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j’ai fait un afterwork avec

Victor Robert



endredi, 15 heures, terrasse du Rousseau, VIe arrondissement de Paris. Si vous cherchez le journaliste pour discuter projet, boire une bière ou lui faire une déclaration d’amour, on vous conseille ce plan : son afterwork casual friday, après chaque enregistrement d’Un autre midi sur Canal+. C’est rue du Cherche-Midi, qu’il a rebaptisée “rue du Cherche-Gérard” : Gérard Depardieu vit quelques numéros plus loin, on peut apercevoir l’animal zigzaguer en scooter, s’arrêter en face dans sa poissonnerie, choper un gros poisson à pleines mains et rentrer se faire une bonne bouffe. Victor Robert habite tout près, il adore l’atmosphère de cette rue, moins touristique et fric que Saint-Germain, mais le Cherche-Midi est un peu cher pour lui. Il raconte : une dame sans enfants et propriétaire de deux apparts, qui a ses habitudes au Rousseau, aurait de nombreux prétendants. A bon entendeur… Victor Robert a rendez-vous avec Yorgos, un ami journaliste franco-grec, pour parler docu. Il sert la pogne aux serveurs, salut des passants, fait un coucou à une dame du ministère de la Culture. C’est son tiéquar. On s’assoit, commande une bière. Quelques mètres plus loin, trois camions de pompiers bloquent la rue. Yorgos le taquine : “Je vois déjà le titre de l’article : le pompier du PAF a-t-il confiance en sa beauté ?” Robert enchaîne : “Yorgos fait des entretiens avec les grands de ce monde, moi je ne suis qu’un petit journaliste laborieux.” “Mais beau !”, coupe Yorgos. Le journaliste est un habitué du petit écran : Le Journal des bonnes nouvelles, L’Effet papillon, Ça se dispute entre Eric Zemmour et Christophe Barbier puis Nicolas Domenach. “Je pourrais dire si je ne fais plus rien d’autre dans ma vie que j’ai fait démarrer Zemmour”, rigole-t-il. Depuis septembre, il s’est mis à l’émission culturelle. Le philosophe Marcel Gauchet était invité il y a deux semaines, samedi dernier (le 23 avril) c’était Edwy Plenel, et dans quinze jours ce sera Stéphane Hessel pour faire un point sur son hiver de folie. Le journaliste présente aussi sur Planète l’émission 1 euro 60 (le prix d’un ticket de métro), une plongée dans les communautés

“je ne suis qu’un petit journaliste laborieux”

du monde à Paris. Il s’interrompt. Sa femme Christina arrive avec son fils de huit mois, Marcus. “Il est beau mon fils, hein ? Il a de grands yeux clairs, comme son papa. Victor Robert produit également le nouveau disque de Robert Farel, connu pour avoir repris en 1987 Les Petits Boudins, écrite par Gainsbourg et interprétée par Dominique Walter en 1967. En septembre, avec d’autres, il sort un mook (contraction de magazine et de book) de 300 pages. Un peu workaholic, non ? “Non, passionnel”, arrête Yorgos, en mode bodyguard malicieux. D’un coup, il ressemble sacrément au bras droit du “Grec”, le grossiste en cocaïne de The Wire. “La meilleure série, rebondit Robert, elle montre parfaitement comment, après le 11 Septembre, les Etats-Unis ont mis l’argent hors du territoire et non plus dans les commissariats, obligés de dealer avec les dealers.” Sinon, là, il se refait l’intégrale de Philip Roth. Marcial arrive. “Ça va mon poulet, mon loulou ?” Victor Robert a deux potes d’enfance. Le premier bosse avec lui. Le second, Marcial, tient une boutique dans la rue du Cherche-Midi. Ils ont grandi en Bretagne, à Plélan-le-Petit “qui craint pas les grands” (le slogan du club de foot). En tant que Breton, Victor Robert est génétiquement fan du Stade rennais, même s’il lui fait des infidélités au Parc des Princes. “Ça pousse bien”, souffle Marcial en lui caressant les poils du torse. “Moi, je les laisse.” Une vraie petite famille… Anne Laffeter photo Céline Barrère

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No.804 du 27 avril au 3 mai 2011 couverture la saga Gallimard couverture Marseille Oh! Tiger Mountain par David Valteau

07 quoi encore ? Victor Robert

12 on discute courrier ; édito le paperblog de la rédaction

18 parts de marché Fondation Louis-Vuitton : ça redémarre

20 événement le milieu corse flingue à tout-va

22 événement

Jean-Paul Guilloteau/L’Express/RÉA

14 sept jours chrono

un an après, quel bilan pour le préfet de Seine-Saint-Denis ?

24 événement Marie-France Pisier (1944-2011)

26 nouvelle tête Abdelkader Benchamma

27 la courbe

43

ça va ça vient ; billet dur Mousse/Abaca

28 ailleurs portrait d’un cyberdissident syrien

30 à la loupe

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Louis Aliot, n° 2 du FN

32 la saga Gallimard la maison d’édition fête ses 100 ans : une histoire de famille, de littérature et de style

43 la gauche redevient ouvrière Voïna

le PS part à la chasse au vote populaire

44 Sarkozy la sent bien le chef de l’Etat optimiste pour 2012

46 Royal reprend la campagne distancée, la candidate continue le combat

49 que le meilleur perde 50 contre-attaque Haïti cherche à se reconstruire

54 souvenirs de mai 81 Jack Lang y était. Il raconte

58 Voïna, activistes russes à coups d’opérations chocs, ils luttent contre un pouvoir tout-puissant

63 résurrection d’un damné Gil Scott-Heron et sa soul remixés par The XX

66 les séries françaises elles se battent pour rattraper leur retard sur les séries américaines

Michael Ochs Archives/Getty Images

les politiques en quête de défaite

63 pour Marseille et sa région

édition spéciale 32 pages 27.04.2011 les inrockuptibles 9

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72 Coup d’éclat de José Alcala

74 sorties B.A.T. Bon à tirer, Thor, Animal Kingdom – Une famille de criminels…

78 portrait Danièle Hibon, 20 ans de Jeu de paume

79 festival Cinéastes de notre temps à Beaubourg

80 Shift 2: Unleashed un jeu de course en caméra subjective

82 The Vaccines de la pop qui donne du cœur aux jambes

84 mur du son Arcade Fire, Noah & The Whale…

85 live Fair : le Tour

86 chroniques Hubert Mounier, Tindersticks, Yuck…

95 morceaux choisis Concrete Knives, Brian Eno…

96 concerts + aftershow Chocolate Genius ; Erik Truffaz Quartet

98 Sara Stridsberg Darling River ressuscite Lolita

100 romans/essais Larry McMurtry, Gérard Manset…

102 tendance le conte de Kate Middleton

104 agenda les rendez-vous littéraires

105 bd La Plaine du Kantô de Kazuo Kamimura

106 Alvis Hermanis + Jean-François Sivadier

108 la biennale de Sharjah + Danh Vo

110 Rick Genest le nouveau visage de Thierry Mugler

112 Christophe Bourseiller curieux compulsif

114 La Croix nouvelle formule le quotidien catho fait peau neuve

115 Radio Grenouille une station marseillaise

116 séries Xanadu, le porno en famille

118 télévision David Bailey, photographe pop

120 60 secondes une websérie d’Arte sur Facebook

121 la revue du web décryptage

122 best-of le meilleur des dernières semaines

les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34 rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Hélène Fontanaud, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs P. Azoury, E. Barnett, D. Balicki, C. Barrère, T. Blondeau, M.-A. Burnier, B. Catanese, A. Collette, M. Despratx, M. Dumeurger, B. Fert, S. Filosa, J. Goldberg, A. Guirkinger, A. Hallet, E. Higuinen, O. Joyard, B. Juffin, C. Larrède, H. Le Tanneur, T. Legrand, L. Mercadet, B. Mialot, X. Monnier, P. Mouterde, A. Nicoud, V. Ostria, B. Peinado, E. Philippe, T. PietroisChabassier, T. Pillault, J. Provençal, A. Ropert, F. Rousseau, L. Soesanto, P. Sourd, F. Thomazeau, N. Trembley, D. Valteau, L. Vignoli lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable animation Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Caroline de Greef, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Jérémy Davis, Caroline Fleur, Delphine Chazelas, Mathias Hosxe conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeurs artistiques Pascal Arvieu, Mathieu Gelezeau (remplaçant) maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/ scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté d’Arthur Bellot tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 Dorothée Malinvaud (spécial festivals) tél. 01 42 44 15 67 coordinatrice Dounia Hajji tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 19 98 publicité commerciale, directrice Sarah Roberty directeur et directrice de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94, Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 coordinatrice Margaux Monthieu tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/relations publiques Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65, chef de projet marketing direct Alexia Bernard tél. 01 42 44 44 17 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard (tmattard@ame-press. com, tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19, infos au 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Valérie Imbert fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 2 211 059,61 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Matthieu Pigasse directeurs généraux adjoints Stéphane Laugier, François Rossignol attachée de direction Charlotte Brochard directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2011 directeur de la publication Matthieu Pigasse © les inrockuptibles 2011 tous droits de reproduction réservés ce numéro comporte un encart abonnement 2 pages Belgique et Suisse jeté dans l’édition vente au numéro Belgique et Suisse ; un encart abonnement 2 pages Marseille jeté dans l’édition “Spécial Marseille” vente au numéro des départements 13, 30, 83 et 84 ; un encart “Festival de Saint-Denis” jeté dans les départements 75, 77, 91, 92 et 93 ; un supplément 32 pages “Spécial Marseille” broché dans l’édition des départements 13, 30, 83 et 84 ; une couverture 4 pages “Spécial Marseille” brochée dans l’édition des départements 13, 30, 83 et 84

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la Palestine, enfin ? Les Palestiniens veulent enfin créer un Etat reconnu par une majorité à l’ONU et devenir membres à part entière de la communauté internationale. C’est ainsi qu’Israël est né. En 1948, les Palestiniens auraient pu en faire autant. Ils ont préféré la guerre, qu’ils ont perdue malgré l’appui des nations arabes. Deux Etats se partageant un même territoire : qui a une autre solution pour rétablir la paix ? La guerre de 1948 n’a rien réglé, celle de 1967 tout aggravé avec l’occupation israélienne de la Cisjordanie – surtout la colonisation illégale, sauf à se fonder sur de douteuses promesses divines. Longtemps, les Palestiniens ont refusé la paix, à travers trois guerres, un terrorisme insupportable, deux intifadas, sans parler de deux conflits au Liban et de l’extrémisme du Hamas à Gaza. Les Israéliens, eux, quelle que soit la bonne volonté de leurs négociateurs, ont haché le territoire de la Palestine avec les colonies. Ils démontraient par là qu’ils refusaient toute entente avec leurs adversaires. L’Occident appuyait Israël, l’URSS, les régimes arabes. La guerre froide terminée, les protagonistes n’ont pas bougé. La paix a ses ennemis : les extrémistes musulmans ont assassiné Anouar El Sadate, premier président arabe à reconnaître Israël ; les extrémistes juifs ont tué Rabin, premier dirigeant israélien à reconnaître les droits des Palestiniens. On trouve toujours de bonnes raisons pour tuer, opprimer, tirer des missiles, prendre des otages et occuper des territoires. Aujourd’hui, Israël a un gouvernement d’extrême droite, la Palestine est divisée entre un Fatah modéré et un Hamas belliqueux. L’Amérique semble impuissante à peser sur un allié israélien qu’elle arme et protège, l’Europe finance l’Autorité palestinienne sans rien réclamer en retour. Lorsqu’une des parties accepte un plan de partage, l’autre le sabote. Soixante-trois ans que dure le conflit, qu’il empoisonne le Proche-Orient et qu’il nous a menés trois fois au bord de la guerre mondiale (1956, 1967, 1973). Seul un choc peut coincer les guerriers : la création d’un Etat palestinien souverain avec qui Israël devrait négocier. Aucun des deux peuples n’a de légitimité sur toute la Palestine. Il serait bon de le dire et, par la force des faits, de l’imposer.

Les Inrocks

méchamment commenté sur lesinrocks.com par fliro j’déprime

Robert De Niro et Billy Crystal dans Mafia Blues 2 – La Rechute (2002)

l’édito

Un coq paraît, vous nous chiez une pendule ! Un peu d’humour les LGBT ou vous finirez comme les ultracathos, le burin à la main, fracassant les images non pieu-ses…”

Fumer tue (tabac), manger tue (pesticides), ne pas manger tue (tiers-monde et quart-monde), le nucléaire, même civil, tue (souvent à petits feux cancéreux), boire tue (un verre ça va, trois…), l’amour tue (sida), le travail tue (accidents, suicides). Finalement, la vie c’est tuant… On s’en doutait un peu, non ?

j’blasphème Le nombre de visites quotidiennes sur mon blog (konmexplik2.blogs. nouvelobs.com/) végétait autour de la centaine et le cumul mensuel de visiteurs uniques plafonnait à environ 1 000. J’ai écrit lundi une note sur le sujet hot des “impies vs les bigots” dans la polémique (la bataille, devrais-je écrire) entourant “l’œuvre” appelée Piss Christ. En Avignon, une photo controversée (satanique) attaquée à coups de burin (tintin). Et là : swoosh ! 369, puis 452 visites ces deux derniers jours, et déjà 1 200 visiteurs uniques. Les mots-clés Piss Christ semblent attirer les commentaires. J’ai “publié” les quatre ou cinq qui m’ont paru intéressants et… rejeté les charges amères et décervelées de quelques fous de Dieu. Non pas que je tremble devant des adeptes de superstitions momifiées, dont le niveau de tolérance est équivalent à celui d’un adhérent du KKK écoutant l’intégrale d’Isaac Hayes et dont la capacité de dialoguer pèse autant qu’un

cerveau de protozoaire. Sans oublier leur niveau d’orthographe, pareil à celui d’un bonobo fatigué qui aurait seulement lu l’intégrale des sms de Juju l’embrouille, 17 ans, CM2, dyslexique. Mais disons que le sentiment de tristesse amusée que j’éprouvais déjà vis-à-vis de mes compatriotes adhérents au monothéisme radical et à l’Immaculée Conception est renforcé. Il faudrait leur appliquer sans retard une monothérapie radicale et une immaculée contraception afin d’éviter qu’ils ne se reproduisent et finissent par convaincre Juju l’embrouille, 17 ans, CM2, dyslexique, avec tous ses copains, que les bébés naissent dans les choux, voire que Darwin n’est qu’une ville d’Australie ou qu’un barbu en sandales a, sur un coup de tête, réalisé tout le merdier dans lequel nous vivons en deux coups de cuiller à pot en six jours chrono. Et en plus, que son nom n’est ni Jack Bauer, ni même Chuck Norris. J. V.

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction

le mot

[cathodique]

Fowatile booste Bourges Première claque du Printemps Francis le Gaucher

de Bourges : les Lyonnais de Fowatile. Les pieds dans les musiques du monde, la tête tournée vers Detroit et New York, le quatuor envoie un breakbeat puissant qu’on imagine sans peine rejoindre le catalogue de Warp. A la tête d’un groupe avec batterie et claviers, le rappeur guyanais Elby Dillinger, capable de puissants refrains soul ou d’ambiances plus funk à la The Roots, semble avoir pris d’assaut les scènes toute sa vie. Un premier ep est déjà disponible, l’album sortira début 2012. la brume, la danse Promenons-nous dans les bois avec la chorégraphe Gisèle Vienne : pendant dix minutes de son spectacle This Is How You Will Disappear, joué cette semaine au Centre Pompidou après Avignon et Brest, l’action se passe en forêt, la scène se sature de brouillard, de fumée et de vent, immergeant les spectateurs dans une vague de brume. Terrifiant et magnifique, à mi-chemin entre Wagner et le 11 Septembre.

Nicolas Hulot, “animateur cathodique”, se transforme en “candidat cathodique” dans “notre démocratie cathodique”. Cela signifie en toute simplicité que cet homme doit sa notoriété à la télévision, ce qui se disait autrefois être une “vedette du petit écran”. Pourquoi cette audacieuse et lassante métonymie de l’instrument, ici un petit tube ? Ne cherchons pas plus loin : 1. Pour ne pas parler comme le peuple (car personne ne dit : “hier soir on a passé une sacrément bonne soirée cathodique”). 2. Pour se donner un air savant à très bon marché (le téléspectateur moyen ignore tout de la mystérieuse cathode). 3. Pour ne pas prendre position (quoi de plus impartial qu’un faisceau d’électrons dans un gaz raréfié). Ajoutons que la cathode a disparu des téléviseurs à écran plat il y a plusieurs années : elle va rejoindre les sellettes de tribunal, les férules, les fourches caudines, les épées de Damoclès et les chiens de faïence, tous objets anciens dont raffolent les médias mais depuis longtemps introuvables dans le commerce.

Duncan Lowder

10 000 spliffs L’Amérique célébrait mercredi le 420, chiffre fétiche du fumeur de joints. Devenu une expression, “420” désigne la culture cannabis, traditionnellement célébrée le 20 avril (4/20 dans le calendrier US). A l’université de Santa Cruz,

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l’image

Zoo Project

en Californie, et à Boulder, dans le Colorado, 10 000 personnes se sont réunies pour tirer sur des spliffs. A Boulder, cet effort collectif aurait dégagé le plus gros nuage de fumée de marijuana au monde. Faites tourner, brothers. “Piss Christ”, suite La semaine dernière, le Piss Christ d’Andres Serrano était cabossé par des ultracathos à la Collection Lambert à Avignon. Réaction dans les médias : La Croix défend l’œuvre et analyse avec finesse le problème des sécrétions du Christ, sur I-Télé Robert Ménard appelle à la haine de Serrano sur un ton lepénien (“Souvenez-vous de ce nom !”), au Figaro Yves Thréard n’y voit qu’une œuvre sans intérêt et sa destruction une bonne affaire pour l’artiste, et sur France Inter Guillaume Erner parle de Serrano, “artiste au nom de jambon” et se demande si c’est de “l’art ou du cochon”. Lumpy l’élan est un flic ! YouTube utilise les animaux trash de la série d’animation Happy Tree Friends pour faire la leçon aux utilisateurs qui mettent en ligne des vidéos ne respectant pas le droit d’auteur. Le contrevenant se voit forcé de regarder une aventure édifiante de Russell la loutre et Lumpy l’élan, puis de répondre à un quiz pour avoir accès à son compte (suspendu au bout de trois rappels à l’ordre). Tim Hetherington, 1970-2011 Le photojournaliste est mort à 41 ans à Misrata en couvrant la révolte libyenne. Hetherington n’en était pas à son premier conflit. Pour la réalisation, avec Sebastian Junger, du superbe Restrepo – nommé cette année aux oscars dans la catégorie du meilleur documentaire –, il avait suivi pendant un an une patrouille américaine sur le front afghan.

à la mémoire

Un jeune artiste peint les morts de la révolution et expose leurs silhouettes à Tunis. Pour que justice soit faite.

Tim Hetherington

L’artiste Zoo Project ressuscite les morts de la révolution tunisienne. Bilal, Franco-Algérien de 20 ans vivant à Paris, a été bouleversé par l’élan démocratique. En mars, il prend un avion pour Tunis. Il rencontre la famille d’un jeune homme de 19 ans tué à bout portant en pleine rue. Il décide de peindre les silhouettes des “236” martyrs officiels. Mohamed Bouazizi bien sûr et d’autres moins connus, des menuisiers, professeurs, vendeurs ambulants, chômeurs… Une quarantaine de ces portraits à taille réelle dessinés à l’encre noire sont exposés dans les rues de Tunis, ensuite partout dans le pays. Une œuvre collective et éphémère car le jeune artiste donne ou abandonne ses portraits. Son souhait ? Que les responsables de ces morts innocents soient jugés, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. (www.zoo-project.com) Afghanistan, 2007. Sebastian Junger et Tim Hetherington (à droite) à l’avantposte Restrepo

pomme epoisonnée Jeudi 21, dans un rapport signé Greenpeace, la marque à la pomme arrive dernier de la classe en matière d’énergie. Notamment pour avoir la main lourde sur l’électricité d’origine carbone. Apple vient d’acquérir de nouveaux locaux en Caroline du Nord qui devraient tripler sa conso électrique. “Quand ils téléchargent une vidéo ou changent leur statut Facebook, les internautes doivent savoir qu’ils favorisent le réchauffement climatique”, dit Gary Cook, un des auteurs du rapport. 27.04.2011 les inrockuptibles 15

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le moment carnage en Syrie

Le pouvoir tente d’étouffer dans le sang une révolte qui gagne pourtant en ampleur. Week-end sanglant pour les opposants au régime syrien. Ils réclament la fin du parti unique Baas et le départ du Président Bachar al-Assad, qui a succédé en 2000 à son père Hafez, au pouvoir depuis trente ans. Le régime a ordonné de mater la contestation et d’effrayer la population. Dans une vingtaine de villes et d’agglomérations, les forces de sécurité sont passées à l’attaque. Arrestations, assassinats, raids nocturnes dans les domiciles des présumés activistes se sont intensifiés. Des snipers tirent sur la foule à balles réelles et visent la tête. La répression a fait au moins 120 morts, vendredi et samedi, selon une liste nominative compilée par le Comité des martyrs de la révolution du 15 Mars. Lundi matin, des centaines de membres des forces de sécurité appuyés par des blindés sont entrées dans la ville de Deraa, où la contestation a débuté en mars. La frontière avec la Jordanie, toute proche, a été fermée. Depuis le 18 mars, environ 350 morts et des dizaines de disparus sont à déplorer, selon des militants des droits de l’homme.

Sex and Zen: Extreme Ecstasy de Christopher Sun Lap Key

la 3D qui nique Avatar Le film érotique 3D Sex and Zen: Extreme Ecstasy, sorti à Hong Kong, plaît. Ce soft-porn a réalisé un meilleur score au box-office qu’Avatar il y a un an. Depuis sa sortie, le 14 avril, il a rapporté 2,8 millions de dollars (2,6 pour Avatar sur la même période). De nombreux Chinois déjouent la censure (le film est interdit en Chine) et viennent à Hong Kong découvrir le sexe 3D (70 % des sièges étaient pré-réservés avant la sortie en salle). So tatane “Non le football n’est pas grossier, oui on peut penser avec ses pieds.” A l’initiative du mensuel So Foot, le manifeste en ligne Tatane a de l’ambition et pas mal d’humour : lancer un débat sur le foot en faisant des rimes. Premiers signataires : Philippe et Vincent (Delerm), Vikash (Dhorasoo), Thierry (Frémaux, pas Roland) et Dany (Cohn-Bendit). moins 21 % sur le terrorisme Selon le bilan annuel 2010 d’Europol (organisation européenne de coopération policière), le nombre d’attaques terroristes en Europe a diminué de 21 % par rapport à 2009. 249 crimes ont été enregistrés et 611 personnes impliquées, dont 179 liées au terrorisme islamique. La France et l’Espagne sont les pays les plus touchés. Europol précise que les actes violents sont commis majoritairement par des groupes séparatistes. La diminution des actions menées par l’ETA basque explique en grande partie ces chiffres positifs. Disquaire Day : le jour de gloire Rebaptisé Disquaire Day pour sa première édition française, le Record Store Day angloaméricain a été accueilli avec enthousiasme et virilité par les vinyls collectors. Ils étaient plus d’une centaine à l’ouverture chez Gibert à Paris, jouant des coudes pour trouver les pièces les plus prisées (Nirvana, Radiohead), une trentaine à piétiner devant la boutique Fargo, nombreux aussi à circuler dans les rayons de l’éphémère boutique Rough Trade chez agnès b. Ferveur identique en Angleterre, avec des queues dès 3 heures du matin chez les disquaires de Brighton. Pas que des fans, mais aussi de vils spéculateurs qui revendent direct leurs prises sur eBay. Appelés “indie mafia” par les kids, ils sont le point noir d’une journée frénétique où certains magasins indés ont réalisé en un matin leur chiffre d’affaires mensuel. L. M., B. Z., avec la rédaction

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Fondation Louis-Vuitton pour la création/Mazen Saggar

Maquette de la Fondation Louis-Vuitton, par Frank Gehry

l’ardu chantier A Paris, le projet de fondation d’art contemporain mené par Bernard Arnault a failli capoter. Le chantier reprend, mais l’affaire pourrait rebondir.

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n France, c’est compliqué. Pourtant c’est un beau projet avec un bon architecte. Je savais que c’était compliqué. Mais à ce point…” Mi-fataliste, mi-indigné, François Pinault exprimait ainsi sa compassion à l’égard de… son ennemi de toujours, Bernard Arnault. Le patron de PPR a tenu ces propos le jeudi 10 avril, lors du vernissage de la nouvelle exposition dans sa fondation d’art contemporain, à Venise, en pensant aux soucis rencontrés par le boss de LVMH qui veut installer sa propre fondation au Jardin d’acclimatation dans le XVIe arrondissement de Paris. Comme Pinault sur l’île Seguin il y a sept ans, Bernard Arnault doit faire face à de nombreux obstacles, à commencer par l’opposition de riverains prêts à tout pour empêcher la “bétonnisation du bois de Boulogne”. Comme François Pinault encore, il s’est pourtant adjoint les services d’un des plus grands architectes, Frank Gehry – quand Pinault avait opté pour Tadao Ando à qui il a finalement confié le chantier de sa fondation vénitienne en 2005. Enfin, Bernard Arnault a failli voir son projet capoter lorsque le tribunal administratif a annulé, le 20 janvier, le permis de construire de sa fondation entraînant l’arrêt des travaux entamés…

les riverains du XVIe arrondissement ont tenté de s’opposer au projet

depuis deux ans. Mais, cette fois, l’histoire devrait se terminer par un happy end et empêcher le départ d’Arnault pour une contrée plus hospitalière. Le vent semble en effet avoir tourné, ces dernières semaines, en faveur de la Fondation Vuitton considérée “d’intérêt général” par des députés PS et UMP qui ont voté, le 15 février, un amendement permettant la reprise de la construction. Dans la foulée, la Mairie de Paris a fait appel et obtenu le 14 avril “le sursis à exécution du jugement par lequel le tribunal administratif avait annulé le permis de construire de la Fondation Louis-Vuitton”. Une décision qui devrait permettre la reprise des travaux en attendant le jugement définitif en juin. “Les travaux vont pouvoir reprendre sans délai et le musée dessiné par le célèbre architecte Frank Gehry voir le jour dans les délais prévus”, s’est réjouie la Mairie de Paris dans un communiqué. Du côté de la Fondation Vuitton, on estime que “c’est une très bonne nouvelle pour les quelque 400 à 500 salariés qui travaillent sur le chantier”. Paraît-il exaspéré par les retards en tout genre, Frank Gehry – qui, pour l’heure, ne s’est vu confié aucun des gros chantiers de la capitale française alors qu’il a, par exemple, réalisé le Musée Guggenheim de Bilbao – va pouvoir se réjouir également. “Nous sommes à la fin du gros œuvre, nous allons désormais pouvoir attaquer la mise en place des charpentes métalliques.” Jusqu’au prochain rebondissement ? Claire Moulène

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alerter les cocus Le site revelelescocus propose de dénoncer les infidélités dans son entourage (si le ou la cocu désire obtenir les infos, le délateur empoche 1 euro). Pas joli joli de cafter.

la DS baisse D’après Flurry Analytics, la DS a représenté, en 2010, 57 % du marché de la console portable contre 70 % en 2009. Les jeux sur smartphones concurrenceraient Nintendo : Android et iOS cumulent 34 % des parts contre 19 % en 2009. Merci Angry Birds.

arty gay microblogging et maxiconcurrence La société UberMedia (logo), éditrice d’applications Twitter, pourrait lancer un site de microblogging comblant les faiblesses de Twitter. Au menu, des messages de plus de 140 caractères et une interface plus accessible.

Google Vidéo s’éteint

PC : la lutte des places Selon le cabinet Gartner, la vente de PC a baissé pour la première fois en un an et demi. En cause, la crise, la longévité du matériel et la concurrence des tablettes.

L’arrêt du service de streaming sera effectif à la fin du mois. Le moteur de recherche a informé ses utilisateurs qu’ils pouvaient sauvegarder leurs vidéos avant qu’elles ne soient effacées de la toile.

Monstre, revue gay indépendante, interroge l’homosexualité et le genre à travers l’art contemporain, bousculant idées et opinions. Son troisième numéro a pour thème “l’indétectable”.

“allez vous faire foutre !” Le numéro du printemps 2011 de la revue Standard, consacré à la politique, publie un entretien avec Michel Rocard où son langage sans fard surprend toujours. Egalement au sommaire, Christophe Blain parle de la suite de Quai d’Orsay.

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le milieu corse change de calibre L’assassinat de l’ancienne élue UMP Marie-Jeanne Bozzi témoigne d’une évolution dans les règlements de comptes entre truands : nul n’est épargné.

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uerre en Corse. Cinquième année. Toujours aussi sanglante. Depuis 2006, les cadavres s’accumulent. Près d’une cinquantaine selon les décomptes des services de police, qui ont bien du mal à enrayer la vague. Et la violence a franchi un nouveau cap le 21 avril, avec l’assassinat de Marie-Jeanne Bozzi sur ses propres terres. Vers 16 h 10 ce Jeudi saint, l’ancienne maire UMP de Grosseto PrugnaPorticcio descend de son véhicule, garé sur le parking du centre commercial de la commune. Deux hommes en scooter, casqués, débarquent et tirent. En plein jour, sous le soleil. Huit impacts de balles de 9 mm : une exécution. Et un émoi immédiat. “La prochaine étape ça va être quoi ? Les enfants ?”,

s’énerve l’avocat de Mme Bozzi, Dominique Mattei. “Ils s’en prennent désormais aux femmes. Les tabous de la société corse sautent peu à peu”, renchérit un enquêteur de la PJ de l’île de Beauté. Dans la litanie des règlements de comptes qui se sont tenus en Corse, les anciens n’avaient certes pas été épargnés en cinq ans. Ni les élus. En 2006, Robert Féliciaggi, maire UMP de Pila-Canale, aussi proche de Charles Pasqua que du parrain de Corse-du-Sud Jean-Jé Colonna (tué quelques mois plus tard), avait été victime d’un tireur embusqué. Le signal du début de la guerre, selon les spécialistes. La nuit électorale du 20 au 21 mars 2011 a aussi vu tomber Dominique Domarchi. Le conseiller de Paul Giaccobbi, président de la collectivité territoriale

de Corse, rentrait chez lui, à Sant’ Andrea-diCotone, commune dont il était maire depuis vingtsept ans. Un bail qui ne l’a pas empêché d’être abattu sur le seuil de sa maison. L’émoi n’est toujours pas retombé. Jamais une femme politique n’avait été touchée. Surtout elle. “Une femme de poigne, de caractère, presque l’incarnation de la femme corse, poursuit Me Dominique Mattei. C’était une élue très respectée, attachée aux traditions, courageuse. Un résumé des qualités insulaires.” Et de ses méandres familiaux. L’ancien édile de Porticcio avait laissé son écharpe à sa fille Valérie en 2008. La faute à des condamnations. “Soustraction au paiement de l’impôt, omission de déclaration et fraude fiscale”, déclare en 2007

Stéphane Agostini/AFP

Relevé d’indicess ur les lieux de l’assassinat de Marie-Jeanne Bozzi, Porticcio, 21 avril

la cour d’appel de Bastia, peine qui, devenue définitive, la rend inéligible. L’enquête sur ses revenus faisait suite à une autre affaire plus gênante. En 2002, son époux est convaincu de proxénétisme et de dissimulation de travail clandestin, MarieJeanne Bozzi de complicité. Des hôtesses trop câlines étaient liées aux boîtes de nuit qu’ils géraient, le Pussy-Cat et le César. Un vaste coup de filet avait alors éteint le milieu de la nuit d’Ajaccio à Porticcio. “Elle n’était pas en première ligne dans ces dossiers, précise son avocat, ni dans les règlements de comptes.” Sa famille si. MarieJeanne Bozzi est née Michelosi. Ange-Marie Michelosi, son frère, a été tué au volant de sa voiture à l’été 2008. Jean-Toussaint, son deuxième frère, est incarcéré depuis septembre 2008. La fratrie possède Le Petit Bar, un établissement d’Ajaccio qui a donné son nom à l’une des bandes actives dans le Milieu. Les Michelosi sont soupçonnés d’être les parrains de cette jeune équipe, dont une bonne part garnit les prisons du continent. Qui pour trafic de stups, qui pour extorsion, qui pour association de malfaiteurs en vue de commettre un homicide… En janvier dernier, Le Petit Bar et JeanToussaint Michelosi sont condamnés pour avoir voulu organiser une vendetta, avec l’objectif de venger l’assassinat de Ange-Marie Michelosi. Les réunions de préparation ont eu lieu au domicile même de MarieJeanne Bozzi, des armes découvertes chez elle, une voiture de location utilisée pour faire des repérages louée par ses soins. Arrêtée, mise en examen au cours de l’enquête, l’ancienne élue assure en garde à vue que la “mauvaise réputation du Petit Bar est montée, alimentée de toutes

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l’enquête sur les revenus de l’élue a fait suite à une accusation de complicité de proxénétisme pièces par des journalistes et la rumeur publique”. De même, elle niera avoir voulu venger la mort de son frère. Et ne sera pas renvoyée devant la cour. Non-lieu. “Difficile d’imaginer qu’elle n’était pas au courant du projet criminel, écrit le vice-procureur Sylvie Odier dans son réquisitoire de non-lieu du 10 novembre 2010. Mais le seul fait d’affirmer qu’elle ne pouvait ignorer ce qui se tramait ne saurait constituer des charges permettant un renvoi en correctionnelle.” Pas vu, pas pris. Cible présumée de ce “commando Michelosi”, un temps partie civile du procès avant de se rétracter, Alain Orsoni

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a immédiatement réagi à la mort de Mme Bozzi. En condamnant l’assassinat de l’élue. Et en s’inscrivant en faux contre les bruits qui font de cet ancien leader nationaliste l’un des acteurs de la guerre du Milieu. De fait, selon les rapports de police, “l’antagonisme entre les familles Orsoni et Michelosi était ancien, et remontait à l’époque Jean-Jé Colonna qu’Alain Orsoni avait osé défier sous ses fenêtres”. Une alliance entre Michelosi et Le Petit Bar a pu se nouer. Placé sur écoute, un proche de la famille a même avancé une théorie : “Le Petit Bar voulait éliminer Alain Orsoni compte tenu des ambitions qui lui étaient

prêtées sur la ville d’Ajaccio, depuis son retour d’Amérique centrale.” “Il y en a marre de ces racontars, tonne Me Sollacaro, avocat d’Alain Orsoni. Et le désigner ainsi fait de lui une cible.” De retour en Corse depuis 2006, Alain Orsoni circule en voiture blindée. A l’instar de Marie-Jeanne Bozzi. Quoique “ne se sentant pas menacée”, dixit ses proches, l’ancienne élue avait commandé un véhicule blindé qui lui a été livré le 15 septembre 2009. Sans effet. “Elle avait un peu un profil à la Mafiosa. Sans le physique de l’héroïne de la série de Canal+, mais avec quelques histoires vraies”, sourit un ancien de la PJ d’Ajaccio. Avant de reprendre, plus inquiet : “Sa mort est un grave signal. La guerre part dans tous les sens. Personne n’est

épargné et on a l’impression que le coup peut venir de n’importe où. Pour une vendetta, une question de territoire ou de petits malins qui veulent profiter du désordre actuel du Milieu.” Perdus dans ce macabre labyrinthe, les services de police peinent à enrayer l’empilement des morts. Les dossiers sur le bureau de la Juridiction interrégionale spécialisée de Marseille s’accumulent. L’enquête sur le meurtre de Marie-Jeanne Bozzi lui a été transféré et le juge Thierry Azéma saisi. “Il faut faire attention, prévient un membre du parquet. Les arrestations doivent être très ciblées. Sinon elles font monter la pression, laissent croire que certains balancent des noms aux flics.” Avec pour corollaire d’entretenir le cycle meurtrier sur l’île de Beauté. Xavier Monnier

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LUDOVIC/RÉA

Christian Lambert, cité des Beaudottes à Sevran, Seine-Saint-Denis, 23 mars

du karcher à l’arrosoir Nommé préfet en 2010, l’ancien flic Christian Lambert devait “nettoyer le 9-3”. Sans réels moyens, le fonctionnaire ne peut appliquer sa politique sécuritaire et néglige ses missions sociales.

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l aurait pu rêver plus tranquille pour parachever sa carrière décrite comme “exemplaire” dans les rangs policiers. En avril 2010, Christian Lambert – 65 ans en juin – est nommé préfet dans le département le plus pauvre et criminogène de France : la Seine-Saint-Denis. L’ancien flic, qui fut patron des CRS et chef du Raid (corps d’élite de la police nationale), est chargé par Nicolas Sarkozy de “rétablir l’ordre” et d’éliminer l’insécurité dans le “9-3”, territoire gangrené par les violences et l’économie souterraine du trafic de drogue. Une nomination stratégique pour Nicolas Sarkozy, qui veut faire de son “superpréfet” le symbole de sa politique volontariste en matière de sécurité. Et redorer son image dans les quartiers sensibles avant 2012 (aux dernières présidentielles, la SeineSaint-Denis a voté à 57 % pour Ségolène Royal). Le président a toute confiance en Christian Lambert, un proche depuis leur rencontre en 1993 lors de la prise d’otages dans une école maternelle de Neuilly.

Un an après cette nomination largement médiatisée, l’heure est au bilan. Lors d’une visite à la préfecture le 20 avril, le ministre de l’Intérieur Claude Guéant a salué le travail de Christian Lambert, et sa “stratégie de reconquête républicaine”. L’occasion pour la préfecture d’aligner les chiffres. En un an, près de 40 000 personnes ont été interpellées, dont près de 9 000 pour trafic de stupéfiants. Plus d’une tonne de résine de cannabis et 663 kg de cocaïne ont été saisis. Les vols à main armée ont chuté de 40,67 % sur les trois premiers mois de 2011, par rapport à la même période de 2010. Mais entre avril 2010 et mars 2011, les violences aux personnes ont augmenté de 10,6 % et les vols avec violence de 11,3 %. Les infractions à la législation sur les stupéfiants, l’une des cibles prioritaires du préfet, ont elles aussi augmenté de 5,5 % en 2010, selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales. Le fer de lance de la “méthode Lambert” ? Une véritable “guerre

des halls”, lieux de deals et refuge des bandes en tout genre. Selon une enquête de l’Office public de l’habitat de SeineSaint-Denis, environ 16 % des halls d’immeuble étaient occupés en juin 2010, dont la moitié par des trafiquants de drogue. Depuis l’arrivée du préfet, 19 000 halls ont été contrôlés. Certains y voient une prime aux statistiques qui permet de multiplier les arrestations de petits revendeurs – immédiatement remplacés – mais n’inquiète pas les véritables caïds (Christian Lambert en dénombre 80). “On ne fait que déplacer le problème”, estime Claude Bartolone, président PS du conseil général et député de SeineSaint-Denis. “Le trafic de crack de la gare de Saint-Denis ? Il a été transféré au quartier des Poètes de Pierrefitte. Une descente dans un hall ? Les dealers se rabattent sur le hall suivant.” “Tant que les chiffres sont utilisés politiquement, difficile de ne pas en tenir compte, reconnaît Philippe Laborderie,

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responsable Ile-de-France au Syndicat national des officiers de police (Snop). Mais la priorité du préfet reste d’améliorer le ressenti des gens au quotidien, en multipliant les opérations dans les lieux de vie commune.” L’“homme-karcher” du président semble unanimement apprécié dans le département. Claude Bartolone décrit un homme “sympathique, franc du collier, travailleur”. “Il a d’étroites relations de travail avec les élus du territoire, il est à l’écoute”, renchérit Gilles Poux, le maire communiste de La Courneuve. Lambert jouit également du respect de ses troupes. “Il a gravi les échelons depuis le bas de l’échelle, explique Philippe Laborderie. Il est compétent, ouvert, et ne compte pas ses heures.” “Il met une pression d’enfer aux forces de l’ordre !, s’amuse même Stéphane Gatignon, maire de Sevran et conseiller régional. Lui-même est tout le temps sur le terrain. Le soir, il prend sa caisse et il suit les flics.” L’homme dort peu : Nicolas Sarkozy l’affuble du surnom de “Panda”, à cause de ses yeux éternellement cernés. Mais la stratégie de Christian Lambert fait grincer des dents. “C’est un superflic, pas un préfet. Un préfet s’occupe aussi des questions d’aménagement, d’emploi, de logement, de finances locales, d’intercommunalité… Lui est quasi

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en Seine-Saint-Denis, 13 600 jeunes sont demandeurs d’emploi : une hausse de 26 % depuis 2008 uniquement sur le terrain de la sécurité”, critique Stéphane Gatignon. Des lacunes d’autant plus gênantes que la Seine-SaintDenis souffre d’un fort taux de chômage : 11,2 % au dernier trimestre 2010, selon l’Insee. Dans ce département, le plus jeune de France, 13 600 jeunes sont demandeurs d’emploi selon la préfecture, ce qui représente une hausse de 26 % depuis le début de la crise en novembre 2008. Les liens de Christian Lambert avec le cercle présidentiel n’ont pas entraîné d’augmentation des moyens du département. “Je l’ai accueilli en lui disant : ‘Je suis heureux d’avoir enfin une ligne directe avec l’Elysée’, raconte Claude Bartolone. Ça n’était pas qu’une boutade ! Il a fait remonter des infos.” Il cite l’exemple des mineurs étrangers isolés, débarqués de l’aéroport de Roissy, qui ont coûté au département “30 millions d’euros en 2010, contre 20 millions en 2009. Mais l’Etat qui se serre la ceinture a fait la sourde oreille. Ce qui montre bien que Lambert est destiné à être un symbole, sans moyens à la clé”. Stéphane Gatignon

ajoute : “Même en termes de sécurité, il vide la mer à la petite cuillère.” Officiellement, on recense près de 5 000 hommes en Seine-Saint-Denis. “Insuffisant, estime Claude Bartolone. Surtout qu’entre les postes prévus et les postes réellement pourvus, il y a un gouffre.” Des sources policières évoquent plutôt 3 300 postes réels. Pour Philippe Laborderie, “le vrai souci, ce ne sont pas les effectifs mais leur répartition : dans les départements difficiles et a fortiori dans les quartiers vraiment chauds, on a moins de fonctionnaires qu’ailleurs, et souvent moins expérimentés, car il y a moins de candidats”. Aujourd’hui, “l’ambiance dans le département n’a pas changé, juge Stéphane Gatignon. On est même face à un climat de plus en plus violent, à cause de la crise économique.” Dans sa ville, une fusillade à l’arme automatique s’est encore déroulée le mois dernier en plein après-midi, heureusement sans faire de victimes. Du côté de l’Elysée, on semble satisfait du travail de Christian Lambert. Un projet de loi taillé sur mesure devrait lui permettre de rester à la tête du département malgré ses 65 ans. Examiné le 6 avril en conseil des ministres, il prévoit de “maintenir un fonctionnaire au-delà de la limite d’âge, à titre exceptionnel”. Anouchka Collette

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Souvenirs d’en France d’André Téchiné (1975)

sa popularité fut réelle mais intermittente

Marie-France Pisier (1944-2011) Dans les années 60 et 70, Truffaut, Buñuel ou Rivette lui ont permis d’exprimer tout le piquant de sa personnalité. Plus récemment Maïwenn ou Christophe Honoré lui offrirent de nouveaux rôles. Son ironie maîtrisée, ses airs de défi nous manquent.

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e qui séduisait chez MarieFrance Pisier, c’était une nuance très fine entre la lassitude et l’amusement. Piquante et ironique, c’était sa façon d’être, marquée au fer d’une naissance dans la grande bourgeoisie coloniale (fille de gouverneur), mais aussi par une formation universitaire solide en sciences politiques. Prompte à exercer toute sa lucidité critique, elle sera aux avant-postes en Mai 68. Etudiante à Nanterre, elle sort même avec Daniel Cohn-Bendit. Une fille décidée donc. Le cinéma français lui a fait jouer cette partition sur différentes gammes, de l’effronterie adolescente (Truffaut) à l’amertume ménopausée (Maïwenn). Elle naît au cinéma en infligeant au pauvre Antoine Doinel son premier râteau dans Antoine et Colette (Truffaut,1962). Avec son look yé-yé, Pisier est irrésistible d’assurance goguenarde, celle des filles un peu chipies qui n’aiment

rien tant que de faire courir les éberlués s’accrochant à leurs ballerines. Mais malgré ces débuts précoces, c’est à presque 30 ans que Marie-France Pisier s’impose vraiment. En 1972, une saga romanesque de l’ORTF, Les Gens de Mogador, lui vaut la popularité. Mais elle la réinjecte immédiatement dans un cinéma d’auteur fantasque et expérimental. Luis Buñuel la choisit pour convive d’un dîner absurde sur des cuvettes de WC (Le Fantôme de la liberté, 1974). Séduit par sa culture et sa vivacité, Jacques Rivette l’inclut dans la troupe lunaire et joyeuse de Céline et Julie vont en bateau (1974). Spectrale et abusivement maniérée dans ses robes Belle Epoque, elle pastiche le romantisme inquiet d’une héroïne d’Henry James avec une malice jubilatoire. La seconde moitié des années 70 est son apogée. Elle obtient un grand succès commercial avec une comédie de mœurs un peu oubliée, Cousin cousine (Tachella, 1975). Truffaut lui propose d’écrire avec

lui (et bien sûr d’interpréter) le dernier volet des aventures de Léaud/Doinel. Colette y est devenue une avocate émancipée, qui brutalise encore ce vieil Antoine en lui faisant croire qu’elle se prostitue dans les trains, maquereautée par un contrôleur SNCF. Jeune cinéaste à la mode, André Téchiné lui offre pour Souvenirs d’en France (1975) son premier César du second rôle et une réplique d’anthologie. En grande bourgeoise excentrique, elle s’exclame, au sortir d’un cinéma, dans un grand rire de gorge : “Foutaises ! Foutaises !” Elle retrouve Téchiné en 1976 pour Barocco (second César), puis en 1979 pour Les Sœurs Brontë, qui lui vaut de monter les marches de Cannes aux côtés de deux jeunes stars cadettes : Adjani et Huppert. C’est peut-être l’émergence de cette génération nouvelle qui lui vaut des années 80 ingrates, faites de seconds rôles faire-valoir de Belmondo (L’As des as, 1982) et de comédies faiblardes (Les Nanas, 1985). Alors, puisque le cinéma la délaisse, l’actrice écrit, romance ses souvenirs exotiques d’enfance dans les colonies et réussit un best-seller avec Le Bal du gouverneur (dont elle réalise avec moins de succès l’adaptation en film en 1990). Il faut attendre la fin des années 90 pour, de façon espacée, la voir revenir dans des seconds rôles marquants. Manuel Poirier lui confie un rôle dur de bourgeoise en mal d’enfant (Marion, 1997), Stéphane Giusti en fait une cougar ravageuse (Pourquoi pas moi ?, 1999). Un registre qu’elle reprend à la télévision dans la série Clara Sheller. En 2006, Maïwenn fait d’elle la mère dangereusement folle de Pardonnez-moi. Sur un mode plus tendre, Christophe Honoré lui permet de déployer toute l’étendue de son charme parfois venimeux dans Dans Paris, en mère désinvolte d’un grand fils dépressif, Romain Duris. La carrière est longue, comporte des moments forts, mais garde quelque chose d’inabouti. Sa popularité fut réelle mais intermittente. Pourtant, sa présence était une des plus attachantes qui soient ; quelque chose en elle – un air de défi, un arc de sourcil interrogateur, une inflexion snob dans la voix – émoustillait et donnait envie de sourire. Sa disparition mystérieuse (retrouvée morte la nuit dans une piscine), à 66 ans, le 24 avril, est un véritable chagrin. Jean-Marc Lalanne

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Laura Morsch

Abdelkader Benchamma Chez agnès b, ce Mazamétain expose son art géophysique dessiné au stylo.

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ans une prochaine vie, Abdelkader Benchamma sera très certainement scientifique, option géophysique de la matière. Dans une vie précédente, il a sans doute été un dinosaure emporté avec ses congénères par la grande glaciation terrestre, L’Age de glace 1. Entre les deux, et en attendant, il est né un jour de juin 1975 à Mazamet dans le Tarn et il dessine comme

un forcené, au feutre ou au stylo noir, des matières en fusion, des hypothèses de Big Bang, des états instables, des “transitions de phase” comme disent les géophysiciens, entre le liquide et le solide, entre la matière noire et le chewing-gum. Si bien que ses dessins, spectaculaires de virtuosité, blocs de matière vivante qu’il expose à partir de cette semaine à la Galerie du jour d’agnès b sous

le titre Dark Matter, peuvent être regardés comme des sculptures. Ou comme des story-boards de science-fiction, les comics d’une apocalypse post-Fukushima. On y arrive : la prochaine vie est pour bientôt. Jean-Max Colard Dark Matter du 27 avril au 31 mai, à la Galerie du jour-agnès b, 44, rue Quincampoix, Paris IVe, www.galeriedujour.com.

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retour de hype

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz Tha Carter IV de Lil Wayne

“J’ai fait comme si on me remettait la Palme à Cannes, mais à l’Eglise pendant les Rameaux”

“Savoir jouer Careless Whisper de Wham! au saxo c’est un peu le plus haut niveau d’accomplissement de soi”

Obama en campagne

“Y paraît qu’y a un truc encore mieux que la 3D, ça s’appelerait la vie”

Le cinémytho

Céline Sciamma

La clope Absolutely Fabulous

François Hollande fan de Zaz Le short de beauf

Le bus du Real Madrid

“J’irai cracher sur vos tongs”

“Je suis inquiète pour Loana tu sais”

Les Gérard de la politique

Les Gérard de la politique Après la télé et le ciné, les Gérard décernent de nouveaux prix le 10 mai. Tha Carter IV de Lil Wayne L’album prévu pour le 16 mai a désormais une (jolie) pochette. Hollande fan de Zaz “J’aime bien Zaz. Comme on dit quand on est jeune : j’ai même le CD.” Comme si les jeunes disaient encore ça et

que Zaz était éthiquement et musicalement écoutable. Inquiétant. Le ciné-mytho Lu dans le Guardian : 4 personnes sur 5 préfèrent mentir qu’avouer ne pas avoir vu un film. Obama en campagne Le 20 avril, il chattait en live dans les locaux de Facebook avec des jeunes. En campagne dix-huit mois avant la présidentielle ? D. L

billet dur

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her Pierre Ménès, Lorsqu’en juillet dernier, ce journal marxo-bernardlenoiriste fut le premier à décrocher une interview d’un mutin bleu, William Gallas, au lendemain de la bérézina de Knysna, tu t’échauffas tout seul la mortadelle en pestant, en substance, que “ce type parlerait bientôt à Picsou Magazine”. Tu avais ô combien raison, mon ami Pierrot, il faut laisser les footeux causer baballe entre eux. Ne laisser personne qui n’aurait pas la carte et l’entraînement requis des bretteurs de Café des sports pénétrer sur la sainte pelouse de vos consanguins débats. Aussi fus-je surpris d’apprendre que tu t’apprêtais à ouvrir une galerie d’art, osant aventurer à ton tour tes augustes crampons en terrain adverse pour l’amour d’un

photographe animalier dont tu fis l’inopinée rencontre, dis-tu, dans un magasin de chaussures. L’artiste en question est grec, il se nomme Kyriakos Kaziras. On te devine amateur de l’art en général, et de la Grèce en particulier, mais si tu veux mon conseil, tu ferais mieux de jouer le nom de ton ami au Scrabble et de garder ton pognon pour des dépenses plus utiles. Ces photos ressemblent à des peintures, as-tu finement analysé, car c’est bien connu, on sait en Grèce depuis Aristote que la nature imite l’art. Malheureusement, ici, elle imite, au mieux, ces peintures, à l’aérographe, de husky en rut dont les fans de Johnny barbouillent le réservoir de leur Harley. Autant de l’art, tu en conviendras, Bernard Ménès, qu’un pluvieux Nancy/ArlesAvignon de mi-février arbitré par Tony Chapron. Mais après tout, tous les goûts sont dans la nature, y compris les goûts de chiottes. Je t’embrasse pas, chuis barbouillé. Christophe Conte

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Hugh Macleod

A Beyrouth, en avril

sa vie tient à un fil d’info Cyberdissident, Rami Nakhlé a fui la Syrie pour le Liban. De Beyrouth, où il se sait en danger, il lutte contre le pouvoir syrien en diffusant l’information.

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ans son appartement de Beyrouth, la télévision est allumée. Une présentatrice arabe fait le point sur la situation en Syrie. “Je ne regarde pas pour savoir ce qui se passe, c’est nous qui sommes à la source de l’info, explique Rami Nakhlé. Mais je veux écouter les analystes.” Son ordinateur émet des bips réguliers à mesure que les messages s’entassent dans sa boîte mail et sur son compte Skype. Comme quelques dizaines d’autres activistes, il est connecté nuit et jour à une salle de presse virtuelle. Là, ces jeunes échangent des informations, réfléchissent aux moyens d’actions. “Chacun a un rôle à jouer, détaille Rami. Il y a ceux qui twittent en anglais ou en arabe, ceux qui postent les vidéos sur Facebook, ceux qui répondent aux journalistes.” Avant de diffuser l’info, il faut la collecter. Pour ça aussi, le réseau fonctionne. “Nous venons tous de villes différentes. Partout où il y a des manifestations, nous avons quelqu’un sur le terrain. Et même si certains activistes sont obligés de se cacher, ils peuvent toujours appeler leurs amis.” A la différence de la Tunisie ou de l’Egypte, le pouvoir syrien a réussi à interdire l’accès du pays à la quasi-totalité des journalistes étrangers.

