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comment le PS drague les jeunes

deux séries télé, un livre événement

le porno revient

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Allemagne 3,40 € - Belgique 2,90 € - Canada 5,20 CAD - DOM/A 3,90 € - Espagne 3 € - Grèce 3,30 € - Italie 3,30 € - Liban 8500 LBP - Luxembourg 2,90 € - Maurice Ile 5,50 € - Portugal 3,30 € - Suède 40 SEK - Suisse 5 CHF - TOM 700 CFP

No.801 du 6 au 12 avril 2011

u nouvea

2.50€

Côte d’Ivoire 

l’heure de Ouattara

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j’ai dédicacé ses livres avec

Frédéric Lefebvre

A  

lerte enlèvement. Les Français sont inquiets. Un des grands animateurs de la vie politique de l’ère Sarko a disparu. Rassurez-vous, Les Inrocks ont retrouvé sa trace – ou ce qu’il en reste – au rayon librairie du drugstore Publicis des Champs-Elysées. Car l’homme de 47 ans assis à la table ressemble à Frédéric Lefebvre mais n’est pas Frédéric Lefebvre. Comme dans Body Snatchers d’Abel Ferrara, où des extraterrestres colonisent les corps, quelque chose a pris possession de l’ancien porte-parole de l’UMP. On s’approche, troublés. Bracelets cordelettes babeauf cool au poignet, cheveux coupés interdisant le catogan, lunettes intello no stress : mais qu’ont-ils fait de notre “sniper” ? Ses conseillers lui ont expliqué que trop de conneries tuent la carrière politique. Internet et les suicides d’enfants, la dénonciation comme devoir républicain, l’aide psychologique pour Ségolène, comparer burqa et masque de Mickey, autant de “lefebvreries” qui ont un peu trop marqué les débats. Une puissance supérieure – le dieu du storytelling – a donc réinitialisé Frédéric Lefebvre. Fredo est un repenti, un homme égaré qui a retrouvé sa voie, son moi profond. “J’ai passé trois ans à riposter aux attaques, j’ai été beaucoup caricaturé.” Heureusement, il prend la déroute des régionales en pleine gueule. C’est l’illumination. “J’ai compris que les Français ne supportaient plus les noms d’oiseaux en politique.” Le chien fou mue en vieux sage. Enfin, ça lui est venu tout doucement. Trois mois après les régionales, il signait son “J’accuse” dans France Soir contre l’“alliance immonde” de l’opposition avec “certains médias aux relents d’extrême droite et de trotskisme” – comprendre Mediapart révélant l’affaire Woerth/Bettencourt. Pour expier sa peine, Frédéric Lefebvre écrit, beaucoup, 520 pages pour Le mieux est l’ami du bien (Le Cherche midi). Parle de Chaban-Delmas, chez qui il a effectué un stage, Coluche, Gainsbourg. Le présente

“il faut que vous compreniez : je l’ai écrit en neuf mois, c’est mon bébé”

comme un livre “d’idées et propositions pour nourrir le débat”, qui traite de “bonheur”, “mieux-être”, “progrès”, “amitié”... C’est beau comme du Patrick Sébastien. “Il faut que vous compreniez : je l’ai écrit en neuf mois, c’est mon bébé.” L’ex-brute file la métaphore maternelle. Dans la librairie, il y a foule. “Les cinquante exemplaires sont tous partis”, nous répète-ton avec insistance. On apprend que la veille il y avait six personnes pour le maire de Lyon, Gérard Collomb. Le doute nous saisit. On apprend aussi qu’au drugstore, on était moyen chaud pour faire venir Lefebvre, “pas assez de corps”. Une façon polie de faire référence aux débuts laborieux de la promo après les révélations de passages copiéscollés non sourcés. Le journaliste Vincent Glad en a répertorié vingt sur slate.fr. Moche pour un ex-député (suppléant) qui a défendu l’Hadopi bec et ongles. “Ces gens ne l’ont pas lu et cherchent à polémiquer”, se défend l’accusé. A l’affût, on détaille les fans. Marie-Chantal Schwartz, sa dir cab Jackie Kennedy version UMP, a assuré les arrières : vieux potes, jeunes pop, foulards Hermès, groupe de Jeunes Actifs (les 30-40 ans de l’UMP), militants et rombières UMP. Les fans anonymes font du lobbying auprès de l’ancien lobbyiste, aujourd’hui secrétaire d’Etat chargé du Commerce, de l’Artisanat, des PME et du Tourisme. “J’ai un problème dans une affaire, peut-être pourriez-vous m’aider”, plaide une avocate. “On cherche des locaux pour...”, quémande un général à la retraite. Dans la file, un gars d’une vingtaine d’années en pull et lunettes rondes n’a rien à foutre là, mais plus rien ne nous étonne. Il fait sagement la queue. Son tour arrive. Il dépose un tube de colle UHU et des ciseaux devant Fredo. “Pour vos découpages, monsieur le ministre.” Anne Laffeter photo Renaud Monfourny

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No.801 du 6 au 12 avril 2011 couverture Traci Lords

03 quoi encore ? Frédéric Lefebvre

10 on discute courrier ; édito

12 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

16 événement l'écrivain ivoirien Venance Konan s’adresse à Alassane Ouattara ça va ça vient ; billet dur

21 nouvelle tête Woodkid

22 ici

Augustin Détienne

20 la courbe

28

le PS marseillais n’a pas fait le ménage

23 ailleurs

40

1,6 million d’employées contre Walmart ?

24 parts de marché le mécénat privé coupe les subventions

26 à la loupe Woody Allen et son Paris de carte postale un livre-somme aux détails hallucinants revient sur quarante ans de porno américain. En France, c’est la télé qui s’y met avec deux séries

39 Fillon sur un siège éjectable ? les prises de position du Premier ministre irritent certains ténors à droite

Martin Bureau/AFP

28 les belles heures du porno

48 Tom Van Schelven

40 objectif jeunes la jeunesse au centre du projet socialiste

42 Hollande en mode primaire le député prêt pour la bataille socialiste

43 que le meilleur perde les politiques en quête de défaite

45 presse citron 46 contre-attaque le rire contre les tyrans

48 licence to Kills

Jean Lecointre

revue d’info acide

nouveau bon coup pour le duo rock

52 Jerzy Skolimowski is back

56

rencontre avec le réalisateur polonais du magnifique Essential Killing

56 le flirt à l’allemande

68 les guerriers dansants deux anciens enfants-soldats de RDC et un chorégraphe exorcisent leur passé

68

Emma Pick

une notion difficile à appréhender, autant dans le couple politique franco-allemand que dans l’intimité

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34

72 Essential Killing de Jerzy Skolimowski

74 sorties Pina, Plastic Planet, Le Flingueur…

78 livre Chabrol autrement

80 net It Was on Earth… de J.-B. de Laubier

82 spécial 3DS le meilleur de la console 3D

84 Connan Mockasin créateur de machines à rêves tordus

86 mur du son Nuits de Fourvière, Festival des Inrocks…

87 chroniques Josh T. Pearson, Hortênsia Du Samba…

93 morceaux choisis Justice, Bonnie ‘Prince’ Billy…

94 concerts le meilleur des concerts à venir

96 John le Carré un grand roman existentiel

98 romans/essais Stéphane Beaud, Tristan Garcia…

100 tendance Claude Lévi-Strauss et le Japon

103 agenda les rendez-vous littéraires

104 bd la banlieue 70’s par Gilles Rochier

106 Mitterrand par Olivier Py + La Vie Brève + Jean-Baptiste André

108 Texte zur Kunst anthologie d’une grande revue critique

110 le retour des bad boys les beaux lendemains de la crapule

112 données publiques inventer des outils interactifs

114 remember Zalea TV les trublions du PAF en DVD

115 vers la post-téléréalité le naufrage de Carré Viiip

116 séries Mildred Pierce de Todd Haynes

118 télévision les derniers jours de Pompidou

120 reportage face à la cyberguerre

121 la revue du web décryptage

122 best-of le meilleur des dernières semaines

rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Hélène Fontanaud, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs P. Azoury, E. Barnett, S. Beaujean, M.-A. Burnier, A. CompainTissier, C. Cohen, A Collette, M. Despratx, P.  Dupont, I. Foucrier, J. Goldberg, A. Gruet-Pelchat, A. Guirkinger, E. Higuinen, O. Joyard, V. Konan, L. Laporte, C. Larrède, J. Lecointre, N. Lecoq, T. Legrand, H. Le Tanneur, L. Mercadet, X. Monnier, P Mouneyres, P. Noisette, V. Ostria, O. Père, E. Philippe, E. Pick, P. Richard, A. Ropert, L. Soesanto, P. Sourd, T. Van Schelven lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable animation Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Caroline de Greef, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Jérémy Davis, Amélie Modenese, Caroline Fleur conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeurs artistiques Pascal Arvieu, Mathieu Gelezeau (remplaçant) maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Camille Roy publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/ scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté d’Arthur Bellot tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 Dorothée Malinvaud (spécial festivals) tél. 01 42 44 15 67 coordinatrice Dounia Hajji tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 19 98 publicité commerciale, directrice Sarah Roberty directeur et directrice de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94, Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 coordinatrice Margaux Monthieu tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/relations publiques Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65, chef de projet marketing direct Alexia Bernard tél. 01 42 44 44 17 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard (tmattard@ame-press. com, tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19, infos au 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Valérie Imbert fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 2 211 059,61 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Matthieu Pigasse directeurs généraux adjoints Stéphane Laugier, François Rossignol attachée de direction Charlotte Brochard directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2011 directeur de la publication Matthieu Pigasse © les inrockuptibles 2011 tous droits de reproduction réservés Ce numéro comporte un encart abonnement 2 pages Belgique et Suisse jeté dans l’édition vente au numéro Belgique et Suisse ; un supplément 16 pages “Développement durable” jeté dans l'édition générale ; une carte postale “Forum des images” jetée dans l'édition Paris-IDF kiosque et abonnés ; un encart 4 pages “Uniqlo” jeté dans l’édition Paris-IDF kiosque et abonnés.

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Buisson, rance éternel “Monsieur Sarko avait promis (bis)/ De réformer notre pays/Mais son coup a manqué/A cause du Fouquet’s/Dansons la sarkagnole/Vive le son (bis)/Vive le son du Buisson” Patrick Buisson, très droitier conseiller du soir, s’est emparé du cerveau de Nicolas Sarkozy. Il y a vingt-cinq ans, l’homme dirigeait Minute et écrivait : “Le Pen, le RPR et le PR (le parti de M. Longuet) c’est la droite. Une feuille de papier à cigarette sépare les électeurs les uns des autres.” Buisson a de la suite dans les idées. En 2007, il a inventé le ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration. Il a laissé passer les ministres d’ouverture, les fariboles modernistes et la République “irréprochable”, sûr de reprendre la main le jour du péril et de ramener Sarkozy vers une droite plus extrême. Nous y voici. Opposant les juges et les policiers, les pauvres et les smicards, les fonctionnaires et les usagers du service public, les curés et les instituteurs, ses conseillers à ses ministres, Sarkozy a divisé sans parvenir à régner. L’homme qui devait moderniser non seulement la France mais aussi la droite a pris l’autoroute à contresens, direction 1934 rectifié 1940. Le GPS de Sarkozy suit les indications de M. Buisson : “Tour-nez-à-droite, accélérez, faites-marche-arrière, klaxonnez, écrasez-le-bo-bo…” La voilà, la nouvelle croisade de l’intrépide Sarkozy. Il repart dans de nouvelles oppositions : la province contre Paris, le lumpen contre les élites, le showbiz contre les journalistes, le bon peuple contre l’immigration, le terroir contre le cosmopolitisme. Ce président promettait de réformer sans répit, se moquait de l’incurie de ses prédécesseurs et prétendait ne pas se préoccuper de sa réélection. Désormais, il n’en fait pas plus – vocabulaire mis à part – qu’un vieux Chirac et ne pense qu’à 2012, obsédé par un pouvoir qui est en train de lui échapper. On comprend pourquoi M. Buisson, venu de l’extrême droite, vendeur de sondages hors de prix, lui paraît indispensable.En anglais, Buisson se dit Bush.

Les Inrocks

méchamment tweeté par PierreBRT si j’étais journaliste aux Inrocks… Ses détracteurs n’y ont rien pu : le talent de Zack Snyder a trouvé son public. Ni remake, ni adaptation cette fois, son Sucker Punch se veut une œuvre personnelle. Et malgré des renvois constants à la saga vidéoludique BioShock, le film vibre d’une créativité singulière, propulsée par le style iconique et belliqueux du cinéaste. Ouvertement matriarcal, Sucker Punch trébuche sur une narration bancale, qui étouffe trop souvent les personnages dans leur posture de fantasme geek. L’émotion affleure pourtant, par intermittence mais

avec force grâce à un casting royal dominé par la divine Abbie Cornish, merveilleuse révélation du Bright Star de Jane Campion dont le regard suffit à émouvoir (…). Il y avait un grand film à extraire de Sucker Punch, mais il faudra se contenter de ses jouissives fondations, soit un délire rétrofuturiste où onirisme et poudre à canon fusionnent en un maelström fou furieux. Par-delà cet arc-en-ciel, nul repos pour les guerrières, mais l’assurance d’un baroud d’honneur où les femmes seules s’élèvent au rang de démiurges. Guillaume Banniard

si j’avais le cœur à rire… Aaarghh… Ma copine vient de me quitter pour un journaliste des Inrocks… alors quand je vois dans ma boîte mail une lettre avec pour expéditeur “les Inrocks” et pour objet “Comment réussir sa rupture” je dois avouer que je ris un peu jaune ! (commentaire de TeV sur le blog Bouillon de Luxure, sur lesinrocks.com)

Foyer historique © Manuelle Gautrand architecture – photo Vincent Fillon

l’édito

coucou Les Inrocks, tu nous fais une mise à jour de ton application iPhone ?

si je me lâchais… Belle initiative de la Ville de Paris que de mettre à l’honneur les cultures électroniques, et en s’adressant officiellement aux jeunes, aux vrais. Sauf qu’en proposant une programmation musicale pointue tout en interdisant à son public de fumer, a fortiori de se droguer, ou même tout simplement de boire, vu les prix pratiqués – les mêmes que ceux des discothèques non financées à 50 % par la Ville – la Gaîté Lyrique lisse des cultures dont les déviances font intégralement partie pour qu’elles deviennent acceptables auprès d’un public consensuel, venu autant pour se montrer que pour les artistes programmés. Son bar 100 % végétal proposant des hot dogs dont la saucisse est remplacée par une carotte montre assez bien à quel public s’adresse en fait la Gaîté : des trentenaires friqués mais responsables, éventuellement abonnés aux Inrocks (…). Un truc de bobos, en somme : pseudo cool, mais surtout très conformiste. Philippe Coussin-Grudzinski, Paris

réagissez sur [email protected]

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction en Côte d’Ivoire, les affaires continuent Mais pourquoi diable le prix du chocolat n’augmente-t-il pas alors que, depuis trois mois, plus un gramme de cacao ne sort de Côte d’Ivoire, premier producteur mondial ? Réponse sur leblogfinance.com : d’habiles magouilles spéculatives de stockage-déstockage menées depuis des mois par la société Armajaro, premier cacaotier du pays, dirigée par un nommé Loïc Folloroux, fils de madame Dominique Ouattara, épouse du nouveau Président. Loïc ne perd pas le sud ! les précaires du nucléaire Grave : d’après l’express.fr, 80 % des travailleurs du nucléaire japonais sont des sous-traitants, ouvriers non qualifiés, y compris des sans domicile fixe rabattus par les yakuzas, la mafia japonaise. Pire que grave : cette pratique se répand dans les centrales françaises. Au Japon, on les appelle les “gitans du nucléaire”. En France, leurs collègues EDF les ont baptisés “la viande à rems”.

le mot

[diaboliser]

Francis le Gaucher

Ho New/Reuters

Faut-il “diaboliser” le Front national ? Grave question pour les éditorialistes de droite. Diaboliser, on s’en doute, revient à faire passer un mouvement ou un individu pour le diable en personne. Bien qu’on devrait lui préférer “ostraciser”, ici plus exact, l’expression dit ce qu’elle veut dire. C’est l’histoire du mot qui paraît plus curieuse. “Diabolisé” apparaît sous forme d’adjectif dès le XVIe siècle. Puis il s’efface. On ne le trouve ni dans le Littré, ni dans le Grand Larousse du XXe siècle, ni même dans le Petit Robert des années 1990, époque où il ressurgit. Cette renaissance coïncide avec l’ascension du FN de Jean-Marie Le Pen, auquel il s’applique presque exclusivement. On ne diabolise pas les musulmans par exemple, on les “stigmatise”, on les “montre du doigt”, on les désigne comme des “boucs émissaires”. Voilà qui tend à prouver qu’il n’existe qu’un seul diable en France, aujourd’hui de sexe féminin : Marine Le Pen.

Normandie moi oui Pour fêter l’édition régionale des Inrocks Normandie, la rédaction s’est invitée le 30 mars au Cargö, salle de musiques actuelles de Caen. Au programme, un DJ set de l’Inrocks Steady Crew et trois groupes locaux. Outre l’indie-rock irrésistible de Chocolate Donuts et des Lanskies, on applaudit des deux mains la pop multicolore de Concrete Knives. Enfants spirituels des B-52’s, menés par une chanteuse à l’énergie folle, ces Normands ont les tubes, l’allure et la classe pour s’ouvrir des portes de l’autre côté de la Manche.

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l’image Cyprien Gaillard en fait des caisses

la révolte des frites A Bruxelles, ils sont près de 2 000 sur la vaste place Flagey, dans le quartier d’Ixelles. Ils ont des drapeaux et des mégaphones à la main, des autocollants sur le torse : “Place des frites”. En tout, près de 8 000 jeunes Belges se retrouvent le 29 mars sur les principales places du pays pour protester contre la lente chute du royaume, sans réel gouvernement depuis juin 2010. Record de la plus longue crise politique jusqu’ici détenu par... l’Irak. Bachelot veut se taper le client Après avoir pensé à réouvrir les maisons closes l’an passé, l’UMP propose cette fois de pénaliser le client. “Il n’existe pas de prostitution libre, choisie ou consentie”, déclare aux députés la ministre des Solidarités Roselyne Bachelot, le 30 mars. Une proposition de loi pourrait voir le jour mi-avril, au grand dam des associations de travailleurs du sexe. Hasard du calendrier, le Théâtre Paris-Villette présente, à partir du 6 avril, Clients, mis en scène par Clotilde Ramondou d’après le Carnet de bal d’une courtisane de Grisélidis Réal. Dans ce beau texte, la prostituée genevoise devenue écrivaine (et disparue en 2005) parle d’une autre prostitution : libre, choisie ou consentie. encore une pyramide ! A croire que ce sont les seules excentricités architecturales que s’autorise Paris, frileuse dès qu’il s’agit de décoiffer les normes haussmanniennes. Ce triangle de verre signé Herzog et de Meuron promet d’en mettre plein la vue avec 188 mètres surplombant le XVe arrondissement. Lancement des travaux prévu en 2013, après un retard au démarrage imputable à la crise, pour une livraison en 2017. lobbies corrupteurs Le journal britannique The Sunday Times chope un député européen la main dans la sac en la personne du conservateur espagnol Pablo Zalba Bidegain. La technique des journalistes ? Se faire passer pour des lobbyistes et demander aux députés de déposer un amendement en échange de milliers d’euros. Le groupe PPE (droite) soutient son poulain prétextant qu’il n’a pas touché le fric. Les europhobes et les populistes se régalent.

On aurait aimé y être : pour sa première exposition personnelle à Berlin, l’artiste Cyprien Gaillard, prix Marcel-Duchamp 2010, a fait ériger dans la grande salle du KW Institute for Contemporary Art une immense pyramide, composée de packs contenant 72 000 bouteilles de bière de la marque turque Efes (Ephèse), à boire librement et sans modération. Résultat : dès le soir du vernissage qui s’est terminé vers 3 heures du matin avec 3 000 visiteurs, la “beeramide” d’Ephèse tombe doucement en ruines, dévastée. Le public aussi. Un antimonument à boire jusqu’au 22 mai.

The Recovery of Discovery, 2011; Photos : Uwe Walter, Anna.k.o., Josephine Walter

Bernal Revert/BeneluxPix/Maxppp

L’artiste réalise une pyramide à consommer sans modération.

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le moment le PAF bouge encore

Depuis l’annonce par Bertrand Meheut, le 24 mars, de la création d’une chaîne gratuite du groupe Canal, le PAF s’agite. Présentée comme généraliste haut de gamme, Canal 20 ambitionne de conquérir un espace déserté sur la TNT : magazines “culturels”, cinéma, fiction et un zeste de sport. Pris par surprise, le patron de M6 Nicolas de Tavernost n’attend que quatre jours pour riposter en sortant de son chapeau deux projets de chaînes gratuites : l’une généraliste et féminine, l’autre, M6 Famille, vieux projet retoqué par le CSA en 2005. Meheut et Tavernost espèrent lancer d’ici un an ces “chaînes bonus”, permises par une loi de 2007 qui offre aux opérateurs historiques une compensation au transfert de leurs publics vers la TNT gratuite. Surtout, ils se placent dans une stratégie de contre-offensive à la télévision connectée. Face à la révolution à venir de Netflix, Google TV ou Apple, la télé traditionnelle parie que le marché pub est extensible. Les obstacles demeurent, au premier rang la commission de Bruxelles, opposée au principe même des chaînes bonus. En attendant le résultat du rapport de force entre l’Etat français et Bruxelles, les CV affluent sur les bureaux des chaînes. La télé fait encore rêver.

Riccardo Venturi/Contrasto/REA

Les projets de Canal sur la TNT agitent la concurrence.

Bertrand Meheut, patron de Canal+

bavure en Libye L’insurgé était fou de joie, sur la route de Brega, en entendant dans la nuit passer un avion allié. Avec sa mitrailleuse il a tiré en l’air des balles traçantes. L’avion l’a pris pour un kadhafiste et a lâché la purée : treize morts. le poids des mots Patrick Buisson, aka Dark Vador – récidiviste d’extrême droite et éminence noire de Sarko –, teste des propositions limites dans Paris Match, comme “réserver le RSA et le RMI aux Français qui ont un travail”. Bizarre : dans la version web du papier, une correction apparaît le jeudi 30 à 16 h : “bénéficiaires” remplace “Français”. LCD DCD Samedi 2, à New York, LCD Soundsystem s’est sabordé en direct. Annoncée il y a un mois, la nouvelle avait fait l’effet d’une bombe sur la toile, où certains tickets s’étaient revendus à plus de 50 000 dollars. “Nous jouerons pendant près de trois heures, des choses que nous n’avons jamais jouées avant, avait indiqué James Murphy. Histoire de ne pas partir sans bruit.” Ce fut grand, très grand, dans un Madison Square en transe. Un concert ultime à l’image du groupe : déroutant, épuisant, génial sur toute la ligne. Récit à venir, dans le prochain numéro : où l’on croisera Arcade Fire, relégués au rôle de chœurs, où l’on assistera à une invasion de robots. Et à une réinterprétation inédite d’un célèbre morceau de 45 minutes. Pour une dernière et ultime fois, LCD Soundsystem a réinventé l’histoire du rock alternatif. On ne s’en est toujours pas remis. earthquake Le 1er avril, un mini-tremblement de terre de magnitude 2,2 réveille en sursaut la ville anglaise de Blackpool : pont fissuré, fenêtres qui grincent et frayeur des habitants qui croient à un cambriolage. retour en Tunisie De la révolution tunisienne, le journaliste Pierre Puchot connaît beaucoup de choses. Grand reporter au Maghreb et au Moyen-Orient pour Mediapart, ses articles éclairent magistralement la compréhension des enjeux politiques et sociaux de la révolution du jasmin. Son nouveau livre, qui sort le 7 avril, Tunisie, une révolution arabe (Galaade Editions), met les idées au clair. L. M., B. Z., avec la rédaction

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Ouattara, je te vois Journaliste et écrivain ivoirien, Venance Konan retrace la marche vers le pouvoir d’Alassane Dramane Ouattara. Marqué par des retournements d’alliances, un condensé de l’histoire de la Côte d’Ivoire et des ravages de la colonisation.



lassane Dramane Ouattara, fils de Dramane Ouattara, descendant de l’empereur Sékou Ouattara, pardonne-moi de m’introduire en ce lieu où tu es venu chercher la solitude nécessaire à ta réflexion. Tu viens de traverser des heures terribles et celles qui viendront le seront encore plus. Ton heure a sonné. Tu vas exercer ce pouvoir que tu as recherché pendant tant d’années. Tu l’as eu, mais à quel prix ! Un pouvoir obtenu dans des conditions aussi dramatiques exigera de toi plus que des autres. Ce n’est donc pas pour toi le moment de regarder en arrière. Je me chargerai donc de conter ton passé, pendant que tu seras en train de concevoir ton futur. Rassure-toi, Alassane

Dramane Ouattara. Je serai silencieux et invisible. Long fut le chemin qui t’a conduit au trône en ces heures tragiques, Alassane. Quand donc l’as-tu désiré, le pouvoir ? Etait-ce en écoutant les griots chanter l’épopée de ton ancêtre Sékou Ouattara, empereur de Kong au XVIIIe siècle ? Etait-ce en observant ton père Dramane exercer comme chef traditionnel à Sindou, vers la fin de la première moitié du siècle dernier ? C’est en 1942 que tu nais à Dimbokro, dans le centre de la Côte d’Ivoire, le premier jour du mois que les Blancs ont baptisé janvier. Ton père était commerçant. L’empire fondé par ton ancêtre s’étendait sur le nord de la Côte d’Ivoire et le sud du Burkina Faso d’aujourd’hui. Il avait été

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Sous protection de l’ONU, le 8 décembre 2010

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en 1990, Houphouët-Boigny te nomma Premier ministre et numéro deux de son parti

démantelé par le colonisateur, mais il n’avait jamais disparu dans l’esprit des Ouattara. Au moment de ta naissance, la Côte d’Ivoire et la Haute-Volta, le futur Burkina Faso, formaient la même colonie. C’est donc sans arrière-pensée que ton père, après avoir pris sa retraite, quitta Dimbokro avec toi, alors âgé de 5 ans, pour aller exercer sa fonction de chef à Sindou, au Nord, parce que le siège lui échut. Il t’emmena avec lui, laissant certains de tes frères au Sud. Mais dès son départ, le colonisateur sépara les deux territoires. Il y eut donc d’un côté la Côte d’Ivoire où se trouvaient Kong, le berceau de ta famille et Dimbokro où tu naquis, et de l’autre, la Haute-Volta, où se trouvait, Sindou le village dont ton père était le chef.

