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les dernières heures de Ben Laden

le couac du foot fran ais

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Allemagne 4,90 € - Dom/A 5,50 € - Belgique 4,20 € - Canada /A 6,50 CAD - Espagne 4,50 € - Grèce /S 4,50 € - Italie 4,50 € - Luxembourg 4,20 € - Tom/A 900 CFP - Portugal 4,50 € - Suisse 7 CHF

No.805 du 4 au 10 mai 2011

une vie brûlée par l’argent

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je suis allée à Fukushima avec

Sexy Sushi

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epuis la catastrophe de Fukushima, certains ont – dit-on – perdu le goût du yakitori et déserté les restos japonais. Nous, même pas peur, on va au Fukushima dans le XVe arrondissement avec les Sexy Sushi (Rebeka Warrior et Mitch Silver, aussi dingues l’un que l’autre). Le duo perruqué et lunetté (comme d’hab) est déjà attablé. Ils ont zoné toute la journée. Un skate-park au Troca et un passage par la tour Eiffel : “On a profité d’être dans ce quartier.” Demain, ils iront sûrement à la Foire du Trône s’empiffrer de barbe à papa. “Pour soigner notre statut d’intermittent, faut savoir ne rien faire de temps en temps”, explique Mitch Silver, bonnet enfoncé jusqu’à l’arête du nez. Bientôt un an qu’ils tournent, depuis la sortie de leur dernier album, CyrilParrain - Marraine - Vigile. Là, ils rentrent de Londres où ils se la sont bien collée. Au Koko, une des salles les plus cool de la ville, drapée dans un drapeau anglais et emmerdant le mariage de Kate et William, Rebeka Warrior a distribué des croquettes pour chat au public : “Ils étaient supercontents quand même. J’ai adoré les Anglais.” Quelques jours plus tôt, ils sacrifiaient un cochon lors du festival Panoramas. Sur la table couverte de bouteilles de Tsingtao (Mitch les pointe du doigt : “On a pris des bières chinoises, c’est moins dangereux”), ils imitent sans problème le ploc ! ploc ! du sang qui goutte sur la scène. Le cochon avait “Nolwenn Leroy” tatoué sur le flan. “On voulait écrire ‘halal’ au départ, mais comme on était à Morlaix, on a voulu lui rendre hommage maintenant qu’elle surfe sur la vague régionaliste bretonne.” Eux, ils pensent plutôt à un opus corse, avec chants polyphoniques et main sur l’oreille – à condition qu’il y ait “une tranche de coppa calée dans la pochette du CD : on en vendra 25 000 par jour”. Ils se marrent. En attendant la coppa, Mitch commande une soupe miso : “La soupe miso j’adore,

“on a pris des bières chinoises, c’est moins dangereux”

ça prépare à la digestion, je vais en acheter sur eBay.” Il choisit le menu M6 sur la “nouvelle carte”, même pas en hommage à la chaîne. A peine le temps de faire la blague tellement attendue sur la “nouvelle carte” (“Ce qu’elle a de nouveau ? Elle doit être antiradiation”) qu’un Allemand avec une banderole “Atomkraft ? Nein Danke” (sûrement un truc antinucléaire) se poste sous l’enseigne du Fukushima pour se faire prendre en photo. En moins de temps qu’il faut pour avaler un sashimi, les deux compères barrés posent à côté de lui, “même si nous, on est pour le nucléaire. On l’était avant, on l’est toujours maintenant”, explique Rebeka Warrior. La prochaine étape pour les Sushi ? Un live à Paris, le 5 mai, pour la sortie de leur nouveau vinyle Flamme ; et la diffusion de leur court métrage, Au bord du monde, tourné l’année dernière. “Enfin, c’est plutôt une surboum pour l’anniversaire de Rebeka. Chaque année, elle veut qu’on fasse un truc pour son anniversaire.” Le lieu sera connu le jour même sur le site du groupe. Il faudra venir avec un cadeau. Une idée ? “Ah oui, je veux un Cluedo.” Va pour le Cluedo. Faut-il revenir à Fukushima ? Ben non, la bouffe n’y est pas atomique. Lisa Vignoli sexysushi.free.fr

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No.805 du 4 au 10 mai 2011

32

couverture d’après une image de Hubert Boesl/AFP

03 quoi encore ? Sexy Sushi

11 on discute courrier ; édito de Serge Kaganski

12 sept jours chrono 16 événement la mort d’Oussama Ben Laden

18 événement

infiltré dans le défilé FN du 1er mai

20 événement

Alexandra Compain-Tissier

le paperblog de la rédaction

le racisme ordinaire dans le foot vu par un ancien formateur de jeunes espoirs

24 la courbe

44

ça va ça vient ; billet dur

26 nouvelle tête Young Empires

28 à la loupe Philippe Wojazer/AFP

Donald Trump son monde

30 parts de marché le Conseil national du numérique

32 Johnny et l’argent révélations sur un flambeur un peu pigeon

41 Carla reste adroite la première dame achève sa mue

42 DSK, candidat clandestin

50

le patron du FMI se prépare discrètement Gazhole

44 Sarkozy DRH de la gauche le Président veut influencer la primaire

46 interview Guillaume Bachelay

54

à propos du projet PS pour la présidentielle

47 que le meilleur perde 48 débat d’idées les bouffons de la crise

50 les insurgés sous surveillance la police ne lâche pas ceux de Tarnac

Autumn de Wilde

les politiques en quête de défaite

54 fantastic Mr. Foxes deuxième album des grands Fleet Foxes

58 pas touche à Laurence Ferrari ! 62 sous les sunlights de Cuba Laurent Cantet et Elia Suleiman en tournage

68 survie, mode d’emploi Nicole Krauss : écrire pour réparer ce qui a été perdu

62

Full House

le JT de TF1 perd des points, pas elle

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34

72 La Ballade de l’impossible de Tran Anh Hung

74 sorties La Solitude des nombres premiers ; HH, Hitler à Hollywood ; Fast & Furious 5…

79 dvd En présence d’un clown de Bergman

80 livre un scénario jamais tourné de Truffaut

82 Yakuza 4 + The Lapins Crétins 3D

84 Miles Kane une bête de scène made in Liverpool

86 mur du son The Strokes, Damon Albarn…

87 chroniques Wild Beasts, Wildmimi, Elysian Fields, French Horn Rebellion, Guillemots…

99 morceaux choisis St Augustine, Kate Bush…

100 concerts + aftershow Printemps de Bourges

102 Jean-Marc Roberts L’autre visage de François-Marie Banier

104 romans/essais Steve Hely, Joseph Macé-Scaron…

106 tendance le livre, nouveau it-bag

108 agenda les rendez-vous littéraires

110 bd Lucky in Love, pas si lucky

112 Jean-Claude Gallotta + Gisèle Vienne + Yakich et Poupatchée

114 Wani, l’expo des ombres + Roberto Burle Marx

116 Glenn O’Brien monsieur style homme

118 Al Jazeera libre et enchaînée la télévision des révolutions arabes

120 festival Visions du réel le documentaire plus vivant que jamais

122 le collectif Inculte au ciel des écrivains dans les nuages

124 séries Game of Thrones : heroic fantasy toc

126 télévision la nostalgie Mitterrand

128 la revue du web décryptage profitez de nos cadeaux spécial abonnés

p. 40

129 vu du net la tauromachie, patrimoine culturel

130 best-of le meilleur des dernières semaines

rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Hélène Fontanaud, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs R. Attaf, E. Barnett, C. Barrère, B. Baudesson, G. Belhomme, P. Blouin, M.-A. Burnier, A. Compain-Tissier, M. Despratx, P. Garcia, Gazhole, J. Goldberg, F. Gorman, E. Higuinen, O. Joyard, C. Larrède, J. Lavrador, N. Lecoq, T. Legrand, H. Le Tanneur, H. Lindenberg, R. Malkin, J.-L. Manet, L. Mercadet, B. Mialot, P. Mouneyres, P. Noisette, V. Ostria, E. Philippe, A. Ropert, L. Soesanto, P. Sourd, C. Sudry-Le Dû, S. Trelcat, L. Vignoli lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Caroline de Greef, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Gaëlle Desportes, Guillaume Falourd, Delphine Chazelas conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeurs artistiques Pascal Arvieu, Mathieu Gelezeau (remplaçant) maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/ scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté d’Arthur Bellot tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 Dorothée Malinvaud (spécial festivals) tél. 01 42 44 15 67 coordinatrice Dounia Hajji tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 19 98 publicité commerciale, directrice Sarah Roberty directeur et directrice de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94, Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 coordinatrice Margaux Monthieu tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/relations publiques Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65, chef de projet marketing direct Alexia Bernard tél. 01 42 44 00 17 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard (tmattard@ame-press. com, tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19, infos au 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Valérie Imbert fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 2 211 059,61 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général David Kessler directeurs généraux adjoints Stéphane Laugier, François Rossignol attachée de direction Charlotte Brochard directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2011 directeur de la publication David Kessler © les inrockuptibles 2011 tous droits de reproduction réservés ce numéro comporte un CD “Un Printemps 2011 vol 3” mis sous film dans l’édition générale ; un encart abonnement 2 pages France dans l’édition France de la vente au numéro ; un encart abonnement 2 pages Belgique et Suisse jeté dans l’édition vente au numéro Belgique et Suisse ; un encart “Nuits Botaniques” encarté dans l’éditon abonnés Belgique, Paris-Ile-de-France et Nord Pas-de-Calais ; une carte postale “Le Temps Machine” encartée dans l’édition abonnés Paris-Ile-de-France et départements 37-41-45-49-72-86, et dans l’édition vente aux numéro des départements 37-41-45-49-72-86

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reprise de la Bastille

10 mai 2011, cinq heures de concerts gratuits pour la France qui invente contre celle repliée sur elle-même. es cris, les rires, les embrassades, les chants et la musique. A quoi comparer la liesse qui s’est emparée de Paris au soir du 10 mai 1981 ? A rien. A 20 heures pile, lorsque s’est dessiné sur les écrans de télé, avec une lenteur exaspérante, le visage grossièrement pixelisé de François Mitterrand, impossible pour tous ceux qui avaient fait le choix du changement de rester chez soi. Une victoire du peuple se fête dans la rue et une foule exponentielle, joyeuse et joueuse, s’est spontanément retrouvée sur la place de la Bastille pour entonner le chant de la Commune, Le Temps des cerises, avec Claude Villers, imposante figure de proue de la contestation à la radio publique, grimpé sur un podium comme surgi de nulle part. Même l’orage n’a pas douché les enthousiasmes, et les futurs gouvernants, du PS et du PCF, n’ont pas hésité à mouiller leur chemise pour prendre, au sens propre, leur premier bain de foule. Pourquoi, trente ans après, trois décennies marquées par les désillusions, la précarité galopante et le retour décomplexé des démons du racisme et du chacun pour soi, commémorer au même endroit et en musique ces moments précieux ? Par nostalgie ? Certainement pas. Si, sous Sarkozy, la France rime avec rance, la lassitude, elle, ne rime plus avec certitude. Lorsque des peuples intimement liés à notre histoire, que la paresse intellectuelle croyait voués pour toujours à la passivité et à la soumission, se soulèvent avec une ténacité et un courage inouïs pour détrôner leurs oppresseurs, il est temps de se dire qu’ici aussi il faut croire en un monde nouveau et qu’il dépend de chacun d’entre nous que cela change. C’est pourquoi ce concert du 10 mai se veut, plus qu’une commémoration, un message d’espoir. Les Inrocks

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Pour le prochain billet dur de Christophe Conte, je propose Mélanie Laurent. méchamment twitté par JFdesCelestins, le 27 avril

Mélanie Laurent

droit de réponse Dans votre article intitulé “A qui profite la hausse de la production cinématographique française ?” mis en ligne le 2 avril 2011, vous vous faites l’écho d’une polémique engagée par un syndicat de techniciens autour du tournage du film Or noir, réalisé par JeanJacques Annaud. Cet article appelle une mise au point immédiate de la société Quinta Communications, producteur délégué et coproducteur du film Or noir. 1. Si certains techniciens intervenus sur le tournage du film Or noir ont effectivement été engagés par la société de droit tunisien Empire Productions, c’est parce que celle-ci a assumé la production exécutive du film et qu’elle a été à ce titre en charge de l’ensemble du tournage en Tunisie, et ce dans le respect de la loi tunisienne qui exige que les tournages de films sur le sol tunisien soient assurés par des sociétés de production exécutive tunisiennes. 2. La société Empire Productions n’est donc pas “une entreprise prestataire dont la fonction est de mettre à disposition la main d’œuvre”, comme vous le prétendez, mais un coproducteur à part entière qui a d’ailleurs assuré à ses salariés techniciens des rémunérations attractives. 3. Le film Or noir apparaît en réalité comme un prétexte dans le cadre d’une campagne menée par

un syndicat aux vues étroitement nationalistes, destinée à empêcher les techniciens français d’être embauchés par une société étrangère en cas de coproduction internationale de films. Comme le sait parfaitement ce syndicat, cette campagne ne repose sur aucune base légale, et fort heureusement pour l’ensemble des salariés de l’industrie du cinéma. 4. Quinta n’a pas de leçons de patriotisme économique à recevoir alors qu’elle a contribué très largement depuis dix ans au sauvetage des industries techniques de l’audiovisuel et au maintien de ses emplois en France, ce qui s’est traduit par le versement auprès des organismes sociaux français de près de 100 millions d’euros de cotisations sociales depuis 2003. 5. Nous sommes confiants dans la décision qui doit être prise par le CNC au titre de l’agrément de ce très beau film de Jean-Jacques Annaud qui sera sur les écrans en novembre 2011, et regrettons qu’un syndicat qui ne représente que lui-même tente de faire échouer cette demande d’agrément, au mépris des intérêts des techniciens comme au mépris de la loi. 6. J’aurais pu donner ces explications à votre journaliste si celui-ci avait pris la peine de m’interroger, ce qui n’a pas été le cas. Tarak Ben Ammar, président de la société Quinta Communications

réagissez sur [email protected]

l’édito

on refait le con A la lecture du verbatim publié par Mediapart, notre footocratie a fait exploser le déconnomètre. Première bêtise, débattre des binationaux, faux problème bien explosé par Lilian Thuram : les meilleurs binationaux jouent pour la France, à l’exemple de Zidane ou Viera hier, Benzema aujourd’hui. Deuxième connerie, imaginer un système de quotas pour limiter le nombre de ces joueurs binationaux : tout simplement discriminatoire, anticonstitutionnel, ce que n’ignoraient sans doute pas les Blanc, Blaquart et Mombaerts puisqu’ils évoquent plusieurs fois l’idée de mettre en place de tels critères “sans le dire”, “sous le coude”. Le seul point légitime de cette réunion consiste à vouloir réorienter la détection vers des joueurs plus petits, plus vifs, moins bourrins. Mais là encore, nos dirigeants se mélangent les crayons entre ethnique et technique en évoquant les grands costauds black. Fin connaisseur du foot, Laurent Blanc a zappé de sa mémoire les grands costauds blancs comme Bathenay, Neeskens, Materazzi, les petits vifs noirs comme Pelé, Okocha, Robinho, ou les grands costauds noirs et techniques comme Abou Diaby. Il semble avoir aussi oublié que jusqu’en 2008, l’équipe de France black, blanc, beur battait régulièrement celle d’Espagne labelisée “pas de blacks, pas de problème”. C’est pourtant le même Blanc qui fut élevé par des parents communistes, qui joua dix ans aux côtés des Desailly, Thuram et Zidane, qui a fait d’Alou Diarra son capitaine à Bordeaux puis en équipe de France. Sur la foi de son CV, Blanc n’a rien d’un raciste. Cependant, il a été formé à l’école populaire du foot, pas à Sciences-Po, et ne possède pas toutes les subtilités réthoriques ou conceptuelles d’un haut diplômé, usant d’un langage cru dont il s’est excusé. A son niveau de responsabilités, il serait quand même urgent qu’il relise et apprenne notre Constitution. Ce but contre le camp du foot survient après de multiples dérapages de nos élites intellectuelles et politiques (Le Pen évidemment, mais aussi Frêche et Finkielkraut), dans le climat de la France sarkozienne, et sur fond de montée marinolepéniste, sans oublier le désastre sud-africain. Cela n’excuse rien mais contextualise. Le foot, énième symptôme d’un pays déboussolé par la politique anxiogène et clivante de son président.

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction descente d’ecsta En Libye, les partisans de Kadhafi gardent la pêche. Chaque soir, aux alentours de la caserne de Bab Al-Aziziya, lieu de résidence du frère guide, ils sont des centaines à se réunir pour chanter, danser et balancer des vannes horribles aux opposants (“bandes de drogués”, “malades mentaux”). Qui sont ces teuffeurs politiques ? Des gamins inconscients, des prisonniers libérés par Kadhafi pour faire nombre ou des figurants tarifés pour leur prestation ? On n’en sait rien, mais vivement l’after.

le mot

Francis le Gaucher

Cette semaine, à en croire les JT, on a encore beaucoup décimé. A Nantes, une famille entière, par le père. En Syrie, un peuple en révolte, par le tyran. Si l’on s’en tient au sens exact du mot, on obtient des résultats arithmétiques extraordinaires. La décimation était une punition collective pratiquée par les généraux romains. En cas de défaite grave, les légionnaires étaient répartis par groupes de dix (decem en latin). Chacun tirait un papier, le destin désignait une victime. Le “décimé” était lapidé par ses neuf collègues. Ainsi furent châtiées les légions vaincues par Spartacus. Appliqué à notre actualité, le calcul montre que : 1) à Nantes, la famille comptant cinq personnes, on n’aurait dû retrouver qu’une moitié de cadavre ; 2) en Syrie, la population s’élevant à 22 200 000 habitants, on devrait dépasser les deux millions de morts. Dans les deux cas, on est loin du compte. Pour parler français, mieux vaudrait s’en tenir à “tuer” ou “massacrer”.

Mohamed Messara/EPA/Maxppp

[décimer]

lettre de rupture au “Special One” Peu importe le résultat du match retour, José Mourinho est mort, à nos yeux, la semaine passée lors du match aller de la Ligue des Champions entre le Real Madrid et le FC Barcelone. Enragé par l’arbitrage, dépassé par l’entraîneur adverse, le Portugais a sombré dans le ridicule, en multipliant les gesticulations, les accusations et les insinuations risibles. Jusque-là, même dans l’excès, il avait toujours gardé une certaine dignité et un supplément de classe. Il a tout foutu en l’air. A moins qu’il n’ait simplement révélé sa vraie nature. José, c’est fini entre nous. laboratoire en chantier Passage à Dijon, où le centre d’art le plus pointu de France fait peau neuve et s’offre une extension signée de l’architecte japonais Shigeru Ban. Pas de geste spectaculaire comme au Centre Pompidou-Metz : au Consortium, le show sera avant tout dans les salles d’expo. Pas de cérémonie d’inauguration non plus, mais des journées portes ouvertes du 9 au 11 juin. Programme haut de gamme : Richard Prince, Cindy Sherman, Bertrand Lavier, Dan Graham. Entres autres. l’Espagne dans le rouge Jusqu’ici tout va bien : avec 4 910 200 chômeurs, l’Espagne atteint un nouveau record historique. A 5 millions, l’agence de notation Moody’s lui donnera-t-elle un coup de pouce dans cette magnifique descente aux enfers vers les relégables de l’Europe ?

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Coachella-surmer Samedi 17 heures

l’image en Kate d’information

Pinkhassov/Magnum

Peut-on bosser et regarder le mariage du siècle à la télé ?

Une moitié du monde pleurnichait devant le mariage du siècle, l’autre ronchonnait. Pareil chez nous. Vendredi 29 avril, fin de matinée : après la réunion de rédaction, des tensions se font sentir dans l’open space divisé en deux camps – ceux qui tentent d’allumer la télé pour suivre en direct le mariage de William et Kate et ceux qui y sont farouchement opposés pour de sombres raisons idéologiques. Alors que la télé vibre d’émotion, certains haussent le ton pour que “baisse le son de ces connasses hurlantes parce que y en a qui bossent” (subtile référence à la foule en délire), William et Kate finissent par se dire oui pour la vie. A part ça, les arbres dans les églises c’est plutôt une bonne idée, ça fait toujours plaisir de voir Elton John et ses bajoues de hamster, Kate a plutôt la classe, sa sœur est bonne et elle porte un string, quant à la robe de mariée Alexander McQueen, on se demande ce que le designer en aurait pensé s’il ne s’était pas suicidé, les chapeaux des invités triés sur le volet sont au sommet et les coucous de Kate à la foule hyper maîtrisés. Bon, on retourne travailler.

Peter Macdiarmid/Getty Images

à Hyères (Var). Pour la vingt-sixième édition du Festival de mode et de photographie, la musique s’est invitée à la Villa Noailles. Jusque-là, débarquer dans les murs de la célèbre construction de Robert Mallet-Stevens était déjà dépaysant avec ce qu’elle regroupait de talents (dix stylistes et dix photographes y sont exposés chaque année) et de looks déments en trois jours. Ce “festival dans le festival” y ajoute un côté planant. Ce jour-là, c’est la paire pop et electro The Shoes qui a investi le jardin suspendu de la Villa. The Shoes Invités par Stage of the Art – comme la veille le Néo-Zélandais Connan Mockasin et le lendemain le groupe Norman Palm –, ils nous ont appris qu’on pouvait frissonner au soleil. il était une fois l’Italie Mercredi 27 avril : Nicolas Sarkozy est à Rome, nous aussi. Pour évoquer le nouveau projet musical du producteur US Danger Mouse (Gnarls Barkley, Gorillaz), on part à la rencontre de son complice italien Daniele Luppi. Ils ont réalisé l’album Rome, disque hommage aux grandes BO des westerns-spaghettis avec au chant Norah Jones ou Jack White. La rencontre a lieu à l’endroit même où le disque a été façonné : dans les anciens studios d’Ennio Morricone, The Forum Music Village, nichés sous l’église imposante de la Piazza Euclide. Alessandro Alessandroni, à qui l’on doit les légendaires sifflets de la BO d’Il était une fois dans l’Ouest, est de la partie pour raconter comment Danger et Luppi sont partis, pendant cinq ans, à la recherche des musiciens et du matériel de l’époque : basse empruntée à l’ancien leader de Goblin contre quelques bouteilles de vin, orgue récupéré dans un vieux garage à Vespa. Entretien passionnant pour disque captivant : la preuve le 16 mai, date de sortie. Yvon Lambert décroche Dans un mail officiel, Yvon Lambert a annoncé “prendre plus de distance avec (sa) vie de galeriste” afin de “garder (son) amour des œuvres et (sa) relation aux artistes intacts”. Une décision personnelle pour un galeriste qui a toujours fait parler sa sensibilité : figure emblématique du marché de l’art international depuis près de quarante-cinq ans, ardent défenseur des artistes conceptuels et minimalistes des années 70 (de Sol LeWitt à Lawrence Weiner ou Daniel Buren), il a représenté des artistes français comme Christian Boltanski, Bertrand Lavier ou le jeune Loris Gréaud et contribué à révéler la photographe Nan Goldin.

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le moment mort de Zyed et Bouna Non-lieu pour les policiers : circulez, y a rien à voir…

Medhi Taamallah/Sipa

“Ce que nous voulons, c’est une audience publique” : les familles de Zyed Benna et Bouna Traoré veulent comprendre pourquoi le 27 octobre 2005 quatorze policiers se sont mis à poursuivre une bande d’ados qui rentraient du foot. Pourquoi deux ados de 17 et 15 ans sont morts électrocutés dans un transformateur EDF de Clichy-sous-Bois. Pourquoi le ministère de l’Intérieur a dans un premier temps couvert la (fausse) version policière selon laquelle les gamins avaient commis un délit. La cour d’appel a répondu qu’il n’était pas nécessaire de mettre en place un procès public et contradictoire. Elle a suivi les réquisitions du Parquet et prononcé un non-lieu en faveur des deux policiers renvoyés devant le tribunal pour “nonassistance à personne en danger”.

les nombreux bienfaits de l’explosion punk, l’accession au pouvoir des femmes ne fut pas le moindre. Longtemps réduites à la caricature dans les années 70, les femmes du rock découvraient la liberté de tout hurler, tout porter. Parmi les égéries anglaises du mouvement, Poly Styrene sera l’une des plus influentes et radicales, au sein de son groupe X-Ray Spex puis en solo. Vénérée par les riot grrls, elle était constamment restée active dans le rock depuis 1977. Elle est décédée lundi 25 avril d’un cancer du sein. Cuba entre présent et passé Reportage à Cuba pendant l’enregistrement d’Havana Cultura 2. Avec le producteur anglais Gilles Peterson et le génial pianiste Roberto Fonseca en maîtres d’œuvre, le projet mixe les rythmes traditionnels de l’île avec des voix plutôt venues du rap ou du jazz. Un projet qui ressemble au Cuba d’aujourd’hui, où tout change et rien ne change. Fidel Castro a officiellement pris sa retraite, son frère Raul a annoncé l’ouverture de l’économie cubaine à l’entreprise individuelle. Légère sortie du modèle communiste, mais Cuba reste une hallucinante enclave spatio-temporelle dans les Caraïbes, encore à l’écart du capitalisme mondial. C’est dans un taxi Plymouth de 1940 qu’on sillonne la Havane, sans jamais croiser le moindre panneau publicitaire, ni la moindre enseigne internationale. Toutes considérations sociopolitiques mises à part, ça ne manque pas de charme. from Berlin with love Un inoubliable one shot découvert sur la scène du Théâtre du Rond-Point. Comme on reçoit une carte postale d’un être cher, on a adoré se balader avec Marie NDiaye dans Berlin ensoleillé, filmé en travelling depuis le métro aérien. Avec Die Dichte, la romancière rend compte, dans une performance conçue par Denis Cointe, des premiers temps de son exil berlinois. En choisissant comme lieu d’atterrissage le jardin d’enfants où elle passe l’après-midi avec son fils, elle questionne la découverte de cette langue étrangère qu’il va falloir apprivoiser pour redémarrer leur nouvelle vie. Ce texte dit sur ces images, l’accompagnement live par des musiciens se réclamant autant de l’electro que du jazz nous plongent avec tendresse dans cet état flottant si cher à Sofia Coppola dans Lost in Translation. Et Marie nous fait alors partager ce jet-lag connu de tous ceux qui se sentent pour une raison ou une autre des déracinés. L. M., B. Z., avec la rédaction

Frédéric Desmesure

la mort de Poly, a punk is dead Parmi

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Mantel/Sipa

les dernières heures d’Oussama Ben Laden Dans la nuit de dimanche à lundi, les forces américaines ont tué le numéro 1 d’Al-Qaeda lors de l’assaut de sa résidence fortifiée, à Abbottabad, au nord du Pakistan.



eux hélicoptères Black Hawk se posent à terre. Vingt-quatre hommes en jaillissent. Issus des Navy Seals, les forces spéciales de la marine américaine et sous les ordres de Leon Panetta, le directeur de la CIA, ils entament l’assaut de la résidence fortifiée d’Oussama Ben Laden. Très vite, des témoins entendent des explosions, et des échanges de tirs intenses démarrent. Ben Laden et les siens se défendent. Le combat dure quarante minutes.

Lorsqu’il cesse, cinq cadavres jonchent le sol. Une femme, utilisée comme bouclier humain, et deux frères, les messagers d’Oussama Ben Laden, ont été tués. L’un de ses fils est également tombé. Ben Laden, lui-même, est mort, atteint d’une balle dans la tête. Il est un peu plus d’une heure du matin au Pakistan. La chute d’Oussama Ben Laden commence en août dernier. Les espions américains parviennent enfin à localiser un membre de sa garde rapprochée, l’un de ses

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Maurice Rougemont/Calmann-Lévy

le 29 avril, Obama valide l’envoi de troupes sur le terrain

“Obama a forcé le Pakistan à collaborer”

deux coursiers chargés d’assurer le contact avec le monde extérieur. L’homme, dont l’identité a été dévoilée quatre ans plus tôt par un prisonnier de Guantánamo, réside dans la ville d’Abbottabad, à cinquante-cinq kilomètres au nord d’Islamabad, la capitale pakistanaise. Il vit avec son frère et leurs familles respectives, dans un vaste complexe résidentiel de trois étages particulièrement sécurisé. Situé au sommet d’une colline et huit fois plus étendu que les constructions voisines, celui-ci est protégé par deux portails de sécurité et entouré de murs de cinq mètres de haut surmontés de fils barbelés. Dépourvu de la moindre ligne téléphonique, il est comme coupé du monde. Par souci de discrétion, les résidents brûlent leurs déchets à l’intérieur. Construit en 2005, le complexe est estimé par les autorités américaines à un million de dollars. Ce ne peut donc être la résidence d’un simple coursier et de sa famille. Dès septembre, quelques semaines après la localisation de l’intermédiaire, la CIA estime qu’il y a une “forte probabilité” pour qu’il s’agisse également de la cache d’Oussama Ben Laden. Les mois suivants permettent de confirmer cette information. Ben Laden vit bien là, en compagnie de l’un de ses fils et de sa plus jeune femme. Le 14 mars, lors d’une réunion à la Maison Blanche, ces éléments sont transmis à Barack Obama. Quatre autres réunions suivent. La dernière a lieu le vendredi 29 avril. A 8 h 20, dans la Diplomatic Room de la Maison Blanche, le président américain réunit autour de lui Thomas Donilon, conseiller à la sécurité nationale, John O’Brennan, attaché au contre-terrorisme, et plusieurs autres conseillers. Avant de s’envoler vers l’Alabama ravagé par la tempête, plus tard dans la matinée, Obama valide l’envoi de troupes sur le terrain, dans la perspective d’une opération militaire visant à la capture de Ben Laden. A aucun moment, il n’informe le gouvernement pakistanais de l’imminence de l’attaque. C’est seulement après que l’information sera transmise. Dès la fin de l’opération, qui n’aura fait aucun blessé parmi les assaillants, le corps d’Oussama Ben Laden est transféré dans l’un des hélicoptères. Il faut partir vite, mais l’un des appareils subit une avarie mécanique. Il est détruit sur place et l’équipe s’entasse dans l’autre appareil, en direction de l’Afghanistan. Quelques heures plus tard, on apprend que le corps d’Oussama Ben Laden a été enseveli en mer. Washington, qui refusait lundi après-midi de confirmer l’information, aurait estimé compliqué de trouver un pays qui accepte d’accueillir la dépouille du leader d’Al-Qaeda, dans le délai de 24 heures imposé par la religion musulmane pour l’inhumation d’un corps. Les Etats-Unis auraient également voulu éviter à tout prix que la tombe de Ben Laden puisse devenir un lieu de pèlerinage… Marc Beaugé

Directeur des Cahiers de l’Orient, Antoine Sfeir revient sur la réconciliation USA-Pakistan qui a permis de localiser Ben Laden. Pourquoi les forces américaines ont-elles réussi à localiser Oussama Ben Laden ces derniers jours après une traque qui a duré presque dix ans ? Antoine Sfeir – Avant tout, il y a une sorte de réconciliation américano-pakistanaise. Les relations étaient très tendues, les Américains devenaient impatients. Les services de sécurité et la police pakistanaises traînaient des pieds. Tout cela a été circonscrit sous la pression de Barack Obama qui a tapé du poing sur la table et impulsé la réconciliation. Ben Laden a pu être localisé dans la banlieue de Islamabad. On dit qu’il s’était rapproché d’Islamabad parce qu’il était malade, qu’il souffrait de maux de ventre... On a dit aussi qu’il devait être dialysé, qu’il avait un appareil de dialyse portative... On a dit tellement de choses à propos de Ben Laden. Le fait qu’il soit dans les faubourgs d’Islamabad laisse supposer des connivences et des complicités certaines avec le Pakistan. Mais Obama a inversé la tendance et forcé le Pakistan a collaborer. C’est une importante victoire pour le président américain sur le plan de la politique intérieure pour contrer les conservateurs comme le Tea Party mais aussi sur le plan international... Oui, tout à fait. Obama va connaître une embellie, même le dollar est remonté sur les bourses asiatiques. C’est une information considérable. Mais attention, il faut savoir raison garder. Si Al-Qaeda a été décapitée, l’organisation n’a perdu qu’une tête, il y en a d’autres... La mort d’Oussama Ben Laden ne marque pas pour vous la fin d’Al-Qaeda ? J’en suis sûr. Aujourd’hui on a tué le symbole, tué le porteur de légende, mais pas le cerveau, Ayman al-Zawahiri, ni la seconde

génération qui a pris la relève sur le plan organisationnel et opérationnel. Ils sont toujours là. A écouter et à lire les sites islamistes et jihadistes, on s’aperçoit au contraire qu’il y a une sorte d’excitation extraordinaire de la part des islamistes et des salafistes qui veulent absolument venger la mort du chef. Il y a une volonté de représailles des terroristes à l’encontre de l’Occident. En même temps, cette mort arrive dans un moment historique particulier des révolutions arabes. Elle représentent la mort politique d’Al-Qaeda... Oui, mais il y a eu un attentat au Maroc avec des cibles étrangères, des touristes. Avec les réformes constitutionnelles annoncées, les extrémistes font feu de tout bois. Les otages français au Niger ne sont pas à l’abri d’éventuelles représailles. On a dit que le corps avait été immergé... Je n’ai pas la confirmation de cette information. J’en suis resté à une volonté des Américains de garder le corps et même de le rapatrier aux Etats-Unis... C’est pour ça qu’une nouvelle de l’inhumation dans la mer m’étonne, ce n’est pas du tout dans la tradition musulmane, où l’homme est dénudé, mis dans un linceul et déposé dans la terre car il n’est que poussière et revient à Dieu. Il n’y a pas de mausolée, de totem, ni toute autre présentation. Il peut y avoir sur la sépulture le nom de la famille et ça s’arrête là. Peut-on imaginer qu’Oussama Ben Laden ait été inhumé dans la mer pour empêcher ses fidèles de se rendre sur sa tombe en pèlerinage ? Je crois au contraire qu’ils n’ont aucun intérêt à le faire car ils laisseraient la porte ouverte aux légendes et aux doutes. Propos recueillis par Anne Laffeter 4.05.2011 les inrockuptibles 17

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Le 1er mai, rue de Rivoli, Paris

en sous-marin chez Marine

L’extrême droite, très peu pour lui, mais espionner ses militants et leur soutirer des infos, il aime. Un antifasciste nous raconte son défilé du 1er Mai, incognito dans le cortège du Front national.



n laissant traîner mes oreilles, j’ai entendu un tas de choses dithyrambiques sur Marine Le Pen : “Elle est belle”, “On est tous amoureux d’elle”. Elle vivait son premier défilé de présidente du Front national et le dernier avant la présidentielle. Elle avait prévenu qu’elle ne voulait pas voir de skinheads, mais son opération nettoyage, c’est du flan. Pour l’habillage, il faut montrer que le FN est un parti respectable, raisonnable, “un parti comme les autres”, mais Marine Le Pen a besoin de garder des liens avec l’extrême droite radicale. Elle en est prisonnière et complice. Une élection se gagne aussi avec des gens qui collent des affiches, vont sur le terrain, occupent la rue.” piocher des infos au plus près “Ma première fois, c’était en novembre 2006, à la fête bleu-blanc-rouge. Forcément, on surveille leur presse, leurs sites, mais le but est de piocher des infos au plus près : voir s’il y a du monde, jauger les groupuscules, les familles politiques

en présence, qui ils mettent en avant. On y va pour récupérer du matos, faire parler des gens le plus possible. Une fois à l’intérieur, c’est open bar, tu fais partie de la famille. Je me construis un personnage, jusqu’à présent jamais découvert. Lunettes de soleil, petit sweat, look passe-partout, rien de trop identifiable. Il faut apparaître le plus neutre possible parce qu’il y aura de tout : du MST (mocassin/ serre-tête), du T-shirt Stooges et cheveux longs, jusqu’au crâne rasé à blanc. On doit se fondre dans le cortège, d’autant qu’on va en sortir, se mettre sur le côté, retourner avec d’autres groupes : il faut pouvoir se balader partout. Quand on repère un autre militant antifasciste, évidemment, on ne le connaît pas… J’ai croisé Farid Smahi, exclu de la direction au dernier congrès du FN. D’habitude c’est costard et cortège présidentiel ; là, blouson en jean, esseulé et la larme à l’œil. Même s’il garde sa carte de militant, il a perdu sa place. Marine Le Pen était acclamée : “présidente”. Jean-Marie Le Pen : “président”. Bruno Gollnisch, lui, passait presque inaperçu avec trois mecs

du DPS (le service d’ordre du FN). La bataille est finie, on rentre dans le rang.” “le social, c’est le Front national” “Le 1er Mai c’est la fête du militant FN : presque leur seule manif dans l’année. Il devait y avoir 3 000 personnes. Un gros cortège présidentiel avec beaucoup plus de journalistes que d’habitude et le service d’ordre en costard, très virulent quand ils devenaient envahissants. Sollicités par le DPS, quelques radicaux sont venus renforcer le carré de tête. Ensuite, le cortège du Front national jeunesse, qui distribuait un T-shirt gratuit avec un flashcode pour iPhone. Tous les moins de 30 ans étaient appelés à le rejoindre. Puis venait le Nord-Pas-de-Calais, le plus gros effectif des fédérations régionales. Annie Lemahieu, la virée de FO, trônait en tête avec une pancarte “exclue par mon syndicat”. A part elle, la fanfaronnade sur les syndicats et les travailleurs tombait un peu à plat. On attendait un cortège spécifiquement syndical : rien qu’une pauvre banderole portée par Fabien Engelmann (exclu

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“ça me fait mal au cœur de voir ma classe sociale se faire berner”

de la CGT) et Thierry Gourlot de la CFTC. A noter toutefois, la présence d’un plus grand nombre de slogans axés sur la question sociale, peu utilisés auparavant : “le social c’est le Front national”, “la France aux travailleurs”, en plus des classiques “Français réveille-toi, tu es ici chez toi” ou “Bleu blanc rouge, la France aux Français”. Je me balade beaucoup, je trouve un moyen d’engager la conversation sur un vêtement, un sigle, un petit événement. Ça me permet de passer le temps avec quelqu’un, de discuter. Il ne faut pas seulement poser des questions, mais aussi montrer qu’on est curieux et qu’on connaît des trucs. Mais pas trop, sinon ça fait le mec expert qu’on ne connaît de nulle part. Les skins s’étalaient un peu partout, bien lookés. On reconnaissait les marques habituelles : du Fred Perry, du Lonsdale, du Harrington, jean serré, Adidas aux pieds, deux-trois treillis, des tatouages, et quelques boucles de ceinture 88 ou croix celtiques, que le DPS allait demander discrètement de cacher sous les T-shirts. Le FN veut garder ces petits jeunes sous la main, sinon ils pourraient ne pas voter. On sentait de l’espoir : “Ça va venir”, “Les gens en ont marre”. Ils ont 2012 en tête. “On sera peut-être pas premiers du second tour, mais on y sera et on gagnera en 2017.” Seul le FN était visible ; les membres d’autres groupes respectent la tête de gondole électorale et se rattraperont au 9 mai – manifestation annuelle en mémoire de Sébastien Deyzieu, militant nationaliste mort lors d’une course-poursuite avec la police le 9 mai 1994. J’ai aperçu le Mouvement d’action sociale (groupuscule partisan de la mouvance autonome et enracinée), Serge Ayoub, le GUD (Groupe Union Défense, organisation étudiante française d’extrême droite) en blouson de cuir et lunettes noires, des militants du Parti solidaire français. Mais ils ne distribuaient pas de tracts et n’affichaient pas leur appartenance. J’ai écouté les dix premières minutes du discours, après je devais partir. Il est important de réussir sa sortie, sans se faire repérer ni pister. On me dévisageait un peu plus que les années précédentes. Comme tout le monde est massé et qu’il y a un peu de passage à cause du Louvre, j’en profite pour me barrer en douce. Il y a eu pas mal de violences contre des militants dernièrement : des tabassages, des portes défoncées, un cocktail molotov sur un local.”

espionnage et contre-espionnage “Je vois ce genre d’opérations comme l’espionnage de mes ennemis politiques les plus chers. Je n’ai aucune sympathie pour les cadres, pour les idéologues. Par contre, je me suis déjà senti en empathie avec le public, dans un meeting à HéninBeaumont. Une empathie sociale. Marine Le Pen a ému la salle entière sur ces usines fermées et transformées en lofts pour bobos “qui veulent faire peuple”. On sentait une fierté ouvrière incroyable, qui frissonnait de plaisir en écoutant cette fille de milliardaire. Ces gens-là ont raison d’être en colère et d’en vouloir à plusieurs dizaines d’années de politique antisociale. Sauf qu’ils se trompent de colère, d’ennemi, et se font berner. Ça me fait mal au cœur de voir ma classe sociale se faire berner. Je ne peux pas dire “les gens qui votent FN sont des cons”, ce serait trop simple. Il ne faudrait pas leur parler ? On fait quoi, on les extermine ? Si j’y vais, c’est aussi pour comprendre pourquoi ça marche. Cette année, les cortèges régionaux avaient plus de gueule. Pas un défilé de déambulateurs, plus divers en termes d’âges et de catégories sociales. Je ne sais pas dans quelle mesure il s’agit de nouveaux adhérents ou d’anciens remobilisés. J’ai rencontré une petite vieille BCBG qui me disait venir pour la première fois, prendre la température alors qu’elle votait UMP. Si Sarkozy a bien réussi à siphonner le FN en 2007, il rate son coup cette fois-ci. Malgré le ripolinage, le FN reste le même : un parti antisocial, de droite révolutionnaire, qui nécessite une vigilance antifasciste permanente. Depuis 2002, clairement, on assiste à une banalisation du racisme, avec tout un travail de pollution lexicale. Assez peu de forces du mouvement social intègrent la dimension antifasciste dans leur militantisme, malgré un renouveau de la prise de conscience du danger ces derniers temps. “Le racisme c’est pas bien” à la SOS Racisme a marché pour mobiliser, mais politiquement c’est un échec. S’appuyer sur le droit à la différence a ouvert la voie au différentialisme de la Nouvelle droite. Il faut repolitiser : les réponses doivent être politiques pour battre en brèche la préférence nationale et revendiquer de nouveau l’égalité des droits. Quand je me retrouve dans une initiative d’extrême droite, je me demande dans quelle mesure je m’habitue à ce discours. Je ne m’y fais pas, mais je suis blindé. Dans un cortège où tout le monde le fait, je dois crier “Marine présidente”, même si ça m’écorche les lèvres. A d’autres endroits, tu as envie de vomir. Mais même face à un vrai négationniste, qui t’explique que Auschwitz c’est pas possible, tu dois rester le plus neutre possible. Les fachos viennent aussi aux réunions et manifs antifascistes, on fait de l’espionnage et du contre-espionnage. C’est de bonne guerre.” recueilli par Camille Polloni et Anne Laffeter photo Céline Barrère 4.05.2011 les inrockuptibles 19

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André Merelle

FEP/Panoramique

Dans les vestiaires, en 1998, après la victoire en Coupe du monde

“ça veut dire quoi, ethnique ?” Directeur de l’Institut national du Football (INF) jusqu’en février dernier, André Merelle était en charge de recruter les espoirs du football français. Il témoigne d’un climat de racisme ordinaire à la DTN.

