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Avignon

Tomboy

grand film de genres

la “battle” de Skyrock

M 01154 - 803 - F: 2,50 €

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Allemagne 3,40 € - Belgique 2,90 € - Canada 5,20 CAD - DOM/A 3,90 € - Espagne 3 € - Grèce 3,30 € - Italie 3,30 € - Liban 8500 LBP - Luxembourg 2,90 € - Maurice Ile 5,50 € - Portugal 3,30 € - Suède 40 SEK - Suisse 5 CHF - TOM 700 CFP

No.803 du 20 au 26 avril 2011

u nouvea

2.50€

les ultracathos détruisent une œuvre

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j’ai été au McDo avec

Stupeflip

 U

n jeudi après-midi place d’Italie, XIIIe arrondissement de Paris. Julien – dit King Ju – de Stupeflip déboule à toute allure et la tête à l’air libre dans le McDo où on lui a filé rencard. Lunettes noires, blouson en cuir porté cool, sweat à capuche bleu sans les ficelles – peut-être a-t-il ligoté une fille avec. Il traverse la salle bondée, se retourne, voit le journaliste et vient le checker virilement : “T’as changé, tu ressembles à un homme des bois.” Dans ce restaurant rapide, King Ju a ses habitudes. “Le XIIIe arrondissement, c’est chez moi. J’y vis depuis trente-sept ans, je suis au-delà du dégoût. Je vois les bobos arriver à ma porte, ça me fait vomir. Je les vois rouler avec leur poussette atroce comme pour mieux me dire de m’en aller.” En février, Stupeflip a publié son troisième album, The Hypnoflip Invasion : un acte tout aussi classe et désespéré que les précédents, peut-être un peu plus accessible, qui fait de ce groupe l’un des plus attachants de la scène française. “Je t’invite, je suis pété de thunes”, dit Julien en glissant sa main à la poche. On lui dit que ça ira, alors il commande directement : “Un cheese, un Coca, s’il vous plaît”, c’est rodé. Est-ce qu’il vit toujours dans cet appartement limite insalubre qui avait fait sa légende il y a dix ans, lorsqu’il recevait tour à tour les journalistes dans sa tanière pour évoquer le premier disque du Stup ? “Ah ah, oui, toujours”, précise-t-il en effaçant un petit rire sec, nerveux et efficace. King Ju prend une table où l’on s’assoit côte à côte, et parle en regardant devant lui. “Le seul truc qui m’intéresse, c’est Booba. C’est le seul qui réinvente la langue française, qui la fait avancer, alors que les petits rockeurs, c’est nul.” Il parle ensuite de son public, qui n’a pas déserté les rangs malgré les six ans d’écart avec le dernier disque : “C’est des petits avec des sweats et des têtes super qui hurlent ‘A bas

“je suis un malgrémoi, c’est une fille de 18 ans qui a dit ça de moi un jour, j’aime bien”

la hiérarchie’ et qui aiment le rap, malins comme des singes, mais malins ! Des vieux aussi, carrément des 50 balais, qui aiment les concepts-albums de Pink Floyd et les Bérus aussi. Je suis fier d’agglomérer des gens comme ça.” Il mâchouille son cheese et parle un peu de lui. “Je suis un malgrémoi, c’est une fille de 18 ans qui a dit ça de moi un jour, j’aime bien. Je me cache alors que tout le monde se montre. Je ne suis pas un ambitieux, je trouve que l’ambition est mal placée et mal élevée chez les artistes. Pour la plupart, les artistes parlent de leur musique sur un ton que je trouve insupportable. Moi, je peux à peine écouter un morceau de mon disque, et en parler, ça n’est même pas envisageable, tu verrais ce que je dirais.” King Ju en a fini avec son cheese, il joue désormais avec le papier qu’il plie et déplie, puis attrape sèchement son portable. “J’ai rendez-vous avec un mec de France Info, je vais voir s’il est là.” Il file dans le bar à côté, revient bredouille. “Personne n’avait la gueule de France Info”, dit-il en riant. On lui explique qu’il va falloir faire des photos. “Tiens, et si je montrais ma gueule pour une fois. Les masques, il faut savoir couper dedans, mettre un coup de ciseau.” Il hésite, se fait prendre en photo de profil mais ça sera trop sombre. Puis il place sa capuche sur sa tête, noue son écharpe autour de sa tête et prend une pause de catcheur sous les yeux inquiets d’une dame âgée qui passe par là. Ces derniers mots seront : “Tiens, là, vas-y, shoote-moi, on est dans du Stupeflip, là.” Texte et photo Pierre Siankowski concert les 3 et 4 mai à Paris (Bataclan) 20.04.2011 les inrockuptibles 3

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No.803 du 20 au 26 avril 2011 couverture la “battle” de Skyrock

03 quoi encore ? Stupeflip

08 on discute courrier ; édito de Serge Kaganski

10 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

16 événement Robert Ménard est partout

18 événement l’ambiance magique du festival Coachella l’œuvre Piss Christ vandalisée

22 parts de marché les nominations arbitraires du ministre de la Culture

24 la courbe

Guillaume Binet/M.Y.O.P

20 événement

ça va ça vient ; billet dur Cults

28 ici l’Observatoire français des drogues change de directeur

29 ailleurs

44 Thierry Dudoit/Express/RÉA

26 nouvelle tête

les bloggeurs du Huffington Post réclament leur dû

30 à la loupe le coq gaulois queerisé pour la Marche des fiertés

32 planète Skyrock 43 Ségolène Royal, la discrète la candidate à la primaire fait profil bas

44 Copé et la campagne de 2012

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stratégies du secrétaire général de l’UMP

46 entretien avec Cécile Duflot sur le nucléaire, le duel Hulot-Joly…

47 presse citron revue d’info acide les politiques en quête de défaite

50 contre-attaque la répression préventive du pouvoir chinois

Philippe Lebruman

49 que le meilleur perde

Brendan Smialowski/Getty Images/AFP

la radio des jeunes en pleine crise

60

52 l’homme qui en savait beaucoup Bob Woodward, journaliste américain, a enquêté dans Les Guerres d’Obama

58 le Japon d’Oriza Hirata le metteur en scène raconte son pays

60 Emmanuelle Parrenin 2 un chef-d’œuvre de folk visionnaire en 1977, et aujourd’hui un deuxième

64 Céline Sciamma elle filme la jeunesse et son trouble

64 20.04.2011 les inrockuptibles 5

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34

68 Tomboy de Céline Sciamma

70 sorties Source Code, Detective Dee, Mainline, Je veux seulement que vous m’aimiez…

72 interview Tsui Hark, le dernier empereur

78 Okami Den un très beau chant du cygne pour la DS

80 Timber Timbre les rois canadiens de l’americana

82 mur du son Herman Dune, Les Eurockéennes, Sakifo…

83 chroniques The Pains Of Being Pure At Heart…

91 morceaux choisis Brodinski…

92 concerts + aftershow festival Super ! Mon amour

94 Niccolò Ammaniti portrait au Kärcher de l’Italie moderne

96 romans/essais Elena Rjevskaïa, Mark Twain…

98 tendance Giesbert le sarkologue

100 agenda les rendez-vous littéraires

102 bd l’intégrale Philémon, par Fred

104 L’Homme-Jasmin + Kafka lyrique + Danse d’ailleurs

106 Sarah Tritz + la peinture française malade

108 Madame Grès au musée la grande couturière enfin exposée

110 Barbie face à ses juges en DVD, le procès du bourreau nazi

112 Philippe Nassif contre le nihilisme postmoderne

113 Magazine le magazine qui parle des magazines

114 séries Signature, série française aux antipodes

116 télévision avant Fukushima, Tchernobyl

118 enquête payer avec son portable

120 la revue du web décryptage

121 vu du net le vintage en folie

122 best-of le meilleur des dernières semaines

rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Hélène Fontanaud, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs E. Barnett, S. Beaujean, G. Belhomme, M. Besse, G. Binet, T. Blondeau, S. Bou, A. Boulan, M.-A. Burnier, O. Cachin, N. Chapelle, A. Collette, A. Compain-Tissier, M. Despratx, O. Fernandes, I. Foucrier, J. Goldberg, A. Guirkinger, E. Higuinen, O. Joyard, B. Juffin, C. Kautz, C. Larrède, J. Lavrador, N. Lecoq, T. Legrand, H. Le Tanneur, G. de Margerie, L. Mercadet, B. Mialot, P. Noisette, V. Ostria, Y. Perreau, E. Philippe, E. Pick, S. Piel, L. Soesanto, P. Sourd lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable animation Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Caroline de Greef, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Jérémy Davis, Caroline Fleur, Céline Benne conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeurs artistiques Pascal Arvieu, Mathieu Gelezeau (remplaçant) maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/ scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté d’Arthur Bellot tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 Dorothée Malinvaud (spécial festivals) tél. 01 42 44 15 67 coordinatrice Dounia Hajji tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 19 98 publicité commerciale, directrice Sarah Roberty directeur et directrice de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94, Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 coordinatrice Margaux Monthieu tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/relations publiques Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65, chef de projet marketing direct Alexia Bernard tél. 01 42 44 44 17 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard (tmattard@ame-press. com, tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19, infos au 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Valérie Imbert fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 2 211 059,61 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Matthieu Pigasse directeurs généraux adjoints Stéphane Laugier, François Rossignol attachée de direction Charlotte Brochard directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2011 directeur de la publication Matthieu Pigasse © les inrockuptibles 2011 tous droits de reproduction réservés Ce numéro comporte un supplément 16 pages “Développement durable” jeté dans l’édition France de la vente au numéro ; un encart abonnement 2 pages Belgique et Suisse jeté dans l’édition vente au numéro Belgique et Suisse ; un encart “Europavox” jeté dans les départements 03, 15, 19, 23, 42, 43, 63, 69 et 87.

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l’édito

à bas la présidentielle ! On l’a déjà écrit ici, il serait excellent d’en finir avec la Ve République et son principal marqueur, l’élection du président au suffrage universel direct. Le barnum actuel des candidatures et le sain ras-le-bol de Dany Cohn-Bendit (Libération, 15 avril) nous confortent dans cette idée. La présidentielle rend les politiques malades, dit l’ami Dany. Il a raison. Il suffit de voir l’actuelle Star Ac’ politique en marche : des candidats qui n’ont aucune chance (Montebourg, ex-pourfendeur de la Ve), d’autres qui minaudent (DSK, Aubry, Borloo...), d’autres en embuscade (Sarkozy, Royal, Bayrou...), d’autres médiatico-publicitairement forts et politiquement nuls (Hulot, et pourquoi pas Sébastien ? ou Zidane ?)… Une inflation de candidats, des doublons ou triplons pour un même courant politique, et une seule place à l’arrivée, est-ce bien raisonnable ? Ces présidentielles mobilisent le personnel politique et font tourner le moulin médiatique pendant quasiment deux ans, plus du tiers d’un mandat, alors que les problèmes de la société française sont considérables. Mais la résolution de ces problèmes semble n’être plus que l’affichage d’une course au trône élyséen devenue une fin en soi : la Ve République marche sur la tête. Cohn-Bendit dit aussi que la présidentielle infantilise la démocratie. Encore bien vu ! Pourquoi une majorité de Français auraitelle encore besoin de ce doudou politique usé, résidu dégénéré de nos rois ? Comment ne pas voir que notre système semi-présidentiel est plus monarchique que les monarchies parlementaires qui nous entourent ou que le régime présidentiel américain, équipé de puissants contre-pouvoirs ? Autre inconvénient, le tout-à-l’ego présidentiel nous focalise sur notre petit nombril gaulois alors que les grands défis du XXIe siècle sont d’essence transnationale. Pour que notre démocratie soit plus mûre, désacralisée, mieux équilibrée entre ses pouvoirs, bref plus... démocratique, pour que les idées politiques prennent le pas sur le permanent tiercé des personnalités, il faudrait rétablir un régime parlementaire comme ceux qui sont en place à peu près partout en Europe. Débat de spécialistes ? Non, question qui conditionne toute notre vie politique et démocratique et qui mérite d’être reposée au moment où on va nous gaver de présidentielle jusqu’à l’indigestion.

Serge Kaganski

Dites, “Les Inrocks”, vous pourriez arrêter de nous obliger à acheter des disques tous les mois ? On a tous Spotify. Merci. méchamment twitté par _Hum_Hum_ je m’emballe C’est vrai qu’il n’était pas nécessaire que Wenders déplace certaines chorégraphies dans des décors naturels ; les spectacles de Pina Bausch se suffisent à eux-mêmes. Le cinéaste allemand est coutumier du fait. Ses interventions un peu lourdes plombaient déjà il y a quelques années Par-delà les nuages d’Antonioni. Mais ne boudons pas notre plaisir ! Les représentations des spectacles de Pina Bausch occupent une très large partie du film… Et Pina Bausch c’est tellurique, dionysiaque ! Sébastien Berlendis, Lyon

je bluffe Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la vie sexuelle de Carla B.… Carla Bruni, icône du XXIe siècle. Pour sa carrière de top model ? Pour ses chansons ? Pour sa brève apparition dans un film de Woody Allen ? Non, plutôt pour ses innombrables partenaires sexuels.Sarkozy est fini, et si DSK fait bien le travail, le poste ne devrait pas lui échapper. Il deviendrait alors le second chef d’Etat au tableau de chasse de la belle. La rencontre eut lieu un jeudi de janvier 1998, le 18 ou le 19. Celui qui était alors ministre de l’Economie assistait à un gala visant à réunir des fonds pour lutter contre l’addiction sexuelle (il n’avait pas été invité mais avait tenu à être là). Il avait à cette occasion usé de son influence pour se faire présenter à Carla B. Une fois le gala terminé, ils rejoignirent l’appartement de mademoiselle Bruni. Une fois leur gala terminé, Dominique se leva, encore nu, et gagna le salon. Son regard s’arrêta sur la pile de CD. – “Je vois que tu es une fan de Guided By Voices, lui cria-t-il. – Guy comment? – Guided By Voices, je vois que tu as leur Alien Lanes. Je sais que tout le monde pense que Bee Thousand est leur chef-d’œuvre, mais moi j’ai toujours préféré Alien Lanes. – Oh ça, lui répondit-elle en le rejoignant dans le salon, enroulée dans ses draps. C’est à Graham. – Graham ? – Graham Coxon, le guitariste

de Blur. Il a passé une soirée ici, et disait qu’ils étaient de la trempe des Beatles… mais je ne suis pas convaincue. Alors que Dominique airguitare sur As We Go Up, We Go Down, Carla fait mine de s’intéresser. – Est-ce le troisième ou le quatrième morceau ? – C’est le cinquième. – Déjà ! je n’ai pas vu passer les quatre premiers… et voilà déjà le sixième ! Et 73 secondes plus tard : – Et le septième... Ce groupe ne va pas au bout des choses. Ils commencent une chanson et avant même que l’on ait pu s’y habituer, ils passent à la suivante. Je reconnais qu’ils ont de belles mélodies, mais ils ne savent pas comment les mettre en valeur. – Mais si, au contraire, s’insurge Dominique. La concision extrême des chansons, c’est ce qui fait la force de l’album. Là où les autres usent jusqu’à l’os la moindre bonne mélodie, GBV passe de l’une à l’autre avec l’excitation d’un enfant face à des jouets !” Si vous avez lu jusqu’ici, vous vous êtes rendu compte qu’il n’était nullement question dans ce texte de la vie sexuelle de Carla B.(ou si peu). Je m’excuse de vous avoir trompés, mais quel autre moyen avais-je de vous faire lire ma critique élogieuse d’Alien Lanes ? Dans un monde de pervers voyeuristes comme le nôtre, il faut faire preuve d’un peu d’imagination pour promouvoir la musique qui en vaut la peine. Renaud Devillé

réagissez sur [email protected]

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction joint polluant C’est pas bio de méfu ! Fumer un joint consomme autant d’énergie qu’une ampoule de 100 watts allumée pendant dix-sept heures. Un kilo d’herbe équivaut à l’énergie d’une voiture qui traverse cinq fois les Etats-Unis. La culture de marijuana compte pour 1 % de la consommation annuelle d’électricité aux Etats-Unis, soit la conso de deux millions de foyers américains, d’après Evan Mills, analyste en énergie aux laboratoires Lawrence Berkeley National. La faute aux serres géantes et à l’autoproduction urbaine boostée aux halogènes. Une solution durable : la culture en extérieur ; pour ça, il faut légaliser.

le mot

La presse moderne, qui adore le vocabulaire antique, nous bassine avec “le chant récemment adouci de la sirène Marine Le Pen” (Libération, 11/04). Homère prévient : les sirènes étaient des femmes-oiseaux plumées par les Muses et incapables de voler. Leurs voix enchanteresses captivaient tant les marins qu’ils se jetaient sur les récifs où elles les dévoraient. On ne connaissait que deux façons de leur échapper : se boucher les oreilles à la cire d’abeille – ce qui n’est pas le cas à l’UMP ; se faire attacher au grand mât – ce qui ne semble guère dans les intentions de M. Guéant. Mais au Moyen Age – pourquoi ? –, les femmes-oiseaux se sont transformées en femmes à queue de poisson. Or queue de poisson a deux sens : d’abord, “tourner en eau de boudin”, ensuite “se faire doubler par une voiture qui se rabat brusquement”. Cette seconde interprétation semble mieux correspondre à la position de M. Sarkozy.

Mike Albans/The New York Times/Redux/RÉA

[sirène]

un verre d’absinthe Dans sa longue marche vers la

Francis le Gaucher

réhabilitation totale, l’absinthe vient de faire un grand pas. L’Assemblée et le Sénat ont ratifié la semaine dernière le texte abrogeant la loi du 16 mars 1915 qui interdisait sa vente et sa production dans le pays. Tolérée depuis plusieurs années sous la forme d’un “spiritueux aromatisé à la plante d’absinthe”, la liqueur avait été prohibée en raison de la présence dans sa composition de la thuyone, molécule dangereuse pour les reins et le cerveau, mais aussi parce que les producteurs de vin s’inquiétaient à l’époque de la montée des ventes de cet alcool réputé hallucinogène… merci Feelies Alors que ce journal fête ses 25 ans (printemps 86 : premier numéro des Inrocks), on reçoit Here Before, le nouvel album des Feelies, groupe culte de la pop américaine dont les disques ont accompagné notre adolescence. Les Feelies n’avaient pas sorti de disque depuis 1991, et le nouveau sonne comme à l’époque. On les remercie d’avoir attendu l’anniversaire des Inrocks pour se remettre au boulot. 10 les inrockuptibles 20.04.2011

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chiche Jessica Alba, qu’on ne savait pas aussi mélomane, twitte : “Je veux que Yelle et Hot Chip fassent une chanson ensemble.” Comme pour n’importe quelle demande formulée par Jessica Alba, on est tenté de soutenir à fond.

six mois de guerre ouverte entre les salariés et l’éditeur de BD Jean-Christophe Menu, l’AG de L’Association a enfin eu lieu, au Point Ephémère. Après des débats houleux et un vote tumultueux, un conseil d’administration consensuel réunissant Jean-Christophe Menu et six membres fondateurs de L’Association (dont Killoffer, David B. et Lewis Trondheim) a finalement été élu. A l’annonce des résultats, l’ambiance était paraît-il détendue. Ce vote signera-t-il la fin de cinq ans de bisbilles entre les fondateurs ? Arriveront-ils à retravailler ensemble ? Longue vie à L’Association ! anti-balances En pleine enquête sur une fusillade survenue fin mars dans un quartier de Londres rongé par la guerre des gangs, la police fait face à un travail de sape organisé. Des tracts portant le message Don’t snitch! (“Balance pas !”) ont été glissés dans les boîtes aux lettres du quartier. Une vidéo postée sur internet montre des rappeurs incitant fermement les témoins à la boucler. Une campagne similaire avait été menée après un règlement de comptes en janvier. Londres prend des airs de Baltimore, où les gangs ont réussi à implanter la culture anti-balances. à qui appartient Facebook ? (suite) Après sept ans de silence, le New-Yorkais Paul Ceglia sort du placard et réclame sa part de Facebook. Ceglia avait déjà porté plainte l’été dernier, affirmant qu’il avait signé un contrat avec Mark Zuckerberg en 2003, au moment du lancement du site. Selon lui, le contrat lui accordait 50 % des parts, plus 1 % par journée de retard sur le lancement du site. Facebook ayant été lancé avec un mois de retard, Ceglia jure avoir droit à 83 % des parts. L’an dernier, personne n’avait cru à son histoire, mais Ceglia présente aujourd’hui à la cour des mails échangés avec Zuckerberg. Qui répond que les courriels sont bidon. A suivre. Encore. OpenLeaks à la bourre Officiellement lancé en décembre dernier, le site OpenLeaks, alternative supposée à WikiLeaks, n’est toujours pas opérationnel. Samedi dernier, lors d’une conférence à Berlin, son créateur Daniel Domscheit-Berg, ancien de WikiLeaks fâché avec Assange, a admis qu’il n’avait pas su déléguer les tâches de façon efficace, ce qui avait ralenti l’avancement du projet. Plus modeste et transparent qu’Assange, Domscheit-Berg a aussi

l’image Parr à Paris

L’immigration, une question d’œil ? Le photographe Martin Parr en livre sa vision. Coïncidence : depuis le 6 avril, lendemain du débat sur la laïcité, Martin Parr, le célèbre photographe british de l’agence Magnum, expose à l’Institut des cultures d’Islam. The Goutte-d’Or! présente trente-cinq images de l’artiste, sur deux mille réalisées lors d’une résidence d’une semaine à la Goutted’Or, à Paris. L’antique quartier prolo de L’Assommoir de Zola est devenu village rebeu à la frontière des Grands-Boulevards. Résultat : un portrait tranché et drôle, loin des clichés, où l’on croise des filles voilées mais coiffées de la couronne des rois et un jeune commerçant musulman posant devant sa tirelire en forme de cochon.

Martin Parr/Magnum Photos/Institut des cultures d’islam

L’Association rabibochée Après

Eric, charcutier au “Cochon d’Or” depuis dix-sept ans

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Andrew Winning/Reuters

le moment

Un jugement sévère (mais juste) contre les violences à l’égard des militants antimondialistes. Deux ans après les faits, la Haute Cour de justice anglaise vient de déclarer illégaux les agissements de la police britannique contre les militants anti-G20 de la manif du 1er avril 2009 à Londres. Ce jour-là, des policiers avaient frappé et molesté des manifestants visiblement pacifiques, puisque certains avaient les mains en l’air et criaient “This is not a riot” (“Ce n’est pas une émeute”). Dans la mêlée, un passant avait même trouvé la mort, victime d’un arrêt cardiaque après avoir été cogné par un officier. S’appuyant sur les vidéos tournées ce jour-là, la Haute Cour a jugé ces violences “disproportionnées, injustifiées et illégales”. Extrêmement symbolique, ce jugement suffira-t-il à modifier les pratiques policières lors des manifestations de ce genre ? C’est l’espoir des manifestants antimondialistes.

L. M., B. Z., avec la rédaction

Tsunehisa Katsumata, le président de Tepco, opérateur de la centrale de Fukushima

Issei Kato/Reuters

policiers illégaux

annoncé que l’organisation n’avait pour le moment reçu que 600 euros de don. Mais ce retard à l’allumage semble paradoxalement correspondre à la philosophie d’OpenLeaks, sorte de boîte aux lettres numérique dans laquelle chacun pourra transmettre des documents confidentiels à un journal ou une organisation de son choix. “Nous ne voulons pas être sur le court terme, un buzz qui s’éteindra au bout de dix-huit mois”, dit Domscheit-Berg, en référence à WikiLeaks. velours toujours Le 7 juillet à la Cité de la musique à Paris, dans le cadre du festival Days Off, hommage sera rendu au Velvet Underground avec le concert d’un collectif qui regroupera des membres de Supergrass, de Air et de Radiohead sous la houlette du producteur Nigel Godrich. Si on suivait les répètes en studio ? wonderwall Pas rancunier, Chris Martin de Coldplay reprend lors d’un concert secret une chanson d’Oasis sur scène – l’incunable Wonderwall. Rappelons que Noel Gallagher avait conseillé à Chris Martin “de se droguer pour être moins chiant”, tandis que Liam l’avait traité de “tête de nœud d’intello première année”. Coldplay tient toujours la corde pour jouer lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Londres. Oasis sera devant sa télé. ballon d’or fondu Diego Maradona ne remettra jamais la main sur le Ballon d’or reçu au titre de meilleur joueur de la Coupe du monde 86. Selon Salvatore Lo Russo, chef de clan du quartier de Miano à Naples, le trophée, dérobé en 1989 au domicile napolitain du Pibe, a depuis longtemps été fondu en lingot par la Camorra. A l’époque, Lo Russo avait pourtant tout fait pour récupérer le trésor et le revendre à Maradona, à qui il fournissait de la coke. nucléaire sans frein Dimanche 17, Tepco, l’opérateur de la centrale de Fukushima, déclare qu’il faudra entre six et neuf mois pour arrêter les réacteurs. Le temps qu’ils refroidissent. Dans le nucléaire, enfoncer l’interrupteur ne suffit pas ! Annonce faite par le président de Tepco (celui qui avait disparu), Tsunehisa Katsumata, en conférence de presse. Il songe même (il l’a déclaré) à démissionner. Mais pas à se couper le petit doigt.

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Robert sans frontières Le Vive Le Pen ! de Robert Ménard n’a pas surpris ses proches. Pour ceux qui l’ont cotoyé depuis une vingtaine d’années, l’ex-président de RSF a toujours été réactionnaire. Ce qu’il confirme.

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st-ce que vous pensez que je suis assez con pour ne pas me poser cette question ?” Ne vous énervez pas, Robert Ménard. On vous demandait juste si vos boulots de chroniqueurs dans les médias ne vous obligeaient pas à devenir une caricature. Le ton de la réponse nous met sur la voie. La question, on se l’est posée : comment passe-t-on de patron de Reporters sans frontières (RSF) à réac de service sur les plateaux télé. Y a-t-il deux Robert Ménard ? L’ancien, qui se battait pour les journalistes emprisonnés et se faisait arrêter lors de l’ouverture des JO de Pékin, et le nouveau, qui trouve des justifications à la peine de mort et à la torture et titre un fascicule Vive Le Pen ! Ménard ne voit pas la contradiction. Ce titre, Vive Le Pen !, c’est “de la provocation bien sûr”, une réflexion sur le poids du politiquement correct. “Je suis un militant pour la liberté d’expression”, rappelle-t-il. Mais l’argument de “ces gens qui n’avaient pas la parole” a mal vieilli. Lui, Eric Zemmour, Elisabeth Levy sont les nouveaux chouchous des télés et des radios. Marine Le Pen est sur tous les plateaux. “Cela fait partie des poses à la Finkielkraut de se présenter en parias, alors qu’ils dînent à la grande table un jour sur deux”, dit de lui Rony Brauman,

qui a passé plus d’une dizaine d’années avec Ménard à RSF. De fait, on a du mal à écouter sérieusement ce dernier quand il commence ses phrases par “en France, on ne peut pas dire que…” L’homme dispose de son propre magazine (la revue Médias), d’une chronique hebdomadaire sur la radio la plus écoutée de France, d’une émission sur la chaîne I-Télé. D’Yves Calvi à Frédéric Taddéi, il est invité partout. Régulier d’On refait le monde sur RTL au titre de patron de RSF, il entre dans le cercle des “polémistes” payés 150 euros par émission. Bernard Poirette, qui anime la matinale du week-end, et Hervé Béroud, alors patron de la rédaction, ont ensuite l’idée de proposer une chronique hebdomadaire à “cet anar de droite pertinent et audible”, selon les mots de Poirette. Même casting sur I-Télé. Thierry Thuillier, alors patron de l’info, observe qu’aux Etats-Unis “ce sont les chaînes qui ne défendent pas de points de vue comme CNN qui ont le plus perdu de téléspectateurs”, quand Fox News a décollé avec ses O’Reilly et autres agités de droite. L’ex-patron de RSF décroche sa case Ménard sans interdit. Au départ, la direction le trouve un peu sinistre, pas très télégénique. Mais son style s’affirme, “en permanence sur la ligne jaune”. Sur RTL, raconte un journaliste, “certains pensent que le mec

a fondu les plombs dans la lumière, qu’il est dans la surenchère compétitive avec Zemmour”. Le 5 avril, lorsque Le Monde titre sa page 3 “Profession : réactionnaire”, la rédaction réalise que quatre des cinq en photo (Ménard, Zemmour, Rioufol, Levy) travaillent pour RTL. Malaise. La condamnation de Zemmour et le Vive Le Pen ! de Ménard, ça fait beaucoup. Robert passe une heure dans le bureau de Catherine Mangin, la directrice de l’info. “Ils sont emmerdés par le monstre qu’ils ont créé”, décode un autre journaliste. Mais ses interventions ont toujours été pesées : Ménard envoie ses textes le vendredi, avant sa chronique du samedi. Christophe Hondelatte décide même d’en faire l’invité de son journal du soir à l’occasion de la sortie de son livre. Ménard assure qu’il n’a pas changé. “Quand vous dirigez une association de droits de l’homme, il va de soi que vous êtes de gauche, lâche-t-il. Le problème, c’est que je ne suis pas de gauche.” Ce n’est pas un scoop. Alors qu’il était patron de RSF, il avait déjà dit sur RTL avoir voté Sarkozy. Sur le reste aussi, assure-t-il, il reste le même. “Mais on ne m’interrogeait pas sur l’homosexualité quand j’étais responsable de RSF.” Maintenant, on peut connaître le point de vue de Ménard sur tous les sujets, de l’homosexualité (il n’aimerait pas que

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“quand vous dirigez une association de droits de l’homme, il va de soi que vous êtes de gauche. Le problème, c’est que je ne suis pas de gauche” sa fille soit gay) à sa haine d’Eva Joly (“peste verte”). “Et si j’invite le Suisse qui a proposé le référendum sur les minarets dans mon émission, ce n’est pas parce que je suis d’accord”, dit-il au sujet d’une invitation qui a fait des remous dans la rédaction d’I-Télé. “La liberté d’expression, c’est ce que je défends depuis vingt-cinq ans à Reporters sans frontières”, dit Ménard avec un présent qui pèse à l’ONG. Invité de Mots croisés, sur France 2, pour parler de Marine Le Pen, un bandeau le présente comme le fondateur de RSF. L’association est dans ses petits souliers. “Ce qu’il dit ne correspond pas aux valeurs qu’on défend”, résume Jean-François Julliard, qui lui a succédé. L’ONG tente de s’extirper des petits conflits d’intérêts des années Ménard : RSF a des parts dans la société qui publie le magazine Médias dont Ménard est directeur de la publication… “On veut vendre les parts, même si elles sont symboliques, pour couper tout lien entre RSF et Médias”, dit Julliard. En interrogeant ceux qui ont travaillé avec lui, on découvre un homme dont les embardées exaspéraient depuis

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longtemps, mais sur lesquelles on fermait les yeux, un homme protégé par sa cause en lettres majuscules. Rony Brauman, dans l’équipe d’origine, n’a pas été surpris de l’entendre défendre la peine de mort : “Au milieu des années 90, il a commencé à être excessif. Son discours s’est BHLisé. Il est devenu un peu néoconvervateur.” Même ceux qui le suivent depuis longtemps sont désorientés. Le journaliste Philippe Gavi, un ancien de Libé, le premier à développer une rubrique média dans un journal, travaille régulièrement pour Médias. Il a appris la sortie de Vive Le Pen ! dans Le Nouvel Obs. “On avait eu un comité de rédaction trois semaines avant. Il ne nous avait rien dit.” Aujourd’hui, ça fait beaucoup : l’amitié pour Alain Soral, le “FN qu’il défend tout le temps”… D’accord avec Ménard sur l’idée que toutes les voix doivent pouvoir s’exprimer, Gavi observe que cette bataille n’est menée, dorénavant, que pour les plus conservateurs : “Ceux qu’il voit comme des victimes aujourd’hui sont les gens qu’on combattait.”

Et inversement. Celui qui libérait les journalistes les voit à présent comme ses ennemis. La semaine dernière, dans une conférence consacrée aux radios libres, il a expliqué que la menace qui pesait sur les médias ne tenait pas à ce que Sarkozy nomme les patrons des chaînes publiques, ou ait des amis dans les grands groupes média, mais les journalistes eux-mêmes, leur bienpensance, leur autocensure. “Un jour, je lui ai dit : ‘j’ai l’impression que tu détestes les journalistes sauf quand ils sont pourris’”, raconte Philippe Gavi, en référence à PPDA et Péan. Sur ce terrain-là, Ménard assure encore ne pas avoir changé. “Reporters sans frontières s’est fait contre la presse française.” Il s’en prend à Rue89, “site de merde fait par des journalistes de merde”, Joffrin, qui “habite dans mon quartier”, et “Libération, Télérama, tous ces gardiens du temple…” On s’étonne de ne pas en être. “Allez, je rajoute Les Inrockuptibles, sinon ce serait démago.” Et Ménard n’est pas démago. Guillemette Faure

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Animal Collective

Coachella, on est là Sans lien d intersection

Le week-end dernier, dans le désert californien, se tenait le festival Coachella. De la démesure de Kanye West au triomphe d’Animal Collective, nous étions sur place.



’affiche était si impressionnante qu’il semblait impossible de ne pas assister, cette année, à Coachella. On connaissait pourtant les inconvénients du festival dans le désert. Les quatre heures de route qui peuvent se transformer en sept, cauchemar éveillé sur le freeway qui relie Los Angeles à la Coachella Valley, au beau milieu de nulle part. La chaleur étouffante en journée, et le froid dès que la nuit tombe. Les motels pourraves dont le prix triple et dans lesquels certains s’entassent pour éviter le camping dans la poussière ou la location d’une caravane. Et pourtant. Devenu, après douze ans, une référence en matière de musique indé dans le monde entier, le Coachella Music & Arts Festival affichait complet en moins de deux semaines, avec une seule option cette année : acheter un pass trois jours à 320 dollars. vendredi 15 : trafic, logistique, sonique Ça commençait mal. Le “Coachella traffic” (les bouchons de Coachella) avait débuté

dans L. A. même, en sortant de Downtown. Pas moins de trois accidents sur la route (game over pour ceux qui s’étaient mis à picoler trop tôt) et une arrestation comme on en voit trop ici, avec dix flics de la LAPD pointant leurs mitraillettes automatiques sur un seul suspect. Une fois sur place, il a fallu lutter pour récupérer les multiples bracelets-sésames. Ratés donc les Tame Impala, Ms. Lauryn Hill, Warpaint et les rappeurs futuristes d’Odd Future (ces derniers, dont le festival devait sanctionner le triomphe devant le grand public, se sont avérés, d’après certains, si décevants que la moitié des spectateurs se sont barrés au milieu de la performance). Après des Interpol assez fadasses, les Black Keys donnent à cette première soirée de l’ampleur. Puis, face aux ados poussant des cris à l’arrivée des lourdingues Kings Of Leon, on se demande ce que fait ce genre de superstars assez insipides dans un festival dit “indie”. En fin de soirée, les Chemical Brothers évoquent

les bons souvenirs des nineties avec leur puissance sonique intacte. De quoi oublier les deux heures passées dans le parking pour sortir du site, entre 1 heure et 3 heures du matin. samedi 16 : ça plane, ça brûle, ça mord Le problème, à Coachella, c’est qu’il y a vraiment l’embarras du choix. Plus de soixante groupes par jour, répartis sur six scènes. Un véritable marathon et une frustration constante, qui implique de voir trois chansons de l’un pour ne pas rater la fin du set d’un autre. Ainsi, renonçant à Yelle et ne pouvant s’attarder devant Cage The Elephant, on fonce voir Glasser, injustement relégués sur la petite Goby Stage. Portée par une Cameron Mesirow sublime, vêtue de blanc, leur musique planante colle pourtant mal avec le soleil de plomb de l’après-midi. A contrario, c’est cette ambiance magique du désert, une fois la nuit tombée, avec la pleine lune, les palmiers

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l’ambiance magique du désert, une fois la nuit tombée, avec la pleine lune, les palmiers illuminés et le ciel étoilé en toile de fond

Angela Papuga/Getty Images/AFP

Kevin Winter/Getty Images/AFP

Kanye West

illuminés et le ciel étoilé en toile de fond, qui permet à Neko Case d’exercer son envoûtement de sorcière. Mais il faudra attendre The Kills pour que le public se lâche tout à fait, fasciné comme nous par l’intensité d’Alison Mosshart et la classe de l’impeccable Jamie Hince. Les puristes vont ensuite écouter la machine Wire s’emballer une fois de plus. Furax, le guitariste et leader du groupe, Colin Newman, nous confiera en coulisses avoir vécu un “enfer” : “c’est l’un des festivals les moins organisés et les moins respectueux des artistes où l’on a jamais joué.” On n’est donc pas les seuls à penser que marcher une heure sous les rayons d’un soleil mordant pour accéder au site, en passant dix barrières de sécurité dignes d’un campement secret de la CIA, est tout de même exagéré. De quoi nourrir les critiques qui estiment que, devenu mainstream, le festival est en train de perdre le charme bordélique de ses débuts. Heureusement, Animal Collective remet

Alison Mosshart (The Kills)

tout le monde d’accord : on peut toujours vivre de grands moments ici. Et quand Arcade Fire, autre moment fort, s’empare de la scène (au détriment de Raphael Saadiq, programmé, le pauvre, au même moment), Win Butler commence par ces mots : “Si on m’avait dit, il y a sept ans, que je reviendrais jouer ici en tant que tête d’affiche, sur la même scène qu’Animal Collective, je n’y aurais jamais cru”. dimanche 17 : too young, too old, too much Après une mise en bouche avec le duo formé de Nas et de Damian Marley, on zappe à regret Tinie Tempah pour constater que les très huppés Best Coast manquent encore d’expérience pour la scène. Malgré les blagues de Bethany Cosentino, leur performance reste trop mécanique pour convaincre. On se console devant la furie aux accents quasi metal de Death From Above 1979, les Canadiens qui reviennent enfin, après sept ans d’absence. Autre come-back, qui remonte à bien plus

loin : Duran Duran, qui s’empare de la grande scène. Circonspects, des ados observent leurs parents s’enthousiasmer sur I Don’t Want Your Love. On citera aussi, parmi les meilleurs moments de ce cru 2011, le funk electro de Chromeo et la mélancolie de Phantogram. Et déjà, la soirée touche à sa fin. The Strokes réunit 50 000 de ses fans, qui reprennent en chœur Last Night. Derrière ses lunettes de soleil, un Julian Casablancas déchiré se moque des uns et des autres : “Vous êtes venus pour Kanye, vraiment ?” Enfin, PJ Harvey s’étant fait trop attendre, la foule se replie avant la fin de sa performance vers le maître de cérémonie : Sa Majesté Kanye West, qui apparaît sur une grue, à 100 mètres du sol. Trente danseuses, sur scène, s’agenouillent devant lui. Coachella, au fond, est bien un festival US, à l’image de sir West : un peu mégalo, un peu too much, mais férocement excitant. Yann Perreau 20.04.2011 les inrockuptibles 19

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Manuel Pascual/Max PPP

Manifestation de chrétiens intégristes devant la Collection Lambert à Avignon, samedi 16 avril

la dernière destruction du Christ Autorités frileuses, contexte qui favorise la libre expression de l’extrémisme… Le saccage, dimanche dernier à Avignon, du Piss Christ d’Andres Serrano par des ultracatholiques sème la consternation dans le monde de l’art.

