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No.821 du 24 au 30 août 2011

Jonathan Franzen success story

M 01154 - 821 - F: 2,90 €

avec les indignés de Tel-Aviv

Chiara Mastroianni & Louis Garrel

héros romantiques de la rentrée cinéma Allemagne 3,80 € - Belgique 3,30 € - Canada 5,75 CAD - DOM 4,20 € - Espagne 3,70 € - Grande-Bretagne 4,80 GBP - Grèce 3,70 € - Italie 3,70 € - Liban 9 000 LBP - Luxembourg 3,30 € - Maurice Ile 5,70 € - Portugal 3,70 € - Suède 44 SEK - Suisse 5,50 CHF - TOM 800 CFP

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je suis allé au restau chinois avec

Orelsan

 P

arce qu’il a écrit dans son album à venir – Le Chant des sirènes, une des réjouissances de l’année 2011, préparez-vous – un morceau totalement ovni sur le parcours d’une petite Chinoise qui vend des porte-clés (La Petite Marchande de porte-clés, le morceau le plus dingue et le plus déprimant de l’année), c’est dans un restaurant chinois du XVe arrondissement que l’on emmène Orelsan. Deux ans après son premier album, qui le plaça directement sur la carte du hip-hop français, et deux ans après la lamentable polémique qui entoura son morceau Sale pute, Orelsan est de retour, ultra affûté. Il vient de quitter Caen pour la région parisienne. “J’ai vu les prix, c’est complètement dingue”, explique-t-il avant de reprendre : “Pour l’instant je vis dans ma famille, on verra bien si j’enchaîne avec un huit-mètres carrés.” La grande force d’Orelsan, c’est de raconter la vie qu’il mène dans ses moindres détails. Pas de chichi, pas de wah-wah : si l’écriture du jeune homme est l’une des plus précises du hip-hop français, c’est surtout parce qu’Orelsan vit 93,7 % des trucs qu’il raconte (contre “98 %” sur son précédent album, dit-il). Il commande un canard laqué, joue avec ses baguettes. Derrière Orelsan se cache toujours Aurélien Cotentin,

“j’ai appelé mon album Le Chant des sirènes, rapport à ce truc de tentation que créent les réseaux sociaux”

29 ans, qui ne se prend pas pour un autre. “J’ai l’impression que les artistes qui partent en couilles, c’est ceux qui n’ont pas vu qu’ils étaient devenus plus leur personnage qu’eux-mêmes. Amy Winehouse par exemple, ça m’a fait quelque chose, c’est vraiment la célébrité qui l’a bousillée, ça a l’air assez flagrant. Je fais gaffe à ce qu’Orelsan ne dépasse jamais Aurélien.” Quant à Twitter, sur lequel il était jadis plus présent, il a un peu freiné : “Je crois que ça m’a un peu niqué l’inspiration, et puis les mecs qui te suivent ne sont pas des directeurs artistiques. Et les gens postent essentiellement des trucs négatifs. Après j’en joue, je m’en sers un peu, mais dès que ça pèse sur ma façon de créer, je coupe le truc. C’est facile, Facebook et Twitter, quand tu es un peu connu, que tu ne vas pas bien, tu le dis, et des mecs que tu ne connais même pas viennent te remonter le moral. C’est aussi pour ça que j’ai appelé mon album Le Chant des sirènes, rapport à ce truc de tentation que créent les réseaux sociaux.” On parle littérature, il évoque

ses dernières lectures : Houellebecq, dont il vient de finir Extension du domaine de la lutte, Régis Jauffret et ses Microfictions aussi, et enfin Virginie Despentes, qui l’avait soutenu lors de “l’affaire Sale pute”. Il explique qu’il a envie d’écrire pour d’autres gens, pas forcément du rap, même si ça reste vraiment son truc. Orelsan connaît le rap comme Thierry connaît le football, par cœur. On parle de groupes des années 90, des sons jazzy auxquels il rend hommage sur l’un des plus chouettes morceaux de son disque, 1990 (auquel il a accolé une suite ultra actuelle, 2010), et pour le clip duquel il a invité les jeunes rappeurs du collectif 1995, qui se trimballent un sacré buzz dans Paris. Il est 23 heures, Orelsan nous salue, se dirige vers sa voiture. Il doit aller chercher son frère qui sort du boulot. On le reverra très vite pour la sortie de son disque. Pierre Siankowski album Le Chant des sirènes, sortie le 26 septembre

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No.821 du 24 au 30 août 2011 couverture Chiara Mastroianni et Louis Garrel par Nicolas Hidiroglou

03 quoi encore ? Orelsan

08 on discute courrier ; édito de Serge Kaganski

10 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

14 événement avec les indignés de Tel-Aviv

16 hommage Raúl Ruiz (1941-2011) le blues des supporters du PSG

22 la courbe ça va ça vient ; billet dur

23 nouvelle tête

Nicolas Hidiroglou

18 événement

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Adrien Missika

24 parts de marché où va la démocratisation culturelle ?

26 à la loupe Kanye-Z et Jay West sur le trône

43 la rentrée socialiste les états d’âme de Martine Aubry

44 le krach politique comment la gauche et la droite abordent la crise

47 un week-end avec Eva Joly journées d’été des écolos à Clermont-Ferrand

48 que le meilleur perde les politiques en quête de défaite

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49 presse citron

Laurent Blachier

Chiara Mastroianni et Louis Garrel illuminent Les Bien-Aimés de Christophe Honoré. Et aussi les films les plus attendus

Bertrand Guay/AFP

28 rentrée cinéma 2011

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revue d’info acide

50 tribune libre contre la dépression culturelle, par Manuel Valls

52 Jonathan Franzen superstar rencontre avec l’écrivain américain

56 Cyril Viguier et ses réseaux il a fait son trou dans l’audiovisuel ils enregistrent les sons du monde

66 Beirut sauvé du naufrage son nouvel album est radieux et apaisé

70 le fantôme de Bagdad visite de l’ancien palais de Saddam

76 le Marquee, club rock les Stones et David Bowie y ont débuté

66 Alexandre Guirkinger

62 l’onde Soundwalk

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34

80 Les Bien-Aimés de Christophe Honoré

82 sorties

Cowboys & envahisseurs, This Must Be the Place, One Piece – Strong World…

84 décryptage les aliens aliénés vus par Michel Chion

86 DVD Dernier amour de Dino Risi…

88 Bastion + L. A. Noire – Joints à gogo

90 Housse De Racket un album de pop customisée

92 mur du son Suede, Florence And The Machine…

93 chroniques Red Hot Chili Peppers, Sally Nyolo, Radio Soulwax, Jay-Z & Kanye West…

100 morceaux choisis Howler, Feist, Cannibal Pigeon…

101 concerts + aftershow la Route du rock

102 Marie Darrieussecq (r)évolution sexuelle d’une jeune fille

104 romans/essais David Grossman, François Beaune, Sophie Fontanel, Vincent Almendros

106 tendance quand les cinéastes écrivent

108 agenda les rendez-vous littéraires

109 bd Conrad Botes et les gangsters 40’s

110 Meg Stuart ultra Violet + le cinéma de Pina Bausch

112 spécial été : la parole aux artistes Mai-Thu Perret

114 Pierre Goldman desperado de la révolution

116 séries mais que fait la chaîne AMC ?

118 télévision soirée spéciale réseaux sur Canal+

120 little Big Brothers trucs et astuces contre le cyberflicage profitez de nos cadeaux spécial abonnés

p. 25

121 la revue du web décryptage

122 best-of le meilleur des dernières semaines

rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Hélène Fontanaud, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs E. Barnett, F. Berteau, G. Belhomme, R. Blondeau, P. Bonitzer, E. De Benedictis, M.-A. Burnier, M. Camarillo, M. Chion, M. Despratx, J.-B. Dupin, J. Goldberg, C. Goldszal, A. Guirkinger, N. Hidiroglou, E. Higuinen, O. Joyard, M. Ladous, J.-P. Leclaire, G. Le Guilcher, T. Legrand, A. Lévy-Willard, L. Mercadet, B. Mialot, P. Noisette, V. Ostria, O. Père, E. Philippe, M. Poussier, L. Soesanto, C. Tréguier lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Delphine Chazelas, Guillaume Falourd, Gaëlle Desportes conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/ scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté de Paul-Boris Bouzin tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 coordinatrice Dounia Hajji tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 19 98 directeur et directrice de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94, Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 chef de publicité junior Chloé Aron coordinateur Guillaume Farez tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/rp Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19 infos 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 2 211 059,61 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général David Kessler directeur général adjoint Stéphane Laugier assistante du directeur général Valérie Imbert directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2011 directeur de la publication David Kessler © les inrockuptibles 2011 tous droits de reproduction réservés ce numéro comporte un encart abonnement 2 pages Belgique et Suisse jeté dans l’édition vente au numéro Belgique et Suisse ; un encart 8 pages “Rue des étudiants” jeté dans l’édition abonnés France ; un encart 4 pages “Jazz à La Villette” jeté dans l’édition 75 des abonnés et de la vente au numéro.

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l’édito

tube de l’été L’édito était parti en vacances inquiet de la crise, il fait sa rentrée avec la crise, vrai tube de l’été. Pendant les vacances, les événements se sont accélérés, ainsi que le prédisait l’économiste Pierre Larrouturou dans nos pages début juillet (n° 814) : gravité de la situation des Etats-Unis (quand on ne regardait que la Grèce), risque d’une baisse de leur note, épuisement d’un système fondé sur une accumulation de déficits. On y est : souffrant de l’atonie de leur croissance, de l’obésité de leur dette et des blocages de leur “cohabitation”, les Etats-Unis ont perdu leur AAA. Côté européen, nos dirigeants jugulent l’incendie avec des verres d’eau et des promesses. Partout, les Bourses plongent. On a dénoncé ici et là l’irrationalité des marchés, le cynisme des spéculateurs, le rôle néfaste d’agences de notation dont l’éthique et l’expertise sont douteuses. Tout cela est vrai, mais les premiers responsables de la panade sont nos dirigeants politiques. Ce sont eux qui ont laissé courir les déficits pendant des décennies, toléré la création de nouveaux outils financiers à hauts risques, accepté la formation de cette sphère financière folle, autonome, déconnectée de l’économie réelle et de toute responsabilité collective. En 2008, ces dirigeants avaient promis juré-craché avoir retenu les leçons de la crise. Trois ans après, on a vu, les paradis fiscaux, les outils financiers toxiques, les hedge funds, la titrisation, les bonus à six chiffres et autres virus ultralibéraux existent toujours. Les politiques n’ont pas d’excuse : ils détiennent la force de la loi, la légitimité des peuples qui les ont élus et sont censés œuvrer pour l’intérêt général. Qu’attendent-ils pour mettre hors la loi les pratiques financières à hauts risques, pour taxer les transactions financières, pour réduire les déficits non pas en serrant la ceinture des classes moyennes et populaires mais par l’augmentation des recettes en allant chercher l’argent là où il est (hauts revenus, bénéfices du CAC 40...) ? Qu’attendent les dirigeants européens pour aller vers le fédéralisme, mutualiser nos dettes et mater les spéculateurs, mais aussi pour lancer des chantiers de croissance à échelle continentale (énergies vertes, développement durable...) ? Louper à ce point tous les rendez-vous de l’histoire est un signe de nullité assez effarant.

Serge Kaganski

“Tout ça, c’est la faute de Wu Lyf et de leur esthétique de l’émeute”

Wu Lyf

méchamment commenté par fernadinho, à propos de l’article “En Angleterre, la récupération politique prend le relais des émeutes” droit de réponse Il y a quelques semaines, dans une chronique des Inrocks intitulée “Déjouer le sida”, certains de mes propos étaient repris par Pascal Dupont (cf. n° 812). Je vous les livre de nouveau : “le dire [sa séropositivité] serait s’empêcher d’avoir des relations avec des tas de gens qui, malheureusement, ne sont pas forcément renseignés sur la maladie et, dès qu’ils savent que quelqu’un est séropositif, vont le fuir immédiatement”. A priori, rien de problématique. Pour autant, l’interprétation qui en a été faite dans cet article laisse à penser qu’encourager à ne pas dévoiler sa séropositivité est irresponsable ! Inutile de vous dire que cela m’a vraiment surpris. Heurté et blessé. C’est pourquoi il m’est apparu nécessaire de reformuler mon propos. Tout d’abord, pour éviter toute ambiguïté, cela me semble évident mais autant le redire : le cas des personnes qui mettent en place des stratagèmes machiavéliques pour obtenir une relation sexuelle non protégée, tout en se sachant contaminées, est évidemment condamnable ! Mais ces affaires, aussi médiatisées soient-elles, ne représentent qu’une infime partie des 7 000 contaminations annuelles. Globalement, de mon parcours de militant de la lutte contre le sida, notamment comme membre du Conseil national

du sida, président du Crips Ile-de-France et d’Elus locaux contre le sida, j’ai tiré ce constat : la prévention du sida ne peut pas reposer sur les seules personnes touchées mais bel et bien également sur les personnes séronégatives. Une relation sexuelle repose sur les deux personnes. Il est sans nul doute de la responsabilité de la personne séropositive de ne pas transmettre le virus comme il est tout autant de la responsabilité de la personne séronégative de se protéger du VIH et des IST. Tous les acteurs de la lutte contre le sida sont d’accord sur ce point ! Croyez bien que, séropositif depuis près de vingt-cinq ans, je ne connais que trop bien les souffrances engendrées, au quotidien par ce virus… Souvenez-vous de la campagne pour une célèbre marque italienne, de ce corps tatoué “HIV+”… Une abomination. J’ai appris une chose : dire sa séropositivité ne peut être une obligation tant les préjugés et les discriminations demeurent élevés à l’encontre de personnes qui ne sont que des malades et non des délinquants. Jean-Luc Romero Conseiller régional d’Ile-de-France, membre du Conseil national du sida, président d’ELCS (Elus locaux contre le sida) et du Crips Ile-de-France (Centres régionaux d’information et de prévention du sida)

Ecrivez-nous à [email protected], lisez-vous sur http://blogs.lesinrocks.com/cestvousquiledites

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction après Gauguin, Matisse L’Américaine Susan Burns, interdite de séjour à la National Gallery of Art de Washington, pour avoir tenté de vandaliser Les Deux Tahitiennes de Gauguin en avril, affirmant ne pas supporter cette peinture immorale par la nudité des sujets représentés, vient de récidiver en s’en prenant cette fois au Chapeau à plumes de Matisse (estimé à 2,5 millions de dollars). Arrêtée par la police, après avoir eu le temps de cogner trois fois le cadre du tableau contre le mur, Susan Burns aurait déclaré “travailler pour la CIA, et avoir une radio implantée dans le crâne”.

le mot

Francis le Gaucher

Cela fait un certain temps que les marchés “sont montrés du doigt”, les agences de notation encore plus. Dans la crise de l’euro, l’incurie de la chancelière Merkel “est montrée du doigt”. La Grèce “est pointée du doigt” pour sa prodigalité et ses mensonges. Le déficit et la dette, sans parler de la politique de M. Sarkozy, sont en permanence “pointés du doigt”. On ne peut discerner aucune différence de sens entre “montrer du doigt” et “pointer du doigt” : ils se traduisent tous deux par “dénoncer” ou “critiquer”, mais dans une acception floue. On remarquera que l’expression s’emploie le plus souvent au passif : “La Commission de Bruxelles est montrée du doigt.” Qui montre ? On ne sait pas. Pourquoi cet anonymat aussi soudain que pudique ? Simplement parce que tout le monde a appris qu’il est très malpoli de montrer du doigt, sauf si l’on exerce la fonction de procureur aux assises.

Pieter-Jan Vanstockstraeten/Photonews/Gamma

(montrer du doigt)

drame au festival Pukkelpop Quelques violentes minutes ont suffi à transformer ce qui aurait dû être l’une des plus gargantuesques célébrations rock de l’été européen en drame mortel. Le festival belge Pukkelpop a été frappé jeudi après-midi par une tornade orageuse que les festivaliers secoués, les quelques vidéos postées sur YouTube et les milliers de tweets qui ont suivi ont décrite comme littéralement apocalyptique. Un chapiteau effondré, le toit d’une scène envolé, des structures métalliques et écrans géants jetés à terre comme de vulgaires fétus de paille : quatre personnes ont perdu la vie. rhum gonzo pour Johnny Depp On a enfin pu voir une photo de Johnny Depp dans le film The Rhum Diary, réalisé par Bruce Robinson et adapté du roman du même nom publié en 1998 par le king du journalisme gonzo Hunter S. Thompson. Le tournage s’était achevé en 2009 mais depuis, le film, attendu aux festivals de Cannes 2010 et 2011, demeurait dans un inquiétant stand-by. Johnny Depp avait incarné Hunter S. Thompson lui-même dans l’adaptation de Las Vegas Parano qu’avait réalisée Terry Gilliam en 1998.

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l’image post-rock vs. troubles post-traumatiques Programmer un live d’Explosions In The Sky le 11 septembre aux Etats-Unis ? Une bonne idée.

Banksy démoli Channel 4 a diffusé la semaine passée

Parivartan Sharma/Reuters

le documentaire Graffiti Wars (photo), entièrement à charge contre Banksy, traité, entre autres, de social traître, d’incompétent, de vendu et de plagiaire par des rivaux du street art, notamment l’Anglais Robbo. Un documentaire tellement empreint de mauvaise foi, d’aigreur, de rigidité et de jalousie qu’il en devient comique. La veille au soir, la même chaîne avait diffusé The Antics Roadshow, un documentaire signé Banksy sur les détournements de la pop-culture et “les gens se comportant mal en public”. On y retrouve Banksy, l’entarteur Noël Godin ou le kamikaze Rémi Gaillard. la Tunisie privée de porno Le 15 août, la cour d’appel de Tunis a confirmé la censure des sites pornographiques dans le pays, déjà ordonnée en première instance à la demande de trois avocats voulant défendre “les valeurs arabo-musulmanes” et protéger la jeunesse. Malgré tout, l’Agence tunisienne de l’internet (ATI) va continuer sa lutte contre la censure et se pourvoir en cassation pour tenter de faire annuler la décision. Son dirigeant, Moez Chakchouk, s’était déjà exprimé : “Je ne vais plus filtrer et je refuse d’avoir du matériel de filtrage chez moi.” l’Inde se fie au Hazare Anna Hazare, figure du mouvement anticorruption indien, a été arrêté le 16 août, puis relâché trois jours plus tard. Sous les hourras de plusieurs milliers de personnes, il a traversé les rues de New Delhi sur le toit d’un camion. Hazare, qui a entamé à sa sortie de prison une grève de la faim de quinze jours, est l’un des opposants les plus populaires au gouvernement indien, qui juge son combat contre la corruption infondé.

C’est la micropolémique de cette fin d’été à Boise dans l’Idaho où certains apprécient moyennement que le groupe de post-rock au nom significatif puisse faire un concert le jour du dixième anniversaire des attentats du World Trade Center. NBC New York évoque en effet un mauvais timing rappelant au passage que “des milliers de New-Yorkais souffrent encore de symptômes posttraumatiques dus à l’explosion des appareils”. L’organisateur du concert affirme que cette polémique ne rime à rien et que la date n’est qu’une coïncidence. Rappelons qu’en août 2001, le groupe sortait son deuxième album salué par la critique Those Who Tell the Truth Shall Die, Those Who Tell the Truth Shall Live Forever. Dans le livret du disque : une image d’avion avec cette légende “This plane will crash tomorrow.” Uhuh.

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le moment la chute de Tripoli Débutés en février 2011, les affrontements en Lybie ont tourné à l’avantage des révoltés

Adem Altan/AFP

Dimanche 21 août, les forces du Conseil national de transition (CNT) sont entrées dans Tripoli, la capitale de la Libye, jusqu’alors aux mains du clan Khadafi. Saïf Al-Islam, pressenti pour succéder à son père à la tête du régime, a été arrêté. Les rebelles se sont rapidement emparés de la quasi-totalité de la ville. Les combats se sont concentrés autour du quartier général fortifié du colonel Mouammar Khadafi. Les scènes de liesse et les drapeaux rouge, noir, vert, aux couleurs de la rébellion ont empli les rues de Tripoli et Benghazi. “Cette nuit, le mouvement contre le régime Kadhafi a atteint un point de non-retour. Tripoli se libère de la poigne du tyran”, a affirmé Barack Obama. Le chute du régime a débuté en février 2011 par les émeutes qui ont suivi l’arrestation de Fethi Tarbel, un militant des droits de l’homme à Benghazi, deuxième ville du pays et berceau de la révolte.

des bleus à l’art Dernière disparition en date, celle de Robert Breer, pionnier du cinéma d’animation expérimental, maître incontesté de la sculpture flottante et, moins accessoirement qu’il n’y paraît, clippeur génial de New Order pour le tube Blue Monday (photo). Une disparition qui clôt (on l’espère) la série noire de cet été et la mort de trois autres géants d’un art résolument contemporain : l’Anglais Lucian Freud, l’Américain Cy Twombly, et le Franco-Polonais Roman Opalka, qui avait anticipé l’inachèvement de son œuvre en peignant inlassablement des chiffres de 1 à l’infini, et en se prenant en photo tous les jours de sa vie à la même heure et selon le même angle. Gallagher de tranchée Alors que Noel Gallagher vient de confier que son départ d’Oasis en août 2009 avait été précipité, Liam, son frère, vient d’annoncer qu’il attaquait Nono en justice pour avoir menti sur les raisons du split d’Oasis, lors d’une conférence de presse donnée début juillet. “J’ai engagé des poursuites judiciaires contre Noel Gallagher pour avoir déclaré qu’Oasis avait annulé le concert de Chelmsford au V Festival en 2009 parce que j’avais la gueule de bois. C’est un mensonge et je veux que les fans d’Oasis qui étaient au V Festival connaissent la vérité”, a déclaré le cadet de la famille dans un communiqué publié dans The Sun. Courage les gars. trop trash, les paquets de clopes ? Les compagnies américaines de tabac ont porté plainte contre le gouvernement fédéral des Etats-Unis. Elles demandent l’annulation des visuels antitabac, jugeant “inconstitutionnelle” l’obligation de recouvrir d’images trash leurs paquets de cigarettes à partir d’octobre 2012. Mais la Food and Drug Administration, à l’origine de cette campagne choc, a la loi de son côté. Elle s’appuie sur le Tobacco Control Act signé par Obama il y a deux ans, qui élargit considérablement ses pouvoirs. Les cigarettiers veulent enrayer la baisse du nombre de fumeurs américains, déjà divisé par deux ces quarante dernières années. Les tribunaux trancheront. L. M., P. S. et B. Z. avec la rédaction

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good morning Israël Malgré le regain de tension dans le sud du pays, les “indignés” israéliens, raillés par le Likoud, poursuivent leur mobilisation pour plus de justice sociale. Reportage à Tel-Aviv.

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iens voir, saute dans un avion, c’est comme en 68, les gens parlent tout le temps”, dis-je à un célèbre ancien combattant de Mai 68. Il saute. Je l’exfiltre de l’interrogatoire de la sécurité à l’aéroport, et c’est le travelling inouï de bas en haut du boulevard Rothschild, l’avenue chic et historique de Tel-Aviv. Des tentes, serrées les unes contre les autres, des canapés pour discuter, des tapis sur le trottoir pour les cours de yoga – de minuit à une heure du matin – des consultations ouvertes d’avocats et de psys, des câbles électriques apparus pour recharger portables et iPads de ces jeunes gens modernes, des instruments de musique, des poussettes et des vélos, pas de merguez ni de falafels... Sont-ce bien là les “amateurs de sushis” et autres “fumeurs de narguilé” dénoncés par un proche du Premier ministre Benjamin Netanyahu ? Ils ont fait leur service militaire, des études, ont un boulot (moins de 6 % de chômage en Israël) et ne peuvent pourtant pas se loger, élever leurs enfants, se soigner : “vivre normalement.” L’ancien soixante-huitard est fou de joie – même s’il ne comprend pas un mot d’hébreu. Je lui montre la maison, au 16, boulevard Rothschild, où Ben Gourion a signé la déclaration d’indépendance de l’Etat en 1948. Il regarde les gratte-ciel des banques, les tours de milliardaires, les magnifiques immeubles Bauhaus rénovés, les arbres plantés au milieu de l’avenue. “Ils ont eu raison de s’installer dans le plus bel endroit de Tel-Aviv , on aurait dû occuper les Champs-Elysées en 68”, regrette-t-il, surpris quand même de voir des centaines de drapeaux israéliens accrochés aux tentes. Pacifiques, les manifestants se précipitent dans leur nouvelle vie à la nuit tombée et parlent de tout. “Les débats publics se sont réveillés”, se réjouit le philosophe Raphael Zagury-Orly qui se promène chaque soir dans ces “tentes ouvertes et hospitalières” Les pères divorcés ont affiché leurs photos, où figure le nombre de mois où ils n’ont pas vu leurs

enfants, les mères réclament des crèches et des garderies, tous demandent des logements et une “meilleure vie”. Dans ce pays qui n’a pas connu la crise mondiale et affiche un taux de croissance de 4,5 %, les différences entre riches et pauvres se sont creusées. Quelques familles de tycoons monopolisent l’essence, l’alimentation, la distribution, les télécommunications, les banques... Si un rapport de la banque UBS constate qu’à New York, le coût de la vie est 10 % plus élevé qu’à Tel-Aviv, les salaires y sont aussi de plus du double. “Rendez-nous notre pays”, disent les manifestants. Un artiste a peint la fameuse étoile de David bleue sur fond blanc sur une toile de vingt mètres accrochée à l’entrée du boulevard Rothschild. Une étoile d’où s’écoulent trois grosses larmes. Le drapeau pleure. La “révolution des tentes” a commencé à Tel-Aviv le 14 juillet. Ce hasard historique a fait référence, une guillotine a même été construite brièvement sur le boulevard, une blague pour rebondir sur une déclaration d’un ministre inquiet – lucide ? – qui lâche à la sortie du Conseil des ministres : “Si nous étions à l’époque de Marie-Antoinette, ils nous auraient guillotinés. Le mécontentement du peuple est réel.” Mais que demande le peuple ? Un seul mot d’ordre : “La justice sociale”. Le mécontentement du peuple a commencé par la révolte du fromage, le cottage cheese, pilier de la nourriture locale. Les produits laitiers ne cessent d’augmenter depuis un an, sans raison. Au même moment, les médecins se sont mis en grève pour protester contre la dégradation de la médecine publique. Et enfin ces tentes plantées sur Rothschild par des étudiants qui ne pouvaient plus se loger à Tel-Aviv : 50 % d’augmentation des loyers en cinq ans quand les salaires n’ont augmenté que de 17 %. Elles ont poussé partout dans le pays, du Nord au Sud. Tentes symboles de la création de l’Etat d’Israël, des premiers pionniers, des camps de transit des rescapés du nazisme, des immigrants d’Afrique du Nord. Et aussi tente de chaque jeune qui part camper avec sa classe, et

plus tard à l’armée. Il suffisait de la sortir du placard familial. A Jaffa, ce sont des tentes mixtes juifs-arabes plantées dans le parc Ajami. A côté de la gare des bus, dans le parc Levinsky, des tentes de travailleurs éthiopiens. La génération “amatrice de sushis” est sortie de sa bulle de Tel-Aviv, elle se bat pour un deux-pièces et pour un Israël meilleur. Comme pour le printemps arabe, elle communique sur Facebook et son site web s’appelle “www.osher.co.il” (“www. bonheur.com”). L’écrivain Amos Oz salue avec émotion “la délicieuse renaissance de la fraternité”. Quelqu’un a peint sur une banderole, en lettres géantes, “GOOD MORNING ISRAEL”... Des tentes sont même apparues sur les places des villes arabes de Galilée. Un soir où les manifestants arpentaient les avenues de Tel-Aviv, j’ai vu un couple de Palestiniens venus de Jaffa, la femme voilée, se joindre au défilé des protestataires. Et la foule les a accueilli par des applaudissements enthousiastes. Une première. Même Sayed Kashua, le célèbre écrivain arabe israélien, plutôt

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“Ne pendez pas notre espoir”, indiquaient cesp ancartes, samedi 20 août

sarcastique et cynique d’habitude, s’est laissé émouvoir et a accepté de prendre la parole devant les manifestants. On ne parle que de vouloir vivre “normalement”. Déjà un pas pour la paix ? “Oui. On parle des pauvres et des riches, mais personne ne parle de politique ou des colonies pour éviter de diviser le mouvement. C’est le seul moyen de garder cette unité”, explique Sayed Kashua. Sécurité, paranoïa, danger, les thèmes préférés de Bibi Netanyahu. Mais là, face à ce mouvement social il est presque muet. Seule initiative, il a créé un comité d’experts pour réfléchir avec ses ministres. Si l’Etat veut améliorer la vie de ses concitoyens, il faudra prendre l’argent public où il se trouve. Le 6 août, la plus grande manifestation de l’histoire du pays – trois cent mille protestataires – est donc partie du boulevard Rothschild pour aller... jusqu’au ministère de la Défense, qui engloutit 20 % du budget de l’Etat. Un léger gel de ce budget et on pourrait construire des logements, alors que seulement 3 % de la construction à Tel-Aviv est financée par des fonds publics et que l’Etat continue d’aider les colons à construire dans les

territoires palestiniens. Pour la première fois, on parle de “la vache sacrée” (l’armée). “La vache sacrée ne peut pas rester intouchable, lit-on dans un éditorial d’Haaretz, qui rappelle que le budget de l’armée ne cesse d’augmenter. On ne pourra traiter l’injustice sociale sans que le ministère de la Défense et l’armée n’acceptent de diminuer leur budget.” Même le ministre des Finances du gouvernement Netanyahu ose dire que l’armée doit faire un peu le ménage dans ses dépenses – les retraites des officiers, les salaires, les projets abandonnés en cours de route... La guerre a fait un fracassant retour, jeudi, avec l’attaque d’un commando venu de Gaza à travers le désert égyptien. Huit Israéliens sont tués aux abords de la station balnéaire d’Eilat. Le gouvernement a réagi comme tous les gouvernements israéliens dans l’histoire, dans une spirale mortelle, par des frappes aériennes, tuant des policiers égyptiens et provoquant une crise avec l’Egypte de l’après-Moubarak. L’aviation bombarde, le Hamas tire des missiles sur les villes israéliennes. Les manifestations sont annulées. Une marche silencieuse,

Nir Keidar/Israel Sun/REA

“si nous étions à l’époque de MarieAntoinette, ils nous auraient guillotinés” un ministre

triste, avec des bougies – signes de deuil dans la tradition juive – part spontanément de Rothschild samedi soir avec des pancartes “Ne laissons pas le terrorisme gagner”, et une potence en carton “Ne pendez pas notre espoir”. Arieh Rosen, jeune travailleur, marche en regardant les news sur son portable. Un missile de Gaza vient d’atteindre Beer-Sheva, la capitale du sud, tuant un habitant dans sa maison : “Ce n’est pas parce qu’on a des problèmes avec ses voisins qu’il faut tout soumettre à la question de la sécurité, dit-il. Nous sommes tous des réservistes, on peut s’inquiéter pour notre Etat et se battre aussi pour la justice sociale.” Le mouvement qui évitait de parler politique refusera-t-il le chantage à la sécurité d’Israël ? Oui, estime l’écrivain Merav Michaeli dans Haaretz : “Ce grand mouvement de protestation refuse l’axiome que le militarisme et l’agressivité doivent tout diriger. Il pense qu’un Etat social ne force pas ses citoyens à vivre sous la menace de la guerre et de l’anéantissement. Un Etat social se bat pour la paix, et gagne.” Good morning Israël ! Un réveil ? Ou une gueule de bois... Annette Lévy-Willard 24.08.2011 les inrockuptibles 15

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A

Raúl Ruiz (1941-2011) Pendant le tournage de son chefd’œuvre, Mystères de Lisbonne, il avait déjà failli y passer. La maladie a fini par avoir la peau d’un cinéaste aussi singulier que prolifique.



ommençons par la fin, par Mystères de Lisbonne, acclamé dans le monde entier et à juste titre (et qui lui valut le prix Louis-Delluc 2010), feuilleton cinématographique ou film feuilletonesque qui recèle tous les sortilèges du cinéma ruizien : récits gigognes, scénarios torsadés, personnages bifides, décors et costumes ouvragés, trompe-l’œil, ivresse fictionnelle tempérée de distanciation et d’humour, classicisme rehaussé de modernité et de malice baroque. Comme si, conscient de sa possible disparition, Ruiz avait concentré toutes ses forces, son énergie et son inspiration pour livrer un ultime et capiteux nectar filmique. Parmi des dizaines de films, on retiendra aussi la trilogie eighties stevensonienne (Les Trois Couronnes du matelot, La Ville des pirates, L’Ile au trésor) – mêlant récits d’aventures enfantins et structures labyrinthiques –, ses films à “gros casting” (Généalogies d’un crime, Trois vies et une seule mort où il filme des stars comme Catherine Deneuve ou Marcello Mastroianni),

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l’ange l’an nge nécessaire é i par Pascal P Bonitzer

Avec Catherine Deneuve sur le tournage de Généalogies d’un crime

Luc Roux/Corbis

sa vie, telle qu’il la racontait était magnifiée en récit picaresque

son adaptation à la fois infidèle et réussie de Proust (Le Temps retrouvé), ou encore des comédies hilarantes (Ce jour-là, avec Bernard Giraudeau et Elsa Zylberstein), des objets purement expérimentaux (Colloque de chiens)… Comme Ford, Mocky ou Chabrol, Raúl Ruiz était de ceux qui tournaient sans arrêt, y compris des mauvais films, des coproductions hétérogènes, des commandes, des projets bancals, armés de la morale suivante : il faut tourner coûte que coûte, comme le cycliste doit pédaler pour ne pas chuter. A la fois gourmand et analyste de fiction, Ruiz avait théorisé son approche dans un essai en deux volumes, Poétique du cinéma 1 & 2 (éditions Dis voir). Raúl Ruiz était aussi l’homme le plus doux, le plus érudit, le plus malicieux et le plus drôle du monde. L’interviewer était un des grands plaisirs de notre métier, la promesse d’un déjeuner au Fu Kets (prononcer Fouquet’s, gargotte chinoise en bas de chez lui à Ménilmontant) et d’un banquet d’anecdotes, de récits, de maximes, de paradoxes, de cocasseries aussi baroques et foisonnants qu’un de ses films. Du Chili à la France, des groupes politiques avant-gardistes au cinéma, de la direction de la Maison de la culture du Havre à Hollywood, la vie de Raúl Ruiz fut potentiellement romanesque. Racontée par lui, elle était magnifiée en récit picaresque, en saga feuilletonesque, en contes et légendes du XXe siècle. Ruiz semblait tout connaître de la littérature, du cinéma, de la psychanalyse, des mouvements politiques, des courants ésotériques, puits de science qui ne la ramenait jamais, qui savait vous contaminer de soif de savoir sans jamais vous écraser. L’érudition était pour lui un jeu, un partage, pas un moyen de domination. Ecrire sur Ruiz dans les circonstances de sa disparition, c’est aussi avoir une pensée pour ses proches, ses amis fidèles, sorte de confrérie élective informelle : sa compagne, la cinéaste et monteuse Valeria Sarmiento, son producteur de (presque) toujours Paulo Branco, son premier grand exégète Serge Daney, son partenaire d’écriture, Pascal Bonitzer (lire ci-contre), sans oublier son cinéfils Melvil Poupaud, acteur qui a débuté poupon chez Ruiz avant de traverser sa filmo sur une trentaine d’années, de La Ville des pirates à Mystères de Lisbonne. La bonne nouvelle dans cette triste affaire, c’est que Mystères de Lisbonne ne sera pas l’ultime film de l’infatigable Chilien de Ménilmontant. Il était en train de terminer le montage d’un film sur son enfance au Chili et venait de lancer un autre film “portugais” sur une bataille napoléonienne. On peut espérer que l’un de ces deux projets sera prochainement visible. Après une cérémonie religieuse à Paris, Raúl Ruiz sera inhumé au Chili. On a envie de pleurer, mais se souvenant de lui, de son espièglerie qui congédiait d’emblée tout pathos, on préférera sourire, et lui laisser le dernier mot (sur son état de santé pendant le tournage des Mystères...). “Le médecin a été assez honnête pour me dire que mes chances de survie étaient à 50-50. Puis c’est devenu 5-95. Ma santé était devenue un feuilleton !”. Serge Kaganski

Cinéaste, scénariste,, critique, Cinéaste, q , Pascal Bonitzer a d’abord d œuvré à la reconnaissance de Raúl Ruizz par de m mémorables émorables articles dans les Cahiers du cinéma ap puis dans ses essais, avant de devenir son scéna scénariste ariste sur trois films “Je n’ai pas p vu tous ses films,, bien sûr. Qui les a tous vus ? Il était le démiurge nomade d’un univer univers foisonnant, d’un monde multiforme dont le ciném cinéma était certes l’un des éléments majeurs, mais pas le seul. Il était aussi écrivain, humoriste, poète, penseur, plasticien, métaphysicien, et un peu alchimiste. Il aimait les mélanges. Il s’intéressait aux côtés fantastiques de la théologie. En 1994, – un griffonnage sur la page de garde en fait foi –, je suis allé lui rendre visite à Palerme. Y tournait-il un film, ou y était-il l’objet l’obje d’un colloque, je ne sais plus. A cette occasion, il m’a offert un livre, que je consulte de temps en temps, je ne sais trop pourquoi (je n’ai pas l’érudition qui me permettrait de me retrouver dans ce à quoi il se réfère et je ne peux lire que quelques pages à la fois, n’étant pas italianisant)  italianisant) : L’Angelo necessario de Massimo Cacciari. C’est une réflexion sur “l’angélologie”, non seulement dans la théologie classique mais chez Rilke ou Kle Klee ou Corbin (peut-être aussi Benjamin). “L’Angelo testimonia il mistero in quanto mistero, trasmette l’invisibile in quanto invisibile”, peut-on lire dans le prière d’insérer. Où avait-il déniché ce livre, mais sa bibliothèque est babélienne, borgésienne borgésienne, j’ai pu le vérifier il y a encore quelques semaines, lorsque je suis revenu chez lui pour une interview de France Culture. Il m’avait proposé il y a un an ou deux, comme pour reprendre le fil du travail de Généalogies d’un crime et Trois vies et une seule mort, de lire l’un de des nombreux scénarios qu’il a pu écrire et qui n’ont pas été tournés, en l’occurrence sur Cagliostro, mais un Cagliostro voyageur du temps, traversant des univers parallèles et se retrouvant acteur de la Seconde Guerre mondiale et de l’Occupation en France. Le scénario est stupéfiant comme souven souvent avec lui, et très drôle aussi. Je ne savais pas (ne sais pas) s’il comptait vraiment qu’on s’y attaque. Il était sur le point de tourner Mystères de Lisbonne, Lisbonn et sa santé l’inquiétait. Je devais le voir quelques jours avant le tournage pour discuter de ce projet projet, et Paulo Branco, son producteur et ami, m’avait invité au festival d’Estoril dont il est le directeur. Mais quand je suis arrivé, il n’était pas au rendezvous. Malade, il a néanmoins pu tourner son chefd’œuvre lisboète et, je crois, au moins un autre fil film après, au Chili. Les fils ne se sont pas renoués. Je ne l’ai revu que brièvement pour cette interview interview, mais je voulais le croire sorti d’affaire et qu’il donnerait encore de nombreux films, au rythme invraisemblable qui avait toujours été le sien. Il me semble que Raúl est dans le cinéma cet “ange nécessaire”” qui témoigne, dans une époque qui veut les oublier, “du mystère en tant que mystère, et qui transmet l’invisible en tant qu’invisible”. Aussi le choc et le chagrin de sa disparition sont-ils mêlés de ce sentiment que la mort avec lui, comme dans ses films, ne peut pas être tout à fait la mort et que, d’une façon étrange mais nécessaire, et aussi parce que ses films continuent de vivre et de résister à l’encontre de la grande résignation ambiante, il est toujours malicieusement là. P. B. 24.08.2011 les inrockuptibles 17

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les disparus du PSG La saison dernière, un appel au boycott du parc des Princes a été suivi par bon nombre de supporters parisiens qui composaient le noyau dur des tribunes Boulogne et Auteuil. Ils témoignent de cette année de sevrage volontaire.

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aris-Saint-Germain–FC Lorient, le 6 août. La Ligue 1 redémarre. Le microcosme du football français ne parle que du rachat du club de la capitale par un fonds d’investissement qatari, de leurs 85 millions d’euros dépensés sur le marché des transferts, de l’arrivée de l’étoile montante argentine, Javier Pastore, ou encore de l’affiche publicitaire placardée dans Paris : “Rêvons plus grand”. Ce soir-là, 40 000 spectateurs garnissent les tribunes du parc des Princes pour assister à l’entrée du PSG dans une nouvelle dimension. Un record pour un mois d’août. Ben, lui, regarde le match à la télévision. Depuis un an, le président de la Brigade Paris – petit groupe de supporters qui résidait dans un quart de virage collé à la tribune Boulogne – ne va plus au stade. Il n’est plus abonné au parc mais, pour la première fois, à la chaîne de télévision Foot+. Sa passion pour le club est devenue ambivalente. “C’est toujours pareil, raconte Ben. Lorsque le club perd, je suis dégoûté. Mais je ne parviens pas à me réjouir des victoires tant j’ai peur que certains associent ce succès à notre absence.” Leur absence, celle des oubliés du “nouveau PSG”, les groupes de fans historiques, toujours majoritairement absents d’un parc des Princes qu’ils boycottent. Peu avant le début de la saison dernière, Robin Leproux, l’ancien président du PSG remercié par les Qataris, annonce ses projets pour le stade avec deux dispositions phares : la suppression des abonnements et le placement aléatoire dans les tribunes Auteuil, Boulogne, K et G. Objectif : mettre un terme aux violences qui opposent des

supporters d’Auteuil et de Boulogne. Des affrontements ayant conduit, en février 2010, à la mort de Yann Lorence, un habitué de Boulogne. Un an après, au parc des Princes, les tensions ont disparu. Mais le plan Leproux a fait des “victimes collatérales”, comme les qualifie Nicolas Hourcade, sociologue à l’Ecole centrale de Lyon et spécialiste des groupes de supporters. Du jour au lendemain, 13 000 personnes ont perdu leur carte d’abonné. Parmi elles, les “ultras”, des membres d’associations de supporters nommés ainsi en référence à leur manière frénétique d’encourager leur équipe, debout et donnant de la voix pendant toute la durée des rencontres. Aujourd’hui dissous, ces groupes (Authentiks, ex-Boulogne Boys, Grinta, Lutece Falco, Supras Auteuil, etc.) ont été dépossédés de leurs tribunes, le placement aléatoire empêchant tout regroupement. La plupart ont alors décidé le boycott de leur propre stade. Une saison s’est écoulée ainsi. Une saison de désintox forcée durant laquelle ces supporters ont appris à vivre sans l’adrénaline des tribunes, la vie de groupe et les week-ends organisés autour des matchs. “quelque chose s’est cassé” Retour un an en arrière. 7 août 2010. Pour la première journée de la saison, le PSG reçoit l’AS Saint-Etienne, au parc des Princes. Le baptême du plan Leproux. Autour du stade, d’anciens abonnés grondent contre le nouveau dispositif. Côté Boulogne, les supporters improvisent un sit-in devant l’entrée de leur tribune barrée par des CRS. Côté Auteuil, on fait aussi entendre son mécontentement. Bilan de la protestation : 249 interpellations

policières et presque autant d’interdictions administratives de stade. Ce jour-là, une page se tourne. “La nuit tombe, tu vois ta tribune se remplir et tu te rends compte que tu vas rester dehors, se souvient un ancien membre des Boulogne Boys surnommé Bouquin, fidèle de la tribune depuis vingt-cinq ans. En m’éloignant du parc, j’entends le speaker annoncer un but d’Erding (joueur du PSG – ndlr). Tu te sens à la masse, misérable, jamais je n’aurais pensé vivre un moment pareil.” Dans le quotidien de ces passionnés, “quelque chose s’est cassé”, décrit Viola, 31 ans, leader des Lutece Falco – l’un des anciens groupes principaux du virage Auteuil. Dans cette tribune, il faisait office de “capo” – chef en italien – celui qui suit le match dans le regard des autres, dos au terrain, micro ou mégaphone en main pour lancer et coordonner les chants.