 L

ors de la fameuse réunion du 8 novembre 2010, au cours de laquelle fut abordé le principe des quotas, son nom jaillit au milieu des échanges. “Ça ne te choque pas que l’Institut national français de Clairefontaine ait sorti quatre internationaux français et vingtsix internationaux étrangers ?”, lança un intervenant. “Attends, vous allez pas prendre “Dédé” pour plus con qu’il l’est. Les bons jeunes Blancs, s’il avait eu un jeune talentueux blanc, il l’aurait pris, non ?” André Merelle, “Dédé”, était au cœur du système. Directeur de l’Institut national

du football de Clairefontaine, l’élite des centres de formation français, pendant treize ans, il avait la responsabilité de recruter les meilleurs jeunes joueurs de la région parisienne. Dans ses promotions, il y avait des Noirs, des Arabes, et quelques Blancs. Il y avait aussi beaucoup de joueurs binationaux, susceptibles à terme de rejoindre une autre sélection nationale. Etaient-ils trop nombreux ? C’est ce que conclut, courant 2010, un audit externe commandé par la DTN, la Direction technique nationale du football. Mis à pied en septembre 2010 puis licencié en février 2011, “sans que cela ait

un lien avec ces histoires de quotas”, André Merelle n’a “pas envie de dire n’importe quoi” mais il est aujourd’hui “libre de parler”. Il confirme que le profil des joueurs qu’il sélectionnait posait un vrai problème à la DTN et était prétexte à de fréquents dérapages verbaux. De façon générale, c’est un climat de racisme ordinaire qu’il décrit. Le problème des joueurs binationaux semble être le cœur du débat… André Merelle – Oui, c’est la question centrale. Pour la DTN, c’est un vrai souci. Chaque année, on avait droit à un discours

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Gwendoline Le Goff/Panoramique

François Blaquart, suspendu de ses fonctions de directeur technique national

sur ce sujet. Dans mes promotions à l’INF Clairefontaine, il y avait entre 60 et 70 % de joueurs binationaux. Visiblement, cela gênait. Vous avait-on demandé de faire baisser ce chiffre, avec un quota de 30 % par exemple ? Non, jamais. Et cela aurait de toute façon était injouable. Pour intégrer l’INF Clairefontaine, il y avait un concours, avec 1 500 gamins au total. A Pâques, on en retrouvait plusieurs centaines, ceux qui avaient passé le premier tour, à Clairefontaine pour un nouvel écrémage. On en gardait vingt-deux au final. Les meilleurs. Evidemment, il y avait beaucoup d’Arabes, de Noirs, des “colorés” comme on disait. Dans ma dernière promotion, sur vingt-deux joueurs, il y avait deux Blancs, un Français et un gamin d’origine anglaise. Forcément, la part de binationaux était grande dans mes promotions. Mais c’est comme ça, il faut l’accepter. C’est représentatif du foot, et en particulier du foot en banlieue parisienne. Je ne vois absolument pas où est le problème. Si on décide de prendre moins de binationaux, cela veut dire que l’on exclut les meilleurs. C’est ridicule. Ce problème des binationaux est de toute façon un faux problème. Les meilleurs joueurs finissent toujours par choisir la sélection française, parce que c’est la plus compétitive. Ceux qui partent jouer pour leur pays d’origine, après avoir été formés en France, sont ceux qui n’auraient pas eu l’opportunité de percer en équipe de France.

“on sentait que quelques Noirs, ça allait, mais qu’il n’en fallait pas trop quand même”

Au-delà du problème spécifique des binationaux, le fait que vous reteniez beaucoup de joueurs noirs et arabes posait-il problème à la DTN ? On sentait que quelques Noirs, ça allait, mais qu’il n’en fallait pas trop quand même… On me disait : “Vous avez encore pris beaucoup de Blacks.” Blaquart (le directeur technique national suspendu de ses fonctions – ndlr) disait souvent “avec tous vos Blacks…”, “encore des Blacks…” Il y avait un climat de racisme ordinaire. Vous a-t-on explicitement demandé de recruter plus de joueurs blancs ? Non, ce n’était pas aussi direct. Mais lors d’une des dernières réunions de la DTN à laquelle j’ai assisté, l’expression “caractéristiques ethniques” a été prononcée. “Vu leurs caractéristiques ethniques”, je crois que c’était. Je ne me souviens pas de qui a prononcé ces mots mais c’était dans le cadre d’une réunion de la DTN. Blaquart n’était pas loin. Cela m’a fait tiquer. J’ai protesté, évidemment. Ça veut dire quoi, ethnique ? Il y avait une dérive. J’ai toujours privilégié dans mes sélections les critères techniques, mais visiblement il y avait une volonté d’aller plus loin, de s’intéresser à la façon d’être des joueurs. J’entendais dire que certains ne chantaient pas La Marseillaise, qu’ils n’aimaient pas le maillot… Les gens mélangeaient tout. Y avait-il aussi la volonté de changer les caractéristiques physiques des joueurs recrutés ? Avec la mode du jeu à la barcelonaise, le mythe du petit joueur blanc, technique et intelligent, en opposition au grand joueur black costaud et bourrin s’est évidemment développé. Mais ça aussi c’est n’importe quoi. Il y a des petits joueurs physiques, des grands joueurs techniques. Ça ne veut rien dire. Et évidemment, il y a des joueurs black techniques. A l’INF, on ne regardait jamais la couleur du gamin qui postulait… recueilli par Marc Beaugé

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retour de hype

Beyoncé contre l’obésité

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

“je fais genre je m’en fous, mais en fait j’aurais bien aimé épouser un prince moi aussi :(”

Herman Dune

“Cannes, j’y vais surtout pour voir des films, t’sais”

les papes et les rois

“y a quelqu’un qui m’a dit que tu tétais encore”

“Laurent Blanc, ça en fait déjà un”

les veillées Foodstock

“si je mâche plein de chewing-gums, c’est pour faire passer le goût amer de la vie”

les States

la pose Laurent Delahousse

Tyler The Creator

la machine à écrire

Les Bien-Aimés de Christophe Honoré

Les Bien-Aimés de Christophe Honoré Le prochain Honoré sera projeté en clôture du Festival de Cannes. Les veillées Foodstock Elles se tiendront les 7 et 21 mai dans les jardins du MAC/VAL pour bien manger et écouter de la bonne musique (Brigitte et Benjamin Biolay). La machine à écrire La dernière usine qui en

fabriquait a fermé. Les States Dans le numéro 900 d’Action Comics, Superman dit qu’il en a “marre que ses actions soient interprétées comme de simples instruments de la politique américaine” et qu’il renonce à sa nationalité. Han. La pose Laurent Delahousse Une fesse sur le coin de la table, à la bien. D. L.

billet dur

 C

her Jean-Pierre Pernaut, Jusqu’à ce maudit vendredi, tu étais un militant exemplaire. Jamais pris en faute, toujours un train d’avance pour aller tendre un micro compatissant aux otages de ces feignasses de cheminots grévistes, toujours le premier à faire preuve de bon sens lorsqu’il s’agissait de dénoncer les fonctionnaires qui passent, il est vrai, leur généreux temps libre à tourner autour des ronds-points financés par les mairies socialos avec les impôts des honnêtes artisans-commerçants. Toujours à saluer les villes fleuries, les foires à la terrine de panse de bouc et les derniers fabricants de douelles de tonneaux du bocage vendéen, écrasés par les charges et la fourberie asiatique. Toujours une petite larmiche à verser pour les vieux tremblotants qui comptent péniblement

leurs euros sur les marchés en regrettant les anciens francs, la rente Pinay, les postes frontières barricadés et tenus d’une main de fer par des douaniers rougeauds capables de repérer au faciès un drogué ou un profiteur métèque. Ouvertement populiste, réactionnaire, UMPiste tendance Christian Vanneste, ton sanctuaire de la mi-journée ressemblait à un Fox News miniature et franchouillard, un Fox Terroir fleurant le cochon et le fût de chêne. Et puis patatras, vendredi veille de week-end pascal, sans savoir pourquoi, tu as balancé les cours de la Bourse. Bon, la Bourse était fermée ce jour-là, ce qui n’est pas le plus grave de l’histoire. Mais la Bourse, quoi, au milieu des rempailleurs de chaises et de la fabrication d’œufs en chocolat, t’es malade ou quoi ? Fais gaffe, à ce rythme, tu vas bientôt donner des infos internationales. Je t’embrasse pas, je vais faire des tours de rond-point. Christophe Conte

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Young Empires La pop culottée de ces Canadiens, bientôt en concert, combat la crise avec ses couleurs extravagantes.

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n matière de pop-music à la fois dansante et soigneuse, électronique et respectueuse des codes harmoniques, le label Kitsuné s’est fait une réputation mondiale. Jusqu’à Toronto, où les Young Empires semblent avoir appris à écrire dans les compilations du label.

Ultime récompense : ils sont au générique du recueil Kitsuné Maison 10, où leur electro romantique fait des petites merveilles de douceur et de suavité. Mais, compatriotes d’Arcade Fire, les trois faux frères Young savent aussi jouer avec le feu, dans des chansons épiques et flamboyantes, à l’image du remuant Rain of Gold qui les avait

révélés sur le net : un genre de disco pour vaisseau spatial, avec un dance-floor arrosé d’or massif. Capables de venir chercher des noises aux meilleures écuries anglaises du genre, les Young Empires contreattaquent, armés d’outils aussi stupéfiants que la flûte de Pan. Régulièrement cités depuis comme

les grands espoirs de cette electro nordaméricaine partagée entre rêves et fêtes, les Young Empires seront à Paris, à l’invitation des Inrocks Lab, le 11 mai prochain. JD Beauvallet concert le 11 mai à Paris (Flèche d’Or), avec les deux finalistes Inrocks Lab, entrée libre, www.myspace.com/ youngempires

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Trump le monde L’homme d’affaires américain se place en vue de la présidentielle en s’opposant frontalement à Barack Obama. Tout en réaffirmant n’avoir aucun problème avec “sa race”. Aussi moche que sa coupe de cheveux.

plutôt Donald

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Son nom faisait déjà partie de la mythologie américaine, Donald Trump en veut plus et se lance désormais à fond dans la politique. Reconnaissable entre mille, ce beau monsieur à la chevelure folle, entre le blond vénitien et l’urine, a bâti son empire dans l’immobilier, construisant des buildings prestigieux qui portent la plupart du temps son nom. Qu’il s’agisse de gros immeubles

ou de téléréalité (il a sa propre émission depuis 2008 : The Celebrity Apprentice), Donald a donc une petite tendance à la mégalomanie. Et quel plus bel objectif pour un gros mégalo que la Maison Blanche ? C’est le défi qu’il semble s’être lancé, même s’il prévoit d’annoncer sa candidature (ou pas) en juin prochain. En attendant, Trump grimpe dans les sondages, multiplie les interviews et les apparitions comme ce 16 avril à une

réunion Tea Party, l’air inspiré et la main vers les cieux. Parmi ses idées notables piochées dans ses déclarations populistes : Donald est anti-avortement, contre le mariage gay, contre la réforme du système de santé, contre l’engagement militaire en Irak et contre les Chinois. Son créneau : le reste du monde se moque de nous, ils ne le feront plus si je suis à la tête du pays. Ouais, faudrait changer de coupe de cheveux dans ce cas.

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de bonnes relations avec les Noirs

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la haine anti-Obama Comme le prouve cette pancarte tendue à bout de bras et où est écrit maladroitement “Obama you’re fired”, soit “Obama t’es viré”, la campagne naissante de Donald s’axe sur un sujet principal : Obama. Selon lui, Baracko n’aurait pas été élu sans la médiocrité de George Bush, Baracko restera dans l’histoire comme le plus mauvais président des States, et pire, Baracko n’est pas américain. Interviewé le 18 mars sur Good Morning America, il déclarait : “Ce pourquoi j’ai un petit doute, juste un petit, c’est que là où Obama a grandi, personne ne le connaissait. C’est très étrange.” Hyper chelou en effet. Sa théorie,

Joe Skipper/Reuters

Liens d intersection multiples

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Mi-avril, lors d’un entretien radiophonique où il était question d’un sondage sur le soutien de la communauté noire à Obama, Donald s’est dit chagriné que les journalistes politiques puissent encore soutenir que “la race” n’a tenu aucun rôle dans l’élection présidentielle. La preuve ? Hillary Clinton, blonde comme lui, n’a, elle, jamais pu profiter de cette cote de popularité chez les Afro-Américains. “J’ai une excellente relation avec les Noirs. J’ai toujours eu une excellente relation avec les Noirs”, a-t-il quand même affirmé au cas où. Comment ne pas le croire ? Il n’y a qu’à regarder qui est placé derrière lui bien en évidence pour les photographes lors de cette réunion Tea Party en Floride : un sosie de Spike Lee et ce qui pourrait bien être la cousine de Beyoncé. Pas très subtil.

celle de tous les “birthers” : Obama n’est pas né aux States mais au Kenya, ce qui invaliderait son élection. Un argument nauséabond qui traîne depuis son élection et qu’Obama a dû affronter la semaine dernière, rendant public son acte de naissance (à Hawaii). “Nous n’avons pas le temps pour ce genre de sottises”, a-t-il précisé. Donald, lui, a apparemment des heures à tuer : après s’être félicité d’avoir “accompli quelque chose que personne n’avait réussi à accomplir”, il s’est mis en tête de faire publier les relevés d’admission d’Obama à Harvard et Columbia. Bonne ambiance dans la mare aux canards. Coin coin. Diane Lisarelli

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Google aime Spotify Tournant le dos aux majors, Google négocierait un partenariat avec Spotify pour se lancer dans la musique en ligne. Le site d’écoute en streaming a toutefois nié avoir parlé avec le géant du web. l’avenir de TF1 sur le web TF1 va dorénavant rendre disponible ses films en vidéo à la demande sur iTunes, contre 3,99 euros à la location et 13,99 euros en téléchargement. TF1 réfléchit aussi à la création d’un pass, qui permettrait aux utilisateurs de regarder trente-cinq heures de vidéos par mois. allô ? Selon un rapport de Médiamétrie, 81 % de la population française utilise un téléphone mobile et un tiers des Français possède un smartphone. Etant donné que les applications et les fonctions avancées des mobiles se sont beaucoup développées, seulement 11,8 % des utilisateurs ne se servent de leur téléphone que pour passer des appels (contre 17,7 % l’an passé). Lefait, ça le fait Animateur du magazine culturel de France 2, Des mots de minuit, Philippe Lefait publie ces jours-ci un Petit lexique intranquille de la télévision (Stock, 252 p., 18,50 €), dans lequel il revient sur ses expériences plus ou moins heureuses à la télé. A travers des dizaines d’entrées, Lefait refait le monde de la télé, avec acuité, ironie et distance.

Ludovic/REA

brèves

conseil d’amis Nicolas Sarkozy met en place le Conseil national du numérique. Instance indispensable ou organe au service des grandes entreprises high-tech ?



e Conseil national du numérique (CNN) a été mis en place le 27 avril. Il sera composé de dix-huit membres, la plupart entrepreneurs du web, dont Giuseppe de Martino (Dailymotion), Marc Simoncini  (Meetic), Xavier Niel (Free), Frank Esser (SFR), Pierre Louette (Orange), Daniel Marhely (Deezer), ou encore Gilles Babinet (CaptainDash), qui a été élu président par ses pairs. Des choix qui ne surprennent guère de la part de Nicolas Sarkozy, toujours prompt à s’entourer de patrons et personnalités qui symbolisent son idée de la réussite. Nicolas Voisin, directeur de la publication d’Owni, est le seul représentant de la presse. Dans son discours, Nicolas Sarkozy a reconnu que “le rôle de l’Etat ne pouvait en aucun cas consister à brider le fonctionnement d’internet”, mais qu’il était de “reconnaître qu’internet est un formidable progrès”. Des affirmations certes bienvenues de la part de celui qui entend “civiliser” internet, mais qu’il n’a pas manqué de tempérer ensuite, ajoutant que le rôle de l’Etat n’était pas non plus de laisser passer des comportements contraires aux principes fondamentaux. En vrac, il a aussi loué le rôle indispensable du net comme moyen de libération des peuples opprimés et est revenu sur la “solution imparfaite” qu’est l’Hadopi. Admettant (enfin !) des erreurs dans la gestion du projet, il s’est dit “prêt à l’Hadopi 3 voire 4 qui signifierait la fin de l’Hadopi” si est trouvé un système permettant de rétribuer équitablement les créateurs.

une caution high-tech pour un Président peut-être bientôt en campagne ?

Evoquant plus précisément les rôles du CNN, il a déclaré que celui-ci, libre de ses avis, donnerait son éclairage au gouvernement sur tout projet de disposition législative ou réglementaire concernant le numérique et formulerait des recommandations sur tout ce qui peut favoriser le développement d’internet en France. Faire appel à des spécialistes pour éclairer les politiques sur le web et les nouvelles technologies est louable mais on peut néanmoins regretter le manque de compétences des élus en général sur un sujet qui concerne le quotidien des Français – ce que le chef de l’Etat a timidement reconnu dans son discours. Enfin, fidèle à sa volonté d’exporter ses bonnes idées à l’étranger, il a évoqué une possible extension à l’international, désireux de voir le CNN français initier des CNN internationaux. Mais sans parlementaires ni associations de consommateurs et avec un seul représentant de la presse, le CNN ne sera-t-il pas qu’un organe au service de grandes entreprises désireuses de se partager le gâteau du numérique ? C’est ce que craignent la Quadrature du Net, le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne ou encore l’UFCQue Choisir. Les sociétés d’auteurs (Scam, SACD) qui ne sont pas représentées non plus dans le CNN mais qui n’ont jusque-là pas été trop maltraitées par le gouvernement redoutent aussi que le CNN soit un “super lobby au profit des industriels du numérique”. Ou une caution high-tech pour un Président peut-être bientôt en campagne ? Entre neutralité du net, confidentialité des données, propriété intellectuelle, le CNN ne manquera en tout cas pas de sujets de réflexion. Anne-Claire Norot

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la télé, c’est fini Guillaume Durand, Mireille Dumas et Franz-Olivier Giesbert vont perdre leur émission sur France Télévisions à la rentrée. Sans qu’aucune proposition de rechange ne semble avoir été formulée pour le moment de la part des directions.

sites d’actu en vogue 6,6 millions d’internautes se sont connectés, chaque jour, à des sites d’information, selon des chiffres de Médiamétrie/NetRatings. Une hausse de 16 % a été remarquée par rapport à mars 2010 – due à la richesse de l’actualité tant nationale qu’internationale.

la haine raciale La revue trimestrielle Ravages aborde dans son nouveau numéro la haine raciale depuis les années 30 jusqu’à aujourd’hui. Avec des contributions de Tony Gatlif, Malek Chebel et Pap Ndiaye.

NY Times, le succès Plus de 100 000 internautes se sont abonnés à la nouvelle plate-forme payante du New York Times depuis son lancement, il y a trois semaines. Les recettes publicitaires du journal provenant d’internet ont augmenté de 4,5 % depuis sa mise en place.

les nouveaux fascismes

Sony piraté Une cyberattaque géante a visé les comptes des 77 millions d’utilisateurs du Playstation Network de Sony. Leurs données personnelles (nom, adresse complète, date de naissance, adresse mail, identifiants et mots de passe PSN et Qriocity) ont été piratées. Sony n’exclut pas que des données bancaires aient été dérobées. Les plaintes fusent alors que la marque nippone a mis dix jours à révéler l’incident.

Toussaint, l’ouverture

L’excellente revue d’actualité politique et culturelle Vacarme propose pour son numéro de printemps un entretien avec l’intellectuelle américaine Nancy Fraser et un dossier complet sur les “nouveaux” fascismes, avec une enquête sur les droites en Europe.

Le très coté Bruce Toussaint fait l’objet des convoitises des radios et télés. Prêt à quitter sa chaîne Canal+, il pourrait prendre à la rentrée les rênes de la matinale d’Europe 1. France 2 l’a également contacté.

lieux de pouvoir

nouvelles du monde (chahuté) de la culture

A  

près le débarquementrelogement du metteur en scène Olivier Py, deux annonces viennent à nouveau ébranler le monde de la culture. La première : le départ d’Olivier Kaeppelin, en charge de la préfiguration du nouveau palais de Tokyo dont l’ouverture est prévue pour avril 2012, qui a décidé de quitter le navire pour rejoindre la Fondation Maeght à Saint-Paulde-Vence. Chahuté depuis des mois par la direction actuelle, pas vraiment sur la même longueur d’onde artistique, et par le ministère de la Culture qui défendait une direction à deux têtes, avec un président exécutif et un directeur artistique,

Olivier Kaeppelin a préféré tirer sa révérence laissant une institution en plein travaux et sans identité fixe, toutefois confortée par le ministère qui vient de lui accorder un budget de 14 millions d’euros pour l’année 2011. Au ministère, on assure que si “personne ne l’a poussé à partir et que cette décision lui appartient entièrement”, l’heure est désormais “à la nomination d’un nouveau président avant l’été et à la sélection par un comité indépendant d’un futur directeur artistique de stature internationale d’ici la Fiac en octobre prochain”. L’autre nouvelle, c’est celle de la disparition prématurée du controversé Conseil de la création

artistique créé par Nicolas Sarkozy en 2009 et dirigé par le producteur Marin Karmitz où siégeaient une dizaine de directeurs d’institutions prestigieuses comme le Centre Pompidou-Metz, le Théâtre de Chaillot ou la Cité de la musique. Une décision surprenante qui ne colle pas au calendrier présidentiel. Fragilisé par de nombreuses critiques venues notamment du spectacle vivant qui dénonçait “un conflit d’intérêt” de la part des membres du Conseil et le siphonnage d’un ministère déjà en bout de course, le Conseil, malgré quelques projets pertinents (le projet conduit par Guy Walter, Walls and Bridges,

Olivier Kaeppelin

délocalisant à New York les sciences sociales françaises…), n’aura pas eu le temps d’installer sa politique transdisciplinaire et de promouvoir sa culture de l’efficacité censée pallier les raideurs et les lenteurs de l’administration française. Claire Moulène 4.05.2011 les inrockuptibles 31

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où est passé son argent ? par Marc Beaugé

C

’est l’histoire d’une star française qui voulait vivre comme une star américaine et refusait obstinément d’entendre raison. Depuis la signature de son premier contrat, sur le label Vogue le 16 janvier 1960, Johnny flambe, Johnny vit au-dessus de ses moyens. S’il lui arrive de s’intéresser à l’argent qui rentre, il ne compte jamais celui qui sort. Il laisse ça à d’autres. Ces cinquante dernières années, une armée d’avocats, d’agents, de conseillers fiscaux, de potes ou de beaux-pères ont mis les mains dans ses finances mais aucun d’entre eux ne l’a jamais mis complètement à l’abri. Aujourd’hui, à 67 ans, Johnny Hallyday est un faux riche. Il n’a pas de trésorerie conséquente et son patrimoine immobilier s’avère moins solide qu’il n’y paraît. Coûte que coûte, il continue donc à trimer. Il défend actuellement Jamais seul, son quarante septième album studio, et répète la pièce Le Paradis sur Terre programmée au Théâtre Edouard VII du 6 septembre 2011 au 22 janvier 2012. Puis viendra l’heure d’une grande tournée. Jusqu’au bout, il faudra faire rentrer l’argent. Jusqu’au bout, il faudra assurer ce train de vie démentiel qu’un ancien conseiller fiscal, éléments à l’appui, situe “entre 200 000 et 400 000 euros mensuels”. “Et encore, précise-t-il, ce chiffre ne comprend pas le remboursement des maisons. Il couvre simplement les frais d’entretien, de personnel, les voitures, les déplacements en jet et les dépenses quotidiennes.” Car Johnny est un flambeur, un immense flambeur. Gamin sans le sou, élevé par sa tante et trimballé dès son plus jeune âge sur les tournées de ses cousines, danseuses acrobatiques, il n’a jamais cherché à accumuler bourgeoisement les richesses. Il a toujours voulu jouir dans l’instant, frénétiquement. “Je suis complètement détaché des valeurs matérielles qui pourrissent et empoisonnent les individus, expliqua-t-il un jour. Mon argent me sert surtout à être libre et à vivre comme je veux.” A un conseiller financier qui l’implorait

Alexandra Compain-Tissier

Cinquante ans de carrière, des millions de disques vendus et aujourd’hui, Johnny vit à crédit. Révélations sur un flambeur un peu pigeon.

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Depuis le début, les dépenses font partie de son système médiatique. Voitures de luxe, yacht, moto : beaucoup de passion pour un seul homme

de surveiller ses dépenses, Johnny avait ainsi pris l’habitude de balancer : “Je ne vais quand même pas vivre comme un comptable.” Dans l’entourage du chanteur, on raconte de folles histoires de dépenses somptuaires. Un matin, au début des années 90, Johnny voit débouler un copain dans une Ferrari Testa Rossa. Jaloux, il s’achète la même l’après-midi. Un autre jour, Johnny est en avance à un rendez-vous chez un médecin, à Neuilly. Il part faire un petit tour et, tiens, s’achète une Rolls-Royce décapotable. Rien n’est trop beau. “Médiatiquement, Johnny s’est construit en dépensant son argent, analyse un proche. Les premières années, dès qu’il achetait une voiture, il faisait la une des magazines. Il a conservé cette vision à l’ancienne de la rock-star. Il croit qu’il doit dépenser pour être Johnny, que son image passe par là.” comment l’empêcher de dépenser ? Dans ces conditions, comment freiner ses pulsions d’achat ? Comment contrôler la star ? Au début des années 60, Johnny Stark, le premier imprésario d’Hallyday, se balade avec un chéquier et du liquide dans une mallette. Il distille l’argent à petites doses. Jean Pons, son successeur, bluffe, dit à Johnny qu’il n’y a plus rien sur le compte. Tous les moyens sont bons. Au milieu des années 2000, le système est rodé, perfectionné. Sociétaire de la Banque De Baecque Beau, aujourd’hui sous le contrôle de HSBC, Johnny ne s’occupe presque de rien. Quand il fait une dépense conséquente, c’est Pierric Le Perdriel, son fondé de pouvoir, amateur de santiags, qui se charge de l’intendance. Il demande au créancier d’adresser une facture à ses bureaux de Vaucresson. Puis la facture est vérifiée et envoyée à De Baecque Beau, où Dominique Lambert, en charge du compte Johnny, veille au grain. Si les feux sont au vert, le chèque est alors rédigé, avant d’être amené par porteur à Le Perdriel, qui se chargera de le faire parvenir au créancier. Cette gymnastique permet d’éviter quelques déconvenues. Ainsi, en 2006, Johnny part quelques jours au Canada. A son retour, surprise, il annonce qu’il a acheté un ranch de 500 hectares. Le Perdriel est catastrophé par cette nouvelle dépense, Laeticia s’énerve. Heureusement, Johnny n’a encore rien payé. La promesse d’achat est donc dénoncée et les

vendeurs reçoivent une compensation de près de 100 000 euros. C’est un moindre mal mais au fond le problème reste le même. “Quand Johnny veut vraiment quelque chose, il finit toujours par l’obtenir, dit un ancien conseiller fiscal. A ce niveau-là, personne ne peut lui tenir tête bien longtemps. Ceux qui ont essayé se sont toujours fait écarter.” 30 000 euros par mois pour un yacht qui ne sert pas Avec l’argent, Johnny est un prince, un seigneur. Un jour, il annonce à un ami qu’il va lui offrir un Warhol à 700 000 francs. Celui-ci doit le raisonner pour qu’il renonce à cet extravagant cadeau. Johnny lui offre à la place un juxe-box de musée. Une autre fois, le chanteur découvre les écrans plasma. Bluffé, il décide d’en acheter pour ses potes. Johnny ne pinaille pas. Quand on l’informe qu’un copain n’a pas encore payé la voiture qu’il lui a achetée dix-huit mois plus tôt, il ne bronche pas. Johnny déteste les confrontations et refuse de s’abaisser à régler des questions matérielles. Alors tout le monde en profite. L’installateur d’alarme de la maison de Marnes-la-Coquette s’arrange pour que le système tombe régulièrement en panne. Ses factures sont faramineuses. Celles du décorateur ne sont pas plus raisonnables. Mais Johnny paie et rembarre ceux qui tentent de l’alerter : “Si je t’écoute, je vais me fâcher avec tout le monde !”, dit-il parfois. Il y a toujours des vautours autour d’une star mais avec Johnny c’est pire que ça. Puisqu’il laisse faire, un système s’installe. “Quand il fréquentait Saint-Tropez, c’était souvent le même scénario, raconte une ancienne amie. Il arrivait au restaurant avec quatre potes le midi puis, tout au long de la journée, des gens venaient squatter, commandaient des bouteilles de champagne... Il pouvait y en avoir pour 15 000 euros en fin de journée et le patron devait bien se faire payer. Devinez à qui il envoyait la facture ?” Insouciant et peu regardant sur les contrats, Johnny s’avère au fond l’associé idéal. Il est donc régulièrement sollicité pour monter des affaires. En fin d’année dernière, avec son ami Jean-Claude Darmon, riche homme d’affaires et ancien argentier du football français, il a acheté un terrain adjacent à sa maison de Saint-Barth dans l’idée de faire un coup : le revendre construit avec une belle plus-value. “Les choses

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“je ne vais quand même pas vivre comme un comptable !”

se présentent bien, merci”, sourit Darmon. Après tout, ce ne serait pas la première fois que la chance sourit à Johnny. Avec le Rue Balzac, restaurant du VIIIe arrondissement parisien revendu en 2009, il avait déjà réussi une belle culbute. Mais dans l’entourage du chanteur, on recense plus de mauvais que de bons investissements. On se rappelle de l’achat, il y a quelques années, d’un petit avion, à part égale avec un pilote de Formule 1 belge. On se souvient surtout d’un yacht acheté 6,4 millions d’euros au milieu des années 2000. Gigantesque, ultraluxueux, l’engin était surtout très mal conçu. Au premier vent sérieux, il devait rester au port. Et même là, il coûtait cher : ses caractéristiques techniques imposaient la présence à bord en permanence d’un capitaine de la marine marchande, d’un capitaine en second et d’un ingénieur pour les moteurs. Puisque tous étaient embauchés à l’année, la facture mensuelle s’élevait à près de 30 000 euros. Beaucoup d’argent pour un yacht dont Johnny ne se servait quasiment jamais. rendez-vous à Bercy chez le ministre du Budget “L’argent, Johnny ne sait pas ce que c’est, dit un jour Jean Pons, son ancien imprésario. Il est l’un des rares hommes de spectacle à se comporter aussi peu en homme d’affaires.” Depuis le départ, Johnny se fait donc trimballer, manipuler. Au début des années 60, Johnny Stark prend 50 % de tous les revenus du gamin mais il néglige de régler le fisc comme c’était convenu. Plus tard, les comptables de la star oublient quatre millions de francs sur les déclarations de revenus des années 1971 et 1972. Une broutille qui vaudra à Johnny, outre une désagréable comparution devant la 11e chambre correctionnelle de Paris le 1er avril 1977, dix mois de prison avec sursis et 20 000 francs d’amende. Mais au rayon fiscal, le pire est à venir. Au tout début des années 90, la menace d’un avis à tiers détenteur pèse sur Johnny. Si la procédure se concrétise, ses revenus seront bloqués par le fisc et il n’aura plus que 3 000 francs par mois pour vivre. Rendez-vous est donc pris un matin avec Michel Charasse, alors ministre du Budget. Johnny, accompagné de son comptable, Joël Devouges, est inquiet quand il arrive à Bercy. Il sait que sa situation est extrêmement difficile. La Lorada,

sa maison de Ramatuelle, est à peine terminée et il vient de perdre plusieurs millions dans des investissements périlleux à La Réunion. Il a aussi fait trois chèques en bois au fisc, pour un moment total de 9 millions. Au total, ses dettes s’élèvent à 30 millions de francs. La position de Charasse aussi est délicate. “Il n’était pas question de faire une fleur à Johnny, mais le mettre à la rue n’était pas souhaitable non plus”, se souvient-il. Les trois hommes mettent donc sur pied un plan d’apurement. Johnny paiera tout ce qu’il doit et s’il respecte l’échéancier, les pénalités lui seront épargnées. Entre Johnny et les impôts, l’histoire est compliquée, mouvementée, à la hauteur des sommes en jeu. Au début des années 2000, un conseiller fiscal calcule que la star, imposée à près de 65 %, paie 120 000 francs d’impôts par jour. Une question revient donc comme une obsession. Comment payer moins, sans finir en taule ? Depuis le début de la carrière de Johnny, une dizaine de conseillers fiscaux ont étudié le dossier. Certains ont préféré assurer, travaillant en collaboration avec le fisc afin d’éviter une fâcheuse erreur au moment de remplir la déclaration de revenus. D’autres se sont montrés plus créatifs. Ainsi, en janvier 2006, on suggère à Johnny de demander la nationalité belge, dans l’idée de l’installer ensuite à Monaco. Johnny fonce. Mais la procédure s’avère longue, fastidieuse : Johnny se lasse, change de cap. Conseillé par son ami Daniel Hechter et cornaqué par Renaud Belnet, un avocat fiscaliste marseillais, il file vers la Suisse où l’attend un miraculeux forfait fiscal annuel de 607 000 euros. “C’était une grosse connerie, dit un proche de la star. Aujourd’hui, Johnny est doublement imposé, en Suisse et en France puisque le cœur de son activité est ici. Quand on fait un concert en France, on paie des impôts en France, c’est aussi simple que ça.” “Johnny estime qu’il n’a pas eu la carrière internationale qu’il méritait et, au fond, c’est bien le problème, complète un ancien avocat. S’il avait une carrière à l’étranger, il aurait eu de vraies solutions pour payer moins d’impôts… Là, il est coincé, il doit payer en France. C’est absurde de croire que ses amitiés avec Sarkozy ou d’autres le protègent. Au contraire, il est encore plus surveillé qu’un contribuable lambda.” Les perquisitions 4.05.2011 les inrockuptibles 35

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En 2008 avec Jean-Claude Camus (veste ouverte), son ancien producteur, remercié l’année dernière

Laurent Zabulon/Abaca

Charly Jurine/Abaca

“désormais, Laeticia claque l’argent aussi bien que lui”

En 2004 avec Laeticia et son beau-père André Boudou, qui s’est occupé un temps de ses affaires

effectuées par le fisc et la police en décembre dernier chez Pierric Le Perdriel et Renaud Belnet nourrissent cette thèse. en 2004, un audit édifiant Johnny Hallyday voulait être libre mais, à force d’insouciance et d’inconséquences, il s’est enfermé tout au long de sa carrière dans une dépendance à sa maison de disques. Elle a besoin de lui pour vendre, il a surtout besoin d’elle pour payer ses factures, éponger ses ardoises ou concrétiser ses caprices. Quand Johnny négocie son avenir avec Charasse, Polygram est là et se démène pour sa star. Elle se porte garante auprès du fisc et accorde à Johnny un prêt de plusieurs millions de francs à des conditions imbattables. Elle rachète aussi ses deux maisons, à Paris et Ramatuelle, tout en lui en laissant l’usufruit. Johnny est sorti d’affaire mais il est prisonnier. Comment dire non, ou merde, à une maison de disques à laquelle on doit des millions ? Johnny s’en fiche, il a d’autres choses en tête. Un matin, au cœur de l’hiver 1996, il fonce chez son avocat, Me Daniel Vaconsin. Assis dans le canapé en cuir du cabinet, Johnny a l’air soucieux. Il sait que sa situation financière est difficile, que ce n’est pas le bon moment, mais il veut un nouveau yacht et ce n’est pas un caprice passager. Impossible de demander une faveur supplémentaire à la banque, il faut retourner voir Polygram, en passe d’être absorbée par Universal. Johnny file chez le boss, Pascal Nègre, et lui demande 35 millions de francs. Nègre obtient le feu vert de New York et en profite pour faire signer à Johnny une prolongation de deux années de contrat. Il tient Hallyday et le tiendra comme ça jusqu’en 2003. Dans la trajectoire de Johnny, cette année-là est charnière et annonce les changements à venir. Grâce au succès de ses derniers albums, Johnny a enfin réglé l’ardoise de 107 millions de francs contractée au cours des trente dernières années auprès de sa maison de disques. Avec Universal, le rapport de force évolue.

L’entourage change aussi. Joël Devouges, le comptable, a été écarté. Il avait notamment eu l’indélicatesse de se faire rembourser 200 000 euros de notes de taxi. Le fiscaliste de Johnny a lui aussi été congédié, accusé d’avoir initié des investissements malheureux à Saint-Martin. Désormais, André Boudou, le père de Laeticia, est à la manœuvre. Epaulé par son conseiller fiscal, Olivier Picot, Boudou embringue Johnny dans l’aventure de l’Amnesia, éphémère night-club de la tour Montparnasse. Il convainc aussi Johnny de s’opposer à sa maison de disques, coupable d’avoir abaissé son pourcentage sur les ventes des anciens albums de 17 à 7 %. A l’amiable, ils demandent 10 millions d’euros. Bientôt, devant le juge, ils en réclament 60, plus la propriété de tout le catalogue de Johnny. Pour son gendre, Boudou voit grand, très grand. En juin 2004, un audit des affaires de Johnny avec Jean-Claude Camus, le producteur de ses concerts depuis le milieu des années 70, est également lancé. Et là encore, les nouvelles ne sont pas bonnes. L’audit, que nous avons pu consulter, révèle que, dans la société créée pour organiser la tournée 2003, Camus est impliqué au travers d’une société anonyme, Camus et Camus SA, alors que Johnny est impliqué en son nom propre. Une folie : en cas de coup dur sur un concert, Johnny serait seul en première ligne. Il pourrait tout perdre d’un coup. Evidemment, il n’en savait rien, n’avait jamais lu les contrats. Remonté, il écrit à Camus : “Tu ne peux pas me demander d’exposer mon patrimoine et tout ce que j’ai difficilement acquis après quarante-cinq ans de travail alors que tu as la prudence de ne jamais le faire.” Le dispositif sera modifié pour les tournées suivantes. les subtilités du crédit in fine Aujourd’hui, le paysage n’est plus le même. En 2006, au terme d’un combat homérique et finalement bien peu rentable, Johnny Hallyday a quitté Universal pour Warner Music. L’été dernier, il s’est également séparé de Jean-Claude Camus et a rejoint le producteur

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Peter Bischoff/Abaca Flo/Abaca

Maisons à louer, maisons à vendre, maisons achetées à crédit : Johnny jongle avec ses biens immobiliers (en haut, son chalet de Gstaad en Suisse, ci-contre, sa propriété de Ramatuelle, vendue en 2000)

Gilbert Coullier. André Boudou lui-même a renoncé à mettre les mains dans le business de son gendre. Mais la situation ne s’est pas améliorée. Même le patrimoine immobilier de Johnny, souvent considéré comme une garantie, peut paraître sujet à caution. Outre un pied-à-terre à Los Angeles dans lequel réside son chauffeur Patrick Roussel, la star possède cinq maisons. Mais toutes ne sont pas payées. Selon nos informations, le chalet de Gstaad a par exemple été financé à hauteur de 3 millions (achat plus travaux) par deux emprunts de type in fine : pour le moment, Johnny ne rembourse que les intérêts des emprunts contractés. A terme, dans quelques années, il devra régler d’un coup la totalité du prêt. Fragilisé financièrement par les frais d’entretien de ses maisons, Johnny doit donc jongler sur le marché immobilier. Sa propriété de Saint-Barth et son ancienne maison de Los Angeles, qu’il a quittée pour emménager dans sa nouvelle demeure de Pacific Palisades, sont actuellement louées. La maison de Marnes-la-Coquette, entièrement payée, est à vendre pour plus de 25 millions. A ce prix-là, elle aura du mal à trouver preneur. “Le prix du marché, c’est 14 millions, dit un ancien conseil de Johnny. D’ailleurs, c’est ce que Bernard Tapie a offert récemment.” Tapie se marre : “Je ne suis absolument pas intéressé. Si quelqu’un fait courir cette rumeur, c’est que la maison a du mal à partir. Pour vendre une maison plus vite ou faire monter un prix, on dit toujours que Bernard Tapie est intéressé…” Depuis ses débuts, les revenus de Johnny varient de façon conséquente d’une année sur l’autre, en fonction des sorties d’album et des tournées. “Et c’est une grande partie du problème, note un ancien proche.

“la Suisse, c’était une connerie. Aujourd’hui, il est imposé deux fois, en Suisse et en France”

Les dépenses restent toujours les mêmes, les revenus varient. Une bonne année, Johnny gagne plus de 10 millions d’euros, une mauvaise, il tourne plutôt entre 1 et 2 millions.” 2010 fut donc une mauvaise année : convalescent pendant de longs mois, Johnny n’a gagné que 1,2 million d’euros, soit 9 millions de moins que l’année précédente selon le classement du Figaro des chanteurs les mieux payés. En attendant une éventuelle indemnisation des assurances, Johnny doit aussi faire face au manque à gagner lié à l’interruption de la tournée 2009, dans laquelle il avait investi près de 10 millions d’euros. L’annulation de vingt-quatre concerts, pour raison de santé, l’a mis dans le rouge. Au point que Johnny fut contraint, au cours du mois de février 2010, de réclamer plusieurs millions à Camus. En vain. Le producteur, en passe d’être remercié, ne put aider Johnny qu’à hauteur de 800 000 euros. la tournée 2012, bouée de sauvetage Une véritable tuile car, dans le même temps, le train de vie du couple Hallyday n’a pas ralenti. A Pacific Palisades, les voisins s’appellent Steven Spielberg et Kate Hudson. Il faut en mettre plein la vue. Récemment, Johnny a acheté un jet privé à part égale avec son copain Tony Scotti, mari de Sylvie Vartan. Et Laeticia, de plus en plus consciente de son image, suit le rythme. “Désormais, elle claque l’argent aussi bien que lui”, persifle un observateur. Aujourd’hui, Johnny Hallyday semble récréer le schéma de dépendance financière dans lequel il a passé une grande partie de sa carrière, à une différence près : les disques se vendent moins bien, même les siens. Après avoir bien démarrées, les ventes de Jamais seul se sont effrondées en deuxième et troisième semaine. Warner ne peut donc lui offrir les mêmes facilités qu’Universal. Johnny doit aller chercher des liquidités ailleurs. Associé au milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière, pour qui les spectacles représentent le seul filon rentable de l’industrie de la musique, le producteur Gilbert Coullier a déjà versé 8 millions d’euros à Johnny pour la tournée 2012. Au terme de celle-ci, il lui reversera 80 % des éventuels bénéfices. Johnny n’a pas le choix. Il doit y aller.