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’est tout simplement la honte : voici l’une des œuvres d’art les plus célèbres, les plus ambivalentes, les plus controversées, et pas la moins complexe de ces trente dernières années, montrée partout dans le monde depuis sa création en 1987 et encore récemment au Centre Pompidou dans l’exposition L’Art et le Sacré. Mais voilà, l’histoire de l’art retiendra que c’est en France, à Avignon, ce dimanche 17 avril, que la fameuse photographie Immersion (Piss Christ) de l’artiste américain Andres Serrano, image ambiguë, étrangement sublime, d’un crucifix immergé dans un flot d’urine, a subi sa plus sérieuse attaque : à savoir sa destruction brutale par un commando organisé d’ultracatholiques. Dimanche dernier, donc, à l’heure de la messe et peu après l’ouverture à 11 h de la Collection Lambert, quatre hommes, selon les témoins (dont un a été reconnu comme ayant participé à la manifestation intégriste de la veille) ont pénétré comme

de simples visiteurs dans l’exposition, en dissimulant sur eux marteaux et objets contondants de type tournevis ou pic à glace. Arrivés dans la salle consacrée aux photographies d’Andres Serrano, ils ont brisé la protection en verre et la couche de Plexiglas qui entouraient l’œuvre avant de s’en prendre directement au Piss Christ. Visiblement prêts à saccager toute la salle Serrano, ils ont aussi détruit une autre œuvre représentant une religieuse, également jugée “antichrétienne”. Une altercation a eu lieu avec les gardiens de salle et le vigile mis en place par la collection ces derniers jours, mais les individus, visiblement aguerris et bien préparés, sont parvenus à s’enfuir et ont quitté le musée aux cris de “Vive Dieu !”. “On va saccager ce foutoir”, annonçait quelques jours auparavant un internaute anonyme du site ultracatholique Le Salon beige. “Une intervention miraculeuse ne serait-elle pas en préparation ?”, sous-entendait un autre. En des termes plus officiels, Alain Escada, secrétaire de l’Institut Civitas, mouvement politique

qui prône “l’instauration de la Royauté sociale du Christ” et qui a lancé la vague de contestation, laissait entendre que la manifestation, organisée la veille, de quelque mille cinq cents catholiques n’était “pas une fin, ce n’est que le commencement. Nous irons jusqu’à l’enlèvement de l’œuvre”. L’abbé Régis de Cacqueray, de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, exhortait quant à lui les fidèles à réciter en pleine rue un chapelet de réparation. Allant du palais des Papes à la Collection Lambert, avec bannières et chants religieux, familles en landaus et jeunesse d’extrême droite, le défilé ressemblait furieusement, sinon à une croisade, du moins à une procession religieuse mais aussi très clairement politique : “Imaginez que l’image exposée représente Mahomet. Quel tollé cela aurait provoqué !”, harangue l’abbé de Cacqueray. “La laïcité se fait contre le Christ alors qu’elle installe l’islam en France. On ferait mieux de nommer cela l’islamicité”, renchérit Alain Escada. A la Collection Lambert, c’est la consternation. “Le pire est arrivé”,

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Le Piss Christ, d’AndresS errano, vandalisé ce 17 avril

commente son directeur, Eric Mézil, tandis que l’avocate du musée, Agnès Tricoire, qui réclamera mercredi une condamnation pour harcèlement judiciaire et procédure abusive à l’encontre de l’Agrif (Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne), association qui réclame le retrait du Piss Christ sur le site internet du musée. L’avocate dénonce le retard des réactions et le ”laissez-faire généralisé qui a permis un tel acte de vandalisme”. Alors que l’exposition a ouvert au public en décembre dernier, c’est seulement ces dernières semaines que la contestation a commencé, une coïncidence de calendrier qui atteste du lien sous-jacent entre le débat sur la laïcité et le réveil des catholiques extrémistes. Mais le lieu était sous pression : manifestations quotidiennes, demandes répétées et agressives de fermeture de l’exposition et du retrait de l’affiche, pétition forte de 70 000 signatures, insultes contre les gardiens du musée et les visiteurs. Quelque chose comme une machine

Boris Horvat/AFP

ce n’est pas tout à fait un hasard si cet acte de vandalisme tombe en plein débat sur la laïcité

de guerre. Et à coup sûr une machination politique. De quoi la destruction du Piss Christ est-elle le nom ? Elle est surtout le visage d’une France qui laisse libre cours à l’extrémisme et aux discours de haine. Certes, on nous dira que l’art contemporain est la bête noire de l’extrême droite, qui trouve là une matière à scandale facile et spectaculaire – qu’on songe au procès intenté dès 2000 contre l’exposition Présumés innocents au Capc de Bordeaux, aux manifestations de septembre dernier contre Murakami à Versailles, aux premières apparitions de Bruno Mégret contre les Colonnes de Buren au Palais-Royal. Vieille attitude à laquelle s’ajoutent les polémiques suscitées par le film Passion de Godard et La Dernière Tentation du Christ de Scorsese, qui avait déclenché les foudres de catholiques au point qu’ils incendièrent le cinéma L’Espace SaintMichel à Paris, le 23 octobre 1988. Reste que ce n’est pas tout à fait un hasard si cet acte de vandalisme, point

d’orgue d’une contestation ultracatholique également menée par l’archevêque d’Avignon Mgr Cattenoz, disciple de l’excommunié Mgr Lefèbvre, et qui n’hésite pas à s’afficher avec les leaders locaux du Front national, tombe en plein débat sur la laïcité. Et alors que Marine Le Pen est plus que jamais à la hausse, encouragée dans les sondages par les déclarations délétères du ministre de l’Intérieur Claude Guéant. Face à cela, la résistance est bien faible : si le ministre de la Culture a officiellement critiqué hier la destruction de l’œuvre de Serrano (tout en “reconnaissant que l’œuvre pouvait choquer certains publics”), il est resté ces dernières semaines dans un silence déstabilisant pour la Collection Lambert, tandis qu’en off, des voix détournées recommandaient de retirer de l’expo la photographie contestée. Autrement dit, de céder. Sur ce point, la gauche n’est pas en reste : en novembre, la mairie de Paris interdisait l’exposition du photographe américain Larry Clark aux mineurs, par prévention contre d’éventuels procès d’incitation à la pédophilie par des associations familiales. Un cas patent d’autocensure, une faiblesse de position qui revient aujourd’hui comme un coup de poing dans un paysage culturel français très fragilisé. Face à ces montées d’extrémisme, la Collection Lambert n’a pas voulu céder “aux pressions liberticides”, refusant de retirer l’œuvre et annonçant lundi dernier qu’elle maintiendrait l’exposition ouverte avec ses deux œuvres vandalisées afin, comme le rappelle Agnès Tricoire, “que le public puisse prendre la mesure de l’intégrisme”. Ce qui n’empêche pas l’équipe de la Collection Lambert de vivre aujourd’hui “une situation particulièrement anxiogène”. “Rien que lundi, nous avons reçu cinq menaces de mort par téléphone”, précise ainsi le chargé de communication du musée, Stéphane Ibars. “Nous demandons une protection policière. Plusieurs visites scolaires sont prévues, il n’est pas question de fermer la Collection.” Jean-Max Colard et Claire Moulène 20.04.2011 les inrockuptibles 21

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Jean-Christophe Marmara/Le Figaro

brèves neutralité du net Le rapport de la mission d’information sur la neutralité d’internet vient d’être publié par les députées Corinne Erhel, présidente de la mission, et Laure de la Raudière, rapporteuse. On y trouve des préconisations claires et progressistes : inscription dans la loi du principe de neutralité et appellation internet réservée aux services respectant ce principe ; intervention systématique du juge pour éviter les dérives en matière de blocage et réflexion sur la justification des mesures de blocage (remise en cause du fameux article 4 de la loi Loppsi 2 sur la fermeture des sites pédopornographiques sans passage par le juge) ; mesure et garantie de la qualité d’internet ; réflexion sur le financement des coûts liés à l’accroissement du trafic. YouTube pro Dans la perspective de la TV connectée, YouTube prévoit quelques changements dans son contenu cette année. Google, son propriétaire, proposera notamment aux internautes une vingtaine de chaînes avec des contenus professionnels, sur des thèmes comme le sport ou les arts. Le troisième site le plus populaire dans le monde est déjà en pleine négociation avec des éditeurs de contenus. audience en baisse pour le New York Times Depuis la mise en place de son système complexe de consultation payante d’articles, le site du New York Times a subi une baisse de 5 % à 15 % des visites et une baisse de 11 % à 30 % des pages vues.

le petit prince a dit Avec le débarquement d’Olivier Py de l’Odéon, la question du principe arbitraire des nominations par le ministre de la Culture est réactivée.



a décision prise par le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand de ne pas reconduire Olivier Py à la tête de l’Odéon-Théâtre de l’Europe suscite un certain émoi qui tient autant à un motif général – le principe d’une nomination arbitraire – qu’à un motif particulier – le sort personnel du directeur injustement éconduit. Le monde du théâtre a salué à l’unisson le travail important fourni par Py à l’Odéon depuis quatre ans. Un texte signé par un collectif d’écrivains, de metteurs en scène, de comédiens…, paru dans Le Monde le 13 avril, rappelle qu’Olivier Py a “profondément changé cette institution mondialement reconnue pour en faire un lieu, non seulement de théâtre, mais du théâtre dans la ville et dans la vie”. Un lieu de littérature, de pensée et de recherche, attirant un public large et rajeuni. Au regard des seuls critères de réussite culturelle promus par le pouvoir – les taux de fréquentation –, le bilan de Py se suffit à lui-même. Sauf que, sans que personne n’en saisisse les raisons explicites ou implicites, on s’en sépare, sans préavis, sans discussion, sans ménagement. Le lot de consolation tardif – la direction du Festival d’Avignon en 2013 – échoue même à dissimuler le cynisme du geste. La brutalité de la décision de Mitterrand touche à l’opacité de son mode opératoire. Son point aveugle éclaire l’absurdité assez peu démocratique des modes de nomination des directeurs d’institutions théâtrales. La récente nomination de Macha Makeïeff, par ailleurs très respectable, au Théâtre

le ministre reste assez étranger à la réalité des scènes nationales, incapable de mesurer sa vitalité

de la Criée à Marseille avait déjà, en début d’année, perturbé certains responsables culturels locaux, laissés à l’écart de la décision. Certes, les nominations à la tête des scènes nationales et centres dramatiques ont toujours eu en France l’allure de mouvements préfectoraux. Bernard Faivre d’Arcier remarquait pourtant dans Le Monde qu’un “plan d’ensemble concocté par l’administration du ministre de la Culture” cadrait autrefois le choix du prince. “Il semble que notre ministère de la Culture ait perdu le goût d’une telle méthode, et surtout le soin d’observer ses propres critères. Le jeu s’apparente maintenant à un bricolage fait d’opportunités et d’arbitraire.” Les conversations de couloirs, relations d’amitié ou aversions intimes ont “remplacé la vision à long terme dont a besoin le paysage théâtral français”. C’est là que le bât blesse : on ne sait pas pourquoi Mitterrand lâche Py. Inimitié personnelle ? Pression de son entourage pour mettre Luc Bondy à sa place ? Il n’y a pas d’autre choix que celui de la supputation pour expliquer le geste princier. D’autant que le ministre reste assez étranger à la réalité des scènes nationales, incapable de mesurer au plus près sa vitalité : depuis qu’il est ministre, il ne s’est rendu qu’une seule fois au Théâtre de la Colline, qu’une seule fois à Chaillot et deux fois aux Amandiers de Nanterre (même s’il semble plus fidèle au Rond-Point). Une politique culturelle digne de ce nom peut-elle se satisfaire de la suffisance de ses représentants, préservée de toute forme de transparence publique, dans une méconnaissance manifeste des projets d’envergure ? Le sort réservé à Olivier Py formera certainement un cas d’école dans cette réflexion réactivée par le geste incompris d’un pouvoir désinvolte. Jean-Marie Durand

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“Twingo, c’est pas le titre d’une chanson de Renaud, en fait ?”

Nicolas Hulol

retour de hype

Le Dictionnaire du look en poche

“J’aimerais bien me réincarner en Berlusconi”

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

w

Beyoncé

Le fluo

Calvi on the rocks Le ping-pong Tree of Life de Terrence Malick

Les tomates mozza

Gentlemen Drivers Tous les voltairiens en carton Dr Ben

“Non, je prends pas l’ascenseur, je m’entraîne à monter des marches pour Cannes, tu vois bien”

“Non, je prends pas l’ascenseur, je m’entraîne à monter des marches pour Cannes, tu vois bien.” En plus, ça fait travailler les muscles fessiers. Le ping-pong Le 14 avril, Nicolas Sarkozy a eu la belle idée d’échanger quelques balles avec un élève d’un établissement de réinsertion scolaire à Luchon. Il se serait fait latter. Tous les voltairiens

“En fait, les fans de Zaz, c’est comme les bébés pigeons : personne n’en a jamais rencontrés”

“Je crois que Carré Viiip me manque”

en carton Comme le confirme Rue89, Voltaire n’a jamais écrit la formule tant rabâchée aujourd’hui  : “Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire.” Elle a en réalité été inventée par une Britannique, auteur d’un ouvrage consacré à Voltaire en 1906. C’est malin. D. L.

billet dur

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her Franz-Olivier Giesbert, Pourrais-tu, s’il te plaît, me communiquer en privé l’adresse de ton tailleur ? Allez, Franzounet, fais pas ta pute, balance le nom du génie des falbalas qui te fournit depuis si longtemps en vestes réversibles, aux coloris changeants selon les saisons et les sondages, aux coutures résistantes – de la dernière heure – et aux poches-revolvers si discrètes qu’elles te permettent d’entrer partout dans les boudoirs mondains et d’y abattre ensuite de sang-froid, de préférence dans le dos, ceux qui t’y avaient grassement accueilli. Hier Mitterrand, Chirac, aujourd’hui Sarkozy, avec la ponctualité morbide du vautour, tu joues à l’équarrisseur d’animaux blessés avec aussi peu d’états d’âme que lorsque tu passas jadis du Nouvel Obs au Figaro, preuve

parmi tant d’autres de l’élasticité de tes convictions. Vas-y Franzy c’est bon, cogne toujours plus fort sur celui qui est à terre, écrase cette main implorante que si souvent tu baisas, fais donc un livre pour consigner ce que tant de journalistes moins presbytes écrivaient quand les couvertures du Point se contentaient de cirer les grolles présidentielles. Tiens, au fait, l’autre vendredi dans Semaine critique, sur France 2, tu recevais Martine Aubry et j’ai attendu en vain que tu lui harponnes le râble et lui arraches les yeux, mais c’était, j’oubliais, un peu trop tôt. Dans cinq ans, peut-être… Pour l’adresse du tailleur, laisse tomber, je vais demander à Jean-Louis Borloo. Je t’embrasse pas, tu m’as presque donné envie de voter Sarko. Christophe Conte

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Martin San Miguel

Cults

Un duo mixte et voyou de New York affole la blogosphère avec sa pop sexuelle.

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u cuir, du culte, du cul. On est donc bien à New York. Un New York où les écuries d’écriture pop des heures fastes de l’usine à tubes du Brill Building des sixties collaboreraient, main dans la main dans le cambouis, avec les canailles et petites frappes du CBGB de la charnière punk. Cults appartient à cette caste très prisée des duos mixtes, sexy et canailles dans le rock et la mode de 2011.

L’avantage de Madeline Follin et Brian Oblivion sur tant de groupes aux guitares débraillées et aux mines savamment déglinguées pour papier glacé : eux savent composer de sacrées chansons. Traînantes et langoureuses, murmurées par des lèvres gourmandes, elles imposent, à longueur de refrains affolants, la sieste canaille, la virée borgne en décapotable sous le soleil de Satan.

Parues sur le label d’une Lily Allen qui en connaît un rayon en matière de pop bubblegum, les chansons de Cults racontent une vieille histoire américaine – le doo-wop ou le rock’n’roll, toutes ces chansons d’hormones et d’adolescence –, mais avec un accent résolument moderne et aguicheur. Ecouter Madeline peut rendre loup-garou. JD Beauvallet www.cultscultscults.com

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Ludovic/RÉA

Etienne Apaire, magistrat, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Intérieur et… auteur indirect présumé de l’éviction de Jean-Michel Costes

une overdose de politique A la tête de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies depuis sa création, Jean-Michel Costes vient d’en être évincé. Un départ forcé qui pourrait mettre à mal l’indépendance scientifique de l’OFDT.



e poste à l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, je ne le devais à personne. Et je le paie sans doute aujourd’hui.” Sa voix est claire et posée. Humble, il ne prend pas position personnellement. Il présente les faits. C’est ce que la communauté appréciait chez lui : son sens de l’éthique et sa rigueur scientifique. Aujourd’hui, malgré la mobilisation d’associations, de professionnels de l’addiction, de sociologues et de députés, Jean-Michel Costes, après cinq mandats de trois ans, est remercié. “Je savais qu’il y avait une mise une concurrence de mon poste. J’ai postulé à ma propre succession, et quand j’ai vu les questions qui m’étaient posées (“Vos points forts ? Vos points faibles ?”), j’ai compris que la messe était dite”, raconte-t-il.

Il sera remplacé en juin par Maud Saporta-Pousset, polytechnicienne. L’OFDT est un organisme public qui agrège et analyse des données scientifiques sur les drogues illicites et sur l’alcool et le tabac en France. Son principal financeur est la MILDT (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie), qui “prépare les plans gouvernementaux de lutte contre les drogues et veille à leur application”. Si l’OFDT n’a jamais été indépendant financièrement, son indépendance scientifique n’a pas été fondamentalement menacée avant 2007. Cette année-là, Etienne Apaire, magistrat et ancien conseiller de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur, est nommé président de la MILDT. Son arrivée marque un durcissement des tensions. Tous affirment qu’il est

l’auteur indirect de l’éviction de Costes. Etienne Apaire, lui, invoque la procédure et la fatalité : “Après quinze ans, il y a un phénomène d’usure. Nous n’avons fait qu’appliquer une circulaire de mars 2010, exigeant un renforcement de la mise en concurrence des postes de la fonction publique ! Il y avait trois candidats, et la nomination de Mme Saporta est le fruit du hasard des concours de recrutements.” Les gens du terrain considèrent Apaire comme porteur d’une conception légaliste, moraliste et répressive de la toxicomanie. Certains éprouvent le sentiment diffus que l’interprétation idéologique de leurs chiffres est possible. Etienne Apaire s’en défend : “Cela fait des années que les chiffres sont publics, tout est normé, il n’y a aucune manipulation possible !”

Pourtant, Jean-Michel Costes raconte le jour où il a senti que la ligne blanche était franchie : fin novembre 2010, l’OFDT publie une note intitulée “La réponse pénale à l’usage des stupéfiants”. En page 2, deux graphiques. Le premier montre l’évolution des interpellations entre 1971 et 2008, avec une forte progression à partir de 2002. Le second graphique montre qu’à partir de l’année 2002, la consommation de cannabis chez les jeunes de 17 ans baisse légèrement. Jusque-là rien de choquant. Le problème est que ces deux courbes, la MILDT souhaitait les superposer pour mettre en évidence un prétendu effet croisé, et sous-entendre que les arrestations sont manifestement efficaces dans la lutte contre la consommation de cannabis. “Scientifiquement, c’est indéfendable : si l’on regarde la consommation de cannabis jusqu’à 75 ans, on se rend compte qu’elle ne diminue pas, mais qu’elle stagne. Et si l’on regarde bien la courbe des interpellations, on se rend compte aussi que leur nombre augmente de toute façon depuis trente ans !” Jean-Michel Costes n’a pas cédé. Il a juste accepté de rapprocher les deux graphiques. Les chiffres sont fragiles, tous les professionnels le savent. Sa successeur Maud Saporta-Pousset saura-telle les protéger et résister aux pressions avant 2012 ? Jean-Michel Costes est inquiet. Isabelle Foucrier

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Michael Loccisano/AFP

Arianna Huffington, lors d’une manifestation à Washington le 30 octobre 2010

paye ton blog Les bloggeurs non rémunérés du Huffington Post réclament une indemnisation après la vente du site américain d’information à AOL pour 315 millions de dollars.

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ls seraient des “esclaves des temps modernes”, assure sans ciller Jonathan Tasini. Leader de la fronde des bloggeurs du Huffington Post, le syndicaliste a déposé plainte le 12 avril devant un tribunal fédéral de New York. Il reproche au site internet d’information d’avoir engrangé des millions sur le dos de ses 9 000 bloggeurs et autres contributeurs non rémunérés, en vendant le site à AOL en février dernier. Montant de la transaction : 315 millions de dollars. Tasini entend mener une plainte en nom collectif (class action) pour “pratiques trompeuses” et “enrichissement injustifié” contre les fondateurs du site, Arianna Huffington et Kenneth Lerer, et contre le groupe AOL. Il estime que les bloggeurs ont créé “une valeur substantielle” pour le site, évaluée au tiers du montant du deal, soit 105 millions de dollars. Pure-player créé en 2005, le Huffington Post est le deuxième site d’information le plus consulté aux Etats-Unis, avec 25 millions de visiteurs uniques mensuels, juste derrière le New York Times. En 2010, il devient rentable, avec un chiffre d’affaires de 31 millions de dollars. Etiqueté démocrate, le site doit son succès à un mélange novateur d’agrégation de contenus (actualité et divertissement) et de milliers de blogs. Grâce à une maîtrise habile du “collaboratif”, à une interaction forte avec les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter, et à la publication quotidienne de 600 articles, il génère des multitudes de commentaires et fidélise ses lecteurs. La personnalité d’Arianna Huffington, une riche Américaine de 60 ans, a contribué à cette réussite. Ex-égérie républicaine, habituée des plateaux télé, elle a attiré une poignée de signatures prestigieuses grâce à un solide carnet d’adresses (Barack Obama l’appelle par son prénom).

Des acteurs comme Alec Baldwin, des auteurs comme Norman Mailer et des politiques comme Dominique Strauss-Kahn et le couple Clinton ont bloggé pour le site. Mais c’est dans les rangs des milliers de bloggeurs ordinaires que la grogne montait depuis la vente. Le syndicat de journalistes Newspaper Guild, fort de 26 000 membres, a appelé les contributeurs du Huffington Post au boycott. Jonathan Tasini, collaborateur depuis 2005, a interrompu immédiatement son blog, où il affirme avoir publié deux cent seize billets. Sa première bataille contre la gratuité sur le web, Jonathan Tasini l’a gagnée en 2001. Devant la Cour suprême, il a obtenu que les pigistes du New York Times soient rémunérés pour la publication en ligne de leurs articles imprimés. Cette fois, explique Jesse Strauss, l’un des avocats du plaignant, “nous espérons créer un précédent fort pour qu’à l’ére numérique, les producteurs de contenus soient rémunérés pour la valeur qu’ils créent”. Une croisade qui ne reçoit pas le soutien unanime des bloggeurs. “Je ne connais personne qui soit embrigadé à écrire pour le Huffington Post ; tout le monde a ses raisons propres et perçoit un retour sur investissement”, écrit ainsi le bloggeur Tom Hayes sur le site du Huffington, évoquant les “avantages liés à la visibilité (augmentation des ventes de livres par exemple)”. Mario Ruiz, un porte-parole du Huffington, confirme :”Les bloggeurs utilisent notre plateforme – aussi bien que d’autres blogs collectifs – pour établir des connexions et faire en sorte que leur travail soit vu par le plus de gens possible.” Il souligne que le site, qui emploie deux cents personnes, ne se résume pas à ses bloggeurs et a également une activité journalistique. Anouchka Collette 20.04.2011 les inrockuptibles 29

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pédé comme un coq ? Pour communiquer sur la Marche des fiertés du 25 juin prochain, le coq gaulois queerisé, symbole de la France blanche, républicaine et identitaire. Ça coince.

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le coq fier d’être gaulois

“Fierté, fierté, fierté...” On entend d’ici le brainstorming de l’agence de pub. En faisant appel cette année à de vrais professionnels de la com’, le collectif organisateur de ce que les gens continuent d’appeler la Gay Pride a fait le pari de l’affiche qui claque. “Le coq, sacrebleu ! Fier comme un coq !”, a dû se dire le “team créatif”. Stonewall, “I’m Black and I’m Proud”, cinquante ans de luttes des minorités pour finalement s’apercevoir que tout cela tenait dans quatre syllabes du folklore français : “co-co-ri-co !”. A l’heure où l’équipe de France de football adopte la marinière, parfois considérée comme un objet de la culture gay, l’Inter-LGBT valide le choix d’un frère de Footix, pote de Marianne et Clovis. Bon esprit, la circulation des symboles ? Identités LGBT et “identité nationale”, même combat ? Les centaines de militants révoltés par cette affiche jusque dans les rangs de la fédération ne sont pas de cet avis. Ils ne veulent pas de cette poule mâle dominante comme le sexisme, blanche comme le racisme, rouge comme les sillons abreuvés de sang impur de La Marseillaise, sur un fond bleu comme l’aube d’une France villageoise.

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Michou power

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Ce coq n’est pas comme les autres : il est de la jaquette, comme le montre son truc en plume. En détournant la mascotte macho-patriote, l’affiche fait œuvre de second degré. Un genre d’humour apprécié de certaines minorités et des publicitaires. Le boa, tout le monde le sait, est l’accessoire fétiche de la communauté LGBT. Enfin pas vraiment des lesbiennes. Ni tellement des trans, en tout cas pas des female-to-male. Ni des gays s’employant à renvoyer “une bonne image de l’homosexualité”. Et pas plus que ça des gays qui n’ont pas bossé chez Michou dans les années fastes. Le boa est juste l’accessoire fétiche de la case “homo” dans l’imaginaire collectif moisi. Aller chercher l’objet le plus ringard, le plus fofolle, le plus enfoui dans le placard d’une communauté en voie d’absorption mainstream, cela aurait pu être le comble de la provoc’ camp. Mais additionner coq craignos et boa ringardos pour frapper l’esprit du grand public, il y a problémos.

en avant, citoyens Notre coq appelle au vote. Ça sent bon la République des grandes heures. Un peu plus et il fallait s’engager dans l’armée. Mais se placer sur le terrain de l’offensive politique est louable. Ces dernières années, les visuels conçus par un pote graphiste servaient surtout à faire connaître la date que des dizaines de milliers d’ados fans d’electro dance notaient dans leur cahier de textes. Là, le coq queer avertit qu’il est capable de plus d’un coup de bec. C’est un coq sportif : il marche. C’est un coq citoyen : il vote (enfin s’il a des papiers).

Pour qui ? Pour ceux qui, peut-on imaginer, établiront enfin l’égalité de ses droits en 2012. “Ce n’est pas notre république”, répondent les opposants à l’affiche. La république, en ce moment, n’est sans doute pas la meilleure copine avec qui s’afficher au niveau symbolique. Débat sur la laïcité, expulsion des malades sans papiers, minorités montées les unes contre les autres, vie politique dominée par une Marine Le Pen infiltrée chez les homos. Ce coq qui parade à la Pride chante La Grande Zoa sur un tas de fumier et rate le coche. Crame

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planète Skyrock L’actionnaire majoritaire de la radio a décidé de limoger son fondateur et pdg historique, Pierre Bellanger. Avec lui, c’est toute l’antenne qui est menacée. En une semaine, jeunes auditeurs, rappeurs et politiques se sont mobilisés pour défendre un certain esprit de liberté. par Simon Piel photo Guillaume Binet/M.Y.O.P

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Mercredi 13 avril. Devant l’entrée de la station

’est Fukushima !”, sourit Julie Rambaud, la responsable des relations presse de Skyrock. Le portable collé à l’oreille, elle accueille les journalistes au siège de la radio, situé 37 bis, rue Greneta, dans le IIe arrondissement de Paris. Nous sommes le mercredi 13 avril et il est effectivement question de radioactivité. Dans la rue, en bas de l’immeuble de Skyrock, une petite centaine d’adolescents a répondu à l’appel à la mobilisation lancé par les animateurs de la station. La veille, un conseil d’administration de la société Nakama, la holding qui possède Skyrock, a débarqué Pierre Bellanger : AXA Private Equity (AXA PE), l’actionnaire majoritaire du groupe, élimine le fondateur et pdg de la radio numéro 1 chez les moins de 25 ans. Bellanger reste président non exécutif. A l’aube, précédé de sa réputation de cost-killer, Marc Laufer, le nouveau directeur général, s’est vu refuser l’entrée dans les locaux de la radio. “Je tiens à ma vie”, déclare-t-il ensuite pour expliquer son premier et bref contact avec Skyrock. “C’est n’importe quoi”, soupire l’un des vigiles. 12 h Des artistes arrivent pour témoigner de leur soutien, provoquant chaque fois un joyeux chahut, vite tempéré par les hommes de la sécurité de Skyrock. Il y a Sexion D’Assaut, Nessbeal, Mokobé du 113, Kenza Farah, Sinik… Ces artistes doivent leur succès à leur talent mais aussi à Skyrock, ce qu’ils reconnaissent volontiers. Ensemble, ils représentent plusieurs millions d’albums vendus. Au premier étage de l’immeuble où se trouvent les studios, c’est l’effervescence. Les rappeurs, leur crew, des auditeurs, des salariés de la station, quelques journalistes circulent entre les murs gris. Il se dégage une douce odeur de haschich. “C’est une dinguerie”, lâche un gamin de Savigny. Fred Musa, l’animateur de l’émission Planète rap, s’est isolé. Julie Rambaud court dans tous les sens. Laurent Bouneau, directeur des programmes et n° 2 de la radio, discute au téléphone dans son bureau, la mine défaite. Le coup porté aux historiques de la station est dur. Radio libre devenue radio commerciale, Skyrock réalise des bénéfices mais pas assez au goût de l’actionnaire majoritaire qui détient 70 % des parts. La mauvaise année 2010 a fini de les décider à revoir 20.04.2011 les inrockuptibles 33

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“je préfère Cut Killer au cost-killer” Pierre Bellanger en parlant de son successeur Marc Laufer

François Hollande sur Planète rap, le 13 avril. Le lendemain, à 15 h 20, se tient une conférence de presse. Pierre Bellanger y annonce son intention de racheter l’ensemble des parts détenues par AXA. Malek Boutih (directeur des relations institutionnelles de Skyrock) accueille Jean-Luc Mélenchon après son intervention. En fin d’après-midi, c’est au tour de Rama Yade de prendre la parole à l’antenne

leur politique. La riposte s’organise dans l’improvisation. 14 h 20 A l’antenne, la radio passe et repasse des messages alarmistes : “Skyrock, radio libre en danger de mort. A tout moment, Skyrock peut disparaître. La liberté de toute une génération est aujourd’hui menacée à tout jamais.” La rédaction a ouvert une page Facebook pour rameuter ses partisans. Ironie du sort, c’est sur Facebook que la mobilisation prend le plus d’ampleur. Mais c’est aussi Facebook qui a largement entamé l’audience de la plate-forme Skyblog, créée par Pierre Bellanger. A la mi-journée, le site de L’Express assure que la banque d’affaires de Jean-Marie Messier possède un mandat de vente de la radio. Pierre Bellanger aurait signé ce mandat… Incompréhension dans les rangs. Bellanger, lui, a passé la nuit à la radio dans son bureau du 5e étage. Malgré l’insistance des journalistes, il refuse de se montrer. Laurent Bouneau attaque : “On se mobilise pour lui en espérant que la décision puisse changer.” Le teint pâle, Bouneau défend le bilan. Derrière lui, les nombreux disques d’or obtenus par des artistes tous plus célèbres les uns que les autres :

Alicia Keys, Lauryn Hill, Eminem… Un mannequin d’Al Pacino dans Scarface le toise. “In this country, you gotta make the money first. Then when you get the money, you get the power”, disait le gangster de Miami… Aujourd’hui, l’argent et le pouvoir sont du côté d’AXA PE. 15 h L’heure de la conférence de presse. Toujours pas de Bellanger à l’horizon. Bouneau s’y colle, assisté des quelques artistes présents. Morceaux choisis : “En soutenant Pierre, on soutient la liberté.” “Cette nouvelle France qu’on défend, jeune et multiculturelle, elle a

toute sa place.” “C’est la radio de la jeunesse qui est sanctionnée.” D’un conflit entre deux actionnaires, le problème de Skyrock devient, par l’habile communication de ses cadres, une affaire de société, donc un sujet politique. Julie raccroche avec la préfecture, qui s’inquiète du nombre de jeunes rassemblés devant la radio. Une centaine pas plus, sans aucun débordement. “François Hollande vient ce soir à Planète rap, informe la sémillante communicante. On devrait avoir Lang, Bayrou, Wauquiez…” C’est le temps

monsieur Skyrock “Manipulateur”, “Manipulateur” Manipulateur , “visionnaire” “visionnaire”, visionnaire , “gourou”, “capitaliste”, “provocateur”… Les qualificatifs pleuvent dès qu’on évoque Pierre Bellanger, 52 ans, fondateur de Skyrock et depuis peu pdg déchu. Lui, se définit comme un entrepreneur. Fils d’un journaliste et d’une écrivaine, il fait ses armes dans la biologie et l’écologie. Très tôt, il découvre la radio. Et avec elle, la liberté puis l’argent. En 1982, il fonde La Voix du lézard qui, en 1986, devient Skyrock. Très vite, il se révèle être un homme d’affaires redoutable et,

en séduisant de puissants investisseurs, investisseu accompagne l’entreprise à travers les bouleversements du numérique. Skyrock devient la première radio des moins de 25 ans. Lui touche aujourd’hui aujourd’ 620 000 euros annuels, selon Le Point. Le Point En 2003, il vient nourrir la rubrique faits divers. Une jeune femme l’accus l’accuse de l’avoir violée plusieurs fois alors qu’elle n’avait que 17 ans. En 2010, il est condamné en appel à trois ans de prison avec sursis pour corruption de mineur. Son credo : “J’ai émis, j’émets, j’émettrai.”

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politique. A la manœuvre, Malek Boutih, membre du Parti socialiste, ancien de SOS Racisme et directeur des relations institutionnelles de Skyrock. Isolé dans les étages, il fait jouer ses contacts et invite les personnalités politiques à apporter leur soutien. Bellanger, de son côté, a contacté l’Elysée pour tenter d’obtenir des appuis. Dehors on prend son mal en patience mais on espère toujours pénétrer dans les locaux. Ça drague, ça chambre. Les journalistes entrent sans problème, reléguant dehors les jeunes auditeurs. “Je suis de R MC !”, tente l’un d’eux, sans succès. “Et moi de Gulli TV”, renchérit un autre, provoquant l’hilarité générale. 20 h 50 Hollande se fait attendre. Prévu à 20 h 30, il n’est toujours pas là. Les membres de la sécurité sont à cran : “Putain, c’est Madonna le truc, ou qu oi ?” Quelques instants plus tard, voici le candidat à la primaire socialiste. Autour de lui, Colonel Reyel, le rappeur invité de Planète rap, son équipe, des auditeurs, des journalistes. L’accueil est chaleureux, François Hollande dans son rôle, mais adroit : “Les manières de l’actionnaire ne sont pas correctes (…). Je viens apporter mon soutien au travail de liberté entrepris par la radio.” Puis,

à l’antenne, il s’adresse au patron d’AXA, Henri de Castries, qui fut l’un de ses camarades à l’ENA : “Il faut regarder différemment la situation de Skyrock. Il y a peut-être eu une décision trop rapide, et il faut la revoir.” “Un grand moment de radio”, confiera plus tard Pierre Bellanger. 23 h La tension retombe. Devant la radio, on ne compte qu’une petite dizaine de personnes. Pierre Bellanger s’apprête à passer sa deuxième nuit sur place. 8 h 30 Jeudi 14 avril. Quelques courageux ont bravé le froid matinal et sont déjà devant la station. Dans les couloirs, tout est calme. Fred Musa et son équipe s’apprêtent à reprendre l’antenne. On attend Benoît Hamon, porte-parole du PS. “Faut qu’on lui repasse le son où Martine Aubry se plante sur un titre de NTM, c’était dans Le Petit Journal”, rigole Fred. On scrute les premiers articles de presse sur “l’affaire Skyrock”. Julie n’apprécie guère sa photo dans Libé, mais se réjouit de l’article du quotidien “avec qui les relations ont été difficiles, notamment lors du procès de Pierre” (lire l’encadré p. 34). De jeunes auditeurs du 7-8 pénètrent dans le studio. D’abord timides, ils se lâchent : “Skyrock, c’est plus qu’une

radio, c’est un mode de vie, on peut pas vivre sans Sky !” Le ton est donné. Et toujours pas de Bellanger. Une conférence de presse devrait se tenir à 15 heures. “Il y aura une annonce”, souffle-t-on. 12 h 30 Accompagné d’un huissier, le nouveau directeur général, Marc Laufer, se présente à nouveau devant la radio. Nouveau refus. “A demain !”, dit-il en partant. La liste des soutiens politiques s’allonge. Benjamin Lancar, Jean-Luc Mélenchon, Rama Yade doivent venir. On parle même de Christine Boutin, dont le nom ne suscite guère d’enthousiasme en interne. 15 h 20 Pierre Bellanger accueille à son étage les nombreux journalistes venus assister à la conférence de presse. Costume sombre, chemise blanche, la voix légère mais l’air grave, il prend la parole. Assis derrière son bureau, il multiplie les bons mots : “Je préfère Cut Killer au cost-killer.” Il en appelle à la responsabilité des pouvoirs publics, détaille les résultats de l’entreprise et annonce qu’il se porte acquéreur de l’ensemble du groupe. Il en détient 30 % aujourd’hui. L’homme a du panache. L’émotion est palpable. “C’est une crise positive, 20.04.2011 les inrockuptibles 35

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PhotoPQR/Le Parisien/Guillaume Roojas

assure-t-il. Je ne suis plus dans un débat d’actionnaire, je suis dans un débat de société.” A la fin de son intervention, son équipe l’applaudit longuement. On improvise un cocktail sur la terrasse. Des salariés montent des étages inférieurs et viennent lui serrer la main. A l’écart, Malek Boutih et Laurent Bouneau débriefent la conférence. “Il aurait dû insister plus sur la dynamique de nos chiffres, 2005, 2006, 2007”, murmure Bouneau. “Il se passe quelque chose”, se félicite Boutih. Dehors, les jeunes sont moins nombreux que la veille : “Ils sont racistes d’arrêter Skyrock, moi je pense que c’est la faute de Sarkozy, il est en train de virer plein de monde, là”, explique l’un d’eux. 17 h 30 Voici Benjamin Lancar, président des jeunes de l’UMP. Pas vraiment le genre de la maison. L’accueil est poli. Suivront Jean-Luc Mélenchon et Rama Yade. L’audience de Skyrock représente plusieurs millions de jeunes auditeurs. Pourtant, tous ces politiques l’assurent, ils n’ont rien à vendre. Au micro, Rama Yade explique : “J’ai grandi avec Skyrock”. “Tous les soutiens sont les bienvenus, explique Fred. Nous avons des auditeurs de gauche et de droite, c’est important d’accueillir tout le monde.” Tous montent ensuite, chacun leur tour, saluer Bellanger. C’est Malek Boutih qui fait les présentations. Les propos de Mélenchon ont touché le fondateur de Skyrock. A l’antenne, l’ancien socialiste a proposé de créer une coopérative ouvrière, comme en son temps au Parisien libéré, que Claude Bellanger, le père de Pierre, avait fondé avec ses camarades à la Libération. Mélenchon poursuit : “Le public auquel vous vous adressez c’est…” ; Boutih : “…la plaque sensible, personne les tient…” ; Mélenchon : “Voilà !” ; Boutih : “En plus, ils sont idéalistes !” Et des rêves, ils en ont. Comme choper le portable de Rama Yade. A la sortie de l’ex-secrétaire d’Etat, Diallo, un jeune rappeur du XIXe, improvise un petit jeu de séduction avec la belle Rama. Les rires fusent, les potes filment avec leur portable. “Si, si, la famille !” Vendredi 15 avril La page Facebook compte 460 000 fans. Jean-Marie Messier, dirigeant de la banque chargée du mandat de vente, se rend à Skyrock. Objectif ? Amorcer une médiation pour trouver une issue au conflit. L’animateur Difool nous accorde quelques minutes au téléphone. Il dit sa fatigue mais tient à remercier tous les soutiens. Les politiques et “surtout les auditeurs”. Il prévient : “Ça serait un très mauvais signal si ça finit mal. Il faut se méfier des feux qui couvent.”

“le rap est né dans la rue, il doit finir dans la rue” Avec un slogan “Premier sur le rap”, on attire la convoitise ou la défiance. Les rappeurs français témoignent. par Olivier Cachin

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e monde est divisé en deux catégories : ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent la tombe. Le rap français est divisé en deux catégories : ceux qui soutiennent Skyrock et ceux qui la haïssent. Et ce sont parfois les mêmes. La schizophrénie des rappeurs nationaux autour de cette radio dont le slogan depuis quinze ans est “Premier sur le rap” a alimenté des dizaines de morceaux, des centaines d’interviews. Faut-il y passer ? La boycotter ? Parmi les plus virulents détracteurs de Skyrock, le collectif La Rumeur avait détourné son fameux slogan : “Combien de mecs se défroquent pour passer sur Skyrock ? C’est une bien triste époque qui commence pour vous/Désormais la parole sera à des groupes comme nous/Nous sommes les premiers sur le rap, fils de pute !/Cette poignée de non-alignés qui commencera par buter/Rappeurs, DJs et producteurs

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Le soutien de Gims de Sexion D’Assaut, de la chanteuse r’n’b Kenza Farah et de Mokobé du 113 (en bleu). Au premier plan, Laurent Bouneau, directeur des programmes, le 13 avril dans les locaux de la station

parmi les détracteurs de la radio, La Rumeur : “Combien de mecs se défroquent pour passer sur Skyrock ?”

Laure Vasconi

extrait de “Nous sommes les premiers sur…”

“avec Skyrock, ça dure depuis 1998.Est-ce que ‘Fuck Skyrock’ est un combat ? Je ne vois pas l’intérêt” Mokobé, du 113 zélés/Regardant le ciel s’assombrir au-dessus de leurs têtes de traîtres” (Nous sommes les premiers sur…). MC Jean Gab’1 le dit avec d’autres mots : “Si t’es en maison de disques et que ton passage peut ramener des écrans pub, alors ouais, t’es premier sur le rap ! Mais en fin de compte, c’est du produit. S’il n’y a pas de maison de disques derrière, tchao. Si t’en es pas conscient, t’es le roi des cons et puis tant pis.” Plus au sud, Imhotep, l’architecte d’IAM, parle en stéréo : “Premier sur le rap, c’est une blague. Ce sont des concurrents de Fun et NRJ avec un peu plus de rap français. L’époque où j’écoutais Skyrock est révolue. Pour que je la réécoute, il faudrait qu’ils nomment Oxmo Puccino directeur de la radio.” Oxmo qui, lui, reste posé : “Les avis sont partagés, tout le monde a tort et tout le monde a raison. Je n’ai pas grand-chose à dire sur le sujet, je préfère garder le silence.” En 2003, en pleine ascension, Diam’s changeait ainsi son fusil d’épaule : “Je savais que Laurent Bouneau (directeur des programmes) ne me passerait pas sur Skyrock et j’étais super aigrie. Les gens m’ont prise pour une fervente défenseuse de l’underground alors qu’en fait, je ne risquais rien à le critiquer. Et comme il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis, je lui ai écrit un morceau, sans pour autant lui lécher les bottes. Au contraire, je lui expliquais pourquoi je comprenais qu’on le déteste. Je lui disais : ‘Moi je fais pas du rap pour qu’on me note/ Ni pour qu’on me mette des menottes’. Ça l’a touché.” Doc Gynéco, lui, a eu une émission pendant quelques semaines sur Sky, à la fin des années 90. “J’ai mis du Aznavour sur Skyrock !”, raconte-t-il. Osé, mais ça n’a pas duré. Pas le format. EJM, qui démarra en 1990 sur

“pour moi, c’est la seule ouverture pour le rap français à l’échelle nationale” Ali, ex-Lunatic la mythique compilation Rapattitude, a la sagesse des anciens : “Quand je rappais, Skyrock n’avait pas encore émergé. Maintenant c’est plus pour la jeunesse et c’est dommage, mais le rap est né dans la rue, il doit finir dans la rue.” Ahmed de La Caution a un verdict sans appel : “Skyrock ne fait rien avancer, ils balancent des morceaux avec des refrains chantés, très commerciaux. C’est une radio qui utilise un courant qui fonctionne très bien, le rap pour ados, et si ça ne fonctionne plus ils peuvent changer et passer à autre chose.” Il y a aussi ceux qui soutiennent Sky, comme Ali, ex-Lunatic, groupe dont un slogan choc il y a dix ans disait “Disque d’or sans coke ni Sky” : “Pour moi, c’est la seule ouverture pour le rap français à l’échelle nationale. Même si on a longtemps eu des préjugés sur cette radio, mon passage sur Planète rap a prouvé que leur état d’esprit pouvait être ouvert, en fonction de ce qu’ils aimaient ou pas. Ils peuvent aussi avoir un coup de cœur pour du rap indé.” Sly Johnson, brillant soulman, fut jadis rappeur du collectif Saïan Supa Crew. Il reconnaît ce qu’il doit à Sky : “Je n’ai jamais tenu un discours anti-Skyrock. La radio a contribué à notre succès, elle a vraiment poussé le Saïan Supa Crew à l’époque. Je ne vais pas cracher dans la soupe, même si je ne suis pas fan de leur programmation. Dire ‘Skyrock c’est de la merde’, c’était le discours facile, et ça n’est pas celui à tenir aujourd’hui.” Rohff, rappeur hardcore qui fait des disques d’or, ne se cache pas derrière son petit doigt : “De toutes les grosses radios, c’est la seule qui m’a soutenu. Je ne suis pas hypocrite et si j’avais un problème avec Skyrock, j’irai jusqu’au bout. Je ne me prendrai pas la tête avec les animateurs en laissant jouer ma musique sur la radio, 20.04.2011 les inrockuptibles 37

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comme certains. Il y a des faux culs qui aiment bien se servir des gens et cracher sur eux par-derrière. Moi je suis reconnaissant pour ce que cette radio a pu m’apporter.” La Fouine l’avoue : “Je suis entré premier au Top albums avec un seul média national, Skyrock.” Même tonalité positive pour Mokobé, du 113 : “Avec Skyrock, ça dure depuis 1998. Truc de fou a carrément été le générique de leur pub télé, ils nous suivaient quand on était en indépendant. Ce que les gens ne savent pas, c’est que tout le monde est passé sur Skyrock, même les groupes qui l’ont insultée. La Nocturne de Fred Musa, elle passe tous les artistes. Grâce aux freestyles de Planète rap, tu peux faire découvrir les mecs de ton quartier. Les militants anti-Skyrock, je me demande où ils sont quand il y a des expulsions, quand un hôtel brûle. Pourquoi ils ne sont pas sur le terrain ? Est-ce que ‘Fuck Skyrock’ est un combat ? Je ne vois pas l’intérêt.” Akhenaton confirme : “Je n’ai jamais basculé dans le ‘Fuck Skyrock’, pourtant je pourrais. Mais la musique m’a appris à me concentrer sur le constructif. Je vais être honnête, une bonne partie du succès d’IAM dans les années 90 est dû à cette radio. Même s’il y a eu des événements horribles : quand on a été les voir avec

Kheops avant qu’ils ne passent du rap pour proposer une émission, Bouneau nous a dit que c’était une musique qui s’adressait à une tribu. Je sais qu’il n’a pas suivi IAM par goût musical mais par opportunisme. Petit à petit, la playlist s’est resserrée, notre discours est resté le même, radical et adulte. On est donc devenus trop vieux pour eux.” Dee Nasty, DJ historique du mouvement rap, ne mâche pas ses mots : “Certains diront qu’ils ont fait du bien parce qu’ils ont diffusé du rap dans les chaumières françaises, mais depuis la fin des années 90, c’est de la sous-merde. Ils ont réussi à pousser les maisons de disques à formater le rap. Qu’ils se remettent au rock, franchement ça serait mieux. Mais s’ils font avec le rock ce qu’ils ont fait avec le rap, je suis très inquiet pour l’avenir du rock en France. Je ne vais pas verser de larmes, qu’ils crèvent. C’était ma pelletée de terre sur leur cercueil.” Conclusion à MC Jean Gab’1 : “Ça a été formaté façon Bisounours ! Ce qui fait que forcément, c’est super marrant ce qui leur arrive. De toute façon, quand tu monopolises une musique, tu ne peux qu’avoir des ennemis au cul.”