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“j’ai reçu des SMS de pères de famille qui me donnaient envie de pleurer tellement le parc leur manquait” Assis sur le sofa de son studio de Boulogne-Billancourt, à quelques centaines de mètres du parc des Princes, Viola se rappelle son premier match dans ce “vaisseau de béton géant avec sa pelouse fluo”. Un PSG-OM, en octobre 1988. Une histoire d’amour débute alors, symbolisée aujourd’hui sur son bras par un tatouage où le logo du club s’encastre sur le parc. Qu’ils sont loin les cours de fac séchés pour venir au stade en semaine peindre des toiles géantes et préparer le tifo, animations visuelles faites de bras

qui s’agitent, de banderoles, de drapeaux et de chants. Terminés les déplacements toutes les deux semaines, avec le groupe, en France et en Europe, pour soutenir ses couleurs : “Le PSG, c’était notre Routard à nous, on le suivait partout, de Lens à Ajaccio, de Glasgow à Bucarest.” Finis aussi les arrêts maladies et les jours de congés sacrifiés. “Tu n’avais pas une vie fade, raconte, nostalgique, l’ancien capo d’Auteuil, tu ne rentrais pas du boulot avec une Mégane Scénic retrouver ta femme et ton labrador.” “tu n’as plus droit aux symboles, à la poésie, à ce qui t’élève de ton quotidien” Pigiste pour Rock & Folk et Canal+, Jérôme Reijasse a déjà refusé un déplacement professionnel à Philadelphie “pour ne pas manquer un PSG-Sedan”. Assis à la terrasse d’un café, à Châtelet, l’auteur de Parc, Tribune K – Bleu bas 2

Haley/Sipa

Un PSG-Bastia joué à huis clos, suite à une précédente rencontre émaillée d’incidents

– un ouvrage décrivant, semaine après semaine, le quotidien d’un supporter du PSG – enchaîne les cigarettes. Après “un été dernier horrible et une petite déprime”, il a découvert le manque. “J’ai comme l’impression que la femme de ma vie m’a quitté.” Les réactions de certains tiennent du sevrage, “un peu comme un drogué se grattant les veines, métaphorise Youssef, l’un des leaders de la K-soce Team, entité de l’ancien groupe Supras Auteuil. Ça m’est arrivé de recevoir, à minuit, des SMS de bonshommes du groupe, pères de famille, qui me donnaient envie de pleurer tellement le parc leur manquait.” En un an, Bouquin, l’ex-Boulogne Boys, a perdu huit kilos. Viola, lui, a l’impression qu’on lui a “ôté une partie du corps”. “Une tribune, ce sont des bruits, des odeurs, une chaleur humaine, un angle de vue. C’est une expérience physique 24.08.2011 les inrockuptibles 19

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“Une tribune, ce sont des bruits, des odeurs, une chaleur humaine”

du football, centrale dans la vie de ces supporters, analyse le sociologue Nicolas Hourcade. Une part importante de leur identité personnelle s’est construite à travers le groupe et/ou la tribune. Et, du jour au lendemain, ils perdent les deux.” Son rapport au club, Jérôme Reijasse le qualifie de quasi religieux : “Le parc était mon temple, un endroit sacré.” Viola, du virage Auteuil, se voit même comme un “moine-soldat”, au service du PSG. “Tous ces gens qui chantaient, qui communiaient ensemble. C’était beau, se rappelle Jérôme Reijasse. Mais, aujourd’hui, tu n’as plus le droit aux symboles, à la poésie, à tout ce qui t’élève un peu de ton quotidien classique.” “des négociations restées au point mort” Toute la saison dernière, d’anciens abonnés boycottant le parc se retrouvaient dans des bars, par petits groupes, pour suivre d’un œil les matchs de leur équipe. Un soir d’avril dernier, le PSG dispute la demi-finale de la Coupe de France, à Angers. Accoudés au zinc d’un pub du IXe arrondissement, une dizaine d’habitués du virage Auteuil discutent. Pintes à la main, ils lèvent à peine les yeux sur l’écran de télévision où défilent les images de

qu’est-ce qui change cette année ? Le principal changement concerne les déplacements. Pour suivre le Paris-Saint-Germain dans ses matchs à l’extérieur, plus besoin – comme durant l’ère Leproux – de signer la charte “Tous PSG” et de prendre des cars affrétés par le club. Il suffit de présenter sa carte d’identité pour bénéficier de la carte déplacement et avoir accès au parcage des visiteurs. revendications qui demeurent Une exigence principale : la fin du placement aléatoire dans les virages et le retour des abonnements. Tant que ces mesures resteront en vigueur, les différents groupes ne peuvent retrouver leurs tribunes, ils boycottent

la rencontre. Avant, pour un tel rendez-vous, il aurait été impensable de ne pas se rendre sur place. Aujourd’hui, les ardeurs sont en veille. Lorsque le Paris-Saint-Germain ouvre le score, seuls quelques poings se lèvent et des bouches s’échappent des onomatopées à peine audibles. D’autres, comme Philippe Perreira, vingt-deux années de stade derrière lui, ex-porte-parole de la tribune Boulogne, ne supportent même plus d’apercevoir le parc à la télé, “à moitié vide” – comme c’était le cas l’année dernière. Pour éviter d’y être confronté, les soirs de match à domicile, il s’arrangeait pour bosser dans son taxi et écouter au volant les commentaires en direct de Bruno Salomon – journaliste sportif à France Bleu. D’autres, encore, des “lambdas” – abonnés des virages ne faisant pas partie des “ultras” – ont fondé l’association Liberté pour les abonnés (LPA). Manifestations, tractages ou actions ponctuelles de contestation dans les tribunes, son objectif initial était d’instaurer un dialogue avec la direction du club. En vain. “Les négociations sont presque toujours restées au point mort”, indique Jérémy Laroche, président de LPA.

donc le parc des Princes ou mènent des actions en son sein lors des matchs. négociations avec la nouvelle direction L’association parisienne Liberté pour les abonnés (LPA) serait déjà entrée en contact informel avec la nouvelle direction. Cette dernière n’a pas encore nommé d’interlocuteur direct pour les supporters et leur a demandé d’attendre le prochain conseil d’administration en septembre. actions à venir Une première action collective est prévue le 10 septembre au parc des Princes. Dans un communiqué du 8 août, LPA appelle les supporters à venir manifester leur mécontentement en tribune H rouge/bleu (places hors virage où le placement n’est pas aléatoire) pendant le match PSG-Brest.

Olivier Morin/AFP

“tu n’avais pas une vie fade, tu ne rentrais pas du boulot avec une Mégane Scénic pour retrouver ta femme et ton labrador”

Joint par téléphone quand il était encore président du PSG, Robin Leproux glissait qu’il lui était “impossible de faire revenir les supporters dans des tribunes (car) ils s’affronteraient à nouveau”.   “la fin d’une époque” Cette vision semble quelque peu réductrice de la complexité des tribunes. “Le plan Leproux était courageux, analyse Philippe Broussard, rédacteur en chef du service société de L’Express et habitué du parc des Princes depuis trente-sept ans. Mais il pallie un échec judiciaire et policier. Ce n’est pas normal que les autorités ne soient pas parvenues à s’occuper de quelque deux cents fauteurs de trouble dans le XVIe arrondissement (le parc des Princes est situé à proximité de la porte de Saint-Cloud – ndlr).” Tous les supporters rencontrés opèrent également cette distinction entre eux et les quelques individus – entre deux cents et trois cents selon les sources – considérés comme violents. De la saison passée, Philippe Broussard n’a pas manqué un match au parc des Princes. Se réjouissant du climat apaisé qui a régné dans les tribunes, il observe tout de même un revers à la médaille, avec “la perte de l’ambiance festive et d’une variété de chants compensée par beaucoup plus d’insultes qu’auparavant de la part d’individus avec une culture du supporterisme différente des ultras”. Paris-Saint-Germain–FC Lorient, le 6 août. La saison n’a pas commencé. Les joueurs s’apprêtent à entrer sur le terrain. Les 40 000 spectateurs agitent de petits drapeaux bleu et rouge disposés sur leur siège par le club. Déjà, les médias imaginent le club de la capitale champion de France. Une effervescence qatarie qui ferait presque oublier le stade à moitié vide de la saison passée. Presque oublier que des “moines-soldats”, des “drogués” du PSG bref, des “ultras”, l’ont habité un jour et souvent fait vibrer. Franck Berteau et Geoffrey Le Guilcher 1. Parc, Tribune K – Bleu bas de Jérôme Reijasse, (L’Œil d’Horus, collection Tard Le Soir)

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“j’ai grave pécho aux JMJ”

retour de hype

Lana Del Rey

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

faire pipi par terre dans un avion

Nessbeal

“nan, nan, moi je pars en vacances en septembre pour éviter tous les cons comme toi, tsé”

Audrey Tautou Rock en Seine la rentrée

“qui a volé a volé a volé a volé a volé a volé l’orange ?”

les implants de Wayne Rooney

“je fais la grève du rire jusqu’à ce qu’on me donne une place pour Seinfeld à Paris”

David Letterman

“Nice-Matin”

Jean-Luc Delarue le policier des Village People

Lana Del Rey Cette jeune fille, ses lèvres refaites, sa voix rauque et son clip home-made Video Games ont captivé l’internet cet été. “Je fais la grève du rire jusqu’à ce qu’on me donne une place pour Seinfeld à Paris” Le génial Jerry Seinfeld devrait se produire à Paris à la rentrée. Le policier des Village People, Victor Willis, chanteur-compositeur du groupe, est en guerre contre sa maison de disques : il tente de reprendre le contrôle

de trente-deux chansons (Y.M.C.A. comprise) dont il a coécrit les textes. Bon courage. Audrey Tautou Un entretien publié outre-Manche annonçait la fin de sa carrière cinématographique. Finalement non, le journaliste avait juste mal compris. Nessbeal Un avant-goût de son nouvel album : NE2S a balancé sur internet un morceau intitulé L’histoire d’un mec qui coule. De saison. D. L.

billet dur

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hère Marion Cotillard, Cet été promettait d’être le plus calamiteux depuis l’époque mérovingienne. Un Aryen maboul trucidait la moitié de la Norvège, les Bourses sombraient au fond du CAC, l’Angleterre ressemblait à un best-of de Clash en relief – London’s Burning, White Riot, English Civil War, Police on My Back – et cet incapable de Sarkozy n’était même pas foutu d’assurer une météo conforme aux attentes légitimes des vacanciers. Et puis le 5 août, grâce à toi, Marionnette, il y eut comme une embellie soudaine, un grand éclat dans le ciel de nos vies ternes, si loin de Beverly Hills et même du cap Ferret. Un grand éclat de rire en vérité. Dans une interview au magazine Elle qui t’offrait sa couverture, au beau milieu de considérations Tupperware sur les couches du petit mouchiard

et sur tes carences en matière de tricot, tu nous illuminais d’un trait foudroyant la journée, et avec elle toute la saison, par cette phrase : “La maternité, c’est comme un morceau de cosmos qui vous arrive et qui vous relie à tout.” Doux Jésus ! Un morceau de cosmos ! Madame est gâtée ! Quelque chose me dit toutefois que tu ne devais pas te montrer très attentive aux cours de biologie de quatrième, la tête déjà perdue dans les étoiles d’Hollywood boulevard, ou alors qu’entre deux tétées tu t’es sérieusement remise à fumer la pelouse. A moins qu’il ne s’agisse d’une nouvelle manifestation de cet étrange syndrome qui te fit soutenir autrefois des thèses fantaisistes sur le 11 Septembre et sur le Pentagone, éventré sans doute lui aussi par un morceau de cosmos, ou par l’opération du Saint-Esprit. En tout cas, tu sembles à point pour un biopic de la Vierge, Marion. Ce serait très cosmique. Je t’embrasse pas, t’es trop perchée. Christophe Conte

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Amanda Marsalis

Adrien Missika Entre nature et culture, ce jeune artiste désinvolte déchiffre les adages de l’exotisme contemporain.

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l fait partie des petits poissons de la pêche miraculeuse d’Eric Troncy pour le désormais incontournable prix Ricard pour l’art contemporain. A 30 ans tout juste, Adrien Missika est un artiste amphibie qui navigue entre Berlin (où il vit), Paris (où il est né), Genève (où il a monté en 2006 le centre d’art ultrapointu 1m3, avec ses camarades Jeanne Graff, Stéphane Barbier Bouvet et Benjamin Valenza qui ont eux aussi le vent en poupe) et les plages d’Hawaii ou de Tahiti où il s’exile au moins une fois l’an.

Après une expo dans sa galerie lisboète cet été, où il montrait, au propre comme au figuré, une collection de “clichés”, vagues, couchers de soleil, grottes, palmiers et pics rocheux rapportés de ses voyages, il fait sa rentrée à Paris. On le retrouvera ainsi en octobre au Cneai. Il y présentera la photographie d’un rocher monumental et brisé de Joshua Tree, spot favori des rednecks californiens. En septembre, c’est à la Fondation d’entreprise Ricard donc, où il devrait se faire une place parmi les colauréats

du prix (Corentin Grossmann, les Bouroullec ou Loïc Raguénès) qu’il dévoilera deux grandes vagues synthétiques bleues, une vidéo accidentelle tournée sur une plage d’Haïti et une série de palmiers mourants en noir et blanc. Claire Moulène The Seabass prix Ricard, du 13 septembre au 29 octobre à la Fondation d’entreprise Ricard, Paris VIIIe, www.fondation-entreprisericard.com Abstractions sentimentales et quelques éditions à partir du 7 octobre au Cneai, Paris XIIIe, www.cneai.com 24.08.2011 les inrockuptibles 23

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Heello fait écho à Twitter Un nouveau concurrent pour Twitter ? Heello, une nouvelle plate-forme de microblogging, vient d’être lancé. Heello ressemble à s’y méprendre à Twitter mais la sémantique diffère. Ainsi,on ne tweete pas, mais on “ping”, on ne suit pas quelqu’un, on “l’écoute” et on ne re-tweete pas, on “fait écho”. Un ping, comme un tweet, ne doit pas dépasser 140 caractères. Le fondateur de Heello, Noah Everett, détient également Twitpic, service de partage de photos très populaire sur… Twitter ! l’appli Messenger de Facebook fait un tabac Facebook vient de lancer une nouvelle application à destination des smartphones, Messenger for Mobile. Cette messagerie instantanée permet à l’utilisateur de chatter via son portable avec tous ses contacts du réseau social. Disponible sur Apple et sur Android, elle est déjà l’application la plus téléchargée. Elle est également bientôt attendue sur BlackBerry dont elle sera alors en mesure de concurrencer la propre messagerie instantanée, BBM. le directeur des programmes de France 3 mis au placard Pierre Sled, directeur des programmes contesté de France 3 (échec des nouvelles émissions…), semble déjà placardisé. Avant même la rentrée officielle de la chaîne, la direction a annoncé la nomination d’un nouveau directeur de l’antenne et des programmes, Thierry Langlois, un ancien de la maison. Même s’il reste en place, Sled sera de fait marginalisé. Une réorganisation qui pourrait, dit-on, toucher aussi France 2, pas très en forme elle non plus. Audiences en berne, panne d’idées… : la rentrée de France Télés s’annonce délicate et risquée.

Jérôme Brézillon/Tendance floue

brèves

quelle culture pour tous ? Dans un plaidoyer très étayé, le directeur du Théâtre de la Bastille prend le contre-pied du ministère de la Culture et démontre que la démocratisation culturelle peut concilier exigeance et succès public.



uel levier une politique culturelle ambitieuse doit-elle privilégier ? Entre offre et demande, quelle politique d’Etat doit primer ? La démocratisation culturelle est devenue un point crucial autour duquel se dessinent des visions politiques contrastées et des polémiques électriques. Exemples de cette nouvelle cristallisation : la sortie de Frédéric Mitterrand réagissant, dans un “Plaidoyer pour une politique culturelle du XXIe siècle” (Le Monde du 23 juillet), au geste volontariste de Martine Aubry, favorable à une augmentation conséquente du budget de la Culture. Pour la droite, un argument a priori imparable constitue le fondement de la politique culturelle actuelle : le prétendu échec de la démocratisation de la culture. Dans un essai en forme de plaidoyer, Le Démocratiseur, le directeur du Théâtre de la Bastille, Jean-Marie Hordé, s’élève contre les nouveaux préceptes à l’œuvre au ministère de la Culture et la religion du quantifiable. L’échec de la démocratisation culturelle, qui se mesurerait de manière statistique, repose sur une absurdité : “On compare des chiffres hors évaluation des coûts, des moyennes de fréquentation hors pression sociale, sans tenir compte de l’organisation nouvelle des loisirs de masse.” Pour Hordé, l’angle mort de la démocratisation tient à ce qu’on cherche moins à rendre “accessible” (Malraux) qu’à rendre “disponible”, moins à “populariser” qu’à “saisir le déjà populaire”. “L’intimidation” est le slogan anxiogène que le démocratiseur met en avant pour invalider toute action

culturelle audacieuse. Or, pour Hordé, opposé à cette politique de la peur et cette haine des élites, il ne faut pas confondre “une commune possibilité d’accès avec une égalisation de l’usage”. “L’art divise avant de rassembler”, souligne-t-il. “Les œuvres de la culture ne sont pas spontanément unificatrices ; or la nouvelle idéologie du pouvoir s’organise sur le rêve de l’Un. Il prend le nom de populaire.” Le seul échec d’une politique culturelle cohérente est de “renoncer à l’expérience en tant qu’elle peut rater”. Pour l’auteur, dont le Théâtre de la Bastille a su séduire un public, à partir d’une exigence et de prises de risque, l’urgence politique pousse à “refonder la nécessité de l’aide publique sur une conception commune de l’enjeu artistique et démocratique”. Or, fonder une politique artistique et culturelle sur la demande, “c’est renoncer à un principe fondamental : comprendre que ce qui assemble diffère de ce qui est déjà assemblé”. Ce texte fort et sincère pose un cadre idéologique essentiel. Le problème ici soulevé touche bien à la fonction que l’Etat doit assigner au ministère de la Culture : doit-il rester “le simple ordonnateur de notre commun assentiment” ou un soutien de la création artistique, même la plus risquée, pour qui “le geste de partage qui partage est le véritable indice démocratique” ? Jean-Marie Durand Le Démocratiseur – De quelle médiocrité la démocratisation culturelle est-elle aujourd’hui l’aveu ? de Jean-Marie Hordé (Les Solitaires intempestifs), 60 pages, 9 €

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média-tic Google se paie Motorola indépendance de la presse Un groupe de réflexion informel dirigé par le président de Vivendi, Jean-René Fourtou, et comprenant, entre autres, le patron du Figaro, Etienne Mougeotte (photo) et l’éditorialiste de France Soir Gérard Carreyrou, s’engage à fond pour Sarkozy.

Google s’est offert Motorola, un des pionniers de la téléphonie mobile. Le tout pour la somme record de 8,75 milliards d’euros. Google acquiert ainsi notamment les 17 000 brevets détenus par Motorola.

fatigués du réseau L’institut Gartner a réalisé une étude sur les utilisateurs de Facebook dans onze pays. 24 % déclarent s’en être lassé et l’utiliser moins qu’au moment de leur inscription. Mais 37 % le consultent autant qu’à leur début et 37 % encore plus.

destroy Facebook ! Une vidéo postée sur le net propage une folle rumeur : la destruction annoncée de Facebook pour le 5 novembre et orchestrée par les hackers d’Anonymous, qui ont déjà démenti.

Apple vs Corée un soir par semaine Ce soir (ou jamais !) revient en hebdo tous les mardis à partir du 6 septembre sur France 3. Deux heures d’émission, toujours animées par Frédéric Taddeï et découpées en trois parties : une revue de presse, un débat de société et un volet culturel.

26 691 Coréens détenteurs d’un iPhone ont déposé plainte contre Apple. Ils reprochent au fabricant une violation présumée de leur vie privée. Les portables peuvent en effet enregistrer les mouvements de l’utilisateur à son insu, via GPS.

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Kanye et Jay-Z seuls two Dans le clip d’Otis, single de Watch the Throne, leur album commun ultra-attendu, les deux poids lourds du rap ont l’air de bien s’amuser ensemble. Oué, bah, c’est cool pour eux.

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copains d’abord

Les copains c’est important. D’ailleurs, avant d’être deux gros noms du rap game, Jay-Z et Kanye sont amis pour la vie (comme les produits laitiers). Dans le court documentaire qui est consacré au making-of de leur album Watch the Throne, ils apparaissent hyper complices. La scène inaugurale prend place le jour de l’anniversaire de Shawn Corey Carter (aka Jay-Z). Au programme : dîner

tranquillou dans une belle demeure de Sydney et distribution de présents avec Beyoncé dans le cadre (ce qui ne gâche jamais rien). Réglo, Kanye offre des petits kdos à son poto. Pas des trucs de chez Soho (les magasins spécialisés dans les objets “insolites” du genre tablier avec des seins dessus) mais un artwork original et une énorme bagouse from Paris. Plus tard, Jigga se confiant

sur la personnalité et l’artiste qu’est devenu Kanye West, lui qu’il a connu “simple producteur”, lâche sur des images d’archives émouvantes : “C’est comme un frère pour moi.” Carrément. La preuve : dans le clip d’Otis, les deux, mdr (morts de rire), se prennent par le cou, par les épaules et par tout ce qui est prenable au niveau du haut du corps. Amitié éternelle sans rupture de Pacs on vous dit.

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american boyz Réalisé par Spike Jonze, le clip d’Otis (morceau hommage à Otis Redding qui sample allègrement Try a Little Tenderness) donne principalement à voir Jay-Z et Kanye surplombant la caméra devant un gros hangar qui va bien. A l’arrière-plan, un drapeau américain géant du plus bel effet qui semble avoir été customisé par le designer italien Riccardo Tisci (Givenchy), déjà à l’origine de l’artwork de Watch the Throne. A part ça, rien de bien nouveau : langage corporel signifiant l’autosatisfaction, gros feux d’artifice qui éblouissent et font rigoler ainsi qu’une Maybach customisée. L’occasion de monter dedans avec une ribambelle de jeunes filles et de faire des tours à 90 km/h en rigolant à gorge déployée. A ce propos et sans transition, la voiture en question sera vendue aux enchères, les bénéfices reversés aux victimes de la sécheresse dans la Corne de l’Afrique. Voilà voilà.

la Foire du trône Si nos deux amis font des tours dans leur turevoi comme s’il s’agissait d’une séance d’autotamponneuses tout seuls, c’est normal car, au cas où le message ne serait pas encore bien passé, Jay-Z et Kanye West sont, selon eux, seuls au sommet du rap game. Des sortes de rois du monde qui font tout ce qu’ils veulent, quoi. Les références au trône dans le hip-hop sont légion, c’est la métaphore du pouvoir et de la domination absolue voire divine – utilisée par tous même par les rappeurs du gouffre qui ne vendent que douze albums. Pour Jay-Z et Kanye, elle peut éventuellement être justifiée côté portefeuille : selon un classement publié

par Forbes il y a peu, Jay-Z est le rappeur qui rapporte le plus (il a déclaré 37 millions de dollars de revenus). Kanye West se classe, lui, à la troisième place avec 16 millions (la honte). Aux States, Watch the Throne est devenu l’album le plus téléchargé sur iTunes en une semaine (normal, suite à un contrat d’exclusivité on ne pouvait l’acheter nulle part ailleurs). Côté musique en revanche, les critiques regrettent un album moins exceptionnel qu’annoncé (lire la nôtre p. 98). De quoi rappeler que, comme le disait Booba en paraphrasant Montaigne : “Sur le plus haut trône du monde on n’est jamais assis que sur son boule.” Diane Lisarelli

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elle et Louis Pourquoi devient-on artiste dans une famille d ’artistes ? Chiara Mastroianni et Louis Garrel, héros des Bien-Aimés de Christophe Honoré, retracent leur chemin. par Jean-Baptiste Morain photo Nicolas Hidiroglou 28 les inrockuptibles 24.08.2011

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utrefois, on ne reprochait pas aux artistes de cirque de se succéder de père en fils. On parlait de dynasties d’acteurs. Leur nom était célèbre mais le métier d’artiste mal vu. Aujourd’hui, c’est différent. Les métiers artistiques se sont ouverts à tous les milieux et se trouvent même socialement valorisés. Conséquence : la concurrence et la difficulté à percer dans ces métiers provoquent souvent – et peut-être à juste titre – la colère de ceux qui ne sont pas nés dans le giron. Les “filles” ou “fils de” se retrouvent accusés de concurrence déloyale et d’être aidés par leurs parents ou leur nom. Mais qu’en est-il vraiment ? Pourquoi devient-on artiste dans une famille d’artistes ? Quelle conscience en a-t-on réellement ? La très pince-sans-rire Chiara Mastroianni et l’anxieux Louis Garrel, issus d’une famille illustre pour la première, prestigieuse pour le second, sont bien placés pour parler du rapport complexe à la filiation – sujet des Bien-Aimés de Christophe Honoré dans lequel ils jouent. Où l’on verra que les chemins vers l’actorat peuvent être variés, voire contradictoires, et éclairés par le hasard et la chance. Chiara Mastroianni, née en 1972, est la fille de qui l’on sait. Sa mère, déjà, était issue d’une famille de comédiens, les Dorléac : “Quand j’étais enfant, explique Chiara, je ne captais pas que je faisais partie d’une famille de comédiens. Je sais que mon grand-père maternel (Maurice Dorléac – ndlr) avait été directeur du doublage pour la Paramount. Mais on n’en parlait jamais : c’était mon grand-père avant tout. Ma grand-mère, Renée, m’a souvent raconté des anecdotes sur son métier. Mais c’était du théâtre : elle était comédienne à l’Odéon. Elle a près de 100 ans aujourd’hui, elle a toute sa mémoire mais reste très pudique. J’ai donc tendance à oublier qu’elle fut actrice, sans doute aussi parce que je ne l’ai jamais vue jouer. Je n’ai pas connu ma tante, Françoise Dorléac, qui elle aussi venait du théâtre. J’ai mis du temps à relier les points de ma famille française.” Louis Garrel, né en 1983, fils du cinéaste Philippe Garrel et de

la metteuse en scène et comédienne Brigitte Sy, petit-fils du comédien Maurice Garrel (décédé en juin 2011), neveu du producteur Thierry Garrel, n’avait pas non plus une conscience aiguë de son appartenance à une dynastie : “Membre d’une famille d’artistes ? Non. Je voyais surtout mon père et ma mère qui galéraient pour faire ce qu’ils voulaient. A vrai dire, il m’a fallu du temps pour me rendre compte de leur instabilité économique. Ma mère a monté des pièces en prison, il fallait tout inventer, réussir à faire communiquer le ministère de la Justice et le ministère de la Culture. Ça m’impressionne encore beaucoup aujourd’hui : faire ça toute seule, dans un monde d’hommes. Ses spectacles étaient très beaux. Mais famille d’artistes, non. En revanche, c’est l’image qu’on nous renvoyait de l’extérieur…” Même réaction chez Chiara Mastroianni : “Evidemment, tout le monde me parlait de mes parents mais moi, je voyais surtout le cinéma ! A cause de mon père qui m’emmenait sur ses tournages mais aussi de mon oncle Ruggero, son frère, un monteur très connu. Je l’ai beaucoup vu travailler à Cinecittà, j’adorais. Je ressentais ça très fort comme un artisanat familial. En France, j’accompagnais très peu ma mère sur les tournages. Comme je vivais avec elle, c’était moins exotique qu’avec mon père. Mais c’est elle qui m’a donné le goût du cinéma. C’est une vraie cinéphile, encore maintenant. Je ne sais pas où elle trouve le temps de voir autant de films ! Je me souviens qu’elle avait un placard rempli de VHS et même de cassettes Betacam avant que les cassettes vidéo grand public n’existent ! Le côté transgressif du cinéma, c’est elle qui me l’a transmis. Elle avait eu en douce, je ne sais même pas comment, une cassette de La Guerre des étoiles en VO non sous-titrée avant même que le film ne sorte en France ! J’étais comme une dingue. Le point d’orgue de la semaine, c’était le Ciné-Club d’Antenne 2. J’y ai découvert tous les Capra et les Preminger. Et puis il y avait le drame du Cinéma de minuit le dimanche soir, auquel je devais renoncer parce que j’allais au collège le lendemain matin ! C’était la schlague ! On allait aussi dans les Action, etc. Elle m’a mis le nez dedans… Après,

les gens s’étonnent ! J’étais très attirée par le cinéma mais pas par le métier d’acteur spécifiquement. J’aurais pu devenir scripte.” Autre vision des choses chez Louis Garrel, pour qui tout est venu par le théâtre : “Assez rapidement, je me suis dit que je voulais faire du théâtre, pas du cinéma. L’espace de la scène et des coulisses me plaisait. J’avais l’impression que c’était un endroit chaud, j’avais envie d’y aller. Quand j’étais petit, j’allais tout voir, même du boulevard, avec ma mère. Y compris Boeing-Boeing de Marc Camoletti au Théâtre de la Michodière ou L’Hôtel du Libre-Echange de Feydeau avec Martin Lamotte, Chantal Ladessous, etc. On hurlait de rire ! On prenait les places au dernier moment donc on était mal placés. On faisait pipi dans notre culotte tellement on riait. J’adorais ça ! Ensuite, on allait manger sur les Grands Boulevards. Je suis très bon public, je fréquente indifféremment le théâtre privé ou public. Les décors réalistes, j’adore aussi : un salon bourgeois avec un jardinet sur la tour Eiffel, ça ne me donne pas le bourdon – un petit peu peut-être ! (rires) Je peux regarder les répétitions pendant des heures. C’est une étape géniale où l’on essaie de rendre sur scène une explication de texte. Je crois que le théâtre est l’art qui se renouvelle le plus en ce moment. Vincent Macaigne ou Sylvain Creuzevault sont deux metteurs en scène qui font de l’art théâtral. Il me semble que le cinéma est plus compliqué en ce moment…” Louis, peu bavard sur son génial cinéaste de père, se montre plus enclin à parler de ses professeurs du Conservatoire (notamment Gérard Desarthe, qu’il vénère et imite à la perfection dans une adaptation de Titus Andronicus par Botho Strauss montée par Luc Bondy) et surtout de son grand-père : “J’avais vu Maurice dans une pièce d’Eric-Emmanuel Schmitt qui s’appelait Le Visiteur. J’y suis allé deux fois avec ma mère, j’avais 11 ans, je crois. Maurice a été assez exemplaire, dans sa vie comme dans son art. Donc oui, partager des gènes… En même temps, on dit que 20 % des gens n’ont pas pour père leur père officiel ! (rires). Maurice était très original comme acteur et comme homme. Depuis sa mort, j’ai croisé beaucoup de

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“je n’aime pas le mot héritage, c’est comme si on subissait quelque chose” Louis Garrel gens qui l’adoraient. Ils lui reconnaissaient un jugement précieux. Quand il parlait, ça ne ressemblait jamais à un discours qu’on avait entendu ailleurs. Ses analyses étaient uniques, profondément originales, sa vision très personnelle. Il a longtemps galéré. Jeune, il a fait des marionnettes avec Gaston Baty, Alain Recoing… Ils ne gagnaient rien ! Ils ont travaillé à la télévision, où ils ont fait une émission de marionnettes puis se sont fait virer de l’ORTF. Ensuite, Maurice a continué dans le théâtre classique. Le théâtre était alors plus sacré qu’aujourd’hui, où il est davantage consacré. En tout cas, en parlant avec Recoing, j’ai compris à quel point j’avais de la chance de gagner ma vie en étant acteur.” Chiara Mastroianni, dont les parents étaient mondialement célèbres et riches quand elle est née, voyait leur métier différemment : “Je trouvais que ça avait l’air facile, je dois l’avouer ! Je n’ai jamais vu mon père se plaindre. Lui avait une autre folie : la vie de tous les jours l’angoissait terriblement. C’est pour cela qu’il a autant tourné. Et tant dormi aussi. En vacances, il s’emmerdait. Les siestes devenaient plus longues… Il me regardait en souriant et disait : ‘On va faire une p’tite sieste ?’ J’ai lu des interviews qui datent de ses débuts et déjà, quand on lui demandait ce qu’il faisait quand il ne tournait pas, il répondait : ‘Je dors.’ Sur Les Yeux noirs, en Russie, après s’être fait maquiller, il avait disparu. Il s’était installé dans les toilettes, avait rabattu le couvercle de la cuvette et s’était endormi dessus comme s’il s’agissait d’un fauteuil ! C’est bien de dormir, mais sans jouer les psys de bazar, ça ressemble aussi à une fuite. Au-delà de son côté solaire, facile d’accès, mon père avait une sensibilité mélancolique. Mais comme je ne l’ai jamais vu se plaindre sur un tournage, je ne me demandais même pas si c’était facile ou pas. Tout l’émerveillait, tout devenait une fête. Quand une journée de tournage avait été un peu plus difficile, il me disait : ‘Mais je sais que ce soir on va aller manger des côtes d’agneau dans ce petit restaurant et que j’en mangerai au moins une douzaine !’ Il me donnait la sensation d’un métier tout sauf laborieux. Ma mère, c’est différent. Elle était plus secrète, plus angoissée par rapport à son métier. Elle dégage à la fois une force et une fragilité, même si les gens ne veulent pas prendre

le temps de le voir et s’arrêtent au côté icône qui brouille les pistes. Et elle ne parle jamais des films qu’elle tourne, que de ceux qu’elle voit. Alors on discute cinéma et c’est super. Jamais, ni du côté de mon père, ni du côté de ma mère, on ne parlait technique de l’acteur.” Chez les Garrel, au contraire, Maurice parlait métier, méthodes d’acteur avec Louis, lui donnait aussi son avis sur telle ou telle réplique dans tel film. Et chez les Garrel, on accordait une place prépondérante à la politique, au Politique, même : “Maurice était dans la Résistance, il a fait le débarquement en Provence en venant du Maroc. Je pense que les gens qui ont fait la guerre, toute leur vie, à chaque fois qu’ils voient entrer une personne dans une pièce, ils se demandent si elle a fait la guerre ou non. Ça devient une grille de lecture. Certains ne s’en remettent jamais. On ne parlait pas de la guerre avec Maurice, ça me gênait. Quand j’étais au lycée, j’éprouvais une fascination malsaine pour les récits et anecdotes de la Seconde Guerre mondiale, comme si la Résistance c’était du Arsène Lupin. Ça me dégoûte un peu. La transmission, c’est une fascination française. On a toujours peur de ressembler à sa famille. La France s’est tellement mal comportée pendant l’Occupation qu’on a toujours peur qu’il y ait des choses cachées dans nos familles. On n’a pas fait notre petite purge. Albert, un ami résistant (il joue dans le moyen métrage réalisé par Louis, Petit tailleur – ndlr), m’a dit un jour : ‘Ma vie a changé quand j’ai lu la lettre qu’avait écrite mon voisin pour me dénoncer aux Allemands. Ce n’est pas seulement parce que c’était mon voisin qui me dénonçait, mais parce qu’il demandait si, pour le remercier, les Allemands ne pouvaient pas lui donner le manteau si joli de ma femme.’ Si ça se trouve, cette femme qui a porté le manteau de la femme d’Albert, c’est ma cousine. Qu’est-ce que j’en sais ? Alors la transmission… Je n’aime pas le mot héritage, c’est comme si on subissait quelque chose.” Vient le moment fatidique où l’on annonce à ses parents que l’on souhaite suivre la même voie qu’eux. Chiara Mastroianni a longtemps hésité : “Mon frère Christian (Vadim), qui a neuf ans de plus que moi, avait laissé tomber ses études pour devenir acteur. Ma mère

flippait complètement et du coup, quand j’ai commencé à avoir envie de devenir actrice, j’ai ressenti un très fort sentiment de culpabilité. Je me souviens avoir fait de la figuration sur Les Yeux noirs de Mikhalkov aux côtés de mon père, j’étais très petite. Je n’ai même pas osé le dire à ma mère en rentrant parce que je me souvenais du remue-ménage déclenché par la décision de mon frère. Alors ça m’a pris du temps… Ma mère s’inquiétait aussi de ce que ça représente d’être une actrice pour une femme. Je me souviens d’elle me déclarant : ‘C’est un métier difficile parce que les femmes n’ont pas le droit de vieillir, et il y a de toute façon plus de rôles intéressants pour les hommes que pour les femmes.’ Quand j’ai commencé à travailler, elle m’a dit : ‘Il n’y a pas de conseils à donner.’ Quant à mon père… eh bien, j’étais sa fille. Il était protecteur. Quand j’ai fait mon premier film, j’étais très angoissée et il me disait : ‘Tant que tu connais ton texte et que tu ne te prends pas les pieds dans les rails du travelling, tout ira bien.’ Le coup du travelling, ça m’est resté. A chaque fois que je dois traverser des rails pendant un plan, je pense à lui. Du coup, ça me fait rire tellement c’est dérisoire. J’aurais préféré qu’il me dise : ‘Lis tout Shakespeare’, par exemple. Mais lui, non ! Mon père avait une vraie humilité, une vraie modestie par rapport à son métier, il se rendait parfaitement compte de la chance qu’il avait d’avoir eu cette carrière et que le talent n’était pas tout. J’ai toujours été très admirative de ça parce que c’est assez rare.” Un jour, Chiara a trouvé une lettre que son père, tout jeune, avait écrit à sa mère à lui, alors qu’il était étudiant en architecture et jouait dans une troupe de théâtre amateur (notamment avec Giulietta Masina, la future épouse de Fellini) : “Ce soir, une très grande productrice de théâtre est venue nous voir jouer. Elle m’a dit que je devrais essayer de faire du cinéma et que peut-être j’aurais une chance d’y arriver.” Chiara conclut : “Je suis émue par ce jeune homme qui ne sait pas ce qui va lui arriver. Chacun devient acteur pour des raisons différentes. Et pourtant, on arrive à jouer ensemble. C’est ça qui est dingue.” Lire la critique du film p. 80 Ecouter la BO du film par Alex Beaupain (Naïve) 24.08.2011 les inrockuptibles 33

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Monica Bellucci dans Un été brûlant de Philippe Garrel

en France de l’art Un été brûlant de Philippe Garrel Philippe Garrel est un cinéaste obsédé : par les mêmes motifs (chagrins sans fond, envies suicidaires, amours destructrices), les mêmes mythologies (l’espoir déçu d’une révolution, la Nouvelle Vague – avec Le Mépris de Jean-Luc Godard en image dans le tapis). Absolument garrelien, Un été brûlant n’en ménage pas moins quelques belles surprises : une lumière solaire, de superbes aplats de couleurs, une tonalité parfois presque légère et surtout une Monica Bellucci sidérante, gorgée de larmes, semblant déborder d’elle-même, infiniment bouleversante. en salle le 28 septembre 34 les inrockuptibles 24.08.2011

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tour d’écran

Cinéma français, comédies américaines, 3D inévitable ou blockbusters annoncés : les films les plus attendus de la rentrée. par Romain Blondeau, Jean-Marc Lalanne et Serge Kaganski

et aussi Entre le Garrel, L’Apollonide de Bertrand Bonello, (voir rubrique “After cannois” page 38) et Les Bien-Aimés de Christophe Honoré (lire pages 28 et 80), les films français se taillent la part du lion parmi les événements de la rentrée. Le cinéma d’auteur national se porte comme un charme et on s’en réjouit. Dès le 31 août, La guerre est déclarée de Valérie Donzelli, avec Jérémie Elkaïm, va faire chavirer plus d’un cœur. Le 28 septembre, Gaël Morel retrouve Stéphane Rideau et Béatrice Dalle dans Notre paradis, tandis que Louise Bourgoin connaît un accouchement difficile, mais pour rire, dans Un heureux événement de Rémi Bezançon.

Le méconnu mais toujours intéressant Jean-Marc Moutout (Violence des échanges en milieu tempéré) ausculte encore la dureté du monde du travail contemporain dans De bon matin (le 5 octobre, avec Jean-Pierre Darroussin). Le 21 octobre, Bruno Dumont cherche la grâce Hors Satan tandis que le 26 Pierre Schœller mène tambour battant sa chronique de l’ordinaire d’une vie ministérielle dans L’Exercice de l’Etat (avec Olivier Gourmet et Michel Blanc). Enfin, le même jour, Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud présentent leur deuxième film après Persépolis, mais le premier en prises de vues réelles : Poulet aux prunes avec Mathieu Amalric. 24.08.2011 les inrockuptibles 35

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jeunes pousses Attenberg d’Athina Rachel Tsangari C’est le nom qui aimante une grande partie du jeune cinéma grec : Athina Rachel Tsangari, jeune productrice (la révélation Canines de Giorgos Lanthimos), plasticienne, vidéaste et réalisatrice de quelques bizarreries pop. Dans son dernier long métrage, la comédie dépressive Attenberg, elle filme l’ennui et les désirs (on y rêve “d’arbre à bites”) de deux jeunes filles un peu paumées, qui se découvrent tardivement une sexualité. Intriguant. en salle le 21 septembre

et aussi Du Québec polaire, le génial Denis Côté ramène son plus beau film et le plus accessible aussi, Curling (21 octobre) : l’histoire d’un amour paternel qui tourne au vampirisme. On prendra des nouvelles du cinéma indé US avec le drame Putty Hill de Matthew Porterfield (7 septembre) et Another Earth de Mike Cahill (12 octobre), étrange film de SF primé à Sundance. On découvrira aussi l’Australie de Julia Leigh, dans la fable érotique Sleeping Beauty (16 novembre), ou le Chili plus excitant de Cristián Jiménez dans Bonsái (9 novembre).

EvangeliaR andou et Ariane Labed dans Attenberg d’Athina Rachel Tsangari

un automne arabe Et maintenant on va où ? de Nadine Labaki Repérée à Cannes avec le beau succès Caramel, la belle Nadine Labaki poursuit son travail de représentation des conflits traversant les sociétés arabes par la comédie et la légèreté. Dans ce nouveau film, une guéguerre villageoise entre chrétiens et musulmans est traitée à la Clochemerle. Avec un ton rappelant Pagnol ou les comédies italiennes, Labaki prône un message d’ouverture et de tolérance où la sagesse humoristique des femmes s’impose face à la violence et à l’immaturité des hommes. Une comédie œcuménique synchrone avec l’actualité du monde arabe. en salle le 14 septembre

Au centre, Claude Baz Moussawbaa dans Et maintenant on va où ? de Nadine Labaki

et aussi Parmi les sorties intéressantes liées au printemps arabe, 18 jours, film collectif d’intervention sur les révolutions arabes (7 septembre), Plus jamais peur de Mourad Ben Cheikh (5 octobre) sur la nouvelle Tunisie, ou encore Laïcité inch’Allah de Nadia El Fani, documentaire qui prône la laïcité en Tunisie comme achèvement de la révolution (21 septembre). 2011 verra aussi le 50e anniversaire du 17 octobre 1961 où des centaines d’Algériens furent assassinés par la police française et jetés dans la Seine, crimes d’Etat toujours pas reconnus. Deux documentaires marqueront cette date noire : Octobre à Paris de Jacques Panijel, tourné en 1962 et longtemps censuré, et 17 octobre 1961 de Yasmina Adi (19 octobre). Dans un autre registre, signalons aussi Les Hommes libres d’Ismael Ferroukhi (le 28 septembre) sur l’amitié entre un Arabe et un Juif à Paris pendant l’Occupation, et Beur sur la ville de Djamel Bensalah (12 octobre) qui abordera les problèmes sociaux de notre pays sous l’angle lol-mdr de la néocomédie ethnique décomplexée.

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Les Aventures de Tintin – Le Secret de la Licorne de Steven Spielberg

dingues de 3D Les Aventures de Tintin – Le Secret de la Licorne de Steven Spielberg Dans le chantier de la 3D, seule l’adaptation des Aventures de Tintin – Le Secret de la Licorne par Steven Spielberg suscite une vraie curiosité. L’hystérie même, chez les nostalgiques d’Hergé (ceux qui ont vu Les Dents de la mer en salle), ou chez ceux qui font confiance à la science du storytelling de Spielberg pour dépoussiérer le mythe du reporter belge. Premier volet d’une trilogie (Peter Jackson prendra la suite), ce reboot de Tintin tourné en 3D et en performance capture devrait être l’un des grands événements de la rentrée. en salle le 26 octobre

et aussi L’un des réalisateurs les plus Z d’Hollywood (Des serpents dans l’avion), David R. Ellis, lance des requins contre des naïades imprudentes dans Shark 3D (21 septembre), alors que son concurrent Paul W. S. Thomas Anderson revisite Les Trois Mousquetaires en relief (12 octobre). Pas sûr que la technologie de James Cameron inventée dans Avatar soit exploitée pour les meilleures raisons dans le flop américain Glee! on Tour (28 septembre), dans le teen-movie horrifique Fright Night (avec Colin Farrell en Dracula, 14 septembre), dans le frenchy Un monstre à Paris ou dans le film d’arts martiaux chinois True Legend (28 septembre).

action ! Time out d’Andrew Niccol Dépassé par la génération des Richard Kelly ou Duncan Jones, Andrew Niccol revient enfin à la SF (Bienvenue à Gattaca, 1997) avec son prochain film, Time out : l’histoire d’une société à peine futuriste où des scientifiques ont trouvé le moyen de supprimer le gène de la vieillesse – qui ne profite, évidemment, qu’aux riches. Un réalisateur haut de gamme, une production design soignée, un casting hypersexy (Cillian Murphy, Justin Timberlake, Amanda Seyfried) pour, peut-être, le grand retour de la SF politique. en salle le 23 novembre et aussi Tom Hardy bande les muscles en free fighter cabossé dans Warrior de Gavin O’Connor (14 septembre), Hugh Jackman joue les robots boxeurs dans Real Steel (19 octobre), de jeunes guerriers luttent contre des titans dans le simili 300 de Tarsem Singh (Les Immortels, 23 novembre). Mais ils ne pourront rien contre Killer Elite de Gary McKendry (26 octobre), le grand plaisir coupable de la rentrée qui réunira le roi Jason Statham, Robert De Niro et Clive Owen dans une série B explosive et sans complexe (i.e. bête et méchante).