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édito

Carla en campagne pour Nicolas

poisson pilote

Carla Bruni-Sarkozy, qui se disait en 2008 “épidermiquement de gauche”, s’affirme aujourd’hui “ultra-sarkozyste”.

Nicolas Gouhier/Abaca

L

’entretien accordé à six lecteurs du Parisien (paru le 2 mai) par Carla Bruni-Sarkozy montre que l’épouse du président sera une pièce maîtresse du dispositif de campagne. Interrogée sur sa “sensibilité de gauche” passée, elle se définit aujourd’hui comme “ultra-sarkozyste”, “plus du tout, du tout de gauche”, donc. “Ce serait mieux qu’il (Nicolas Sarkozy) continue” pour un second mandat, affirme celle qui veut jouer un rôle dans la présidentielle : “Je peux l’accompagner sur le terrain (…), peut-être participer plus à la vie politique, l’accompagner à des meetings.” En somme, plus convaincue qu’elle tu meurs. La prise de position de Carla a son importance, au moment où le président se replie sur son électorat UMP et cherche à séduire la droite de la droite. Du cousu main, comme toutes ses déclarations publiques au cours du quinquennat. Ainsi, en juin 2008, Nicolas Sarkozy pratique l’ouverture. Carla Bruni se définit alors dans Libération, comme “épidermiquement de gauche”. En septembre

2008, au Grand Journal, elle assure qu’elle est “encore de gauche”. Quatre mois plus tard, Nicolas Sarkozy est encore solide sur son trépied rupture-réformeouverture mais la baisse dans les sondages se fait sentir. Son épouse commence à mettre en sourdine son “CV” : “Je suis de gauche, mais

je ne le revendique pas.” Après les ravages causés par l’affaire Frédéric Mitterrand (fin 2009) dans l’électorat UMP, Carla Bruni-Sarkozy confie, le 31 janvier 2011 : “Je ne me sens plus vraiment de gauche.” Le 2 mai, la boucle est bouclée : “Je suis ultra-sarkozyste” conclutelle. Marion Mourgue

Le succès de François Hollande dans l’opinion est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle pour Dominique Strauss-Kahn. Une bonne, parce que le positionnement politique du président du conseil général de Corrèze fonctionne. Le centre gauche, un discours “raisonnable”, des promesses de ne pas trop en faire (de promesses), l’affirmation répétée selon laquelle “on ne pourra pas tout faire” sont des attitudes qui plaisent ! Ce n’était pas couru d’avance. La crise de l’automne 2008, résultat d’un excès de libéralisme, aurait pu conduire à une radicalisation de la gauche et une revendication de remise en cause du capitalisme… Ce n’est pas le cas. Bonne nouvelle pour DSK parce que justement c’est ce positionnement-là qu’il incarne aussi. L’une des incertitudes qui aurait pu dissuader le patron du FMI de s’engager dans la course à l’Elysée était de l’ordre du refus de Jacques Delors de se présenter en 1995, c’est-à-dire du constat d’une inadéquation entre l’opinion dominante à gauche et les solutions qu’il croit devoir proposer. DSK a donc une sorte de poisson pilote idéologique et involontaire en la personne de Hollande qui lui ouvre la voie et lui confirme que son positionnement est accepté et même souhaité par une bonne partie de l’opinion. La mauvaise nouvelle pour lui c’est que cette position adéquate est déjà occupée par un Hollande qui a l’air de vouloir la lui disputer jusqu’au bout ! Quelle est la nouvelle la plus déterminante entre la bonne et la mauvaise ? Les strauss-kahniens, bien nerveux en ce moment, n’arrivent visiblement pas à le déterminer.

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DSK, candidat clandestin De passage à Paris la semaine dernière, le patron du FMI a multiplié les contacts avec les dirigeants socialistes. La préparation de sa candidature se poursuit dans une discrétion très travaillée.



endez-vous secrets, agenda mystère, silence médiatique… Désormais, Dominique Strauss-Kahn ne sème plus de “petits cailloux” sur la route qui le conduit vers une candidature à l’élection présidentielle. Mais le directeur général du FMI a franchi une nouvelle étape dans la préparation de son retour en France lors de son séjour à Paris la semaine dernière. “C’étaient des jours d’écoute, il voulait reprendre contact, entendre les responsables socialistes, les grands élus locaux, savoir ce qu’ils

avaient à lui dire sur le parti, sur l’état du pays, après les cantonales”, explique un de ses proches. DSK a aussi déjeuné avec des membres de la rédaction du quotidien Libération et de l’hebdomadaire Marianne, chambres d’écho importantes pour la campagne de la primaire PS. DSK, candidat clandestin ? Un mot, une phrase suffisent pour qu’il trouve un carton de déménagement sur son bureau de Washington, au nom de la règle de fer du “you got one hour to pack”. Le FMI lui interdit toute incursion dans la vie politique

de son pays. Mais comme à chacun de ses passages en France, Dominique Strauss-Kahn a flirté avec la ligne blanche. Retracer l’agenda du patron du FMI suscite toutefois les commentaires amusés de ses soutiens : “Les rendez-vous les plus importants sont ceux dont vous n’entendez pas parler !” Mardi 26 avril, DSK a rencontré Laurent Fabius, l’un de ses contacts réguliers depuis qu’ils ont aplani leurs différends sur l’Europe. L’ex-Premier ministre est aussi le ciment du “pacte

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Le 28 avril, Paris

de Marrakech” qui veut que le directeur général du FMI et la première secrétaire du PS ne s’affrontent pas. Dominique Strauss-Kahn a d’ailleurs rencontré “plusieurs fois” Martine Aubry lors de son séjour parisien. “Leur pacte, c’est du béton, il règne un excellent climat entre eux”, souligne un strauss-kahnien. Mercredi 27 avril, le patron du FMI et la première secrétaire du PS se sont longuement entretenus dans l’appartement parisien de Martine Aubry, non loin de Montparnasse. Le lendemain, DSK

Jacovidi-Bordenave/Angeli

“les rendez-vous les plus importants sont ceux dont vous n’entendez pas parler !”

a rencontré Benoît Hamon, que ses amis pressent de s’engager dans la primaire si Martine Aubry n’est pas candidate. “Benoît est le seul qui peut donner à DSK le label candidat de gauche”, estime un proche du porte-parole du PS. Dominique Strauss-Kahn a aussi eu “un contact” avec Ségolène Royal, même s’il ne l’a pas rencontrée, et a discuté avec les “grands élus” Michel Destot et Gérard Collomb, maires de Grenoble et de Lyon. Selon certains proches de DSK, il a vu François Hollande. Une rencontre non confirmée par le candidat à la primaire du PS qui mène tambour battant sa propre campagne. Cette démarche a fortement irrité les strauss-kahniens Jean-Marie Le Guen et Jean-Christophe Cambadélis. Mais leurs déclarations musclées contre l’ancien patron du parti ont déplu à DSK, qui les a rappelés à l’ordre. “Ce n’est pas l’attitude qu’il veut avoir par rapport à François Hollande”, explique un autre de ses proches. L’épisode illustre tout de même la tension entre les deux camps. Le député de Corrèze reconnaît d’ailleurs que “ça va secouer fort” au moment où DSK reviendra. Plusieurs de ses amis font déjà l’objet de tentatives de séduction de la part des strauss-kahniens qui veulent l’isoler, voire le décourager, avant la primaire. Les grandes manœuvres autour de ces élus étiquetés “hollandais” s’inscrivent dans une stratégie plus globale d’organisation des troupes strauss-kahniennes. “Mettez ça sur le compte de l’instinct grégaire. Il y a un besoin d’échanger avec les autres, que les voix ne soient pas trop discordantes”, explique un participant aux réunions. Le 6 avril, une soixantaine de parlementaires, députés et sénateurs, présidents d’agglomérations, présidents de conseils généraux, élus de grandes villes s’étaient donné rendez-vous dans le salon Mars de l’Assemblée nationale. “Une manière de déterminer comment on gère la période qui s’ouvre jusqu’à la mi-juin”, confie le sénateur François Patriat, l’un des participants, qui a assisté le 3 mai à une réunion similaire organisée à l’initiative de Pierre Moscovici au Sénat.

Tous les quinze jours, François Patriat organise aussi un petit déjeuner au restaurant du Sénat, auquel assistent désormais une trentaine d’élus. Autre réunion, le 26 avril, à l’Assemblée, ils étaient une dizaine autour de la table. Parmi eux, des strauss-kahniens de la première heure, Le Guen, Cambadélis et Moscovici, mais aussi des “petits nouveaux”, comme Jack Lang ou Claude Bartolone. “C’était une réunion pour surveiller la sauce plutôt que pour y ajouter des ingrédients”, confie l’un des participants. “Tous avaient la volonté de ne pas braquer Martine Aubry. L’idée, c’est de ne surtout pas polluer son week-end du 28 mai avec la convention du PS sur le projet.” Ce que confirme un proche de DSK : “Mai sera le mois du projet et juin celui des candidatures.” “Aujourd’hui, Dominique est directeur du FMI mais le brouillard se dissipe sur son retour”, précise un strauss-kahnien. “Tout ce que la presse écrit, tout ce qu’on lui dit lui fait une masse d’infos, qui lui sert pour ne pas louper son atterrissage”, ajoute un des amis du patron du FMI. “C’est le minimum de dire qu’il ne devrait pas y avoir d’improvisation.” Les proches de DSK nient pourtant toute accélération du calendrier, en dépit du “problème Hollande”. Dominique Strauss-Kahn devrait donc assister au G8 de Deauville, fin mai, laisser Martine Aubry conclure le travail sur le programme socialiste, et entrer en scène dans la deuxième quinzaine de juin. “Il est dans une situation inverse des autres candidats, il n’a pas à faire la démonstration de sa crédibilité. Il ne va pas faire quatre meetings par semaine !”, explique un de ses soutiens. “Il n’est pas candidat à la primaire, il est candidat à la présidence de la République”, souligne un autre partisan de DSK. Un strauss-kahnien s’amuse : “Si jamais il devait se déclarer candidat le 13 juillet, qu’est-ce qu’on fait les 14 et 15 ? Mis à part louer une caravane commerciale et lancer des camemberts Président, ce qui est par ailleurs une hypothèse à laquelle nous avons pensé...” Hélène Fontanaud et Marion Mourgue 4.05.2011 les inrockuptibles 43

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Hollande : “Je n’étais pas l’enjeu du déplacement”

Sarkozy veut chahuter en primaire Le chef de l’Etat essaie d’appuyer là où ça fait mal dans la compétition entre présidentiables socialistes.



uisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs.” C’est un peu la devise en cours à l’Elysée et à l’UMP face aux socialistes qui s’ébrouent dans le champ de la primaire. “Nicolas fait son Mitterrand”, ironise un responsable de l’UMP. Il rappelle qu’à la fin de son second septennat François Mitterrand s’amusait à jeter du sel sur les plaies ouvertes entre Jacques Chirac et Edouard Balladur, rivaux RPR de la présidentielle de 1995. “En fait, Mitterrand soutenait ouvertement Chirac, et surtout il avait pris en grippe Balladur, raconte un proche de celui-ci. Il lui reprochait d’avoir commis plusieurs fois des crimes de lèse-majesté pendant la cohabitation. J’ai le souvenir d’une cérémonie à Paris, où Mitterrand s’est volontairement affiché avec Chirac, qui était au plus bas dans les sondages. Balladur regardait ce tableau

– le président riant avec son favori – avec beaucoup d’irritation.” Dès son élection, en mai 2007, Nicolas Sarkozy s’est essayé au divertissement monarchique de la Ve République, s’en allant séduire des socialistes au nom d’une “ouverture” aujourd’hui jetée aux oubliettes. Il se vantait alors d’être “le directeur des ressources humaines” du PS. Bernard Kouchner, Eric Besson et Jean-Pierre Jouyet ont cédé aux sirènes. Le chef de l’Etat a aussi opportunément soutenu la candidature de Dominique Strauss-Kahn au FMI, autant pour l’éloigner que pour tenter de s’en faire un obligé. Aujourd’hui, la cible désignée est l’homme qui monte au PS. Vous ne trouverez pas un membre de l’entourage présidentiel, un ministre, qui n’y va pas de son petit couplet laudateur sur François Hollande. Ce qui provoque bien sûr l’ironie des partisans de Dominique Strauss-Kahn, le grandissime

Philippe Wojazer/AFP

“le président tente de faire monter un adversaire qu’il estime pouvoir battre plus facilement que DSK”

favori des sondages. Et parfois une certaine agressivité, par exemple lorsqu’un proche du patron du FMI rappelle le précédent, malheureux, de la photo commune Sarkozy-Hollande à la une de Paris-Match pendant la campagne référendaire européenne de 2005. “Ils s’aiment bien, non ? En fait, Sarkozy fait monter un adversaire qu’il estime pouvoir battre plus facilement que DSK”, glisse ce responsable socialiste. Jeudi 28 avril, François Hollande, président du conseil général de la Corrèze, accueillait sur ses terres Nicolas Sarkozy, venu promouvoir la filière bois. Le candidat à la primaire socialiste, qui n’est pas un perdreau de l’année, a pris soin de faire un pas de côté au moment de la photographie et a conservé une réserve teintée d’ironie lors de l’échange “républicain” avec le chef de l’Etat. “C’était une mise en scène, explique François Hollande aux Inrocks. Il venait pour Bernadette Chirac et rien d’autre, il l’a emmenée, ramenée. Il venait tout simplement se faire décerner un brevet de chiraquisme. Moi, je n’étais pas l’enjeu du déplacement, et je ne m’en suis pas plaint, au contraire.” Il estime même avoir tiré un bénéfice de cette courte visite présidentielle en se posant déjà comme l’adversaire de Nicolas Sarkozy : “Je l’ai entendu dérouler ses thèmes de campagne, les heures supplémentaires, il va aussi chercher un clivage sur le nucléaire. Je vais pouvoir affûter mes propres arguments.” Le jeu auquel se livre Nicolas Sarkozy, qui mitraille par ailleurs en privé la candidature éventuelle de DSK, n’a pas que des aficionados à l’UMP. “A force de tresser des couronnes à Hollande, qui est, au passage, son exact opposé, Sarkozy installe un adversaire crédible. Tous les candidats sont dangereux quand ils sont à un tel niveau dans les sondages. Mitterrand pouvait bien rigoler avec Chirac et Balladur, il n’était pas candidat à un nouveau mandat !”, souligne un élu. Un autre pronostique la prochaine promotion de Martine Aubry ou Ségolène Royal… Hélène Fontanaud

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presse citron

par Christophe Conte

les relous Chevènement, le revenant Il ne manquait plus que lui. Président d’honneur du Mouvement républicain et citoyen, Jean-Pierre Chevènement juge que sa candidature à la présidentielle apparaît “de plus en plus comme une nécessité inéluctable”. Interrogé sur Public Sénat, il s’est quand même dit “ouvert” à la discussion “si l’un des candidats socialistes bouge et fait entendre une différence” sur l’euro et sur l’Europe. Arnaud Montebourg a sa préférence. Les autres prétendants à la primaire vont affûter leurs flèches au curare.

Eric Feferberg/AFP

Jacques Demarthon/AFP

Semaine décidément très écolo, entre des vacances avec M. Hulot, les marronniers de la presse, le retour de l’égérie des bêtes à poil et une réflexion sous Le Chêne de MAM… Tandis qu’un lièvre bondit à Clichy-la-Garenne.

le coup du lapin Il en avait ras la carapace, Franklin Hollande, qu’on le traite de tortue parce qu’il est parti trop tôt dans la course à la primaire socialiste. C’est donc à Clichy-la-Garenne, dont le nom semble approprié à poser des lapins à ses adversaires, qu’il a tenu son premier pâté de campagne (Libération, 28/04). C’est surtout à quelques encablures des célébrations des trente ans du 10 mai 81 que “l’autre François” commence sérieusement à s’y voir, la mitte ayant lui aussi débuté à l’époque sa campagne à Clichy-la-Garenne. Prochaine fois, il “like” la Nièvre !

Un sondage OpinionWay pour le site Voyagermoinscher.com a demandé aux Français avec quels hommes ou femmes politiques ils aimeraient passer leurs vacances (Le Parisien 28/04). C’est Nicolas Hulot qui arrive en tête des suffrages, les sondés s’imaginant déjà à bord de l’hélico de Ushuaïa en train de survoler un petit paradis tropical. Alors qu’en réalité, depuis qu’il est candidat, Hulot conduit une 4 CV à l’essence de betterave et dort chez l’habitant sur une paillasse en écoutant Quilapayún. Le rêve.

anus horribilis C’est l’époque des “marronniers” dans la presse magazine. L’Express consacre sa couverture aux francs-maçons et Le Point (28/04) a choisi un sujet plus difficile avec un dossier sur la proctologie, exhibant toute une galerie de trous du cul en gros plan. Ah non, pardon, on nous signale qu’il s’agit des “Amis du Fouquet’s”, avec entre autres Christian Clavier, Richard Virenque, Bernard Laporte et Alain Minc.

mémé phoque Selon Jean-Marc Governatori, ci-devant secrétaire national de l’Alliance écologiste

indépendante, son mouvement pourrait présenter un candidat en 2012. Il avance même le nom de Brigitte Bardot, “si elle règle ses problèmes de santé” (Le Nouvel Obs, 28/04). Super idée, vraiment, comme ça on aurait à la fois un candidat écolo bidon de plus et une seconde génisse blonde d’extrême droite.

une gerbe pour Jeanne d’Arc A en croire la dircom du Front national, cette année on avait laissé les skinheads et autres nazillons à l’écart du défilé du 1er Mai. Manque de bol, les petites réflexions glanées dans la foule par Le Parisien (2/04) montre que la pourriture ne se mesure pas à la longueur des tifs : “Enfin, on va avoir une vraie équipe de France sans rastaquouères grâce à Laurent Blanc”, “Marine, quand elle sera élue, elle va leur couper les allocs aux Arabes…”, “Y pas que ça qu’il faudrait leur couper…” Vraiment cool, la France bleu Marine.

très confidentiel Depuis qu’elle s’est fait virer du gouvernement, Michèle Alliot-Marie se consacre à l’animation de son club de réflexion baptisé Le Chêne. Dans lequel Patrick Ollier fait le gland.

Marie-Lan Nguyen

guide du routard

un cigare, Jean-Paul ?

C’est sans doute la phrase de la semaine, voire de l’année. “Strauss-Kahn pourrait être le Clinton français, oui, bien sûr.” Emporté par son enthousiasme, Jean-Paul Huchon a légèrement gaffé. Parce que comme ça, au débotté, si on compare Bill et DSK, on ne pense pas forcément à la politique…

méthode Coué François Bayrou l’affirme : “Il n’y a aucun embouteillage au centre” pour la présidentielle. C’est sûr, quatre candidats potentiels : lui-même, Jean-Louis Borloo, Hervé Morin, Dominique de Villepin. Sans compter Nicolas Sarkozy qui va bien trouver le moyen de se recentrer à un moment ou à un autre d’ici 2012 ! 4.05.2011 les inrockuptibles 45

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“ce travail collectif voulu par Martine Aubry a permis de vérifier des intuitions, d’écarter des options”

“l’envie d’une alternative et pas seulement d’une alternance” Guillaume Bachelay, rapporteur général de “Changement”, le projet du PS pour la présidentielle, revient sur l’élaboration de ce texte.



e PS engage un tour de France afin d’expliquer son projet pour la présidentielle et le publie sous forme de livre de poche. Comment donner envie aux Français de vous suivre dans “Le Changement”, titre du projet socialiste ? Guillaume Bachelay – En montrant qu’une autre politique est possible. Notre pays vit une panne d’avenir comme jamais depuis la fin de la guerre. Panne d’avenir pour les couches populaires et les classes moyennes : l’ascenseur social est bloqué au rez-de-chaussée et quand il marche, c’est à la descente pour les jeunes générations. Panne d’avenir aussi pour la France dans la mondialisation, face à la Chine, l’Inde et les autres nouvelles puissances. Deux chemins sont devant nous. Soit le chemin des droites et ultradroites européennes, du sarkozysme en France, celui du moins disant social et écologique, de l’abaissement économique et culturel, de la surenchère autoritaire et ethnique. Soit le chemin du redressement fondé sur un nouveau modèle de production soucieux de l’humain et de la planète, une réorientation des

politiques européennes, une plus grande justice sociale et fiscale, une lutte acharnée contre le chômage, le mal-logement et la pauvreté. En 2012, il y aura davantage qu’une élection : une vraie bifurcation ! Jusqu’à aujourd’hui, le PS n’a pas assumé trois ruptures dans son histoire : le tournant de la rigueur en 1983, le séisme du 21 avril 2002 et le non à la Constitution européenne en 2005. Est-ce que ce texte permet de tourner la page ? Pour préparer l’avenir, il faut tirer les leçons de l’expérience. Les moments que vous évoquez ont un point commun : l’épuisement de la social-démocratie traditionnelle en Europe. Elle a permis des conquêtes magnifiques, qu’il s’agisse du droit du travail ou de la protection sociale. Mais depuis trente ans, le rapport de force s’est inversé entre les profits et les salaires, le court terme et le temps long. Faute de lucidité ou de volonté, les gauches européennes n’ont pas su inverser la donne : les uns, emmenés par Tony Blair, s’en sont accommodés, les autres, comme la gauche française, ont tenté de résister. La crise du capitalisme financier met un

coup d’arrêt à ce cycle néolibéral. A la gauche de reprendre l’avantage dans la bataille des idées ! C’est pourquoi notre projet est républicain, social-écologique et alter-européen. Face au marché, nous plaidons pour un nouvel interventionnisme de la puissance publique : l’Etat pour encadrer les loyers ou taxer les superprofits des groupes pétroliers afin de développer les énergies renouvelables, les collectivités locales pour mieux prendre en charge la petite enfance et lutter contre les déserts médicaux, l’Europe pour protéger ses entreprises et harmoniser sa fiscalité, les instances multilatérales pour combattre les paradis fiscaux. Pour élaborer ce projet, vous avez rencontré l’ensemble des responsables socialistes de Ségolène Royal à François Hollande, en passant par Lionel Jospin et Pierre Mauroy. Qu’en avez-vous tiré ? Comment rassembler le pays si nous ne sommes pas nous-mêmes unis autour de propositions partagées ? Ce travail collectif voulu par Martine Aubry a permis de vérifier des intuitions, d’écarter des options, d’élaborer des solutions, de clarifier certaines positions. Surtout, à l’heure de rédiger, je me suis dit qu’il fallait restituer ce que nos discussions avaient de plus fort : l’envie d’une alternative et pas seulement d’une alternance. A 36 ans, vous faites partie de la nouvelle génération du PS. Pensez-vous avoir apporté un regard différent ? J’écris comme je suis. L’élu d’une commune, Cléon, et d’une région, la Haute-Normandie, qui se battent pour sauver les emplois industriels, investir dans la formation et l’innovation, rendre plus écologiques nos façons de vivre, de produire. Je refuse de voir mon pays devenir le musée du village global. Vous imaginez une nation sans usines, sans paysans, sans universités, sans laboratoires de recherche ? Quel cauchemar, quel drame aussi ! Ce que j’ai mis de moi dans notre projet, c’est cette colère et ce combat. recueilli par Marion Mourgue Le Changement (OdileJacob), 128 pages, 3 €

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affaires intérieures

Sarko(phage) nucléaire

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Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite. par Michel-Antoine Burnier

Philippe Turpin Belpress/MaxxPPP

lus que jamais en précampagne présidentielle, Nicolas Sarkozy tente d’enfoncer un coin entre socialistes et écologistes en se faisant le défenseur de la politique nucléaire de la France. Mardi, il s’est rendu à la centrale nucléaire de Gravelines, dans le Nord, mise en service en 1980. Pour annoncer notamment de nouvelles mesures sur la sûreté des installations. Mais pas question de s’écarter du dogme de l’atome. L’argument de Nicolas Sarkozy est simple : sortir du nucléaire reviendrait à “se couper un bras”. Pour le Président, la catastrophe de Fukushima n’est “pas un accident nucléaire” mais elle est due au tsunami qui a englouti les côtes japonaises. La France se doit donc d’être “leader du nucléaire et des énergies renouvelables”, explique le chef de l’Etat, qui rappelle que “l’éolien a été multiplié par 18”. La France est déjà le premier pays nucléaire au monde, son parc de 58 centrales lui permettant de satisfaire près de 80 % de ses besoins en électricité. Certaines sont vieillissantes, comme Fessenheim, en Alsace, mais EDF veut prolonger leur durée de vie. Depuis la catastrophe de Fukushima, en mars, plusieurs pays ont annoncé une révision, voire un arrêt pour certains comme l’Allemagne, de leurs programmes nucléaires civils. Angela Merkel prône ainsi une sortie du nucléaire d’ici dix ans. Président en exercice du G20, Nicolas Sarkozy a annoncé son intention de convoquer, sans doute en juin, une réunion des autorités de sûreté des pays nucléaires pour discuter d’un renforcement des normes dans ce secteur. Laurence Rossignol, secrétaire nationale à l’environnement du Parti socialiste, a dénoncé “le tissu de sottises et de contrevérités” de Nicolas Sarkozy, qui “est probablement le dernier nucléariste au monde, pour lequel il n’y a pas d’après-Fukushima”. Il “préfère la polémique électorale et politicienne à une réflexion collective et sensée”, regrette-t-elle. Hélène Fontanaud

que le meilleur perde

La centrale nucléaire de Gravelines (Pas-de-Calais)

Ces vacances de Pâques tournantes ont entraîné une trêve des victoricides. M. Guéant, l’homme à la gaffe d’or, n’a rien dit. Au PS, M. Hamon n’a menacé personne d’un impôt confiscatoire. Deux candidats d’importance, et de surcroît déclarés, se sont pourtant distingués : “Je n’ai pas le droit de renoncer”, a dit Mme Royal ; “j’irai jusqu’au bout”, a certifié M. Hollande. Est-ce si sûr ? Et au bout de quoi ? On a entendu autrefois M. Rocard proférer semblables promesses et ne pas les tenir. Il reste toujours possible de renier une parole aussi catégorique par un abandon ultérieur. Mais pour cela, il faut préparer quelques formules, ce qu’ont fait les candidats susnommés. On ne saurait trop leur conseiller de répéter plusieurs fois leur propos. M. Hollande, qui grimpe dans les sondages, affecte un air détaché. Mme Royal, qui baisse, s’en prend avec vigueur aux instituts. Elle les accuse de “manipuler l’opinion” et, en gros, de comploter contre sa personne. Quelle analyse bienvenue ! En 2006, ce furent les sondages qui, pour l’élection présidentielle de l’année suivante, imposèrent la candidature de Mme Royal. Il convient donc que celle-ci les vomisse aujourd’hui : elle montre qu’elle sait toujours sauter d’une idée à son contraire et passe pour une mauvaise joueuse qui rejette ses responsabilités sur des instituts innocents. Le bouclier fiscal de M. Sarkozy a connu un tel

échec que des socialistes jaloux rêvent de l’imiter. Ceux-là voudraient transformer la primaire du PS en “bouclier électoral”. De quoi s’agit-il ? Eh bien, de même que le bouclier fiscal favorise les plus fortunés, le bouclier électoral avantagerait le ou les candidats les plus riches, en cote de popularité s’entend. On sent poindre l’injustice, les ententes secrètes, l’inégalité, tout ce que le PS dénonce dans ses discours et reproche à la droite. Conseils aux candidats et aux futurs candidats : un vrai victoricide doit lancer des formules et des mots historiques qui le poursuivront et le desserviront toute sa vie. Songez à ce bienheureux maréchal de Mac-Mahon, président de la République française dans les années 1870, que l’on prétend s’être écrié “Que d’eau ! Que d’eau !” la première fois qu’il vit la mer. On le prit pour un parfait crétin et il perdit promptement le pouvoir. Le mot historique, surtout calamiteux, relève d’un genre qui se travaille de longue main. Voici quelques modèles qui pourraient inspirer des candidats en quête d’imagination. 1. A éviter (quoique Bonaparte ait perdu) : “Songez que du haut de ces pyramides quarante siècles vous contemplent” ; 2. A méditer : “Casse-toi, pauv’ con !” et “Dégage”. Succès garanti, reprise internationale, notamment en Tunisie et au Proche-Orient ; 3. A louer (s’il s’agit du candidat socialiste) : “L’Etat ne peut pas tout faire.” (à suivre...) 4.05.2011 les inrockuptibles 47

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“donnez-moi des nouvelles, comment va la planète ? Forcément pour le mieux quand je suis à sa tête”

débat d’idées

les bouffons de la crise Une pièce en alexandrins pour critiquer le capitalisme : un exercice jubilatoire et efficace de l’économiste Frédéric Lordon.



ans la multitude d’essais analysant depuis plus de deux ans la crise financière sous tous les plis, le nouveau livre de l’économiste Frédéric Lordon, D’un retournement l’autre, tranche par la forme et le ton. L’auteur, membre du collectif Les Economistes atterrés, connu pour son travail technique, aride, fondé sur une connaissance précise des règles du capitalisme financier (cf. Jusqu’à quand ? – Pour en finir avec les crises financières ; Conflits et pouvoirs dans les institutions du capitalisme…), explore ici un registre inédit : la comédie théâtrale ! Une pièce en alexandrins, en quatre actes, pour parler d’économie ? La proposition, a priori un peu grotesque, assume sa bouffonnerie et s’avère efficace autant pour l’oralité échevelée qu’elle déploie que pour les vices politiques qu’elle révèle.

Plutôt que de ressasser un discours désenchanté et impuissant sur la crise, Lordon indique par son geste iconoclaste que l’on peut aussi simplement en rire. Comme si le rire – jaune – était l’ultime recours affiché contre le désespoir et son impolitesse. Rire, oui, mais “sérieusement” et de manière atterrée, c’est-à-dire en intégrant au cœur d’un genre proche de la commedia dell’ arte la rigueur d’une analyse critique. Conscient de l’inanité des effets du travail universitaire sur le cours du réel et les cours des marchés, le chercheur fait le pari d’un écart : plus que de “dire la crise capitaliste”, il s’agit ici de “la faire entendre”, expliquet-il dans un post-scriptum. Parce que les discours dominants ont tendance à “déréaliser” la crise, il cherche, par le biais du théâtre politique, à la “surréaliser”.

Lordon met en scène des personnages, sortes de bouffons cyniques, pétris de leur suffisance autant que de leur aveuglement : le gouverneur de la Banque centrale, des banquiers, le Premier ministre, des fondés de pouvoir, le président de la République et ses conseillers, évoquant ensemble la manière de surmonter la crise dans les premiers mois de son surgissement. Personnages génériques et “en euxmêmes inintéressants”, ce sont des “voix” qui trahissent leur position. Des “précieux ridicules” d’aujourd’hui, que rien, même le pire, ne touche, surtout pas la vanité. “Tous ces gens ventriloquent des positions et n’ont pas d’autre caractère que celui de leur genre”, souligne Lordon. En la matière, le Président est assez irrésistible : “Donnez-moi des nouvelles, comment va la planète ? Forcément pour le mieux quand je suis

à sa tête” ; “Mon caractère entier a le goût du majeur/ De l’extraordinaire et de toute grandeur”… Les banquiers ne manquent pas non plus d’outrecuidance : “Nous sommes importants, nous sommes névralgiques…” Dans ce théâtre d’ombres et de petits coqs de basse-cour, les conseillers du prince pressentent, à peine plus lucides, “l’insurrection qui vient”. Le “nouveau second conseiller” s’alarme ainsi : “Ce système périt sous trop de déshonneur/Il a accumulé scandale et discrédit/ A un point de dégoût voire d’ignominie/ Elites corrompues, possédants aveuglés/Ont été incapables de le modérer”… Alors qu’il ne cesse depuis des années de dénoncer les fondements et les dérives du capitalisme financier et son horizon “haïssable”, d’appeler à la destruction de la Bourse, Frédéric Lordon se livre ici à un exercice jouissif, comme un acte libératoire où la colère et la critique se fondent dans un bain de jouvence d’humour noir. Le rideau tombe sur un monde crépusculaire. Jean-Marie Durand D’un retournement l’autre – Comédie sérieuse sur la crise financière en quatre actes et en alexandrins (Seuil), 136 p., 14 € Dans le cadre de la manifestation Paris en toutes lettres, lecture sera donnée de la pièce, le 7 mai à 16 h au Centquatre, Paris XIXe (avec Jacques Bonnaffé, Denis Podalydès, Patrice Bornand, Francis Leplay, Christian Benedetti). L’auteur dialoguera avec le romancier Mathieu Larnaudie sur le thème : “Quelle littérature pour rendre compte de la crise financière actuelle ?”, le 8 mai à 17 h au Point éphémère, Paris Xe

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un printemps 2011 vol. 3 Emouvant comme Catherine Ringer, bordélique comme les Beastie Boys, épuré comme Jay-Jay Johanson… 1. Beastie Boys Make Some Noise (Passion Pit Remix) Extrait du single Make Some Noise (Capitol/EMI) On peut donc rester cancre, garnement et punk à un âge avancé. Electrique et bordélique, le neuvième album des New-Yorkais refuse toute quiétude.

2. Sebastian Embody Extrait de Total (Ed Banger/Because) Rejeton de la clique d’Ed Banger, le Français Sebastian, connu pour ses remixes (des Who à RATM), dévoile enfin son album. Que les hanches et les gambettes soient prêtes : l’été sera sensuel.

8. Rubik World around You Extrait de Solar (Talitres/Differ-ant) Rubik vient de Finlande et c’est donc un soleil lointain qui tape sur la tête de ces chansons au psychédélisme vagabond.

9. Chapelier Fou Hahahahaha ? Extrait en avant-première de l’ep Al Abama (Ici d’ailleurs/Discograph) Entre electro douce, inspirations classiques et bricolages hip-hop, le Messin Louis Warynski confirme son statut de chef d’orchestre majeur du pays.

10. Planningtorock Doorway 3. Oh Land White Nights Extrait en avant-première de Oh Land (Jive/Epic/Sonymusic) Depuis des années, c’est du Grand Nord que vient ce genre de pop espiègle et raffinée, de The Knife à Lykke Li. Nouvelle preuve de cette vitalité avec Oh Land, Danoise installée à Brooklyn, danseuse de ballet, productrice, chanteuse…

4. Elysian Fields Church of the Holy Family Extrait en avant-première de Last Night on Earth (Vicious Circle) Si le calendrier maya dit vrai, prenons un peu d’avance sur l’Apocalypse en s’abandonnant aux bras de la toujours merveilleuse sirène Jennifer Charles, dont le cabaret enchanteur est bien celui de la dernière chance.

Extrait en avant-première de W (DFA/Cooperative/Pias) Collaboratrice de The Knife, la mystérieuse anglo-berlinoise Janine Rostron sort W, œuvre totale et passionnante.

11. Yuksek On a Train Extrait en avant-première de Living on the Edge of Time (Barclay/Universal) Plus pop mais toujours aussi efficace, ce premier extrait du second album de l’ingénieux Rémois trouve autant sa place dans la BO d’un sauvage road-trip californien que dans les clubs de Miami.

12. Kill The Young Darwin Smiles Extrait de Thicker Than Water (Volvox Music) Retour en forme de la fratrie Gorman qui amorce un virage vers le post-punk plus sombre et dangereux que leurs deux précédents albums.

5. Catherine Ringer Pardon (Radio Edit) Extrait de Ring n’Roll (Because) Album de deuil douloureusement personnel et pourtant libérateur, joyeux : Catherine Ringer s’impose comme l’une des ultimes têtes brûlées de la chanson française, à l’écoute des sons neufs et de ses instincts de féline.

6. The Head And The Heart Down in the Valley Extrait de The Head and the Heart (Heavenly/Cooperative/Pias) Le folk de ces Américains de Seattle est certes classique mais il est si beau, si rond, arrangé avec une telle grâce qu’il touche et frappe le cœur directement et sans aucun intermédiaire.

13. Applause All about You Extrait en avant-première de Where It All Began (3ème Bureau/Wagram) Après un premier ep bluffant, les Bruxellois d’Applause continuent de casser allègrement les cloisons des genres sur un premier album à la fois doux, sidérant, tortueux et rayonnant.

14. Lail Arad Everyone Is Moving to Berlin Extrait de Someone New (Notify Music/EMI) Architecte de chansons fines, songwriter surdouée et parolière capable de tout, cette nomade est plus qu’attachante : elle est adorable.

7. Jay-Jay Johanson Blind

15. Brigitte Fontaine en duo avec Alain Souchon Rue Saint Louis en l’Ile

Extrait de Spellbound (Universal) Retour épuré de Jay-Jay Johanson avec un nouvel album à l’écriture sobre et limpide, sous haute influence Chet Baker. Ici, c’est Nick Drake qui semble avoir hanté le Scandinave, le temps d’une ballade éblouissante.

Extrait en avant-première de L’un n’empêche pas l’autre (Polydor/Universal) Quand une poétesse rencontre un magicien du spleen, cela donne une valse douce et décalée. Extrait d’un nouvel album plein de duos (Bertrand Cantat, Grace Jones, Christophe…) 4.05.2011 les inrockuptibles 49

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surveiller et punir Intimidations, contrôles, traçage GPS : la police ne lâche pas les mis en examen de Tarnac et leurs amis. Rencontre à Rouen, où quatre d’entre eux habitent aujourd’hui. par Camille Polloni illustration Gazhole

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n s’était mis d’accord : pas de photos, pas de descriptions bucoliques du jardin au printemps, pas de commentaires sur leurs plats préférés. Les mis en examen de Tarnac et leurs amis ont déjà vu leurs maisons perquisitionnées, leurs lectures décortiquées et des journalistes planquer devant chez eux. Deux ans et demi après les premières gardes à vue antiterroristes, ils n’ont pas envie de voir leur intimité étalée dans les journaux, ni de raconter une énième fois les arrestations de novembre 2008 et les policiers cagoulés. Dix personnes sont toujours poursuivies, notamment pour “association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste”. Elles sont soupçonnées d’avoir

préparé des dégradations en vue de désorganiser les réseaux ferroviaires. Parmi elles, Julien Coupat, mis en examen pour direction d’une structure à vocation terroriste. L’instruction en cours peine à décoller faute de preuves, et les erreurs répétées des policiers chargés de l’enquête ont largement décrédibilisé la procédure. Quatre des “dix de Tarnac” vivent à Rouen : Elsa, Bertrand, Mathieu et Aria1. Ils habitent deux maisons en colocation avec des copains, une poignée de jeunes entre 25 et 30 ans qui passent leur vie ensemble. En attendant un éventuel procès, ils mènent une vie sous surveillance, et leurs amis aussi. Sans jouer les martyrs ou les paranos, ils nous ont accueillis pendant deux jours pour raconter les signes d’une présence policière continue et les ingénieux efforts pour les diaboliser.