“le rap français démoli, ils passent à autre chose” Sébastien Farran est manager de NTM. Il a vécu de l’intérieur l’explosion du rap en France, avec ou sans Skyrock. Il revient sur les rapports entre la radio et le hip-hop. A l’époque, il y avait un gros potentiel radio pour le hip-hop : une tranche d’âge le réclamait. Aujourd’hui, cette tranche d’âge veut du r’n’b, voire de la pop electro : Skyrock suit le mouvement. Ils n’ont jamais voulu être les sauveurs du hip-hop : maintenant que le rap français est démoli, ils passent à autre chose. S’ils avaient eu cette volonté, ils auraient embauché des acteurs du hip-hop. Mais non, ils sont restés entre gens de radio. Mais au moins, ils n’ont jamais été hypocrites. Ils n’ont jamais eu

JoeyStarre t SébastienF arran, en 2008

Richard Aujard

“Jusqu’à son dernier album en 1998, NTM ne passait pas en radio. Pas plus chez Skyrock que chez les autres. Après tout, Skyrock n’est devenue une radio rap qu’en 1996 : ils se sont clairement positionnés sur ce créneau parce qu’il y avait une place à prendre. Ce n’est pas une volonté artistique, politique. Ils se sont mis à passer Stomy Bugsy, Doc Gynéco, ça a donné les premiers tubes pour le rap français en radio… Du coup, quand on a sorti l’album Suprême NTM, Seine-Saint-Denis Style est devenu leur gros tube de l’année.

la volonté de défrichage militant de Radio Nova par exemple. Ils n’ont jamais été en mission, ils n’ont jamais pris le moindre risque artistique. C’était une entreprise commerciale : on ne peut donc qu’applaudir leur succès, c’est une épopée générationnelle. Ils ont profité du rap, puis participé à la dénaturation du mouvement, mais avec la complicité des artistes et surtout de leurs maisons de disques. Un groupe de gangstarap ne devrait jamais s’abaisser à faire un refrain avec une fille qui chiale pour passer à la radio : certains se sont pourtant soumis à leur label. Pourquoi signer un groupe avec une conscience politique et sociale pour ensuite le formater ? Pour se mettre au niveau de la concurrence sur les ondes. Ça a totalement faussé le rap. Cela dit, des radios ont tenté de se lancer, contre Skyrock, sur le créneau dit “rap authentique” : toutes se sont plantées. Certains groupes de rap ont même tout fait pour être censurés sur Skyrock, quitte à dire n’importe quoi dans leur surenchère : être “censuré” par Skyrock devenait ainsi un argument commercial dans l’underground. NTM a toujours fait très attention à ce qu’il écrivait, ce n’est pas le cas de tous. On n’est souvent pas dans un univers

intellectuel très abouti, mais dans un développement adolescent… Les maisons de disques ont négligé la dimension de carrière, de développement de message, de longévité pour tenter des coups sur Skyrock. Mais contrairement à des radios américaines, Skyrock ne les a jamais pris en otage, en exigeant des points sur les ventes ou les éditions en échange de passages à l’antenne. Alors bien sûr, en fin d’année, ils regardent qui a pris le plus de pub et ça influence forcément les playlists… Mais en tant que manager de NTM, jamais ils ne m’ont proposé la moindre magouille. Le hip-hop, c’est un truc fondamental, ça a tout changé : ma vie, mon destin, ma vision. Du coup, je ne peux pas écouter Skyrock : je la consulte, professionnellement. Mais un passionné de musique ne peut pas suivre une radio qui passe le même titre quarante fois dans la semaine. Pourtant, le soir, comme les radios américaines, ça peut devenir passionnant, avec des shows ouverts à des DJ, des gens du rap. Avec JoeyStarr, on a ainsi pendant cinq ans animé deux émissions à l’antenne, c’était mythique – pour le public comme pour nous. Là, il y avait une vraie liberté, du courage de programmation… Ces émissions continuent de tourner sur le net !” propos recueillis par JD Beauvallet

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L’équipe de Radio libre : (en partant de la gauche) Sami, Marie, Difool (6e), Romano (lunettes), Cédric, Karim. Au centre, le groupe Diddy-Dirty Money

le cru est-il cuit ? Mise à l’amende par le CSA pour ses dérapages trash, l’émission Radio libre serait victime d’un délit de sale gueule. par Anne Laffeter

Q

ue fait mon ado enfermé dans sa chambre ? Le parent à la masse ressasse cette angoissante question. Drogue ? D épression ? Masturbation intensive ? Chaque soir, c’est la même chose : cinq minutes à table et il fuit dans son antre. Enfin seul. Il se glisse sous la couette, éteint les lumières. Et s’adonne à son plaisir solitaire. Au même moment, comme lui, des milliers de ses congénères en pleine poussée d’hormones, écouteurs fichés dans les oreilles, tournent le bouton d’une grande communauté : celle des accros de la libre antenne

trash, potache et très très cul de Skyrock. “J’entendais parler de sexe sans tabou pour la première fois.” Tout le temps où il était au collège, Victor n’a pas loupé une émission de Radio libre, héritière de l’ère Doc et Difool sur Fun Radio au début des années 90. Difool, ado attardé et macho, et le pédiatre “ce n’est pas sale” désamorçaient les angoisses adolescentes. Les jeunes se pressent au confessionnal. En 1996, Skyrock débauche Difool, seul. Depuis quatorze ans, tous les soirs à 21 heures, il joue au grand frère, au mec sympa. Dans son équipe, Marie, l’alcoolo dépucelée à 12 ans.

Cédric, le con. Romano le radin, qui annonce le lundi le nombre de ses masturbations du week-end. Sami, le Marseillais fan de l’OM et Momo, le Parigot. Le principe ? Parole aux jeunes ambiancée par des experts du sexe fournisseurs d’infos pratiques. “Comme des potes qui rigoleraient entre eux”, précise Victor, 23 ans, ancien auditeur. Trois heures d’un défouloir aux résonances hystériques, pas toujours fines. Radio libre rassemble plus d’un million d’auditeurs, selon Médiamétrie. Presque autant de filles que de garçons.

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“les skyblogs, le ton de la libre antenne, le rap : tout ça déplaît” Emmanuel Pierrat, avocat Une émission au hasard. Un auditeur appelle pour témoigner qu’il se fait traiter de “gros cul” par sa copine. S’engagent vingt minutes de grosse déconnade. Romano : “Elle est chieuse, c’est une meuf normale.” Marie : “Oh, dis donc !” Un autre : “Pète-lui à la gueule.” Romano, encore : “Je lui dis ta gueule espèce de truie, va te faire enculer.” Une auditrice témoigne à son tour de sa condition de femme à gros cul. Séquence émotion. Suivante. Suzie ne s’entend pas avec son père, elle demande conseil pour prendre un appart. Anthony, 17 ans, a eu la chance de passer à l’antenne : “Je cherchais des conseils pour devenir journaliste, ils ne m’ont pas déçu.” Il a aussi beaucoup appris sur l’approche des filles : “Après l’école, je lui demande si elle veut faire un petit Flunch, un petit McDo, un ciné…” “Cette émission a fait toute mon éducation sexuelle”, raconte Amandine, 27 ans, qui a grandi dans une famille bourgeoise coinços. “Surtout pour l’épilation intégrale.” Par contre, elle a été rebutée par le dépucelage de Marie sur une table de ping-pong : “Avec ses chaussettes ! Je me suis dit, toi ce ne sera pas comme ça.” Sophie, 25 ans, accro pendant un mois à 14 ans, rigole : “Tu te poses 20 000 questions, t’écoutes l’émission en cachette et tu te dis que le sexe c’est vraiment dégueulasse car t’entends les pires histoires.” Du genre ? “Je sodomisais ma meuf, elle m’a fait caca dessus par accident, depuis je n’arrive plus à la niquer. Qu’est-ce que je peux faire ?” Cette vulgarité a gêné Pascal quand Milan, son fils de 10 ans, est devenu accro à Skyrock. “Je l’ai chopé une fois à écouter en douce au fond de son lit à 22 heures… Il n’y a rien d’autre que du rap et des gamineries.” Les délires scato, les blagues à base de biroutes ou de chattes, tout y passe. Tout comme les stéréotypes sexistes – “c’est une chienne, elle adore ça” – courants chez les ados, dont Radio libre se veut la caisse de résonance. Marie, la voix féminine, sert de défouloir face aux assauts machos et couillus de ses comparses. “C’est pas du grand romantisme sur les rapports hommesfemmes, concède Amandine, mais c’est

pas plus sexiste que dans la vraie vie, pas plus vulgaire qu’un titre de Booba.” Mais le CSA s’est immiscé dans la chambre des ados et ne partage pas cet avis. En 2001, l’autorité de contrôle fait diffuser dans les rédactions un best-of des plus gros dérapages de Difool et sa bande. Romano, en rigolant, suggère à un auditeur de donner “un coup de couteau” pour élargir le vagin de sa copine. En 2004, le CSA interdit les radios de “heurter les moins de 16 ans” avant 22 heures 30. Fini le cul. “Ses membres n’ont jamais été ados et vivent dans une bulle où les enfants se couchent à 21 heures !”, s’énerve l’avocat Emmanuel Pierrat. Difool installe une alarme à CSA qui retentit à chaque dérapage. En 2010, Skyrock est condamnée à payer une amende de 200 000 euros pour une discussion datant de 2007, ayant eu lieu avant 22 heures 30, sur la fellation. Un record pour une radio. Pas pire que Brigitte Lahaie sur RMC en plein après-midi, estime Pierrat : “Il y a parfois des débordements sexistes et nauséabonds mais je préfère une radio où on déborde un peu et où on parle de sexe, de capotes, de sida, de prévention, à des campagnes de pub inefficaces.” Selon lui, Skyrock est victime d’un délit de sale gueule : “La personnalité de Bellanger, les skyblogs, le ton de la libre antenne, le rap, tout ça déplaît.” Victor, ex-auditeur, est en rogne : “C’est de l’intolérance, du mépris contre une radio pour jeunes ! Elle démystifie le sexe, met des mots sur des choses effrayantes et s’en moque. Et il y a une véritable dimension éducative.” “C’est pas mes parents qui vont parler de sodomie”, confirme Amandine. Dans son pavillon de banlieue molle, il arrivait parfois à Marc de se masturber pendant l’émission. A 16 ans, contrairement à pas mal de ses potes, il pouvait se vanter d’avoir expérimenté deux fois la fellation. Des expériences décevantes et sans plaisir. Insensible ? Marc n’osait pas en parler : “J’étais mal… entendre un mec à la radio raconter la même chose m’a rassuré : je n’étais plus seul.” 20.04.2011 les inrockuptibles 41

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édito

Stéphane Lemouton/Abaca

inconstance et panique

Royal choisit son propre tempo Discrète dans les médias, la présidente de Poitou-Charentes multiplie posts et twits et occupe différemment le terrain de la primaire.

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usqu’ici, Ségolène Royal a toujours réussi à créer l’actualité. Encore une fois, la candidate à la primaire du PS a réussi à surprendre ses “camarades” et le monde médiatique en maîtrisant “son temps, son tempo” et en se faisant plus rare dans les médias pour éviter, a-t-elle expliqué sur i-Télé, le jeu des “petites phrases” et “des conflits de personnes” qui “dévoient la politique”. Mais la candidate à la présidentielle de 2007, que les sondages disent distancée par Dominique Strauss-Kahn, François Hollande et Martine Aubry, dit n’avoir en rien renoncé : “Je n’abandonne jamais les combats dans lesquels je m’engage”, commentet-elle. Une manière de prévenir les autres responsables du PS qu’elle ira

au bout de la primaire, forte du soutien dont elle se prévaut auprès des jeunes et des catégories populaires. “Elle parle à des gens qui sont loin de la politique”, reconnaît le strauss-kahnien Jean-Marie Le Guen. Ségolène Royal a déjà prévu de faire une série d’annonces dès que les derniers candidats à la primaire – DSK ou Martine Aubry – seront connus fin juin. D’ici là, une série d’universités populaires participatives auront lieu, à commencer par celle sur la fiscalité, ce mercredi 20 avril, avec la fondation Terra Nova, puis sur la vie chère et sur la sécurité énergétique. Elle continuera d’alimenter son blog, Facebook et Twitter où, depuis début avril, elle a accéléré le rythme des messages. Une manière de montrer qu’elle est toujours présente… Marion Mourgue

Ça y est, s’en est fini, nous dit-on… Fini de la stratégie droitière. Après avoir débité toute une série de “vérités” sur ce que sont censés penser les Français (ceux du peuple, pas les bobos bien sûr) à propos des immigrés, des musulmans, voilà que Claude Guéant “joue l’apaisement” et promet de mesurer ses propos. Il a reçu tous les représentants des cultes pour leur expliquer les mesurettes envisagées pour mieux faire vivre la laïcité, leur passant la pommade après tant d’excès de langage. Quel aveu d’échec de la stratégie de droitisation ! L’Elysée voulait “parler dur” et faire “parler dur” son ministre de l’Intérieur pour recommencer l’opération “siphonnage” des électeurs du FN, comme en 2007. Résultat : le président s’enfonce encore plus dans les sondages, et la partie la plus exaspérée de l’opinion, celle qui gueule en disant qu’elle kiffe la Marine, campe chez les Le Pen et prend Sarkozy et Guéant pour des usurpateurs. Il ne faut pas prendre les “gros cons” (les électeurs du FN selon ma copine Sophia Aram) pour des abrutis… Le ministre de l’Intérieur – que Les Inrocks prenaient pour cible, la semaine dernière, en proposant aux lecteurs d’envoyer une petite carte rigolote à l’Elysée pour que le président change de ministre de l’Intérieur – Claude Guéant, donc, est sommé de se calmer. Les électeurs du FN ne reviennent pas, ceux du centre droit s’en vont ! Ça ressemble un peu à la phrase de Churchill : “Vous aviez à choisir entre la guerre et le déshonneur ; vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre.”

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Copé écope Le secrétaire général de l’UMP assume sans états d’âme son “contrat” avec Nicolas Sarkozy. Pour mieux préparer la suite en 2017.



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out cela était écrit à l’avance !” Patron de l’UMP depuis quatre mois déjà, Jean-François Copé “assume” tout en bloc : la droitisation élyséenne, le débat périlleux sur la laïcité, la rivalité avec François Fillon. “J’ai tout de suite conçu mon rôle dans le prolongement de la présidence du groupe à l’Assemblée pour faire du parti le pilier numéro un de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012. C’est la base même du contrat moral et politique que j’ai passé avec le Président. On a établi entre nous un lien très solide”, confie le secrétaire général de l’UMP aux Inrocks. “J’ai fait le choix de mettre le parti en mouvement, de le sortir de l’anémie”, ajoute-t-il. Une surexposition risquée. Aujourd’hui, les langues se délient contre Jean-François Copé. Surtout après la défaite de l’UMP aux cantonales. Christine Boutin est prête à lui “faire une ordonnance” pour qu’il aille “se reposer à la montagne”, Gérard Longuet l’appelle à garder son “calme”, un conseiller de Nicolas Sarkozy lui reproche de “se laisser emporter et piéger par sa haine de Fillon”. L’ancien porte-parole de l’UMP, Dominique Paillé, désormais partisan de la démarche de Jean-Louis Borloo, décrypte ainsi la stratégie de Jean-François Copé : “Il parie sur la défaite de Sarkozy en 2012. Il droitise le parti, ce qui fait que les centristes sont contraints de s’en éloigner. Son but est de conserver un noyau dur, un parti à sa main, où tous les cadres auront été changés, un parti qui sera le premier opposant du socialiste élu président, et pourra reconquérir l’électorat Front national (…). Sa conviction profonde, c’est que son destin, c’est l’Elysée. Mais c’est quelqu’un qui est par ailleurs naturellement à droite”, précise le radical. Dominique

“sa conviction profonde, c’est que son destin, c’est l’Elysée” Dominique Paillé, ancien porte-parole de l’UMP

Paillé relève “la stratégie inverse” de François Fillon, “qui est celle du maintien de l’unité de l’UMP”. Le Premier ministre “se présente comme l’homme de la synthèse, du consensus, du rassemblement de la famille, c’est comme cela qu’il faut lire ses récentes prises de position sur le front républicain ou la laïcité et ses appels à l’union. Mais les deux anticipent la défaite de Sarkozy et préparent 2017… Et Sarkozy a donné les clés de ses maisons à ses meilleurs ennemis.” Un partisan de Jean-François Copé rejette cette analyse : “Il n’y a pas de pari suicidaire sur 2012 ! Le seul sujet à l’UMP, c’est la stratégie du Premier ministre par rapport au président de la République. Aujourd’hui, il y a un axe Fillon-Bertrand, ils incarneraient la partie sociale de la majorité, et Copé et Sarkozy seraient les méchants de la droite… C’est une pure construction.” Copé reconnaît qu’après 2012, “c’est une autre histoire qui commence”, mais il n’entend pas se laisser contester son brevet de sarkozysme, surtout par son vieil ennemi Xavier Bertrand, qui l’a précédé à l’UMP. “J’affiche clairement la couleur”, dit le député-maire de Meaux énumérant ceux qui forment autour de lui une “équipe de campagne” au service du président : “Nadine Morano, Valérie Rosso-Debord, Michèle Tabarot, Bruno Le Maire, Christian Jacob, Bruno Beschizza, Franck Riester, Luc Chatel, Brice Hortefeux, Valérie Pécresse, Jean-Pierre Raffarin, Catherine Vautrin, Rachida Dati…” Le départ de Jean-Louis Borloo, les états d’âme d’Hervé Morin, la dissidence de Dominique de Villepin, la mauvaise humeur de Christine Boutin : ça commence à faire beaucoup pour la majorité. A tel point qu’Alain Juppé, sage parmi les sages et fondateur de l’UMP, exprime désormais ses craintes de voir la droite repartir “vingt ans en arrière”. Bernard Accoyer, président UMP de l’Assemblée, rappelle que “la guerre des droites est un grand classique qui a conduit à de nombreuses déconvenues pour la droite et le centre.” “Le problème, c’est la haine entre Copé et Fillon que Sarkozy laisse prospérer. JeanFrançois se laisse guider par ce sentiment. C’était la même chose avec Xavier Bertrand.

Il lui reprochait des choses dont il s’est rendu compte à l’usage qu’elles étaient inhérentes au fonctionnement de l’UMP”, explique un responsable du parti. “On a l’impression que Sarkozy, Copé mais aussi Fillon et Borloo ont tout oublié des raisons qui ont fait qu’on a fabriqué l’UMP, se désole un député, c’était pour en finir avec la machine à perdre. Là, j’ai l’impression qu’ils construisent une machine à perdre toute neuve, plus performante que la précédente. On mesure la gravité de leurs actes au fait qu’ils en sont réduits à guetter les erreurs des socialistes, avec les primaires. Et pendant ce temps, Marine Le Pen croît et prospère.” Jean-François Copé estime pour sa part que l’UMP a tout à gagner pour la campagne présidentielle en multipliant les débats. Le 31 mai, il défendra à l’Assemblée la proposition parlementaire issue des vingt-six propositions formulées dans le cadre du débat sur la laïcité du 5 avril. “Pourquoi j’ai tenu dans ce débat, en dépit des injures, des clameurs ? Parce que dans le fond, on revenait là à l’essence même de la République. Pas une seule des vingt-six propositions que j’ai présentées n’a suscité d’opposition à l’UMP, on verra ce que fera la gauche”, lance-t-il. Fort opportunément le député de Seine-et-Marne met en avant la convention du 3 mai sur l’emploi, un thème plus conforme aux préoccupations des Français et moins clivant que le tout-sécuritéet-immigration servi depuis plusieurs mois par l’Elysée et l’UMP. Le débat sera confié au libéral Hervé Novelli, avant une convention sur la justice sociale qui sera animée par le centriste Marc-Philippe Daubresse. “Sur tous les sujets, il faut que les différentes sensibilités de l’UMP prennent leur part”, explique Jean-François Copé. Le secrétaire général de l’UMP, qui effectue un ou deux déplacements par semaine, souhaite que le projet qui sera soumis en novembre au probable candidat Nicolas Sarkozy “soit structuré autour de trois mots-clés : le courage de faire, le rassemblement et l’ouverture au monde”. Pour le rassemblement, ce n’est pas encore gagné. Hélène Fontanaud 20.04.2011 les inrockuptibles 45

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“l’écologie politique est vivante”

Cécile Duflot évoque la sortie du nucléaire, son arbitrage du duel Hulot-Joly et sa volonté d’incarner une politique fondée sur l’espoir en réponse à la percée du FN.



ous souteniez Eva Joly, que change l’entrée en lice de Nicolas Hulot ? En tant que secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts, je ne soutiens aucun candidat. Mon rôle est d’être la garante de la bonne organisation de la primaire, de son climat et des discussions avec tous les candidats. Hulot reste flou sur sa participation à la primaire de juin. Il la souhaite la plus ouverte possible. Fait-il du chantage ? Je ne doute pas de l’inscription de Nicolas Hulot, comme d’Eva Joly, dans une démarche collective. Je ne suis la supportrice d’aucun individu mais de la démarche collective qui fait la force d’EELV. Hulot aurait préféré septembre… Les militants du conseil fédéral ont choisi juin. Les arguments étaient d’en finir avec une longue séquence interne puisque Eva Joly s’est déclarée l’été dernier, de commencer la campagne et de ne pas être en période de désignation en même temps que le PS. Daniel Cohn-Bendit veut déposer une motion pour défendre l’idée de ne pas présenter de candidat écolo à la présidentielle en échange de cinquante

circonscriptions. Pourquoi défendez-vous le fait de présenter un candidat ? La motion que je porte avec Philippe Meirieu et Pascal Durand, entre autres, estime que 2012 doit être une nouvelle étape pour le rassemblement, l’ouverture, l’enracinement du projet écologique derrière un candidat. La motion pose la possibilité d’un accord avec nos partenaires, en particulier le PS, mais un accord exigeant en terme électoral et sur le plan programmatique. Historiquement, la présidentielle ne réussit pas aux écolos. Vous n’avez pas peur de prendre une raclée ? Si on voulait faire de la politique avec une assurance tous risques, on ne serait pas écologiste. On fait de la politique par conviction, ça nécessite de défendre le projet écolo même avec un mode de scrutin défavorable. La présidentielle est la seule élection en France, et je le regrette, où l’on peut parler d’un projet global. Vous n’avez pas peur d’un nouveau 21 Avril avec la multiplication des candidatures à gauche ? Je crois qu’on ne répond pas à des problèmes politiques par de l’arithmétique.

Ce n’est pas parce qu’il y a ou pas un candidat écolo que le candidat socialiste a tel ou tel score. Le candidat écologiste doit incarner une forme d’alternative, incarnée de manière noire par Marine Le Pen et le FN. La nôtre doit être porteuse d’espoir. Cohn-Bendit a des mots très durs envers la direction d’EEVL : outre son “conservatisme gauchiste, dirigiste et technocratique”, il lui reproche de bloquer son ouverture… Je pense que les faits lui donnent tort : la capacité d’ouverture des régionales est maintenue, il y a une augmentation constante du nombre d’adhérents, je suis allée dans cinquante départements. L’écologie politique est extrêmement vivante et vivace. Nicolas Hulot a décrit un périmètre d’alliance possible qui s’arrête au centre, à peu près celle de Cohn-Bendit. Votre position va-t-elle évoluer ? EELV a adopté une position à 96 % des voix, lors de son assemblée générale fondatrice le 13 novembre dernier. Celle-ci dit que l’alliance n’est pas possible avec la majorité actuelle, possible mais pas automatique avec la gauche. La question du centre se résout par le choix de ses alliances, traditionnellement nouées sur sa droite. Vous faites de la sortie du nucléaire un préalable à toute alliance. Martine Aubry a infléchi la position pronucléaire du PS. C’est votre influence ? Fukushima a fait bouger les lignes et j’ai noté avec beaucoup de satisfaction la réaction de Martine Aubry ou d’Harlem Désir. La sortie du nucléaire est un horizon politique, le lieu où il va y avoir un creuset d’imagination, de travail, d’inventivité et d’emplois sur les économies d’énergie et sur les énergies renouvelables. Il y a un effet Fukushima chez Nicolas Hulot ? Il réfléchissait à la question depuis longtemps. Oui, bien sûr, cela a un effet indéniable, y compris pour ceux qui sont pronucléaires par conformisme. La popularité de Nicolas Hulot dans les médias peut-elle avoir un impact chez les classes populaires ? C’est une question qui mérite d’être posée. Elle vaut pour Eva Joly. Comment redonner à ceux qui sont tentés par une solution politique fondée sur le repli et la haine, l’envie d’une solution politique fondée sur l’espoir ? Comment incarne-ton cette réponse ? Hulot et Joly peuvent l’être tous les deux. Les solutions socialesdémocrates et libérales sont périmées, les appareils traditionnels sont pour certains discrédités ou suscitent du désintérêt. Les écolos ont une responsabilité sur ce terrain-là. par Anne Laffeter

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presse citron

par Christophe Conte

Nicolas Sarkozy “la sent bien”, Jean-Louis Borloo fait dans le baba (cool), Le Pen senior continue à déraper, Popeye donne dans le Chichi. Nicolas Hulot, lui, espère aller au bout de ses rêves.

les relous Lagarde tourne autour de 2 % Au 1er juillet 2011, il est “très probable” que le Smic augmente de 2 %, a reconnu Christine Lagarde sur LCI, sans confirmer ce chiffre. “Maintenant, est-ce que ça va être pile-poil 2 %, un peu plus ? C’est prématuré de vous donner un chiffre précis, mais c’est de cet ordre-là probablement.” Lagarde aurait pu se renseigner… C’est pas comme si des millions de gens étaient concernés...

De Eerl

Thomas Coex/AFP

Allègre se bat contre des moulins à vent

envole-toi ! Il a suffi d’un signe, encore un matin, et Nicolas Hulot est passé du statut d’animateur d’émission gel douche à celui de futur président de la République, s’il va au bout de ses rêves. Il n’a pas promis le grand soir, mais juste à manger bio et à boire du jus d’avoine. Il a dit qu’il allait donner toutes ses différences (Nouvel Obs, 13/04), car c’est ta chance aujourd’hui de changer la vie et de ne plus la vivre par procuration. Il ira là-bas prêcher la bonne parole, même s’il marche seul et que “long is the road”, car il n’a peur de rien (blues). Et nous, on lui a répondu : pas toi.

hyper olfactif “Moi, la situation, je la sens bien”, s’est enflammé Nicolas Sarkozy à propos de 2012 face à une délégation de députés UMP dépressifs reçus pour une mission regonflage à L’Elysée (Libération, 14/04). C’est vrai, entre Le Pen, Borloo, Villepin, Hulot, Bayrou et tous les bâtons qui viennent se placer dans ses roues, ça commence sérieusement à sentir le cramé, son affaire. Voire le gaz de shit.

radical love Après une halte, samedi dernier, au bar d’en face chez les radicaux du PRG, Jean-Loulou Borloo est parti trinquer avec les djeunes de son mouvement, envisageant face à eux 2012 comme un choix “entre la France de la peur et celle de l’amour” (Le JDD, 17/04). Un Grenelle woodstockien du roulage de pelle et du pelotage de nichons serait à l’étude chez ces chaudards radicool.

heil zheimer Jean-Marie Le Pen, dans les colonnes amies du “grand quotidien national” France Soir (18/04) :

“L’éolien est en train de ficher en l’air le paysage français pour rien !”, s’est énervé Claude Allègre sur le plateau du Talk Orange-Le Figaro. “C’est pas moins dangereux (que le nucléaire). Couper les oiseaux en morceaux, c’est une bonne affaire ?” Dans le genre argument scientifique de choc, on fait mieux…

“Ils (les immigrés – ndlr) veulent sodomiser le président. Ils se donnent ça comme objectif : arriver jusqu’à la grille du Coq, l’enfoncer, et ensuite ‘le’ sabrer…” Les fantasmes de ce vieillard font de plus en plus pitié.

nœud gordjien Premières images dans Le Parisien (13/04) du téléfilm L’Affaire Gordji, bientôt diffusé sur Canal+, qui retrace l’un des fameux épisodes de la guerre des nerfs entre Jacques Chirac et François Mitterrand lors de la première cohabitation. Pour incarner Chichi – cinq minutes douche comprise –, on n’a trouvé personne d’autre que Thierry Lhermitte, qui aura à peine dû corriger son personnage de Popeye dans Les Bronzés. Par contre, pour faire Charles Pasqua, Fernandel n’était pas libre.

très confidentiel Nadine Morano tient à signaler à tous ceux qui douteraient de ses compétences en matière de musique qu’elle connaît par cœur plein de chansons de Peugeot et Citroën.

Juppé s’exclut de tous les clubs Contrairement à beaucoup de ses collègues de l’UMP, Alain Juppé ne tient pas à se constituer de club. “Je suis un solitaire, a-t-il confié au Figaro. C’est vrai que je ne me suis pas constitué un chêne, un olivier…” Michèle Alliot-Marie, dont le club se nomme Le Chêne, appréciera… 20.04.2011 les inrockuptibles 47

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safari

Mousse/Abacapress

Jean-Louis Borloo continue de s'émanciper de l’UMP. Samedi, il s'est rendu aux Rencontres des radicaux de gauche de Jean-Michel Baylet sur l'identité républicaine.

brèves

des mouvements à foison Le 21 Avril fait toujours peur, Hollande chante l'international, DSK souffle les bougies de Borloo, Guéant est une marionnette et Fillon en embuscade... un collectif se mobilise contre le retour du 21 Avril “Comment voyez-vous la France demain ? Plutôt Brésil ou plutôt Monaco ?” Ce sont les questions qu'entend poser durant la campagne présidentielle de 2012 un collectif de citoyens dans un "Appel du 21 Avril” rendu public notamment sur les réseaux sociaux. Une soirée de lancement est prévue jeudi soir à la Bellevilloise, dans le XXe arrondissement de Paris. Pour éviter la répétition du 21 avril 2002 et la qualification du candidat FN au second tour, le collectif appelle “tous les partis de gauche à travailler ensemble sur une plate-forme commune visant la désignation d'un candidat unitaire dès le premier tour, grâce à des primaires ouvertes” et proposent un ”pacte entre les générations”.

Hollande fait le Printemps avant une tournée à l'étranger Le député de Corrèze multiplie les apparitions sur scène. La semaine dernière, c’était au chevet de Skyrock. Ce mercredi soir, François Hollande sera au Printemps

de Bourges pour le lancement du festival. On sait déjà, grâce à son ami de trente ans Jean-Pierre Jouyet, que le candidat à la primaire PS aime bien la chanson. Mais François Hollande veut aussi étoffer son discours diplomatique. Jeudi matin, il verra à Paris Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne. La semaine prochaine, il donnera une interview au Wall Street Journal (très lu à Washington...), avant de se rendre à Bruxelles le 5 mai et à Berlin le 8. La Tunisie est au programme à la mi-mai. La Grèce un peu plus tard.

DSK et Borloo vont-ils se partager le gâteau ? Le 7 avril, jour où Jean-Louis Borloo a annoncé sur France 2 son intention de quitter l’UMP pour élaborer une confédération des centres et éventuellement de se présenter à l’élection présidentielle de 2012, il a reçu un coup de fil amical de Dominique Strauss-Kahn car cette date était aussi celle de son soixantième anniversaire. Le patron du FMI courtise le centriste qui pourrait lui servir de force d’appoint au second tour de la présidentielle.

L’histoire ne dit pas si Nicolas Sarkozy, qui ne désespère pas de ramener son ancien ministre dans le giron de la majorité, lui a fait porter un gâteau.

Claude Guéant fait le guignol C'est la rançon de la gloire médiatique. Notre ami Claude Guéant fait cette semaine son entrée aux Guignols sur Canal+. La réplique en latex, beaucoup plus souple donc que son modèle, vient d'être “finalisée”. Le ministre de l'Intérieur a gagné sa place dans le saint des saints grâce à ses déclarations polémiques sur l'islam et l'immigration.

Fillon comme Balladur ? Un élu de la majorité se méfie des propos rassurants de ceux qui, à l'UMP, excluent toute velléité de candidature de François Fillon en 2012. "Ça me rappelle ceux qui disaient en 1994 que Balladur n'irait pas contre Jacques Chirac. D'ailleurs Fillon était balladurien ! Tous ceux qui pensent que Fillon n'aura pas le courage d'y aller pourraient être démentis à l'automne.” H. F. et T. L.

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affaires intérieures

Sarkozy en bleu de chauffe

 N

ouveau record d’impopularité pour Nicolas Sarkozy. Selon la dernière livraison OpinionWay pour Métro, le chef de l’Etat n’est plus apprécié que par 27 % des Français et, plus grave, par 62 % de ses sympathisants. Ce qui fait de lui le plus impopulaire des présidents sortants de la Ve République dont la cote a été mesurée à un an de l’échéance présidentielle. De son côté, François Fillon cultive en douceur son image de recours, avec une popularité maintenue à 41 % après quatre ans à Matignon. Il progresse même de cinq points auprès des sympathisants UMP, qui sont à présent 83 % à le plébisciter. Ces dernières semaines, le Premier ministre a fait entendre sa différence sur le Front national et la laïcité, et veut désormais “faire vivre l’aile sociale” de la majorité avec le ministre du Travail et ancien secrétaire général de l’UMP, Xavier Bertrand. Nicolas Sarkozy opère donc un virage social, autant pour contrer François Fillon que pour continuer son entreprise de reconquête de son électorat. Mardi, il s’est rendu dans les Ardennes pour une visite d’usine et une rencontre avec des salariés. C’est là qu’en 2006 il avait rendu un hommage vibrant à “la France qui souffre”. Mais, dans l’Est de la France, le capital de sympathie dont bénéficiait le candidat de 2007 a fondu avec sa promesse du “travailler plus pour gagner plus”. Le chef de l’Etat, qui, en bon adepte de la méthode Coué, “sent bien” la campagne de 2012, alterne donc discours sécuritaire et discours social. Après les polémiques sur la laïcité et l’immigration, qui n’ont produit que peu de résultats sur une opinion toujours courtisée par le Front national, Nicolas Sarkozy laisse ces questions au ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, véritable épouvantail pour la gauche, et accepte d’aller sur le terrain où l’attend une opposition requinquée à l’approche de la présidentielle. “Sur l’économie et le social, Sarkozy est prenable”, répètent en boucle les socialistes. Lui estime qu’ils ne survivront pas aux divisions de la primaire. Réponse dans un an. Hélène Fontanaud

Marlène Awaad/IP3/MaxPPP

En campagne dans les Ardennes, en 2006

que le meilleur perde Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite. par Michel-Antoine Burnier

Que fait M. Borloo ? Il sabote l’UMP et coupe à nouveau la droite en deux morceaux, l’un centriste et libéral, l’autre pseudogaulliste. C’est rétablir un excellent mécanisme de friction qui fit ses preuves dans les affrontements entre MM. Giscard d’Estaing et Chirac, permettant ainsi l’élection de M. Mitterrand. Pareille division provoqua jadis le départ du général de Gaulle lui-même. Pourquoi M. Sarkozy en avait-il abandonné le principe ? Voilà l’exemple d’une décision prise à la légère et par bonheur aujourd’hui retirée. On comprend combien M. Sarkozy a eu raison, en novembre dernier, de refuser la place de Premier ministre à M. Borloo. Supposons qu’à l’inverse il ait remercié M. Fillon. Celui-ci se serait montré incapable de quitter l’UMP, de fomenter un rassemblement rival au centre et de laisser percer une ambition présidentielle. Au contraire, la candidature de M. Borloo offre à M. Sarkozy une quasicertitude de disparaître à l’issue du premier tour. Comme cette culbute précoce n’arriva à aucun président de la Ve République sortant, nous y verrions une ultime et grandiose innovation du chef de l’Etat le plus victoricide depuis la Libération. De tous côtés, les candidats putatifs repartent en arrière. Les socialistes rêvent à 1981. M. Sarkozy liquide son œuvre de début de quinquennat, le bouclier fiscal, la baisse des droits de succession… Mais il a tenu

l’une de ses promesses : “décomplexer la droite”. Et que fait-elle, la droite, quand on la décomplexe ? Elle s’empresse d’avouer des sentiments aussi réactionnaires, pudibonds, cléricaux et xénophobes que dans les années 1950. A propos des années 1950, on voit bien que certains de nos politiques regrettent cette époque de guerres coloniales, de stalinisme et de gouvernements qui tombaient tous les six mois. On remarquera que M. Mélenchon porte des vestons 1950, des cravates 1950 et qu’il parle comme en 1950. La semaine dernière, le chef des communistes, M. Pierre Laurent, lui donne une rétive préférence comme candidat du Front de gauche. On demande à Mme Marie-Georges Buffet ce qu’elle en pense. Elle répond : “Je trouve ça chouette.” Chouette ? “Je n’avais pas entendu ce mot depuis 1953”, assure un vieux lexicologue. Notons que Mme Buffet aurait pu dire “c’est bath”, “c’est drôlement chic”, “c’est à s’tap” (soit “à se taper le cul par terre”), enfin, n’importe quelle expression oubliée qui se traduit de nos jours par “cool”. Nous admirons M. Chevènement, l’homme qui croit encore que “l’on tourne le bouton de la télévision” et qui dénonce les franchissements de “lignes jaunes” alors que depuis près de quarante ans les lignes jaunes sont blanches. Pour rester incompris de la jeunesse, il demeure prudent de se tromper de siècle. (à suivre...) 20.04.2011 les inrockuptibles 49

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Bobby Yip/Reuters

“on assiste à des disparitions mystérieuses. Les opposants se volatilisent du jour au lendemain, comme sous Pinochet”

contre-attaque

la Chine a peur du jasmin Le PCC panique à l’idée d’une contamination du pays par les “révolutions du jasmin” arabes. Ces dernières semaines, tout ce qui bouge et ne pense pas dans la ligne est incarcéré préventivement.



’un seul coup, ils ont cessé de répondre au téléphone. Les résistants chinois, rescapés du massacre de Tienanmen de 1989 et réfugiés en France ou ailleurs, ne veulent pas être cités. Depuis quelques semaines, beaucoup d’entre eux ont rallié Hong Kong, dont le statut particulier – “un pays, deux systèmes” – leur offre une relative sécurité. Surtout, ils s’agitent pour organiser l’exfiltration de leurs camarades persécutés. Récemment, des dizaines de dissidents, artistes,

journalistes ou bloggeurs, ont en effet été arrêtés préventivement. Et autant ont été assignés à résidence. Leurs avocats, eux, ont simplement disparu, certains parfois depuis des mois. Arrêté dans la soirée du 3 avril, le plasticien Ai Weiwei s’apprêtait à monter dans un avion pour Hong Kong, en transit vers New York où il devait réaliser une commande pour la fontaine de l’hôtel Plaza. Plutôt provo, l’auteur du célèbre toit en nid d’hirondelles du stade olympique de Pékin est devenu le symbole

aider les activistes Situé à Paris, comiteliuxiaobo.wordpress.com accueille les signatures pour la libération de Liu Xiaobo, prix Nobel de la paix 2010, incarcéré depuis décembre 2008 par les autorités. Fondé par des juristes, Chinese Human Rights Defenders (CHRD) tient à jour la liste des dissidents persécutés. L’organisation édite une newsletter quotidienne, “Chinese Human Rights Briefing“ (CHRB) sur www.chrdnet.org. Très active, aussi, Citizen’s Alliance, de Yang Jianli :

de l’insoumission. Une de ses œuvres le représente, avec sa barbe et sa silhouette de sumo, chemise ouverte sur un tatouage “Fuck” devant le célèbre portrait de Mao, à Pékin. Dans un édito méchant, un quotidien officiel jurait deux jours plus tard qu’“il allait payer pour son indépendance d’esprit”. Cette nouvelle répression est-elle égale ou pire que celle qui suivit le Printemps de Pékin de 1989 ? “A l’époque, c’était de la terreur brute, commente la sinologue Marie Holzman, militante des droits

www.initiativesforchina.org et www.yangjianli.com. A lire La Philosophie du porc de Liu Xiaobo (Gallimard) ; le China Labour Bulletin du dissident Cai Chongguo, réfugié en France, sur [email protected] ; L’Arrogance chinoise d’Erik Izraelewicz (Grasset) ; J’étais à Tienanmen de Cai Chongguo (L’Esprit du temps, 2009), préfacé par Marie Holzman ; la même anime la collection Les Moutons noirs (éd. François Bourin) et vient de sortir L’Insoumise de Lhassa, témoignage d’une nonne emprisonnée pour avoir crié “Vive le Tibet libre” durant l’occupation chinoise.

de l’homme. L’armée était intervenue sauvagement. Aujourd’hui, c’est plus insidieux. On assiste à des disparitions mystérieuses. Les opposants se volatilisent du jour au lendemain, comme sous Pinochet.” Dès le soulèvement tunisien, le pouvoir chinois a conçu une peur panique que, par effet miroir, un scénario identique se produise sur son territoire. Entre les ouvriers réduits à l’esclavage et sous-payés, et les dizaines de millions de paysans évincés de leurs terres sans indemnisation et qui organisent des jacqueries contre les centres-ville, il ne peut faire face à l’immense crise de confiance qui menace. Il devrait lâcher du lest. Tout au contraire, il resserre les boulons et se confirme dans le modèle d’une inédite “dictature de marché”. “Tant que le pouvoir pourra augmenter les effectifs et les pouvoirs des policiers, il saura étouffer la révolte dans l’œuf, analyse Marie Holzman. Un des slogans officiels du régime est : Arracher dans toute tentative de subversion.” Erik Izraelewicz, actuel directeur de la rédaction du Monde, prétend dans son essai L’Arrogance chinoise que, derrière l’agressivité des dirigeants, se cache une véritable angoisse : ils savent qu’ils doivent se réformer, mais ne savent pas comment s’y prendre. Et craignent que s’ils ne bougent pas, le prochain soulèvement populaire ne les prenne de court. Et soit, cette fois, le bon. [email protected]

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l’homme qui en savait beaucoup Dix-huit mois d’enquête et des centaines d’interviews pour comprendre comment Obama le pacifiste s’est mué en chef de guerre. Bob Woodward, tombeur de Nixon en 1974, raconte. par Léon Mercadet et Bernard Zekri

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Bob Woodward devant chez lui, mai 2005. Rencontred iscrète avec une source ?

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eu d’hommes peuvent se vanter d’avoir été incarnés au cinéma par Robert Redford. En fait, il n’y en a qu’un. Il s’appelle Bob Woodward. Il est journaliste et, avec son collègue Carl Bernstein, dans la vie comme dans le film Les Hommes du Président, il fit tomber Richard Nixon en 1974 avec l’affaire du Watergate. Quarante ans après, c’est à un autre président qu’il s’intéresse. Dans son livre Les Guerres d’Obama, il raconte la face la moins connue du président black : le commander in chief des armées américaines. Prétexte pour disséquer la machine de pouvoir appelée Maison Blanche. Commençons par la toute dernière guerre de Barack Obama : la Libye. En France, Nicolas Sarkozy est apparu beaucoup plus en pointe que lui. Avez-vous la même perception aux Etats-Unis ? Bob Woodward – Sur la guerre, Barack Obama est un être divisé. Il a un côté croisé, moral, et en même temps il veut circonscrire la guerre. En Libye, au début il bombarde et annonce que l’objectif n’est pas de renverser Kadhafi et que les forces terrestres n’interviendront pas. C’est un menu chinois : à la fois “tough guy” (un dur – ndlr) et pas impérialiste. Il réfléchit, pèse les enjeux, s’informe. En Afghanistan, quand les militaires demandent 40 000 hommes en renfort, que le vice-président Biden en propose 20 000, il en envoie 30 000. Obama est un homme du milieu. Sur la Libye, Hillary Clinton dit qu’elle a beaucoup poussé… Elle a poussé mais c’est Obama qui décide. Avait-il une bonne connaissance de la situation locale ? Le problème, c’est que les services de renseignement américains rassemblent des informations sur les leaders, les élites d’un pays. En Libye, on a affaire à des gens de la rue et on ignore qui sont ces rebelles. On a quelques noms, un vague contexte. C’est comme pour l’Irak : la CIA prétendait savoir qu’il y avait des armes de destruction massive, mais le dossier était foireux. Partir en guerre, c’est un sacré boulot, même quand vous croyez fixer des limites. Qu’une guerre soit juste ou pas, ça ne se voit qu’après. Dans le livre, je montre Obama dans son bureau, à l’été 2009, se disant “OK, on envoie des renforts en Afghanistan, mais quel est l’objectif ?” “La défaite des talibans.” “Mais que signifie ‘défaite’ ?” Ses stratèges lui répondent que les talibans sont là à perpétuité, alors il donne des ordres secrets : le but devient “d’affaiblir” les talibans. Notez ça : il a fallu un an au National Security Council pour fixer l’objectif ! J’ai interviewé Obama l’été dernier. Il m’a dit : “La guerre c’est l’enfer, mon boulot c’est de gérer le chaos.” Quand il débarque à la Maison Blanche, début 2009, il ne sait rien de rien. Les services de renseignement le convoquent carrément et lui font

le topo : “Voici de quoi vous héritez”. Il tombe des nues : “Wow ! C’est pour ça que j’ai signé !” Vous titrez votre livre Les Guerres d’Obama. L’une c’est l’Afghanistan, l’autre avec ses propres généraux. Bien sûr. Aux Etats-Unis, depuis la première guerre du Golfe, en 1991, que nous avons gagnée dans un temps très bref, les militaires ont un incroyable prestige. Si aujourd’hui vous faites un sondage sur le dirigeant le plus respecté, la réponse sera le général Petraeus, qui commande en Afghanistan. En théorie, Obama est commander in chief, il peut très bien dire “on quitte l’Afghanistan demain”. Son autorité est unilatérale. En pratique, il ne peut rien décider qui entraînerait une démission des généraux et du secrétaire à la Défense Robert Gates. Donc ça devient de la politique, et sa politique est de protéger les Etats-Unis comme le faisait Bush. Il a accru les opérations spéciales contre Al-Qaeda au Pakistan, pas seulement avec des drones, mais aussi au sol, sur le terrain, pour débusquer les chefs et les tuer, ce qu’on appelle le contre-terrorisme. Il se présente comme un dur aussi dur que les républicains. Il s’est auto-inoculé cette dureté. Pourquoi a-t-il gardé Robert Gates, qui était déjà à la Défense sous Bush ? Je connais Gates depuis les années 80. C’est un homme de la CIA, intelligent, plutôt modéré. Il a réussi à stabiliser la situation en Irak, avec Petraeus… Enfin, ça ressemble à une stabilisation. Dans votre carrière, vous avez observé plusieurs présidents en tant que chefs de guerre : Nixon (Vietnam), Reagan (guerre froide), Bush senior (Irak), Clinton (Yougoslavie), W. Bush (Irak) : comment jugez-vous Obama par rapport aux autres ? On verra bien. Allez… Je suis sérieux. Si je donnais un cours dans une école de journalisme, ce serait un cours sur l’empirisme : quels sont les faits ? Les faits mènent le monde. Tout dépend de ce qui se passera en Afghanistan. Quand on regarde dans le rétro, en 2006 l’Irak virait au désastre. Aujourd’hui, Obama y voit un modèle de sortie de guerre, avec le surge (envoi de 30 000 hommes en renfort), les opérations spéciales, plus les négociations avec les tribus sunnites. Je me souviens d’une discussion à l’époque avec Karl Rove, le conseiller de Bush, qui m’avait dit : “Tout dépendra du résultat, comme toujours !” En matière de guerre, on ne connaît jamais le résultat d’avance. D’après votre livre, Obama n’a guère de raisons d’être optimiste sur l’Afghanistan puisque les EtatsUnis n’ont aucune prise sur une donnée stratégique fondamentale, qui est régionale : la lutte à mort entre l’Inde et le Pakistan. C’est bien le problème. En un sens, la guerre consistant à expulser Al-Qaeda d’Afghanistan a été

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“quand j’ai interviewé Obama, il m’a dit : Vous êtes mieux informé que moi”

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Ron Galella/WireImage

Diane L. Cohen/Gamma

Robert Redford avec Bob Woodward, 1974. Il a incarné le journaliste dans Les Hommes du Président, adaptation du livre de Woodward sur le Watergate

Bob Woodward en juillet 2005

gagnée. Al-Qaeda s’est réfugié au Pakistan, pays qui est notre allié et qui nous aide. D’un autre côté, il offre un sanctuaire à Al-Qaeda et à certains talibans. C’est un univers piégé. Chaque pays joue sa carte. Vous racontez un dîner extraordinaire dans un restaurant de Washington entre Zardari, le président pakistanais, et un ancien ambassadeur américain dans la région. Zardari explique carrément qu’en fait, les Etats-Unis aident les talibans histoire d’avoir un prétexte pour envahir le Pakistan et lui piquer ses bombes atomiques. Et Zardari rajoute : “J’en ai parlé avec Karzaï, il est d’accord avec moi.” Comme alliés, on fait mieux ! D’abord, comment le savez-vous ? Vous étiez sous la table ? J’ai parlé à des gens qui… Quand le livre est sorti, l’automne dernier, j’ai rencontré le général Kayani, le chef d’état-major de l’armée pakistanaise, l’homme le plus puissant du pays. Il avait souligné ce passage, il m’a demandé, l’air ennuyé : “Comment savez-vous ça ? Tout est vrai !”