Tu passas ton enfance entre les deux pays, faisant ta scolarité en Haute-Volta, et passant tes vacances en Côte d’Ivoire, auprès des autres membres de ta famille. Après ton baccalauréat, tu obtins une bourse des EtatsUnis pour aller y faire tes études. C’est là-bas que tu rencontras Henri Konan Bédié, le tout jeune ambassadeur de la Côte d’Ivoire, originaire de la région de ta naissance et ami de ton frère Gaoussou. Il te prit sous son aile. A la fin de tes études, tu commenças ta carrière à la Banque mondiale dont tu gravis rapidement les échelons. Puis Houphouët-Boigny, le premier président de la Côte d’Ivoire, fit de toi le gouverneur de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest basée à Dakar, dont son riche pays était le poids lourd. Tes interlocuteurs étaient les chefs d’Etat. Est-ce à ce moment que tu eus envie d’en être un ? Ta vie va basculer en 1990, lorsque des jeunes élèves et étudiants, rendus irrespectueux et hargneux par la vie précaire qu’ils menaient et l’absence de perspective, prirent les rues pour conspuer le vieux président, presque nonagénaire et à bout de souffle après trente ans de pouvoir sans partage. Il fit appel à toi pour éteindre les braises. Tu appliquas les recettes chères aux institutions internationales que tu connaissais bien, à savoir réduction drastique des dépenses sociales et du nombre de fonctionnaires, privatisations, etc. Il y eut une légère embellie sur le plan macroéconomique et les choses se calmèrent un peu. Houphouët-Boigny te nomma alors Premier ministre et numéro deux de son parti. A la fin de l’année 1992, tu expliquas au cours d’une émission télévisée que tu pourrais bien être candidat à l’élection présidentielle de 1995. N’est-ce pas qu’à ce moment tu avais déjà pris goût au pouvoir ? Puis en 1993, Houphouët-Boigny tomba gravement malade. Cancer de la prostate qui ne tarda pas à se généraliser. Il modifia la Constitution pour te confier tout le pouvoir et s’en alla se soigner en Europe. Tu avais, sans l’avoir voulu, les rênes du pays entre les mains. Tu ne me feras pas croire qu’à partir de là tu n’eus pas envie de conserver ce pouvoir une bonne fois pour toutes. Mais seulement tu avais oublié une chose, Alassane Ouattara. Il y en avait beaucoup d’autres avant toi qui convoitaient aussi ce même pouvoir et attendaient la mort du vieillard. Il y avait Henri Konan Bédié, celui qui fut ton tuteur aux Etats-Unis. Il était président de l’Assemblée nationale depuis treize ans et, selon la Constitution, c’était lui qui devait succéder au président de la République en cas de décès. Il y avait Philippe Yacé, l’un des premiers compagnons d’Houphouët-Boigny. Il fut président de l’Assemblée nationale pendant vingt ans avant d’être évincé au profit de Bédié. Lui aussi attendait le moment de prendre sa revanche. Et puis il y avait Laurent Gbagbo, le turbulent opposant de toujours, que tu mis en prison en 1992, à la suite d’une marche qu’il avait organisée et qui avait dégénéré en bagarres. Croyais-tu que tout ce monde allait se laisser coiffer au poteau par toi, le dernier venu sur la scène politique ivoirienne ? C’est à ce moment que l’on commença à dire que tu n’étais pas ivoirien, mais burkinabé, et qu’à ce titre tu n’avais pas à briguer la présidence ivoirienne. Le 7 décembre 1993, Houphouët-Boigny passa l’arme à gauche. Vous enjambâtes son corps encore tout chaud et vous précipitâtes sur le fauteuil présidentiel. Bédié fut 6.04.2011 les inrockuptibles 17

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AFP

Réunion de l’Organisation de l’unité africaine en 1963. A gauche, le père de Ouattara

Issouf Sanogo/AFP

ta lune de miel avec Robert Guéï, le chef de la junte, fut courte : il voulait garder le pouvoir

Laurent Gbagbo (au centre) et Alassane Ouattara lors d’un meeting de Guéï en 2001

Yann Latronche/Gamma

Ouattara et sa femme de retour en Côte d’Ivoire, en 1999

le premier à s’y asseoir. Il avait la Constitution et l’armée avec lui. De dépit, tu quittas la Côte d’Ivoire pour aller exercer en tant que directeur général adjoint du FMI. Mais tu fis savoir que tu reviendrais. Le venin de la politique s’était insinué en toi. Tu soutins en sous-main un parti politique qui se créa pour toi, et tout le peuple du nord de la Côte d’Ivoire se rangea derrière toi. Bédié inventa alors le concept d’“ivoirité”, et les populations du Nord ainsi que les descendants d’émigrés commencèrent à être persécutés, parce que l’on s’était mis à douter de leur citoyenneté. Un fossé se creusa entre les populations du pays. En 1998, tu quittas le FMI et rentras au pays pour prendre la tête de ton parti, en faisant savoir que tu te présenterais à l’élection de 2000. Bédié te dénia la nationalité ivoirienne et te poursuivit même pour faux et usage de faux. Il lança un mandat d’arrêt contre toi et tu dus quitter le pays. Ton allié de cette époque était Laurent Gbagbo. En 1999, Bédié fut balayé par un coup d’Etat militaire. Tu rentras alors au pays. Mais la lune de miel entre toi et Robert Guéï, le chef de la junte militaire, fut courte. Il avait décidé de conserver le pouvoir et tu étais un adversaire trop coriace pour lui. Il fit adopter une Constitution qui t’écarta de la course à la présidence, sous le prétexte que ta nationalité ivoirienne était douteuse. Mais lui-même fut battu à l’élection d’octobre 2000 par Laurent Gbagbo. Ton ancien allié devint alors ton pire ennemi. Tes partisans avaient contesté son élection et il n’aima pas cela. Il se mit à pourchasser de sa haine les populations qui te soutenaient ou qui te ressemblaient. Tant et si bien qu’une rébellion se leva au Nord. Ce fut le 19 septembre 2002. Gbagbo et les siens vous accusèrent, Robert Guéï et toi, d’en être les instigateurs. Guéï fut tué, et toi, tu n’échappas à la mort qu’en te réfugiant chez ton voisin l’ambassadeur d’Allemagne, avant d’aller à l’étranger. La rébellion occupa la moitié nord du pays. Il y eut plusieurs négociations, plusieurs accords de paix et tu rentras au pays. Un de ces accords disposa que tu pourrais enfin te présenter à l’élection présidentielle. Laurent Gbagbo, qui lui aussi avait pris goût au pouvoir, fit traîner les choses. L’élection qui devait avoir lieu en 2005 ne se déroula finalement que cinq ans plus tard. Cela te laissa le temps de mieux te faire connaître de tes concitoyens, de leur proposer un programme convaincant, et tu fus élu. Il faut dire qu’entre-temps tu t’étais réconcilié avec Bédié, et ce dernier, battu au premier tour, avait appelé ses partisans à voter pour toi. Oui, Alassane Dramane Ouattara, tu fus élu par ton peuple devant le monde entier. Mais ce n’était pas la fin de tes épreuves. Laurent Gbagbo, sans doute envoûté par la cohorte de pasteurs évangéliques qui lui répétaient qu’il était l’Elu de Dieu, à moins que ce ne soit par Simone, son illuminée d’épouse, refusa de quitter le palais. Les négociations et médiations tentées par les instances internationales, les sanctions et pressions, rien n’eut raison de son obstination. Au contraire, il se mit à massacrer ceux qui t’avaient donné leurs voix. Tout le monde t’a approuvé lorsque, allié à Guillaume Soro, celui qui avait lancé la rébellion en 2002, tu décidas d’utiliser la force pour faire dégager Gbagbo. Je m’arrête là, Alassane Dramane Ouattara. Ton heure a sonné. Mais tu n’es pas encore au bout de tes épreuves. Je te laisse méditer sur ce qui t’attend. Si tu triomphes, tu auras un pays en ruine et plus cassé que jamais à reconstruire, et un peuple miné par la haine à réconcilier. Tu auras besoin de toute ton intelligence, de toute ta force pour laisser ta trace dans l’histoire comme ton illustre ancêtre Sékou Ouattara. Venance Konan Dernier livre paru Chroniques afro-sarcastiques, 50 ans d’indépendance, tu parles ! (Editions Favre)

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Emilie de la Hosseraye

La Conquête

“Hey, c’était un poisson d’avril quand t’as dit que t’aimais bien l’album de Julien Doré ?”

retour de hype

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

“Je me sens aussi con et inutile qu’un candidat de Carré Viiip”

NKOTB + BSB = NKOTBSB

Sophia Aram

“J’vais créer un groupe et l’appeler Le Prince Waf Waf”

Les Chinois en chino

“Morve pour la France” Le WikiLeaks du porno

Grégoire Alexandre

Tha Carter 4

“Mon livre préféré, c’est Zadig et Voltaire. J’aime aussi Ainsi parlait Zara.” Metronomy

La Conquête Le film avec Denis Podalydès censé plonger dans les coulisses de l’accession au pouvoir de Nicolas Sarkozy sortira en salle le 5 mai. Le WikiLeaks du porno Un site publierait les vrais noms, dates de naissance, surnoms officiels voire adresses de plus de 15 000 acteurs et actrices porno.

Glee Robert Ménard

Glee La série-événement diffusée sur M6 en VF n’a pas convaincu le public. On le comprend. Robert Ménard Après son apologie de la peine de mort et des propos homophobes, il publie Vive Le Pen ! NKOTB + BSB = NKOTBSB Les New Kids On The Block sortent un titre avec les Backstreet Boys. En 2011. Oui. D. L.

billet dur

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Le régime Dukan de François Hollande

her J. H. Je n’ai pas écouté ton album de M. J’avais piscine à Fukushima. On me dit toutefois, y compris parmi tes habituels cireurs de santiags, que cette rencontre entre H. & M. serait taillée avec autant de doigté et d’épure qu’un perfecto Christian Audigier ou qu’un costard Hugo bosse de Raffarin. Quant au retour à tes racines, est-ce d’avoir de si près taquiné celles des pissenlits qui t’en a donné l’idée ? Dans ce cas, pourquoi n’as-tu osé un album de twist, parce que toute la musique que tu nous infliges depuis un siècle elle vient bien de là, Jojo, arrête de nous blouser avec le blues. Sinon c’est pas trop mal vu le coup des initiales J. H. sur la pochette, subliminale référence

à Jimi Hendrix – ou peut-être au Jambon Herta. TON ami Jimi, JH ! LOL ! L’autre samedi, j’ai tenu un quart d’heure, bassine en main, devant le show promo que t’a offert Bouygues Télécon, le temps de te voir beugler en compagnie de Zaz et de Laurent Gerra, manière sans doute pour toi d’exorciser par le mal les visions de l’enfer auxquelles tu as échappé de justesse. J’ai appris le lendemain que tu t’étais fait ratatiner par le P. S. sur la deux, en bon vieux rockeur UMP de nos cantons désertés. Franchement, pour te faire mettre minable au bar par Patrick Sébastien, un type qui présente une émission avec des chanteurs moitié morts et Karen Cheryl, valait peut-être mieux ne pas revenir. Après l’idole des jeunes, on a eu l’idole déguste – colon, sciatique, opérations, Delajoux, coma artificiel, Nikos Aliagas – et maintenant l’idole démâte à l’Audimat ! T’as pas un peu la N., J.H. ? Je t’embrasse pas, j’ai la jaunisse. Christophe Conte

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Woodkid Clippeur pour Katy Perry ou Moby, ce Français sort un premier maxi d’une classe fulgurante.

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e secret était bien gardé. Woodkid, de son vrai nom Yoann Lemoine, repéré jusqu’ici pour son travail de clippeur auprès de Moby, Mistery Jets ou Katy Perry (on lui doit la vidéo du tube Teenage Dream), a déboulé la semaine passée sur internet avec un premier maxi aussi solide qu’étourdissant, chanté en anglais et fort logiquement intitulé Iron. Très vite, son morceau titre (Iron toujours) a mis le net sens dessus dessous. Une voix caverneuse qui évoque le Leonard Cohen des veilles de combat, des tonnerres de tambours qui chassent sur les terres de Kanye West, une mélodie aussi atmosphérique qu’hypnotisante, et un clip signé par le taulier lui-même – dans lequel le mannequin anglais Agyness Deyn est aux prises avec un faucon. Il n’en fallait pas plus pour placer sur la carte ce jeune homme de 28 ans, dont le talent de songwriting explose dès ce tout premier essai, où l’on trouve encore des ballades poignantes, jouées à la guitare (Brooklyn) comme au piano (Baltimore’s Fireflies). On découvre enfin, joliment posté en fin d’ep, un remix élégant et furibard d’Iron, signé Gucci Vump, l’avantageux duo formé par Brodinski et Guillaume Brière des Shoes. Une chose est sûre : on n’a pas fini d’entendre parler de Woodkid. Pierre Siankowski photo René Habermacher Iron (Green United Music) www.woodkid.com 6.04.2011 les inrockuptibles 21

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Anne-Christine Poujoulat/AFP

Jean-Noël Guérini, le 31 mars

à Marseille, le clientélisme reste roi Malgré les soupçons qui pèsent sur sa gestion, Jean-Noël Guérini a été réélu à la présidence du conseil général. Pour préserver leurs intérêts, rares furent les socialistes à s’y opposer.



e putsch a échoué. Malgré la tempête judiciaire qui s’annonce autour du conseil général. Malgré le rapport Montebourg, qui dénonce le fonctionnement de cette fédération socialiste. Malgré un clientélisme à tous crins (attributions de logements, d’emplois, de subventions…) dénoncé par la presse. Bien qu’Alexandre Guérini, frère de…, soit mis en examen dans une affaire de marchés présumés frauduleux. Jean-Noël Guérini, tout-puissant patron socialiste du département, a été triomphalement réélu président : 40 voix pour, 17 contre. Aucune abstention. Silence dans les rangs, furie dans les bancs. Le 31 mars dans l’hémicycle, la foule nombreuse des partisans de Guérini a fait la claque. Et le frais réélu a même brandi un trophée : Charles-Emile Loo, 90 ans. Le dernier baron du defferrisme a lancé une violente diatribe contre la “gesticulation” et la “nullité” des adversaires de son poulain. Au soir du deuxième tour, une réunion s’est pourtant tenue entre cinq ténors locaux pour trouver une alternative. Avec le soutien de Montebourg, devenu une sorte d’antéchrist pour les soutiens de Guérini, ils ont compté et recompté les conseillers généraux socialistes susceptibles de lâcher “Nono”. “Au maximum, on en a compté huit

à douze, peste l’un d’eux, on a vite compris que ce ne serait pas jouable.” D’autant qu’entre les cinq séditieux, peu d’atomes crochus, sinon de petites ambitions personnelles : qui pour sa circonscription de député que Guérini rechigne à lui donner, qui pour sa mairie vacillante. Une alliance de (mauvaise) circonstance, et aucune volonté de s’élever à visage découvert. Alors ce fut un silence cruel. Seulement perturbé par deux conseillers généraux, Michel Pezet et Marie-Arlette Carlotti. Le premier, dirigeant de la fédération dans les années 80 et avocat, a osé poser la question du maintien de Guérini à son poste. La seconde s’est permis d’écrire qu’elle ne donnerait pas de blanc-seing au président Guérini. Positions réitérées lors de la réunion du groupe socialiste au conseil général, qui devait discuter de l’opportunité de reconduire Guérini. “Ils se sont retrouvés à trois, pendant que les vingt-sept autres faisaient allégeance. L’un remerciant Guérini de lui avoir rendu sa voiture de fonction, l’autre d’être venu à l’enterrement de sa femme”, témoigne

“Guérini nous a dit qu’il avait reçu un coup de fil d’Aubry et qu’elle le soutenait”

un des participants, anonyme et pas plus téméraire qu’un autre. Pour les opposants, le coup de grâce est venu de Paris. “Guérini nous a dit qu’il avait reçu un coup de fil d’Aubry, et qu’elle le soutenait, même s’il était mis en examen. Le seuil de tolérance est fixé à un renvoi devant un tribunal. Cela a calmé tout le monde, des conseillers généraux jusqu’à la fédération.” Souvent véhément contre la mainmise de Guérini sur le socialisme marseillais, au point de baptiser l’hôtel du département “Pyongyang”, l’ancien codirecteur de campagne de Ségolène Royal, Patrick Mennucci, s’est montré fort discret. Patrick “le courageux”, comme raillent les guérinistes, s’est borné à lancer un appel pour… Dominique Strauss-Kahn, le matin même de l’élection de Guérini. Tout juste réélus, les conseillers généraux attendent leur récompense. Le 14 avril sera discuté le budget du deuxième département le plus riche de France. L’enveloppe de l’aide aux communes, qu’aucun critère ne pilote, s’élève à 160 millions d’euros par an… “Je ne soupçonnais pas un tel degré de lâcheté, s’étonne un membre du premier cercle de Guérini. Désormais, c’est le juge qui va décider de l’avenir.” A Marseille, la politique n’a pas trouvé d’issue. Le quatrième tour des cantonales sera judiciaire. Xavier Monnier

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Alex Wong/Getty images/AFP

A Washington le 29 mars, devant la Cour suprême

grande distribution de sexisme Une gigantesque class action pour discrimination sexuelle est engagée contre les supermarchés Walmart. Mais la procédure pourrait être invalidée.

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’est le procès de la démesure qui s’est joué le 29 mars 2011 devant la Cour suprême américaine. Walmart pourrait affronter en justice 1,6 million de femmes, ex ou actuelles employées, qui l’accusent de discriminations basées sur le genre. La Cour suprême était invitée à se prononcer sur la validité de cette plainte. L’affaire débute en 2001 : six femmes attaquent le géant de la grande distribution et premier employeur privé aux Etats-Unis (1,4 million de salariés). Caissières, secrétaires ou comptables, elles reprochent à l’entreprise de les payer moins bien que leurs collègues masculins, et de leur accorder moins de promotions. Avec l’avocat Brad Seligman, spécialiste des droits civiques, elles lancent une class action (recours collectif en justice pour un même préjudice). La procédure est validée en 2004 par un juge fédéral californien, puis confirmée par une cour d’appel. Elle permet à ces six femmes de représenter l’ensemble des employées depuis 1998 et d’engager ainsi la plus vaste action collective de l’histoire. Walmart, qui redoute d’avoir à verser plusieurs milliards de dollars de dommages et intérêts, tente un dernier recours. L’entreprise demande à la Cour suprême, plus haute juridiction des Etats-Unis, d’examiner l’affaire. Pour se prononcer non sur le fond, mais sur le bien-fondé de la plainte : 1,6 million de femmes se plaindraient d’un même préjudice ? Pour l’entreprise, il s’agit de cas isolés, de discriminations qui seraient le fait de certains directeurs locaux.

Les plaignantes soutiennent qu’il s’agit d’une politique sexiste systématique. Elles alignent les statistiques : selon une étude (contestée par Walmart), les femmes représentent 80 % des effectifs, mais occupent seulement 33 % des postes à responsabilité. A responsabilités égales, elles gagnent, entre 5 et 15 % de moins que leurs collègues masculins. Lors des débats du 29 mars, la majorité conservatrice de la Cour suprême a semblé sensible aux arguments de Walmart, rapporte la presse US. “Je ne vois pas très bien où est la politique d’entreprise illicite”, s’est interrogé un juge. Mais pour la première fois, un tiers des neuf sages étaient des femmes. Elles ont prêté une oreille plus attentive aux plaignantes, soulignant que “chaque semaine paraît un article sur de nouvelles affaires de discrimination” chez Walmart. La décision est attendue en juin. Si la plainte est validée, elle pourrait faire jurisprudence et entraîner une avalanche de plaintes similaires. Car la class action n’a jamais été autorisée à une telle échelle, et jamais pour des discriminations sexistes. Aux Etats-Unis, selon les dernières statistiques, les femmes gagnent environ 200 dollars de moins que les hommes par semaine. Les grandes firmes américaines attendent donc avec appréhension la décision de la Cour suprême. Une vingtaine d’entre elles, dont General Electric et Microsoft, ont versé au dossier des lettres de soutien à Walmart. Si la procédure est annulée, Walmart, et son chiffre d’affaires de 422 milliards de dollars, devra tout de même faire face aux plaintes individuelles. Anouchka Colette 6.04.2011 les inrockuptibles 23

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Florian Braun, courtesy carlier | gebauer

Communitas d’Aernout Mik, au Jeu de Paume. Le musée a pour mécène la compagnie d’assurance Neuflize Vie

brèves le PS regarde la télé Les socialistes sortent leur programme médias pour 2012. Le projet comprend un dispositif anticoncentration : un même groupe ne pourrait pas détenir plus de quatre chaînes hertziennes gratuites. D’autre part, la nomination des pdg de l’audiovisuel public par le président de la République serait abrogée et confiée aux conseils d’administration. La suppression de la pub après 20 heures ne sera pas remise en cause et la redevance audiovisuelle, élargie aux résidences secondaires, deviendrait le mode de financement privilégié des médias publics. de l’argent dans les cheveux Qui est le silver surfer ? Doté de cheveux poivre et sel, il promène sa souris sur le web et y lâche des sous. Et pas qu’un peu : ses dépenses représentent 48 % des dépenses annuelles des Français sur la toile. Ses champs préférés : les voyages (79 %), les produits culturels (68 %) et le high-tech (52 %). atawad the fuck ? L’atawad (anytime, anywhere, any device, ou n’importe quand, n’importe où, sur n’importe quel écran) a entre 15 et 24 ans et regarde la télé sur un ordi ou un smartphone. Selon une étude Médiamétrie, près d’un jeune sur quatre consomme ainsi des programmes de télévision. Ce qui ne change rien : quel que soit l’écran, Carré Viiip, c’était pourri.

les mécènes se ménagent Arts plastiques et spectacle vivant sont confrontés à une baisse drastique des fonds venus du privé. Effet de la crise, mais aussi stratégie d’entreprises qui privilégient les investissements favorables à leur image. ’annonce a fait l’effet d’une bombe : le mécénat culturel enregistrerait une baisse de 61 %. Selon une étude de l’Association pour le développement du mécénat industriel et commercial (Admical), il serait passé de 975 millions en 2008 à 380 millions en 2010. Pour Olivier Tcherniak, président de l’Admical, “si la crise est en partie responsable, entraînant avec elle un désengagement du pouvoir politique et, par effet de ricochet, des entreprises, il faut prendre en compte d’autres facteurs”. Comme la recherche d’une plus grande visibilité, avec retour sur investissement sans délai, et “l’événementialisation” de la culture : “Le mécénat va de plus en plus vers de grands rendez-vous et de grandes institutions, au détriment des petites structures”, précise-t-il. Autre facteur, la progression du “mécénat croisé”, qui allie dimensions culturelle et sociale en mettant par exemple l’accent sur l’accessibilité à la culture des personnes handicapées ou des enfants défavorisés. “Cette tendance a pour conséquence un déplacement de fond entre diffusion et création, note encore Tcherniak. Pour le dire autrement : on travaille davantage sur la vitrine que sur le fonds de commerce.” “Dans la foulée, commente la responsable du mécénat pour une grande institution culturelle qui préfère garder l’anonymat, il faut noter l’émergence de nombreuses ONG et d’associations à vocation sociale ou

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les grands patrons se replient sur leurs propres fondations

écologique vers lesquelles les entreprises se tournent de plus en plus, ainsi que les conséquences de la loi sur l’autonomie des universités et des grandes écoles, qui les contraint à chercher des fonds privés. Or la plupart des grands patrons sortent de ces formations, et sont donc enclins à soutenir ces écoles qu’ils connaissent.” Dans le champ des arts plastiques, moins touché que le spectacle vivant, il faut aussi noter le repli des très grands patrons sur leur propre fondation. François Pinault d’abord, mais aussi Bernard Arnault (dont la Fondation Louis Vuitton devrait voir le jour fin 2012) ou le groupe Galeries Lafayette, qui inaugurera bientôt un nouvel espace dans le Marais, à Paris. Quelles solutions envisager ? Comme le suggère cette responsable déjà citée, il faudrait “mettre l’accent sur la formation des ‘primomécènes’, qui ne savent même pas ce que signifie faire du mécénat”. La loi de 2003 sur le mécénat, qui prévoit pour les entreprises un abattement de 60 % sur l’impôt, pourrait être revue. “Le problème majeur de cette loi réside dans le plafond qui a été déterminé en 2003, et qui prévoit que cette réduction s’applique dans la limite de 0,5 % du chiffre d’affaires, commente Olivier Tcherniak. Aujourd’hui, on assiste à une multiplication des PME : pour ces entreprises de taille modeste, 0,5 % peut équivaloir à 2 000 euros, ce qui est ridicule. Nous prônons une réévaluation de ce plafond.” En attendant, il travaille à une charte sur le mécénat, “dont aucune définition, hormis celle, fiscale, fournie par la loi, n’a encore été formulée”. Elle sera présentée les 9 et 10 mai aux assises de l’Admical, à Marseille. Claire Moulène

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Paris a mauvaise Allen

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Dans la bande-annonce de Midnight in Paris, Woody Allen nous montre une capitale de carte postale. Un décor de téléfilm où l’on aperçoit madame S.

Paris fantasmé

“This is unbelievable, there’s no city like this in the world” entend-on au début de la bande-annonce de Midnight in Paris. En effet, à la fin de celle-ci, des envies de voyage surgissent : ça a l’air sympa, là, cette ville où tout est chic, propre, un peu vintage et baigné d’une lumière ocre. En revanche, ça ressemble moyen à la capitale de la France en 2011. Sorte de Paris d’Amélie Poulain version beaux quartiers, les décors de la bande-annonce du Woody Allen font penser à ces boules à neige enfermant les monuments parisiens vendues trois francs six sous dans les boutiques de souvenirs kitsch. Un Paris fantasmé, à l’image de celui vu dans les grosses productions US et plus particulièrement les séries telles Gossip Girl, Sex & the City ou les épisodes cultes de Beverly Hills, dans lesquels Donna et Brenda (dans des décors de plateau et avec des figurants ricains prenant un faux accent français) se sentent obligées de manger de la cervelle sur un air d’accordéon. Circonstances aggravantes : certaines scènes, décors et costumes font très années folles. Deux hypothèses : soit il est question d’une soirée déguisée en Coco Chanel, et dans ce cas ça passe, soit Woody Allen a décidé de rendre hommage aux téléfilms historiques et aux séries sentimentales de milieu d’après-midi (L’Amour en héritage en tête), que l’on regarde en faisant la sieste et qui prennent place dans un Paris so romantic en carton-pâte. La preuve ? Cet extrait où, entre autres éléments de décor hors du temps, les réverbères ressemblent à des becs de gaz. Sérieux ?