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une balise GPS sur la batterie En mars dernier, deux personnes du comité de soutien aux inculpés de Tarnac (pas poursuivies) vont chez le garagiste pour des problèmes récurrents de batterie. Le mécano leur explique qu’un truc bizarre pompe dessus, sans entrer dans les détails. En démontant les grilles de ventilation, les propriétaires de la voiture tombent sur un petit boîtier noir de 9 centimètres sur 5, relié par des fils au système électrique. A l’intérieur, deux circuits imprimés comprenant une antenne passive, un dispositif de géolocalisation de marque Navman et une carte SIM Orange pour transmettre les données. Tout l’attirail pour tracer à distance les déplacements de la voiture. De quand date le bidule ? Sans doute d’une fête à Tarnac, il y a un an. La police a pu en profiter pour poser la balise. Juste après, la vitre électrique a commencé à déconner. Depuis le retrait de l’objet, elle fonctionne à nouveau. une arrestation étrange Le 16 février, Elsa (mise en examen dans l’affaire de Tarnac) téléphone à ses amis Arnaud, Jeanne et Quentin pour qu’ils aillent faire des courses ensemble au Go Sport de Rouen. A quatre dans la voiture, ils se garent et se séparent. Jeanne et Quentin entrent dans le magasin de sport. “Tous les vendeurs se sont retournés sur notre passage, ils nous surveillaient en se cachant derrière des étagères”, raconte la jeune femme. “On s’est dit qu’ils pensaient qu’on allait voler des trucs.” Elsa les rejoint dans le magasin. “Jeanne et Quentin étaient entourés de vendeurs qui me

dévisagaient.” Arnaud arrive : “Tout le monde me regardait bizarrement et bloquait sur ma sacoche.” Jeanne paie son pantalon de ski : “Les vendeurs formaient un arc de cercle à distance. Puis le gérant a couru jusqu’à son bureau.” Les quatre amis repartent en voiture et passent un premier rond-point. Moins d’une minute après, une voiture siglée police se colle derrière eux et deux autres leur barrent la route. Les fonctionnaires en sortent, l’un avec son arme au poing, les autres avec une matraque. “Coupez le contact ! Vous venez de Go Sport ?” Quentin, le conducteur, doit descendre et ouvrir le coffre, Jeanne montre son ticket de caisse. Les policiers disent avoir été appelés pour “un vol avec violences au Go Sport”. Ils les escortent en voiture jusqu’au magasin pour vérifier. Là, se souvient Elsa, “ils ont commencé à douter de l’existence du vol mais pas de notre signalement. Ils avaient une description de la voiture, modèle, couleur et plaque.” Les responsables du magasin indiquent qu’il n’y a pas eu vol. Libres après un contrôle d’identité, les jeunes gens repartent. Dans l’après-midi, ils retournent voir le gérant. Ils veulent savoir pourquoi il a appelé la police. “Il nous a dit n’avoir passé aucun coup de fil mais qu’il avait reçu un appel anonyme quinze minutes avant notre arrivée. La personne au téléphone lui décrivait quatre individus, deux garçons et deux filles, la manière dont nous étions habillés, et l’avertissait que nous allions commettre un vol.” Il précise que le magasin préfère en général intercepter directement les voleurs à la sortie plutôt que d’appeler la police et propose aux quatre amis de regarder ses listings téléphoniques. Ils déclinent, 4.05.2011 les inrockuptibles 51

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“pour échapper aux arrestations, vous pourriez nous donner des infos sur vos amis” estimant qu’il “avait l’air sincère”. Aujourd’hui, le gérant du Go Sport continue à affirmer qu’il n’a pas prévenu la police d’un vol qui n’a même pas eu lieu et qu’il a reçu cet appel anonyme. Souriant jusqu’aux oreilles à notre question sur l’identité possible de son interlocuteur, il répond simplement : “J’ai ma petite idée mais je ne vous en dirai pas plus.” des agents à la sortie du boulot Léa n’est pas mise en examen dans l’affaire de Tarnac. Elle est prof, sans poste fixe, et fait des remplacements dans des collèges de la région rouennaise. Le mardi 30 novembre, à la sortie de l’établissement où elle enseigne depuis le jeudi précédent, un homme et une femme l’attendent sur le parking. “Tous les deux grands, la cinquantaine. L’homme avait les cheveux gris et un long manteau. La femme était blonde décolorée avec les cheveux longs”, raconte-t-elle. Ils se présentent comme “des agents du service de sécurité du rectorat” et veulent lui parler. La femme monte dans la voiture de Léa, l’homme les suit avec la sienne. Arrivés sur le parking d’un café, la jeune prof demande à son escorte comment elle l’a reconnue. “On se connaît. – Non, on ne se connaît pas. Vous avez un dossier sur moi ? – Oui.” Dans le bar, l’homme pose une pile de papiers sur la table : “Mademoiselle, vous allez vous retrouver à la rue. Vous avez des problèmes avec la justice.” A l’époque, Léa était poursuivie pour un vol de nourriture dans un supermarché. Ils continuent d’affirmer ne pas travailler pour la police et sortent la photo d’une jeune fille masquée prête à lancer un projectile. “C’est vous.” Suit une liste de faits qu’ils lui attribuent : dégradations, participation à des manifs violentes, etc. Sa voiture aurait même été utilisée dans une affaire de proxénétisme. La conversation dérive sur ses “fréquentations douteuses”. “Comme vous êtes la seule à gagner à peu près honnêtement votre vie, vous devez être plus intelligente que les autres.” Ils la mettent en garde contre de “futures vagues d’arrestations”. “Mais qui êtes-vous ? – Des services de sécurité. – Quels services de sécurité ? De la police ? – Oui. Si vous voulez échapper à la vague d’arrestations, vous pourriez nous donner des informations sur vos amis.” Léa refuse et s’en va. deux policiers, le gentil et le méchant Le même genre de mésaventures est arrivé à Gaël. Copain de lycée d’un proche des Tarnacois, il n’a pas d’activités politiques. Son ami Quentin avait passé quatre jours en garde à vue antiterroriste avant d’être

relâché sans poursuites. L’an dernier, Gaël a été convoqué au commissariat du Havre, où il travaillait comme cordiste sur un chantier. Une simple enquête de routine, liée à son accès à des sites sensibles : installations nucléaires, raffineries, sites industriels, pour lesquels on délivre des accréditations spéciales. Au commissariat, Gaël “monte dans un petit bureau accompagné de deux policiers, un rouquin et un grand, le gentil et le méchant”. Les questions d’usage (adresse, personnalité, fréquentations) tournent vite à l’interrogatoire. Avec qui a-t-il acheté sa maison ? Pourquoi a-t-il gardé dans son garage la Mercedes de Julien Coupat pendant plusieurs mois ? “Je suis ami avec Quentin. Je ne sais pas ce qu’il branle de son côté mais je n’ai rien à voir avec ça”, répond Gaël. Les policiers lui reprochent “d’en savoir plus” que ce qu’il veut bien leur dire. Ils le préviennent qu’ils peuvent “le griller auprès de son employeur et faire qu’il n’entre plus sur aucun site industriel”. Les questions reprennent : qui est venu chercher la voiture de Coupat ? Quelqu’un a-t-il fait de la soudure dans le garage ? Est-ce qu’il reconnaît l’homme sur cette photo ? Puis viennent les tentatives de rapprochement. Peut-être que Gaël, l’alcool aidant, pourrait “entendre des choses” dans des soirées. Il refuse. “Ça a duré une heure et demie. Ils ont argumenté sur mon boulot, sur le fait que moi j’étais ‘quelqu’un de bien’ alors que ‘ces gens-là’ touchaient le RMI.” Après avoir rappelé Gaël deux fois et essuyé un refus définitif, les policiers ont lâché l’affaire. un “fichage moral” Des histoires comme celles-là, les mis en examen de Tarnac et leurs amis en ont beaucoup. Ils connaissent aussi les allers et venues devant leurs maisons, les photos au téléobjectif à la terrasse d’un café, les contrôles d’identité qui durent trente minutes quand la police s’aperçoit qu’ils sont répertoriés au fichier des personnes recherchées comme membres de la “mouvance anarcho-autonome”. Ils finissent par connaître d’avance les questions de routine : où vont-ils, d’où viennent-ils, qui sont les personnes qui les accompagnent, est-ce qu’ils sont locataires ou propriétaires. “Beaucoup d’entre nous n’ont pas d’antécédents judiciaires. C’est un fichage moral qui fait office de second casier, non fondé sur des infractions pénales, raconte Luc. On ne sait pas ce qu’il y a précisément dans les fichiers, ni combien de temps on gardera ça sur le dos. Mais chaque contrôle routier a une conséquence et finit dans un dossier.” “Une proximité dont on ne veut pas s’installe avec la police. Ils nous connaissent et nous le font remarquer”, explique Quentin. Pour des procès qui n’ont rien à voir, comme le vol de Léa, les Renseignements généraux assistent à l’audience. Tous le disent : “On pense que les flics aimeraient nous faire tomber pour n’importe quoi.” Alors quand un entrepôt brûle près de chez eux ou qu’une voiture à gyrophare passe, “on craint toujours que ce soit pour nous”. 1. Les prénoms des mis en examen dans l’affaire de Tarnac ont été conservés. Ceux de leurs amis sont des prénoms d’emprunt.

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fantastic Mr. Foxes

Trois ans après le premier album vertigineux des prodiges du folk américain Fleet Foxes, on attendait la suite avec fébrilité. Accouché dans la douleur, leur “blues de l’impuissance” les dévoile fertiles comme jamais. par Christophe Conte photo Autumn de Wilde

A

moins d’un caleçon en soie sauvage et de chaussettes en cachemire honteusement dissimulés à nos regards, Robin Pecknold n’a pas changé. Les passants londoniens qui croisent le chanteur des Fleet Foxes, bonnet de laine en fin de vie sur le crâne, clope roulée au bord des lèvres et paupières alourdies par le décalage horaire, sont loin d’imaginer que ce garçon et son groupe ont dispersé sur le seul territoire britannique un demi million d’exemplaires de leur premier album. Un chiffre miraculeux – l’album ayant par ailleurs cartonné dans de nombreux pays – qui n’est en réalité que justice. Parmi la riche faune du néo-folk nord-américain des dernières saisons, ces renards ont en effet largement dominé toutes les espèces poilues concurrentes. Même les Bon Iver ou Timber Timbre, beaux spécimens apparus dans leur sillage, n’auront pas réussi à atténuer le souvenir encore vibrant, majestueusement tenace, de cette découverte en provenance de Seattle il y a maintenant trois ans. L’écoute, sans cesse plus émerveillée, de l’aubade solaire des Fleet Foxes millésime 2008 ne comportait qu’une

seule petite zone nuageuse en forme de crainte : parviendraient-ils à se surpasser ou, au moins, à produire un deuxième album capable de tutoyer son aîné ? A ces deux questions gigognes, la réponse est oui, sans hésitation. Helplessness Blues, le successeur de Fleet Foxes, sans rien bouleverser de l’écosystème inventé par le groupe, parvient toutefois à renouveler son oxygène vital et à grimper encore de quelques falaises en quête de ces vertiges ascensionnels qu’ils offrent ensuite en partage. Montezuma, véritable belvédère céleste placé à l’entrée du disque, en indique d’emblée l’altitude par une cascade de chœurs à faire passer Crosby, Stills, Nash et les Beach Boys réunis pour une amicale de tuberculeux. Pourtant, si tout semble fluide, évident et naturel chez les Fleet Foxes, y compris ce qui paraît surnaturel, le chemin fut cette fois plus accidenté et douloureux que prévu. Pas moins de quatre studios, entre Woodstock et Seattle, ont ainsi vu passer leur caravane de chemises à carreaux et de barbes fleuries, jusqu’à l’exténuation des unes et des autres. Robin Pecknold n’a pas changé de l’extérieur. En revanche, à l’intérieur, on le devine encore tailladé

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Robin Pecknold (au centre, barber ousse) et ses Foxes 4.05.2011 les inrockuptibles 55

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“j’aime rechercher la beauté dans des formes d’expression dont la vocation première n’est pas de plaire” par les nombreux sacrifices, les doutes, les moments d’anxiété profonds et les nuits blanches qui ont émaillé l’enregistrement de l’album. “L’écriture n’était pas un problème. J’ai l’habitude d’écrire des chansons en flux régulier et certaines existaient déjà alors que nous n’étions qu’au début de la tournée de 2009. La fabrication même de l’album fut en revanche beaucoup plus compliquée. Nous avions tellement peur de ne pas faire les bons choix : un premier disque est toujours porté par une forme d’innocence, revenir à des choses plus conscientes, plus réfléchies sur le deuxième peut faire s’évaporer d’un coup toute forme de magie. Pendant trois ans, j’ai composé des bouts de chansons, pensé à des idées d’arrangements, à l’intégration de nouveaux instruments sans savoir si ça fonctionnerait à l’arrivée. Ce n’est que lors des derniers jours du mixage que tous ces éléments se sont emboîtés. J’avais plus l’impression d’être un scénariste qu’un songwriter.” Pecknold alterne le “je” et le “nous” lorsqu’il parle du groupe de six individus dont il est plus que jamais l’écrasant leader, le visage, la voix et la plume, un cumul de mandats auquel il n’était pas, à 25 ans, forcément préparé. On comprend vite que son couple, notamment, en a subi les dommages. Helplessness Blues (“Le blues de l’impuissance”) est ainsi travaillé par les climats de rupture, sur le fond comme dans la forme, avec en point d’orgue le diptyque de huit minutes, The Shrine/An Argument, et son long solo free-jazz rageur qui vient déchirer la chrysalide de dentelle et de fibre de verre que le groupe s’était auparavant attaché à construire à la pince à épiler. L’écoute de l’orgasmique Ascension de John Coltrane ou celle des symphonies cosmiques de son épouse Alice ont indiqué à Pecknold de nouvelles pistes hors des sentiers folk, tout comme émergent en surface de plus discrètes influences nord-africaines (Bedouin Dress) ou des guitares maliennes (Lorelei). “J’ai longtemps écouté de la musique uniquement dans le but de me sentir bien. Maintenant, j’écoute aussi des choses qui me procurent un sentiment d’inconfort, y compris des musiques anxiogènes, j’aime

rechercher la beauté dans des formes d’expression dont la vocation première n’est pas de plaire.” Aux traditionnelles “good vibrations” West Coast qui figurent depuis le départ comme ingrédients dominants dans leur festin harmonique, et que l’on retrouve ici en format XXL, les Fleet Foxes ont également ajouté de plus rugueuses décoctions importées cette fois du folk anglais. Celles, notamment, cultivées par les herboristes psychédéliques John Martyn, Michael Chapman et surtout Roy Harper, dont le méconnu et pourtant fondamental Stormcock de 1971 a clairement servi d’alpage aux morceaux les plus baroques (et barrés) d’Helplessness Blues. “Je me suis replongé à la fois dans Pete Seeger et dans Roy Harper, concède Pecknold. Deux musiciens qui constituent les pôles opposés du folk mais ont pour point commun l’utilisation de la guitare douze cordes. Cet instrument est devenu

l’un des outils majeurs de l’album, mon ambition étant de me positionner à mi-distance de chacun de ces deux maîtres. J’adore le folk dans son aspect le plus canonique, qui repose sur un texte, une mélodie et une progression d’accords. Mais en tant que groupe, nous ressentons forcément le besoin d’aller plus loin, et l’exemple de quelqu’un comme Joanna Newsom, qui a montré que l’on pouvait encore innover à l’intérieur des frontières du folk, fut une vraie source de motivation.” Plus question ainsi pour les Fleet Foxes de se reposer uniquement sur leurs qualités de mélodistes et de fabricants d’ornements, qualités pourtant sidérantes une nouvelle fois sur les soyeux Battery Kinzie ou Blue Spotted Tail. En termes de production, d’architecture sonore, d’apports d’instruments classiques et traditionnels, au niveau également de l’intensité émotionnelle qui en émane,

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Helplessness Blues rivalise assurément avec les grandes bâtisses des Beach Boys ou de Simon & Garfunkel, notamment sur cet autre diptyque intitulé The Plains/Bitter Dancer. Le folk, qui a trop souvent servi ces dernières années à vendre des bagnoles et des céréales bio à la télé, retrouve ici ses vertus originelles d’expression à la fois humaine et mystique, aux contours fragiles et lumineux et au cœur empli d’ensorcelants mystères. Robin Pecknold, malgré son jeune âge, n’est désormais qu’à un souffle de tous ces grands timoniers qui ont écrit les pages d’histoire et toutes les variations les plus étranges de ces musiques aux éternels pouvoirs magnétiques. Son immersion totale dans son artisanat d’orfèvre, aux dépens de toute autre forme de vie sociale, témoigne également de convictions plus profondes que chez la plupart

des membres de l’internationale gratouilleuse. Ainsi, lorsqu’il ne prête pas main forte à sa sœur Aja au sein de Rainbow Fang, le groupe “sous influence Ennio Morricone” qu’ils ont créé ensemble, Robin prend le temps de cultiver un minuscule jardin secret sous le nom de White Antelope, histoire de semer sur internet des reprises de traditionnels folk enchevêtrés à des compositions personnelles dans le même esprit roots et bucolique. Sous son nom, il a aussi posté récemment trois titres gratuits, dont un duo avec Ed Droste de Grizzly Bear intitulé non sans humour I’m Losing Myself. Pas étonnant qu’avec tout ça, il n’ait pas trouvé le temps de changer de bonnet. album Helplessness Blues (Bella Union/Cooperative/Pias) concerts le 4 juillet à Paris (salle Pleyel), le 14 août à La Route du Rock de Saint-Malo www.fleetfoxes.com www.myspace.com/awhiteantelope 4.05.2011 les inrockuptibles 57

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d’après une photo de Julien Cauvin/TF1

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pas touche à Ferrari !

La faute à l’actualité internationale, à l’info permanente, à Plus belle la vie : TF1 a un tas d’explications à l’érosion de son 20 heures. Mais pas un mot sur sa présentatrice. par Guillemette Faure

C

ette semaine, nous vous avons présenté des images exceptionnelles du pape dans l’intimité. Des images qui étaient filmées par le Vatican et non par l’équipe de TF1 et de Maurice Olivari.” La voix de Laurence Ferrari se fait plus basse. “Toutes nos excuses pour cette information erronée.” On enchaîne sur Pâques “puisque vous êtes nombreux à avoir fait vos provisions d’œufs”… Quelques jours plus tôt, le soir du 19 avril. “Le pape a ouvert pour la première fois les coulisses du Vatican à une équipe de TF1, annonce Laurence Ferrari, des images exceptionnelles dans l’intimité du souverain pontife.” Le site benoitet-moi.fr révèle que les images ont été tournées par les caméras du Vatican en 2007 et distribuées à des chaînes européennes. La rédaction n’avait pas besoin de ça pour avoir le moral dans les chaussettes. “On a l’impression d’aller dans le mur, raconte un journaliste. Tous les matins, on regarde les chiffres en se demandant quand ça va s’arrêter.” L’érosion de l’audience du JT se poursuit. Pendant la première semaine d’avril, la part d’audience du 20 heures de TF1 est passée en dessous de 23 %. Du jamais vu. L’écart avec celui de France 2, de dix points en part d’audience au premier trimestre 2010, passe souvent en dessous de cinq. Et la grand-messe de TF1 se fait même régulièrement battre par M6 sur la cible des ménagères. Qui plus est, Harry Roselmack, remplaçant du week-end, a refusé de continuer, décision inédite de la part d’un joker.

“Si on était une caserne ou un hôpital, il y aurait eu des morts”, avait déjà dit à ses équipes Michel Floquet, ancien rédacteur en chef du 20 heures, célèbre pour son mauvais caractère. Aujourd’hui correspondant à Washington, d’où il va, blague-t-il à des proches,

“regarder monter l’audience”. Il a été remplacé au JT par Anne de Coudenhove, longtemps rédactrice en chef du 13 heures, le dernier monument de TF1. “Dans une rédaction, il faut savoir faire bouger les lignes”, assure Catherine Nayl, la patronne de l’info de la chaîne dont le fauteuil ne doit pas être très confortable actuellement. Elle se défend de vouloir injecter des morceaux de Pernaut dans le journal de Ferrari : “Vouloir faire du 13 heures au 20 heures, ce serait un non-sens !” Dans la rédaction, on y voit une façon pour la direction de montrer aux annonceurs et en interne qu’elle réagit. Plus question de faire comme si de rien n’était. “Le journal de 20 heures doit trouver sans doute un style, une architecture, un rythme plus dynamiques et un contenu différent. Nous y travaillons d’arrachepied”, a déclaré Nonce Paolini, pdg du groupe TF1, lors de l’assemblée générale des actionnaires. Grosso modo, on en reprend tous les aspects… sauf la présentation. “Paolini s’accroche comme un dingue à Laurence Ferrari. La direction ne veut pas admettre que Ferrari ne plaît pas”, dit un journaliste. Curieusement, la présentatrice la plus regardée de France ne semble pas exister dans l’imaginaire collectif. Elle n’a ni sa marionnette aux Guignols sur Canal+, ni sa voix chez Nicolas Canteloup, l’imitateur d’Europe 1, ou Laurent Gerra, celui de RTL. Elle n’apparaît pas dans le classement des personnalités préférées des téléspectateurs réalisé par les magazines de télévision, où l’on voit pourtant David Pujadas, Laurent Delahousse ou même Yves Calvi malgré des audiences plus faibles. Elle a résisté aux assauts. Etienne Mougeotte s’est vanté d’avoir recommandé de la “mémériser”. A la rentrée 2009, Axel Duroux débarque de RTL à TF1 en numéro deux. Duroux souhaite lancer un grand chantier de rénovation de l’info en vue 4.05.2011 les inrockuptibles 59

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“ce qui fait la différence, c’est la narration. Je ne comprends pas ce qu’ils font” Thierry Thuillier, directeur de l’information de France Télévisions de la présidentielle de 2012 et chercher des forces à l’extérieur. Paolini ne voit pas les choses ainsi. Duroux quitte TF1 après six semaines, frustré de ne pas avoir les coudées franches. Paolini reste seul maître à bord et Ferrari reste au 20 heures. “Un an et demi plus tard, il ne s’est rien passé, c’est incroyable pour une chaîne qui joue gros”, lâche le patron de l’info d’une chaîne concurrente, où l’on s’interroge même sur la patience de Martin Bouygues qui “laisse Paolini couler le navire”. Le déclin du JT de TF1 s’inscrit dans celui de l’ensemble de la chaîne. Lors d’un déjeuner de direction, Laurence Ferrari a défendu l’idée que la baisse était structurelle. C’est en partie vrai. Ceux qui s’intéressent à l’information peuvent en grignoter toute la journée sur le web ou sur les chaînes d’info, ils n’ont pas besoin d’attendre le journal des grandes chaînes. Il y a quinze ans, un grand événement était à peine défloré avant le 20 heures ; il fallait la mort de Mitterrand pour que les chaînes cassent leurs grilles. Aujourd’hui, l’élasticité de l’audience de BFM, I-Télé et LCI en fonction de l’actualité témoigne de ces nouveaux modes de consommation d’info. “Quand arrive 19 h 58, il y a

Katie Couric, présentatrice sur le départ

KO pour le JT de CBS Elle est blonde. Elle a remplacé un poids lourd du journal du soir. La chaîne comptait sur elle pour rajeunir l’audience, elle a fait un four. Katie Couric a annoncé qu’elle ne présenterait plus le journal du soir de CBS. Aux Etats-Unis, la grand-messe de l’info a lieu plus tôt, à 18 h 30, mais les interrogations sont les mêmes. Les journaux des trois grands networks ont perdu la moitié de leur audience depuis les années 1980. En 2006, Dan Rather, 74 ans, star de la chaîne et vedette du célèbre magazine 60 Minutes, présentait son dernier journal à CBS. Avec un salaire annuel de 15 millions de dollars

à la clé, la chaîne débauchait Couric de NBC pour lui succéder : une star du matin, connue pour ses conversations tout en sourire avec ses invités. Tout comme Mougeotte s’était vanté de vouloir “mémériser” Ferrari, la chaîne se félicitait de sa “girl next door”. Cinq ans plus tard, l’âge médian du téléspectateur de CBS est monté de 60 à 61 ans… Et le public des “news” a encore fondu, passant de 7,5 millions de personnes pour Dan Rather à 6,4 millions pour Couric au premier trimestre 2011. Son départ n’a surpris personne. Les interrogations sur son maintien au journal duraient depuis trois ans. Ça vous rappelle quelqu’un ?

des tas de choses qu’on connaît déjà”, reconnaît Catherine Nayl. Conséquence : la mission du JT du soir n’est plus d’apprendre les infos du jour aux téléspectateurs. Alors, à quoi sert le 20 heures aujourd’hui ? Sur France 2, on regarde le 20 heures parce que c’est le 20 heures. En témoignent la voix off solennelle qui annonce “le journal de 20 heures”, les bongs sonores qui rythment l’annonce des titres, le petit logo “20 heures” qui tournicote en bas à droite de l’écran. “On est revenu aux fondamentaux”, selon les mots de Thierry Thuillier. Ancien rédacteur en chef du 20 heures parti diriger I-Télé, il est revenu à la rentrée prendre la direction de l’info de France Télévisions. M6 a fait le pari inverse : on regarde parce que ce n’est pas le 20 heures. Lancé il y a un an et demi, son journal commence à 19 h 46 et finit à 20 h 07. “Cinq titres. Une tendance (par exemple le retour du nœud papillon – ndlr). Une star pour finir.” Pour Vincent Régnier, directeur adjoint de l’info de la chaîne, la ligne est très claire. Elle vise les femmes et les jeunes. “D’un rapport démographique de l’Insee, on sortira ‘les femmes n’ont jamais fait autant d’enfants’ plutôt qu’un sujet sur les maisons de retraite.” Rien d’institutionnel. “Si ça amène de l’émotion, ça a sa place dans le journal.” L’effritement du JT de la première chaîne ? “Sur TF1, ça tâtonne un peu”, concède Vincent Régnier. Dans son bureau à France Télévisions, Thierry Thuillier commente, un œil sur son 20 heures, un œil sur celui de TF1. “Le marché de l’information est un marché ouvert. On a peu d’exclusivités. Ce qui fait la différence, c’est la narration. Je ne comprends pas ce qu’ils font.” A TF1, on a le sentiment d’avoir été pénalisé par la très riche actualité internationale des derniers mois. Catherine Nayl se demande si certains téléspectateurs n’ont pas décroché en ayant “l’impression qu’on est dans un cycle qui ne s’arrête pas”. C’est aussi l’argument que Laurence Ferrari a donné à TV mag : “Je suis revenue au début des révolutions dans le monde arabe. Cette actualité très dense est survenue à une période où les Français ont semblé avoir envie de choses plus légères. Ils se sont, un peu plus que d’habitude, tournés vers des programmes alternatifs comme Plus belle la vie ou Scènes de ménage.” Pourtant, le journal de France 2 n’a pas connu la même érosion. Entre le premier trimestre 2010 et celui de 2011, TF1 a perdu 600 000 téléspectateurs (de 7,7 à 7,1 millions) quand l’audience du JT de France 2 est restée stable (à 5,1), en proposant un journal en direct de la Tunisie après la chute de Ben Ali, seize minutes d’une autre édition consacrées à la Côte d’Ivoire… Longtemps, le téléspectateur a zappé sur TF1 lors de grands événements internationaux. “Mais maintenant, cela profite à France 2, résume Thierry Thuillier. Ce qui nous handicape, c’est la neige.” Les intempéries, ça se regarde sur TF1. Tout n’est pas rose à France Télévisions. Dans les couloirs, un compte-rendu de réunion déplore le langage de caserne employé dans les conférences de rédaction. “France 2 a une bonne dynamique en ce moment”, lâche pourtant, envieux, un journaliste de TF1. Le moral n’est décidément pas le même. Quant aux prétendues “images exclusives” de l’intimité du pape, l’assistant de Laurence Ferrari a été appelé à plus de vigilance dans l’écriture de ses lancements. “Pas touche à Ferrari”, résume un journaliste.

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Dans son film, Elia Suleiman joue Elia Suleiman en train de découvrir une ville qu’il ne connaît pas

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le temps qu’il reste entre les murs de Cuba A La Havane, sept cinéastes réalisent un film à sketches, témoin des derniers temps de Fidel Castro. Laurent Cantet et Elia Suleiman nous ont reçus sur leurs tournages. parJean-Marc Lalanne

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e film à sketches, cette forme propre au début des années 60, a connu ces dernières années un étonnant regain. Et a même engendré un sous-genre inédit : le film de grande ville. Depuis cinq ans, on a donc vu se succéder Paris je t’aime (alignant les noms de Gus Van Sant, les Coen, Assayas…), Tokyo ! (Carax, Gondry, Bong Joon-ho – à ce jour le plus homogène de tous) et New York I Love You (avec cette fois un casting de cinéastes un peu second choix : Fatih Akin, Yvan Attal, Brett Ratner…). Jusqu’alors, les citées élues pour ces raouts cinématographiques étaient des villes riches de grands pays développés. Avec 7 Days in Havana, la toute neuve société de production Full House, en coproduction avec Morena films et le soutien de Havana Cultura, a initié un projet sensiblement différent. C’est désormais sur des populations vivant pour une grande partie dans le dénuement et s’étant accommodées à une restriction des libertés publiques que divers auteurs internationaux sont invités à poser un regard. 7 Days donc, pour sept films courts (une quinzaine de minutes) proposés par sept réalisateurs issus de lieux divers – sur la planisphère du monde comme celle du cinéma. L’acteur Benicio Del Toro est pour l’occasion passé derrière la caméra. L’Argentin Pablo Trapero, l’Espagnol Julio Medem et le Cubain Juan Carlos Tabio réalisent aussi un épisode du projet. Mais fin mars, durant la semaine où nous passons à La Havane, trois tournages se chevauchent : ceux des Français Laurent Cantet et Gaspar Noé ; celui du Palestinien Elia Suleiman. Lorsqu’on demande à Laurent Cantet si le tournage de ce film court est une façon de différer le long

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la porosité entre le cinéma et la vie, c’est la clé du cinéma de Laurent Cantet

Ci-contre, une scène du film de Laurent Cantet, qui raconte la construction d’une fontaine. Tout le quartier a participé à l’affaire Ci-dessous, Elia Suleiman (chemise bleue)

métrage qui devra succéder à Entre les murs (énorme succès public, Palme d’or, multiples César…), il dément. “En fait, la préparation de mon prochain long métrage est déjà très avancée. Je pars le mois prochain au Canada pour commencer le tournage. Du coup, ce tournage à Cuba est une expérience très intense qui vient court-circuiter la préparation de l’autre film, une histoire de gang de filles aux Etats-Unis dans les années 50, adaptée d’un roman de Joyce Carol Oates.” Laurent Cantet connaissait Cuba, notamment son festival où il avait déjà accompagné certains de ses films. Il a noué avec le pays une forte relation d’attachement. Il admire aussi le romancier Leonardo Padura, auteur de polars incisifs sondant la société cubaine (Le Passé parfait, Adios Hemingway…). Cantet souhaitait d’abord travailler avec l’auteur et adapter une de ses nouvelles. Mais en commençant l’écriture, le cinéaste s’est rendu compte que la matière était trop riche, qu’elle ne tiendrait jamais dans le format court. “Je n’exclus pas de revenir un jour vers cette histoire. Mais j’ai compris qu’il fallait que le film naisse d’ailleurs.” Durant la préparation du projet Padura, Cantet cherche un appartement avec vue sur le Malecon, cette route qui borde la mer à La Havane. Il visite celui d’une dame d’un certain âge. Natalia est une santera, adepte de la santería, pratique religieuse qui croise aux grandes figures du christianisme, importées d’Espagne, des croyances venues d’Afrique. Dans l’immeuble où elle vit, Natalia a instauré un matriarcat aimant. De tous les habitants, elle est une sorte de marraine, prodiguant conseils, soins et prières pour les protéger. Cantet est séduit par la vie de cette petite communauté. “J’ai décidé de filmer ces gens, ce quartier. Il y a chez Natalia une fontaine dédiée à la Sainte de l’eau douce, et j’ai eu l’idée de raconter sa construction.” Le film de Laurent Cantet suit donc une journée de cette santera, à qui la Sainte de l’eau douce demande un matin d’organiser une fête en son honneur. Dès lors, toute la population de l’immeuble est réquisitionnée pour préparer cette fête le soir même. Comme souvent chez Laurent Cantet, il y a un frottement entre ce que raconte le film et la synergie qu’il mobilise pour sa fabrication. Les proches de Natalia ont aussi été sollicités pour le film et c’est tout un quartier qui s’affaire, pour le tournage et dans la fiction. Dans un immeuble voisin de celui de Natalia, on reconstitue la fontaine. De jeunes gaillards traversent le Malecon à la hâte pour y apporter de l’eau. Le lendemain, ils cambriolent une maison pour faire des cadeaux à la Sainte. A la fin du film, la fête religieuse, pleine de chants, de danses et de joie, se tient autour de la fontaine. Et deux heures plus tard, la fête de fin de tournage, organisée par Natalia et les gens de son quartier chez elle, en est la réplique parfaite. Cette porosité entre le cinéma et la vie, c’est la clé du cinéma de Cantet. Tandis que le réalisateur français achève sa semaine de tournage, Elia Suleiman entame la sienne. “Ce n’est pas mon monde. Je ne parle même pas espagnol”, déclare d’entrée le facétieux auteur palestinien du Temps qu’il reste et d’Intervention divine. Didar Domehri et Gaël Nouaille, deux des producteurs du projet, disent avoir pensé à lui parce qu’ils admiraient son travail. Il est vrai que Suleiman est aujourd’hui le cinéaste qui 4.05.2011 les inrockuptibles 65

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“au moment où mon monde est en révolution, je suis à 10 000 kilomètres, en train de filmer la postrévolution cubaine !” Elia Suleiman ce soit de définitif sur ce que vivent les Cubains. Tout le travail a été de trouver la bonne distance qui me permettait d’être sincère et de ne pas feindre de connaître une ville plus que je ne la connais. Finalement, je peux très bien filmer dans un endroit où je ne connais rien, si le sujet du film c’est moi en train de découvrir un endroit où je ne connais rien.” Le film raconte donc le trajet d’Elia Suleiman, qui vient à Cuba pour interviewer Fidel Castro. Le chef d’Etat a accepté la rencontre mais doit d’abord prononcer un discours. Le rendez-vous est sans cesse différé ; en attendant Castro, Elia remplit ces heures creuses en se promenant dans la ville. Il visite le zoo. Il longe la mer, traîne sur une petite plage de terre et de pierres vers laquelle tous les chemins semblent le mener. Là, des personnages étrangement statufiés fixent obstinément l’horizon, tous tournés vers la mer. Des animaux en cage, des gens aspirés par l’ailleurs mais rivés à leur terre… Ci-dessus, Laurent Cantet et Natalia, sa très croyante héroïne Ci-contre, Elia Suleiman acteur attend un hypothétique entretien avec Fidel Castro à côté de la statue d’Hemingway

filme avec le plus de force les territoires clos, les populations sous surveillance. “Quand j’ai reçu la proposition, j’ai répondu que je ne connaissais rien à Cuba, que je n’y étais jamais allé. Mais en même temps que je répondais ça, je me disais que c’était une bonne raison pour accepter (rires).” Elia Suleiman est d’abord venu une dizaine de jours en observation. “Ce sentiment de fermeture, c’est quelque chose que je connais. En même temps, Cuba n’a évidemment aucun rapport avec les régimes arabes. Mais ce qui m’a intéressé, comme toujours, c’est la façon dont, dans un contexte de répression des libertés, les hommes s’adaptent, manœuvrent pour pouvoir continuer à vivre comme partout ailleurs.” A l’issue de ce premier séjour, Elia Suleiman décide d’accepter la proposition. “Je ne peux pas dire que j’aie eu un coup de foudre pour Cuba. Certaines choses m’ont fait horreur. Je n’ai pas de goût particulier pour les très jeunes filles et voir la façon dont certains Occidentaux viennent ici comme dans un supermarché sexuel m’a absolument dégoûté. Mais je ne suis ni anthropologue ni ethnologue. Je ne pouvais pas prétendre à dire quoi que

On imagine aisément que cette balade poéticoburlesque à Cuba ne manque pas d’arrière-plans politiques. Sur la petite plage, les figurants (une très belle femme en robe jaune, un baigneur en maillot de bain rouge…) prennent la pose face à la mer. Ce qui est très beau sur un tournage de Suleiman, cinéaste de l’énergie statique, c’est d’observer l’extrême agitation de cette petite ruche pour préparer le plan qui tout à coup s’interrompt lorsqu’on tourne. Suleiman crie “action !” et à ce mot, paradoxalement, plus rien ne bouge, le monde suspend sa respiration, la vie semble gelée. De la première ligne du scénario (écrit sur place, au fil des pérégrinations et prises de notes du cinéaste) à la fin du tournage, seulement quinze jours se seront écoulés. Pendant ce temps, la Libye est en feu, un attentat a lieu à Jérusalem, la Tunisie peine à trouver un point de stabilité… “C’est dingue. Tous mes films parlent de quelque chose qui couve dans le monde arabe et au moment où ça saute, moi je suis à Cuba. Au moment où mon monde est en révolution, je suis à 10 000 kilomètres, en train de filmer la postrévolution cubaine. Je crois que c’est la plus stupide erreur de timing de toute ma vie (rires). C’est vraiment burlesque !” Pourtant, le prochain long métrage d’Elia Suleiman ne sera pas tourné en Israël mais à Paris. “Evidemment je vais parler de ce qu’il se passe dans le monde, pas seulement de la vie privée de Carla Bruni. J’ai souvent cette difficulté : même si je ne suis pas journaliste, mon cinéma a besoin d’une prise plus ou moins directe avec l’actualité. Donc je suis toujours en train de modifier mes scénarios pour les up-dater. Dès que j’aurai terminé ce film cubain, je vais reprendre mon scénario de long métrage pour trouver une façon de parler du bouleversement en cours dans le monde arabe.” Y aura-t-il un “Sept jours au Caire”, où la crème du cinéma d’auteur international viendra croiser ses vues place Tahrir ? Ou encore un “Tripoli je t’aime” ? Les derniers tournages de 7 Days in Havana auront lieu au cours du printemps. On devrait découvrir le film courant 2011, en festival, Cannes ou Berlin.

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survie, mode d’emploi Ecrire pour réparer ce qui a été perdu. Dans La Grande Maison, Nicole Krauss cherche comment on se réinvente après avoir vécu le pire. par Nelly Kaprièlian photo Philippe Garcia

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inq ans après son envoûtante Histoire de l’amour, où elle interrogeait déjà les répercussions de la Shoah sur l’intimité de plusieurs générations, Nicole Krauss construit enfin sa Grande Maison : un ample roman-puzzle composé de multiples pièces, fragments, histoires en apparence hétéroclites. Chaque narrateur y raconte sa vie, celle de son enfant, de la personne avec qui il vit, et réalise à quel point toute son existence fut une méprise, une illusion. Une construction toujours ébranlée par l’Histoire, qu’il s’agisse de la Shoah, de la dictature chilienne ou de la guerre du Kippour. Ce qui les lie semble être cet objet étrange qu’ils se transmettent les uns aux autres et qui semble servir de champ de bataille à leurs névroses et autres petites révolutions intimes : un bureau gigantesque, encombrant, aux dix-neuf tiroirs. Liane brune de 37 ans, tranquillement installée dans une vaste demeure bourgeoise de Brooklyn avec son mari, l’écrivain Jonathan Safran Foer et leurs deux enfants, Krauss révèle sous sa voix douce et sa vie rangée un cerveau qui carbure à l’essentiel : l’interrogation de la survie après le pire,

l’incertitude qu’il y a forcément à vivre, une certaine acceptation de la gravité, avec grâce, tout simplement. Rencontre chez son éditeur, à Paris. Votre point de départ, c’était le bureau ? Nicole Krauss – Quand on me décrit le livre ou quand je lis les critiques, je suis surprise de voir à quel point le bureau a pris de l’importance, à quel point il définit mon texte. Je crois que c’est parce que ce livre est très difficile à raconter, à décrire. En fait, dans la construction du livre, le bureau était un élément accidentel. J’ai commencé par l’histoire de Nadia, l’écrivaine qui hérite du bureau du poète Daniel Varsky parti au Chili et qui y disparaîtra, et j’en ai fait une nouvelle. Puis j’y ai ajouté d’autres histoires, d’autres voix, et dans certaines histoires j’ai eu soudain envie que Varsky apparaisse aussi, donc je me suis resservie du bureau. Mais dans d’autres histoires, le bureau est absent. J’aime certes l’idée qu’un objet incarne une personne disparue et que ceux qui restent éprouvent le besoin physique de récupérer cet objet pour éprouver la présence de celui qu’ils ont perdu… Mais bien plus que le bureau, le point commun entre tous mes personnages c’est qu’ils se débattent avec le regret,

la perte, le chagrin ; ce qui lie toutes ces histoires, c’est que chaque narrateur a engagé une bataille avec lui-même. Quand mon livre est paru en poche aux Etats-Unis, j’ai donc demandé à mon éditeur de ne pas parler du bureau sur la quatrième de couverture. Peut-être se raccroche-t-on à ce bureau comme une clé pour pénétrer dans votre livre, sorte de maison qui n’a pas de pièce centrale ? C’est exactement ce que je voulais. Les romans ont souvent un lieu central où tout se passe, ou un personnage central, ou un point central vers lequel tout tend. Moi, j’aime l’idée que ces fragments, ces parties mouvantes ne tiennent ensemble que par des courants émotionnels, intellectuels ou philosophiques qu’ils partagent. Mais sans linéarité. Peut-être parce que cette idée de centre me semble inauthentique, malhonnête vis-à-vis de mon mode de pensée. Quand je commence un roman, je n’ai pas d’idées ou de thèmes centraux, je n’ai rien, je suis seulement à la recherche d’une voix qui me semble authentique. Quand je l’ai trouvée, je découvre alors qui est cette voix, puis les autres qui s’y agrègent. Puisque toutes ces voix viennent d’un même esprit, le mien, elles disent forcément quelque chose

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“L’idée que la mémoire peut être un acte d’imagination me passionne” Paris, avril 2011

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“l’imperfection ou l’absence de certitudes sont les seuls lieux qui nous sont donnés pour vivre” de ce qui les articule entre elles. Au début, je n’en sais rien… Ce qui me rend anxieuse, c’est que je ne sais pas où je vais alors et que je peux passer du temps à écrire quelque chose qui ensuite me semblera mort, et que je jetterai à la poubelle. Le titre de ce livre m’est venu tout seul, par exemple, sans savoir à quoi il faisait référence. Ce n’est qu’après que je me suis souvenue de l’histoire juive de cette grande maison qui fut brûlée à Jérusalem, détruite pour toujours. Puis cette maison fut reconstruite de mémoire par ceux qui l’avaient connue... J’aime l’idée que chacun porte, dans sa mémoire, un fragment de souvenir de ce que fut cette maison. Votre roman La Grande Maison suivrait en quelque sorte les plans de cette grande maison symbole de la mémoire de l’histoire juive ? Mon livre est clairement un roman de la diaspora juive, et on y trouve, sousjacent, ce besoin urgent de reconstruire cette maison, qui est en même temps quelque chose d’impossible. Ce qui est beau dans la culture juive, c’est cette conscience que la reconstruction ne sera pas parfaite, qu’elle sera un mixte des souvenirs des uns et des autres, avec des trous, des manques. Pouvonsnous faire en sorte que les choses soient à nouveau telles qu’elles étaient ? Jamais. Cette idée est très présente dans la culture juive et ancrée au plus profond de moi. Donc j’ai naturellement commencé mon roman avec des fragments d’histoires, des morceaux épars qui, rassemblés, créent une architecture imparfaite mais où chaque pièce fait écho à l’autre. C’est l’imperfection qui vous intéresse dans l’écriture ? Ce que j’aime, ce qui donne de la liberté à un écrivain, c’est l’imperfection intrinsèque au genre romanesque. Et pour moi, dès que je commence un roman, je le conçois comme une maison forcément imparfaite – toutes les maisons le sont, de toute façon. Dès qu’on fait un choix narratif, on fait un compromis et on va vers l’imperfection. Je me sens très à l’aise

avec ça, comme je me sens très à l’aise quand je frôle l’échec, le risque de tomber, l’abîme. J’aime sentir quand j’écris que je suis presque en train de me planter mais que je réussis à rester au bord du ravin. Comment peut-on prétendre créer ou survivre si l’on n’a pas conscience de l’échec, que rien ne sera jamais parfait ? L’imperfection ou le doute ou l’absence de certitudes sont les seuls lieux qui nous sont donnés pour vivre, il n’y en a pas d’autres, nous y sommes condamnés. A moins d’être hyperreligieux et bardé de certitudes. Mais je ne viens pas d’une famille religieuse, donc je sais que rien n’est sûr, que rien n’est jamais garanti et que nous devons nous compromettre avec la vie en acceptant son incertitude même. Nous devons vivre avec le doute, le manque d’assurance en soi, en l’autre – comme dans l’un des couples du roman où l’homme ne connaît pas la vraie vie de sa femme. Au fond, la question qui m’intéresse est : comment traçons-nous notre propre voie dans cette vie imparfaite et fragmentée ? Chacune des parties de La Grande Maison mettrait en scène la façon dont chacun s’est réinventé pour survivre ? Les gens me disent que mon livre traite de la perte, de la mémoire, mais on pourrait dire cela de tous mes romans et de tous les romans en général. En fait, mes livres abordent tous la façon dont chacun réagit à une catastrophe, qu’il s’agisse comme dans La Grande Maison de la Shoah, de la dictature chilienne ou de la guerre de Yom Kippour. Et ce qui m’intéresse en effet dans cette réaction au pire, c’est la façon, chez ceux qui y ont survécu, dont ils ont dû se réinventer eux-mêmes, souvent à travers des réinterprétations radicales du passé, une réécriture de leurs souvenirs. Mon premier roman traitait d’un homme qui perdait la mémoire, n’avait plus que des souvenirs d’enfance et avait toute sa vie à reconstruire – dès le début j’étais donc très intéressée par le rôle que la créativité joue dans nos identités et la narration que nous faisons de nousmêmes. Dans mon deuxième, L’Histoire de l’amour, Léo, survivant de la Shoah, dit

que la vérité est ce qu’il a inventé pour l’aider à survivre. L’idée que la vérité est quelque chose de malléable, que la mémoire peut être un acte d’imagination me passionne. Vos grands-parents ont fui l’Europe de l’Est pendant la Shoah, certains de leurs proches ont été déportés. Pourriez-vous écrire un roman qui ne serait pas travaillé par l’Histoire et le génocide ? Exemple : une histoire d’amour à Manhattan ? Ce qui fonde profondément mon désir d’écrire, c’est ce désir instinctif de réparer ce qui fut et qui a été perdu. Donc si je peux faire passer cela dans une histoire d’amour à Manhattan, pourquoi pas ? Et puis on n’est jamais deux, il y a la famille, la complexité de la famille… Il faut que j’ouvre aux autres, à l’Histoire, car je me passionne pour l’histoire d’une lignée et la transmission. Philip Roth, écrivain juif américain d’une autre génération, ne semble pas travaillé par ces questions. D’après vous, est-ce parce que sa famille n’a pas eu à subir la Shoah, contrairement à la vôtre ? Ce qui est intéressant chez Roth, c’est que lui aussi écrit au sujet de l’histoire, mais de l’histoire américaine. Sa famille avait émigré longtemps avant sa naissance, donc il a hérité de ce sens très juif de vouloir faire de soi un vrai Américain. Sa question est davantage celle d’être américain. Il met une énergie inouïe et une vraie fierté dans l’idée d’être intégré. Ma relation à l’Amérique est plus étrange : ma mère est née en Angleterre, mon père a grandi en Israël, mes parents s’y sont rencontrés. L’Amérique, pour ma famille, est un accident récent. Aucune de nos conversations ne portait sur l’Amérique, et si nous partions en voyage, c’était toujours en Europe. Cela m’a transmis un sentiment de non-appartenance. Le seul lieu auquel j’appartiens, c’est l’espace du livre que j’écris. Un lieu fictif que je reconstruis. La Grande Maison (Editions de l’Olivier), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Paule Guivarch, 333 pages, 22 €

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La Ballade de l’impossible de Tran Anh Hung Un best-seller du romancier japonais Haruki Murakami adapté avec habileté par l’auteur du vieux hit exotique, L’Odeur de la papaye verte.



