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Cannes

M 01154 - 808 - F: 2,50 €

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avec

palmarès et polémiques

Etats-Unis

l’île où l’on punit les crimes sexuels

Parti socialiste année zéro

Allemagne 3,40 € - Belgique 2,90 € - Canada 5,20 CAD - DOM/A 3,90 € - Espagne 3 € - Grèce 3,30 € - Italie 3,30 € - Liban 8500 LBP - Luxembourg 2,90 € - Maurice Ile 5,50 € - Portugal 3,30 € - Suède 40 SEK - Suisse 5 CHF - TOM 700 CFP

No.808 du 25 au 31 mai 2011

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2.50€

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j’ai causé ciné avec

Anna Calvi

 I

l est aux alentours de 23 heures et Anna Calvi termine sa performance sur la scène de la Villa Inrocks, située sur les hauteurs de Cannes, dans les locaux de la médiathèque de la ville. Elle succède aux Shoes et à Saul Williams, qui sont venus jouer quelques jours avant elle. Dans le public, des jeunes gens modernes, un smartphone dans une main et une boisson alcoolisée ou pas – mais plutôt alcoolisée quand même – dans l’autre. Au deuxième rang, Yann Barthès, boss du Petit Journal, assis à la coule depuis le début du concert, se relève alors que la jeune chanteuse disparaît en backstage. Anna Calvi porte un chemisier rouge et ses yeux bleus sont translucides. Après une interview pour la télé locale, on lui propose de monter en haut de la chouette bâtisse qui accueille la soirée, elle dit OK. On traverse le grand jardin qui accueille les soirées et on monte par l’arrière de la maison. Des centaines de classeurs archivés sont accrochés au mur, un vrai dédale. Quatre étages et des escaliers qui craquent plus haut, on déboule dans une pièce aux murs blancs dans laquelle se trouve une réplique approximative de la Villa. Anna Calvi jette un coup d’œil sur le jardin d’où s’échappe le mix d’Eddie Megraoui – assurément l’un des DJ les plus cool du festival –, qui ouvre son set avec l’imprenable Gimme Shelter des Rolling Stones. Ça danse dans tous les sens devant la scène : “J’aime beaucoup le Festival de Cannes, j’ai souvent regardé le palmarès en direct à la télévision. C’est la toute première fois que je viens et c’est une expérience très excitante pour moi,

“vous savez comment je peux faire pour aller voir des films demain ? j’aimerais bien voir un ou deux trucs”

l’idée de venir présenter mes chansons dans un environnement totalement différent de celui de la musique m’enchante”, explique la jeune femme, qui nous demande ensuite comment accéder à la projection du dernier Almodóvar, La piel que habito, le lendemain. Anna Calvi est plutôt cinéphile. Son premier film en salle, elle s’en souvient très bien, “c’est Bambi”, dit-elle en souriant. Mais son premier choc, c’est véritablement My Own Private Idaho, de Gus Van Sant, avec Keanu Reeves et River Phoenix. “J’ai vu ce film pour la première fois à 16 ans, et je l’ai revu des dizaines de fois par la suite. J’aime les images autant que j’aime l’émotion que véhicule ce film. C’est ce type de combinaison que je trouve particulièrement inspirante”, explique-t-elle, avant de nous dire qu’elle a longtemps eu sur le mur de sa chambre d’ado l’affiche du film. Elle avoue être plus River Phoenix que Keanu Reeves, même si elle a vu Point Break ou Matrix – et qu’elle y a même compris quelque chose, la chance. Parmi ses autres réalisateurs fétiches, elle cite Wong Kar-wai ou Terrence Malick, dont elle aurait adoré voir le dernier film. “Ma musique est très influencée par le cinéma, j’essaie d’aller y chercher des atmosphères, des visions étourdissantes. Je vois beaucoup de films, en salle mais aussi en DVD.” Un rôle au cinéma ? “C’est encore beaucoup trop tôt pour y penser, je suis très protectrice vis-à-vis de mon art. Même si l’on me demandait certains de mes morceaux pour une bande originale, je resterais très vigilante, je n’ai pas envie d’entendre un de mes titres dans un film que je ne cautionnerais pas artistiquement.” Anna Calvi traverse la grande pièce blanche et réitère sa question : “Alors, vous savez comment je peux faire pour aller voir des films demain, j’ai une journée off et j’aimerais vraiment bien voir un ou deux trucs ?” Allez, on va lui arranger ça. Pierre Siankowski photo Guillaume Trouvé

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No.808 du 25 au 31 mai 2011 couverture photo-montage Joe Drivas/Getty Images

05 quoi encore ? Anna Calvi

08 on discute

cahier central

courrier ; édito de Bernard Zekri

Festival de Cannes

10 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

14 événement

24 pages

en pleine crise sociale, les “indignados” font leur printemps espagnol

16 événement aux assises pour la troisième fois, Yvan Colonna se dévoile peu à peu

18 la courbe ça va ça vient ; billet dur Planning To Rock

22 ici à Paris, la première Marche des salopes

Benni Valsson

20 nouvelle tête

25 ailleurs 26 à la loupe Nikos Aliagas sort un beau livre

28 parts de marché affaire DSK : quand la médiasphère se remet en question

40

Jean-Luc Luyssen/Abaca Press

en Angleterre, la crise estudiantine dure

un politologue analyse les chances du PS de rester dans la course ; échos de militants strauss-kahniens ; l’énigme Anne Sinclair

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39 Sarkozy aime les sommets après la chute de DSK, il veut profiter du G8 pour s’élever au-dessus de la mêlée

40 la cible Hollande nouveau favori des sondages, il s’attend à un tir nourri, de gauche comme de droite

Horacio Villalobos/epa/Corbis

30 PS année zéro

43 Royal toujours debout elle ne renonce à rien

46 contre-attaque 48 sex crimes comment la justice américaine traitet-elle les délinquants sexuels ?

cahier spécial Cannes 2011

Ted S. Warren/AP/Sipa

prison : sortir du silence pour alléger la peine

48

en direct du Festival, le palmarès, les portraits, les critiques

56 Odd Future fuck hip-hop 58 ça roule pour le roller-derby ce sport violent réservé aux filles remporte un vrai succès en France

62 les écrivains sous l’Occupation fallait-il écrire ou pas pour résister ?

58

David Balicki

des rappeurs nihilistes de 20 ans font leur révolution artistique

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34

64 L.A. Noire encore mieux que le cinéma

66 Thurston Moore le calme après la tempête Sonic Youth

68 mur du son David Lynch, The Coral, The Drums…

69 chroniques Aziz Sahmaoui, Okkervil River, The Head And The Heart, The Feelies…

77 morceaux choisis Kid Bombardos, Bon Iver…

78 concerts + aftershow festival The Great Escape

82 Jane Bowles portraits de femmes borderline

84 romans/essais Arthur Miller, Don DeLillo…

86 tendance le filon du rockeur mort

88 agenda les rendez-vous littéraires

89 bd Mister Wonderful de Daniel Clowes

90 Anne Teresa De Keersmaeker par le Ballet de l’Opéra de Paris

92 Anri Sala + Steven Claydon

94 les coulisses d’un défilé quand Chanel investit un palace

96 avant le g8, l’eG8 grandes manœuvres autour du net

98 Yann Le Masson un maître du cinéma du réel

99 Alexis Ipatovtsev sur France Culture, un regard décalé

100 séries Weeds et Hard

102 télévision les 100 ans de Maurice Nadeau

104 Sabotage Times un nouveau site british et fun profitez de nos cadeaux spécial abonnés

p. 24

105 la revue du web décryptage

106 best-of le meilleur des dernières semaines

rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Hélène Fontanaud, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs D. Balicki, E. Barnett, R. Blondeau, E. Burnier, M.-A. Burnier, F. Cassan, C. Cohen, E.  Cuzin, M. Despratx, J.-B. Dupin, P.  Dupont, J. Goldberg, E. Higuinen, O. Joyard, B. Juffin, C. Larrède, A. Laurent, N. Lecoq, T. Legrand, H. Le Tanneur, L. Mercadet, B. Mialot, X. Monnier, P. Mouneyres, P. Noisette, V. Ostria, E. Philippe, S.  Piel, O. Ponthus, J. Provençal, P. Sourd, C. Sudry-Le Dû, Benni Valsson lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Caroline de Greef photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Guillaume Falourd, Gaëlle Desportes, Jérémy Davis, Thi-bao Hoang, Caroline Fleur conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeurs artistiques Pascal Arvieu, Mathieu Gelezeau (remplaçant) maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Camille Roy publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/ scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté d’Arthur Bellot tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 Dorothée Malinvaud (spécial festivals) tél. 01 42 44 15 67 coordinatrice Dounia Hajji tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 19 98 publicité commerciale, directrice Sarah Roberty directeur et directrice de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94, Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 chef de publicité junior Chloé Aron coordinatrice Margaux Monthieu tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/relations publiques Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65, chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard (tmattard@ame-press. com, tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19, infos au 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Valérie Imbert fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 2 211 059,61 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général David Kessler directeurs généraux adjoints Stéphane Laugier, François Rossignol attachée de direction Charlotte Brochard directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2011 directeur de la publication David Kessler © les inrockuptibles 2011 tous droits de reproduction réservés ce numéro comporte un supplément “Chroniques lycéennes” encarté dans l’édition France métropolitaine ; un encart “Art Rock” dans l’édition abonnés France métropolitaine et dans l’éditionkKiosques des départements 14, 17, 22, 29, 35, 44, 49, 50, 53, 56, 72, 85, 86 ; un encart “Ircam-Agora” dans l’édition abonnés Paris ; un encart abonnement Belgique et Suisse jeté dans l’édition vente au numéro Belgique et Suisse.

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l’édito

coup dur C’est une bombe à fragmentation. Le PS aurait tort de croire que l’affaire DSK va se tasser : elle ne sortira pas de nos vies avant 2012. La candidature de Dominique Strauss-Kahn représentait une promesse, un fantasme, l’espoir que la France, avec trente ans de retard, allait enfin retrouver la modernité. Son absence fait d’abord ressortir les faiblesses socialistes, le côté archaïque sans expérience du monde et de la mondialisation. François Hollande et Martine Aubry devront se battre contre le retour à la vieille République, ses motions et ses projets de papier qui ne résistent pas au choc de la réalité et du pouvoir. Le Corrézien et la Lilloise feront face au plus grand des défis : parvenir à oublier la haine qu’ils se portent. Une haine qui laisse présager une primaire d’affrontement et de dénigrement, germes d’une déroute en 2012. L’affaire DSK révèle aussi la fracture des générations. Les vieux, les Jack Lang, Jean-François Kahn, ont manifesté à l’occasion un machisme pré-soixante-huitard, voire prérévolutionnaire : on y reconnaît le mépris des femmes et des humbles déjà dénoncé par Beaumarchais. Mais le MLF est passé par là : les femmes libres n’admettent pas le comportement de DSK, moins encore celui des commentateurs. Dans le monde d’aujourd’hui, on n’écrase plus si facilement Fantine et Causette, même sous l’apparence d’une grande Peule réfugiée de Guinée. Et si DSK se retrouvait devant le tribunal en février 2012 ? Imagine-t-on d’ici là les révélations distillées sur sa vie et, en sens inverse, les attaques répétées contre la pauvre Ophélia, poursuivie par les détectives à la solde d’un homme riche et jadis puissant ? Les médias américains comme français ne lâcheront pas : les tirages et les audiences rejoignent ou dépassent ceux que suscitèrent la Coupe du monde de 1998 ou le 11 Septembre. Mieux : il s’agit d’une histoire à rebondissements. On ne cessera d’en parler parce que cela passionne et se vend. Reste les Français stupéfiés et le peuple de gauche floué. Vont-ils se remettre d’avoir accordé leur confiance à un homme qui les a déçus et lâchés ? Les socialistes risquent de périr par celui qui devait les sauver. C’est déprimant.

Bernard Zekri

ds Les Inrocks de la semaine dernière, les soutiens de DSK se demandaient si son démarrage politique n’allait pas tarder : oui oui c parti méchamment twitté par julienmartin11 typologie des commentateurs des Inrocks 1. Le futur désabonné : il promet toujours que cette fois-ci, promis juré, il ne renouvellera pas son abonnement. Pourquoi ? Parce que l’article est pourri, parce qu’il en a marre de la nouvelle formule ou parce qu’un magazine culturel, ça ne doit pas parler d’actu. Pour ça il y a Le Monde, bordel ! 2. Le pourfendeur de bobos : après la trêve hivernale, il a fait sa réapparition avec la saison cannoise. Vous en trouverez de beaux exemples sous le blog de Pierre Siankowski. Pour lui, les journalistes sont tous des parigots et des bobos, et d’un point de vue strictement sociologique, il n’a probablement pas tort. 3. Le fan de Radiohead : sur les pages “musique”, la communauté est structurée par un débat millénaire entre les fans de Radiohead et leurs

détracteurs. Le fan de Radiohead est toujours prêt à défendre son groupe préféré parce que ces gars-là “ils font de la musique avec leur cœur et avec leurs tripes”. 4. Le sympa : c’est un oiseau rare. Il y a plusieurs variantes du sympa : le lèche-cul, le cool et le neutre. 5. Le passéiste : celui qui nous rebat les oreilles du sempiternel “c’était mieux avant”. Le passéiste ne se retrouve plus dans ce magazine de corrompus (...) Il regrette l’époque du noir et blanc, quand les articles étaient très longs et passionnants. Par la force des choses, le passéiste est souvent un futur désabonné. 6. Celui qui se croit plus malin que les autres en écrivant un article sur les autres : j’en suis le principal représentant. Dr Moby Dick, membre du collectif “Sauvons Willy”

droit de réponse Dans un article particulièrement inspiré, intitulé “Accrochages au palais de Tokyo”, publié le 11 mai dans le magazine les Inrockuptibles, et repris sous le titre “La Guerre des tranchées au palais de Tokyo” le 14 mai 2011 sur le site lesinrocks.com, vos collaborateurs Jean-Max Colard et Claire Moulène nous accusent d’intoxiquer nos lecteurs. Voici l’extrait : “Dans Le Monde, Harry Bellet et Philippe Dagen pratiquaient ouvertement l’intox en insistant sur le rôle d’une manifestation devant le Centre Pompidou, où six protestataires (quatre selon la police) brandissaient mardi 3 mai des pancartes réclamant la ‘fin du mépris artistique’.” Publié le 5 mai 2011, l’article incriminé (consultable à l’adresse www.lemonde.fr/culture/article/2011/05/04/olivier-kaeppelin-largementsoutenu_1516784_3246.html), faisait approximativement 4 900 signes. La manifestation était signalée en 139 signes (44 signes de moins que dans vos colonnes !), soit 2,8 % de la longueur du papier, en incise d’une interview de l’artiste qui en était l’organisateur, lequel parlait d’ailleurs d’autre chose. Ce n’est pas là être “insistant sur le rôle d’une manifestation”. A moins qu’ils ne l’aient pas lu, c’est donc sciemment que Jean-Max Colard et Claire Moulène omettent, pour des raisons qu’il ne nous appartient pas de juger, de mentionner que l’essentiel de notre article portait sur la pétition, la polémique naissante dans le milieu artistique, et les moyens mis en œuvre par certaines personnes, au ministère de la Culture notamment, pour forcer Olivier Kaeppelin à la démission. Il était strictement informatif. Dans ce contexte, qui donc pratique “ouvertement l’intox” ? Harry Bellet et Philippe Dagen Par cette lettre, nos lecteurs comprendront que la guerre de tranchées qui se déroule actuellement autour du départ d’Olivier Kaeppelin et de l’avenir du palais de Tokyo agite jusqu’aux acteurs les plus objectifs du milieu de l’art français. Les Inrockuptibles

réagissez sur [email protected]

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction Black Lips met le feu De passage à Paris mardi 17, les Américains au flower-punk viscéral ont mis le feu au 104 en déclenchant, à grand renfort de fumigènes, l’alarme à incendie de la salle avant “d’éteindre” le public à l’aide d’extincteurs. Concert-carnage avant la sortie, le 7 juin, du génial Arabia Mountain, sixième album du groupe produit par Mark Ronson.

le mot

Francis le gaucher

Depuis l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn, les médias nous jouent un étrange opéra : dans les télévisions, les radios, la presse écrite, il n’est plus question que de ténors, “les ténors du barreau new-yorkais” par-ci, “les ténors socialistes” par-là. Le mot irradie puisqu’il va jusqu’à contaminer la danse, comme on le voit dans l’exemple suivant : “Les ténors ouvrent le bal.” Notons que pour les “ténors socialistes”, DSK “a jeté l’éponge”, que son libertinage relevait d’un “secret de polichinelle”, que toute information sur le sujet reste “à prendre avec des pincettes” et que chacun doit manifester de la “retenue” (ce dernier mot servant aussi, et sans succès, à dissuader le tyran syrien de tirer sur son peuple). Assaisonnées de quelques verbes être, ces cinq expressions suffisent pour composer n’importe quel éditorial. On remarque qu’en politique, les médias ne connaissent ni soprano ni baryton.

Al François

[ténor]

twit fight d’Etat “@PaulKagame est un tyran et un menteur”. Ian Birrell, éditorialiste au Guardian, commente sur Twitter une interview du président rwandais Paul Kagamé. Surprise, Kagamé répond. S’ensuit un dialogue de sourds (trente twits) sur les droits de l’homme et la liberté de la presse, alimenté par les autres internautes. La conversation stoppe net sur une pointe de Birrell : “Je suis en pleine discussion avec Paul Kagamé sur Twitter. Dommage qu’il n’autorise pas de tels débats dans son propre pays.” Doherty, retour case prison Mis en examen dans le cadre de l’enquête sur la mort par overdose de son amie et réalisatrice Robin Whitehead, l’ex-Libertines prend six mois de prison pour possession de cocaïne. Le sale gosse du rock anglais, bientôt à l’affiche du film Confession d’un enfant du siècle au côté de Charlotte Gainsbourg, en est à son troisième passage derrière les barreaux depuis son arrestation pour le cambriolage de son acolyte Carl Barât en 2003. Anonymous perd la face Barrett Brown, membre du groupe de hackers qui se bat pour la liberté d’expression sur le net, jette l’éponge. Cause de sa démission : la récente attaque d’un anonymous contre le site de Sony, une cause “pas assez noble” pour Brown qui claque donc la porte. C’était, avec Gregg Housh, le seul anonymous apparu à visage découvert dans les médias.

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l’image Claude Cahun, pré-queer dur à cuire

Lundi matin, ça se bouscule à l’entrée du Jeu de paume pour visiter en avantpremière l’expo Claude Cahun qui ouvre le lendemain. Le jeu en vaut la chandelle : mise en valeur sur tout le rez-de-chaussée, l’œuvre de cette photographe écrivaine, homosexuelle revendiquée et contemporaine des surréalistes, est d’une incroyable modernité. Dès les années 20, dans les autoportraits qu’elle réalise avec sa compagne Suzanne Malherbe, Cahun montre qu’il y a du trouble dans le genre. Elle se travestit, démultiplie les identités (en haltérophile, en dandy, en extravagante..), sort le cheveu ras teint en rose ou en doré. Riche, d’une structure limpide, l’expo permet aussi de découvrir la dimension politique de Cahun qui s’engagera à de multiples reprises au cours de son existence, et notamment pendant la Seconde Guerre mondiale. Avec Suzanne, à Jersey où elle vivait, elle fabriquait des tracts exhortant les soldats allemands à déserter ou mieux à tuer leurs officiers. Elle échappera de peu aux camps de la mort. Au Jeu de paume jusqu’au 25 septembre www.jeudepaume.org

Lucas Jackson/Reuters

internationale a été glacial (résumé par le Guardian : “Like a cold soufflé”), le biopic de Xavier Durringer sur Nicolas Sarkozy, La Conquête, a parfaitement conclu son marathon promo. C’est l’un des cartons français de l’année au marché du film de Cannes, vendu par la Gaumont aux Etats-Unis, à l’Espagne, la Grèce, le Canada, le Benelux, la Suisse et à Israël. Après Depardieu et Dany Boon, Sarkozy est l’un des acteurs les plus bankables de France. coqs’n’roll Brighton, Bristol, Birmingham, Manchester, Liverpool, Londres. Huit jours sur les routes anglaises, tassés à douze dans un tour-bus, huit nuits courtes et plaisirs longs, journées molles, douches irrégulières, soirées folles et concerts joués à fond : à l’initiative du Bureau Export londonien, de Oui Love Tour et avec l’appui de l’Institut français de Londres, les deux groupes français Anoraak et Team Ghost sont partis à la conquête de l’Angleterre. On est avec eux depuis le début, épuisés pour deux mois, mais sacrebleu ! on est fiers de nos coqs rageurs. Piss Christ, le feuilleton continue Après l’attaque au pic à glace de son fameux Piss Christ le 17 avril à la Collection Lambert d’Avignon, Andres Serrano porte plainte devant le tribunal de grande instance d’Avignon. Cet acte de vandalisme commis par quatre individus supposés proches de l’association catholique intégriste Civitas avait conclu plusieurs semaines d’intimidations à l’encontre de l’artiste, de l’équipe de la Collection Lambert et de l’art contemporain en général. société, tu m’auras pas Il n’a ni nom ni visage : un homme de 60 ans se résout à quitter une France qu’il ne supporte plus. Dans une lettre, publiée par Flammarion (Insolvables ! – Lettre d’espoir au monde que j’ai quitté), il s’explique sur son choix de vivre sur les bords du Mékong, par refus des valeurs occidentales. “J’ai choisi de tout perdre à jamais et de ne plus payer, de briser le piège de cette consommation rêvée, de ce cauchemar qui n’avait aucun sens et qui ruinait ma vie.” mondial du polochon Un Américain organise sans rire le premier championnat du monde (exclusivement féminin) de bataille d’oreillers. En deux rounds de deux minutes, les candidates au titre se sont affrontées sur un ring dans un club de New York. Venues de Suède, du Japon ou des US, huit concurrentes en minishort et peintures de guerre ont fait voler les polochons. Une Autrichienne a remporté la finale.

Au Jeu de paume, une photographe des années 20 d’une subversive modernité.

Claude Cahun Autoportrait 1927, musée des Beaux-Arts de Nantes RMN/Gérard Blot

à La Conquête du marché Si l’accueil de la presse

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le moment Le club nordiste s’est imposé à rebours de la tendance actuelle, en pratiquant un beau football.

Benoît Tessier/Reuters

Il reste donc une justice dans le football français, les Lillois viennent d’en faire la démonstration. Champions depuis samedi, ils ont assumé tout au long de la saison leur rôle d’amuseur d’une Ligue 1 d’abord construite sur l’idée qu’une équipe qui gagne est une équipe qui ne prend pas de but. Les Lillois, eux, ont toujours joué, attaqué, et ils ont fini par se découvrir une constance en même temps qu’un public. Dimanche, plusieurs dizaines de milliers de supporters sont venus les saluer dans le centre de Lille. Martine Aubry, madame la maire, était également de la fête et, par les temps qui courent, une récréation de ce genre ne peut pas lui avoir fait de mal…

JR, Les Rides de la ville/Robert Evans, Los Angeles, Etats-Unis, 2011

Lille, un champion de France d’attaque

JR passe le témoin Elégant, très en forme à 9 heures du mat, le street artist JR, connu pour ses portraits géants en noir et blanc placardés dans le monde entier, fait le point sur son actu : une rétrospective, sa première, à Arles lors des rencontres en juillet, suite à l’installation le 25 mai d’une cabine photographique “King Size” au Centre Pompidou pour l’expo Paris-Delhi-Bombay. Elle s’intègre dans le projet participatif Inside Out : après s’être fait tirer le portrait, on repart avec un poster qu’on est invité à coller dans les rues. On peut aussi participer via le site insideoutproject.net. Florent & Gaëtan En tournée avec son Courchevel Orchestra, Florent Marchet a pris l’habitude de revisiter, en rappel, le titre Des hauts, des bas de Stéphane Eicher. Inspiré par le morceau du Suisse qui interprétait un texte de Philippe Djian, Florent Marchet a proposé à Gaëtan Roussel d’enregistrer une reprise. “Quand je rencontre Gaëtan, nous nous rendons vite compte que nous partageons ce goût pour une musique que je qualifierais de sucrée et boueuse.” Résultat, une belle version à deux voix, portée par des arrangements pop et une efficacité intacte dix-huit ans après la sortie du morceau original. prévention contre le krach L’économiste extralucide Pierre Larrouturou publie un nouvel essai, préfacé par Stéphane Hessel, sur la manière de sortir de la crise : Pour éviter le krach ultime (Nova éditions). Propositions concrètes pour recréer des emplois, réguler la mondialisation, négocier un autre partage du travail et des revenus dont pourrait s’inspirer son parti Europe Ecologie-Les Verts, mais aussi le PS, qui pourra y prélever du grain à moudre. L. M., B. Z. et G. S. avec la rédaction

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Pedro Almestre/AFP

Le 21 mai, sur la place de la Puerta del Sol à Madrid

le printemps des indignados Comment une poignée d’internautes a allumé la mèche de la révolte avec une page Facebook et quelque mille euros.

 A

peine un peu plus de 1 000 euros, un compte Facebook et de l’indignation : c’est tout ce qu’il a fallu à une poignée d’internautes pour allumer la mèche d’un mouvement de protestation que personne n’attendait plus en Espagne après bientôt trois ans de crise. Un mouvement qui, sans nul doute, a contribué dimanche soir à la défaite sans précédent aux élections locales du pouvoir en place : l’opposition conservatrice (37,58 %) arrive dix points devant les socialistes (27,81 %), qui perdent notamment les deuxième et quatrième villes d’Espagne, Barcelone et Séville. “Et dire qu’on a lancé ça”, se surprend encore Fabio Gándara, avocat au chômage de 26 ans, depuis une rue en pente d’où il observe la foule qui commence à se presser vers la place madrilène de la Puerta del Sol, en ce début de soirée du 20 mai. Voilà cinq jours qu’un campement improvisé s’est monté sur cette place historique située en plein cœur de la capitale, bouleversant une campagne électorale monotone car dominée par les deux grands partis, socialiste et conservateur.

Sac en bandoulière, barbe fine et regard attentif qui accuse la fatigue d’une semaine frénétique, ce Fabio Gándara, venu de Galice pour s’installer à Madrid, passe inaperçu parmi les milliers de passants qui convergent vers la place. C’est pourtant chez lui, dans un quartier populaire de la capitale, que tout a commencé. Bloggeur à ses heures, habitué des forums politiques, il décide en février de partager ses réflexions en ouvrant un groupe sur Facebook : “la plate-forme de coordination de groupes promobilisation citoyenne”. On est loin des slogans efficaces qui seront repris quelques mois plus tard dans plus de cent soixante-dix villes espagnoles et jusqu’à Paris, New York et Londres. Mais son intitulé aride n’empêche pas l’appel d’être entendu par les Espagnols en colère. Des jeunes ultradiplômés ne trouvant pas leur place dans une société où 21 % de la population active est au chômage, mais aussi des familles endettées, des immigrés, des militants contre la version espagnole de la loi Hadopi, des chômeurs de longue durée... Rebaptisée “Democracia real ya” (DRY, “Une vraie démocratie, maintenant”), la plate-forme se déclare indépendante de tout parti ou syndicat. “Certains d’entre nous

se considèrent plus progressistes, d’autres plus conservateurs. (...) Mais nous sommes tous inquiets et indignés par le panorama politique, économique et social qui nous entoure”, clame leur manifeste. Depuis plusieurs années, les enquêtes montrent une méfiance croissante envers les responsables politiques. Les Espagnols classent même cette méfiance comme leur deuxième préoccupation, juste derrière l’économie. La crise ne fait qu’aiguiser le malaise. Publié fin mars en Espagne, le livre de Stéphane Hessel, Indignez-vous !, s’est déjà vendu à plus de 400 000 exemplaires. Comme lors de la révolte tunisienne, internet permet aux “indignés” atomisés de se retrouver. Les membres de DRY voient grand et décident d’organiser cinquante manifestations le 15 mai, en pleine campagne électorale pour les municipales et les régionales. “On a eu besoin d’à peine plus de 1 000 euros pour organiser celle de Madrid”, s’amuse Jon Aguirre Such, un étudiant en architecture de 26 ans qui a rejoint DRY début avril. Moustache fine, cheveux bruns coiffés façon mod, petit gabarit, il attend dans la rue, la voix cassée par son nouveau rôle

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“la myopie politique et l’ignorance médiatique ont fourni l’étincelle à ce mouvement social” de porte-parole du mouvement, que Fabio Gándara en ait fini avec une interview. “Dans nos rêves les plus fous, on s’attendait à voir défiler maximum 10 000 personnes à Madrid”, assure-t-il. Ils seront finalement plus de 80 000 à manifester dans toute l’Espagne. Dans plusieurs villes, la participation est supérieure à celle du 1er mai. “Incroyable !”, se félicitent les organisateurs, euphoriques, dans le cortège. Ils s’attendent à ouvrir les journaux télévisés du dimanche soir. Raté. Rien ou presque dans les médias. Et pas une mention du côté des politiques. “C’est la myopie politique et l’ignorance médiatique qui ont fourni l’étincelle à ce mouvement social”, explique Antoni Gutiérrez-Rubí, conseiller en communication politique. “Les manifestants se sont dit : ‘On démontre notre énorme capacité de mobilisation et vous nous ignorez, et bien vous allez voir maintenant !” Cette nuit-là, une petite cinquantaine d’entre eux décident de poursuivre le mouvement en campant sur la place de la Puerta del Sol. Un peu plus de 24 heures plus tard, la police se charge de fournir l’autre étincelle qui fait cette fois exploser la mobilisation, en délogeant à l’aube les quelque deux cents campeurs qui étaient revenus pour une deuxième nuit. Avertis par les réseaux sociaux et les journaux espagnols qui commencent à s’intéresser au phénomène, plus de 6 000 Madrilènes se pressent le soir même sur la Puerta del Sol pour protester contre la charge policière et le système. “Ils appellent ça de la démocratie mais ça n’en est pas”, chantent-ils en chœur, façon Coupe du monde. “C’est bien que les gens se mobilisent enfin, mais ce n’est pas assez”, confiait alors un papy, casquette vissée sur la tête. Ses vœux ont été exaucés. Peu à peu, les campements d’“indignados” se multiplient en Espagne. “Nous et les campeurs sommes deux mouvements différents, mais nous les soutenons”, précise Jon Aguirre Such, de DRY. La spanish revolution naît ainsi d’un double effet domino : un mouvement spontané, celui des campeurs, a surgi d’une première mobilisation tout aussi inattendue, les manifestations du 15 mai de Democracia Real Ya. Les grandes revendications des deux bords se croisent : réforme de la loi électorale pour éviter le bipartisme, plus de transparence ou encore interdire aux mis en examen pour corruption de se présenter aux élections, une pratique courante en Espagne.

Les partis politiques et les syndicats espagnols n’ont pas su prendre la mesure de la mobilisation. Le chef du gouvernement socialiste, José Luis Rodríguez Zapatero, a ainsi mis cinq jours avant de finalement en parler avec une certaine condescendance. D’autres observent avec gourmandise un phénomène inédit en trente ans de démocratie espagnole. En Andalousie, la gauche communiste tente lourdement de s’associer à la mobilisation. “Envoie-les bouler... mais poliment”, conseille Jon Aguirre à un délégué de la plate-forme là-bas. “Les partis politiques et les médias traditionnels fonctionnent sur des structures verticales obsolètes aujourd’hui. C’est pour ça qu’ils ne comprennent pas notre organisation horizontale et s’obstinent à chercher qui est derrière”, explique encore Jon. Le temps presse : comme chaque vendredi, lui et Fabio doivent rejoindre l’assemblée générale de DRY, de l’autre côté de la place. Au pas de course, on traverse l’épicentre de la mobilisation, le grand campement monté sur la Puerta del Sol et rebaptisé “Toma la Plaza” (“Prends la place”). Une petite ville champignon, où règne le respect et la propreté, est née en à peine cinq jours. Les badauds et les campeurs se pressent autour des comptoirs en bois où les dons de nourriture affluent. Tortillas, salades de riz, sandwichs : tout est gratuit. Des volontaires animent une garderie, des infirmeries, un service juridique, une bibliothèque et s’occupent du potager installé dans les plates-bandes d’une fontaine. Là aussi, les réseaux sociaux ont été primordiaux pour organiser la vie du camp. “On a besoin d’eau, de glaçons et de crème solaire”, lancent régulièrement les organisateurs sur leur compte Twitter. Lors de grandes assemblées ouvertes à tous, dimanche 22 mai, les campeurs de Barcelone et de Madrid ont décidé de maintenir le campement au-delà du scrutin qui se déroulait ce jour-là. Le soir-même, le pourcentage de votes blancs ou nuls atteignait un niveau historique haut (2,5 % et 1,7 %). “Ce n’est que le début”, assure Jon Aguirre Such, arrivé à bout de souffle devant la porte du squat qui accueille l’assemblée de DRY. “Les politiques ont un an jusqu’aux élections législatives pour répondre à nos revendications. Attention, nous ne nous contenterons pas de miettes.” Elodie Cuzin 25.05.2011 les inrockuptibles 15

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la réponse du berger à la bergère Condamné à perpétuité en 2007 puis en 2009 pour le meurtre du préfet Erignac, Yvan Colonna est aux assises pour la troisième fois. Il promet de faire des révélations.



force de se voir et se battre sur les mêmes points, on arrive à saturation”, sourit un avocat des parties civiles. “C’est vrai qu’on commence à se connaître par cœur, décline un des conseils d’Yvan Colonna, on se respecte.” Sans s’apprécier. Une joute musclée entre Pascal Garbarini (l’avocat d’Yvan Colonna) et Vincent Courcelle-Labrousse (défenseur de Robert Erignac, frère du préfet assassiné) se termine presque en pugilat le 13 mai. Treize ans après les faits, les acteurs n’ont presque pas changé, tout juste un peu vieilli. Défenseur historique de la veuve du préfet et de ses enfants, Me Lemaire, victime d’un problème de santé, a quitté la scène en deuxième semaine. Mme Erignac montre toujours la même dignité. En défense, exit Me Patrick Maisonneuve. L’équipe a été renforcée par Eric DupondMoretti, star des prétoires, au palmarès d’acquittement impressionnant. Mais le changement le plus profond est intervenu sur le banc de l’accusé… et du public.

Derrière la vitre, Yvan Colonna n’est pas soudainement devenu volubile. Seulement moins taiseux. Une quasi-révolution pour le berger de Cargèse. L’explication de ce revirement se tient assise à côté du frère et de la sœur de l’accusé : brune, froide, apprêtée et discrète, Stéphanie a épousé Yvan en mars dernier. “Evidemment, cela l’a changé, confie un proche du couple. Cela lui a donné un autre horizon que la prison, une nouvelle raison de se battre.” Pour la première fois, l’homme le plus recherché de France lors de sa cavale (1999-2004) ose se dévoiler. Un peu. Lors de son examen de personnalité, Yvan Colonna se plaint : “On a réussi à me déshumaniser” et prend ses distances avec le nationalisme, qu’assure-t-il, il a quitté dès 1989. Il reconnaît aujourd’hui avoir les “convictions d’un patriote corse”, ni plus ni moins. Loin, très loin d’un assassin de préfet, semble-t-il vouloir signifier aux neuf magistrats professionnels qui ont à le juger. “En 2007, je me suis adressé à la famille pour dire que je comprenais

sa douleur. Le soir-même j’étais insulté en disant que j’étais un lâche, que je fuyais mes responsabilités. (…) On a dit que je n’avais pas d’honneur corse, soupire l’accusé derrière son box vitré. Mais il n’y a pas d’honneur corse, l’honneur c’est universel.” Colonna s’étend ensuite sur son passé de sauveteur en mer, de père de famille capable de sauver des vies. Jamais de l’enlever. S’il clame son innocence, une fois de plus, comme lors des précédents procès, il n’a toujours pas condamné fermement l’assassinat de Claude Erignac. “Il va y venir, assure l’un de ses avocats, c’est essentiel.” Sa femme Stéphanie a déjà franchi le pas. Au micro de RTL, elle a condamné sans équivoque l’assassinat du préfet. Une démarche qui n’a pas été au goût de l’ensemble des défenseurs de Colonna. “Il est otage de sa propre défense, l’étau met du temps à se desserrer”, explique en off un des membres de son clan. “Il est prisonnier de la stature qu’on a façonnée de lui dans les premiers procès.”

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Stéphanie Colonna à son arrivée au tribunal le 2 mai

Martin Bureau/AFP

pour la première fois, l’homme le plus recherché de France lors de sa cavale ose se dévoiler. Un peu

Erigé en martyr et en héros sur l’île de Beauté, le symbole Colonna étreint l’homme Yvan. Et divise le camp de ses avocats. Il y a d’un côté les partisans d’un procès politique, pour lesquels seul compte l’acquittement, de l’autre les artisans de la libération d’un homme, qui passerait par une condamnation minorée. “Mais à ce moment-là, il faudrait que Colonna passe par la case aveu. Qu’il avoue qu’il était au courant mais qu’il s’est défilé au dernier moment, explique un témoin qui a refusé de comparaître. Complexe, et pas sûr que cela reflète la réalité.” La réponse sera peut-être apportée par les “révélations” qu’a promis de faire Yvan Colonna cette semaine, lors des confrontations avec les hommes du commando, et notamment Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, aujourd’hui sous les verrous pour leur participation avérée aux faits. C’est eux qui l’ont désigné comme le tireur dès leur garde à vue en 1999. Avant de se rétracter du bout des lèvres lors des précédents procès, expliquant qu’ils avaient eu peur pour leurs femmes, interrogées par la police, et que les enquêteurs leur avaient soufflé le nom de Colonna. “Me concernant, ils n’ont pas dit toute la vérité, lâche Colonna, tendu, lors de l’audience. C’est eux qui maintiennent le mystère, moi je ne suis que la victime de ce qu’ils m’ont fait.” Une chose est sûre, un lourd secret lient ces hommes à Yvan Colonna. “Les témoignages du commando

seront le moment-clé du procès”, diagnostiquent défense et partie civile. “S’ils sont convaincants, tout est possible, mais ils ne l’ont jamais été jusqu’à maintenant.” En attendant ces auditions prévues le 26 mai, le procès s’avance. Et déroule les écueils ou manquements d’une enquête d’exception. Les accusations de fabrication de preuves à l’encontre de Roger Marion (ex-patron de la police antiterroriste) et du commissaire Eric Battesti volent. Le comportement des policiers lors des gardes à vue – prompts à écraser contre une table la tête des femmes de prévenus, à leur caresser les cheveux devant leur mari, ou à interdire l’une d’elles, indisposée, de se rendre aux toilettes – gêne. Les avocats de la défense s’en donnent à cœur joie : “Je m’arrête sinon cela va ressembler à une garde à vue”, sourit Me Antoine Sollacaro. Un peu plus tôt, une journaliste corse, lors d’une interruption de séance, l’avait supplié : “Oh Antoine, tu cries un peu, on s’endort !” A chaque répartie bien sentie, les plaideurs jettent un œil vers les journalistes plutôt que vers l’accusé. Tel un jury, les gratte-papier commentent à haute voix le programme de la journée, twittent d’un ton badin les dernières avancées ou critiquent, acerbes, la venue d’un expert ou d’un témoin. “Celui là, il est complètement frappé, on va encore se faire chier.” “Oh, il y a un procès qui se tient”, rappelle parfois à l’ordre Stéphane Durand-Souffland, ex-président de l’Association de la presse judiciaire, agacé des bavardages sur leur vie nocturne de deux journalistes radio, “un peu de respect”. La vision, sur les écrans de la cour d’assises, du corps du préfet, sur la scène de crime et à l’autopsie, suffit à ramener un peu de calme. Trois balles de 9 mm pour transformer en magma sanglant “un homme de bien”, qui avait toujours refusé l’instauration de mesures pour sa sécurité, “pour montrer que la Corse est un territoire comme un autre”. Mais d’où la vérité a du mal à s’extirper. A la barre, aucun témoin oculaire ne reconnaît Colonna. Mais la rue était sombre. Le chef de l’enquête, Frédéric Veaux, assure qu’il n’a aucun doute sur l’identité du tireur : Yvan Colonna. L’ancien préfet Bernard Bonnet décrit l’accusé comme un suspect crédible, mais assure que, condamné ou pas, “toute la vérité ne sera pas connue”. Treize ans après, l’assassinat du préfet Erignac s’est mué en affaire Colonna. L’espoir de trouver la lumière dans le maquis corse reste mince. Fin du procès prévue le 2 juillet. Simon Piel et Xavier Monnier 25.05.2011 les inrockuptibles 17

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le plus vieux panda du monde posthume

Claude Puel

retour de hype

“les radars marcheraient mieux si on enlevait les panneaux de limitation de vitesse, non ?”

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz la “fête” de la Musique

le blog cuisine de Steve Albini

“on peut se tutoyer ? – T’es lourd”

New York Unité spéciale

“je suis pour le droit de mourir de rire dans la dignité”

“quel beau cul !” le festival Leigh Bowery

la politique d’Obama au Moyen-Orient “je l’ai toujours bien aimé Hollande, d’ailleurs, j’adore les Flamby”

le duo de Zazie & Mademoiselle K justement intitulé Me taire te plaire

la tête atterrée de Kirsten Dunst en conférence de presse

La “fête” de la Musique Alors que la date redoutée par tous les mélomanes approche à grands pas, l’affiche 2011 est à l’image de l’événement : moche. Leigh Bowery Le légendaire artisteperformeur-clubbeur sera célébré au Point Ephémère lors d’un festival les 11 et 12 juin. Le blog cuisine de Steve Albini Le rockeur

et ses recettes de plats italiens à la sauce underground sur MarioBataliVoice. “Quel beau cul !” La palme des révélations glauques, voire insolites, revient au Point, qui révélait les “derniers mots de DSK” avant son interpellation dans l’avion. Me taire te plaire de Zazie & Mademoiselle K Oui, s’il vous plaît, mesdames. D. L.

billet dur

 C

her Bernard Debré, Tes compétences mondialement reconnues d’urologue s’arrêtent visiblement avant les problèmes d’incontinence verbale. Dans la ténébreuse affaire DSK, l’envie pressante qui fut la tienne d’aller aussitôt te répandre en déclarations à charge, sur les plateaux comme dans le cabinet intime et malodorant de ton blog, n’aura toutefois étonné que ceux qui confondent premier et second, voire troisième Debré. Dans la dynastie illustre dont tu entaches aujourd’hui le blason, on connaissait le grand-père, Robert, pédiatre qui donne désormais son nom à un hôpital pendant que tu te fous de la charité et canardes les ambulances. Ton père, Michel, fut aussi celui de la Constitution tandis que ton frère, Jean-Louis, est aujourd’hui à la tête du Conseil chargé d’en préserver les fondements.

Assemblée nationale

le point Godwin

Il écrit aussi des polars au Flash-Ball, en ancien boutiquier de la place Beauvau, snipper un temps mandaté par Chirac pour dessouder Sarko mais aujourd’hui rangé des carabines. Il reste donc toi, le Debré zéro, capable récemment d’aller uriner ton fiel sur la tombe du défunt député Patrick Roy, que tu accusas d’avoir fait de son cancer un “spectacle indécent”. Au mot “indécence”, bientôt les dictionnaires ajouteront ton portrait en illustration plutôt que celui du brave Roy. DSK était encore en garde à vue que tu le traitais de “délinquant sexuel”, entre autres amabilités de latrine. Saurais-tu par hasard des choses que nous ignorons ? Aurais-tu, par exemple, soigné l’ex-directeur du FMI pour une chaude-pisse de lendemain d’orgie ? Le secret médical, comme la présomption d’innocence, aurait-il alors à tes yeux si peu d’importance pour qu’ainsi tu y viennes soulager ta vessie en la prétendant lanterne ? Je t’embrasse pas, je vais pisser. Christophe Conte

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Planning To Rock Basée à Berlin, cette Anglaise réalise ses propres clips trippés et sort W, un album virtuose qui malaxe musique contemporaine, beats électroniques et ambiances cabaret.