Amanda Seyfried et Justin Timberlake dans Time out d’Andrew Niccol 24.08.2011 les inrockuptibles 37

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Céline Sallette dans L’Apollonide – Souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello

after cannois L’Apollonide – Souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello Quelque part entre chronique sociale et projet conceptuel, film en costumes et rêverie opiacée, L’Apollonide déploie des volutes de cinéma envoûtantes, aussi capiteuses que Les Fleurs de Shanghai d’Hou Hsiao-hsien. Avec ce huis clos élégant et cruel, infusé de fragrances cinématographiques, picturales et littéraires, grand oublié du palmarès cannois, Bertrand Bonello signe son film le plus ambitieux, servi par un casting éblouissant. en salle le 21 septembre

et aussi Les films de la compétition n’en finiront pas d’illuminer les écrans de l’automne. On recevra l’onction papale de Nanni Moretti (Habemus papam, 7 septembre) alors que le Drive de Nicolas Winding Refn (5 octobre, prix de la mise en scène), porté par l’incroyable comédien Ryan Gosling, nous fera revisiter la série B. A moins que l’on choisisse de replonger dans le burlesque muet avec The Artist de Michel Hazanavicius (12 octobre), porté par le prix d’interprétation de Jean Dujardin, ou de camper dans un commissariat en compagnie de Maïwenn et JoeyStarr (Polisse, 19 octobre).

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stars non-stop A Dangerous Method de David Cronenberg Attention, attention, Viggo Mortensen + Keira Knightley + Michael Fassbender = érotomètre au bord de l’explosion ! Quoique avec Cronenberg, il est possible que la charge érotique soit quelque peu refroidie à coups de glaçage conceptuel ou d’obsessions tordues. Toujours est-il que cette rencontre entre le cinéaste canadien et une histoire mettant aux prises Freud, Jung et une patiente souffrant d’hystérie intrigue. Cronenberg sera-t-il assagi par la célébrité historique de ses personnages ? Où son inspiration grimpera-t-elle dans les cimes du thriller psycho-sexuel ? Premiers éléments de réponse à la Mostra de Venise début septembre. en salle le 30 novembre et aussi Parmi les internationaux confirmés de cet automne, on guettera plus particulièrement les teenagers sexy de Gus Van Sant (Restless, 21 septembre), un nouveau George Clooney (Les Marches du pouvoir, le 26 octobre) et le Contagion de Steven Soderbergh sur une dangereuse épidémie – film catastrophe ou documentaire sur l’époque ? (9 novembre). Plus étrange sur le papier, Love and Bruises,du Chinois dissident Lou Ye, a été tourné en France avec le “Prophète” Tahar Rahim, qui fera ainsi son grand retour (2 novembre). Enfin, on n’oubliera pas Ceci n’est pas un film de Jafar Panahi et Mojtaba Mirtahmasb, toujours sous haute surveillance du régime iranien, qui avait reçu de bons échos cannois (28 septembre). On ajoutera une reprise en cette année Skolimowski : Le Départ, l’un des plus beaux et moins connus de son auteur, avec Jean-Pierre Léaud (7 septembre).

Médaille d’argent avec un Grand Prix du jury, le Turc Nuri Bilge Ceylan peaufinera son sens plastique en persistant dans ses méditations tranquillement désenchantées mais non dénuées d’humour (Il était une fois en Anatolie, 2 novembre). Disciple d’Haneke, Markus Schleinzer proposera la chronique clinique d’une séquestration pédophile dans le glaçant Michael (23 novembre). En revanche, on ne sera pas obligé de se déplacer le 28 septembre pour We Need to Talk about Kevin, pénible exercice de style de Lynne Ramsay que ne sauve pas l’excellente Tilda Swinton.

En costumes XIXe, Viggo Mortensen et Michael Fassbender sont Freud et Jung dans A Dangerous Method de David Cronenberg. Plus actuel, Matt Damon dans Contagion de Steven Soderbergh 24.08.2011 les inrockuptibles 39

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LOL in the USA Crazy, Stupid, Love de Glenn Ficarra et John Requa Steve Carell poursuit sa traversée solitaire du cinéma US dans le prometteur Crazy, Stupid, Love : le dernier film du duo Glenn Ficarra et John Requa à l’origine du beau mélodrame I Love You Phillip Morris. L’acteur, toujours pas remis de son passage chez Apatow, prolonge son rôle fétiche de quadra ordinaire : ce puceau éternel qu’un beau gosse (Ryan Gosling) tentera d’encanailler un peu. Julianne Moore, Emma Stone et Marisa Tomei complètent le casting de cette rom-com très attendue. en salle le 14 septembre et aussi Auteur de l’un des plus beaux slashers des 2000’s (All the Boys Love Mandy Lane), Jonathan Levine s’essaie à la comédie avec 50/50 (9 novembre), où Seth Rogen tentera de consoler Joseph Gordon-Levitt atteint d’un cancer (un Tendres passions version mecs). Encore des histoires de buddies mais plutôt cul dans Sexe entre amis (7 septembre), qui réunit Mila Kunis et Justin Timberlake, alors que David Dobkin tente de rééditer l’exploit de Serial noceurs avec son dernier film, Echange standard (26 octobre). On ira voir aussi la parodie médiévale Votre majesté de David Gordon Green (28 septembre) et la comédie d’action 30 minutes maximum de Ruben Fleischer (21 septembre).

Steve Carell et Julianne Moore dans Crazy, Stupid, Love de Glenn Ficarra et John Requa

Joseph Gordon-Levitt et Seth Rogen dans 50/50 de Jonathan Levine 40 les inrockuptibles 24.08.2011

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DanielCr aig dans Dream House de Jim Sheridan

horreur en la demeure Dream House de Jim Sheridan L’Irlandais Jim Sheridan, que l’on connaissait plutôt dans le registre exclusif du drame tire-larmes (même 50 Cent, chez lui, a l’air d’un Bisounours), s’essaie au film d’horreur avec Dream House. Une histoire, a priori très classique, de maison hantée, de couple qui se déchire, de fillettes effrayées et de portes qui claquent, dont on retiendra surtout le casting composé de Rachel Weisz, Naomi Watts et Daniel Craig en père de famille schizophrène. en salle le 5 octobre 

et aussi Le cinéma de genre espagnol devrait retrouver sa suprématie avec Kidnappés (30 novembre), le huis clos de Miguel Angel Vivas annoncé un peu partout comme un sommet d’angoisse old-school, alors que le jeune Gonzalo López-Gallego croisera SF et horreur dans le très excitant Appolo 18 (5 octobre). Julien Maury et Alexandre Bustillo tenteront de réveiller l’horreur française avec Livide (2 novembre). A Hollywood, où les scénaristes du cinéma de genre sont en grève depuis dix ans, on se contentera d’un troisième volet de Paranormal Activity (19 octobre) et du prequel d’un remake de The Thing (12 octobre). 24.08.2011 les inrockuptibles 41

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édito

Bertrand Guay/AFP

les impôts augmenteront

La Rochelle, le 29 août 2010

les états d’âme de Martine Aubry C’est la rentrée des socialistes à La Rochelle et, après son pétage de plombs en juin, la maire de Lille doit montrer sa détermination.

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ernière ligne droite pour Martine Aubry à La Rochelle au moment où François Hollande la devance largement dans les sondages. La candidate à la primaire n’a plus le droit aux états d’âme. Pourtant, début juin, après une tournée des grands ducs du PS, Martine Aubry jette l’éponge, excédée par ces socialistes qui ne s’intéressent qu’à la place qu’ils pourraient occuper dans son dispositif de campagne ou par les leçons d’économie que certains lui donnent. Trop c’est trop : Martine Aubry bout ! Lors du week-end de l’Ascension, elle envoie tout balader et refait le coup du congrès de Reims en 2008 où, jusqu’au bout, elle a joué avec les nerfs de ses proches. Cette fois-ci, elle part avec son époux Jean-Louis Brochen sur la côte belge. “Qu’ils aillent tous se faire

foutre ! Ils veulent Hollande ? Très bien, ils vont l’avoir !” 1 Il faut attendre le début de la semaine suivante pour qu’elle refasse surface. Elle appelle Fabius et DSK, qui ne sont pas d’un grand secours. Tout au plus demandent-ils à leurs troupes de faire bloc et de l’assurer qu’elle peut gagner face à Hollande. Mais c’est le week-end suivant, de la Pentecôte, qui remonte le moral de Martine Aubry. Là, Jacques Delors l’assure de son soutien. Désormais, elle est à fond. Requinquée en cette rentrée, elle enchaîne les télés. Prête à affronter La Rochelle où tous les autres vont vouloir occuper la scène. A elle de convaincre qu’elle a envie de faire campagne... Marion Mourgue

 

1. Martine Aubry – Les Secrets d’une ambition de Rosalie Lucas et Marion Mourgue (L’Archipel)

Les impôts vont augmenter. Tout le monde le sait, mais pour l’instant seule Eva Joly ose dire aussi simplement la vérité nue : “J’augmenterais les impôts.” La candidate d’EELV met un “s” à son “j’augmenterais”… Ce n’est pas du futur, Eva Joly sait bien qu’elle ne sera pas présidente, mais son affirmation relève quand même du courage politique. Les candidats socialistes affirment que la réforme fiscale qu’ils prônent rétablira une progressivité de l’impôt qui avait disparu au fil des aménagements de niches ces dernières années. On peut croire que leurs propositions, largement inspirées des travaux de l’économiste Thomas Piketty, sont de nature à enfin inverser la tendance inégalitaire. Mais si les socialistes peuvent dire “les impôts augmenteront pour les plus riches”, ils n’osent pas encore prononcer cette phrase pourtant inéluctable : “les impôts augmenteront” tout court. A droite, on dit “on va supprimer quelques niches fiscales mais on n’augmentera pas les impôts”, c’est le “je ne suis pas gros je suis enrobé” d’Obélix. Pourtant la vérité est simple : en 2012, quoi qu’il arrive, les impôts vont augmenter, et pour tout le monde… La TVA sur la restauration sera rétablie, peut-être la TVA tout court sera-t-elle augmentée et les heures supplémentaires ne seront certainement plus détaxées. Il y aura d’autres trouvailles fiscales qui toucheront forcément tout le monde. Un débat présidentiel parfaitement honnête devrait donc commencer par ces mots, prononcés par tous, “en 2012, les impôts augmenteront”, et après on peut discuter…

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politiques au bord de la crise Les turbulences financières de l’été s’imposent désormais au cœur des débats dans la préparation de l’élection présidentielle de 2012.



ne rechute de trois points dans le baromètre Ifop pour le Journal du dimanche. Avec un petit 33 % de personnes satisfaites de son action en cette fin du mois d’août, Nicolas Sarkozy paie sans nul doute la première facture du réveil de la crise. Même s’il progresse, à 36 %, sur le baromètre électoral Viavoice publié lundi dans Libération. Le sommet organisé le 16 août avec Angela Merkel n’a pas empêché les marchés financiers de sombrer à nouveau dans la tempête en fin de semaine. Le couple franco-allemand s’est certes rabiboché, mais pas au point de prendre des décisions audacieuses sur les euro-obligations qui permettraient aux Etats de l’Union européenne de mutualiser leurs risques économiques et monétaires. A huit mois du premier tour de l’élection présidentielle, la gauche peut-elle tirer avantage de la situation ? Probable, mais pas sûr. Les candidats à la primaire socialiste ont passé leur été à potasser leurs réponses à la crise, qui sont arrivées

Le sommet du 16 août avec Angela Merkel n’a pas enrayé la tempête boursière

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“rien ne serait pire que de ne traiter que de la crise dans laquelle la droite veut nous enfermer” Martine Aubry en ordre dispersé. Ils se divisent sur les priorités et les moyens, ce qui brouille quelque peu le message. L’un des lieutenants de Martine Aubry, François Lamy, explique aux Inrocks que “la primaire est une campagne électorale qui ne se fait pas hors-sol. Mais, ajoute-t-il, les candidats socialistes ont tous un socle commun, le projet, voté par tout le monde, avec des propositions concrètes. Il y a un premier clivage avec le débat autour des déficits publics, les différences s’affirment, mais il n’y a pas de cacophonie, on est dans l’expression des socialistes, dans le cadre d’un projet. C’est le jeu de la primaire”, insiste-t-il. Les joueurs sont en forme. La crise nourrit les arguments des rivaux de François Hollande, qui peinent à le rattraper dans les enquêtes d’opinion. Invitée de BFM-TV dimanche soir, Martine Aubry a taclé le Corrézien en tentant du même coup de rééquilibrer son image sur la gauche. “Il faut du sérieux, mais le sérieux ne va pas sans l’ambition, sans laquelle rien ne change”, a lâché la maire de Lille. Ségolène Royal, invitée du 20 heures de TF1 le samedi, avait déjà lancé : “Il y aura beaucoup d’efforts, mais la garantie que je donne aux Français, c’est que les efforts seront équitablement répartis. Parce que quand j’entends certains dirigeants socialistes promettre du sang et des larmes... Il n’y a pas que la rigueur à promettre, il y a une bonne gestion à mettre en place”. “Vous pensez à la réforme fiscale que propose François Hollande ?”, lui a demandé le journaliste. “Oui, moi, je ne suis pas favorable aux hausses d’impôts. Je pense que la priorité est à la relance de l’activité, pour faire que tous ceux qui veulent créer leur entreprise, leur activité et toutes les petites et moyennes entreprises qui veulent grandir puissent le faire”, a répondu l’ex-candidate de 2007, qui s’est positionnée sur une ligne radicale comme un autre candidat à la primaire, Arnaud Montebourg, avocat de la “démondialisation”. Pour François Hollande, “la crise ne change rien et en même temps chacun pense que cela va changer. Les conditions sont les mêmes : ni récession, ni reprise.

La situation économique en 2012 restera délicate. C’est compliqué pour la droite de la justifier et c’est compliqué pour la gauche de la dépasser”, explique-t-il aux Inrocks. L’ancien patron du PS dispose d’atouts de taille pour se faire entendre : la “révolution fiscale”, qu’il réclame depuis 2008, et l’arrivée de la crise sur les rivages français. “Cette idée retrouve du crédit”, se félicite-t-il aujourd’hui en évoquant les “très riches” qui, comme le patron de Publicis, Maurice Lévy, veulent imiter les patriotiques milliardaires américains prêts, comme Warren Buffett, à payer plus d’impôts. Dans une interview au JDD, François Hollande répond à ceux qui le critiquent, à gauche comme à droite : “Les Français me connaissent. Je corresponds à la période que nous traversons. Elle exige cohérence, constance, stabilité de comportement et, pour tout dire, une capacité à redonner à notre nation espoir dans le rêve français, celui qui permet à chaque génération de vivre mieux que la précédente.” Martine Aubry, qui réunissait dimanche son équipe de campagne à Paris, reconnaît que le chemin sera “complexe” pour la gauche, qui n’a pas exercé de responsabilités nationales depuis bientôt dix ans. “Rien ne serait pire que de ne traiter que de la crise dans laquelle nous sommes et dans laquelle la droite veut nous enfermer. Il faut traiter ce sujet – j’ai fait des propositions très précises et il faut le traiter dans l’urgence – mais il faut aussi porter une autre société, une autre économie”, a souligné la maire de Lille. Quant à l’aile droite du PS, incarnée dans la primaire par Manuel Valls, elle fait entendre sa propre petite musique. Le député-maire d’Evry s’est dit favorable à une révision du projet socialiste “à l’aune de la crise” et a écrit à ses concurrents de la primaire pour tenter d’obtenir un consensus. Les candidats socialistes se retrouvent en tout cas pour fustiger Nicolas Sarkozy. “Il va jouer à fond la gestion de crise. Son argument, c’est qu’il ne faut pas changer de capitaine alors qu’on est dans la tempête, mais cet argument n’est pas sans faiblesse. Si la crise datait d’aujourd’hui, ça passerait, mais la crise date quasiment du début de son mandat, et sa capacité à faire bouger les choses, à régler les problèmes, semble inexistante. Il n’y a eu aucune mesure prise depuis trois ans, à commencer par la taxation des transactions financières, pas une décision qui soit de nature à maîtriser la spéculation et la vaincre”, condamne François Hollande. Du côté de l’Elysée, on travaille dur sur l’argumentaire des semaines

à venir. Franck Louvrier, conseiller en communication de Nicolas Sarkozy, s’en prend notamment à l’inexpérience gouvernementale de François Hollande pour mieux dresser le portrait de son président à lui, qui “connaît parfaitement” les dossiers de la gouvernance économique européenne et mondiale. “Quand Nicolas Sarkozy était à Bercy, il avait toutes les données. Il est à l’Elysée depuis quatre ans, il a déjà géré l’arrivée de la crise en 2008. Il faut une forme d’expérience dans la confrontation économique. Il faut une crédibilité aussi. Elle s’acquiert avec le temps et pas d’un coup de baguette magique, souligne-t-il. Si on regarde du côté des Etats-Unis, on s’aperçoit qu’il y a des Républicains qui ont plus d’expérience du fonctionnement des institutions qu’Obama !”, ajoute-t-il en évoquant les difficultés du président américain. Comme… François Hollande, le conseiller élyséen file la métaphore maritime : “Quand le bateau est dans une mauvaise tempête, il faut garder le cap, en évitant la lame de fond qui pourrait tout faire chavirer. On n’est pas dans le bouleversement de l’architecture économique et sociale (…). Même si c’est difficile, on est dans une phase de sortie de crise, globalement les chiffres sont bons. On ne doit pas être dans la versatilité des marchés, le rôle des responsables politiques, c’est de tenir le cap, pas d’avancer au coup par coup.” Pour le Premier ministre François Fillon, “le retour à un déficit de 3 % en 2013” est un objectif “intangible”. Le gouvernement doit annoncer ce mercredi un tour de vis budgétaire, avec un coup de rabot sur les niches fiscales, au-delà des 3 milliards d’euros prévus en 2012. “Trop tard”, ironise François Hollande, tandis que Martine Aubry souligne que “deux tiers du déficit sont le résultat de la politique de Nicolas Sarkozy” et appelle à la suppression de 50 des 70 milliards d’euros de niches fiscales “introduites par la droite”. La meilleure des défenses étant encore l’attaque, l’Elysée et Matignon ont lancé une offensive contre le PS en tentant de réveiller le vieux procès en mauvaise gestion de la gauche. Nicolas Sarkozy et François Fillon veulent contraindre tous les partis à voter au Parlement une “règle d’or” inscrivant dans la Constitution un objectif de maîtrise des déficits publics. Le Premier ministre s’est fendu d’une tribune dans Le Figaro le week-end dernier pour appeler “toutes les formations politiques” à “l’unité et au sens des responsabilités”. Pas de doute, pour la présidentielle de 2012, les politiques seront en crise. Hélène Fontanaud

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les jeunes et Joly Pour booster sa campagne présidentielle, la candidate s’appuie sur une équipe rajeunie. Rencontre à Clermont-Ferrand lors des journées d’été des écolos.

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algré les ventilateurs posés sur scène, Eva Joly, comme tout le monde, sue à grosses gouttes. Le 20 août, le premier discours de campagne de la candidate écolo a coïncidé avec un jour de canicule. Un drôle de présage. Dans le monde, les Bourses dévissent. A Clermont-Ferrand, l’alerte pollution grimpe au niveau 6. Difficile de mieux incarner le lien entre folie financière et destruction de la planète dénoncé par Europe Ecologie-Les Verts (EELV). Dans le gymnase Fleury transformé en micro-ondes, 1 600 militants trempés et rougeauds expérimentent l’étouffante réalité du réchauffement climatique. Sans exagérer, on frôle presque les 50 degrés. C’est bête, il n’y a ici que des convaincus. Face à la scène, il y a la crème de la crème solaire du mouvement écolo, hormis un absent de marque : Nicolas Hulot. Le perdant de la primaire (40 % contre 58 % pour Joly), encore barbouillé, est resté à la maison. Ses principaux soutiens ont fait le déplacement pour écouter la candidate. Jean-Paul Besset, Sandrine Bélier et Yves Cochet, assis

au premier rang, rigolent lorsqu’ils s’aperçoivent qu’ils sont placés face au pupitre. A la fin du discours, les militants scandent “Nicolas avec nous” après qu’Eva Joly a lancé : “Nous avons besoin de toi, de ton talent et de tes connaissances.” “Je trouverais positif que Nicolas entre dans l’équipe de campagne”, estime Noël Mamère. Avec un objectif affiché de 10 % des voix, ce serait mieux. Il faudra donner des gages. Jean-Paul Besset n’a pas apprécié qu’Eva Joly ne développe pas la fiscalité verte et oublie la taxe carbone. On ne change pas une équipe qui gagne : Sergio Coronado, artisan de la victoire de Joly à la primaire, va codiriger sa campagne avec Stéphane Sitbon, directeur de cabinet de Cécile Duflot. Du haut de ses 24 ans, ce dernier, entré en politique il y a dix ans,

encore barbouillé par sa défaite à la primaire, Nicolas Hulot est resté à la maison

est un fin connaisseur du parti. Pendant que Coronado écoute le discours en régie, chemise vichy noire et chaussures Repetto assorties, Sitbon fait les cent pas derrière la scène, tête baissée et grattant sa barbe. Pas loin, Elliot Lepers, chemise bleu Chine et pantalon blanc, bouillonne. Derrière la nuée de photographes, il scande, le poing levé, “Eva présidente”, comme un malade. A 19 ans, ce petit génie est le directeur artistique de la campagne. Depuis la primaire, pas mal de jeunes gravitent autour d’Eva Joly. Ils composent notamment son pôle communicationmobilisation. Comme la sémillante Elise Aubry (“aucun lien”), 29 ans, issue de Sauvons les riches et Jeudi noir à l’instar de Julien Bayou, le plus vieux avec ses 31 ans. Il y a aussi Tamara Ben Ari, la “scientifique de service” comme elle dit, chercheuse en agriculture et climat. “Mais elle, on ne l’étale pas sur une tartine”, pouffe Elise. Leur papa, Coronado, est un pro de la com et une figure du mouvement écolo. Noël Mamère, dont il dirigea la campagne en 2002, ne tarit pas d’éloges à son égard. “Finesse, intelligence, sensibilité, il n’y a 24.08.2011 les inrockuptibles 47

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l’organigramme définitif de l’équipe de campagne sera rendu public le 17 septembre que les jaloux pour le décrire comme un florentin.” Matthieu Orphelin, chargé de com de Hulot, n’est pas de cet avis : “Ses pratiques et ses attaques sont loin des valeurs de l’écologie politique. Il fait de la politique à la papy.” Mamère convient qu’il peut être dur, mais qu’il“trouve toujours les mots qu’il faut”. Le député-maire de Bègles lui a donc demandé de booster la primaire d’Eva Joly. Elle perdait pied, notamment après sa prestation catastrophique sur France 2 à Mots croisés. “Il fallait des pros, Sergio a été pour beaucoup dans sa transformation”, raconte Noël Mamère. A Clermont, après un apéro presse où la candidate est apparue détendue, Coronado a le sourire. “Elle a compris ce qu’on lui demande : incarner une voix, une vision, une volonté publique, un acharnement, une nouvelle génération écolo.” Certains hulotistes, moins optimistes, pensent qu’il y a encore du boulot... “Ce début de campagne ressemble un peu à celui de Mamère, axé sur les libertés publiques, un peu alter, moins écolo...”, commente Jacques Archimbaud, le directeur de cabinet de Dominique Voynet. Coronado avait été l’artisan du bon score de Mamère (5,3 %), le meilleur des écolos au premier tour d’une présidentielle. Bien plus que les 1,57 % d’une Voynet inaudible en 2007. Vote utile et pacte de Nicolas Hulot lui avaient été défavorables. “Ils n’ont jamais été capables de définir une stratégie, estime Coronado, ou de lui dire qu’elle était mal habillée.” Il se souvient. Début 2002, Mamère patine, avant de rebondir sur la deuxième intifada – “une du Monde et 5,25 % dans les quartiers”, précise Coronado. Coup sur coup, le candidat se rend dans une rave, demande la majorité civile à 16 ans, fait fondre un glaçon sur le plateau du 20 heures de Claire Chazal. Mamère finit par exister. Sitbon a adoré cette campagne. “Les écolos ont trop tendance à réciter leur programme. J’ai vendu à Eva d’aller dans un atoll menacé par la montée des eaux”, sourit Coronado. Un gros coup, Eva Joly en a fait un avec sa proposition de remplacer le défilé militaire du 14 juillet par un défilé citoyen. Exposition médiatique garantie. L’organigramme définitif de l’équipe de campagne présidentielle sera rendu public le 17 septembre. “Il faut réussir à faire Ocean’s Eleven”, lâche, mystérieux, Sergio Coronado. Dans le film de Steven Soderbergh, George Clooney réunit dix as dans leur spécialité pour réussir le casse du siècle. Anne Laffeter

que le meilleur perde Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite. par Michel-Antoine Burnier

Grands victoricides – leur passé plaide pour eux –, les socialistes se révèlent beaucoup plus forts qu’on ne le pensait. Regardez où les mène la primaire telle qu’ils l’ont conçue. Le 9 octobre 2011, soir du premier tour, quels seront les résultats, sauf bouleversement imprévu. Mme Aubry et M. Hollande se retrouveront en tête, et peu importe qui passera devant l’autre : aucun des deux, comme il est présumable, n’atteindra la majorité absolue. Mme Royal, en troisième position, recueillera bien entre 10 et 20 % des suffrages, et les suivants fort peu. Conclusion éclatante : ce sera à elle d’arbitrer le second tour. Ira-t-elle vers Mme Aubry, qu’elle a menacée par deux fois des tribunaux, ou vers M. Hollande dont elle s’est séparée avec toute la rancune qu’exige la situation ? A ce simple énoncé, on comprend qu’elle aura l’esprit libre. Imaginez la tête des deux concurrents, qui pour une part se sont construits contre elle : les voilà contraints de figurer en quémandeurs avec, pour seules armes, l’humilité, le pardon des injures et la souplesse. Enfin, si, pour tout fiche en l’air, Mme Royal demandait Matignon en échange de ses voix ? Etant la seule expérimentée en matière de défaite présidentielle, il semble normal que ce soit à elle de désigner le futur candidat. Reste un point jusqu’ici négligé par les politologues

mais passionnant pour les spécialistes de la défaite : en soutenant un(e) candidat(e), Mme Royal fait-elle fuir davantage de voix qu’elle n’en apporte ? Quand rien ne garantit la victoire, rien ne garantit la défaite. Il n’est pire danger que le rajeunissement des idées politiques. La vétusté des arguments reste d’un puissant secours pour décourager l’électorat et écarter un homme du pouvoir. Et où trouve-t-on le mieux de vieilles idées ? Chez les vieilles personnes, bien sûr. Celles-là auront à cœur de répéter les erreurs de leur jeunesse et de vous enseigner comment les commettre à votre tour. Voilà pourquoi M. Sarkozy s’appuie sur les avis d’un groupe nommé “Groupe Fourtou” et qui comprend : M. Fourtou, chef d’entreprise, 72 ans, MM. Mougeotte, Villeneuve et Carreyrou, journalistes, 71, 70 et 69 ans, tous trois anciens de TF1, M. Pébereau, dirigeant de BNP-Paribas, 69 ans. S’ajoute un jeunet, M. Carignon, ancien maire de Grenoble, 62 ans. Bien sûr, pas une femme : même vieille, elle rajeunirait les messieurs. Si l’on considère que M. Sarkozy s’appuie en outre sur M. Juppé, victoricide connu de 66 ans, et sur M. Tapie, chevalier d’industrie, 68 ans, on peut se sentir rassuré quant à l’antiquité des propos. Remarquons que sur les trois derniers conseillers cités, tous ont été condamnés et deux ont fait de la prison. (à suivre...)

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presse citron

par Christophe Conte

Jean-Noël Guérini en voie de pasquaïsation, Pécresse et Baroin en couple de l’été raté, Morin tente de se faire un prénom, à chaque socialiste ses règles, et le récit des scènes de ménagerie qui ont agité les Verts.

les relous primaire et course à l’échalote

la vie des bêtes Chez Europe Ecologie-Les Verts, on est contre la chasse, sauf lorsqu’il s’agit de dégainer les bazookas pour dégommer une pauvre hulotte sans défense. Maintenant que l’importun volatile a quitté la forêt et que la taupe importée du norwegian wood a été désignée par ses pairs pour aller se manger collectivement un platane en 2012, voilà le Père Castor qui s’en mêle. Aux journées d’été d’EELV, Dany Cohn-Bendit a ainsi joué le “trouble-fête” (Le Parisien, 19/08) en racontant que face à Marine La Laie qui menaçait de surgir en tête au premier tour, mieux valait trouver un accord avec les éléphants de la jungle PS. Père Castor est un sage.

masterchef d’inculpation

l’amour est dans le prénom

Le sénateur PS Jean-Noël Guérini, alias Nono la Fripouille, alias Face d’emplâtre, alias le Sulfateur, alias l’Equarrisseur de la Belle de Mai, alias Dentier de plomb, alias Corleone Pastaga, alias Vide-ordure, alias Nini la Perforeuse, est convoqué le 8 septembre prochain par la justice en vue d’une mise en examen pour “prise illégale d’intérêt, trafic d’influence et association de malfaiteurs” (Libération, 19/08). Normalement, comme son héros Charles Pasqua, alias Charly la Fripouille, etc., il devrait passer entre les balles et faire une belle carrière.

Lu dans L’Express (17/08), Hervé Morin part en croisade contre la proposition infecte de Marine Le Pen qui veut obliger l’attribution à tous les enfants de prénoms “français” issus du calendrier des Postes. Le patron du Nouveau Centre a même créé un groupe Facebook, “Touche pas à mon prénom”, et organise une réunion le 7 septembre sur le parvis des Droits de l’homme à Paris. A cette occasion, par solidarité, il se fera officiellement rebaptiser Mamadou Morin.

Chouchou et Loulou Ce fut le couple de l’été. François Baroin et Valérie Pécresse ont multiplié les points de presse lénifiants pour tenter de rassurer les vacanciers à propos de la crise. Selon Le Canard (17/08), leurs collègues du gouvernement ont été unanimes pour les trouver nuls. Selon un ministre, “Baroin et Pécresse, c’est Harry Potter et Cameron Diaz, mais ils ne ressemblent en rien à l’idée qu’on se fait du ministre de l’Economie et de celui du Budget.” Pour Harry, OK, en revanche pour Cameron, on conseille à ce ministre de consulter d’urgence un ophtalmo.

Jack Lang publie son courrier Jack Lang vient de sortir un énième nouveau livre : Pourquoi ce vandalisme d’Etat contre l’école, lettre au président de la République. Mais pourquoi écrire une lettre à quelqu’un qu’on a pris l’habitude de voir régulièrement depuis son élection en 2007 ? Alors Jack, t’as même pas le 06 de Nicolas ?

Assemblée nationale

Parlement européen

Les candidats du PS à la primaire se marquent à la culotte… jusque dans les médias. Sitôt Martine Aubry calée au JT de 20 heures de TF1 du 22 août, on apprenait que Ségolène Royal était elle invitée sur le même plateau, deux jours plus tôt. D’où la question : mais que fait François Hollande ? Il a tout simplement choisi la presse écrite, avec une interview dans Le Journal du dimanche.

Sang aucun doute Manuel Valls, le prétendant UMP à la primaire du PS, se prononce dans une tribune à Libération (22/08) en faveur de la “règle d’or”. C’est sans doute à lui que pensait Ségolène Royal en dénonçant ceux de ses camarades qui promettent “du sang et des larmes”. Arnaud Montebourg parle quant à lui de “règle dure” pour ne pas dire “règle douloureuse”. C’est pas avec ça qu’ils vont accoucher d’un candidat.

très confidentiel Sur Twitter, la semaine dernière, Nicolas Dupont-Aignan a répondu à une question qu’Afida Turner ne lui avait pas posée. Quel chaudard !

Sarko en Kanakie Il faut déjà 24 heures pour y aller, 24 heures pour en revenir. Nicolas Sarkozy part ce mercredi en NouvelleCalédonie, avec une étape à Pékin jeudi. Le Président n’aime pas être éloigné de Paris et en plus, là, avec ce qui se passe en Libye, la crise et l’affaire DSK, cela complique un peu plus l’agenda. Loin des yeux, loin du cœur de l’actu… 24.08.2011 les inrockuptibles 49

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tribune libre

sortir de la dépression culturelle ! par Manuel Valls Candidat à la primaire socialiste, le député-maire d’Evry expose les enjeux de la politique culturelle des années à venir, entre initiatives locales et orientation nationale, hors du clivage traditionnel public/privé.

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otre pays traverse une sorte de “dépression culturelle”. Après l’élan des années Lang, aucun des gouvernements successifs n’est parvenu à redonner du souffle à notre politique culturelle. Dans le débat en vue de l’élection présidentielle de 2012, et face aux défis majeurs que notre pays doit relever, la culture risque fort de passer au second rang des priorités. Pour ma part, j’ai la conviction qu’il n’y aura pas de sortie durable de la crise économique et sociale sans une politique ambitieuse en matière d’éducation, de culture et de soutien à la création. Prenant le relais d’un Etat de plus en plus défaillant, les collectivités territoriales tentent d’amortir le choc du désengagement. A leurs têtes, la gauche fait preuve de courage et d’imagination, mais la somme des bonnes pratiques locales ne fait pas une politique nationale. Quels sont les défis qui nous attendent et quelles nouvelles réponses leur apporter ?

l’éducation artistique et culturelle pour tous Parce que j’ai grandi auprès d’un père artiste-peintre et que je partage la vie d’une violoniste, que la littérature et la musique ont forgé mon imaginaire d’enfant et d’adolescent, je sais l’importance de l’art et de la culture dans la construction de l’individu et du citoyen. Je veux rendre la pratique d’un art ou la fréquentation des œuvres réellement accessibles à tous, quels que soient leurs revenus ou leurs origines sociale et culturelle. Nous devons désormais poser des actes irréversibles. Ce ne sera possible que sur la base d’un pacte entre l’Etat et les collectivités et une mobilisation massive des acteurs de l’éducation et de la culture. Toutes les solutions ne peuvent venir “d’en haut”, mais l’Etat a un rôle essentiel à jouer. Je propose un objectif simple : que chaque enfant du primaire puisse pratiquer une activité artistique.

préserver la diversité de la production et de la diffusion culturelle Sous l’effet des migrations et grâce aux nouveaux moyens de télécommunications,

notre espace culturel s’est enrichi de nouvelles formes d’expression, de nouvelles esthétiques et d’autres manières de dire le monde. Cette diversité est une richesse formidable, à condition de la faire vivre et partager par le plus grand nombre. Si nos institutions culturelles doivent porter les valeurs universelles de la République, elles doivent également s’ouvrir à la diversité qui fait le quotidien de nos villes et de nos quartiers. La diversité des formes et des expressions doit également être accessible à partir d’internet qui est devenu le principal diffuseur de contenus culturels et créatifs. Contrairement aux médias traditionnels, il offre à chacun de nous la possibilité de partager ses propres productions. De toutes les pratiques culturelles, c’est la seule qui progresse depuis dix ans, nous faisant passer d’une culture de la consommation à une culture de la contribution. C’est pourquoi la loi créant Hadopi est déjà dépassée par les progrès technologiques et les pratiques de la jeunesse. Mieux partager la culture, c’est possible avec internet, à condition de garantir les droits de chacun, l’accès à la diversité des contenus, comme celui d’une juste rémunération pour leurs auteurs.

garantir l’équilibre économique des filières artistiques et culturelles Tout cela n’est possible que si chaque filière artistique trouve son équilibre économique et les conditions de son développement. Pas de démocratie culturelle sans pluralisme des contenus diffusés, pas de diffusion sans base financière solide. Prenant acte que l’économie de la culture “pèse” désormais plus de 3 % du PIB, nous devons faire évoluer nos modalités de soutien. Peut-on à la fois se revendiquer comme un secteur économique à part entière et continuer à faire appel à la générosité publique ou privée ?

passer d’une culture de la consommation à une culture de la contribution grâce aux pratiques liées à internet

La subvention et le mécénat ne peuvent plus être les seules modalités d’intervention en faveur du secteur culturel. J’invite chacun à ne pas céder à la facilité des promesses par des annonces d’augmentation des budgets qui sont peu crédibles dans le contexte actuel. J’appelle à dépasser le clivage traditionnel entre “public” et “privé” et à inventer de nouvelles organisations mixant solidarités internes aux filières, argent public et investissements privés. Pour inspirer notre réflexion, nous pouvons nous tourner aussi vers l’économie sociale et solidaire, le microcrédit ou l’actionnariat citoyen. Enfin, je propose d’inventer un statut de l’artiste digne du XXIe siècle, en mettant autour d’une table l’ensemble des organismes sociaux et sociétés civiles qui contribuent aux droits des artistes.

une organisation beaucoup plus décentralisée pour relever ces défis L’Etat reste l’acteur le mieux placé pour piloter la stratégie, réguler le secteur ou entretenir le patrimoine. Plus d’argent pour les grandes institutions culturelles, essentiellement parisiennes, est-il à même de combler les inégalités d’accès sur l’ensemble du territoire national ? Au contraire, en transférant progressivement ses moyens d’action aux régions, aux intercommunalités et à des structures indépendantes spécialisées dans l’accompagnement des filières artistiques et culturelles (agences, fondations…), il leur permettra d’agir au plus près des réalités du terrain. L’échelon local, essentiel pour la cohésion sociale, reste quant à lui le plus opérationnel pour développer l’éducation artistique et les pratiques en amateur ou pour favoriser l’expression de la diversité culturelle dans l’espace public. Ainsi réorganisée, l’action de la République retrouverait un peu de cohérence et de lisibilité. Le citoyencontribuable y verrait plus clair. Le professionnel saurait de nouveau à quoi il sert. L’élu redeviendrait garant de l’intérêt général. Chacun essayant de saisir la complexité d’un monde en perpétuelle mutation.

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“J’ai pour ambition d’écrire des romans qui vont vous tenir éveillé toute la nuit” New York, juin 2011

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liberté chérie, liberté honnie

Dix ans après Les Corrections, Jonathan Franzen revient avec Freedom, deuxième épopée familiale où chacun est libre… de se pourrir la vie. Le livre sort déjà auréolé d’un immense succès aux Etats-Unis. par Nelly Kaprièlian photo Martha Camarillo

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encontrer Jonathan Franzen, c’est être face à un sympathique psychopathe – et non à un “connard arrogant”, comme le qualifient certains de ses confrères. Pas seulement parce qu’il peut vous parler de sa passion pour l’ornithologie, ce qui en soi ferait froid dans le dos, mais parce que lorsqu’il s’enferme dans son studio de l’Upper East Side pour écrire, il a besoin de fermer les fenêtres, les stores, de brancher un fond sonore dit “white noise” tout en s’enfonçant des boules Quies dans les oreilles – avec un casque à portée de main au cas où cela ne suffirait pas. Ça, c’était quand on l’avait rencontré en 2008, alors qu’il tournait autour de son nouveau projet de roman, sept ans après le succès des Corrections. Il avait alors regretté qu’en Amérique, rompue à l’entertainment, personne ne s’intéresse plus aux écrivains. Exemple type pour lui : Time Magazine n’avait pas consacré sa couverture à un romancier depuis des lustres. Assez ironiquement, il a décroché cette couve pour la sortie fracassante de Freedom en 2010. Est-ce que l’Amérique et Time Magazine avaient

changé en deux ans, ou les écrivains avaient-ils su se rendre plus populaires à force d’histoires pouvant toucher tout le mon de ? “Pour être honnête, c’est moi qui leur ai suggéré de me mettre en couverture. Je pensais que ce serait bon pour eux et pour moi. Ça a été une des pires ventes du magazine”, s’amuse-t-il. Fin mai 2011, on le retrouve chez lui, à quelques encablures du Metropolitan Museum, dans un joli appartement qu’il partage avec sa compagne. Dans le grand salon, une œuvre conceptuelle – une sorte de suite de champignons –, posée au sol ; de l’autre côté, la climatisation, au bruit tonitruant. Jonathan Franzen parle lentement, pèse ses mots, s’excuse régulièrement de n’avoir rien à dire, et l’on comprend pourquoi il lui a fallu neuf ans pour sortir un nouveau roman. “Je mets tout ce que je suis, ma vie entière, dans le roman que j’écris, puis il me faut du temps pour recharger mes batteries. J’avais donc besoin d’attendre un peu après Les Corrections, besoin de devenir une personne différente pour avoir quelque chose de neuf à dire. J’ai beaucoup écrit en neuf ans mais rien ne me plaisait : c’est comme si ces pages n’étaient pas

vivantes. Je sais qu’elles le sont si j’entends le ton juste. Ce n’est qu’en 2008 que ça a commencé. Je venais de passer six mois à écrire sur la Chine pour le New Yorker et j’en ai eu tellement peu d’échos que ça m’a découragé de poursuivre dans la non-fiction. Alors je me suis rendu à Berlin pendant un mois et j’ai commencé à écrire Freedom.” Une autre fresque familiale à l’instar des Corrections – car Franzen n’a pas son pareil pour construire des épopées avec des sujets anti-épiques au possible. L’intimité, par exemple, ou comment chaque personnage va devoir conquérir sa propre place dans le monde, dans la société et sa métaphore, la famille. Freedom est une quête de soi à travers une famille en apparence banale et l’Amérique contemporaine, discrètement étayée par une question fondamentale : celle des choix que nous opérons dans nos vies. Patty, le plus beau personnage du roman et le plus singulier portrait de femme qui ait été créé depuis longtemps, passera vingt ans à se demander si elle a eu raison d’épouser le sage Walter, alors qu’elle aurait pu filer avec son meilleur ami, le fantasque Richard, musicien de rock et dragueur invétéré ; 24.08.2011 les inrockuptibles 53

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“après 40 ans, les choix diminuent. Les gens qui n’acceptent pas cela sont des fous, des clowns” et si elle a bien fait de ne plus travailler pour rester enfermée dans un pavillon à faire des cookies pour ses deux enfants – au risque de sombrer dans la dépression et l’alcoolisme… “Au fait, je vous remercie de ne pas m’avoir posé de question au sujet de mon titre. Je ne tiens pas du tout à en parler. Les journalistes ne me parlent que de ça et j’en ai assez”, déclare Franzen abruptement, tout en poursuivant pourtant : “Le fait de devoir choisir est angoissant. L’intranquillité et l’anxiété de devoir prendre une telle décision, d’être aussi libre, c’était vraiment cela mon sujet – davantage la phénoménologie du choix que la façon dont nos choix nous définissent. Aux Etats-Unis, les gens se croient libres car ils ont le choix entre une multitude de compagnies d’assurance. C’est pathétique car les véritables choix se posent dans notre vie intime et c’est là que la liberté peut être angoissante. Nous avons tous une multitude de possibilités qui s’offrent à nous, et choisir celle qui vous convient, celle où vous savez que vous pourrez être vousmême, représente un vrai soulagement. Après 40 ans, les choix diminuent. Les gens qui n’acceptent pas cela sont des fous, des clowns… Ils en sont généralement à leur cinquième mariage. Personnellement, ma vie a eu plus de sens et j’ai commencé à mieux vivre après 40 ans. Le plaisir, avoir de bonnes relations avec les femmes, être moins autocentré, pouvoir m’engager dans autre chose que moi-même et mon écriture, éprouver plus d’aisance, un niveau moindre de craintes… c’est arrivé il y a dix ans.” Pourtant, Freedom est peut-être le roman (son quatrième) le plus mélancolique et triste, limite dépressif, de Franzen. Chaque personnage semble se heurter aux parois de verre de la petite boîte dans laquelle il s’est enfermé et qu’il appelle sa vie. “J’avais des raisons personnelles d’être triste en commençant ce roman. Et l’Amérique avait envahi l’Irak et réélu Bush. Et puis Dave s’est suicidé…” Dave, c’est David Foster Wallace, écrivain conceptuel et prodige de la Côte Ouest qui a signé en 1996 un romanmonstre, Infinite Jest, tellement innovant qu’il en serait intraduisible. Il s’est

pendu en septembre 2008, quelques jours après que Franzen eut commencé l’écriture de Freedom à Berlin. “Une coïncidence étrange…”, murmure-t-il. Peut-être même un signe : David Foster Wallace le postmoderne, le novateur, et Franzen, celui qui favorise l’histoire, l’émotion et la psychologie, ou les deux faces d’une même pièce – la littérature américaine contemporaine. L’un s’efface, l’autre connaît des chiffres de ventes à multiples zéros pour son nouveau roman et des critiques dithyrambiques pour son “classicisme”. Nombre de journalistes, dont l’auteur de l’article de Time Magazine, ont vu dans Freedom un retour à la littérature du XIXe siècle. “Je ne suis pas du tout d’accord, répond Franzen, mais j’ai compris ce qu’ils voulaient dire : une longue histoire qui nous tient sur un très long temps, sur un mode essentiellement réaliste. C’est vrai que je suis un écrivain réaliste et j’ai pour ambition d’écrire des romans qui vont vous tenir éveillé toute la nuit. Je veux que vous preniez le temps de lire mon livre, car avec toutes les autres distractions que nous avons, les autres médias, il faut être actif en tant qu’écrivain pour s’approprier l’attention du lecteur. Mais je viens aussi d’une école moderniste. Les voix et les points de vue mêlés, l’expérimentation temporelle… Je n’arrive à écrire un livre que quand je pressens qu’il pourrait apporter quelque chose de formellement nouveau. Je ne suis pas pour autant dans le postmodernisme. William Gaddis ou Thomas Pynchon, que j’aime, ont écrit des romans en forme de systèmes, où le personnage est secondaire. Lire des auteurs comme Paula Fox ou Mary Alice Monroe m’a montré que la littérature n’était pas forcément un système. Quant à mon écriture, elle n’est pas XIXe : je ne pense plus en termes de scènes.