’est une histoire simple. Elle se déroule à la fin des années 60 au Japon. En pleine période de révoltes estudiantines, deux adolescents, Watanabe et Kizuki, forment une petite bande avec une fille, Naoko, amoureuse officielle de Kizuki. Et puis un jour, sans prévenir, Kizuki se suicide. La vie sépare Watanabe et Naoko. Deux ans plus tard, ils se retrouvent par hasard. Ils font l’amour. A sa grande surprise, Watanabe découvre que Naoko était vierge. Cette dernière avoue n’avoir jamais réussi à faire l’amour avec Kizuki. Elle disparaît à nouveau. Watanabe fait la connaissance d’une autre fille, la jolie et coquine Midori, qui l’attire beaucoup. C’est alors qu’il reçoit une lettre de Naoko, qui l’invite à la campagne où elle vit retirée, soignant une grave dépression. Il la rejoint. Du Vietnamien Tran Anh Hung, nous gardions le souvenir d’un cinéma rutilant, proche d’une certaine esthétique publicitaire des années 90. L’Odeur de la papaye verte (Caméra d’or à Cannes en 1993 et César de la meilleure première œuvre de fiction en 1994), qui l’avait fait connaître, nous avait toujours semblé

chichiteux, un peu trop attentif à ses nuances subtile, et sans chair. Et puis, après Cyclo (Lion d’or à la Mostra de Venise en 1995) et A la verticale de l’été (à Cannes, section Un certain regard en 2000), dans la même lignée jolie, Anh Hung avait semblé disparaître du circuit international (un film jamais sorti en France). A vrai dire, la première bobine de La Ballade de l’impossible fait d’abord craindre le pire. Encore une histoire d’amour mise en conserve. Cette adaptation du roman d’Haruki Murakami – l’un des écrivains contemporains nippons les plus lus en France – commence donc plutôt mal, dans les pas du Tran Anh Hung d’antan et de son académisme sans vie (image léchée, acteurs décoratifs). En quelques scènes trop policées pour être honnêtes, tout est posé avec esthétisme des liens sentimentaux qui unissent les personnages principaux, si jeunes,

un chant long et douloureux qui répète sans pouvoir y échapper les mêmes chagrins

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Owen Wilson, Bon A Tout

si beaux, si propres sur eux. Certes, la mort rôde déjà, mais elle semble abstraite. Et puis, surprise, dès que Watanabe retrouve Naoko dans son séjour pastoral, le film de Tran Anh Hung, peut-être grâce à Murakami et à son érotisme franc, entre dans une autre dimension : sexuelle, maladive, névrotique. Les deux heures qui suivent, épuisantes, éprouvantes pour les personnages, ne montreront plus que des êtres en souffrance se heurtant sans fin contre des murs invisibles qui les empêchent de vivre, d’aimer et de s’aimer physiquement. La passion enfiévrée qui unit Watanabe et Naoko ne peut nous laisser de glace. Nous voici embringués dans une histoire de sperme, de sueur, de sang, qui nous atteint nous aussi. La Ballade de l’impossible, débutée sous le signe des Beatles (Norwegian Wood est le titre anglais du film), devient une suite de variations, un chant long et douloureux qui répète sans pouvoir y échapper les mêmes chagrins dans des tons à la fois différents et proches. Certes la nature, chez Anh Hung, est toujours un peu trop belle, et le cinéaste, à l’instar parfois d’une Naomi Kawase, se laisse prendre à sa contemplation extatique.

Mais toujours, contre ce défaut, quelque chose empêche le film de nous laisser indifférents. Là où les films précédents de Tran Anh Hung frappaient par un refus de la chair ou tout au moins par une gêne évidente à filmer les corps dans leur crudité, La Ballade de l’impossible appelle un chat un chat. Une fois de plus, c’est la fièvre des personnages qui emporte tout, celle qui habitait par exemple deux sœurs dans Les Deux Anglaises et le Continent de Truffaut, ou la passion de Lady Chatterley et de son amant chez Pascale Ferran. C’est par cet interstice infime, cette petite faille tripale dans le système très stylisé du cinéaste Anh Hung, que s’infiltre la vie, et donc la mort, tout entières synthétisées dans le mal qui empêche Naoko d’avoir des relations sexuelles et de vivre : c’est ce petit élément qui empêche le joli cinéma de Tran Anh Hung de n’être que ce qu’il est, et de nous offrir en échange le spectacle charnel des liens qui unissent au quotidien Eros et Thanatos. Jean-Baptiste Morain La Ballade de l’impossible (Norwegian Wood) de Tran Anh Hung, avec Rinko Kikuchi, Kenichi Matsuyama (Jap., 2010, 2 h 13)

On peut avoir un physique archétypal et être inclassable. Owen Wilson, par exemple. Apparemment le blond aux yeux bleus de service, ni spectaculaire ni banal, juste mignon. De près, ce sont les détails bizarres de son visage qui apparaissent : le nez trop busqué, les yeux trop plissés, et surtout cette bouche en cul de poule qui forme un o perpétuellement étonné. Le blanc-bec texan typique ne l’est pas tant que ça. Acteur chouchou de Wes Anderson, il a inventé avec lui un personnage de jeune homme torturé à qui le monde offre d’incessantes énigmes fugitives, permettant au cinéaste de cueillir cet instant de cinéma où un nuage de désarroi passe dans son regard à l’azur si neutre. Acteur aussi de comédies majoritaires (Mon beau-père et moi) où il sait camper l’Américain de base avec une facilité donnant l’impression d’en être, il peut même pousser le bouchon réaliste jusqu’à jouer l’obsédé sexuel sans états d’âme (Serial noceurs). Il sait aussi composer des personnages plus extrêmes, mannequin frimeur chez Ben Stiller (Zoolander) ou sportif mou du cerveau chez James L. Brooks (Comment savoir). Américain tour à tour torturé, tranquille et fantaisiste, il a une capacité unique à lier le comique trivial et la grâce, à débiter des blagues lourdaudes en les allégeant par le plissement si fin de ses yeux. Dans B.A.T Bon à tirer des frères Farrelly, il se tire admirablement des conventions en ajoutant toujours une légère gêne aux saillies laborieusement trash, gêne du type qui n’oublie pas que l’imagination a aussi son mot à dire. Dans une des rares bonnes scènes du film, les deux héros évoquent ce moment miraculeux où ils enlèvent la culotte d’une fille pour la première fois : “J’adore quand elle se cambre pour t’aider à finir le travail.” Ils sont vautrés sur un lit, tout ramollis par cette évocation, et un truc à la fois sensuel et mélancolique passe dans la scène : alchimie merveilleusement wilsonienne.

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De l’eau pour les éléphants de Francis Lawrence avec Christoph Waltz, Robert Pattinson, Reese Witherspoon (E.-U., 2011, 1 h 55)

La Solitude des nombres premiers de Saverio Costanzo Un drame psy déguisé en giallo. Formidable idée, que Costanzo exploite dans une optique baroque.

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n spectacle enfantin, des décors bariolés, des maquillages outrés ; la caméra se balade de l’un à l’autre, la musique alterne pulsation rythmée et solo d’orgue… Un cri enfantin retentit et ne s’arrête plus. Stupeur et tremblements. Aurait-on ressuscité le giallo ? D’autant plus que la musique ressemble à s’y méprendre à celle du groupe Goblin… Oui et non. Evidemment, le giallo cherche à revenir. C’est évident depuis Amer l’an dernier. Argento ne semble plus être que l’ombre de lui-même, et de jeunes cinéastes ont envie de reprendre le flambeau de ce genre stylé. Mais avec La Solitude des nombres premiers, adaptation d’un best-seller italien, tout se complique. D’une part, cela ne ressemble guère aux précédents films de Saverio Costanzo (Private et In memoria di me). Ensuite, La Solitude… n’est pas un giallo stricto sensu ; ce n’est pas un film de genre, ni même un thriller. C’est dans sa parenté formelle avec le giallo que résident la prouesse et la beauté de ce film sur deux misfits, Alice et Mattia, porteurs de traumatismes d’enfance qui en ont fait à jamais des handicapés sociaux : Mattia a abandonné sa petite sœur autiste qu’on n’a jamais retrouvée ; Alice, harcelée par un père tyran, a eu un grave accident de ski.

un film expressionniste qui fait appel aux codes du thriller italien d’antan

Un mélodrame en somme, dont le cinéaste a choisi d’exacerber l’expressivité, l’expressionnisme même, en faisant appel aux codes du thriller italien d’antan. Il y adjoint la référence à des œuvres hollywoodiennes connexes de l’époque, comme Carrie de De Palma, auquel on pense souvent. Au départ, l’angoisse est générée par la musique emblématique (composée par l’étonnant Mike Patton, le plus versatile musicien du rock américain) ; ruse suprême, le cinéaste a intégré à la BO la ritournelle doucereuse de Morricone pour L’Oiseau au plumage de cristal d’Argento. Cela s’additionnant à la couleur, à la lumière, aux clairs-obscurs obliques, on s’attend à ce que les traumatismes et complexes se résolvent dans le sang – voir la séquence trompeuse où Alice s’empare d’un éclat de miroir brisé semblable à un couteau… Ce travail en trompe l’œil sur le genre est idéal pour exprimer la confusion dans laquelle se débattent les personnages. Elle est accentuée par un jeu sur le montage, de prime abord déroutant mais très efficient, qui fait alterner de façon vertigineuse des séquences parallèles sur les deux héros adultes et enfants. Par un effet quasi cinétique, les deux destins se répondent, se confondent presque, ajoutant encore du trouble à ce drame aussi déchirant que déchiré. Grâce à Saverio Costanzo, le giallo a quitté son statut de genre pour devenir un style à part entière. Vincent Ostria

Un mélodrame forain dans l’Amérique des années 30. Comment faire se rencontrer le nazi d’Inglourious Basterds, le vampire de Twilight et la tornade de La Revanche d’une blonde ? Un chapiteau, une troupe de forains, un éléphant traumatisé et la Grande Dépression suffiront. Les lourdeurs romanesques du grand spectacle cachent de beaux détails, comme les saillies de violence, la sensualité opiacée, et fugitivement on se demande ce que Cimino aurait fait de ce projet. Surtout, le trio d’acteurs – Christoph Waltz, Robert Pattinson et Reese Witherspoon – se prend au jeu en dépit de la curiosité de l’assemblage. S’ils sont radicalement différents (sophistication du premier, langueur du deuxième, précision fine mouche de la troisième qui montre ici, moulée en écuyère, le corps le plus ravissant du cinéma US), la même capacité à jouer l’emprise finit par les lier : Waltz dans un registre mortifié fassbindérien, Pattinson dans le romantisme, Witherspoon dans la volonté d’être heureuse enfin. La loi du trio passionnel est gagnante et on se prend à rêver à d’autres combinaisons bizarres où l’amour pourrait décoller. A quand un noble Robert Downey Jr. fou de Winona Ryder et harcelé par un Will Ferrell jaloux comme un pou ? Par exemple… Axelle Ropert

La Solitude des nombres premiers de Saverio Costanzo, avec Alba Rohrwacher, Luca Marinelli (It., 2010, 1 h 58)

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HORS SÉRIE Dimanche 10 mai 1981, 20 h 01. Le visage de François Mitterrand vient d’apparaître sur les écrans de télévision et la France a basculé vers la gauche.

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A l’occasion du 30e anniversaire, les Inrockuptibles reviennent sur les grandes étapes d’une conquête, sur les coulisses de la campagne et sur l’exercice du pouvoir par la gauche dans un hors-série exceptionnel de 100 pages.

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L’Homme d’à côté de Mariano Cohn et Gastón Duprat

Fast and Furious 5 de Justin Lin avec Paul Walker, Vin Diesel (E.-U., 2011, 2 h)

Deux action heroes au grand cœur font beaucoup de grabuge. Inconséquent mais plaisant. i Fast and Furious 4 pouvait se lire comme un Miami Vice du pauvre (frontières, trafics et vroum vroum), ce cinquième opus apparaîtra volontiers comme un Heat en tongs, inconséquent mais très sympathique. Au volant pour la troisième fois consécutive, Justin Lin structure en effet son récit autour de la rencontre inévitable entre Vin Diesel, le supertruand, et sa némésis badgée, Dwayne “The Rock” Johnson, “le mec que le FBI appelle quand ils veulent à tout prix retrouver quelqu’un”, rien de moins. Ce choc de bibendums, acté par un duel à mains nues d’anthologie aux trois quarts du film, vaut ici pour métonymie : le temps est désormais à la puissance, à la brutalité, à la matérialité des choses et des corps, le tout enrobé d’une chantilly familialiste, pour rappeler que les deux action heroes les plus emblématiques des années 2000 ont aussi un cœur. L’intrigue, minimale, se situe cette fois au Brésil – samba ! Dans ce pays forcément corrompu, un brigand en col blanc cache 100 millions de dollars dans un gigantesque coffre-fort, que Dom et son crew vont tenter de braquer pour… pourquoi au fait ? Personne ne le sait très bien, surtout pas les scénaristes qui semblent s’être endormis à la moitié d’Ocean’s Eleven. Mais qu’importe : tout est ici prétexte à fusillades et coursespoursuites, et il faut reconnaître qu’elles sont plutôt réussies. Notamment la dernière, qui s’étale sur pratiquement vingt minutes (spoiler) et figure la destruction minutieuse du centre de Rio par le coffre-fort géant, tracté par deux bolides en fuite, tel un bulldozer Bouygues excité par l’odeur du béton broyé. Voir ainsi l’argent, dont on nous répète qu’il n’est qu’une suite de 0 et de 1 sur de microscopiques tablettes de silicium, soudain se matérialiser sous la forme d’un gros cube détruisant un quartier riche d’une ville pauvre, est un de ces raccourcis géniaux dont les blockbusters sont parfois, consciemment ou non, capables. Jacky Goldberg

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avec Rafael Spregelburd, Daniel Aráoz (Arg., 2009, 1 h 50)

Problème de voisinage moins drôle que dans la défunte émission Sans aucun doute. Rien à voir avec Truffaut. Il s’agit d’une comédie schématique où un designer imbu de lui-même, qui habite une maison de Le Corbusier en Argentine, affronte son voisin, rustre et macho, parce qu’il perce une fenêtre dans le mur mitoyen de cette maison. La meilleure idée, c’est ce lieu, la Casa Curutchet à La Plata, où a été tourné le film ; sa configuration futuriste est le principal atout de la mise en scène. Le reste, le conflit entre les deux hommes, poussant le comique de répétition jusque dans ses retranchements les plus grinçants, est passablement pesant. Car c’est surtout une histoire de harcèlement, dont l’humour s’évapore bien vite au profit de la satire surlignée. Le personnage le plus chargé étant paradoxalement l’artiste, le designer dandy ; mais son antithèse béotienne, le plouc bouffon, est à peine mieux lotie. Dans le meilleur des cas, cette peinture au vitriol pourrait être aisément transposée au théâtre, à la manière de la pièce Art de Yasmina Reza (qui n’était pas très subtile non plus). Vincent Ostria

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en salle les cinéastes de Labarthe La rétrospective consacrée à la collection “Cinéastes, de notre temps” se poursuit au Centre Pompidou jusqu’au 9 juillet. A cette occasion, Capricci édite un ouvrage où André S. Labarthe retrace la série créée par lui-même et Janine Bazin en 1964. Il revient sur tous les portraits filmés, un moyen d’appréhender les conditions de production et de réalisation d’une œuvre. Le livre est accompagné d’un DVD de rushes inédits (Capra, Kazan, Mamoulian). Cinéastes, de notre temps rétrospective jusqu’au 9 juillet au Centre Pompidou, Paris IVe, www.centrepompidou.fr La Saga Cinéastes, de notre temps d’André S. Labarthe (Capricci), 256 pages, 25 €

hors salle festivals avalés Avec cette quatrième parution, le trimestriel Palmarès magazine célèbre son premier anniversaire. Aujourd’hui unique revue à se consacrer exclusivement aux festivals de cinéma, elle revient sur les manifestations pour en dessiner les contours et les enjeux. Au sommaire de ce numéro : un dossier sur le Festival de Rotterdam qui vient d’achever sa 40e édition et deux riches entretiens avec Céline Sciamma et Michel Reilhac (directeur cinéma d’Arte). Palmarès magazine revue trimestrielle, 6 €, www.palmaresmagazine.com

box-office Thor a raison Le blockbuster à superhéros de Kenneth Branagh prend la tête des sorties du 27 avril avec une avance confortable. A Paris, lors de sa première séance, il réalise 3 000 entrées dans 21 salles, là où B. A. T. des Farrelly n’en ramasse pas tout à fait 600 en 17 salles. Avec moins de salles (12), Coup d’éclat, le film noir avec Catherine Frot, tire son épingle du jeu avec 622 entrées. Pour les sorties du 20 avril, Source Code réussit le score le plus éclatant avec 300 000 spectateurs France en une semaine.

autres films Où va la nuit de Martin Provost (Bel., Fr., 2011, 1 h 45) Country Strong de Shana Feste (E.-U., 2010, 1 h 52) Voir la mer de Patrice Leconte (Fr., 2011, 1 h 31) Henri IV de Jo Baier (Rép. Tch., Fr., Esp., All., 2010, 2 h 35) D/s de Jacques Richard et Leia Maîtresse (Fr., 2009, 1 h 30) Lieux saints de Jean-Marie Teno (Fr., 2009, 1 h 10) Bloody Mama de Roger Corman (E.-U., 1970, 1 h 30, reprise) La Main au collet d’Alfred Hitchcock (E.-U., 1955, 1 h 46, reprise)

L’Aigle de la neuvième légion de Kevin Macdonald avec Channing Tatum, Jamie Bell (G.-B., 2011, 1 h 51)

HH, Hitler à Hollywood de Frédéric Sojcher avec Maria de Medeiros, Micheline Presle, Hans Meyer (Bel., Fr., It., 2010, 1 h 27)

Fausse enquête ludique sur une alliance entre Allemagne nazie et Hollywood pour saper le cinéma européen. ttention, titre (un peu) trompeur ! Derrière deux des signifiants les plus puissants du XXe siècle se déploie non pas une enquêtescoop sur une visite du dictateur nazi dans la Mecque du cinéma qui aurait échappé à tous les historiens, mais une fausse enquête mi-sérieuse mi-ludique sur l’impérialisme culturel américain depuis l’après-guerre, notamment à travers son cinéma. Interviewant Micheline Presle pour un documentaire qu’elle lui consacre, Maria de Medeiros découvre un film inédit de la star, Je ne vous aime pas, “genre Brève rencontre, en mieux”, dit-elle, tourné en 1939 par un certain Luis Aramchek. Depuis, Aramchek et le film ont mystérieusement disparu des radars. Intriguée, l’intrépide reporter Medeiros finit par découvrir un gigantesque complot : pendant la guerre, Américains et nazis se sont secrètement alliés pour détruire le cinéma européen et favoriser la domination d’Hollywood. Faut-il le préciser, tout cela est faux. Cette pseudothèse du complot prend des tournures parfois hilarantes, à la Woody Allen, comme quand un personnage déclare le plus sérieusement du monde que Raoul Coutard (mythique chef opérateur de Godard) était un agent de la CIA payé pour saboter la Nouvelle Vague ! Mais derrière la blague potache, Sojcher, lui-même connaisseur amoureux du cinéma américain, évoque sérieusement une vraie question, celle de l’écrasante domination des images hollywoodiennes sur l’imaginaire planétaire, faisant écho à la théorie du soft power illustrée par la phrase de Roosevelt : “Envoyez les films, les produits suivront”. HH se déploie cependant selon une double généaologie transatlantique. Au cinéma européen, il emprunte la débrouillardise des microbudgets, l’agilité, l’ironie. Mais au cinéma américain, il doit sa tournure film de genre, son sens du récit et la médiation du héros, vecteur d’identification. Derrière l’acronyme HH, il faudrait plutôt lire Hitchcock et Hergé pour entrevoir la tonalité de cette attachante curiosité. Serge Kaganski

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Un jeune centurion recherche la légion de son père au-delà du mur d’Hadrien. Le péplum contemporain oscille entre deux tendances. Il y a d’abord l’idée curieuse que les acteurs british doivent monopoliser les rôles de gladiateurs. Comme si Rome antique égale forcément Shakespeare (cf. la série Rome). De l’autre, la violence du genre se déréalise sous les effets spéciaux façon 300, de sorte qu’on ignore si une série comme Spartacus attire les fans de toges ou ceux du jeu vidéo God of War. L’Aigle de la neuvième légion ne fait ni l’un ni l’autre, et attribue à des acteurs américains les personnages romains tandis que les acteurs anglais sont remis à leur place historique, celle de leurs sauvages ancêtres organisés en tribus. La substitution n’a rien d’innocent. Les dialogues sur l’inanité de l’expansion de l’Empire romain renvoient aussi bien à la politique extérieure américaine qu’à la conquête de l’Ouest. Le film a aussi les atours du film d’aventures à l’ancienne et ménage un joli sens des combats, éclairés chichement dans une Ecosse fantasmatique et hostile. Léo Soesanto

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En présence d’un clown d’Ingmar Bergman Le condensé étrange et acide des heures de gloire cinématographiques de Bergman, enfin en DVD. Le film En présence d’un clown (1997) appartient à la petite dizaine de téléfilms qu’Ingmar Bergman a réalisés à la fin de sa vie, entre 1983 et 2003. D’après le maître en personne, ces œuvres mineures, généralement adaptées de pièces de théâtre, ne faisaient pas partie de son œuvre cinématographique, officiellement close en 1982 avec le testamentaire Fanny et Alexandre, mais formaient plutôt une sorte d’addendum ou de post-scriptum vidéo. Leur sécheresse dramatique et visuelle n’en possède pas moins une puissance spécifique. Les thèmes et obsessions de l’auteur, comme révélés une dernière fois à la lumière crue du numérique, y dévoilent à la fois des reliefs plus acérés et des collusions inattendues. Ainsi, la Mort qui apparaît en 1925 à l’ingénieur Carl Akerblom dans En présence d’un clown n’est plus la grande figure noire et majestueuse qui hantait les landes du Septième Sceau, mais un vieux clown blanc féminin. Et le héros ne joue plus simplement aux échecs avec elle mais la prend piteusement par derrière dans le dortoir d’un asile psychiatrique. Si l’horreur du néant et de la déchéance physique est plus présente ici que jamais, la joie bizarrement est elle aussi plus forte. C’est qu’En présence d’un clown est un film étrangement bancal qui, dans sa deuxième partie, délaisse en partie les angoisses morbides du Septième Sceau

pour retrouver plutôt le territoire fabuleux du Visage, autre chef-d’œuvre de 1958. En effet, le dépressif Akerblom a mis au point une technique révolutionnaire de cinéma parlant. Quand il l’expérimente dans la salle des fêtes de son village natal, la projection tourne rapidement au fiasco, mais ce fiasco lui-même se renverse dès que la petite troupe familiale décide d’improviser, en lieu et place du film annoncé, une performance théâtrale. Cette résistance imprévue du merveilleux à l’effondrement de l’artifice, cela a toujours été le brin d’espoir dans l’étable funèbre de Bergman. Et même si le finale d’En présence d’un clown replonge dans des eaux beaucoup plus saumâtres, quelque chose de cet espoir tordu persiste magiquement jusque dans l’ultime plan du film. Le DVD Un incroyable making-of de 52 minutes, qui vaut presque autant que le film lui-même, où Bergman apparaît en Nosferatu hilare, glissant allègrement sur sa chaise à roulettes vers son moniteur de contrôle, après avoir évoqué les techniques de trucage de Sjöström ou une typologie des fantômes : “Je peux en parler, j’en ai deux dans ma maison à Fårö : un juge et un cordonnier.” Patrice Blouin En présence d’un clown d’Ingmar Bergman (Suè., It., Nor., All., Dan, 1997, 1 h 58), Capricci, environ 24 € 4.05.2011 les inrockuptibles 79

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Truffaut abandonna le projet parce que l’inceste lui semblait, au début des années 70, un sujet trop à la mode

Collection privée

François Truffaut et Jean Gruault sur le tournage de L’Enfant sauvage (1969)

dans la cuisine de Truffaut La parution du scénario d’un projet abandonné par François Truffaut : tout le plaisir d’imaginer ce que le cinéaste pouvait insuffler dans ses films à partir d’un texte préparatoire.

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es excellentes éditions Capricci ont la bonne idée de publier l’un des projets abandonnés en cours de route par François Truffaut, et qui fut écrit en 1971. On reconnaît dans ce scénario – une histoire d’inceste entre un frère et une sœur qui s’inspire d’une affaire réelle – ce qui fait la patte de Jean Gruault, l’un des principaux scénaristes de Truffaut (avec Jean-Louis Richard ou Suzanne Schiffman). Jean Gruault a eu plusieurs vies : depuis son apparition sur Terre en 1924, il a été successivement séminariste, acteur, cinéphile membre de la bande des futurs Cahiers (Chabrol, Godard, etc.), communiste, scénariste de Roberto Rossellini (qui l’a

formé à l’écriture de film), de Jacques Rivette, de Truffaut (cinq films) et d’Alain Resnais. Aujourd’hui, à 80 ans passés, il s’est lancé avec un enthousiasme juvénile et une énergie folle dans une nouvelle aventure, fondant une petite maison de production pour aider une jeune réalisatrice inconnue, Emmanuelle Demoris, à réaliser et sortir un projet au long cours, Mafrouza (un documentaire de plus de dix heures et en cinq parties sur un quartier d’Alexandrie), célébré dans les festivals du monde entier, et qui sortira en juin. Il y a trois éléments (et donc trois bonnes raisons de le lire) à retenir du travail accompli avec Histoire de Julien et Marguerite par Jean Gruault – qui a toujours considéré son travail de scénariste

comme étant celui d’un technicien du cinéma. 1. le plaisir de la lecture, de l’histoire, tout simplement (on ne peut pas dire cela de tous les scénarios), sans doute parce que les scènes ne sont pas entièrement dialoguées. Gruault accomplit une synthèse admirable entre le travail documentaire (les us et coutumes de l’époque – le côté rossellinien) et diverses influences littéraires dont il s’explique dans une préface concise (l’historien du XVIe siècle Philippe Erlanger, une nouvelle de Barbey d’Aurevilly, les dialogues du dramaturge anglais John Ford et les Chroniques italiennes de Stendhal). 2. le plaisir de l’imagination : tout fan de Truffaut reconnaît immédiatement ce qui est

déjà truffaldien dans le scénario de Gruault… et ce qui ne l’est pas encore. L’alchimie entre le scénariste et le cinéaste n’est pas totale, et c’est tant mieux, car elle laisse une marge de création suffisante au cinéaste pour y glisser son cinéma, sa façon de raconter le monde. On sait par exemple, pour avoir vu ses films en costumes, avares en effets d’époque, que Truffaut abandonnera bon nombre des détails décoratifs apportés par Gruault, mais qu’ils nourriront sa mise en scène. 3. le plaisir de l’anticipation : Truffaut abandonna finalement le projet parce que l’inceste lui semblait, au début de ces années 70, un sujet trop à la mode. Il n’empêche qu’avec la distance, on voit bien en quoi ce thème laissera des traces dans certains de ses films à venir : Les Deux Anglaises et le Continent (deux sœurs qui tombent amoureuses du même homme), L’homme qui aimait les femmes (mais qui détestait sa mère impudique), ou L’Histoire d’Adèle H. (la fille qui devient folle à fuir son père). En cela, il partage les préoccupations d’un autre grand cinéaste de l’inceste, son contemporain Jacques Demy. Mais c’est une autre histoire. Jean-Baptiste Morain Histoire de Julien et Marguerite – Scénario pour un film de François Truffaut de Jean Gruault (Capricci), 215 pages, 14,50 €

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nippons, la brute et le truand Fièrement japonais, Yakuza 4 frôle la perfection, entre film de gangsters et balade urbaine dans un décor soigné.

D  anniversaire Sonic fête ses 20 ans Le hérisson pop Sonic aura 20 ans cette année. Pour l’occasion, Sega éditera un épisode spécial de la saga réunissant le Sonic actuel et celui des débuts dans une succession de niveaux inspirés des décors emblématiques de la série, alternativement en 2D et en 3D. Après plusieurs volets inégaux et une tentative de retour aux sources en demi-teinte (Sonic the Hedgehog 4), Sonic Generations est attendu à la fin de l’année sur PS3 et Xbox 360.

ans le jeu vidéo contemporain, Yakuza est une exception. Alors que l’industrie se mondialise, que les éditeurs japonais, de Capcom à Square Enix, lorgnent sur les marchés occidentaux, la saga gangster Sega demeure incorrigiblement nippone. On s’excuserait d’ailleurs presque de lire les sous-titres anglais (eh non, pas de VF) lorsque ses fiers bagarreurs gominés s’apostrophent entre deux bastons en costumes de créateurs. Best-sellers au pays de Takeshi Kitano, les Yakuza nous arrivent toujours en retard, un peu comme ces étoiles dont on n’est pas vraiment sûr qu’elles brillent encore lorsque leur lumière nous parvient enfin. Aux dernières nouvelles, même si la sortie de l’apocalyptique Yakuza of the End a été repoussée pour cause de catastrophe sismico-nucléaire, la série se porte néanmoins encore très bien. Vue d’ici, elle a cela dit connu des hauts et des bas. Trouvant un équilibre idéal entre l’action musclée et le mélo sensible, son premier volet était un chef-d’œuvre. Bien qu’inégal, le suivant sauvait les apparences en nous offrant une virée à Osaka pour changer de Tokyo. Mais le troisième, tournant partiellement le dos aux affrontements virils pour miser sur la garderie assistée en bord de mer

sans chercher le moins du monde à perfectionner son gameplay, nous laissa sur notre faim. S’il n’opte pas non plus pour la révolution ludique, Yakuza 4 a le mérite de se recentrer sur les fondamentaux de la saga, proposant une nouvelle plongée dans les bas-fonds de la vie nocturne japonaise tout en soignant son palpitant scénario mafioso, qui gagne ici en densité. Selon les chapitres (entrecoupés de longues séquences non interactives), le joueur se voit confier le destin de quatre personnages différents, ce qui renouvelle le rapport aux lieux visités (impasses mal famées, bars à hôtesses, pimpantes salles de jeu…). Pour le reste, bien qu’un poil plus souple ludiquement que les précédents, Yakuza 4 tient toujours de la fusion du film de truands nippons, de l’incitation à la flânerie façon Shenmue dans une ville à l’ambiance particulièrement soignée, du combat de rue frimeur à la Streets of Rage et de la patiente montée en niveaux du jeu de rôle. Et l’on continue à se perdre avec délice dans ses rues fascinantes. Mais sans pouvoir évacuer totalement le sentiment qu’avec un peu plus d’audace (de liberté, de fantaisie), il serait le plus beau jeu du monde. Erwan Higuinen Yakuza 4 sur PS3 (Sega, environ 60 €)

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petits avec de grandes oreilles Les Lapins crétins passent à la 3D et se hissent au niveau de Mario et Sonic. es Lapins crétins sont sans doute les personnages les plus fameux qu’ait enfantés le jeu vidéo ces dernières années. Mais, contrairement aux stars vidéoludiques qui les ont précédés (Pac-Man, Mario, Sonic, Lara Croft), ils cherchent encore un jeu à leur (dé)mesure. Les anthologies d’épreuves burlesques destinées à la Wii sont ingénieuses, mais elles semblent un rien “légères” au regard de

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Operation Flashpoint  – Red River

la place qu’ont conquise les lagomorphes brailleurs dans la culture populaire, de figurines en vidéos internet, de caméos publicitaires en album Panini. Pourtant, leurs nouvelles évolutions bondissantes ont de quoi réjouir les néophytes autant que les gamers qui connaissent leurs classiques. Les Lapins crétins 3D impose déjà une petite mise au point sur le plan du vocabulaire. Sa 3D n’est pas celle de Mario 64 ou de Ratchet & Clank : l’aventure se déroule sur un seul plan, mais sa mise en scène offre de séduisants effets de relief (ptérodactyles

volants derrière nous, scarabées venant se poser à même l’écran). Exploitant le principe du voyage dans le temps, son intrigue bouffonne sert de prétexte à un jeu de plates-formes classique. Il faudra sauter, ramasser des trésors (des rouleaux de papier toilette, des canards en plastique couineurs…) et atteindre sain et sauf la fin du niveau. Assez facile, le résultat tient du sémillant hommage à quelques grands anciens. Chers Mario et Sonic, les Lapins crétins sont désormais officiellement des vôtres. E. H.

Sur Xbox 360, PS3 et PC (Codemasters, de 50 à 70 €) Operation Flashpoint n’est pas une série de jeux de tir en vue subjective comme les autres. Ses créateurs entendent en effet proposer une expérience “authentique”, loin du grand spectacle hollywoodien. On ne sortira ainsi vivant du conflit tadjik de Red River qu’à condition de bien se coordonner avec ses camarades virtuels. Et de ne pas oublier qu’un seul tir adverse peut se révéler fatal. On en bave donc, l’action ne se révélant pas forcément plaisante. Ce qui, pour un jeu de guerre, n’est pas le moins intéressant des partis pris.

The Lapins Crétins 3D sur 3DS (Ubisoft, environ 45 €)

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Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

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festival de Kane Séparé des Rascals, échappé des Last Shadow Puppets, le jeune Miles Kane fait ses premiers pas en solo, entre pop sixties et rock fuselé. Rencontre, à Liverpool, avec une bête de scène.

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iles Kane est peut-être né le jour de la Saint-Patrick, il n’a pas pour autant fait du vert sa couleur de prédilection. Tout de noir vêtu, costume cintré et accessoires savamment associés, le jeune homme, qui vient à peine de fêter son quart de siècle, ne laisse rien au hasard, pas même cette mèche un peu folle qu’il fait régulièrement semblant de dompter. Après la séparation des Rascals, son premier groupe, Miles a décidé de se laisser tomber de l’immense falaise sur laquelle les critiques lui avaient érigée une statue de douze mètres grâce aux Last Shadow Puppets, créés main dans la main avec son pote Alex Turner des Arctic Monkeys. Son baptême de l’air ? Un premier album solo bâti entre sa ville natale de Liverpool, le studio des Kinks à Londres et Los Angeles – un saut dans le vide pour lequel Dan Carey (Franz Ferdinand, Hot Chip), Dan The Automator (Gorillaz, Kasabian) et surtout Gruff Rhys des Super Furry Animals n’ont pas hésité à lui servir de parachute. “Je ne remercierai jamais assez Gruff de m’avoir aidé car il m’a donné confiance en moi. C’est le premier à m’avoir dit que mes chansons sonnaient bien. Il m’a fait la courte échelle pour arriver à atteindre ce que je voulais. Il a une aura incroyable”, explique Miles en agitant sa grosse gourmette en or. Profondément ancré dans une tradition musicale liverpudlienne que les Beatles ont rendu universelle, Colour of the Trap touche du doigt les codes de la pop des années 60 sans pour autant sentir le réchauffé. S’il a mis dans son album toutes ses marottes d’adolescent – il ne jure que par Lee Hazlewood, The Four Tops, John Lennon et, plus étonnamment, Serge Gainsbourg –, Miles Kane a tout fait pour éviter le grossier piège du revival peinard. Grâce, entre autres, à Dan Carey. “Il a réussi à donner cette couleur à mes chansons, à les relier au passé tout en leur offrant un aspect neuf, comme sur Come Closer et Rearrange notamment. Colour of the Trap n’est pas un album sixties, mais il ne serait pas ce qu’il est sans la musique de cette époque”, confie-t-il dans la loge du Kazimier de Liverpool, où il donne son premier concert à domicile ce soir. Gruff Rhys et Dan Carey en beaux-pèresmentors… Ne manquait alors plus qu’un

frère de sang. Miles Kane le trouvera vite en la personne d’Alex Turner, appelé pour démêler les fils des dizaines de demos accumulées et édifier de véritables bombes pop. Pas question pour autant de laisser le pote de Sheffield faire le travail à sa place. Gonflé à bloc et plutôt décidé, Miles a aussi vu dans Colour of the Trap l’occasion de s’affirmer. “Soyons honnête, la plupart des gens ne me connaissent que grâce aux Last Shadow Puppets, et beaucoup pensent que je surfe sur le succès d’Alex. J’avais envie de montrer qu’avec ou sans lui je suis capable d’écrire des chansons, de les chanter et de faire un album”, lâche-t-il avec un sourire crâneur qui en dit long. Miles peut en effet bomber le torse. Qu’il s’agisse de la sexy Happenstance, en duo avec l’actrice Clémence Poésy, de la très lennonienne My Fantasy, sur laquelle Noel Gallagher, “venu prendre un café au studio”, assure les chœurs, ou du rouleau compresseur testostéroné Inhaler, Colour of the Trap opère un brillant retour aux sources vers une pop immédiate qui ne dépasse pas les trois minutes trente et ne s’encombre pas d’artifices. “Ecrire des paroles simples en évitant l’écueil ‘I love you’ est parfois bien plus difficile qu’il n’y paraît”, résume le play-boy entre deux éloges de sa nouvelle idole, Jacques Dutronc. Un précepte dont il fera d’ailleurs une démonstration imparable le soir même sur scène sous les yeux bienveillants de sa maman et de sa tante, hystériques au balcon. Entouré de son groupe, l’enfant du pays enchaîne les tubes et déploie, en un déhanchement, son gigantesque piège à filles avec une facilité et une classe folles. Une baffe violente d’à peine quarante-cinq minutes qui laisse sur le carreau une foule éberluée, toute acquise à sa cause. Crac, boum, hue. Ondine Benetier photo Brigitte Baudesson Album Colour of the Trap (Sony) www.mileskane.com Interview intégrale à lire sur En écoute sur lesinrocks.com avec

on connaît la chanson

jours de Thunders Teigneux et bouleversant, Johnny Thunders s’est éteint il y a tout juste vingt ans. La récente tournée européenne des New York Dolls, reformés depuis 2004 suite à l’insistance navrante de Morrissey, l’a encore prouvé : le punk vieillit mal, surtout sans Johnny Thunders. Travesti par un accoutrement outrageusement fantasque, Johnny Thunders a d’abord révélé son génie chez les New York Dolls à travers des riffs cinglants, déchiquetés par la hargne. A cause des paillettes, des fanfreluches et des talonnettes, le groupe new-yorkais incarne la quintessence du glam originel, mais il annonce surtout l’explosion punk. Juste après la sortie de Too Much Too Soon, un album qui porte la défaite jusque dans son titre, le groupe se sépare. Johnny Thunders chante désormais Too Much Junkie Business, largué en plein cœur d’une mythologie rock-star. Pourtant, impossible de le réduire à ce cliché débraillé, à ce gaspillage désolant d’une fougue qui s’éteint peu à peu dans la défonce illimitée. En solo, Johnny Thunders se dévoile en songwriter poignant, comme sur You Can’t Put Your Arms around a Memory, belle à pleurer. Il y a quelques années, dans l’arrière-salle miteuse d’un pub londonien, on a vu Peter Doherty reprendre ce chef-d’œuvre dépouillé et on a immédiatement trouvé cette filiation évidente. A la fois déchirés et déchirants, tous les deux savent faire surgir “la grâce au milieu d’un terrain vague”, comme le décrit Doherty dans le titre de son album solo. C’est là, en pleine panne de courant, ravagé par tous les excès imaginables, que Johnny Thunders parvient à s’extirper du néant, avant d’y replonger. Mettre du tonnerre (thunder, en anglais) dans son nom de scène était tout un programme. Sa carrière a été aussi foudroyante que fulgurante : promesse tenue, hélas.

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les Strokes déjà de retour en studio

Les Inrocks installent leur villa à Cannes Parce que sans musique, il n’y a pas de cinéma, Les Inrocks débarquent à Cannes et lancent LE before cannois. A partir du 12 mai et chaque soir de la soixante-quatrième édition du festival, de 18 heures à 23 heures, retrouvez les groupes et DJ sélectionnés par la rédaction pour fêter le cinéma des Inrocks ! Au programme : 2 Many DJ’s, The Bewitched Hands, Saul Williams, Anna Calvi, des pépites régionales et de nombreuses surprises… Loin du bling de la Croisette, la villa Inrocks sera le lieu de rencontres entre artistes de la scène rock française et internationale, du cinéma et d’un public en quête de renouveau. Des places seront bientôt à gagner sur notre site et dans le magazine. www.lesinrocks.com

Metronomy, à l’affiche de Glastonbury

Damon Albarn retrouve ses amis 

cette semaine

Rome en avantpremière sur lesinrocks.com L’infatigable producteur Danger Mouse et le compositeur italien disciple d’Ennio Morricone, Daniele Luppi, dévoilent sur lesinrocks.com leur œuvre monumentale enregistrée dans la capitale italienne, à écouter en exclusivité sur le site du 9 au 13 mai. www.lesinrocks.com Rama

Anna Calvi

Emma Nathan

Deux mois à peine après la sortie de leur quatrième album, accouché dans la douleur et les règlements de comptes, les New-Yorkais auraient déjà repris le chemin des studios, à en croire leur bassiste Nikolai Fraiture. Le 25 avril, le blondinet a en effet révélé sur son compte Twitter être “très excité de retourner en studio et de travailler sur de nouvelles idées” avec ses compagnons des Strokes. http://twitter.com/N_Fraiture

Si une récompense pour la plus grosse programmation de l’année devait être décernée, elle irait sans aucun doute à Glastonbury côté britannique et Lollapalooza outre-Atlantique. Les deux festivals se tirent en effet la bourre pour être celui où l’on verra le plus d’artistes. Avec Coldplay comme tête d’affiche commune, Glasto, du 24 au 26 juin, et Lollapalooza, du 5 au 7 août (à Chicago), s’offrent U2, Beyoncé, The Kills, Morrissey, The Chemical Brothers ou Primal Scream pour le premier, et Eminem, Muse, Foo Fighters, Beirut, Arctic Monkeys ou Black Lips pour le second. Pan, dans les dents.

