-vous fait du 11 Septembre ? documentaire de Paul Moreira et Gilles Bovon, mercredi 31 août, 20 h 40, Planète Histoire immédiate : 11 Septembre, au sommet de l’Etat américain, documentaire de Leslie Woodhead, mercredi 7 septembre, 2 0 h 35, France 3

d’une institutrice de maternelle en Floride après avoir été informé du crash d’un deuxième avion sur les tours jumelles. Un parfait reflet de l’attitude de l’Amérique avant les attentats : on savait que quelque chose se tramait, mais on n’a rien fait pour l’empêcher. Parmi les documentaires programmés, le plus intéressant, Les Routes de la terreur de Fabrizio Calvi et Jean-Christophe Klotz, en deux parties, ne se contente pas de reprendre le fil des événements du 11 septembre 2001, mais il explore aussi les racines de la haine qui a poussé une nébuleuse islamiste à préparer des attentats contre l’Amérique. Grosso modo, tout a commencé en 1979, année de la révolution iranienne – coup de force qui a propulsé l’islamisme radical sur la scène mondiale – et de l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS, qui a provoqué un indéfectible soutien des Etats-Unis à la rébellion islamique (les moudjahidin)

luttant contre les Soviétiques. Aveuglés par leur paranoïa anticommuniste, les Etats-Unis ne semblent pas avoir réalisé qu’ils contribuaient à armer, voire à former leurs futurs ennemis. Mais c’est ailleurs qu’il faut aller chercher la véritable origine de la montée en puissance du terrorisme islamiste : en Egypte. C’est à cause du traité de paix israélo-égyptien, ratifié cette même année 1979, que certains musulmans égyptiens se sont radicalisés, parmi lesquels Ayman Al-Zawahiri, véritable maître à penser d’Oussama Ben-Laden et actuel chef du réseau Al-Qaeda (dont le terreau fut la guerre d’Afghanistan). A la suite de quoi, cette mouvance islamiste prospérera aux Etats-Unis, notamment grâce à un autre Egyptien, Ali Mohamed, également mentor de Ben Laden et théoricien de “l’encyclopédie du jihad” (dixit Jack Cloonan du FBI), qui

deviendra sergent dans l’armée américaine, tout en fomentant en parallèle des actions terroristes. Comme le dit clairement le deuxième volet des Routes de la terreur, la CIA était parfaitement au courant des activités de ces islamistes, plus ou moins infiltrés, qui avaient déjà commis plusieurs attentats avant 2001, dont une première tentative de destruction du World Trade Center en 1993 qui fit six morts. Mais d’une part la CIA n’était pas écoutée (dit-elle) par la Maison Blanche, d’autre part elle se refusait à communiquer ces informations au FBI. Bref, une étrange pagaille ressemblant à un écran de fumée autour de cet événement, qui permet de conclure que si les théories du complot autour du 11 Septembre sont un peu poussées, il y a peut-être eu complot par omission. Beaucoup de monde savait ce qui se préparait, mais peut-être cela servait-il certains intérêts, et permettait de justifier, de manière très tortueuse, une intervention militaire contre l’Irak qui était programmée depuis longtemps. C’est ce que l’on déduit de l’excellent travail d’investigation de Calvi et Klotz. Pour ce qui est de la mythologie, du martyrologe du 11 Septembre, on se reportera à In Memoriam, tourné à Ground Zero, devenu un haut lieu de pèlerinage laïc. Quant au film complet de cette terrible journée de 2001, on le verra le 7 septembre sur France 3, qui en propose un bon digest dans Histoire immédiate. Vincent Ostria

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du 8 septembre au 8 octobre au Théâtre du Rond-Point (Paris VIIIe)

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Sophie Perez et Xavier Boussiron, scénographes, alchimistes fous, poètes dangereux, mettent en scène des univers lascifs. Avec six performeurs, ils posent la question de l’essence de l’acte artistique comme on pose une bombe dans un lieu public. A gagner : 10 invitations pour 2 personnes les 15 et 16 septembre

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“j’ai joué Ari dans le style commedia dell’arte” Jeremy Piven, star d’Entourage, évoque la fin de la série et de son personnage culte. Avant la suite au cinéma ?

