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Pinault

l’esthète du business

Wu Lyf

groupe dʼenfer

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Allemagne 3,40 € - Belgique 2,90 € - Canada 5,20 CAD - DOM/A 3,90 € - Espagne 3 € - Grèce 3,30 € - Italie 3,30 € - Liban 8500 LBP - Luxembourg 2,90 € - Maurice Ile 5,50 € - Portugal 3,30 € - Suède 40 SEK - Suisse 5 CHF - TOM 700 CFP

No.810 du 8 au 14 juin 2011

u nouvea

2.50€

Villepin

un printemps français

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j’ai déjeuné chez Alain Passard avec

Christophe Blain

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vec sa façade aux fenêtres opaques et son nom qui fleure bon les années 80, le restaurant L’Arpège du chef triplement étoilé Alain Passard ressemble à un club échangiste. C’est là qu’on a rendez-vous avec Christophe Blain, à l’occasion de la sortie d’En cuisine avec Alain Passard, BD alléchante entre livre de recettes, portrait documentaire et œuvre complètement “blainesque”, avec un personnage principal (le chef) haut en couleur et en mouvements. En guise d’apéritif, on sirote un thé vert. “Le thé vert, c’est typiquement Passard. C’est le truc de la maison. Je suis un habitué”, s’amuse Christophe Blain. Alors qu’arrive la première entrée, le succulent Œuf parfait (poché à très basse température, accompagné d’une émulsion de parmesan, d’ail frais, de poivre de Malaisie et de fleur d’échalote), Blain explique la genèse du livre, cinq ans pendant lesquels il put de temps en temps humer l’ambiance des cuisines, observer et dessiner le chef en action, goûter les plats gorgés de légumes frais, la spécialité : “J’avais quasiment fini la BD il y a trois ans. Et puis il y a eu Quai d’Orsay et Alain a sorti un livre de son côté. Tout a pris du retard, je ne suis pas venu à L’Arpège pendant un an et demi. C’est bien, parce qu’entre-temps, tout avait changé. Le chef fonctionne par obsession, les menus peuvent varier d’une semaine à l’autre. Je n’y ai jamais mangé deux fois de la même façon.” A peine la deuxième entrée (jardinière de légumes avec émulsion au parmesan et aux herbes) terminée, Christophe lâche un soupir énamouré en voyant la suite : “Ah les raviolis…” (plongés dans un consommé de petits pois et de fleur de sureau, exquis). Mais on n’a toujours pas vu le chef qui, si l’on en croit la BD, tourbillonne en cuisine, s’émerveille de ses légumes, et tente quelques mariages étonnants. “Quand tu le connais, Alain est généralement disponible le midi et peut faire des expériences. Avec moi, il a fait des trucs uniques, comme une salade avec un petit artichaut cru. C’était pas mal” (moue amusée…).” Autour de la quatrième entrée (pommes de terre nouvelles, basilic pourpre, émulsion aux herbes et mousseline d’ail

et d’hysope, miam), Christophe explique qu’il n’a pas toujours été servi en salle comme aujourd’hui, ce qui ne l’a pas empêché d’être royalement traité. “Ça nous est arrivé de manger à la bonne franquette. Une fois, on s’est juste partagé une carcasse de canard, comme ça. Mais même quand on mangeait en cuisine, sur la paillasse, Alain donnait toujours le couteau adapté, faisait toujours très attention au service.” Suit une saucisse végétale, puis la robe des champs Arlequin (légumes parsemés d’une semoule à l’huile d’argan et saucisse aux légumes et à la harissa), et un extraordinaire canard à l’hibiscus. “Je cale un peu”, avoue-t-il – mais il finira toujours son assiette. Bec fin, Christophe fait pourtant “rarement la cuisine”, d’où ce regard de Candide émerveillé tout au long du livre. “Je n’ai jamais fait ses recettes. Je n’ai pas envie. Je n’ai jamais amené de copains non plus ici. Tant que je fais le livre, c’est juste moi et mon imaginaire.” Le service bientôt terminé, le chef paraît. Il virevolte entre les tables, se fait prendre en photo, ravi, avec une cliente. Puis nous demande : “On se fait un petit bout de frometon ? Attention, parce qu’après il y a le dessert.” Les desserts, plutôt : mignardises aux légumes, curieuses mais fameuses, crème brûlée à l’ail et au citron confit, crème glacée à la fleur d’acacia. La conclusion délicieuse (oui, avec de l’ail dans la crème brûlée !) d’un repas copieux mais tout en légèreté. “Je ne me suis jamais senti lourd en sortant”, sourit Christophe. Il est prêt à recommencer, et nous aussi. Anne-Claire Norot photo Pierre Le Bruchec

“une fois on s’est juste partagé une carcasse de canard, comme ça”

En cuisine avec Alain Passard, Gallimard, 88 pages, 17 €

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No.810 du 8 au 14 juin 2011 couverture Citizenside.com/AFP

03 quoi encore ? Christophe Blain

08 on discute courrier ; édito de Serge Kaganski

10 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

14 événement quelle stratégie pour les avocats de DSK ?

18 la courbe ça va ça vient ; billet dur

20 nouvelle tête 22 ici les anars fêtent Botul, penseur fictif

David Balicki

Outlines

24 ailleurs un milliardaire US contre les études

26 à la loupe Hellfest, le festival infernal

28 parts de marché Festival Scope, plate-forme cinéphile

30 Wu Lyf nouvelle bombe sonore made in Manchester

40

39 le sparadrap DSK Rüdy Waks

pour le PS, c’est l’affaire qui poisse

40 pour un printemps français l’actualité vue par Dominique de Villepin

48

43 Hollande s’affaisse les sondages ne le font plus roi

44 contre-attaque

Armelle Vincent

avec les exilés des printemps arabes

46 presse-citron revue d’info acide

48 amateurs cops en Californie, crise oblige, les citoyens sont sollicités pour aider les forces de l’ordre. Bientôt en France ? Guillaume Binet/M.Y.O.P

52 Invader, prophète en son pays expo inédite dans la capitale pour le street-artist français, héros de Londres à New York ou L. A.

56 Elizabeth Peyton la romantique

52

la peintre des célébrités pop s’aventure dans le monde des maîtres anciens pour sa première expo française

62 Pinault, maître d’art

70 Asghar Farhadi Ours d’or à Berlin avec Une séparation, l’Iranien porte un regard lucide sur son pays et son cinéma

Andrea Pattaro/AFP

quel moteur pousse le milliardaire français à devenir l’acteur le plus important du marché de l’art ? Enquête

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34

72 Une séparation d’Asghar Farhadi

74 sorties Limitless, Prud’hommes, Acqua in bocca

77 dvd la Quinzaine côté courts, deux films de Federico Fellini

80 No More Heroes un remake bordélique sur PS3

82 Cyril Mokaiesh un Parisien qui chante la vie en rouge

84 mur du son Kaiser Chiefs, New Order…

85 chroniques Austra, Teofilo Chantre, Thomas Dybdahl, Kid Loco, Mamani Keïta…

93 morceaux choisis Sarah W_Papsun, Weezer…

94 concerts 96 littérature et faits divers quand réel et romanesque s’entrelacent

98 romans/essais F. G. Haghenbeck, Janet Frame…

100 tendance Marine Le Pen de Caroline Fourest et Fiammetta Venner

102 agenda les rendez-vous littéraires

103 bd Tônoharu de Lars Martinson

104 Fin de partie + Eszter Salamon + La voix est libre

106 Claude Cahun des autoportaits qui dérangent le genre

108 Close up and Private chic blog de mode masculine

110 Chroniques d’un Iran interdit un documentaire de Manon Loizeau

112 Multitudes la revue réinvente un monde commun

113 A l’improviste l’art de l’impro sur France Musique

114 séries les nouveautés sur les chaînes US

116 télévision Anne Consigny, troublante quinqua

118 les réseaux sociaux et le droit Twitter et Facebook face à la loi

120 la revue du web décryptage profitez de nos cadeaux spécial abonnés

p. 47

121 vu du net les riches heures de Manufrance

122 best-of le meilleur des dernières semaines

rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Hélène Fontanaud, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs D. Balicki, E. Barnett, B. Baudesson, G. Binet, R. Blondeau, J. Brézillon, M.-A. Burnier, Y. Céh, A. Compain-Tissier, P. Dupont, J. Goldberg, O. Joyard, B. Juffin, C. Larrède, J. Lavrador, P. Le Bruchec, T. Legrand, H. Le Tanneur, H. Lindenberg, B. Mialot, P. Mouneyres, V. Ostria, E. Philippe, Y. Perreau, L. Soesanto, A. Vincent, lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Caroline de Greef photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Delphine Chazelas, Caroline Fleur, Amélie Modenese, Thi-bao Hoang conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeurs artistiques Pascal Arvieu, Mathieu Gelezeau (remplaçant) maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Camille Roy, Didier Valentin publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/ scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté d’Arthur Bellot tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 Dorothée Malinvaud (spécial festivals) tél. 01 42 44 15 67 coordinatrice Dounia Hajji tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 19 98 publicité commerciale, directrice Sarah Roberty directeur et directrice de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94, Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 chef de publicité junior Chloé Aron coordinatrice Margaux Monthieu tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/relations publiques Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65, chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard (tmattard@ame-press. com, tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19, infos au 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Valérie Imbert fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 2 211 059,61 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général David Kessler directeurs généraux adjoints Stéphane Laugier, François Rossignol attachée de direction Charlotte Brochard directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2011 directeur de la publication David Kessler © les inrockuptibles 2011 tous droits de reproduction réservés ce numéro comporte un encart abonnement 2 pages Belgique et Suisse jeté dans l’édition vente au numéro Belgique et Suisse ; un supplément 8 pages tabloïd “Schools” encarté dans l’édition abonnés Paris-Ile-de-France et dans l’édition kiosque des départements Paris-Ile-de-France, 49, 44, 72, 35, 53, 61 et 14.

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l’édito

l’ère des infox Laurent Blanc, Dominique Strauss-Kahn, Luc Ferry : trois tsunamis médiatiques, trois flagrants délits d’hystérie collective agrémentée d’îlots de bonne réflexion. D’abord le foot. La vox populi a accusé la presse d’en faire trop, montant en épingle une petite tchatche entre amis enregistrée à l’insu de leur plein gré. La vox populi a confondu “conversation privée” et “réunion de travail officielle d’un organisme parapublic”, comme elle a mélangé “délation” avec “dénonciation citoyenne de faits délictueux et antirépublicains”. L’insoutenable légèreté des sanctions infligées par la FFF à ses employés dérapants fut couverte par l’affaire DSK. Ce coup-ci, la vox populi a d’abord reproché à la presse de ne pas en avoir fait assez en étant muette sur les frasques du directeur du FMI. Depuis, l’affaire DSK a suscité la plus grosse couverture médiatique planétaire depuis le 11 Septembre. L’appétit sexuel de l’ex-futur candidat, plus fort que la guerre en Irak ou Fukushima ! Sexe, pouvoir, différence de classes, le pitch caricatural parfait pour feuilleton planétaire. Et tout le monde de gloser, fantasmer, parfois avec talent : journalistes, politologues, psys, sexologues, bloggeurs, féministes, juristes, polémistes, complotistes, médiologues, écrivains, marxistes, justiciers de comptoir... oubliant juste un détail : hormis Dominique StraussKahn et Nafissatou Diallo, personne ne sait ce qui s’est exactement passé dans la suite 2806. Avant de commenter, de juger, si on laissait les enquêteurs et la justice faire leur travail ? N’ayant pas cette patience, Luc Ferry a décidé que le timing était bon pour ajouter un peu de salive au moulin du “tous pourris, et pervers en plus”, évoquant des rumeurs sur un ministre partouzardo-pédophile, mais sans donner de nom, en petit maître de son effet télévisuel. On aimerait que la vox populi nous dise si Ferry en a dit trop ou pas assez. Point commun de ces trois actus, la perte de repères, qui conduit à inverser faute et vertu, à confondre vérité et rumeur, in et off, vie privée et vie publique, juridiction professionnelle et tribunal de l’opinion, alors que valsent les stories, que s’entrechoquent le temps instantané du perpétuel présent addictif de l’info et le temps long du judiciaire et du politique. Ce brouillage des lignes, notre addiction à l’info à la seconde sont-ils bons ou mauvais pour notre vie démocratique ? Une vraie question pour les journalistes soucieux de leur métier et les citoyens intéressés par un récit lisible, éthique et fiable du monde.

Serge Kaganski

Malick aura été récompensé pour son moins bon film. The Tree of Life a été pour moi un pensum, un film herméticocatholico-dépressif. Isverigood sur lesinrocks.com

The Tree of Life

France, terre d’écueils Pendant qu’on nous gave et regave d’une certaine “affaire” que je ne nommerai pas parce que, justement, j’en suis gavée, il y a des gens qui se font tabasser à coups de matraque et gazer à coups de lacrymo par des forces de police bien de chez nous pour avoir l’idée saugrenue d’être solidaires avec des harragas de Lampedusa ou d’être des harragas eux-mêmes qui cherchent juste… un toit ! Si je n’habitais pas rue du Faubourg-duTemple, à deux pas de la rue Bichat, où cette opération d’expulsion a tourné hier soir, jeudi 26 mai, à l’émeute, je n’en aurais rien su. Or figurez-vous que cela m’intéresse ! Tout comme les multiples autres

opérations d’expulsion musclées qui se sont récemment déroulées aux yeux de tous, sans qu’aucun média ne semble s’en émouvoir ! Chers Inrocks, je sais que les débats sociaux ne vous laissent pas indifférents, alors plutôt que “Parti socialiste, année zéro”, j’espère pouvoir lire sur votre prochaine couv “France terre d’accueil, zéro pointé” (ou quelque chose dans ce goût-là, après tout, c’est vous les journalistes). Claire P. S. : Ce matin, pour m’assurer que ce que j’ai vu hier soir n’était pas de l’ordre de l’hallucination, j’ai cherché des infos sur internet, voilà (tout) ce que j’ai trouvé : www.cip-idf.org/ article.php3?id_article=5638

Christophe, on te latte La France n’est définitivement plus un pays sûr. Certes loin, très loin des dramatiques attentats qui secouent bon nombre de pays (Maroc, Pakistan), elle est le théâtre de nombreux micro-attentats, nettement plus savoureux mais malheureusement quotidiens, comme ceux à la pudeur (le gynophile DSK et le podophile Georges Tron), à la décence (la très courte jupette de Carla à Deauville), etc. Mais voici le plus violent de tous : celui au bon goût ! Et l’accusé ? Hondelatte, bien sûr ! Chri-Chri se lâche et hop ! avec son Dr House (sur YouTube), il saccage tout ce qu’il reste de dignité à la musique, le bougre ! (même Katerine n’a jamais osé aller aussi loin, c’est dire !). J’tembrasse pas Chri-Chri d’amour, j’voudrais surtout pas être malade. David

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction

le mot

le proc aime The Wire A quand la saison 6 pour la série The Wire ? Comme de nombreux fans depuis l’arrêt de la série star de HBO en 2008, Eric Holder (procureur général des Etats-Unis, quand même !) se pose la question et s’impatiente : “J’ai revu des extraits de The Wire il y a quelques jours, ça m’a rappelé à quel point cette série est géniale. Je voudrais donc adresser un message personnel à messieurs Simon et Burns : je veux une sixième saison.” Avant de mettre la pression : “J’ai beaucoup de pouvoir, vous savez.”

[pavé dans la mare]

Francis le Gaucher

Ainsi Luc Ferry, avec son histoire de partouze à Marrakech, a-t-il jeté un “pavé dans la mare”. Le site expressio.fr, qui recense les expressions toutes faites de la langue française, avoue ignorer l’origine de cette formule, “sur laquelle il semble difficile de trouver des éléments quant à sa date d’apparition”. Expressio décrit ainsi ce jet de projectile : “Imaginez-vous assis par un temps superbe au bord d’une mare dont la surface vous permet de vous admirer. Soudain, un imbécile y jette une énorme pierre. Les conséquences multiples et immédiates de ce geste stupide sont les suivantes : - l’eau de la mare devient boueuse ; - cela vous empêche de vous y admirer plus longuement ; - vous êtes trempé ; - à moins que vous soyez très zen, la colère vous envahit.” Bien vu : l’eau devient sale et tout le monde est éclaboussé. On ajoutera : et les grenouilles sautent comme des folles en coassant.

twit & shout L’ex-conseiller de DSK, et porte-parole du groupe Lagardère, Ramzi Khiroun, vient de déposer la première plainte pour diffamation liée à un message sur Twitter. Il attaque Arnaud Dassier, collaborateur du site Atlantico, qui l’avait estimé “à la limite de l’abus de bien social avec ses jobs à Lagardère ou EuroRSCG (on ne sait plus trop) tout en bossant pour DSK”. En attendant un éventuel procès, Dassier pourra méditer sur la décision prise par un juge malaisien dans une affaire similaire : il a condamné un twitos local qui avait posté qu’une de ses amies était maltraitée par son employeur à répéter cent fois des excuses sur le réseau social. Dieudonné, l’Iran, L’Antisémite Après en avoir fait son lieu de villégiature, le tragi-comique Dieudonné choisit l’Iran comme investisseur. Selon le Tehran Times, la société de production iranienne Haft Aseman (HACC) participera au financement de son prochain film, sobrement intitulé L’Antisémite (destiné à une diffusion DVD). La HACC produira aussi l’adaptation d’un autre film écrit par Dieudonné, Le Code noir, “sur la participation des sionistes à l’esclavage en Europe”. LOL avec Mahmoud.

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on ne change pas une équipe qui gagne (1) Après treize ans d’un règne opaque et sans partage, Sepp Blatter, 75 ans, est triomphalement réélu à la tête de la Fifa, l’instance dirigeante du football mondial. Le Suisse a préparé le terrain : il a réussi à écarter son opposant déclaré, le Qatari Mohamed Ben Hammam, accusé d’avoir tenté de corrompre des votants et habilement mis hors jeu quelques jours avant le scrutin. on ne change pas une équipe qui gagne (2) Suspendu à titre provisoire alors qu’éclatait l’affaire des quotas dans le football, le DTN François Blaquart vient d’être rétabli dans ses fonctions, “avec toute la confiance” du conseil fédéral de la FFF. Pour ses propos tenus lors d’une réunion technique (“On peut baliser, en non-dit, sur une espèce de quota”), le bon François n’aura donc écopé que d’un simple avertissement. girl power Pour la première fois depuis sa fondation il y a cent soixante ans, la rédaction du New York Times est dirigée par une femme. Jill Abramson, 57 ans, a été nommée à la tête des 1 200 journalistes du quotidien le plus lu du pays avec un million d’exemplaires par jour. Jill Abramson devra piloter la transition, vitale, du journal vers le numérique. d’extrême schtroumpf Dans Le Petit Livre bleu, Antoine Bueno, maître de conférences à Sciences-Po Paris, soupçonne la société schtroumpf d’être antisémite, sexiste et raciste. “Quand ils sont malades, les Schtroumpfs deviennent noirs. Ils deviennent bêtes, ils ne peuvent dire que ‘Gnap Gnap !’ et ils mordent leurs congénères, ce que l’on peut identifier comme une métaphore du cannibalisme.” Gargamel correspond à “la caricature du Juif tel que la propagande stalinienne le représente” et que son chat s’appelle Azraël, si proche d’Israël. Les Schtroumpfs sortent le 3 août au cinéma.

Zhangzhu/Abaca

Fabrice Coffrini/AFP

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Sepp Blatter, président réélu de la Fifa

la folie Li Na

Les Chinois ont suivi de près le match de leur compatriote. Samedi, en plein match, les services de sécurité ont même dû virer un journaliste chinois, trop excité, pour que la tribune de presse de Roland-Garros retrouve une allure décente… La victoire de Li Na en finale du tournoi parisien, contre l’Italienne Francesca Schiavone, a passionné la Chine et déclenché chez ses compatriotes un début d’hystérie collective. Au pays, entre 250 et 400 millions de Chinois étaient devant leur écran pour regarder la rencontre. Selon un sondage mené auprès de 100 000 personnes, 44 % de ces téléspectateurs auraient pleuré au terme de la victoire, la toute première d’une joueuse chinoise en Grand Chelem. Malgré ses 14 millions de pratiquants occasionnels, la Chine n’existait pas, jusque-là, sur l’échiquier du tennis mondial. Alors que le premier joueur chinois émarge à une piètre 345e place mondiale, Li Na passe, avec cette victoire, en quatrième position à la WTA.

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Maurice Garrel (1923-2011)

Père de Philippe et grand-père de Louis, cet acteur hiératique disparaît à 88 ans. Dans la dynastie de cinéma Garrel, Maurice était le patriarche, père de Philippe – le cinéaste majeur de l’après-Nouvelle Vague ; puis grand-père de Louis, comédien comme lui. Pourtant, c’est au théâtre qu’il fait ses classes, devient enseignant et joue régulièrement durant cinquante ans sous la direction de Vilar, Vitaly, Régy, Blin, Lassalle… Le cinéma vient tard, à partir des années 60, le temps de rôles secondaires chez Rozier (Adieu Philippine), Truffaut (La Peau douce). Il faudra que son fils Philippe, à moins de 20 ans, réalise ses premiers films (Anémone en 1966, Marie pour mémoire en 1967) pour que s’imprime à l’écran sa présence sévère. Dans Liberté la nuit (1983), il porte toute la culpabilité française face à l’Algérie. Il est sublime en père qui disparaît dans Le Cœur fantôme (1996). Dans Les Amants réguliers (2004) le grand-père et son petit-fils sont enfin filmés ensemble par le père. En 1990, La Discrète de Christian Vincent, où il manipule Fabrice Luchini, lui vaut un vif succès public. On se souvient aussi de sa tonitruante performance dans Rois et reine d’Arnaud Desplechin (2004). Aïeul bergmanien comme revenu des morts, il y invectivait sa fille Emmanuelle Devos d’un acrimonieux “Je te crains, je te hais, ma petite fille. Je ne supporte pas que tu me survives. Je voudrais que tu meures à ma place.” Il est décédé le 4 juin à 88 ans.

Rois et reine d’Arnaud Desplechin

Diabologum en 1996

Renaud Monfourny

le moment

Diabologum again Gros frisson vendredi dernier à Poitiers : Diabologum s’est reformé le temps d’un concert surprise au Confort Moderne. Groupe phare du post-rock français des années 90, Diabologum s’était séparé en 1998 après trois albums. Prochaine apparition officielle : en octobre aux Rockomotives de Vendôme. A redécouvrir absolument. les Anglais expulsés de leur hit-parade Un seul artiste anglais dans le top 10 des ventes nationales : du jamais vu en soixante ans de charts anglais. Déjà chassés par les artistes américains, notamment r&b et hip-hop, les Anglais doivent désormais faire face à une concurrence continentale sans précédent : deux artistes roumains dans le top 20, mais aussi des Néerlandais, Italiens, Suédois et Français (David Guetta). Responsable de cette nouvelle donne : le récent changement de programmation de la toute-puissante BBC 1, qui délaisse totalement rock et pop en visant un public très jeune, gourmand de dance-music light. Seul espoir pour la pop anglaise de reconquérir son territoire ces prochains jours : les nouveaux singles de Coldplay et Kaiser Chiefs. le diable s’habille en Kookaï Une vanne sur Nadine Morano vaut-elle un licenciement pour faute grave ? Début avril, la ministre de l’Apprentissage fait du shopping au Printemps de Nancy. Albane, responsable du stand Kookaï, blague avec un collègue sur le gabarit du garde du corps et sur la ministre. Pas de chance, cette dernière entend et demande des sanctions. La vendeuse s’excuse mille fois mais a fini par se faire virer. Elle a saisi les prud’hommes. la sociologie, c’est nul Fini psycho, sociologie et géologie à la fac ? C’est l’idée pondue par Fernand Siré, député UMP des Pyrénées-Orientales, pour remettre l’Université en ordre de bataille. Partant du principe que ces filières “ne conduisent à rien”, il en demande la suppression car “on perpétue des classes dans le seul intérêt de professeurs dont le souci est uniquement de protéger leur emploi”. Justin pétard Après bracelets, sacs de voyage et poupées, Justin Bieber a sa dope. Des dealers ont baptisé “JB Kush” une herbe qui ferait, selon ses premiers utilisateurs, disparaître le désir sexuel. En revanche, elle donnerait une irrépressible envie “d’écouter de la musique”. L. M., G. S et B. Z. avec la rédaction

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la stratégie du doute Alors que DSK plaide non coupable, ses avocats vont maintenant tenter de décrédibiliser Nafissatou Diallo.

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6 juin 2011. Scandant “shame on you” (honte à vous), des femmes de chambre manifestent devant la Cour suprême de New York

Eric Feferberg/AFP

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hame on you”, “shame on you”. Dans la salle d’audience, tout le monde entend les huées des dizaines de femmes de chambre venues soutenir Nafissatou Diallo, la victime présumée de Dominique Strauss-Kahn. Entouré de ses avocats Benjamin Brafman et William Taylor, le prévenu DSK va parler pour la première fois depuis son arrestation le 14 mai dans un avion Air France en partance pour la France. Sa fille Vanessa et Anne Sinclair sont présentes. Il est 9 h 3 0 (15 h 30 heure française) ce lundi 6 juin, au 13e étage de la Cour suprême de New York, l’ex-directeur du FMI se tient debout devant Michael Obus, le juge qui avait accepté son placement en résidence surveillée le 19 mai. “Que plaidez-vous ?” “Not guilty”. Une scène que la caméra de CNN a loupée, alors qu’à l’extérieur du tribunal, les femmes de chambre le conspuent sous les objectifs. Comme on s’y attendait, l’ancien ministre socialiste n’a pas choisi de plaider coupable, pour ensuite négocier un nombre d’années de prison et une éventuelle indemnisation. DSK rejète les accusations portées contre lui par la femme de chambre du Sofitel de Manhattan. Soit sept chefs d’inculpation pour crimes sexuels, dont notamment agression sexuelle, tentative de viol et séquestration. Le juge Obus lui a ensuite signifié que s’il ne respectait pas toutes les contraintes liées à sa libération conditionnelle, “les conséquences seraient très sévères. Je pense que vous avez bien compris ?” Ce à quoi DSK a répondu un “oui” ferme. L’ancien présidentiable et Anne Sinclair, qui finance sa défense, sont ressortis comme ils sont arrivés : sous les huées des femmes de chambre. Sa femme l’a soutenu par le bras en entrant, lui a pris la main en sortant, signifiant ainsi son soutien à son mari visiblement amaigri et marqué. Ben Brafman a ensuite pris brièvement la parole et redit une nouvelle fois qu’“aucun élément ne prouvait le viol ou la volonté de DSK de faire subir à la victime présumée ce qu’elle prétend avoir subi”. Depuis son arrestation, l’ancien patron du FMI a toujours nié les faits qui lui sont reprochés. Ses avocats ont plusieurs fois exprimé ne pas douter de son innocence et de sa relaxe. De son côté, Kenneth Thompson, l’un des avocats de la jeune femme d’origine guinéenne, a réaffirmé l’intention de sa cliente d’aller jusqu’au bout et de témoigner à la barre : “La plaignante est une femme célibataire, qui se lève, travaille dur tous les matins pour subvenir aux besoins de sa jeune fille, elle veut faire savoir que tout le pouvoir, l’argent ou l’influence de DSK ne changera rien à la vérité sur ce qu’il lui a fait.” La prochaine audience a été fixée au 18 juillet. Entre-temps, la défense va déposer des motions procédurales pour faire annuler des preuves. Elle aura accès 8.06.2011les inrockuptibles 15

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dans une affaire d’agression sexuelle sans témoin, c’est parole contre parole

Anne Sinclair et Dominique Strauss-Kahn à la sortie du tribunal

progressivement à certaines pièces du dossier et des charges de l’accusation. La presse a parlé de traces d’ADN, d’enregistrement vidéo, de sperme sur le chemisier de la plaignante, de témoins à charge... Les avocats de DSK vont d’abord prendre connaissance du volontary disclosure form (VDF) qui récapitule les éléments matériels et scientifiques connus. La déposition de la jeune femme de 32 ans devant le grand jury et le nom des témoins retenus par l’accusation en vu d’un éventuel procès peuvent être tenus secrets jusqu’à son ouverture. Charge à l’accusation de les divulguer au compte-gouttes pour ne pas se faire accuser d’entraver le travail de la défense. Trois semaines après l’arrestation, la garde à vue, la sidération, les menottes devant toutes les télés du monde, l’homme mal rasé face au juge, les allégations dans la presse, cette nouvelle phase est plus favorable à DSK. C’est celle de la contreenquête de la défense. Le procès, s’il a lieu, se tiendra au plus tôt à la fin de l’année. Soit en pleine campagne présidentielle française. L’ancien ministre socialiste de 62 ans encourt théoriquement jusqu’à 74 ans de prison. Dans les prochaines semaines, l’armada d’enquêteurs et de détectives engagés par la défense va fouiller le passé de Nafissatou Diallo. “Faire les poubelles”, comme ils disent. A-t-elle déjà accusé quelqu’un d’agression sexuelle ? Est-ce une bonne mère ? A-t-elle obtenu ses papiers et son statut de réfugiée politique dans les règles ? Sa vie sera passée au crible. Brafman et Taylor vont rechercher les failles et les contradictions de sa déclaration faite sous serment. Leur objectif ? Instiller “un doute

raisonnable” chez le jury populaire en cas de procès et déstabiliser l’accusation. Une incohérence, un petit mensonge et elle vacille. Dans une affaire d’agression sexuelle sans témoin, c’est parole contre parole. Pour la défense, il faut à tout prix décrédibiliser la femme de chambre, quitte à ne pas faire dans la dentelle. Les avocats vont chercher à démontrer que la plaignante était consentante et que ses accusations ne sont motivées que par l’argent. Brafman et Taylor prétendent être en possession d’informations susceptibles “d’entamer gravement la crédibilité de la femme de chambre”. Ils dénoncent les fuites dans les médias et les conditions de l’arrestation de leur client. Pour faire face aux ténors engagés par DSK, le procureur du district de Manhattan Cyrus Vance Jr., qui joue sa carrière sur cette affaire, a renforcé son équipe. Il a fait appel aux procureures adjointes Joan Illuzzi-Orbon et Ann Prunty, surnommées les “top gun”. La première vient d’être nommée à la tête de l’unité spéciale anti-crime racial. La seconde a fait condamner à 422 ans de prison, en 2008, le violeur et tortionnaire d’une étudiante de l’université Columbia. Elle est connue pour son franc parler et sa force de conviction. Une bataille judiciaire sans concessions s’engage. Si procès il y a, DSK devra se confronter à un jury populaire et répondre des sept chefs d’inculpation – en tablant sur une peine limitée, voire un acquittement. Mais rien ne dit qu’il se tiendra. La défense peut changer de stratégie à tout moment et proposer un arrangement à l’amiable. Sans être certain que le procureur accepte. Anne Laffeter

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Le basilic

Luc Ferry

retour de hype

“Commander une salade de concombre chez Quick > jouer à la roulette russe”

“Hey Barack !”

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz La plage

Digitalism

Donald Trump

“Ce qui est bien quand t’es chômeur, c’est que tu peux faire toutes les blagues que tu veux sur Nadine Morano”

“J’ai vendu mon cerveau pour m’acheter un iPod nano”

La retraite de Shaquille O’Neal

“Tu veux du pain ?” La Biennale de Venise

La France Keith Allison

Les “panic buttons” pour les femmes de chambre de NY

Vanessa Demouy

“J’ai vendu mon cerveau pour m’acheter un iPod nano” Un jeune Chinois a vendu un de ses reins pour s’acheter un iPad. La retraite de Shaquille O’Neal Fin d’une époque : à 39 ans, Shaq a annoncé qu’il prenait sa retraite après dix-neuf saisons en NBA. “Hey Barack !” Comme Sarkozy au G8 s’exclamant “Hey Barack !” en voyant passer

son homologue américain, donnez l’illusion d’avoir des amis haut placés en criant “Hey Barack !” à tout bout de champ. La France Alors qu’en 2010 les Américains ont dépassé les Français niveau consommation de vin, la France passe de la 24e à la 31e place dans un classement des démocraties de The Economist. La honte. D. L.

billet dur

Christophe Charzat

 C

her Eric Naulleau, Allez, vieux, t’as pas tout perdu, tu vas pouvoir enfin te coucher de bonne heure. Ça te fera au moins un point commun avec Marcel Proust. En revanche, tes qualités d’écrivain, hormis à travers les compliments que tu ne manques jamais une occasion de t’administrer, te mettent à distance de l’asthmatique nabot d’Auteuil. Tout autant d’ailleurs qu’à lointaine portée de ton ennemi choisi, Michel Houellebecq, sur le dos duquel tu construisis il y a des années ta petite réputation de pamphlétaire – j’ai un scoop, il s’en fout ! Distance, disais-je, à étalonner en gros sur celle qui sépare Gustav Mahler de Dany Brillant. J’en tiens pour preuve le livre que tu consacras l’an dernier au rocker britannique Graham Parker. Un bon chanteur, un peu oublié, dont la vivacité

musicale et le parcours de loser magnifique auraient pu constituer en d’autres mains un sujet. Je l’ai lu, tu avais eu l’imprudence de me l’adresser, et de peur sans doute que je vienne à manquer, tu me l’envoyas même une seconde fois. Ce livre – c’est un grand mot, disons un ensemble de pages collées sur un morceau de carton, avec des lettres imprimées dessus, comme tu l’auras si souvent sulfaté à tes victimes du samedi soir – est qualifié au dos de “road trip”. Ça claque bien, ça fait rock, américain, gonzo, tout ça. Malheureusement, c’est plus volontiers du easy reading que du Easy Rider, ta petite affaire, et de Proust, encore, tu nous ressors les madeleines un peu rassises des concerts de ta jeunesse, assorties de considérations personnelles émiettées n’importe comment pour faire croire à une “forme”. Je crois que je préfère encore les mémoires de Benjamin Castaldi. Je t’embrasse pas, je suis pas couché. Christophe Conte

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Sean Hart

Outlines Entre soul et pop West Coast, la musique ambitieuse et érudite d’un duo parisien.



n en a connu, des érudits paralysés par le passage à l’acte. Des cadors de la musique, DJ universels, se transformant, à la case studio, en un petit filet de musique étranglé par la connaissance, inhibé par le poids d’aînés trop vénérés. Une encyclopédie

qui contient toute la soul, le hip-hop, la sunshine pop ou la West Coast la plus mœlleuse (on entend même des bouts insolites de Christopher Cross) peut être un poids écrasant quand on à l’audace de se mesurer à elle. Mais les Parisiens d’Outlines, aux riches parcours et savoir,

ont appris à sauter les pages, à mélanger leurs bagages en un hasardeux échafaudage qui brasse tout en un groove suave et languide, idéal pour la voix marquante de leur chanteur, Irfane. Ce n’est donc pas un hasard si ces esthètes et collectionneurs de musiques qui font du

bien aux hanches sont aujourd’hui recrutés par le légendaire label disco Casablanca : leur bonne étoile est une boule à facettes. JD Beauvallet concert Paris 15 juin (soirée InrocksLab à la Flèche d’Or, entrée gratuite), www.myspace.com/ outlinesparis

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ni dieu ni maître : Botul ! Inconditionnels du philosophe fictif, les anars de Merlieux (Aisne) ont organisé une commémoration absurde qui s’inscrit dans la tradition libertaire du village.

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otul, vous savez ? Ce philosophe imaginaire né dans l’esprit de Frédéric Pagès, journaliste au Canard enchaîné, qui a écrit plusieurs livres en son nom, et pris au sérieux par BernardHenri Lévy dans son ouvrage De la guerre en philosophie. Figure de l’absurde et de l’anticonformisme, Jean-Baptiste Botul est devenu la mascotte des libertaires de l’Aisne, rassemblés samedi 28 mai à Merlieux pour le célébrer. Dans ce village de 250 âmes damnées, Dominique Lestrat habite la même maison depuis 1973. D’abord en communauté pendant vingt-cinq ans, quand les communautés existaient encore. “Une pièce, un homme, une voix”, ils disaient, en mettant en commun leurs salaires. Maintenant il vit seul, mais son grand jardin se prête à des fêtes aux allures de kermesses, tables en bois jaunes, buvette, toilettes où l’on est prié de laisser “l’Etat dans les WC où on l’a trouvé”. A Merlieux, on a la satire sociale facile, et on aime bien répéter “l’anarchie c’est pas le bordel, c’est l’ordre moins le pouvoir”. Frédéric Pagès est venu, BHL non. Un petit discours pour raconter l’histoire : une nuit de 1921, Botul échoue dans l’athénée, bâtiment attenant à la maison de Dominique. Il y rencontre Benoît Broutchoux, le mineur anarchiste. A l’occasion de travaux récents pour transformer l’athénée en salle de cinéma, un manuscrit original de Botul a été retrouvé sous une enclume. “Un événement historique, il va falloir réécrire le Lagarde

le président du conseil général et deux maires des environs ont assisté au dévoilement de la plaque

et Michard”, lance quelqu’un. Bien sûr que c’est une connerie, mais on fait semblant d’y croire pour avoir une occasion de ripailler. Quatre-vingts personnes sont venues pour dévoiler la plaque commémorative de la visite botulienne et talquer l’enclume en question (ne cherchez aucune raison logique à cette coutume). Parmi elles, des fans de Botul, plein d’anars, des voisins, le président du conseil général de l’Aisne et deux maires du coin, qui doivent avoir pas mal d’humour parce que c’est pas ici qu’ils récolteront des voix. Les vieux libertaires ont toujours refusé de se présenter aux élections qu’ils vomissent autant que les curés et l’armée, mais participent à la vie de la commune. Conscients de leur “pouvoir de nuisance” : s’ils arrêtent tout, le village arrête de tourner. Dans l’athénée, qui sert de

inventeur du penseur imaginaire, le journaliste Frédéric Pagès était présent. Mais pas BHL

bibliothèque sociale tous les premiers, troisièmes et cinquièmes jeudis du mois (quand y en a), un portrait géant de Proudhon surplombe un drapeau de la Fédération anarchiste posé sur une cheminée démesurée. Benoist Rey, auteur de Mieux vaut boire du rouge que broyer du noir et cuisinier officiel, a préparé un chili con carne à la mode de Merlieux. Il a l’air rigolo comme ça, mais son premier bouquin, Les Egorgeurs, racontait son expérience d’infirmier militaire pendant la guerre d’Algérie. Comme le bonhomme n’y allait pas de main morte, le livre a été saisi dès sa publication en 1961. Il est réédité près de quarante ans plus tard par Jean-Marc Raynaud, des Editions du monde libertaire, qui, lui, a fait 96 heures de garde à vue antiterroriste pour avoir hébergé le gamin de deux etarras en cavale. La plaque en place, les élus partis, il ne reste plus qu’à se raconter, encore, la fois où les anars s’étaient cachés dans les bois pendant un cross des militaires pour franchir la ligne d’arrivée avant eux. Camille Polloni

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Alberto Guglielmi/Image Source/AFP

avant de créer PayPal à 31 ans, Peter Thiel a étudié à Stanford

old school, les études Via sa fondation, le milliardaire américain Peter Thiel distribue des bourses aux étudiants qui abandonnent leurs études pour développer un projet lié aux nouvelles technologies.

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es diplômes, c’est surfait. C’est le message de Peter Thiel, un Américain qui a décidé de distribuer des bourses à des étudiants non pas pour poursuivre leurs études mais pour les planter. Ils sont vingt-quatre jeunes de moins de 20 ans à avoir été sélectionnés par la Thiel Foundation. Ils recevront 100 000 dollars chacun s’ils ne mettent plus les pieds au lycée ou à l’université pendant deux ans. Ils développeront leurs projets, suivis par des mentors établis dans la Silicon Valley.

Peter Thiel, cofondateur de PayPal, a fait partie du premier tour de table d’investisseurs de Facebook. Avec la valorisation actuelle du réseau social, sa participation représente 1,5 milliard d’euros. Le milliardaire dit aujourd’hui que si les fondateurs de Facebook étaient restés étudiants à Harvard le temps d’obtenir leur diplôme, leur fenêtre de tir pour développer le site se serait refermée. Selon lui, beaucoup d’innovations – un sujet qui le passionne – proviennent de gens qui ne pouvaient pas attendre.