Grégoire Alexandre

du lourd à Glastonbury et Lollapalooza

Alors qu’on le dit en lice pour écrire l’hymne des JO de Londres, Damon Albarn s’amuse, le temps d’un titre, à enclencher la marche arrière pour revenir à ses amours du début des années 2000 : Kid Koala et Dan The Automator, avec qui il avait déjà collaboré à la sortie de l’album conceptuel Deltron 3030 aux côtés du rappeur Del Tha Funky Homosapien. Encore sans titre, le morceau, qui devrait figurer sur le prochain album de Dan, a été dévoilé en live lors d’un set de Kid Koala à retrouver sur le net. www.youtube.com

neuf

Felt Reptar Coup de soleil. Grosse sensation du récent festival américain South by Southwest, ces illuminés d’Athens offrent fun, fesses et cabrioles à une indie-pop électronique trop souvent confite dans le sérieux. Frénétiques et joyeuses, leurs chansons pourraient faire énormément de bien à l’été, qu’elles vont pousser vers le dance-floor, dans les orties. www.myspace.com/reptarathens

Old Mountain Station C’est l’ouest de la France mais c’est déjà le Far West chez ces Nantais, disciples convaincants de Will Oldham ou Smog, qui chantent d’une âme tracassée un folk-rock qui a appris à monter à cheval sauvageon chez Neil Young. Leur nouveau maxi s’appelle I Am Lo-Fi et ne ment pas. oldmountainstation.bandcamp.com

Dix albums, dix singles dans les années 80/90 : la pop en cristal de Felt aurait dû rester un des sommets de mélancolie radieuse de cette époque riche en spleen. C’était compter sans leur leader Lawrence, saboteur de cette carrière à laquelle certains, ici-même, vouent un culte fervent. Que renforcera la réédition de la compile Bubblegum Perfume. www.felt-tribute.webs.com

Laura Nyro Une réédition de The First Songs suffira comme prétexte pour sortir la besace à louanges. Véritable trésor caché du folk, vénérée, de Cat Power à Elton John, la New-Yorkaise oubliée avait pourtant connu le triomphe dans les sixties – mais en vendant ses morceaux aux autres. Sa voix unique méritait pourtant qu’elle garde pour elle ces chansons de crépuscule. www.lauranyro.com

vintage

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Paul Phung

nos amis les Beasts Toujours plus fascinants, les Anglais de Wild Beasts étirent la pop-music vers le silence.

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istoire de yin et de yang, de pile et de face, d’hiver et d’été. De même que la terre enfante chaque semaine un nouveau représentant de sunshinepop, élevé au son des Beach Boys et des Byrds sous un palmier californien, la planète bleue accouche tout aussi régulièrement de formations élevées au rock lunaire de Talk Talk, préférant l’ombre à la lumière. Beaux représentants de cette catégorie, les Anglais de Wild Beasts jouissent depuis quelques années d’un vrai succès critique – leur second album, Two Dancers, eut le privilège de concourir pour le Mercury Prize britannique. Porté par la voix haut perchée de son leader Hayden Thorpe, le groupe est passé maître dans l’art de manier les guitares verglacées. Troisième volet d’une discographie sans faute, Smother confirme

cette inclination. Wild Beasts joue de la musique de fonds marins, de nuit polaire, de refroidissement de la planète. “Smother a été enregistré dans un studio isolé du pays de Galles, en plein hiver. Il neigeait tout le temps. Ça a forcément eu un impact sur le son du disque. Nous avions besoin de rester isolés, pour nous concentrer sur la musique, redevenir cette personne à plusieurs têtes qu’est le groupe.” Les atmosphères feutrées, les ambiances glaciales conjuguées à la voix de fausset de Thorpe ont rapidement valu à Wild Beasts de drôles de casquettes. “On a écrit que nous composions une musique sexuelle, ou à fort caractère érotique. C’est assez surprenant. Ce n’est pas comme si on s’amusait à imiter Lady Gaga en jouant une musique qui parle ouvertement de sexe. On a simplement cherché à jouer une musique humble, humaine, sensible. C’est peut-être en ce sens qu’elle a

été rattachée à la sexualité.” Soyez prévenus, Wild Beasts ne supporte d’ailleurs aucune étiquette : si celle d’indie-band est vécue comme une insulte, celle de band tout court sera aussi mal accueillie. “Les rôles ne sont pas fixes au sein de Wild Beasts. On fonctionne moins comme un groupe que comme un collectif. Ça peut être compliqué parfois, car personne ne se souvient de la partie qu’il est censé jouer ou chanter. Beaucoup de choses sont interchangeables.” Conséquence de cette géométrie variable, Smother est un objet éclectique : quelques écoutes s’imposent pour qu’il dévoile sa cohérence. Il trouve alors sa place, pile poil entre les derniers albums de Beach House et Caribou (Albatross). Les échos du romantisme de Mark Hollis continuent d’illuminer l’ensemble, de Burning à Bed of Nails. Mêmes grimpettes lyriques, même pop givrée, mêmes mélodies-culbuto. Le tout servi par une production

froide et distante. “Nous avons appris à composer de la musique calme. Il nous a fallu du temps et de l’expérience. C’est tellement plus simple de faire du bruit. Il faut du cran, un vrai courage, pour préférer la nuance au vacarme. En ce sens, c’est notre œuvre la plus humaine et personnelle à ce jour. Les musiciens ont tendance à être des individus fragiles. Smother est le petit monde rassurant dans lequel on peut se réfugier dès que le besoin s’en fait ressentir.” Sa porte est ouverte à tous. Johanna Seban album Smother (Domino/Pias) concert le 19 mai à Paris (Point Ephémère) www.wildbeast.co.uk En écoute sur lesinrocks.com avec

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S. Gripoix

“je suis en train de monter un nouveau spectacle, on fera des sacrifices humains sur le toit du camion”

born to be Wildmimi Formé au jazz mais parti à l’aventure tous azimut(é)s, le prodige Rémi Sciuto publie un album qui sent le poisson et le bonheur. Entre Kurt Weill et Sufjan Stevens, le grand écart d’un acrobate.

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vant d’écouter le disque de Wildmimi, on l’a senti. En retirant le Cellophane, on a pu constater qu’une forte odeur de poisson se dégageait du Digipack. Quand on lui en parle, Rémi Sciuto, le ”Mimi” de Wildmimi, ne s’étonne pas vraiment. “Il y a eu une histoire de calamars dans mon parcours, c’est peut-être ça.” Agé de 36 ans, formé au jazz, Rémi Sciuto joue de cet instrument qui ressemble à un hippocampe la tête à l’envers : le saxophone. Entre autres. Aussi, il chante et joue des claviers. Petit prodige d’une nouvelle génération de jazzmen français, Rémi Sciuto n’est pas sans famille : il navigue entre une dizaine de projets, dont Le Sacre Du Tympan, les musiques de cirque avec deux compagnies, ou la chanson avec Marjolaine Sidecar. “Dans le milieu du jazz, c’est normal de jouer

dans différentes formations, on se nourrit de plein de choses. Mais Wildmimi, c’est mon projet personnel : la synthèse de mes goûts et une espèce de thérapie pour savoir qui je suis, pour me retrouver. Le disque me ressemble bien.” Nous sommes tout ouïe. L’emballage sent le poisson, mais à l’intérieur c’est frais. Ça frétille, ça glisse, ça bondit, c’est la grande parade exotique entre deux eaux ou dans un tourbillon. A la pêche aux références, on propose Kurt Weill, Henry Mancini, John Barry, la musique classique mais néanmoins populaire, le jazz (quand même), l’electronica, Neil Hannon ou même Sufjan Stevens. De quoi rêve cette chaussure ordinaire dont il question dans le titre de l’album ? D’être à la fois une ballerine de danse, une godille de trekking, une platform-boot de dompteur de girafes et une botte

de sept lieues ; de faire du 48 ; de mettre le pied partout et nulle part à la fois, foncièrement excentrique. Fantasia épique et progressiste, ce disque fou et fougueux est un tue-l’ennui d’une rare audace. Mimi a l’air timimide mais ça ne s’entend pas dans son disque. “Le terme ‘excentrique’ me va. Dans la vie et la musique, j’aime un tas de choses et j’ai du mal à me fixer, à me concentrer sur une seule esthétique.” Pourtant, plus jeune, biberonné à Sidney Bechet, Rémi n’écoutait que du jazz. “Personne ne connaissait mes héros dans la cour du collège.” Mais il a profité de son passage au prestigieux Conservatoire national supérieur de musique, option jazz, pour commencer, justement, à se détourner du jazz. “Je n’étais pas convaincu par la pédagogie. J’ai rencontré plein de gens dans la musique classique, ça m’a ouvert. Et puis j’ai aussi découvert le rock, que j’ai trouvé génial. Le jazz m’a bercé et construit, mais aujourd’hui j’aime bien écouter Bernard Lenoir.” Qu’il écoute peut-être le soir, au volant de son camion. Car oui, Rémi est aussi titulaire du permis poids lourds. Il l’a passé en 2006 afin de conduire Robert la Chimère, un énorme camion-scène de type forain, muni d’une arête dorsale et d’une corne de rhinocéros. “J’essaie de garder l’envie qu’on a à 6 ans, ou à l’adolescence, quand on s’emballe pour un truc et qu’on le veut absolument. Le camion, ça correspond à ça. La première fois que je suis entré dans un poids lourd, j’ai adoré l’espace. Du coup, j’en ai acheté un, c’est le début de l’itinérance. Je suis en train de monter un nouveau spectacle avec Marjolaine, on fera des sacrifices humains sur le toit du camion.” Stéphane Deschamps album Rêves et fantasmes d’une chaussure ordinaire (Le Chant du Monde/Harmonia Mundi) www.myspace.com/wildmimisaxo

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Guillemots Walk the River Wrasse Records/Naïve

Ikue Mori Kibyoshi Tzadik/Orkhestra Retour en DVD d’une égérie de l’after-punk new-yorkais. A la fin des 70’s, Ikue Mori quittait Tokyo pour New York et se faisait remarquer aux côtés d’Arto Lindsay et de Tim Wright sous le nom de DNA. Passée de la batterie à l’électronique, elle fréquenta ensuite des improvisateurs et intégra l’Electric Masada de John Zorn. Sur le label de ce dernier, elle publie ces courts métrages où elle insuffle la vie à d’anciennes estampes japonaises. Ensemble, animation et musique déploient un univers kaléidoscopique : naïf ici, baroque là, angoissé ailleurs. Et parfois même hallucinogène.

Orchestrations massives et production emphatique : les Anglais un peu écrasés. Au départ, ça fait quand même un peu mal au popotin. “Je ne veux plus parler de mon album solo, il me sort par les yeux. J’en ai assez des pop-songs.” L’album solo de Fyfe Dangerfield, Fly Yellow Moon, on l’avait pourtant aimé fort. Et pour ses chansons, de surcroît. Parenthèse enchantée dans la carrière du leader des Guillemots, le disque offrait à Dangerfield l’occasion de déployer son songwriting de magicien pop. Une série de ballades épurées y côtoyait des singles fougueux. Walk the River, de retour au bercail Guillemots, est un album plus ampoulé, presque symphonique. Il s’ouvre sur un formidable morceau éponyme, à la croisée des Smiths et du Wicked Game de Chris Isaak. “On a enregistré en pleine nature. On voulait envahir l’espace, parler au ciel. On avait de grandes ambitions.” Conséquence de cette folie des grandeurs, la suite de l’album est inégale : on passe du bruit (Ice Room) à la pudeur (I Must Be a Lover), de l’efficacité (Slow Train) à la tuerie pop (The Basket). Une véritable constante : Dangerfield chante comme un prince. Ne lui en déplaise, on serait quand même ravi qu’il délaisse les orchestrations emphatiques et se replonge dans la réalisation d’un album solo. Johanna Seban

Guillaume Belhomme www.ikuemori.com

www.guillemots.com En écoute sur lesinrocks.com avec 4.05.2011 les inrockuptibles 89

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O’Death

Tod Seelie

Outside City Slang/Pias

Dark Dark Dark

Des punks new-yorkais jouent un country-folk ivre de moonshine. Concert. Quand le folk commence à ressembler à la MJC des vachers avachis, il est temps de lâcher des punks dans l’arène. Rien de mieux, de Palace à Elliott Smith, quand d’anciens punks jouent ainsi la musique du peu en faux calme, l’urgence et la brutalité intactes derrière l’acoustique détournée. A New York, O’Death joue ainsi un countryfolk aux manières mauvaises, aux idées sombres. Le geste, pourtant, conserve une élégance un peu surranée : ceux d’un prêcheur égaré, d’un hobo nobliau. Ils sont en concert à Paris, pour trinquer au moonshine, à la vie chienne et aux amis errants, de 16 Horsepower au Gun Club. JDB concert le 4/5 à Paris (Flèche d’Or) www.odeath.net

Wild Go Melodic

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www.myspace.com/darkdarkdarkband

Dictafone Home Spozzle Records/Anticraft

Pop futée pour ces Français menés par un Anglais diplômé de l’école Divine Comedy. Il y a, sur le nouvel album de Dictafone, un titre dont le texte évoque la manière de réagir si, par un beau matin, on se réveille dans la peau d’Isaac Newton. Il y a, surtout, sur le nouveau projet de l’Anglais parisien Duncan Roberts, une tripotée de chansons pop du plus bel effet, soignées par les mains habiles de Ken Scott, ex-collaborateur des Beatles et de Bowie. Continuant d’afficher son amour pour les compositions habiles de XTC, Dictafone trotte ainsi dans les pas de Neil Hannon, oscillant entre pop folâtre et songwriting à l’ancienne. C’est classique, mais c’est chic. Johanna Seban concert le 18/5 à Paris (OPA) www.myspace.com/dictafone

Yoni Pazi

Fulgurant cours d’histoire américaine grâce à cette pop de chambre avec vue. e Beirut à Devotchka, elles sont désormais nombreuses ces vastes fanfares américaines à se souvenir qu’avant le folk il existait le folklore, venu à pieds, en haillons ou en calèche de la vieille Europe, des bals des Balkans. Peu, pourtant, résument avec une telle fulgurance, une telle éloquence, la petite musique de ces flux d’hommes et d’instruments qui ont brique par brique bâti la musique américaine. Dark Dark Dark, orchestre de chambre basé à Minneapolis, joue ainsi en toute luxuriance et raffinement une musique de nomade, universelle, fantasmée en leur temps par Charles Ives ou Stephen Foster. Soit des torch-songs avec un pied sur Broadway et l’autre dans l’underground. Ces songwriters conscients des héritages et traditions étaient aussi suffisamment visionnaires pour en prévoir l’avenir, les mutations possibles. Ici s’est installé Dark Dark Dark qui, contrairement à ce que son nom avance, n’est que Joie Joie Joie. JD Beauvallet

Asaf Avidan & The Mojos Poor Boy/Lucky Man Columbia/Sony Music Le blues et le rock stellaires d’un Israélien vagabond. C’est l’histoire d’un garçon qui est né avec la voix de Janis Joplin. En 2008, cet Israélien sort un premier album bluesy et écorché. Morrissey l’invite à assurer sa première partie à Jérusalem, les éloges pleuvent, les récompenses commencent à tomber, mais ça n’est pas encore assez pour le timbre unique de ce hobo à l’âme soul. Est-ce parce qu’il est un survivant, miraculeusement guéri d’un lymphome à l’âge de 20 ans ? ou parce qu’il a grandi entre Los Angeles et la Jamaïque, suivant partout dans le monde des parents diplomates, s’imprégnant de toutes sonorités et cultures ? ou simplement parce que certains sont touchés par la grâce ? Quoi qu’il en soit, Poor Boy/ Lucky Man, son second album, navigue entre folk déchirant, blues langoureux et rock enragé, comblant le creux laissé par les vacances prolongées des Raconteurs de Jack White, derniers en date à avoir su allier ainsi énergie brute et sentimentalisme digne. Clémentine Goldszal www.myspace.com/findlovenow

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The Wombats This Modern Glitch 14th Floor Records/Naïve

Les marsupiaux anglais maltraitent leurs amplis et s’en sortent bien. Après trois ans de silence, les trois morveux de Liverpool courtcircuitent de nouveau accidentellement les Arctic Monkeys en publiant, juste avant eux, une nouvelle bombe, enregistrée elle aussi à Los Angeles. Epaulé par Eric Valentine (Queens Of The Stone Age) et par l’Irlandais Jacknife Lee (U2, R.E.M. ou Bloc Party), le trio cède au dangereux appel des stades. Guitares gonflées à l’hélium, les Wombats plongent parfois dans un simili punk-rock US douteux, mais sauvent brillamment la mise grâce à leur inimitable gouaille et leur sens inné de la construction pop. Aussi imparables que leur Let’s Dance to Joy Division malgré une production plus lisse, Perfect Disease et Tokyo (Vampires & Wolves) claquent aussi fort qu’elles collent aux semelles. Impossible alors de se détacher des inarrêtables Liverpudliens, même lorsque ceux-ci ralentissent joliment la cadence sur Schumacher the Champagne, parfaite conclusion de l’album. Ondine Benetier www.thewombats.co.uksite

French Horn Rebellion The Infinite Music of French Horn Rebellion Once Upon a Time/Discograph Ces frères fêtards de Brooklyn, amis de MGMT, dissipent disco et funk. n n’est pas du tout se révèle peu à peu. Les sur une nouvelle planète. un groupe punk. mélodies se complexifient “On voulait créer un album En fait, je dirais au fur et à mesure que le qui parlerait aux gens, qu’on est tout duo s’escrime à mélanger quelque chose de différent le contraire – on est disco.” des instruments d’époques où ils pourraient se perdre, C’est ainsi que Robert différentes : les cuivres comme dans un livre Perlick-Molinari, l’une avec les synthétiseurs, ou un film, lâche Robert des têtes pensantes (et les percussions avec avec enthousiasme. plutôt hilarantes) de l’hydre les beats électroniques. Il y a une progression French Horn Rebellion harmonique dans cet album, En résultent des morceaux et joueur de cor accompli, une évolution du plus simple passionnants et ambitieux, parle de son groupe, aux frontières floues au plus compliqué, pour né après de longues et aux cloisons mobiles. refléter d’un point de vue années d’études musicales. sonore les expériences Une immense pièce Avec son frère David, aux meubles anciens du héros de l’histoire, producteur du premier hérités de l’éducation des un joueur de cor.” maxi de MGMT, Time to deux frères, mais repeinte D’entrée, la musique Pretend, il a créé un style aux couleurs de l’electro paraît effectivement brindezingue où les pièces fluo. Francine Gorman assez simple. Les deux orchestrales rescapées premiers morceaux de leurs interminables emberlificotent les fils de www.myspace.com/ cours de solfège côtoient l’electro dans ceux du funk frenchhornrebellion des mélodies résolument et du disco des années 70. plus futuristes et libres. “Ce qu’on a remarqué Premier album du duo avec le funk et le disco, c’est new-yorkais, The Infinite que leur rythme a un effet Music of French Horn universel sur les gens Rebellion apparaît comme qui les pousse à l’euphorie”, un album-concept assure Robert. complexe – l’histoire d’un Passés les premiers titres, musicien qui se trouve le concept de l’album

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Peter Beste

“notre relation est sacrée pour moi. Ce que nous créons à deux, ça a toujours été plus grand que nous” Jennifer Charles

champs magnétiques Elysian Fields continue de faire le sexe avec les cœurs sur un nouvel album sensuel et voluptueux.

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epuis sa création il y a plus de quinze ans à New York, Elysian Fields n’a jamais fait la couverture d’un magazine. “Pas même d’un tout petit, ou d’un fanzine.” Pas même, non plus, celle d’une revue érotique : c’est pourtant là que le groupe, à la sensualité ravageuse, pourrait s’afficher. La paire formée par Oren Bloedow et Jennifer Charles ne semble pas souffrir de cette bouderie du grand public. Au contraire. “Nous sommes parvenus à construire ce petit monde progressivement. Nous avons été aidés par des proches, venus jouer gratuitement chez nous, ou simplement nous rendre service, pour nous permettre de continuer. On doit un paquet de dîners à pas mal de gens aujourd’hui.”

Last Night on Earth est la septième pièce du tableau dessiné par Elysian Fields loin des unes des journaux et des radios FM. Loin du chauffage aussi : son enregistrement en plein hiver, dans le studio non chauffé de Bloedow, a nécessité bonnets et écharpes. C’est, surtout, l’œuvre la plus aboutie d’un groupe parvenu à dépasser ses querelles internes et ses problématiques amoureuses pour continuer à créer ensemble. Autrefois en couple, Charles et Bloedow se sont séparés à la ville il y a quelques années. A la scène, le duo a tout de même prolongé sa collaboration. “Ça s’est fait naturellement. On avait passé tellement d’années à écrire des morceaux de rupture que ça avait dû nous préparer”, sourit monsieur. Et madame, très émue, d’ajouter, voix tremblante

et larmes aux yeux : “Cette relation est tellement sacrée pour moi. Ce que nous créons à deux, ça a toujours été plus grand que nous, il n’y avait donc pas de raison d’arrêter. Avant, par exemple, quand je disais quelque chose de difficile ou méchant dans la vie à Oren, il le prenait mal. Mais si je l’écrivais dans une chanson, il trouvait ça super.” C’est en arborant fièrement l’album Blues & Roots de Charlie Mingus que Jennifer Charles avait séduit Oren Bloedow. “En voyant ce disque, j’ai compris qu’elle faisait partie de ces filles qui préfèrent afficher un poster d’Humphrey Bogart qu’un de Russell Crowe sur le mur de leur chambre. Qu’elle se foutait des modes.” Du blues, il y en a peu sur Last Night on Earth. Mais il y a tout un tas de choses : de la soul, de la chanson, de la pop (Chance), du jazz (Chandeliers) ou du rock comme chez Nick Cave (Red Riding Hood). “Cette fois, explique Oren, on a voulu s’inspirer des musiques que l’on écoutait adolescents. De Bowie à Queen, des Beatles à Led Zeppelin.” Old Old Wood, d’ailleurs, avec son refrain vaporeux, n’aurait pas détonné sur Wish You Were Here de Pink Floyd. Avec son timbre de voix interdit aux mineurs, Jennifer Charles continue de se faire chanteuse-bombinette et d’alimenter tous les fantasmes du monde. Brûlante, la New-Yorkaise redevient celle qui, il y a dix ans, crevait les cœurs et jouait les allumettes sur le Lovage de Dan The Automator. “Je n’ai jamais cherché à être sexy. Je ne sais même pas ce que ça veut dire. J’ai simplement essayé d’être sincère. C’est peut-être la même chose ?” Pas vraiment. Johanna Seban album Last Night on Earth (Vicious Circle) concerts le 17 mai à Paris (Café de la Danse), le 20 à Sainte-Marie-aux-Mines, le 23 à Marseille, le 25 à Mérignac www.myspace.com/elysianfieldsnyc

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various artists Stambeli – L’Héritage des Noirs de Tunisie Panorama vibrant d’une musique tunisienne en voie d’extinction. Après les Gnawas du Maroc et le diwan algérien, on lève le voile sur le stambeli tunisien, musique de transe et rituel de guérison hérités des migrations et de l’esclavage d’Afrique noire vers le Nord – rare musique communautaire, en voie de disparition, dont le chantre Salah El-Ouergli passe pour être le dernier interprète. On n’écoute pas ce disque comme n’importe quel album de musiques du monde. Ici, il y a des esprits, de la magie, des rythmes qui invitent moins à la danse qu’à perdre pied. Le guembri (sorte de basse à trois cordes emblématique des musiques du Maghreb saharien) mène la transe, soutenu par un tambour et cerné par le cliquetis métallique des crotales. Le rythme est puissant, les mélodies lancinantes, comme dans un blues primitif et illicite. L’écoute de ce disque n’apporte pas la preuve des pouvoirs de guérison du stambeli, mais les effets secondaires (tremblements, vertige, hallucinations) sont garantis. Stéphane Deschamps stambeli.com

Salah El-Ouergli

Fabrice Demessence

Par les Chemins

livre

Jérôme Soligny Je suis mort il y a vingt-cinq ans Editions Naïve, 96 pages, 14 €

Le parcours d’un dandy provincial “tombé pour la France” dévoilé dans un livre intime. l y a vingt-cinq ans, l’air était devenu irrespirable, ne faisait pas de cadeau. Le bel ouragan punk avait remballé les lampions et même l’amour n’était plus un jeu. C’est ce triste virage que raconte Jérôme Soligny dans cet inattendu Je suis mort il y a vingt-cinq ans, tranche de mémoire collective délicatement amère, salement griffée. Années 80 donc : des millésimes en suspens, dont même les survivants gardent les stigmates. Ces semaines, ponctuées de fêtes déguisées en fuites, d’enterrements, passées à attendre des résultats couperets de tests sanguins, nous ont changés à jamais. De Jérôme nous connaissons surtout ses chansons écrites pour Etienne Daho, Lio ou Valli, ses propres albums magnifiques, mais c’est ici l’une de ses plus profondes cicatrices intimes qu’il dévoile. Entre fiction et vraies déchirures, son premier roman parle donc de lui par la voix-miroir de l’un de ses proches, Thierry, fauché en vol par le sida. Comme du Sagan dans la saga, comme si d’un coup c’était son sang qu’il avait transfusé dans l’encrier, il écrit avec une nervosité insoupçonnée. Mais si le titre du livre conduit bien sûr à une inéluctable fin, ce bref et vif roman serait plutôt le reflet d’une vie, celle d’une jeunesse provinciale sortie de l’enfance sans ménagement, chahutée entre l’utile et le futile, mais pleine de rêves en construction et de mondes à partager. Jean-Luc Manet



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Le Tout-Puissant Orchestre Poly-Rythmo

Mehdi Zannad Fugue Third Side Records Luxuriante et ensoleillée, de la grande pop anglo-saxonne, chantée en français. endant de belles années, Mehdi Zannad enregistra de la pop utopique sous le nom de Fugu, un nom qu’on a toujours associé à la fugue, tant sa musique semblait en douce révolte contre l’époque et la réalité même. Confirmation avec le titre de l’album, Fugue, qui se pratique à longueur de chansons – elles s’appellent Au revoir, Barques ou L’Aéroport, tous les véhicules étant ici bons pour s’évader, d’un orchestre à cordes irréelles à des harmonies en escadrilles d’anges. C’est ce mélange sans poudre aux yeux de poudre d’escampette et de poudre de perlimpinpin qui donne à ces chansons leur puissance onirique, dans un français lui-même singulier qui culmine sur le toujours étrange et envoûtant L’Allemagne. Un morceau que Mehdi avait cosigné (comme le reste de cet album) avec le réalisateur Serge Bozon pour son film La France, merveilleux. On pourrait ainsi parler de sunshine-pop

Cotonou Club Universal Music

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Mathieu Zazzo

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si le soleil n’était pas constamment voilé, si ses rayons n’étaient pas diffractés en un psychédélisme pur sucre. “J’ai envie de vivre des choses nouvelles”, chante Mehdi à tue-tête dès l’intro. Et c’est ce qu’il ose, en une chanson française flamboyante et carillonnante laissée en jachère depuis Polnareff ou Christophe. “Juste une mélodie légère/Qui me nargue.” Elles sont légion, ici. JD Beauvallet www.mehdizannad.fr En écoute sur lesinrocks.com avec

Les vétérans béninois du groove torride reviennent : danser est un ordre. En activité depuis quarante ans, Le Tout-Puissant Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou a tracé le plus court chemin entre Fela et James Brown. Les Béninois mettent un terme à vingt-cinq ans de silence avec un riche double album où pistes vidéo, hits vintage ou invités explosifs – Angélique Kidjo et Franz Ferdinand, grand fans – contribuent à faire de ces bourreaux des cœurs et des corps les resplendissants artisans de l’esprit de la danse. Christian Larrède www.polyrythmo.com

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Brian DeRan

Gang Gang Dance Eye Contact 4AD/Beggars/Naïve Elle joue les savantes, mais la musique des New-Yorkais est fêtarde et dissolue. ouvent, la danse que revendique le patronyme de ces New-Yorkais est horizontale. Elle se pratique immergé dans un liquide salé, enveloppant. C’est la danse joyeuse des seuls doigts de pieds et des neurones en roue libre, stimulés honteusement par ces caresses vocales, ces synthés en baume. Gang Gang Dance jouent ainsi de la world-music : celle de l’Atlantide, avec Lizzi Bougatsos en sirène bien dangereuse pour perdre ces mélodies étales dans les brûmes et tourbillons d’un psychédélisme avec des fleurs dans les cheveux et de l’extase dans les mélodies. La formation a été invitée en concert par Animal Collective, et ce n’est pas un hasard géographique. Les deux groupes partagent le même sens aigu de la liesse païenne, mais avec le cul contrôlé par le Q.I. C’est ce qui fascine sur Eye Contact : ces corps à corps, féroces ou languides, qui opposent le savant et le suave, l’expérimental et l’enfantin. Gang Gang Dance, en digne héritier d’Eno ou de ses disciples (TV On The Radio), a ainsi beau tisser à la main une musique complexe, enchevêtrement à base de synthés ivres et de grooves détraqués, c’est la danse qui triomphe, en rondes hallucinées et farandoles polissonnes. On croirait Madonna démolie par Yeasayer, c’est assez réjouissant. JD Beauvallet

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concerts le 17 mai à Paris (Point Ephémère), le 18 à Bruxelles (les Nuits Botanique) www.ganggangdance.com En écoute sur lesinrocks.com avec

Elektrisk Gønner Yer Fire Platinum Provo en vidéo, le collectif français est bien timide et étriqué sur album. Lyncher la dernière sortie d’un label indé au lendemain du Disquaire Day, ça la fout mal. Seulement, il est des travers inexcusables, et le premier album d’Elektrisk Gønner, projet electro-rock du dénommé Benjamin Gonner, en est rempli : impertinence forcée (le grivois Uknowwhatiwant, les hoodies orange…), paresse dans le métissage (Panoramic Targets, plus Chimpanzaz que Gorillaz), bruitisme gratuit (Radio Killer) et vidéo provoploucarde saturée de poitrines… N’en jetons plus, réconcilions-nous plutôt avec Platinum en réécoutant la dernière bombe de Rubin Steiner. Benjamin Mialot www.elektriskgonner.com

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Mercredi W.

St Augustine

June, a Maze Kütu Folk

Propulsé par une voix qui en contient mille, le folk ensoleillé d’un Français doué. ontre la dématérialisation murmurer directement d’un micro de la musique, le label en haute altitude à l’oreille. Kütu Folk résiste à force Où que vous soyez, cette de pochettes cousues musique est locale : elle anticipe à la main, qui deviennent, avec l’après-globalisation, une vie cet ep plantureux, une collection communautaire, jouée par irrésistible d’objets uniques. Contre des artisans, reprise en chorales, la dématérialisation de la musique, en veillées – User’s Guide (premier St Augustine lutte en imposant extrait de ce maxi), dans une présence physique, charnelle, toute sa ferveur et sa foi, extirpe une voix nomade aux frontières ce folk autrefois solennel vers de la soul, qui flingue de son autorité une ivresse communicative. JDB naturelle tous les intermédiaires www.kutufolk.com – production, arrangements – pour



Kate Bush Deeper Understanding En attendant la sortie de son album, Director’s Cut, Kate Bush s’est attelée à la réalisation du clip de la nouvelle version de Deeper Understanding. Intéressante mise en scène de Robbie Coltrane interprétant un homme accro à son ordinateur. www.katebush-france.com

The Very Best Super Mom Un cadeau parfait pour la fête des Mères ? The Very Best, combo composé du chanteur malawite Esau Mwamwaya et du duo de producteurs Radioclit, offrira sur son site, à partir du 8 mai, l’intégralité de sa nouvelle mixtape, Super Mom, dont un extrait est déjà disponible en streaming. www.theverybestmusic.com

Idiot Glee Let’s Get down Together C’est à travers un kaléidoscope que l’Américain Idiot Glee répand sa pop. Empruntant ce qu’il y a de meilleur aux Beach Boys ou aux Kinks, sa voix fragile se frotte à des mélodies sorties de la Motown. Son premier album, Paddywhack, sort dans deux semaines. http://vimeo.com

Cats On Trees Too Much Déclamées en anglais ou en allemand, les chansons des Cats On Trees sont des tourbillons d’influences et d’atmosphères contradictoires. Perchés très haut, quelque part dans la galaxie Regina Spektor-Tori Amos-The Dø, Nina et Yohan se répondent dans un face-à-face piano-batterie aussi rare qu’envoûtant. www.lesinrockslab/cats-on-trees 4.05.2011 les inrockuptibles 99

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Dès cette semaine

Deus 25/5 Paris, Flèche d’Or Alela Diane 8/5 Strasbourg, 9/5 Paris, Cigale, 10/5 Lille Cat Power 3/7 Paris, Cité de la Musique Cold War Kids 9/5 Marseille, 10/5 Montpellier, 11/5 Lyon, 12/5 Rouen, 15/5 Orléans Cults 25/5 Paris, Boule Noire Custom mai #1 18/5 Paris, Nouveau Casino avec The Heartbreaks, Young The Giant, Sing Tank et Colourmusic Custom mai #2 24/5 Paris, Nouveau Casino avec Art Brut, When The Saints Go Machine + guests

The Dodos 18/5 Paris, Point Ephémère Eels 4/7 Paris, Bataclan Stéphane Eicher & Philippe Djian 5/5 Meaux, 6/5 Denain, 7/5 Rungis, 18/5 Stavelot, 19/5 Laon, 20/5 Courbevoie, 21/5 Rombas Elysian Fields 17/5 Paris, Café de la Danse, 20/5 Montbéliard, 21/5 Lyon, 23/5 Marseille, 25/5 Bordeaux, 26/5 Pau, 27/5 Saint-Nazaire Ema 9/5 Paris, Café de la Danse

Explosions In The Sky 20/5 Paris, Bataclan Festival Beauregard Du 1er au 3/7 à Hérouville Saint-Clair, avec Motörhead, The Kooks, Kasabian, Anna Calvi, Katerine, Cold War Kids, Agnes Obel, Eels, The Ting Tings, Two Door Cinema Club, etc. Festival Days off Du 30/6 au 10/7 à Paris, Cité de la Musique, avec Fleet Foxes, Cat Power, Peter Von Poehl, I’m From Barcelona, etc. Festival Europavox Du 25 au 28/5 à ClermontFerrand, avec Cocoon, Catherine Ringer, Aaron, Boys Noise, etc.

Festival Fast & Curious Du 7 au 28/5 à Rouen (106), avec Muscle Music From Detroit, Mo’Boogie, The Sonics, etc. Festival K-Live 27 & 28/5 à Sète avec The Jon Spencer Blues Explosion, Jessie Evans, Servo, etc. Festival Les Nuits secrètes 5, 6 & 7/8 à AulnoyeAymeries avec Katerine, Peter Bjorn & John, Gablé, Wild Beasts, etc. Festival Papillon de nuit Du 10 au 12/6 à Saint-Laurent de Cuves avec The Hives, Beady Eye, Aloe Blacc, Kaiser Chiefs, Klaxons, etc.

Sans lien d intersection

American PostPunk Night 15/5 Paris, Batofar avec Rhys Chatham, Pere Ubu, etc. Arcade Fire 28/6 Paris, Zénith Art Rock Du 9 au 12/6 à Saint-Brieuc avec The Hives, Yelle, The Joy Formidable, Klaxons, Florent Marchet, etc. Beirut 12/9 Paris, Olympia Brigitte 5/5 Marseille, 6/5 Avignon, 7/5 Nancy, 8/5 Neufchâteau, 12/5 Lyon, 13/5 Toulouse Buzzcocks 11/5 HérouvilleSaint-Clair, 12/5 Creil, 13/5 SaintEtienne, 14/5 Montbéliard, 27/5 Limoges

Katerine, torride

Le Printemps de Bourges du 20 au 24 avril Le Printemps de Bourges a trouvé sa formule gagnante. La soirée Rock’n’Beat du samedi, organisée pour la troisième année consécutive, valait à elle seule le déplacement. Ratatat, The Dø, Metronomy, Does It Offend You, Yeah ?, Beat Torrent, Sebastian et Paul Kalkbrenner, entre autres, se chevauchaient dans deux salles voisines, transformant un terrain déjà animé en véritable foire. La veille, une Catherine Ringer toujours aussi féline et plus mûre avait présenté ses nouvelles chansons à la suite du chaleureux western vaudeville de Moriarty. Fraternité, Liberté… mon cul : Katerine, flanqué de quatre

choristes-danseuses en American Apparel, plus poupées désarticulées que séduisantes accompagnatrices, a joué devant un stade clairsemé mais nous aura sérieusement fait marrer en transformant ses chansons en petits clips. Mention spéciale également pour le Canadien Timber Timbre, qui a drapé de sa voix grave et de ses ambiances mystérieuses un public à fleur de peau. Mais cette année, Bourges nous aura surtout présenté deux grosses découvertes : le rap sur breakbeat des jeunes Fowatile, destinés à un bel avenir, et les ambiances fantasques de Frànçois & The Atlas Mountains, à suivre absolument. Ariane Gruet-Pelchat

Fleet Foxes 30/5 Paris, Bataclan Les Francofolies Du 12 au 16/7 à La Rochelle avec Cocoon, The Dø, Yelle, Katerine, Asa, etc. Hangar 5 & 12/5 Paris, Boule Noire Inrocks Indie Club mai 27/5 Paris, Fèche d’Or avec The Leisure Society, Francesqa et Morning Parade Inrocks Lab Party mai 11/5 Paris, Flèche d’Or avec Young Empire + gagnants Inrocks Lab Is Tropical 8/6 Paris, Point Ephémère Jay Jay Johanson 30/5 Paris, Café de la Danse

Katerine 24/5 Versailles, 27/5 Paris, Olympia Mamani Keita 10/6 Paris, Maroquinerie Keren Ann 24 & 25/5 Paris, Cigale The Kooks 7/6 Paris, Cigale Le Prince Miiaou 3/5 Paris, Café de la Danse, 13/5 Rouillac, 14/5 Vauréal, 26/5 Toulouse Lilly Wood & The Prick 11/5 Paris, Bataclan

Theophilus London Nouveau prince de la bidouille tout-terrain, le jeune New-Yorkais au groove instantané sera de passage à Paris pour présenter son premier ep, le génial Lovers Holiday. Le mois de mai sera chaud. 17/5 Paris, Alhambra The Lords Of Altamont 7/5 Paris, Flèche d’Or Lykke Li 23/6 Paris, Cigale Florent Marchet 6/5 Sottevillelès-Rouen, 7/5 Châteauroux, 14/5 Strasbourg, 15/5 Bruxelles, 20/5 Avoine, 21/4 Dijon Cass McCombs 21/5 Paris, Café de la Danse Mercury Rev joue Deserter’s Songs 25/5 Paris, Bataclan Metronomy 4/5 Paris, Cigale, 21/5 Toulouse, 22/5 Bordeaux, 23/5 Rennes, 24/5 Lyon, 25/5 Tourcoing, 26/5 Strasbourg, 5/7 Paris, Cité de la Musique Mogwai 4/7 Paris, Folies Bergère

Nouvelles locations

Nasser 7/5 Guéret, 13/5 Bar-Le-Duc, 14/5 Rennes, 17/5 Bruxelles, 20/5 Villeurbanne, 21/5 Nancy, 27/5 Toulouse Les Nuits Botanique Du 10 au 29/5 à Bruxelles avec Sufjan Stevens, Animal Collective, Caribou, The Black Lips, Katerine, The Dodos, etc. Les Nuits sonores Du 1er au 5/6 à Lyon avec Battles, DJ Shadow, The Sonics, Crystal Stilts, Brodinski, etc. Agnes Obel 4, 5 et 6/7 Paris, Théâtre des Bouffes du Nord Oh Land 18/5 Paris, Flèche d’Or The Pains Of Being Pure At Heart 16/6 Paris, Flèche d’Or Madeleine Peyroux 5/7 Paris, Trianon Queens Of The Stone Age 23/5 Paris, Olympia, 25/5 Strasbourg Le Rock dans tous ses états Les 24 & 25/6 à Evreux avec Tiken Jah Fakoly, Razorlight, The Inspector Cluzo & Mates, Young Fathers, etc. Rock en Seine Du 26 au 28/8 à Saint-Cloud avec Interpol, Foo Fighters, Arctic Monkeys, The Kills, Anna Calvi, Miles Kane, The Vaccines, etc. Gaëtan Roussel 4/5 Strasbourg, 7/5 Lille, 11/4 Buxelles, 12/5 Dijon, 13/5 Montpellier, 15/5 Six Fours, 20/5 Bordeaux, 21/5 ClermontFerrand, 22/5 Ruoms, 23/5 SaintBrieuc, 31/5 Paris, Cigale, 23/9 Paris, Casino de Paris

En location

Saint Denis métis Du 5/5 au 24/6 en Seine-SaintDenis avec Grand Corps Malade, Gotan Project, Simon Bolivar String Quartet, etc. Sakifo Musik Festival Du 9 au 12/5 à La Réunion avec Chapelier Fou, Yodelice, Stromae, Les Wampas, etc. The Sonics 3/6 La Rochelle Sufjan Stevens 9/5 Paris, Olympia, 10/5 Bruxelles Stupeflip 3/5 Paris, Bataclan, 1/6 Saint-Etienne, 8/6 Tours Tamikrest 22/6 Paris, Point Ephémère TV On The Radio 13/7 Paris, Olympia Villette Sonique Du 27/5 au 1er/6 à Paris avec Thurston Moore, Beth Ditto, The Fall, Animal Collective, Discodeine, Current 93, etc. Troy von Balthazar 6/5 Hyères Warpaint 26/5 Paris, Bataclan The Wave Pictures 28/5 Paris, Flèche d’Or Wild Beasts 19/5 Paris, Point Ephémère Wire 11/5 Paris, Machine, 12/5 Mulhouse, 15/5 Marseille, 16/5 Montpellier The Wombats 27/5 Paris, Trianon Shannon Wright 5/5 Bayonne, 6/5 Bordeaux, 7/5 Massy, 8/5 Lyon, 9/5 Grenoble, 10/5 Blois, 11/5 Brest, 12/5 Cholet, 14/5 Tourcoing Wu Lyf 29/6 Paris, Point Ephémère

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aime le maudit Sans lien d intersection

Un autre visage de François-Marie Banier se dévoile, un an après l’affaire Bettencourt et le déchaînement médiatique, dans un roman bref et fort de Jean-Marc Roberts. Contre le grégaire, un portrait gracieux.