S  

on âge ? “Je ne réponds jamais à cette question.” Planquée derrière ses lunettes noires, Janine Rostron, alias Planning To Rock, part dans un petit rire, de sa voix rauque et miaulée à la Janis Joplin. Née dans le nord de l’Angleterre, près de Sheffield mais installée à Berlin depuis une dizaine d’années, cette diplômée des beaux-arts sort, sur DFA (le label de James Murphy), W, un des albums les plus époustouflants de ce printemps : une œuvre totale, dérangeante, qui puise son inspiration tant dans la musique contemporaine que dans le cabaret, l’electro ou les pop-songs cheesy. Jetez une oreille sur Doorway, phénoménal premier single, qu’elle a comme à son habitude mis en images. Planning To Rock y apparaît en gros plan, dédoublée, la tête difforme, affublée d’une prothèse nasale fabriquée par ses soins : “Je voulais grossir ma tête, qu’elle saute aux yeux. Je cherche à attirer les gens dans mon monde intérieur, explique-t-elle. Il constitue une grande partie de ma vie.” Seule mise en garde : on n’a toujours pas trouvé comment en sortir.

Géraldine Sarratia album W (DFA/Cooperative) www.myspace.com/ planningtorock 20 les inrockuptibles 25.05.2011

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Dimanche 22 mai, Paris

toutes des salopes L’agit-prop des ultras américaines fait des émules : à Paris, des féministes ont défilé contre le viol et pour le droit à s’habiller comme bon leur semble.

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n jupe ou en burqa, mon corps, c’est mon droit.” Dimanche, à Paris, les passants ont vu défiler un drôle de cortège. Minishorts et bas résille pour certaines, survêt pour d’autres, hommes en jupe et mères de famille… Un joyeux bordel d’une petite centaine de personnes pour la première Marche des salopes européenne. Cette marche s’inspire des “slutwalks”, largement popularisées en Amérique du Nord ces dernières semaines. A l’origine, les paroles d’un policier à l’université de Toronto. Il a déclaré, lors d’un cours, que si les femmes voulaient éviter d’être violées, il fallait qu’elles arrêtent de s’habiller “comme des salopes”. Choquées, des milliers de femmes sont descendues dans la rue pour protester contre cette stigmatisation, elles ont très vite été imitées dans d’autres villes du continent. Chaque marche est résolument festive et exubérante. Les participantes, outrageusement sexy, défilent en portant des pancartes “Proud Slut” (“Fière d’être une salope”). A Paris, ce sont les associations Etudions gayment et Ladyfest, organisatrice

de concerts dans le monde entier, qui ont lancé le mouvement. Les slogans et les pancartes sont les mêmes. Estelle, perchée sur douze centimètres de talons rose fluo, minishort, décolleté plongeant et lunettes léopard, crie dans le haut-parleur : “La révolution, avec des talons !” Elle milite depuis plusieurs années dans les associations féministes et revendique la possibilité de s’habiller “comme elle veut. Mais ça marche dans les deux sens. C’est pas parce que tu mets un survêt que tu dois te faire traiter de gouine”. Elle cite l’exemple d’une amie lesbienne, violée par un garçon parce qu’il la trouvait “trop masculine. Il voulait la corriger… Nous, on se bat contre ça, pour se réapproprier notre corps”, explique-t-elle. Même si la manifestation était prévue depuis trois semaines, l’affaire DSK lui a donné une autre dimension. Flore, 31 ans, est venue avec sa mère. “On a banalisé

“on a toutes été très choquées par le traitement médiatique de l’affaire DSK”

les violences faites aux femmes, c’est très grave”, déplore-t-elle. Morgane, présidente d’Etudions gayment, confirme :“On a toutes été très choquées par le traitement médiatique de l’affaire DSK.” Après trois heures de défilé, le cortège se termine place Stravinsky, à côté du Centre Pompidou où, à la suite de l’appel lancé conjointement par La Barbe, Paroles de femmes et Osez le féminisme !, un autre rassemblement commence. Les militantes d’Osez le féminisme ! préparent des tracts tout en expliquant pourquoi elles n’ont pas voulu se joindre à la Marche des salopes. “On n’est pas d’accord avec leur mot d’ordre. Nous, on est contre la burqa et contre la prostitution par exemple, explique Caroline De Haas, présidente du mouvement. C’est dommage, elles se sont coupées d’une grande partie du mouvement féministe.” Finalement, les groupes se mélangent, les militantes à talons et bas résille côtoient les féministes historiques. Caroline De Haas s’en félicite : “Sur le thème DSK, on a réussi à faire l’unité.” Et Morgane en profite pour sortir discrètement des ballerines de son sac : “Trois heures sur des talons, j’en peux plus…” Cerise Le Dû photo Guillaume Binet/MYOP

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NOUVEAU

L’Œil invisible festival un film de Diego Lerman Art Rock

cinéma Buenos Aires, mars 1982. Dans les rues de la capitale argentine, la dictature militaire est contestée. María Teresa est surveillante au Lycée national de Buenos Aires, l’école qui forme les futures classes dirigeantes du pays. Elle a 23 ans et veut bien faire, elle se lance dans une surveillance acharnée de ce petit monde clos, imaginant, espionnant, traquant… A gagner : 10 places pour 2

du 9 au 12 juin à SaintBrieuc (Côtes-d’Armor)

musiques

Art Rock offre pendant quatre jours des concerts et des spectacles (théâtre, danse, cirque), ainsi que des présentations d’art contemporain et d’installations vidéo. Au programme : Hindi Zahra, Yelle, Staff Benda Bilili, Anna Calvi… A gagner : 30 invitations pour les concerts (voir détails sur le site)

On ne badine pas avec l’amour les 7 et 8 juin au Théâtre du Vieux-Colombier (Paris VIe)

Agamemnon

scènes

le 4 juin à la ComédieFrançaise (Paris Ier)

Camille et son cousin Perdican se retrouvent après dix ans de séparation dans le château où ils ont grandi, où ils se sont aimés. Le Baron, père du jeune homme, a décidé de les marier. Mais Camille sort du couvent, les retrouvailles sont décevantes. A gagner : 5 invitations pour 2 par jour

scènes Lorsque le fantôme de Thyeste apparaît devant le palais des Atrides pour exhorter son fils Egisthe à tuer Agamemnon, tout est scellé. Le texte de Sénèque, qui dévoile la toutepuissance des images sur les choses, ne se soucie pas de montrer l’action. A gagner : 7 invitations pour 2 à retirer entre 19 h 30 et 20 h 30

Villa Aperta du 9 au 11 juin à la Villa Médicis (Rome)

David LaChapelle

La Ferme électrique

“Du pop art à la provocation”, un film de Hilka Sinning

les 3, 4 et 5 juin à Tournan-en-Brie (Seine-et-Marne)

DVD David LaChapelle fait aujourd’hui partie des plus grands noms de la photographie contemporaine. Il réalise une série de portraits chocs avec les plus grandes stars du show-biz. A travers des compositions toujours plus baroques, David LaChapelle n’hésite pas à revisiter les œuvres classiques. A gagner : 20 DVD

scènes La Ferme électrique est entièrement décorée par des plasticiens associés avec des objets récupérés, du matériel détourné ; il y a des expos, des projections, de la vidéo, un camping sur place, et bien sûr de la musique… 20 concerts sur trois jours : une programmation pointue electro, rock, punk, jazz, expérimental. A gagner : 10 pass “3 jours” pour 2 personnes

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musiques Cette deuxième version de Villa Aperta attire une nouvelle génération d’artistes internationaux, qui viendront à Rome pour l’édition d'un festival toujours plus attaché à mettre en valeur la pointe des scènes électronique, indie-pop et rock. Avec The Shoes, Poni Hoax, carte blanche à Kitsuné, Peter Doherty, et His Clancyness. A gagner : 5 pass “3 jours” pour 2 personnes

Des filles en noir un film de Jean-Paul Civeyrac

DVD Noémie et Priscilla, deux adolescentes de milieu modeste, nourrissent la même violence, la même révolte contre le monde. Elles inquiètent fortement leurs proches qui les sentent capables de tout… A gagner : 20 DVD

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www.lesinrocks.com/ special/club fin des participations le 29 mai

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Leon Neal/AFP

Manifestation d’étudiants à Londres, décembre 2010

université en soldes En Angleterre, la crise estudiantine bat son plein. Et les critères de sélection, par l’argent, n’arrangent rien.

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a grande braderie des universités anglaises est ouverte ! Profitez de notre offre spéciale dernière minute, moins 50 % sur le master de droit international à Liverpool !” La fiction pourrait bientôt devenir réalité en Angleterre. Le gouvernement de David Cameron semble en effet s’être inspiré des campagnes de voyagistes low cost pour répondre à la crise qui secoue le milieu étudiant. Parmi les propositions, celle pour les filières en manque d’élèves de baisser leurs frais d’inscription à la dernière minute pour remplir leurs salles de cours. Un vrai “marché aux puces de l’université” pour les syndicats. “Ça va encore toucher les étudiants les plus pauvres, qui attendront le dernier moment pour s’inscrire dans des filières de mauvaise qualité”, a dénoncé Aaron Porter, président du syndicat étudiant NUS (National Union of Students). “L’université est en passe de devenir un grand marché où les différentes facs utiliseraient des leviers, comme le prix, pour augmenter la demande”, a déclaré à The Independent Pam Tatlow, à la tête du think tank Million+.

David Willetts, ministre de l’Enseignement supérieur, n’en est pas à son coup d’essai. Une semaine auparavant, il avait avancé une autre proposition : la possibilité d’intégrer l’université de son choix sans passer par la case sélection, en s’acquittant au passage de droits d’inscription astronomiques. De 12 000 livres aux beaux-arts à 28 000 livres l’année en médecine, du surbooking de luxe réservé aux étudiants riches afin d’intégrer “hors quota” des universités prestigieuses. L’idée, pour Willetts, en permettant à certains privilégiés une admission parallèle, était de “libérer des places pour les étudiants modestes”. Pour lui, pas question de favoriser les plus aisés, “les entreprises et les associations pourront sponsoriser les élèves défavorisés”. Un système à deux vitesses qui a soulevé des protestations dans les rangs mêmes de la majorité. David Cameron, chef du gouvernement britannique, a dû se désolidariser de son ministre, garantissant qu’il “n’était pas question d’acheter son admission à l’université”. L’absurdité des mesures proposées – dans le but de rédiger un livre blanc pour

l’université en juin – montre bien l’incapacité du gouvernement à juguler la crise qui agite le milieu étudiant. A l’automne, plus de 50 000 étudiants étaient descendus dans les rues pour tenter d’empêcher le triplement de leurs frais d’inscription. Peine perdue, à la rentrée 2012, ils devront débourser plus de 6 000 livres. Deux tiers des universités ont d’ores et déjà annoncé qu’elles atteindraient le plafond des 9 000 livres fixé par l’Etat. Ces mesures sont avancées alors que le gouvernement vient d’annoncer un plan d’austérité sans précédent : 41 milliards d’euros d’économie. Suppression de 400 000 emplois dans la fonction publique, c’est le plan “le plus dur depuis la Seconde Guerre mondiale” selon les propres termes du Premier ministre. Face à la bronca, David Willetts a brandi de nouvelles propositions “non financières” pour remplir les bancs des universités en manque d’élèves : “Les universités pourront offrir des ordinateurs ou des iPad 2 aux étudiants qui viendraient s’inscrire dans les filières délaissées.” Sauvés. Cerise Sudry-Le Dû 25.05.2011 les inrockuptibles 25

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Nikos now ou jamais

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religion smartphone

Concrètement, une twitpic, c’est une photo sans grand intérêt du genre “coucou je vous montre mon repas de midi, c’était trop délicieux”, “hey, vous avez vu ce pigeon rigolo croisé rue de Rivoli” ou “tro bo le coucher de soleil à contre-jour”. Comme Nikos est hyperactif sur Twitter où il a plus de 85 000 followers admiratifs, il est passé pro dans l’exercice pour faire partager à ses fans ses tranches de vie. En toute logique, Nikos tient donc ici bien calé entre ses deux mains un smartphone. Objet précieux grâce auquel il peut donner

2011 : l’animateur sort un livre compilant ses photos postées sur Twitter. 2012 : la fin du monde.

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Star Academy des arts et des lettres

La sublime couverture de Nikos Now donne à voir en premier lieu Nikos, sa figure d’Apollon baignée dans la lumière divine, l’air sérieux, pénétré par la création. Car s’il fait le rigolo à la télé et à la radio, Nikos semble ici vouloir nous faire passer un message sur sa nature profonde. A juste titre : ce n’est pas la première incursion du présentateur du 6/9 de NRJ dans le monde des arts et des lettres. En 2003, il sortait un livre sobrement intitulé Allez voir chez les Grecs où il était question de son si beau pays, de mythologie et de son histoire perso. Plus sordide : en 2008, il commettait avec Nolwenn Leroy une reprise surjouée de La nuit je mens de Bashung. Un essai visible sur internet qui a fait couler des litres de larmes de sang sur les joues des amateurs du grand Alain. Aujourd’hui donc, Nikos continue d’embrasser son destin d’artiste avec Nikos Now, livre de photos entrant par conséquent dans la catégorie des “beaux livres”. A un détail près, les clichés compilés ici sont des twitpics, soit des photos de mauvaise qualité prises avec un téléphone portable pour être postées sur Twitter.

à ses photos un effet lomo faussement saturé ou vieilli à l’aide de son application payée 1,45 euro sur l’App Store. Tout ça a l’air trivial mais il n’en est rien. Sur la quatrième de couve de Nikos Now, on peut lire : “Le déclic a été provoqué par un smartphone. Un téléphone portable intelligent, la nouvelle religion des jeunes, le cellulaire universel, celui qui te relie (religare) du microcosme au macrocosme via internet.” On prenait Nikos pour un bouffon, le mec capable de dire en prime time sur TF1 des trucs comme “n’oubliez pas de préciser si vous téléphonez par téléphone” ou encore “pas facile de chanter simultanément en chantant” ; et là bam, Nikos il nous sort un mot en latin.

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image posthume Car Nikos n’est pas celui qu’on croit, comme le prouve cette couve mystérieuse aux tons sombres. Continuons à lire la quatrième de couve : “C’est comme ça, presque par hasard, que j’ai éprouvé le besoin de partager mon regard avec les autres. Un clic now ! Une émotion, now !” Boum, après le latin, l’anglais. “Un Polaroid virtuel envoyé telle une bouteille à la

mer dans les méandres de la toile, juste une émotion à partager avec des inconnus qui se reconnaissent et qui se rassemblent le temps d’un clic. Pour une seconde ou une éternité.” Soudain, l’amuseur public se fait théoricien de l’art, sorte d’Hervé Guibert 2011. Cette image de couve, faux autoportrait dans un miroir fantasmé, pourrait bien enfin

nous exposer la vraie nature du présentateur : Nikos, artiste maudit qui, dans ses clichés, cherche l’image posthume. Tout s’éclaire, on comprend alors mieux le titre du livre, en forme d’imprécation existentielle, de carpe diem du XXIe siècle : “Nikos Now !” C’est chaud, la vie d’artiste maudit. Diane Lisarelli

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prix unique du livre numérique Les éditeurs peuvent crier victoire. Le Parlement a adopté le texte sur le prix unique des livres numériques, trente ans après la loi Lang sur le prix de l’édition papier. L’éditeur fixe un prix qui s’applique à tous les distributeurs français et étrangers. Amazon comme Google devront s’y tenir. Encore faut-il que la France s’accorde avec la Commission européenne, qui l’accuse de nuire au commerce intracommunautaire. Facebook au pied du mur Cette semaine, un spam a envahi les murs Facebook des internautes : l’application permettant de voir qui a consulté son profil. Plusieurs personnes se sont fait prendre au jeu en croyant pouvoir enfin découvrir qui regarde son profil. Malheureusement, le message publié est envoyé à l’insu de l’ami Facebook et dès qu’une personne clique sur l’application, son compte est à son tour infecté, et tous ses amis reçoivent le spam sur leur mur. Dans la matinée de mercredi dernier, 15 000 personnes ont vu leur mur envahi de messages. Le seul moyen de s’en débarrasser est de les retirer un à un de son profil et de les bloquer. les pirates sur la sellette La députée UMP des AlpesMaritimes Muriel MarlandMilitello a déposé une proposition de loi pour renforcer la lutte contre les attaques informatiques. L’application de cette loi doublerait les peines pénales des hackers en les condamnant à dix ans de prison, à 150 000 euros d’amende et à la suspension d’accès internet durant deux ans. Le signe que la politique sécuritaire contre le hacking se renforce encore.

Franck Prevel/Getty Images

brèves

sexe, mensonges et info Au-delà de son intense dramaturgie, l’affaire DSK interpelle les médias sur leur complaisance supposée vis-à-vis de la vie privée des politiques.

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ise à mort médiatique. Lynchage généralisé. Hypocrisie de la profession journalistique qui nous cache tout et nous dit rien, omerta des médias… Quelques jours après l’effet de sidération des images de Dominique Strauss-Kahn en menottes au tribunal, la médiasphère n’a pas échappé à son propre “procès”. Comme si elle portait en partie la responsabilité d’un événement “monstre”. Comme si la charge émotionnelle de l’arrestation de DSK, le surgissement inédit dans l’histoire politique hexagonale du “scandale sexuel” et l’image brutale de l’accablement d’un homme public transformé en figure affligeante du violeur ne pouvaient se suffire à eux-mêmes. La déflagration appelait une explication, voire une expiation : accusés, les médias français devaient répondre à la fois de leur supposé voyeurisme pour le spectacle judiciaire mis en scène par les Américains eux-mêmes et de leur supposé aveuglement passé devant les frasques de DSK. De trop montrer ou de ne rien dire, les médias furent pris dans un paradoxal procès, reposant sur quelques malentendus. La mise à mort médiatique, dénoncée par les proches de DSK, reposait plus sur leur propre affliction que sur la prise en compte d’une réalité qui les dépasse : la théâtralisation judiciaire propre à la culture américaine, où chaque prévenu, fort ou faible, est soumis au même traitement d’une exhibition publique étrangère à nos codes moraux et visuels. Mais reprocher aux médias français de livrer aux chiens l’honneur de DSK, comme le suggéraient certains, semble pour le moins exagéré. On peut au contraire avancer que dans ses

grandes largeurs, la prudence et l’embarras ont caractérisé l’attitude des médias. Quant à la question de l’omerta des médias sur le rapport maladif de DSK au sexe, sur laquelle les journaux américains (le New York Times pointait la “loi du silence” hexagonale) mais aussi quelques journalistes français (Schneidermann, Quatremer, Beau…) se sont interrogés, la réalité est aussi plus nuancée, et continue de faire débat au sein même de la profession. Deux lignes de fracture se dessinent ici. La première renvoie à l’éthique de chacun : jusqu’où le respect de la vie privée doit-il être garanti ? L’information s’arrête-t-elle “à la porte de la chambre à coucher”, comme le défend Le Canard enchaîné ? Ou doit-elle se plier à l’exigence d’un éclairage plus prononcé, à la lumière de rumeurs ou de faits avérés (harcèlement…) ? Beaucoup de journalistes ont rappelé que, depuis des années, leurs articles avaient révélé les penchants du personnage, sans parler des humoristes extralucides (cf. la chronique de Stéphane Guillon, considérée comme scandaleuse en février 2009 sur France Inter). Au carrefour de la politique, de la justice, de la violence sexuelle…, l’affaire DSK interpelle les médias sur leur responsabilité et leurs carences inévitables : entre moralisme et information, entre inquisition et suggestion, entre faits et suppositions, chaque journaliste déploie sa propre conception d’une information juste et légitime. Ce n’est pas parce que DSK était “lourdingue” avec les femmes, dixit Schneidermann, que les médias pouvaient prévoir le crime et devaient par avance le clouer au pilori. Il s’est cloué tout seul. Jean-Marie Durand

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AEF : Pouzilhac sur la sellette

“Mad Men”, le livre

Alain de Pouzilhac, président de l’Audiovisuel extérieur de la France, déjà en guerre avec Christine Ockrent, ne fait pas l’unanimité à RFI : l’intersyndicale s’inquiète du “démantèlement” de la radio, à cause de la fusion avec France 24 et d’un second plan social.

Le livre qui a inspiré la série Mad Men sort en France : Le Dernier des Mad Men, écrit par Jerry Della Femina, célèbre publicitaire des années 60, le Don Draper de la série de Matthew Weiner.

art et esthétique Avec un vaste dossier intitulé “Résister”, le premier numéro de la revue d’art et d’esthétique Tête à tête propose plusieurs entretiens revigorants avec des penseurs et des artistes mobilisés dans leurs pratiques par l’idée de résistance.

manger, c’est politique musique digitale Selon le syndicat des maisons de disques, le SNEP, les ventes de musique numérique ont représenté 22 % des ventes totales au premier trimestre.

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Le nouveau numéro du mensuel postcapitaliste dirigé par Clémentine Autain, Regards, esquisse des recettes politiques pour apprendre à “mieux manger”. L’alimentation : un enjeu politique.

A l’initiative de Jane Birkin et de Bernard Chérèze, France Inter organise au Théâtre du Châtelet le 31 mai un concert de solidarité pour les victimes du tsunami japonais. Avec la participation d’Abd Al Malik, Arno, Charles Aznavour, Cali, Alain Chamfort, Jeanne Cherhal, Daphné, Vincent Delerm, Catherine Deneuve, Thomas Fersen, Arthur H, Camelia Jordana, M, Miossec, Charles Aznavour Olivia Ruiz...

Benoit Peverelli

SOS Japon sur Inter

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“le PS survivra, il reste ancré dans la société” La longue histoire du PS est jalonnée de crises qu’il a toujours surmontées. Selon le politologue Frédéric Sawicki, l’affaire DSK ne devrait pas discréditer les socialistes sur le long terme.

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’affaire DSK est-elle la plus grave jamais survenue au Parti socialiste ? Frédéric Sawicki – Les affaires qui, dans les années 80-90, ont ébranlé le PS étaient des scandales liés au financement illégal (Urba) ou à des dérives dans l’exercice du pouvoir (écoutes de l’Elysée). L’affaire Strauss-Kahn est une affaire purement criminelle d’ordre privé qui n’engage pas la responsabilité collective du PS. Elle aura des conséquences politiques, c’est indéniable, mais elle ne devrait pas discréditer le parti, d’autant que la primaire n’a pas officiellement commencé. Congrès de Rennes, suicide de Bérégovoy, 21 avril 2002, défaite de 2007… A chaque fois, on dit que le PS est mort et à chaque fois le PS se relève. Quel est son ressort ? L’histoire du PS est longue et mouvementée. Le PS a été créé en 1905.

Denis/RÉA

recueilli par Hélène Fontanaud

Il a connu beaucoup de crises majeures. La division, dès sa naissance, entre révolutionnaires et réformistes a entraîné, après la Première Guerre mondiale, la scission du congrès de Tours. En 1940, beaucoup de socialistes ont voté les pleins pouvoirs à Pétain. Il y a eu aussi le traumatisme lié à l’engagement de la SFIO dans la guerre d’Algérie et à sa compromission avec le gaullisme. Dans l’histoire récente, le tournant de la rigueur en 1983, la fin tragique du mitterrandisme, l’élimination au premier tour de Jospin en 2002, les déchirements du traité constitutionnel européen ont constitué de nouvelles épreuves qu’il a surmontées. La raison principale de cette survie, c’est que le PS reste profondément ancré dans la société. On l’oublie trop, il est le premier parti local de France. Et puis le mode de scrutin majoritaire,

l’importance de l’élection présidentielle, le déclin du communisme ont renforcé sa position de parti pivot de la gauche. Comment le PS peut-il surmonter le choc DSK ? Même s’ils ont été ébranlés, les responsables ont expliqué que le parti n’était pas directement en cause et que le calendrier de la primaire restait inchangé. Cela a contribué à rassurer les militants et les électeurs. Reste que, pour émettre une réserve, les proches de DSK vont être probablement amenés dans les semaines qui viennent à expliquer pourquoi ils ont toléré pendant très longtemps les écarts de comportement de leur chef. Ces écarts sont problématiques dans un parti qui s’est toujours porté à la pointe des combats contre les maltraitances et les inégalités dont les femmes sont victimes.

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Concernant la primaire, quels sont les atouts de Martine Aubry si elle se déclare c andidate ? Martine Aubry est difficilement attaquable dans son rôle de première des socialistes. Elle a été élue de justesse à la tête du PS dans les conditions difficiles du congrès de Reims, en novembre 2008. Force est de constater que, alors que beaucoup lui prédisaient un destin très bref, elle a réussi à fédérer autour d’elle, à mettre en œuvre un travail collectif sur le projet. Concernant la primaire, elle a su tenir tête aux exigences des strauss-kahniens, qui voulaient un calendrier plus tardif, voire pas de compétition du tout. Ses autres atouts reposent sur son statut de femme d’Etat et d’élue de terrain d’une grande métropole en plein renouveau. Elle a une expérience

Renaud Monfourny

“les proches de DSK vont être amenés à expliquer pourquoi ils ont toléré les écarts de comportement de leur chef”

forte de gouvernement national et local. Son avantage, dans la conjoncture post-DSK, c’est qu’elle peut incarner la compétence, la légitimité partisane et aussi une forme d’autorité morale. Elle n’a en effet jamais été mise en cause dans aucune affaire d’aucune sorte. Quels sont les avantages de François Hollande ? Son premier atout, c’est d’être parti très tôt. Il a commencé à labourer le terrain, à visiter les fédérations socialistes qu’il connaît très bien, à nouer des contacts divers et variés. Il a occupé l’espace médiatique en jouant la carte de son ancrage corrézien.

Il joue au Chirac de gauche. Il a un handicap qu’il essaie de transformer en atout, son manque d’expérience d’homme d’Etat. Mais si le fait d’être un peu novice, plus indépendant à l’égard des éléphants du PS et ancré dans le terroir pouvait représenter un atout face à DSK, cela peut devenir un handicap face à Martine Aubry, qui elle aussi peut revendiquer un ancrage dans un territoire beaucoup plus emblématique pour les électeurs de gauche que la Corrèze ! Y a-t-il vraiment une différence entre Martine Aubry et François Hollande ? Au-delà de leurs différences de personnalité, ils ne s’intéressent pas aux mêmes sujets et n’ont pas la même vision de la politique. Martine Aubry insiste sur l’idée que l’on est en train de changer de civilisation, elle a une vision moins technique ou économique des problèmes. François Hollande met l’accent sur la redistribution sociale, sur le rôle de la fiscalité, sur les contraintes budgétaires, il défend une conception de l’action politique beaucoup plus socialdémocrate au sens classique du terme. Cela peut donner une belle primaire ? Oui, dans le sens où ça pourrait les pousser, beaucoup plus qu’ils ne le font actuellement, à expliciter leurs idées. On attend de François Hollande un peu plus de souffle et de vision de la société, et de Martine Aubry une clarification de ses positions en matière économique et budgétaire, un peu plus de chaleur aussi. Quel rôle Ségolène Royal ou Laurent Fabius peuvent-ils jouer dans la primaire ? L’implication de tel ou tel chef de courant derrière telle ou telle candidature n’aura peut-être pas au bout du compte un rôle déterminant. Ce qui peut jouer, ce sont les stratégies de candidatures qui pourraient déstabiliser ou affaiblir tel ou tel candidat majeur. On voit bien aujourd’hui que Ségolène Royal, si elle se retirait du jeu et si elle appelait directement à soutenir Martine Aubry ou François Hollande, pourrait peser sur le résultat. Quant à Laurent Fabius, il conserve une réelle influence. On va sûrement entrer dans une phase de négociations où les éléphants du parti qui seraient susceptibles de troubler le jeu vont négocier leur ralliement aux deux principaux candidats. Frédéric Sawicki, professeur de sciences politiques à Paris-I, est l’auteur de La Société des socialistes (Editions du Croquant), coécrit avec Rémi Lefebvre 25.05.2011 les inrockuptibles 31

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“c’est un peu compliqué d’enjamber un cadavre politique encore chaud”

Thomas Coex/AFP

au patron du FMI comptait 230 signataires. Réunions, GDSK Party, campagne pour la primaire : le programme sur les deux prochains mois était bouclé. “On était de plus en plus motivés, un dynamisme qui s’est arrêté net”, constate Sylviane.

génération perdue Incrédules, anéantis ou désemparés, les militants de Génération DSK tentent de se remettre de la mise hors course de leur favori pour la présidentielle. par Annabelle Laurent



uand elle a reçu la nouvelle par SMS, à 3 h 44 du matin dimanche 15 mai, Sylviane a d’abord cru à une blague d’un ami éméché. La radio du taxi qui la ramenait d’une soirée lui a vite confirmé la nouvelle, la laissant “dans un moment de panique. J’ai crié : ‘c’est pas possible, on va perdre en 2012 !” Ce même SMS, Erwann l’a lu quelques heures plus tard à son réveil, suivi rapidement d’une vingtaine d’autres – un peu trop pour un gag. Benjamin ne compte plus les

solidaires “Bon courage” qu’il a reçus, ou les plus sarcastiques “Passe un bon dimanche !”, “Mes condoléances”... Pour ces militants de Génération DSK – profil type : 25 ans, brillant parcours universitaire – il a fallu quelques jours pour digérer la nouvelle. Il y a seulement deux mois, ce mouvement issu, entre autres, du PS et du Mouvement des jeunes socialistes, faisait sa soirée de lancement au café Le Coup d’Etat, à Paris. Après tout, il y avait lieu d’être optimiste. L’appel de soutien

Chacun a eu son contrecoup. Christian a opté pour le whisky, une autre militante a pleuré toute la journée. “Je me remets beaucoup en cause d’avoir suivi un leader qui avait quand même quelques casseroles, confie Sylviane. En tant que femme et féministe, si c’est vrai... c’est monstrueux.” Et puis il a fallu se réunir. Qu’allait devenir Génération DSK sans DSK ? Une priorité évidente : se débaptiser. Littéralement, mais aussi plus profondément. Les jeunes militants, qui, contrairement à leurs aînés, n’ont pas construit toute leur carrière sur la candidature de Strauss-Kahn, comptent bien déconnecter leur discours de sa personne, morte politiquement. “C’est un leader politique, pas le Saint-Graal ni le Messie !”, s’exclame Erwann. Plus prudents, les autres justifient le nom de leur mouvement. “On n’était pas tant fascinés par la personnalité de DSK que par ses idées...”, rationalise Christian. “Dans la Ve République, il y a une personnalisation nécessaire de l’élection présidentielle, il fallait bien qu’on capitalise sur le personnage”, ajoute-t-il. Désormais décapitée, Génération DSK va donc muter. “Un des maîtres-mots de notre dernière réunion : on reste groupés, on continue à avancer, même si ça sera plus dur”, assure Erwann. Les autres renchérissent : “On a envie de poursuivre nos méthodes novatrices pour déringardiser la politique.” Alors, vers qui se tourner ? “Pour beaucoup, ce serait ne pas se respecter soi-même de retourner sa veste aussi vite”, glisse Sylviane. Christian objecte : “Sans être indécent, il faut pas se leurrer, on y réfléchit.” Pas non plus facile de penser à une alternative après avoir répété pendant des mois “DSK plutôt qu’Aubry !” “DSK plutôt qu’Hollande !”. “C’est un peu compliqué d’enjamber n cadavre politique encore chaud”, tente Benjamin. Pour se reconstruire, c’est même “une vraie contorsion d’esprit”, ajoute Sylviane, qui conclut, avec l’acquiescement des autres : “Ce qui est sûr, c’est qu’on sera plus prudents. Quoi qu’il arrive, on ne pourra plus s’emballer autant.”

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Anne Sinclair, octobre 2007

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en première ligne

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ous n’en faites pas un peu trop ?”, demande le PPDA des Guignols à la marionnette d’Anne Sinclair qui après l’affaire de la Porsche assure : “Tout est à moi” pour ne pas embarrasser son mari. Sur internet, un jeu invite à “choper le maximum de femmes de chambre sans te faire gauler par ta femme Anne Sinclair”. La femme héroïque est devenue la bonne poire. Que savait-elle ? Jusqu’où est-elle prête à pardonner ? “Je ne doute pas que son innocence soit établie”, écrivait-elle dans un communiqué quelques heures après l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn à New York. Sait-elle alors que les avocats comptent défendre le directeur général du FMI des accusations de viol en racontant l’histoire d’une relation consentie ? Qu’en pense-t-elle ? Le visage d’Anne Sinclair, 62 ans, est une énigme.

Longtemps dans l’ombre de son mari pour qui elle a renoncé à sa carrière, Anne Sinclair aura tout apporté à DSK pour le mener au sommet : fortune, visibilité, ancrage populaire. Jusqu’où irat-elle pour le défendre ?

Horacio Villalobos/epa/Corbis

par Guillemette Faure

“Ma vie serait plus difficile si j’étais mariée avec un dentiste”, déclarait Anne Sinclair dans une interview au magazine Playboy en 1987. Alors mariée à Ivan Levaï, un autre cérébral qu’elle admirait profondément, rencontré quand elle était petite reporter à Europe 1 et lui une vedette, elle sous-entend que les contraintes de leurs modes de vie sont compatibles. Quand elle rencontre Dominique Strauss-Kahn en 1989 à l’occasion de Questions à domicile, il n’en est pas l’invité vedette (c’est Dominique Perben). Célèbre pour ses interviews les yeux dans les yeux bleus depuis qu’elle anime 7 sur 7, elle a interrogé toute la classe politique (sauf Jean-Marie Le Pen qui l’avait traitée de “charcutière casher”). Strauss-Kahn, lui, vient quelques années plus tôt d’abandonner sa barbe et ses grosses lunettes de prof d’économie surdoué. Il est président de la commission des finances de l’Assemblée nationale. Ils se marient deux ans plus tard. Ses proches racontent une grande amoureuse. “Elle le trouvait brillant. Son intelligence la bluffait”, raconte quelqu’un qui l’a connue à cette époque. La socialiste de longue date, c’est aussi elle. Mendesiste dès 20 ans, elle était avec Ivan Levaï à l’hôtel Au Vieux-Morvan de Château-Chinon pour la victoire de François Mitterrand le 10 mai 1981. Dominique Strauss-Kahn prend de plus en plus la lumière, elle entre peu à peu dans son ombre jusqu’à renoncer à 7 sur 7 quand il devient ministre de l’Economie de Jospin en 1997. A-t-elle l’impression d’avoir empêché DSK “de commettre des erreurs”, lui demande L’Express en 2006. “J’ai le sentiment de l’avoir aidé à se mettre en avant, ce qui a toujours été compliqué pour lui”, répond Anne Sinclair. Gros salaire à TF1, puis grosses indemnités de licenciement, fortune familiale de Paul Rosenberg, le grand-père marchand d’art. Grâce à elle, DSK aura son QG rue de La Planche à Paris. Si la photo de DSK devant une Porsche une semaine plus tôt a autant ébranlé, c’est qu’avant que la libération sous caution ne révèle une femme capable de sortir 6 millions de dollars en liquide, Anne Sinclair n’était pas une riche 25.05.2011 les inrockuptibles 35

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Gérard Letellier/Tele 7 jours/ABACAPRESS AFP

De l’entrée dans la course à la présidence, on a dit qu’elle en avait davantage envie que lui. Elle semblait déjà plus bagarreuse lors des primaires de 2006 qui semblaient acquises à Ségolène Royal. Là encore, la trace d’une grande amoureuse : elle le souhaite à l’Elysée pour lui et pour le pays. Voilà là un projet de vie pour eux. Avant d’être caution financière, elle a longtemps été caution morale. Le 2 novembre 1999, elle est là quand il annonce qu’il quitte Bercy et le gouvernement Jospin après sa mise en examen pour usage de faux dans l’affaire de la Mnef. Le 26 octobre 2008, elle est à ses côtés lorsqu’il convoque les salariés du FMI à un grand meeting après avoir été soupçonné d’abus de pouvoir dans sa liaison avec sa collaboratrice hongroise Piroska Nagy. “Chacun sait que ce sont des choses qui peuvent arriver dans la vie de tous les couples”, peut-on lire sur son blog. Pour ma part, cette aventure d’un soir est désormais derrière nous. Nous nous aimons comme au premier jour.” Loyauté ou déni ? Anne Sinclair vit avec la réputation de son mari depuis des années. Elle n’a plus parlé à son amie et témoin de mariage, Elisabeth Badinter, pendant des mois lorsque celle-ci a tenté d’aborder le sujet avec elle, rapporte Le Monde. Le 10 novembre 2010, elle vient sur le plateau du Grand Journal de Canal+ à condition que l’on ne l’interroge pas sur la réputation de “séducteur” de Dominique Strauss-Kahn. Après l’affaire Piroska Nagy, Paris Match vole à leur secours. “Anne l’épaule dans la tempête”, lit-on au-dessus d’un reportage qui les voit marcher à Washington, elle serrant la main de son mari. Anne Sinclair se fait plus présente dans ses voyages d’affaires, pour des questions d’image sans doute plus que de fliquage. ”Je pense d’abord en ce moment à ma femme que j’aime plus que tout”, écrit Dominique Strauss-Kahn dans sa lettre de démission du FMI. Dans son bureau, un portrait de sa femme à l’époque où elle avait été élue pour figurer Marianne veillait sur lui. Au tribunal comme dans les médias, Anne Sinclair reste sa face rassurante, celle d’un homme qui n’a pas été rattrapé par ses démons. Celle qui semble dire “pour moi, ça ne change rien”, peut-être dans l’espoir de suggérer au juge ou à l’électeur de faire de même.

Mars 1977, Anne Sinclair présente l’émission L’Homme en question sur FR3. Au centre, Jacques Séguéla, qui ne porte pas encore de Rolex. C’est l’époque où l’on fume encore à la télévision

4 janvier 1982, Anne Sinclair avec son mari Ivan Levaï, avant la première de son émission, Les Visiteurs du jour. A l’époque, la star, c’est lui

Jean-Luc Luyssen/Gamma

héritière dans l’imaginaire collectif. Le riad de Marrakech, l’appart de 240 mètres carrés place des Vosges, la maison de 380 mètres carrés à Washington achetée 4 millions de dollars n’avaient pas attiré l’attention du grand public. Depuis ses années TF1, la reine des pulls en mohair personnifie les dimanches soir en famille de la France ordinaire. Quand elle va visiter le potager de Michelle Obama à la Maison Blanche, elle note sur son blog qu’elle le trouve riquiqui, “pas de quoi nourrir une famille”. Comme si les StraussKahn se nourrissaient des tomates farcies du jardin. Ironie du sort, en arrivant à Washington ils s’installent d’abord un mois au Sofitel. Dans la capitale américaine, la vie du couple qui autrefois allait dîner avec les Sarkozy, époque Cécilia, est moins mondaine. C’est surtout la famille qui défile. Professionnellement, Anne Sinclair chronique la campagne américaine en pointillés pour Le JDD et Canal+. Elle tient un blog inégal sur lequel elle partage ses réactions à la politique américaine et ses difficultés à changer la carte SIM de son téléphone portable. On le lit surtout lorsqu’elle est chargée d’y semer les petits cailloux annonçant l’entrée en campagne de son mari.

Dominique Strauss-Kahn installera dans son bureau du FMI ce portrait d’Anne Sinclair à l’époque où, en 1991, elle a été choisie pour figurer Marianne

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Lebon/Gamma

Mario Fourmy/RÉA

AFP

25 mars 1990, avec François Mitterrand, end irect del ’Elysée, dans 7 sur 7

11 décembre 1994, dans 7 sur 7, elle accouche le socialiste Jacques Delors de sa non-candidature à la présidentielle, mettant fin à plusieurs mois de suspense

Reuters

Jason Szenes/epa

10 avril 2006, premier meeting de DSK, à Alfortville, pour l’investiture socialiste à la présidentielle. Anne Sinclair paie le loyer de son QG de campagne rue de La Planche, à Paris

19 janvier 1997, Hillary Clinton est interviewée dans 7 sur 7. Brillante avocate ayant renoncé à sa carrière, elle couvre son mari lors de l’affaire Lewinsky… et consterne les féministes américaines

19 mai 2011, New York, à la sortie du tribunal avec sa bellefille Camille. Quatre des six enfants de la famille recomposée qu’elle forme avec DSK ont fait des études aux Etats-Unis 25.05.2011 les inrockuptibles 37

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édito

Philippe Wojazer/Reuters

violences

Le9 m ai, à l’Elysée

roi du monde Nicolas Sarkozy compte sur les images du G8 à Deauville pour s’imposer comme le seul homme d’Etat de France après la chute de DSK.

 L

undi matin, Nicolas Sarkozy a plaidé pour la mise en place de “socles de protection sociale” dans tous les pays du monde, à commencer par ceux du G20. Le chef de l’Etat préside jusqu’en novembre le groupe des pays représentant 85 % du commerce mondial, les deux tiers de la population mondiale et plus de 90 % du PIB mondial. Il entend bien profiter de cette tribune internationale pour asseoir son image de candidat “protecteur” des Français. La déchéance planétaire de celui qui était son seul rival parmi les puissants, Dominique Strauss-Kahn, “ouvre à Nicolas le boulevard de la crédibilité”, se réjouit un de ses proches. Jeudi et vendredi, à Deauville, Nicolas Sarkozy sera aussi le maître du sommet du G8. Le FMI y sera représenté, mais

pas par celui qui s’apprêtait peut-être à lancer sa campagne présidentielle en juin. Pas de photo de DSK souriant aux côtés de son futur adversaire. Le match n’aura pas lieu. Nicolas Sarkozy a donné des consignes à son camp : ne pas exploiter politiquement l’affaire DSK, qui n’en est qu’à ses débuts judiciaires. Afficher “dignité” et “hauteur de vue”. Le chef de l’Etat estime que les socialistes ont perdu “le droit de l’attaquer sur la morale”, souligne un élu de l’UMP. D’autres sont plus prudents dans la majorité, estimant que si le candidat du PS est Martine Aubry ou François Hollande, la dénonciation du sarkozysme et de “la présidence des riches” reprendra ses droits. Hélène Fontanaud

Ce qui a pu choquer aux premiers jours de l’affaire DSK, le fonctionnement de la justice américaine qui semblait piétiner le droit à la présomption d’innocence en exposant aux caméras du monde entier un prévenu menotté, va commencer à agir en sens inverse. Les avocats de Strauss-Kahn vont fouiller dans la vie de la victime présumée. Ils sont déjà en Guinée pour rechercher dans son passé le moindre détail, la faille, le plus petit mensonge afin de décrédibiliser son témoignage. La violence des images de Dominique Strauss-Kahn, la semaine dernière, n’est rien à côté du choc à venir des récits de ce que la défense de l’ex-patron du FMI s’apprête à faire subir à la jeune femme de chambre. L’image du riche dirigeant d’une organisation internationale de la finance déployant ses puissants moyens pour décrédibiliser une immigrée guinéenne, qui était venue nettoyer sa chambre, sera d’une tout autre violence pour tous ceux qui mettaient de l’espoir dans une candidature Strauss-Kahn à la présidentielle. Le feuilleton StraussKahn va se poursuivre encore de longs mois en occupant les esprits et les écrans. La chronique des rebondissements de la double enquête contradictoire, celle du procureur et celle des avocats de la défense, va parasiter la compétition des primaires entre les socialistes. Martine Aubry, François Hollande, Ségolène Royal et Arnaud Montebourg vont devoir sans cesse se positionner sur ces rebondissements, tous plus sordides, qui ne vont pas manquer. L’affaire StraussKahn est une plaie durable pour les socialistes. Ils n’en n’ont, semble-t-il, pas encore conscience.

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la cible Hollande

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François Hollande, nouveau favori des sondages, se prépare à un duel difficile avec Martine Aubry tandis que l’Elysée et l’UMP fourbissent leurs arguments contre celui qui veut être un “président normal”.