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Paris cliché Pas de cervelle mais beaucoup d’accordéon dans la bandeannonce de Woody Allen, qui a semble-t-il décidé de tout donner niveau clichés. A part l’instrument phare d’Yvette Horner donc, on note dans l’ordre, en 2 min et 1 s : Giverny et ses nénuphars, un sac Dior, le musée Rodin, Carla Bruni-Sarkozy, du vin rouge bu sur une terrasse donnant sur la tour Eiffel, les ChampsElysées by night, le métro aérien, les pavés, un carrousel et un vieux moustachu qui pousse un diable avec un gros truc dessus. Un décor de cartes postales achetées 2 euros les trois, à l’image de l’affiche qui montre Owen Wilson marchant sur les quais, les ciels de Paris remplacés pour l’occasion par un bout de La Nuit étoilée de Van Gogh. Pas hyper subtil ni très intéressant, même pour un film censé traiter des projections fantasmagoriques d’un Américain à Paris. En plus, Woody a oublié le béret et la baguette. Nul.

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Paris pour CSP +++ Ce n’est donc pas à l’hôtel Ibis de Barbès ou au Quick de Bastille que se déroule l’action, mais dans un Paris truffé de VIP où le guide du musée Rodin n’est autre que la femme du président de la République. Autres special guests au casting : Marion Cotillard, tout droit sortie d’un film de Rob Marshall (entre Nine et Chicago, à grand renfort de robe Chanel qui brille et de coiffure à crans), Gad Elmaleh et Léa Seydoux. Le gratin quoi. Ajoutez le Grand Véfour ou l’hôtel Meurice, vous obtiendrez

une vision un tout petit peu nauséabonde de la vie parisienne, où tout le monde est beau, riche et lisse (petits problèmes existentiels de grand bourgeois compris). Woody Allen ne s’en cache pas, il tourne en Europe (Londres, Barcelone…) notamment pour les subventions. En 2008, au moment de la sortie de Vicky Cristina Barcelona, on pouvait lire dans le New York Times : “C’est un soulagement qu’il ait quitté la sécurité et le provincialisme de son New York”. Ouais, bof. Diane Lisarelli

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les belles heures du porno

Quarante ans d’histoire du porno américain dans un livre-somme aux détails hallucinants. Des pionniers aux ouvriers, des stars aux mafieux, tous sont au casting de cette énorme fièvre collective. par Philippe Azoury

lease Fuck Me. C’est comme ça que Legs McNeil et Jennifer Osborne, les deux auteurs de The Other Hollywood, auraient dû appeler leur histoire orale du porno américain, des années 60 aux années 90. On voit bien à quelle autre appellation incontrôlée cet “Autre Hollywood” fait de l’œil : un renvoi plus qu’évident à ce Nouvel Hollywood qui fit ruer la contre-culture dans les brancards des majors, à coups de saladiers de coke et d’opus de génie signés Scorsese ou Coppola. Mais l’intituler Please Fuck Me aurait permis de montrer d’emblée que ce livre n’est jamais que le second volet d’un diptyque sur l’envers de l’entertainment américain. Une histoire de ces marginaux

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qui ont fait bouger les lignes jusqu’au mainstream. Une histoire dont le premier volume ne concernait pas le cinéma mais le punk – ça s’appelait Please Kill Me et c’était déjà pour moitié signé Legs McNeil (également sorti par Allia ici). The Other Hollywood en reprend à la fois la formule, la méthode et la courbe : des kilomètres d’entretiens croisés et montés avec génie dans lesquels des acteurs d’une scène racontent par leurs frasques la montée en puissance d’un genre, son éjaculation à la gueule du monde puis sa lente débandade. De l’ascension à la déconfiture, l’histoire de l’Amérique d’avant le Viagra. Aux guitaristes maigrichons se sont substitués des hardeurs bodybuildés sachant, à leur façon, jouer du manche. Les groupies qui faisaient tout le jus

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Arthur Schatz/Time & Life Pictures/Getty Images

Les prémices d’une industrie à venir : tournage de The Sexuous Woman de Matt Cimber, en Californie, août 1970

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Farabolafoto/Rue des Archives

Linda Lovelace en 1974. Signe particulier dans Deep Throat : un clito au fond de la gorge

Traci Lords : elle avait 16 ans quand elle a commencé à faire du X

de Please Kill Me sont maintenant sous les sunlights, chevilles ouvrières, cœur et poumon d’une industrie du X qui démarra comme une sorte de communauté hippie semi-clandestine et qui aujourd’hui représente un mastodonte pesant des milliards de dollars. Mais le fond rock du truc reste toujours là, par essence. Hardeuse… L’expression même dérive d’un semblable sentiment de dureté et d’affrontement face au monde, ce défi aux conventions qu’exprimait le punk ou le heavy-metal des MC5 ou des Stooges. Mais si dans Please Kill Me chaque musicien faisait toute une affaire du moindre concert merdique ou de la moindre groupie tirée, dans The Other Hollywood, il se passe l’effet l’inverse : une fille peut bien y raconter qu’elle vient de se taper une nana et ses deux frères, elle conclura toujours par un “bah, c’était cool, pas de quoi en faire un plat, juste un peu de sexe…” Il n’y a qu’une chose qui n’a pas changé du tout, mais alors pas du tout, d’un livre à l’autre : ce sont les quantités

astronomiques de dope consommées. De la première à la dernière page, ce livre est rassasié de coke, d’héro, de quaaludes et de nitrite d’amyle (mortel pour baiser, nous dit-on). On lit ça, si communicatif, et on comprend mieux le rôle salvateur de ces trois générations de cinglés : ces soldats du feu auront baisé pour nous, se seront défoncés pour nous, auront mouillé le maillot pour nous – pour que notre vie change un peu. En retour, la respectabilité leur aura craché dessus. Mais au final, à les entendre, ils s’en fichent pas mal. Comme le dit le magna de la distribution Reuben Sturman : “J’ai eu une vie merveilleuse. Si je dois mourir demain, je partirai le sourire aux lèvres.” Si les rédemptions tardives (et pour beaucoup manipulées) de Linda “Deep Throat” Lovelace, la première porn-star, pèsent encore très lourd dans le regard moral qui stigmatise et victimise les acteurs du X, la plupart des intervenants de The Other Hollywood expriment ici un point de vue autrement plus pragmatique. Ils ne disent pas que c’est l’éclate tous

les jours, ils disent juste qu’ils ont fait un choix de vie qui correspondait à un désir précis. Introduire un doigt dans le porno business. Pour l’expérience, pour l’argent, pour la came, par curiosité, par appétit d’être célèbre ou par désir maladroit d’être aimé, admiré. Eux et leurs amis/ amants y ont laissé parfois des plumes (OD, suicide, exclusion sociale, sida), mais tous assument. C’est leur vie. Résumer ce livre au seul développement gigantesque de l’industrie du porno ou le ramener à une série de grands films classiques serait un contresens. C’est dans l’anecdote qu’il est passionnant, l’élevant au rang d’art, et c’est à travers ces histoires abracadabrantes que l’on prend le pouls de la fièvre collective d’une époque. Les premiers chapitres remontent à la période clandestine des “loops”, ces petits films de huit minutes en 8 mm ou en 16 mm vendus sous le manteau. Un temps qui a pris fin en janvier 1972, lorsque la performance orale exceptionnelle de Linda Lovelace dans Gorge profonde (Deep Throat), portée aux nues par la critique et attirant tout

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John Holmes et ses 37 cm, à voir en 3D dans le Big Penis Book

le milieu hollywoodien cool, amènera le film à casser la baraque partout. Dès lors, la mafia va organiser la distribution en salle de la pornographie. Le porno est peut-être un bordel, mais un bordel structuré. Par des hommes d’affaires appartenant à deux clans : les Gambino et les Bonanno – avec leurs lois, leurs méthodes… Ils ne sont pas là particulièrement pour le cul mais pour le fric à engranger. “A la limite, tout ce que demandait Mickey Zaffrano, un ancien garde du corps passé chef de la mafia, propriétaire de plusieurs cinémas, c’était une fille pour le sucer à genoux à l’arrière de sa limousine. Mickey était un vrai gentleman”, dit-on. Qui dit mafia, dit guerres intestines, mais aussi infiltration par le FBI. C’est peut-être le passage le plus drôle et le plus cinématographique de tout ce livre : le récit délirant de deux agents, Pat Livingston et Bruce Ellavsky, envoyés à Miami en 1976 pour jouer les acheteurs de cassettes de cul en gros destinées à un marché établi depuis les îles Caïman. Durant deux ans, les deux agents ont

Courtesy The Magazine Archive, SF, éditions Taschen

Seka,l ’une des premières vedettes du genre

“tant que j’aurai un visage, Seka aura toujours une place où venir s’asseoir” un admirateur

vécu grand train, roulé en décapotable, porté des chemisettes et des bagues, fréquenté tout le monde, les acteurs, les filles, les gros bonnets, les fêtes, jusqu’à prendre la main dans le sac les chefs de la mafia et non plus seulement leurs intermédiaires. Le retour à la réalité sera pour eux impossible. Après avoir goûté à cette vie de plaisirs, Livingston pètera les plombs et se fera serrer par un vigile en train de voler un pull-over Dior dans un magasin de Louisville. Cette arrestation a permis aux avocats du milieu de faire tomber les accusations à l’endroit de leurs clients et au marché de films de cul de recommencer de plus belle. De fait, la fin des années 70 croisera porno, strip-tease, disco et punk-rock dans une atmosphère de fête continue (notamment Chez Bernard’s, un bar du quartier des théâtres devenu le QG de toute la scène X, pas si grande d’ailleurs, ce sont toujours les mêmes têtes). Le basculement de la vidéo invente la “Me Generation”, incarnée par la blonde Ginger Lynn : “Je suis belle et je baise et je suis super et je suis chaude et j’adore ça et

c’est pas pour le fric mais je suis quand même riche et je réussis…” Son attitude est un condensé excitant de toute l’idéologie yuppie. Au même moment, John Holmes, sorte de Patrick Dewaere soutenant un baobab de 37 centimètres, demi-dieu de l’Olympe du secteur, met au tapin sa fiancée mineure, se défonce comme un malade, livre tout le monde aux flics, provoque un quadruple assassinat entre dealers et meurt du sida. Le milieu fait l’autruche (il faudra attendre 1998 et le scandale Marc Wallice, hardeur plombé ayant contaminé plusieurs filles, pour que les esprits changent). Le second électrochoc des années 80 se nomme Traci Lords, elle est diaboliquement belle, arrogante, déchaînée, mais – personne ne le savait avant qu’elle n’orchestre elle-même les révélations – elle n’avait que 16 ans. Son désir assoiffé de célébrité a failli faire couler tout le monde à la fin de la décennie. Les années 90 sont marquées par l’arrivée de producteurs et de 6.04.2011 les inrockuptibles 31

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marques comme Vivid, qui sont là pour le marketing, lançant des filles refaites à la chaîne par un certain Doctor Pearl (un chirurgien véreux de 70 ans, entouré d’assistantes d’1,80 m !) comme on lance un nouveau dentifrice. Les films sont de plus en plus extrêmes et le porno commence à devenir une lessiveuse broyant ses filles. L’une des plus belles, Savannah (ex de Billy Idol, Slash, Gregg Allman), se suicide en juillet 1994, après qu’un accident de voiture a égratigné son visage. Elle a eu peur de ne jamais retrouver sa célébrité. L’Autre Hollywood repose sur les mêmes rêves de midinettes que son grand et respectable aîné. C’est même une des suppositions qui court durant tout le livre : et s’il n’y avait pas tant de différences entre les deux Hollywood ? Après tout, Warren Beatty, Sammy Davis Jr., Jack Nicholson,

Tony Curtis, la bande autour de Coppola ont beaucoup chassé les filles du X. La hardeuse Veronica Hart affirme même que faire du porno était, dans les années 80, une façon d’échapper à l’hypocrisie : “Il n’est pas nécessaire de coucher avant pour obtenir un rôle dans le porno quand, à Hollywood, toutes les aspirantes actrices se font sauter en promesse d’un rôle. Hollywood repose complètement sur les fausses promesses et les espoirs. C’est ce qu’il y a de plus agréable quand on bosse avec des gens du porno ; on est très pragmatique et assez loin de toutes ces conneries.” Plusieurs fois, il y a même failli avoir fusion entre les deux univers. Hollywood fit un pont d’or à Gerard Damiano (réalisateur de The Devil in Miss Jones) pour qu’il fasse des films érotiques estampillés MGM (il refusera car on lui

le sexe sans la peau Russell Banks a exploré les contrées du porno US pour pénétrer la zone du cybersex et des délinquants sexuels dans Lost Memory of Skin, un roman à paraître en 2012 en France. Votre nouveau livre est présenté comme une réflexion sur la pornographie, et plus encore sur la nouvelle pornographie se développant sur internet. Pourquoi ce choix au départ ? Russell Banks – L’image et l’utilisation de la pornographie n’ont pas beaucoup changé depuis des millénaires, et ce malgré l’invention de la photographie et du cinéma. C’est essentiellement la représentation d’organes génitaux interférant avec des orifices, destinée à éveiller l’imagination masculine, concentrée autour de la puissance et de l’érotisme. Mais parce qu’internet est un système de distribution rapide, accessible, moins coûteux qu’aucun autre, la pornographie est devenue aussi accessible qu’un chewing-gum. Je voulais examiner et dépeindre les effets de ce phénomène sur des

personnes à la fois ordinaires et sexuellement paumées, et comprendre comment la pornographie dépersonnalise, marchandise et fétichise le corps humain, tant et si bien qu’à une image réelle se substitue l’image d’un produit que l’on peut conditionner, débiter de votre carte de crédit et consommer immédiatement. L’univers actuel de la pornographie est-il profondément différent de ce qu’il était avant internet ? Définitivement, oui. Il a été conçu pour une consommation instantanée à domicile. Le passage sur le net a rationalisé le contenu du porno, l’a intensifié et l’a rendu plus vulgaire et sans nuances. C’est du fast-food sexuel. Etiez-vous un connaisseur de l’âge d’or du film porno ? Je ne dirais pas connaisseur mais, bien sûr, je connaissais ces films et en ai vu certains.

De manière générale, j’y voyais un intérêt sociologique bien plus qu’érotique. Après cette première vague grisante, la pornographie compta sur son caractère répétitif et prévisible – comme pour n’importe quelle autre drogue. Considérez-vous la pornographie sur internet comme quelque chose d ’addictif ? C’est seulement dangereux pour les plus enclins d’entre nous à devenir dépendants. Et il est aussi facile de devenir accro à la pornographie que de devenir accro au jeu, pour à peu près les mêmes raisons. Les addictions sont dangereuses. Jouer aux cartes, à la roulette ou aux dés ne détruisent pas des vies mais elles en sont capables. recueilli par P. A. Lost Memory of Skin sortira en septembre 2011 aux Etats-Unis et au printemps 2012 en France, chez Actes Sud, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Margaux Opinel

imposait des scènes avec des hippies). Quant à Linda Lovelace, jamais en mal de perles, à la sortie de son premier fist-fucking, elle ne trouva pas d’autre comparaison à faire que celle-ci : “C’était comme dans un film de Fred Astaire.” Parce que sa réalité dépasse tous les opus cocaïnés de Bret Easton Ellis et tous les épisodes en blaser saumon de Miami Vice, ce livre est peut-être le plus grand livre rock jamais écrit. On s’y fait plein de nouveaux amis, capables de vous sortir tout de go à propos de John Holmes : “Il est la preuve vivante que les hommes ne naissent pas égaux. Tout d’un coup, sa bite est apparue – et c’était comme la scène inaugurale de La Guerre des étoiles.” Des gens capables des plus belles preuves d’amitié (“Seka ? Je l’adorais – Tant que j’aurai un visage, Seka aura toujours une place où venir s’asseoir”) ou de savoir-vivre (“Pour le vingt-et-unième anniversaire de Marilyn Chambers, je lui ai offert vingt-et-un mecs pour la baiser”). De vacheries aussi (“Linda jouait comme un pied de lampe”), et de jugements techniques aigus (“Carl baisait comme un gamin de 18 ans. On aurait dit un lemming qui galope vers la mer”). De regrets par poignées (“C’est quand même bien dommage que Smitty se soit jeté par la fenêtre, parce qu’il dégotait toujours les plus jolies filles. Smitty avait très bon goût”). Un réservoir à idées permanent (“On a pensé à tourner un film avec un chien. Ça t’intéresse ?”), même si parfois les idées lancées trop vites s’avèrent pourries (“A un moment précis, tout le monde essayait de faire des films avec des chiens. Mais encore fallait-il que les chiens sachent jouer”). On y apprend à distinguer un “mac de voyage” d’un mac de base, et tout un tas de nouveaux mots supers : “faire du youppi à angle droit” n’est jamais très différent que donner du menton, vous savez ? Il a fallu sept ans pour que ce livre se fasse, dont trois paraît-il pour convaincre les barons de l’édition new-yorkaise que les gens qui consomment du porno savent lire et veulent lire. Et que ceux qui en sont la chair à canon savent parler. L’un d’entre eux (Humphry Knipe) a même trouvé l’épitaphe exacte sur laquelle se referme le couvercle des quatre décennies qu’il aura traversées : “Ce qui est arrivé à la révolution sexuelle ? Elle a chopé le sida et elle est morte.” The Other Hollywood de Legs McNeil et Jennifer Osborne (Allia), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claire Debru, 785 pages, 29 €

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le cul entre deux chaînes Au printemps, Canal+ et Arte diffuseront leurs séries sur le monde du porno : Hard saison 2 et Xanadu. Le X comme nouveau territoire de fiction familiale. par Jacky Goldberg

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rileuse la fiction française ? On ne saurait dire si c’est de froid ou d’excitation. Toujours est-il qu’une partie du PAF se met à frissonner comme jamais à l’orée du printemps. Canal+ et Arte s’apprêtent en effet à diffuser, à quelques semaines d’intervalle, leurs séries sur le monde du X : respectivement Hard (saison 2) et Xanadu. Si l’on n’est pas surpris de retrouver sur la chaîne cryptée la suite de la série de Cathy Verney, dont la saison 1, diffusée en 2008, avait rencontré un certain succès, l’intérêt d’Arte pour la chose suscite davantage de questions. La plupart des chaînes n’ont jamais rechigné à parler de la chair – Arte ne faisant pas exception –, mais le sexe était jusqu’à présent le domaine réservé des films de cinéma ou, éventuellement, des documentaires – on se souvient des “histoires de fesses” ou des soirées Thema sur la masturbation. Avec Hard, Xanadu ou Maison close, le sexe envahit désormais le sacro-saint territoire des séries, celles dont on nous expliquait jadis qu’elles devaient être rassurantes, susciter l’empathie et l’identification... A l’évidence, dix ans d’audaces outreatlantiques sont passés par là, débloquant quelques réflexes conservateurs.

Hard (saison 2)

Augustin Détienne

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Canal+ est la première chaîne en France à ne pas s’être contentée d’ouvrir à plein le robinet américain, à avoir saisi l’intérêt de produire des séries maison de qualité. Sous l’impulsion de Bruno Gaccio, chargé de la fiction à Canal+, et de sa Nouvelle Trilogie, de jeunes scénaristes ambitieux ont pu imposer des sujets et formats 6.04.2011 les inrockuptibles 35

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Xavier Lahache

Xanadu, une saga familiale sous X

Hard (saison 2), l’esprit Canal+ coupé à l’herbe de Weeds

neufs. C’est le cas de Cathy Verney, créatrice de Hard. On imagine toutefois qu’il ne lui a pas été trop difficile de convaincre la chaîne ambassadrice du X de soutenir son projet. Plus surprenant est le virage d’Arte. La chaîne franco-allemande, qui développe Xanadu depuis trois ans aux côtés de Haut et Court, une boîte de production et de distribution plutôt orientée cinéma d’auteur (palmée en 2008 pour Entre les murs), ne s’est en effet pas positionnée d’emblée sur le renouveau de la fiction française. Ce n’est qu’avec Les Invincibles, en 2010, qu’elle a ouvert la porte, et Xanadu fait aujourd’hui figure de ballon d’essai. Du reste, il semble qu’une plongée dans le monde du porno, toujours frappé du sceau de l’infamie malgré sa survisibilité médiatique, ne fait pas partie du cahier des charges de la chaîne culturelle. Pour Xanadu, l’enjeu est donc de dissiper les malentendus, de démythifier le métier tout en teasant suffisamment pour attirer le chaland. Dès lors, où s’arrête la sincérité, où commence le voyeurisme ? Les acrobaties des réalisateurs de Xanadu pour cadrer une paire de seins tout en évitant le pubis peuvent ainsi prêter à sourire – ou rendre perplexe lorsqu’un floutage vient carrément recouvrir un sexe en érection. Les deux séries s’en sortent malgré tout assez bien sur l’aspect documentaire et délivrent cette minuscule industrie de ses clichés glauques, sans pour autant se voiler la face. “Un métier comme un autre” : l’expression est martelée dans Hard, où une veuve hérite à 40 ans du petit empire coquin érigé à son insu par son défunt mari. La première saison raconte, en six épisodes de vingt-six minutes, comment

celle-ci surmontait son dégoût initial (Natacha Lindinger, parfaite en BCBG l’air de ne pas y toucher) pour devenir une pornocrate efficace et néanmoins soucieuse de qualité. Le ton est à la comédie, le format court, et la deuxième saison attendue pour mai ne devrait pas changer la donne. Tout ça fleure bon l’esprit Canal, truculent et détendu, l’herbe de Weeds a été bien digérée, les clins d’œil sont permanents, pas de quoi fouetter une chatte. Expérience radicalement différente avec Xanadu. Ses deux showrunners, Séverine Bosschem (scénariste, notamment sur Reporters) et Podz (réalisateur québecois, remarqué pour Minuit le soir) ont d’abord choisi un format long – 8 fois 52 minutes – proche d’une série HBO. On y raconte les destinées, forcément sentimentales, de la famille Valadine, pornographes de père en fils (et peut-être de père en fille). Fortement inspirée par Six Feet under ou les Soprano – comment s’en écarter lorsqu’il s’agit d’aborder la famille ? –, Xanadu tisse un écheveau complexe de relations, avec foule de personnages, de rivalités et de trahisons. Hard visait la commedia dell’arte, c’est vers la tragédie grecque que Xanadu dirige ses œillades – un peu insistantes par moment. Le titre en lui-même invoque un imaginaire mythologique, à la hauteur duquel il s’agit de se hisser : la capitale d’été de l’empereur indien Kubilay Khan, le palais somptueux de Citizen Kane... pour décrire une PME vaguement inspirée par la maison Dorcel. Mais pourquoi pas. Si l’apport des séries américaines est plus que jamais visible, avec un réalisme, une crudité et une direction artistique (très belle BO de

l’Allemand Get Well Soon, acteurs de qualité, notamment Judith Henry ou Swann Arlaud) qui font défaut aux grandes sagas de l’été de TF1 ou France 2, la série de Séverine Bosschem n’en évite pas certaines ficelles faciles. Nous sommes bien en France, pays de la mesquinerie, du psychologisme exacerbé, des lourds secrets et des petits arrangements avec les morts. La photo est glaciale, la chair triste et les personnages, si certains finissent par provoquer l’empathie, font tous un peu pitié, en particulier Julien Boisselier qui semble porter toute la souffrance des petits patrons français sur ses frêles épaules. Un produit hybride donc, qui se tourne en permanence vers l’Amérique mais veille à garder les pieds bien enfoncés dans le marasme français, qui cherche à construire une mythologie bigger than life tout en ramenant ses personnages à la médiocrité de leur condition. Toute l’ambiguïté de la fiction française, cinéma inclus, concentrée. Il sera bientôt possible de comparer fictions américaine et française sur le sujet, puisque HBO a annoncé l’été dernier la mise en production d’une série sur la San Fernando Valley, mecque du X américain. Mark Wahlberg, inoubliable dans Boogie Nights et producteur d’Entourage – où il a déjà convié la pornostar Sasha Grey à venir faire coucou – est à l’origine du projet. Sans préjuger du résultat, et tout en reconnaissant l’audace d’Arte et de Haut et Court, on imagine que le glamour aura plus sa place dans la vallée des baby dolls que dans la morne plaine des Valadine. Hard saison 2 en mai sur Canal+ Xanadu tous les samedis à 22 h 25 sur Arte à partir du 30 avril

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édito

Fillon, monsieur Loyal ? Les velléités d’indépendance du Premier ministre pourraient lui coûter son poste. Ses proches ne veulent pas y croire.

 C

Damien Meyer/AFP

ela fait quatre ans et demi qu’il “dure et endure” à Matignon, selon la formule consacrée pour les Premiers ministres de la Ve République. Quand il lui vient des velléités d’indépendance, comme lorsqu’il prend ses distances avec la ligne à droite toute de Nicolas Sarkozy et le débat sur la laïcité, François Fillon déchaîne les commentaires de ceux qui, dans la majorité, voudraient bien voir le chef de l’Etat se séparer enfin de ce “collaborateur” qui le devance désormais dans les sondages sur l’élection présidentielle de 2012. L’ancien Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, a sonné la charge, au retour d’un voyage en Chine avec Nicolas Sarkozy. De là à penser qu’il s’exprimait sur ordre présidentiel… Bref, l’homme fort

du Poitou a conseillé à François Fillon “d’afficher clairement sa loyauté” à l’égard du chef de l’Etat. La semaine dernière, c’était Jean-François Copé, le secrétaire général de l’UMP, qui appelait François Fillon à “jouer collectif”. Tout cela relance les rumeurs sur un nouveau, et dernier, remaniement à l’automne, qui verrait Jean-Louis Borloo, François Baroin ou encore Bruno Le Maire succéder à François Fillon pour la dernière ligne droite avant la présidentielle. “Vous vous faites des films, réplique un proche de François Fillon, le Président et le Premier ministre se parlent quasiment tous les jours, il n’y a pas l’ombre d’une feuille de papier à cigarettes entre les deux. Et on commence à être habitué aux attaques, qui viennent toujours des mêmes personnes !” Hélène Fontanaud

jeunesse Le PS vient de dévoiler son projet. Le thème de la jeunesse y tient une place importante. Pourvu que cette question soit un sujet central de la campagne de 2012. Et qu’il ne soit pas traité de façon trop catégorielle. Les mesures promises par le PS n’évitent pas pour l’instant cet écueil. Le risque d’une “explosion de la jeunesse”, sous une forme classique de manifestations étudiantes ou sous forme d’émeutes de banlieues, tétanise les politiques. Ce risque n’est plus alimenté par un extrémisme contestataire comme dans les années 60 ou 70, mais par une fragilisation sociale et le sentiment que l’avenir n’est pas porteur d’espoir. Une étude d’opinion commandée en 2010 par l’Afev (une association qui a pour but d’aider les étudiants) révèle que 51 % des Français ont une mauvaise opinion de la jeunesse. L’âge mûr a peur de la jeunesse. Comme les bourgeois avaient peur de la plèbe des faubourgs ! La génération du baby-boom, celle qui est au pouvoir ou aux portes de la retraite, aura été bénie des dieux et vorace. Passée entre les guerres, elle aura grandi en période de forte croissance économique, découvert l’amour en pleine libération sexuelle, avant le sida. Pour la première fois, ce sont ses enfants qui seraient en droit de lui montrer l’état de la planète et des déficits pour lui dire “Qu’as-tu fait de notre monde ?” La responsabilisation pénale des mineurs, le chômage des jeunes prouvent que notre société tient la jeunesse pour un danger, un poids, plus que pour une source d’énergie. Si la campagne de 2012 pouvait contribuer à torpiller cette idée destructrice, ce serait un progrès indéniable.