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cône pop des années 2000, machine à vannes méchantes, l’agent Ari Gold est le personnage emblématique d’Entourage, série sur Hollywood qui vit ses dernières semaines sur HBO, après huit saisons. Son interprète Jeremy Piven a 46 ans. Son talent : une manière de jouer la caricature sans perdre le fil du réalisme. Bilan de fin de parcours avec l’intéressé, aussi agité et frontal que son double, en direct d’un grand hôtel de Beverly Hills. Aimez-vous cette dernière saison d’Entourage ? Jeremy Piven – Pour mon personnage, c’est la plus intéressante. Son humanité est révélée, que vous le vouliez ou non ! Il est perdu, plus pantin que jamais, car sa femme le quitte. Je me suis toujours dit que Ari avait beau faire des choses impossibles, son amour inconditionnel pour sa femme déterminait son équilibre moral. Il regarde les filles comme s’il voulait les dévorer, pourtant il rentre à la maison. Il est comme le Capitan dans la commedia dell’arte : il brasse de l’air, mais c’est un lâche. D’ailleurs, j’ai toujours joué Ari dans le style de la commedia dell’arte. Son état psychologique mélange joie, tristesse, colère et peur, tout en même temps. La télé va devenir ennuyeuse sans vous. Merci pour le compliment. Je me suis bien amusé. La seule chose que les acteurs

cherchent, c’est du travail. Jusqu’au bout, mon père, acteur de théâtre, traquait les bons rôles. Avant Entourage, j’avais tourné une quarantaine de films, mais je connaissais le rejet. Arriver à un casting, demander à être aimé, sans résultat… C’est pourquoi je prends tout ce qu’on me propose. Quelle leçon vous a apprise Entourage ? D’entrer à fond dans chaque scène, même s’il n’y en a qu’une à jouer. Au départ, mon personnage ne devait avoir qu’une importance minimale. Finalement, je suis resté. Les séries permettent cela. Quelles ont été les réactions à Hollywood ? On ne nous a jamais accusés d’exagérer. Ce que j’ai fait d’Ari Gold était fidèle à la réalité, sinon, ça se saurait ! Tout le monde est au courant qu’il était inspiré de l’agent Ari Emanuel… … dont le frère est Rahm Emanuel, ancien directeur de cabinet de Barack Obama. Dur à porter pour lui ? Je me suis posé la question. Je me souviens avoir proposé à Doug Ellin (créateur d’Entourage) des idées de scénario sur le complexe du mec dont le frère travaille sur des choses vraiment sérieuses. Du genre, un dîner de Pessah (Pâque juive) où leur père dit à Ari : “Hey, monsieur Hollywood, tu peux passer le rôti à un vrai mec, qui réfléchit à l’avenir des Etats-Unis ? Toi, ton but dans la vie, c’est

de trouver un rôle à John Stamos” ! Aucune de mes pistes n’a été retenue. C’est pourquoi mon prochain job sera… un peu plus coopératif. Doug Ellin a été le capitaine du navire. Pour lui, les scénaristes écrivent, les acteurs jouent. Vous êtes nostalgique de la fin de la série ? Non, j’ai un sentiment d’accomplissement fabuleux. Même si physiquement, c’était crevant de passer douze heures par jour dans la peau d’un hystérique. Une fois, mon médecin m’a dit : “Quand vous faites ça, votre corps pense que c’est vrai” ! Quels grands comiques vous ont inspiré ? Le génial Peter Sellers, pour son côté extrême. Il savait mélanger le brillant et le stupide, ce qui est rare. Sinon, John Cleese, qui a été invité sur Entourage (saison 7, épisode 10) pour être totalement sous-employé. Embarrassant. C’est comme avoir un triathlète à dispo et lui demander de jouer au ping-pong. John Cleese est mon héros. La suite, c’est quoi ? Trois rôles, côté cinéma indépendant (I Melt with You de Mark Pellington) et blockbusters (Spy Kids 4D, So Undercover, avec Miley Cyrus). Et peut-être une série de films Entourage. C’est un projet sérieux. Recueilli par Olivier Joyard Entourage saison 8. Le dimanche sur HBO.

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brèves Les producteurs l’avaient annoncé dès le mois de mai : le premier épisode de la nouvelle saison de New York Unité spéciale (le 21 septembre sur CBS) proposera une interprétation fictive de l’affaire Diallo/DSK. Décalage fictionnel oblige, l’épisode devrait mettre en scène un dignitaire italien accusé de viol – interprété par l’acteur Franco Nero. Les scénaristes auront-ils le temps de prendre en compte la récente conclusion judiciaire ?

catch me… Jerry Bruckheimer a vendu à NBC son troisième pilote de la saison, un drame situé dans le monde du catch professionnel des années 80. Dwayne “The Rock” Johnson, lui-même ancien catcheur, est à la production exécutive. Rien ne dit qu’on le verra torse nu. Il n’est même pas encore prévu au casting.