“Nous ne sommes pas en train dire que les études supérieures nuisent à tout le monde. Mais l’entreprenariat, l’innovation dans des domaines tels que l’informatique ou internet demandent une combinaison de compétences et de dynamisme qui n’est pas enseignée efficacement dans les universités et les grandes écoles. Le monde réel est probablement un meilleur enseignant”, expliquait récemment le président de sa fondation, James O’Neill, invitant les jeunes à “réfléchir soigneusement aux coûts et à ce qu’apportent les études supérieures” avant de s’y engager. Aux Etats-Unis, où les frais de scolarité ont flambé ces dernières années (des études supérieures coûtent facilement 50 000 dollars par an), le raisonnement de Thiel est d’abord économique. Il estime que dans 70 à 80 % des universités américaines, les diplômes ne rapportent pas ce qu’ils ont coûté. Des prix irrationnellement élevés, des projets financés par des dettes sans espoir de retour sur investissement, les études supérieures présentent selon lui les caractéristiques d’une nouvelle bulle. Un domaine dans lequel il est crédible : les anciens de PayPal se souviennent que Peter Thiel avait anticipé celle d’internet en 2000, quand personne ne voulait encore y croire ; son fonds d’investissement a aussi anticipé le krach immobilier de 2007. Mise à part la faible rentabilité, s’endetter au-delà du raisonnable pour un diplôme, argumente-t-il encore, c’est s’empêcher de prendre des risques dans sa carrière professionnelle (tout comme les remboursements des traites d’une maison achetée trop chère). Steve Jobs, Bill Gates et Mark Zuckerberg sont connus pour avoir largué leurs études en route. Ce n’est pas le cas deThiel, passé par la très réputée université de Stanford avant de monter PayPal à 31 ans. Il ne regrette pas ses études mais déplore que personne ne remette en question l’idée qu’elles soient une espèce d’assurance frileuse sur l’avenir, un peu comme un placement immobilier. Plutôt qu’au recrutement de ces vingtquatre jeunes, Thiel, libertarien convaincu, semble d’abord s’intéresser aux discussions que l’initiative va susciter. Dans leur dossier de candidature (les prochains seront disponibles en octobre), les candidats à quitter l’école devaient répondre à deux items, dont “Parlez-nous d’une idée à laquelle vous croyez et à laquelle les autres ne croient pas.” Guillemette Faure

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Hellfest, route 666 Le festival de metal de Loire-Atlantique affiche une santé de fer. Avec sa programmation à se damner, il promet l’enfer aux intégristes et aux conservateurs de tout poil.

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2 les cornes qui font le Malin

Tout le monde connaît le sens approximatif de ce signe de la main, index et petit doigt levés, dans les concerts de rock vénère : “J’approuve ce qui se passe devant moi.” Accompagné d’un hochement de tête exagéré, tout cheveux devant, il signifie “j’approuve vraiment, oui, vraiment”. Une culture de l’acquiescement qui n’empêche pas le Hellfest, événement annuel majeur du metal en France et en Europe depuis 2006, d’avoir trouvé, dans des organisations et personnalités catholiques conservatrices, des détracteurs plus virulents qu’un riff hardcore. Le hic : ces cornes adoptées par la culture heavy, et qui existaient bien avant elle, font référence au diable. Ces yeux sans pupille, cette lumière sans soleil, ce Jésus dark avec son livre de magie… Pas de doute : on est bien dans le domaine du Malin, celui de la “culture de mort” que stigmatisait Christine Boutin en 2010 dans une lettre ouverte au pdg de Kronenbourg, partenaire du festival. L’arme préférée des détracteurs : la traduction française “fête de l’enfer”. Objectif : faire croire à une célébration satanique.

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les porteurs de lumière

Les trois clones barbus vêtus de serviettes éponge anthracite font plus penser à Star Wars et au Seigneur des anneaux qu’à des messagers de Belzébuth venus inciter les jeunes à l’ultraviolence. En choisissant cette imagerie heroic fantasy, sous-culture mainstream si l’on peut dire, le festival de Clisson, en Loire-Atlantique, montre le visage d’une grande fête populaire, aux têtes d’affiche que tout le monde connaît : cette année, Iggy And The Stooges, Scorpions, Ozzy Osbourne. Christine Boutin, Philippe de Villiers, l’évêque de Nantes et différentes associations lui ont même fait une pub incroyable, portant le sujet jusqu’à l’Assemblée nationale. Dans l’hémicycle, Patrick Roy (RIP) entra dans la légende en se faisant l’avocat du diable. Résultat : un feu d’artifice sera tiré en son honneur après le concert de Scorpions. Plus important, le festival est sold out un mois avant son ouverture, atteignant son record avec plus de 80 000 visiteurs attendus. Pas si loin d’un Rock en Seine avec ses scores à 100 000. Un événement devenu si hype que Les Inrocks pourraient bien finir par chroniquer des groupes à l’affiche, comme Total Fucking Destruction ou Severe Torture.

l’enfer, c’est les autres Appels au boycott de la bière, prises à partie par de nombreux élus locaux et nationaux, assignations en référé, rien n’a, jusqu’à maintenant, fait vaciller nos solides gaillards du rock. Subventions et sponsorings maintenus, line-up toujours aussi extrême. Deux groupes ont été déprogrammés cette année, pas pour cause de satanisme mais pour positionnement louche vis-à-vis du nazisme et de la Shoah. Alors que la sphère“culture haute” de l’art contemporain est de plus en plus fragilisée par les revendications fondamentalistes, cédant

parfois du terrain, à l’instar de Christophe Girard interdisant aux mineurs une exposition Larry Clark, les organisateurs du Hellfest ne lâchent rien. La seule chose qui les préoccupe est la construction d’un lycée agricole sur leur site. Civitas, l’association qui s’est fait connaître en détruisant le Piss Christ à Avignon, fait bien sûr partie des militants anti-Hellfest. Prévoit-elle une action choc à Clisson cette année ? Balancer des canettes sur Ozzy ? La dame de l’accueil d’un musée privé d’Avignon fait sans doute moins peur que 80 000 pogoteurs. Crame

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brèves Spotify bientôt sur Facebook Facebook mettrait pour la première fois le pied dans les services de musique en ligne. Selon une rumeur ébruitée par le magazine américain Forbes, il sera possible d’ici quelques semaines d’écouter ses MP3 en streaming sur Spotify via le réseau social. Le service du groupe suédois permettrait ainsi de partager avec ses amis ses morceaux de musique sur Facebook. Mais l’application ne serait disponible que dans les pays où Spotify est déjà présent (dont la France), ce qui exclut les Etats-Unis. Meetic épouse Match.com Un mariage doré pour le site de rencontres américain Match.com qui s’apprête à racheter des parts de son petit frère français Meetic. Le pdg de Meetic a annoncé qu’il cèderait 16 % environ de son capital pour un total de 345 millions d’euros. Quant à lui, il conservera 7 % des parts ainsi que sa place au sein du conseil d’administration. Twit*** et Faceb*** Désormais les présentateurs télé et radio devront préférer “c’est sur un site de microblogging bien connu que nous apprenons” à “nous l’apprenons de Twitter.” Sur décision du zélé CSA, le renvoi des téléspectateurs et auditeurs vers des pages Facebook ou Twitter est désormais considéré comme de la “publicité clandestine”. Le gendarme de l’audiovisuel a pris cette mesure curieuse (en quoi Twitter et Facebook sont-ils plus des marques que YouTube ou Libération ?) alors que les citations de twits en direct ont fait florès à l’occasion de l’affaire DSK.

Mourir auprès de toi de Spike Jonze et Simon Cahn

festivals sans clôture Une plate-forme internet, Festival Scope, permet aux professionnels de découvrir une sélection de films présentés à Cannes ou ailleurs. Une seconde chance pour des réalisateurs en quête de diffuseurs.



aut-il encore aller dans les festivals de films de cinéma ? La question se pose à chaque édition cannoise, face aux projections et sorties en salle quasi simultanées (Minuit à Paris, Le Gamin au vélo ou The Tree of Life cette année). Le grand rendez-vous de la Croisette a cessé d’être un sanctuaire, tandis que les festivaliers twittent leur avis sur les films dès la fin de la projection de presse (voire pendant, pour certains petits malins). Ubiquité des films de festival et de l’information sur ces films qu’une nouvelle plate-forme internet, Festival Scope, renforce. Créé par des pros issus de la vente de films, le site se propose de diffuser en ligne des films montrés en festival. L’offre est pointue et s’attache aux films d’auteur, longs ou courts métrages : parmi près de quarante festivals internationaux, Festival Scope pioche ainsi à Cannes dans les sélections parallèles (Quinzaine des réalisateurs, Semaine de la critique), Berlin, Rotterdam, Locarno ou Clermont-Ferrand. Les différents acteurs de la chaîne (festivals, producteurs, distributeurs…) se prêtent facilement au jeu. L’accès est bien sûr réservé aux professionnels, et sur invitation. “Les festivals bénéficient d’une exposition toute l’année pour leur programmation, seulement visible in situ une semaine au maximum”, explique Alessandro Raja, l’un des fondateurs du site. “Pour les nouveaux réalisateurs, cela peut aussi représenter un tremplin de visibilité important

le site fait aussi découvrir les œuvres précédentes des réalisateurs

et les ayants droit bénéficient d’économies de frais de promotion non négligeables, et d’opportunités de visibilité indépendantes de tout aspect financier.” (Le site est pour l’instant gratuit.) Tout le monde y trouve donc un intérêt, sur un marché où il est de plus en plus difficile de distribuer les films d’auteur. Comme un festival classique, Festival Scope éditorialise son contenu en misant plus sur une sélection que sur l’exhaustivité : les courts métrages de Clermont-Ferrand diffusés sont ainsi uniquement ceux ayant remporté un prix. Le site fait aussi découvrir les œuvres précédentes des réalisateurs. On est encore loin de l’intégrale : mais l’avantage est certain pour exposer, contextualiser courts métrages et documentaires, généralement “parents pauvres” des festivals. Alessandro Raja assure que Festival Scope “ne remplacera jamais l’expérience d’un festival et de la révélation d’un cinéaste dans une salle obscure”. Le site existe avant tout pour prolonger la durée des films et décloisonner la profession – qui n’a pas forcément le temps de se rendre aux lointains festivals de Jeonju (Corée du Sud) ou Guadalajara (Mexique). Mais il pourrait aussi redéfinir la programmation de festival. Le site vient de signer un accord avec le Festival de Melbourne, qui ouvrira, pour sa prochaine édition en juillet, une nouvelle section appelée “TeleScope !”, dédiée à de jeunes cinéastes européens déjà diffusés sur Festival Scope. Une façon symbolique d’abolir les distances entre cinéphiles et de plaider pour la libre circulation des films. Léo Soesanto www.festivalscope.com

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musique du diable Avec Wu Lyf, collectif de Manchester à l’imagerie opaque et aux chansons aveuglantes, une révolution économique autant qu’artistique est en marche. Ces adolescents souvent masqués, amoureux du risque, ont décidé que le vieux monde était derrière eux. par JD Beauvallet photo David Balicki

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anchester. Quand le rock anglais s’égare, hagard, il devient un phare. De là est venue la lumière dans la nuit depuis plus de quarante ans. Joy Division, Buzzcocks, The Fall, New Order, The Smiths, The Stone Roses, Happy Mondays, l’acid-house, Oasis, The Chemical Brothers pour ne citer qu’eux : la liste est longue de ceux qui ont dégondé le rock ou la pop. La liste est longue et elle finit aujourd’hui à la lettre W. Wu Lyf, donc. Prononcer Wu comme dans “Wu-Tang Clan” et Lyf comme “life”. Ce sigle guerrier cache une identité plus mystérieuse : World Unite, Lucifer Youth Foundation. On ne remerciera jamais suffisamment l’insomnie qui nous condamna à une de ces nuits exaltantes de recherche sur le net. Au bout de cette quête nocturne, Manchester, et ce collectif aux chansons opaques, aux rituels déjà étonnants. Des garçons masqués pour un rock qui osait l’inconnu. Trois titres alors seulement : on les adopta comme hymnes d’une révolution contre la stagnation, le chiqué, l’affairisme et la lâcheté de trop de rock anglais. On découvrait un groupe qui refusait l’apathie (for the devil), et ça faisait du bien, du mal. Une des chansons s’appelait Such a Sad Puppy Dog, long maelström de bruits et de furie, commençant en tremblement de terre par un orgue insurgé, en BO de l’Apocalypse, une symphonie de Lucifer, finissant en rap des cavernes, un truc vraiment choquant qui mélangeait les atmosphères viciées de Godspeed You! Black Emperor aux rimes détournées de 2Pac. C’était peut-être une plaisanterie de studio. On la prit au pied de la lettre, comme un morceau important, qui pouvait engendrer une insurrection. Puis il y avait Heavy Pop, une chanson qui portait merveilleusement son nom, beauté fragile, hurlée d’une voix plaintive et menacée par la lourdeur du monde, en un bombardement d’idées noires et de pluies acides. Cette chanson, à elle seule, rendait militant. Pas une semaine sans

qu’on se transforme en ambassadeur, insistant, de ce groupe troublant. Début 2010, Wu Lyf prend chair. Heavy Pop devient à Manchester une soirée mensuelle, qui se tiendra pendant six mois dans le minuscule café An Outlet, installé dans l’un des plus anciens entrepôts laissés par la révolution industrielle. En poussant les meubles et en couvrant les murs de tentures noires, le groupe établira son nom au rythme de concerts possédés. Un triomphe grandissant, auquel

Wu Lyf mit un terme le jour où la hype commença à pointer son vilain nez. Car à l’époque, quiconque se passionne pour le groupe se trouve invité à un jeu de piste récalcitrant, voire hostile. Pas de MySpace, et un site désinformé. Il faut faire avec le peu de renseignements disponibles, comme les différents noms qu’utilisa le groupe. Avant Wu Lyf, donc, il y aurait eu Vagina Wolf, Tu Wang Clan, All In This Together Now Crew, Wu Lf Wu Lf, Wu Def ou We Bros. Il y aurait eu des tentatives hip-hop, des carrières

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“il fallait que je sorte de ce que je suis : un petit Blanc anglais des classes moyennes” Ellery, chanteur

demeurer enfants” et attendant “le porteur de lumière”. Ce thème de l’enfance sacrée revient souvent dans le discours du chanteur. “Je me contente de continuer le genre de jeu de rôle dans lequel on se réfugie quand on est mioche  : tout ce que l’âge adulte interdit ensuite. Je joue le chanteur. Il fallait que je sorte de ce que je suis : un petit Blanc anglais des classes moyennes. Toute la musique, les films, les livres que j’aime m’éloignent de ce que je suis de naissance. Chez Salinger par exemple, je me reconnais totalement dans ce mélange extrême d’euphorie et de mélancolie des personnages. Ils font l’adolescence. Mon rôle de chanteur m’autorise à devenir qui je veux.” La symbolique de ce texte-manifeste peut sembler naïve mais, quand on voit le groupe en concert, on sent immédiatement cette dimension messianique : si Manchester est un phare, Wu Lyf est le gardien de sa lumière, et se battra pour elle. Ce premier single n’a jamais rejoint la collection de disques. Il n’appartient qu’à lui, peut-être même est-il doté de pouvoirs magiques, toxiques. Qui sait s’il ne brille pas la nuit, irradiant la pièce de ses morsures fatales ?

brisées de skate-boarders, des études avortées en brûlant les ponts, pour être certain de ne se consacrer qu’à la musique… Il y a surtout eu une quête absolue d’inconnu, une intransigeance de tous les instants pour refuser l’inertie, le statu quo. Le frêle mais imposant chanteur Ellery Roberts explique : “J’ai toujours eu en tête une vision de mon groupe préféré, celui que j’attendais. Comme il n’existait pas, je l’ai créé. Je joue désormais le rôle de chanteur dans mon groupe préféré. Mais nous, en tant

que garçons, nous n’existons pas, nous ne comptons pas, seul le groupe a de l’importance.” Au printemps 2010, Wu Lyf met en vente, en série très limitée et chère, son premier maxi, uniquement en vinyle. Commandé, l’objet arriva accompagné d’un livret-poster plutôt occulte et d’un bandana, celui-là même que le groupe portait alors sur scène et sur ses rares photos. Le texte-déclaration de foi, écrit d’une plume hallucinée, mystique, évoquait “le courage d’enfants osant

Longtemps, on eut des nouvelles du groupe uniquement par mail ou sur son site, où il épinglait des messages exaltés. Le mythe se construisit au fil de ces brûlots, qui revendiquaient une différence acquise à force de refus. Jeunesse têtue, en guerre contre un système inadapté. Ellery sait de quoi il parle. Il a lutté toute sa vie pour sa différence, isolé par son drôle d’accent raffiné et fausset dans le Nord épais – sa petite ville de banlieue mancunienne s’appelle Ramsbottom, “le cul du bélier”. “Un cul de sac, conservateur, où ma famille et moi avons toujours été en marge… J’ai appris à vivre en reclus, indépendant. Ça m’a construit. Pendant longtemps, la groupe a ainsi vécu en gang, retranché contre le monde.” Cette construction personnelle, à force de lectures et de recherches, lui a fait découvrir qu’ailleurs l’apathie de 8.06.2011 les inrockuptibles 33

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“j’ai tout mis dans ce groupe, je n’ai pas de plan B dans ma vie. Donc hors de question de se vendre à un label”

la jeunesse n’était pas un acquis. Ellery puisera une partie de son imaginaire dans les images de Mai 68, avec lesquelles il bricolera un film de fin d’études. “Depuis toujours, je me sens plus proche de la culture française que de l’anglaise. J’admire cette façon qu’ont les Français de descendre dans la rue. En Angleterre, les jeunes restent chez eux à regarder des soap operas, et les étudiants ne manifestent pas pour changer la société, juste pour réduire les frais d’inscription à l’université… Pendant des mois, la lecture de Guy Debord m’a obsédé. Ça m’a ouvert des mondes insoupçonnés. J’ai pris son pessimisme en pleine gueule : j’ai compris à quel point internet avait dévalué la musique et l’art en général. Mais de ce constat, je me suis enfui : je recherche la joie, l’enfance. Les premiers mots de la chanson Heavy Pop parlent d’enfants qui jouent. C’est un hommage aux jeux de Debord.” On ne le savait pas en achetant le maxi du groupe l’an passé mais on signait en quelque sorte un contrat avec Wu Lyf, qui répertoriait l’adresse mail de ses mille acheteurs. On devenait sans le savoir actionnaire du groupe. Le modèle économique de Wu Lyf : celui du FC Barcelone et son système de socios (supporters abonnés possédant une part de la propriété du club, et donc décisionnaires), qui garantit son indépendance. Le bandana livré avec le vinyle a valeur de contrat. Grâce à lui, où que le groupe joue, et sous réserve de places disponibles, on entrera aux concerts de Wu Lyf pour la simple somme d’une livre, d’un euro ou d’un dollar… L’industrie du disque a tout fait depuis des mois pour attirer le groupe, à n’importe quel prix. Elle ne peut que constater le divorce entre les générations et sa propre impuissance. Il pourrait même y avoir, dans la pop anglaise, un avant et un après-Wu Lyf. Loin des gesticulations de riches de Radiohead qui, pendant plus de quinze ans, a vécu des largesses de majors avant de les mépriser,

Wu Lyf s’est construit seul, a inventé son propre système économique. A 19 ans, cet acharnement à tout contrôler, ne rien déléguer, ne rien abandonner, impressionne. “Je refuse que quiconque me représente. J’ai tout mis dans ce groupe. Je n’ai pas de plan B dans ma vie. Du coup, il était hors de question de se vendre à un label : nous avons créé Lyf Recordings pour tout gérer et financer nous-mêmes, et peut-être un jour des films et des livres.”Jusqu’aux concerts, le groupe a imposé ses règles : il choisit les salles, dédaigne les offres de premières parties prestigieuses, impose ses tarifs. On n’assiste pas à un concert de Wu Lyf. On y participe physiquement tant cette musique frappe aux viscères, tant ces chorégraphies rituelles unissent le groupe et son public. Le groupe est fascinant à observer, jusque dans son étrange disposition scénique, avec une batterie et un orgue qui se toisent

en front de scène. Cet orgue est un ogre. Le ciment du tourment qui, partout ailleurs, tord cette musique. “Au départ, je jouais de la guitare, se souvient Ellery. Un jour, je suis arrivé au local avec un petit clavier qui imitait le son de l’orgue. Et Heavy Pop nous est tombée dessus, avec ce son d’orgue qui s’est imposé de lui-même. L’orgue est d’une puissance absolue, alors que le son semble castré de toute émotion. On ne peut pas en jouer doucement ou violemment, comme on le fait au piano. Cette désincarnation était parfaite pour rééquilibrer mon chant mélodramatique.” En mars dernier, à travers un énième communiqué signé de son ministre de la Propagande, un certain “Cassius Clay”, Wu Lyf commençait à raconter l’enregistrement de son premier album : “Nous avons loué une église bâtie par une congrégation italienne en plein cœur de Manchester et y avons enregistré

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ElleryR oberts, chanteurp ossédé et fan de Debord

dix chansons. Nous avons joué lourdement, chaque nuit, jusqu’à ce que nos voix brisées atteignent la note juste…” L’église en question tiendra un rôle central dans le processus de l’enregistrement. L’album lui doit son écho infini, son intensité, son urgence, puisque le groupe n’avait que trois semaines pour y enregistrer son péplum, son odyssée. Wu Lyf, qui manipule depuis toujours l’imagerie religieuse – son logo représenterait ainsi un Christ crucifié mais parvenant à lever les bras en un V victorieux –, a ainsi joué parmi les statues arrachées, les vitraux éventrés… “Dans mon éducation, Dieu n’existait pas, et pourtant cette imagerie me fascine. Il y a eu des moments de pure épiphanie dans cette église. C’était comme si le plafond avait disparu : ça a tout rendu énorme… On jouait vite, frénétiquement, car il faisait très froid. Tout est né du chaos. Je me souviens du moment où j’ai chanté Heavy Pop

seul dans la nef. En finissant, j’étais hagard, tremblant.” Une nuit, la police fait une descente dans l’église. Des voisins ont entendu des cris inhumains, une agression sauvage sans doute. C’était juste Ellery qui chantait. Une pathologie a frappé le groupe et le ronge jusqu’à l’os : il s’agit d’un trouble génétique très rare qui impose à sa victime une totale ignorance de la peur. Ainsi, n’ayant jamais peur de l’échec, du risque et de l’inconnu, ce premier album atteint une étrange zone de turbulence où la tension la plus vive se frotte à la contemplation la plus radieuse. Cette musique venue de loin, des entrailles, toute en convulsions, en transe, tribale et très belle, n’est pas raisonnable, pas filtrée, ce qui explique qu’elle bouleverse et remue autant. Elle ne peut pas juste passer entre les deux oreilles : elle arrache tout. On imagine mal, à presque 20 ans,

le groupe capable de gérer longtemps son chaos, ses tensions, la pression qui va maintenant arriver. Et ça ne serait même pas grave si ce premier album était aussi le dernier. Go Tell Fire to the Mountain a été enregistré avec cette flamboyance désespérée de ceux qui ne comptent pas, n’économisent pas. Il a été enregistré comme le cri primal, comme le chant du cygne, avec une intensité unique. Il restera. Parlons donc de cette musique grise comme les eaux d’un étang mort, qui connaît souvent le typhon, en vagues de mercure, scintillantes et toxiques. Elle est à la fois pleine d’espoir et peinte aux couleurs du malheur. Cette musique est une brisure, le grondement inquiétant et sauvage, irrationnel, d’une terre qui s’invente. Le bruit du rock qui se réveille, en se débarrassant de toutes les frusques, de tous les gadgets et toutes 8.06.2011 les inrockuptibles 35

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les références qui l’alourdissent, le condamnent à ramper. Le son électrique de quatre garçons qui fascinent et domptent la tempête, qui jouent avec le feu, isolés et autarciques, même dans une fourmilière comme Manchester. Dans le corps de pantin de la pop anglaise de 2011, dans cette multitude de boys-bands qui posent comme des cadors et des rebelles, Wu Lyf est un cancer. Comme le premier album des Stone Roses, lui aussi tourbillon de sons, de sève et d’insolence qui avait éliminé nombre de ses contemporains, Go Tell Fire to the Mountain est un immense début. Les deux albums ont en commun

leur psychédélisme délabré, leur chant douloureux mais sacrément persuasif, une rythmique féline, une guitare en porcelaine, en tessons, en braises… Quatre garçons dans une tempête d’hormones, poings serrés contre le monde mou… Wy Lyf joue plus dense, plus uni, plus tassé que beaucoup d’autres. On sent très bien en les voyant qu’ils ont tout appris ensemble, de leur instrument à la vie. Ils ne sont sans doute pas les musiciens les plus accomplis que vous croiserez cette année, mais sûrement ceux qui sonnent le plus juste, repoussant systématiquement

Wu Lyf aux Eurockéennes Les Mancuniens joueront le 1er juillet L juillet aux a Eurockéennes de Belfort, un concert “supported by Les Inrockuptibles”. C’est en effet à l’initiative du magazine et de Kem Lalot, programmateur du festival, que le groupe rejoindra Ting Tings, Beth Ditto, The Shoes et Spank Rock à l’affiche ce jour-là. Kem Lalot justifie ce choix : “Ce qui m’a frappé au premier abord dans Wu Lyf, c’est ce son incroyable, ces morceaux épiques, cette voix éraillée, criée, cette pop tendue, endue, glacée… Egalement ce nom de groupe très mystérieux, les es infos difficiles à trouver sur cette secte masquée, données au compte-goutte par leur ministre de l’Information… Une programmation aux Eurockéennes s’imposait.”

leurs limites, notamment celles d’un chant éraflé. Leurs concerts sont terriblement charnels, on les achève frissonnant, hébété. Eux-mêmes les finissent d’ailleurs souvent perdus, sans le moindre souvenir. “Ça nous emporte dans une sorte de transe… Je déteste les moments d’accalmie entre les chansons, ce retour forcé à la réalité.” Le groupe, qui nous accueille chaleureusement, est pourtant réputé d’accès difficile. On finit par lui demander pourquoi il nous a acceptés dans son antre de Manchester alors qu’il a refusé plusieurs fois les assauts insistants du puissant hebdomadaire anglais NME et ses promesses de couverture. “La presse anglaise est constamment dans la hype, l’hyperbole, le cynisme, la futilité. J’aurais aimé ne jamais parler mais je refuse qu’on spécule sur notre silence. Je pensais naïvement que la musique suffirait… Mais le pire serait qu’on nous imagine mystérieux ou intéressants. Il y a déjà trop de rumeurs, de fantasmes autour de Wu Lyf. Quitte à raconter des idioties sur le groupe, je préfère qu’elles viennent de nous.” album Go Tell Fire to the Mountain (Lyf Recordings/Pias), sortie le 13 juin concerts le 29 juin à Paris (Point Ephémère), le 1er juillet à Belfort (Eurockéennes – lire encadré) www.worldunite.org

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édito

Jean-Pierre Muller/AFP

mon panache blanc

Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry, mai 2006

le sparadrap DSK Le lourd processus judiciaire qui attend l’ex-patron du FMI aux Etats-Unis va empoisonner la vie du Parti socialiste pendant de longs mois.

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Ils ont beau répéter en chœur que l’affaire Strauss-Kahn est une affaire privée qui n’implique pas le PS, à moins d’un an de l’élection présidentielle, les tourments judiciaires de leur ancien favori sont pour les socialistes comme le sparadrap du capitaine Haddock. Depuis le dimanche 15 mai, comme tous les Français, ils vivent bon gré mal gré au rythme des révélations sur les crimes sexuels dont est accusé Dominique Strauss-Kahn. Un malheur n’arrivant jamais seul, il leur faut aussi répondre sur le train de vie luxueux mené par DSK et Anne Sinclair à New York, dans l’attente du procès. Depuis sa sortie de Rikers Island, la prison new-yorkaise où il avait été incarcéré après son arrestation,

DSK s’est entretenu avec plusieurs responsables socialistes, dont Martine Aubry et Laurent Fabius, ses anciens alliés du défunt “pacte de Marrakech”. Rien n’a filtré de ces discussions, les avocats américains de DSK exigeant une discrétion sans faille. On sait juste que l’ancien directeur général du FMI est “triste et combatif” et s’ennuie dans sa résidence surveillée de TriBeCa. Le 3 juin, l’un des principaux lieutenants de DSK, Jean-Christophe Cambadélis, a souligné sur son blog que “Dominique Strauss-Kahn combat maintenant pour prouver son innocence”. “Son temps n’est plus le nôtre”, a ajouté le député de Paris. Au vu du tintamarre médiatique qui va accompagner chaque épisode de la saga DSK, cela sonne comme un vœu pieux. Hélène Fontanaud

La grande mode en ce moment, au centre, c’est d’appeler au rassemblement… derrière soi-même. Borloo a beaucoup d’estime pour Hulot et aurait bien aimé que le télé-écologiste le rejoigne. Mais Hulot, de son côté, ouvrirait bien les bras à Borloo si celui-ci se décidait à rompre plus clairement avec la majorité. Pendant ce tempslà, l’ancien maire de Valenciennes dit l’estime qu’il porte à Villepin avec qui il aimerait travailler… Pas pour le soutenir ! Pour que l’ancien Premier ministre lui apporte ses maigres troupes et le brio de ses envolées lyriques. Mais le héros de l’ONU 2003 est dans un autre état d’esprit. Dans un élan tout gaullien, il ouvre ses grands bras à qui veut bien répondre à son appel. Il se tourne d’abord vers Borloo. Bayrou, lui, estime qu’il est le seul vrai centriste à équidistance entre la droite et la gauche. Donc le seul à pouvoir rassembler. “Tous unis derrière mon panache blanc”, semblent dire Hulot, Villepin, Borloo et Bayrou. Tous ces gens qui s’adorent sont comme des amants, sur une plage, qui courent, les uns vers les autres, se tendant les bras mais ne se rejoignent jamais. La scène est ridicule mais elle est classique. Sarkozy, d’un côté, et le candidat socialiste issu de la primaire, de l’autre, seraient bien inspirés d’avoir quelques égards pour l’électorat modéré qui va rapidement se lasser du pathétique spectacle des leaders centristes. Les cartons successifs de DSK et de Hollande dans les sondages prouvent que l’opinion souhaite du centrisme mais pas forcément des centristes.

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“nous avons besoin d’un printemps français” L’ancien Premier ministre Dominique de Villepin, candidat putatif à l’élection présidentielle, fait le tour de l’actualité et de ses ambitions pour la France. recueilli par Hélène Fontanaud et Marion Mourgue photo Rüdy Waks

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ans quel état d’esprit sortez-vous du deuxième procès Clearstream ? Dominique de Villepin – On a un rendez-vous le 14 septembre. La cour d’appel donnera alors son avis. Il n’y a pas beaucoup plus à dire. Vous êtes serein ? Sereintissime ! Il n’y a pas d’éléments nouveaux dans le dossier et j’ai dit et redit, et je pense que les débats l’ont montré une nouvelle fois, qu’il s’agissait d’une affaire industrielle et non politique. J’ai regretté qu’elle ait été politisée, en première instance, compte tenu des déclarations du président de la République. Tout cela ne va-t-il pas de nouveau compliquer vos relations avec Nicolas Sarkozy, dont on pensait ces derniers mois qu’elles s’étaient apaisées ? J’ai revu Nicolas Sarkozy sur des enjeux internationaux de première ampleur : la situation dans le monde arabe, en Libye, les décisions à prendre pour la diplomatie française. Je suis un serviteur de l’Etat. Sur la base de l’intérêt national, les relations seront toujours naturelles et nécessaires. Sur la base du jeu politicien, je ne serai jamais un partenaire facile. C’est mon tempérament, je ne suis pas accommodant, je ne suis pas négociable, je ne transige pas, je ne “deale” pas. Existe-t-il des possibilités d’alliance à droite et au centre pour constituer une alternative à Nicolas Sarkozy, sur le modèle de ce que propose Jean-Louis Borloo ? En tant que gaulliste, il n’est pas question pour moi d’alliances ou de combinaisons partisanes, d’autant moins qu’il n’y a aujourd’hui que des candidats virtuels sur la scène présidentielle. Et les Français ne sont toujours pas dans le temps de l’élection. En revanche, je suis tout à fait favorable à une démarche de rassemblement sur la base des idées, des énergies, permettant de renouveler

“je n’ai pas participé aux cinq années de la présidence de Nicolas Sarkozy, je n’ai été complice de rien”

en profondeur la politique de notre pays car il s’agira bien en 2012 d’offrir une alternative aux Français. En 2012, vous comptez être candidat ? Je suis déterminé plus que jamais à peser et à compter lors de cette échéance. Sous quelle forme, à quel moment ? Nous avons le temps de le voir. Nous savons d’ores et déjà que le calendrier de l’élection présidentielle sera tardif, d’autant plus tardif que nous sommes confrontés à un climat de décomposition de la vie politique. Décomposition ? Nous sommes même dans un processus hémorragique. Tout ce que touche la politique devient scandale. L’affaire du Mediator, le débat sur l’identité nationale, et même des choses qui peuvent paraître marginales, comme la Coupe du monde de football, avec ces quelques gaillards qui dans un bus refusent de participer aux entraînements, l’affaire DSK, l’affaire Tron, tout devient polémique. Et puis tout est fait divers, émotion. Que pensez-vous de l’affaire Strauss-Kahn ? C’est une affaire qui constitue un véritable choc, un traumatisme pour les Français. Mais c’est aussi un révélateur. Pendant des mois et des mois, sondages à l’appui, on nous a expliqué que le meilleur candidat pour 2012, c’était Dominique Strauss-Kahn. Et en une minute et demie, au milieu de la nuit, il a disparu ! Voilà les Français orphelins d’un espoir qu’ils pouvaient légitimement imaginer. Mais qui vient nous parler, qui vient nous expliquer ? Personne. On n’a pas entendu Nicolas Sarkozy. Il a dit vouloir éviter la récupération politique… On a besoin de la parole du Président, du Premier ministre. A eux de veiller à ce que cette parole ne soit pas récupérable. Elle doit être une parole œcuménique, acceptable par tous. Quand Mitterrand est mort, Chirac s’est posé la question de savoir ce qu’il devait dire. C’était très facile de ne rien dire ou de faire un communiqué. Il a fait un discours. Il aurait pu le faire au nom du “peuple de droite”. En disant par exemple : “François Mitterrand, que j’ai combattu, est un homme qui a porté un certain nombre d’idées mais dont la part d’obscurité continue de nous hanter.” Jacques Chirac a décidé de faire un discours

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“si vous acceptez de donner 850 euros à chaque Français en échange d’une activité, c’est le commencement d’une vie commune”

de président de la République ! Aujourd’hui, nous devrions avoir un Président qui redevienne le président de tous les Français. Et non pas quelqu’un qui se frotte les mains et jubile au coin du feu… Avez-vous été choqué par l’affaire DSK ? Ce qui m’a choqué, c’est que derrière l’état de sidération des Français, il y a une faute politique. Cette idée que vous puissiez suspendre la vie politique à un candidat virtuel, c’est une faute. Pourquoi la vie politique doit-elle être entachée par une affaire de droit commun ? Parce que, quand la vie politique est gouvernée par les sondages, dans une bulle, n’importe quoi l’affecte. Une vie politique réelle avec de vrais combats, des idéaux, n’est pas aussi fragile que cette politique virtuelle. Comment fait-on alors pour croire à la politique ? Nous avons besoin d’un printemps français, de retrouver le sens du collectif. La France n’a pas vocation à être à la traîne des autres pays, n’a pas vocation à être un pays d’indifférence collective. La France a vocation à être acteur de l’histoire. Concrètement, cela passe par quoi ? Je l’ai dit et je le redirai, même si cela n’intéresse personne. Parce que les combats qui n’intéressent personne méritent d’être livrés. Vous commencez à cinq ou dix, et vous avez peut-être une chance, cinq ans, dix ans, vingt ans plus tard, d’avoir le peuple avec vous. Cela commence par le réveil des citoyens. Il faut mettre la citoyenneté au cœur de tout. Cela passe par un service citoyen obligatoire, et surtout par un revenu citoyen, qui

est le début du pacte entre les Français. Si vous acceptez de donner 850 euros à chaque Français en échange d’une activité, c’est le commencement d’une vie commune. Ce que vous appelez la révolution de la dignité peut se produire à l’occasion de la campagne présidentielle ? Il y a deux questions que les Français vont se poser en 2012 et qui vont fabriquer l’offre politique à l’élection. La première, c’est stop ou encore pour le pouvoir en place. Est-ce qu’on réélit Nicolas Sarkozy ? Cette question n’est pas à son avantage. Deuxième question, voter pour qui ? Pour quoi faire ? Strauss-Kahn est out. Viennent ensuite des candidats qui n’avaient pas vocation à être au premier rang au Parti socialiste et qui vont se battre entre eux. Cela peut rapetisser à la cuisson, on sait tous qu’une grosse marmite, pendant plusieurs mois, ça réduit beaucoup, surtout à feu fort ! Et puis les Français ont besoin de liberté, d’indépendance et d’expérience. Moi je n’ai pas participé aux cinq années de la présidence de Nicolas Sarkozy, je n’ai été complice de rien. Il n’y a vraiment aucun point d’accord avec la gauche ? Même sur la fiscalité ou l’éducation ? Ce n’est pas sur des points qu’il faut se retrouver. Même pour bâtir une alternative à Nicolas Sarkozy ? La campagne de 2012, ce ne sera pas contre X ou Y. Aujourd’hui l’UMP et le PS sont dans des logiques d’ajustement. Ils pensent que par des aménagements, on change le destin français. Moi, je ne le crois pas. Je veux tout ce qu’on veut mais je le veux grand ! Car la France est un grand pays. Tout le monde – Nicolas Sarkozy, la gauche – dit que la France est un grand pays ! Oui, mais où sont les solutions ? Jacques Chirac, en 1995, a fait campagne sur la fracture sociale. Il a fait une analyse mais il n’a pas apporté la réponse. Aujourd’hui, j’apporte cette réponse. La réponse à la fracture sociale, c’est de créer une nation et, pour créer une nation, il faut une solidarité, et c’est le revenu citoyen ! Que pensez-vous de la politique culturelle ? La culture dans ce pays n’intéresse personne et c’est bien dommage. J’ai l’ambition de faire de la France une véritable exception culturelle. Je voudrais que la création culturelle dans notre pays soit totalement exemptée de l’impôt jusqu’à un certain montant de revenus. Je veux que les grands créateurs viennent en France. La France ne peut être la France que si elle rayonne et si les Français sont fiers. Avez-vous vu La Conquête ? Non. Ce qui m’a gêné dans les extraits que j’ai vus, c’est ce concours de sosies. Et la méconnaissance de la psychologie de la vie politique française. J’ai le sentiment d’un film de connivence qui, tout en ayant l’air de s’en moquer, sert la soupe au pouvoir, et cela m’est insupportable. Un film politique, ça doit prendre des risques. L’art, c’est le détour. On prend quelqu’un par la main et on lui raconte une histoire. Là, il n’y a pas de détour, c’est le Musée Grévin !

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petite baisse de régime Ça commence à patiner du côté de François Hollande. Challenger de DSK, il était devenu le favori des sondages. Depuis quelques semaines, il peine à réorienter sa campagne.

Lejeune/Le Parisien/Maxppp



usqu’à la mi-mai, le député de la Corrèze s’était construit en opposition à DSK, comme “l’homme du terroir” par rapport à “l’homme de Washington”. Mais depuis l’inculpation de DSK, François Hollande a enchaîné les loupés dans sa communication. Premier faux pas, en plein bureau national du PS, mi-mai : alors que la plupart des socialistes sont encore sous le choc des images d’un DSK menotté, François Hollande rappelle son intention de respecter le calendrier de la primaire et de continuer à tracer sa route. Des propos jugés déplacés par un certain nombre de “camarades” qui souhaitent faire une pause, le temps de digérer l’affaire. Deuxième boulette, ce 1er juin, l’entretien avec les lecteurs du Parisien, photo de une en scooter, casque sur la tête, et cette réplique depuis moquée : “Mon rôle c’est de convaincre Madame Dugenou.” “Nicolas Sarkozy s’est moqué en disant qu’il rencontrait Obama, et que François Hollande (rencontrait), Mme Dugenou”, confie François Hollande à six lecteurs du Parisien. “Eh bien, oui, mon rôle en ce moment, c’est de convaincre Mme Dugenou.” Mais pourquoi donc avait-il tant besoin d’en faire des tonnes sur le côté “normal, je suis normal” ?, ont entonné ses soutiens, atterrés. Autant dire que l’interview a été jugée “peu charismatique” et “calamiteuse”, même par ses proches, au point de rappeler l’inclination fâcheuse de Laurent Fabius pour les carottes râpées. Troisième bémol, les derniers sondages qui enregistrent une remontée de Martine Aubry plutôt qu’une consécration de François Hollande. Selon une enquête TNS Sofres pour Canal+, Martine Aubry apparaît plus “volontaire”, plus “honnête”, davantage “capable de rassembler” et de “prendre des décisions” que François Hollande. Le résultat est le même auprès des sympathisants socialistes. Seul le critère de la sympathie permet à François Hollande de passer devant sa “camarade”.

depuis l’inculpation de DSK, François Hollande a enchaîné les loupés dans sa communication Enfin, face à une Martine Aubry qui prend du temps pour dévoiler son jeu et qui multiplie les déplacements comme ce lundi à Metz avec Bertrand Delanoë, officiellement pour promouvoir le projet du Parti socialiste, François Hollande a du mal à vendre ses thèmes de campagne, outre l’idée du président normal, dévoilée lors de son voyage en Algérie début décembre 2010. Des militants interrogés ont d’ailleurs du mal à détailler ses mesures, comme ce

27 avril à Clichy-la-Garenne quand François Hollande leur propose un éventail peut-être un peu trop large : du tarif de base de l’énergie au nouvel acte de décentralisation, en passant par la création de 500 000 places de crèche ou de réseaux d’assistantes maternelles sur cinq ans, sans oublier la réforme fiscale, la stratégie de production ou le livret de croissance pour réaffecter l’épargne vers les territoires. De quoi compliquer la tâche aujourd’hui pour créer l’événement. Chez les proches du député de la Corrèze, on relativise : “Le roseau plie mais ne rompt pas.” Ce mercredi, il sera à Bordeaux pour présenter ses mesures en matière de politique industrielle et de décentralisation. Le favori poursuit sa route. Marion Mourgue 8.06.2011 les inrockuptibles 43

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contre-attaque

le combat des exilés Spencer Platt/Getty Images

Ils ont fui la Libye ou la Tunisie. Certains continuent la lutte depuis la France. Tous craignent que l’asile ne leur soit plus accordé. Camp de réfugiés libyens à Ras Jdir, à la frontière tuniso-libyenne. Beaucoup tenteront de rallier l’Europe.



e sourire confondant est contredit par la détermination du regard. Salha Shtui est en guerre et elle a développé la même opiniâtreté jusqu’au-boutiste que les rebelles de Benghazi, ville dont elle est originaire. A 29 ans, dont sept déjà passés en France, cette militante a fondé le Collectif libyen du 17 février, au lendemain du soulèvement armé de la capitale de la Cyrénaïque, à l’est du pays. Avec ses petits moyens, elle veut participer à la chute du tyran de Tripoli. “On nous raconte que les frappes occidentales ont démoli les villes. Lui, ça fait quarante-deux ans qu’il nous démolit.” La première action de Salha la rebelle : manifester plusieurs jours d’affilée en février à Paris, devant la mission diplomatique libyenne, rue Chasseloup-Laubat, dans le XVe, pour réclamer le départ de l’ambassadeur. Puis occuper la mission nuitamment. “J’avais alerté la presse. Pas mal de journalistes sont venus. On avait déployé une banderole qui disait ‘Dégage !’ Puis on est montés à plusieurs sur le toit et on a menacé d’un suicide collectif si on nous expulsait.” Au matin, l’ambassadeur et son homologue auprès de l’Unesco démissionnaient. Salha a été menacée. “Kadhafi a des agents ici, assure-t-elle. Souvent de faux étudiants. J’ai reçu des appels d’intimidation. J’ai été suivie. J’ai dû déposer une main courante à la police.” Ce matin-là, la queue est longue devant le centre d’accueil de France terre d’asile (FTDA), rue Doudeauville, dans le XVIIIe arrondissement parisien. Africains de tous bords, quelques Asiatiques et une majorité de Maghrébins, dont des Tunisiens. Tous sont demandeurs d’asile et, d’abord, d’un hébergement.