Jonathan Franzen à Paris Le lundi 19 septembre à L’Odéon-Théâtre de l’Europe (Paris VIe), Jonathan Franzen lira des extraits en anglais de son nouveau roman (lu en français par une comédienne). Une rencontre animée par Nelly Kaprièlian, en partenariat avec Les Inrockuptibles. A 20 h, réservation au 01 44 85 40 44, 12 €

Le cliché dans les cours de creative writing aux Etats-Unis, c’est de dire aux élèves : montre, ne dis pas. En tant que lecteur je n’ai pas le temps qu’on me montre, je veux qu’on me dise directement (rires). J’ai ainsi cessé de m’intéresser aux descriptions, à l’apparence des personnages. On écrivait comme ça avant parce que la photo et la vidéo n’existaient pas.” Le livre collectionne d’ailleurs les longs dialogues, qui rappellent plutôt la forme très contemporaine de la série télé. Franzen en est fan et planche actuellement, avec Noah Baumbach (réalisateur et scénariste, notamment avec Wes Anderson – ndlr) sur l’adaptation des Corrections pour une série sur HBO. “Ils ont besoin de moi pour l’écrire et le développer car mon roman met en échec toute adaptation filmique. Le genre de romans que je veux écrire et lire sont inadaptables au cinéma.” Seule légère réserve face à cet ample récit, envoûtant par sa lenteur et impressionnant de détails : son moralisme. Tous les personnages finiront par faire le juste choix… “Jonathan est un moraliste dans la pure tradition américaine”, analyse Lorin Stein (de la Paris Review), qui a longtemps travaillé chez Farrar, Straus and Giroux, l’éditeur de Jonathan Franzen. “Son background : le Midwest, le protestantisme, les valeurs d’Europe du Nord poussées à l’extrême. Devoir, décence, introspection, une méfiance, voire une hostilité, à l’égard du ‘soi’.” D’ailleurs, Franzen se dit incapable d’écrire au “je” et définit son livre comme “une autobiographie à la troisième personne”. Et si la clé du succès de Freedom résidait là ? Le lecteur aurait peut-être lui aussi l’impression de lire son autobiographie (écrite par un autre). Car s’il faut avoir eu une famille, avoir aimé, avoir douté, avoir trompé, avoir souffert, s’être trahi, puis être revenu pour aimer Freedom, alors il est bien possible que Jonathan Franzen conquière le monde entier. Freedom (Editions de l’Olivier), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne Wicke, 718 pages, 24 €

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le réseau du plus fort En dépit d’une aura sulfureuse, le producteur et animateur Cyril Viguier s’est taillé une route dans l’audiovisuel public à l’aide d’un carnet d’adresses qui remonte jusqu’à l’Elysée. par Guillemette Faure illustration Laurent Blachier

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e sais que je suis attendu”, nous dit Cyril Viguier en faisant mine de recharger une arme. Il nous a donné rendez-vous au bar du Crillon à Paris. A partir du 9 septembre, il doit présenter Vendredi sur un plateau, un talk-show diffusé en deuxième partie de soirée sur France 3. Le BlackBerry sonne. “Oui Dav’, je suis avec des journalistes.” Comprendre David Hallyday avec qui, il y a trois ans, il a fondé DHCV, sa société de production. “Il fait le générique.” L’émission doit occuper à la rentrée la place de celle de Mireille Dumas, remerciée. Si son remplaçant, 47 ans, se sent dans la ligne de mire, ce n’est pas tant que le contenu de l’émission risque d’être trop remuant (invitée, Mireille Darc) mais à cause des conditions de son retour. La décision de lui confier un programme hebdomadaire a été prise sans réaliser de pilote. “Des gens qui ne sont pas en promo, c’est un concept, ça ?”, raille un spécialiste du divertissement à propos du pitch de l’émission. En juin, Viguier se cherchait toujours un rédacteur en chef. Mais l’émission avait le feu vert de France 3. La confiance que lui marque la chaîne publique contraste avec les relations qu’entretenaient Viguier et Hallyday avec la direction précédente de France Télévisions, le tandem Patrick de CarolisPatrice Duhamel.

Le week-end du 1er mai 2008, Patrice Duhamel, numéro deux de France Télévisions, est en famille au musée d’Art moderne de Vienne quand son portable sonne. Duhamel cherche un coin à l’écart : c’est Nicolas Sarkozy. “J’aimerais que tu reçoives au plus vite David Hallyday, il a un très bon projet.” Duhamel s’exécute et reçoit le chanteur, accompagné de Cyril Viguier. Ils proposent un talk-show hebdomadaire, le samedi à 18 heures. La direction de France Télévisions les renvoie vers le patron des divertissements de France 2. “J’ai reçu le projet, considéré qu’il n’était pas très novateur et pas dans la ligne qu’on s’était fixée. Cyril voulait l’animer. On a proposé de le tester en prime time. Eux voulaient un rendez-vous récurrent”, se souvient Nicolas Pernikoff. “Viguier pensait sans doute que ça allait se régler dans la semaine”, suppose un responsable de l’époque. Nicolas Sarkozy s’impatiente. A l’occasion d’une de ses visites à l’Elysée, Duhamel proteste : “Personne ne le connaît, il n’a pas d’expérience.” Le Président n’a pas l’air sensible à l’argument. “La blague qui circulait à l’Elysée, c’est que Johnny Hallyday ne voulait plus prendre Nicolas Sarkozy au téléphone tant que cela n’était pas réglé”, raconte un cadre de la chaîne. Agacé de ne pas voir les choses bouger, le Président charge Claude Guéant du dossier. “Je pense, avec le recul, que le cas Hallyday a participé à la dégradation de mes relations personnelles avec le président de la République”, écrit Patrice Duhamel dans son livre Cartes sur table.

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Le vent a tourné. En juin 2009, le Premier ministre François Fillon a remis à Cyril Viguier l’ordre national du Mérite. Il faisait beau. Dans son discours, François Fillon a cité Chaban-Delmas dont Viguier, originaire de Bordeaux, s’était attiré les bonnes grâces. Pierre Cardin était là, intarissable sur son admiration pour celui qu’il avait aidé à ses débuts à Paris. Le président du CSA Michel Boyon s’était lui aussi déplacé. Quelques politiques, Roger Karouchi, des hommes d’affaires comme Vincent Bolloré et son fils Yannick, le conseiller de Sarkozy sur les questions de sécurité, Alain Bauer. Et surtout du show-biz : les Delon père et fils (Alain lui a donné des coups de pouce tout au long de son parcours), les Hallyday (David, Laetitia)… “J’ai gardé un très bon souvenir des émissions que vous présentiez sur France 5”, lui dit François Fillon en le décorant. Pour les anciens de la Cinquième (rebaptisée France 5), les souvenirs sont plus mitigés. Cyril Viguier a fait partie des débuts de la chaîne éducative en 1994. “L’équipe à la tête de la Cinquième cherchait un mec de ma génération”, raconte-t-il. En fait, lorsque la nouvelle chaîne est confiée à Jean-Marie Cavada, alors star de La Marche du siècle, Viguier s’est placé dans son sillage depuis longtemps. “C’est Carignon qui nous l’a mis dans les pattes”, râle un ancien employé de Cavada, en référence à l’époque où la société de production de La  Marche du siècle fait aussi du coaching d’hommes politiques, notamment pour Alain Carignon, alors ministre de la Communication. A l’automne 1993, Viguier joue les éminences grises de Cavada et le persuade qu’il peut décrocher facilement la présidence de France Télévisions. “A l’époque de La Marche du siècle, il n’avait besoin de personne pour rencontrer qui il voulait mais s’est laissé convaincre qu’il avait besoin de l’aide de Viguier”, raconte un proche de Cavada. Le CSA choisira Jean-Pierre Elkabbach à neuf voix contre zéro. L’année suivante, Cavada arrive à la tête de la Cinquième, Cyril Viguier dans ses bagages. Le jeune directeur délégué aux programmes cherche très vite à être à l’antenne. Il anime L’Esprit du sport, à l’en croire “l’émission la plus regardée de la Cinquième”. Ses relations avec d’autres responsables de la chaîne se dégradent rapidement. Revers de son enthousiasme de jeunesse selon Viguier. “Je ne voyais rien, j’étais très jeune, même pas 30 balais, tous les coups étaient pour moi. Ils m’avaient bien niqué, dit-il aujourd’hui. C’est à moi qu’on faisait signer les lettres de non (aux projets refusés – ndlr). C’était le président (Cavada – ndlr) qui disait oui.” Pour ses adversaires de l’époque, les problèmes étaient d’un tout autre ordre. Ils lui reprochent un fonctionnement opaque en marge de la chaîne. En septembre 1996, la journaliste Marie-Dominique Arrighi pointe dans Libération les “pratiques contestables” de Viguier. A la suite de cet article, la Cinquième

“dès qu’on fait de la télé, on est sarkoziste” Cyril Viguier craignant d’être perçu comme un producteur proche du pouvoir

demande un audit des comptes de plusieurs sociétés de production et dépose plainte contre X pour “escroquerie, abus de confiance, vol, faux et contrefaçon”. Tigre Productions, producteur exécutif de L’Esprit du sport, a fait flamber les devis de ses émissions et est suspecté de reverser une partie des sommes surfacturées à des tiers. Une plainte contre X, écrit Marie-Dominique Arrighi, parce que “plusieurs responsables de la chaîne estiment en effet que la présidente de Tigre Productions, âgée de 72 ans, serait dans cette affaire plus victime que coupable”. Dans sa déposition, Michèle Vallon, alors directrice de la production de la chaîne, raconte que le jour où elle devait rendre ses comptes au comité d’audit, la présidente de Tigre lui avait donné rendez-vous hors des locaux de la Cinquième pour lui expliquer “qu’à partir du moment où sa société avait obtenu le contrat avec la Cinquième, elle avait fait l’objet de tout un processus de chantage et de pression de la part de ces trois personnes (Cyril Viguier, Thierry Khayat, alors chargé de production de l’émission, Stéphane Attia que Viguier avait fait embaucher à la Cinquième – ndlr). Je lui ai demandé de décrire ces faits par écrit, ce pour quoi elle était réticente en me disant qu’elle craindrait alors que son cadavre soit retrouvé dans le caniveau”. Les couloirs de la Cinquième ne sont plus exactement ceux qu’on imagine dans une chaîne éducative. Viguier menace une attachée de presse de lui “envoyer des Yougos”. François Desnoyers, directeur général de la chaîne, le sort de son bureau manu militari. En 1997, le gouvernement décide de fusionner Arte et la Cinquième et Jérôme Clément prend la direction de la chaîne. Cyril Viguier est licencié. Il part alors pour la Californie. “Je devais rentrer à Europe 1 mais je me suis dit que si je vivais aux Etats-Unis, je prendrais de l’avance sur les autres”, nous explique-t-il. A Los Angeles, il lance la chaîne Surf Channel. Un Français qui vient proposer une chaîne de surf ! “On a réussi à vendre du thé aux Chinois, rigole-t-il. Entre CNN et Warner Brothers, il y avait Surf Channel.” Selon une enquête de La Tribune, Viguier n’a jamais réussi à en faire une vraie chaîne. Quelques heures de programmes sont en fait diffusées essentiellement sur le “public access” de certains câble-opérateurs de Los Angeles et Denver. “L’industrie du surf ne s’est pas assez mise derrière. Il y a aussi eu Fuel TV en Californie ; il n’y avait pas de place pour deux et je ne suis pas sûr qu’il avait de gros moyens financiers”, analyse Bernard Mariette alors patron de Quiksilver, le géant du surfwear, qui l’embauchera, admiratif de son énergie et de son contact avec les athlètes. En 2006, après neuf longues années, le juge d’instruction qui avait mis Viguier en examen dans le cadre de l’enquête sur la plainte de la Cinquième rend un non-lieu à son égard. Viguier revient en France peu après. Champion, depuis ses débuts chez Pierre Cardin, des coups de fil dans les rédactions pour célébrer son travail, il sait convaincre en France de sa réussite américaine. “Inaugurée il y a dix-huit mois, cette chaîne de la glisse et de la culture de la glisse bat non seulement des records d’audience sur le câble mais est en passe de détrôner l’indéboulonnable MTV”, relayait très sérieusement L’Express en mai 2000. Sa maison de Californie, comme ses bureaux

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Pool/Ludovic/RÉA

A l’inauguration du pavillon français de l’Exposition universelle de Shanghai, le 30 avril 2010, avec Alain Delon, Nicolas Sarkozy et Carla Bruni

Viguier pour la deuxième fois en un an en couve de Samouraï : des affiches étaient placardées cet été sur les kiosques de Paris

Avec son ami David Hallyday, bassin d’Arcachon, juillet 2008

de DHCV aujourd’hui ou son ancien bureau de la Cinquième, est décorée de clichés de lui aux côtés des grands de ce monde. Tom Cruise, Jimmy Carter ou, toujours, Alain Delon. Tout rappelle à qui il a eu accès.  “C’est le type qui a toujours sa tête qui déborde sur la photo”, raille quelqu’un qui ne l’aime pas. “Il a un don inné pour les relations”, ajoute un autre qui l’aime bien. “A Los  Angeles, il a tout de suite compris à quel club il fallait appartenir. Il a su aller aux bonnes soirées.” “Il fonctionne avec un mélange de séduction et de menace”, résume un ancien patron de chaîne. Viguier nous montre un message du rédacteur en chef de LePost.fr sur son BlackBerry : il l’avait appelé parce qu’un lien vers un article le mettant en cause lui déplaisait. “Il l’a retiré. Maintenant, on va déjeuner.” LePost.fr a depuis publié un billet de l’avocat de Surf Channel attestant de la réussite de la chaîne. Cyril Viguier est un mec sympa. On lui reconnaît un “carnet d’adresses ahurissant”. “Il rend service, on lui rend service”, résume Brice Lalonde qui l’a fait travailler à son cabinet, en 1991, quand il était ministre de l’Environnement et parle de lui comme de quelqu’un qui “ouvre toutes les portes au Festival de Cannes”. Lalonde en a eu un aperçu lors de la candidature de son cousin démocrate John Kerry

Perrogon/Andia.fr

“Viguier, c’est le type qui a toujours sa tête qui déborde sur la photo” à la présidentielle américaine en 2004. Viguier avait fait la connaissance de sa fille, Alexandra Kerry, qui venait de faire un court métrage : “Il l’a accompagnée à Cannes”, se souvient un ami américain. Une des premières réunions où il présente sa nouvelle émission à de futurs collaborateurs est d’ailleurs un festival de name-dropping. Le futur animateur insiste sur les invités auxquels il pourrait avoir accès. Dans la première du 9 septembre, on retrouvera les Delon (son ancienne compagne Mireille Darc et son fils Anthony), fil rouge de son carnet d’adresses. “L’idée de faire une émission sans invités en promotion m’est venue dans les études que j’ai faites pour la télévision mobile”, nous dit-il. L’objet de cette étude était en fait tout autre. En février 2009, il est chargé par Nathalie KosciuskoMorizet d’une mission “sur un modèle économique qui permette un lancement effectif de la TMP (télévision mobile personnelle  –ndlr) en France”. Dans le bureau de Janine Langlois-Glandier, présidente du Forum TV Mobile, une couverture du magazine d’arts martiaux Samouraï est accrochée au mur. Viguier y est torse nu en gants de boxe. “C’est le côté DRH du président de la République que de vouloir nommer les gens à contre-emploi”, blague l’ancienne 24.08.2011 les inrockuptibles 59

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Lionel Hahn/Abaca Press

A Los Angeles, où il a lancé la chaîne de télé Surf Channel. Sur la plage de Santa Monica, 26 octobre 2000

présidente de FR3. Elle n’a rien à reprocher à “Cyril”, avec qui elle a sympathisé il y a longtemps chez Sylvie Vartan. “Mais ce sont ceux qui lui ont confié cette mission qui devraient penser à ce qu’ils font.” C’est le cabinet de François Fillon qui a suggéré le nom de Viguier pour cette mission. Viguier est un proche d’Igor Mitrofanoff, plume du Premier ministre depuis des années. “Il rentrait des Etats-Unis, il refaisait son réseau, raconte un de ceux qui ont suivi le dossier au secrétariat d’Etat à l’économie numérique. On voyait qu’il n’avait pas envie de travailler, on a accepté le principe dès le départ.” Un conseiller de Nathalie Kosciusko-Morizet se charge de l’étude. Sarcastique, la ministre envisage de remettre le rapport à François Fillon en premier et de n’en livrer à Cyril Viguier qu’un exemplaire papier par la suite, histoire de lui rappeler le poids de sa contribution. Pour Viguier, c’est l’occasion de se remettre en scène, d’envoyer le signal qu’il a ses entrées. Le 8 avril 2010, Cyril Viguier organise – officiellement en partenariat avec le magazine Stratégies – une table ronde dans ses locaux sur l’avenir des programmes de France Télévisions. Dans son introduction, il explique qu’il s’agit là de dégager “de nouvelles pistes sur ce que doit devenir le service public (…) et plus précisément France Télévisions”. C’est un curieux mélange de débat d’intérêt collectif et d’autopromotion. “David (Hallyday – ndlr), est-ce que tu pourrais nous donner ton t émoignage ?, demande Viguier pour animer un débat sur la musique à la télévision. Quand ses parents faisaient les émissions des Carpentier, c’était beaucoup

des responsables de programmes se plaignent de sa façon de faire le forcing

plus intéressant que les émissions faites depuis vingt ans.” “Ce qui m’a frappé, ce sont les gens qu’il avait réussi à faire venir, raconte un des participants, des gens qui avaient le sentiment qu’il allait devenir important et que ça vaudrait le coup de lui consacrer une heure.” Plusieurs des personnes interrogées pour cet article, qui réprouvent son retour dans l’audiovisuel public, étaient à sa remise de décoration. “Dès qu’on fait de la télé, on est sarkoziste”, se plaint Cyril Viguier à l’idée d’être perçu comme un producteur proche du pouvoir. Un permanent du QG de Nicolas Sarkozy se souvient pourtant de ses visites pendant sa campagne de 2007. “II passait de temps en temps pour nous donner des idées, par exemple l’organisation d’un événement avec des gens de sports de glisse.” Viguier n’a pas l’air de s’en souvenir. “Je fais ce que je fais en résistant au pouvoir”, assure-t-il. D’anciens cadres de la Cinquième – dont certains sont encore en poste à France Télévisions – se disent stupéfaits par la façon dont Cyril Viguier, “parti sous les épluchures”, a réussi son retour en mariant les réseaux médias, show-biz et politiques. “Rémy aurait dû dire non”, regrette un ancien patron de chaîne. Rémy Pflimlin, qui a succédé à Patrick de Carolis à la tête de France Télévisions, s’est gardé de rencontrer Viguier avant son arrivée sur France 3. Il n’a pas pris le risque de heurter l’Elysée mais s’est aussi abrité derrière une décision souveraine de France 3. Pierre Sled, journaliste sportif proche de Sarkozy bombardé à la tête de la chaîne, l’a mis en piste. “Sa première décision”, déplore un cadre du groupe (afin d’enrayer la chute d’audience de France 3, Sled doit être chaperonné par un nouveau directeur des programmes à la rentrée). A France Télévisions, Cyril Viguier ne compte pas s’arrêter à son émission du vendredi soir. Il a déjà présenté à France 3 un programme sur les océans, parle de documentaires, de fictions. Des responsables de programmes se plaignent de sa façon de faire le forcing sans même un dossier dans les mains. Lui regrette des pesanteurs. “Les chaînes publiques dont on ne sait pas quel public elles touchent, ce qu’elles coûtent et qui les regardent, c’est le scandale de la République.”

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Roman Servat

l’onde Soundwalk

Le collectif Soundwalk crée des œuvres électroniques et poétiques à partir de fragments sonores captés à travers le monde. Cet été, ils ont navigué en mer Noire, sur les traces de Jason et Médée. par Géraldine Sarratia

J

e viens d’enregistrer un vieil homme. Il avait du mal à parler, il suffoquait, on aurait dit qu’il allait mourir. Et puis tout d’un coup, un chant religieux a commencé. C’était magnifique, comme une rédemption”, explique Simone en surgissant de la cabine de La Vicomtesse, voilier de vingt-trois mètres qui vogue au large de Balaklava, en Crimée, sur la côte ukrainienne. Il est près de midi. Le soleil cogne. Le jeune ingénieur du son sort d’une séance de “scanning”. Chaque matin et chaque

soir, Simone prend place dans un petit recoin de la cabine et enregistre les ondes hertziennes qu’il capte à quarante kilomètres à la ronde avec l’antenne surpuissante disposée sur le mât du bateau. Radioamateurs, messages lancés par la police, les hôpitaux, les taxis au travail ou les hôteliers, dédicaces sur la FM… Il surprend des bribes de conversations, des voix, des musiques qu’il enregistre et compile méthodiquement, territoire par territoire. Il s’attarde sur les textures qui l’intéressent et essaie de composer

un paysage sonore le plus fidèle possible au pays traversé, en inventoriant les bruits qui traînent depuis la mer. “Ce que j’enregistrerais à New York serait radicalement différent de ce que j’obtiens ici, explique-t-il. Dans cette partie de l’Ukraine, le niveau sonore a augmenté, les gens sont plus excités qu’en Turquie, où nous étions il y a quelques jours. Qui parle est aussi très important : on entend très peu de femmes, ici. Elles ne travaillent pas, elles n’ont pas la parole. Ce que tu peux écouter d’un pays te donne une idée de son organisation.”

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Sur le pont, casque sur les oreilles, Stephan Crasneanscki, tête pensante de Soundwalk Collective, lève les yeux de son ordi portable et sourit à son ingé son. Il sait que la réussite du projet tient à la qualité de cette pêche quotidienne, à ces fragments anthropologiques et poétiques compilés de façon méthodique à chaque fois que le bateau approche un nouveau territoire, un nouveau port. Mêlés à des beats électroniques, des samples de la mer et des enregistrements de musiciens ou d’écrivains locaux, ces fragments

serviront de matériau de base à Médée, la nouvelle pièce sonore du collectif. Deux ans après Ulysses’ Syndrome, qui retraçait le parcours du héros grec, Soundwalk s’est lancé dans un projet un peu fou : revisiter de manière sonore et contemporaine le mythe de Médée, l’un des récits les plus sombres et sanglants de la Grèce antique, émaillé de meurtres, de voyages et de trahisons. Parti avec les Argonautes à la recherche de la Toison d’or, Jason séduit Médée, la magicienne caucasienne. Elle lui

Jake Harper

Une dizaine de personnes embarquent à bord de La Vicomtesse : ingénieurs du son, réalisateur de films musicaux, expert maritime ou rédacteur

confère des pouvoirs qui lui permettent de s’emparer de la Toison. En échange, il a promis de l’épouser. Mais il la trahit, il en épouse une autre, provoquant la fureur et la vengeance de Médée. Sur les traces de Jason, Stephan et son équipage ont donc embarqué il y a deux semaines à Istanbul, sur la mer Noire. Une mer peu saline, capricieuse et imprévisible, à l’image de Médée. Pour les Grecs, elle menait à la fin du monde connu. Le bateau vient de quitter Sébastopol, une ville portuaire aux constructions blanches de style XIXe. 24.08.2011 les inrockuptibles 63

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“ce que tu peux écouter d’un pays te donne une idée de son organisation” Simone, ingé son

Partout, les restes du communisme sont palpables. Des statues de Lénine ou de soldats gigantesques ornent l’entrée du port. Une dizaine de personnes vivent à bord du voilier : en plus de Stephan et des deux ingénieurs du son Simone et Kamran, on trouve Arthur Larrue, un jeune prof de français en fac qui vit à Saint-Pétersbourg et écrit les textes qui accompagneront le livret de Médée. Vincent Moon, réalisateur de films musicaux, collaborateur de la Blogothèque, est chargé de la déclinaison visuelle du projet. Sur le pont, il filme de longues heures la mer Noire, ses textures ondoyantes, sa noirceur fascinante, hypnotique. Romain, expert maritime, se charge de la communication avec les ports et autorités locales, pas toujours aisée. Régulièrement contrôlé, l’équipage doit souvent tout démonter à la hâte et planquer les scanners. “On est à la limite de la légalité avec notre matériel, explique Stephan. Les autorités n’aiment pas que l’on puisse enregistrer les conversations de la police, par exemple.

En Russie, on passerait pour des espions.” Jake, le troisième ingé son de Soundwalk, est donc parti seul et incognito à la frontière russo-géorgienne, avec un scanner portatif. Il a pour mission de ramener des enregistrements de voix russes. Le son, Stephan Crasneanscki s’y est un peu intéressé par hasard. “J’aurais pu faire de la peinture ou de la vidéo, explique ce Français de 42 ans qui a suivi des études de design et d’histoire de l’art à New York. Je pense que, paradoxalement, c’est souvent le médium que tu as le moins investi qui te choisit. Si tu en sais trop, ça devient un poids. Le son, c’était un médium assez jeune, je me suis senti à l’aise et libre à son contact. Et puis, il permet le voyage.” Installé à New York, Stephan passe neuf à dix mois de l’année sur les routes. C’est en 1998, encore étudiant, qu’il invente son premier “soundwalk” (ou parcours sonore), un audioguide d’un nouveau genre qui, dans le sillage

des travaux de John Cage ou de Raymond Murray Schafer, travaille sur la notion de paysage sonore et utilise la ville comme un film. Pendant une heure, l’auditeur suit une voix, en l’occurrence celle d’une performeuse du quartier du Lower East Side à New York, et vit sa vie au gré des déplacements. Des effets spéciaux, des sons et des morceaux de musique nourrissent le parcours. “Aujourd’hui, il est très rare de se laisser emporter. J’avais envie de réintroduire cette idée de flânerie. Tu ne marches plus pour aller quelque part mais pour ressentir”, précise Stephan. D’autres parcours, dans Chinatown, dans le Bronx guidé par Afrika Bambaataa et Jazzy Jay (qui en composent aussi la bande-son), puis en Chine, en France ou en Inde, voient le jour. Le plus beau et bouleversant d’entre eux reste celui réalisé à Ground Zero (Ground Zero Sonic Memorial) avec Paul Auster en 2005. “La Radio NPR, le France Culture local, m’a contacté. Ils avaient collecté trois heures de messages laissés le 11 septembre 2001 par des gens qui

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allaient mourir et se jeter des tours. Un gigantesque cimetière sonore. J’ai passé des mois à monter les bandes. Je suis resté hanté longtemps.” Dix ans après ses débuts, moins captivé par les villes qui “se ressemblent de plus en plus et perdent leur originalité”, Stephan déplace ses recherches vers d’autres géographies : la Méditerranée, le désert jordanien. Les guides sonores laissent désormais la place à des pièces sonores ou installations plus complexes, que Soundwalk joue ou installe ensuite dans des musées ou festivals (comme actuellement à Beaubourg). En Crimée, le collectif a ainsi joué en ouverture du gros festival Kazantip une pièce intitulée The Last Beat : longue progression techno minimaliste construite à partir des samples des derniers beats émis par le club DC-10 à Ibiza lors de la fête qui clôture la saison chaque année. Qu’ils soient dance-floor, arty ou plus philosophiques (La Rencontre, magnifique pièce sonore

sur Heidegger réalisée avec Jean-Luc Nancy), tous les projets de Soundwalk appellent à “écouter différemment” et à redonner au son toute sa puissance narrative et fictionnelle, dans une société qui a, depuis la Renaissance, accordé le primat à l’image. “Aujourd’hui, quand tu te balades dans une grande ville type New York, tu croises des gens avec leur téléphone, leur casque sur la tête. Plus personne n’écoute alors qu’il n’y a jamais eu autant de sons. C’est le paradoxe de notre époque”, explique Stephan. Vingt-deux heures, la nuit tombe. Après onze heures de traversée, La Vicomtesse arrive à Chornomors’Ke, à la pointe ouest de la Crimée. “Il est trop tard, ils ne veulent pas nous laisser entrer dans le port”, explique Romain. Le bateau jette l’ancre au large. Sur la plage au loin, la jeunesse ukrainienne fait la fête. Une techno-trance puissante et un peu kitsch résonne à plein volume. L’équipage va se coucher. Demain, le navire doit rejoindre Odessa, à plus

Soundwalk Collective

StephanC rasneanscki, tête pensante de Soundwalk Collective (en short), entouré de musiciens turcs de Trabzon

de douze heures de bateau de là. Une étape particulière pour Stephan, qui y est né en 1969. Il y a passé ses premières années avant d’arriver en France et de filer s’installer aux Etats-Unis à 16 ans. Sa famille, juive, a dû fuir Odessa et la répression russe. Son père et son grand-père ont été fusillés devant le village. “J’ai toujours été en exil, en fait. Quand tu voyages, tu es toujours très seul, en train d’observer les gens qui parlent, des sociétés auxquelles tu n’appartiens pas. J’imagine leurs vies. D’une certaine façon, je collecte déjà des fragments sonores”, explique-t-il avant de rejoindre sa cabine, livrant là le moteur de son travail artistique. Car c’est tout l’enjeu de Soundwalk, transposition sonore de cet exil : percer et rendre accessibles des codes, microsystèmes et langages qui ne sont pas les siens. Une passionnante Odyssée. www.soundwalk.com Exposition Paris-Delhi-Bombay, jusqu’au 19 septembre au Centre Pompidou (Paris IVe), www.centrepompidou.fr 24.08.2011 les inrockuptibles 65

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pro-Zach Revenu des doutes et de la folie qui rôdait, l’Américain Beirut – Zach Condon pour l’état civil – sort un album radieux et apaisé. Un road-trip phénoménal sans bouger du hamac.

I

par Ondine Benetier photo Alexandre Guirkinger

l va bien, merci. En France pour quelques jours afin de s’acquitter d’une journée promo accablante, de celles qui l’auraient achevé il y a une poignée d’années, Zach Condon affiche un sourire radieux et une euphorie à toute épreuve que seuls deux cernes bleutés tempèrent. Trois ans se sont écoulés depuis la dernière fois qu’il a ouvert la bouche pour parler de Beirut, sa créature, trois ans qu’il a en partie passés sur les routes, trois ans d’absence des bacs des disquaires donc, et évidemment autant d’années de spéculations durant lesquelles beaucoup se demandaient si l’Américain allait finir par revenir, saborder son propre navire ou sombrer dans la folie. Il faut dire que Zach a joué des tours à ses adorateurs et à sa santé. Jeté dans le grand bain au printemps 2006 avec Gulag Orkestar, immense premier album de pop orchestrale composé seul alors qu’il avait à peine 18 ans, il se retrouve propulsé en quelques mois au rang de petit prodige. Il est devenu ce jeune chef d’orchestre inconscient à l’imagination débordante que des nuits d’insomnie et des rêves éveillés ont conduit à commettre le crime parfait : celui de balancer sa sacro-sainte guitare au feu pour lui préférer une trompette, un accordéon ou un ukulélé. Une fanfare ivre des pays de l’Est remplace le tintamarre rock de l’East Side new-yorkais. Arraché à son Nouveau-Mexique natal, l’éternel gamin aux joues roses s’est frotté très jeune aux joies des tournées sans fin. Il a frôlé plusieurs fois le naufrage – on se rappelle notamment de son premier concert

français au Festival des Inrocks, triste jour de novembre où on le cherchait à la Boule Noire quand il était déjà interné à l’hôpital psychiatrique le plus proche. “Lorsque tu rentres dans le système du disque, tu creuses un fossé entre le public et toi, et un autre entre ta propre musique et toi, explique-t-il. Cela me terrifiait, je pense : cette idée que la musique ne me transcende plus de façon intense.” Les annulations de concerts et les kilomètres n’ont pourtant pas eu raison de la tête pensante de Beirut. En 2007, The Flying Club Cup restera comme sa déclaration d’amour grandiose et flamboyante à la France pour qui le garçon, bilingue, avoue une passion sans commune mesure. Même son chien, Cousteau, et ses deux chats, Charles de Gaulle et Orly, n’y échappent pas. Il part ensuite s’encanailler auprès d’une fanfare mexicaine. De là surgit March of the Zapotec, hybride world-pop au son trop grand pour qu’on puisse le ranger où que ce soit. Accompagné de Holland, premier fait d’arme electro de Zach ressorti des tiroirs de sa chambre d’ado pour l’occasion, le double ep en a laissé coi plus d’un. Allait-il sacrifier ses cuivres sur l’autel des beats ? “Je crois que certains ont eu peur, rigole-t-il. Ils n’ont pas forcément compris que j’essayais seulement de montrer d’où je viens. Les titres de Holland correspondent au genre de musique que je faisais quand j’avais 16 ou 17 ans. Quant à March of the Zapotec, j’en avais le projet en tête depuis des années. J’avais besoin d’essayer tout cela. Tout ce temps passé à tester des styles, à conduire de nouveaux projets était nécessaire pour arriver à ce que je voulais faire.”

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“A chaque fois que quelque chose a l’air prometteur, il arrive un drame” Paris, juin 2011

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“je ne veux pas être ce type qui fait de la musique des Balkans pour toujours”

S’il a grandi – Zach vient de dépasser le quart de siècle –, et trouvé une certaine stabilité à New York où il s’est désormais installé avec sa femme, le jeune homme s’est pourtant heurté à son propre cerveau lorsqu’il s’est agit de poursuivre sa quête. Lessivé par une énième tournée, c’est dans un état d’angoisse avancé qu’il a débuté, l’année dernière, la création de son troisième album, The Rip Tide. “Retourner à la composition et à l’écriture après ces mois sur les routes, c’était très dur. J’ai eu une sorte de crise identitaire : je ne savais plus comment je devais sonner, ni comment je pouvais atteindre le son dont je rêvais. J’ai passé un temps considérable à me demander comment j’allais réécrire de la musique. Tout ce que je composais me terrifiait. Je ne pouvais plus chanter.” Après des mois de doutes, Zach a finalement trouvé le remède à ses incertitudes dans une cabane au fond des bois. Loin de l’agitation de Brooklyn et du soleil de Santa Fe, il s’est réfugié seul au nord de l’Etat de New York, en plein hiver, sous des mètres de neige. Coupé du monde, il s’est pris au jeu de la vie d’ermite. “Je lisais près de la cheminée, je fumais la pipe avec un verre de scotch à la main”, raconte-t-il. The Rip Tide ne rappelle en rien les journées froides de janvier, ni les nuits d’angoisse que Zach a traversées. Exalté, gorgé de rayons de soleil imaginaires, le troisième album de Beirut sent le souffle chaud de l’été, la course effrénée vers l’océan lorsque le sable brûle la plante des pieds – une “façon assez cynique de gérer mes terreurs et mon anxiété, de leur rire au nez”, reconnaît-il. Il renoue aussi avec ce qu’il sait faire de mieux : la grandeur orchestrale, une certaine idée de la démesure qu’il semble avoir appris à dompter sans pour autant perdre en fougue et en ardeur. Plutôt que de se réinventer maladroitement, Zach a utilisé son passé comme une échelle. Il s’est servi de son ancienne obsession pour le hip-hop et de l’electro de ses jeunes années pour construire le squelette de ses nouveaux hymnes. “L’electro, les beats, c’est

la simple répétition d’un brillant moment musical. Si tu écoutes ma musique avec attention, tu t’apercevras que mes chansons relèvent de ce modèle-là. Elles sont très répétitives. Quand je trouve des accords qui fonctionnent bien ou une progression de cordes qui me plaît, je l’utilise jusqu’au bout du morceau.” Celui qui confie ne pas vouloir “être ce type qui fait de la musique des Balkans pour toujours” a trouvé la clé pour soigner sa schizophrénie musicale. “Cet album justifie les précédents, précise Zach. Tout ce que j’ai fait avant – The Real People, Gulag Orkestar, March of the Zapotec –, c’était un processus pour arriver à ce son-là.” De la pop orchestrale apatride où les beats cohabitent avec les cuivres. “C’est un peu comme si j’avais enfin trouvé l’équilibre. Musicalement parlant, c’est comme avoir trouvé une maison.” Ne restait plus alors qu’à laisser sa voix faire le reste. Ce timbre centenaire qu’on peine encore à croire sorti de la bouche d’un homme aux allures d’ado, ce chant intemporel aussi puissant qu’apaisant, Zach a lui aussi appris à l’apprivoiser. En témoigne ses prouesses en live aux Nuits de Fourvière à Lyon cet été. Mieux : il s’est fait prendre à son propre jeu, surpris des possibilités de cet instrument, découvert par hasard en s’enregistrant sur un vieux magnétophone et désormais porté par des textes plus intimes que jamais. “J’ai vraiment essayé de parler davantage de moi sur ce disque, c’est même la première fois que les paroles sont aussi personnelles. Plus jeune, je pensais que mes histoires n’intéressaient personne alors je m’en inventais, je volais celles des autres. Aujourd’hui, j’ai vécu, j’ai des choses à raconter. Quand j’enregistrais The Rip Tide, je me suis dit ‘Allez, c’est le moment de te livrer un peu”, souffle-t-il. D’où la poignante The Peacock et surtout Goshen, sublime titre où Beirut livre sa voix à nue, simplement accompagnée de quelques accords de piano trouvés une nuit sans sommeil. Guéri de ses blessures par sa propre musique, il ne manquait plus à Zach qu’à la libérer de toutes contraintes pour la laisser évoluer à son rythme. Chose faite grâce à son départ de 4AD, sa maison de disques, et la création de son label, Pompeii Records. “Les noms de villes m’obsèdent. Je ne les aligne pas pour prouver que j’ai voyagé ou conquis le monde. C’est juste la sonorité de ces noms, la poésie qu’ils contiennent qui me fascine. A l’époque où j’habitais encore chez mes parents, à Santa Fe, je peignais des noms de villes sur le mur de ma chambre”, se marre-t-il. Quand on lui fait remarquer que Beyrouth et Pompéi sont deux villes qui ont été très endommagée pour l’une, détruite pour l’autre, sa réponse ne se fait pas attendre : “A chaque fois que quelque chose a l’air prometteur, il arrive un drame.” Espérons pour lui, pour nous, qu’il en soit tout autrement avec Beirut qui, on n’en doute plus une seconde, renaîtra toujours de ses cendres. album The Rip Tide (Pompeii Records/Differ-ant) www.beirutband.com concert le 12 septembre à Paris (Olympia) En écoute sur Interview intégrale à lire sur lesinrocks.com

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Tyler Hicks/The New York Times/REA

Avril 2003, les soldats américains pénètrent dans le palais bombardé

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le fantôme du palais A Bagdad, l’esprit de Saddam Hussein plane toujours dans son ancien palais et ses salons luxueux. Des journalistes du Grand Mag de Canal+ ont obtenu l’autorisation exceptionnelle d’en filmer l’intérieur. Visite d’un joyau restauré au cœur du chaos irakien. par Marina Ladous, avec Jean-Philippe Leclaire 24.08.2011 les inrockuptibles 71

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on dit que les sous-sols du palais abritaient l’une des pires prisons de Bagdad. Que les tapis si épais servaient à étouffer les cris des suppliciés la Ligue arabe. L’événement a été annulé à cause des révoltes du printemps, comme si l’ancien palais de Saddam ne voulait plus accueillir de dictateurs. “Regardez, c’est ici que Moubarak aurait dû s’asseoir, et là, ce devait être le siège de Kadhafi”, soupire Hoshyar Zebari avant de nous emmener dans un dédale de couloirs et de salles toutes plus immenses et lourdement décorées les unes que les autres. La moindre trace de Saddam a été effacée. Des mosaïques de carreaux uniformément blancs, que notre escorte nous interdit de filmer, ont remplacé les gigantesques portraits. Le fantôme moustachu est pourtant toujours chez lui, ici. Le silence même semble imprégné de sa folie. “Ah ! si ces murs pouvaient parler !, s’exclame le ministre Zebari. Ils raconteraient tant d’histoires, de secrets à propos de Saddam, de sa brutalité, des guerres qu’il a déclarées contre le Koweït ou son propre peuple.” L’édifice fut construit par les Anglais pour le dernier roi d’Irak, Fayçal II, qui avait prévu d’y vivre avec sa future épouse, la princesse égyptienne Sabiha. Mais le roi fut renversé et tué avant même son mariage, lors du coup d’Etat du 14 juillet 1958. Saddam Hussein ne prit possession des lieux qu’une vingtaine d’années plus tard. Dans une immense salle au cœur du Palais, le 22 juillet 1979, il organise une réunion avec les membres les plus importants du parti Baas. Saddam vient de se faire nommer secrétaire général du parti et président de l’Irak. Sur une mauvaise vidéo en noir et blanc tournée ce jour-là, on le voit tranquillement fumer un cigare à la tribune après avoir égrené une liste de noms de “conspirateurs” qui doivent, un à un, quitter la salle. Certains s’épongent le front, d’autres tentent de protester avant d’être vigoureusement accompagnés dehors : tous vont être exécutés. Saddam Hussein est désormais chez lui au palais républicain. Ces tragiques journées de juillet 1979, un Français les a vécues de l’intérieur. Il s’appelle Yves Pochy, il est décorateur et devait restaurer l’endroit. “On avait fait venir des palmiers de Cannes, des sculptures, des fontaines… Et puis un jour on nous a enfermés dans un bureau, avec interdiction d’en bouger. On est restés là-dedans presque vingt heures, sans

Goran Tomasevic/Reuters

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ès la sortie de l’aéroport, Bagdad accueille ses téméraires visiteurs en les accablant de chaleur : 47 °C au thermomètre intérieur de la voiture blindée (mais pas climatisée) qui nous emporte vers le centre-ville en empruntant la célèbre “route Irish”, surnommée la “route de la mort”. A l’air libre, c’est pire. Pas le moindre souffle pour s’infiltrer sous les gilets pare-balles. Bagdad est remplie de milliers de T-walls, des blocs de béton armé en forme de T inversé censés protéger routes et bâtiments des attaques des insurgés. Alors le vent ne parvient plus à s’engouffrer, il reste lui aussi bloqué aux check-points. Une fois franchi le pont du 14 Juillet, les mains deviennent plus moites et la gorge s’assèche encore. Ce n’est plus la chaleur mais l’angoisse qui désormais nous surprend. Dans une boucle du Tigre, au cœur de la Green Zone, se dresse un joyau dont la beauté ravit moins qu’elle n’effraie : aujourd’hui refait à neuf mais déserté, le palais républicain était le favori de Saddam Hussein. “Lorsqu’on circulait sur cette route, on avait peur de le regarder, se souvient Ahmed, un ancien soldat malgré lui de Saddam, reconverti dans la sécurité privée. Le pire, c’était la panne. La sécurité t’emmenait alors pour un interrogatoire féroce. Tomber en panne ici, ça faisait de toi un terroriste à coup sûr !” Saddam n’est plus mais la peur continue de hanter le palais et ses environs. Transpirant à grosses gouttes sous leurs épaisses moustaches, une dizaine de policiers s’agitent et crient des ordres dans leurs talkies-walkies. A Richard, notre ange gardien de la société de sécurité privée Anticip, ils imposent d’abandonner ses deux flingues à l’entrée. Richard obtempère mais n’est pas rassuré. Les insurgés se cachent partout, même parmi les flics. Protégé par un impressionnant convoi de 4x4 blindés et de camions militaires, notre hôte, le nouveau maître des lieux, débarque : Hoshyar Zebari, 57 ans, est le ministre irakien des Affaires étrangères. Sa petite taille et ses rondeurs cachent un tempérament d’acier. Ancien porte-parole de la résistance kurde à Saddam, il a fait restaurer le palais pour 450 000 millions de dollars ! Le 11 mai dernier, Bagdad devait accueillir le 23e sommet de

aucune information. C’est seulement de retour en France que nous avons appris par les journaux ce qui s’était passé : la prise du pouvoir par Saddam, les opposants pendus, toute cette horreur…” Malgré ce début de règne sanglant, le futur ennemi public mondial numéro 1 restera longtemps fréquentable. “A l’époque, les Français étaient partout en Irak. Il y avait trois vols Paris-Bagdad par jour !, rappelle Yves Pochy. Nous construisions l’aéroport, le système hydraulique…” Et donc le palais de Saddam. “Il y avait déjà ces salons

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La décoration témoigne de la mégalomanie du dictateur (avril 2003)

extraordinaires mais on voyait aussi qu’une partie des bâtiments était en piteux état.” Le décorateur français ne croise que rarement le nouveau maître des lieux. Il reçoit tous ses ordres d’un aide de camp. “On devait aménager des appartements privés à l’intérieur du palais : seulement 100 mètres carrés, avec un grand bureau et une cuisine où Saddam pourrait travailler et séjourner, mais jamais très longtemps.” Saddam préfère résider, en famille, dans un autre palais, plus petit, moins luxueux, proche de l’aéroport. Pour lui, le palais républicain

est plus qu’une résidence : le symbole de son pouvoir. Là, sous son dôme magnifique, il reçoit les chefs d’Etat étrangers et prend ses plus importantes décisions. Alors rien n’est trop beau, trop grand, trop fou. “Saddam se voyait en grand architecte du palais, explique le ministre Hoshyar Zebari. S’il n’aimait pas telle ou telle partie du bâtiment, il demandait qu’on la détruise et la reconstruise comme il l’entendait. Même si les ingénieurs lui expliquaient que c’était dangereux pour les fondations, il fallait tout accorder à son goût.” Pas toujours très sûr, comme

en témoigne Yves Pochy. “Dans l’un des grands salons, Saddam pouvait recevoir jusqu’à cent personnes, toutes assises sur des fauteuils faussement Louis XV, très décorés, immondes ! Le sien était démesuré, deux fois plus grand que les autres.” En près d’un quart de siècle, Saddam va plus que tripler la taille du palais. On estime que celui-ci s’étend aujourd’hui sur environ 2,5 kilomètres carrés, mais même Yves Pochy serait bien en peine d’en apprécier l’exacte grandeur. “Je n’ai pas eu le plan, je ne l’ai jamais demandé et de toute façon on ne me l’aurait jamais 24.08.2011 les inrockuptibles 73