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es batailles les plus dures sont aussi les plus belles !” Encouragé vendredi par une militante dans une rue de Dijon, François Hollande répond avec le sourire de celui qui sait que le sort a tourné en sa faveur. Mais aussi avec la lucidité de celui qui sait que rien n’est gagné, tant la coagulation du front de ses adversaires au Parti socialiste s’opère rapidement. Ceux qui espéraient que le PS allait tenter de sortir par le haut du traumatisme causé par l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn à New York n’ont pas eu à attendre longtemps pour être fixés : surgissement des ego, prises de parole multiples et contradictoires, élaboration de scénarios d’empêchement machiavéliques, la vie a vite repris ses droits au PS. Il faut dire que les sondages montrant que la gauche garde l’avantage dans l’opinion un an avant la présidentielle ont rassuré les socialistes. Jeudi, les militants ont ratifié avec un score soviétique (95,14 %) le projet pour 2012 mais la participation était tristounette (75 000 votants sur 140 000 inscrits) dans les sections du PS, où l’on se prépare maintenant au choc entre François Hollande, le nouveau favori des sondages, et Martine Aubry. La première secrétaire a franchi un pas vers sa candidature dimanche en indiquant sur France 2 qu’elle “prendrait ses responsabilités” et qu’elle avait “envie d’être utile à son pays”. Au PS, nombreux sont ceux qui pensent que Martine Aubry pourrait se lancer début juin ou attendre la date officielle de dépôt des candidatures pour la primaire, le 28 juin. “Je dirai les choses lorsque j’aurai à les dire (…) Sans précipitation, je continue cette réflexion, qui est déjà, vous l’imaginez, bien avancée”, a-t-elle annoncé. Lorsqu’elle entrera en piste, la maire 25.05.2011 les inrockuptibles 41

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de Lille pourra compter sur Laurent Fabius, Bertrand Delanoë, Henri Emmanuelli et Benoît Hamon. Si elle ne parvient pas à s’imposer au premier tour de la primaire, Ségolène Royal pourrait elle aussi rallier la patronne du parti. Sans oublier des strauss-kahniens orphelins et blessés. Mais certains partisans de DSK pourraient tout aussi bien rejoindre François Hollande, plus proche idéologiquement de leur champion déchu. Depuis huit jours, Hollande est toutefois l’homme à abattre au PS. Avant l’affaire DSK, Martine Aubry avait lâché qu’elle ne laisserait “jamais” le député de Corrèze gagner la primaire. “Hollande président ? On rêve !”, s’était écrié Laurent Fabius. “J’ai beaucoup d’amis au Parti socialiste. Même s’ils n’en sont pas tous convaincus aujourd’hui, ils le seront tous quand je serai désigné”, réplique froidement l’intéressé. Sans sous-estimer la réalité du front Tout sauf Hollande. “Ils veulent me réserver le rôle de Rocard face à Mitterrand. Mais le scénario cauchemar pour eux, c’est que je suis à la fois dans la position de Ségolène Royal en 2006 – elle était hors du parti, je suis hors pacte, hors arrangement – mais aussi dans la position de Lionel Jospin en 1995, quand il gagne l’investiture contre Henri Emmanuelli, alors premier secrétaire. Car j’ai, comme Lionel Jospin, une légitimité d’ancien premier secrétaire”, explique François Hollande aux Inrocks. Le Corrézien s’attend à une série d’appels en faveur de la maire de Lille avant la convention sur le projet, ce samedi 28 mai, où “ils organiseront sans doute la claque pour Martine”. Mais, explique-t-il, “si la logique de la primaire n’écarte pas le parti, elle est forcément aussi celle des électeurs, on est aussi dans une logique d’opinion, on n’est pas dans la préparation d’un congrès”. C’est cette position que François Hollande s’est employé à consolider depuis son départ de la tête du PS en novembre 2008, récompensé ces derniers mois par une progression solide et régulière dans les sondages. “Ce qui compte, c’est le dialogue que j’ai réussi à nouer avec les Français, expliquet-il. Il y a la sécheresse, le pouvoir d’achat, il faut rester en lien avec le pays qui n’a pas vu ses problèmes disparaître et qui a toujours le même Président.” Son agenda se densifie : déplacements sur le terrain, réunions militantes, voyages à l’étranger et interventions en rafale dans les médias. L’un de ses partisans reconnaît que “les gens le trouvent sympa mais ont encore du mal à identifier son projet politique”.

“Ce n’est pas encore le temps des propositions, corrige François Hollande, on est encore dans la période où on doit se présenter aux Français, parler avec eux, même si on doit défendre le projet socialiste et mettre en avant quelques idées.” On connaît pour l’instant la priorité que le député de Corrèze compte promouvoir dans une campagne présidentielle – la jeunesse – et ce qui serait l’instrument principal de sa politique – une “révolution fiscale”. Pour tenter d’incarner l’alternative au Président sortant, François Hollande s’est rendu “présentable” : nouveau look, régime affiché, humour effacé. Lui aussi “a changé parce que la vie l’a changé”, comme disait Nicolas Sarkozy en 2007. Au point de ressembler parfois – costume sombre, tension et mine grave – à celui qu’il veut défier en 2012. Ses adversaires au PS ne croient pas à cette métamorphose. Un proche de Martine Aubry évoque “une bulle sondagière”. Un autre élu affirme que “personne ne me parle de François Hollande sur le terrain, à part les journalistes parisiens”. Un dernier souligne qu’il n’a “jamais été ministre dans aucun gouvernement de gauche”. Tous rappellent son long règne de onze ans à la tête d’un PS que l’un d’eux décrit “encalminé idéologiquement et endormi à coups de synthèse anesthésiantes”. Un militant croisé à Dijon soupire : “Quand même, il n’est pas charismatique !” C’est paradoxal mais c’est exactement ce que cherche François Hollande. En déclarant officiellement sa candidature à Tulle, le 31 mars, il a affirmé vouloir être “un Président normal”. Il jure aujourd’hui que l’attaque ne visait que le seul Nicolas Sarkozy mais beaucoup avaient décelé en filigrane une critique de la stratégie de Dominique StraussKahn, puissant parmi les puissants, s’apprêtant à descendre de l’Olympe de Washington. Lorsque, fin avril, le directeur général du FMI s’était fait photographier montant dans la Porsche d’un de ses communicants, le hollandais Bruno Le Roux avait tenu à souligner que le président du conseil général de Corrèze circulait en deux-roues dans Paris. Ce qui n’est pas tout à fait exact car le scooter de François Hollande a trois roues ! Reste que cet argument du Président “normal” sonne étrangement après

“puisque primaire a été prévue, primaire il y aura !”

la tragédie new-yorkaise. Ce que l’on a d’ailleurs bien compris à l’Elysée et à l’UMP, où l’on en tire argument pour tenter de décrédibiliser la candidature du nouveau favori des sondages. Début mai, avant l’affaire DSK, Nicolas Sarkozy avait déjà été interrogé dans L’Express sur une “présidence normale”. “C’est une fonction qui ne l’est pas. J’imagine que François Hollande a voulu être désagréable. C’est son droit. C’est le mien d’essayer d’élever le débat. Il y a tant de gens pour l’abaisser”, avait répliqué le chef de l’Etat. “La normalité chez les socialistes, ça va faire rigoler maintenant, surtout avec une affaire Strauss-Kahn qui va durer des mois”, sourit un responsable de l’UMP. “Avec une crise comme celle qu’on a connue en 2008, avec les risques internationaux, avec les menaces sur l’environnement, on a plutôt besoin de gens exceptionnels”, ajoute-t-il. Martine Aubry n’a pas dit autre chose quand elle a été interrogée sur cette formule : “Je suis une femme normale, au sens où je vis comme tout le monde, mais je pense que, quand on veut être candidat à la présidence de la République, il faut un peu plus, il faut incarner la France pour gagner.” Réactif, François Hollande a déjà opéré un glissement sémantique de “normal” à “cohérent”. “C’est ce que les Français attendent. Un Président normal, ce n’est pas quelqu’un qui est banal, mais c’est quelqu’un qui est cohérent.” Quant aux critiques sur son manque d’expérience gouvernementale, il les balaie d’un revers de main en soulignant qu’en tant que premier secrétaire du PS il a été “associé” à toutes les décisions du gouvernement Jospin entre 1997 et 2002. “Et puis j’apparais comme un homme neuf et c’est très bien”, ajoute-t-il. Cible à gauche comme à droite, signe qu’il est “pris au sérieux”, François Hollande se prépare à la bataille d’octobre. Certains à la direction du PS voudraient “mettre entre parenthèses”, voire “geler” la primaire. “Evitons un moment difficile supplémentaire et rassemblons-nous”, plaide Claude Bartolone, en appelant les socialistes à se ranger derrière Martine Aubry. L’argument pourrait séduire dans un électorat de gauche assommé par le feuilleton DSK. Devant les militants à Dijon, François Hollande a durci le ton : “Puisque primaire a été prévue, primaire il y aura ! Chacun a bien le droit d’être candidat et ensuite il faudra se rassembler derrière celui ou celle qui aura été choisi pour aller vers la victoire.” Il pense à lui et c’est normal. Hélène Fontanaud

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Ségolène Royal en meeting à Toulouse

Royal toujours “debout” En déplacement à Toulouse, la candidate du PS à la primaire a voulu démontrer qu’elle ne renonçait à rien, malgré les mauvais sondages qui la placent derrière François Hollande et Martine Aubry.

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aris, aéroport d’Orly, ce dimanche 22 mai à 10 heures. Un petit groupe de personnes s’agglutine autour de Ségolène Royal et lui demande une photo. La candidate du PS se prête au jeu. L’arrivée remarquée tranche avec le petit nombre de journalistes qui suit la candidate du PS à la primaire. Rien à voir avec la meute qui la suivait il y a quelques mois, avant qu’elle ne disparaisse volontairement de la scène médiatique, ou lors du congrès de Reims en 2008 ou de la dernière présidentielle en 2007. Aujourd’hui, les sondages l’auraient presque enterrée : troisième derrière François Hollande et Martine Aubry, depuis que Dominique Strauss-Kahn semble être sorti du jeu, autant dire qu’elle paraît ne plus intéresser. Pourtant, Ségolène Royal s’en moque. Aux 400 personnes qui sont venues l’écouter à Toulouse, elle lance : “Nous allons continuer d’avancer. Le peuple français est debout et nous sommes là pour

gagner l’élection présidentielle de 2012.” Tonnerre d’applaudissements. “Le pouvoir, c’est vous qui l’avez, prenez-le et ne le lâchez pas.” Pas question pour elle de s’arrêter aux enquêtes d’opinion qui “se sont toujours trompées un an à l’avance. L’homme providentiel, c’était Rocard, puis Balladur quand Chirac était au fond du trou.” Un argument que François Hollande utilisait il y a encore quelques mois… C’est bien connu, les vieilles recettes servent à tout le monde. “Les sondages se sont toujours trompés car les petites gens ne sont pas dans les sondages. Et les enquêtes d’opinion ne savent même pas qui va aller voter à la primaire. C’est le terrain qui va faire la différence. Rien n’est figé”, commente en petit comité la candidate du PS à la primaire. Visiblement, on a fait avec les moyens du bord pour l’organisation du meeting. Des draps bleus, blancs, rouges tendus sur les murs, une banderole écrite à la main

au marqueur bleu sur papier blanc pour annoncer sa venue : “Meeting de Ségolène Royal, aujourd’hui à partir de 15 h.” Des petits moyens, des sondages décourageants et pourtant du monde, beaucoup de monde, toutes générations confondues, militants et curieux, et des équipes gonflées à bloc. “Dans chaque canton, dans chaque village, il y a Désirs d’avenir, explique Kamel Chibli, secrétaire national de l’association et membre du PS qui chiffre aujourd’hui à 11 000 le nombre de militants au niveau national. On a une capacité à rassembler sur l’ensemble du territoire, c’est un atout considérable pour la primaire.” Philippe Gaudon, membre de DA depuis 2006, en Haute-Garonne, ne s’inquiète pas non plus : “C’est en septembre et octobre qu’il faut être premier, pas maintenant. Aujourd’hui, mieux vaut être outsider que favori !” Dès lors, Ségolène Royal continue de balayer les sondages d’un revers de main, 25.05.2011 les inrockuptibles 43

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“moi, je suis déjà passée à l’essoreuse de la campagne présidentielle, je sais ce que c’est, les autres non” se moquant notamment de celui qui la plaçait en quatrième position derrière Manuel Valls  : “Tout de même, s’esclaffe-telle, il ne faut rien exagérer !” Et François Hollande favori ? “Favori, ça ne vous rappelle rien ?, commente-t-elle en privé. Ils n’ont pas retenu la leçon.” Sûre d’elle, elle ajoute pendant le meeting : “Nous ne sommes pas au bout de nos surprises”, convaincue qu’elle figurera au second tour. Plus tôt, elle avait expliqué aux Inrocks : “Il n’y a qu’une légitimité en politique, c’est le vote, c’est ce que j’appelle la force citoyenne, qui va se mettre en mouvement. La politique, ce sont des millions de gens qui vont prendre le bulletin avec votre nom pour le mettre dans l’urne, souligne-t-elle en mimant la scène. Tous les sondages n’ont aucun sens. On doit choisir le ou la candidate qui peut être au second tour et qui peut gagner.” Traduction : si François Hollande est le favori des sondages et si Martine Aubry détient la légitimité de la première secrétaire, Royal a, elle, l’expérience de la précédente campagne : “Moi, je suis déjà passée à l’essoreuse de la campagne présidentielle, je sais ce que c’est, les autres non. Tout est mis à jour, tout est déballé, mon appart a été mis à sac deux fois, j’ai survécu. Il faut être irréprochable autant que la nature humaine le permet.” Pour le reste, elle se veut sereine. “Rien ne me fait peur, je m’adapte à tout. Les autres candidats, je les respecte, je ne suis pas candidate contre eux. Au contraire, ça me booste dans les débats.” Y compris avec son ancien compagnon. “Je n’ai aucun problème pour un débat avec François Hollande.” Royal sourit : “Tout l’enjeu de la politique, c’est de réexpliquer aux Français qu’il y a des marges de manœuvre politiques qui existent. C’est le sens de mon engagement : arriver à sécuriser les Français. C’est très important de montrer aux gens qu’il y a passage aux actes après les discours. Quand je parle de ce que je fais dans ma région, je vois que je suis très applaudie.” Dans son discours de quarantecinq minutes à Toulouse, Ségolène Royal a effectivement été très applaudie dans ces moments-là. Mais pas autant que quand elle a pris l’engagement de mettre en place un “bouclier logement”, pour qu’aucun Français ne dépense plus de 20 % de ses revenus dans son habitation. “D’autres solutions existent”, a-t-elle martelé tout au long de son déplacement toulousain, pour souligner qu’il fallait toujours compter avec elle. Marion Mourgue

que le meilleur perde Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite. par Michel-Antoine Burnier

Ceux qui doutaient encore doivent se rendre : toute la stratégie des hommes politiques vise bien la défaite et non la victoire. M. Strauss-Kahn vient de nous en donner une démonstration si retentissante qu’elle en ébranle le monde entier. Une réserve cependant : même pour enrayer un triomphe menaçant une élection présidentielle, croit-on sage qu’un candidat se porte à des mesures si extrêmes qu’il s’en retrouve en prison ? Certes, il est passé en un quart d’heure du statut de candidat pré-élu à celui de candidat pré-battu. Cela avait pris trois mois à M. Balladur, et avec moins d’éclat. La méthode de M. StraussKahn nous paraît cependant exagérée, dangereuse et très cher payée. La défaite est orpheline mais prolifique : elle nourrit les défaites à venir. Le Parti socialiste saisira-t-il l’occasion ? Le voici devant un choix : jouer l’unité et se regrouper derrière un candidat unique ; persister dans l’organisation de la primaire. Tous les victoricides conséquents préfèreront à coup sûr la seconde solution. En ce cas, selon les lois bien connues de la guerre des chefs, on peut concevoir un schéma idéal. D’abord, il faut que Mme Aubry se déclare, que M. Hollande se maintienne. La détestation réciproque qui les anime garantit une utile guerre intestine. Mme Aubry devra gauchir encore son propos, M. Hollande modérer le sien – ou l’inverse – afin que l’électeur ne saisisse plus

rien de la ligne du PS. Les héritiers perdus de Strauss-Kahn sauront se diviser entre Mme Aubry, M. Hollande, M. Valls, M. Moscovici, montrant par là qu’aucune idée ne tient devant les questions de personne. En troisième position, Mme Royal ne peut que nuire à la clarté des échanges : elle entretient avec M. Hollande, son ancien compagnon, des rapports comme il se doit vindicatifs ; elle n’oublie pas que Mme Aubry lui a soufflé le poste de première secrétaire. Sous prétexte d’apaiser les combattants en prenant leur place, M. Fabius, qui méprise M. Hollande, et M. Delanoë, qui se méfie de Mme Aubry, pourraient trouver un vocabulaire unitaire susceptible de multiplier les divisions. M. Montebourg enfin, dans une furieuse recherche d’originalité, devrait parfaire cette haineuse confusion. Pris dans un tourbillon, le FMI a décidé d’aggraver sa situation. Parlant de M. Strauss-Kahn, un ancien administrateur vient de déclarer : “Pour choisir ses proches collaboratrices, on faisait attention à éviter les jolies femmes” (Libération, 18/5/2011). Lesdites collaboratrices, découvrant ainsi qu’elles doivent leur poste à leur mocheté, chercheront forcément à se venger d’une aussi grossière vexation. L’efficacité du FMI pour l’instant sans chef ne peut que s’en ressentir. Devant ce torrent victoricide, la droite n’a trouvé qu’à supprimer les panneaux des radars ! Que fait M. Sarkozy ? (à suivre...)

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presse citron

par Christophe Conte

L’affaire DSK a occupé tout le terrain médiatico-politique. Elle ne serait pourtant due qu’à un problème de traduction simultanée. Claude Guéant, lui, a tenté de reprendre la main avec des propos (in)dignes de Bruno Mégret.

les relous Guéant pour une fois hospitalier D’habitude sourcilleux aux frontières, Claude Guéant a révélé dimanche qu’un cœur bat sous l’uniforme. Si Dominique Strauss-Kahn est condamné aux Etats-Unis, le ministre de l’Intérieur fera tout pour que le socialiste déchu puisse purger sa peine de prison en France. Cela ferait de bien belles images aux journaux de 20 heures en pleine campagne présidentielle.

commissaire Mégret En sommeil depuis au moins deux semaines, le volcan Guéant a profité d’une accalmie sur le front DSK pour réveiller ce week-end ses vieilles ardeurs nationalistes. Le premier flic de France déclarait ainsi sur Europe 1 (22/05) : “Contrairement à une légende, il est inexact que nous ayons besoin de talents, de compétences”, entendez de provenance sarrasine et bamboula. Avait-on besoin pour autant, à l’heure où Marine Le Pen joue à la grande sœur sympa du fascisme à visage humain, d’un nouveau Bruno Mégret ?

professie

malentendu

Samedi 14 mai, 20 h 30, le traditionnel Ça se dispute, qui oppose sur I-Télé le journaliste Nicolas Domenach et le postillonneur Eric Zemmour avait pour sujet les primaires socialistes. En banctitre : “DSK : le choix dans la date.” Deux heures plus tard, l’éculée contrepèterie prit une dimension prophétique mais la chaîne nympho, qui a tardivement ses pudeurs, nous épargna toutefois ses pannes de micro.

Afin d’aider la justice américaine, nous sommes en mesure de révéler ce qui s’est réellement passé dans la suite 2806 du Sofitel de Times Square. Attention, c’est du lourd ! Comme l’a rapporté, entre autres, Le Nouvel Obs (19/05), la femme de chambre aurait fait irruption dans la pièce en annonçant à haute voix : “Housekeeping !” (“ménage”). Le président du FMI, un peu dur de la feuille, aurait alors compris “Ours qui pine”, croyant sincèrement à une invitation. On vous avait prévenu, c’est du lourd.

instinct primaire DSK hors-jeu, les cartes pour les primaires socialistes “sont rebattues” comme le remarquait Libération (17/05). Laurent Fabius pourrait ainsi revenir dans la course, tout comme Gérard Collomb et Bertrand Delanoë, qui a dit : “Je n’hésiterai pas à prendre mes responsabilités.” Du coup, Jospin pourrait avoir envie de lâcher la pêche à la crevette pour revenir défendre son morcif, donnant au passage des idées à Michel Rocard et à Jacques Delors, qui se disent que bon, après tout… Guy Mollet aurait par ailleurs envoyé un pneumatique à Solférino pour se renseigner sur les conditions d’inscription.

ah ah ah Dans une brève du Point (19/05), une photo d’Eric Besson illustre ce titre mystérieux : “La France tient à son AAA”. Il nous avait pourtant semblé que la classification des andouillettes prenait deux A supplémentaires.

très confidentiel L’autobiographie de Bernard Debré n’est pas encore écrite qu’elle possède déjà un titre : L’Urètre et le Néant. Préface de Nicolas Dupont-Aignan.

“Quand j’entends aujourd’hui” les socialistes “parler de présomption d’innocence pour DSK, je prends ça avec un certain humour, mais avec de l’amertume aussi, je l’avoue”, déclare-t-il. “Ces gens-là ont été avec moi absolument ignobles. Je pense à Montebourg, à Aubry !” Pour l’ancien ministre évincé du gouvernement Fillon pour cause d’affaire Bettencourt, la vengeance est un plat qui se mange froid, tiède ou chaud.

Assemblée nationale

Ludovic/RÉA

Jean-Claude Moschetti/RÉA

Eric Woerth est Edmond Dantès

appuie sur le champignon “Quand Sarkozy expliquera qu’il en a parlé à Obama, vous répondrez que vous en avez parlé à Gérard Dugenou, ramasseur de champignons en Corrèze ?” C’est la blague d’un conseiller de l’Elysée dans le JDD. On conseille à François Hollande de transmettre cette remarque à la seule Dugenou inscrite dans les Pages Blanches : Martine Dugenou qui habite Epinal. Ça fait déjà une voix assurée pour le socialiste ! 25.05.2011 les inrockuptibles 45

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contre-attaque

sortir du silence

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L’enfermement est un supplice horrible parce qu’extrêmement lent. Mais cette longue pénitence peut s’alléger dans la parole, la musique ou la danse.

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es derniers chiffres de la surpopulation carcérale sont accablants : 64 584 détenus pour 56 150 places disponibles. Dans certaines prisons, ils sont trois à survivre dans 12 mètres carrés. Bonjour l’espace vital ! Au moment où des parlementaires UMP s’indignent de l’oisiveté de ces prisonniers “nourris, logés et blanchis aux frais de la princesse” (Richard Mallié, député des Bouches-du-Rhône), il est sain de lire le récent rapport de Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté. Un rapport alarmant où ce fonctionnaire, bien que nommé par Nicolas Sarkozy, dit l’inhumanité du système. Un constat auquel s’ajoutent les condamnations réitérées de l’Observatoire des prisons et celles des institutions européennes. Danièle Mercier, de l’association Repousser les murs, a publié en début d’année On tourne en rond, joli livre-objet autoédité qui recense des histoires de vie. Cette enseignante à la retraite avait envie d’offrir un peu de son nouveau temps libre à des êtres en souffrance. Elle a eu le sentiment que ce qu’elle avait réussi à transmettre pendant des années à des ados en difficulté, elle pouvait en faire profiter les plus exclus de tous, les taulards. Pour ces “êtres mis de côté”, elle formule un projet d’“atelier de parole” et l’adresse à l’administration pénitentiaire. Le directeur de la prison de Longuenesse, près

de Saint-Omer dans le Nord, peut-être plus tolérant que d’autres de ses confrères, le retient aussitôt. Danièle Mercier est partie d’un constat : la prison impose un mur de silence ; ce qui se passe à l’intérieur ne doit pas sortir. En réaction, donner la parole aux prisonniers ne peut être que libératoire. Sept ans plus tard, elle mesure les résultats de son engagement : “J’ai juste créé un lieu de bienveillance pour eux. Une parenthèse humaine. Par groupes de cinq ou six, ils parlent de leurs familles ou de leurs enfants, dont ils sont coupés. Ou de la solitude… C’est peu et c’est immense.”

“ils parlent de leurs familles, dont ils sont coupés. Ou de la solitude… C’est peu et c’est immense”

Et de raconter l’histoire d’un jeune, issu d’un milieu en situation de grande pauvreté et fragile psychologiquement qui, après quelques séances, a osé confier qu’il avait été violé par un codétenu. “Ce dernier a fait l’objet d’une procédure. Mais, plus important, sa jeune victime a pu se reconstruire. En s’exprimant.” Les limites de l’expérience ? “On ne casse pas l’enfermement. Les gars me raccompagnent toujours jusqu’au dernier sas. La limite, elle est là : c’est la frontière entre le dedans et le dehors. Eux, ils ont perdu les odeurs du dehors.” [email protected]

pour aller plus loin entre les murs On tourne en rond de Danièle Mercier (autoédition, 22 €). Disponible sur www.repousserlesmurs.fr. La vente du livre finance un projet associatif pour la préparation de la sortie des détenus. Plusieurs expériences comparables existent en milieu carcéral : 1. Des créations chorégraphiques à la maison d’arrêt d’Angers. La prison est un espace où le corps est nié. Dans les cellules, il se recroqueville et s’abîme. L’idée d’amener les détenus à en reprendre possession par la danse est donc d’autant plus logique… Après un atelier longue durée avec la compagnie de Nathalie Béasse, en novembre 2010, c’est au tour du chorégraphe Loïc Touzé d’intervenir pour une série d’ateliers début 2011. 2. De même, un atelier chorégraphique a été mis en place par le Théâtre national de Chaillot et la compagnie Montalvo-Hervieu à la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy. 3. Plus barré : l’introduction de la musique Renaissance à la centrale de Clairvaux. Malgré le grand écart entre ces deux mondes, les détenus ont apprécié et participé. Toutes ces micro-initiatives inventives et généreuses ont été élues par les Directions régionales des affaires culturelles (Drac), dans le cadre du projet Culture pour chacun (CpC) soutenu par le ministère de la Culture. L’avant-garde artistique, qui fait une fixette sur les projets “hors les murs”, devrait aussi regarder du côté de ces expériences nées entre quatre murs.

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sex crimes

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ormalement, il devrait être là.” Nous sommes au petit matin, dans la banlieue sud de Seattle, assis dans la voiture d’un officier de police. Mike Cheney connaît bien le coin. Tous les jours, habillé en civil, il patrouille dans ce quartier. Il ralentit doucement devant une palissade de bois, coupe le moteur et regarde avec prudence ce qui se passe autour. Mike est officier du Département de corrections. Dans une minute, il va contrôler Barney R., un délinquant sexuel en liberté conditionnelle. La semaine dernière, l’homme a manqué sa séance de thérapie hebdomadaire. Trois voitures sont garées devant la palissade. En ouvrant sa portière, Mike réfléchit et dit : “L’homme a un passé

de pédophile et de drogué, comme 80 % d’entre eux. Je ne veux pas vous entraîner dans un nid de guêpes sans savoir si c’est sûr. Donc vous restez dans la voiture, tranquilles, et je reviens.” Mike sort et va cogner à la porte du mobile-home de Barney. Une main lui ouvre et les deux hommes se disent bonjour comme dans le plus banal des petits matins américains. Mike nous fait signe de les rejoindre. Pieds nus, vêtu d’un haut de survêtement gris et d’un jean, tête baissée, Barney écoute le policier. Le regard hésitant, fuyant, il paraît timide et mal à l’aise. “Alors, c’est quoi le problème ?, demande le contrôleur. – En fait, je n’ai pas pu aller à ma séance de thérapie tout simplement parce que je n’ai pas assez d’argent pour payer. – Le thérapeute peut te trouver un arrangement, mais il faut que tu l’appelles

pour ça. Si tu ne le fais pas, tu te mets automatiquement hors la loi. Alors tu te débrouilles, mais demain, tu appelles ton conseiller !” Revenu dans la voiture, le policier nous explique : “Au prochain manquement à la règle, il se retrouvera au poste ou retournera en prison.” Le passé de pédophile du jeune Barney tient en un crime unique, un crime comme on en tient peu compte en Europe, et beaucoup aux Etats-Unis : quand il était un petit garçon de 11 ans, Barney a tenté de violer une petite fille de 6 ans. Il a maintenant 21 ans, n’a commis aucun autre délit, mais son passé lui colle à la peau : il est toujours classé comme délinquant sexuel. Mike explique : “Ces dernières années, la délinquance sexuelle est devenue un sujet politique très chaud. Aujourd’hui, tout le monde a peur de se montrer

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Ted S. Warren/AP/Sipa

Le Special Commitment Center, sur McNeil Island, au large de Tacoma dans l’Etat de Washington : 280 délinquants sexuels y sont enfermés après avoir purgé leur peine de prison

Au moment où DSK risque la prison, enquête sur le traitement réservé aux délinquants sexuels par la justice américaine. par Olivier Ponthus conciliant face à ce problème. Alors, après chaque élection, les lois se durcissent.” En quelques années, l’Etat de Washington au nord-ouest des Etats-Unis, où Mike surveille une cinquantaine d’anciens pédophiles, violeurs ou exhibitionnistes en liberté conditionnelle, est devenu un laboratoire dans la répression et la gestion des délinquants sexuels. Quinze kilomètres au sud, au poste de police de la ville de Tacoma, nous retrouvons un moustachu de 50 ans qui porte un polo noir. Peter Sheridan est polygrapheur. Au Département de corrections du Pierce County, on fait appel à son détecteur de mensonges à chaque fois que la police convoque au poste un délinquant sexuel. Pour chaque séance de polygraphe, Peter facture 100 à 200 dollars à la police. A raison de quatre à cinq

détections par jour, c’est un heureux business… “Venez par là”, dit-il à un postadolescent un peu gauche. Le garçon a 20 ans. La police l’a arrêté pour avoir touché et attrapé, “de manière compulsive” les parties génitales et les seins de jeunes filles de 14 à 16 ans quand il en avait 18. Ce matin, c’est lui qui doit subir le détecteur. Peter le fait entrer dans une pièce sans fenêtre, l’équipe d’une batterie de capteurs au niveau de la cage thoracique (respiration), du bras (pression artérielle et pouls), des doigts (sudation) et sous les cuisses (mouvements corporels), le tout relié à un ordinateur portable. Peter commence son interrogatoire : “Vous souvenez-vous avoir eu des contacts physiques ou sexuels avec une personne mineure ?” Impossible d’assister à la séance. Mais derrière la porte en partie vitrée,

on peut voir le jeune homme respirer profondément et fermer les yeux pour répondre à Peter. A l’évidence, il est stressé. Au bout d’une heure, Peter débranche le jeune homme puis nous montre quelques-unes des questions posées la veille à un autre délinquant sexuel. Les réponses forment un enchevêtrement de courbes sur son ordinateur. Peter nous fait observer une courbe : “J’ai posé au gars la question suivante : ‘En ce qui concerne votre passé sexuel, allez-vous répondre honnêtement à toutes mes questions ?’ Le gars a répondu oui, mais on voit une forte poussée sur la courbe de la pression sanguine, beaucoup de transpiration au niveau des doigts et une respiration étouffée puis haletante… – Ça veut dire qu’il a menti ? – Oui. – C’est fiable ? 25.05.2011 les inrockuptibles 49

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Barney,c oupable d’avoir tenté de violer une petite fille alors qu’il avait 11 ans, est contrôlé par un officier du Département de corrections

McNeil Island, auparavant prison fédérale, devenue centre de soins de très haute sécurité

– Ce n’est pas parfait mais on estime que c’est juste à 80-85 %.” Pour me convaincre, Peter me propose d’essayer le polygraphe. Je m’asseois sur le détecteur de mouvements et Peter m’équipe seulement de deux capteurs sur les doigts. Je ressens déjà un stress indéniable. Je n’ai pourtant rien à me reprocher. – “Avez-vous déjà introduit un objet en contrebande en France ?, me demande-t-il. – Non. – Vous avez menti !”, s’esclaffe-t-il. Décidément, l’engin n’est pas fiable. Dans de nombreux pays, le détecteur de mensonges n’a aucune valeur juridique, la marge d’erreur étant trop importante. La France, par exemple, l’a interdit. Ici, c’est un outil primordial pour décider du sort des délinquants sexuels. Durant leur liberté conditionnelle, les délinquants sexuels doivent pointer au poste tous les trimestres. Tests urinaires pour détecter l’usage de drogues, bracelets électroniques pour les traquer où qu’ils habitent, toutes les données sont consultables par tous les citoyens sur internet. Aux Etats-Unis, ce sont les grands classiques de la lutte contre la délinquance sexuelle. Mais pour les criminels considérés comme inaptes à un retour dans la société, l’Etat de Washington a mis en place un système unique au monde : McNeil Island. Quand ils ont terminé leur peine de prison, les délinquants sexuels classés les plus dangereux sont envoyés sur

une île déserte au large de Seattle, laquelle évoque étrangement le dernier thriller de Martin Scorsese, Shutter Island, qui met en scène un hôpital psychiatrique haute sécurité au large de Boston. Sur le quai de Seattle, en partance pour l’île, un seul ferry. On nous contrôle à deux reprises avant d’embarquer. Nous devons laisser téléphone et carte d’identité. “Interdit de prendre des photos ou de filmer durant le trajet”, lâche sans sourire un officier avant l’embarquement. La traversée dure dix minutes. A l’arrivée, un comité d’accueil de quatre personnes nous reçoit. “C’est bon, on peut y aller ? Alors en route.” Cathy Harris, la quarantaine, cheveux courts, sans maquillage et la voix calme, est la numéro deux du centre. Ancienne thérapeute, aujourd’hui adjointe au directeur, elle nous sert de guide. Elle a aussi son assistant : un gros bébé d’un bon mètre quatre-vingt-dix et pas moins de cent kilos, rompu aux arts martiaux et aux techniques de contention. Nous avons droit à deux heures de visite, pas une minute de plus. Du minivan qui nous conduit au centre, on aperçoit, émergeant d’une clairière, au loin, un cimetière hérissé de stèles blanches. “C’est un cimetière fédéral, précise Cathy. Quand les prisonniers mouraient sur l’île, on les enterrait ici. Avant, l’île accueillait une prison fédérale. Depuis douze ans, les autorités y enferment des prédateurs

sexuels.” Pour certains d’entre eux, l’île sera aussi un tombeau. Le centre, appelé le Special Commitment Center, a été construit en 1998 dans une cuvette naturelle entourée de collines et d’une double ligne de barbelés. Officiellement, ce n’est pas une prison mais un centre de soins. En pratique, c’est un complexe de très haute sécurité. Des murs de 150 mètres de long, ponctués de miradors, caméras et barrières en tout genre. “On a des visiteurs !”, lance à la cantonade Cathy Harris. Nous entrons dans la salle de contrôle vidéo, le centre névralgique de l’institution. “Voilà pourquoi nous sommes sur une île, affirme Cathy. Il y a la mer autour que les gars devraient traverser à la nage s’ils voulaient atteindre le continent et faire de nouvelles victimes. Ici, nous contrôlons leur moindre mouvement dans le complexe. Tout ça pour protéger la société.” Près de 190 caméras, 400 employés pour 280 “résidents”, comme on les nomme ici, des portes et des grilles qui s’ouvrent rarement : impossible de s’échapper. Nous arrivons au centre du complexe, une pelouse de 30 mètres sur 40 autour de laquelle marchent les délinquants sexuels. Des criminels violents, des attardés mentaux, des fous. Ils ne portent pas d’uniforme mais doivent toujours avoir sur eux leur badge violet avec leur nom et leur photo. Très vite, certains nous font comprendre qu’ils n’apprécient guère notre présence et encore moins celle de la caméra.

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L’épreuve dud étecteur dem ensonges

“Me filme pas avec ta putain de caméra ! Je ne veux pas être sur ton putain de film !”, lance agressif l’un d’eux qui passe dans notre champ. Cette pelouse, c’est le seul espace ouvert auquel ils ont droit. Avec, un peu plus loin, un coin prière pour tous les cultes, y compris ceux des Indiens d’Amérique. Les résidents ont aussi une bibliothèque, une salle de musculation, un terrain de basket et un atelier de menuiserie. Cathy nous fait entrer dans le bâtiment B. Dans la salle commune, elle nous présente Patrick V., la soixantaine. “Vous voulez bien nous montrer votre chambre, Patrick ?” Patrick nous ouvre le chemin. Sa chambre se réduit en fait à une cellule de deux mètres sur trois, sans fenêtre. Un placard-penderie, une table d’angle, une chaise, un lit. Cathy, bienveillante, engage la conversation avec le détenu. L’homme est presque sourd et semble limité intellectuellement. – “Avez-vous déjà pratiqué des attouchements interdits sur un enfant ? – Je l’ai fait, oui. – C’est là-dessus qu’on va devoir travailler en thérapie.” Patrick acquiesce. Puis il raconte, calmement, que lorsqu’il se trouvait

tests urinaires et bracelets électroniques… toutes les données sont consultables par tous les citoyens sur internet

en liberté, ses voisins hostiles avaient empoisonné son chien. Pour leur échapper, il avait dû se réfugier au commissariat. Les policiers lui avaient alors proposé d’aller sur McNeil Island. Après avoir quitté Patrick, Cathy précise à voix basse avec un petit sourire entendu : “On arrive au centre après un long processus. Il ne suffit pas d’aller voir la police pour qu’elle vous y envoie. Patrick souffre de déficiences cognitives qui l’empêchent de penser comme nous…” Après plusieurs années de prison, les détenus viennent ici vivre une double peine. En principe, le centre doit soigner leurs déviances sexuelles pour les relâcher ensuite. Mais seul un tiers des résidents accepte de suivre les différentes thérapies proposées. Ceux-là sont présentés comme les bons élèves du centre. L’un d’eux, ou plutôt l’une d’eux, c’est Laura McCollum, l’unique femme détenue du centre. Vêtue d’un pantalon bleu et d’un T-shirt imprimé d’un lion sous-titré “Jesus”, Laura accepte l’interview bon gré mal gré. Cette femme d’une cinquantaine d’années incarne le bon exemple qu’on montre aux journalistes. Elle a rejoint l’île il y a six ans. Ancienne nourrice, elle-même agressée sexuellement étant enfant, elle a reconnu une quinzaine de viols (avec ses doigts et à l’aide d’objets), d’attouchements et de violences sur des enfants de moins de trois ans, même des nourrissons. Du lourd. Emprisonnée depuis seize ans, on lui a imposé plusieurs thérapies comportementales

et médicamenteuses. Selon elle, ça a marché. “Le séjour sur l’île m’a aidée. J’ai appris à tenir compte des autres et non plus de mes seuls désirs. – Si vous sortez demain, pensez-vous représenter encore un danger pour la société ? – Non, je ne pense pas, mais je devrai continuer à suivre ma thérapie. Il faudra que je prenne mes médicaments aussi.” Au mois de mars 2011, une autre femme va rejoindre Laura. “Comment expliquezvous qu’il y ait si peu de femmes ici ? Les hommes seraient-ils plus disposés à… – Oubliez ce vieux cliché !, interrompt Laura. Les hommes ne sont pas plus disposés que les femmes à devenir des délinquants sexuels, croyez-moi ! Avant de me rencontrer, auriez-vous jamais imaginé qu’une femme soit capable de faire ce que j’ai fait ? Répondez honnêtement ! – Non, je ne crois pas. – Vous voyez : vous vous trompiez !” La visite continue. Nous ne sommes pas autorisés à aborder tous les détenus. Les seuls accessibles sont ceux que l’administration a choisis pour nous, ou ceux avec qui nous avons prévu des arrangements. Gordon Michael Strauss est l’un d’eux. Grâce à l’intervention d’un chapelain juif orthodoxe, visiteur de prison, on a pu le prévenir de notre visite. Barbe blanche taillée façon ZZ Top, 1,90 mètre, casquette et perfecto, Gordon Strauss interrompt la visite en nous voyant débarquer dans son bâtiment : “Qui est le journaliste français parmi vous ?” 25.05.2011 les inrockuptibles 51

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Gordon Strauss, à McNeil Island depuis douze ans après avoir été emprisonné pour viol de longues années

Il nous demande de le suivre et nous nous éloignons du groupe. Nous voici en plein air, sur un banc de pierre. A trois mètres, une blonde, assistante de Cathy, surveille l’interview. Derrière nous, des corbeaux cherchent des vers dans la pelouse. Gordon a purgé une longue peine de prison pour le viol d’une femme il y a vingt-cinq ans. Puis un juge a estimé qu’il n’était pas apte à réintégrer la société. On l’a transféré ici il y a douze ans. Depuis des années, ce résident alerte régulièrement la presse sur les dysfonctionnements du centre. “Vous venez ici et tout le monde s’en fout. C’est juste un grand trou noir dans l’espace, l’île du diable. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent de nous. J’ai le souvenir d’un détenu qu’ils ont gavé de sédatifs pendant des années ! Moi, ils m’ont refusé un traitement pour une maladie des poumons que j’ai contractée ici et dont je mourrai. J’ai les dents cassées et beaucoup d’entre elles se déchaussent. Ils me refusent les journaux, même sans images. Ils peuvent dire ce qu’ils veulent, ce n’est pas un centre d’accueil mais une prison. – Vous considérez-vous comme un prédateur sexuel ? Il sourit d’un air las. – Non. Je me considère comme un type qui a fait une erreur stupide dans sa jeunesse (un viol – ndlr), mais c’était il y a plus de vingt ans !” Quant aux séances de thérapie, il refuse d’y participer. “Ils foutent les gens sous médicaments, les font parler de leurs fantasmes et tout ce qu’ils disent

se retournera contre eux au tribunal. Un rapport fédéral de 2006 a démontré que ce système coûtait très cher, ne servait à rien et ne diminuait pas le risque de récidive.” Ces arguments sont ceux de tous les opposants au système et d’abord des avocats des détenus. Cathy Harris n’y croit pas : “Je n’ai aucun doute quant à l’efficacité de nos thérapies. Oui, elles coûtent cher, 145 000 dollars par an et par résident (autour de 180 000 dollars selon les avocats qui s’opposent au système, contre 35 000 dollars pour un détenu classique – ndlr), mais cela vaut la peine. Tout le monde peut changer, devenir un contributeur de la société et non un débiteur. Nous savons les évaluer, mais si on ne respecte pas nos avis, c’est dangereux. Il y a trois ans, un résident a obtenu d’être rejugé grâce à ses avocats. Nous avions prévenu qu’il n’était pas prêt. La justice l’a libéré sans condition. Rapidement, il a récidivé. Il a violé deux femmes et en a tué une troisième.” Sur un peu plus de trois cents résidents passés ici depuis douze ans, seuls trente ont fini par quitter le centre. Soit on les a rejugés, soit, après des années de bonne conduite et de suivi thérapeutique, ils sont passés par un autre sas pour délinquant sexuel en réinsertion : les Secure Community Transition Facilities, des centres pour un retour sûr dans la société. Un de ces centres fonctionne sur l’île avec vingtquatre résidents, un autre sur le continent, à Seattle, dans une zone

industrielle éloignée de tout arrêt de bus, jardin d’enfants, école primaire ou parc public. Nous y allons : c’est une sorte de maison sans fenêtre, ultrasécurisée, coincée entre une autoroute et une voie de chemin de fer. Six délinquants sexuels y logent, pour eux l’ultime étape avant une éventuelle libération définitive. Tabitha Yockey, jeune et jolie femme noire qui s’habille en XXL, est la responsable du centre. “Le bâtiment a six chambres, nous dit-elle. Un espace de détente, quelques appareils de musculation et une cuisine où les résidents préparent eux-mêmes leurs repas.” Dans l’espace détente, un résident s’est attablé devant un grand puzzle. Il ne nous regarde même pas. Nous n’avons pas le droit de lui parler : à lui de faire la démarche. Il ne la fera pas. Dans la pièce, un sapin de Noël : “C’est pour faciliter la transition vers une vie normale”, dit Tabitha. Il y a aussi vingt-quatre caméras, huit gardiens, des séances de thérapie et des règles rigides. “Pour sortir, les résidents doivent nous soumettre une sorte de feuille de route. Ils nous disent où ils veulent aller, quand ils veulent y aller et ce qu’ils veulent faire dehors. Ensuite, nous nous réunissons,

“l’objectif, c’est de les asexuer. Mais on les relâche dans une société inondée d’images sexuées. Ce n’est ni sain ni efficace”

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Les chambrescellules de McNeil Island mesurent deux mètres sur trois

Dans la banlieue de Seattle, loin de tout jardin d’enfants ou école primaire, un centre de réinsertion

le thérapeute, l’officier de probation et moi-même et nous décidons de valider ou pas la sortie.” La sortie acceptée, un surveillant accompagne systématiquement l’individu. “Où qu’il aille, le résident ne sera jamais seul pour faire ses courses, rechercher un emploi et, s’il en trouve, sur son lieu de travail. Mais à distance”, précise la responsable. Depuis sa création en 2006, seuls huit détenus de l’île sont passés par cette maison de transition. Un seul a retrouvé une complète liberté. A Seattle, ces méthodes d’isolement répété tissent donc une double, voire une triple peine. La population n’y prête guère attention. Rares sont ceux qui critiquent le système. Parmi eux, la députée démocrate Sherry Appleton. “L’existence de ce centre de transition n’est pas constitutionnelle. Si un délinquant commet un crime atroce, on doit le punir, et durement. Mais on ne peut pas le recondamner à la fin de sa peine de prison pour un crime qu’il pourrait commettre à l’avenir ! Cette peine au centre masque en fait une peine à vie déguisée.” Des avocats aussi dénoncent ce système. Leslie Garrison et son cabinet défendent près de soixante-dix résidents de McNeil Island et du centre de transition : “Un quart des cas que nous avons n’ont rien à faire là-bas, affirme-t-elle. On pourrait les laisser en liberté conditionnelle. Sous contrôle d’un référent et avec des thérapies appropriées, ils referaient leur vie et coûteraient beaucoup moins cher aux

contribuables. Les thérapeutes qui décident de leur avenir changent tout le temps et leurs méthodes d’évaluation aussi. Leur dernière trouvaille, c’est le ‘body parting’ (littéralement, le regard sur une partie du corps – ndlr). Ils considèrent qu’un simple regard sur un joli décolleté ou une belle chute de rein, chose banale pour tout homme normalement constitué, relève d’une déviance sexuelle ! Leur objectif, en fait, c’est de les asexuer, de leur dénier toute espèce de sexualité. Or une fois relâchés, ils se retrouvent confrontés à une société inondée d’images sexuées. Ce n’est ni sain ni efficace.” Grosses lunettes, barbe taillée, cravate triste sur veste verte, Gary Friedman, l’aumônier, le visiteur de prison qui nous a mis en relation avec Gordon Michael Strauss, le criminel sexuel de McNeil Island, ne dit pas autre chose. Il côtoie au quotidien les détenus de l’île et ceux du centre et dénonce leur isolement. “On les coupe de tout contact avec le monde réel. On ne leur apprend pas à interagir en société ni comment se comporter normalement. – C’est dangereux ? – Très dangereux.” Depuis vingt ans, Gary Friedman fait venir dans la synagogue de Seattle d’anciens délinquants sexuels membres de la communauté juive. Il les aide à trouver un logement et un emploi. “Au début, quand j’ai annoncé à la synagogue que nous allions accueillir et encadrer d’anciens délinquants sexuels, les visages se sont crispés et on m’a 25.05.2011 les inrockuptibles 53

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Gary Friedman aide d’ex-détenus, membres de la communauté juive, à trouver un logement et un emploi Carol Clarke loue ses appartements à d’anciens violeurs ou pédophiles, comme Joel (T-shirt rouge)

critiqué. J’ai demandé qu’on me laisse une chance et ça a marché.” Avec plus de quatre-vingts anciens délinquants sexuels aidés, écoutés puis mis à contribution pour aider à leur tour la communauté juive, Gary Friedman ne déplore que deux échecs. Réduire les récidives en évitant l’isolement : c’est aussi la méthode de Carol Clarke, une amie de l’aumônier. Cette grand-mère, en doudoune bleue, évangéliste de 72 ans, a choisi de louer des appartements qu’elle possède à d’anciens violeurs ou pédophiles. En ce moment, elle en loge neuf. Dans une rue de Seattle, elle nous montre du doigt plusieurs maisons : “Dans celle-ci, il y a un délinquant sexuel. Dans celle-là aussi. Mais je ne le dis pas à tout le monde. Je ne mets pas un panneau lumineux avec écrit dessus : délinquant sexuel dans cette maison.” En vingt ans, cette mère Teresa des délinquants sexuels a hébergé plus d’une centaine d’anciens détenus. Elle n’a jamais connu aucun problème. “Mais s’ils me déçoivent, là, je n’ai aucun scrupule. Je les chasse. Et si je les retrouve un jour dans le caniveau, je ne verserai pas une larme !” Cette démarche originale a reçu le soutien de la police. “Les policiers savent qu’avec les délinquants hébergés par Carol, ils sont tranquilles”, nous dit Gary Friedman. Un policier de Tacoma, chargé de contrôler les délinquants sexuels, nous le confirmera. Carol poursuit : “Je leur fais passer un test avant de les accepter. Rien de

scientifique, juste mon impression au niveau des tripes. Je sens tout de suite si ce sont des gens bons ou pas. Un jour, l’un d’eux est venu me voir avec sa mère et m’a supplié de l’héberger. Je sentais que quelque chose n’allait pas. J’ai refusé. Un an après, il retournait en prison pour avoir violé trois femmes dont une laissée pour morte.” Joel B., la trentaine, petit, trapu, un bonnet sur la tête, est l’un des neuf pensionnaires de Carol. Condamné pour attouchements sur une jeune fille de 12 ans, il a fait sept ans de prison et trois ans de liberté conditionnelle. Aujourd’hui, il doit s’enregistrer régulièrement à la police et reçoit pour sa réinsertion l’aide de Carol et de Gary. Pour gagner sa vie, il vend sur internet des T-shirts aux motifs colorés et des lampes en Plexiglas sur lesquelles il sculpte des paysages ou des scènes de la Torah. Il loue à Carol un petit deux pièces pour 450 dollars par mois. Ailleurs, il paierait sans doute deux ou trois fois plus, car certains propriétaires, quand ils savent qu’ils ont affaire à des délinquants sexuels difficiles à loger, leur proposent des taudis à des prix astronomiques. “Très peu de propriétaires acceptent de nous loger, explique Joel. Carol prend soin de moi, je sais qu’elle m’aime bien et ça c’est un facteur stabilisant dans ma vie.” – “Ça, ce sont ses œuvres, dit Carol en pointant du doigt les lampes en Plexi de Joel. Il a du talent. – Vous ne le voyez pas comme un délinquant sexuel ?