Dans la salle d’attente bondée, la tension est palpable. On avise Saleh, un jeune Libyen de 26 ans au visage émacié. L’interprète lui propose de parler au journaliste. Saleh refuse avec un maigre sourire. Ses yeux disent la peur. A défaut, on rencontre un “vétéran” de l’exil, Ahmed. Cet ingénieur diplômé, originaire de Tripoli, a eu le malheur de se trouver embarqué dans une rafle par la police secrète. Puis d’être battu comme plâtre. Une fois libéré, il a pris un billet pour la France où il vit depuis dix ans, sans papiers, survivant de petits boulots dans le bâtiment. Il hésite à demander l’asile, craignant de ne plus pouvoir retourner voir ses parents en Libye. Pour le moment, les demandeurs d’asile libyens restent peu nombreux. Mais les réfugiés affluent dans les camps du sud

renvoyer les Libyens chez eux serait juste monstrueux : les condamner à une mort certaine

tunisien. Fuyant les pénuries, les pilonnages de l’artillerie du “Guide” ou, pour certains, un enrôlement forcé dans l’armée de celui-ci, 50 000 auraient passé la frontière depuis début avril ! Cela fait autant de candidats à l’émigration clandestine via Lampedusa ou les plages siciliennes. Au même moment, Sarkozy et Berlusconi se mettent d’accord sur une levée exceptionnelle des accords de Schengen sur la libre circulation des personnes dans l’espace européen, le temps de renvoyer tout ce petit monde chez lui. Le 1er juin, FTDA s’inquiétait dans un communiqué d’une récente circulaire de l’Intérieur réduisant brutalement à peau de chagrin l’assistance juridique et sociale et l’accès à un hébergement d’urgence pour les réfugiés. On a peur pour tous ces exilés qui rêvaient d’un autre monde. Renvoyer les Tunisiens chez eux, comme le suggèrent certains politiques, serait assez infect. Dans le cas des Libyens, ce serait juste monstrueux : les condamner à une mort certaine. “La France ne fera jamais ça”, ose le timide Ahmed. Et Salha de conclure : “De toute façon, Kadhafi a déjà perdu la guerre.” [email protected]

en pratique France terre d’asile : pour les demandeurs d’asile, 4, rue Doudeauville, Paris VIIIe, tél. 01 53 26 23 80 ; pour les dons, www.france-terre-asile.org. Le Collectif libyen du 17 février (assodu17fé[email protected], et sur Facebook, 17 février Paris-France), recueille entre autres des médicaments pour les camps tunisiens. Très engagée également : l’ATMF (Association des travailleurs maghrébins de France), 10, rue Affre, Paris XVIIIe, tél. 01 42 55 91 82, www.atmf.org. A lire, une enquête sur le trafic des êtres humains Bilal, sur la route des clandestins de Fabrizio Gatti (Editions Liana Levi, 2008).

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livre

l’été sera chaud

L  

es primaires risquent bien d’occuper les esprits… même cet été. Entre la compétition des socialistes, celle des écologistes et celle du Front de gauche, on voit mal comment les politiques pourront avoir le droit désormais à la sacro-sainte trêve estivale. Il faut dire que celle-ci “se réduit comme peau de chagrin”. C’est la thèse de Jérôme Chapuis et Yaël Goosz dans leur livre documenté, Les Eté meurtriers – Les politiques ne prennent jamais de vacances. “Les vacances sont une caisse de résonance”, écrivent les deux auteurs. “Peu à peu, les politiques les ont intégrées dans leurs stratégies de communication. Le risque de voir leur message parasité par l’actualité est moins fort que le reste de l’année. (…) Les gouvernants partent de plus en plus tard. L’opposition rentre de plus en plus tôt.” Qui ne se souvient pas du discours tonitruant de Nicolas Sarkozy sur la sécurité, prononcé un 30 juillet à Grenoble ? Un 30 juillet… une date choisie par beaucoup de Français pour profiter de leurs vacances. Mais les politiques ont retenu la leçon : depuis la canicule de 2003, plus question de prendre des vacances, l’été aussi, il faut montrer qu’on s’agite. C’est d’ailleurs la date du 3 août 2010 que Nicolas Sarkozy a choisie pour convoquer un ultime conseil des ministres ! “Nicolas Sarkozy en profite pour délivrer à ses ministres l’un de ses messages favoris, racontent les deux auteurs. Les Français n’auraient pas compris que nous partions en vacances avant. On est ministre 24 heures sur 24.” Du côté des socialistes, l’été n’est jamais plus reposant. L’université de La Rochelle est souvent l’occasion pour les “camarades socialistes” de s’écharper en public. En 2010, François Hollande affiche sa mine amaigrie et son ambition présidentielle aux côtés de sa compagne Valérie Trierweiler. En 2009, Martine Aubry a réuni ses amis politiques pour préparer son “plan” : la tenue d’un référendum annoncé en grande pompe à La Rochelle sur la primaire. L’occasion de reprendre la main après le fiasco des européennes. En 2008, Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn se retrouvent à Marrakech, c’est le fameux “pacte de Marrakech” où ils scellent leur entente avant le congrès de Reims qui conduira Martine Aubry au poste de première secrétaire du PS. Qui a dit que l’été voulait dire farniente ? Marion Mourgue

Les Etés meurtriers de Jérôme Chapuis et Yaël Goosz, Plon, 312 pages, 20 €

que le meilleur perde Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite. par Michel-Antoine Burnier

Malgré ses efforts, M. Tron a manqué de savoir-faire : il a démissionné beaucoup trop tôt. Cela posé, sa prestation ne fut pas aussi médiocre qu’on aurait pu le craindre. Reprenons. 1. Un samedi, M. Fillon exulte : après l’arrestation de M. Strauss-Kahn, crie-t-il à ses militants, le PS va devoir “ravaler toutes ses leçons de morale”. Le lendemain dimanche éclate la vilaine affaire de M. Tron. C’est M. Fillon qui ravale. 2. M. Tron est obsédé par les pieds et leur massage. Pareille manie fait toujours rire, surtout quand il s’agit d’un grand monsieur aussi sérieux et bien peigné. 3. M. Tron semble ignorer qu’on peut prendre son pied mais pas ceux des autres. On le soupçonne surtout d’avoir une conception fort extensive du pied et de la jambe qui le porte. 4. Comme tout ministre dont le départ semble inévitable, M. Tron fait proclamer par son avocat que “la question de sa démission ne se pose pas”. 5. Et voici qu’il démissionne le lendemain. L’affaire n’a pas tenu une semaine. Certes, ce fut suffisant pour obtenir les unes de la presse quotidienne et une notoriété à laquelle il n’osait même pas songer six jours plus tôt. Dans ces cas-là, il faut tout faire pour parvenir jusqu’à la couverture de Paris-Match. M. Tron a renoncé : l’affaire retombe. Que n’a-t-il suivi l’exemple de la démission très réussie de Mme Alliot-Marie ! 6. M. Luc Ferry, philosophe, prend aussitôt le relais et met en cause un

ancien ministre pour une partie de débauche non pas podo mais pédophile : avec des mineurs de moins de 15 ans. Mais il ne le nomme pas. D’ordinaire, c’est le dénonciateur qui reste anonyme ; ici, c’est le dénoncé. Enquêtes et rumeurs : le nombre des suspects vraisemblables prête à une grave réflexion sur la classe politique française. A la banque de la défaite, quelques lubriques risquent bien de toucher les dividendes de leur perversité. Très fière d’un projet dont l’ambition pourrait nourrir les déceptions futures, Mme Aubry songe à sa succession à la tête du Parti socialiste. Une fois candidate, elle appréciera que le parti, au lieu de la soutenir, puisse tanguer et se diviser selon ses habitudes. Voilà pourquoi Mme Royal propose deux solutions. La première consisterait à rappeler M. Mermaz, mitterrandien historique oublié de tous et qui paraît, à 80 ans, peu préparé à gouverner un parti moderne. Telle est la loi de la défaite : la promotion ou le maintien de vieillards à des postes d’autorité encouragent toujours le désordre et l’intrigue. La seconde proposition de Mme Royal est plus victoricide encore : il s’agirait de remplacer Mme Aubry par une direction collective. Imaginez le dosage des tendances, leurs haines antiques et les retournements d’alliance. On songe aussitôt aux calamiteux triumvirats de la République romaine. (à suivre...) 8.06.2011 les inrockuptibles 45

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presse citron

par Christophe Conte

Chantal Brunel a la parité bien ordonnée, Nadine Morano joue les DRH, Gilbert Collard se tâte le soutien pour Marine Le Pen et Nicolas Hulot avoue la tentation qu’il eut pour Jean-Louis Borloo. Luc Ferry, lui, fait le Gaston.

les relous Yves Jégo, passerelle Napoléon

Hamilton/RÉA

André Franquin

A l’heure où Jean-Louis Borloo et Dominique de Villepin font assaut d’amabilités l’un envers l’autre dans l’espoir d’enquiquiner un peu Nicolas Sarkozy, un proche du président du Parti radical joue les entremetteurs littéraires. Yves Jégo publie 1807, roman policier historique sur l’entrée de Napoléon dans Venise. Quand on sait que Dominique de Villepin est un aficionado de l’Empereur, c’est bien joué !

Ferry : une paire de gaffes Luc Ferry, le BHL raté de la droite raffariniste, concombre masqué proliférant de bactéries en vogue sur les mœurs des politiques, a donc empuanti l’atmosphère en balançant de sordides allégations sur la pédophilie supposée d’un ex-ministre. Des accusations très lourdes de la part de celui que Libération rebaptisait aussitôt “Dirty Ferry” (2/06). Nous, on pencherait plus modestement pour un Gaston Lagaffe ayant fait retentir imprudemment son “gaffophone”, instrument construit à partir d’un vieux tron(c) d’arbre.

Toute la semaine, après les affaires DSK et Tron, il fut question du machisme en politique, avec partout dans les journaux des témoignages de pouff…, pardon, de dames, malmenées verbalement par leurs collègues masculins. Le  Nouvel Obs (1/06) titrait “La France des machos” et on apprenait que la députée UMP Chantal Brunel était la rapporteure (sic) générale de L’Observatoire de la parité. Rappelons la parité selon Mme Brunel : les Français de souche, type Tron, sur la terre ferme, et les bougnoules sur les bateaux.

très confidentiel Le “tous pourris” en passe d’être dépassé par le “tous pervers” ? On veut pas cafter, mais paraît que Nicolas Dupont-Aignan se tripote la quiquette devant des vidéos de Marie-France Garaud.

Nadigne C’est dans L’Est républicain (1/06) que Nadine Morano a choisi de s’expliquer à propos de l’affaire de la vendeuse du Printemps dont elle a indirectement contribué au licenciement. “Lorsqu’on a un emploi, il faut s’en montrer digne”, déclare, sans rire, la ministre de l’Apprentissage et de la Formation professionnelle qui, au regard

Comme de vulgaires socialistes, les écologistes découvrent avec la primaire les joies de la politique politicienne. Lors du congrès d’Europe Ecologie-Les Verts, à La Rochelle, on aura moins entendu parler du fond que des bisbilles entre chefs et de la pagaille semée par Hulot à propos de ses “brèves” vélléités d’alliance avec Borloo.

le candidat des communistes sera un ancien socialiste

de l’ensemble de son œuvre, est pourtant autant “digne” d’occuper un ministère que de gagner Roland-Garros.

liste noire Selon un “indiscret” de L’Express (1/06), l’avocat contaminé Gilbert Collard, de moins en moins pudique quant à ses préférences nationales, se tâterait actuellement la conscience pour prendre ou non la tête du comité de soutien de Marine Le Pen pour 2012. S’il accepte, on vous livre ici les premiers noms : Aurore Drossard, Patrice Alègre, Brigitte Bardot, le général tortionnaire Paul Aussaresses, Richard Virenque et l’amicale des anciens skinheads de Carpentras.

la bulette C’était déjà pas la grande bamboula au congrès Europe Ecologie-Les Verts. Cohn-Bendit y était moins souhaité encore que le concombre allemand dans les assiettes, et pour couronner cette ambiance de folie, Nicolas Hulot lâchait devant les journalistes à propos de Jean-Louis Borloo : “J’ai pensé un bref instant faire un tandem avec lui” (Le JDD, 5/06), et personne ne crut qu’il parlait d’une balade à vélo. Cela étant, Borloo et Hulot auraient pu faire ensemble un bon bulot.

Parlement européen

petite rapporteure

les Verts et la pomme de discorde

Jean-Luc Mélenchon

Décidément, tout fout le camp. Sans aucun état d’âme (et en attendant le vote des militants), les dirigeants communistes ont décidé le week-end dernier que leur candidat à l’élection présidentielle de 2012 serait un ancien socialiste. Certes, Jean-Luc Mélenchon est désormais président du Parti de gauche, mais pour les descendants de Georges Marchais, la pilule est quand même amère.

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Tamikrest

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Lorsque le fantôme de Thyeste apparaît devant le palais des Atrides pour exhorter son fils Egisthe à tuer Agamemnon, tout est scellé. Le texte de Sénèque, qui dévoile la toute-puissance des images sur les choses, ne se soucie pas de montrer l’action. A gagner : 7 invitations pour 2 à retirer entre 19 h 30 et 20 h 30

L’histoire de Tamikrest est celle de jeunes musiciens bien décidés à faire vivre leur musique et leur poésie au-delà des dunes. En langue touareg, tamikrest signifie le nœud, la coalition, le futur. A gagner : 5 invitations pour 2

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Du 15 au 26 juin en Seine-Saint-Denis

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Inrocks Indie Club le 17 juin à La Flèche d’Or (Paris XXe)

musiques Empruntant le nom d’un célèbre acteur américain, Abe Vigoda est un groupe de tropical punk-rock originaire de Los Angeles. Le groupe australien Cloud Control propose une pop-folk psychédélique, et Her Magic Wand nous entraînera dans un voyage onirique. A gagner : 10 invitations pour 2

Les Inrocks Custom le 16 juin au Nouveau Lab Party Casino (Paris XI ) e

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Découvrez les deux finalistes du concours Inrocks Lab du mois et retrouvez Outlines en concert. A gagner : 5 pass premium pour 2 personnes : coupe-file + 1 conso + 1 goodie inRocKs

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musiques Au programme de cette soirée Inrocks, le groupe de rock américain Cage The Elephant, le groupe Tribes, et Life In Film avec leur son indie-pop. A gagner : 10 invitations pour 2

Mélanie Laurent le 15 juin à la Cigale (Paris XVIIIe)

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amateurs cops En Californie, devant la fonte des effectifs de police, les municipalités font de plus en plus appel à des bénévoles pour assurer certaines tâches. Patrouille en voiture avec Jim, 83 ans, et Judy, 57 ans, rattachés au Fresno Police Department. texte et photo Armelle Vincent

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I

Jim  : “On ne se sent jamais en danger, les délinquants et criminels savent que nous sommes bénévoles. Ils n’ont rien contre nous.”

l est 14 heures à Fresno, le chef-lieu de la San Joaquin Valley, la longue, plane et morne vallée agricole que John Steinbeck décrit dans Les Raisins de la colère. La bedaine ronde et saillante, Jim Hildebrand, un sympathique grand-père de 83 ans, vient de s’installer au volant de l’une des Dodge Charger noire et blanche du Police Department. Comme d’habitude, il a vérifié que son matériel de policier amateur (bandes de gel de lieux, boîte de gants latex, cônes de signalisation, kit de relevé d’empreintes digitales) est bien à sa place dans le coffre du véhicule. “Allons-y, voulez-vous”, propose-t-il à sa coéquipière, Judy Geske, 57 ans, une femme divorcée et esseulée qui travaille de nuit comme opératrice au centre d’appels d’urgence du commissariat. Au cours d’une longue existence qui s’étire vers une vieillesse solitaire – il est veuf –, Jim a exercé plusieurs métiers, monotones et sans surprise. Au moment de sa retraite, il était superviseur d’un dépôt de maintenance. Il lui a ainsi fallu attendre d’avoir 77 ans pour réaliser son rêve. “Quand j’étais jeune, je voulais être flic mais je n’avais pas la taille requise. Aujourd’hui, ça n’aurait plus d’importance”, remarque-t-il avec amertume. Jim et Judy ne sont pas de vrais cops, même s’ils portent un uniforme (qu’ils ont dû acheter 500 dollars, avec leur propre argent), ont prêté serment et exécutent des tâches parfois sensibles autrefois réservées aux professionnels de la police. Ils font partie de ce mouvement croissant de bénévoles que les 2 100 Police Departments du pays recrutent de plus en plus agressivement pour pallier les coupes claires dans les budgets et les licenciements massifs. Rien qu’à Fresno, l’administration a supprimé 340 postes au cours des deux dernières années, soit un quart des effectifs. Près de 19 % des habitants du comté se retrouvent au chômage. Victimes de saisies immobilières, des centaines de résidents ont dû abandonner leurs maisons, qu’occupent aujourd’hui des

squatteurs. Pas vraiment le moment indiqué, donc, pour réduire les patrouilles à Fresno ou dans le reste de la Californie. C’est pourtant le cas. “Nous avons dû faire preuve de créativité pour continuer à protéger nos 910 000 habitants, explique le chef du Fresno PD Jerry Dyer. D’autant plus que la courbe de la délinquance a grimpé en fonction d’une pauvreté croissante et de la diminution du nombre d’agents de police dans les rues.” En 2010, les trois cents bénévoles ont travaillé 40 000 heures, faisant ainsi économiser 854 000 dollars à la ville. Gravement touchées par la crise, sérieusement endettées et privées de fonds, des centaines de municipalités californiennes ont dû réduire drastiquement le nombre de leurs policiers. En cas de besoin, certaines font appel au coup par coup à des sociétés de vigiles privées. La ville d’Oakland (baie de San Francisco) a ainsi recouru aux services d’une de ces entreprises pour assurer les patrouilles dans un quartier difficile qui, en l’absence d’une présence policière, commençait à s’agiter. D’autres communes comme Maywood (banlieue hispanique de Los Angeles) ou Half Moon Bay (station balnéaire du sud de San Francisco) ont opté pour des mesures plus radicales encore en éliminant carrément leur Police Department. La seule apparition de la fameuse black and white (la voiture de police américaine) dans une rue agit généralement comme moyen de dissuasion, même lorsque ses occupants sont des bénévoles, identifiables à leurs chemises blanches (celles des professionnels sont bleu marine) et aux badges Volunteer visibles sur les manches. Aucun d’eux n’a jamais été attaqué ni malmené. Ça tombe bien : les bénévoles ne sont pas armés. Ils portent bien l’épaisse ceinture de cuir noir des agents mais ni calibre ni Taser n’y pendent. Juste une lampe électrique et un spray de défense. “On ne se sent jamais en danger, raconte Jim. Les délinquants et criminels savent 8.06.2011 les inrockuptibles 49

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“les consignes sont claires. Ils doivent éviter à tout prix la confrontation” le chief Jerry Dryer que nous sommes bénévoles. Ils n’ont rien contre nous.” “Au contraire, ajoute Judy, comme nous avons l’air moins menaçants, nous sommes plutôt mieux accueillis que les vrais flics. Lorsqu’il faut recueillir un témoignage, les gens s’ouvrent plus facilement à nous. Nous sommes en fait les yeux et les oreilles des forces de l’ordre.” Partenaires aujourd’hui (les équipes tournent), Jim et Judy viennent donc de monter dans la Dodge. La tête de Jim dépasse à peine du volant. La voiture, neuve, possède un nouvel ordinateur. Judy se connecte au système radio tandis que Jim se débat avec l’ordinateur. L’équipe doit signaler le départ de sa mission dans un quartier sinistré. L’objectif de la patrouille n’est pas de chercher la bagarre mais de montrer aux résidents que la police est présente, malgré les licenciements. Jim pianote en vain sur les touches. “Ah, je n’y arrive pas, je ne comprends pas comment ça marche”, s’énerve-t-il avant de mettre en route la sirène par mégarde. Ça fait vingt minutes que nous sommes bloqués sur un parking mais, comme le remarque Judy, “nous sommes bénévoles, on ne peut pas nous mettre à la porte ni nous réprimander. C’est libérateur”. Enfin, nous partons. Le quartier atteint, nous tournons dans les rues à la recherche d’un signe anormal. Jim ralentit, ouvre sa fenêtre, salue de la main, dit bonjour. Plantés devant un garage, quatre jeunes gens tatoués nous suivent du regard, rigolards.

Ce couple d’âge mûr en chemisette ne les intimide pas. D’un autre côté, si quelque chose cloche, Jim et Judy ont les moyens d’appeler des renforts qui peuvent arriver en quelques minutes. “Les consignes sont claires, explique le chief Jerry Dyer, ils doivent éviter à tout prix la confrontation. Le rôle des bénévoles n’est pas de faire baisser la criminalité mais d’augmenter les services.” Treize semaines de cours à la Citizen Police Academy suivies de quarante heures de patrouille avec un policier en uniforme enseignent aux bénévoles les rudiments du travail policier. Les programmes, lancés dans les années 80 contre l’avis des parquets, ont d’abord consisté à utiliser ces citoyens pour remplir des tâches administratives. Les compressions de personnel ont cependant conduit les responsables de Police Departments à prendre de plus en plus de risques avec leurs volontaires. “Sans audace, on n’obtient aucun résultat”, laisse tomber Jerry Dyer. A Fresno, la télévision diffuse régulièrement des messages incitant les citoyens à assister leur Police Department. “Nous nous sommes trouvés forcés de confier certaines enquêtes légères à nos bénévoles, car il y a des choses que nos inspecteurs n’ont tout simplement plus le temps de faire”, reconnaît Nicole Bazzo, ancienne agent de police qui gère les 196 bénévoles du Police Department de Pasadena, banlieue chic de L. A.

“Nous leur confions de plus en plus de responsabilités. Nous n’avons pas le choix. Mais ils font un excellent travail. Ils viennent de tous les horizons et leurs compétences sont variées.” Quelles fonctions remplissent donc ces bénévoles ? “Nous servons surtout à libérer les vrais policiers du poids des tâches les plus simples, les moins dangereuses et les plus longues, ce qui leur permet de se consacrer aux enquêtes plus difficiles”, explique Judy. En cas d’accident, ils recueillent des témoignages, dressent parfois des procès-verbaux et attendent l’arrivée des dépanneuses. En cas de crime ou d’incendie, ils sécurisent le périmètre. En cas de vol de voiture, ils relèvent les empreintes. Lorsqu’une personne est portée disparue, ils interrogent les proches et les voisins pour mener l’enquête, visitent les hôpitaux et appelent les postes de police. On leur confie parfois le transport des pièces à conviction. Certaines municipalités, comme Meza (Arizona), leur assignent les affaires non élucidées. Liz Diott, 63 ans, a pris sa retraite après trente ans comme directrice adjointe d’une succursale de la Bank of America. Elle consacre seize heures par semaine aux dossiers d’usurpation d’identité et de fraudes par carte de crédit pour le Pasadena Police Department, sous la responsabilité de l’inspecteur Allard. “Avant l’arrivée des bénévoles, nous n’étions pas assez nombreux pour traiter tous les

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Interroger des témoins, enquêter dans le voisinage, relever des empreintes : le quotidien pour ces assistants volontaires de la police

dossiers. Ils s’entassaient sur nos bureaux”, précise ce dernier. Cinq bénévoles assistent Liz. Ensemble, ils traitent cent dossiers par semaine. Dans le bureau d’à côté, Sergio Fajardo Acosta essaie de retrouver la trace de personnes disparues (trente à quarante cas signalés chaque semaine). Sergio est astronome au California Institute of Technology. Il travaille sur la naissance des planètes. “Il y a des similitudes entre mon métier et le travail que je fais ici, commente-t-il. Dans les deux cas, il s’agit d’enquêtes, de patience, de puzzles. Les deux me passionnent de la même manière.” Mexicain, Sergio suit généralement les affaires liées à la communauté hispanique. “Culturellement, mon peuple n’a aucune confiance en la police. Je sers en quelque sorte de passerelle entre les Latinos et le Pasadena PD.” Depuis 2007, les bénévoles de l’unité des personnes disparues ont résolu 1 200 affaires. Retour à Fresno, où Jim et Judy reçoivent un appel radio : on leur demande de se rendre sur le lieu d’un accident et d’y attendre la dépanneuse. Jim a du mal à lire le GPS. Lorsqu’il faudrait tourner à droite, il tourne à gauche et vice-versa. “Je préfèrerais un bon vieux guide”, maugrée-t-il. Judy ne s’est rendu compte de rien. Le temps qu’ils réalisent et rebroussent chemin, la dépanneuse est repartie. Nouvel appel radio : un type armé menace de se tirer une balle dans la tête. Il s’agirait pour Jim et Judy de

se rendre sur place et d’aider à sécuriser le périmètre. “Mais ça risque de durer des heures et j’ai faim”, remarque Jim. Les Police Departments imposent des règles à leurs bénévoles : un minimum d’heures par semaine et l’interdiction de déserter une action en cours. Mais ils choisissent leurs missions. “Nous pouvons toujours refuser de nous rendre sur un lieu. Personne ne nous en tiendra rigueur”, précise Judy. Il est 19 h 30, les partenaires ont rendez-vous dans un restaurant mexicain avec leur copain Sam Rush, 68 ans, un médecin en activité, bénévole au Fresno PD depuis quatre ans. La première chose que fait Sam est d’exhiber la médaille que lui a remise le chief Dyer pour ses bons et loyaux services. Il précise qu’il ne manque jamais de montrer sa médaille à ses patients. Sam semble plus fier de cette distinction que de sa carrière consacré à la médecine moléculaire. “A l’entrée de mon cabinet, j’ai accroché une photo de moi en uniforme. J’ai toujours rêvé d’être flic, motard en fait. Mais je n’ai pas pu en raison de mon daltonisme. J’aurais préféré que Jim et Judy ne disent rien de ma vie de médecin.” Tous les bénévoles affirment que leurs activités policières se révèlent souvent plus gratifiantes que ce qu’ils ont fait dans leur vie professionnelle. Les défections sont très rares. “Nous avons même de plus en plus de candidats, explique Nicole Bazzo. Ça tombe bien car nous avons plein de projets. Notre objectif est d’arriver un jour à avoir un bénévole par inspecteur.” 8.06.2011 les inrockuptibles 51

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les envahisseurs sont parmi nous Depuis quinze ans, le Français Invader égaie les murs des villes du monde entier de ses mosaïques pop inspirées de jeux vidéo vintage. Le héros est de retour à Paris. par JD Beauvallet photo Guillaume Binet/M.Y.O.P

Pose d’une mosaïque sous l’A86, en région parisienne, le 31 mai 2011 52 les inrockuptibles 8.06.2011

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a honteuse lâcheté de nos mœurs nous empêche de lever les yeux pour admirer le sublime…”, écrivait Fénelon. On subit ainsi la ville, n’en connaissant que ses pas sur le trottoir. On a pourtant, depuis le milieu des années 90, une bonne raison de relever la tête : de Paris à Katmandou, les envahisseurs ont débarqué parmi nous. Ces mosaïques de personnages préhistoriques du jeu vidéo, imposées aux murs comme autant de bornes d’un jeu de piste infini, sont l’œuvre mais aussi le labeur d’un Parisien nommé Invader. A Paris, il a atteint cette semaine le seuil des mille mosaïques, connaissant pour chacune l’emplacement comme la difficulté de pose. Pour chaque invasion, il s’attribue des points, suivant des critères complexes d’audace, de hauteur, de risque… Ses interventions joyeuses offrent au regard enfin relevé des clins d’œil colorés, une complicité, voire une intimité avec la ville. “Même si ce n’est pas mon moteur, j’aime égayer les villes, avec ce côté pop qui contraste avec un côté plus sombre.” Accueilli en héros dans les galeries et musées de Londres, New York ou Los Angeles, Invader bénéficie enfin d’une exposition dans la capitale. Quand on le retrouve dans son fabuleux atelier, parmi des milliers de Rubik’s Cube et des carreaux de faïence de toutes tailles, couleurs et matières, il jubile en évoquant cette revanche sur le milieu de l’art parisien. “C’est ma première grosse expo à Paris… L’art s’est vraiment déplacé. La France semble un peu à la ramasse aujourd’hui. Moi qui suis un noctambule pur et dur, je trouve Paris figé, un musée à ciel ouvert. Ça me désole, car je m’inscris vraiment dans la ville. C’est entre Paris et moi, cette histoire.” C’est ainsi Paris qui, le premier, fut envahi avant des dizaines d’autres villes de la planète (et quatre mille mosaïques), dans une petite rue du quartier Bastille. Le premier acte d’un touche-à-tout encore à la recherche de son style, de son média, venu à l’art dès l’enfance. “Un vrai choix, sans retour possible. Le premier invader que j’ai collé, c’est un accident, un projet parmi cent autres expérimentations… Je n’ai vu le potentiel que bien plus tard, en réalisant que par hasard j’avais collé un envahisseur. L’idée de l’invasion de l’espace a alors germé.” Pour envahir les rues, il lui manque juste une identité, une aura, 8.06.2011 les inrockuptibles 53

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se livre à un rituel : mettre de la musique. La musique est chevillée à cet univers, à travers la cinquantaine de pochettes réalisées à partir de 225 Rubik’s Cube chacune. De Cure à Bérurier Noir, de Daft Punk à Barbara, des Smiths à Run-DMC, Invader rend ainsi depuis des années hommage aux pochettes d’albums qui ont nourri sa libido, son imaginaire, sa culture graphique. “Je me suis formé avec la musique : c’est elle qui m’a donné envie de lire, m’a enseigné l’anglais, m’a imposé la fibre artistique… Je devais rendre hommage à ces pochettes achetées aux Puces. Je puise dans beaucoup de choses, mon enfance, les affiches de Mai 68, des logiciels comme Photoshop, qui m’a fait prendre conscience des pixels sur les images. D’ailleurs, mes premiers projets artistiques ont été consacrés aux virus informatiques. Un gros travail, qui consistait à virusser la ville, son système… Mais ça, il y a trop de risques à en parler.”

“je deviens un autre quand je suis Invader” un mystère. Il découvre alors, émerveillé, la culture du street-art et ses codes opaques. “Je me suis un peu encanaillé. C’est l’effet Superman : je deviens un autre quand je suis Invader… Le masque, l’anonymat, ça vient de cette culture qui n’est pas la mienne à la base. Aujourd’hui, nous bénéficions tous du triomphe de Banksy. Même si je suis loin de son travail, nous formons une famille. Avant lui, nous n’étions que des vandales, des gueux. C’est devenu l’art de toute une génération.” On voit justement le jeune Invader dans le documentaire Faites le mur de Banksy, filmé sans répit par Thierry Guetta, son alter ego de L. A. et star fabriquée par le film. C’est Invader qui a fait découvrir le street-art à Guetta en lui présentant même ses amis et pionniers du genre. Victime consentante de la machination de Banksy, Guetta est devenu Mr. Brainwash et l’une des stars les plus cotées du street-art – tout en restant un tocard. La crédulité de quelques gogos

et galeristes à l’égard du très drôle Mr. Brainwash agace aujourd’hui dans le monde du street-art. “Moi, quand je suis dans la rue, je fais tout pour ne pas me faire remarquer ; lui, c’est le contraire. Sa plus belle œuvre d’art, c’est lui-même. Dans sa folie, sa liberté, il a toujours été un genre d’artiste. Il a vraiment filmé sur des milliers de cassettes tout le mouvement street-art. Il nous suivait tous, partout, tout le temps… Il est tellement énorme que beaucoup de gens, en voyant le film, ont cru à un personnage fictif.” Quand on visite l’atelier de banlieue d’Invader, on reste sidéré par la façon dont il détourne non seulement les icônes (pochettes de disques, objets pop ou images de presse) mais aussi la technologie, domestiquée à des fins personnelles. Il a inventé des machines, des logiciels et des outils sidérants ou monstrueux (comme son moule à gaufre en forme d’invader). Chaque matin, en arrivant à son studio-labo, Invader

Il existe d’autres risques du métier : dégringoler de son échelle, être bloqué en douane ou se faire régulièrement alpaguer par la police. Invader se déplace pourtant discrètement : en veste jaune fluo, avec des cônes en plastique orange. “C’est encore le meilleur moyen de passer inaperçu : qui porterait du fluo pour une action illégale ?” Il s’est même fabriqué un vaste outil télescopique qui lui permet de poser, coller et même marteler ses pièces à des hauteurs inattaquables. “Chaque pièce représente une aventure, de la tension, du travail”, jure-t-il. Depuis que sa cote a flambé, des petits malins le suivent à distance et décollent ses œuvres, immédiatement revendues pour des milliers de dollars sur eBay. On ne sait pas si ses mosaïques collées sur les gigantesques lettres “Hollywood”, à Los Angeles, y sont encore. La police a débarqué en hélicoptère pour l’interpeller avant qu’il ait terminé. “Contrairement à d’autres street-artists, je ne suis pas un bon cascadeur”, s’amuset-il quand on évoque son avenir dans les rues. Mais la solution semble trouvée, avec une génération spontanée d’envahisseurs déjà au travail sur les murs du monde entier. “C’est peut-être le moment de passer la main, car tout ça se déroule de façon spontanée, participative. Mais d’ici là, je vais éditer un livre pour expliquer la philosophie et surtout les techniques nécessaires à toute invasion.” David Vincent avait donc raison. Les envahisseurs sont parmi nous, parfaitement intégrés – les voisins d’Invader pensent qu’il est carreleur. exposition 1 000, jusqu’au 2 juillet, La Générale, Paris XIe, www.space-invaders.com

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à fleur de pop La peinture de l’Américaine Elizabeth Peyton s’expose pour la première fois en France. S’inspirant des maîtres anciens, elle devient romantique et en profite pour quitter les rivages du pop. par Judicaël Lavrador

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l s’est glissé au dernier moment dans le casting d’Elizabeth Peyton. Justin Bieber, le poupon pop-star au teint diaphane et au toupet de poney, figure dans une des toiles les plus récentes de la plus célèbre des portraitistes contemporaines tel un figurant : son visage juvénile se serre dans le cadre jusqu’à s’éclipser sous un bouquet de roses plongées dans un vase. Mais il vient quand même de se faire une place au sein d’un club prestigieux qui compte parmi ses membres Jarvis Cocker, Julian Casablancas, Peter Doherty, Liam Gallagher, Eminem, Leonardo DiCaprio, mais aussi une partie de la famille royale d’Angleterre – dont Lady Diana Jarvis, 1996

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Oil on board, 11”x 14” (EP020), courtesy of the artist and Gavin Brown’s Enterprise, copyright the artist

Oil on masonite, 12”x 9” (EP 659 (see EP 009)), courtesy of the artist and Gavin Brown’s Enterprise, copyright the artist, photo Ellen Page Wilson Studio, New York

le type même de l’artiste s’incarne dans ces figures androgynes : dandy et bohème, le visage émacié, le port négligé mais chic

ou Queen Elizabeth –, des happy few du milieu de l’art et des artistes internationaux – Maurizio Cattelan, David Hockney –, des vivants et des morts – Kurt Cobain, François Truffaut, Napoléon –, et puis tous les autres, les Ben, Tony, Klara, Piotr, Nick, qui reviennent d’année en année peupler cette galerie de portraits en forme de hall of fame. Ce dont l’artiste se défend. “Je ne crois pas que je choisisse tout le temps des célébrités. Mon travail porte souvent sur l’art et des artistes qui ont une approche sensible et personnelle de leur époque. J’imagine que cela transparaît à travers l’empreinte de leur personnalité, leur humanité, leur esprit… D’ailleurs,

John Simon Beverly Ritchie (Sid), 1995

ils reflètent si nettement leur époque que je n’ai même pas besoin de me poser la question ou d’y penser plus que cela. C’est simplement là, en eux et sur eux.” Ses modèles incarneraient donc plus qu’eux-mêmes, quelque chose comme le line-up d’une génération pop qui, de New York à Berlin (l’artiste partage son temps entre les deux villes), cultive sa mélancolie bohème et branchée. La peinture d’Elizabeth Peyton, moitié warholienne pour la carte VIP du casting, moitié fleur bleue pour l’innocence du trait et le regard attendri qu’elle jette sur son modèle, repose néanmoins sur un tiraillement entre la sphère publique et la sphère privée

de la personne représentée, entre sa présence intime et chaleureuse et sa présence iconique. Si près, si loin : c’est aussi la place de la peinture aujourd’hui, cette vieille mère des beauxarts, qui doit s’accommoder à la fois de son anachronisme et de sa chèreté sur le marché. La situation était pire au début des années 90, quand Elizabeth Peyton commença sa carrière. Sale période pour la peinture figurative qui, après les eighties, décennie picturale grandiloquente conclue par une sévère crise du marché, a du mal à s’en remettre et se fait taxer de réactionnaire par la jeune relève néoconceptuelle. Celle-ci ne jure que par des œuvres dématérialisées, des dispositifs

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Oil on linen covered board 15 x 12 1/8 inches, courtesy Gagosian Gallery, copyright the artist

d’un pinceau vif et naïf, pas très précis, Elizabeth Peyton plante certes des portraits d’idoles, mais rendues à l’intimité

fondant une communauté de spectateurs émancipés et non pas des pools de collectionneurs, à l’image de Rirkrit Tiravanija qui fait œuvre avec des bols de riz et des plats de pâtes qu’on se partage en conversant. A l’époque, il est le mari d’Elizabeth Peyton, qui cultive ellemême une forme d’exposition alternative dans une chambre du Chelsea Hotel, en 1993 à New York, puis en 1995 au Prince Albert Pub à Londres. Le choix de se tenir ainsi en lisière des lieux d’art correspond à l’imagerie pop, naïve, ingénue, voire frivole de ses peintures, qui nargue délibérément les théoriciens de l’art et drague le public. Comme si Elizabeth Peyton, peignant Sid Vicious ou Kurt Cobain, voulait ramener la peinture

Kanye, 2010/2011

sur les murs tapissés de posters des chambres d’adolescents. A la même époque d’ailleurs, Jim Shaw fait le chemin inverse avec ses Thrift Store Paintings, banales peintures d’amateurs exposées par le Californien dans les galeries huppées. Sur le fil, d’un pinceau vif et naïf, pas très précis, avec quelque chose de raide plutôt que souple dans l’apposition de la couleur, Elizabeth Peyton plante certes des portraits d’idoles, mais rendues à l’intimité. Des portraits discrets en quelque sorte. D’où ce très petit format (30 x 24 cm, à peine plus grand qu’une feuille A4) devenu une des marques de fabrique de l’artiste. Interdit aux foules :

chaque tableau est un concert acoustique, pas une grand-messe au Stade de France. Or cette distance du spectateur (quasi unique) au tableau est la même que celle de l’artiste à son modèle dans son atelier quand elle fait poser ses amis, et qu’elle doit alors “travailler dans l’urgence parce que c’est difficile pour eux de rester immobiles deux ou trois heures. Je dois donc me dépêcher. Mais j’adore ce feeling très net, très pur, entre deux personnes qui se tiennent dans une même pièce au même moment”. Reste que “si je commence souvent sur le modèle, reconnaît-elle, je finis d’après les photos que j’ai prises et le souvenir que j’en garde”. Cela lui prend alors entre deux semaines et un an 8.06.2011 les inrockuptibles 59