Les manifestations et la répression – au moins 200 personnes ont été tuées – se déroulent ici loin des regards. “Nous faisons de notre mieux pour faire sortir les infos, assure Rami. Mais je crois que le reste du monde n’a pas pris la mesure de ce qui se passe chez nous.” A 28 ans, cet ancien étudiant en sciences politiques fait partie de la première génération de cyberactivistes syriens : une poignée de personnes. Dès ses premières connections sur Facebook, il y a quatre ans, Rami crée le profil de Malath Aumran. Un pseudo qui lui permet d’échapper aux services de renseignement. Sous cette fausse identité, il multiplie les faits d’armes. Un site internet pour les jeunes. Un appel au boycott des opérateurs de téléphonie mobile pratiquant des tarifs excessifs. La diffusion d’un programme proxy permettant de contourner la censure. Mais en 2010, l’étau se resserre. Rami est interrogé une quarantaine de fois, jusqu’à ce qu’il se voit interdit de quitter

“le régime va tomber. Ce n’est qu’une question de temps et de prix à payer”

le territoire. Il estime son arrestation proche : en janvier, il entre illégalement au Liban, en payant 500 dollars des contrebandiers. Aujourd’hui, les “moukhabarat” (services secrets) savent que Rami est Malath. Ils savent aussi qu’il se cache à Beyrouth. “J’ai été interviewé par des chaînes arabes, je pense que l’un de ceux qui m’a interrogé en Syrie a reconnu ma voix”, explique Rami. Au Liban, il ne se sent pas en sécurité. Il y a une dizaine de jours, les services de renseignements syriens ont menacé d’arrêter sa sœur à Souweida, au sud de Damas. Rami prend des précautions. Mais il assure ne pas avoir peur. “En Syrie, les gens descendent dans la rue au risque de se faire arrêter, tuer, torturer. Nous n’avons pas le choix, il faut agir.” “Le régime va finir par tomber, poursuit-il. Ce n’est qu’une question de temps et de prix à payer. Les gens ont encore peur, mais ils sont de plus en plus en colère contre le gouvernement. Ce régime est prêt à tuer pour rester au pouvoir. Le mouvement grandit de jour en jour.” Rami s’excuse pour le désordre. Depuis des semaines, il n’a pas beaucoup dormi. Son téléphone sonne, une chaîne allemande. Il dit avoir hâte de rentrer chez lui pour retrouver ses chats, Yaro et Yara. Perrine Mouterde, à Beyrouth

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Louis Aliot, le FN version VRP Le numéro 2 du Front national et compagnon de Marine Le Pen sort du bois dans Libé. Il veut “dédiaboliser” le parti, armé de sa grosse voiture et de sa cravate satinée.

cravate club

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Tel un fan de tuning, Louis Aliot pose ici le regard soucieux et les jambes croisées pour son portrait paru dans Libération du 20 avril. Beaucoup plus habillé qu’une belle pépée payée pour prendre des poses suggestives scotchée à une voiture du Salon de l’auto, le numéro 2 du FN a ici pour premier atout, non pas sa plastique, mais sa cravate dont la largeur et la teinte sautent aux

yeux. Coupe nineties has-been, texture satinée et couleur rose flashy viennent ainsi trancher avec la morosité d’une photo sombre et anxiogène. Ça tombe bien : dans le portrait qui lui est consacré, Louis Aliot condamne fermement la “diabolisation” du parti en affirmant notamment : “On apparaît comme un parti de fachos, on ne l’a jamais été.” Ben oué, quelqu’un a déjà vu un facho avec une cravate rose fluo ?

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l’environnement inquiétant Passé l’effet rigolo de la cravate satinée, le regard s’égare alors à l’arrière-plan. Alors que le soleil se couche, Louis Aliot semble s’être garé en rase campagne et la seule construction distinguable est un bâtiment grillagé. Coïncidence, la chose ressemble un peu à un centre de rétention. Le cliché a été pris à Boulogne-Billancourt, loin de Perpignan où il officie comme avocat et où, lors des cantonales il a été battu par le PS, après avoir réuni 34 % des voix au premier tour. Amère déception pour Louis Aliot ui, en tant que vice-président du FN, prévoyait entre dix et cinquante élus frontistes sur l’Hexagone. Il n’y en aura que deux. Avant ces élections, en 2009, Louis Aliot avait attiré l’attention : ses affiches de campagne donnaient à voir un portrait de Jean Jaurès portant l’inscription “Jaurès aurait voté Front national”… Ça valait vraiment la peine d’animer la cellule idées-images de Jean-Marie Le Pen en 2002.

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la voiture de représentant Si, selon le JDD, Louis Aliot s’enorgueillit de n’être ni énarque ni bourgeois à la différence de tant de politiques. Une chose est sûre : il ne fait pas non plus partie de cette espèce d’hommes supérieurs, décrits par Balzac dans son Traité de la cravate comme ceux “qui sentent et comprennent la cravate, qui la comprennent dans ce qu’elle a d’essentiel

Fred Kihn

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et d’intime, avec cette énergie d’intelligence, cette puissance de génie, départies à ces mortels privilégiés quos aequus amavit Jupiter.” Ah ça non, avec sa cravate moderne nouée en half Windsor, aka le nœud lambda, Louis Aliot ressemble plutôt à un VRP sillonnant les routes de France. Le genre de mec qui consomme un 25 cl de rosé à midi dans un relais routier où Chérie FM

passe à fond et qui prend un malin plaisir à porter des chemises manches courtes dès qu’il roule sur l’autoroute du soleil avec sa grosse voiture qui sent bizarre, rapport au mini sapin jaune accroché au rétro. Mais si, les VRP qui s’acharnent à vendre leurs salons en cuir, ceux qui vivent sur la crédulité, la naïveté des “petites gens”. Ce genre-là. Diane Lisarelli

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l’éditeur du s La maison Gallimard fête ses 100 ans : une histoire

Antoine Gallimard dans les jardins de sa maison d’édition, à Paris 32 les inrockuptibles 27.04.2011

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u siècle

e de famille, de littérature et de style. par Nelly Kaprièlian

S

Jean-Paul Guilloteau/L’Express/RÉA

on grand-père, Gaston Gallimard, fondait la plus belle et la plus importante maison d’édition française il y a exactement cent ans. La maison, créée d’abord par des écrivains, a traversé (douloureusement) le pire – l’Occupation – et publié le meilleur, de Borgès à Roth en passant par Marguerite Duras ou Philippe Djian et Marie NDiaye, et a su soutenir Boris Pasternak en 1958 contre les pressions de l’Union soviétique en traduisant son Docteur Jivago. Son père, Claude Gallimard, a consolidé la maison. Car Gallimard, c’est aussi une histoire de famille et de transmission, avec le panache et la liberté que cela octroie mais également son lot de conflits internes inhérents à toute famille. Entré dans cette magnifique histoire en 1973, Antoine Gallimard, né en 1947, en a pris les commandes en 1988, vivifiant son catalogue, assurant enfin sa totale indépendance et une expansion à faire pâlir d’envie. En cent ans, la maison a su conserver son aura d’élégance et de goût très sûr. En ouvrant ses portes à bien des mouvements et des styles (surréalisme, existentialisme…) sans jamais y adhérer aveuglément, Gallimard a fini par être bien plus qu’une maison d’édition : le rendez-vous de la vie intellectuelle et esthétique française des cent dernières années.

Comment, enfant puis jeune homme, entendiez-vous votre grand-père et votre père parler de la maison Gallimard et du métier d’éditeur ? Antoine Gallimard – Leur souci était que la maison, qu’on voit aujourd’hui comme un magnifique bateau mais qui avait connu des difficultés, se maintienne – notamment dans les années 1925-1930, après-guerre aussi. La maison a toujours eu des hauts et des bas financiers. Ça a été vrai aussi à l’époque de la création de la Sodis – le secteur de distribution –, puis de Folio – le poche –,

puis du secteur jeunesse. Leur souci était aussi d’agrandir le catalogue, d’éviter que les auteurs les quittent. La maison était marquée par la tutelle de grands auteurs comme Malraux, Camus, Giono ou Paulhan… C’était une entreprise comme une autre mais aussi une maison qui devait tenir son rang, semblable à ces maisons bourgeoises de l’époque, doublée d’une sorte de Quai d’Orsay. On ne pouvait pas y faire n’importe quoi. Par exemple, on s’interrogeait beaucoup pour savoir si oui ou non il fallait mettre Simenon en Pléiade. Paulhan avait refusé, au grand dam de Gide. Je prends l’exemple du Quai d’Orsay parce que mon grandpère et mon père ont réussi à faire cohabiter des éditeurs et des auteurs aux personnalités différentes. Enfant, je savais qu’ils écrivaient à mon grandpère et à mon père, qui arrangeaient les choses. L’écriture permettait de sécuriser en permanence les liens, d’être toujours attentif, un peu comme les réseaux sociaux aujourd’hui. On a un peu perdu ce milieu littéraire qui était important car il touchait aussi les sphères politiques. Pourquoi s’est-il perdu ? La concentration des maisons en groupes et le changement de médiums (télévision, Twitter, Facebook) ont fortement contribué à réduire le rôle de l’intellectuel. De plus, l’éditeur n’a pas bonne presse en ce moment : avec le numérique, les auteurs pensent qu’ils vont perdre leurs droits, Bruxelles s’inquiète. A l’époque, tout cela était différent. Je me souviens que Claudel, qui s’effrayait que Gallimard édite des homosexuels et des communistes, avait demandé à ne pas être publié dans la collection Blanche. Mon grandpère lui avait créé sa propre collection, avec sa propre couverture, rien que pour ses livres. Un jour, il avait demandé des droits d’auteur très élevés mais le lendemain, s’inquiétant que sa demande ne mette Gallimard en péril, il écrivait à mon grand-père de diminuer la somme. Quelques jours avant de mourir, Céline menaçait de défoncer la porte de Gallimard avec un tracteur. Pourtant, il restait. Il y avait 27.04.2011 les inrockuptibles 33

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Archives Gallimard

“Gaston a pris la direction de la maison Gallimard car il avait le goût du pouvoir et voulait montrer qu’il pouvait réussir”

Ci-dessus, le père et le grand-père d’Antoine, Claude et Gaston Gallimard Ci-contre, Antoine Gallimard en 1987

A droite, six couvertures de la collection Blanche de la NRF, de 1911 (date de sa création) à 1989

Despatin/Gobel/Opale

toujours du jeu, les choses étaient plus souples. Aujourd’hui, il y a une telle financiarisation que les choses sont devenues plus âpres, plus difficiles. Parce qu’il parvenait à maintenir ensemble des auteurs et des éditeurs très différents, on comparait Gaston à un “dompteur de fauves”. Avez-vous aussi le sentiment d’être face à des êtres d ifficiles ? Il y a moins de cas d’hostilité qu’avant. En même temps, ces guerriers étaient du même côté, ils ne se battaient pas tant les uns contre les autres que contre la difficulté de vivre, les problèmes matériels, les circonstances extérieures. La dernière crise que j’ai dû gérer, c’était entre Claude Lanzmann et Yannick Haenel : un débat aussi violent qu’intéressant. Je suis proche d’eux, je les publie, je les apprécie l’un et l’autre et j’ai essayé de calmer le jeu. Pour cela, il faut se garder de prononcer des paroles de justice en disant que l’un a tort et l’autre raison. Mieux vaut chercher à expliquer la démarche d’Haenel et le sentiment de dépossession de Lanzmann. Qu’aimez-vous dans le métier d’éditeur ? Deux choses : la patience – car c’est véritablement un jeu de patience, de diplomatie – et le compagnonnage, la proximité avec les auteurs. J’ai eu la chance de grandir dans une famille qui n’avait pas conscience que la maison Gallimard était une sorte d’Académie française sans les palmes, ou de Bibliothèque nationale sans les bibliothécaires. On savait simplement qu’il s’agissait d’une entreprise qu’il fallait préserver. Mon grand-père s’était toujours montré inquiet, il avait traversé des moments difficiles ; mon père avait été très marqué par la guerre ; et puis il y avait ces divisions familiales : à l’époque il y avait le clan de Claude Gallimard, mon père, fils de Gaston, et celui de son cousin, Michel (qui s’est tué en voiture avec Camus – ndlr), fils de Raymond, le frère de Gaston. Il existait une telle concurrence entre eux que la

maison a failli se séparer en deux. Michel allait partir avec la Pléiade, qui à l’époque représentait 40 % des bénéfices de la maison… Quel est votre premier souvenir d’écrivain ? J’ai 14 ans quand meurt Roger Nimier. Nous avions pris tous les deux des cours de tennis et il était extrêmement maladroit. Un jour, il est venu nous voir à la campagne car il aimait beaucoup ma mère. Il trouvait mon père un peu bourgeois. Je découvrais qu’un adulte – il avait 37 ans – pouvait être ironique et avoir l’esprit pirate. J’adorais ça. Je le trouvais d’une liberté inouïe, alors que pour un enfant, les adultes semblent conventionnels, lourds, s’écoutant parler. Un samedi après-midi, on vient me chercher au lycée Montaigne. Il avait gagné notre dernière partie de tennis et je m’apprête à prendre ma revanche lorsque j’apprends qu’il s’est tué la veille au soir en voiture. Ça m’a fait beaucoup de peine. C’était mon premier contact avec un écrivain. J’aimais aussi beaucoup Aragon, un vrai comédien, un énorme séducteur. Avec Genet ou d’autres, c’était étrange. Ils me donnaient l’impression d’être comme des personnages, je ne

savais pas s’ils étaient réels ou pas. Ils me paraissaient trop pleins de réalité. Je les voyais comme nos protecteurs. Ils nous nourrissaient et en même temps protégeaient la maison. Par exemple, au sortir de la guerre, tous les éditeurs sont passés devant une commission issue de la Résistance. Aragon et Camus se sont mobilisés pour protéger Gaston et la maison. Je pense que si on fête aujourd’hui son centenaire, c’est parce qu’il s’agit réellement d’une maison d’écrivains, pas de l’histoire de la famille Gallimard… Car Gallimard est avant tout une maison créée par des écrivains (Gide, Schlumberger, etc.) même si ensuite Gaston en a pris la direction car il avait le goût du pouvoir et voulait montrer qu’il pouvait réussir, entre autres pour plaire à des dames. La grandeur, l’importance, l’indépendance, la qualité de Gallimard n’ont-elles pas été préservées justement parce que c’est avant tout une histoire de famille ? Non, cela tient au fait que le projet, dès le départ, était de se montrer très exigeant. On veut de la littérature pour elle-même et c’est Proust qui va d’abord l’incarner, et Jacques Rivière,

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et Paulhan… On va se méfier de toutes les écoles, du symbolisme et du surréalisme, tout en publiant quand même Breton. On se méfie des courants politiques, comme le communisme. Le fait que la maison existe encore aujourd’hui prouve que le projet est bon. Gaston est intuitif, attentif, séducteur, très joueur – c’est important dans ce métier. Puis mon père est là, beaucoup plus littéraire qu’on a bien voulu le dire. Il va façonner cette maison, la renforcer, créer la distribution, le poche. J’ai eu la chance qu’on ne me désigne pas comme le dauphin, ça m’aurait obligé à jouer un rôle, ce qui m’aurait embêté. J’ai eu envie de cette maison quand j’ai commencé à publier une collection comme l’Imaginaire. En somme, j’ai eu une approche latérale de la maison. Mon frère Christian, désigné comme le successeur de Claude, s’est trop opposé à mon père. Moi, j’ai la place du deuxième dans la famille (sur quatre ; Isabelle Gallimard dirige le Mercure de France – ndlr) et ça m’a protégé. Je n’entrais pas systématiquement en conflit avec mon père, qui m’a alors choisi, et mon frère est parti.

Vous arrivez à la tête de Gallimard en 1988. Que faites-vous ? J’ouvre les fenêtres. Je fais venir Teresa Cremisi (pdg de Flammarion depuis 2005 – ndlr), que je trouvais dynamique, chaleureuse, aimant la littérature, pour m’aider à établir un lien entre tous les services de la maison et travailler l’éditorial à mes côtés. Je nomme aussi un directeur général pour développer la maison. Nous avons été les premiers à travailler sur les CD-Rom, la jeunesse, la distribution. Aujourd’hui, que vous reste-t-il à conquérir ? Le métier est toujours le même. Je me sens toujours malheureux quand on n’a pas eu un jeune auteur intéressant ou que tel auteur étranger nous a échappé aux enchères. Et il faut toujours garder la ligne Gallimard. Je n’irais pas publier Marc Levy ou Guillaume Musso et eux-mêmes ne voudraient pas venir ici. Une définition de l’esprit Gallimard ? Le style, l’écriture, la littérature. Contrairement à ce que les gens s’imaginent, Gallimard n’est pas un jardin à la française bien taillé mais un marronnier qui va dans tous les sens. Je dirais que Gallimard est classique pour l’importance de la musique du style et moderne pour la réunion d’objets hétéroclites. A lire Gallimard, un éditeur à l’œuvre par Alban Cerisier (collection Découvertes Gallimard), 176 pages, 14,30 € A venir en septembre Correspondance Gaston Gallimard/Jean Giono (collection Blanche) ; Jean Paulhan par Patrick Kéchichian (collection L’Un et l’Autre) A l’automne Correspondance Gaston Gallimard/ Jean Paulhan (collection Blanche) Correspondance Gaston Gallimard/André Gide (collection Blanche) Exposition Gallimard, 1911-2011 : un siècle d’édition jusqu’au 3 juillet à la BNF-FrançoisMitterrand, Paris XIIIe, www.bnf.fr Catalogue de l’exposition à la BNF, sous la direction d’Alban Cerisier et Pascal Fouché (Beaux Livres), 408 pages, 49 € 27.04.2011 les inrockuptibles 35

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A l’ombre des jeunes filles en fleurs

“C’est plein de duchesses, ce n’est pas pour nous”. Ainsi en a décidé Gide. En 1912, Gallimard passe à côté du premier volume de la Recherche, Du côté de chez Swann. Conscient que le refus de ce chef-d’œuvre constitue “la plus grave erreur de la NRF”, Gaston Gallimard persuade Proust de quitter Grasset et obtient, en 1917, de publier A l’ombre des jeunes filles en fleurs. Le livre paraît en 1919. Maniaque, Proust corrige son texte jusqu’à la dernière seconde. Le roman obtient le prix Goncourt, le premier de la maison.

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Blanche Sa couverture crème bordée d’un filet noir et d’un double filet rouge lui a donné son nom et s’est imposée comme l’identité visuelle de la maison. La Blanche naît avec la parution de L’Otage de Paul Claudel, le premier livre publié par la NRF en 1911, mais elle ne sera nommée ainsi dans les catalogues qu’à partir de 1948. Héritière de l’esprit de la NRF, de son classicisme ouvert au modernisme, elle accueille la majorité des titres de la littérature française et, jusqu’en 1950, les grands textes étrangers. La Blanche demeure la collection emblématique de Gallimard.

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C Archives Gallimard

Camus

Gaston Gallimard dans les années 30

Enthousiasmé par le manuscrit de L’Etranger, c’est André Malraux qui convainc Gallimard de publier le livre d’Albert Camus qui paraît en 1942. L’année suivante, Camus devient lecteur chez Gallimard. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il prend la tête de la collection Espoir. Il va se retrouver malgré lui au cœur de la guerre de succession qui oppose Michel Gallimard, le neveu de Gaston, et Claude, le fils et héritier légitime. Albert Camus est très lié à Michel. Le 4 janvier 1960, Michel conduit la voiture qui ramène sa femme Janine, sa fille Anne et Albert Camus de Lourmarin. Entre Sens et Paris, la Facel Vega percute un platane. Camus meurt sur le coup, Michel quelques jours plus tard. Claude prendra la tête des éditions Gallimard en 1976.

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Drieu la Rochelle Un personnage pour le moins obscur, associé aux heures les plus sombres de la maison Gallimard. Directeur de la NRF à partir de 1940, l’auteur de Gilles et L’Homme couvert de femmes incarne ce que l’élite littéraire a eu de plus odieusement collabo : son amitié avec Otto Abetz, ambassadeur du Reich à Paris, ses déclarations antisémites, etc. Il tentera de se suicider trois fois à partir de 1943, y parvenant le 15 mars 1945 par le gaz et les somnifères.

en toutes lettres E

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Espérance

A Paris, le siècle s’était donné rendez-vous chez Gallimard. De A à Z, souvenirs d’une épopée littéraire. par Emily Barnett et Elisabeth Philippe

Au café de l’Espérance, situé juste derrière la rue SébastienBottin, se sont longtemps prolongées les réunions du mardi du comité de lecture. Le comité, une institution made in Gallimard, fut créé en 1925 par Jean Paulhan pour endiguer l’influence de Gide et Jean Schlumberger. Là où d’autres maisons se fient à l’avis d’éditeurs ou de lecteurs professionnels, la particularité du comité de lecture, du moins au départ, est de réunir des écrivains. Un cénacle plus difficile à intégrer que l’Académie française, selon Jean d’Ormesson. Parmi ses membres, on peut citer Camus, Malraux, Queneau, JMG Le Clézio ou encore Dominique Aury, la seule femme du comité pendant vingt-neuf ans. Ils sont chargés de juger les manuscrits. Chacun doit rédiger une fiche de lecture et attribuer une note aux textes, dont le barème fut ainsi résumé par Roger Nimier : “1 pour un manuscrit qui est absolument à prendre ;

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2 pour un manuscrit intéressant mais qui serait plutôt à refuser ; 3 pour un manuscrit franchement mauvais.”

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Filiales Claude Gallimard, le fils de Gaston, inaugure cette politique au début des années 50. En 1951, Gallimard prend le contrôle de Denoël ; en 1957, il rachète 50 % de La Table ronde et six mois plus tard prend possession du Mercure de France. Lorsqu’il arrive à la tête de la maison, Antoine Gallimard poursuit le travail et acquiert Verticales, P.O.L, Joëlle Losfeld ou encore Futuropolis. Une stratégie qui fait aujourd’hui de Gallimard la première maison d’édition indépendante française.

La saga Harry Potter s’est vendue à environ 16 millions d’exemplaires

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Gaston

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A l’origine, il devait jouer le rôle de la bonne poire : un jeune dandy désœuvré, fils de collectionneur de tableaux, qui accepte de s’occuper des publications d’un petit groupe d’écrivains (Gide, Rivière, Schlumberger). A 30 ans, Gaston Gallimard devient le gérant des éditions de la NRF qui ne porteront son nom que huit ans plus tard – symbole, avant et au-delà de sa mort en 1975, de la littérature française. Chez lui, pourtant, l’image du négociant pugnace et du grand bourgeois cultivé œuvrant pour la postérité de son catalogue se confondra souvent avec celle d’un roi mélancolique et désabusé : “J’ai raté ma vie (…) à partir du jour où je suis devenu un commerçant, j’ai perdu mes vrais amis. Je n’ai que l’argent. Mais avoir de l’argent ne me sert à rien.”

Premiers bureaux des éditions Gallimard dans une ancienne teinturerie de la rue Saint-Benoît à Paris (octobre 1911)

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Harry Potter Comment faire commerce de livres sans abdiquer un souci constant de qualité ? Gallimard a toujours eu le chic pour se renflouer à coups de best-sellers ultraclasses : Autant en emporte le vent de Margaret Mitchell, L’Amant de Lady Chatterley de D. H. Lawrence, Harry Potter de J. K. Rowling… Vendue à environ 16 millions d’exemplaires en France, la saga de l’apprenti sorcier a permis à Antoine Gallimard de récupérer l’autonomie de son capital d’un coup de baguette magique.

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Face aux conglomérats, Gallimard incarne l’édition indépendante. Au début des années 70, Gallimard dépend encore d’Hachette dans deux secteurs clés : la distribution et le livre de poche. Estimant que l’indépendance de la maison passe par la maîtrise de ces deux activités, Claude Gallimard crée la Sodis, filiale chargée de la distribution, et la collection de poche Folio. Mais au début des années 1990, les querelles de succession menacent cette précieuse indépendance et conduisent à ouvrir le capital à des actionnaires extérieurs. Jérôme Lindon écrit alors à Antoine Gallimard : “Sans doute les rumeurs relatives aux vues du groupe Havas sont-elles comme d’habitude exagérées ou tout simplement erronées. Mais que cela me soit l’occasion de vous rappeler ce que votre indépendance représente pour tant d’entre nous : un passé prestigieux et le garant de ce qu’il y a de plus précieux dans l’avenir de l’écrit en France.” Finalement, Gallimard préserve son indépendance. Depuis 2003, la holding familiale Madrigal détient 98 % du capital.

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Jeunesse Aux côtés de noms imposants comme Paulhan ou Sollers, figurent aujourd’hui ceux de jeunes éditeurs : Louis Chevaillier, 29 ans, responsable éditorial de la fiction contemporaine en Folio ; Ludovic Escande, 38 ans, directeur

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Indépendance

Maquette de couverture. Du côté de chez Swann fut d’abord édité chez Grasset puis chez Gallimard, en 1919, dans une version modifiée

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de la collection L’Arpenteur ; Aurélien Masson, 35 ans, directeur de collection Série noire ou encore Thomas Simonnet, 35 ans, directeur de la collection L’Arbalète. Une volonté d’Antoine Gallimard. Peu de jeunes femmes, en revanche.

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Kundera Milan Kundera vient d’entrer de son vivant dans la Pléiade. Avant lui, d’autres écrivains avaient réussi cet exploit : Malraux, Claudel, Martin du Gard, Montherlant, Yourcenar, Char et Gide, le premier, en 1939. C’est lui qui conseille à Gaston Gallimard de racheter les éditions de la Pléiade lancées en 1931 par un jeune éditeur d’origine russe, Jacques Schiffrin, qui souhaitait créer une collection de classiques de la littérature dans une forme compacte. L’opération s’avère un succès pour Gallimard. Dans les années 1950, la prestigieuse collection à la reliure dorée à l’or fin assure jusqu’à 50 % du chiffre d’affaires. Aujourd’hui, elle en représente encore près de 10 %. Au top 3 des meilleures ventes : Saint-Exupéry, Proust et Camus.

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Littell

Avec Les Bienveillantes, plongée apocalyptique dans la tête d’un SS, Jonathan Littell accapare la rentrée littéraire 2006. Le livre s’est vendu à plus de 800 000 exemplaires et a remporté le prix Goncourt, s’inscrivant dans une longue série pour la maison Gallimard qui compte 35 prix Goncourt, 36 prix Nobel, 10 Pulitzer, 17 Renaudot et 28 Femina.

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Modiano

Après y avoir publié L’Etranger en 1942, Albert Camus est devenu lecteur chez Gallimard

Publié en 1968, La Place de l’Etoile classe aussitôt le jeune auteur, d’à peine 20 ans, parmi les écrivains “maison”. Queneau l’adore, et ce premier roman est considéré comme une révélation. En 1981, Modiano fera un passage éclair au comité de lecture, où il ne tient pas plus de trois mois : la lecture de mauvais manuscrits le décourage lui-même d’écrire, confie-t-il dans une lettre adressée à Claude.

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C’est avec la revue fondée en 1909 par André Gide, Jacques Rivière et Jean Schlumberger que l’aventure Gallimard commence. Cette bande d’amis partage une vision très puriste de la littérature, dans la veine de Mallarmé ou Walt Whitman. Ils souhaitent bientôt offrir un prolongement littéraire à La Nouvelle Revue française et créer un “comptoir d’édition” pour publier leurs œuvres. Le 2 juin 1910, Claudel écrit à Gide : “Je suis très intéressé par vos projets de maison d’édition et j’espère qu’il en sortira quelque chose. Toute la question est de savoir si une entreprise commerciale peut vivre en n’éditant que des ouvrages excellents de forme et de fond.” L’excellence est bien le maître mot. Avec l’aide de Gaston Gallimard, la NRF publie ses premiers livres en 1911 (L’Otage de Claudel et Isabelle de Gide). Schlumberger dessine les trois lettres monogrammées qui ornent la couverture blanche. La “nénéref” comme l’appelait Céline, rapidement rebaptisée la librairie Gallimard, devient en juillet 1961 les éditions Gallimard. La revue, qui fut au cœur de tous les débats intellectuels pendant des années, paraît aujourd’hui à un rythme trimestriel.

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Occupation

André Gide (avec lunettes), l’un des fondateurs de la NRF, et Jacques Schiffrin (cravate noire), à qui Gallimard a racheté les éditions de la Pléiade

“Il y a trois puissances en France : le communisme, les grandes banques et la NRF.” Ce diagnostic, proféré par l’occupant nazi, aura pour conséquence la fermeture des éditions pendant plusieurs mois, avant la nomination de Drieu

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Paulhan Antithèse de Drieu la Rochelle, son attitude exemplaire pendant l’Occupation contribua au non-lieu en faveur de Gallimard rendu par la commission d’épuration d’aprèsguerre. A la tête de la NRF de 1925 à 1940, puis de 1953 à 1968, Paulhan y publie notamment un appel à la Résistance en juin 1940. A noter tout de même : en 1941, Drieu la Rochelle obtient des autorités d’occupation la libération de Jean Paulhan, arrêté pour faits de résistance, ce qui a pour effet de sauver l’écrivain de la déportation.

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Archives Gallimard

la Rochelle à la tête de la revue, le 2 décembre 1940. Pendant cette période, la position de Gaston Gallimard fut ambivalente : d’un côté, il refuse de faire entrer des capitaux allemands dans sa maison et de publier Les Décombres, le pamphlet antisémite de Lucien Rebatet (best-seller sous l’Occupation). De l’autre, il se sépare de ses collaborateurs juifs et accepte la nomination de Drieu la Rochelle – pour sauver les meubles, se défendra-t-il toujours. Dans la ligne de mire de la commission d’épuration d’après-guerre, Gallimard sera protégé au regard de sa vision d’esthète (la primauté du style sur l’idéologie) et une certaine résistance intellectuelle incarnée par Aragon, Paulhan, René Char, Camus, Malraux. Jusqu’à sa mort, Gaston rechignait toujours autant à aborder le sujet.

De gauche à droite : Robert Gallimard (neveu de Gaston), Raymond Queneau, Albert Camus, Gérard Philipe (de passage), Jacques Lemarchand (directeur de collection), Gaston Gallimard et le romancier Jean Blanzat, avril 1954

Qualité Borgès, Roth, Hemingway, Duras, NDiaye, Gary, Montherlant, Valéry, Simenon, Kessel, Claudel, Céline, D. H. Lawrence, Ernaux, Djian, Amis, Pamuk, Joyce, Proust, Guyotat, McEwan, Coe, Lanzmann, etc.

Refus Presque aussi mythiques que les découvertes : les “loupés” du comité de lecture Gallimard. On a fait des gorges chaudes du pauvre Proust recalé avec Du côté de chez Swann. Idem pour Voyage au bout de la nuit de Céline, Ulysse de Joyce… Leur point commun ? Avoir été “repêchés” chaque fois in extremis par Gaston.

C’est Jacques Prévert qui a trouvé le nom de la Série noire, en opposition à la Blanche

Série noire “Notre but est fort simple : vous empêcher de dormir.” C’est en ces termes que Marcel Duhamel, son créateur, définissait la Série noire. Lancée en 1945, la Série noire – on doit le titre de la collection à Prévert, par opposition à la Blanche – vise à faire découvrir la nouvelle littérature policière, celle qui vient des Etats-Unis (Dashiell Hammet, Chester Himes, etc.) et qui ringardise le detective novel à l’anglaise. C’est la femme de Duhamel, aidée de son ami Pablo Picasso, qui crée l’identité graphique de la Série noire, couverture noire à bande jaune. La collection s’impose vite comme une référence et permet de toucher un public plus large. En 1955, Gaston Gallimard écrit à Raymond Queneau : “Avec la Pléiade et la Série noire, on pourrait vivre confortablement. (…) Si l’on n’avait pas le poids des livres de poèmes, des essais, etc., on pourrait, comme Julliard, rouler en Cadillac.”

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Deux clichés vrais à propos de la maison Gallimard : 1. Elle n’a pas perdu son âme 2. Elle constitue (encore) l’un des meilleurs sismographes de la littérature contemporaine. Marie NDiaye, Jonathan Littell, Tristan Garcia, Yannick Haenel, Maylis de Kerangal : quelques écrivains qui forment la nouvelle garde d’aujourd’hui.

Catherine Hélie

Trois femmes puissantes

Avec Trois femmes puissantes, publié en 2009, Marie NDiaye reçoit le prix Goncourt

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U Boris Lipnitzki/Roger Viollet. In Portraits pour un siècle/Cent écrivains

Un barrage contre le Pacifique

Marguerite Duras entre chez Gallimard en 1944 avec La Vie tranquille. Ici en 1955, chez elle à Paris

D’inspiration autobiographique, c’est le troisième roman de Marguerite Duras (paru en 1950), son deuxième chez Gallimard après La Vie tranquille. Il y aura quatorze autres textes. Même si elle part chez Minuit en 1958 avec Moderato Cantabile, elle restera fidèle à Gallimard jusqu’à la fin de sa vie et y publiera son dernier livre, Ecrire (1993). Elle meurt en 1996.

V

Vivre libre A partir d’octobre 1945, la NRF héberge la grande revue d’après-guerre, Les Temps modernes, créée par Jean-Paul Sartre. Parmi les membres du comité de rédaction : Beauvoir, Leiris, Merleau-Ponty. Saint-Germain-des-Prés devient la capitale de l’existentialisme. Une incompatibilité idéologique entre Sartre et Malraux marque la fin, en 1948, de la parution des Temps modernes chez Gallimard – avant son come-back en 1985.

W X Whisky

Alcool emblématique de la maison Gallimard à en croire deux anecdotes : Faulkner ivre au bourbon dans le jardin de chez Gallimard et surjouant le paysan du Sud un peu plouc, et la cultissime émission d’Apostrophes, le 30 mai 1975, où Nabokov s’envoie du single malt habilement dissimulé dans une théière.

X (classés)

Lolita de Vladimir Nabokov, l’une des parutions qui fit scandale

Le siècle Gallimard est jalonné de scandales. Publié en 1928, L’Amant de Lady Chatterley de D. H. Lawrence choque à cause de scènes de sexe jugées trop explicites. Ce sera aussi le premier best-seller de la maison. En 1949, c’est le Journal du voleur de Genet qui provoque la colère des bien-pensants. Dix ans plus tard, le scandale a la fraîcheur de la Lolita de Nabokov, dont l’édition originale publiée quatre ans auparavant par la maison parisienne Olympia Press avait subi la censure. On peut également évoquer l’interdiction, au nom de la protection de la jeunesse, d’Eden, Eden, Eden de Pierre Guyotat en 1970, qui ne sera levée qu’en 1981. En 2002, Rose bonbon, le roman de Nicolas Jones-Gorlin mettant en scène un pédophile, a suscité l’indignation des associations de protection de l’enfance.

Y Z

Yourcenar

Roger Parry/Gallimard

L’auteur de L’Œuvre au noir rejoint les éditions Gallimard avec Nouvelles orientales, un recueil qui paraît en 1938. En 1951, elle connaît un succès mondial avec Mémoires d’Hadrien et devient, trente ans plus tard, la première femme à entrer à l’Académie française.

Jean Paulhan, directeur de la NRF, y publie un appel à la Résistance en juin 1940

Zed Publications

En 1928, Gaston Gallimard se lance dans la presse. Détective sera un vrai succès

Gallimard, c’est la Blanche mais c’est aussi Détective, le magazine des faits divers bien glauques. Entre 1928 et 1932, Gaston cherche à diversifier ses activités et se lance dans la presse avec trois hebdomadaires : Détective, Voilà, magazine de reportages, et Marianne, hebdo politico-littéraire dirigé par Emmanuel Berl. Des titres rassemblés au sein de l’entité Zed Publications. Le succès de Détective, auquel collaborent Mac Orlan, Paul Morand et Simenon, permet à Gallimard de traverser sans souffrir la crise de 1929 et d’asseoir son indépendance financière, quitte à essuyer de nombreuses critiques qui leur reprochent ces publications “pernicieuses”. Les activités de presse prennent fin avec la Seconde Guerre mondiale et Zed devient une coquille financière qui permet à Gallimard d’investir dans d’autres maisons d’édition. Zed fusionne avec les éditions Gallimard en 1967.

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Cinémonstre à la Cité de la Musique (Paris XIXe)

NOUVEAU

cinéma Dans le cadre de l’événement “La Science-fiction”. Intervention vidéo : Enki Bilal. Son et musique : Goran Vejvoda. Remix des trois films d’Enki Bilal Bunker Palace Hotel, Tykho Moon et Immortel (ad vitam). A gagner : 5 invitations pour 2 le 7 mai

Le Chien, la Nuit et le Couteau au Théâtre du Rond-Point (Paris VIIIe), à 18 h 30

scènes Dans le cadre de Mayenburg/Osinski, le diptyque. Un homme marche dans une nuit sans fond, cauchemar de rencontres et de hasards. Il tue pour se défendre avant d’être sauvé par l’amour et la lumière. A gagner : 10 invitations pour 2 le 6 mai et 10 invitations pour 2 le 11 mai

2001 : l’odyssée de l’espace à la Cité de la Musique (Paris XIXe)

musiques Dans le cadre de l’événement “La Science-fiction”. Brussels Philharmonic. Direction : Michel Tabachnik. György Ligeti : Atmosphères ; Richard Strauss : Ainsi parlait Zarathoustra, poème symphonique ; Johann Strauss : Le Beau Danube bleu ; Aram Khatchaturian : Suite de Gayaneh. A gagner : 5 invitations pour 2 le 21 mai

Le Moche au Théâtre du Rond-Point (Paris VIIIe), à 21 h

scènes Dans le cadre de Mayenburg/Osinski, le diptyque. Un employé modèle, d’une laideur exceptionnelle, est opéré du visage. Doté dès lors d’une beauté supérieure, il est envié au point de voir son entourage se faire opérer. Tous, autour de lui, portent bientôt sa figure dupliquée. A gagner : 10 invitations pour 2 le 6 mai et 10 invitations pour 2 le 7 mai

Cassette à la MC93 (Bobigny)

scènes Chorégraphie de David Wampach. Tout commence dans une ambiance de sortilège : un rideau de lumière et de fumée qui révèle et absorbe un mystérieux duo, tandis qu’une récitante survoltée réécrit l’histoire de Casse-Noisette en y mêlant bribes de chansons et références contemporaines. A gagner : 5 invitations pour 2 le 13 mai

Black Milk Live à la Grande Halle de La Villette (Paris XIXe)

musiques Dans le cadre de Rue Hip Hop. Mélange subtil de soul, de hip-hop et de musique électronique. Beat Assailant, installé à Paris depuis les années 2000, propose un hip-hop au-delà des clivages musicaux, mêlant rap, jazz, electro et soul. A gagner : 7 invitations pour 2 le 19 mai

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Abd Al Malik & Guests à la Grande Halle de La Villette (Paris XIXe)

musiques Après de nombreux prix, dont la Victoire de l’album de musique urbaine en 2011, Abd Al Malik ose la langue anglaise avec son nouvel album. Il sera accompagné par quelques prestigieux invités de cet album. A gagner : 5 invitations pour 2 le 21 mai

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édito

So 2007

Mousse/Abaca

Dominique Strauss-Kahn en visite à l’usine AEB d’Autun, septembre 2006

la gauche cherche le vote populaire Bien que ne représentant que 15 % du corps électoral, la classe ouvrière risque de faire la différence en 2012.

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’est le sondage qui dérange l’UMP comme le PS. Selon cette enquête Ifop, Marine Le Pen arrive en tête des intentions de vote chez les ouvriers (36 %) au premier tour de la présidentielle, devant Dominique Strauss-Kahn (17 %) et Nicolas Sarkozy (15 %). Pour le strauss-kahnien François Kalfon, il n’y a rien d’étonnant : “La dernière fois que la gauche a été majoritaire chez les ouvriers, avec un score de 34 %, c’était lors de la réélection de François Mitterrand en 1988.” Ce spécialiste des études d’opinion fait le constat d’un Parti socialiste, où “toute une génération proche du monde du travail a été absorbée par l’appareil d’Etat pendant les septennats Mitterrand” et où la conversion au socialisme “gestionnaire” n’a jamais été digérée. Résultat : en 2007, c’est Nicolas Sarkozy

qui a capté l’électorat populaire avec son discours sur le travail et la nation. Et pour 2012 ? “Le PS est mieux armé”, estime François Kalfon, qui note que le centre de gravité de la gauche s’est déplacé vers “les socialistes de correction”, type DSK ou Hollande, “qui assument l’économie de marché” et parlent de la nation. “On peut faire populaire sans faire populiste”, ajoute ce proche du patron du FMI, pour qui la gauche doit impérativement reprendre pied dans le monde du travail, même si les ouvriers ne représentent que 15 % du corps électoral. François Kalfon préconise que la première année du quinquennat d’un président de gauche soit consacrée à la situation des Français qui gagnent entre 1 000 et 4 000 euros par mois. Hélène Fontanaud

Ces derniers jours, Ségolène Royal revient en dénonçant les “élites sondagiaires et médiatiques parisiennes”. Nicolas Sarkozy, lui, renoue avec le volontarisme incantatoire et la victimisation de sa personne. Il dénonce les “experts” qui prôneraient l’immobilisme et les “petits cercles de commentateurs” qui pourrissent tout. Déjà en 2007, ceux qui dénonçaient ces groupes fantasmagoriques n’étaient autres que Sarkozy, Royal, Bayrou et Le Pen (père), bref, les vainqueurs du quarté d’il y a cinq ans. Aujourd’hui, le premier est un président en perdition, la seconde est largement dépassée par trois concurrents de son parti, le troisième ne semble pas se remettre de l’émergence sur son terrain de Jean-Louis Borloo, et le quatrième est à la retraite. Sarkozy et Royal, en difficulté tous les deux, récidivent sur le thème de la dénonciation des élites. Ce qui a marché une fois peut-il fonctionner à nouveau ? Il semble que le mauvais sort que réservent les sondages aux acteurs de 2007 (Sarkozy, Royal, Bayrou) soit le résultat d’une sorte de grand zapping politique. Fini le temps où il fallait s’y reprendre à trois fois et user une génération d’électeurs avant de pouvoir, comme Mitterrand ou Chirac, accéder enfin à l’Elysée. La musique du discours entonné par les acteurs de 2007 semble aussi datée qu’un standard des années 80, “voyage, voyaaaage”. Mais rien n’est perdu pour eux : comme pour les vieux tubes, ce qui est ringard un jour peut vite s’avérer super tendance… Il suffit de regarder chaque semaine la courbe des Inrocks (lire p. 27).

Thomas Legrand 27.04.2011 les inrockuptibles 43

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tout seul, tout devient possible Finaliste de la présidentielle de 2007, le chef de l’Etat reste certain de l’emporter dans un an, malgré des sondages calamiteux et la grogne à l’UMP.



n l’a retrouvé !” s’est écrié, ravi, sur France Info François d’Orcival de Valeurs actuelles. On ne l’avait jamais perdu. Depuis le début de l’année, malgré vents et marées, mauvais sondages et défaites électorales, Nicolas Sarkozy est déjà en campagne pour 2012. Avec au minimum un déplacement par semaine dans un département français.

Mardi 19 avril, dans les Ardennes, le chef de l’Etat prend la pose aux côtés d’ouvriers en bleu de chauffe. C’est là qu’en décembre 2006, celui qui promettait d’être le président du pouvoir d’achat avait rendu hommage à “la France qui souffre” et dégainé son slogan vainqueur, “travailler plus pour gagner plus”. “Quand il y a la reprise, j’affirme qu’il est normal que

les salariés et les ouvriers, à qui on a demandé des efforts pendant la crise, bénéficient de la reprise, c’est un principe sur lequel je ne céderai pas”, expliquet-il ce jour-là. “Je ne céderai pas” sur la question du versement de primes aux salariés dans les entreprises distribuant des dividendes à leurs actionnaires, ajoute-t-il après plusieurs jours de cafouillage gouvernemental

sur la nature et le montant de la somme promise. Jeudi 21 avril, Nicolas Sarkozy est au Havre pour parler politique maritime de la France. Le ciel est bleu, la mer est belle et le Président, souriant, martèle sa foi dans son œuvre réformatrice, qui se heurte au “sacro-saint immobilisme” et “au mur du conservatisme” français. “Ce que je veux, c’est que ça avance”, ”j’ai été élu pour

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Arrivée de Nicolas Sarkozy dans les Ardennes, 19 avril

aider ceux qui veulent s’en sortir”, ”je n’ai pas fait la réforme des retraites pour m’amuser”, “je travaille de la première minute de mon mandat jusqu’à la dernière seconde”… Nicolas Sarkozy tourne en boucle, convaincu que le chemin finira par s’ouvrir devant lui. Tous ceux qui l’ont rencontré récemment se font l’écho de son optimisme : Nicolas Sarkozy, président le plus impopulaire de la Ve République à un an de la présidentielle, est sûr et certain de l’emporter en 2012. Il a dit aux élus UMP qu’il “sentait bien” l’élection. Il a expliqué à d’autres visiteurs qu’il

Ludovic/REA

Nicolas Sarkozy attend “avec impatience” de savoir à quel socialiste il sera opposé pour “l’exploser”

recevait un accueil “enthousiaste” à chacun de ses déplacements en province, oubliant volontairement le caractère formaté de ces exercices. Il méprise les sondages “qui donnaient Giscard, Balladur et Jospin élus un an avant l’élection”. Il attend “avec impatience” de savoir à quel socialiste il sera opposé pour “l’exploser”. ”Rien n’a de prise sur lui, ni les constats sur e désamour profond des Français, ni les débats sur des primaires à droite, où l’on verrait par exemple François Fillon désigné candidat à sa place”, souligne un de ses interlocuteurs. Petit à petit,

Nicolas Sarkozy teste ses arguments de campagne. Le premier consiste à défendre âprement le bilan d’un quinquennat harponné par “la crise la plus effrayante” que la France ait jamais connue. Pas question de lui contester le brevet de “volontarisme” qu’il dénie à ses prédécesseurs, Jacques Chirac en tête. L’Elysée vient de publier un livret de soixante-treize pages vantant l’action du chef de l’Etat depuis quatre ans, sous le titre “La France avance”. Il y a ensuite les “fondamentaux” de toute campagne sarkozyste : la sécurité et le social. Depuis le discours de Grenoble sur l’immigration et l’insécurité, l’été dernier, Nicolas Sarkozy a durci sa parole et ses actes. Après le débat raté sur l’identité nationale est venu celui sur la laïcité et la place de l’islam en France. Le chef de l’Etat a encouragé le printemps à Tunis, au Caire et à Tripoli, mais a aussi adressé un message de fermeture aux peuples arabes en réclamant à ses partenaires européens une révision de l’espace Schengen, pour contrer l’afflux de réfugiés en France. Cette stratégie clivante est contestée à droite, où Jean-Louis Borloo a saisi cette occasion pour s’émanciper d’une UMP qui flirte, selon lui, avec des thématiques proches de celles du Front national. Dominique de Villepin construit une alternative gaulliste en ironisant sur son éternel rival, qui “n’a pas besoin” de lui “pour être battu”. D’autres élus de la majorité notent que pour l’instant, Marine Le Pen est la seule à profiter dans les sondages de cette droitisation. Pour Stéphane Rozès, président de la société Conseils, analyses

et perspectives (CAP) et enseignant à Sciences-Po et HEC, “s’il faut faire une comparaison entre 2012 et 2007, le point commun, c’est la thématique de la rupture, mais la différence, c’est le contenu de la rupture”. “Avant la présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy procédait de la majorité sortante et devait se présenter comme un homme nouveau, il affirmait vouloir refaire de l’Elysée le lieu de l’incarnation politique. Aujourd’hui, il prend une orientation nationale, identitaire, qui fait rupture. Il veut déplacer le débat gauche-droite vers un débat droite-extrême droite, c’est pourquoi il favorise Marine Le Pen et veut prendre la gauche au piège du multiculturalisme qui la coupe des milieux populaires”. Pour ce spécialiste de l’opinion, Nicolas Sarkozy “poursuit aussi sa reconquête de l’électorat Front national avec le thème du travail et du pouvoir d’achat. Il fait du Buisson avec la France éternelle, et un peu de Guaino avec le social.” C’est ce qui explique que Nicolas Sarkozy cible les catégories qui lui ont été ou lui restent favorables. Les populations rurales, les ouvriers, les seniors, l’électorat catholique sont choyés, dans l’attente de son entrée en campagne, qui ne devrait pas intervenir avant le début de l’année 2012. D’ici là, Nicolas Sarkozy compte sur son action internationale et, surtout, sur une amélioration de la situation économique pour apparaître comme le mieux à même de “protéger les Français d’un monde inquiétant”. A gauche, en tout cas, on ne sous-estime pas l’adversaire. “C’est un combattant, qui excelle dans les campagnes électorales”, souligne le socialiste Manuel Valls. Hélène Fontanaud 27.04.2011 les inrockuptibles 45

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désirs d’y revenir Finaliste de la présidentielle de 2007, la présidente de Poitou-Charentes, bien que distancée dans la course à la primaire socialiste, garde le feu sacré.

Lors d’un débat sur la fiscalité, le 20 avril, à Paris (Bellevilloise) 46 les inrockuptibles 27.04.2011

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Denis/RÉA

n a besoin d’elle ! Surtout qu’elle occupe le terrain.” Derrière ce cri du cœur, ni fan ni militant de Désirs d’avenir, seulement un cadre de la direction du Parti socialiste qui, face au silence de Martine Aubry, de Dominique Strauss-Kahn et à l’omniprésence de François Hollande, savoure le retour de Ségolène Royal. Après deux mois et demi d’abstinence médiatique, la candidate à la primaire du PS a fait son come-back : I-Télé, BFM, RTL, université participative sur la fiscalité, TF1, France 2, France Inter. Le tout en quelques jours ! De quoi rappeler le rythme de la campagne présidentielle de 2007. Pas question pour autant pour la présidente de Poitou-Charentes de rejouer le match. “La campagne politique de 2012 ne ressemblera pas à celle de 2007, commente-t-elle sur BFM, ne regardons pas le passé.” “Tout simplement parce que les attentes des Français ne sont pas les mêmes”, explique son porte-parole Guillaume Garot aux Inrocks. Simplement aussi parce que la candidate Royal ne fait plus figure de favorite dans la course à la primaire du PS, aujourd’hui en quatrième position dans les enquêtes d’opinion. Ces sondages qu’elle acceptait volontiers quand ils la plaçaient en tête face à DSK et Laurent Fabius en 2006, ou aux dernières régionales, mais qu’elle dénonce aujourd’hui comme “manipulés” et “tout à fait contestables”. “Le peuple ne s’est pas encore emparé des primaires, commente l’entourage de Ségolène Royal, les sondages n’ont pour l’instant aucune valeur. Il n’y a qu’à regarder le décalage entre les sondages et la capacité qu’elle a à remplir la salle, comme la Bellevilloise à Paris la semaine dernière avec 600 personnes pour l’écouter sur la fiscalité.” Reléguée derrière DSK, François Hollande et Martine Aubry, Ségolène Royal ne devance plus qu’Arnaud Montebourg et Manuel Valls. “Les ressorts sont cassés, analyse un de ses anciens soutiens. Ce qui faisait sa force a disparu. Plus Nicolas Sarkozy dévisse, plus elle s’enfonce car elle existe en décalque de lui.” Rien de plus rageant pour Royal car cela accréditerait l’idée qu’elle incarne une candidature périmée. Non, se défend-elle, elle n’est pas “un accident de l’histoire”. Cette histoire qui aurait voulu qu’en 2007 les Français aient souhaité des candidats de rupture et qui aspireraient aujourd’hui à plus de sobriété. “Je n’ai pas surgi de nulle part, j’ai surgi à partir d’idées qui n’étaient pas habituellement dans la bouche des socialistes”, tempête-t-elle. Alors, à la façon d’un Jean-Luc Mélenchon, elle se lance dans une violente diatribe contre “ce système médiatique qui dévore et qui jette aussi vite qu’il encense”, contre “l’élite autoproclamée médiatico-politique” qui “veut à l’avance dire qui est bien, qui ne l’est pas”. Sûre d’elle-même, elle prévient qu’il y aura “des surprises”. Et elle interpelle : “Je dis aux Français : ne vous laissez pas voler votre vote. Regardez bien ce que les uns et les autres ont fait dans leur vie, écoutez bien les paroles qu’ils ont prononcées, les actes qu’ils ont accomplis.” Une manière de caser son bilan dans les interviews, de lancer comme un slogan le besoin de “la politique par la preuve”,

“Royal, c'est un flanker au rugby, elle va au carton” Jean-Marie Le Guen, strauss-kahnien

de dénoncer, mi-moralisatrice, mi-démagogique, “les effets d’annonces” et “les promesses dont ne veulent plus les Français”. Face à ce constat, elle veut parler du fond, dit-elle, du programme du PS qu’elle tient à la main et de ses “propositions complémentaires”, fiches stabilotées devant elle pendant ses interventions médiatiques. Blocage du prix de l’énergie et de l’essence, encadrement du prix de cinquante produits de base d’alimentation et d’entretien, contrôle des marges tout au long de la filière agro-alimentaire, états généraux de la révolution fiscale, inscription dans la Constitution de l’égalité des prélèvements sur le travail et sur le capital ainsi que de la garantie des ressources de la Sécurité sociale… Dans cette primaire du PS dont on ne connaît pas encore tous les acteurs, Ségolène Royal a décidé de jouer la carte du concret, du pragmatique, du quotidien : “Je veux être celle qui apporte des solutions aux problèmes que se posent les Français”, martèle-t-elle, convaincue que ce qui a changé depuis 2007, c’est l’augmentation de la précarité. On lui parle statistiques sur la hausse du pouvoir d’achat, elle répond sur RTL par la vie chère pour des Français qui “n’arrivent ni à s’acheter du shampooing, ni de la lessive”. Un exemple qu’elle a repris après une discussion avec une dame dans l’Allier, le 12 mars dernier. “C’est sa force, indique Jean-Louis Bianco, des idées claires que les gens comprennent.” “Elle a une capacité à intégrer le discours des personnes qu’elle rencontre et à les retraduire non pas de façon simpliste mais didactique”, précise Dominique Bertinotti, qui fait partie du petit cercle d’élus qui se réunit autour de Ségolène Royal pour les conseils politiques. Ce mardi 19 avril à la Rotonde, célèbre brasserie parisienne, ils sont quatre autour de la table. Outre les deux femmes, Jean-Louis Bianco et Guillaume Garot. Si les proches de Ségolène Royal insistent sur la composition variable de ces réunions, au PS on insiste sur la faiblesse des soutiens et le départ des troupes vers les camps de Hollande et de DSK. “Nous sommes une sorte de TPE, répond Dominique Bertinotti, avec une grande capacité de réactivité.” Avec un maillage de 9 200 adhérents, une association, Désirs d’avenir, aux antennes installées sur l’ensemble du territoire et organisant régulièrement des universités participatives, voilà la petite boutique Royal en capacité de rameuter hors des circuits traditionnels du PS, “mais sans qui la victoire de la gauche ne sera pas possible”, insiste Guillaume Garot. Une manière de glisser que quel que soit le résultat de la primaire, Ségolène Royal sera déterminante dans le dispositif. Pour ses soutiens, “elle sera candidate”. Pour les autres, elle sera une force d’appoint. “Elle arrive à amener à la politique des gens qu’aucun autre socialiste n’arrive à toucher, reconnaît le strauss-kahnien Jean-Marie Le Guen. Elle a de fait une place particulière. Royal, c’est un flanker au rugby, elle va au carton”. Que d’amabilités... Les soutiens de DSK ménageraient-ils l’avenir en cas de retour du patron du FMI ? “Si Hollande se maintient, les voix de Royal seront importantes pour DSK ou pour Aubry”, confie un cadre du PS. Même Laurent Fabius, pourtant peu réputé pour sa proximité avec la candidate à la primaire, y est allé de son petit mot : “Ségolène ne doit pas être enterrée aussi vite”, a-t-il confié au Parisien. “Je n’abandonne jamais”, sourit l’intéressée. L’opération reconquête est lancée. Elle devrait même y être aidée... Marion Mourgue 27.04.2011 les inrockuptibles 47

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brèves

candidats et soutiens A droite comme à gauche, on commence à constituer les équipes pour la bataille présidentielle. Fillon prépare son bilan François Fillon est (enfin ?) sur le pont. Séminaire gouvernemental le 5 mai, émission de télévision le 12 mai. L’heure est venue de défendre le bilan de l’action de Nicolas Sarkozy depuis quatre ans. Il faut dire que cela fait aussi quatre ans que François Fillon est à Matignon. Et qu’il n’entend pas laisser Jean-François Copé, son rival pour 2017, vanter seul l’œuvre réformatrice du chef de l’Etat.