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coup de jeune au PS Après François Hollande, qui place la jeunesse au centre de sa campagne, Martine Aubry en fait, à son tour, l’un des enjeux du projet pour 2012. Présenté cette semaine, le texte doit être adopté définitivement le 28 mai.

 L

a jeunesse a décidément le vent en poupe au PS… Sincérité ou calcul, quand on sait que les 18-24 ans représentent environ 13 % du corps électoral ? “Ce n’est pas une question de récupération, répond Laurianne Deniaud, la présidente du Mouvement des jeunes socialistes (MJS). La question de la jeunesse est un enjeu pour les candidats à la primaire du PS parce que la jeunesse est devenue un enjeu de société, et ils seraient à côté de la plaque de ne pas en parler !” Samedi, lors de la réunion de quelque 500 militants de son mouvement, à Paris,

la présidente du MJS a d’ailleurs souhaité que son appel à tous les candidats probables à la primaire puisse être entendu “au-delà de cette salle, peut-être assez fort pour qu’on puisse l’entendre en Corrèze, pour qu’il résonne en Saône-et-Loire, pour qu’il soit perçu en Poitou-Charentes, et je vais essayer de parler assez fort pour que tout le monde le comprenne, de la rue de Solférino à la 19e Rue de Washington”. Martine Aubry a dévoilé en avantpremière aux jeunes du MJS les grandes lignes du projet du PS les concernant. Un projet qu’en principe le candidat du PS

est censé reprendre à son compte en 2012. Pendant une heure, une trentaine de militants installés à ses côtés dans le champ des caméras, la première secrétaire a joué à fond l’opération séduction, s’en prenant à la droite qui “a toujours eu un problème avec la jeunesse” et valorisant la musique electro, le reggae, le slam et le graff. Alors que Nicolas Sarkozy bichonne l’électorat senior, au PS, même les références dans le discours ont pris un coup de jeune. Certes, on a toujours droit aux classiques, Rimbaud, Césaire, Camus, Mitterrand ou Badinter,

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Réunion des militants MJS, Aquaboulevard de Paris, 2 avril

mais désormais Kool Shen fait son apparition dans le répertoire ! Sur le fond, la première secrétaire a semblé privilégier des mesures économiques, comme si elle considérait la jeunesse comme une corporation professionnelle. Elle a proposé notamment la création de 300 000 “emplois d’avenir”, l’encadrement des stages et la mise en place du CV anonyme. Enfin, elle a accepté la création d’une allocation autonomie, revendication séculaire du MJS, soit une aide directe, individualisée et calculée selon les revenus, versée aux étudiants.

Martin Bureau/AFP

on a toujours droit aux classiques, Rimbaud, Césaire, Camus, Mitterrand ou Badinter, mais désormais Kool Shen fait son apparition dans le répertoire !

Standing ovation dans la salle. “Oui, tout cela, nous le proposons et nous le ferons”, a martelé Martine Aubry en donnant rendez-vous aux jeunes “dans 400 jours”. Pourtant, cette allocation d’autonomie est loin de faire l’unanimité au PS. François Hollande et les amis de Dominique Strauss-Kahn y sont opposés. A leurs yeux, les jeunes ne veulent “pas une allocation, mais un boulot” ! Le député Christian Paul, un des inspirateurs du projet, tempère : “Plutôt qu’allocation, on dira parcours d’autonomie. Et je n’ai pas entendu de révolte au sein du PS sur cette

idée.” Une manière de mettre tout le monde d’accord ? En revanche, la proposition phare de François Hollande d’un “contrat de génération”, permettant la formation des jeunes en entreprise par des seniors, n’a pas été intégrée dans le programme du PS. “La passation de relais dans les entreprises, on a déjà essayé il y a dix ans, quand Martine Aubry était ministre”, commente Christian Paul. Si Martine Aubry ne reprend pas les propositions de Hollande, elle n’hésite pas à lui emprunter son discours. En lançant samedi que “la place que l’on donne à la jeunesse mesure vraiment l’ambition que l’on a pour un pays”, elle s’est largement inspirée de ce que le député de Corrèze avait déclaré en annonçant sa candidature à la primaire : “De la réussite de la jeunesse dépend la réussite de notre pays.” Martine Aubry marcherait-elle sur les plates-bandes de François Hollande ? “Bien avant qu’il parle de la jeunesse, Martine Aubry était allée au congrès du MJS, en novembre 2009 !”, répond un de ses proches. Et n’avait-elle pas glissé en plaisantant au soir des cantonales : “Bien sûr que je suis la candidate des jeunes, j’ai toujours été très proche d’eux !” Ces derniers mois, on a d’ailleurs vu Laurianne Deniaud s’afficher régulièrement aux côtés de la première secrétaire. A Dakar, en février, au Forum social mondial, ou fin mars lors des cantonales. Le soir du second tour, Martine Aubry propose à la présidente du MJS de l’accompagner. On retrouvera ainsi la jeune femme sur toutes les photos. Un enseignement de 2007 ? Si le soutien du MJS n’a jamais permis au candidat socialiste de remporter une élection présidentielle, au moins il y contribue. Et que dire du poids de ces jeunes militants dans la primaire ! Ségolène Royal en a fait les frais, les jeunes socialistes et leur président s’étant engagés à reculons derrière elle fin 2006. Aujourd’hui, le MJS roulerait-il pour Martine Aubry ? “Il faut plutôt voir les choses dans l’autre sens et regarder la place qu’elle nous accorde”, confie aux Inrocks Laurianne Deniaud. “On a été vraiment associés, y compris dans la définition du projet.” Et d’ajouter : “Pour la présidentielle, la question ne sera pas quel candidat nous choisit, mais quel candidat le MJS choisit. Pour celui qui s’oppose à l’allocation d’autonomie, ce sera compliqué que le MJS le soutienne.” Marion Mourgue 6.04.2011 les inrockuptibles 41

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Régis Duvignau/Reuters

Hollande and Freedom Le député de Corrèze muscle son dispositif de campagne pour la primaire socialiste.



our le mal qu’elle a fait à la France, on devrait décréter l’indépendance de la Corrèze !” Cette plaisanterie d’un strauss-kahnien, après l’annonce de la candidature de François Hollande à la primaire socialiste, repose sur une fausse assertion. A la différence de Jacques Chirac, François Hollande n’est pas corrézien, mais normand. Et donc prudent. Depuis le 31 mars, jour de son “appel de Tulle”, l’ancien patron du PS balise soigneusement son chemin vers 2012. Il répète qu’il ne mettra pas genou à terre si Dominique Strauss-Kahn atterrit avant l’été. En même temps, François Hollande fait entendre une petite musique en sourdine, expliquant qu’il n’est pas un kamikaze et que, si les sondages ne le placent pas solidement devant le directeur général du FMI et ses autres concurrents, il réfléchira alors à la suite de l’aventure. Mais il ne faut pas s’y tromper. Dans Astérix, les Normands ignoraient la peur, et aujourd’hui François Hollande croit à son étoile. Il a déjà son slogan : “Mettre la France en avant”, et son programme, axé sur la jeunesse. “Il n’y a plus de temps à perdre, il y a même urgence, il faut qu’à un moment il y ait des idées et une incarnation du changement”, a-t-il dit à Tulle, avant de s’en prendre à la présidence Sarkozy. Le député de Corrèze a toutefois fait une concession de taille – c’est le cas de le dire – à l’ère sarkozyste du “tout est communication”. A l’automne, il a offert aux Français une nouvelle image, jugeant

que la perte d’une quinzaine de kilos lui conférait une “présidentialité”, dont il s’estimait dépourvu lorsqu’il était le patron rond et synthétisant du PS. Il a aussi remisé son humour, même si parfois l’ancien François Hollande refait surface, comme dans ce sketch de la campagne des cantonales, où il s’en prend avec une férocité jubilatoire aux candidats UMP sans étiquette. Ou lorsqu’il démarre sa campagne en rendant visite à des pêcheurs un 1er avril… Un autre signe de sa détermination se lit dans la réorganisation de son équipe. La “PME Hollande” drôlement décrite par le député Bruno Le Roux est en train d’évoluer. Un des collaborateurs du député de Corrèze explique la méthode Hollande : “Il compartimente, pas exactement comme François Mitterrand. Lui laissait tout le monde dans son silo, dans l’ignorance des autres silos, et on ne découvrait les choses qu’à la fin. François Hollande crée des zones de recouvrement, progressivement. Quand il hésite entre plusieurs hypothèses, plusieurs

“il n’y a plus de temps à perdre, il y a même urgence, il faut qu’à un moment il y ait des idées et une incarnation du changement” François Hollande

groupes ou personnes peuvent travailler sur la leur, dans l’ignorance des autres. Mais pas jusqu’au bout. Il est le seul à tout savoir mais il crée de la fédération.” Tous les mardis, les “Hollandais” se retrouvent autour de leur patron à Paris. Il y a le premier cercle, les députés européens Stéphane Le Foll et Kader Arif, les députés Bruno Le Roux et Michel Sapin, et Faouzi Lamdaoui, qui s’occupe des relations avec la presse. Thierry Lajoie, ancien collaborateur de Ségolène Royal pendant la campagne de 2007, a rejoint l’équipe. La journaliste Valérie Trierweiler, compagne de François Hollande, est de plus en plus présente. Même s’il n’y est pas enclin naturellement, le candidat sait utiliser la carte “people”. Le député de Corrèze s’appuie aussi sur Jean-Pierre Jouyet, son ami depuis l’Ena, ou André Martinez, un ancien du groupe Accor, et Franck Papazian, un spécialiste de la communication. Il entretient bien sûr ses réseaux d’élus au sein du PS. Ses proches veulent le “décloisonner” et agréger de nouveaux fidèles, venus aussi bien des rangs fabiusiens que royalistes ou strausskahniens. Mais il se dit aussi que les amis du patron du FMI essaient en ce moment de “décrocher” Michel Sapin et François Rebsamen, le sénateur-maire de Dijon. Enfin, la machine du candidat Hollande se met en route. Avec un déplacement thématique par semaine et des voyages. La Grèce, premier pays européen à avoir été “secouru” par le FMI, est au menu… Hélène Fontanaud

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que le meilleur perde affaires intérieures

nucléaire : tout ou rien madame Aubry ?

O  

nde de choc radioactive chez les socialistes après Fukushima. Retour sur trois semaines de tergiversations, contradictions, pendant lesquelles le PS a fait évoluer sa doctrine nucléaire… puis a reculé. Le 11 mars, tremblement de terre et tsunami au Japon font exploser le réacteur n° 3 de la centrale de Fukushima. Le 15 mars, lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, Jean-Marc Ayrault réclame un moratoire sur les nouvelles installations nucléaires, un audit public sur la prolongation de la durée de vie des centrales et un débat national sur la politique énergétique. Le soir même, Ayrault se fait tirer les bretelles par Martine Aubry à la réunion du bureau national : le moratoire n’est pas la position du PS. Le bureau rédige un communiqué où il est question de réfléchir à terme à un projet énergétique sans nucléaire. Levée de boucliers des pronucléaires, François Rebsamen et Alain Richard. Le communiqué paraît sans cette phrase. Le 28 mars, invitée à France Inter, Martine Aubry estime “qu’il y a un avant et après Fukushima” et “qu’il faut aller plus vite sur la question de la sortie du nucléaire”. Le 5 avril, le PS dévoile son projet “social-écologiste” pour 2012. Il préconise “la sortie progressive du TOUT nucléaire sur vingt ans”. Quand un petit mot change tout. Anne Laffeter

Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite. par Michel-Antoine Burnier

M. Juppé assure que pour l’élection présidentielle il n’existe pas à droite d’autre candidat concevable que M. Sarkozy. Belle antiphrase ! Ce rappel suffit à ce que chacun comprenne l’inverse : d’abord que les capacités de M. Sarkozy posent question ; ensuite qu’il existe un autre candidat concevable et déjà tout conçu, M. Juppé lui-même. Car cet ancien Premier ministre, jadis chassé par le suffrage universel, aspire lui aussi à prendre sa part de la défaite. M. Sarkozy a su monter cet imparable dilemme : soit il se présente et se retrouve battu, voire éliminé dès le premier tour, soit il se retire. Il ouvrirait alors une guerre de succession entre quatre prétendants que tout oppose, tant d’anciennes haines que de violentes ambitions : MM. Fillon, Copé, Juppé et Borloo. Nous savons d’avance que ces personnages sauront faire fructifier leur capital de trahison et de querelle : à leur aune, l’affrontement des diadoques, les lieutenants d’Alexandre se partageant l’empire du monde, ne semblera que farce. Notons qu’aujourd’hui la droite a décidé d’imiter les socialistes, dont la culture historique en matière de guerre des chefs reste et restera exemplaire. M. Sarkozy encourage la confusion dans son camp d’une autre manœuvre : le déni de réalité, méthode elle aussi empruntée aux socialistes qui en firent grand usage dans les années 1980. C’est ainsi que le chef de l’Etat explique

à son entourage que les résultats des cantonales ne sont pas si mauvais, que l’UMP reste unie, que l’électorat de Mme Le Pen fondra au dernier moment et celui de M. Strauss-Kahn aussi. A ce train, il finira par prétendre que les Français l’adorent. Le président de la République n’ignorait pas que M. Guéant empilait les gaffes et les phrases malvenues : il l’a fréquenté tous les jours pendant près de quatre ans à l’Elysée. Mais dans les sombres couloirs du palais, ses propos calamiteux demeuraient privés de public et donc d’effet. Voilà pourquoi M. Sarkozy nomma M. Guéant au ministère de l’Intérieur : afin de nous faire profiter à notre tour de ses bévues, impairs, sottises et autres boulettes. On a remarqué que le nouveau ministre de l’Intérieur s’empressa de définir comme une “croisade” l’intervention internationale en Libye : provocation de qualité puisqu’il s’agissait d’un pays musulman. La polémique levée par ce mot étant encore chaude, M. Guéant récidiva par des propos aussi incroyables qu’irréfléchis et anticonstitutionnels : il proposa donc d’interdire l’accès des services publics – soit les autobus, les métros, les trains, les hôpitaux et les bureaux de poste – aux bonnes sœurs et aux curés comme aux musulmans qui les imitent sous robes et voiles. Un vrai victoricide sait tout le bien que peut lui apporter une dose de ridicule. (à suivre...) 6.04.2011 les inrockuptibles 43

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safari

Mario Fourmy/Abaca

Jeudi7 avr il, Jean-Louis Borloo, président du Parti radical, seral ’invité d’A vous de juger surF rance 2. Il devrait préciser sonpr ojet de confédération desc entres et ses intentions pour 2012

brèves

tensions sur la scène politique L’annonce du programme du PS, les bisbilles à droite et les histoires de poubelle ont mis le feu aux poudres. une cassette et une carte de presse à la décharge La victoire des socialistes aux cantonales n’a pas fait retomber la tension dans les Bouches-du-Rhône. Si Jean-Noël Guérini demeure président du conseil général, son frère Alexandre, patron de décharges, reste en prison, visé par une enquête pour corruption, blanchiment, détournement et trucage de marchés publics. Et ses proches restent remontés. Le 28 mars, ils ont peu goûté qu’un journaliste filme leur décharge à ciel ouvert, dans l’arrière-pays provençal. Après diverses menaces de séquestration et de violences à l’intérieur du site, les employés d’Alex lui ont confisqué sa cassette et sa carte de presse.

projet PS : le soulagement de la droite Dans l’entourage de Nicolas Sarkozy, on a applaudi des deux mains l’arrivée du projet PS : “Il est con ! Pour le coup, il n’est pas trop dépensier, mais il n’y a aucune idée neuve. Les emplois-jeunes, c’était déjà sous

Jospin, l’encadrement des loyers, ça date de 1947. Tout ça pour ça !” Et de poursuivre, la mine réjouie : “Si Sarkozy ne peut pas gagner la présidentielle, au moins le PS peut la perdre !”

le MJS se paie Le Pen La présidente du Mouvement des jeunes socialistes, Laurianne Deniaud, a cogné fort samedi contre la présidente du FN. “Marine Le Pen, vous êtes finalement comme l’a toujours été votre famille politique. Lâche et menteuse. (…) Dans l’histoire de la vieille extrême droite française, vous n’êtes sûrement qu’un détail.”

la primaire, “sac à emmerdes” pour les amis de DSK Alors que Martine Aubry est au premier plan avec la présentation du projet du PS, les strauss-kahniens se veulent confiants : “Je n’imagine pas une demi-seconde qu’elle soit candidate”, confie l’un d’eux. Dès lors, si leur champion revient dans la course, se disent-ils, pourquoi faire des primaires,

“ce sac à emmerdes” ? “Quand vous louez une maison de vacances avec sept amis et qu’ils vous lâchent tous à la dernière minute, vous n’allez pas vous entêter à louer la maison ! Là, c’est pareil. A quoi ça sert de s’entêter. On a quand même le droit de changer d’avis et de faire preuve d’intelligence !”

Estrosi se refait une virginité Christian Estrosi, qui s’était fait connaître pour ses positions sécuritaires après le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy, récuse aujourd’hui ce mot : “Ne confondez pas sécuritaire et sécurité. Je suis pour la sécurité, mais pas pour la surenchère.” “Le FN revient à cause des erreurs de la majorité. Nous devons avoir une ligne claire pour l’année prochaine. Aujourd’hui, qui peut dire quelle est la ligne politique de l’UMP ?”, lance le maire de Nice en visant Jean-François Copé. Désormais, Christian Estrosi veut “incarner la France des bâtisseurs, face à la France virtuelle de ceux qui ouvrent des débats qui n’intéressent pas les Français”. Et de conclure : “Je suis un gaulliste social.” Quel revirement !

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presse citron

par Christophe Conte

Copé s’invente un ami musulman, les électeurs du FN votent avec leur queue, Bayrou débarque sur Twitter et Hollande programme un nouveau régime. Le Premier ministre et le chef de l’UMP, eux, filent le parfait amour.

“Officiellement, l’incident est ‘clos’ entre François Fillon et Jean-François Copé”, ironisait Le Parisien (30/03) au surlendemain de l’algarade publique entre le Premier ministre et le chef de l’UMP, le second accusant le premier de ne pas jouer assez collectif. Interviewé quelques pages plus loin, Franck Ribéry semblait lui aussi plein de prévention à l’adresse de Yoann Gourcuff, qui l’accusait pareillement, lors du Mondial, de ne pas jouer assez collectif. Les conseillers en com sont les nouveaux juges de paix.

très confidentiel Si la fin du monde arrive comme prévu en 2012, Adam et Eve version Obispo auront la lourde tâche de tout reprendre à zéro. C’est encore plus flippant.

bienvenue chez la ch’pute On en apprend tous les jours sur les collabos de Marine Le Pen investis par le FN pour les cantonales. Après le nazillon flashé bras tendu devant une croix gammée, après le grabataire de 93 balais reclus en maison de retraite, le journal Le Phare dunkerquois (30/03) a tiré le gros lot en démasquant une candidate du coin, Sandra Kaz, qui officie par ailleurs

Lionnel Luca, le très sarkozyste député UMP des Alpes-Maritimes, ne digère pas ceux qui au sein de la majorité prennent leurs distances vis-à-vis de la ligne à droite toute du chef de l’Etat et du débat sur la laïcité. Il a trouvé un vocable pour les atomiser : “le syndrome du fauxculshima”.

petit caillou “Ce lundi, il sera sans doute candidat”… Trop forte, Anne Sinclair, pour appâter le chaland sur son blog… car l’épouse de Dominique Strauss-Kahn faisait référence non pas à son mari mais à Barack Obama !

pour 2012, c’est Jospin ! Si, si, c’est un groupe sur Facebook. Ils sont déjà près de 300 à souhaiter le retour de Lionel pour la présidentielle de 2012. Comme ça il pourrait se venger, dix ans après, du 21 avril 2002 !

inflation, suite... sous le nom d’Angunn comme escort girl sur internet. Résultat : 42,41 % de gros cons ont voté pour cette grosse cochonne.

Twitter que jamais Pourtant inscrit depuis 2008 et fort de 3 000 followers, François Bayrou a rédigé son premier tweet seulement la semaine dernière (lepoint.fr, 30/03), pour annoncer qu’il allait se prêter à une twinterview sur le gazouillant réseau. Rappelons que la dernière fois que ce brave paysan a voulu innover, il a embarqué à bord d’un bus au colza pour faire celui qui aime la planète. C’était le 11 septembre 2001. #loserdusiècle

Parlement européen

Dans L’Express (30/03), Jean-François Copé adresse une vibrante “Lettre à un ami musulman”, histoire d’expliquer à l’indigène basané que le débat sur la laïcité, c’est bien pour nous deux, pour toi, pour moi, pour tous, pour la paix, pour l’amour, pour la tolérance, peut-être même pour soigner les verrues plantaires et faire revenir la femme adultère ! Cette prose glucosée est tellement écœurante que l’“ami musulman” en question a vomi.

irradié

Romain Perrocheau / Icon Sport

Witt/Sipa

copains d’après

copération séduction

les relous

changement de régime “Habemus programme !” se sont écriés les fidèles socialistes en découvrant dans le JDD (3/04) que le PS avait enfin démoulé des propositions pour 2012. De son côté, le tout juste déclaré candidat aux primaires, François Hollande, a dévoilé en solo son propre programme : galettes de son d’avoine, fromage blanc 0 %, blanc de dinde maigre, flan à l’aspartame et vingt minutes de marche par jour.

Et de deux ! Rachida Dati enchaîne les lapsus. Vendredi 1er avril sur LCI, l’ex-ministre de la Justice, qui avait déjà confondu inflation et fellation, a dit “gode” à la place de “code”, en réponse à une question de Christophe Barbier sur le code de la laïcité… Décidément ! 6.04.2011 les inrockuptibles 45

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contre-attaque

Le Dictateur deChar lie Chaplin (1940)

rire antityrans Peut-on rire de tout, même du pire et des tyrans ? Les moqueurs, qui n’ont pour arme que l’ironie, remettent un peu d’humanité au cœur des drames. Et redonnent un semblant de dignité aux victimes.