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Colored pencil on paper, 8 1/2 x 6 inches (EP 930), courtesy of the artist and Gavin Brown’s Enterprise, copyright the artist

Catherine Deneuve and François Truffaut on the Set of Mississippi Mermaid, 2005 60 les inrockuptibles 8.06.2011

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Oil on fiberglass honeycomb panel 12 x 9 1/8 inches, courtesy Gagosian Gallery, copyright the artist

de travail, en général trois ou quatre mois. “Mais j’aime bien réaliser plein de toiles en même temps.” Souvent aussi, elle peint d’après une image de presse, même si, explique-t-elle, “les portraits d’après nature ont beaucoup plus de lumière en eux”, tandis que les autres, d’après photo, arborent des couleurs plus saturées. Pour le reste, “il n’y a pas grande différence entre des gens que je connais et les autres, qu’ils soient vivants ou morts… Je crois surtout qu’ils sont tous très présents dans la manière dont ils m’inspirent”. Du coup, amis ou pas, elle les peint tous en essayant de saisir ces moments où ils baissent la garde, ces moments où ils oublient l’objectif du photographe, où ils semblent se retourner vers eux-mêmes, se reposer au lieu de poser. A l’image de ce portrait du prince Harry surpris dans la foule des supporteurs d’Arsenal, la tête coiffée d’un bonnet. C’est à la peinture que revient la tâche de faire alors apparaître quelqu’un d’autre, une silhouette aux contours incertains, aux traits mouvants, pas figés, frêles. Pas un hasard du coup si le type même de l’artiste s’incarne dans ces figures androgynes : dandy et bohème, le visage émacié, le port négligé mais chic, le regard clair qui se perd dans le vague, ou plonge soudain (rarement) dans les yeux du spectateur. La maladresse apparente du trait, les couleurs à la fois délavées et vibratiles (grâce à la couche épaisse de médium dont est enduite la toile pour former une surface dure

à Paris, des natures mortes convoquent la présence d’artistes historiques et de figures mythologiques par la bande

Camille Claudel Still Life, 2010/2011

et lumineuse), le cadrage serré qui semble parfois contraindre le modèle à se contorsionner : tout cela achève de restaurer la présence du sujet. La dernière expo de l’artiste est aussi sa première (solo) en France. Cette peinture paraît à beaucoup doublement louche : d’une part aux tenants des avant-gardes abstraites des années 70 qui ont fait leur deuil du motif, et d’autre part aux adeptes d’une peinture virile et sadomaso qui accouche forcément et férocement, dans la douleur, de motifs tout baveux. Il se trouve que l’expo parisienne, chez Gagosian, brille d’un éclat plus livide, avec des natures mortes qui convoquent la présence d’artistes historiques et de figures mythologiques par la bande. Ainsi, cette toile titrée Camille Claudel and Her Brother, où les mains de la sculptrice finissent de modeler le buste de Paul Claudel, puis cette autre qui s’invite dans l’atelier de Paul Cézanne ou celle-ci qui place un livre sur Camille Claudel, encore, sous un bouquet de roses parme. “Peut-être que je veux trouver un autre moyen d’exprimer mes sentiments envers les gens, d’une manière moins littérale”, explique Elizabeth Peyton pour justifier son infidélité au genre du portrait. Les teintes grises et minérales, les motifs romantiques et rocailleux, le penchant pour le XIXe siècle donnent l’impression qu’elle veut s’échapper de ce que le public connaît d’elle. Qu’elle veut à son tour être quelqu’un d’autre en se glissant dans l’atelier des maîtres anciens. Jusqu’au 28 juin à la Gagosian Gallery, 4, rue de Ponthieu, Paris VIIIe, www.gagosian.com 8.06.2011 les inrockuptibles 61

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Pinault, pour une poignée de beaux-arts Le milliardaire est discrètement devenu un des plus gros acteurs du monde de l’art. Trop homme d’affaires pour être un pur esthète. Trop amateur d’art pour n’y voir que de judicieux investissements. par Guillemette Faure

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Micheline Pelletier

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Andrea Pattaro/AFP

François Pinault a installé sa fondation au Palazzo Grassi et à la Punta della Dogana, à Venise. A droite, la salle consacrée à l’artiste américain Paul McCarthy. Avril 2011

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’ai mis une option. Je les fais lanterner un peu…” François Pinault désigne deux femmes qui couvent des yeux une installation de Marcel Broodthaers, laquelle n’appartient pas encore à sa collection. “La veuve et sa fille…  C’est redoutable, les veuves d’artistes !” Dissipée soudain l’idée qui voudrait que le collectionneur ait succédé au businessman. L’homme n’est pas double. On fait le tour de son exposition Eloge du doute. En descendant l’escalier de la Punta della Dogana (la Pointe de la Douane) à Venise, l’ancien président de PPR (Pinault-Printemps-La Redoute) lève les yeux vers une tête de l’artiste Thomas Schütte :“Ce n’est pas mon buste”, s’amuse-t-il comme si on avait pu l’imaginer. Puis, l’air de rien : “Vous préparez un article sur moi ou sur l’exposition ?” Sur lui. On en profite pour lui dire que c’est difficile. Il s’exprime très peu, tient les médias à distance. Quand il organise un voyage de presse d’une centaine de journalistes, il file dîner avec les artistes. Pendant longtemps, il n’a répondu aux interviews qu’au comptegouttes et par mails. On compte peu de livres à son sujet : une biographie prudemment consacrée à son enfance bretonne, une hagiographie rédigée par son ami Pierre Daix et un livre

des journalistes Caroline Monnot et Pierre-Angel Gay, consacré aux affaires des années 90, et précédé d’une lettre de Pinault aux journalistes expliquant qu’il ne les rencontrera pas pour n’être ni “le censeur” ni “la victime” de leur enquête. Dans la lumière transversale de la Punta della Dogana, François Pinault n’a pas l’air surpris. “Qu’est-ce que vous voudriez ? Que je bombe le torse comme le mec qui a réussi ? C’est tellement vain.” Il nous donne un conseil. “Vous n’avez qu’à parler à mes ennemis, ils auront des choses à dire (sourire). Ou à mes amis si vous en trouvez.” Ce n’est peut-être pas pour rien que sa holding (qui conserve 43 % de PPR) s’appelle Artemis. Un jour où la déesse de la Chasse se baignait dans une rivière, un jeune Thébain l’a surprise nue. Elle le transforma en cerf et le fit déchiqueter par ses chiens. François Pinault ne se laisse pas surprendre à découvert. Personne ne sait vraiment ce que compte sa collection. Quand Saatchi achète un tableau, il dégaine un communiqué de presse. François Pinault, lui, demande la confidentialité à l’artiste qui entre dans sa collection. Caroline Bourgeois, commissaire des expositions de la Fondation Pinault, évite d’assister aux vernissages des artistes qui l’intéressent. Le rachat de Christie’s en juin 1998 crée un choc à Londres. Personne n’attendait Pinault. Le Breton n’est même pas allé

rencontrer les dirigeants de l’entreprise pour prendre sa décision. Cinq ans plus tôt, il a mis la main sur château-latour, premier grand cru classé, là aussi par surprise. Cette discrétion, ce culte du secret, on en trouve la trace dès ses débuts. “On a su qu’il avait un avion quand on l’a vu atterrir”, se souvient Michel Pacserszky, son premier collaborateur arrivé en 1962 dans sa petite entreprise de négociant en bois. “Les nouvelles idées, on n’en parlait pas. Avant que les autres ne s’organisent, on avait deux ans d’avance.” Il se souvient par exemple de la fureur d’un distributeur le voyant débarquer : “T’as le culot de venir chez moi !” François Pinault venait d’acheter un terrain en face de son client grossiste pour le concurrencer dans la distribution au détail. Il n’avait prévenu personne, pas même son directeur commercial.  “Toute sa vie, on ne l’a pas vu venir !” “Ça m’émeut beaucoup que vous soyez allée dans mon village”, dit soudain François Pinault. On est dans la salle du Californien Paul McCarthy. Paula Jones, l’ancienne maîtresse de Bill Clinton, est là, sans tête, jambes offertes. On parle de Trévérien, Côtes-d’Armor, 900 habitants. “Est-ce que vous savez ce que c’est que d’avoir honte de l’endroit d’où l’on vient ? Jusqu’à récemment, je n’y allais que seul. Je me sens à peine débarrassé de ce sentiment.” C’est dans une ferme en bauge de Trévérien qu’il a grandi. Il mesure ce que représente

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Courtesy the artist and Hauser & Wirth © Palazzo Grassi, photo ORCH orsenigo chemollo

“j’ai dit à mes enfants : ce dont j’ai hérité je vous le donne. Pour le reste n’y comptez pas trop”

ce village quand ses parents l’envoient au pensionnat Saint-Martin, à Rennes. Les ricanements des enfants de la bourgeoisie bretonne, sa honte du patois, les regards sur sa mère habillée comme une paysanne qui apportait un panier pour déjeuner avec lui au café. L’homme qui évoque l’embarras de ses origines s’y rend chaque année, souvent à la Toussaint. Sa mère y est enterrée. Il va voir Suzanne, la voisine. Les anciens l’appellent François mais pas le maire, il est trop jeune. Il dit “monsieur Pinault”. Monsieur Pinault a aidé à financer la réfection des vitraux. Aujourd’hui, il participe aux travaux de la voûte de l’église et à de petites réparations sur les cloches. Le maire s’inquiète à l’idée que cela coûte un peu plus cher que les 22 000 euros prévus. Peu importe si Forbes évalue la fortune de Pinault à 6 milliards d’euros. La petite école rurale est une des mieux équipées des environs : la Fnac a renouvelé son équipement informatique il y a quatre ans. Le nouveau propriétaire de la ferme où il a grandi élève des vaches laitières. Pourquoi François Pinault n’a-t-il pas gardé la maison de son enfance ? C’est en fait son fils François-Henri qui l’a vendue. “J’ai dit à mes enfants : ce dont j’ai hérité, je vous le donne. Pour le reste n’y comptez pas trop. C’est pour ça que je préfère dépenser mon argent ici”, répond-il en montrant sa fondation. On en oublierait qu’il a, il y a huit ans, laissé

son fils prendre la tête du groupe qu’il avait créé. Loin de là, au Trévérennais, le bar-tabac-alimentation établi au milieu du bourg, le patron a scotché une petite feuille au comptoir. Le village a l’intention de donner des noms à ses rues. On appelle aux suggestions. Pour la rue principale, François Pinault arrive en tête. Henri Gicquel boit un petit muscadet en salle. Il a 74 ans comme François Pinault : copain de batailles de boules de neige à l’école primaire, de virées pour aller voir des matchs de boxe quand ils furent conscrits, il a en mémoire le jour où François l’a attendu au bout du chemin de la ferme. Ils avaient 24 ans. Le père de François venait de mourir brutalement, piqué à la nuque par un frelon. Père et fils se querellaient sur ce qu’ils devaient faire de la scierie familiale, dont quelques blocs subsistent dans un pré aujourd’hui. De sa mère, il tient un regard bleu acier qui peut fusiller ou retourner. Mécanicien à la scierie, Henri Gicquel se souvient de François lui répétant : “Faudrait pas qu’on reste comme ça”. Au procès Executive Life, François Pinault fera bonne impression sur les jurés américains en mentionnant qu’il est “probablement le seul pdg d’une grande entreprise française à savoir abattre un arbre”. Embauché par le marchand de bois qui fournit la scierie familiale, il épouse la fille du patron et, avec un prêt du beau-père, rachète l’entreprise qui devient

les Etablissements Pinault. “Un jour, il nous a dit que l’entreprise allait s’appeler Pinault France, se souvient Michel Pacserszky. On était abasourdis.” Pinault France ! Et pourquoi pas Pinault Monde ? Le patron de la PME qui desservait un coin de Bretagne avait-il fondu un câble ? La suite paraît aller de soi quand on réécrit les histoires des grands dirigeants d’industrie. Plutôt que de se contenter de distribuer le bois des autres, Pinault est allé le chercher au Canada et en Scandinavie. Plutôt que de laisser d’autres le vendre au détail, il a créé son réseau de distribution. Pinault SA entre en Bourse en 1988. La société rachète Conforama, Le Printemps, La Redoute et la Fnac. Renommé PPR en 1994, le groupe remporte Gucci en 1999 face à Bernard Arnault, rival légendaire, et se lance dans le luxe. “Le Pinault d’il y a vingt ans ne ressemblait pas à celui d’aujourd’hui : il incarnait une belle réussite provinciale. La mythologie revient à l’art. Dassault est sans doute plus riche que Pinault mais vous vous intéressez à Pinault à cause de ses collections”, persifle un homme d’affaires. On parle moins de sa brutalité en business et de son aptitude à tout défiscaliser depuis que l’homme d’affaires s’enthousiasme pour l’art. “Les tombeaux des pharaons sont des chefs-d’œuvre. Aujourd’hui, on ne laisse plus un tombeau de pierres, on construit une collection”, résume François Briest, président de la société de vente aux enchères Artcurial. A l’instar des 8.06.2011 les inrockuptibles 65

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philanthropies américaines, les collections reflètent les ascensions sociales. Quand Bernard Arnault rencontre l’expert Marc Blondeau, c’est pour lui demander ce qui figure dans la collection de Pinault. “Les collectionneurs font des concours de bites”, résume un ancien collaborateur du milliardaire. A ce jeu où les autres sont des collectionneurs, François Pinault se veut un acteur-producteur. Il regarde par une petite lucarne les ventes chez Christie’s. Il fait le marché. Le voilà qui accomplit dans l’art contemporain ce qu’il a mené dans le bois : maîtriser toute la filière. Il visite les ateliers d’artistes aujourd’hui comme il avait décidé d’aller couper les arbres lui-même en Finlande et au Canada. Il raccourcit ses circuits d’approvisionnement. Il s’était lancé dans la distribution du bois ? Il achète Christie’s et dope la maison de vente. L’Art de la guerre de Sun Tzu – une référence du milliardaire – préconise de profiter des moments de faiblesse de ses ennemis. Comme l’homme d’affaires avait tiré avantage de la crise du début des années 80 pour racheter d’autres entreprises, le collectionneur exploite celle qui touche le monde de l’art au début des années 90 pour construire sa collection d’art américain avec des Jasper Johns, des Andy Warhol… “Jusqu’à 35 ans, je ne lui connaissais pas de côté artistique”, raconte Michel

Pacserszky. Son mariage avec Maryvonne Campbell, un remariage pour lui comme pour elle, marque un virage. “Il s’est trouvé dans un autre milieu, s’est modernisé. Même sa façon de s’habiller a changé”, se souvient celui qui a travaillé avec lui une quarantaine d’années. Férue d’antiquités du XVIIIe siècle, Maryvonne entraîne François dans les salles de vente. Ses premières acquisitions semblent correspondre à un goût de classe. En 1972, François Pinault achète une toile de Paul Sérusier. Le tableau de l’école de Pont-Aven représente une femme dans une cour de ferme. La femme lui évoque sa grand-mère. A la fin des années 80, Marc Blondeau, un ancien de Sotheby’s, lui ouvre les portes de l’après-guerre américain. Pas seulement pour des questions artistiques : c’est aussi une stratégie de collectionneur. “Un Sérusier ne va pas remplacer un tableau de Gauguin”, explique Blondeau dans son bureau de Genève. Autrement dit, si on s’intéresse à l’école de Pont-Aven, elle n’a qu’un chef de file, Gauguin, et il est aujourd’hui quasiment impossible de mettre la main sur une de ses œuvres de référence. Les collections sont déjà faites. A l’automne 90 se tient à New York une vente qui comprend deux œuvres majeures : Le Portrait du docteur Gachet de Van Gogh et le Tableau losangique II de Mondrian, deux Néerlandais, deux chats hérissés l’un en face de l’autre.

Haedrich/Potier/Visual

Patrick Bernard/AFP

L’art d’investir à bon escient : le patron de PPR à Pauillac (Gironde) en 1998, où il a acheté le premier grand cru classé de prestige de château-latour. A droite, avec son vieil ami Jacques Chirac, à qui il voue une fidélité indéfectible.

“Peut-on se permettre de ne pas acheter un Mondrian à 8 millions (de dollars) ?”, demande Blondeau de New York à Pinault. “Donnez-moi deux heures, je vous rappelle.” “On va me prendre pour un cinglé dans mes conseils d’administration”, dit-il en donnant son accord. Quand Blondeau lui téléphone dans la nuit pour lui dire qu’il vient de l’obtenir, il est cueilli par un “oui, oui, j’ai compris” glaçant. “Le problème n’était pas d’avoir acheté le Mondrian mais d’avoir placé le reste de la collection à ce niveau”, analyse Marc Blondeau qui a, avec cet achat, “compris qu’il avait le calibre”. François Pinault se distingue aussi par sa façon d’élaguer. Il revend à une somme estimée entre 25 et 30 millions de dollars le Rebus de Rauschenberg, acheté 8 millions. Pour ses critiques, c’est la signature d’un homme qui ne résistera jamais devant la possibilité d’une belle opération. “Il avait quelques cubistes majeurs mais s’est rendu compte en allant au MoMA qu’il aurait du mal à faire mieux”, dit encore son conseiller. Très vite, Pinault ne chassera plus que de l’art contemporain.

il accomplit dans l’art contemporain ce qu’il a mené dans le bois : maîtriser toute la filière

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Daniel Janin/AFP

Autre acquisition prestigieuse, qui permet à François Pinault d’être présent dans tout le circuit du marché de l’art : la salle de ventes britannique Christie’s, achetée en 1998.

A New York, Philippe Ségalot est le “Pinault’s man”. Collègue de promotion d’HEC de son fils, ancien patron de l’art contemporain chez Christie’s, Ségalot, à qui Pinault a remis la Légion d’honneur il y a deux ans, est tout ce que son ancien patron n’est pas : à l’aise avec les médias, flamboyant, facilement identifiable avec un brushing quasi vertical. Il y a deux ans, ils sont partis ensemble en Chine. Pinault a proposé à Ségalot d’aller passer la journée à Hong-Kong. L’avion pouvait partir à 6 heures ou à 9 heures, il fallait quitter l’hôtel une heure et demie avant. “Prenons celui de 9 heures”, a suggéré Ségalot. “Mais qu’est-ce que vous voulez que je fasse jusqu’à 7 heures !”, lui a répondu Pinault. “Il avance plus vite que les autres parce qu’il ne dort pas”, conclut Ségalot. “Le dimanche, soit le lendemain matin du mariage de François-Henri (avec Salma Hayek), tout le monde était encore à Venise. Il m’a appelée pour avoir un devis. Je suis sûre qu’il avait attendu 10 heures pour téléphoner”, se souvient Claudine Colin, responsable de la communication à sa fondation. “Je ne lui connais aucun loisir, aucun hobby”, dit de lui Michel Pacserszky. L’art contemporain ? “Non, c’est une autre source de réussite.” “Le meilleur moment de l’amour, c’est quand on monte l’escalier”, disait Clemenceau. François Pinault donne souvent l’impression de préférer l’escalier à l’amour. A chaque fois qu’il cite des œuvres qui lui sont chères,

il est difficile de savoir s’il les sort du lot pour ce qu’elles sont ou pour l’énergie de la conquête. Il y a ce Bruce Nauman qui était dans les réserves de la Tate Gallery, donné en dation à l’Etat qui en discutait le prix pendant que les exécuteurs s’impatientaient. Une opération commando a permis de le récupérer. Trois toiles de Rothko qui appartenaient à la famille Mellon devaient revenir à la National Gallery of Art de Washington. A la mort de M. Mellon, Pinault apprit que sa veuve était furieuse de n’avoir pas reçu de nouvelles de la National Gallery of Art et la convainquit de les lui vendre. “L’intérêt d’être un collectionneur privé, c’est qu’on peut faire de grosses conneries en allant trop vite”, dit François Pinault. Incompatibilité entre une institution politique bureaucratique et un entrepreneur qui voulait faire les choses vite et bien, c’est ainsi qu’autour de lui on explique qu’il ait renoncé en 2005 à son projet d’installer sa fondation sur l’île Seguin . “Le maire de Boulogne a traité le projet comme s’il s’agissait d’une patinoire”, dit un proche. “C’est du passé”, lâche Pinault en traversant le bâtiment vénitien rénové par le Japonais Tadao Ando. Mais certains collaborateurs considèrent rétrospectivement que ce renoncement fut une bonne nouvelle : “Le problème, c’était aussi l’argent, il avait vu trop gros à l’île Seguin”, assure un collectionneur.

A présent, dans son costume impeccable, François Pinault sort du bordel. Roxys (1962) est une reconstitution par Edward Kienholz d’une maison close du Las Vegas des années 40. Il avait hésité à acheter l’œuvre de 200 m2 exposée l’an dernier dans la galerie de David Zwirner à New York. “Trop américain...”, avait-il dit à Marc Blondeau. “Mais les bordels sont universels !”, lui a répondu son ami. Ceux qui le pratiquent considèrent qu’il y a deux collectionneurs chez Pinault. A côté de celui qui aime l’art minimaliste (il n’a que ça dans son bureau), le collectionneur public réunit les artistes les plus hot des dix dernières années, achète des grandes installations en pensant à sa fondation. “Moore, Serra, c’est lui. Brut de décoffrage”, dit Jean Bothorel, journaliste et écrivain ami du milliardaire. “Il faut se méfier de ses penchants”, réagit François Pinault pour justifier ses sorties du minimalisme : “Je me méfie des prisons.” A la Punta della Dogana, il acquiesce lorsque Jean-Max Colard, le critique d’art des Inrocks, lui fait remarquer que la nouvelle exposition est bien moins tape-à-l’œil que la première, un amas de noms un peu grossier, avec laquelle il avait inauguré sa présence à Venise au Palazzo Grassi en 2006. “Au début, certains prétendaient qu’il n’y avait peut-être rien dans cette collection. Alors, on a voulu montrer qu’on avait plein de belles choses. Comme des bourgeois…” 8.06.2011 les inrockuptibles 67

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Christie’s et château-latour ne gagnent pas beaucoup d’argent mais ont en commun de mettre Pinault en contact avec un fichier de gens pas vraiment démunis Bourgeois, c’est le gros mot, le respect passionné du statu quo, tout ce que Pinault méprise. Un jour, on l’entend dire d’un collaborateur : “Il s’est mis au golf, c’est devenu un bourgeois”, comme s’il l’avait surpris commettant une faute lourde (l’homme a quitté l’entreprise depuis). François Pinault n’a jamais voulu ressembler aux petits patrons qu’il a mis sur la paille en Bretagne. Il méprise ceux qui par confort s’accrochent à ce qu’ils aiment, se méfie de l’agréable, cherche ce qui le déstabilise. Mais son mépris de l’establishment colle mal à un Pinault qui a toujours cultivé les amitiés bien placées. Du 10 mai 1981, ses collaborateurs de l’époque ont retenu qu’il était revenu le lendemain au bureau après être passé chez le concessionnaire BMW pour acheter le plus beau modèle. Une provocation à l’adresse de ceux qui paniquaient à l’arrivée des socialistes. En coulisse, il prenait des contacts avec la nouvelle équipe pour se protéger dans un dossier de fraude fiscale. “Il est complètement dans le système. Il a toujours fait des investissements politiquement judicieux dans des circonscriptions sensibles”, dit de lui un ancien conseiller économique de Mitterrand. Rachat de la papeterie Chapelle Darblay, située sur la circonscription de Laurent Fabius avant la victoire du PS en 1988. Vélo avec un Nicolas Sarkozy ministre de l’Intérieur. C’est à l’occasion d’une visite à une scierie en Corrèze qu’il rencontre Chirac et lui propose de le ramener en avion à Paris. Le soir du 7 mai 1995, la CX du nouveau président fera une étape rue de Tournon, à l’hôtel particulier des Pinault. “Vous verrez que dans la vie ce n’est pas une affaire d’être un ami de Chirac”, lui a dit Alain Minc le jour de l’élection de ce dernier. “Propos de balladurien déçu”, a répondu François Pinault. Jacques Chirac est resté un ami. Des peines privées les ont rapprochés, dit quelqu’un qui les connaît. “Il continue à sortir Chirac qui s’emmerde, c’est élégant”, ajoute un proche. Cette année, François Pinault l’a accompagné au dernier Salon de l’agriculture. “Il le nourrit et le blanchit tout l’été, il va prendre un pot avec lui chez Sénéquier à Saint-Tropez. Je ne sais pas pourquoi il fait ça”, s’interroge un de ses amis. Parmi les proches de Pinault, on compte encore Jean-Jacques Aillagon,

ancien ministre de la Culture. Celui-ci connaît François Pinault depuis qu’à la tête de Beaubourg il avait fait appel à son mécénat. C’est aussi lui qui alerte un Pinault déconfit par son projet sur l’île Seguin, d’une occasion à Venise : le Palazzo Grassi. Il en prend la direction. Deux ans plus tard, quand Aillagon annonce son départ de Venise pour prendre la direction de Versailles, Pinault blague que cela fera un beau terrain de jeu pour Otello, le chien d’Aillagon, qui avait déjà voyagé à bord de son avion, “et ce sera parfait pour le Split-Rocker de Koons”, immense sculpture végétale. Ces gens-là ne plaisantent jamais tout à fait. Après les expositions Koons et Murakami, on critiquera Aillagon pour s’être servi de Versailles pour valoriser la collection de son ami Pinault. “Toute exposition d’une œuvre sert l’œuvre qui est exposée, répond aujourd’hui Aillagon. Murakami avait-il besoin de cela ? Non, sa cote était déjà extravagante.” De son client François Pinault, Jeff Koons, l’artiste le plus policé du monde, dit qu’“il va directement à tout ce qu’il y a de plus intéressant dans son atelier”. Mais ne suffit-il pas que Pinault s’approche d’une œuvre pour la rendre immédiatement intéressante ? Lorsque François Pinault va voir Matthew Jackson dans son atelier en novembre 2008, le marché ne s’intéresse pas encore à l’artiste. Quand six mois plus tard il lui consacre une salle à la Pointe de la Douane, ses prix s’envolent. Ridiculement pour certains. Puisque la simple appartenance à la collection Pinault valorise une œuvre, les artistes veulent en être. “Il a le premier accès à tout ce qui arrive sur le marché”, analyse Adam Lindemann, un autre milliardaire collectionneur. Ajoutons à ce prodigieux pouvoir de prescription le fait que Pinault possède aussi la première maison de ventes. C’est le “perfect’s storm” pour des conflits d’intérêt, selon les mots du critique d’art américain Judd Tully. Christie’s, mais aussi château-latour (une vieille idée : il avait caressé l’idée d’acheter château-margaux avec l’argent gagné dans les années 70 en spéculant sur le sucre), deux marques indestructibles, deux maisons qui ne font pas beaucoup d’argent mais ont en commun de mettre Pinault en contact

avec un fichier de gens pas vraiment démunis. C’est l’endroit où l’on voit émerger les nouveaux millionnaires : ils commencent par acheter en salles de vente avant de passer aux ventes privées. Ce fonctionnement opaque en circuit fermé explique, outre l’attrait fiscal, l’intérêt des fortunés pour l’art contemporain, spéculatif par essence. Le marché de l’art représente le dernier marché non régulé, “le seul où le délit d’initié est une vertu”, aime dire Harry Bellet du Monde. François Pinault a longtemps dit qu’il n’était pas assez riche pour se montrer tendre en affaires. Aujourd’hui troisième fortune de France selon Forbes, il n’a toujours “pas d’amabilités gratuites”. Un collaborateur qui lui a annoncé sa démission s’est entendu dire : “Ça tombe bien, j’allais te foutre dehors.” Mais le galeriste Jérôme de Noirmont admire le temps, “assez rare chez les collectionneurs”, qu’il passe à dialoguer avec les artistes. Parce qu’ils ne lui font pas de courbettes, prétend un proche. Lors d’une inauguration, Maurizio Cattelan avait suivi le milliardaire pas à pas, dans la position du bouffon du roi. Au Palazzo Grassi, l’artiste Rob Pruitt a affiché ses “101 idées artistiques à faire soi-même” La 80e : “Invent a color and name it.” Inventez une couleur et baptisez-la. A côté, un mur rouge vinasse sur lequel est écrit “François Pinot”. De Shanghai à Los Angeles, François Pinault passe la plus grande partie de son temps à visiter des ateliers. “Un bain de jouvence”, explique Alain Minc. En 2009, l’exposition de sa collection Qui a peur des artistes ? à Dinard s’achevait par un néon en bas d’un escalier qui assurait : “Vous allez tous mourir”. “Ça c’est vrai ça !”, s’est exclamé Pinault, imitant la mère Denis. François Pinault ne veut pas mourir. Voilà pourquoi il ne veut pas s’arrêter sur une collection – la sienne aura une identité éphémère. Il réfléchit à d’autres projets. Que deviendra sa fondation ? Son fils François-Henri s’intéresse plutôt aux voitures et aux montres. Le père s’est fait une raison. A la Punta della Dogana, dans une des dernières salles, un chien galope en boucle sur une vidéo d’un bout du mur à l’autre. On ne sait pas après quoi court l’animal. Un proche de Pinault nous en parlera : “Il vous a dit que c’était lui ?”

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“le cinéma en Iran est fort comme vous ne l’imaginez pas” Ours d’or à Berlin pour Une séparation, Asghar Farhadi semble tourner sans contraintes en Iran. Mais, comme dans son film, les apparences sont trompeuses. recueilli par Serge Kaganski photo Brigitte Baudesson

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omment expliquer le paradoxe du cinéma iranien, avec des cinéastes emprisonnés ou interdits d’exercer comme Jafar Panahi, et d’autres comme vous qui semblent libres de tourner des films qui ne sont pourtant pas de la propagande pour le régime ? Asghar Farhadi – La censure n’est pas monobloc, tout dépend du fonctionnaire que vous avez en face de vous. C’est cette personne qui décide si vous pouvez tourner ou pas. C’est très diversifié. Parfois, des films qui ont l’air banal peuvent être censurés pendant des années, alors que des films dont on croit qu’ils risquent d’être interdits sont au contraire autorisés à être tournés et à sortir sur les écrans. Il n’y a pas de cahier des charges précis sur ce qui est interdit ou pas, c’est extrêmement subjectif, ça dépend des goûts et des couleurs du censeur. Dans ce filet, il y a des mailles à travers lesquelles on peut passer. Le truc, c’est de ne pas crier trop fort victoire quand on passe au travers. Il faut pratiquer ce jeu de loterie silencieusement. Heureusement pour moi, j’ai plutôt gagné au loto jusqu’à maintenant. Les cinéastes iraniens collectionnent les prix dans les grands festivals. Cela représente-t-il un honneur ou une gêne pour le régime ? Mon Ours d’or a été considéré comme un honneur par la presse cinéma et par l’intelligentsia. Les cinéphiles en sont fiers. Ils sont heureux quand l’image de l’Iran à l’étranger n’est pas celle d’un pays violent et arriéré. Les politiques, c’est différent. Un prix à l’étranger est plutôt source de doutes. Le système soupçonne toujours un jeu politique contre lui. Dans la vision de nos dirigeants, le monde international est notre ennemi présumé, jusqu’à preuve du contraire ! L’intelligentsia, le milieu cinéphile, ouvert, cultivé, n’est donc pas totalement écrasé par le régime ? Non, c’est même le contraire. Le monde du cinéma en Iran est devenu plus fort, à un point que vous

Asghar Farhadi avec Leila Hatami, l’actrice d’Une séparation. Paris, avril 2011

n’imaginez pas. Les Iraniens sont de plus en plus conscients du monde extérieur, ils sont au courant des choses. Ce qui est un peu triste, c’est que le monde extérieur n’a pas toujours conscience de l’évolution de la société iranienne. Quand on se balade à Téhéran, on est étonné par la vitalité artistique de la ville et la qualité des artistes iraniens. Les galeries d’art poussent comme des champignons à Téhéran. Quand des films internationaux sortent sur les écrans, la presse iranienne en parle, les gens en parlent, ils suivent toute l’actualité culturelle du monde. L’enfermement est contre-productif

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“l’enfermement est contre-productif. Le pouvoir a assoiffé la population, qui a envie de suivre au plus près l’évolution du monde”

pour le pouvoir, il a assoiffé la population, qui a envie de suivre au plus près l’évolution du monde. Quels sont les films, les cinéastes qui vous ont marqué comme spectateur, voire influencé comme c inéaste ? J’ai été marqué par les films en noir et blanc de mon enfance. Pas les films complexes, que je ne comprenais pas enfant, mais les films simples, touchants. Plus tard, quand j’ai vu La Strada de Fellini, je me suis dit que j’avais découvert aussi mon futur métier. J’ai été marqué également par des cinéastes iraniens malheureusement

peu connus en France, comme Dariush Mehrjui. On a beaucoup comparé mon précédent film A propos d’Elly à du Antonioni, mais Antonioni m’a toujours semblé très abstrait, je ne suis jamais parvenu à entrer dans son univers. Une séparation semble interroger la notion de vérité, montre que celle-ci a plusieurs facettes selon le point de vue de chacun. La vérité n’est pas une notion abstraite. Elle surgit entre la personne qui la recherche et la personne qui la cache. Elle naît de la confrontation entre un fait et la subjectivité de la personne qui recherche quelque chose dans ce fait. Quand plusieurs personnes regardent un même fait, il y a plusieurs vérités. Par exemple, le rapport à la mort diffère de personne en personne. La vérité n’est pas une chose absolue, mais relative. Vos personnages vivent dans une tension permanente. Est-elle représentative de l’état actuel de la société iranienne ? Cette tension est inspirée de ce que je perçois de Téhéran, où la vie est souvent tendue, conflictuelle, stressante. Si ces personnages vivaient dans une autre ville, avec un autre rythme, cela aurait sans doute influencé ma mise en scène. Le film mélange fiction très écrite et éléments documentaires. Comment travaillez-vous ces deux registres ? C’est une fiction, où tout a été préparé. Mais mon travail de mise en scène consiste à essayer d’effacer les traces de mon intervention. Le scénario et les dialogues étaient ultratravaillés, ultradétaillés, nous avons beaucoup répété avec les comédiens. Une fois sur le plateau, on a essayé de faire en sorte que tout sonne comme de l’improvisation, que tout soit le plus réaliste possible. J’appelle ça “effacer le réalisateur”. Ça ne veut pas dire que le réalisateur n’a plus rien à faire : au contraire, c’est un travail très difficile que de ne pas montrer sa présence à l’écran. Les acteurs sont étonnants de puissance, d’intensité. Pour atteindre ce résultat, vous faites beaucoup de prises ? Les prises ne sont pas le plus important. Ce qui compte, c’est tout ce qui se passe avant. Au lieu de mettre la pression sur les comédiens et les techniciens au moment du tournage en faisant de multiples prises, je préfère travailler longtemps en amont de la prise de vues, en préparant tout très soigneusement, sans caméra. Là, cette préparation a duré quatre mois, jusqu’à ce que je parvienne au résultat souhaité. Ensuite, le tournage apparaît presque comme une formalité. Les comédiens passent un bon moment sur le plateau : le plus difficile, c’est le travail en amont. Lire la critique du film p. 70 8.06.2011 les inrockuptibles 71

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Une séparation d’Asghar Farhadi La lutte des classes en Iran sous la forme d’un frénétique film à suspense.

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ouvent, l’Ours d’or berlinois est issu de la catégorie redoutée grand sujet/petit film. Une séparation enfreint magnifiquement cette règle : c’est un grand film qui part d’un petit sujet (en apparence). Au départ, une banale situation de couple en conflit, au bord du divorce. Elle veut partir vivre à l’étranger, pour elle et pour l’avenir de leur fille ; il préfère rester en Iran, pour leur fille aussi, et pour s’occuper de son vieux père malade. Ce qui est déjà moins banal, c’est que ce couple ne correspond pas

à l’image que l’on se fait bêtement d’un couple iranien : pas de turban et de tchador à l’horizon, mais un homme et une femme qui par leurs vêtements (à l’exception du foulard de l’épouse), leur cadre de vie urbain, leur façon de réagir et de s’exprimer pourraient aussi bien vivre à Paris, Londres ou New York. A la situation de famille en plein psychodrame s’ajoute bientôt une autre couche conflictuelle : l’employée de maison du couple, engagée pour s’occuper du grand-père malade, s’absente un jour quelques heures (elle est enceinte et doit

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raccord

Michel Boujut (1940-2011)

passer des examens médicaux). Or, pendant son absence, le vieux fait une chute. L’employée se fait licencier, le ton monte entre les parties ; police, procès. L’enchaînement de causes et d’effets de plus en plus chaotiques est le principe moteur du film. Un simple grain de sable dans les relations peut faire boule de neige, entraîner d’autres conflits secondaires et tertiaires, comme dans la théorie des réactions en chaîne. Et comme dans certaines expériences chimiques, Une séparation progresse sur une série d’explosions relationnelles qui font grimper le tensiomètre avec une force et un sens du rebond impressionnants. Mais derrière cette matière humaine qui suffirait à faire d’Une séparation un film fort, se déploient des strates philosophiques et politiques

un cinéma du plein, âpre, sans répit, riche en montées d’adrénaline

tout aussi admirables (et c’est là que l’on voit que les sujets visibles ou latents du film ne sont pas si petits que ça). Une séparation pourrait ainsi être vu et lu comme un questionnement sur le concept de vérité. Les conflits évoluent au cours du film, au fur et à mesure des différents points de vue des protagonistes et d’éclairages que l’on ne percevait pas au départ. La vérité est-elle univoque et gravée dans le marbre des faits ? Ou bien est-elle polysémique, évolutive, selon le point de vue de chacun ? Question de philo et de cinéma, au cœur de ce film qui n’a pourtant rien de didactique. Et puis, à travers cette lorgnette des petites guerres banales du quotidien opposant des couples ou des concitoyens, c’est un tableau de l’Iran contemporain qui apparaît en filigrane, avec ses institutions débordées, ses inégalités sociales, ses tensions de classes, un état de nerfs généralisé en lequel on ne peut s’empêcher de reconnaître la situation politique actuelle du pays. Jouant en permanence sur ces trois niveaux, intimiste, philosophique et politique, Une séparation est surtout un film extrêmement physique, tendu, électrique, plongeant ses acteurs (tous extraordinaires d’intensité) et sa fiction dans le bain bouillonnant de la société iranienne réelle. Un cinéma du plein, âpre, sans répit, riche en montées d’adrénaline, aussi éloigné de la joliesse à la Makhmalbaf que des grands films concepts de Kiarostami, un cinéma évocateur d’auteurs comme Kechiche ou Mungiu, référents peu usités dans le cinéma iranien. Après A propos d’Elly, Asghar Farhadi confirme son statut de cinéaste qui compte, et qui parvient à bousculer l’idée qu’on se fait de l’Iran tout en élargissant notre image du cinéma iranien. Serge Kaganski Une séparation d’Asghar Farhadi, avec Leila Hatami, Peyman Moadi, Shahab Hosseini, Sareh Bayat (Iran, 2010, 2 h 03) Lire l’entretien avec Asghar Farhadi pp. 70-71

Le jour où Michel Boujut est mort, on a pris un coup. D’autant qu’on ne le savait pas spécialement malade ou menacé. La nouvelle de sa disparition a donc claqué comme une très mauvaise surprise, alors qu’il venait de fêter ses 71 ans. On le connaissait personnellement pour l’avoir croisé sur le plateau de Rive droite rive gauche, au jury du prix Delluc ou chez des amis communs. On appréciait son mélange de modestie, de civilité, de douceur, qualités humaines minoritaires au grand bal des ego de la médiasphère. On partageait aussi ses engagements : déserteur de la guerre d’Algérie en 1961, Boujut penchait fortement vers la gauche, mais sans le moindre sectarisme, toujours dans l’ouverture et le dialogue. Continuellement indigné par l’ordre du monde, il n’était pas pour autant un doctrinaire ni un furieux donneur de leçons, mais savait être à l’écoute de ses interlocuteurs, prêt à moduler éventuellement son avis. Enfin, on aimait le lire sur le cinéma, dans Les Nouvelles littéraires puis dans Charlie hebdo où ses textes firent longtemps tandem avec les dessins de Tardi. Boujut a également publié des livres sur Wenders, Sautet, ainsi que des récits autobiographiques comme le récent Le jour où Gary Cooper est mort (Rivages), qui correspond au fameux jour de sa désertion. Mais le chef-d’œuvre de Michel Boujut, c’est probablement la mythique émission de télévision Cinéma cinémas (disponible en coffret DVD, INA) dont il était le génial coauteur avec Anne Andreu et Claude Ventura : séquencée comme un film, “présentée” par des voix off au ton neutre et distancié, inventant des dispositifs de mise en scène pour chacun de ses sujets, ornée d’un générique inoubliable (peinture de Pellaert, musique hollywoodienne, extraits de dialogues mythiques), Cinéma cinémas était aussi beau que les films et actrices de ses sommaires : un modèle insurpassé de télé créative et de transmission virale du goût du cinéma.