– Non. Pourquoi, je devrais ? Il a changé sa vie !, s’emballe Carol. Tout le monde a le droit à une nouvelle chance.” Le Canada voisin applique une méthode similaire à celle de Carol depuis 1994. On appelle cela les Circles of Support and Accountability, les cercles de soutien et de responsabilité. Il en existe seize sur tout le territoire canadien. L’idée est la suivante : un groupe de citoyens, des volontaires choisis avec soin, prend en charge un délinquant sexuel à haut risque et l’aide à revenir dans la société. Au bout de sept mois d’essai, des thérapeutes et des officiers de probation décident si l’on peut prolonger la liberté conditionnelle ou l’assouplir. Les études montrent que le taux de récidive des participants à ces groupes de soutien est de 70 % inférieur à celui de ceux qui n’y participent pas. Cent cinquante kilomètres seulement séparent le Canada de Seattle. Deux pays voisins, deux approches qui s’opposent. Chez les Américains, les initiatives de la dernière chance comme celles de Carol l’évangéliste et de Gary l’aumônier, la “God’s team” comme ils aiment s’appeler, sont des exceptions. La tendance reste à l’isolement des délinquants sexuels. Et que cet isolement soit extrêmement coûteux et se révèle moins efficace n’y change rien. Ces derniers mois, dix-huit Etats de plus ont choisi d’imiter le modèle de McNeil Island. En partenariat avec L’Effet papillon, le magazine de l’international, tous les samedis à 12 h 45 sur Canal+, en clair

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Cannes dernière palmarès, portraits, polémiques

Louis Garrel & Chiara Mastroianni

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Vivez le Festival de Cannes avec HP

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En direct du Festival de Cannes Partenaire Officiel du Festival de Cannes depuis six ans, HP offre à tous les créateurs de cinéma la technologie qui donnera vie à leur rêve. Mais sur la Croisette, le rêve est autant sur les marches et dans les coulisses du Palais que sur les écrans. C’est pourquoi HP a envoyé à Cannes un ambassadeur très spécial. Ce critique et amoureux de cinéma vous fait découvrir en images ce 64ème Festival : ses grands moments, ses lieux insolites, ses nuits, ses stars… Avec notre reporter, vivez la magie et le rêve de Cannes comme si vous y étiez !

Rencontre avec Mélanie Laurent, la maîtresse de cérémonie du Festival de Cannes. “Ce sera drôle,intelligent et léger.” Espérons ! En fait pas besoin d’avoir une robe ou un nœud pap’ pour monter les marches le matin !

Pour réaliser ce reportage, notre ambassadeur HP était équipé du HP ENVY14, le complice idéal. Elégant, il a ses entrées partout, même dans les lieux VIP. Performant, il permet, entre deux films, de twitter ses premières impressions, de rédiger ses critiques et d’organiser ses photos. Et une fois projections et fêtes terminées, avec son écran lumineux et sa technologie Beats Audio au son de qualité studio, le HP ENVY14 convie notre cinéphile à une dernière séance…

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communiqué Le 6/9 de NRJ délocalise ses studios au Lounge HP à Cannes. Beaucoup d’animation durant l’émission, des curieux mais aussi des personnalités emblématiques du cinéma et de la nuit cannoise. Ici, après ma chronique, Jean Roch prend la pause avec toute l’équipe de la matinale avant de s’éclipser et de retourner à ses activités du jour.

Le lounge HP me permet de faire un break au calme entre deux séances. J’en profite pour rédiger mes chroniques en toute tranquillité.

Ça roule devant les palaces. Les films “tunnent” la croisette pour assurer leur promo.

A l’avant-première de KFP 2, on redécouvre Po (Jack Black), le héros panda qui tente cette fois de trouver la paix intérieure pour mesurer son kung-fu à celui de la Tigresse (Angelina Jolie) et du singe (Jackie Chan, à gauche).

Une pause à la Villa des Inrocks où j’ai découvert la Technobox HP : un mini média center ludique au service des festivaliers.

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The Tree of Life de Terrence Malick, Palme d’or 2011

l’arbre à Palme Malick Palme d’or, les frères Dardenne et Nuri Bilge Ceylan à nouveau récompensés. Un palmarès moins inspiré que le Festival. par Jean-Marc Lalanne



l y a un an et demi, on pensait déjà que The Tree of Life serait l’événement de Cannes 2010. Finalement, le film n’était pas prêt et le nouveau Terrence Malick a attendu pour éclore lors de l’édition suivante du Festival. Comme si un tel film avait vraiment besoin de Cannes pour voir le jour. Le choix de la gestation lente a été payant et The Tree of Life a obtenu la Palme. Le paradoxe de cette consécration est d’être à la fois attendue et inattendue. Attendue parce que sur le papier, cela paraissait aller de soi que Malick ait la Palme. Le cinéaste est devenu peu à peu un des mythes les plus forts du cinéma contemporain (pour de bonnes – son immense talent – et de mauvaises raisons – le mythe un peu vieillot du génie dans sa tour, invisible et si rare). Mais depuis la projection de son film, la Palme attendue semblait moins sûre. Le film a divisé, a désorienté une grande partie des festivaliers.

Lui attribuer la Palme est finalement un geste assez fort, têtu, car The Tree of Life est un film qu’il faut aimer un peu malgré lui, en laissant tomber des scories – ce qui n’est pas non plus très difficile tant le génie de conteur de Malick, sa façon de raconter la vie d’un homme, la vie de l’humanité, par de tout petits prélèvements pointillistes, sont éblouissants. La Palme à Malick n’était donc évidente que sur le papier, et, en regard de ce film un peu fou, à la fois magnifique et bancal, elle apparaît comme un choix assez fort. Le reste du palmarès l’est beaucoup moins. Le dédoublement du Grand Prix du jury manifeste peut-être que cet éclectique jury a eu du mal à tomber

l’absence du splendide Apollonide de Bonello est un véritable chagrin

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le journal du festival 2011 Terrence Malick est devenu peu à peu un des mythes les plus forts du cinéma contemporain

palmarès Palme d’or The Tree of Life de Terrence Malick Grand Prix ex aequo Il était une fois en Anatolie de Nuri Bilge Ceylan Le Gamin au vélo de Jean-Pierre et Luc Dardenne Prix de la mise en scène Nicolas Winding Refn pour Drive Prix du scénario Joseph Cedar pour Footnote Prix d’interprétation féminine Kirsten Dunst dans Melancholia de Lars von Trier Prix d’interprétation masculine Jean Dujardin dans The Artist de Michel Hazanavicius Prix du jury Polisse de Maïwenn Caméra d’or Les Acacias de Pablo Giorgelli Palme d’or du court métrage Cross de Maryna Vroda Prix du jury du court métrage Badpakje 46 (Maillot de bain 46) de Wannes Destoop

d’accord. Probablement qu’un acteur américain qui n’a jamais vu un film des Dardenne peut être soufflé par Le Gamin au vélo – lequel peut sembler au contraire plutôt mineur pour un amateur du cinéma des deux frères. L’enjeu à leur décerner une fois encore un prix majeur paraissait faible. Surtout pour l’accorder ex aequo à un cinéaste lui aussi multiprimé, et déjà lauréat d’un Grand Prix, le Turc Nuri Bilge Ceylan. Au moins, quoi qu’on pense de Drive (au choix très brillant ou très anecdotique ; peut-être les deux), le prix de la mise en scène à Nicolas Winding Refn fait preuve d’un goût de la découverte. Mais c’est surtout en songeant aux absents que le palmarès paraît bien frustrant. Sur un versant un peu conformiste, on s’étonne de l’absence de deux dignitaires cannois, dont les nouveaux films pourtant semblaient avoir plu : Almodóvar et Kaurismäki. Et sur un versant plus audacieux, l’absence du splendide Apollonide de Bonello est un véritable chagrin. Tout comme celle de Pater d’Alain Cavalier. Pater est de ces œuvres qui reformulent et déplacent l’idée qu’on se fait d’un grand film de festival. Décerner un prix majeur à cet objet très contemporain, à la fois maigre et très ample, à rebours de la façon dont le cinéma se pense

et se produit, aurait été un geste aussi fort que la Palme l’an dernier à Oncle Boonmee. Dommage que le jury 2011 soit passé à côté. Il y avait deux grands films français en compétition cette année. Le jury a choisi de récompenser les deux autres – Jean Dujardin pour The Artist, Maïwenn pour Polisse. Une décision forte néanmoins : offrir une place à Melancholia malgré la sortie de route aberrante de Lars von Trier en conférence de presse. Les instances décisionnaires du Festival avaient choisi de disqualifier la personne mais pas son film. Le jury a usé pleinement de cette liberté pour soutenir son travail malgré tout. Et la récompense à Kirsten Dunst paraît tout à fait méritée. Un sentiment un peu mélangé domine ce palmarès, qui n’est pas tout à fait à la hauteur du Festival tel que nous l’avons vécu. Un très bon Festival.

dossier Cannes : Emily Barnett, Jacky Goldberg, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne, Jean-Baptiste Morain, Pierre Siankowski photos Benni Valsson, assistant Mathias Øland Ribe

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quand Cannes cancanne Des films branchés sur l’actu, un scandale qui monopolise l’attention, un cinéaste qui dérape… Une 64e édition remise à l’heure du monde. par Serge kaganski

 L

es festivaliers le savent bien, Cannes est une bulle. Pendant douze jours et sur un territoire vaste comme la Croisette (un kilomètre en comptant large), on y vit en vase clos, coupé du reste du monde et de l’actualité, au rythme des films (vus ou à voir), des papiers à faire, des rendez-vous à caler, des soirées festives et des nuits trop courtes. Dans l’histoire du Festival, il a fallu des événements exceptionnels majeurs comme Mai 68 ou Loft Story (rire rétrospectif) pour fracasser la bulle. 2011 restera comme un de ces rares millésimes où le Festival de Cannes s’est resynchronisé à l’heure du monde et de l’actu générale. Cela s’est produit en trois temps. Premier temps, le plus classique, celui où les films eux-mêmes reflètent l’état du monde, et particulièrement une forme d’angoisse aussi contemporaine qu’universelle. Inquiétude sur notre proche avenir, incarné par l’enfance. Que les enfants soient victimes (Polisse de Maïwenn, Le Gamin au vélo des Dardenne, Le Havre de Kaurismäki,

La guerre est déclarée de Valérie Donzelli...), monstrueux (La Fin du silence de Roland Hedzard, We Need to Talk about Kevin de Lynne Ramsay…), ou problématisés (17 filles des sœurs Coulin, The Tree of Life de Malick, Impardonnables de Téchiné...), sans oublier la récurrente métaphore des œufs cassés (Kevin, The Slut, Ichimei...), le sort complexe de nos progénitures dans tous leurs états (petites ou grandes) était le hit du début de Festival. Signe d’une angoisse plus abstraite, plus métaphysique, beaucoup de films ont tenté la connexion entre l’intime et l’univers, l’homme et les forces telluriques qui le dépassent (The Tree of Life, Walk away Renée, Melancholia, Take Shelter…), catégorie déjà analysée par Jean-Marc Lalanne (cf. n° 807). Le monde n’était donc pas absent de Cannes, mais seulement par le biais habituel des films. C’est alors qu’éclata l’affaire DSK, nous précipitant dans le deuxième temps inouï de ce Festival. La nouvelle se répandit d’abord telle une attaque virale au cœur

de la nuit cannoise, sous les coups de 3 heures du mat, circulant de twits en textos sur les smartphones des fêtards. Personnellement, je dormais, apprenant l’extravagante nouvelle en ouvrant mon Dellbook à 7 heures pour m’enquérir des derniers échos cannois. Sidération absolue. Ce jour-là, les films avaient beau être plaisants (The Artist de Michel Hazanavicius, pour le coup très éloigné de notre présent) ou superbes (L’Apollonide de Bertrand Bonello), on ne parlait que de “ça”, comme disait Lacan. Les petits écrans disséminés dans le palais diffusant habituellement l’actu du Festival étaient branchés en boucle sur les chaînes info, suscitant les attroupements hébétés de la petite planète festivalière, pour une fois raccordée au tempo ébahi du reste du monde. La bulle cannoise était explosée, comme si le réel était venu se venger, concurrençant

la bulle cannoise était explosée, comme si le réel était venu se venger

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L’Exercice de l’Etat de Pierre Schoeller

les fictions présentées sur les écrans, dépassant les fictions virtuelles que l’on aurait pu délirer sur nos politiques. Ironie suprême, ce n’est pas une révolution, une guerre, une catastrophe et leur cortège de morts qui a rompu l’invisible plafond de verre cannois, mais une affaire qui ressemble à un mauvais soap, à un mélodrame trop gros pour être vrai. Du paradis à l’enfer, du Sofitel au pénitencier, du FMI à l’infamie, du festival de Kahn aux valseuses de Strauss, le président et la bonne, le fric et l’Afrique, telles étaient les grandes lignes manichéennes de cette affaire DSK. Les nuances viendraient (et viendront) après. Première conséquence cannoise, le supposé événement La Conquête a fait pschit !, les aventures politiques et conjugales de Nicolas Sarkozy étant d’un coup reléguées au rang de récit has been. Deuxième conséquence, la plupart des films cannois (ou notre regard sur eux) furent ensuite contaminés par l’effet DSK. C’était assez logique pour Pater d’Alain Cavalier ou L’Exercice de l’Etat

de Pierre Schoeller, qui ont pour sujet la représentation du pouvoir. Une scène du Cavalier semblait néanmoins quasi prophétique : celle où le Président et le Premier ministre regardent une photo compromettante d’un concurrent (le spectateur lui ne la voit pas, son imagination a tout loisir d’imaginer ce que montre le cliché), le Président (Cavalier) s’exclamant : “Mon Dieu, que les hommes sont faibles !” Sans doute la réplique du Festival. Mais même La piel que habito de Pedro Almodóvar nous renvoyait à DSK en racontant de quelle rocambolesque et romanesque façon un homme se venge d’un violeur. Dès qu’un film parlait de sexe ou de pouvoir (thèmes fréquents), l’actu DSK faisait écran, occupait notre imaginaire, qu’on le veuille ou pas. Toute la deuxième partie du Festival fut rythmée par ce combat entre les images : celles des films d’un côté, celles des télés, des journaux et des sites info de l’autre. Peut-être inconsciemment vexé d’être relégué au second plan par ce titanesque combat, Lars von Trier fit alors éclater le troisième temps de ce Festival pas comme les autres en avouant une certaine compréhension pour Hitler, une admiration certaine pour l’architecte du régime nazi Albert Speer et en opérant des raccourcis entre nazisme, juifs et politique d’Israël. Cette fois, la bulle fut éclatée de l’intérieur, une conférence de presse cannoise se transformant en actu générale internationale. Le cinéaste danois est coutumier de ce type de provocation potaches et stupides, et il est dommage pour lui que ces propos accompagnent son film le mieux reçu par la critique depuis Breaking the Waves. La direction du Festival a eu raison de sermonner immédiatement

Ian Langsdon/EPA/MaxPPP

Lars von Trier, expert dans l’art du scandale

le cinéaste et de le contraindre à présenter des excuses, ne cédant pas ainsi à la mode du “politiquement incorrect”, concept étriqué qui souvent ne signifie que le droit de dire les pires horreurs sur les uns ou les autres, porte ouverte à la bêtise et à la haine. Le Festival a eu raison aussi de maintenir Melancholia en compétition, une œuvre n’étant jamais réductible à des propos de comptoir ou à la part de stupidité de son auteur. Fallait-il aller jusqu’à exclure LVT du Festival, au risque de le faire passer pour une victime ? C’est un vrai débat. Il nous semble que les excuses suffisaient. Il arrive aussi que des films soient aussi violents que des propos. En caricaturant un traqueur de nazi, en filmant un ex-criminel nazi vieillissant, nu et maigre comme un déporté, This Must Be the Place nous a autant choqués que les propos de von Trier. Paolo Sorrentino n’est ni nazi ni antisémite, il a sans doute voulu dénoncer le sentiment de vengeance, prôner le dépassement des blessures de l’histoire. Mais il le fait avec un tel mauvais goût, une telle maladresse, en étant imbu de l’idée qu’il se fait d’un cinéaste original (et son idée n’est pas du tout la nôtre), que son film se retourne contre ses intentions supposées. Maîtriser ses effets esthétiques (Sorrentino), maîtriser sa parole (von Trier), maîtriser ses pulsions (Strauss-Kahn), telle fut l’une des questions qui a traversé un Festival où réel et fiction, politique et cinéma, Cannes et hors-Cannes se sont constamment renvoyé la balle. Une fois n’est pas coutume, le Festival fut totalement connecté au flux de l’actu et au récit du reste du monde.

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les gens Débutants, habitués, stars ou révélations : portraits choisis, seconde salve. photos Benni Valsson

Chiara Mastroianni & Louis Garrel égéries des Bien-Aimés de Christophe Honoré Louis Garrel et Chiara Mastroianni, à nouveau pris au jeu de l’amour et du hasard selon Honoré. “Parfois, pour nous chambrer, Christophe nous dit qu’il va peut-être essayer de faire un film sans nous !”, plaisante l’actrice. Dans Les Bien-Aimés, ils incarnent un cas charmant et périlleux d’amitié amoureuse : lui est Clément, le prétendant éconduit, et elle Véra, éprise d’un autre. E. B. IX les inrockuptibles Cannes 2011

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Christophe Honoré réalisateur des Bien-Aimés

photos Benni Valsson

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Dans Les Bien-Aimés, venu clôturer cette 64e édition du Festival de Cannes, Christophe Honoré relate les trajectoires sentimentales d’une mère et de sa fille, des années 60 à aujourd’hui. Une sociologie de l’amour dans le temps, doublé d’une saga tragique (et en chansons) sur le diktat du désir. C’est votre quatrième film avec Chiara Mastroianni. Que vous inspire-t-elle ? Christophe Honoré – C’est assez étrange, la raison pour laquelle on s’attache à un acteur. Avec Chiara, on est très différents, on n’a pas la même vie, les mêmes parents, le même milieu social, mais il y a toujours ce sentiment qu’avec elle j’arrive à parler à la première personne. Beaucoup plus qu’avec Louis, où il s’agit davantage d’une projection de personnage. Par exemple, Louis n’a jamais été

le narrateur dans mes films, alors que je voyais en Chiara une narratrice possible des Bien-Aimés, racontant sa vie amoureuse avec en toile de fond les années 90, le sida. Il y a aussi quelque chose de l’ordre du rapport amoureux entre un réalisateur et son actrice, sans que celui-ci passe par un désir érotique. C’est d’ailleurs une question que pose le film. Comment décririez-vous son personnage ? C’est une héroïne amoureuse, en mouvement, qui va toujours à la rencontre des autres. Le contraire du personnage féminin de Non ma fille, tu n’iras pas danser, qui était du côté du renoncement, un bloc de “non” très dur et très antipathique. Pourtant, en dépit de son énergie positive, il y a une gravité dans son rapport à l’amour, contrairement à sa mère dont

les mœurs amoureuses sont, de par l’époque où elles s’ancrent, plus légères. Vous teniez à l’idée de faire jouer Catherine Deneuve et Chiara Mastroianni ensemble ? Réunir la mère et la fille dans un film ? Oui. Au début, j’avais peur d’en parler à Chiara, ou qu’on me reproche de vouloir pipoliser mon casting. Lorsque j’ai simplement effleuré l’idée, c’est elle qui m’a dit : “Il faut proposer le rôle à Catherine, évidemment.” J’ai découvert qu’elles avaient une vraie volonté de tourner ensemble. Parfois, je voyais

“c’est Chiara qui m’a dit : il faut proposer le rôle à Catherine, évidemment”

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Catherine Deneuve

Ludivine Sagnier que Catherine était super impressionnée par le jeu de sa fille (rires). Filmer ces deux actrices ensemble, indépendamment de leur lien de parenté, c’est aussi confronter plusieurs histoires du cinéma, avec d’un côté Catherine qui évoque aussi bien Demy qu’Ozon, et de l’autre Chiara qui incarne quelque chose de très fort du cinéma d’auteur des années 90. Pourquoi avoir ouvert votre fiction à d’autres villes (Paris, Londres, Prague, Montréal), d’autres époques (des années 60 à aujourd’hui) ? J’avais déjà fait ça dans mes deux premiers films. 17 fois Cécile Cassard a été tourné à Toulouse, et Ma mère sur une île incroyable, envahie de touristes allemands. A cette époque, je voulais à tout prix éviter Paris, avec cette naïveté de penser que la fiction ne pouvait advenir que dans des lieux que je ne

connaissais pas. Pour Dans Paris, ça a été le trajet inverse. Avec Les Bien-Aimés, j’avais envie de repartir, que le film traverse le temps et l’espace. Je voulais des personnages qui ne s’enferment pas, qui soient voyageurs. La contrepartie, c’est que tout est plus cher et compliqué à faire, que j’ai travaillé avec un acteur américain alors que je suis une bille en anglais (rires)… La forme de la comédie musicale s’est immédiatement imposée à vous ? La première scène que j’ai écrite du film était la scène de danse pour Chiara, en clin d’œil à Non ma fille, tu n’iras pas danser. Mais il n’y avait pas encore du tout l’idée d’introduire des chansons. Je ne me voyais pas refaire un film musical en dehors des Chansons d’amour. C’est Alex Beaupain qui m’a poussé là-dessus. Il a d’abord écrit Reims, pour Louis, et puis petit à petit certains

“Les Bien-Aimés est moins une comédie musicale que simplement un film avec chansons” moments dialogués se sont transformés en moments chantés. En même temps, je pense que Les Bien-Aimés est moins une comédie musicale que simplement un film avec chansons. Il n’y a pas de dialogues chantés à proprement parler, ça se rapproche plus du monologue au théâtre, quand le personnage sent qu’il ne peut plus tricher avec ses sentiments et que le spectateur peut lire de manière transparente ce qu’il ressent. recueilli par Emily Barnett Sélection officielle, hors compétition lire critique p. XXI

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actrice dans La piel que habito de Pedro Almodóvar “Le hasard veut que j’aie acheté, dans une petite boutique à Paris, le DVD des Yeux sans visage, une semaine avant que Pedro Almodóvar ne me contacte pour me proposer ce rôle.” Dans La piel que habito, thriller baroque et barré sur l’identité, hommage à Hitchcock et Franju, Elena Anaya joue le cobaye d’un savant fou qui, par amour (ou par perversion, ou les deux), teste sur elle ses greffons révolutionnaires. Pour ce rôle, qu’elle admet être le plus complexe qu’elle ait jamais eu à jouer, “à la fois psychologiquement et physiquement”, elle s’est laissé manipuler par le maître madrilène, “comme une poupée”. Agée de 36 ans, dotée d’un CV copieux et international (Lucia y el sexo, Van Helsing, Mesrine, le clip de Sexy Back avec Justin Timberlake), elle est ici éclatante, laissant au festivalier repu le souvenir opiacé d’un corps félin, rejoignant illico notre Apollonide fantasmée. Jacky Goldberg Sélection officielle, en compétition

photos Benni Valsson

Elena Anaya

Yves Adrien mage des Jeunes gens mödernes Il faut voir Yves Adrien, enfin plutôt “l’exécuteur testamentaire” d’Yves Adrien (“69” de son petit nom, puisqu’il faut vous rappeler que le dénommé Yves Adrien a annoncé lui-même sa mort en 2001), traverser une plage cannoise tout de noir vêtu et d’une classe folle. Dans Des jeunes gens mödernes, film-documentaire adapté de l’exposition du même nom qui rendit hommage à la génération post-punk de la fin des années 70/ début 80, localisée autour du Palace, “l’exécuteur testamentaire” raconte aux jeunes gens de la revue Entrisme le futur qui s’invente, à l’époque,

à quelques-uns (Yves Adrien donc, Jacno, Lio, l’égérie de la nuit Edwige et son groupe Mathématiques Modernes, l’écrivain et journaliste Alain Pacadis, l’acteur Pascal Greggory). Dandy, cosmique, élégant, ennemi déclaré de l’internet (“Alain Pacadis aurait-il écrit Un jeune homme chic s’il avait eu Facebook ?”), il évoque avec une certaine fragilité cette période faste et ses descendances devant la caméra de Jérôme de Missolz, livrant cette conclusion fulgurante : “Il n’y a jamais eu d’autre modernité que celle du plaisir.” Pierre Siankowski Quinzaine des réalisateurs, séance spéciale

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photos Benni Valsson

Malcolm McDowell acteur dans Orange mécanique de Stanley Kubrick Comment survit-on à un film culte ? chaotique, quarante années durant Comment, après avoir été le psychopathe lesquelles il fut essentiellement chapeauté le plus célèbre (et martyrisé) casté comme méchant dans des films au monde, l’on redescend et parvient au prestige tout à fait modeste. à tourner la page ? Malcolm McDowell, “Les dix années qui suivirent la sortie aka Alex DeLarge, n’y est, hélas, jamais d’Orange mécanique furent un calvaire. véritablement parvenu. Présent à Cannes Les magazines écrivaient toujours pour accompagner la ressortie en grande mon nom, Malcolm “Clockwork Orange” pompe d’Orange mécanique et donner McDowell, et je ne recevais plus que une masterclass – et aussi faire coucou des rôles de psychopathes. Impossible à Michel Hazanavicius qui lui a confié de passer à autre chose. Et puis je m’y suis un tout petit rôle dans The Artist –, fait. J’ai surtout compris que tourner dans il fait volontiers le bilan d’une carrière un film aussi important n’était pas donné

à tous les acteurs : ce n’est pas un poids, c’est un honneur. Vous en connaissez beaucoup, vous, des films dont on fête les 40 ans au Festival de Cannes ?”, se justifie l’acteur anglais, affichant le sourire sardonique qui a fait sa renommée. “C’est Lindsay Anderson (réalisateur de If, premier succès de McDowell et Palme d’or en 1969 – ndlr) qui m’a appris à sourire ainsi ; c’est un truc pour dire avec encore plus de force : ‘Fuck You’. Efficace, non ?” J. G. Cannes Classics

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Stanislas Merhar

Adèle Haenel

acteur dans En ville de Valérie Mréjen et Bertrand Schefer On se languissait un peu de l’angélique Stanislas Merhar, révélé chez Anne Fontaine (il a remporté le César du meilleur espoir en 1998 pour Nettoyage à sec), avant de faire les beaux jours du cinéma d’auteur au tournant des années 90-2000 : Oliveira, Jacquot, et surtout La Captive de Chantal Akerman, où il était inoubliable en narrateur proustien brûlé par la jalousie. De ce pan de sa filmo, l’acteur se souvient des “ambiances de tournage électriques avec Adjani” (Adolphe), et d’une certaine insouciance. On peut le voir cette année dans le film de Valérie Mréjen et Bertrand Schefer, En ville où il joue un photographe rêveur et inquiet, avant de le retrouver dans le prochain film d’Akerman en septembre. E. B.

actrice dans L’Apollonide de Bertrand Bonello, En ville de Valérie Mréjen et Bertrand Schefer et Après le sud de Jean-Jacques Jauffret La première chose qui frappe chez elle, ce sont ses yeux menthe à l’eau, qui vous catapultent illico dans un clip d’Eddy Mitchell. A l’affiche d’Après le sud de Jean-Jacques Jauffret, Adèle Haenel est aussi une fille délurée chez Mréjen (En ville), et une prostituée chez Bonello (L’Apollonide). “Les rôles fondés sur l’intériorité du personnage ne m’intéressent pas tellement. Je préfère ‘faire’ plutôt qu’être regardée.” Révélée il y a quatre ans dans Naissance des pieuvres, le beau premier film de Céline Sciamma, l’actrice de 22 ans a préféré terminer ses études (une prépa HEC au lycée Montaigne à Paris) avant de se lancer “dans la folie des castings”. “J’ai retardé le moment de me lancer, parce que j’avais peur du côté abattoir”, confie l’actrice, qui a enchaîné les trois tournages l’été dernier. Epatante de naturel, dans un rapport brut à la caméra, l’actrice détonne par ses airs de garçon manqué glissé dans un corps de déesse. E. B.

Quinzaine des réalisateurs

L’Apollonide Sélection officielle, en compétition En ville Quinzaine des réalisateurs Après le sud Quinzaine des réalisateurs XV les inrockuptibles Cannes 2011

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Ryan Gosling acteur dans Drive de Nicolas Winding Refn Ryan Gosling est le “driver”. Devant la caméra du Danois Nicolas Winding Refn (Pusher, Bronson, Le Guerrier silencieux), il n’a pas d’autre nom, ne parle pratiquement pas, ne laisse rien voir de son intériorité. Pure icône de mode, épigone poupin de Clint Eastwood (période Leone), il ne fait que conduire, écouter de la pop (principalement du label Italians Do It Better), réajuster son blouson, jouer avec son cure-dent et, de temps à autre, décapiter un méchant ou deux qui lui cherchent des noises. Un mec, un vrai. Entre lui et le cinéaste danois, dont il devient de plus en plus clair que le punctum se situe quelque part entre le biceps et les pectoraux du mâle en marcel, le courant ne pouvait que passer. C’est l’écoute d’une chanson, en voiture, en pleine nuit, dans les rues désertes de L. A., qui a fini de sceller leur alliance créative. C’était Can’t Fight This Feeling Anymore de REO Speedwagon : titre prémonitoire. “Quand tu entends une chanson, parfois tu as envie de danser, parfois non. Cette fois j’avais envie de danser.” L’amour… J. G. Sélection officielle, en compétition

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Takashi Miike réalisateur d’Ichimei C’est votre deuxième remake d’un classique du cinéma japonais (après 13 assassins). Pourquoi faitesvous cela ? Takashi Miike – J’ai commencé ma carrière en réalisant énormément de films, pour le marché de la vidéo, mais j’ai fini par ressentir un manque, sans pouvoir mettre de mot dessus. La technologie a progressé, et pourtant, j’ai le sentiment qu’on a perdu quelque chose en route. Je me suis dit qu’en revisitant les films d’autrefois, je trouverais ce qui manque aux films d’aujourd’hui. Ce qui vous manque, n’est-ce pas la respectabilité, le prestige ? C’est votre première sélection en compétition… Non, non, non. Etre sélectionné ici

ou à Venise, ce n’est pas mon but, mais le résultat. Ça ne dépend pas de moi mais des sélectionneurs. C’est une question de timing, de film prêt ou pas, mais je ne pense pas à ça a priori. Ma démarche, c’est vraiment de revitaliser le cinéma contemporain avec la sève des films anciens. Je ne peux pas vous dire ce que je ferai demain, il se peut très bien que je refasse des films de série B… La 3D est très discrète, davantage dans la profondeur que dans le jaillissement. Pourquoi ce choix ? Habituellement, la 3D est réservée aux enfants, aux films spectaculaires, fantastiques. Moi, j’avais envie de faire un film où la 3D servirait à représenter des scènes de la vie ordinaire, pour

que les gens de la génération de mes parents puissent y prendre du plaisir. Il n’y a pas grand-chose de spectaculaire dans Ichimei, et j’ai pourtant le sentiment que la 3D ajoute de la profondeur, donne à voir des choses qui n’existeraient pas en 2D, confère une certaine matérialité. Cela augmente aussi la distance entre les personnages ? Oui, c’est vrai, la domination sociale se voit accentuée lorsqu’on peut ainsi isoler des personnages dans le cadre. Il devient très clair de savoir qui est in, qui est out. Ichimei est un film cruel mais réaliste, qui montre qu’on peut être tout en haut un jour, et tout en bas le lendemain. recueilli par J. G. Sélection officielle, en compétition

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Cristián Jiménez réalisateur de Bonsái “Un bonsaï n’est pas un arbre. C’est le récit d’un arbre, c’est la tentative de figer un instant fugitif pour l’éternité”, explique Cristián Jiménez, cinéaste chilien trentenaire dont le second film, Bonsái donc, après Ilusiones ópticas en 2009, était montré cette année à Un certain regard. Art de la miniature, délicatesse et précision du trait, jeu non-naturaliste et métafiction sont ainsi les maîtres mots de ce film adapté d’un roman d’Alejandro Zambro (traduit en français), dans lequel un éternel étudiant sans grandes espérances – du genre à faire croire qu’il a lu Proust pour impressionner – devient écrivain par accident. Ou plutôt : par imposture. Ou comment l’imposture permet de se trouver soi-même. Jiménez aime Hal Ashby, Hong Sangsoo ou Aki Kaurismäki. Ce qui fait sa singularité dans cette nébuleuse chérie des “auteurs de la précision”, comme il les définit, c’est la sensualité de ses cadres, son rapport à l’intimité, cette capacité à tirer toute la force érotique d’un genou, d’une aine, d’une poitrine. Chez Jiménez, la chair est heureuse, mélancolique certes, mais rayonnante. Souhaitons que ce film et ses prochains rayonnent tout autant lorsqu’ils sortiront en salle. J. G. Un certain regard

André Wilms

photos Benni Valsson

acteur dans Le Havre d’Aki Kaurismäki Plutôt rare au cinéma, grand habitué des films d’Aki Kaurismäki (il a commencé à tourner avec l’animal en 1992), André Wilms joue à domicile dans Le Havre, dernier film du réalisateur finlandais entièrement tourné dans le port normand. Il y interprète le rôle d’un type un poil veule qui décide – entre deux apéros – de sauver un jeune clandestin. Sobre et touchant, Wilms est absolument parfait dans cette composition d’homme à l’assez grand cœur et à la mèche grasse. “Ce qui est bien chez Kaurismäki, c’est qu’il respecte les prolos, mais qu’il n’est pas dupe non plus comme certains cinéastes sociaux. Il n’idéalise rien, il ne filme pas uniquement des héros formidables : il montre des gars qui picolent, qui se foutent un peu de leur femme. Sa grande qualité, c’est l’ironie qu’il porte, sur lui-même comme sur les autres.” P. S. Sélection officielle, en compétition XVIII les inrockuptibles Cannes 2011

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Benjamin Biolay acteur dans Pourquoi tu pleures ? de Katia Lewkowicz Ça t’a plu de jouer dans une comédie romantique ? Benjamin Biolay – En fait, quand j’ai lu le scénario, ça faisait plus comédie familiale israélienne… (rires) Mon personnage est le seul qui n’a pas de ressort comique et j’enviais beaucoup Nicole Garcia et Emmanuelle Devos qui avaient des super vannes écrites. J’ai essayé d’être un peu “buster-keatonien”, de donner une impression de fausse passivité. Comment as-tu abordé ce premier rôle important dans un film ? En fait, j’avais déjà eu le rôle principal dans un film de Sylvie Verheyde, tourné pour Arte. Dans mes précédentes participations, je bossais mais ça restait récréatif. Là, sur un premier rôle, il faut être très endurant, il y a un truc de marathon que je n’imaginais pas. Au début du tournage, j’avais une vie sociale mais après trois jours j’avais des valises sous les yeux.

Quelles passerelles trouves-tu entre le cinéma et la musique ? En étant acteur, je suis un meilleur performeur sur scène. Dans un concert, la foule m’intimide moins. Quand tu as réussi à tourner une séquence d’amour ultradure, être sur scène paraît moins impressionnant. Et, à l’inverse, qu’est-ce que la musique t’apporte en tant qu’acteur ? Pendant les répétitions, je me suis mis à vraiment écouter la musique des autres, leur diction, leur flow. Ton personnage est ultraphobique avec le mariage. Et t oi ? Moi, c’est l’inverse. Quand je me suis marié, il n’y avait rien que je désirais plus au monde. Pareil lorsque j’ai eu un enfant, ou que je suis parti de chez mes parents à 14 ans. Je crois que je n’ai aucun problème avec la prise de décisions, de manière parfois même un peu brutale. recueilli par E. B. Semaine de la critique XIX les inrockuptibles Cannes 2011

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La piel que habito de Pedro Almodóvar

les films

Bonnes surprises, coups de cœur attendus et amères déceptions, suite et fin.

La piel que habito de Pedro Almodóvar avec Antonio Banderas, Elena Anaya, Marisa Paredes, Jan Cornet (Esp.) Sélection officielle En compétition

Almodóvar réussit sa greffe de genres. A partir d’un polar de Thierry Jonquet dont le personnage principal est un chirurgien spécialiste de greffe de peau, Almodóvar déroule avec maestria sa partition : une histoire romanesque et feuilletonesque à souhait, pleine d’enfants naturels, de lignées décomposées-recomposées, d’époques différentes, d’emboîtements et de rebondissements, de sexe et de tragédies, avec, au cœur du film, un splendide personnage mutant (on n’en dira pas plus). Entouré de ses collaborateurs habituels, Almo fait de La piel… un enchantement visuel et sonore permanent, nourri de quelques chefs-d’œuvre – Hitchcock ou Franju bien sûr, mais aussi certains films passés d’Almo himself. Par-delà sa munificence plastique, La Piel… est surtout un grand film théorique, même si le cinéaste a

l’élégance de ne jamais laisser le concept dominer le récit et les personnages. Entre le chirurgien et sa patiente se joue bien sûr le même rapport fétichiste qui se noue entre un artiste et son modèle, un cinéaste et son actrice. Comme Hitchcock dans Vertigo, Almodóvar signe une forme d’autoportrait tordu, évoquant sa condition de créateur démiurge, obsessionnel et méticuleux. Et dans cette histoire de chirurgie plastique, la plus belle greffe est celle que réussit le cinéaste en intégrant le mélo noir des années 40-50 dans l’ici et maintenant. Il est quasiment le seul aujourd’hui à savoir accomplir ce prodige : être fidèle à ses amours cinéphiles et à un certain “âge d’or” hollywoodien sans jamais tomber dans le passéisme ou la citation, traitant au contraire de sujets ultracontemporains. De The Tree of Life à Pater, ce Festival aura montré toutes les potentialités de ce que peut être un film. Almodóvar persiste à concevoir le cinéma dans son acception la plus classique et répandue, mais il le fait avec un tel désir et un tel talent que c’est juste irrésistible. S. K.