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donné !” Question de sécurité. La paranoïa habite chaque recoin du luxueux labyrinthe. Le décorateur a gardé un souvenir très spécial de l’aménagement de la bibliothèque : “Des miliciens armés regardaient tout le temps ce que l’on faisait. A un moment, l’un d’eux a pris un bouquin et découvert une photo de Moshe Dayan1. Il a sorti son arme, a déchiré le livre et l’a piétiné. J’ai bien cru que notre dernière heure était arrivée.” Etre toujours aux aguets, ne pas commettre d’impairs, telle est l’obsession des visiteurs. La journaliste Geneviève Moll travaillait pour RMC lorsqu’elle a été reçue pour la première fois au palais. C’était au début de la guerre entre l’Irak et l’Iran qui devait durer huit ans (19801988) et provoquer des centaines de milliers de morts. “On passait sous une espèce de portique et on était entièrement fouillés : le corps puis le sac, raconte Geneviève Moll. Les gardes dévissaient les stylos. Enfin, on vous laissait entrer et vous n’aviez plus rien pour noter.” Rare journaliste française à avoir interviewé Saddam, Geneviève Moll se souvient “d’une salle immense, avec des tapis énormes. C’était très ostentatoire, de mauvais goût. Saddam lui-même était extrêmement impressionnant, très froid. Il faisait peur car on savait ce qu’il avait fait.” Il y a les crimes établis mais aussi les rumeurs, plus terrifiantes encore. On dit que les sous-sols du palais abritaient l’une des pires prisons de Bagdad, que les tapis si épais servaient à étouffer les cris des suppliciés. Yves Pochy ne peut confirmer l’existence de cet enfer sous terre : “J’y suis descendu mais je n’ai vu que de vieux meubles…” Le 15 janvier

Ali Al-Saadi/AFP

Avril 2011, le ministre des Affaires étrangères fait visiter le palais refait à neuf

“ah ! si ces murs pouvaient parler ! Ils raconteraient tant d’histoires à propos de Saddam, de sa brutalité” Hoshyar Zebari,

du premier arrivé, premier servi, toutes les administrations s’installent où bon leur semble. Jusqu’à dix mille soldats et fonctionnaires travaillent, mangent, vivent et dorment (souvent à même le sol) dans l’ancien repaire du monstre solitaire. Gary, un ancien membre ministre des Affaires étrangères des commandos d’élite britanniques, se souvient des fêtes autour de la piscine. “C’était pratiquement tous les soirs : on débarquait en portant encore nos gilets 2003, malgré une fouille de quatre pare-balles, on buvait des coups, il y avait heures, les inspecteurs des Nationsun barbecue et même quelques filles, des Unies n’y ont pas non plus trouvé femmes-soldats qu’on surnommait les les fameuses “armes de destruction ‘Bagdad babes’ ! Une pour cinq cents mecs !” massives” que Saddam était censé La fête s’achève le 1er janvier 2009, y avoir cachées. Moins de deux mois plus tard, le 7 avril quand les Américains rendent très officiellement le palais aux autorités 2003, ce sont les soldats américains irakiennes. “C’était un symbole important, du Third Infantry Regiment qui ont tapé, celui de notre souveraineté pleinement avec encore moins de délicatesse, à la porte du palais. La prétendue forteresse retrouvée”, savoure le ministre Zebari. En attendant d’accueillir, peut-être de Saddam est tombée sans combat. Le raïs et ses gardes républicains s’étaient en 2012, le sommet de la Ligue arabe pour lequel il avait été entièrement déjà enfuis. Hoshyar Zebari n’oubliera rénové par des entreprises turques, jamais le jour où, pour la première fois, il est entré dans l’antre du dictateur déchu. le lieu reste totalement vide. Un calme “C’était le 28 avril 2003, avec une délégation trompeur : tout autour de cet îlot de paix retrouvée, Bagdad continue de leaders kurdes. Pendant quelques de s’embraser. ”Nous avançons dans minutes, il y a eu un silence incroyable : la bonne direction”, tente de convaincre après tant d’années de résistance, Hoshyar Zebari, dans la fraîcheur de guerre, personne ne pouvait croire du palais. Mais à l’extérieur, l’air que nous étions là, assis tranquillement de la guerre est toujours aussi accablant, dans le palais de Saddam Hussein !” sans le moindre souffle de vent. Les forces de la Coalition y installent 1. Militaire et ministre israélien (1915-1981), leur quartier général, sans trop le général Moshe Dayan, avec son célèbre bandeau de respect pour la solennité du lieu… Commence alors le défilé des GI’s qui se noir, était l’ennemi juré des nationalistes arabes. font photographier dans le grand fauteuil En partenariat avec de Saddam, l’une des rares pièces sur Canal+, le samedi à 19 h 10, présenté de mobilier à avoir survécu à l’arrivée par Ali Baddou (en clair). Samedi 27 août : Le Palais de Saddam des Américains. Sur le principe

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1. Pete Townshend fracasse sa guitare lors d’un concert des Who, mars 1967

3. Marianne Faithfull et David Bowie y enregistre une émission de télévision en octobre 1973

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2. le riche programme des festivités

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Marquee le scandale arrive A Londres en 1962, le Marquee, un club de jazz et de blues, ouvre trente ans d’histoire du rock en accueillant le premier concert des Rolling Stones. par Pierre Siankowski

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e Marquee Club de Londres ouvre ses portes le 19 avril 1958, dans le quartier de Soho à Londres. C’est Harold Pendleton, un jeune représentant de commerce passionné de jazz et de blues, qui en est le fondateur et le propriétaire. La légende dit que Pendleton est le premier homme à avoir fait pénétrer une guitare électrique dans un club de Londres, lorsqu’il organise, peu avant l’ouverture du Marquee, la venue outreAtlantique du légendaire bluesman Muddy Waters. En 1958, Soho est truffé de clubs de jazz, c’est la musique à la mode, ça fait danser les filles. C’est sur Oxford Street, au numéro 165, et dans le sous-sol d’une sorte de complexe ciné de l’époque, que Pendleton ouvre le Marquee. La décoration rappelle celle d’un cirque. Harold Pendleton loue le lieu à la société Academy Cinema, propriété d’un dénommé George Hoellering. Avant que le Marquee ne devienne le Marquee, le lieu a déjà accueilli quelques big bands. Mais le jeune représentant de commerce qu’est Pendleton a envie d’aller un peu plus loin. A la programmation de son club, Pendleton bombarde son ami Chris Barber, joueur de trombone en vue, qui possède aussi un orchestre appelé Dixieland, où deux types un peu bidouilleurs, Alexis Korner et Lonnie Donegan, commencent à s’ennuyer dans le format jazz. Korner est né à Paris, il est chanteur et guitariste. Le jazz, c’est son truc, mais il voit déjà

plus loin. Donegan, lui, joue une musique assez inédite en Angleterre, le “skiffle” : une sorte de mélange de folk, jazz, country et blues, inventé au début du siècle à la Nouvelle-Orléans. Pile à l’ouverture du Marquee, Donegan commence à remporter ses premiers hits skiffle en Angleterre (avec notamment une reprise du Rock Island Line de Leadbelly), une scène se met en place (jusqu’à Liverpool où un certain John Lennon monte un groupe du genre, les Quarrymen), et le club tout juste ouvert par Pendleton et programmé par Barber devient vite le théâtre d’une nouvelle effervescence. En quelques mois, le Marquee est le club à la mode, l’endroit où l’on écoute de la musique fraîche. Dans l’orchestre de Chris Barber, Korner a fait la connaissance d’un type qui joue de l’harmonica, Cyril Davies. Les deux se passionnent pour le blues électrique qui vient de Chicago. Leurs idoles sont John Lee Hooker, Bo Diddley, Elmore James ou Muddy Waters. En 1961, Korner crée le Blues Incorporated, qui fascine les jeunes fans du genre qui sortent en club et qui s’appellent Charlie Watts (futur batteur des Rolling Stones), Jack Bruce et Ginger Baker (futurs membres de Cream avec Eric Clapton). Le Blues Incorporated de Korner devient au début des années 60 le groupe phare du blues anglais et du Marquee, et Barber demande à Korner de programmer deux soirées par semaine, celles du mercredi et du vendredi, où l’on jouera du “rythm’n blues”. Un jeune blondin fraîchement débarqué à Londres, Brian Jones, est 24.08.2011 les inrockuptibles 77

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à la fin des années 70, le punk et la new-wave viennent prendre possession de l’endroit un abonné de ces soirées. Parfois, Korner l’autorise à monter sur scène et à jouer quelques morceaux avec sa guitare électrique blanche Hofner Commitee. Mick Jagger est aussi très présent au Marquee. Keith Richards, déjà un peu renfrogné, l’est moins. Le 10 juillet 1962, le Blues Incorporated est invité à jouer à la radio et se voit dans l’incapacité d’assurer son concert du soir au Marquee. Korner, qui a repéré un jeune groupe formé par plusieurs de ses admirateurs et qui se fait appeler les Rollin’ Stones (le “g” est pour le moment absent), leur propose d’assurer l’intérim. Il crée alors la légende des Stones mais aussi celle du Marquee, qui devient le club où les groupes anglais doivent absolument jouer leur premier concert. On raconte que c’est ce soir-là que Keith Richards murmura à l’oreille d’un Brian Jones déjà bien entamé : “T’arriveras pas à 30 ans, mec, non ?” A la fin de l’année 1963, Harold Pendleton reçoit une lettre recommandée d’Academy Cinema, qui a décidé d’ouvrir une deuxième salle et de mettre fin à l’activité musicale du Marquee. Pendleton décide de réinventer son club ailleurs, mais toujours dans Soho. Au 90 Wardour Street, il trouve un lieu plus vaste : un ancien magasin de la marque Burberry. Le 5 mars 1964, le Marquee d’Oxford Street accueille son dernier concert. A l’affiche, le saxophoniste Stan Getz et la nouvelle sensation londonienne, les Yardbirds, avec à la guitare le wunderkid Eric Clapton. Ce sont ces mêmes Yardbirds qui assureront la transition lors de l’ouverture du nouveau Marquee de Wardour Street, le 13 mars. Ils tiennent l’affiche avec le bluesman américain Sonny Boy Williamson, l’Anglais Long John Baldry et les Hoochie Coochie Men au sein desquels on retrouve un certain Rod Stewart. Mais l’année 1964 du Marquee est marquée par un autre groupe : les Who. A la fin de l’année, le groupe de Roger Daltrey et Pete Townshend (tout juste rejoints par Keith Moon) se voit offrir une résidence au club. Comme il avait accueilli les débuts du blues et du rock anglais avec les Stones, le Marquee sera aussi le réceptacle du mouvement mod dont les Who sont les représentants. Dans les mois et les années qui suivront, le Marquee ne cessera de recevoir les nouvelles éruptions de la musique britonne, voire mondiale. En 1965, le jeune David Bowie y donne une série de concerts très remarqués. La scène psychédélique fait également ses premières armes au Marquee, Pink Floyd et Soft Machine en tête. Le 16 août 1966, Cream, le supergroupe formé par Eric Clapton, Ginger Baker et Jake Bruce, donne son premier concert

au club, qui accueillera quelques mois plus tard, en 1967, le 24 janvier très précisément, une série de trois concerts incandescents de Jimi Hendrix. Pour ses dix ans, le club fondé par Harold Pendleton accueille des Who à leur sommet. Le Melody Maker écrit : “Quel est l’endroit pop où il faut être ? Pour des milliers de jeunes gens, c’est le Marquee Club de Londres. C’est l’endroit de la musique à la mode, où se mélangent jazz, folk et pop. C’est là que les modes se créent, que les stars émergent.” C’est d’ailleurs au Marquee que Led Zeppelin donne, en 1968, son tout premier concert (pour faire le buzz, le club a quand même collé juste en dessous “The New Yardbirds”). Au début des années 70, la décoration du Marquee change. La tonalité cirque de la salle est abandonnée au profit de murs peints en noir et du logo classique du club peint en jaune par-dessus. En 1971 et 1973, les Stones et David Bowie viennent par fidélité donner des concerts très privés (les fameux “secret gigs”) dans un Marquee qui a ouvert ses portes au hard-rock et au heavy metal. Le cheveu long et touffu est désormais de mise à Wardour Street où se pressent Deep Purple, Thin Lizzy ou encore Motörhead, jusqu’à ce que le punk et la new-wave viennent prendre possession de l’endroit à la fin des années 70, et le rehyper un peu. Fidèle à son talent de défricheur, le Marquee ne manque pas le punk et la new-wave : les Sex Pistols, les Clash, Joy Division, Siouxsie And The Banshees ou encore les Cure font à nouveau du Marquee l’endroit où il faut être. Mais la programmation du club se laisse un peu blouser par le rock progressif ou les groupes de garçons coiffeurs, invitant les pénibles du genre Marillion ou Duran Duran. Pour des raisons de sécurité, Wardour Street est obligé de fermer ses portes le 18 juillet 1988, après vingt-quatre années totalement folles. Joe Satriani, qui joue ce soir-là, vient probablement clore dans la longueur de ses interminables solos pourris l’histoire d’un club qui n’est alors peut-être plus autant en prise avec son époque qu’avant. Depuis 1988, le Marquee a connu quatre adresses différentes dans Londres, a été racheté par un groupe d’entrepreneurs dont fait partie Dave Stewart d’Eurythmics, et son affiche se traîne un peu même si l’on y donne encore quelques chouettes secret gigs. Keith Richards, lorsqu’il s’adressait à Brian Jones, lors du premier concert des Stones au Marquee, a eu ce soir-là une terrible intuition sur l’histoire du rock : pour entrer dans la légende, il faut savoir mourir autour de 27 ans. Le reste n’est que de l’histoire.

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1. “Quel est l’endroit pop où il faut être ?” L’entrée du club en 1967 2. Annie Lennox, chanteuse des Tourists en 1978. Derrière elle, son futur partenaire d’Eurythmics, Dave Stewart

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Denis O’Regan/Getty Images

Marc Sharratt/Rex Features/Sipa

3. en 1967, Jimi Hendrix y donne des concerts incandescents

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Les Bien-Aimés de Christophe Honoré Quelques bourrasques intimes tramées au fil de l’histoire contemporaine : le grand film romanesque de la rentrée.

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e cinéma de Christophe Honoré n’a cessé, depuis ses débuts, de chercher à recueillir l’écume du tragique, ces moments en apesanteur où, le sol se dérobant sous leurs pieds, les personnages, enfin délestés, ignorent s’ils chutent ou s’envolent. Avec Les Bien-Aimés, son huitième film en dix ans, le cinéaste français le plus prolixe depuis ses débuts porte cette recherche à son point d’incandescence, adoptant une forme en apparence plus classique, plus charpentée qu’à l’accoutumée (la grande fresque romanesque à l’échelle d’une vie), mais

la faisant crépiter à chaque occasion pour en extraire les braises ardentes – quitte à cramer quelques branches dans l’opération. En 2 heures 15, quatre décennies (de 1962 à 2002) et autant de villes (Paris, Prague, Londres, Montréal – sans compter Reims), Les Bien-Aimés raconte les destins croisés d’une mère et de sa fille. C’est une vraie tragédie, avec ses sacrifiés, son chœur chargé de commenter l’action – les chansons d’Alex Beaupain – et ses coups de théâtre. Pourtant, malgré son horizon dramatique, le film apparaît extrêmement enjoué, léger. Il aurait pu, au fond, s’appeler “Oui ma fille tu iras danser”, tant il prend le contrepied de l’avant-dernier film

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hommage le triangle amoureux commence à tourner, et ses angles à trancher sauvagement dans le vif des sentiments L’Intrus

Rasha Bukvic et LudivineS agnier, fin seventies

du cinéaste, tout en posant les mêmes questions : qu’est-ce qui se transmet, qu’est-ce qui se perd entre deux générations ? Quel poids l’époque fait-elle peser sur nos épaules, comment s’en débarrasser ? On fait tout d’abord la connaissance de Madeleine, vendeuse de chaussures frivole et prostituée occasionnelle jouée par Ludivine Sagnier, puis plus tard par Catherine Deneuve (qui ramène dans ses bagages quelques souvenirs de Demy, Truffaut ou Buñuel). Sur les trottoirs de Paris, elle se trouve, à l’orée des sixties, un bel amoureux, médecin et tchécoslovaque, qui la met enceinte et la ramène dans ses bagages, direction Prague et son Printemps à venir. Ainsi naît Véra, que l’on va voir grandir, des chars soviétiques qu’il faut fuir prestement aux linoléums tristes des appartements giscardiens, des années sida à l’effondrement des deux tours, tous vécus sur un mode mineur. Nulle volonté d’illustration ici : dans un geste un peu bravache, Honoré favorise toujours les bourrasques intimes aux tempêtes politiques, qui ne sont qu’un arrière-plan,

volontairement lointain. Après une première partie, centrée sur la jeunesse de Madeleine (les années 60, 70), qui se cherche un peu, entre impératifs de reconstitution et théâtralité excessive, le film décolle véritablement dans sa partie contemporaine, dès lors que la reine Catherine entre dans la ronde (au fort parfum ophulsien) et que Véra/Chiara Mastroianni – la vraie fille de Deneuve, pour le côté méta – prend en charge l’essentiel du récit. La jeune femme aux sabots de plomb de Non ma fille tu n’iras pas danser fait ici place à une actrice resplendissante, d’une beauté proprement affolante, qui nous est présentée – tiens donc – en train de danser, dans un club londonien où elle ne va pas tarder à rencontrer l’amour de sa vie (joué par le formidable Paul Schneider, acteur fétiche de David Gordon Green, révélé par Bright Star). Seulement, lui ne l’aime pas, tandis qu’un autre – Louis Garrel, très bien dans un rôle plus mat qu’à l’accoutumée – aime Véra. Classique, le triangle amoureux commence à tourner, et ses angles à trancher de plus en plus sauvagement dans le vif des sentiments. Jusqu’à ce qu’une accélération stupéfiante se produise dans le dernier tiers du film. Il y a là quelques-unes des plus belles scènes tournées par Honoré, qui n’a pas son pareil pour insuffler vitesse et incongruité dans son moteur tragique (une qualité que partage d’ailleurs l’autre grand film français de la rentrée, La guerre est déclarée de Valérie Donzelli). L’annonce d’une séropositivité, scène par excellence impossible à réussir, se trouve ainsi transfigurée par une simple bascule linguistique ; la mort d’un personnage, sublimée par un clip passant à la télévision. Le vertige qui nous saisit lors de ces instants ravage tout sur son passage, nous laissant, pantois, avec les survivants et quelques chansons pour nous consoler. Jacky Goldberg Les Bien-Aimés de Christophe Honoré, avec Chiara Mastroianni, Catherine Deneuve, Paul Schneider, Ludivine Sagnier (Fr., G.-B., Rép. Tch., 2011, 2 h 15). Lire la rencontre avec Chiara Mastroianni et Louis Garrel pp. 28-33

Katerina Golubeva (1966-2011) Avec la belle Katerina Golubeva, c’est un peu du souffle des déserts lituaniens, leur aridité, leur immensité muées en questionnement métaphysique qui dévala le cinéma français à partir du milieu des années 90. On l’avait découverte dans les stases mutiques et poétiques de son compagnon Sharunas Bartas : Trois jours, Corridor, Few of Us… A la fois débraillée et altière, mystérieuse et fêlée, telle une rémanence de Nico dans La Cicatrice intérieure, elle fascinait simplement en déambulant dans les scénographies très concertées de l’esthète de Lituanie. C’est dans J’ai pas sommeil de Claire Denis qu’elle partit d’abord à l’assaut du cinéma français, tout à coup plus vivante et plus énergique, formidable en petite femme de chambre planquée dans les coulisses du théâtre du crime. On la retrouvera dix ans plus tard dans L’Intrus, également de Claire Denis, mais aussi arpentant à nouveau des déserts, dans Twentynine Palms de Bruno Dumont. Mais c’est Leos Carax, qui fut aussi son compagnon, qui lui a donné son rôle le plus mémorable dans Pola X, amante tragique d’un autre acteur magnifique précocément disparu, Guillaume Depardieu. On se souvient de sa façon poignante de psalmodier le prénom de l’être aimé (“Pierre”) dans une forêt nocturne de conte effrayant. Elle a disparu le 14 août dernier. Nos pensées vont vers ses proches et ceux qui, comme nous, l’ont aimée.

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en salle bis à Paris L’Etrange Festival réinvestit le Forum des Images à Paris et le cinéma Le Méliès de Montreuil pour une semaine de bis, d’horreur et de fantastique. La compétition pour le Prix du nouveau genre accueillera vingt-deux films, tous inédits : Don’t Be Afraid of the Dark de Troy Nixey, le phénomène britannique Kill List (Ben Wheatley), El Infierno de Luis Estrada ou encore Confessions de Tetsuya Nakashima. En plus des nuits thématiques (consacrées au Grindhouse ou au studio japonais Sushi Typhoon), le festival proposera une série d’avant-premières, dont les cartons cannois Take Shelter de Jeff Nichols et Drive de Nicolas Winding Refn. L’Etrange Festival du 2 au 11 septembre au Forum des Images, Paris Ier, et au cinéma Le Méliès, Montreuil (93)

hors salle Minnelli toujours Les éditions Capricci poursuivent leur beau travail avec un livre consacré au prince du musical, Vincente Minnelli (déjà à l’honneur au dernier Festival de Locarno). Le critique Emmanuel Burdeau étudie l’ensemble de l’œuvre du cinéaste américain, de ses comédies musicales passées à la postérité (Un Américain à Paris, Tous en scène…) à ses mélodrames (Comme un torrent ou le maudit Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse). Vincente Minnelli d’Emmanuel Burdeau (éditions Capricci), 352 pages, 22 €

This Must Be the Place de Paolo Sorrentino avec Sean Penn, Frances McDormand, Judd Hirsh (Fr., It., Irl., 2011, 1 h 58)

Sean Penn se fourvoie dans un film au mieux maladroit, au pire obscène. ifficile de saisir l’intérêt de Paolo de nazi dépeint comme un insupportable Sorrentino et de comprendre égocentrique, vieux nazi filmé nu et maigre pourquoi Sean Penn a tenu comme un déporté. A ce stade, on ne sait à travailler avec lui. Ce n’est pas plus si Sorrentino est un cinéaste This Must Be the Place qui va nous éclairer. irresponsable, obscène, ou s’il a fumé La première demi-heure est la même moquette que son personnage. un assemblage de saynètes sans queue On pensait que ce gloubi-boulga ni tête, où Sorrentino fait joujou avec filmique était au moins une sorte sa caméra et transforme Sean Penn d’hommage à l’excentricité du rock (le titre en pitre embarrassant. vient d’une chanson des Talking Heads), Ensuite, deux pistes hétérogènes mais le happy end démontre le contraire : émergent et fusionnent : un road-movie après avoir arboré durant tout le film un à travers l’Amérique et la recherche d’un look à la Robert Smith et un comportement ancien nazi. Le road-movie refait défiler de clown dépressif, Penn apparaît dans une esthétique prétentieuse une finalement “guéri”, en costard et cheveux americana éculée, vingt-six ans après Paris, courts. Au fond, Sorrentino considère Texas. La partie chasse au nazi est un festival le rock comme une maladie infantile. de moments gênants : images d’archives Pour rester dans le registre de l’americana de la Shoah saucissonnées entre deux clips caricaturale, goudron et plumes pour ce sur ces “étranges” Américains, chasseur film où rien n’est sauvable. Serge Kaganski

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One Piece – Strong World

box-office

de Munehisa Sakai

capitaine chiffres Le dernier justicier de la Marvel, Captain America, prend la tête des entrées en premières séances parisiennes. Il attire près de 2 000 spectateurs sur 17 copies, et devance ainsi le dernier opus de Pedro Almodóvar, La piel que habito (pourtant distribué dans 28 salles). Impardonnables d’André Téchiné réalise une bonne moyenne de spectateurs par copie et se paie le luxe de défier le Conan 3D de Marcus Nispel. Des démarrages plutôt modestes qui ne devraient pas arrêter la course folle de La Planète des singes – Les Origines, déjà à plus de 1,3 million d’entrées. Romain Blondeau

autres films Un jour de Lone Scherfig (E.-U., 2011, 1 h 48) Tu seras mon fils de Gilles Legrand (Fr., 2011, 1 h 42) Bienvenue à Monte-Carlo de Thomas Bezucha (E.-U., 2011, 1 h 49)

(Jap., 2009, 1 h 53)

L’onirisme post-Miyazaki tempéré par le principe du jeu vidéo. Le dixième anime ciné se déroule sur une planète où la dépense énergétique tiré du manga One Piece aquatique dont des îles ont et sensorielle s’effectue d’Eiichiro Oda, l’une des BD été projetées dans le ciel, en pure perte, comme les plus vendues dans ce qui transforme le récit un geste gracieux et gratuit. le monde depuis quinze ans, en aventure aérienne. L’inverse du cinéma de qui a également donné lieu Outre la dimension superhéros à l’américaine, à une prolifique série télé. psychédélique des décors dont les personnages sont Une histoire de superhéros et personnages (plus avant tout des superflics à la nippone, où le proches de Yellow au service de la société. manichéisme occidental Submarine que de l’univers L’absence d’enjeu moral n’a pas cours. de Marvel), ce qui frappe ou humaniste permet ici Ses personnages sont est la proximité esthétique une extrême variété dans une bande de jeunes pirates et thématique de ce film les formes utilisées et les aux pouvoirs surhumains avec Le Château dans le ciel péripéties. On ne peut guère qui sillonnent un univers de Miyazaki, dont Eiichiro trouver un onirisme plus pur aquatique à la recherche Oda est en quelque sorte que dans One Piece, dégagé d’un trésor (nommé le continuateur par des soucis écologiques One Piece). Ici, ils tentent d’autres moyens (narration d’un Miyazaki. Un paradis de sauver une de leurs inspirée du jeu vidéo). envoûtant où la candeur membres des griffes d’un Un monde de combats le dispute à la violence redoutable ennemi. Le tout et de transformations surréelle. Vincent Ostria

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Pain noir d’Agustí Villaronga avec Roger Casamajor, Francesc Colomer (Esp., 2010, 1 h 48)

Daniel “Bond” Craig meets Harrison “Indiana” Ford

Cowboys & envahisseurs de Jon Favreau Comment un pitch accrocheur déchoit en film informe et lourdingue. omme pour tous les genres, par lesdits aliens et le kidnapping le plaisir du western tient à une (au lasso !) de ses habitants. La promesse constance et une souplesse de d’une Prisonnière du désert façon Rencontres ses codes. Il peut être classique, du troisième type (ou l’inverse) s’effondre profané par les Italiens dans ensuite car les coutures ne tiennent pas ou les années 60 ou révisionniste. sont trop grossières. Troquer les diligences Le western peut même être transgénique, contre des vaisseaux spatiaux, mettre en produisant d’étranges rejetons avec les Américains dans la peau des Indiens le kung-fu (La Brute, le Colt et le Karaté ou décimés ou les unir ironiquement contre les Kill Bill) et la science-fiction (la série TV un même ennemi sont autant d’idées Firefly, Wild Wild West). Ne manquaient plus aussi séduisantes que mal fichues ici, que les extraterrestres, appelés par ce sans grande saveur (la nuit passé Cowboys & envahisseurs (Cowboys & Aliens dans un décor herzoguien de bateau échoué en VO). Titre ludique et un peu théorique, sur une rive) ou au résultat kitsch qui résume aussi bien son pitch qu’un trait (les flash-backs, le trip chamanique essentiel du western – le thème de qui rappelle une scène des Simpson, le film). la frontière, la distinction entre pionnier Tout a l’air fait de bouts de films, américain et le reste (nature, Indiens). de bouts de personnages (Sam Rockwell, Le film commence plutôt pas mal, les aliens parfaitement inintéressants) avec son désert panoramique mal mixés. Jon Favreau joue les genres, et son antihéros amnésique (Daniel Craig) sans empathie, plutôt que de jouer avec. qui se réveille avec un étrange bracelet Et Cowboys & envahisseurs évoque au final au bras (une sorte de pistolet-laser). une version luxueuse des cow-boys Son arrivée dans une petite ville tient et Indiens mimés étant gamin dans la cour du transgenre, entre l’Homme sans nom de récré. Quant au match Indiana Jones/ des films de Sergio Leone et l’Homme Bond, on donne l’avantage à Craig, sexy, sans mémoire des histoires d’enlèvements masochiste, minimal et minéral par des extraterrestres. Ou de la trilogie de comme toujours, contre un Harrison Ford Jason Bourne, auquel Craig/James Bond qui en fait des tonnes dans le genre bougon renvoie définitivement l’ascenseur au grand cœur. Léo Soesanto en incarnant une machine à tuer tout en réflexes et rédemption. Tout se gâte Cow-boys & envahisseurs de Jon Favreau, avec après la meilleure scène de Cowboys & Harrison Ford, Daniel Craig, Olivia Wilde (E.-U., envahisseurs : l’attaque nocturne 2011, 1 h 57). Lire le texte de Michel Chion sur les aliens au cinéma pages suivantes. de la ville, digne d’un film de guerre,

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Un mélo naturaliste qui se voudrait enfiévré mais frôle l’académisme. Un mélodrame vaguement situé dans les années 40 en Catalogne, dans un village ; un panier de crabes où anciens républicains et franquistes, riches et pauvres, se mélangent et se manipulent cruellement les uns les autres. Le tout est regardé par un petit garçon de 10 ans, qui trouve difficilement sa place dans ce monde de fauxsemblants. Cette œuvre très léchée, relativement bien réalisée, est une fable naturaliste où le politiquement correct de base est transcendé par l’écheveau des duplicités entre les différents protagonistes. Mais à cause du traitement romanesque et de la mise en scène, qui n’évite pas les allégories banales (cf. l’oiseau comme symbole récurrent de la pureté et de la liberté), on reste sur des rails. Seul véritable intérêt du film : ses notations homosexuelles, exprimées à travers le regard innocent du petit garçon, platoniquement attiré par un adolescent ; mais aussi dans un épisode situé au passé dans le récit, qui en est le nœud gordien. Cependant cet aspect est trop légèrement suggéré (pas sensuellement suggestif) pour devenir un axe fort du film, avant tout attaché à sa peinture à la Clouzot (en beaucoup moins stylisé) d’une communauté catalane repliée sur elle-même. V. O.

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libérez les aliens ! Les extraterrestres nous ont envahis tout l’été. Mais les aliens sont eux-mêmes aliénés à certains types de représentations et de métaphores, selon Michel Chion.

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omment se portent les aliens et autres extraterrestres cet été ? Bien, si l’on en juge par la quantité de films où ils interviennent ; pas si bien que cela, en même temps, car, même dans celui qu’on peut considérer comme le meilleur de la saison (Super 8), on les sent réduits au rôle secondaire d’intercesseurs pour la rédemption des humains, rôle qu’ils prennent soit par leur agressivité, soit par leur bienveillance. Pourquoi pas ? Ce fut toujours plus ou moins une de leurs fonctions. Mais cela ne les oblige pas à être, comme ils le sont cette année, indéfinis, sans personnalité, ce qui n’était pas selon moi le cas de l’Alien de Ridley Scott, ou du Predator de McTiernan, entre autres. Il est d’ailleurs notable que, dans la masse d’articles, favorables ou non, consacrés au film d’Abrams, il est peu question de l’extraterrestre qui est le point de départ du scénario. Laissons de côté le cartoonesque Transformers 3, où tout est tourné à la plaisanterie (la science-fiction blagueuse, genre Men in Black, n’est pas ma tasse de thé, je lui préfère la franche parodie) et intéressons-nous

à deux films qui jouent plus sur l’émotion, Super 8 et Cowboys & envahisseurs. Je suis frappé par le fait que, dans les deux cas, les créatures sont de grande taille par rapport aux humains, mais que ce gigantisme (qui peut sembler dicté par la volonté d’affirmer l’image de synthèse, en chassant de l’esprit du spectateur l‘idée que l’alien n’est qu’un homme revêtu d’une combinaison) ne se cristallise pas en une impression forte. Par exemple, dans le film de Favreau, lors des combats singuliers des humains contre des aliens deux fois plus grands qu’eux, il n’y a pas d’effet “David contre Goliath” (handicap de la petite taille compensé par la ruse et l’agilité). Les adversaires feraient 1,80 m, cela ne changerait pas grand-chose. C’était déjà le cas dans Avatar où, lorsque l’héroïne na’vi de trois mètres de haut voit son amoureux humain pour la première fois dans son corps à lui et à sa taille réelle – celle d’un enfant dans ses bras –, rien ne se

si l’alien enlève des jeunes filles, il ne sait plus quoi en faire

passe qui pourrait être érotique ou attendrissant : en effet, tout individu de sexe masculin est sorti d’une femme et a été un petit bonhomme dans ses bras (voir L’Etrange Histoire de Benjamin Button). Le gigantisme de King Kong trouve sa dimension poétique et érotique dans le fait que le gorille peut tenir dans sa paume une femme entière (retournement de la situation précédemment évoquée). Or, je n’ai pas été le seul à noter que cet enjeu érotique très présent dans les King Kong avec Fay Wray et Jessica Lange s’atténue (effet du politiquement correct?) dans le film par ailleurs excellent de Peter Jackson. La disparition de l’enjeu érotique est frappante aussi dans les films d’Abrams et de Favreau. S’il y enlève des jeunes filles, l’alien ne sait plus quoi en faire, il les range quelque part avec ses autres prises, tel le petit robot Wall-E (un véritable personnage, lui, une trouvaille), collectionnant des objets dont la fonction lui échappe. La neutralisation de la grande taille, dans le cas de Transformers 3, est peut-être aussi une conséquence de la 3D. Plus le relief se systématise dans les films récents, plus ses effets paradoxaux se font sentir. Il me semble par exemple

que chaque fois qu’on y passe d’un plan rapproché à un plan d’ensemble, une impression de miniaturisation des personnages, des créatures, du décor se fait sentir, retournant la situation d’autrefois. Dans beaucoup de films classiques, en effet, les vues générales de villes étaient construites en modèle réduit, l’art du décorateur, du chef opérateur et du réalisateur étant que cela fasse grand ; inversement, dans le film de Wenders sur Pina Bausch, les vraies rues de la ville de Wuppertal semblent réduites par le relief aux dimensions d’une ville miniature, parcourue par un monorail-jouet. De même, les machines géantes de Transformers 3 se miniaturisent à l’œil nu dès que l’on passe d’un gros plan à un plan général. Enfin, un extraterrestre ne nous impressionne, ne nous charme, ne nous amuse même que s’il est le support d’une puissante métaphore. Mais de quoi est-il la métaphore aujourd’hui? L’Alien de Ridley Scott, qui passait par deux stades, n’était pas gratuitement protéiforme (comme le sont facilement les aliens actuels), il était en pleine croissance, c’est

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soumis à une pression insupportable, l’extraterrestre ne s’épanouit plus

Super 8 de J.J. Abrams

Cowboys & envahisseurs de Jon Favreau

différent. Il incarnait en effet selon moi l’élan monstrueux de la vie biologique face à des célibataires dépressifs en panne de projets. Dans The Thing, de Carpenter, film d’avant la création numérique, où la créature devait être réalisée concrètement sur le plateau, la plasticité ne nous touchait que parce qu’elle était comme

une image folle, déréglée de la pulsion vitale. Une métaphore potentielle dans le scénario de Cowboys & envahisseurs, que le film n’exploite pas, est l’existence chez les aliens de deux paires de bras, dont l’une, extérieure, ressemble à celle de sauriens et dont l’autre, cachée dans leur thorax, est humanoïde, et prédatrice. Or, il est

question dans cette histoire de rapacité, de soif de l’or. Il eut suffi, pour cristalliser la métaphore, qu’on y voie quelqu’un accomplir ce qui est un des gestes les plus courageux que puisse faire l’humain, qui est de lâcher prise : The Tree of Life, bien sûr, toujours et encore, mais aussi la fin de Titanic. Il eut suffi du plan, même fugitif, d’une main humaine.

Je vois enfin les aliens paralysés par une pression qu’on fait peser sur eux : celle d’être cohérents si on les regarde image par image. Une cohorte de fliqueurs du cinéma, ceux qui détectent les prétendus faux raccords, se tient aux aguets à chaque fois que sort un film. Parmi les “erreurs” que pourchassent ces pinailleurs armés de la capture d’images, il y a les inconséquences d’échelle, quand telle créature, d’un plan à l’autre, se trouve tantôt dix fois plus haute qu’un humain, tantôt vingt fois. Il paraît que le premier King Kong de Cooper et Schoedsack est peu cohérent sous ce rapport (je n’ai pas vérifié). La vigilance de ces limiers a obligé Peter Jackson à s’engager à ce que son gorille à lui ne varie pas de taille et puisse être regardé image par image. C’est attristant qu’on en vienne là : un film n’est en effet pas destiné à être vu en images fixes. Pourquoi s’étonner alors si l’alien se dérobe ? On lui met une pression insupportable : il doit être inquiétant, le rester en image par image, jamais vu sur l’écran, cohérent physiquement dans l’action, etc. Résultat : les aliens ne s’épanouissent pas. Libérez-les. M. C. 24.08.2011 les inrockuptibles 85

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Elle et lui (Love Affair) de Leo McCarey

UgoT ognazzi et Ornella Muti

Archives du 7e art/Photo 12/AFP

avec Irene Dunne, Charles Boyer (E-U, 1939, 1 h 27)

Dernier amour de Dino Risi Une des grandes comédies tardives de Risi, où l’on ne riait en fait plus du tout. Le film Après avoir échoué dans une maison de retraite pour artistes, le toujours vert Picchio (Ugo Tognazzi) s’enfuit avec une jeune femme de chambre (Ornella Muti) dans l’illusion de commencer une nouvelle carrière. Mais il ne sait pas encore qu’il joue un remake glauque de L’Ange bleu. La jeune femme séduira le cabot vieillissant avant de l’abandonner à sa décrépitude. Nous sommes en 1978, la comédie italienne n’en finit pas de décliner, et toute la production cinématographique d’un pays avec elle, avec toutefois des titres fulgurants : Un bourgeois tout petit petit de Mario Monicelli, La Chambre de l’évêque et Dernier amour de Dino Risi. Inutile de préciser que ces films sont les plus sombres de leurs auteurs, qui ne prennent même plus la peine de faire rire le public. On y parle de vieillesse, de violence et de mort. Chez Risi, où le désir sexuel (le sien, celui de ses acteurs comme de ses personnages) a toujours été un véritable moteur pour filmer et raconter des histoires, l’érotisme se transforme en délire libidinal, entre impuissance et priapisme de vieillard. On notera l’inversion sublime de la traduction du titre français de Primo amore (le premier amour devient le dernier), qui entérine cette valeur sépulcrale des ultimes grands films de Risi. Le cinéaste a travaillé avec les meilleurs acteurs italiens, et sa collaboration avec Tognazzi est l’un des sommets de sa

carrière. Cet acteur génial dans la bassesse atteint ici une dimension tragique. Mais Dernier amour est aussi un film d’Ornella Muti. De toutes les actrices italiennes de sa génération, elle est celle qui aura sans doute apporté quelque chose de nouveau, une révolution douce, au statut de star. Ornella Muti appartient à un âge non mythique du cinéma italien. Elle tourne son premier film en 1970, date qui symbolise le début du déclin de la production transalpine, après deux décennies de suprématie artistique. Armée d’un érotisme juvénile, d’une grâce insolente et placide, d’une indolence qui pourrait passer pour de la paresse, et d’une beauté époustouflante, elle va inspirer deux grands cinéastes de l’époque, Marco Ferreri et Dino Risi. Muti apparaît chez Risi lorsque l’œuvre du maître de la comédie devient de plus en plus mélancolique et nihiliste. Ornella Muti incarne le personnage récurrent chez le cinéaste de la jeune femme à la fois paumée, insensible et manipulatrice, révélateur du peu de sympathie qu’éprouvait Risi pour les nouvelles générations. Le DVD En suppléments, notes de production et documentaire sur Dino Risi. Olivier Père

La première mouture du classique de McCarey. Sublime. Le film Elle et lui (Love Affair) est la première version d’Elle et lui (An Affair to Remember), le grand classique réalisé par McCarey près de vingt ans plus tard, avec Deborah Kerr et Cary Grant. Comme beaucoup l’ont dit, dont Jacques Lourcelles, le découpage des deux films est quasiment le même. Toute la différence se situe dans la mise en scène, le passage du noir et blanc au Technicolor, le changement de format (de 1.33 à 2.35). Symptomatique surtout de l’évolution de McCarey – dont on souligne partout le souci de perfection –, la différence de durée entre les deux films, qui atteint près de vingt-cinq minutes. Love Affair croit en l’avenir, An Affair to Remember regrette le passé ; Love Affair est un parfait équilibre entre la comédie sophistiquée (l’understatment) et le mélodrame (le hasard qui frappe au hasard), An Affair to Remember pousse presque à l’excès le rire et les larmes. An Affair to Remember (1957) est un chef-d’œuvre absolu du cinéma ; Love Affair (1939) est seulement un film sublime, brillantissime, génial et déchirant. Le DVD Le négatif original ayant été détérioré, il n’existe donc pas de copie parfaite du film, qui est néanmoins fort regardable. Jean-Baptiste Morain Ed. Montparnasse, env. 13 €

Dernier amour de Dino Risi, avec Ugo Tognazzi, Ornella Muti, Mario Del Monaco (It., 1978, 1 h 52), SNC–M6 vidéo, collection Les Maîtres italiens, environ 15 €

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le tube de l’été Esthétiquement admirable et doté d’une bande-son épatante, Bastion se révèle un petit miracle de jeu de rôle à télécharger.

 C business THQ ferme trois studios Après Activision il y a quelques mois, c’est au tour de THQ de tailler dans ses effectifs après un trimestre décevant (38,4 millions de dollars de pertes à la fin juin). L’éditeur américain ferme ses deux studios australiens, Blue Tongue (responsable du très bon de Blob) et THQ Studio Australia, ainsi que THQ Digital Phoenix, l’opération se soldant par la suppression de deux cents emplois. THQ a également annoncé l’arrêt de la série Red Faction et la mise en sommeil de MX vs ATV.

haque été depuis 2008, le service de téléchargement de la Xbox 360 profite de la raréfaction saisonnière des sorties de jeux en boîte pour lancer en quelques semaines certains des titres dématérialisés les plus attendus de l’année. La star du Summer of Arcade 2010 avait pour nom Limbo, ahurissante aventure poético-morbide en noir et blanc. Cet été, le feu d’artifice s’est ouvert avec Bastion, qui, ô surprise, est à peu près au jeu de rôle ce que Limbo était au genre plate-forme. Ici aussi, autour d’un gameplay relativement classique, ce sont les partis pris esthétiques qui étonnent, lesquels ont valu à cette première création du studio californien Supergiant Games deux nominations au dernier Independent Games Festival. Tout en 2D isométrique, le lumineux Bastion paraît dessiné à la main. Ses couleurs éclatantes tranchent avec les donjons obscurs qui ont fait la réputation du RPG (role playing game) occidental, du moins dans sa variante “action”, de Diablo à Torchlight. Car Bastion appartient à cette famille de jeux de rôle dont les combats, plus dynamiques que stratégiques (même s’il faut savoir esquiver et choisir l’arme idoine), n’interrompent pas les phases d’exploration. Mais plus encore que

sa plastique, c’est la bande-son de Bastion qui serre le petit cœur du joueur. Il y a d’abord les accords de guitare, mais aussi – pour ne pas dire surtout – une voix off unique. Elle appartient à un vieil homme que notre jeune héros rencontre au début du jeu. Mais elle est là avant lui, qui nous guide, nous explique des choses, commente notre parcours en s’adaptant à celui-ci. Et égrène en passant les noms de ceux qui ont succombé à la mystérieuse catastrophe connue sous le nom de “la Calamité” : les Lawson, Grady Senior, Grady Junior… La fonction de cette voix est double : impliquer plus profondément le joueur et faire progresser le récit sans trop en avoir l’air. Sur les deux plans, la réussite est éclatante. Alors, on part explorer les îlots suspendus qui composent ce monde dévasté. On affronte des monstres, on améliore son équipement. Et on construit des bâtiments, on recueille des survivants. Mais pourquoi le sol, jusque-là invisible, apparaît-il soudain devant nous ? Et que s’est-il vraiment passé ? Tendons l’oreille, le jeu nous parle encore. L’arrivée de Bastion restera bien comme l’une des meilleures nouvelles vidéoludiques de cet été. Erwan Higuinen Bastion sur Xbox 360 et PC (Supergiant Games/ Warner, environ 15 € en téléchargement)

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série (L.A.) noire Le hit de Rockstar Games n’en finit pas de nous réjouir, avec des appendices peu surprenants mais extrêmement cohérents. out commence dans sera démantelé. qu’elle ne constitue un bar. Attablé au Une journée de travail qu’un moment parmi bien fond de la salle, un ordinaire pour l’inspecteur d’autres dans la vie de ses indic nous conseille Phelps ? Quasi. C’est protagonistes. Et que tout de faire un tour au domicile en tout cas une enquête cela, comme expérience, d’un certain Juan Garcia sans (énorme) surprise a au fond moins à voir Cruz, mais c’est par que propose Joints à gogo avec le cinéma qu’avec la des coups de feu qu’on (Reefer Madness en VO), série télévisée qu’évoquait y est accueilli. Sans hésiter, la quatrième mission déjà la structure en on longe la maison additionnelle de épisodes du jeu original. pour gagner la porte L.A. Noire disponible On ignore à ce jour si de derrière pendant que en téléchargement depuis Rockstar Games prévoit de notre courageux coéquipier juin, dont le déroulement mettre encore de nouvelles l’attaque de front. Cruz ne tranche pas follement enquêtes à la disposition n’y survivra pas. Sur son avec le jeu original. des joueurs. Mais, cadavre, un mystérieux Mais c’est bien là ce pour L.A. Noire comme dollar en argent. Et dans qui rend particulièrement pour bien d’autres jeux, la cabane du jardin, plaisant ce retour dans ce ne serait certainement une boîte de soupe remplie les rues pittoresques pas la plus mauvaise de marijuana. Une heure du Los Angeles des des idées. E. H. plus tard, après quelques années 1940 : le sentiment L.A. Noire – Joints à gogo interrogatoires tendus, que, bien qu’autonome sur PS3 et Xbox 360 une poursuite à pied dans son scénario, cette (Team Bondi/Rockstar et une nouvelle fusillade, enquête s’intègre dans une Games, environ 4 € en téléchargement) un réseau de trafiquants continuité d’événements,

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Sports Island 3D

Blobster

Sur 3DS (Hudson, environ 40 €) Aucun système de jeu “familial” (DS, Wii, Kinect…) ne saurait échapper à la malédiction Sports Island. Le pire est qu’il ne manque pas grand-chose (un peu de soin, de fantaisie) aux dix “sports” de la mouture 3DS pour se révéler au moins rigolos. Mais, là, désolé, on jette l’éponge.