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London Boulevard de William Monahan avec Colin Farrell, Ray Winstone (G.-B., 2011, 1 h 42)

Limitless de Neil Burger

Et si la drogue rendait intelligent, riche et heureux ?

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crivain en panne d’inspiration, Eddie teste une drogue qui lui permet d’exploiter 100 % du potentiel du cerveau humain – le film affirme que l’on n’en exploiterait seulement 20 %. Ce qui lui permet de finir enfin son livre, d’apprendre des langues étrangères en un temps record et de passer pour un monsieur je-sais-tout brillant en société. Il use surtout de ses nouveaux pouvoirs pour faire fortune en Bourse. Evidemment, la drogue miracle a des effets secondaires et suscite la convoitise. Limitless est une variation sur le surhomme, mais sans superhéros. Eddie serait plutôt à cheval entre les yuppies conquérants du Wall Street d’Oliver Stone et les guerriers schizo du Fight Club de David Fincher. Une façon d’osciller entre un réel clinquant et un fantasme parano, qui donne au film un ton d’agréable comédie noire. L’échec y est filmé à la manière d’un film indépendant US ; la réussite de notre nouveau golden-boy a des airs de trip doré, où les idées pleuvent du ciel, la vie se voit en grand angle, on se dédouble et le temps y est relatif – essentiellement la grammaire visuelle de Fight Club, déjà vue certes, mais bien assimilée. Limitless moque l’idée même de la success story à l’américaine, en délogeant les imposteurs, en dérangeant les idées d’inné et d’acquis. Sur fond de crise

économique et de scandale de mœurs des deux côtés de l’Atlantique, il tombe aussi à point nommé. Il rappelle, sur un ton narquois et pop, comment le pouvoir peut monter à la tête, et pousser les puissants s’arroger des droits (de cuissage, entre autres). Des idées pas tout à fait neuves, mais malignement exécutées lors de scènes au grotesque bienvenu : celle où une gamine patineuse est utilisée comme arme de défense, et où le vampirisme serait, littéralement, le stade suprême du capitalisme. On aimerait que le film regorge de passages de cet acabit pour assumer pleinement son titre (“sans limite”). Mais Limitless tient grâce à son acteur principal, Bradley Cooper, parfait en charmeur filou, toujours content de lui. Il pourrait vous vendre n’importe quoi avec son sourire : et en particulier son Eddie très opaque, sympa mais irritant. Une version dégénérée et ultranarcissique d’un personnage de Capra. Eddie est propulsé vers les cieux, moins motivé par l’argent que par un besoin irrépressible de mouvement, d’aller en avant. Cette touche évite à Limitless un discours pesant, et en fait un amusant petit film plus (heureusement) amoral que moralisateur.

Une star traquée, un bodyguard, un polar très vain. Colin Farrell sort de prison et se retrouve garde du corps d’une star traquée par les paparazzis. Sous prétexte que son scénario des Infiltrés de Scorsese (simple adaptation d’un thriller hongkongais) a été oscarisé, William Monahan serait apte à réaliser un film. Il faudrait se rappeler que Monahan n’a pas écrit que des chefs-d’œuvre en tant que scénariste (qui a vu cet incroyable nanar bien intitulé Hors de contrôle avec Mel Gibson ?). Quant à sa première réalisation, un film noir made in England, elle prend l’eau de toutes parts. Par rapport à un thriller ordinaire comme La Défense Lincoln, celui de Monahan a tout faux parce qu’il se croit plus malin que le genre. Le hic, ce sont les fioritures et les digressions pittoresques. Exemple : le parrain gouailleur et sadique campé par Ray Winstone, qui n’en peut plus de jouer ce type de caricature ambulante. Les seuls enjeux d’un tel film devraient être le suspense, le rythme et la fatalité ordinaire. Là, on est englué dans un engrenage aléatoire et ondoyant, qui ne sait ni où il va ni ce qu’il veut. Vincent Ostria

Léo Soesanto Limitless de Neil Burger, avec Bradley Cooper, Robert De Niro, Abbie Cornish (E.-U., 2011, 1 h 45)

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The Prodigies d’Antoine Charreyron (Fr., G-B., Bel., Can., Lux., 2011, 1 h 36)

Prud’hommes de Stéphane Goël (Sui., 2 010, 1 h 25)

Un documentaire s’invite dans les salles d’audience prud’homales et radiographie un saisissant état de crise. ans le contexte actuel de chômage et de précarisation du travail, les prud’hommes sont des postes d’observation privilégiés. Un poste d’observation peu connu puisque les caméras sont interdites dans les salles d’audience. A l’image d’un Raymond Depardon qui a pu filmer différentes étapes des procédures de flagrants délits, Stéphane Goël a obtenu l’autorisation de filmer des audiences prud’homales (en Suisse). Comme son illustre aîné, Goël s’est “contenté” de poser ses caméras dans la salle d’audience, sans commentaire, et bien sûr sans la moindre intervention de sa part (autre que sa présence) dans l’évolution des débats. L’écriture se fait pendant l’étape du montage. Comme tout film se situant dans des lieux de justice, qu’ils soit documentaire ou fictif, Prud’hommes capte avant tout un dispositif scénique, un processus théâtral, avec ses différents protagonistes (employé, employeur, avocats, juges…), son organisation spatiale (les bancs, l’estrade des juges…), sa distribution de la parole. Une mise en scène judiciaire préexiste au film, et c’est l’intelligence de Stéphane Goël que de l’avoir compris d’emblée. Ce théâtre prud’homal n’est évidemment pas abstrait, mais fortement incarné, riche en drame (beaucoup) et en comédie (un peu). Chauffeur licencié pour alcoolisme, jeune homme viré pour vocabulaire agressif et déplacé, cadre supérieure dégoûtée des méthodes ultralibérales… toutes les situations et tous les types humains défilent, du costard-cravate au jean-blouson, de la parole très maîtrisée (juges et avocats) à l’impuissance orale. Les issues sont toujours incertaines, entre arrangement amiable, licenciement confirmé, voire réconciliation. Empreint de drôlerie, de suspense, de tragique, Prud’hommes est tout à la fois une comédie humaine, un document unique sur la justice et une vue en coupe édifiante de notre crise actuelle. Serge Kaganski

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Des ados en guerre contre le monde dans un film d’animation sombre et brutal. Le premier film d’Antoine Charreyron, The Prodigies, déploie avec une telle morgue ses performances techniques – certes inédites dans le plat pays de l’animation française – qu’il sacrifierait presque le beau mélodrame que couve son récit. Mais ni la 3D décorative, ni les mouvements de caméra hystériques ou l’hideuse motion capture (à ce point de réalisme, c’est quasiment du Sims) ne sauraient entamer l’émotion du roman d’initiation de Bernard Lenteric, La Nuit des enfants rois, dont le film reprend l’idée originale. Celle, très inspirée par les comics américains (le roman est publié en 1981), de cinq adolescents désœuvrés, pourvus de superpouvoirs mais pris d’une “fièvre sombre” qui se traduit par une haine sans limites pour le monde des adultes. La colère teen, sous-jacente dans toute la mythologie X-Men (se retirer du monde ou le sauver), explose ici dans d’étonnantes bulles de violence graphiques où la bande d’orphelins exerce sa vengeance aveugle contre les adultes – figurés comme des monstres édentés. Dans ces moments de terreur, le film laisse surgir un peu d’humanité bienvenue dans un univers de pixels. Romain Blondeau

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en salle images de comédies Début du cycle “Eclats de rire” au Forum des images de Paris avec le court métrage Heureux anniversaire de Pierre Etaix, en présence du réalisateur. Un panorama de la comédie au cinéma : burlesque des années 20, tradition littéraire (Sacha Guitry) et nouveautés françaises (Pierre Salvadori, Michel Leclerc), jusqu’au renouveau américain des Farrelly/Apatow. Rétrospective “Eclats de rire” du 8 juin au 31 juillet, au Forum des images, Paris Ier, www.forumdesimages.fr

Acqua in bocca

cul interdit

de Pascale Thirode

Pour la sortie du Dictionnaire des films français érotiques et pornographiques 16 et 35 mm, la Cinémathèque présente trois raretés porno, dont un film surprise. Indice : le seul film à avoir été détruit en France pour outrage aux bonnes mœurs. La Nuit de la grande chaleur samedi 11 juin à 19 h 30, à la Cinémathèque, Paris XIIe, www.cinematheque.fr

hors salle De Meaux à vous dire Les éditions Manuella publient un livre d’entretiens sur une personnalité passionnante du cinéma français : Charles de Meaux, producteur d’Apichatpong Weerasethakul, ou de Philippe Parreno, devenu réalisateur (Stretch). Collaborateur des Inrocks, Philippe Azoury dresse le portrait de celui qui aura contribué au rapprochement entre le cinéma et les arts contemporains. Charles de Meaux, par-delà les images de Philippe Azoury, Manuella, 80 pages, 20 €

box-office Cannes en salle Relancé par sa Palme d’or, The Tree of Life s’achemine vers les 500 000 entrées et peut envisager d’en atteindre 100 000 de plus. Un score convenable pour un film pas facile. Parmi les autres films cannois sortis pendant le Festival, Woody Allen triomphe en dépassant (en trois semaines aussi) le million d’entrées. La Conquête obtient un résultat moyen, autour de 400 000 entrées en deux semaines. Tandis que dans le même temps Le Gamin au vélo (avec nettement moins de salles) atteignent les 200 000.

autres films Low Cost de Maurice Barthélémy (Fr., 2011, 1 h 29) American Translation de Pascal Arnold et Jean-Marc Barr (Fr., 2011, 1 h 49) Territoires d’Olivier Abbou (Fr., Can., 2010, 1 h 35) Eyes Find Eyes de Jean-Manuel Fernandez et Sean Price Williams (Fr., E.-U., 2011, 1 h 22)

Eyes Find Eyes de Jean-Manuel Fernandez et Sean Price Williams

Enquête très personnelle sur un épisode trouble de l’Occupation en Corse. cqua in bocca appartient à la catégorie des documentaires subjectifs, voire scénarisés par la présence à l’image du cinéaste, qui se met en scène comme témoin et passeur du récit. Ici, Pascale Thirode part en Corse avec ses deux filles pour enquêter sur la figure trouble de son grand-père maternel, Paul Mariani, notable et commerçant de Bastia qui, durant la Seconde Guerre mondiale, tomba sous la coupe d’une Mata Hari locale fricotant avec les Italiens et les Allemands. Deux registres donc : le présent, assez banal, ou en tout cas trivial (traversée en bateau, autofilmage familial des personnages en vacances, voyage en auto dans l’île), et le passé, que Pascale Thirode va tenter d’exhumer, de faire revivre, par bribes, en rencontrant quelques survivants, en visitant des lieux de silence et d’oubli. A priori, on ne se sent pas concerné par cette (en)quête familiale. Puis, mystère aidant, la magie opère. Ce qui ne semblait être au départ qu’une aventure un peu style Club des cinq tournée en vidéo presque amateur, avec les deux filles adolescentes comme gentilles sparring-partners, s’avère une passionnante plongée dans un passé insondable, rarement évoqué (la Corse sous l’Occupation). L’imbroglio familial commencé par des questionnements, des photos manquantes dans un album, un nom introuvable dans un caveau, s’étend à toute l’île, à son destin singulier (libérée en 1943, presque un an avant le reste de la France). Le mystère a d’autant plus de charme et de saveur que sa (ré)solution nous file entre les doigts, nous laissant sur notre faim. Le grand-père s’est-il suicidé (les versions divergent) ? Etait-il collabo, trafiquant au marché noir ? Que s’est-il vraiment passé ? Parfois l’ellipse et l’incomplétude sont les carburants les plus enivrants d’une histoire. Vincent Ostria

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avec Alexandre Marouani, Alma Jodorowsky (Fr., E.-U., 2011, 1 h 22)

Trafics de tableaux et mafia. Un film noir inégal mais prometteur. Entre New York et Paris, un expert en œuvres d’art, profite de ses réseaux pour traficoter quelques toiles, jusqu’au jour où il accepte un job plus important : mettre la main sur un précieux Caravage (L’Incrédulité de saint Thomas) pour le compte de mafieux pas sympas. Forcément, les problèmes ne tardent pas. Choisissant, plutôt que le clair-obscur du maître italien, une approche impressionniste, les deux jeunes réalisateurs composent un film noir semi-improvisé (œillades un peu appuyées au Meurtre d’un bookmaker chinois de Cassavetes), en apesanteur, tout entier rythmé par les pulsions érotiques de son personnage joué par Alexandre Marouani, très amusant en faune fatigué. Le charme agit le temps d’une bobine ou deux, avant que la mise en scène, trop chichiteuse, et les méandres d’un scénario pas franchement haletant ne viennent gâter ce premier film, néanmoins prometteur. J. G.

Aqua in bocca de Pascale Thirode, avec elle-même, Bastien Mariani, Suzie Crespin (Fr., 2009, 1 h 25)

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China China de João Pedro Rodrigues

Quinzaine en courts De courtes et belles (re)découvertes, par des auteurs débutants ou confirmés. étéran de l’édition de courts en 2007 et sorti en salle dans la foulée. métrages (notamment à travers Il s’agit de deux films de fantômes la “Petite collection de Bref”), Chalet (funérailles rejouées sur un bateau pour Pointu a la bonne idée de mêler le premier, balade triste de laissés-pourgalops d’essai de cinéastes débutants et compte capverdiens pour le second), deux récréations de cinéastes confirmés films qui, s’ils n’ajoutent pas grand-chose sur ce best-of des courts sélectionnés à la aux œuvres imposantes de leurs auteurs, Quinzaine des réalisateurs depuis dix ans. font figure de plaisantes réductions. Luminous People d’Apichatpong A cet exercice périlleux, c’est João Pedro Weerasethakul et Tarrafal de Pedro Costa Rodrigues qui s’en tire le mieux, réalisant, sont issus d’un morne film à sketches, sur en vingt et une minutes, un petit film aussi “l’état du monde” (sic), montré à la Quinzaine transperçant que ses œuvres plus longues :

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on n’est pas prêt d’oublier sa China China, jeune fille rêvant de pop, de lollipops, de voyages, et finissant par tomber dans le caniveau – c’est la faute à Branco ? Parmi les premiers films, outre By the Kiss de Yann Gonzales et A bras le corps de Katell Quillévéré (dont il a déjà été question dans ces colonnes), deux belles découvertes en provenance des Etats-Unis émaillent ce double DVD. Bugcrush de Carter Smith – qui a depuis réalisé un excellent film d’horreur, Les Ruines, en 2008 – commence comme du Gus Van Sant (dans un lycée grisâtre, un geek gay en pince pour un freak ténébreux) et se termine, à l’issu de trente-quatre minutes aussi languides qu’haletantes, par une incroyable séquence que ne renieraient pas Gregg Araki ou David Cronenberg. Brillant. Sean Durkin ferme la marche, avec son mystérieux Mary Last Seen, qui joue, comme Bugcrush, sur un rapport évanescent à l’horreur, et démontre une capacité à créer de la tension avec trois fois rien, dès le premier plan, un long travelling sur une voiture avançant vers le néant. Le même néant dont sort l’héroïne de son premier long métrage, Martha Marcy May Marlene, qui pourrait faire figure de sequel et sort, après un passage remarqué à Cannes (Un certain regard), le 16 novembre. Jacky Goldberg DVD de la Quinzaine des réalisateurs Chalet Pointu, 14 films, double DVD, 4 h 15, 20 €

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Marcello Mastroianni dans La Cité des femmes (1980)

Fellini aussi Redécouverte en DVD de deux beaux films du maestro, habités par la mort et la claustrophobie, l’onirisme et l’empathie. la villa d’un vieux cochon fascisant. Les films Des deux films de Federico dans sa volonté allégorique de décrire Comme dans son Casanova, le cinéaste Fellini (1920-1993) qui sortent enfin dans la fin de la culture européenne embarquée italien ridiculise et réduit à néant la figure une édition française, c’est Et vogue le sur un Titanic de carton-pâte. Et vogue du séducteur cynique et misogyne, révèle navire…, film opératique dans tous les sens le navire… appartient en outre à la veine le côté infantile du mâle (Mastroianni, du terme (il raconte les funérailles la plus claustrophile de Fellini (Satyricon, avec des cheveux grisonnants) qui s’exalte maritimes d’une grande chanteuse lyrique La Voce della luna, etc.), cinéaste qui aimait à la moindre apparition d’une rondeur sur un paquebot, à l’aube de la Première reconstruire un monde entièrement féminine. Mais – et c’est en cela qu’il est Guerre mondiale), qui bénéficie de la en studio, à l’abri du réel. Cette veine est aimable – jamais Fellini dans ses films meilleure réputation. Les deux films ont aussi la plus angoissante. Fellini en était ne semble s’exonérer de ces critiques, en commun d’être hantés par thanatos, tellement conscient, et peut-être victime, se distinguer du vulgaire, toujours sidérés par le spectacle des hommes qu’il alternait souvent films “fermés” en empathie avec ses personnages, qui continuent à chanter et danser quand et films plus “ouverts”. Après Et vogue qu’ils soient hommes ou femmes. tout est en train de mourir. le navire…, Intervista et Ginger et Fred Les DVD En bonus, une présentation La Cité des femmes, sorte de suite ménagent de belles échappées dans de La Cité des femmes par des critiques désespérée de Huit et demi presque des décors naturels. et producteur italiens (Renzo Rossellini, vingt ans après (un long rêve sur les affres La Cité des femmes se joue entre l’un des fils de Roberto), et des interviews de la virilité), fut très mal accueilli à sa les deux, débutant dans la campagne et affectueuses du scénariste Tonino Guerra, sortie, certains y voyant une moquerie se poursuivant dans des lieux oniriques où qui imagina Et vogue le navire… avec Fellini, acerbe du féminisme et de ses méfaits l’imagination de Fellini fait rage : un hôtel et d’un de ses plus proches collaborateurs, hypothétiques sur la sexualité du pauvre où se déroule un séminaire féministe, le chef opérateur Giuseppe Rotunno. mâle occidental, bousculé dans ses Jean-Baptiste Morain habitudes socio-libidinales par une femme deux films hantés par désormais revendicatrice. thanatos, sidérés par Deux films de Federico Fellini De ces deux films, curieusement, c’est La Cité des femmes, avec Marcello Mastroianni, le spectacle des hommes pourtant le second, œuvre effectivement Anna Prucnal, Ettore Manni (Fr., It., 1980, 2 h 20) assez malade, qui emporte aujourd’hui qui continuent à chanter Et vogue le navire… avec Freddie Jones, notre enthousiasme. Et vogue le navire… est Barbara Jefford, Pina Bausch (It., Fr., 1983, et danser quand tout certes un beau film, mystérieux, mais tout 2 h 08), Gaumont, environ 17 € chaque DVD est en train de mourir (20 € en Blu-ray) est trop insistant dès les premiers plans 78 les inrockuptibles 8.06.2011

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antihéros No More Heroes fait l’objet d’un remake sur PS3. Bordélique, improbable et unique, à l’image de son créateur.

G  à venir les Assassins ne rateront pas Noël Baptisé Revelations, le quatrième volet de la saga Assassin’s Creed est annoncé (sur PS3, Xbox 360 et PC) pour la fin de l’année. Le sémillant Ezio Auditore, héros à capuche des épisodes II et III, y partira sur les traces de son ancêtre Altaïr (qui, après nous avoir régalé en 2007 dans le premier Assassin’s Creed, sera à nouveau jouable) dans une Constantinople menacée par l’ascension de ses vieux ennemis, les Templiers.

oichi Suda est un drôle d’énergumène. Dans le monde du jeu vidéo japonais, il tient le rôle (quitte à en rajouter à l’occasion) de l’otaku punk, fameux pour ses provocations potaches et ses jeux pop déstabilisants. L’Occident l’a découvert en 2005 avec Killer 7, chef-d’œuvre lynchien conçu avec Shinji Mikami, le père de Resident Evil. Les deux hommes ont depuis à nouveau uni leurs efforts, et leur dernier bébé, l’intriguant Shadows of the Damned, paraîtra le 23 juin. Histoire de patienter, une autre création mémorable de Suda, No More Heroes, nous revient dans une version revue et augmentée. Sous-titrée Heroes’ Paradise, celle-ci bénéficie d’une compatibilité avec le PlayStation Move de la PS3 qui lui permet de reprendre le gameplay à base de détection de mouvements de l’original, paru sur Wii en 2008, mais se révèle tout à fait jouable avec une manette classique. Nous voilà donc de retour dans la pimpante cité de Santa Destroy en compagnie du très poseur Travis Touchdown, apprenti assassin qui devra venir à bout des dix tueurs qui le précèdent au palmarès de la spécialité. “L’histoire est basée sur les années 70 et 80, sur le cinéma américain, la Californie… L’atmosphère des environnements est primordiale, le contexte est plus ironique que réaliste”, nous confiait Suda en 2008 au cours d’un entretien si décousu qu’il en devenait journalistiquement à peu près inexploitable. “L’intrigue s’inspire du film

El Topo d’Alejandro Jodorowsky, mais le personnage, lui, a quelque chose de Johnny Knoxville de Jackass”, ajoutait-il. De fait, No More Heroes est le cadre de multiples collisions d’influences, de son fantasme de ville californienne à ses effets vidéoludiques rétro (gros pixels, bips préhistoriques) en passant par la collection de figurines manga de notre improbable antihéros ou le nom de l’objet sèchement directif de son affection (Sylvia Christel, soit quasiment celui de l’actrice d’Emmanuelle !). Esthétiquement fascinant, No More Heroes suscite davantage de réserves sur le plan ludique. Sa façon de marier combat frénétique (dans un esprit très arcade) et déambulations dans un monde ouvert (mais, malheureusement, assez vide) à la GTA débouche, côté gameplay, sur une valse à deux temps souvent plus laborieuse qu’entraînante. Le résultat ne s’en révèle pas moins unique. Et le prochain Goichi Suda est toujours attendu de pied ferme. Erwan Higuinen No More Heroes : Heroes’ Paradise sur PS3 (Grasshopper Manufacture/ AQ Interactive/Konami, environ 60 €)

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acier trempé Beau, bien conçu et varié, Steel Diver a tout les atouts d’un minijeu téléchargeable. Vendu au format et au prix classiques, son concept prend l’eau. n essaie ici d’aborder et très accessible d’un plateau de jeu les jeux en tant simulation de sous-marins simplifié et séquences qu’œuvres plutôt que aurait tout pour elle si son d’action pour peu que l’on comme des produits gameplay et son contenu ne y découvre un ou plusieurs dont il conviendrait d’évaluer semblaient pas si maigres vaisseau(x) ennemi(s). le rapport qualité-prix pour un titre vendu en boîte L’ensemble est afin d’en conseiller ou non au tarif classique. brillamment conçu et l’achat. L’évolution du Trois modes de jeu chaque succès procure marché vidéoludique, avec s’offrent à nous : une une intense satisfaction. l’émergence des petits jeux campagne riche de Steel Diver avait tout à télécharger, rend sept missions qui nous pour devenir la vedette du cette approche de plus en demanderont de conduire service de téléchargement plus difficile, et Steel Diver jusqu’à un point donné de la 3DS ou, mieux, pour constitue sur ce plan (et dans un temps limité) susciter l’enthousiasme une sorte de cas limite. notre petit submersible de ses premiers acheteurs Exploitant à merveille en évitant rochers, mines si Nintendo avait décidé les capacités de la 3DS et torpilles adverses ; des de l’installer d’office dans avec ses univers aquatiques phases de tir au périscope la mémoire de sa portable. en relief, son pilotage au cours desquelles il En l’état, tout cela est via l’écran tactile et son conviendra d’évaluer avec assurément plaisant, système de visée prenant précision l’évolution des mais un peu léger. E. H. en compte les mouvements navires concurrents ; et une que l’on impose à la bataille navale qui mêle Steel Diver sur 3DS console, cette charmante déplacements sur les cases (Nintendo, environ 45 €)

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SBK 2011 Sur PS3, Xbox 360 et PC (Milestone/Black Bean, de 30 à 60 €) Si la bagnole domine le secteur de la course vidéoludique, les motos disposent aussi, avec MotoGP et SBK, de deux séries de premier plan. On peine toujours à éviter les sorties de route à répétition aux commandes du tout frais SBK 2011, mais cela en dit plus sur nos limites personnelles que sur cette simulation extrêmement aboutie.

MX vs ATV Alive Sur PS3 et Xbox 360 (THQ, environ 40 €) Plus cheap et moins scrupuleux dans son interprétation du réel, MX vs ATV Alive fait figure de furieuse série B à côté de SBK 2011. Après les circuits bitumés, place au motocross en milieu boueux, sableux ou enneigé. Très typé “arcade”, le jeu atteint assez vite ses limites. Mais le chemin qui y mène ne manque pas d’étapes rigolotes. 8.06.2011 les inrockuptibles 81

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étoile rouge Avec un culot, voire une inconscience absolue, le Parisien Cyril Mokaiesh tente le dialogue entre Léo Ferré et Noir Désir. Et ça passe, en tempête et en force.

 D Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

es éloquents, on en a vu défiler. Des baby Brel, des orgueilleux qui pensaient emprunter la voie Léo Ferré et débouchaient la plupart du temps dans l’impasse Francis Lalanne. Car pour un Cantat, combien de Saez à écluser ? Combien de salive et d’électricité gâchées à gueuler dans le vent sur fond de guitares en pétard ? Cyril Mokaiesh a bien failli être de ceux-là. A entendre le premier album du groupe qui portait alors son nom, il y a trois ans, on pouvait le soupçonner d’avoir profité de ce qu’on appellera pudiquement la “trêve de Vilnius” pour essayer le costume de révolté national. Le résultat manquait moins de panache et de bonnes

intentions que de personnalité, notamment en regard des Luke ou Deportivo déjà dans la place. Et l’étincelle publique, malgré un solide noyau d’admirateurs(trices), ne vint jamais embraser les Va savoir et autres Comme elle est belle, hymnes possiblement générationnels qui n’ont pas trouvé leur génération. Fatalement, les liens ne tardèrent pas à craquer entre un chanteur qui pensait obstinément Ferré ou Brel et un groupe qui se rêvait Rage Against The Machine. Cyril, 23 ans à l’époque et une plume qui n’a nullement besoin de plomb pour affirmer sa puissance, ramasse alors ses billes et s’en va chercher ailleurs l’espace vital que ses camarades lui refusent.

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on connaît la chanson “même si j’ai moins de rage en apparence, je n’ai pas envie de renoncer à être un peu idéaliste”

Le jeune et beau gosse, ancien champion de France junior de tennis à 18 ans, qui a brutalement déserté les courts pour les salles de répétition, a conservé de la joute sportive une détermination à toute épreuve. Il repart donc de zéro, songe à un repli guitare/voix plus réaliste en temps de crise, mais autour de lui on se rend vite compte que ses chansons réclament naturellement de l’amplitude et de l’altitude. On l’engage ainsi à rencontrer Philippe Uminski, musicien et arrangeur français aux compétences élastiques, à la fois guitariste chez Johnny et connaisseur méticuleux du langage pop tel qu’on le parlait à la fin des années 60 des deux côtés de la Manche. Les deux garçons se flairent sur un ou deux titres, Philippe emballe les textes convulsifs et orageux de Cyril dans un écrin orchestral plus proche de Divine Comedy que de Noir Désir, et l’alchimie prend corps comme par magie sur Communiste. Un morceau coup-de-poing rangé dans un gant de velours, au sujet forcément culotté par les temps qui courent, même si on devine le “communiste” Mokaiesh plus

sensible à Che Guevara qu’à Robert Hue. “Même si j’ai moins de rage en apparence aujourd’hui qu’à l’époque du premier album, je n’ai pas envie de renoncer à être un peu idéaliste. Je viens d’un milieu plutôt aisé et ce que je déteste le plus dans la bourgeoisie, c’est ce cynisme qui consiste à penser que si tout va bien pour soi, les autres n’ont qu’à faire des efforts pour mériter la même chose. Quand je me révoltais contre ce discours au milieu de certains de mes potes, on me traitait soit de Bisounours, soit de communiste.” Une chanson intitulée “Bisounours” aurait certes eu moins de gueule. Malgré son calibre de tube évident et son finale glissant vers l’autodérision, la peur du bolchevique semble avoir refroidi les ardeurs des programmateurs radio, pour qui un bon chanteur communiste est un chanteur communiste mort (Jean Ferrat). Ils y viendront tôt ou tard, peut-être avec l’emballant Des jours inouïs et sa générosité débordante, qui demande “c’est par où l’extase” et en apporte de fait la réponse. Du rouge et des passions, l’album, est partagé comme le suggère son titre entre saine colère et hyper romantisme stendhalien, avec un goût assumé pour l’exaltation que les tourbillonnantes orchestrations montent en neige sans (trop) rajouter de chantilly. Cyril Mokaiesh n’a probablement jamais posé une oreille sur l’album Scott Walker Sings Jacques Brel (à la différence de Philippe Uminski), mais on ne peut s’empêcher d’y songer en écoutant les somptueux Mon époque ou Tes airs de rien, qui envoient à leur tour valser le roi des chanteurs belges dans la voie lactée pop. Lui, plus prudent, cite Belle & Sebastian, qu’il ne connaissait cependant pas avant que quelqu’un ne lui en parle. “Je n’ai pas une très grande culture musicale, j’ai très tôt bloqué sur les grands noms de la chanson française et j’assume complètement cet héritage, sans trop la ramener non plus. Il y a un côté fleur bleue dans mes chansons que je revendique sans problème. Si on me dit que ça ressemble à du Julien Clerc des années 70, ça me va parfaitement.” Sur la dernière plage de cet album décidément très gonflé, il enfièvre même une bluette de Marc Lavoine. C’est dire si ce garçon, dans tous les sens du terme, peut aller loin. Christophe Conte Photo Jérôme Brézillon album Du rouge et des passions (AZ/Universal), www.cyrilmokaiesh.com

Rock & Cannes Philippe Garnier, Yves Adrien, Des jeunes gens mödernes… Pendant le Festival de Cannes, on se serait cru dans le Rock & Folk des années 70. Ce fut d’abord l’apparition d’un “fantôme”, Yves Adrien, alias 69x69, venu accompagner Des jeunes gens mödernes, le film de Jérôme de Missolz, dont il tient le “rôle” principal. Rappelons qu’Adrien est spécialiste des jeux de rôle : dans les colonnes de Rock & Folk, sous divers alias (Sweet Punk, Eve Punk, Orphan...), il chroniqua le punk en 1973-74, inventa la techno en 1978, avant de “chanter” en 1988 la conflagration Stooges-KubrickCoppola dans une série de chroniques éblouissante (éditée en livre sous le titre 2001, une apocalypse rock - l’un des chapitres s’intitule “Napalm d’or”). En revanche, Adrien n’écrivit jamais sur Little Bob, le rockeur prolo havrais qui figurait cette année au générique du très beau film d’Aki Kaurismäki, Le Havre. Le cinégénique port industriel normand est aussi la ville natale de Philippe Garnier qui signa le tout premier grand papier sur Little Bob Story (Rock & Folk, 1975) et déboula sur la Croisette les trois derniers jours du Festival. Coiffé d’un haut-de-forme, ganté de noir, déclamant du Cocteau et dédiant la projection de son film à Tina Aumont, croisement d’Iggy, d’Oscar Wilde et de Greta Garbo, Adrien rédima la routine cannoise de son dandysme précieux. Au même moment, Little Bob montait les fameuses marches vêtu de son éternel perfecto rouge, avant de secouer via son film la vénérable salle Lumière d’un rock noir brûlé à blanc. Philippe Garnier, qui fut à Yves Adrien ce que Nick Tosches fut à Lester Bangs, était à Cannes en simple touriste cinéphile. Cet alignement hasardeux de trois astres de la galaxie Rock & Folk vintage avait quelque chose d’électrique et de cosmique, dans la logique d’une édition marquée par le 2001 de Kubrick. Ce fut aussi très proustien pour un ancien lecteur de la revue.

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New Order : un inédit et un concert  à Paris ? Pendant que leur ex-bassiste Peter Hook s’amuse encore à terminer des morceaux de Ian Curtis et à donner des concerts hommages, le reste de New Order préfère s’atteler à la réalisation d’une compilation de dix-huit titres retraçant l’histoire de Joy Division et de ses descendants. Sortie le 6 juin, Total offre même en prime un inédit de New Order, Hellbent, que le groupe jouera peut-être lors de sa potentielle reformation à la fin de l’été à Paris pour un concert caritatif. Si rien n’a encore filtré sur l’événement, on est déjà sûr d’une chose : Hooky ne sera pas de la party.

Al Pacino dans la peau de Phil Spector Tandis que les rumeurs reprennent quant à l’adaptation au cinéma de la vie de Jeff Buckley, celles concernant la chute de Phil Spector se confirment. Commissionné par la chaîne américaine HBO, le téléfilm verra Al Pacino camper le rôle du producteur, condamné en 2009 à dix-neuf ans de prison pour le meurtre de l’actrice Lana Clarkson. La chanteuse Bette Midler prendra quant à elle le rôle de Linda Baden, avocate de Spector lors de son procès.

Kaiser Chiefs met le turbo

cette semaine

Remuant Art Rock Saint-Brieuc sera le centre du monde cette semaine puisque s’y réuniront entre autres les allumés suédois The Hives, la bombe Yelle et les Klaxons. Du 9 au 12 juin à Saint-Brieuc

The Kooks ont du cœur

Le quatrième album des Anglais promet de sonner très fort. Produit par les machines Tony Visconti (Bowie) et Owen Morris, déjà vu aux commandes des albums de The Verve et Oasis, le successeur d’Off with Their Heads paru en 2008 arrivera cet été et se dévoile déjà à travers Little Shocks, premier single puissant où le groupe fait enfiler des turboréacteurs au rock de Queen. www.youtube.com

Au boulot depuis quelques mois entre Londres et New York avec le producteur Tony Hoffer (Beck, Air), les Kooks viennent d’annoncer la sortie, le 12 septembre, de leur troisième album. Junk of the Heart est le premier essai du groupe avec Pete Denton, bassiste remplaçant de Max Rafferty, exclu du groupe à cause de ses problèmes de drogues.

neuf

Dead Kennedys Foster The People

Juveniles Leurs chansons s’appellent We Are Young ou Avant-Garde Is French for Bullshit et viennent de Rennes en maugréant. Et pourtant : fondé par des membres de Russian Sextoys et Wankin’Noodles (InrocksLab), Juveniles réussit, dans une electro-pop étonnante, la conjugaison du coup de grisou et du feu d’artifice. www.lesinrockslab.com

Toute une armée de fans de rock a découvert la musique dans les festivals, de Coachella à Glastonbury. Ça déforme forcément les oreilles. Mais là où tant de musiciens de cette génération se contentent de maquiller leurs chansonnettes sous des tonnes d’effets, ces Californiens malins composent de vrais trésors. www.myspace.com/fosterthepeople

les débuts des stars du rock indé “Indie Rockers before they were famous”, la nouvelle rubrique de Stereogum.com s’amuse : Daniel Rossen de Grizzly Bear à 5 ans dans une imitation d’Elvis, Arcade Fire balbutiant dans une fête étudiante, ou la chanteuse de Best Coast dans une pub pour des pizzas ! Pas de porno, malheureusement. tinyurl.com/42c8c8s

Il suffit d’une conversation avec les Américains de Cults – dont la chanteuse Madeline Folin est une grande fan – pour avoir envie de réécouter les Dead Kennedys, glaviot punk sale à la face de l’insouciance californienne. Quand on entend parler Schwarzenegger, c’est California Über Alles qu’on entend dans sa tête. www.deadkennedys.com

vintage

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la pulsation Austra Ressortez le khôl et les dentelles : basé à Toronto, le quatuor Austra rameute les souvenirs gothiques sur le dance-floor. Rencontre avec Katie Stelmanis, la tête pensante du groupe.

C  

ertaines enfances en disent long sur l’adulte qui se tient en face de vous. Jusqu’à l’âge de 18 ans, Katie Stelmanis se destinait à être chanteuse d’opéra. “Je dansais et chantais Puccini dans ma chambre, se souvient-elle en riant. Mes parents, plutôt fans de Dylan et de Zappa, pensaient que j’étais cinglée. Ils détestaient. Mais c’était mon truc.” A 18 ans, elle change pourtant brusquement son fusil d’épaule. “J’ai réalisé que je ne voulais pas vraiment de la vie qui allait

“j’ai envie d’impulser un peu d’esprit opéra dans mes créations”

avec le classique : ça demande énormément de restrictions. J’ai eu envie de m’amuser.” Comme dans le film The Runaways, qui retrace l’histoire du groupe de Joan Jett, l’affirmation de l’identité musicale et sexuelle de Katie (elle fait son coming-out dans la foulée) passe alors par l’électricité. Avec Maya, la batteuse d’Austra issue comme elle du classique, elle rejoint Galaxy, un groupe punk féministe riot et DIY (“do it yourself”). “Ça a été une grande libération. Trois accords et c’est parti. Le classique était tellement restrictif en comparaison…” Des artistes tels que Björk ou Nine Inch Nails, qu’elle découvre alors, lui font prendre goût à l’électronique. Elle bidouille des morceaux sur son ordinateur et sort, à 22 ans,

Join Us, un disque solo qui recèle de belles surprises mais reste empreint d’une trop grande préciosité. “Je composais des choses très orchestrées. Au fil des ans, je me suis ouverte à d’autres types de sons, plus synthétiques. Pour ma voix, ça a été la même chose : il a été très difficile de l’utiliser autrement, d’une manière plus pop. Je pense qu’après 20 ans, le plus dur pour moi a consisté à désapprendre, à perdre le contrôle.” Un dérèglement qui prend aujourd’hui tout son sens avec Austra, projet electro à tendance goth que Stelmanis a fondé il y a trois ans. Repéré et signé par le label Domino lors du dernier festival South by Southwest, le quatuor arty sort aujourd’hui Feel It Break. Un album mixé par Damian Taylor, qui a par le

passé collaboré avec Björk. “Il a musclé notre son et fait en sorte que l’on puisse passer en club.” On ne peut qu’acquiescer à l’écoute de Beat and the Pulse, un des titres les plus entêtants et originaux entendus ce printemps : un pied electro deep et hypnotique, un sample à la O Superman de Laurie Anderson et la voix renversante de Stelmanis. Sans parvenir à réitérer ce petit miracle (et si l’on excepte les moments où Selmanis verse un peu trop dans l’ésotérisme et les incantations à la Enigma), le reste de l’album dégage une séduction tenace, renforcée par l’univers visuel d’Austra. Ainsi le très sensuel clip de Beat and the Pulse, où l’on voit des jeunes filles en sous-vêtements danser en toute décontraction, face caméra. “J’ai demandé à des copines de venir et d’apporter des fringues. On était saoules, on mangeait des pizzas, on s’est vraiment éclatées. L’opéra est un art total qui réunit théâtre, art, musique, poésie. J’ai envie d’impulser un peu de cet esprit dans mes créations. Lady Gaga le fait un peu, même si musicalement ce n’est pas mon truc. Nine Inch Nails proposait un des meilleurs shows que j’aie jamais vus, ils mettaient tout leur fric dans leur live. C’est quelque chose que je pourrais vraiment faire dans le futur.” Gare, cette fille ira loin. Géraldine Sarratia photo Sébastien Vincent

Album Feel It Break (Domino/Pias) www.austramusic.com En écoute sur lesinrocks.com avec 8.06.2011 les inrockuptibles 85

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N’Krumah Lawson-Daku

l’Orphée du Cap-Vert Le discret mais précieux Teofilo Chantre revient d’un voyage imaginaire dans son pays d’origine. Septième album, au septième ciel.

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ap vers le Cap-Vert, toujours. Teofilo Chantre, dont on découvrait le nom et les talents de compositeur il y a bientôt vingt ans, pour une poignée de chansons capiteuses déposées aux pieds nus de la diva Cesaria Evora (sur l’album Miss Perfumado), vit à Paris depuis plus de trente ans. Son corps est à Paris. Mais ses songes, ses pensées, son cœur, sont restés au Cap-Vert, où ils ne manquent jamais une occasion de s’évader. Pour ses interviews, Teofilo Chantre donne rendez-vous Chez Céleste, un petit restau cap-verdien du XIe arrondissement. Sur un des murs, un peu planquée à côté d’une guitare, il y a une affiche du chanteur. “C’est ma deuxième maison. Ici, je reçois mes amis, je mange, je prends souvent la guitare, on fait des petits concerts entre amis, on passe un bon moment.” Céleste est la patronne, mais c’est aussi un adjectif venu d’en haut, qui évoque l’éther, la légèreté, l’espace aérien, et colle idéalement au nouvel album de Teofilo Chantre – son septième (ciel). Cette musique est un piège d’altitude. Un petit blues pastel, un nuage blanc qui passe devant le soleil, une mélancolie subtile qu’on n’échangerait pas pour toute la joie brute du monde.