2010, Michael Yarish / AMC / Lionsgate

DSK, épisode 1

focus

de beaux Draper

La saison 4 de Mad Men arrive sur Canal+. Toujours aussi bien ? es coming out ont été nombreux. Il est du dernier chic de clamer qu’on n’aime pas beaucoup Mad Men, au prétexte que tant de perfection provoquerait une sensation d’étouffement et de formatage. Trop de robes, trop de poses verre de scotch et cigarette à la main en ont découragé certains. La série la plus adulée de la fin des années Shawn Ryan rebondit 2000 connaît un petit retour de bâton. Son Invité du week-end spécial créateur, Matthew Weiner, a été accusé séries (3-4 septembre) récemment de “tuer” deux autres du Festival de Deauville pour productions de la chaîne AMC (Breaking donner une masterclass, le Bad et The Walking Dead) à cause créateur Shawn Ryan semble du renouvellement de son contrat pour s’être remis des annulations 10 millions de dollars par an, qui obligerait successives de deux de ses à des coupes drastiques par ailleurs. séries, Terriers et Chicago Code. Que ce soit vrai ou pas nous importe peu, Il va tourner un pilote pour ABC à vrai dire. Car le fait de se replonger dans intitulé The Last Resort. Mad Men provoque toujours une captivante Une histoire de sous-marin sensation d’immersion dans un monde atomique dans un futur proche d’intimité, de tension et de surprises. qui fait plutôt envie. Cette quatrième saison, légèrement inégale mais tout de même au niveau, commence en 1965, alors que la nouvelle société Sterling Cooper Draper Pryce Pretty Little Liars (Orange Cinéhappy, prend son envol. Un monde s’ouvre à notre le 4 à 20 h 40) Deuxième moitié bande de publicitaires. Pour Don Draper, de la saison 1 d’une série teen le héros, le changement d’ère s’étend particulièrement fraîche, remplie de à sa vie personnelle. Son divorce achevé, mystère et de glamour. Plaisir coupable c’est un célibataire déphasé qui s’ébroue idéal si on a laissé tomber Gossip Girl. devant nous, comme une bête blessée, ne sachant maîtriser rien ni personne Hellcats (June, le 1er à 20 h 40) – à commencer par sa jeune fille Les cheerleaders (pom-pom girls) font préadolescente, désormais l’un des plus des héroïnes de fiction intéressantes, beaux personnages de la série. Sa panique même si le contexte est bancal. La existentielle prend cette année une preuve avec cette création de la chaîne ampleur singulière, plus ouverte, plus CW, pleine d’acrobaties girlies. partageuse. Elle culmine lors de l’épisode 7, The Suitcase, où il forme un duo triste Mentalist (TF1, le 31 à 20 h 50) avec l’ex-secrétaire Peggy Olson. Et si Don La série la plus regardée au monde Draper commençait à changer ? O. J. mérite le coup d’œil, pour son

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agenda télé

acteur principal, l’Australien Simon Baker. Et dans le genre policier, on préfère ça à NCIS ou aux Experts.

Mad Men saison 4. Sur Canal+ à partir du 1er septembre à 23 h 05. 31.08.2011 les inrockuptibles 115

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émissions du 31 août au 6 septembre Alexandre Fuchs

Benjamin,a rrêté lors de l’affaire de Tarnac

Tous terroristes ? Thema. Mardi 6 septembre, 20 h 40, Arte

Des patients de Jacques Lacan se souviennent de son travail analytique dans son cabinet rue de Lille, à Paris.