Et… ? Parce que je prends le temps. Le temps de voir des gens. Quand j’ai interviewé Obama, il m’a dit : “Vous êtes mieux informé que moi.” C’est v rai ? Bien sûr que non. Absurde. Mais j’ai prix dix-huit mois pour me concentrer sur ce livre. Le boulot de journaliste, la méthode, consiste à déterrer les faits, comme ce fameux dîner, les vérifier, les contre-vérifier, puis les mettre sous le nez de quelqu’un qui sait vraiment, et qui vous dit : “Ben oui, c’est vrai.” Un fait frappant, dans ces réunions secrètes du National Security Council de la Maison Blanche, c’est la lenteur du processus de décision. Le nombre de réunions qu’il faut : 9 octobre, 13 octobre, 17 octobre… ça traîne des mois. On croit que la guerre est une affaire de décisions rapides mais vous montrez que non. C’est lent parce que l’enjeu est important. Quand on écrit ce genre de livre, il faut être très attentif à la 20.04.2011 les inrockuptibles 55

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chronologie. Que s’est-il passé, et dans quel ordre exactement. Les premières réunions sur l’Afghanistan sous Obama se tiennent en mars 2009. Obama y déclare : “J’ai deux ans pour gagner la guerre.” Il pose le terme à mars 2011. Nous y sommes. Le tout dernier rapport dit : “Il y a un progrès”, avec cet ajout magnifique : “mais il est fragile et réversible”. Ce qui est vrai. Le général Petraeus lui-même ne clame pas victoire, et c’est là qu’Obama a raison : la guerre c’est l’enfer et il faut gérer le chaos. La guerre a bien changé depuis la Seconde Guerre mondiale. Vous aviez un Etat en face, et la définition de la victoire était simple : reddition inconditionnelle. Aujourd’hui, à la Maison Blanche, on en est à chercher le sens du mot “victoire”. C’est le grand débat. L’autre porte sur la stratégie : contre-insurrection ou contre-terrorisme ? Ce qui, vous l’expliquez, n’est pas du tout la même chose. On en est où aujourd’hui ? Le débat fait toujours rage. Un indice : si c’était réglé, le général Petraeus serait LE chef militaire numéro 1. Mais il ne l’est pas, puisqu’on parle de lui pour prendre la tête de la CIA. Je connais bien Petraeus, depuis la première guerre du Golfe, il y a vingt ans, quand il était simple major sorti de Princeton. Il venait dîner à la maison. Parlons journalisme. En lisant votre livre, on a l’impression persistante d’une caméra de surveillance braquée sur la Situation Room, sous la Maison Blanche, où se réunit le National Security Council. Une telle transparence semble impossible en France, mais pourquoi ? La démocratie française est-elle moins profonde que l’américaine, ou alors il y a moins de bons journalistes en France ? Ma réponse est, encore une fois, et vous n’allez pas aimer : j’ai le temps. Le temps de trouver les gens, de prendre des notes, de recouper, de multiplier les sources. Tout est dans la validation des informations, c’est la chose la plus importante du journalisme. J’ai 500 pages de transcriptions d’interviews. Je voyais les habitués de la Situation Room juste après les réunions, parfois pendant des heures. “Qu’a

Cherie Cullen/AP/SIPA

Dusan Vranic/AFP

Le général Stanley McChrystal, à gauche, en poste en Afghanistan de juin 2009 à juin 2010. Congédié et remplacé par le général David Petraeus

“Si vous faites un sondage aux Etats-Unis sur le dirigeant le plus respecté, la réponse sera le général Petraeus, qui commande en Afghanistan.” Ici avec le secrétaire de la Défense Robert Gates à Kaboul, mars 2011

vraiment dit le général McChrystal ? Qu’a répondu le vice-président ?”, etc. Puis je retourne les voir, encore et encore, ils me demandent : “Vous avez quoi comme info ?” Et là, ils confirment ou complètent. Tout ça en travaillant aussi au Washington Post ? Non, je ne travaille plus régulièrement au journal. Juste des papiers de temps en temps. Les gens vous parlent aussi parce que vous êtes Bob Woodward. N’importe quel journaliste sérieux aurait-il pu écrire ce livre ? Ou ça compte d’être le gars qui a eu la peau de Nixon et qui a su garder le secret sur l’identité de Deep Throat (Gorge profonde, l’indicateur) de 1973 à 2008, année où on a su que c’était Mark Felt, ancien numéro 2 du FBI ? Oui, savoir protéger une source est décisif. Mais je ne suis pas le seul à le faire. A propos de Deep Throat : ça a été difficile de vous taire pendant trente-cinq ans ? Non. Personne ne vous a jamais offert un million de dollars pour bavarder ? Non, jamais, ça aurait été insultant. On me disait : “Allez, c’est machin, je le sais, dites-le moi !” Je répondais : “Quand vous saurez, vous direz : ‘Bon dieu, c’est évident !’” Et c’est ce qui s’est passé avec Felt. L’autre grand secret américain, toujours caché, c’est le nom de l’assassin de Kennedy. A votre avis ? Je n’ai pas enquêté mais je dirais Lee Harvey Oswald. Pourquoi ? Parce que si c’était un autre, ça se serait passé comme pour le Watergate : il suffit que quelqu’un creuse, mette en lumière une contradiction ici, un mensonge là et démonte la version officielle. Encore aujourd’hui, des gens m’envoient des mails ou m’appellent pour me demander d’enquêter sur la mort de Kennedy. Je réponds : “qui d’autre qu’Oswald ? Donnez-moi juste un nom”. Des tueurs français de l’OAS, d’après James Ellroy. OK. Mais je n’y crois pas. Revenons au présent. Considérez-vous Julian Assange, de WikiLeaks, comme un journaliste ? J’ai juste lu quelques-uns de ces câbles diplomatiques, je ne crois pas que ces documents

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passeront dans les livres d’histoire. Ils n’arrivent même pas jusqu’à la Maison Blanche, qui n’en à rien à fiche ! Posez la question à Obama, il vous répondra que WikiLeaks est son souci n° 423. Ces câbles apportent de l’information, c’est important, mais ils ne nous apprennent rien sur la nature de notre gouvernement. Je me souviens quand j’étais au lycée, à Newhaven (Connecticut), un des profs a publié un livre titré Qui di rige ?. Qui dirige la ville de Newhaven ? Le maire ? Des businessmen locaux ? Depuis, les seize livres que j’ai écrits tournent tous autour de cette question : qui dirige ? C’est ça le truc. De quelles informations disposent les décideurs ? Quels conseils leur donnet-on ? A qui parlent-ils au téléphone ? Avec qui se réunissent-ils ? Dans le cas de Nixon, grâce aux bandes magnétiques dont nous disposons, grâce à cette transparence inhabituelle, on touche les réponses. Mais WikiLeaks, sur cette question du pouvoir, est hors-champ. Prenez votre magazine : n’avez-vous pas envie de chercher qui a décidé ces trois guerres dans lesquelles la France est embarquée en ce moment ? C’est quand même extraordinaire ! Qui aurait pu le prévoir ? Si j’étais Français, je serais en train d’écrire “Les Guerres de Sarkozy”. D’autant que Sarkozy lui-même ignorait totalement il y a trois mois qu’il se retrouverait avec trois guerres sur les bras. Combien de soldats français sont engagés en Côte d’Ivoire ? Mille six cents. Ils étaient mille au départ mais nous aussi avons fait notre petit surge, de six cents hommes, à notre échelle. Plus quatre mille en Afghanistan. Plus la marine et l’aviation en Méditerranée contre Kadhafi, mettons quatre mille. Total dix mille maxi. Nous ne pouvons guère faire plus… Il y a vingt ans, j’ai écrit un livre sur la première guerre du Golfe, Chefs de guerre. On y trouve des confidences d’un nommé Crowe, ancien conseiller de Reagan, qui lui avait dit : “Pour être un grand président, il faut faire une guerre.” Sarkozy ne parle pas anglais mais c’est un grand fan

Manifestation islamiste contre la représentation du Prophète sur Facebook, en mai 2010 à Lahore, Pakistan, “pays le plus dangereux pour le reste du monde”.

de l’Amérique. Grand fan de Bush. Comment le voit-on au Département d’Etat : comme un chef d’Etat fiable ou un acteur hystérique ? Bonne question, mais je ne sais pas. Vous parlez à des tas de gens à Washington… Oui, mais pas de Sarkozy : d’Obama ! Le bras de fer entre la Maison Blanche, les services de renseignement, les militaires et les diplomates est si intense que, euh, ni les Anglais ni les Français n’apparaissent sur les radars. Bon, si j’ajoutais un chapitre sur la Libye, alors là oui, il joue un rôle. Pour conclure, vous ne semblez pas très optimiste sur l’avenir du journalisme… Si, je suis très optimiste. J’imagine que si la presse écrite disparaît, aux Etats-Unis, en France, au Japon, on ressentira un tel manque que les gens qui ont de l’argent, Facebook, Google, investiront dans notre métier, dans l’enquête. Vous dites que le journalisme d’aujourd’hui est malade de la vitesse. Oui, de l’urgence des “dernières nouvelles”. Surtout à la télévision. Nous payons le prix de l’impatience. J’ai de la chance : on m’a payé, et bien, pour écrire ce livre en prenant le temps. Je ne suis pas pressé. Dans dix ans, on se reverra comme ce matin devant un café, on reparlera de la Libye, et on se dira : “Bon Dieu, incroyable ce qui nous avait échappé à l’époque ! Et incroyable ce qui avait échappé aux décideurs euxmêmes !” Quel serait votre premier conseil à un jeune journaliste d ébutant ? Tenez bon ! C’est le plus beau métier du monde. Traverser la vie des gens et en ressortir. J’ai passé huit ans à écrire sur Bush, j’ai pénétré ses dossiers, je l’ai interviewé à fond lui et ses plus proches conseillers, à vingt-neuf reprises, pendant une heure ou deux à chaque fois. C’est comme si j’avais passé une semaine complète avec ces gens. Et depuis, je ne les ai plus jamais revus. Livre Les Guerres d’Obama (Denoël), traduction collective de l’anglais (Etats-Unis), 528 pages, 23,50 € 20.04.2011 les inrockuptibles 57

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“que les artistes européens ne nous abandonnent pas !” Entre incrédulité et solidarité, le metteur en scène Oriza Hirata témoigne de la catastrophe qui touche son pays. par Patrick Sourd photo Emma Pick

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igure du théâtre contemporain japonais, Oriza Hirata est à l’origine de multiples échanges avec des metteurs en scène et des auteurs français comme Frédéric Fisbach, Michel Vinaver ou Pascal Rambert. Installé à Tokyo, où il dirige le Théâtre Komaba Agora, Oriza Hirata s’est fait connaître du grand public japonais avec un best-seller où il racontait son tour du monde à bicyclette à l’âge de 16 ans. Il est professeur à l’université d’Osaka et fut aussi l’animateur d’un talk-show culturel à la télévision japonaise. Auteur et metteur en scène, il a constitué une œuvre dramaturgique forte de plus d’une trentaine de pièces, parmi lesquelles Tokyo Notes, Gens de Séoul et Nouvelles du plateau S, inspirée de La Montagne magique de Thomas Mann. Où étiez-vous le 11 mars quand la terre a tremblé ? Oriza Hirata – Dans mon théâtre. Je travaillais avec mes comédiens dans une salle de répétition au cinquième étage. Nous faisions un filage. Nous sommes habitués aux tremblements de terre et les acteurs ont continué de jouer. Mais il s’agissait de la plus longue secousse jamais ressentie, alors j’ai fini par leur demander de se mettre à l’abri

sous des tables. Le bâtiment n’a pas été endommagé, aucun d’entre nous n’a été blessé et dès le lendemain, nous avons repris nos activités. Ensuite, il y a eu le tsunami. On ne s’attendait pas à une telle tragédie dans le Nord-Est. Protégée par des digues, cette région a l’habitude de subir de forts tsunamis tous les cinquante ans. Nous pensions que les gens auraient le temps de se mettre à l’abri. C’était inimaginable pour nous qu’il y ait autant de victimes et de dégâts. Comment réagir face à un tel enchaînement de catastrophes ? Au Japon, nous ne cessons de côtoyer la violence de la nature. En plus des tsunamis et des tremblements de terre, il y a aussi les typhons. Mais nous ne sommes pas en Europe, personne ne se dit : “qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour mériter ça ?” Nous ne connaissons ni rancœur contre les déchaînements de la nature ni sentiment de culpabilité. Ce qui est arrivé est digne de l’Apocalypse. Les Tokyoïtes n’ont pas réalisé tout de suite l’importance de la catastrophe. Ils se sont d’abord souciés de savoir si l’électricité et les transports seraient rapidement rétablis. Symboliquement, le nord du Japon représente une sorte de pays natal pour tous les Japonais. Ma mère vient de là-bas, comme nombre de mes comédiens. Nous nous sommes

très vite organisés pour héberger les familles de proches dans notre résidence d’artistes annexée au théâtre. Notre tristesse fut d’autant plus vive que nous savons les gens du nord très vaillants, pas bavards et très sincères. Un exemple : j’essaie d’envoyer des bénévoles avec les organisations d’aide aux réfugiés. La réponse à nos propositions est souvent la même : “Apportez votre aide à des personnes qui en ont plus besoin que nous.” Chaque communauté met un point d’honneur à s’en sortir toute seule ? Ce ne sont plus la famille ni les liens du sang qui comptent, mais la conscience d’appartenir à une

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“notre traumatisme s’apparente plus à celui des Américains après la destruction des Twin Towers qu’à Hiroshima”

Paris, avril 2011

communauté. L’individualisme existe peu au Japon, un pays où il est difficile d’exprimer des opinions personnelles. Notre réaction sera plutôt de nous serrer les coudes. Notre société s’est construite à travers la gestion de ce genre de situations. Avec la catastrophe nucléaire qui a suivi, on ne peut s’empêcher de penser à Hiroshima et Nagasaki. Très peu de Japonais ont fait le lien avec la bombe atomique. Ils ont été choqués de voir la continuité de leur projet, mis en place depuis les temps modernes, détruit en quelques heures par la nature. Ce 11 mars ressemble pour nous au 11 Septembre. Au Japon,

nous appelons l’attentat de New York le 9/11 et nous disons le 3/11 quand nous parlons du séisme. Notre traumatisme s’apparente davantage à celui des Américains après la destruction des Twin Towers. Le nucléaire en plus. Nous avons survécu à la bombe. La gravité du problème actuel n’est pas moindre ni plus importante. Aujourd’hui, la menace nucléaire n’est plus immédiate. Elle nous fait prendre conscience que la mort arrive avec lenteur mais de façon certaine et que celle-ci sera liée à cet accident nucléaire. D’un point de vue philosophique, cette situation semble

une forme d’emprisonnement à travers lequel on ne sait même pas où situer la peur. Pour l’instant, la menace reste abstraite dans les esprits. Au Japon, la mortalité par le cancer est de 50 %, il faut s’attendre à voir ce taux grimper de 1 % ou 2 %. Les Japonais vont devoir apprendre à vivre avec la radioactivité. Pensez-vous qu’un mouvement de colère peut naître chez les Japonais ? J’en suis sûr. Construite en 1977, la centrale de Fukushima n’aurait jamais dû être encore en activité. Le mythe de l’homme plus fort que la nature a fait long feu ? Nous avons constaté que nous n’étions pas surpuissants et nous avons trouvé nos limites dans notre maîtrise de la nature. Les comportements ont-ils changé ? Les gens sont devenus plus doux les uns avec les autres. On constate une belle mobilisation du côté des artistes. Après des concerts et des spectacles pour recueillir des fonds, beaucoup d’artistes à Tokyo préparent des actions dans le nord. Moi-même, je me rends la semaine prochaine dans une école où je vais tous les ans, proche de la centrale nucléaire. Le fait que j’y aille est la preuve que Tokyo ne s’est pas résigné à abandonner la région. J’ai acheté plein de boîtes de chocolat pour les offrir aux lycéens, des élèves comédiens, que je vais rencontrer. Je crois important que des personnes du théâtre aillent les voir sur place. Avez-vous un message à faire passer ? Je voudrais souligner qu’en ce moment un séjour d’une ou deux semaines à Tokyo n’a aucune conséquence sur la santé. J’ai constaté que de nombreuses productions lyriques ont été annulées : les chanteurs refusent de faire le déplacement. J’aimerais vraiment que les artistes européens ne nous abandonnent pas et reviennent à Tokyo. Les gens de théâtre sont eux, beaucoup plus courageux et n’annulent pas leur venue. Je suis très fier d’accueillir Pascal Rambert dans mon théâtre la semaine prochaine. 20.04.2011 les inrockuptibles 59

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“La route est devant toi/Ne laisse pas la mousse/Envahir tes souliers” Extrait de Maison cube, le nouvel album d’Emmanuelle Parrenin

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Emmanuelle 2 On la dit un peu sorcière. Auteur il y a trentequatre ans d’un album de post-folk unique et visionnaire, la musicienne nomade Emmanuelle Parrenin vient de donner une suite à son chef-d’œuvre. par Stéphane Deschamps 20.04.2011 les inrockuptibles 61

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e qui est fée n’est plus à faire. En 1977, une jeune chanteuse joueuse de vielle à roue nommée Emmanuelle Parrenin, muse de la scène folk française d’alors (Malicorne, Mélusine, Gentiane et tous ces groupes au nom de tisane), sort son premier album, Maison rose, puis s’en va. En 2002, à la faveur d’une réédition discrète et du téléchargement, Maison rose sort de l’oubli et devient un disque culte. L’époque est au néofolk. Une nouvelle génération de musiciens débranche les guitares, ressort les harpes et renoue avec des formes musicales à la fois anciennes et libertaires, voire expérimentales. On écoute Devendra Banhart, CocoRosie, Animal Collective ou Joanna Newsom. On redécouvre les anciens grimoires psychés folk de Vashti Bunyan ou Linda Perhacs. On pressent que Maison rose est une des fondations invisibles, fantasmatiques, de tout ce mouvement. Cet album est un disque unique : avant-gardiste en 1977 (le morceau Topaze défriche le trip-hop avec quinze ans d’avance) et intemporel aujourd’hui. Un des meilleurs disques jamais enregistrés en France : plus onirique, plus épuré, plus aiguisé, plus sensuel, surtout plus mystérieux, insaisissable. Trésor caché et chef-d’œuvre du folk psychédélique. Ceux qui ont poussé la porte de Maison rose sont encore rares mais personne n’en est sorti indemne. Emmanuelle Parrenin dans tout ça ? Le fantôme de la Maison rose. Disparue jusqu’à ce jour de 2010 où l’on apprend, parcouru du frisson du chevalier à la rumeur du Graal, qu’elle est vivante et prépare son deuxième album, Maison cube, presque trente-cinq ans après le premier. Entre les deux Maison(s), un bail. Emmanuelle Parrenin n’habite pas une chaumière au fond des bois ni même une maison rose mais un immeuble moderne du XXe arrondissement de Paris. Un appartement coquettement normal, où Emmanuelle, féline sexagénaire, vit entourée de ses instruments. “Je suis née dans la musique”, dit-elle d’une voix de jouvencelle. Emmanuelle est la fille du violoniste et chef d’orchestre Jacques Parrenin, sommité de la musique classique dans la seconde moitié

Philippe Lebruman

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“J’avais de la musique en tête, très belle, j’en rêvais, mais j’étais incapable de la transcrire”

du XXe siècle. Sa grand-mère avait l’oreille absolue et tenait à Cherbourg une boutique de partitions au rezde-chaussée d’un musée d’instruments anciens. “J’ai vécu dans une famille très particulière. Il y avait des drames, des suicides. On n’en parlait pas mais j’ai tout compris à travers la façon dont mon père interprétait les œuvres. Il travaillait beaucoup, je ne le voyais jamais. Je l’entendais jouer à travers des portes fermées. Je dansais seule dans ma chambre en écoutant ses répétitions. Jusqu’à l’âge de 7 ans, je voyais la musique comme des images en couleurs qui bougeaient. Il ne s’agissait pas d’une impression, je voyais vraiment la musique. Puis ces images ont disparu. J’étais une enfant sauvage, mal aimée. Je me suis réfugiée dans le rêve qui m’a protégée de beaucoup de choses, j’ai eu du mal à en redescendre. En suis-je redescendue ?” Maison rose, enregistré une vingtaine d’années plus tard, représente l’horizon du rêve, le bout de l’arc-en ciel. Pour le trouver, Emmanuelle a beaucoup voyagé. A 15 ans, tout juste sortie d’une pension de bonnes sœurs, elle séjourne en Angleterre et suit les Yardbirds en tournée. De retour en France en 1968, où commence à bruisser le revival des musiques traditionnelles, elle rencontre un joueur de vielle à roue et tombe amoureuse, du musicien et de l’instrument. Suivent quelques années bohèmes dans le tourbillon

de la vie(lle) : collectage de chansons antiques au Canada, création du premier club folk à Paris, découverte des musiques du monde, organisation de festivals, tournées dans le classique van Volkswagen… “Une énorme liberté, tout était possible, à inventer.” A réinventer aussi : “Alors que ça marchait très bien, je me suis lassée de la scène folk, de cet esprit de chapelle très passéiste.” Pendant un stage de musique à Hyères, au printemps 1976, Emmanuelle tombe amoureuse d’un ingénieur du son nommé Bruno Menny. Elève de Iannis Xenakis et collaborateur de Michel Magne, l’homme a sorti quelques années plus tôt un ovni de musique électroacoustique : Cosmographie. Tous deux commencent à travailler les chansons de Maison rose, d’abord à Paris puis à Frémontel, un minuscule hameau de Normandie. “Un endroit extraordinaire, paradisiaque, raconte Bruno Menny, sorti de sa retraite. Quelques maisons près de la forêt avec une mare au milieu. L’endroit paraissait magique. Pour le disque, on voulait ouvrir des portes, montrer qu’il était possible de faire du folk autrement. Les moyens techniques restaient limités mais j’expérimentais dans la prise de son, c’était une aventure. Je détestais le son de la vielle, je n’aimais pas trop le folk français mais j’aimais Emmanuelle. Ce disque est né d’abord d’une histoire

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“quand quelque chose commence à marcher, je vais voir ailleurs. On me l’a assez reproché et j’en ai payé le prix” Retour à Paris au début des années 2000. Par l’intermédiaire indirect de son fils Mathieu Fromont, bluesman plus connu sous le nom de Boogie Matt, et son groupe Bo Weavil, Emmanuelle rencontre une nouvelle génération de musiciens, adeptes du culte de Maison rose. Parmi eux, Francisco López, alias Flóp, auteur des textes et architecte de son deuxième album : “Elle m’a raconté ses mille vies. Elle ne voulait pas faire ce deuxième disque comme une revanche mais pour raconter de nouvelles rencontres, une nouvelle histoire. C’était très émouvant de retrouver sa voix. Elle est très jeune, fraîche, spontanée, charismatique. Elle ne peut pas l’avouer mais Emmanuelle est une sorcière. Quand on connaît l’histoire de sa vie, on comprend qu’elle a un rapport surnaturel au monde, qu’elle est dotée de pouvoirs. On peut au moins dire qu’elle est une guérisseuse, comme une rebouteuse”, précise Flóp.

En 1977, à l’époque de l’enregistrement de son premier album, Maison rose

d’amour. C’est personnel, une fierté pour moi.” L’amour ne dure qu’un temps. “Bruno avait du génie, de l’humilité et de l’humour. Je l’adorerai jusqu’à la fin de ma vie. L’enregistrement de Maison rose demeure l’un de mes meilleurs souvenirs”, raconte Emmanuelle. Après ce premier album, succès éphémère mais honnête à l’époque – qui lui vaudra de jouer en première partie des Clash (!) –, la chanteuse tourne le dos au monde du disque. Elle entre dans la troupe de Carolyn Carlson pour danser et composer des musiques de ballets. Puis elle se pose à Paris, employée et chanteuse occasionnelle dans un restaurant brésilien. Emmanuelle a conservé le pressage original de Maison rose, récupéré après un incendie et un drame personnel en 1990 à cause desquels elle a tout perdu, presque la vie et au moins l’ouïe. “Après des violences terribles, la surdité m’a fait découvrir un calme extraordinaire.

J’entendais mon cœur battre, le sang pulser dans mon corps. La médecine disait que je n’avais aucun espoir de recouvrer l’ouïe. Je me suis soignée seule, par résonance osseuse, en chantant et en jouant des instruments. Ça a été magique, on peut le dire. Je suis repartie de zéro.” Les neuf années qui suivent, elle vit seule dans un chalet d’alpage, sans eau ni électricité, au bord du lac du Bourget, en Savoie. Elle coupe son bois à la hache et prodigue des soins de musicothérapie à des enfants autistes et psychotiques. “J’ai vécu là des choses extraordinaires. J’étais très médium, à l’époque. Pendant un an, j’ai rempli un cahier de formules mathématiques sur le son. Ça venait de nulle part, je n’y comprenais rien mais des scientifiques m’ont dit que ça avait un sens. J’avais de la musique en tête, très belle, j’en rêvais, mais j’étais incapable de la transcrire. Je ne pensais pas refaire un disque. J’enfouissais ma tristesse, j’avais toute cette musique en tête et je ne pouvais pas la réaliser.”

L’album a été enregistré dans une maison d’architecte en forme de cube, posé dans une clairière en forêt de Fontainebleau. Maison cube est mitoyen de Maison rose, les deux correspondent mais ce n’est pas un ravalement de façade. Les deux disques partagent une modernité du style (qu’est-ce que Maison cube ? De la chanson krautfolk jazzy tropicaliste ?) et surtout la magie. Incroyable : Maison cube est au moins aussi bon que Maison rose, ensorcelant au-delà du raisonnable. Le seul texte écrit par Emmanuelle et qu’elle chante en ouverture comme un mantra dit ceci : “La route est devant toi/Ne laisse pas la mousse/Envahir tes souliers”. Voilà sa vie : “J’ai toujours été très solitaire dans ma manière de tracer mon histoire. J’ai toujours fait ce que j’aimais, sans arriver à m’installer dans aucun milieu. Quand quelque chose commence à marcher, je vais voir ailleurs. On me l’a assez reproché et j’en ai payé le prix. Je me suis tout le temps battue, je n’ai jamais eu beaucoup d’argent. Alors la reconnaissance, la redécouverte de Maison rose et ce deuxième album, ça fait du bien.” album Maison cube (Les Disques Bien/Abeille Musique) concert Création D’une Maison l’autre, le 20 avril à Paris (Point Ephémère) www.myspace.com/lavraieemmanuelleparrenin 20.04.2011 les inrockuptibles 63

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cherchez la garçonne Réalisatrice de Naissance des pieuvres et aujourd’hui Tomboy, Céline Sciamma enchante avec ses films remarquables sur la jeunesse et l’identité. par Serge Kaganski photo Alexandre Guirkinger

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a prime jeunesse semble être le territoire de fiction privilégié de Céline Sciamma, l’une des meilleures cinéastes françaises apparues ces dernières années. Après le remarqué Naissance des pieuvres (prix Louis-Delluc du premier film en 2007), le remarquable Tomboy observe le trouble identitaire d’un être au seuil de l’adolescence. Très mature et structurée sous ses airs de jeune fille sortie du lycée, la réalisatrice assume ce marqueur jeunesse de son cinéma mais refuse de s’y laisser enfermer : “Je voulais faire un film libre, léger, frais. Le sujet de l’enfance s’y prêtait bien. Par ailleurs, la situation de personnages en train de grandir correspond à ma position de cinéaste en phase d’apprentissage. L’enfance est aussi l’âge des ambiguïtés, du trouble. Ces thématiques m’intéressent. C’est un âge encore proche de moi mais suffisamment distant pour que je puisse en faire de la fiction, décoller de l’autobiographie.” La réussite du film repose en partie sur son excellent casting d’ados et notamment sur la remarquable Zoé Héran, petite fille d’une formidable justesse à l’incroyable physique androgyne. Céline Sciamma l’a dénichée dans un casting classique. “Je n’avais que trois semaines

pour trouver mes acteurs, du coup, je n’ai pas cherché l’actrice dans la rue comme je l’avais déjà fait. Je me méfie des enfants comédiens professionnels, souvent formatés. Mais comme dans les plus beaux clichés de tournage, j’ai vu Zoé et ce fut une évidence.” Tomboy traite du trouble identitaire mais n’est pas un “film à sujet”. La cinéaste revendique un positionnement grand public et lâche des mots comme “spectacle” ou “film d’action”, citant comme référents des films à succès tels que Tootsie de Sydney Pollack ou Victor Victoria de Blake Edwards : “Je suis partie d’une situation particulière qui mène à de la fiction classique et éternelle : le flic infiltré, la double vie. Le mélange entre plaisir de la subversion et plaisir du spectacle fonctionne bien et est généralement bien accepté par le public, même si les mœurs de l’époque sont parfois moins avancées que le film.” Jouant le suspense contre la surprise, Sciamma dévoile assez vite dans le film que son garçon est en réalité une fille qui se fait passer pour un garçon. Le spectateur mis au courant entre d’autant mieux dans l’histoire et ses interrogations. Comment le personnage va-t-il mêler ses deux identités ?

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A droite, les adolescentes de Naissance des pieuvres, son premier film. Ci-dessous, les jeunes garçons et la fille (en gris) de Tomboy

“dès qu’on tente de copier les Américains, que ce soit au cinéma ou à la télé, on est ridicule”

Va-t-il être découvert ? A quel moment ? Comment ? Autant de questions que les spectateurs de cinéma se posent devant un thriller, un film d’espionnage ou un récit d’infiltration. “Ce qui est intéressant, c’est que même ceux qui connaissent le sujet doutent de leur propre regard et sont persuadés que Zoé Héran est un garçon !” Si Céline Sciamma boucle le récit de Tomboy, elle a l’intelligence et le talent de le laisser ouvert jusqu’à son terme. En quittant la salle, impossible de dire avec certitude si la gamine sera plus tard lesbienne, hétéro ou transsexuelle. L’incertitude universelle de l’enfance prime sur la problématique particulière des questions de genre. Elevée en banlieue parisienne, la jeune Céline Sciamma a été initiée au cinéma par ses parents : des comédies musicales avec Fred Astaire, des Jacques Demy. Elle grandit à une époque riche de films avec des gamins, de Truffaut à Spielberg, de L’Argent de poche à E. T. A 13 ans, elle devient cinéphile compulsive, fréquente assidûment les salles Utopia de CergyPontoise, spectatrice synchrone de la nouvelle vague française des années 90, celle des Desplechin, Ferran, Lvovsky, Beauvois (qui fut plus tard son juré à la Fémis)… A 18 ans, elle vient vivre à Paris, entre à la Fémis, devient obsessionnelle : “J’ai découvert l’histoire du cinéma de façon presque scolaire, en allant voir des rétrospectives entières. Quand je découvrais Bergman ou Cassavetes, je voulais connaître tous les Bergman, tous les Cassavetes.” Devenue cinéaste, son regard de spectatrice a forcément changé, plus distancié, plus analytique. “En même temps, corrige-t-elle, si le film est bon, on est emporté et on oublie de le disséquer.” Céline Sciamma ne se contente pas de faire des films : elle embrasse le métier du cinéma dans toutes ses facettes, siège dans les commissions d’avance sur recettes, participe à un groupe de réflexion sur l’évolution de la Fémis, institution parfois caricaturée qu’elle défend avec de solides arguments : “C’est une école publique, et sans elle, je ne sais pas si j’aurais fait

du cinéma. Il fallait qu’on me dise que j’en avais le droit. Le cinéma ne va pas de soi quand on n’est pas issu de ce milieu. Passer par la Fémis permet aussi de faire des rencontres, de rassembler des énergies. Il existe une idée fausse très répandue sur la Fémis : les étudiants seraient tous issus du même moule. Pas du tout ! Ils ont des cinéphilies très différentes. Et ils ne sont pas parisiens, contrairement à un autre cliché, viennent massivement de province et sont pour la plupart boursiers.” Cette année, Céline Sciamma a apprécié The Social Network, le film de David Fincher sur la naissance de Facebook. “C’est à la croisée de plein de choses qui m’intéressent : un scénariste brillant de la télé, un cinéaste phare, un personnage dans son époque.” Cinéaste de son temps, elle voit de tout, s’intéresse à divers domaines, a laissé derrière elle sa période ciné-obsessionnelle. Elle regarde beaucoup de films à la télévision, y compris des productions médiocres ou formatées qui lui apprennent quand même quelque chose. Elle joue aux jeux vidéo, dévore BD et romans, se passionne pour les séries télé : “J’aime beaucoup The Wire, même si ça a l’air un peu cliché de le dire. Je peux citer une série moins connue, Friday Night Live, ancrée dans le milieu du football américain provincial, sur la jeunesse dans un bled du Texas. Très belle.” Le côté feuilletonnant des séries la stimule, ainsi que le désir d’écrire, filmer et produire selon des critères différents de ceux du cinéma. “Dès qu’on tente de copier les Américains, que ce soit au cinéma ou à la télé, on est ridicule. Il faut tourner des séries télé qui parlent de la France. C’est la qualité de l’écriture qui fait la différence, pas les millions dévolus au budget. Le manque de moyens ne constitue pas une excuse pour faire de la télé médiocre. Les Anglais y arrivent bien. C’est comme ça que j’ai envie de penser la télé : un lieu qui peut produire de la qualité tout en s’adressant à un large public.” Réconcilier l’exigence et le populaire, geste esthétique et politique, c’est exactement ce qu’elle a réussi avec Tomboy. Lire critique du film p. 68

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Tomboy de Céline Sciamma Chronique splendide et sans contrefaçon d’une petite fille qui passe pour un garçon.

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n spectateur qui n’aurait rien entendu sur le film, n’aurait pas vu la bande-annonce, ne saurait pas que tomboy signifie en anglais garçon manqué pourrait penser que l’enfant qui sur les genoux de son père s’initie à la conduite est un petit garçon. Très vite, nous apprenons qu’il s’agit d’une petite fille. Le film teste quelques minutes sur le spectateur la mystification qu’entreprend le personnage sur son entourage. Dans une ville dans laquelle sa famille vient de s’installer, à quelques semaines de la rentrée, Laure fait croire aux enfants du quartier qu’elle est un garçon, qu’elle s’appelle Michaël.

Céline Sciamma filme cette perturbation avec une touche légère, estompant la gravité par l’humour

Celine Sciamma joue très habilement du point de vue. Dans les premières scènes, le spectateur voit un petit garçon là où tous les autres personnages (ses parents, sa petite sœur) voient une petite fille. Dans la suite du récit, il voit une petite fille là où tous les autres croient jouer et chahuter avec un petit garçon. Complice de Laure, le spectateur vit désormais dans l’attente angoissée du moment où elle sera démasquée, craint que son pénis en Mako Moulages ne glisse de son slip de bain ou qu’un de ses nouveaux potes ne la surprenne dans les bois lorsqu’elle urine comme une petite fille. Tendu, intrigant, Tomboy utilise toutes les recettes du film à suspense. Mais Céline Sciamma est particulièrement habile pour manier une dramaturgie très construite, tout en masquant la charpente. Les situations sont intenses, mais c’est la description en profondeur des personnages, l’étude de caractère, qui a le dernier mot. Comme si la cinéaste transposait

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raccord

Cannes 2011

une certaine efficacité de storytelling américaine dans le vocabulaire du cinéma d’auteur français, puisait dans la boîte à outils d’Aaron Sorkin (A la Maison Blanche, The Social Network) pour raconter un film de Jacques Doillon. Le film est très fort pour indiquer des pistes qui n’ont jamais valeur d’explication. Le trouble d’identité de Laure trouve par exemple un écho dans la légère inversion des fonctions entre son père et sa mère. La confrontation avec la loi, la réalité, le monde extérieur, c’est la mère qui l’incarne, avec un équilibre assez exemplaire d’intelligence sensible et de vraie fermeté. Le père au contraire a construit une relation étrangement fusionnelle avec sa fille aînée, il la berce pour qu’elle s’endorme, la console lorsque la mère la gifle. Mais ce brouillage des rôles parentaux n’explique évidemment en rien l’indécision sexuelle de Laure. Ne serait-ce que parce que sa cadette, elle, est une petite fille très archétypale. La relation entre les deux sœurs est d’ailleurs la part la plus délicate et belle du film. Entre le garçon manqué et la petite poupée s’est constitué un monde autonome et clos. Bien que strictement féminin, cet univers est parfaitement complémentaire : Jeanne minaude en danseuse et Laure fait son musicien, la petite fille qui veut devenir coiffeuse

taille les cheveux de sa grande sœur, qui transforme les mèches coupées en moustache. Au point que la venue imminente d’un garçon biologique (la mère est enceinte) a presque valeur de menace pour l’une et l’autre. “Peut-être qu’il dort, peut-être qu’il est mort”, confie Jeanne en toisant le ventre de sa mère, toujours alitée, comme si cette grossesse était aussi une peine. “Ça te va bien”, dit la mère en voyant sa fille avec du fard et du rimmel. “Ça te va trop bien”, s’exclame une petite amie de Laure, qui en la maquillant croyait travestir un garçon. Elle ne sait pas que ce “trop bien” en dit plus que ce qu’elle ne pense, que cette adéquation est justement un peu trop pour Laure, jamais autant déguisée que lorsqu’on l’habille en fille. Le film décrit avec une acuité rare l’éboulement du monde dans les yeux de ceux qui n’ont vu que ce qu’ils voulaient voir, n’ont pas vu ce qu’il fallait voir. Cette perturbation, Céline Sciamma la filme avec une touche légère, estompant la gravité par l’humour, sans esquiver la violence de certaines situations. Et elle joint sans forcer la puissance à la finesse. Jean-Marc Lalanne Tomboy de Céline Sciamma, avec Zoé Heran, Malonn Lévana, Mathieu Demy (Fr., 2011, 1 h 22) Lire le portrait de Céline Sciamma p. 64

Pedro Almodóvar, Woody Allen, Lars von Trier, Terrence Malick, Gus Van Sant, Aki Kaurismäki, Nanni Moretti, les Dardenne… Cannes, pour sa 64e édition, pourra encore cette année se flatter d’un beau générique et continuer à briller comme le plus grand défilé d’auteurs du monde. A cette liste de cinéastes chéris par le Festival s’ajoutent des noms qui s’étaient plutôt illustrés ailleurs : Takashi Miike (pour un film d’action en 3D), Radu Mihaileanu, Nicolas Winding Refn (certes ces deux derniers noms, s’ils marquent la volonté du Festival d’élargir son cheptel, ne nous font pas forcément rêver). Et enfin, la compétition comporte aussi son lot de cinéastes peu ou pas connus, avec deux premiers films (Sleeping Beauty de Julia Leigh, Michael de Markus Schleinzer). Concernant les Français, on trouve en compétition les films de Maiwenn (Polisse avec Joeystarr), Alain Cavalier (Pater) et Bertrand Bonello (L’Apollonide). Un choix plutôt original, moins tourné vers l’industrie et les gros budgets que d’autres années. On attend beaucoup de la reconstitution de la vie agitée d’une maison close au début du XXe siècle par Bonello et du jeu entre documentaire et fiction d’Alain Cavalier, ayant joint à son travail connu d’autoportrait le concours d’un acteur professionnel, Vincent Lindon. L’an dernier, les plus beaux films du festival, à l’exception notable d’Oncle Boonmee, en compétiton puis Palme d’or, appartenaient à la sélection Un certain regard : L’Etrange Affaire Angélica, Film Socialisme, Les Amours imaginaires, Hahaha… Si l’inversion est moins marquée cette année, Un certain regard ne manque pas de sex-appeal. Grâce en premier lieu à la présence en ouverture de Gus Van Sant, mais aussi de Bruno Dumont ou du génial Eric Khoo (Be with Me, My Magic).

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en salle Le Chaperon rouge

hommage au cas Dick Le Forum des images rend hommage à Philip K. Dick. Au programme, des adaptations des romans ou nouvelles du célèbre auteur de SF (Total Recall, Planète hurlante, Minority Report, A Scanner Darkly) et des “films dickiens” (ExistenZ, Pi, Bienvenue à Gattaca ou encore The Truman Show). Un dialogue avec Etienne Barillier, spécialiste de l’auteur, aura lieu mercredi 20 avril à 19 h. Hommage à Philip K. Dick du 20 au 24 avril au Forum des Images, Paris Ier, www.forumdesimages.fr

de Catherine Hardwicke avec Amanda Seyfried, Gary Oldman (E.-U., 2011, 1 h 40)

All That I love de Jacek Borcuch

hors salle Pratique(s) du cinéma “Pratiques” est au pluriel car elles concernent aussi bien les cinéastes que les producteurs, spectateurs, critiques et enseignants du cinéma. Ainsi, l’ouvrage poursuit l’obsession de Frédéric Sojcher (professeur et cinéaste) : montrer les manquements de la politique audiovisuelle européenne. L’auteur revient également sur son parcours et analyse ce que constitue le laboratoire du cinéma belge. Pratiques du cinéma de Frédéric Sojcher (Klincksieck), 326 pages, 27 €

box-office ma traque en plumes Aidé par les vacances scolaires, le perroquet de Rio s’est envolé en tête des démarrages à 14 heures à Paris, réunissant plus de 3 800 spectateurs. Derrière lui, deux films de traque se poursuivent. La Proie d’Eric Valette (1 224 tickets) surprend et double le nouvel opus de Wes Craven, Scream 4, d’une trentaine d’entrées. Signalons aussi la belle performance de Pina de Wim Wenders, qui arrive en dixième position hebdo avec plus de 67 000 spectateurs.

autres films L’Etrangère de Feo Aladag (All., 2010, 1 h 59) Et soudain, tout le monde me manque de Jennifer Devoldère (Fr., 2011, 1 h 38) Devil de John Erick Dowdle (E.-U., 2010, 1 h 20) La Croisière de Pascale Pouzadoux (Fr., 2010, 1 h 40) La Pecora nera d’Ascanio Celestini (It., 2010, 1 h 33) Soi Cowboy de Thomas Clay (G.-B., Tha., 2008, 1 h 57) Hombre de Martin Ritt (E.-U., 1967, 1 h 51, reprise) The Servant de Joseph Losey (G.-B., 1963, 1 h 55, reprise)

avec Mateusz Kosciukiewicz (Pol., 2009, 1 h 35)

Une chronique adolescente pop reliée aux frémissements de la dissidence de Solidarnosc en Pologne. uatre garçons dans le vent, version polonaise. La singularité de ce film est de ne pas se contenter de mettre en scène les frasques sympathiques d’un groupe punk au début des années 80, mais de faire de leur musique un vecteur de la dissidence politique qui bouillonnait alors en Pologne. Ce n’est pas par hasard que ça se passe près de Gdansk, dont les chantiers navals furent le foyer de la contestation polonaise menée sous l’égide du syndicat Solidarnosc. L’articulation souple et élégante des deux registres, le politique et la provoc punk, transcende la mélancolie et le ludisme du film. On aurait aimé que le désordre décuple, qu’on évite de retomber dans la chronique adolescente habituelle incluant l’initiation amoureuse obligatoire. Mais même comme ça, même dans ce registre classique, le film ne pèse pas. Il est sans doute allégé par son filmage délicat, ses couleurs doucement acidulées, ses extérieurs poétiques parfaitement intégrés au récit comme métaphore de l’imaginaire en friche des adolescents fougueux. On a souvent vu ce type de chronique, mais là elle dépasse les rites sempiternels d’accession au monde adulte. Le groupe est pop, ses musiciens farceurs et chahuteurs, mais ce qu’ils chantent (en polonais), c’est l’horreur de la chape de plomb qui pèse sur leurs vies étriquées et enrégimentées (voir le beau pied de nez du film à l’armée). Et leurs chansons ont des répercussions concrètes, politiques, judiciaires. Etre punk en Europe de l’Ouest revenait pour les enfants blasés des petits bourgeois à casser leurs joujoux en prenant des poses. En Europe de l’Est, être punk, c’était un acte réellement subversif, une manière de jouer sa vie, de risquer la pire répression (comme le groupe Spions en Hongrie). Un ferment comme un autre de la dissidence qui a fini par saper le communisme. Vincent Ostria

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La réalisatrice de Twilight rend un bel hommage au célèbre conte. Décidément, la puberté des jeunes filles n’en finit pas de hanter Catherine Hardwicke. Après Thirteen et Twilight, c’est la troisième fois qu’elle s’attaque au sujet. Cette fois, Le (Petit) Chaperon rouge lui sert de porte d’entrée, avec ses symboles évidents : le sang menstruel (cape et lune rouges) et le viol (loup-garou) clignotent en permanence. Peu importe le décor, il suffit à Hardwicke d’une vierge effarouchée aux grands yeux écarquillés (Amanda Seyfried, convaincante), de quelques bellâtres lisses et d’une forêt de conifères pour faire du (bon) cinéma. La réalisatrice n’a ainsi pas son pareil pour filmer la sève juvénile pleine d’arrière-pensées mais encore fraîche, tel ce lapin blanc qu’on ne verra pas se faire égorger. Problème – ou aubaine –, son Chaperon rouge est tellement bizarre, artificiel, hybride, évoquant mille choses (les séries ado, Le Village, certains contes minnelliens…) mais ne ressemblant à rien de connu, qu’on se demande pour quel public il a été conçu. Un beau film orphelin, en somme, soit la meilleure façon de rendre hommage à cette vieille catin en imper écarlate. J. G.