Nicolas Gouhier/Abaca

Fabius travaille son dossier

Vous le savez peut-être. Au moment où nous bouclons, nous ne le savons pas encore. Mais d’ici la fin de cette semaine, tout le monde devrait savoir si Carla Bruni-Sarkozy attend “un heureux événement”.

confidentiel “La présidente, qui se trouve à l’extérieur de l’Europe pour l’instant, devra peut-être réétudier la question avec le rapport de la Commission qu’elle ne connaît pas. C’est une réaction rapide et elle ne possédait peut-être pas tous les éléments d’information.” Pas content, Jean-Marie Le Pen, vendredi sur LCI, après l’éviction, sur décision de sa fille Marine, d’un élu du Front national qui avait fait le salut nazi sur une photographie. Ou simple mise en scène d’une fausse divergence.

Laurent Fabius réfléchit à la hiérarchie des réformes à faire mais aussi aux difficultés auxquelles la gauche devra faire face en cas de victoire en 2012. Une somme de réflexions qu’il rassemble, entouré de secrétaires nationaux du PS, et qui constituera un gros dossier remis au candidat désigné lors de la primaire – sans avoir vocation à être rendu public. D’ici là, l’ex-Premier ministre s’amuse comme un fou. Pour un de ses proches, qui s’en amuse, c’est une façon de rappeler à ses “camarades” après la séquence du projet du PS où les petits ont joué aux grands, qu’il reste l’aîné et le seul à avoir gouverné la France.

candidat non déclaré cherche local pour campagne Il y a de moins en moins de doutes sur sa candidature à la présidentielle. Jean-

Louis Borloo cherche un local de campagne à Paris. Le confédéré des centres croit à son étoile et pense qu’il sera sans peine devant Sarkozy au premier tour.

Dumas hollandais “Je crois que c’est le meilleur. Il a les qualités pour demain être candidat à la présidence de la République. Je ne dis pas qu’il sera élu, mais il peut faire un très bon candidat.” Pas vraiment souhaité, ce soutien à François Hollande de Roland Dumas, encore tout sulfureux de son appui à Gbagbo et Kadhafi. Pas sûr donc de voir l’ancien ministre des Affaires étrangères dans les meetings du candidat corrézien.

Jefferson, sors de ce corps “Je veux comme dans les primaires américaines, des débats informels, des Jefferson debates en binôme où les candidats se modèrent eux-mêmes”, insiste Arnaud Montebourg qui se définit, dans la course à la primaire du PS, comme “le candidat de la nouvelle France, celle qui invente le modèle français de l’après-crise”. Et de lancer crâneur : “Je débattrai avec tout le monde, je n’ai aucune difficulté.” Alors pourquoi attendre le dépôt des candidatures ouvert le 28 juin, se demande-t-il. “Tout le monde est passionné par cette élection. Alors on attend quoi ?” Trois fois rien… Thomas Jefferson était président à Washington, non ?

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les doutes sur M. Hulot

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as toujours simple de comprendre la stratégie médiatique de la campagne de Nicolas Hulot. Sa rivale pour la primaire écolo, Eva Joly, a surnommé ce dernier “la machine médiatique”. Le staff de l’ex-animateur de TF1 veut casser cette image qui ne plaît qu’à moitié aux militants d’Europe Ecologie-Les Vert, mais qui est pourtant l’atout n° 1 de l’écolo préféré des Français. Cette contradiction pousse le camp Hulot a faire pression pour élargir la primaire au-delà du cercle des militants. Lors de sa déclaration de candidature en Seine-Seine-Denis, chez Stéphane Gatignon, on a compris que Nicolas Hulot ne souhaitait pas se retrouver sous une nuée de caméras à chaque déplacement. Ainsi à Sevran ce fut arrivée express, vingt minutes chrono et puis s’en va, sans question ni réponse. Simple, direct et sobre. Pour sa première sortie post-déclaration, Hulot s’est rendu jeudi 21 avril à la Bellevilloise, dans le XIXe arrondissement de Paris, où il répondait à l’invitation du collectif L’Appel du 21 avril qui milite pour une candidature unique à gauche en 2012. Il y a plus clair comme message pour un premier déplacement de campagne. Chez Hulot, on nous a expliqué que le candidat n’était pas là pour signer l’appel mais écouter les jeunes présents, qu’il désire mobiliser autour de sa candidature. Un déplacement qu’il voulait discret, mais joyeusement accueilli par les journalistes. Pas vraiment facile de se déplacer sans fanfare en 2011 pour un candidat à l’élection présidentielle... Sur la majorité de ses déplacements, il serait question de n’emmener que quelques journalistes afin d’éviter l’effet star et son troupeau de caméras. Pour sa deuxième sortie, Nicolas Hulot fait au contraire dans l’exercice médiatique tradi en se rendant le 25 avril à la frontière franco-allemande avec les antinucléaires pour les 25 ans de Tchernobyl. Critiqué par Eva Joly pour ne pas avoir abordé cette question lors de sa déclaration, Hulot fait dans le démonstratif photogénique classique mais efficace. Il l’affirme aujourd’hui : Fukushima l’a changé. La sortie du nucléaire est désormais “un objectif prioritaire”. Il entame ensuite son opération séduction des militants EELV d’Alsace à l’abri des objectifs. Ce que fait Eva Joly depuis plusieurs semaines. Anne Laffeter

Nicolas Hulot s’associe aux antinucléaires pour les vingt-cinq ans de Tchernobyl le 25 avril

que le meilleur perde Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite. par Michel-Antoine Burnier

Christophe Karaba/Epa/Max PPP

affaires intérieures

Que manquait-il à M. Sarkozy ? Une idée qui déplaise autant au patronat qu’aux syndicats. Il l’a trouvée. Voici qu’il propose tout à trac, sans concertation ni calculs, de distribuer une prime de 1 000 euros aux salariés des entreprises qui versent des dividendes à leurs actionnaires. Comme il semble logique, le patronat hurle à l’exaction. Les syndicats crient à l’injustice. Ils détestent toute rémunération au mérite. Pis : la prime n’ira qu’au personnel des 41 % de grosses entreprises et des 16 % de PME qui versent des dividendes. Et les autres ? Ont-ils démérité ? N’ont-ils pas tout autant travaillé ? Et les fonctionnaires, ces premiers clients des syndicats ? Là, c’est encore mieux, l’Etat bloque leurs salaires pour la deuxième année consécutive. La simple évocation de cette prime à laquelle ils n’auront jamais droit les horripile. Restent les salariés concernés, qui toucheraient volontiers 1 000 euros de plus. Modernes Perrette, on les imagine programmant déjà un voyage en Espagne ou la fin d’un découvert. Ah, les malheureux ! Espérons qu’aucun n’a emprunté sur cette promesse. Ceux-là aussi, il fallait que M. Sarkozy puisse les irriter. Il commença par une efficace opération de brouillage. Allait-on instaurer une prime obligatoire, comme le proposait le ministre du Travail, ou facultative, comme le répétait la ministre des Finances ? Et de quel montant sera-t-elle, cette prime ? 1 000 euros, répond le ministre

du Budget. A débattre, dit la ministre des Finances. La semaine dernière, après un discours devant d’authentiques ouvriers, M. Sarkozy revient sur ses propos de départ et livre de décourageantes conclusions. Non, la prime ne sera pas de 1 000 euros. De combien alors ? On ne sait pas, à chacun de la négocier. Obligatoire ou non ? Les deux. Obligatoire au-delà de cinquante salariés, facultative en dessous. Il faudra une augmentation des dividendes pour l’obtenir. Enfin, les entreprises ne payeront pas de charges sur leurs primes qui, on s’en doute, freineront les augmentations de salaires. Cela se fera donc au détriment de la Sécurité sociale, soit, à terme, au détriment des assurés et des contribuables. Reste-t-il une seule personne satisfaite après tout ce micmac, hors M. Sarkozy ? Il n’était pas facile, au nom de la justice, de provoquer autant d’injustices et de mécontentements. A quoi sert M. Hulot ? Considérons les enquêtes. M. Hulot entraîne un électorat centriste, il prend un peu à droite, davantage à gauche. Il va, si la chose est possible, faire baisser encore M. Sarkozy, précipiter la frange la plus radicale des écologistes vers le PS, attirer en revanche une masse de socialistes mous, sans parler des électeurs exaspérés par l’ensemble des vieux partis. En bref, il va aider les socialistes, les centristes et l’UMP à perdre, sans courir le risque de gagner lui-même. Du grand art. (à suivre...) 27.04.2011 les inrockuptibles 49

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Erol Josué, prêtre vaudou et musicien

contre-attaque

sweet Haïti Microprojets ingénieux, renaissance créative et résurgence vaudoue : l’île tente de se reconstruire lentement sous la présidence de Michel Martelly, un roi du kompa.



ar moquerie, tout le monde se donne du “sweet” en Haïti depuis le 20 mars et l’élection à la présidence de Michel Martelly. Chanteur de charme et roi du kompa (le zouk haïtien), justement surnommé Sweet Micky, encarté chez les macoutes (miliciens duvaliéristes) dès l’âge de 15 ans, le nouveau président est porteur d’un projet “d’amour, de paix et de progrès”. Il aura bien besoin de ce cocktail pour relever un pays mis à terre par les forces de la nature. Sauf que, première fausse note, à dix jours du scrutin, il menaçait, lors d’un débat public, Gotson Pierre, un journaliste indépendant et renommé du groupe Médialternatif. Les journalistes pris à parti sont un leitmotiv à Port-auPrince, où la violence a toujours été tant verbale que physique.

Il n’empêche que l’île refait doucement surface à travers des microprojets ingénieux, nés d’imaginations locales. Emblématique parmi d’autres, le programme Manman Béf, mené par Rosanie Moïse de l’ONG Veterimed : des donateurs privés achètent 500 euros une vache, qui sera remise en gardiennage pendant quatre ans à une

famille d’éleveurs (www.veterimed.org.ht). Objectif : augmenter la production laitière de l’île pour contrer les importations et générer des revenus pour les ruraux. Autre projet malin, de Michel Simon, président de la Fondation verte, qui vient au secours des villages de pêcheurs : un partenariat établi avec les Bretons de Solidarité pêche, de Concarneau, qui fournissent de vieux chalutiers rafistolés par leurs soins (www.solidarite-peche.org). Parmi les signes de renaissance, le foisonnement créatif des artistes haïtiens, comme en témoigne l’exposition montée à la Galerie du jour-agnès b. Tous paraissent incroyablement libres. Comme Michelange Quay qui, sur une vidéo, met aux platines de vénérables mamies mixant des musiques rituelles sur fond electro. Ou encore Jean-Hérard Celeur et André Eugène qui sculptent des statues totémiques géantes, dont l’une présente une grande femme un pénis dans la bouche. L’œuvre est intitulée Yon Bibon (“le biberon”, en créole). Rescapés du tremblement de terre de janvier 2010, les Haïtiens ne vont pas s’empêcher, dans la tradition vaudoue, de penser au sexe de manière rigolote. Car au cœur de cette entreprise collective de reconstruction, la religion des ancêtres béninois tient une place essentielle. Depuis le séisme, les temples vaudous recrutent à tour de bras. “Les autres cultes stigmatisent cette ‘religion du diable’, comme ils l’appellent, cause supposée du tremblement de terre, commente le prêtre Erol Josué. Le vaudou prêche tout au contraire le respect de la nature. Plus encore, il est une thérapie naturelle pour les corps et les âmes blessés. Né dans la nuit et la clandestinité, il ouvre à la résilience. Ses rites s’accompagnent de rythmes. C’est une religion qui se chante et se danse.” Erol a été initié tôt. Il connaît, dit-il, “le secret des feuilles” et pratique la guérison. Il possède son propre temple à New York, où il réside. Egalement musicien, son album Régléman – “liturgie” en créole – met en scène sa voix chaude, traversée d’incantations et enveloppée de chœurs, de tambours et de rythmes créoles. Un mix de blues du terroir, de gospel et d’electro. Spirituel, dans tous les sens du terme. [email protected]

aider Haïti Haïti, royaume de ce monde, à la Galerie du jour-agnès b., 17, rue Dieu, Paris Xe. Jusqu’au 18 mai. Le commissaire de l’exposition aimerait emmener ses artistes et leurs œuvres à la Biennale de Venise, mais il n’a pas encore déniché de sponsor. A ne rater sous aucun prétexte, le Bal créole,

de la Bellevilloise, le 8 mai, plutôt “bal des esprits” en l’occurrence, dédié aux dix ans de la loi Taubira reconnaissant l’esclavage comme crime contre l’humanité. Le Collectif Haïti de France regroupe une soixantaine d’associations et d’ONG (21 ter, rue Voltaire, Paris XIe, www.collectif-haiti.fr).

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Christine And The Queens (au centre) en T-shirt ou chemise à carreaux Orouni (sur les côtés)

en chemise blanche

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le concours de découvertes musicales

merci aux finalistes du mois de mars

Christine And The Queens & Orouni pour leur concert à la soirée Inrocks Lab Party du 12 avril 2011 à La Flèche d’Or – Paris

Christine And The Queens EP

Miséricorde

déjà disponible prochain EP Mac Abbey à paraître en juin 2011

Tournée 12/05 à Lyon (salle Kantor) 26/05 à Nantes (salle Le Ferrailleur) 04/06 à Paris (salle La Loge)

Orouni Album

Jump Out The Window

déjà disponible prochain album à paraître courant 2012

prochaine soirée Inrocks Lab Party le mercredi 11 mai 2011 à La Flèche d’Or – Paris (XXe) rejoignez la fan page Facebook Levi’s® France pour être informés des concerts photo réalisée à La Flèche d’Or par Emma Pick

www.lesinrockslab.com

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Diego Goldberg/Sygma/Corbis

François Mitterrand et Jack Lang pendant une conférence de presse, 15 mai 1979 54 les inrockuptibles 27.04.2011

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“on attendait beaucoup de nous” En mai 1981, le socialiste François Mitterrand prend le pouvoir en France. A ses côtés, Jack Lang, éternel soutien. par Hélène Fontanaud

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arlez-nous de votre première rencontre avec François Mitterrand. Jack Lang – Ce n’est pas une rencontre mais un simple échange de lettres. Je suis alors étudiant à Sciences-Po Paris et à la faculté de droit. Survient l’attentat de l’Observatoire. J’adresse à François Mitterrand un mot de sympathie. Il me fait savoir qu’il y est sensible. C’est le moment de sa vie politique où il est au plus bas, traîné dans la boue, au bord du désespoir. Plus tard, lorsque je suis évincé du Palais de Chaillot, après l’élection de Giscard d’Estaing, une cérémonie de soutien se tient dans les gravats du théâtre et François Mitterrand y est présent. En 1975 et en 1977, il vient à Nancy où j’ai créé avec une bande d’amis un festival de théâtre d’avant-garde, qui deviendra bientôt un véritable centre mondial de contestation culturelle et politique. Pourquoi choisit-il de venir à Nancy ? Par curiosité intellectuelle, peut-être par désir de humer les choses qui bougent. C’est, certes, un homme attaché à la culture classique. En même temps, il est attiré par l’inhabituel, l’insolite, le singulier. Souvent la société des officiels l’ennuie. Il préfère partir à la découverte d’expériences neuves. Ensuite, il y a eu la politique ? En 1977, la chance me donne la possibilité d’être candidat à l’élection municipale à Paris, dans le IIIe arrondissement, où j’ai un pied-à-terre. La tête de liste est Georges Dayan, l’ami le plus intime, le plus proche, le plus fidèle de François Mitterrand. C’est un type d’une intelligence, d’une drôlerie, d’un humour rares ! Nous sympathisons. Nous menons une campagne intense

d’un mois ! Mitterrand vient dans le quartier pour le soutenir. Je discute avec lui des Halles, de l’urbanisme, du Carreau du Temple, dont j’obtiens la sauvegarde. Quand avez-vous commencé à travailler réellement avec lui ? Après le demi-échec des législatives de 1978. Rocard se dresse et fait le procès en archaïsme de Mitterrand. En riposte, ce dernier rajeunit ses équipes. Déjà il avait à ses côtés des esprits brillants, comme Attali, Jospin et Fabius. Il me propose d’être à la fois son conseiller pour la science et la culture et le directeur de la première campagne européenne au suffrage universel, en 1979. Elle s’achève par un immense rassemblement de 200 000 personnes en plein cœur de Paris, au Trocadéro, en présence des grands leaders socialistes européens, notamment Willy Brandt et Mélina Mercouri. L’un des cinq plus grands orchestres du monde, le London Symphony Orchestra, accompagne l’événement. Résultat prometteur pour le futur : la liste socialiste arrive devant la liste communiste. Puis vient 1981… Il y avait dans l’air cette idée que le moment de l’alternance était venu. Le génie de Mitterrand est d’entremêler les expériences, les générations. Le PS est une véritable ruche intellectuelle. Les créateurs nous apportent leurs talents, leurs réflexions, leurs projets. En 1981, la liste de tous les gens qui soutiennent François Mitterrand est impressionnante ! Année après année, je m’emploie à réunir autour de François Mitterrand les intellectuels, les créateurs, à travers des initiatives concrètes, portant à la fois sur la science et sur la culture. Le parti

communiste est depuis longtemps considéré comme le parti des intellectuels. Pour gagner la bataille idéologique et placer le parti socialiste en tête, l’engagement des créateurs à nos côtés est vital. En même temps, nous ne voulons pas que les artistes, les écrivains, les savants soient utilisés comme un simple décorum pour faire joli dans les meetings. Nous souhaitons surtout qu’ils soient avec nous les coauteurs des changements à venir, les coïnventeurs d’un monde nouveau. Cela permet de diffuser une influence ? Notre programme pour la campagne présidentielle est le fruit de ce travail collectif. Chacun se sent porteur de l’esprit du changement. Les 110 propositions n’ont pas été écrites entre deux portes, elles résultent d’une maturation solide, sérieuse, à laquelle toute la société est associée. Quelquefois, on vous rappelle l’image un peu exagérée, un peu lyrique, du passage de l’ombre à la lumière ? La formule un peu sommaire n’a en effet rien d’une litote. Replaçons les choses dans leur contexte : à ce momentlà, les citoyens, spontanément et sans doute avec excès, emploient volontiers les mots “ancien régime” lorsqu’ils évoquent le septennat précédent. L’histoire se chargera de relativiser les choses. Le sectarisme est l’ennemi de la lucidité. Comment se passent les débuts au ministère de la Culture ? Je suis nommé tout de suite, j’ai la chance de ne pas être candidat aux législatives et donc d’occuper mon ministère à plein temps. On attend beaucoup de nous, et immédiatement nous agissons, dans tous les domaines. La gauche est hantée par l’idée que 27.04.2011 les inrockuptibles 55

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Devant l’Assemblée nationale, rue de l’Université, avril 2011. Il serait favori pour le nouveau poste de Défenseur des droits mais dit n’être “candidat à rien”

l’expérience pourrait être courte. Trois décisions sont prises simultanément qui sont emblématiques d’un changement dans la hiérarchie ministérielle, face à l’administration des finances qui domine le système politique. Première décision : le doublement du budget de la Culture, étape décisive vers le 1 %. Deuxième décision : la loi sur le prix unique du livre, première loi d’écologie culturelle, qui assure la prééminence de l’exigence de création sur la rentabilité à court terme et permet de sauver les librairies, l’édition. Troisième décision : dès juillet, je transmets au président un petit mot : “Si nous décidions de faire partir le ministère des Finances de la rue de Rivoli et d’affecter la totalité du palais du Louvre au musée, ce serait le plus grand musée du monde.” Et Mitterrand me répond aussi sec, avec son écriture à l’encre bleue : “Bonne idée mais pas facile à réaliser comme toutes les bonnes idées.” A partir de là, mille et un projets surgiront à travers tout le pays. Il y a eu la cérémonie au Panthéon, où il a pris une stature un peu olympienne. La cérémonie du 21 mai peut apparaître un peu désuète aujourd’hui. Mais elle a profondément touché le cœur des gens

Alexandre Guirkinger

“la nostalgie pour Mitterrand, c’est celle des grands desseins”

et a valeur de symbole. Même les ratés ont favorisé la magie de l’événement ! Par exemple, je fais sortir François Mitterrand trop tôt du Panthéon. Paradoxalement, le ciel m’aide à transmuer la gaffe en scène émouvante. La pluie tombe à seaux et coule sur le visage impassible du sphinx. Les premières manifestations culturelles populaires sont critiquées ? Les premières années sont dures, pas seulement pour la culture. Quand vous voyez qu’aujourd’hui tout le monde exalte les lois Defferre… Mais Gaston, je l’ai vu physiquement – il a 78 ans à ce moment-là – affronter une meute de parlementaires qui lui tire dessus à l’Assemblée, jour et nuit. La presse n’est pas toujours tendre, Le Figaro Magazine mène un combat acharné. Louis Pauwels me présente un jour comme “le pape du sida mental” : c’est ma plus belle décoration finalement. On peut se demander si le principal acquis de la gauche au pouvoir n’est pas d’avoir fait évoluer la société dans le sens que vous aviez initié… Je dispose de moyens budgétaires très importants et d’une durée exceptionnelle, deux fois cinq ans. Je peux donc inscrire dans la réalité, ville après ville, village après village,

quartier après quartier, toute une série d’institutions, bibliothèques, centres d’art, orchestres, musées, qui sont toujours là ! Mais vous ne retenez pas que cela ? Non. Parmi les bénéfices de la gauche au pouvoir, je retiens l’installation de l’alternance dans les têtes et dans les cœurs. Les lois de fondation qui demeurent, la suppression de la peine de mort bien sûr, mais aussi celle des juridictions d’exception, la liberté des collectivités locales, la liberté des radios et des télévisions. Je retiens enfin une politique internationale d’ampleur : la construction de l’Europe, l’attitude de Mitterrand par rapport au camp soviétique, refusant de pactiser, une politique assez continue sur les droits de l’homme. Au-delà de tout cela demeurent deux choses : s’il y a une nostalgie Mitterrand, comme il y a une nostalgie de Gaulle d’ailleurs, c’est qu’il existe une nostalgie des grands desseins. Et puis il y a aussi la nostalgie d’une certaine conception de la vie publique : Mitterrand n’est pas un saint mais ses principaux engagements, en particulier les 110 projets, sont respectés. Il y a eu des désaccords entre vous et même parfois des batailles assez vives ? Je ne suis pas un “béni oui-oui”. Je défends mes convictions dès lors que je les crois menacées. Le conflit le plus brûlant avec François Mitterrand est lié à la création en 1985 de la cinquième chaîne confiée à Berlusconi. Je ressens ce projet comme un abandon du service public de l’audiovisuel et comme un danger pour le cinéma français. Avec le soutien de Lionel Jospin, je me bats avec la dernière énergie, prêt éventuellement à quitter le gouvernement. Pour calmer le jeu, François Mitterrand m’adresse une lettre manuscrite. Elle commence par ces mots apaisants : “Cessons la guerre des nerfs”. Nous finissons par trouver un compromis. Un autre conflit porte sur la révision constitutionnelle. Malgré mes demandes successives, il refuse de transformer la constitution. Nicolas Sarkozy aura finalement été le premier président de la République à oser ouvrir le chantier de la rénovation de nos institutions.

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Voïna t’en guerre Ils ont dessiné un pénis géant face au bâtiment des services secrets russes, ont été libérés de prison grâce au street artist Banksy, ont remporté un prix national d’art contemporain… Le parcours atypique de Voïna, groupe d’anarchistes parti à l’assaut du pouvoir. par Marine Dumeurger photo Voïna

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our rencontrer les activistes de Voïna (guerre en russe), il faut commencer par prendre contact, uniquement par internet “à cause des écoutes”. Ensuite, on doit les convaincre de rencontrer un journaliste puis attendre le rendezvous, fixé au dernier moment dans les rues de Saint-Pétersbourg… Ensuite, il faut souffrir l’humeur d’Oleg, plutôt caustique : “Vous avez une rubrique spécial voyou dans votre journal ?” Ou virulent quand il balance à tout-va, contre les journalistes bien sûr, les artistes, l’Occident et le consommateur moyen, trop flasque à son goût. Pouvait-on s’attendre à autre chose ? Après l’interview, il rectifie : “Je n’étais pas dans mon état normal, deux jours sans dormir et pas de répit.” Il est vrai qu’en ce moment, sa vie paraît tumultueuse, rythmée par les actions, les manifestations, la prison, la libération sous caution et les sollicitations des médias… Pourtant Voïna, c’est aussi ça : un groupe radical, sans concessions, toujours sur le fil, toujours à la limite. 58 les inrockuptibles 27.04.2011

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six actions chocs 1

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1 Révolution de palais : Voïna renverse des voitures de police pour dénoncer la corruption. Plusieurs membres du groupe risquent la prison ferme 2 Concert punk dans une salle d’audience. Voïna a fait entrer deux guitares, des micros et des amplis pendant le procès de l’artiste Andrei Erofeev, poursuivi pour son exposition qui dénonçait la toute-puissance de l’église orthodoxe en Russie 3 Dans un supermarché Auchan, ils simulent la pendaison de trois travailleurs d’Asie centrale pour dénoncer le racisme, encouragé selon eux par l’Etat

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4 Partouze dans la salle nutrition et digestion du Musée national de biologie deux jours avant l’élection de Medvedev. Sur la banderole : “Fuck pour l’héritier” 5 Opération “Le flic dans une soutane” : déguisés en popes policiers, les activistes de Voïna (ici Oleg, l’un des leaders) se servent dans un supermarché sans être inquiétés 6 Leur prouesse la plus célèbre : un pénis de 60 mètres dessiné en 23 secondes sur le pont-levis qui fait face au FSB, le successeur du KGB 27.04.2011 les inrockuptibles 59

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Lors de la dernière manifestation du 31 mars. Oleg (1) et Natalia (3), qui manifestaient, ont été arrêtés et séparés de leur fils Casper (2).

Dans le centre-ville, à la tombée de la nuit, le noyau dur est là : Oleg Vorotnikov, sa copine Natalia Sokol, leur fils Casper, presque 2 ans, et Leonid Nikolaïev. Même s’ils refusent le terme, ce sont eux les leaders de Voïna, un collectif qui réunit deux cents personnes et compte déjà quelques imitateurs. “Nos activistes sont partout en Russie, mais aussi dans le monde. Nous avons même deux Parisiens.” Depuis presque deux ans, le mouvement multiplie les attaques contre les autorités et la consommation. “Nous sommes entrés en guerre contre les loups-garous en uniforme, l’obscurantisme politique et social et pour la liberté de l’art contemporain.” Derrière des idées plutôt abstraites, des actions très concrètes, parfois décalées quand ils simulent des pendaisons d’immigrés, d’un Juif et d’un homosexuel dans un supermarché ou lancent des chats affamés dans un McDonald’s. Parfois trash, quand une militante s’enfonce un poulet dans le vagin pour le voler ou quand ils organisent une partouze dans la salle nutrition et digestion du Musée national de biologie, deux jours avant l’élection de Medvedev. “Nous avons voulu brosser le portrait de la Russie préélectorale, un pays où tout le monde baise tout le monde, ce que le petit président regarde avec satisfaction.” Leur prouesse la plus célèbre reste le pénis d’une soixantaine de mètres dessiné de nuit face au FSB (les services secrets russes) à Saint-Pétersbourg. L’endroit choisi était stratégique : un pont-levis qui se dresse au petit matin. “Le pénis était plus haut que le bâtiment du FSB.” Ils ont gagné au point de remporter mi-avril un prix d’art contemporain réputé, organisé par le ministère de la Culture russe. Voïna s’empresse de tempérer cette reconnaissance officielle : “Nous voulions juste faire de l’art de rue. On s’en fiche pas mal de cette récompense, même si nous sommes reconnaissants au jury d’estimer notre travail.” Pas question de garder l’argent (10 000 euros) : “Il servira à aider les prisonniers politiques et financer des orphelinats en Russie.” De son côté, le jury explique : “Nous apprécions l’aspect novateur. Cet art de rue est inédit en Russie.”

“dans ce pays, si tu es prêtre ou policier, tu peux faire n’importe quoi” Leonid

Destin plutôt inattendu pour “la bite prisonnière du FSB”. Ce n’était pas le premier coup d’éclat de Voïna, dont toutes les interventions filmées ou photographiées provoquent le buzz sur internet. Début mars, après avoir écouté un reportage sur la BBC, l’artiste londonien Banksy a décidé de payer la caution de Leonid et Oleg, retenus depuis plus de trois mois en prison préventive. Un mécène généreux et précieux. “Son aide est arrivée au bon moment, elle a payé notre caution (estimée à environ 20 000 dollars – ndlr) et notre avocat. Nous lui disons un grand merci, avec des lettres aussi hautes que la bite du pont Liteïni.” Dans un pays comme la Russie, où la mobilisation politique est faible et réprimée, Voïna, avec ses méthodes chocs, risque des années de prison ferme. Oleg et Leonid attendent toujours leur procès suite à leur révolution de palais, où ils ont retourné une voiture de police, avec des fonctionnaires endormis à l’intérieur et, selon eux, soûls. Pour une partie de la population, le groupe a franchi les limites. Il manquait assurément le côté potache ou l’imagination d’autres happenings mieux accueillis. Mais pour eux, il ne s’agit que d’une action parmi d’autres. “Cette voiture renversée à l’entrée du Musée russe, c’était une installation artistique pour demander une réforme au ministère de l’Intérieur”, appuie Leonid. Leonid représente le kamikaze, la tête brûlée de l’équipe. Il a récemment foncé sur une voiture d’Etat avec un seau bleu sur la tête pour contester l’utilisation dévoyée du gyrophare. La société russe s’est beaucoup mobilisée récemment contre ce halo lumineux, sorte de passe-droit réservé non seulement à la police mais aussi aux personnalités d’influence, hommes politiques ou hommes d’affaires… “Mon action préférée, c’est lorsque j’ai enfilé un uniforme policier avec une soutane par-dessus. Je suis allé dans un supermarché, j’ai pris le repas le plus cher et je suis sorti sans payer. Dans ce pays, si tu es prêtre ou policier, c’est simple, tu peux faire n’importe quoi.” Avec ce type d’interventions, Voïna expose au grand jour ce que la plupart pense tout bas, des critiques dérangeantes qui, selon Oleg, expliquent leur emprisonnement. “On s’est retrouvé en prison parce que le gouvernement russe est devenu fou. Il est tombé dans la xénophobie et l’obscurantisme. Il a violé les droits de l’homme et les libertés afin de voler tranquillement les pétrodollars au peuple (…) Sommes-nous allés trop loin ?

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Leonid (4), arrêté également, va bientôt être jugé

Les vrais extrémistes ce n’est pas nous mais eux. L’artiste a pour mission de s’opposer. S’en prendre à la police, c’est attaquer leur toute-puissance. Car ici, en Russie, la population a trop peur de l’autorité.” Actions radicales pour désacraliser un pouvoir lui-même radical, voilà la réponse de Voïna. “La plupart des gens ont une mauvaise image de nous, mais certains nous soutiennent car nous montrons qu’il est possible d’agir.” Et en termes d’actions, c’est vrai, Voïna frise l’hyperactivité. Depuis leur séjour en détention, les activistes dénoncent sans relâche la violence des arrestations et du milieu carcéral. Sur leur site, traduit en sept langues, on peut suivre presque en direct leurs confrontations avec la police. Justement, leur avocat – dont la carte de visite est “noire comme un drapeau pirate” – arrive avant la fin de la rencontre. Il vient préparer l’audience de Leonid. Arrêté à la manifestation du 31 mars, celui-ci s’est échappé du fourgon. Symbolique, cette mobilisation a lieu tous les 31 du mois. Elle fait référence à l’article 31 de la Constitution russe qui accorde la liberté de réunion dans les lieux publics et n’est pas respecté. Elle rassemble souvent une grande partie de l’opposition, des plus modérés aux plus contestataires. Comme d’habitude, plusieurs participants, dont Oleg et Natalia, ont été arrêtés. Casper, leur fils, qu’ils avaient amené avec eux, a été placé pendant quarante-huit heures. “Ils ont voulu nous l’enlever mais nous nous sommes enfuis du fourgon”, raconte sa mère avant de détailler l’arrestation. “Après nous avoir frappés en pleine rue, la police antiterrorisme a entamé une procédure pénale.

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Ils prétendent que nous les avons agressés. Mais comment un enfant de 2 ans et une petite femme pourraient-ils s’en prendre à sept mastodontes ?, poursuit cette jeune femme plutôt frêle. Voilà pourquoi nous avons besoin du soutien des médias étrangers. Nous ne cherchons pas à obtenir la popularité mais à contredire la version officielle. Car en prison, il n’y a plus ni règles ni droits…” Engagé sur des questions cruciales d’un côté, radicalement anarchiste de l’autre, le groupe Voïna fait-il de l’art, de la politique ou bien les deux ? La question fait débat et les avis sont mitigés. L’opinion russe les considère soit comme des héros soit comme des bandits, toujours comme des provocateurs. “Voïna, ils sont vraiment très, très forts. Ils dégagent une vraie colère et incarnent notre conscience prolétaire à tous”, juge un trentenaire à Saint-Pétersbourg. D’autres sont plus critiques : “Ce sont des gens bizarres et leur contestation est étrange aussi : ces radicaux ne proposent rien.” Proche du milieu, une artiste contemporaine confie : “J’aime bien leur discours anti-conso, contre la toutepuissance de la police et de l’Etat. Mais quand ils renversent des voitures et sont nommés à un concours d’art contemporain face à des artistes qui ont vraiment travaillé dur, c’est juste du sabotage.” Sabotage, le terme leur plairait sûrement… Reste qu’ils font la une et qu’ils s’en sortent grâce à leurs soutiens. Pour combien de temps encore ? La justice russe pourrait bientôt s’abattre sur eux. En attendant, les “voyous” de Voïna combattent avec la rage et la passion que la Russie sait si bien engendrer.

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spécial Marseille

Marseille trop puissant édito

parcours phocéens

Les Inrockuptibles

Edouard Cissé, le numéro 6 de l’OM, nous ouvre les portes de la Commanderie

David Valteau

Les Inrocks descendent à Marseille. Dans le cadre des suppléments régionaux – dont la parution a débuté en septembre 2010 –, nous avons décidé, après Lille, la Bretagne, Bordeaux, Toulouse et la Normandie, de venir passer du temps à Marseille, Capitale européenne de la culture 2013. Nous y avons découvert une ville passionnante, en mouvement, où le rock renaît dans la foulée de Nasser ou Oh! Tiger Mountain. Nous avons fait un tour à l’OM, qui nous a ouvert les portes de la Commanderie. Nous avons visité les coulisses de Plus belle la vie, l’incontournable feuilleton local. Nous y avons rencontré des personnalités flamboyantes : du cuisinier Gérald Passédat à l’actrice Hafsia Herzi, qui pourrait être la sensation du prochain Festival de Cannes. Nous y avons constaté des blocages aussi, des freins, dont la culture est malheureusement souvent la victime – tout n’est pas gagné pour 2013. Mais à Marseille, nous avons surtout décelé une identité multiple et une envie farouche d’aller de l’avant, qui font de la cité phocéenne un endroit à part, à la richesse fondamentale. Du VieuxPort à la Belle de Mai en passant par La Dame Noir, nouveau fleuron des nuits marseillaises, nous avons trouvé notre bonheur et nous espérons vous le faire partager dans les trente-deux pages qui suivent. Bonne lecture.

II

inside l’OM reportage à la Commanderie

VI

la scène rock les groupes qui émergent

IX

agenda les dates incontournables

X

Plus belle la vie dans les coulisses

XIV

élus de la diversité ont-ils un réel pouvoir ?

XVIII Marseille 2013 un projet flou

XX

Hafsia Herzi l’actrice raconte sa ville

XXII Anne-Valérie Gasc l’art de la démolition

XXIV Gérald Passédat un cuistot punk

XXVI balade littéraire Pagnol, Izzo… et les autres ?

XXX guide les meilleures adresses supplément coordonné par Lisa Vignoli et Pierre Siankowski 27.04.2011 les inrockuptibles I

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Le bâtiment de l’équipe pro, construit en huit mois et inauguré en 2009

l’OM au cœur Pour la première fois, l’OM ouvre les portes de la Commanderie à la presse. Et c’est le milieu de terrain Edouard Cissé qui nous sert de guide. par Pierre Siankowksi photo David Valteau II les inrockuptibles 27.04.2011

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spécial Marseille

Les chaussures des joueurs marseillais. Cissé : “Je suis l’un des derniers à jouer avec des crampons noirs”

I

ci c’est un peu comme à Las Vegas : ce qui se passe à la Commanderie reste à la Commanderie.” C’est Edouard Cissé qui parle. Le numéro 6 de l’OM s’est proposé pour nous faire visiter l’antre du club, où les journalistes ne pénètrent jamais. Le bâtiment est situé en plein cœur du centre Robert-Louis-Dreyfus, traditionnellement appelé la Commanderie. Construit en huit mois à peine, en 2009, Didier Deschamps, entraîneur du club depuis lors, y a installé son camp de base. C’est ici que s’est gagné le titre de l’an passé, et que se gagnera peut-être celui de 2011. Le bâtiment ne paie pas de mine. Carré, lamé de bois, il évoque de loin une sorte de cube Ikea. A l’entrée, Rose-Hélène, la secrétaire du club, nous accueille. Cissé : “Rose-Hélène, personne ne la connaît mais c’est

un des piliers du club. Elle est là tous les jours. C’est la première personne que l’on voit ici, son sourire est très important pour nous, c’est elle qui donne le ton.” Premier étage. “C’est notre bureau”, note Edouard Cissé. Salle de kiné pour commencer. On y croise Alain Sultanian, dit “Museau”, 57 ans, kinésithérapeute de l’OM depuis vingt-neuf ans, il est aussi celui des Bleus depuis l’arrivée de Laurent Blanc. Son surnom, “c’est une histoire de connerie de pêche d’un poisson qui avait le museau pointu”, explique l’intéressé. Museau a vu passer tout le monde : de Papin à Bernard Pardo le phénomène, en passant par Cantona, Waddle, Barthez, Drogba et même le Deschamps joueur. Il a vécu le doublé de 1989 qui reste “son meilleur souvenir” et le titre de champion d’Europe de 1993. “Museau, c’est la mémoire vive, il connaît l’histoire du club, 27.04.2011 les inrockuptibles III

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spécial Marseille Mais qui porte le maillot “Dégun” ? Personne ?

Le Baby-foot des joueurs de l’OM, placé au centre de la salle de repos

Le tableauplanning des joueurs de l’OM. A gauche, sous l’étagère, la prise iPod pour DJ Rod Fanni

Placés au cœur du vestiaire, les casiers où se trouvent les vêtements d’entraînement des joueurs

le corps des joueurs, il est incontournable”, raconte Cissé, alors que l’on traverse la “salle des bains”. Un à 28 degrés pour les joueurs qui récupèrent de blessure ou qui font des exercices. Un autre à 7 degrés à la fin des entraînements. Cissé : “Dans celui-là, on n’y reste jamais très longtemps, sauf les Argentins qui sont habitués et qui peuvent y passer cinq minutes, c’est dingue.” Puis, un rang de douches conduit au vestiaire, bien plus sobre que celui du Stade Vélodrome : des casiers disposés en U autour d’une table où l’on pose le linge sale. “Chacun gère son casier comme il veut, il y en a qui ont plein de trucs dedans comme Andrade, le deuxième gardien, qui range tous ses shampooings et ses aprèsshampooings – on a surnommé son casier Sephora, c’est là qu’on vient faire les courses. Lucho, lui, a une bouilloire avec laquelle il fait chauffer son maté. Moi je n’ai pas grand-chose, à part des crèmes et des lettres de fans à qui je dois répondre.” Des chaussures sont posées tout en haut du casier de Cissé avec “Edu” écrit dessus. Sur un mur, à côté du tableau où sont notés tous les horaires d’entraînements et de matchs, une prise iPod. Elle accueille la programmation de Rod Fanni, DJ officiel du club. “Il a une sélection variée, on lui a laissé les commandes.” Une rumeur nous annonce que l’un des artistes préférés des Marseillais serait Booba, shocking. Un peu plus loin, les crampons. De toutes les couleurs, des moulés, des vissés. Cissé s’amuse : “C’est un peu folklorique, les couleurs, pas toujours de très bon goût, je crois que je suis l’un des derniers à jouer avec des crampons noirs”, plaisante le joueur alors que l’on arrive à la salle de musculation. Un mot au mur nous apprend que Gignac est capable de lever 125 kilos avec ses jambes. C’est peut-être pour ça qu’il a proposé de faire des grillades sur le petit coin de verdure qui sépare le terrain de la salle de muscu. Refusé. Dans le couloir, le bureau de Didier Deschamps, fermé à clé. “Le coach arrive avant nous et repart après nous. On sait qu’il est à côté, et qu’on peut aller le voir à toute heure”, confie Edu. Puis c’est le deuxième étage. La salle de repos, spartiate. Une PS3, deux postes internet, “mais sans Facebook, comme dans toutes les entreprises”, un Baby-foot, un livre sur l’histoire de l’OM. A côté, la pièce où l’on mange des pâtes, du poulet, des pâtes, des carottes rapées, des fruits et des barres de céréales. On peut prendre un expresso quand même. C’est ici qu’Edouard Cissé se retrouve un peu avant les autres avec les anciens comme Gabriel Heinze. “Quand ça ne va pas, c’est là que les abcès sont crevés. Il y a des discussions, parfois des disputes, comme dans chaque famille. C’est là que les conflits sont désamorcés.” A l’opposé, la pièce des fournitures. A l’entrée, des photos de Mohamed Ali et de Mike Tyson au milieu des photos du club. Des fanions de Liverpool. Un maillot de Manchester, celui de Chris Smalling, ramené de la dernière confrontation avec le club. On entre dans la salle où se trouvent maillots, chaussettes et compagnie. “C’est d’ici que tout part”, s’amuse Toussaint, le responsable des lieux, qui nous montre le dernier maillot brodé pour la finale de la coupe de la Ligue entre l’OM et Montpellier. Tout en haut, un maillot du PSG discrètement accroché. Même pas truffé de flèches. Juste avant de quitter les lieux, on trouve la pièce de collection. Un maillot extérieur bleu marine floqué “33 Dégun”. Dégun signifie “personne” à Marseille. A la Commanderie, l’OM ne “craint dégun”.

IV les inrockuptibles 27.04.2011

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Oh! Tiger Mountain

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le rock sort la tête de l’eau Dissonant Nation, Young Michelin, Oh! Tiger Mountain, Nasser… La scène rock marseillaise existe enfin mais doit lutter pour se faire une place au soleil. par Lisa Vignoli, Géraldine Sarratia et Pierre Siankowski photo David Valteau

O

n a d’abord cru qu’on nous faisait le coup de la sardine. Un pastis à la main, Fred, ancien chanteur d’Aston Villa et actuel manager des Dissonant Nation, un des nouveaux groupes rock marseillais qui monte, lâche la bombe : le premier vinyle rock en France aurait été enregistré à Marseille dans les années 50. “Enfin, je suis pas sûr, c’est ce qui se raconte”, dit-il, sourire aux lèvres. Le rock serait né ici ? Ça ressemble à une légende assez grosse pour boucher l’entrée du port. Urbaine, influencée par les rythmes et mélodies du monde arabe et du Moyen-Orient, Marseille n’a jamais été très rock. Pourtant, depuis deux ou trois ans, la ville charrie jusqu’aux bureaux des rédactions de jeunes groupes pop, rock, soul accomplis, nourris au Velvet, aux Smiths ou aux Pixies. Ils chantent en anglais, s’appellent Young Michelin, Oh! Tiger Mountain, Dissonant Nation ou encore Nasser. Formé par trois trentenaires issus de la pub, Nasser est la tête de pont de ce qu’on pourrait appeler la “nouvelle scène marseillaise”. Le groupe, qui vient de sortir son premier album intitulé #4, croisant guitares et samplers mais dans une énergie toujours très rock, est de tous les festivals de l’été. Pourtant, l’élan n’est pas forcément parti de Marseille comme l’explique Nicolas, l’un des membres barbichu du trio : “Au départ, le milieu un peu underground n’a pas voulu entendre parler de nous. Quand tu es marseillais à Marseille, les gens te trouvent un peu moins intéressants que la moyenne, c’est un truc qu’on s’inflige, je ne sais pas pourquoi. Rapidement, on est partis jouer ailleurs : à Lyon, à Paris, en Suisse. C’est quand les salles d’ici ont vu qu’on s’exportait dans d’autres coins qu’on nous a proposé de rejouer à Marseille. Mais jamais nous n’avons accepté de jouer dans les salles qui nous avaient snobés.” Pas rancunier, le groupe se réjouit pourtant de l’arrivée d’une scène fraîche : “Je crois que la scène hip-hop a vécu à Marseille,

pour l’heure, on accorde plus de subventions aux musiques méditerranéennes qu’au rock

elle s’est épuisée avec les années. La scène electro aussi a pris un coup avec le retour du live. Les gens voulaient peutêtre revoir des mecs suer plutôt que des types derrière leurs platines. Et quoi de mieux qu’un type qui frappe sur une batterie ou un autre qui est au micro avec sa guitare. On est arrivés au bon moment”, sourit Nicolas. Leader des Young Michelin, un quintet pop-surf qui a récemment remporté le concours Inrocks CQFD, Romain, nous donne rendez-vous à la Friche de La Belle de Mai. Un lieu de création et de diffusion qui accueille des concerts (Poni Hoax, Sébastien Tellier…), des artistes en résidence, des studios de danse, de théâtre, ou encore les locaux de Radio Grenouille (lire p. 115). A son arrivée, il y a dix ans, la ville ressemblait a un désert rock. “Je n’ai trouvé aucune scène à laquelle me raccrocher. C’était les années French Touch, très house. Je faisais de la musique dans mon coin, tout seul, notamment sous le nom de Dondolo. Aujourd’hui, le revival rock d’il y a six, sept ans s’est diffusé. Regarde comment les gens se fringuent.” On ne peut qu’acquiescer en croisant les jeunes de 17-18 ans en jean slim et en perfecto qui zonent près du cours Julien ou s’affairent au-dessus des bacs à vinyles chez le disquaire Lollipop. Pour autant, Romain hésite à parler de scène. “Pour moi, explique-t-il, une scène c’est des gens qui partagent des affinités musicales. Ici, je n’ai pas cette sensation. Il n’existe pas beaucoup d’échanges entre les groupes. C’est plutôt chacun dans son coin.” Un sentiment que ne partage pas Mathieu, fondateur de Oh! Tiger Mountain, projet solo devenu duo, que l’on retrouve dans un café de la Plaine. Un jeune homme au look sobre et dandy, à l’anglaise (boots, jean, foulard en soie), qui joue un rock soul aux accents déchirants, sous influence US. Le soir même, avec son acolyte, il joue en première partie de Cocoon à Avignon. Lui croit dur comme fer en l’existence d’une scène phocéenne. Il a créé un petit label, Microphone Recordings, avec son acolyte Kid Francescoli. “Une scène, ça se décide, ça se crée. En tout cas, avec Kid, on a décidé qu’il y en avait une. Je suis allé voir tous les groupes du coin. Je leur ai dit qu’on faisait un collectif, un label qui fonctionnerait un peu comme une coopérative.” Ils ont sorti le premier album de Kid Francescoli et s’apprêtent à en sortir un vinyle qui comportera aussi sur la face A des titres 27.04.2011 les inrockuptibles VII

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“quand tu es marseillais à Marseille, les gens te trouvent un peu moins intéressants que la moyenne” Nicolas (Nasser)

Nasser

de Johnny Hawaii, “un groupe dans la lignée de Panda Bear” et de The Performers, “un mec enfermé dans sa piaule qui produit une musique planante et panoramique à la Air”. Sur la face B, un bœuf géant des cinq groupes. A Marseille, pas de Noir Désir, de Starshooter ou de Marquis De Sade. Pas de figure tutélaire pour montrer la voie et baliser le terrain. Rockeur marseillais ? L’appellation a longtemps fait sourire. “On subissait beaucoup le côté folklorique, OM, pastis”, se souvient Stéphane, guitariste des Neurotic Swingers, groupe rock garage qui a connu un succès national dans les années 90, et aujourd’hui disquaire chez Lollipop, un bastion rock et garage. Un café disquaire qui accueille aussi chaque semaine des showcases avec des groupes locaux. “On avait l’impression qu’il fallait plus faire nos preuves que les autres.” “Quand tu habites à Marseille, renchérit Romain des Young Michelin, le challenge c’est d’en sortir, pas de se revendiquer d’ici.” En sortir, parce qu’en dépit de ce sursaut de bonnes volontés, la scène rock a toujours du mal à se faire une place, et à s’engouffrer dans la brèche d’un hip-hop qui montre pourtant des signes d’essoufflement. La faute à qui ? Au soleil et à la mer, comme le suggèrent certains des groupes ? Pour Céline, de l’association In the Garage, qui organise des concerts rock ou electro ainsi qu’un excellent festival (avec cette année Etienne Jaumet, Oh! Tiger Mountain…), le problème est avant tout politique et structurel. A Marseille, les salles de concerts qui ouvrent leur programmation au rock se comptent sur les doigts d’une main : le Poste à Galène, le Cabaret Aléatoire, l’Embobineuse, la Machine à Coudre… Soit trop grandes (1 200 places), soit trop petites (100 places). “Il manque une salle de 400 places qui permette de ne pas prendre trop de risques et qu’il y ait quand même de l’ambiance”, explique-t-elle Du coup, les tourneurs restent frileux et les têtes d’affiche qui pourraient drainer un public plus large ou créer une émulation incluent rarement Marseille dans leur tournée, par peur de ne pas remplir les salles. “Les groupes que j’aime passent rarement ici”, déplore Romain. Peu de scènes, peu de têtes d’affiche, peu de public... Difficile de sortir du cercle vicieux. “A moins que les représentants des collectivités territoriales fassent preuve de soutien notamment par le biais de

subventions”, ajoute Céline. En effet, pour l’heure, on accorde plus de moyens aux musiques méditerranéennes qu’au rock. Question de culture et de sensibilité. Pour leur festival B-side, elle et Séverine sont bénévoles et reçoivent 5 000 euros par an du conseil général. Rien à voir avec les grosses machines Babel Med Music et la Fiesta des Suds organisées par Latinissimo, qui reçoivent respectivement 350 000 et 670 000 euros de la région Paca et du conseil général des Bouchesdu-Rhône. A ce manque de salles et d’aides vient s’ajouter un public qui n’a pas vraiment l’esprit de découverte. “Les Marseillais attendent que des instances valident avant de venir, raconte Romain de Young Michelin, que ce soit des magazines ou d’autres scènes.” Peu curieux les Marseillais ? Peu mobiles aussi. “C’est un peu la triste réalité. Mais j’ai foi en la jeune génération. Pour nous, c’est le meilleur public. Ils ont des goûts acérés, ils connaissent les Smiths, les groupes du début des années 80, ils se déplacent.” La vingtaine ou presque, les Dissonant Nation existent depuis trois ans. Originaires d’Aubagne, ils ont grandi en n’écoutant que du rock. Ils citent Bowie, My Bloody Valentine, Sonic Youth. “J’ai tout de suite accroché sur le format album”, explique Lucas, le charismatique chanteur, devenu fanatique de vinyles. Aujourd’hui, chez Lollipop, il vient d’acheter le nouveau The Kills. Energique, explosif sur scène, leur rock glam et garage fait parler de lui au niveau national. Ils écument le pays depuis un an et demi, et viennent de jouer sur la scène découverte du Printemps de Bourges. Ils sont sur le point de signer avec une major et ont arrêté leurs études pour se consacrer au groupe. “Comme on a cinq dates par mois minimum, c’était devenu dur de concilier. Et puis on veut se donner à fond.” OK, Marseille n’a pas encore eu son Noir désir, mais en les quittant, on se dit que loin d’être une lacune, l’absence de figure rock tutélaire est peut-être la plus grande force de cette scène qui semble aujourd’hui prête à tout oser. Libre, décomplexée, confiante en son futur. Pourquoi ce nom, Dissonant Nation ? “Parce que c’est cool”, répond du tac au tac Lucas, en allumant sa clope. Comme le rock à Marseille en 2011.