 L

es effets de meute sont intolérables. Mais qui n’a pas commenté et suivi avec passion l’affaire Banier-Bettencourt, qui n’en a pas ri ? La presse est tombée sur François-Marie Banier, accumulant les portraits à charge. Le livre de Jean-Marc Roberts, aussi gracile qu’il est beau, tendre envers Banier et acide pour les autres ( la “vieille”, un journaliste du Point, etc.), rétablit un équilibre. Se positionner toujours contre la meute, le groupe, le grégaire : c’est là que doit se placer la littérature, de là qu’elle doit s’écrire. Comme ici, contrer le scandale public par le récit de l’intimité, du souvenir de ces temps partagés – une jeunesse, ça n’est rien, mais ça compte quand près de trente-huit ans plus tard la vie vous a rattrapé, coincé, écrasé, parce que ça disait une vérité sur vous… Il y a longtemps, ils partageaient tout, allaient au Sept puis chez Castel ensemble, Banier avec son compagnon,

Jacques, Roberts avec sa première femme, Bettina, secrètement amoureuse de Banier. Un quatuor régulièrement réuni dans l’appartement de l’écrivainphotographe rue Servandoni, puis au fil des années s’ouvrant à un jeune acteur, Pascal Greggory, à une belle actrice, Isabelle Adjani, puis aux enfants de Roberts devenu l’éditeur que l’on sait (aujourd’hui chez Stock), puis s’effilochant… jusqu’au scandale, quelques décennies plus tard. Car scandale il y eut : Banier n’avait pas travaillé pour ce milliard, n’avait même pas couché pour l’avoir – certaines actrices ou mannequins sont sans doute mieux nanties par les hommes d’affaires ou héritiers qu’elles ont pour amants, sans que personne n’y trouve à redire : tant qu’elles couchent, tout est dans l’ordre… Or dans un pays aussi petit-bourgeois que la France, donner de l’argent et en recevoir autant, sans labeur, sans sueur, sans filiation, sans contre-partie a fait scandale.

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en marge

fiers d’être athées toute la grâce du geste de Roberts, c’est de ne pas fouiller l’affaire Bettencourt

De droite à gauche : Jean-Marc Roberts, François-Marie Banier, Pascal Greggory, la femme de Roberts, Bettina, et l’ami de Banier, Jacques Grange, octobre 1975

Ainsi l’argent était… gratuit ? Impossible : la vieille était forcément folle, et le “pédé”, un salopard qui l’avait embobinée, voire brutalisée. “On lui en a voulu car il ne l’avait pas volé, cet argent. Au fond, on aurait eu plus de compassion, plus de tendresse pour un voleur. François-Marie est un homme libre, sans pouvoir, qui n’entre dans aucune stratégie, qui n’est utile à personne. C’est aussi pour cela qu’il a été facile de s’en prendre à lui. Car c’est curieux que des gens comme Bernard Tapie, Alain Minc ou Jacques Attali, qui ont fait des choses pas très convenables ces dernières années, n’aient pas subi un centième de ce que FrançoisMarie a eu à subir”, constate Jean-Marc Roberts, qui a recontacté son ami alors qu’il se trouvait en pleine tourmente. “Il m’a accueilli en me disant que j’étais un des rares à l’appeler encore. Pendant l’affaire, il s’est retrouvé très seul. Seuls Dominique Fernandez et Inès de la Fressange ne l’ont pas laissé tomber.” Toute la grâce du geste de Roberts, c’est de ne pas fouiller l’affaire, de ne traiter que ce qu’il connaît : “La vieille lui a écrit des lettres et François-Marie voulait que je les lise pour ce livre. J’ai refusé. Ce texte n’est pas un document, et dès lors François-Marie n’avait pas à me donner son accord pour la publication.” Son enjeu sera de donner à voir un autre François-Marie. Dans cette lettre d’affection comme on dit d’amour

à l’adresse de son ami, Roberts renverse la tendance : “Je l’ai vu dans les années 70 : François-Marie entretenait la décoratrice Madeleine Castaing, contrairement à tout ce qu’on a dit. Les dîners au restaurant avec Aragon, c’est lui qui les payait. Je l’ai toujours vu régler les notes. Et puis Aragon était chiant, il fallait quand même le supporter. Mais ces êtres le fascinaient pour leur histoire. Ils les trouvaient beaux. Peut-être aurais-je aimé être comme lui ? Il est comme mon miroir idéal.” Tout l’équilibre du livre tient ainsi dans sa parfaite construction en miroir, même si les temps s’enchevêtrent et les images se bousculent, les scènes des famille de l’un et de l’autre renvoient les unes aux autres ; les “trois garçons” de l’un (les amis de Banier) trouvent écho dans les “trois garçons” (les trois derniers fils de Roberts) de l’autre. Des carrières littéraires commencées en même temps, pour deux hommes connus davantage pour autre chose que pour leurs livres. Ce goût du romanesque (Roberts invente toute la dernière partie du texte, le Banier d’aujourd’hui : comme un concentré de ce qu’est vraiment sa personnalité), des personnages, d’une vie au-dessus de la vie – ils partagent tout cela. Ainsi que cette trajectoire ascensionnelle dans la société et peut-être cette même crainte d’être démasqués – ou trahis par leurs masques. Roberts n’est jamais aussi bon que lorsqu’il s’empare d’un “autre” qui le touche essentiellement (on se souvient de son très beau Une petite femme, en 1998, autour de sa mère). S’il tournait depuis quelques romans déjà autour du motif du temps qui a passé, de ceux qu’on perd et de ce qu’on garde, c’est à travers la figure de François-Marie Banier qu’il parvient avec le plus de sensibilité, de justesse, à saisir le temps qui n’est plus, le temps qui vous façonne comme de la glaise, le temps qui écrit votre vie sur un livre implacable, impalpable, et qu’il faut un jour ou l’autre ouvrir, affronter. “Il me donne du talent”, répète-t-il. Pas faux. Nelly Kaprièlian François-Marie (Gallimard), 104 pages, 10 €

Parce qu’on ne parle jamais d’“athées intégristes” ou “terroristes”. Explications. Ça a commencé avec l’affaire du Piss Christ, quand une poignée de cathos intégristes ont vandalisé l’œuvre de Serrano. Très vite, la presse a embrayé : L’Express a consacré sa couve aux nouveaux cathos, et Libé, le lundi de Pâques, sa une à la “Catho Pride”, soit à quelques célébrités fières d’être cathos, qui racontaient comment chacune avait fait son coming-out. Un coming-out ? Quel courage ! Plutôt un symptôme de ces temps d’inquiétante régression, où peu ont osé condamner haut et fort la destruction d’une œuvre d’art au nom de la foi. Mais pourquoi les athées devraient-ils respecter la sacro-sainte foi des uns et des autres, alors que ceux-ci ne respectent pas le droit des athées à voir une œuvre d’art ? Sans parler des guerres, attentats et autres violences que les athées ont toujours au à subir au nom de la religion. Il suffit de constater un fait sémantique évident pour être simplement fiers de ne pas croire : jamais vous ne verrez le mot athée accolé au terme “intégriste” – encore moins à “terroriste”. La foi contient déjà en elle l’éventualité du fanatisme – croire n’est pas raisonner. Preuves encore que les temps régressent : notre gouvernement, pas franchement progressiste, c’est un euphémisme, s’y met en flirtant avec l’idée de rendre plus confortable aux cultes la loi de 1905 (loi de séparation entre l’Etat et l’Eglise). Si l’Eglise avait voix au chapitre concernant la cité, il va sans dire qu’on assisterait, en littérature ou ailleurs, au grand retour de la censure. Pour aider Sarkozy à comprendre l’étendue du problème, adressez à l’Elysée les livres-enquêtes passionnants de V.S. Naipaul en terres d’Islam : quand le problème de ces pays réside (résidait?) dans la confusion de la loi avec la foi.

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Philippe Vilain Pas son genre Grasset, 192 pages, 15 €

qui veut gagner des millions ? Un type arnaque la planète livres avec un best-seller en toc. Satire de l’industrie littéraire et de la culture mainstream, le premier roman de Steve Hely est aussi drôle que cynique.

 I

l n’y a pas trente-six façons de faire fortune rapidement : gagner à Euro Millions (aléatoire), braquer une banque (risqué) ou écrire un bestseller. Loser trentenaire qui vivote en rédigeant des disserts à la chaîne pour des gosses de riches, Pete Tarslaw choisit la troisième voie, plus fastidieuse, certes, mais plus sûre. Il se voit déjà aussi célèbre que Dan Brown, avec le compte en banque plaqué or de J. K. Rowling, et rêve de se pavaner, auréolé de son succès, au mariage de Polly, son ex qui l’a largué sans égards. Il pourrait ainsi prendre sa revanche sur cette garce et sur cette chienne de vie. Mais avant de briller de toute sa gloire marc-levyesque, il lui faut pondre un bouquin. Or “écrire un roman – concrètement, choisir les mots et remplir les paragraphes –, c’est incroyablement chiant”. Pour arriver à ses fins, Pete ne jure que par une seule muse (outre la bière et un médoc pour enfants hyperactifs) : le classement des meilleures ventes du New York Times. Il décide de compiler tous les ingrédients des livres à succès : une femme blessée, des paysages exotiques, de l’amour, des souvenirs de la Seconde Guerre mondiale, l’au-delà. Un mélange qui donne Cendres dans la tornade, son sésame pour une ascension fulgurante. Avec un cynisme hilarant, Steve Hely, producteur et collaborateur régulier de l’élégante revue The Believer, démonte dans son premier roman les mécanismes de l’industrie littéraire. Tout y passe : les auteurs à l’aura aussi fabriquée que leurs intrigues bidon, les éditeurs qui s’en remettent entièrement aux commerciaux,

les critiques – “le plus abject ordre de pourceaux qui ait jamais foulé la face de la terre” –, ces êtres aigris et malfaisants qui n’auront jamais l’impact d’un passage sur le plateau d’Oprah Winfrey. Surtout, à travers cette caricature aussi outrancière que réaliste (sauf pour les critiques, bien sûr), Hely s’attaque à la culture de masse. Entre deux mojitos, un scénariste surcocaïné balance à Pete cette vérité extralucide : “Les Iraniens, ils piétinent des drapeaux américains, mais ils vont voir Shrek 3 ou X-Men. On peut trouver des DVD de Pirates des Caraïbes sur un marché de Mongolie. C’est notre putain de génie culturel, vieux, et nous nous répandons comme de la mauvaise graine sur toute la surface de cette putain de planète.” Plus qu’une parodie divertissante, cette charge au bazooka vise juste et dézingue avec une loufoquerie jubilatoire une époque où l’on ne parle plus d’œuvre, mais de produit culturel formaté pour plaire au plus grand nombre. Sous une apparente désinvolture, Hely présente la culture mainstream comme une énorme entreprise de manipulation des esprits, escroquerie à grande échelle encore plus efficace ue la chaîne de Ponzi mise au point par Bernard Madoff. Efficace, le “page turner” Comment je suis devenu un écrivain célèbre l’est indéniablement. A tel point qu’on se demande si son auteur n’est pas le plus habile des arnaqueurs. Elisabeth Philippe Comment je suis devenu un écrivain célèbre (Sonatine), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Héloïse Esquié, 300 pages, 18 €

Les amours d’une coiffeuse et d’un prof de philo, pour un joli cas de dissymétrie amoureuse. Pas son genre : ça sent la sentence, le verdict sans appel. Voire le bon sens populaire et le qu’en-dira-t-on. Dans une sous-préfecture de province, François fait la connaissance de Jennifer, ils s’attirent, entament une liaison. Elle est coiffeuse, il est prof de philo. Il est volage, elle rêve du prince charmant. Un double hiatus, social et affectif, d’où va naître une passion fragile – sa complicité charnelle, ses menues joies et ses incompréhensions. Auteur d’une demidouzaine de romans, Philippe Vilain s’empare ici d’un topos de la littérature amoureuse, pour une habile variation sur le thème de la dissymétrie des sentiments. Car bien avant cet intello cintré dans ses costumes, qui très vite ne voit plus chez sa partenaire que “le vulgaire de sa robe rouge ultra décolletée, le criard de ses lèvres scabreuses, enduites de Diorkiss”, il y a eu Swann et Odette – l’esthète et la demi-mondaine de La Recherche, dont le livre se fait clairement l’écho. L’auteur décrit les rapports de pouvoir, la jalousie, la culpabilité, l’avilissement, mais aussi le charme parfois cocasse de l’altérité dans l’amour, tressant un jeu doux-amer des sept différences. Ce dernier ne manque pas de produire quelques scènes de comédie – le spectre allénien du geek maigrichon décontenancé par sa maudite aphrodite – qui s’achève sur un constat d’échec d’une rare mélancolie. Emily Barnett

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le bon plaisir Sexe, pouvoir et médias. Le journaliste Joseph Macé-Scaron tourne l’histoire d’une disgrâce en dérision et signe une satire du sarkozysme, entre farce et fable. maginez Bel-Ami transposé au début des années 2000, avec un Georges Du Roy non plus homme à femmes, mais homme à hommes, et vous obtenez la trame du dernier livre de Joseph MacéScaron, roman à clés qui hésite entre la farce et la fable. Sous les traits de Benjamin Strada, le journaliste – directeur adjoint de Marianne et directeur de la rédaction du Magazine littéraire, entre autres activités – évoque son ascension, puis son éviction du Figaro, rebaptisé Le Gaulois. Benjamin, presque quadra, n’est pas aussi arriviste que le héros de



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Maupassant. Entre deux plans cul et un rail de coke, il est plutôt du genre à se laisser porter par les événements. Mais voilà, une coucherie en entraînant une autre, il finit par se retrouver dans le lit d’un certain Renaud Wallace, puissant consultant qui appuie sa promotion au sein du Gaulois. Et voilà le dilettante propulsé rédacteur en chef du Gaulois magazine.

Sauf qu’être pédé dans un hebdomadaire conservateur, propriété d’un industriel richissime et réac qui plus est, s’avère rapidement très, très inconfortable. Pas d’acrimonie dans ce roman qui aurait pu tourner au règlement de comptes bilieux. La verve bitchy de Macé-Scaron fait souvent mouche. En une phrase, il rhabille un pseudointellectuel ou un ministre

servile pour les quinze hivers prochains. Son écriture vive, speedée, se situe aux antipodes des élégantes circonlocutions proustiennes, mais comme l’auteur de La Recherche, Joseph Macé-Scaron se révèle un fin observateur de la comédie sociale, celle qui se joue parmi les puissants. Car Ticket d’entrée se lit aussi comme une chronique acérée de l’époque, et plus particulièrement de l’avènement du sarkozysme, collusion du pouvoir, de la presse et de l’argent par excellence. Le journaliste expose la fascination irrationnelle qu’exerce le candidat Sarkozy, l’asservissement auquel il réduit sa cour. Parce qu’il refuse de faire allégeance, Strada se retrouve banni, privé de “ticket d’entrée”. Finalement, sa disgrâce ne lui aura pas trop mal réussi. E. P. Ticket d’entrée (Grasset), 336 pages, 19 €

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a book by it’s cover”, photo Alexandre Resovaglio

On le voit partout, sur les podiums et les tapis rouges. Et si le livre était devenu un simple accessoire de mode, un objet sexy vidé de toute substance, tout juste bon à sauver les apparences ? n ne va pas jouer les hypocrites. Nous aussi, on a pouffé en entendant l’inimitable Frédéric Lefebvre confondre Zadig de Voltaire, conte philosophique inusable, et Zadig & Voltaire, cette marque de fringues qui ne résistent pas à deux lavages en machine. Mais au lieu de glousser, nous aurions dû prendre le temps de nous interroger sur le sens d’un tel lapsus (ça ne peut être qu’un lapsus, évidemment) et nous aurions alors compris que Frédéric n’était pas l’être inculte que l’on moque, mais une pauvre et innocente victime. Une “fashion victim”. Depuis quelque temps, en effet, le livre sort des bibliothèques pour s’aventurer sur le red carpet. A l’image d’un sac Birkin, d’une paire de sandales compensées ou d’un chihuahua à houpette, il est devenu un “it-accessoire” parmi d’autres, et l’expression “être à la page” n’a jamais eu autant de sens. On a ainsi pu admirer de jolies starlettes arborer

 O

can’t judge Minaudière Lolita d’Olympia Le Tan, collection “You

le livre, nouveau it-bag

fièrement une minaudièrelivre de la créatrice Olympia Le Tan, une petite pochette sur laquelle sont reproduites des couvertures de classiques : Le Rouge et le Noir, La Belle et la Bête, Lolita (le modèle préféré de Natalie Portman). Une façon de s’acheter une crédibilité intello à peu de frais (enfin, tout est relatif, vu le prix – environ 1 000 euros – de ce micro-sac où l’on glisse à peine un pass Navigo). Le livre défile aussi sur les podiums. Pour sa collection printempsété 2011, Jean-Charles de Castelbajac a imaginé des tuniques légères inspirées des couvertures de la NRF. Comble du raffinement,

l’éditeur Steidl travaille à une fragrance inspirée de l’odeur des vieux livres. Appelé à se transformer, à se numériser, l’objet-livre, avec ses pages qui se cornent et jaunissent, est en passe de devenir vintage et, à mesure qu’il se virtualise, on tente d’en conserver la matérialité – forme, parfum, image –, quitte à le vider de toute substance… littéraire. L’important est de faire illusion, de pouvoir continuer à exhiber des signes extérieurs de richesse culturelle. Et de ce point de vue, la liseuse électronique, ça en jette quand même moins que des étagères encombrées de bouquins. Le réalisateur John Waters l’a dit très

justement : “If you go home with somebody and they don’t have books, don’t fuck them” (“Si tu raccompagnes quelqu’un qui n’a pas de livres, ne baise pas avec”). A l’ère des tablettes, comment prouver que l’on est un partenaire sexuel acceptable ? Une solution : s’inspirer de l’artiste et bibliophile Richard Prince, qui expose en ce moment à la BNF sa collection de pulp-fictions, de manuscrits rares… L’expo se clôt par une salle tapissée de faux livres, un peu comme dans les salons témoin des magasins Ikea. Elément de déco ou accessoire de mode, le livre réduit à sa seule apparence n’est qu’un trompe-l’œil façon Wonderbra, simplement là pour donner une impression de relief. Ou plutôt de profondeur. On ne lit plus, mais on tient à s’afficher comme lecteur. Si l’on néglige le contenu, on recherche toujours l’aura du livre. Regrettable ? Symptôme de la “défaite de la pensée” comme pourrait le penser un Finkielkraut bilieux ? Peut-être. Mais n’est-il pas préférable de faire preuve d’un amour des livres, même superficiel, que de clamer sans complexe qu’on a “beaucoup souffert sur La Princesse de Clèves” ? Depuis sa sortie anti-Madame de Lafayette, Nicolas Sarkozy tente de rattraper le coup et de poser en lecteur éclairé, fan de Belle du Seigneur… le livre que tout le monde aime à 17 ans. Elisabeth Philippe

la 4e dimension point final pour Morrissey Céline pour les nuls

Gaston dans le métro

Après Yann Moix qui ambitionne d’adapter Voyage au bout de la nuit au cinéma, c’est au tour de Lorànt Deutsch de s’attaquer à Céline. L’acteur et auteur du best-seller Métronome va tourner un documentaire sur le Paris de Céline pour la chaîne Histoire. Une idée de Patrick Buisson, patron de la chaîne, conseiller de Sarkozy et ex-journaliste à Minute.

Jusqu’au 3 juillet, la station Saint-Germain-des-Prés fête les 100 ans de Gallimard en s’ornant de poèmes d’auteurs de la rue Sébastien-Bottin. Et du 13 au 19 juin, la station Rue-du-Bac, qui dessert le siège de Gallimard, sera habillée aux couleurs de la maison.

l’influence Franzen Il ne faut pas désespérer. Certes, Marine Le Pen figure parmi les cent personnalités les plus influentes dans le monde. Mais on trouve aussi six écrivains dans ce classement établi par le magazine Time, notamment Jonathan Franzen.

Encore des mémoires de rockeur. L’ex-chanteur des Smiths devrait sortir son autobiographie en 2012. Toujours optimiste, Morrissey doute que quiconque ait envie de le lire. “Je ne suis pas si intéressant. Je ne comprends pas pourquoi j’ai écrit autant.” En attendant, les éditeurs se battent pour publier le pavé de 600 pages.

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mercredi 4

On se prépare pour le marathon Paris en toutes lettres, du 5 au 8 mai. Autour du thème “Les écrivains s’inquiètent du monde”, le festival célèbre la littérature sous toutes ses formes : lectures, performances, etc. Avec Adam Thirlwell, Jay McInerney, Hanif Kureishi, Imre Kertész…

jeudi 5

A défaut de faire encore la fête à Paris, on se plonge dans la nouvelle version inédite de Paris est une fête. Ces “vignettes parisiennes” où Hemingway consignait son quotidien – amour, alcool, argent… – paraissent dans une nouvelle traduction, augmentées de huit textes (Gallimard, 320 p., 19,50 €).

Jay McInerney

On part en Estonie sans quitter la France, avec Sofi Oksanen, auteur du puissant Purge, dans le cadre de Paris en toutes lettres. On pourra aussi découvrir des extraits du roman d’Eric Reinhardt qui sort en septembre lus par Hippolyte Girardot, ou perfectionner notre art de l’insulte dans un cabaret littéraire.

vendredi 6

On enfile notre combinaison moulante et notre cape pour tenter de répondre à cette angoissante question : “Superhéros : contre-culture ou culture pop ?”, l’une des conférences sur l’influence US organisées autour de l’exposition Richard Prince.

samedi 7

BNF, 11 h, www.bnf.fr

On passe à table avec Jay McInerney et Jim Harrison pour un banquet littéraire où les auteurs parleront gastronomie. On reste au 104 pour écouter Mathieu Lindon évoquer Foucault ou découvrir le Téhéran underground de l’Israélien Ron Leshem (www.parisentoutes lettres.net). Ou on file à Beaubourg pour la projection du documentaire consacré à Alain Robbe-Grillet (Centre Pompidou, 17 h, www.centrepompidou.fr)

dimanche 8

lundi 9

On se laisse balader par Christian Boltanski entre fiction et réalité. Le musée d’Art et d’Histoire du judaïsme propose une lecture de l’autobiographie de l’artiste, qui a toujours pris soin, dans son œuvre, de brouiller les pistes entre vie réelle et vie rêvée. 20 h, www.mahj.org

On redécouvre Kerouac, Borges ou encore Nabokov avec les entretiens de la Paris Review (vol. 2), qui sont autant d’autoportraits (Christian Bourgois, 592 p., 24 €). Ou l’on se penche sur la vie de Derrida, de Lacan, à l’occasion d’une conférence sur la biographie intellectuelle (BNF, 18 h 30).

mardi 10

Renaud Monfourny

www.parisentouteslettres.net

à venir Don DeLillo Great Jones Street (Actes Sud) Bucky, authentique rock-star victime de son propre succès, abandonne son groupe en pleine tournée. Rattrapé par sa quête existentielle, il entame une retraite spirituelle et laisse ses fans sur la touche. S’ensuit alors une période de trouble, de questionnement. Ce roman écrit en 1973 explore la pop culture à son origine. Don DeLillo posait son regard lucide sur cette nouvelle culture urbaine, son industrie et ses dangers. Sortie le 1er juin

Jean Cocteau Le Passé défini, tome VI, 1958-1959 (Gallimard) Le journal de Cocteau, à l’aube de ses 70 printemps, montre un écrivain qui questionne avec maturité sa vie, soucieux de l’image qu’il laissera de lui. La plume de l’académicien devient plus acerbe envers ses contemporains : cinéastes, écrivains, chanteurs… Mais ce nouveau tome réserve aussi des surprises, comme cette correspondance avec le général de Gaulle jusqu’ici ignorée. Sortie le 6 juin

5e Assises internationales du roman à Lyon Pour leur cinquième édition, les Assises de la villa Gillet à Lyon invitent écrivains, philosophes et comédiens à se rencontrer autour de grandes problématiques contemporaines : “la mondialisation”, “la migration” ou encore “la catastrophe”. Une semaine complète d’échanges, de tables rondes avec des invités du monde entier : Pascal Quignard, Philippe Forest, Goran Petrovic, Percival Everett, Patrick Modiano, Florence Aubenas ou encore David Grossman. Du 23 au 29 mai

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Judith Forest Momon – Apostille à 1 h 25 La Cinquième Couche, 108 pages, 13 €

un mirage américain Un roman d’apprentissage drôle et amer sur fond d’american dream, par George Chieffet et Stephen DeStefano.



première vue, Lucky Testaduda n’est pas particulièrement attachant. Le héros de Lucky in Love, créé par George Chieffet, professeur d’université et poète, et le dessinateur Stephen DeStefano, est un loser un peu beauf, vantard, complexé par sa petite taille. Fils d’immigrés italiens, ce fier à bras de 15 ans habite en 1942 à Hoboken, dans un quartier surnommé Pizzaville. Sa vie se résume à quelques virées minables entre potes et à fantasmer devant des westerns et des films de guerre. Tracassé par la sexualité, il rêve d’une virilité puissante, de conquêtes et d’une carrière de pilote qui lui permettrait d’avoir enfin du succès avec les filles. Complices du lecteur, George Chieffet et Stephen DeStefano se moquent gentiment de leur antihéros en le laissant exprimer à la première personne sa naïveté et son tempérament cabot, et jouent sur un style graphique qui rappelle les strips des années 30-40, comme Popeye, pour renforcer le côté comique. L’armée, que Lucky attend avec impatience et qu’il voit comme source potentielle d’exploits, va changer tout ça. Alors qu’il

la joue cador auprès de camarades encore moins malins que lui, rien ne se passe comme il l’avait envisagé. Au romantisme de ses rêveries se substitue la réalité, avec son cortège de bombardements et de blessés, avec la présence de la mort et la culpabilité d’être en vie, étant peut-être responsable du décès d’un camarade. Son retour à la maison est amer, asséché de tout rêve de grandeur militaire et de prouesses sexuelles. George Chieffet et Stephen DeStefano représentent subtilement les étapes de la désillusion du personnage, qui devient émouvant. En parallèle, ils démolissent les fantasmes nourris par la société de consommation, critiquent la vacuité de l’héroïsme. Lucky in Love prend une tournure bien plus sombre et bien plus amère qu’il n’y paraît au premier abord. Devenu vieillard, Lucky rêve cependant encore de conquête spatiale et de belles pépées. On ne renonce pas facilement à ses chimères. Anne-Claire Norot

Démystification d’un canular BD. Un illustrateur dans la confidence avait prévenu à propos de la BD autobiographique de Judith Forest, 1 h 25 (2009) : “C’est un canular, les Belges sont trop forts.” Pourtant, il était difficile d’imaginer (et encore plus de savoir) que ce récit de vie caustique mais sans excès était totalement inventé. Mais, comme on le comprend dans Momon, qui narre la réception critique et publique de 1 h 25, la jeune auteur ne vit effectivement que par l’imagination et la plume des éditeurs de la Cinquième Couche. Leur but était de moquer la tendance grandissante de l’autobiographie en BD et de mystifier presse et lecteurs, prompts selon eux à se ruer en voyeurs sur l’autofiction. Ne leur en déplaise, c’est raté. Parce que 1 h 25 – nettement moins racoleur que Momon, où “Judith” est présentée comme une pute parce qu’elle “se vend bien” – résumait ce que devraient être les autobiographies : des livres vivants et sans complaisance. A.-C. N.

Lucky in Love, 1re partie – Histoire d’un pauvre homme (Ça et là), 120 pages, 14 €

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première

Les Rencontres oscillent entre fidélité (Daniel Linehan pour la création Zombie Aporia, David Wampach et son Cassette, relecture de Casse-Noisette) et goût de la découverte. En prime, Mickaël Phelippeau avec un quatuor prometteur, Numéro d’objet. Et un hommage qui ne dit pas son nom à Odile Duboc avec Petit projet de la matière. Du 5 au 29 mai tél. 01 55 82 08 01, www.rencontreschoregraphiques.com

réservez Festival Extra-11 Frontières esthétiques et politiques sont au cœur de ce festival, entre Annecy et Genève, qui propose des créations (Rachid Ouramdane, Kettly Noël, Eric Salama) et des étapes de création (Amit Drori, Makadam Kanibal et la joute d’Emmanuelle Huynh et Akira Kasai). Sans oublier les spectacles invités (Allio-Weber, Taoufiq Izeddiou, Omar Rajeh…) et les performances. Du 12 au 28 mai à Annecy et Genève, tél. 04 50 33 44 11, www.festival-extra.com

Guy Delahaye

Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis

enfants de Gallotta Triolisme chorégraphique de haut vol, ce Daphnis é Chloé créé en 1982 trouve une seconde jeunesse.



lors c’est comme cela l’amour à trois, un jeu de dupes où chacun évite l’autre pour mieux retomber dans ses bras. Toujours un œil sur le troisième au cas où… Daphnis é Chloé fait dans le batifolage très actuel tout en lorgnant sur les temps lointains de l’Arcadie d’où venait le dieu Pan. Il n’est pas interdit de voir sur le plateau vidé par le chorégraphe Jean-Claude Gallotta l’ombre des bergers et autres idylles

d’un âge d’or pour temps de pastorale. A moins que ce ne soit une version 2.0 de l’amour courtois. Disons qu’en presque trente ans Daphnis é Chloé n’a pas pris une ride. Gallotta était alors un espoir de la danse française, allure de Fred Astaire grenoblois revenant de ses explorations au pays de Merce Cunningham. Sa gestuelle – sauts intempestifs, arabesques détournées, courses folles qui se terminent avant de rentrer dans le décor – est une signature. Il a peu

changé avec le temps, créant beaucoup, avec du moins bien aussi. A revoir récemment son Docteur Labus par le Ballet de Lorraine ou aujourd’hui ce Daphnis é Chloé, on mesure la liberté que les créateurs des années 80 s’accordaient. Pourtant, Gallotta avoue que ce trio est né à l’époque dans la douleur, sa compagnie, le Groupe Emile Dubois, étant en crise, lui, la tête ailleurs. Le plaisir de danser qu’exprimaient en ce début de décennie merveilleuse Mathilde Altaraz, Pascal Gravat et Gallotta est intact. Simplement, il a pris un coup de jeune avec Francesca Ziviani, Sébastien Ledig, élèves du Conservatoire, et Nicolas Diguet, apprécié dans L’Homme à tête de chou. Ils ont ce qu’il faut d’impertinence et de vivacité, à l’image de Chloé renversée dans ce tango improbable, la tête dans le vide scrutant la salle. On se gratifie d’une pichenette, on tripote une cuisse. Un jeu de touchetouche à l’érotisme diffus. Le piano d’Henri Torgue, bande-son d’origine, colle à leurs semelles de vent. Quant à Ravel, il entre par effraction le temps de quelques notes de son Daphnis et Chloé. Gallotta s’essayait à une gamme académique avec portés de belle allure. Un classique pour le temps présent ? Pour l’ouverture, en 2011, le chorégraphe s’offre un solo, Faut qu’je danse !, où il raconte un peu de la genèse de cette pièce. Malicieux, ce Gallotta fou dansant fait mouche. Il n’est pas si fréquent qu’un auteur se mette à nu. Il faut prendre dès lors ce prélude pour ce qu’il est : une déclaration d’amour à son Daphnis é Chloé. Philippe Noisette Daphnis é Chloé chorégraphie Jean-Claude Gallotta, au Théâtre des Abbesses, Paris XVIIIe, compte rendu. Le 19 mai à Caen, le 28 à Martigues, le 31 à Chambéry, www.gallotta-danse.com

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au cœur de la forêt magique Entre théâtre et installation d’artiste, Gisèle Vienne propose le spectacle virtuose d’un parcours en forêt, mêlant le fantastique de l’épopée de Lost au baroque flamboyant de David Lynch. ans le hors-champ, Ici, dans sa sensuelle Peter Rehberg, This Is How une rivière garde touffeur, la forêt se révèle You Will Disappear se joue prisonnier entre deux avoir une âme et s’avère du lyrisme de l’opéra sur eaux le corps d’une être l’acteur principal d’un le livret minimal de courts adolescente Ophélie, digne cérémonial sorcier. Dans textes signés Dennis petite sœur dans le martyre la magie des effets de Cooper. Une telle réunion de la Laura Palmer de brume sculptés par l’artiste de talents accouche d’une Twin Peaks de David Lynch. japonaise Fujiko Nakaya, œuvre monstre capable Cadrant en plan large ce purgatoire sylvestre libère d’aspirer chaque spectateur le sauvage abandon d’une toute la puissance de ses dans l’œil du cyclone parcelle de forêt, Gisèle esprits manipulateurs de sa vénéneuse fiction. Vienne s’intéresse aux pour aimanter par le désir Tel un rite d’initiation, quelques vies s’y trouvant et tourmenter via la peur le l’expérience offerte nous piégées. Celles des témoins huis clos des corps de ceux confronte à des mythes d’un drame du passé qui qui s’y trouvent enfermés. ancestraux et nous renvoie ne cessent de revenir vers A travers l’envoûtement à nos propres frayeurs. ces sous-bois où le crime des musiques électroniques Au final, cette irrésistible a été perpétré. de Stephen O’Malley et immersion dans l’univers du conte contemporain n’autorise personne à s’en sortir indemne. Un éblouissement.

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Silveri

Patrick Sourd This Is How You Will Disappear texte Dennis Cooper, musique Stephen O’Malley et Peter Rehberg, scénographie et mise en scène Gisèle Vienne, Les Spectacles vivants au Centre Pompidou, Paris IVe, compte rendu. Les 27 et 28 mai au Festival Huis a/d Werf à Utrecht (Pays-Bas), à revoir sur arte.tv, tinyurl.com/6dunr9u

ennuis de noces Une jeune mariée trop moche, un marié “bloqué à 6 heures 30” et leurs parents omniprésents composent la galerie de personnages de cette comédie désopilante. omment ça va chez vous ?” d’un intermédiaire peu scrupuleux. Sauf Sourire entendu, l’homme se frotte que le résultat est là. Yakich est resté toute les mains en s’adressant au public. la nuit bloqué “à 6 heures 30”, comme La question de ce Monsieur Loyal le répètent à l’envi les parents respectifs. interprété par Ged Marlon n’est pas Car le sel de cette comédie désopilante innocente. Elle renvoie aux déboires tient à l’omniprésence des deux familles du malheureux Yakich, victime d’une panne entourant les époux. Non seulement fonctionnelle quelque peu embarrassante l’intimité n’existe pas, mais la moindre le soir de sa nuit de noces. Pourtant, situation est amplifiée jusqu’à prendre cela faisait des années qu’il attendait des proportions délirantes. Frédéric Bélierce moment, jusqu’à en perdre tout espoir. Garcia anime avec une joyeuse fantaisie A sa décharge – si l’on ose ce mot –, Yakich cette truculente galerie de personnages bénéficie de circonstances atténuantes, sa prise entre frustrations et fantasmes dans jeune et tendre n’est pas de premier choix. un esprit volontairement outré proche Oui, elle n’est pas terrible, cette Poupatchée du music-hall. Hugues Le Tanneur à qui on l’a marié un peu vite. De son côté, Yakich n’est pas franchement un bellâtre. Yakich et Poupatchée d’Hanokh Levin, Il est plutôt laid, même. Au point que mise en scène Frédéric Bélier-Garcia, jusqu’au sa famille désespérait de lui trouver 10 mai au Nouveau Théâtre de Montreuil une moitié. L’affaire s’est faite par le biais et du 19 au 21 à Marseille

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Aurélien Mole/Fondation d’Entreprise Ricard

shadow cabinet vernissages rencontre au sommet Du lourd au Centre PompidouMetz, qui enregistre des records de fréquentation depuis son ouverture il y a pile un an. Après avoir révolutionné Beaubourg en 2002, Daniel Buren investit le troisième étage de son double messin. A partir du 8 mai au Centre Pompidou-Metz, www.centrepompidou-metz.fr

site de rencontres Toujours la même formule pour le prospectif Salon de Montrouge qui, pour la troisième année consécutive, confie les dossiers de ses candidats à un collège critique. Pour le meilleur et pour le pire. Du 5 mai au 1er juin à La Fabrique, 51, avenue Jean-Jaurès, Montrouge, www.salondemontrouge.fr

rencontre de Ligue 1 Premier tir croisé d’un festival de chambre orchestré par la galerie Olivier Robert : la plasticienne rock Elodie Lesourd et la metteur en scène et chorégraphe Gisèle Vienne. En attendant, entre autres, le duo Julien BeynetonOxmo Puccino en juillet. Jusqu’au 14 mai à la galerie Olivier Robert, 5, rue des Haudriettes, Paris IIIe, www.galerieolivierrobert.com

Homogène, l’expo Wani fait paysage à la Fondation Ricard, en semant dans la pénombre des pièces ombrageuses et informes.



l y a beaucoup d’expos ou d’œuvres loquaces en ce moment : L’Encyclopédie de la parole à la Villa Arson, l’expo de Ben Kinmont à la Kadist Art Fondation… L’intérêt bien partagé pour le format de la conférence performée participe d’une même attention à la transmission orale, à ses formes et à ses conditions. Exposer c’est parler, donc (ou écrire). Wani au contraire ne veut rien lâcher. Rien ne sort, et pas seulement au sens propre. Les œuvres se tiennent les lèvres hermétiquement closes, repliées sur elles-mêmes, recouvertes par une gangue de matière épaisse et noire (Les Objets augmentés de Camille Henrot), sous un tapis de laine (Vague à l’âme de Florence Doléac). Engluées et noueuses, elles semblent se contenir, se retenir (un gros essaim de boules de paraffine niché dans un coin par la Polonaise Dorota Buczkowska recèle aussi des explosifs), avant peut-être de péter les plombs. Mais pour l’heure, ça se tient coi. Plutôt mollement. Même quand elles sont faites en dur, les sculptures se laissent aller. Deux céramiques aux formes arrondies se reposent sur des tabourets et formulent un penchant pour la mollesse avec ce titre : Contraire du solide. Pas fragiles pour autant, plutôt liquides comme ces “éléments tubulaires” moulés par Hubert Duprat qui, incapables de rester raides, se gondolent et se tordent comme des racines. Lesquelles, en céramique

et signées Vincent Kohler, sont d’ailleurs accrochées dans la salle d’avant. Bref, avec toutes ces pièces invertébrées à l’apparence poisseuse et vaseuse, réalisées par des artistes pas trop en vue pour la plupart, les deux commissaires ont mis la main sur une esthétique qui rappelle un peu celle que Dynasty, l’an dernier au palais de Tokyo et au musée d’Art moderne, esquissait par endroits : une esthétique de l’affaissement ou du soufflé, où tout se dilue, retombe, se fendille avec nonchalance ou de manière plus funeste. Ailleurs, on aurait appelé entropie le mal dont sont affligées toutes ces sculptures. Mais les deux commissaires ont sans doute voulu éviter de trop tirer sur la corde smithsonienne de leur expo. Au lieu de quoi, ils forgent ce néologisme trop pratique – Objet artistique non identifié (Wani, sic) – et peu pertinent. D’abord parce que depuis au moins un siècle l’art ne se fabrique qu’en dehors des formats ou des genres établis. Puis parce que, même si les pièces cultivent jalousement leur mutisme, se replient sur elles-mêmes comme on replie un gant, et travaillent à s’ensevelir, la nuit dans laquelle elles se terrent est éclairante, et leur silence assourdissant. Judicaël Lavrador Wani jusqu’au 21 mai à la Fondation d’Entreprise Ricard, 12, rue Boissy-d’Anglas, Paris VIIIe, tél. 01.53.30.88.00, www.fondation-entreprise-ricard.com

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Jardins de la BNDES, Rio de Janeiro, paysagiste Roberto Burle Marx, photo Leonardo Finotti

l’homme qui aimait les plantes Le paysagiste brésilien Roberto Burle Marx, qui fut associé aux plus grands architectes (Niemeyer, Le Corbusier), se dévoile à Paris. A travers peintures, photos et vidéo, découverte d’un grand pionnier. urlesque-marxiste” : Incarnant le concept Haut lieu de fêtes réputées c’est ainsi que le de “ville-nature”, il sut pour leurs excentricités, paysagiste brésilien imposer les couleurs unies la propriété est également Roberto Burle Marx contre les mélanges un laboratoire botanique (1909-1994) qualifiait sa ainsi que la courbe alors où l’artiste créait ses griffe. Peu connu du grand que régnait la dictature propres espèces, dites public, on lui doit pourtant de la ligne droite moderne. “burle-marxii”. Le lieu les célèbres ondulations Créateur multiple est aujourd’hui classé noires et blanches (dessinateur, sculpteur, patrimoine national. des bords de plage de graveur, musicien, Œuvrant de Buenos Copacabana à Rio. La Cité cuisinier...) et formé Aires à Caracas en passant de l’architecture et du aux Beaux-Arts, c’est par par Miami aussi bien patrimoine lui rend la peinture qu’il devint que dans son propre pays, hommage dans son cycle jardinier. Dans l’exposition, et à toutes les échelles, “Ville et nature” et à la scénographie suit un le maître brésilien travers une exposition ruban de bois de hauteur fut associé aux plus grands didactique tout droit venue variable, serpentant urbanistes et architectes du Brésil. A l’occasion dans la longue salle courbe modernes, tels que de cette version française, du palais de Chaillot, Lùcio Costa, Le Corbusier le commissaire Lauro qui met en relation plans, et Oscar Niemeyer, Cavalcanti l’a enrichie peintures, photos jusqu’à faire partie de photos et de peintures et vidéos. On découvre de l’épopée de Brasilia, montrant ses projets alors combien les aplats qui faisait jaillir de terre parisiens : le patio de couleurs étaient dans une zone aride de l’Unesco, aujourd’hui déterminés selon et déserte la nouvelle malheureusement quasi des végétaux précisément capitale du pays. A l’heure à l’abandon, et le jardin, choisis. du lancinant “tout vert”, refusé, pour les terrasses En fin de parcours, l’œuvre de Roberto du Centre Pompidou, la vidéo d’une interview Burle Marx infiltrant lequel envisageait dès 1988 de Roberto Burle Marx la nature dans le construit, une rétrospective. Furieux, dans son “sitio”, une au sein d’une appropriation le père du paysagisme maison qu’il avait acquise fusionnelle entre moderne claqua la porte. dans les environs de Rio architecture et jardin, Le souvenir de cet esclandre de Janeiro, est l’occasion s’impose plus que jamais campe la personnalité forte de pénétrer davantage comme actuelle. Sophie Trelcat et atypique de l’artiste. dans son univers.