C  

’est Mouammar qui appelle son ami Adolf pour lui demander asile dans son bunker berlinois. Il confie en avoir marre de camper sous une tente. Entouré de ses officiers, le Führer tente ce qu’il peut pour refuser le gîte à son double fou furieux. Le ton monte. Avant de raccrocher, Mouammar reproche à Adolf de ne pas avoir répondu à sa requête d’être son ami sur Facebook. Largement diffusé depuis début mars sur YouTube, réalisé à la perfection, ce petit film, est un monument de drôlerie. Et pas si loin de la réalité, puisqu’au même moment, le démissionnaire ministre libyen de la Justice, Moustapha Abdel Jalil, déclarait que le leader libyen allait se suicider “comme Hitler l’a fait”. Mais peut-on traiter en guignol un psychopathe qui massacre son propre peuple, confondant ses opposants avec des commandos d’Al-Qaeda sous hallucinogènes ? En Tunisie, dans les premiers jours du soulèvement populaire, quand la répression, bien moins féroce qu’en Libye, est à son comble, l’humour est très noir. La photographie d’un homme au crâne défoncé est diffusée sur Facebook avec cette légende : “Fuite des cerveaux”. Mauvais goût ? Reste que s’affronter au premier degré, kalachnikov au poing, peut faire très mal. L’humour,

cette politesse du désespoir, ne suscite pas les mêmes représailles. Et permet de garder la tête froide face à l’horreur. Germaine Tillion, ethnologue et résistante, déportée à Ravensbrück, en apporta la preuve en écrivant en cachette Le Verfügbar aux enfers, opérette où elle mettait en scène avec une drôlerie cynique la machine de mort des camps. La moquerie des résistants est inépuisable.Ce sont par exemple les Polonais, en grève contre la propagande officielle sous un Jaruzelski de plus en plus répressif, qui s’entendent pour promener leur téléviseur dans un landau une nuit entière. Ou, plus récemment, les habitants de Rangoon qui accrochent les portraits des leaders de la junte birmane autour du cou des chiens errants. Prague, octobre 1989. Václav Havel, débarque au Slavia, café où se croisent artistes et intellectuels. Il est flanqué de deux pseudo gardes du corps, en fait deux nains de cirque, jumeaux de surcroît, qui moulinent l’air de leurs petits bras. Il cherche une place. Le journaliste français lui offre sa table. Durant une heure, sirotant un petit vin de Moravie,

la moquerie des résistants est inépuisable

il va conter ses plans pour ne pas rester au pouvoir, une fois la démocratie restaurée. Il veut retourner au théâtre, dit-il. Place Venceslas, au même moment, des dizaines de milliers de manifestants pacifistes brandissent des torches et hurlent jour et nuit leur envie de vivre libres. Il ne faudra que quelques jours à la dictature molle des apparatchiks du PC pour s’effondrer. En fait, Havel restera au pouvoir plus d’une décennie. Un de ses actes fondateurs fut de nommer à la tête du protocole Luboš Rychvalský, le chef de la Société pour un présent plus heureux, troupe de clowns casqués de pastèques et tenant au bout d’un fil des chiens mécaniques, pour parodier et déstabiliser la milice. Moscou n’allait tout de même pas envoyer les troupes du pacte de Varsovie contre des chiens mécaniques ! Au passage, Havel le résistant avait érigé “l’absurdisme” en idéologie d’Etat. [email protected] à lire Petits actes de rébellion de Steve Crawshaw et John Jackson, préface de Václav Havel (Balland) ; Le Rire de résistance tome II (Editions du Rond-Point) à suivre le Prix de l’Humour de résistance dont les derniers lauréats ont été les Moustaches Brothers, une troupe d'humoristes birmans qui, malgré leurs passages par la case prison, continuent à défier avec humour la junte depuis leur petite scène de Mandalay

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Jamie Hince et Alison Mosshart, février 2011, Londres

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licence to Kills Le duo anglo-américain le plus sexy de la planète rock sort son quatrième album. Plus orchestré et toujours aussi physique, Blood Pressures est un bon coup. par Johanna Seban photo Tom Van Schelven 6.04.2011 les inrockuptibles 49

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es retrouvailles ont lieu à Londres il y a dix ans. Après des mois passés à lui envoyer de la musique par la poste, l’Américaine Alison Mosshart traverse l’Atlantique pour rejoindre l’Anglais Jamie Hince, son nouveau partenaire musical. La paire s’est rencontrée un peu plus tôt, en 1999, dans un hôtel : le groupe de Jamie (Scarfo) répétait au-dessus de la chambre occupée par Alison, alors chanteuse au sein du groupe Discount. Scarfo et Discount séparés, Jamie et Alison entament une collaboration musicale virtuelle par-dessus l’océan. Chacun envoie à l’autre des esquisses de morceaux, des mélodies. Au bout de quelques mois, l’entreprise devient fastidieuse et la Floridienne vient s’installer à Londres. Elle prend le pseudonyme de VV, Jamie celui d’Hotel. Les Kills sont nés. Nous sommes en 2002 et le groupe n’a pas encore publié d’album ni signé de contrat avec une maison de disques. “On avait ces quelques morceaux qui étaient pas mal, on a décidé de les graver sur CD. On était intéressés par deux labels seulement, Domino et Rough Trade. On en voulait une copie chacun aussi, donc on a gravé cinq exemplaires en tout, c’était plus sûr. Le type qui a gravé nos disques tenait un magasin. Il a passé nos morceaux pendant une semaine. Ça a suffi : on a reçu des appels de tous les labels possibles et imaginables.” Le groupe improvise alors trois concerts dans la capitale anglaise. Quelques mois plus tôt, les White Stripes ont donné le ton : la mode sera au duo mixte et au rock’n’roll sauvage, à l’ancienne. Avec leur rock brut, tendu et sexy, les Kills présentent le profil idéal pour s’offrir une place sur le podium : toute l’industrie du disque est dans la salle, un contrat dans la poche. “Mais on avait prévu de partir tourner pendant trois mois aux Etats-Unis… On nous a dit que c’était du suicide, que personne ne nous attendrait à notre retour. Et là, on sort notre quatrième album !” On rencontre les Kills quelques semaines avant la sortie de Blood Pressures, dans Dalston, quartier de l’Est où réside Alison Mosshart. Dans un grand appartement lumineux, l’Américaine s’est installée au milieu d’instruments de musique vintage. Des photos de Lou Reed, Nick Cave et Mick Jagger égaient les murs. Les fringues s’entassent par dizaines : des vestes en fourrure léopard côtoient des armées de santiags, des vieux T-shirts s’empilent aux côtés de sacs Burberry. Le refuge londonien d’Alison Mosshart est celui d’une musicienne qui a passé les dix dernières années sur la route, enchaînant tournées avec The Kills et concerts avec The Dead Weather, groupe qu’elle partage avec Jack White, l’ancien White Stripes. Après la visite de l’appartement, on s’installe au pub du coin, The Duke of Wellington. Le duke, le vrai, c’est

Jamie Hince : guitariste des Kills, favori des tabloïds anglais (il a succédé à Pete Doherty dans le rôle de monsieur Kate Moss), Hince est aussi brutal et possédé à la scène qu’amical et chaleureux à la ville. “Dès qu’on a formé les Kills, on a su où on voulait aller. On ne voulait pas être de ces groupes qui disparaissent avec le deuxième album. On est fans de Sonic Youth et de Fugazi, des groupes qui publient des albums comme des instantanés, des photos d’un moment, et qui n’ont pas peur de disparaître pendant cinq ans après. Un label indépendant, c’était la garantie de garder le contrôle absolu sur notre image et notre musique, de continuer à pouvoir tout faire nous-mêmes.” L’esprit do it yourself caractérise les Kills depuis toujours. “Aujourd’hui, tout le monde travaille ainsi. Les gens enregistrent avec GarageBand (un logiciel de création musicale – ndlr) sur leur ordinateur puis mettent les morceaux sur le net. Ce n’était pas le cas en 2002. A l’époque, le do it yourself, c’était un effort, une démarche, un parti pris.” Lorsqu’ils boudent les labels anglais au début des années 2000, VV et Hotel partent à la conquête de l’Amérique en tête à tête, dans une vieille voiture d’occasion achetée au papa d’Alison, qui tient un commerce d’automobiles en Floride. “On la lui a

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“on se blesse souvent sur scène. Chevilles tordues, nez cassé… On ne ressent la douleur qu’une fois le set terminé”

les bleus dans les coulisses.” Nouveau chapitre de la saga Kills, Blood Pressures continue d’afficher une sensualité débordante. Disque Cocotte-Minute, il retient une véritable tension sexuelle. “Ça parle beaucoup de ça, concède Jamie. Le titre du disque (“Pressions artérielles”) fait référence au sexe. Il y a toujours eu un côté obsessionnel, animal, physique chez les Kills. Le groupe nous permet d’extérioriser ça. Dans la vie, nous sommes deux personnes timides et réservées.”

revendue à la fin de la tournée, se souvient la chanteuse. J’ai fait toute mon éducation musicale grâce à ces voitures. Les gens oubliaient des cassettes dans l’autoradio, c’est ainsi que j’ai découvert la musique.” De retour en Europe, le groupe signe un contrat chez Domino comme il l’avait souhaité. Avec Franz Ferdinand et Arctic Monkeys, les Kills participeront à l’essor commercial du label dans les années 2000. Keep on Your Mean Side, le premier album, paraît en 2003. Enregistré aux studios Toe Rag, là même où les White Stripes ont façonné leur platiné Elephant, le disque condense les influences des Kills : le blues des années 30 y flirte avec le Velvet Underground, Royal Trux y côtoie Canned Heat ou Captain Beefheart. Première pierre, brûlante, d’un triptyque résolument rock’n’roll (les albums No Wow et Midnight Boom suivront deux et cinq ans plus tard), Keep on Your Mean Side assoit les Kills à la table des White Stripes, Patti Smith, Sonic Youth et PJ Harvey. Convaincant sur album, le duo devient époustouflant sur scène : il livre des prestations sauvages et physiques, brutales et sexuelles. Ses concerts sont à équidistance de la lo-fi américaine et de l’afrobeat : des moments de transe. “On se blesse souvent sur scène. Chevilles tordues, nez cassé… On ne ressent la douleur qu’une fois le set terminé. On découvre

Enregistré aux studios Key Club (Michigan), Blood Pressures a permis à Jamie Hince de développer son intérêt pour des instruments rarement aperçus du côté des Kills, comme ce clavier mellotron sur Nail in My Coffin. De déployer aussi des chœurs sombres et psychédéliques (Satellite, Pots and Pans). Une jolie comptine de Hince (Wild Charms), comme échappée d’un carton de demos de John Lennon, vient répondre à une ballade signée Mosshart (The Last Goodbye). Plus que jamais, la chanteuse semble à l’aise, décomplexée sans doute par l’expérience acquise avec The Dead Weather. “Il a fallu que je tienne tête à trois gars, j’ai appris à m’assumer, à dire ce que je pensais.” Elle en profite pour livrer son texte le plus personnel à ce jour :“Comment puis-je me fier à mon cœur, si je peux moi-même le briser avec mes deux mains ?” “Les textes viennent facilement à Alison, j’ai plus de mal, avoue Jamie. Ça fait notre force : on a toujours su trouver le bon équilibre, partager les tâches. Il n’y a jamais eu de place pour l’ego au sein des Kills. Pas de vote ou de démocratie possibles non plus puisque nous sommes deux. Dans l’art et la musique, je crois qu’il faut être tyrannique. Je suis la moitié d’un dictateur et Alison en est l’autre. Il se trouve que, par hasard, nous comblons nos lacunes… Et on a la même taille de jeans.” Les Kills portent d’ailleurs si bien le denim que le groupe, dès ses débuts, s’est ouvert les portes de la mode. Ça ne fera pas rêver tout le monde, mais Etam ou Zadig & Voltaire ont trouvé chez eux les représentants parfaits d’un certain retour du rock’n’roll. Jamie : “Nous accordons de l’importance à l’image, à la mode. J’ai grandi dans des coins isolés. Je ne pouvais pas prendre le train pour aller voir un concert. Alors je passais des heures chez le disquaire à regarder les pochettes des groupes, leurs fringues, parfois sans même entendre leur musique. J’ai acheté des albums sur la foi d’une seule photo. L’attitude, c’est tout sauf superficiel. Dans la mode, comme dans la musique, il ne faut pas être terre à terre, ce n’est pas l’endroit pour ça.” Ça tombe bien, Blood Pressures est pareil aux Kills : pas du tout terre à terre, brillamment flamme à flamme. Album Blood Pressures (Domino/Pias) Concert le 6 mai à Paris (Bataclan, complet) www.thekills.tv 6.04.2011 les inrockuptibles 51

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new Jerzy Jean-Luc Godard lui a écrit qu’il était le meilleur cinéaste du monde, à égalité avec lui. Après un long détour par la peinture et quelques films mal reçus, le Polonais Jerzy Skolimowski sort le magnifique Essential Killing, film de traque sous influence Gus Van Sant. par Serge Kaganski photo Alexandre Guirkinger

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ravelling aérien sur des canyons désertiques, échanges radio en américain. Puis on descend à terre avec des soldats, ou des miliciens, en tenue du désert. C’est le début, magnifique et scotchant, d’Essential Killing. On se croirait dans Redacted de Brian De Palma ou dans un film de guerre tiré vers l’abstraction par Gus Van Sant. L’auteur de ce survival movie, c’est Jerzy Skolimowski, cinéaste polonais inclassable et revenant du cinéma. Superbement sanglé dans un costume crème, cravate, lunettes noires, chevelure ondulante, Jerzy Skolimowski arrive tel un dandy de 72 piges, enquillant les bloody mary avec une certaine allure. On attaque en évoquant la charge politique d’Essential Killing, qui renverse les perspectives hollywoodiennes en faisant d’un crypto-taliban le héros du film, traqué sauvagement par une armée occidentale. Un rapport avec l’actualité récente de l’Irak ou de l’Afghanistan ? Le vieux renard se rebiffe : “Je ne nomme aucun pays, les personnages ne parlent pas, on ne connaît pas leur langue, leur nationalité, tout est volontairement indéterminé, ambigu. Rien n’indique que mon personnage est un taliban ou un terroriste. Ce n’est pas forcément un ange non plus. C’est surtout quelqu’un qui s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Je raconte

une histoire universelle et intemporelle d’homme traqué par une meute et qui pour survivre en est réduit à la condition d’animal.” L’animal, c’est Vincent Gallo, choix génial qui n’avait rien d’évident. Lors d’une projection cannoise de Tetro de Coppola, Skolimowski est bluffé par la performance de l’acteur. Il le croise à l’hôtel et lui donne son script en se disant que Gallo lui répondra dans six mois – s’il le lit. Deux heures plus tard, Gallo le rappelle, hystérique : “Non seulement je veux faire ton film, mais surtout, je dois le faire !” Un peu surpris, le cinéaste temporise, vérifie que Gallo pourra supporter un tournage physiquement difficile puis l’engage. Skolimowski admet aujourd’hui qu’il ne voit pas qui aurait pu mieux que Gallo habiter ce rôle. Nous non plus. On est heureux que Skolimowski présente aujourd’hui un film aussi beau, puissant et contemporain : “J’ai voulu prouver que les films de guerre hollywoodiens ne sont pas si géniaux, que je pouvais faire mieux avec mille fois moins d’argent et de moyens techniques”, explique-t-il tel le boxeur qu’il fut dans sa jeunesse. Ce cinéaste qui entend remettre les cadors des studios à leur juste place vient de très loin. Du fin fond de la Pologne et des années 60. Plus exactement de la fameuse école de cinéma de Lodz, enclave de liberté dans la grisaille du communisme réel, où il fait ses 6.04.2011 les inrockuptibles 53

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“Roman Polanski était le roi de l’école de cinéma de Lodz, le chéri de ces dames. Après son départ, j’ai pris le relais” Travail au noir (1982), avec Jeremy Irons (au centre), tourné à Londres après le coup d’Etat du général Jaruzelski

classes avec des gandins comme Roman Polanski. “C’était fantastique, raconte-t-il l’œil malicieux entre deux gorgées de bloody mary. Nous étions jeunes, beaux, sexy, parés du prestige de futurs cinéastes ! Nous passions notre temps à faire la fête, à voir des films géniaux avec des bataillons de groupies à nos pieds ! Roman avait trois ans de plus que moi, il était le roi de l’école, le chéri de ces dames. Après son départ, j’ai pris le relais.” Peu attentif en cours, le jeune Jerzy en profite surtout pour utiliser les outils et les étudiants techniciens afin de réaliser son premier film. La première partie de la filmographie de Skolimowski (Signes particuliers : néant, Walkover, La Barrière…) est fortement autobiographique : il y joue à chaque fois son double fictif, Andrzej, jeune homme rebelle à toute norme sociale. Disposant de peu de moyens, il filme tout en une seule prise pour ne pas gâcher la pellicule. A New York, où il montre ses films avec succès, il s’attire un jour une mauvaise critique du New York Times qui reproche à ses films de n’être que des collages de rushes peu travaillés. “Ce critique n’avait pas complètement tort, sauf que c’est ce “défaut” qui rendait mes premiers films si originaux. J’ai reçu à l’époque une lettre de Jean-Luc Godard, que j’ai toujours en ma possession, où il me disait : ‘N’écoute pas ces imbéciles d’Américains ! Toi et moi sommes les meilleurs cinéastes du monde !’” En 1967, le film Haut les mains, virulente charge antistalinienne, lui vaut d’être expulsé de Pologne. Il se retrouve largué en Europe de l’Ouest, où il a noué divers contacts, avec Godard mais aussi Truffaut, Milos Forman et toute l’internationale des nouvelles vagues émergentes. Skolimowski se rend compte que ces jeunes cinéastes filment comme lui, avec la même sensibilité, la même énergie et le même dédain pour l’académisme. Il tourne Le Départ en Belgique et en

français, avec Jean-Pierre Léaud. Une merveille de légèreté, de vitesse et de mélancolie propulsée par une irrésistible BO jazz. Il se retrouve ensuite à la tête d’une superproduction européenne, Les Aventures du brigadier Gérard. “Je n’étais pas fait pour ce genre de production, qui comportait trop de lourdeurs, de contraintes.” Un fait divers banal lui remet les idées en place : l’histoire d’un couple de riches qui perd un diamant dans la neige. Skolimowski se demande pourquoi personne n’a pensé à faire fondre la neige à l’endroit de la perte, le diamant aurait ainsi été facilement retrouvé. “J’ai compris que cette anecdote définissait le cinéma que je devais faire. Pour dénicher des diamants filmiques, il faut faire fondre la neige autour. Simplicité et petits budgets plutôt que complications et gros moyens.” Le diamant à suivre sera Deep End (1970), son premier grand succès international, film culte qui ressort en copie neuve le 13 juillet prochain. Une histoire de désir, de sexe et de mort, presque entièrement située dans une piscine publique. Vision étrange et sombre du Swinging London, comme déjà rattrapée par la gueule de bois des seventies. “Mes films ne sont pas issus de projets conceptuels compliqués, c’est beaucoup plus simple. Je filme ce que je vois, ce que je ressens. Deep End est peut-être marqué par le regard d’un étranger sur l’Angleterre. Un stand de hot dogs me fascinait parce que ça n’existait pas en Pologne, alors que les Anglais ne le remarquaient même plus.” Roman Polanski faisait le même type de remarque en parlant de Répulsion. Comme son aîné de Lodz, Skolimowski connaîtra sa période british. Son autre film anglais marquant sera Travail au noir (1982), comédie grinçante sur l’exil. Le film raconte la vie quotidienne d’ouvriers du bâtiment polonais qui retapent une maison londonienne et ignorent tout du coup d’Etat du général Jaruzelski dans leur pays natal. Skolimowski a puisé l’idée de ce film dans sa propre

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Rue des Archives

Vincent Gallo, interprète génial d’Essential Killing. Il a accepté le scénario en deux heures

Diana Dors et John Moulder-Brown dans Deep End (1970), film d’apprentissage cruel et corrosif

vie. Il hébergeait à Londres des immigrés polonais et l’un d’eux n’arrêtait pas de pleurer en regardant les informations télévisées. Le prenant en pitié, le cinéaste lui traduisait les JT en enjolivant les situations pour le rassurer. “A un moment, bing ! Je me suis dit que c’était le sujet de mon prochain film. Un type qui manipule ses compatriotes en exil pour les protéger. J’ai choisi Jeremy Irons pour jouer mon rôle, et mon invité polonais pleurnichard jouait son propre personnage.” Une illustration de la conception instinctive du cinéma selon Skolimowski. La suite sera moins favorable. En 1984, Le Succès à tout prix n’est pas un succès. Skolimowski s’exile aux Etats-Unis où il signe Le Bateau-phare dans des conditions de production plus confortables mais aussi plus formatées. “Mes souvenirs sont mitigés. Klaus Maria Brandauer était un type très difficile. En revanche, j’ai pu travailler avec Robert Duvall, un très grand. Un jour, il a déclaré dans une revue américaine avoir appris la mise en scène de cinéma grâce à moi.” Le film ne marche pas et Skolimowski, éternel nomade du cinéma, se retrouve en France pour une adaptation d’un roman de Witold Gombrowicz, Ferdydurke. Une fois de plus, le projet tourne mal. “J’avais pourtant de bonnes actrices comme Fabienne Babe ou Judith Godrèche. Mais cette production était un europudding : acteurs anglais et français, producteur français, réalisateur polonais… Ça ne pouvait pas fonctionner.” Après ce nouvel échec, le cinéaste prend du recul. “Je voulais redéfinir mes priorités de cinéaste, arrêter trois ou quatre ans. Je n’avais pas prévu que mon break en durerait dix-sept !” Dix-sept ans sans aigreur. Jerzy Skolimowski en profite pour savourer la vie et renouer avec une vieille passion : la peinture. Il aménage sa maison de Malibu en studio d’artiste et se met à peindre. Il expose à Los Angeles, New York, puis dans le monde entier.

Jack Nicholson, Helen Mirren, le producteur Jeremy Thomas lui achètent des toiles. La belle vie, facile. Pourquoi reprendre une caméra ? Skolimowski ne perd pas contact avec le cinéma et, se souvenant peut-être qu’il a joué dans ses premiers films, entame, en pointillé, une carrière d’acteur. On le voit faire des panouilles dans Soleil de nuit de Taylor Hackford, Mars Attacks! de Tim Burton, jusqu’à un véritable rôle dans Les Promesses de l’ombre de David Cronenberg (le papa raciste de Naomi Watts, c’est lui). “Je ne me considère pas comme un acteur mais je sais le faire. C’est facile, il n’y a pas trop à réfléchir et c’est surtout très bien payé. Entre ça et la peinture, je n’avais aucune angoisse sur mon retour à la réalisation. Je m’étais dit que si je réalisais de nouveau un film, ce serait sans compromis. Je reviendrais derrière une caméra uniquement pour faire de grands films selon mes règles.” Promesse tenue, d’abord en 2008, avec le superbe et bressonien Quatre nuits avec Anna, qui n’a pas rencontré le succès qu’il méritait, puis avec cet haletant Essential Killing. Quand on évoque l’éventuelle influence de De Palma ou Gus Van Sant sur Essential Killing, Jerzy Skolimowski sourit et dit ne pas connaître leur travail. Il voit peu de films et pas grand-chose l’excite. Il cite quand même trois films récents qui lui ont plu : Un prophète d’Audiard, Démineurs, le film de guerre irakien de Kathryn Bigelow et The Ghost Writer de son vieil ami de Lodz. “Certaines de mes toiles sont dans le film, on les voit bien dans les scènes où Pierce Brosnan est dans son canapé”, glisse-t-il avec une fierté touchante. Vu son parcours et sa filmographie, de Lodz à Malibu en passant par les bouleversements esthétiques et politiques des sixties, il a le droit de crâner un peu. Lire critique du film p. 72 Deep End de Jerzy Skolimowski, en salle le 13 juillet (reprise) 6.04.2011 les inrockuptibles 55

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ensions”, “ruptures”, “désamour” : la fin du couple franco-allemand reste un thème de prédilection pour les médias. Un faux diagnostic ? Il faut dire que les symptômes sont là. Comme de nombreux individus qui réalisent un jour qu’ils sont moins amoureux de leur partenaire que de la relation qu’ils ont avec lui (ou elle), le couple francoallemand est plus complexe que son image d’Epinal. Et si la France n’aimait pas tant l’Allemagne que le couple francoallemand, et vice versa ? En tout cas, Louis-Marie Clouet, chercheur au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) le confirme : “Il n’y a pas de désamour entre la France et l’Allemagne, puisqu’il n’y a jamais eu d’amour.”

Après plus de soixantea ns dema riage, le vieux couple franco-allemand est-il en crise ? par Isabelle Foucrier

France-Allemagne

une histoire de couple

je vous déclare unis Les deux pays ont entamé leur houleuse relation conjugale en 1951 avec la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca), ancêtre de la Communauté européenne. Dès lors, chaque changement de gouvernement a entraîné un apprentissage douloureux : “De Gaulle et Adenauer étaient rongés par une méfiance mutuelle, Kohl et Mitterrand ne se comprenaient pas et l’objectif de Schröder était, au départ, de se rapprocher en priorité de Tony Blair”, rappelle Franck Baasner, directeur de l’Institut franco-allemand de Ludwigsburg. Tous les conseillers conjugaux le disent, après plus de soixante ans de mariage, on risque aussi de s’encroûter dans un même rôle. D’un point de vue humain, les dirigeants actuels souffrent peut-être d’une incompatibilité incurable. “Ils sont un peu la caricature des représentations négatives qu’on peut se faire de l’autre pays. Heureusement, un Etat ne se résume pas à son dirigeant”, confie Henrik Uterwedde, directeur adjoint de l’Institut franco-allemand de Ludwigsburg. D’un côté, papa Sarkozy se pavane, promène sa Rolex et distribue ses sorties pataudes. De l’autre, maman Merkel serre les dents, tient le budget et se tape toutes les tâches ingrates de l’éducation (“la rigueur, mes enfants, la rigueur !”). Bref, Angela Merkel tient le mauvais rôle et Nicolas Sarkozy, lui, n’a même pas mauvaise conscience. “Les médias allemands aiment taper sur Sarkozy, poursuit Uterwedde, parce qu’il incarne tous les défauts du système français. Pour eux, il se prend encore pour un roi.” 6.04.2011 les inrockuptibles 57

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“les médias allemands aiment taper sur Sarkozy. Pour eux, il se prend encore pour un roi” … un jour colère

le coup de la migraine Autre signal connu, la baisse de désir, bien sûr, le poids de la vie quotidienne, bref, la fin de la magie. “On est définitivement sortis de l’ère de la réconciliation”, avance Claire Demesmay, responsable du projet franco-allemand à l’Institut allemand de politique étrangère (Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik). Schröder, premier chancelier allemand à n’avoir pas connu la guerre, avait amorcé le processus. Jusqu’aux années 2000, la France et l’Allemagne pouvaient bien chahuter, il y avait toujours une dimension quasi sacrée qui planait et à laquelle les dirigeants pouvaient se raccrocher la larme à l’œil : la paix retrouvée. “On y était attaché pour des raisons quasi organiques”, renchérit Patrick Farges, maître de conférences à la Sorbonne Nouvelle de Paris-III. Mais le dernier poilu est mort, la génération de la Seconde Guerre mondiale vieillit et disparaît peu à peu. “Il n’y a plus de grand projet francoallemand”, constate Claire Demesmay. Un exemple : “L’agenda franco-allemand 2020 prévoit des mesures assez terre à terre, comme des créations de crèches franco-allemandes.” Pas très grandiloquent, en effet. Autre exemple : début 2010, Paris avait lancé l’idée d’un ministère franco-allemand. L’Allemagne, selon Claire Demesmay, a refusé pour un motif pragmatique et, à vrai dire, assez rabat-joie : on ne crée pas de nouveaux outils quand on ne sait même pas se servir de ceux qu’on a. des amants, des maîtresses C’est donc ça. Un peu blasées, la France et l’Allemagne passent moins de temps à s’émerveiller sur leur histoire. C’est là qu’intervient un autre grand classique de la crise conjugale : l’élément déclencheur d’un conflit larvé. Entre la France et l’Allemagne, la crise de l’euro a exacerbé les différences historiques.

L’Allemagne a des angoisses archaïques, comme celle de la monnaie instable. Il ne faut pas oublier que l’effondrement du mark, dans les années 1920, a ouvert la voie à Hitler. Ce fétichisme de la stabilité s’accompagne d’une tradition : la monnaie forte, gage d’une économie forte. Face à cela, la France et ses conceptions en tout point opposées. Nos gouvernements ont longtemps pratiqué la dévaluation pour relancer des exportations poussives. L’euro a plus de dix ans, mais il n’a pas effacé ces divergences de fond. Les milieux économiques allemands restent persuadés que la vision laxiste de certains de ses partenaires, dont la France, tire l’euro vers le bas. Les plus pessimistes vont loin : HansOlaf Henkel, l’ancien patron des patrons en Allemagne, recommande le divorce. Dans un essai au titre explicite (Sauvez notre argent, l’Allemagne est bradée), paru en décembre 2010, il propose que l’Allemagne rejoigne ses amants au sein d’une zone euro dite “du Nord”. Et que la France fasse de même avec ses maîtresses méditerranéennes, dans une union monétaire “du Sud”. En fait, l’Allemagne, à qui l’on a reproché d’être hésitante et égoïste, a vu ses craintes originelles se réaliser. Elle qui avait un mark si costaud, acquis au prix de tant d’efforts, abandonné à regret1, s’est vue faire le flic pour empêcher que l’inflation et l’endettement de ses partenaires affaiblissent l’euro. Elle, qui a inscrit la lutte contre la dette publique dans sa Constitution, ne comprend pas pourquoi elle devrait se conformer à la mauvaise conduite des autres. Plus que de réfléchir à des plans de sauvetage, elle veut responsabiliser les Etats.

familiale. “Sans elles, il n’y aurait aucune grande décision européenne. De toute façon, il n’existe pas d’autre couple concevable”, insiste Henrik Uterwedde. Enfin, au-delà des divergences, leur coopération économique est en grande forme. Les deux dirigeants travaillent parfois de manière si rapprochée qu’on les accuse d’exclusivité. Au moment du plan de sauvetage de la Grèce, par exemple, et plus récemment lors du lancement franco-allemand du Pacte de compétitivité. Pour réchauffer la machine de l’amour, rien de tel qu’une initiative constructive !

rester ensemble pour la famille Comme certains parents dévoués, la France et l’Allemagne restent aussi ensemble pour préserver l’unité

1. Dans le sondage Ifop, “Regard croisé FranceAllemagne sur la dette publique et la situation économique en Europe”, paru en janvier 2011, 37 % des sondés allemands disent vouloir revenir au mark

un macho et une névrosée Il paraît qu’une crise de couple devient grave quand les deux partenaires la considèrent comme telle. Les médias ont beau s’inquiéter, la France et l’Allemagne vivent la même histoire depuis des décennies. Avec le temps, elles ont appris à transformer leurs différences en complémentarité. Aujourd’hui, l’Allemagne souhaite un mari fort et retapé et apprend à la France le goût de la discipline. En d’autres termes, l’Allemagne s’occupe par tradition de la stabilité monétaire et économique, la France de l’influence diplomatique et militaire. Cela explique en partie pourquoi la France est intervenue en Libye quand l’Allemagne a mis au point une diplomatie de dernière minute pour expliquer son abstention. “Les Allemands n’aiment ni le terme, ni l’idée de leadership qui lui rappelle son passé tragique”, souligne Claire Demesmay. Bref, quand un pays macho épouse une nation névrosée, il ne faut pas s’attendre à l’harmonie. Mais voyons pages suivantes comment les vrais couples franco-allemands s’organisent.