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’une des manières les plus simples de comprendre Lacan consiste à écouter ceux qui se sont allongés sur son divan rue de Lille, à Paris, dans l’antre de la psychanalyse française des années 60-70, qui fut aussi pour ses détracteurs le lieu de l’enfer. Trente ans après sa mort, la figure de Lacan reste hantée par quelques ténébreuses légendes, parfois fondées (tout fou Lacan), mais qui forment un écran entre son image fantaisiste et la réalité de son travail analytique et théorique (son Séminaire, œuvre de sa vie). Sa pratique analytique (séances courtes, sans grille tarifaire…), usurpatrice pour les tenants de la tradition freudienne classique, sauva pourtant la vie psychique de patients égarés. Gérard Miller, frère du gendre de Lacan Jacques-Alain Miller, restitue ici la singularité du geste lacanien en donnant la parole à ceux qu’il aida à se (re)construire. Tous se souviennent de la capacité d’écoute de l’analyste, à rebours des clichés sur sa supposée désinvolture. En plus d’entretiens avec sa fille ou le cinéaste Benoît Jacquot qui filma pour la télévision en 1974 Lacan parlant “à la cantonade” (“c’est le cas de le dire”, précisait-il), Gérard Miller rappelle combien sa pensée participa à la vitalité du champ intellectuel français. Ses conférences à Normale sup ont élargi l’approche de l’inconscient et du langage. Génie de la formule – “L’amour c’est donner ce qu’on n’a pas”, “il n’y a pas de rapport sexuel”, “tout acte manqué est un discours réussi”… –, Lacan est resté une boîte à idées dans laquelle on puise pour penser l’époque et panser ses plaies. Jean-Marie Durand

Rendez-vous chez Lacan Documentaire de Gérard Miller. Lundi 5 septembre, 23 h, France 3

Ce soir (ou jamais !) Emission animée par Frédéric Taddeï. Mardi 6 septembre, 22 h 45, France 3

Las, l’émission culte passe de quotidienne à hebdomadaire. La logique éditoriale des programmateurs de France 3 reste un mystère insondable : pour une fois qu’ils avaient en main une émission exigeante et plébiscitée par un public enfin réconcilié avec l’idée que la télévision peut le tirer vers le haut, il valait mieux en réduire la voilure. Logique imparable d’une chaîne qui marche sur la tête. Frédéric Taddeï conserve quand même l’émission une fois par semaine, longue de deux heures et découpée en trois parties : une revue de presse, un débat de société et un volet culturel. Mardi ou jamais. JMD

Tristan Paviot

du côté de chez Lacan

Quand la menace terroriste met en péril nos libertés. Dix ans après le 11 Septembre, deux documentaires interrogent le bilan des lois antiterroristes votées aux Etats-Unis et en Europe. Dans L’Obsession sécuritaire (20 h 40), Marita Neher analyse les dérives de la lutte antiterroriste et les reculs de l’Etat de droit, quand sous prétexte de protéger les citoyens, les gouvernements ne respectent plus des droits fondamentaux, ainsi lors de l’affaire de Tarnac. Dans La Peur des autres (21 h 55), Benjamin Cantu se penche sur la paranoïa collective et sur l’ostracisme que subit en particulier la communauté musulmane, comme ici dans une petite ville de Bavière où les fantasmes circulent aussi vite que les avions dans le ciel. JMD

Romans d’ados Série documentaire de Béatrice Bakhti. Samedis 3, 10, 17 et 24 septembre, 16 h, Arte

L’âge des possibles et des angoisses filmé sur la durée. Tournée entre 2002 et 2008 par une réalisatrice de la télévision suisse romande, Béatrice Bakhti, cette série documentaire, plébiscitée en Suisse, suit sur la durée sept adolescents de 12 à 18 ans. Au fil des quatre épisodes, drôles et nerveux, se distinguent des moments de rupture et d’affirmation de soi, propres à cet âge charnière. Filmés face caméra ou sur le vif dans leur vie familiale et intime, les sept ados composent un tableau sensible des affects de la jeunesse, exaltée autant qu’inquiète, flottant entre grandes espérances et petites contrariétés. JMD

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Villes mondes : New York City Emission de François Noudelmann, réalisée par Gaël Gillon. Dimanche 4 septembre, 14 h, France Culture

La Grosse Pomme par ceux qui la croquent. François Noudelmann s’égare dans les rues de New York en compagnie de romanciers, poètes, philosophes, scénaristes, dramaturges qui en connaissent les carrefours, les impasses, les travers et les contre-allées : Toni Morrison, Edmund White, Tony Kushner, Shelley Jackson, Manthia Diawara, Avital Ronell et Wayne Koestenbaum. Une manière élégante et incarnée d’éprouver, par le son de la ville, par la parole des habitants, par la réflexion des artistes, “l’énergie tremblante de la reconstruction” de la ville où les lumières se reflètent dans la poussière. Bright lights, big city. JMD