Sur iPhone, iPod Touch et iPad (Divine Robot/Chillingo, de 0,79 € à 1,59 €) Le petit blob ne se contente pas de rouler : malléable à volonté, il se laisse étirer d’un côté et bondit dans l’autre sens quand on le lâche. Son univers coloré ne manque pas de charme. Et sa trentaine de niveaux marie astucieusement le jeu de plate-forme classique au casse-tête physique façon Angry Birds ou Cut the Rope. 24.08.2011 les inrockuptibles 89

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Housse maousse Les Français de Housse De Racket haussent le ton et impressionnent sur un deuxième album de pop-songs valeureuses, bodybuildées par l’incontournable Philippe Zdar.

 I Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

ls ne s’appellent ni Jo-Wilfried ni Gaël, mais Pierre et Victor. Ils n’ont remporté aucun grand chelem, ne mangent, à notre connaissance, pas de Kinder Bueno, et ne feront jamais le poids face au coup droit de Nadal. Pourtant les Français de Housse De Racket, qui avaient dégainé un premier album réjouissant il y a trois ans (Forty Love), ont vite été réduits au concept de groupe un pied dans la pop, un autre sur le court central. Un concept qu’ils avaient eux-mêmes agencé en multipliant les références sportives et les bandeaux sur la tête. “C’est vrai qu’on avait décidé de s’appeler ainsi, de porter des polos, sourit Pierre. Mais on ne pensait pas que la chose dépasserait, voire engloutirait la musique. A un moment, on en a eu assez d’être cantonnés à ce concept ou cette esthétique. On a voulu se concentrer sur les morceaux à nouveau.”

Forty Love, porté par un véritable petit tube plaqué or (Oh Yeah), a valu au duo de promener ses pop-songs entre la France, l’Angleterre et le Jaàpon. “On jouait parfois dans des clubs pour un public très indé, et le lendemain on se retrouvait à l’affiche de gros rassemblements FM… C’était un grand écart à la fois déroutant et enrichissant.” Logique alors que le groupe ait récemment rejoint la maison parisienne Kitsuné, connue à la fois pour son catalogue pointu et pour sa recette du carton (Two Door Cinema Club). C’est via Kitsuné que le groupe publie cet été son deuxième disque, Alesia, plus ample, lyrique et luxuriant que son prédécesseur. “On a commencé l’écriture de cet album au lendemain de la mort de Michael Jackson. On était dans une maison dans le sud de la France. On avait emporté un orgue avec nous, qui est devenu le dénominateur

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on connaît la chanson

une révolution sans son D’habitude très prompte à commenter à chaud les émeutes, la musique anglaise semble ne rien avoir à dire sur les récents affrontements.

Mattia Zoppellaro

“on a commencé l’album le lendemain de la mort de Michael Jackson. Il fallait réécrire l’histoire, repartir de zéro”

commun de tous les morceaux. Avec Michael Jackson mourait une certaine idée de la pop et le plus grand vendeur de disques de l’histoire. C’était comme tourner une page, et il fallait réécrire l’histoire, repartir de zéro.” Retour à la case départ, mais avec un complice de luxe : pour Alesia, les Français ont fait appel au prolifique producteur Philippe “Cassius” Zdar. Réputé pour sa façon de changer ce qu’il touche en or (on lui doit Wolfgang Amadeus Phoenix, mais aussi la production de disques de The Rapture et des Beastie Boys), Zdar a accueilli le duo dans son studio perché sur la butte Montmartre. “Honnêtement, je connaissais le nom du groupe, mais pas vraiment la musique, nous expliquait-il avant l’été. Et puis j’ai été super séduit par les morceaux. On a passé de grands moments ici, on était même très émus lors de la dernière prise. On n’avait pas envie que ça s’arrête.” L’arrivée de Zdar semble avoir renforcé la complicité de Pierre et Victor, copains depuis leur rencontre sur les bancs du lycée de Chaville. “Il n’y a jamais eu de problèmes d’ego dans Housse De Racket, juste des confrontations d’idées. C’était plutôt confortable d’avoir une personne, de qualité de surcroît, pour nous guider dans nos choix. Mais on a

aussi pris des décisions à pile ou face. Le hasard et le danger, c’est intéressant.” Le hasard a de toute évidence très bien fait les choses : Alesia, qui voit le groupe passer du français à l’anglais d’un titre à l’autre, est une collection de chansons pop musclées et impressionnantes. Du puissant Human Nature, qui ouvre le bal comme le bouquet final d’un feu d’artifice, à Château et sa conclusion prodigieuse, de TGV à Chorus, les bombinettes s’enchaînent à la vitesse d’un SR-71 Blackbird. “On a accepté une certaine idée de la simplicité. Avant, on avait tendance à trop intellectualiser. Et plus on intellectualisait, plus c’était perçu de façon idiote ou ludique. Cette fois, on a accepté de faire des accords très simples et d’assumer un côté épique.” 2011, année héroïque, et une grande bataille d’Alesia. Johanna Seban album Alesia (Kitsuné/Cooperative/Pias) concerts le 23 septembre à Clermont-Ferrand, le 24 à Angers, le 1er octobre à Marseille, le 6 à Toulouse, le 14 à Nantes, le 20 à Paris (Gaîté Lyrique), le 21 à Metz, le 22 à Meaux, le 29 à Arles, le 4 novembre à Rennes, le 12 à Lorient, le 25 à Vauréal, le 26 à Tourcoing www.myspace.com/houssederacket En écoute sur lesinrocks.com avec

Des Specials au Clash, de Billy Bragg aux Smiths, les émeutes anglaises ont toujours trouvé dans le rock une caisse passionnante de résonance et d’analyse expéditive, personnelle. Dans la musique anglaise, on attend encore la voix qui, avant que l’extrême droite ne se charge d’en faire son pain béni, saura tirer les conclusions des récentes nuits de chaos. On ne comptera pas sur Noel Gallagher, qui a immédiatement – venait-il de lire le Daily Mail ? – condamné les jeux vidéo et la violence à la télévision. Pour un peu, Nono Nunuche nous sortait les mobylettes trafiquées, les blousons noirs et le twist comme source de tout ce qui va mal dans la société. Cette voix existe sans doute sur les radios pirates londoniennes, hurlant en vrac sur les beats cagneux et inquiétants du dernier sous-genre de hip-hop ou de grime à affoler les gambettes de la jeunesse anglaise. Mais pour l’instant, c’est comme si la musique populaire, traditionnellement fertile en commentateurs drôles et cinglants, avait renoncé. La voix la plus intéressante n’est pas venue d’un groupe passionnant : les anarcho-punks de Chumbawamba. Dans un long texte publié par le quotidien The Independent, leur chanteur depuis trente ans, Boff Whalley, n’écrit pas en défense des émeutiers : en défense seulement de l’anarchie. Face à la multiplication des manchettes de une affolées des tabloïds lors des troubles (“Anarchie” pour The Sun, “L’anarchie gagne du terrain” pour le Telegraph et le Mail), il explique avec humour et conviction comment il est devenu “un anarchiste en voyant les Sex Pistols sur une télé noir et blanc à Burnley en 1976”. On cherche encore qui, dans les charts, pourrait aujourd’hui secouer la léthargie d’un gamin de Burnley et lui offrir trente ans de conscience et d’engagement politique.

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Adam Bordow

un nouvel album pour Suede Le groupe britannique devrait enregistrer un nouvel album prochainement. Alors que Brett Anderson assure la promotion de Black Rainbows, son nouveau disque solo prévu pour le 26 septembre, il déclarait récemment à la radio anglaise XFM son intention d’écrire un nouvel album pour Suede. “Je vais m’y mettre après la sortie de ce disque. Il faut juste trouver un moyen de rendre les choses intéressantes, de ne pas s’enliser dans la routine. C’est la leçon que j’ai tirée de mon expérience avec Suede. C’est la raison pour laquelle on avait décidé de mettre un terme au groupe en 2003. Les choses devenaient trop banales et je ne veux pas que ça se reproduise.” On patientera avec le concert solo de Brett Anderson le 7 octobre à la Machine, à Paris.

David Lynch s’acoquine avec Karen O On en avait parlé il y a quelques mois : l’album solo du réalisateur vient d’être enfin annoncé pour l’automne prochain. Intitulé Crazy Clown Time, il a été intégralement financé par l’Américain, simplement aidé par l’ingénieur du son et batteur occasionnel Dean Hurley. Il s’offre aussi une invitée de marque : Karen O, des Yeah Yeah Yeahs, venue prêter sa voix pour l’un des morceaux, Pinky’s Dream.

cette semaine

Rock en Seine

Questlove loves Fela 11 septembre à Paris : pour le bouquet final de Jazz à la Villette, c’est l’afrobeat que célèbre Questlove, le batteur des Roots, lors d’un concert en hommage aux répertoires de Fela et Tony Allen. Avec un casting monstrueux : Macy Gray, Amp Fiddler, Black Thought des Roots, Tony Allen lui-même, plus une quinzaine de chanteurs et musiciens qui font le lien entre l’afrobeat d’hier et le hip-hop actuel. www.jazzalavillette.com

Impossible d’y échapper : la fin du mois d’août à Paris reste synonyme de Rock en Seine, où l’on retrouvera notamment cette année des revenants (The La’s), des show-men bien rodés (Arctic Monkeys, Interpol, Foo Fighters) et des jeunes pousses déjà adulées (Wu Lyf, Anna Calvi). Du 26 au 28 août à Saint-Cloud, programmation complète sur www.rockenseine.com

neuf

Enfermée tout l’été au studio d’Abbey Road, l’Anglaise vient semble-t-il de mettre la touche finale à son second album, dont on ne connaît encore ni la date de sortie ni le nom. C’est en tout cas ce qu’a annoncé Paul Epworth, son producteur, via Twitter, précisant qu’il n’y avait “aucun morceau faible dessus” et que l’album serait “bien plus puissant que le premier, moins indie et plus mélancolique”.

The Bluetones

Exitmusic Le label Secretly Canadian a du nez (Suuns, Yeasayer…). Les New-Yorkais d’Exitmusic ne resteront pas secrets longtemps : épiphaniques comme ceux des Cocteau Twins et Sigur Rós, radioheadesques et mogwaiens, leurs morceaux promettent de la grandeur. www.myspace.com/thedeclineofthewest

Florence And The Machine : ça se précise

Rover On sait peu de choses de ce projet pop démesuré, si ce n’est qu’il est l’œuvre du Français Timothée Regnier, compositeur, arrangeur et chanteur particulièrement ambitieux d’après les titres déjà entendus. Entre lui, Woodkid et Cascadeur, la blogosphère internationale n’a pas fini de parler de french pop. www.facebook.com/musicrover

En France, on avait oublié The Bluetones, formation issue de la britpop. En Angleterre, le groupe, qui a continué de publier des disques, a annoncé une tournée d’adieu. L’occasion de réécouter le premier album du groupe, Expecting to Fly (1996), et de constater qu’il contenait une brochette de pop songs bien ficelées. www.thebluetones.info

Pink Floyd EMI réédite le 26 septembre les quatorze albums des Anglais en version remasterisée. L’intégrale sera réunie au sein d’un coffret, chaque disque étant aussi en vente à l’unité. Trois beaux coffrets seront également consacrés aux albums The Dark Side of the Moon, Wish You Were Here et The Wall, avec une grosse brochette de bonus promise. www.pinkfloyd.com

vintage

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Clara Balzany

piments doux Alors que sort leur dixième album, les Red Hot Chili Peppers nous reçoivent à Los Angeles. L’eau de la piscine est tiède : la température d’un album en pilotage automatique.

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inq ans se sont écoulés depuis votre album précédent. Où étiez-vous passés ? Anthony Kiedis (chant) – On a tourné deux ans, et les deux années suivantes on n’a pas fait de musique sous le nom de Red Hot Chili Peppers. J’ai écouté de la musique, fait de la moto, beaucoup été à la plage, un peu voyagé… Oh oui, j’ai aussi eu un fils. Et les derniers dix-huit mois ont été

“partir en tournée est aussi excitant qu’en 1984” Anthony Kiedis

consacrés à travailler très dur sur ce disque. On avait décidé que même si on avait suffisamment de chansons au bout de deux mois, on voulait voir ce qui se passerait si on poussait le processus sur douze mois. C’était comment de retourner en studio sans votre guitariste historique, John Frusciante ? Josh, tu as senti son fantôme ? Josh Klinghoffer (guitare) – Un peu… Je me demandais si son absence était ressentie par le reste du groupe, mais l’atmosphère était très positive. On a enregistré dans le studio de Rick Rubin à Los Angeles, où j’ai moi-même maintes fois joué avec John et où

je les ai tous rencontrés pour la première fois il y a un bout de temps. A. K. – Bien sûr, il y a eu des incidents, comme son ampli qui s’allumait tout seul… L’image des Red Hot a toujours été déconnante. En prenant de l’âge, vous avez des responsabilités, des familles… Ça a changé quelque chose pour vous ? Quand on a commencé, en 1983, on faisait pas mal de choses en réaction au mouvement glam-metal, ces types qui s’habillaient bien, se prenaient au sérieux. On voulait être le contraire de ça : faire des grimaces pour les photos, s’habiller bizarrement, c’était anti-establishment.

Et ça arrive encore de temps en temps. Si Flea a une envie soudaine de se renverser un plat de pâtes sur la tête, très bien. Mais ça n’est jamais programmé. A quoi va ressembler votre vie en tournée, maintenant que vous avez tous des familles ? Moi, ma famille est réduite, c’est juste un nain, et je compte l’emmener dans ma valise. Croyez-vous que les questions de vie ou de mort qui agitaient le groupe autrefois vous apportaient une intensité que vous devez aller chercher ailleurs aujourd’hui ? Je crois que la vie et la mort sont toujours présentes, que ce soit évident ou pas ; on y est aussi connectés qu’on l’a toujours été. Aucun de nous n’a perdu cette urgence de vivre. On n’est pas encore à la retraite ! Vous avez gagné tous les prix, joué dans les plus grands stades à travers le monde… Qu’attendezvous de ce dixième album ? Je n’ai pas vraiment d’attentes. Ce disque nous donne avant tout l’opportunité de partir en tournée, ce qui est aussi excitant que ça l’était en 1984, quand je ne pouvais pas fermer l’œil la nuit avant le concert tellement je trépignais d’impatience. On a la chance d’être passionnés, on fait ce qu’on fait pour les bonnes raisons et c’est pour ça qu’on est encore là. Seriez-vous déçus si l’album était un échec commercial ? Oui, je serais déçu. Mais pas déçus par nous. Pour moi, on a déjà réussi. La cerise sur le gâteau, c’est quand les gens adhèrent. En fait, pour être honnête, je serais plus surpris que déçu. recueilli par Clémentine Goldszal album I’m with You (Warner) concerts les 18 & 19/10 Paris (POPB) www.redhotchilipeppers.com 24.08.2011 les inrockuptibles 93

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Cecilia Garroni Parisi

Sally sur la colline La diva franco-camerounaise Sally Nyolo revient à la source par des chemins détournés, sur un nouvel album magique.

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n 1998, la chanteuse Sally Nyolo redécouvrait le pays de ses ancêtres, le Cameroun, où elle a vécu une partie de son enfance. Un come-back plutôt discret, quoique motivé par le tournage d’un documentaire pour une chaîne de télé française, consacré notamment à un pèlerinage dans son village natal d’EyenMeyong et à la remontée en pirogue d’un fleuve qui serpente au milieu de la forêt équatoriale, la Lobé. Au cours de ce voyage, une tribu pygmée vint l’accueillir par un chant spécialement composé en son honneur, intitulé Sally Nyolo. Il existe aujourd’hui plusieurs versions de Sally Nyolo, dont l’une figure

en toute fin de La Nuit à Fébé, son sixième album, le plus itinérant et le plus brillant de sa discographie. “Ce voyage fut un choc pour moi, et une source d’inspiration”, reconnaît Sally. A l’époque, elle avait ramené de ce périple la sensation rassurante d’appartenir à ce monde immuable et primordial d’avant la machine, un monde rassasié de couleurs, de senteurs et de vibrations. Avec à sa disposition une langue-véhicule, l’éton, et un rythme trépidant, endiablé, le bikutsi. Elle en rapporta aussi un grand bâton honorifique, le “kak”, symbole de force et de sagesse – assez rarement décerné à une femme –, ainsi qu’un instrument, le “mvet”, impressionnante harpe-cithare qu’utilisent

les conteurs de villages lors des veillées pour délivrer des épopées et des récits mythiques. D’une certaine manière, ce voyage se poursuit encore aujourd’hui dans sa vie comme dans son imaginaire. Car si La Nuit à Fébé est un tour de magie, c’est bien celui que Sally s’est joué à elle-même en allant se ressourcer auprès des gens de la forêt. Celle qui fut choriste de Nicole Croisille et de Jacques Higelin, qui a fait partie du groupe Zap Mama, n’a cessé depuis

dans le creuset bouleversé de son unité, Sally est à la fois femme-racine et femme-monde

de tisser des liens musicaux entre ces deux rives d’elle-même que sont le Cameroun et la France. Elle a appris la technique du mvet, puis celle du balafon, cousin du xylophone, dont les sonorités boisées trament sa nouvelle production, conçue entre Afrique et Normandie. Elle a perfectionné en le chantant sa pratique de l’éton. Elle a aussi multiplié ses visites chez les Pygmées et s’est fait construire un studio sur l’une des collines surplombant Yaoundé, ce fameux mont Fébé qui prête son nom à l’album. De cela, elle a tiré cette étonnante balade entre musique ethnique et chanson française, entre comptines pour adultes (les désarmants Love et Toi et moi) et plongées dans l’impénétrable des cultures premières (Ngoulaï). Elle a obtenu ces folâtresques entremêlements de sonorités et de langues (éton, français, anglais) qui vont bientôt obliger une chancelière allemande et un ministre de l’Intérieur français à reconsidérer complètement leur condamnation commune et sans appel du multiculturalisme. Car dans le creuset toujours bouleversé de son unité, à la fois femmeracine et femme-monde, Sally a réussi à faire de l’éclatement de sa propre histoire une trans-histoire, à l’instar de cet étonnant retour de l’écrivain russe Alexandre Pouchkine sur les traces de son arrièregrand-père africain, évoqué dans le magnifique Stolen by Night. Elle a réussi l’impossible : harmoniser le chaos. Francis Dordor album La Nuit à Fébé (Sony) concerts le 3/11à Paris (Café de la Danse), le 15 à Valence www.myspace.com/sallynyolo En écoute sur lesinrocks.com avec

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Erik Weiss

Frank Turner England Keep My Bones

Fruit Bats

Epitaph/Pias

Tripper Sub Pop/Pias

Un condensé d’Angleterre par un troubadour trop confidentiel. a frontière entre constance et stagnation est mince, et nombreux sont ceux qui la franchissent sans s’en rendre compte. Aucun risque que cela arrive à Frank Turner : on ne connaît pas de musicien plus intègre et résolu que ce trentenaire du Hampshire qui, le 21 avril dernier, donnait le millième concert d’une irréprochable et néanmoins trop confidentielle carrière. England Keep My Bones lui permettra-t-il de récolter de ce côté-ci de la Manche plus que de faciles comparaisons avec Billy Bragg ? Après dix ans d’une vie à jouer les flûtistes de Hamelin sur les routes d’Europe, ce ne serait que justice pour ce tough guy devenu songwriter. D’autant que ce quatrième album le voit atteindre le sommet de son art, soit un parfait point d’équilibre entre mal du pays (Rivers, splendide ballade médiévale) et vénération du rock’n’roll (le fédérateur I Still Believe), entre poésie (English Curse, a capella sur la mort légendaire du roi d’Angleterre Guillaume II) et photographie (Wessex Boy, évocateur portrait de Winchester et de sa région), entre folk à fleur de peau (Nights Become Days, au fingerpicking aussi gracile qu’un ballet de lucioles) et punk à fleur de tripes (Peggy Sang the Blues, intense hommage à une grand-mère allergique au déterminisme). Benjamin Mialot

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www.frank-turner.com

Riche en mélodies pur sucre, de la pop qui donne le diabète. Ne surtout pas croire le titre d’une des chansons d’Eric D. Johnson, leader de Fruit Bats : You’re Too Weird, “Tu es trop bizarre”. En matière de pop-music, vous ne trouverez guère plus soigneux, méticuleux, effroyablement normal que cet Américain : et si c’était ça, la vraie excentricité, en 2011 – cette pop tricotée à grosses mailles à l’ancienne, chantée avec cette ferveur qu’on réserve aux histoires de pêche au coin du feu, jouée avec la naïveté et l’entrain de boy-scouts qui n’ont pas encore rencontré leur sexualité ? Qu’il joue une jangly-pop à l’optimisme rayonnant, du folk-rock qui a encore de la paille dans les cheveux ou une soul délavée et mélancolique, Eric D.Johnson est ainsi un remarquable largué, un chef-d’œuvre en péril – le seul mélodiste à pouvoir tenir tête à Midlake ? Il vient de collaborer à plusieurs BO : sa musique onirique, éclairée de l’intérieur, ignore pourtant tout du cinéma, du vain vacarme, du chiqué. Au mur du son, elle a préféré le murmure du son. JD Beauvallet www.myspace.com/thefruitbats 24.08.2011 les inrockuptibles 95

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F. Scott Schafer

Meredith Monk Songs of Ascension ECM/Universal

various artists First Impulse – The Creed Taylor Collection 50th Anniversary

Metro Goldwin Mayer Studio Inc., 2001

Impulse/Universal

Neil Young International Harvesters A Treasure Reprise/Warner

Sortie d’un réjouissant live vieux de vingt-cinq ans pour les fans du Loner. n 1984, Neil Young sortait d’une étrange période de mues successives. Un coup dans le metal (Re-ac-tor), un coup dans la musique électronique (Trans), un autre dans le rockabilly (Everybody’s Rockin’), il avait perdu la boussole. Et peut-être la boule. Mais après les errances vint le temps du retour à la country – comme l’illustre cet album live enregistré avec un groupe constitué de fines gâchettes du genre, dont le joueur de pedal steel Ben Keith, membre des Stray Gators au moment de Harvest. Ici, une version de Are You Ready for the Country? relie d’ailleurs le Neil Young du début des années 70 à celui des années 80, dont l’intention est clairement de rouvrir un vieux sillon et d’y semer de nouvelles graines avec cinq inédits. Mais aussi d’anciennes, comme l’atteste cette réinterprétation du Flying on the Ground Is Wrong de Buffalo Springfield, un petit événement en soi, du moins pour les fans, à qui cet album jubilatoire s’adresse en priorité. Francis Dordor

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www.neilyoung.com En écoute sur lesinrocks.com avec

Joli coffret pour fêter les 50 ans du légendaire label Impulse. Avant de faire découvrir Antonio Carlos Jobim ou Astrud Gilberto à ses compatriotes chez Verve, le producteur américain Creed Taylor fut responsable du lancement d’un des labels les plus originaux de l’histoire du jazz : Impulse. Il y a cinquante ans, son catalogue s’ouvrait au son de disques variés signés Jay Jay Johnson, Kai Winding, Ray Charles, Gil Evans, Oliver Nelson et – saxophoniste appelé à devenir la figure de proue du label – John Coltrane, dont on découvre ici trois inédits. Six albums et presque autant de chefs-d’œuvre qui sont aujourd’hui réédités dans un épais coffret-livre contenant aussi un texte d’Ashley Kahn, les reproductions des pochettes et de belles photos en noir et blanc. Guillaume Belhomme www.impulserecords.com En écoute sur lesinrocks.com avec

A la fois méditative et lyrique, la musique sans limites d’une tête brûlée. Performeuse, chanteuse, compositrice et chorégraphe, Meredith Monk considère la musique comme élément d’un vaste tout. Enregistré en compagnie d’un chœur, d’un ensemble et d’un quatuor à cordes, le spirituel Songs of Ascension constitue une nouvelle et exemplaire étape de cette démarche. L’art vocal tout en brisures, staccato et variations tonales minimalistes de Monk se trouve infléchi par la majesté des chœurs et quelques voix masculines prises dans une soie de cordes et percussions de poche. L’Américaine, après avoir bouleversé le chant contemporain, compose aujourd’hui la musique classique de demain. Christian Larrède www.meredithmonk.org

ANR Stay Kids Something in Construction/La Baleine

Le son envoûtant de deux esthètes pop venus de Miami. Yeasayer, Animal Collective, Gang Gang Dance ou Neon Indian ont invité ce duo de Miami pour assurer leurs premières parties. Ils prenaient là un risque, car les chansons dangereusement séduisantes de Brian Robertson et Michael John Hancock auraient facilement pu leur voler la vedette avec leurs radieuses harmonies vocales, leurs mélodies qui se tordent de plaisir et ronronnent. Réunis autour d’un amour poussé pour Prince, Moroder ou la clique Parliament dans une fac de musicologie, les deux garçons ne se contentent pas des collages audacieux de tant de sorciers soniques en vogue. Leur science de la production est certes prodigieuse, ils demeurent avant tout un groupe à l’ancienne, pointilleux dans l’écriture, amoureux du chant. Très proches en ce sens de Passion Pit, ils mélangent ici pop et utopie (upopie ?) avec une volubilité, une allégresse et une sensualité qui poussent Miami au vice. JD Beauvallet www.myspace.com/anrmiami

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Toddla T Watch Me Dance Ninja Tune/Pias

www.toddlat.com En écoute sur lesinrocks.com avec

Pete Astor Songbox A Second Language

David Belisle

Le prodige de la musique urbaine anglaise revient : inégal mais fortiche. Il n’y a même pas cinq ans, Tom Bell vendait des chaussures à Sheffield. Devenu Toddla T, il les fait aujourd’hui danser dans toute l’Angleterre, vendant ses beats et remixes tortueux à Hot Chip, Gorillaz, Ms. Dynamite ou Roots Manuva. L’été anglais est ainsi : les fenêtres ouvertes vomissent sur le trottoir des sons venus de partout, mélangeant en une BO urbaine hip-hop, dancehall, soul, dubstep, pop ou house. Mais malheureusement, Toddla T n’est pas Soul II Soul ni Basement Jaxx, immenses metteurs en son, et s’il maîtrise diaboliquement la production, il reste parfois un songwriter de petite envergure. Ce n’est certainement pas le cas sur Take It Back ni sur Do It Your Way, où il offre à l’été anglais quelques raisons de perdre la raison. Benjamin Montour

Shabazz Palaces Black up Sub Pop/Pias Trésor intrigant de hip-hop déjanté et enfumé. ourir après la musique du une telle virtuosité des variations futur peut être une activité rythmiques, des tonalités saine et moins vaine qu’on de voix, des orgues bizarres et des ne l’imagine. Pour preuve, chuintements extraterrestres que ce troisième album des mystérieux l’envoûtement ne peut être exclu. Shabazz Palaces. A l’aube des 90’s, Songez à une sorte d’Outland leur instigateur, Ishmael Butler, peuplé de mutants irradiés par avait laissé une trace significative les retombées sonores produites sur l’asphalte pour avoir par Sun Ra, Tricky, Talib Kweli, commandé l’une des unités les les Residents et Suicide, et vous plus audacieuses de la rébellion comprendrez qu’après écoute hip-hop aux Etats-Unis, les Digable votre compteur Geiger personnel Planets. Quand le gros des troupes puisse être affolé. F. D. cantinait chez James Brown, eux sortaient du rang avec des samples shabazzpalaces.com En écoute sur lesinrocks.com de Sonny Rollins. Depuis, Butler avec s’est distingué par son absence prolongée, à l’évidence mise à profit pour parfaire une esthétique bien à part et relevant d’un farouche irrédentisme, définitivement à contre-courant du rap pour têtes de gondole. Que Black up sorte chez Sub Pop, le label indie-rock par excellence, est logique. On y joue avec

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Retour intact d’un héros trop méconnu de la charnière 80/90. Les plus anciens se souviendront avec du vague à l’âme de Peter Astor, qui avait dans les années 80 encanaillé de merveilleuses mélodies anglaises dans les tréfonds d’un New York fantasmé chez Television ou le Velvet. Après The Loft, The Weather Prophets, The Wisdom of Harry ou Ellis Island Sound, le revoici en solo, avec un sobre et luxueux box-set. Soit onze chansons artistocrates anglaises, racées comme une vieille Aston Martin, suintant de morgue et de vieille classe. Onze chansons sans âge, illustrées chacune par une carte postale réalisée sur mesure par des artistes amis. Onze chansonssoupirs de bien-être, reprises sur un second CD par des musiciens eux aussi peu portés sur la hype, les cliques, les étiquettes clinquantes (des Raincoats à Piano Magic). Exactement le genre d’album doucement suranné que l’on rêverait d’entendre du côté de Leonard Cohen. JDB www.secondlanguagemusic.com

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Wugazi 13 Chambers

Jean-Baptiste Dupin www.wugazi.com

Kanye West/Jay-Z : trône bancal pour les rois du monde Fabien

Idée de génie : mélanger le rock raide de Fugazi au hip-hop tordu du Wu-Tang. En 2004, Danger Mouse faisait rapper Jay-Z sur des samples des Beatles et lançait sa carrière de superproducteur. Son Grey Album marquait aussi l’apogée d’un éphémère phénomène : la bastard pop. Après avoir suscité une curiosité amusée et engendré quelques tubes, le genre s’est plus ou moins éteint, seulement entretenu par les productions frénétiques de Girl Talk ou les projets de Max Tannone. Wugazi, mystérieux duo de Minneapolis, confronte le rap agressif du Wu-Tang Clan au post-hardcore ombrageux de Fugazi. Dès les premières secondes de Sleep Rules Everything around Me (le C.R.E.A.M. du Wu-Tang sur le piano triste de I’m So Tired de Fugazi), on comprend que 13 Chambers n’est pas qu’une idée séduisante ou un mashup virtuose. Aucun projet de remix n’aurait pu aussi bien régénérer le catalogue du Wu-Tang et le détourner du son emblématique de RZA tout en préservant son essence. Lourd, dense, viscéral, visionnaire, 13 Chambers est un album de rap à part entière, et sans doute l’un des meilleurs de l’année.

Arthur Elgort

en téléchargement

Jay-Z & Kanye West Watch the Throne Mercury/Universal Les deux poids lourds du hip-hop américain s’unissent pour dominer le monde. Qui peut faire la moue. aint-Just n’aurait formels : on retrouve jamais pu être un sur tous les morceaux rappeur mainstream, l’ADN de Kanye West. avec des bracelets qui Le plus flagrant étant sur coûtent le prix d’un manoir New Day, produit par RZA autour des poignets. dont on reconnaît à peine Lui qui disait “Un trône n’est la patte, et sur H.A.M, signé qu’un bloc où chacun peut Lex Luger, où l’on sent s’asseoir” niait en une bien que Yeezy a rajouté phrase l’accomplissement des chœurs et une outro au du chanteur de rap : beat brut et rentre-dedans être le roi, dominer du jeune producteur son sujet et ses sujets. du Brick Squad. Résultat : C’est donc avec cette si les instrus restent volonté d’asseoir leur carrés et pointus comme pouvoir sur la planète rap un mocassin italien, et plus généralement dans et vont piocher aussi bien le monde de la musique leur inspiration chez que Kanye West et Jay-Z Cassius que du côté de se sont réunis pour Roxy Music ou Nina enregistrer Watch Simone, ce n’est pas the Throne. Sympa. Mais vraiment la foire du trône. attend-on encore quelque Ennuyé, on zappe aisément chose d’un Jay-Z qui des morceaux comme n’a rien fait de grandiose Made in America, mou, plein depuis le Black Album de bons sentiments, et d’un Kanye West, génial véritable bande-son pour producteur mais piètre MC, vendre une voiture hybride, qui essaie tour à tour ou Lift off, qui a uniquement d’imiter Drake ou Lil Wayne été conçu pour réunir sans jamais les égaler ? Beyoncé, Jay-Z et Kanye Première constatation, lors des prochains live. malgré la pléthore de Malgré tout, quelques beatmakers, John Grisham instants de grâce viennent et les experts sont ponctuer l’abum,



coïncidant avec ce que les deux rappeurs savent faire de mieux : parler de leur richesse, aidés par des orchestrations impeccables signées des Neptunes (Gotta Have It) ou de Mike Dean (Why I Love You). Plus étonnant, sur les excellents Niggas in Paris et Murder to Excellence, Jigga Man et Kanye arrivent même à faire des morceaux “à message” écoutables. Respect. Au final, loin d’être catastrophique, Watch the Throne est, simplement, un bon album, et la meilleure chose venant de Jay-Z depuis qu’il a renoncé à porter des sandales avec ses jeans. Eric De Benedictis www.watchthethrone.com

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Alex Salinas

Stephen (à gauche) et David Dewaele, alias 2 Many DJ’s

radio libre La nouvelle Radio Soulwax des 2 Many DJ’s est un projet dantesque et génial : vingt-quatre mixes cinglés d’une heure chacun, avec visuels et thématiques tous azimuts. Rencontre avec l’aîné des frères Dewaele.

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quoi ressemble la collection de disques des frères Deweale ? Stephen Dewaele – En ce moment, elle est dans des cartons, stockée dans un entrepôt. C’est devenu difficile à gérer, ça représente environ cinquantecinq mille disques, peut-être un peu plus. Le chiffre est énorme, une collection que nous avons rassemblée en une décennie. Mais on en a acheté encore plus quand on a débuté ce projet : c’est devenu assez frénétique. On est entré dans un monde de freaks. Mais j’ai pu en rencontrer des pires que nous. Quelle était l’idée derrière ce projet ? Les gens nous ont toujours demandé si on allait sortir un nouvel album des 2 Many DJ’s, et notre réponse a toujours été “non”. Puis nous avons fait ce mix d’une heure avec David, Introversy, uniquement fait d’introductions de morceaux, environ cinq cents, avec l’idée de jouer aussi sur le visuel, les pochettes. On a trouvé ça intéressant, ça a été un déclic : deux heures après, on décidait de faire une série de vingt-quatre mixes, dans plein de styles différents… Une bravade : une fois la décision prise, on s’est rendu compte

que ça nous prendrait un temps dingue. Les gens pensent qu’il y a une stratégie marketing derrière tout ça, mais non : ce n’est qu’une idée stupide. (rires) Ça vous a pris deux ans, c’est ça ? Il faut comprendre que nous avons en même temps fait les mixes et les visuels qui les accompagnent, c’était l’idée de base. Ça prend du temps, on est passé par des storyboards, on a beaucoup bossé dessus. On a commencé à numériser notre collection de disques il y a environ quatre ans : on ne trouvait pas tout ce qu’on voulait sur iTunes, notamment nos propres raretés, et ça nous permettait en tant que DJ de tout emporter avec nous et d’être libres de travailler sur n’importe quel morceau n’importe où. On a embauché quelqu’un : on lui donnait les vinyles, les morceaux à numériser, il devait aussi renseigner une base de données avec les BPM, le genre musical, l’année de sortie.

“les gens pensent qu’il y a une stratégie marketing derrière tout ça, mais non : ce n’est qu’une idée stupide”

Et scanner la pochette de chaque disque : elles nous servaient à faire les storyboards, nous donnaient des idées d’illustrations, de films. Pour chaque thème, on a pioché dans cette base, en commençant parfois avec quinze mille morceaux mais en n’en utilisant parfois, au final, qu’une centaine… A quoi les gens peuvent-ils s’attendre, sur scène ? C’est plus dansant, les gens viennent pour ça, il faut donc garder les choses à un niveau plus élevé en termes d’énergie. L’un des épisodes de la Radio Soulwax est un mix d’une heure de punk hardcore : je ne suis pas certain que les gens supporteraient ça en venant voir les 2 Many DJ’s… (rires) Et Soulwax ? Peut-on espérer un nouvel album ? Nous avons débuté cette nouvelle Radio Soulwax le 4 juillet et, d’une certaine manière, ça nous a libérés de deux ans d’un travail de fou qu’on ne pouvait alors partager avec personne. Instantanément, on s’est mis à écrire des chansons. Il y aura quelque chose. Mais quand ? Je ne sais pas. Je ne sais même pas à quoi ça ressemblera. recueilli par Thomas Burgel Radio Soulwax et dates de concert sur 2manydjs.com ou applications smartphones 24.08.2011 les inrockuptibles 99

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Chris Heidman

Howler This One’s Different ep Rough Trade/Beggars/Naïve Strokes et Kings Of Leon en décomposition, Howler prend le relais. lamboyantes et intraitables contemplant cette décomposition. pendant plus de dix ans, les Qui, ce sont les très jeunes Howler jeunes guitares américaines de Minneapolis. Ignorant tout ont le teint blafard et l’œil des derniers épisodes, ils jouent ce morne. Fin de règne. Les White rock enflammé (les guitares, entre Stripes ont plié les gaules avant Strokes et Smiths) avec la foi et la lassitude, les Strokes virent la fougue d’adolescents gourmands, au lugubre et le spectacle des qu’il faut absolument, même Kings Of Leon sur scène est d’une de force, préserver de la lassitude, tristesse sans fond. Si excitante, du cynisme, de la démission. En un influente à ses débuts, cette scène a mot, des adultes. JD Beauvallet pris des siècles, des tonnes en une dizaine d’années. Et on se demande www.myspace.com/howlerjams franchement qui pourrait avoir En écoute sur lesinrocks.com envie d’empoigner une guitare en avec

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Pusha T feat. Tyler The Creator Trouble on My Mind Sale, menaçante et pourtant copine comme cochonne avec les hanches, cette production des Neptunes est leur plus impressionnante depuis longtemps. Et le flow canaille et je-m’en-foutiste de Tyler The Creator fait aussi beaucoup de bien au rap sombre et lancinant de l’ancien Clipse. www.redbullusa.com

Slow Joe & The Ginger Accident De Goa à Paris Bientôt en tournée française avant la sortie de son premier album, papy Slow Joe, découvert il y a quatre ans par un jeune Lyonnais, est un chanteur de rhythm’n’blues comme on n’en fait plus. Surtout en Inde, d’où il vient. www.caravelle-prod.com

Feist How Come You Never Go There Après quatre ans de silence, on sait maintenant que Feist sortira son nouvel album, Metals, le 3 octobre. En attendant, la station américaine KBCO a diffusé en avant-première un extrait de cet album, How Come You Never Go There, qui s’est vite retrouvé sur internet et qu’on aime déjà passionnément. http://soundcloud.com/feist-1

Cannibal Pigeon Sydney Pas de revendication, de spiritisme ou encore d’explication abracadabrantesque de leur pseudonyme Cannibal Pigeon : voilà juste une bande de copains qui s’efforce de composer de la pop entre surf-wave et garage crado. www.lesinrockslab.com/cannibal-pigeon 100 les inrockuptibles 24.08.2011

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dès cette semaine

21/10 Lyon, 22/10 ClermontFerrand, 24/10 Paris, Trianon, 25/10 Caen, 27/10 Bordeaux, 2/10 Vendôme, 29/10 Reims, 30/10 Lille Doctor Flake 12/10 Paris, Boule Noire EMA 7/11 Paris, Olympia Piers Faccini 25/10 Paris, Café de la Danse Festival Cabaret Vert du 26 au 28/8 à CharlevilleMézières, avec The Rapture, Stupeflip, The Dø, Vitalic, The Bewitched Hands, Lilly Wood & The Prick, The Shoes, Selah Sue, etc. Festival Les Inrocks BlackXS du 2 au 8/11 à Paris, Nantes, Lyon, Marseille et Toulouse, avec Friendly Fires, Dum Dum Girls, Florent Marchet, Alex Winston, Yuck, James Blake, Miles Kane, Timber Timbre, Saul Williams, EMA, Agnes Obel, La Femme, Cults, Morning Parade, WU LYF, Foster The People, etc. Festival Les Rockomotives du 22 au 31/10 à Vendôme avec John Cale, The Dø, Yann Tiersen, Diabologum, Deus, Pneu, Chokebore, Mondkopf, etc. Flotation Toy Warning 10/9 Tourcoing, 1/10 Bruxelles, 22/10 Evreux, 23/10 Paris, Café de la Danse, 24/10 Bordeaux, 26/10 Toulouse, 27/10

Montpellier, 28/10 Hyères, 29/10 Saint-Gall Brigitte Fontaine 17/9 Marseille Lulu Gainsbourg 2/11 ClermontFerrand, 8/11 Paris, Casino de Paris, 10/11 Bruxelles, 12/11 Saint-Lô Ganglians 1/10 Paris, Point Ephémère Greatest Hits + Leno Lovecraft 2/9 Paris, Flèche d’Or Health 6/9 Paris, Point Ephémère Housse De Racket 20/10 Paris, Gaîté Lyrique Inrocks Lab Party septembre 14/9 à Paris, Flèche d’Or, avec Miracles Fortress + 3 finalistes Inrocks Lab Bon Iver 29/10 Paris, Grande Halle de La Villette Jazz à La Villette du 31/8 au 12/9 à Paris, avec Hindi Zahra, Mulatu Astatké, Yaron Herman, Aldo Romano, Kouyaté & Neerman, ESG, Maceo Parker, etc. Jehro 10/10 Paris, Cigale Jay-Jay Johanson 6/10 Nancy, 17/11 Lille, 18/11 Caen, 21/11 Paris, Trianon, 22/11 Lyon, 23/11 Toulouse, 25/11 Montpellier, 26/11 Marseille The Kooks 18/10 Paris, Casino de Paris, 19/10 Bordeaux, 20/10 Toulouse, 24/10 Lyon L 5/10 Paris, Café de la Danse Maad in 93 du 22/9 au 8/10 à Saint-Ouen, Montreuil, Bagnolet, etc. avec The Afrorockerz, Viva & The Diva,

Cheveu, Milk Coffee & Sugar, Louis Sclavis, etc Miossec 9/9 Ouessant, du 20 au 23/9 Paris, Nouveau Casino, 28/9 Rennes, 29/9 Brest, 30/9 Laval, 1/10 Caen, 4/10 Annecy, 5/10 Nancy, 6/10 Metz, 7/10 Tourcoing Mondkopf 10/9 Tourcoing, 16/9 Bordeaux, 22/9 Lyon, 30/9 Bordeaux Motörhead 23/10 Toulouse, 25/10 ClermontFerrand, 26/10 Nantes, 31/10 Lille, 21/11 Paris, Zénith

Mulatu Atsake + The Cinematic Orchestra 1/9 Paris, Grande Halle de la Villette Nasser 27/8 Saint-Thélo Agnes Obel 15/9 Lille, 16/9 Rouen, 17/9 Laval, 19/9 Toulouse, 23/9 Bordeaux, 20/10 Limoges, 21/10 Poitiers, 22/10 La Rochesur-Yon, 24/10 Brest, 25/10 Vannes, 26/10 Angers, 28/10 Marseille, 29/10 Nice, 1/11 Lyon, 2/11 Paris, Casino de Paris, 3/11 Caen Primal Scream 6/9 Paris, Cigale

Catherine Ringer 4/10 ConflansSainteHonorine, 8/10 Rennes, 10/10 Nancy, 11/10 Montpellier, 14/10 Rouen, 19/10 Toulouse, 22/10 Genève, 26/10 Troyes, 8/11 Paris, Olympia, 17/11 Strasbourg, 22/11 Lille Rock en Seine du 26 au 28/8 à Saint-Cloud, avec The La’s, Interpol, Foo Fighters, Arctic Monkeys, The Kills, Blonde Redhead, Herman Dune, Cage The Elephant, Anna Calvi, Miles Kane, The Vaccines, etc.