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les Allemands ne savent pas flirter Vu par un Français installé en Allemagne Allergique aux jeux amoureux et à la séduction, l’Allemagne se retrouve en plein déclin démographique. par Alain-Xavier Wurst illustration Jean Lecointre

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a langue allemande, disait le poète allemand Jean Paul (Johann Paul Friedrich Richter), est “l’orgue d’entre toutes les langues”. Comme il avait raison. Une langue puissante et forte, aux multiples nuances, créatrice de concepts et d’objets inouïs. Songeait-il au mot Geschlechtsverkehr lorsqu’il coucha sur le papier ses fécondes pensées ? Cela semble probable. Ce n’est pas une petite parole que Geschlechtsverkehr ! Il y a de la matière là-dessous. Vu sa longueur, il s’agit sans doute d’un concept philosophique ardu. Geschlechtsverkehr, quatorze consonnes et quatre voyelles, veut dire “sexe”. Pour être tout à fait exact, “rapport sexuel” dans la langue administrative et officielle, le “Behördendeutsch” (une sous-branche de l’allemand avec des mots vraiment très longs). Dix-huit lettres pour la gaudriole, ça commence mal. On imagine la scène. Lui, énamouré : “Chérie, quand je te vois, j’ai envie de Geschlechtsverkehr.” Elle, concentrée : “Attends… Geschlechtsverkehr… mot compte triple… 2012 !… Allez, à toi.” L’amour mérite mieux. Mais il y a plus

subtil et pernicieux encore : j’ai nommé Verführen. Moins payant au Scrabble mais aussi funeste dans ses intentions, ce verbe, qui à l’origine signifie “détourner du droit chemin”, veut dire “séduire”. Les bras m’en tombent. Séduire, n’est-ce pas un hymne à l’amour et à la liberté ? Verführen, l’infâme, nous entraîne, lui, vers les rives du remords et de la contrition. Des esprits avisés rappelleront que seducere, qui a donné séduire en français, désigne précisément la même chose. C’est tout à fait exact, avec cette différence essentielle cependant que l’étymologie de séduire en français ne s’entend pas tandis qu’en allemand, elle est immédiate. Verführen, c’est mal. Séduire, c’est séduire. On le voit, les relations qu’entretient la langue allemande avec la bagatelle sont conflictuelles. S’il n’y avait que la langue. taux de natalité dans les chaussettes L’Allemagne va mal. Que dis-je ? L’Allemagne se meurt. Le déclin démographique du pays semble inexorable. En 2060, les Allemands ne seront plus que 70 millions contre 82 millions aujourd’hui. Le Statistisches Bundesamt, l’Insee allemand, s’émeut

– on le serait à moins. Que faire ? Plusieurs raisons peuvent expliquer cette arithmétique cruelle. Une politique familiale insuffisante, un nombre de crèches limité, le dilemme de la femme allemande placée devant le choix entre carrière ou enfant, un matérialisme exacerbé, etc. Certes. Mais le nœud du problème, croyonsnous, se situe ailleurs. Au nom de l’amitié franco-allemande, qu’il nous soit permis ici de soumettre des pistes de réflexions à nos amis germaniques, déboussolés par l’ampleur de la catastrophe, afin qu’ils retrouvent dans un avenir proche le chemin de la natalité. C’est avec plaisir que nous exportons l’excellence française dans ce domaine. Geschlechtsverkehr et Verführen, les Charybde et Scylla de l’amour allemand, reflètent un mal plus profond qui a pour nom la guerre des sexes. Oui, la guerre des sexes fait rage outre-Rhin. Le jeu de la séduction et l’Allemagne, ça fait deux. Là gît le mal, et nulle part ailleurs. Pour l’heure, la question du jeu amoureux en Allemagne nous rappelle celle, insoluble, de l’œuf et de la poule : l’Allemand n’aborde pas et l’Allemande ne répond pas (à mon avis, le problème

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Même dans les moments les plus torrides, l’Allemande reste pragmatique 6.04.2011 les inrockuptibles 61

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“en France, un financier et une caissière n’auront aucun mal à flirter ensemble. Ça ne fonctionnerait jamais en Allemagne, jamais” Jens Jessen, journaliste vient surtout de l’œuf, comme nous le verrons plus tard). Ce qui frappe, c’est l’absence de complicité entre hommes et femmes dans la vie de tous les jours. La drague se cantonne aux lieux et horaires prévus à cet effet. En dehors, on se sent hors la loi, voire idiot. La dame interprétera le sourire en coin ou le compliment comme une violation de sa sphère privée, non comme un hommage à sa personne. Dans le meilleur des cas, elle vous répondra par “äh ?” (faites “äh” devant le miroir, vous comprendrez). Je ne dis pas que les Françaises se réjouissent chaque fois qu’un inconnu leur adresse la parole, mais si l’approche est avenante, il y a de fortes chances qu’elles jouent le jeu. Pour l’Allemande, oubliez. Le jeu lui est pratiquement étranger. L’homme français, qui se croyait coquin, se découvre lubrique ; veut-il faire honneur à la féminité, le voilà un satyre. Il perd son latin face au réalisme désarmant de son interlocutrice. une personne, pas une femme Nous sommes en 2003, je viens d’arriver à Hambourg et des amis m’ont invité à une soirée. Une demoiselle jeune-et-jolie se tient au buffet. J’aborde cette blonde sylphide aux mensurations parfaites, nous commençons à bavarder, on reprend du vin et des nachos, il s’avère qu’elle écrit une thèse sur les relations franco-allemandes. Ça a lors ! “Oui mais bon, Daniela (elle s’appelle Daniela), l’amitié francoallemande est morte, pour sauver le couple, je ne vois qu’une solution, c’est de passer à l’amour franco-allemand”, lui fais-je. Imperturbable, elle continue sur le traité de l’Elysée, passe en revue l’époque Chirac-Schröder et je sens lentement que mes tentatives de sexualiser subtilement la discussion conduisent droit dans le mur. Nous sommes samedi soir, la musique est bonne, mais si Daniela continue à parler politique, on va finir à coup sûr dans le IIIe Reich. En Allemagne, quelle que soit la discussion, elle finit toujours dans le IIIe Reich. Afin d’éviter cet écueil, je l’invite à danser. Elle danse vraiment bien. Je lui lance en riant un “mademoiselle, félicitations à vos parents” d’un air entendu. Une amie italienne m’avait appris cette phrase et ajouté : “En lui disant ça, tu souris et tu la regardes droit dans

les yeux.” Je n’ai pas dû regarder Daniela bien droit dans les yeux, parce qu’à ce moment-là, elle s’est arrêtée net. Surprise, interloquée même, elle a répondu : “Mais… tu ne connais pas mes parents !” Assis sur le canapé, avec un verre d’eau plate à l’aspirine, j’eus ainsi tout le loisir de méditer ces lignes de Madame de Staël : “Jamais un Allemand ne peut arriver à cette brillante liberté de plaisanterie. La vérité l’attache trop, il veut savoir et expliquer ce que les choses sont (...). La philosophie épicurienne ne convient pas à l’esprit des Allemands ; ils donnent à cette philosophie un caractère dogmatique, tandis qu’elle n’est séduisante que lorsqu’elle se présente sous des formes légères.” Il fallait se rendre à l’évidence. Ce n’était pas ce soir que j’allais pécho. La deuxième épreuve vint de cette discussion avec une collègue berlinoise au look recherché et personnel. Très féminine, justement, fait assez rare pour qu’on le remarque. Mais pour des raisons que j’ignore, elle choisissait toujours des chaussures informes qui défiguraient d’un coup l’harmonie de ses ensembles. Je lui fais remarquer un jour qu’avec des chaussures à talons hauts, elle serait la reine de Saba. “Des talons hauts ?, s’étrangle la future reine. Mais je ne suis pas une pute !” Cette confusion navrante entre féminité et sexualité n’était pas le seul fait de ladite collègue, hélas, comme je devais le constater par la suite lors de nombreuses conversations avec la gent féminine allemande. Sans parler de l’aspect moraliste que cachait cette réflexion, un peu trop véhémente pour être honnête, en suggérant implicitement que les pieds plats seraient un signe de vertu. Troisième touche pointilliste de ce tableau déconcertant. Je rencontre lors d’un vernissage à Bruxelles une jeune fille allemande aux cheveux noirs superbes, coupés très courts. Après un long débat sur l’entretien fastidieux des cheveux longs, une saillie définitive : “De toute façon, je ne veux pas qu’on me considère comme une femme mais comme une personne.” Des phrases de ce genre, j’en ai entendu un paquet mais celle-ci me paraît de loin la plus gratinée. Relations ambiguës entre féminité et sexualité, regard confus de la femme sur elle-même, souci de neutralité

régissant le rapport entre les sexes : les Allemandes ne se pressent pas pour jouer la comédie du flirt, qu’elles ne prennent pas à la légère. Peut-être en serait-il autrement si l’Allemagne célébrait la femme comme le fait la France ? “Les femmes allemandes ne sont pas habituées à ce que les hommes leur renvoient l’image de leur féminité. Je crois par ailleurs que la femme allemande n’a toujours pas compris qu’il y avait un bonheur à se sentir femme”, me confie Sophie, une amie de Stuttgart. bourgeoisie et protestantisme A vrai dire, c’est l’ensemble de la société allemande qui semble mal à l’aise avec le sujet. Y aurait-il à cela des raisons historiques et sociales ? Pour essayer de comprendre, je m’entretiens avec Jens Jessen, homme de lettres, humaniste, observateur de son temps et de ses contemporains, aimant les femmes et la France. Il dirige le service culture à l’hebdomadaire Die Zeit. Jens, pourquoi le marivaudage est-il si difficile en Allemagne ? “J’y vois plusieurs raisons. La première tient au caractère profondément bourgeois (bürgerlichkeit) de la société allemande. Les cours des nombreuses principautés qui formaient le Saint Empire n’ont jamais servi de modèle à la

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Ler omantisme est le pire ennemi del ’amour : l’hommeall emand l’a bien compris

population. Au contraire de la France, où la cour donnait le ton et dont l’influence pouvait se faire sentir jusque dans les provinces les plus reculées. Rien de tel ici. Le bourgeois allemand, assidu et travailleur, s’est coupé des influences du monde aristocratique et de ses mœurs frivoles dès le XVIIIe siècle. Deuxième raison, l’influence du protestantisme sur l’ensemble de la société allemande – que l’on note aussi dans les régions catholiques, même si ces dernières ne veulent pas l’admettre. Le protestantisme, confession tournée vers l’intériorité, prêche une éthique de l’authenticité. Dans cet esprit, ne sont respectables et respectés que les sentiments réellement éprouvés, tandis que le jeu, la simulation, la dissimulation méritent condamnation. La troisième raison, c’est le féminisme, qui se nourrit des deux points précédents. La notion d’égalité entre les sexes se rattache idéalement aux valeurs bourgeoises et à l’éthique protestante. Ces trois éléments existent certes dans d’autres pays mais ils se renforcent mutuellement, surtout en Allemagne. Le dernier point, très important et souvent méconnu, concerne l’art de la conversation. Avant, tout était simple. Avec des classes sociales cloisonnées, on ne parlait qu’entre gens de son milieu.

Les autres, on ne les fréquentait pour ainsi dire jamais. Soudain, à partir de 1933, ces frontières ont volé en éclats et les différents milieux, les différentes classes se sont retrouvés en contact. C’est l’aspect socialiste du nationalsocialisme, si vous voulez. Mais en Allemagne, le grand bourgeois n’avait jamais appris à parler au petit-bourgeois. Aujourd’hui encore, l’Allemagne cherche à inventer un langage commun à tous les milieux. Bien que ce pays se sente et soit aujourd’hui profondément démocratique, il demeure, sous cet aspect, tout sauf démocratique. On note des progrès, mais il reste du chemin. En France, un financier et une caissière n’auront aucun mal à flirter ensemble. Ça ne fonctionnerait jamais en Allemagne, jamais.” deux matelas A ce stade de la conversation, il nous faut évoquer les différences régionales,

“lorsqu’un homme allemand invite une femme allemande à regarder le foot à la télé, il regarde vraiment la télé” une Munichoise

très marquées chez nos voisins. L’Allemagne de l’Est constitue un objet d’étude en soi. Les femmes estallemandes cultivent un rapport plus décomplexé envers le corps et la sexualité que leurs consœurs ouestallemandes. Cette différence est liée pour beaucoup aux formes de socialisation qui existaient dans l’ancienne RDA – et qui ont perduré après la chute du Mur. Les habitants du sud du pays, en Souabe, BadeWurtemberg ou Bavière, tout comme en Rhénanie, montrent en général un naturel plus jovial et communicatif que les Hanséatiques, au tempérament réservé. Mais tous les Allemands vous le confirmeront, il existe des invariants, comme le pragmatisme, par exemple. Ce pragmatisme se rencontre dans les situations les plus inattendues, voire les plus inopportunes. Arrive le jour où vous avez enfin pécho. Les préliminaires avec votre belle sont consommés quand soudain : “Attends !” Allons bon, qu’est-ce qu’il se passe encore ? “Je t’ai fait mal ?”, demandez-vous d’un air inquiet, soucieux du bien-être de votre partenaire. Vous envisagez le pire, une allergie aux fraises, une crise d’asthme, et vous êtes prêt pour un bouche-à-bouche salvateur. “Il faut que j’aille me brosser les dents”, répond l’élue. Alors là, je dis bravo. Plus fort que Daniela, il fallait le faire. Qu’ils ne viennent pas ensuite se plaindre d’avoir un taux de natalité dans les chaussettes, ils l’auront bien cherché. Et encore, je ne vous ai pas parlé de la Besucherritze. Ce nom délicat et poétique décrit l’espace qui sépare les deux matelas du lit conjugal. Comment ça, deux matelas ? La raison en est simple. L’homme et la femme ayant des besoins différents quant à la qualité et la dureté des matelas, chacun a le sien. Cette gémellité assure à l’un comme à l’autre un sommeil réparateur et transforme les ébats passionnés en lutte désespérée contre la pesanteur. Les jeunes générations allemandes semblent cependant avoir compris et optent de plus en plus souvent pour un seul et grand matelas – appelé “lit français”. On appréciera l’hommage. Mais, entre nous, qui voudrait sérieusement nous faire croire que la femme allemande est étrangère à la séduction ? Chaque femme en ce bas monde ne souhaite-t-elle pas séduire et être séduite ? La réponse se trouve 6.04.2011 les inrockuptibles 63

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dans la question. Si donc la poule n’y est pour rien dans cette affaire, c’est de l’œuf qu’il s’agit. En effet. Soyons clairs : qu’elles soient allemandes, françaises, italiennes ou autres, toutes reprochent à l’homme allemand son manque d’initiative, l’absence du regard masculin, un flirt maladroit et prévisible. Une femme française vivant à Berlin déclarait récemment se sentir transparente. Elle en venait à se poser des questions sur son sex-appeal et ne se rassurait que lorsqu’elle retournait en France. “Lorsqu’un homme allemand invite une femme allemande à regarder le foot à la télé, il regarde vraiment la télé”, se lamente une amie munichoise. Le problème avec le mec allemand, c’est que dès que tu flirtes avec lui, il croit tout de suite que c’est très sérieux”, expliquet-elle. Soit sa drague est frontale et n’a qu’un but, soit il ignore son entourage. Comment faire comprendre à l’homme allemand que la séduction implique d’abord un état d’esprit ? Voilà bien les ravages opérés par la figure de Werther, ce needy en bas de soie qui hante encore l’inconscient collectif allemand. Le romantisme est le pire ennemi de l’amour. contrôle et laisser-faire “Je pense que l’Allemand, pour flirter, a besoin d’une situation où il ne risque pas d’être ridicule lorsqu’il débute une conversation avec quelqu’un, explique Uli, un ami de longue date. Il lui faut pour cela une raison objective, de même qu’il doit disposer d’une porte de sortie, présente si possible dès le début.” Il n’est pas certain que cet état d’esprit réponde aux attentes féminines précitées. “Flirter signifie perdre éventuellement le contrôle de la situation, continue Uli. Or nous, nous contrôlons tout le temps. On admire la France pour son laisser-faire (en français dans le texte – ndlr). On trouve ça bien, mais de loin. Le flirt, la séduction, ça a aussi quelque chose de subversif en soi. Ça nous effraie, au fond. Nous sommes assez pusillanimes. Nous aimons l’ordre car nous avons une peur plus grande encore du désordre.” Bref, il y a encore du travail. J’en connais cependant quelques-unes qui s’impatientent devant l’inertie de leurs mâles.“Steffi, je dois écrire un article sur les femmes allemandes, les Français s’intéressent à la question et je voul... – Dis-leur qu’ils nous envahissent !” Alain-Xavier Wurst est l’auteur de Zur Sache, Chérie “A propos chérie” (éditions Rowohlt), inédit en France

l’Allemagne est mon mari, la France mon amant Vu par une Allemande installée en France. Nikola Obermann, auteur et scénariste, a découvert les effets ravageurs d’une bise et d’une bouteille de champagne. e me suis installée en France en septembre 1989, j’avais 23 ans. J’ai vu la chute du Mur à la télévision depuis Argenteuil, dans l’appartement des parents de Pascal, mon premier Français. Trois ans plus tôt, j’avais passé une année à Marseille comme jeune fille au pair. Un vrai choc culturel : j’avais 20 ans, j’étais blonde platine, je passais ma vie en minijupe sur mon vélo. Forcément, je me faisais siffler du soir au matin (rires). Même en allant chercher mon pain en vieux jogging, d’ailleurs. J’étais aux anges parce que l’Allemagne ne m’avait pas du tout habituée à ça… Quand je suis rentrée à Francfort, avec la même dégaine et la même joie de vivre, plus personne ne se retournait sur moi. Mon pays natal me trouvait moche et non désirable. Sauf Pascal, un Français rencontré à Francfort qui m’a fait découvrir Paris. Notre relation a duré trois ans. Aujourd’hui, il vit en Allemagne et moi, je suis toujours en France.

J

Je n’ai pas l’intention de retourner en Allemagne. Comprenez-moi bien, je ne déteste ni l’Allemagne, ni les Allemands : on pourrait dire que je les aime comme on aime son mari, mais que j’ai choisi de m’installer avec mon amant. On dit que la France est le pays de l’amour. Moi je trouve que c’est le pays du plaisir. Ou disons, plutôt, que la recherche du plaisir me semble bien placée dans le top ten des priorités du Français. Le mot “plaisir”,

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Bien dans sa peau, bien dans son slip, le Français séduit à tous les coups 6.04.2011 les inrockuptibles 65

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l’Allemand fait la vaisselle parce qu’il le doit, le Français pour vous faire plaisir dans son acception française, n’a pas d’équivalent en allemand. Sa traduction, “Vergnügen”, désigne l’amusement, la distraction. Mais le plaisir, lui, enferme quelque chose de sensuel, de charnel. On y trouve l’idée d’appétit, d’abondance et de générosité. En tant qu’Allemande, j’approuve personnellement la vaste équation selon laquelle la France = la bouffe = le sexe. C’est si vrai qu’ici, une femme qui mange peu, et pire, ne boit pas, se retrouve très vite soupçonnée de frigidité. Qui dit plaisir, dit jeu. Les Français jouent beaucoup. Contrairement aux Allemands, qui craignent le ridicule, les Français savent se prendre un râteau, ils sont même conscients que c’est un peu leur lot. A partir de là, tout est permis. Il existe ici tout un cirque joyeux, ludique et futile que les Allemands ne se donnent pas la peine de pratiquer. Les Français s’amusent à être galants, à vous appeler mademoiselle alors que vous n’en êtes plus une, vous abordent dans la rue pour vous inviter à prendre un verre. Ils savent aussi se montrer élégants. Il y a quelques années, j’ai passé plusieurs heures à lire dans le restaurant du train Paris/Francfort. En revenant des toilettes, j’ai trouvé une petite lettre posée sur mon livre. Quelqu’un me remerciait de lui avoir rendu le voyage agréable. Il était déjà descendu du train et je n’ai jamais su qui c’était. Un acte gratuit, poétique et très français. On est tellement habitué à ce petit jeu de rien du tout que j’ai eu du mal, un jour, à faire passer un vrai message d’amour. Au moment où je pensais conclure avec le futur père de ma fille, j’avais sorti tout mon attirail de guerre. J’avais – ô comble de l’audace – enfilé une jupe et allumé des bougies dans tout mon appartement. J’étais persuadée que ma mise en scène frisait le lubrique. Après le dîner, il est reparti, me laissant dans l’incompréhension la plus totale. Car pour lui, Français, le fait de mettre une jupe n’était en rien un signe d’ouverture. C’était, disons, esthétique, pas explicite. Par la suite, l’expression “mettre une jupe” devint entre nous synonyme d’“être clair” ou “pas clair”, selon les circonstances. Mais je suis aussi tombée sur des hommes très clairs, très insistants même, qui concevaient difficilement les rapports hommes/femmes hors d’une conclusion sexuelle. Un jour, j’ai innocemment invité un type à dîner chez moi. Pas de jupe, pas de bougies cette fois, juste une quiche lorraine. Eh bien malgré ce service minimum il s’attendait à une nuit d’amour torride et s’est montré très déçu quand je me suis contentée de lui faire la bise. J’ai alors découvert qu’en France, quand on ne veut pas coucher avec, il vaut mieux ne pas inviter un homme seul. Ah, la fameuse bise ! Un outil français magique ! Si elle peut signifier un “non” sec et muet, elle représente aussi le point de non-retour. Quand, au moment

du départ, une simple bise glisse en baiser langoureux, on a vite fait de se retrouver à poil dans l’entrée. Cela se produit encore plus facilement si l’homme est arrivé chez vous avec une bouteille de champagne à la main. J’ai rapidement compris ce qu’annonçait la bouteille de champagne. Autre point fort des Français : ils ne tergiversent pas. Ils nomment un chat un chat et une chatte “une chatte”. Pour désigner le sexe féminin, les Allemands disposent d’un grand vocabulaire : “Möse”, “Scheide”, “Muschi”, etc. Mais ce n’est jamais naturel : soit trop clinique, soit trop vulgaire, soit trop gnangnan. Rien ne vaut le mot “chatte” (rires). Donc les Français ont, au lit, une désinhibition verbale que j’ai toujours adorée. Mais il faudrait que l’on m’explique une chose : pourquoi, après avoir passé une heure à susurrer des saloperies, sont-ils capables de longer le mur comme des crabes pour aller aux toilettes ? Les Allemands que j’ai connus faisaient beaucoup moins de chichis. J’ai fréquenté des Français orgueilleux et virils. Pour être tout à fait honnête, j’ai peut-être un peu cherché le macho. Je n’ai pas été mécontente quand un homme m’a montré qu’il était prêt à me protéger physiquement s’il le fallait. Même s’il mentait un peu sur sa taille : je mesure 1,75 m et, pour un macho, 1,80 m sonne toujours mieux qu’1,78 m. Il va sans dire que j’ai quand même eu un peu de mal à accepter que le macho s’intéresse peu aux tâches ménagères. Certes, l’Allemand et le Français font la vaisselle, mais peut-être pas pour les mêmes raisons : l’Allemand parce qu’il le doit, le Français pour vous faire plaisir. Oui, bon, le Français la fera peut-être un peu moins souvent ; mais quand il la fait, qu’est-ce que c’est sexy ! Parfois, orgueil et galanterie font mauvais ménage. En Allemagne, au restaurant, il n’est pas inhabituel qu’un couple paie séparément. L’homme français trouve ça impensable, bien sûr. Que fait alors l’homme français fauché ? Il laisse payer la femme ? Eh bien non : il se débrouille pour qu’on n’aille jamais au restaurant ! Bravo ! Il faut dire que j’ai eu la chance de pénétrer d’emblée des milieux parisiens un peu fantasques où il était plus important d’avoir de l’esprit que de l’argent. Alors des beaux bruns, des artistes maudits, des RMIstes inspirés, des séducteurs torturés, j’en ai eu. Le french lover, l’aventurier, je connais. Mais figurez-vous que je suis dans une nouvelle phase. Peut-être parce que j’ai 44 ans, que je suis une mère célibataire et que j’aimerais bien qu’on m’offre enfin une bague (rires). J’aspire à un cadre plus enveloppant qu’avant, j’ai envie de sérénité. Ça tombe bien, j’ai rencontré quelqu’un qui agit sur moi comme un bain chaud. Il fait 1,92 m, il est châtain clair, il a les yeux bleus… Tiens, mais j’y pense : il ressemble à un Allemand. recueilli par Isabelle Foucrier

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les guerriers dansants Deux anciens enfants-soldats de RDC et un chorégraphe transcendent leur passé dans un livre et un spectacle déchirants. par Fabienne Arvers photo Emma Pick

erge Amisi et Yaoundé Mulamba venaient de quitter la République démocratique du Congo (RDC) quand on les a rencontrés, en France, en février 2009. Ils fuyaient la guerre qui leur barrait la route depuis l’automne, l’armée à leurs trousses qui voulait les enrôler à nouveau, et cherchaient à obtenir le statut de réfugié politique. Cette fois, ils étaient décidés à ne plus se laisser faire. Lors de ce rendezvous, la peur d’être renvoyés chez eux et repris par l’armée était palpable, poignante ; elle n’avait d’égale que leur détermination à construire leur vie d’adulte et d’artiste sur le champ dévasté de leur mémoire d’enfant-soldat. Dans leurs bagages, presque rien à part Congo My Body, projet d’un spectacle imaginé à Kinshasa. Deux ans plus tard, les voici à l’heure de sa création, à Paris, avec le chorégraphe Djodjo Kazadi.