A voix nue : Jacques Rancière Du lundi 5 au vendredi 9 septembre, 20 h, France Culture

Rencontres avec un philosophe de l’émancipation. Jacques Rancière occupe une place centrale, bien qu’un peu à part, dans le paysage de la pensée contemporaine. Pourfendeur des distinctions rigides entre savants et ignorants, défenseur du principe de participation de tous à l’exercice de la pensée, soucieux d’articuler dans son travail politique et poétique, l’auteur du Maître ignorant, de La Mésentente, du Partage du sensible, de La Haine de la démocratie…, revient avec Michel Vignard sur son parcours philosophique démarré en 1975 avec La Leçon d’Althusser. JMD

info ou désintox ? Fort de sa saison dans l’enfer des substances toxiques, Jean-Luc Delarue revient pour rabibocher les familles désunies. ’est le big événement de la rentrée Désintox, code de bonne conduite de France 2 : le retour de Jean-Luc et tout repart comme avant, avec toujours Delarue à l’antenne. Les ménagères chevillée au corps, l’envie d’aider son en frissonnent déjà. C’est dire prochain, sans cynisme, en toute le niveau d’excitation et d’inventivité qui innocence. En l’occurrence ici, tenter règne aujourd’hui sur la chaîne exsangue de réconcilier une famille qui se déchire du service public ! On se croirait à la rentrée devant les caméras. Un pur reality show, 1995. Après avoir fait son mea-culpa digne de ceux de la grande époque des et fait pénitence suite à ses excès (cocaïne, années 80. Au secours ! JMD alcool… à tout-va durant des années), Réunion de famille Emission animée l’ex-animateur préféré des ménagères par Jean-Luc Delarue. Mardi 6 septembre, 22 h 20, France 2 se refait une santé.

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enquête

Google contreattaque Grâce à une stratégie offensive, Google sort renforcé de la zone de turbulences des conflits juridiques et économiques.

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pple, avec ses bénéfices qui ont doublé en un an, et Facebook, avec ses 750 millions d’utilisateurs, monopolisent l’attention. A contrario, avec une stratégie marketing et d’acquisition pas toujours claire, empêtré dans des problèmes de confidentialité et de droits d’auteur, Google semblait avoir perdu de sa superbe, mais cet été, sa riposte a été énergique. En faisant l’acquisition de Motorola, Google part sur les traces du modèle Apple, intégrant hardware et software. Google, qui possédait jusque-là une plate-forme de contenus (YouTube) et un logiciel (Android), aura dorénavant des appareils, ce qui lui permettra de maîtriser la chaîne de bout en bout. Avec Motorola, Google acquiert aussi ce qui lui faisait défaut : des brevets. Ils devraient lui être utiles pour protéger Android des attaques de Microsoft et d’Apple. Car la guerre de l’innovation fait rage entre tous ces géants. Pour David Drummond, directeur juridique de Google, “le succès d’Android a généré contre ce dernier une campagne hostile, organisée par Microsoft, Oracle, Apple et d’autres.” Alors qu’il voulait acquérir, en avril, les brevets du canadien Nortel, Google se les est faits souffler par une association inhabituelle de rivaux, dont Apple, Microsoft, RIM et Sony. Le rachat de Motorola ne plaît guère à la concurrence. Peter Oppenheimer, directeur financier d’Apple, a persiflé sur le prix élevé payé par Google. De son côté, Stephen Elop,

la guerre de l’innovation fait rage entre les géants de l’informatique PDG de Nokia, partenaire de Microsoft pour des mobiles sous Windows 7, a tenté de semer la zizanie entre Google et les fabricants d’appareils sous Android, les engageant à être vigilants vis-à-vis de ce partenaire devenu concurrent. Larry Page, PDG de Google, a affirmé que l’acquisition ne changerait rien à l’ouverture d’Android. Autre champ de bataille pour Google, celui des réseaux sociaux. Après les échecs de Buzz et de Wave, personne ne donnait cher des capacités sociales de Google. Pourtant son réseau Google+, lancé fin juin, fait un tabac avec 25 millions d’utilisateurs en un mois (Comscore). De quoi inquiéter Facebook ? Insistant sur la protection de la vie privée, Google+ s’est surtout rapidement positionné sur les jeux sociaux, qui assurent fidélisation des internautes et revenus – d’après la banque d’affaires Thinkequity, le marché des biens virtuels atteindra plus de 20 milliards de dollars en 2014. Facebook, qui tire 30 % de ses revenus de cette source, a cru bon rappeler via son directeur des partenariats jeux, qu’il est de loin le leader (le site a aussitôt malgré tout amélioré ses paramètres de confidentialité). Des rumeurs insinuent toutefois que Facebook ne serait pas très fair-play : les invitations pour