Gaëtan Roussel 27/8 Metz, 31/8 Châlon-enChampagne, 2/9 Dijon, 3/9 Lyon, 16/9 La Courneuve, 17/9 Saint-Nolff, 23/9 Rodez Santigold 6/9 Paris, Gaîté Lyrique Omar Souleyman 14/9 Paris, Point Ephémère, 16/9 Lyon The Specials 27/9 Paris, Olympia Staff Benda Bilili 11/10 Paris, Olympia Stranded Horse 10/9 Bordeaux, 1/10 Bruxelles, 3/11 Pau, 4/11 Bayonne, 6/11 Toulouse,

7/11 Valence, 8/11 ClermontFerrand, 9/11 Allonnes, 10/11 Evreux Selah Sue 27/8 CharlevilleMézières, 2/11 Paris, Olympia Timber Timbre 3/11 Paris, Cigale, 4/11 Strasbourg, 5/11 Lyon, 6/11 Marseille Toddla T 7/10 Paris, Nouveau Casino The Toxic Avenger 29/9 Paris, Cigale Viva Brother 4/11 Paris, Boule Noire The Wave Pictures 16/9 Paris, Café de la Danse

en location

We Love Green 10 & 11/9 à Paris, Parc de Bagatelle avec Pete Doherty, Metronomy, Connan Mockasin, Of Montreal, Selah Sue, Soko, etc. Wild Beasts 28/10 Paris, Grande Halle de la Villette Wire 10/11 Lorient Patrick Wolf 7/11 Paris, Maroquinerie Wu Lyf 27/8 SaintCloud, 2/11 Paris, Cigale Young Galaxy 28/10 Paris, Flèche d’Or Zola Jesus 28/9 Paris, Point Ephémère

aftershow

Battles, super conquérants

Julien Nédélec

Apparat 8/10 Caen, 9/10 Tourcoing, 10/10 Cenon, 11/10 Angers, 12/10 Paris, Gaîté Lyrique Arthur H 27/10 Paris, 104, 8/11 Caen, 9/11 Rennes, 10/11 Brest, 16/11 Lyon, 17/11 Limoges, 19/11 Genève, 23/11 Nantes, 24/11 Bordeaux, 2/12 Strasbourg, 9/12 Villejuif, 15/12 Agen Band Of Skulls 18/10 Paris, Maroquinerie Baxter Dury 23/9 Paris, Point Ephémère Beirut 12/9 Paris, Olympia The Black Lips 28/9 Tourcoing, 30/9 Paris, Cigale, 1/10 Marseille Blood Orange 12/11 Paris, Nouveau Casino Bonaparte 4/11 Paris, Point Ephémère Bonnie Prince Billy 3/11 Paris, Trianon Brigitte 31/10 Paris, Olympia John Cale 17/10 Paris, Maroquinerie Camille du 1er au 13/9 à Paris, Couvent des Récollets Clap Your Hands Say Yeah 12/9 Paris, Maroquinerie Concrete Knives 28/8 SaintCloud, 21/10 ClermontFerrand, 11/11 Villefranchesur-Saône, 25/11 Brest Death In Vegas 26/8 SaintCloud, 1/10 Marseille, 2/10 ClermontFerrand, 3/10 Lyon, 4/10 Caen, 31/10 Lille, 1/11 Paris, 3/11 Toulouse, 4/11 Montpellier, 5/11 Angoulême Deus 14/10 Le Havre, 19/10 Strasbourg, 20/10 Dijon,

nouvelles locations

La Route du rock du 12 au 14 août à Saint-Malo Les plaisirs les plus intenses se méritent. Certains des moments les plus savoureux des trois jours d’une Route du rock de haut niveau n’ont pas été compliqués à glaner. Pour goûter au show zinzin de Dan Deacon, pour comprendre pourquoi, le son musclé de la scène aidant, les Fleet Foxes étaient si parfaits, pour se draper dans la mélancolie brutale de Low, se magnétiser sur les reprises blêmes de la baby doll apocalyptique Anika, se perdre dans les dédales violents de Mondkopf, dont le set visuel a malheureusement été gâté par une technique en berne, pour profiter d’un Mogwai en grande forme, il a suffi

d’écarquiller les yeux, de laisser ses neurones se délier et d’attendre les petites morts. Mais atteindre le paroxysme orgasmique du festival, samedi dans la nuit, a été plus épuisant : incroyable d’ampleur, d’une rage de bulldozer mais agile comme l’acrobate, le concert-uppercut de Battles est venu après huit longues heures d’une pluie ininterrompue, hallebardes insidieuses détrempant des corps épuisés. Huit heures d’un déluge durant lesquelles le fort de Saint-Père s’est transformé en un boueux champ de bataille : ça tombait finalement bien, le festival avait trouvé en Battles les plus fabuleux des conquérants. Thomas Burgel 24.08.2011 les inrockuptibles 101

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épique puberté Plus dévergondée que la princesse de Clèves, moins garce que Lolita : Marie Darrieussecq dresse le stupéfiant portrait d’une jeune fille saisie en pleine révolution intime et sexuelle à l’aube des années 80.



ans la vie d’une femme, par où arrive la sexualité ? Avec la stupeur des premières menstruations ? les caresses prodiguées à son propre corps ? la première étreinte sexuelle, brutale et maladroite, avec un garçon (ou une fille) ? Mais d’abord, c’est quoi le sexe ? Rien qu’une histoire de limite et de transgression, d’exploration têtue et de désir aveugle. Pour Solange, 10 ans et toutes ses dents, c’est la grande aventure. Et nous y voilà : la belle trouvaille de Marie Darrieussecq serait d’avoir signé avec Clèves, son onzième roman, un peu plus qu’un simple portrait de jeune fille. Un roman d’apprentissage, oui ; une chronique adolescente, d’accord ; mais encore ? Une épopée de la puberté, singulière, renversante. Ce jardin des métamorphoses se situe à Clèves, bourgade peu alléchante de bord de mer (ou presque). Aperçu : “Ici, c’est Clèves, concours de pêche, nouveaux carrefours giratoires, noces de diamant et foire aux bestiaux.” Ne pas omettre aussi sa kermesse, son lac, ses nombreux magasins de souvenirs. C’est donc là que Solange, cœur ouvert aux quatre vents, aborde l’été de ses 10 ans. L’enjeu est simple : se forger une connaissance de son propre corps, visiblement en éruption, guetter celui des garçons et spécialement leurs “bites”. Facultatif : apprendre à embrasser avec la langue.

3 questions à Marie Darrieussecq Pourquoi un roman sur l’adolescence ? Parce que c’est un âge terrible, invivable, impossible. On est toujours trop jeune pour être adolescent, on n’est jamais prêt à ça. Truismes racontait déjà une “super puberté”, et je n’en avais pas fini avec ça, d’autant que je voulais reprendre des bouts de mon journal d’adolescence. Clèves lève plusieurs tabous (sexualité enfantine,

pédophilie). Pensiez-vous écrire un roman transgressif ? Ce n’était pas mon but : j’essaie de mettre des mots là où il n’y en a pas, ce qui peut amener à écrire de façon “choquante” puisque inhabituelle. Je travaille toujours les clichés, les phrases toutes faites, et l’adolescence est un âge bombardé de mots d’ordre et de conformismes multiples : aller contre, démonter ces phrases-là produit peut-être du transgressif.

Pour vous, existe-t-il une littérature “féminine” ? Non, ou alors dans la mesure où il existe une littérature “masculine”, c’est-à-dire la prétendue littérature universelle, celle de toujours, dans laquelle le féminin ferait effraction. L’écriture n’a pas de genre, mais le point de vue féminin reste immensément à explorer, et sur un plan créatif c’est très riche. Les femmes ont été “l’autre” pendant tellement longtemps…

Comment advient le savoir ? Par les rituels, bien sûr (le sang impressionnant des règles sur la “fente dégoûtante” ; le pelotage forcé des garçons ; une scène, des scènes, où Solange se masturbe) et une transformation du corps pas jolie-jolie, résolument du côté de la souillure, du poids, du handicap – dont Darrieussecq a déjà extrapolé une forme métamorphique avec Truismes. L’âge ingrat, en somme, au pied de la lettre. Mais aussi, et déjà, par les mots. Une autre chair, tout aussi comestible au regard, par laquelle “une chatte” prend tout son sens, se réalise. “Sexe”, “baiser”, “reproduction”, “pédé”, “pute”, “accouplement”, “pénis”, “enculé”… Pas de signifié sans signifiant, pas de réalité sans sa représentation. D’abord le Nouveau Larousse universel fait le job puis, à mesure que Solange grandit, les mots des autres prennent le relais. Babillages interminables, croyances populaires, on-dit – “Il paraît que Delphine est une nympho” ; “Bisexuel c’est deux filles à la fois” ; “Il paraît que si on fait le signe de croix à l’envers, on va en Enfer”, etc. Drôle de pâte que Darrieussecq malaxe entre les lignes, là où parfois les mots manquent, ont manqué. Question de thèmes – la sexualité enfantine, la masturbation féminine – et de territoires peu explorés,

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en marge

sexuellement transmissible Et si le rapport d’une société à l’argent contaminait la vie privée ? Pour comprendre, lire le très fort Système Victoria d’Eric Reinhardt.

une drôle de pâte que Darrieussecq malaxe entre les lignes, là où les mots manquent, ont manqué par loyauté, longtemps, envers une certaine conception puriste de la (très) jeune fille (à cet égard, le titre est un formidable pied de nez à la princesse, obsédée par l’abstinence comme idéal – la romancière a redit son attachement au livre de Mme de La Fayette suite aux propos de Sarkozy en 2007). Ce n’est d’ailleurs pas le seul tabou de la littérature que l’auteur de Tom est mort et de Rapport de police fait voler en éclats. Le mot n’est jamais posé, pourtant il est là, à la fois menaçant et pathétique : pédophilie. Sous les traits d’un voisin, sorte de “nounou” tatoué qui babysitte Solange depuis toujours. Monsieur Bihotz n’a rien d’un méchant, il est sans machiavélisme, à mille lieues d’un Humbert Humbert. Plutôt un Big Lebowski qui a la larme facile, au pénis aussi inoffensif qu’un coucou sortant de sa pendule toutes les heures. Darrieussecq met les deux pieds dans une polémique (on se souvient de celle autour de Rose bonbon, sur les confessions

d’un pédophile), sans possiblement la relancer : plutôt en la dévoyant, en y injectant une humanité irrésistible, si vaincue qu’elle en est touchante. Cette forme de dégénérescence, on la retrouve ailleurs, généralisée peut-être à toute une classe sociale à l’aube des années 1980 (guerre d’Afghanistan, Billie Jean). Nul doute que Clèves est aussi un roman de classes, pointant les dangers de l’acculturation et d’une forme très affirmée de l’ignorance. Pour Solange, l’angoisse tient aussi aux crises exhibitionnistes d’un père stewart, au cafard permanent d’une mère vendeuse dans un magasin de souvenirs, à leur divorce imminent, programmé. 13 ans, 15 ans. Les mots changent : “doigter”, “mouiller”, “cool”. Désormais, la question est “Est-ce que tu veux sortir avec moi ?”. Encore plus trash : “Par quel trou ?” La seule certitude, c’est que “l’école entière est possédée par le sexe”. Solange fait la rencontre d’Arnaud, qui l’initie à Sartre, au shit et à la fellation, révélant chez elle la monstresse sexuelle – celle qui veut bientôt tout engloutir et tout absorber, apaiser une brûlure, assouvir son appétit d’affamée.

Quand on rencontre Jonathan Franzen à New York fin mai, il s’avoue très remonté contre DSK, et analyse la différence entre les réactions américaines et françaises : “La France prend la tradition au sérieux. Et cela s’oppose à un capitalisme incessant. Pour moi, tout ce qui encourage une attitude économique irrationnelle est un ennemi et doit être détruit. En Amérique, nous nous sommes voués au capitalisme. Mais le féminisme se heurte à la tradition, et c’est le grand problème en France, alors qu’en Amérique le féminisme existe et n’est pas mal vu, tout comme le ‘postracisme’, les droits des gays.” Ou comment un certain rapport collectif à l’argent influe sur les comportements et modes de pensée, sociétaux ou intimes. Aujourd’hui, si l’on s’émeut à juste titre du pouvoir des financiers, d’un ultralibéralisme sauvage, il s’agirait de s’inquiéter encore davantage de la façon dont tout cela contaminera les mentalités, agira sur les vies privées de chacun. Traiter l’autre comme une marchandise dont on use et qu’on jette ? Eric Reinhardt signe peut-être le roman le plus politique de cette rentrée : dans Le Système Victoria, l’héroïne, DRH pour des multinationales, envoie les êtres à la casse et use du corps de son amant sans aucun scrupule. Son mantra : faire du fric et jouir sans l’ombre d’une interrogation. On salue Reinhardt comme le seul romancier aujourd’hui capable d’aborder la perméabilité de la vie sexuelle par le rapport, décomplexé jusqu’au cynisme, d’une société à l’argent. Car le comportement de certains (politiques, financiers, grands patrons), s’il manque d’éthique, risque d’engendrer ni plus ni moins qu’une société à son image. Dénuée d’empathie, amorale et vulgaire.

Emily Barnett photo Marion Poussier Clèves (P.O.L), 352 pages, 19 €

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Mathieu Zazzo

une histoire de la violence A travers le destin d’une famille, l’écrivain israélien David Grossman ausculte l’histoire de son pays, prisonnier d’un cercle de folie et de violences. Magistral.

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e roman était presque achevé quand, le 12 août 2006, David Grossman a appris la mort de son fils Uri, tué aux dernières heures de la deuxième guerre du Liban. ”Après la semaine de deuil, je me suis remis à écrire. (…) Ce qui a changé surtout, c’est l’écho de la réalité dans lequel la version finale a vu le jour”, confie le romancier dans une note à la fin

du livre. Ecrire lui a permis de survivre, d’affronter l’impensable réalité. Dans Une femme fuyant l’annonce, Ora, elle, ne veut pas, ne peut pas, faire face. Son fils Ofer s’est porté volontaire pour une opération d’envergure dans les territoires. Terrorisée à l’idée que les “messagers”, réincarnations des Erinyes antiques, viennent lui annoncer la mort d’Ofer avec leur formule rituelle et glaciale – “à telle heure,

l’auteur 1954 Naissance à Jérusalem. Après des études de philosophie et de théâtre, il travaille pour la radio. 1973 Commence à militer avec d’autres écrivains comme Amos Oz et Avraham B. Yehoshua pour le rapprochement entre Israéliens et Palestiniens. Rejoint le mouvement La Paix maintenant. 1987 Parution de son premier

livre Le Vent jaune, essai engagé dans lequel il décrit les souffrances infligées aux Palestiniens. 2006 Au moment de la guerre du Liban, il lance, avec d’autres écrivains, un appel au cessez-le-feu. Deux jours plus tard, son fils Uri, qui sert dans une unité de blindés, est tué. 2011 Parution d’Une femme fuyant l’annonce.

au lieu X, votre fils Ofer, qui exécutait une mission opérationnelle…” –, Ora prend la fuite. Elle entraîne avec elle son amour de jeunesse, Avram, dans une randonnée éperdue. Elle fuit pour conjurer le sort, échapper à l’ange de la mort porteur de la nouvelle funeste. Une anti-annonciation, son négatif absolu. Et pourtant, il est aussi question de renaissance. Aux images fiévreuses d’une puissance sidérante – le prologue, sublime, ou l’évocation angoissante d’un hôpital clandestin – s’opposent les descriptions d’une nature édénique. Ora et Avram évoluent au milieu d’un paysage tout droit sorti du Cantique des cantiques. Dans leur jeunesse, Ora, Avram et Ilan, le futur mari d’Ora, formaient un trio inséparable, façon Jules et Jim. Mais Avram, autrefois si exalté, ne

s’est jamais remis de son emprisonnement en Egypte pendant la guerre du Kippour. Depuis son retour, une part de lui est morte. Trente ans après, sur les sentiers piqués d’euphorbes et de genêts, Ora le ramène peu à peu à la vie grâce aux récits dont elle l’enveloppe. Ora parle sans cesse, de son existence chaotique avec Ilan, de ses deux fils, Adam et surtout Ofer… Un flux ininterrompu de mots pour défier le destin : “Les souvenirs délicieux lui reviennent en force, par vagues, pleins de vitalité, insufflant la vie à Ofer, quelque part, là-bas.” Voyage dans l’espace et le temps, le parcours d’Ora et Avram est une traversée intime, sensuelle et tragique de l’histoire d’Israël. Le chemin est balisé de stèles érigées à la mémoire des hommes tombés au combat, les souvenirs minés de traumatismes… Il sourd de la terre qu’ils foulent jour après jour une folie et une violence incontrôlables. Dans son carnet, Ora parle ainsi de sa vie de famille : “Nous avons vécu vingt bonnes années. Dans ce pays, c’est plutôt culotté, non ? (…) Nous avons réussi à passer à travers les gouttes sans y laisser de plumes, entre les guerres, les attaques terroristes, les roquettes, les grenades, les balles, les obus, les bombes, les snipers, les attentatssuicides, les billes d’acier, les pierres, les couteaux, les clous…” Mais ce pays, aussi insensé soit-il, Ora ne le quitterait pour rien au monde. C’est le sien, celui de David Grossman aussi. Et l’exil semble aussi improbable que la paix. Elisabeth Philippe Une femme fuyant l’annonce (Seuil), traduit de l’hébreu par Sylvie Cohen, 672 pages, 22,50 €

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Catherine Hélie

schizo trip Une fille assassinée, un narrateur qui a tout du coupable idéal… Après Un homme louche, François Beaune sonde à nouveau les eaux troubles du réel dans un polar paranoïaque. ui a peur d’Alexandre Petit ? les codes du roman policier, s’amuse Qui pourrait trembler devant à les pervertir et prend un plaisir manifeste ce personnage insipide, ce garçon à manipuler le lecteur à travers la voix de 37 ans, sondeur à la Sofres malade et détraquée de son narrateur. et bénévole aux Restos du cœur, qui vit Au fil des pages, le discours d’Alexandre encore chez sa maman, s’exprime dans se dérègle, sa politesse se fissure. un français châtié, s’adonne aux mots Malgré les fausses pistes et les leurres, croisés et participe à l’émission Motus ? le fuyard constitue un coupable tout Un jeune homme aussi courtois et inoffensif désigné, un héros tragique sans aura qu’Anthony Perkins dans Psychose… Et tout ni grandeur qui suscite à la fois terreur aussi dissimulateur. Au lendemain d’une et pitié. Terreur lorsqu’il laisse libre soirée qui s’est finie à L’Alibi, une boîte cours à sa haine, avoue sa compréhension de nuit de Lyon, Elsa, jeune et jolie collègue des mères infanticides, tient des propos d’Alexandre, est retrouvée morte dans sa racistes ou déverse sa bile rancie baignoire, noyée sous une horde de canards de grand frustré qui ne s’est jamais remis flotteurs. Persuadé d’être traqué par la de son échec à l’agrégation, ni de sa piètre police, Alexandre prend la fuite et se réfugie prestation à Questions pour un champion… dans un hôtel. Peu à peu, il se clochardise, Pitié quand il évoque sa solitude ou qu’il traîne avec des punks à chiens et se met en s’éprend de Julie, une pauvre fille à la rue. tête de retrouver le meurtrier d’Elsa : “J’ai Alexandre, qui a vécu si intimement avec une enquête à mener, un coupable à trouver, sa mère et vu mourir son père, se vit comme et même si ce coupable était moi, et alors ?” un Œdipe au petit pied, et les allusions au Le livre est la version des faits, personnage de Sophocle sont nombreuses paranoïaque et retorse, de ce coupable dans Un ange noir. Condamné à l’errance, idéal, son témoignage entrecoupé d’articles Alexandre, ange exterminateur et déchu, fictifs du Progrès, de lettres de sa mère entraîne le lecteur dans sa chute, dans et des dépositions de témoins. Dans son voyage au bout de la folie. Et François Un homme louche, son premier roman paru Beaune, lui, confirme son talent singulier en 2009, François Beaune faisait déjà avec ce vrai-faux polar schizophrène le portrait d’un type en rupture et métaphysique. E. P. avec la société, un voyeur obsessionnel. Un ange noir (Verticales), 280 pages, 17,90 € Avec Un ange noir, il lorgne à nouveau du côté de la marginalité et de la médiocrité contemporaine, porte sur la glauque absurdité du réel le même regard en coin, ironique et glaçant. Mais il pousse encore plus loin la sensation de malaise. Après avoir détourné le genre du journal intime dans Un homme louche, il joue ici avec

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Melvil Poupaud (ici à 10 ans), auteur en cette rentrée d’un objet autobiographique plein d’élégance

de l’écran à la page Peut-on réussir dans deux langages artistiques à la fois, le cinéma et la littérature ? Réponse à travers trois romans de cinéastes qui paraissent ces jours-ci. n le sait, les acteurs ne peuvent elle se laisse prendre au piège de ses pas se contenter de jouer. Il leur propres obsessions, s’y englue, et sa prose, faut en plus s’exprimer – et pourtant poétique, finit par tourner en rond gagner leurs lettres de noblesse dans une litanie statique et un peu vaine. “intello” – en pondant le produit Xabi Molia est-il écrivain ou cinéaste ? dérivé le plus chic qui soit : un Les deux, mon général. Lui qui a d’abord roman. Christophe Lambert, Anne Brochet, commencé à publier des romans est passé Richard Bohringer, Judith Godrèche, au cinéma en réalisant Huit fois debout, Sophie Marceau, entre autres, ont commis comédie gentiment dépressive sortie des objets livres parfaitement jetables. en 2009, avec Julie Gayet et Denis Mais qu’en est-il des cinéastes ? Podalydès. Dans son cinquième roman, Marina de Van, scénariste pour François Avant de disparaître, le héros, Kaplan, porte Ozon (Huit femmes), réalisatrice de Dans le même patronyme que le personnage ma peau et Ne te retourne pas, deux films incarné par Cary Grant dans La Mort aux qui traitaient des dérèglements du corps trousses d’Alfred Hitchcock. Un simple humain, poursuit ce vaste sujet dans son détail, mais qui dit à lui seul la perméabilité premier roman, Passer la nuit, description entre littérature et cinéma, le va-et-vient clinique d’une dépression qui rappelle entre l’écran et la page blanche beaucoup Un homme qui dort de Georges où l’on projette pareillement imaginaire Perec. Avec une langue d’une précision et fantasmes. Quitte à oublier parfois maniaque, Marina de Van ausculte qu’il s’agit de deux langages différents la plongée dans le vide de la narratrice. et qu’un roman exige plus d’épaisseur Mais comme parfois dans ses films, et de densité qu’un scénario.

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Avec Avant de disparaître, Molia passe au roman d’anticipation. Dans un futur proche, Paris est à feu et à sang, dévasté par une épidémie qui transforme les “infectés” en zombies assoiffés de sang, qui tuent et dépècent les humains. Hélas, son monde postcatastrophe ne prend jamais vraiment forme. Malgré une narration qui alterne la première et la troisième personne, tel un changement de focale, la prose de Xabi Molia n’a pas la puissance évocatrice suffisante pour faire émerger l’horreur en 3D. On en serait à souhaiter que le petit peuple du cinéma se contente du cinéma, si un acteur-réalisateur ne signait pas un des livres les plus bizarres et rafraîchissants de la rentrée. La force de Melvil Poupaud, en passant du côté du littéraire, c’est justement d’avoir su éviter de faire “littéraire”. Quel est mon nom ? (sortie le 7 septembre) n’est pas un roman, ni un essai, pas vraiment une autobio. Plutôt une sorte de scrap-book hyper libre comprenant photos, inserts de textes, courts récits (autour de sa mère Chantal, de son tournage dans L’Amant et de sa passion frustrée pour Jane March, sa première histoire d’amour avec Chiara Mastroianni et ses visites de Cinecittà déserte la nuit avec Marcello, sa distance avec Rohmer, etc.) sans vraie continuité, comme montés en autant de séquences qui traceraient le film gracile, fragile, léger, d’un jeune homme trop élégant pour nous imposer le poids de ses douleurs ou de ses velléités “romanesques”. Un livre mine de rien, qui assume par sa forme l’aspect dérisoire, souvent incohérent, de la vie et des traces qu’elle laisse : les souvenirs. Elisabeth Philippe et Nelly Kaprièlian Passer la nuit de Marina de Van (Allia), 144 pages, 9 € Avant de disparaître de Xabi Molia (Seuil), 320 pages, 1 9,80 € Quel est mon nom ? de Melvil Poupaud (Stock), 288 pages, 21,50 € (sortie le 7 septembre)

la 4e dimension Richard Millet, Nobel de la mégalomanie

Jean-Marc Roberts en guerre

Rance et réac, Millet est aussi mégalo. La Fiancée libanaise, son roman à paraître en octobre, évoque un écrivain misanthrope originaire de Siom. Soit un double de Millet. A la différence près que le héros est lauréat du prix Nobel de littérature. Ça s’appelle prendre ses rêves pour la réalité.

Sur Europe 1, le patron des éditions Stock a fait part de son inquiétude pour les librairies, “en danger de mort”. Pour les sauver, il prône une loi sur le “lieu unique”, sur le modèle du prix unique du livre. Et pour lui, le lieu unique du livre, “c’est la librairie, pas la vente en ligne”.

monopolitt’ Le 13 octobre, les éditions Gallimard lancent C’est dans quoi déjà ?, un jeu de société consacré à la littérature. Les longues soirées d’hiver, ça changera du Trivial Pursuit dont on connaît toutes les réponses par cœur.

scoop : Foenkinos reçoit le Goncourt ! Pas besoin d’attendre novembre pour connaître le lauréat du prix Goncourt. Tout le monde annonce déjà qu’il sera attribué à David Foenkinos pour son insignifiant Les Souvenirs. Voilà, on peut passer à autre chose.

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Vincent Almendros Ma chère Lise Minuit, 160 pages, 13,50 €

Les amours platoniques d’une jeune héritière et de son professeur particulier. Un premier roman subtil et inquiétant. On ne dirait rien de Ma chère Lise, premier roman d’un Avignonnais de 33 ans, en ne posant pas au préalable sa bizarrerie – son air de n’avoir ni début ni fin, ses phrases flottantes, neutres, rétives à toute forme de commentaire. A l’intérieur de cette bulle de silence va s’exercer la fascination d’une lolita richissime de 15 ans sur un jeune homme de dix ans son aîné, engagé pour être son professeur. Bientôt amoureux, mais d’un amour asexuel, les deux amants se retrouvent, grâce à un père qui a fait fortune dans les films plastiques, plongés dans un état de vacances perpétuelles : Vendée, Côte d’Azur, Toscane, Sicile… Plus proche d’une nature morte que d’une chronique adolescente estivale, Ma chère Lise tire sur le tableau bourgeois entré en décomposition – adultes lascifs, élégants, snobs, à peine affolés par la vacuité de leur existence. Le narrateur, pauvre et instruit, corseté dans son rôle de héros stendhalien, circonscrit quant à lui son ambition à une zone d’aveuglement où éteindre son angoisse de la mort. On se souvient d’étés semblables dans Les Petits Chevaux de Tarquinia ou Dix heures et demie du soir en été de Duras, sauf qu’ici ne demeure pas même l’ombre d’un interdit, d’une transgression – si ce n’est une toute petite main au cul. Comprendre : le monde des riches est un monde sans risques, sans danger – et ici sans véritable amour ? E. B.

la singulière L’abstinence sexuelle comme ultime acte de résistance face à la norme ? C’est la thèse très pudiquement défendue par Sophie Fontanel dans un vrai beau roman.

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u départ, c’était un calcul charnel anodin. Essentiel pour soi, sans dommage pour les autres. Rien qu’une passade du corps, accordée au désir érodé. Et puis la nouvelle a fait le tour des popotes. C’est ainsi qu’insensiblement, sans heurts et sans allergies énoncées, les dîners entre couples d’amis ont tourné comme du lait. Certains même n’ont pas tardé à prendre leur libido à leur cou. Pourquoi ? Parce qu’on ne décide pas de tuer le sexe dans sa vie sans mot d’excuse, impunément, pendant des années. “Pendant une longue période, qu’au fond je n’ai à cœur ni de situer dans le temps ni d’estimer ici en nombre d’années, j’ai vécu dans peut-être la pire insubordination de notre époque, qui est l’absence de vie sexuelle.” De la narratrice, on n’apprendra pas grand-chose de plus : ni âge, ni origine sociale, un métier pourtant (journaliste) et un train de vie qu’on devine doré (vacances à Goa, dîner chez un conservateur de musée). Et pour le reste, qui est la seule chose qui nous intéresse ici : une carrière sexuelle débutée à 13 ans, dans les bras d’un touriste mexicain au torse glabre, début d’une longue lignée d’étreintes jamais vraiment consenties. Le corps sait alors se faire entendre, pousse son coup de gueule, abonnement chez le médecin, retraite anticipée. Pour sa propriétaire, il s’agit de “sortir du schéma des hommes”, de son “allégeance à n’importe quoi”. Le sexe comme servitude, enfin entravée. Avec L’Envie, Sophie Fontanel – journaliste

à Elle, auteur d’une dizaine d’ouvrages, dont Grandir en 2010 – pose une hypothèse qui prend dans cette poignante confession l’éclat d’une évidence : le refus de la différence, d’une déviance pourtant bien inoffensive, par la société. Contrariété, malaise, curiosité malsaine deviennent les armes piteuses d’une norme bafouée, “calcul[ant] sur ses doigts le temps indécent de mon austérité”. L’ostracisation relève autant d’un diktat social (marche en couple et tais-toi) que d’une injonction à jouir. Mais voilà que face à “l’extraterrestre”, à “l’évadée”, les modèles traditionnels s’épanchent et se confient : époux frustrés, tyrannisés, obsédés par les sites porno ; vieux célibataires officiels qui bouffent de l’art pour oublier ; fraîches lesbiennes en butte au phallus, ce salaud. Tous voient en la narratrice le terrain neutre qui saura accueillir leurs confidences, et peut-être les guider. Ironie du sort : celle qui a renoncé au couple se voit reconvertie en conseillère conjugale – et pourquoi pas en prêtre ? Troublante confession, mais aussi diagnostic sans appel d’une hypocrisie sociale : “l’envie” est bien celle qui dévore la narratrice, acculée peu à peu au fantasme suprême d’enrouler son corps autour de celui de Robert Redford. “Envie” des autres, également, qui abhorrent cette prise de liberté insolente autant qu’ils la convoitent. Emily Barnett photo Marion Poussier L’Envie (Robert Laffont), 162 pages, 17 € 24.08.2011 les inrockuptibles 107

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mercredi

On parcourt l’Afghanistan avec Atiq Rahimi. Après dix-huit ans d’exil, l’écrivain franco-afghan redécouvre son pays natal ravagé par la guerre. France Culture consacre une série d’émissions à ce voyage.

à venir

Les Grandes Traversées – Afghanistan, une route de soi, jusqu’au vendredi 26 août de 9 h à 12 h

Elisabeth Roudinesco Lacan, envers et contre tout (Seuil)

jeudi

“Le XXe siècle était freudien, le XXIe est d’ores et déjà lacanien.” Pour l’historienne de la psychanalyse Elisabeth Roudinesco, l’héritage de Jacques Lacan, mort il y a trente ans, reste fécond. Contre les clichés désignant Lacan comme un pervers et un chef de secte, l’auteur analyse l’apport du psychanalyste sur des questions d’actualité comme la liberté de parole et de mœurs, les émancipations des minorités, le refus de la norme… Une explication lumineuse d’une œuvre difficile qui invitait à ne pas “céder sur son désir”. Sortie le 1er septembre

On suit les enseignements délirants d’un messie de 10 ans aussi intelligent que castagneur, Gurion Ben-Judah Maccabee, avec la sortie des Instructions de l’Américain Adam Levin (Inculte). Un livre monstre et hilarant, entre Philip Roth, les frères Coen et David Foster Wallace.

vendredi

On met le cap sur l’Ecosse, non pas dans l’espoir d’apercevoir le monstre du Loch Ness mais pour rencontrer de vrais monstres littéraires, dans le cadre de l’Edinburgh International Book Festival, manifestation qui accueille cette année dans l’élégant parc de Charlotte Square des écrivains comme David Vann, Alan Warner, A. L. Kennedy, Ali Smith ou encore Adam Levin.

Adam Levin

Jusqu’au 29 août, www.edbookfest.co.uk

Pierre Rosanvallon La Société des égaux (Seuil)

samedi

On pénètre dans l’univers intime et romanesque de Yannick Haenel, invité de l’émission Tout compte fait. Un portrait radiophonique qui vient compléter l’autoportrait auquel l’auteur de Jan Karski s’est livré dans son dernier livre Le Sens du calme.

France Inter, 14 h

On s’offre une séance de rattrapage de la rentrée littéraire 2010 avec deux livres qui l’ont marquée et qui sortent en poche. Pour commencer, L’Eté de la vie de J. M. Coetzee (Points, 320 p., 7,50 €), autoportrait en creux du romancier. On peut aussi se (re)plonger dans Le Livre de Dave, farce signée Will Self sur une civilisation future dont le nouveau dieu est un chauffeur de taxi raciste et misogyne (Points, 640 p., 8,80 €).

Cathérine Hélie

dimanche

Yannick Haenel

lundi

On part à Los Angeles sur les traces de Britney Spears à l’occasion d’une rencontre avec Jean Rolin au bar 61. Avec Le Ravissement de Britney Spears (P.O.L), l’écrivain signe un roman noir dans lequel la lolita trash est un prétexte à une déambulation dans les bas-fonds de L. A.

Jonathan Littell Triptyque (Gallimard)

A 19 h au bar 61, 3, rue de l’Oise, Paris XIXe

On se délecte de l’humour assassin avec lequel Thomas Bernhard a étrillé le microcosme littéraire avec Mes prix littéraires, qui paraît en poche (Folio, 144 pages, 4,60 €). Dans ce recueil de textes, l’écrivain autrichien évoque les distinctions dont il fut affublé plutôt que gratifié.

Le sociologue, spécialiste de l’histoire des démocraties, repense la question de l’égalité à partir d’un paradoxe actuel : pourquoi a-t-on renoncé à agir pour réduire les inégalités alors qu’elles n’ont jamais été aussi fortes ? La rupture historique avec la tendance séculaire à la réduction des inégalités fait vaciller les bases mêmes de l’esprit démocratique. D’où l’urgence à refonder un monde de semblables, à repenser l’idée du commun. Un livre important en forme de combat pour une “démocratie intégrale”, renouvelée à partir de ses fondations historiques. Sortie le 8 septembre

Hélène Bamberger

mardi

Jean Rolin

Toujours pas de deuxième roman du côté de chez Littell, mais un essai en trois textes autour de la peinture de Francis Bacon. Dans ce Triptyque : un premier texte consacré à sa visite de l’expo Bacon au Prado en 2009, un deuxième en forme d’essai de “critique narrative”, et un troisième qui met en perspective la peinture de Bacon avec la peinture byzantine. Sortie le 6 octobre

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Fabien Vehlmann & Kerascoët Voyage en Satanie Dargaud, 56 pages, 13,95 €

ennemis publics Dans un double récit habile, les Sud-Africains Conrad Botes et Ryk Hattingh mêlent l’histoire trépidante d’une bande de gangsters locaux des années 40 avec une charge critique de la société actuelle. Passionnant.

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u début du XXe siècle, l’automobile a servi à générer une nouvelle race de gangsters, et l’Afrique du Sud n’a pas échappé au phénomène. La “bande à Foster”, entre la bande à Bonnot et celle de Baby Face Nelson, y a défrayé la chronique et mis la police sur les dents. Conrad Botes, cocréateur du collectif de bande dessinée sud-africain Bitterkomix, et le scénariste Ryk Hattingh retracent son parcours tragique. Pour évoquer la vie faite de crimes et d’évasions du gang, les auteurs mettent en scène deux jeunes Sud-Africains, Hitchcock et Nikolaas, qui, captivés par l’histoire des malfaiteurs, partent sur leurs traces. On suit ces deux jeunes protagonistes dans la campagne désolée à l’extérieur de Johannesburg, théâtre des exploits sanglants de Foster et de ses comparses. Tout en se racontant mutuellement les détails de l’existence de la bande, Hitchcock et Nikolaas mènent une vie de désœuvrement, entre déambulations, bars, bière et coke, avec en toile de fond

une Afrique du Sud toujours violente. Entre leurs conversations s’intercalent les comptes rendus de la traque sans merci des gangsters par la police et de leur fin brutale, tels qu’on pouvait les lire à l’époque dans la presse. Pour ces passages, les auteurs ont choisi un style graphique désuet, comme s’il s’agissait d’une bande dessinée documentaire publiée dans les années 40, relatant froidement les faits. Ailleurs, Conrad Botes donne libre cours à son trait sombre, empruntant autant à l’expressionnisme qu’à Hergé, tels Hitchcock et Nikolaas qui font immanquablement penser à des Tintin et Haddock trash. Ryk Hattingh et Conrad Botes conjuguent avec une tension passionnante chronique historique trépidante et critique en filigrane de la société actuelle. Les deux récits, fluidement construits, finissent par se rejoindre dans un épilogue à la fois romantique et désabusé. Anne-Claire Norot

Une histoire échevelée aux dialogues percutants. En bande dessinée, les scénaristes sont souvent moins connus que les dessinateurs, voire éclipsés par les héros du pinceau et du crayon, toujours en première ligne aux séances de dédicaces. Le prolifique auteur Fabien Vehlmann, capable de s’adapter à des styles graphiques aussi différents que celui, dépouillé, de Jason ou celui, plus franco-belge, de Bruno Gazzotti, est une des exceptions. Thriller, SF, fantastique, aventure, conte, il s’illustre dans tous les genres avec succès, enchaîne les récits débridés, pleins d’imagination et de fantaisie, captivants – à l’exception peut-être de ses aventures de Spirou, personnage aux codes difficiles à manier. Dans Voyage en Satanie, sa deuxième collaboration avec les Kerascoët après l’intrigant Jolies ténèbres, il mêle spéléologie, histoire familiale, darwinisme, colonie secrète et monstres vivant dans les tréfonds de la Terre. Et tisse avec dextérité une histoire aux dialogues percutants et aux rebondissements échevelés, qui compensent des personnages parfois juste esquissés. A.-C. N.

La Bande à Foster (L’Association), traduit de l’anglais et de l’afrikaans par Catherine du Toit, 68 pages, 13 € 24.08.2011 les inrockuptibles 109

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première festival Entre cour et jardins Douzième édition de ce festival à ciel ouvert où musique, danse, théâtre et design se déroulent dans des jardins. A voir : Julia Cima (Danse hors-cadre à Dijon les 29 et 30 août) et Philippe Quesne, un habitué de la région, qui réalisera avec le cinéaste César Vayssié un making-of à partir des émotions du public (Barbireysur-Ouche les 26 et 27 août, Dijon les 29 et 30 août). du 26 août au 2 septembre à Barbireysur-Ouche et Dijon, tél. 03 80 67 12 30, www.ecej.fr

réservez Ali de et avec Mathurin Bolze et Hedi Thabet Une pièce courte et saisissante pour deux acrobates et deux paires de béquilles, précédée de la lecture de L’Intranquille de Gérard Garouste et Judith Perrignon par Christian Benedetti. du 8 septembre au 2 octobre au Théâtre du Rond-Point, Paris VIIIe, tél. 01 44 95 98 21, www.theatredurondpoint.fr

drogue dure Avec Violet, Meg Stuart sublime les états seconds. Une danse addictive, une chorégraphie comme un poison violent.



n pourrait parler de Violet comme d’un spectacle malade, du genre incompris, aussi. Au dernier Festival d’Avignon, une bonne partie de la salle s’ennuyait ferme, quelquesuns sont même sortis. Etait-ce dû à l’horaire – milieu d’après-midi ? A l’attente suscitée par Meg Stuart elle-même, dont Forgeries, Love and Other Matters il y a quelques années en avait bouleversé plus d’un ? Nul doute que Violet mérite une séance de rattrapage pour ceux qui contestent son charme vénéneux. Le point de départ de la chorégraphe est l’abstraction, comme elle n’a cessé de le répéter à longueur d’entretiens. Une piste qui peut se révéler fausse tant la vue de ce quintet de danseurs ouvre

des horizons narratifs inédits. Pensé comme un organisme chorégraphique, Violet est nourri de références : des interventions d’artistes plasticiens dans le travail de la chorégraphe, entre autres les lumières – on pense à Carsten Höller, cité par Stuart, mais autant à Olafur Eliasson –, ou des documents sur l’ayahuasca, une drogue qui modifie l’état de conscience. Mais ce serait mal connaître Meg Stuart que de penser qu’elle n’a fait qu’agglomérer ces pistes. Elle étire ses fils, entraîne ses interprètes au-delà d’eux-mêmes. Il n’y a pas seulement une prouesse physique – ils sont sur scène durant plus d’une heure – mais aussi un dépassement qui fait penser effectivement à un état second. Dès lors, comment revenir sur terre, c’est-à-dire ici sur scène,

sans se prendre les pieds dans cette transe d’une richesse inouïe. Travail des bras, ondulation du mouvement : plus d’une fois on pensera que la compagnie n’est pas vraiment de notre monde ! Il faut dès lors saluer cet engagement de tous les instants jusque dans le relâchement, une baisse de tension après soixante minutes. Alexander Baczynski-Jenkins, Varinia Canto Vila, Adam Linder, Kotomi Nishiwaki, Roger Sala Reyner portent cette pièce à des sommets d’intensité, comme une fièvre inconnue. Ce qui tient Violet, c’est évidemment la musique, jouée live par Brendan Dougherty : ordinateurs, batterie, il a composé un maelström sonore sublime. Et comme souvent, on en a vu dans la salle se boucher

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le cinéma de Pina Trois films sur et avec Pina Bausch pour cerner son (r)apport aux images. a Plainte de l’impératrice était depuis tribut au film originel de Pina Bausch. des années un secret bien gardé, Au-delà de leur beauté formelle, on ne peut indisponible en DVD, fragmenté les rattacher aux ballets de la compagnie, sur YouTube et rarement montré ce qui en fait leur limite. dans les festivals. Réalisé par Pina Bausch Wim Wenders, admirateur éperdu, elle-même sur une assez longue période, avait depuis longtemps le projet d’un film entre octobre 87 et avril 89, c’est un film avec Pina Bausch. Une fois leur point qui suit les cycles des saisons autant que de vue accordé sur la technique 3D, qui les humeurs de ses danseurs. Des images fait des merveilles dans les captations fortes qui se succèdent, comme ces de ballet comme Le Sacre du printemps, patineurs, ces vieux messieurs ou l’homme la disparition de Pina en juin 2009 à l’armoire sur le dos, n’en font pas tout a changé la donne. Seul maître à bord, à fait une fiction. Il faut plutôt chercher dans Wenders n’a pas voulu trancher : le rapport aux éléments, le goût de Pina hommage, documentaire, carnet de route, pour la nature : au fil de ses spectacles, Pina le film cherche sa voie. Pas sûr que elle n’a d’ailleurs jamais cessé de relier la chorégraphe aurait validé les choix l’un, l’humain, à l’autre, la terre. Surtout, du réalisateur. Comme nous le confia alors c’est une formidable galerie de portraits, Dominique Mercy : “Ce qu’aurait été ce film, ceux des interprètes du Tanztheater de du vivant de et avec Pina, personne ne le Wuppertal : Dominique Mercy, Helena Pikon, saura jamais.” Il faut sans doute l’apprécier Jan Minarik ou Mechthild Grossmann. pour ce qu’il est : une ode aux danseurs A revoir ce film, presque vingt ans de la troupe dans le deuil de leur créatrice. après sa sortie fugitive en salle, on peut Le film le plus juste sur l’art de Pina se demander ce qui aurait pu arriver Bausch, sa force comme sa conviction, si la chorégraphe avait confié la réalisation reste à ce jour Les Rêves dansants – Sur les à un autre. Filmé dans un 35 mm qui pourra pas de Pina Bausch d’Anne Linsel et Rainer paraître daté, La Plainte de l’impératrice Hoffmann, avec ces adolescents embarqués restera sans suite, Pina préférant dans l’aventure d’une reprise, Kontakthof. se concentrer sur ses “stück”, des pièces Pina Bausch apparaît à peine, mais cela créées à Wuppertal, parfois après suffit. Une œuvre que l’on garde au plus ses séjours à l’étranger, avec régularité. près de soi, au chaud pour ainsi dire, pour En visionnant Pina, le film en 3D les temps difficiles. P. N. de Wim Wenders, on a repensé bien sûr La Plainte de l’impératrice de Pina Bausch à La Plainte de l’impératrice. On ne peut parler (L’Arche), 3 9 € de citations intégrales, mais les scènes Pina de Wim Wenders (France Télévisions où la caméra attrape les danseurs dans Distribution, le 21 septembre), 19,99 € la rue à Wuppertal, le métro suspendu ou Les Rêves dansants d’Anne Linsel et de Rainer Hoffmann (Jour2Fête/Arcades), 19,99 € la campagne avoisinante paient un lourd

Chris Van der Burght

 L

les oreilles ! Comme si la musique électronique en particulier – ou contemporaine en général – était une agression caractérisée. La bande-son de Violet est d’une beauté convulsive. Meg Stuart, en présentant ce projet, parlait non de personnages mais d’individualités. On ne saurait mieux dire. En ces temps où le discours sur la drogue se veut définitivement répressif, il est salutaire de prendre son parti. Violet, poison violent, est en vente libre. Comme sa danse. Philippe Noisette Violet chorégraphie de Meg Stuart, les 6 et 7/09 à Divonne-les-Bains, festival La Bâtie, www.batie.ch ; du 16 au 19/11 au Centre Pompidou, Paris IVe, Festival d’automne, tél. 01 53 45 17 17, www.festival-automne.com

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spécial

été

la parole aux artiarstistetess Tout l’été, des e parlent de leur pratiqu et des enjeux de l’art d’aujourd’hui. Cette semaine : Mai-Thu Perret

science de la fiction L’artiste suisso-vietnamienne Mai-Thu Perret, 34 ans, a bâti son œuvre autour d’un récit communautaire et féministe. Elle prépare deux expositions pour la rentrée, à Zurich et à Grenoble.

