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il doit partir Claude Guéant ministre de l’Intérieur

Allemagne 4,90 € - Dom/A 5,50 € - Belgique 4,20 € - Canada /A 6,50 CAD - Espagne 4,50 € - Grèce /S 4,50 € - Italie 4,50 € - Luxembourg 4,20 € - Tom/A 900 CFP - Portugal 4,50 € - Suisse 7 CHF

No.802 du 13 au 19 avril 2011

Metronomy la pop qui va marquer 2011

Orhan Pamuk

“tout le monde ment sur l’amour” M 01154 - 802 S - F: 3,90 €

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j’ai consulté un psy pour chats avec

Mouloud Achour

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ouloud Achour aime beaucoup les chats. Du genre amour éternel sans divorce. “Je suis à ça du Dutronc dans ma tête”, avoue-t-il à Amandine Roulet, féliconsultante et férue de jeux de mots, contactée via son site Chatvamal.fr. Petit joueur à côté de Dutronc qui en possède des dizaines, Mouloud n’a que deux chats : un bengal et un sacré de Birmanie pour qui il se fait un peu de souci. Objet et prétexte du rendez-vous ce matin-là : évaluer si son déménagement récent ne les a pas trop traumatisés. Ici pas de divan, la consultation se fait à domicile et le mot “psy” est banni au profit du terme “féliconsultant”. En entrant chez Mouloud, Amandine précise, au risque de nous décevoir, qu’elle n’essaiera pas d’entrer en communication avec les félins. Mais se contentera de poser une batterie de questions à Mouloud afin de déterminer si tout roule avec ses chats, nommés Phoenix et Saori en référence aux Chevaliers du zodiaque. Dans l’appartement à peine aménagé, les mangas constituent justement le principal élément de décoration. Ils côtoient les toyz, les bouquins, une NES et un vinyle d’Eazy-E placé en évidence au dessus du grand écran plat qui diffuse Louie, série américaine de génie de Louis C. K. qu’il s’empresse de nous recommander. “Je suis un peu une mère juive avec mes chats”, confesse-t-il à Amandine en écrasant sa cigarette dans un très beau cendrier Royal Canin. “Quand Saori était en chaleur, je faisais des cauchemars où elle se faisait draguer, ça me ferait chier qu’elle se fasse pécho par tous les chats du coin.”

“lui c’est un diable, il est partout, j’ai failli l’appeler Sarko tellement il est relou”

Normal. Comme une miss météo, Saori a tourné dans le générique du Grand Journal, émission que Mouloud a rejointe en 2008. Depuis la rentrée dernière, il anime le “Daily Mouloud”, une chronique quotidienne avec des invités, un ton et un background pas vraiment coutumiers à la télévision française. Il y multiplie les face-à-face écrits ou pas avec des personnalités aussi diverses que Benjamin Lancar, Zach Galifianakis, Biyouna, Stéphane Beaud ou une gynécologue auteur d’un ouvrage sur le point G. Constante : un décalage et un ton allant du sérieux aux bonnes grosses vannes. “Parler sérieusement de choses futiles et inversement”, précise-t-il. Alors que la conversation hyperspécialisée avec la féliconsultante se poursuit (à noter : le ronronnement n’est pas forcément signe de bien-être ; les phéromones de synthèse ça marche pas trop ; la litière est un centre de communication crucial ; les arbres à chat, c’est cool), Phoenix effectue quelques bonds sur le grand bar américain et Mouloud lâche directos : “Lui c’est un diable, il est partout, j’ai failli l’appeler Sarko tellement il est relou.” La présidentielle ? Mouloud Achour l’appréhende avec excitation. Lui qui avait marqué les esprits dans La Matinale de Canal+ avec “L’Avis de Mouloud”, chronique pour laquelle il bousculait les politiques et la langue de bois avec des questions spontanées et inattendues. Une approche qui faisait bien plaisir – dans la masse des habituels débats stériles et partisans – et dont on devrait retrouver l’esprit avec le “Daily Mouloud” dans les prochains mois. A part 2012, Mouloud a d’autres projets : il vient de terminer d’écrire une comédie romantique. Le sujet ? “Des mecs qui font des vidéos YouTube avec leurs chats pour pécho des meufs.” En attendant, on est rassurés, Phoenix et Saori vont très bien. texte et photo Diane Lisarelli 13.04.2011 les inrockuptibles 5

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No.802 du 13 au 19 avril 2011 couverture Claude Guéant par Stéphane Lavoué/Pasco

05 quoi encore ? Mouloud Achour

10 on discute courrier ; édito de Serge Kaganski

12 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

15 nouvelle tête K8 Hardy à New York, le dernier concert de LCD Soundsystem

18 événement pourquoi Gbagbo n’a rien voulu lâcher

20 la courbe

Stéphane Lavoué/Pasco

16 événement

ça va ça vient ; billet dur

21 à la loupe 22 ici une élue UMP tout à fait normale

23 ailleurs un artiste français en butte à la police chinoise

Denis Charlet/AFP

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Katerine l’œcuménique

24 parts de marché le PS a-t-il un projet culturel ?

27 cher monsieur Guéant, dans la vie, il est des choses que nous sommes incapables de supporter plus longtemps…

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41 les atouts de M. Hulot Vincent Ferrané

il compte sur sa popularité pour imposer sa candidature aux écologistes

42 programme commun les candidats à la primaire socialiste devront s’adapter au projet de leur parti

44 mères porteuses, le retard la France reste frileuse sur ce sujet délicat

45 presse citron revue d’info acide

58

47 que le meilleur perde les politiques en quête de défaite

48 contre-attaque la fesse, pour oublier la crise

50 let’s dance, Metronomy ! leur nouvel album réinvente la pop de 2011

56 le Pablo Escobar du hasch portrait d’Howard Marks, dealer heureux il tourne des films de SF à la mode indé

62 une love story stambouliote Orhan Pamuk ne croit pas à l’amour

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Rüdy Waks

58 Duncan Jones, fils de Bowie

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34

66 L’Autobiographie de Nicolae Ceausescu d’Andrei Ujica

68 sorties Robert Mitchum est mort, Rabbit Hole…

73 dvd Dream Home, Il marchait la nuit…

76 Bulletstorm ; Homefront Yoostar 2 ; MotoGP 10/11

78 James Blake un crooner futuriste venu de Londres

80 mur du son Beyoncé, Radiohead, Kings Of Leon…

82 chroniques TV On The Radio, Alela Diane…

91 morceaux choisis Gentlemen Drivers, Arcade Fire…

92 concerts + aftershow José González

94 Tricia Sullivan un roman SF punko-féministe décapant

96 romans/essais Brando Skyhorse, Eric Marty…

98 tendance Julian Assange, top secret

100 agenda les rendez-vous littéraires

102 bd Lewis Trondheim en pleine forme

104 O’Neill par Célie Pauthe Jeanne Mordoj ; Kolik

106 Manet face à Redon deux grands modernes en expo à Paris

108 sous le signe du Wu le retour de la ligne du Wu-Tang Clan

110 Twin Peaks, le retour Arte diffuse la série culte

112 L’Œil de links Canal+ déniche le plus barré du net

114 séries Misfits, des ados aux superpouvoirs

116 télévision hackers, héros des temps numériques

118 La Police virtuel la BD de Pierre La Police sur iPhone

120 la revue du web décryptage

122 best-of le meilleur des dernières semaines

rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Hélène Fontanaud, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs D. Balicki, E. Barnett, S. Beaujean, G. Belhomme, B. Benoliel, R. Blondeau, A. Boissonnet, M.-A. Burnier, B. Catanese R. Charbon, A. Compain-Tissier, M. Despratx, P.  Dupont, V. Ferrané, P. Fraser, J. Goldberg, F. Gorman, A. Gruet-Pelchat, E. Higuinen, O. Joyard, V. Konan, C. Larrède, T. Legrand, H. Le Tanneur, G. Lombart, R. Malkin, L. Mercadet, B. Mialot, P Mouneyres, P. Noisette, V. Ostria, Y. Perreau, E. Philippe, J. Provençal, L. Soesanto, P. Sourd, R. Waks lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable animation Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Caroline de Greef, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Jérémy Davis, Caroline Fleur conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeurs artistiques Pascal Arvieu, Mathieu Gelezeau (remplaçant) maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/ scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté d’Arthur Bellot tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 Dorothée Malinvaud (spécial festivals) tél. 01 42 44 15 67 coordinatrice Dounia Hajji tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 19 98 publicité commerciale, directrice Sarah Roberty directeur et directrice de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94, Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 coordinatrice Margaux Monthieu tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/relations publiques Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65, chef de projet marketing direct Alexia Bernard tél. 01 42 44 44 17 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard (tmattard@ame-press. com, tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19, infos au 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Valérie Imbert fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 2 211 059,61 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Matthieu Pigasse directeurs généraux adjoints Stéphane Laugier, François Rossignol attachée de direction Charlotte Brochard directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2011 directeur de la publication Matthieu Pigasse © les inrockuptibles 2011 tous droits de reproduction réservés Ce numéro comporte un CD Un printemps 2011 vol. 2 mis sous film dans l’édition générale ; un supplément 16 pages “Développement durable” jeté dans l’édition France de la vente au numéro ; un supplément 16 pages “Disquaire Day” jeté dans l’édition générale ; un encart abonnement 2 pages France dans l’édition France de la vente au numéro ; un encart abonnement 2 pages Belgique et Suisse jeté dans l’édition vente au numéro Belgique et Suisse ; une carte postale “Merci de virer Guéant” jetée en page 27 dans l’édition générale.

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l’économie dans le pâté Pendant que Kadhafi, Gbagbo et Tepco font de la résistance, la crise économicofinancière (et son satellite, la crise de la zone euro) continue. Après l’Irlande et la Grèce, c’est un autre membre des Pigs (doux acronyme formé à partir du nom de ces pays), le Portugal, qui se retrouve jambon (Espagne, prends garde à toi !) : le gouvernement Socrates n’a pas résisté aux mauvaises notes des agences américaines et s’est résolu à demander l’aide financière de l’Europe. Un peu plus au nord, les électeurs islandais refusent de rembourser les épargnants anglais et néerlandais spoliés par la faillite de la banque en ligne Icesave. Pendant ce temps, prouvant qu’il n’est pas qu’un exécuteur des basses œuvres de Wall Street, le FMI presse les Etats-Unis de réformer leur système de financement immobilier pour en finir avec la titrisation et autres friandises de la finance folle. Recouper ces informations signifie quoi ? Que si le système économico-financier n’est pas tombé dans le précipice en 2008 (même si des centaines de milliers de gens y ont culbuté la tête la première), on continue de rouler au bord de l’abîme. Que si les grands dirigeants politiques de la planète ont conscience du problème, ils ont du mal à passer aux actes. Pas besoin d’avoir lu Paul Virilio pour comprendre que cette crise est aussi celle de la désynchronisation entre une finance aussi rapide et mondialisée qu’internet, et un champ politique lent et morcelé entre nations. Ainsi, dirigeants et peuples européens sont écartelés entre égoïsmes nationaux et solidarité. L’Europe marche toujours en boitant, avec une monnaie et un marché uniques, mais des économies et des intérêts disparates. La politique monétaire rigoureuse de JeanClaude Trichet est peut-être bonne pour les agences de notation, moins pour les peuples, les pays fortement endettés et la croissance. Le chroniqueur économique du Monde, Adrien de Tricornot se demande si le remède ne va pas tuer le malade. Pistes évoquées : un virage politique de la BCE, un brin de protectionnisme, un peu d’inflation. Bref, privilégier la croissance (avec beaucoup de vert dedans, ajouterait-on) plutôt que l’orthodoxie budgétaire, sous peine d’assister à un remake de la chute de Lehman Brothers. Si cela se produisait… tous pigs !

Serge Kaganski

méchamment tweeté le 5 avril par cecile

j’interviewe… Monsieur Frédéric Lefebvre, votre film préféré ? Casque Dior. Simone Signoret est pour moi l’archétype de l’actrice française. Remarquez que je ne suis pas sectaire puisqu’il est de notoriété publique qu’elle était communiste, hélas. Votre premier souvenir politique ? J’en ai beaucoup. L’injustice en général est le moteur de mon engagement. En 1920 aux Etats-Unis, l’exécution de Dolce et Gabbana, sans preuves, me semble un cas d’école...

Si Dieu existe, qu’aimeriez-vous qu’il vous dise à votre arrivée au paradis ? Parce que tu le vaux bien. Quel est votre photographe préféré ? Man Ray-Ban, c’est lui qui a inventé la photographie poétique. Un péché ? Le chocolat Lanvin. Le dernier cadeau qu’on vous ait fait ? Un T-shirt marin de chez Théophile Gaultier. propos recueillis par Olivier Steiner

j’anticipe…

Marsula

l’édito

En fait, le porno pour Les Inrocks c’est comme les francs-maçons pour Le Point, c’est minimum une fois par an.

je me souviens… J’ai bien reçu le numéro avec le CD sampler. Je ne sais pas si c’est la distance – je vis aux US –, mais j’ai été pas mal interloquée par Julien Doré. “Bague oubliée sur lavabo belge blanc” a eu le mérite de me rappeler mes week-ends à Namur où, dans ma charcuterie préférée, je trouvais étalage de boudin blanc (belge donc) et de cette variété de vache locale labellisée Bleue Blanc Belge. Ah, la musique et ses transports mystérieux. Gwen-Charlottesville, VA

Les insurgés libyens considèrent Nicolas Sarkozy comme un dieu vivant. On en voit se précipiter vers les caméras pour crier : “Vive Sarkozy !”, “Merci Sarkozy !” L’un d’eux veut même, dans l’euphorie ambiante, nommer son futur fils, Sarkozy... Il n’a pas prêché dans le désert libyen, notre chef de guerre... Sa popularité, là-bas, est inversement proportionnelle au mépris qu’il connaît chez nous. Si les insurgés libyens parviennent à leur fin, pour gouverner leur pays libéré de Mouammar, nous pourrions leur proposer une délocalisation de notre président. Ce ne serait peut-être pas tout à fait la démocratie à Tripoli, mais après ce que les Libyens ont connu pendant plus de quarante ans, ce serait presque le paradis. Et la vacance du pouvoir en France ?, me direz-vous... Cela nous ferait des vacances... Regardez, les Belges, après tant de mois sans gouvernement, ils ont gardé la frite et leur humour. Nous attendrons patiemment 2012, que certains médias, en quête de lecteurs et d’audimat record, poussent Marine et ses têtes pensantes frontistes, expertes en économie, géopolitique, affaires sociales, budget, flux et, surtout, reflux migratoires, vers la plus haute marche du podium. Jean-François Hagnéré

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction

le mot

Francis le Gaucher

Le programme du PS servira de “boîte à outils” pour le futur candidat. Le débat sur l’islam, rebaptisé “laïcité”, se veut lui aussi une “boîte à outils”, à outils tranchants sans doute, mais pour qui : l’UMP ou le FN ? Qu’exprime cette métaphore toute manuelle qui envahit le vocabulaire politique ? Simplement que parmi les propositions, les candidats pourront choisir – cela se dit “hiérarchiser” – ce qui leur plaît et repousser ce qui leur déplaît : je prends le marteau sans la faucille, la rose sans les épines, l’augmentation des impôts mais pas la retraite à 60 ans… Au fond, c’est avouer qu’on présente un bric-à-brac et qu’on remet la décision, la “hiérarchisation”, à plus tard. Motif d’inquiétude : il n’est pas sûr que la France, vu son triste état, n’ait besoin que de bricoleurs.

Rabbit with Curles, courtesy Pertwee Anderson & Gold

[boîte à outils]

you were not in the place to be ? Jet-set destroy, rock-stars, brokers en quête de bons coups : l’ouverture de l’expo Nancy Fouts à Londres la semaine dernière était l’endroit où être vu. L’ancienne star de la pub (créatrice des campagnes Silk Cut notamment) détourne sadiquement des objets quotidiens : dans un capharnaüm gothique, une tête de lièvre avec bigoudis, des oiseaux enfermés dans des ampoules et des icônes désacralisées, genre statuettes de la Vierge avec sacs de shopping Safeway. Liam Gallagher serait reparti avec quelques pièces. fantasme de bunker Au tour de Gbagbo de se planquer dans un bunker souterrain (lire p. 18). Après Saddam à Bagdad, Ben Laden à Tora Bora, Olrik dans La Marque jaune, tous les méchants s’enfouissent, telles des tumeurs au fond du corps social. La fascination date du père de tous les bunkers, celui d’Hitler à Berlin. Kadhafi fait, lui, l’original sous une tente. S’il faut, on en rajoute, des étages, du high-tech, des pièges. A Abidjan, la rumeur de la semaine dit qu’un souterrain relie direct celui de Gbagbo à l’ambassade de France. L’Association, dislocation Les discussions entre les salariés, les auteurs, le bureau et l’éditeur Jean-Christophe Menu ne sont pas venues à bout des conflits internes à la maison d’édition. Un des anciens fondateurs, David B., d’habitude discret, règle ses comptes.

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l’image

Allison Shelley/Getty Images/AFP

Dans une tribune publiée sur le site Longue vie à L’Association, il donne sa version, explique pourquoi il s’est barré en 2005 et attaque violemment Menu. On espère que la structure, qui vient de fêter ses 20 ans, survivra à ces temps troublés. seventies à l’hosto Robin Gibb (Bee Gees) et Bryan Ferry (Roxy Music) hospitalisés d’urgence mardi 5 pour des maux violents et mystérieux. L’un et l’autre sont vite sortis de l’hôpital – ça sent la goutte ou l’aérophagie. battles Le FBI déclassifie ses archives sur la guerre du rap : il avait pris au sérieux les règlements de comptes entre rappeurs Côte Ouest et Côte Est, qui avaient culminé en 1996/1997 avec les meurtres de Tupac Shakur puis Notorious Big. Un officier de police de L. A. serait impliqué dans l’affaire. Les spécialistes se régaleront des 400 pages d’enquêtes, filatures et témoignages sur fbi.gov. Sidney Lumet (1924-2011) Le réalisateur est mort à 86 ans. Lumet était l’un des emblèmes du cinéma américain des années 70. Pas celui du Nouvel Hollywood, non, celui plus sérieux de la Côte Est, engagé dans les questions politiques et sociales, qui faisait primer le sujet sur le style. Lumet connaît son apogée avec Serpico, Un aprèsmidi de chien ou Network, dans lesquels il radiographie la société américaine : drogue, trafic, corruption, police, télévision. Son ultime film, 7 h 58 c e s amedi-là (2007) est un polar haletant qui avait reçu les éloges de la critique. Lumet était un “cinéaste du milieu”. Ceux-là aussi sont indispensables à la vitalité du cinéma américain. kung (fu) Eric Remember le coup de crampons de Cantona, en 1995, sur un supporter de Crystal Palace ? Remember le supporter en question, un nommé Matthew Simmons, tête de con au passé nazillon ? Il refait surface devant un juge, accusé d’avoir tabassé le petit entraîneur d’une équipe de gamins qui avait eu le tort d’exclure son fils du onze. Simmons a démenti, expliquant que les coups étaient “préventifs”.

la victoire en chantant

Nouveau président d’Haïti, le chanteur Michel Martelly est un novice et paraît plutôt douteux. Les résultats définitifs ne seront connus que le 16 avril, mais Michel Martelly fait déjà office de nouveau président d’Haïti. Avec 67,57 % des votes, et malgré la possibilité de recours offerte à sa rivale Mirlande Manigat, on voit mal comment sa victoire pourrait être contestée. Agé de 50 ans, Michel Martelly est un novice en politique. Et pour cause. C’est comme chanteur populaire qu’il a fait toute sa carrière, enchaînant sous le nom de scène “Sweet Micky”, avec une belle régularité, les tubes et les embrouilles en tout genre (picole, exhibitionnisme, gueulantes). Politiquement, Martelly est assez difficile à situer, faute d’expérience en la matière, mais on le dit conservateur, proche des militaires, voire nostalgique de l’ancien dictateur Jean-Claude Duvalier. Dans un pays dévasté par le séisme de janvier 2010, en proie à une épidémie de choléra, sa mission s’annonce en tout cas extrêmement complexe, et sa marge de manœuvre étroite. Au-delà de l’arrivée au pouvoir de Martelly en elle-même, on est même tenté de penser que la vraie bonne nouvelle, pour Haïti, est que l’élection se soit déroulée sans véritable heurt…

Guillaume Portes (Bill Gates en VF) monte sur une péniche sous le pont des Arts, à Paris. L’ex-patron de de Microsoft s’occupe aujourd’hui de sa fondation. Son truc consiste à mettre la pression sur les chefs d’Etat pour qu’ils tiennent leurs promesses en matière d’aide au développement. Les bords de Seine sont sécurisés. Mocassins à glands, cravate noir et jaune à carreaux, le king of geeks représente. Mouloud Achour le remercie d’avoir facilité sa vie sexuelle. Envoyé spécial le cuisine sur les liens de sa fondation avec Monsanto et BP. Froissé, Gates écourte, expédie une séance photo sur le pont et dégage.

Céline Barrère

Bill Gates prend la porte mardi 5,

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pisse-froid La collection Lambert

Immersions (Piss Christ), 1987, coll. Lambert en Avignon/Andres Serrano

en Avignon à nouveau dans la tourmente. Après l’affaire du Cy Twombly vandalisé au rouge à lèvres en 2007, Andres Serrano émeut une association catholique qui milite pour “l’instauration de la royauté sociale du Christ”. L’objet du délit : une photographie mondialement connue (déjà exposée à Avignon il y a quatre ans) représentant un crucifix en plastique plongé dans un verre d’urine. Une pétition en ligne de 17 000 signatures réclame le retrait du blasphème avant les fêtes de Pâques.

le moment et Py quoi ? et Py rien… C’est Luc Bondy qui remplacera Olivier Py à la tête de l’Odéon. Une décision incompréhensible.

Vendredi soir, la nouvelle est tombée comme un couperet : Olivier Py quittera la direction de l’Odéon-Théâtre de l’Europe dans un an, au terme de son mandat, et sera remplacé par le metteur en scène Luc Bondy. Le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, lui a annoncé lors du rendezvous sollicité par Olivier Py, après une semaine de rumeurs. Une décision contestée par le conseil d’administration de l’Odéon, qui souligne le bilan de Py : “Succès de fréquentation incontestable, carrefour intellectuel et esthétique, rajeunissement du public et, pour la première fois de son existence, obtention du soutien de la Commission européenne.” Il répond au cahier des charges d’un théâtre national à vocation européenne, tel qu’édicté par Sarkozy. “Je n’ai eu aucun loisir de défendre mon bilan, réagit Olivier Py. Le ministre ne m’a donné aucune raison, et je remarque qu’il est très rare de prendre une telle décision si tôt. En général, il y a concertation. C’est une sanction très dure pour moi et mon équipe. Les salariés du théâtre ont écrit au ministre et à Nicolas Sarkozy. J’attends la confirmation de cette annonce par le président de la République qui m’a nommé. Je réagis dans le plus grand respect de la vie institutionnelle. Simplement, je pense que je fais les frais de quelque chose qui me dépasse.” Adagio, son spectacle sur François Mitterrand, aurait-il joué un rôle dans cette décision ? “Je n’en sais rien. Mais Frédéric Mitterrand ne l’a pas vu, il n’a d’ailleurs vu aucun de mes spectacles.” Ce qui ne l’a pas empêché de le féliciter pour le “remarquable travail accompli”...

ce vieux dingo de Jerry Lee Samedi 9, tous à Nashville pour le Record Store Day (Jour du disquaire, en français), fête mondiale des disquaires indépendants. Ce petit fou de Jack White organise dans son complexe studio/magasin un concert du légendaire pionnier du rock’n’roll, Jerry Lee Lewis. Un album de l’enregistrement sortira dans la foulée.

Michael Jackson, des statues qui en jettent A Londres, le proprio du club de foot de Fulham, Mohamed Al-Fayed, inaugure devant le stade une statue du roi de la pop. Les supporters sont consternés. Que vient faire ici Michael Jackson ? “C’était mon pote”, répond Al-Fayed. Quelques kilomètres plus loin, dans Londres, une autre statue, baptisée Madonna and Child et signée Maria von Köhler, fait aussi du foin. Installée au bord d’une fenêtre, elle représente MJ tenant un bébé dans le vide, exactement comme il le fit en 2002 à Berlin dans un moment d’égarement. Les dirigeants de Premises Studios, propriétaires de l’immeuble, sont assaillis de plaintes de fans. Réponse : “Comment une œuvre d’art – fidèle à un événement réel – peut-elle être interprétée comme une attaque ?”

Ki Price/Eyevine/Visual

Pierre Verdy/AFP

L. M., B. Z., avec la rédaction

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K8 Hardy Clippeuse pour Le Tigre ou MEN, performeuse, activiste queer, l’artiste américaine expose ses autoportraits inquiétants et pleins d’humour.

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londe, très grande, on imagine bien cette amazone de 33 ans sortir tout droit d’un roman de Despentes ou d’une BD de Robert Crumb. Née au Texas, K8 Hardy multiplie depuis dix ans les identités et les disciplines : vidéo, performance, mode (elle a créé le fanzine FashionFashion), musique. Dans les années 2000, elle cofonde LTTR (Lesbians to the Rescue ou Lacan Teaches to Repeat…), un collectif radical à géométrie variable qui incarne, par le biais d’un catalogue annuel subversif et plein d’humour, l’irruption des politiques genderqueer dans le champ de l’art contemporain. Au sein de Wage (Working Artists and the Greater Economy), elle milite aujourd’hui pour une plus grande transparence financière dans les relations entre les musées et les artistes new-yorkais : “Il n’y a pas de salaire minimum. Pendant treize ans, je n’ai pas eu d’assurance maladie”, explique-t-elle. En solo, elle expose aujourd’hui ses Position Series : des photographies drôles, troublantes, qu’elle réalise “très vite, en prenant ce qui se trouve autour de moi. Au départ, je me photographiais dans des postures de femmes plus normatives. A présent, ce sont majoritairement des clowns et des freaks”, explique celle qui interroge, dans la continuité d’une Cindy Sherman, les représentations sociales de la féminité, de la laideur et de la beauté. En plus punk et DIY. Géraldine Sarratia photo David Balicki

Jusqu’au 14 mai à la galerie Balice Hertling, Paris XXe, www.balicehertling.com 13.04.2011 les inrockuptibles 15

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LCD coupe le sound Le meilleur groupe electro des années 2000 a donné son concert d’adieu au Madison Square Garden. Dress code : noir et blanc. Tempo : envoûtant.



l l’avait dit à plusieurs reprises : il arrêterait quand il aurait 40 ans. On préférait ne pas y penser. Et puis, c’est arrivé. Après à peine trois albums (d’ores et déjà cultes), dix ans d’existence et arrivé à l’apogée de son art, savant mélange de rock furieux et d’electro hypnotique, James Murphy a officiellement mis fin à l’extraordinaire aventure de LCD Soundsystem. Un jour maudit de début février, le chanteur a posté sur son blog un mot d’adieu : “On arrête, on passe à autre chose…” Fin du groupe electro le plus important des années 2000. Dans la foulée, il annonçait un ultime concert avec “ses amis et sa famille” au Madison Square Garden de New York. “Pour une dernière soirée, nous jouerons des choses que nous n’avons jamais jouées avant, histoire de ne pas partir sans bruit.” La nouvelle fit le tour de la toile et les places, bon marché, disparurent en quelques secondes… pour être revendues sur le net à des sommes astronomiques. L’affaire fit polémique, Murphy insultant les “brokers” de tickets : “Allez vous faire foutre, espèces de parasites !” Il décida finalement d’ajouter quatre concerts de

chauffe, dans la salle du Terminal 5, les jours précédant le grand soir, pour les milliers de fans qui s’étaient retrouvés sur le carreau. En ce samedi soir, c’est donc avec une impatience fébrile qu’on attendait l’ouverture des portes. “Venez habillés de noir, ou de blanc. Ou de noir et blanc”, avait suggéré Murphy. Un code vestimentaire respecté à la lettre : aucune couleur dans la foule. Cravates blanches sur chemise noire, vestes, costards : les références au chanteur sont claires. Des hurluberlus sont même déguisés en pandas, comme dans la vidéo Drunk Girls, signée Spike Jonze. 20 h 40, on pénètre dans le gigantesque Madison Square Garden. Après une première partie des vétérans Liquid Liquid, LCD Soundsystem apparaît. Dance Yrself Clean déclenche les hostilités. Tous les instruments, dont une gigantesque console où trône le synthétiseur de Nancy Whang, sont d’un blanc immaculé. Au premier plan, ce qui fait l’ADN du groupe : trois batteries. Murphy, costard noir et pompes blanches, est en retrait derrière Pat Mahoney. “C’est un moment très étrange pour nous et j’espère qu’il en sera de même pour vous”, lâche-t-il.

Dès Drunk Girls, la salle entière est debout. La magie LCD est là : ce son qui se déploie peu à peu, ce tempo qui s’accélère au fur et à mesure, envoûtant. Mon voisin de gauche, Howard, 60 ans, cheveux longs et petite barbe blanche, est de tous leurs concerts. “Ils ont cette façon de bouger”, explique-t-il en faisant des pirouettes sur lui-même, pris d’hystérie quand résonne Daft Punk Is Playing at My House. 21 h 30. Phil Mossman, guitariste de la première mouture de LCD Soundsystem, rejoint le groupe sur scène pour Too Much Love. Impossible de ne pas sentir la fumée de marijuana qui flotte. Pendant la pause, une vidéo est projetée sur deux écrans géants. Tom, le frère de Murphy, commente la performance de son cadet : “Je pense que, jusqu’à présent, James assure.” 22 heures. Début du deuxième acte. Sur une plate-forme à gauche de la scène, une quinzaine d’hommes argentés forment une chorale. A droite, des projecteurs éclairent deux vaisseaux spatiaux, l’un octogonal, l’autre rond. Dans chacun, un personnage peinturluré, aux allures de robot. Howard, qui a capté mon accent français, me demande si, à mon avis,

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23 h 10. Un type déguisé en panda est poursuivi par des flics

NewY ork, le 2 avril

ce ne serait pas les Daft Punk. Il s’agit en fait de Shit Robot et de Juan MacLean, deux acolytes de longue date de Murphy, signés sur son label DFA. Ils entament le sidérant 45:33, qui s’étale et se déconstruit, magnifique, tandis que les robots lunaires délivrent des messages subliminaux, d’une voix métallique. Quand le performeur Reggie Watts entre sur scène et se met à hurler dans un charabia incompréhensible, on se demande si l’on n’assiste pas à un pétage de plombs collectif. “Il y aura des surprises, des choses étranges”, avait prévenu Murphy. Celui-ci continue à danser, d’une façon de plus en plus saccadée, presque burlesque, comme dans un film muet de Charlie Chaplin ou de Buster Keaton dont se serait emparé un VJ inspiré. 23 heures. Dernier acte d’une soirée inouïe. Changement de décor : une gigantesque boule à facettes a été accrochée au-dessus de la scène. Ces types ont-ils pris des amphétamines ? Leur énergie est inépuisable, à l’image d’un Pat Mahoney dont la batterie s’emballe, à une vitesse que seule une boîte à rythmes semblait capable de soutenir. Murphy entame Us v Them : “The time has come today.”

23 h 10. Un type déguisé en panda est poursuivi par des flics. Il tente d’atteindre la zone VIP, mais est rattrapé avant. 23 h 15. Murphy présente ses choristes pour North American Scum : “trois musiciens originaires du Canada” qui ne sont autres que les garçons d’Arcade Fire ! Sur Bye Bye Bayou, la soirée dégénère en rave, des flashs rouges lumineux balaient la salle, rivalisant avec les guitares saturées. 23 h 30. Ce ne sont plus neuf ou onze minutes que dure chaque morceau, mais quinze. Le morceau qui avait révélé le groupe, Losing My Edge, commence comme une boucle hypnotique. La machine LCD nous propulse dans le futur de la musique, une expérience qui consiste à repousser sans cesse ses propres limites. 23 h 50. Bodysurfing. Un homme monte sur des épaules et se jette dans la mer humaine. Il y a 19 000 personnes au Madison Square Garden et chacune d’entre elles semble prise d’une frénésie de folie douce. Et puis, noir total dans la salle. Nancy Whang joue les premiers accords de la BO de Twin Peaks ; Murphy encourage à applaudir chacun de ses musiciens, qu’il présente tour à tour, comme pour s’assurer de sa succession. “C’est un peu tragique, là, c’est la fin”, ajoute-t-il, tâchant de rigoler. D’un coup, Murphy fait penser à Sinatra, fragile devant son micro, qu’il tient au plus près, à deux mains. Il ferme les yeux pour un dernier morceau, New York I Love You…, éloge doux-amer d’un temps révolu. Des milliers de ballons blancs tombent du ciel, cachant le groupe qui quitte la scène. Megan Steinmnan, fan de la première heure, commente cette soirée magique : “Il y a eu ce moment sur Jump into the Fire, où chaque instrument s’ajoutait au-dessus de l’autre jusqu’à que l’on soit pris dans une gigantesque vague de son. Le LCD se sépare, mais leur musique va continuer d’exister à travers leurs différents projets. Ce n’est pas triste, c’est excitant.” Dès ses origines, la fin du Soundsystem était inscrite dans la raison d’être du groupe. Au fond, James Murphy a eu la chance d’avoir du succès sur le tard : il ne s’est jamais bercé d’illusions quant à son destin de rock-star trentenaire. Toute son œuvre est traversée par cette incertitude, “la déception et l’ennui”, qu’il a souvent avoué ressentir dans une industrie de l’entertainment de plus en plus prévisible. “Il est temps de s’en aller”, se justifiait-il déjà dans Time to Get away. Le lendemain, une femme, habillée en noir, dans un restaurant du Lower East Side. En partant, on aperçoit son sac avec la tête du panda de LCD Soundsystem. Elle aussi pourra dire : “J’y étais.” Yann Perreau photo JC McIlwaine 13.04.2011 les inrockuptibles 17

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pourquoi Gbagbo a résisté

Terré dans son bunker souterrain, Gabgbo a cru jusqu’au dernier moment qu’il s’en sortirait : parce qu’un woudy ne recule jamais !

par Venance Konan

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hez les Bété, ethnie de l’ouest de la Côte d’Ivoire qui est aussi celle de Laurent Gbagbo, le woudy c’est l’homme, le vrai, celui qui n’a peur de rien, ne recule jamais. Parmi les surnoms dont Laurent Gbagbo est affublé, il y a, outre “le boulanger” ou “le Christ de Mama”, celui de “woudy de Mama”, du nom de son village, dans la région de Gagnoa. Laurent Gbagbo, pour ses admirateurs, est le vrai garçon qui n’a pas eu peur d’affronter Félix Houphouët-Boigny, qui a défié les Français en 2004, et qui s’oppose au monde entier depuis plus de quatre mois. Il n’y a pas de doute que, pendant plusieurs générations, les poètes et conteurs bété chanteront la bravoure de Laurent Gbagbo. Bien que l’issue du bras de fer qui l’a opposé à Alassane Ouattara lui ait été défavorable, il est déjà entré au panthéon des grands hommes de la mythologie bété. Quel sacré bonhomme, ce Laurent Gbagbo ! Il a perdu l’élection présidentielle le 28 novembre, sous les yeux du monde entier, mais refuse de l’accepter et de quitter le pouvoir. Toute la communauté internationale a reconnu la victoire de son adversaire, Alassane Ouattara, mais il n’en démord pas, quitte à y laisser la vie. Au moment où nous écrivions ces lignes, il venait d’être arrêté après avoir été cerné, bombardé au quotidien. Sa résistance

fut-elle le fruit de la conviction réelle qu’il pourrait s’en sortir ? Une folie ? Qu’est-ce qui a donc fait tenir Laurent Gbagbo ? Il y a d’abord cet héritage culturel, qui veut qu’un woudy ne recule jamais, ne fuit pas. Il y a quelques jours, dans une interview que Laurent Gbagbo a accordée à RFI depuis son bunker, il a déclaré, sans doute en faisant allusion à Henri Konan Bédié, qui avait fui pour se réfugier en France après le coup d’Etat de 1999, “nous ne fuyons pas, nous !” Non, le woudy n’est pas homme à fuir devant l’ennemi. Mais en cherchant bien, Laurent Gbagbo ne s’est-il pas plutôt piégé, pour se retrouver dans une situation où il n’a pas d’autre choix que de faire face afin de ne pas perdre la face, justement ? Retournons au résultat de l’élection. Laurent Gbagbo ne peut décemment croire qu’il a réellement gagné. Il sait que le monde entier a vu son représentant au sein de la commission électorale indépendante arracher les papiers des mains du porte-parole de ladite commission pour l’empêcher de prononcer sa défaite. Il sait toutes les entorses juridiques et absolument inacceptables que

le Conseil constitutionnel, présidé par son ami Paul Yao-N’Dré, a dû utiliser pour le déclarer gagnant. Il sait qu’il a perdu le pouvoir, et certains membres de son entourage le reconnaissent en privé. Mais perdre le pouvoir en Côte d’Ivoire, comme dans la plupart des pays africains, est lourd de conséquences pour le perdant. Le Président en Côte d’Ivoire a plus de pouvoir que les rois dans l’Europe de l’absolutisme royal. Il peut, par exemple, puiser à volonté dans les caisses de l’Etat. Et le moins que l’on puisse dire est que le clan Gbagbo s’est abondamment sucré durant les dix ans de son règne. Tous les Ivoiriens ont été témoins de son enrichissement soudain. Le journal suisse Le Matin a évalué à cinq milliards d’euros les sommes que Gbagbo et son épouse ont déposées dans les coffres helvétiques.

Laurent Gbagbo et sa femme croient dur comme fer que Dieu est de leur côté

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Issouf Sanogo/AFP

Abidjan, 12 mars

Il y eut aussi, sous Laurent Gbagbo, de graves violations des droits de l’homme. Citons notamment les escadrons de la mort, qui ont assassiné des dizaines de personnes en 2002, et les manifestants massacrés en 2004. L’un dans l’autre, Gbagbo et compagnie risquaient fort, en quittant le pouvoir, de se retrouver dans une sombre prison. Et les prisons en Afrique sont tout sauf joyeuses. Gbagbo avait sous les yeux les exemples des présidents du Kenya et du Zimbabwe qui, après avoir perdu les élections, se sont accrochés et ont pu se maintenir en partageant le pouvoir avec leurs opposants. Le woudy a certainement cru qu’en faisant le dos rond et en laissant durer les choses, il aboutirait à un tel résultat. Le problème est que cette fois-ci, personne n’a voulu marcher dans cette combine, et tout le monde a mis la pression sur Gbagbo. Et plus le temps passait, plus ses hommes commettaient des crimes, rendant impossible toute issue qui ne conduirait pas Gbagbo en prison. Ce qu’un woudy ne peut accepter. Il y a enfin la foi religieuse de Gbagbo et de sa femme Simone. En 1996, le couple,

qui était catholique, a échappé à un grave accident de la circulation. Ils ont aussitôt viré chrétiens évangélistes. En 2004, lors de la crise qui opposa Gbagbo à la France, une colonne de chars français s’égara et se retrouva devant la résidence présidentielle. Tous ceux qui s’y trouvaient crurent leur dernier jour arrivé. Ils se mirent à prier, et les chars français reculèrent. Gbagbo et les siens se convainquirent que leurs prières avaient vaincu les troupes françaises. Depuis lors, ils croient dur comme fer que Dieu est de leur côté, et que tous ceux qui les combattent sont soutenus par le diable. Depuis le début de cette crise, la cohorte de pasteurs qui les suit partout ne cesse de leur répéter que Dieu est avec eux et qu’ils vaincront. L’un de ces pasteurs, un certain Malachie, a prophétisé que Gbagbo sera encerclé, mais qu’au bout du septième jour, il repoussera ses assaillants et reconquerra tout son pays. La réalité lui a donné tort, mais lorsqu’on est le woudy de son village, que l’on a la trouille de se retrouver en prison et que l’on croit que l’on a Dieu avec soit, on résiste à tous les assauts. Ou presque. 13.04.2011 les inrockuptibles 19

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“On va passer un super été grâce au nouveau disque de Bon Iver”

retour de hype

hype

retour de bâton

Musée d’Art moderne de la Ville de Paris/Parisienne de Photographie

buzz

pré-buzz Claude Cahun

La mort

Beastie Boys

“J’ai passé mon gode de la route avec Rachida”

Le pantacourt qui revient avec le soleil

Vitalic + Sexy Sushi Bong Joon-ho “L’Eurovision cette année, c’est en mode intégral” Les casquettes 5 panels Schwarzenegger de retour au ciné “Cantat s’est fait refouler du Quick Bastille”

François Mitterrand, le retour

Nicola Formichetti

Claude Cahun Au Jeu de paume, à partir du 24 mai, se tiendra la plus grosse exposition consacrée depuis quinze ans à cette artiste aux autoportraits surréalistes et fulgurants. Bong Joon-ho Le cinéaste coréen présidera le jury de la Caméra d’or du prochain Festival de Cannes, à partir du 11 mai. La mort Le premier Salon de la mort s’est tenu ce week-end à Paris.