Google+ postées sur Facebook ne s’afficheraient pas. Cette compétition pourrait avoir des effets positifs en stimulant l’innovation : Facebook vient de lancer une messagerie instantanée pour Android et iPhone, et Google vient de lancer Photovine, réseau social de photos pour iOS. A côté de ces deux fronts d’envergure, Google ne néglige pas ses autres batailles. Pour éviter des conflits avec les ayants droit sur YouTube, il a signé en août un contrat avec les sociétés américaines de gestion de droits d’auteur. Et pour parer aux critiques sur son algorithme, il l’a dépoussiéré avec le système Panda, mis en place cet été en France. Panda améliore la qualité des recherches en supprimant des résultats les sites qui copient des contenus ou qui ne sont pas jugés utiles (fermes de contenu, agrégateurs…). En France, des sites comme Wikio ou Ciao ont déjà perdu plus de 50 % de leur visibilité d’après Ranking Metrics. Enfin, Google a montré ses muscles dans le conflit l’opposant à Copiepresse, regroupement d’éditeurs de presse belges. Alors qu’il avait été condamné en mai à retirer leurs articles de Google News et du cache du moteur de recherche, Google a fait mieux en supprimant les titres concernés de son moteur de recherche. Les journaux, furieux, ont vite vu leur trafic baisser. Suite à cette démonstration de force, le dialogue a été renoué et les sites sont réapparus dans le moteur de recherche, sans que Google ait à craindre d’astreinte. La meilleure défense n’est-elle pas l’attaque ? Anne-Claire Norot

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in situ magazine 2.0 Otograff, magazine trimestriel, se revendique comme le premier newsmag sur mesure : 70 % du contenu est crée par la rédaction, 30 % par des contributeurs extérieurs, les internautes. Chacun peut ainsi personnaliser son magazine avant de le recevoir chez lui. Le n° 1 sort le 8 septembre et coûte 15 euros. otograff.com

t’as le look, coco ! Depuis 2007, le blog Sexy People archive des centaines de portraits vintage, des années 60 aux années 90. Tout intéresse le blogueur Renzo : les photos d’identité, les portraits d’ados, les fêtes de famille, les mariages, etc. Seule obligation : il faut que ce soit rétro, kitsch, voire super kitsch. sexypeople-blog.com

la presse fait le mur Le mur de la presse permet de visualiser en un coup d’œil les unes des principaux quotidiens, magazines et sites web. L’interface est claire, lisible et le contenu facilite une lecture croisée de l’information. Il est également possible de faire une recherche par thèmes (monde, politique, culture etc.). lemurdelapresse.com

les émeutiers, ces stars… On peut rire de tout, même des émeutes. Devant l’afflux de photos d’émeutiers sur le net, deux Londoniens ont créé un site qui les répertorie. Pas pour les dénoncer ou les encourager mais pour les associer à des photos de stars qui leur ressemblent. On apprend ainsi qu’Eminem a participé aux émeutes ou du moins son sosie. Et on aperçoit même Eva Longoria, qui a l’air de bien s’amuser. lootalikes.tumblr.com

la revue du web The Telegraph

Mediapart

Internet actu

les Etats baltes, 20 ans après

en Israël, la société gronde

“cerveau étendu” et méditation

Le journaliste Adrian Bridge a effectué son premier voyage en Lituanie, en Lettonie et en Estonie en 1992. A cette époque, ces Etats venaient d’accéder à l’indépendance et sortaient de cinquante ans de joug communiste. Presque vingt ans après, il revient dans ces pays pour savoir comment ils ont évolué. Intitulés “Les Routes de la révolution”, ses récits font découvrir une région méconnue. Ce voyage estival s’intéresse à la fois au présent et au passé. Il se déroule de Vilnius à Tallin, en passant par Riga et d’autres petites villes. tgr.ph/qlwJfW