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Detective Dee de Tsui Hark Le dieu du cinéma d’action hongkongais réussit un époustouflant film de combats en costumes.

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n pleine forme : c’est ainsi que nous revient aujourd’hui Tsui Hark, à l’issue de quinze années chaotiques, qui l’auront vu passer de l’île d’Elbe à Sainte-Hélène, de roi en exil (hollywoodien) à empereur déchu. Pour comprendre l’importance de Detective Dee, il faut se souvenir de l’état de fébrilité dans lequel se présentèrent ses dernières œuvres (quand elle se présentèrent) : Van Damme-movies brillants mais complètement lost in translation (Double Team, Piège à Hong Kong), fulgurances mutantes (Time and Tide, La Légende de Zu, Seven Swords), opus minus à peine sortis des salles hongkongaises (Black Mask 2, All about Women, Missing). Sur le fil, au bord du gouffre, le cinéaste livra de beaux combats, en perdit d’autres, mais souvent parut infirme – on sait toutefois depuis The Blade (1995) de quelles prouesses sont capables les guerriers manchots. Aussi, bien qu’il s’en défende, il est tentant de lire Detective Dee, histoire d’un retour en grâce et d’un couronnement dans la douleur, à l’aune du récent parcours de Tsui. L’intrigue, inspirée – mais pas directement adaptée – d’un serial de Robert Van Gulik, raconte l’alliance forcée entre

un juge embastillé (Dee Renjie, joué par un Andy Lau plus minéral que jamais) et une impératrice machiavélique (Wu), première et dernière femme chinoise à avoir accédé au sacre, au VIIe siècle. Assisté par un guerrier albinos et une jeune garde du corps de l’impératrice (sublimes personnages secondaires), Dee doit retrouver un mystérieux assassin et prévenir l’insurrection qui guette… Pleine forme, disions-nous ; “forme pleine” conviendrait mieux. Rarement en effet le cinéma contemporain parvient à offrir une telle plénitude de moyens, un tel bouillonnement formel et narratif sans que jamais l’on n’en ressente le poids. Ainsi, les corps se projettent et se démultiplient dans un déluge de matières dont chaque perle, chaque flocon, chaque pétale se matérialise sous nos yeux (et nos oreilles). Les visages se transforment ou se brûlent au gré de sortilèges numériques élémentaires. Le récit, enfin, bifurque jusqu’à

le récit bifurque pour finalement livrer toute sa sève féministe

l’étourdissement, pour finalement livrer sa sève féministe – et aussi, production chinoise oblige, loyaliste. Film de ligne claire a posteriori, Detective Dee semble ainsi fait de mille scories, ces roches de lave qui, une fois refroidies, se gorgent de bulles et que l’on associe, à tort, à des déchets. Sur l’instant, la confusion règne, mais sitôt l’éruption passée, chaque élément, air, terre, eau, feu, trouve sa place au son merveilleux du comic strip : “Zip ! Shebam ! Pow ! Blop ! Wizz !” Un objet du film résume bien cette sensation. Souvent chez Tsui, l’arme détermine l’esthétique : sabres virevoltants de The Blade, balles affolées de Time and Tide, hallebardes colossales de Seven Swords. Ici, c’est le marteau du juge qui sert de métonymie : léger et robuste, contondant plutôt que tranchant, précis et sans tremblement, il est l’équilibre incarné. Et si l’on regrette parfois les débordements malades de quelques films précédents, la santé retrouvée de Tsui doit être saluée pour ce qu’elle est : une grande nouvelle. Jacky Goldberg Detective Dee de Tsui Hark, avec Andy Lau, Carina Lau, Bingbing Li (Ch., H. K., 2010, 2 h 03) Lire l’entretien avec Tsui Hark, page suivante 20.04.2011 les inrockuptibles 71

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le dernier empereur On avait un peu perdu la trace de Tsui Hark. Revenu à Hong Kong, le réalisateur de Detective Dee, qui sort cette semaine, parle de 3D, du marché chinois… et de son admiration pour Danny Boyle.

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epuis son retour au pays en 2000, après un court calvaire hollywoodien, Tsui Hark semblait avoir perdu de sa superbe. Détrôné par Johnnie To, lancé dans une fuite en avant expérimentale qui, si elle lui valut l’admiration de la critique (Time and Tide et La Légende de Zu), le fragilisa commercialement, il ne parvenait même plus à nous envoyer de ses nouvelles autrement que par des sorties DVD confidentielles. Déchu, le roi Tsui ? En pleine forme au contraire, sa besace remplie de héros et de ballets aériens, de créatures merveilleuses et de sortilèges, d’intrigues et de romances. Et que ceux qui craindraient qu’il ait livré là son chant du cygne se rassurent. Avec une nouvelle dimension à explorer bientôt, l’infatigable Tsui a encore quelques décennies de travail acharné devant lui.

Comment allez-vous ? Comment a marché Detective Dee en Asie ? Tsui Hark – Le film a été un succès là-bas. Quant à moi je vais très bien, je termine actuellement la postproduction, à Pékin, de mon premier film en 3D : The Flying Swords of Dragon Gate. C’est très excitant. Detective Dee a été produit par Huayi Brothers, une société chinoise. Cela signifie-t-il que vous n’êtes désormais plus basé à Hong Kong ? Avez-vous plus de moyens pour travailler là-bas ? Ma société Film Workshop (figure de proue de la nouvelle vague hongkongaise des années 80-90 – ndlr) s’est associée avec cette grosse société pour avoir plus de moyens. Ils financent, distribuent, mais je garde la production exécutive. Ainsi j’ai pu travailler avec un budget confortable – le plus confortable que j’ai jamais eu ! – et des moyens de postproduction importants, sans perdre ma liberté.

Detective Dee est d’une certaine façon l’histoire d’un come-back. Est-ce aussi votre retour ? Pour faire un come-back, il aurait fallu que je sois parti ! Vous savez, ça fait longtemps que je veux réaliser ce film. J’ai eu l’idée dans les années 80 et je le prépare depuis 2000. Mais à cause de divers contretemps, je n’ai pas pu le faire. Et puis il y a quatre ans, l’homme qui dirige la Huayi Brothers m’a envoyé un scénario sur le même sujet. J’ai décidé que c’était le bon moment. Vous n’êtes jamais parti, certes, mais la plupart de vos films des années 2000 ont été des échecs publics et vos deux précédents films (Missing et All about Women en 2008) n’ont même pas été distribués en Occident. Comment avez-vous vécu cette période ? Chacun des films que j’ai fait, je l’ai fait pour mon plaisir, parce que j’y trouvais

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“ce qui manque à la 3D aujourd’hui, c’est une culture, une habitude. On n’a pas encore vu assez de films en 3D”

un intérêt. Parfois, cet intérêt coïncide avec celui du public, parfois non : c’est le lot commun de tout réalisateur. Pour moi, il n’y a pas de films mineurs et de films majeurs : je les aime tous autant. Donc si le dernier a mieux marché, j’en suis ravi, mais je ne l’ai pas conçu comme un come-back. Dans Detective Dee, la réalité est instable, soumise à variation : on change de visage, on use de subterfuges, on ment… Des motifs qui sont présents dans la plupart de vos films. D’où vous vient cet intérêt ? C’est tout d’abord une tradition du genre que j’aborde. Dans les récits populaires chinois, les masques ont une grande importance. Avec Detective Dee, nous avons cherché à le faire de façon originale et amusante, d’où les scènes d’acupuncture qui modifient les traits du visage. En outre, l’instabilité du monde est inscrite dans la philosophie chinoise : c’est le principe du yin et du yang. J’en suis naturellement imprégné. Le film raconte l’ascension d’une impératrice et met en scène plusieurs personnages féminins très forts. Etes-vous un cinéaste féministe ? (rire) Je n’en suis pas sûr. Il n’y a pas besoin d’être féministe pour s’intéresser à des femmes puissantes. L’impératrice Wu Zetian est un personnage clé de l’histoire chinoise. C’est son ambiguïté et sa cruauté qui m’intéressaient le plus, ainsi que son efficacité. Elle réussit ce qu’elle entreprend, contrairement à Cléopâtre ou d’autres femmes qui finissent souvent par échouer. Il faut aussi savoir qu’à l’époque où se situe le film, les femmes étaient plus libres que maintenant. Quels cinéastes contemporains admirez-vous aujourd’hui ? J’aime beaucoup le réalisateur de Slumdog Millionaire… Danny Boyle ?! Oui, voilà, il a un style très visuel, foisonnant. Et beaucoup d’humour. Et la 3D ? C’est une révolution ou seulement un outil en plus ? C’est historique. Pour moi, c’est aussi important que le passage du muet au parlant, puis de l’arrivée de la couleur. Chacune de ces améliorations, visant à rendre le cinéma plus proche de l’expérience de la réalité, a été contestée

à ses débuts, pour des raisons qui font aujourd’hui sourire. Puis elles se sont imposées, parce que le spectateur désire sans cesse augmenter son expérience et les réalisateurs avoir de nouveaux outils. Nous percevons le monde en 3D, aucune raison que ça n’atteigne pas le cinéma. Ce qui manque à la 3D aujourd’hui, c’est une culture, une habitude. On n’a pas encore vu assez de films en 3D, donc on a du mal à en saisir l’originalité. Vous parlez de se rapprocher de l’expérience réelle, c’est pourtant l’effet inverse qui se produit. Martin Scorsese (qui termine actuellement L’Invention d’Hugo Cabret en 3D) disait justement qu’en 3D les acteurs ressemblaient à des statues mouvantes, à des sculptures… C’est un point intéressant que vous soulevez. Prenez ce qui s’est passé avec la couleur. Les couleurs que vous voyez sur l’écran ne sont pas celles que vous voyez dans la réalité ; elles peuvent même en être très éloignées, dans le cas d’une volonté expressionniste. Ce n’est pas pour ça que le film en couleur est moins réel. La réalité d’un film est quoi qu’il en soit une construction. La 3D n’échappe pas à la règle. C’est un formidable outil pour nous permettre de créer des mondes qui paraissent plus réels, mais ne le sont pas. Vous avez aimé Avatar ? Oui mais moins pour des raisons techniques, même si c’est très impressionnant, que pour l’histoire, pour la façon dont Cameron parvient à nous intéresser à des êtres qui ne sont pas faits de chair et de sang. Depuis la rétrocession, le cinéma hongkongais a perdu son souffle et ne l’a jamais vraiment retrouvé, malgré le retour au pays de John Woo, Ringo Lam, vousmême. Comment voyez-vous son futur ? L’événement majeur des dernières années, c’est la ruée du cinéma hongkongais vers le marché chinois. Ça nous oblige à respecter certaines règles : le public chinois est assez conservateur, aime certains genres (le wu xia pan par exemple), d’autres moins… Quant aux anciens qui reviennent, c’est naturel : ils ont fait le tour à Hollywood, ils ont le mal du pays, voilà tout (rires). propos recueillis par Jacky Goldberg lire la critique de Detective Dee p. 71 20.04.2011 les inrockuptibles 73

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Mainline de Rakhshan BaniEtemad et Mohsen Abdolvahab avec Baran Kosari, Bita Farahi (Iran, 2006, 1 h 18)

Source Code de Duncan Jones

Entre La Mort aux trousses et Code Quantum, un joli thriller d’anticipation signé par le fils de David Bowie.

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près Moon, Duncan Jones confirme avec Source Code un goût certain pour une science-fiction dite “du milieu”, ni trop fauchée, ni trop ivre d’effets spéciaux. Jones a le goût des personnages claustrophobes, à qui il offre des sorties inédites : l’astronaute seul (?) de Moon et ici, Jake Gyllenhaal, accompagné d’un bataillon de personnages, mais tout aussi isolé en soldat qui doit remonter le temps ad nauseam et n’a que huit minutes à chaque fois pour identifier l’auteur d’un attentat dans un train pour Chicago. Le film donne de jolies collisions, entre Hitchcock pour le suspense un peu suranné, Un jour sans fin pour l’effet de répétition et surtout Code Quantum, belle série TV nineties où un savant était projeté dans la peau de différents personnages du passé au fil des épisodes. Mais le plus beau frisson convoyé par Jones est bien celui qui fait se rencontrer sa passion de gamer (il a travaillé dans les jeux vidéo) et son background d’étudiant en philosophie. En quelques scènes, son héros est autant saisi par les questions existentielles (d’identité, d’éternel retour) que par celles du joueur propulsé dans un jeu dont il découvre les règles – avec en guise de tutoriel la toujours ambiguë et délicieuse Vera Farmiga –, l’espace et bien sûr, la frustration de recommencer le niveau à chaque échec. Dans les deux cas, le cerveau cogite beaucoup. Dix ans après Donnie Darko, un Gyllenhaal très investi a toujours l’air d’un ado effaré par ses trips temporels.

La grande qualité de Source Code est, sous ses airs de thriller efficace, d’exploiter son pitch au maximum pour produire des effets saisissants. Le film expédie en effet sa résolution (trouver la bombe) pour se prolonger dans son dernier quart en mélodrame cosmique et intime, façon La Jetée de Chris Marker : le héros s’accroche à l’image d’une femme rencontrée dans le train (Michelle Monaghan, superbement triviale et lointaine, très justement “la femme de ses et (de nos) rêves”, pour reprendre le titre du film des frères Farrelly qu’elle illuminait) et voudrait la sauver encore et encore. Un fantasme morbide que le film suspend avec beauté à chaque retour en arrière, avec ses explosions au ralenti et ses coups de téléphone d’outre-tombe. C’est aussi le fantasme du joueur sauvant ses mondes (et ses parties) de jeu vidéo de son salon ou de sa chambre. Le film-cerveau à la Inception, d’essence démiurgique, se fait du coup plus humain, moins antipathique. Et grâce à la sciencefiction et à ses paradoxes narratifs, le tract sur l’héroïsme qu’on croyait lire dans Source Code se mue en Johnny s’en va-t-en guerre (film antimilitariste de 1971 réalisé par Dalton Trumbo, sur un soldat mutilé, conscient mais incapable de communiquer) 2.0, moins appuyé, où le protagoniste qui croyait échapper à son Call of Duty s’y vautre en dépit de tout. En langage de gamer, Source Code serait un cheat élégant : une belle façon de tricher. Léo Soesanto

La jeunesse iranienne se réfugie dans la drogue. Tendu et âpre. Sortant tard en France, Mainline reste un bon complément “drogues” au rock’n’roll Chats persans, pour affiner le portrait d’une jeunesse iranienne aux mêmes aspirations que celle de l’Occident. L’originalité ici est de transposer le film de désintoxication dans un pays propice aux clichés – oui, leur classe moyenne a aussi ses drogués. Une mère embarque sa fille toxico pour un éprouvant voyage en auto vers une clinique, en vue d’une cure. Il s’agit d’abord de sauver les apparences car le fiancé de la jeune femme, parti au Canada, revient pour lui proposer le mariage. Le pitch un peu tendancieux de Mainline est transcendé par la force de sa facture : les deux réalisateurs viennent du documentaire et ont le flair pour s’approprier Téhéran à la fois comme toile de fond – littérale, comme dans cette scène de danse avec vue sur la ville – et entité vivante. Le voyage à deux évite la virée à la Kiarostami (femmes + voiture), pour évoquer un chemin de croix parfois borderline (vertu et défaut du jeu improvisé des actrices) dans le déchirement mère-fille, mais aux dilemmes intéressants reflétant l’Iran : l’impuissance des parents face la soif d’échappatoires de leurs enfants. L. S.

Source Code de Duncan Jones, avec Jake Gyllenhaal, Michelle Monaghan, Vera Farmiga (E.-U., 2011, 1 h 33)

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La Fille du puisatier de Daniel Auteuil avec lui-même, Kad Merad, Astrid BergesFrisbey, Nicolas Duvauchelle (Fr., 2011, 1 h 47)

Auteuil s’essaie à la mise en scène et revient vers Pagnol. Une bonne surprise. ean Carmet disait : “Il n’y a pas des grand vins et des petits vins, il n’y a que des vins honnêtes et des vins malhonnêtes”. Sans transformer cet aphorisme en critère esthétique universel, on peut ici l’appliquer au premier film de Daniel Auteuil en tant que metteur en scène. C’est un film d’une grande honnêteté et d’une belle sobriété, étranger aux pagnolades pimpantes de Claude Berri (qui permirent certes à Auteuil d’accéder au statut de vedette), d’Yves Robert ou de la télévision. Auteuil prend son histoire au sérieux, et ne l’ensevelit jamais sous le folklore, la distance ou le pathos (même la musique d’Alexandre Desplat reste discrète). Ses personnages ne sont pas des santons, et le mistral (très présent à l’image) semble avoir décidé de pousser le film vers du Jean Renoir… Enfin, le texte de Pagnol – génie du mélodrame – garde toute sa force émotionnelle. D’autant qu’Auteuil l’a débarrassé en partie de quelques scories. La Fille du puisatier de Pagnol, tourné en 1940, intégrait à son récit l’actualité de la guerre (Rossellini reconnaîtra la dette du néoréalisme à son égard), mais aussi son idéologie, résolument pétainiste. Il en reste bien sûr des traces dans La Fille… d’Auteuil (l’ouvrier de la terre a toujours raison contre le petit bourgeois), mais l’acteur-cinéaste tire le film insensiblement, avec inventivité, vers autre chose de moins manichéen : c’est la fin d’une époque, où les hommes gouvernaient absolument les femmes. Pascal (rôle qu’Auteuil reprend à Raimu) est droit et brave, mais ce phallocrate appartient déjà au passé. Le bel aviateur (Duvauchelle, extra) qui a engrossé sa fille est un bellâtre de province mais il va s’éveiller à l’altérité. Un bon film, plein d’idées de cinéma, servi par des comédiens (presque) tous excellents (bravo à la jeune Emilie Cazeneuve, dans le rôle d’Amanda), dirigés avec soin par un débutant rigoureux. Jean-Baptiste Morain

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Sibérie Monamour de Slava Ross avec Piotr Zaitchenko, Sergei Puskepalis (Rus., 2010, 1 h 41)

Fresque sur la pauvreté en Sibérie, aux confins du pittoresque. Faute de révéler de nouveaux Eisenstein ou Tarkovski, le nouveau cinéma russe est constant dans son exploration des marges. La vie urbaine y est rarement évoquée, les rapports de classe réduits à néant. De Tchekhov et Dostoïevski, il ne reste qu’un squelette, que les pulsions basiques de l’âme humaine. Une société à vau-l’eau, dénuée de garde-fous, où la survie s’effectue au prix d’une cruauté implacable. Laquelle est symbolisée ici par des hordes de chiens domestiques revenus à la vie sauvage. Si le constat et le contenu sont en gros les mêmes que dans My Joy de Sergueï Loznitsa, on n’en dira pas autant de la mise en scène, dix-neuviémiste, limite sulpicienne, ni de la progression romanesque très balisée. Vincent Ostria

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de grands pans de fantasme n’arrêtent pas de glisser derrière le théâtre étroit du réalisme

Je veux seulement que vous m’aimiez de Rainer Werner Fassbinder Un téléfilm inédit de Fassbinder adapté d’une étude psychiatrique d’un cas criminel. Génial.



t si Fassbinder cinéaste n’était qu’un prisme? Un filtre capable de changer la lumière de la raison en nuit transfigurée? Ce qu’on appelle “lumière de la raison”, c’est ici une étude psychiatrique de Klaus Antes et Christiane Erhardt, sobrement intitulée : “Perpétuité, les protocoles de la détention”. Après un passage à travers l’objectif du réalisateur, cela donne un téléfilm inédit de 1976, baptisé Je veux seulement que vous m’aimiez. Comment retourner un objet d’analyse en sujet de fiction, c’est le génie de Fassbinder. Tout demeure pourtant, dans le scénario,  

 

du travail clinique d’interprétation d’un cas criminel : Erni reste bien cet enfant mal aimé par ses parents, un couple de bistrotiers tout à fait ordinaire et dégueulasse. Et c’est bien ce manque premier d’amour qui l’entraînera, une fois marié dans l’Allemagne du boom économique, dans une course effrénée à la consommation afin de satisfaire les désirs (supposés) de sa jeune épouse. Tout au long du film, la lente chute de la consommation à l’endettement et de l’endettement à l’assassinat expose les mécanismes implacables de son déroulement.

Alors qu’est-ce qui change exactement de l’étude scientifique à sa mise en scène filmique ? On dira que, dans le tricot punk de Fassbinder, si les mailles sont parfaitement lisibles (une à l’endroit pour Marx et la marchandise, une à l’envers pour Freud et l’Œdipe), elles n’en demeurent pas moins ajourées – béantes même. De grands pans de fantasme n’arrêtent pas de glisser derrière le théâtre étroit du réalisme, de transpercer de l’intérieur toute cette sociologie grise. On s’en souvient, le cinéaste détestait Claude Chabrol et son faux surplomb d’entomologiste. Il adorait, en revanche,

Douglas Sirk parce qu’il savait toujours, dans ses mélodrames, “être avec” les causes perdues. La cruauté arbitraire de l’un s’opposait radicalement, selon lui, à l’empathie lucide de l’autre. Mais qu’est-ce que ça veut dire, pour un réalisateur, “être avec” un personnage ? C’est, par exemple, créer un geste, une image, qui lui confère une présence autre, irréductible à la logique des discours. Dans Je veux seulement que vous m’aimiez, Erni n’arrête pas d’offrir des fleurs aux femmes qu’il aime. A chaque fois, il leur tend violemment le bouquet en déchirant d’un coup le papier d’emballage. Pendant ce temps, dans son dos, il y a toujours le même papier peint fleuri qui recouvre d’un voile terne et conventionnel ces horribles salons petits-bourgeois. Difficile pour des experts psychiatres de prendre en compte ce genre d’associations fugitives. Elles suffisent cependant à modifier la perception d’un spectateur. A l’écran, Erni n’est plus un simple exemple des ravages conjugués du patriarcat et du capitalisme. C’est maintenant l’homme maudit et fabuleux qui rêvait d’arracher les fleurs du mur. Patrice Blouin Je veux seulement que vous m’aimiez de Rainer Werner Fassbinder, avec Vitus Zeplichal, Elke Aberle, Alexander Allerson (All., 1 976, 1 h 44)

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offres abonnés 20.04.2011

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Les Demoiselles de Wilko

NOUVEAU

All That I Love

les 27 et 28 avril au Théâtre national de Chaillot (Paris XVIe)

Festival La Terra Trema

un film de Jacek Borcuch

scènes

du 28 au 30 avril à Cherbourg-Octeville (50)

cinéma La Pologne. Printemps 1981. L’époque est à la contestation. Quatre amis qui n’aiment rien tant que gratter leurs guitares et martyriser les fûts de batterie créent un groupe. Leur passion ? Le punkrock : Anarchy ! No future ! Dans les rues, le syndicat Solidarité de Lech Walesa déclenche des grèves massives qui seront durement réprimées. A gagner : 10 places de cinéma pour 2 personnes

Adaptée du roman du Polonais Jaroslaw Iwaszkiewicz, paru en 1932, cette pièce se situe juste après la Seconde Guerre mondiale sur le thème du temps qui s’écoule, des souvenirs et de la mémoire. A gagner : 10 invitations pour 2 personnes les 2 soirs

musiques Au programme, la pimpante et délirante Ebony Bones!, le furieux projet de Zone Libre vs Casey & B. James, le retour des chouchous de Gablé et du projet futuriste d’Extra Life, dDamage et bien d’autres. A gagner : 2 pass pour les 3 jours pour 2 personnes

Rue tsigane les 28 et 29 avril à la Grande Halle de La Villette (Paris XIXe)

musiques Dans le cadre du festival Rues du monde, Rue tsigane présente Biréli Lagrène (guitare), Didier Lockwood (violon) & The Jazz Angels, Kocani Orkestar & Taraf De Haïdouks (brass band). Les plus grands noms de la tradition manouche se partagent la scène au cours de trois soirées exceptionnelles. A gagner : 7 invitations pour 2 le 28 avril et 8 invitations pour 2 le 29 avril

Cuadro Flamenco le 30 avril à l’Institut du monde arabe (Paris Ve)

Week-End DJ les 23 et 24 avril à la Gaîté Lyrique (Paris IIIe)

musiques Le 23 avril : conférence de l’artiste DJ Spooky sur son dernier livre Sound Unbound, suivie d’un concert avec en guest Christophe Chassol. Le 24 avril : DJ Spooky sera l’invité du cycle hebdomadaire Ambiant Sunday. Les concerts seront dédiés aux croisements entre musique classique et électronique. A gagner : 5 invitations pour 2 personnes pour les 2 dates

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scènes Un parcours élégant et unique du flamenco : la seguiriya, un des plus anciens palos du flamenco, chant au caractère t ragique ; la bulería, plus enflammée, dans laquelle le rythme insuffle à la danse une énergie de feu ; l’alegría, chant festif de la région de Cadix, qui signifie littéralement “joie et allégresse”… A gagner : 5 invitations pour 2 personnes

pour profiter de ces cadeaux spécial abonnés munissez-vous de votre numéro d’abonné et participez sur 

www.lesinrocks.com/ special/club fin des participations le 24 avril

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over the rainbow L’enchanteur Okami Den offre un magnifique chant du cygne à la DS.

L  exposition MuseoGames déménage en Alsace Un mois après son départ du musée des Arts et Métiers de Paris, où elle avait élu domicile en juin dernier, l’excellente exposition MuseoGames investit le Musée EDF Electropolis de Mulhouse. Les visiteurs y sont invités à voyager à travers l’histoire du jeu vidéo (ses œuvres majeures à essayer sur place, ses plates-formes et accessoires emblématiques à caresser du regard) jusqu’au 21 août. www.museogames.com

a fin de vie commerciale d’une console est une période paradoxale. Alors même que les nouveautés se font plus rares, la plupart des développeurs concentrant leurs efforts sur la machine appelée à lui succéder, c’est souvent le moment où paraissent certains de ses jeux les plus marquants, comme pour récompenser par un bouquet final les gamers qui lui sont restés fidèles. La DS ne fait pas exception à la règle qui, pendant que la 3DS faisait les gros titres de la presse spécialisée, a accueilli ces derniers temps des œuvres aussi éclatantes que Ghost Trick, Mario vs Donkey Kong ou Inazuma Eleven. Okami Den vient s’ajouter à la liste et confirmer que la petite portable n’a pas encore dit son dernier mot. Sa sortie réjouit aussi pour une autre raison. Paru en 2006, Okami fut l’une des dernières créations du studio Clover, structure montée par plusieurs développeurs stars de Capcom qui, après quelques déboires relatifs au box-office, devaient par la suite quitter l’éditeur japonais pour fonder Platinum Games (et donner naissance aux excellents Vanquish et Bayonetta). Okami était leur relecture personnelle de la saga Zelda, merveilleusement repeinte aux couleurs nuancées d’un Japon mythique peuplé

d’esprits. Le joueur y guidait une déesse descendue sur terre sous la forme d’une louve pour rendre au monde sa vie, ses couleurs, son sourire. Okami Den, c’est à peu près la même chose, mais en version réduite. Le canidé que l’on dirige, déjà, est un louveteau à croquer. Les personnages que l’on croise paraissent aussi nettement plus juvéniles (dans un esprit proche de Zelda – The Windwaker). Quant aux lieux visités, pour des raisons essentiellement techniques – la DS succède aux plus puissantes PS2 et Wii –, ils sont extrêmement découpés, ce qui modifie la manière dont on aborde cet univers très japonais. Qui ne perd pas pour autant son pouvoir d’enchantement. Le jeu y gagne même une dimension intime d’aventure enfantine, pour de faux mais profonde, comme si le vaste monde était désormais notre jardin. Le premier Okami nous demandait d’intervenir directement sur le ciel, les arbres ou les objets au moyen d’un pinceau magique. Pour ce faire, l’écran tactile de la DS se révèle idéal. On regrettera juste que la version européenne d’Okami Den ne parle que l’anglais. Il avait pourtant tout pour plaire aux écoliers rêveurs. Erwan Higuinen Okami Den sur DS (Capcom, environ 40 €)

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collection d’E.T. Un garçon, une fille et un chien contre une bande d’aliens hideux. Même pas peur. he Kore Gang revient aberrants qu’ils entonnent généreusement pour cause de loin. Né dans à l’heure de nous affronter. de caméra peinant à suivre l’esprit du game Le “nous” en question est nos évolutions. designer suédois un vaillant trio (un garçon, Les développeurs Klaus Lyngeled, le projet une fillette, un chien) aux auraient pu essayer a mis près d’une décennie commandes d’une armure de régler le problème. à devenir réalité et fait robotique que chacun dirige Ils ont préféré faire figure de miraculé après à sa façon – au joueur d’en en sorte que ce n’en soit ses changements d’éditeur, tirer profit selon les défis pas vraiment un en nous de studio de développement qui s’offrent à lui. offrant généralement et de console : destiné Entre jeu de plate-forme la possibilité de reprendre à la première Xbox, il paraît et d’action, trente niveaux juste avant nos faux pas. finalement sur Wii. se succèdent où, comme Le paradoxe est qu’avec son Sur bien des plans, c’est au (bon ? oui, définitivement histoire troublée, ses d’ailleurs un jeu d’un autre bon) vieux (mais pas tant défauts même contribuent temps. Si son récit rythmé que ça) temps, il s’agit à rendre The Kore Gang semble viser les juvéniles de trouver des objets cachés, attachant. T’es pas toujours fans de Cartoon Network, de rendre service à divers au top, mec, mais on est les gamers aguerris personnages (dont une bien content que tu sois décrypteront sans mal bande de résistants là aujourd’hui. E. H. sa généalogie. Il y a globalement incompétents) The Kore Gang – La Menace du Oddworld chez ses aliens et d’éviter de tomber sans intraterrestre sur Wii hideux, mais aussi cesse dans le vide. Sauf (Pixonauts/Tradewest, environ 30 €) du Conker dans les refrains que, justement, on chute

 T

WWE All Stars

Fight Night Champion

Sur PS2, PS3, PSP, Xbox 360 et Wii (THQ, de 30 à 65 €) Oubliez le noble art, place aux jeux du cirque. Ou à leur équivalent moderne : le catch. WWE All Stars va plus loin que les précédents représentants du genre, fuyant le réalisme pour assumer tous les excès. Hulk Hogan et ses amis que l’on jurerait en plastique ne connaissent plus de limites. On aime ou pas, mais il fallait oser.

Sur PS3 et Xbox 360 (Electronic Arts, environ 60 €) Les auteurs de Fight Night Champion ont eu un coup de génie : ne pas aborder la boxe uniquement comme un sport mais comme une culture, avec ses codes, ses mythes, ses héros. Son très cinématographique mode “histoire” fascine, tout comme la possibilité d’incarner Ali ou Frazier. Et la partie sportive est largement à la hauteur. 20.04.2011 les inrockuptibles 79

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sortis du bois

Avec leur pop pastorale mais hantée, les Canadiens Timber Timbre sont aujourd’hui les vrais champions de l’americana. Le groupe idéal pour une veillée joyeuse à Twin Peaks.

C  Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

’est souvent la question subsidiaire, celle qui arrive en fin d’interview : si vous pouviez voyager dans l’espace-temps, où et quand aimeriez-vous aller ? Taylor Kirk, le chanteur-guitariste de Timber Timbre, ne répond qu’à moitié : “Dans les années 50.” Le lieu n’est pas précisé, mais facile à imaginer, parce que la musique de Timber Timbre en réinvente la bande-son déboussolée. C’est l’Amérique du Nord. Les grands espaces et les petites villes. Les églises en bois blanc qui résonnent de l’écho lointain d’un chœur gospel. Les drive-in qui passent des films d’horreur et de SF pendant que John et Betty se caressent derrière le pare-brise panoramique de la Buick. Un serial-killer les attend un peu plus loin sur la route sombre. Elvis Presley, le loup-garou du Mississippi, hulule sous la lune bleue. C’est tout cela qu’on entend dans la musique de Timber Timbre : un voyage des années 50 à aujourd’hui, du Sud gothique au Canada (d’où vient le groupe), via la tournée des villes fantômes.

Taylor Kirk ressemble à pas grand-chose (un jeune pompiste dans un vieil épisode de Twin Peaks, peut-être) mais il est l’ultime incarnation d’une lignée de chanteurs psychoromantiques maudits, de Roy Orbison à Alan Vega en passant par Nick Cave ou Johnny Dowd. Le plus inédit dans Timber Timbre n’est peut-être pas sa musique, mais le succès qu’elle rencontre. Le morceau Demon Host, sur le troisième album du groupe sorti fin 2010, est devenu un minitube qu’on fredonne comme une berceuse, avant une nuit de cauchemars. Le nouvel album Creep on, Creepin’ on étant son double légèrement plus psychédélique, on ne voit pas ce qui pourrait arrêter Timber Timbre. Nimbé d’une aura de romantisme noir et tendu, le groupe semble bien parti pour une carrière à la Tindersticks, avec du frisson et de l’aventure. C’est hanté et c’est tentant. Dans les années 50, Taylor Kirk n’était pas né. Mais là où il a grandi – une propriété de huit hectares dans la campagne autour de Brooklin, province

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on connaît la chanson

live, dans la vraie life

Laura Ramsey

On peut consulter, c’est même jouissif, des concerts en direct sur internet. Mais peut-on les vivre ?

canadienne de l’Ontario –, le temps s’est perdu. “Il y avait beaucoup de forêts, des marais, des chevaux. C’était beau et tranquille mais je détestais ça, je rêvais de vivre en ville et d’avoir des amis.” La musique est son salut. Après s’être défoulé sur la batterie de son père, Taylor Kirk se met à la guitare. Ça ne s’entend pas dans la musique de Timber Timbre mais au départ il aime Led Zeppelin, Pink Floyd et joue des reprises de Nirvana. Le goût de l’étrange, du folk hanté et du rock tordu, Taylor l’attrape au milieu des années 2000 lors d’“une crise existentielle”. “J’étais en souffrance et je me suis plongé dans la lecture de la Bible. C’était plus symbolique qu’une véritable question de foi, mais lire la Bible m’a fasciné et réconforté. Au même moment, j’ai découvert l’Anthology of American Folk Music, le blues et le folk primitifs, beaucoup de musique religieuse aussi. Une musique vraie, pure, sans prétention ni posture.” Peu après, Taylor Kirk enregistre en solo son premier album dans un chalet forestier au nord de Toronto. Un disque spartiate

de folk lo-fi, qui rappelle les œuvres de jeunesse de Will Oldham. C’est avec son troisième album, et après avoir fixé la formation en trio, que Timber Timbre est vraiment sorti du bois. Le risque pour ce groupe à l’inspiration monomaniaque était de sombrer dans la redite, voire l’autoparodie. Pour déjouer la fatalité, Taylor Kirk a donc commencé par déménager à Montréal après une dizaine d’années passées à Toronto. Puis il a convié le saxophoniste Colin Stetson à l’enregistrement de Creep on, Creepin’ on. La violoniste Mika Posen et le joueur de pedal-steel Simon Trottier habillent les chansons d’arrangements plus psychédéliques, plus oniriques. Le groupe joue toujours dans une maison hantée, la nuit, mais il est sorti de la cave et a ouvert les fenêtres. Stéphane Deschamps album Creep on, Creepin’ on (Full Time Hobby/Pias) concert le 23 avril au Printemps de Bourges www.timbertimbre.com En écoute sur lesinrocks.com avec

J’expliquais récemment à un jeune Anglais héberlué que ce journal avait envoyé un reporter couvrir le dernier concert de LCD Soundsystem au Madison Square Garden. Avec un ricanement condescendant, il m’affirma que c’était un peu vieillot : lui l’avait regardé en direct sur le net. Sa façon de parler d’un concert évoquait plus le discours d’un médecin légiste que celui d’un sensualiste, d’un épicurien. Il avait vu les chansons, les avaient entendues, mais ne les avaient pas vécues : il avait épluché des fichiers, là où d’autres vivaient une expérience collective, physique, charnelle. La différence entre le virtuel et le réel : consulter ou vivre, cataloguer ou ressentir. Les visites guidées sur internet des musées, par exemple, offrent ainsi une expérience éducative indéniable : mais peut-on éprouver le même vertige qu’en découvrant un (rare) trait maladroit de Piet Mondrian au Centre Pompidou, une trace de vie sur une gouache de Turner à la Tate Modern ? Lulu Larsen, graphiste du collectif Bazooka, racontait qu’il s’était un jour évanoui dans un musée devant une toile de Kandinsky. Un concert est ainsi une expérience qui masse avec tendresse ou tabasse avec volupté les viscères : je me souviens d’une amie enceinte qui avait dû abandonner un concert des Happy Mondays, tant chaque rafale d’infrabasses plongeait son embryon dans des contorsions extatiques. Le corps est d’eau : il ressent avec violence et euphorie ces marées, ces tempêtes qu’offrent les concerts. Un concert peut le rendre pétillant, explosif comme une bouteille de champagne à une arrivée de grand prix ; à l’inverse, un live sans âme le laissera stagnant, saumâtre. Cette intensité des émois n’a pas de prix.

JD Beauvallet 20.04.2011 les inrockuptibles 81

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du lourd aux Eurockéennes de Belfort

Estelle Hanania

Belle affiche pour le célèbre festival de l’Est, qui proposera cette année un bel équilibre entre grosses pointures (Beth Ditto, House Of Pain, Beady Eye, Arcade Fire, Arctic Monkeys, Katerine, The Ting Tings) et jeunes pousses (The Joy Formidable, Mona, Nasser, The Shoes ou encore, en association avec Les Inrocks, Wu Lyf). Sur la presqu’île de Malsaucy du 1er au 3 juillet.

Cinq ans après Giant et la tournée internationale qui a suivi, le duo francosuédois Herman Dune annonce son retour avec l’album Strange Moosic. Le disque a été enregistré à Portland avec le producteur Adam Selzer (M. Ward, She & Him…) et promet un retour au son rock des débuts. Le clip du premier single, Tell Me Something I Don’t Know, a été réalisé par Toben Seymour et bénéficie de la participation du héros de Mad Men, Jon Hamm. La sortie, prévue pour le 23 mai, sera suivie d’un concert au Trianon, à Paris, le 9 juin. Alice Russell

Arcade Fire

toujours les White Stripes

cette semaine

le Printemps bourgeonne

Sakifo : La Réunion au sommet C’est le festival le plus loin des yeux mais le plus près du cœur : le Sakifo remet ça du 9 au 12 juin à La Réunion, avec une prog éclectique et qui nous botte : The Dø, Boubacar Traoré, Cesaria Evora, Camélia Jordana, Alice Russell, Tony Allen, Success, Boogers et beaucoup d’autres, sans oublier un gros contingent d’artistes de l’océan Indien. www.sakifo.com

Eric Kayne

retour d’Herman Dune

Malgré leur séparation, les White Stripes ont annoncé la parution, sur vinyle et pour les membres du fan-club payant du label Third Man Records de Jack White, du tout dernier live de la carrière du groupe, un concert donné le 31 juillet 2007 à Southaven, dans le Mississippi. Devrait également débouler un 45t sur lequel figureront deux reprises du groupe, I’ve Been Loving You Too Long d’Otis Redding et Signed DC de Love. Enfin, un DVD intitulé Under Moorhead Lights All Fargo Night reprendra de rares images du groupe tournées en 2000, suivant la parution de leur album De Stijl.

Le Printemps de Bourges propose une fois encore une affiche formidable, avec Best Coast, Lykke Li ou Metronomy… Cascadeur, Cassius, The Shoes ou I Am Un Chien représenteront la patrie. Du 20 au 25 avril, www.printemps-bourges.com

neuf

Tangerine Dream Jesca Hoop

Walk The Moon On n’est pas certain que le groupe marchera un jour sur la lune mais il devrait vite marcher sur l’eau. Avec ces chansons en hymnes indiscutables, qui allient la fantaisie de MGMT à la vigueur et à la rigueur des Killers, les quatre kids de Cincinnati pourraient très vite devenir les meilleurs amis de votre autoradio. www.myspace.com/walkthemoonband

Après quelques albums, l’heure est arrivée pour le triomphe de la Californienne au parcours biscornu et aux parrains irréprochables, de Tom Waits (elle fut la baby-sitter de ses enfants) à Guy Garvey d’Elbow (qui la fit venir à Manchester). Son single Snowglobe, avec un titre en français, mêle la gravité de Nick Cave à l’excentricité de Kate Bush. www.jescahoop.com

Buzzcocks A chaque fois que, de la Californie à Manchester, un groupe de jeunes teignes pleines de morgue joue une pop-song romantique à fond les ballons, il est question des légendaires Buzzcocks. Une réédition en minicoffret de deux classiques de 1978, Another Music in a Different Kitchen et Love Bites, permet de rappeler le génie des Mancuniens. www.buzzcocks.com

De M83 à Sigur Rós, ils sont nombreux à revendiquer l’influence du rock planant des Allemands, inventeurs dans les années 70 de la Kosmische Musik avant d’alterner beautés hypnotiques et musiques d’ascenseur new-age. Le label Esoteric propose une réédition archi-luxueuse du fondamental Zeit (1972). Ça plane pour eux. www.cherryred.co.uk/esoteric/artists/ td.php

vintage

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Pavla Kopecna

cœurs tendres Les New-Yorkais de The Pains Of Being Pure At Heart ressuscitent avec tendresse et candeur l’esprit pop et souillon de la noisy-pop.



’est une musique assourdissante, mais qui résonne doucement aux oreilles des plus anciens, une musique faite de larsens, de distorsions et de voix impatientes, une musique qui a bercé dans les décibels les malaises, les doutes et les colères d’une génération, une musique qui refleurit enfin pour de nouvelles oreilles. Oui, vingt ans après Loveless de My Bloody Valentine, Nowhere de Ride, Green Mind de Dinosaur Jr. ou Bandwagonesque de Teenage Fanclub, le bruit est de retour, porté par les fulgurants Joy Formidable, Yuck, Ringo Deathstarr ou The Pains Of Being Pure At Heart.

“qu’y a-t-il de plus ambitieux que d’écrire une bonne pop-song ?”