On pouvait, entre autres activités, créer un “album de vie”, de son vivant, qui sera ouvert au moment du décès ou essayer un cercueil. Mortel. Beastie Boys Trente secondes d’un nouveau morceau des B. Boys, Make Some Noise, a fuité sur le net. Hot Sauce Committee Part II, le nouvel album repoussé à de multiples reprises, sortira bien le 3 mai. G. S et P. S.

billet dur

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“Salut, Arlette Chabot, tu vas nous manquer (han, j’déconne)”

her Etienne Mougeotte, Au bruyant concert d’éclats de rire lorsqu’on apprit que la société Endemol possédait un comité d’éthique, ta présence au sein dudit comité résonna comme le coup de grâce. Pitié les amis, arrêtez les conneries de poisson d’avril à rallonge, on a du boulot… Non ouais, c’est ça ! Mougeotte dans un comité d’éthique sur la télé, et pourquoi pas Robert Ménard président de Reporters sans frontières et Jean-Pierre Coffe faisant de la pub pour Leader Price ! Et Bernard Tapie ministre dans un gouvernement de gauche tant qu’on y est ? Et Mitterrand ministre sous la droite ? Ah ah ah ! poilade en cascade, Jean-Pierre Pernaut présentateur de JT, LOL XXXL, Christophe Lambert écrivain, you hou hou, Frédéric Lefebvre essayiste,

Le Pen au second tour de la présidentielle, bon arrêtez, putain, j’ai un truc urgent à finir… Quoi encore ? Raphaël sur un tribute à Bashung, n’importe quoi, et les BB Burnes aussi, ducon ? Copé qui écrit une “Lettre à un ami musulman”, t’es vraiment un malade, mon pauvre, c’est comme si je te disais qu’un ancien faf de Minute fait la pluie et le beau temps à l’Elysée, t’y croirais ? Mais oui, et l’historien préféré des Français, c’est Lorànt Deutsch, warf warf, tu voudrais pas aussi qu’il interprète Jean-Paul Sartre : plus c’est gros plus ça passe ! Ma fille m’a dit que Titeuf avait eu droit à une interview en direct par Laurent Delahousse dans le JT de France 2, les enfants sont formidables comme aurait dit l’ex-ex de Cécilia, ils te feraient croire n’importe quoi… Oui, pardon ? Ah Etienne, désolé, vieux, je t’avais oublié avec tout ça… Comment ? Le comité d’éthique d’Endemol, ça existe vraiment ? Tu déconnes ! Et la présidente nous a montré sa charte ? Je t’embrasse pas, ça sent le poisson… Christophe Conte

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l’Evangile selon Katerine Pour le clip de Juifs, Arabes, tourné dans le sous-sol d’une boîte gay, le pape déjanté de la contre-culture explose tous les intégrismes.

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Sa Sainteté Philippe Ier

Katerine nous avait jusqu’alors habitués aux grands espaces : plages finistériennes à oilpé (La Banane), routes de France visitées en camion et sous-pull rose (Louxor j’adore)… Dans le clip de Juifs, Arabes, réalisé comme d’hab par Gaëtan Chataigner, le chanteur nous convie dans le sous-sol d’une boîte de nuit nantaise et revêt l’habit épiscopal. Un rôle sur mesure pour celui qui, depuis le succès de Robots après tout, s’est réinventé en sainteté déjantée de la chanson française.

Trublion incontrôlable, à la fois craint et vénéré par les animateurs télé (on se souvient d’un Nikos tremblant sur le plateau de la Star’Ac), il communie avec les foules en distribuant les hosties-décibels : “Je coupe le son/Et je remets le son.” Aux hérétiques qui crient au démon sur le net en entendant en boucle les paroles de son nouveau tube (“Juifs, Arabes, ensemble” répété ad libitum), il répond : “L’essentiel n’est pas dans les paroles.” Les voix de Katerine sont impénétrables.

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l’église interlope Dès que tu entends “ensemble”, c’est plus fort que toi, tu égorges un enfant de chœur avec les dents. On te comprend. Ce mot estampillé Anna Gavalda et UMP rend taré. Ensemble, c’est tout pousse au divorce, “Ensemble tout devient possible” à l’échec, “Laïcité : pour mieux vivre ensemble” à coucher avec un témoin de Jéhovah. Mais miracle, ce soir-là, franchement éméché, tu as toqué à la bonne porte blindée : un grand Noir musculeux, au regard de braise t’a pris par la main et mené vers la lumière de son crew de keublas ultrasexy. Un paradis où se tient une messe d’un genre nouveau, tout à fait affriolante. La communion se fait collé–serré, soutane contre minishort, au son de la divine parole. Dans son église, Katerine accueille ensemble tous les canards boiteux, les losers, les délinquants, les voleurs, les moches, les gros, les assistés de la CAF, les drogués. Du moment qu’ils paient l’addition, mon gars.

buvez, ceci est mon rhum coca Katerine prêche un nouvel évangile à coups de rhum coca tiédasse, un “faites l’amour pas la guerre” crasse et sexe. Dans sa croisade absurde et poétique, “Juifs, Arabes, ensemble”, slogan surréaliste et dada, enfantin, sonne comme un nouveau psychédélisme seventies qui fait du bien. Aussi ado provocateur et candide que la France de 2011 est stupide. Un évêque dans une boîte gay qui prône la réconciliation entre Juifs et Arabes, c’est pas plus surréaliste que d’entendre Claude Guéant déverser des seaux de bile chaque jour que Dieu fait. Katerine affranchit les esclaves de la France UMP, ouvre les portes de son caboulot gay, son paradis perdu aux âmes damnées et lasses. Il leur dit : “Mec, viens, danse, chante et mets ton short en jean ultraconnasse.” Katerine, c’est le fou qui dit : “Dans ma boîte, mec, on se fait manger la banane en toute liberté” Anne Laffeter et Géraldine Sarratia 13.04.2011 les inrockuptibles 21

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Le maire (PCF) a refusé de publier la tribune dans le bulletin municipal

une élue UMP à fond la norme Les gens “normaux” sont blancs, hétérosexuels et n’aiment pas l’art contemporain. C’est du moins l’avis d’Evelyne de Caro, élue de droite à Fontaine, une petite ville près de Grenoble.

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’est une étrange tribune libre qu’a reçue le bulletin municipal de Fontaine, petite ville de l’agglomération grenobloise. Elle est signée Évelyne de Caro, présidente du groupe d’opposition UMP. Quand il reçoit le texte, le maire communiste Yannick Boulard fait un bond. L’élu sait son adversaire agressive, parfois limite dans ses propos, mais pas à ce point : “Notre groupe a l’impression que lecture après lecture des Rive Gauche [le journal municipal] et ce depuis votre nouvelle élection, pour être considérés sur la commune, nous devons être des sans-papiers, d’origine étrangère, homosexuels, pacsés, aimer l’art moderne

“pour être considérés, nous devons être sans-papiers, homosexuels”

uniquement, avoir la carte du parti ou, comme certains de vos élus, avoir été à droite pendant des années et devenir socialiste depuis trois ans, etc, etc. Nous aimerions que vous interveniez une fois de plus en conseil municipal, pour nous indiquer ce que vous proposez, lorsqu’on n’est pas forcément de gauche, (mais) français ou d’origine européenne, en situation complètement régulière, hétérosexuel, aimant l’art dans toute sa splendeur, marié, divorcé ou veuf, en d’autres termes, nous aurions dit ‘normaux’, mais depuis toutes vos publications, nous ne savons plus ce qui est normal ou pas !!!” Après les conclusions rendues par une société de conseil, qui expertise juridiquement le texte, le maire décide de ne pas le publier. “Mieux vaut risquer une annulation suite à un recours pour abus de pouvoir qu’une condamnation

pénale”, explique-t-il. Le maire, en tant que directeur de la publication, encourt en effet un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende pour “incitation par support écrit à l’homophobie et à la haine raciale”. Yannick Boulard notifie sa décision par mail, le 22 mars, à Evelyne de Caro. Celle-ci rétorque, indignée : “Dès que vous êtes mis face à certaines réalités, immédiatement les propos sont qualifiés d’injurieux et de discriminatoires ! Qu’y a-t-il comme contre-vérités dans mon texte ?” Jointe par téléphone, Evelyne de Caro n’en démord pas, crie à la censure et assure que ses origines siciliennes la préservent de toute tentation raciste. Tout juste reconnaît-elle une maladresse : avoir utilisé le mot “normal” en opposition aux homosexuels et aux étrangers. “J’ai voulu dire ‘ordinaire’, se défend-elle,

c’est-à-dire comme tout le monde, dans la masse... Je ne suis pas homophobe, c’est eux [la majorité municipale] qui les stigmatise en dépensant énormément d’argent pour les campagnes anti-homophobie. Alors qu’ils ne font rien pour les vrais sujets, comme ce groupe de jeunes qui s’est approprié la place Louis-Maisonnat.” Lors du conseil municipal du 28 mars, Yannick Boulard met les pieds dans le plat en distribuant aux élus la tribune et en justifiant son rejet. Le ton monte, les élus de gauche tirent à boulets rouges sur Evelyne de Caro, comme l’écologiste Sébastien Teyssier : “Malheureusement, on s’habitue presque à la stigmatisation des étrangers parce que cela se produit au plus haut niveau de l’Etat, explique-t-il. Quand je lis ça, j’ai envie de pleurer. Je voudrais rappeler à Mme de Caro que des milliers d’homosexuels ont été exterminés dans les camps de concentration. Je transmettrai ce texte à des associations de lutte contre l’homophobie.” Les deux autres élus UMP présents, Christian Faure et Giovanni Montana, restent solidaires des écrits de leur collègue. Quelques jours plus tard, le journal local publie un article relatant l’ambiance tendue du conseil municipal. L’affaire éclate alors au grand jour. A la mairie, on dit avoir reçu dès le lendemain quantité d’appels et de courriers d’habitants scandalisés. Certains promettent de porter plainte contre l’élue. Antonin Boissonnet

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Adam Dean/Panos/REA

La ville d’Ordos, au nord de la Chine

chicaneries chinoises dans la ville fantôme Parti photographier une cité inhabitée en Mongolie intérieure, le sculpteur français Wilfrid Almendra fut pris pour un espion et inquiété par les autorités.

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l n’y a aucun héroïsme de ma part dans cette aventure. J’ai juste vécu l’ordinaire d’un régime extrêmement policier”, prévient le sculpteur français Wilfrid Almendra, deux jours après son retour de Pékin. “Quand je me suis vu au fin fond de la Chine dans une cellule, sans passeport, sans téléphone ni accès à internet, j’ai commencé à m’inquiéter.” Rappel des faits : Wilfrid Almendra part de Pékin avec un chauffeur pour la ville d’Ordos, douze heures de voiture vers la Mongolie intérieure. “Ordos est une cité incroyable, et c’est ce scénario urbain que je voulais visiter” : une cité de 80 000 habitants, mais surconstruite en six ans pour accueillir bientôt 1,3 million d’habitants, déplacés par le régime communiste chinois depuis l’Est surpeuplé vers cette région minière. “C’est un paysage étonnant, une cité moderne, onéreuse, plantée en pleine steppe. Mais elle est quasi vide : personne dans les rues ni sur les autoroutes, les hôtels de luxe sont vides. En même temps, c’est une ville-test pour la surveillance. Il n’y a que des policiers et des caméras, j’ai pu m’en rendre compte !” L’artiste photographie “à l’instinct, mais d’un œil averti sur les questions d’urbanisme”. Comme le ferait un touriste. “Sauf qu’il n’y a pas de touristes à Ordos et que j’étais le seul blanc. Aisément repérable en somme.”

Soupçonneuse, la police chinoise fait des descentes à son hôtel, à minuit, 2 heures, puis 6 heures du matin pour vérification de passeport. Deux gardes sont postés devant sa porte. “Plus tard, les gardes sont partis et j’ai changé d’hôtel pour envoyer un mail à ma sœur, histoire de prévenir.” Interpellé dans son nouvel hôtel, l’artiste est placé en garde à vue et soumis à un interrogatoire de cinq heures devant une vingtaine de gradés. Le tout en chinois, et d’abord sans traducteur. “Ils m’ont pris pour un espion, puis pour un journaliste. Ils ont regardé les films et les photos, et les trouvaient visiblement belles. Enfin, quand ils sont allés voir sur le net que j’étais vraiment artiste, l’atmosphère s’est détendue. Deux gardes m’ont ramené à l’hôtel, ont confisqué mes images et m’ont recommandé de partir avec mon chauffeur qui a lui aussi été inquiété. Sur la route, une voiture nous a suivis pendant quatre heures.” La Chine, qui se dit férue d’art contemporain et qui offrait son plus beau visage lors de l’Exposition universelle de Shanghaï, a pourtant mis à sac l’atelier de l’artiste contestataire Ai Weiwei, après l’avoir intercepté le 3 avril à l’aéroport de Pékin pour “crimes économiques”. Wilfrid Almendra a au moins la chance de ne pas être chinois. Jean-Max Colard 13.04.2011 les inrockuptibles 23

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Free met Disney en box Disney France vient de passer un accord avec Free qui permet aux détenteurs d’une Freebox de regarder en streaming mais aussi de télécharger de façon permanente des films et des séries produites par le studio américain. Disneytek (les films) et ABCtek (les séries) sont lancées le 14 avril. Le prix des téléchargements n’est pas encore connu. fusion et réactions en chaîne Après avoir été plusieurs fois reporté, le projet de fusion France 24-RFI voit le jour. La chaîne et la radio seront logées dans deux immeubles voisins d’Issy-les-Moulineaux afin de pouvoir ensuite fusionner les rédactions. Les syndicats pointent du doigt les quelque 120 suppressions de postes envisagées. vers la disparition de Louis la Brocante ? D’après le rapport Chevalier, remis au ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, il y a urgence à sortir la fiction télé française de sa tiédeur. Pour lui donner un brin d’audace, la mission préconise de donner aux auteurs et scénaristes une place centrale dans la création. La guilde des scénaristes demande à France Télévisions d’intégrer ces propositions dans une charte d’écriture à établir. tout Le Monde est là Le directeur du Monde, Erik Izraelewicz, a présenté l’équipe chargée de divers chantiers. Serge Michel, créateur du Bondy Blog, pilotera la fusion des rédactions papier et internet. L’accent sera mis sur l’investigation avec notamment le retour de Fabrice Lhomme, de Mediapart. Luc Bronner, spécialiste des banlieues, devient rédacteur en chef et chapeautera les pôles société et politique.

Au musée du Louvre, face à La Joconde

Jamiekeiles

brèves

le PS se contente d’un poil de culture Grande absente du projet socialiste pour 2012, une politique culturelle audacieuse permettrait pourtant au PS de cultiver sa différence. Quelques pistes de réflexion existent malgré tout.



ue pourrait être une politique culturelle de gauche en 2012 ? Sera-t-elle une priorité ? Encore discret sur la question – pas une ligne dans son projet –, le Parti socialiste aurait intérêt à réfléchir aux “conditions d’un renouveau de la politique culturelle”, comme s’y emploie l’universitaire Emmanuel Wallon dans Pour changer de civilisation (Odile Jacob), l’essai signé Martine Aubry et coécrit avec cinquante chercheurs et citoyens. Trente ans après la rupture incarnée par Jack Lang, la gauche a besoin d’idées neuves pour affronter les bouleversements en cours dans les processus de production, de diffusion et de réception des œuvres. Le soutien aux artistes et aux industries culturelles, l’élargissement des champs de la création, le refus de la distinction entre haute et basse culture ne peuvent suffire à tracer les contours d’une politique publique confrontée à des contraintes inédites : d’un côté, l’austérité budgétaire généralisée qui réduit le périmètre de l’action publique ; de l’autre, l’avidité des industriels qui accentue la standardisation des œuvres. Pour autant, le PS veut réactiver des principes de base de la politique de Lang. En premier lieu : l’impérieux effort budgétaire. Aux commandes de l’Etat, la droite a entamé un cycle de restrictions financières que n’a pu compenser l’appel, peu suivi, au mécénat. Le glissement opéré par le ministre Frédéric Mitterrand

trente ans après la rupture incarnée par Jack Lang, la gauche a besoin d’idées neuves

dans son projet d’orientation – de “la culture pour tous” à “la culture pour chacun” – masque la stagnation des aides. Si la droite répète que la démocratisation culturelle a échoué, la gauche voudrait garantir l’accès aux œuvres, offrir à tous des compétences et des références esthétiques. Associé à une vraie politique de l’offre, misant sur les crédits pour la création, cet effort éducatif n’oppose pas la liberté artistique à la demande du public : “Il s’agit davantage d’élever le degré de discernement que le niveau de consommation ou le taux de fréquentation”, estime Wallon. Rompre avec un modèle consumériste dominant exige de “procurer aux individus les moyens de faire prospérer leurs facultés et leurs talents plutôt que d’assouvir leurs appétits”. Un nouvel aménagement humain du territoire (en ateliers, studios, résidences d’artistes) s’impose, ainsi qu’une prise en compte de la précarité des statuts. La mutation numérique exige enfin d’élaborer des modèles économiques nouveaux, capables à la fois de réguler la concurrence, de faciliter la perception des droits d’auteur, d’encourager la diversité, de préserver la liberté des internautes… Même situé à la marge de la campagne électorale à venir, l’enjeu, complexe et disséminé, d’une politique culturelle à réinventer pourrait conférer à la gauche une “distinction” marquante à laquelle elle semblait avoir renoncé ces dernières années. Il lui reste encore à peaufiner ses arguments, mais l’esquisse des grandes lignes forment déjà, à condition de ne pas passer à la trappe, un horizon encourageant. Jean-Marie Durand

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le Kiblind nouveau

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Les 40 ans de FIP, une enquête sur les liens entre art et sport et une couverture signée Brecht Evens, révélation BD flamande, pour le 35e numéro de ce magazine bimestriel gratuit.

où va Baddou ?

marchands d’App Pour savoir si l’expression “App Store” désigne une marque ou un nom commun exploitable par tous (“application store”), Microsoft et Apple ont chacun fait appel à un linguiste pour appuyer leurs arguments respectifs.

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Pierre-Emmanuel Rastoin

A la fin du mois, Libération va fermer quatre de ses sites internet régionaux à Orléans, Rennes, Strasbourg et Lille. Des lecteurs ont créé un comité de défense de LibéOrléans et lancé une pétition en ligne pour s’opposer à cette fermeture.

Ali Baddou approché par France 2 : la chaîne, qui souhaite se rajeunir, serait prête à le débaucher du Grand Journal de Canal+ pour lui confier un magazine culturel.

Tom Swain

LibéOrléans lutte

ticket virtuel Pour faire gagner du temps aux spectateurs, Gaumont et Pathé proposent un billet électronique à imprimer ou à recevoir sur son mobile par internet.

se refaire une e-réputation le jeune est smart En France, les téléphones multimédias représentent 38 % du parc de la téléphonie mobile. Ils cartonnent particulièrement chez les jeunes : 86 % des 16-24 ans en possèdent un.

Pour le plus grand malheur des entreprises d’e-réputation, la Cnil explique aux internautes comment faire disparaître eux-mêmes les données personnelles pouvant leur nuire : bit.ly/hBA4ik.

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Stéphane Lavoué/Pasco

cher Claude Guéant, dans la vie, il est des choses que nous sommes incapables de supporter plus longtemps. Oh ! ne crois pas que... suite page suivante 13.04.2011 les inrockuptibles 27

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1994. Charles Pasqua le nomme directeur général de la police nationale

D’après la dernière lettre de Pétrone à Néron dans Quo Vadis ? d’Henryk Sienkiewicz

Les Inrocks

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contre les musulmans En déplacement à Nantes le 4 avril, Claude Guéant défend le débat sur la laïcité organisé le lendemain par l’UMP. Il explique qu’en 1905, au moment de l’adoption de la loi régissant les relations entre les Eglises et l’Etat, “il y avait très peu de musulmans en France. Aujourd’hui, il y en a entre 5 et 10 millions. Cet accroissement du nombre de fidèles et un certain nombre de comportements posent problème. Il est clair que les prières dans les rues choquent un certain nombre de concitoyens. Et les responsables des grandes religions ont bien conscience que ce type de pratiques leur porte préjudice.” A la veille des cantonales, le ministre de l’Intérieur avait affirmé que “les Français, à force d’immigration incontrôlée, ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux”, ou “de voir des pratiques qui s’imposent à eux et qui ne correspondent pas aux règles de notre vie sociale”. Le 23 mars, louant les efforts diplomatiques de Nicolas Sarkozy à propos de l’intervention en Libye, Claude Guéant souligne “qu’heureusement, le Président a pris la tête de la croisade pour mobiliser le Conseil de sécurité des Nations unies, et puis également la Ligue arabe et l’Union africaine”. La croisade, terme plus que malheureux… Le 24 mars, invité de Radio Classique, il évoque à nouveau la laïcité en expliquant que si “les agents des services publics évidemment ne doivent pas porter de signes religieux, manifester une quelconque préférence religieuse, les

Jean-Pierre Couderc/Roger-Viollet

n va finir par regretter Hortefeux !” La plaisanterie a fait le tour de Facebook et de Twitter. Il est vrai qu’en cinq semaines place Beauvau, Claude Guéant a réussi à se tailler une réputation à la hauteur de celle des plus redoutables ministres de l’Intérieur de la droite française, de Marcellin à Pasqua en passant par Poniatowski. Avec des propos polémiques à répétition sur l’islam et l’immigration qui provoquent la fureur de la gauche. Clivant et provocant.

Jean-Paul Jaslet/Maxppp

… nous allons te reprocher d’avoir commencé ta carrière comme conseiller au ministère de l’Intérieur sous Giscard, d’aimer la police au point de la commander, de t’être donné corps et âme à ce Nicolas Sarkozy, d’avoir singé le cardinal de Richelieu dans des complots obscurs… Non ! petit-fils du terrible Pasqua ! L’ambition est la destinée de l’homme et l’on ne pouvait attendre de toi d’autres actes. Nous ne nous étonnons pas que tu te sois pris pour un Talleyrand au petit pied, fricotant avec les dictatures d’Afrique et les services secrets syriens, algériens et libyens. Tu as excité le peuple contre les Roms, encouragé un absurde débat sur l’identité nationale, flatté les instincts xénophobes des perdants de la mondialisation. Tu as multiplié les gaffes et les provocations, parlé de “croisade” alors que l’armée française protégeait le peuple musulman de Benghazi, assuré que devant l’immigration “les Français ont le sentiment de ne plus être chez eux”. Tu veux, à l’inverse de ce que disait ton maître Sarkozy il y a trois ans, limiter l’immigration légale, accélérer les réexpéditions à la frontière et refouler à Vintimille les Tunisiens de Lampedusa. Les humanistes se bouchent les oreilles et les intellectuels te couvrent de risées. Mais nous apprenons que tu commandes des sondages secrets sur l’impopularité de Brice Hortefeux, que tu dénigres auprès de l’imperator cet homme semblable à toi, que tu lui reproches à tort d’avoir ouvert les portes de la France aux immigrés. Voilà qui est au-dessus de nos forces. Réprime, mais ne calomnie pas. Verrouille, mais épargne ce pauvre Brice en recherche d’emploi. Terrorise, mais surveille ton vocabulaire. Tu n’en es pas capable ? Alors dégage ! Tel est notre amical conseil.

En 2000, il devient préfet de la région Bretagne

usagers du service public ne le doivent pas non plus”. Dernier épisode, dans une interview au Figaro magazine publiée le 8 avril, Claude Guéant est interrogé sur l’immigration légale. Va-t-il la réduire ? “Bien évidemment”, répond-il avant de passer à l’immigration irrégulière et aux expulsions. Alors que l’objectif fixé pour 2011 est de “28 000 reconduites à la frontière”, le ministre de l’Intérieur explique : “Très franchement, j’espère que nous ferons plus...” comme Mazarin A l’UMP, on a tenté d’ériger ces derniers jours un rempart autour du chevalier noir Guéant en insistant sur les failles d’un ministre “novice” : “C’est un haut fonctionnaire, il ne maîtrise pas la parole politique” ; “Si j’étais à sa place, je ne ferais pas mieux” ; “Il faut d’urgence lui payer du coaching médiatique”… D’autres sont moins charitables : “Guéant, c’est le cardinal de Retz qui devient Mazarin. Il rêvait de sortir de l’ombre, aujourd’hui il se rend compte que la lumière est écrasante et qu’il n’a plus le même impact qu’à l’Elysée. D’autres ont pris sa place, comme Xavier Musca.”

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Axelle de Russé/Abaca

Guéant et Buisson auraient commandé des sondages montrant la faible popularité d’Hortefeux

Il est proche de Patrick Buisson, conseiller politique de Nicolas Sarkozy et ancien directeur de la rédaction de Minute et Valeurs actuelles

Ou encore : “A l’Elysée, il passait son temps à dégommer les ministres qui avaient gaffé dans la presse. Maintenant qu’il est passé de l’autre côté, il se rend compte que la politique, c’est un métier.” à droite de la droite Pour Julien Fretel, universitaire spécialiste de la droite et du centre, ces explications sont valables mais un peu courtes. Pour lui, Claude Guéant “n’est pas une anomalie” à droite, bien au contraire. “Sa carrière, sa socialisation font de lui un conservateur (…). L’hebdomadaire Valeurs actuelles est un peu le recueil de cette pensée. Pour cette droite-là, issue du catholicisme traditionnel et de la pensée conservatrice, ce que dit Claude Guéant n’est même pas provocateur”, précise le chercheur. Julien Fretel rappelle que, lorsque Jacques Chirac s’était opposé à Valéry Giscard d’Estaing en décembre 1978 avec l’appel de Cochin, il l’avait fait en stigmatisant l’UDF comme “le parti de l’étranger” au service de la cause européenne. Il souligne aussi que, dans son livre Libre, publié en 2000, Nicolas Sarkozy avait appelé de ses vœux la naissance d’“une droite décomplexée”.

“Contrairement à Jacques Chirac qui se cachait derrière son petit doigt radical, Nicolas Sarkozy s’affiche clairement à droite, ajoute-t-il en insistant sur le fait que Claude Guéant, haut fonctionnaire, droit dans ses bottes, pense qu’il faut tenir un discours populiste au sens propre, c’est-à-dire qu’il pense que les classes populaires ont un besoin de sécurité, demandent une maîtrise de l’immigration et attendent des mesures limitées ponctuelles, comme par exemple la fermeture des frontières, plutôt que des réponses à leur malheur économique et social.” “On a souvent tendance à oublier qu’il y a des idéologues à droite, qu’il y a des gens qui réfléchissent”, poursuit Julien Fretel, qui rappelle la tenue des “états généraux” de l’opposition les 31 mars et 1er avril 1990 à Villepinte, où le RPR et l’UDF, précurseurs gaulliste et centriste de l’UMP, avaient adopté une plateforme très droitière sur l’immigration. Le chercheur fait donc de Claude Guéant un des acteurs majeurs de la stratégie définie par Nicolas Sarkozy pour la campagne de 2012 : “L’idée est la suivante : la droite n’a pas perdu aux cantonales parce que la gauche a gagné mais parce que l’électorat de droite est

parti vers le Front national. Il faut donc envoyer des signaux pour qu’au second tour d’une présidentielle, les électeurs FN puissent se dire que la droite ne les a pas oubliés.” “La droite française a choisi un entre-deux : plutôt que de s’allier au FN, elle tente de le phagocyter”, ajoute-t-il. Pour s’imposer comme le héraut de cette opération de reconquête, Claude Guéant a pu compter sur le soutien de Patrick Buisson, conseiller du chef de l’Etat venu de l’extrême droite. Certains assurent même que les deux hommes ont commandé des sondages montrant la faible popularité de Brice Hortefeux, ce qui aurait hâté le discrédit de “l’ami de trente ans” de Sarkozy au ministère de l’Intérieur. Ce ministère que Guéant connaît sans doute mieux que quiconque car il y a passé presque dix ans. derrière Sarkozy Originaire d’une famille modeste du Nord – il est né à Vimy, entre Lens et Arras, en 1945 –, Claude Guéant est un pur produit de la méritocratie républicaine. Il a intégré la préfectorale à sa sortie de l’ENA alors que son classement lui aurait permis de choisir des voies plus prestigieuses comme 13.04.2011 les inrockuptibles 29

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Nikolay Doychnov/Reuters

Guéant sait qu’il lui reste “six à sept mois utiles” place Beauvau avant le début de la vraie bataille Sofia, juillet 2007 : avec Cécilia Sarkozy, Claude Guéant accueille les infirmières bulgares libérées des prisons de Khadafi

la diplomatie ou l’Inspection des finances. Mais il est déjà du côté de l’ordre, comme en Mai 68 lorsqu’il effectue son service militaire à Saumur, loin du mouvement étudiant. En 1977, il entre pour la première fois dans un cabinet ministériel, en devenant conseiller technique chargé des questions de sécurité auprès de Christian Bonnet, ministre de l’Intérieur à poigne de Valéry Giscard d’Estaing. Claude Guéant collabore ensuite avec Charles Pasqua, Jean-Louis Debré et Jean-Pierre Chevènement. En 2002, sa vie prend un nouveau tour lorsque, chaudement recommandé par Pasqua, il met ses pas dans ceux de Nicolas Sarkozy, tout nouveau ministre de l’Intérieur. “Le suivre, c’était finalement l’aboutissement d’une vie de fonction publique”, a confié cet homme d’apparence discrète, courtois, qui rougit facilement. Nicolas Sarkozy et Claude Guéant, qui se vouvoient, s’étaient déjà croisés lors de la prise d’otages dans une école de Neuilly-sur-Seine, en 1993. Le maire de la ville et porte-parole du gouvernement

merci de virer Gu ant

Balladur avait apprécié le directeuradjoint de cabinet de Charles Pasqua. à la place de Fillon Au soir de l’élection de Nicolas Sarkozy, le 6 mai 2007, Claude Guéant se tient quelques pas derrière lui sur la scène de la salle Gaveau où le candidat est venu remercier ses militants. Il sait déjà qu’il sera le nouveau secrétaire général de l’Elysée. Le préfet s’apprête à transformer cette fonction traditionnellement exercée dans l’ombre. Nicolas Sarkozy souhaite alors former un cabinet à l’image de l’équipe qui entoure le président américain à la Maison Blanche, comme dans la série West Wing. Claude Guéant organise donc une sorte de gouvernement bis qui irrite beaucoup François Fillon, court-circuité à Matignon. Le nouveau secrétaire général de l’Elysée multiplie les interventions médiatiques, recadrant tel ou tel ministre. Christine Lagarde en a fait les frais à Bercy lorsqu’elle a annoncé fin 2007 que la croissance serait finalement moins forte que prévu. Beaucoup plus secrètement, Claude

si vous en avez assez d’avoir un ministre de l’Intérieur et de l’Immigration qui adhère aux thèses du Front national, vous pouvez envoyer cette carte postale au président de la République pour lui demander de démettre Claude Guéant de ses fonctions. Inutile d’affranchir, le port est payé.

Guéant conduit une diplomatie parallèle qui provoque la colère des diplomates du Quai d’Orsay. Mais Bernard Kouchner, ministre d’ouverture des Affaires étrangères, laisse faire, conscient qu’il ne peut s’opposer à la volonté présidentielle. loin de Juppé Le rôle de Claude Guéant est révélé au grand jour lors de l’affaire des infirmières bulgares arrachées à leur prison libyenne en juillet 2007. Le secrétaire général de l’Elysée s’est lui-même rendu à Tripoli en compagnie de Cécilia Sarkozy, alors l’épouse du chef de l’Etat. Le succès n’est pas toujours au rendez-vous, comme lorsque Claude Guéant est dépêché à Abou Dhabi début 2010 pour tenter de sauver un contrat nucléaire en perdition. Il rentre à Paris les mains vides. Tout autant que sa connexion idéologique avec Patrick Buisson, c’est cette fonction d’émissaire personnel de Nicolas Sarkozy qui a provoqué son départ de l’Elysée. Lorsqu’il a accepté de prendre les rênes d’un Quai d’Orsay en pleine déprime, Alain Juppé a clairement fait de l’éviction de Claude Guéant une des conditions de son arrivée au poste. Désormais consacré tête de pont de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant sait qu’il lui reste “six à sept mois utiles” place Beauvau avant le début de la vraie bataille. Le croisé a revêtu son armure. Hélène Fontanaud

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Martin Bureau/AFP

Jean-François Copé Secrétaire général de l’UMP, le 6 avril

“aussi inquiétant que pathétique” De droite à gauche, que disent les collègues et adversaires de Guéant de ses débordements ? François Hollande Député PS de Corrèze, le 17 mars

François Fillon Premier ministre, face aux députés PS, le 5 avril

“Le meilleur service que pourrait rendre Claude Guéant serait aujourd’hui de se taire et d’éviter d’utiliser les mots qui sont généralement ceux qui heurtent quand ils sont émis par les leaders du Front national.”

“Votre attitude est méprisable. Vous venez maintenant instruire le procès de Claude Guéant avec des phrases sorties de leur contexte, coupées en morceaux, avec les bonnes vieilles méthodes des procès staliniens, la caricature, la calomnie, l’amalgame.”

Jean-Pierre Grand Député UMP (villepiniste), le 24 mars “Ce qu’il dit revient à interdire d’avoir autour du cou un petit signe religieux, comme un bijou en forme de croix, ou de porter une kippa. On n’est plus dans la défense de la laïcité, on est dans l’inquisition. Il faut que Claude Guéant arrête de dire n’importe quoi et de ridiculiser la majorité.”

Marine Le Pen Présidente du Front national, le 17 mars “Comme il y a un début à tout et que ça part d’une bonne intention, j’ai fait faire à M. Guéant sa carte d’adhérent de prestige. Il m’apparaît que M. Guéant a été touché par la grâce. Quand le FN est à 25 %, les responsables de

l’UMP parlent comme le FN. J’en appelle aux électeurs, mobilisezvous ! Quand le FN sera à 40 %, peut-être dans la dernière année du mandat, M. Guéant finira par mettre en application ses propos.”

Dominique Voynet Europe EcologieLes Verts, le 7 avril “On a besoin des immigrés mais il n’est pas sûr qu’on ait besoin de Claude Guéant. Il était un préfet respecté par tout le monde, il est devenu un ministre de l’Intérieur aussi inquiétant que pathétique dans cette succession de petites phrases qui flattent les plus bas instincts et l’électorat d’extrême droite.”

“J’ai envie de dire ‘cessons-le-feu’, c’est trop, cette technique qui consiste à s’acharner sur une personnalité de notre gouvernement à titre individuel pour l’assommer, à la fin ce n’est plus vraiment conforme à l’idée que je me fais du respect de nos institutions et du respect des personnes.”

François Bayrou Président du Modem, le 19 mars  “Les propos de bistrot et les déclarations de ministre, ce n’est pas la même chose. Il le fait en espérant qu’une polémique naîtra, qui le fera applaudir par des partisans ou des esprits en colère. Mais qui à la charge, depuis dix ans, (...) de contrôler l’immigration et d’assurer la sécurité ? N’est-ce pas M. Guéant, personnellement missionné par Nicolas Sarkozy, qui a tout pouvoir depuis une décennie ?”

Eric Ciotti Secrétaire national de l’UMP en charge des questions de sécurité, le 24 mars “Claude Guéant a eu raison de rappeler que le principe de laïcité doit s’appliquer à tous et partout. On comprend la gêne de Martine Aubry sur ces questions, elle qui n’avait pas hésité à s’asseoir sur le principe de laïcité, à promouvoir le communautarisme en bafouant les règles de neutralité du service public, en créant des créneaux réservés dans les piscines de Lille en fonction des confessions religieuses.” compilé par Hélène Fontanaud

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liberté, non égalité, non plus fraternité, pas plus Les déclarations du ministre de l’Intérieur s’inscrivent dans la droite ligne d’une politique de division voulue par le Président. Décryptage avec l’historien Patrick Weil.

NicolasS arkozy à l’Elysée, janvier 2010

Charles Platiau/Reuters

par Anne Laffeter

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Patrick Weil : “Nicolas Sarkozy est allergique aux valeurs de la République”

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Charles Platiau/Reuters

n sent chez Patrick Weil un agacement profond et ancien : contre la politique menée par Nicolas Sarkozy depuis son arrivée au ministère de l’Intérieur en 2002 ; contre le fait de répéter inlassablement les mêmes arguments pour démonter les contre-vérités scientifiques et historiques proférées sur l’immigration par le Front national et la droite sarkozienne, et pour mettre au jour les manipulations et logiques politiciennes. Depuis dix ans, cet historien spécialiste de l’immigration, de l’intégration, de la lutte contre les discriminations et de la laïcité, au CNRS et à l’université Paris-I, n’a pas chômé. En 2007, il a soutenu Ségolène Royal. Pour protester contre l’instauration du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale après la victoire de Nicolas Sarkozy, il a démissionné des instances de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. Dans son dernier livre, Etre français, les quatre piliers de la nationalité (éditions de l’Aube), il donne une définition positive, unitaire et républicaine de l’identité française, opposée à celle proférée par Nicolas Sarkozy, que Patrick Weil juge antirépublicaine. Le ministre de l’Intérieur veut réduire l’immigration légale. Comment interprétez-vous cette sortie ? Patrick Weil – Claude Guéant obéit à un objectif de Nicolas Sarkozy : pouvoir présenter une baisse de l’immigration légale à la veille de l’élection présidentielle. C’est une logique politique. Certains à l’UMP agitent le spectre de l’invasion en France des immigrés tunisiens de l’île de Lampedusa et ne veulent pas que l’Italie délivre des cartes de séjour provisoires... Il est très rare qu’il y ait une invasion par mer, même en cas de crise. Elle se fait plutôt par la terre. L’Italie est un pays souverain qui a le droit de donner des cartes de séjour à qui elle veut,

ce n’est pas Nicolas Sarkozy qui dirige l’Italie. Cela fait longtemps que des Tunisiens s’installent en Italie, pourquoi voulez-vous qu’ils aillent ailleurs où ils ne seraient pas en situation légale ? Trois mois de polémiques sur l’islam pour trois heures de discussion : le grand débat sur la laïcité, tout ça pour ça ? On a eu l’impression que JeanFrançois Copé, le secrétaire général de l’UMP, faisait un colloque comme si l’UMP n’était pas au pouvoir depuis dix ans. M. Sarkozy a été ministre de l’Intérieur pendant presque cinq ans et président de la République depuis autant de temps. Une partie des propositions de ce “débat” sur la laïcité étant déjà dans des lois ou règlements, il est surprenant qu’il découvre que les règles de la laïcité doivent être clairement expliquées et appliquées. Ce débat révèle en fait deux traits de l’actuelle présidence. D’abord, Nicolas Sarkozy instrumentalise la laïcité pour diviser les Français, alors qu’elle est conçue pour les unifier. Au début de son quinquennat, il a rendu visite au pape pour s’excuser de la loi de 1905. C’était un contresens historique ! Cette loi libérale avait été négociée avec l’Eglise de France. En y mettant son véto, le Vatican d’alors avait relancé dans notre pays la guerre entre les défenseurs de la laïcité et l’Eglise. Lors de cette visite, le Président a ajouté que le prêtre avait plus de valeur que l’instituteur, créant une hiérarchie entre les Français qui croient et ceux qui ne croient pas. Alors que la laïcité est fondée sur l’égalité de toutes les options spirituelles. Puis, aujourd’hui encore, alors que son rôle est d’unifier, le Président crée une hiérarchie entre ceux qui ne sont pas musulmans et ceux qui le sont. Est-ce une tradition à droite d’instrumentaliser ce domaine ? Non. En 2003, Jacques Chirac a senti un risque de politisation de la question des signes religieux à l’école avec la commission spéciale mise en place 13.04.2011 les inrockuptibles 35

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par l’Assemblée nationale. Il a alors créé la commission Stasi pour réfléchir sur l’application du principe de laïcité, qui a vocation d’unir et non de diviser. Y a-t-il une filiation entre l’antisémitisme des années 30 et la focalisation sur l’immigration musulmane ? Il peut y avoir certaines filiations mais il y a des différences. L’antisémitisme était plus puissant que ne l’est jusqu’à présent le racisme antimusulmans. A l’époque, 40 % des Français étaient antisémites. C’était une situation paradoxale car la majorité des Français a voté pour le Front populaire et un président du conseil juif. L’antiracisme a ensuite progressé très fortement depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais dans les années 30, jamais un chef de l’exécutif n’a usé de la polémique. Les Ligues, l’Action française se situaient

Getty Images/AFP

Vatican, 8 octobre 2010. Nicolas Sarkozy est reçu par Benoît XVI

dans l’opposition à la République. Sarkozy divise pour conserver le pouvoir. Mais aujourd’hui, ses capacités de nuisance sont limitées. Dans les années 30, les instruments de contrôle du pouvoir exécutif n’existaient pas : le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme ont été créés depuis… Dans Etre français, vous présentez les quatre piliers de la nationalité française : l’égalité devant la loi, la langue française, la filiation à la Révolution, la laïcité. Vous dites que Nicolas Sarkozy est antirépublicain car il ne les respecte pas… Sa politique économique a favorisé les gens aisés. Son mépris pour la littérature a fait de La Princesse de Clèves un best-seller. Je ne l’ai jamais entendu parler de façon positive de la Révolution française. Cette allergie

aux valeurs de la République explique qu’après une phase de séduction, il soit rejeté avec force. Ces valeurs sont puissantes, on le voit notamment parce que ceux qui les attaquent sont bannis. Cela remet en cause le calcul politique de la bande à Sarko… Après la visite au pape, Nicolas Sarkozy a reculé sur la mise en cause de la laïcité. Ensuite, il a pensé qu’en s’attaquant à une minorité, les musulmans, il gagnerait avec le soutien de la majorité des Français qui ne sont pas musulmans. C’est un calcul politique pervers et moralement condamnable, mais cela il n’en a cure. Marine Le Pen a-t-elle eu raison d’avoir fait Claude Guéant adhérent d’honneur du Front national le 27 février, alors qu’il venait de regretter qu’“à force d’immigration incontrôlée, les Français ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux” ? Par cet acte, Mme Le Pen lui dit : “Au fond, vous n’êtes pas un ministre de l’Intérieur comme les autres, vous n’incarnez pas les principes de la République, vous ne respectez pas l’égalité des citoyens devant la loi”, égalité qu’elle ne souhaite pas respecter elle-même. Le ministre de l’Intérieur est chargé d’appliquer la loi républicaine dans le respect de l’égalité de chacun. Aujourd’hui, ses déclarations contribuent plus au désordre qu’à l’ordre public qu’il est censé faire respecter. Le discours actuel sur l’immigration de l’UMP a-t-il une filiation ? Le Président Valéry Giscard d’Estaing avait aussi des opinions très proches du Front national et continue d’en avoir. Il a essayé de renvoyer par la force la majeure partie de l’immigration nord-africaine. A l’époque, les centristes s’y sont opposés et se sont alliés avec les gaullistes. Sur ces sujets, Sarkozy est une sorte d’héritier de VGE. Claude Guéant parle d’“immigration incontrôlée”, alors que depuis 2002, il gère avec Nicolas Sarkozy la politique de lutte contre l’immigration. Il valide les attaques de Marine Le Pen... Il fait un peu agneau de l’année… Mais sa posture valide le constat d’échec frontiste, qui est d’ailleurs faux ! La France n’est pas envahie par l’immigration illégale.