Depuis plus d’un mois, des milliers d’Israéliens sont dans la rue. Il s’agit du plus grand mouvement social depuis plus de trente ans, certains n’hésitant pas à dire que c’est du jamais vu. Pierre Puchot est allé à la rencontre des manifestants, issus de différents milieux, qui lui expliquent leurs motivations, leurs inquiétudes. Le journaliste pointe aussi du doigt les limites actuelles de la mobilisation. Quant au gouvernement, il a réalisé très tard l’ampleur de la contestation. Trop tard ? bit.ly/qhM4JK

Avec les ordinateurs, nous avons inventé des outils qui augmentent nos capacités mentales et notre cerveau ne s’arrête plus à notre crâne. De même que la méditation permet de contrôler notre pensée et maîtriser nos émotions, il faudrait intégrer cette notion de méditation à ce “cerveau étendu” pour faire corps sainement avec la technologie. Si celle-ci modifie indubitablement la structure de notre esprit, la contemplation et la lenteur peuvent nous aider à moduler et comprendre son impact. bit.ly/n45LK1

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la lutte a été longue, mais le web, infiniment plus performant, aura finalement eu sa peau

vu du net

la disparition du Minitel Ce précurseur d’internet aura bien mérité de la patrie. Souvenirs en rose.

L

e Minitel c’est (presque) fini : après trente ans pile de bons et loyaux services, et suite à une longue agonie (ecrans.fr, bit.ly/pFe9Fe), le petit terminal monochrome tirera sa révérence le 30 juin 2012, sous l’œil embué de son papa France Télécom (Le Monde, bit.ly/mZj0kr). En dépit des 30 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel (en 2010) et du petit million d’exemplaires encore en circulation (Le Point, bit.ly/ oBZWPK), l’opérateur a décidé d’euthanasier son invention miraculeuse, précurseur bleu-blanc-rouge d’internet. La lutte a été longue, mais le web, infiniment plus performant (les autoroutes de l’information expliquées par les Deschiens, youtu.be/ZgkI2K0lUqQ), aura finalement eu sa peau. C’est en 1977 que tout avait commencé (comme le rappelle Bernard Marti, son inventeur, sur Europe 1, bit.ly/nA30iO), par un rapport de Simon Nora et Alain Minc sur la société de l’information (Owni.fr, bit.ly/nIZy29), convainquant le président Valéry Giscard d’Estaing de la nécessité d’équiper tous les foyers français d’un appareil qui leur donnerait accès à des informations centralisées sur un serveur, le premier du genre. En 1982, après une phase expérimentale, le Minitel est lancé (ina.fr, bit.ly/nqVrsH). Mais à quoi ça servait, exactement ? Pour beaucoup, à trouver des adresses et des numéros de téléphone (le fameux 3611, dont Gérard Neyret fait ici bit.ly/pnhVZH un ardent plaidoyer).

Sur Lemonde.fr, des témoins se rappellent des “souvenirs d’érotisme minimaliste, de la lenteur et des factures salées” (bit.ly/r3PynU). Pour Papi et Mamie, c’était aussi la possibilité, grâce aux petites annonces online, de mettre la main sur la “dauphine bleue avec intérieur rouge, et le volant sport” (pub de 1992 pour 3615 MGS, youtu.be/ OB38AvnRJIQ), “celle qu’ils avaient quand ils se sont rencontrés”, pardi. Mais surtout, pour beaucoup, le Minitel c’était du rose. Du rose honteux qu’on tentait, adolescents, de cacher aux parents, jusqu’à l’arrivée de la facture fatale, en fin de mois (témoignages d’opérateurs érotiques sur sexactu.com bit.ly/nE0zda). Du sexe illicite, avec ses réseaux de prostitution illégale et ses atteintes aux bonnes mœurs, contre lequel le présentateur du JT Noël Mamère mettait en garde ses téléspectateurs en 1986 (sur ina.fr, bit.ly/rrZsJE). Du rose lucratif, notamment pour Xavier Niel, fondateur de Free (l’épopée des millionnaires du 3615 sur Libération.fr, bit.ly/opZqN4). Du rose rigolo aussi, bien sûr (souvenez-vous de 3615 ULLA, nous encourage Groland, youtu.be/ 5QdRnAfF_Vc). Le Minitel, enfin, c’était du rose bizarre et avant-gardiste, artistique à certains égards, à l’image de cette “adaptation” de Justine du marquis de Sade (article sur Le-Tigre.net, bit.ly/ mQgO4C, et résultat sur youtu.be/ aoZ5pLzGYjo). Minitel, nous ne t’oublierons pas. Jacky Goldberg 31.08.2011 les inrockuptibles 121

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livre A rebours de J. K. Huysmans Pour ses “drama queens”.

album The Idiot d’Iggy Pop Réalisé en 1977 grâce au soutien de David Bowie. Une bande-son pour un suicide serein.

film Les Bien-Aimés de Christophe Honoré Bourrasques intimes tramées au fil de l’histoire contemporaine : le grand film romanesque de la rentrée.