S

Ils avaient 10 ans quand leur vie a basculé, en 1996. Des soldats rebelles les ont enlevés sur la route pour les transformer en chair à kalachnikov, en première ligne des combats. La pièce, qui mêle danse et marionnettes, confronte leurs souvenirs d’enfants en RDC alors que la guerre fait rage et que les rebelles de Laurent-Désiré Kabila enrôlent des gamins à tour de bras pour faire tomber Mobutu.

“La guerre, c’est de tuer”, écrit Serge Amisi dans son livre Souvenez-vous de moi, l’enfant de demain. “On dit de nous que nous sommes des enfants de la guerre, des enfants-soldats, des kadogos, mais nous étions des enfants dans la guerre. Je n’ai pas voulu être dans la guerre, on m’a obligé à tenir l’arme, et je n’ai plus eu de parents, je n’ai plus eu de famille, je n’ai eu plus rien d’autre que l’armée, que mon arme, mon arme qu’on m’a dit c’est mon père et ma mère.” Ils se servent très vite de cette arme qui donne la mort et en protège. Comme beaucoup de kadogos, ils sont obligés de tuer leur famille ou ceux qu’on leur désigne. “J’étais devenu un militaire, raconte Yaoundé. Un militaire ne raisonne pas. Il obéit et souffre. Je connaissais déjà le mot souffrir. Je ne savais pas qu’il pouvait avoir tant de visages, plus cruels les uns que les autres.” D’abord conduits dans divers camps de formation militaire, encadrés par des rebelles rwandais, des Coréens du Nord ou des Congolais, ils sont vite envoyés sur le front et voient tant de morts que ceux-ci se confondent avec leur vie. “J’en ai marre de mourir égorgé”, écrit Serge Amisi à propos d’une attaque où des Ougandais avaient troqué la kalachnikov pour une machette. Cette phrase fulgurante résume tout. C’est dans cette bataille au cœur de la forêt tropicale que les destins de Serge et Yaoundé se croisent. Au terme de cinq ans de guerre, leurs vies se nouent définitivement après leur démobilisation en 2001 autour d’un rêve commun : devenir artistes et raconter leur histoire. Envoyés dans

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SergeA misi, Djodjo Kazadi et Yaoundé Mulamba,c réateurs du spectacle de danse et de marionnettes Congo My Body

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Enrico Bartolucci

Congo My Body, à La Villette cette semaine

“je ne savais pas que le mot souffrir pouvait avoir tant de visages, plus cruels les uns que les autres” un centre de transit et d’orientation, ils doivent apprendre à devenir des civils et suivent diverses formations. Ils écrivent à leurs familles mais, comme pour tant d’autres kadogos, “malgré la démobilisation et le travail du CICR (Comité internationale de la Croix-Rouge – ndlr), moi, Amisi Serge, la famille m’a jeté en disant que je suis un enfant pâté, j’hésite à te dire, ça veut dire un enfant qui ne sert plus à rien.” La plupart renoncent et retournent à l’armée. Pas eux. Abandonnés par leurs proches, Serge et Yaoundé découvrent le théâtre de marionnettes à l’Espace Masolo, ouvert aux enfants des rues et aux enfants-soldats. Ils montent leur premier spectacle, Les Aventures extraordinaires d’Oulala, où les kadogos ont la parole et le premier rôle. La pièce tourne en Afrique et en Europe. En 2003, à 17 ans, ils rencontrent Djodjo Kazadi au Centre culturel français (CCF) de Kinshasa. Après cinq années passées dans la compagnie Les Béjart, qui pratique le théâtre de rue ou intervient dans les écoles, prône l’éducation civique et dénonce la situation politique en RDC, Kazadi a découvert la danse contemporaine aux Studios Kabako du chorégraphe Faustin Linyekula. De 2001 à 2007, il est de toutes les créations : “Je jouais le rôle principal dans Le Village de Bonne Espérance des Béjart. C’était très dur, je n’avais pas confiance en moi. Faustin m’a proposé de participer à la création de son spectacle Spectaculary Empty. En dansant, je devenais une autre personne. Faustin m’a appris comment être moi-même, il a réveillé en moi des choses cachées. Il ne m’a pas seulement transmis la danse mais son concept et m’a très vite donné l’opportunité de créer.” Avec sa grand-mère, Djodjo Kazadi chorégraphie le duo Castrations en 2007, début d’un travail sur la mémoire du corps où il retrouve la trace d’une enfance normale mais ballottée au gré des déplacements de son père agronome. Congo My Body en est le prolongement. Le projet naît au CCF de Kinshasa, entre trois amis qui ignorent encore qu’il se réalisera sous le signe de l’exil. Les deux anciens enfants-soldats et le chorégraphe se retrouvent à Paris en 2009, où Djodjo étudie l’histoire de la danse à l’université Paris-VIII, dans le cadre d’une bourse d’études. Aidés par le Groupe d’information

et de soutien des immigrés (Gisti), Serge et Yaoundé obtiennent un statut de réfugié politique. De résidence en résidence, soutenu par La Villette, Congo My Body mûrit. Corps et marionnettes se partagent le même espace et participent d’un même mouvement : qui manipule qui ? “C’est un voyage vers le passé. Retrouver l’état de corps d’un enfant de 10 ans, ses états d’âme, sa mémoire. 80 % du temps de répétition s’est passé à parler pour faire ressortir ce passé“, raconte Djodjo. Les absents y tiennent une place prépondérante : chaque marionnette posée au sol ou portée avec douceur témoigne de tous les kadogos morts au combat. Bassin roulant et ondulant, la danse est comme intériorisée, une manière de se relier à la circularité de l’histoire congolaise qui, du Congo belge à la RDC en passant par le Zaïre, ne laisse que des morts à pleurer. En voix off, un extrait du récit de Serge, perdu dans la forêt tropicale, son arme pour seule compagnie. Sur le plateau, chants et parades militaires rendent un dernier hommage aux camarades disparus. L’art peut-il changer la vie ? “C’est une façon de retrouver mon enfance, ma liberté de jouer et de créer”, répond Serge en souriant. Il en fait l’expérience avec le sculpteur strasbourgeois Daniel Dépoutot, rencontré à l’Espace Masolo, qui lui apprend à souder et donner forme à la ferraille : “J’ai commencé par sculpter ma vie ; ça m’a donné envie de l’écrire en lingala.” Serge remplit huit cahiers d’écolier pendant trois ans et les traduit en français avec l’aide du scénographe Jean-Christophe Lanquetin qu’il a rencontré au CCF de Kinshasa en 2004 : “J’avais besoin de fabriquer de fausses kalachnikovs pour le décor de Roberto Zucco, de Koltès, monté par Philippe Boulay, raconte Lanquetin. Serge nous en a immédiatement dessiné une sur le sable puis l’a fabriquée. Elle était d’une précision incroyable dans ses proportions. Serge racontait son histoire en permanence à tout le monde, et la question de l’écrit s’est posée comme ça. Quand je suis revenu l’été suivant, il avait écrit trois cahiers. Au bout de trois étés, il écrivait le matin et on traduisait l’après-midi.” Un témoignage inouï et une force d’expression sidérante. Survivant d’une guerre où il apprend aussi que “l’armée, ce n’est que la parole. Dans l’armée, il te faudra savoir poésir à la parole”, Serge est conscient qu’au combat, “même si je ne veux pas mourir jeune, je n’ai aucune possibilité de faire le contraire de ma vie en ce moment”. Quand il sera enfin démobilisé, il lui restera une autre étape à franchir : vivre avec un passé en forme d’énigme. “Mais pourquoi ma vie est passée par ce chemin ? Pourquoi j’ai traversé cet avenir ? Qu’est-ce que je pourrais faire pour changer la vie ou changer l’avenir fait de ce passé ?” La clé se trouve dans son avant-propos : “Je ne pourrais plus voir une arme de ma vie, je n’ai plus les miens, je n’ai plus que l’art comme père et mère, je n’ai plus que ces mots à raconter pour témoigner de ma vie d’enfant de demain, car l’enfance c’est l’avenir, au pays de vivre son enfance.” Congo My Body de Djodjo Kazadi, Serge Amisi et Yaoundé Mulamba, du 6 au 9 avril au festival Hautes Tensions de La Villette, Paris XIXe (du 6 au 17 avril), tél. 01 40 03 75 75, www.villette.com Souvenez-vous de moi, l’enfant de demain – Carnets d’un enfant de la guerre de Serge Amisi (Vents d’ailleurs), 256 pages, 21 €

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Essential Killing de Jerzy Skolimowski Une chasse à l’homme du point de vue de la proie, un soldat taliban interprété de façon stupéfiante par Vincent Gallo. Grand film.



’est un début de film américain banal. Une étendue désertique, balayée à perte de vue depuis un hélicoptère. Une voix, off, indique alors un positionnement, et semble s’adresser par message radio à trois silhouettes au sol. L’hélicoptère n’est donc pas seulement l’instrument permettant ce plan ; il appartient aussi à la fiction et nous donne le premier point de vue, celui de soldats américains survolant le territoire afghan. Première saute : nous voici désormais en bas, avec les trois marcheurs. L’un d’eux explore le sol avec un appareil magnétique. Soudain, en insert rapide, un homme de dos se précipite, armé d’un canon,

en télescopant deux martyrologies, Skolimowski brouille les repères

dans la fente d’une roche. Les trois Occidentaux ne l’ont pas vu, s’en rapprochent avec insouciance. Nouvelle saute du point de vue : désormais c’est de l’intérieur de la grotte, à travers une étroite brèche, que nous suivons l’action, que nous entendons ces Américains bavarder, et que bientôt, chevillés à la place du guerrier dissimulé, nous verrons leurs membres voler dans les airs, pulvérisés d’un coup de canon. Dès lors, durant sa capture, dans le camp où on l’enferme puis le torture, à nouveau dans sa fuite, nous resterons attachés au point de vue de ce guerrier taliban. Mais de façon retorse, Jerzy Skolimowski nous installe, classiquement, dans un hélico américain, pour mieux nous dire que le film consiste à s’en dégager. En quelques plans liminaires, il nous fait cheminer jusqu’à cette place inconfortable : celle du grand Autre, celui que l’Occident stigmatise et craint.

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hommage

Hélène Surgère (1928-2011)

Femmes femmes

La question du point de vue fait le film. Son enjeu est de solliciter les affects classiques du cinéma américain (suspense, angoisse, identification massive) mais en les retournant. C’est donc pour un guerrier taliban que nous tremblons, et dont nous ne cessons d’espérer la fuite. La fiction ne cherche même pas à le rendre aimable : il peut abattre de sang-froid un automobiliste ou découper à la tronçonneuse un bûcheron. Enfin, un coup de casting : le taliban est interprété non pas par un acteur afghan mais par un acteur qui problématise encore ce jeu avec l’identification. Ce taliban, c’est un acteur américain, Vincent Gallo. Le choix est audacieux, renforce encore la perturbante ambiguïté du film. Entre la bête et l’ange, œil effaré et corps affûté, Gallo est génial dans ce rôle de fuyard luttant pour sa survie. Plus que jamais, son physique évoque Jésus, et cette vieille ressemblance christique complique encore ce qu’accomplit le film. Skolimowski projette un musulman fondamentaliste dans une iconologie strictement chrétienne. Sur ce chemin de croix, on croise un berceau de paille, une vierge à l’enfant, une bonne samaritaine qui allège sa souffrance, un tronc qui tombe comme une croix. En télescopant deux martyrologies religieuses (l’islamiste prêt à mourir, le chrétien prêt à souffrir), Skolimowski brouille encore les repères. On ne sait

pas trop où on est, une vedette américaine joue un taliban, mais un taliban qui revit la Passion du Christ. C’est que le film ne vise qu’une chose : amenuiser la distance entre soi et l’Autre. Ce que déplace Essential Killing ne tient pas seulement à l’idéologie. C’est aussi une affaire de cinéma. Avec une maestria époustouflante, Skolimowski emprunte au cinéma américain spectaculaire son vocabulaire le plus commun. Il choisit la figure la plus emblématique du cinéma d’action, la poursuite, mais il la dilate, l’anamorphose, en fait le corps entier du film. Et ce faisant, le film accouche de son contraire. Skolimowski parvient au même effet que Gus Van Sant dans Gerry – l’abstraction, la stase narrative – mais par des moyens absolument opposés. L’accélération frénétique plutôt que le ralenti et le vide, mais pour un résultat finalement identique. Cette appropriation d’un genre (le survival), d’un code (l’image-action), pour leur faire accoucher de leur contraire, à savoir une pure image-temps, spirituelle et poétique, c’est sûrement le plus essentiel des meurtres qu’accomplit dans un éblouissement Essential Killing. Jean-Marc Lalanne Essential Killing de Jerzy Skolimowski, avec Vincent Gallo, Emmanuelle Seigner (Hon., Pol., Fr., 2010, 1 h 23) Lire la rencontre avec Jerzy Skolimowski p. 52

Elle avait le nom le plus élégant et la prestance la plus langoureuse du cinéma français. Hélène Surgère est morte le 27 mars, à l’âge de 82 ans. Paul Vecchiali l’avait découverte dans les années 60 dans un romanphoto où la noblesse de ses traits et la lumière ombrageuse de son regard semblaient dire “Suivez-moi jeune homme, mais demandez la permission avant.” Au sein des productions Diagonale, elle trouva dans les années 70 ses plus beaux rôles, composant une actrice en perdition pour Vecchiali dans Femmes femmes (si inoubliable que Pasolini la prit pour Salò…), formant toujours pour Vecchiali et avec Nicolas Silberg un couple hanté dans Corps à cœur, ou une mante religieuse qui dévore les orphelins prolos dans Les Belles Manières (Jean-Claude Guiguet). De dix ans la cadette de Danielle Darrieux, elle est un peu sa sœur cachée, partageant avec elle un sens classieux de la cruauté, mais densifié par une sensualité qui n’appartenait qu’à elle. Elle apparut d’ailleurs chez Demy (Trois places pour le 26) et Téchiné (Barocco et Les Sœurs Brontë), bref chez tous ces cinéastes aussi sentimentaux que déchirés, sensibles à la plénitude aiguisée de son jeu. Les dernières années, on l’avait vue dans des rôles ancillaires, en secrétaire rondelette chez Le Péron (L’Affaire Marcorelle) et en cuisinière proustienne chez Ruiz (Le Temps retrouvé), capable de se faire petite et de passer de l’autre côté de la lutte des classes qui si souvent structurait ses rôles. Les grandes bourgeoises du cinéma français sont toujours les plus subversives.

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Les Aventures de Philibert, capitaine puceau de Sylvain Fusée avec Jérémie Renier, Alexandre Astier, Manu Payet, Elodie Navarre (Fr., 2011, 1 h 43)

Pina de Wim Wenders

Hommage superbe du cinéaste allemand à sa compatriote disparue en 2009, la chorégraphe Pina Bausch.

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encontre entre deux monstres sacrés de la culture allemande. Pina Bausch, décédée en 2009, était l’une des plus grandes chorégraphes du monde. Wim Wenders, lui, porta dans les années 70 les plus grands espoirs d’un cinéma moderne européen sous influence américaine, avant de glisser inexorablement vers une démonétisation artistique aussi impressionnante que mystérieuse. Cet hommage à l’art de Pina Bausch est peut-être la meilleure réalisation du cinéaste depuis Les Ailes du désir, en tout cas son film le plus sobre et le moins ampoulé, du moins à l’échelle Wenders. Le grand mérite du cinéaste est d’avoir su s’effacer (pas complètement, on y reviendra) derrière son sujet. Pina est essentiellement constitué de larges extraits de spectacles de la chorégraphe (Le Sacre du printemps, Café Müller, Kontakthof, Vollmond…), envolées de corps, de gestes, de mouvements collectifs, de musiques et de rythmes absolument saisissantes, y compris pour un spectateur peu familier des spectacles de danse. Difficile de résister à cette expression totale des corps et des visages, à cet art qui tient aussi de la sculpture, du théâtre, de l’opéra, du sport, d’autant que Wenders ne monte pas saccadé, mais laisse les chorégraphies s’épanouir. Les différents numéros sont entrelardés d’interviews des danseurs dont les propos, tour à tour instructifs et émouvants, complètent le portrait de l’artiste. Le cinéaste a éprouvé le besoin de sortir les danseurs de la scène, de les faire évoluer dans les décors naturels de Wuppertal

et ses environs. Pourquoi pas ? En même temps, cela tient du gadget, peut-être d’une peur d’ennuyer, d’un manque de confiance dans le dispositif scénique. Après tout, les danses sont aussi belles et fortes dans le contexte dénudé de la scène, et peut-être même plus, puisqu’une chorégraphie contribue à sculpter l’espace, à suggérer le décor environnant. L’usage de la 3D ne semble pas non plus indispensable. Certes, il est bon qu’une innovation technologique ne soit pas réservée uniquement aux superproductions. Mais affirmer que la 3D convient obligatoirement à l’art en trois dimensions qu’est la danse ne relève-t-il pas de l’idée reçue ? Partant de ce principe, tous les films devraient être en 3D, puisqu’un “réalisme complet” supposerait trois dimensions. Or dans Pina, la 3D ne semble là que pour souligner des effets de profondeur de champ qui seraient visibles de la même façon en prises de vues classiques. Wenders n’a donc pas pu s’empêcher de vouloir ajouter sa plus-value cinéma au lieu de s’effacer totalement devant la tellurique beauté bauschienne. Mais si l’on peut questionner leur nécessité, la 3D et les sorties extérieures ne gâchent pas non plus le plaisir. Pina rend justice au travail d’une artiste majeure et à une discipline magnifique que l’on croit à tort réservée aux spécialistes. De ce point de vue, Pina est aussi une sorte d’antiBlack Swan. Serge Kaganski

Les aventures de cape et d’épée de Jérémie Renier en jeune puceau vaillant. Ce nouvel opus des scénaristes Jean-François Halin (la série des OSS 117 avec Dujardin) et Karine Angeli (Brice de Nice) reprend à son compte, pour en rire, tous les canons du genre du film de cape et d’épée classique, qu’il soit américain (Scaramouche, Robin des Bois…) ou français (Le Bossu…). Il s’inscrit aussi dans un sous-genre purement hexagonal : le film “réalisé-par-uncomique-de-Canal+”, ici Sylvain Fusée, collaborateur de Groland depuis une quinzaine d’années. Pourquoi pas : nous avions bien aimé les deux OSS 117, mis en scène par Michel Hazanavicius, lui-même réalisateur pour la chaîne cryptée. Mais Philibert n’est pas drôle. Pourquoi ? 1. Problème de direction d’acteurs : le second degré, quand on veut faire rire sur 1 h 45, ça ne marche jamais. Seul Jérémie Renier, en copie parfaite de Jean Marais, parvient à tirer son épingle d’un jeu trop lassant chez ses partenaires. 2. Faiblesse d’écriture : le scénario ne parvient jamais à faire émerger un personnage comique inédit, ni à le pousser dans ses extrémités comme c’était le cas dans OSS 117 – nouvel archétype du franchouillard de base. Dommage. Jean-Baptiste Morain

Pina de Wim Wenders, avec l’ensemble du Tanztheater Wuppertal (All., Fr., G.-B., 2011, 1 h 46)

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Numéro quatre de D. J. Caruso avec Alex Pettyfer, Timothy Olyphant (E.-U., 2011, 1 h 49)

Plastic Planet de Werner Boote (Aut., 2009, 1 h 36)

Un docu écolo sur la nocivité du plastique. onne nouvelle, on a trouvé une solution à la surpopulation : le plastique. A cause de certaines molécules présentes dans ce produit universel qui pénètrent dans l’organisme humain, la fécondité masculine serait en train de diminuer drastiquement. Initiant une croisade pour dénoncer l’effet nocif du plastique sur la santé et l’environnement, l’Autrichien Werner Boote s’est fabriqué un personnage à la Michael Moore, mais en plus timide. Voir par exemple comment il débarque avec une valise de documents révélateurs dans un salon de l’industrie plastique, pour les montrer à un des pontes du secteur, avant de se faire expulser par des cerbères. On peut tout de même émettre quelques doutes sur la nécessité des innombrables voyages de Werner Boote à travers la planète pour son enquête. Exemple : son voyage au Japon, qui n’apprend pas grand-chose. N’est-il pas aberrant de gaspiller du kérosène pour dénoncer la pollution par le plastique ! Beaucoup d’agitation, un peu d’humour, pas mal de mise en scène. Cela étant sans doute censé rendre le discours moins didactique. Car au-delà du show, il y a une véritable réflexion scientifique : non seulement le plastique détruit la faune, dégrade l’environnement, accroît la consommation de pétrole, mais il menace en sus notre santé (il joue un rôle important dans la multiplication des cancers). On l’utilise de plus en plus, mais son recyclage est minime. La société d’abondance est asphyxiée par ses déchets. Le plus étonnant reste le fait que le réalisateur n’a jamais obtenu l’autorisation de filmer la fabrication du plastique. Comme quoi, les mentalités ont bien changé depuis qu’Alain Resnais tournait Le Chant du styrène sur la production de ce matériau synthétique ; l’industrialisation triomphante des Trente Glorieuses était alors un sujet poétique. Vincent Ostria

B  

Un ersatz de Twilight sympathique sur le fil. Incorrigible Michael Bay. Producteur – et “auteur”, s’il faut en déterminer un – de ce Numéro quatre n°1 (des suites sont prévues), il imprime sa marque sur chacun des plans, trouvant en D. J. Caruso, bricoleur hitchcockokubrickien (Paranoïak, L’Œil du mal), l’associé idéal. Bay, garagiste en chef, et Caruso, mécano futé, pour un film qui ne ressemble à rien de plus qu’à une Super 5 tunée pour Pimp My Ride : l’alliance allait de soi. Avec son capot en Plexiglas, ses jantes chromées et ses 12 000 watts dans les enceintes, Numéro quatre se veut un concurrent de Twilight sur le marché de la romance teen mâtinée de superpouvoirs. Où un jeune extraterrestre sexy pourchassé par des vilains “Mogadoriens” fait fondre le cœur d’une lycéenne tout aussi sexy (Dianna Agron, de la série Glee, jolie révélation), avant de tout résoudre dans un déluge de lasers et d’explosions. Aussi bruyant qu’un parking du Pas-de-Calais un dimanche après-midi, Numéro quatre emporte pourtant la sympathie par son allant juvénile et son absence de cynisme. Jacky Goldberg

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en salle œuvres brèves à Brive Seul festival européen à se consacrer entièrement au moyen métrage, Brive revient du 6 au 11 avril pour sa huitième édition. Outre l’habituelle compétition (21 moyens métrages européens), la programmation comprend des rétrospectives (Eustache, de Oliveira, Gainsbourg cinéaste), des séances thématiques (le jeune cinéma polonais), des tables rondes et un ciné-concert de films surréalistes (Duchamp, Man Ray). A signaler également, la projection de L’Impresario, le nouveau film de Serge Bozon, tourné en public dans le cadre de Beaubourg, la dernière Major ! 8e Festival de cinéma de Brive du 6 au 11 avril, www.festivalcinemabrive.fr

hors salle Mystères de Lisbonne le roman  Le roman de Camilo Castelo Branco que Raúl Ruiz a adapté pour son film est enfin traduit en français (par Carlos Saboga, scénariste du film). Ces Mystères de Lisbonne sont considérés comme le chef-d’œuvre du prolifique auteur portugais (262 volumes) du XIXe siècle. Avant Ruiz, de Oliveira avait adapté Branco dans Amour de perdition (1978). Puis il a fait de l’écrivain le personnage de deux de ses plus beaux films : Francisca (1981) et Le Jour du désespoir (1992). Mystères de Lisbonne de Camilo Castelo Branco (Michel Lafon), 608 pages, 22,95 €

box-office Snyder premier de la classe Le 30 mars, Sucker Punch de Zack Snyder fait le meilleur démarrage sur Paris. Tous les soleils et Je n’ai rien oublié le talonnent. Rango, le premier film d’animation de Gore Verbinski, termine sa première semaine en tête du top 40, avec en moyenne 830 spectateurs par copie. Les Femmes du 6e étage approche des 2 millions d’entrées et la dernière daube de Dany Boon, Rien à déclarer, dépasse les 8 millions de passages à la caisse.

autres films La Chanteuse de tango de Diego Martinez Vignatti (Bel., Arg., 2008, 1 h 42) Fissures d’Hicham Ayouch (Mar., 2009, 1 h 15) GasLand de Josh Fox (E.-U., 2010, 1 h 47) Titeuf, le film (3D) de Zep (Fr., 2010, 1 h 27) Winx Club, l’aventure magique (3D) d’Iginio Straffi (It., 2011, 1 h 27) Vent de folie à la ferme d’Abdollah Alimorad, Ahmad Arabani et Aviz Mirfakhraï (Iran., 2010, 43 min)

Morning Glory de Roger Michell avec Rachel McAdams, Harrison Ford, Diane Keaton (E.-U., 2010, 1 h 47)

Le Flingueur de Simon West Remake d’un thriller seventies où Charles Bronson cède le rôle au toujours intéressant Jason Statham. u rayon héros d’action de vidéoclub, Jason Statham est un bon spécimen musculeux, non dénué d’une certaine grâce. L’acteur anglais est aussi malléable, charmant dans Braquage à l’anglaise, ou déréalisé en héros de jeu vidéo dans Hypertension. Ne manque au final qu’un vrai bon film à cet héritier de Schwarzenegger, Willis et Stallone – ce dernier l’ayant adoubé comme partenaire dans The Expendables. Le Flingueur relance la question de la transmission via ses pères putatifs meurtri(er)s qui s’entredéchirent : Statham, tueur à gages, exécute son mentor mais prend comme élève le fils de celui-ci. Il s’agit d’un remake d’un film éponyme avec Charles Bronson, réalisé en 1972 par Michael Winner, trop connu pour son Justicier dans la ville, trop méconnu en portraitiste cynique d’une Amérique seventies en crise (Vietnam, Watergate) sous couvert de films de genre. La version 2011 a le vernis clinquant, clippé mais efficace, d’une série B bruyante et furieuse, où Statham s’acquitte bien de son contrat limité – être cool et souple. Comme dans le Bad Lieutenant d’Herzog, l’amoralisme trouve dans La NouvelleOrléans post-Katrina un beau terreau. Mais cela reste pâlot face à la misanthropie sèche de l’original, au ton entre Melville et French Connection. On gagne en compensation une relation crypto-gay plus appuyée entre le maître et l’apprenti. Encore un effort et Statham nous fera son Last Action Hero ou son Rocky Balboa.