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“la France n’est pas envahie par l’immigration illégale, malgré ce qu’en dit le FN” Dans Sécurité, la gauche peut tout changer (sortie le 21 avril), Manuel Valls fait le lien entre origine culturelle, immigration et délinquance, comme Sarkozy lors du discours de Grenoble. Il veut relancer les statistiques ethniques pour étudier ce “lien tabou”… A part alimenter les débats, ces statistiques ne servent à rien ! Le lieu de naissance, l’origine nationale nous donnent des informations suffisantes pour vérifier que les Français noirs ou d’origine nord-africaine sont soumis à des discriminations ou pas. Manuel Valls est un incompétent. J’aimerais bien l’entendre exiger du gouvernement qu’il produise les données que l’Education nationale et les entreprises peuvent fournir. Plutôt que de proposer des dispositifs qui diviseront artificiellement les Français, en s’appuyant sur des méthodes qui feront probablement reculer la connaissance. Je m’explique :

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en France, à la différence des EtatsUnis, on a une réticence historique à se compter par ethnicités ou couleurs de peau, car cela rappelle Vichy, la colonisation ou l’esclavage. Monsieur Valls peut bien avoir envie de compter les Noirs et les Arabes, si 10 % à 20 % d’entre eux refusent de fournir les données demandées, celles-ci seront moins fiables que celles fondées sur la nationalité et le lieu de naissance. Aujourd’hui, dans les universités américaines, les Noirs viennent d’Afrique et des Caraïbes, très peu sont américains. Les statistiques ethniques risqueront de camoufler la vraie lutte contre les inégalités, qui doit concerner les gens nés en France et pas ceux qui remplissent les quotas des entreprises. La chancelière allemande Angela Merkel et le Premier ministre britannique David Cameron ont

annoncé l’échec du multiculturalisme dans leur pays. Ensuite, Nicolas Sarkozy a fait de même. Pourtant, le multiculturalisme n’a jamais été une politique publique en France... En Allemagne et en Grande-Bretagne, cela avait un sens car le multiculturalisme y était une politique, quoique différente dans les deux pays. Nicolas Sarkozy a pensé que c’était bien de suivre, mais ses déclarations n’ont rien à voir avec la réalité française. Si un homme politique a voulu implanter en France le multiculturalisme, Nicolas Sarkozy est bien celui-là. Il a voulu faire changer le préambule de la Constitution en ajoutant le mot diversité. Il a pour cela créé une commission, présidée par Simone Veil, qui a refusé cette révision fin 2008. Mais il ne s’en souvient peut-être pas. Il passe sans cesse d’un coup politique à l’autre sans hésiter à se contredire.

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mal vu de l’étranger Médusée, la presse européenne assiste à la dérive vers l’extrême droite d’un gouvernement schizophrène. par Guillemette Faure

C

’était la semaine dernière. Jean-François Copé recevait les membres du Club de la presse européenne (CPE) au siège de l’UMP, rue de la Boétie à Paris. Objectif : expliquer le débat sur la laïcité à des journalistes étrangers sidérés. Président du CPE, Alberto Toscano n’avait a priori rien contre une discussion sur le thème de la laïcité, “mais elle a lieu au pire moment et dans les pires conditions. On ne joue pas avec ce type de sujet”. Le journaliste italien y voit “une stratégie de campagne électorale pour 2012 dans une logique de radicalisation à droite de l’UMP et de compétition avec le Front national ; la question musulmane est traitée par Guéant dans la lignée d’une droite nationaliste et radicale. Il est évident que monsieur Guéant se situe dans une compétition politique qui a lieu sur les terres de l’extrême droite xénophobe.” A ce malaise s’ajoute pour l’écrivainjournaliste italien celui qu’a suscité Claude Guéant dans sa façon de traiter les immigrés de Libye et de Tunisie. “Il s’est comporté de façon très discutable. Claude Guéant est allé à la frontière franco-italienne et a promis de renforcer

les contrôles malgré l’existence de l’espace Schengen. On ne peut pas décemment parler de générosité en disant qu’on veut sauver la vie des populations civiles à Benghazi et ensuite fermer la porte aux réfugiés tunisiens et libyens. Rétablir les contrôles à la frontière, c’est une insulte à l’Europe autant qu’aux réfugiés !” Le point de vue est largement partagé par la presse étrangère. Le New York Times rappelle qu’en début de mandat, le Président français avait défendu l’Union pour la Méditerranée mais que “cherchant à attirer les électeurs d’extrême droite avec des politiques dures anti-immigrants avant le scrutin présidentiel de l’an prochain, M. Sarkozy a donné des limites très nettes à ses idées de la solidarité européenne”. Déjà l’été dernier, dans un éditorial cinglant où il estimait que la droite modérée française avait raison de s’inquiéter, le grand quotidien américain reprochait à Nicolas Sarkozy d’“attiser dangereusement les sentiments anti-immigrés”. “Bien que ce soient des sujets mineurs – par exemple, seulement dix des deux mille mosquées françaises sont vraiment surchargées –, le gouvernement ne veut pas laisser

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ces questions au Front national”, décrypte aussi le Financial Times. En Espagne, El País rappelle que Claude Guéant a été le bras droit de Nicolas Sarkozy pendant des années et se demande si c’est vraiment involontairement que l’homme devient “la star médiatique du moment à cause de ses phrases polémiques et de ses dérapages au micro”. “Que Guéant ait pu être plus lourd qu’Hortefeux est incroyable”, réagit Bruce Crumley de Time Magazine. Le fait que Sarkozy continue dans cette voie dont on ne constate depuis le départ que les résultats politiquement désastreux encourage à se poser des questions sur la santé psychologique de l’équipe dirigeante”. La fixation laïque française

“on se pose des questions sur la santé psychologique de l’équipe dirigeante” Bruce Crumley, Time Magazine

Stéphane Lemouton/Abaca

Le 5 avril à l’hôtel Pullman Montparnasse, Jean-François Copé anime le débat sur la laïcité

pousse déjà ses lecteurs à se “gratter la tête, nous explique-t-il, mais la façon dont ces débats sont focalisés sur les musulmans donne vraiment l’impression qu’on utilise la laïcité comme cache-sexe d’une offensive contre l’islam.” Pour ce correspondant américain à Paris depuis plus de vingt ans, on voit “clairement que leur idée est de dresser leurs électeurs contre une influence dite étrangère qui est l’islam. A gauche comme à droite, je ne suis pas sûr qu’on apprécie à quel point ce discours est perçu comme ouvertement islamophobe. Si vous mélangez ça avec le discours de Grenoble, le seul message qu’on entend, c’est qu’il y a une menace qui vient des peuples qui ne nous ressemblent pas”. Même l’opportunisme de Copé qu’il voit “faire passer Fillon pour un traître et pousser Sarkozy dans la politique du pire pour le faire exploser” confond Crumley. “On se souviendra en 2017 qu’il a été la pom-pom girl de la politique du pire. Il va garder des taches indélébiles”. Prochaine étape après les sorties de Guéant ? “On se demande si le conseiller Patrick Buisson ne va pas faire porter un tailleur et une perruque blonde à Sarkozy afin de le faire passer pour Marine Le Pen.” 13.04.2011 les inrockuptibles 39

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édito

Lionel Preau/KCS PRESSE

où es-tu Borloo ?

les atouts du candidat Hulot L’ex-animateur se lance enfin dans l’arène. Sa popularité et son aisance suffiront-elles pour convaincre qu’il incarne “l’écologie des solutions” ?

 C

’est à Sevran (Seine-Saint-Denis), chez Stéphane Gatignon (ancien communiste passé écolo) que Nicolas Hulot annonce mercredi 13 avril sa candidature à la primaire Europe Ecologie. Un symbole très social pour celui qui représente la droite des écolos. Eva Joly et Stéphane Lhomme (ex-Sortir du nucléaire) sont les autres candidats à la primaire de juin. Hulot a trois mois pour convaincre les militants qu’il est le meilleur pour incarner “l’écologie des solutions”, comme dit son camp. Sorte de “Yes We Can” sauce écolo. Quels sont les atouts du candidat Hulot ? Une très forte notoriété. Il est rare de rencontrer un Français qui ne le connaît pas alors que 30 % ignorent qui est Joly. Une forte popularité ensuite. Avec 76 % d’opinions favorables, il domine le classement des personnalités

politiques Ifop pour Paris Match (devant DSK à 75 % et Chirac à 71 %). Dans une campagne, c’est un gain de temps important. “Même si chez les Verts on aime couper des têtes, il y a toujours une prime en politique aux candidats qui ont le soutien de l’opinion”, précise Jérôme Fourquet de l’Ifop, “d’autant plus que dans les derniers sondages deux tiers des sympathisants écolos le soutiennent.” Mais popularité ne signifie pas crédibilité. Hulot est crédité de 7-8 % d’intentions de vote. C’est toujours plus que Joly à 4-5 %, qui insiste sur la sincérité d' Hulot pour mieux souligner son inexpérience. Difficile de l’imaginer parler ISF, situation en Libye ou mondialisation. Par contre, on le sait à l’aise à l’oral, contrairement à l’ex-juge. Mais saura-t-il résister à un débat avec des vieux tueurs rompus à la politique? Anne Laffeter

Il suffit d’écouter Borloo développer ses arguments pour comprendre… qu’on ne comprend rien à ce que raconte l’ancien ministre de l’Ecologie. C’est vrai, c’est une caricature un peu facile de considérer Borloo (Bordeloo) comme un politique brouillon, au charme un peu foutraque. C’est aussi selon ce présupposé que le Président avait finalement renoncé à “nommer Gainsbourg à Matignon”. Mais il faut bien en convenir, Borloo nous embrouille : où est-il ? Face à Moscovici, la semaine dernière, sur France 2, il paraissait plus à gauche que le socialiste. Il lui reprochait les privatisations de l’ère Jospin et la faiblesse des dépenses en matière de logements sociaux. Sa critique du sarkozysme sécuritaire semblait rédhibitoire… Mais non, Borloo ne se place pas dans l’opposition, il se situe à la fois dans “ce camp”, dit-il, parlant de la majorité, et ailleurs, puisqu’en même temps, il veut créer un mouvement alternatif au PS et à l’UMP… Allez comprendre ! Borloo est, en réalité, beaucoup plus proche, idéologiquement et au regard de ce qu’il dit, d’un Hollande ou d’un Strauss-Kahn que d’un Sarkozy version Guéant ou Buisson. Mais, même hors de l’UMP, les élus du Parti radical sont liés par des accords électoraux à leur grand frère de la majorité. Borloo est donc condamné, s’il continue à vouloir être autonome, à cultiver l’ambiguïté et le flou. Il est vrai que sa personnalité et son expression, sa façon de ne jamais finir une phrase, se prêtent parfaitement au positionnement centriste impossible à tenir dans le système binaire qu’impose la Ve République.

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Après le vote à l’unanimité du “projet 2012” par le Conseil national du PS, les socialistes peaufinent leur stratégie pour la primaire. Avant le depôt de candidatures, le 28 juin, chaque camp affûte ses thèmes. Revue des argumentaires.

Fred Dufour/AFP

“candidats” à l’épreuve du programme socialiste

Franck Crusiaux/REA

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Aubry, le PS, rien que le PS La première secrétaire savoure. Le projet du PS que tous les socialistes ont défendu – une gageure au PS - a été voté à l’unanimité. Un texte d’autant plus important que pour Martine Aubry, “le projet du PS et celui du candidat socialiste, c’est la même chose”. D’ici juin, elle le défendra au cours de plusieurs grandes rencontres avec les Français. Reprenant l’idée de Benoît Hamon, elle a aussi dépêché des élus du PS (Catherine Trautmann, Christophe Caresche…) à la rencontre des partis socialistes européens pour présenter les propositions du PS. Enfin, d’autres forums thématiques auront lieu, comme celui du 18 mai à Grenoble, sur l’avenir de l’université. Depuis plusieurs semaines, un certain nombre de présidents de grands établissements (Paris-I, Paris-V, Cergy, ENS Cachan, Nantes, Toulouse, Strasbourg…) planchent avec le PS sur cette question de la réussite des étudiants, d'une meilleure orientation, du système des bourses.... Et si cette dernière séquence, d'avril à juin, est un succès, “si c’est convaincant…”, commentent plusieurs élus qui se sont engagés derrière elle, Martine Aubry pourrait vouloir faire un pas vers une candidature à la primaire du PS. Dans ce contexte, elle devrait structurer son discours à coups de “redressement économique de la France”, de “justice sociale” et d’une “nouvelle étape démocratique”. Pas difficile d’imaginer que son slogan de campagne soit “la France qu’on aime”, tant elle le répète dans ses allocutions, certaine que 2012 se jouera sur les valeurs. Seules modifications qu’elle pourrait apporter par rapport du projet du PS : parler davantage de culture et aller plus loin sur la question du nucléaire. Mais d’ici juin, elle n’en finira pas de ne pas dire si elle est candidate…

DSK et son atterrissage Alors, candidat ? “Deux mois et vous saurez”, s’amuse un proche. Mais si le patron du FMI revenait, est-ce que le projet du PS lui conviendrait ? Depuis sa présentation, tous les strauss-kahniens se sont employés à expliquer que le programme était “compatible pour tout le monde”. DSK pourrait faire ressortir le volet “économique et social”, précise un ami, avec notamment la réduction du déficit, pour tenter de le ramener sous la barre des 3 % du PIB, une façon de toucher l’électorat senior. Deuxièmement, la révision générale des politiques publiques, précise François Kalfon, proche de DSK, qui réfléchit sur ces questions pour son livre signé avec Laurent Baumel, L’Equation gagnante (éd. Le Bord de l’eau). “On raisonne, commente-t-il, en termes de qualité des services publics”, avec des moyens mis sur l’éducation, la santé et la sécurité. Manuel Valls, candidat déclaré à la primaire, mais qui se retirera si DSK y va, planche d'ailleurs sur la question de la sécurité avec un livre à paraître le 21 avril. Bon choix pour la date ! Pour DSK, il existe une autre priorité, celle d’un nouvel acte de la décentralisation. “Si la République tient encore, précise François Kalfon, c’est par ses territoires.” Enfin, “assumer une forme de patriotisme, ajoute ce strauss-kahnien, et ne pas se faire voler la laïcité par d’autres”. Reste pour le patron du FMI, le G8, le G20 et l’annonce de sa candidature, si elle a lieu, après discussion avec Martine Aubry.“La question de son atterrissage sera une vraie question”, explique-t-on dans son entourage. Certains n’ont aucune inquiétude et planchent sur des scénarios… sans vouloir en dire plus.

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Axelle de Russe/Abacapress Valinco/Sipa

Baltel/Sipa

Hollande et l’international Si François Hollande a répété que ce projet était “le projet des socialistes”, et que tous les candidats à la primaire devraient l’assumer, il a clairement répété que chacun serait libre de dresser “l’ordre des priorités, d’insister sur une orientation principale”. En somme, analyse son ami Michel Sapin, “tout le monde utilise les mêmes briques, ce qui change c’est le ciment”. Pour François Hollande, la priorité est connue de longue date : il s’agit de la jeunesse, portée par un “contrat de génération” et le”transfert d'expérience”. Si une entreprise embauche un jeune avant 25 ans et maintient son emploi jusqu’à ce que le senior chargé de sa formation puisse partir à la retraite, elle pourrait être exonérée de cotisations sociales sur ces deux contrats pendant trois ans. Pour le député de Corrèze, cette question des jeunes doit être abordée dans sa totalité : formation, éducation, emploi, logement. Une façon de “donner à la jeunesse qui vient toutes les conditions pour réussir”. Deuxième priorité, “qui est une condition” : la réforme fiscale. “Elle est une structuration des autres réformes”, précise Michel Sapin. Troisième priorité pour Hollande : “un nouvel acte de décentralisation”, et enfin “le redressement productif : une stratégie industrielle” pour la France. Outre plusieurs déplacements de terrain, à commencer par l’Oise, un grand meeting de lancement de campagne est prévu le 27 avril à Clichy (92), en banlieue parisienne, le jour du forum sur l’outre-mer organisé par le PS. De quoi faire grincer des dents rue de Solférino. Son équipe prévoit aussi plusieurs voyages à l’étranger : Tunisie, Grèce, Belgique et une virée au Parlement européen. Ses miles vont exploser !

Royal, boulot, boulot Pour Ségolène Royal, ce projet du PS “est un socle commun (...). Il appartiendra ensuite à chacun et chacune de donner sa vision, ses priorités”, écrit-elle dans un message aux militants de Désirs d’avenir. Son axe de campagne est trouvé : elle veut être la candidate du peuple et des classes populaires, ambition évoquée lors de son déplacement de Bully-lesMines en janvier. Dès lors, le fil rouge de “l’ordre juste”, l’axe central de sa campagne présidentielle en 2007, déjà cité en 1996 dans son livre La Vérité d’une femme, pourrait à nouveau servir de thème conducteur. Une manière d’aborder les inégalités dans la mondialisation, et de parler pouvoir d’achat, logement, “sécurité pour les petites et moyennes entreprises” grâce à la banque publique d’investissement, “lutte contre les licenciements boursiers” et formation des jeunes. Des jeunes chez qui elle reste populaire, au moment où elle se voit devancée dans le reste de la population par DSK, Martine Aubry et François Hollande. Rien d’inquiétant pour son équipe : “On est imperméable au vent, qu’il soit favorable ou défavorable, ça glisse comme sur les plumes d’un canard !” D’ailleurs pour son entourage, rien ne sert de partir trop vite, “il faut savoir gérer le temps dans une compétition”. Pour rappel pourtant, Royal est la première à s'être lancée dans la course. Une compétition préparée minutieusement. Premier défi : analyser le vote Marine Le Pen, grâce à une cartographie du vote FN. Deuxième tâche : l’organisation prochaine de plusieurs universités populaires. En somme, c’est boulot, boulot, boulot.

Montebourg, gauche toute Si le député de Saône-et-Loire, candidat déclaré à la primaire, ne se désolidarise pas du projet du PS, qu’il juge comme “un compromis dans lequel tout le monde peut se reconnaître”, il considère qu’il faut aller plus loin. Dans une interview au Monde, Arnaud Montebourg estimait que le projet “ne traite pas d’un certain nombre de questions (...). Les audaces que j’aurais souhaitées ne sont pas au rendezvous”. Ainsi, les priorités d’Arnaud Montebourg reposent-elle sur un mot, la “démondialisation”. Un processus politique, qui s’accompagne pour lui d’une reterritorialisation de l’économie, avec entre autres le rapprochement des lieux de consommation et des lieux de production, la mutation écologique de l’économie, un renouveau productif, un retour du protectionnisme européen comme outil de reconstruction de l’économie française, et la mise en place d’un nouveau modèle de capitalisme coopératif, comme système alternatif au capitalisme financier. En somme, “la politique redevient plus forte que l’économie”, explique pompeusement Arnaud Montebourg qui, comme Ségolène Royal, s’adresse en particulier aux classes populaires et aux classes moyennes. Outre des déplacements sur le terrain, le député multiplie les virées à l’étranger. La semaine dernière, il s’est rendu au Niger, à l’invitation du tout nouveau président Mahamadou Issoufou, pour parler, commente le secrétaire national du PS à la Rénovation, sur son blog “de politique et codéveloppement”, de “lutte contre le terrorisme et la fin de la prédation sur les matières premières africaines, pour initier une nouvelle voie (voix) de la France dans le monde”. Marion Mourgue 13.04.2011 les inrockuptibles 43

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mères porteuses, la France en retrait

Bertrand Guay/AFP

Le 6 avril, la Cour de cassation a refusé au couple Mennesson l’inscription à l’état civil de leurs jumelles nées d'une mère porteuse américaine

Ouverture du mariage et homoparentalité sont au programme des socialistes mais pas la question des enfants nés de mères porteuses.

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u’ont en commun Elton John, Nicole Kidman, Sarah Jessica Parker, Ricky Martin, Robert De Niro et Cristiano Ronaldo ? Ils ont tous fait appel à une mère porteuse. Age, homosexualité, problème de fertilité… Chacun ses raisons. Aux Etats-Unis, c’est ultra-encadré mais il vous en coûtera entre 70 000 et 100 000 euros. Belgique, Royaume-Uni, Pays-Bas, Danemark, Grèce, Canada, Israël tolèrent ou ont légalisé la gestation pour autrui (GPA). En France, elle est interdite depuis 1994. Parallèlement, des marchés moins réglos

Sarkozy a tenté de déringardiser la droite. Avant de reculer devant la pression des plus conservateurs

et plus abordables se sont développés : en Ukraine et en Inde notamment. Moitié prix, mais à vos risques et périls. Pierre et Catherine1 ont tout essayé pendant dix ans. En désespoir de cause, ils choisissent l’Ukraine. Des jumelles naissent. Le 21 mars, le couple est arrêté à la frontière hongroise (l’Ukraine n’est pas dans l’espace Schengen). Assigné à résidence loin de Kiev, le père est accusé de trafic d’enfant. Les jumelles attendent à l’orphelinat. Huit Français seraient bloqués en Ukraine suite à une GPA. Autre cauchemar, en France cette fois. Une femme porte le bébé d’un couple contre de l’argent. Enceinte, elle fuit. Depuis, le père se bat pour obtenir un droit de visite. “Derrière ses histoires dramatiques, il y a aussi toutes les familles qui ont réussi mais dont les enfants n’ont pas d’état civil

français”, explique l’avocate Caroline Mécary, membre d’Europe Ecologie. Le 6 avril, la Cour de cassation a refusé à Sylvie et Dominique Mennesson l’inscription sur les registres français de leurs jumelles de 10 ans nées d’une mère porteuse américaine. “Les écolos sont favorables à la transcription de l’état civil”, précise Mécary. Sur la GPA, le parti socialiste a tranché. Défavorablement. Le programme de 2012 stipule : “Face aux risques que représentent l’instrumentalisation du corps de la gestatrice et sa possible marchandisation, l’interdiction de la gestation pour autrui doit être maintenue.” Najat VallaudBelkacem, en charge des questions de société au PS, est déçue. Elle avait défendu sa légalisation encadrée avec Bertrand Monthubert, ancien

président de Sauvons la recherche et militant PS. Le 9 février, un appel “contre le marché des ventres”, lancé par le collectif No Body For Sale, était publié dans Le Monde, signé par des poids lourds comme François Hollande, Lionel Jospin, Sylviane Agacinski, Michel Rocard, Axel Kahn, Gisèle Halimi… Mais Najat VallaudBelkacem se réjouit : l’ouverture de la procréation médicalement assistée à toutes les femmes et le droit à l’adoption pour les couples homos font partie du programme. Depuis le Pacs en 1999, rien n’avait bougé. Lorsque la gauche tombe en 2002, le PS attribue en partie sa défaite à une orientation trop éloignée des classes populaires. En 2007, le mariage et l’homoparentalité sont au programme de Ségolène Royal. In extremis. L’UMP s’est alors aligné sur les positions des socialistes de 1999. Un temps, Sarkozy tente de déringardiser la droite sur ces questions. Avant de reculer devant la pression des plus conservateurs. Après l’IVG et la peine de mort, pas question de perdre sur l’homoparentalité. Pendant ces années, l’égalité des droits progresse en Europe et dans le monde, sauf en France. La société n’a pas attendu 2012 pour avancer. Devant le silence du législateur et les refus du gouvernement, les batailles se passent dans les tribunaux. Mardi, devant la Cour européenne des droits de l’homme, Caroline Mécary plaidait le cas d’un couple de femmes, dont l’une veut adopter l’enfant de sa compagne. Contre ces plaignantes, rien moins que sept hauts fonctionnaires avaient été missionnés pour épauler l’avocate du gouvernement. Anne Laffeter 1. les prénoms ont été modifiés

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presse citron

par Christophe Conte

les relous

Rocard illumine la politique telle qu’elle meurt de ne pas être, Borloo jauge l’adversité, Longuet rêve plongée sous Marine et Strauss-Kahn-à-pêche. Jean Sarkozy, lui, traîne sa lose dans le loft altoséquanais.

it’s getting Woerth

la vie des Jean “Ne l’appelez plus Jean-Edouard”, titre Le Nouvel Obs (7/04) à l’occasion d’un portrait du niqueur subaquatique, pardon, du comédien et DJ révélé il y a dix ans par Loft Story. Désormais, il faut l’appeler Jean Lipa et éviter à tout prix de le ramener à ses origines de ramoneur de piscine. Dans le même numéro, on nous dit que Jean Sarkozy ne s’est pas présenté à la présidence du groupe UMP des Hauts-de-Seine parce qu’il était sûr d’être battu. Faut plus s’appeler Sarkozy, ça craint, sinon tu te fais sortir du Loft. Surtout si ta Loana, c’est Isabelle Balkany !

poêle à gratter Interrogé par Le Parisien (6/04) à propos du projet du Parti socialiste, Michel Rocard a sorti deux phrases cultes dont on se ferait bien floquer un T-shirt. Recto, à propos du nucléaire : “Je ne supporte pas les démagos qui se servent d’un accident comme celui du Japon pour transformer la planète en poêle à frire.” Verso, sur la question de la candidature : “Ce qu’il faut pour la gauche en 2012, c’est un bon chirurgien du cœur pour la finance.”

vachettes Jean-Louis Borloo sur France 2 (7/04), à propos de sa probable candidature en 2012 : “Si c’est Martine Aubry, ce sera un derby du Nord, contre François Hollande, ce sera Intervilles et contre Strauss-Kahn, je ne sais pas trop.” Un épisode de Desperate Housewives pour ex de la télé ?

bleu marine Un “Indiscret” de L’Express (6/04) nous apprend que le jeune moussaillon (et accessoirement ministre de la Défense) Gérard Longuet a fait

Toujours difficile pour Eric Woerth de remettre un pied à l’UMP, après son évictionlâchage dans l’affaire Bettencourt. Seul justiciable encore visé par des poursuites après la paix conclue entre Liliane Bettencourt et sa fille, l’ancien ministre a eu du mal à trouver une place assise lors du débat sur la laïcité du parti sarkozyste, le 5 avril. Dans un livre publié le 16 mai chez Plon, et sobrement intitulé Dans la tourmente, il raconte son calvaire. Pas sûr que ses anciens compagnons lui offrent même un parapluie…

un stage d’initiation le 29 mars à bord du porteavions Charles-de-Gaulle. Il aurait promis aux amiraux d’“apprendre tous les grades de la marine”. Ouais Gégé, tu n’as qu’à te rappeler tes jeunes années au sein d’Occident et mettre une majuscule à marine et tout sera conforme.

merchandising ringue Le Point (7/04) révèle que le slogan “Yes we Kahn !”, aperçu dans le docu de Canal+ sur le directeur du FMI, a été déposé à l’INPI dans les catégories : vêtements, vaisselle et statuettes en porcelaine, aquariums, bijoux, médailles, affiches, prospectus et sacs-poubelle. DSK serait bien inspiré d’utiliser cette dernière catégorie pour mettre ce slogan ridicule là où il n’aurait jamais dû fleurir.

très confidentiel Le Vive Le Pen ! de Robert Ménard ne comporte que 30 pages, un peu moins qu’un rouleau de PQ, pour un usage similaire, et beaucoup moins que Le mieux est l’ami Ricoré du bien de Frédéric Lefebvre.

jour de gloire pour Rama ? Rama Yade fait dans le patriotisme. Nom du club politique qu’elle a lancé, avec un site web décoré aux couleurs de la République : “Allons enfants !” Un peu décalé pour parler aux “djeuns”, qu’elle veut toucher via les réseaux sociaux, à commencer par Facebook et ses 55 000 amis. Des “cafés” mensuels seront organisés pour donner la parole aux sans-voix. Rien de très révolutionnaire, mais les recettes classiques de ses aînés. 13.04.2011 les inrockuptibles 45

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safari

Nicolas Tavernier/RÉA

Jean-Luc Mélenchon est “ému et gratifié”. Le Parti communiste a annoncé sa préférence pour le leader du Parti de gauche comme candidat unique du Front de gauche à la présidentielle

brèves

échauffement avant la bataille A gauche, à droite comme au centre, on se positionne avant le grand combat, on se titille, on se jauge. L’artillerie lourde suivra. le PS va au cinéma... Un proche de Dominique Strauss-Kahn analyse la concurrence entre le directeur général du FMI et François Hollande pour la primaire du PS : “Hollande, c’est un bon film d’auteur avec deux César mais Dominique, c’est le blockbuster, avec les effets spéciaux et les millions de spectateurs !” Et Martine Aubry, elle est ouvreuse ?

par ce projet, je ne crois pas à l’inspiration charismatique du grand chef, de la grande cheftaine, qui serait touché(e) par la grâce. La théorie du grand chef qui sait, c’est quand même pas la culture de la gauche !”

Aubry “numéro 1 cette fois-ci”

Dimanche, au Grand Jury RTL-LCILe Figaro, sur le pacte Aubry-DSK, vanté le matin même sur Europe 1 par Fabius, Hollande file la métaphore catholique et romaine : “Laissons la messe se faire avec ceux qui y croient. Je ne veux pas entrer dans cette église. Je n’ai pas de pacte avec qui que ce soit, si ce n’est avec les Français. La primaire, ce n’est pas se réunir en conclave en attendant une espèce de fumée rose !”

Invitée de Semaine critique sur France 2, le 8 avril, Martine Aubry a été interrogée sur une ancienne déclaration : “J’aime bien être numéro 2 derrière quelqu’un que j’admire.” D’où la question “Vous admirez qui ?” Rires de la première secrétaire du PS : “C’est une bonne question ! Actuellement, je ne peux pas répondre”, et de lâcher : “Je ne serai pas numéro 2 cette fois-ci.” Emballement de Franz-Olivier Giesbert : “Elle a répondu !” Mais la première secrétaire est vite retombée sur ses pieds : “On peut être numéro 1 en France, on peut être numéro 1 à Lille et on saura en juin.”

mais les laïcs contre-attaquent

Borloo et le pouvoir de la Force

Henri Emmanuelli s’énerve à la tribune du conseil national du PS, samedi : “J’espère que notre candidat sera engagé

Si Dominique Strauss-Kahn n’est pas candidat à la présidentielle, Jean-Louis Borloo aura plus d’espace politique et cela

… et à la messe

posera un problème dans l’entre-deuxtours au candidat socialiste, que ce soit Martine Aubry ou François Hollande, jugent les proches du patron du FMI. Mais si DSK est le candidat et qu’il se retrouve face à Nicolas Sarkozy au second tour, le centriste “ira vers la Force”, c’est-à-dire vers la gauche et le “jedi” de Washington.

Bayrou voit Borloo à droite François Bayrou ne fait pas la même analyse. Pour le président du Modem, l’émancipation de Jean-Louis Borloo de l’UMP n’est rien d’autre qu’une “opération qui vise à ramener le centre dans la majorité, vers Nicolas Sarkozy, qui vise à faire croire que le centre ne peut exister que d’un seul côté de l’échiquier, à droite. Il suffit de regarder le pedigree de celui qui la propose : Jean-Louis Borloo a été ministre sans interruption de Jacques Chirac pendant cinq ans et puis ministre sans interruption, et même numéro 2 du gouvernement, tout au long des quatre années qui viennent de s’écouler. Jamais, en neuf ans, il n’a trouvé une réserve à exprimer.” H. F. et M. M.

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affaires intérieures étrangères

Villepin dans le grand bain ?

U  

Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite. par Michel-Antoine Burnier

Denis Charlet/AFP

ne semaine après Jean-Louis Borloo, c’est au tour de Dominique de Villepin de se charger des nuits de cauchemars de Nicolas Sarkozy. Face à la montée des présidentiables socialistes et au danger Marine Le Pen, le chef de l’Etat ne voudrait voir qu’une seule tête à droite – la sienne – au premier tour de l’élection présidentielle de 2012. Mais l’ancien Premier ministre, qui attend son deuxième procès Clearstream en mai, semble bien décidé à jouer sa carte. Jeudi, Dominique de Villepin présentera son projet lors d’une conférence de presse. Dimanche, invité sur France 5, il a laissé entendre qu’il le porterait lui-même en 2012. “Vous avez bien compris que j’allais présenter un projet et que ce projet, j’avais fermement l’intention de l’incarner”, a-t-il dit, avant de rectifier légèrement le tir et de souligner qu’il avait “vocation à l’incarner”. L’ancien Premier ministre de Jacques Chirac est toutefois resté flou sur la date de l’annonce de sa candidature : “Je le dirai quand les Français seront dans le temps de l’élection présidentielle.” Sans doute fin 2011 ou début 2012. Sur le fond, le divorce est sérieux entre Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin. Le chiraquien n’hésite pas à parler d’“échec du quinquennat” et dit vouloir “proposer une alternative” à la politique menée depuis quatre ans par son rival. C’est le sens de la démarche suivie depuis juin 2010 et le lancement du mouvement République solidaire. En février 2011, Dominique de Villepin a parachevé son émancipation en ne reprenant pas sa carte de l’UMP. Dimanche, l’ancien ministre des Affaires étrangères a émis des doutes sur la stratégie de Jean-Louis Borloo, qui entend lui aussi récupérer les voix du centre, orphelines depuis l’échec de François Bayrou en 2007 et en déshérence depuis la droitisation de l’UMP ces derniers mois. Dominique de Villepin a rappelé que le centriste avait été près de quatre ans ministre de Nicolas Sarkozy. “Ces quatre années ont marqué des liens profonds entre les deux hommes, un accord sur une politique qui a été menée”, a-t-il souligné. Hélène Fontanaud

que le meilleur perde

A Denain, le 4 avril. Villepin a proposé d’engager une “révolution de la dignité”, avec notamment la création d’un revenu minimum garanti de 850 euros par mois pour chaque Français

Un homme politique conséquent doit toujours recommencer ce qui a déjà échoué. Ainsi M. Copé a-t-il reproduit le pitoyable débat sur l’identité nationale : afin de mieux diviser son parti comme le gouvernement, il s’est obstiné à tenir celui sur l’islam sous le pauvre camouflage d’une laïcité déviée. Voilà de quoi hérisser à jamais l’électorat d’origine musulmane, ce qui doit bien représenter au bas mot deux millions de suffrages. M. Copé est sur la bonne voie : la popularité de M. Sarkozy vient encore de baisser. Les socialistes, eux, exposent avec grande satisfaction leur nouveau programme. C’est qu’ils ont pour une part retrouvé les antiques recettes victoricides de MM. Mitterrand et Jospin. On se souvient que les 110 propositions de l’un s’évanouirent après trois dévaluations, deux plans de rigueur et des législatives perdues, et que le bilan du second hissa M. Le Pen au deuxième tour de la présidentielle de 2002. Jusqu’à présent, les socialistes français ont réussi ce miracle : depuis 1924, tous les gouvernements qu’ils ont soutenus, auxquels ils ont participé ou qu’ils ont dirigés ont été désavoués lors de l’élection suivante. Ce résultat paraît d’autant plus méritoire que leurs semblables d’Allemagne, de Grande-Bretagne, d’Espagne, de Grèce même, ces maladroits, sont parfois demeurés au pouvoir durant deux, voire trois législatures. Où gît la recette ? Dans

les programmes du PS, bien sûr. Voilà pourquoi il fallait que les socialistes promettent : 1. de rétablir la retraite à 60 ans, mesure aussi infinançable qu’intenable ; 2. d’augmenter les impôts de 50 milliards : en frappant ainsi les niches fiscales, on commet par nécessité autant de dégâts collatéraux sur les classes moyennes que les frappes chirurgicales d’un drone américain sur un village d’Afghanistan ; 3. de mettre en place une allocation d’autonomie pour la jeunesse et de la réduire à une simple distribution de bourses d’études ; 4. de sortir du nucléaire sans en avoir les moyens, hors une distribution massive de lampes à huile ; 5. de tout décider au sommet sans prêter attention aux situations réelles et vécues, comme Mme Aubry l’avait si bien réussi avec les 35 heures, portant ainsi au système hospitalier un coup dont il ne s’est pas relevé ; 6. de parier sur une croissance moyenne de 2,5 % sur cinq ans, chiffre aussi invraisemblable dans la bouche de Mme Aubry que dans celle de M. Sarkozy ; 7. de ne tenir aucun compte de l’Europe, ni des marchés, ni de la fuite programmée des capitaux : les socialistes savent qu’en gonflant encore l’Etat et l’impôt, en multipliant fonctionnaires et emplois assistés, la France risque de perdre sa note AAA et de rejoindre la Grèce, le Portugal et l’Irlande. Le beau programme s’en effondrerait, ce que le PS a certainement prévu. (à suivre...) 13.04.2011 les inrockuptibles 47

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SalonEr opolis auB ourget, le 11 mars

Bertrand Guay/AFP

37 % de Britanniques affirment que la baise est devenue leur activité préférée depuis la chute de Lehman Brothers

contre-attaque

contre la crise, la fesse Quand tout fout le camp, le job, l’épargne et la retraite, amour et câlins deviennent des valeurs refuges. A défaut de s’offrir une nouvelle voiture, on rentre plus tôt à la maison, on se glisse sous la couette et on fait des galipettes.



ans la navette qui mène au Salon de l’érotisme depuis la gare du Bourget en ce dimanche de mars frileux, beaucoup de grands ados qui se poussent du coude, de petits couples sages ou plus matures, et même une maman chaperonnant fifille. Et tandis qu’on entre dans les hangars marronnasses d’Eropolis, ce qui frappe d’abord est le caractère populaire et bon enfant de la petite foule. “On veut se recharger avant de retourner au turbin”, confie une paire

de jeunes amoureux. Faisant halte ce week-endlà aux portes de Paris, le road-show d’Eropolis s’affiche au tarif bradé, cette année, de 10 euros les deux jours. Moins cher qu’un week-end au ski et pas moins distrayant. Ambiance salée à l’intérieur : défilé de fesses dodues et de gros lolos, enterrement de vie de jeune fille avec chippendales à disposition, stands bâchés de pole dance, shows lesbiens, démonstrations SM avec cagoule et fouet. Des cours de strip-tease

adultère en ligne On sait le succès remporté depuis son lancement il y a près de deux ans par gleeden.com, site de rencontres pour hommes et femmes mariés, et donc supposément malheureux en ménage. Le site annonce fièrement 300 000 visiteurs en France, dont 35 % de femmes, la plupart en ménage. Selon une enquête diligentée par le site, 85 % disent ne ressentir aucune culpabilité. Plus encore, elles pensent qu’une liaison extraconjugale est le gage de la longévité de leur couple. Teddy Truchot, l’un des créateurs du site, prétend avec des mines ingénues qu’il ne fait que “répondre à un besoin social”. Gleeden a ouvert la voie à des concurrents, air-adult.com ou rencontre-adultere.fr.

sont dispensés aux dames, des cabines individuelles réservées aux messieurs pour effeuillage privé, pratiqué par une star du X : avec un peu de chance, Jade Laroche, Betty Beniski ou Penelope Tiger, toutes maquillées comme pour un tournage d’Almodóvar. Sur les étals de ce joyeux bazar, des sex-toys taille de mulet pêle-mêle, que monsieur et madame regardent l’air pénétré. Mais aussi le nec plus ultra des combis latex, lingerie fine, panoplies de catwoman sexy, poupées gonflables, ou, plus pratique, vagins en plastique souple et de bonne taille. La crise dope la libido. La preuve : les Britanniques, souvent moqués pour leurs piètres performances au lit (hommes apathiques, femmes frigides), affirment, pour 37 % d’entre eux, que la baise est devenue leur activité préférée depuis la chute de la maison Lehman

Brothers et le séisme qui s’en est suivi. Dans une étude de l’institut YouGov, publiée quelques mois après le début de la crise financière, faire l’amour arrive loin devant “bavarder entre amis” (28 %) ou “aller au musée” (7 %). Et comme, par ailleurs, ils ont aussi la réputation d’être radins, ils profitent d’un passetemps qui ne coûte rien. De leur côté, sans être hyperactifs, les Français se défendent plutôt bien sur le plan horizontal. Ils seraient 71 % à penser que les plaisirs de la chair sont essentiels, et 82 % à les pratiquer régulièrement. Du coup, en 2010, le taux de natalité affiche un record historique de 800 000 naissances, alors que d’ordinaire ce taux baisse dans les périodes de ralentissement économique. Prostitution de luxe, agences d’escorts, sex-toys, sex-shops, lingerie coquine, téléchargement de films X : le commerce du plaisir connaît un boom inédit. Et l’industrie du préservatif annonce un chiffre d’affaires en augmentation de 40 % à 50 % ! Le psychanalyste allemand Wilhelm Reich ne disait pas autre chose quand il lança la notion d’“économie sexuelle”. En période de surchauffe économique, la frustration nourrit la rage de gagner des petits guerriers. Mais quand il n’y a rien à gagner à travailler plus, ils changent de terrain pour s’accomplir. [email protected]

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des lendemains qui dansent Avec son groupe Metronomy, l’Anglais Joseph Mount signe un des grands disques de 2011. The English Riviera écrit la pop du futur. par Johanna Seban photo Vincent Ferrané

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“quand Foals ou les Klaxons ont connu leur succès fulgurant, je me souviens avoir été jaloux”



Joseph Mount, leader de Metronomy, en chemise grise, Paris, mars 2011

la ville, Joseph Mount n’a rien d’une star. Humble, réservé, ce jeune adulte anglais affiche un profil d’ancien étudiant en littérature, de jeune professeur de philo, de bibliothécaire poli. Timide, il est à des milliers d’années-lumière des fortes têtes à grande gueule qui égaient de leur faciès de superhéros rock les colonnes de la presse anglaise. Mais voilà : Joseph Mount est une star, une vraie. Dans cette discipline que les pantins en question ont tendance à oublier : la musique. Avec Metronomy, la formation anglaise qu’il dirige depuis une grosse décennie, Joseph Mount accouche ainsi ce mois-ci d’un grandiose disque d’electro-pop : onze titres éblouissants réunis sous le nom The English Riviera. Cette Riviera est en fait une formidable cascade, une fontaine de jouvence, une source de plaisirs infinis. De véritables chutes du Niagara qui tombent à pic, quelques jours à peine après le chant du cygne de LCD Soundsystem. C’est à la table des grands, celle de James Murphy, Radiohead ou TV On The Radio, que Metronomy s’invite aujourd’hui. “Lorsque j’ai commencé Metronomy, commente Mount, je pensais que je me contenterais de jouer dans des raves, des festivals spécialisés. Je me disais qu’au mieux j’atteindrais la notoriété de groupes comme Four Tet ou Squarepusher. Puis les choses se sont mises à marcher. On a alors été associés à une scène de jeunes groupes qui rassemblait aussi Foals ou les Klaxons. Ces groupes ont connu un succès fulgurant en quelques mois. Je les voyais nous dépasser comme des sprinteurs. Aujourd’hui je pense au lièvre et à la tortue : je suis content qu’on ait pris le temps. Nous avons encore un contrat avec une

maison de disques, nous publions notre troisième album. Beaucoup de groupes s’arrêtent avant.” Joseph Mount est entouré : autour de lui gravitent la batteuse Anna Prior, le clavier et cousin Oscar Cash, et le bassiste Gbenga Adelekan venu remplacer au pied levé l’ami Gabriel Stebbing. Mais on devine, malgré une esthétique collective impressionnante sur scène (costumes sombres, guirlandes lumineuses sur la poitrine, chorégraphies sèches), que Metronomy reste, sur album au moins, une entreprise résolument personnelle, une machine solitaire. “J’ai commencé Metronomy seul, avec l’ordinateur que j’ai acheté grâce à l’héritage de mon grand-père. J’écoutais Devo, les Talking Heads, je bidouillais des trucs… Je ne partageais tout ça qu’avec quelques amis, j’étais assez solitaire dans ma démarche. J’ai alors développé des relations très fortes, intimes, avec mes ordinateurs. Je les garde tous dans un placard. Chacun correspond à une période de ma vie. Ce sont comme des instantanés du passé, comme si on avait mis la personne que j’étais à l’époque au congélateur. J’ai beaucoup parlé à mes ordinateurs, je les ai engueulés souvent.” Conscient d’appartenir à une génération qui a eu la chance de vivre de plein fouet l’explosion internet, Joseph Mount a longtemps rêvé sa vie seul derrière son écran. Cette solitude, le musicien la doit aussi à la campagne du Devon. “Grandir à la campagne fait certainement de vous une personne sinon solitaire, du moins capable de rester seule, de se suffire à elle-même. J’avais des amis mais je vivais loin d’eux, il fallait marcher une demi-heure pour rejoindre leur maison, mes parents n’étaient pas toujours d’accord. J’ai donc passé du temps dans mon coin, j’ai développé mon imagination.”