Beirut The Rip Tide Un road-trip phénoménal sans bouger du hamac. Radieux et apaisé.

Freedom de Jonathan Franzen Une épopée familiale où chacun est libre... de se pourrir la vie.

Cléopâtre de Cecil B. DeMille Tourné en 1934, un artifice hypnotique. recueilli par Marc Beaugé

Rick Owens Héraut du glamour grunge, le styliste californien publiera le 4 octobre aux éditions Rizzoli un livre grand format sobrement intitulé Rick Owens.

La piel que habito de Pedro Almodóvar Un parcours palpitant entre les gènes et les genres, mené avec une maestria confondante.

Impardonnables d’André Téchiné La rencontre d’un homme et d’une femme d’âge mûr dans une Venise intime. Un film crépusculaire et néanmoins lumineux.

Melancholia de Lars von Trier Prologue pompier, première partie entre deux eaux, mais superbe seconde mi-temps.

Housse De Racket Alesia Un deuxième album de pop-songs valeureuses, bodybuildées par Philippe Zdar.

Clèves de Marie Darrieussecq Portrait stupéfiant d’une jeune fille saisie en pleine révolution intime et sexuelle à l’aube des années 80. La Bande à Foster de Conrad Botes et Ryk Hattingh L’histoire trépidante d’une bande de gangsters des années 40.

The Horrors Skying Ces formidables outsiders du royaume indie-rock invitent le fantôme des Smiths. Atmosphérique et sombre.

Baxter Dury Happy Soup Un album drôle et brillant qui pourrait être le disque qui, enfin, cassera la baraque.

Dernier amour de Dino Risi. Grande comédie tardive de Risi où l’on ne riait plus du tout. Elle et lui de Leo McCarey. La première mouture du classique de McCarey. Sublime. Les Yeux de Julia de Guillem Morales. Un film d’horreur espagnol d’une singulière brillance.

Le Ravissement de Britney Spears de Jean Rolin L’histoire cocasse d’un agent secret envoyé à L.A. pour sauver Britney d’un complot. Noir et drôle.

Le Système Victoria d’Eric Reinhardt Anti-conte de fées ample et tragique qui mêle sexe, jeux de pouvoir et onirisme.

Voyage en Satanie de Fabien Velhmann et Kersacoët Des dialogues percutants et des rebondissements.

Vers la sortie de Joyce Farmer Une semi-autobio qui parle de la vieillesse avec intelligence.

Violet chorégraphie Meg Stuart Festival La Bâtie, Genève Avec Violet, Meg Stuart sublime les états seconds. Une danse addictive. En ces temps où le discours sur la drogue se veut définitivement répressif, il est salutaire de prendre son parti. Violet, poison violent, est en vente libre. Comme sa danse.

Médée opéra de Luigi Cherubini, mise en scène Krzysztof Warlikowski, direction musicale, Christophe Rousset La Monnaie de Bruxelles Reprise de la première mise en scène d’opéra de Krzysztof Warlikowski à la Monnaie dont la transposition du drame de Médée à notre époque connut à sa création en 2008 un vif succès.

My Winnipeg A la Maison rouge, Paris Regards croisés sur une ville canadienne de second plan et son étonnante scène artistique.

Cy Twombly A la Collection Lambert, Avignon Le travail photographique du peintre américain décédé en juillet, exposé pour la première fois.

Philippe Ramette Crac de Sète Photos truquées et “prothèsessculptures” qui renversent notre rapport au monde.

Bastion sur Xbox 360 et PC Esthétiquement admirable et doté d’une bande-son épatante.

L. A. Noire – Joints à gogo sur PS3 et Xbox 360 Appendice peu surprenant, mais cohérent et réjouissant.

Kirby’s Dream Land/Donkey Kong sur 3DS Des incunables du jeu vidéo réédités. Un plaisir rétrograde et illimité.

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