VIII les inrockuptibles 27.04.2011

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spécial Marseille

rendez-vous phocéens Qui a osé dire qu’il ne se passait rien à Marseille ? Festivals et soirées font le printemps de la ville. par Lisa Vignoli

Gonzales, au cinéma Les Variétés, le 20 mai

parties sélectives le rock sort Benjamin – ex de feu le du garage collectif Les Parties fines – organise une fois par mois des soirées itinérantes sous le nom de Rendez-vous de M. Clouseau. Salon de coiffure en étage, sous-sol d’un grand magasin ou musée, il ne s’interdit d’investir aucun lieu la nuit. La prochaine soirée CacheCache Club aura lieu jeudi 28 avril au sous-sol des Galeries Lafayette Saint-Ferréol. Shopping nocturne, DJ set et live. monsieurclouseau.posterous.com

initiative anti-ennui T’as le flux ou tu l’as pas… Documentaires, danse, pièces de théâtre. De mai à juillet, aucune excuse pour passer à côté des festivals phare de Marseille avec la possibilité d’assister à sept événements à piocher parmi ceux du Festival Les Musiques-GMEM, du Ballet national de Marseille, des Informelles au Théâtre des Bernardines, de Marseille objectif danse, du Festival de Marseille, du Festival international du documentaire et du Festival Mimi. Le tout avec un pass à 45 euros. fluxdemarseille.com

A l’initiative des Girlz de l’association In the Garage, ce festival rock fera venir, entre autres, Etienne Jaumet, Thee Oh Sees, Johnny Hawaii et Oh! Tiger Mountain sur différentes scènes marseillaises du 5 au 23 mai. inthegarage.org

art and the city Pour la troisième édition du Printemps de l’art contemporain, Marseille vivra les 12, 13 et 14 mai au rythme des galeries d’art. Cette manifestation mettra chaque jour un quartier à l’honneur à travers un parcours de galerie

en galerie, parmi celles du réseau Marseille expos – qui en regroupe une vingtaine. marseillexpos.com

Marseille attaque Pour la première fois depuis que ce festival de musique électronique existe, il nous livre son édition printanière intitulée Marsatac Calling, une programmation hors festival dans divers endroits de la ville. A noter, Erol Alkan au Cabaret Aléatoire le 30 avril, Cold War Kids à l’Espace Julien le 9 mai et Gonzales au cinéma Les Variétés le 20 mai. Jusqu’au 20 mai

Les Inrocks débarquent à Marseille A l’occasion de la sortie du numéro spécial Marseille, la rédaction des Inrocks se déplace le vendredi 29 avril dans plusieurs lieux emblématiques de la ville. Les journalistes seront en direct sur Radio Grenouille à partir de 17 heures, avant de rejoindre, à 19 heures, la terrasse d’Oogie pour un débat : “Marseille 2013, y a-t-il un pilote dans l’avion ?” A 20 heures, ils seront à l’inauguration du “dancing” de la Dame Noir, dans les locaux du célèbre Trolleybus du Vieux-Port (apéro dînatoire + soirée. Concert des Dissonant Nation et DJ sets (Inrocks Steady Crew) de minuit à 5 heures. 27.04.2011 les inrockuptibles IX

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le soap de

Marseille

Nouveau mythe marseillais, Plus belle la vie a invité Les Inrocks à visiter ses studios. Bienvenue au Mistral. par Diane Lisarelli photo David Valteau

A

l’OM, au savon, au rap et à une certaine tendance à l’exagération s’ajoute désormais un nouvel élément dans la mythologie marseillaise : Plus belle la vie (PBLV). Difficile de passer à côté de l’institution qu’est devenu le feuilleton de France 3 en sept ans et plus de 1 500 épisodes. Car qui dit Marseille dit Mistral : le vent, Frédéric le poète, et la place emblématique du feuilleton. Un lieu fantasmé que les touristes persistent à chercher dans la ville, demandant leur chemin à l’Office du tourisme ou aux locaux amusés. En réalité, la place du Mistral se trouve dans l’un des studios du pôle média de la Belle de Mai, juste à côté de la gare de Marseille-Saint-Charles. Y entrer revient à pénétrer dans un univers familier et ultraréaliste, que l’on regarde la série ou pas. Là se croisent les “mistraliens” (terme inventé pour désigner le cast permanent de la série), mais aussi et surtout une centaine de techniciens, costumières, décorateurs, etc., qui toute la journée s’affairent à recréer une vie de quartier fantasmée – où les histoires se croisent à grands renforts d’intrigues un tout petit peu tirées par les cheveux. A l’évocation de Plus belle la vie, certains friseront le belsunce breakdown rappelant la nullité des productions nationales en matière de série, dont PBLV est souvent pris comme exemple symptomatique : “Les Américains ont eu Arrested Development, ils ont 30 Rock, Breaking Bad, How I Met Your Mother, on a Plus belle la vie.” Ben oué. Mais en la matière, les choses ne sont pas vraiment comparables : Plus belle la vie n’est pas une série mais un soap opera sur le modèle de Coronation Street (feuilleton britannique diffusé depuis le 9 décembre 1960) ou de Guiding Light, soit Haine et passion en français, feuilleton dont les personnages se sont détestés passionnément de 1952 à 2009. Pour

Sur le plateau 1000, la place du Mistral : ce jour-là, y a “dégun”

les béotiens, il s’agirait donc plutôt de comparer Plus belle la vie aux Feux de l’amour. Et là, toutes proportions gardées, c’est quand même un peu moins la honte. On ne se risquera pas à expliquer le succès du feuilleton par ses qualités purement artistiques et son génie scénaristique. Une chose est pourtant sûre, il a réussi à trouver son public : en moyenne plus que le JT de France 2 soit à peu près 5 millions de téléspectateurs et pas uniquement des ménagères de moins de 50 ans. La fanbase de PBLV est plutôt hétéroclite. Ainsi recense-t-on dans nos connaissances un graphiste, une étudiante en master de sociologie ou un journaliste dans un magazine dit “branchouille” ayant tous pour point commun d’être devant leur télé à 20 h 10, sainte heure de diffusion. “Il faut voir les premiers épisodes, c’est hyper arty”, pourra même lâcher l’un deux, par ailleurs amateur du cinéma de De Palma ou Depardon. Second degré ou pas ? La frontière est mince. Une grosse constante pourtant : l’attachement affectif à la série. Qu’il soit frontal

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“il y a une certaine noblesse à fournir tous les jours un produit bien fait à des gens qui aiment ça et sans se moquer d’eux” Mathieu Bollet, directeur artistique et direct comme celui des fans qui envoient des montagnes de lettres à la prod ou plus décalé comme celui de notre graphiste qui boit tous les matins son café dans un mug PBLV. A 14 heures, dans les locaux du pôle média de la Belle de Mai, c’est plutôt détendu. Dans le bureau de ce qu’on nous présentera comme “l’artistique”, Mathieu Bollet, jeune directeur artistique, finit sa clope à la fenêtre. L’ambiance est à la cool et la blague facile. Sur les murs, des posters de Star Wars et des clichés célèbres d’Iggy Pop, Johnny Cash, Takeshi Kitano ou Clint Eastwood imprimés à l’arrache. Entre deux regrets quant au manque d’argent qualifié de “phénoménal”, Mathieu lâche : “J’aimerais bien qu’on arrête de considérer Plus belle la vie comme quelque chose de purement kitsch, pour moi c’est un objet pop, et il y a une certaine noblesse à fournir tous les jours un produit bien fait à des gens qui aiment ça et surtout sans se moquer d’eux.”

Vu comme ça, en effet. Tous les jours, du petit matin à 18 heures, se tourne avec application et un tout petit peu en speed l’équivalent d’un épisode. A l’extérieur ou en studio, les séquences s’enchaînent suivant les décors et personnages sans ordre chronologique. A midi, cette grosse machine se met en pause durant une heure où tout le monde (acteurs compris) se retrouve dans une sorte de hangar aménagé avec de grandes tentes festives abritant un self plutôt appétissant. L’occasion ce jour-là de discuter à la machine à café avec Pascale Roberts. Actrice “déjàconnue-avant”, elle interprète une dénommée Wanda, mère indigne un peu filoute. Son café terminé, elle nous présente son chien (Socquette, 10 ans), qui lui aussi a joué dans le feuilleton, une scène coupée au montage. Déception générale. En se ressaisissant, ayant appris qu’il s’agissait des Inrocks, Pascale nous glisse naturellement qu’elle adore Bruce Springsteen et Julien Doré avant de retourner à sa table où d’autres acteurs de tous âges finissent leur colombo de poulet 27.04.2011 les inrockuptibles XI

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Passion collage dans les bureaux. Le planning de tournage côtoie Iggy Pop ou Joe Strummer et les cartes postales promo des messages moins optimistes : “Tu es las de la condition humaine. Tu peux toujours te suicider.” Plus belle la vie, donc Au “HMC” (habillage, maquillage, coiffure), on parle d’organisation “quasi militaire”. Les fringues du personnage de Ninon attendent, elles, sagement sur leur portant

accompagné de riz à la sauce coco. Au programme de l’après-midi, le tournage de séquences dans de nouveaux décors et avec un nouveau personnage. Impossible donc de prendre des photos, pour ne pas filer d’indices sur l’intrigue, sur les écrans dans deux mois, compte tenu du délai entre le tournage et la diffusion. On est un peu parano sur le sujet. Les acteurs eux-mêmes ne sont pas au courant de l’évolution de leur rôle, histoire de préserver leur spontanéité mais aussi et surtout de garantir une certaine confidentialité. Pas de spoilers, donc. On apprendra seulement (même si on s’en doutait un peu) que, depuis sept ans, chaque épisode est construit sur le même modèle (une intrigue A qui s’étale sur deux ou trois mois, une intrigue B pour la semaine et une C, plus légère, qui, le temps d’un soir “permet d’attraper le spectateur occasionnel”) conçu par un pool de scénaristes à Paris. Ce sont les seuls à être restés “sur la capitale” comme on dit ; le reste de l’équipe permanente étant aujourd’hui basée à Marseille. A ce propos, “quand les Marseillais nous ont vu arriver, ils se sont dits ‘des Parisiens ?’ puis il y a eu un vrai sentiment d’appartenance”, explique Serge Ladron, directeur de production dans son bureau du premier étage de la Belle de Mai. Effectivement, parler de Plus belle la vie à un Marseillais promet de lancer une discussion impliquant des affects positifs ou négatifs. Par exemple, Géraldine, jeune expatriée à Londres confesse :

on connaît tous une mamie qui s’est mise à accepter l’homosexualité en suivant les aventures de Thomas

“Plus belle la vie, je m’en fous pas mal en Angleterre, mais quand je suis chez ma mère, ça fait partie de la tradition. Etant donné que je loupe souvent plusieurs mois d’intrigue, quand je retombe dessus, il y a souvent eu mille affaires de viols, des tonnes de coke déversées sur le Mistral, des alertes enlèvement, trente meurtres, huit nouvelles histoires d’amour et autant de nouveaux personnages. J’y comprends pas grand-chose mais c’est pas vraiment ça l’important.” Si la région Paca est la troisième en termes d’audience (derrière la Bretagne et le Nord-Pas-deCalais), il existe aussi une autre forme d’engouement local pour la série. Car à Marseille, il y a désormais une “industrie Plus belle la vie” pour les intermittents du spectacle. Ainsi, une centaine de figurants locaux par semaine et autant de techniciens augmentent leur nombre d’heures nécessaires afin de justifier leur statut. Une fierté pour la prod. Tout comme la liberté de ton dont Serge Ladron se vante. Sur la forme en effet, la mixité du casting de PBLV pourrait montrer l’exemple à d’autres productions françaises. Sur le fond, on s’enorgueillit de “traiter de tous les sujets sans faire semblant, sans barrières si ce n’est la bienséance”. Effectivement, il est souvent question de drogue, de sida, d’homosexualité, de mixité, d’a priori sociaux. Et si le feuilleton brille par sa neutralité politique, on entend parfois pointer quelques petites remarques subversives – comme l’allusion récente à la nécessité pour le commissariat de faire du chiffre par tous les moyens. A part ça, on connaît tous une mamie qui s’est mise à accepter, comprendre ou envisager l’homosexualité en suivant les aventures de Thomas, ouvertement gay dans la série. A la bien, cousin.  

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la diversité c’est pareil Même dans les quartiers Nord, les élus de la diversité doivent faire allégeance à des dynasties politiques qui délaissent les cités populaires. Plongée dans une impasse. par Xavier Monnier

Q

uartiers Nord de Marseille. Les XIIIe, XIVe, XVe et XVIe arrondissements n’ont jamais été riches. Depuis cinquante ans, les migrants viennent s’installer dans cette zone de la ville, coupée du centre sans en être éloignée – à peine dix minutes du Vieux-Port. Comoriens, Maghrébins, natifs de l’ouest et du centre de l’Afrique, cette immigration a succédé aux vagues espagnole, italienne

et polonaise. Sans qu’en émerge à ce jour un grand nom de la politique locale. Dans le XIVe arrondissement, une Austin Mini flambant neuve sillonne les rues. Petit coup de klaxon pour alerter les gamins qui traînent, appel de phares en guise de salut. Les passants qui posent plus d’une seconde leur regard sur le véhicule rendent le bonjour. Un peu las, un brin amusés. Sur le coup de 20 heures, entrée dans une grande copropriété, Les Rosiers. En mars 2010, un tireur isolé s’était amusé à balancer du plomb sur ses habitants. Le GIPN

s’était alors baladé dans le quartier. En février, les flics sont revenus dans le cadre de l’opération Brennus. Après de nombreux règlements de comptes sur fond de trafics de drogue dans les cités, l’Etat avait décidé, fin 2010, de multiplier les descentes dans les quartiers chauds pour frapper le business au cœur. Sans succès autre que dans la presse. La loupe médiatique s’était alors posée sur la cité, ses tours défraîchies, ses huit cents appartements surpeuplés, classés depuis 2007 au patrimoine architectural du XXe siècle

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“ce sont des candidats produits par le système politique, mais qui ne le renouvellent pas” un élu de gauche

Nora Remadnia-Preziosi (UMP), en campagne pour les législatives de 2007

Paris C./Urba Images

de conseiller général sur le canton. Dans le local exigu, des représentants de l’importante communauté comorienne, qui appellent Pezet, ancien adjoint (et quasi-opposant) de Gaston Defferre, “Papa”. Discours sur les moyens d’améliorer le quotidien, soucis de copropriété, manque de transports en commun. Une réunion électorale et une image saisissante. Deux politiques blancs face à une assemblée noire, qui les assure de son soutien à la veille du second tour des cantonales. Pas d’encarté socialiste comorien venu faire la promo des élus, encore moins de candidat en position éligible.

– classement empêchant toute possibilité de démolition. La Mini fait halte devant un local à la lumière pâle. Sa conductrice la gare en vrac, après avoir reçu l’assurance de deux habitants de la cité qu’elle ne risquait rien là. Elle bondit hors du véhicule : “Alors, toi, toujours aussi beau ? Et toi, comment vont les enfants ?” “Bien, madame la députée, et vous ?” Scène de campagne ordinaire pour Sylvie Andrieux. Sur ses terres, la blonde quinqua est venue soutenir Michel Pezet, candidat au poste

Lors des dernières cantonales, aucun homme politique issu de la diversité n’a été élu. Rébia Benarioua et Henri Jibrayel, élus lors du scrutin de 2008, sont les deux seuls conseillers issus de la diversité à siéger (sur un total de cinquante-sept) au conseil général. Le socialiste Henri Jibrayel, né à Marseille de parents libanais, s’était déjà distingué l’année précédente en étant élu député dans la quatrième circonscription des Bouches-du-Rhône. Les scrutins uninominaux ne sourient guère aux personnes d’origine algérienne, marocaine et comorienne, à l’inverse des scrutins municipaux et régionaux. La différence tient essentiellement au mode d’élection. Lors des municipales ou des régionales, ce sont des listes qu’on présente derrière une tête d’affiche. Difficile donc pour les élus de la diversité de se faire un nom dans une ville, certes métissée, mais où le manque de renouvellement de la classe politique est un fait : président du conseil général, et patron du PS local, Jean-Noël Guérini a hérité du fauteuil de son oncle et travaillé pour le maire historique, le socialiste Gaston Defferre. Le père de Sylvie Andrieux était également l’un des bras droits de Defferre. Quant au député socialiste, Christophe Masse, il a hérité du siège de son père Marius à l’Assemblée nationale, auparavant détenu par son grand-père Jean Masse… Enfin, élu en 1965 sur la liste socialo-centriste menée 27.04.2011 les inrockuptibles XV

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Karim Zéribi est devenu conseiller municipal en 2008

Patrick Valasseris/AFP

Boris Horvat/AFP

les scrutins uninominaux ne sourient guère aux personnes d’origine étrangère , à l’inverse des scrutins de liste

Henri Jibrayel (PS), élu député en 2007

par Gaston Defferre, le maire Jean-Claude Gaudin est installé à l’hôtel de ville depuis seize ans. Pour les non-adoubés, les baronnies sont quasi imprenables. Seule fenêtre de tir, les scrutins de liste. Les élections municipales et, à un degré moindre, les régionales et européennes, permettent de lancer des ballons d’essai, de faire de la place aux générations issues d’une immigration autre qu’italienne… “Dans les XIIIe et XIVe arrondissements, il y a vingt-six ethnies qui cohabitent. Lors des élections municipales, il est important de présenter des listes qui ressemblent à la population”, assure Sylvie Andrieux. Et j’espère bien avoir les coudées franches pour 2014.” Tête de liste, Andrieux a laissé le fauteuil de maire de secteur à Garo Hovsepian. Même son de cloche à droite. “A Marseille, tout tourne autour des municipales, décrit le sénateur-maire Bruno Gilles, poids lourd de la droite. On profite des listes pour sortir de nouvelles têtes, y compris issues de la diversité.” Une stratégie qui ne va pas sans caricature. “On a parfois l’impression qu’on va piocher des gens dans les quartiers et qu’on les baptise politiques, sourit un vieil élu socialiste. La constitution de liste vire parfois au n’importe quoi. On essaie de faire entrer tout le monde, sans qu’il y ait un vrai discours politique derrière. On regarde les patronymes pour voir si l’on n’a pas oublié un représentant maghrébin ou juif. Pas sûr que cela nous serve ni ne nous rende service auprès des électeurs, quelles que soient leurs origines.” D’origine comorienne, Elisabeth Saïd siège au conseil municipal des IIe et IIIe arrondissements, et demeure à ce jour la seule représentante élue

de cette communauté. Si d’autres ont fait leur trou, c’est à l’abri des grands parrains. Adjointe de Jean-Claude Gaudin, Nora Remadnia-Preziosi est entrée en politique en 2001, lors des municipales, parrainée par Renaud Muselier, député UMP et longtemps premier adjoint au maire. “Il est venu me demander d’être sur les listes de la droite, précise-t-elle. J’ai accepté à la condition de militer là d’où je viens : dans les quartiers Nord.” Conseillère municipale depuis 2001, elle a raté la députation en 2007, face à Sylvie Andrieux… Intervenant régulier des Grandes Gueules sur RMC, Karim Zéribi a gagné sa place au conseil municipal en 2008. Elu dans les XIIIe et XIVe arrondissements sur les listes socialistes du candidat à l’hôtel de ville Jean-Noël Guérini, conseiller à la communauté urbaine, il a même été nommé à la tête de la Régie des transports marseillais. Aspirant déclaré à la députation en 2012, il a changé de couleur et porte désormais celle d’Europe Ecologie-Les Verts, tout en restant très proche des Guérini… Si elle prétend qu’elle n’est pas “une héritière”, la maire des XVe et XVIe arrondissements Samia Ghali est bien entrée en politique à 16 ans, dénichée par Patrick Mennucci, figure du PS. “Presque un détournement de mineure”, s’amuse-t-il. Puis l’énergique Samia s’est retrouvée sous l’aile protectrice de Jean-Noël Guérini, qui en aurait fait sa première adjointe s’il avait été élu maire en 2008. Elle a finalement été élue sénatrice la même année. Encore un scrutin plurinominal. “Ce sont des candidats produits par le système politique, mais qui ne le renouvellent pas, constate un élu de gauche. Ils ont intégré les codes

de la vie politique marseillaise, mais sans prendre d’autonomie.” De son côté, Nora Remadnia-Preziosi avoue qu’une seule chose la rend méchante : “si on attaque le maire, qui a tellement fait pour moi”. Ebranlé par l’enquête qui a conduit son frère Alexandre en prison depuis le 1er décembre, attaqué dans le rapport Montebourg pour des pratiques clientélistes, Jean-Noël Guérini peut compter sur le soutien de Samia Ghali. Quant à Karim Zéribi, il est l’un des seuls à avoir affiché son amitié pour Alexandre Guérini, quand la patronne régionale des Verts, Laurence Vichnievsky, n’a de cesse d’attaquer le système Guérini. “Ils ont intégré les vieux schémas qui ne fonctionnent plus, juge le premier adjoint d’une mairie du centre. Quitte à se transformer en gardiens du temple.” Un temple ébranlé sous les coups de la justice, de l’abstention record et de la montée du vote d’extrême droite. Ancien de la Marche des Beurs des années 80, militant associatif influent depuis, l’artiste plasticien Kader Attia tient un discours cruel sur les élus de la diversité. “De toute façon, quelle est l’alternative politique qui se présente à eux ? Soit entrer dans le système et essayer de peser, soit se tenir en dehors et penser en marchant, reconstruire un discours politique pour les quartiers.” Depuis le début de l’année, ces derniers font moins la une. Les règlements de comptes ou les rackets sont relégués en pages intérieures, sans que la situation ait vraiment changé. “Les seuls horizons restent la misère, les emplois aidés ou l’illégalité.” Lors des dernières élections, le Front national était au second tour dans tous les cantons. Quartiers Nord compris…

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qui a un plan de la capitale de la culture ?



érer une Capitale européenne de la culture est bien plus compliqué que d’organiser les JO, qui durent dix jours et dont le programme est livré clés en main. Là c’est trois cent soixante-cinq jours et il faut tout inventer.” C’est en ces termes que Bernard Latarjet, le “futur ex-directeur général” du projet, s’est exprimé. Les rumeurs sur son retrait, alimentées par cette déclaration au Monde où il précisait qu’il demeurerait une sorte de super conseiller, ont défrayé la chronique et fait oublier le cœur du sujet. Au point, comme le regrette Jean-Pierre Rehm, directeur du Festival international du documentaire, de voir la presse, notamment parisienne, faire de ce non-événement une “pagnolade pittoresque, sympathique et pathétique”. “Ce changement de direction s’est déjà produit, à la même période, dans d’autres capitales européennes de la culture, comme Liverpool en 2008, se défend Bernard Latarjet. Il s’agit simplement de renforcer la direction générale et de constituer un tandem avec quelqu’un de plus jeune et de très dynamique, à la dimension internationale.” Excollaborateur de Latarjet à la Villette Jean-François Chougnet tiendrait ce rôle, comme l’a confirmé le conseil d’administration le 18 avril. Joint par mail, Chougnet indique que “MarseilleProvence 2013 est un projet qui fait rêver, dans la continuité de mes centres d’intérêt lusophones, méditerranéens et latins en général.”

Kengo Kuma & Associates /La Pixellerie

Alors qu’il entre dans sa phase opérationnelle, Marseille-Provence 2013 doit encore préciser ses contours et composer avec un “futur ex-directeur général”. par Claire Moulène

Pour un peu on oublierait l’ambition de Marseille-Provence 2013, qui détermina pourtant le succès de sa candidature : l’axe méditerranéen, ou une coopération transfrontalière, défendue par Nicolas Sarkozy dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne en 2008. Renforcée par les événements en Tunisie, en Egypte et en Syrie, cette dimension devrait constituer le fil de la manifestation, depuis la création du Mucem (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, érigé par un Rudy Ricciotti engagé dans une course contre la montre) jusqu’à celle d’un festival du cinéma arabe et méditerranéen, en passant par une exposition sur la création contemporaine du pourtour méditerranéen (Ici, ailleurs) et une exposition sur Albert Camus. Si tous s’accordent sur un concept “qui va de soi” à Marseille, certains acteurs locaux comme le critique d’art et commissaire d’exposition Pedro Morais,

ou Jean-Pierre Rehm, estiment que cette thématisation ne correspond pas toujours à la réalité des artistes. Ceux d’origine maghrébine cherchent à échapper à toute “assignation géographique” et défendent “la mobilité pour transformer toute forme de réification identitaire”. Les critiques les plus virulentes portent davantage sur les méthodes que sur le fond du projet. Ou, comme le rappelle Pedro Morais, sur le “retard à dessiner des partenariats avec des structures locales, et sur le fait d’avoir d’ores et déjà mobilisé des budgets importants au détriment des institutions et associations existantes”. A Marseille, le nerf de la guerre sont les associations. Ce fameux poumon, dont tous disent qu’il s’est “essoufflé”. “Nous sommes arrivés en 1994, pendant une période très dynamique où Marseille s’ouvrait sur la scène artistique nationale

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faire la part des choses entre l’impact de la “capitale européenne” sur le réseau culturel local et la déliquescence de la scène marseillaise. Face à ces incertitudes, des associations jouent la carte du collectif. Sextant et plus, Astérides, Triangle, Documents d’artistes, Art-O-Rama et Dernier Cri, de la Friche de la Belle de Mai, se sont regroupées dans le Cartel : “Nous avons imaginé un projet sur l’Atelier Van Lieshout qui se délocalisera à Marseille, un projet structurant pour la Friche, qui se déploiera en deux temps : une année d’invisibilité en 2012 et un passage à l’action en 2013, explique Véronique Collard-Bovy de Sextant et plus. L’idée était de miser sur le long terme et de sortir de l’‘effet kermesse’ que peut générer ce genre de manifestations.” A La Friche, on inaugurera un espace d’exposition dans un gigantesque cube blanc conçu par ARM architecture.

Projet lauréat pour le Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, conçu par l’agence Kengo Kuma

et internationale, portée entre autre par l’ouverture du MAC (un Musée d’art contemporain aujourd’hui en perte de vitesse – ndlr). Depuis quelques années, on assiste à un délitement de la vie artistique. Marseille a toujours été une ville pauvre, mais avec une énergie et une certaine folie. Nous avons le sentiment que cet engouement s’est perdu”, commente le tandem d’artistes Berdaguer & Péjus, invité par Les Nouveaux Commanditaires à proposer un projet pour 2013. A Paris, le 9 mars, des artistes et écrivains comme Michel Butor ou Fernando Arrabal se sont enchaînés place de la Bastille pour dénoncer “le gel des subventions aux petites associations culturelles”. “Le budget de Marseille 2013, qui s’élève à 98 millions d’euros, est un budget ‘en plus’. Nous ne sommes pas du tout dans un système de vases communicants qui se ferait au détriment des structures locales”, rétorque Bernard Latarjet. Difficile aude

La redéfinition du paysage, en prime de quelque 2 200 projets déjà présélectionnés, est justement l’autre point d’orgue de MarseilleProvence 2013 qui, comparé à Lille 2004 (régulièrement cité en modèle), mise sur la construction de bâtiments pour donner un nouveau visage à la ville. “On compte plus de cinquante chantiers, note Michel Cerdan, en charge de la communication, sans compter que 2013 sert aussi de date butoir à d’autres projets architecturaux et touristiques.” Parmi eux : la rénovation de la façade maritime qui, aux alentours du fort Saint-Jean et sur plus d’un kilomètre et demi, regroupera des infrastructures comme le nouveau Frac, un espace de près de 6 000 m2 conçu par Kengo Kuma, la création d’une salle polyvalente de 2 200 places sur le site du Silo d’Arenc, et le Mucem. “Ne le dites à personne, mais le Guide du routard prévoit de sortir une édition consacrée à ce quartier en pleine mutation”, glisse, amusé, Michel Cerdan. A mi-parcours, alors qu’il entame sa “phase opérationnelle”, le projet Marseille-Provence 2013 remporte un succès mitigé. Avec une identité encore flottante et des incertitudes de calendrier, il n’est pas encore vécu comme un enjeu majeur par les Marseillais. Mais, estime Jean-Pierre Rehm, “c’est une excellente chose pour Marseille que d’être contrainte de réfléchir à long terme”. Suite au prochain épisode. 27.04.2011 les inrockuptibles XIX

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“j’ai la nostalgie de mon quartier” Révélée par La Graine et le Mulet, à l’affiche de deux films présentés au Festival de Cannes, Hafsia Herzi évoque son Marseille : celui du XIIIe, des plages et des cheveux repassés. par Pierre Siankowski photo Nicolas Hidiroglou



e suis née à la clinique Beauregard dans le XIIIe arrondissement et j’ai toujours vécu là avant de venir m’installer à Paris. Le XIIIe fait partie de ce qu’on appelle généralement “les quartiers Nord”. J’ai d’abord habité aux Oliviers, puis vers l’âge de 10 ans, j’ai déménagé à Bellevue. Toute ma famille vit encore là-bas. J’ai quatre grands frères et une grande sœur. On a grandi tous ensemble. J’ai encore ma chambre chez ma mère, je redescends le plus souvent possible. Elle me raconte la vie du quartier tous les jours au téléphone. L’autre fois, elle m’a dit que le tabac près de notre ancien immeuble avait brûlé. Elle est mon fil d’info quotidien, directement relié au XIIIe arrondissement de Marseille. Chaque fois que je reviens dans mon quartier, j’éprouve une certaine nostalgie. Ça a été très dur pour moi de prendre la décision de vivre à Paris. Si je n’avais pas fait du cinéma, je serais certainement devenue infirmière et je serais restée à Marseille. J’aurai bossé dans l’un des hôpitaux de la ville. J’ai passé beaucoup de temps dans le XIIIe : on restait sur place, parce qu’on n’avait pas de voiture. J’ai encore beaucoup d’amis là-bas : on essaie de se voir, mais c’est compliqué car je suis loin. Parfois ils viennent me voir à Paris. J’ai étudié au collège Rostand, puis au lycée Diderot, des lycées très animés. Les Oliviers, comme Bellevue, ça n’était pas très beau. C’est toujours le cas de grandes tours aux couleurs usées par le temps. C’était un peu la misère, mais je ne m’en rendais pas compte. Au contraire, j’ai de très bons souvenirs. On n’avait rien et on s’amusait. On parlait des heures avec mes copines, on était assez drôles je crois. On s’envoyait des vannes : le Marseillais est moqueur. Mes copines,

“ma mère, c’est mon fil d’info quotidien, directement relié à Marseille”

c’était des sketches. A Marseille, les filles ont du caractère, elles ne se laissent pas faire. J’ai utilisé ça quand j’ai réalisé un petit court métrage, Le Rodba. C’est très théâtral Marseille, on croise des acteurs à chaque coin de rue, et on s’en sort toujours avec de la tchatche. Pourtant, ce qui nous manque, ce sont des cinémas, des théâtres. A Marseille, on ne fait pas de place à la culture, je ne comprends pas pourquoi. J’ai toujours eu du mal pour voir des films ; la majorité je les ai vus à la télévision, pas en salle. J’ai passé tous les castings de Marseille. Je décortiquais tous les journaux qu’on avait dans la boîte aux lettres. J’ai même fait celui de Plus belle la vie, on m’a refusée. A Marseille, ce qu’on trouvait avant tout, c’était de la figuration. Moi je voulais une phrase dans un film, c’est tout, et puis il y a le film d’Abdellatif Kechiche, La Graine et le Mulet : le casting s’est passé à Marseille, j’ai eu de la chance. Devenir actrice, c’était un rêve. Marseille est une ville très cinématographique. Elle est assez peu exploitée. J’aimerais tourner un film ici. Ça fait vraiment partie de mes projets. L’été, je passais beaucoup de temps à la plage. Les Catalans, le Prophète, le Prado. Quand on a eu une voiture avec mes copines, on est allées vers des plages plus lointaines : Saint-Cyr-les-Lecques, ou encore La Ciotat. On partait à 9 heures, on rentrait vers 20 heures. On était bien, allongées sur le sable à ne rien faire : on bronzait jusqu’à se brûler. La plage, ça drague énormément. Ça se la joue un petit peu mais c’est gentil. Les garçons peuvent être assez drôles : ils t’écrivent des poèmes, des chansons. Un mec a écrit une chanson à une copine juste après lui avoir demandé son prénom – ça n’a pas marché pour lui, même si la chanson n’était pas mal… Avec mes copines, on pouvait passer des heures à parler en regardant la mer : l’école, les séries, les garçons, les autres filles, on était des pipelettes. On était très coquettes aussi, on se faisait des brushings, des couleurs. Je me suis teint les cheveux en rouge une fois. On rêvait d’avoir les yeux clairs : j’ai mis des lentilles grises, mais après j’ai eu les yeux rouges. On voulait absolument avoir les cheveux raides, et vu qu’on ne pouvait pas toujours se payer des brushings, on se mettait les cheveux sur la planche à repasser et on se passait le fer dessus. Je ne pense pas que ce soit une technique marseillaise, enfin peut-être. Ados, on allait dans des boîtes ouvertes l’après-midi, on buvait du jus de pomme et on dansait, c’était vers le Prado. Je disais à ma mère que j’allais à la danse. Ce qui n’était pas complètement faux.” 27.04.2011 les inrockuptibles XXI

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spécial Marseille la Crash box abrite une caméra qui transmet les images de la destruction en temps réel A chaque fois plusieurs scénarios possibles : un trop fort éblouissement, le néant si caméra et boîte ne résistent pas au choc et finissent en miettes ou le suivi parfait de l’effondrement.

une artiste qui détone Anne-Valérie Gasc s’inspire des chantiers de démolition de barres HLM. La destruction, un outil subversif pour faire “exploser les frontières”. par Lisa Vignoli photo David Valteau



ombien de jours, heures, minutes, secondes jusqu’en 2013 ? Le compte à rebours défile sur son écran. Pour Anne-Valérie Gasc comme pour la Capitale européenne de la culture, le décompte est impitoyable. Son projet, Crash box s’arrêtera le 31 décembre 2013 à minuit et donnera lieu, elle l’espère, à un court métrage. A l’origine de son travail, l’envie de sortir du fantasme de la table rase, du “je crée quelque chose à partir de zéro”. Comme nombre de ses contemporains qui se sont emparés du motif de la ruine (Cyprien Gaillard, par exemple) elle pense qu’on peut “faire art” à partir de la destruction. Des HLM notamment. Ces grands ensembles construits dans les années 60/70 entourent les villes et forment des cités. A Marseille, où elle est née, c’est dans les IVe et XIVe arrondissements qu’il y en a le plus. L’artiste n’entend pas détruire ces tours mais ébranler le réel et les certitudes. Dont celle qui rend notre patrimoine architectural inébranlable.

Pensant l’art contemporain comme une stratégie d’annexion de territoires, elle a fait “disparaître”, l’espace de quelques secondes, le château d’Avignon (La Fuite, 2009) par sabotage hydraulique et, la Maison Rouge, à Paris, par embrasement généralisé (Blockhaus, 2006). Aujourd’hui c’est Crash box qu’elle présente : un carré de métal de 200 kilos placé au milieu de blocs de béton qui s’effondrent. La boîte abrite une caméra ultrarapide qui transmet les images de la destruction en temps réel. Sur le site (www.crash-box.fr), chaque internaute est géolocalisé. Ou comment une barre d’immeubles détruite à Meaux produit une onde de choc en Australie. Ces images n’ont rien du spectacle de la destruction “obscène” qu’on a l’habitude de voir avec périmètre de sécurité, rideaux de poussière et spectateurs qui aplaudissent. Son œuvre, au contraire, consiste à donner une lecture de l’invisible. En plaçant son œil au cœur du processus, elle veut montrer ce que personne n’a jamais vu.

Cette démonstration par l’absurde fait passer un message fort, mais AnneValérie Gasc tient à ne pas “prendre en otages” les habitants de ces cités et les instrumentaliser. Pour cela, elle désincarne le plus possible. Jusqu’à s’appeler “Gasc Demolition”. Mais cette trentenaire brune et souriante en blouson de cuir et talons bobine (même si son truc serait plutôt la bobinette) n’en pense pas moins. “On ne trouvera pas la solution à ce qu’on résume par la formule ‘problème de banlieues’ dans les stéréotypes de maisons enserrées par un mur qu’on construit actuellement.” Comme les architectes du palais de Tokyo Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, elle pense que le programme public de démolition engagé ces dernières années est aberrant et qu’une transformation serait plus efficace. “Ce qu’il faut c’est faire exploser les frontières qui enclosent ces quartiers.” Ancienne de l’Ecole normale supérieure et enseignante en lycée ZEP, elle déplore qu’on donne aux quartiers une allure différente sans les intégrer. “Le jour où on arrêtera de penser qu’une des modalités du bonheur c’est avoir un pavillon et un écran plat, les choses changeront peut-être.” Elle rêve de rues, places et terrasses de café dans ces endroits désertés. Utopiste mais pas inconsciente, elle l’est aussi vis-à-vis de Marseille 2013. Labellisée “Marseille Provence 2013” et recevant un quart de ses subventions du conseil général, elle n’en reste pas moins critique sur l’après 2013 et sur la ville en général. “Marseille est une ville de désir, une plate-forme d’expérimentation mais pas un territoire de travail au sens économique et culturel du terme.” Une ville qui confond budget culturel et réhabilitation du Stade Vélodrome. Difficile de déplorer une absence de public dans une ville qui n’a pas trouvé la conduite à suivre vis-à-vis de l’art contemporain et de la culture en général. “Marseille est à la fois très hautaine et très complexée de sa dimension culturelle.” Ce qui n’est pas le cas d’Anne-Valérie Gasc assurément.

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rock’n’toque Comme un vinyle, le restaurateur Gérald Passédat a deux faces : chez lui, la casserole bat la mesure et s’inspire des Clash et de Bowie. par Lisa Vignoli photo David Valteau

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es parents avaient gagné un “voyage à la con” à New York. Le jour du retour, il a failli rater l’embarquement. Dix minutes de retard et, aujourd’hui, on ne serait pas lové dans les fauteuils bas du Petit Nice. Si l’actuel chef du restaurant trois étoiles est arrivé “à l’envers” à l’aéroport ce jour de 1978, c’est après avoir passé la nuit au Studio 54 avec Lou Reed et Andy Warhol. A 18 ans, il les avait “branchés” pour entrer dans ce temple de la nuit, impénétrable pour un petit Marseillais. “J’ai fini la soirée à la Factory !” L’épisode tombe à pic. A l’époque il écoute du rock, rien que du rock. Les Who, Clash, Bowie. Il trouve les Beatles “un peu mièvres”. “J’étais un vrai, j’avais la croix dans le dos.” Face A. Mais à Marseille, il y a l’établissement familial. Un hôtel sur un bout de rocher qui vient manger la mer dans le quartier de Malmousque. Avant d’être aux mains de son père, c’était la propriété de son grandpère. La transmission pèse au-dessus de sa tête. “On se sent toujours un peu obligé.” Face B. Pour New York et le rock, on repassera. Après l’école hôtelière, il entame son apprentissage. C’est à Roanne (Loire) que Gérald Passédat achète son premier walkman et le balade jusque dans les cuisines des frères Troisgros, où il fait ses gammes. Un jour, un des deux frères, Jean Troisgros, vient le lui arracher des oreilles : “C’est quoi, ça ?” Une échappatoire avec du Zappa à fond les ballons. Le trublion se justifie : “Ça fait 200 pièces de homard que je me fais, il me faut de la musique pour me motiver.” A Paris, où il officie au Bristol et au Crillon, ou à Eugénie-les-Bains chez Michel Guérard, la musique le suivra. Il avoue qu’il n’aurait pas pu faire ce métier sans elle. Il y a quelque chose de volcanique chez Gérald Passédat. Une énergie qu’on sent canalisée. Difficile de savoir s’il y est parvenu par la musique ou la cuisine. Peut-être les deux. Toujours est-il que de cette ébullition est née une cuisine sans esbroufe. Une carte qui sort ses tripes. Une cuisine de produits qu’il va chercher dans ce qu’offre Marseille.

“ça fait 200 pièces de homard que je me fais, il me faut de la musique pour me motiver”

“C’est là que j’ai puisé le gras de ma cuisine.” Dans la mer et un paysage qu’il trouve rock parce que violenté par le mistral et un calcaire tranchant et rèche. Mais il sait aussi se tourner vers autre chose. Vers le Japon notamment, dont il marie les saveurs avec celles de la Méditerranée. Lui qui, dans les années 80, rêvait que Marseille devienne une métropole et ses quais les mêmes qu’à New York. “Je trouvais que Marseille n’avait pas la place qu’elle méritait, tout comme l’établissement de mes parents. Je me devais de lui faire passer un cap.” En 2008, il reçoit trois étoiles au Guide Michelin avant d’être décoré chevalier de l’ordre de la Légion d’honneur par Sarkozy en 2010. Un ex-rebelle décoré par un président de la République. Il s’en amuse : “On passe plus facilement les frontières.” “C’est un client qui l’a demandée pour moi, la Légion d’honneur.” Une relation du président certainement. Lui se dit ni de droite ni de gauche – “je suis avant tout commerçant, je reçois tous les bords” – mais n’hésite pas à engueuler un élu parce qu’il ne trouve aucune salle de concerts qui vaille la peine à Marseille. “Tout le monde s’étonne que les jeunes s’en aillent mais il n’y a rien pour eux ici.” Pas sûr qu’ils reviennent comme il l’a fait si un ailleurs plus excitant leur ouvre les bras. New York ? Lui essaie d’y aller deux fois par an. “Ça ressource.” La différence, c’est que maintenant, il arrive 2 heures 30 avant l’embarquement. Et puis il écoute Brahms pour s’endormir – mais il ne faut pas le dire. Le Petit Nice Anse de Maldormé, corniche J.-F.-Kennedy

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Jean Contrucci

écrire à Marseille

Pagnol, Izzo… Deux noms qui dominent la littérature d’ici. S’il existe d’autres écrivains, les meilleurs ne sont-ils pas ceux qui ont fui la ville ou ne firent qu’y passer ? par François Thomazeau photo David Valteau

C

’était la coutume au XIXe siècle. Un écrivain débarquait en ville et il contactait le journaliste et écrivain Joseph Méry, qui lui faisait le tour du propriétaire. Notre greeter ne lui montrait pas les lieux touristiques – Marseille n’exhibe pas ses dessous –, mais le traînait dans des auberges manger la bouillabaisse et nourrir son imaginaire de clichés. C’est ainsi qu’Alexandre Dumas découvrit les décors du Comte de MonteCristo. Que Théophile Gautier s’extasia sur le Café Turc. Même Stendhal vécut

deux ans en ville, rue Venture, là où Robert Laffont lança sa maison d’édition en 1941. Mais à l’époque, Henry Beyle n’était pas écrivain. Juste épicier. En déambulant comme eux, on croisera peutêtre les fantômes d’Antonin Artaud, né ici, de Saint-Ex, qui repose au large, de Mac Orlan ou Cendrars, fascinés par ce quartier réservé rasé par les Allemands. Marseille est une ville en creux, qui pleure un âge d’or imaginaire et des monuments enfouis – le Bois sacré, le pont transbordeur. Ses lettres sont semblables, des absences. Louis Brauquier, André Suarès, Jean Ballard, Valère Bernard, Victor Gélu, Horace Bertin. Un bon écrivain y est un écrivain mort. Ou d’ailleurs. Et puis Marcel

Pagnol, bien sûr. Tout Marseille vous le dira : pour retrouver l’ambiance de LA trilogie, rien de tel que le Bar de la Marine, au quai de Rive-Neuve. Les filles y sont jolies. Mais les scènes de bistrot de Marius furent tournées en studio. Faux-semblant. Après Méry et Pagnol, il fallut un autre écrivain officiel. On intronisa JeanClaude Izzo. Et ce pauvre Jean-Claude – on l’appelle par son prénom ici, surtout ceux qui ne l’ont pas connu – se retrouva l’inventeur fortuit d’une recette à digestion variable : le polar aïoli. Pour marcher sur les pas de Fabio Montale, il faut descendre au vallon des Auffes, dans ce décor pour brochure qui

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spécial Marseille

“dans les romans d’Izzo, les communautés vivent en bonne intelligence et luttent ensemble contre les méchants fachos” Philippe Carrese

mais en redemandait. L’Ecailler redémarre à la rentrée. Nouvelle cuisine. Auteurs marseillais à suivre : Mathieu Croizet, Thomas Labat, Annie Barrière… Auteurs de partout, surtout.

fait que les puristes aiment bien les livres de Jean-Claude, pas forcément son Marseille. Trop convenu. Avec des méchants prévisibles et des gentils bien-pensants. Alors que la ville baigne dans les déclinaisons de gris, délavées par le soleil. Ce qui ne nous dit pas où déguster un polar aïoli pur jus… Jusqu’à récemment, il y avait L’Ecailler. Une maison discrète qui vous concoctait des menus de cuisine du monde à la farigoulette. L’Ecailler publia des nouvelles de Steve Earle, un roman de Pronzini, des Brésiliens, des Mexicains, un Sri-Lankais, une Italienne et même des auteurs français. Mais le visiteur pensait toujours manger de la tambouille à l’ail. Il ne la digérait pas,

Il en reste pourtant des baraques à polar, qui étalent à profusion des auteurs plus ou moins édités, plus ou moins proclamés. Subsistent des maisons bien établies en ville (Gilles del Pappas, Maurice Gouiran) et des notables iconoclastes comme Philippe Carrese. Retrouvons-le à la Friche La Belle de Mai sur le tournage de Plus belle la vie. Carrese pourrait revendiquer aujourd’hui ce flambeau d’écrivain officiel. Il préfère être le trublion toléré. Trop poli, trop talentueux pour être contesté, trop contestataire pour être consacré. De loin, on pourrait le prendre pour un bon gars d’ici, franc comme la panisse. Mais allez donc… Jovial et désespéré, Carrese entreprend depuis quinze ans la démolition des mensonges de sa ville. Ceux destinés à l’extérieur comme ceux qu’on avale en famille. Paradoxe ? Il réalise Plus belle la vie et donne à voir ce mistral sans accent qui plaît tant aux édiles : “Plus belle la vie donne une image plutôt moins fausse de Marseille que les romans d’Izzo, où les communautés vivent en bonne intelligence et luttent toutes ensemble contre les méchants fachos”, confie notre homme, agacé, qui avoue ne plus pouvoir écrire sur Marseille. Son prochain roman chez Plon se passe en Lombardie avant-guerre. “Ici, la qualité est suspecte, et ce dans tous les domaines”, ajoute Carrese, en plein tournage d’un long métrage au titre éloquent : Cassos ! Eternel miroir à deux faces. En plein milieu de la Canebière, à un coin de rue stratégique, deux grands hôtels se font la nique. Indices de la splendeur lointaine de la ville, le Grand Hôtel et le Grand Hôtel Noailles sont aujourd’hui une banque et un commissariat. Nous y retrouvons Jean Contrucci, et son dernier opus L’Inconnu du Grand Hôtel. 27.04.2011 les inrockuptibles XXVII

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spécial Marseille “Régis Jauffret, Marc-Edouard Nabe ou Jean-Patrick Manchette se sont contentés de naître ici” Jean Contrucci

Venise, Byzance. Elle ne l’a jamais été. Chaque génération part au combat avec enthousiasme et finit par déchanter. C’est une ville sans élite. Dans aucun domaine. Elle engendre une certaine poésie de la décomposition. Mais la phase suivante, c’est la décomposition elle-même.”

Serge Scotto

Longtemps critique au Provençal, il a tout vu, tout lu. Et donné à Marseille les Mystères que Zola n’avait pas achevés. Du roman de gare Saint-Charles, populaire et savoureux. “J’avais prévu de n’en écrire qu’un seul et comme ça a marché, maintenant j’en suis à dix. Je suis coincé malgré moi dans la Belle Epoque”, explique cet érudit respecté et marginal. Le recul historique lui permet au moins de juger la littérature marseillaise de ces trente dernières années : “Je n’ai pas déniché de perles. Duchon-Doris, peut-être… Régis Jauffret, Marc-Edouard Nabe ou JeanPatrick Manchette se sont contentés de naître ici.” Le polar a au moins eu le mérite de redonner une vitalité à l’écriture phocéenne, tétanisée par Pagnol, et qui vit la génération des Sébastien Japrisot ou Patrick Cauvin changer de nom et d’accent pour monter à Paris. Le mistral a soufflé sur les braises et comme la génération précédente, chacun se démarque aujourd’hui. De peur d’appartenir à ce double ghetto : polar, marseillais.