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il sut imposer les couleurs unies contre les mélanges, la courbe contre la ligne droite

Roberto Burle Marx, la Permanence de l’instable jusqu’au 24 juillet à la Cité de l’architecture et du patrimoine, Paris XVIe, www.citechaillot.fr 4.05.2011 les inrockuptibles 115

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dans la malle du mâle Comment être un homme, un vrai ? L’Américain Glenn O’Brien, meilleur chroniqueur de mode masculine au monde, le sait. Ainsi que bien d’autres choses. ans son luxueux appartement de Manhattan, le bon goût est partout. Aux murs sont accrochées des œuvres de Basquiat et Warhol. Dans le salon trône une console pop art signée Richard Woods. Et au fond d’un couloir, dans un immense dressing, s’étale une incroyable garde-robe, chic, contenant quelque deux cents costumes. “Tout ce que je possède allie esprit, sens et beauté”, dit-il. Depuis une dizaine d’années, Glenn O’Brien est le “style guy” de la version US du magazine GQ. Son job consiste à aider les hommes en souffrance devant leur penderie. Peut-on porter des chaussures sans chaussettes ? Peut-on mettre une cravate avec une chemise à manches courtes ? Il sait tout, répond à tout, avec verve et finesse. Sous sa plume, le conseil vestimentaire est toujours prétexte à défendre un art de vie, un panache. Au-delà des fringues, O’Brien donne des tuyaux pour être un homme, un vrai. Ce n’est pas un hasard si le recueil de conseils qu’il publie aujourd’hui s’intitule How to Be a Man. Sa connaissance du style, Glenn O’Brien l’a fignolée depuis plus de trente ans au gré de pérégrinations dans le labyrinthe du cool new-yorkais. “Quand je suis arrivé à New York dans les années 60, racontet-il, toutes les scènes

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se mélangeaient. Il fallait être tout à la fois. J’ai donc écrit, tourné dans des films, monté un groupe de rock, produit et animé une émission. J’ai fait ce que j’avais envie de faire, je suis allé partout.” A la fin des années 60, à peine débarqué de son Ohio natal, O’Brien rencontre Andy Warhol. Il passe ses journées à la Factory, devient pote avec le Velvet, se rapproche de Nico et de l’égérie Edie Sedgwick. Le style est partout, naturel. O’Brien est émacié, ses cheveux sont noirs, il porte en permanence un perfecto de cuir noir. Aujourd’hui, tout a changé. Il s’est arrondi, ses cheveux sont blancs, il porte une cravate. Mais l’allure est la même, comme un fil conducteur. Au milieu des années 70, O’Brien prend la tête du magazine Interview fondé par Warhol. Puis il crée l’émission TV Party en 1978, sur une chaîne câblée new-yorkaise. Dans le studio se bouscule une bande de joyeux lurons dénichés sur les dancefloors du Studio 54 ou du Mudd Club. Debbie Harry, la chanteuse du groupe Blondie, Joe Strummer des Clash, Klaus Nomi ou encore Jean-Michel Basquiat se retrouvent autour d’O’Brien, qui, dans un élan halluciné, n’hésite pas à lancer un jour à l’antenne : “TV Party déclare la guerre aux Etats-Unis.” Pris de passion pour Basquiat, Glenn O’Brien se lance au même moment dans l’écriture d’un scénario dédié à l’artiste. Tourné en 1981 et seulement sorti en 2000, Downtown 81

est un instantané de la culture indé de l’East Village et du Lower East Side new-yorkais à travers les déambulations de Basquiat. Plus tard, il devient intervieweur star pour les magazines Rolling Stone, Spin, Artforum ou encore Details. En parallèle, il conseille des marques comme Calvin Klein ou Burberry, en quête d’un nouveau souffle. Dans tout ce que fait O’Brien domine une certaine idée du cool, qu’il transmet aujourd’hui au plus grand nombre grâce à sa colonne dans GQ. “Au départ, la rédaction en chef du magazine avait l’idée de développer une rubrique intitulée ‘Votre ami gay’ en partant du principe que les gays ont une connaissance aiguisée du style, raconte-til. Finalement, on a pensé à moi pour tenir cette rubrique. Certains ont alors pointé du doigt le fait que je n’étais pas gay. On leur a simplement répondu que je m’y connaissais en style.” O’Brien a ses marottes. Pas question, pour lui, d’allier noir et marron. Pas question, non plus, de se raser sa barbe au niveau de la gorge. “Cela donne l’horrible impression d’avoir un double menton”, dit-il. Mais Glenn O’Brien sait également s’incliner quand il le faut : “J’étais persuadé qu’on ne pouvait pas porter de chemises avec un col boutonné sous un costume croisé. Eh bien, l’autre soir, j’ai vu un film où Fred Astaire était habillé comme ça et avait du style !” A 64 ans, O’Brien n’a pas fini d’apprendre. Raphael Malkin illustration Alexandra

Compain-Tissier

“à New York, dans les 60’s, j’ai fait ce que j’avais envie de faire, je suis allé partout”

How to Be a Man (éditions Rizzoli), 304 pages, environ 20 € 4.05.2011 les inrockuptibles 117

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la chaîne, l’émir et la révolution Une chercheuse analyse le succès d’Al-Jazeera à l’heure des révolutions arabes, et s’interroge sur l’indépendance de la chaîne vis-à-vis de son commanditaire, la pétromonarchie du Qatar.



e Tunis au Caire, d’Alger à Damas, les révoltes arabes des derniers mois se jouent à ciel ouvert, sous le regard hypnotisé de millions de téléspectateurs branchés sur la chaîne satellitaire Al-Jazeera, réceptacle privilégié des soulèvements démocratiques et des colères populaires. Fondée en 1996 au Qatar par le cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani, Al-Jazeera s’est imposée, en une dizaine d’années, comme un acteur central de la scène politique et sociale arabe. Dès 2001, le président égyptien Hosni Moubarak, déchu depuis, aurait dit lors d’une visite des studios : “C’est donc de cette boîte d’allumettes que vient tout ce vacarme ?” Avec les révoltes récentes, son identité s’est consolidée, comme si sa courte histoire était déjà celle d’un accomplissement

politique. Une histoire d’un média inédit et paradoxal qu’analyse finement la chercheuse Claire Gabrielle Talon dans son livre Al-Jazeera, de la liberté d’expression dans une pétromonarchie. Issue d’une thèse de doctorat soutenue en mai 2010 à l’Institut d’études politiques de Paris, avec Gilles Kepel, cette analyse repose sur plus de cent vingt entretiens menés entre 2005 et 2009. Selon l’auteur, Al-Jazeera “participe de l’affirmation d’une opinion publique arabe médiatisée”, sans être “la résultante ni d’une politique libérale ni d’une opération de propagande propre à un régime autoritaire, mais le produit d’un système politique spécifique : celui d’un Etat rentier tribal de la péninsule Arabique”. Dès sa création, le cheik Hamad ben Khalifa al-Thani entendait briser le monopole des Saoudiens sur le paysage médiatique

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Stephanie Kuykendal/The New York Times/REA

“participer à une renaissance intellectuelle régionale en réinventant le journalisme arabe” Claire Gabrielle Talon

arabe et contribuer à le libéraliser. Des journalistes aguerris de la BBC Arabic Television rejoignirent la jeune rédaction. À ce moment est née “une ambition partagée de participer à une renaissance intellectuelle régionale en réinventant le journalisme arabe”. Cette réinvention passe par un discours critique vis-à-vis du journalisme occidental. Il devient le “ciment idéologique susceptible de souder la rédaction”, et donne à la chaîne son identité originale. Cette élaboration critique lui confère également “un positionnement à part sur le marché global de l’information”. Claire Gabrielle Talon en détaille les contours et insiste sur sa spécificité : ce qu’elle appelle une “autre scène”. La posture adoptée par les journalistes d’Al-Jazeera remet principalement en cause certains “postulats fondateurs de la profession”, et en premier lieu “le rôle pacificateur traditionnellement attribué au journaliste et à sa quête de vérité”. La déconstruction du discours occidental va jusqu’au refus du principe de la neutralité journalistique. C’est sur la question sensible de la violence que ce renversement s’opère de manière évidente. En 1998, lors de l’opération “Renard du désert”, en Irak, Al-Jazeera disposait de correspondants au sol lors des premières frappes aériennes, alors que ceux de CNN étaient embarqués dans les bombardiers. En Afghanistan, le dispositif de captation est le même :

sur Al-Jazeera, la guerre et les scènes de carnage sont vues d’en bas. La représentation de la violence joue un rôle essentiel dans le discours de la chaîne “en permettant à la rédaction de promouvoir une figure symbolique qui y occupe une place de premier plan : celle du journaliste combattant et martyr”. Le point de vue des journalistes d’AlJazeera repose sur ce refus de censurer les images de violence. “C’est en donnant à voir l’impensé du discours informatif occidental, ses interdits et ses tabous, qu’Al-Jazeera en vint à incarner une autre scène, où furent discutés et mis en cause les principes qui informent la pratique du journalisme en Occident depuis la fin du XIXe siècle : la notion d’objectivité, la centralité du fait, leur rôle consensuel et pacificateur, la conception universelle et cathartique de la vérité, le rôle du journaliste dans la fabrique du consensus, la censure des images de violence.” En dénonçant la guerre et l’injustice camouflée par le discours de l’information, Al-Jazeera critique “la partialité et la violence dont participe le culte de l’objectivité pratiqué par les chaînes occidentales”. Au-delà de son particularisme sur l’échelle des valeurs journalistiques, Al-Jazeera reste un “objet dérangeant”, en ce sens qu’elle “offre le spectacle d’un dispositif pluraliste institué par un Etat rentier indépendamment de tout processus de représentation politique”. Elle illustre un mystère : des pratiques journalistiques libérales sont possibles dans un cadre non démocratique. Liée à un pouvoir oligarchique et clientéliste, Al-Jazeera promeut un discours démocratique radical, alors même que dans les démocraties représentatives occidentales, souligne l’auteur, “le journalisme sert de plus en plus la neutralisation des clivages idéologiques”. Pris dans ce paradoxe, le destin d’AlJazeera bute sur cette énigme : si la chaîne a prouvé sa capacité à relayer les révolutions démocratiques en Afrique du Nord et en Egypte, elle est restée discrète sur les mouvements à Bahreïn. Couvrirait-elle avec le même enthousiasme une fronde antimonarchique qui s’étendrait à la Syrie et à l’Arabie Saoudite, pays avec lesquels le régime a entamé un rapprochement diplomatique ? De la réponse à cette question dépend le sort de sa légitimité à venir, comme un ultime point aveugle à dépasser. Jean-Marie Durand Al-Jazeera, de la liberté d’expression dans une pétromonarchie de Claire Gabrielle Talon, (PUF), 256 pages, 20 €, sortie le 11 mai.

au poste

Skyrock au guichet De la diatribe anticapitaliste au sauvetage par le Crédit Agricole. De “La radio en danger de mort” à “Crédit Agricole notre idole”, la révolte selon Skyrock a suivi pendant dix jours une étrange trajectoire circulaire pour s’achever à genoux devant celui qu’elle paraissait dénoncer : le grand capital. Pas la moindre des ambiguïtés chez une station qui a joué de son auditoire comme d’un levier... En appelant ses auditeurs à se mobiliser contre l’ultralibéral, le lead vocal Difool a moins diffusé un message fraternel qu’une injonction, espérant l’adhésion instinctive plus que l’échange d’idées. Car jusque-là, jamais Skyrock n’a donné à son public les outils pour comprendre les enjeux contemporains. Rejetant l’altérité culturelle, la première antenne ado assume avec orgueil son caractère de monomaniaque : le rap comme tenseur sonore, le sexe comme foutoir à névroses, le rire de Difool en métronome obsessif… La crise fut donc un grand moment paradoxal pour Skyrock, écartelée entre ses élans libertaires et ses réflexes de commerciale. D’où les soupçons d’instrumentalisation : les 630 000 signatures sur Facebook ont permis à l’autopromo de s’enivrer d’elle-même, l’annonce trop prématurée d’un concert géant fit peur à certains et rêver les autres, les slogans “La liberté d’expression menacée” sonnaient comme les jingles vendant les compils… Rien de plus commun pour une station qui pratique les rotations intensives, les chansons réécrites à sa gloire, promeut l’horoscope et la voyance, cherche l’addiction avec des jeux dignes de La Valise RTL… La première révolte méta-médiatique (un média se défend lui-même, avec l’aide des autres) s’est donc conclue par un concours de pubs gratos pour une banque, “avec qui ça redécolle”. Allez, big up à la thune.

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L’Ingénieur et le Prothésiste, de Maya Kosa

festival

regards intimes et extimes Etat des lieux et des tendances créatives du cinéma documentaire aux Visions du réel de Nyon.

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la 17e édition de Visions du réel, qui s’est tenue à Nyon (Suisse) du 7 au 13 avril dernier, se sont distingués des films ambitieux qui, au lieu de se contenter d’un simple sujet, illustrent des concepts plus vastes. Faut-il parler de “métadocumentaires” ? En tout cas, deux cinéastes connus semblent aller dans cette direction. Le premier, Nikolaus Geyrhalter, livre avec Abendland une vue en coupe de la société occidentale. Cette œuvre peu bavarde, filmée surtout la nuit, scrute avec une froideur extrême ce monde policé d’hôpitaux, de boîtes techno, de bordels, dans lesquels les Européens s’enferment de plus en plus ; le fonctionnel mène inévitablement au concentrationnaire. Cela n’empêche pas une fascination certaine. La seconde “métadocumentariste”, Mercedes Alvarez, est aussi complice de ce qu’elle pointe avec inquiétude dans Mercado de futuros : la perte de la mémoire et donc de l’histoire. Pour cela elle fait alterner des plans de marché aux puces et de salon de l’immobilier tapissé de paysages

trompe-l’œil. Cela rappelle Mon oncle, où Tati opposait la dureté du monde moderne aux vieilles valeurs biscornues. Hormis ces recherches conceptuelles, séduisantes mais lassantes par leurs effets d’accumulation, les œuvres traditionnelles se maintiennent. Comme Il nous faut du bonheur d’Alexandre Sokourov (réalisé avec Alexeï Jankowski), qui dépeint à sa façon douce le quotidien de deux vieilles femmes du Kurdistan irakien ; l’une d’origine russe, l’autre autochtone. Occasion d’évoquer le génocide kurde, mais aussi de filmer le quotidien sur un mode précieusement primitif. Autre portrait féminin, mais stylistiquement aux antipodes, Kati with an I de Robert Greene est un film en immersion totale sur une adolescente de l’Alabama qui termine ses études secondaires. Formidable expérience intimiste qui rappelle, en moins trash, celle de Larry Clark sur les ados des classes modestes…

filmer le quotidien sur un mode précieusement primitif

Dans la catégorie mono-sujet, citons encore l’impeccable El Lugar mas pequeño (Grand Prix du festival) de Tatiana Huezo Sanchez qui, un peu comme Sokourov, remue le souvenir d’une guerre. Celle du Salvador, qui contraignit tous les rescapés du village de Cinquero, assimilés aux rebelles marxistes, à survivre dans des montagnes et grottes. Souvenirs terribles, exprimés en voix off par les locaux, que l’on voit vaquer à leurs occupations dans leur village pacifié. Notre palme personnelle ira à L’Ingénieur et le Prothésiste, court métrage d’une étudiante de Genève, Maya Kosa, qui renvoie dos à dos réel et fiction en mettant en scène deux immigrés polonais qui trament un projet mystérieux (autour d’un casino), racontent d’invraisemblables fables en voix off (sur une image de zoo) et font du feu dans une grotte. Erigeant l’ellipse et le hors-champ en système, Maya Kosa a l’étoffe d’une grande. Vincent Ostria Visions du réel, 17e édition, Nyon, Suisse

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écrits dans le ciel Dans Le Ciel vu de la Terre, le collectif Inculte s’amuse à décrypter la voûte céleste et les innombrables interprétations religieuses, littéraires, scientifiques… dont elle a été la source. Le cosmos comme support de l‘imaginaire.

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et été, allongés les bras croisés derrière la tête dans l’herbe colonisée par les aoûtats et les yeux rivés sur la Voie lactée, les Français pourront célébrer le vingtième anniversaire de la Nuit des étoiles. Une réjouissance médiatique et stellaire qui ravivera gratis leurs sentiments vertigineux face à l’univers en expansion. Un peu en avance sur l’événement (et sans aucun rapport direct), un autre univers en expansion nous convie à nous pencher sur la question du ciel. C’est celui du collectif Inculte, hub d’écrivains au succès grandissant qui, après vingt

une constellation d’écrivains qui dirige sa propre maison d’édition

numéros de sa revue fondée en 2004, s’ouvre à des livres grand format, et sort en mai ce volume malicieusement intitulé Le Ciel vu de la Terre. Inversant le gimmick polluant de Yann ArthusBertrand, la bande d’Inculte a invité une petite trentaine d’auteurs à se lancer sur le sujet brûlant de la voûte céleste. Parmi lesquels Jakuta Alikavazovic, auteur du remarqué Le LondresLouxor (Editions de l’Olivier) à la rentrée dernière, qui signe un texte élégant et drôle sur la face cachée de la conquête spatiale. Ou Jérôme Ferrari (Où j’ai laissé mon âme, Actes Sud), qui évoque le présocratique Anaximandre et sa vision d’une Terre immobile, flottant au centre de l’infini. A ceux qu’une telle démarche interrogerait sur le lien entre le cosmos et la créativité, le “commentateur

scientifique” (sic) Hubert Reeves apporte une réponse enthousiasmante dans l’un des entretiens de la deuxième partie de l’opus (Qu’est ce que penser ? C’est circonscrire notre ignorance). S’y livre aussi le documentariste chilien Patricio Guzmàn, à propos de son dernier film, Nostalgie de la lumière. Un entretien mené par Hélène Gaudy (membre du comité de rédaction) où correspondent étrangement, au milieu du désert d’Atacama, les corps disséminés des prisonniers politiques disparus sous Pinochet et les astéroïdes que scrutent les observatoires astronomiques qui jonchent ce cimetière de la dictature. Avec ce beau volume en trois parties détachables grâce à un ingénieux système d’aimants

(la dernière est consacrée à la réédition de L’Eternité par les astres, spéculation cosmologique du révolutionnaire Auguste Blanqui), Inculte impulse un renouveau, alors que l’ultime numéro de la revue fondatrice du collectif (consacré à l’alcool) est sorti en mars. “Après vingt numéros de la revue, nous ressentions une certaine perte d’intensité, raconte Mathieu Larnaudie, l’un des fondateurs. Nous avons pensé cet objet comme un livre, mais dans la continuité de la revue, c’est-à-dire un objet littéraire périodique autour d’auteurs qu’on a envie de défendre. Avec cette même attitude face au champ littéraire : ne vouer aucun culte à la culture établie ; s’approcher de tous les domaines avec légèreté.” Le comité éditorial, dont la légende veut qu’il se soit créé dans un McDo autour d’un nombre indéterminé de bières en septembre 2004, s’est étoffé et ne cesse d’engranger notoriété et prix littéraires, à l’image de Mathias Enard, de Claro ou de Jérôme Schmidt. Une constellation d’écrivains qui dirige désormais sa maison d’édition, où Olivier Rolin vient de signer un récit de voyage, Sibérie. Et qui publiera tous les neuf mois un nouvel ouvrage collectif, ouvrant une nouvelle galaxie à la création littéraire. Hugo Lindenberg Le Ciel vu de la Terre (Inculte, collectif), 488 pages, 30 €. Soirée Inculte à la Librairie de Paris, Paris XVIIe, jeudi 5 mai à 19 heures

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Game of Thrones pas fantastique La première incursion de HBO dans l’heroic fantasy a coûté très cher et suscité d’énormes attentes. Résultat lourdaud.

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epuis la glorification mondiale des Soprano en 1999, chaque nouvelle création de la chaîne à péage HBO est scrutée dans l’attente d’un miracle. Il y a eu quelques autres coups d’éclat, de Six Feet Under à The Wire, mais depuis quelques années, les grandes séries avaient tendance à naître autre part dans la galaxie du câble américain, et notamment sur AMC (Mad Men, Breaking Bad). On connaît l’histoire : HBO a largement souffert d’une concurrence qu’elle a elle-même contribué à faire naître en montrant la voie du succès. Vexée, la chaîne de AOL Time-Warner entreprend depuis un an un travail de reconquête symbolique. Sa méthode ? Montrer les muscles. Ce qu’elle a fait en septembre 2010 en s’offrant la série la plus chère de son histoire, Boardwalk Empire, au pilote réalisé par Scorsese. Ce qu’elle a encore fait ce 17 avril en mettant à l’antenne sa première incursion dans l’heroic fantasy, Game of Thrones, une sorte d’opéra des neiges en costumes où chaque minute coûte le prix d’une saison de série française – on rigole, mais pas trop. Game of Thrones est adapté d’une célèbre série de livres (Le Trône de fer, de George R. R. Martin) et ressemble pour le néophyte à un succédané du Seigneur des anneaux en plus sobre. La saga historique s’y mêle

au conte fantastique. Pourquoi cette envie de se frotter à un genre a priori peu calibré pour les écrans de télé (et surtout d’ordinateur) contemporains ? On ne voit pas d’autre réponse immédiate que l’expression d’une extrême vanité. Une envie de prouver que la télévision s’aventure désormais dans des territoires autrefois impossibles à approcher. Un désir mégalo de remettre en cause l’adage selon lequel seul le quotidien peut être montré et sublimé à la télévision. Est-ce vraiment un problème ? Pas forcément. Après tout, l’attrait romanesque de l’heroic fantasy est naturellement compatible avec la forme sérielle. Les fils narratifs restent d’abord centrés sur l’intimité des personnages. On ne demandait qu’à voir. On a vu deux épisodes de Game of Thrones. Pour l’instant, la série a seulement réussi à nous tomber des yeux. Que nous propose-t-on ? Une intrigue de mort, de pouvoir et de sexe, un fond shakespearien rassis où l’audace se compte principalement au nombre de giclées de sang, de culs et de seins exhibés. Il y a quelques années, Rome avait

une intrigue de mort, de pouvoir et de sexe

fait de ce fonds de commerce un véritable geste esthétique, un plaidoyer ambigu pour un monde violent et charnel. Ici, la mécanique tourne à vide. On ne retient que les intentions grossières, les corps et les costumes trop formatés, l’étouffement de la fiction et du spectateur. Quand une blonde à l’air de biche effarouchée baise avec un guerrier bodybuildé vaguement travelo, on se passionne d’abord un instant, dans l’attente d’un événement camp. Mais très vite, le soufflé retombe. Les créateurs de la série (David Benioff et D.B. Weiss) manquent singulièrement d’humour et de distance, et ne compensent pas vraiment avec un sens du sublime. Le succès public et critique de Game of Thrones semble donc passablement injustifié. On serait même près à abandonner la série pour toujours, si on n’entrevoyait quelques pistes possiblement intéressantes sur le long terme. Celles-ci concernent en majorité les personnages d’enfants (un jeune prince et une princesse canaille), les seuls à se défaire de la lourdeur ambiante pour imposer leur liberté de mouvement et leurs yeux rageurs. On aimerait croire qu’ils parviendront à sortir Game of Thrones de sa torpeur. Olivier Joyard Game of Thrones chaque dimanche sur HBO

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Hawaii 5-0

brèves Diderot fan de séries L’université Diderot (Paris Ve) organise du 5 au 7 mai un excitant colloque intitulé “Séries américaines contemporaines : entre la fiction, les faits et le réel” en présence d’intervenants français et étrangers ainsi que du numéro 2 de Mad Men, Scott Hornbacher. La fac, décidément, c’est sexy. Rens. : [email protected]

Sorkin embauche Marisa Tomei

focus

reprends-moi !

Aux dernières nouvelles, Aaron Sorkin s’adjoindrait les services de la troublante Marisa Tomei pour tenir le rôle principal féminin du pilote qu’il a écrit pour HBO. Jeff Daniels avait déjà signé pour le premier rôle masculin. L’actrice a tenu à rencontrer Sorkin en tant que fan et, apparemment, la réciproque a fonctionné. Olivia Munn (Perfect Couples) et Alison Pill (In Treatment) devraient aussi rejoindre le casting de cette série située dans l’univers de la télévision. On trépigne.

Hawaii, police d’Etat et Skins sont les dernières victimes de la mode du remake qui touche la télévision. is, Bobby, si on balançait un remake à la rentrée prochaine ? Ça éviterait de perdre du temps à chercher des idées.” Voilà à quoi ressemble une conversation déprimante et cynique entre responsables actuels d’une chaîne américaine. Depuis quelques années, la tendance s’alourdit. Un nombre anormalement élevé de “nouvelles séries” s’avèrent être des remakes d’anciens succès ou des adaptations en forme de copier-coller de concepts étrangers – un tic si répandu qu’une comédie nommée Episodes, avec Matt LeBlanc, le tourne en dérision. Truby revient Melrose Place, Beverly Hills, Life on Mars, Les stages du sympathique In Treatment, Super Jaimie, Le Prisonnier, Américain John Truby, auteur The Killing, Shameless, Nikita ont déjà d’Anatomie du scénario, attirent été diffusées. Dallas, Drôles de dames et toujours les foules en quête de Wonder Woman arrivent bientôt. sa divine parole. La prochaine Et on en passe. Le concept n’est pas session aura lieu du 28 juin au 6 juillet à Paris (La Sorbonne). forcément condamnable en soi. Il est Rens. : masterclass-truby.fr toujours possible que la copie dépasse l’original – le remake par Leo McCarey en 1957 de son propre chef-d’œuvre Elle et Lui de 1939 a plus d’adeptes que la première version. Mais d’une manière Signature (France 2, le 6 mai générale, on touche à une limite à 20 h 35) Déjà la fin de la minisérie du système, aux paradoxes d’une industrie planante et flippante signée Hervé surpuissante. En multipliant les chaînes Hadmar et Marc Herpoux. Ces deux et les besoins en contenus, en allant derniers épisodes sont plutôt les toujours au plus facile pour les satisfaire, meilleurs. la machine télévisuelle se conduit toute seule vers la médiocrité. Ce que Showrunners : David Simon (Orange confirment Skins (adaptée platement de la Ciné Max, le 10 mai à 22 h 35) Suite version anglaise) et Hawaii 5-0, qui de la série documentaire sur les débarquent en diffusion française. Tout grands créateurs US avec le génial juste correctes, elles seraient peut-être David Simon (The Wire, Treme). jugées moins sévèrement sans le soupçon A venir, Ronald D. Moore (Battlestar Galactica, le 24 mai), Carlton Cuse de fraude et de grosse flemme qui (Lost, le 31 mai), etc. entourent leur naissance. C’est le fardeau du remake : soit il touche au génie, soit il termine au cimetière des idées Smalville (TF6, le 6 mai à 20 h 40) fallacieuses. Olivier Joyard Début de l’ultime saison de Smallville,

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agenda télé

la dixième. Il paraît que Clark Kent y enfile son costume de Superman. Il aura hésité longtemps.

Hawaii, 5-0 sur M6 le samedi à 20 h 45. Skins US sur MTV à partir du 15 mai à 22 h. 4.05.2011 les inrockuptibles 125

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émissions du 4 au 10 mai

Deux ou trois choses sur Jean-Luc Godard

Pascal Lebrun

Emission d’Olivier Lemaire. Vendredi 6 mai, 20 h 45, Canal+ Cinéma

Sur la Muraille de Chine en février 1981

Mitterrand bouge encore La figure complexe de François Mitterrand hante encore l’imaginaire hexagonal. Hommages ambivalents à tous les étages télévisuels.

Soirée spéciale Mitterrand Changer la vie, Mitterrand, 1981-1983, docu-fiction de Serge Moati, 20 h 35 ; François Mitterrand à bout pourtant, documentaire de Jean-Michel Djian, 22 h 10, France 2, mardi 10 mai Mitterrand et le monde documentaire de Patrick Barbéris, mercredi 4 mai, 20 h 40 sur Arte

Susan Sontag, une diva engagée Cecil Stoughton

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près Michel Bouquet dans le film de Robert Guédiguian, Le Promeneur du Champ-de-Mars, c’est au tour de Philippe Magnan d’incarner François Mitterrand. Non plus le Mitterrand au crépuscule de sa vie, mais le Mitterrand à l’acmé de son règne, celui qui promet en 1981 aux Français de “changer la vie” et dont Serge Moati propose ici une évocation circonstanciée. De la campagne électorale au débat télévisé contre Giscard, de la cérémonie du Panthéon aux premières grandes lois sociales, de son cancer secret au virage de la rigueur de 1983, Moati fait le récit de deux années mouvementées, où l’allégresse fait place au désenchantement. La forme souple du docu-fiction lui sert de cadre narratif pour déployer une dimension historique précise (via les archives) et une peinture plus subjective (via la fiction) nourrie de sa propre expérience de conseiller. Mêlé au premier cercle (Bérégovoy, joué par Daniel Russo, Mauroy, interprété par Hervé Briaux…), Moati, personnifié par Eric Caravaca, met en scène sa propre admiration pour Mitterrand, jusqu’à rappeler combien elle le conduisit parfois à se coucher devant les caprices du prince (réembaucher Guy Lux sur FR3, par exemple). Plus classique dans la forme, mais fort de nombreux témoignages, le documentaire de Jean-Michel Djian interroge son rapport viscéral à la littérature, mais aussi à la mort et aux “forces de l’esprit”. Autre manière, plus critique, de mesurer l’héritage mitterrandien : ses rendez-vous manqués avec la politique étrangère (Bosnie, Rwanda, guerre du Golfe…), analysés sur Arte par Patrick Barbéris. Les hommages appuyés à Mitterrand appuient aussi là où ça fait mal. Jean-Marie Durand et Vincent Ostria

Un entretien en forme de vague bilan de carrière. Godard dit avoir accepté cet entretien avec Daphné Roulier pour remercier Canal+ d’avoir co-produit son Film Socialisme. S’il se méfie beaucoup des médias et de la nouveauté (culturelle), il est plaisant de l’entendre jouer avec les mots, son grand dada. Entrevue sans fil directeur, ponctuée d’extraits de ses films qui montrent l’extrême cohérence de son œuvre, mais aussi que le langage l’empêche de se laisser aller à ses pulsions de plasticien. V. O.

Documentaire de Birgitta Ashoff. Lundi 9 mai, 22 h 35, sur Arte

La vie de combats de l’essayiste et romancière américaine. Disparue en 2004, Susan Sontag reste une figure de la gauche intellectuelle et politique américaine des trente dernières années. Essayiste (Sur la photographie, La maladie comme métaphore) et romancière (En Amérique), elle est ici évoquée par quelques personnalités proches d’elle : l’écrivain Paul Auster, la chorégraphe Lucinda Childs, le metteur en scène Robert Wilson… A travers ces témoignages, le document retrace ses élans artistiques et ses batailles idéologiques. Dans sa vie intime comme dans la vie publique, elle resta une femme de combat. JMD

JFK mort en direct Documentaire de Ron Franck. Mardi 10 mai, 23 h 05, Canal+

Incroyable collage de documents filmés autour de l’assassinat de John Kennedy. Extraordinaire reconstitution de l’avant et après assassinat de John F. Kennedy à Dallas, le 22 novembre 1963. Grâce à toutes sortes de films, amateurs ou professionnels qui forment un patchwork de textures, en couleurs ou noir et blanc, se fabrique un thriller qui n’a rien à envier à une fiction. Le film d’une mort annoncée, constitué uniquement d’archives. Mais parmi tous ses documents retrouvés, un seul montre l’assassinat, le fameux clip amateur en 8 mm déjà bien connu, tourné par Abraham Zapruder. Mais le moment le plus étonnant, qui donne à toute l’histoire un tour de vis un chouïa tordu, et donc éminemment cinématographique, c’est le meurtre du meurtrier, Lee Harvey Oswald, par Jack Ruby. Cet acte, qui a fait basculer l’attentat du côté de la théorie du complot, fut télédiffusé live. C’était la première fois qu’on voyait la mort en direct à la télé. V. O.

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in situ folie créative BoredPanda.com est un blog dédié aux créations les plus folles, dans tous les domaines, pour la plupart classées sous forme de listes. On admirera ainsi Les trente-trois plus étranges buildings du monde, Les vingt-trois choses marrantes à avoir sur son lieu de travail ou Les cinquante pages “Erreur 404” les plus cool… boredpanda.com

créez le débat Opinews permet aux internautes de débattre entre eux sur un sujet d’actualité via micro, webcam ou chat. Comment participer ? Une fois membre, on peut créer une émission en direct autour d’un sujet quelconque et inviter d’autres membres à venir discuter. opinews.com

le meilleur des réseaux sociaux Un outil pour tous ceux qui sont découragés par les sommes d’infos diffusées sur les réseaux sociaux. Summify gère les newsfeeds des comptes Facebook, Twitter et Google Reader de façon très simple : il fait automatiquement un scan de ceux-ci et envoie par mail, à l’heure désirée, les infos du jour les plus pertinentes. summify.com

live et nouveau Noisey est une toute nouvelle plate-forme vidéo en ligne, réalisée par le magazine Vice, qui a pour but de faire découvrir des groupes émergents en provenance d’une dizaine de pays, de la France à la Chine. On y trouve des vidéos de concerts accompagnées d’interviews de groupes et d’autres de fans. A voir actuellement : Yuck, Mogwai, The Bewitched Hands… noisey.com

la revue du web NPR

La Vie des idées

Café Babel

à vos jeux

encerclés

coming out au travail

Toutes les semaines, plus de trois milliards d’heures dans le monde sont consacrées aux jeux vidéo. Selon Jane McGonigal, c’est insuffisant. Cette chercheuse américaine, consultante et designer de jeux vidéo, explique pourquoi elle pense que ces derniers, notamment les serious games, peuvent avoir un impact positif sur la planète. Plus qu’un passetemps frivole, ils pourraient améliorer la façon dont les gens pensent et se comportent dans le monde réel, et aider à comprendre, sinon résoudre, de nombreux problèmes. n.pr/e6Z8EZ

De plus en plus de quartiers résidentiels se dotent de barrières sécuritaires par peur des inconnus. Ces gated communities sont souvent perçues comme des ghettos de riches qui augmentent la ségrégation spatiale. Toutefois la réalité n’est pas aussi manichéenne. Aux Etats-Unis, par exemple, une enquête a montré que les pauvres étaient légèrement plus concernés que les riches par les gated communities : les ensembles de logements sociaux étant particulièrement touchés par la clôture et la sécurisation des espaces collectifs. bit.ly/ey9N5x

Selon une enquête effectuée par l’association L’Autre Cercle sur la vie des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres, l’industrie compte parmi les milieux professionnels les plus discriminatoires envers les LGBT. Quels sont les recours des salariés discriminés ? Porter plainte est difficile, car les preuves tangibles ne sont pas aisées à réunir et peu de cas sont allés en justice, d’où la rareté de la jurisprudence. Des statistiques à l’échelle de l’Europe seraient déjà un premier pas en faveur du respect au travail des LGBT. http://bit.ly/e3x7F3

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Marcus Obal

vu du net

à corne et à cri L’inscription de la tauromachie au patrimoine culturel immatériel de la France déchaîne les passions. Le net descend dans l’arène.

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e ministère de la Culture, en décidant d’inscrire la tauromachie dans le “patrimoine culturel immatériel de la France” (SudOuest, bit.ly/dNUplr), a réveillé l’éternelle polémique entre les pro et les anti-corrida. Avalisée par la mission ethnographique de la Direction de l’architecture et du patrimoine (liste complète des pratiques et coutumes déjà inventoriées bit.ly/jdZTo8), cette inscription autorise mais ne garantit pas le passage au niveau supérieur, à savoir le patrimoine immatériel de l’Unesco, comme le précise Frédéric Mitterrand en réponse à Brigitte Bardot (Paris Match bit.ly/mKJG2e). Particulièrement remontée (“La France est complètement en décadence”, sur RTL bit.ly/fsl693), l’amie des bêtes n’a pourtant pas toujours semblé de cet avis : en 1957, dans Les Bijoutiers du clair de lune, on pouvait en effet voir la jeune BB toréer gaiement devant la caméra de son pygmalion Roger Vadim (youtu.be/ EMO7yx3wUrM). La France était alors, il faut dire, à son apogée. Dans les pas de l’actrice, les opposants à la tauromachie se mobilisent pour que le ministère fasse machine arrière. L’association Corrida Basta ! propose ainsi d’envoyer une lettre de réclamation type au gouvernement (bit.ly/g6RDLP), tandis que la député UMP des Alpes-Maritimes Murielle Marland-Militello, pasionaria de l’anti-corrida, relance sa campagne pour l’abolition (liste des 70 députés ayant déjà donné leur accord de principe à une telle loi : bit.ly/mNNzk6). S’appuyant sur un sondage Ipsos, réalisé l’été dernier, selon

lequel 66 % des habitants du Gard, département réputé amateur de corrida, sont contre la tauromachie (bit.ly/kc6JUw), la député souhaiterait que la France emboîte le pas à la Catalogne qui a voté, en 2010, l’abolition (Rue89, bit.ly/apgWbd). Il existe bien, à l’Assemblée, un groupe d’études sur la tauromachie (sa composition : bit.ly/kNi9q2), mais il est majoritairement pour cette pratique. Principale organisation abolitionniste, l’Alliance anticorrida (allianceanticorrida. fr) organise la contre-attaque médiatique. Forte de ses nombreux soutiens (de Nicolas Hulot à Mylène Demongeot, en passant par Renaud, qui avait prêté sa voix à un spot anti-corrida censuré en 2007 : dai.ly/ hOVz5g), elle promet d’allumer prochainement des contre-feux... En attendant, les aficionados se réjouissent (Fédération des sociétés taurines de France bit.ly/ehpe3r), et fêtent leur victoire en démarrant la saison à Aignan (bit.ly/ iXZMMc), l’une des quarante villes françaises (liste sur le site de l’Union des villes taurines bit.ly/kobiJP) qui bénéficient d’une dérogation leur permettant d’organiser des corridas. Membre du comité scientifique ayant permis l’inscription au patrimoine immatériel, le philosophe Francis Wolff (interview au Midi Libre bit.ly/lj9LQP) avait en 2007 donné ses arguments dans un ouvrage Philosophie de la corrida (critique sur Rue89, bit.ly/jHERqv, tribune dans Libération (bit.ly/ihtMCG). Et pendant ce temps-là, un autre Francis, Cabrel, ne cesse de se demander si “ce monde est sérieux” : youtu.be/CRo8Y2w-ePE. Jacky Goldberg 4.05.2011 les inrockuptibles 129

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Comme la lune de Joël Séria J’aime découvrir ce genre de films qui, regardés trente-cinq ans après avoir été tournés, prennent une dimension et un sens très différents de ce que cherchait à montrer le réalisateur à l’époque (enfin, j’imagine). La Conjuration des imbéciles

Coup d’éclat de José Alcala Une histoire policière, mais aussi politique et sensible, éthique et esthétique. Avec une magnifique Catherine Frot.

Animal Kingdom – Une famille de criminels de David Michôd Un film de gangsters australien assez efficace.

Tomboy de Céline Sciamma Chronique splendide et sans contrefaçon d’une petite fille qui passe pour un garçon.

Detective Dee de Tsui Hark Le dieu du cinéma d’action hongkongais réussit un époustouflant film de combats en costumes.

Gil Scott-Heron I’m New Here et We’re New Here (remixes) L’une des voix les plus chaudes de la soul remixée par The XX.

The Vaccines What Did You Expect from The Vaccines? Un premier album de pop fougueuse qui fait danser les jambes et battre le cœur.

Sara Stridsberg Darling River Après la bio romancée d’une féministe radicale, Sara Stridsberg ranime la Lolita de Nabokov.

Larry McMurtry Lonesome Dove Enfin éditée en France, une chronique édifiante du Far West qui traîne la légende dans la crasse et le stupre.

Emmanuelle Parrenin Maison cube Un album mitoyen du mythique, unique et visionnaire Maison rose sorti en 1977.

Orhan Pamuk Le Musée de l’innocence Une histoire d’amour hors norme sur fond de lutte des classes dans l’Istanbul des années 70. Timber Timbre Creep on, Creepin’on Avec leur pop pastorale mais hantée, ces Canadiens sont les champions de l’americana.

Le Quatrième Homme de Phil Karlson Film de casse astucieux qui a inspiré Reservoir Dogs. Grindhouse double programme fétichiste des 70’s signé Rodriguez et Tarantino. Mean Streets de Martin Scorsese. Réédition d’un classique assortie d’une mine de bonus.

John le Carré Un traître à notre goût Mafia russe, corruption des banques et espionnage anglais : un tour de force littéraire.

de John Kennedy Toole Les deux cents premières pages sont hilarantes, curieuses, et puis ce qui faisait rire au départ finit par faire pleurer. Je l’ai terminé navrée, desespérée pour le personnage et un peu honteuse…

Hardcore Will Never Die,

But You Will de Mogwai Un morceau comme Death Rays, à la fois très pop et brut, m’inspire et m’apaise… J’adore quand Mogwai ne se renouvelle pas trop et refait un album qui sonne comme EP+6 ! par Noémie Lecoq

La Plaine du Kantô, tomes 1 et 2 de Kazuo Kamimura Un roman graphique cru et tragique, aux accents autobiographiques.

Spaghetti – Intégrale 1 de Dino Attanasio et René Goscinny Réédition des aventures de signor Spaghetti à l’heure des Trente Glorieuses.

Intégrale Philémon de Fred Cette figure de Pilote revient avec une réédition des aventures de son héros rêveur.

Le Prince Miiaou Le Prince Miiaou sera en concert à Paris (Café de la Danse), le 3 mai. Son nouvel album, Fill the Blank with Your Own Emptiness, est disponible.

The Sound of Silence d’Alvis Hermanis Théâtre de Chaillot, Paris Un spectacle muet dans un appartement soviétique, inspiré par Simon & Garfunkel.

Noli me tangere de Jean-François Sivadier L’Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris Entre les Monty Python et Brecht, Sivadier ouvre une troisième voie.

Rhinocéros mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota Théâtre de la Ville, Paris Retour sur un texte mythique déjà mis en scène en 2004.

Danh Vo La Douane, Paris Pour sa réplique grandeur nature et en pièces détachées de la statue de la Liberté l’artiste d’origine vietnamienne cherche des fonds.

Richard Prince American Prayer BNF, Paris Entre contreculture et mainstream, Prince décline sa passion des livres.

Sarah Tritz Galerie Anne Barrault Saturée et suturée, une première expo qui flirte avec l’histoire de l’art et des formes.

Shift 2: Unleashed sur PS3 Enfin un jeu qui se met à la place du conducteur !

Swarm sur Xbox 360 et PS3 Un troupeau de nabots rondouillards affronte obstacles et ennemis. Fumeux mais plaisant.

Okami Den sur DS Un magnifique chant du cygne à la DS.

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