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“je ne sais pas bouger, je ne sais pas danser, je suis trop inhibé pour ça. Je vis dans la torture” Le bac en poche, Mount quitte ses verts pâturages pour aller s’inscrire à l’université de Brighton. Matières choisies : musique et arts plastiques. S’il développe un intérêt inédit pour ces nouvelles disciplines, c’est à l’école du clubbing que le jeune homme brille rapidement. Brighton bouillonne et des DJ locaux se mettent à diffuser ses bricolages electro. Bientôt, Mount entame une série de remixes. En face de sa nouvelle casquette de remixeur, les noms de Goldfrapp, Sébastien Tellier, Lykke Li, Franz Ferdinand illuminent son impressionnant CV.

une Riviera de diamants Avec un album sophistiqué sous ses airs simplistes, les Anglais s’offrent un merveilleux travail de rénovation de la pop-music. Un matin, un homme se réveille et part au travail. Il est artisan, il s’appelle Joseph Mount. Il y va d’un pas étonnamment allègre, il a trouvé la solution à un problème qui le tarabuste depuis une dizaine d’années : comment rénover l’electro-pop ? Joseph Mount et son groupe Metronomy n’en sont donc pas à leur coup d’essai mais à leur premier véritable coup de maître. Il fallait beaucoup d’insouciance pour réussir un objet d’une aussi dérisoire gravité, d’une telle importance futile : le grand disque de pop moderne de 2011. L’entraîneur de Liverpool Bill Shankly disait du football : “Ce n’est quand même pas une question de vie ou de mort : c’est bien plus grave que ça.” Ainsi de la pop-music selon Joseph Mount : un art pétillant et pétulant mais qui littéralement l’empêche de dormir. La musique, on le sait, n’est que de l’air qui vibre, rien de plus, mais quels airs, quel changement d’air ici : sur The English Riviera, tout est dans les détails, et on mesure la maniaquerie du chantier à la simplicité éblouissante du travail achevé. Car là où Metronomy a parfois eu tendance à entasser,

à additionner, tout se joue ici dans de savantes soustractions : les arrangements sont bien présents mais osent parfois n’être que suggérés, vestiges d’un long processus d’élimination. Metronomy invente une pop sans sucre, sans gras, allégée et pourtant hautement calorique (sous les T-shirts, sous les maillots), à la consistance assez insolite : carapace rigide mais cœur fondant. Fidèle à un son étalonné sur dix années de recherches, Metronomy le sublime comme on gonflerait un film super-huit pour une projection Imax : de la lo-fi en hi-fi. La nouveauté flagrante, c’est que sans sacrifier à son allure frêle et hurluberlue, la musique de Mount se préoccupe ici systématiquement de songwriting, là où elle se passionnait tant pour le design sonique, le gimmick imparable. Une véritable libération pour un groupe débarrassé de toutes ses autolimitations arty, qui renonce au presque sabotage de sa pop. “We broke free” (“Nous nous sommes libérés”), murmure une chanson : c’est effectivement la grande évasion, fleur au fusil. JD Beauvallet The English Riviera (Because)

Metronomy est officiellement lancé. Le jeune homme pose ses bagages entre Londres et Paris tout en gardant un attachement fort à sa région natale. C’est d’ailleurs ce qui lui a inspiré l’idée de The English Riviera, troisième album ayant la lourde tâche de succéder au déjà brillant Nights Out. “Dans le Devon, on passait nos journées dehors dans les champs, à la plage, à essayer de draguer les filles en conduisant des voitures. Ça ne marchait pas fort… J’ai eu envie de fantasmer ce coin de l’Angleterre, de le concevoir comme un équivalent britannique de la Côte d’Azur, de la Californie. Et d’agencer un disque qui serait comme un hommage à cet endroit. Tout ça est fictif, c’est une légende : si vous allez sur la côte du Devon, vous verrez rapidement que ça n’est pas aussi glamour. C’est un disque qui regrette une région, une époque et une attitude qui n’ont jamais existé.” Fruit de ce fantasme, The English Riviera dévoile une apesanteur et un romantisme de bord de mer : les cris des mouettes y côtoient les claviers, des chœurs féminins s’y enroulent langoureusement (Everything Goes My Way), des guitares sourdes et sexy y invitent à l’abandon (The Look, formidable morceau comme échappé d’un vieil album de Pulp). Le tout est à la fois glamour et cinématographique, rétro et résolument moderne, vaporeux, hédoniste. “En Angleterre, si vous allez à Manchester ou à Sheffield, la musique est encore très liée à la lutte des classes. Il y a là-bas une certaine fierté d’appartenir à une communauté, un besoin de se rebeller à travers l’art. Là où j’ai grandi, il n’y a pas de vraie raison de se battre : la musique a plutôt un rôle social, on en joue pour s’occuper, pour faire la fête, pour voir des amis, pour l’enchantement…” Pour l’enchantement, mais aussi pour ce que l’on a désormais envie d’appeler l’“endansement” : quand il délaisse les climats lascifs, The English Riviera sait aussi se faire fantastique machine à titiller les jambes. Impossible, à nouveau, de ne pas penser à LCD Soundsystem pour cet art de torturer nerfs et gambettes. “J’aime le r’n’b et le hip-hop parce que ce sont des musiques qui me donnent envie de bouger. Cela dit, je ne sais pas bouger, je ne sais pas danser, je suis trop inhibé pour ça. Je vis donc dans la torture (rires)… Mais j’ai beaucoup joué de la batterie, je ne pourrais pas envisager un morceau sans élément rythmique pour danser.” Deux morceaux de The English Riviera déclarent ainsi la guerre à la boule à facettes. Outre celle du jubilatoire Corinne, on recommande l’écoute de celui qui, dans un monde normal, serait le tube de 2011. Il s’intitule The Bay et c’est de la bombe baybay. concerts le 23 avril à Bourges, le 4 mai à Paris (Cigale, complet), le 21 à Toulouse, le 22 à Bordeaux, le 23 à Rennes, le 24 à Lyon, le 25 à Tourcoing, le 26 à Strasbourg, le 5 juillet à Paris (Cité de la Musique), www.metronomy.co.uk

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hasch comme Howard Pendant vingt ans, Howard Marks a jonglé avec des tonnes de haschich et des millions de dollars. Histoire d’un dealer qui a bâti lui-même sa légende. par Arnaud Aubron photo Renaud Monfourny

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es cheveux, toujours aussi longs, ont blanchi. Son ventre s’est un peu arrondi et sa toux est devenue plus grasse à force de pétards et de cigarettes roulées de main de maître. Le discours, lui, n’a pas changé, pas plus que ce rire franc et cet accent gallois qui s’échappent du fond de la salle, huit ans après notre première rencontre dans ce même Musée du fumeur à Paris, antre de Michka, son éditrice française1. A eux deux, Howard et Michka ont écrit parmi les plus belles pages du petit peuple de l’herbe. A elle la théorie, à lui les travaux pratiques. Il en a payé le prix : près de dix ans de prison. Cet avenant sexagénaire en promo pour un biopic, Mr Nice, qui sort en salle en France ce mercredi, fut le Pablo Escobar du hasch des années 70. Son autobiographie, traduite en sept langues, s’est vendue à un million d’exemplaires : l’histoire d’un gamin de la vallée minière du Glamorganshire, au pays de Galles, appelé à rejoindre l’élite du royaume à Oxford. Il y apprend la physique, la philosophie des sciences et la vie de beatnik. Nous sommes dans les années 60, la guerre à la drogue n’a pas encore été déclarée, le hasch est l’apanage d’une élite éclairée et son commerce reste à inventer. Comme dans tout ce qu’il entreprend, le jeune prof de physique y mettra une grande application, transformant en dix ans un petit business entre amis en multinationale. A cette époque, ça se passait “sans violence” et “en payant

le hasch à crédit”, tient-il à préciser. Il fait tout de même des affaires avec l’IRA tout en entretenant des contacts avec les services secrets de sa majesté, ce qui lui vaudra de sortir blanchi d’un premier procès rocambolesque qui le fait connaître du grand public. Il y prend goût, flambe, rencontre les Beatles ou les Stones tout en important en Angleterre et aux USA des tonnes d’herbe et de hasch en provenance du Pakistan, du Maroc, de Colombie ou de Thaïlande. Jamais à court d’idées, il ira jusqu’à les planquer dans les enceintes de groupes de rock en tournée. Mais “quand on exerce la profession de dealer, vouloir être connu est un problème. Le meilleur trafiquant est un inconnu”, me confiait-il il y a huit ans. Fin logique du deuxième acte : le 25 juillet 1988, trahi par les siens, il est arrêté par les stups américains à Majorque. Après cinq ans à pratiquer le yoga dans le pénitencier fédéral de Terre Haute dans l’Indiana, il apprend à se servir d’une machine à écrire pour rédiger ses mémoires et bâtir sa légende. Un changement de business géré avec la même efficacité que son boulot de dealer. On le voit inculquer une leçon de savoir-vivre cannabique dans le film Human Traffic (Justin Kerrigan, 1999), jouer dans un clip des Happy Mondays, déclamer de la poésie en première partie de Supergrass ou raconter sa vie dans un one-man show à l’affiche depuis plus de dix ans… Pas fatigué de ressasser toujours la même histoire ? Il détourne la question : “C’est vrai que ça tourne toujours autour de moi et du hasch mais le show a évolué…”

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“Le succès m’est monté à la tête et j’ai toujours vécu comme cela”, confie le personnage d’Howard en ouverture de Mr Nice. Un film adapté sans grande originalité de son livre mais qu’il a trouvé “wonderful”. Même pas une petite critique ? “L’absence de mes exploits (sic) asiatiques, peut-être. Mais entre le film et le livre, on ne devrait pas comparer, ce sont deux choses différentes. Si demain on fait un cassoulet Howard Marks, ça sera très différent du film et du livre.” Vu comme ça… Et Bernard Rose, le réalisateur ? “Très sympa.” Rhys Ifans, qui l’incarne à l’écran aux côtés de Chloë Sevigny ? “Wonderful”. Il faut dire que cet autre Gallois est un ami. “Rhys m’a écrit quand j’étais en prison puis nous sommes devenus amis quand il chantait pour les Super Furry Animals. Avant qu’il devienne acteur, on avait parlé de faire un film sur ma vie.” Avec Howard, everything is “wonderful”. Ce n’est pas un hasard si, parmi toutes ses identités d’emprunt, il a choisi le surnom de Mr Nice. Un indécrottable optimiste, donc. Surtout à propos de la légalisation, pour laquelle il s’est symboliquement présenté aux élections au parlement britannique en 1997. “La légalisation sera un long processus. On ne va pas d’un coup être autorisé à fumer des joints dans la rue. Mais on est sur la bonne voie”, m’assuret-il, regrettant de ne pas pouvoir y assister aux premières loges, en Californie, où il est toujours interdit de séjour. “Quand on exerce la profession de dealer, vouloir être connu est un problème” Paris, mars 2011

1. Mr Nice est réédité ce mois-ci en version augmentée chez Mama Editions, traduit de l’anglais par Odette Grille et Michka Seeliger-Chatelain, 632 pages, 28 € Lire la critique du film p. 70 13.04.2011 les inrockuptibles 57

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l’homme qui aimait l’ailleurs Fan de SF et de jeux vidéo, le très geek fils de David Bowie, Duncan Jones, imagine des films de science-fiction à la mode indé. Après le remarqué Moon, voici Source Code.

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os Angeles, mars 2011. L’hôtel où l’on retrouve Duncan Jones se situe sur Doheny Drive, non loin de Beverly Hills. Une zone résidentielle huppée, où les seuls passants sont des joggeurs, des SDF et des vieilles dames avec leur chien. C’est là qu’en 1975 survivait le David Bowie transi période Station to Station. Retranché derrière une muraille de coke et de paranoïa, il hallucinait sur la fin du monde, des sorcières qui en voulaient à sa semence et les soucoupes volantes. Trente-six ans plus tard, le nuage radioactif de Fukushima vient de traverser le Pacifique mais les télés californiennes se montrent davantage préoccupées par le week-end pluvieux qui pointe. On n’assiste pas au retour du Thin White Duke1, mais à l’arrivée du fiston presque quadragénaire. Il a dû piquer des secrets de jeunesse à son père, à cela près qu’il ressemble à un ado aux airs de geek, look sportswear débraillé et avenant. Jones descend de son propre nuage, celui du succès critique de son premier film, Moon (2009). L’odyssée solitaire d’un astronaute vue par un Kubrick sans folie des grandeurs ou gros budget. C’est une idée de science-fiction à la mode indé, plutôt années 70 (comme dans Abattoir 5, THX 1138 ou L’homme qui venait d’ailleurs),

par Léo Soesanto photo Patrick Fraser

où le scénario et les personnages priment sur les effets spéciaux. Jones la prolonge dans Source Code. Il aurait pu enchaîner sur un blockbuster hollywoodien. Il se contente d’un thriller, façon série B habile, où Hitchcock rencontrerait Un jour sans fin dans un train. Un soldat (Jake Gyllenhaal) se retrouve projeté huit minutes avant un attentat à la bombe pour en démasquer le responsable. Et trouver l’amour. A chaque échec, il est renvoyé ad nauseam dans le passé. “J’aime la science-fiction parce que tout y est si ouvert, on peut y tester l’intelligence du spectateur tout en créant des personnages forts que limiterait un cadre classique comme le drame”, explique-t-il. Effectivement, la dernière partie de Source Code vire au mélodrame sur la deuxième chance tout en jouant avec son pitch – avec une pointe d’acidité dans le sirop. “La fin initiale du scénario était un peu trop romantique, je l’ai modifiée en conséquence.” En parlant de changement, comment a-t-il abordé la transition entre le quasi-solipsiste Moon et Source Code avec son train rempli de passagers ? “J’essaie d’avoir l’esprit pratique à chaque fois. J’ai mené Moon à partir des limitations qui m’étaient imposées : soit un petit budget avec lequel je ne pouvais avoir qu’une équipe réduite, un tournage intégralement en studio et des maquettes à l’ancienne

en guise d’effets spéciaux. Pour Source Code, la question des moyens était moins importante que celle de savoir comment travailler à chaque fois la même situation avec de subtils changements. J’ai pensé aux clips et aux films de Michel Gondry, qui jouent sur ces principes de répétition étranges : j’ai donc déconstruit le scénario en graphique pour avoir toutes les variations sous les yeux, un peu à la manière dont, je crois, il travaille. C’est devenu assez mathématique.” Duncan Jones est un fan de sciencefiction raisonné : “Je trouve Avatar superbe, d’abord sur le plan technique. Je n’ai rien contre la 3D, mais si je devais l’utiliser, j’aurais besoin d’une bonne raison. Cela implique une logistique militaire sur le tournage, il faudrait passer des caméras traditionnelles à ces caméras 3D très lourdes à manipuler.” On lui demande s’il a trouvé faiblard le scénario d’Avatar. Il se contente d’un clin d’œil : “Je préfère les précédents films de James Cameron comme Aliens ou Terminator.” Sa palette de goûts SF se veut large : “Si vous me demandez mes films préférés du genre aujourd’hui, je dirai Star Wars pour le plaisir enfantin et Les Fils de l’homme pour l’intelligence. Mais il y en a un qui est pour moi insurpassable, c’est Blade Runner. Le seul film où j’ai l’impression d’un univers cohérent, à la fois fantastique et crédible. J’aurais adoré

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“J’aurais adoré me trouver sur le tournage de Blade Runner” Los Angeles, mars 2011

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Ci-contre : Moon (2009), l’odyssée solitaire d’un astronaute Ci-dessous : Source Code, en salle le 20 avril, avec un Jake Gyllenhaal condamné au saut dans le temps

“si j’aime la science-fiction, c’est un peu la faute de mon père” me trouver sur le plateau de tournage. C’est en me baladant ado dans les décors de Labyrinthe que j’ai approché au plus près ce type de monde (film de marionnettes de 1986 où jouait son père – ndlr).” Mute, premier projet au cinéma qu’il a tenté de monter bien avant Moon, porte d’ailleurs l’influence Blade Runner : “C’est un film noir situé dans un Berlin futuriste. Le héros est muet, ce qui m’a valu pas mal de résistance de la part des financiers ou des acteurs potentiels. Je me sentais un peu comme Terry Gilliam tentant de réaliser son Don Quichotte. Je me suis aussi dit que Ridley Scott aurait du mal à boucler son film en ce moment. Aujourd’hui, l’idée est de tirer de Mute une bande dessinée qui, si elle a du succès, servira à convaincre des producteurs.” On dirait bien que Duncan Jones partage avec papa la capacité multimédia à penser sa prochaine incarnation artistique. Question avatar, Jones lui-même a souvent fait sa mue : surnommé Zowie par Bowie dans son enfance, il décide de se faire appeler Joe (plus cool) à 12 ans puis de reprendre son nom de baptême, Duncan (plus fringant et professionnel), à 18 ans. Il étudie ensuite la philosophie, qu’il lâche pour entrer dans une école de cinéma. “Ensuite, j’ai fait de la publicité, la meilleure école pour un cinéaste : on apprend à être diplomate et à expliquer ses idées aux décideurs.” Pour la suite de sa carrière, Jones a un plan : “Je ferai un troisième film de science-fiction sur lequel j’aurai un contrôle artistique, puis

je passerai à un autre genre.” Dans tous les cas, le geek qu’on devinait chez lui – le héros de Moon seul face à un ordinateur, celui de Source Code comme un gamer aux vies infinies – devrait rester : “Je suis un pur et dur du PC, j’adore Call of Duty”, dit-il en manipulant une souris et un clavier imaginaires. On l’interroge sur son expérience dans le milieu du jeu vidéo, où il a travaillé au début des années 2000. Il a son idée du médium et de la relation paradoxale des jeux vidéo avec les films : “Les cinématiques de jeux à l’époque voulaient encore singer le cinéma, ‘faire film’. Je fréquente encore des personnes du milieu. Elles pensent maintenant que les jeux sont au-dessus des films. Pas seulement parce que l’industrie du jeu vidéo génère plus de bénéfices que celle du cinéma, mais parce qu’avec des jeux comme Assassin’s Creed, à l’univers tellement vaste, il est clair qu’on peut raconter des histoires qui auraient du mal à passer par un film classique. Les convergences entre les deux industries sont encore un réservoir de possibilités passionnantes. Je voudrais pouvoir m’y pencher, peut-être faire un bon film tiré d’un jeu vidéo.” Jones est aussi un utilisateur compulsif de Twitter (@ManMadeMoon) : “Au début, c’était pour créer un buzz autour de Moon. Maintenant, je ne m’en passe plus. J’y ai même rencontré ma petite amie il y a deux ans.” Dans la chanson Kooks (1971) dédiée à Duncan fraîchement né, David Bowie disait : “I bought you a book of rules/On

what to say to people when they pick on you” (“Je t’ai acheté un livre de règles/ De quoi répliquer aux gens quand ils te harcèlent”). Leçon bien assimilée à le voir répondre au quart de tour aux questions (ou est-ce son passé de pubard ?), même celles inévitables sur son illustre père. Il tient à dissiper les rumeurs sur sa mauvaise santé : “Il va très bien et vit à New York, je l’appelle tous les jours.” Il parle avec affection d’un père qu’il a suivi enfant entre Londres, Berlin et la Suisse après le divorce de ses parents : “Même si mon enfance a été atypique et nomade, mon père a tout fait pour être un parent normal. Si j’aime la science-fiction, c’est un peu sa faute. Il me lisait des histoires comme on donne des bonbons à un gosse. Quand je n’aimais pas, on passait à un autre bouquin et ça finissait toujours avec Philip K. Dick, George Orwell ou John Wyndham.” Quand on lui suggère que Moon et Source Code semblent des appels à peine codés à Bowie pour qu’il lui fournisse Space Oddity et Station to Station comme bandes originales, Duncan Jones rit de l’idée mais est catégorique : “Je défie quiconque de faire mieux que Clint Mansell et Chris Bacon comme compositeurs sur ces deux films. Même mon père.” 1. Nom du personnage créé par David Bowie au milieu des années 70. Source Code de Duncan Jones, avec Jake Gyllenhaal, Michelle Monaghan, Vera Farmiga (Fr., E.-U., 2011, 1 h 33), en salle le 20 avril

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“Venant d’une société qui réprime l’art visuel, où la peinture est impossible, le sujet de la représentation me passionne” Paris, avril 2011

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aux innocents les cœurs pleins Dans son dernier roman, le Nobel de littérature Orhan Pamuk brise nos rêves de midinette sur l’amour puis les expose dans son musée. Son meilleur roman. par Nelly Kaprièlian photo Rüdy Waks

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n l’attendait du côté de la politique et de la problématique Orient/ Occident. Orhan Pamuk revient avec une somptueuse histoire d’amour, hors norme, cruelle, poétique, au risque du mélo comme on n’en ose plus depuis Hollywood et Douglas Sirk. Six ans après Neige, son grand livre politique qui radioscopait une Turquie écartelée entre plusieurs extrêmes, il raconte, sur fond d’upper class stambouliote des années 70 à nos jours, une histoire d’amour impossible entre le très riche Kemal et sa jeune et pauvre cousine Füsun. Ils passeront leur vie à se frôler, à s’attendre. Kemal déplacera son désir sur tous les objets que touche ou porte celle qu’il aime, au point de les dérober, de les collectionner en fétichiste puis, à la fin de sa vie, d’en faire un musée dédié à leur amour, un “musée de l’Innocence”. A 59 ans, Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature 2006, vit aujourd’hui entre Goa avec sa compagne, New York où il enseigne à Columbia University un semestre sur deux, et Istanbul, entouré de gardes du corps. De passage à Paris, il raconte comment il a déjoué tous les pièges du romantisme pour signer son plus beau roman et comment il s’apprête à ouvrir son propre musée, le musée même de l’Innocence. Comment avez-vous joué avec ce poncif qu’est l’amour en littérature ou au cinéma ? Orhan Pamuk – C’est vrai qu’il est difficile d’écrire une histoire d’amour de nos jours sans tomber dans le cliché… Il existe une rhétorique tenace sur l’amour : ce serait quelque chose de très doux, de merveilleux, de mystérieux, forcément placé sur un piédestal. Croire en cette vision, ça ne semble pas plus original que de dire qu’on aime les chats : ça vous rend

populaire. (rires) C’est avec une certaine colère que j’avais envie de dénoncer cette mystification… L’amour n’est pas cette chose douce dont tout le monde parle – peut-être torture-t-on les gens pour les forcer à dire cela ? En tout cas, tout le monde ment (rires). Vos lecteurs vont penser que j’ai été victime d’une histoire d’amour horrible pour en arriver à dire ça, mais non. Je pense simplement qu’il existe une charmante malhonnêteté au sujet de l’amour, peut-être parce que cela légitime le mariage, la société. Cela vous permet d’idéaliser votre conjoint pour mieux le supporter – sinon, comment rester engagé avec la même personne pendant des années ? On a besoin de beaucoup d’amour et de clichés pour supporter le mariage, un peu comme pour la religion (rires). L’amour est devenu un ready-made que chaque amant doit avaler. Mon livre montre que la plupart du temps nous ne comprenons pas ce qu’est l’amour, que nous ne comprenons rien quand nous le vivons. Je voulais écrire un roman d’amour selon les règles, tout en montrant la part de duperie que l’on trouve dans les représentations populaires de l’amour, montrer ce qui nous arrive vraiment quand on tombe amoureux : rien de doux, mais un accident de la route ou une maladie qu’on se doit de comprendre. Comme Kemal construit le musée de son amour pour Füsun, vous vous apprêtez à ouvrir votre propre musée de l’Innocence à Istanbul. De quoi s’agira-t-il ? Il y a douze ans, j’ai acheté une maison là-bas dans l’idée d’en faire un jour un musée, celui d’une histoire imaginaire. La maison est petite mais possède quatre étages : je vais y exposer tous les objets qui figurent dans mon roman. Mon fantasme était d’ouvrir le musée le jour de la publication du roman, le livre représentant une sorte de catalogue du musée. Si vous vivez loin d’Istanbul, vous pouvez lire le livre sans vous 13.04.2011 les inrockuptibles 63

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“l’amour n’est pas cette chose douce dont tout le monde parle” préoccuper du musée, car la littérature passe avant tout. C’est pourquoi j’évite en général de parler du musée en premier. Le roman se suffit à lui-même. Le musée se calque sur les quatre-vingt-trois chapitres du livre : il possède quatre-vingt-trois unités, boîtes ou vitrines, chacune portant le titre d’un chapitre. Installation, art contemporain : appelez ça comme vous voudrez, mais ce musée me prend de plus en plus de temps et commence à détruire l’écrivain que je suis ! J’ai acheté et collectionné les objets exposés au fur et à mesure que j’écrivais le roman. J’ai acheté les vêtements que porte Füsun dans le livre avant de commencer le texte. Je vais les exposer, comme les objets qu’elle utilise ou les tickets de la tombola à laquelle ils jouent ensemble dans les années 70. Nous avons aussi des objets imaginaires, par exemple une marque de soda fictive : pour cela, j’ai travaillé avec des publicitaires qui, généreusement, ont recréé des films. En revanche, il n’y aura pas de photos des protagonistes, de la même façon que je n’ai jamais permis qu’on imprime un portrait en couverture de mes livres. Au lecteur d’imaginer les personnages.

Dans le livre, on trouve un ticket gratuit pour le musée que j’ouvrirai dans quelques mois. En plus d’être écrivain, je suis donc à présent propriétaire d’un musée, commissaire d’exposition et même artiste ! (rires) Pourquoi cette extension muséale de votre roman ? N’oubliez pas que je suis un peintre raté ! Et puis à partir des années 90, mes textes ont commencé à être publiés dans le monde entier, particulièrement en Europe et en Amérique. A chacun de mes voyages, je visitais des petits musées étranges, un peu abandonnés. L’ambition, la vanité du projet, souvent mené par un seul homme, me fascinait. Un peu comme le musée Gustave-Moreau à Paris, ou le Sir John Soane à Londres, ou le Mario-Praz à Rome. Venant d’une société qui réprime l’art visuel, où la peinture est impossible, le sujet de la représentation me passionne. Par exemple, à la fin, quand Kemal demande à l’écrivain Orhan Pamuk d’écrire sa vie pour témoigner qu’il fut heureux, est-on si sûr de son bonheur ? Il organise la représentation de sa vie telle qu’il veut la montrer aux autres. Tout le monde soigne sa propre représentation. Kemal projette de faire la chronique de sa vie, de portraiturer son amour. Moi aussi, à travers mes livres, je parle de tout ce que j’ai vu et connu en Turquie. Par exemple, dans Le Musée de l’innocence, je parle beaucoup de l’industrie cinématographique turque, parce qu’à l’âge de 30 ans, j’y ai travaillé comme scénariste. Derrière l’obsession de Kemal de garder tous les objets que Füsun a touchés, j’en profite pour dresser un portrait de la société turque, observée depuis l’upper class. Seriez-vous aussi fétichiste que votre héros ? Peut-être le suis-je dans mes romans. Au milieu du Musée de l’innocence, je ralentis l’écriture du livre sur environ trois cents pages pour y déverser un océan de détails sur la vie quotidienne. La tombola du 31 décembre, les fêtes, les vacances d’été, le ski… Je voulais revisiter ces moments, en faire une chronique épique. Je suis un collectionneur de petits détails. C’est ce qui empêche mon roman de ressembler à un best-seller, avec un éditeur qui me dit de virer trois cents pages parce qu’il trouve que cela va trop lentement. Personne n’a à me dire ce que je dois faire. Votre parcours est-il similaire à celui de Kemal ? Nous venons de la même classe sociale, la haute bourgeoisie turque, sa maison se situe dans le même quartier que la mienne, je connais ses conversations, les mariages au Hilton où il se rend, sa vie superficielle… Comme lui, j’ai rompu avec cette classe sociale : lui, il s’en sort en tombant amoureux de Füsun, moi par mon amour pour la littérature. Là où nous différons, c’est que bien qu’intelligent, Kemal ne critique jamais la politique turque. Je ne comprends pas cela. Mais j’admire le fait que, malgré des hauts et des bas, il poursuive sa propre route avec obstination, même s’il se leurre. Il se pose en grand romantique, en idéaliste, alors qu’en fait c’est un bourgeois qui veut se marier. Encore une fois, ce qui me passionne, c’est la représentation que les gens se font d’eux-mêmes. Kemal nous livre sa propre évaluation de la situation mais on finit par en savoir plus long sur lui qu’il n’en sait lui-même. C’est un narrateur peu fiable.

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Vous demandez avant chaque entretien qu’on ne vous interroge pas sur la politique. Pourquoi ? Parce que j’ai fait trop d’interviews où l’on ne me parlait que de politique et pas de mes livres. Mais si vous avez des questions politiques à me poser, allez-y… Qu’avez-vous ressenti lors des récentes révolutions arabes ? J’étais en Inde où je travaillais sur mon nouveau roman quand elles ont éclaté. Ça a été une immense joie pour moi de suivre tous les soirs sur la BBC et sur CNN les Arabes qui exprimaient leur colère, combattaient leurs dictateurs. Je serais heureux si les pays arabes vivaient des jours meilleurs aux niveaux politique et économique. Mais ce que j’apprécie surtout, avec les larmes aux yeux, c’est que le cliché habituel, selon lequel islam et démocratie se montreraient incompatibles parce que les musulmans suivraient toujours les règles des tyrans, vient de s’évanouir. D’eux-mêmes, ces peuples sont descendus dans la rue pour réclamer leur liberté et, par-dessus tout, leur dignité. Les citoyens du monde entier ont applaudi et partagé la joie des peuples arabes. Oublions la politique et les gouvernements : le plus important à mes yeux, c’est que les peuples d’Orient et d’Occident se comprennent. Et ce qui arrive en Libye ? Là, on tombe dans la stratégie et la question “qui va tuer qui ?”. Je ne m’engagerai pas là-dedans.

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Je ne suis pas un expert en guerre, ni un homme politique, et je ne veux pas en devenir un. Ce n’est pas ce que j’ai choisi de faire dans la vie. En 2005, le gouvernement turc vous assignait en justice pour avoir déclaré que la Turquie devait reconnaître le génocide arménien – vous risquiez alors la prison. Cela vient de se solder par une amende d’environ 3 000 euros. Qu’en pensez-vous ? Cela vient juste d’arriver, je n’étais pas en Turquie. Je répondrai à cette question quand je serai de retour à Istanbul et que j’aurai parlé à mon avocat. Je ne suis pas sûr que ce soit la fin de cette affaire, peut-être que cela relève d’une partie de ping-pong politique, mais je tiens à en juger et à en parler en Turquie en premier lieu. De quoi traitera votre prochain livre ? Je pars encore une fois d’une histoire individuelle, celle d’un marchand de rue qui perd son job, pour aborder la Turquie des classes défavorisées, des petits métiers, de l’émigration. Quand je suis né, Istanbul comptait un million et demi d’habitants, aujourd’hui il y en a plus de dix millions. Beaucoup viennent de l’immigration. Ce livre sera le panorama du développement d’Istanbul. Le Musée de l’innocence (Gallimard), traduit du turc par Valérie Gay-Aksoy, 672 pages, 25 €

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L’Autobiographie de Nicolae Ceausescu d’Andrei Ujica Montage de films de propagande de la dictature roumaine, qui montre comment l'imagerie officielle finit par se retourner contre son instigateur.

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partir d’un montage d’images d’archives, on peut réaliser des documentaires historiques qui ressemblent à des superproductions romanesques : telle est l’une des leçons du formidable film d’Andrei Ujica consacré à la Roumanie et à son dictateur. L’Autobiographie de Nicolae Ceausescu, c’est donc trois heures d’archives officielles, publiques et intimistes, balayant une période allant de l’avènement de Ceausescu au sommet de l’Etat et du PC roumain (1965) à la chute du régime (1989). Et pas une seconde d’ennui. On voit, bien sûr, les grandes cérémonies officielles, anniversaires, défilés du 1er Mai, congrès du PC, discours à l’Assemblée, toute une mise en scène grandiose et solennelle du pouvoir qui s’apparente autant au cinéma soviétique qu’aux codes hollywoodiens classiques. Au milieu de ces images monumentales, les discours de Ceausescu résonnent de toute leur langue de bois, à coups d’“avenir radieux”,

de “chemin lumineux du socialisme”, de “matérialisme historique” et autres formules mécaniquement extraites du bréviaire marxiste. Hier, des foules y croyaient aujourd’hui, ces mots se figent dans le grotesque. Le temps est l’un des coauteurs ironiques du film. Mais comme le rappelle Andrei Ujica, “au début de son règne, Ceausescu était populaire. Il s’était opposé en 1968 à l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie, l’économie se développait bien, la Roumanie faisait 11 % de croissance par an ! Sa biographie est très classique, comme dans un roman du XIXe : la montée, puis la chute.” Il est d’ailleurs frappant de voir des scènes de foules en liesse, des fêtes foraines joyeuses, des séquences où la jeunesse roumaine danse le rock et le twist quasiment à l’unisson pop de l’Occident des sixties. C’est à partir des années 1974-1975 que les choses vont se gâter pour la Roumanie et son chef : défilent dans le film la crise économique, le tremblement de terre

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hommage l’évolution technologique rend aujourd'hui impossible une telle mise en scène univoque du pouvoir

NicolaeCe ausescu et Kim Il Sung, en Corée du Nord

de Bucarest, les crues du Danube, le décès de la mère de Ceausescu… Petit à petit, le dictateur s’isole du peuple, perd le sens des réalités, investit des sommes colossales dans ses projets de palais pharaoniques, n’a plus pour seul but que sa propre perpétuation, comme le résument ses spectaculaires mais effrayantes visites en Corée du Nord. “Je crois à la dimension shakespearienne des dictatures, poursuit Ujica, parce que le tyran a toujours une dimension tragique : il est prisonnier de son pouvoir, de sa croyance, de son idéologie. Je ne cherche pas à minimiser les crimes de Ceausescu, mais j’essaie de montrer une perspective plus large. La culpabilité résidait plus dans l’idéologie elle-même que dans la personne de Ceausescu.” Le plus saisissant dans le film, ce sont les passages intimistes, des “home-movies d’Etat”, dit Ujica, montrant les Ceausescu à la plage, dans des cocktails, à la montagne, jouant (très mal) au volley… On croirait alors feuilleter Paris Match, ou regarder de vieilles actus Gaumont consacrées au Festival de Cannes à la vision de ce couple presque glamour, tels des Kennedy de l’Est, même si Elena (jeune) a en fait des airs

de Ségolène Royal. En montrant de telles images, plutôt que les exactions de la Securitate ou la pauvreté d’un peuple bâillonné, Ujica ne craignait-il pas de donner une image trop flatteuse d’un régime oppressif ? “Mon titre joue cartes sur table : c’est une autobiographie de Ceausescu, pas une critique vindicative du communisme. Par ailleurs, dénoncer le régime de Ceausescu trente ans après, ce n’est pas passionnant, tout le monde connaît ça. Et puis je ne disposais pas d’archives critiquant Ceausescu, et pour cause, puisqu’elles étaient contrôlées par lui.” Pour autant, Ujica revendique avec raison la dimension romanesque de son film, dont l’ampleur épique a plus de rapport avec Le Guépard, Barry Lyndon ou Casino qu’avec un docu du type “Roumanie terre de contrastes” ou “Perspectives et impasses du matérialisme dialectique”. “J’étais dostoïevskien, explique le cinéaste, mais un jour, j’ai découvert Guerre et Paix de Tolstoï, qui m’a fait comprendre qu’on peut mieux s’approcher des complexités de l’histoire par des moyens esthétiques et romanesques.” Si le film d’Ujica montre que les dictateurs finissent toujours par tomber, résonnant ainsi avec l’actualité du monde arabe, il appartient aussi à une époque révolue. Les petites caméras numériques ont accompagné la chute de Ceausescu, alors qu’internet est un élément-clé des révoltes arabes. L’évolution technologique rend aujourd’hui impossible une mise en scène univoque du pouvoir telle qu’elle fut accomplie par le régime Ceausescu. L’Autobiographie de Ceausescu montre ce grand spectacle du pouvoir ordonné par lui-même, mais aussi le travail du temps qui retourne cette mise en scène contre elle-même. Dans un même mouvement, le souffle de l’histoire et le souffle du cinéma. Serge Kaganski L’Autobiographie de Nicolae Ceausescu d’Andrei Ujica (Rou., 2010, 3 h)

le réalisateur Né en 1951 à Timisoara, spécialiste de littérature, titulaire d’une chaire sous l’égide de Peter Sloterdijk à l’université de Karlsruhe, Andrei Ujica est venu tardivement au cinéma avec Vidéogrammes d’une révolution (1992).

A travers ses films (L’Autobiographie de Ceaucescu est le troisième), Ujica développe un cinéma syntactique, constitué uniquement de montage d’images d’archives, transformant les documents en matière romanesque.

Farley Granger (1925-2011)

Les Amants de la nuit

Acteur aux traits fins, presque inquiétants à force de régularité, Farley Granger, mort le 27 mars dernier, restera dans l’histoire du cinéma pour quatre rôles importants : Les Amants de la nuit (1949) de Nicholas Ray, film noir enfiévré précurseur de Bonnie and Clyde, La Corde (1948) puis L’Inconnu du Nord-Express (1951) d’Alfred Hitchcock, et Senso (1954) de Luchino Visconti. Né à San Jose, Farley Granger est découvert à l’âge de 17 ans par Samuel Goldwyn. Après la guerre, il revient à Hollywood puis commence une carrière à Broadway, qu’il poursuit à la télévision américaine dans les 50's et dans le cinéma européen des 70's avant de finir en guest-star de séries américaines. Une vie d’acteur. En 2007, dans les mémoires, Include Me out, qu’il avait rédigés avec son compagnon depuis 1963, le producteur Robert Calhoun, il révélait sa bisexualité, découverte à la suite d’une nuit de folie pendant laquelle il avait d’abord couché avec un garçon puis avec une fille. L’homosexualité était présente dans les deux films qu’il tourna avec Hitchcock. Dans La Corde, il jouait un pianiste assassin qui partage un appartement avec un autre jeune homme, tandis que le petit jeu pervers et criminel imposé à Guy (Granger) par Bruno (Robert Walker) dans L’Inconnu du Nord-Express dissimulait sans vraiment chercher à la cacher l’attirance sexuelle du criminel à l’égard de sa proie. Avec Rock Hudson dans les derniers mois de sa vie, il restera donc aussi comme l’une des rarissimes vedettes hollywoodiennes à avoir déclaré publiquement son homosexualité.

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Scream 4 de Wes Craven Wes Craven reprend sa franchise horrifico-sarcastique en l’adaptant plus ou moins adroitement aux temps de l’iPhone et du 3.0.

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ouvelle décennie, nouvelles règles”, promet un teaser de Scream 4. La première mouture, sommet de la déconstruction des genres et parangon d’ironie postmoderne, fit choir l’horreur de son socle de marbre il y a quinze ans. Deux suites suivirent, en 1997 et 2000, dont la faiblesse croissante permit de se préparer à l’extraordinaire nullité des quatre Scary Movie à suivre, parodies effrayantes, en effet. Par la suite, pendant que Wes Craven dilapidait son crédit dans d’improbables séries B sorties directement en DVD, la jeune génération pillait son héritage et celui de ses pairs dans d’inégaux remakes – pour une Colline a des yeux d’Alexandre Aja (supervisé par Craven lui-même), combien de crapoteux Freddy – Les griffes de la nuit produits par Michael Bay ? –, quand elle n’en poussait pas la part pute dans ses plus mercantiles retranchements (Saw, Hostel, et la vague de torture porn). Bref, l’horreur ressemble aujourd’hui à un champ de ruines sur lequel quelques cinéastes valeureux essaient malgré tout de restaurer un peu de croyance (Rob Zombie, exemplairement).