Par leur candeur, leur passion, leur capacité à fondre un passé qu’ils connaissent par cœur dans des refrains universels, les New-Yorkais ont été décisifs dans cette résurrection. Pour leur deuxième album, ils ont choisi de s’entourer de deux des principaux architectes du son d’hier, Flood et Alan Moulder. Le premier sait faire rutiler les grosses machines, Depeche Mode ou U2. Le second a été au chevet de tous les sons depuis vingt ans, de Ride à Arctic Monkeys. “Ils ont été impliqués dans plein de disques qui ont compté pour nous, My Bloody Valentine, The Jesus &  Mary Chain, The Sundays… Quand on était gamins, on les voyait comme de véritables icônes”, confie Kip Berman, le chanteur. Mais ce choix n’est pas que l’accomplissement d’un rêve de geeks, il répond aussi à une ambition sonore

délibérée et assumée. “Nous sommes très fans de groupes anglais ou écossais, mais ce sont des groupes américains comme Nirvana, les Smashing Pumpkins ou les Pixies qui nous ont aidés à comprendre la musique alternative. Ils avaient ce son immédiat et viscéral, presque cartoonesque, très calme puis tout à coup très lourd. C’est ce son qu’on voulait, ce son d’album de rock de banlieue américaine, parce que c’est ce que nous sommes”, poursuit Kip. Fort heureusement, Flood et Alan Moulder ont eu le tact de ne prescrire pour cela que quelques vitamines (une basse plus présente, une vraie batterie, des breaks un peu plus appuyés) et non une cure de stéroïdes qui aurait transformé The Pains Of Being Pure At Heart en Killers. Nettement perceptible, cette évolution risque cependant de chagriner quelques fans de

la première heure, attachés au son sec et tranchant des débuts. Plus que personne, les New-Yorkais ont pourtant conscience de ce que peut représenter ce genre de “trahison”. Au moment de concevoir son second album, le groupe a donc dû choisir entre la forme et le fond, entre la facilité d’une copie carbone et la fidélité à soi-même. Et c’est la sincérité, valeur cardinale du groupe, qui l’a emporté. “J’ai le sentiment que Belong s’inscrit dans la continuité de notre premier album : on cherche à faire des morceaux noisy-pop qui puissent être réellement touchants. Pour nous, la meilleure pop est celle qui communique de façon très simple, sans qu’il soit nécessaire de lire les paroles huit fois. Ça peut donner l’impression qu’on manque d’ambition, mais qu’y a-t-il de plus ambitieux que d’écrire une bonne pop-song ?”, résume Kip. Comme son prédécesseur, Belong regorge donc de tubes miniatures (Belong, The Body, My Terrible Friend…), aveuglants d’honnêteté et sur lesquels plane l’influence omniprésente de New Order. Lui manque peut-être un peu l’effet de surprise. Mais à cela, malgré tout leur charme, même les cœurs purs n’y peuvent rien : on n’a le coup de foudre qu’une fois. Jean-Baptiste Dupin propos recueillis

par Ondine Benetier album Belong (Slumberland/Pias) concert le 16 juin à Paris (Flèche d’Or) www.myspace.com/ thepainsofbeingpureatheart En écoute sur lesinrocks.com avec 20.04.2011 les inrockuptibles 83

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Z. Ulma

Lol Coxhill accompagné de JT Bates (batterie) et Barre Phillips (contrebasse), Théâtre Dunois, Paris, octobre 2010

haute fidélité Le saxophoniste anglais Lol Coxhill et le label français nato ont partagé une aventure hors du commun. Une réédition de 1980 et un nouvel album bouclent la boucle.



la fin des 80’s, un double album donnait à entendre les bandes originales du Journal de Spirou. Sur la couverture : Spirou en personne. Sur les disques : quelques-uns des improvisateurs les plus intéressants de l’époque. A l’origine du projet était nato, label né en France dix ans plus tôt et qui allait écrire à sa manière une page essentielle de l’histoire de l’improvisation européenne. Sur cette compilation en hommage rare à des héros de la BD ligne claire, on trouvait des lignes brisées improvisées par Michel Doneda, Jean-François Pauvros, Clive Bell, Steve Beresford ou encore Lol Coxhill. Un saxophoniste anglais

les deux disques attestent une identité sonore forgée au saxophone soprano, son instrument favori

fantasque, qui servit le jazz avant de jouer avec Rufus Thomas, Screamin’ Jay Hawkins, Steve Miller ou même les rockeurs tonitruants des Damned. Eclectique, Lol Coxhill n’a jamais caché son faible pour l’improvisation : “Ma préférence va à la création spontanée. Improviser, c’est ignorer ce qui vient ensuite… Enfin, c’est difficile de définir avec des mots ce qu’est l’improvisation, c’est ce qui existe de plus opposé à toute verbalisation. C’est une toute autre forme de langage.” Difficile à définir, ce langage n’en est pas moins partagé. Pour preuve, l’album Instant Replay, collection aujourd’hui rééditée de rencontres avec des frères et sœurs d’improvisation, enregistrée par Coxhill il y a trente ans, dans un entrepôt parisien de la rue Dunois (un ancien relais de poste qui deviendra théâtre après un déménagement). Au gré des formations, le saxophoniste démontrait une hétérodoxie

qui ne date pas d’hier : poétique avec Jac Berrocal, à la Duke Ellington avec Louis Sclavis, obsessionnel avec Misha Mengelberg, gigantesque avec Paul Rutherford… Instant Replay, autant que la compilation Spirou, offre un témoignage indispensable pour saisir l’histoire de nato : créative, foisonnante, endurante et puis fidèle. En effet, en plus de rééditer Instant Replay, le label décidait récemment de renvoyer Coxhill (bientôt 80 ans) au Théâtre Dunois. But de la manœuvre : remettre la main sur une recette efficiente dont Coxhill, nato et Dunois sont les ingrédients principaux. L’année dernière, le saxophoniste enregistrait donc The Rock on the Hill en trio avec Barre Phillips – contrebassiste de légende ayant côtoyé Eric Dolphy, Archie Shepp ou John Surman – et le batteur JT Bates (photo). Sur cette nouveauté, on entend des pièces d’abstraction dont

les trouvailles n’ont rien à envier à celles que Coxhill fit jadis en d’autres (et tout aussi belles) compagnies. L’écoute d’Instant Replay, combinée à celle de The Rock on the Hill, offre un raccourci magnifique du parcours musical de Lol Coxhill et atteste l’identité sonore qu’il s’est forgée au saxophone soprano (le plus petit), son instrument favori : “Plus facile à transporter, et puis j’aime bien le son.” Guillaume Belhomme albums Instant Replay et The Rock on the Hill (nato/L’Autre Distribution) www.natomusic.fr

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Johan Bergmark

Peter Bjorn & John Gimme Some Cooking Vinyl/Pias Onze titres, onze tubes : le trio suédois signe un retour sans faute. Adieu la pop expérimentale toutes chicanes enlevées, comme et futuriste de l’impressionnant des gosses lâchés sur un stand Living Thing : Peter Morén, d’autotamponneuses avec crédit Björn Yttling et John Eriksson illimité : de la cérémonie païenne ont en effet probablement jeté improvisée de Dig a Little Deeper la plupart de leurs instruments à l’hymne immédiat Tomorrow et disques durs au feu car c’est Has to Wait, ils enchaînent les en formation réduite et plus tubes en évitant les carambolages. classique que les Suédois Ils s’offrent même un flirt poussé ont entrepris la construction avec le punk sur Don’t Let Them du pourtant immense Gimme Some. (Cool off) et Black Book. Gimme Le trio y fait sauter la soupape Some, joué le pied au plancher, le de sécurité et bombe le torse feu aux planches. Ondine Benetier pour jongler avec la dextérité www.myspace.com/peterbjornandjohn qu’on lui connaît entre rock psychédélique et pop chatoyante. En écoute sur lesinrocks.com avec Les “triplets” s’amusent ainsi,

Rubin Steiner & Ira Lee We Are the Future Platinum Records Avec ces deux érudits barjos du rap et de l’electro, c’est jour de fête. Question musique. Top ! Rappeur d’une electro polissonne canadien d’une admirable et d’un hip-hop indomptable, fécondité, j’ai le timbre et la diction le long d’un véritable kâma d’un bluesman accro aux party pills sûtra musical illustré : des et mes textes semblent avoir ondulations blaxploitation de Wack été couchés sur le divan Freestyle aux vapeurs shoegaze d’un psychanalyste. Je suis, je suis… de Noise in the City, des râles Buck 65 ? C’est non. Il fallait électriques de The Luckiest Man répondre Ira Lee. Mais tout n’est aux vibromassages technoïdes de pas perdu, vous repartez avec Style, tout n’y est que stimulations ce précieux conseil : écoutez sensorielles et poussées de We Are the Future, l’album qu’il a dopamine. Lovely. Benjamin Mialot élaboré conjointement avec www.rubinsteiner.com le toujours génial Rubin Steiner. www.iraleeiswack.com On y entend les glorieux ébats 20.04.2011 les inrockuptibles 85

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The Young Gods Everybody Knows Two Gentlemen/Differ-ant

Fondateurs d’un rock electro et inclassable, les Suisses demeurent saisissants. Vingt-six ans que les Young Gods nous font frétiller des oreilles comme un chien remue la queue, autant d’années qu’on est incapables de mettre un nom sur leur musique. Est-ce de la pop industrielle (Blooming, à écouter sur un hamac tendu entre deux lampadaires) ? de la techno boisée (Miles away) ? de l’ambient acoustique (le joliment sibyllin Aux anges) ? du blues stéréoscopique (Introducing) ? Au fond peu nous chaut. Ce qui prime, c’est que cela fait un quart de siècle que ces grands Suisses sont en avance sur leur temps. Benjamin Mialot

Grayson Gilmour

www.younggods.com En écoute sur lesinrocks.com avec

No Constellation Flying Nun Records, en import

Taraf De Haïdouks & Kocani Orkestar Band of Gypsies 2 Crammed Discs Suite des aventures agitées, sur album et sur scène, du big-band des Balkans. ix ans après le premier chapitre de leurs aventures communes, les épousailles restent considérables entre le plus célèbre ensemble roumain et la fanfare macédonienne qui a fait connaître son lyrisme débridé grâce au Temps des Gitans de Kusturica. La réunion, en studio, fait naturellement des étincelles, synthétisant les influences orientales en cours à Bucarest et la fascination pour une pop balkanique riche, mélodique, romantique et canaille. La singularité du projet reste cet amalgame entre les cuivres de la fanfare (sérieux ou paillards) et l’étourdissante virtuosité des cordes du Taraf. Entre musiques de mariage et traditions folkloriques, on traverse ici la Valachie, la Turquie ou la Bulgarie. Un voyage en Tziganie riche en digressions, ornementations harmoniques et chaleur humaine. Christian Larrède

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concert le 29 avril à Paris (Grande Halle de La Villette) www.crammed.be

La pop illuminée et ravissante d’un Néo-Zélandais qui rêve en couleurs. Alors que la pop néo-zélandaise de 2011, excentrique et illuminée (de Connan Mockasin à Lawrence Arabia), est en train de vivre un printemps inouï, saluons le retour du label fondateur Flying Nun, maison mère de tant de bienfaits dans les années 80 et 90… Bien élevé (Randy Newman), mais également toqué (Deerhunter), Grayson Gilmour, petit frère binoclard de Sufjan Stevens, y est donc chez lui. Il plairait sans doute d’ailleurs à Michel Gondry, pour son psychédélisme enfantin mais maniaque, qui brise le cœur sans abîmer les oreilles. JDB www.myspace.com/ graysongilmour

New York Dolls Dancing backward in High Heels Blast Les démoniaques ancêtres du rock décadent reviennent : toujours dangereux. Des turbulentes et tragiques années du Manhattan glam, les New York Dolls ont conservé les talons aiguilles et bazardé les seringues. Les Dolls survivants – David Johansen et Sylvain Sylvain – troquent le sleaze du Bowery pour le strass du Brill Building. Bourré de ritournelles fraîches et frondeuses, leur troisième album postreformation célèbre l’éternel printemps pop de Phil Spector et la délinquance en col rose des Shangri-Las. A une érudition insatiable et un sens inné du refrain fuselé et du couplet à balconnet s’ajoute une élocution prompte à faire du mât de l’Empire State Building une flèche de Cupidon. Jamais, depuis le Lou Reed des seventies, un chanteur n’avait aussi admirablement marié le romantisme et la rosserie qui sont l’impérissable essence de la rue new-yorkaise. Bruno Juffin www.nydolls.org

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Le Trio Joubran AsFâr World Village/Harmonia Mundi

Gyratory System New Harmony Angular, en import Enfin du neuf et de l’excitant dans l’electronica anglaise. e label s’appelle Angular, ça pourrait aussi être le nom de cette musique : géométrique, cagneuse, mais d’une fantaisie et d’une rage assez inédites. Héritiers directs de Kraftwerk pour cette science ludique, ces Anglais connaissent donc par cœur (romantique) ces équilibres flagrants entre humanité et robotique, séquences martiales et digressions poétiques. Mais là où tant de musiciens d’electronica ont anesthésié leurs sens en une musique rêveuse et évasive, Gyratory System ne renonce pas à ses humeurs changeantes, soupe au lait, passant d’un trip-hop forcené comme rarement, même chez le Portishead le plus furibard (Lost on the King’s Road), à des comptines enfantines pour cartoon 3D (Pamplona). La force du groupe très ouvert d’Andrew Blick est l’étendue jamais ramenarde de son joyeux savoir (son CV, de Damo Suzuki à Grooverider, est un hymne à la liberté d’expression) et la richesse de sa palette, qui allie en un sacré chambard synthés vintage, instruments à vent et percussions du monde entier. “I must create a system”, dit une chanson. Opération amplement réussie. JD Beauvallet

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www.myspace.com/gyratorysystem

Originaires de Nazareth, les frères Joubran et leurs ouds sont un ravissement. C’est Samir Joubran qui, il y a plus de dix ans, et dans le droit fil d’une famille de luthiers de Nazareth, a tout d’abord fait connaître sa virtuosité à l’oud, bientôt rejoint par Wissam et le cadet Adnan. Le trio s’épanouit grâce à de subtiles rencontres, dont celle de Mahmoud Darwich, poète, militant communiste palestinien et rêveur de paix. L’oud, traditionnellement instrument soliste, se transforme ici au gré des nécessités en base rythmique, et l’entrelacement des trois instruments génère des thèmes d’une richesse fascinante. Ont été conviés à la fête le fidèle percussionniste et philosophe Yousef Hbeisch et le toujours prodigieux Dhafer Youssef, qui illumine de sa voix forte et sensuelle la luxuriance des mélodies ondoyantes. Tout est savant et virtuose ici, mais rien n’est exhibitionniste : la musique se donne dans les méandres de la sensibilité des artistes, comme un trajet intimiste et exotique. Christian Larrède www.letriojoubran.com En écoute sur lesinrocks.com avec 20.04.2011 les inrockuptibles 87

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Ramones – 18 nouvelles punk et noires

Mei Lewis

Editions Buchet-Chastel, 224 pages, 17 €

Jonny Jonny Turnstile/Pias Fructueuse union d’un Teenage Fanclub et d’un Gorky’s Zygotic Mynci, Jonny allume le feu de la pop. ux éclats, dans le niveau de champion des allures de parenthèse sa barbe, à pleines du monde du groupe. joueuse. Les morceaux dents ou comme Autre prestidigitateur sont quant à eux habiles, une baleine : discret, le Gallois Euros fortiches : Circling the Sun, l’idée, pour Norman Blake, Childs, d’abord connu Candyfloss, I Want to Be était de rire, quoi qu’il pour son travail au sein around You… Si notre Johnny arrive. “Dans ma carrière, j’ai de Gorky’s Zygotic Mynci, à nous a parfois du mal eu la chance de fréquenter a ensuite enchaîné à parler, ce Jonny-là sait les membres de Sonic Youth. une poignée de disques écrire – c’est classique Ce sont les gens les plus en solo. Il y a quelques mais c’est très bien. Cerise drôles du monde. Pourtant, années, les deux se sur le gâteau, un You Was le public a une image de rencontrent dans le public Me détendu du couplet groupe un peu austère, froid. d’un concert. Une amitié ressemble à un formidable C’est tout le contraire. naît alors, chacun s’invite inédit de Blur. L’entreprise Mon groupe aussi a toujours à pousser la chansonnette est à la fois simple été pris très au sérieux. Alors à la maison. La paire publie et humble : Jonny ne fera pour une fois, j’ai eu envie ce printemps le fruit d’une pas le Stade de France, de rigoler, à la vie comme collaboration plus aboutie, oh Marie, si tu savais, à la scène, sur album.” un album à la fois léger tout le mal que ça nous fait. Johanna Seban Avant celle de comique, et savant, et choisit pour Norman Blake avait l’occasion le patronyme www.turnstilemusic.net surtout dévoilé une facette Jonny – ah que la France En écoute sur lesinrocks.com de magicien. C’est est très contente. avec aux Ecossais de Teenage L’humour et la légèreté Fanclub, dont il était voulus par les deux le leader, que nos oreilles musiciens n’atteindront doivent quelques-uns des peut-être pas les plus grands émois sonores non-anglophones : seuls venus d’outre-Manche les textes plutôt ludiques – réécouter, quinze ans – qui traitent de sujets après, le classique Sparky’s comme la barbe à papa, Dream suffit à rappeler le pain – donnent au disque

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Dix-huit auteurs français rêvent la discographie des frères Dalton du rock. Après avoir mis en verbe le London Calling du Clash, dix-huit scribes issus du polar et de l’écrit rock s’en prennent aux Ramones. En l’espèce, difficile de décortiquer un disque en particulier, la caractéristique de la fausse fratrie à géométrie variable ayant été de reproduire inlassablement la même chanson. Chaque nouvelle s’appuie donc sur un album, l’année de sa sortie (de 1976 à 1997), son époque, son climat. A charge pour les auteurs d’en extrapoler une fiction (Sylvie Rouch, Thierry Crifo…), d’y romancer une anecdote intime (Jean-Luc Manet – collaborateur de ce journal –, Olivier Mau…) ou de mettre en scène les Ramones, eux-mêmes déjà des figures romanesques : Joey l’insaisissable, Johnny le patriote bas du front, Marky l’alcoolo, Dee Dee l’attendrissant voyou junky, chouchou de la bande… Mention spéciale dans cet exercice casse-gueule à Mathias Moreau pour son “End of the Century”. Préfacé par Tommy, seul survivant du gang originel, l’ouvrage, annoncé punk et noir, se révèle au final plutôt tendre et un brin mélancolique. Nicolas Chapelle

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Mark Maggiori

Brigitte Et vous ? Tu m’aimes ? 3ème Bureau/Wagram Fêtard, sexy et rigolard, le premier album de deux Parisiennes vient donner un bon coup de pied au popotin de la chanson française. es Fontaine, Lahaie, Bardot, Jones avec guilis-guilis, Brigitte avec dynamite, ou Fossey peuvent aller se rhabiller Et vous ? Tu m’aimes ? avec à la folie baby. et ranger leur nom de famille fissa : Une reprise de Ma Benz côtoie ainsi en 2011, il sera convenu de dire une rêverie polyphonique (Hippocampe), Brigitte tout court. Mais la Brigitte une chorale gospel vient titiller en question est double : c’est, en fait, le Vatican comme sur les meilleurs singles le patronyme choisi par les musiciennes de Camille (Jesus Sex Symbol), une folk-song parisiennes Aurélie Maggiori et Sylvie piquante promet de belles représailles Hoarau, déjà aperçues au sein de projets (La Vengeance d’une louve), une ballade rêve divers (Mayane Delem, Vendetta…), de test de grossesse (Je veux un enfant), pour baptiser leur nouveau duo une pop-song invoque Claude François… de pétroleuses pop. Les plus attentifs Léger et joueur, le fond est cependant se souviennent d’un premier ep, porté par un habillage sonore et une Battez-vous, paru au printemps dernier. production jamais décoratifs : guitares Mi-brune, mi-blonde, la doublette et chœurs soignés, timbres de voix limpides, a aussi fait quelques premières parties glockenspiels enfantins, xylophones de concerts d’Anaïs et a prêté sa voix en dentelle… Sur le site du duo, à la bande originale du film Thelma, Louise il est annoncé que Brigitte est dépressive, et Chantal, sur des arrangements signés fille facile, suicidaire. Brigitte est une sale Keren Ann. Elle a en outre eu des bébés, menteuse, oui. J. S. et promet qu’on peut être maman et jeune concerts le 30 avril à Colmar, le 3 mai au Havre, dans sa tête et son corps – que toutes le 5 à Marseille, le 6 à Avignon, le 14 à Vauréal les Milf dans la salle lèvent le doigt. Sur un premier album au titre en forme de www.myspace.com/brigittesisters En écoute sur lesinrocks.com avec drôle d’interrogation (Et vous ? Tu m’aimes ?), Brigitte déploie un joyeux bordel : foutraque, hédoniste et fêtard, c’est un disque qui prend la chanson française par la barbichette, qui fait faire le poirier à la pop, qui fait des bisous d’eskimo à l’electro et pourrait s’inviter à la radio (Oh la la). Un album rieur et anti-spleen, qui fait rimer hip-hop avec pin-up, rétro avec Lio, Paris

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Nouvelle Vague The Singers New Sound Dimensions

Brouhaha/Rue Stendhal

Christian Larrède

Arm, figure de proue de Derrière moi

Dan Ramaën

No Simili

Finis les détournements de rock ou new-wave : les chanteuses ont le pouvoir. Ils ont altéré les glacis de la new-wave à travers le kaléidoscope de la bossa nova. Ils prennent aujourd’hui le pari risqué d’offrir à onze chanteuses de nouvelles déclinaisons de leur univers très élégant, sur le mode d’un répertoire pratiquement original. Olivier Libaux et Marc Collin transforment pour ce cinquième album Nouvelle Vague en backing-band, humble mais pertinent. Mélanie Pain y accroche définitivement les cœurs dans un Peut-être pas à bout de souffle. Camille et Les Pétroleuses ondoient dans la sensualité d’une bande originale de film imaginaire. Et le chant en sauts chassés de Phoebe Killdeer achève de libérer les bulles du champagne. Cela dit, les autres, toutes les autres (Helena Noguerra en écho translucide d’Astrud Gilberto), dorent à l’or fin une atmosphère mélancolique, audacieuse et suprêmement raffinée.

Psykick Lyrikah Derrière moi Idwet/La Baleine Titre d’album idéal pour ce groupe de rap français largement devant. erbe âcre, exigeant, percuté de plein fouet par la nuance et le retour sur soi : Psykick Lyrikah creuse depuis dix ans un sillon inédit dans le rap français. Tantôt accompagnée de Mr Teddybear ou de Robert Le Magnifique, du guitariste Olivier Mellano ou d’Abstract Keal Agram, la formation aux lignes floues voit cette fois-ci le rappeur Arm se présenter seul sur ce quatrième album, à peine épaulé par Tepr (Yelle) et par Iris, le compagnon de route. Accrochée à des (auto-)productions de synthèse alourdies de spleen, sa poésie en lingots de plomb ne perd rien de sa hauteur, percutant ce que tous ont cru pouvoir dépasser : la lucidité perdue sous les postures, la fausse envergure des grands discours, les egos gonflés d’orgueil, la course des rats. L’encre grise avance à tâtons sous les mélodies démentes des sirènes numériques, rongée par un relativisme maladif qui l’empêche de tenir même sa propre vérité pour absolue : “A peu de choses près, ce sont les mêmes guerres que l’on mène tous de nos mêmes terres brûlées… A peu de choses près, nous sommes comme ceux dont nos écrits parlent souvent.” Chant rebelle au milieu des certitudes hardcore, Derrière moi transforme ainsi le petit combat du rap en une exigeante révolte permanente. Pas de diatribes anti-UMP ni d’uppercuts gauchistes ici : le verbe d’Arm est une affaire qui vise l’éthique, la morale, l’humanité. La lutte est intérieure, intime et quotidienne. Intense. T. Bl.

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www.myspace.com/psykicklyrikah En écoute sur lesinrocks.com avec

Lizzy Ling Une voix souvent confinée à l’ombre s’aventure à la lumière. Convaincant. Depuis qu’elle a tourné une publicité pour une voiture nippone avec Sean Lennon, Lizzy Ling a une belle cote d’amour au Japon. En France, son premier disque (Un tigre dans le bungalow) avait discrètement circulé sous le manteau, révélant les charmes d’une voix trop souvent reléguée dans le décor des disques des autres. Une voix caméléon, qui emboîte ici le pas d’une drum’n’bass miniature dans un talk-over mécanique (Louis), reconstruit La Madrague de Bardot sur les plages de Walk on the Wild Side de Reed, ou pose les mots sur des mélodies de poche comme un baiser de papillon sur une fleur d’acacia (La Fille de l’ombre). Fine, Lizzy. Marc Besse concert le 2 mai à Paris (Zèbre) www.myspace.com/lizzyling En écoute sur lesinrocks.com avec

www.myspace.com/nouvellevague

Talons’ Songs for Boats Own Records/Differ-ant Un hymne magnifique au nomadisme et à la méditation. En bateau. “Comment rentrer aux Etats-Unis si le monde technologique vient à disparaître ?”, s’est demandé Mike Tolan, en voyage en Espagne au plus fort de la crise. En bateau, bien sûr. Songs for Boats est le journal de bord d’un Robinson des temps modernes : de la musique folk, aux arrangements subtils et harmonies à deux voix, avec des invités – des insectes ou un chien. Comme autrefois les marins trouvaient leur route en observant le ciel, Songs for Boats est un de ces disques importants qui invitent inlassablement à garder le cap de bonne espérance. Céline Kautz www.myspace.com/choderomeo

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Dimitri Barclay

Brodinski Manifesto Relief Records Le manifeste de Brodinski : comme une manif et comme une fête. a pluie hivernale défonce les jambes sans aucune pitié. Plus encore les carreaux gris, acide, Tramp 3 réinvente en face B mais tout le monde s’en fout. la house en version mastard, En bas, les dance-floors avant de disparaître pendant que sont déjà brûlants et le coupable le danseur cherche encore ses s’appelle Brodinski, injectant sous rotules. Bien fait, fallait pas sortir le torrent foireux des giboulées sans parapluie ! Thomas Blondeau son ep Manifesto, une scie techno www.facebook.com/brodinski grêlée de basses bien raides. Responsable le mois dernier d’un excellent Anagogue enregistré avec Tony Senghore, le Français y invente un futur à la techno, siffle, cogne et crépite sur le fil d’un beat à la rectitude abusée, qui déglingue

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The Head & The Heart Rivers and Roads Ils viennent de Seattle mais ont autant à voir avec le mouvement grunge qu’avec la scène zouk : ces Américains, récemment signés sur Sub Pop, écrivent le folk des nuages, la pop des grands espaces. www.lesinrocks.com

Ezra Koenig (Vampire Weekend) Papa Hobo La boucle est bouclée : Ezra Koenig, roi de Vampire Weekend, reprend pour la BO de Ceremony le Papa Hobo de Paul Simon. Sans surprise mais touchante, la reprise rappelle les liens de parenté qui unissent les New-Yorkais au New-Yorkais. www.somekindofawesome.com

Ethiopie Staring into the Sun Cet été sortira sur le label Sublime Frequencies un combi CD/DVD/livre consacré à l’Ethiopie, sous la direction de la réalisatrice et photographe Olivia Wyatt. Le trailer psychédélique du film, accompagné d’une musique des plus étrange, donne très envie d’en savoir plus. www.vimeo.com

Owlle Ticky Ticky Porté par des machines sombres aux vagues minimalistes, Owlle greffe sur ses nappes sonores une voix douce et sensuelle. Le groupe, dont on attend un premier maxi, développe ainsi des atmosphères électroniques froides et envoûtantes que ne renieraient pas Lykke Li ou Bat For Lashes. www.lesinrockslab.com/owlle 20.04.2011 les inrockuptibles 91

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Akron/Family 19/5 Paris, Café de la Danse Angus & Julia Stone 26, 27, 28, 30/4 & 1/5 Paris, Trianon

Arcade Fire Un an après la sortie de The Suburbs, primé par le Grammy du meilleur album de l’année, les Canadiens embraseront le Zénith avant la tournée des festivals d’été. 28/6 Paris, Zénith Art Rock Du 9 au 12/6 à Saint-Brieuc, avec The Hives, Yelle, The Joy Formidable, Klaxons, Florent Marchet, etc. BBK Live Du 7 au 9/7 à Bilbao, avec Coldplay, Crystal Castles, Amy Winehouse, Kasabian, Kaiser Chiefs, The Chemical Brothers, !!!, Blondie, Beady Eye, TV On The Radio, etc. Best Coast 23/4 Paris, Maroquinerie Aloe Blacc 24/4 Paris, Trianon Blackfield 29/4 Paris, Trianon James Blake 23/4 Bourges, 25/4 Paris, Maroquinerie Bonaparte 26/4 Paris, Maroquinerie Brigitte 21/4 Bourges, 23/4 Chelles, 30/4 Colmar, 5/5 Marseille, 6/5 Avignon, 7/5 Nancy, 8/5 Neufchâteau, 12/5 Lyon, 13/5 Toulouse Anna Calvi 20/4 Lyon, 22/4 Paris, Trianon, 23/4 Saintes, 24/4 Bourges

Cascadeur 20/4 Alençon, 24/4 Bourges, 11/6 Montereau Cat Power 3/7 Paris, Salle Pleyel Chocolate Genius Inc. 21/4 Bourges Cocoon 26/4 Paris, Olympia Custom mai #1 18/5 Paris, Nouveau Casino, avec The Heartbreaks, Young The Giant, Sing Tank, Colourmusic Custom mai #2 24/5 Paris, Nouveau Casino, avec Art Brut, When The Saints Go Machine + guests Death In Vegas 27/5 Paris, Alhambra Alela Diane 8/5 Strasbourg, 9/5 Paris, Cigale, 10/5 Lille The Dodos 18/5 Paris, Point Ephémère Does It Offend You, Yeah? 21/4 Paris, Nouveau Casino, 22/4 Angers, 23/4 Bourges Dum Dum Girls 23/4 Marseille, 24/4 Paris, Machine Thomas Dybdahl 24/5 Tourcoing, 25/5 Feyzin Eels 4/7 Paris, Bataclan Stéphane Eicher & Philippe Djian 29/4 ConflansSainte-Honorine, 30/4 Villeparisis, 5/5 Meaux Elysian Fields 17/5 Paris, Café de la Danse Les Eurockéennes de Belfort Du 1er au 3/7 à Belfort, avec Arcade Fire, Beady Eye,

Beth Ditto, Arctic Monkeys, Katerine, Anna Calvi, etc. Festival Beauregard Du 1er au 3/7 à HérouvilleSaint-Clair, avec Motörhead, The Kooks, Kasabian, Anna Calvi, Cold War Kids, Agnes Obel, Eels, Two Door Cinema Club, The Ting Tings, etc. Festival Days off Du 30/6 au 10/7 à Paris, Cité de la Musique et Salle Pleyel, avec Fleet Foxes, Cat Power, Peter von Poehl, I’m From Barcelona, etc. Festival Europavox Du 25 au 28/5 à ClermontFerrand, avec Cocoon, Catherine Ringer, Aaron, Boys Noise, etc. Festival Fast & Curious Du 7 au 28/5 à Rouen (106), avec Muscle Music From Detroit, Mo’Boogie, The Sonics, etc. Festival K-Live 27 & 28/5 à Sète, avec The Jon Spencer Blues Explosion, Jessie Evans, Servo, etc. Festival Papillons de nuit Du 10 au 12/6 à Saint-Laurent de-Cuves, avec The Hives, Aloe Blacc, Kaiser Chiefs, Klaxons, etc. Festival Le Printemps de Bourges Du 20 au 25/4 à Bourges, avec Aloe Blacc, Lykke Li, The Dø, James Blake, Mélanie Laurent, Yael Naim, etc. Festival La Terra Trema Du 27 au 30/4 à CherbourgOcteville, avec Ebony Bones!, Zone Libre vs. Casey, etc. Fleet Foxes 30/5 Paris, Bataclan

Nouvelles locations

Foodstock 23/4 Paris Les Francofolies Du 12 au 16/7 à La Rochelle, avec Cocoon, The Dø, Yelle, Katerine, Asa, etc. Fucked Up 18/5 Paris, Batofar Fujiya & Miyagi 21/4 Lille, 22/4 Caen, 23/4 Rennes, 26/4 Paris, Alhambra Gang Gang Dance 17/5 Paris, Point Ephémère The Gaymers Camden Crawl Du 30/4 au 1/5 à Londres, avec Saint Etienne, Villagers, Hadouken!, Toddla T, Bo Ningen, Frankie & The Heartstrings, Sound Of Rum, etc. Le Grand Souk all VIP Du 21 au 23/7 à Ribérac, avec Two Door Cinema Club, Katerine, The Bewitched Hands, Tahiti 80, Violens, etc. Guillemots 2/5 Paris, Café de la Danse Hushpuppies 20/4 Bourges, 22/4 Perpignan, 23/4 Salon-deProvence, 27/4 Paris, Alhambra Inrocks Indie Club avril 22/4 Paris, Flèche d’Or, avec Asobi Seksu, Underground Railroad, Stal, Manceau Inrocks Indie Club mai 27/5 Paris, Fèche d’Or, avec The Leisure Society, Francesqa, Morning Parade Inrocks Lab Party mai 11/5 Paris, Flèche d’Or Jay Jay Johanson 30/5 Paris, Café de la Danse Katerine 24/5 Versailles, 27/5 Paris, Olympia

En location

Kocani Orkestar 24/4 Auch, 29/4 Paris, Grande Halle de la Villette Le Prince Miiaou 23/4 Chelles, 24/4 Bourges, 30/4 Niort, 3/5 Paris, Café de la Danse Lilly Wood & The Prick 11/5 Paris, Bataclan Lykke Li 21/4 Paris, Cigale Madjo 20/5 Paris, Cigale Metronomy 4/5 Paris, Cigale, 21/5 Toulouse, 22/5 Bordeaux, 23/5 Rennes, 24/5 Lyon, 25/5 Tourcoing, 26/5 Strasbourg Noah And The Whale 26/4 Lille, 27/4 Rouen, 28/4 Paris, Gaîté Lyrique Les Nuits Botanique Du 10 au 29/5 à Bruxelles, avec Sufjan Stevens, Animal Collective, Caribou, The Black Lips, Katerine, The Dodos, etc. Les Nuits sonores Du 1er au 5/6 à Lyon, avec Battles, DJ Shadow, The Sonics, Crystal Stilts, Brodinski, etc. Le Rock dans tous ses états 24 & 25/6 à Evreux, avec Tiken Jah, Razorlight, The Inspector Cluzo & Mates, Young Fathers, etc. Rock en Seine Du 26 au 28/8 à Saint-Cloud, avec Interpol, Foo Fighters, Arctic Monkeys, The Kills, Anna Calvi, etc. Gaëtan Roussel 27/4 Rouen, 28/4 Paris, Cigale Sakifo Musik Festival Du 9 au 12/5 à La Réunion, avec Chapelier Fou, Yodélice, Stromae, Les Wampas, etc.

aftershow

Deerhunter

Oliver Peel

Dès cette semaine

Festival Super ! Mon amour le 9 avril à Paris, Gaîté Lyrique En quelques semaines, Paris a perdu une salle de concerts (l’Elysée Montmartre, partie en fumée) et en a gagné une autre (la Gaîté Lyrique, intégralement remise à neuf). Le festival Super ! Mon amour est l’occasion de découvrir ce nouveau temple des cultures numériques. Quoique, peu importe le lieu : on brûle simplement d’envie de voir Deerhunter. En avant-goût, on a la grande joie de retrouver Nelson, dont les déflagrations hypnotiques promettent un nouvel album captivant. Mauvaise pioche avec Lower Dens, perdu dans le brouillard. Créer une musique nébuleuse sans construire sur du vide n’est pas donné à tout le monde. C’est la force de Deerhunter qui, de surcroît, ne se contente pas de reproduire sur scène ses albums. Le quatuor d’Atlanta fait surgir des ténèbres ses guitares cinglantes et son chant du cygne derrière la silhouette singulière de Bradford Cox. Classe ultime : le groupe s’offre le luxe de commencer par une nouvelle chanson, avant d’enchaîner sur Desire Lines, chef-d’œuvre en plusieurs actes dont la montée en puissance finale justifiait à elle seule d’assister à cette soirée. Ne pas en déduire qu’on est partis après deux morceaux – un concert entier n’a pas suffi à nous rassasier de ces joyaux époustouflants. Noémie Lecoq

Scout Niblett 9/5 Paris, Café de la Danse Ron Sexsmith 2/5 Paris, Maroquinerie Skeletons 24/5 Paris, Point Ephémère Stage of the Art : Tindersticks 28/4 Paris, église Saint-Eustache

Sufjan Stevens 9/5 Paris, Olympia, 10/5 Bruxelles Stupeflip 29/4 Rouen, 3/5 Paris, Bataclan Tamikrest 22/6 Paris, Point Ephémère Yann Tiersen 20/4 Dijon,

21/4 Rennes, 22/4 Brest TV On The Radio 13/7 Paris, Olympia Kurt Vile 23/5 Paris, Maroquinerie Warpaint 26/5 Paris, Bataclan Wild Beasts 19/5 Paris, Point

Ephémère Wire 11/5 Paris, Machine The Wombats 27/5 Paris, Trianon Shannon Wright 5/5 Bayonne, 6/5 Bordeaux, 7/5 Massy, 12/5 Cholet, 14/5 Tourcoing

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Berlusconic park A travers les déroutes d’une secte minable et d’un écrivain à succès, Niccolò Ammaniti poursuit son portrait au Kärcher de l’Italie moderne. Au programme : fête VIP, sacrifice humain et gros monstres.



e talent de Niccolò Ammaniti finit par devenir gênant. A l’heure qu’il est, l’institution littéraire italienne doit s’arracher les cheveux en calculant le nombre de prix qu’il faudrait pour récompenser cet écrivain de 45 ans sur les trente prochaines années. Car c’est un fait : chaque nouveau roman d’Ammaniti est une bombe. Ce genre de livre qui vous explose au visage, provoquant un petit séisme sur votre personne, un désordre de votre écosystème intime, soumettant votre corps à une série de transformations animales : rires de baleine, larmes de crocodile, grands cris de singe. Et des animaux, il y en a dans le nouvel Ammaniti. Lions, hyènes, vautours, troupeaux de gnous, de zèbres, de buffles, de girafes, tous mis en scène dans le décor tropical d’une grande fête extravagante prenant vie à mi-roman. Mais avant cela, le lecteur va suivre les trajectoires

turbulentes d’une poignée de personnages. D’un côté, les états d’âme d’un romancier narcissique en panne d’inspiration, bloqué au chapitre deux d’une saga sarde ; de l’autre, les infortunes d’une secte sataniste minable en quête de sacrifice humain. La Fête du siècle s’ouvre ainsi sur une prise de tête entre Mantos, gourou des “Enragés d’Abaddon”, et ses adeptes Sylvietta, Murder et Zombie, “une bande de hardos ringards” réclamant à leur chef un enterrement vivant ou une nonne éventrée, bref, une action satanique digne de ce nom. Au même moment, l’écrivain Fabrizio Ciba se lance dans un laïus improvisé sur le prix Nobel indien qu’il n’a pas lu, devant un parterre de sommités transies de bonheur. Applaudissements, allumage de briquets : l’humour férocement surréaliste d’Ammaniti est en marche. A ceux qui ont reproché à l’écrivain, dans ses précédents livres, de ne stigmatiser

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que les classes populaires, ces pauvres bêtifiés par la trash TV et la consommation de masse (Comme Dieu le veut décrit le quotidien pathétique et grotesque d’une petite communauté de beaufs délinquants dans la banlieue italienne), l’auteur démontre que l’élite ne trouve pas davantage grâce à ses yeux. Et n’a guère plus de chance d’échapper à sa méchante humeur. Ammaniti écharpe violemment les tares de ce monde très snob, verni d’honorabilité superficielle et habité par une ambition sauvage. Sous sa plume, le petit gratin littéraire romain épouse les courbes d’un zoo informe et grotesque. Un garde du corps devient “un primate engoncé dans un costume en flanelle grise”, une attachée de presse évoque “une bombe glaciale sans âge” et les éditeurs “une bande de fines gueules obèses, aux veines constellées de molécules de cholestérol”. Au milieu trône l’écrivain indien, qu’“un tapis de cheveux noirs plaqués en arrière à la brillantine aidait à ne pas ressembler à une momie égyptienne”. Mais la grande force de La Fête du siècle est d’aller encore plus loin, au-delà du rire féroce, de la satire sociale à double tranchant. Ammaniti trouve une métaphore géniale capable de réunir les pauvres et les riches, la vanité et la vulgarité, propre aussi

à rassembler les fragments épars d’une vision profondément pessimiste du monde. C’est ainsi que le lecteur, ravi, se retrouvera au beau milieu d’une fiesta VIP géante, organisée par un magnat de l’immobilier. Au programme : champagne, mini-safari et chasse aux fauves. Footballeurs, bimbos de la RAI, actrices, chirurgiens esthétiques, politiciens et top-models albinos se pressent dans cette savane factice, modelée par l’auteur en foire aux vanités – tandis que notre clan de satanistes déguisés en serveurs fomente le sacrifice d’une chanteuse pop censée donner un show. Même s’il ne la nomme jamais, c’est bien la Rome de Berlusconi que mitraille ici l’écrivain, revers grotesque aux traditionnels Saint-Pierre de Rome et fontaine de Trevi. A travers la satire, Ammaniti s’attaque aux dérives communautaristes et médiatiques de la Botte. La Fête du siècle fait un sort à la bimboïsation du monde, à son engeance de people débiles et prétentieux. Du mouvement littéraire dont il a éclos dans les années 90, Les Cannibales, l’auteur a gardé une verve provocante et ultravisuelle, empruntée aux jeux vidéo, au cinéma et à la bande dessinée. Sous cette triple influence, Ammaniti ne se refuse rien : coupure de courant, révolte de la faune, humains dévorés, créatures étranges… Via une fête transformée en décor de Jurassic Park ambiance fin du monde, c’est le roman tout entier qui est soumis au principe du chaos. Pire : sacrifié à la justice divine d’un écrivain visiblement très en colère, bien décidé à se payer la tête du star-system, des beaufs et de tous les fats de ce monde en les catapultant dans un film à la Carpenter. Un jeu de massacre jubilatoire et renversant qui, adjoint aux vertus de la farce sociale macabre, finit d’asseoir Ammaniti comme le plus brillant auteur italien de sa génération. Emily Barnett La Fête du siècle (Robert Laffont), traduit de l’italien par Myriem Bouzaher, 396 pages, 21 €

l’auteur 1966 Naissance à Rome. 1985 Etudes en biologie, qu’il interrompt avant la thèse. années 90 Collabore à une anthologie de nouvelles horrifiques (Gioventù cannibale) et prend part au mouvement littéraire provocateur Les Cannibales. 1998 Une nouvelle de son recueil Dernier réveillon est adaptée en film, avec Monica Bellucci. 2001 Publie Je n’ai pas peur, best-seller et prix Viareggio. 2007 Obtient le Strega, le plus prestigieux prix italien, pour Comme Dieu le veut.

en marge

Z comme zéro Raciste, Zemmour ? Oui, et aussi misogyne : toujours cette même volonté de rabaisser l’autre qui rappelle les pires temps de l’histoire. Ses opinions racistes proférées à longueur d’antenne révoltent. A juste titre. En regard, sa misogynie viscérale suscite peu d’émoi. Pourtant, son sexisme assumé, pleinement revendiqué dans son pamphlet Le Premier Sexe paru en 2006, procède de la même logique discriminatoire que ses propos nauséabonds sur les délinquants prétendus majoritairement “noirs et arabes”, et l’assimile encore un peu plus aux thèses du FN. A part l’antisémitisme, on se demande ce qui sépare encore Zemmour de l’extrême droite, dont l’idéologie repose tout entière sur une vision inégalitaire de la société : inégalité des “races”, inégalité des sexes. Mais après tout, racisme, antisémitisme et sexisme ne procèdent-ils pas de la même origine : une peur et un ostracisme de l’autre, avec volonté de le rabaisser ? Revenons au sexisme : même si le FN est aujourd’hui dirigé par une femme, il reste le parti porteur d’une vision archaïque du rôle de la femme dans la société. Marine Le Pen a beau se déclarer favorable à l’IVG, le programme du FN prône toujours le “caractère sacré de la vie” et un “statut juridique et social pour la mère de famille”. La femme procrée et reste à la maison. C’est aussi ça l’éternel féminin selon Eric Zemmour, décliné à l’envi dans son Z comme Zemmour, recueil de ses chroniques sur RTL (il n’y a pas de petit profit). Saint-Simon au petit pied qui se rêve en Maurras contemporain, il pleure sur le sort des pauvres petits garçons écrasés par les filles à l’école à cause de la mixité, fustige la “haine profonde de la maternité” chez les féministes, leur “fureur égalitariste” et remet en cause le droit à l’IVG en regrettant l’absence de statut juridique pour le fœtus : “On songe alors, un peu effrayé, que nous avons tous été des fœtus”. Trop fort.