Impardonnables d’André Téchiné avec Carole Bouquet, André Dussollier, Mélanie Thierry, Adrianna Asti (Fr., It.) Quinzaine des réalisateurs

Une matière romanesque sise à Venise. Un roman de Philippe Djian, une ville magique (Venise), un beau casting inédit : les raisons d’avoir envie de découvrir ce nouveau Téchiné ne manquaient pas. Comme souvent chez le cinéaste, le film avance sur une matière romanesque qui monte en neige au fur et à mesure de l’arrivée de nouveaux personnages, de pistes narratives proliférantes qui font maintes fois bifurquer le récit, du passage des ans et des saisons, des protagonistes qui disparaissent puis réapparaissent, ou circulent du premier au second plan. Mais ce qui est nouveau, c’est une forme d’apaisement, ou de distance dans son traitement, à l’aune de son âge et de celui de ses personnages principaux. Un certain degré de sérénité dans la mise en scène a remplacé le flux tendu habituel dans lequel Téchiné a coutume

XX les inrockuptibles Cannes 2011

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le journal du festival 2011 les films de placer ses personnages. Impardonnables s’éparpille parfois dans ses multiples personnages et intrigues croisées. Deux éléments forts structurent néanmoins cet écheveau complexe. D’une part, le couple BouquetDussollier, qui se forme et se distend tout au long du film. D’autre part, la ville de Venise, ou plutôt la lagune, tant Téchiné prend un soin manifeste à éviter le parcours touristique. La culture italienne (à travers Le Titien, Bertolucci, Adriana Asti, la sculpture de Poséidon…) baigne ce beau film romanesque. S. K.

trois films après Les Chansons d’amour. Sur quarante années, le film raconte la vie de Madeleine (Ludivine Sagnier dans les années 60 et 70, puis Catherine Deneuve à partir des années 90), une vendeuse de chaussures qui, prostituée occasionnelle, rencontre l’amour de sa vie, un médecin tchèque. Ils ont une fille (qui deviendra Chiara Mastroianni dans un deuxième temps). Le projet est ambitieux : jamais on n’avait vu un tel personnage féminin au cinéma, une femme “légère”, prête à partir avec le premier homme venu et qui change d’avis la minute d’après. Christophe Honoré traite ici de sujets This Must Be the Place qui lui tiennent à cœur de film en film : de Paolo Sorrentino comment vivre léger dans un monde avec Sean Penn, Frances McDormand, si lourd, dans une société dont la morale Judd Hirsch (It., Fr., Irl.) condamne ceux qui aiment la vie et Sélection officielle En compétition la vitesse à la folie ? Comment brusquer Gloubi-boulga stupide et obscène. le médium cinéma (aux mécanismes La cote de Paolo Sorrentino et ses si lourds) pour le faire accoucher de la sélections régulières à Cannes sont une beauté (la fulgurance) ? Les Bien-Aimés énigme du cinéma actuel. Après l’horrible n’est pas aussi fabuleux que l’était L’Ami de la famille et le très surestimé Les Chansons d’amour, mais il distille Il Divo, This Must Be the Place redéfinit un parfum truffaldien au charme l’étalon-or du film pas regardable. Dans absolu. Catherine Deneuve et Chiara cette macédoine de notations éparpillées, Mastroianni, mère et fille à l’écran, tout est mis au même niveau. Sorrentino illuminent le film de leur grâce, méprise autant les vedettes du rock de la force de leur talent et de leur que les white trash américains, les fans sensibilité innée. J.-B. M. grimés gothiques que les chasseurs de nazis. De ce point de vue, le traitement L’Exercice de l’Etat réservé au personnage inspiré par Simon de Pierre Schoeller Wiesenthal est une honte. Sorrentino avec Olivier Gourmet, Michel Blanc en fait un vengeur obsessionnel, vaniteux Sélection officielle Un certain regard et grotesque alors que Wiesenthal Fine peinture de l’homo politicus. recherchait les nazis avec obstination, Entre La Conquête et Pater, il ne faudrait certes, mais sans haine, pour qu’ils pas oublier L’Exercice de l’Etat, troisième soient jugés – tout le contraire d’une film à fictionner le pouvoir politique pulsion vengeresse. Mais le mégapoint français. Et le film de Pierre Schoeller Godwin de la stupidité et de l’obscénité se situe précisément entre les pôles est atteint en fin de parcours, avec Cavalier et Durringer : moins follement une scène insensée où le vieux criminel original que Pater, mais plus complexe nazi que retrouve Cheyenne est filmé nu et incarné que La Conquête. Assez et décharné dans la neige, comme intelligemment, Schoeller a choisi un déporté, en déclarant que “de l’autre comme personnage principal côté des barbelés, les hommes pensaient un ministre des Transports, manière aussi à Dieu”. On ne sait même pas si le réalisateur est à ce moment conscient de regarder le pouvoir de l’intérieur mais de façon légèrement décalée. Selon de l’ignominie esthétique, politique Schoeller, et sa vision est sans doute et historique de cette séquence. Si Lars von Trier est persona non grata à Cannes, proche de la réalité, un ministre n’a pas beaucoup le temps de réfléchir (ni de Sorrentino devrait y être cinema non souffler), sans arrêt bousculé par mille grata. J.-B. M. urgences : discours, réceptions, visites sur le terrain, gestion d’événements Les Bien-Aimés imprévus (grave accident de la route…). de Christophe Honoré Matière qui donne au film un rythme avec Catherine Deneuve, Ludivine Sagnier, soutenu, digne d’un film d’action. Chiara Mastroianni, Milos Forman, Michel Peinture relativement nuancée Delpech, Louis Garrel (Fr.) et crédible du champ politique à son Sélection officielle Hors compétition sommet, mené par des acteurs au top Gracieuse épopée musicale d’Honoré. (Gourmet, mais aussi Michel Blanc, Présenté en clôture du Festival, Les Bien- excellent en chef de cabinet attaché Aimés marque le retour de Christophe à une certaine idée de la République), le Honoré à la comédie musicale et aux film de Schoeller donne une image assez chansons d’Alex Beaupain, quatre ans et désenchantée de la machine politique :

malgré leurs idéaux et leur bonne volonté, les ministres sont prisonniers des réalités froides du système, et des séductions du pouvoir. Ou comme le disait jadis l’un d’entre eux : quand on est ministre, on démissionne ou on ferme sa gueule. S. K.

Il était une fois en Anatolie de Nuri Bilge Ceylan avec Muhammet Uzuner, Yilmaz Erdogan, Taner Birsel, Firat Tanis (Turq.) Sélection officielle En compétition

Un beau film aux longs plans fixes. Il était une fois en Anatolie (titre ironique) relate une enquête policière rurale dans tous ses pénibles détails, quasiment en temps réel. Un homme a été tué, l’assassin est prisonnier et l’on recherche le cadavre dans la nuit. Les personnages passent leur temps à soliloquer, à se plaindre de leur vie tout en continuant à travailler, au fond assez indifférents à leur tâche, monopolisés par leurs soucis personnels et surtout sentimentaux… Ce que montre avec beaucoup d’humour Ceylan, dans une lumière magnifique, c’est l’absurde habitude prise par les hommes de vouloir compartimenter leur vie pour en protéger chacune des parts. La réalité, c’est qu’on est toujours ailleurs tout en étant là et que nous ne sommes pas des machines… J.-B. M.

Melancholia de Lars von Trier avec Kirsten Dunst, Charlotte Gainsbourg, Kiefer Sutherland (Dan., Suè., Fr.) Sélection officielle En compétition

Une odyssée cosmique pompière. Certes c’est Orange mécanique qui, quarante ans après sa sortie, bénéficie d’une montée des marches (Malcom McDowell, la famille Kubrick...) et d’une copie restaurée. Mais le film du Festival, c’est 2001 : l’odyssée de l’espace. Après Terrence Malick, c’est Lars von Trier qui propose son grand film astral. Les cinq premières minutes, techniquement assez virtuoses, prêtent même à sourire tant cette ronde de planètes sur fond de musique classique hurle le désir de von Trier de surpasser Kubrick dans le métaphysique grandiose et spectaculaire. Comme Terrence Malick dans The Tree of Life, Lars von Trier joue des effets de rupture entre l’infiniment petit (la vanité des passions humaines) et l’infiniment grand (les mécanismes de l’univers, l’inscription de la Terre dans une très vaste cosmogonie). Mais si Malick organise les allées et venues de l’un à l’autre comme une circulation mystérieuse et riche en surprises, Lars von Trier en rajoute dans la fable très

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le journal du festival 2011 les films

Le Havre d’Aki Kaurismäki

Pater d’Alain Cavalier

signifiante. Cette énorme étoile qui fonce vers la Terre et s’appelle Melancholia, c’est la folie furieuse de Kirsten Dunst qui trouve un écho cosmique. Après avoir saboté son mariage, c’est la civilisation humaine qu’elle va tailler en morceaux. Moins desséché qu’Antichrist, plus plaisant, Melancholia commence comme une farce cruelle à la Festen avant de basculer dans la science-fiction. Lars von Trier affirme un brio indiscutable pour le spectacle, il sait filmer des répliques qui fusent, des éclats de colère, des poursuites dans un château. Mais cette fois encore, son goût de l’emphase et de la lourdeur font basculer le film dans le pompiérisme. J.-M. L.

Pater d’Alain Cavalier avec lui-même, Vincent Lindon (Fr.) Sélection officielle En compétition

Une leçon de politique sans esbroufe. Pater est non pas un choc mais une claque tout en douceur. C’est un home-movie réalisé avec caméras DV et équipe réduite. Un autoportrait des deux hommes en acteur et cinéaste ainsi qu’une fiction sur le pouvoir où l’un joue le Président, l’autre son Premier ministre. C’est encore une affaire d’amitié masculine, d’affection filiale. Tout cela en même temps, dans le même mouvement, sans régimes d’image ou de narration différents. Si bien qu’il est difficile de faire la part des choses entre ce qui relève du documentaire, de la fiction, du jeu

entre personne, acteur et personnage. On circule sans cesse d’un niveau à l’autre, parfois au cours d’un même plan. Pater est très conceptuel mais simple comme bonjour. Lindon dit à un moment que ça lui plaît de faire semblant de porter la Légion d’honneur, comme un enfant qui endosse une panoplie de cow-boy. C’est exactement cela, Pater : deux hommes-enfants qui jouent avec le cinéma, qui s’amusent à faire comme s’ils étaient Président et Premier ministre. Et ce jeu est aussi jubilatoire que modeste, aussi espiègle que pratiqué avec sérieux. Le “Premier ministre” Lindon voudrait faire passer une loi sur les salaires maximum, pour réduire les inégalités. Il ne supporte pas l’injustice. Le Président Cavalier non plus, mais il est plus retors. Dans une scène géniale d’ironie et d’élégance, ils regardent et commentent une photo compromettante pour un adversaire politique et immanquablement le nom de StraussKahn se met à tinter dans nos têtes, même si Cavalier a fait ce film avant l’affaire. C’est dire si Pater est en prise directe avec l’actualité politique, mais de façon légère, allusive. Mais le film est aussi une splendeur formelle d’autant plus saisissante que les moyens utilisés sont maigres. Tout est magnifiquement regardé, sans esbroufe. Le plus souvent, une fenêtre haussmannienne, un fauteuil, une bouteille de grand cru, un homme en costume-cravate suffisent à figurer le pouvoir, les palais, les lambris. Tout suggérer avec acuité, c’est tout le contraire de l’imitation naturaliste de La Conquête, et tellement plus fort.

Enfin, Lindon et Cavalier sont des crèmes d’hommes. L’un bourru, l’autre doux et bienveillant. Des pater idéaux. Et à eux deux, une incroyable petite machine de cinéma de notre ère digitale. S. K.

Le Havre d’Aki Kaurismäki avec André Wilms, Kati Outinen, Jean-Pierre Darroussin, Jean-Pierre Léaud (Finl., Fr., All.) Sélection officielle En compétition

Le retour du Kaurismäki qu’on aime. Avouons-le : nous avions un peu décroché de Kaurismäki depuis quelques films. Trop kitsch, trop mécanique, figé dans son style, trop facile. Le Havre est une résurrection. En revenant en France, Kaurismäki change d’air en nous parlant de nous, du monde d’aujourd’hui, de la France rance de Sarkozy mais aussi de ceux qui veulent résister malgré tout. Le pitch est simple, le film aussi, beau comme l’antique : un cireur de chaussures pas tout jeune (André Wilms) veut aider un petit garçon africain sans papiers à aller en Angleterre. Les dialogues désespérés et drôles font mouche (“Il faut garder l’espoir !”, “Il y en a très peu dans mon quartier…”), le bon peuple résiste à Claude Guéant, le flic est gentil (adorable Jean-Pierre Darroussin), le tout baigné dans la lumière jaune et rouge habituelle des films de Kaurismäki. On croise comme toujours de vieux rockeurs – Little Bob, Jean-Pierre Léaud, Pierre Etaix, etc. –, les marins boivent et reboivent et reboivent encore, les gens sont gentils, la vie est un miracle d’amour. On adore. J.-B. M.

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la guerre des boutons (épisode 2) les films L’Apollonide de Bertrand Bonello

Emily Barnett

Jacky Goldberg

Serge Kaganski

Jean-Marc Lalanne

JeanBaptiste Morain

Pierre Siankowski

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The Artist de Michel Hazanavicius Les Bien-Aimés de Christophe Honoré

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Le Complexe du castor de Jodie Foster

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La Conquête de Xavier Durringer

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The Day He Arrives d’Hong Sangsoo

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Des jeunes gens mödernes de Jérôme de Missolz

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L’Exercice de l’Etat de Pierre Schoeller

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Footnote de Joseph Cedar Le Gamin au vélo de Jean-Pierre et Luc Dardenne

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Habemus papam de Nanni Moretti

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Hanesu no tsuki de Naomi Kawase

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Hors Satan de Bruno Dumont Ichimei de Takashi Miike

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Le Havre d’Aki Kaurismäki

Impardonnables d’André Téchiné

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Drive de Nicolas Winding Refn

La guerre est déclarée de Valérie Donzelli

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Jeanne captive de Philippe Ramos

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Melancholia de Lars von Trier

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Minuit à Paris de Woody Allen

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La piel que habito de Pedro Almodóvar



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Polisse de Maïwenn

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The Murderer de Na Hong-jin Pater d’Alain Cavalier

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Sleeping Beauty de Julia Leigh Sur la planche de Leila Kilani Take Shelter de Jeff Nichols Tatsumi d’Eric Khoo

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Restless de Gus Van Sant

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This Must Be the Place de Paolo Sorrentino The Tree of Life de Terrence Malick

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Walk away Renée de Jonathan Caouette

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We Need to Talk about Kevin de Lynne Ramsay

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UNE BANDE ORIGINALE MÉMORABLE



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Tom Oxley/NME/Fastimage

“Ça me gonfle, ton interview Wikipédia !” Tyler, The Creator, avril 2011

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glorious bastards Paroles de chansons odieuses, shows délirants, propos cinglants : le crew rap américain Odd Future, surdoué, avance à coups de “fuck” et de “kill”. Rencontre avec son leader Tyler, The Creator. par Thomas Blondeau

A  

peine arrivé à Paris, Tyler, The Creator, 20 ans, en a déjà ras le bol : “Mon pote s’est fait mordre par un clochard en pleine rue ! C’est quoi, ce pays !?” Venu présenter Goblin, son deuxième album, le leader d’Odd Future, collectif de rappeurs, producteurs et vidéastes de L. A., est fatigué, énervé par cette hype qui le suit partout. Inconnu du grand public il y a six mois, il plane aujourd’hui dans les colonnes du Times, du Guardian ou du NME, conspué par les parents pour ses paroles odieuses, déifié par les fans et traqué par les journalistes pour les mêmes raisons : “Ce cirque me fatigue. Je veux bouffer du bacon, faire des concerts, du son.” A la tête d’un crew de surdoués (Domo Genesis, Hodgy Beats, Earl Sweatshirt…) qui distribue gratuitement ses albums sur internet depuis deux ans, Tyler a contaminé l’underground à la faveur d’une promo intrigante, jusqu’à ce qu’une invitation dans le show TV de Jimmy Fallon (NBC) ne déclenche l’hystérie dans le disque et les médias. Il fallait alors voir les pontes de l’establishment du rap faire la queue pour draguer les mômes, dont ce pathétique P. Diddy se découvrant une nouvelle jeunesse en grimpant sur scène avec eux au festival SXSW. Tyler jubile, passe son temps à insulter B.o.B. ou Bill O’Riley tout en réapprenant aux gamins comme c’est cool de foutre à nouveau la merde. Derrière lui, salons en loques, scènes disloquées et terres brûlées : “Kill people, burn shit, fuck school, c’est tout ce que j’ai à dire. Ça te va ?” Les managers sont éreintés, le label sidéré devant tant de désinvolture, les journalistes dégoûtés du mépris que leur oppose ce gamin fier et obstiné. C’est pourtant cette fierté cinglante, cette authentique anarchie de branleur 2.0 qui rendent les disques d’Odd Future si séduisants. Après eux, le déluge. Tyler n’est pas un excellent rappeur mais la dextérité avec laquelle il produit la majorité des disques du collectif, réalise vidéos soignées et artwork baroque tout en twittant un maximum d’inepties force le respect. La puissance de ses productions à contre-

“la scène hip-hop, je m’en tape. Je ne veux surtout pas ressembler à ce stéréotype foireux du rappeur de base de L. A.”

courant – un minimalisme lugubre aux beats chaotiques qui déclasse les gangsters à la mode – achève de creuser un sillon inédit d’où le clan moque le reste du monde. Dans son premier album, Bastard (2009), Tyler mettait déjà en garde : “J’ai créé Odd Future parce qu’on a plus de talent que ces rappeurs de 40 piges qui se la racontent en Gucci.” Même s’il s’affiche avec Mos Def ou les Neptunes, il n’appartient à aucun mouvement : “La scène hip-hop, je m’en tape. Je ne veux surtout pas ressembler à ce stéréotype foireux du rappeur de base de L. A.” Il n’en a d’ailleurs pas les manières : “Le sampling ? Pas besoin ! Pourquoi utiliser les sons d’un autre ? Pourquoi ne pas créer par toi-même, jouer tes propres notes ?” Une telle révolte artistique conduite par des nihilistes noirs de 20 piges n’avance pas sans entraves. Les scènes porno gore et les coups de latte dans le bide qui parsèment les textes de Tyler ont vite attiré la foudre : “On a fait tout ça parce qu’on s’emmerdait. Mais maintenant qu’on nous prend pour des leaders, on devrait être responsables et faire gaffe. J’emmerde tout ce système !” Sous le spectacle et les outrages, Tyler raconte surtout sa psyché abîmée : “Achetons des flingues pour buter ces gosses qui ont de vrais parents/ avec leurs belles baraques et leur putain de gazon” (dans Sandwitches). On cite Eminem à l’époque où il flinguait cette Amérique aux pelouses impeccables et les yeux du rappeur s’allument : “C’est la 14 sur le Slim Shady lp ! Il avait 26 ans mais c’est un peu la même amertume que je ressens.” Silence. “Oui, je suis jaloux. Parce que moi je n’ai pas de famille, pas de maison où rentrer.” On le dit homophobe, misogyne et violent, mais ici, en plein soleil, Tyler semble surtout un gamin instable qui trompe l’ennui en s’inventant fables nécrophiles et punchlines cinglées, zappant constamment l’interview pour photographier le cul des filles ou lancer des cookies sur les touristes qui bullent en terrasse. L’ado hyperactif branché rap, skate et webporn à la place du tueur postapocalyptique ? “Ça me gonfle, ton interview Wikipédia ! Je ne veux pas en dire trop, sinon ça n’intéressera plus personne. Dans six mois, je serai un artiste crève-la-dalle à cause de ces putains d’interviews. Si ça foire, je serai obligé de me foutre en l’air ou de retourner au bahut. Et comme il est hors de question que je retourne à l’école…” album Tyler The Creator, Goblin (XL Recordings/Beggars Banquet) concert Odd Future, le 3 juillet aux Eurockéennes de Belfort 25.05.2011 les inrockuptibles 57

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comme sur des roulettes

Moitié sport funny, moitié hobby sexy, le roller-derby conquiert les Françaises de tout calibre. par Eve Burnier photo David Balicki

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one E. Vicious assène un énorme johnnycrash à Belle Zébuth. Un johnny-crash ? Un violent coup d’épaule au plexus solaire, à pleine vitesse en patins à roulettes. Mais Belle Zébuth mesure une tête de moins que Bone E. Vicious, elle prend tout dans le menton. Elle patine quelques foulées, vacille, tombe en avant et ne se relève pas. Les joueuses de Bordeaux la rejoignent, l’entourent : elle est sonnée. Sifflet

du chef des arbitres, qui arrête le jam, lance un “Faute majeure !”, et envoie Bone E. Vicious en prison. Du vrai roller-derby : des filles, des coups, des chutes, de la prison et même de la musique. Ce 30 avril, l’équipe de Bordeaux était entrée dans le gymnase sous les applaudissements, au son du grand classique du roller-derby, Bad Reputation de Joan Jett. Pour Paris, qui joue à domicile, retentit ensuite TNT d’AC/DC. Chaque joueuse parisienne

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fait un tour de piste, le public les acclame, crie, hurle, tape des pieds. Elles sont jolies et ont des noms délirants inscrits au dos de leurs maillots. Casquées, enserrées de protections, elles sourient en exhibant leur protège-dents. Elles portent des minijupes et des minishorts, des résilles, et beaucoup ont des tatouages. Elles se donnent des coups et les chutes provoquent parfois de gros carambolages. Seules les filles pratiquent ce jeu incongru mais les hommes peuvent occuper les postes d’arbitres. Ce show brutal s’avère être un sport très réglementé. Il s’agit d’une poursuite en salle entre deux équipes. La piste de roller-derby, ovale et plate, mesure 16 mètres sur 26. Un match dure deux fois trente minutes et chaque mi-temps est une succession de rounds de deux minutes appelés jams. Une équipe se compose de quatre bloqueuses et d’une attaquante, la jammeuse, repérable à la grande étoile sur son casque. La jammeuse doit se faufiler à travers le pack, aidée par ses bloqueuses mais contrée par les bloqueuses adverses. Les jammeuses gagnent un point chaque fois qu’elles dépassent une adversaire sans faire de faute. Qu’est-ce qui est interdit ? Doubler en sortant de la piste, faire des croche-pieds, toucher son adversaire

avec le coude, frapper dans le dos et à la tête. Une de ces fautes vaut une minute de prison. Pour s’assurer que les dix filles qui foncent sur la piste respectent les règles, sept arbitres en patins les suivent tandis que onze autres en talons ou en baskets comptent les points. Oui, il y a bien dix-huit arbitres pour dix joueuses. Eux aussi peuvent porter des tenues excentriques et donner libre cours à leur fantaisie s’ils le souhaitent. Par exemple, l’une des arbitres a une jupe rayée noir et blanc, un haut et des guêtres zébrés et des dreadlocks jusqu’aux jarrets : ainsi le moindre geste de FanFistic – on peut lire son nom sur sa jupe – prend des allures théâtrales. Maelström, lui, a simplement fait peindre sur son casque noir cinq balles de fusil, un paquet de cigarettes et quelques grossièretés en anglais. Comme les autres arbitres en patins, il porte la tenue rayée blanc et noir. Les arbitres à pied sont en noir, sauf Lara Von Rapt, en tutu blanc et talons aiguilles. Au roller-derby, on se choisit un pseudo : Joan Get 27, Kamikaze En Moins, Napalm Pam, Rhino Féroce, Lætitia Castagne, Karla Karschër, Alonzo Barricades. On se croirait au catch. Ce sport a beau être nouveau en France, il se pratique aux Etats-Unis depuis les années 1930. A l’origine, il s’agissait d’une course

Le 30 avril, les Paris Rollergirls (en bleu) affrontaient le Roller Derby Bordeaux Club (en vert) et le fracassaient 121 à 22

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Whisky Mamy et Absolut Vermine

d’endurance mixte, sur patins, avec une prime au plus endurant. Les patineurs lents décidèrent de faire tomber les plus rapides en les cognant : le roller-catch était né. Ce sport connaîtra son plus grand succès dans les années 60 sous le nom de roller-derby, pour disparaître subitement vingt ans plus tard. Soudain, au début des années 2000, des ligues se reforment. Le roller-derby devient alors féminin. Aujourd’hui, il y a plus de 600 ligues réparties dans 20 pays. En janvier 2010, Drew Barrymore apporte le roller-derby en France avec son film Bliss. Un mois plus tard, Bloody Vuitton fonde les Paris Rollergirls. Elle connaissait déjà le roller-derby mais le film a été le déclencheur. A 29 ans, la jeune femme n’a pratiqué

où faire du roller-derby ? Amiens Arras Belfort Besançon Bordeaux Brest Caen Cergy-Pontoise Dijon Grenoble Lille

Lyon Metz Montpellier (2) Nancy Nantes Orléans Paris (2) Pau Quimper Rennes (2) Rouen

Strasbourg Toulon Toulouse Tours et aussi Anvers Bruxelles Gand Liège Namur Zurich

combien ça coûte ? A Paris, la licence coûte 60 € par an. Pour l’équipement, il faut des patins à roulettes de derby (90 à 600 €), des genouillères (25 à 60 €), un casque (20 à 70 €), des coudières (20 à 50 €), un protège-dents (15 à 30 €), des protège-poignets (15 à 30 €) prix à titre indicatif

que le breakdance et n’a jamais fondé d’association. Elle se lance, prend contact avec la WFTDA (Women’s Flat Track Derby Association, la fédération qui réglemente le roller-derby dans le monde). Depuis, Bloody Vuitton mange et respire roller-derby. Elle fait en sorte que la ligue parisienne ressemble à une ligue d’outre-Atlantique, avec le même esprit d’équipe et d’amitié. Amelia Scareheart est toute petite, blonde et américaine. Elle a commencé il y a six ans, à Atlanta, en suivant des filles qui distribuaient des flyers pour créer une ligue. Elle a été sacrée meilleure patineuse par la WFTDA en janvier 2011 pour l’ensemble de sa carrière. Sa spécialité, le bloquage : elle s’assied carrément sur les genoux de la jammeuse adverse. Récemment, Amelia Scareheart a dû suivre son mari en France. Sans perdre de temps, elle a rejoint les Paris Rollergirls, heureuse de pouvoir continuer à pratiquer. Passionnée, elle s’entraîne tous les jours. “C’est le premier sport, ou hobby, dont je sois tombée amoureuse”, nous dit-elle. Excellente coach, elle entraînait déjà son équipe à Atlanta. Les Parisiennes ont la chance d’avoir une pointure à leur disposition. Chaque ligue de roller-derby est un reflet de la ville dans laquelle elle se trouve. Paris la cosmopolite voit ainsi son équipe locale se composer de femmes de toutes origines (américaine, allemande, finlandaise, indonésienne…), âgées de 19 à 45 ans, aux professions variées : hôtesse de l’air, pâtissière, maîtresse de maternelle, vendeuse, psychologue… Côté physique, chacune a sa place : les petites et les fluettes font de bonnes jammeuses, les grandes et les larges de bonnes bloqueuses. Avant de se mettre au roller-derby, la plupart de ces filles ne pratiquaient aucun sport. Butch Shan confie d’ailleurs n’avoir jamais chaussé de patins à roulettes avant son premier entraînement. Pas le cas, en revanche, de la championne du monde en titre de slalom en rollers en ligne, Kozmic Bruise. Le rollerderby, aussi amusant à jouer qu’à regarder, est en plein essor. Deux fois par mois depuis plus d’un an, un nouveau club se crée en France. Le 14 mai, l’équipe parisienne a d’ailleurs affronté et vaincu, dans un match au résultat sans merci (139 à 47), les Stuttgart Valley Rollergirlz, actuelles championnes d’Allemagne. A quand un championnat de France ?

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tous les jours l’actu du Festival de Cannes cannes.lesinrocks.com Sans titre-1 1

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écrire pour résister Alors que s’ouvre une exposition sur la vie littéraire française sous l’Occupation, l’historien Robert Paxton revient sur cette période trouble qui a vu émerger la figure de l’intellectuel engagé. par Nelly Kaprièlian



st-ce que ce qui se joue chez les écrivains pendant l’Occupation n’est pas déjà présent dans les années 30, dans les revues littéraires où auteurs d’extrême droite et de gauche se sont côtoyés? Robert Paxton – En effet, les lignes de partage existent dès les années 30. Le choc de la défaite de juin 1940 ne va faire qu’approfondir ces divisions et en créer de nouvelles entre ceux qui choisissent de collaborer avec les Allemands et ceux qui refusent. Il y a des momentsclés dans ces années 30, comme les manifestations du 6 février 1934 : les anciens combattants et les ligues de droite manifestent contre le Parlement, on compte seize morts et c’est à ce moment-là qu’un certain nombre d’écrivains et d’intellectuels se déclarent fascistes. De plus, ils seront très hostiles au premier gouvernement avec un socialiste, et juif, à sa tête, Léon Blum. De l’autre côté, on trouve les écrivains socialistes et communistes comme Aragon, Eluard. Ils sont amis les uns avec les autres. Mais à gauche viendra un clivage entre ceux qui entrent au PC et les autres. Gide a préféré rester apolitique et critiquer sévèrement l’URSS. Bref, après la défaite, les gens qui vont collaborer pour des raisons idéologiques sont là tout de suite, en place. Il faut un peu plus de temps à la Résistance pour s’organiser. Ce qui est

“à la Libération, la trahison intellectuelle parut plus odieuse que les autres”

intéressant, c’est que, pendant l’Occupation, les écrivains ont le choix : doivent-ils rester silencieux ou doivent-ils écrire ? Accepter la censure, être dans le système ou écrire exclusivement clandestinement ? Même Aragon choisira de publier. Michel Leiris est l’un des rares à être resté silencieux. Mais on peut comprendre que les autres aient continué à écrire. D’abord pour des raisons matérielles. Beaucoup de gens pensent aussi que c’est essentiel de continuer à s’exprimer en français pour que la littérature française ne cesse pas d’exister. Qu’il faut en profiter pour diffuser des critiques voilées de l’Occupation. Dans le formidable catalogue de l’exposition, vous écrivez qu’il n’est pas si facile de ranger les écrivains dans des boîtes étiquetées “collaboration” ou “résistance”. Le meilleur exemple de cela, c’est Jean Paulhan, le directeur de la Nouvelle Revue française. Il entre immédiatement dans la Résistance, il participe déjà au réseau du musée de l’Homme avant la fin de l’été 1940, mais quand il est arrêté c’est le collabo Drieu la Rochelle qui persuade les Allemands de le relâcher. Paulhan en tant qu’éditeur était très éclectique, il publiait des auteurs de tous bords politiques du moment que la qualité littéraire était à la hauteur de son exigence. Il est dans un rapport de respect mutuel avec ces auteurs de droite, il reste ami avec Marcel Jouhandeau qui est très nettement un collaborateur. Paulhan tient absolument à ce que la NRF continue à paraître, même s’il n’y écrit plus lui-même. Certains écrivains ne comprennent pas, pensant que cela ressemble à une forme de collaboration. A la fin de la guerre, Paulhan s’élèvera

En couverture de la revue de propagande Signal (juillet 1940), deux avions allemands survolent la tour Eiffel, symboles de l’arrivée des troupes de la Wehrmacht le 14 juin 1940

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Le Silence de la mer, écrit sous pseudonyme, fut le premier livre édité par les clandestines Editions de Minuit, en février 1942. Ici, couverture d’une édition suisse, publiée après la guerre

contre les excès de l’épuration intellectuelle. Des gens comme Mauriac, Camus et Paulhan prôneront, pour protéger les auteurs d’extrême droite, qu’il faut accepter le droit à l’erreur. Quid de la censure ? Il existe deux types de censure : celle de Vichy et celle des Allemands. Pour avoir du papier, il faut leur approbation. Si le texte semble dissident, il est refusé, ou on demande des corrections à l’auteur. Quand Camus a publié L’Etranger, il a dû supprimer des passages qui pouvaient être interprétés comme allant contre les Allemands. Et, bien sûr, la censure pouvait refuser les écrivains juifs, les écrivains journalistes opposants, etc. Des écrivains ont été arrêtés, comme Robert Desnos, dénoncé par un journaliste d’extrême droite. Et des imprimeurs de journaux clandestins ont été exécutés. Vous liez souvent la presse et la littérature. Comment les Editions de Minuit ont-elles pu être créées clandestinement par Vercors, ou la revue Les Lettres françaises par Paulhan ? Beaucoup de personnes étaient impliquées dans ces projets. En 1943, quand les gens réalisent que les Allemands ne vont pas gagner la guerre, elles s’y investissent encore plus. Les livres de Vercors paraissaient à 300 exemplaires, et en 1942 il signe Le Silence de la mer. Il fallait tout un réseau de complices pour diffuser les ouvrages clandestins. Ces gens-là étaient tout autant des résistants que ceux qui ont fait sauter des trains. Dans le contexte de l’Occupation, écrire devient réellement un acte. Tout à fait. Et les nazis comprenaient parfaitement que le contrôle de l’opinion était essentiel et qu’exprimer une opinion dissidente était dangereux

extrait du catalogue de l’exposition

Paru en avril 1945, cet ouvrage des Editions de Minuit rappelait les termes de leur manifeste pendant l’Occupation

pour eux, qui voulaient mettre en place un système totalitaire. Ecrire contre eux était un acte. Ecrire contre les Juifs un acte aussi, criminel : les pamphlets de Céline préparent le chemin pour les envoyer à la mort. A la Libération, la trahison intellectuelle parut plus odieuse que les autres. Peut-être parce que les écrivains laissent des traces. Ils ont été punis plus sévèrement que les industriels qui ont fourni les nazis. En France, on pense que le rôle des intellectuels est essentiel, car ils sont là pour expliquer le monde… Donc s’ils se mettent à expliquer le monde en fonction de leur intérêt personnel ou d’une idéologie condamnable, les écrivains sont plus durement exposés au jugement. Quelles traces de cette idée de l’écriture comme acte retrouve-t-on après la Libération ? Cela a marqué Sartre, qui n’avait pas ces idées avant la guerre et en a tiré la leçon que l’intellectuel doit être engagé. Pour lui, ne rien dire est une forme de choix, et l’on ne peut donc échapper au choix, même en ne faisant rien. Vivre authentiquement, c’est s’engager dans les grandes questions du jour. Ce n’est pas une idée nouvelle car on avait déjà des intellectuels engagés pendant l’affaire Dreyfus. Mais après Sartre, elle a duré longtemps : pendant la guerre du Vietnam, pendant Mai 68. Ensuite, on en revient à l’art pour l’art avec le Nouveau Roman. Aujourd’hui, la nouvelle génération semble s’être construite contre ses aînés, donc contre l’idée d’engagement. Exposition Archives de la vie littéraire sous l’Occupation, organisée par Olivier Corpet et l’Imec, Claire Paulhan et Robert Paxton, jusqu’au 9 juillet à l’Hôtel de Ville de Paris, www.paris.fr Catalogue (Taillandier/Imec éditeur) par les trois commissaires de l’exposition 25.05.2011 les inrockuptibles 63

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California killing Par les concepteurs de GTA et Red Dead Redemption, un jeu d’investigation d’une remarquable finesse psychologique dans le Los Angeles interlope des années 40. L.A. Noire, c’est noir.

à venir 3DS : la boutique en retard Annoncée au départ pour le mois de mai, la boutique en ligne de la Nintendo 3DS n’ouvrira finalement ses portes virtuelles que le 7 juin. Accessible en même temps que son navigateur internet via une mise à jour de la console portable, le magasin proposera un mélange de titres inédits et de classiques issus notamment des ludothèques GameBoy, GameGear et PC Engine, dont certains (ExciteBike, Zelda…) auront droit pour l’occasion à un relookage 3D.

a devient une habitude. Rockstar Games profite à nouveau du printemps pour donner un grand coup de pied dans la fourmilière vidéoludique en publiant, après GTA IV (2008) et Red Dead Redemption (2010), un ébouriffant blockbuster d’auteur. Cette fois, l’éditeur anglo-américain nous entraîne dans le Los Angeles des années 1940 et fait de nous la star d’un film noir. Le système de jeu emprunte de nombreux éléments (les fusillades, les poursuites en voiture)

à GTA. Mais si L.A. Noire choisit la saga gangster Rockstar comme point de départ, il ne craint pas de s’éloigner des principes qui ont fait son succès. S’il est possible de se déplacer à volonté dans sa ville amoureusement reconstituée, le cœur du jeu est en effet ailleurs. Ce n’est pas au sein de la pègre mais de la police que le joueur est cette fois invité à accomplir son ascension. Ancien militaire, Cole Phelps démarre au bas de l’échelle mais, d’une affaire à l’autre, gravit les échelons. Patrouillant dans les rues de Los Angeles

avec son équipier bourru, il répond aux appels de ses supérieurs, qui l’enjoignent de se rendre sur diverses scènes de crime. Une femme a été assassinée. Nous voilà chargé d’enquêter, de relever des indices, d’interroger des témoins, de trouver des suspects. Le jeu se révèle plutôt cérébral. Sur le terrain, il faudra faire preuve d’observation et de déduction, comme lorsque le personnage qui nous fait face nous mène visiblement en bateau. Les gamers y retrouveront un peu du gameplay de Phoenix Wright, mais réinterprété d’une manière follement dynamique. Par les nuances de sa musique ou les vibrations de la manette, le jeu cherche à nous mettre sur la voie. Dans ce bar, cet appartement ou cette pension de famille, on a, semble-t-il, négligé un indice. Va-t-on poursuivre nos investigations ? A nous de voir : il y a toujours plus d’une manière de démasquer le coupable – mais, comme c’est un jeu vidéo, la “note” que l’on obtiendra au final portera la marque de nos négligences. Toute œuvre vidéoludique digne de ce nom est un jeu de rôle, et c’est sa manière de nous mettre dans la peau de Cole Phelps qui fait le prix de L.A. Noire. Quel enquêteur sera-t-on ? De décor-énigme en duel psychologique virtuel, le jeu ne cesse de reposer la question. La réponse évolue, le joueur n’est plus tout à fait lui-même. Rockstar Games a encore une fois réussi son pari. Erwan Higuinen L.A. Noire sur PS3 et Xbox 360 (Team Bondi/Rockstar Games, environ 60 €)

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L.A. Noire et le cinéma Nouvelle révolution vidéoludique, le jeu des studios Rockstar Games a tout d’un film. Voire plus. n événement a eu lieu à New York de Tourneur ou, pour citer des titres le 25 avril. Pour la première fois, non contemporains de l’époque un jeu vidéo figurait dans où se déroule le jeu, Chinatown de Polanski la sélection officielle du festival et L.A. Confidential de Hanson. de cinéma de Tribeca. L.A. Noire n’est L.A. Noire va cependant plus loin, tirant pas la première production ouvertement ses énigmes et idées de mise en scène non cinéphile des studios Rockstar, mais seulement desdits films, mais aussi des si Red Dead Redemption s’inscrivait dans éléments, articles de journaux ou photos l’histoire du western (en optant pour qu’avaient consultés leurs réalisateurs, sa relecture spaghetti ou crépusculaire), scénaristes et décorateurs. Si une suite la simulation d’enquêtes conçue d’enquêtes autonomes rythme le jeu, son avec les Australiens de Team Bondi affiche fil rouge vient d’ailleurs tout droit du réel. un amour encore plus fort pour le cinéma. Ou presque, car l’affaire du Dahlia noir a Interviewé par le Hollywood Reporter depuis inspiré, entre autres, James Ellroy à la veille du grand jour, Dan Houser, et Brian De Palma. “Nous sommes fiers tête pensante de Rockstar, ne se faisait pas de faire des jeux dont la production est au prier pour établir la liste des films noirs niveau de celle des films, déclarait Houser qui l’ont influencé : Le Grand Sommeil au Hollywood Reporter. Mais nous ne faisons de Hawks, Quand la ville dort de Huston, pas des films interactifs.” Le cinéma n’est Assurance sur la mort de Wilder, plus un modèle. C’est un rival pour qui The Naked City de Dassin, La Griffe du passé la partie n’est pas gagnée d’avance. E. H.

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Tales of Monkey Island Fable III Sur PC (Lionhead/Microsoft, environ 40 €) On avait un peu sous-estimé Fable III lors de sa sortie sur Xbox 360 en octobre dernier. Jeu de rôle inhabituellement accessible, le troisième volet de la fastueuse saga de Peter Molyneux ose explorer ce qui se passe après le traditionnel happy-end. Aux deux tiers du jeu, nous voilà couronné. Le royaume ne perd rien pour attendre.

Sur Mac et PC (Telltale Games/Focus, environ 40 €) Fondé en 2004 par quelques anciens de LucasArts, Telltale a sauté sur l’occasion d’offrir une suite à la très humoristique saga pirate surnaturelle de l’éditeur, Monkey Island. Traduits en français, les cinq épisodes distribués à l’origine via internet bénéficient aujourd’hui d’une sortie DVD. Et l’aventure est toujours aussi chouette. 25.05.2011 les inrockuptibles 65

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less is Moore Thurston Moore s’extirpe du confort des distorsions maîtrisées de Sonic Youth pour prendre un vrai risque : un album calme et splendide, beau et sombre, produit par Beck. En concert à Villette Sonique.

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e ne me sens plus obligé de rivaliser avec la puissance sonore. J’en ai suffisamment eu dans ma vie pour me permettre de m’en éloigner un peu et de jouer une musique qui n’est pas dictée par le volume.” A l’écoute du Demolished Thoughts de Thurston Moore, en le voyant le 28 mai aux côtés des maçons soniques du Glenn Branca Ensemble ou d’Half Japanese dans le cadre de Villette Sonique (lire encadré), le fan hardcore de Sonic Youth ou des travaux les plus expérimentaux de son gigantesque leader risque l’arrêt cardiaque : l’éternel bruitiste a mis la distorsion en sourdine. Moore a désormais plus de 50 ans, l’âge pour passer à autre chose, pour s’inventer de nouveaux dangers. Demolished Thoughts a été écrit à Northampton, Massachusetts, où Moore et Kim Gordon résident désormais, dans une retraite méditative et poétique, en recherche de beauté et de paix. “J’aime la solitude, j’en ai besoin. Elle me permet d’entrer en contact direct avec des sentiments complexes, troubles, elle les traduit dans un langage que je peux essayer de comprendre. Elle me permet de voir à nouveau la beauté quand je la perds de vue. Cet intérêt pour la spiritualité a aussi sans doute quelque chose à voir avec mon âge. Vieillir ne m’effraie absolument pas. Au contraire, j’ai toujours été fasciné par le fait que les artistes et musiciens les plus radicaux que je connaisse sont des gens plutôt âgés. Je pense à Yoko Ono ou Neil Young notamment. Et dans mon cas, plus je joue de manière traditionnelle, plus je me sens radical. Je sais qu’il y a des gens qui n’attendent de moi qu’une chose : que je branche une guitare, un ampli et que je sorte des sons qui leur fendent la tête en deux. J’aime ça aussi, Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

je n’ai pas l’intention de m’arrêter. Mais je suis aussi très intéressé par la simplicité, l’authenticité, la beauté qui surgissent quand on se contente de jouer sur une guitare acoustique.” Demolished Thoughts aurait pu être une suite assez logique du précédent, beau et rêche Trees outside the Academy. Quelque chose de “ beaucoup plus cru”, un disque très “Thurston Moore”, une œuvre, donc, assez peu radicale – le confort ne réside pas toujours où l’on croit. L’autre pari fut de confier le corps et l’âme de ses compositions au vieux copain Beck. “Il venait de finir son album avec Charlotte Gainsbourg, il était en train de travailler avec Stephen Malkmus. Et cette idée de me sortir de ma zone de confort a fait son chemin… Car c’était une forme de risque : ni lui ni moi ne savions ce qui ressortirait de notre collaboration. J’ai pensé au premier album des Slits, un disque punk qu’elles ont confié à Dennis Bovell, un producteur dub aux idées très radicales, un disque remarquable. Beck a été mon Dennis Bovell, je l’ai totalement laissé faire.” Au final, Demolished Thoughts est une impressionnante prise de risque. Une déconstruction, un réapprentissage. Un album acoustique, hanté, au songwriting doux mais tordu, arrangé dans une soie venimeuse et taillé dans un bois noueux. Des chansons douces-amères, teintées du psychédélisme sombre du british folk et dont émerge, comme un spectre menaçant, comme l’épine sur la rose, une permanente et sourde violence larvée. C’est donc Beck, décidément grand producteur, qui a dessiné cette révolution pas tranquille, tracé le chemin vers ce crépuscule sombre. C’est Beck qui a ouvert pour Moore cette parenthèse de calme apparent dans une vie autrefois animée par les watts : Demolished Thoughts est si beau que l’on n’est pas certain de vouloir la voir se refermer un jour. Thomas Burgel album Demolished Thoughts (Matador/Beggars/Naïve) concert le 28 mai à Paris (Villette Sonique) Interview intégrale sur

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on connaît la chanson

la foule du désert En plein Sahara, Tinariwen a enregistré dans son habitat naturel la musique la plus belle de la terre.