Sur le fond, rien de nouveau, cette bonne vieille saudade, ce blues lusophone éternel et mouvant dont l’écume caresse les âmes, des côtes du Portugal à celles du Brésil. “Cette musique est simplement liée à la finitude, au fait d’exister, de voir le temps qui passe. Je pense que la saudade est universelle, chacun va définir ce sentiment avec ses propres termes. Je fais toujours la même chanson, avec des variantes, des déclinaisons.” Et parfois, comme sur Mestissage, des élévations. Le métissage, ou plutôt le tissage, c’est d’abord ce savant entrelacs d’influences, une musique embellie dans les drapés de la bossa nova et du jazz tendre, d’une élégance irréprochable. C’est aussi le mélange des langues : une moitié des chansons est en français impressionniste. Teofilo Chantre doit trop au Cap-Vert pour l’oublier. Exilé consentant, il a rejoint sa mère en France à 14 ans et s’est mis à la guitare deux ans plus tard, pour caresser la nostalgie, déjà. Au collège, il passe son temps à chanter et dessiner.

une musique embellie dans les drapés de la bossa nova et du jazz tendre, d’une élégance irréprochable

On le met en CAP de comptabilité. Finalement, il poussera jusqu’à la maîtrise, mais c’est bien qu’il ait appris à compter, parce que la rencontre de ses chansons avec la future star Cesaria Evora ajoutera des zéros à son compte en banque. “J’aurais pu faire une carrière d’auteur-compositeur, sans problème. Mais c’est aussi grâce à Cesaria qu’on m’a connu et que j’ai pu commencer à enregistrer. Et même si je suis timide, j’aime bien la scène, faire l’artiste, montrer mes chansons. Certaines sont vraiment faites pour que je les chante, moi.” Chez Céleste, décidément divine, on peut aussi se faire tirer les cartes. Mais Teofilo Chantre n’a jamais essayé. “J’ai trop peur de savoir ce que le futur va décider. Je suis plutôt à la recherche de mon enfance, des lieux, des ambiances, des visages. A 10-12 ans, j’ai découvert le film Orfeu Negro et ça m’a marqué à vie, toute la musique que j’ai faite par la suite est venue de cette douceur qu’on trouve dès le générique. Aujourd’hui, j’aimerais avoir 12 ans et me retrouver avec une guitare sur les hauteurs de mon quartier, avec la baie devant moi.” Stéphane Deschamps album Mestissage (Lusafrica/Sony) concert le 9 juin à Paris (New Morning) www.teofilo-chantre.com

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Aucan Black Rainbow Avec ces Italiens lourds en ambiances, trip-hop s’écrit tripes-hop. Imaginez un monde où un drone grésillant de trois minutes (In a Land) pourrait être aussi captivant qu’un capharnaüm mathrock avec des ruptures et dissonances aux airs d’aphrodisiaques pour calculatrice (Heartless). Ce monde existe, c’est celui d’Aucan, trio mixte italien qui travaille ses claviers et samplers comme d’autres sculptent des tas de pâte à modeler radioactive. Black Rainbow le cartographie avec une audace et une intensité dont le dubstep n’est déjà plus capable. Pour la peine, on appellera ça de la noisetronica. Benjamin Mialot www.myspace.com/aucan En écoute sur lesinrocks.com avec

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Kevin Westenberg

Africantape

Thomas Dybdahl Songs Decca/Universal Retour du Norvégien, les poches pleines de folksongs brodées et de soul sensuelle. e Norvégien cite Happy Sad de Tim Buckley, One Year de Colin Blundstone et Histoire de Melody Nelson de Gainsbourg comme disques de référence : on l’aime. Une érudition que Dybdahl entretient pourtant dans la confidentialité : depuis une petite décennie, le Scandinave enchaîne des albums élégants et discrets à la fois. Le nouveau s’intitule Songs, et c’est aux chansons de Jeff Buckley qu’on pense dès l’ouverture – le titre s’intitule d’ailleurs

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From Grace, comme un probable clin d’œil au fils de Tim. Produit par Larry Klein (réalisateur pour Joni Mitchell ou Madeleine Peyroux), Songs alterne instants de grâce (All’s Not Lost), chants romantiques (That Great October Sound) et petites longueurs (Cecilia). Les amoureux du Grand Nord pourront voir en ce recueil une preuve supplémentaire de la qualité et du niveau de compétition de la scène scandinave, faisant de Dybdahl un cousin de José Gonzales ou de Peter von Poehl. Ce serait à moitié juste : si le Norvégien emprunte à la scène suédoise son goût pour la production soignée, c’est plutôt de l’école Memphis que ses petits tubes soul (Don’t Lose Yourself, Pale Green Eyes, B A Part) semblent s’échapper aujourd’hui. Johanna Seban concert le 8 juillet à Paris (Salle Pleyel) www.thomasdybdahl.com En écoute sur lesinrocks.com avec

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Mamani Keïta Gagner l’argent français No Format/Universal

Philippe Dumez 39 ans 1/2 pour tous

Mark Blezinger

Editions Inmybed, 12 €

Kid Loco Confessions of a Belladonna Eater F.L.O.R./Green United Music/Pias

Beau retour du Français paré d’un disque avec plein de pop à l’ancienne dedans. n connaît la largesse d’esprit de Jean-Yves Prieur, tête pensante de Kid Loco. Passé par le punk, le rock alternatif (avec le label Bondage Records), le rap ou le trip-hop, le Français a toujours aimé casser les frontières, tour à tour producteur, remixeur, initiateur de compiles… Il y a trois ans, on avait qualifié son album Party Animals & Disco Biscuits de disque psychélectronique. Sur son successeur Confessions of a Belladonna Eater, Kid Loco choisit clairement la pop et livre un recueil de petits tubes. Des vraies chansons avec des refrains catchy à l’anglaise, comme on en entend rarement au pays de Bénabar. Surtout, Confessions of a Belladonna Eater rappelle que Kid Loco vaut mieux que les terrasses de bar lounge et compiles boudin bar auxquelles on a un temps associé sa musique. Le trip-hop semble bien loin d’ailleurs : aujourd’hui, on pense surtout à un Damon Albarn bricolant des pop-songs pour Gorillaz (I’m a Hero) ou au Velvet Underground (The Morning After). Chapeau Loco. Johanna Seban

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www.kidloco.com En écoute sur lesinrocks.com avec

Cinq cent dix souvenirs de musique par un fan drôle et irrécupérable. Ça commence, systématiquement, cinq cent dix fois, par “Je me souviens.” Comme dans la chanson de Daniel Darc plus que dans le livre de Perec, tant Philippe Dumez a découvert le rock dans le désordre, connaissant les reprises avant les originaux, remontant à la source par des chemins aux cocasses zigzags. C’est ce jeu de pistes auquel il a consacré sa vie et ses économies, sans perdre l’humour et l’autodérision qu’il déroule ici. Spécialisé dans le commerce de la madeleine depuis sa grandiose BD Le Meilleur de moi (mise en scène par son épouse, “une fille au premier rang à un concert de Dominique A”), Dumez contemple l’absurdité, la puérilité et donc la beauté innocente de sa vie de fan, s’amusant de ses manies et de ses obsessions comme personne depuis Nick Hornby. JDB www.inmybedmusic.com

Concert le 10 juin à Paris (Maroquinerie) mamani.keita.free.fr En écoute sur lesinrocks.com avec

Emma Pick

livre

Rebelle et touche-à-tout, la jeune femme révèle son univers : vaste. Jeune fille sans papiers et rebelle mandingue. Chanteuse buissonnière, révélée par un patron compatriote Salif Keita. Apôtre de la fusion avec le groupe Tama, puis du rock au côté du Havrais Marc Minelli. Mamani Keïta grandit en compagnie de Nicolas Repac, guitariste, adepte de rock, de dub et d’harmonies enracinées. Le duo a enregistré un troisième album gai et vibratile, sous-tendu par un parfait afrobeat. Entre rythmique binaire et tapis volant de la polyrythmie africaine, il hypnotise : ici se pressent chants ancestraux, victoires de femmes et combats farouches. Mamani Keïta se dresse au centre de cette fête, rebelle et indépendante. “Gagner l’argent français” : elle ne l’a pas volé. Christian Larrède

The Berg Sans Nipple Build with Erosion Clapping Music En tournée française, le post-rock enfantin d’heureux hurluberlus. Le label ne s’en vante pas, mais il faut savoir que le troisième album de Berg Sans Nipple, avant-gardiste duo franco-canadien, a été enregistré dans une garderie baignant dans les arômes d’une herbe primée à la Cannabis Cup et d’un sapin de Noël. C’est en tout cas le sentiment que confèrent Build with Erosion et le mélange unique de chamanisme enfantin (Change the Shape), de post-rock bienheureux (Convert the Measurement) et de dub littéralement enguirlandé (Terroir) qu’on y entend. Very good trip. Benjamin Mialot www.thebergsansnipple.tumblr.com Concert le 12 juin (Quai Branly, Siestes à Paris) En écoute sur lesinrocks.com avec

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Nakion Oh Ah! Tigersushi Records

Scott Matthew Gallantry’s Favorite Son La pop démesurée d’un surdoué australien basé à Brooklyn. avid Bowie a souvent revendiqué, ému, l’influence de Scott Walker. Scott Matthew, gourmand Australien de Brooklyn, l’a bien entendu, entremêlant ces deux mentors – la suavité de l’un, la démesure de l’autre – dans des chansons aux arrangements immodérés, où les voix sont reçues avec tous les égards, en foultitude. Ce gospel illuminé ne pourrait être que grandiloquent empilement d’harmonies angéliques et instruments précieux,

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Michael Mann

Glitterhouse/Differ-ant

un château de cartes balayé par le premier faux pas. Mais Scott Matthew est également un architecte doué et rigoureux, alternant plus encore que sur son magnifique There Is an Ocean That Divides… les extravagances et les silences, en une curieuse pop sacrée, recueillie et pourtant casse-cou. Le titre de son album se traduit par “le fils préféré de la bravoure”. A peine exagéré. JD Beauvallet www.myspace.com/scottmatthewmusic

Explosive, la musique d’une Coréenne fureteuse. Tigersushi de continuer son travail d’exploration sonore des mondes parallèles. Jeune Coréenne aux visions synthétiques et violentes, Nakion nous entraîne sur des chemins où l’on a croisé naguère Art Of Noise, Yellow Magic Orchestra ou Aphex Twin. Entre silences et explosions, on retrouve la vision d’une artiste totale, qui signe la pochette de son album, peinture aux couleurs rappelant les expressionnistes allemands (Nakion a représenté la Corée à la Biennale de Venise). Un travail qu’elle résume parfaitement : “J’aime l’énergie du chaos.” Yan Céh www.tigersushi.com En écoute sur lesinrocks.com avec

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Jason Frank Rothenberg

Battles Gloss Drop Warp/Discograph

The Felice Brothers Celebration, Florida Loose Music/Pias

De la musique plouc qui ratisse les itinéraires bis des Etats-Unis. Avec déjà quatre albums derrière eux, les Felice Brothers sont devenus l’un des meilleurs représentants actuels de l’americana, genre trop souvent réduit à la seule country. La country, certes, Celebration, Florida en emprunte autant l’ethos (roots et dogmatique) que les mélodies et le style. C’est ce qui plaît chez eux, outre leurs chapeaux de cow-boys : leur capacité à marcher sur les pas de Willie Nelson sans en faire trop et sans hésiter à aller puiser un peu de blues du Mississippi. Un salvateur retour aux sources donc, à l’heure où les Taylor Swift et autres Ryan Adams nous assomment de cette country de guimauve qui séduit tant à Hollywood (voir à ce sujet Gwyneth Paltrow dans le récent Country Song). Issus d’une vaste famille des Catskills, ils ont depuis belle lurette abandonné leurs montagnes pour s’installer à Brooklyn. Mais c’est la nostalgie de l’Amérique profonde, celle de leur enfance, qui donne son âme à Celebration, Florida. Yann Perreau www.myspace.com/ thefelicebrothers En écoute sur lesinrocks.com avec

Un membre en moins, beaucoup de joie en plus : le deuxième album des math-rockeurs Battles est un génial jouet sexuel, jouissif et épuisant. vec le départ du génial Tyondai Braxton, l’un des chirurgiens-guitaristes de Battles, indispensable fil de ces structures en infernaux scoubidous, on a sans doute failli perdre Battles. Car un membre en moins et c’est l’équation intégrale des emblèmes new-yorkais du math-rock qui s’effondrait : comment faire autant avec moins un ? C’est ici que la science s’efface. Car sans Braxton, Ian Williams, Dave Konopka et le fantabuleux batteur d’Helmet, John Stanier, ont paradoxalement fait plus. Beaucoup plus. Le précédent Mirrored (2007) était certes, déjà, un grand disque. Monumental, dantesque, furieux. Mais trop monumental, trop dantesque, trop furieux. L’album de surdoués trop doués, qui toisaient un peu trop pesamment leurs propres exploits techniques ; on s’y poilait peu et on s’y masturbait peut-être trop. Fini le raisonnable, vive les conneries : sans Braxton, les garçons ont appris à utiliser leur science avec la folie d’un professeur Tournesol plutôt qu’avec la raideur sérieuse d’un collisionneur de hadrons suisse. Sur Gloss Drop, on ne se masturbe plus : on baise. Beaucoup, n’importe comment, violemment, à beaucoup, en sueurs folles, la rage au corps et des bleus aux membres, en se méfiant quand même un peu des habituels tabassages soniques des Américains. S’il reste furibard, anguleux, musculeux, mathématique, Gloss Drop est surtout jouissif et ludique, filou et comique : c’est au final un vrai, un grand album pop. Plein de voix (Gary Numan sur la folle My Machines, Matias Aguayo sur le génial single Ice Cream ou Kazu Makino de Blonde Redhead sur le tube sexuel Sweetie & Shag), d’exotisme caribéen ou africanisant, torride et tordu, de chansons-jouets, de guitares cintrées, de synthés aberrants, de râles extatiques. On en ressort épuisé, violenté, déboussolé. Mais très, très heureux. Thomas Burgel

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Sarah W_Papsun Drugstore Montmartre Rabeat’s Cage Le groupe parisien s’éloigne du rock épileptique de Foals et ça lui va bien. tre considérés comme Hargne et sueur sont toujours les cousins français là mais accompagnées de rêverie de Foals est en général empoisonnée (Série culte), une bonne chose pour de chants claniques (Hey Hey, Kids un groupe. Mais quand ça devient of Guerilla) et de riffs amphétaminés systématique, ça peut susciter (Drugstore Montmartre) que frustration et envie d’aller voir ne renieraient pas, cette fois-ci, ailleurs. Est-ce là l’origine du les Kings Of Leon. Ondine Benetier changement de cap des Parisiens de Sarah W_Papsun ? La (semi) volte-face du groupe vers un rock www.papsun.com plus menaçant et sombre s’avère En écoute sur lesinrocks.com avec plutôt réussie et salvatrice.

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Weezer Paranoid Android (Radiohead cover) Quand Rivers Cuomo enfile les fringues de Thom Yorke l’espace d’une chanson, cela donne une reprise improbable de Radiohead par Weezer et une expérience sonore très étrange pour les tympans – “comme écouter Tupac chanter une chanson des Smashing Pumpkins”, dixit Pitchfork. www.youtube.com

The Melting Snow Quartet Constance Is Pale Né en 2009 de l’inspiration de quatre jeunes Grenoblois, The Melting Snow Quartet suggère la nostalgie des seventies pour mieux la confondre dans des rythmes enjoués plus contemporains. Un rock alternatif porté par l’originalité et l’allure des pianos dont les envolées rappellent subtilement Radiohead et Cat Power. www.lesinrockslab.com/the-melting-snow-quartet

Matana Roberts Mississippi Moonchile Pourquoi la saxophoniste new-yorkaise Matana Roberts donne-t-elle de grands frissons au jazz d’aujourd’hui ? Réponse en images avec ce film ensorcelé, intense, brutal et vaudou. http://cstrecords.com

Carte Blanche + Alexis Taylor With You Extrait du nouvel ep de Carte Blanche, ce titre du duo DJ Mehdi et Riton de l’écurie Ed Bangers est une petite tuerie. Alexis Taylor de Hot Chip gère la partie vocale et il ne reste plus qu’une chose à faire : appuyer sur repeat et danser. www.lagasta.com

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Arcade Fire 28/6 Paris, Zénith Art Rock du 9 au 12/6 à Saint-Brieuc avec The Hives, Yelle, The Joy Formidable, Klaxons, Florent Marchet, etc. Avi Buffalo 8/7 Paris, Flèche d’Or Battles 30/6 Paris, Cabaret Sauvage BBK Live du 7 au 9/7 à Bilbao avec Crystal Castles, Amy Winehouse, Kasabian,

Kaiser Chiefs, The Chemical Brothers, !!!, Blondie, TV On The Radio, etc. Beirut 12/9 Paris, Olympia Bombay Bicycle Club 14/6 Paris, Flèche d’Or Bright Eyes 22/6 Paris, Alhambra Clap Your Hands Say Yeah 12/9 Paris, Maroquinerie Cloud Control 17/6 Paris, Flèche d’Or

Congotronics vs Rockers 9/7 Paris, Bataclan avec Deerhoof, Konono n° 1, Kasaï, Juana Molina, etc. Crystal Stilts 19/6 Paris, Maroquinerie Custom juin 16/6 Paris, Nouveau Casino avec Cage The Elephant, Tribes et Life In Film Da Brasilians 11/6 SaintLaurent-deCuves, 14/6 Paris, Point Ephémère, 21/6 Lorient, 2/7 Caen, 14/7 Les Sables-d’Olonne, 15/7 SaintBrévin-les-Pins Dengue Fever 27/6 Paris, Boule Noire

The Divine Comedy 17/6 Paris, Théâtre de la Ville Eels 4 & 5/7 Paris, Bataclan Electrelane 22/7 Paris, Glazart Les Eurockéennes de Belfort du 1 au 3/7 à Belfort avec Arcade Fire, Beady Eye, Beth Ditto, Arctic Monkeys, Katerine, Anna Calvi, etc. Family Of The Year 16/7 Carhaix Bryan Ferry 12/6 SaintBrieuc, 13/6 Paris, Olympia, 21/7 Arles, 22/7 Carcassonne,

aftershow

25/7 Lyon, 30/7 Monte-Carlo Festival Au Foin de la Rue 1 & 2/7 à Saint-Denis-deGastines avec Tiken Jah Fakoly, Yael Naim, Jaqee, The Qemists, etc. Festival Beauregard du 1 au 3/7 à HerouvilleSaint-Clair, avec The Kooks, Eels, Kasabian, Anna Calvi, Katerine, Agnes Obel, The Ting Tings, Two Door Cinema Club, etc. Festival Days Off du 30/6 au 10/7 à Paris, Cité de la Musique, avec Fleet Foxes, Cat Power, Peter von Poehl, I’m From Barcelona, etc.

Festival Papillons de Nuit du 10 au 12/6 à Saint-Laurent de-Cuves avec The Hives, Beady Eye, Aloe Blacc, Kaiser Chiefs, Klaxons, etc. Arnaud Fleurent-Didier 7/7, Paris, Bouffes du Nord Brigitte Fontaine 29/6 Paris, Bataclan Les Francofolies du 12 au 16/7 à La Rochelle avec Cocoon, The Dø, Yelle, Katerine, etc. Le Grand Souk All VIP du 21 au 23/7 à Ribérac avec Two Door Cinema Club, Katerine,

Jarvis Cocker (Pulp)

Primavera Sound Festival Du 25 au 29 mai à Barcelone On le sait depuis longtemps, Primavera est le meilleur festival du monde. Au soleil, non loin de la plage, l’événement catalan offrait cette année une programmation plus sombre que l’an dernier, malgré la présence des adorables Cults, des frappadingues Of Montreal, en grande forme, des non moins barjos Flaming Lips dont les ballons, confettis et serpentins auront illuminé la grande scène. Chez les anciens, on notera l’ahurissante cérémonie préapocalyptique de Grinderman, avec un Nick Cave ordonnant à son public de quitter le concert pour ne pas rater celui, tout aussi puissant et impressionnant, de Suicide. Alors que les brillants Fleet Foxes battent par KO les mollassons Belle & Sebastian, c’est le hip-hop qui crée les grosses surprises avec l’énorme show de Big Boi, le rap blagueur de Das Racist et la déclaration de guerre d’Odd Future. Mention spéciale à Caribou dont l’electro entêtante gagne les cœurs, le dubstep imparable de Jamie xx, le math-rock des éblouissants Battles et à Pulp dont la reformation doit beaucoup au one-man show incroyable d’un Jarvis Cocker habité, drôle, aussi classieux que touchant. Muchas gracias, Primavera. Caroline Bagur et Ondine Benetier

Inma Varandela

Angus & Julia Stone 14/7 Aix-lesBains, 16/7 Carhaix, 22/7 Lyon, 23/7 Six-Foursles-Plages

Bewitched Hands, Tahiti 80, Violens, etc. Nick Howard 19/10 Paris, Flèche d’Or Hushpuppies 15/7 La Rochelle “L’indie french pop à son zénith” 9/6 Paris, Glazart avec Tokyo/ Overtones, Angil, (Please) Don’t Blame Mexico, Hyphen Hyphen, DJ en vert et JPSSDSDSQUS Inrocks Indie Club juin 17/6 Paris, Flèche d’Or avec Abe Vigoda, Cloud Control & Her Magic Wand Inrocks Lab Party juin 15/6 Paris, Flèche d’Or avec Outlines Is Tropical 8/6 Paris, Point Ephémère Nicolas Jaar 29/6 Paris, Cabaret Sauvage Jay-Jay Johanson 6/10 Nancy, 17/11 Lille, 18/11 Caen, 21/11 Paris, Trianon, 22/11 Lyon, 23/11 Toulouse, 25/11 Montpellier, 26/11 Marseille Karkwa 29/6 Paris, Maroquinerie, 3/7 Belfort, 7/7 Orléans Kasabian 9/7 Goulien, 16/7 Aix-lesBains, 22/11 Paris, Zénith Mamani Keïta 10/6 Paris, Maroquinerie Kid Loco 16/6 Paris, Maroquinerie B. B. King 30/6 Paris, Grand Rex The Lanskies 11/6 SaintLaurent-deCuves, 24/6 Dunkerque, 25/6 Béthune, 12/7 Vierville-surMer, 16/7 Bôle, 23/7 Briouze Lykke Li 23/6 Paris, Cigale

Main Square Festival du 1 au 3/7 à Arras, avec Coldplay, Arcade Fire, Portishead, The Chemical Brothers, PJ Harvey, Elbow, etc. Mirrors 18/6 Paris, Flèche d’Or Mogwai 4/7 Paris, Folies Bergère Monarchy 9/6 Paris, Maroquinerie Motörhead 23/10 Toulouse, 25/10 ClermontFerrand, 26/10 Nantes, 31/10 Lille, 21/11 Paris, Zénith Nasser 25/6 Paris, Hippodrome de Longchamp, 3/7 Belfort, 9/7 SaintAmbroix, 15/7 Carpentras, 16/7 Carhaix, 20/7 Nyon Les Nuits de Fourvière du 7/6 au 30/7 à Lyon avec Arctic Monkeys, Catherine Ringer, Beirut, Lou Reed, Agnès Obel, Tame Impala, etc. Agnes Obel du 4 au 6/7 à Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, 2/11 Paris, Casino de Paris The Pains Of Being Pure At Heart 16/6 Paris, Flèche d’Or Planningtorock (+ Tom Vek) 22/6 Paris, Flèche d’Or Prince Le roi du funk aime la France et s’y arrêtera juste avant l’été pour un concert qu’on pressent caniculaire. 30/6 Paris, Stade de France Razorlight 12/6 Le Mans, 24/6 Evreux Le Rock Dans Tous Ses Etats 24 & 25/6 à Evreux avec Razorlight, The Inspector Cluzo

& Mates, Young Fathers, etc. La Route du Rock du 12 au 14/8 à Saint-Malo avec The Kills, Fleet Foxes, Mogwai, Battles, Electrelane, etc. Royal Republic 22/10 Amiens, 7/11 Lyon, 8/11 Angers, 9/11 Paris, Flèche d’Or, 10/11 Rouen Saint Denis Métis jusqu’au 24/6 en Seine-SaintDenis avec Gotan Project, Simon Bolivar String Quartet, etc. Sakifo Musik Festival du 10 au 12/6 à La Réunion avec Chapelier Fou, Yodélice, Stromae, Les Wampas, etc. Sound Of Rum 11/6 Paris, Flèche d’Or The Strokes 20/7 Paris, Zénith Stupeflip 8/6 Tours Success 17/6 Queriac, 18/6 Dinnard, 24/6 Angers, 1/7 Chateauroux, 2/7 Bobital, 9/7 Guerret, 27/8 Bréalsous-Montfort Selah Sue 9/6 La Rochesur-Yon, 10/6 Saint-Laurent de-Curves, 24/6 Bruxelles, 1/7 Arras, 16/7 Aix-les-Bains, 20/7 Arles, 27/7 Six-Foursles-Plages, 29/7 Vienne, 30/7 Malestroit, 3/8 Saint-Florent, 2/11 Paris, Olympia Swans 22/7 Paris, Maroquinerie Tamikrest 22/6 Paris, Point Ephémère Erik Truffaz 4/11 Paris, Trianon TV On The Radio 13/7 à Paris, Olympia Vetiver 7/7 Paris, Flèche d’Or

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chair à fiction Littérature et fait divers : de plus en plus de livres inspirés de vrais crimes redéfinissent l’entrelacement du réel et du romanesque. Tour d’horizon.

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es amours entre littérature et fait divers datent de Mathusalem. De Stendhal à Duras, en passant par Conan Doyle, Capote, Mailer… Mais qui se soucie aujourd’hui de savoir qu’Emma Bovary doit son existence à l’épouse d’un officier du nom de Delamarre, dont le suicide défraya la chronique normande sous Louis-Philippe ? Ou que Tolstoï façonna Anna Karénine après avoir vu le corps déchiqueté d’une jeune femme à la gare de Lassenki ? “Ce serait peut-être ce que nous attendons de la littérature, qu’elle transforme l’extrême singularité de faits (…) en quelque chose visant l’universel ou du moins capable de rejoindre l’autre dans sa propre singularité”, écrit J.-B. Pontalis dans Un jour, le crime, son bel essai sur le fait divers. Ce dernier s’est longtemps illustré comme catalyseur de la fiction, valet docile assujetti aux puissances de l’imaginaire : prétexte d’un

rapprochement avec le réel pour les Réalistes, qui y virent un bon moyen de botter les fesses du romantisme ; nouveau dada d’une littérature récente, de Carrère et Jauffret (pour le meilleur) à Pingeot et Foenkinos (pour le pire), qui ont remusclé la fiction par les voies du fait divers. Dans L’enfant qui rêvait de la fin du monde, sur un scandale pédophile, l’Italien Antonio Scurati apporte cependant un premier bémol à cet engouement, évoquant ces “faits à première vue sanglants et éphémères, hypnotiques mais vides de tout sens”. De même, que se passe-t-il dès lors que le fait divers, en tant que base romanesque, n’est plus l’apanage des seuls écrivains ? Et que les “intéressés” – les acteurs du fait divers en question – se mettent à vouloir écrire à leur tour ? Plusieurs ouvrages récents témoignent ainsi de cette (ré)appropriation littéraire d’un certain champ du réel par ceux qui y ont pris part.

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Puamelia

quand la rescapée d’un fait divers décide d’en faire un livre, cela devient proprement vertigineux

D’abord avec Crimes, un ensemble de nouvelles signé Ferdinand von Schirach, avocat à Berlin. Les onze histoires relatées sont nées d’affaires criminelles que l’auteur a eu à défendre. Recueil proprement fascinant, qui substitue au fourbi documentaire attendu un sens du drame et de la mise en scène qui n’en finit pas de scotcher le lecteur. Sous la plume clinique, sans fioriture, de von Schirach, prennent forme des destins tragiques et déroutants : une femme massacrée à coups de pioche de jardinage par son époux, un médecin à qui elle avait infligé vingt ans d’enfer conjugal ; ou encore le récit de la relation incestueuse, viscontienne en diable, entre une violoncelliste et son frère mourant. Après l’avocat, le journaliste. Pendant près de dix ans, Stéphane DurandSouffland, chroniqueur judiciaire au Figaro, a été un observateur de premier plan de l’affaire Viguier. La disparition, jamais élucidée, d’une bourgeoise toulousaine en 2000, suivie du calvaire judiciaire de son mari, soupçonné d’avoir éliminé son épouse avant d’être innocenté. Le journaliste en a tiré Disparition d’une femme, un livre-enquête visant à dénoncer un système judicaire mais surtout une affaire tissée de “fantasme sociaux”, ayant

façonné une “caricature d’universitaire assassin”. En bon auteur de droite, Durand-Souffland dénonce ce qu’il tient pour une “chasse au notable”, la fameuse haine du bourgeois. Son pamphlet, fort heureusement, se lit aussi comme un polar hitchcockien haletant, un conte de fées gagné par la haine conjugale, la jalousie et le crime. Encore plus proche de l’os : la victime. Quand la rescapée d’un fait divers décide d’en faire un livre, cela devient proprement vertigineux. Dans La Nuit sauvage, Terri Jentz ne se livre pas à un autre exercice, en revenant, quinze ans plus tard, sur les lieux où un “cow-boy sans tête” l’a sauvagement agressée à la hache, l’été de ses 20 ans. Au cours de cette intense confession tantôt bouleversante, tantôt longuette (doublée d’une enquête, car l’auteur retrouve l’identité de son agresseur !), la beauté du témoignage outrepasse la morale et la leçon de vie pour épouser les récifs d’une expérience métaphysique. Terri Jentz parvient à faire résonner l’événement avec la fin de la fièvre utopiste, l’érigeant en symbole de violence, une certaine nuit brûlante de l’été 1977. A l’évidence, si la littérature et le fait divers n’ont pas desserré leur étreinte, du moins leur rapport de force a-t-il évolué. Le fait divers narré par ses protagonistes, de “l’intérieur” pour ainsi dire, érode l’idée d’une fiction triomphante s’emparant du réel pour mieux le travestir et le sublimer, lui donner un sens. Et parce que cet entrelacement est aussi un bras-de-fer entre les formes, la fiction a perdu du terrain face au réel renouvelé ici en récit, essai, et nouvelles “impures”, plutôt qu’en roman. Désormais, la littérature doit compter avec un réel tout puissant, qui puise dans les romans pour s’écrire lui-même. Sur cette dynamique en quelque sorte inversée, J.-B. Pontalis rappelle cette phrase de Jean Paulhan, “amateur de paradoxes” : “Les faits divers n’arrêtent pas de trahir les romans dont, trop visiblement, ils s’inspirent.” Emily Barnett Un jour, le crime de J.-B. Pontalis (Gallimard), 192 pages, 1 4,90 € Crimes de Ferdinand von Schirach (Gallimard), traduit de l’allemand par Pierre Malherbet, 224 pages, 1 7,50 € Disparition d’une femme de Stéphane Durand-Souffland (Editions de l’Olivier), 228 pages, 1 8 € La Nuit sauvage de Terri Jentz (Denoël), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Alexandra Lefebvre, 578 pages, 25 €

en marge

The Mask De Fantômas à Fantômette, le thème du masque symbolise l’intégration. Ou la désintégration, au cœur de l’actualité via DSK. Il y a exactement cent ans, Pierre Souvestre et Marcel Allain publiaient Fantômas, le premier volume d’une longue série de romans autour d’une figure qui allait devenir mythique. Celle du voleur masqué, revêtant mille visages pour mieux s’introduire chez les très riches et les cambrioler. Avaient-ils conscience de la modernité politique du personnage qu’ils créaient, encore d’actualité un siècle plus tard ? Car ce que Fantômas symbolise, c’est qu’on ne peut effectuer un mouvement ascensionnel dans la société qu’en avançant masqué. Se dépouiller de soi, de son visage, marque visuelle de l’identité, pour pouvoir “s’intégrer” dans une société à laquelle on n’appartient pas, qui nous aurait fermé ses portes au nez si l’on avait tenté d’y pénétrer tel que l’on est. Le déclassé ou encore l’émigré doivent-ils renier leurs origines, se réinventer et se montrer autres, pour pouvoir accéder à un statut social meilleur ? Ce thème de la réinvention de soi était aussi au cœur du Breakfast at Tiffany’s de Truman Capote : ou comment une petite orpheline miséreuse et campagnarde se réinvente en pin-up glam à New York pour mieux pénétrer la jet-set et changer de classe sociale, au prix (douloureux) d’un rejet de son passé, bref d’une automutilation émotionnelle. Il y a cinquante ans, Georges Chaulet créait Fantômette, jeune héroïne qui ne pouvait faire règner la justice qu’en sortant masquée d’un loup noir. Avait-elle peur d’apparaître, visage nu, aussi faillible que les autres ? Car si le masque aide à s’intégrer, un masque arraché a inversement le pouvoir de vous désintégrer. L’affaire DSK nous aura donné l’impression choquante de masques qui tombent et laissent surgir les failles inacceptables : d’un homme, d’un système, d’un milieu politique, et de la France, vieux pays machiste. C’est peut-être, innocent ou coupable, ce qui lui sera toujours reproché.

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Geoff Nicholson Le Fétichiste Robert Laffont, traduit de l’anglais par Bernard Cohen 288 pages, 20 €

Paul Sanclem

F. G. Haghenbeck et la version originale de Martini Shoot

on the rocks Intrigue policière sur le tournage de La Nuit de l’iguane : érotisme glamour et frustration sexuelle au menu d’un thriller mexicain hyper cool.

 A

u cœur de l’été mexicain, le soleil pâlit de jalousie. Plus qu’à ses rayons, la vague de chaleur qui déferle en 1963 sur Puerto Vallarda est en effet imputable au sex-appeal conjugué d’une flopée d’étoiles (plus ou moins filantes) d’Hollywood – Sue Lyon, qui échange ici le bikini de Lolita pour un microscopique short en vichy, Ava Gardner, comtesse aux pieds nus devenue patronne d’une paire de boys aux torses tout aussi nus, et Liz Taylor, déterminée à ne pas quitter de ses yeux améthyste son nouvel amant, Richard Burton. Sans oublier Deborah Kerr, archétype de l’iceberg au bord de l’ébullition – cinq ans plus tard, son apparition topless suffira à propulser Les parachutistes arrivent de John Frankenheimer au panthéon des films cultes. En réunissant, pour les besoins du tournage de La Nuit de l’iguane, des personnalités aux tempéraments aussi stromboliens, John Huston a conscience de jouer avec le feu, version soufre à gogo et flammes éternelles. Et embauche donc, pour veiller sur la sécurité de son équipe, un détective privé épris de surf, d’alcools forts et de littérature beat – Sunny Pascal, cousin hâlé de Philip Marlowe et héros du premier polar de l’écrivain mexicain F. G. Haghenbeck, Martini Shoot. En faisant figurer, en ouverture de chaque chapitre, la recette d’un cocktail corsé, Haghenbeck offre un aperçu de sa démarche littéraire, laquelle monte à la tête aussi prestement que les liqueurs ainsi mélangées. Avec une belle science du dosage, Martini Shoot combine érotisme

glamour (la simple mention de “l’ingénierie parfaite” des jambes d’Ava convoquant illico une foule de visions en Technicolor), frustration sexuelle ambiante (adaptation cinématographique d’une pièce de Tennessee Williams oblige) et intrigue policière aux ressorts d’une opacité toute chandlerienne, où se mêlent spéculation immobilière, chantage aux photos compromettantes et interventions d’une barbouze ayant trempé dans tous les coups fourrés du quart de siècle précédant. Sans parler de l’inévitable blonde fatale et d’un héros abonné aux gnons sur le crâne et aux illuminations soudaines. Le tout, rafraîchi par un humour polaire (le privé/narrateur a un faible pour les réparties à la Marlowe), réhabilite la pratique du pastiche – entreprise qui, loin de rimer avec postiche, débouche sur un thriller hypercool, truffé de références malignes (l’avocat véreux de service a, dans une vie antérieure, tiré d’affaire un William Burroughs ayant, avec les conséquences fatales que l’on sait, confondu la tête de son épouse et la pomme de Guillaume Tell) et doté de vertus apéritives telles que l’on a déjà hâte d’en écluser la suite. Ce qui tombe bien, la seconde aventure de Sunny Pascal (El Caso tequila) étant annoncée (en VO) pour l’été, et promettant de confronter cet ancêtre du Doc Sportello de Pynchon avec une Ann-Margret venant, en s’y envoyant avec lui, de foutre en l’air le mariage d’Elvis. Bruno Juffin

Les aventures sexuelles d’un “footichiste” à Londres. Plus drôle que Georges Tron. “Je ne suis pas l’un de ces fétichistes malsains qui, dans le secret de la nuit, se masturberont avec un escarpin en soie noire.” Obsédé par les pieds des femmes et leurs indissociables accessoires, le narrateur du roman de Geoff Nicholson (Comment j’ai raté mes vacances) est un collectionneur compulsif qui rôde autour des magasins de chaussures pour en photographier les clientes. Des escarpins en peau de zèbre, et c’est l’amour. L’idylle entre Catherine, Cendrillon aux 250 paires de souliers, et notre fétichiste, débouche sur une errance érotique dans les rues de Londres, avec partouzes, talons mortifères et meurtre à la clé. De ce topos de la littérature (de Patrick Suskind à Patricia Cornwell), Nicholson se dépêtre plutôt bien, jouant la carte de l’humour acerbe, à la place de la salve romanticoobsessionelle attendue. On passe d’un registre à l’autre – roman érotique, cours d’anatomie, traité dogmatique, polar SM, conseils beauté – entre vraie malice et fausse solennité de spécialiste. Avis aux lectrices, à l’approche de l’été : “Il existe une catégorie de chaussures qui se singularise par son anti-érotisme. Citons, parmi d’autres, le sabot, la tennis, la tong et la sandale du Docteur Scholl.” Emily Barnett

Martini Shoot de F. G. Haghenbeck (Denoël), traduit de l’espagnol (Mexique) par Juliette Ponce, 184 pages, 13,50 €

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Patrick Dennis Autour du monde avec tante Mame

John Money

Flammarion, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Alain Defossé, 394 pages, 21 €

Janet Frame Vers l’autre été Joëlle Losfeld, traduit de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Marie-Hélène Dumas, 266 pages, 22 €

Avec ce roman inédit abordant les thèmes du déracinement et de l’exil intérieur, Janet Frame signe un autoportrait poignant de l’artiste en asociale borderline. arce qu’elle le jugeait trop “embarrassant personnellement”, Janet Frame n’a pas voulu que ce texte écrit en 1963 soit publié de son vivant. Mais que pouvait-il comporter de plus intime qu’Un ange à ma table, la trilogie autobiographique dans laquelle la romancière néo-zélandaise, disparue en 2004, évoque son internement après avoir été, à tort, diagnostiquée schizophrène ? Dans Vers l’autre été, elle se met à nu à travers le personnage de Grace Cleave, écrivaine pour qui un week-end chez des amis tourne au supplice. Flirtant avec la folie, le récit est hanté par le thème du dédoublement, la douloureuse dichotomie entre la femme, empotée, et l’écrivaine qui manipule les mots avec aisance. Seule la “chirurgie littéraire” permet à Grace-Janet de recoudre ces deux hémisphères. Car il est aussi question de déracinement dans ce roman, celui de Grace qui a quitté la Nouvelle-Zélande pour Londres, et au-delà, son déracinement par rapport aux normes, transcrit dans une prose poétique que rien n’arrime au réel. Inadaptée, Grace se réfugie dans un univers parallèle, se persuadant qu’elle est un oiseau migrateur, qui métaphore de son trouble schizoïde. L’envol de Grace, vilain petit canard attardé, s’accomplit par l’écriture, au prix d’une souffrance abyssale. Ce que livre ici Janet Frame, c’est son échec à vivre. Sans doute l’aveu le plus difficile à faire.

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Burlesque et glamour, la suite des aventures de la cultissime héroïne fifties. Patrick a grandi, sa tante Mame n’a pas pris une ride. Pas besoin de lifting pour l’héroïne déjantée créée par Patrick Dennis dans les années 50. Elle est inusable, aussi indémodable qu’un tailleur Chanel. L’an dernier, on redécouvrait ce personnage culte grâce à la réédition de Tante Mame, ou les aventures hilarantes de cette richissime Américaine bien givrée, chargée de l’éducation de son neveu. On retrouve le duo dans cette suite tout aussi drôle, sorte de Tour du monde en quatre-vingts jours effectué en Rolls plutôt qu’en bus ou en camping-car. Phileas Fogg au féminin, toujours vêtue de tenues “dynamiques” griffées Molyneux, Mame entraîne Patrick de Paris à Alexandrie, en passant par Londres, Vienne, Venise… Autour du monde avec tante Mame, c’est un peu Tintin chez Blake Edwards. Comme le reporter à houppette, Mame échoue d’ailleurs chez les Soviets. Convertie au communisme par l’un de ses amants, elle fonde un kolkhoze “divin” en Géorgie qui finit noyé sous des litres de gin. Un épisode censuré à la sortie du livre en 1958, dans une Amérique encore marquée par le maccarthysme. Imprévisible, irrésistible et toujours flamboyante, Mame est, selon les mots de Patrick, un “joyau à plusieurs facettes”. Un bijou clinquant et un peu toc, mais qui fait toujours son petit effet. E. P.