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l’auteur

Collection Elena Rjevskaïa

1919 Naissance d’Elena Rjevskaïa. 1942 Après des études d’histoire, de littérature et de philosophie et l’obtention d’un diplôme qui lui permet de devenir interprète de guerre, elle est envoyée au front aux côtés de l’armée soviétique. Quelques jours après la fin de la guerre, elle participe à la découverte et à l’identification des cadavres d’Hitler et d’Eva Braun, et de ceux de Joseph Goebbels, de sa femme Magda et de leurs six enfants. 1965 Elle publie pour la première fois son récit à compte d’auteur, à Berlin. Elle réalise deux documentaires : Berlin, mai 1945 et Goebbels. 2011 Elena Rjevskaïa vit aujourd’hui à Moscou.

ElenaR jevskaïa à Berlin, 1945

la traduction de l’indicible Interprète aux côtés de l’armée soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale, Elena Rjevskaïa raconte ses années passées au front. Entre récit intime et témoignage historique, une plongée sidérante au cœur du chaos.



’est l’anti-Bienveillantes. A travers le personnage de Maximilien Aue, Jonathan Littell racontait la Seconde Guerre mondiale, le front de l’Est, puis le repli de l’armée allemande, et enfin la chute de Berlin et du IIIe Reich. Dans le livre d’Elena Rjevskaïa, il s’agit de la même guerre, des mêmes champs de bataille, mais envisagés de l’autre côté de la ligne de front, du point de vue d’une interprète de l’armée soviétique – point de vue rare que celui d’une femme dans la guerre – et non pas d’un soldat nazi. La fresque de Littell, bien que méticuleusement documentée, s’affichait clairement comme un roman, fusionnant fiction et réel ; le livre de Rjevskaïa est un récit qui revendique son authenticité, entremêlant les souvenirs de l’auteur et les nombreux documents qu’elle eut à traduire : lettres de soldats, tracts de propagande nazie, extraits des carnets de Goebbels… Mais Rjevskaïa précise : “Je ne suis ni historienne ni chercheuse. Je suis écrivain.” Ces Carnets… se lisent donc d’abord comme l’histoire d’une femme dont la vie

et le destin sont inextricablement liés à la guerre. Son identité y est à jamais mêlée, comme le souligne le pseudonyme qu’elle s’est choisi : Rjevskaïa en référence à Rjev, ville proche de Moscou d’où les Soviétiques lancèrent une offensive stratégique et extrêmement meurtrière. Elena n’a que 23 ans lorsqu’elle est envoyée au front en février 1942, après une brève formation d’interprète. On suit alors l’odyssée infernale de cette toute jeune femme à travers les paysages glacés de Russie, les villages mutilés de Pologne, jusqu’à Berlin en flammes. Pas d’états d’âme et peu d’analyse rétrospective. Elena Rjevskaïa s’en tient aux faits, qu’elle restitue de son écriture fragmentaire, directe, dans toute leur brutale concrétude. Elle sature son récit d’anecdotes, de détails – la couleur d’une robe rapiécée, le goût de la kacha, le regard d’un prisonnier – jusqu’à produire un étourdissant effet de réel. Prise entre deux langues, entre l’épouvante des combats et l’allégresse de la Libération, Elena se trouve en fait au centre de tout, “à l’épicentre même des événements de la fin de la guerre”,

jusqu’au cœur du bunker d’Hitler. Elle en retrace les derniers jours avec une minutie clinique qui côtoie le rocambolesque, comme lorsqu’elle se retrouve en charge de la petit boîte de fer rouge qui contient les dents du Führer, ou quand elle évoque l’hallucinante volonté de Staline de cacher au monde entier la découverte du corps d’Hitler. A l’horreur se mêle toujours le grotesque de l’histoire. Jonathan Littell aussi l’avait saisi, notamment dans la scène sidérante où Aue pince le nez d’Hitler. Comme l’auteur des Bienveillantes, Elena Rjevskaïa nous plonge avec force dans cette apocalypse dont nous croyons tout connaître alors que chaque texte peut l’éclairer d’un jour nouveau à partir du moment où il porte un regard singulier sur l’événement. En cela, les Carnets… font intensément résonner le vers de Rilke cité dans le livre : “Le passé est encore devant nous.” Elisabeth Philippe Carnets de l’interprète de guerre (Christian Bourgois), traduit du russe par Macha Zonina et Aurore Touya, 392 pages, 23 €

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Library of Congress/Tristram

figure libre A sa sortie, N° 44 de Mark Twain avait été en partie censuré. Alors que son auteur a encore récemment fait polémique aux Etats-Unis, sa version complète est publiée. n 1490, deux ans nihiliste roman posthume avant que Christophe de Twain (1835-1910) Colomb n’aperçoive doit susciter des vocations l’île de San Salvador, de censeur, ce sera surtout l’Autriche médiévale au cœur de la Bible Belt, reçoit une insolite visite. où l’apparition du chaînon Dans un carré de clair manquant de la théorie de lune, une silhouette aux darwinienne de l’évolution “lèvres extraordinairement ne saurait manquer de épaisses” se présente mettre en émoi les tenants comme “le nèg du clonel du créationnisme. Bludso”, venu de Caroline Entre 1890 et sa mort, du Sud chanter le blues l’humoriste préféré de des “pov esclaves noirs l’Amérique travaille sur quand y sont loin de chez trois versions successives eux et nostalgiques d’un roman singulièrement et cafardeux”. pessimiste, que son Les bonnes âmes exécuteur testamentaire ayant entrepris d’infliger amputera en 1916 de ses un relooking lexical attaques contre la religion. politiquement correct Il faudra attendre 1969 à l’œuvre de Mark Twain pour que soit enfin peuvent toutefois ranger publiée une version fidèle leurs ciseaux : avec aux intentions de une unique apparition dans Twain – des intentions N° 44 – Le Mystérieux contradictoires, tant Etranger (contre deux cent espièglerie et désespoir quinze dans Les Aventures se donnent la réplique de Huckleberry Finn), tout au long du livre. le terme “nigger” n’a guère Dans un château le temps d’y bafouer moyenâgeux, un apprenti la dignité afro-américaine. imprimeur, Auguste, Si la redécouverte du très se lie d’amitié avec un

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étranger doté de pouvoirs surnaturels, Numéro Quarante-Quatre. Très vite, cette entité en mal de divertissement fait surgir les doubles des principaux personnages, arrache une jeune fille à sa condition de servante en la transformant en petite féline (et en lui donnant le sourire du chat du Cheshire d’Alice au pays des merveilles), voyage dans le lointain passé comme dans l’avenir, et multiplie les coups de théâtre, dont la principale victime est un prêtre exterminateur de sorcières – le fanatique du bûcher en question portant le prénom prémonitoire d’Adolf. Mais sous les numéros de farces et attrapes métaphysiques perce le désarroi d’un écrivain dont les dernières années furent endeuillées par la perte de son épouse et de deux de ses filles : “Une famille signifiait l’amour… produisant des inquiétudes épuisantes et des angoisses” qui “brisaient les cœurs et réduisaient la durée de vie”. A ces angoisses, Twain répond en mettant en doute la réalité même du monde : “Il n’y a pas de Dieu, pas d’univers, pas de race humaine, pas de vie terrestre, pas de paradis, pas d’enfer. Tout cela n’est qu’un rêve, un rêve grotesque et imbécile.” Comme Tom Sawyer et Huck Finn s’étaient ingéniés à libérer l’esclave Jim, Twain brise dans N° 44 les chaînes de la dévotion, mais fait de la confrontation avec le vide la rançon de la liberté. Bruno Juffin N°44 – Le Mystérieux Etranger (Tristram), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Bernard Hoepffner, 281 pages, 20 € 20.04.2011 les inrockuptibles 97

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Olivier Laban-Mattei/AFP

le sarkologue Acteur de son propre soap opera relayé par la presse en mal de ventes, Sarkozy se retrouve au centre de livres qui le dévoilent. Jusqu’à l’analyse, servie par Franz-Olivier Giesbert. out ce que vous avez toujours C’est que Giesbert est affectueux, fasciné, voulu savoir sur Sarko sans oser tout lui en plantant quelques fourchettes le demander ? Quelques semaines empoisonnées entre les omoplates. après le livre de Maurice Szafran Il raconte ce qu’il a vu, entendu d’édifiant, et Nicolas Domenach, Off (Fayard), étant “un journaliste connivent”, tout c’est au tour de Franz-Olivier Giesbert en convoquant toute sa bibliothèque pour de publier son “In bed with Nicolas”. l’analyser. Exemple : le problème A coup sûr, le livre flirtera lui aussi de Sarkozy, c’est qu’il n’a pas de surmoi avec les cimes des meilleures ventes, (il l’avait délégué un temps à Cécilia) ; et cela grâce à Sarkozy lui-même : ou encore : “Ce que Chateaubriand organisant son propre storytelling, héros observe chez Napoléon, on le constate d’un roman cheap qui se décline à coups aussi bien chez Sarkozy : ‘à la fois modèle de feuilleton dans une presse consciente et copie, personnage réel et acteur que seule la peopolisation du politique représentant ce personnage’, il devient fait vendre, le Président est devenu ‘son propre mime.” Aucun autre moteur un personnage qu’on se doit de dévoiler, chez Sarkozy que son hystérie de comprendre, d’analyser. – zéro conviction, et c’est le plus grave. Si le duo Szafran-Domenach prenait Démarche certes salutaire que de clairement ses distances vis-à-vis de balancer le off, mais tout est question de Sarkozy, le livre tendance psy de Giesbert méthode. Comment trahir, la conscience est plus pervers. D’abord, son titre. M. le tranquille, quand on a invité Nicolas et Président : nul besoin d’avoir lu tout Cécilia à dîner chez soi en amis pour fêter Lacan pour entendre “Aime le Président”. leur réconciliation ? FOG aurait dû

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questionner sa démarche plutôt que de nous gratifier de deux pages effarantes sur son amour de la truffe. Traiter la politique comme un roman psychologique, dévoiler le “vrai” Sarko, bref l’humaniser, a quelque chose de passionnant, le risque étant d’éroder toute capacité d’indignation. Bon, d’accord, Sarkozy “n’a cessé, si j’en crois les gazettes ou ce qui m’est revenu aux oreilles, de harceler le propriétaire du journal où je travaille et mes employeurs de la télévision publique pour qu’ils me virent de toute urgence, sous prétexte que j’étais – je le cite – un ‘rat d’égout’ ou un ‘pervers fétide’. Il a même assuré à des amis communs qu’il allait me ‘détruire’ ou – c’est une de ses expressions favorites – ‘s’occuper de moi”. Mais après tout, Mitterrand n’avait-il pas “déclenché contre moi un contrôle fiscal (…)” ? Nous voilà bien rassurés. Au moment du rachat du Monde, Sarkozy était intervenu contre le trio Bergé-Niel-Pigasse (ce dernier est actionnaire majoritaire des Inrockuptibles), convoquant même Xavier Niel à l’Elysée. Finalement, il a échoué. Pourtant, Sarkozy est parvenu à s’assurer le droit de nommer les présidents de France Télévisions et de Radio France. C’était pareil du temps de l’ORTF ? Bon alors, pourquoi s’en plaindre ? Qu’il rate son coup ou le réussisse, son désir affiché de contrôler les médias devrait en indigner plus d’un. Pas Giesbert. Nicolas Sarkozy, symptôme d’une époque cynique, a peut-être l’auteur qu’il mérite. Et inversement. Nelly Kaprièlian M. le Président (Scènes de la vie politique 2005-2011) de Franz-Olivier Giesbert (Flammarion), 282 pages, 19,90 €

la 4e dimension deux Musso sinon rien Ils ont décidé de nous gâcher le printemps. Après Guillaume Musso qui envahit les librairies avec L’Appel de l’ange, son dernier roman sorti fin mars, voici Valentin, son frère, qui publie le 5 mai Les Cendres froides, un thriller forcément “haletant”.

Rob Pattinson fan de Houellebecq Interviewé par Madame Figaro, Robert Pattinson, l’acteur qui incarne le vampire sexy et asexuel dans Twilight, a déclaré se sentir “proche des héros de Houellebecq”. C’est vrai que pour eux aussi la chair est souvent triste.

le roi Wallace The Pale King, le roman posthume de David Foster Wallace, suicidé en 2008, vient de paraître en Angleterre et aux USA. Un livre sur l’ennui éprouvé par des agents du fisc, métier qu’exerça l’auteur du génial Infinite Jest.

coaching d’écrivains Claro ou Eric Chevillard en font état sur leurs blogs. Une jeune femme inonde les boîtes mail des auteurs pour leur proposer ses services de “coach d’écrivains” et les aider à “trouver leur équilibre artistique”. Toujours plus classe qu’un spam “Enlarge your penis”.

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tellement humain

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u fil des ans, on en est arrivé à entendre dans les initiales de Tom Coraghessan Boyle un écho de l’acronyme TCB (pour “Taking care of business”), qui, durant sa période Las Vegas, fut la devise d’Elvis Presley. Car les affaires, Boyle sait les faire marcher. D’une fécondité rare, l’écrivain au bouc méphistophélique publie avec une impressionnante régularité de très malicieux livres, où sa prose s’enivre des dérèglements des sociétés modernes. Son nouvel opus constitue donc une double surprise : inhabituellement bref et émouvant, L’Enfant sauvage voit le satiriste enragé se muer en poète, et trouver dans l’empathie un antidote à sa coutumière causticité. Pour les Français, Victor de l’Aveyron est une vieille connaissance : objet d’un film sobre et probe de François Truffaut, cette créature hirsute, découverte un soir de 1797, est notre Mowgli hexagonal – un fils des bois nourri au sein de mère Nature. De quoi stimuler l’imagination de Boyle : dans Histoires cruelles (2005), “Cynologie” mettait en parallèle le destin de deux petites Indiennes élevées par une louve et celui d’une thésarde, mariée à un informaticien et ayant entrepris de se muer en chienne. Mais, au lieu de glisser vers l’animalité, Victor met le cap vers un semblant d’humanité. Pour rendre compte de cette trajectoire, Boyle opte

pour un pastiche de prose préromantique particulièrement réussi, et fait à son héros le précieux cadeau d’une sensibilité – sous sa plume, “le Sauvage” prend plaisir à “demeurer au bord de l’étang, à regarder la lumière jouer à la surface de l’eau”. Aux antipodes des théoriciens verbeux qui peuplent les romans de Boyle, Victor est muré dans le silence, ce qui n’empêche pas ce bloc d’altérité – par ailleurs objet de curiosité dans les salons

Richard Dumas

Autour de Victor de l’Aveyron, au centre de L’Enfant sauvage de Truffaut, T. C. Boyle réussit le récit poignant de l’apprentissage de la civilisation. parisiens, où le mythe du “bon sauvage” est dans tous les esprits – de susciter, puis de partager l’affection du médecin et de la robuste quadragénaire qui tentent en vain de le civiliser. L’échec pédagogique partiel du docteur Itard se double ainsi, sur le plan affectif, d’une rencontre particulièrement poignante. Bruno Juffin L’Enfant sauvage (Grasset), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Dematry, 182 pages, 14 €

le satiriste enragé se mue en poète et trouve dans l’empathie un antidote à sa causticité

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Entre une visite au MET et un tour à Central Park, on s’offre un panorama de la littérature contemporaine à New York. Walls and Bridges (du 11 au 21 avril, www.wallsandbridges.net), organisé par la Villa Gillet de Lyon, propose une série de rencontres avec des artistes et des écrivains comme Nan Goldin ou Yannick Haenel (le 21). Et du 25 avril au 1er mai, le World Voices Festival accueille Jonathan Franzen, Salman Rushdie ou Vladimir Sorokin (www.pen.org).

mercredi 20

à venir

plane avec la sortie jeudi 21 On en Pléiade des œuvres complètes de Thomas de Quincey (Gallimard, 1 888 pages, 72,50 €), l’auteur des Confessions d’un mangeur d’opium anglais, livre culte pour Balzac, Poe, Huysmans, et De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts, d’un délectable humour noir.

Henri Godard Céline (Gallimard)

On découvre l’Amérique désenchantée de Lorrie Moore avec la sortie en poche de La Passerelle (Points, 416 pages, 7,50 €), où l’auteur aborde le racisme ordinaire à travers l’adoption d’une fillette noire par un couple de Blancs.

Linda Nylind

vendredi 22

Lorrie Moore

On écoute dialoguer deux figures de l’autofiction. Annie Ernaux, auteur du récent L’Autre Fille, livre troublant sur sa sœur disparue, et Serge Doubrovsky, inventeur du terme “autofiction”, qui vient de publier Un homme de passage, sont les invités des Liaisons heureuses (France Inter, 15 h 05).

samedi 23

Philippe Djian Vengeances (Gallimard)

Jane Bowles

Alexandre, 18 ans, se suicide lors d’une soirée. Son père Marc, peintre, tente de redonner tant bien que mal matière à son existence. Mais voilà que surgit Gloria, jeune fille mystérieuse et dernière petite amie d’Alexandre… Philippe Djian esquisse le portrait d’une jeunesse démunie, incomprise, avec pour toile de fond une atmosphère de suspicion. Car la source du malheur de ces jeunes est peut-être celle-ci : ce regard si lointain que leur portent leurs aînés. Sortie courant juin

succombe à la folie douce dimanche 24 On de l’univers de Jane Bowles avec la parution en poche de ses Nouvelles et théâtre (Christian Bourgois, 320 pages, 8 €) et de Plaisirs paisibles (Bourgois, 208 pages, 6 €), des histoires de femmes souvent au bord de la crise de nerfs, aussi drôles qu’impitoyables. On fait un road-trip en Bretagne sur les traces de Jack Kerouac, avec le documentaire Kerouac, l’obsession bretonne (Sur les docks, France Culture, 17 h), qui revisite l’œuvre du chef de file de la beat generation à travers sa fascination pour la terre de ses aïeux.

On pénètre dans la fabrique littéraire de Marie Darrieussecq grâce au film que Timothy Wilmer a consacré à la romancière, projeté dans le cadre du cycle Ecrivains et artistes. L’auteur de Truismes et de Naissance des fantômes parle de son travail d’écriture.

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lundi 25

John Cale, Victor Bockris John Cale, une autobiographie (Au Diable Vauvert)

Marie Darrieussecq

Hélène Bamberger

mardi 26

A 12 h 30 à la BNF, Paris XIIIe, www.bnf.fr

Cinquante ans après sa mort, Céline n’en finit toujours pas de faire parler de lui. Henri Godard, spécialiste de l’auteur dont il a édité les œuvres en Pléiade, entend, sans adoucir les violences de l’homme, résoudre les paradoxes de l’écrivain, en montrant que cette violence n’est pas dissociable de cette écriture tellement adulée. Godard dresse, dans une énorme bio, un portrait complexe et intime d’un des plus grands écrivains du XXe siècle. Sortie le 20 mai

John Cale, fondateur du Velvet Underground, signe son autobiographie, écrite avec l’aide de Victor Bockris. Cale, en parallèle d’une carrière solo conséquente, a joué un rôle important comme producteur de nombreux artistes tels que The Stooges ou Patti Smith. La maquette devrait être riche en illustrations. Sortie le 13 mai

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Eddie Campbell Alec, l’Affaire du trompinoptère Editions Cà&Là, traduit de l’anglais par Jean-Paul Jennequin, 160 pages, 16 €

îles au trésor Figure de Pilote, Fred revient avec une réédition intégrale des aventures peu ordinaires de son héros rêveur, Philémon.

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’est une invitation à l’évasion par l’absurde et la poésie que propose la magnifique intégrale de Philémon. L’éternel adolescent dégingandé est apparu dans l’hebdomadaire Pilote en 1966 sous la plume de Fred, cocréateur du magazine Hara Kiri et doux rêveur de l’iconoclaste bande. Jusqu’en 1987, Fred a transporté son personnage fétiche dans quinze albums tous plus oniriques les uns que les autres. Les aventures de Philémon se déroulent à cheval entre le monde réel et un monde imaginaire, les îles formées par les lettres de l’Océan Atlantique. Cousin d’Alice et du Petit Prince, il explore avec candeur ces contrées aux us et coutumes décalés, où les lois de la physique ne s’appliquent pas comme sur la vraie terre, et côtoie des personnages farfelus tels son oncle Félicien, magicien qui l’aide à passer d’un monde à l’autre, le puisatier Barthélémy, à la recherche du “A”, ou encore le Manu-Manu, main douée de volonté. Malicieux, Fred fait dériver son héros dans des univers magiques et labyrinthiques, contrepoints à une réalité plus terne et prosaïque, incarnée par son père. On se perd

avec délice dans des décors psychédéliques à la Escher, peuplés de créatures étranges et de plantes fantasmagoriques, dans lesquels l’auteur glisse parfois des illustrations très IIIe République, dont la rigidité contraste avec son dessin vif aux couleurs franches. Un procédé qui évoque évidemment les Monty Python, avec lesquels Fred partage cet irrésistible goût de l’absurde, du décalage et du non-sens. Comme eux, Fred se permet toutes les audaces graphiques et narratives. Usant d’une totale liberté dans l’utilisation de la page et de l’espace, il joue avec les codes de la BD, n’hésitant pas à métamorphoser, en une planche un désert en dos de bouledogue, ou à faire manipuler les cases par ses héros. Quarante ans après la parution des premières aventures de Philémon, l’œuvre de Fred, belle réflexion sur le rêve et l’imaginaire, est toujours aussi captivante. Anne-Claire Norot

Dernier volet de l’autobiographie élégante et pudique d’Eddie Campbell. Ainsi se closent les confessions d’Eddie Campbell, auteur de bande dessinée pétri de questionnements artistiques et de doutes existentiels. Le voici proche de la cinquantaine, âge de la réussite critique et financière avec From Hell, bande dessinée sur Jack l’Eventreur scénarisée par Alan Moore et adaptée au cinéma ; âge de l’indépendance avec la création de sa propre maison d’édition ; mais également âge des rêves de trompinoptère, insecte fantasmatique dont la piqûre libère un venin aux dangers incertains quoique inquiétants. Eddie se fait harceler et piquer par la bête dès les premières pages : quel avertissement l’incident doit-il délivrer ? Sans équivoque, c’est un immense bonheur de retrouver pour un dernier tour de piste la douce ironie, l’élégance graphique et la parole littéraire du fantasque Eddie Campbell, inlassablement assailli par le doute quant aux trajectoires que prend la vie. Stéphane Beaujean

Intégrale Philémon en trois tomes (Dargaud), 250 pages et 35 € chaque volume A lire aussi Fred – L’Histoire d’un conteur éclectique, monographie par Marie-Ange Guillaume, avec en bonus les premières pages de la prochaine aventure de Philémon (Dargaud), 120 pages, 29 €

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Hervé Bellamy

de l’autre côté Magali Montoya adapte un récit de l’auteur allemande Unica Zürn, où folie et poésie semblent indémêlables. Bouleversant.

première Nos images et Public chorégraphie Mathilde Monnier Mathilde Monnier présente deux pièces, vues comme deux facettes de son goût pour les rencontres. Une création, conçue à partir d’improvisations avec Loïc Touzé sur un texte cinéphilique de Tanguy Viel, et une reprise, sur la musique de PJ Harvey, pour huit danseuses. Du 26 au 30 avril et du 3 au 7 mai au Théâtre de Gennevilliers, tél. 01 41 32 26 26, www.theatre2gennevilliers.com

réservez Acmé Ak-Me chorégraphie et interprétation Karim Amghar

Pénombre chorégraphie et interprétation Prince Dethmer Nzaba Une soirée pour deux solos : Acmé Ak-Me de Karim Amghar retrace un double parcours, celui de son père et celui de la Kabylie. Et c’est à une splendide danse des ténèbres que nous convoque le Congolais Prince Dethmer Nzaba dans Pénombre, lauréat de Danse l’Afrique danse ! à Bamako en novembre 2010. Du 26 avril au 7 mai au Tarmac de La Villette, tél. 01 40 03 93 95, www.letarmac.fr



uel rapport entre Herman Melville et Ermenonville ? Aucun, bien sûr, sinon l’assonance entre les deux noms. Pour Unica Zürn, cette proximité sonore ouvrait des possibilités infinies. Obéissant à une logique de rêve, son esprit élabore à partir de toutes sortes de coïncidences des constructions poétiques d’une intensité si forte qu’elles subvertissent la réalité. Artiste hors du commun, proche des surréalistes et compagne du plasticien Hans Bellmer, Unica Zürn voulait ordonner le réel à partir de ses rêves. Sauf que la médaille a un revers. A la liberté d’une affirmation souveraine qui entend transformer le monde en fonction du seul désir se substitue parfois l’aliénation. Difficile alors de démêler le pathologique du génie poétique : coïncidences qui surgissent à tout bout de champ, pulsions délirantes, voix intérieures qui poussent à des actes incontrôlés, et au bout, l’asile. L’Homme-Jasmin raconte avec lucidité cette aventure d’une folie créatrice traversée de fulgurances géniales et curieusement non dépourvues d’humour. Avec à la clé d’inévitables séjours dans des hôpitaux psychiatriques et plusieurs tentatives de suicide. C’est ce récit que transpose aujourd’hui à la scène Magali Montoya dans un spectacle d’une sobriété et d’une délicatesse qui rendent parfaitement compte du trouble et des facettes multiples d’une expérience profondément bouleversante. Interprétés à la perfection par cinq comédiennes, les mots passent de bouche en bouche, traduisant le mouvement très étrange

entre distanciation et proximité au cœur de ce récit à la troisième personne dont on sent pourtant qu’il ne peut être énoncé que de l’intérieur. Enfant, Unica Zürn est visitée par l’Homme-Jasmin, un être imaginaire. Plus tard, rencontrant Henri Michaux, elle est persuadée qu’il est l’Homme-Jasmin. Les initiales “H. M.” prennent pour elle un sens particulier – évoquant Herman Melville, mais aussi les lettres brodées en rouge sur le linge de l’hôtel où elle vit à ce moment-là. Les lettres ont un sens spécial pour Unica Zürn, qui compose des poèmes en forme d’anagrammes. Elle invente une correspondance imaginaire entre un homme et une femme d’une poésie troublante, dessine des créatures fantastiques dont l’œil, dit-elle, l’observe. Envahie par cet Homme-Jasmin qu’elle a laissé grandir en elle, bientôt elle ne s’appartient plus. D’autant plus intense qu’il s’appuie sur une grande retenue, le spectacle nous entraîne au cœur de cette folie poétique. Des métronomes s’emballent ; leurs tic-tac s’entrechoquent, évoquant le dérèglement d’un esprit perturbé. Un certain bruit notamment suffit à faire basculer l’auteur dans la folie. Comme si aucune chance de retour n’était possible pour celle qui est allée trop loin. Même son livre n’a pu la sauver. Elle se suicidera en sautant par la fenêtre. Hugues Le Tanneur L’Homme-Jasmin d’après Unica Zürn, mise en scène Magali Montoya, avec Anna Alvaro, Ulla Baugué, Marilu Bisciglia, Ariane Gardel, Magali Montoya, à L’Echangeur, Bagnolet, compte rendu

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Kafka lyrique Sur une commande de l’Ircam, Michaël Levinas réussit le pari d’un opéra où l’écriture de Novarina sert de drolatique prologue à La Métamorphose de Kafka. xécuteur testamentaire de Kafka, et antennes déployées, la bête énorme Max Brod aimait à rappeler est là, en suspension, tel un hommage que celui-ci avait des crises de fou aux sculptures de Louise Bourgeois. rire en lisant les pages du Procès Alors, entre les chants de ses proches devant ses amis. La Métamorphose n’est et les plaintes de l’animal qui bientôt ne pas Le Procès. Mais s’agissant d’en faire sont plus qu’un monstrueux grésillement, un opéra, il eut été dommage d’oublier, l’œuvre de Michaël Levinas choisit lors du passage à la scène, le potentiel de un parcours allant du chant humain rire contenu dans les écrits de son auteur. à la mélodie inaudible de l’insecte. Dans un amusant prologue confié à Incontestable réussite d’un objet musical Valère Novarina, Levinas nous entreprend aussi inquiétant que fascinant. Commande par le rire avec l’impayable, Je, tu, il de l’Ircam pour le répertoire lyrique, (qui est devenu une partie de la pièce La Métamorphose est le premier opéra Le Vrai Sang de Novarina). Avec trois divas d’une série de cinq qui seront créés enrubannées de rose fluo comme des successivement à la Scala de Milan, pochettes surprise, Nordey se fait fort à l’Opéra national du Rhin, à l’Opérade nous distraire avec Novarina. Comique, à la Monnaie de Bruxelles Puis vient La Métamorphose, et à l’Ircam à Paris. Patrick Sourd qui se déroule pince-sans-rire dans La Métamorphose opéra de Michaël Levinas, une pièce blanche aux murs lacérés direction musicale Georges-Elie Octors, par les griffes de Grégor Samsa devenu mise en scène Stanislas Nordey, à l’Opéra de Lille, compte rendu un immense cancrelat. Toutes pattes

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Riche défilé printanier au festival Danse d’ailleurs à Caen, où plusieurs artistes exploraient la pénombre du monde. es ombres avaient Izeddiou qui donnait la part belle durant Aaleef : on aime ses Danse d’ailleurs : contours fous de James à commencer Brown arabe, les pieds sur par celles de Lost in Burqa deux caissons, ou son à partir des œuvres dialogue avec le musicien de Majida Khattari. Donnant gnaoua Maâlem Adil Amimi. corps à la fameuse burqa, Il va jusqu’à se brûler ici de laine, de récupération au mur de lumières d’autres vêtements ou aveuglantes, en transe. de couleur, les danseurs La suite de ce solo frondeur réunis par Héla Fattoumi est moins convaincante, et Eric Lamoureux défilent Izeddiou chien fou qui au plus près du public. arpente le plateau et finit Soudain, des membres dans un numéro de s’extraient de ces travestissement déjà vu. carapaces, souffle de vie La rage d’Aaleef mérite plus nécessaire. Sans parole que cet instantané facile. mais éloquent dans Enfin, dans Twenty Looks sa prise de position, or Paris Is Burning at the Lost in Burqa laisse muet Judson Church, c’est dans d’admiration. la pénombre que Trajal Ombre encore que celle Harrell convie son audience du Marocain Taoufiq à un cérémonial inédit,

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Aaleef de Taoufiq Izeddiou

Dimitri Tsiapkinis

shadows dancing affrontement rêvé entre le voguing d’un New York multiracial et la très blanche vague postmoderne née à la Judson Church. Ce que l’on voit surtout, c’est Harrell et ses mouvements de bras lancinants : un soliste inspiré qui avale toutes les danses et les digère sous nos yeux. Philippe Noisette Lost in Burqa d’Héla Fattoumi et Eric Lamoureux ; Aaleef de Taoufiq Izeddiou ; Twenty Looks or Paris Is Burning at the Judson Church de Trajal Harrell. Festival Danse d’ailleurs, Caen, compte rendu Aaleef le 13 mai à Annecy ; Twenty Looks or Paris Is Burning at the Judson Church les 21 et 22 mai à Saint-Denis (Rencontres chorégraphiques) 20.04.2011 les inrockuptibles 105

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milieu offensif Une expo sur les enjeux croisés du design et du foot (éthique, jeu collectif, tactique et stratégie). A Saint-Etienne, bien sûr. A partir du 21 avril à la Cité du Design, Saint-Etienne, www.citedudesign.com

ballon d’or Des quatre nommés au prix Marcel-Duchamp 2011, un seul remportera la mise, soit 35 000 euros et une expo perso au Centre Pompidou. Dans le vestiaire cette année : Guillaume Leblon, Mircea Cantor, Damien Cabanes et Samuel Rousseau.

coup franc Valérie Jouve est une photographe qui met les pieds dans le plat. Et qui se coltine les aspérités des espaces urbains, et de leurs habitants, qu’elle documente comme une sociologue. A partir du 22 avril au Frac BasseNormandie, Caen, www.frac-bn.org

vestiaire L’architecte Didier Fiuza Faustino expose à la galerie Michel Rein. Et défend une version virile de son art : “faire de l’architecture avec du sang, du poil, de la sueur et du sperme”. Jusqu’au 14 mai à la galerie Michel Rein, Paris IIIe, www.michelrein.com

Courtesy galerie Anne Barrault

vernissage

passé recomposé Suturée et saturée, l’exposition parisienne de Sarah Tritz flirte avec l’histoire de l’art et de la forme.

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l règne un esprit Merzbau dans la première exposition personnelle de Sarah Tritz à la galerie Anne Barrault. Comme Schwitters, son éminent prédécesseur, Sarah Tritz cultive un certain penchant pour l’inachevé, le work in progress, les pièces proliférantes qui gagnent du terrain et rognent les murs. Comme Schwitters, elle aime rejouer ses arrangements, ses “natures mortes contemporaines”, dans de multiples configurations, introduisant ici un fauteuil fifties chiné aux puces, là des bouts de ficelle et des tiges de métal sans amarre.

“Une intuition non recadrée perd en force”, note toutefois Sarah Tritz, qui procède dans ses expositions exactement comme elle travaille à ses sculptures et ses collages, par bribes et par équations. Intitulée Du fauteuil de mon roi rose, avec ce strict nécessaire de fiction qui permet d’embrayer plutôt que de confirmer les hypothèses, son exposition se construit tout en tensions et en équilibres, malgré l’aperçu savamment décousu qu’elle offre au premier regard. “J’adore les seuils, ces laps de temps où aucun repère ne fonctionne”, raconte ainsi cette jeune artiste qui dessine en sous-main

les perspectives (fuyantes, grâce à ce collage en hommage à De Chirico qui arrive en bout de salle, ou ce bronze informe suspendu au plafond) et les surimpressions visuelles (comme celle qui se joue, par un mince effet d’anamorphose, entre deux découpes de contreplaqué bombées). “Il n’y a pas de sujet dans mes expos, ce sont des compositions”, comme les éléments de décors d’une pièce en trois actes dont on aurait perdu le script. Restent les références multiples et assumées à une histoire de l’art très ancrée que Sarah Tritz évoque avec humour : “J’aimerais être la petite-fille de Rauschenberg et Phyllida Barlow, la nièce de Goya et le cousin de Paul Thek”, s’amuse cette artiste éclairée, qui vante au passage “l’expressionnisme pudique” d’un Marcel Duchamp tout en lorgnant sur une série de coiffes aperçues dans une exposition de la Maison Rouge à Paris qui lui inspirèrent sa Travestie au repos, variante totémique et bricolo de la fameuse Mariée mise à nu. Sur ces grands écarts, cette “intranquillité” qu’elle convoque via le fantôme de Pessoa, ce voyage chaotique et anachronique dans l’histoire de l’art et des formes, Sarah Tritz, là encore et à l’image de ses œuvres toujours ouvertes, livre cette analyse : “Le processus mémoriel se fait en général à mon insu. Soit l’histoire de l’art navigue à son gré dans l’atelier, soit en effet je la convoque pour sortir d’une impasse formelle.” Claire Moulène Du fauteuil de mon roi rose jusqu’au 30 avril à la galerie Anne Barrault, 22, rue Saint-Claude, Paris IIIe, www.galerieannebarrault.com

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encadré

le ciel de Paris défloré Courtesy Patricia Dorfmann

La tour Triangle, 180 mètres, prévue pour 2017, va-t-elle enfin changer Paris ?

Damien Cadio, Tigermilk

peinture malade (1) Deux ou trois choses à propos de la peinture figurative telle qu’elle est trop souvent envisagée en France. ’expo curatée par Eric Corne à la galerie Patricia Dorfmann délimite assez clairement quels territoires la peinture s’octroie en France, quels champs de pensée ou de ressenti elle laboure. Figurines à la mine hébétée, mi-clownesques, mi-tragiques, au corps déformé et douloureux qui flotte sans aplomb sur un fond chaotique : les scènes dépeintes se situent dans une zone interlope où – c’est implicite – seule la peinture serait capable de s’aventurer. Et le peintre d’adopter, héroïquement, la posture du voyant qui s’avance torchepinceau à la main vers des cavités obscures et terrifiantes pour en surligner les reliefs, les bosses et les creux, seuls à même de faire survenir l’invisible. Résultat : une surface épaisse et accidentée chez Eric Corne ou encore les coups de pinceaux hâtifs dont Gregory Forstner badigeonne sa toile. Les sujets sont engoncés dans cette gangue picturale. Ils en émergent et y sombrent en même temps, jusqu’à en devenir blettes comme des fruits trop mûrs. En France, dans les années 80, la figuration libre lâcha utilement la bride en réaffirmant tapageusement que, si, il était encore possible de peindre après que les avantgardes des années 70 eurent déposé les armes. Mais l’horizon aujourd’hui n’est pas aussi bouché. Et je ne m’explique toujours pas que les peintres en France veuillent si souvent accoucher dans la douleur. Damien Cadio fort heureusement a choisi de faire autrement. Sa toile recourt à d’autres outils pour montrer les crocs. Et ne retourne surtout pas la morsure contre elle-même. Fin du masochisme pictural. A suivre… Judicaël Lavrador

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L’Ombre ou la Lune et les Feux jusqu’au 30 avril à la galerie Patricia Dorfmann, 61, rue de la Verrerie, Paris IVe, tél. 01 42 77 55 41, www.patriciadorfmann.com

Annoncé en fanfare en 2008, suspendu depuis pour raison de crise financière, le projet de tour Triangle dans le XVe arrondissement de Paris est de retour. Haut de 180 mètres, totalisant 92 500 m2 pour 500 millions d’euros, l’édifice pharaonique prend la forme d’une pyramide de verre effilée, dessinée par les talentueux architectes suisses Herzog et de Meuron, auteurs du stade en nid d’oiseau des JO de Pékin en 2008. Cet événement architectural est une nouvelle chance pour la cité haussmannienne de se doter de l’image métropolitaine qu’elle a loupée à chaque occasion, et de réinstaurer le débat souvent mal posé sur l’érection de gratte-ciel dans la capitale. Les incertitudes que présente le fameux Triangle sont le traitement du pied de la tour, la liaison avec les transports publics et la mixité, trois critères indispensables pour générer une réelle urbanité. Le projet est enthousiasmant, mais nous arriverat-il en l’état ? S’il est attendu à l’horizon 2017, c’est le pessimisme qui est hélas de mise, car cette deuxième mouture de l’édifice est principalement consacrée à des bureaux (89 000 m2). Quid alors de l’existence du bâtiment dès la fin de journée ? Mais surtout, cette forme audacieuse saura-t-elle résister aux réglementations parisiennes, aux contraintes draconiennes en France sur l’immeuble de grande hauteur (IGH), ainsi qu’à la foudre des écologistes et des associations de riverains ? Sortira-t-elle indemne ou rognée de ces batailles ? Si la promesse de l’image est avérée, ce pic de cristal envisagé par ses créateurs comme une “ville verticale” serait une nouvelle “topographie” dans le ciel de Paris, ainsi défloré par un geste fort qui lui apporterait la dimension à la fois monumentale et contemporaine qui lui fait si cruellement défaut.

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dans le marbre

Ses robes aux drapés ondoyants semblaient sculptées dans le tissu. Les créations de la couturière française Madame Grès sont exposées au musée Bourdelle.

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e voulais être sculpteur. Pour moi c’est la même chose de travailler le tissu ou la pierre.” C’est de cette vocation contrariée – les parents de la couturière s’étaient opposés à son désir de sculpture, jugé peu digne d’une jeune fille – que sont nés son style et sa technique. Toute sa vie, Madame Grès n’aura cessé de décliner le même motif, ce drapé à l’antique si particulier qu’il finira par hériter du nom de “pli Grès”. A Paris, au musée Bourdelle, la première rétrospective de l’œuvre de la couturière française fait se côtoyer, en toute harmonie, les robes de vestales de la créatrice et les sculptures monumentales du maître des lieux. Une centaine de modèles couvrant la période des années 30 aux années 80 sont exposés, accompagnés d’une centaine de croquis et d’une cinquantaine de photos originales signées Man Ray, Richard Avedon ou Helmut Newton. Méconnue du grand public, disparue dans l’anonymat le plus total en 1993, notamment après avoir dû vendre sa marque à Bernard Tapie dans les années 80, Madame Grès se voit ainsi rendre un magnifique, quoique tardif, hommage. Née en 1903, Germaine Krebs débute sous le nom d’Alix, en 1933, et ses créations sont remarquées dès l’année suivante par la critique. En 1935, elle réalise les costumes de la pièce La guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux, dévoilant déjà ses tuniques aux lignes pures et aux savants plissés. La critique salue son travail et suggère aux femmes de transposer ses modèles de la pièce à la ville. “On reconnaît un chef-d’œuvre de Madame Grès à sa pureté : l’apparente simplicité de son art dissimule toujours l’extrême complexité de son savoir-faire”, analyse Olivier Saillard, directeur du musée Galliera et scénographe de l’exposition. Sous la technique de maître affleure une sensualité manifeste. Décolletés vertigineux mais élégants, épaules nues, robes ajourées : le style Grès mêle pudeur et sensualité, donnant aux femmes qui portent ses créations des allures de déesses antiques. “Madame Grès offre à ses modèles plus qu’une grande féminité, une vraie sexualité”, ajoute Olivier Saillard. Mais une sexualité suggérée, qui laisse libre cours à l’imagination.

le style Grès donne aux femmes qui portent ses créations des allures de déesses antiques

En 1942, la styliste crée sa maison de couture et prend le nom de Madame Grès, quasi-anagramme du prénom de son mari, le sculpteur russe Serge Czerefkow. Ses créations se retrouvent sur le dos de Jackie Kennedy, Birkin, Arletty ou Garbo. Des toilettes idéales pour les soirées hollywoodiennes, à la palette oscillant entre taupe, émeraude, rouille, grenat, vieux rose et noir mat. En 1959, elle lance aussi son premier parfum pour femme, Cabochard, et obtiendra un égal succès près de trente ans plus tard avec Cabotine. Mais en 1984 le mythe s’effondre. Elle se voit contrainte de vendre la marque à Bernard Tapie qui la cédera à Jacques Esterel avant que les Japonais Yagi Tsusho ne s’en saisissent en 1988. Mais c’est un an plus tôt que la créatrice touche le fond : suite à près de deux ans de loyers impayés, la maison est vidée en un jour, les robes mises à la poubelle comme de vulgaires chiffons. Redevenue Germaine Krebs, elle s’éteint dans le plus grand secret à l’âge de 90 ans. Sa mort ne sera révélée qu’un an plus tard par sa fille unique Anne. “Les gens de la profession, je les emmerde, déclarait sa fille dans un entretien au Monde en 1994. Madame Grès, c’est la Bosnie de la couture. A part Pierre Cardin et Hubert de Givenchy qui ont essayé de l’aider, ils l’ont tous lâchée. Sa mort ? Personne ne saura. Sauf les gens qui l’aiment.” Aujourd’hui pourtant, le travail de Madame Grès est constamment cité par les créateurs. Grand collectionneur de ses robes, Azzedine Alaïa ne cache pas son enthousiasme à l’idée de prêter ses acquisitions pour l’exposition : “Je souhaite que le monde entier redécouvre cette grande dame de la mode française. Ses robes sont si modernes qu’on ne peut les dater. Elles sont éternelles.” Autre admirateur, Rick Owens dévoilait des tuniques plissées très inspirées du travail de la styliste pour sa collection printemps-été 2011. Et à la vue des modèles exposés au musée Bourdelle, difficile de ne pas penser aux Pleats Please, les fameux plissés de Miyake ou aux modèles plus démocratiques de Vanessa Bruno. Il aura donc fallu du temps à la mode pour mesurer toute l’influence de la grande Grès – pourtant distinguée par le premier Dé d’or de la couture en 1976 – sur ses pairs : c’est enfin chose faite. Géraldine de Margerie illustration Alexandra Compain-Tissier Madame Grès, la couture à l’œuvre jusqu’au 24 juillet au musée Bourdelle, 18, rue AntoineBourdelle, Paris XVe, www.bourdelle.paris.fr 20.04.2011 les inrockuptibles 109

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Le 13 mai 1987, troisième jour du procès, à Lyon

le bourreau en face En 1987, pour la première fois en France, un homme est jugé pour crimes contre l’humanité : Klaus Barbie. Et pour la première fois, les débats sont filmés. Un coffret DVD restitue la tension de ce procès hors normes.



ans son tout dernier livre, Les Epines et les Roses (Fayard), Robert Badinter raconte comment, passionné d’histoire judiciaire, il s’est souvent trouvé frustré en pensant “à tous les procès qui auraient pu être filmé : ceux de la Libération, de la guerre d’Algérie, ou les grandes affaires criminelles, Petiot, Dominici, tant d’autres encore, où s’était jouée la tête de l’accusé”. C’est l’affaire Klaus Barbie qui lui donnera l’occasion, en 1985, de faire voter une loi autorisant enfin la présence de caméras dans les prétoires. L’enregistrement des débats devient possible dans le cas de procès présentant “un intérêt pour la constitution d’archives historiques de la justice”. Le procès de Barbie est une expérience inédite à deux titres : pour la première fois en France, un homme est jugé pour crimes contre

l’humanité ; pour la première fois aussi, un procès d’assises est filmé dans son intégralité. Et pour Robert Badinter, il est exceptionnel pour une raison de plus : l’ancien chef de la Gestapo de Lyon est le responsable de l’arrestation et de la déportation de son propre père, mort à Sobibor. “C’était donc l’assassin de mon père que le destin avait conduit, par des voies extraordinaires, jusqu’à moi qui avais la responsabilité première, comme ministre de la Justice, de veiller à ce qu’il soit jugé conformément au droit”, explique aujourd’hui l’homme qui a voulu que ce procès soit une leçon de justice. Après le procès de Nuremberg en 1945 et 1946 (filmé en partie), après le procès Eichmann en 1961 (filmé intégralement par Leo Hurwitz), le procès Barbie rentre dans une histoire des films représentant les criminels nazis dans leur confrontation

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ultime violence infligée à ses victimes, la volonté de Barbie de paraître à la plus grande distance possible de son propre procès judiciaire au désastre et à la désolation dont ils sont les auteurs (voir encadré). Le réalisateur de FR3 Lyon chargé de sa captation en 1987 travaillait dans les conditions du direct tout en sachant que la diffusion était différée pour l’histoire et la postérité. Chaque soir, il donnait les cassettes à un magistrat qui devait les mettre sous scellés. On craignait que des images filtrent et influent sur les débats. A partir des 145 heures d’enregistrement, le coffret de 6 DVD édités par Arte et l’INA nous propose aujourd’hui une version de 19 heures et 18 minutes. “Ce n’est pas une série de morceaux choisis, mais une contraction”, explique Dominique Missika, maître d’œuvre avec Philippe Truffaut de ce montage qui vise à restituer au plus près le déroulement du procès dans sa tension et sa cohérence. D’un côté, les trente-neuf avocats de la partie civile et le procureur général Pierre Truche ; de l’autre, Jacques Vergès en avocat solitaire, lamentable histrion qui cherche à transformer l’accusé en victime et sa défense en accusation. Derrière Vergès mais au centre du dispositif, Klaus Barbie bien sûr, qui dit se considérer “comme un otage” et se terre dans le silence quand, malgré la possibilité qui lui est souvent donnée de s’absenter, il est tenu d’assister aux débats. Barbie et son léger sourire, éternellement figé en signe de défi, “mince comme une lame de couteau”, ainsi que le décrit un témoin. Barbie et son regard surtout. Plus de quarante ans ont passé et ses victimes disent le retrouver intact. Il leur évoque tout un bestiaire de prédateurs : regard d’épervier pour l’un, de rapace pour un autre, un troisième évoque ses “yeux d’acier, comme ceux d’un chacal”. L’homme est minable, ratatiné dans sa vieillesse mais pour les rescapés, il leur paraît que la lumière noire de son regard de SS a traversé le temps sans vieillir, signature inoubliable de leur tortionnaire. “Je viens d’être reportée quarante-trois ans en arrière…” Parmi les séquences les plus puissantes, celles qui, sur l’écran fractionné en deux par le réalisateur de l’époque, raccordent la parole des témoins qui racontent leur malheur irréparable et le visage sans réaction particulière de celui qui en est à l’origine. Ultime violence infligée à ses victimes que la volonté de Barbie de paraître à la plus grande distance possible de son propre procès.