Jean-Paul Delfino fut, dans cette mouvance, l’auteur le plus décrié. C’est sans doute aujourd’hui le romancier du cru le plus talentueux et sa tétralogie brésilienne est un régal. Vous ne le trouverez pas à Marseille, mais à Aix, près de la Rotonde. René Frégni aussi est un surdoué, qui écrit du roman noir sans le dire, ce qui le fait publier dans la Blanche chez Gallimard. Pour l’entendre vous parler de son dernier roman, La Fiancée des corbeaux, il faudra vous rendre à Manosque. Il faut dire que son dernier séjour prolongé à Marseille se passa à l’Evêché, dans les locaux de la PJ, pour un interrogatoire musclé qu’il décrit dans Tu tomberas avec la nuit. On comprend qu’il préfère s’en tenir depuis à l’étiquette usée de nouveau Giono qu’on lui colle à l’envi. Jean-Christophe Duchon-Doris, lui, a d’abord choisi l’exil intérieur des quartiers chics du Prado, où Méry traînait déjà Dumas. Magistrat, il exerce actuellement à Lyon et a délaissé sa brillante série de romans historiques chez Julliard et 10-18 pour se consacrer à des scénarios pour la télévision : “En 2 600 ans, Marseille pouvait devenir

Une petite bande de cinglés résistait encore. Chantres de “l’over littérature”, Henri Frédéric Blanc, Gilles Ascaride et Serge Scotto tentent, avec plus ou moins de bonheur, de penser une écriture à l’image de ce grand cargo rouillé, autour duquel volettent les mouches du fatalisme ou de la corruption. Leur over littérature voulait sublimer tout cela. Au point de s’y perdre. Henri-Frédéric Blanc “vit à Aix-en-Provence, en attendant de recevoir dans sa ville natale les honneurs qui lui sont dus”. Quant à Ascaride, lorsqu’il titre sa dernière livraison Sur tes ruines, j’irai dansant, c’est aussi Marseille qu’il démonte. Serge Scotto traîne encore ses guêtres et son chien Saucisse sur les trottoirs de sa ville, sans cacher que, par souci d’hygiène, il produit aussi, chez L’Ecailler ou Baleine, de la littérature de caniveau. Le Dumas d’aujourd’hui, où le trouver alors ? Dans un restaurant sicilien près de l’abbaye Saint-Victor se réfugie parfois le dernier auteur de polar marseillais. Le seul vendeur en tout cas depuis la mort de Jean-Claude : Franz-Olivier Giesbert. FOG aime Marseille, il y vit en partie et son Immortel (Flammarion) a mis tout le monde d’accord. 50 000 exemplaires vendus et un film à la clef. Jalousies. Avec un titre pareil, il lui vaudra sans doute une place à l’Académie de Marseille. Ou alors gagnez la Corniche, pour rêver d’exotisme le cul posé sur le plus long banc du monde. C’est ici que Maylis de Kerangal, prix Médicis 2010, installa le Marseille fantasmé de son Corniche Kennedy… Pour lire Marseille, choisissez pour finir les auteurs parisiens. Ce sont encore ceux qui l’aiment le mieux. François Thomazeau est écrivain Dernier ouvrage paru : Guide du promeneur marseillais (Les Beaux Jours)

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Sur le toit-terrasse de la Cité radieuse : plus belle la vue

adroites adresses concerts

Le Cabaret Aléatoire Architecture industrielle et choix affirmé pour le rock sous toutes ses coutures, le Cabaret est le haut lieu de la scène musicale régionale et le terrain d’accueil des meilleurs musiciens du moment, de Justice aux Naive New Beaters en passant par Poni Hoax et Joakim. voir La Friche – La Belle de Mai

L’Affranchi Labellisée scène de musiques actuelles largement dominée par la couleur hip-hop, L’Affranchi accueille la plupart des artistes locaux ou nationaux reconnus et remplit une mission de diffusion et d’accompagnement d’artistes et de labels. Fin 2011, un léger relooking des locaux devrait lui donner un élan nouveau. 212, boulevard de Saint-Marcel, XIe

librairies

Les Arcenaulx Elle n’a rien de nouveau. Rien d’original. Elle sentirait presque le vieux livre mais cette librairie-salon de thé-restaurant est une vraie

caverne d’Ali Baba. On y trouve tout, et pour tous les âges. 25, cours Estiennes-d’Orves, Ier, www.les-arcenaulx.com

Titre C’est un peu la librairie où aller avant de partir en vacances. Dans son panier en osier, on peut glisser le roman de l’été, des bougies au soja et toutes les fantaisies du moment que la propriétaire des lieux a choisis de nous dévoiler. 24, rue Sylvabelle, Ier titresurlenet.blogs.com

bars

La Caravelle Passé un couloir peu accueillant, on apprécie la vue sur le port depuis le balcon où l’on savourera un cappuccino mousseux sur fond de criée, un aïoli sous le soleil de midi ou un mojito du soir aux rythmes jazzy. A noter, un concert tous les mercredis et vendredis. 34, Quai du Port, IIe www.lacaravelle-marseille.fr

La Dame Noir Que vous ayez épuisé vos nuits ou jamais mis les pieds dans

Les bons plans à Marseille.

ce bar intimiste, il reste incontournable. Sa programmation musicale — chaque semaine très différente – vaut le détour. Et en plus, il y a une terrasse. 30, place Notre-Dame-du-Mont, VIe ladamenoir.wordpress.com

Le Café populaire Pour son comptoir et son barman que le propriétaire des lieux a mis longtemps à trouver. Il a bien fait, son shaker est d’or et ses cocktails parfaits. (Jeunes et jolis gens !) 110, rue Paradis, VIe, tél. 04 91 02 53 96,

cinémas

obscures. Cet été, dans le cadre de son Ciné Silvain, vous pourrez assister tous les lundis de juillet au festival Destins de femmes. Toutes les infos sur www.capsur2013.fr 181 rue d’Endoume, VIIe

galeries, musées galerieofmarseille

On dirait même plus “the” galerie of Marseille. Avec des artistes tels que Yto Barrada et Michèle Sylvander et le “Bureau des compétences et désirs” à l’origine de sa création, on ne peut qu’aimer. 8, rue du Chevalier-Roze, IIe www.galerieofmarseille.com

Le César et Les Variétés Votre grand-mère pense que les Variétés est encore un cinéma porno. Peu importe puisque lui et le César sont les seuls valables à Marseille. Les Variétés, 37 rue Vincent-Scotto, Ier tél. 08 92 68 05 97 César, 4 place de Castellane, VIe tél. 08 92 68 05 97

Théâtre Silvain Ce théâtre de verdure sait se faire cinéma en plein air quand il fait trop beau pour s’enfermer dans les salles

La Galerie Arnaud Deschin La GAD expose de jeunes artistes, pour la plupart passés par l’école de la Villa Arson à Nice. Une relève composée, entre autres, de Mathieu Clainchard, Guillaume Alimoussa ou Fanny Baxter qui exposait l’été dernier une sculpture intitulée Sarkoland entre bouée de sauvetage et couronne mortuaire. 34, rue Espérandieu, Ier lagad.eu

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spécial Marseille

trois adresses de l’application Fooding® 2011 Chateau de Servières A l’origine, la mission était de démocratiser l’art contemporain jusque dans les quartiers Nord. L’association produit et diffuse au-delà des frontières françaises, ouvre les portes de nombreux ateliers d’artistes locaux et propose trois ou quatre expos annuelles. 11-19, boulevard Boisson, IVe www.chateaudeservieres.org

Musée d’Art contemporain Haut lieu de l’art contemporain dans les années 90, le MAC de Marseille est depuis quelques temps en perte de vitesse. Le bâtiment, très seventies, accueille du 7 mai au 20 septembre une expo consacrée à Julien Blaine. 69, avenue de Haïfa, VIIIe, tél. 04 91 25 01 07

La Friche – La Belle de Mai Lieu d’inspiration pour nombre d’institutions comme le 104 à Paris, La Friche mise sur un modèle mixte avec ses Grandes Tables, ses associations ultrapointues dédiées à l’art contemporain (mention spéciale pour Sextant et plus, Astérides et Triangle) et un marché paysan bio et bobo, tous les lundis de 16 h à 20 h. 41, rue Jobin, IIIe www.lafriche.org

A voir Vu à la télé de Michel Muraour jusqu’au 2 juin 85, rue d’Italie, VIe www.retineargentique.com

Le Four des navettes Comme le four, la recette des navettes date de 1781 et le secret de fabrication du fameux biscuit n’a jamais fuité. Marseillais de naissance ou de passage y foncent pour se procurer la célèbre boîte en fer jaune. Même les expats s’en font envoyer à l’autre bout du monde, via la boutique online. 136, rue Sainte, VIIe www.fourdesnavettes.com

Au Vieux Panier Un couple, cinq chambres, cinq designers et jamais plus de 95 euros la nuit. Rien de mieux pour se dépayser un week-end. 13, rue du Panier, IIe www.auvieuxpanier.com

Le toit-terrasse de la Cité radieuse Le “Corbu”, tout le monde connaît. La vue de la terrasse, c’est moins sûr. Osez monter. C’est breathtaking, comme on dit (pas) à Marseille. 280, boulevard Michelet, VIIIe www.marseille-citeradieuse.org

Le Peron

Les poètes ne sont pas en voie de disparition. La preuve : chaque année, cette maison de la poésie en accueille au moins trois. Lectures, ateliers et publications rythment le reste du temps. Une jolie parenthèse en plein cœur du Panier. 2, rue de la Charité, IIe www.cipmarseille.com

Il n’y a pas plus belle vue que la Corniche, mais du quartier des Catalans à la statue de David, les établissements qui savent la mettre en valeur manquent. Ce restaurant suspendu au-dessus de la Grande Bleue est un génie d’architecture. Tout y a été pensé pour en tirer le meilleur, jusqu’aux tables fendues pour y glisser les nappes malmenées par le mistral gagnant. 56, promenade de la Corniche-Kennedy, VIIe www.restaurant-peron.com tél. 04 92 52 25 22

Rétine argentique

Les Tamaris

Ce tout nouveau tout beau labo photo et lieu d’expos a plusieurs casquettes et de l’ambition. Quand les photographes les plus cotés de la région attendent leurs tirages, ils y errent et en font un peu leur deuxième maison.

Samena, c’est le nom de la crique de bout du monde où l’on peut se rendre dès qu’on étouffe. Une terrasse faite de peu de choses mais une eau transparente à perte de vue. 40, boulevard de la Calanquede-Samena, VIIIe, tél. 04 91 73 39 10

les échappées

Centre international de la poésie Marseille

Pour découvrir d’autres adresses à Marseille, et partout en France, téléchargez l’appli Fooding 2011 – 2,99 €.

Chez Etienne 43, rue de Lorette, IIe (pas de téléphone) De midi à 14 h 15 et de 20 h à 23 h. Fermé le dimanche. Entrées de 4 à 13 €, pizzas à 12 €, plats à 12-15 €, desserts à 4,50 €. Pas de CB. catégorie : feeling Ça sent le vieux Marseille à plein nez. Des clients aux mines de boxeurs, des pdg en costards de soie, des femmes trop fardées ou trop fatiguées... Cinquante ans que cette “pizzaria” écrit son histoire au cœur du Panier. Chaises paillées et nappes en papier, c’est le modeste théâtre d’Etienne, le patron. Figure emblématique du quartier, il fait sa loi à midi (ses fils la font le soir), assis à une table du fond, griffonnant des additions illisibles, sans doute un peu à la tête du client... Pour le reste, c’est cuisine marseillaise dans son jus, des pizzas extra à pâte fine, des anchois à la moutarde et vinaigrette, des supions juste caramélisés... De la graisse, de l’authenticité et du régalant.

Le Grain de sel 39, rue de la Paix-MarcelPaul, Ier, tél. 04 91 54 47 30 De midi à 13 h 30 et de 20 h à 21 h 30. Fermé dimanche et lundi. A la carte, compter 30-40 €. Formule du midi à 14 ou 17 €, café compris. catégories : trop bon & feeling Un risotto de pâtes langues d’oiseau, avec des truffes en copeaux… Des vraies, des bonnes ! Avec une grosse cuillère de crème de parmesan, montée en mousse, pour couronner le tout. Tu plonges ta fourchette et, illico, tu te dis que dans le genre tendre et plein d’amour, ça va être difficile de trouver mieux. Tu replonges la fourchette, et là, l’évidence : adieu le riz carnaroli ! Désormais, on ne jurera plus que par les pâtes… En gros, pour 22 €, Pierre Giannetti t’infiltre dans le caisson un tourbillon de bonheur. Mais avant ça, il faisait quoi le Pierre ? Chhhttt… Retiens juste que, comme le

pain ou la liqueur de verveine, les travaux sont “maison”. Et que ce Grain de sel est un beau bistrot, avec comptoir, mur en ardoise, sets en kraft et cuisine ouverte. A midi, topissime menu à 17 € : escabèche de moules et crevettes dans un jus de persil, roquette retournée par une pointe d’agrume, franchement délicieux ; cabillaud vapeur – cuisson parfaite – sur une crème de poireau avec des rattes et du jambon serrano comme des lardons. Pour finir, tiramisu aux clémentines ! Sans oublier les truffes au chocolat, le café et la liqueur du patron. Comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule : Pierre a un potager de 600 m2 à Martigues qui devrait ravitailler le restaurant dès cet été ! Réservation très, très recommandée. Verre de Bourdic blanc, vin de pays du Gard, 2,50 €.

La Cantinetta 24, cours Julien, VIe tél. 04 91 48 10 48 De midi à 13 h 30 et de 19 h 45 à 22 h 30. Fermé dimanche et lundi. Plat du jour à 11 € (midi), carte de 25 à 35 €. catégorie : feeling Le meilleur plan de Marseille. Quatre ans qu’on y va les yeux fermés. La recette du succès ? Un couple (Pierre-Antoine et Stéphanie) amoureux des beaux produits italiens, un lieu au poil – comptoir de bistrot, banquettes en cuir collector, terrasse devant, patio derrière – et une équipe qui te vend l’ardoise du jour (ici pas de carte) aussi bien que le patron. Tout est là, finalement ! L’ardoise à la voix… qui raconte d’où vient la poutargue, que le culatello est tranché fin, et que les aubergines marinées roulées autour du lapin confit effiloché sont servies avec une salsa verde. Mais ce qu’elle oublie de vous dire, parce que ça ferait prétentieux, c’est que c’est de la bombe ! Bouteille de soave, 18 €. J. S.

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Gil Scott-Heron en 1974

Michael Ochs Archives/Getty Images

le retour E du damné L’une des voix les plus chaudes de la soul américaine remixée par un des groupes anglais les plus froids de son époque : la rencontre inattendue de Gil Scott-Heron et The XX. par Francis Dordor

n 2006, Richard Russell, fondateur du label indépendant anglais XL Recordings (White Stripes, Radiohead, M.I.A., The XX) arrive en prison, mais comme visiteur : il vient voir Gil Scott-Heron. Ce n’est pas le lieu idéal pour un premier contact avec un artiste muet depuis une quinzaine d’années et qui purge une peine de trois ans pour possession de stupéfiants. En franchissant les portes de la prison de Rikers Island située sur l’East River à New York, en empruntant le long couloir qui mène au parloir, les pas de Russell n’ont pourtant rien d’hésitant. Au bout l’attend une légende. Scott-Heron paraît très amaigri. Vêtu de la combinaison orange réglementaire, le chanteur âgé à l’époque de 57 ans n’est pas au mieux de sa forme. S’il n’a pas suivi le programme de désintoxication auquel le contraignait 27.04.2011 les inrockuptibles 63

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si New York était en train de tuer Gil Scott-Heron, Londres l’a probablement sauvé

Mischa Richter

Pour ce survivant qui refait surface dans un monde assombri, délabré, pré-apocalyptique, c’est un coup de maître au timing parfait. New York Is Killing Me, parmi les plus récentes, propose sans doute une clé géographique à cette réussite inespérée. Car si New York était en train de tuer Gil Scott-Heron, Londres l’a probablement sauvé. Déjà par le passé, c’est dans la capitale anglaise qu’un Bob Marley dans l’impasse s’était relancé, qu’un certain Jimi Hendrix avait trouvé la gloire. On doit chaque fois ces sauvetages à l’habileté d’un producteur, Chris Blackwell pour Marley, Chas Chandler pour Hendrix.

Gil Scott-Heron en 2010

une première condamnation, manquement dont la conséquence est son internement, ce serait, dit-il, parce qu’on lui refusait un traitement anti-HIV. Contrebalançant l’impression de fragilité physique qu’affiche le détenu, Russell est au moins rassuré sur son état d’esprit. “Gil était plein de vie”, confie-t-il début 2010 au quotidien britannique The Telegraph, “d’une incroyable profondeur et d’une extrême gentillesse.” Les deux hommes évoquent la possibilité d’un nouvel enregistrement. Quand Scott-Heron se retrouve en liberté conditionnelle en mai 2007, ils se mettent au travail. En octobre, le chanteur est une nouvelle fois arrêté en possession de cocaïne et de crack. A sa sortie de prison, les séances reprennent et s’étalent sur une bonne partie de 2009. I’m New Here voit le jour en février 2010, chaleureusement accueilli par la presse.

L’album est magnifique mais il déconcerte. La voix de Scott-Heron, jadis décrite par un critique comme un mélange de “bois d’ébène, de soleil et de larmes”, y est grasseyante et mal assurée. On dirait qu’il chante avec un dentier sur le point de se déchausser. L’ensemble ne dure que trente minutes, une quinzaine de morceaux très courts dont plusieurs reprises et des interludes parlés où il évoque une enfance bringuebalée et récite des poèmes composés voici quarante ans. Le décor sonore est un autre dépaysement. Finie la soul jazzy teintée de rythmes latinos de ses débuts. Oubliés les poèmes déclamés sur fond de congas qui firent de lui, avec les Last Poets, le précurseur du rap. Le voici immergé dans un bain de mercure, transplanté dans l’ozone toxique d’un dubstep crépusculaire à la Burial, aspiré par des boucles menaçantes façon Massive Attack.

Dans un même esprit, Russell a su propulser cette étoile de la soul au vertigineux déclin dans le ciel du troisième millénaire, conférer à l’astre plombé et moribond cet éclat postmoderne des productions “fusionnistes” à l’anglaise sans renoncer à l’élément de séduction que recèle son héritage afro-américain dans ce qu’il a de plus authentique. Depuis, I’m New Here a engendré We’re New Here, où Jamie Smith, du groupe The XX, s’est amusé à remixer quelques morceaux (voir entretien ci-contre). Aujourd’hui, la musique de Gil Scott-Heron rassemble tant de choses : la douleur transcendée du blues, la liberté du jazz, l’émotion de la soul, le verbe cosmique des poètes beat et cette grâce métaphysique noire qui séduit comme nulle autre. Lors de son passage à la Cité de la Musique à Paris, en septembre dernier, on ne pouvait se montrer surpris d’y trouver un public plutôt jeune et féminin. Depuis que Marvin Gaye, Curtis Mayfield ou Bob Marley ne sont plus, il est sans doute l’un des derniers “thérapeutes de l’âme” dont la musique caresse les sens et dont les mots mènent le combat d’une citoyenneté critique. En 1970, année où sort Small Talk at 125th and Lenox, son premier album, les assassinats successifs de Malcolm X, Martin Luther King et de l’activiste des droits civiques Medgar Evers posaient un sérieux problème de leadership à la communauté noire. Dans ce vide politique immense, toutes les grandes voix de la soul se dressèrent pour porter un message, du Move on up de Curtis Mayfield au What’s Going on de Marvin Gaye, en passant par le “I’m Black I’m

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Comment expliquer que ce symbole de la fierté afro-américaine, ce poète parfois présenté comme le Dylan noir, ait pu tomber dans des pièges dont il cherchait à détourner les autres ? I’m New Here (“Je suis nouveau ici”), album du rachat, de la renaissance, débute par la reprise d’un vieux blues de 1936, Me & the Devil de Robert Johnson, ici embarqué sur un énorme beat à la Timbaland. C’est l’histoire autobiographique d’un musicien qui part chercher dans la dope et la perversion le chemin du salut. Gil Scott-Heron, dandy à la dignité un peu trash, n’aura guère eu de mal pour s’y retrouver. Les voies de la perdition ne se distinguent pas toujours de celles de la rédemption. Albums I’m New Here et We’re New Here (remixes) (XL Recordings/Beggars/Naïve)

“faire sonner son album comme une radio pirate” Musicien et producteur prodige de The XX, Jamie Smith remixe Gil Scott-Heron à la mode londonienne sur We’re New Here. 2010

Mischa Richter

Proud” de James Brown. Mais de toutes, celle de Scott-Heron fut la plus mordante, comme dans The Revolution Will Not Be Televised dont vont s’inspirer les premières générations du rap, de KRS One à Public Enemy. Bientôt Scott-Heron, fils de divorcés, né en 1949 à Chicago, élevé par sa grand-mère à Jackson (Tennessee), s’impose avec sa belle gueule et sa coupe afro comme le plus élégant des griots urbains et l’un des plus brillants chroniqueurs de l’expérience noire américaine du XXe siècle. Lyriques, incisifs et soignés, ses textes ciblent Nixon et Reagan (“B” Movie), l’apartheid (Johannesburg) et sondent comme jamais auparavant la vie du ghetto (Waiting for the Axe to Fall). Autre mission : avertir la communauté sur les ravages de l’alcool (The Bottle) et des drogues (Angel Dust), thème central de son premier roman, Le Vautour, paru en 1970. “Chaque fois que mon père m’emmenait chez le coiffeur, écrit-il, nous passions devant des types effondrés contre le mur. Il me disait que quand la bête nous attrapait, nous cessions d’être des enfants de Dieu ou des hommes. La bête, c’était la drogue.” La bête finira pourtant par l’attraper. Lors du procès qui se déroule en 2001 pour possession de quelques grammes de cocaïne et de deux pipes à crack, Scott-Heron est condamné à deux ans d’internement. Sa petite amie d’alors témoigne qu’il dépense environ 2 000 dollars chaque semaine rien qu’en coke. Une autre fréquentation appelée à la barre parle de lui comme d’une épave vivant dans une crack-house du Bronx, dormant sur un matelas posé à même le sol, ne subsistant que grâce à la générosité d’une poignée de prostituées.

Comment as-tu découvert l’œuvre de Gil Scott-Heron ? Jamie Smith – Mes parents écoutaient ses albums quand j’étais gosse, mais c’est mon professeur d’art qui m’a initié pour de bon. Je commençais alors à me rendre compte que beaucoup de morceaux hip-hop étaient construits à partir de samples d’albums de soul, ceux que mes parents écoutaient, et que Gil avait beaucoup influencé cette musique à partir des années 80. Je crois que c’est à travers son empreinte sur le hip-hop que je suis vraiment rentré dans son œuvre. C’est Richard Russell qui a suggéré que tu fasses un remix de l’album qu’il a produit pour Gil. Est-ce qu’il savait que tu étais un de ses fans ? Oui. Lorsqu’on enregistrait notre album avec The XX, il est passé nous voir en studio. Au même moment, il enregistrait chez lui avec Gil, juste à côté du bureau. Environ un an après la sortie de notre album, il m’a dit que l’enregistrement de notre disque avait influencé sa production sur l’album de Gil et qu’il pensait qu’il serait intéressant que j’en fasse le remix. Comment décrirais-tu le son et le style que tu as voulu donner aux remixes ? Je n’avais aucune idée particulière au départ mais, en général, chaque morceau que je produis est influencé par le Royaume-Uni, surtout Londres. Je voulais que cet album porte cette marque-là. J’avais en tête de faire sonner cet album comme une radio pirate diffusant beaucoup de genres musicaux différents. Au Royaume-Uni, les frontières entre les genres musicaux sont très fines, notamment lorsqu’on parle de dance. Jusqu’ici, aucun album n’a réellement montré cela. J’ai voulu le faire. As-tu d’autres projets ? Je vais aller à New York pour travailler avec le rappeur Drake et d’autres artistes. Cette année, je vais essayer de faire le grand écart entre la musique underground et le mainstream. Je veux voler de mes propres ailes. recueilli par Francine Gorman 27.04.2011 les inrockuptibles 65

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séries francaises

la dream-team Depuis cinq ou six ans, la télé française tente de combler son retard sur la série US. Producteurs, auteurs et réalisateurs : les personnalités clés de cette aventure dressent un état des lieux. par Olivier Joyard photo François Rousseau

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DE GAUCHE À DROITE Stéphane Meunier (debout), réalisateur ; Simon Abkarian, comédien ; Caroline Benjo, productrice ; Cathy Verney, réalisatrice et scénariste ; François Sauvagnargues, directeur de la fiction d’Arte ; Bruno Nahon, producteur ; Hervé Hadmar, réalisateur et scénariste ; Virginie Brac, scénariste

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Les Beaux Mecs, sur France 2 : la veine polar, avec Simon Abkarian (en noir)

C

omment faire pour que les 15-35 ans ne partent pas dans un éclat de rire quand on leur dit ‘série française’ ? Nous les premiers, on ne les regarde pas. Pourquoi n’a-t-on pas envie ?” Hervé Hadmar a beau être l’heureux auteur de Pigalle, la nuit, un exemple de télé made in France au-dessus de la moyenne, sa lucidité le force à un constat violent. Comment y croire, en effet ? Comment éviter que surgisse Joséphine, ange gardien quand on associe les mots “série” et “française” ? Cette question hante le microcosme depuis que Lost, Dr House et autres Breaking Bad ont envahi la sphère culturelle et le prime time, écrasant les créations maison – Plus belle la vie ou Section de recherches exceptées, CQFD. Longtemps, aucune réponse concrète n’est venue de la part des intéressés, si ce n’est un concert d’atermoiements. Bouh, on n’y arrive pas ! Ce printemps 2011 annonce un frémissement. Rassurons les sceptiques : le Mad Men hexagonal n’est pas encore né. Mais plusieurs séries tentant de marcher en dehors des clous ont été (ou

vont être) diffusées. Elles ressemblent “soit à des hasards, soit à des accidents”, comme l’explique le producteur Thomas Anargyros (Les Bleus). Aucune n’est complètement réussie mais toutes se posent les bonnes questions. La liste ? Deux polars atypiques sur France 2 (Les Beaux Mecs et Signature). Un drame extrême dans le monde du porno et une comédie sociale contemporaine sur Arte (Xanadu et Fortunes). La deuxième saison de la comédie Hard arrive, elle, le 30 mai sur Canal+, seule chaîne historiquement ambitieuse (Engrenages a été créée en 2005). Dans un passé récent, la rigolote Fais pas ci, fais pas ça (France 2, depuis 2007) ou dans une moindre mesure Un village français (France 3, depuis 2009) avaient fait parler d’elles. Simon Abkarian, acteur emblématique dans Pigalle, la nuit, Les Beaux Mecs et bientôt Kaboul Kitchen, résume l’affaire : “Les Beaux Mecs, c’est pas Commissaire Moulin. Ni Navarro. Ça, c’est plus possible. Tout le monde le sent, personne ne le dit. Moi, je m’en fous, je le dis : il faut arrêter de monter des projets imbitables à la télé française.” le retard français La prise de conscience collective a eu lieu chez certains auteurs, acteurs,

réalisateurs, producteurs et diffuseurs. Une génération nourrie aux séries anglo-saxonnes, souhaitant une remise en question radicale. Le but : faire naître des séries sexy, en phase avec un mouvement mondial (au-delà des Etats-Unis, le Danemark, Israël, l’Australie ou évidemment l’Angleterre ont entrepris leur révolution) et “qui parlent enfin du pays dans lequel on vit”, comme le souligne le créateur de Fortunes, Stéphane Meunier. “Il y a en ce moment une nouvelle effervescence, explique la scénariste des Beaux Mecs et d’Engrenages, Virginie Brac. En même temps, nous en sommes encore à définir timidement les sujets que nous pouvons aborder. L’humilité s’impose quand on entame si longtemps après les autres le vrai défi de toute fiction : parler au spectateur de lui-même.” Thématique, esthétique, culturel, le retard français est réel. “Au milieu des années 2000, Clara Sheller et Engrenages ont ouvert la voie, notent Caroline Benjo et Jimmy Desmarais (de la société de production Haut et court), producteurs de Xanadu. Ces séries ont fait naître une interrogation : comment des fictions télé qui cassent la narration formatée parviennent à nous accrocher ? Reste encore à y répondre. Et à inventer une méthode.”

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Sara Martins dans Pigalle, la nuit, sur Canal+ en 2009

“chercher la comparaison avec les séries américaines, c’est se préparer à souffrir. Tout sera ‘moins’ : l’écriture, le jeu, le rythme” Bruno Nahon de Zadig Productions un problème de méthode Trouver une manière de fabriquer de “vraies” séries en France semble un projet minimal. C’est pourtant le défi de tous ceux qui s’y frottent. Le jeune producteur Bruno Nahon (Zadig Productions) supervise le tournage de la saison 1 de Ministères (huit épisodes sur la formation de futurs prêtres pour Arte), quatre ans après en avoir eu l’idée. “On pourrait presque dire que personne ne sait faire de série en France, au sens où nous sommes dans une culture du prototype. Tu passes des années sur un projet et, comme un chercheur, tu en découvres peu à peu l’ADN. Pour moi, de l’écriture au tournage, tout est découverte.” Directeur de la fiction d’Arte, François Sauvagnargues abonde. “Fabriquer une série moderne s’apparente à un plongeon dans l’inconnu. La chimie est complexe. C’est ce qui nous travaille et nous angoisse. Alors, on tente des choses, même si la référence à la fiction US fâche en termes de maîtrise et de savoir-faire.” L’horizon américain reste ce que chacun, et d’abord le spectateur, garde en tête. “Mais je préfère regarder vers l’Angleterre, plus proche en termes de production et de moyens”, prévient Hervé Hadmar. “Par rapport aux séries

américaines, il y a un deuil à faire, poursuit Bruno Nahon. Chercher la comparaison, c’est se préparer à souffrir. Tout sera ‘moins’ : l’écriture, le jeu, le stylisme, la direction artistique, le rythme, le montage.” Inventer la nouvelle série française, c’est donc “accepter de ne pas reproduire un modèle”, conclut Caroline Benjo. Oublier par exemple la perspective de tourner des pilotes (premier épisode d’essai donnant lieu ou non à une suite). Cette étape essentielle à la réussite des séries américaines reste “inaccessible financièrement”, même pour Fabrice de la Patellière, directeur de la fiction à Canal+. Au cimetière, pour la même raison, la possibilité pourtant vitale d’écrire les séries au fur et à mesure qu’elles se tournent – soaps mis à part. “Les Américains gèrent leurs forces et faiblesses en cours de saison. Ici, on tourne une saison entière avant de pouvoir procéder à des ajustements”, analyse Jimmy Desmarais. Si une ligne narrative s’incarne mal au tournage, une série française doit faire avec. Dur. La nécessité financière de tourner plusieurs épisodes en même temps (le crossboarding) est-elle seule en cause ? A la tête de Hard, qu’elle écrit et réalise

presque seule, Cathy Verney aimerait faire sauter des verrous. “Notre liberté thématique est plus qu’appréciable. Mais les scénarios de tous les épisodes d’une saison doivent être validés avant éventuellement de se lancer dans le tournage. C’est très figé. Au dernier festival de Deauville, quelques scénaristes français dont je faisais partie ont été invités à discuter avec des créateurs américains. Quand j’ai expliqué notre méthode à David Chase (créateur des Soprano – ndlr), il a apostrophé les types de Damages comme s’il avait une blague à leur raconter ! Pour moi, le problème français, au-delà des moyens, se joue aussi dans le manque de confiance des chaînes.” les chaînes, trop frileuses ? L’accusé semble désigné. “La fiction française ressemble à ce que les chaînes et les responsables de la fiction commandent”, assène Thomas Anargyros. Alors que TF1 semble hors course en termes créatifs, seuls trois ou quatre diffuseurs, dont un service public en reconstruction (euphémisme), paraissent capables de faire exister des projets originaux. Leur capacité à prendre des risques devient cruciale, leur persévérance aussi, surtout quand 27.04.2011 les inrockuptibles 69

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Fortunes, comédie sociale diffusée sur Arte. Avec Salim Kechiouche, Arnaud Ducret, El Bachir Bouchalga…

Xanadu, séried ’Arte sur le monde dupor no, àpar tir du 30 avril

“au-delà des moyens, le problème est dans le manque de confiance des chaînes” Cathy Verney, auteur de la série Hard les tentatives se soldent par des échecs d’audience (comme Les Beaux Mecs sur France 2 récemment). Alors que Signature est diffusée depuis la semaine dernière sur la même chaîne, Hervé Hadmar demande de la patience. “J’ai lu un entretien (Le Figaro, 22 mars) où le nouveau directeur général de France 2 (Claude-Yves Robin – ndlr) expliquait qu’il fallait accepter de perdre six mois. Je pense que c’est plutôt deux ans qu’il faut accepter de perdre. Le public est forcément déstabilisé, il n’a pas l’habitude de voir des séries françaises différentes.” Simon Abkarian décoche sa flèche : “On doit se désintoxiquer collectivement.” En attendant que s’installe la culture du risque de chaque côté de l’écran, “prendre le tournant des séries est inéluctable car l’enjeu est énorme”, note Anargyros, dont la maison de production, Cipango, a été rachetée par Europacorp (Luc Besson), preuve que le marché reste très attractif. Ancien de M6, Anargyros développe et produit pléthore de projets parfois en anglais (comme XIII, diffusée en ce moment sur Canal+). Il n’est pas le seul : Stéphane Meunier (Ma terminale, Fortunes) prépare pour France 2 Phoenix, en collaboration avec l’Australie, tandis qu’Arte monte plusieurs projets à échelle européenne ou avec le Canada (Heretics, Babylone). La coproduction avec l’étranger, solution pour désenclaver la fiction française ? “La nécessité d’ouverture est

fondamentale pour apprendre”, estime Meunier. Fabrice de la Patellière éclaire les enjeux : “Quand un épisode de série française coûte un million d’euros, celui d’une série internationale atteint deux millions et nous pouvons alors rivaliser avec les grosses productions mondiales. Mais ça ne remplacera pas la fiction française, que l’on poursuit plus que jamais.” les auteurs, trop lents ? Dans les mois à venir, une comédie signée Eric Judor (Platane) va côtoyer sur les antennes de la chaîne cryptée une très chère série de prestige tournée à Prague et en anglais (Borgia) avec, aux manettes, le créateur de la mythique Oz, Tom Fontana. “Ce qu’on appelle aujourd’hui la grande crise de la fiction française nous paraît un peu abstrait à Canal+, reprend de la Patellière. Non pas que tout soit parfait chez nous, mais cela fait longtemps qu’on essaie de trouver une alternative. Là où nous sommes concernés, c’est qu’on a dépassé l’alternative méchants diffuseurs contre gentils auteurs. Ce n’est pas si simple. Au fil des années, on a bien compris, tous ensemble, à quel point il est difficile de faire des choses audacieuses et magnifiques. Sur le rythme de diffusion, par exemple, nous recherchons la qualité davantage que le volume. Nous produisons environ huit épisodes tous les dix-huit mois de nos fictions en français. Le temps

entre les saisons est trop long, il faudrait pouvoir en faire douze par an. Mais là, un autre problème se pose. Si les auteurs anglo-saxons arrivent à écrire vite, les Français ont du mal. Il y a parfois une irrégularité due à un manque de formation. Je ne remets pas en cause le talent des scénaristes français, mais les AngloSaxons ont peut-être plus de métier sur la maîtrise du format série.” A cet argument, les premiers concernés répondront qu’on ne leur laisse pas suffisamment leur chance. A quand un véritable dialogue ? Personne en France ne peut prétendre connaître la formule magique. Partout, le malaise le dispute à l’espoir. “Faire Les Soprano nous semble encore loin, pointe Hervé Hadmar. Pourtant, aux USA, c’était il y a plus de dix ans ! Une industrie permettrat-elle un jour à une vingtaine d’auteurs de s’épanouir pour éventuellement y parvenir ? Une génération a envie de tout réinventer, elle doit pouvoir tenter le coup.” Cette génération, ce sont par exemple les dizaines d’apprentis créateurs, certains issus d’écoles de cinéma comme la Fémis, qui envoient leurs projets aux producteurs et aux chaînes. Leur défi ? Apprivoiser le récit sériel contemporain et inventer les héros français modernes. Leur horizon fantasmatique ? Réussir à faire leur première série comme d’autres, avant eux, rêvaient d’un premier film. Le compte à rebours est lancé.

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Sami Bouajila et Sandrine Bonnaire dans Signature, l’autre série polar de France 2

Au récent Mipcom, à Cannes, le ministre de la Culture a décrété la patrie en danger. “La situation de déséquilibre en faveur de la fiction américaine (…) nous invite à l’action.” Un rapport incisif du CNC, remis à Frédéric Mitterrand par Pierre Chevalier, Sylvie Pialat et Franck Philippon, a notamment proposé de repenser la rémunération des auteurs, en mettant l’accent sur le

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développement. Cathy Verney applaudit : “En France, les scénaristes devraient aussi être payés pour réfléchir, pas seulement pour produire du papier.” Bonne idée. en recherche d’identité L’enjeu, au fond, est culturel. Hormis un âge d’or quadragénaire, la série française n’a pas d’identité. Elle bloque sur des évidences, à l’image du manque

de réflexion autour de la place du réalisateur, souvent considéré (et contre toute logique) comme une force créative supérieure au scénariste. Elle patauge, “engoncée dans le patrimonial et le sociétal”, comme le regrette François Sauvagnargues (Arte). “La situation est rageante dans un pays où Balzac a popularisé le feuilleton littéraire au XIXe siècle”, explique Thomas Anargyros. “Tout reste à inventer”, insiste Cathy Verney. “C’est ce que je trouve excitant”, reprend Caroline Benjo, productrice de cinéma d’auteur (Palme d’or avec Entre les murs), décidée à ne pas laisser passer le train. “Avec Xanadu, nous avons fait preuve de candeur. Notre projet ne correspondait à aucune demande des chaînes. Nous n’avons pas travaillé avec un groupe d’écriture ou un showrunner (scénariste/producteur en charge de l’ensemble des aspects créatifs d’une série – ndlr), mais en insistant sur le couple scénariste/réalisateur. C’est la solution que nous avons trouvée. Au cinéma, le champ des possibles est menacé. A la télévision, en revanche, nous sommes à l’aube de quelque chose qui ressemble à l’effervescence créative du cinéma d’auteur il y a quinze ans. C’est une nouvelle jeunesse.”

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Coup d’éclat de José Alcala Une histoire policière, mais aussi politique et sensible, éthique et esthétique. Avec une magnifique Catherine Frot.

 I

l faudrait faire un jour un dossier sur les deuxièmes films, beaucoup plus rares et difficiles à monter que les premiers films. Donner sa chance à un débutant, vierge de tout passé cinématographique, c’est fréquent. Lui permettre d’enchaîner et de confirmer, c’est plus compliqué. Quelques semaines après l’excellent Avant l’aube, voici donc le très beau Coup d’éclat. Et comme Raphaël Jacoulot, José Alcala a mis un certain temps avant de pouvoir enchaîner. Son âpre premier long métrage, Alex, date de 2005. Entretemps, Alcala n’est pas resté inactif, signant un court (Frigo, en 2006) et deux docus (Les Sentinelles de Thau en 2009, Les Molex, des gens debout en 2010). Car si Coup d’éclat n’est que sa deuxième fiction, Alcala présente déjà une filmo conséquente (courts et docus) depuis ses débuts en 1987.

Ce long préambule biofilmographique pour mesurer que le long métrage de fiction n’est qu’une partie du champ du cinéma, même si c’est la plus visible, qu’une carrière de cinéaste n’est pas toujours un tapis rouge et rectiligne, et que si le nom de José Alcala n’est pas familier au plus grand nombre, il est loin d’être un jeune cinéaste débutant. Toutes choses qui expliquent l’épaisseur politique, la maturité esthétique, l’humus de vécu et de réflexion perceptibles à chaque minute de Coup d’éclat. Des titres comme Les Sentinelles de Thau ou Les Molex... indiquent deux éléments constitutifs du cinéma d’Alcala : une conscience sociale et un enracinement dans le sud de la France. Situé dans une ville portuaire indéterminée de la côte méditerranéenne, Coup d’éclat raconte

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raccord

Cannes 2011, deuxième

à travers sa trame policière, c’est un tableau de cette France “invisible” au bout du rouleau

le quotidien de Fabienne Bourrier, capitaine de police dont l’essentiel du boulot consiste à traquer clandestins et sanspapiers. Un jour, une de ses proies, prostituée de l’Est, décède (suicide ou règlement de compte mafieux ?), laissant derrière elle un enfant. Vieille fille solitaire et dépressive, la capitaine Bourrier est troublée par cette affaire… Fabienne Bourrier, c’est Catherine Frot. Depuis la trilogie de Lucas Belvaux, on savait l’actrice capable d’exceller dans des rôles dramatiques. Ici, c’est peu dire qu’elle est éloignée de sa réputation de comique lunaire : usée, alcoolique, dure et triste, peu sympathique, son personnage oscille entre fliquesse hard-boiled à l’américaine et célibataire quadra burn-out comme on en croise tous les jours dans la France sarkozienne de 2011. A travers sa trame policière, c’est bien sûr un tableau de cette France “invisible” au bout du rouleau que dresse José Alcala, avec subtilité, sans manichéisme. Il suffit de voir comment il filme ses policiers : faisant un sale boulot, certes, mais pas franchement épanouis et heureux de travailler dans un cadre tracé par la démagogie sécuritaire de nos dirigeants actuels.

Mais le plus important dans Coup d’éclat, ce sont les solutions formelles. Alcala (et son chef-op, l’excellent Laurent Machuel) a beaucoup travaillé sur le nocturne, l’obscurité, le flou, l’indéterminé, la suggestion. Parfois, on ne voit pas grand-chose dans Coup d’éclat, on distingue à peine les lueurs d’une usine, les contours d’un dock ou d’une raffinerie, des silhouettes menaçantes… Les gangsters sont réduits à des phares de bagnoles, des coups de feu, et ça suffit amplement. Non seulement cette leçon de ténèbres est magnifique, mais elle exprime parfaitement les incertitudes morales des personnages, la frontière pas toujours nette entre bien et mal. Fabienne Bourrier n’est pas un bloc de vertu, juste un être faillible qui fait ce qu’il peut, comme nous tous, qui essaie de retrouver un peu de dignité et d’estime de soi dans des circonstances pourries. La beauté, la justesse, la valeur, l’éthique de Coup d’éclat réside peut-être justement dans l’absence de coup d’éclat. Le genre de deuxième film qui donne envie d’en voir un troisième. Serge Kaganski Coup d’éclat de José Alcala, avec Catherine Frot, Karim Seghair, Marie Raynal, Liliane Rovère (Fr., 2010, 1 h 32)

Chapitre deux : les deux instances alternatives à la Sélection officielle, qui ont souvent été nos poires pour la soif, viennent de publier leur menu 2011. La Semaine de la critique a mis cette année les petits plats dans les grands pour fêter sa 50e édition. Quant à la Quinzaine des réalisateurs elle sera belge ou ne sera pas, puisqu’elle présentera en ouverture le nouveau film de Gordon, Abel et Romy (les auteurs de L’Iceberg et de Rumba), La Fée, en clôture le deuxième film de Bouli Lanners (Eldorado) : Les Géants. Un troisième film (flamand), participera à la compétition : Blue Bird de Gust Van den Berghe. Bonne nouvelle : la présence du nouveau film d’André Téchiné (Impardonnables, avec Mélanie Thierry, Carole Bouquet et André Dussollier) qui n’était pas venu à la Quinzaine depuis Souvenirs d’en France en 1975. On attend aussi de découvrir le premier long de Valérie Mréjen (coréalisé avec Bertrand Schefer), En ville, et le nouvel opus de Philippe Ramos (Capitaine Achab) : Jeanne Captive. Le réalisateur bulgare Kamen Kalev, deux ans après Eastern Plays, viendra présenter The Island. On dit aussi beaucoup de bien de Code Blue d’Urszula Antoniak (Pays-Bas) et de Corpo celeste d’Alice Rohrwacher (Italie)… La guerre est déclarée de Valérie Donzelli (La Reine des pommes) fera l’ouverture de la Semaine de la critique, qui se clôturera sur Pourquoi tu pleures ? de Katia Lewkowicz, avec Benjamin Biolay dans le rôle principal. Jonathan Caouette (découvert par la Quinzaine avec Tarnation) viendra présenter son deuxième long métrage, Walk Away Renee en séance spéciale. Enfin l’actrice Eva Ionesco accompagnera son premier film, My Little Princess (avec Isabelle Huppert), en séance spéciale “50e anniversaire”. Mais qui sait ? La surprise viendra peut-être des films que nous n’avons pas cités…

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Il était une fois un meurtre de Baran Bo Odar avec Burghart Klaußner, Amon Robert Wendel (All., 2010, 1 h 58)

Un polar allemand alambiqué et surléché. Vingt-trois ans après le premier meurtre irrésolu d’une jeune fille violée, on retrouve dans la campagne allemande, au même endroit, le corps d’une autre ado, tuée exactement dans les mêmes circonstances. Sorte de polar mélodramatique mêlant l’enquête policière à tous ses petits faits annexes (crise de famille, sentiment de culpabilité, deuil impossible, retrouvailles, etc.), Il était une fois un meurtre se voudrait d’inspiration dostoïevskienne quand il peine à dépasser le Derrick de luxe. Si l’on peut y croiser des personnages un peu étranges (ce flic qui s’habille en femme en souvenir de la sienne, le portrait du simili-cinéphile en pédophile), le film souffre d’un traitement très plat, composé d’images léchées, d’amples mouvements de caméras survolant les champs de blés, de longues poses complaisantes, bref, d’une absence de réelle mise en scène et d’une abdication servile de l’image face au récit. Thomas Pietrois-Chabassier

La Lisière de Géraldine Bajard

B.A.T. Bon à tirer des frères Farrelly avec Owen Wilson, Jason Sudeikis (E.-U., 2011, 1 h 45)

Grosse déception avec ce Farrelly movie totalement raté. ouche froide : Peter & Bobby Farrelly viennent, pour la première fois, de rater un film. Le symptôme qui les affecte aujourd’hui – et qui était déjà palpable dans Les Femmes de ses rêves, réussi mais de justesse – porte un nom tristement commun : la normalité. Que sont nos amis freaks devenus ? est la première question qu’on se pose, las, devant le désastreux Hall Pass, dont le titre français, Bon à tirer, d’une vulgarité crasse, nous semble pour une fois très juste. L’idée de départ n’était pourtant pas mauvaise : suivre les pérégrinations sexuelles de deux quadras frustrés (Owen Wilson, qui contrebalance de sa candeur lunaire la pauvreté du personnage, et Jason Sudeikis, le Kad Merad américain, hum), gentils beaufs à qui leurs épouses ont donné, pour une semaine, le droit d’aller fricoter ailleurs. Traquer la bizarrerie au plus profond de la banalité, aller voir du côté de chez Sandler (apôtre de la beaufitude béate) si la monstruosité y est : il y avait là, c’est certain, de quoi faire un bon film, prolonger le geste entamé avec Les Femmes de ses rêves – film qui, pour la première fois chez les frères, adoptait le point de vue du mâle moyen. Seulement cette fois, ça ne prend pas. Alors que l’odyssée de Ben Stiller ressemblait à un calvaire, joute SM un peu aigre mais fascinante, celle de Wilson, Sudeikis et leurs buddies n’est qu’un très mauvais trip sur l’autoroute du conformisme heureux. Pauvreté extrême des personnages secondaires (le seul freak du film, amoureux déçu et psychotique, est humilié) et féminins (au choix, bimbo décérébrée ou épouse castratrice), nullité, à une ou deux exceptions près, des gags et morale puritaine (à ne surtout pas confondre avec le sens de la résignation en vogue chez Apatow) sont la triste moisson de ce Farrelly movie qu’on aimerait rapidement oublier. Quand la grâce disparaît de la comédie, ne reste hélas plus qu’une comédie grasse. Jacky Goldberg

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avec Melvil Poupaud, Audrey Marnay, Hippolyte Girardot (Fr., All., 2010, 1 h 40)

Le Village des damnés dans une province française. Ambitieux et inaccompli. François, jeune médecin généraliste (Melvil Poupaud), s’installe dans une ville nouvelle. Un groupe d’adolescents s’y livre, la nuit, à d’étranges jeux. Le désir rôde à la lisière de la forêt. Les adultes se laissent entraîner au-delà des limites permises. Géraldine Bajard, normalienne, s’est formée au cinéma en Allemagne, au contact de certaines cinéastes de ce qu’on appelle “l’école de Berlin” : Jessica Hausner, Angela Schanelec, Valeska Grisebach, Pia Marais. Son premier film en porte la marque. Mais sans jamais retrouver ce qui fait la caractéristique de ce cinéma-là : un formalisme prééminent, mais contrebalancé par une analyse sociale très précise de la réalité allemande. Jamais, malgré ses interprètes, La Lisière ne retrouve le vertige réaliste de la nouvelle vague allemande. Jean-Baptiste Morain

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Le Premier Rasta d’Hélène Lee (Fr., 2010, 1 h 25)

Animal Kingdom – Une famille de criminels de David Michôd avec Guy Pearce, James Frecheville, Jacki Weaver (Aus., 2010, 1 h 52)

Un film de gangsters australien assez efficace. ensation australienne en son pays, couvert de trophées, Animal Kingdom s’avance comme le dernier-né de la nécessité pour chaque pays d’avoir son propre drame familial de gangsters. Direction Melbourne, et l’entrée de Joshua, jeune grand dadais à peine remis du décès de sa mère junkie, chez les Cody, la famille de ses oncles malfrats. La couleur locale est celle de la banlieue pavillonnaire miteuse, des chemisettes à fleurs et des moustaches eighties toujours à la mode dans le sud de l’Australie. La morgue de Joshua rappelle d’ailleurs le Mark Wahlberg au front bas et à l’air rentré de The Yards, mais Animal Kingdom s’ingénie à se détacher des modèles évidents de films criminels qui pavent le genre. Au montage mitraillette de Scorsese, David Michôd (dont c’est le premier film) substitue la langueur et l’étirement, désamorce tous les passages attendus : lors d’une exécution, il se focalise sur un témoin impuissant et hagard ; ailleurs, une bruyante descente de police est noyée par la bande-son pop. Des morceaux de bravoure, il ne garde que les bouts les plus hébétés avec un beau sens du rythme et de la surprise. Joshua est d’ailleurs une montagne de passivité, une sorte de mignon monstre Frankenstein qui passe l’essentiel du film à ne pas réagir ou prendre parti. Le film fait cette position, un peu intenable pour le spectateur, celle de l’adolescent observant le monde des grands : des gangsters féroces mais minables, que le réalisateur passe son temps à saisir et travailler au quotidien, au canapé ou devant le barbecue. Pas d’attaques de banque ici, juste une trivialité glauque bien documentée. Michôd envisage son film comme un zoo, la tragédie comme éthologie et conclut joliment sur l’hérédité criminelle. Il dispose pour cela de spécimens d’acteurs de choix, en particulier la matriarche du clan Cody : entre Gena Rowlands et Shelley Winters, Jacki Weaver compose une impressionnante chef de famille aux faux airs de coiffeuse, vieille lionne capable de protéger comme de manger ses petits. Léo Soesanto

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Un documentaire sur les Rastas comme pionniers de l’anticolonialisme. Un documentaire de facture assez classique sur un personnage peu connu, Leonard Percival Howell (1898-1981), fondateur du mouvement rastafari en Jamaïque en 1933, dont seront issus les Rastas et par extension le reggae. Au-delà de ses clichés actuels, les dreadlocks et la ganja, la particularité principale du mouvement rasta est d’avoir fait de l’empereur Hailé Sélassié, qui régna sur l’Ethiopie jusqu’en 1974, un dieu vivant (à son corps défendant). Le titre officiel du souverain, Ras Tafari, a donné son nom au mouvement jamaïcain, creuset d’influences allant du marxisme à la Bible. Pas vraiment une religion mais une doctrine syncrétiste et anticolonialiste au sens large, que l’on a décrit avec une certaine pertinence comme “première pensée altermondialiste”. La réalisatrice, Hélène Lee, déjà auteur d’un livre au titre éponyme sur le sujet, enquête en Jamaïque sur les traces d’Howell qui y fonda une communauté anti-establishment, The Pinnacle, et fut martyrisé par les autorités blanches de l’île. Un film qui décrit avec une imparable clarté comment, à l’époque où Hergé caricaturait les Africains dans Tintin au Congo, des Jamaïcains comme Howell et Marcus Garvey posaient les bases d’une reconnaissance du peuple noir. Vincent Ostria

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Les Nuits rouges du bourreau de jade

en salle

de Julien Carbon et Laurent Courtiaud

commedia dell’arte La Filmothèque du Quartier latin se met aux couleurs de l’Italie avec une rétro consacrée à la comédie à l’italienne, période de la satire sociale égayée. Le programme sera l’occasion de redécouvrir les délices d’Age-Scarpelli, pseudo du tandem de scénaristes prolifiques de l’époque (Nous nous sommes tant aimés, Signore & Signori). Le cycle (seize films) couvre le début des années 60, de Dino Risi, Pasolini ou De Sica à La Terrasse d’Ettore Scola en 1980 qui, déjà, s’échappe vers la tristesse. Rétrospective La Comédie à l’italienne du 27 avril au 17 mai à la Filmothèque du Quartier latin, Paris Ve

hors salle Le monde Kubrick Avec Le Cinéma au bord du monde : une approche de Stanley Kubrick, Philippe Fraisse (collaborateur à Positif) propose une étude esthétique et philosophique de l’œuvre de Stanley Kubrick. Il exprime comment les figures marquantes des événements de la modernité sont perçues par le cinéaste anglais, définissant ses films comme des “contes cruels et glacés”. L’essai étudie ainsi les dangers de l’espèce humaine chez ce “cinéaste du progrès”. Le Cinéma au bord du monde : une approche de Stanley Kubrick de Philippe Fraisse (Gallimard), 240 pages, 21 €

box-office crise nationale Rude printemps pour le cinéma français. D’abord, le beau film de Thierry Klifa, Les Yeux de sa mère, est passé à côté du public et peinera à réunir 200 000 spectateurs. Avec… Philibert, capitaine puceau, on touche à l’accident industriel. Moins de 100 000 entrées pour cette comédie luxueuse à vocation populaire. Mon père est femme de ménage et La Proie, avec près de 150 et 200 000 entrées en première semaine, font mieux, sans toutefois décoller.

autres films Moi, Michel G, milliardaire, maître du monde de Stéphane Kazandjian (Fr., 2010, 1 h 27) Les Couleurs de la montagne de Carlos César Arbeláez (Col., 2010, 1 h 30) John Rabe de Florian Gallenberger (Fr., Ch., All., 2008, 2 h 05) Gigante d’Adrian Biniez (Arg., Uru., All., 2009, 1 h 30) La Femme de l’année de George Stevens (E.-U., 1942, 1 h 52)

avec Frédérique Bel, Carrie Ng, Carole Brana. (H.-K., Fr., 2009, 1 h 38)

Thor de Kenneth Branagh avec Chris Hemsworth (E.-U., 2011, 1 h 54)

Le nouveau blockbuster des studios Marvel. Décevant et malade. es faits, d’abord : Thor, banni du ciel, est envoyé sur terre par son père. Il y rencontre une jeune scientifique (N. Portman) aux côtés de laquelle il va tenter de protéger sa terre d’accueil. Difficile de ne pas regretter ce choix de confier l’adaptation du célèbre comic, projet pop et baroque, au très professoral Kenneth Branagh (Beaucoup de bruit pour rien) quand Sam Raimi (Spider-Man) ou Matthew Vaughn (Kick-Ass) étaient également pressentis. Toujours est-il que Thor est un film bipolaire, les séquences terriennes et extraterriennes s’opposant en tout. Sur le ton : comédie presque romantique sur la terre, proche du Starman de John Carpenter, vs tragédie œdipienne très premier degré dans le ciel. Sur la texture visuelle : les scènes dans l’espace, jaune pisse, sont aussi laides que cheap quand, sur la terre, l’image prend la teinte ambrée du western. Et même sur l’équilibre scénaristique des forces, le film pose problème puisque dans l’alternance régulière entre les deux mondes, les séquences au pays des dieux, après le départ de Thor, sont vides de personnage principal quand les scènes sur terre en comptent carrément deux. Deux films en un, donc. L’un, kitsch, pauvre, s’intéressant à la lutte pour le pouvoir, est un film négligé, désinvesti, et son potentiel Star Wars n’a l’air d’être utilisé que dans le but d’expérimenter, de surenchérir techniquement (de manière très décevante) dans le domaine de la 3D. L’autre, sur la terre, est plus intéressant, plus drôle, les acteurs, moins embarrassés. Comme si Branagh avait davantage choyé cette partie-là. Thor ne pouvant plus se servir de son marteau ni de ses pouvoirs, le film se met à parler d’impuissance, de castration. Mais il finit par ennuyer sévèrement, son manichéisme sec prenant toute la place. On notera tout de même que cette histoire de fils de Dieu envoyé sur terre parmi les hommes et combattant les forces du mal, c’est aussi celle du jeune Jésus.