Qu’attendre, dans ce contexte, d’un nouveau Scream ? La seule chose dont la série ait jamais été capable : des ricanements. L’horreur ? Non. Bizarrement, toujours le plus fort au petit jeu du “rira bien qui rira le dernier”, le cinéaste parvient à hisser son quatrième opus au niveau du premier. C’est-à-dire assez haut pour en faire une méga machine méta, sans empêcher toutefois un certain ennui de s’instaurer. Craven va ainsi s’évertuer, pendant une heure cinquante, à régler son compte au genre, comme il va (dans un hilarant prologue gigogne, quintessence quasi expérimentale de la série) moquer l’emprise de l’iPhone sur les chères têtes blondes (mais alors vraiment très blondes), puis railler l’obsession des mêmes pour la célébrité immédiate (“je veux des fans, pas des amis” = meilleure punchline du mois). Et puis soudain, au milieu de cette orgie d’inside jokes, Craven se rappelle pourquoi il fait du cinéma : pour filmer, ad nauseam, les effets de l’insertion d’une lame dans un

corps. De toutes les façons possibles. Le film déploie ainsi un nombre incalculable de meurtres à l’arme blanche, véritable signature de la saga, mais leur enjeu est totalement évacué. Et pour cause : qui se soucie encore de connaître l’identité de l’assassin, puisque, comme le souligne la pythie du film (jadis un aspirant scénariste, aujourd’hui un simili-Zuckerberg, les temps changent), ”l’inattendu est la nouvelle normalité” ? L’intrigue fait donc long feu, et il ne reste plus qu’à observer, mi-fasciné, mi-ennuyé, la chair se faire charcuter, le sang gicler. Comme un porno, dont seul le regain burlesque du dernier quart d’heure viendrait troubler l’impavidité. La permanence des héros emblématiques de la série, momies botoxées appelées “survivants” (increvables David Arquette, Courteney Cox et Neve Campbell), souligne un peu plus encore l’ambition de Wes Craven : conjurer la mort par l’éternité d’un rire sarcastique, réaffirmer, au milieu des cadavres, la ténacité des vieux guerriers. Nouvelle décennie, anciennes règles. Jacky Goldberg

“je veux des fans, pas des amis” = punchline du mois

Scream 4 de Wes Craven, avec Neve Campbell, Courteney Cox, David Arquette (E.-U., 2011, 1 h 50)

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Mon père est femme de ménage de Saphia Azzeddine avec François Cluzet, Jérémie Duvall, Nanou Garcia (Fr., 2010, 1 h 20)

Une comédie (un peu trop) pleine de bons sentiments. Il est tout à fait souhaitable que certains auteurs se donnent pour but de renverser les clichés négatifs sur la banlieue issus de l’imaginaire de droite. Mais faut-il pour autant en créer d’autres, tout aussi outranciers, et transformer les banlieues en un paradis sur terre où tout le monde est ami avec tout le monde ? C’est un peu ce que propose le premier film de Saphia Azzeddine, adaptation de son roman à succès éponyme. S’il fallait, en une phrase, résumer le film, on pourrait dire que son charme fugace repose pour l’essentiel sur la performance de ses interprètes, et avant tout sur celle du jeune Jérémie Duvall. Mais l’appréciation qu’on peut en donner ne peut guère dépasser la bonne vieille question des bons sentiments : car quelle qualité reconnaître à une œuvre sympatoche unilatéralement peuplée de personnages bons et gentils ? Jean-Baptiste Morain

Road to Nowhere de Monte Hellman avec Shannyn Sossamon, Tygh Runyan (E.-U., 2010, 2 h 01)

Retour timide du réalisateur culte de Macadam à deux voies. ’adage veut que les réalisateurs, en vieillissant, font œuvre d’épure, synthétisent leur style et ramassent leur propos. Monte Hellman, 79 ans, mythe parmi les mythes grâce à Macadam à deux voies, fait ici le chemin inverse. Premier film du cinéaste depuis vingt ans – durant lesquels il n’a cessé d’effleurer les projets sans pouvoir les signer (Reservoir Dogs, Buffalo 66...) –, Road to Nowhere regorge de fictions, de bifurcations, d’impasses et de chausse-trappes ; un film (trop) plein de toutes les histoires jamais racontées et jalousement gardées, pour le jour où. Le scénario de Steven Gaydos, qu’il serait vain de résumer, est une mise en abyme à plusieurs niveaux, un tournage dans le tournage, avec meurtres, femme fatale et fascination d’un cinéaste pour son actrice : tout commence pour l’amour d’un visage, et tout y finira. La circularité du récit indique un emprisonnement inéluctable. Où ? Dans l’enfer du cinéma, là où Hellman a manifestement passé les deux dernières décennies, et où son personnage doppleganger, Haven (paradis...), croupit au début du film. Le cinéma absorbe tout, ne laisse rien à la vie : asphalte et Celluloïd en fusion dans Macadam..., double face de Warren Oates fondue sous le soleil dans The Shooting (à la fois fusillade et tournage, en anglais), et désormais le visage pixélisé de Shannyn Sossamon (Laurel), lorsque l’agrandissement finit par avoir raison même de la plus haute définition. Cet emprisonnement est, hélas, la limite du film : plastiquement somptueux, celui-ci est aussi très désincarné. Et c’est finalement davantage la prise d’élan que le saut lui-même qui nous touche. Désormais que les preuves sont faites, nous attendons le prochain film de ce jeune cinéaste prometteur. J. G.

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Voir également le livre d’entretien avec Monte Hellman, Sympathy for the Devil (éditions Capricci), 192 pages, 13,50 € 13.04.2011 les inrockuptibles 69

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Nuit bleue d’Ange Leccia avec Cécile Cassel, François Vincentelli, Alexandre Leccia (Fr., 2010, 1 h 26)

Mr Nice de Bernard Rose avec Rhys Ifans, Chloë Sevigny, David Thewlis (G.-B., 2010, 2 h)

Biopic sans fumée ni vertige sur le roi de la défonce Howard Marks. A l’origine du produit manufacturé Mr Nice, il y a un revenant. Un ancien espoir de l’horreur des années 90, Bernard Rose, auteur d’une des meilleures adaptations du romancier Clive Barker (Candyman), reconverti rapidement dans l’académisme un peu honteux (Anna Karénine avec Sophie Marceau). Après plus d’une décennie de silence, il tenait a priori le sujet du retour, en l’occurrence un personnage : Howard Marks (Mr Nice, donc), un dealer dandy passé des bancs de la faculté d’Oxford au trône du plus important contrebandier de haschich dans les années 70-80. Las, Bernard Rose applique la petite formule consacrée du biopic indolent : un peu de mythologie romantique, un peu de culpabilité du héros en coulisse, et pas beaucoup de cinéma. R. B. Lire le portrait d’Howard Marks p. 56

Robert Mitchum est mort d’Olivier Babinet et Fred Kihn avec Olivier Gourmet, Pablo Nicomedes, Bakary Sangaré, Danuta Stenka (Fr., Pol., Bel., Nor., 2010, 1 h 31)

Un road-movie dans le Grand Nord, picaresque et chaleureux. ranky (Pablo Nicomedes) ne va pas bien du tout. Alors Arsène, son agent (Olivier Gourmet), l’emmène vers le Grand Nord, à la recherche d’un cinéaste mythique. Don Quichotte et Sancho Pança s’embarquent dans un road-movie picaresque. Olivier Babinet et Fred Kihn font partie de cette génération de réalisateurs qui sont nés sous Canal+ et ont grandi dans l’émulation de deux cinéastes importants : le Finlandais Aki Kaurismäki et l’Américain Jim Jarmusch. Ils n’en ont sans doute pas la rigueur formelle, mais l’esprit goguenard. Leur famille, c’est celle de Benoît Delépine et Gustav Kervern (Mammuth), de Bouli Lanners (Eldorado)… Ce qui signifie : humour laconique, marginaux de l’amour et de la société du spectacle, rêves de paradis perdus, déglingue rock’n’roll et road-movies fantomatiques, avec une once de nostalgie hollywoodienne. Robert Mitchum est mort est le nouvel épisode d’une histoire éternelle qu’on rabâche dans une banlieue portuaire et industrielle du cinéma : on y vit des voyages rêvés, on s’y heurte à la réalité rude, dans des régions géographiques improbables, baignées de couleurs vives. On y trouve à boire et à manger : des passages désopilants, de l’absurdité, des maladresses de jeu, un peu de virilité forcée, de grandes bourrades dans le dos et des réveils difficiles. C’est de guingois, comme la vie et la gueule des personnages, mais ça tient la route et au corps. On s’y régale de choses simples : imaginer qu’un acteur comme Olivier Gourmet est réellement allé au-delà du cercle polaire, uniquement pour y jouer un rôle de cinéma. Bref, c’est éminemment sympathique, chaleureux, et joyeusement infantile. Jean-Baptiste Morain

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L’enquête d’une femme sur les traces d’un disparu. Impressionniste et esthète. A moins d’ériger le non-sens en manifeste (versant Ossang) ou d’assumer la simple vertu décorative d’un récit (versant Grandrieux), le cinéma expérimental français, lorsqu’il quitte la confidentialité des galeries, s’accommode assez mal des questions de narration. Peut-être conscient de ce dilemme – l’image reine contre le storytelling –, le réalisateur-vidéastephotographe Ange Leccia évacue d’emblée toute ambiguïté : “Jean est mort”, voilà pour l’intrigue. Le reste de cette Nuit bleue, à mi-chemin entre film-installation et polar low profile, est consacré à une sorte d’enquête existentielle d’une femme (Cécile Cassel, sublime), partie dans le maquis corse sur les traces du disparu. C’est dans ces paysages sauvages, battus par la pluie et les explosions terroristes, que la caméra impressionniste d’Ange Leccia enregistre ses plus belles séquences : un rayon lumineux qui file dans une nuit d’encre ; une virée en voiture bercée par Tino Rossi… Quelques fulgurances formelles, qui paradoxalement révèlent les faiblesses de la fiction, dont les esquisses (drame familial, trio amoureux, fable politique) souffrent d’un manque d’incarnation. Romain Blondeau

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Women Without Men de Shirin Neshat avec Shabnam Toloui, Arita Shahrzad, Orsolya Tóth (Iran, 2009, 1 h 35)

Rio de Carlos Saldanha (E.-U., 2011, 1 h 30)

L’instigateur de L’Age de glace s’aventure en climat tropical. e nouveau dessin animé du principal défoulé sur la couleur et le rythme. artisan des trois Age de glace Quant à la BO du compositeur John Powell, ressemble vaguement à un qui flirte avec la comédie musicale, elle 101 Dalmatiens avicole transposé s’associe parfaitement avec l’easy bossa du dans les airs : des marlous des favelas vieux routier Sergio Mendes et les percus enlèvent un couple de perroquets bleus costaudes de Carlinhos Brown. rarissimes, dont les maîtres respectifs, Mais, bien qu’il soit plaisant de bout une bibliothécaire et un zoologue, se en bout, et bien que réalisé en 3D, le film découvriront eux-mêmes des atomes manque de relief. Sans doute parce que crochus. Il manque surtout au tableau l’hédonisme à la brésilienne a tendance à un(e) méchant(e) de la trempe de Cruella éclipser récit et personnages. On retiendra De Vil, icône pré-punk, pour équilibrer quelques morceaux de bravoure sensoriels, ces gentilles roucoulades. comme une ébouriffante vision du haut Mais le bilan n’est pas totalement négatif. du Pain de Sucre, tremplin pour la folle Le film étant situé, comme son titre plongée des perroquets enchaînés, qui se l’indique, à Rio, ville natale du réalisateur termine par un atterrissage forcé sur les brésilien Carlos Saldanha, celui-ci s’est parasols de Copacabana. Vincent Ostria

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Un pensum doloriste. Le destin dramatique de quatre femmes iraniennes maltraitées par les hommes, filmées bellement, avec plein de ralentis et d’images numériques retouchées en noir et blanc et rouge. Très loin de nous l’idée de nous moquer du sort réservé aux femmes dans bon nombre de parties du globe (bien au contraire), mais rien ne justifie qu’on s’en régale pendant une heure et demie avec un plaisir esthétique approchant le gênant à force de complaisance doloriste. Tout le cinéma qu’on déteste : esthétisant, prétentieux, ennuyeux, ostensiblement “poétique” (c’est-à-dire tout sauf poétique). J.-B. M.

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en salle mélo de Mexico La Cinémathèque française débute un cycle consacré aux mélodrames mexicains. La plupart des films datent des années 40 et 50, une époque où le mélo était au sommet de son succès populaire : il marque presque toute la production mexicaine de l’époque classique. L’occasion de (re)découvrir l’œuvre de cinéastes majeurs : Buñuel, Fernando de Fuentes, Ismael Rodríguez ou Antonio Moreno (Santa en 1932, premier film parlant mexicain). Mélodrames mexicains jusqu’au 30 mai à la Cinémathèque française, Paris XIIe, www.cinematheque.fr

Rabbit Hole de John Cameron Mitchell

hors salle séries de projection Le Forum des Images propose la deuxième édition d’un festival consacré aux séries télé internationales. Au programme, projections marathons de saisons intégrales (Xanadu, The Walking Dead…), tables rondes (les rapports entre séries et littérature ou l’avenir des concepts “feuilletonnants” après Lost) et rencontres professionnelles (l’émergence de la web-série). A signaler, la rencontre avec le créateur de Breaking Bad, Vince Gilligan, samedi 16 avril. Festival Séries Mania saison 2 jusqu’au 17 avril au Forum des Images, Paris Ier, www.series-mania.fr

box-office l’animation toujours reine Le 6 avril, Zep et son personnage à mèche blonde réalisent un démarrage costaud sur Paris à 14 heures (2 331 entrées), laissant Morning Glory et Numéro 4 essoufflés derrière (environ 770 spectateurs chacun). Titeuf, le film réalise ainsi une sortie similaire à celle de Rango, qui obtenait sensiblement les mêmes statistiques il y a deux semaines. Le caméléon de Gore Verbinski garde la première place du box-office hebdo, même s’il est talonné par Baby Doll de Sucker Punch.

autres films D’un film à l’autre de Claude Lelouch (Fr., 2009, 1 h 44) La Proie d’Eric Valette (Fr., 2010, 1 h 42) Les Collections de Mithat Bey de Pelin Esmer (Fr., Turq., All., 2009, 1 h 50) Winnie l’ourson de Stephen J. Anderson et Don Hall (E.-U., 2011, 1 h 03) Popeye et les mille et une nuits de Dave Fleischer (E.-U., 2010, 53 min)

Crise conjugale après la perte d’un enfant. Un drame tenu et sobre, avec une Kidman remarquable.



l y a la surprise de voir John Cameron Mitchell, cinéaste des marginaux ivres de désir (la chanteuse transsexuelle d’Hedwig and the Angry Inch, les partouzeurs de Shortbus), s’emparer de ce drame mortifère qui transpire sérieux et bon goût. Tout y est en place : l’actrice en mode rôle à oscar (Nicole Kidman, démaquillée), l’emballage (photographie terne, ritournelle délicate à la guitare pour appuyer l’humeur grise) et le scénario (la crise d’un couple après la mort de leur jeune enfant). Mais comme Todd Haynes (Loin du paradis), de sensibilité identique, Mitchell reprend à son compte le mélodrame pavillonnaire. Il transforme ses bourgeois bien installés en freaks déchirés, qui suscitent l’incompréhension de leur entourage. Mitchell se concentre sur la manière dont le couple Nicole Kidman/ Aaron Eckhart sauve les apparences. Kidman qui dore avec soin ses crèmes brûlées, qui se rend avec son époux à des réunions de parents confrontés à la même épreuve, mais sans trouver de réconfort, ou Eckhart qui fume de la beuh en cachette : le deuil est traversé de manière cotonneuse et somnambule. C’est tout le brio de Mitchell de mettre en sommeil l’hystérie attendue, de faire en sorte que tous les choix y aient l’air d’impasse – s’encanailler, nier l’évidence, passer à autre chose. Il peut compter sur son actrice principale, aussi productrice de ce projet cousu main pour elle. Il est intéressant de retrouver en 2011, année kubrickienne (du moins en France), Kidman dans un nouveau film de couple au bord de la rupture, une décennie après Eyes Wide

Shut. Les rêves d’ailleurs, les fantasmes très XIXe siècle de fricoter avec un officier naval se transforment ici en passe-temps geek : Kidman s’évade avec une BD intitulée Rabbit Hole, divagation sur des mondes parallèles dessinée par l’adolescent responsable de la mort de son fils – la BD a en fait pour auteur Dash Shaw, excellent dessinateur américain dont les cases criardes, à la fois tendres et névrosées, rompent avec la torpeur du film. Sur un banc, Kidman peut rêvasser sur un univers où elle serait plus heureuse. Et on touche à un moment d’étrangeté quotidienne, proche de la meilleure série de science-fiction du moment, Fringe. La relation avec l’adolescent est l’élément le plus troublant du film car Nicole Kidman convoque merveilleusement des sentiments contradictoires (harcèlement ? désir ? pardon ?), culminant dans une très belle scène où elle le croise le jour de son bal de promo. Mais on sait que, de Prête à tout à Birth, le Kidman-movie tire toujours très bien son malaise de l’addition Kidman + adolescent ou enfant, prompte à faire éclater familles et certitudes. Ici, les traits de l’actrice se sont un peu figés (on appelle ça la maturité). Et, dans un dialogue final, en écho à Eyes Wide Shut, sur leur avenir conjugal, elle peut laisser le dernier mot à son mari. Au “fuck” kubrickien assuré s’est substitué un “et maintenant ?” en apparence plus confortable mais toujours au bord de l’inconnu. Léo Soesanto Rabbit Hole de John Cameron Mitchell, avec Nicole Kidman, Aaron Eckhart (E.-U., 2010, 1 h 32)

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Des filles en noir de Jean-Paul Civeyrac avec Elise Lhomeau, Léa Tissier (Fr., 2010, 1 h 25)

Un des plus beaux films français de 2010, moderne et romantique. Le film Civeyrac fait partie de ces réalisateurs pour qui le film matrice serait Le Diable probablement, œuvre ultime sur la jeunesse et les suicidés de la société. Mais son cinéma semble commencer là où s’arrêtait le film de Bresson. Que reste-t-il des disparus ? Comment vivre avec les fantômes ? Des filles en noir ne déroge pas à la règle, où deux adolescentes décident de mettre fin à leurs jours. Mais l’une des deux n’ira pas jusqu’au bout et devra apprendre à survivre. Dans une mise en scène comme toujours d’une grande élégance, Civeyrac réussit à mêler modernité et romantisme et filme un suicide qui se fait par téléphone comme un acte d’absolu. Un des plus beaux films français de l’année dernière. Le DVD Un court métrage produit pour Blow up, excellent webzine d’Arte.tv, en hommage aux frères Lumière et sur la puissance du cinéma face à ce qui va mourir. Romain Charbon Pelleas, environ 20 €

Dream Home de Pang Ho-Cheung avec Josie Ho (H. K., 2010, 1 h 36)

Le premier film gore sur la crise des subprimes, et une nouvelle promesse pour le cinéma hongkongais. Le film Les yeux rivés sur le passé et ses auteurs majeurs (Johnnie To, Tsui Hark…), on s’était habitué aux discours déclinistes sur le cinéma hongkongais. La production locale révèle pourtant en ses marges une nouvelle génération de cinéastes passionnants. On y a vu Soi Cheang disséquer le polar dans les brillants Dog Bit Dog et Accident, suivi par le jeune Wong Ching-po (La Voie du Jiang Hu) et désormais Pang Ho-cheung, réalisateur du turbulent Dream Home, qui n’aura pas eu les honneurs d’une exploitation en salle (passons). Annoncé comme le premier slasher hongkongais, Dream Home est, malgré ses imperfections, ce qui pouvait arriver de mieux au cinéma d’horreur local : un reboot de l’esprit sale gosse, gore, politique et cul des “catégories III” – le système de classification qui a donné son nom à un genre peu fréquentable, résumé par le sommet de mauvais goût Ebola Syndrome (1996). Là encore, c’est une affaire de concept, forcément malade : une jeune employée de banque discrète massacre les locataires d’un immeuble pour faire baisser sa valeur et avoir un appartement avec vue sur la mer. Passé l’argument opportuniste du premier film d’horreur postsubprimes, Pang Ho-Cheung désamorce tout esprit de sérieux, entraînant Dream Home vers le burlesque incontrôlé (où les meurtres rivalisent d’inventivité sadique). Le film souffre de flash-backs au romantisme gaga sur les traumas d’enfance de son héroïne. Mais cet étonnant déséquilibre est compensé par l’interprétation de la géniale Josie Ho, dont les nuances de regard décident de l’orientation du film, des différents registres qu’il entremêle dans un bordel rouge sang. Le beau visage, serti de cicatrices, du nouveau cinéma hongkongais. Le DVD Aucun mot de/sur Pang Ho-cheung dans les quatre featurettes du making-of, preuve des tensions entre le réalisateur et les studios en postproduction (des questions de censure, paraît-il). Romain Blondeau Wild Side, environ 20 € 13.04.2011 les inrockuptibles 73

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Il marchait la nuit d’Alfred Werker et Anthony Mann Et si ce polar méconnu était la source lointaine et cachée du Samouraï de Melville ? Le film Voilà un petit film noir plutôt oublié et qui importe à double titre. Une importance qui doit peu à son réalisateur officiel, Alfred Werker, yes man surtout connu pour avoir retourné en partie et (dé)monté Walking down Broadway de Stroheim (1933). Mais on sait qu’Anthony Mann, jeune cinéaste prometteur en 1948 et l’un des grands maîtres du western dans la décennie suivante, a tourné au moins un tiers d’Il marchait la nuit sans en être crédité au générique. Et c’est peu de dire qu’il a prêté main-forte, tant sa contribution épargne au film une forme anonyme. Quand Werker se contente visiblement d’un découpage terne pour les séquences de jour, de dialogues sans relief et d’une voix off qui fait souvent doublon, Mann (et son chef opérateur John Alton) signe d’éclatantes scènes d’action nocturnes : le premier meurtre où le policier blessé à mort jette quand même sa voiture sur celle du criminel pour l’empêcher de fuir, l’affrontement tout en ombres et éclats de lumière dans les bureaux de l’atelier, la poursuite finale dans les égouts, éclairée à la torche électrique. Ou bien cette séquence de deux minutes sans un mot : touché à son tour, l’insaisissable criminel se terre dans son repaire et extrait lui-même la balle de son corps, avec force douleurs, comme l’animal lèche ses plaies (ici l’acteur Richard Basehart, entre le loup et le rat). Expression précoce du masochisme mannien qui s’épanouira dans ses films avec James Stewart. Mais là précisément, un autre cinéaste

encore se profile sans le moindre doute : non seulement Melville, “hollywoodophile” du cinéma Palais Rochechouart (XVIIIe arrondissement), a dû voir ce film dès sa sortie, mais aujourd’hui c’est comme si on le voyait le voir. Quiconque voudra reconstituer l’ADN complet du Samouraï devra donc en passer par Il marchait la nuit, en plus de Tueur à gages avec Alan Ladd et de Pickpocket de Robert Bresson. Et pas seulement pour ce même moment où Delon, seul dans sa tanière, soigne en silence son bras meurtri. Pour comparer aussi le chien de l’un et le canari de l’autre. Pour voir les deux hommes, à vingt ans de distance, occupés à changer leurs plaques de voiture et leurs papiers d’identité au fond d’un garage, et l’un branché sur la fréquence de la police quand l’autre semble doué de télépathie. Pour se souvenir de la poursuite dans les égouts de Los Angeles lors de la filature dans le métro parisien. Pour cette atmosphère de rafle et de garde à vue. Pour ce même goût à décrire une police scientifique et des truands intelligents, un monde d’experts. Pour cette même opacité séduisante de Basehart et Delon, des psychologies indéchiffrables sauf à les considérer comme deux êtres définitivement traumatisés par la guerre, une guerre à peine terminée dans Il marchait la nuit, et jamais finie pour Mann et Melville. Le DVD Pas de bonus. Bernard Benoliel Il marchait la nuit d’Alfred Werker et Anthony Mann, avec Richard Basehart, Scott Brady (E.-U., 1948, 1 h 19), Wild Side, environ 10 €

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Homefront

champs de bataille Fortunes diverses pour deux jeux de tir très attendus. Bulletstorm balaie Homefront à la régulière.

C  à venir Un nouveau Resident Evil annoncé Capcom a révélé qu’un nouvel épisode de sa série horrifique Resident Evil était en développement. Baptisé Operation Raccoon City, celui-ci a été confié au studio canadien Slant Six Games, connu pour sa contribution à la saga guerrière SOCOM. Attendu en juin aux Etats-Unis (et à une date indéterminée en Europe), le très musclé Resident Evil: The Mercenaries (sur 3DS) sera quant à lui livré avec une demo jouable d’un autre volet de la série, Resident Evil: Revelations.

’est le printemps du FPS. Après le règne hivernal de Call of Duty: Black Ops, un nouveau bataillon de jeux de tir en vue subjective part à l’assaut des charts vidéoludiques. Mais, si cela ne sautera pas forcément aux yeux du profane, tous les FPS ne se ressemblent pas. On aurait même du mal à en trouver d’aussi dissemblables que Homefront et Bulletstorm. Porté par une grosse campagne marketing, Homefront s’offre un postulat improbable signé John Milius (coauteur, entre autres, du scénario d’Apocalypse Now). En 2027, la Corée du Nord envahit les Etats-Unis. Mais la résistance s’organise, et nous y tiendrons naturellement un rôle majeur. Ce qui impliquera de tirer là où on nous le demande, de suivre à la lettre les instructions de nos camarades et, plus généralement, d’attendre que le jeu daigne lancer les scènes spectaculaires dont la succession lui tient lieu de structure – Call of Duty, que l’on croyait avoir laissé derrière nous, revient au galop. S’il dissimule mal la nature lourdement préprogrammée de sa progression, Homefront déçoit surtout par son manque d’impact émotionnel. Notre personnage survit à une fusillade dans une banlieue pavillonnaire dévastée, se replie dans le gymnase d’une école en ruine.

Oui, bon, et alors ? Tout cela n’est qu’un décor au service d’une mécanique sans âme – on était pourtant prêt, tout tremblant, à verser plus d’une larme. Bulletstorm est bien plus réussi. Déjà, il prend le contre-pied de bien des blockbusters qui cherchent à se faire passer pour plus malins qu’ils ne le sont. Lui surjoue la crétinerie (avec ses soldats bovins et son script SF apparemment convenu) mais se révèle l’un des FPS les plus intelligents de ces derniers mois. Sa grande idée est vieille comme le jeu vidéo : attribuer des points au joueur selon l’efficacité, la précision ou l’inventivité de ses actions, i.e. sa manière d’éliminer ses adversaires (qu’il fait voler, exploser ou précipite sur des cactus). Lesdits points serviront ensuite, via ses armes, à accroître ses capacités. Bien qu’ouvertement potache, Bulletstorm ne prend jamais son gameplay à la légère et conserve sa capacité à surprendre, même après plusieurs heures de jeu. C’est pour rire, mais tout le monde (les développeurs soigneux, le joueur attentif) fait mine de garder son sérieux. Ce qui suffit amplement, entre deux fantaisies plus colorées, à nous réconcilier avec le FPS. Erwan Higuinen Bulletstorm sur PS3, Xbox 360 et PC (People Can Fly/Epic/EA, de 45 à 70 €) Homefront sur PS3, Xbox 360 et PC (Kaos Studios/THQ, de 45 à70 €)

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staraoké Avec Yoostar 2, il est possible de jouer dans son film préféré. Au-delà du plaisir immédiat, un jeu qui ouvre d’infinies perspectives. ui n’a jamais cinématographique des jeux de remakes de Kick-Ass, de rêvé d’être musicaux type Guitar Hero. Grease ou du Flic de Beverly un Blues Brother, Le joueur choisit une scène Hills ont toujours quelque le Terminator parmi les quatre-vingts chose d’un peu pathétique. ou, pour les plus pervers qui s’offrent à lui – si cela Cela ne diminue en rien d’entre nous, Derek ne suffit pas, la boutique le potentiel de Yoostar 2, Zoolander ? Amis comédiens en ligne est là. Au menu : générateur festif de films en herbe, le jour de gloire Casablanca, La Folle Journée “suédés” façon Soyez est enfin arrivé. De gloire de Ferris Bueller, Polly et moi sympas, rembobinez de ou de honte, si d’aventure, (Ben Stiller est étrangement Michel Gondry. En l’état, aveuglé par votre diction – mais plaisamment – le jeu possède encore bien soignée et la gestuelle très présent dans Yoostar 2) des défauts – l’intégration associée, vous en veniez ou encore Mad Men. de notre image à l’écran – le jeu vous y encourage – Le joueur se glisse dans est imparfaite, le score à laisser traîner sur la silhouette qui s’affiche demeure discutable, la VO Facebook le fruit de vos à l’écran, se prépare à lire n’est accessible qu’en efforts devant la télé. son texte, et c’est parti. bidouillant les paramètres Conçu pour tirer profit Le karaoké se fait (aussi) de la console. Mais des caméras de Kinect physique et il ne faudra il ouvre aussi bien des et du PlayStation Move, pas se crisper pour obtenir perspectives. E. H. Yoostar 2 – le premier les compliments de épisode, paru en 2009, la machine et, surtout, Yoostar 2 sur Xbox 360 et PS3 était destiné aux Mac et de l’indispensable public (Yoostar/Blitz/Namco Bandai, environ 5 0 €) PC – se veut un équivalent car, en solo, les tentatives

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MotoGP 10/11 Sur PS3 et Xbox 360 (Monumental Games/ Capcom, environ 60 €) Alléluia : on a remporté une épreuve de MotoGP. Avec son mode “facile” très assisté, la simulation de course sur deux roues s’offre enfin aux sous-doués du joypad. Les pilotes masochistes, pardon, perfectionnistes ne jetteront sans doute au dit mode qu’un regard méprisant mais trouveront par ailleurs un jeu aussi riche que réussi.

Monster Jam – Path of Destruction Sur PS3 et Wii (Virtuos/Activision, environ 35 €) L’amateur de jeux vidéo prend parfois plaisir à fréquenter des titres qui ne lui semblaient nullement destinés. Ouvertement fauché (ceci n’est pas une superproduction) et un rien grossier (bienvenue dans l’univers des gros cubes détruisant voitures et autobus dans des stades hystériques), Monster Jam est un pur bonheur cathartique. 13.04.2011 les inrockuptibles 77

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future soul of London Sensation britannique de l’electro laconique, le tout jeune James Blake visite la France la semaine prochaine. L’occasion de découvrir sur scène ce crooner de l’ère digitale.

P  Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

eut-être est-ce le fait d’avoir un nom propre aussi commun qui poussa James Blake à devenir si exceptionnel. Quasi muet dans les médias, le Londonien se livre avec parcimonie, d’une voix aussi grave que son album. “J’aime parler de musique. Même de la mienne. Mais le temps que je consacre à répondre aux mêmes questions, encore et encore, c’est du temps que je ne passe pas à composer.” Il ajoute n’avoir aucune envie de devenir “une pop-star homme d’affaires, de travailler dans les relations publiques”. A l’écoute de ses premiers ep, nettement plus expérimentaux, rien ne laissait présager l’étonnant triomphe en 2011 de ce dubstep de piano-bar, de ce blues de l’ère informatique. Si son premier album sent la solitude comme un hospice

le soir du réveillon, ça n’est pourtant pas le reflet d’un auteur vivant isolé du reste du monde. C’est sa manière de composer. Cette idée que l’on n’est jamais mieux produit que par soi-même, en tête à tête avec son laptop. Des heures passées à tisser dans le vide, sans patron, jusqu’à obtenir l’habit idoine collant à sa pop. Mais attention : son œuvre doit venir des tripes, pas de la tête, dit-il. “Quand j’écris de la musique intellectuelle, je ne l’aime pas. J’ai l’impression qu’elle a perdu tout naturel. Elle doit être instinctive, venir sans réfléchir.” Bien qu’il ne se sente pas affilié à la scène dubstep, il admet que ses rapports avec Mount Kimbie notamment ont profondément modifié l’anatomie de sa musique. Dans sa chair, ses textures, les battements de son cœur défiant les métronomes, et dans les fractures de son

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on connaît la chanson

indie-dance “j’essaie vraiment de catalyser l’essence de Londres”

squelette, on reconnaît l’ADN de la scène londonienne actuelle. Mais pour trouver la clé qui liera les âmes à ses productions, il s’est aventuré hors du dubstep, dessinant sans GPS son propre territoire. Des propos que l’on tient d’ordinaire au sujet d’un artiste enfantant enfin son album de la maturité (le fameux). James Blake, 22 ans, est touché par la grâce dès son premier album, lui. Il n’aura fallu au Britannique, génie précoce, qu’une poignée de titres pour dessiner son imaginaire d’homme-machine entre crooner d’open-space et gospel informatique. “J’aime les ordinateurs, la manière dont ils fonctionnent, leur interactivité. D’une certaine manière, au-delà du médium, c’est une source d’inspiration.” Bien que figurant, Londres est aussi partie prenante de l’album. “Au-delà

de la scène locale, la froideur de l’architecture, les clivages sociaux, les relations ou l’absence de relations entre les individus dans cette ville immense, son multiculturalisme et même les bus de nuit ont eu un impact énorme sur mon écriture. J’essaie vraiment de catalyser l’essence de Londres.” Il y a cette contemplation des êtres, des paysages et de la solitude urbaine dans ce que peint James Blake. Froidement lucide sur son époque, il n’en garde pas moins les yeux rivés sur l’avenir, focalisé sur l’anticipation, sans oublier de jeter quelques coups d’œil dans le rétro. “J’ai été bercé avec Stevie Wonder ou Joni Mitchell, et ça marquera à tout jamais mon écriture, ma voix et ma musique.” Coincé entre soul et dubstep, James Blake a offert une âme à la machine. Une idée en phase avec sa conception spatio-temporelle de la musique, accordant une certaine place au vide et laissant parler les silences. Une façon élégante, selon lui, de “digérer ce qui vient d’arriver et de se préparer à ce qui arrive”. James aime à ménager son auditeur. Jusqu’à l’homogénéité monolithique dont fait preuve cet album : il s’échappe et s’élève doucement comme une volute de fumée, chaque titre s’annonçant comme le préliminaire d’un autre. Une conception de l’œuvre en tant qu’objet à part entière que l’on disait pourtant en voie d’extinction avec le saucissonnage possible des albums sur les plates-formes de téléchargement. Considéré parfois comme un somnifère chic, ce premier album est pourtant un chef-d’œuvre rare, aussi immédiat que durable. Un choc identique au premier album de Portishead : ne lui reste plus qu’à en avoir l’impact. Mathias Deshours album James Blake (Atlas/AZ/Universal) concerts le 23/4 à Bourges, le 25 à Paris (Maroquinerie), le 26 à Tourcoing www.myspace.com/jamesblakeproduction En écoute sur lesinrocks.com avec

Le label Kitsuné fête les noces joyeuses de la dancemusic et de l’indie-pop. Tout ne fut pourtant pas si facile. Pendant une partie des 80’s, ce fut un oxymore absolu : indie-dance. D’un côté, des garçons en pardessus noirs écoutaient du rock indé, Joy Division ou Sisters Of Mercy, avec une douleur savamment étudiée sur le visage et une raideur métronomiquement régulée dans les pieds : on dansait un peu, mais l’air absent, avec un ennui baudelairien. On dansait honteusement : ce n’était pas de la dance-music. Car d’un autre côté, il existait une dancemusic pétaradante qui, du hip-hop à l’electro-pop, de l’oubliée go-go music à la hi-NRG, offrait l’antidote coloré et pétillant au bal des corbacs. Ces murs commencèrent à se fissurer quand New Order, revenu d’une virée dans les clubs new-yorkais, sortit un révolutionnaire Blue Monday. L’Haçienda, le club de Manchester financé par New Order justement, en était encore à la séparation stricte des genres : une soirée s’appelait The End, garantie “no funk”. No fun, souvent, aussi. Mais quelques années plus tard, au même endroit, démarrait une révolution toujours en mouvement : les indie-kids, gavés d’ecstas, découvraient la dance-music de Chicago ou Detroit. Happy Mondays ou Stone Roses bouleversèrent à jamais l’indie-pop : sans eux, pas de Daft Punk, de Chemical Brothers, de Klaxons. Ce sont les retombées 2011 de cette rencontre prodigieuse entre les mélodies pop précieuses et les dynamiques patachonnes de la dance-music que recense la prochaine compilation du label Kitsuné. Seize groupes, même pas nés au moment des faits, organisent ainsi une cérémonie joyeuse du souvenir de ces accords de paix entre liesse et joliesse. Difficile à croire aujourd’hui qu’autrefois ces genres que tout poussait à danser ensemble se regardaient en chiens de faïence – ou ne se regardaient même pas. Kitsuné Maison #11, The Indie Dance Issue (Kitsuné/Cooperative/Pias)

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(déjà) un nouveau single pour Radiohead

pour enregistrer son quatrième album. “C’est surréaliste, elle chante mes chansons”, a lâché le Californien à propos de Beyoncé, qui se serait aussi acoquinée avec Ne-Yo, Sleigh Bells et Diplo pour donner vie au successeur de I Am… Sasha Fierce, prévu pour juin.

cinq labels indés se font coffret cette semaine

Emmanuelle Parrenin, le retour

Philippe Lebruman

Mirage et miracle : la fée folk française Emmanuelle Parrenin sort Maison cube, son deuxième album, trente-quatre ans après le premier, Maison rose. On en reparle bientôt, et on ne rate pas D’une maison l’autre, concert de lancement à Nantes. Le 15 avril à Nantes, le 20 à Paris (Point Ephémère)

Alors que la France s’apprête à fêter ses disquaires lors du Disquaire Day, Les Inrockuptibles rendront hommage aux labels indépendants avec un coffret collector, Les Beaux Labels à paraître le 15 avril, en exclusivité à la Fnac. Cinquante titres vibrants piochés dans les catalogues rock, pop, folk et electro de cinq labels qui, des historiques Factory, Sub Pop ou Warp aux jeunes Domino et Bella Union, façonnent la musique depuis plus de trente ans. www.fnac.com

Dan Winters

Beyoncé en juin et bien entourée Beyoncé traînerait-elle de plus en plus avec sa sœur, la très indé Solange Knowles, déjà aperçue chez Of Montreal, Theophilus London ou Dirty Projectors ? Madame Jay-Z vient en tout cas de faire appel à Frank Ocean, du génial collectif hip-hop Odd Future,

Deux mois à peine après la “sortie” de son dernier album et le récent lancement de son journal, le groupe mené par Thom Yorke s’apprête à sortir un nouveau single à l’occasion du Disquaire Day le 16 avril prochain. Le vinyle 12” contiendra deux inédits, The Butcher et Supercollider, et ne sera édité qu’à 2 000 exemplaires (dont 250 en France). Bonne chance. www.disquaireday.fr

Kings Of Leon au septième ciel Alors qu’elle n’en finit pas de remplir les stades (et d’épouser des top-models), la fratrie Followill célébrera bientôt son ascension au sommet des charts avec un documentaire racontant son histoire. Réalisé par Stephen C. Mitchell, Talihina Sky retrace les débuts chaotiques du groupe, ses sévères penchants pour le whisky et la drogue, et l’omniprésence de son éducation religieuse. “Dès que j’ai su qu’on allait signer un contrat avec une maison de disques je n’ai plus pu dormir. Toutes les nuits, je savais que j’irais en enfer, que je ne serais jamais pasteur”, confie Caleb au début du trailer déjà en ligne. www.talihinasky.com

neuf

Hüsker Dü Flying Turns

Bird Of Youth Admirablement produites par Will Sheff (Okkervil River, Shearwater), on conseille les pop-songs racées d’un jeune groupe de Brooklyn à la voix mélancolique et aux guitares carillonnantes – ce doux-amer clair-obscur évoque souvent les vénérables Pretenders, qui pourraient pourtant être leurs (grands-)parents ! www.myspace.com/birdofyouthmusic

Projet collectif du Français Wagner, Flying Turns remonte à la dernière période de glaciation de la planète. Soit ce rock dansant et anxieux qui allait de Joy Division à Devo, de Kas Product à Taxi Girl. Aucun des quatre garçons n’étant né à l’époque, ça les autorise à envisager ce son avec candeur, fraîcheur et sang neuf. www.myspace.com/flyingturns

The Yellow Balloon L’été est là, le soleil ne va pas tarder. C’est le moment d’en profiter pour prendre quelques couleurs avec la sunshine-pop, genre euphorisant qui donne envie de fréquenter les plages californiennes des années 60. The Yellow Balloon pousse carrément à prendre une planche de surf longue comme une barque et à manger une triple glace.

A chaque fois que vous vous réjouissez d’une pop-song magnifiquement sabotée, en fin de refrain, par des guitares irascibles et gracieuses, remerciez ces pionniers américains qui ont influencé tout un pan du rock, de Nirvana aux Pixies. Il est donc temps de remonter à la source Hüsker Dü. www.myspace.com/flipyourwig

vintage

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Michael Lavine

TV on the volcano Même quand elles font semblant de devenir sages et classiques, les chansons de TV On The Radio demeurent un fascinant magma.



l y a quelques années, David Bowie s’invitait en studio avec TV On The Radio : les cyniques y décelèrent une preuve de plus du vampirisme de hype avec lequel l’Anglais a bâti son commerce florissant, entre underground et grand public. Ses fans se mirent à rêver d’une collaboration plus poussée, où la production de David Sitek condamnerait Bowie au surpassement, à une excellence rarement croisée depuis qu’il avait ainsi servi de cobaye consentant à Brian Eno, mentor justement de Sitek. Cet album de pop moderne épurée et pourtant luxuriante, ce grand album de David

une pop vierge, perturbée de mille parasites féeriques

Bowie, TV On The Radio l’a fait… sans David Bowie. En simplifiant les propositions parfois saturées du groupe, en privilégiant l’horizontalité (mélodies étales, lignes sans brisures) à la verticalité (mille-feuille accidenté, dynamique de montagnes russes), la production de Sitek gagne énormément en clarté ce qu’elle perd en mystère, voire en confusion, en opacité. Même plus peur. Et curieusement, ce retour à la normale n’évoque jamais une capitulation. Car même en pleine lumière, en choisissant de juxtaposer les éléments plutôt que de les opposer, les caramboler, la production demeure une matière vivante assez prodigieuse. Cette paix est nouvelle, tant ce groupe était en guerre furibonde contre toute idée de confort,

de sédentarité. Le cosmos était son terrain de jeu ? Tout tient aujourd’hui dans le cœur, gros : album étonnamment romantique, évidé de toute tension et anxiété. La danse de travers était son arme fatale ? Aujourd’hui la section rythmique, autrefois si massive, semble jouer sous tranquillisants pour éléphants. Deux exemples de la traîtrise infernale de cet album : le pâle et ondulant Second Song pourrait se contenter, et ça serait déjà énorme, d’être un de ces funks affolés et réduits à la Prince ou Pharrell Williams. Mais il intègre de vastes passages contemplatifs, des fantasmes de crooner lunaire et des rafales de cuivres avec une fluidité assez déroutante. Plus loin, Forgotten continue ce travail de sape des acquis, en une pop vierge,

perturbée de mille parasites féeriques, pour rêver en volutes. Revenu à la maison après différentes aventures solo et collaborations, le groupe joue ainsi plus collectif, nettement plus physique et épuré, évoquant régulièrement les Talking Heads (un autre groupe dévié par Eno). Peut-être parce que la maison en question n’est plus un taudis au centre d’un Brooklyn agité, bombardé de sons et d’idées, mais un studio avec vue, lumière et soleil d’une banlieue pacifiée et neutre de Los Angeles, où Sitek est venu chercher (et trouver) la sérénité. Elle lui va à merveille. JD Beauvallet album Nine Types of Light (Polydor/Universal) www.tvontheradio.com En écoute sur lesinrocks.com avec 13.04.2011 les inrockuptibles 81

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Visuel de pochette de l’album Vagamente de Wanda, tiré du livre publié par Soul Jazz

vague moderne L’éternelle bossa nova est doublement célébrée, sur le fond et la forme, par le label anglais Soul Jazz : une compile succulente et un splendide livre de pochettes de disques.