C’est en vain que Pierre Truche lui demande “comment un jeune homme qui fut sensible à la misère humaine est devenu un SS convaincu. Cette question c’est la clé du procès, mais c’est aussi la clé de votre vie. – Je ne peux pas répondre à votre question, je suis juridiquement absent, je suis la victime d’un enlèvement…” La règle énoncée par Hitchcock est imparable : “Plus réussi est le méchant, plus réussi sera le film.” Le monumental documentaire de 4 h 30 réalisé par Marcel Ophüls, Hôtel Terminus, Klaus Barbie, sa vie, son temps (1988), était déjà un chef-d’œuvre. Le film du procès en constituait le grand hors-champ. Il peut être vu désormais comme son bonus. A moins que ce ne soit l’inverse : Hôtel Terminus en bonus de cet impressionnant drame judiciaire en trente-sept audiences savamment résumées. Stéphane Bou Le Procès Barbie, Lyon – 11 mai/4 juillet 1987 coffret 6 DVD, (coédition Arte Editions/INA Editions) ; durée 21 h 40, avec un livret de 40 pages, environ 50 €

le précédent Eichmann Il y a cinquante ans, Adolf Eichmann était jugé à Jérusalem. Ce procès permit de révéler pour la première fois la réalité du Génocide comme événement spécifique, avec sa dynamique propre, qui le distingue parmi tous les crimes nazis. Le réalisateur Michaël Prazan et l’historienne Annette Wieviorka reviennent sur la préparation, le déroulement et l’impact de ce procès historique. Leur film montre comment ce jugement marque l’avènement de “l’ère du témoin” (titre d’un livre d’Annette Wieviorka), archive vivante acquérant, grâce à sa parole enfin libérée, son identité sociale de survivant. Le Mémorial de la Shoah présente également une exposition sur l’événement. Le Procès d’Adolf Eichmann, jeudi 21 avril sur France 2 à 22 h 50 Juger Eichmann, Jérusalem, 1961, au Mémorial de la Shoah, 17, rue Geoffroy-l’Asnier, Paris IVe, Jusqu’au 28 septembre

Sur les enjeux du net, le PS reste plutôt… virtuel. Dans son projet pour l’élection présidentielle de 2007, le Parti socialiste abordait très discrètement le numérique et les nouvelles technologies, sous l’angle du financement de la création et de l’accès au haut débit. Cinq ans et un nouveau projet plus tard, le PS semble avoir mieux pris conscience des enjeux du numérique. Ou presque. Car derrière la volonté de “relever le défi numérique, indispensable à l’émergence d’une nouvelle croissance” et de “faire valoir l’excellence” des entreprises dans le domaine des “mobilités du futur, qu’elles soient ‘réelles’ ou virtuelles”, les nombreux objectifs restent vagues et confus, pas toujours très neufs ni concrets : lutte contre les ententes des opérateurs, sempiternel très haut débit pour tous, enseignement des technologies de l’information à l’école et en formation continue, accès aux logiciels libres, invention de “nouveaux modèles démocratiques de l’économie de la culture et de l’information qui ne passent ni par Google, ni par Hadopi, ni par l’ingérence du politique dans l’audiovisuel public” (destiné à égratigner le chef de l’Etat ?). La version courte du projet évoque “des lois pénales que nous abrogerons” – soit Hadopi et certaines dispositions de Loppsi 2 comme l’a explicité depuis Patrick Bloche, chargé de donner un peu de corps à ce catalogue de bonnes intentions. En revanche, rien sur les données personnelles ou l’e-administration. Même si la volonté de se démarquer de la politique actuelle coercitive et peu visionnaire est louable, le projet du PS reste trop souvent en surface. Et entre les bonnes intentions et une véritable implication politique, le chemin reste long : lors de la récente présentation à l’Assemblée nationale du rapport sur la neutralité du net – un des rares enjeux fondamentaux et concrets évoqués dans le projet –, seuls vingt et un députés tous bords confondus se trouvaient dans l’Hémicycle…

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essai

désintox

Sans lien d intersection

Pour conjurer le vide incarné par la médiasphère toxique, Philippe Nassif invite à investir des voies parallèles, plus proches de nos désirs. Un “matérialisme spirituel”, inspiré de la psychanalyse mais aussi du tao.



e modèle de la pop culture s’est dissous dans la “médiasphère”, où se déploie désormais une forme de “populisme culturel”. Le réquisitoire que Philippe Nassif dresse dans La Lutte initiale contre le pouvoir “délétère et despotique” des médias est radical : plus rien ne serait à espérer de ce côté-là de notre existence, qui n’est autre que son cœur même. Rejoignant une cohorte d’auteurs élevés contre la culture de masse, l’auteur, journaliste à Technikart et Philosophie Magazine, part d’un rejet initial pour poser les bases d’une possible refondation existentielle, infra-télévisuelle. Ce n’est

“il ne s’agit pas de dépolitiser les individus mais de dénévrotiser la politique”

qu’à la périphérie que s’esquisse une reprise en main libératoire, contre cette vie “gavée du matin au soir de substances toxiques émises par la médiasphère, saturée de sensations voluptueuses, de fantasmes bling-bling ou gnangnan”. Parce qu’elle s’est imposée comme “le plus chaud des monstres chauds”, comme “une puissance d’absorption et d’éparpillement à nulle autre pareille”, la médiasphère a l’allure d’un ennemi absolu : pas à abattre (trop tard, le mal est fait), mais à contourner. Tout l’enjeu de sa réflexion consiste à identifier les chemins qui mettent à distance “les petites jouissances qui nous dispersent, afin de nous approcher de ce désir profond qui nous rassemble”. Contre l’étiolement du désir et le déploiement des pulsions

– ce que Bernard Stiegler, maintes fois convoqué, nomme la “désublimation” –, Nassif en appelle à la lutte : une lutte “initiale”, qui n’est même pas post-politique, mais “pré-politique”. “Il ne s’agit pas de dépolitiser les individus, mais de dénévrotiser la politique”, souligne-t-il. Il y a dans cette défiance à l’égard du “centre”,de l’espace médiatico-politique, la reconnaissance mélancolique d’un deuil : celui d’un bien commun, que l’organisation sociale a échoué à satisfaire. “Sur notre agenda existentiel, le rendez-vous avec la lutte finale a été biffé”, remplacé par la nécessité de se “réapproprier notre être” et de “reconquérir notre désir”. D’où son obsession d’une voie parallèle, une “voie des arts”, qui s’incarne dans des “communautés

offshore” où s’invente un nouveau “matérialisme spirituel”, nourri autant de la psychanalyse que du tao. S’inspirant des écrits de Jacques Lacan, TchouangTseu, Mehdi Belhaj Kacem, Peter Sloterdijk ou Jean-François Billeter, Nassif invite à se détacher du centre pour réinvestir “notre propre centre de gravité”, réinventer un savoir-vivre, seule manière de conjurer les effets néfastes du nihilisme. Si Nassif concède qu’une “pratique de la fermeté” vaut mieux qu’une “théorie de la fermeture à la médiasphère”, il efface malgré tout la possibilité d’îlots de résistance à l’intérieur même du centre. Son système de pensée, à la fois cohérent, nerveux et tendu vers un point final, bien que fondé sur son revers, propose une synthèse habile et personnelle des auteurs fâchés avec leur époque. Lecteur attentif autant que spectateur énervé de ce qui agite nos vies potentielles, Philippe Nassif bute sur l’angle mort de sa construction : une lutte fatale, qui flotte dans l’air étouffé au-delà même du périph. Car quitter l’empire du nihilisme peut aussi s’envisager comme un combat frontal plutôt que comme une fuite dans des vies parallèles, fussent-elles intenses. Au choix des armes, lié à son propre rapport politique, esthétique et métaphysique à la vie, chacun est tenu. Les luttes initiales et les autres se croiseront-elles demain dans une déflagration totale, un rêve général, fatal ? Jean-Marie Durand La Lutte initiale, quitter l’empire du nihilisme (Denoël), 441 pages, 25 €

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du neuf en Magazine Parler de la mode, du style et du design autrement : tel est le projet de Magazine, trimestriel qui expose onze ans d’expérimentation et d’irrévérence à la galerie 12 Mail.

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aire un magazine qui parle des magazines. Telle était l’idée au départ de l’aventure, lancée en 1999 par Angelo Cirimele, philosophe de formation, Yorgo Tloupas, directeur artistique, et Alexandre Thumerelle, patron de la librairiegalerie Ofr. “Les émissions qui m’intéressaient le plus à la télévision étaient celles qui parlaient de télé, explique Angelo Cirimele. Idem au cinéma, j’aimais les films sur le cinéma. J’aimais l’idée de chroniquer les magazines comme des livres. On prend rarement le temps de décortiquer ce qu’est l’idée directrice des magazines ou hebdos qu’on lit.” Magazine est alors gratuit, trimestriel, tire à 30 000 exemplaires et est distribué à Paris, dans des boutiques et points stratégiques. En plus de ses chroniques de magazines, il s’inspire de la mouvance lifestyle qui pointe dans la presse anglo-saxonne à cette époque (Wallpaper, etc.) et s’intéresse à l’art, au design, au style, à la mode. “L’information était dans la forme, plus dans le fond. Je trouvais ça intéressant d’utiliser un espace à deux dimensions,

une nouvelle formule, plus dense et très réussie graphiquement

comme une galerie de 50 mètres carrés.” Seuls champs interdits : l’actu et le people. “Je ne vois pas ce qu’on aurait apporté à faire la dix-septième interview de Jay-Jay Johanson. Et on ne voulait pas bosser avec des journalistes. On voulait montrer d’autres tons, d’autres manières de penser”. Artistes (telles Valérie Mréjen ou Chloé Delaume), professionnels, critiques d’art et amis participent au titre. Au cinquième numéro, Magazine prend une décision qui le rendra culte dans le milieu de l’art et du graphisme : changer de DA à chaque exemplaire. H5, Laurent Fétis, Surface to Air, Peter Knapp entre autres, réalisent des numéros aujourd’hui collectors. “ On ne se demandait jamais ce qu’on allait raconter dans le prochain, mais qui allait le faire”, se souvient Angelo. Depuis un an, Magazine a pourtant révolutionné ses principes fondateurs et lancé une nouvelle formule : payante, dans un format plus grand et une distribution plus classique. “Au bout de onze ans, ça commençait à ronronner, explique Angelo. Dans les années 2000, faire un mag gratuit avec du contenu, c’était un vrai positionnement et ça montrait une liberté face au mode de distribution. Aujourd’hui, je ne vois plus grand-chose de gratuit qui m’amuse. J’ai davantage envie de faire un bel

objet qui change tout le temps.” Et redevenir un objet de désir, à la façon des Monocle ou Fantastic Man. Un pari gagné au vu de la nouvelle formule, plus dense et très réussie graphiquement. Elle conserve les rubriques phare (“Off record”, interview à couvert d’un professionnel qui raconte les dessous de la mode), en crée de nouvelles (“Lexique”, qui retrace par exemple l’évolution du mot “cool” à travers les époques) et accorde une place accrue à la mode. “C’est l’imagerie qui a le plus de renouvellement depuis dix ans, le plus de puissance. C’est là que ça se passe, explique Angelo. On s’est donc demandé ce qu’on avait à dire sur la mode.” Magazine aligne du coup des reportages et des interviews mais, fidèle à son esprit, détourne, s’amuse en proposant des séries qui ne ressemblent à aucune autre, met un mannequin au milieu d’une expo design (photo). “Quel est le sujet finalement ? L’expo, la fille ? Les fringues ?” Réponse jusqu’au 10 juin sur les murs de la galerie 12 Mail, pour une expo où Angelo Cirimele et Yorgo Tloupas ont carte blanche. Géraldine Sarratia Magazine trimestriel, 5 €, en kiosque. Exposition Magazine Magazine à la galerie 12 Mail, 12, rue du Mail, Paris IIe www.12mail.fr 15.09.2010 les inrockuptibles 113 20.04.2011

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Julien Cauvin

sauvage Signature Les auteurs de Pigalle, la nuit reviennent avec un polar atmosphérique sur l’île de la Réunion. Un ovni dans la production française.

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ans le grand désarroi de la fiction hexagonale, une note d’espoir arrive avec le printemps. Cette semaine et la prochaine, deux séries françaises ambitieuses vont être diffusées, que l’on n’a pas honte de regarder. Inégales, manquant de rigueur par moments, elles sont pourtant travaillées par le désir simple (mais, au vu du contexte, exceptionnel) d’accomplir une œuvre et d’exprimer un point de vue singulier. Ce programme, minimal pour la moindre série anglo-saxonne, ressemble dans nos contrées à une forme d’héroïsme. On a les héros que l’on mérite. Et aucune raison de ne pas chercher à les apprécier.

Avant Xanadu et sa famille pornocrate détraquée (sur Arte à partir du 30 avril), voici Signature, qui confirme, un mois après Les Beaux Mecs, que le service public a décidé de remplir sa mission avec plus de sérieux que ce à quoi il nous avait habitués. Aux commandes, on trouve le duo Hervé Hadmar (scénariste et réalisateur) et Marc Herpoux (scénariste), déjà remarqué avec Les Oubliées, en 2008 sur France 3, puis avec Pigalle, la nuit, diffusée sur Canal+ l’an dernier et souvent estampillée “meilleure série française moderne”. Hadmar et Herpoux appartiennent à une race en voie d’apparition : celles des auteurs français de télévision identifiés

comme tels et désirés par les chaînes et par une certaine frange du public. Leur sentiment de liberté détonne dans un milieu généralement morose. Ils peuvent donc se permettre une aventure aussi risquée que Signature. Le pitch de cette mini-série, une histoire de serial killer, tient pourtant sur un napperon et pourrait ressembler à du déjà-vu. Traumatisé par l’assassinat de ses parents devant ses yeux alors qu’il avait 5 ans, longtemps désocialisé, Toman supprime ceux qui font du mal aux enfants. Voilà pour l’entrée en matière, qui n’est pas ce qu’il y a de plus réussi dans Signature. L’inévitable comparaison avec Dexter a beau être atténuée par la (juste) référence faite par les auteurs au Parfum de Patrick Süskind, cette ombre portée met du temps à se dissiper : deux épisodes au moins, voire quatre pour les plus pointilleux. On peut bien sûr aimer une série après quelques épisodes de réglage, les exemples ne manquent pas. Le problème, quand elle est française et ne propose que six chapitres au total, c’est qu’on est forcé de ne l’aimer qu’à moitié. Après sa mise en route un peu déséquilibrée, entre le souci de conserver du mystère et celui de dessiner une route narrative praticable, Signature déploie son ambition peu ordinaire dans le paysage sériel français : un travail atmosphérique, où l’île de la Réunion joue un rôle aussi important que Sami Bouajila et Sandrine Bonnaire. Cette situation géographique n’a rien de neutre. Elle permet d’inscrire la série dans un territoire à la fois identifié et radicalement alternatif. La France qui ne ressemble pas à la France comme métaphore d’une fiction différente. Hervé Hadmar, qui a réalisé les six épisodes en plus de les co-écrire, a trouvé un terrain de jeu dans la nature touffue de l’île tropicale. L’ampleur des paysages, auscultés avec insistance, imprime la narration, au point de l’envahir comme une herbe folle envahit un jardin. Le devenir-animal du héros prend alors son sens le plus intéressant, entre forêt et océan, hauteurs et abîmes. Temps et espace s’étirent, jusqu’à déposer sur la fin des reliquats de sentiments et de sensations dont il reste au spectateur à faire le tri. Le dernier épisode est franchement émouvant. Controversée, jamais parfaite, finalement attachante : Signature mérite d’être vue. Olivier Joyard Signature mini-série en six épisodes de 52 min., Avec Sami Bouajila et Sandrine Bonnaire. Chaque vendredi à partir du 22 avril à 20 h 35 sur France 2.

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brèves Homeland fait envie

Misfits Nathan out Le génial acteur Robert Sheehan ne sera pas de la prochaine saison de Misfits, la troisième, prévue pour la fin de l’année. Son personnage, Nathan, sera remplacé par un dénommé Rudy. Aucune explication n’a été donnée par la chaîne ni par la production, mais la sentence semble inéluctable.

Paul Shiraldi

Un teaser de Homeland, série d’espionnage paranoïaque que la chaîne du câble US Showtime vient de commander, a été mis en ligne. A première vue, un mélange improbable et néanmoins fascinant entre la regrettée série Rubicon, l’extraordinaire film Essential Killing et 24 heures chrono. L’un des créateurs de Homeland, Howard Gordon, a d’ailleurs présidé aux destinées de Jack Bauer pendant des années.

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Treme swing à mort

Première saison de la série sur la reconstruction de La Nouvelle-Orléans, par le créateur de The Wire. combien de séries pense-t-on encore souvent un an après les avoir vues ? Treme fait partie de ces rares exceptions. Elle semble même se bonifier avec le temps. Son swing Game of Thrones et sa profondeur humaine flottent dans le début nos souvenirs avec insistance. David La très attendue saga Simon, créateur de The Wire, a migré d’heroic fantasy signée HBO de Baltimore vers La Nouvelle-Orléans, a commencé ce dimanche installant son récit juste après le passage 17 avril aux Etats-Unis. Il catastrophique de l’ouragan Katrina, en devrait s’agir d’un tournant 2005. Un lieu et un moment stratégiques, dans l’histoire de la chaîne câblée, a priori peu friande qui ont mis en lumière l’effondrement des grands genres geek. moral des années Bush. La fin de cette ère peu reluisante de l’histoire américaine contemporaine s’est sans doute jouée là. On croise dans la première saison de Treme (le nom d’un quartier de la ville) une flopée de musiciens locaux, interprétant parfois leur propre rôle. Avec un DJ, Desperate Housewives (Canal+, le 21 une restauratrice et un prof agité, à 20 h 50) Pourquoi s’intéresser encore ils essaient de former un semblant et toujours à une série qui entre dans de communauté dans les décombres sa septième saison sans avoir jamais d’une ville submergée par la mort. changé sa formule ? Pour l’écriture, Reconstruire ou refuser de faire le deuil, toujours de haut niveau. lever la tête ou sombrer, les alternatives sont aussi limpides que parfois insupportables. Tous les personnages avancent au gré de Twin Peaks (Arte, le 26 à 22 h 35) la musique qu’ils parviennent encore Message amical à ceux qui n’ont à jouer ou à écouter, ces orchestres de jazz jamais vu le grand œuvre de David Lynch : il serait temps de s’y mettre. traditionnel désuets et sublimes. Tous Entre autres effets durables, cette ont l’envie dévorante de retrouver une voix. série née en 1991 a décomplexé Pour apprécier Treme, les inconditionnels une génération de futurs créateurs. de l’exceptionnelle The Wire devront accepter de ne pas en voir le remake ou la suite. Cette nouvelle série de David True Blood (Orange Ciné Max, Simon accouche d’un monde fictionnel très le 26 à 20 h 40) Début de la différent. Il mérite qu’on s’y accroche pour saison 3 des aventures sexuelles, en mesurer la puissance au fil du temps. mortelles et extravagantes de Pour les plus pressés, la deuxième saison quelques vampires malheureux. débute sur HBO le 24 avril. O. J. Alan Ball affiche toujours la



agenda télé

forme, même si l’on aimerait qu’il écrive un nouveau Six Feet Under.

Treme saison 1, DVD HBO. Environ 30 €. 20.04.2011 les inrockuptibles 115

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émissions du 20 au 26 avril Brent J. Craig

Reconstitution de l’explosion de Tchernobyl

Anvil Documentaire de Sacha Gervasi. Mardi 26 avril, 22 h 30, Canal+

L’inénarrable come-back d’un groupe de heavy. Quoi qu’on pense du hard-rock, du heavy ou du speed-metal, nés dans les années 1970-80, ce style a toujours véhiculé une part de ridicule. Ce ridicule tourne à l’attendrissement dans ce documentaire sur le come-back d’Anvil. Ce groupe canadien, qui eut son heure de gloire il y a trente ans, ressuscite pour une improbable tournée. Impossible de ne pas penser à Spinal Tap, célèbre mockumentaire de Rob Reiner sur le même sujet, d’autant que – incroyable, mais vrai ! – le nom du batteur d’Anvil, fils d’un rescapé d’Auschwitz, est Robb Reiner. V. O.

quand notre cœur (de réacteur) fait boum Retour sur Tchernobyl, au moment où la gravité de l’accident de Fukushima est réévaluée au niveau de son précédent ukrainien.

Vincent Ostria Thema “Tchernobyl, l’histoire sans fin” mardi 26 avril, Arte, Tchernobyl Forever, documentaire d’Alain de Halleux, 20 h 40 et L’Europe et Tchernobyl, documentaire de Dominique Gros 21 h 35

La Philarmonie de Luxembourg

1981, un été en rose et noir Documentaire de Virginie Linhart. Dimanche 24 avril à 22 h, France 5

Des témoins se souviennent de l’été de tous les espoirs – déçus ? Le soir du 10 mai 1981, et durant l’été qui prolongea ce printemps libérateur, le peuple de gauche a cru qu’enfin la politique allait “changer la vie”. Il s’est plus ou moins laissé prendre au jeu, qui valait beaucoup de chandelles, avant de revenir à un principe de réalité désenchanté. De cette parenthèse estivale, il reste des souvenirs et des actes, des lois et des rêves : à partir de témoignages, Virginie Linhart fait le récit d’une période politique d’une rare intensité pour ce qu’elle a incarné à la fois dans l’histoire collective et les affects individuels. JMD

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ne Thema qui tombe à pic. Elle comporte deux documentaires, l’un déjà diffusé en 2006, L’Europe et Tchernobyl, qui fait l’inventaire de la contamination radioactive dans différents pays suite à la catastrophe de 1986 ; l’autre, très récent, Tchernobyl Forever, sur l’état actuel de la centrale ukrainienne. S’il n’est pas question de l’accident de Fukushima, trop récent, il s’inscrit en creux au long de cette Thema. “Il y a un risque que le monde oublie Tchernobyl prématurément. J’espère que ça n’arrivera jamais”, s’inquiète l’ingénieur américain chargé de la construction d’un second sarcophage à la centrale ukrainienne. Justement, Fukushima ressemble à une réplique de Tchernobyl. Comme dit un commentaire : “Vouloir échapper à cette réalité et abandonner l’Ukraine à son destin, c’est prendre le risque que l’histoire se répète.” Trop tard, c’est arrivé. Le film met en scène les membres d’un groupe pop de Kiev qui non seulement vont enquêter sur place mais témoignent des conséquences de la catastrophe sur leur famille. A quoi répond un jeu vidéo ultraréaliste nommé Stalker, situé exactement à Tchernobyl. Le tout est émaillé de témoignages de scientifiques et de responsables divers (ingénieurs, politiciens, écologistes), qui brillent par leurs incertitudes. Le plus certain c’est que le futur n’est pas gai : maladies à gogo (espérance de vie en forte régression) en Ukraine et inquiétude quant à l’avenir de la centrale, qui pourrait faire des siennes si l’Etat ukrainien n’avait plus les moyens d’assurer son entretien. On a bien compris le message : le nucléaire est une grenade dégoupillée en permanence.

Christian de Portzamparc, un architecte en mouvement Documentaire de Jean-Louis Cohen et Daniel Ablin (Empreintes). Vendredi 22 avril, 20 h 35, France 5

Le parcours ambitieux et prestigieux d’une star de l’architecture. Depuis ses célèbres logements rue des Hautes-Formes à Paris, construits en 1979, Portzamparc a inventé un geste architectural décisif, au point de prospérer aujourd’hui dans toutes les grandes villes du monde. Après avoir promu dès les années 80 “l’îlot ouvert”, avec des bâtiments en quinconce dans une trame urbaine classique, il défend aujourd’hui la conception “rhizomatique” du Grand Paris. Filmé ici dans ses ateliers, mais aussi sur les lieux de ses révélations architecturales, à Rio et New York, il revient sur l’évolution de son travail monumental – la Cité de la Musique, la tour LVMH à New York ou l’ambassade de France à Berlin... JMD

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Tunisie, les chemins de la démocratie Camille Ponsin

Documentaire d’Alexis Marrant (Le Monde en marche). Dimanche 24 avril à 20 h 35, France 5

Bollywood Boulevard Documentaire de Camille Ponsin. Mardi 26 avril,20 h 35, France 5

Leemage/Les Films d’Ici/France 5

Regard empathique sur un pauvre et beau Gitan indien devenu mannequin. Sanjay, qui vit avec sa famille sur les trottoirs de New Delhi, devient mannequin à Bombay en quelques jours, puis ce séduisant Gitan retrouve sa misère initiale. Une fable documentaire aux antipodes du grossier Slumdog Millionaire de Danny Boyle, où l’on entrevoit la réalité de l’Inde actuelle, plus complexe qu’on le croit. Ainsi, l’ascenseur social n’y est nullement bloqué et c’est surtout le poids des traditions qui empêche certains de sortir de leur condition. Un documentaire un peu trop scénarisé, mais convaincant par sa proximité avec les gens. V. O.

Après l’euphorie de la révolution, la Tunisie à l’épreuve des réalités. Trois mois après la chute de Ben Ali, Hervé Chabalier et ses équipes de Capa sont allés à la rencontre du peuple tunisien et des nouvelles autorités politiques pour explorer les enjeux d’une démocratie en devenir. Dans un pays miné par l’insécurité et la corruption, le rêve fait place à l’urgence : la reconstruction du pays. Avec un jeune diplômé sur quatre au chômage, il faut très vite assainir les institutions, la presse, la télévision, remettre l’économie sur pied pour éviter le désenchantement. Constitué de nombreux entretiens avec des militants impliqués dans la révolution de jasmin, des politiques, des intellectuels mais également des religieux et des membres du gouvernement “provisoire”, le magazine consigne l’énergie autant que la fragilité du processus de démocratisation en cours. A. B.

Le Déjeuner sur l’herbe, 1863

Manet, la lumière et les ombres On a oublié combien l’inventeur de la modernité picturale fit scandale en son temps. omme l’écrivait le philosophe chef-d’œuvre Un bar aux Folies-Bergère), Michel Foucault dans une le geste pictural de Manet marque une conférence exhumée dans rupture radicale. Dans un documentaire un nouveau dossier des Cahiers magnétique, s’appuyant sur les éclairages de l’Herne, Edouard Manet reste dans pertinents de l’historien Stéphane Guégan, l’histoire de l’art comme “celui qui a modifié Hopi Lebel revient sur les motifs de ce les techniques et les modes de représentation trouble pictural persistant, en revisitant picturale” et a “opéré des modifications le fil de sa vie et les règles évolutives qui, au-delà de l’impressionnisme, ont rendu de ses toiles. Le film, savant et incarné, possible la peinture qui allait venir après”. rend Manet un peu plus proche, par-delà Dans la manière de traiter l’espace de la ce qui nous sépare de sa douce étrangeté. Jean-Marie Durand toile, d’envisager le problème de l’éclairage, et surtout dans l’art de Edouard Manet, une inquiétante étrangeté transformer la place du spectateur par documentaire de Hopi Lebel. Jeudi 21 avril, 21 h 40, France 5 rapport au tableau (cf. son dernier

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enquête

porte-monnaie portable Le paiement avec son téléphone est l’enjeu d’une nouvelle bataille entre géants de la technologie et des communications.

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près avoir remplacé les lecteurs MP3, les appareils photo et une multitude d’objets du quotidien grâce aux applications, les téléphones portables sont en voie de remplacer les cartes de crédit. Grâce à la technologie NFC (Near field communication, ou transmission des données par ondes radio dans un rayon de quelques dizaines de centimètres), il suffira bientôt pour payer de présenter son téléphone devant un récepteur compatible. Annoncée depuis quelques années, cette technique de paiement mobile sans contact devrait prendre son essor au cours des mois à venir. En France, plutôt en avance sur le sujet, Nice est une ville test : depuis mai 2010, le service Cityzi permet de payer les transports ou ses achats chez les commerçants avec son téléphone. Au bout de six mois, l’opération avait convaincu près de 3 000 habitants et, depuis, Eric Besson, ministre chargé de l’Economie numérique, a décidé de l’étendre à Bordeaux, Caen, Lille, Marseille, Paris, Rennes, Strasbourg et Toulouse. Selon l’Association française du sans contact mobile, les opérateurs devraient diffuser en 2011 un million de terminaux mobiles compatibles Cityzi. Le cabinet de conseil Frost & Sullivan estime qu’il y aura 863 millions de téléphones adaptés à la NFC en 2015 dans le monde, soit plus de la moitié des appareils. Les paiements par NFC devraient alors atteindre 111 milliards d’euros dans le monde, dont 41 milliards en Europe.

Pour les géants des communications, les enjeux sont donc énormes. Vente de nouveau matériel, commissions sur les transactions, mainmise sur les données bancaires des clients… c’est un nouveau champ de bataille qui s’ouvre. De RIM, qui va rendre ses prochains Blackberry compatibles NFC, à Nokia, avec le C7, ou Samsung, qui fabrique le Google Phone Nexus S, les fabricants voient dans la NFC une excellente opportunité de renouveler le parc de téléphones. Fidèle à sa stratégie propriétaire, Apple pourrait quant à lui sortir l’an prochain un téléphone supportant sa propre technique de paiement sans contact. Les éditeurs de logiciels, de Microsoft à Google, vont commercialiser de nouveaux systèmes d’exploitation compatibles. Les opérateurs mettront en vente des cartes SIM intégrant la technologie NFC. Les acteurs des systèmes de paiement, comme Visa et Mastercard, qui ont l’habitude de gérer et protéger les transactions, mais aussi les banques n’entendent pas se faire souffler ce marché. Et même Amazon envisagerait un service permettant aux consommateurs de payer dans des magasins physiques partenaires avec leurs mobiles.

pour payer, il suffit de présenter son téléphone devant un récepteur

Devant un tel butin, certains s’empressent de s’allier, comme les opérateurs américains AT&T, T-Mobile et Verizon, ou encore Google, Mastercard et Citygroup, tandis que d’autres s’affrontent : la première passe d’armes oppose les opérateurs à RIM. Ce dernier souhaite que les informations de paiement des clients soient stockées dans le téléphone, ce qui leur donnerait la possibilité de changer d’opérateur tout en conservant leur Blackberry et limiterait le rôle des opérateurs. Ces derniers entendent quant à eux que ces informations soient stockées dans la carte SIM, pour en conserver la maîtrise quel que soit l’appareil utilisé. Mais ce manque de coordination ne joue pas en faveur d’une adoption rapide du paiement sans contact. D’autant que de nombreuses interrogations demeurent : comment sécuriser les données ? Que se passe-t-il en cas de vol ? Que feront les différents acteurs des informations auxquelles ils auront accès ? Peut-on être tracé via la technologie NFC ? Autant de questions à éclaircir et d’inquiétudes à apaiser. Enfin, pour que le paiement sans contact devienne vraiment grand public, il faudra que davantage de mobiles soit compatibles NFC et que les commerçants s’équipent en terminaux. Pour cela, Samsung et Visa misent sur les JO de Londres en 2012 : un portable spécialement imaginé par les deux entreprises permettra de faire des achats dans les magasins londoniens équipés de leur système. Anne-Claire Norot

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in situ jeux d’eau L’association FreePoverty permet de tester ses connaissances en géographie tout en faisant une bonne action : pour chaque ville ou monument localisé sur la carte, jusqu’à dix verres d’eau sont distribués dans des régions sans eau potable. Ludique et altruiste, ce site a déjà distribué 275 827 806 verres. freepoverty.com

à saute-frontière Le Centre d’études et de recherches internationales (Ceri) propose, en partenariat avec l’Atelier de cartographie de Sciences Po, une parution dynamique qui s’intéresse chaque année à un enjeu international différent. Constituée à partir de divers supports (textes, cartes, vidéos…), elle est consacrée en 2011 à la question des frontières. ceriscope.sciences-po.fr

l’histoire en chantant Tenu par des professeurs d’histoire-géo de collège et de lycée, ce blog a pour vocation de faire découvrir les programmes scolaires par des chansons qui ont marqué l’histoire ou qui témoignent d’une période particulière. Idéal pour réviser en fredonnant. lhistgeobox.blogspot.com

avant Marine

Jean-Marie Le Pen en 1974

Un nouveau webdoc mis en ligne sur lemonde.fr déterre le passé sulfureux du Front national, au moment où sa nouvelle présidente veut lisser l’image du parti. François Duprat, une histoire de l’extrême droite, de Joseph Beauregard et Nicolas Lebourg, retrace la vie et la mort du stratège originel du FN, assassiné mystérieusement en 1978. Le bras droit néofasciste de Jean-Marie Le Pen avait défini l’identité idéologique du FN : antisémite, antisioniste et négationniste. Une enquête très éclairante. petitlien.fr/5g1m

la revue du web L.A. Times

Owni

Le Monde

la sauveuse de Vegas

cartes en main

du fictif au réel

Touchée de plein fouet par la crise économique, Las Vegas compte sur le prochain spectacle de Céline Dion pour attirer des visiteurs et revenir à son chiffre d’affaires d’antan. Après A New Day, une super production au nom prophétique qui avait rapporté gros à la ville entre 2003 et 2007, la Canadienne préférée des Américains revient pour trois ans à Sin City. L’activité générée par ses spectateurs pourrait atteindre 135 millions de dollars en un an et créer 2 200 emplois. Qu’on le veuille ou non, la prospérité de la ville est entre ses mains… petitlien.fr/5fmn

L’art de cartographier les espaces est devenu un outil indispensable pour penser l’action sociale : création graphique et imaginaire, elle modèle notre perception du monde et de ce qui nous entoure. Indigné face à l’usage purement institutionnel de la cartographie, un militant dresse le portrait de cette science millénaire et nous explique comment, de source de pouvoir pour les hommes politiques, elle peut devenir une arme de contrepouvoir pour les citoyens. tinyurl.com/3z4vvfs

La qualité des jeux vidéo permet désormais aux jeux de stratégie de reconstruire le passé avec exactitude, mais jusqu’où peuvent-ils être fidèles à l’Histoire ? Des jeux comme Total War se font une spécialité de concilier réalisme et jeux grâce à un travail titanesque de documentation et de création : attitudes, paysages, situation politique et religieuse, tout doit être fidèle au contexte historique, du moins au début de la partie, car comme dans tout jeu, il est ensuite possible bouleverser les règles de départ pour devenir le maître du monde… petitlien.fr/5fvg

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vu du net

vintage, le bel âge Sur le net, ce style fait fureur. Un pas en avant vers le passé, avec les 2.0 pieds.

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a mode est au vintage : fringues, photo, tableaux, déco, aucun domaine n’y échappe. Comment croire que cette tendance, avec 565 millions de résultats sur Google et plus de 60 000 likers sur Facebook (tinyurl.com/5vdkupw), ait fait son temps (tinyurl.com/6boaddf) ? Fripe is chic ! Défini par Pierre Léonforté, auteur de Louis Vuitton – 100 malles de légende, comme un “jeu d’apparences utilisant des vêtements anciens, du mélange de fripes et de vêtements neufs portés au quotidien jusqu’aux pièces exceptionnelles”, ce style intemporel foisonne sur la Toile, en particulier sur les blogs de mode (tinyurl.com/i3nr0ck, tinyurl.com/ u5pt7ib, tinyurl.com/5typjr8, tinyurl. com/3vpzyme, tinyurl.com/3paqyop). Le vintage dispose même de son propre salon (salonduvintage.com) et infiltre les séries télé, comme Mad Men, qui dévoile les affres et beautés des années 1960 en les rendant terriblement modernes et actuelles. Les témoignages, façon “Comment je me suis relooké version Mad Men”, fleurissent d’ailleurs à une allure folle (tinyurl.com/z3kry, tinyurl.com/ 65wtjj4). Si le vintage plaît autant, c’est parce qu’il est accessible à quiconque aime fouiner, essayer, échanger, sans y passer l’intégralité de son porte-monnaie (tinyurl.com/ py9a55). Mais derrière l’aspect design et recyclage, le vintage est aussi un filon astucieux et séduisant pour vendre ses produits ou ses idées, et les marques l’ont bien compris. Ainsi, le constructeur italien Cigno s’est inspiré du modèle Graziella des années 1970 pour ses vélos Seventy,

(tinyurl.com/46hmre2) ; Moleskine fait un tabac avec ses carnets, que les écrivains en herbe préfèrent aux ordinateurs (tinyurl.com/chxmfc) ; pour ses 90 ans, Danone a quant à lui apposé une touche rétro à ses produits en sortant une série limitée de pots en verre à l’ancienne (tinyurl.com/k3ssr) ; une application pour iPhone permettant d’avoir accès à plus de six mille radios en streaming se présente sous la forme d’une bonne vieille chaîne stéréo des années 1980 (stereolizer.com) Mais le vintage inspire surtout les créatifs – on admirera les superbes affiches créées par l’agence de publicité brésilienne Moma, vantant les mérites des réseaux sociaux comme s’ils étaient de purs produits des fifties (tinyurl.com/ 4dq6ffd) – et les jeunes artistes. En témoignent le succès des appareils photo Lomography, inspiré des appareils soviétiques Lomo (lomography.com, tinyurl.com/4zec4au). Côté photo toujours, on ne compte plus les applications pour iPhone proposant de prendre des clichés aux couleurs très seventies, comme vintiphone.com, hipstamaticapp.com, lo-mob.com… Le vintage, enfin, est un truc de geeks : la première console Nintendo reste un must have qu’il faut préserver précieusement dans sa chambre de gosse (tinyurl.com/9uyzh), et l’on peut relooker n’importe quel site web en lui donnant l’aspect ringard des pages Geocities, à la fin des années 1990 (tinyurl.com/2628txh). C’est bien connu, la nostalgie n’est plus ce qu’elle était, et le passé nous rattrape à grands pas. A quand le vintage 2011 ? Orlando Fernandes 20.04.2011 les inrockuptibles 121

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musée Je conseille d’aller au musée Gustave-Moreau à Paris, qui est mon musée favori. Je ne suis pas complètement fan de sa peinture mais j’aime son ambition d’avoir fait de son atelier un musée. Je m’y sens toujours bien.

livre

Source Code de Duncan Jones Fan de SF, le très geek fils de David Bowie imagine des films de science-fiction à la mode indé.

Metronomy The English Riviera Le grand disque de pop moderne de 2011.

Tricia Sullivan Maul Entre bastons et expériences scientifiques sur le sexe masculin, un roman punko-féministe décoiffant.

Pina de Wim Wenders Rencontre entre deux monstres sacrés de la culture allemande. Wim Wenders rend hommage à la chorégraphe Pina Bausch.

Je vois et revois obsessionnellement Blue Velvet de David Lynch. Ce film a ce mystère que j’ai toujours voulu capturer dans mes romans. recueilli par Nelly Kaprièlian

Orhan Pamuk Dernier roman : Le Musée de l’innocence (Gallimard)

James Blake James Blake Premier album éponyme de la nouvelle sensation electro du moment. Contemplatif, sombre et beau. Entre soul et dubstep. Orhan Pamuk Le Musée de l’innocence Une histoire d’amour hors norme sur fond de lutte des classes dans l’Istanbul des années 70.

Essential Killing de Jerzy Skolimowski Une chasse à l’homme du point de vue de la proie, interprétée avec brio par Vincent Gallo.

film

Catherine Hélie

L’Autobiographie de Nicolae Ceausescu d’Andrei Ujica Grandeur et déchéance du dictateur à partir d’images de propagande et d’archives.

Hier, je relisais dans le train Un cœur simple de Flaubert. J’adore ce texte. Il prépare la voie à Maupassant. Flaubert était un merveilleux “éditeur” de lui-même.

The Kills Blood Pressures Le duo anglo-américain le plus sexy de la planète rock sort son quatrième album. Plus orchestré et toujours aussi physique.

Connan Mockasin Forever Dolphin Love Le Néo-Zélandais livre l’un des plus beaux albums pop du moment, véritable machine à songes tordus.

Dream Home de Pang Ho-Cheung. Premier film gore sur la crise des subprimes. Grindhouse double programme fétichiste des 70’s signé Rodriguez et Tarantino. Mean Streets de Martin Scorsese. Réédition d’un classique assortie d’une mine de bonus.

John le Carré Un traître à notre goût Mafia russe, corruption des banques et espionnage anglais en toile de fond de ce tour de force littéraire.

Nina Yargekov Vous serez mes témoins Un roman conceptuel et drolatique, douloureux et hilarant.

Ralph Azham tome 1 de Lewis Trondheim Humour cynique, héros insolent et aventure trépidante, Trondheim est en grande forme.

TMLP (Ta mère la pute) de Gilles Rochier Une peinture complexe et juste de la banlieue au milieu des années 70.

DoggyBags de Run, Maudoux et Singelin Trois récits déjantés sous influence tarantinesque.

Adieu poupée de Jeanne Mordoj, mise en scène Julie Denisse Au Festival Hautes Tensions de La Villette Un autoportrait en creux d’une folie douce et terrible.

Long voyage du jour à la nuit d’Eugene O’Neill, mise en scène Célie Pauthe A la Comédie de Reims Une mise en scène qui excelle à faire ressortir les nuances d’un drame d’autant plus profond qu’il est en demi-teinte.

L’Image de Samuel Beckett, mise en scène Arthur Nauzyciel Festival Etrange Cargo, Ménagerie de verre, Paris Lou Doillon transformée en passeuse de mots.

Manet Musée d’Orsay Redon Grand Palais Les événements du printemps à Paris.

Richard Prince American Prayer BNF, Paris Entre contreculture et mainstream, Prince décline sa passion des livres.

Philippe Decrauzat Anisotropy Le Plateau, Paris Le fils prodigue des expériences mirifiques de l’op’art.

Bulletstorm sur PS3 Un des FPS les plus intelligents de ces derniers mois.

Yoostar 2 sur Xbox 360 et PS3 Le Guitar Hero du cinéma, pas exempt de défauts mais ouvrant d’infinies possibilités.

Super Street Fighter IV sur 3DS Un remake qui prend du relief grâce à la 3D.

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