Ari Marcopoulos

“plus je joue de manière traditionnelle, plus je me sens radical”

Villette Sonique Ceux que les programmations convenues et copiées-collées des grands festivals d’été font déjà bâiller peuvent se réjouir. Villette Sonique, à Paris du 27 mai au 1er juin, leur promet des sensations

qu’ils ne trouveront sans doute pas ailleurs. Animal Collective, Thurston Moore, le Glenn Branca Ensemble, Beth Ditto, Caribou, Sebastian, Connan Mockasin, Sunns, Julian Lynch, The Fall, en salle, en plein air,

en couleurs ou en noir et blanc, synthétique ou électrique… les noms excitent les sens et les membres ont déjà commencé à chauffer. Programmation complète sur www.villettesonique.com

Il n’avait pas plu depuis cinq ans dans le Tassili N’Ajjer, cette région saharienne proche de la ville de Djanet, en Algérie, non loin de la frontière libyenne. Les habitants y virent un signe, certains un miracle. Depuis plusieurs jours, les musiciens du groupe Tinariwen et leur entourage campaient là, entre ciel et dunes, dans un encaissement de sable blanc et de pitons rocheux. Débarqués avec 400 kilos de matériel, il leur avait fallu d’abord dompter ces ennemis invisibles que sont le vent et la poussière en arrimant au sol les armatures de la tente mauritanienne et en rangeant les micros dans des sacs de congélation. Ils avaient dû également déployer 250 mètres de câbles électriques pour éloigner les bruyants générateurs. L’idée : enregistrer le groupe dans ce qui constitue son milieu naturel, le désert, berceau de la culture touarègue, et dans le contexte qui lui sied le mieux, la nuit autour d’un feu. Capter cette essence n’a pas été sans poser problème, et si certains événements ont pu rendre ce travail incertain, comme la fin tragique des deux jeunes otages français d’Aqmi plus au sud et les révolutions du Maghreb plus au nord, le résultat est un petit miracle. Au point de ne pouvoir garder le secret alors que ce disque très acoustique ne sortira que fin août. Au point d’éventer cette info pour ajouter à l’impatience : Kyp Malone et Tunde Adebimpe de TV On The Radio sont venus rejoindre les Tinariwen, là-bas dans les dunes, pour chanter sur quelques titres de toute beauté. Un proverbe touareg dit “Dieu a créé des pays avec beaucoup d’eau afin que les hommes puissent y vivre et des déserts afin qu’ils y reconnaissent leur âme”. Et, accessoirement, y fassent la meilleure musique du moment. concert acoustique le 28 juin à Paris (Bouffes du Nord)

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David Lynch, electro man Après une arrivée remarquée dans le monde de la musique électronique à la fin de l’année dernière avec le single Good Day Today, le cinéaste David Lynch a annoncé avoir terminé un album entier, qu’il présentera aux côtés du producteur Dean Hurley par visioconférence le 26 mai, afin de “montrer exactement comment ils ont créé cette musique et comment les choses se sont passées dans le studio de Lynch” à Los Angeles. Suspense.

The Coral au charbon Un an après Butterfly House, la bande de James Skelly a repris le chemin des studios, épaulée par John Leckie (Pink Floyd, Stone Roses…). “Nous sommes heureux d’annoncer que les sessions d’enregistrement pour notre prochain album ont commencé ! Nous allons continuer pendant l’été. Attendezvous à quelque chose de différent”, ont déclaré les cancres de Liverpool sur Facebook. En espérant que la légendaire coupe de cheveux Playmobil de Skelly, elle, ne change pas.

www.facebook.com/TheCoral

Ricardo Villalobos aime ECM Rencontre du troisième type : le DJ, producteur et gourou de la techno minimale Ricardo Villalobos s’est plongé dans les eaux profondes du label allemand ECM (illustre maison de jazz et de musique classique contemporaine), pour enregistrer Re: ECM, un double album concept qui revisite une quinzaine d’œuvres du catalogue ECM (Arvo Pärt, Louis Sclavis, John Abercrombie…). Sortie du trippy double ovni le 27 juin.

cette semaine

Arctic Monkeys exclusifs sur lesinrocks.com Une semaine avant sa sortie officielle, le quatrième album du gang d’Alex Turner, joliment nommé Suck It and See, fera escale sur le site des Inrocks où il sera en écoute exclusive du 30 mai au 5 juin. Vous êtes prévenus. www.lesinrocks.com

The Drums, deuxième Les Américains commencent à laisser filtrer quelques infos sur le successeur de The Drums, sorti l’an dernier. “L’album précédent portait un regard innocent sur le monde, je crois que le prochain est un peu plus direct et proche de la réalité, a confié Jonathan Pierce. Ce n’est pas comme si chaque chanson sortait tout droit d’une scène de film. Cet album est très autobiographique, il parle du passage de l’enfance à l’âge adulte.” Ce second album devrait arriver au début de l’automne.

neuf

The Sonics Shabazz Palaces

Fixers La BO d’un été où le soleil radieux de Californie devrait taper sur les têtes, jusqu’aux délires les plus psychédélicieux, voici ce que proposent ces cinq garçons d’Oxford. Chaque chanson bâtit des ponts extravagants entre le Golden Gate de 1967 et le Brooklyn Bridge de 2011, avec un sens inné du mieux-être. www.myspace.com/fixerstheband

Ça continue de s’agiter dans le hip-hop underground US, avec ce collectif de Seattle qui compte dans ses rangs un ancien Digable Planets (cousin de Gonjasufi !). En totale liberté économique et artistique (leur rap fascine autan qu’il dérange), Shabbaz Palaces bâtit le palais biscornu des Contes des mille et une nuits. www.shabazzpalaces.com

Oasis

Creation Records Grâce au label de l’irremplaçable Alan McGee, la pop anglaise des années 80 et 90 a connu une jolie période d’insoumission et de n’importe quoi érigé en doctrine. Une aventure où se croisent The Jesus and Mary Chain, Primal Scream ou Oasis, que raconte le DVD Upside down, présenté à la Gaîté Lyrique le 1er juin, en présence de McGee. www.gaite-lyrique.net

Seattle, un garage, un groupe furieux, punk, convulsif, appelé à devenir une légende absolue. Ceux qui ont répondu Nirvana ont trente ans de retard. Au milieu de sixties, les Sonics avaient déjà dynamité le rock à grand renfort de pédales fuzz, de Psycho ou Strychnine. Ils s’offrent la Cigale le 27 mai, puis Rouen, Lyon, La Rochelle… www.myspace.com/thesonicsboom

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la version profane et souvent rock’n’roll d’une musique sacrée

université libre Ambassadeur de la culture des Gnaoua, Aziz Sahmaoui continue, avec son University of Gnawa, à faire résonner ici les sons mystiques du Maroc.

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récisons tout d’abord que l’University of Gnawa d’Aziz Sahmaoui n’est pas une faculté dont on sort diplômé, mais un groupe de musiciens. Ceci pour éviter la répétition de la mésaventure vécue par cet habitant d’Alger qui a demandé à Aziz, via Facebook, où s’inscrire. “Sincèrement, je pensais qu’il blaguait. Je lui ai dit d’aller du côté de Belcourt (quartier populaire d’Alger – ndlr) sans imaginer qu’il était sérieux et qu’il irait pour de bon.” L’anecdote fait sourire ce grand Marocain âgé de 49 ans aux longs cheveux bouclés, ancien membre de l’Orchestre National de Barbès et du Zawinul Syndicate. Mais plutôt que de railler la crédulité de l’aspirant universitaire, Aziz préfère voir dans cette démarche le signe d’un

intérêt grandissant pour ce qu’il appelle la “tagnaouite” (l’art des Gnaoua). “On trouve maintenant des groupes qui jouent cette musique un peu partout. J’en connais qui sont basés dans le Sud de la France.” Depuis l’immense succès du Festival d’Essaouira qui l’a fait connaître à la fin des années 90, la culture des Gnaoua a essaimé aux quatre vents. Aziz, lui, est tombé dedans dès la naissance. Originaire de Marrakech, il a grandi au son du tambour, des karkabous et du guembri. Il s’est endormi sur les mystérieuses mélopées accompagnant les rituels nocturnes où l’on invoque les djinns dans l’espoir d’attirer leurs faveurs, d’apaiser leur colère. Il est aujourd’hui l’ambassadeur d’une forme mondialisée, mais non dénaturée, de cette lointaine tradition, où “le groove libère et soigne”, remontant à l’arrivée

des esclaves de l’Afrique subsaharienne dans le royaume chérifien. Si elle accompagne toujours les séances d’exorcisme en milieu populaire, la version que donne de cette musique University of Gnawa est profane et souvent rock’n’roll, en raison notamment du tempérament hendrixien du guitariste Hervé Samb. Mais citer ici le Voodoo Child, n’est-ce pas déjà revenir à une dimension mystique de la musique? “Il m’arrive d’assister à des lilas (nuits de transe – ndlr), précise Aziz, mais je ne suis pas maâlem (maître de cérémonie). Je ne sais pas faire ça. C’est une pratique très belle et très puissante, mais aussi très dangereuse.” Sur un premier album produit par Martin Meissonnier, Aziz et son groupe reprennent certains thèmes du répertoire sacré

comme Salabati ou Mimouna, qui loue une célèbre djinn du panthéon. Mais fidèles à l’esprit, ils ne cessent de s’affranchir de la lettre en mêlant instruments électriques et mandingues – calebasse, n’goni, kora – et en suivant d’autres rythmes. Dans Ana Hayou, ils révèlent ce chant fascinant des Houara du Sud marocain, le hit, avec ces voix qui se heurtent sans cesse, comme renvoyées par les parois d’un étroit défilé au cœur des montagnes de l’Atlas. Aziz se sent éternel vagabond. Il a émigré en France dans les années 80, et a joué sur les scènes du monde aux côtés de pointures, dont l’ancien fondateur de Weather Report, Joe Zawinul, disparu en 2007, à qui il rend ici hommage dans une version à bascule du célèbre Black Market soumettant la virtuosité au vertige, foutant une belle transe au jazz savant. Dans Maktoube (“Le Destin”), c’est le folk-singer d’un Maghreb universel qui s’éveille en lui, porteur d’une conscience généreuse et lucide, de la parole d’un peuple dont l’avenir semble bouché mais qui ne peut faire le deuil d’une démocratie du cœur. “Alors franchement, s’inscrire à mon université, pourquoi faire ? Elle est ouverte.” Francis Dordor album Aziz Sahmaoui & University of Gnawa (General Pattern/Socadisc) www.azizsahmaoui.com

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WillS heff (au premier plan) et son groupe

la rivière enchantée Okkervil River tient enfin son chef-d’œuvre : un album de rock américain dense, habité et luxuriant.

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’est une discographie qui se lit et s’écoute comme une saga de l’Amérique buissonnière, qui doit à Faulkner, qui doit à Neil Young, qui doit essentiellement à l’esprit rayonnant de Will Sheff. C’est le grand roman américain qu’il écrit ainsi d’album en album, dans une fuite en avant vers une sophistication et une majesté dépassées d’étape en étape. Scénariste totalement désinhibé du chaos, des bas-fonds et des cœurs percés, Will Sheff est également devenu un admirable metteur en son,

un groupe rageur, bilieux, idéal pour porter les mots accidentés de Will Sheff

vendant même désormais son savoir-faire aux autres, comme notamment sur le prodigieux True Love Cast out All Evil de Roky Erickson, qui marquait en 2010 le retour en grâce du leader cramé des 13th Floor Elevators. Infatigable, on le retrouve derrière Norah Jones, les jeunots Bird Of Youth ou The New Pornographers. On n’oubliera jamais, en plus, ses années de bons et loyaux sévices au sein de Shearwater, groupe qu’il cofonda avant de le quitter, après y avoir élevé la rêverie en rigoureuse discipline olympique. Mais depuis deux ou trois albums Okkervil River est de moins en moins le nombril de Will Sheff – qui ressemble au fils de Eels et Jarvis Cocker un lendemain de nuit difficile.

C’est devenu un groupe, rageur, bilieux, idéal pour porter les mots accidentés de Sheff qui chante, avec des éclairs inquiétants dans les yeux et du tonnerre dans la voix, des choses suffisamment terrifiantes sur la nature humaine pour que ses disques soient vendus avec l’autocollant “Parental advisory/explicit content”. Sur I Am Very Far, la lumière baisse une fois encore, alors que grimpent les ambitions, les défis. L’agneau folk se convulse le plus souvent en loup rock, pour des textures nettement plus tendues, intenses que par le passé. Will Sheff n’est plus ici un troubadour tourmenté, exalté, ce qui faisait le charme et les limites de ses premiers pas, guidés par Leonard Cohen ou Tim

Hardin – on soupçonne depuis des années Arcade Fire d’avoir appris à nager dans Okkervil River. Dans les moments les plus désolés, comme son compatriote texan Townes Van Zandt, Will Sheff fait pousser des orchidées en plein désert : une pop de chambre qui bat à plates coutures les chansons les plus osées de Bright Eyes ou The National. La démesure, qui n’agissait autrefois que par rafales, est ici une constante haletante, à la Scott Walker, à la Sufjan Stevens, qui pousse chaque refrain au surpassement, impose des torgnoles de violons, des tempêtes de chœurs à des mélodies déjà elles-mêmes audacieuses. Le son, charnel et profond, magnifie la voix de crooner précaire de Will Sheff, offrant à Okkervil River des sommets accidentés mais hospitaliers qui pourraient enfin offrir au groupe le triomphe qui devait fatalement, un jour ou l’autre, le rattraper et l’enlacer. On ne voit décemment pas ce que le groupe pourrait oser de plus que ces vertigineux White Shadow Waltz, Rider ou Wake & Be Fine. Le titre de l’album, I Am Very Far, se traduira donc ainsi : je suis très nettement au-dessus. JD Beauvallet album I Am Very Far (Jagjaguwar/Differ-ant) www.okkervilriver.com

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Chali 2Na Fish Market Part 2 Decon (import)

The Wave Pictures Beer in the Breakers Moshi Moshi/Discograph

Larguée et grande, de la pop lo-fi venue d’Angleterre sur un nuage de crachin. ur les photos du livret, les Wave Pictures font les guignols dans un Photomaton vintage. Leur musique, elle aussi, ignore tout des retouches chochottes. L’authenticité est ici une question de vie ou de mort, jamais une pose tendance. C’est d’ailleurs dans une indifférence qui en aurait découragé plus d’un que le trio a déjà sorti une dizaine d’albums bricolés maison. Enregistré en deux jours, cet énième recueil de comptines espiègles (Little Surprise) et de brûlots racés (China Whale Brand) est le digne héritier de la joie triste de Jonathan Richman et des chroniques mi-amusées, midésespérées de Morrissey. Car derrière les fanfaronnades, certains clichés montrent

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un blondinet aux yeux d’enfant perdu, nonchalant et pourtant ultrasensible. C’est David Tattersall, chanteur, guitariste et songwriter. Ses accords majeurs ensoleillés subliment les récits d’un quotidien désœuvré où il est question d’amour non réciproque, de mer plus marron que bleue. La bière du titre est tiède et amère. Noémie Lecoq concert le 28 mai à Paris (Flèche d’Or) www.thewavepictures.com

Porté par le flow inouï d’un ancien Jurassic 5, du hip-hop qui rénove la soul. Alors que son groupe, feu Jurassic 5, reste une référence absolue, ce troisième album solo de Chali 2Na a de quoi occulter ce mythe old-school. Avec sa voix en velours pur de crooner soul, Chali 2Na se faufile dans le rythme avec la suavité d’un serpent sous acide. Sous forme de mixtape, orné de productions discrètes, l’album croule sous les featurings (J-Live, Planet Asia…). Mais aucun ne peut s’aligner sur ce flow : le genre d’exercice cassegueule pour n’importe quel MC devient ici l’occasion de plier le beat sous de douces cascades d’allitérations. Félicien Cassan www.myspace.co m/chali2na En écoute sur lesinrocks.com avec

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This Is The Kit Wriggle out the Restless Dreamboat Records

Folk-songs raffinées sur le deuxième album d’une Anglaise en or. ouvent utilisée, l’expression “trésor caché” a parfaitement sa place dans une chronique d’album de This Is The Kit. On avait oublié de la mentionner il y a trois ans, lorsque l’Anglaise avait publié un éblouissant premier recueil de chansons folk produites par John Parish (PJ Harvey). On se rattrape de suite. Wriggle out the Restless, son successeur, est un véritable trésor caché. C’est aujourd’hui son collaborateur de longue date Jesse Vernon, membre de Morning Star, qui réalise les morceaux de Kate Stables. Ces derniers, des petites perles de folk à la fois légères et jamais enfantines, continuent de positionner la musicienne sur un podium prestigieux, entre l’Islandaise Emiliana Torrini et Judy Dyble de Fairport Convention. Mélodies racées (Easy Pickings, Sometimes the Sea), production impeccable comme chipée à Piers Faccini pour cette façon de faire la transe avec le folk (Earthquake)… ceci n’est pas seulement le kit, c’est le kit en or.

Shawn Brackbill

 S Kurt Vile Smoke Ring for My Halo Matador/Beggars/Naïve

Le prodige du folk psyché, dans la lignée (brisée) de Neil Young ou Nick Cave. Sur Smoke Ring for My Halo, c’est la guitare qui guide le pas, libre et décomplexée. Elle déambule crânement dans les contrées folk, blues, psyché et rock, tissant sur son passage un univers complexe de sonorités pures, vierges. La voix du jeune Américain y flotte, bohème, laissant filtrer des angoisses intimes, probablement marinées dans son enfance étouffée entre dix frères et sœurs au fond d’une banlieue de Philadelphie. Affranchi des déflagrations de rage sourde des disques précédents, plus proche du Velvet Underground final dans son indolence, Smoke Ring for My Halo joue crûment dans les cœurs et cultive l’équilibrisme. Une simple chiquenaude pourrait faire basculer l’ambiance générale de la profonde plénitude à la solitude la plus aiguë.

Johanna Seban www.thisisthekit.co.uk

Ariane Gruet-Pelchat www.kurtvile.com En écoute sur lesinrocks.com avec

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Johann Sauty

Omara Portuondo & Chucho Valdés

Bibio

Omara & Chucho

Mind Bokeh

World Village/Harmonia Mundi

Warp/Discograph

Deux légendes cubaines pour un album intemporel et magnifique. a chanteuse Omara Portuondo a été l’emblème féminin du Buena Vista Social Club. Le pianiste Chucho Valdés a défini, au sein du groupe Irakere, un nouvel élan pour la musique populaire de Cuba. Au siècle dernier, le duo avait déjà enregistré un album. Il y a beaucoup plus longtemps encore, le jeune pianiste avait tenté, en vain, de séduire la jeune chanteuse. Entre affection historique et musicalité, la parfaite toile de fond d’un nouveau disque où de vieux adolescents mêlent leurs souvenirs, oscillant d’incunables cubains en emprunts au répertoire classique. Le déhanchement irrésistible de Huesito, initié par la diabolique main gauche du pianiste, rappelle que le meilleur remède contre la mélancolie reste la danse. Sur un thème, le trompettiste Wynton Marsalis est invité à partager cette offrande à la vie et à la musique, à l’amour et à l’admiration. Les ombres de Gershwin ou de Billie Holiday passent et complètent l’universalité du propos. Mais c’est bien la connivence du tête-à-tête qui magnifie l’expressivité de deux musiciens. Niché au mitan de dentelles délicates et de peaux parcheminées, le dialogue intemporel et souverain de deux éternels amants.

Synthétique mais charnelle, la pop azimutée de cet Anglais fait rêver. Les photographes connaissent bien le “bokeh”, ce flou d’arrière-plan qui permet d’effacer les détails pour mieux faire surgir le sujet. Le bokeh nécessite, techniquement, une grande ouverture. Celle, d’esprit, de l’Anglais Bibio est immense. Pourtant pointilliste, organisé avec une maniaquerie de chirurgien, Mind Bokeh a effectivement l’apparence globale de l’immense flou un peu fou qui s’empare des cerveaux trop agités pour ne pas partir tous azimuts. Mind Bokeh est une cathédrale hybride où le synthétique et le charnel s’enlacent dans des rêveries ouatées, un doux désordre psychédélique où boucles, samples, bouts de pop, morceaux de funk, essence de soul, riffs surprises et incongruités sonores forment les contours fluctuants d’un songe drogué. Un rêve étrange où l’on passe d’une nuit de sexe sauvage avec un Korg à des heures langoureuses passées à buller sur le sable blanc d’une plage de Zanzibar.

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Christian Larrède concerts le 30 juin à Orléans, le 2 juillet à Lyon, le 9 à Vauvert www.omaraportuondo.com

Thomas Burgel www.myspace.com/mrbibio 25.05.2011 les inrockuptibles 73

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Kyle Johnson

“à Seattle, il n’y a pas la tentation d’aller à la plage comme en Californie. Alors on va à la cave, pour composer”

coup de c(h)œur A Seattle, The Head And The Heart balance chemises à carreaux et guitares grunge pour signer un joli disque de pop-songs chorales. Nick Hornby est fan.

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uelques jours avant Noël, on demandait son coup de cœur discographique de l’année à l’écrivain anglais Nick Hornby. Connu pour son érudition musicale, l’auteur de High Fidelity répondait en citant The Head And The Heart. Nul n’avait alors entendu parler de cette formation américaine au nom qui évoque autant le ciboulot que les gambettes. Quelques recherches plus tard, le groupe se dévoilait un peu. Originaire de Seattle, The Head And The Heart a sorti

un premier album autoproduit l’an passé, avant d’être repéré par l’historique label Sub Pop. “On s’est retrouvés en une du Seattle Times”, explique Charity Thielen, chanteuse et violoniste francophile du groupe – elle a fréquenté les bancs de Sciences-Po Paris. “Le titre de l’article disait : ‘Le prochain gros groupe de Seattle ?’ On n’en croyait pas nos yeux. On a ensuite été contactés par le label Sub Pop. On a réarrangé l’album, qui ressort aujourd’hui.” Tout s’est passé vite pour la petite troupe. Le groupe se forme il y a à peine un an et demi, lors d’une soirée

open-mic bien arrosée d’un bar de la ville. Ses six membres viennent d’un peu partout aux Etats-Unis, mais tous partagent un amour pour le folk de Crosby, Stills, Nash & Young et des Fleet Foxes, pour la pop de Wilco et des Beatles. “Nous accordons tous la même importance aux mélodies. Je pense qu’on a vécu à Seattle une espèce de gueule de bois du mouvement grunge. On a eu envie de choses plus jolies, plus soignées. Ceci étant, le côté un peu déprimant de la ville reste un plus pour les artistes : il y pleut beaucoup, il n’y a pas la tentation

d’aller à la plage comme en Californie. Alors on va à la cave, pour composer.” Fini les cheveux gras, au diable les chemises de bûcherons : les popsongs de The Head And The Heart dévoilent une facette plus heureuse de Seattle. Bien peignées, elles sont surtout savamment chantées (Cœur d’Alene, Ghosts) – trois des membres du groupes se partagent le micro et les harmonies. Souvent, ces morceaux à chœurs évoquent d’hypothétiques travaux d’Arcade Fire, mais des membres d’Arcade Fire qui auraient décidé de privilégier l’acoustique et de préférer aux hymnes de stades les ambiances feutrées et les soirées devant la cheminée. “On aime Arcade Fire, bien sûr, mais pas seulement… On a des péchés mignons aussi, on aime bien Toto.” Pire encore qu’un plaisir coupable, The Head and the Heart est le titre d’un morceau du chanteur de variété irlandais Chris de Burgh, auteur de la dégoulinante Lady in Red. “On s’en est aperçu en tapant notre nom dans Google… La honte. Il ne faut surtout pas l’écrire, hein ?” Et puis quoi encore : ça va pas la tête (et le cœur) ? Johanna Seban album The Head And The Heart (Sub Pop/Cooperative/Pias) www.theheadandtheheart.com En écoute sur lesinrocks.com avec

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The Pattern Theory The Pattern Theory Valeot/A-Musik A Berlin, des Anglais poursuivent les recherches du post-rock. Pour qui manquerait de calmants, voire de sédatifs, le label autrichien Valeot offre un brillant substitut, avec un rock nocturne et contemplatif qui maîtrise les nerfs. Ainsi The Pattern Theory, Anglais basés à Berlin qui ont étudié l’élasticité de la musique chez Steve Reich ou Tortoise. A base de décharges électriques imprévisibles, silences insistants, mélodies sautillantes presque incongrues, beats africains et de xylophones/ vibraphones heurtés comme des gongs infernaux, leur musique rappelle que, loin de se résumer à une étiquette, le post-rock peut être ticket vers la liberté. JD Beauvallet www.valeot.com

The Suzan Golden Week for the Poco Poco Beat Fool’s Gold Records/Cooperative/Pias

Des fashionistas japonaises inventent leur propre style, entre 50’s et 80’s. st-ce rendre service à The Suzan que de révéler d’emblée qu’il s’agit d’un quatuor de Japonaises ultrafashion ? Car en se focalisant sur l’emballage et son origine, on risquerait de se méprendre sur le produit.The Suzan n’est pas, comme Shonen Knife ou les 5, 6, 7, 8’s, une version cosplay, déguisée, d’un genre balisé. Sa culture sans frontière, son charme canaille, The Suzan les met au service de son propre style, à cheval entre les années 50 (rockabilly, surf, swing, cabaret) et les années 80 (Bananarama, Tom Tom Club, Cyndi Lauper). Et rares sont les groupes qui, d’un tel cocktail d’influences, pourraient tirer quelque chose d’aussi drôle, inventif et savoureux.

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Jean-Baptiste Dupin www.thesuzan.com En écoute sur lesinrocks.com avec

Holden L’Essentiel Watusa Depuis plus de dix ans, Holden existe dans les marges du rock d’ici : dans le luxe. Elle, c’est Armelle, sorte de pendant féminin de Dominique A. Lui, c’est Mocke, guitariste dont les stries digitales témoignent d’un goût prononcé pour la bossa et la pop anglo-saxonne. Sous le nom d’Holden, ils écrivent depuis une douzaine d’années des chansons

parmi les plus galamment atypiques que la langue de Molière ait charpentées. Cette copieuse collection de classiques et d’inédits, qui court de leurs débuts proches de Television (Mike Harvey) à leur tropical apogée (Une fraction de seconde), en dresse le limpide constat. Benjamin Mialot www.watusa.fr En écoute sur lesinrocks.com avec

Emmylou Harris Hard Bargain Nonesuch/WEA Avec un album culotté et classe, Emmylou Harris redevient Emmylou à risques. L’émotion, digne et pudique, qui se dégage du vingt-et-unième album de la reine de la country-folk, désormais sexagénaire, nimbe des chansons où l’on parle beaucoup de la mort. D’une évocation de souvenirs de tournée en compagnie du complice Gram Parsons à un salut riche d’humour désespéré à feue Kate McGarrigle, Hard Bargain offre une galerie d’amis désormais absents. Enregistré en équipe réduite, il délivre surtout la remarquable performance d’une dame qui n’a rien perdu de la richesse d’un chant toujours en suspension, mais tant resserré son écriture qu’elle ne compose plus désormais que des classiques instantanés. Dans l’une des rares reprises de la sélection et chansontitre, elle fait siens des mots de perte et de solitude empruntés à Ron Sexsmith, et les magnifie par une spiritualité spontanée. Un merveilleux album. Christian Larrède www.emmylouharris.com En écoute sur lesinrocks.com avec 25.05.2011 les inrockuptibles 75

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Doug Seymour

The Feelies Here Before Bar None Records/La Baleine Miraculeux : les légendaires Américains reviennent avec une nervosité et une classe intactes, comme si six mois s’étaient écoulés depuis 1986. st-ce qu’il est il s’écoute sans nostalgie. de R.E.M., qui auraient pris trop tard/Pour Cette musique a toujours les routes de campagne recommencer/Ou été hors du temps et plutôt que le chemin devrait-on attendre/ des modes, peut-être plus des stades. Quatre albums Encore dix ans ?” Dès les entre 1980 et 1991 (les deux inspirée par l’essence et la premiers mots de leur permanence des éléments premiers sont des chefsnouvel album, les Feelies naturels (le soleil, le vent) d’œuvre), et puis vingt ans posent la bonne question. que par l’histoire du rock. de vacances, auxquelles Pourquoi un nouvel Parce que, quand même, le groupe mettait fin album, vingt ans après on n’est plus en 1986, il y a une paire d’années le précédent ? Pourquoi on peut se demander pour quelques concerts. prendre le risque à quoi sert un nouvel album Le nouvel album de décevoir, comme tant des Feelies qui sonne s’appelle Here Before, et d’autres groupes cultes exactement comme il ne ment pas. Les Feelies reformés ? Pourquoi faire les précédents. A ouvrir sont passés par ici, ils pleuvoir les larmes aux plus jeunes les portes repasseront par là, cercle amères du “c’était mieux d’un jardin secret. vertueux. La moitié avant” sur le plus beau Et à rassurer les anciens : des chansons de cet album paradis perdu de la pop c’était forcément mieux aurait pu figurer sur The américaine ? avant, mais c’est encore Good Earth, leur deuxième Dans les années 80, possible aujourd’hui. de 1986. Rien n’a changé Stéphane Deschamps entre deux orages chez les Feelies : la même (l’after-punk et le grunge), voix sobre et incertaine de www.thefeeliesweb.com les Feelies trouvaient Glenn Mercer, les mêmes la trouée de ciel bleu, l’aire spirales de guitares effilées de repos et l’échappée qui dessinent des ronds belle : une pop éolienne dans des chansons en bois mouvante, hautement vert, les mêmes envolées oxygénée et doucement pastoralo-psychédéliques, psychédélique, inspirée par la même simplicité l’intensité urbaine du Velvet magnétique. Underground mais sortie Here Before aurait pu du souterrain, retournée sortir il y a vingt-cinq ans à la nature. Des cousins (ou dans dix ans), mais

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Eglantine Molokostar

Kid Bombardos Sundays Sober & Gentle/Sony Music Quatre Bordelais portent le rock avec classe et nonchalance. isages d’angelots taillés au donc, innée, insolente de naturel, cran d’arrêt, rock gominé, qui suinte une nouvelle fois morgue de Liverpool : les de ce single aux airs nonchalants Kid Bombardos, trois frères mais à la maniaquerie de vieille bordelais et un copain de bringue, dentellière, à la fois tendre au ont le physique de l’emploi. On les cœur et faux dur en surface, aussi a vus en concert en Angleterre. Ils romantique que vaurien. Sundays ? jouaient là à domicile, la pop comme Le jour des seigneurs. JD Beauvallet une seconde nature, chevillée au corps, sans chiqué, à la Coral, à la www.myspace.com/kidbombardos Casablancas (un peu trop même sur En écoute sur lesinrocks.com avec certaines intonations). De la pop,

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Benjamin Biolay Pas la forme Pas la forme Benjamin ? On n’y croit pas une minute à l’écoute de cet extrait plutôt groovy de la BO qu’il a composée pour Pourquoi tu pleures ?, film dans lequel il tient d’ailleurs le premier rôle. www.facebook.com

Bon Iver Calgary Encore un mois à patienter avant la sortie du deuxième album de Bon Iver, mais déjà un premier extrait en écoute et en téléchargement. Troublant, céleste et hors du temps, Calgary annonce la couleur : le Bon Iver nouveau sera grand. www.lesinrocks.com

Hoquets Couque de Dinant Only in Belgium. L’ahuri trio Hoquets rappe en images la recette de la couque de Dinant, ce biscuit un peu spécial qui a rendu riches des générations de dentistes en Wallonie. Extrait de l’album Belgotronics, entièrement consacré à la Belgique. www.hoquets.net

Redeye Be the One L’échappée solitaire de Guillaume Fresneau, chanteur raffiné du groupe Dahlia, cultive et perpétue les souvenirs de Jeff Buckley et d’Elliott Smith. Dans une ambiance folk, sauvage et délicate, la voix du Rennais flotte entre les cordes des guitares et des violons pour s’engouffrer dans les mémoires. www.lesinrockslab.com/redeye 25.05.2011 les inrockuptibles 77

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Arcade Fire 28/6 Paris, Zénith Art Rock Du 9 au 12/6 à Saint-Brieuc, avec The Hives, Yelle, The Joy Formidable, Klaxons, Florent Marchet, etc. Asa 19/10 Paris, Zénith Avi Buffalo 8/7 Paris, Flèche d’Or BBK Live Du 7 au 9/7 à Bilbao, avec Coldplay, Crystal Castles, Amy Winehouse, Kasabian, Kaiser Chiefs, The Chemical Brothers, !!!, Blondie, Beady Eye, TV On The Radio, etc. Beirut 12/9 Paris, Olympia Bombay Bicycle Club 14/6 Paris, Flèche d’or The Books 30/5 Paris, Géode Bright Eyes 22/6 Paris, Alhambra Buzzcocks 27/5 Limoges Cascadeur 11/6 Montereau Cat Power 3/7 Paris, Cité de la Musique Charlélie Couture 27/5 Schiltigheim, 10 & 11/6 Paris, Casino de Paris Clap Your Hands Say Yeah 12/9 Paris, Maroquinerie Cloud Control 17/6 Paris, Flèche d’Or CocoRosie 27/8 Saint-Cloud Congotronics vs Rockers 9/7 Paris, Bataclan, avec Deerhoof, Konono n° 1, Kasaï, Juana Molina, etc. Cults 25/5 Paris, Boule Noire Da Brasilians 11/6 SaintLaurent de Cuves, 14/6 Paris, Point Ephémère, 21/6 Lorient,

2/7 Caen, 14/7 Les Sablesd’Olonne, 15/7 SaintBrévins-lesPins, 21/7 Blois Death In Vegas 27/5 Paris, Alhambra Dengue Fever 27/6 Paris, Boule Noire

Deus Annoncé en avril, puis reporté, le nouvel album des Belges, Keep You Close, pointera le bout de son nez le 19 septembre et s’annonce aussi épique que voluptueux. 25/5 Paris, Flèche d’Or The Divine Comedy 17/6 Paris, Théâtre de la Ville Thomas Dybdahl 25/5 Feyzin, 26/5 Arles, 27/5 Marseille, 28/5 ClermontFerrand Eels 4 & 5/7 Paris, Bataclan Electrelane 22/7 Paris, Glazart Elysian Fields 25/5 Bordeaux, 26/5 Pau, 27/5 SaintNazaire Eurockéennes de Belfort Du 1er au 3/7 à Belfort avec Arcade Fire, Beady Eye, Beth Ditto, Arctic Monkeys, Motörhead, House Of Pain, Katerine, Anna Calvi, etc. Bryan Ferry 12/6 Saint-Brieuc, 13/6 Paris, Olympia, 21/7 Arles, 22/7 Carcassonne, 25/7 Lyon, 30/7 Monte-Carlo

Festival Au foin de la rue 1er & 2/7 à Saint-Denisde-Gastines, avec Tiken Jah Fakoly, Yael Naim, Jaqee, The Qemists, etc. Festival Beauregard Du 1er au 3/7 à HérouvilleSaint-Clair, avec Motörhead, The Kooks, Kasabian, Anna Calvi, Katerine, Cold War Kids, Agnes Obel, Eels, The Ting Tings, Two Door Cinema Club, etc. Festival Cabaret vert Du 26 au 28/8 à CharlevilleMézières, avec Vitalic, The Bewitched Hands, Lilly Wood & The Prick, The Shoes, Selah Sue, etc. Festival Days off Du 30/6 au 10/7 à Paris, Cité de la Musique, avec Fleet Foxes, Cat Power, Peter von Poehl, I’m From Barcelona, etc. Festival Europavox Du 25 au 28/5 à ClermontFerrand, avec Cocoon, Catherine Ringer, Aaron, Boys Noize, etc. Festival Fast & Curious Du 7 au 28/5 à Rouen (106), avec Muscle Music From Detroit, Mo’Boogie, The Sonics, etc. Festival K-Live 27 & 28/5 à Sète, avec The Jon Spencer Blues Explosion, Jessie Evans, Servo, etc. Festival Les Nuits secrètes 5, 6 & 7/8 à AulnoyeAymeries, avec Katerine, Peter Bjorn & John, Gablé, Wild Beasts, etc. Festival Papillon de nuit Du 10 au 12/6 à Saint-Laurentde-Cuves avec The Hives, Beady Eye, Aloe Blacc, Kaiser Chiefs, Klaxons, etc.

Fleet Foxes 30/5 Paris, Bataclan Arnaud Fleurent-Didier 7/7 Paris, Bouffes du Nord Les Francofolies Du 12 au 16/7 à La Rochelle, avec Cocoon, The Dø, Yelle, Katerine, Asa, etc. Le Grand Souk All VIP Du 21 au 23/7 à Ribérac avec Two Door Cinema Club, Katerine, The Bewitched Hands, Tahiti 80, Violens, etc. The Go! Team 24/6 Paris, Hippodrome de Longchamp Hushpuppies 26/5 Tours, 27/5 Saint-Lô, 15/7 La Rochelle Inrocks Indie Club mai 27/5 Paris, Fèche d’Or, avec The Leisure Society, Francesqa et Morning Parade Is Tropical 8/6 Paris, Point Ephémère Jay-Jay Johanson 30/5 Paris, Café de la Danse Karwa 29/6 Paris, Maroquinerie, 3/7 Belfort, 7/7 Orléans Kasabian 1/7 HérouvilleSaint-Clair Katerine 27/5 Paris, Olympia Mamani Keita 10/6 Paris, Maroquinerie Keren Ann 25/5 Paris, Cigale BB King 30/6 Paris, Grand Rex Kocani Orkestar 1/6 Brest The Kooks 7/6 Paris, Cigale Le Prince Miiaou 26/5 Toulouse Emily Loizeau & Brad Barr 17/6 Paris, Auditorium du Louvre Lykke Li 23/6 Paris, Cigale

Main Square Festival Du 1er au 3/7 à Arras, avec Coldplay, Linkin Park, Arcade Fire, Portishead, The Chemical Brothers, PJ Harvey, Elbow, etc. Florent Marchet 4/6 Saint-Denisde-Pile, 23/7 Bournezeau, 24/9 Seclin, 7/10 Franconville, 13/10 Illkirch, 2/11 Paris, Casino de Paris

Mercury Rev joue Deserter’s Songs Chef-d’œuvre trop souvent oublié, le quatrième album studio des Américains sera célébré solennellement à Paris avant d’être fêté, le lendemain, à Barcelone, au Primavera Sound Festival. 25/5 Paris, Bataclan Metronomy 25/5 Tourcoing, 26/5 Strasbourg, 5/7 Paris, Cité de la Musique Mogwai 4/7 Paris, Folies Bergère Monarchy 9/6 Paris, Maroquinerie Motörhead 23/10 Toulouse, 25/10 ClermontFerrand, 26/10 Nantes, 31/10 Lille, 21/11 Paris, Zénith Nasser 27/5 Toulouse, 3/6 Val-de-Reuil, 25/6 Paris, Hippodrome de Longchamp, 3/7 Belfort, 9/7 Saint-Ambroix, 15/7 Carpentras, 16/7 Carhaix, 20/7 Nyon Les Nuits Botanique Du 10 au 29/5 à Bruxelles, avec Sufjan Stevens, Animal Collective, Caribou, The Black Lips, Katerine, The Dodos, etc.

Les Nuits de Fourvière Du 7/6 au 30/7 à Lyon, avec Arctic Monkeys, Catherine Ringer, Beirut, Lou Reed, Two Door Cinema Club, Agnes Obel, Tame Impala, etc. Les Nuits sonores Du 1er au 5/6 à Lyon, avec Battles, DJ Shadow, The Sonics, Crystal Stilts, Brodinski, etc. Agnes Obel 4, 5 et 6/7 Paris, Bouffes du Nord, 2/11 Paris, Casino de Paris Las Ondas Marteles 29/5 Paris, Maroquinerie Orwell 1/6 Paris, Sentier des Halles The Pains Of Being Pure At Heart 16/6 Paris, Flèche d’Or Madeleine Peyroux 5/7 Paris, Trianon Planningtorock (+ Tom Vek) 22/6 Paris, Flèche d’Or Primavera Sound Du 26 au 30/5 à Barcelone avec Pulp, Sufjan Stevens, The Flaming Lips, Interpol, Of Montreal, Caribou, Das Racist, Belle & Sebastian, The National, Deerhunter, etc. Queens Of The Stone Age 25/5 Strasbourg Le Rock dans tous ses états 24 & 25/6 Evreux, avec Tiken Jah Fakoly, Razorlight, The Inspector Cluzo & Mates, Young Fathers, etc. Rock en Seine Du 26 au 28/8 à Saint-Cloud, avec Interpol, Foo Fighters, Arctic Monkeys, The Kills, Anna Calvi, Miles Kane, The Vaccines, etc.

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Dès cette semaine

Gaëtan Roussel 31/5 Paris, Cigale, 23/9 Paris, Casino de Paris La Route du rock Du 12 au 14/8 à Saint-Malo, avec The Kills, Fleet Foxes, Blonde Redhead, Mogwai, Battles, Electrelane, Crocodiles, Cat’s Eyes, etc. Saint-Denis Métis Du 5/5 au 24/6 en Seine-SaintDenis avec Grand Corps Malade, Gotan Project, Simon

Bolivar String Quartet, etc. Sakifo Musik Festival Du 10 au 12/6 à La Réunion, avec Chapelier Fou, Yodelice, Stromae, Les Wampas, etc. The Sonics 3/6 La Rochelle Sound Of Rum 11/6 Paris, Flèche d’Or The Specials 27/9 Paris, Olympia The Strokes 20/7 Paris, Zénith

Stromae 3/11 Paris, Olympia Stupeflip 1/6 Saint-Etienne, 8/6 Tours Success 17/6 Québriac, 18/6 Dinard, 24/6 Angers, 1/7 Châteauroux, 2/7 Bobital, 9/7 Guéret, 27/8 Bréalsous-Montfort Selah Sue 27/5 ClermontFerrand, 10/6 SaintLaurent-deCuves

Nouvelles locations

The Tallest Man On Earth 30/5 Paris, Maroquinerie Tamikrest 22/6 Paris, Point Ephémère Erik Truffaz 27/5 Arles, 2/5 Six-Fours, 4/11 Paris, Trianon Tune Yard 30/5 Lyon, 31/5 Metz, 2/6 Paris, Café de la Danse, 11/6 Saint-Brieuc TV On The Radio 13/7 Paris, Olympia

Kurt Vile 25/5 Bordeaux Villette Sonique On ne le dira jamais assez : Villette Sonique fait partie des meilleurs festivals de France. Aucune excuse donc pour rater l’événement, dont la programmation est encore une fois cette année à tomber par terre. Du 27/5 au 1/6 à Paris, avec Thurston Moore,

En location

Beth Ditto, Animal Collective, Discodeine, Caribou, Current 93, The Fall, etc. Warpaint 26/5 Paris, Bataclan The Wave Pictures 28/5 Paris, Flèche d’Or The Wombats 27/5 Paris, Trianon Wu Lyf 29/6 Paris, Point Ephémère Wu-Tang Clan 2/6 Nice

Gablé, c’est cinglé

aftershow

The Great Escape du 12 au 14 mai à Brighton Avec autant de professionnels que de public dans sa trentaine de salles, The Great Escape est autant un festival qu’un marché, auquel se pressent les labels et programmateurs de concerts du monde entier. Pour séduire les émissaires des vastes festivals d’été, certains groupes n’hésitent pas, même dans des petites salles, à sortir le gros son : c’est le cas des impressionnants Américains de Foster The People, futures stars, de Mona, déjà taillés pour suivre les Kings Of Leon, ou des Vaccines, Anglais à la pop d’une efficacité diabolique. On prévoyait le triomphe de plusieurs chanteuses, comme ce fut le cas pour Anna Calvi dans l’édition 2010. L’electro-pop, redoutable de maîtrise et de mise en scène, de Oh Land ou des Londoniens The Alpines a ainsi impressionné. On a également adoré les mélopées éthérées des Canadiens de Braids, la bubblegum-pop délicieuse des New-Yorkais Cults ou le rock convulsif, rugueux de l’Américaine EMA. Par contre, grosse déception chez les trop poseurs et théâtraux Kitten ou 2:54. Autres coups de cœur de cette édition ? Un concert halluciné de Gang Gang Dance, les chansons féeriques des Anglais de Lantern On The Lake, le chant hantant de Bastille, le folk remuant de Dry The River, la pop espiègle de Dog Is Dead, le hip-hop à gorge profonde de Ghostpoet, les mélodies lunaires de Cascadeur ou le rock cinglé des Normands Gablé. JD Beauvallet 25.05.2011 les inrockuptibles 79

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en T-shirts et jeans Set&Match (à droite) en T-shirt Owlle (à gauche)

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le concours de découvertes musicales

merci aux finalistes du mois d’avril

Set&Match et Owlle pour leur concert à la soirée Inrocks Lab Party du 11 mai 2011 à La Flèche d’Or – Paris

Set&Match Album

Comment te dire ! déjà disponible

Concert

23/05 à Montpellier (Rockstore)

Owlle Album à venir Concert

03/06 à Paris (Café de la danse)

prochaine soirée Inrocks Lab Party le mercredi 15 juin 2011 à La Flèche d’Or – Paris (XXe) rejoignez la fan page Facebook Levi’s® France pour être informé des concerts photo réalisée à La Flèche d’Or par Emma Pick

www.lesinrockslab.com

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femmes au bord de l’abîme Figure trop méconnue des lettres américaines des années 1940, l’extravagante Jane Bowles a créé un univers littéraire peuplé de femmes à son image : borderline, désaxées, imprévisibles.