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Alfred/Sipa

Marine, hélas Jean-Marie et Marine, les deux faces d’une même pièce “Le Pen” ? C’est la thèse du livre de Fourest et Venner, qui devrait aider les crédules à retrouver la raison.

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uand on a rencontré Jean-Marie Le Pen pour notre article “Marine Le Pen, fille de sa mère” (Les Inrocks, n° 809), nous avons parlé de l’hostilité du Front national au droit à l’avortement. “Simone Veil n’était là que parce que c’était une femme, juive et déportée”, nous a dit le président d’honneur du Front national. Quelques semaines plus tôt, Marine Le Pen déplorait que “les femmes n’ont plus le droit de ne pas le faire” (avorter). C’est toute la thèse que développent Caroline Fourest et Fiammetta Venner dans leur livre Marine Le Pen : le père et la fille sont les deux faces de la même pièce. L’un choisit l’outrance, l’autre de se rendre digeste en se présentant en rescapée du politiquement correct. Essayiste et chroniqueuse au Monde, Caroline Fourest estime Marine Le Pen portée par le sentiment de l’injustice faite à son père incompris. “J’ai été frappée par le gouffre qui m’apparaissait entre l’homme

décrit et l’homme réel, que je côtoyais régulièrement”, écrivait la fille de JeanMarie dans son autobiographie A contre flots en 2006. Dédiaboliser le parti, c’est reprendre les idées du père, s’en porter caution. Les camps de concentration, un “détail” de la Seconde Guerre mondiale ? La fille met les sorties les plus choquantes de Jean-Marie Le Pen sur le dos d’une différence de génération, d’un “logiciel qui n’est pas le sien”, comme si les propos antisémites de son père n’étaient que le produit de son époque. Le Pen raciste ? A la “cellule image” du FN, Marine Le Pen rhabille la communication du parti en 2007 avec une affiche mettant en scène une Beurette dont on aperçoit le string. Les points de repères des Le Pen père et fille sont certainement différents. Venue à la politique sur le tard, Marine Le Pen, expliquent les deux auteurs, “a raté les grands combats qui font l’identité d’un militant d’extrême droite : la décolonisation,

l’anti-Mai 68, l’anticommunisme même l’anti-mitterrandisme”. Elle se positionne sur des sujets qui n’étaient pas dans le paysage du père : “Il lui reste l’après-11 Septembre, l’anti-intégrisme musulman, la crise financière, le multiculturalisme, écrivent encore Fourest et Venner. C’est ce contexte et non un changement de cap qui explique leurs nuances.” Les thèmes de la République et de la laïcité ne servent au Front national qu’à “déguiser ses vieilles obsessions”. Ce jeu d’héritage et de distance – comme s’il ne fallait garder que le meilleur – est aussi celui auquel s’applique la nouvelle garde, moins connue, dont un des derniers chapitres dresse les portraits. Pour le travail biographique, on préférera le livre de Christiane Chombeau, Le Pen, fille et père, malheureusement épuisé. L’ancienne journaliste du Monde a retrouvé les témoins, reconstruit la chronologie, confronté les versions. Vite expédié dans le livre de Fourest et Venner. Les mécanismes de “dédiabolisation” sont le véritable cœur du livre. Ce portrait d’une candidate à la fois “martyr des médias et médiatisée” qui blague et tape des clopes à des journalistes perdus sur la distance à garder n’est pas sans rappeler le Nicolas Sarkozy du ministère de l’Intérieur. Les purges à la droite du parti, les skinheads écartés des manifs, les dérapages du père sont autant d’occasions d’attirer l’attention sur le nouveau visage du Front national. Quand on avait demandé à Jean-Marie Le Pen s’il avait déjà envisagé qu’en se mariant, sa fille Marine change de nom, il nous avait répondu “non, ce ne serait pas majoratif”. Autrement dit, la marque Le Pen, c’est le socle de la promesse. Le prénom signe la dédiabolisation. Un prénom et un nom, rappellent Fourest et Venner, voilà qui porte deux messages. Et citant la présidente du FN : “Le Pen pour l’immigration. Marine pour le social.” Guillemette Faure

Marine Le Pen de Caroline Fourest et Fiammetta Venner, Grasset, 430 pages, 20 €

la 4e dimension James Joyce sur Twitter

Balzac, le scoop

Ulysse en140 signes ? Le 16 juin, pour le Bloomsday, le jour où l’on célèbre Joyce, des fans ont décidé de résumer le livre en twits. De minuit à minuit, les internautes pourront apporter leur contribution. Bonne chance à celui qui prendra en charge le monologue de Molly Bloom.

Le saviez-vous ? Balzac était un consommateur invétéré de café. C’est le genre de révélation fracassante que contient Balzac, une vie de roman, la biographie que l’inégalable Gonzague Saint Bris consacre à l’auteur de La Comédie humaine.

Naulleau non grata Le monde des lettres est cruel. Pour se venger d’Eric Naulleau avec lequel il avait eu une altercation, l’écrivain Erik Orsenna l’a éjecté de l’émission Tournoi d’orthographe 2011 diffusée sur France 3. Dur.

Raphaël Enthoven à poil L’omniprésent philosophe ne digère toujours pas Rien de grave, le livre de son ex Justine Lévy, dans lequel il n’a pas le beau rôle. Il s’épanche dans L’Express : “J’étais dépossédé de ma vie… Comme si quelqu’un s’était promené tout nu dans la rue avec un masque à mon effigie.” Pauvre lapin.

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Collection Eric Mazet

Louis-Ferdinand Céline à l’exécution publique de Roger Ducreux, le 19 octobre 1933. Dessin d’Henri Mahé.

saisir Céline Cinquante ans après sa mort, Céline semble toujours se soustraire à toute tentative biographique. Celle d’Henri Godard, spécialiste reconnu du romancier, n’échappe pas à la règle. l est partout. Même si l’antisémitisme de Céline de sources. Sans remettre banni (des célébrations permettent d’appréhender en question le sérieux de nationales). Une façon l’homme dans toute sa ses recherches, on s’étonne tonitruante d’entamer complexité. Sans jamais de la relative légèreté avec le cinquantenaire de la mort laquelle il exploite, voire chercher à l’excuser, Godard de Louis-Ferdinand Auguste surinterprète certains faits. montre comment une suite Destouches, dit Céline. Outre Ainsi, évoquant le Carnet de déceptions, dont la le parfum de soufre ranci, mauvaise réception de Mort du cuirassier Destouches l’événement s’accompagne à crédit, a transformé de Céline, il conclut à une d’une débauche de l’antisémitisme de Céline “volonté de ‘littérature” du publications et de rééditions jeune homme, simplement à en idée fixe, en obsession où le pire côtoie le meilleur : partir de la dédicace “A celui mortifère qui a mutilé les lettres du romancier son œuvre romanesque. qui lira ces pages”, formule à la NRF, sa correspondance somme toute commune Mais finalement, avec son ami et complice la forme de la biographie à tous les journaux intimes d’orgie, le peintre Henri ne semble pas adaptée à un d’adolescents. Mahé (La Brinquebale personnage comme Céline. Le manque de distance avec Céline), et même Une seule voix ne suffit pas manifesté par Godard est les souvenirs gouailleurs à en restituer toutes les flagrant dans les premiers mais creux d’une certaine contradictions. Dans D’un chapitres. Il insiste sur les Maroushka Dodelé (Une Céline l’autre, David Alliot difficultés rencontrées par enfance chez Louis-Ferdinand Céline dans sa jeunesse, a rassemblé deux cents Céline) qui prit des cours témoignages, ceux de quitte, semble-t-il, à les de danse avec Lucette, Colette, la fille de Céline, exagérer par endroits, l’épouse de l’écrivain. de Marcel Aymé, William parlant des “humiliations” Dans ce maelström Burroughs, Elizabeth Craig, endurées par Céline durant éditorial, un nom fait la maîtresse américaine… ses années d’apprentissage référence : celui d’Henri Une multiplicité de points de comme commis, sans en Godard. Spécialiste donner d’exemples concrets. vue qui esquisse le portrait incontesté de l’auteur du vivant, mobile et sans doute Etrangement, les pages Voyage au bout de la nuit, le plus juste de l’écrivain. sur la Première Guerre éditeur des œuvres de mondiale, matrice sanglante Elisabeth Philippe Céline dans la Pléiade, cet de l’œuvre de Céline et universitaire publie une de sa vision désespérée Céline d’Henri Godard nouvelle biographie de de la nature humaine, sont (Gallimard), 608 pages, 25,50 € Céline, une somme de plus parmi les plus faibles. D’un Céline l’autre de six cents pages denses, En revanche, celles qu’il de David Alliot (Robert Laffont), 1 184 pages, 3 0 € étayées par une abondance consacre au racisme et à

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On embarque pour la Sérénissime, avec deux écrivains vénitiens. Roberto Ferrucci, auteur de Ça change quoi, et Tiziano Scarpa, remarqué pour Venise est un poisson et qui vient de publier Stabat mater, évoquent la situation culturelle en Italie.

mercredi 8

à venir Jonathan Franzen Freedom (Editions de l’Olivier)

A 13 h, au Petit Palais, www.petitpalais.paris.fr

fait des trous, des petits jeudi 9 On trous partout avec une soirée de création oulipienne consacrée à un thème parfaitement adapté à l’Ouvroir de littérature potentielle :  “Orifices”. Au programme, lectures, jeux de l’esprit, écriture et contraintes… A partir de 19 h, BNF, www.bnf.fr

vendredi 10

On file à Saint-Malo pour le festival Etonnants voyageurs qui commence le lendemain. Parmi les auteurs présents, Maylis de Kerangal, Mathias Enard, Alain Mabanckou, Maurice Nadeau, David Vann… Catherine Hélie/Gallimard

Du 11 au 13 juin, www.etonnants-voyageurs.com

On délaisse la série des Doggy Bag pour un plat qui se mange froid, avec Philippe Djian qui vient de publier Vengeances, l’histoire d’un homme qui tente de se reconstruire après le suicide de son fils. Le romancier est l’invité d’Affinités électives, à 22 h 10 sur France Culture.

samedi 11

Lorette Nobécourt Grâce leur soit rendue (Grasset) Amour, littérature et transmission au programme du neuvième roman de Lorette Nobécourt. Roberto fuit le Chili de Pinochet, Unica sa famille. Ensemble, ils vivent une histoire passionnelle à Barcelone pendant quinze ans. Un voyage dans son pays d’origine vers son père et son passé pousse l’héroïne à se donner la mort. Restent l’écrivain, son fils et la psychiatre de sa femme défunte. Plus tard, le fils entreprend, lui aussi, le pèlerinage au Chili. Sortie le 7 septembre

Maylis de Kerangal

On s’immerge – en anglais – dans le “F word”, avec le nouveau numéro de la revue Granta qui donne le pouvoir aux femmes et s’interroge sur les nouvelles formes du féminisme, du Ghana à la Grande-Bretagne, de New Delhi à New York, avec des textes signés A. S. Byatt, Lydia Davis ou encore Rachel Cusk qui traitent de Gertrude Stein ou de la vie sexuelle des jeunes Africaines.

dimanche 12

Pour commander la revue : www.granta.com

Avec Billy, jeune mathématicien surdoué, et une bande de scientifiques fantasques, on tente de décrypter le message émis par une lointaine étoile dans L’Etoile de Ratner, livre culte de Don DeLillo paru en 1976 qui ressort aujourd’hui en poche (Babel, 608 pages, 11,50 €).

Il aura fallu attendre longtemps pour lire un nouveau roman de Jonathan Franzen. Huit ans après Les Corrections, le New-Yorkais publie Freedom. Un million d’exemplaires vendus aux Etats-Unis, le président américain qui se vante d’en avoir fait son livre de chevet, la une du Time et des critiques qui vont jusqu’à comparer l’auteur à Tolstoï : le livre a fait le buzz outre-Atlantique. Du Minnesota à Brooklyn, du défenseur de l’environnement au républicain décomplexé, des années 70 à l’ère Obama, Freedom peint l’Amérique middle-class à travers une histoire de famille. Sortie le 18 août

William T. Vollmann Le Grand Partout (Actes Sud)

Bubi Heilemann

lundi 13

On replonge dans les années disco avec Abba, l’albumsouvenir d’un groupe mythique, un beau livre signé Elisabeth Vincentelli, journaliste au Village Voice (La Martinière, 176 pages, 35 €), qui retrace le parcours strassé des quatre Suédois. Kitsch, pattes d’eph et paillettes.

mardi 14

Abba

Sur les traces du “hobo” authentique. William T. Vollmann, romancier hyperactif – il est aussi essayiste, journaliste, peintre et photographe –, part en train à la recherche de ces clochards chers à la beat generation. Sur les rails de l’Amtrak, l’auteur tente de se faire accepter parmi ces voyageurs clandestins devenus un mythe aux Etats-Unis. Du fin fond du Wyoming aux plages californiennes, il y passe aussi en revue les rêves déçus de l’Amérique. Sortie le 5 octobre

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Frantz Duchazeau Lomax – Collecteurs de folks songs (Dargaud), 120 pages, 19,95 €

Dans les années 30, un père et son fils à la recherche de la musique populaire US. Une histoire authentique belle comme une légende : en 1933, aux Etats-Unis, on abolit la prohibition, et John Lomax, banquier repenti, et son fils Alan sont mandatés par la Bibliothèque du Congrès pour collecter la musique populaire qui illumine alors les comtés ruraux du Sud, dans ces régions où les chiens sont dressés à traquer les Noirs récalcitrants. Munis d’un invraisemblable phonographe à cylindre, les deux ethnologues et musicologues progressistes enregistrent convicts noirs – Leadbelly, dont ils obtiendront l’élargissement – ou petits Blancs pauvres des monts Ozarks, gens de peu dont l’inspiration servit de creuset aux musiques d’un continent. L’Angoumoisin Frantz Duchazeau avait, il y a trois ans, évoqué Le Rêve de Meteor Slim, chanteur du Deep South : il conserve pour cette nouvelle saga poussiéreuse le même trait épais en noir et blanc, une science très intimiste des ombres, et une tendresse de chaque instant pour des Lomax à faces lunaires, pour des trognes sudistes d’une grande expressivité, pour des gandins irascibles et des guitaristes virtuoses. Christian Larrède

une éducation La vie provinciale japonaise vue par un jeune Américain, dans un subtil roman graphique de Lars Martinson.

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ars Martinson a séjourné trois ans en tant qu’assistant d’anglais au Japon. S’inspirant de ses souvenirs, il a imaginé Tônoharu, qui relate l’année passée par un jeune Américain, Daniel Wells, dans un collège de province japonais. A son arrivée, Daniel découvre une petite ville loin du cliché du Japon touristique, loin de l’étourdissement des rues pleines de néons, surchargées d’hommes d’affaires, de gothic lolitas et de gadgets kawaii. Tônoharu est tranquille, peuplée de lieux simples, de bars sans âme, de restaurants quelconques, de petits appartements spartiates. Dan tente de trouver ses marques dans une communauté locale plutôt fermée, pas très accueillante. Il ne parle pas le japonais et la barrière de la langue l’isole. Ses fréquentations, par défaut, sont des profs d’anglais ou quelques rares expatriés arrogants avec qui il n’a rien en commun et avec qui il ne se serait jamais lié en temps normal. Tentant de s’intégrer, il se force à fréquenter des événements sociaux qui se révèlent pénibles (fête entre collègues, spectacles ennuyeux, karaoké…), commet l’erreur de sortir avec une prof japonaise pour tromper l’ennui. Mais surtout, il ne sait

pas vraiment ce qu’il fait là. L’atmosphère de Tônoharu est tout en nuances, à la fois calme et déroutante. Le rythme faussement placide de l’album correspond bien à cette société japonaise de non-dits. Lars Martinson a étudié la calligraphie au Japon, et cela transparaît clairement dans son dessin posé, empreint de détails mais équilibré, jamais surchargé. Dans des décors d’estampes, il fait vivre des personnages au trait empruntant autant à Charles Schulz qu’à Osamu Tezuka. Grâce à son utilisation subtile du pinceau et de la plume et à une douce bichromie, il représente, avec une grande finesse et un certain sens de l’universalité, le malaise de se trouver en territoire inconnu, la frustration de ne pouvoir communiquer, la gêne et l’embarras éprouvés devant des personnes dont on ne partage pas les codes. A travers Dan, complètement lost in translation, Lars Martinson invite à réfléchir au sens du terme “intégration” et aussi à se représenter autrement qu’à travers sa pop culture ce pays que l’on croit connaître. Anne-Claire Norot Tônoharu (Le Lézard Noir), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne Cavarroc, 272 pages, 23 € 8.06.2011 les inrockuptibles 103

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Dunnaara Meas

game over Après avoir attendu l’arrivée de Godot, on guette le départ de Clov… Alain Françon offre une mise en scène brillante à la deuxième pièce de Samuel Beckett, entre absurdité et intemporalité.

première Quel festin ! Hérisson 36e Trente-six chandelles illuminent ce rendez-vous autour de l’écriture contemporaine qui connaît sa table de 6, et multiplie 6 auteurs par 6 metteurs en scène pour un somptueux repas de fête à la campagne, thème retenu par Anne-Laure Liégeois pour sa dernière édition d’Hérisson. Un finale explosif… Du 8 au 12 juin à Hérisson (03), tél. 04 70 03 86 18, www.lefestin-cdn.com

réservez Festival de Marseille Se revendiquant festival de danse et des arts multiples, cette manifestation investit le Théâtre du Gymnase, la Friche de la Belle de Mai ou la salle Vallier, ex-haut lieu de la boxe. On y sera pour voir la Merce Cunningham Dance Company faire ses adieux avec Nearly 90 2, ou pour Olivier Dubois et sa Révolution chorégraphique. Du 16 juin au 9 juillet à Marseille, tél. 04 91 99 00 20, www.festivaldemarseille.com



i au commencement était le Verbe, Beckett nous révèle qu’à la fin de tout, seule reste la parole. Les mots pour le dire revêtent alors une importance capitale, comme les silences qui les absorbent ou les amplifient, telle une marée de néant prête à tout engloutir. Dans l’intérieur sans meubles percé de deux fenêtres haut placées où pénètre une lumière grise, le scénographe Jacques Gabel a empli l’espace vide de lignes écrites à la main qui courent sur les murs et le sol. Echo visuel aux dialogues à venir entre les habitants de cette maison plantée au milieu du désastre ; Hamm, vissé sur sa chaise roulante et aveugle, tyran domestique d’un monde réduit à ses parents, Nell et Nagg, échoués au fond d’une poubelle, et Clov, voûté et claudiquant, adopté enfant et victime trop longtemps consentante pour ne pas caresser, enfin, l’idée de tout plaquer. Fin de partie, pièce en un acte écrite en français et créée en 1957, quatre ans après la présentation d’En attendant Godot, semble d’ailleurs lui répondre, les deux focalisant l’attention du public sur le double dispositif qui mène le jeu théâtral et l’expérience humaine, les entrées et sorties des personnages. Ce que Beckett résumait d’un trait de plume : “Dans ma première pièce, on attendait l’arrivée de Godot, on attendra ici le départ de Clov.” Qui n’aura jamais lieu, quoi qu’en disent les mots

et les menaces de Clov, tant pèse ici bas cette carcasse de corps, ramassis de douleurs qui tiennent lieu d’existence. Redoutablement efficace, la mise en scène d’Alain Françon repose, outre le respect absolu de la partition beckettienne, sur le jeu des acteurs et son choix, magistral et inoubliable, de Serge Merlin (Hamm) et de Jean-Quentin Châtelain (Clov), duo au numéro complémentaire et ouvertement jubilatoire. Deux prodigieux comédiens, aux voix singulières et uniques ; rocailleuse, éclaboussée d’ironie pour Serge Merlin, ondoyante et infiniment étirée pour Jean-Quentin Châtelain, accompagnés par Michel Robin et Isabelle Sadoyan, ingénus et candides géniteurs. “Il y a un tas de mots mais il n’y a pas de drame”, insistait Beckett auprès de Roger Blin pour la création de Fin de partie. C’est vrai, les premiers mots de Clov le confirment : “Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir. (Un temps) Les grains s’ajoutent aux grains, un à un, et un jour, soudain, c’est un tas, un petit tas, l’impossible tas.” Tuer le temps reste alors la seule occupation à même de résister un peu à l’envers du décor où le temps, bel et bien, nous tue à petit feu. Fabienne Arvers Fin de partie de Samuel Beckett, mise en scène Alain Françon. Jusqu’au 17 juillet au Théâtre de la Madeleine, Paris VIIIe, tél. 01 42 65 07 09, www.theatremadeleine.com

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improvisations poétiques Pour la huitième édition du festival La voix est libre, musique, dessin, danse, cirque se croisent et se mêlent dans une heureuse rencontre. n relief lunaire balayé par le vent. d’œufs sur sa peau dans les positions les La poussière soufflée envahit la moins commodes. De ce matériau fragile surface de l’écran jusqu’à noyer le et instable – qui peut très vite devenir paysage ; mouvement incessant gluant – elle fait un véritable partenaire d’ombres, de lumières, de lignes et opérant une transformation géniale à de fractures comme des cicatrices. Avec laquelle contribuent intensément ses deux Hoye, leur dernière création, le dessinateur coéquipiers. Tout aussi vive et vivifiante Vincent Fortemps, le guitariste Jeanfut l’intervention slam et chant de Cécile François Pauvros et l’électro-acousticien Duval et Guylaine Cosseron sur des textes Alain Mahé façonnent une navigation de Charles Pennequin et de Gherasim sonore et visuelle de toute beauté. Luca. Sans oublier l’ode à l’amour des Le genre de spectacles rares que l’on Diaboliques (Joëlle Léandre, Maggie Nicols peut voir dans le cadre de La voix est libre, et Irène Schweitzer), le plus chaleureux festival incomparable où poésie, musique, et vibrant des trios jazz. Ou encore les théâtre, cirque ou danse se rencontrent merveilleux rêves d’apesanteur de Pierre avec bonheur. Menacé de disparition à Meunier et Hélène Sage. Que du bon. Hugues Le Tanneur la suite d’une coupe budgétaire, le festival a réussi à maintenir sa huitième édition. Hoye de et par Vincent Fortemps, Jean-François On a pu ainsi y apprécier la performance Pauvros et Alain Mahé ; Les Diaboliques par drôlissime de Jeanne Mordoj. En trio Irène Schweitzer, Maggie Nicols et Joëlle Léandre ; avec la vocaliste Catherine Jauniaux et des créations de Jeanne Mordoj, Catherine et le violoncelliste Gaspar Claus, cette Jauniaux et Gaspar Claus ; Cécile Duval et circassienne pleine d’humour ne se Guylaine Cosseron… ; festival La voix est libre, contente pas de faire glisser des jaunes Bouffes du Nord, Paris Xe. Compte-rendu.

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à corps perdus Dans un jeu de lumières et de sons, la danseuse et chorégraphe Eszter Salamon parvient à donner vie à l’absence. iction musicale hors science, Une double absence à laquelle se substitue annonce le programme de Tales of la partition de “paysages de sensations” the Bodiless, créé par la danseuse produits par la lumière, le noir complet, et chorégraphe Eszter Salamon le brouillard qui se répand dans les rangs au Kunstenfestivaldesarts de Bruxelles du public et la composition sonore en mai dernier. Un projet en forme de mise de Cédric Dambrain et Terre Thaemlitz, en abyme de la disparition : celle du corps mixée aux voix des récits, off, bien sûr fictionnel, d’abord, à travers quatre tableaux et en anglais, unique présence corporelle qui imaginent plusieurs scénarios “d’êtres du spectacle. sans corps”, où la perception se transforme A signaler, Tales of the Bodiless n’est pas à mesure qu’ils se métamorphosent traduit lors de la représentation pour des en écume ou en lumière colorée. Et celle “raisons artistiques” et seul le résumé des du corps vivant, ensuite, de l’interprète fictions est projeté sur le plateau. Peut-être agissant sur le plateau (à l’exception d’un un plus pour la perception de la disparition : tableau où un homme et une femme se font après celle du corps, celle du sens. Mais ça, face, geste arrêté et masque impassible). c’est une autre histoire… F. A.

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Almudena Crespo/Académie Anderlecht

Tales of the Bodiless conception Eszter Salamon. Les 10 et 11 juin au Festival Agora de l’Ircam, Centre Pompidou, Paris IVe, tél. 01 44 78 48 16, agora.ircam.fr

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Claude Cahun, Autoportrait, vers 1929, musée des Beaux-Arts de Nantes RMN/Gérard Blot

un moi mouvant, multiple, aux contours aussi indéfinis que fascinants

vernissages marathon La Foire de Bâle : rendez-vous incontournable de la scène internationale. Avec, en prime, Francis Alÿs au Schaulager, Seb Patane à la Kunsthalle de Mulhouse et Serra-Brancusi à la Fondation Beyeler. Foire de Bâle, du 15 au 19 juin, www.artbasel.com

starting-blocks Ouverture du Consortium deuxième génération, conçu par l’architecte Shigeru Ban. Du 9 au 11 juin, Le Consortium à Dijon, www.leconsortium.com

sprint final Dernière étape de la programmation de Guillaume Desanges au Plateau, une expo collective intitulée Nul si découvert avec Bas Jan Ader, Chris Burden ou Dora García. Du 9 juin au 7 août, au Plateau, Paris XIXe, www.fracidf-leplateau.com

asphalt jungle 2 000 m2 d’exposition et une trentaine d’artistes pour cette expo d’été sur l’animal. Avec des œuvres de Paul McCarthy ou Philippe Decrauzat. Safari, à partir du 11 juin au Lieu unique à Nantes, www.lelieuunique.com

je est un(e) autre Photographe et écrivaine. Lesbienne et résistante. Avant-gardiste et longtemps méconnue. Au Jeu de paume, (auto)portrait de Claude Cahun en artiste proto-queer.

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rénom : Claude. Nom : Cahun. Genre : “Neutre est le seul genre qui me convienne toujours.” En 1927, à 23 ans, Lucy Schwob (fille du patron de presse Maurice Schwob et nièce de l’écrivain symboliste Maurice Schwob) devient Claude Cahun, double autofictionnel au genre indéterminé. S’engouffrant comme quelques autres femmes artistes des années 20 dans une photographie en plein essor, Cahun, qui

écrit depuis déjà quelques années, va accumuler les autoportraits pendant trente ans. Dense, d’une incroyable modernité, son œuvre balaie quelques-unes des thématiques artistiques majeures du XXe siècle : identité, genre, masque, autofiction, jeux de rôle. Elle se photographie le crane rasé et en débardeur, inquiétante avec son profil d’oiseau de proie, en haltérophile mutine, en extravagante, en bouddha zen, en dandy en costume ou encore au naturel,

vieillissante à Jersey (elle y mourra en 1954), avec son chat. “Ne voyager qu’à la proue de moi-même”, écrit-elle dans Aveux non avenus, son livre le plus abouti. Leitmotiv d’un projet qui n’aura cessé de dessiner les contours d’un moi mouvant, multiple, aux contours aussi indéfinis que fascinants. L’œuvre de Claude Cahun nous est pourtant longtemps restée inconnue. Peut-être et avant tout parce qu’elle n’était pas destinée à être montrée (difficile de ne pas voir dans les autoportraits, surmontés d’une légende, un jeu érotique à tendance SM avec sa compagne Suzanne Malherbe dite Moore), et aussi parce que l’époque n’était pas mûre. Les premiers clichés filtrent, et ce n’est pas un hasard, au début des androgynes années 80. La consécration surviendra pendant les queer années 90. Une première exposition au musée d’Art moderne de la Ville de Paris lui est consacrée en 1995 – soit cinq ans après la parution de Trouble dans le genre de Judith Butler. A l’initiative de François Leperlier, biographe et spécialiste de Claude Cahun, elle présentait la quasi-totalité de ses photographies. Conçue quinze ans plus tard par Leperlier et Juan Vicente Aliagas, cette nouvelle exposition au Jeu de paume choisit cette fois de recontextualiser Cahun, mettant en lumière dans chacune des sections quelques-unes des nombreuses lectures de cette œuvre protéiforme

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Karina Bisch, Chiaro di luna, 2009, courtesy de l’artiste et Fluxia, Milan

surgie des deux côtés de l’Atlantique ces quinze dernières années : femme atypique, artiste protoqueer, artiste surréaliste (elle entretint des liens avec Breton, Michaux et réalisa de nombreuses photographies d’objets)… L’exposition permet également de découvrir une Cahun militante. A une époque où c’est encore considéré comme une maladie, une monstruosité, Claude Cahun sort les cheveux ras teints en rose ou doré, s’habille en homme, n’hésite pas à prendre la défense d’Oscar Wilde, ou à écrire dans des revues des textes en faveur de l’homosexualité. Elle soutient également les communistes et rejoint la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. Depuis Jersey, avec Suzanne, elle confectionne sous l’Occupation allemande des tracts exhortant les soldats nazis à déserter ou à tuer leurs officiers. Panique côté Gestapo. Démasquées, elles sont condamnées à mort, et à six ans de prison. “Par quoi commence-ton, la mort ou la prison ?”, lance Claude au soldat allemand au moment de la sentence. Défoncées au Gardenal, elles sombreront dans l’inconscience et rateront de quelques heures le train censé les déporter vers les camps de la mort. Claude Cahun ou l’itinéraire d’une femme, qui toute sa vie, a eu tout bon. Géraldine Sarratia Claude Cahun jusqu’au 25/09 au Jeu de paume, Paris VIIIe, www.jeudepaume.org

hors toile De jeunes artistes sortent du cadre de la peinture et évitent de tourner autour du pot. e soir du vernissage, deux chevaliers en armures munis chacun d’un pistolet à peinture rouge se peignaient l’un l’autre, tandis que Karina Bisch, dans un costume vaguement chinois à la mode de celui que Picasso avait dessiné pour un spectacle de 1917, servait le thé dans une théière suprématiste assez fidèle à celle fabriquée par Malevitch. Et puis, livrant une sautillante chorégraphie, des gymnastes arboraient le justaucorps à rayures rouges qu’Adidas produisit en 1999 en hommage à Varvara Stepanova, designer de l’avant-garde russe. Ce soir-là donc, l’histoire de l’art, et singulièrement, celle de la peinture, reprenait corps, formes, matières et mouvements. Or si l’expo n’est pas que performances, elle ne se veut pas non plus qu’expo de peinture. Cette vingtaine de jeunes artistes ne la perd pas de vue, s’en approchent même de très près, en tenant à bonne distance à la fois les questions théoriques, lourdes et castratrices, et l’héroïsme SM, qui ont fini par occuper tout le territoire de la peinture depuis les seventies. L’ombre prestigieuse de la peinture plane au-dessus de leur œuvre sans qu’ils en aient peur ni qu’ils la révèrent : ils s’en amusent, imaginant formats, techniques, processus, finalités qui au premier peintre officiel venu paraîtraient sacrilèges. Et qui aux autres paraissent rafraîchissantes, délicieusement naïves ou troublantes. A l’image des Peintures logiques de Benoît Maire, de petites toiles abstraites, aux traits hésitants et aux couleurs approximatives, mais dont l’exécution obéit à l’énoncé (et à la résolution) d’un problème d’algèbre. A l’image encore de l’installation vidéo de Lili Reynaud-Dewar, qui se souvient que les dactylos apprenaient à taper à la machine en se peignant les mains de différentes couleurs. Bref, la peinture est partout dans l’expo mais comme tenue en respect, voire placardisée. D’où la présence, elle-même fantomatique, de Spandau Parks, artiste californien dont personne ne sait rien mais qui, dans son atelier, réalisa ces photos d’un tableau gigantesque, perpétuellement remis sur le métier. Seules les images ont eu leur bon de sortie. La peinture reste au secret. Judicaël Lavrador



Tableaux jusqu’au 4/09, au Magasin, Centre d’art contemporain de Grenoble, www.magasin-cnac.org 8.06.2011 les inrockuptibles 107

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mad man

Le blog de mode masculine le plus cool du moment s’appelle Close up and Private, et son créateur est un Ukrainien de 58 ans installé dans la campagne danoise.

fast-fashion Les femmes auraient, dans leur armoire, vingt-deux pièces qu’elles ne porteront jamais de leur vie. Chaque année, elles jetteraient également pour près de trente kilos de fringues. Dans l’essai To Die for: is Fashion Wearing out the World?, la journaliste anglaise Lucy Siegle dénonce la frénésie consumériste liée à l’apparition des chaînes de fast-fashion telles qu’H&M ou Zara. Selon Siegle, qui s’appuie sur des travaux réalisés par l’université de Cambridge, les dépenses vestiaire des femmes ont augmenté de 21 % entre 2001 et 2005, alors que les prix de chaque pièce baissait dans le même temps de 14 %. Tout au long de sa vie, une femme dépenserait en moyenne 150 000 euros en fringues.

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ans le paysage stylistique masculin, Close up and Private est un objet à part. Moins sponsorisé et superficiel que ses concurrents, il ne pousse pas à une consommation forcenée et ne multiplie pas les images de starlettes au sourire crispé. Close up and Private préfère les vêtements, leur couleur, leur matière et les détails qui les animent. Ici, les logos et les individus s’effacent derrière des gros plans bien choisis. Apparaît alors un cahier de tendances sans chichi et foncièrement moderne, malgré le classicisme

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“je suis à la recherche de vêtements hors du temps, qu’ils soient vintage ou absolument neufs” des pièces mises en scène. Sur Close up and Private, il est en effet surtout question de cravates, de blazers, de chemises tartan ou de souliers à bout fleuri. “Les Américains diraient que le style est preppy, mais pour moi, c’est autre chose, dit Sergeï Sviatchenko, le créateur du site. J’aime l’allure des fifties et des sixties…” Né en Ukraine et installé au Danemark depuis vingt ans, Sviatchenko, 58 ans, n’est pas un simple bloggeur. Fils d’un architecte et aquarelliste renommé dans son pays, il a lui-même fait carrière dans l’architecture, avant de monter en 2000, Senko, un studio de création grâce auquel il a mis sur pied des dizaines d’expositions. Aujourd’hui, Sviatchenko multiplie les collaborations avec les magazines de mode, tel Euroman, la référence danoise en la matière. Il fait de la photo, du stylisme, et même de la peinture, certaines de ses œuvres venant s’intégrer dans le cours des séries d’images de Close up and Private. A ses heures, Sviatchenko, silhouette juvénile, cheveux et barbe grisonnants, fait également office de modèle. En 2010, il a d’ailleurs décroché le titre particulièrement rutilant d’“homme le mieux habillé du Danemark”. Parmi ses références, Sviatchenko cite des marques comme Ralph Lauren ou Gant Rugger. “Plus qu’à la tendance, dit-il, j’accorde beaucoup d’importance à la qualité d’un produit. Je suis toujours à la recherche de vêtements hors du temps, qu’ils soient vintage ou absolument neufs. Au début de Close up and Private, c’était même mes propres vêtements qui étaient mis en scène…” C’est en avril 2009 que Sviatchenko a lancé le site. “Je voulais partager mon expérience et ma compréhension du style, dit-il. C’est un projet très personnel et très privé. Sur Close up and Private, je mélange les vêtements comme dans un collage. Je pense que cela marche parce que ce n’est pas le travail d’un designer mais d’un artiste. Cela donne une autre dimension…” Ainsi, au lieu de se mettre en scène lui-même ou de photographier les vêtements seuls, Sviatchenko sollicite ses enfants, sa fille, et surtout son fils, Erik, 20 ans, footballeur professionnel, défenseur au FC Midtjylland et membre de l’équipe nationale espoir du Danemark. Pour Close up and Private, Erik est un drôle de mannequin, apparaissant par fragments, ici un bout de visage, là un morceau de bras. Il est comme un second rôle derrière la star, le vêtement, mais sa place est cruciale. “Dès qu’il enfile ces pièces pour les photos, elles changent de dimension, elles deviennent soudainement très décalées”, dit son père, avec justesse. La clé du succès de Close up and Private est sans doute là. Son créateur, installé dans la campagne danoise, à 300 kilomètres de Copenhague, volontairement en retrait des tendances, parle de mode avec pertinence. Sans le chercher, il rencontre l’esprit du moment, ce retour à des pièces classiques, intemporelles, durables. “Nous sommes à une bonne période en ce moment, le retour du costume, la cravate, le nœud papillon, les chaussures de qualité et la bonne coupe de cheveux, dit Sviatchenko. Pour la nouvelle génération, ça a l’air nouveau et cool, mais c’est ma culture depuis longtemps. Et même si la tendance change, je continuerai dans cette voie sans m’en occuper.” En attendant, plus de 2 000 internautes, originaires de 71 pays différents, visitent chaque jour Close up and Private. Et la plupart ont entre 18 et 35 ans. Laurent Laporte illustration Alexandra Compain-Tissier closeupandprivate.com/site 8.06.2011 les inrockuptibles 109

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Iran, des images contre la terreur Grâce à des images issues de blogs et de témoignages clandestins, Manon Loizeau révèle la réalité cachée de la société iranienne, deux ans après l’écrasement de la “révolution verte”. Un document saisissant sur un soulèvement qui ne veut pas plier.



urvivant à huis clos, étouffée par le pouvoir absolutiste du président Mahmoud Ahmadinejad, la jeunesse iranienne (près de 70 % de la population a moins de 25 ans) ne sait plus quoi faire de sa révolution : une révolution “verte” qui il y a deux ans souleva tout un peuple contre un régime aux abois qui a répondu par une répression sanglante, à l’abri des regards extérieurs. Personne ne pouvait alors imaginer que la révolution iranienne, même écrasée, serait une sorte de préfiguration du printemps arabe. Aujourd’hui, tous les regards se concentrent sur les changements en cours en Tunisie et en Egypte, sur les conflits en Syrie ou en Libye, et font passer l’Iran en arrière-plan de la scène internationale. Cet effacement tient en grande partie à l’impossible accès à toute information sur place. Depuis la révolution de juin 2009, les médias étrangers restent contrôlés

et les millions de sites iraniens surveillés. Facebook, Gmail et Skype sont bloqués depuis des mois. Or, le printemps arabe a amplifié la colère des Iraniens. Comme si toutes les récentes révolutions, bien qu’autonomes et inscrites dans des contextes locaux spécifiques, participaient d’un même élan démocratique. En Syrie ou en Egypte, l’écho lointain de l’espérance du peuple iranien résonne en creux. Fébrile, il revient comme un boomerang à la face du peuple iranien marqué du double sceau de l’avant-garde et du sacrifice. Comment, dans le silence de plomb qui s’est abattu sur eux, la voix des Iraniens peut-elle alors se faire entendre ? Puisque l’information ne vient plus à nous, il faut aller la chercher, par-delà les murs de la censure. C’est ce que la journaliste Manon Loizeau illustre avec éclat dans son nouveau documentaire, Chroniques d’un Iran interdit. La jeunesse étudiante n’a jamais cessé sa lutte, les foyers de

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au poste malgré la peur, la jeunesse poursuit sa lutte, avec ses propres outils internet

résistance au pouvoir se multiplient dans tout le pays, mais faute d’images, beaucoup n’osent y croire. Or, la prouesse du film est précisément d’apporter la preuve par l’image d’une révolution iranienne qui ne veut pas plier. La journaliste avait déjà filmé sur place le soulèvement de juin 2009 (pour le magazine Envoyé spécial) ; mais expulsée du pays et interdite de séjour, elle s’est démenée pour faire passer des petites caméras à quelques amies iraniennes sur place. “Mes amies me les ont ensuite rapportées avec une simple clé USB, en prenant des risques insensés”, précise Manon Loizeau, obligée de rester discrète sur ses stratagèmes pour contourner la censure du pouvoir iranien. Ses soutiens anonymes ont pu filmer clandestinement la réalité de la vie en Iran et enregistré les paroles d’acteurs du soulèvement : une rappeuse, une coiffeuse, des étudiants, la mère d’un manifestant assassiné… A ses propres images tournées à Téhéran en juin 2009, Manon Loizeau greffe ces témoignages incarnés ainsi que des évocations de la rue iranienne filmées avec des téléphones portables. Cette mosaïque d’images de nature différente (à ciel ouvert, cachées, domestiques, volées sur le vif…) dessine de manière ample le visage de la société iranienne et permet de mieux saisir son évolution depuis deux ans. Au-delà du défi technique relevé par le film, réalisé à partir de documents disparates, le documentaire éclaire le paradoxe du cas iranien tiraillé

entre technologies de surveillance utilisées par le pouvoir et technologies de contournement de la censure menées par les cyberdissidents. La thèse discutée d’Evgeny Morozov, selon laquelle internet sert d’abord les Etats autoritaires, ne résiste pas totalement à la réalité de l’impact politique des images issues du microbloging. Comme celles de la mort de Neda, une manifestante tuée en juin 2009, “le jour où la peur a disparu” (une martyre dont l’identité fut révélée sur Twitter par le bloggeur Tristan Mendès France). Ces Chroniques d’un Iran interdit soufflent sans cesse le chaud (l’élan intact de la jeunesse) et le froid (le principe de réalité du pouvoir dictatorial). Aux plans, lumineux, traversés par l’espoir, de la révolution de juin 2009 succèdent d’autres plans, en basse définition, sombres, tremblants, comme la trace fragile d’une résistance traquée, prête à tout pour dévoiler le paysage de la répression. Le film révèle l’intensité de la rébellion étudiante au sein des universités, où les milices paramilitaires, les Bassidji, s’infiltrent afin d’éteindre le feu révolutionnaire. Les “étudiants à l’étoile”, stigmatisés pour leur agit-prop, ne peuvent plus poursuivre leur cursus ; un climat de terreur se répand sur tous les campus, où la paranoïa a gagné les étudiants à cause de la présence masquée de ces Bassidji qui arrêtent le premier contestataire. Le témoignage d’un étudiant, aujourd’hui réfugié en France, mais se sentant en danger (il vient de se faire agresser à coups de couteau à Paris), dit tout de la folie du régime : torturé et violé en prison, il est l’un des visages affectés d’une jeunesse iranienne dont la fougue annonce la morgue. Et pourtant, rappelle Manon Loizeau, l’agitation continue dans les facs. Manifestations, actions de solidarité avec les étudiants arrêtés… : malgré la peur et la répression, la jeunesse iranienne poursuit sa lutte. Avec ses propres outils internet. Avec parfois aussi comme seule arme, belle et dérisoire, la voix. Les cris des Iraniens qui retentissent tous les soirs sur les toits des maisons résonnent dans les villes comme le cri d’un peuple tenu de s’adresser au ciel. La rappeuse anonyme du film nous aura prévenus : “Nous sommes le feu sous la cendre.” Jean-Marie Durand Chroniques d’un Iran interdit, documentaire de Manon Loizeau. Mardi 14 juin, 20 h 40, Arte

sphère privée, cercle vicieux La sexualité des individus relève de l’intimité, y compris pour les hommes politiques. Après les révélations de WikiLeaks, les affaires Strauss-Kahn et Tron – sans parler de la sortie sur le plateau du Grand Journal de Luc Ferry sur les hypothétiques écarts sexuels d’un ex-ministre – réactivent la question complexe de la transparence à laquelle seraient tenus (ou pas) les médias dans l’espace public. Le sexe relève-t-il de la même logique que la diplomatie ? Un secret partagé par des diplomates peut-il être mis sur la même ligne que le fantasme d’un homme politique ? Une information sur des tractations louches entre Etats a-t-elle la même valeur qu’une information sur des dérapages sexuels d’hommes publics ? A toutes ces questions qui agitent les médias depuis des semaines, d’aucuns avancent que le critère décisif de la légitimité de divulguer une information tient à sa nature délictuelle (viol, harcèlement, détournement de mineur, corruption…), mais aussi à celle de son impact indirect sur la vie publique. Alors que, pour certains, la transparence totale, c’est “la Chine de Mao”, selon un mot récent d’Hubert Védrine, d’autres défendent au contraire l’idée que le “propre d’un pouvoir totalitaire, ce n’est justement pas la transparence illimitée, mais l’opacité totale sur le pouvoir et une transparence inquisitoriale sur les individus”, comme le soulignait récemment Edwy Plenel lors d’un forum Libé à Rennes. La fonction démocratique des médias les oblige à soumettre le pouvoir politique à un régime de visibilité extralarge. S’agissant des affaires publiques, la publicité doit être la règle et “le secret l’exception”, insistait Plenel. Les pratiques sexuelles constituent l’une de ces exceptions, à condition qu’elles ne débordent pas le cadre de la légalité. Par-delà le crime, le sexe, comme le silence, est d’or.