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Deux femmes fatales s’affrontent dans un médiocre thriller franco-chinois. S’il peine toujours autant à inventer son propre imaginaire – sur le modèle de ses voisins espagnols ou nordiques –, le cinéma de genre français ne passe pas non plus l’épreuve de la délocalisation. C’est le constat assez désespérant de ces Nuits rouges du bourreau de jade, dernière expérience de coproduction franco-chinoise emballée par Julien Carbon et Laurent Courtiaud (scénaristes à l’occasion pour Tsui Hark ou Johnnie To). Dans un Honk Kong abstrait, ce thriller polyglotte, où l’on parle français, anglais et chinois – sans que jamais cet argument textuel ne soit exploité, façon Inglourious Basterds –, oppose deux femmes fatales (Frédérique Bel, vraiment fatale) sur fond d’une intrigue vaguement perverse. Au mépris de toute progression dramatique, le duo de réalisateurs aligne en vain les références, mêlant au hasard du budget une séquence de torture porn fétichiste (la plus inspirée), une imagerie giallo, des clins d’œil au théâtre kabuki, et un léger parfum de serial. Tellement abîmé par son esprit de sérieux, le film se refuse même le statut de simple Z un peu chic. Romain Blondeau

Thomas Pietrois-Chabassier

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Le Quatrième Homme (Kansas City Confidential) de Phil Karlson avec John Payne, Coleen Gray, Dona Drake (E.-U., 1952, 1 h 39)

Un film de casse astucieux et brillamment interprété. Un des modèles de Reservoir Dogs. e salut viendra toujours des acteurs les Etats-Unis, où la quotidienneté et c’est grâce à eux que le cinéma des décors se teinte d’inquiétude, brisures ne mourra jamais. Phil Karlson, du cauchemar secouées par des accès un des bons artisans du Hollywood épileptiques de violence. des années 40-50 particulièrement On aime les acteurs de série B parce à l’aise pour les polars sociaux teigneux, qu’ils donnent l’impression que le cinéma livre ici Le Quatrième Homme (Kansas City se fait sans effort. Ici, trois catégories : Confidential). Trois malfrats sont recrutés le second rôle qui par un détail par un quatrième pour faire un hold-up. reconnaissable colorie instantanément la Particularité : ils ne se connaissent pas scène (ici, les sales gueules Lee Van Cleef, et ne se connaîtront jamais puisqu’ils Jack Elam, etc.), le premier rôle féminin agissent le visage dissimulé. Dans ce qui insuffle en douce la noblesse des scénario à masques, le premier sera suivi productions plus prestigieuses d’Hollywood de trois autres : le patron, masqué lui (ici Coleen Gray), un premier rôle masculin aussi, manipule ses recrues, un gars qui qui a le génie pittoresque des seconds rôles se retrouve accusé à tort du braquage mais avec une réserve qui l’isole. endosse l’identité d’un des types pour se Ici, c’est John Payne qui s’y colle. faire justice, enfin la fille du patron ne sait Comme son rôle de superdur ne le laisse pas que son père est un grand bandit. pas deviner, il a connu la célébrité Le film aurait inspiré Tarantino pour dans des comédies musicales avant d’être Reservoir Dogs et on retrouve un même immortalisé par Allan Dwan dans les côté Rubik’s Cube, mais dont la cérébralité années 50. Il a la tête de chien battu jacassante est aérée par des trouvailles de intelligent de James Stewart, mais avec cinéma : le huis clos des culpabilités est une masculinité brune qui cache bien son propulsé dans une fuite en avant à travers jeu : le type mélancolique a le poing

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fulgurant. Ici, il densifie la stylisation anonyme du film par son opiniâtreté un peu détachée qui fait décoller les petites conventions du genre. Joie encore de la série B : on trouve dans le film une Gene Tierney latine, aux yeux aussi cristallins et au visage aussi pommelé que l’originale, mais avec un teint caramel et une propension aux “Caramba !”. Oui, elle existe, elle s’appelait Eunice Westmoreland à sa naissance (trop lourd pour être sexy), s’appela Rita Rio dans les années 30 (trop chicana pour les studios), puis, juste compromis hispano-américain, s’appelle Dona Drake pour l’éternité. Axelle Ropert Wild Side Vidéo, 9,99 €

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Renaud Monfourny

la reine du Paume Le Jeu de paume fête ses 20 ans de cinéma : 20 ans à la pointe de la création sous la houlette de sa programmatrice Danièle Hibon. Rencontre.

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l’heure où elle fête ses 20 ans de programmatrice cinéma au musée du Jeu de paume, on pourrait s’exclamer “Hibon, c’est bon !”, jeu de mots facile qui ne ferait pourtant qu’exprimer une simple vérité. Depuis 1991, Danièle Hibon montre les cinéastes les plus exigeants et singuliers. Qu’on en juge par ces quelques noms : Jean-Luc Godard, Artavazd Péléchian, Jean-Claude Biette, Chantal Akerman, Jonas Mekas, Samuel Beckett, Carmelo Bene, Naomi Kawase, Harun Farocki, Apichatpong Weerasethakul… une véritable dream team de la recherche cinématographique, la crème galactique de tout ce qui s’invente de plus aventureux dans le champ mondial du cinéma. Et pourtant, un tel lieu a failli ne pas exister : “Au départ, explique Danièle Hibon, il n’était pas prévu de créer un département cinéma. D’ailleurs, la salle n’était pas vraiment une salle de cinéma, elle était meublée de chaises très design mais très inconfortables. Tout s’est décidé peu avant l’ouverture du musée. Le musée était dédié à l’art contemporain et à la photo ; et il n’existait pas nécessairement beaucoup de films ni d’archives liés aux artistes contemporains. L’idée était plutôt de programmer des cinéastes contemporains.” Hibon inaugure son mandat en montrant les films de Samuel Beckett pour la télévision allemande, totalement inédits en France. Coup d’essai, coup de maître. C’est ensuite la découverte de Péléchian,

cinéaste inconnu du public français, qui remplit la petite salle et suscite de longues files d’attente. Depuis vingt ans, Hibon montre le travail méconnu de cinéastes connus (Godard, Akerman…), des rétrospectives inédites en France (Mekas, Jean Rouch…), des films d’artistes non identifiés comme cinéastes (Beckett, Rebecca Horn, Martial Raysse, Averty…), des électrons libres (Biette, Marcel Hanoun, F.-J. Ossang…), des figures de l’expérimental (Patrick Bokanowski, Valérie Mréjen…), des inconnus (Péléchian, les Gianikian…), des rétrospectives thématiques… Se bousculent ainsi aux Tuileries des créateurs de tous horizons, de toutes générations, dont le seul point commun serait de ne pas appartenir à la sphère du cinéma commercial dominant. “C’est avant tout une affaire de goût, poursuit Hibon en précisant ses choix. Ensuite, ce sont les rencontres, les amis, les milieux que l’on fréquente qui offrent des pistes, permettent certaines découvertes. Ce qui amène à un autre critère : montrer des œuvres inédites ou rares, faire découvrir. C’était d’ailleurs plus facile dans les années 90 qu’aujourd’hui. Maintenant, la plupart des festivals sont à l’affût, la concurrence est plus forte.” Malgré tout, elle parvient toujours à montrer de l’inédit, comme dans le cas de Naomi Kawase, dont le premier long métrage fut découvert à la Quinzaine des réalisateurs : mais quand Hibon la programme au Jeu de paume, “elle est

venue avec sa mini-DV montrer des films inédits, notamment ses journaux intimes”. Et si les festivals défrichent de mieux en mieux, Hibon s’en va fureter du côté des galeries et des musées, emprunte les passerelles de plus en plus nombreuses entre cinéma et arts plastiques. S’il y avait une cohérence dans ces 20 ans pas tartes au Paume, ce serait du côté de l’invention formelle, de l’expérimentation de toutes les possibilités du cinéma en dehors du format dominant de la fiction classique : “Je pense que ma programmation a toujours été liée au contemporain. Malgré les écarts de génération des cinéastes, je crois avoir toujours montré des propositions originales, inventives, créatives, singulières, des œuvres qui faisaient avancer le cinéma.” Le contrepoint de cette exigence formelle, c’est la condition ultraminoritaire. Mais, confiante et généreuse, Danièle Hibon en fait plutôt un motif de fierté que de lamentation : “Le minoritaire, il faut continuer à le défendre, à le montrer. La multiplication des lieux est, de ce point de vue, une bonne nouvelle, même si ça rend mon travail plus difficile. J’en profite pour dire que Paris est une ville exceptionnelle sur ce plan-là, il suffit de voyager pour s’en rendre compte. Les autres grandes villes du monde sont des déserts de cinéma en comparaison.” Serge Kaganski Le Jeu de paume fête ses 20 ans de cinéma jusqu’au 1 4 juin, t él. 01 47 03 12 50, www.jeudepaume.org, [email protected]

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Henri Cartier-Bresson-DR

Jean Renoir et Michel Simon face à l’équipe de Cinéastes de notre temps. Assis, Janine Bazin, André S. Labarthe et Jacques Rivette

filmer les filmeurs Le Centre Pompidou projette en intégralité la collection Cinéastes de notre temps et accueille pour l’occasion André S. Labarthe, chef d’orchestre de la série. ndré S. Labarthe télévisuelles balisées dans d’Hitchcock sur son est-il un homme le traitement du temps, personnage ouvrant une de cinéma ou favorise l’errance et les porte, Labarthe frictionne de télévision ? trouées. Il ira jusqu’à créer documentaire et fiction. En 1964, l’ORTF entame lui-même l’accident Cinéastes de notre temps la diffusion de la collection du coup de téléphone rend ainsi poreuse Cinéastes de notre temps, chez Chabrol afin de la frontière entre ces que diffuse maintenant déconnecter la question deux pendants a priori Arte en la rebaptisant de sa réponse. dissociables, lorsque le Cinéma, de notre temps. Labarthe semble cinéaste-sujet devient C’est Janine Bazin qui néanmoins revendiquer personnage. propose à l’époque à une certaine idée du L’histoire est toujours Labarthe de l’accompagner hasard, de celle d’une rencontre, pour réaliser et produire l’expérimentation. Lorsqu’il c’est l’un des moteurs de des documentaires sur les s’aventure sur des rails la série : aller vers les cinéastes. La collection instables, le film prend une cinéastes. Expérimenter s’inscrit dans la lignée des nouvelle dimension avec eux mais aussi sur grands entretiens publiés critique : la parole délivrée leur propre terrain de aux Cahiers (dont il fut se double d’une aura fiction : Ferrara déambule critique) mais avec les (entendre les silences de dans un New York by night, moyens du cinéma. Garrel) et cette nouvelle Kiarostami sillonne L’enjeu tient alors dans lecture inspecte autant les routes d’Iran, Pagnol la transposition de le cinéaste filmé que le est filmé en Provence... médium : l’intérêt n’est cinéaste filmeur (Scorsese, Labarthe, prenant ainsi le plus dans le texte mais à qui Labarthe ne posera contre-pied des émissions dans l’image, dans aucune question, prend expérimenter le montage. Labarthe à partie ceux qui sont fait ainsi se côtoyer avec les cinéastes derrière la caméra). directement les cinéastes Les formes d’expression de sur leur propre et leur œuvre. Lorsqu’il l’un et de l’autre trouvent terrain de fiction insère un raccord-regard parfois une cohérence

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prodigieuse : qui mieux que Pedro Costa, remarquable pour se tapir dans la pénombre des pièces (ici la salle de montage) aurait pu saisir les allers-retours géographiques et caractériels de Straub ? La diffusion des épisodes s’arrête en 1972 pour renaître en 1989. A sa reprise, Cinéastes de notre temps est rebaptisé Cinéma, de notre temps, apportant l’idée que le cinéma est toujours de notre temps : faire un film sur les frères Lumière rend contemporain le regard. Aujourd’hui Beaubourg propose l’intégralité de cette collecte de portraits comme une mémoire inscrite dans le futur à la lumière de la pellicule. Finalement, cette histoire du cinéma, à la fois radicale et émouvante, retrouve sa juste place : sur grand écran. Arnaud Hallet 27.04.2011 les inrockuptibles 79

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héros de conduite Enfin un jeu qui se met à la place du conducteur ! Entre réalisme et recherche de sensations fortes, Shift 2: Unleashed innove.

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à venir Dragon Quest revient Alors que se fait désirer le très attendu dixième volet (annoncé sans date précise sur Wii) de l’étourdissante série de jeux de rôle Dragon Quest, le remake de son épisode VI, rebaptisé Le Royaume des songes, débarquera en France le 20 mai sur Nintendo DS (qui avait déjà eu droit aux numéros IV, V et IX). Paru à l’origine sur Super Nintendo en 1995, l’épisode VI n’avait jusqu’ici jamais été publié en dehors du Japon.

usqu’ici, tout semblait clair. Le jeu de course réunissait deux grandes familles. Il y avait les simulations, précises et exigeantes, les Gran Turismo, les Forza, qui visaient à reproduire aussi fidèlement que possible le comportement des vrais véhicules. Des jeux conçus avec soin pour les gens sérieux. Les amateurs de sensations fortes, de folles accélérations et de dérapages improbables leur préféraient la branche “arcade” du genre, héritière des jeux de bar (Pole Position, OutRun, Ridge Racer…), qui rechignait rarement à tordre la réalité pour la plier à ses désirs de vitesse. Mais, peu à peu, la frontière s’est faite de moins en moins nette. Et, aujourd’hui, Shift 2: Unleashed vient compliquer encore un peu plus les choses. Compliquer ou, au contraire, simplifier, car le jeu s’attache visiblement à accueillir aussi bien les maniaques du pilotage technique (et du réglage minutieux, au préalable, de leurs voitures chéries) que les accros à l’adrénaline, qui, s’ils optent pour une conduite plus ou moins “assistée”, pourront aussi profiter à fond d’une expérience hautement physique. Cette tentative de réconciliation découle d’un parti pris d’hybridation qu’éclaire l’hérédité même de ce Shift numéro 2 : avant de fonder les studios Slightly Mad, ses concepteurs britanniques avaient donné naissance aux très rigoureuse simulations GTR ; des jeux aux antipodes de la saga arcade Need for Speed, dont Shift 2 est

pourtant un spin-off. Présente dans le premier épisode, la marque Need for Speed a cette fois disparu, mais le jeu, avec ses couleurs vives et quelques effets un peu tapageurs, montre qu’il n’a pas totalement rompu avec la maison mère. Les jeux de course permettent fréquemment de choisir entre plusieurs modes de visualisation, intérieurs ou extérieurs à notre bolide vrombissant. Shift 2 en ose un inédit, qui place la ”caméra” au niveau même du visage du pilote. Loin de n’être qu’un gadget, cette nouveauté modifie sensiblement la manière dont on perçoit la route. Et pourrait bien révéler le véritable but de Shift 2 : dépasser la séparation traditionnelle entre arcade et simulation pour s’intéresser au point de vue sur l’action (qui, elle, demeure largement paramétrable). Peu importe la manière dont on aborde le jeu, pour peu que l’on souscrive à son projet : nous mettre, littéralement, à la place du conducteur. Erwan Higuinen Shift 2: Unleashed sur PS3, Xbox 360 et PC (Slightly Mad Studios/Electronic Arts, de 45 à 70 €)

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la conquête Le troupeau de nabots rondouillards de Swarm affronte obstacles et ennemis variés dans une quête un rien fumeuse mais très plaisante. warm n’aurait qui s’attachent à exploiter, L’enjeu est là : si l’on sans doute pas pu non sans imagination, un abandonne en route tout son voir le jour il y a concept ludique unique. contingent de combattants cinq ans. Production Vague descendant de rondouillards, ce sera le indépendante, il fait Pikmin et de Lemmings, game over, mais si l’on partie de ces jeux trop Swarm nous place à la tête cherche trop à les préserver, “minces” pour espérer d’une armada de créatures on finira avec un score survivre dans le circuit lancée dans une quête un insuffisant pour débloquer commercial classique mais rien fumeuse. Une chose est le niveau suivant. D’où un trop lourds à développer sûre : il faudra éviter dilemme permanent, pour des structures obstacles et ennemis variés sachant que le rythme de non-professionnelles, qui pour atteindre sain et sauf la Swarm contrarie de façon trouvent donc dans les fin du niveau après avoir perverse la réflexion en services de téléchargement ramassé en chemin tout un poussant au contraire le des consoles actuelles un tas de trucs scintillants qui joueur au sprint kamikaze. débouché presque inespéré. nous rapportent des points. Malgré quelques défauts, le A côté d’une poignée Pour ce faire, le joueur jeu procure bien des plaisirs de chefs-d’œuvre (et de devra sacrifier un certain – entre deux cris de rage. ratages) arty, PlayStation nombre de membres de Il aurait été bien dommage Store et Xbox Live son troupeau obéissant et ne qu’il ne voie pas le jour. E. H. accueillent ainsi la série B pas perdre de temps afin de du jeu vidéo d’aujourd’hui, faire grimper le coefficient Swarm sur Xbox 360 et PS3 une collection de titres multiplicateur dont (Hothead Games/Ignition Entertainment, environ 14 €) volontiers potaches dépendra son bilan chiffré.

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Mon coach personnel : Club Fitness Sur PS3 et Wii (Ubisoft, environ 30 €) Même sans Wii Fit à la maison, il est désormais possible de préparer son corps pour la plage sans lâcher sa console. La détection de mouvements du PS Move n’est que moyennement exploitée par les 120 exercices de ce Club Fitness, ronchonneront certains. Si leur ventre déborde du maillot, ils ne pourront s’en prendre qu’à eux-mêmes.

Michael Jackson : The Experience Sur Xbox 360 et PS3 (Ubisoft, de 40 à 50 €) Déjà paru sur Wii, le jeu Michael Jackson profite des dispositifs Kinect et Move pour investir la Xbox 360 et la PS3. Le principe ne change pas : il faut suivre les chorégraphies du monsieur, éventuellement en chantant si un micro est branché. Nouveauté : une caméra filme nos mouvements. Reste à savoir si l’on sera fier du résultat. 27.04.2011 les inrockuptibles 81

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Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

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on connaît la chanson

Vaccines obligatoires A maladie d’amour, remède miracle. Avec un premier album de pop fougueuse, les Anglais The Vaccines font danser les jambes et battre le cœur.

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inon inconnus, du moins méchamment ignorés de ce côté de la Manche, les noms de Noah And The Whale, Laura Marling ou Mumford & Sons irradient régulièrement les colonnes de la presse musicale et les charts anglais. Ces groupes se connaissent, se côtoient et aiment venir jouer les uns chez les autres. Un de leurs membres répondait il y a quelques années au drôle de nom de Jay Jay Pistolet. Jay Jay Pistolet, de son vrai nom Justin Young, dégainait alors des ballades folk semblables à celles de M. Ward : à la fois décontractées et mélodieuses, bricolées et étincelantes. Un de ses morceaux, toujours disponible sur le net, s’intitulait Bags of Gold. Une seule réécoute suffit à confirmer : c’était déjà de l’or, du vrai. Jay Jay Pistolet a abandonné son sobriquet et officie désormais comme chanteur-guitariste des Vaccines – le groupe s’est formé, ça tombe bien, à peu près au même moment que la grippe A. Il y a deux ans, à Londres, Justin Young rencontre Freddie Cowan, le frère du bassiste de The Horrors. Ils sympathisent. “Nous avions un copain commun qui possédait un studio de répétition, raconte Young. Il nous a proposé d’y jouer un peu. On avait tous les deux déjà joué dans d’autres groupes, on s’est dit pourquoi pas. Mais on n’avait pas de grandes ambitions pour The Vaccines, rien de prévu, rien de vraiment sérieux.” Le groupe publie pourtant ce printemps un réjouissant disque de pop : libre, fêtard, girly, dragueur. Désireux de positionner la formation sur une cartographie sonore, on situera les Vaccines à équidistance des Strokes, des Ramones et des Drums, à cheval entre le rock’n’roll d’Elvis et le foutoir bouillonnant de Surfer Blood. “L’idée, c’est de jouer de la pop pure et directe. J’aime la musique des fifties et des sixties pour son côté franc, immédiat. Je reste convaincu que ce que les gens cherchent depuis toujours, c’est une chanson sur laquelle ils peuvent danser. Alors avec les Vaccines, on essaie de garder un côté juvénile, énergique, excitant.” Il ne s’appelle pas Justin Young pour rien. De Wreckin’ Bar (Ra Ra Ra) à If You Wanna, de Norgaard à Post Break-up Sex, The Vaccines composent des tubes à la

chaîne, et agencent ce qui aurait pu être la bande originale de Dirty Dancing en 2011. Romantique et joliment surannée, la pop des Anglais s’écoute à l’arrière d’une Cadillac bleu céladon, au sortir d’un diner américain, sous un palmier californien. Sortie en 1981, une chanson des Barracudas clamait haut et fort : I Wish It Could Be 1965 Again. Les Vaccines wish pareil, en remettent une couche, rembobinent le film et offrent à l’histoire de la surf-music un chapitre réjouissant. “Un bon groupe de rock’n’roll doit savoir rendre moderne quelque chose de vieux et dépassé. Je pense que les Strokes ont réussi à faire ça. The Jesus & Mary Chain aussi. Il ne s’agit pas de réinventer la roue, il s’agit de la rafraîchir.” Ce savoir-faire et cette maîtrise du tube pop, Justin Young les a peaufinés avec les années. A 12 ans, le garçon envoyait ses premières maquettes aux labels anglais. “J’ai été sérieux très vite. Je pensais que les labels pourraient m’aider à faire des concerts. J’avais 12 ans lors du premier, c’était un fiasco, à la fois terriblement angoissant et raté. J’avais découvert Elvis un peu plus tôt, ça a changé ma vie. Je suis devenu obsédé par la musique. Je crois qu’il y a un garçon solitaire comme ça dans chaque lycée : ce garçon-là, c’était moi.” Gageons que Justin Young aura du mal à retrouver l’isolement ces prochains mois : What Did You Expect from The Vaccines? est sapé pour s’offrir l’approbation des élites et du grand public. “Avant les Vaccines, j’allais au cinéma trois ou quatre fois par semaine pour voir des blockbusters. J’adore le cinéma mainstream, le spectacle.” Il ne fait que commencer. Johanna Seban photo David Balicki album What Did You Expect from The Vaccines? (Sony) concert le 12 juillet à Argelès-sur-Mer (festival les Déferlantes) www.thevaccines.co.uk En écoute sur lesinrocks.com avec

anarchy in the UKulele Pourquoi aime-t-on l’Angleterre ? Parce que l’absurdité et la pop-culture sont des piliers de la nation. Récemment interrogée sur ses habitudes quotidiennes, la reine d’Angleterre, 85 ans, répondit à cette question qui faillit faire chanceler la monarchie vers l’anarchie, voire la république : “Possédez-vous un iPod ?” Eh bien, oui. Comme Barack Obama, qui avoue y entasser des chansons de Stevie Wonder, de Dylan, des Stones, de Jay-Z ou de Bruce Springsteen ; comme Bush, qui y stocke des tonnes de country, mais aussi Joni Mitchell, Van Morrison ou The Knack ; comme François Baroin, qui a chargé le sien de Depeche Mode et de Coldplay, la reine possède un iPod. Et qu’écoute-t-elle ? “Beaucoup de ska.” On me demande parfois pourquoi j’habite en Angleterre : pour ce genre de détails, pour cette intrusion constante dans la vie de tous les jours de ce mélange d’absurdité et de pop-culture qui me sert de fondations. Autre exemple : au Parlement, un vif dialogue opposa le Premier ministre David Cameron à une députée travailliste. Un échange surréaliste entièrement basé sur des titres de chansons des Smiths, le groupe préféré de Cameron – quand bien même Morrissey proposait, dans une chanson, d’envoyer Margaret Thatcher, mentor de Cameron, à la guillotine. L’Angleterre n’a certes pas inventé la pataphysique, mais elle l’a sans doute mise en musique mieux que quiconque, notamment à Canterbury, où une bande d’érudits goguenards (Robert Wyatt en tête) lui offrirent une BO déconnante et libertaire, toujours d’actualité. Idem chez les farceurs du Ukulele Orchestra Of Great Britain qui, avec leurs airs constipés de profs de Cambridge, s’approprient des classiques, notamment punk (des Undertones à Nirvana), à forts renforts de ukulélés déchaînés. Titre d’un de leurs shows : Anarchy in the UKulele. Mieux que les Sex Bidochons.

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Arcade Fire deluxe en juin Grammy en poche et prêts à écumer les festivals d’été, les Canadiens offriront le 27 juin, veille de leur concert francilien au Zénith de Paris, une édition deluxe de leur troisième album, The Suburbs, où apparaîtront notamment deux nouveaux titres, Speaking in Tongues et Culture War. Le coffret sera aussi accompagné d’un DVD du très attendu court métrage du groupe réalisé par Spike Jonze, Scenes from the Suburbs, dont un trailer traîne déjà sur leur site. www.arcadefire.com

Vague electro-pop au Roxy Jam Rendez-vous estival des meilleures surfeuses mondiales et des mélomanes, le Roxy Jam accueillera cette année pour sa sixième édition le groupe suédois The Sounds, le duo onirique Lilly Wood & The Prick (photo) et les excellents Bordelais Pendentif. Le festival, entièrement gratuit, se déroulera du 13 au 17 juillet à Biarritz.

Sonic Youth et Nirvana en DVD cette semaine

Sung Yull Nah

Escales en France pour Noah & The Whale Jazz au Parc floral Pour les petits oiseaux du Parc floral, la concurrence s’annonce déloyale : le Paris Jazz Festival revient tous les week-ends du 11 juin au 31 juillet au bois de Vincennes, avec David Murray, Omar Sosa, Ballaké Sissoko & Vincent Segal, Youn Sun Nah (photo), Daniel Mille et beaucoup d’autres. Le tout pendant les heures d’ensoleillement, pour le prix modique d’une entrée au parc… www.parisjazzfestival.fr

Trois ans après The First Days of Spring, les Anglais signe un brillant retour avec Last Night on Earth, troisième album bourré de tubes aussi eighties que symphoniques à découvrir sur scène. Le 27 avril à Rouen, le 28 à Paris (Gaîté Lyrique)

neuf

The Ramones Appleblim

Henning On se surprend à souvent remettre sur la platine, voire à siffler dans le soleil la pop extravagante et culottée du Franco-Allemand Henning, dont le deuxième album Eté 2008 – Winter 2009 offre une suite séduisante aux chansons chimériques de Sébastien Tellier ou Alexandre Chatelard. www.myspace.com/henningspecht

A tous les nostalgiques qui pleurent devant leur illisible VHS de 1991: The Year Punk Broke, documentaire retraçant la tournée européenne de Sonic Youth et Nirvana, Universal devrait redonner le sourire. Pour fêter les vingt ans de la sortie du documentaire réalisé par Dave Markey, un DVD devrait en effet enfin voir le jour cette année, accompagné d’un film bonus, (This Is Known As) The Blue Scale, contenant des extraits inédits de concerts de Sonic Youth et de Nirvana, et d’interviews de Thurston Moore, J Mascis de Dinosaur Jr. et Markey dont des extraits sont déjà sur le net. www.wegotpowerfilms.com

Invité, entre autres trafiquants d’exception (Animal Collective, Thurston Moore, Sebastian…), de Villette Sonique, l’Anglais Appleblim viendra déchirer la nuit de son dubstep compacté et de ses basses orgiaques. Un minimalisme glaçant venu de Bristol, où la lave tremble sous la banquise. www.myspace.com/appleblim

Big Audio Dynamite Au milieu des années 80, à peine remis de son départ de The Clash, Mick Jones et quelques furieux gogo-danseurs offraient à sa guitare rasoir des beats hip-hop et des prototypes d’electro-rock. Acte fondateur d’une scène fêtarde et rageuse, B.A.D. se reforme pour quelques festivals d’été, dont Rock en Seine. www.myspace.com/bigaudiodynamite

A l’occasion d’un recueil de nouvelles récemment publié sur les affreux jojos du punk-rock américain, saluons les Ramones et leur imbécillité formidable, dix ans après la mort de l’irremplaçable Joey Ramone, ami du cuir, de la frange démolie et du “1, 2, 3, 4” forcené mais réglementaire. C’te classe ! http://ramonesworld.com

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“grâce au Fair, on a pu bénéficier des conseils d’un scénographe” Le Prince Miiaou

Florent Marchet, passé par le Fair en 2005

Fair : l’amour Depuis plus de vingt ans, Le Fair soutient en France les artistes en développement. Dans le cadre du bien nommé Fair : le Tour, les lauréats de la sélection 2011 se promènent dans les salles françaises.

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ous sommes en 1989 : c’est le bicentenaire de la Révolution, certes, mais surtout la date de création du Fair (Fonds d’action et d’initiative rock). En pratique, l’association soutient chaque année le démarrage de carrière d’une quinzaine d’artistes domiciliés en France. Plusieurs axes sont développés : aide financière, promotion, conseil et formation. Petit résumé de Mathias Malzieu, passé par la sélection avec Dionysos il y a quelques années : “Le Fair est intervenu au moment charnière du choix entre les études et la musique, ça nous a donné les moyens financiers de partir en tournée et d’enregistrer de véritables maquettes pour un prochain album.”

Outre Dionysos, la liste des artistes aidés par le Fair au fil des ans est impressionnante : Yelle, Stuck In The Sound, Spleen, Olivia Ruiz, Florent Marchet, La Rumeur, Louise Attaque, Matthieu Boogaerts, IAM, NTM… Le cru 2011 confirme la richesse des castings : Cascadeur, Twin Twin, Yeti Lane, Le Prince Miiaou… Tous participent à la tournée mise en place chaque année par l’association, drôlement baptisée Fair : le Tour. Dans les salles de France, de Rennes à Annecy, de Strasbourg à Montpellier, les artistes enchaînent les concerts et donnent l’occasion aux groupes régionaux d’assister à une rencontre informative. Les représentants du Fair rappellent alors aux artistes

en herbe l’importance de l’entourage, les nouvelles structures de l’industrie du disque, le rôle des éditeurs. Ces réunions, aussi informelles que sympathiques, sont aussi l’occasion de confirmer le dynamisme des Smac (Scènes de musiques actuelles) qui participent à la tournée : la plupart d’entre elles mettent à la disposition des groupes locaux des studios de répétition, les conseillent, les accompagnent dans leurs démarches juridiques… C’est à Angers, dans les bureaux de la dynamique salle du Chabada, qu’on rencontre les jeunes groupes de la ville : le trio The Dancers, qui entame, après s’être renseigné sur les tourneurs nationaux, une reprise

bondissante d’un morceau de La Roux, sous les yeux d’un ancien enfant du Fair en concert ce soir-là : Florent Marchet. En première partie de celuici, un des lauréats de la sélection 2011, Frànçois & The Atlas Mountain. Encore méconnue en France, la formation de ce jeune Charentais a déjà séduit le label anglais Domino (Arctic Monkeys, The Kills, Franz Ferdinand). Leur pop teintée d’arrangements world pourrait ainsi s’offrir un succès international. Deux semaines plus tard, c’est à l’Astrolabe d’Orléans que l’on retrouve Moriarty et Maud-Elisa Mandeau du Prince Miiaou. Si la jeune Charentaise (décidément) confie sa trouille de monter sur scène, elle admet y être aujourd’hui plus à l’aise grâce à l’aide d’un professionnel, appelé en renfort après sa sélection au Fair 2011. “Grâce au Fair, on a pu bénéficier des conseils d’un scénographe. Il nous a appris comment se comporter pendant nos concerts. C’est lui qui nous a suggéré d’installer ces étendards sur scène, ça donne un côté plus solennel”, confie-t-elle. Toutes griffes et riffs dehors, c’est entre ces drapeaux blancs que la belle mettra la foule dans sa poche quelques heures plus tard, portée par son rock schizophrène, à la fois magistral et minimaliste. Un véritable savoir-Fair. Ondine Benetier et Johanna Seban concerts le 14 mai à Strasbourg (Florent Marchet + This Is The Hello Monster !), le 21 à Auxerre (Twin Twin + Quadricolor), le 28 à Besançon (Hindi Zahra + Frànçois & The Atlas Mountains), le 17 juin à Rouen (Moriarty + This Is The Hello Monster ! + Djazia Satour) www.lefair.org 27.04.2011 les inrockuptibles 85

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Hubert à l’aise Héros discret de la pop française, l’ancien amuseur public de L’Affaire Louis Trio est de retour. Homme de bien et de lubies, Hubert Mounier sort dans le même temps un album et une BD autobiographique.

Haight-Ashbury Here in the Golden Rays Lime/Socadisc

Sales, hirsutes, défoncés : des Ecossais rêvent de Californie. Du nom du groupe à la pochette, les apparences sont trompeuses : non, Here in the Golden Rays n’est pas la réédition d’un trésor caché de la Californie 60’s. Mais au moins sa descendance dégénérée. Originaires d’Ecosse, deux filles et un garçon, qui sonnent assez exactement comme un croisement entre The Jesus and Mary Chain et The Mamas And The Papas. Des harmonies vocales survolant un nuage de fumée toxique, les éclairs bluesy d’une guitare électrique brute épaisse, une rythmique économe, voire new-wave. La musique est tendue, les voix dilatées, le tout sale et sexy, sans doute drogué : ces hippies qui piquent rappellent aussi les Kills, du temps où les Kills sortaient de bons disques. Stéphane Deschamps concert le 28 mai à Paris (104, soirée Nuit ouf) www.myspace.com/ haightashburyuk



e petit artisan indépendant et idéaliste qui sommeille en tout songwriter pop se réveille parfois avec des bulldozers devant sa porte. On se souvient d’Andy Partridge, il y a quelques années, contraint de mettre en grève son groupe XTC face à l’implacable surdité de sa maison de disques. Hubert Mounier,

à bien des égards cousin français du précédent, a pour sa part reçu de son précédent label une lettre de licenciement et dû engager un procès aux prud’hommes comme un employé classique. C’est l’un des épisodes cocasses et cruels que l’on retrouve dans La Maison de pain d’épice – Journal d’un disque, la formidable bande dessinée qui raconte la gestation de

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“j’ai appris avec le temps à rebondir sans me faire trop mal” La Maison de pain d’épice, troisième (et formidable) album solo de l’ex-chanteur de L’Affaire Louis Trio. Derrière sa planche à dessin, Hubert redevient pour l’occasion Cleet Boris, signant sa BD du nom du personnage qui lui servait d’armure zazou lors des périples à succès des années 80-90, quand la France entière dansait sur sa Chic planète et embarquait à bord du somptueux vaisseau Mobilis (in mobile). D’un trait clair et turbulent, qui rappelle le maître Yves Chaland, et avec l’humour acide et élégant de Dupuy & Berberian, Journal d’un disque fait la chronique précise de l’enregistrement en même temps qu’il purge quelques abcès anciens – la gloire, le retour de bâton trempé dans l’alcool – et d’autres encore à vif. Ainsi, on y apprend avec stupeur et tristesse que la relation quasi filiale qu’entretenait depuis des années Mounier avec son plus brillant disciple Benjamin Biolay fut entaillée lors de l’enregistrement de l’album. Omniprésent au départ, Biolay se retrouvera très vite pris dans le tourbillon de La Superbe – avec ses dommages collatéraux dans la presse people –, abandonnant son camarade en pleine campagne. “J’ai appris avec le temps à rebondir sans me faire trop mal. Que les choses se soient passées comme ça, c’est dommage d’un point de vue personnel et amical, mais artistiquement ça a peut-être apporté une autre impulsion à l’album.” S’il n’hésite pas à louer l’apport primordial de Biolay sur le choix des chansons, Mounier n’en est pas moins heureux d’avoir saisi ce coup du destin pour prendre le sien un peu plus fermement en main que sur les deux précédents. “J’avais envie d’accentuer encore un peu plus mon côté pop, avec l’envie de jouer ces chansons sur scène. Un peu plus rock aussi, ce qui correspond plus à ma culture qu’à celle de Benjamin. Mon père écoutait Elvis, j’ai connu ma période hard-rock, on n’a pas eu tout à fait la même éducation.” Reste que les influences profondes de Mounier (et de Biolay), qui affleurent le plus nettement de La Maison de pain d’épice, tournent toujours autour du chaudron magique des Beatles et de XTC. L’angélisme mélodique à la McCartney

prend d’emblée sous son aile Rien de mieux à faire, très accueillante porte d’entrée de cette maison du bonheur, et la visite complète de l’endroit n’assombrira jamais tout à fait l’optimisme retrouvé du propriétaire. “C’était bizarre parce que j’allais de mieux en mieux, et pendant ce temps la France allait de plus en plus mal, il y avait comme une balance.” Dans la BD, des pages attendries sur une idylle sans nuage et sur la paternité se racornissent soudainement lorsque surgit la disparition d’un proche – François Lebleu, le Bronco Junior de L’Affaire Louis Trio, mort d’une attaque cérébrale en 2008. Dans les chansons de Mounier également, il y a toujours ce voile d’anxiété qui recouvre légèrement la douceur apparente des choses. La Maison de pain d’épice, métaphore amusée de la déconfiture de l’industrie du disque, renferme ainsi à la fois les notes d’espoir et leurs contrepoints mélancoliques d’un garçon qui a connu l’âge d’or et ses lendemains de plomb, les farandoles de desserts et la traversée du désert. Le savoir toujours en piste a quelque chose de profondément réconfortant. Christophe Conte album La Maison de pain d’épice (Naïve) www.myspace.com/hubertmounier En écoute sur lesinrocks.com avec BD La Maison de pain d’épice – Journal d’un disque (Dupuis)

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various artists Ishumar 2 – Nouvelles guitares touarègues Reaktion

Young Knives Richard Dumas

Ornaments from the Silver Arcade Pias

Tindersticks Claire Denis Film Scores 1996-2009 Constellation/Differ-ant

En coffret et en concert cette semaine, les BO réalisées par les Tindersticks pour Claire Denis. n coffret regroupant l’ensemble des bandes originales composées par les Tindersticks pour la réalisatrice Claire Denis : c’est le genre d’objet que l’on s’attend plutôt à découvrir durant la saison des “fêtes”… Enfreignant les règles du jeu de la société spectaculaire marchande, Constellation, label québécois dont les (beaux) idéaux ne sont pas que musicaux, a choisi le printemps pour mettre en circulation cet objet susceptible de ravir les mélomanes aussi bien que les cinéphiles. Couvrant près de quinze ans de complicité, de Nénette et Boni (1996) à White Material (2008), cette anthologie permet de vérifier que la musique des Tindersticks, toute de luxuriance mélancolique et de légèreté somnambulique, s’accorde très bien au cinéma de Claire Denis – leur union culminant avec le vénéneux Trouble Every Day (2001) – mais peut aussi parfaitement s’en détacher, sans perdre de sa substance ni de sa prestance. Jérôme Provençal

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concert le 28 avril à Paris (église Saint-Eustache) www.tindersticks.co.uk

Le post-punk en tweed de trois nerds anglais. S’ils n’avaient pas préféré les guitares aiguisées aux livres de comptabilité, leurs cravates bien serrées et leurs chemisettes à manches courtes leur auraient sans aucun doute donné le titre d’employé du mois d’une banque d’Ashbyde-la-Zouch, leur ville d’origine. Plus enclins à gratter frénétiquement leurs cordes qu’à soigner leur look, les Young Knives gagnent un temps précieux pour peaufiner l’efficacité mathématique de leurs mélodies et savater, au passage, les fesses de leurs mollassons compatriotes avec leur post-punk nerveux, au groove instantané. Ondine Benetier www.myspace.com/ theyoungknives En écoute sur lesinrocks.com avec

Panorama luxuriant des musiques du Sahara : blues et underground. Inspiré du mot français “chômeur”, “ishumar” désigne les musiciens touaregs. En 2011, les plus connus des ishumars ne manquent pas de boulot : Tinariwen, Tamikrest, Terakaft ou la révélation Bombino sortent de nouveaux albums. Qui ne devront pas faire d’ombre à la compilation Ishumar 2, cerise sur le désert consacrée à l’underground du blues saharien. Editée par une maison de confiance (le label qui a sorti le premier véritable album de Bombino, un chefd’œuvre), la compile confirme la richesse et la diversité du genre. Stéphane Deschamps www.re-aktion.com En écoute sur lesinrocks.com avec

The Low Anthem Smart Flesh Bella Union/Cooperative/Pias Frugal et recueilli, un groupe qui fait passer Fleet Foxes pour la fête du slip. Sur son quatrième album, The Low Anthem sonne, au choix, comme des Fleet Foxes prisonniers de pièges à loups, ou un Bon Iver à cours de vivres dans sa cabane du Wisconsin. Les folk-songs de ce quatuor de Rhode Island sont, avec leurs banjos boiteux (I’ll Take out Your Ashes), leurs harmonicas rouillés (Matter of Time) et leurs solos de clarinette aux airs de signaux de détresse (le bel instrumental Wire), parmi les plus frugales et douloureuses qu’il vous sera donné d’entendre en 2011. Dommage qu’un tiers d’entre elles, des plus anodines, côtoient les merveilles absolues de recueillement serein, d’escapade onirique I’ll Take out Your Ashes ou Wire, dignes du meilleur Leonard Cohen. Benjamin Mialot www.myspace.com/lowanthem En écoute sur lesinrocks.com avec

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Arbouretum The Gathering Thrill Jockey/Pias

souvent réduites à un murmure, un soupir, un soupçon de grandeur. Et de The Lull à Not a Friend, ce sont les plus grandes heures du label 4AD que ravivent ces chants d’éther, somptueusement enguirlandés, onctueusement hantants. Car la production est ici assez prodigieuse, évoquant les trésors d’imagination que déployait à Londres, alors que Spector triomphait aux EtatsUnis avec son mur du son, le pauvre Joe Meek et son mur de briques sombres. Dans ces dédales, la nuit, tous les chats sont gris. JD Beauvallet

Les hirsutes électriques de Baltimore déçoivent avec leur rage sage. Arbouretum n’a jamais eu grand-chose pour lui. Ni la radicalité de Om, ni la venimosité d’Electric Wizard, ni la puissance d’Hermano, ni le groove des Queens Of The Stone Age. Ce qui n’empêchait pas les albums de ce quatuor de Baltimore, équivalents sonores d’un trek dans les sèches et venteuses Grandes Plaines, de faire leur effet auprès des aficionados de desert rock. The Gathering ne fait pas illusion longtemps : privé des nuances acoustiques de ses prédécesseurs, il est d’une désolante banalité. Benjamin Mialot

www.catseyesmusic.com En écoute sur lesinrocks.com avec

www.myspace.com/ arbouretum

Cat’s Eyes Cat’s Eyes Loog/Cooperative/Pias

La pop émerveillée d’un duo anglais mené par le leader des Horrors. ’m Not Stupid, s’offusque une chanson, ravissante. Et effectivement : candide, naïve, enfantine, émerveillée, cette pop-music l’est, mais jamais nunuche, greluche, baluche. Derrière cette pop en Chamallow, derrière ces voix le plus souvent sylphides, derrière cette euphorie pâlichonne se dissimule pourtant un homme, aux idées noires en plus : le passionnant Faris Badwan, qui délaisse ici le psychédélisme chamarré de The Horrors pour une aventure lo-fi, bonsaï, plutôt noir et blanc, aveuglante de clarté. Il chante peu, laissant les psalmodies à une chanteuse d’opéra, la Canadienne Rachel Zefira, qui plane, spectrale, au-dessus de torch-songs à la Carpenters,

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deux postures, deux disques somptueux, une même vérité

frères jazz Zigotos agités du jazz d’ici, les frères Belmondo reviennent ensemble, mais séparément. Des projets très différents, mais nourris d’un même don de soi pour ces boulimiques d’expériences.

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téphane et Lionel Belmondo sortent deux albums simultanément, mais séparément. L’événement a de quoi intriguer ceux qui suivent le parcours assez solidaire des deux frangins les plus connus de la “jazzosphère” hexagonale. Quand Stéphane, le trompettiste, propose son The Same as It Never Was Before flanqué d’un quartet inédit, Lionel, le sax, revient avec Hymne Au Soleil, l’orchestre avec lequel il avait réalisé un vieux rêve en 2002 : unir dans un même souffle jazz et musique classique française du XXe siècle. “C’était le moment de s’affranchir l’un de l’autre”, glisse Stéphane. “Mais on n’est pas fâchés”, rassure Lionel, l’aîné. D’ailleurs, ils ont des projets communs et Stéphane prend des solos sur Clair obscur, l’album

de Lionel, dont un remarquable sur 3 + 2 + 3, où les ébats de sa trompette sont à la fois couvés et stimulés par le ténor de son frère. L’instinct protecteur, la rivalité, la quête d’indépendance s’expriment dans cet échange des sentiments qui n’appartient qu’à eux, qu’ils transposent en notes sublimes, comme seuls deux musiciens aussi liés qu’éminemment doués peuvent le faire. Pour Stéphane, l’actualité, c’est ce disque en quartet avec deux de ses idoles, le batteur Billy Hart et le pianiste Kirk Lightsey. Pour Lionel, ce sont différents projets avec le label B-Flat, dont un enregistrement avec un chœur liturgique letton et un autre autour de la musique du Grateful Dead. En filigrane, cette même envie de sortir les répertoires de leurs ghettos, de révéler l’existence d’un

passage secret qui conduit d’Erik Satie au guitariste du Dead Jerry Garcia. A l’âge de la maturité et des premiers bilans, il leur faut à chaque fois reprendre l’histoire. Par le début, quand ils travaillaient leurs instruments douze heures par jour dans l’école de musique montée par leur père dans un village du Var. “On jouait Bizet, Count Basie et les Pink Floyd”, se souvient Lionel. “Notre ouverture vient de là”, ajoute Stéphane. Cette quête d’une harmonie par-delà les harmonies, d’un horizon qui réunirait tous les cieux de la musique, savante et populaire, est au centre de leur travail. Ça, et les rencontres, les amitiés forgées dans les clubs, au gré de sessions, puis à la manœuvre de projets personnels. Ce qui étonne chez eux, c’est d’abord cet émerveillement enfantin qu’ils ont préservé et qui transparaît à chaque disque. Avoir été dirigé par des pointures comme Gil Evans ou Michel Legrand, suscité l’admiration de Chet Baker et d’Horace Silver, participé à mille et une séances au terme de mille et une nuits de studio n’a pas entamé leur passion de jouer, d’arranger, de réveiller dans l’âme du jazz ce désir du don de soi à l’autre. Faire passer la musique de Stevie Wonder (Stéphane) ou de Yusef Lateef les avait définitivement classés comme hétérodoxes éclairés, concepteurs d’une unité esthétique par le plaisir de jouer et la volupté du son. C’est ce même absolu qu’ils poursuivent séparément. Stéphane, avec une formation réduite, fait voyager sa trompette et ses conques entre New York et l’Afrique, entre hard-bop élégant et ethno-jazz mystérieux. Lionel, à la manière d’un impressionniste, enduit de pigments fauves et de jaspures délicates des pièces écrites par Satie, Fauré ou Bill Evans. Deux postures, deux disques somptueux, une même vérité. Francis Dordor photo Sébastien Filosa Stéphane Belmondo The Same as It Never Was Before (Verve/Universal) En écoute sur lesinrocks.com avec Lionel Belmondo – Hymne Au Soleil Clair obscur (B-Flat/Discograph) En écoute sur lesinrocks.com avec concerts Lionel Belmondo & Hymne Au Soleil, le 21/05 à Paris (Trianon) ; Stéphane Belmondo Quartet, le 16/06 à Paris (Café de la Danse) www.myspace.com/stephanebelmondo www.myspace.com/lionelbelmondo

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Gen Murakoshi

Yuck Yuck Fat Possum/Cooperative/Pias Quatre gamins réinventent le rock slacker : couillon et bon. ls ne peuvent même pas se permettre d’être nostalgiques : les quatre Anglais n’étaient sans doute que des rikikids en Pampers souillées quand les héros qu’ils citent à longueur de chansons nous faisaient porter des jeans déchirés, exploser les tympans ou glander en skate. On ne mettra donc pas Yuck, premier album éponyme d’un groupe qui comporte dans ses rangs deux anciens Cajun Dance Party, sur l’incapacité d’adulescents vieillissants à accepter le crépuscule du premier quart de vie. Ni moines copieurs-colleurs, ni posture passéiste et réactionnaire chez Yuck, donc. Les quatre garçons pleins de passé jouent cette musique branleuse et de traviole simplement, et très sainement, parce qu’ils adorent ça – avec plus de foi que pas mal des reformations fiscales de vieilles gloires 90’s comme Pavement, Dinosaur Jr., Weezer ou même les Pixies. Car Yuck sait écrire de sacrées putains de bonnes chansons, comme on écrivait alors. Dans le son, l’autoproduit Yuck est plus slacker yankee que dandy britannique : distordu et en accidents constants, jamais trop carré malgré les grosses rythmiques martiales. Dans l’âme, en revanche, les Londoniens n’ont pas revendu les bijoux de la reine, c’est ce qui fait leur sève : le tube leur est congénital, la mélodie leur colle aux Converse et, si on préfère généralement quand ils font les cons en montrant leurs boules poilues à toutes les passantes (The Wall, parfaite, Holing out, pas mieux) que quand ils essaient de rouler des pelles à la guimauve, on prend avec Yuck un grand, intense et vieux pied. Thomas Burgel

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www.myspace.com/yuckband

Moriarty The Missing Room Air Rytmo/Believe

Cold Cave Cherish the Light Years Matador/Beggars/Naïve

Visite guidée et guindée de la new-wave qui tire la tronche. Oubliez tout ce que vous croyiez savoir sur Wes Eisold. Oubliez le poète nihiliste et le surdoué de la synth-pop, il n’est en fait qu’un tribute singer qui ne dit pas son nom. La faute à Cherish the Light Years, deuxième (et donc décisif) album surproduit dont l’écoute s’apparente à la visite d’un musée de cire Madame Tussaud. Depeche Mode, The Cure, Joy Division, New Order, ils sont tous là, impeccablement modélisés (rythmiques primitives, claviers luisants, chant le menton rentré), désastreusement inanimés. Benjamin Mialot

Enregistré live en studio, un album sexy et âpre de country journalistique. La démarche, têtue et indépendantiste, dont les Franco-Américains rêvaient en créant leur propre label est résumée dès les premières mesures de l’album, en une musique âcre et faussement sereine, un cabaret en sépia, aux étranges réverbérations, samples d’imprécateur des rues et raclement métallique de la guitare à résonateur. La musique, crépusculaire, ourlée de claquements de contrebasse, s’emballe parfois dans quelques rythmes de square-dance et offre ainsi la plus belle acception qui soit d’un échange entre les instruments et le chant (toujours sublimement étrange). Country journalistique (qu’aperçoit-on de la fenêtre du bus lorsqu’on est musicien en tournée ?), la musique de Moriarty pose toujours ses valises dans le silence touffu d’une salle d’attente de gare, là où la petite Julie Gold s’invente un destin de chanteuse. Un album remarquable et envoûtant. Christian Larrède www.myspace.com/moriartylands festivals Solidays à Paris (25 juin), Eurockéennes de Belfort (3 juillet), Paleo Festival de Nyons (23 juillet)

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Marina Céleste The Angel Pop Cam-Ly Records

Bill Callahan Apocalypse Drag City/Pias Inflexible et juste, Bill Callahan, leader inquiétant de Smog, ne deviendra jamais une gravure de mode : hobo, pas bobo. n jour, on a continuera à nous américaine entre arrêté de compter surprendre tout en le canyon et le ciel étoilé, les albums creusant le même sillon. des traces et des strates de Bill Callahan Ou, comme disait de folk, de blues, de soul, (anciennement Smog), Héraclite : “On ne se baigne de rock, voire d’afrobeat songwriter américain en jamais deux fois dans – America!, étrange transe activité depuis vingt ans. le même fleuve.” déshydratée. Des chansons Mais on a toujours pu Dans le cas d’Apocalypse, mouvantes, fluides mais compter sur eux. Pour c’est le lit asséché complexes car traversées nous guérir de la coolitude d’un ruisseau au milieu d’arrangements de masse, des néo-folkeux du désert. Apocalypse est imprévisibles. On y entend plus intéressants pour un album sur le thème de la flûte et du piano, leur style (barbe, chemise du western et des grands rares traits de fraîcheur à carreaux, lunettes mythes américains. dans un disque par ailleurs de mémé) que pour Bill Callahan y parle de tendu, écrasé par le soleil. leur musique. David Letterman, imite Bill Callahan à son zénith, Les disques de Bill le sifflement du serpent à sans l’ombre d’un cliché. Stéphane Deschamps Callahan ne sont pas cool, sonnettes et écrit du point mais c’est the real thing, de vue d’un cheval. no bullshit, man : de la Un album western, mais concerts le 19 mai à Lille, musique d’auteur, comme pas country. De sa voix le 20 à Paris (Café de la Danse) www.dragcity.com on dit cinéma d’auteur. à la fois basse et acide, Avec un point de vue, Bill Callahan conduit un parti pris esthétique, un troupeau de chansons du grain, le souci du détail, sauvages sur un territoire l’ambition de bâtir sans frontières, vers une œuvre unique et la falaise. inépuisable. Bill Callahan Son groupe joue comme n’est pas loin d’être le seul un seul homme, sans chanteur dont on sait que se poser la question des chaque nouvel album genres. C’est de la musique

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Les délices sensuels et parfois excentriques d’une évadée de Nouvelle Vague. Pour qui a fréquenté alors les autoradios, les supermarchés, les fêtes foraines, cette chanson interdit à elle seule tout revival eighties : Beds Are Burning, de Midnight Oil. Mais pour avoir fait ses classes au sein de Nouvelle Vague, Marina Céleste en connaît un rayon en matière de détournement suave de rengaines évidées par le temps. Ici épaulée par l’immense Terry Hall (The Specials, Fun Boy Three), elle transforme cet hymne braillard en ballade sensuelle et inquiète, vierge de toute réminiscence. Et réédite l’exploit en adaptant en français coquin l’empressé Orgasm Addict des Buzzcocks, devenu un lent et nébuleux Accro aux bimbos, passé des briques de Manchester aux sables de Copacabana sans rien perdre de sa sexualité volcanique. Et tout au long de ses propres chansons, c’est ce mélange d’euphorie et de mélancolie propre aux graves et innocentes pop-songs des années 80 qu’entretient avec tendresse Marina Céleste : “Comme un enfant…” JD Beauvallet www.marinaceleste.fr

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William Fitzsimmons Gold in the Shadow

Kelechi Amadiobi

Grönland/Pias

Seun Anikulapo Kuti & Egypt 80 From Africa with Fury: Rise Because Le benjamin de la famille Kuti reprend l’orchestre paternel. Guerrier. ans la famille Kuti, il y a le fils aîné Femi et le benjamin Seun. L’un cherche à dépasser le père, l’autre à le réincarner. Une rivalité les a opposés à la mort de Fela en 1997, lorsqu’il a fallu désigner un héritier à la couronne de roi de l’afro-beat. Seun n’avait que 15 ans à l’époque. Il pouvait compter sur Egypt 80, formation que dirigeait son père, mais ne disposait d’aucun moyen. Mais le match semble aujourd’hui tourner à l’avantage du plus jeune, dont le premier atout est l’énergie phénoménale de ses 29 ans, qui embrase ses concerts et transforme ce second album en une monstrueuse éruption de vitalité. Stylistiquement, la rupture est nette : là où Femi entend ouvrir l’afro-beat à d’autres courants – le jazz notamment –, Seun veut juste en faire une locomotive pour danser et une machine de guerre, le son de la révolution africaine en marche. Supplétif prestigieux à la réalisation des morceaux enregistrés au Brésil, Brian Eno n’a d’ailleurs pas eu loisir d’ajouter grand-chose à une musique dont la puissance brute se suffit amplement à elle-même, et dont la rhétorique reste inchangée : mort aux oppresseurs de tout poil ! Fela s’en prenait à la compagnie de téléphone I.T.T., ou à celle d’électricité N.E.P.A. En phase avec la mondialisation, Seun s’attaque à Monsanto et Halliburton. Dans son dos, tatoué en grosses lettres, on lit un “Fela lives !” irréfutable.