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on, la bossa nova ne doit surtout pas être confondue avec ces fadasses mélasses qui tapissent les bars à cocktails. Au risque de décevoir les musicologues de comptoir, non, elle n’a pas été inventée uniquement pour stimuler en douceur la consommation de caïpirinhas. L’apparition de cette musique, que caractérise avant tout son

une musique à la fois novatrice et populaire, comme peu d’autres ont su l’être

élégance suprême, répond à une soif d’une autre importance : la soif de modernité, qui aura brûlé plus d’une gorge dans le Brésil du XXe siècle. Mêlant les influences de la samba et du jazz-cool, avec une pincée de Salvador (pas le pays, le chanteur, Henri de son prénom), la bossa nova a déferlé sur les rivages de Rio de Janeiro dans le courant des années 50. A partir de mai 1958, avec la sortie de Canção do Amor Demais, album d’Elizete Cardoso – une célèbre chanteuse de samba –, à l’enregistrement duquel ont participé João Gilberto, Antônio Carlos Jobim et Vinicius de Moraes

(soit la Sainte Trinité), elle se répand allègrement au Brésil et à l’étranger, jusqu’au coup de grâce – expression ici parfaitement adéquate – de The Girl from Ipanema, porté en 1964 par Stan Getz et Astrud Gilberto, reprenant en anglais et en beauté Garota de Ipanema, le tube inoxydable de Jobim et Moraes. Avec un demi-siècle de recul, les philanthropes du label londonien Soul Jazz proposent aujourd’hui leur vision de la bossa nova, musique à la fois novatrice et populaire, comme peu d’autres ont su l’être. Cette vision se matérialise d’abord sous la forme

d’un ouvrage splendide, épousant les dimensions d’un 33t, dans lequel sont retracées les grandes lignes de l’épopée et reproduites (pleine page) maintes pochettes emblématiques. Le design magnifique de ces pochettes – particulièrement celles du séminal label Elenco – n’a rien à envier aux albums estampillés Verve, Atlantic ou Blue Note, et met très bien en valeur l’apport essentiel de graphistes tels que Joselito, Francisco Pereira, Mauricio ou, surtout, Cesar G. Villela. Si les yeux sont à la fête, les oreilles ne sont pas oubliées, qui peuvent se délecter sans compter à l’écoute de la précieuse double compilation (34 titres) qui accompagne le livre. Délaissant les titres mille fois entendus au profit de perles plus rares, la sélection couvre tout le nuancier d’une musique foncièrement hybride, qui penche tantôt vers le jazz, tantôt vers la samba, et refuse de choisir entre euphorie et mélancolie. D’une atmosphère à l’autre se discernent des composantes récurrentes et succulentes : mélodies limpides, arrangements surfins, interprétations vibrantes. Ainsi paraît-il difficile de ne pas s’enticher instantanément de ces pièces maîtresses que sont, pour ne prendre qu’une série d’exemples, Primitivo de Sergio Mendes, Hora de lutar de Geraldo Vandré, Lalari-Olala de Jorge Ben ou encore Adriana de Wanda Sá – cette dernière, dotée d’un timbre et d’attributs lui permettant de prétendre aisement au titre de petite sirène de Copacabana. Jérôme Provençal album et livre Bossa Nova and the Rise of Brazilian Music in the Sixties (Soul Jazz/ Discograph et Interart) www.souljazzrecords.co.uk

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Chaweewan Dumnern

various artists The Sound of Siam – Leftfield Luk Thung, Jazz and Molam from Thailand 1964 -1975

génération, des cornes de zébus devenues clarinettes et des luths incrustés de micros humbuckers branchés sur des amplis à piles façonnent une pop kitsch, toc et pleine de charme. Telles sont les composantes de ce Sound of Siam, qui s’offre en Nuggets thaï avec sa vingtaine de perles (de coco) glanées entre 1964 et 1975, soit l’âge d’or de la luk thung music et du molam, considérés comme les genres populaires par excellence. Depuis les volumes Siamese Soul chez Sublime Frequencies et la révélation des Américano-Cambodgiens de Dengue Fever, on écoute à deux fois tout ce qui nous vient du Sud-Est asiatique. Et l’on a raison. Ici pas un moment faible, pas une faute de goût. C’est coloré, parfumé, pimenté, électrifié. Ça met le Detroit de la Motown à l’heure de Bangkok, ça émince les accords de Jumpin’ Jack Flash façon papaye verte. Paraît même que ça a des vertus aphrodisiaques. Francis Dordor

Soundway Records/Differ-ant

On découvre stupéfait, voire ahuri, ces perles pop venues de Thaïlande. uisque la curiosité a conduit vos oreilles jusqu’en Ethiopie, pourquoi ne pas les faire cingler plus à l’est ? Au pays des chanteuses à voix acide en robe de soie aux reflets mordorés. Là où des orgues électriques première

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www.soundwayrecords.com En écoute sur lesinrocks.com avec

For Heaven’s Sake Paha Sapa/Mako Sika Sur le site du groupe

Revenu d’Inde et du rock américain, le projet exalté d’un Français. Avec la somptueuse pochette de son vinyle, ce Français se contente de mettre l’objet en conformité avec les ambitions titanesques des chansons. Hymnes écorchés, psalmodiés au bord de la falaise : rien ne se joue ici en dessous d’un seuil d’exaltation et d’indécence, installé en altitude par Jeff Buckley. C’est dans ce rock imprudent que se débat Guillaume Nicolas, dans un français mystique voire cryptique, alors que sa guitare s’offre un trip effarant dans le cosmos, à force de gospel halluciné et de psychédélisme hagard. Benjamin Montour www.forheavenssake.fr

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Daedelus

Isolée Well Spent Youth Pampa Rec/La Baleine Fidèle à lui–même, l’Allemand délivre une house minutieuse, solaire et inclassable. i seulement la vie était aussi triste que Paloma triste ! Avec sa mélodie désuète et sa basse freestyle, le morceau qui ouvre Well Spent Youth annonce une heure d’entrechoquements de sons, peu propices à sombrer dans le désœuvrement. En matière de minimalisme, l’Allemand Isolée a le cousinage encombrant, de Kraftwerk à Kompakt. Mais sa house trouve encore, de par son étrangeté et son instabilité, le moyen d’être unique. Aussi intelligente que ludique, aussi complexe que légère. Le cœur de l’album donne le vertige. Dans Going Nowhere, Isolée s’éparpille juste comme il faut, offrant un maelström très rafraîchissant. Puis vient la techno chuintante de One Box, impeccable. Plus loin, Hold on oscille entre acidité et profondeur. Rajko Müller est un besogneux : trois albums en onze ans. Il faut croire que la liberté se gagne chaque jour. Gaël Lombart

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www.isolee.de En écoute sur lesinrocks.com avec

Le petit maître californien de l’electro barrée s’amuse avec un casting imposant. Le risque, dans tout album de producteur, reste l’exhibition stérile de savoir-faire : l’habillage clinquant sur le rien. Risque de dispersion encore plus grand quand on s’appelle Dédale et qu’on invite aussi bien la chanteuse folk Inara George que les rappeurs Bilal ou Bus Driver. Mais l’album du prodige californien ne s’appelle pas Bespoke (“Sur mesure”) pour rien, réussissant cet exploit digne de Ratatat : partir dans tous les sens avec une vraie direction artistique, provoquant dodelinements béats et complices – de Sew, Darn, Mend, véritable hymne à la joie, au grave et touffu Overwhelmed. JDB www.daedelusmusic.com En écoute sur lesinrocks.com avec

Vincent Delerm

Bespoke Ninja Tune/Pias

L. Initiale Tôt Ou Tard/Wagram

Une révélation dans la chanson française : on ne peut déjà plus se passer d’L. Depuis combien de temps n’a-t-on suivi pareil chant, prenant toute liberté, d’un flux fragile, avec les mots et les mélodies ? C’était du côté de Göttingen ou à Nantes. Et il pleuvait chez Barbara. En fait, il pleut souvent chez Raphaële Lannadere, en ces nuits qui rappellent également celles de Bashung, et dans lesquelles croisent les pin-up de Pigalle. Après avoir été initiée à la mélancolie capverdienne aux côtés de Teofilo Chantre (l’un des auteurs favoris de Cesaria Evora) et s’être forgée la voix dans un groupe polyphonique, L. s’attache les services de Babx (chanteur-compositeur, il a récemment travaillé sur l’album de Camélia Jordana). On retrouve toutes les pièces de ce puzzle dans un premier album, intense et aérien, essentiel et dénudé. Rien de quotidien ici, juste des échos de valse triste, l’évocation de vapeurs d’opium et des vers lovés dans une tradition de textes ciselés, qui n’exclut pas les incursions dans le tango ou le rock. Christian Larrède www.myspace.com/lmusique

The Concretes WYWH Something in Construction/Discograph Réinvention en feu et en glace du groupe suédois. Après le départ de la chanteuse sont à la fois hypnotiques Victoria Bergsman, les Concretes et sombres, dansants avaient continué, en parfait déni, et bouleversants, en parfaite à composer leur entraînante pop osmose avec son chant intense. à guitares. Ils effectuent ici un Rarement groupe se sera virage à 180° avec des chansons réinventé avec autant qui subliment enfin la voix glacée de pertinence et d’élégance. Anne-Claire Norot de sa remplaçante, Lisa Milberg. Rythmes froids, sons synthétiques, basses sourdes et disco, accords theconcretes.com mélancoliques, guitares quasiment En écoute sur lesinrocks.com avec absentes, les morceaux de WYWH

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Emin Yagci  On ne cause jamais assez du tulum, le biniou du Caucase. Cornemuse à la mode caucasienne, le tulum est l’instrument de prédilection d’Emin Yagci, musicien turc qui sort ces jours-ci un disque plus que recommandable intitulé… Tulum. Seul ou accompagné, Yagci y sert douze vignettes d’un folklore à bourdons : déjà entêtantes, les mélodies (qu’il arrive aussi à Yagci de servir à la voix) sont portées en outre par un lot de percussions enlevées et de cordes tranchantes. Insatiables, les instrumentistes mènent douze fois la danse sur beau fond de mer Noire. Guillaume Belhomme www.eminyagci.com

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A. Grosselin

Tulum Felmay/Orkhêstra

Rum Tum Tiddles We Could Be Pirates Waterhouse Records Le folk cabossé par les voyages d’un joyeux trio anglo-français. eux Nantais barbus et une Anglaise Ça n’empêche pas la gravité de rattraper pétrie par une vie rocambolesque, le trio dans sa bulle, mais elle des communautés utopiques aux est repoussée avec une telle légèreté, carnages du Kosovo, en passant par une telle euphorie (on peut improviser les retraites indiennes et peut-être même des chorégraphies désordonnées la planète Tralfamadore… Rum Tum Tiddles et allègres sur Oh, the Polar Bears par fait partie de ces nomades de l’internationale exemple, en jetant son chapeau au ciel) folk qui se croisent au hasard de tournées qu’elle n’a pas beaucoup de prise sans fin dans des cafés bruxellois ou des visible sur ces rengaines blues ou folk auberges espagnoles : de port en port avec pour ukulélé, guitares antiques et Matt Bauer, Alela Diane ou le collectif Kütu. humeurs vagabondes. L’objet, magnifique, “We could be pirates” ou “I’m famous évoque une édition-madeleine de in Dallas”, ment en murmurant Jules Verne : L’Ils et elle, mystérieuse. JD Beauvallet Madeleine Mosse, parce qu’ici la vie est belle et virtuelle, pilotée sans GPS lesinrockslab.com par les rêvasseries et les fuites en avant.

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Dan Wilton

Jessie J Who You Are AZ/Universal En direct du pays de Skins, de la pop ado qui n’a froid ni aux yeux, ni aux fesses. e Ms Dynamite à Lily Allen, la pop anglaise a toujours été généreuse en gourgandines qui doivent alimenter les pires cauchemars des bellesmères françaises. Délurées et fêtardes dans leur habitat naturel d’Angleterre, elles sont ainsi vite considérées vulgos et pétasses en traversant la Manche : bien triste destin pour ces filles joyeuses, que d’être caricaturées en filles de joie. De tous temps, dès les sixties, ce sont pourtant elles qui ont rendu la pop anglaise – et Gainsbourg l’avait parfaitement assimilé – aussi sexy, canaille, avec leurs sous-entendus lascifs et leurs sous-vêtements pas farouches. Jessie J, du haut crâneur de ses 23 ans, maîtrise déjà parfaitement cette image sulfureuse et ces provocations bénignes, comme tant d’autres poupées de chiffons, mais peut aussi à l’occasion d’un Do It Like a Dude ou Price Tag se révéler un songwriter diaboliquement efficace, une metteuse en son carabinée, taillant dans le nerf (quand elle ne succombe pas à la tentation de ballades r’n’b répugnantes) des tubes claquants, cinglants – elle en a d’ailleurs vendu quelques-uns à Justin Timberlake. Etonnant mélange de gouaille et de méticulosité, la pop sur papier glacé de cette rescapée (elle fit un infarctus à 18 ans) en fait un cas à part de la scène anglaise : outrancière en surface comme Lady Gaga, mais geek au fond comme Hot Chip. JD Beauvallet

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www.jessiejofficial.com En écoute sur lesinrocks.com avec

Frankie & The Heartstrings Hunger Wichita/Cooperative/Pias

Une formation au nom aussi sympathique et désuet que sa musique. Un peu surcoté par les bookmakers du NME, ce quintet de Sunderland semble déjà condamné à jouer les utilités de second rang à l’heure de l’épidémie Vaccines. Produit de manière assez brouillonne par Edwyn Collins, ce premier album bourré d’enthousiasme et de références n’a pas le tranchant ni la radicalité fiévreuse qui animaient les Dexys Midnight Runners – à qui on les a comparés –, pas non plus la roublardise d’antiquaires de contrebande des Kaiser Chiefs. Après les Hunger, Fragile ou Tender déjà fréquentés en singles – format idoine pour cette musique –, l’album bâti autour provoque très vite un effet de suffocation, puis de lassitude, les compositions comme la voix n’ayant pas le distinction et la hargne requises pour viser le haut du tableau. Sunderland, quoi. Christophe Conte www.frankieandthe heartstrings.com

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Austine Le Calendrier Third Side Records

Toro Y Moi Underneath the Pine Carpark/La Baleine La petite star de l’electro US revient avec un album plus organique. eux mille dix était l’année (ou plutôt le court été) de la “chill-wave”, musique onirique et nostalgique de Washed Out, Small Black ou Toro Y Moi. 2011 est donc l’année où ils se révoltent contre cette étiquette. Underneath the Pine est le deuxième album du petit génie Toro Y Moi. Le titre “Sous les pins” est ainsi une déclaration d’intention – il sera question d’arbres, de nature et de vie bucolique en Caroline du Sud. Du coup, Toro Y Moi utilise ici des techniques et des instruments traditionnels, et un vrai groupe, plutôt que ses outils électroniques de chambrette. Des basses funk, évoquant des séries américaines des années 70, accompagnent ainsi de subtiles touches électroniques, comme des effets irréels sur sa voix unique et douce. L’influence de la musique de film s’entend dès l’introduction de Good Hold – un piano discordant ouvre la chanson, évoquant un film d’horreur des années 80. Puis une basse mélancolique entre en scène, vite rejointe par des couches de chants oniriques, qui changent complètement la tonalité, du sinistre à la tendresse. C’est une expérience sonore troublante, où chaque élément se déplace entre les haut-parleurs comme un tourbillon. Une façon assez brillante de gérer les attentes après le succès du premier album : bouleverser la technique mais conserver l’âme, la grandeur et la chaleur de la musique. Francine Gorman

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Jolie collection de chansons pop au féminin : Austine power. Un de ses premiers singles s’intitulait Petite pute. Eh bien, pas du tout, rien à voir : Lilloise installée à Paris, Austine compose une pop élégante et chic. Portées par des orchestrations à la beauté rare en France (Le Coup de foudre, Les Escaliers), les comptines de la Française sont habiles et rêveuses à la fois. Et laissent deviner de bien beaux disques de chevet. Il faut ainsi avoir appris autant des mélodies des Beatles que de la poésie de Barbara pour agencer un morceau aussi voltigeur que Les jours s’allongent, un des titres les plus éblouissants entendus en France cette année. Avec La Fiancée, Daphné, Barbara Carlotti ou Marie Modiano, Austine offre une raison supplémentaire de croire fort à la pop féminine d’ici. Johanna Seban www.austinechante.net En écoute sur lesinrocks.com avec

Patrick Jeffords

www.myspace.com/toroymoi

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Chloe Aftel

Alela Diane Alela Diane & Wild Divine Beggars/Naïve Classique mais plus électrique, le nouvel album d’Alela Diane continue de raconter l’Amérique qu’on aime. e coupe de cheveux, Pour autant, Alela Diane qu’il n’y aura jamais Alela Diane change & Wild Divine reste fidèle un vocoder sur régulièrement. à son travail : un disque un de ses disques. Mais de musique, de folk un peu hippie, Ce qu’il y a, en revanche, elle ne change jamais bucolique et émouvant. sur Alela Diane & Wild vraiment. Depuis quelques Proche de la tout aussi Divine, son troisième années et son premier recommandable Mariee album, c’est un nouveau album The Pirate’s Gospel, Sioux, avec qui elle partage chapitre de l’histoire du Alela Diane chante la scène et l’époustouflant folk traditionnel américain, la même belle chanson, timbre de voix, la avec sa nature toutecelle du grand Ouest chanteuse bâtit, comme puissante (The Wind), américain des pionniers, dirait Francis Cabrel, des ses chansons cabossées des racines, du passé. ponts entre nous et le ciel comme échappées d’un Preuve de la pureté (Suzanne, Of Many Colors). vieux saloon (Desire), ses de sa musique, souvent Nulle vraie surprise ici, hymnes tombés du chariot la demoiselle chante mais peu importe : la sortie bâché (Long Way down). avec des membres de sa d’un disque d’Alela Diane La chose est un tantinet famille ou son compagnon. reste l’une des plus plus électrique que les Tout est naturel, simple, réjouissantes nouvelles albums précédents, sans organique et à l’ancienne. pour quiconque accueille doute parce qu’Alela Diane On parie l’or du monde régulièrement Joni signe pour la première fois Mitchell, Judee Sill ou ce disque avec le groupe qui l’accompagne sur scène Agnes Obel dans son salon. Johanna Seban (et dont font donc partie son père Tom Menig et son mari Tom Bevitori). Autre concerts le 8 mai à Strasbourg, nouveauté, elle en a confié le 9 à Paris (Cigale), le 10 à Lille la production à Scott Litt www.myspace.com/alelamusic (Nirvana, R.E.M., En écoute sur lesinrocks.com avec The Replacements).

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Samy Ndjemba

Gentlemen Drivers Asphalt Because Les Satanas et Diabolo de l’electro française reviennent avec un tigre dans le slip. aisserions-nous monter campagne en un road-trip interlope notre fille en voiture avec et flashy à la Fast & Furious. les Gentlemen Drivers ? Et quand la maréchaussée pointera Certainement pas. S’il y a le bout de son képi, il suffira pour une place à prendre à l’arrière l’amadouer de lui passer Valdor (ou de leur bolide, pas question son remix par Populette), pop-song qu’elle nous échappe au profit synthétique plus envoûtante qu’une d’une auto-stoppeuse en minishort. apparition de la Dame blanche sur C’est dire l’effet produit par Asphalt, un bord de route. Benjamin Mialot décoiffante virée techno dont www.myspace.com/gentlemendrivers la mélodie clignotante et le bpm En écoute sur lesinrocks.com de croisière transforment avec le plus morne des trajets en rase

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Arcade Fire Girls Just Wanna Have Fun Organisé dans le plus grand secret dans le hall d’un hôtel de Port-au-Prince, à Haïti, un miniconcert de 45 minutes d’Arcade Fire s’est soldé par une reprise impromptue du tube de Cyndi Lauper, à voir sur le compte YouTube du magazine Esquire, accompagnée d’une reprise musclée des Rolling Stones. www.youtube.com/user/EsquireMag

Bombino Imuhar On a déjà dit tout le bien qu’on pensait du folksinger touareg Bombino. Et on continue, avec cette vidéo mise en boîte par nos confrères de Mondomix à l’occasion de son récent passage en France pour un concert. Patience, il reviendra cet été. www.mondomix.com

Set & Match Je me fais yech Une bande fraîchement arrivée de la banlieue de Montpellier livre un hip-hop efficace et subversif, bourré de gimmicks rock, de mauvais joints et de lendemains de cuite difficiles. Un hymne est né. www.lesinrockslab.com/setmatch

Catholic Spray Crackhead Garden Violentes guitares lacérées sous des montagnes de fuzz, le groupe parisien continue son exploration dans un titre d’une sauvagerie à la fois séductrice et mélodique. Eparpillé entre punk trash aux accents lo-fi et garage, Crackhead Garden est épileptique et malfaisant, tel un hymne à la démence et au psychédélisme. www.myspace.com/catholicspray 13.04.2011 les inrockuptibles 91

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Dès cette semaine

Akron/Family 19/5 Paris, Café de la Danse Angus & Julia Stone 26, 27, 28, 30/4 & 1/5 Paris, Trianon Avi Buffalo 8/7 Paris, Flèche d’Or Carl Barât 16/4 Paris, Trianon BBK Live Du 7 au 9/7 à Bilbao, avec Coldplay, Crystal Castles, Amy Winehouse, Kasabian, Kaiser Chiefs, The Chemical Brothers, !!!, Blondie, Beady Eye, TV On The Radio, etc. Beirut 12/9 Paris, Olympia Best Coast 23/4 Paris, Maroquinerie Aloe Blacc 24/4 Paris, Trianon Blackfield 29/4 Paris, Trianon James Blake 23/4 Bourges, 25/4 Paris, Maroquinerie Brigitte 21/4 Bourges, 23/4 Chelles, 30/4 Colmar, 5/5 Marseille, 6/5 Avignon, 7/5 Nancy, 8/5 Neufchâteau, 12/5 Lyon, 13/5 Toulouse Buzzcocks 11/5 HérouvilleSaint-Clair, 12/5 Creil, 13/5 Saint-Etienne, 14/5 Montbéliard, 27/5 Limoges Cali 13/4 ClermontFerrand, Anna Calvi 17/4 Marseille, 19/4 Bordeaux, 20/4 Lyon, 22/4 Paris, Trianon, 23/4 Saintes, 24/4 Bourges Cascadeur 16/4 Tourcoing, 20/4 Alençon, 24/4 Bourges, 11/6 Montereau Chocolate Genius Inc. 13/4 Angoulême, 14/4 La Rochelle, 15/4 La Rochesur-Yon, 21/4 Bourges

Explosions In The Sky 20/5 Paris, Bataclan

Concrete Knives 23/4 Bourges Custom avril 12/4 Paris, Nouveau Casino avec Buck 65, Yoav + guests Custom mai #1 18/5 Paris, Nouveau Casino, avec The Heartbreaks, Young The Giant, Sing Tank et Colourmusic Custom mai #2 24/5 Paris, Nouveau Casino, avec Art Brut, When The Saints Go Machine + guests Da Brasilians 16/4 Lyon, 21/5 Saint-Lô, 11/6 SaintLaurent-deCuves, 14/6 Paris, Point Ephémère, 2/7 Caen The Dears 15/4 Paris, Flèche d’Or Death In Vegas 27/5 Paris, Alhambra Deerhoof 19/4 Paris, Maroquinerie Alela Diane 8/5 Strasbourg, 9/5 Paris, Cigale, 10/5 Lille The Dodos 18/5 Paris, Point Ephémère Does It Offend You, Yeah? 21/4 Paris, Nouveau Casino, 22/4 Angers, 23/4 Bourges Dum Dum Girls 23/4 Marseille, 24/4 Paris, Machine Eels 4 & 5/7 Paris, Bataclan Stéphane Eicher & Philippe Djian 19/4 Dinan, 29/4 ConflansSainte-Honorine, 30/4 Villeparisis, 5/5 Meaux, 6/5 Denain, 7/5 Rungis, 18/5 Stavelot, 19/5 Laon, 20/5 Courbevoie, 21/5 Rombas

Festival Au foin de la rue 1er & 2/7 à Saint-Denis de-Gastines, avec Tiken Jah Fakoly, Yael Naim, Jacqee, The Qemists, etc. Festival Beauregard du 1er au 3/7 à HérouvilleSaint-Clair, avec Motörhead, The Kooks, Kasabian, Anna Calvi, Katerine, Cold War Kids, Agnes Obel, Eels, The Ting Tings, Two Door Cinema Club, etc. Festival Europavox du 25 au 28/5 à ClermontFerrand, avec Cocoon, Catherine Ringer, Aaron, Boys Noise, etc. Festival Fast & Curious du 7 au 28/5 à Rouen (106), avec Muscle Music From Detroit, Mo’Boogie, The Sonics, etc. Festival K-Live 27 & 28/5 à Sète avec The Jon Spencer Blues Explosion, Jessie Evans, Servo, etc. Festival Papillon de nuit du 10 au 12/6 à Saint-Laurentde-Cuves avec The Hives, Beady Eye, Aloe Blacc, Kaiser Chiefs, Klaxons, etc. Festival Terra Trema Du 27 au 30/4 à CherbourgOcteville avec Ebony Bones!, Zone Libre vs Casey, The Luyas, etc. Festival Ukulélé Boudoir 15 & 16/4 à Paris, Trois Baudets avec James Hills Fleet Foxes 30/5 Paris, Bataclan Foodstock 23/4 Paris

Francofolies du 12 au 16/7 à La Rochelle avec Cocoon, The Dø, Yelle, Katerine, Asa, etc. Fujiya & Miyagi 21/4 Lille, 22/4 Caen, 23/4 Rennes, 26/4 Paris, Alhambra, 27/4 Strasbourg, 28/4 Lyon, 29/4 Montpellier, 30/4 Marseille The Gaymers Camden Crawl Du 30/4 au 1/5 à Londres avec Saint Etienne, Villagers, Hadouken!, Toddla T, Bo Ningen, Frankie & The Heartstrings, Sound Of Rum, etc. Gold Panda 20/4 Laval, 21/4 Tourcoing, 22/4 Nancy, 23/4 Paris, Point Ephémère Le Grand Souk all VIP du 21 au 23/7 à Ribérac, avec Two Door Cinema Club, Katerine, Bewitched Hands, Tahiti 80, Violens, etc. Guillemots 2/5 Paris, Café de la Danse Hushpuppies 14/4 Lyon, 15/4 Montpellier, 16/4 Mont-deMarsan

Inrocks Indie Club avril Immense soirée Inrocks Indie Club avec la dream-pop des New-Yorkais d’Asobi Seksu (photo), le noisy rock des expatriés d’Underground Railroad, l’electro grandiose de Stal et la pop euphorique de Manceau, le 22/4 à Paris, Flèche d’Or Inrocks Indie Club mai 27/5 à Paris, Flèche d’Or, avec The Leisure Society, Francesqa et Morning Parade

Nouvelles locations

Jay Jay Johanson 30/5 Paris, Café de la Danse Katerine 27/5 Paris, Olympia Mamani Keita 10/6 Paris, Maroquinerie Keren Ann 24 & 25/5 Paris, Cigale B.B. King 30/6 Paris, Grand Rex Kocani Orkestar 24/4 Auch, 29/4 Paris, Grande Halle de la Villette, 1/6 Brest La Fiancée 16/4 Nice Le Prince Miiaou 16/4 Saint-Brieuc, 23/4 Chelles, 24/4 Bourges, 30/4 Niort, 3/5 Paris, Café de la Danse, 13/5 Rouillac, 14/5 Vauréal, 26/5 Toulouse Lilly Wood & The Prick 11/5 Paris, Bataclan Lykke Li 21/4 Paris, Cigale Main Square Festival du 1 au 3/7 à Arras, avec Coldplay, Linkin Park, Arcade Fire, Portishead, The Chemical Brothers, PJ Harvey, Elbow, etc. Florent Marchet 13/4 Lille, 14/4 Beauvais, 15/4 Rennes, 29/4 CergyPontoise, 6/5 Sottevillelès-Rouen, 7/5 Châteauroux, 14/5 Strasbourg, 15/5 Bruxelles, 20/5 Avoine, 21/5 Dijon Cass McCombs 21/5 Paris, Café de la Danse Mercury Rev joue Deserter’s Songs 25/5 Paris, Bataclan Metronomy 4/5 Paris, Cigale, 21/5 Toulouse, 22/5 Bordeaux, 23/5 Rennes, 24/5 Lyon, 25/5 Tourcoing, 26/5 Strasbourg Morcheeba 15/4 Lille, 16/4 Strasbourg

En location

Alexi Murdoch 13/4 Paris, Café de la Danse Nasser 16/4 Lille, 14/5 Rennes Noah And The Whale 26/4 Lille, 27/4 Rouen, 28/4 Paris, Gaîté Lyrique Les Nuits Botanique du 10 au 29/5 à Bruxelles avec Sufjan Stevens, Animal Collective, Caribou, The Black Lips, Katerine, The Dodos, etc. Les Nuits sonores Du 1er au 5/6 à Lyon avec Battles, DJ Shadow, The Sonics, Crystal Stilts, Brodinski, etc. Agnes Obel 4, 5 & 6/7 Paris, Bouffes du Nord Josh T Pearson 14/4 Brest, 15/4 Paris, Café de la Danse, 16/4 Rennes, 17/4 Toulouse, 19/4 Colmar, 20/4 Tourcoing Printemps de Bourges du 20 au 25/4, avec Aloe Blacc, Lykke Li, The Dø, James Blake, Mélanie Laurent, Yael Naim, etc. Queens Of The Stone Age 23/5 Paris, Olympia, 25/5 Strasbourg Le Rock dans tous ses états 24 & 25/6 à Evreux avec Tiken Jah, Razorlight, The Inspector Cluzo & Mates, Young Fathers, etc. Rock en Seine Du 26 au 28/8 à Saint-Cloud, avec Interpol, Foo Fighters, Arctic Monkeys, The Kills, Anna Calvi, Deftones, Big Audio Dynamite, etc. Gaëtan Roussel 16/4 Bourges, 27/4 Rouen, 28/4 Paris, Cigale, 29/4 Toulouse, 30/4 Lyon

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Scout Niblett 9/5 Paris, Café de la Danse Ron Sexsmith 2/5 Paris, Maroquinerie Skip The Use 27/4 Paris, Boule Noire The Sonics 3/6 La Rochelle The Specials 27/9 Paris, Olympia Stage of the Art : Tindersticks joue les BO des films de Claire Denis, le 28/4 à Paris, église St-Eustache Sufjan Stevens 9/5 Paris, Olympia, 10/5 Bruxelles Stornoway 14/4 Paris, Café de la Danse Stromae 3/11 Paris, Olympia

Stupeflip 16/4 Le Creusot, 29/4 Rouen, 3/5 Paris, Bataclan, 1/6 Saint-Etienne, 8/6 Tours Selah Sue 13/4 Marseille, 14/4 Montpellier, 15/4 SaintEtienne, 20/4 Metz, 22/4 Dijon, 2/4 Bordeaux, 29/4 Sannois, 27/5 ClermontFerrand, 10/6 Saint-Laurent de Cuves Tamikrest 22/6 Paris, Point Ephémère Tante Hortense & Revista Do Samba 12/4 Paris, Café de la Danse Erik Truffaz 13/4 Angoulême, 15/4 Périgueux, 16/4 Le Vigan, 29/4 Fontenaysous-Bois, 30/4 Ris-Orangis, 20/5 Argentan, 27/5 Arles, 2/5 Six-Fours, 4/11 Paris, Trianon TV On The Radio 13/7 Paris, Olympia

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Twin Shadow 14/5 Paris, Machine The Vaccines 24/4 Bourges Troy von Balthazar 13/4 Toulouse, 14/4 Limoges, 15/4 Paris, Machine, 18/4 Rodez, 6/5 Hyères Warpaint 26/5 Paris, Bataclan

aftershow

Robert Gil

Sakifo Musik Festival Du 9 au 12/5 à La Réunion, avec Chapelier Fou, Yodélice, Stromae, etc.

Wild Beasts 19/5 Paris, Point Ephémère

José González

Wire 11/5 Paris, Machine, 12/5 Mulhouse, 15/5 Marseille, 16/5 Montpellier

On découvre la Gaîté Lyrique quelques jours après son ouverture. La programmation promise dès les premières semaines avait de quoi attirer le chaland : The Dodos, M. Ward, Deerhunter… Le décor est à la hauteur des attentes : la salle est spacieuse, à la fois moderne et ancrée dans une tradition historique avec son foyer à l’italienne. Raison supplémentaire de se réjouir : la Gaîté Lyrique accueille, dans le cadre du festival Super mon amour !, le Scandinave José González. Délaissant pour l’occasion ses copains de Junip, avec lesquels il publia l’an passé un admirable recueil de folk-songs, le musicien s’entoure du collectif Göteborg String Theory pour revisiter son répertoire solo – au total, une vingtaine de personnes l’entourent sur scène, dirigées par un chef d’orchestre extatique. La formule, déroutante sur les premiers morceaux tant la musique de González, nue et bouleversante, semble au départ se suffire à elle-même, prendra tout son sens sur la fin du set. Enrichies d’arrangements classiques évoquant les meilleurs travaux de Sufjan Stevens, les ballades du Suédois deviennent éblouissantes et prennent des accents morriconniens. Surtout, le jeune homme rappelle qu’il possède un des timbres de voix les plus bouleversants de la scène folk contemporaine. Ce González est le fils de Nick Drake et le cousin d’Andrew Bird. Johanna Seban

The Wombats 27/5 Paris, Trianon Shannon Wright 5/5 Bayonne, 6/5 Bordeaux, 7/5 Massy, 8/5 Lyon, 9/5 Grenoble, 10/5 Blois, 11/5 Brest, 12/5 Cholet, 14/5 Tourcoing

le 6 avril à Paris, Gaîté Lyrique

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girl power Un gang de filles sème la zizanie dans un supermarché, le dernier homme sur Terre est utilisé comme cobaye par des femmes scientifiques. Tricia Sullivan signe un roman SF punko-féministe décoiffant.

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ew Jersey, un après-midi comme un autre : Sun Katz et ses deux acolytes, Suk Hee et Keri, parcourent les rayons cosmétiques d’un centre commercial. Hélas, la virée shopping entre copines tourne court : une rencontre inopinée avec une bande lycéenne rivale, menée par la méchante 10Esha, débouche non pas sur une escarmouche verbale mais bel et bien sur une rafale de balles entre filles armées jusqu’aux dents. Parmi la multitude de scènes fauves et disjonctées que compte Maul, celle-ci en est une qu’on n’oublie pas, tout comme les paroles de Sun Katz, narratrice de cet explosif accrochage, qui auraient dû nous mettre la puce à l’oreille : “J’ai attaché le flingue à l’intérieur de ma cuisse avec ma bande Velcro. C’est limite démodé de le porter comme ça, mais les filles qui utilisent des holsters ou des ceintures en cuir sont des amatrices : avec le Velcro, on peut sortir son truc au moment précis où on en a besoin.” A savoir autant de fois qu’il sera possible dans ce gros roman fichtrement maboul, ayant sur le lecteur à peu près le même effet que si celui-ci avait aventuré ses doigts dans une prise électrique. Née

en 1968, auteur d’une demi-douzaine de romans (encore non traduits), l’Américaine Tricia Sullivan, dont la biographie révèle une passion pour les arts martiaux, transplante un monde girly à la Candace Bushnell (Sex and the City) au pays de la testostérone. Une hallucination tarantinesque qui fait mouche : Maul déroule un même délire amoureux pour ses héroïnes, le même désir fou de les voir s’emparer d’un langage et d’une fiction ontologiquement couillus. Et les hommes justement ? Réduits à une poignée de figurants dans un temple de la consommation transformé en champ de bataille (vigiles neutralisés, garçons sex-toys), ils disparaissent complètement dans une deuxième partie parallèle du livre. Ouvertement SF, cet autre espace-temps révèle que le “mall” n’est en réalité qu’une stimulation visuelle implantée dans le cerveau du dernier cobaye-homme sur Terre. Seul survivant sous cloche d’une épidémie ayant radié l’espèce mâle, Meniscus doit produire un sperme de synthèse parfait, tout en se voyant imposer la compagnie d’un spécimen masculin ultrabeauf, le tout sous la surveillance de scientifiques frappadingues.

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“Sex and the City” transplanté au pays de la testostérone

Les jumelles Elise et Electra Avellan dans Machete, de Robert Rodriguez et Ethan Maniquis

L’imaginaire échevelé de cette folle dystopie ne s’arrête pas là, et le lecteur hérissé devra encore frayer avec une foultitude d’aberrations : germes assassins, enfants clones, armes biologiques, étoiles aphrodisiaques, urine noire, astrologue homéopathe, gourou de la science en kimono aigue-marine, cocktails whisky-chocolat-vodka et vigiles accros au milk-shake zéro calorie. Comme un mot d’excuse, l’auteur glisse dans ses remerciements que “toute la science contenue dans ce livre n’est que pure fantaisie”. Et c’est ce qui fait son jus, en l’occurrence : joie de voir ce genre si réfléchi de la science-fiction tourné en bourrique et en dérision. Exercice prophétique par excellence, depuis George Orwell et J.G. Ballard, qui se doit par tradition d’adjoindre une réflexion sérieuse à des singes volants. Une pratique dont Maul se joue ici avec une décadence et une drôlerie déconcertantes, tant la prophétie est truquée, modifiée en bêtisier du paranormal. Un exemple, touchant à l’état de notre cobaye mâle : “On a un développement musculaire d’env. 300 %, des taux de testostérone, dopamine et DHEA très élevés, un développement des gonades à un rythme similaire à celui du début de la puberté + prolifération et diversification exponentielles des souches-filles des cinq principales souches-mères Az79.” D’une manière plus générale, et partout dans le livre, Maul prend en charge à peu près tout ce qui constitue l’ensemble des hantises modernes : clonage, pandémie,

menace terroriste, consumérisme, euthanasie. Mais là encore, il s’agit de se moquer, en subvertissant les angoisses ou la notion même de progrès. Ainsi, pour nos scientifiques du futur, le comble du luxe sera d’être “ensemencées”, afin d’avoir de “vrais” enfants. Ailleurs, la transgression prend la forme du sexe, dans son expression la plus pornographique (sans métaphore), repoussant le roman aux frontières du X. Mais aussi à la limite du jeu vidéo et du manga : nos héroïnes sont des tueuses dangereusement armées mais elles sont encore vierges (plus pour longtemps) et portent des petites culottes Minnie. Tout à la fois Cat’s Eye, Spice Girls et Sailor Moon, le trio guerrier et très girl power de Maul scelle la contamination, assez inédite, du roman par l’univers du dessin animé japonais, dont il élabore une radieuse et détonante parodie. Roman pop, hérétique, Maul désamorce ainsi tous les genres auquel il se prête : SF, pamphlet féministe, chick lit, manga. De cette exténuante épopée punk, il demeurera aussi, en surface, des (sous-)titres puissants comme dix bugs de l’an 2000 : “Victimes de la mode”, “Flippant, sauce dégueu”, “Pianos sous la mer”, “Allonge-toi et pense à un concombre”, “Des étoiles plein les yeux”, “Flash info”, “Je me demande si je suis morte”, “Gode ultradangereux”, “CO2” ; “Quand une fille flashe sur un mec”, “L’ombre sait”. Un roman aux multiples pouvoirs magiques, de ceux dont la lecture transforme. Emily Barnett Maul (Diable Vauvert), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Diniz Galhos, 532 pages, 22 €

cinéma et girls-gangs Boulevard de la mort de Quentin Tarantino (2007) Le premier film de course-poursuite en voiture entièrement féminin (à l’exception du méchant Kurt Russell, mis minable par une bande de cascadeuses). Sucker Punch de Zack Snyder (2011) Sorti il y a une semaine, un girl power-movie où de jeunes filles en minijupe pilonnent samouraïs, zombies et dragons. Confessions d’un gang de filles de Laurent Cantet   Bientôt au cinéma, une adaptation du célèbre roman éponyme de Joyce Carol Oates : ou comment une bande de lycéennes passe un pacte anti-mecs et dégringole dans une vie faite de vols et de kidnappings.

en marge

la prisonnière En 1912, Gallimard refusait Proust. Surprenant ? Non : La Recherche est l’œuvre qui vous résiste le plus. Une maison d’édition existe par la qualité de ses titres et ses succès, mais aussi par ses refus et autres ratages mythiques. Dans le cas de Gallimard, qui a 100 ans cette année, il s’agit de Proust et du premier volume d’A la recherche du temps perdu : Du côté de chez Swann. En 1912, un an après la création de la maison, le manuscrit n’a pas la chance de plaire à Gide, qui écrit : “C’est plein de duchesses. Ce n’est pas pour nous.” Plus tard, ayant pris conscience que le refus de Gide constitue la “plus grave erreur de la NRF”, Gaston rattrapera Proust, le fera quitter Grasset pour publier en 1919 chez Gallimard A l’ombre des jeunes filles en fleur. Tout le génie de Gaston Gallimard, c’est d’avoir toujours su “repêcher” les auteurs que la maison n’avait pas su accepter (Joyce, Céline…). Aujourd’hui, alors que l’on dispose de l’ensemble de la cathédrale proustienne et que l’on nous rabâche depuis l’âge de 2 ans et demi que Proust est un génie, il est facile de s’étonner qu’une si grande maison ait refusé un tel écrivain. Pourtant, le rejet de Gide s’impose presque comme la réaction adéquate au chef-d’œuvre de Proust – comme une profonde compréhension de l’œuvre en gestation. C’est que La Recherche est peut-être l’œuvre qui résiste le plus. C’est elle qui impose le moment où le lecteur pourra enfin pénétrer ce texte, s’y sentir chez lui, mieux, ne plus vouloir en sortir. Ainsi, à l’égal de Gide, j’aurais pu dire longtemps “Trop de clochers. Pas pour moi.” Et puis un jour une porte s’ouvre : pour moi, ce fut La Prisonnière. Quand Proust cesse de résister, il représente alors un véritable danger : anéantir tout le reste de la littérature. Pire : anéantir le présent même. Au point que vous préférerez longtemps vivre la vie que vous ouvre Proust plutôt que la vôtre.