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Pil and Galia Kollectiv with Victor M. Jakeman and Ruth Angel Edwards, WE, live at Kunsthalle Oslo, 2010, photo : Will Bradley

“si nous mettons de côté ce qui nous sépare, il n’y a rien qui nous reste à mettre en commun” Bruno Latour

performanceliv e du groupe WE à Oslo en 2010

l’un et le multiple Comment repenser la question d’un monde commun ? Attentive depuis dix ans au point névralgique du débat intellectuel, la revue Multitudes dessine un passionnant paysage des collectifs contemporains.

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l n’y a pas aujourd’hui de question plus centrale dans le monde des idées et des revues que celle du bien commun. Le “commun” apparaît comme une “idée neuve”, selon l’expression du sociologue Christian Laval. Le numéro spécial de la revue politique et culturelle Multitudes, intitulé “Du commun au comme-un, nouvelles politiques de l’agir à plusieurs”, coordonné par Yves Citton et Dominique Quessada, éclaire la réflexion foisonnante sur cet horizon, exploré ici par des philosophes, sociologues, politologues, économistes et artistes. Fondée en 2000 par Yann Moulier Boutang, dans le sillage de la pensée de Michel Foucault et celui plus direct de Toni Negri et Michael Hardt, Multitudes élargit ici sa réflexion sur ce sujet fondateur de sa

propre identité. Son premier texte annonçait déjà en mars 2000 son désir de défendre un “commun” qui “ne reconduise pas sur les sentiers battus du majoritaire ou de l’universel”. Comment repenser l’être et l’agir collectif ? Pourquoi et au nom de quoi agissonsnous ensemble ? A quoi tenons-nous ?… La déclinaison d’interrogations que la revue n’a cessé d’ouvrir depuis dix ans atteste son effort pour “brancher la politique sur une pensée du commun”. Accompagnées d’images de plusieurs collectifs d’artistes (General Idea, FormContent, Klat, Pil & Galia Kollectiv…), les contributions dessinent des “échafaudages sémiotiques qui définissent nos façons d’aborder la question de l’agir collectif”, et éclairent “la prolifération

des modes d’organisation et de formation des collectifs contemporains”. Par-delà les horizons disparates des articles réunis (sur la ville, les partis, le spectacle…), le philosophe Bruno Latour cadre la réflexion générale à travers un extrait de son Manifeste compositionniste : “Il n’y a pas de monde commun, souligne-t-il. Il n’y en a jamais eu. Le pluralisme est avec nous pour toujours (…) Le pluralisme mord trop profondément. L’univers est un plurivers (…) Le monde commun est à composer, tout est là ; il est à faire, il est à créer, il est à instaurer.” Aucun accord n’est possible sur ce qui compose le monde, précisément à cause de la multitude des cultures, des idéologies, des passions… “Si nous mettons de côté ce qui nous sépare, il n’y a rien qui nous reste à mettre en

commun”, continue Bruno Latour. Or, nombreux sont ceux qui aujourd’hui tentent de mettre en commun des idées, des biens, des pratiques, des espérances, selon des formes et des dynamiques différentes. Ces expérimentations répertoriées par le dossier révèlent la lucidité de consciences militantes, en éveil devant les périls à venir. La revue rappelle que nous vivons “au sein d’un commun préhumain”, fait des ressources naturelles dont nous avons besoin pour vivre : l’atmosphère, l’eau, les ressources minières, les forêts et les terres arables constituent notre “matrimoine commun”. Que faire pour le préserver de la destruction ? De même, comment peut-on consolider l’attention soutenue à l’égard d’autrui autrement que par une politique du “care”, qui, souligne Sandra Laugier, “permet la vie commune”?… Au fil des interventions roboratives des penseurs du commun – Peter Sloterdijk, Frédéric Neyrat, Frédéric Bisson, Thierry Baudoin, Sébastien Thiéry, Pascal NicolasLe Strat… – affleure le désir d’une correspondance des mondes réels avec des mondes possibles, dans lesquels on pourrait vivre, “à plusieurs et ensemble”. Jean-Marie Durand Multitudes n° 45 (Amsterdam), trimestriel, 1 5 €

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eRikm

figure libre Sur France Musique, Anne Montaron présente A l’improviste, une émission dédiée à la musique improvisée, art de l’instant éphémère et éternel. ’est à la fois un continent et un pas retransmises en direct. Un choix îlot.” Signée Carole Rieussec, éditorial de France Musique que comprend du duo électro-acoustique Anne Montaron : “Pour trouver son rythme, Kristoff K.Roll, cette idée d’un un concert d’impro prend parfois du temps. paradoxe identitaire pour décrire C’est une sorte de croissance organique, A l’improviste sonne juste. avec des moments forts et des moments Depuis sa création en 2000, l’émission de latence, mais sans miniature. Une vraie de France Musique s’est distinguée tant par prise de risque !” Le credo de la productrice sa discrétion que l’ampleur de son projet : n’est de toute façon pas de proposer être l’amplificateur d’un territoire un simple relais de spectacles vivants mais sonore très escarpé allant du free-jazz aussi de donner la parole à des artistes à certains arpents de l’expérimentation porteurs d’une autre esthétique et jamais contemporaine (concrète, bruitiste, etc.), entendus ailleurs. avec des détours trop rares par le rock Depuis dix ans, l’émission cherche et l’électronique. – et a trouvé – son équilibre entre Une traversée en solitaire parce que la échappées sonores fulgurantes et discours pratique de l’improvisation, si elle a joué un plus apaisés. Sa ligne a bien sûr évolué sur rôle essentiel dans l’histoire de la musique, le fond (passant de l’impro thématique et semble toujours susciter la méfiance ou idiomatique à l’impro libre) et sur la forme la peur de l’inconnu – trop déroutante, pas (regard plus acéré sur l’actu d’une scène assez corvéable. Sauvée par une pétition en plus riche qu’on ne le pense). Si on y invite 2007, amputée d’une demi-heure en 2010, toujours beaucoup d’instrumentistes, soit la moitié de son format, l’émission a su des personnages hors normes y trouvent grandir dans l’adversité, résistant aux désormais leur place, comme le platiniste variations saisonnières des grilles, aux supersonique eRikm ou les divas rebelles rumeurs, aux menaces de suppression. Catherine Jauniaux et Isabelle Duthoit. Des aléas finalement banals qui n’ont pas “L’improvisation, c’est une donnée essentielle entamé l’énergie d’Anne Montaron et son du geste musical, précise Anne Montaron. équipe à défendre une personnalité unique Ce que je cherche, c’est son universalité en Europe – au moins sur le service public. à travers les genres. Et puis je veux vivre avec Car ce que donne à entendre A l’improviste, la musique de mon temps. J’aime la surprise, c’est le concert, point de rencontre idéal l’imprévisible, sortir des cérémoniaux entre la légèreté de la diffusion radio et classiques.” Les dix minutes regagnées le jet instantané de l’improvisation. Idéal à la rentrée ne seront donc pas de trop. Pascal Mouneyres ou presque : captées dans les festivals ou organisées dans les auditoriums de A l’improviste France Musique, le lundi à 23 h 30 la Maison ronde, les performances ne sont

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Allen Gregory, une série animée créée par l’acteur Jonah Hill, sera diffusée à la rentrée sur la Fox.

demandez le programme Les chaînes américaines ont annoncé leurs nouveautés pour la rentrée. Au programme, J.J. Abrams, des Playboy Bunnies et une poignée de dinosaures.

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’est toujours la même histoire. Si la saison des séries n’est plus aussi concentrée qu’avant car les chaînes du câble parsèment leurs créations tout au long de l’année, le mois de septembre verra débarquer une bonne vingtaine de nouveautés sur les chaînes hertziennes américaines (CBS, ABC, NBC, Fox et CW). Revue d’effectif subjective avant le grand débarquement. Les relous. Tous les ans, quelques séries trop prévisibles pointent leur nez sans vergogne. Le pire, c’est que parfois elles marchent et s’installent ensuite dans le paysage. Un peu de préparation psychologique paraît s’imposer. L’exercice peut se révéler périlleux, mais gageons que Unforgettable (CBS, avec Poppy Montgomery en détective hypermnésique) appartiendra à cette catégorie. Parmi les autres candidats à la gloire auxquels on ne croit pas : A Gifted Man (une histoire de chirurgien hanté par sa femme, toujours sur CBS) et Revenge (ABC, un soap vieille école). Un bon point ? Peu de séries policières sur le modèle des Experts à prévoir. Il faut dire que l’original est toujours vaillant après onze saisons… Les remakes. Un passage obligé depuis que les patrons de chaînes ont décidé que l’âge d’or était terminé. Malgré tout, le retour des séries du passé s’avère plutôt

sexy cette année, avec le reboot de Drôles de dames où l’on guettera la délicieuse Minka Kelly (ABC) mais aussi Suspect numéro un (NBC). La série anglaise des années 90 avec Helen Mirren fait peau neuve et prend donc l’accent américain. Côté casting, la très cool Maria Bello ; à la production exécutive, le toujours intéressant John McNamara (Profit). Autre tendance : les remakes qui n’en sont pas mais en sont quand même – vous suivez ? Ainsi, les premières images de The Playboy Club (NBC), située à Chicago en 1963, avec Eddie Cibrian en Don Draper bis, fontelles irrésistiblement penser à Mad Men… Entre deux volutes de fumée de cigarette et quelques verres de brandy, on y croisera les célèbres Bunnies de Hugh Hefner. Idem pour Pan Am (ABC), sur la célèbre compagnie aérienne célébrée dans Arrête-moi si tu peux. Cette série n’aurait jamais existé sans le culte de la nostalgie sixties initié par le chef-d’œuvre de Matthew Weiner. Les gros buzz. Même si le niveau général s’annonce assez moyen (notamment du côté des comédies), on attendra fébrilement quelques poids lourds comme

bon point : peu de séries policières sur le modèle des “Experts” à prévoir

les dinosaures de Terra Nova (Fox). Cette production de science-fiction signée Spielberg n’a cessé d’être repoussée, mais elle attise la curiosité depuis que Tree of Life a remis au goût du jour les grosses bestioles de l’ère jurassique. De son côté, J.J. Abrams, partenaire de Spielberg sur Super 8, devrait effacer sans problème l’échec d’Undercovers l’an passé. Persons of Interest (CBS) permettra à Michael Emerson (Ben de Lost) de faire son retour à la télé aux côtés de l’ex-Jésus James Caviezel. Au programme, une histoire de logiciel capable de prédire les victimes d’un crime – et donc un goût de Minority Report. Pour l’île d’Alcatraz et ses prisonniers surnaturels, il faudra en revanche attendre le mois de janvier. Enfin, un projet étonnant, le drama Awake (NBC) où un homme ayant perdu fils et femme commence à habiter des réalités parallèles où ils sont bien vivants. Egalement au mois de janvier. Le chouchou. Allen Gregory (Fox) est un petit garçon surdoué de 7 ans élevé par un couple gay. C’est aussi le nom d’une intrigante sitcom animée, créée par l’acteur Jonah Hill, mémorable trublion de la galaxie Apatow (En cloque mode d’emploi, SuperGrave, Funny People). On laisserait tomber toutes les autres nouvelles séries pour ne regarder que celle-là. Olivier Joyard

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brèves Orange/Canal+ : ça bouge Contrairement aux prévisions, Canal+ n’avalera pas Orange Cinéma Séries. Alors qu’une fusion à 50-50 entre le bouquet de l’opérateur téléphonique et TPS Star était prévue avec le contrôle éditorial de Canal+, l’accord a été remis en cause. La chaîne cryptée prend une participation minoritaire dans Orange Cinéma Séries et se concentre sur le lancement de sa nouvelle chaîne Canal 20. Pour l’amateur de séries, cela signifie que le catalogue HBO reste sur les chaînes Orange, qui ont perdu plus de 100 000 abonnés depuis le début 2011.

focus

à l’Est, du nouveau

Jon Hamm réalisateur Etre Don Draper ne suffit pas à Jon Hamm. Celui-ci va réaliser le premier épisode de la cinquième saison de Mad Men, prévu pour mars 2012. On vous rassure, c’est toujours Matthew Weiner qui écrit les scénarios.

Jackie vs Tara La chaîne câblée Showtime a fait le ménage parmi ses comédies. Alors que la saison 7 de Weeds, arrive le 27 juin, United States of Tara a été annulée après trois années sympathiques mais inégales. Heureusement, Nurse Jackie vient d’être confirmée dans ses fonctions.

agenda télé Hard (Canal+, le 14 juin à 20 h 45) La saison 2 de l’intéressante comédie porno est diffusée en prime time et vaut le détour. C’est assez rare dans le paysage français pour être signalé.

Game of Thrones (Orange Ciné Choc, le 12 juin à 20 h 40) Les trois premiers épisodes de cette coûteuse série d’heroic fantasy nous ont laissé froid, malgré le buzz. Mais avec HBO, on a appris à être patient. Continuons donc à regarder, et attendons le miracle. The Walking Dead (Orange Ciné Choc, le 11 juin à 20 h 40) Intégrale de la saison inaugurale de la série de zombies signée Frank Darabont pour AMC. Une relecture intéressante du genre, avec quelques élans de mise en scène enthousiasmants.

Eden of the East confirme l’intérêt des séries made in Japan pour adultes. l n’y a pas que les séries américaines ou anglaises dans la vie. Le vivier de l’animation japonaise pour adultes constitue lui aussi un pan majeur de la création contemporaine, plus difficile d’accès pour les non-spécialistes, donc moins connu par les fans de séries classiques et les journalistes. Le travail de l’éditeur Kazé permet de s’y retrouver un peu mieux, avec une collection spécifique. Quelques mois après l’exceptionnel Ghost Hound, au niveau d’un film de Kiyoshi Kurosawa, un nouvel anime intéressant frappe à nos portes en DVD. Créé par Kenji Kamiyama (responsable des versions séries de Ghost in the Shell), Eden of the East a été diffusé en 2009 et compte onze épisodes – deux films ont été réalisés ensuite. Au départ, une intrigue mêlant espionnage et quête d’identité, quand un joli garçon amnésique se rend compte qu’il appartient à une organisation trouble, peut-être responsable d’attaques terroristes ayant touché le Japon. A ses côtés, une jeune femme idéaliste rencontrée par hasard aux Etats-Unis. Pour l’aider, un téléphone portable aux capacités étonnantes… Si la parenté avec les aventures de Jason Bourne (La Mémoire dans la peau) est évidente, la comparaison s’estompe rapidement, tant Eden of the East cultive une candeur laconique et une bizarrerie radicalement étrangères à toute explosion de testostérone. Sans atteindre des sommets, la série impose son faux rythme étrange et sa sentimentalité toujours obstruée par un vent d’inquiétude. A découvrir pour s’ouvrir des perspectives.

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O. J. Eden of the East (2009) créé par Kenji Kamiyama pour Fuji TV. DVD et Blu-ray (Kazé). Environ 40 €. 8.06.2011 les inrockuptibles 115

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François Lefebvre/FTV

émissions du 8 au 15 juin

Les Amants naufragés

Jean-Claude Moireau

Téléfilm de Jean-Christophe Delpias. Mardi 14 juin, 20 h 40, France 3

ultra moderne solitude

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ur le tableau noir de l’amphi où elle enseigne la philosophie, Paule (Anne Consigny) inscrit à la craie blanche la question du jour (d’une vie) : “Qu’est-ce que le réel ?” Cette énigme pour étudiants est aussi la sienne. Car cette femme de 50 ans se perd dans le vertige de l’amour, un vertige physique qui la rattache à un sentiment d’ivresse, né lui-même d’un désespoir : celui d’avoir été quittée soudainement par l’homme de sa vie. Pour compenser le vide, elle chasse les mecs sur internet. Compulsivement, l’héroïne couche avec des hommes, redécouvre le plaisir de la chair tout en s’accommodant des nuits sans lendemain. L’amour que Paule traque est celui d’un corps qui ne veut pas craquer, d’une peau qui veut rester douce, d’une voix qui cherche un écho à la sienne. A partir d’un scénario écrit avec Sophie Fillières (d’après un roman de Dominique Baqué), Anne Villacèque déploie un récit hanté par le mystère du désir féminin confronté, en milieu de vie, à l’âpreté du désir masculin. Pas à pas, la cinéaste filme la dérive d’une femme sous l’influence de son désarroi sentimental. Sans jamais pour autant conclure à l’inanité de sa quête. E-Love flotte dans les eaux troubles des amours contrariées mais intenses, comme si une rencontre artificielle portait en elle la promesse d’une existence redoublée. Au cœur de ce récit en forme de descente et d’élévation simultanées, Anne Consigny illumine le film de sa présence magnétique. Jamais elle n’avait déployé un registre aussi physique à l’écran : elle est un corps assoiffé et malade, doux et animal. Le film doit beaucoup à sa manière d’inscrire la réalité de son corps, fragile et battant, dans le vide de son époque. Le réel, c’est elle. Jean-Marie Durand

E-Love téléfilm réalisé par Anne Villacèque, vendredi 10 juin, 20 h 40, Arte

V comme Vian Téléfilm de Philippe Le Guay. Mercredi 15 juin, 20 h 35, France 2

Biopic bien mené du joueur de trompinette Bison Ravi. Après son populairement correct Les Femmes du 6e étage, Philippe Le Guay livre un biopic pimpant de Boris Vian, incarné par Laurent Lucas. Emaillé de dessins animés et de saynètes slapstick, le film s’inspire d’All that Jazz de Bob Fosse : au moment où Vian, victime d’une crise cardiaque à 39 ans, agonise à l’hôpital, ses connaissances lui rendent visite sous forme allégorique et sa vie défile. Un ton festif, assez proche du Gainsbourg (vie héroïque) de Joann Sfar, en plus tenu. Une vision légère qui privilégie le côté fanfaron et potache du personnage. V. O.

Un homme presque parfait Documentaire de Cécile Denjean. Jeudi 9 juin, 22 h 51, France 2

Bernard Barbereau/France 2

Une femme de 50 ans redécouvre le plaisir grâce à internet. Une chronique de l’amour flottant par Anne Villacèque avec l’admirable Anne Consigny.

Drame de la jalousie efficacement mis en scène. Un écrivain jaloux fait suivre sa femme, ce qui l’entraîne dans un engrenage fatal… Adapté du roman Les Veufs de Boileau et Narcejac – qui inspirèrent à Hitchcock son film le plus mythique, Vertigo –, le film est assez fidèle à l’univers tordu du tandem, même si l’on pense plutôt à L’Enfer de Chabrol tiré du scénario non tourné de Clouzot (auquel on doit l’adaptation mémorable de BoileauNarcejac, Les Diaboliques). Un téléfilm noir qui se laisse voir, même si on aurait aimé mieux sentir la parano du loser, incarné par l’impeccable Robinson Stévenin. V. O.

Jusqu’où aller dans l’amélioration (technique) de la race humaine ? Un documentaire sur la bionique, la prothétique, et la sélection génétique. Vaste programme qui revient à annoncer que l’immortalité est proche. Dans un premier temps, on pourra accroître ses capacités physiques, interfacer son cerveau avec une puce électronique, remplacer membres et organes déficients par des prothèses intelligentes. On pourra choisir des bébés à la carte, développés dans des utérus artificiels. Heureusement, quelques spécialistes d’éthique mettent des bémols à cette euphorie eugéniste, remarquant qu’on risque de provoquer un nouvel apartheid, en créant deux classes : d’un côté les cyber-humains, de l’autre les êtres non modifiés… V. O.

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Mariano Vivanco

United States of Airnadette Documentaire de Stéphane Jobert. Mercredi 8 juin, 22 h 35, Canal+

Des virtuoses français d’air guitar en goguette aux Etats-Unis. La tournée américaine d’un groupe de faux musiciens. Que ce soit un groupe d’air guitar, soit. Mais s’agit-il d’une véritable tournée ? On se le demande. En tout cas, la production du film semble luxueuse par rapport aux prestations sommaires de cette bande d’hurluberlus dans les rues ou dans des night-clubs, devant un public clairsemé. Ces joyeux drilles, qui se la jouent pop-stars en limousine, servent avant tout de vecteurs à une visite guidée des lieux et villes célèbres du rock (New York, L.A., Woodstock, Detroit, New Orleans, Memphis). Le genre de film dont on aimerait bien voir le making-of, histoire de comprendre exactement de quoi il retourne. V. O.

Gaga by Gaultier Documentaire d’Alex Fighter. Jeudi 9 juin, 20 h 40, TF6

Deux pointures du star-système parlent chiffons. D’Yvette Horner à Mylène Farmer, de Kylie Minogue à Madonna, Jean Paul Gaultier a toujours aimé habiller tout et n’importe qui dans le showbiz. Pas étonnant qu’on le découvre transformé en journaliste, le temps d’une rencontre avec la star planétaire Lady Gaga. Face à la chanteuse qui rend inexplicablement gagas des millions d’admirateurs, le styliste interroge le secret de ses excentricités (et de sa banalité musicale). Habillée pour une fois sobrement – une longue tenue noire percée au niveau du ventre et des seins, un chignon surélevé noir et blond, de grosses boucles d’oreilles –, Lady Gaga joue le jeu de la confession, en rappelant la précocité de sa double attirance pour la mode et la musique, en oubliant de préciser la clé de son succès : le marketing qu’elle maîtrise aussi bien que le make-up. JMD

inquiétants scouts chiites Comment le Hezbollah libanais perpétue le fanatisme à travers le mouvement scout. u Sud-Liban, dans l’organisation militarisation et ce radicalisme religieux, chiite du Hezbollah, il n’y a pas qui empruntent au scoutisme occidental de réelle solution de continuité (auquel il est officiellement affilié)son entre l’école, le parti, l’armée, uniforme et ses rites, pour mieux servir la religion, l’endoctrinement et le djihad islamiste. La serviabilité ou la propagande. Tout cet ensemble la découverte de la nature sont le cadet est généreusement pris en charge par des soucis de ces scouts musulmans par ce mouvement intégriste musulman quasi rapport au sempiternel conflit avec leur autonome, en guerre perpétuelle contre impitoyable voisin israélien. Le reportage Israël. La preuve avec ce voyage parmi révèle l’étendue et l’intensité de cette les scouts d’Al-Mahdi, dont certains disent fanatisation d’une partie de la jeunesse qu’ils constituent un vivier de combattants libanaise. Vincent Ostria (voire de kamikazes), exclusivement focalisés sur la religion et le combat. Les Scouts d’Al-Mahdi reportage de Bruno Ulmer. Vendredi 10 juin, 23 h, Arte Documentaire édifiant sur cette

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enquête

Twitter : responsable mais pas coupable La justice, quant à la diffamation et au respect de la vie privée, doit désormais composer avec Twitter et les réseaux sociaux en général.



l y a quelques semaines encore, le nom de Ryan Giggs ne déclenchait les passions que dans le milieu des amateurs de foot. Mais le joueur de Manchester United fait depuis la une de tous les journaux britanniques qui, paradoxalement, n’ont pas le droit de parler de lui. Tout démarre par une affaire d’adultère entre le sportif (marié) et une ex-participante de Big Brother, émission anglaise de téléréalité. Pour que les tabloïds, qui commencent à murmurer sur les galipettes de la starlette avec une mystérieuse star du foot, ne mettent pas en péril son ménage, l’ailier gauche obtient de la justice une injonction. Une arme législative propre à l’Angleterre qui permet à quiconque d’interdire de mentionner son nom sur la place publique, dans le cadre d’une affaire précise, pour protéger sa vie privée. Et qui a déjà servi à plusieurs célébrités et entreprises pour étouffer des affaires gênantes les concernant. Mais cette fois, la mécanique bien huilée entre les tabloïds et la justice s’enraye. Et c’est Twitter qui fait office de grain de sable. Fin mai, un utilisateur dévoile le nom de Giggs dans un twit massivement relayé. En quelques heures, le nom apparaît 75 000 fois sur la plate-forme de microblogging. Un pied de nez à la justice anglaise qui agace prodigieusement les tabloïds. Et qui pousse Giggs à attaquer Twitter en justice afin d’obtenir le nom des Twittos ayant divulgué son identité (a priori seuls ceux ayant twitté depuis la Grande-Bretagne ont commis un délit). L’affaire s’invite même au Parlement et force le Premier ministre, David Cameron,

à diligenter une commission pour réfléchir à la modification d’une loi rendue inapplicable par le “wild, wild net”. Pile au même moment, un tribunal californien, saisi depuis la Grande-Bretagne, ordonne à Twitter de dévoiler l’identité d’un internaute ayant diffamé des membres du conseil régional dont il est lui-même employé dans le nord-est de l’Angleterre. Une première dans l’histoire du site, confronté à de nouveaux problèmes à mesure que sa notoriété augmente. Notamment sa soumission aux lois sur le respect de la vie privée et sur la diffamation. “En France, le cadre légal pour les sites internet date d’une directive européenne de 2000, rédigée par la commission en 1997 et qui n’avait donc jamais envisagé une communication via des réseaux sociaux”, explique Blandine Poidevin, avocate spécialisée dans le droit de l’internet. Les sites comme Twitter sont considérés comme des hébergeurs, ils ne sont donc en principe pas responsables du contenu publié par leurs utilisateurs, sauf s’ils ont été prévenus de l’existence d’un propos problématique et qu’ils ne font rien.” Mais le système qui s’applique depuis des années pour les blogs va-t-il résister au raz-de-marée de

“avec les réseaux sociaux, on est dans le flou entre l’espace privé et l’espace public”, Benoît Raphaël, consultant médias

la communication 2.0. ? “Avec les réseaux sociaux, on est dans le flou entre l’espace privé et l’espace public, reconnaît Benoît Raphaël, fondateur du post.fr et consultant médias, mais à mesure que Twitter grandit, sa dimension publique prend le dessus.” Du coup, les “données relationnelles”, échangées comme au bistrot entre copains, pourraient vite se retrouver au tribunal. Pas cool pour la liberté d’expression diront certains. “Avant, la diffamation, ça concernait cinq journaux dans le petit carré de SaintGermain-des-Prés, explique Bernard Lamon, avocat spécialiste en droit de l’informatique, mais depuis quelques années ces affaires se multiplient et concernent une majorité d’internautes.” Même constat pour Antony Bem, spécialisé dans le droit de l’image : “Avant, je ne défendais que des people, maintenant, j’ai une personne célèbre pour dix inconnus.” Le tout-venant ? “Majoritairement des demandes de retrait de propos ou de photos sur Facebook”, d’après Bernard Lamon. Une procédure banale au coût assez rédhibitoire pour l’internaute à la réputation salie (autour de 1 000 euros) et des démarches parfois longues pour faire bouger des sites hébergés aux Etats-Unis. “Les internautes sont en train d’apprendre qu’ils sont soumis aux limites de la liberté d’expression lors de leurs interactions sur internet”, analyse Benoît Raphaël. Pour Twitter, c’est une nouvelle séquence qui s’ouvre : après la parenthèse enchantée des révolutions arabes 2.0, le site américain doit montrer qu’il peut se plier aux droits des Etats où il est utilisé, sans décevoir ses usagers. Hugo Lindenberg

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in situ film à la maison Des petits personnages peints grossièrement s’animent joyeusement sur une musique expérimentale. Vincent Morisset, spécialiste de l’interactivité, propose ici une expérience poétique où l’internaute imagine sa propre histoire en interagissant avec les figures de l’interface. Iil invente un véritable langage narratif sur internet. blabla.onf.ca

réseau très social TodoBravo permet de gérer sur une même interface tous ses comptes sociaux. On peut différencier ses réseaux (amis, professionnel, rencontres amoureuses) et partager des publications. L’accent est mis sur la sécurisation des données personnelles qui sont rendues invisibles sur les moteurs de recherche. todobravo.com

tourne-disque en ligne La bibliothèque du Congrès américain rend disponible en streaming plus de 10 000 morceaux de musiques historiques archivés par elle et plusieurs autres bibliothèques du pays. Des enregistrements d’opéra, de blues ou jazz à découvrir, datés entre 1901 et 1925. Loc.gov/jukebox

Londres période victorienne Le site Low Life London comprend une collection d’une trentaine de cartes du XIXe siècle aidant à imaginer la capitale à cette époque. La superposition de cartes actuelles et anciennes permet de comprendre son développement et les principales avenues de la ville à l’époque victorienne sont visualisables en 3D. http://work.axismaps.com/amd/lll/

la revue du web Wired

Owni

La Vie des idées

pub of life

topographie d’internet

Les publicités modifient notre mémoire et nous amènent à nous “souvenir” de faits qui n’ont jamais existé. C’est ce qui ressort de l’inquiétante étude publiée par Journal of Consumer Research. Les cent étudiants qui ont fait l’objet de cette expérience ont été soumis à des publicités de façon aléatoire. Parmi elles figurait une marque de pop-corn inventée. Certains d’entre eux ont ensuite été invités à goûter ce pop-corn imaginaire dans une salle, les autres ont passé un moment dans une autre salle. Résultat troublant : ceux qui n’avaient rien consommé étaient pourtant persuadés a posteriori de l’avoir fait. bit.ly/iL2v4j

La France fait figure de pays à l’internet le plus sécuritaire : dispositif de sanction directe de l’internaute, accès interdit à plusieurs applications mobiles, filtrage du réseau... A l’inverse, l’Islande, et ce n’est pas une surprise, est le pays le plus soucieux des droits de ses internautes. Cette carte européenne interactive propose une visualisation des libertés sur internet. Ses critères sont aussi variés que les dispositifs de protection de la propriété intellectuelle, la conservation des données, l’adhésion des pays à l’ACTA, ou ceux qui refusent la mise en place d’une protection. bit.ly/m6D28E

aux origines des indignados La mobilisation de la Puerta del Sol, en Espagne, est un laboratoire de démocratie directe. L’apparition de ces commissions de travail à échelle locale dans des domaines aussi variés que le travail, l’immigration, l’écologie... s’ancre dans une tradition de mouvements de quartier de type associatif. Une façon de concevoir la démocratie issue de l’Antiquité romaine où la chose publique (Res publica) était entre les mains des citoyens avec cette idée maîtresse de nondomination. L’article propose un historique intéressant des idées à l’origine de ces groupes politiques émergents. bit.ly/kAigIj

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vu du net

Manumania Belles heures et crise de Manufrance dans une expo à Saint-Etienne… et sur le net. ille à forte histoire industrielle (bit.ly/l1Ukjv), Saint-Etienne rend hommage à travers une exposition (bit.ly/kMyPju, bit.ly/jHbg8w) à ce qui fut son fleuron entre 1885 et 1985 : Manufrance (visite en cartes postales : bit.ly/jwc8Og). Manufrance, c’était avant tout l’entreprise pionnière de la vente par correspondance, avec son célèbre catalogue (bit.ly/mPeK3Z, bit.ly/mHMJJu). C’était aussi les armes de chasse (bit.ly/ liW7QR), les radios (bit.ly/jZSmwM) et les vélos (bit.ly/iGh8wP, bit.ly/kMHEmx). L’entreprise créa pour fidéliser ses clients le magazine Le Chasseur français (bit.ly/ iV623o ; intégrale des années 50 : bit.ly/ kZSYL2), connu aussi pour ses annonces matrimoniales (bit.ly/jAqNaf). Difficile de trouver des témoignages d’employés de Manufrance sur le net – les archives départementales de la Loire lancent d’ailleurs un appel (bit.ly/mSFe8w). Sur la crise qui survint dans les années 1970, c’est l’INA et L’Unité, ancien journal du PS, qui renseignent le mieux.

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Un article du 6 mai 1977 (bit.ly/iWHnrQ) revient ainsi en détail sur les origines des problèmes (dispersion du capital, salariés mécontents, inadaptation aux transformations de l’époque). Alors que le maire communiste de Saint-Etienne Joseph Sanguedolce était optimiste sur la reprise (bit.ly/l1TNIn), le conflit social s’envenima en 1978 devant l’ampleur des licenciements (bit.ly/iQBlYU). L’entreprise et ses employés se battirent pour survivre,

recevant même le soutien de Poulidor (bit.ly/m3FbB9), Bruce Sprinsgteen (bit. ly/iFCrqI) et… d’une poêle (bit.ly/k0CXQN). Bernard Tapie tenta de la reprendre en 1979 (bit.ly/let447), sans succès. Depuis la fin des années 1980 la société a repris ses activités notamment dans les domaines de la chasse et de la pêche (manufrance.eu). Dans les années 1970, Manufrance était étroitement lié à l’incontournable équipe de foot (bit.ly/k2GxEF) de l’Association sportive de Saint-Etienne (asse.fr, asse-stats.com), pionnière du merchandising sous l’impulsion du président Roger Rocher (bit.ly/mtfIkT). Parallèlement à la déroute de l’entreprise, l’ASSE., qui dominait le foot français depuis les années 1960 avec des matchs de légende (vertaddict.over-blog.com), déclina et, en 1982, l’affaire de la caisse noire précipita sa chute (là encore, peu d’articles sur le sujet, bit.ly/jO6w3Y, bit.ly/ jMo6fk). Aujourd’hui, les liens entre le club et l’entreprise sont nostalgiques mais vivaces, comme en témoignent les forums de supporters (bit.ly/mrqsJV). Et puis, pour la postérité, “Qui c’est les plus forts ? Evidemment c’est les Verts” (bit. ly/msuM7i) ! Anne-Claire Norot

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Ulysse de James Joyce J’aime Ulysse à cause de la façon qu’a Joyce d’écrire sur les choses de tous les jours et de les rendre mythologiques. Son écriture est incroyable, j’adore la manière dont il défie la langue et pousse les significations le plus loin possible. Je ne suis jamais arrivée au bout, mais c’est toujours mon livre préféré.

Le Chat du rabbin de Joann Sfar et Antoine Delesvaux Transposition fidèle de la célèbre BD. Intelligente et salutaire réflexion sur une judéité laïque.

Very Bad Trip 2 de Todd Phillips Nouvelles (més)aventures du trio de mâles US. Avec un Zach Galifianakis à fond.

Le Complexe du castor de Jodie Foster Réflexion tragi-comique sur la folie avec un Mel Gibson en plein burn out.

Friendly Fires Pala Un second album tropical, charnel et luxuriant enregistré dans le garage de leurs parents.

Paris Review – Les Entretiens, tome II Les interviewsfleuves où se sont confiés Borges, Amis, Faulkner, Capote, Nabokov, ou encore Bowles.

de Chester P L’album de Chester P est probablement le plus grand album de hip-hop underground à venir au Royaume-Uni. Il est drôle, éloquent, honnête et son flow est incroyable.

Fire Walk with Me de David Lynch J’aime ce film parce que j’adore Twin Peaks. Je pense que si tu n’as jamais vu Twin Peaks, je ne pourrais pas faire grand-chose pour toi...

Chris McAndrew

From the Ashes Belleville Tokyo d’Elise Girard La mécanique d’une rupture amoureuse auscultée avec cruauté et finesse, tristesse et drôlerie.

Kate Tempest Kate Tempest est la meneuse de Sound Of Rum dont l’album Balance est sorti mi-mai. Le groupe sera en concert à Paris (Flèche d’Or) le 11 juin.

Black Devil Disco Club Circus Le retour démoniaque et bien entouré d’un pionnier de la French Touch.

Chantal Thomas L’Esprit de conversation Un hommage à l’art de parler et de faire de soi un individu singulier. Thurston Moore Demolished Thoughts Un album calme et splendide, beau et sombre, produit par Beck.

Aziz Sahmaoui & University of Gnawa Aziz Sahmaoui & University of Gnawa Le musicien continue à faire résonner les sons mystiques du Maroc.

En présence d’un clown d’Ingmar Bergman. Condensé des heures de gloire du cinéaste. Le Quatrième Homme de Phil Karlson. Film de casse astucieux qui a inspiré Reservoir Dogs. Grindhouse Double programme fétichiste des 70’s signé Rodriguez et Tarantino.

Archives de la vie littéraire sous l’Occupation Le catalogue de l’expo retrace une période trouble qui a vu émerger la figure de l’intellectuel engagé.

Nicole Krauss La Grande Maison Ecrire pour réparer ce qui a été perdu. Nicole Krauss cherche comment l’on se réinvente après avoir vécu le pire.

L’Art de voler d’Antonio Altarriba & Kim Le destin tragique du père de l’auteur dans l’Espagne franquiste.

Dong Xoai, Vietnam 1965 de Joe Kubert Une vieille illustration comme déclencheur d’un récit de guerre.

Mister Wonderful de Daniel Clowes Comment reconstruire sa vie après un divorce ? Une BD simple et inventive.

& d’Antoine Defoort et Halory Goerger Théâtre de la Cité internationale, Paris “Un spectacle de câble et d’épée” qui oscille entre prévisible et imprévisible.

I Am the Wind de Jon Fosse, mise en scène Patrice Chéreau Théâtre de la Ville, Paris Pour témoigner de l’impossible sauvetage d’un homme revenu du pays des morts.

Fin de partie de Samuel Beckett, mise en scène Alain Françon Théâtre de la Madeleine, Paris Une mise en scène redoutablement efficace, un choix d’acteurs magistral et un duo jubilatoire.

Anri Sala Galerie Chantal Crousel, Paris Une expo comme un show live qui provoque un grand écart émotionnel enivrant.

Steven Claydon Mon plaisir… … votre travail La Salle de bains, Lyon D’étranges céramiques dotées de vie par un son et lumière éphémère et cheap. Stupéfiant.

Amy O’Neill Forests, Gardens & Joe’s Centre culturel suisse, Paris Entre l’histoire intime et celle des Etats-Unis.

Portal 2 sur PS3, Xbox 360 et PC Vous êtes le cobaye volontaire d’un monde qui jongle avec les règles de la physique.

Lego Pirates des Caraïbes sur PS3, PSP, Wii, DS, 3DS, Xbox 360 et PC Les pirates des Caraïbes version Lego : le charme opère.

L. A. Noire sur PS3 et Xbox 360 Investigation d’une remarquable finesse dans le Los Angeles des années 40.

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