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Sobre et élégant, le nouvel album d’un barbu au songwriting classieux. Le principe est simple : être américain, se laisser pousser la barbe et développer un certain attachement aux folksongs jolies et gentiment patraques. Les représentants du genre sont nombreux : Bon Iver, Iron And Wine, Josh T. Pearson… Moins réputé, William Fitzsimmons assure pourtant pas mal dans cette catégorie de songwriter mélancolique à barbe. Gold in the Shadow, son nouvel album, le positionne clairement comme l’héritier le plus légitime de Sufjan Stevens, à l’époque où ce dernier officiait dans le folk épuré. Mêmes guitares gambadantes, mêmes voix doublées, même douceur générale. Du folk de cabane, de la musique de ficelle, qui n’a pas peur d’enfiler par moments une robe électronique comme échappée d’un recueil de The Postal Service (Fade and Then Return – on y retournera souvent). Crise du disque oblige, Gold in the Shadow ne se vendra certainement pas beaucoup : c’est bien dommage, tant c’est un disque qui te tient qui me tient par la barbichette. Johanna Seban www.williamfitzsimmons.com En écoute sur lesinrocks.com avec

Francis Dordor www.myspace.com/seunkuti 27.04.2011 les inrockuptibles 93

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Simon & Garfunkel Bridge over Troubled Water Sony Music Réédition, pleine de beaux bonus, de l’ultime album de Simon & Garfunkel. uarante ans après éponyme (25 millions le duo est parvenu à sa sortie, Bridge de ventes !), Bridge over développer un univers pop over Troubled Water, Troubled Water, sorti à partir d’un son de facture le dernier album classique – il voue le même en janvier 1970, est le chant de Simon & Garfunkel, fait du cygne de dix ans d’espoir, amour aux Everly Brothers l’objet d’une plantureuse la bande-son d’une qu’à Beethoven. réédition. Outre l’œuvre Amérique en guerre contre Parmi une multitude originale et son concentré le Vietnam. Il annonce d’anecdotes, on apprend de tubes (Bridge over une décennie en forme ainsi que les chœurs Troubled Water donc, mais de gueule de bois, à du titre The Boxer ont été aussi El Condor pasa, laquelle Simon et Garfunkel enregistrés dans The Boxer, Cecilia), le disque la chapelle de l’université ne participeront que inclut un live enregistré séparément : le duo explose de Columbia ; que en pleine année érotique. un an après les Beatles, le groupe, en résidence Surtout, il s’accompagne en 1971. Johanna Seban à Los Angeles, préféra, en DVD d’un documentaire aux surfaces des batteries inédit et formidable. classiques, le denim www.simonandgarfunkel.com En écoute sur lesinrocks.com Intitulé The Harmony de ses jeans Levi’s avec Game, ce film réunit images pour les percussions de d’archives et témoignages Cecilia ; qu’il demanda récents des protagonistes aux 10 000 spectateurs de l’histoire : manager d’un concert dans l’Iowa (Mort Lewis), producteur d’assurer les percussions (Roy Halee), musiciens… de Bye Bye Love en tapant Tout le monde est un peu dans leurs mains… vieux, mais l’histoire Malgré le succès de est superbe. L’épluchage l’album (certifié huit fois de chaque titre permet disque de platine) et de comprendre comment le triomphe de son single

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Concrete Knives You Can’t Blame the Youth AKA/Family Tree Mixtes, euphorisants et tubesques, des Normands appelés aux plus hautes fonctions. ous ne pouvez pas le régénérante et sacrément reprocher à la jeunesse”, piquante. Très vite, les Concrete hurle le titre de ce premier Knives seront un secret trop lourd ep. Eh bien si, justement. à garder pour la seule France : Tout ça, c’est à cause d’elle, leur electro-pop au cordeau, donc grâce à elle. Tout ça, c’est dont chaque refrain est source l’insolence, la frénésie, la de sourires idiots et de jubilation, la danse en vrac, la tête déhanchements hasardeux, dans le sac : tout ça, c’est la pourrait très facilement suivre pop-music. Et qui a vu sur scène les pas de géants de Phoenix : le groupe mixte normand sait de Brand New Start à Happy à quel point les Concrete Knives Mondays, les tubes (à essais) ne la traitent avec tous les égards, manquent pas. Plus de soixante ans c’est-à-dire en la castagnant après le débarquement un peu, en la toisant de haut, en Normandie des Anglo-Saxons, en riant follement dans ses bras, ça va être l’inverse. JD Beauvallet en la détournant aux électrodes de sa petite raison gardée, www.concreteknives.com en l’astiquant avec voracité En écoute sur lesinrocks.com de pommade affermissante, avec

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Brian Eno Glitch Artiste prolifique, excentrique fameux et génie immortel, Brian Eno continue d’évoluer. Ce nouveau titre est un ovni progressif, saccadé et, finalement, simplement brillant. brian-eno.net

Kurt Vile Baby’s Arms Admirablement épanouie, la musique de Kurt Vile se fait de plus en plus prodigieuse et rarissime. Déjà cité comme une figure musicale importante, l’Américain continue de disséminer ici ses beautés naturelles et aliénantes. www.mtvhive.com

Hyphen Hyphen Never Ever La promenade des Anglais n’a jamais aussi bien porté son nom. Après la sensation Quadricolor, un autre quatuor niçois vient assortir tempérament méditerranéen et electro-rock britannique. Hyphen Hyphen insiste sur les refrains étourdissants et réussit le mariage de la cadence et de la mélodie. www.lesinrockslab.com

Goldigger Heads or Tails Il a seulement 17 ans et reçoit déjà l’appui de Brodinsky ou de Don Rimini : avec cette première production étourdissante, à faire devenir dingue les dance-floors, Goldigger se promet un futur radieux, un avenir en or. soundcloud.com/goldigger 27.04.2011 les inrockuptibles 95

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Dès cette semaine

American Post Punk Night 15/5 Paris, Batofar, avec Rhys Chatham, Pere Ubu, etc. Angus & Julia Stone 27, 28, 30/4 & 1/5 Paris, Trianon Animal Collective 27/5 Paris, Grande Halle de la Villette

Discodeine 27/5 Paris, Grande Halle de la Villette

Arcade Fire 28/6 Paris, Zénith Art Rock Du 9 au 12/6 à Saint-Brieuc avec The Hives, Yelle, The Joy Formidable, Klaxons, Florent Marchet, etc. Beirut 12/9 Paris, Olympia Blackfield 29/4 Paris, Trianon The Books 30/5 Paris, La Géode Brigitte 30/4 Colmar, 5/5 Marseille, 6/5 Avignon, 7/5 Nancy, 8/5 Neufchâteau, 12/5 Lyon, 13/5 Toulouse Buzzcocks 11/5 HérouvilleSaint-Clair, 12/5 Creil, 13/5 SaintEtienne, 14/5 Montbéliard, 27/5 Limoges Cascadeur 11/6 Montereau Cat Power 3/7 Paris, Cité de la Musique Current 93 1/6 Cité de la Musique Custom mai #1 18/5 Paris, Nouveau Casino, avec The Heartbreaks, Young The Giant, Singtank et Colourmusic Death In Vegas 27/5 Paris, Alhambra dEUS 25/5 Paris, Flèche d’Or Alela Diane 8/5 Strasbourg, 9/5 Paris, Cigale, 10/5 Lille

Beth Ditto Montée sur ressorts, la chanteuse américaine échappée de Gossip fait ses premiers pas sur scène en solo avec un premier ep disco bâti pour les clubs. 27/5 Paris, Grande Halle de la Villette Stephan Eicher & Philippe Djian 29/4 ConflansSainte-Honorine, 30/4 Villeparisis, 5/5 Meaux, 6/5 Denain, 7/5 Rungis, 18/5 Stavelot, 19/5 Laon, 20/5 Courbevoie, 21/5 Rombas Elysian Fields 17/5 Paris, Café de la Danse, 20/5 Montbelliard, 21/5 Lyon, 23/5 Marseille, 25/5 Bordeaux, 26/5 Pau, 27/5 Saint-Nazaire Les Eurockéennes de Belfort Du 1er au 3/7 à Belfort avec Arcade Fire, Beady Eye, Beth Ditto, Arctic Monkeys, Motörhead, House of Pain, Katerine, Anna Calvi, etc. The Fall (+ Cheveu) 31/5 Paris, Grande Halle de la Villette Festival Beauregard Du 1er au 3/7 à HérouvilleSaint-Clair, avec Motörhead, The Kooks, Kasabian, Anna

Festival Days off Du 30/6 au 10/7 à Paris, Cité de la Musique, avec Fleet Foxes, Cat Power, Peter von Poehl, I’m From Barcelona, etc. Festival Europavox Du 25 au 28/5 à ClermontFerrand, avec Cocoon, Catherine Ringer, Aaron, Boys Noise, etc. Festival Fast & Curious Du 7 au 28/5 à Rouen (106), avec Muscle Music From Detroit, Mo’Boogie, The Sonics, etc. Festival K-Live 27 & 28/5 à Sète avec The Jon Spencer Blues Explosion, Jessie Evans, Servo, etc. Festival Les Nuits secrètes 5, 6 & 7/8 à AulnoyeAymeries avec Katerine, Peter, Bjorn & John, Gablé, Wild Beasts, etc. Festival La Terra Trema Du 27 au 30/4 à CherbourgOcteville, avec Ebony Bones!, Zone Libre vs. Casey, The Luyas, etc. Fleet Foxes 30/5 Paris, Bataclan Fujiya & Miyagi 27/4 Strasbourg, 28/4 Lyon, 29/4 Montpellier, 30/4 Marseille Diamanda Galàs 30/4 Nanterre The Gaymers Camden Crawl Du 30/4 au 1/5 à Londres, avec Saint Etienne, Villagers, Hadouken!, Toddla T, Bo Ningen, Frankie & The Heartstrings, Sound Of Rum, etc. Guillemots 2/5 Paris, Café de la Danse

Hushpuppies 27/4 Paris, Alhambra, 30/4 Bordeaux Inrocks Indie Club mai 27/5 Paris, Flèche d’Or, avec The Leisure Society, Francesqa et Morning Parade Inrocks Lab Party mai 11/5 Paris, Flèche d’Or, avec Young Empires + gagnants Inrocks Lab Is Tropical 8/6 Paris, Point Ephémère Jay-Jay Johanson 30/5 Paris, Café de la Danse Keren Ann 24 & 25/5 Paris, Cigale Kill The Young 29/4 Rambouillet, 30/4 Brétignysur-Orge, 21/5 BourgoinJallieu BB King 30/6 Paris, Grand Rex Kocani Orkestar 29/4 Paris, Grande Halle de la Villette, 1/6 Brest The Kooks 7/6 Paris, Cigale Le Prince Miiaou 30/4 Niort, 3/5 Paris, Café de la Danse, 13/5 Rouillac, 14/5 Vauréal, 26/5 Toulouse Main Square Festival Du 1er au 3/7 à Arras, avec Coldplay, Linkin Park, Arcade Fire, Portishead, The Chemical Brothers, Pj Harvey, Elbow, etc. Florent Marchet 29/4 CergyPontoise, 6/5 Sottevillelès-Rouen, 7/5 Châteauroux, 14/5 Strasbourg, 15/5 Bruxelles, 20/5 Avoine, 21/5 Dijon Mercury Rev joue Deserter’s Songs 25/5 Paris, Bataclan Metronomy 4/5 Paris, Cigale, 21/5 Toulouse, 22/5 Bordeaux, 23/5 Rennes,

24/5 Lyon, 25/5 Tourcoing, 26/5 Strasbourg Mogwai 4/7 Paris, Folies Bergères Thurston Moore 28/5 Paris, Grande Halle de la Villette Nasser 7/5 Guéret, 13/5 Bar-le-Duc, 14/5 Rennes, 17/5 Bruxelles, 20/5 Villeurbanne, 21/5 Nancy, 27/5 Toulouse Noah And The Whale 27/4 Rouen, 28/4 Paris, Gaîté Lyrique Les Nuits botaniques Du 10 au 29/5 à Bruxelles

avec Sufjan Stevens, Animal Collective, Caribou, The Black Lips, Katerine, The Dodos, etc. Les Nuits sonores Du 1er au 5/6 à Lyon avec Battles, DJ Shadow, The Sonics, Crystal Stilts, Brodinsky, etc. Oh Land 18/5 Paris, Flèche d’Or Madeleine Peyroux 5/7 Paris, Trianon Pneu (+ Erland & The Carnival) 13/5 Paris, Flèche d’Or

Queens Of The Stone Age 23/5 Paris, Olympia, 25/5 Strasbourg Le Rock dans tous ses états 24 & 25/6 à Evreux, avec Tiken Jah Fakoly, Razorlight, The Inspector Cluzo & Mates, Young Fathers, etc. Gaëtan Roussel 27/4 Rouen, 28/4 Paris, Cigale, 29/4 Toulouse, 30/4 Lyon Sakifo Musik Festival Du 9 au 12/5 à la Réunion avec Chapelier Fou, Yodélice, Stromae, Les Wampas, etc.

Ron Sexsmith 2/5 Paris, Maroquinerie Stage of the Art : Tindersticks 28/4 Paris, église Saint-Eustache Sufjan Stevens 9/5 Paris, Olympia, 10/5 Bruxelles Stupeflip 29/4 Rouen, 3/5 Paris, Bataclan, 1/6 Saint-Etienne, 8/6 Tours Selah Sue 29/4 Sannois, 27/5 ClermontFerrand Tamikrest 22/6 Paris, Point Ephémère Erik Truffaz 29/4 Fontenay-

En location

sous-Bois, 30/4 Ris-Orangis, 20/5 Argentan, 27/5 Arles, 2/5 Six-Fours TV On The Radio 13/7 Paris, Olympia Kurt Vile 23/5 Paris, Maroquinerie, 24/5 Evreux, 25/5 Bordeaux Warpaint 26/5 Paris, Bataclan The Wave Pictures 28/5 Paris, Flèche d’Or Wild Beasts 19/5 Paris, Point Ephémère Wu Lyf 29/6 Paris, Point Ephémère

Pierre Le Bruchec

Calvi, Katerine, Cold War Kids, Agnes Obel, Eels, The Ting Tings, Two Door Cinema Club, etc.

Akron/Family 19/5 Paris, Café de la Danse

Nouvelles locations

Chocolate Genius & Erik Truffaz Quartet Le 14 avril à La Rochelle, la Sirène Deux semaines après son ouverture, on se rend à la Sirène, nouvelle salle de musiques actuelles de l’agglomération de La Rochelle. Installée dans un ancien hangar du quartier de la Pallice, la Sirène réunit, sous un gigantesque toit jaune et noir, deux salles de concerts et cinq studios de répétitions qui seront mis à disposition des groupes locaux à la rentrée. Le plateau est double ce soir : Erik Truffaz Quartet partage la scène avec Chocolate Genius Inc. Ce dernier, projet du New-Yorkais Marc Anthony Thompson, ouvre les festivités en dévoilant les titres de son récent Swansongs, rappelant son admiration pour Tom Waits ou Bruce Springsteen. Puis c’est au trompettiste Erik Truffaz de monter sur scène, accompagné des membres de son quartet original (Marcello Giuliani à la basse, Marc Erbetta à la batterie). Du line-up initial, seul Patrick Muller est remplacé aux claviers par Benoît Corboz. Venu présenter le dernier album In Between, le Suisse, à l’aise dans ses Repetto, dédie Fujin au Japon, avant de livrer un concert enivrant, oscillant entre nappes planantes comme échappées des albums de Pink Floyd et titres à la rythmique imparable. Et salue l’ouverture de la Sirène : “Preuve qu’on peut encore résister au capitalisme éhonté.” Johanna Seban

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éternel féminin La Suédoise Sara Stridsberg ranime la Lolita de Nabokov, dans un road-book statique et cauchemardesque, pour explorer l’essence de la féminité.



odard avait raison : une femme est une femme. Un titre de film, mais surtout une phrase d’une symétrie parfaite, comme si d’un côté et de l’autre d’un miroir se tenait une femme qui se regardait en être une. Une femme passe sa vie à tenter d’être en accord parfait avec ce qu’elle doit être : une femme. Elle-même, une autre, sa mère, Kate Moss, plus souvent Emma Bovary, qu’importe. Une femme se construit en reflet avec une autre. Et Sara Stridsberg, qui n’en finit pas d’explorer le féminin après son très fort La Faculté des rêves, bio romancée de la féministe radicale Valérie Solanas avec laquelle on avait eu un choc à la rentrée 2009, va prendre cette fois comme symbole féminin la Lolita de Nabokov. Ou plutôt non : plus fine, ce sont tous les reflets de Dolorès – le vrai prénom de Lolita avant sa mue en objet sexuel prépubère pour européen décadent – qu’elle va décliner à l’infini dans son Darling River, Variations Dolorès. Dolorès veut dire douleur. La femme, selon Stridsberg, y serait condamnée : douleur d’enfanter, douleur d’être fille, mère, amante.

Dans ce roman impressionniste à l’extrême, d’une grâce poétique oscillant sans cesse entre très bas et très haut, qui désincarne le corps à force d’irréel éthéré et l’incarne à coups de descriptions brutalement animales, la femme est dépecée et exhibée sous toutes les coutures. Elle se pare des plus beaux atours mais de son sexe suinte un liquide sombre. Un accouchement donne à peu près cela : “La sage-femme passe le rasoir sans penser qu’entre les jambes de Dolorès toujours hâlées et gluantes et tremblantes et nues enfle une bulle de chewing-gum rose et que dans sa tête un parfum de fraises et de soleil et d’espérances explose.” Dolorès, dite “Lo”, vieillit près de son père qui l’emmène toutes les nuits rouler dans sa Jaguar au bord de forêts en flammes ; ce père qui baise des prostituées à l’arrière de la voiture tout en croisant le regard de sa fille dans le rétroviseur à l’instant où il jouit. Pendant ce temps, les putes disparaissent mystérieusement – on retrouvera souvent leurs cadavres dans la rivière, ce Darling River marécageux au bord duquel Dolorès se fait prendre par ses amants. Sa mère a disparu depuis des années,

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en marge

épis moisis Un roman de Lucien Rebatet réédité. Le lirons-nous ? Non. Et si la vie était trop courte pour lire les fachos ? la femme : un sexe, une odeur, des hommes qui tournent autour comme une menace

aussi mystérieusement que les filles que fréquente son père. Pas besoin d’insister : on l’imagine volontiers assassinée par ce père qui passe son temps à tirer sur les vêtements qu’a laissés la mère, vêtements troués et brûlés que la fille tente à chaque fois en vain de repriser. Darling River s’écrit comme un mauvais rêve, mais un rêve tout de même : non linéaire, sans sens apparent ou autre que celui qu’engendre une association d’images édifiantes pour qui voudra bien prendre la peine de les interpréter. Pendant que la fille et le père font tout sauf coucher ensemble, “une mère” sillonne les Etats-Unis de motel en motel dans une Amazon modèle 1970 en fumant cigarette sur cigarette. Sara Stridsberg (née en 1972) a dû être gavée de cinéma hollywoodien depuis sa plus tendre enfance, avec ses torrents de clichés de femmes inoubliables qui ont appris à toutes les petites filles de sa génération à tenir une cigarette, marcher sur des hauts talons, porter une robe noire et des lunettes papillon. Cette femme n’existe pas, et pourtant les filles d’aujourd’hui la copient toutes à coups de vêtements, petits déguisements qui permettent de traverser une existence en jouant le bon rôle – celui que toute une société leur a assigné. Importance de la description : ”Il y avait mes robes, toujours de quelques tailles trop petites pour moi, notamment celle en velours bleu clair, avec cette déchirure des côtes à la nuque, parallèle à la fermeture Eclair, qui courait le long de ma colonne vertébrale comme une couture.

J’avais ce vieux manteau pour dame jeté sur les épaules, et tant pis s’il partait en lambeaux, afin de protéger mon dos acnéique des insectes nocturnes. En revanche, mes bottines sanglaient systématiquement mes pieds, et à la perfection. Ainsi bridés, ils demeuraient gracieux et blancs comme si j’avais eu des pieds bandés depuis ma plus tendre enfance.” Grâces et monstruosités de l’idée de beauté féminine. Il y aura aussi des manteaux léopard, des robes aux motifs de roses et aux boutons de nacre, des robes jaunes 1950 comme une seconde peau qui, une fois dépecée, laisse la femme à ce qu’elle est : un sexe, une odeur, des hommes qui tournent autour comme une menace. Sara Stridsberg a-t-elle ou non conscience qu’elle répète là un cliché misogyne qui aura longtemps écarté les femmes du social ? “J’avais constamment la sensation de me retrouver dans le rêve de quelqu’un d’autre, dans une histoire racontée par un inconnu dont je ne parvenais jamais à distinguer la figure”, dira la Lolita de son roman. Et pour cause… Stridsberg a de plus une tentation pour le glauque mortifère dès qu’elle parle des femmes, dont on pourrait se lasser. Quant au roman de Nabokov, elle n’en fera pas grand-chose. Mais elle est sans cesse sauvée par ses phrases d’une beauté hallucinée ou d’une vérité essentielle, la grâce poétique d’une écriture qui rappelle souvent la Laura Kasischke de A Suspicious River. Et puis sa Lolita, aussi incarnée qu’atmosphérique, paumée, coincée dans un cauchemar qui n’en finit jamais, concentre toutes les femmes dans son indétermination languide, sauvage. Une femme est une femme : variations. Nelly Kaprièlian photo Bruno Fert/Picturetank Darling River (Stock/La Cosmopolite), traduit du suédois par Jean-Baptiste Coursaud, 360 pages, 2 0,50 €

Pourquoi publier le roman d’un antisémite notoire, qui se définissait lui-même comme fasciste et collabo, et sortit en 1942 Les Décombres, le plus abject des textes contre les Juifs ? “Parce qu’il y a, à Rebatet, un autre Rebatet. Au publiciste pronazi répond en effet dès les années 30, un esthète, un amateur encyclopédique de littérature, peinture, cinéma et, avant tout, un musicologue éclairé, ardemment moderniste”, peut-on lire sur le site des éditions Le Dilettante, et l’on se dit que c’est toujours la même rengaine, et qu’elle commence à nous fatiguer par sa naïveté : il y aurait d’un côté la dérive antisémite d’un homme et de l’autre l’esthète, l’intelligent, le sensible. Comme il y a les égarements antisémites de Louis-Ferdinand Céline d’un côté et son génie littéraire de l’autre, qui serait tout empathie avec le peuple, sous-tendu par sa générosité de médecin avec les pauvres et les faibles... On ne reprochera pas au Dilettante d’aimer la littérature au point de croire indispensable de rééditer Les Epis mûrs (1954), imprégné paraît-il du goût de Rebatet pour la musique. La question étant moins celle du désir de publier ce livre que l’envie de le lire : car pourquoi, alors que la vie est courte, alors qu’existent tant d’autres auteurs bien plus passionnants, lire le roman d’un antisémite notoire ? Franchement, comment ne pas se ficher royalement des réflexions sur la musique – ah, la belle désincarnation du grand art... – d’un homme qui fut heureux de voir déporter et massacrer des millions de Juifs ? Il est toujours difficile de croire à l’intelligence de ce type de personnage, à moins que là encore il n’y ait intelligence et... intelligence. Même Céline, dont on ne doute pas de l’importance dans l’histoire littéraire, autant l’avouer : quand même un peu limité face à Proust. Qu’on lui préfèrera toujours.

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le western, moribond à l’écran, élargit au format Cinémascope les pages d’un roman-fleuve

guns & roses Chronique édifiante du Far West, traînant la légende dans la crasse et le stupre, Lonesome Dove est enfin publié en France. Une découverte.

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ans une bourgade texane balayée par les vents, une salle de cinéma projette ses ultimes bobines. Devant la machine à pop-corn, deux jeunes mecs récriminent : si seulement, pour son chant du cygne, le cinoche de leur enfance avait pu avoir droit à un western du calibre de Winchester 73 ou La Rivière rouge… Dix-neuf ans après cette scène, sur laquelle se clôt en 1966 La Dernière Séance (roman culte s’il en fut, magistralement porté à l’écran par Peter Bogdanovich), Larry McMurtry comble les désirs de ses personnages : avec Lonesome Dove, la trame de La Rivière rouge – une équipe de cow-boys convoie un troupeau à travers des paysages hostiles – reprend du service. Et le western, moribond à l’écran, élargit au format Cinémascope les pages d’un roman-fleuve. La phrase d’ouverture de Lonesome Dove a pour protagonistes deux porcs et un serpent à sonnette, les premiers étant fort occupés à bouffer le second. Cette entrée en matière offre la métaphore d’un roman aux appétits stylistiques aussi éclectiques que le régime alimentaire d’un goret : en touillant gaudriole, tragédie et romance, McMurtry revitalise la

démarche des grands feuilletonistes du XIXe siècle. Pour les fans d’Alexandre Dumas, les deux héroïques Texas Rangers du livre, Woodrow Call et Augustus McCrae, évoqueront fatalement un Athos taciturne et un Porthos hâbleur – et ce d’autant que, comme chez Dumas, Porhos/ Augustus rend l’âme le premier, ce qui, depuis vingt-cinq ans, a beaucoup fait pleurer dans tous les ranchs, trailer parks et truck stops de l’Ouest. Mais également à New York : des saloons de l’Arizona aux salons de Park Avenue, les aventures d’Augustus et Woodrow fédèrent des nostalgies ataviques. Soudain, il est à nouveau possible d’affronter nuées de sauterelles, tornades de grêle, crotales et grizzlys – sans oublier un Comanche capable d’affoler le trouillomètre du lecteur le plus endurci. Publié la même année que Méridien de sang, le livre redore la légende nationale, et semble contrebalancer le cauchemar métaphysique de Cormac McCarthy. Le malentendu est de taille : rugueux roman d’apprentissage (la “colombe solitaire” du titre est un jeune orphelin, Newt), Lonesome Dove démythifie en fait la geste de l’Ouest, plonge les villes

de la Frontière dans la crasse, le stupre et la puanteur, et sème des cadavres d’innocents avec une absence de sentimentalisme digne d’Annie Proulx. Rien n’y fait : l’Amérique de 1985 éprouve un désir d’épopée, que satisfait involontairement McMurtry. L’ironie veut que l’origine du livre remonte à un projet de film : au début des années 70, Bogdanovich envisagea de faire jouer les rôles de Woodrow et Augustus par John Wayne et James Stewart, et Lonesome Dove invente comme à contrecœur deux héros dignes de ceux que ces géants d’Hollywood incarnèrent devant les caméras d’Howard Hawks, John Ford et Anthony Mann. Bruno Juffin Lonesome Dove de Larry McMurtry (Gallmeister), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Richard Crevier, épisode I, 569 pages, 11 €, épisode II, 618 pages, 11 €

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s’attendre, s’atteindre L’un est aussi rare que l’autre se tenait sous les projecteurs. Ils ont pourtant fini par se rencontrer, mais trop tard. Gérard Manset raconte Bashung dans un récit gracieux. n hommage ? Barbelivien. Ou tel que livrait Manset à peu Une lettre ? ingénieur du son de près à la même heure. Un tombeau ? chez Milan, tel musicien Bashung est mort, depuis. Un temple. Manset d’arrière-band par lesquels “Finalement nous nous offre à Bashung un Angkor la rumeur Bashung étions retrouvés sur de 126 pages. Sculpté dans revenait. “Ah bon, vous le dernier parcours, et une écriture d’éternité c’était bien ainsi…” par laquelle remontent Tout est dans ce “et (sur du fil menaçant c’était bien ainsi…” qui dicte toujours de casser) au livre sa trajectoire. Peu les souvenirs. Lesquels, ou pas de regrets, quelques d’ailleurs ? Les deux lignes pour admettre les hommes se sont manqués. différences, une ou deux Les années passant, dans autres pour se souvenir un milieu (les musiciens) avoir dit une fois ou mille pourtant tout petit, ils ne se “je ne veux pas finir comme seront jamais fréquentés ça” en parlant du Bashung – un peu de méfiance, somnambule, ou du beaucoup d’absences. Bashung idolâtré. Manset Leur public – pour préférant une fois encore beaucoup le même, avec être loin, ailleurs dans une petite différence se le monde que sur le devant comptant par centaines de la scène. de milliers – avait fait la Mais on est né de genre jonction sans eux. Qui a dit humain, et la fuite n’interdit que le temps n’attendait pas le sentiment. Voici alors pas ? Leur collaboration le roman bref d’un début a fini par advenir mais d’amitié respectueuse, le comme trop tard, un pied livre d’une entente dans la tombe : trois titres esquissée. Styliste (jusqu’à signés Manset sur l’ultime l’antipathie avouée), Manset Bleu pétrole, dont l’épique dessine les occasions et miraculeux Comme manquées, celles qui font un Lego, neuf minutes. que Bashung et lui se sont Ce Lego-là montant deux quand même croisés au constructions à la fois, travers d’autres : les on le retrouvait aussi, Lescure, Bayon, Bigot, faisant pont, à l’intérieur Nicolas Sirkis, Nanard du Manitoba ne répond plus Lavilliers, Didier

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ne vous fréquentez pas ?” Les amateurs de bonnes anecdotes et de chronologie respectée trouveront que Manset s’égare. Cela fera se tordre ceux qui savent que pour lui, qui depuis longtemps voyage en solitaire, s’égarer reste le moyen de pouvoir dire qu’il y a une route. Une fois, donc, la route Manset et l’axe Bashung ont fini par tomber d’accord sur le fuseau horaire, la latitude et la longitude. Ce fut alors comme deux guerriers. Philippe Azoury Visage d’un dieu inca (L’Arpenteur/Gallimard), 126 pages, 12 €, en librairie le 6 mai

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photos officielles

Fairy Kate Le 30 avril, une fille du peuple épouse un prince. Un conte de fées ? Du moins, en principe. Si le destin de Diana fut celui d’une héroïne tragique, Kate Middleton ferait-elle un bon personnage de roman ? l était une fois une belle et jeune Pour la Cendrillon contemporaine, roturière prénommée Kate. Par sa pas de marâtre, ni de haillons (quoique grâce et la magie d’un Bikini porté sous le Bikini sous voilage, franchement), mais un voile transparent, elle réussit à des cotillons. Issus de la classe moyenne, ravir le cœur du célibataire le plus ses parents ont fait fortune en vendant convoité d’Angleterre : le prince William. des accessoires de fête par correspondance. Ce week-end, ils se marient, et demain, si Mais comme la souillon à la pantoufle tout va bien, ils auront beaucoup d’enfants. de vair, Kate est flanquée d’une méchante Telle est la trame du conte de fées sœur en la personne de Pippa, son moderne narré par tous les journaux. ambitieuse cadette verte de jalousie, qui Depuis l’annonce des fiançailles du couple ferait sans doute, grâce à ses aspérités et à en novembre, la presse oscille entre la ses défauts, un excellent personnage de mièvrerie à la Danielle Steel et roman. En comparaison, la gentille Katie est l’enchantement des Contes de Perrault tellement lisse… Téléguidé et sévèrement pour raconter la merveilleuse histoire de borné par Buckingham, le storytelling “Kate, princesse du peuple”. En Angleterre, autour de la future princesse s’avère aussi mis à part The Guardian, pas un titre qui ennuyeux et sirupeux qu’un livre d’Anna n’évoque par le menu la saga Middleton, sa Gavalda. On aurait aimé imaginer Kate formidable ascension, ses robes, sa jolie en femme libre bousculant les préjugés bague qui brille… Même en France, les de l’aristocratie à la façon de Daisy Miller, médias n’en ont que pour elle. A croire que l’héroïne d’Henry James qui elle aussi Carla-Nicolas, notre ersatz de couple royal, fricote avec plus haut que son rang, ne suffit pas à combler notre besoin de sans pour autant perdre sa personnalité. belles histoires. Mais la Katie-story Heureusement que les tabloïds sont est-elle si rose que ça ? là pour nous offrir un peu de rêve

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et de perfidie. Un peu d’intrigue, tout simplement. The Sun ou The Daily Mail se plaisent ainsi à répandre une rumeur “shocking” : le fabuleux destin de Kate aurait été programmé de A à Z par Carol, sa mère machiavélique. Obsédée par la vie des “Royals”, lisant tout à leur sujet, Carol aurait sciemment envoyé son aînée à l’université de St Andrews pour qu’elle y conquiert le prince. Tout de suite, ça donne à la romance un petit côté sulfureux très Splendeurs et misères des courtisanes, avec Kate dans le rôle d’Esther, la demimondaine instrumentalisée par Vautrin et Rubempré pour séduire le baron de Nucingen. Ainsi manipulée, la bru royale pourrait se parer un jour de l’aura tragique de celle à qui tout le monde la compare : Lady Di, dont la tumultueuse vie privée, émaillée de drames, d’amants, de crises de boulimie, et sans cesse étalée dans les magazines, constitua le feuilleton le plus lu d’Angleterre. Et comme il fallait s’y attendre, feue Diana Spencer se retrouve aujourd’hui héroïne de roman. Dans Untold Story, son dernier livre qui vient de paraître outre-Manche, l’Anglaise Monica Ali s’est fortement inspirée de Diana et a tenté d’imaginer ce que serait devenue la princesse de Galles si elle n’avait pas péri dans un accident de voiture. Tragédies, romances, vaudevilles… La monarchie britannique engendre une multitude de récits, s’autofictionnalise sans cesse. Et c’est sans doute ce qui permet à cette institution ringarde et anachronique de survivre. Fiction save the Queen! Elisabeth Philippe

la 4e dimension Will Self et Martin Amis, révolutionnaires

Sarkozy vu par les écrivains

A l’approche du mariage princier, les deux auteurs britanniques se paient la famille royale. Dans le magazine Prospect, l’auteur de No Smoking écrit : “Les Windsor sont l’incarnation la plus frappante de ces gens que les médias encensent pour des raisons accidentelles.” “Des philistins”, renchérit avec mépris Amis dans une interview.

A un an de l’élection présidentielle, les écrivains ont déjà choisi leur camp. Du côté pro-Sarko, Tahar Ben Jelloun. Dans Le Monde, il a loué Sarkozy le cinéphile et amateur de littérature qui voudrait que “les journalistes l’aiment”. En face, Pierric Bailly, dans Libé, a imaginé le président en figure de cauchemar. Plus proche de la réalité.

le “slog” de Marc Levy Mieux qu’un site officiel, encore plus fort qu’un blog, Marc Levy lance son “slog”, une très jolie plate-forme publicitaire sur internet qui accompagne la sortie de son nouveau livre, à moins qu’il ne s’agisse d’un “slivre” ou d’un “bloman”.

Rushdie assure le room-service A l’occasion du World Voices Festival de New York, Salman Rushdie a sélectionné des livres à mettre à disposition des clients du luxueux Standard Hotel : Walt Whitman, Philip Roth, Thomas Pynchon… Plus cool que la Bible sur la table de chevet.

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à venir pénètre dans mercredi 27 On La Grande Maison

Nicole Krauss

jeudi 28

On explore la meilleure part des femmes avec Siri Hustvedt, à l’occasion d’une rencontre à la BNF pour Un été sans les hommes (Actes Sud). Ou l’on fête les 100 ans de l’éditeur Maurice Nadeau au Centre national du livre.

BNF, 18 h 30, www.bnf.fr ; CNL, 19 h, www.centrenationaldulivre.fr

vendredi 29

Tel Juve et Fandor, on traque Fantômas. Le héros masqué créé par Marcel Allain et Pierre Souvestre a 100 ans et la BNF rend hommage à l’“empereur du crime”. Interviendra notamment Didier Blonde, qui dans son Carnet d’adresses dévoilait celle de l’antre de Fantômas.

La Malle en cuir ou la société idéale, le premier roman écrit par Stevenson, jamais achevé, jamais édité, a été retrouvé dans une bibliothèque américaine. Le récit des années bohèmes de l’auteur où de fougueux jeunes de Cambridge, rêvant de bâtir une société conforme à leurs idéaux, partent à l’aventure… A la fin de cet âge d’or, le manuscrit n’a pas été poursuivi et le (ou les) chapitre(s) manquant(s) ont été rédigés par Michel Le Bris, spécialiste de Stevenson, qui aurait découvert le manuscrit. Sortie le 13 mai

samedi 30

On (re)découvre l’univers d’Arthur Miller, avec la sortie de nouvelles inédites, écrites entre 2001 et 2005, année de sa mort. Dans Présence (Robert Laffont, 204 p., 18 €), il est question d’un danseur de claquettes juif, d’un vieux voyeur… Paraît également en poche Focus (Pavillons poche, 378 p., 8,90 €), son premier roman, l’histoire d’un jeune homme qui subit l’antisémitisme.

se “déterritorialise” dimanche 1er On et on pense rhizome et fractales, avec l’émission consacrée à Gilles Deleuze. Robert Maggiori ou l’écrivain Bruno Tessarech, ancien élève de Deleuze, évoqueront son œuvre.

Caroline Fourest et Fiammetta Venner Marine Le Pen (Grasset)

Une vie, une œuvre, 16 h, France Culture.

lundi 2

On profite du soleil printanier en lisant Le Roman de l’été de Nicolas Fargues qui paraît en poche (Folio, 336 p., 6,20 €). Dans sa maison au bord de la mer, John voudrait écrire. Mais sa fille débarque. Une satire acide.

mardi 3

A travers une centaine d’événements, ce festival met à l’honneur les liens inépuisables entre la capitale et la littérature. Le thème de cette édition, “Ecrivains qui s’inquiètent du monde”, réunit des écrivains de la scène littéraire française et étrangère : Erri De Luca, Mathieu Lindon, Sofi Oksanen, Yannick Haenel, Ron Leshem, Jay McInerney, Iain Sinclair ou encore Olivia Rosenthal pour un concert littéraire… Lors de l’inauguration, Adam Thirlwell rendra hommage à Milan Kundera et Daniel Darc au Paris bohème en interprétant un poème de Bernard Dimey. Du 5 au 8 mai

Robert Louis Stevenson Inédit (Gallimard)

BNF, à partir de 14 h 30, www.bnf.fr.

On a la tête dans les étoiles avec la nouvelle formule de la revue Inculte consacrée au Ciel vu de la Terre. Le ciel envisagé comme surface fantasmatique ou lieu du divin par une constellation d’auteurs : Maylis de Kerangal, Jakuta Alikavazovic, Claro, Oliver Rohe… (Inculte Editions, 488 p., 30 €)

Catherine Hélie

(éd. de l’Olivier) de Nicole Krauss. La romancière américaine présente son nouveau roman à la librairie Village Voice (19 h, 6, rue Princesse, Paris VIe). L’auteur est également l’invitée de L’Humeur vagabonde (France Inter, 20 h).

Festival Paris en toutes lettres, 3e édition

Gilles Deleuze

Elle a réussi à atteindre un niveau de popularité que peu de politiques d’extrême droite avaient atteint. Mais qui est-elle vraiment ? On le saura peut-être avec cette enquête doublée d’une bio sur la fille de Jean-Marie Le Pen : l’ambition de Caroline Fourest et Fiammetta Venner est, malgré l’omniprésence de cette “fille de…” dans les médias, de faire tomber son masque. Un visage si proche que ça du “peuple” ? Pas sûr. Sortie le 1er juin

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Dino Attanasio et René Goscinny Spaghetti – Intégrale 1

Kyonji Kankei © Kazuo Kamimura/Kamimura Production

Le Lombard, 120 pages, 24,95 €

conte cruel de la jeunesse Un roman graphique cru et tragique, aux accents autobiographiques, par Kazuo Kamimura.

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eintre des amours tragiques dans ses mangas-fleuves Lorsque nous vivions ensemble et Folles passions, Kazuo Kamimura (décédé en 1986) publiait en 1976 La Plaine du Kantô, un roman graphique aux accents autobiographiques. Après la défaite du Japon en 1945, Kinta est élevé à la campagne par son grand-père. A sa mort, le jeune garçon est recueilli à Tokyo par un ami de celui-ci. Entre premiers émois, bagarres et amitiés solides, Kinta découvre la rudesse du monde et la violence des sentiments. Kazuo Kamimura, sans fausse pudeur, sans fard, dépeint avant tout un monde dur, où la mort est brutale (meurtres, suicides…), où la sexualité est impétueuse et agressive. Chez Kamimura, sexe et cruauté sont d’ailleurs souvent liés, et Kinta le découvre bien vite. Ses premières expériences seront rudes et peu satisfaisantes. Au-delà du roman d’apprentissage, La Plaine du Kantô est une réflexion puissante sur la notion de repère. Le manque de repères politiques d’abord : le Japon, vaincu, occupé par les Américains, soumis, ne sait plus très bien où il en est, comme

dans cette scène tragi-comique où des paysans refusent de croire que la guerre est perdue. La perte des repères sociaux ensuite : des soldats déboussolés reviennent dans leur village pour y semer la mort, les familles sont déconstruites ou se déchirent, l’adultère est omniprésent. Enfin, la confusion des repères sexuels, à travers la vie du meilleur ami de Kinta, le jeune Ginko, travesti en fille dès sa petite enfance et qui peine à se faire accepter dans une société machiste. Le trait de Kazuo Kamimura toujours élégant et sa représentation voluptueuse d’une nature omniprésente n’atténuent en rien la crudité de son propos. Mais avec ses élans romantiques et ses cadrages cinématographiques grandioses, Kamimura demeure un maître de la tragédie, sachant éviter lourdeur, vulgarité et manichéisme. La Plaine du Kantô est sous-titrée “Images flottantes de la jeunesse”. Ou comment montrer en douceur l’âpreté de la vie.

Réédition bienvenue des aventures du héros d’Attanasio et Goscinny. La série d’intégrales que propose Le Lombard vient de s’enrichir de trois nouveaux héros : le sympathique chien Cubitus, de Dupa, Clifton, le détective british de Raymond Macherot, et Spaghetti, un personnage quelque peu oublié, créé par Dino Attanasio en 1952 et scénarisé dès 1957 par René Goscinny dans le Journal de Tintin. Immigré italien impulsif et malchanceux, Signor Spaghetti tente de trouver sa place dans la France des Trente Glorieuses. Malgré d’innombrables déboires professionnels et de sombres embrouilles avec des truands d’opérette, il conserve sa candeur et son entrain. Les blagues bon enfant et les dialogues cocasses de Goscinny répondent parfaitement aux dessins d’Attanasio, successeur de Franquin sur Modeste et Pompon et l’un des derniers vétérans de l’âge d’or de la BD. Derrière les gags et une narration pleine de peps, Spaghetti montre la construction d’une France moderne et esquisse une critique d’une société bourgeoise, coincée dans ses principes. A.-C. N.

Anne-Claire Norot La Plaine du Kantô, tomes 1 et 2 (tome 3 à paraître en juillet), Kana, 400 et 368 pages, 18 € chaque tome 27.04.2011 les inrockuptibles 105

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Gints Malderis

The Sound of Silence

le temps retrouvé A Chaillot, deux spectacles placés sous le signe de la mémoire confirment le talent d’Alvis Hermanis, un des plus grands metteurs en scène européens. Enchanteur.

première Trilogie Eschyle mise en scène Olivier Py Reprise à l’Odéon de cette trilogie Eschyle (Les Sept contre Thèbes, Les Suppliantes, Les Perses) jouée par trois comédiens, Philippe Girard, Frédéric Giroutru et Mireille Herbstmeyer, créée ces trois dernières saisons pour être jouée en banlieue dans les écoles et les centres sociaux, au plus près de tous les publics. Jusqu’au 21 mai à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, tél. 01 44 85 40 40, www.theatre-odeon.fr

réservez Mes voisins italiens Au programme, expos, cuisine italienne, courts métrages, concert (Ascanio Celestini) et théâtre : Service de nettoyage ou le Corps social par la Cie 15febbraio, et la Trilogia degli occhiali (“la trilogie des lunettes”) d’Emma Dante, trois pièces autonomes mais liées par le regard qu’elles portent sur la marginalité. Du 10 au 18 mai à la Scène nationale du Petit-Quevilly, tél. 02 35 03 29 78, www.scenationale.fr



e sentiment du temps agit en profondeur dans le théâtre d’Alvis Hermanis. Ce Letton, né à Riga en 1965, envisage la scène comme un lieu où interroger la mémoire. Cependant, il ne s’agit pas pour lui de commémorer des événements anciens ni même de faire revivre ce qui a disparu, mais d’évoquer la distance infranchissable qui nous éloigne d’une époque révolue. Ce fossé qui sépare un homme d’un passé enchanteur est précisément le thème du récit de Jaroslaw Iwaszkiewicz, Les Demoiselles de Wilko. Le héros, Wiktor Ruben, revient quinze ans après dans la ferme où il séjournait enfant auprès des six filles du propriétaire. Expérience mélancolique car la confrontation avec ces lieux et ces personnes connus autrefois réveille en lui une foule de sensations et de souvenirs agréables, dont il comprend en même temps qu’ils ne correspondent plus à aucune réalité. “Lui seul au monde avait conservé ce secret”, écrit Iwaszkiewicz. Et c’est bien là que se déploie toute la magie du théâtre d’Alvis Hermanis, dans sa capacité à faire coexister plusieurs dimensions, plusieurs temporalités même, qui entrent du coup en résonance. Magie qui repose notamment sur le jeu d’acteurs aguerris opérant par touches discrètes mais précises se traduisant par une forme très subtile de transparence. Comme si l’acteur inventait l’espace même dans lequel il évolue. C’est particulièrement vrai dans The Sound of Silence, spectacle entièrement muet construit à partir d’improvisations inspirées par la musique de Simon & Garfunkel. Cette fois encore,

c’est à une plongée dans le passé que nous convie Hermanis, mais un passé réinventé avec une bonne dose d’humour. Dans un appartement décati quelque part en Europe de l’Est dans les années 1960, le metteur en scène imagine l’impact de la musique pop sur les populations de l’URSS. La musique arrive brouillée par-dessous la porte, à travers les lattes du plancher, sur les ondes perturbées d’une radio crachotante – les comédiens doivent se livrer à des contorsions hilarantes pour faire antenne afin de jouir de ce nectar sonore inespéré. Elle est comme une drogue aux effets libérateurs qui accompagne leurs premiers émois érotiques. Hermanis en profite au passage pour citer quelques films de l’époque : Blow-up, Easy Rider… La façon dont ces jeunes gens coincés dénouent bientôt leur cravate pour se déhancher et s’abandonner peu à peu, non sans inquiétude, à l’euphorie distillée par les mélodies de Simon & Garfunkel est à mourir de rire. Là encore, le génie d’Hermanis consiste à mêler les mélodies insouciantes de Mrs. Robinson et autres The Boxer avec le contexte répressif de l’époque. Appréciée en secret dans la clandestinité, la musique de Simon & Garfunkel prend une dimension subversive qu’on a aujourd’hui bien du mal à imaginer mais qui fait justement toute la valeur de ce merveilleux spectacle. Hugues Le Tanneur Les Demoiselles de Wilko d’après Jaroslaw Iwaszkiewicz, mise en scène Alvis Hermanis, du 27 au 29 avril, The Sound of Silence de et par Alvis Hermanis, du 4 au 6 mai, au Théâtre national de Chaillot, Paris XVIe, www.theatre-chaillot.fr

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Deleuze fait son cinéma Robert Cantarella met en voix le célèbre séminaire de Gilles Deuleuze sur “l’image-mouvement”. L’éclairage d’une pensée culte sur le cinéma. xpérimentant une forme moderne Critique du jugement, Deleuze démontre de la transe qui n’a besoin ni d’herbe la puissance de son questionnement en du diable, ni de petite fumée, c’est s’interrogeant sur la nature même des à travers la seule magie d’un fichier transformations de la pensée consécutives MP3 et celle de deux petits écouteurs fichés à l’invention du cinéma. dans les oreilles que Robert Cantarella En s’offrant à l’heure du thé la tête joue les médiums en se laissant envahir de Gilles Deleuze sur un plateau d’argent, par la parole de Gilles Deleuze pour Robert Cantarella partage avec nous une nous la régurgiter dans toutes les nuances madeleine qui renvoie chaque spectateur à d’une pensée qui se construit en live. ses chères années d’études et aux souvenirs Poussant le souci du détail jusqu’à enfouis du plaisir mêlé d’excitation et s’adjoindre le concours d’un comparse d’ennui d’assister à un cours magistral. (Alexandre Meyer) reproduisant les Plus qu’un spectacle, c’est une cure de questions et les commentaires des jouvence que Robert Cantarella nous offre étudiants, cette réincarnation du séminaire en faisant ainsi le Gilles avec tant d’humilité sur l’image Cinéma/Image-Mouvement, et d’humour pince-sans-rire. Patrick Sourd débuté le 10 novembre 1981, se déguste Robert Cantarella fait le Gilles d’après alors au gré des fulgurances de l’esprit Gilles Deleuze, concept et mise en voix de son animateur et au fil des contrariétés Robert Cantarella, tous les premiers lundis du que son auditoire lui fait subir. mois à 18 h jusqu’en mars 2012 à la Ménagerie Dans une mise en perspective des travaux de verre, Paris XIe, entrée libre sur réservation de Bergson, Matière et mémoire, et de Kant, au 0 1 43 38 33 44, www.menagerie-de-verre.org

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Salomé en roue libre Entre l’humour des Monty Python et la distanciation brechtienne, Jean-François Sivadier ouvre une troisième voie via le cas de la trop belle Salomé. égulièrement sujette aux cacas nerveux, Salomé est en pleine crise d’adolescence. Elle réclame à son beaupère Hérode, qui veut la voir danser nue, la tête du prophète saint Jean-Baptiste qui refuse de se laisser embrasser par elle. Le Noli me tangere du titre reprend le fameux “Ne me touche pas !”, apostrophe lancée par le Christ ressuscité à Marie-Madeleine quand elle veut s’assurer qu’il est toujours de chair et de sang. via les tribulations de Marie Dans une Palestine de Cariès, une Salomé sans fantaisie, c’est à la troupe cervelle qui bouscule d’un des comédiens amateurs caprice les fondations de réunis par Shakespeare l’ordre établi. En caricature dans Le Songe d’une nuit d’homme politique habitué d’été que Jean-François à s’en laver les mains, Sivadier confie la lourde Nicolas Bouchaud compose tâche de représenter un Ponce Pilate à crever cet épisode légendaire. de rire tandis que Nadia Tournant le dos à la fresque Vonderheyden joue avec biblique, il s’amuse des un effarement impayable fantasmes adolescents l’ange qui passe et cristallisés autour de s’aperçoit n’avoir vraiment l’interdit du corps de l’autre, rien à faire ici. Brigitte Enguerand



Mêlant le contemporain et l’historique, le foutraque et le réjouissant, JeanFrançois Sivadier avoue un seul but, le fun de nous gratifier d’un théâtre à la croisée de l’improvisation et du cabaret. Une réussite. P. S. Noli me tangere texte et mise en scène Jean-François Sivadier, jusqu’au 22 mai à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, ateliers Berthier, Paris XVIIe, www.theatre-odeon.eu 27.04.2011 les inrockuptibles 107

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troubles à Sharjah vernissage réversible Passé par les Arts-Déco, le metteur en scène Philippe Quesne conçoit ses spectacles comme des installations. Logique, donc, de le retrouver aujourd’hui en galerie. Le 28 avril à la galerie Schirman & de Beaucé, Paris IIIe, www.schirman-debeauce.com

réassort L’Anglaise Lucy Skaer débarque en France avec une série d’installations iconophiles inspirées par l’histoire de la peinture et du cinéma. Jusqu’au 28 mai à la galerie Nelson-Freeman, Paris IVe, www.galerienelsonfreeman.com

relecture L’historienne et critique d’art Patricia Falguières inaugure un cycle de rencontres autour d’une lecture élargie de l’art. Parmi les premiers invités, Thomas Hirschhorn et Dan Perjovschi se pencheront sur leur rapport à l’histoire et aux archives, et l’architecte Rem Koolhaas décryptera les liens étroits et contradictoires qui unissent patrimoine et destruction. Les 28 et 29 avril à 19 h au Centre Pompidou, Paris IVe, www.centrepompidou.fr

Pendant qu’on brise le Piss Christ de Serrano à Avignon, on censure et limoge le directeur de la biennale de Sharjah. Bonne ambiance.



ors de l’ouverture de la 10e Biennale internationale d’art contemporain de Sharjah, aux Emirats arabes unis, son directeur Jack Persekian la dédia à l’esprit de changement et à la jeunesse des pays arabes engagée dans la révolution. Personne alors n’imaginait qu’il serait bientôt démis de ses fonctions pour la présentation d’une œuvre de l’écrivain et artiste algérien Mustapha Benfodil, jugée blasphématoire et désormais censurée. Particularité du contexte : la biennale de Sharjah est la manifestation artistique de référence concernant la zone MENASA, (Middle East, North Africa, South Asia) et la pionnière du genre dans les Emirats arabes unis. Prospective, intellectuelle, elle est ouverte à des questionnements politiques sensibles, mais c’est en définitive une œuvre attaquant la religion qui a soulevé un tollé public et poussé le cheik Sultan bin Mohammed al Qasimi à évincer Persekian. Maportaliche/It Has no Importance est constituée de vingt-deux mannequins symbolisant deux équipes de football. Sur leurs T-shirts, sur les murs et en bande-son, des textes mélangent vocabulaire sexuel et discours religieux :

une pétition de soutien émanant d’une partie des commissaires de la biennale a vite circulé

“tournante mahométane pour un viol islamique”, “sacrifice vaginal pour dieux lubriques”, “le sperme de ses prophètes”. Des propos inspirés par les témoignages de victimes de viols perpétrés au nom de la religion par des extrémistes lors de la guerre civile algérienne des années 90. Une pétition de soutien à Persekian émanant d’une partie des commissaires de la biennale a vite circulé. Elle est signée par la majorité des participants de l’exposition. Etonnamment, Persekian s’est désolidarisé de cette initiative et fait amende honorable : il avait sous-estimé la portée de l’œuvre, limitée pour lui au contexte algérien. Enfin, l’artiste a exprimé son soutien à Persekian et a condamné fermement cette censure. Cet événement pose la question du futur de ce type de manifestations dans les Emirats où les enjeux économiques et culturels semblent plus importants que la liberté d’expression. Mais les artistes sont-ils prêts à tout accepter ? Certains appellent à refuser de participer aux prochaines manifestations artistiques de Sharjah. Tandis qu’un collectif d’artistes a lancé un appel au boycott du futur Guggenheim d’Abou Dhabi, qui fait partie des Emirats, refusant d’y exposer si des conditions de travail correctes n’étaient pas garanties aux ouvriers. Nicolas Trembley www.ipetitions.com/petition/sharjahcall4action www.ipetitions.com/petition/gulflabor

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encadré

éloge de la complexité Retour sur la mort de John McCracken, artiste clé de la scène américaine, et sur le climat délétère ambiant.

appel de fonds Quand l’artiste Danh Vo cherche de l’argent pour sa prochaine pièce. vis aux “amateurs” d’art : cette exposition vous semblera réservée aux professionnels de l’art. Et pourtant. L’affaire se déroule non pas dans la galerie Chantal-Crousel, mais dans son annexe installée dans le bâtiment industriel de La Douane. Là, l’artiste berlinois d’origine vietnamienne Danh Vo organise une recherche de fonds pour la production d’une œuvre monumentale : la réplique grandeur nature et tout en bronze de la statue de la Liberté, mais qu’il exposera si tout va bien en pièces détachées à l’automne prochain au Fridericianum Museum de Kassel – et pour tout dire j’en rêve déjà, de cette statue de la Liberté démantelée, comme à la fin du film La Planète des singes –, tout un symbole. Pour l’heure, on nous montre un plan, un dessin, avant-projet évasif, et au centre de la galerie trône un bureau avec un téléphone, une charmante assistante et des contrats prêts à être signés. Que dire ? D’abord, il faut savoir que pour fabriquer à Paris et envoyer à New York sa Liberté de 46 mètres de haut, le sculpteur Frédéric Auguste Bartholdi avait lui-même organisé une vaste opération de fundraising, anticipant largement sur les pratiques actuelles du marché de l’art. Ce faisant, Danh Vo réplique non seulement la statue mais son processus de production. Un art consommé du remake. Que dire encore ? Qu’on assiste ici à une modalité possible de l’exposition : l’agence. Et qu’en ces temps d’hyper-productivité, où les artistes en vue sont sans cesse sollicités, invités dans un nombre faramineux d’expositions, il y a quelque malice à utiliser la galerie pour ce qu’elle est (une antichambre du commerce) et à faire de l’exposition non pas un temps d’arrêt du travail, mais une partie du processus. Realpolitik. Jean-Max Colard

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Danh Vo, jusqu’au 13 mai à La Douane, 11F, rue Léon-Jouhaux, Paris Xe, sur rendez-vous, tél. 01 42 77 38 87, http://www.crousel.com

Cela avait commencé sans que l’on y prête attention. L’air de rien. Un lent changement de saison. Mais depuis quelque temps ça se précisait, comme une sourde résolution. Il y eut tout d’abord quelques écrivains réacs qu’il fut bon de citer, puis des animateurs de télé remontés contre les barbares, des philosophes qui ne croyaient plus aux valeurs des Lumières, et des politiques qui firent de nouvelles lois. C’est à ce moment que certains repères de mon panthéon ont commencé à se défaire. Edouard Glissant tira sa révérence et me laissa sans voix. Après un tremblement nucléaire, Ai Weiwei, l’artiste chinois, fut arrêté pour pornographie. Aimé Césaire se fit panthéoniser par ce président qui voulait le faire taire. Puis ce fut au tour de l’artiste américain John McCracken de disparaître le 8 avril dernier, à l’âge de 76 ans. McCracken, c’est la rencontre d’univers subtilement paradoxaux, l’art minimal new-yorkais ou cette idée de la réduction qui se joue d’une palette de signatures hyper stylées, que ce soit la Kustom Kulture de la Côte Ouest, le finish fetish des surfs ou les enseignements de mandalas qu’un E.T. lui aurait transmis. La perte des paradoxes, me dis-je, et soudain de repenser à cette forme énigmatique qui, dans 2001 : l’odyssée de l’espace de Kubrick, s’invite comme un messager. Forme inspirée d’une sculpture de McCracken, qui, depuis l’immaculée noirceur de ce monolithe, propose le choix de l’intelligence à nos ancêtres en leur enseignant la complexité. La complexité, c’est voir dans une forme la possibilité d’une autre, quitte à se battre pour cela et réaliser qu’un os peut très bien devenir une arme. Mais sommes-nous toujours prêts à nous battre pour la complexité ? A voir L’Art & la Manière consacré à Bruno Peinado sur www.arte.tv

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Mariano Vivanco pour la collection automne-hiver 2011 Mugler

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zombie boy Tatoué de la tête aux pieds, le Canadien Rick Genest est devenu le visage de la marque Thierry Mugler, et le partenaire de jeu de Keanu Reeves et Lady Gaga.