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emme de. Pendant longtemps, on a cantonné Jane Bowles, considérée pourtant par Tennessee Williams comme “l’un des auteurs de fiction les plus remarquables de l’époque moderne”, au statut de “femme de”. En l’occurrence de Paul Bowles, compositeur et auteur du célèbre Un thé au Sahara. Un mari qui préférait les hommes quand Jane, elle, s’éprenait de femmes, mais un époux présent, aimant, alter ego plutôt qu’amant, âme sœur qui voyait clair dans la psyché tourmentée de sa fantasque compagne. Dans une lettre au metteur en scène Jorge Lavelli, écrite en 1994, vingt ans après la mort de Jane, Paul dresse ce microportrait tendre et amusé de l’auteur de Sa maison d’été : “Jane adorait inventer ce qu’elle appelait des ‘personnages’ et souvent elle les interprétait dans la vie. Je me souviens qu’un soir un couple d’Anglais plutôt pompeux nous rendit visite. Jane, assise les jambes repliées devant la cheminée, attaquait une côtelette de mouton. Comme je la présentais à l’homme, elle se barbouilla encore plus de gras et, avec un sourire, lui tendit une main graisseuse en lui disant, comme pour le rassurer : ‘J’ai aussi mon côté spirituel.” Spirituelle, extravagante, passionnée, drôle, autodestructrice, Jane Bowles était encore plus romanesque que ses héroïnes, confondant allègrement l’art et la vie, fidèle à une certaine tradition de l’avant-garde bohème du début du XXe siècle. Tout dans sa biographie semble relever de la légende. A commencer par sa rencontre en 1934 avec Céline, sur le paquebot qui la ramenait aux Etats-Unis, après deux années dans un sanatorium suisse. Elle a alors 17 ans et décide de devenir écrivain. Puis ce sera le mariage avec Paul, les voyages, la vie à Tanger, les maîtresses, Cherifa l’amante marocaine, les affinités électives avec Truman Capote – qui la comparait à “un elfe torturé” –, Carson McCullers, Tennessee Williams, l’alcool à haute dose, les attaques. Pour elle, qui ressasse les mêmes thèmes jusqu’à la névrose obsessionnelle, l’écriture est un processus douloureux. Elle écrira peu : un roman, Deux dames sérieuses, des nouvelles et une pièce de théâtre, Sa maison d’été. Le recueil Plaisirs paisibles et les Nouvelles et théâtre ressortent aujourd’hui en poche. Les femmes qui peuplent ces textes sont à l’image de Jane Bowles, désaxées

et imprévisibles. Veuve borderline, prostituées, mères étouffantes, elles se promènent toutes au bord de l’abîme avec une attitude frondeuse, comme si, à travers elles, Jane Bowles narguait son lecteur : “A ton avis, sautera, sautera pas ?” Il y a un côté sale gosse chez celle qui se définissait comme “une enfant précoce” à défaut, selon elle, d’être un véritable écrivain. La sortie de l’enfance, avec sa cohorte de désillusions et d’incompréhensions, constitue la pierre angulaire de son œuvre, peut-être plus encore que la folie. Ses héroïnes se comportent comme des petites filles capricieuses qui refuseraient obstinément de grandir, de quitter la sphère insouciante du jeu pour entrer dans le monde adulte bridé par les conventions, le devoir conjugal. Certaines préfèrent fuir ce monde, se réfugier dans des cabanes (“Camp Cataract”, “A la recherche de Lane”) ou dans leurs fantasmes. Sœurs de Blanche Dubois ou de la Maggie d’Une chatte sur un toit brûlant, elles inspirent à la fois fascination et répulsion, désir et dégoût. Dans “Une idylle au Guatemala”, l’une des nouvelles les plus intrigantes de Plaisirs paisibles, la Señora Ramirez, une Bovary érotomane, se donne fiévreusement à un voyageur de commerce qui la trouve pourtant repoussante : “Elle était bien mal en point, se dit-il. C’était comme la mort.” Jane Bowles exploite jusqu’à la corde le couple eros/thanatos, elle qui a presque toujours associé l’écriture à ses conquêtes amoureuses, à la fois sources d’exaltation et de douleur. L’ombre de la religion, de la culpabilité, plane étrangement sur ses textes. Ainsi, cette scène d’une inquiétante beauté onirique dans laquelle, après avoir fait l’amour, la Señora Ramirez donne à croquer une petite Sainte Vierge en sucre rassis à ses deux filles somnolentes. Héritière déviante de Virginia Woolf, Jane Bowles suit le cours méandreux de la conscience de ses personnages, femmes sorcières, ensorceleuses et monstrueuses, souvent en “crise”, dépressives telle la Harriet de “Camp Cataract”, fragiles comme du cristal près de se briser. A ce flux chaotique, détraqué, l’écrivaine donne une forme d’une implacable méticulosité. Mais le style de Bowles se révèle lui aussi curieux, “oblique”, comme le qualifiait Carson McCullers, envahi de non-dits dérangeants. On devine un viol,

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en marge

même pas morts

Carl Van Vechten/Library of Congress (31/10/1953)

Marre de cette vieille rengaine populiste de la mort du critique littéraire. Il est en pleine forme et vous salue bien bas.

un suicide, un meurtre. Mais jamais ils ne sont évoqués directement. Comme s’il fallait nier le réel dans ce qu’il a de plus violent pour rester coûte que coûte dans l’enfance, dans le jeu. Quitte à s’y perdre, comme Molly, la jeune fille au cœur de Sa maison d’été. A-t-elle tué Vivian, sa rivale ? De quoi se punit-elle en menant une existence sordide, claquemurée dans un restaurant de fruits de mer avec une porte en forme de coquille d’huître ? A la tragédie, Jane Bowles mêle le grotesque, elle allie subtilement démence et humour. “Je ne suis pas certain qu’on ait suffisamment pris conscience que Jane était avant tout une humoriste, écrit encore Paul Bowles dans sa lettre à Lavelli. Pour que la vie soit supportable, il faut la rendre absurde.” Ce que s’est échinée à faire Jane Bowles, auteur d’une œuvre et d’une vie d’une insoutenable légèreté. Elisabeth Philippe Plaisirs paisibles (Christian Bourgois/Titres), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claude Thomas, 208 pages, 6 € Nouvelles et théâtre (Christian Bourgois/Titres), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claude Thomas, 320 pages, 8 €

l’auteur 1917 Naissance de Jane Stajer Auer, fille d’émigrés juifs d’origine allemande, et hongroise, à New York. 1932 Atteinte de tuberculose, elle est envoyée dans un sanatorium suisse. Découvre Gide, Proust, Montherlant et apprend le français. 1938 Mariage avec l’écrivain et compositeur Paul Bowles. 1943 Parution de son roman Deux dames sérieuses, que beaucoup de critiques jugent incompréhensible. 1948 Rejoint Paul à Tanger. 1953 Sa pièce Sa maison d’été est montée à Broadway. 1957 Attaque cérébrale. Elle ne peut plus écrire. 1973 Meurt dans une clinique de Malaga (Espagne).

Il paraît que le critique littéraire est mort. Il ne fait plus autorité et, pire que tout, ne fait plus vendre… Enfin, comprenez : le critique littéraire de la presse écrite, parce que ce qui compterait maintenant, ce sont les sites et Facebook. C’est le genre de vieille rengaine populiste qui revient régulièrement, régulièrement servie par des petits messieurs aigris. Il y a quelques mois, c’est Frédéric Martel qui s’y collait sur son site Nonfiction avec une enquête dont l’approximation – l’anonymat de tous les intervenants – ferait rougir n’importe quelle rédaction de presse écrite. D’autant plus que cette attaque de la critique se muait vite en fusillade du Masque et la Plume, qui avait osé (lors d’une émission où je n’étais pas) contester Mainstream, le livre du même Martel. Tout cela n’aurait pu être qu’une plaisanterie si le Centre national du livre n’avait cru bon d’organiser la semaine dernière une conférence sur le sujet avec l’éternel Martel et sans aucun contradicteur. Le problème, c’est qu’on n’a jamais vu un éditeur se réjouir de n’avoir aucune presse dans Les Inrocks, Télérama, Libé, L’Obs et autres, mais un article sur un site. Jamais entendu non plus un écrivain dire : “J’ai vendu cent mille exemplaires grâce à Nonfiction. Rien à foutre de Libération.” De toute façon, la question, d’emblée, de la prescription, est absurde : les critiques littéraires ne sont pas des vendeurs. Pourtant, c’est une presse écrite enthousiaste qui, en septembre 2009, a fait passer Marie NDiaye d’une moyenne de 15 000 ventes par titre à 150 000 avant même le Goncourt (et sans passer chez Ruquier). Aurait-elle reçu ce prix si elle n’avait été remarquée que par trois book-clubs sur Facebook ?

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Inge Morath/Magnum Photos

ArthurM iller sur la plage deM ontauk, New York, 1963

nouvelles du crépuscule Six ans après la mort du grand dramaturge américain, six nouvelles tardives d’Arthur Miller livrent les clés de son génie : humaniste lucide et sublime mélancolique.



ujourd’hui, qu’évoque le nom d’Arthur Miller ? Quelques pièces ultra jouées (Les Sorcières de Salem ; Mort d’un commis voyageur), un mariage houleux avec la plus grande star blonde de tous les temps, dont le fruit fut un film (Les Désaxés) à défaut d’un enfant ; un prénom enfin, Miller seul évoquant d’abord Henry. Car c’est un fait, en dépit d’un Pulitzer et du statut de réformateur du théâtre américain qui lui fut accordé à partir des

années 50, Arthur Miller, avec le temps, a vu son étoile pâlir au firmament des VIG (very important geniuses). La faute peut-être à une plume touche-à-tout, collant à l’auteur l’image d’un indécis doué autant pour le théâtre que pour le roman ou le cinéma – genres auxquels il faut ajouter aujourd’hui celui de la short story. Publiées peu de temps avant sa mort, les six nouvelles inédites qui composent le recueil intitulé Présence confèrent encore un autre visage à l’écrivain, moins sévère et

son unique roman réédité Publié dans l’immédiat après-guerre, l’unique roman du dramaturge, Focus, découle directement des jeunes années de Miller et de son expérience de l’antisémitisme, alors qu’il travaille dans un entrepôt de pièces détachées automobiles. Son héros, Laurent Newman, est un technocrate modèle subitement confronté à l’animosité

de ses collègues et voisins, qui le prennent pour un Juif. Dans ce drame sec et suffocant, Miller sonde les thèmes de l’exclusion et de la persécution, et livre un portrait anxiogène, inattendu, d’une Amérique xénophobe et antisémite. Focus (Pavillons poche), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Yvonne Desvignes, 371 pages, 8,90 €

moins sulfureux : un homme vieillissant qui s’est détourné du monde pour regarder en lui-même à l’hiver de sa vie. Miller y renoue pourtant avec sa veine sociale et politique, au principe de tout son théâtre. Dans “La Distillerie de térébenthine”, le retour d’un pianiste à Haïti, trente ans après sa dernière venue, fait état de la ruine de l’utopie communiste et d’un espoir de démocratie. Une autre nouvelle, “La Représentation”, l’une des plus sidérantes du recueil, relate l’expérience d’un danseur juif adoubé par Hitler lors d’une tournée en Europe. Surréalisme des scènes, du Führer ému aux larmes par un numéro de claquettes à l’ahurissant examen racial où l’artiste est déclaré “de race aryenne zolide et spézifique”. L’antisémitisme, la grande affaire de l’œuvre de Miller (lire encadré), prend

la forme d’un gag sordide, profondément dérangeant, comme dans “Castor”, qui fait de l’extermination d’un rongeur un modèle de xénophobie et d’exclusion – l’ensemble des nouvelles dégageant par ailleurs un fort parfum de maccarthysme, dont l’écrivain fut une cible patente. Chez Miller, l’origine et les convictions politiques sont sources d’ostracisation, comme l’est également le désir, auquel sont soumis tous ses personnages – le jeune ado de “Bouledogue” déniaisé par une fille de joie comme ce promeneur tombant sur un couple enlacé sur la plage (“Présence”). Sauvage, forcément, et contraire surtout aux puissances du mariage. Dans “Le Manuscrit primitif”, Miller oppose explicitement le naufrage d’un couple, formé par un écrivain et son épouse névrotique, à la pulsion sexuelle primale, moteur de création et de vie, celle-là même qui conduira l’homme en panne d’inspiration à écrire le premier chapitre de son roman sur le corps d’une femme nue. Cette nouvelle, comme les autres, résonne à la manière d’un formidable aveu d’humanisme impuissant, de lucidité souillée par sa défaite. Chez Miller, l’homme comme l’écrivain ont failli puisque “la conscience de soi avait entaché son lyrisme du début”. Un constat d’échec intense où chaque histoire puise une splendide nostalgie, une mélancolie radieuse dont la seule consolation est de se dire que tout n’aura été que mirage. Emily Barnett Présence (Robert Laffont), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Guglielmina, 204 pages, 1 8 €

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Renaud Monfourny

ex-fan des seventies En 1973, Don DeLillo écrivait un roman sur le rock. Formidable et formidablement daté, il sort enfin en France. mi-chemin entre St Marks Place Hybride de Dylan et de Jim Morrison, (où les New York Dolls posent Bucky Wunderlick est l’archétype du la même année pour la pochette prophète sixties, entraînant rituellement de leur premier album) et son public au bord de l’hystérie et brassant le Bowery (où, rebaptisé CBGB’s, un bar dans ses chansons sexe, violence et à bikers s’apprête à devenir la Mecque courroux contestataire. Bien que retiré du punk), une rock-star se cloître dans du monde, il attire une nuée de parasites, un gourbi de l’East Village new-yorkais. journalistes et sommités underground En larguant son groupe, Bucky Wunderlick – sans oublier un manager rapace et a le double privilège de devenir, en 1973, les membres d’une communauté qui, bien l’objet de mille rumeurs et le héros du qu’infiniment mieux organisée qu’elle, premier grand roman consacré au monde partage avec la “famille” de Charles du rock. Mais en aucune manière d’un Manson un penchant pour le maniement roman rock. Don DeLillo étant l’anti-Nick du poignard et le trafic de dope. Hornby, la dérive de son personnage Sous les cieux de glace de l’hiver n’est jamais vue à travers des lunettes new-yorkais s’enchaînent alors en forme de cœur. Cérébral et satirique simulacres de dialogues (retranchés (voire caricatural), Great Jones Street dans leurs discours, les protagonistes poursuit l’entreprise de démythification sont sourds à celui d’autrui), doubles jeux tous azimuts commencée deux ans plus tôt et manipulations, l’intrigue s’organisant avec Americana. autour de deux sacs volés, dont l’un Au-delà de son maniérisme contient les bandes de chansons inédites – monologues abscons et réparties et l’autre des échantillons d’une drogue cryptiques permettraient à eux seuls aux effets décérébrants tout aussi inédits. d’en identifier l’auteur –, Great Jones Street Tandis que les sans-abri grelottent, reste un roman d’autant plus formidable délirent et vocifèrent dans les rues de qu’il est formidablement daté. Ecrit Manhattan, Great Jones Street s’achemine au lendemain de la décennie la plus folle vers une fatale conclusion paranoïaque, de l’histoire du rock, celle où Godard filmait laquelle n’empêche pas l’écriture l’accouchement d’un sulfureux classique de DeLillo d’atteindre, dans le dernier des Stones tandis que des exégètes chapitre, des sommets d’une poésie analysaient le contenu des poubelles d’autant plus insolite que c’est dans de Dylan ou épiloguaient sur les pieds nus la grisaille urbaine qu’elle puise son éclat. Bruno Juffin de Paul McCartney, le livre capte à la perfection le climat culturel d’une époque durant laquelle le moindre refrain Great Jones Street (Actes Sud), traduit d’un songwriter en pétard contre la guerre de l’anglais (Etats-Unis) par Marianne Véron, 290 pages, 22 €. En librairie le 1er juin. du Vietnam affolait les rotatives.

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Janis Joplin

Yoram Kahana/Shooting Star/Columbia

le rockeur mort Inépuisable vivier de personnages prêts-à-écrire, le panthéon du rock est largement pillé ces derniers temps. Souvent pour le pire.

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roisser l’amour-propre des gens de plume (de paon ?) est une périlleuse entreprise. En se proposant de faire leur boulot à leur place (“Si je me plongeais un stylo dans le cœur/Si j‘en répandais tout le contenu/cela vous satisferait-il ?”), Mick Jagger s’est, depuis It’s Only Rock’n’Roll, visiblement attiré la rancune de pas mal d’écrivains. En témoignent diverses mesures de rétorsion, qui s’échelonnent du simple écorchage de nom (avec un superbe mépris des choses du rock, John Updike le rebaptise Mike Jaegger dans L’Après-Vie) à la farce bas de gamme (dans Keith Me, l’inénarrable Amanda Sthers montre le chanteur des Stones en train de se fendre la poire tout en enculant son guitariste). Ce genre de maltraitance ne saurait toutefois éclipser celles dont sont désormais victimes les rockeurs morts qui, à la différence des héros de fiction, tombent dès leur trépas dans le domaine public. Et sont la providence de petits malins nécrophages, se voyant offrir sur un plateau des personnages aux tics, addictions et appétits suffisamment répertoriés pour les dispenser de se creuser la cervelle. En témoigne la parution rapprochée de trois ouvrages, respectivement consacrés aux Ramones, à Syd Barrett et à quelques légendaires cadavres du rock américain. En sortant de leur tombe, tous subissent une cure d’amaigrissement à faire rêver

la plus jusqu’au-boutiste des anorexiques pour, caricature oblige, se retrouver dotés d’une personnalité aussi mince que les pages des livres où commence leur seconde vie. Ainsi des faux frères du Bowery qui, après avoir longtemps joué les personnages de comics, deviennent dans un ouvrage collectif (Ramones – 18 nouvelles punk et noires) les cousins punk nigauds (quoique fort sympathiques) du Lucien de Margerin. Syd Barrett a nettement moins de chance. Initialement déformé par les puissants psychotropes que sont le fétichisme et la dévotion, le portrait que dresse de lui l’écrivain italien Michele Marti finit par verser dans le voyeurisme morbide. Privé de l’humour d’un Nick Hornby (dont le Juliet, Naked jouait également avec les dégâts qu’une star recluse peut produire sur le psychisme de ses fans), Pink Floyd en rouge carbure aux clichés déplaisants (après avoir été campé en bite, Jagger – “le lippu” – y devient une simple bouche) et fait du garçon qui emmena le rock au royaume des étoiles une sorte de taupe humaine, enfouie dans le sous-sol de la maison de sa mère. Sort enviable, si on le compare à celui que viennent de connaître Janis Joplin, Johnny Cash et Kurt Cobain – ou du moins leurs sosies. Le fan peut, on le sait depuis l’assassinat de John Lennon, être animé d’une maousse pulsion de mort, mais on se demande ce que trois des plus émouvants chanteurs

morts d’Amérique ont bien pu faire aux courageux auteurs anonymes du Cimetière du diable. Sous couvert de second degré, une Janis atteinte du syndrome de Tourette y encourage gaillardement un sosie d’Elvis à lui “défoncer la chatte”, tandis qu’un Kurt Cobain crasseux (on est grunge ou on ne l’est pas) et un Johnny Cash crétin (le Tennessee, c’est connu, est la patrie des bouseux bas du Stetson) se font fracasser le crâne sur des cuvettes de chiottes – choix de cadre ayant au moins le mérite de pointer le niveau de coprophilie qu’exige la lecture de l’ouvrage. A ce degré de nauséabond n’importe quoi, on en arriverait presque à se jurer de ne plus jamais ouvrir un “livre rock”. Puis on se souvient que l’un des meilleurs romans américains de 2010 – The Song Is You, d’Arthur Phillips – fait de la musique en général (et, Jagger peut se rassurer, de celle des Stones en particulier) un merveilleux usage. Et on se dit qu’il finira bien par se trouver un éditeur pour faire traduire ce chef-d’œuvre de swing et de subtilité, sur lequel plane l’ombre envoûtante de Billie Holiday. Bruno Juffin Ramones – 18 nouvelles punk et noires, collectif (Buchet-Chastel), 224 pages, 17 € Pink Floyd en rouge de Michele Marti (Seuil), 312 pages, 22 € Le Cimetière du diable, collectif (Sonatine), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Diniz Galhos, 400 pages, 21 €

la 4e dimension DSK : des livres au pilon ?

les pépés flingueurs

Avenir incertain pour les livres Stéphane Hessel, un filon inépuisable. A l’automne sur DSK et son entourage. devrait paraître Aux actes citoyens ! (Fayard), La publication de Docteur Strauss coécrit avec Edgar Morin, dont le dernier livre était et Mister Kahn de Philippe Martinat vendu avec ce slogan “Ne vous contentez pas de vous (Max Milo) est suspendue indigner”, en réponse au Indignez-vous ! de Hessel. et la date de sortie de Madame censure en Turquie Strauss-Kahn de Renaud Revel L’éditeur Irfan Sanci se retrouve devant les tribunaux (First) reste indéterminée. pour “obscénité”, après avoir publié La Machine molle de William Burroughs. En novembre dernier, il avait déjà été poursuivi pour avoir traduit et publié Les Exploits d’un jeune Don Juan d’Apollinaire.

Patrick Besson affligeant Dans Le Point, l’écrivain Patrick Besson réagit à l’affaire DSK. Il glisse qu’Anne Sinclair écrit “comme un pied” (pas lui ?), avant de suggérer à “Dominique” : “Et pas de bêtises avec les femmes flics. Moi, il n’y a rien qui m’excite plus qu’une jolie gonzesse en uniforme, mais bon.” Ironique, selon Le Point. Surtout très con.

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Mauro Murgia

l’enfer est à nous Un romancier enquête sur la vie d’un grand écrivain. C’est le point de départ anodin du premier roman d’Alessandro De Roma, piège infernal qui entraîne les personnages et le lecteur dans une hallucinante descente aux Enfers. es premières pages éminemment symbolique : de réalité de Ludovico du livre n’inspirent Dante’s Fortress. Lauter tant il émaille aucune méfiance. La seule façon d’expier de détails méticuleux Un écrivain raté, qui son arrogance, son hubris, la biographie de son fait irrésistiblement penser sera de s’autodétruire. personnage fictif. On en au Marcello de La Dolce Vita Lente descente aux arrive même à se demander – même charme, même Enfers, Vie et mort si ce Lauter n’a pas nonchalance –, décide de Ludovico Lauter produit vraiment existé. Ce numéro de s’atteler enfin à son grand d’illusionniste agit comme le même effet dévastateur œuvre : une biographie que les livres de l’auteur un lavage de cerveau de Ludovico Lauter, un imaginaire. Sur le fil de opéré par le seul pouvoir romancier qui, tel Salinger, la folie, ce roman instille de suggestion des mots. vit reclus depuis de Ainsi conditionné, le lecteur le doute dans l’esprit du nombreuses années. lecteur, dilue toute frontière est prêt à croire aux Vie et mort de Ludovico tangible entre réel et élucubrations les plus Lauter, le premier roman fiction et prend à rebours insensées de l’auteur, qui d’Alessandro De Roma, les poncifs éculés de l’entraîne progressivement professeur de philosophie dans un labyrinthe délirant, la littérature considérée originaire de Sardaigne, comme évasion. Le thème une quatrième dimension évoque, mais pour un temps qui trouble et déroute de la claustration y est seulement, le très beau omniprésent, transformant par sa violence insidieuse. Stade de Wimbledon la création en mensonge D’abord présenté par son de Daniele Del Giudice, biographe comme “l’homme aliénant, littéralement enquête poétique sur les captivant, et l’espace le plus extraordinaire traces d’un étrange écrivain et le plus important qui ait littéraire en une prison qui n’a jamais publié un mentale dont on sort jamais existé sur terre”, seul livre. Mais peu à la fois choqué et subjugué. Ludovico Lauter se révèle à peu, sans que l’on ait au fil des pages un monstre Un sublime cauchemar. Elisabeth Philippe rien vu venir, la fantaisie enivré par son pouvoir mélancolique se mue en démiurgique. Vie et mort de Ludovico livre mutant et schizoïde, Ses livres déclenchent Lauter (Gallimard ), traduit hybride de vertige borgésien des crises d’hystérie, des de l’italien par Pascal Leclercq, et de Misery, le thriller 372 pages, 2 5 € cas de fanatisme et des de Stephen King qui met troubles de la perception en scène un écrivain chez les lecteurs. Inventeur séquestré par une de ses d’une réalité parallèle, admiratrices. En fait, ce Lauter se mesure à Dieu. roman est un piège d’une Lui qui a grandi parmi les redoutable perversité. reproductions des tableaux Mystificateur de génie, de Jérôme Bosch, il recrée De Roma parvient à nous l’Enfer pour une émission faire douter du degré de téléréalité au titre

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que l’extrême droite mercredi 25 Alors progresse dangereusement dans les sondages, on s’interroge sur les nouvelles formes du racisme contemporain en convoquant la figure de l’auteur de Peau noire, masques blancs, Frantz Fanon. Avec Tony Gatlif, Esther Benbassa… Sale race, à 18 h au Théâtre de l’Odéon, Paris VIe

On embarque à bord du Transsibérien, une création littéraire signée Mathias Enard, déclinaison de son dernier roman L’Alcool et la Nostalgie. Une lecture donnée à l’occasion de la 24eédition du Festival du premier roman de Chambéry, qui se déroule du 26 au 28 mai.

jeudi 26

Frantz Fanon

année, la Comédie du livre vendredi 27 Cette de Montpellier (du 27 au 29 mai, www.comediedulivre.montpellier.fr) met la littérature allemande à l’honneur avec Ingo Schulze, l’auteur de polars Volker Kutscher ou Ferdinand von Schirach, remarqué avec le recueil de nouvelles Crimes… Côté français : François Bégaudeau ou Pauline Klein, révélée en septembre par le très gracieux Alice Kahn.

Melania Avanzato

Pacha J. Willka

www.festivalpremierroman.com

Mathias Enard

On se fait faire la lecture tranquillement installé dans une causeuse, sur la piazza du Centre Pompidou. A l’occasion de la manifestation A vous de lire !, des comédiens, des auteurs vous lisent des lettres de Koltès, Apollinaire, Pascin, Cocteau, Dalí…

samedi 28

A partir de 14 h 30, www.centrepompidou.fr

imagine Céline défoncer dimanche 29 On la NRF avec un tracteur Coll. Pierre Duverger/Fonds Louis-Ferdinand Céline/Imec

comme il menaçait de le faire dans un de ses courriers adressés à Gallimard. Sa correspondance avec Gaston Gallimard, mais aussi Jean Paulhan et Roger Nimier, sort en poche (Lettres à la NRF, Folio, 256 p., 5,70 €). se plonge dans les pages noires lundi 30 On de l’histoire avec une conférence consacrée aux artistes et intellectuels sous l’Occupation, au Centre Pompidou, avec notamment l’écrivain et journaliste Alan Riding, auteur de And the Show Went on: Cultural Life in Nazi-Occupied Paris.

Louis-Ferdinand Céline

A partir de 19 h, www.centrepompidou.fr

rend hommage à Edouard mardi 31 On Glissant, disparu le 3 février, avec

Nina Yargekov

une soirée spéciale à la BNF (18 h 30, www.bnf.fr) consacrée à l’écrivain et essayiste, inventeur du concept de “tout-monde” et héraut de la créolisation. Ou bien on découvre l’univers particulier, à la fois douloureux et drôle, de Nina Yargekov. L’auteur de Vous serez mes témoins est l’invitée de l’émission Du jour au lendemain (France Culture, 23 h 30).

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CharlesFerdinand Ramuz/ Matthieu Berthod L’homme perdu dans le brouillard Les Impressions Nouvelles, 78 pages, 15 €

it’s a Wonderful life Comment reconstruire sa vie après un divorce ? Daniel Clowes ébauche une solution dans une BD à la fois simple et inventive.

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e point de départ du nouvel album de Daniel Clowes est d’une simplicité désarmante. Mister Wonderful retrace la première rencontre de Marshall, un quadragénaire divorcé à la recherche d’une nouvelle âme sœur, et de Natalie, une femme de son âge, également séparée. Le récit se déroule pendant le temps de ce rendez-vous, arrangé par des amis communs, soit durant une soirée et une nuit. Comme toujours, Daniel Clowes excelle à montrer les relations humaines sans fard et avec une lucidité crue. A travers une succession de scènes se déroulant dans trois endroits bien délimités et propices à la découverte mutuelle (au restaurant pour le premier contact, dans la rue pour une ébauche d’intimité, dans une soirée pour affronter les autres avec un début de complicité), on suit les efforts à la fois pathétiques et hilarants de Marshall pour séduire cette femme. Désireux de plaire, moins misanthrope que Wilson, le précédent héros solitaire de Clowes, Marshall est arrivé au milieu de sa vie sans avoir rien appris et se trouve démuni lorsqu’il s’agit de construire

de nouvelles relations. Il en est conscient et ça le paralyse d’autant plus. Comment parler de soi sans sombrer dans le misérabilisme, sans mentir, et tout en faisant bonne impression ? En face, Natalie n’en mène pas plus large. Tous deux, avec leurs petits moyens et leur insécurité, tentent de venir à bout d’une conversation normale, de se comprendre, de se séduire. La narration linéaire de Mister Wonderful sied parfaitement à cette tranche de vie finalement banale. Mais Clowes sublime son récit en utilisant des astuces graphiques. Dans de splendides doubles pages, il joue sur les formes, les ombres, les plans, pour montrer les moments de trouble intense des personnages. Il dessine comme Charles Schulz, de manière presque enfantine, lorsque Marshall fantasme un hypothétique avenir avec Natalie… Montrant à quel point Marshall est absorbé par l’image qu’il renvoie de lui-même, Clowes écrase les paroles de Natalie par les commentaires en voix off, désabusés, ironiques et drôles, de son antihéros. Même si les récits de Daniel Clowes sont d’ordinaire plus complexes, Mister Wonderful, au magnifique format Cinémascope, n’en est pas moins impressionnant de finesse et d’inventivité.

Des nouvelles de Ramuz adaptées dans une BD respectueuse de cette musique du silence. Ses romans, écrits au rythme des pics écrasants et des petites vies paysannes de sa Suisse natale, ont parfois réduit Ramuz à un auteur régionaliste. Si la nature est omniprésente ici, elle n’est jamais bienveillante mais hostile à l’homme, qu’elle se contente de tolérer. Derrière le bucolique se cache la mélancolie, derrière le pastoral se niche le carnage. Ses romans s’appellent La Grande Peur dans la montagne ou Jean-Luc persécuté, ils sont terrifiants dans leur paisible et inexorable dégringolade vers le malheur. Ramuz, avec une écriture plus nerveuse et expéditive, fut également un fulgurant nouvelliste – on conseille particulièrement les vertigineuses “Salutation paysanne” ou “Le Grand Printemps”. Trois de ses nouvelles montagnardes sont aujourd’hui adaptées en BD par Matthieu Berthod, qui traduit en un noir et blanc laconique mais assez violent les longs silences, le mysticisme de peu de mots et le vacarme accablant de ce chant de la terre. JD Beauvallet

Anne-Claire Norot Mister Wonderful (Cornélius), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Barbara et Emilie Le Hin, 82 pages, 20 € 25.05.2011 les inrockuptibles 89

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Un peu de tendresse bordel de merde ! chorégraphie Dave Saint-Pierre Deuxième partie du triptyque Sociologie et autres utopies contemporaines, Un peu de tendresse… met en scène une vingtaine d’interprètes. Nus, les garçons portent la perruque, tandis que les filles hantent l’espace de leurs courses éperdues, sous la houlette d’une meneuse de revue SM qui ordonne ce chaos savamment orchestré. Du 25 au 28 mai au Théâtre de la Ville, Paris IVe, tél. 01 42 74 22 77, www.theatredelaville-paris.com

réservez & d’Antoine Defoort et Halory Goerger Un “spectacle de câble et d’épée” (il faut bien vivre avec son temps…), pour explorer les formes du futur, qui oscille entre le spectacle et la performance, proposé par deux artistes qui jonglent décidément entre les genres, allant jusqu’à proposer une version “installation” de &. Du 6 au 19 juin au Théâtre de la Cité internationale, Paris XIVe, tél. 01 43 13 50 50, www.theatredelacite.com

Agathe Poupeney

première

Rain en son écrin La fameuse chorégraphie d’Anne Teresa De Keersmaeker entre au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris. Echos des dernières répétitions.

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l y a tout juste un an, à Bruxelles, dans les locaux de sa compagnie Rosas, Anne Teresa De Keersmaeker évoquait ce projet singulier, la reprise de Rain, un chef-d’œuvre, par la compagnie classique la plus aventureuse, celle de l’Opéra de Paris. “Des pièces fortes comme Rain, je n’en fais pas tous les ans. La rendre possible à d’autres danseurs, un autre public, je dois m’y atteler.” Pas de fierté mal placée chez la Belge, juste le sentiment partagé que Rain est un fondement de son répertoire.

Mai 2011, on se retrouve au palais Garnier dans les studios de répétitions, sous les toits, quelques jours avant la première. Les garçons travaillent dans le studio Noureev, les filles dans le Petipa. Pas trace d’Anne Teresa dans les parages, elle viendra plus tard, mais la quasi-totalité des danseurs du cast d’origine, venus transmettre leur savoir – moins Fumiyo Ikeda, repartie la veille. Au sol, un étrange mandala cosmique constitué de centaines de repères, de diagonales. “Les petits points désignent nos maisons”, s’amuse Miteki

Kudo, sujet de l’Opéra de Paris embarquée dans cette aventure. Elle qui fut une sublime Elue du Sacre du printemps choisie par Pina Bausch tirera sa révérence avec Rain. Créée il y a dix ans sur la partition de Steve Reich, Rain reste un choc où la chorégraphe cherche “à faire jaillir la vie”, travaillant sur le motif de la spirale. Une pièce à différents niveaux de lecture où le placement au sol est redoutable, la présence sur le plateau constante. “C’est un ballet de personnes, dit Laurent Hilaire, ex-étoile maison désormais maître de ballet. Il faut que les interprètes intégrent le souffle commun de l’effort, de la fatigue, de l’émotion.” Le service du jour, trois séances de répétitions, est une redoutable épreuve. Mais c’est le lot commun de l’excellence classique. “Au niveau chorégraphique, c’est riche et complexe. On essaie d’apprendre deux minutes de Rain chaque jour, commente Miteki, consciente de l’étendue du travail qui reste à abattre. Mais j’ai toujours eu envie de danser Anne Teresa, c’est un accomplissement pour moi.” La fatigue semble poindre, on rate son saut, on se bouscule. Les garçons, trois sur scène contre sept danseuses, sont en avance, le tout sous les yeux de Jakub Truszkowski, qui fut de la création. On reprend ce porté, une double bascule sur le dos d’un soliste… l’évidence de la beauté d’un mouvement selon la chorégraphe. La directrice de la danse Brigitte Lefèvre, qui a convaincu De Keersmaeker de “céder” Rain, parle d’une nouvelle forme d’investissement et de dépassement pour ses ouailles du Ballet de l’Opéra de Paris. Comme une pluie de printemps qui viendrait rafraîchir la vénérable institution. Philippe Noisette Rain du 25 mai au 7 juin au palais Garnier, Paris IXe, tél. 08 92 89 90 90, www.operadeparis.fr

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esprits flottants Pour sortir d’une réalité étouffante, les personnages de Toshi Okada rêvent comme des enfants. Beau et troublant. e n’ai pas l’air comme ça, mais en ce sens. Mais cela rappelle aussi les rêveries moment je suis en train de rêver.” Ces auxquelles s’adonnent les enfants. quelques mots énoncés par une Or justement, les personnages imaginés jeune femme au visage impassible par Okada sont des adultes qui ont toujours sont une introduction idéale aux subtilités des attitudes d’enfants. D’où leurs gestes du théâtre de Toshiki Okada. A la simple décalés, leurs mouvements étranges sans exposition d’une situation, ce dramaturge rapport avec leurs propos, leur capacité à japonais préfère les décalages savamment être ailleurs, à rêvasser. Comme s’ils dosés. Il s’agit de mettre à jour des états cherchaient à s’évader d’une réalité qui les mentaux proches de l’absence, étouffe, de l’ennui d’une vie trop réglée. généralement occultés parce que noyés Alors ils rêvent vaguement de voyages ou dans la banalité du quotidien. de tragédies pour que la vie soit “plus Car ce dont parle Okada dans beaucoup dense”. Ce qui, depuis les catastrophes de ses spectacles, c’est de l’enlisement récentes survenues au Japon, résonne dans une routine répétitive, de l’ennui qui d’une façon particulièrement troublante. Hugues Le Tanneur en résulte et de l’absence de perspectives. Au point que son héroïne s’imagine dans son rêve une petite amie qui partagerait sa The Sonic Life of a Giant Tortoise de et par vie ; sauf que cette petite amie serait Toshiki Okada, à Bruxelles, dans le cadre du Kunstenfestivaldesarts, compte rendu morte. Cela paraît ridicule en un certain



danse avec la mort Les comédiennes Marie-Christine Orry et Caroline Chaniolleau tiennent avec une énergie contagieuse les commandes d’une farce ironique, à la fois morbide et drôle. travers son titre, autant de préambules tandis que les autres Danse “Delhi”, copiés-collés d’une parole se retrouvent à le pleurer. la dernière Viripaev cadre les sept actes qui dérape invariablement livraison du Russe dans des prises de bec de cet exorcisme dans la Ivan Viripaev, se réfère salle d’attente des urgences taillées sur mesure à l’obscénité d’une danse en fonction de la victime d’un hôpital, et celui qu’il transcendant par l’art que l’on pleure. Avec condamne est envoyé au la misère des plus pauvres une distribution hors pair, service des soins intensifs. en Inde. Exprimant sa le Bulgare Galin Stoev tire Chaque acte se joue dans détestation pour le succès tout le sel de cette farce le suspense de savoir si d’une telle œuvre, Viripaev où la tartufferie sociale la victime de cette roulette fait l’hypothèse qu’avoir vole en éclats à travers les russe sera sauvée ou non aimé cette danse condamne rires. De l’extraordinaire par le médecin de garde. à la peine et à la douleur. Marie-Christine Orry, Running gag de Ainsi, chacun des six infernale en mère la pièce, la ronde cruelle personnages de la pièce écorchée vive, à Caroline des témoignages de hérite de la place du mort, Chaniolleau, folle à lier compassion s’offre comme en critique de danse digne du théâtre de Thomas Bernhard, la troupe, composée également d’Océane Mozas, Fabrice Adde, Anna Cervinka et Valentine Gérard, réussit le tour de force de se jouer de l’humour noir de chaque situation pour faire de ce jeu de massacre sans pitié un sommet de théâtre purement réjouissant. Patrick Sourd Elisabeth Carecchio



Danse “Delhi” d’Ivan Viripaev, mise en scène Galin Stoev, jusqu’au 1er juin au Théâtre national de la Colline, Paris XXe, www.colline.fr 25.05.2011 les inrockuptibles 91

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l’empire des sens Conçue comme un show live où chaque œuvre jouerait sa partition, l’exposition d’Anri Sala à la galerie Chantal Crousel atteint son but et provoque un grand écart émotionnel enivrant.

vernissages glocal Venue du Connecticut mais passée par les cimaises du monde entier et tous les backstages de l’art contemporain, Elizabeth Peyton présente chez Gagosian ses derniers tableaux intimistes, natures mortes et portraits d’amis, artistes ou commissaires d’expo, comme Isa Genzken, Rirkrit Tiravanija ou Hans Ulrich Obrist. A partir du 27 mai à la Gagosian Gallery, 4, rue de Ponthieu, Paris VIIIe, www.gagosian.com

bocal Cet été, c’est à Anglet que ça se passe ! Pour sa quatrième édition, cette biennale sans prétention invite entre autres Véronique Aubouy, Lilian Bourgeat, Julien Prévieux, Vincent Mauger, Juan Perez Aggiregoikoa, Masahide Otani et Antoine Dorotte. A partir du 28 mai www.biennale.anglet.fr

bancal Passé maître en matière de copier-coller, le jeune Clément Rodzielski transforme ici l’une de ses images, “un quadrichrome sans qualité”, en support d’intervention. Et ressort une imagerie en ruine héritée des commandes publiques des années 80 et 90. Jusqu’au 15 juillet à la Douane, 11 F, rue Léon-Jouhaux, Paris Xe, sur rendez-vous, www.crousel.com



hould I stay or should I go ?” C’est à peu de choses près ce que l’on se demande devant chacune des pièces qui composent l’exposition très rythmée d’Anri Sala à la galerie Chantal Crousel. Non pas que l’on s’ennuie, bien au contraire. Disons plutôt que, pris au jeu de ce show conçu comme un tour de chant en canon, on craint vite de louper un tour. Un peu comme dans une boîte de nuit où chaque plateau proposerait une ambiance différente, Anri Sala a imaginé son expo comme une partition live où les œuvres, installation sonore, vidéo, photo-montage et sculpture murale, se répondent ou passent leur tour. Should I Stay or Should I Go, tube planétaire dont Sala a gardé les quatre premières mesures immédiatement reconnaissables, c’est aussi, en partie, la bande-son subliminale de cette expo qui, le soir du vernissage, démarrait à l’extérieur de la galerie, chacun des visiteurs étant invité à glisser son carton d’invitation – en fait une carte perforée – dans un orgue de barbarie. Cet hymne punk, ici revisité à la manière folk, et que l’on aurait bien vu figurer au palmarès des hits compilés par l’excellent Peter Szendy dans son Tubes – La Philosophie dans le juke-box publié en 2008, fait écho à une vidéo réalisée lors de la dernière édition du festival Evento. Tournée dans la banlieue bordelaise, aux alentours d’une ancienne salle de concert d’où s’échappent les accords du célèbre morceau des Clash et qui arbore, en façade, une série de signes ésotériques et colorés, elle met en scène deux facteurs d’orgue ainsi qu’un homme muni d’une boîte à musique. Lorsque la vidéo s’arrête, c’est au tour d’un morceau de bravoure directement

Courtesy galerie Chantal Crousel

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extrait de l’opéra italien Madame Butterfly de prendre le relais dans la salle d’à côté. Autre salle, autre style : Anri Sala joue sur la corde (sensible) et convoque dans ce grand écart l’éventail de nos sensibilités. Pas étonnant alors que la dernière pièce – qui documente une performance réalisée au cours de l’année passée au 104 à Paris – se penche sur un rapport d’équivalence (évidemment arbitraire et subjectif) entre une série de chefs-d’œuvre du cinéma et l’échelle thermométrique. Pas un hasard si dans cette drôle de proposition il cherche, au propre comme au figuré, à “prendre la température” de ces monuments qui peuplent notre imaginaire culturel. En tout, ce sont cinquante-sept films (signés Jacques Tourneur, Andrei Ujica ou Sidney Lumet) qu’Anri Sala mixe au hasard de leur inscription climatique, du plus glacial au plus torride. Comment ne pas penser ici au “pianococktail” de Nicolas, Colin et Chuck qui, sous la plume fertile de Boris Vian, dispensait au gré des mélodies des breuvages plus ou moins fidèles aux sensations éprouvées ? Lors de sa précédente exposition à la galerie, Anri Sala avait déjà fait un détour par l’univers musical en filmant, entre autres, un groupe islandais joyeusement foutraque et un saxophoniste new-yorkais suspendu au dernier étage d’une barre HLM de Berlin-Est. Cette fois-ci, c’est davantage la petite musique de nos émotions, celle qui vous trotte dans la tête, ricoche et se heurte aux souvenirs, qu’il distille avec justesse dans cette expo-live. Claire Moulène Jusqu’au 30 juillet à la galerie Chantal Crousel, 10, rue Charlot, Paris IIIe, www.crousel.com

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matière synthétique A Lyon, les étranges céramiques de Steven Claydon se voient ponctuellement dotées de vie par un son et lumière éphémère et cheap. Stupéfiant. l paraît que la première de personnages grotesques qui convoquent, de façon fois que Steven Claydon qui, ainsi disposés face tout à fait subconsciente, s’est rendu à Lyon, on lui les antécédents lyonnais. à face et sur socles (socles a touché deux mots eux-mêmes disposés sous Résultat : deux du passé gallo-romain de la installations minimalistes, une armature sommaire ville. Grand érudit, Claydon qui suggère l’environnement moins sophistiquées que aura certainement été muséographique), font ses pièces précédentes frappé par ces anecdotes. penser à des soldats droits (il expose actuellement Au point, comme dans la dans leurs bottes. dans le cadre du British Art plupart de ses expositions, Deux blasons lumineux, Show, passé à Londres de s’en emparer pour tordre avant de faire escale vert et jaune, amplifient immédiatement le cou le caractère insolite jusqu’en août à Glasgow). à cette mémoire collective, de la scène. Une troisième La première met en scène brouiller les pistes céramique, qui occupe deux céramiques et réinventer dans le même à elle seule le centre émaillées, vert bouteille temps un récit bien à lui, de la deuxième salle, pour l’une, jaune traversé par ses propres est une réplique amplifiée moutarde pour la seconde, références (la musique et détournée de ces directement importées électro-primitive, ready-made : cette fois, d’un restaurant londonien l’artisanat, le folk et l’art le petit personnage à tête étrangement baptisé brut, l’histoire des objets ronde se voit doté Mon Plaisir. Ces sculptures anthropomorphiques) et d’un phallus qui n’est autre anthropomorphiques une série de codes visuels que le manche d’un poêlon. représentent un couple La tête, amovible, et le torse involontairement fêlé renvoient immanquablement à la statuaire antique. L’ensemble, totalement saugrenu, aurait pu rester dans cette torpeur un brin poussiéreuse du temps suspendu entre les époques. Sauf que Claydon, ex-musicien rétrofuturiste (expert en theremin, un boitier électronique équipé de deux antennes) du groupe electro Add N (To) X, a pour habitude d’animer ces installations. Ici, toutes les vingt minutes, le personnel de la galerie vient regreffer la tête de la troisième céramique et composer quelques notes sur un vieux synthé tandis qu’une lumière verdâtre balaie la sculpture. L’impact, réduit et de courte durée, est étonnamment assez stupéfiant. Comme si chaque objet, par définition inanimé, se retrouvait soudain ventriloqué par une force intérieure et jusque-là insoupçonnée. C. M. Courtesy La Salle de Bains, photo Aurélie Leplatre

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Mon plaisir… …votre travail jusqu’au 30 juillet à La Salle de Bains, 27, rue Burdeau, Lyon Ier, www.lasalledebains.net 25.05.2011 les inrockuptibles 93

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Photo Benoît Péverelli

A quelques secondes du passage, les derniers préparatifs

classe mannequin Scènes de défilé et images de coulisses dans un palace de la Côte d’Azur. lus encore que les fringues, le décor, la cohorte de VIP ou les créateurs eux-mêmes, les mannequins sont les premiers objets de fascination d’un défilé, et ce fut encore le cas, le 9 mai dernier, au mythique Eden Roc du Cap d’Antibes. Là, un peu perdues dans l’écrin du défilé Croisière de Chanel, elles déambulèrent de longues heures, entre copines, autour du maquillage et du buffet.