A vernissages Zürich ist Frisch Dans la ville suisse s’ouvrent simultanément plusieurs expos. A noter : les fictions critiques de Walid Raad à la Kunsthalle, les images latentes de Didier Rittener chez Lang + Pult, les arrangements sculpturaux de Delphine Coindet chez Anne Mosseri-Marlio… A partir du 26 août http://artinswitzerland.com/zuerich.php

London is burning Comme chaque été, la Serpentine Gallery propose à un créateur de construire une folie, un pavillon d’été dans les jardins de Kensington. Cette année, le Suisse Peter Zumthor a créé un bâtiment noir intitulé Hortus Conclusus, version ultracontemporaine du cloître. Jusqu’au 16 octobre www.serpentinegallery.org

Bruxelles est chou Pour sa rétrospective au palais de Beaux-Arts, le photographe canadien Jeff Wall accompagne son travail d’un choix d’œuvres, de films et de photos. Un pur moment d’intelligence. Jusqu’au 11 septembre www.bozar.be

quoi occupes-tu ton été ? Mai-Thu Perret – C’est un été un peu studieux : j’ai plusieurs projets pour la rentrée, dont une exposition à la Haus Konstruktiv de Zurich à partir du 25 août, et j’ai donc passé plus de temps à l’atelier que d’habitude. Mais j’essaie aussi de partir, je suis allée dans le sud de l’Italie en juillet, et je pars pour l’Angleterre demain. J’en profite surtout pour lire et, si je suis en ville, pour aller au cinéma. L’intitulé The Crystal Frontier sert-il toujours de cadre narratif à l’ensemble de ton travail ? Et si oui, quelles évolutions récentes a-t-il connues ? Oui, c’est toujours un point de départ, une base importante, même si l’histoire est parfois plus en retrait ces derniers temps. Pendant les premières années, mes œuvres avaient un rapport plus clair, plus direct avec cette fiction fondatrice, les personnages étaient les auteurs des pièces et on pouvait presque voir leurs mains sur un coussin ou un hamac. Je m’intéressais beaucoup à leur cadre de vie, à fabriquer des choses qu’ils auraient pu faire, comme des objets décoratifs ou de la broderie. J’y voyais aussi un jeu avec la filiation compliquée de l’art féministe. Au fil du temps, les rapports sont devenus un peu plus distendus, ce sont des jeux de miroir ou de recension un peu plus complexes, mais cette fiction reste un cadre important. J’ai choisi de montrer certaines séries de façon complètement autonome, presque formaliste, comme les tableaux abstraits sur bois ou les céramiques, mais il est toujours possible de les rapporter à ces auteurs imaginaires. J’aime que l’on oscille entre les deux lectures, l’une n’est pas plus juste que l’autre. J’ai aussi réalisé plusieurs installations vidéo qui prennent la forme de remakes ou de rêveries biographiques. An Evening of the Book (2007) est inspirée par une pièce d’agit-prop perdue de la constructiviste Varvara Stepanova. Space-Time Rhythm Modulation – The Most Difficult Love (2010) est construite sur un tressage entre deux

narrations, la première basée sur la vie de Katarzyna Kobro, une artiste de l’avant-garde polonaise, et la seconde empruntée au roman de science-fiction Nous autres d’Eugène Zamiatine. Ces œuvres-là sont comme des retours en arrière vers les antécédents historiques de The Crystal Frontier, et on peut dire qu’ils entretiennent un rapport archéologique avec elle. Peux-tu dire quelques mots de ton exposition au Mamco, à Genève ? L’organisation de l’espace, la présence de nouvelles pièces... Bien que mon travail soit souvent basé sur des scénarios pré-existants, lorsque je réalise une exposition, j’attache une énorme importance à l’espace. Lorsque le Mamco m’a proposé l’enfilade de salles de “la Suite genevoise”, j’ai voulu jouer avec le format presque domestique du lieu, ces petits cabinets. Juste avant, j’avais ouvert une exposition très ample et très lumineuse au Kunsthaus d’Aarau, et j’avais envie de prendre le contrepied de toute cette lumière. Au Mamco, le principe était de réunir deux pièces de types différents (œuvre murale en néon et sculpture en céramique au sol, ou statuaire figurative et peinture murale abstraite, par exemple) par salle, et de composer des variations selon ce principe. Les murs sont peints dans des couleurs assez denses, parfois sombres, qui, alliées à l’absence de lumière du jour et aux reflets des deux néons, donnent à l’ensemble un air un peu hanté. Les salles me semblaient parfaitement adaptées à cette théâtralité muette. Quel rôle joue la fiction ? Quand et sous quelle forme surgit-elle ? Ici, la fiction apparaît sous forme de fragments, de bribes de textes,

“j’ai toujours aimé les répétitions, il n’y a qu’en répétant qu’on peut voir la variation et la différence”

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Annick Wetter

qui se connectent aux pièces exposées et semblent parfois les commenter, parfois au contraire les rendre encore plus étranges. Au Mamco, j’ai utilisé le couloir qui longe les salles pour y accrocher ces textes sous forme d’affiches sérigraphiées, comme des pages de roman agrandies, et ils se substituent aussi aux textes muraux explicatifs omniprésents dans les musées d’aujourd’hui. C’est d’ailleurs une des joies de ce musée d’être placé face à des agencements d’œuvres sans automatiquement être interpellé par les explications de l’institution. Les questions de genres sont-elles toujours centrales dans ton travail ? Oui, c’est une des choses vers lesquelles je reviens souvent. Le fait qu’il y ait deux genres est quelque chose de si bizarre. Pourquoi pas un ou trois ou même dix-huit ? Tu as récemment mis en scène avec la chorégraphe Laurence Yadi un spectacle baptisé Lettres d’amour en brique ancienne. Quelle relation entretiens-tu avec le spectacle vivant ? Depuis plusieurs années, je suis obsédée par la bande dessinée américaine Krazy Kat. C’est l’histoire toujours recommencée d’un chat amoureux d’une souris qui le hait

et ne rêve que de lui lancer des briques à la figure. Le chat, qui est innocent et tendre, prend les briques pour des signes d’amour. Il y a aussi un chien policier qui aime le chat et veut mettre la souris en prison. Le chat est le seul personnage de ce triangle qui est vraiment libre et heureux, mais il passe son temps à se prendre des briques sur la tête. Dans Krazy Kat, ce qui est magnifique, c’est que tout est inversé : les souris chassent les chats, l’agression se transforme en signe d’amour, le chat est à la fois mâle et femelle, etc. J’avais envie de rendre compte de cette poésie, et il me paraissait évident que c’était une histoire de mouvement, une danse. Je voulais travailler avec une chorégraphe depuis longtemps : j’ai rencontré Laurence et nous avons collaboré sur la création du projet au Théâtre de l’Usine à Genève en 2011. C’est un objet très hybride, la scène pose des contraintes très différentes de celles de l’exposition. En tant qu’artiste, j’ai un rythme de travail assez saccadé, je peux passer une semaine à écrire un texte et ensuite avoir les mains dans la terre pour faire des céramiques pendant trois semaines, et beaucoup de mon travail se fait chez moi, seule, il n’y a pas de rituel pré-établi. Alors que la danse, c’est

un monde de répétition, de studio et de rituels collectifs presque immuables. C’est une autre façon d’habiter son travail. Il y a dans ton travail une récurrence, un retour systématique de certaines formes ou motifs. Comme si elles pouvaient se rejouer sans cesse en fonction des configurations… Cela a-t-il quelque chose à voir avec l’idée de “répertoire”, au sens théâtral du terme ? C’est possible, le répertoire indique quelque chose de similaire à l’idée de partition, de pièces qui sont réinterprétées et qui donc évoluent au fil du temps. De toute façon, même avec des objets, les choses ne sont jamais figées, notre regard sur eux évolue aussi, un tableau peint en 1920 n’est plus le même aujourd’hui, il a changé avec le “regardeur”. Ce qu’il y a de bien avec la danse, par exemple, c’est qu’on ne peut pas avoir l’illusion que les choses restent les mêmes, alors que les objets semblent promettre une forme de permanence. J’ai toujours aimé les répétitions, il n’y a qu’en répétant qu’on peut voir la variation et la différence. Tu prépares pour octobre une expo au Magasin de Grenoble dont le titre, The Adding Machine, renvoie aux écrits de Burroughs sur sa technique du cut-up. Pourquoi cet emprunt et comment vas-tu construire l’exposition ? L’idée de la machine à ajouter, c’est un peu une façon de thématiser le problème de l’exposition rétrospective, ou en tout cas d’une vision d’ensemble sur mon travail (l’exposition regroupe des travaux de 2002 à aujourd’hui – ndlr). Pour moi, l’expo est une forme artistique en soi, il ne s’agit pas juste de montrer des travaux autonomes mais aussi de les réarticuler entre eux, et j’ai l’impression que c’est très différent à chaque fois. Les pièces sont comme les éléments de base d’un langage, comme des plots, et l’exposition est comme une phrase complète, jamais répétable. Pour Burroughs, le cut-up implique toujours une part importante de hasard, et je pense que même dans une forme plus contrôlée comme celle d’une exposition, il y a toujours une partie fortuite que je cherche à assumer comme quelque chose de créateur. recueilli par Claire Moulène The Adding Machine. Mai-Thu Perret à partir du 9 octobre au Magasin de Grenoble, www.magasin-cnac.org 24.08.2011 les inrockuptibles 113

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la fêlure du révolutionnaire Ecrit par le scénariste de Carlos, Dan Franck, un téléfilm de Christophe Blanc évoque la figure controversée de l’extrême gauche des années 60-70, Pierre Goldman, petit bandit et grand exalté.

C

anal+ ne peut se défaire d’un certain tropisme révolutionnaire seventies. Depuis plusieurs années, de nombreuses fictions produites par la chaîne évoquent les exactions de quelques-unes des figures de proue du terrorisme et du banditisme de ces années-là. SAC : des hommes dans l’ombre de Thomas Vincent, L’Infiltré de Giacomo Battiato (sur le cas d’Abou Nidal), ou bien sûr le Carlos d’Olivier Assayas composent un territoire fictionnel obsédé par un même motif et une même époque. Avec Goldman, le nouveau téléfilm écrit par le scénariste de Carlos, Dan Franck, la cartographie des sombres héros de la révolution s’élargit à l’un de ses mythes. Plus de trente ans après son assassinat – le 20 septembre 1979 place de l’AbbéGeorges-Hénocque dans le XIIIe arrondissement de Paris –, le souvenir de Pierre Goldman flotte encore, tel un spectre mystérieux, dans l’imaginaire national. Figure à la fois centrale et marginale de l’extrême gauche des années 60-70, il incarne un moment fébrile de l’histoire politique française : la tentation de la révolution, la vraie, celle des éternels insoumis, rétifs à l’ordre, pas celle des étudiants soixante-huitards confinés dans des discours trop sages et théoriques. Guérillero engagé dans les révoltes armées en Amérique du Sud, responsable du service d’ordre de l’UEC (Union des étudiants communistes), fasciné par l’héroïsme des figures de la Résistance du

groupe Manouchian, l’aventurier fut aussi un petit voyou parisien : plusieurs attaques à main armée, dont peut-être celle de la pharmacie du boulevard Richard-Lenoir, le 19 décembre 1969, où les deux pharmaciennes furent tuées. Accusé du double meurtre, Goldman, qui se disait innocent, fut condamné à perpétuité en 1974, avant que, suite à une vaste campagne de sensibilisation (orchestrée par des milieux intellectuels et médiatiques, de Félix Guattari à Simone Signoret), un second procès ne l’acquitte en 1976. Trois ans avant de se faire tuer à bout portant par un collectif obscur de policiers, baptisé Honneur de la police, proche du SAC et des barbouzes, en guerre contre la “subversion gauchiste”. Cette trajectoire singulière et tragique, dont Goldman analysa lui-même les racines dans son récit autobiographique, salué lors de son séjour en prison, Souvenirs obscurs d’un Juif polonais né en France, véhicule une évidente part romanesque. En Goldman, vibre autant une page de l’histoire politique contemporaine que la voix d’un personnage à part dont la solitude éclaire indirectement son époque. Il incarne une figure du martyr autant qu’une icône de l’agit-prop où l’esbroufe le dispute à la duplicité. Ce romantisme de l’agitation compulsive, que rien ne freine sinon la mort, traverse le téléfilm réalisé par Christophe Blanc, librement inspiré du livre de Michaël Prazan, Pierre Goldman, le frère de l’ombre (Seuil, 2005).

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au poste

journalisme de crise

Tibo & Anouchka/Capa Drama/Canal+

Le journalisme financier peine à trouver sa place face aux puissances d’argent.

une figure du martyr autant qu’une icône de l’agit-prop où l’esbroufe le dispute à la duplicité Produit par Hervé Chabalier et Claude Chelli (Capa Drama), Goldman s’articule autour de cette course permanente d’un aventurier exalté, égaré sur des chemins de traverse dont il ne reviendra pas. Le film contourne élégamment le piège de la peinture objective et distanciée de son personnage pour creuser sa part d’ombre, son côté “emporté et fiévreux” selon l’expression de Christophe Blanc. Pour le réalisateur, “vouloir comprendre Pierre Goldman, en saisir toute l’ambiguïté tourmentée, c’est littéralement épouser ses mouvements”. Le rythme du film est ainsi suspendu au propre souffle du personnage qui dans chaque contexte de sa vie – ses braquages, ses romances, ses comités politiques où il s’énerve, ses conférences de rédaction au journal Libération pour lequel il écrivit quelques articles (sur Jacques Mesrine, entre autres), son procès très médiatisé, sa passion pour les musiques cubaines et ses cuites dans les bars de nuit qu’il fréquentait assidûment, comme la Chapelle des Lombards… – déploie la même énergie (du désespoir ?). Plutôt que de tirer les ficelles psychologiques de la dérive d’un fils de Juif polonais immigré, né en 1944 à Lyon,

Christophe Blanc et Dan Franck s’intéressent surtout à l’économie de ses gestes. Vifs, rapides, brusques, comme traversés par un sentiment d’impatience, d’inanité, d’envies impossibles. Hantés par ceux de ses parents résistants, entravé par le calme trop plat de la vie, comme si l’imaginaire révolutionnaire l’ancrait dans son mythe originel. Dans la première partie du film – en 1969 à Paris où il tourne en rond, à l’étroit dans les réseaux étudiants trotskistes et maos – comme dans la seconde partie – la prison où il découvre ses racines juives au contact d’un rabbin, puis la longue séquence du procès en révision qu’il gagne grâce à la pugnacité de son avocat Georges Kiejman –, Pierre Goldman porte en lui une mélancolie sourde. Dans la nuit, à genoux, il hurle sa souffrance : ce cri est sa révolte. Dans la peau de cet agité forcené, aux colères jamais adoucies, Samuel Benchetrit invente son personnage à partir de cette fêlure qui a l’impact d’une brûlure. Intelligemment, le comédien évite de radicaliser à l’excès les traits de l’écorché vif pour garder la retenue nécessaire à sa crédibilité. L’insoumission de l’enragé transpire dans ses regards noirs et ses postures successives qui dessinent les contours d’un personnage fort et confus. A défaut d’une vérité intangible, une fragile justesse se dégage de cette (dé)composition. Jean-Marie Durand Goldman Téléfilm de Christophe Blanc, lundi 29 août, 2 0 h 50, Ca nal+

En plus de révéler les vices persistants du capitalisme financier, l’agitation estivale des marchés a mis les médias face à leur (ir)responsabilité. Comment analyser à chaud, mais aussi prévenir à froid, la démence du système financier ? Comment expliquer les accès de tension sur les Bourses mondiales ? Dans son nouvel essai Le Capitalisme hors la loi (Albin Michel) – une immersion au cœur des réseaux d’affaires qui dirigent le monde  –, le correspondant du Monde à Londres Marc Roche s’interroge entre autres sur la “cécité des médias” et “l’adhésion inconditionnelle des professionnels de l’information aux lois du capitalisme financier”. Les journalistes sont “désarmés pour comprendre les arcanes des armes de destruction financière massive aux sigles sinistres (SPV, CDO, CDS…) que certains banquiers eux-mêmes ont du mal à cerner”. Le journalisme financier bute sur une forme d’aveuglement qui l’empêche de saisir les dysfonctionnements de la haute finance, le lien entre l’explosion des produits financiers hypercomplexes et la spéculation… L’accès réduit à l’information, filtrée par des conseillers en communication qui lustrent le blason des banques, bloque les journalistes dans leur travail d’objectivation. Mais les médias eux-mêmes ne se sont-ils pas dévoyés en plaçant les stars de l’argent “sur un piédestal à longueur d’articles” ou en acceptant les conflits d’intérêts à l’image du partenariat entre le Financial Times et Goldman Sachs dans l’octroi d’un prix littéraire ? Face à la crise, le journalisme est tenu de revoir ses propres fondamentaux. Eclairer la crise devrait surtout pousser les médias à ne plus dissocier, comme ils l’ont longtemps fait, journalisme financier et journalisme politique.

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Breaking Bad, saison 4

AMC en panique La chaîne de Mad Men, Breaking Bad et The Walking Dead est-elle en train de se saborder ?



ouligner les errances des chaînes américaines est un devoir critique doublé d’une revanche symbolique. La France n’est pas la seule à faire n’importe quoi avec ses séries, voilà la leçon que nous apprend l’année pourrie d’AMC. Rappelons que cette chaîne du câble basique (c’est-à-dire incluse aux bouquets de base) autrefois connue pour ses rediffusions de films de l’âge d’or hollywoodien, a changé la donne dans le paysage audiovisuel US en mettant à l’antenne en 2007 Mad Men, sa première série dramatique. Depuis, on attend d’elle qu’elle produise chef-d’œuvre sur chefd’œuvre, une tâche difficile à accomplir mais qu’elle a prise au sérieux, puisque Breaking Bad et The Walking Dead lui sont dus. Cela rend son pataugeage actuel encore plus extravagant. Pour comprendre, un mini flash-back s’impose vers l’hiver dernier, quand toute l’actualité des séries était portée vers un enjeu unique, le renouvellement incertain de Mad Men. En cause, des négociations tendues entre la chaîne et le créateur de la fiction sixties, Matthew Weiner. Si tout a fini par s’arranger au prix d’un retard dans la programmation qui rend encore Weiner grognon (le tournage a repris le 8 août et la saison 5 arrivera fin mars 2012 aux Etats-Unis), l’image idyllique d’AMC a commencé à se brouiller. Elle s’est sévèrement dégradée au mois de juillet,

quand deux news improbables ont surgi : la possible réduction de Breaking Bad à six ou huit épisodes pour sa prochaine saison (sacrilège !) et le départ du showrunner (producteur et scénariste principal) de The Walking Dead, Franck Darabont, en plein tournage de la saison 2 de la série de zombies. Deux événements révélateurs d’un bordel considérable en interne. Que s’est-il passé pour que de tels bijoux se trouvent en danger ? La chaîne que tout le monde appelait le HBO des années 2010 est-elle en train de se saborder ? Le L A Times a apporté un début d’explication dans son édition du 5 août, notant que l’argent dépensé pour conserver Mad Men (10 millions de dollars par an pour Matthew Weiner, autant pour Jon Hamm) obligeait à des coupes franches par ailleurs. Non plus affiliée au groupe Cablevision System, mais étendard d’un mini-empire en son nom propre (AMC Networks), la chaîne se trouve en plus sous tension financière à cause de son entrée en Bourse. D’où les soucis avec Franck Darabont, qui refusait de voir son budget coupé de 250 000 dollars par

des événements révélateurs d’un bordel considérable en interne

épisode. La rumeur annonçait que le garçon avait claqué la porte, mais le Hollywood Reporter a révélé mi-août que celui-ci avait en réalité été viré par Joel Stillerman, chef de la programmation d’AMC. On attendra octobre et la diffusion de la saison 2 de The Walking Dead pour juger des conséquences de cette décision brutale. Concernant Breaking Bad, des frissons ont envahi les bureaux de la production à Burbank, pendant qu’à mille kilomètres de là, à Albuquerque, se tournaient les derniers épisodes de la saison 4. L’annonce par AMC de la possible réduction du show de moitié pour sa prochaine saison a poussé le propriétaire de la série, Sony, à solliciter d’autres chaînes (notamment FX) en accord avec le créateur Vince Gilligan. La volonté du network apparaissait d’autant plus absurde que Breaking Bad est en pleine forme esthétique (les premiers épisodes de la quatrième saison sont très beaux) et commerciale (la série a battu ses records d’audience). AMC a repris ses esprits et finalement offert à Breaking Bad une cinquième et dernière saison de seize épisodes. Mais le paradis des séries ressemble maintenant à une chaîne comme les autres. Enfin presque : on attend fébrilement sa nouvelle production, Hells on Wheels, un western, en novembre. Olivier Joyard Breaking Bad saison 4, le dimanche sur AMC

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goodbye Desperate

brèves Deauville, saison 2

La série emblématique de la deuxième moitié des années 2000 s’arrêtera l’an prochain.

Le Festival du cinéma américain de Deauville inclut de nouveau des séries télé à sa programmation cette année, lors de son premier week-end (3-4 septembre). Au programme, les projections en avant-première de la série historique de Canal+ Borgia et de la comédie américaine Episodes (avec Matt LeBlanc ex-Joey de Friends), les masterclasses de Tom Fontana (monsieur Oz) et Shawn Ryan, créateur de The Shield… (www.festival-deauville.com)

Sons of Anarchy revient Encore quelques jours de patience avant que ne débute la saison 4 de la subtile série de motards. La création de Kurt Sutter pour FX revient le 6 septembre avec un double épisode. A noter l’idée de casting la plus cool du monde, avec l’arrivée prochaine de David Hasselhoff dans le rôle d’un ancien acteur porno. Gloups.

focus

Game of Thrones recrute Deux actrices géniales rejoignent la série d’heroic fantasy de HBO pour la deuxième saison qui sera diffusée au printemps prochain : Carice van Houten, vue dans Black Book de Paul Verhoeven, et Hannah Murray, ex-Cassie dans Skins. Le tournage a commencé au mois de juillet à Belgrade.



quel moment une série doit-elle se terminer ? Concrètement, la question s’adresse aux responsables de chaînes. Symboliquement, elle concerne les spectateurs et leur rapport à ces drôles de machines narratives. Dire au revoir à une série aimée n’a rien de simple et peut prendre plusieurs formes : la rupture brutale en cours de route, pour éviter de souffrir plus tard ; la rupture en douceur, après avoir regardé une saison pas terrible, au nom des bons moments passés ; la rupture insupportable, celle qui s’impose à nous alors qu’on aimerait que ça continue. La métaphore amoureuse fonctionne à plein avec Desperate Housewives, dont ABC a annoncé cet été que les épisodes commençant à la rentrée seront les derniers. Deux ans après Lost et 24 heures chrono, autres séries emblématiques des années 2000, les aventures de Lynette,

Bree, Gaby, Susan et les autres s’arrêteront donc en mai 2012, après huit saisons. De l’avis général, il était temps que cela se termine. Ceux qui n’avaient pas lâché l’affaire regardaient encore par amour des actrices, ou pour l’écriture toujours acérée de ce postsoap, mais plus pour la série dans son ensemble. Comme le créateur Marc Cherry, qui a quitté ses fonctions de showrunner et développe d’autres projets, ABC l’a compris – l’audience baissait de manière chronique depuis plusieurs années. “C’est une nouvelle douce-amère, mais je crois que c’était le moment”, a réagi Marcia Cross (Bree), dans le ton. Reste à regarder le bouquet final. Consacré à la résolution de la mort de Mary Alice (la suicidée du premier épisode), il devrait ramener les foules sentimentales devant leur écran. O. J. Desperate Housewives dernière saison. A partir du 25 septembre sur ABC.

agenda télé Clara Sheller (Orange Ciné Happy, le 28 à 18 h 05) Saison 1 de la série qui a fait croire à la possibilité de créer des fictions françaises à la fois populaires et exigeantes. C’était en 2004. Inutile de préciser que le soufflé est retombé.

Band of Brothers : l’enfer du Pacifique (France 2, le 28 à 20 h 35) Troisième soirée consacrée à la minisérie en dix épisodes produite par Steve Spielberg et Tom Hanks sur la Seconde Guerre mondiale. A la fois pesant et intéressant.

Madame est servie (Série Club, le 24 à 11 h 45) Tous les jours à la même heure, quatre épisodes à la suite du monde selon Tony Danza. C’est sympa, mais il est temps que la rentrée arrive.

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Eve Saint-Ramon

Cabaret New Burlesque Documentaire d’Isabelle Soulard. Mardi 30 août, 0 h, Arte

Les corps hors normes des copines d’Amalric. Révélées au grand public par le film d’Amalric, Tournée, les artistes du Cabaret New Burlesque ont profité de leur nouvelle notoriété pour revenir en France. Mimi Le Meaux, Dirty Martini, Roky Roulette, Kitten on the Keys, Evie Lovelle exposent ici leurs formes et leurs tenues excentriques. Une plongée sensuelle qui conclut une soirée sur les filles sexy, composée notamment d’un autre docu sur l’histoire de la minijupe (à 22 h 15). JMD

Catfish de Henry Joost et Ariel Schulman

les héros des réseaux Exploration très créative du concept (et des effets pervers) de Facebook.

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oirée thématique cohérente consacrée à ce qu’on appelle sur internet des “réseaux sociaux”, c’est à dire les sites où l’on peut parler de soi tout en se faisant des amis virtuels – comme Facebook, évidemment, leader incontesté du secteur. Le programme débute avec le biopic du créateur de Facebook par David Fincher. La suite est une exploration passionnante des tenants et aboutissants de cette communauté virtuelle parfois trompeuse. D’abord avec un film formidable, présenté comme un documentaire, Catfish, de Henry Joost et Ariel Schulman : le protagoniste et coréalisateur du film (Schulman) enquête sur une femme qui a créé de toutes pièces une vie de famille fictive, et inventé un personnage (sa fille Megan). Le plus fort n’est pas la fiction Facebook en abyme dans ce film, mais le fait qu’il soit quasiment impossible de démêler exactement la part de réel et de fiction à l’intérieur même de ce qui ne peut être qu’un “mockumentaire” (dialogues et dramaturgie étant trop fluides). On ne comprend pas pourquoi ce film de cinéma n’est pas sorti en France. Ensuite on pourra voir une édition de l’émission L’Œil de links, consacrée à des détournements de Facebook plus créatifs les uns que les autres : court métrage sentimental ; regard éthique sur l’utilisation de Facebook (exprimé par un ironique et très réussi petit film rétro où Facebook devient un “electric friendship generator”) ; travail artistique sur les icônes de Facebook, recension critique des effets pervers du site… De quoi cogiter sur le sujet. Vincent Ostria

Soirée réseaux sociaux Mardi 30 août, à partir de 2 0 h 50, Ca nal+

Rock en Seine Festival en direct sur France Inter vendredi 26, samedi 27 et dimanche 28 août, à partir de 18 h Les programmes d’été d’Inter s’invitent au festival.

France Inter s’invite à Rock en Seine durant trois jours, en diffusant des émissions spéciales et des concerts en direct. Dans son émission L’été comme je suis (vendredi 26 à 18 h), Laurence Peuron propose de découvrir les prestations de Yuksek, General Elektriks et Beat Mark. Dans son Escale estivale (samedi 27 à 18 h), Emmanuel Khérad reçoit quelques artistes comme CocoRosie, Keren Ann ou Blonde Redhead ; de 22 h à minuit, Didier Varrod anime une émission spéciale, avec la captation en direct des concerts de Keren Ann et BB Brunes. Enfin, dimanche 28, à 18 h, rencontre avec Lilly Wood And The Prick, Archive et Simple Plan. JMD

Keren Ann

La Scandaleuse Histoire du rock Emissions présentées par Gilles Verlant. Du lundi au vendredi, à partir du 29, 20 h 40, France Bleu

Amit Israeli

2010 Supermarche/Hit The Ground Running Films

émissions du 24 au 30 août

Le rock dans tous ses éclats. Dans ces pastilles de 5 minutes, Gilles Verlant revisite l’histoire du rock en s’attardant sur quelques faits saillants ou anecdotes qui nourrissent son épopée. D’Aretha Franklin aux Who, des Stones à Nirvana, de McCartney à Jacno, l’auteur de nombreuses biographies (Gainsbourg, Bowie, Hardy ) et d’odyssées de la chanson française, prend appui sur quelques singles et albums pour, de biais, traverser plusieurs décennies d’histoire du rock. Une manière ludique et légère de réviser les bases de son panthéon musical. JMD

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films à la télé Croix de fer Film de Sam Peckinpah (1977) Mercredi 24 août, 0 h 00, Ciné Cinéma Star

Bye-bye cobaye ? Documentaire de Pierre-François Gaudry. Samedi 27 août, 19 h, France 5

Les Authentiques Fausses Têtes de Modigliani Documentaire de Giovanni Donfrancesco. Dimanche 28 août, 22 h 40, Arte

Documédie à l’italienne : histoire d’un canular très réussi. L’histoire d’un canular piquant, rappelant l’esprit de la comédie à l’italienne. En 1984, au moment où ce genre cinématographique déclinait, la municipalité de Livourne décida (pourquoi ?) de retrouver des sculptures du peintre Amedeo Modigliani, soi-disant jetées par l’artiste dans un canal soixante-dix ans plus tôt. On repêcha alors trois têtes. Toute l’Italie cria au miracle ; l’intelligentsia artistico-universitaire s’extasia. Mais peu après on apprenait que ces têtes avaient été fabriquées de toutes pièces par des étudiants potaches. Le point sur une mystification qu’Orson Welles aurait adorée. V. O. Franciszka et Stefan Themerson

L’expérimentation animale peut être améliorée. Accompagné par une musique assez musclée – sans doute pour compenser le sérieux scientifique du sujet –, ce documentaire répertorie les efforts accomplis pour améliorer et réduire l’expérimentation animale. Voir les cours dispensés à de futurs manipulateurs de laboratoire, qui apprennent à manier les animaux avec précaution. Voir l’utilisation de peau synthétique pour les tests de cosmétiques. Voir les progrès de l’imagerie médicale et de la recherche en modélisation informatique. Mais même le président de la Fondation droit animal, éthique et science, Jean-Claude Nouët, l’admet : la recherche scientifique est pour l’instant incapable de se passer d’animaux. V. O.

l’amour de l’art

Evocation ludique de la vie d’un couple d’artistes polonais installés en Angleterre. Une œuvre-collage particulièrement Quant à Franciszka, elle fut une peintre et charmante sur un couple d’artistes inconnus illustratrice prolifique. A Londres, le couple (ou presque) en France, Stefan et Franciszka fondera après la guerre une des plus Themerson, nés en Pologne, qui passèrent audacieuses maisons d’édition anglaises. plus de la moitié de leur vie à Londres, Leur compatriote Wiktoria Szymanska où ils poursuivirent leurs travaux respectifs. explore leur vie et leurs créations avec une Stefan, poète facétieux flirtant avec fantaisie soutenue, mêlant des films le surréalisme et la pataphysique, familiaux, interviews d’amis, séquences fut un des pionniers de l’avant-garde documentaires et autres, qui évoquent cinématographique en Pologne. admirablement les années fofolles La métaphore de deux hommes portant une et effervescentes de ce couple singulier. V. O. armoire, tirée d’un film de Themerson – qui inspirera à Polanski son plus célèbre court Themerson et Themerson Documentaire de métrage – sert de fil rouge au documentaire. Wiktoria Szymanska. Mercredi 24 août, 0 h, Arte

Sans doute l’œuvre la plus étrange de Sam Peckinpah. Non pas parce que c’est l’unique film de guerre réalisé par ce (quasi) spécialiste du western, mais parce qu’il est exclusivement tourné du point de vue de l’armée allemande, dont il décrit la débâcle et les dissensions internes, quelque part sur le front russe en 1943. Cette tragédie hantée est l’une des rares à montrer la guerre sous un jour aussi mortifère et désabusé. Un étonnant précis de décomposition.

My Blueberry Nights Film de Wong Kar-wai (2007) Mardi 30 août, 20 h 40, Arte

Premier film américain de Wong Kar-wai. Un écheveau d’intrigues sentimentales qui se cristallisent par des détails infimes, des choses, comme la tarte aux myrtilles qui donne son titre au film, ou un trousseau de clés. Le cinéaste hong-kongais réduit son expérimentation formelle pour se concentrer sur la narration, touchante, enchevêtrement de micro-histoires. Meilleur moment : l’épisode où la timide Elizabeth rencontre une joueuse de casino qui l’embarque dans sa folie. Un joli petit précis sentimental. V. O.

De sang-froid Film de Richard Brooks (1967) Vendredi 26 août, 20 h 40, TCM

L’assassinat d’une famille de paysans du Kansas en 1959 par deux petites frappes, puis le jugement et l’exécution de ces criminels. Remarquable adaptation du roman documentaire de Truman Capote résultant d’une enquête minutieuse sur le terrain. Noir et blanc so(m)bre et contrasté ; parfaite traduction filmique de la froideur analytique du texte de Capote. Interprètes géniaux – dont Robert Blake, spécialiste des films et des rôles singuliers (d’Electra Glide in Blue à Lost Highway). Un modèle de thriller. V. O. 24.08.2011 les inrockuptibles 119

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enquête

anti Big Brother Caméras, biométrie, nanotechnologies… les outils de surveillance prolifèrent. Heureusement, d’ingénieux militants inventent sans cesse des moyens pour protéger notre liberté.

William Lamson Intervention, 11/14/07, 2007

C  

e qui nous attend est bien pire que Big Brother. Aujourd’hui nous assistons à la multiplication des nano-brothers (capteurs, puces électroniques dans les cartes et les portables). Ce sont des outils de surveillance multiples, disséminés, parfois invisibles. On ne sait pas qui collecte les données, ni dans quel but, ni pour combien de temps.” Ce ne sont pas des gauchistes technophobes qui le disent, mais Alex Türk, sénateur divers droite et président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), dans son ouvrage La Vie privée en péril (Odile Jacob). Ce cri d’alerte sonne comme un aveu d’impuissance, car la Cnil encadre plus qu’elle ne freine la prolifération des outils de surveillance. Mais les antisurveillance n’ont pas dit leur dernier mot. Allergiques à ces intrusions dans la vie privée, ils revendiquent ce qui hier était la norme : le droit à se déplacer librement et anonymement. Et pour ce faire, ils imaginent des parades et des systèmes qui démontrent que caméras et boîtiers biométriques ne sont pas infaillibles. Pour déjouer les caméras, les techniques sont rodées. La plus éprouvée est celle du sac poubelle aveuglant l’objectif. Régulièrement les commandos d’activistes de Souriez vous êtes filmés organisent des descentes dans le métro pour neutraliser ainsi les yeux de la RATP et rappeler aux usagers qu’ils sont observés en permanence. A Strasbourg, le collectif antividéosurveillance préfère inviter les habitants à des balades pédagogiques pour repérer les caméras. Et il se livre parfois à leur démontage méthodique. Dans la série do it yourself, on trouve sur le net quelques sites préconisant le port de couvre-chefs, de perruques, ou de maquillages destinés à leurrer les systèmes de reconnaissance faciale. Ou un “costume d’homme invisible”, constitué d’un film réfléchissant et de cartes en plastique, montrant à la caméra celui qui le porte comme un amas de pixels en mouvement.

Quelques artistes ont eux aussi imaginé des systèmes pour échapper au regard des surveillants. Résidant à Brooklyn, quartier où la CCTV (closed-circuit television) prolifère, William Lamson a trouvé une arme fatale : le ballon gonflé à l’hélium. Placé à la bonne hauteur et pour peu qu’il ait été bien chargé d’électricité statique, il va se coller à l’objectif. Autre création, de fabrication simple, la casquette équipée de diodes infrarouges. La caméra éblouie par le halo lumineux est incapable de distinguer le visage. Les systèmes biométriques sont l’autre gros business de la sécurité. Les industriels rêvent d’équiper bureaux, ordinateurs et voitures de leurs sésames à empreintes digitales réputés inviolables. Une inviolabilité relative comme l’a démontré le Chaos Computer Club (CCC), groupe de hackers allemands. Ils ont expliqué en vidéo (bit.ly/4XyOIQ) comment fabriquer un faux doigt pour leurrer ces dispositifs. Il faut d’abord récupérer l’empreinte d’une personne enregistrée,

caméras et boîtiers biométriques ne sont pas infaillibles

sur un verre par exemple, avec un peu de super-glu dans un bouchon apposé sur l’empreinte. Les vapeurs de colle font apparaître l’empreinte, qu’on peut photographier et imprimer sur un film plastique. On la récupère en étalant sur les reliefs créés par l’encre une fine couche de colle à bois, on laisse sécher, on découpe et on se colle l’empreinte sur le doigt. Côté RFID, pour Radio Frequency Identification (identification par radiofréquence), comment neutraliser ces puces sans contact qui équipent de plus en plus de marchandises et s’assurer qu’on ne sera pas tracé à notre insu ? Le CCC, encore, a bidouillé un zappeur de RFID. L’exercice demande quelques talents d’électronicien mais un investissement limité : un fer à souder, un peu de câble et un appareil photo jetable. Autre solution, si l’objet sur lequel est fixée la puce le permet, quelques secondes dans un micro-ondes. Enfin, dernier avatar de la surveillance, les scanners corporels des aéroports qui déshabillent les passagers. Aucune parade connue à ce jour. Mais des petits malins ont conçu une ligne de sous-vêtements avec des flèches fluo désignant les zones érogènes. Les mateurs des frontières apprécieront peut-être… Christine Tréguier

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in situ le cinéma envahit New York Combien de films nous montrent des images de New York dévastée par les eaux, ou par les robots de Transformers, des extraterrestres, la fin du monde, ou un gorille géant ? Cette carte réunit 91 films à identifier sur le territoire de Manhattan à l’aide de petits dessins. bit.ly/kOikHB

accroches au cœur Répertoire des jeux de mots un peu too much. Beau palmarès du côté de la pub SNCF : “Petits prix pour Pâques, vous n’allez pas en croire vos œufs” ou le slogan douteux du FN en 2010 : “Aux régionales, mettez-leur un coup de pied dans les urnes”… Une bonne manière de constater que trop de jeux de mots tue le jeu de mots. laccroche.tumblr.com/

question idiote, réponse idiote Ce site répond en une phrase en partant des questions suggérées par Google, repaire des questions existentielles. Exemple : “Pourquoi les escargots sortent quand il pleut  : l’eau lui permet de glisser sur le sol et de se déplacer d’un point à un autre. Il évite ainsi de rester collé par terre, forever alone.” pourquoicomment.tumblr.com/

quelle est la couleur de… On imagine la couleur des vitamines orange ou jaune, celle de la fraîcheur bleue, la colère plutôt rouge. Bref, on donne des couleurs à des choses qui n’en ont pas. Sur ce générateur de couleurs, l’internaute tape un mot, puis, en s’appuyant sur la base gigantesque de photos de Flickr, le logiciel superpose les images trouvées pour créer une palette. thecolorof.com

la revue du web Arte web

Café babel

Slate

place au jeûne

l’Europe verte on the ground

cartes postales atomiques

A suivre : dix reportages sur le terrain dans dix villes (Bruxelles, Budapest, Berlin, Athènes, Rome, Séville, Paris, Vienne, Ljubljana, Strasbourg) qui parlent des initiatives écologiques et solidaires à travers toute l’Europe de manière originale et très locale. Des clubs electroécolos de Berlin, au design vert de Budapest en passant par la haute-couture belge à base de parachutes recyclés. bit.ly/oxA0xF

“Salut, tu vois, je suis ici, et toi tu es là-bas.” Voilà en gros le pourquoi du comment d’une carte postale. Mais ce message pourtant anodin peut témoigner d’une époque, comme l’ère atomique et la guerre froide où il n’était pas rare d’envoyer une carte avec une centrale ou un champignon nucléaire. Plus qu’une photo cartonnée et éphémère, la carte postale est une manière de représenter son époque. L’ouvrage Atomic Postcards en est la preuve.   slate.me/pK7TjO

La websérie Une heure avant la datte, réalisée par Rachid Djaïdani pour le site d’Arte, raconte en vingt séquences de deux à cinq minutes la foi musulmane. De mini-épisodes tournés une heure avant la rupture du jeûne, où Hicham, Hassan, Chaouki, Karim, Isabelle parlent du ramadan et de la rupture du jeûne qui commence traditionnellement par la dégustation d’une datte. Des portraits brefs, drôles et sensibles pour rencontrer et partager l’islam de France. www.arte.tv/ramadan

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livre Gatsby le magnifique de F. S. Fitzgerald Relire ce livre pour sentir la moiteur de l’été sur une chemise de lin blanc, et cela même s’il pleut dehors. Et pour le délice de la dernière phrase : “Car c’est ainsi que nous allons, barques luttant contre un courant qui nous ramène sans cesse vers le passé.”

album The Horrors Skying Ces formidables outsiders du royaume indie-rock invitent le fantôme des Smiths. Atmosphérique et sombre.

Le Ravissement de Britney Spears de Jean Rolin L’histoire cocasse d’un agent secret envoyé à L. A. pour sauver Britney d’un complot. Un roman noir et drôle.

film Two-Lane Blacktop de Monte Hellman L’anti road-movie culte sorti juste après Easy Rider. Un trip dont les ressorts narratifs sont à chaque fois désamorcés par une écriture rétive aux lieux communs.

V. Barré

La piel que habito de Pedro Almodóvar Un parcours palpitant entre les gènes et les genres, mené avec une maestria confondante.

L’Homme imaginaire de Georges-Henri Guedj J’irai au Générateur de Gentilly pour la prochaine Nuit blanche découvrir en live les mélodies ravissantes de cet ancien étudiant des Beaux-Arts que j’ai eu la chance d’écouter en avant-première.

recueilli par Claire Moulène

Impardonnables d’André Téchiné La rencontre d’un homme et d’une femme d’âge mûr dans une Venise intime. Un film crépusculaire et néanmoins lumineux.

Melancholia de Lars von Trier Prologue pompier et première partie entre deux eaux, mais une seconde mi-temps magnifique.

Baxter Dury Happy Soup Un album drôle et brillant qui pourrait être le disque qui, enfin, cassera la baraque.

Le Système Victoria d’Eric Reinhardt Anti-conte de fées ample et tragique qui mêle sexe, jeux de pouvoir et onirisme.

Theophilus London Timez Are Weird These Days Après des mixtapes tapageuses et un ep renversant, London fait sauter les cloisons musicales.

Vers la sortie de Joyce Farmer Roman graphique semi-autobio qui parle de la vieillesse avec intelligence et délicatesse.

Danse hors-cadre chorégraphie Julia Cima Festival Entre cour et jardins, Dijon Une pièce conçue comme un parcours dans le patrimoine chorégraphique international, tel est le défi proposé par Julia Cima avec Danse hors-cadre, mêlant avant-garde et traditions, Isadora Duncan et la figure du guerrier balinais.

Interne numéro 2 de David de Thuin Chronique familiale chaleureuse et intimiste.

Applause Where It All Began Un rock franco-belge, lyrique et exalté.

Les Yeux de Julia de Guillem Morales. Un film d’horreur espagnol d’une singulière brillance. La Chamade d’Alain Cavalier. Avec une Deneuve éclatante de jeunesse et de talent. Panic sur Florida Beach de Joe Dante. Teenagemovie, hommage au genre du film catastrophe.

So Long, Luise de Céline Minard Une romancière lance un cri d’amour à sa girlfriend sous la forme d’une lettre testamentaire. Médiévo-punk et étourdissant.

L’artiste sortira le second catalogue Myself, Me & I aux Presses du réel lors de la prochaine Fiac (du 20 au 23 octobre).

Cy Twombly A la Collection Lambert, Avignon Le travail photographique du peintre américain décédé en juillet, exposé pour la première fois.

Philippe Ramette Crac de Sète Photos truquées et “prothèsessculptures” qui renversent notre rapport au monde.

Brut de Dalibor Frioux Un premier roman scotchant de maîtrise. Super 8 de J. J. Abrams Un blockbuster numérique à alien doublé d’un film de zombies low cost à l’ancienne.

Bruno Peinado

Kuzuryû de Shôtarô Ishinomori Dans un Japon féodal et violent, les aventures d’un apothicaire justicier.

Lost (replay) texte et lecture Gérard Watkins La Mousson d’été, abbaye des Prémontrés Un texte athée qui emprunte le canevas de la chute des anges et de la tentation d’Adam et Eve par Satan pour parler du monde d’aujourd’hui. La religion pour Watkins ? U ne source inépuisable d’histoires.

Kirby’s Dream Land/Donkey Kong sur 3DS Des incunables du jeu vidéo réédités. Un plaisir rétrograde et illimité.

Shadows of the Damned sur PS3 et Xbox 360 Une fête foraine peuplée de fraises et de têtes de moutons.

Dystopia CAPC de Bordeaux Venue d’outreManche, la dystopie se décline dans une expo aux relents de SF.

The Asskickers sur PC et Mac Une invite à la transgression très interactive.

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