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Catherine O’Flynn San Francisco

Eric van den Brulle

Editions Jacqueline Chambon, traduit de l’anglais par Manuel Tricoteaux, 388 pages, 23 €

latino stories Les destins croisés de trois générations d’immigrés mexicains à Los Angeles. Premier roman de Brando Skyhorse, entre fierté communautariste, racisme et intégration.

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rando Skyhorse a grandi à Echo Park, quartier latino de L. A. que l’explosion de l’immobilier va démanteler à partir des années 80. A l’école, sa classe est alors divisée entre Mexicains et Vietnamiens, vissés à cette guerre silencieuse des barrières ethniques et de la ségrégation. C’est l’époque du clip Borderline de Madonna, enfant chérie de MTV : “Une partie du clip avait été filmée dans le quartier et à cause de son scénario (break dance par des Mexicains, fiancé latino, copines habillées en tenue rétro de chola, perfecto), je croyais Madonna mexicaine.” D’un clip érigé en symbole d’intégration, l’ex-gringo aujourd’hui éditeur à New York a tiré le principe de son premier roman, remarquable plongée dans la communauté mexicaine de L. A. : comment une société peut-elle intégrer une minorité après l’avoir littéralement traitée en esclave ? La première phrase du livre, émanant d’un vieux clandestin usé par les chantiers de la cité des Anges, rappelle que la question est même plus coriace : “Nous sommes entrés dans ce pays comme des voleurs, sur cette terre qui fut la nôtre.” Sur cette pseudo-terre promise, donc, Hector se verra renvoyé à la frontière pour ne pas avoir voulu couvrir le meurtre commis par son boss, un Blanc. Ailleurs, on suit les pas de son ex-girlfriend, femme de ménage dans une luxueuse villa d’Hollywood, ou encore ceux de leur fille, Aurora, “cool kid” fan de Gwen Stefani. En terme de pur folklore, Les Madones d’Echo Park n’a rien à envier aux films

de Larry Clark ou d’autres cinéastes ayant amoureusement fixé cette chatoyante communauté sur grand écran : les scènes rivalisent d’intensité atmosphérique, de la rue où mères et filles se retrouvent pour danser sur un ghetto-blaster plein pot et attifées comme Madonna, à East Edgeware Road, un quartier “boursouflé d’entrepôts déglingués et de cabanes en tôle” où des gangs se tirent dessus en plein jour. Les Madones d’Echo Park, en bon roman choral, va s’articuler autour d’un instant clé : une fusillade entre deux bandes ennemies, et la mort d’une petite fille victime d’une balle perdue. Brando Skyhorse fait de cette figure martyre le dernier point de repère d’une minorité qui, en retour de la violence sociale qui lui est faite, ne réagit plus que par des comportements extrêmes : il en va ainsi d’un membre de gang repenti comme d’une grand-mère voyant des apparitions de la Vierge sur Sunset Boulevard. De la figure biblique à la pop-star, l’auteur mesure le modelage de la mythologie américaine sur trois générations de Mexicains (“MTV était devenue notre langage commun”) mais également l’influence de leur communauté sur ce mythe. Au centre de ce parcours : une figure de sacrifiée. Eminemment symbolique, mais aussi vibrant de sensualité et de vie, un des portraits les plus vifs et entiers qu’on ait lus ou vus sur la communauté latino-américaine. Emily Barnett Les Madones d’Echo Park (Editions de l’Olivier), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Adèle Carasso, 306 pages, 22 €

L’Anglaise Catherine O’Flynn se penche sur les morts minuscules et signe une comédie légère et mélancolique. A quoi rêve un présentateur d’informations locales ? On ne se pose peut-être pas assez la question. Catherine O’Flynn en a fait la matière de son second roman : Frank, la quarantaine, anime depuis plusieurs années Reportages au cœur de l’Angleterre, émission qui couvre les événements marquants de la région de Birmingham comme les concours de tourtes ou les œuvres en pinces à linge réalisées par une retraitée du coin. Hors caméra, Frank a une lubie : il consigne les noms de ceux qui sont morts dans la plus grande solitude, ne pouvant se résoudre à ce que ces anonymes disparaissent sans laisser la moindre trace de leur passage sur terre. Après Ce qui était perdu, histoire de la disparition d’une fillette, la romancière britannique explore à nouveau le sentiment de perte et se collette avec nos angoisses les plus profondes – la vieillesse, la mort, la peur de finir seul –, encore plus aiguës à une époque où nous serions tous des avatars de Dorian Gray. D’Oscar Wilde, Catherine O’Flynn a hérité une certaine ironie, un humour élégant qui tient le pathos à distance et peut rappeler celui de Jonathan Coe. Ici, elle compose un beau roman sur le désenchantement, nous rappelant avec une délicate légèreté qu’après la mort, “notre absence, c’est cela qui reste de nous”. E. P.

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Salò ou les 120 journées de Sodomed e Pier Paolo Pasolini, d’après Sade

Sade, le mal radical Eric Marty analyse le dialogue entre Sade et la modernité. Une plongée magistrale dans les abysses de la perversion. ujourd’hui, de quoi Sade est-il de la pensée de chacun, il se dégage le nom ? A l’ère postmoderne, de son livre une idée force : pour les plus qu’un nom propre, Sade modernes, l’œuvre de Sade opère comme renvoie d’abord à un nom commun le dévoilement de la négativité du monde, galvaudé – le sadisme – et, par extension, met à nu le réel comme lieu du crime, à une simple abréviation – SM – assimilée de la cruauté, du mal radical. à une pratique sexuelle vulgarisée, Le “cauchemar sadien”, dans sa logique embourgeoisée (même les banquiers de destruction infinie, fait écho aux camps en sont adeptes), devenue un lieu commun d’extermination, à la bombe atomique, de l’imagerie érotique contemporaine, ces cauchemars bien réels, abominations un fétiche pop avec lequel badinent au cœur du siècle dernier, celui des chanteuses r’n’b qui minaudent fouet des “infortunes de la vertu” par excellence. à la main et fesses moulées en combi cuir. “Si Sade a pu si facilement triompher En ce début de XXIe siècle, le divin au XXe siècle, c’est que le Bien était marquis, figure d’une transgression désormais hors course, passé dans banalisée, semble être pris à la légère, les poubelles de l’histoire…”, écrit Marty. de la même manière qu’il fut réduit, au XIXe, Ce qui fait de son essai une lecture à un folklore libertin qui faisait pouffer essentielle, c’est la limpidité avec laquelle Flaubert d’un rire gras de jouvenceau mal il synthétise la pensée d’un siècle. A mesure dégrossi. Il n’y aurait que le XXe siècle qu’il donne à voir la philosophie sadienne à l’avoir envisagé avec sérieux, à l’avoir lu, dans toute sa profondeur et sa complexité, non avec le sourire, mais en tremblant, il parvient, dans un mouvement double et pour reprendre le mot de Bataille. inverse, à rendre accessibles les discours C’est en tout cas la thèse brillamment qui s’offrent d’ordinaire le moins facilement, développée par Eric Marty, professeur ceux de Blanchot ou de Lacan par exemple. de littérature contemporaine et auteur “La modernité, c’est le fugitif, le transitoire, de nombreux essais (dont Roland Barthes, le contingent…”, écrivait Baudelaire. le métier d’écrire), dans Pourquoi le XXe siècle Le moment sadien a d’une certaine façon a-t-il pris Sade au sérieux ?, panorama pris fin avec elle. Elisabeth Philippe de la pensée moderne à travers le prisme Pourquoi le XXe siècle a-t-il pris Sade au sérieux ? de la perversion. (Seuil – Fiction & Cie), 494 pages, 25 € Au XXe siècle, Sade est moins l’affaire de romanciers et de poètes que celle des philosophes. Ce sont eux désormais, de Klossowski à Deleuze en passant par Foucault mais aussi Bataille, Barthes ou Blanchot, qui s’emparent du sujet sadien, avec toute la radicalité qui caractérise la modernité. Si Marty prend évidemment soin de mettre au jour la singularité

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Jillian Edelstein/CameraPress/Gamma

Assange, secrète sortie Geek parano et mégalo ou héros de la liberté d’expression ? L’autobiographie du créateur de WikiLeaks, entourée du plus grand mystère, permettra peut-être d’y voir plus clair. ecret-défense. Pas un mot ne doit Depuis ce petit loupé de com, c’est silence filtrer au sujet de l’autobiographie radio ou presque. On sait seulement que de Julian Assange, héros l’Australien a empoché plus d’un million du roman-réalité le plus haletant d’euros pour écrire ce livre, d’ores et déjà de ces dernières années. Son livre est en tout vendu comme “très personnel” (en même cas bien mieux protégé que les câbles temps, c’est une autobiographie…) et que diplomatiques des ambassades américaines l’argent est destiné à payer ses faramineux diffusés par WikiLeaks, le site fondé frais de justice – son procès pour une affaire et incarné par Assange. La moindre fuite de viol présumé lui aurait déjà coûté concernant ses mémoires aurait quelque 235 000 euros – et à remettre WikiLeaks à flot. chose d’un peu trop ironique. C’est pourtant D’abord programmée en avril, la sortie un tweet indiscret de l’éditeur espagnol mondiale du livre, annoncé sous le titre Claudio Lopez qui a annoncé, en décembre accrocheur et très twilightien Révélations dernier, le contrat signé par Assange (WikiLeaks Versus the World – My Story, en avec les éditions anglaises Canongate. VO), est prévue pour la mi-juin. Assange y

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travaillerait toujours dans le manoir anglais où il est assigné à résidence. Pour l’heure, personne n’en a lu la moindre ligne. Pas même ses éditeurs. Rien d’anormal d’après Leonello Brandolini, le pdg des éditions Robert Laffont qui ont acquis les droits pour la France. Même son de cloche du côté des éditeurs espagnol ou danois. En effet, acquérir les droits d’un livre sur le seul nom de son auteur est une pratique courante. Cela se fait beaucoup pour les politiques ou les people. On mise sur l’aura ou l’actualité d’une personnalité, quitte à prendre un risque. Mais Assange n’est pas un énième candidat à la primaire socialiste, ni la première starlette venue. A l’origine d’une révolution médiatique majeure, l’obscur hacker devenu l’ennemi public numéro un est énigmatique, ambigu et fascinant. En un mot : romanesque. Malgré les nombreux livres parus à son sujet, le héraut de la transparence demeure opaque. Dans Inside Wikileaks – Dans les coulisses du site internet le plus dangereux du monde, paru en février, Daniel Domscheit-Berg, son ancien collaborateur, présente Assange comme un mégalomane parano et avide de pouvoir. Journaliste au Guardian, auteur avec Luke Harding d’un livre sur Assange (La Fin du secret – Julian Assange et la face cachée de WikiLeaks), David Leigh évoque lui aussi un manipulateur peu fiable : “Ses mémoires seront sans doute une œuvre de pure fiction destinée à servir ses intérêts et son image. Si du moins, il les achève un jour.” Figure machiavélique, type Vautrin, ou héros romantique ? Olivier Frébourg, à la tête des Editions des Equateurs qui viennent de publier en français Underground, premier livre d’Assange sorti en 1997, voit plutôt en lui un personnage flaubertien, une sorte de Frédéric Moreau 2.0 mû par une volonté de revanche sur une enfance malheureuse. Quant à Assange, il aime se comparer à Tom Sawyer lorsqu’il évoque sa jeunesse dans une ferme… Une certaine image de l’innocence qui contraste avec sa récente décision de déposer son nom comme marque commerciale. On se demande alors si son autobiographie ne sera qu’un simple produit dérivé ou un livre à la hauteur de la légende qui l’entoure. Elisabeth Philippe

la 4e dimension Zadie Smith s’engage

Harlan Coben, écrivain-charcutier Twilight médiéval Après les vampires végétariens et abstinents, Stephenie Meyer, l’auteur de la saga Twilight, s’attaque au Moyen Age. La mormone a sans doute été séduite par les règles chastes de l’amour courtois.

Dans une interview au site Evene, l’auteur de thrillers évoque son travail en ces termes : “Je pense que l’écriture d’un roman ressemble à la fabrication d’une saucisse. Vous pouvez adorer le goût final de la saucisse, mais vous ne voulez probablement pas savoir comment elle a été confectionnée. Alors, oui, en un sens, mes romans sont des saucisses…” Miam.

Just Kids, la suite Bonne nouvelle. Après avoir annoncé qu’elle s’attelait à un roman policier, l’icône rock Patti Smith a déclaré travailler à la suite de Just Kids, le récit de ses années bohèmes à New York avec Robert Mapplethorpe.

La romancière monte au front pour défendre les bibliothèques anglaises menacées de fermeture. Et n’hésite pas à accuser le gouvernement Cameron : “Bien sûr, quand vous avez étudié à Eton ou Harrow, vous ne pouvez pas comprendre l’importance de tels endroits.”

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arcanes de la terreur

Confronté aux peurs de notre époque, le philosophe Frédéric Neyrat déconstruit la notion floue de terrorisme pour démasquer ses ambiguïtés conceptuelles.

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ien ne dépasse aujourd’hui la figure du terroriste comme incarnation du mal absolu. Pourtant, “quelque chose ne colle pas” dans l’usage du mot “terrorisme”, avance le philosophe Frédéric Neyrat dans une riche réflexion, Le Terrorisme, un concept piégé. Mot attrape-tout, le terrorisme est chargé de l’ensemble de nos peurs, réelles et imaginaires. Associée à une seule sorte de qualité – la monstruosité –, la notion souffre d’une carence conceptuelle. Ses formes se déclinent à l’infini : d’en haut, d’en bas, nationaliste, religieux, totalitaire, groupusculaire, nouveau, vieux comme l’histoire… Il n’y a que des terrorismes confrontés à des Etats qui ont perdu une part de leur souveraineté et qui pour compenser ce manque se lancent dans des guerres identitaires contre un “mal” diffus et instrumentalisent ce que l’essayiste Serge Quadruppani appelle “la politique de la peur”. La lecture que Neyrat se risque à faire le conduit à ce qui pourrait être vite considéré comme une provocation excessive : “le terrorisme, ça n’existe pas”, ça n’est qu’une“abstraction”, une “projection”, une chose “arrachée d’un contexte, une découpe forcément contestable du champ de la réalité”. Concept à déminer, voire à détruire, “l’objet-terrorisme est un colis piégé, qui a pour effet de situer au centre de l’analyse ce qui n’est que latéral”. A partir de textes fondateurs sur la question – Gérard Chaliand, Lénine, Carl Schmitt, Arjun Appadurai, Jean Baudrillard, Mike Davis… –, et à partir de mouvements précis dans l’histoire récente – l’IRA, la Fraction armée rouge, Unabomber… –, Frédéric Neyrat revisite l’histoire de la violence politique pour tenter de démêler, au cœur de ce “collage terroriste”, le fil d’une construction sémantique ambiguë.

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Si le terrorisme est un piège pour la pensée, c’est qu’il “nous fixe sur la violence-commetelle alors que celle-ci est toujours située”. Rappelant la décisive compréhension du contexte historique pour saisir toute manifestation de la violence, Neyrat insiste sur l’idée que le terrorisme est “une épithète de cours de récréation dans le business sérieux de la géopolitique”, selon l’expression du sociologue Mike Davis (cf. son livre Petite histoire de la voiture piégée). On ne peut penser le terrorisme

que comme “symptôme d’une violence globale, qu’il alimente à son tour, vu qu’il n’est que l’une de ses dernières extrémités – et pas forcément la pire”. Le terrorisme ne peut prétendre au monopole de la violence radicale illégitime : les massacres, génocides ou “civicides” de grande ampleur nourrissent tout autant le chaos du monde. Jean-Marie Durand Le Terrorisme, un concept piégé (Ere), 224 pages, 17 €

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On part en quête des origines au Printemps du livre de Grenoble. Les racines et le roman familial sont au cœur de la 9e édition de cette manifestation littéraire. Parmi les auteurs invités : Annie Ernaux, auteur du récent L’Autre Fille, autour de sa sœur disparue, Didier Eribon, qui interrogeait les origines sociales dans Retour à Reims ou encore Alain Fleischer.

mercredi 13

à venir Louis Althusser Lettres à Hélène (Grasset/Imec) Louis Althusser demeure une énigme absolue, un paradoxe irréconciliable : philosophe influent, professeur à l’ENS, mais aussi meurtrier de sa femme Hélène. Ces Lettres à Hélène, datées entre 1947 et 1980, témoignent d’une histoire d’amour incontestable. Elles éclairent sous un nouveau jour l’instabilité d’un homme, entre douleur extrême et clairvoyance intense. Un trésor de réflexion qui engage également à repenser son œuvre philosophique, qui fut sans doute avant tout une tentative malheureuse d’échapper à la folie. Sortie le 18 mai

Du 13 au 17 avril, printempsdulivre.bm-grenoble.fr

On fait le point avec César Aira. Anniversaires, le livreintrospection – inédit – de l’écrivain argentin, sort direct en poche (Titres, 90 pages, 7 €). A l’occasion de ses 50 ans, César Aira interroge avec humour son rapport à la littérature. Erudit et ironique.

jeudi 14

On est en avril, mais on peut se découvrir d’un fil. A Metz, c’est déjà L’Eté du livre, festival consacré au dialogue entre littérature et journalisme, avec Emmanuel Carrère, Laure Adler ou encore Arnaud Cathrine, qui participera à un spectacle tiré de son livre Le Journal intime de Benjamin Lorca.

vendredi 15

Arnaud Cathrine

Du 15 au 17 avril, www. www.etedulivre-metz.com

Isaac Bashevis Singer Les Aventures d’un idéaliste et autres nouvelles inédites (Stock)

plonge dans l’underground samedi 16 On et la contre-culture avec un beau livre consacré à l’histoire du mythique magazine Actuel, le titre de Jean-François Bizot, avec ses enquêtes gonzo, ses parodies…

Rassemblées et publiées en 2004 aux Etats-Unis, inédites en France, ces treize nouvelles d’Isaac Bashevis Singer emportent le lecteur dans un monde mystérieux et parfois légèrement inquiétant. C’est que pour l’auteur, prix Nobel de littérature en 1978, tout fait sens : la vision d’un seau vide, l’intrusion intempestive d’un oiseau au sein d’un appartement, ou bien la mort d’un lacet de chaussure, à qui il consacrera un éloge funèbre. Sortie le 4 mai

Actuel, les belles histoires (Editions de la Martinière), 356 pages, 39,90 €

met ses chaussures dimanche 17 On argentées pour s’évader dans le monde évanescent de la Finlandaise Monika Fagerholm, qui signe, avec La Scène à paillettes, un polar lynchien sur fond de teen-novel. Elle est l’invitée de l’émission Cosmopolitaine (France Inter, 14 h 05)

prend une magistrale leçon lundi 18 On sur la plagiomnie – la calomnie plagiaire – avec Rapport de police, petite bombe théorique de Marie Darrieussecq qui sort en poche (Folio, 448 pages, 7,30 €). Avec ce livre, l’auteur répond aux accusations de plagiat dont elle a fait l’objet, et au-delà retrace l’histoire de la “surveillance” de la fiction – d’Apollinaire à Zola, de Freud à Mandelstam –, montrant que la littérature vient aussi de la lecture.

mardi 19

Edgar Allan Poe, 1848

C.T. Tatman, 1904/Library of Congress

On frissonne avec la nouvelle édition des Contes, essais, poèmes d’Edgar Allan Poe (Robert Laffont, 1 600 pages, 32 €), qui rassemble pour la première fois la totalité des contes et poèmes du maître du fantastique, traduit par Baudelaire et Mallarmé, accompagnés d’un choix d’essais critiques.

Nina Bouraoui Sauvage (Stock) Nina Bouraoui replonge (encore…) dans son enfance. A travers cette autofiction, elle offre une méditation sur l’enfance, la construction de l’identité et la naissance d’une vocation. “C’est important les mots, ça reste quand nos idées s’envolent déjà”, décrète Alya. La jeune héroïne algérienne réservée et rêveuse décide en 1979 d’écrire dans ses cahiers les émotions qu’elle ne peut exprimer. Sortie le 10 mai

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symphonie héroïque Héros anthropomorphe insolent, humour cynique, aventure enlevée : Lewis Trondheim est en pleine forme.

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algré une production prolifique, Lewis Trondheim n’avait plus imaginé de projet aussi ambitieux depuis Ile Bourbon 1730, coécrit avec Appollo en 2007. Treize ans après le début de la série Donjon, il renoue ici avec un univers médiévalo-fantastique, une heroic fantasy anthropomorphe (ses éternels canards), enlevée et à l’humour acide. Doté du curieux pouvoir de voir si les femmes sont enceintes, Ralph Azham est l’espoir déçu de son village. Pour ne pas avoir été reconnu dans son enfance comme l’Elu du royaume d’Astolia, Ralph est devenu le souffre-douleur et le paria de la petite communauté à l’esprit pusillanime et conservateur – auquel il oppose sa désinvolture

et son cynisme. Même si ce nouveau récit n’est pas aussi complexe que la saga Donjon, on retrouve ici tout ce qui fait le génie de Lewis Trondheim : une aventure trépidante, ménageant suspense et rebondissements, des flash-backs qui permettent de mieux cerner les personnages, un humour absurde et cruel, et des dialogues acérés. Son scénario lui permet d’aborder quelques thèmes qui lui sont chers, comme l’isolement (à travers la mise à l’écart de Ralph), le sens du courage ou la filiation – comme Donjon, Ralph Azham cache aussi un drame père-fils. Surtout, la psychologie de Ralph est passionnante. Antihéros, loser à la langue bien pendue, désabusé, sans concession et parfois même un peu méchant, Ralph Azham est le cousin insolent d’Herbert de Vaucanson, le héros

de Donjon Zénith. Mais contrairement à Herbert, toujours bonne pâte, Ralph Azham ne peut pas s’empêcher de se rendre désagréable par ses plaisanteries décalées et ses vérités qu’il sait rendre blessantes. Il est totalement incompris par les villageois, insensibles à son humour et réfractaires à sa franchise mordante. Toute ressemblance avec l’auteur est sûrement fortuite… Anne-Claire Norot Ralph Azham, tome 1 – Est-ce qu’on ment aux gens qu’on aime ? (Dupuis), 48 pages, 11,95 €, sortie du tome 2 en septembre

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Elizabeth Carecchio

spectres familiers D’une rare finesse, la mise en scène d’un texte essentiel d’Eugene O’Neill confirme l’immense talent de Célie Pauthe.

première Le Chien, la Nuit et le Couteau ; Le Moche de Marius von Mayenburg, mise en scène Jacques Osinski Un diptyque autour de la question centrale posée par von Mayenburg dans toutes ses pièces : de quoi est fait un être humain ? Le Chien, la Nuit et le Couteau, texte à la fois archaïque et enfantin, et Le Moche, aux allures de fable philosophique, relancent l’interrogation. Jusqu’au 23 avril à la MC2 de Grenoble, tél. 04 76 00 79 00, www.mc2grenoble.fr

réservez Identité texte et mise en scène Gérard Watkins Sur le thème “vos parents sont-ils vraiment vos parents ?”, les Klein crèvent doucement de ce mal identitaire qui gangrène l’époque, et c’est tout le talent de Gérard Watkins de faire d’un symptôme sociétal l’énigme du désamour qui détruit ce couple. Du 18 au 22 avril aux Ateliers de Lyon, www.theatrelesateliers-lyon.com

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ne chambre d’hôtel banale. Pas vraiment le genre d’endroit où l’on s’attend à croiser des fantômes. En abordant Long voyage du jour à la nuit, sans doute la pièce la plus belle et la plus personnelle d’Eugene O’Neill, Célie Pauthe a préféré un espace neutre plutôt que le salon de James Tyrone, minutieusement décrit par l’auteur au début du premier acte – jusqu’aux titres des livres alignés dans la bibliothèque, dont il précise même qu’ils ont été lus plusieurs fois… Un homme en sous-vêtements s’est faufilé dans la chambre. Il s’attarde au bord du lit. Puis file dans la salle de bains. Ses parents, James et Mary Tyrone, sont entrés. Il les observe en douce, à la fois présent et absent. Comme si un fantôme épiait d’autres fantômes à leur insu. Une idée poétique d’autant plus touchante qu’elle traduit la position de l’auteur vis-à-vis de ses personnages. Lui-même est partie prenante du drame à travers Edmund (Philippe Duclos), son double, dissimulé derrière la porte. Avec Long voyage du jour à la nuit, Eugene O’Neill revient sur un passé familial douloureux. Il ne s’agit pas tant de régler des comptes que de comprendre d’où l’on vient, en se confrontant à nouveau et sans rancœur à ses origines. Cette pièce écrite en 1940 bouleverse par sa dimension profondément humaine. O’Neill souhaitait que ce texte ne soit publié que vingt-cinq ans après sa mort et jamais joué. Demande heureusement non exaucée. Ce qui nous vaut de voir cette mise en scène finement

ouvragée, admirable d’intelligence et de sensibilité, où Célie Pauthe excelle à faire ressortir les nuances d’un drame d’autant plus profond qu’il est en demi-teinte. Valérie Dréville, infiniment troublante dans le rôle de la mère toxicomane, opère une traversée des apparences proche de la métamorphose ; tantôt vaporeuse, comme si elle sortait d’un nuage, puis se reprenant et jouant la comédie de la normalité. Le père, que joue Alain Libolt, est un acteur professionnel aux pieds bien plantés dans le sol. Radin, il marque le niveau de sa bouteille de whisky. D’où quelques scènes amusantes – car ce drame recèle ses moments d’humour, O’Neill se souvenant ici de ses origines irlandaises – où le fils aîné rajuste le niveau en coupant le whisky avec de l’eau. Pierre Baux interprète à la perfection ce rejeton amer, comédien raté qui en veut à son père d’avoir réussi là où lui a échoué. Tous ont des griefs vis-à-vis des autres. Une relation d’amour-haine qui les unit et les sépare tout au long de cette nuit où, tandis que la mère s’éloigne de plus en plus dans les mirages de la drogue, ils se disent leur vérité. Avec enfin Edmund, le jeune frère rongé par la tuberculose, poète qui cite Baudelaire, évoque Rilke et dont on sent qu’il a peu de temps à vivre. Eblouissant. Hugues Le Tanneur Long voyage du jour à la nuit d’Eugene O’Neill, mise en scène Célie Pauthe, avec Pierre Baux, Valérie Dréville, Philippe Duclos, Anne Houdy, Alain Libolt, du 13 au 16 avril à la Comédie de Reims, du 4 au 12 mai à la Criée, Marseille

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mordante Mordoj Adieu poupée signe le retour attendu de la danseuse Jeanne Mordoj, fragile et superbe. ans la maison de poupée Pour autant, c’est du Mordoj tout de Jeanne Mordoj, pas trace craché : valsant avec une de ses figurines, de la Nora chère à Ibsen : se peinturlurant de rouge et de bleu, la solitude de cette femme-pantin faisant surgir l’étrange – et le trouble, est autre. Elle y est entourée de poupées dans une mise en son réussie d’Isabelle qu’elle a confectionnées – accrochées Surel. Surtout, Adieu poupée est au mur, suspendues à un mobile, posées un fabuleux ballet d’ombres, celles au sol. Quelques flocons de rembourrage des poupées de chiffon projetées traînent. Adieu poupée, mis en scène sur la toile de l’atelier ou d’un personnage par Julie Denisse, est un autoportrait qui reprend vie. La Jeanne Mordoj en creux d’une folie douce et terrible. de L’Eloge du poil, création foldingue Moins acrobatique que théâtral, ce solo qui n’a cessé de tourner, décontenance ici est gorgé des mots de François Cervantes, par sa fragilité exacerbée. Mais son cri, approché par Jeanne Mordoj : presque silencieux tout autant “Apprendre une nouvelle langue, enrichir qu’assourdissant, résonne longtemps son vocabulaire, s’ouvrir de nouveaux après. Philippe Noisette champs.” On la sent plus à l’aise avec son corps qu’avec la parole, glissant Adieu poupée de Jeanne Mordoj, texte des poupées dans son corsage François Cervantes, mise en scène Julie telle une Nana de Niki de Saint Phalle. Denisse, du 13 au 16 avril dans le cadre du festival Hautes tensions à La Villette, L’influence, de Louise Bourgeois Paris XIXe, www.villette.com à Annette Messager, est manifeste.

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Hubert Colas rend compte avec brio de la folie de l’écriture de Rainald Goetz, sans tomber dans le piège de la performance d’artiste. yant pratiqué la médecine dans les institutions psychiatriques, l’Allemand Rainald Goetz utilise les tics et les tocs du désordre mental pour décrire le monde à travers les états de crise de ses personnages. Prêt à payer de sa personne pour démontrer que son théâtre s’inscrit aux frontières de l’art et du pathologique, Rainald Goetz s’est même amusé un jour, lors d’une lecture en public, à jouer du scalpel pour se découper méticuleusement la peau du front et achever sa prestation le visage couvert de sang.

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Sylvain Couzinet Jacques

l’ivresse des mots Tel un encéphalogramme plat, le texte de Kolik (1988) se caractérise par de longues listes de mots, qui parfois se gonflent en courtes phrases avant de retomber vers l’abrupt absolu d’une sombre litanie venue des tréfonds de l’être. Même s’il officie dans le cadre arty du Centre Pompidou de Metz, pas question pour Hubert Colas de faire prendre le moindre risque à Thierry Raynaud, son acteur. Une table couverte d’une centaine de petits verres, destinés à être vidés cul sec au rythme des didascalies, sert de décor minimal à la mise en bouche de cette logorrhée verbale qui, comme le

précise Hubert Colas, invite à aller “au bout de soi par tous les pores de la peau”. C’est en usant du potentiel d’illusion dont se réclame le théâtre qu’avec de l’eau à la place de la vodka Colas recrée un phénomène de transe qui ne s’appuie que sur le contenu des mots. Dépouillée de son masochiste sens du sacrifice, la découverte de cet auteur écorché vif mérite d’autant plus le détour. Patrick Sourd Kolik de Rainald Goetz, mise en scène Hubert Colas, au Centre Pompidou-Metz, compte rendu. Du 7 au 18 juin à la Ménagerie de Verre, Paris XIe 13.04.2011 les inrockuptibles 105

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Patrice Schmidt/Musée d’Orsay/RMN

vernissages autopsie Steven Claydon présente un ensemble de sculptures anthropomorphiques réanimées au son d’un vieux clavier. Jusqu’au 4 juin à la Salle de Bains, 27, rue Burdeau, Lyon, www.lasalledebains.net

autofiction Expo en forme d’autoportrait signée Douglas Gordon, composée de documents perso, d’une installation vidéo et d’un néon brisé indiquant “je suis le nombril du monde”. A partir du 15 avril à la galerie Yvon Lambert, 108, rue Vieille-du-Temple, Paris IIIe, www.yvon-lambert.com

automate Le LAM rend hommage aux élucubrations d’Adolf Wölfli, artiste suisse du début du XXe siècle adepte du collage et de l’autofiction, interné pendant trente-cinq ans à l’hôpital psychiatrique de la Waldau, qui fut aussi le tombeau de Robert Walser. Jusqu’au 3 juillet au LAM, 1, allée du Musée, Villeneuve-d’Ascq, www.musee-lam.fr

auto-entrepreneur Dernières acquisitions du Frac Champagne-Ardenne : un film de 2007 du palmé Apichatpong Weerasethakul, inspiré par le jardin de plantes de sa mère, et les bijoux carnivores de Victoire de Castellane. Jusqu’au 30 avril à l’Espace Camille-Claudel, 9, avenue de la République, Saint-Dizier, www.frac-champagneardenne.org

EdouardM anet, Portrait d’Irma Brunner (ou la Viennoise)

Manet/Redon, le face-à-face Ces deux peintres de la modernité créent l’événement du printemps.



priori tout les oppose. D’un côté Odilon Redon, artiste tardif et souffreteux, bourgeois confiné des coteaux du Médoc, coupé des affres révolutionnaires de la fin du XIXe siècle. De l’autre, Edouard Manet, artiste pressé par la maladie (qui l’emportera précocement à l’âge de 51 ans), urbain mondain qui fréquenta le nouveau Paris du baron Haussmann. De Redon, on retiendra ses Noirs réalisés au fusain et à la mine de plomb, répertoriant une faune grinçante venue d’un subconscient chahuté que les psychanalystes et les surréalistes ne tarderont pas à investir. De Manet, artiste clé de la fin du XIXe siècle qui côtoya les impressionnistes sans jamais épouser leur cause, on retiendra cette volonté de revisiter tous les genres, de la peinture d’histoire aux natures mortes à l’asperge, en passant par le portrait, la tradition espagnole, les marines. “Un peu comme Kubrick règlera leur compte aux grands genres du cinéma”, commente, amusé et admiratif, le commissaire de l’exposition, Stéphane Guégan.

Hormis leur contemporanéité (Redon est né en 1840, Manet en 1832) et ce hasard de calendriers qui fait concorder aujourd’hui leurs deux rétrospectives au Grand Palais et au Musée d’Orsay, rien donc ne justifie aujourd’hui de réunir ces deux peintres. Rien si ce n’est justement ce miroir à deux faces tendu à l’histoire d’une modernité en forme d’oxymore. Effet de clair-obscur : entre eux c’est le jour et la nuit, mais ils ouvrent l’un et l’autre des voies qui traverseront le XXe siècle sans jamais se rejoindre : extérieur jour, il y a Manet cherchant à être ce “peintre de la vie moderne” tant désiré par Baudelaire. Intérieur nuit, il y a les rêves obscurs, le spleen fantastique de Baudelaire, les araignées au plafond d’Odilon Redon. Un peu courte, et en manque de nombreux chefs-d’œuvre à l’heure où la concurrence entre musées fait rage, l’exposition Manet n’offre pas aujourd’hui un panorama exhaustif et choisit de parcourir l’œuvre à coups d’entrées thématiques. On revisite sa formation dans l’atelier de Thomas Couture, on admire les portraits féminins

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au pastel, dont le merveilleux portrait d’Irma Brunner, comme tamponné d’une légère poudre de maquillage. Dans cette revue de détail, l’exposition met l’accent sur un aspect passionnant – et prémonitoire – de la pratique de Manet : le recadrage. En effet, sensible aux critiques et soucieux d’intégrer ces fameux salons qu’il considérait comme “des champs de bataille”, Manet retaille régulièrement ses toiles pour miser sur des détails susceptibles de convaincre son public. Ce fut le cas de L’Homme mort, ce fameux torero à terre redécoupé dans une toile plus vaste, et encore de cette Nymphe surprise directement prélevée sur sa Baignade. Ce “cut up” et cet effet quasi photographique font écho à une autre stratégie, qui consistait à concevoir lui-même l’accrochage et le télescopage de ses toiles. Au Salon des Refusés de 1863, Manet exposa ainsi son sulfureux Déjeuner sur l’herbe aux côtés de deux “espagnolades” qui, comme l’explique Stéphane Guégan, servaient de repoussoirs. En assumant pleinement ses “accrochages”, Manet laisse présager la prédominance, au XXe siècle, du “format exposition” sur les œuvres mêmes. Chez Redon, à l’inverse, on se soucie peu des conditions de monstration des œuvres, qui s’affichent plutôt dans les livres. Au Grand Palais d’ailleurs, l’accent est mis sur cette première période, sans doute la plus riche et la plus singulière de l’œuvre de Redon : ses albums illustrés et légendés

Odilon Redon, Planche 1 : L’œil comme un ballon bizarre se dirige vers l’infini, extrait de la série A Edgar Poe

qui, par leur économie et leurs formats, permettent à l’artiste de laisser libre cours à ses névroses fertiles. Au fil des pages, Redon invente quantité de créatures chimériques : des araignées au sourire carnassier, des œufs au regard ahuri, des cyclopes velus et des squelettes épineux inspirés des épopées sublimes et macabres d’Edgar Poe – qu’il dévore – et de Baudelaire, dont il illustra Les Fleurs du mal. Ne pas oublier en fin de parcours l’élargissement de sa palette à un art décoratif japonisant, à un mobilier trempé d’or, à un art qui ravit encore aujourd’hui tant de peintres chatouillés par cette esthétique délavée et obsolescente. L’exposition déroule ainsi un “voyage autour de ma chambre” qui contraste avec les ambitions mondaines, et d’une certaine façon politiques, de Manet. Sur ce thème du voyage, l’écart entre eux est symptomatique : dans L’Evasion de Rochefort, Manet rend hommage à ce communard condamné au bagne et parti sur une barque qu’il peint sous deux angles photogéniques très différents, en plan serré et en plan large. Chez Redon, le voyage relève de l’imaginaire, suggéré par cet appel du large qu’il célèbre avec beaucoup de délicatesse dans un coquillage allégorique réalisé au pastel rose poudré. Claire Moulène et Jean-Max Colard Manet, inventeur du moderne jusqu’au 3 juillet au Musée d’Orsay, Paris VIIe, www.musee-orsay.fr Odilon Redon, prince du rêve jusqu’au 20 juin au Grand Palais, Paris VIIIe, www.grandpalais.fr 13.04.2011 les inrockuptibles 107

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sous le signe du Wu Après plusieurs années d’absence, Wu-Wear, la marque du Wu-Tang Clan, est sur le point de refaire surface. Un événement dans le streetwear.