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’apparition de Rick Genest lors des deux dernières fashion weeks parisiennes puis dans un clip de Lady Gaga a surpris les Montréalais, qui avaient déjà croisé son inoubliable visage dans les rues de la métropole québécoise. Punk et zombie, Rick Genest, 25 ans, cultive, malgré sa récente médiatisation, un certain mystère. Ses récentes percées n’ont même pas changé ses goûts vestimentaires. Du sac à dos au pull noir en passant par la casquette à pics, la nouvelle coqueluche des podiums, posée devant nous, ressemble plus à un “squeegee” – un laveur de pare-brise – qu’à une victime de la mode. Les yeux cerclés de noir, le nez percé et tatoué, une toile d’araignée dessinée dans l’oreille, il dégage même une surprenante timidité. Chez “Rico”, l’homme et le zombie sont indissociables. Les morts vivants le fascinent depuis l’enfance et il s’est fait tatouer pour la première fois, dès l’âge de 16 ans, sur l’épaule. Puis les tatouages se sont propagés sur son torse, son dos, sa nuque, ses bras, ses jambes et son visage. “Tu en fais un, puis un autre, et après tu te dis je vais peut-être tout faire”, raconte-t-il d’une voix rapide et douce. Au Canada, il s’est fait tatouer partout, de Toronto à Ottawa, au hasard de ses voyages, mais c’est à Montréal qu’il a fait ajouter la cervelle et les vers qui recouvrent désormais son crâne. “Ça a pris pas mal de temps, parce que tu ne peux pas vraiment faire toute ta tête d’un coup, right ? Donc j’ai d’abord fait une moitié. Puis l’autre. J’ai ajouté ensuite des ombres et des détails.” Il a beaucoup souffert, mais peu importe : “No pain, no gain, you know.” Ses tatouages, il ne les porte pas pour se faire remarquer, ni parce qu’il trouve ça beau. “Mon intention, c’est de ressembler à un corps décomposé, mangé par les vers et les cafards. Je ne crois pas que ce soit

il a beaucoup souffert, mais peu importe : “No pain, no gain, you know”

vraiment l’idée qu’on se fait de la beauté”, revendique-t-il. Naturellement, la mode ne faisait pas partie de ses projets d’avenir. Des clichés de Rick ont pourtant retenu l’attention de Nicola Formichetti, directeur artistique de Thierry Mugler, et styliste de la nouvelle Madone de la pop, Lady Gaga. “Il m’a contacté par Facebook. Une offre pareille, ça ne se refuse pas… Alors j’ai dit OK. On s’est rencontrés à Paris. C’était vraiment drôle.” “Rico the zombie” défile pour Mugler à Paris en janvier et en mars, en plus d’incarner le visage de la collection prêt-à-porter automne/hiver de la maison parisienne. Entre les deux fashion weeks, on le retrouve dans le clip de Lady Gaga, Born This Way, vu plus de 31 millions de fois sur YouTube. “Elle est très cool. C’est une grande artiste”, dit Rick Genest, qui parle couramment français mais préfère s’exprimer en anglais. Son apparition chez Gaga attise la curiosité : à Budapest, où il a tourné 47 Ronin, une épopée samouraï avec Keanu Reeves, des admirateurs campent devant son hôtel. Mais la vie quotidienne du jeune homme, qui cumulait jusqu’à peu les contraventions en tout genre à Montréal, n’a guère changé. “Quand je me retourne dans la rue, il y a toujours des gens qui font une tête comme ça (il fait une grimace d’horreur), rit-il. J’ai l’habitude, ça ne me dérange pas, je fais mes trucs et je m’en fous.” Rick Genest a plusieurs contrats en vue pour la mode, la télé et le cinéma, précise son agent. “Rico the zombie”, qui a longtemps vécu dans des squats, ne se voit pas comme une étoile filante : “On a écrit que je vis mes 15 minutes de gloire et que je n’ai aucun talent. C’est faux. Je fais de la scène depuis plusieurs années. Peu de gens seraient capables de faire ce que je fais, croyez-moi.” Aujourd’hui, il compte mettre sa renommée nouvelle au service d’une troupe avec laquelle il monte un show punk. “On s’appelle Lucifer’s Blasphemous Mad Macabre Torture Carnival. On fait des trucs très morbides. On se met des crochets dans le dos, on crache du feu, on joue avec des couteaux…” Anabelle Nicoud, à Montréal 27.04.2011 les inrockuptibles 111

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l’encyclopédiste des marges De Ce soir (ou jamais!) à France Musique, Christophe Bourseiller agite les médias de sa curiosité insatiable. Au service d’une cause : le savoir, surtout celui des marges et des contre-cultures.

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ntre ses enregistrements d’émissions sur France Musique – Electromania et L’Autre Dimanche, deux laboratoires des musiques expérimentales – et la préparation, comme conseiller éditorial, de Ce soir (ou jamais!) sur France 3, ses conférences à Sciences-Po sur les extrémismes politiques et l’écriture de nombreux livres, ses activités d’archivage de tracts et ses explorations des petits labels parallèles… Christophe Bourseiller porte les stigmates de l’honnête homme – le curieux invétéré – mais aussi de l’homme occupé au-delà du raisonnable. “Je ne sais pas flâner, ne rien faire, je suis en guerre, je bosse tout le temps”, confie-t-il, ce matin-là dans le bureau de Frédéric Taddeï. Christophe Bourseiller conseille le présentateur depuis la création de l’émission, il y a cinq ans. “C’est lui qui décide au final, mais je défends auprès de lui les auteurs que je crois importants

et ne suis qu’un avocat de mes propres lectures.” “Pour faire venir Noam Chomsky, il a fallu plus d’un an de tractations en amont”, souligne-t-il. “Quant à Peter Sloterdijk, cela a été cinq ans de travail. Manque de chance : le jour où il devait enfin venir, Taddeï était malade. Je crains que l’on ne voie plus jamais Sloterdijk à la télé française”, regrette-t-il. Il y a chez Bourseiller cette part de croyance sincère dans l’idée que les penseurs et les artistes éclairent le monde et que, sans eux, nous souffririons de cécité. Sa guerre consiste à faire résonner l’écho de leurs voix dans les postes de télé et de radio. La pensée révoltée, la contestation politique, l’avant-garde artistique : Christophe Bourseiller est né au contact de ces trois mamelles de l’esprit rebelle. Fils d’acteurs de théâtre (beau-fils du comédien Antoine Bourseiller), il a traversé, enfant, le cœur des années 60 dans ses marges les plus éloquentes. “

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au poste d’Un éléphant, ça trompe énormément à Guy Debord l’éclectisme lui sied

J’ai été le plus jeune mao de France : quand j’avais 7 ans, mon parrain Jean-Luc Godard m’a remis en main propre Le Petit Livre rouge, en me disant ‘Tu l’expliqueras à tes parents’ !” Proche de Genet, Ionesco ou Aragon… il s’est naturellement ouvert aux territoires parallèles ; empiriquement, il en connaissait les modes d’emploi. Enfant de la balle, il est devenu un adolescent du papier : à 15 ans, il rédige des fanzines d’avantgarde avec des textes codés et du copy art. Casablanca, fanzine sur la new-wave, paraît en 1981. Après avoir vu les Ramones au Bataclan en 1977, il devient un spécialiste hexagonal de la scène punk et post-punk, qu’il racontera dans son livre Génération chaos. La musique, depuis ses premiers disques du Velvet lorsqu’il était encore gamin, est restée le cœur vibrant de sa vie agitée. Toutes les émissions qu’il a animées sur les ondes – de Radio Mégal’O à La Voix du Lézard, de Radio 7 à France Culture, de Radio Nova à France Musique –, se nourrissent de son encyclopédisme des marges sonores. “La radio, c’est du théâtre, cela m’a permis de triompher de ma timidité.” La comédie a aussi marqué ses jeunes années : acteur chez Godard entre 1964 et 1967, il a marqué le public avec des comédies populaires, d’Un éléphant, ça trompe énormément à Profs. Il confesse, enjoué, qu’une suite de Profs se prépare aujourd’hui. L’éclectisme de ses positions lui sied : de Guy Debord à Patrick Schulmann, la cohérence de son parcours tient d’abord

au plaisir du jeu qui l’anime. Les marges politiques n’ont pas moins de secret pour lui : des maos aux néo-fachos, des trotskistes aux situationnistes… Bourseiller a exploré des espaces politiques que rien ne relie, sinon un motif commun : ennemi du système. “Il est vrai que la normalité m’ennuie”, reconnaît-il, tout en confessant qu’une enquête sur des militants centristes pourrait être aussi palpitante, comme si la tiédeur recelait une part de subversion ultime. La “noirceur” du monde l’attire irrésistiblement. “Je suis très pessimiste, mais curieux.” Autrefois libertaire, il ne revendique plus aucune étiquette : “Je n’épouse aucune cause ; je préfère la nuance.” Sans nostalgie pour les années 80, “atroces”, ou pour les années 2000, “très violentes”, il déplore ce qui manque à notre époque : “Une voie, un souffle, une dimension spirituelle.” Ce qui le définit au fond le mieux est son désir de tout conserver, d’habiter sa mémoire des traces du monde qui avance comme un train dans la nuit. “Je suis un archiviste fou ; j’ai besoin des objets, des livres, des disques pour me rappeler des choses.” Plutôt collecter que collectionner. Bourseiller est un glaneur qui rôde sur les marchés des objets et des idées dispersés. A chaque manif, il ramasse les tracts, une manie chez lui. “Sur la Libye, par exemple, j’ai tout : je suis allé en 1972 chercher à l’ambassade Le Petit Livre vert de la révolution ; j’ai toute la propagande de Khadafi des années 70. De même pour la Corée du Nord !” Très sensible au travail de Carlo Ginzburg sur la “micro-histoire”, il s’est constitué un fonds d’archives gigantesque dont une grande part a été transmise à l’Institut international d’Histoire sociale d’Amsterdam. “J’ai donné mes caisses Mao, j’en pouvais plus.” “Les archives nourrissent mon imaginaire”, dit-il, comme si son obsession des traces insufflait à son regard sur le monde une dimension poétique. Son érudition sur des sujets invraisemblables l’a fait comparer à Bouvard et Pécuchet. Il dit “se voir écrire jusqu’à son dernier souffle”. Comme si une vie ne suffisait pas à tout saisir, à tout dévoiler, y compris le sens de sa propre fantaisie et de ses périples obscurs. Jean-Marie Durand photo : Renaud Monfourny Sur France Musique Electromania le mardi à 0 h, et L’Autre Dimanche le dimanche à 21 h Sur France 3 Ce soir (ou jamais!), du lundi au jeudi à 23 h Mai 1981 raconté par les tracts (Presses de la Cité), 157 p, 21 €.

faux iconoclastes Ménard ou Giesbert, provocateurs en carton. Le journalisme a les rebelles qu’il mérite. La figure dominante du rebelle des médias prend aujourd’hui la forme paradoxale du notable installé au cœur du système, mais énervé malgré tout, jouant de ses connivences pour endosser les habits de l’iconoclaste. De Robert Ménard à Franz-Olivier Giesbert, les nouveaux provocateurs voudraient convaincre de leur subversion absolue. Le plus cocasse, Robert Ménard, affirme être parti en croisade contre le conformisme généralisé des médias, accusés de critiquer excessivement le Front national. Parce que la doxa journalistique exclurait selon lui toute forme de bienveillance à l’égard du FN, lui, rebelle des plateaux télé, s’amuse à hurler “vive Le Pen”. Comme si son cri d’adhésion pouvait susciter l’effroi, alors qu’il ne provoque que commisération. Mais quels comptes obscurs Ménard a-t-il à régler avec les médias au point de vouloir, par l’absurde, critiquer ses usages ? N’y a-t-il pas manière plus subtile et constructive de démonter le système médiatique que d’en dénoncer un supposé modèle intellectuel dominant, au sein duquel la complaisance avec Marine Le Pen existe tout autant que son rejet ? Les “frontières” que dépasse l’ex-président de Reporters sans frontières sont moins celles du reporter que celles de l’idéologue ambigu. L’autre rebelle du moment, Franz-Olivier Giesbert, se prend pour un révolutionnaire échevelé parce qu’il ose ridiculiser Sarkozy dans son livre M. le Président. Son geste critique devient subversif moins pour ce qu’il révèle de Sarkozy que pour ce qu’il révèle de lui-même : avant de le moquer, il l’a adoré ! Avec Giesbert, la figure du rebelle des médias a l’allure de celui pris en défaut de lucidité, mais qui rit fièrement de ses erreurs, prêt à se confesser pour mieux se faire remarquer sur la scène de la comédie journalistique.

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un espace journalistique d’une grande rigueur intellectuelle

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La Croix et sa manière La Croix lance sa nouvelle formule le 28 avril. Une façon, pour sa directrice Dominique Quinio, de renouveler l’image du quotidien catholique et de séduire un lectorat plus jeune.

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a Croix bouge. En lançant une nouvelle formule, cinq ans après la précédente, le quotidien catholique se plie à la loi d’airain de la presse : pour conjurer le trépas, il faut se réincarner sans cesse, bousculer ses repères, conquérir de nouveaux adeptes. La voie du salut est à ce prix : le mouvement permanent. Pas de révolution pour autant : il ne s’agit pas de heurter au-delà du raisonnable le lectorat, plutôt âgé et conservateur

(pour une diffusion de 95 439 exemplaires, selon les chiffres OJD 2010). L’équilibre et la mesure sont des valeurs à la fois morales et professionnelles à La Croix. Si un tiers environ des lecteurs du quotidien appartient à la famille des cathos progressistes (historiquement plus attachés à Témoignage chrétien), les deux tiers restent liés à la droite classique, surtout centriste, fidèles à des valeurs et une ligne éditoriale ancrées dans le paysage de la presse depuis un siècle.

L’actuelle directrice, Dominique Quinio, revendique l’héritage que porte La Croix, tout en affirmant sa volonté de le faire évoluer. “Je m’inscris dans le sillage des anciens, de Noël Copin à Bruno Frappat, des directeurs qui ont réussi à imposer le journal dans le paysage médiatique.” Elle cherche aussi à l’ouvrir à un lectorat plus jeune, attiré par le débat d’idées au sens large, au-delà même du champ religieux. Contrairement aux inévitables clichés qui le poursuivent, La Croix offre un espace journalistique d’une grande rigueur intellectuelle, où la parole des penseurs éclairés (pas forcément des clercs) dépasse le vernis d’une actualité futile et sans fond. Le “buzz”, cet horizon obsessionnel des médias actuels, est étranger à la culture du quotidien, qui, même avec des moyens limités et une rédaction réduite (90 personnes), porte un regard averti sur l’actualité, notamment internationale et culturelle. Trois thèmes sociétaux – le travail, l’école et le vivre ensemble – seront particulièrement explorés par La Croix dans les mois qui viennent. Nommée à sa tête en 2005, Dominique Quinio aimerait élargir la notoriété du quotidien auquel elle a consacré toute son énergie depuis son arrivée, en 1975, comme secrétaire de rédaction. Discrète, rarement présente sur les plateaux télé squattés par ses collègues mâles assoiffés de gloire, elle sait qu’elle incarne malgré elle une exception dans le paysage de la presse quotidienne. Seule femme (avec Valérie Decamp à La Tribune) à diriger un journal, elle a été frappée, lors des Etats généraux de la presse, par “le décalage qui existe entre le monde des patrons de presse, exclusivement masculin, et la manière dont leurs journaux ne cessent de dénoncer les injustices, parité, plafond de verre…”. Outre le redéploiement du site internet, sur lequel vont se mobiliser des journalistes de la rédaction papier, la nouvelle formule propose un léger lifting de la maquette, censé redonner un peu de “nervosité et de joie” aux pages. Parce que c’est tout sauf un bulletin paroissial, parce que ses valeurs fondatrices n’effacent pas son éthique journalistique, parce que la richesse des éclairages tranche souvent avec la concurrence, La Croix a une évidente carte à jouer, notamment en kiosque, son point faible comparé à ses abonnements élevés (88 %). S’ils rangent leurs préjugés, les mécréants pourraient bien mettre La Croix sur le chemin de la félicité. Jean-Marie Durand

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“si la diffusion musicale est importante, Grenouille est aussi une radio de contenu” Relatif Yann, animateur

coassements libres Née en 1981 des combats brûlants des radios libres, Radio Grenouille envoie de bonnes ondes depuis Marseille. Entre découvertes musicales et documentaires engagés, une véritable réussite radiophonique.

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ci, on n’a pas attendu 2013 pour faire de Marseille une capitale culturelle.” Entrée en matière cash pour Stéphane Galland, journaliste et programmateur à Radio Grenouille 888. “Pour les débuts, nous nous sommes largement inspirés du schéma musical et éditorial de Nova, radio pionnière dans le genre. Mais Grenouille a très rapidement creusé le sillon de l’identité sudiste, tout en visant un rayonnement national.” Une singularité chèrement défendue, d’autant plus que la structure n’appartient pas à la Férarock1 et a pu cultiver sans l’entrave de ce réseau rock une esthétique electro décomplexée. Chaude et métissée, l’antenne – largement orientée vers la découverte –, oscille entre beats technoïdes, sonorités world et incartades pop. En témoignent les récentes

résidences dédiées à de prestigieuses écuries discographiques comme Warp ou Ninja Tune. Portées par Relatif Yann et l’ex-Troublemakers Fred Berthet, les Sélections naturelles ondulent tous les mercredis midi depuis dix ans sur toutes les variantes électroniques. Culte jusqu’à l’international, l’émission bruitiste Cacophonies fut la première en France à être retransmise en direct sur internet. “La grille des programmes se partage entre des sessions très référencées et des formats plus flexibles, pensés comme de véritables outils d’apprentissage radiophonique“, confie Stéphane Galland. “Grenouille est située au cœur de la Friche culturelle de la Belle de Mai, à mi-chemin entre les quartiers populaires du nord et l’hypercentre. Cette radio interroge Marseille, mais aussi la radiophonie en tant que médium culturel.”

Les portes du studio sont donc grandes ouvertes. Aux journalistes d’Arteradio par exemple, qui ont coproduit en 2009 avec le “triple 8” l’enquête Qui a connu Lolita ?, prix Europa 2010 du meilleur documentaire radio. Les apprentis reporters locaux peuvent également se faire la main en direct toutes les semaines, grâce à l’émission étudiante Radiolab. “Lieu de recherche sur les nouvelles formes sonores, notre atelier de création Euphonia produit à l’année fictions, essais et accueille de nombreux projets audio de plasticiens.” Grande gueule, Grenouille émet régulièrement hors les murs. Comme chaque été, la radio squattera les rives de la Méditerranée à bord du Petit Pavillon pour des soirées hebdomadaires immanquables. La rédaction se décentrera également sur le FID, le Worldwide Festival ou Marsatac grâce à ses

plateaux embarqués, format en passe de devenir une spécialité de la radio. “Si la diffusion musicale est importante, Grenouille est aussi une radio de contenu” souligne Relatif Yann. De mèche avec l’underground stambouliote, les animateurs multiplient depuis près d’un an les collaborations avec Açık Radyo, porte-voix culturel et référence en matière de liberté d’expression radiophonique en Turquie… Intitulée Soundshift, cette passerelle culturelle rayonnera entre les deux cités tumultueuses jusqu’en 2013. Mais malgré sa belle agitation, la sémillante antenne n’échappe pas aux restrictions budgétaires qui font feu sur une agglomération qui doit pourtant bénéficier dans deux ans du statut prestigieux de Capitale européenne de la culture. Déjà saturée de travail, l’équipe devra se passer sous peu de deux postes en contrats aidés, malheureusement non renouvelés. “2011 est une année charnière pour la radio, qui a peut-être atteint sa masse critique.” Une ligne éditoriale à tenir de front et un nouveau schéma économique à construire ? Rien d’insurmontable pour un média dont la mascotte a toujours su rebondir. Théophile Pillault 1. Regroupement de radios associatives à thématique rock comme Béton!, Canal B, Eko ou FMR. 27.04.2011 les inrockuptibles 115

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panique à Pornoland Le monde du sexe sert de toile de fond à Xanadu, nouvelle série inégale, mais radicalement singulière dans le paysage français.

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a singularité de Xanadu tient en quelques mots : rarement un objet télévisuel né et pensé dans l’Hexagone n’avait donné à ce point l’impression d’ignorer ce qu’une industrie reproduit depuis trente ans. Est-ce parce qu’il a été initié par des producteurs habitués au cinéma d’auteur (Haut et court) ? La quatrième incursion d’Arte dans le domaine de la série, après Vénus beauté (institut), Les Invincibles et Fortunes, s’apparente en tout cas à un voyage exploratoire sans boussole dans un genre pourtant balisé, celui du drame familial – transposé ici dans le monde du porno. Comme si la série française, ses méthodes, ses héros et ses passages obligés n’avaient jamais existé. Comme s’il s’agissait de creuser un chemin, épisode par épisode, presque plan par plan, à partir d’un imaginaire inconnu du petit écran tel que le conçoit ordinairement notre pays ; un chemin plutôt inspiré par les contes, la littérature anglo-saxonne, et parfois le cinéma psychologique bien de chez nous. Nous assistons à l’ouverture d’une autre voie, comme des alpinistes partiraient

la série française par la face nord. La plus dure.

à l’assaut d’un sommet alpin : la série française par la face nord. La plus dure. Avant Xanadu, Pigalle, la nuit (sur Canal+ en 2010) avait laissé ce goût d’étrangeté radicale dans la bouche. Cela ne fait pas de Xanadu un chefd’œuvre, ni une révolution. Sa matière même, son âpreté laissent songeur. Accomplis par éclairs, souvent hésitants, ses huit épisodes avancent comme des météores hargneux, fragiles mais irréductibles. Un maelström de fiction se débat avec lui-même, cherche sa forme, l’effleure, la repousse, sous les yeux d’un spectateur à la fois témoin et juge. Un vrai risque, tant le contrat minimal d’une série, la création d’un monde assez vivable pour qu’on tremble d’y revenir, menace à tout moment d’imploser. Seul le sujet de départ ne ressemble pas à un gros risque. Les tourments financiers et moraux d’un patriarche du porno sur le retour (en toile de fond, une vague référence à la dynastie Marc Dorcel) fournissent une trame lisible et attrayante. Il est question de la chute de cet homme et du combat pour sa succession qui occupe ses enfants – plutôt malgré eux. Tous apprennent à vivre avec l’idée qu’ils dépendent les uns des autres. Séverine Bosschem, la créatrice, dessine des liens coupants entre ces figures très sombres éprouvant leurs limites physiques, intellectuelles et psychologiques. Hantés par le sexe

(filmé comme le désespoir en actes…), flippés par la mort et rattrapés par la violence, jusqu’où sont-il capables d’aller ? Le récit annonce ce programme dépliable sur la longueur d’une saison, mais ne le respecte pas toujours. Plusieurs pistes échouent en route. Peut-être par souci d’éviter l’efficacité que recherchent tant d’autres séries, le travail de réalisation initié par le Québécois Podz (qui a signé les quatre premiers épisodes) tente une alliance entre Gus Van Sant et Gaspar Noé, une immersion dans un monde ambigu et opaque. Xanadu, hypothèse de série planante. Si certains arcs narratifs tombent à plat (l’onirique mais éprouvant personnage joué par Julien Boisselier, le sacrifice inutile de Vanessa Demouy) tandis que d’autres tiennent vraiment debout (le jeune fils, figure semi-ironique du cinéaste maudit, la fille en pleine crise d’identité à 35 ans), la série ne maîtrise pas encore le mystère qu’elle se montre pourtant capable de créer. Incompréhensible par moments, elle devient trop explicative à d’autres. Un équilibre minimal reste à trouver. Mais Xanadu est au moins vivante. Elle peut, par exemple, mettre en lumière sans hésiter l’incroyable Phil Hollyday, un acteur de X qui révèle son talent pur pour la comédie. Merci pour le tuyau. Olivier Joyard Xanadu à partir du 30 avril sur Arte

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brèves Julia Louis-Dreyfus sur HBO L’inoubliable Elaine de Seinfeld est de retour. Sa série Veep a passé le stade du pilote et vient d’être commandée par le big boss de HBO, Michael Lombardo. Il s’agit d’une comédie politique où l’actrice interprète la vice-présidente des Etats-Unis. A l’antenne à l’automne en 2012.  

Gus Van Sant sur Starz Alors que son film Restless fera l’ouverture d’Un certain regard au prochain Festival de Cannes, Gus Van Sant tourne à partir de la semaine prochaine à Chicago le premier épisode de Boss, une série avec Kelsey Grammer, acteur très célèbre en Amérique pour avoir été la star de Cheers et Frasier. La chaîne Starz a commandé d’emblée huit épisodes, dont Gus Van Sant sera producteur exécutif avec le comédien. L’intrigue tourne encore une fois autour de la vie politique, “dans une ambiance shakespearienne”, selon Gus Van Sant.  

focus

Carell/Ferrell : le duel

Les deux stars comiques s’affrontent en ce moment dans les derniers épisodes de la saison 7 de The Office. ’une des perspectives les plus alléchantes de l’année est en train de se réaliser chaque jeudi soir sur NBC : le combat de coqs entre Steve Carell et Will Ferrell dans The Office. Après sept saisons Game of Thrones passées dans la peau du boss de cette sitcom renouvelée sur la vie en entreprise adaptée d’un format Mise à l’antenne un dimanche, anglais, l’acteur de Quarante ans toujours puceau la nouvelle série d’heroic et Little Miss Sunshine a décidé qu’il avait fantasy de HBO a été autre chose à faire. Il quitte la série. Histoire renouvelée le lundi soir de faire passer la pilule auprès du public, Will pour une deuxième saison. Ferrell a été appelé à la rescousse pour Confiance et puissance : voilà quatre épisodes de transition. Il interprète l’équation américaine. le dénommé Deangelo Vickers, nouveau boss frisé de la PME Dunder Mifflin. Les deux acteurs se connaissent depuis le milieu des années 90. Ils ont participé ensemble à l’émission Saturday Night Live et ont partagé l’affiche dans Présentateur vedette : la légende XIII (Canal+, le 2 à 20 h 50) Après une de Ron Burgundy en 2004. Leur mise en première salve en 2008, l’adaptation concurrence virtuelle promettait énormément. de la BD de Jean Van Hamme change C’est à cause de cette attente que leur premier de format (la mini-série devient une série épisode en commun, diffusé le 14 avril, nous de treize épisodes) et de héros (Stuart a déçu : pas assez drôle, pas assez émouvant, Townsend à la place de Stephen Dorff). il a donné l’impression désagréable de voir Virginie Ledoyen est sur le coup. une bonne idée mise en forme mécaniquement, sans âme. Ces deux monstres comiques Breaking Bad (Orange Cinémax, doivent faire mieux avant le 12 mai, date le 30 à 22 h 25) Le passage récent du départ de Carell. Mais on ne leur en voudra de son créateur Vince Gilligan à Paris pas quoi qu’il arrive. Quand des acteurs aussi au Festival Séries Mania donne envie géniaux font si peu d’étincelles, c’est que de (re)voir la saison 3 de Breaking Bad, le problème vient d’ailleurs. Notre diagnostic ? un chef-d’œuvre. The Office s’est essoufflée avec le temps pour   devenir une comédie presque comme les Dr House (TF1, le 2 à 20 h 50) La série autres. On conseille donc amicalement à Will préférée de Jean-Luc Godard et de Ferrell, s’il hésite toujours, de ne pas prendre quelques milliards de personnes la place de son compère de manière définitive. sur terre est de retour depuis deux Les rumeurs sur sa présence l’année semaines avec la saison 6. Youpi ! prochaine sont encore contradictoires. O. J. 

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émissions du 27 avril au 3 mai

Qui a tué Laurent-Désiré Kabila ?

qu’est-ce qui fait courir David ?



our David Bailey, le film d’Antonioni Blow-Up (programmé à 20 h 40 sur Ciné Cinéma Club) est un peu une plaisanterie, inspirée de sa vie débridée de photographe vedette du Swinging London. Le producteur Carlo Ponti lui avait proposé le rôle principal. Bailey s’est marré. Mais il a eu tort. Car ce film a contribué à sa légende, à faire de lui, par acteur interposé (David Hemmings), une pop star de l’époque, une figure aussi connue, sinon plus, que ceux qu’il photographiait. Jérôme de Missolz, réalisateur de ce documentaire agencé à la perfection, enchevêtrant avec grâce passé et présent, est particulièrement dans son élément avec Bailey, héraut de la mode, mais aussi commensal des grandes icônes du rock (les Stones notamment) – auxquelles le cinéaste vient de consacrer le vibrant Wild Thing. De plus, ce portrait de Bailey complète une série de De Missolz sur la photographie, inaugurée avec des films sur les sulfureux Jan Saudek et Joel-Peter Witkin. En apparence, Bailey est infiniment plus policé, voire mondain, que ces fous baroques. En apparence seulement, puisque, au-delà des chiffons et des sylphides préraphaélites, on découvre un artiste inquiet, presque sarcastique. Toujours actif à 70 ans passés, mais obsédé par la mort, au point de réaliser d’invraisemblables vanités, en photo, et aussi en peinture et en sculpture, où il accumule sans scrupules crânes, ossements humains et fleurs séchées. C’est dans sa dernière incarnation que Bailey surprend le plus : photographe de guerre. On le découvre en 2010 en Afghanistan, casqué, allongé dans un hélicoptère, mitraillant le conflit avec son appareil. Vincent Ostria David Bailey, Four Beats to the Bar and No Cheating documentaire de Jérôme de Missolz. Mercredi 27 avril, 22 h 25, Ciné Cinéma Club

Nathalie Guyon/FTV

La vie, l’œuvre et les frasques de David Bailey, qui à force de photographier les pop stars en est devenu une.

Teum-Teum Magazine présenté par Juan Massenya. Samedi 30 avril à 15 h et dimanche 1er mai à 22 h 25, France 5

L’émission mensuelle sur la banlieue se penche sur l’école et ses problèmes. Environ 7 % des adolescents sèchent les cours en France. L’ennui de rester assis, l’envie de sortir, faire les magasins, traîner avec ses potes : autant de raisons qui les poussent à fuir la classe. L’école leur offre-t-elle la possibilité de se rattraper ? Juan Massenya a rencontré plusieurs intervenants pour comprendre ce qui incite certains à revenir sur les bancs de l’école après avoir décroché. Sarah Carrier

Kabila assassiné par les Etats-Unis ? Une hypothèse de cette enquête minutieuse. Curieux comme les fils des colonisateurs sont attachés aux possessions de leurs ancêtres. Voir la passion persistante des Belges pour le Congo. Exemple avec cette enquête de la RTBF sur l’assassinat du président congolais, Laurent-Désiré Kabila en janvier 2001. Même si les journalistes et leurs interlocuteurs sur place ne répondent pas directement à la question posée par le titre, ils désignent assez clairement les commanditaires potentiels du crime, perpétré par son garde du corps : un diamantaire libanais et/ou le gouvernement américain. Malgré son côté méthodique, le documentaire reste dans le flou. V. O.

Jean-Stéphane Bron/Archives/RTS

Lufilms

Documentaire de Arnaud Zajtman et Marlène Rabaud. Mercredi 27 avril, 20 h 35, France Ô

Traders Documentaire de Jean-Stéphane Bron. Mardi 3 mai, 10 h,TV5Monde

La réaction des traders de Wall Street au krach financier de 2008 Ce film, à voir en complément ou en introduction au film Cleveland contre Wall Street du même cinéaste, sorti en 2010, est sidérant. Pas seulement parce qu’on y voit des traders de Wall Street qui, fin 2008, quelques mois après la déflagration financière qu’ils ont en partie déclenchée, se livrent joyeusement à un combat de boxe amateur, dont les préparatifs émaillent le film. Mais surtout parce que ces jeunes requins de la finance ne culpabilisent pas et jouent les innocents. Le plus réaliste d’entre eux déclare même : “La fête ne fait commencer.” Pour lui, la panique financière va relancer la spéculation au lieu de la ralentir. Depuis, les faits lui ont donné raison. En attendant la vraie crise… V. O.

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Bonne enquête, quoique disparate et rapide, sur les métamorphoses de la presse papier face au numérique.

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a presse papier va disparaître. L’angoisse. D’ici 2017, annoncent des Cassandres. Pendant que la résistance s’organise, Edwy Plenel se frotte les mains. Il a quitté Le Monde et fondé Mediapart, journal en ligne payant, qui engrange les abonnements. Les patrons des grands quotidiens rêvent d’une telle reconversion. Pour le Washington Post, qui cachetonne chez Apple, la tablette iPad est le moyen magique pour passer du physique au numérique. Et si l’avenir, c’était l’info en kit, décrite par un supergeek du New York Times, ou alors les documents bruts piratés dans les (prétendus) dossiers top-secret

des gouvernements (WikiLeaks) ? Toutes ces solutions, tour à tour envisagées, sont bien la preuve qu’il y aura toujours des journalistes et des journaux. Virtuels ou réels, là n’est pas la question. La question, c’est comment faire payer les lecteurs. La réponse est simple, mais pourtant pas explicitée dans ce documentaire : on ne va plus payer le contenu, mais le contenant. On va s’abonner à des faisceaux de services. Les journaux feront partie du package. V. O. La Presse au pied du net documentaire de David André. Mardi 3 mai, 22 h 40, Canal+

Gérard Bedeau

Capa/Canal+

le papier à la peine

Taratata spécial Bashung Emission présentée par Nagui. Vendredi 29 avril vers 0 h 45 sur France 2

Un hommage au chanteur deux ans après sa disparition. Nagui invite plusieurs musiciens unis dans un hommage à la mesure de son héritage, inaccessible mais revendiqué par beaucoup. Autour de Jean Fauque, Mark Plati et Boris Bergman, complices fidèles du défunt, on retrouve la crème des chanteurs hexagonaux actuels, reprenant quelques célèbres titres du répertoire de Bashung : Madame rêve par M, Ma petite entreprise par Benjamin Biolay, Je fume pour oublier que tu bois par Keren Ann, Je t’ai manqué par Luke, J’passe pour une caravane par Gaëtan Roussel, Gaby oh Gaby par les BB Brunes, Vertige de l’amour par Axel Bauer… Jean-Marie Durand

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enquête

Bertrand Degove- La Direction

Fantille (Karina Testa) seule face à la caméra pour une “webthérapie”

une minute chrono Arte vient de lancer 60 secondes, la première websérie diffusée exclusivement sur Facebook – concept porteur ou coup de buzz ?

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n canapé, un rideau noir, un ordinateur et une webcam. Pas de “moteur !” mais une actrice qui se remaquille toute seule et une réalisatrice assise sur un pouf. La logistique paraît minimale, mais la pression est là : aujourd’hui il faut enregistrer au moins huit épisodes – huit fois 60 secondes réussies – d’une seule traite. Depuis le 18 avril, Fantille (incarnée par Karina Testa) s’impose une “cyberthérapie contraignante” sur Facebook. Cette Parisienne de 27 ans s’ennuie dans son boulot et traverse un désert sexuel, “ce qui arrive à des gens très bien !” précise la réalisatrice Hélène Lombard. Sa webcam se lance chaque jour à 19 heures et enregistre ses confidences pendant une minute. La vidéo est ensuite postée sur sa page Facebook. En produisant la première webfiction diffusée exclusivement sur Facebook, Arte a fait le choix d’un instantané de vie. Que Fantille ait envie de raconter son ratage amoureux de la veille, de faire du yoga, de regarder un porno, ou de ne rien faire, les internautes pourront s’immiscer dans son quotidien pendant 63 jours. “Nous jouons avec le côté aléatoire de la caméra qui se déclenche seule, en flattant la tendance ‘voyeur’ des internautes, explique Joël Ronez, responsable du pôle web d’Arte. La fantaisie que nous n’avons pas dans le décor ou le montage, nous l’avons dans le personnage ou les surprises qui donneront envie de revenir.”

Attiser la curiosité des internautes, certes... Mais pourquoi choisir le support Facebook ? “Dans la masse du web, ce réseau social propose des contenus ciblés, qui correspondent aux goûts des utilisateurs” – qui activent le bouche à oreille virtuel. “Sur YouTube, on est invisible. Facebook offre une vraie mécanique virale.” Le réseau social pourrait-il faire peur au géant du streaming et devenir le nouveau canal de diffusion vidéo ? Dès le premier épisode, la série comptait déjà 4 000 fans. “Nous sommes les premiers sur ce créneau et nous créons de la rareté, car les vidéos ne sont pas disponibles partout.” Objectif : atteindre au moins 100 000 fans. Si 60 secondes est plus simple à produire et dix fois moins coûteux (110 000 euros) qu’une série télé, d’autres exigences s’imposent, comme une écriture parfaitement adaptée au support. A nouveau concept, nouvelle plume : Hélène Lombard ou Ioudgine, connue pour son blog “L’histoire de votre vie ferait un bon scénario”, passe ici à la réalisation pour la première fois. Avec sa culture geek et son côté faussement cynique, elle était la candidate idéale. “Dans le ton, la série ressemble à mon blog, explique-t-elle. C’est du quotidien basique un peu teinté lose”. Une sorte de journal intime en ligne... Un virage à 180 degrés par rapport aux documentaires qui ont fait la réputation d’Arte. Pour le coproducteur Bruno Nahon, “l’objectif est aussi de rajeunir la marque Arte. Nous souhaitons interpeller les gens en associant la marque Arte à un programme

urbain, féminin, humoristique. Même si ce n’est pas Caméra café.” Pour l’actrice Karine Testa, habituée aux longs métrages (Il était une fois dans l’oued, par exemple), 60 secondes est aussi une grande nouveauté : “Ce format change énormément de ce que j’ai pu faire. Il faut être efficace en une minute, et c’est un défi de s’exposer comme ça sur internet. Je ne peux pas me cacher derrière un décor ou un angle de prise de vue. Là, il n’y a rien à part moi !” Si Arte innove avec le support Facebook, ce n’est pas la première fois que la chaîne s’essaie au net ou aux réseaux sociaux. Comme le rappelle Joël Ronez, “nous avons déjà montré avec des webdocumentaires comme Gaza/Sderot (en 2008) ou Prison Valley (en 2010) qu’il y avait un intérêt économique et narratif à raconter des histoires sur internet avec une logistique audiovisuelle réinventée.” En 2008 encore, Arte produisait aussi sur MySpace Twenty Show, qui rapportait les confidences de jeunes accros au net. Alors, Fantille parviendra-t-elle à relever son défi en 63 jours : démissionner avant l’été et coucher le premier soir ? Le buzz est bien parti en tout cas : la série intrigue et un internaute s’attache même chaque jour à faire une critique de chaque épisode (tinyurl.com/3ovb9r9/)... en moins de 120 signes. Béatrice Catanese www.facebook.com/60secondes jusqu’au 21 juin Blog de l’auteur-réalisatrice : www.ioudgine.com

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in situ Google quiz Un nouveau site de Google propose un quiz pour inciter les utilisateurs à mieux effectuer leurs recherches. Il s’agit de répondre à une question différente, posée chaque jour par le navigateur. Le site donne ensuite la bonne réponse et la façon utilisée pour la trouver. agoogleaday.com

Facebook sans tache Un site pour être sûr que votre profil Facebook ne plombe pas votre réputation. Reppler scanne toutes les informations de votre profil et les divise en quatre catégories, l’impression donnée, les contenus peu convenables, les informations et les risques quant à la vie privée et la sécurité. Uniquement en anglais. reppler.com

feuille de route Rome2Rio.com propose un nouveau moyen de prévoir ses déplacements en avion ou en train. Créé par deux ex de Microsoft, le site présente sur une carte un itinéraire complet de voyage de son domicile jusqu’à destination. Il suggère non seulement des compagnies aériennes et des heures de vol disponibles, mais indique aussi le train, le métro ou le bus spécifique à prendre lors du voyage. rome2rio.com

reprises de choc “Des chansons que vous connaissez par des gens que vous ne connaissez pas”. C’est le concept de ce site qui rassemble des vidéos amateurs triées sur le volet. De Chet Baker aux Destiny’s Child en passant par DJ Shadow repris par un orchestre de percussions, il y en a pour tous les goûts. Certaines sont drôles, excellentes et toujours complètement inattendues. coversongarchive.blogspot.com

la revue du web Internet Actu

The Atlantic

Slate

l’amateur décrypté

villes fantômes

alertes à la bombe

Aujourd’hui, il est possible de s’exprimer sur internet, de produire du contenu en s’improvisant journaliste, musicien, photographe ou encore concepteur de logiciel. Cet essai issu d’un colloque organisé par le Digital Life Lab de l’Institut Télécom s’interroge sur les enjeux sociaux et culturels liés à la montée des pratiques amateurs dans l’univers numérique à travers deux questions clefs : Qu’est-ce qu’un amateur ? Le numérique transforme-il l’amateur ? Une réflexion essentielle pour envisager l’avenir des industries culturelles. petitlien.fr/5fvl

En Floride, en Arizona et au Nevada, plusieurs villes de plus de 10 000 habitants ont des taux d’inoccupation qui avoisinent les 60 %.Touchées par la récession et la crise économique, ces villes désertées ont vu les acheteurs disparaître, réduisant considérablement le tourisme dans la région et obligeant leurs habitants à vendre. Devenues de véritables attractions pour les visiteurs, elles se transforment en décor de film noir lorsqu’ils désertent les lieux. petitlien.fr/5fus

Peut-on s’inspirer des films catastrophes pour savoir comment agir en cas de panique nucléaire ? Certains films sont dépassés. Le Monde, la chair et le diable, ou encore Le Dernier Rivage (1959), suivent des scénarios “plus tellement à la mode” selon le spécialiste des questions nucléaires Jean-Vincent Brisset. Et si les attaques à la 24 heures chrono sont qualifiés de “folkloriques”, l’article trouve le scénario de Docteur Folamour (un militaire décide de lancer des bombes nucléaires sur la Russie sans avertir sa hiérarchie) “reste d’actualité”. Brrr. petitlien.fr/5gba 27.04.2011 les inrockuptibles 121

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de Bruce Gilbert Peter Rehberg, directeur de l’excellent label autrichien Editions Mego, dont chaque disque publié mérite d’être découvert, vient de me donner The Shivering Man, superbe album solo de 1986 de Bruce Gilbert, membre de Wire et collaborateur de l’admirable danseur et chorégraphe Michael Clark. Cette réédition est prévue pour le 9 mai.

Union of Irreconcilables Tomboy de Céline Sciamma Chronique splendide et sans contrefaçon d’une petite fille qui passe pour un garçon.

Detective Dee de Tsui Hark Le dieu du cinéma d’action hongkongais réussit un époustouflant film de combats en costumes.

Emmanuelle Parrenin Maison cube Un album mitoyen du mythique Maison rose, unique et visionnaire, sorti en 1977.

de Menace Ruine Un jeune groupe dont la musique d’une rare intensité est tout à la fois jubilatoire, sombre et lumineuse. Niccolò Ammaniti La Fête du siècle Un portrait au Kärcher de l’Italie moderne à travers une secte minable et un écrivain à succès.

Je veux seulement que vous m’aimiez de Rainer Werner Fassbinder Un téléfilm inédit de 1976 adapté de l’étude psychiatrique d’un cas criminel.

de Roger Caillois Un livre toujours essentiel qui fait réfléchir à la signification du sacré. Comme La Part maudite de Bataille, il permet de penser le rôle de l’art, du rituel et de la religion dans les sociétés contemporaines par Claire Moulène

Gisèle Vienne Gisèle Vienne est metteur en scène. Gisèle Vienne/Dennis Cooper/Peter Rehberg/ solo pour Jonathan Capdevielle le 27 avril à Saint-Médard-en-Jalles et le 28 à Pessac. Elle participe à une exposition Do You Think, That Would Have Made it Magic?, jusqu’au 14 mai à la galerie Olivier-Robert à Paris.

Timber Timbre Creep on, Creepin’on Avec leur pop pastorale mais hantée, ces Canadiens sont les champions de l’americana. Elena Rjevskaïa Carnet de l’interprète de guerre Au service des Soviétiques en 39-45, cette interprète raconte ses années passées au front.

Source Code de Duncan Jones Fan de SF, le très geek fils de David Bowie imagine des films de science-fiction à la mode indé.

L’Homme et le Sacré

Patrcick Chiha

The Shivering Man

James Blake James Blake Premier album éponyme de la nouvelle sensation electro du moment. Contemplatif, sombre et beau. Entre soul et dubstep.

Metronomy The English Riviera Le grand disque de pop moderne de 2011.

Dream Home de Pang Ho-Cheung. Premier film gore sur la crise des subprimes. Grindhouse double programme fétichiste des 70’s signé Rodriguez et Tarantino. Mean Streets de Martin Scorsese. Réédition d’un classique assortie d’une mine de bonus.

Orhan Pamuk Le Musée de l’innocence Une histoire d’amour hors norme sur fond de lutte des classes dans l’Istanbul des années 70.

John le Carré Un traître à notre goût Mafia russe, corruption des banques et espionnage anglais : un tour de force littéraire.

Intégrale Philémon de Fred Cette figure de Pilote revient avec une réédition des aventures de son héros rêveur.

Alec, l’affaire du trompinoptère d’Eddie Campbell Dernier volet d’une autobiographie élégante et pudique.

Ralph Azham tome 1 de Lewis Trondheim Humour cynique, héros insolent et aventure trépidante, Trondheim est en grande forme.

Nos images de Mathilde Monnier, Tanguy Viel et Loïc Touzé Théâtre de Gennevilliers Conjuguer danse et écriture pour dessiner sur scène les contours d’une cinéphilie.

Rhinocéros mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota Théâtre de la Ville, Paris. Retour sur un texte mythique déjà mis en scène en 2004.

Acmé Ak-Me de Karim Amghar Pénombre de Prince Dethmer Nzaba Au Tarmac de La Villette Deux solos pour le prix d’un.

Manet Musée d’Orsay Redon Grand Palais Les événements du printemps à Paris.

Richard Prince American Prayer BNF, Paris Entre contreculture et mainstream, Prince décline sa passion des livres.

Sarah Tritz Galerie Anne Barrault Saturée et suturée, une première expo qui flirte avec l’histoire de l’art et des formes.

Okami Den sur DS Un magnifique chant du cygne à la DS.

The Kore Gang: La Menace intraterrestre sur Wii Un garçon, une fille et un chien contre une bande d’aliens hideux.

Bulletstorm sur PS3 Un des FPS les plus intelligents de ces derniers mois.

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