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Puis elles se mirent en action. Répétition. Habillage. Défilé. Déshabillage. Dans leurs propres fringues, à peine moins intouchables, elles se mêlèrent ensuite aux mondanités et on ne vit qu’elles. Karl Lagerfeld a le don pour mélanger jeunes débutantes, tops et vieilles gloires avec harmonie. Il les aime, cela se sent. Dans son court métrage, The Tale of a Fairy, diffusé ce soir-là, il leur avait même accordé les beaux rôles. M. B.

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Dans la collection, robes du soir et maillots de bain se mélangeaient indifféremment

L’immense alléet raversant le parc faisait office de podium

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main basse sur internet En convoquant les grands manitous du net au forum du eG8, Nicolas Sarkozy réaffirme sa volonté de “civiliser” internet. Au risque de voir le réseau fondé sur l’indépendance et la transparence livré aux puissances économiques.

 C

onçu comme un préalable au G8, qui inscrit pour la première fois “la question d’internet” à l’ordre du jour, le forum eG8 invitait à Paris les 24 et 25 mai les leaders mondiaux des nouvelles technologies pour discuter des enjeux liés au développement du net et du secteur numérique. Vu le poids d’internet dans l’économie aujourd’hui, l’idée fait sens. Pourtant, cet événement organisé par Publicis, “entièrement financé par le secteur privé”, a des contours et des buts assez flous. Comme l’a révélé La Tribune, Publicis propose aux “gros” invités de sponsoriser l’événement. Ceux qui paient 250 000 euros ou plus ont, en contrepartie, le droit de “participer aux séances plénières, aux tables rondes”. Parmi les thèmes abordés, le e-commerce, le financement des infrastructures, les nouvelles mobilisations citoyennes, la propriété intellectuelle… Mais, en toile de fond, le sujet de ces discussions est la gouvernance mondiale d’internet. Au cours des années 2000, la gouvernance concernait la gestion internationale par l’Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) des infrastructures et des ressources techniques de l’internet – adresses IP, noms de domaine… A partir du World Summit on the Information Society (2003) sont venues se greffer les questions de fracture numérique, de multilinguisme, de neutralité, de cybersécurité… Aujourd’hui tous les enjeux sont concernés : la libre expression, les standards, la confidentialité des données, le piratage, la surveillance… Il ne s’agit plus uniquement de faire fonctionner le réseau, mais, pour les ayants droit, les gouvernements, les agences de sécurité nationale ou les multinationales, d’obtenir plus de contrôle. Débattre de ces sujets lors d’une manifestation mêlant de façon aussi incertaine grands intérêts privés

il ne s’agit plus uniquement de faire fonctionner le réseau, mais d’obtenir plus de contrôle

et dirigeants politiques ne correspond-il pas à l’idée que Nicolas Sarkozy se fait d’un “internet civilisé”, notion qu’il a essayé de diffuser depuis plusieurs années ? Ce terme est apparu en Chine en 2006, quand le gouvernement a initié un programme de surveillance et de censure du net (“Let the winds of a civilized Internet blow”). On l’a retrouvé chez Nicolas Sarkozy depuis le discours de l’Elysée (les prémices d’Hadopi) en novembre 2007 (“Je veux saluer ce moment décisif pour l’avènement d’un internet civilisé”), jusqu’à l’annonce le 19 janvier dernier du eG8 (“Nous allons mettre sur la table une question centrale, celle de l’internet civilisé, je ne dis pas de l’internet régulé, je dis de l’internet civilisé.”). Cette vision rallie trois groupes d’influence : les paranoïaques de la cybercriminalité, certains “penseurs” qui rejettent le web participatif, de Facebook à Wikipédia, et les politiques les plus réactionnaires, influencés par les lobbies de l’industrie des contenus. Les cadors de la majorité et du gouvernement, Christine Albanel, Frédéric Mitterrand ou Michèle Alliot-Marie ont repris la notion à l’envi, l’opposant à un internet “zone de non-droit”, lieu de toutes les turpitudes. Lors d’un discours à l’Assemblée nationale le 15 décembre 2008, le visionnaire Frédéric Lefebvre appelait à un G20 du net pour “réguler

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au poste

Bonimenteurs

Laurent Bazart

Le chercheur Pascal Boniface s’attaque à la “fausse monnaie intellectuelle”.

ce mode de communication moderne envahi par toutes les mafias du monde”. Néanmoins, sous l’impulsion de certains membres un peu plus éclairés de l’UMP, la notion d’internet civilisé semble s’être récemment assouplie – la députée Laure de la Raudière l’annonçait dans un twit mi-avril, “l’Elysée aurait abandonné l’expression ‘Internet civilisé’. Si vous saviez combien cela me fait plaisir…” Les préoccupations économiques et le réalisme technologique et juridique commencent à l’emporter sur le tout-sécuritaire, et on pouvait lire il y a un an dans un rapport du groupe de travail UMP “Ethique du numérique” quelques réflexions cohérentes avec les usages et la culture du net : pérennisation de l’adresse IP comme donnée non personnelle, remise en cause de l’“arsenal de sanctions” contre les utilisateurs… On y trouvait aussi l’idée qu’il fallait “encourager un plus grand volontarisme des pouvoirs publics français et des institutions européennes afin de faire progresser la régulation du net, au niveau communautaire et international puisque cette question dépasse largement les frontières nationales”. Dans les gènes de l’UMP comme dans ceux de la tradition jacobine française, demeure l’idée que rien ne saurait exister sans organisme de contrôle. Si l’on ajoute à cela la touche personnelle de Nicolas Sarkozy – sa confiance à l’égard

des grands patrons –, on obtient ce raout mondial. Plus qu’un complot visant à surveiller les internautes, il suggère un Yalta du web, un internet aux mains d’“une poignée de milliardaires” comme le dénonce Internet sans frontières, un espace circonscrit tenu par quelques grandes entreprises dont les intérêts convergent avec ceux des gouvernements. Par exemple, l’accès aux données des internautes intéresse les premières à des fins publicitaires, les seconds de surveillance. Comme le souligne le journaliste britannique du Guardian et de Wired, Bobbie Johnson, on est peut-être en train d’assister à la fabrication d’une oligarchie sécurisée qui se construit hors de tout contrôle démocratique dans des négociations opaques, ouvertes à tous les lobbyings. Mais n’est-il pas déjà trop tard pour s’en alarmer ? La vision d’un internet totalement libre n’est-elle pas une utopie dépassée ? Douglas Rushkoff, théoricien des médias, le pense : “A plusieurs reprises, j’ai proposé que l’on accepte le fait qu’internet est construit sur une architecture fondamentalement hiérarchique, qu’on le laisse aux mains des entreprises qui le gèrent déjà et que l’on réfléchisse à la construction de quelque chose d’autre, pour nous-mêmes.” Anne-Claire Norot

La figure de l’intellectuel n’échappe pas aux paradoxes : alors même que l’idée répandue voudrait qu’elle ait plus ou moins disparu du champ social dans sa forme héroïque de maître à penser, elle reste présente dans l’espace médiatique, mais sous une forme dévoyée. Depuis plus de vingt ans, on moque les intellectuels médiatiques (cf. Les Intellocrates, de Patrick Rotman et Hervé Hamon, Les Editocrates de Mona Chollet, Olivier Cyran, Sébastien Fontenelle et Mathias Reymond). Sur ce terrain balisé de la trahison des clercs, le nouveau brûlot de Pascal Boniface, chercheur en relations internationales, apporte un angle nouveau. C’est à partir du sujet ultra-sensible du conflit israélopalestinien que se dessinent selon lui des clivages profonds qui butent sur le mensonge et la malhonnêteté de certains. Pour Boniface, quelques intellectuels, auxquels il s’est violemment confronté, ne sont que des bonimenteurs, des inquisiteurs et des faussaires qui “fabriquent de la fausse monnaie intellectuelle pour assurer leur triomphe sur le marché de la conviction”. L’islamofascisme – un “faux concept” – serait leur obsession, au point que Boniface cherche à en déconstruire les présupposés et les raccourcis simplificateurs. D’Alexandre Adler à Mohamed Sifaoui, de Caroline Fourest à Frédéric Encel, de Philippe Val à BHL, de Thérèse Delpech à François Heisbourg, les “imposteurs” répertoriés par l’auteur énervé auront à répondre de ses attaques courroucées. Ces différends sont surtout la trace d’une obsession maladive autour de la question de l’islam dans l’imaginaire national autant que la marque d’un débat intellectuel rendu haineux par un enjeu politique qui brouille la raison. Pascal Boniface, Les intellectuels faussaires, le triomphe médiatique des experts en mensonge (Jean-Claude Gawsewitch, 249 p, 20 €)

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YannL e Masson devant sa maison japonaise

Kashima, mon amour En DVD, l’œuvre de Yann Le Masson, maître du cinéma du réel. Un travail marqué par l’engagement politique et une passion pour le Japon en ébullition des année 70.



irigée par Patrick Leboutte et Vianney Delourme, la remarquable collection “Le Geste cinématographique” des Editions Montparnasse s’enrichit en ce joli mois de mai d’un nouvel opus rassemblant la filmographie intégrale – exception faite de Le poisson commande (1978), réalisé avec Félix Le Garrec et René Vautier – de Yann Le Masson, vieux loup de mer du cinéma du réel. Né à Brest en 1930 et sorti diplômé de l’Idhec en 1955, Le Masson a servi près de trois ans (d’août 1955 à avril 1958) comme officier parachutiste en Algérie, avant de se faire porteur de valises pour le FLN, cette double expérience ayant imprimé une marque indélébile sur sa vie et sur son œuvre à venir. Ainsi J’ai huit ans, son premier court métrage (1961), réalisé avec Olga Poliakof, évoque-t-il les forfaits perpétrés par l’armée française durant

“Kashima Paradise” entre violemment en résonance avec l’enfer de Fukushima

la “guerre sans nom” par le biais de dessins et de récits (en voix off) d’enfants algériens : d’une simplicité proprement enfantine, le dispositif cinématographique confère au film une terrible force de vérité. Accablant témoignage à charge, J’ai huit ans est resté censuré pendant douze ans. Avec son court métrage suivant, Sucre amer, Yann Le Masson prend de nouveau le colonialisme dans son viseur, en observant Michel Debré, alors (sinistre) Premier ministre du général de Gaulle, en campagne électorale à la Réunion. Témoignage tout aussi accablant, le film a été interdit pendant dix ans. Parallèlement à ses activités de cinéaste du réel, Le Masson mène une belle carrière de chef opérateur et de cadreur, travaillant notamment sur Le Combat dans l’île (1962) d’Alain Cavalier. Porté par le vent de Mai 68, il aspire à un radical changement de société et s’en va ainsi naviguer dans les turbulentes eaux maoïstes. C’est à cette époque qu’il va réaliser avec Bénie Deswarte (et Chris Marker, auteur du commentaire) son premier long métrage, Kashima Paradise (1973), devenu un mètre étalon du documentaire militant. De l’Exposition universelle d’Osaka à des scènes d’affrontements entre policiers

et paysans en lutte, le film enregistre, avec une subjectivité ostensible d’emblée, à la fois épique – les scènes de bataille finales sont impressionnantes – et politique, Kashima Paradise entre violemment en résonance avec l’enfer de Fukushima et peut frapper les spectateurs d’aujourd’hui autant qu’il a pu frapper les spectateurs d’hier. Ce coffret contient également Regarde elle a les yeux grand ouverts (1980), le deuxième – et, à ce jour, dernier – long métrage de Yann Le Masson. Fruit d’un long cheminement aux côtés de militantes du Mlac (Mouvement pour la Liberté de l’avortement et de la contraception), dont six furent jugées lors du fameux “procès des filles d’Aix” en mars 1977, le film embrasse avec ferveur la cause de ces femmes résolues à disposer librement de leur corps. Expérience de vie et de cinéma, en osmose avec l’utopie communautaire de l’époque, Regarde elle a les yeux grands ouverts exhale l’air du temps et atteint à l’universalité en saisissant sur le vif le moment si bouleversant qu’est la venue au monde d’un enfant. Jérôme Provençal Kashima Paradise de Yann Le Masson, Coffret 2 DVD (Editions Montparnasse), 45 €.

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Chaque matin, le chroniqueur Alexis Ipatovtsev fait passer le rock en contrebande sur les ondes de France Culture. Ou comment parler du monde à travers ses obsessions.

à saute-frontières



’ai toujours peur d’être refoulé quand je m’approche d’une frontière. La traverser me procure alors une satisfaction presque sexuelle.” Alexis Ipatovtsev vit au jour le jour sous le joug d’une malédiction : il a besoin de murs et de bornes pour se sentir libre. C’est certainement l’héritage d’une jeunesse à Leningrad passée à se cogner aux contreforts du bloc soviétique qui lui a laissé cet irrésistible désir de s’affranchir, de dépasser, de traverser. Les limites géopolitiques, certes, mais aussi les douanes intellomédiatiques, celles qui, trop protectionnistes, bloquent l’avancée des idées et figent les pratiques journalistiques. “La France a oublié qu’elle n’est qu’un pays moyen dont le destin est décidé ailleurs, raille-t-il. Elle n’est pas assez ouverte à l’international. Même les radios russes le sont cent fois plus” On ne s’étonnera donc pas de Frontières, la chronique qu’il livre chaque matin à France Culture. Un billet à la réalisation soignée (il refuse les diktats du direct), bordé d’extraits sonores, passage rituel au début, sas de

décompression à la fin. Entre ces balises, Alexis Ipatovtsev est le conteur ironique d’une culture mondialisée, captant les points de friction avec le politique, mais aussi les dérèglements absurdes, les singularités transnationales. S’il penche bien sûr vers l’Est, son regard est suffisamment panoramique pour élargir par effet miroir celui de ses auditeurs. Et assez précis, s’attachant aux détails plus qu’à l’histoire officielle, pour les faire vaciller sur leurs propres échelles de valeur. “J’essaie de me libérer de l’agenda politique tel qu’on nous l’impose. Je veux saisir l’esprit du temps, tout en offrant des alternatives aux grands courants idéologiques.” Du soap opera turc aux activistes russes de Voina, il offre une grande variété d’approches, portée par une constante : le rock. Son autre obsession… avec l’appel du large. Qu’il dresse une play-list de space-pop le jour des cinquante ans du vol de Gagarine, qu’il décrypte les scènes d’Ouzbékistan ou d’Iran, cet incorrigible fan des Smiths ne peut s’empêcher de

nourrir à l’électricité ses éditos de quatre minutes – un format pop idéal. Un vice qu’à 45 ans il ne peut plus soigner, le rock ayant été son chant des sirènes pour sa traversée Est-Ouest. Il a appris l’anglais avec la BBC et Top of the Pops, en déjouant les brouillages de la censure grâce à des récepteurs piratés. Le jeune Alexis publiera aussi un samizdat (journal clandestin autoédité – ndlr) spécialisé, se ruinera dans une version russe des Inrocks et diffusera sur les ondes de Leningrad des cassettes indie fabriquées dans les studios de Ouï FM. Chaud aux oreilles et pas froid aux yeux : panoplie idéale pour un futur reporter au long cours. “Vous n’avez pas fait d’école de journalisme ? Tant mieux, lui dit en 1996 le producteur de radio Jean Lebrun. Vous ne comprenez rien à France Culture ? Parfait, je vous engage”. Alexis Ipatovtsev, journaliste passeur, homme-passage. Pascal Mouneyres photo Renaud Monfourny Frontières, sur France-Culture du lundi au jeudi à 11 h 30. Chroniques disponibles en podcast. 25.05.2011 les inrockuptibles 99

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brèves

Weeds belle plante Cinquième saison de la série californienne allumée et mélancolique. Pourquoi l’aimer encore ?

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n a longtemps aimé Weeds pour ses allures de pionnière. Bien sûr, elle n’était pas la première à filmer une héroïne forte et indépendante. Mais une fille comme Nancy Botwin, contradictoire, désirable et triste, on en manquait. La série de Jenji Kohan est arrivée en 2005, soit un an après que Sex and the City se fut arrêtée stilettos aux pieds. Ce n’est évidemment pas un hasard. A ses débuts, Weeds apparaissait comme un revers californien à la fois mélancolique et cool à la série new-yorkaise. Elle transformait un archétype décalé (une veuve mère de deux enfants devenue dealeuse de shit) en une boule d’énergie, de désir et d’intelligence. On y voyait aussi, dans la lignée de Desperate Housewives mais en version hargneuse, une critique de l’espace périurbain made in USA, avec ses maisons rangées les unes à côté des autres, véritables nœuds à névroses. Six printemps plus tard, alors que Nancy n’habite plus une maison angoissante et ne vend plus d’herbe, pourquoi l’aimer encore ? C’est la question que l’on se pose chaque année, et encore plus à l’ouverture de la cinquième saison. Dans la précédente, la petite famille avait fui, posé ses valises au sud de San Diego et communiqué pour le meilleur et pour le pire avec le Mexique. Casser son idée et son environnement de base semble toujours risqué pour une série. Le spectateur n’aime pas forcément qu’on le prive de ses jouets et de ses doudous fictionnels. Il peut le faire payer cher. L’intelligence de Weeds est de ne jamais cesser de prendre en compte cette

Treme reviendra La fabuleuse série de David Simon (The Wire) située à La Nouvelle-Orléans connaîtra une troisième saison malgré de mauvaises audiences. La classe, HBO.

RIP

Mary-LouiseP arker, la meilleure raison de regarder Weeds

question. La série scinde assez radicalement ses intrigues au long cours (en général un peu téléphonées, ou simplement banales) et le compte rendu d’un quotidien barré dont elle s’est fait la spécialité. Les unes changent, l’autre reste. Finalement, on regarde Weeds pour son art de la repartie entre le frigo et le canapé, ses personnages incapables de garder pour eux ce qu’ils pensent, même s’ils pensent n’importe quoi. Un exemple ? Notre ami Doug, ses blagues communément racistes et son obsession sexuelle… Il fait toujours mouche. Cela posé, Weeds ne repose pas uniquement sur les ressorts classiques de la comédie hollywoodienne, même réinventés. Son spectacle le plus captivant sur le long cours reste celui de son héroïne. Sublimant un personnage déjà bien écrit, l’actrice Mary-Louise Parker réussit à agréger une somme d’émotions et de postures qui dépasse l’entendement. Cette saison 5 remet au centre de la fiction son rôle de mère, qu’elle interprète avec un acuité tranquille, une liberté de mouvement sans faille ; jamais complètement heureuse, jamais complètement dépassée. A quoi servent les bonnes séries ? Entre autres, à nous montrer des corps en lutte avec eux-mêmes, qui ont le temps d’avancer comme de revenir en arrière, d’hésiter puis de forcer le destin. Weeds devrait connaître encore deux saisons (la sixième a déjà été diffusée aux Etats-Unis) et maintenant on le sait : on l’aimera jusqu’au bout. Olivier Joyard Weeds saison 5. Le jeudi à 22 h 15 sur Canal+.

Chicago Code, The Event, Los Angeles police judiciaire, Outsourced, V, Brothers and Sisters, Mr Sunshine, Detroit 1-8-7, No Ordinary Family, S#*! My Dad Says, Lie To Me… La liste des séries annulées par les chaines américaines en ce mois de mai ne nous laisse finalement que peu de regrets.

Wonder Woman mort née C’était l’un des buzz de la prochaine saison des séries mais, après visionnage du pilote, la chaîne NBC a décidé de ne pas donner sa chance au reboot de Wonder Woman. En échange, le spectateur masculin de base et certaines de ses congénères féminines pourront se consoler devant The Playboy Club, une série sixties inspirée de l’univers de Hugh Hefner, avec Amber Heard.

et sinon Ashton Kutcher remplace Charlie Sheen dans Mon oncle Charlie, qui ne s’appelle donc plus Charlie.

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porno gai Deuxième saison pour la série Hard. L’univers du X sous l’angle de la comédie familiale, ou “ma petite entreprise” tendance gang bang.

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e rapprochement semblait inévitable. Programmées à la même période et s’adossant toutes les deux à l’univers du X, Xanadu et Hard allaient forcément être comparées, jouées l’une contre l’autre. Si ce n’est une femme aux commandes de part et d’autre, rien ne pourrait pourtant être plus éloigné que ces deux séries : fresque sombre traversée de névroses familiales en format “drama” de 52 minutes pour la création de Séverine Bosschem pour Arte ; petite friandise comique en 26 minutes pour celle de Cathy Verney pour Canal, qui entame ces jours-ci sa saison 2. Faux débat donc, mais qui permit de remarquer le sérieux (excessif ?) de la première et la modestie de la seconde. Et c’est bien par la modestie de Hard, son côté “bricolo” affiché, qu’on est invité à entrer dans la série, puis amené à l’aimer. Au départ, une vraie bonne idée : une mère de famille bourgeoise et coincée découvre, à la mort de son mari, que l’entreprise qu’il dirigeait est une société de production de films porno. Contrainte d’en prendre la direction, elle devient un vecteur de comédie

idéal, corps étranger plongé dans un milieu avec ses codes, ses rites et surtout son langage spécialisé utilisé aussi froidement que les termes médicaux d’Urgences ou les laïus juridiques de The Good Wife. Mais tout ça c’était pour la saison 1. Comment continuer à faire tourner la machine ? Sophie, l’héroïne, décide de faire évoluer son business et de se mettre à l’écoute des femmes. Avec sa copine/associée, les voilà qui reçoivent des clientes à la pelle, un peu comme les chirurgiens de Nip/Tuck, sauf qu’au lieu de leur demander “Qu’est-ce que vous n’aimez pas chez vous ?”, elles s’enquièrent de leur fantasme sexuel le plus fou, pour le mettre en scène avec les moyens d’un film et leurs équipes habituelles d’acteurs bras cassés. Quant au compagnon de Sophie, hardeur star qui essaie de décrocher par amour, à son tour d’être catapulté dans des univers étranges : le cinéma “tradi” et ses castings cruels, ou le théâtre respectable et ses

Le spectacle, l’extravagance, c’est à la maison qu’on les trouve

énergumènes allumés (quelques numéros de Guillaume Gallienne bien gratinés). Hard n’appartient pas à la famille des comédies enlevées, élégantes. Elle n’atteint pas non plus (pour l’instant) la profondeur des personnages de Weeds, sur un schéma narratif et un genre identiques. Mais elle doit sa réussite à une sorte de décontraction liant organiquement acteurs et dialogues : certains gags qui semblent improvisés avec bonheur, une vraie volonté de faire entrer de l’air dans les scènes, des sorties de route fréquentes et des collisions nécessaires, en particulier à l’occasion des repas de famille, toujours très réussis, et dont pas un ne se passe normalement, ce qui rend la chose fort sympathique. Entre une fille hystérique, un fils mysticovégétalien, une belle-mère lesbienne, des parents cathos et un mec hardeur, le spectacle, l’extravagance, c’est finalement à la maison qu’on les trouve. C’est en comprenant cela que ceux qui écrivent et jouent Hard ont gagné. Clélia Cohen Hard saison 2 à partir du lundi 30 mai, 20 h 50, Canal+ 25.05.2011 les inrockuptibles 101

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émissions du 25 au 31 mai

La déferlante anti-islam

Renaud Monfourny

Enquête de Mathias Hillion et Karim Rissouli. Lundi 30 mai, Canal+, 22 h 25

Nuit sujet # 2 : Hack !

en lisant, en éditant Promenades avec un éditeur mythique, Maurice Nadeau, qui fête ses 100 ans.

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aurice Nadeau vient d’avoir 100 ans. C’est la raison non avouée de ce portrait d’un des plus aventureux hommes de lettres français, qui poursuit sa route avec vaillance et perspicacité. Rien de passéiste chez ce vétéran de l’édition, découvreur d’auteurs essentiels (Georges Perec, Walter Benjamin, Witold Gombrowicz, Malcolm Lowry…), fondateur de la revue Les Lettres nouvelles devenue La Quinzaine littéraire. Il révèle ici certains dessous de la publication du roman de Michel Houellebecq Extension du domaine de la lutte… Il explique aussi comment il a choisi un de ses derniers jeunes auteurs, la Chinoise (francophone) Lin Xi. Ses critères sont empiriques et subjectifs ; il n’a que faire d’une perfection académique de la langue. Documentaire passionnant mais frustrant, car il ne fait qu’effleurer la vie publique et professionnelle du personnage, éludant toute dimension privée (hormis son évocation évasive de la modeste origine de ses parents paysans). Ce portrait-entretien, où l’on arpente Paris ou la campagne en compagnie du centenaire alerte, ne propose que quelques jalons aléatoires, par exemple sur son compagnonnage avec le surréalisme et le trotskisme. Au-delà de la clarté de sa pensée, de son inextinguible passion de franc-tireur de la littérature, de ses rencontres avec certains auteurs (récit de ses soirées muettes avec Samuel Beckett), on est séduit par son absence de sérieux et par sa boulimie de lecture. On aurait aimé le voir dans d’autres contextes, avec des amis, avec sa fille, l’actrice Claire Nadeau. Pour approfondir le sujet, on peut lire le livre d’entretiens de Maurice Nadeau avec Laure Adler, Le Chemin de la vie (coédition Verdier-France Culture). Vincent Ostria Maurice Nadeau, le chemin de la vie Documentaire de Ruth Zylberman, samedi 28 mai, 16 h 55, Arte

Emission thématique. Lundi 30 mai, 20 h, Radio Nova et Owni.fr

Hackers et autres hors-la-loi modernes, une nuit sous pavillon noir. Après une première nuit consacrée au rôle politique d’internet notamment dans les révoltes arabes, Nova et le site ultrapointu Owni.fr mixent une nouvelle fois leurs forces respectives pour une émission transmédia taille XXL. Six heures de direct effervescent et de trouvailles radiophoniques autour d’un thème dont les deux parties peuvent s’affirmer spécialistes : les hackers, les pirates et les trafiqueurs de tous bords. Avec en toile de fond les trente ans de la libéralisation des ondes, Mathilde Serrel et Julien Goetz traquent ceux par qui le système se grippe et révèle ses failles. Promesse d’histoires grisantes et de mauvais esprit réjouissant. Pascal Mouneyres

A l’extrême droite, la haine d’un islam fantasmé a remplacé l’antisémitisme. Partout en Europe, les nouveaux militants d’extrême droite ont transformé la religion musulmane en une “panique morale”. Dans une enquête qui les a conduits en Angleterre, en Suisse et aux Pays-Bas (pays laboratoire à travers l’action du nationaliste Geert Wilders) Mathias Hillion et Karim Rissouli consignent les visages de cette vague obsessionnelle. En dépit des contextes locaux, une ligne commune fait de l’islam la cause supposée de la crise identitaire de l’Europe. Un syndrome inquiétant que même la gauche ne parvient pas à déconstruire. V. O.

Los Angeles dernière Emission animée par Philippe Besson. Samedi 28 mai sur Paris Première à 23 h 50

Visite guidée de la ville de tous les fantasmes. Si la mythique chanson California Dreamin’ résonne dès ses premiers pas dans Beverly Hills, la virée de Philippe Besson dans les rues de Los Angeles confère au rêve californien quelque chose d’impalpable : comme s’il ne pouvait que s’en tenir à la surface d’une ville qui dissimule ses profondeurs. De Venice Beach à Hollywood Boulevard, du Chateau Marmont à Canyon Drive…, Besson croise des créatures enjouées, obsédées par le sexe, la gloire et le plaisir. Acteurs, porno stars, surfeurs… : L.A., reconnaît Besson, à son aise dans cet antre du narcissisme hystérique, est une “fabrique à fantasmes” qui “brouille les frontières entre le réel et l’inventé”. JMD

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Il était une fois… “Orange mécanique” Documentaire d’Antoine de Gaudemar. Jeudi 26 mai, 22 h 05, Arte

Grégoire Korganow/Ladybirds film 2010

Retour sur un film mythique, annonciateur de la violence contemporaine. Le documentaire met surtout l’accent sur le phénomène “jeunesse délinquante” du film de Kubrick, sorti en 1971, qui n’est pas sa particularité la plus intéressante. La genèse du film reste trop à l’arrière-plan. Seul témoignage convaincant : celui de Malcolm McDowell, l’acteur principal, qui explique qu’avec Kubrick les choses n’étaient pas complètement verrouillées avant le tournage ; il élaborait certaines scènes sur le plateau avec son équipe (exemple : la célèbre scène du viol, où McDowell eut l’idée de chanter Singing in the Rain). Dommage qu’on oublie de rappeler que le premier à avoir adapté le roman L’Orange mécanique fut Andy Warhol avec son très expérimental Vinyl. V. O.

Les Ruses du désir Collection documentaire de Gérard Miller. Les vendredis 27 mai, 3 et 10 juin, 20 h 40, Planète+

En trois épisodes, mystères et affres du désir amoureux. Quoi de plus énigmatique que la mécanique du désir ? Quoi de plus mystérieux que les affres d’un couple ? A partir de ces questions éternelles, Gérard Miller a construit une vocation : la psychanalyse sera le chemin d’un éclaircissement face à l’opacité de l’enfer amoureux. Dans une trilogie sur le sujet, décliné en trois motifs décisifs – l’interdit, la tentation, la rupture –, il explore la psyché de quelques personnalités connues (Benoît Jacquot, Mathilde Seigner, Cali, Frédéric Beigbeder…) et anonymes. Chacun s’épanche sur ses propres affects, souvent douloureux, parfois exquis. Le dernier volet sur la rupture reste le plus abouti, peut-être parce que la tragédie s’y déploie avec un éclat qui, fût-il sombre, tranche avec les prémices un peu trop ritualisées des premiers instants. JMD

l’alcool en face Rencontre émouvante avec des rescapés de l’addiction. Un reportage en empathie. Son documentaire transpire de cette igure marquante du documentaire proximité affective née de la même affliction. des années 90 (La Conquête Le réalisateur fait de son empathie et de de Clichy, Une journée chez ma tante, son écoute frontale le nerf d’une narration Fragments sur la misère…), parti où se succèdent des témoignages, parfois explorer le champ de la fiction au début poignants, comme celui d’une jeune fille des années 2000 (Autrement, Itinéraires…), évoquant sa mère ivrogne. Filmant au plus Christophe Otzenberger, depuis, s’était fait discret. Son nouveau documentaire, Voyage près des visages égarés, Otzenberger se réinvente cinéaste de l’altérité autant que au cœur de l’alcool(isme), éclaire cette de l’introspection. La lucidité a eu raison absence : la dépression, noyée et absorbée de sa perte. Jean-Marie Durand par l’alcool, a paralysé son geste créatif. En écoutant des gens qui lui ressemblent – des alcooliques sortis d’affaire – Voyage au cœur de l’alcool(isme) Otzenberger écrit en creux son propre récit : Documentaire de Christophe Otzenberger, histoire d’une addiction et d’une rédemption. jeudi 26 mai, 2 2 h 50, France 2

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the godfather of cool Après avoir révolutionné la presse magazine anglaise, James Brown s’est attaqué aux sites d’information : son Sabotage Times est un succès du web, et une sacrée rigolade.

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n Angleterre, James Brown est une légende, réputé pour ses frasques, son hédonisme carabiné, son goût de la nuit et des musiques qui font du bien aux fesses. Ce James Brown n’est pas le Godfather of soul, mais un freluquet insolent, responsable de quelques-uns des plus spectaculaires succès de presse outre-Manche. On connut James Brown jeune journaliste musical du défunt Sounds, mandaté pour couvrir le Festival des Inrocks dans les années 80. Déjà passionné et virevoltant, il nous racontait comment, à peine adolescent, il lui arrivait de faire cinquante kilomètres en vélo la nuit, sans lumière, pour suivre dans son Yorkshire natal ses groupes de pop préférés – notamment The Monochrome Set. James Brown, comme tant d’autres post-ados éternels de ce Nord anglais, était un véritable lad, embrassant sans se poser de questions une culture virevoltant du football à la littérature, du cinéma à la technologie, des voitures à la mode, de la bonne chère à la chair. Naturellement, James Brown se dit alors qu’un garçon comme lui devait acheter au moins huit magazines pour couvrir le spectre de ses passions, des plus raffinées aux plus inavouables. Face à un scepticisme général, il lance Loaded, d’après une chanson de

un site britannique typique, sérieux sur ses sources mais irrévérencieux dans la forme

Primal Scream, en 1994 : un triomphe inouï de la presse anglaise, la bible lad absolue, drôle, grivoise, instruite et glorieusement imbécile, qui allait non seulement influencer les magazines locaux (FHM ou Maxim, entre autres), mais la vie de l’Angleterre même : le pays apprenait que cul et culture commençaient par les trois mêmes lettres. Depuis, le fantasque James Brown a alterné coups de maître (la reprise en main de GQ en 1997), coups de bluff (un fanzine dédié à son club fétiche de Leeds) et coups d’épée dans l’eau (le magazine Jack, pâle copie de Loaded vite disparue). Il y a un an, il nous avouait son dégoût des immobilismes et stéréotypes des groupes de presse. Son nouveau projet, qu’il vendait alors avec son enthousiasme ado, serait un site d’information fondamentalement britannique, sérieux sur ses sources mais irrévérencieux dans la forme. Un an plus tard, son Sabotage Times est un succès : plus d’un million de visites en un an, 110 000 visiteurs uniques par mois. A côté de quelques pros (dont l’ancien rédacteur en chef du magazine de foot FourFourTwo), sa vaste équipe de reporters de terrain a été principalement recrutée sur Twitter, et comprend aussi bien un ancien boxeur professionnel qu’un diplomate, un détenu qu’une fashionista déchaînée. Le résultat : un site de news sans hiérarchie entre cultures haute et basse, à l’humour absurde et à la férocité avérée. La coolitude absolue, revisitée par des geeks hirsutes et à l’impatience revendiquée. Si ça ne tenait qu’à eux, les articles feraient 140 signes. Un format de pop-song. JD Beauvallet www.sabotagetimes.com

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in situ Panini social Zamante est une plate-forme de partage pour les footballeurs pros, semi-pros et amateurs. Mieux que le célèbre album Panini et ses vignettes, il permet aux joueurs de promouvoir leur carrière, retrouver d’anciens collègues. Un véritable outil de travail pour prospecter le marché des transferts. zamante.com

3, 2, 1… Ce site sert à créer des comptes à rebours, des plus utiles aux plus absurdes (comme la prochaine éclipse solaire en Allemagne), en offrant une interface simple à utiliser. Une fois un compte à rebours créé, on peut l’intégrer dans un blog, une page web… La page d’accueil présente des comptes à rebours sur le point d’expirer. counto.com

Montpellier, ville ouverte Après Rennes et Paris, Montpellier libère ses données. Le site, ouvert au public, propose déjà des ressources sur les arbres remarquables autour de la ville, les établissements publics ou encore les “zones artistiques temporaires” (ZAT). Les internautes peuvent proposer des idées et des améliorations. opendata.montpelliernumerique.fr

art tour operator Art Finder permet de partager, identifier, noter, commenter et localiser des œuvres d’art. Il propose également à l’internaute un parcours personnalisé en fonction de ses goûts. Une fonctionnalité qui s’appuie sur une base de données constituée en collaboration avec les plus importants musées et galeries du monde et qui rassemble déjà des centaines de milliers d’œuvres. artfinder.com

la revue du web New York Times

The Atlantic

Owni

Yukon, nouvel eldorado

Judd Apatow aime les femmes

ombres hongroises

Après vingt ans passés à cueillir des champignons au Canada, Shawn Ryan décide de tout plaquer pour chercher de l’or dans le Yukon, au nord du pays. Là où des milliers d’hommes ont fait fortune au XIXe siècle, lors de la ruée vers l’or. Histoire d’une reconversion difficile qui l’oblige un temps, avec femme et enfants, à vivre dans une cabane en tôle par des hivers à - 50 °C. Reportage en apnée dans un projet fou lancé en 1993, quand l’or n’était pas encore un placement privilégié, et qui a conduit Ryan dix ans plus tard vers la richesse. http://tinyurl.com/3rhz64r

La sortie US de Bridesmaids, produit par Judd Apatow, vient dézinguer la réputation de sexiste du cinéaste. Alors que celui-ci est célèbre pour ses comédies sur des mâles célibataires accros aux jeux vidéo, cette nouvelle comédie met en scène six femmes. L’article analyse aussi les principaux personnages féminins présents notamment dans Funny People ou 40 ans, toujours puceau, pour montrer qu’ils sont traités de façon bien plus complexe et fouillée qu’il n’y paraît. http://tinyurl.com/6yjxmyl

Une plongée au cœur d’une Hongrie sclérosée. Ce reportage en quatre parties réalisé par Stéphane Loignon nous emmène dans un pays marqué par la crainte du peuple rom, où l’extrême droite fait une montée saisissante. Les réminiscences de la “garde hongroise” du parti extrémiste Jobbik, interdite en 2009, ont permis à des milices de se former. Elles disent surveiller les quartiers tsiganes pour “sécuriser la population”. A Budapest et dans la campagne, le reporter part à la rencontre de ces miliciens et des Roms. http://tinyurl.com/64yl95c 25.05.2011 les inrockuptibles 105

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The Tree of life de Terrence Malick Un grand film courageux qui signe le retour de Malick avec son cinéma panthéiste et son obsession mystique.

Beastie Boys Hot Sauce Committee Part Two La suite d’une œuvre hip-hop singulière et déjà classée monument historique.

Le Pauvre Type de Joe Matt Ce recueil, The Poor Bastard en VO, rassemble les premiers épisodes de Peepshow, la série de comics autobiographiques. Le dessinateur y raconte sa vie intime de façon assez crue. Ernest Hemingway Paris est une fête Une version intégrale attendue. Le Paris arty des années 20, sur fond de mélancolie.

Shot of Love de Bob Dylan Un de ses meilleurs albums, avec des mélodies lumineuses, une écriture incroyable, un Beatles (Ringo) et un Rolling Stones (Ronnie Wood). On va l’interpréter en intégralité à la Cité de la Musique, en mars 2012. recueilli par Noémie Lecoq

Le Gamin au vélo de Jean-Pierre et Luc Dardenne Les frères Dardenne rénovent leur cinéma. Un travail d’orfèvres, un résultat bouleversant.

L’Œil invisible de Diego Lerman Dans un lycée argentin sous la dictature, une surveillante sensuelle face à l’ordre établi.

La Ballade de l’impossible de Tran Anh Hung Habile adaptation d’Haruki Murakami par l’auteur de L’Odeur de la papaye verte.

Jay-Jay Johanson Spellbound Sobriété et mélancolie pour ce nouvel opus du dandy crooner suédois.

David Byrne Journal à bicyclette Le musicien explore la psyché urbaine en deux-roues. Un périple insolite et éclectique.

Elbow Build a Rocket Boys! Un album pétri d’humanité qui évoque la jeunesse de Manchester.

Peter Evans Kopros/Lithos, Electric Fruit, The Coimbra Concert, Ghosts Quatre disques et un concert pour un trompettiste aventurier...

En présence d’un clown d’Ingmar Bergman. Condensé des heures de gloire du cinéaste. Le Quatrième Homme de Phil Karlson. Film de casse astucieux qui a inspiré Reservoir Dogs. Grindhouse Double programme fétichiste des 70’s signé Rodriguez et Tarantino.

Nicole Krauss La Grande Maison Ecrire pour réparer ce qui a été perdu. Nicole Krauss cherche comment on se réinvente après avoir vécu le pire.

Jean-Marc Roberts François-Marie Un roman bref et fort, où se dévoile un autre visage de François-Marie Banier, un an après l’affaire Bettencourt.

Jeanine de Matthias Picard La biographie sensible d’une prostituée de 60 ans, par la révélation de la BD.

Creepshow de Stephen King & Bernie Wrightson Hommage réussi aux comics d’horreur des années 50.

Un privé à la cambrousse, vol. 1 de Bruno Heitz Les enquêtes d’Hubert, détective privé en mobylette dans la campagne profonde des 60’s.

Estelle Hanania

The Thing de John Carpenter Un très beau film qui se passe sous la neige avec Kurt Russell en justicier idéal, fort, beau, parfait. On l’a vu un nombre incalculable de fois pour les effets spéciaux, les monstres et la musique d’Ennio Morricone.

Herman Dune Le nouvel album de Herman Dune, Strange Moosic, vient de sortir. Le groupe sera en concert le 28 mai à Limoges et le 9 juin à Paris (Trianon), ainsi que lors des festivals d’été.

Numéro d’objet Mickael Phelippeau Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis. A la fois puzzle gestuel et enquête chorégraphique, Numéro d’objet illumine.

Danse “Delhi” d’Ivan Viripaev, mise en scène Galin Stoev Théâtre de la Colline, Paris Courtes pièces réjouissantes sur la mort et la réincarnation.

Rain Anne Teresa De Keersmaeker Palais Garnier, Paris La chorégraphe cherche “à faire jaillir la vie” sur le motif de la spirale. Un choc.

Lothar Baumgarten Fragmento Brasil Galerie Marian Goodman, Paris Photos, peintures et dessins : trois manières de sentir, penser et représenter le Brésil.

Amy O’Neill Forests, Gardens & Joe’s Centre culturel suisse, Paris Entre l’histoire intime et celle des Etats-Unis.

Malachi Farrell Rom & Dub Ecole des beaux-arts de Montpellier Une installation drôle, engagée et minutieuse, pour la défense des Roms.

Virtua Tennis 4 sur PS3, Xbox 360 et Wii Une nouvelle mouture pleine de promesses qui fait le lien entre deux époques.

Top Spin 4 sur PS3, Xbox 360 et Wii Une expérience de tennis plus accessible et surtout plus addictive.

Crysis 2 sur PS3, Xbox 360 et PC Un jeu de combat visionnaire dans un New York en ruine.

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