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l y a quelques semaines, dans les couloirs du salon Magic de Las Vegas, barnum de la mode où se croisent créateurs et acheteurs, Oli “Power” Grant faisait le tour des stands avec un étui griffé du W de Wu-Wear. Stratège marketing historique du Wu-Tang, il avait repris son bâton de pèlerin pour propager la bonne parole : “Wu-Wear va réapparaître et l’esprit du Wu-Tang va bientôt renaître.” “L’esprit du Wu-Tang” : c’est sur ce concept que Power a fait du Wu-Wear le porte-étendard du streetwear américain il y a quinze ans. A l’époque, le crew new-yorkais vient de prendre en otage le rap américain avec son premier album, Enter the Wu-Tang (36 Chambers). Portés par un argot suintant leur ghetto natal de Staten Island, blindés de références à la mythologie des moines shaolin, les neuf membres du Wu-Tang détonnent. “Ecouter le Wu-Tang, c’était comme entrer en religion”, se souvient Jeff Weiss, journaliste musical du LA Times. Le nez fin, Power, ami proche de RZA, l’orchestrateur en chef du Clan, saisit tout de suite le potentiel commercial. “Il y avait une sorte de fonctionnement subliminal : comme quand tu vois le logo Pepsi et que tu as automatiquement envie d’en boire un, eh ben quand tu voyais les sapes des rappeurs du Wu, tu voulais t’habiller comme eux”, expliquait l’homme dans une récente interview. Power récupére le “W” du Clan et l’appose sur toutes les pièces du vestiaire hip-hop : casquettes, bandanas, hoodies, baggies, paires de chaussettes et paires de godasses inspirées des Wallabee de Clarks. Une collection siglée Wu-Wear et labellisée Wu-Tang pour un merchandising inédit. Popularisée par les rappeurs du Clan, la marque devient incontournable. En 1997, chaque exemplaire du nouvel album du Wu, Wu-Tang Forever, renferme même le catalogue de Wu-Wear. “Nous étions les égéries de notre marque, souligne Power, nous étions nos propres Ronald McDonald.” Portés par un buzz en perpétuelle croissance, Power et le Wu-Tang ouvrent en 1998 plusieurs magasins sous l’enseigne Wu-Wear, à Staten Island d’abord, puis à Philadelphie, avant de franchiser leur affaire à Atlanta et en Virginie. Power veut faire de Wu-Wear une étiquette mainstream, capable de “toucher toute l’Amérique”. Il lance alors une gamme de polos rivalisant avec ceux de Ralph Lauren et Tommy Hilfiger et passe des deals avec des grands détaillants du pays comme Macy’s. En parallèle, plusieurs collaborations avec Nike pour des séries limitées de sneakers voient le jour. Ultime coup marketing, Power négocie avec les représentants de la maison de disques Atlantic l’enregistrement d’un titre, Wu-Wear: The Garment Renaissance, dédié à la promotion de la marque. Fin 1998, Wu-Wear a déjà rapporté près de dix millions de dollars au Wu-Tang Clan. Après dix années de chute libre, liée à la perdition artistique même du Wu-Tang Clan, le Wu-Wear peut-il renaître ? L’affaire pourrait se préciser l’été prochain, avec le lancement programmé de Wu-Brand, une nouvelle collection censée présenter des “contours plus ciblés, moins urbains”. Voilà pour le brief préliminaire. “Après tant d’années d’absence, il est assez difficile de cerner où la nouvelle marque du Wu-Tang veut se placer”, indique pourtant le journaliste Jeff Weiss, avant de nuancer : “Je ne me risquerais pas à parier contre le Wu-Tang. La capacité du Clan à tracer sa route reste intacte. Avec lui, il faut s’attendre à tout.” Raphaël Malkin illustration Alexandra Compain-Tissier

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œil de Lynch Sans lien d intersection

Ce n’est pas seulement Laura Palmer qui est morte à Twin Peaks. C’est aussi un certain agencement hiérarchique entre cinéma et télévision. La preuve (mais en VF !) sur Arte

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win Peaks, série de Mark Frost et David Lynch diffusée pour la première fois en France sur La Cinq au printemps 1991 (et un an plus tôt aux USA, sur ABC), nous ramène à un paysage dont le relief s’est depuis totalement transformé. D’ailleurs, La Cinq n’existe plus depuis belle lurette, et Arte, qui s’apprête à rediffuser Twin Peaks (en VF ! – pas mieux que La Cinq donc) n’existait pas encore. 1990 : c’est peut-être le moment où le rapport de forces économique entre cinéma et télévision tournait le plus en faveur de la seconde. Depuis, le cinéma a connu une reprise de fréquentation et la télévision a vu son monopole sur les images domestiques écorné par le web. Etrangement, malgré cette situation arrogante de domination, la puissance symbolique, la dignité esthétique étaient encore presque entièrement du côté du cinéma. On sait aussi à quel point cette

équation s’est depuis renversée. Il est en effet très commun aujourd’hui de penser que c’est bien davantage à la télévision qu’au cinéma que se réinvente le meilleur du storytelling américain. Lors de la diffusion française de Twin Peaks, l’influent critique Serge Daney écrit : “Succombé récemment au charme absolu de Twin Peaks. Cette série déjà culte semble bien faite pour infirmer deux ou trois de mes idées noires quant à la télévision. Elle invente en marchant une hypothèse terriblement séduisante : le détournement de la publicité par le cinéma.” (Trafic n° 1) C’est alors le discours dominant sur Twin Peaks : la revanche de l’art sur le commerce, la captation d’un imaginaire trivial de soap pris dans les rets d’une mise en scène de cinéma… Ce que l’on pourrait reprocher à la série, vingt ans plus tard, c’est précisément d’être un peu trop self-conscious de ce rapport de force entre dignité du cinéma et trivialité

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“Twin Peaks” a été la bible de beaucoup de mentors de la nouvelle série américaine

de la télévision. Frost et Lynch imaginent même un soap-opera dans leur série, Invitation to love, que tous les personnages regardent avidement dans leur salon. Les auteurs s’en donnent à cœur joie pour moquer cet ersatz des Feux de l’amour : le jeu grossier des acteurs, l’inanité des enjeux dramatiques (“Tu ne me regardes plus, Steven…”), la répétitivité des dialogues. Et ce alors même que Twin Peaks emprunte au soap son vocabulaire et sa syntaxe. Il y a donc, mis en miroir, le pastiche lourd (Invitation to Love) et le pastiche léger (Twin Peaks), l’un valant comme conscience critique de l’autre et précaution prudente. Attention, semble nous dire Invitation to love, les auteurs sont les premiers à sourire de ce qu’ils font. La drôlerie est partout dans Twin Peaks. Elle tient en partie à la désinvolture d’un récit qui passe son temps à ouvrir des portes en se souciant assez peu de les refermer. Elle tient aussi à la multiplication des personnages secondaires loufoques (prioritairement les flics) et à la personnalité un peu dingo de Dale Cooper, l’agent du FBI qui raffole des tartes à la fraise et ne semble obéir qu’à d’indéchiffrables lubies. Dale Cooper, c’est Kyle MacLachlan, et il est irrésistible. Un personnage dit à Dale Cooper qu’il est un peu le Cary Grant

de Twin Peaks (c’est le côté méta de la série, où toutes les intentions sont fléchées), et de fait, on ne l’avait pas attendu pour y penser. Si Kyle MacLachlan, c’est Cary Grant, Hitchcock est évidemment le référent maître de Lynch. Mais pas encore le Hitchcock tardif et ténébreux de Vertigo (qui alimentera Lost Highway et Mulholland Drive). Plutôt le Hitchcock malicieux et folâtre de Mais qui a tué Harry ?, Une femme disparaît ou Frenzy (où déjà un flic multipliait les longues digressions culinaires farfelues). On pourrait recenser les emprunts au maître – jusqu’à l’idée même de faire de la télévision (Twin Peaks, c’est un peu “David Lynch présente…”). On est plutôt frappé par la rupture que Lynch instaure avec Hitchcock. Elle tient à une certaine idée de l’inconscient. Le rêve, chez Hitchcock, c’est du Freud appliqué (avec beaucoup de force mais peu de finesse), ça condense et déplace l’expérience du personnage, ça révèle ce qu’il refoule, c’est en gros du symptôme. Le rêve, chez Lynch, a une fonction autre, il n’est plus la production de l’inconscient. Le cerveau de Dale Cooper est plutôt une boîte mail qui, à intervalles réguliers, reçoit des messages. Le sommeil, le rêve ne plonge pas dans les tréfonds du sujet, mais au contraire sont un accès (presque au sens internet du mot) à ce qui le dépasse, le connecte à une connaissance plus vaste et intersubjective. Si avec Mulholland Drive Lynch reviendra vers un usage hitchcockofreudien du rêve, cette veine chamanique de Twin Peaks est ce que la série a de plus singulier et réjouissant. Dans les vingt ans qui suivent, beaucoup de mentors de la nouvelle série américaine (à commencer par David Chase : “Les Soprano, c’est Twin Peaks installé dans le New Jersey“) ont déclaré que Twin Peaks avait été leur bible. On en trouve la trace, sous des formes très diverses, dans X-Files, Lost, Desperate housewives, Six Feet Under… même si tous ces descendants ont pris soin d’en gommer la lenteur presque ingrate, l’inefficacité dramatique. Quant à Lynch, on aimerait avoir plus souvent de ses nouvelles par le cinéma. Ses dix dernières années, il semblait avoir quelque difficulté à enchaîner les films et Inland Empire, film monstre et malade, n’était pas totalement rassurant. Retrouver l’appétit narratif et la légèreté amusée de Twin Peaks serait peut-être la meilleure chose à lui souhaiter. Jean-Marc Lalanne Twin Peaks tous les mardis du 19 avril au 28 juin à 22 h 30 sur Arte 13.04.2011 les inrockuptibles 111

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Nicolas Thépot

surfeurs de la bidouille Depuis quelques mois, le magazine L’Œil de links fait sur Canal+ l’inventaire de la créativité sur le net, entre jackasseries minimalistes et détournement expérimental.

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iffusée environ toutes les deux semaines sur Canal+, cette émission s’inspire de L’Œil du cyclone, magazine de la création pointue diffusé sur la chaîne cryptée dans les années 90. Composée de petits modules (comme Tracks sur Arte), L’Œil de links, conçue par Nicolas Thépot, est un panorama de “26 minutes pour décrypter le meilleur de la création dénichée sur le net, et porter un autre regard sur le web”. Autrement dit, on observe diverses expériences assimilables à l’avant-garde et à l’expérimentation, mais sur un mode geek, c’est-à-dire technique et fun à la fois. Chaque segment est présenté par le très frais Elliot Lepers, entouré

de quelques énergumènes en combinaisons blanches, aux visages masqués par des appendices divers et variés, qui se livrent à toutes sortes de gesticulations. Une partie de ces expériences, clips, détournements, dessins animés, etc. sont visibles sur YouTube, à condition de savoir où chercher. Mais là, on donne aussi la parole aux auteurs. Le programme du 18 avril, plutôt varié et disparate, va du marathonien anglais harnaché d’un équipement insensé permettant de rendre compte aux internautes de l’évolution de sa course (Joseph Tame), à

l’avant-garde et l’expérimentation, mais sur un mode geek

un Nippon filmant au ralenti des individus courant de façon délirante (Sou Ootsuki), en passant par le Norvégien cinglé qui plonge comme un pingouin sous les lacs glacés avec une aisance confondante (Tor Eckhoff). Bref, ça oscille entre le happening, l’avant-garde, et les jackasseries à la Johnny Knoxville. Certains segments, plus classiques, appartiennent au simple dessin animé satirique (Maurice et Patapon, transposition de la BD aussi trash que minimaliste de Charb), au clip vidéo (le charmant clip en plans-séquences de Kathryn Marshall pour My Name Is Robert, de Dan Deacon), et même à l’expérimentation pure et dure, jouant sur le support électronique et sa trituration. Voir tout le jeu autour du glitch, terme désignant, à l’origine, toutes sortes de dysfonctionnements techniques, et repris par les vidéo artistes de tous poils : il s’agit, en gros, d’un effet que tout un chacun peut constater en regardant un DVD défectueux, dont l’image semble fondre, se déformer et proliférer de façon aléatoire, en produisant des moirures, solarisations ou pixellisations aberrantes. C’est parfois très beau, et on n’est pas étonné que des artistes se soient emparés de cet effet macluhanien en diable (médium = message). La plupart de ces segments variés sont accompagnés d’une explication de texte souvent indispensable pour en comprendre le mode d’emploi et le degré de distanciation. Attention aux canulars… Vincent Ostria L’Œil de links émission de Nicolas Thépot. Lundi 18 avril, 23 h 35, Ca nal+

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Misfits super ados Sexy, brûlante, dure : la meilleure série teen du moment est anglaise et traîne ses superhéros dans la boue.

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ersonne n’en a jamais terminé avec l’adolescence. Et surtout pas les séries. Le genre teen submerge les écrans depuis sa création (question de cible publicitaire) et rivalise souvent d’audace, malgré les apparences (question de tempérament). Une série ado n’est pas forcément idiote, loin de là. Souvent, des personnages un peu cons sur les bords rendent d’ailleurs les scénaristes et le spectateur plus intelligents. Et la question, au fond, ne réside même pas dans cette alternative simpliste. Le rôle de toute bonne fiction ado est d’abord de montrer ce qui déborde (les hormones, l’humour, l’angoisse), et c’est donc une fiction de l’excès. Ce qui caractérise Misfits avant toute autre étiquette. Née en Angleterre à la fin 2009, cette création de Howard Overman pour la chaîne E4 (déjà diffuseur de Skins) est plus ou moins inspirée d’une série américaine des années 80 avec Courteney Cox, Misfits of Science. Mais tout y est actuel et nouveau, à commencer par les personnages, une bande de jeunes gens déconneurs, condamnés à réaliser des travaux d’intérêt général dans un coin désolé et poétique au bord de la Tamise. On compte trois garçons (Nathan, Simon, Curtis) et deux filles (Kelly, Alisha),

qui se tapent pour leur premier jour l’orage de leur vie, et en ressortent transformés. Electrisés par de violents éclairs, ils se découvrent chacun un pouvoir qu’ils maîtrisent et apprécient plus ou moins – coucou Heroes, diront les mauvaises langues. Invisibilité, télépathie, capacité à éveiller un violent désir sexuel, tout est lié à des problématiques certes partagées par tous, mais d’abord cruciales pour des ados en recherche constante et décisive d’identité. C’est bien sûr l’éternelle narration des découvertes et des premières fois qui prévaut dans Misfits (comme dans son antithèse Gossip Girl, comme dans Freaks and Geeks), avec une intelligence au-dessus de la moyenne. Au diapason de ses acteurs fulgurants (Lauren Socha et Robert Sheehan en tête), la série parvient à dégager un vrai magma dramaturgique en constante ébullition, travaillant au corps des thématiques souvent violentes. Ici, l’adolescence est perçue moins comme une souffrance que comme une radicale étrangeté. Une autre perception du monde se déploie à travers les personnages, au sens littéral du terme. Les scènes les plus fortes ont lieu sous l’effet d’une transe musicale (le générique donne le ton, avec le morceau Echoes de The Rapture) ou d’un travail graphique

marqué. L’irruption du fantastique et des états drogués se fait en toute simplicité. Ça fume, ça boit, ça gobe, ça baise, ça hurle. Les visions s’accumulent. Le monde se déforme au passage des ados bizarres de Misfits, mais c’est le seul moyen qu’ils ont trouvé pour avancer. Tous se débattent avec de graves problèmes intimes ou familiaux, et n’en sortiront probablement pas avant un moment. Les choses ne font d’ailleurs qu’empirer entre les saisons 1 et 2, qu’il est permis d’absorber d’un seul trait, comme un alcool fort. Bien sûr, tout n’est pas parfait dans Misfits. La série prend parfois le risque de se brûler les ailes à force de viser l’incandescence et la dureté à tous moments. Elle devrait savoir parfois se refroidir un peu, pour mieux nous réchauffer d’un seul coup juste après. Une simple question d’équilibre. Mais l’essentiel demeure, et au-delà. Précision utile : cet objet étrange est avant tout un genre de comédie. British, un peu glauque, sexuelle et triste. Tout ce qu’on aime dans le pays de la bière, de la pop et des séries. Olivier Joyard Misfits saison 2 sur Orange Ciné Choc à partir du 17 avril, 20 h 40. Saison 1 en DVD (Koba Films) le 27 avril.

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brèves Vince Gilligan à Séries Mania Pour sa deuxième édition, le festival parisien des séries a encaissé la défection de Lisa Kudrow, mais gagne au change avec son remplaçant Vince Gilligan. Le créateur de Breaking Bad, ancien des X-Files, donne une master class ce samedi 16 avril à 18 h au Forum des Images. A noter aussi, une intégrale Xanadu. Toute la programmation sur www.forumdesimages.fr.

Mad Men en 2012

tout le monde aime The Killing

La série danoise adaptée aux USA par la chaîne AMC est un franc succès. Mérité ? ne série venue du froid peut-elle rendre Mad Men jalouse ? L’affaire semble pliée d’avance. Et pourtant. Lors de son passage en VO soustitrée sur la chaîne BBC 4 en Angleterre, The Killing avait battu les scores d’audience de la série sixties de Matthew Weiner, dans la foulée de Wallander. Son adaptation américaine, programmée depuis le 3 avril Besson se met sur AMC, a fait de même, devenant aux séries la deuxième série la plus regardée sur Taken et Le Transporteur ce network, juste derrière The Walking Dead. en version séries avec des Il y a donc actuellement une passion chaînes américaines, un reboot mondiale autour de The Killing. Tout des Sous-Doués pour TF1 le monde semble craquer pour ce concept en douze épisodes, un thriller au demeurant ultra-simple : suivre de 8 x 52 min pour Canal+ : un cas criminel par saison et laisser Europacorp, la société de Luc la toile du récit se tisser aussi lentement Besson, se lance à corps perdu dans la fiction télé. Allez, que nécessaire, pour imprégner ensemble on attend de voir avant de juger. les personnages et le spectateur. Mettre tout le monde dans le même bateau de chaque côté de l’écran, partager équitablement le même sas de fiction obsédant, c’est l’intelligence d’une série That 70s Show (MTV, le 16 à 22 h 50) moderne. The Killing se situe dans le mille Ashton Kutcher, Topher Grace du contemporain, tout en cultivant son et Mila Kunis ont lancé leur carrière originalité. On n’y laisse pas les cadavres avec cette sitcom gentiment s’amonceler sans conséquences, mais conceptuelle et remarquablement on préfère scruter la mort en profondeur, écrite, presque toujours drôle observer tous ses effets sur les vivants. malgré sa longévité (1998-2006). L’adaptation américaine est partie Hélène et les Garçons sur ces bases, très proches de l’originale (June, le 14 à 3 h 50) Un épisode dont elle retient un imaginaire morbide d’Hélène et les Garçons et envoûtant. Elle y ajoute une approche en rentrant de soirée pour personnelle des enjeux moraux, dessoûler sans effort, c’est notamment autour de l’enfance perdue bien. Il y en a toutes les nuits et de la destruction de la cellule familiale. sur June, il suffit de le savoir. Une thématique présente dans la version danoise, mais qui prend corps très Showrunners : Jason Katims différemment sur le territoire américain. (Orange Cinemax, le 19 à 22 h 30) Il fallait bien que la transposition serve La série documentaire de Virginia à quelque chose. Olivier Joyard Vosgimorukian s’intéresse cette Pour les distraits, rappelons que le scénariste Matthew Weiner a finalement signé pour deux saisons supplémentaires (et une troisième en option) à la tête de Mad Men. La saison 5 arrivera aux Etats-Unis en mars 2012, avec huit mois de retard. Ça fait longuet.

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agenda télé

semaine à l’homme qui a dirigé d’une main de maître la fantastique Friday Night Lights. Inratable, donc.

The Killing saison 1. 13 épisodes, chaque dimanche sur AMC. 13.04.2011 les inrockuptibles 115

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émissions du 13 au 20 avril

Alain Ducasse, la passion du goût Documentaire de Guy Job et Stéphane Krausz. Vendredi 15 avril, 20 h 35, France 5

Mais que mijote Ducasse, maître-queux globe-trotter ? Toujours prêt à se décarcasser pour imposer sa cuisine dans le monde entier, le chef est un marathonien : de Monaco à Paris, lieux de ses “ateliers de haute couture”, de Londres à Tokyo, de New York à Las Vegas…, il ouvre sans cesse des restaurants au-dessus desquels brillent les étoiles. Filmé ici dans sa course à la perfection, Ducasse met sur la table les motifs de sa névrose obsessionnelle et de sa manie du contrôle. Il ne s’assied que pour goûter ses plats : ces moments furtifs forment la seule respiration d’une vie de fou, où la cuisine semble compenser une peur du vide, le vide de l’assiette, le vide d’une vie ascétique et sans goût. JMD

documentaire

hackers au cœur Pirates des temps numériques, les hackers sont des acteurs incontournables de la révolution web.



es esprits curieux sont les seuls à pouvoir changer le monde.” C’est ainsi que Daniel Domscheit-Berg, ex-porte-parole de WikiLeaks, définit les hackers. Des “bidouilleurs” indispensables à l’évolution technologique, comme la première légende du piratage, l’Américain “Captain Crunch”, qui réussit dans les années 60 à prendre le contrôle des lignes téléphoniques à l’aide d’un sifflet trouvé dans une boîte de céréales. Le documentaire d’Étienne Rouillon et Sylvain Bergère nous emmène à Berlin, Venice Beach ou Boston, à la rencontre des figures du piratage et de leurs opposants. Les témoignages de Steven Levy, journaliste chez Wired, du porte-parle du Chaos Computer Club de Berlin ou d’un responsable de Sony Computer revisitent cinquante ans de hacking, de l’underground à la culture web de masse, des MacGyver de l’Apple II aux concepteurs de logiciels libres comme Wikipédia ou Firefox. Bien rythmé, nourri d’extraits de films et de parenthèses amusantes comme les Gregory Brothers, qui détournent des journaux télévisés pour en faire des chansons qui cartonnent sur YouTube, Pirat@ge cherche un point d’équilibre. Le documentaire fait bien la part des choses entre les hackers et les cybercriminels, tout en montrant qu’il n’y a qu’un pas entre création et destruction, entre génie et espionnage. Il va plus loin encore en s’interrogeant sur les risques inconsidérés pris par certains pirates, les dissensions entre hackers et les contradictions des industriels... Quand Napster inspire des plateformes comme iTunes ou quand le téléchargement illégal donne naissance à la vidéo à la demande, qui pirate qui ? Béatrice Catanese

Piratage documentaire d’Étienne Rouillon et Sylvain Bergère, vendredi 15 avril, 22 h 20, France 4.

Mitterrand, du verbe à l’image Documentaire de Lucie Cariès. Lundi 18 avril, 22 h 30, Public Sénat

Mitterrand, grand seigneur méchant homme ? La preuve par l’image. L’évolution de l’utilisation des médias audiovisuels par François Mitterrand avant et pendant sa présidence de la République. Curieusement, comme pour Georges Pompidou, l’obsession récurrente est la maladie du président. Elle permet de montrer, comme le dit un intervenant, le “mentirvrai” de Mitterrand : son art consommé de dire le faux en escamotant une partie de la vérité. Le plus intéressant est l’évocation de l’irruption des spin doctors à la française dans la stratégie électorale. D’où le slogan “La force tranquille”, de Jacques Séguéla, puis les campagnes de ses disciples, Jacques Pilhan et Gérard Colé. V. O.

Vivace Téléfilm de Pierre Boutron. Vendredi 15 avril, 20 h 40, Arte

Un conte fantastique et botanique autour d’une belle plante. A partir d’un scénario un peu foutraque écrit par Claire Chevrier, flirtant avec le fantastique et le thriller surréaliste, Pierre Boutron filme un huis clos étouffant. Celui d’un jeune couple (Armelle Deutsch et Thomas Jouannet) qui, s’installant dans une maison à la campagne, se fragilise au contact d’un voisin aux allures de psychopathe (Pierre Arditi). Pas de crime ni d’arme ici : le danger surgit d’une présence végétale. Le nerf dramatique se noue autour d’une curieuse plante tropicale, à l’origine de la jalousie du mari et du trépas de sa femme. Le face-à-face entre l’héroïne et une plante nourrit la tension désopilante du film. JMD

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Christophe Abramowitz/Radio France

Les Passagers de la nuit Frères Téléfilm de Virginie Sauveur. Mercredi 13 avril, 20 h 35, France 2

Un drame sur une famille arabe de banlieue. Poignant mais bizarrement construit. Bardé de prix au Festival de La Rochelle, ce téléfilm sur une famille arabe vivant dans une cité de banlieue s’extirpe des clichés grâce au personnage du fils modèle, devenu un brillant avocat. Casting excellent, écheveau convaincant de drames imbriqués les uns dans les autres. Le problème réside dans la fin, limite incohérente à force d’ellipses. Ainsi le coup de théâtre final, qui aurait pu convenir à une comédie, mais qui, dans le contexte, tombe comme un cheveu sur la soupe. Cela donne l’impression qu’on a dû réduire a posteriori un matériau conçu pour une durée plus longue. V. O.

Emission de Thomas Baumgartner. Du lundi au vendredi, 23 h, France Culture.

Semaine spéciale Chantal Champagne, avatar folâtre et zézayeur. Que sait-on de Chantal Champagne ? Pas grandchose de son existence supposée, sinon qu’elle exaspère autant qu’une Bécassine sous acide et sème sa zone sur les ondes de l’indispensable Passagers de la nuit depuis plusieurs mois. Avec son personnage transgenre, entre réel et fiction, mais aussi entre les sexes et entre l’humain et l’animal, chacune de ses sorties réserve son lot de surprises, saillies drolatiques et moments bouffons. Coachée par les auteurs Amandine Casadamont et Angélique Tibau, une des créations sonores – voire bavardes les plus marquantes de la saison, invitée jeudi pour un direct forcément piquant. Pascal Mouneyres

révolution arable Les terres cultivables des pays pauvres deviennent l’enjeu d’une intense spéculation. Principales victimes : les petits paysans. es aventures de la mondialisation et leurs cultures et habitats traditionnels (suite). Après la délocalisation sont détruits. En Argentine et en Uruguay, des industries, puis des services, un investisseur français, Olivier on assiste à celle de l’agriculture. Combastet, achète des centaines L’Arabie saoudite, l’Inde et la Chine de kilomètres carrés et mise des fortunes acquièrent des surfaces immenses dans sur le soja OGM. Rouleau compresseur qui le monde pour y cultiver diverses denrées, pousse les petits agriculteurs à la misère. puis les proposer aux plus offrants. Avec Cette belle enquête d’Alexis Marant donne cette troisième phase de la délocalisation, heureusement la parole à ceux qui savent le néocolonialisme reprend du poil de la où cette frénésie spéculatrice peut mener, bête. En Ethiopie, un Indien sympathique, comme le directeur de la FAO, Jacques Ram Karuturi, est en train de rafler le pays Diouf. Vincent Ostria avec l’aval du gouvernement pour y cultiver des roses, du riz basmati et du maïs. Planète à vendre documentaire d’Alexis Marant, mardi 19 avril, 20 h 40, Arte Les locaux ne reçoivent que des miettes

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appelez La Police La BD numérique commence à envahir les écrans. Pierre La Police plonge à corps perdu dans l’expérience.

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ierre La Police n’est jamais là où on l’attend. Alors que de nombreux auteurs de bande dessinée scrutent, encore dubitatifs - quand ce n’est pas avec une pointe de méfiance -, les opportunités commerciales et techniques qu’offre internet, lui s’engage sans hésiter. Depuis un mois, il a mis à disposition sur l’iBookstore d’Apple, et bientôt dans d’autres librairies numériques, les nouvelles aventures de ses Praticiens de l’Infernal, cette hilarante équipe de héros dont la puissance le dispute à l’ânerie. L’idée d’une diffusion numérique lui est venue en même temps que l’envie de revenir à la bande dessinée, après des années d’absence, en saisissant un iPhone pour la première fois. “Immédiatement, j’ai pensé que l’iPhone pouvait être un outil parfaitement adapté pour diffuser mes

“un outil parfaitement adapté pour diffuser mes bandes dessinées”

bandes dessinées. Le format de l’écran est homothétique de celui de mes cases, qui sont toutes du même format, et dont j’ai toujours pensé qu’elles devaient être présentées individuellement plutôt qu’assemblées en planches. L’absence de phylactères (bulles, ndlr), le texte placé toujours au même endroit, le fait qu’il se passe quelque chose dans chaque case, que l’histoire permette sans réserve d’interrompre la lecture à tout moment et de la reprendre plus tard, sans gêne pour la continuité, tout cela promettait une expérience de lecture idéale pour ce support. De même, le rétroéclairage de l’écran autorise une mise en couleur contrastée, et la possibilité de zoomer pour entrer dans les images m’invitait à soigner les détails.” Cette entreprise artistique, Pierre La Police s’est décidé à la mener seul, sans le concours usuel des éditeurs. Pour la partie technique, il fait appel à des proches qu’il rémunère en dessins originaux et en estampes. Pour l’administratif, c’est lui qui s’y colle, quitte

à éplucher, des semaines durant, des piles de textes abscons sur la législation des pays étrangers, car le livre est immédiatement disponible en français ou en anglais. “Publier en numérique, dit-il, c’était revenir à mes débuts, avec mes fanzines en photocopies que je diffusais en petit nombre, seul. Je voulais retrouver cette relation sans intermédiaire entre auteur et lecteurs.” Derrière ce désir d’autonomie, et au-delà des considérations artistiques, les problèmes apparaissent néanmoins. Quelques questions suffisent à comprendre que Pierre La Police n’est pas un adepte aguerri des réseaux sociaux et des modes de communication numériques, qu’il n’en connaît ni les acteurs majeurs, ni tous les usages (il n’a pas indiqué son mail, par exemple, pour récolter les commentaires). Bref, dans ce registre, il est un peu perdu. Aujourd’hui, il se débat pour relayer son livre, d’autant qu’il n’a aucune envie pour le moment de l’éditer sous forme papier. “Le livre sera

imprimé plus tard par les éditions Cornélius, mais je veux vraiment laisser le temps au format ebook de s’installer.” A terme, si la diffusion numérique rencontre le succès, l’idée serait d’étendre l’univers des Praticiens de l’infernal à d’autres formes :“Pour moi, la bande dessinée est le socle d’un univers que je pourrais décliner en jeux vidéo innovants, en applications, certaines gratuites, d’autres payantes. Mais, avant de poursuivre, il me faut savoir si l’entreprise peut être viable économiquement, car je souhaite rémunérer mes collaborateurs.” A partir de quand l’entreprise devient-elle rentable ? Difficile de répondre pour le moment. Apple prend 30 % des recettes, mais l’autonomie éditoriale et la dématérialisation autorisent un prix de vente attractif, impossible avec le papier, de 4,99 euros pour 166 pages. Atouts et embûches sur la route du succès sont nombreux, mais le pari est audacieux, unique dans le paysage éditorial de la bande dessinée. Sur le livre, en revanche, il n’y a aucun doute, il est aussi génial que grotesque. La technologie met en valeur le talent. Stéphane Beaujean Les Praticiens de l’infernal, volume 1, Destruction du littoral et césarienne farfelue, 166 pages, 4 ,99 €. Parallèlement, sortent chez Cornélius le 21 avril des éditions papier totalement revues et hilarantes de Attation !, Top télé maximum et Nos meilleurs amis et l’acte interdit.

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avantages exclusifs

RÉSERVÉS AUX ABONNÉS DES INROCKS pour bénéficier chaque semaine d’invitations et de nombreux cadeaux, abonnez-vous ! (voir encart, ou sur http://boutique.lesinrocks.com)

NOUVEAU

Les Amours Fujiya Miyagi imaginaires & en concert un film de Xavier Dolan

DVD

Francis et Marie, deux amis, tombent amoureux de la même personne. Rapidement, la tension monte et chacun va tenter d'interpréter à sa manière les mots et gestes de celui qu'il aime. A gagner : 20 DVD.

à l’Alhambra (Paris Xe)

musiques Depuis 2000, Fujiya & Miyagi transmettent l’héritage des formations krautrock à travers leur rock electro et dansant. A gagner : 2 invitations pour 2 personnes le 26 avril.

Hushpuppies en concert à l’Alhambra (Paris Xe)

musiques

Originaires de la scène garage perpignanaise, les cinq membres de ce combo ont développé un style de rock français unique. A gagner : 5 invitations pour 2 personnes le 27 avril.

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Les affaires sont les affaires

les Veillées Foodstock au Musée d’art contemporain du Val-de-Marne à Vitry-sur-Seine (94)

musiques Dînerconcert original : chaque soirée de cette série proposera deux concerts intimistes au coin du feu, accompagnés de chefs auxf ourneaux. A gagner : 7 pass coupe-file pour 2 personnes le 23 avril.

Je suis un metteur en scène japonais au Théâtre de la Cité internationale (Paris XIVe)

scènes Le bunraku est le vieil art japonais des marionnettes. C’est à lui que rêve Fanny de Chaillé, artiste en résidence dans ce théâtre, quand elle s’improvise metteur en scène japonais… A gagner : 5 invitations pour 2 personnes le 30 avril.

Dunas à la Grande Halle de La Villette (Paris XIXe)

scènes

Le fruit de la première rencontre d’un duo de danseurs et chorégraphes atypiques : Sidi Larbi Cherkaoui, qui vient de la danse contemporaine, et María Pagés, issue du flamenco. A gagner : 10 invitations pour 2 personnes le 21 avril à 20 h 30.

Marinières Rough Trade style Marinières Rough Trade on Tour, chez agnès b. (valeur 125 €). A gagner : 5 marinières.

une pièce d’Octave Mirbeau, au Théâtre du Vieux-Colombier (Paris VIe)

scènes En 1903, l’écrivain Octave Mirbeau dresse avec lucidité le portrait de l’homme d’affaires dévoré par ses ambitions personnelles… Mise en scène de Marc Paquien avec la troupe de la ComédieFrançaise. A gagner : 5 invitations pour 2 personnes le 19 avril à 19 h et le 20 avril à 20 h.

pour profiter de ces cadeaux spécial abonnés munissez-vous de votre numéro d’abonné et participez sur 

www.lesinrocks.com/ special/club fin des participations le 17 avril

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in situ expo 2.0  L’espace virtuel du Jeu de Paume accueille une exposition collective consacrée aux phénomènes d’instabilité et de confusion identitaire sur internet. Regroupant 19 projets et 16 artistes, l’exposition est accompagnée d’événements physiques : rencontres d’artiste, performances, conférences… Jusqu’au 15 septembre 2011. tinyurl.com/6gj5ytx

social curator Vous ne vous retrouvez plus dans les publications de vos amis sur les réseaux sociaux ? Après avoir connecté vos flux Facebook, Twitter et YouTube, utopic.me propose une belle interface, regroupant les sujets les plus appréciés par vos amis. Il est possible de les trier par nature de contenus : liens, photos, musique, vidéo… utopic.me/  

ton boulanger sur le net Née pour redorer le blason des rues de Pigalle, cette webTV de proximité regroupe 21 quartiers parisiens sur la toile. Lucarne sur l’information locale, elle donne la parole aux commerçants, résidents, associations et permet de se tenir informé des actualités culturelles de son quartier. www.pariswebtvquartier.fr

du street art pour célébrer la Commune En 1871, pendant deux mois, Paris est dirigé par un gouvernement populaire, et la ville expérimente la démocratie directe. Pour les 140 ans de la Commune, le collectif Raspouteam revient sur cette révolution avec un journal en ligne. Chaque événement raconté dans ce journal sera illustré d’une intervention de street art à l’endroit où il a eu lieu, pour restituer au mieux le déroulement de l’insurrection. raspouteam.org/1871

la revue du web New York Times

Café babel

01 Net

le téléphone pleure

fierté kosovare

Hadopi, même pas peur

“Le téléphone sonne ? Neuf fois sur dix, c’est ma mère…”. Aujourd’hui, on ne téléphone plus qu’aux membres de sa famille ou à sa baby-sitter. Peur de gêner la personne au bout du fil, de l’interrompre en plein visionnage d’un album Facebook ou dans la rédaction d’un mail de première importance, le téléphone dérange. Irrespectueux, voire indécent, notre vieil ami a été détrôné par les mails et les SMS, plus discrets. L’article explore l’évolution des pratiques sociales liées à cet objet en perdition. tinyurl.com/5ss446h

Un reportage qui part à la rencontre d’une jeunesse kosovare prometteuse. Si pour certains jeunes l’optimisme, très fort au moment de l’indépendance, est en train de diminuer face à la crise économique et à la corruption de la classe politique, d’autres, tournés vers l’Europe, cherchent le dialogue avec la partie serbe. Eduqués, faisant preuve de beaucoup d’espoir, ils tiennent le coup et tentent, à leur façon, de reconstruire le pays. tinyurl.com/4hqc8l4

Un jeune internaute flashé pour le compte d’Hadopi, et ayant reçu son premier mail d’avertissement, raconte pourquoi il n’arrêtera pas pour autant de télécharger. Il explique ne pas éprouver de culpabilité parce que, achetant régulièrement des films en Blu-ray et louant des séries en VOD, il “reste un bon client pour le cinéma”. Sa solution au téléchargement illégal ? “Une formule de téléchargement illimité. Je suis prêt à payer 20 euros par mois, par exemple, pour accéder à un catalogue très riche.” tinyurl.com/3sw9xg4

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un printemps 2011 vol.2 Le folk en or de Fleet Foxes, la pop radieuse de I’m From Barcelona, le hip-hop débauché de Rubin Steiner et Ira Lee. 1. Danger Mouse & Daniele Luppi Two Against One (feat. Jack White) Extrait en avant-première de Rome (Virgin/EMI) Première apparition de Jack White depuis le divorce des White Stripes, ce Two Against One est l’un des sommets de l’étrange album Rome, œuvre monumentale du producteur Danger Mouse et de son fidèle Daniele Luppi, compositeur italien disciple de Morricone.

2. Fleet Foxes Battery Kinzie Extrait en avant-première d’Helplessness Blues (Bella Union/Cooperative/Pias) Ils ont pris leur temps, mais c’est tout ce que l’on demande aux orfèvres : les Fleet Foxes sont de retour avec un nouvel album qui va chercher des beautés plus profondes encore que sur le premier album.

3. I’m From Barcelona Battleships Extrait en avant-première de Forever Today (EMI) Vingt-sept, vingt-cinq, vingt-neuf ? On ne connaît plus le nombre exact de membres appartenant à la joyeuse troupe scandinave mais l’entreprise est toujours efficace. I’m From Barcelona revient avec un disque de pop radieuse et psychotrope.

4. Miles Kane Come Closer Extrait en avant-première de Color of the Trap (Sony) L’acolyte d’Alex Turner au sein de Last Shadow Puppets fait ses premiers pas musclés en solo : sexy et imparable, ce Come Closer agite les méninges autant qu’il fait bouger les hanches.

5. The Pains Of Being Pure At Heart Belong Extrait de Belong (Slumberland/Pias) Produits par leurs idoles anglaises Flood et Alan Moulder, les New-Yorkais dégainent l’artillerie lourde des Smashing Pumpkins sur un second album au son viscéral toujours aussi sincère.

8. Saul Williams Triumph Extrait en avant-première de Volcanic Sunlight (Columbia/Sony) Slammeur, rappeur, poète, acteur, soulman, Saul Williams a enregistré à Paris un nouvel album qui témoigne d’une nouvelle métamorphose, plus pop et plus psychédélique. Triumph assuré.

9. Sound Of Rum Slow Slow Extrait en avant-première de Balance (Sunday Best/Pias) Boucles blondes et visage poupin, cette Anglaise au flow empressé prend la relève de The Streets avec son hip-hop aussi costaud que touchant.

10. Rubin Steiner & Ira Lee Gay and Proud Extrait de We Are the Future (Platinum/Differ-ant) Avec le rappeur canadien Ira Lee, le Français Rubin Steiner a enregistré dans son studio tourangeau un formidable album de hip-hop bariolé : débauché, fêtard et rigolard.

11. C.R. Avery Folk Singer Extrait de So It Goes (Cornflakes Zoo/Platinum/Differ-ant) Disciple de Beck et Buck 65, le Canadien C.R. Avery sonne ici comme Beck en 65 : son Folk Singer n’est pas très folk mais c’est un chouette hymne de garage-pop pour soirées barbecue.

12. The Leisure Society Dust on the Dancefloor Extrait en avant-première d’Into the Murky Water (Full Time Hobby/Pias) Trésor caché du Royaume-Uni, The Leisure Society enchaînerait, dans une société juste, les disques de platine. D’ailleurs, les Anglais agencent de véritables disques en or, entre pop baroque et folk d’orfèvre.

13. Wild Beasts Albatross 6. Cults Go Outside Extrait en avant-première de Cults (Columbia/Sony) Ce seul titre a suffi aux très sexy New-Yorkais Brian Oblivion et Madeline Follin pour devenir les chouchous des blogs mondiaux : vivement la suite.

Extrait en avant-première de Smother (Domino/Pias) Troisième album pour ces Anglais déjà adorés : l’impressionnant Smother affirme encore un peu l’élégance du groupe, la perfection de ses sonorités à la fois organiques et synthétiques.

7. We Are Enfant Terrible Filthy Love

14. Moriarty Isabella

Extrait d’Explicit Pictures (Last Gang/Naïve) Possédés et frénétiques sur scène, qu’ils écument depuis des années, les Lillois canalisent enfin leur groove salace et pourtant pop sur un premier album désapprouvé par les ligues de vertu. “I’m a real wild child…” Pas du chiqué.

Extrait en avant-première de The Missing Room (Air Rytmo/L’Autre Distribution) Toujours à la conquête de grands espaces à découvrir dans la prairie du folk, Moriarty a enregistré son album dans les conditions du live après avoir rôdé les chansons en tournée. 13.04.2011 les inrockuptibles 121

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La Fin des temps d’Haruki Murakami Aux derniers jours de sa vie, un homme solitaire vit une série d’événements surréalistes et oniriques.

Essential Killing de Jerzy Skolimowski Une chasse à l’homme du point de vue de la proie, interprétée avec brio par Vincent Gallo.

The Kills Blood Pressures Le duo anglo-américain le plus sexy de la planète rock sort son quatrième album. Plus orchestré et toujours aussi physique.

Orhan Pamuk Le Musée de l’innocence Une histoire d’amour hors norme sur fond de lutte des classes dans l’Istanbul des années 70.

Moon de Duncan Jones 2010 a été une année incroyable pour la science-fiction de qualité. Par “de qualité”, je veux dire de la SF à la Philip K. Dick, pas à la Independence Day. Ne ratez pas l’incroyable scène où le héros se tabasse lui-même. 666 d’Aphrodite’s Child Un disque psyché-progressif de Vangelis, le compositeur de BO (Blade Runner, Les Chariots de feu), et de Demis Roussos, la grande pop-star grecque. Génial ! recueilli par Anne-Claire Norot

Pina de Wim Wenders Rencontre entre deux monstres sacrés de la culture allemande. Wim Wenders rend hommage à la chorégraphe Pina Bausch.

Nous, princesses de Clèves de Régis Sauder Un documentaire subtil et patient sur une classe d’adolescents qui découvre avec bonheur le roman de Madame de La Fayette.

Sucker Punch de Zack Snyder Un girl power-movie trépidant dans des univers parallèles et chimériques.

Connan Mockasin Forever Dolphin Love Le Néo-Zélandais livre l’un des plus beaux albums pop du moment, véritable machine à songes tordus.

John le Carré Un traître à notre goût Sur fond de mafia russe, de corruption des banques et d’espionnage anglais, un tour de force littéraire tout en flash-backs.

Bombino Agadez Le blues du désert de ce Touareg prodige rencontre son cousin américain.

Yelle Safari Disco Club Un deuxième album fantastique qui redéfinit la pop culture avec aplomb et malice.

Grindhouse Double programme fétichiste des 70’s signé Rodriguez et Tarantino. Mean Streets de Martin Scorsese. Réédition d’un classique assortie d’une mine de bonus. Les Amours imaginaires de Xavier Dolan. Autoportrait pop, suave et affranchi.

Richard Lange Ce monde cruel Un premier roman, un conte californien très sombre.

Nina Yargekov Vous serez mes témoins Un roman conceptuel et drolatique, douloureux et hilarant, né d’une expérience dramatique.

TMLP (Ta mère la pute) de Gilles Rochier Une peinture complexe et juste de la banlieue au milieu des années 70.

DoggyBags de Run, Maudoux et Singelin Trois récits déjantés sous influence tarantinesque.

Une vie dans les marges – tome 1 de Yoshihiro Tatsumi Une magnifique autobiographie d’un des pères du manga adulte.

Cloud Control (Alister Wright, chanteur) Sortie de l’album Bliss Release le 23 mai.

Adieu poupée de Jeanne Mordoj, mise en scène Julie Denisse Au Festival Hautes Tensions de La Villette Un autoportrait en creux d’une folie douce et terrible.

Long voyage du jour à la nuit d’Eugene O’Neill, mise en scène Célie Pauthe A la Comédie de Reims Une mise en scène qui excelle à faire ressortir les nuances d’un drame d’autant plus profond qu’il est en demi-teinte.

L’Image de Samuel Beckett, mise en scène Arthur Nauzyciel Festival Etrange Cargo, Ménagerie de verre, Paris Lou Doillon transformée en passeuse de mots.

Richard Prince American Prayer BNF, Paris Entre contreculture et mainstream, Richard Prince décline avec délectation sa passion des livres.

Super Street Fighter IV sur 3DS Un remake qui prend du relief grâce à la 3D.

Ghost Recon – Shadow Wars sur 3DS Un excellent jeu de stratégie sous l’influence d’Advance Wars. Philippe Decrauzat Anisotropy Le Plateau, Paris Fils prodigue des expériences mirifiques de l’op’art, le Suisse présente une expo qui voit double.

François Morellet Centre Pompidou, galerie Kamel Mennour, Paris Ses Jeux déviants s’exposent au Centre Pompidou et il rencontre Malevitch à la galerie Kamel Mennour.

Dragon Age II sur PS3, Xbox 360 et PC Nouvelle étape dans le jeu de rôle occidental avec un Dragon Age II envoûtant mais déséquilibré.

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