A

Comédie poussive sur la télévision avec Harrison Ford en William Leymergie américain. Une jeune productrice de télévision, obsédée par son boulot, tente de réveiller un genre de Télématin aux mauvaises audiences. Elle doit surtout en gérer la star, un vieux beau acariâtre. Transposé en série télé, le pitch donne à peu de choses près 30 Rock (avec une émission comique et Alec Baldwin à la place d’Harrison Ford), brillante création de et avec Tina Fey, au rythme trépidant, qui doit aussi bien à la classique screwball comedy qu’à une ironie contemporaine ivre de citations. Ici, cela donne Morning Glory, poussive locomotive qui ne tire absolument rien de ses jolies possibilités : Harrison Ford contre Diane Keaton (les rivaux qui s’insultent à l’antenne, la rencontre improbable trente-cinq ans après de Han Solo et Annie Hall) ou avec Rachel McAdams (la relation paternelle). La seule curiosité du film est de voir l’acteur d’Indiana Jones faire son William Leymergie et dériver lentement mais sûrement vers un devenir De Niro : l’ex-tough guy qui fait la gueule dans des comédies. L. S.

Léo Soesanto Le Flingueur de Simon West, avec Jason Statham, Ben Foster (E.-U., 2011, 1 h 32)

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Cyclone à la Jamaïque d’Alexander Mackendrick avec Anthony Quinn (E.-U., 1965, 1 h 44, reprise)

La Route au tabac de John Ford avec Gene Tierney, Dana Andrews, Charley Grapewin, Ward Bond (E.-U., 1941, 1 h 24, reprise)

Un Ford peu connu et mineur, qui surprend par son relâchement et l’énormité de son trait comique. près le chef-d’œuvre officiel, le petit film mal foutu et caché. En 1940, John Ford réalise Les Raisins de la colère, un grand film humaniste porté par des acteurs géniaux (Henry Fonda, John Carradine, Jane Darwell) sur la pauvreté extrême et le courage d’une famille qui traverse en une longue odyssée les Etats-Unis pour échapper à la faim. Le film remporte deux oscars et un grand succès. Un an plus tard, John Ford réalise La Route au tabac, au sujet similaire (une famille pauvre de Géorgie accablée par la Grande Dépression tente de survivre dans les années 30), mais cette fois adapté d’Erskine Caldwell, un romancier beaucoup plus âpre et terrien que Steinbeck. Toute la profondeur et le sérieux du précédent film sont abandonnés pour un ton de grosse farce où alternent les épisodes de défoulement et certains plus contemplatifs, un peu comme un alcoolo se paierait une bonne cuite, pas toujours bien maîtrisée, après s’être concentré sobrement… Le film balance ainsi des scènes d’un comique ahurissant, quasi gênantes par leur façon de se vautrer dans la crudité sans le filtre bonhomme habituel qui donnerait de la rondeur à l’ensemble, et où les acteurs Ward Bond, William Tracy et Charley Grapewin sont en roue libre sous le regard relâché et sans doute brumeux de leur maître… John Ford pousse le bouchon jusqu’à utiliser les deux acteurs les plus citadins et méticuleux du cinéma américain, Dana Andrews et Gene Tierney, transformés en dépit de toute vraisemblance en paysans frustes, amateurs d’échauffourées fangeuses. Les grands cinéastes finissent toujours par se croiser : la même année, dans Swamp Water, Jean Renoir utilisera aussi Dana Andrews dans un rôle terrien, mais de manière infiniment plus fine.

A  

Axelle Ropert

Un magnifique film de pirates mésestimé. Au XIXe siècle, des enfants sont accidentellement enlevés par des pirates. Leur chef (génial Anthony Quinn) les prend sous sa protection, tandis que l’équipage est persuadé qu’ils vont lui porter malheur. C’est un chefd’œuvre secret du cinéma, dont les admirateurs énoncent le titre comme un mot de passe. Cyclone à la Jamaïque est sans doute un des plus beaux titres de l’histoire du cinéma anglais et du cinéma d’aventures, et bien plus que cela. Sa beauté réside dans son étrangeté, son ambiguïté, sa poésie élégiaque et ses bouleversantes ruptures de ton. Ce qui aurait pu être un banal film de pirates devient un conte initiatique fiévreux et sensuel où la mort rôde, que l’on peut comparer aux Contrebandiers de Moonfleet et à La Nuit du chasseur. Olivier Père

La Nostra Vita de Daniele Luchetti avec Elio Germano (It., 2011, 1 h 35)

Du sous-Ken Loach italien. Daniele Luchetti, autrefois fer de lance d’un certain renouveau du cinéma italien, est tombé dans une réelle banalité naturalistoromanesque. Voir cette fable politiquement correcte sur un ouvrier du bâtiment qui, en voulant devenir entrepreneur, se trouve embringué dans une cascade de problèmes. On se demande si on doit déplorer la fausse vitalité, l’exubérance surjouée du milieu populaire ou bien le regard déplaisant sur les étrangers. Bref, ce pseudomélo qui se prétend socialement concerné est cousu de fil blanc et remue beaucoup d’air, comme son héros. Vincent Ostria 6.04.2011 les inrockuptibles 77

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A Pornichet, avec son fils Jean-Yves, 1956

un portrait moins fantasmé que celui qu’il aimait tracer de lui

Chabrol autrement Un ami de Claude Chabrol revient sur la personnalité joviale mais angoissée du cinéaste dans un livre d’entretiens inédits avec lui, mais aussi avec son entourage. Et élargit la connaissance qu’on avait de l’homme.



e malicieux Claude Chabrol a beaucoup raconté sa vie, en l’arrangeant un peu à chaque fois. Sa première autobiographie, finement intitulée Et pourtant je tourne (sic), date de 1976 : il avait alors 46 ans. Ensuite, il y eut plusieurs livres d’entretiens avec François Guérif, dont Comment faire un film en 2003. Les éditions du Cherche Midi ont même publié ses Pensées, répliques et anecdotes en 2002. A chaque fois, il peaufinait les mêmes histoires : comment on le nourrit avec du sang quand il était bébé, comment il finança son premier film avec l’héritage de la grand-mère de sa première femme, comment Truffaut et lui tombèrent dans une piscine en allant rencontrer Hitchcock

pour la première fois, etc. Il aimait aussi transformer ses amis de la Nouvelle Vague en caricatures savoureuses : Godard le pickpocket, Rohmer le satyre, Paul Gégauff le sadique, etc. Chabrol aimait rire, on ne prenait pas tout ce qu’il disait au pied de la lettre, mais l’on aimait rire avec lui. Et puis voici ce Claude Chabrol par lui-même et par les siens, rédigé par un journaliste de ses amis, Michel Pascal. Dans les derniers mois de sa vie, Chabrol a accepté de se raconter une nouvelle fois, sans savoir que c’était la dernière. Il mourut, en septembre dernier, sans avoir achevé ces entretiens, menés semble-t-il au fil de la pensée, comme ça sortait, dans l’ordre que la mémoire et l’esprit donnent aux choses. Ceux qui s’attendent à un livre sur le cinéma seront déçus, forcément.

Mais ceux qui aiment bien Chabrol l’homme public seront charmés. Evidemment par les récits croquignolets, encore une fois retravaillés, repeints avec de nouvelles couleurs. Les connaisseurs de Chabrol n’apprendront là rien de nouveau. Mais Michel Pascal, sans doute déçu de n’avoir pu mener à leur perfection ses discussions endiablées avec Chabrol, a eu la bonne idée d’ajouter au récit du cinéaste des témoignages à chaud de ses proches. D’abord ceux de ses trois épouses successives (dont celui, drôle et surprenant, d’Aurore Paquiss, absolument magnifique), puis de trois de ses enfants (seul Thomas Chabrol, son fils acteur, ne prend pas la parole), y adjoignant le beau texte de l’hommage que rendit Isabelle Huppert à l’un de ses cinéastes fétiches le jour de ses obsèques, sur le parvis de la Cinémathèque française. L’ensemble de ces témoignages permet de dresser un portrait un peu moins fantasmé que celui que Chabrol aimait tracer de lui. Chabrol, pourtant, on le reconnaît à chaque ligne. Tout en apercevant aussi tout ce qu’il avait toujours voulu savamment dissimuler derrière sa face joviale : ses angoisses, sa pudeur excessive, ses petites manies (le long bain du matin), une maladresse souvent dans les rapports humains (les pensions alimentaires que ses enfants devaient venir chercher sur les tournages…), une volonté de se protéger du monde extérieur, sans doute un ego assez fort, et toujours et encore ce qui le passionnait avant tout, qui l’occupait tout entier dans sa vie : le cinéma. Avec, au bout, la maladie et la mort, auxquelles apparemment il ne voulait pas croire, convaincu, comme en témoignent plusieurs de ses proches, que l’esprit l’emportait toujours sur la matière… Comme si la mort l’avait pris par surprise. Jean-Baptiste Morain Claude Chabrol par lui-même et par les siens propos recueillis par Michel Pascal (Stock), 240 pages, 2 0 €

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“je voyage beaucoup, dors peu, et filmer me permet de garder contact avec le réel”

It Was on Earth That I Knew Joy de Jean-Baptiste de Laubier Connu sous le nom de Para One dans la musique electro, Jean-Baptiste de Laubier rend hommage à Chris Marker dans un film low-cost et personnel diffusé sur le net.



eux avril 2090, un circuit intégré et une caméra vidéo papotent. De quoi parlent-ils ? De JBL1979, jadis “machine à survie humaine”, dont les souvenirs ont été stockés sur des bandes magnétiques, en particulier ceux relatifs aux derniers mois de sa vie, juste avant l’apocalypse, circa 2009. Leurs voix sont synthétiques (fabriquées avec un logiciel qu’on trouve sur n’importe quel Mac), l’image est archaïque, pixelisée (filmée avec une petite DV), les choses montrées (puce, caméra, bandes) radieusement cheap : éloge du ménager, grandeur du home-movie. C’est ainsi que commence It Was on Earth That I Knew Joy, court métrage de 30 minutes de Jean-Baptiste de Laubier, réalisé en 2009 et désormais disponible, gratuitement, sur le site vimeo.com. Hommage assumé à Chris Marker, le

film est un voyage forcément mélancolique dans la mémoire d’un être humain de 32 ans (JBL1979, donc) qui a connu la fin du monde et tente de recoller les quelques morceaux restants. “Lorsque j’ai conçu It Was on Earth, je venais de connaître une sorte d’apocalypse personnelle. Toutes les images qu’on voit dans le film, je les ai tournées durant les quatre ou cinq années précédentes, avec une caméra de poing que j’ai toujours sur moi. Je voyage beaucoup, dors peu, et filmer me permet de garder contact avec le réel, de me dire ‘ah oui, tel jour j’ai fait ça’. Mais rien n’a été filmé en pensant faire une fiction : il y avait cette matière documentaire, et le film s’est construit entièrement sur la table de montage.” S’il voyage tant et dort si peu, c’est que Jean-Baptiste de Laubier compose de la musique électronique, sous le nom de Para One. Membre du groupe TTC, fondateur

de Marble, qui a succédé au label Institubes, auteur en 2006, d’un beau disque d’electro intitulé Epiphanie et producteur très demandé, il bosse en studio avec les Birdy Nam Nam au moment où nous le rencontrons. La musique occupe certes la majeure partie de son temps, mais le cinéma n’est pas une lubie récente. Diplômé de la Fémis, il y a réalisé quelques courts métrages, et y a rencontré Céline Sciamma, dont il a composé la BO du premier film, Naissance des pieuvres, ainsi qu’un morceau du prochain, Tomboy (sortie le 20 avril). C’est aussi là qu’il a développé un goût pour le cinéma de poche, fait à la maison, loin des contraintes d’une industrie sclérosante. “Lorsque j’ai vu Sans soleil de Chris Marker, à 17 ans, ça a été un énorme choc : moi qui n’étais pas spécialement cinéphile et ne voyais que des blockbusters, j’ai décidé de faire du cinéma. En sortant

de la Fémis, où j’ai rencontré des gens passionnants mais me suis senti un peu bridé, la musique m’est tombée dessus, et j’ai dû mettre en pause mes projets, notamment un long métrage que j’écris depuis longtemps. Je n’ai pas abandonné l’idée de le faire, seulement ce sera léger, avec peu d’argent, mes potes et beaucoup d’impro.” It Was on Earth… ne s’est pas fait différemment. Le créateur de Sixpack France – une marque de T-shirts d’artistes qu’on voit notamment dans le clip de Justice D.A.N.C.E. – a ainsi proposé à J.B.L. de financer un film en l’honneur de Chris Marker, dans le cadre d’une collection de fringues. Celui-ci a accepté, à condition de pouvoir faire ce qu’il voudrait, et surtout pas un truc promotionnel. Deal. Pour la diffusion, aucune pression non plus : le film serait mis en disponibilité sur le net, prêt à être visionné sur un écran d’ordinateur, lieu naturel pour une élégie à l’espèce humaine remplacée par les machines. Bouleversant, It Was on Earth… l’est surtout par la façon qu’il a de passer de l’intime au cosmos, de rendre universels des souvenirs personnels. Comme si chaque image que l’on s’emploie à stocker dans les disques durs de nos téléphones contenait notre propre mort (c’était déjà le sujet de Low Cost de Lionel Baier et de Nocturnes pour le roi de Rome de Jean-Charles Fitoussi). Autant de bouteilles jetées dans une mer de pixels, en espérant que quelqu’un, un jour, les trouve et ressente, à nouveau, un peu de la joie qu’on a tous connue sur Terre. Jacky Goldberg It Was on Earth That I Knew Joy de Jean-Baptiste de Laubier (Fr., 2011, 31 min) A visionner sur vimeo.com

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Grindhouse de Robert Rodriguez et Quentin Tarantino (E.-U., 2007, 3 h 11)

Planète terreur et Boulevard de la mort, versions courtes et crades entrecoupées de fausses bandes-annonces hilarantes. Les films Lors de leur sortie US, Planète terreur et Boulevard de la mort étaient adossés en un diptyque appelé Grindhouse, célébration maniaque des doubles programmes de films d’exploitation diffusés dans les salles interlopes des 70’s. Le souci du détail passait par le genre (zombies militaires pour Rodriguez, slasher routier pour Tarantino), l’image délibérément sale et l’insertion de fausses bandesannonces, pastiches de films bis par des réalisateurs épris du même fétichisme de sale gosse, tel Eli Roth. A l’international, les films furent dégraissés de ces hommages et sortirent séparément dans des versions plus longues. L’arrivée de Grindhouse en DVD et Blu-ray permet d’apprécier le projet dans son intention initiale. Questions intéressantes : le vœu artistique de l’auteur est-il à privilégier ? Le director’s cut est-il forcément meil leur ? Planète terreur n’a pas gagné au change dans sa version solo en salle. Boulevard de la mort en déclinaison longue est forcément plus tarantinien, ivre d’étirement. Mais on peut préférer la patine plus crade et scratchée de l’image dans Grindhouse, beaucoup moins propre que dans les versions allongées. Un joli pied de nez à l’ère de la haute définition. Vu bout à bout avec les bandes-annonces entre les films, l’ensemble paraît plus décousu, plus proche de la collection de singles brillants que de l’album cohérent. Mais la même célébration de la femme guerrière y est présente, tout comme une manière très personnelle de transcender la nostalgie – au-delà du plaisir coupable, les films Grindhouse seventies n’ont jamais eu la qualité de Boulevard de la mort. Les DVD Pléthore de making-of techniques, ainsi que les versions longues des fausses bandes-annonces. Léo Soesanto TF1 vidéo, DVD et Blu-ray, environ 20 € et 25 €

Planète terreur, de Robert Rodriguez

Mean Streets de Martin Scorsese avec Robert De Niro, Harvey Keitel (E.-U., 1973, 1 h 50)

Réédition du classique de Scorsese, assortie d’une mine de bonus. Le film Premier film majeur de Scorsese, Mean Streets a des allures de confession ou de témoignage. Le cinéaste puise dans sa propre expérience des rites mafieux de Little Italy pour décrire le parcours christique d’un homme qui hésite encore entre religion et gangstérisme. Le maniériste Scorsese exprime ici une sensibilité ethnographique héritée du néoréalisme et du free cinema. “On ne rachète pas ses fautes à l’église, mais dans la rue”, telle semble être la morale de ce film où le jeune Scorsese maîtrise déjà les effets de style et de montage qui feront sa gloire, ainsi qu’une utilisation remarquable et originale à l’époque de musiques préexistantes (Ronettes et Rolling Stones en tête) qui insufflent à Mean Streets une énergie et une authenticité exceptionnelles. Le DVD Cette édition de référence propose un nouveau transfert du film effectué à partir d’un master restauré HD accompagné de pistes monophoniques originales et de nombreux suppléments de qualité. Commentaires, souvenirs et analyses de Scorsese et du critique Kent Jones, images d’archives, documents… Sur le Blu-ray uniquement, on peut voir Italian American, que Scorsese consacra à ses parents en 1974 et qui constitue le contrepoint documentaire exact à Mean Streets. Olivier Père Carlotta, DVD et Blu-ray, environ 20 € et 25 € 6.04.2011 les inrockuptibles 81

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Super Street Fighter IV 3D Edition

superspective Encore peu de nouveaux jeux pour la 3DS, mais des remakes qui prennent du relief. Opération réussie.

L à venir 3DS : la boutique en ligne ouvre en mai Décidé à tirer les leçons du succès de l’iPhone, Nintendo ouvrira à la fin du mois de mai, via une mise à jour des consoles, la boutique en ligne de la 3DS. Celle-ci proposera des inédits, des titres déjà disponibles sur DSi et un service Console virtuelle où cohabiteront les jeux Game Boy, Game Boy Color, Game Gear et PC Engine. Un navigateur internet, des bandes-annonces de films 3D et des courts métrages devraient être disponibles à la même période.

a première vague de jeux 3DS provoque un sentiment inattendu. Alors que la DS, son ultra populaire ancêtre (146 millions de consoles vendues), nous invitait à jouer autrement (avec écran tactile, Nintendogs, Wario Ware, les logiciels d’entraînement cérébral), la nouvelle portable de Nintendo séduit d’abord, pour le moment, par sa manière d’offrir une seconde jeunesse à des concepts ludiques classiques. Il n’est d’ailleurs pas innocent que le gros titre qui accompagne son lancement soit le dernier rejeton de la vieille famille Street Fighter. Paru l’an dernier sur PS3 et Xbox 360, Super Street Fighter IV est un jeu de combat dans la grande tradition du genre. Sa déclinaison portable tient fièrement la comparaison avec les versions de salon et gagne, grâce à l’écran tactile (qui permet l’accès direct à certains coups jusqu’alors plutôt complexes), une accessibilité nouvelle. Mais c’est l’affichage en relief qui fait la différence. On redoutait que la 3D ne soit qu’un gadget. On avait tort : un jeu vidéo ne vaut pas que pour ce qu’il nous permet de réaliser avec nos doigts, mais aussi pour l’image mentale qu’il fait naître chez le joueur. Avec la profondeur inédite de la représentation 3D, un monde plus vibrant que jamais s’infiltre dans nos esprits. Le même phénomène se produit avec deux autres jeux qui n’étaient assurément pas les plus attendus. Depuis 1999, Rayman 2 a été adapté sur bien

des machines, mais on ne l’avait jamais vu comme ça. Des papillons volètent devant nos yeux, on croit sentir le souffle du vent. On ignore le degré d’implication de Michel Ancel, le papa de Rayman, dans le développement de ce remake. Mais on est prêt à parier que le résultat envoûtant correspond bien à la vision cartoonesque et féerique qui l’habitait lors de la création de ce chef-d’œuvre du jeu de plate-forme. Depuis 2005, les jeux Lego se sont multipliés, s’appropriant les personnages d’Indiana Jones, de Batman, d’Harry Potter. Jusqu’à tourner un peu en rond. Le gameplay de Lego Star Wars 3 n’a toujours rien de novateur mais, des séquences de combat spatial à celles mettant en scène les fameux jouets danois, le relief lui procure une fraîcheur nouvelle. Comme si, à l’écran-tableau des jeux précédents, succédait une fenêtre ouverte sur un monde en plastique, plus concret que jamais. Un monde tangible et merveilleux à la fois. Erwan Higuinen Super Street Fighter IV 3D Edition sur 3DS (Capcom, environ 50 €) Rayman 3D sur 3DS (Ubisoft, environ 45 €) Lego Star Wars 3 – The Clone Wars sur 3DS (Traveller’s Tales/Activision, environ 50 €). Egalement disponible sur PS3, PSP, Xbox 360, Wii, DS et PC.

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Pilotwings Resort

I believe I can fly Avec la 3D, Nintendo, gonflé à bloc, ressort ses petits chiens encore plus tout-mignons et ressuscite le vol en deltaplane, l’apesanteur en plus. abitué à soutenir au rendez-vous et des chats La 3D, ici, possède le lancement virtuels viennent s’ajouter une utilité concrète : aidant de ses consoles avec au bestiaire canin qui, à mieux évaluer notre ses propres jeux, en relief, se révèle plus position dans l’espace, Nintendo se fait pour le chou que jamais. On ne peut notamment au moment moment, en tant qu’éditeur, cependant s’empêcher de d’atterrir, elle ajoute curieusement discret penser que Nintendo joue vraiment quelque chose sur 3DS. Si les stars de la ici avant tout la sécurité. au gameplay. Le plaisir marque (Mario, Zelda) sont Mais il y a Pilotwings de voler, de se libérer de attendus dans les prochains Resort. Ressuscitant la pesanteur, s’en trouve mois, seuls deux jeux une série ludique portée démultiplié. Réflexion faite, de la portable sont pour disparue depuis près Nintendo ne change pas l’heure issus des studios du de quinze ans, le jeu nous vraiment ses habitudes, fabricant, qui semble vouloir invite à piloter trois types ouvrant avec ce Pilotwings laisser le champ libre aux d’engins volants (avion, Resort enthousiasmant éditeurs tiers habitués à jetpack, deltaplane) sous ses allures modestes le voir truster les premières autour de l’île ensoleillée une voie que les autres places du box-office. L’un de Wii Sports Resort. éditeurs seraient bien d’eux n’est même pas tout Les petites missions inspirés de suivre. E. H. à fait une vraie nouveauté, s’enchaînent (traverser Nintendogs+Cats sur 3DS mais plutôt une version des anneaux, faire éclater (Nintendo, environ 50 €, améliorée de l’un des gros des ballons…) mais trois versions disponibles) tubes DS : Nintendogs. c’est le mode “vol libre” Pilotwings Resort sur 3DS (Nintendo, environ 50 €) De nouvelles fonctions sont qui emporte le morceau.

H

Ghost Recon  – Shadow Wars

PES 2011 3D Sur 3DS (Konami, environ 45 €) En l’absence (provisoire) de FIFA, PES a le monopole du ballon rond sur 3DS. La simulation gagne un nouveau point de vue (optionnel) sur l’action, séduisant bien qu’un peu inconfortable en situation défensive, qui place la caméra derrière le joueur pour profiter du relief. Elle ne souffre au fond que de l’absence d’un mode online.

Sur 3DS (Ubisoft, environ 45 €) Conçu par le vétéran britannique du genre Julian Gollop (Rebelstar, X-COM), Shadow Wars s’approprie l’univers pas très subtil (Tom Clancy oblige) de Ghost Recon pour donner naissance à un excellent (et très pédagogique) jeu de stratégie sous l’influence d’Advance Wars. La 3D procure à son champ de bataille une physicalité fascinante.

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la vie rêvée des algues Illuminé lunaire, le Néo-Zélandais Connan Mockasin publie l’un des plus beaux albums pop du moment, véritable machine à songes tordus. Psychédélique et aquatique.

P  Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

antalon trop court, longues chaussettes blanches et petits souliers noirs, chemise rose et vert pâles boutonnée jusqu’en haut, veste en laine verte trop grande, allure de nerd dégingandé, le Néo-Zélandais installé à Londres Connan Mockasin parle. Mollement, par hachures, le doux rêveur explique sa fascination pour le Japon et la poésie baroque des films d’animation de Miyazaki. Ça se passe quelques jours après le tremblement de sa terre natale. Quelques jours avant celui des îles nippones. On écoute son album Forever Dolphin Love,

sorti depuis des mois ailleurs qu’en Europe, à peu près mille fois par jour depuis sa découverte, au lendemain des Trans Musicales de Rennes. De ces catastrophes, en poussant le bouchon une année-lumière trop loin, on aurait pu subodorer que l’album de Mockasin était une sorte de signe précurseur : l’irradiation à la folie de ce type et sa relation intime avec l’âme terrienne et les mouvements océaniques semblent consanguins à son auteur. Car Connan est un garçon étrange. Il a passé son enfance à bâtir ses propres mondes avec des trucs et bidules dégotés

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on connaît la chanson

le formol et le formel

Richard Brimer

“j’ai écrit et enregistré l’album en même temps. Quand j’ai atteint 36 minutes, j’ai simplement arrêté”

dans le jardin familial. “J’avais deux frères, on utilisait les déchets des vignobles et des fermes qui entouraient notre maison pour les recycler, fabriquer des objets. Notre jardin était comme un dépotoir. Maman nous aidait beaucoup.” Vers l’âge de 4 ans, il decide de changer de sexe. “Pendant six mois, j’ai vécu en tant que petite fille : mon nom était Daisy. Mes parents se demandaient un peu ce que je faisais, mais ils sont entrés dans le jeu.” Plus tard, il se met à la musique. Avec des instruments de bric, de broc, sans doute pleins de bestioles étranges, jamais loin des démons envahissants, des trains fantômes qui le passionnent, des créatures fantasmagoriques qui l’accompagnent, de tous ses drôles d’amis imaginaires. Il a publié quelques albums sous le nom de Connan & The Mockasin. Puis ce type, depuis très recherché (Thom Yorke est, dit-on, grand fan, le génial Erol Alkan a publié son album, il a collaboré avec Fatboy Slim sur un morceau de son Brighton Port

Authority, a récemment composé pour Charlotte Gainsbourg, écrit avec Sam Eastgate de Late Of The Pier…), a dessiné les arabesques sublimes de Forever Dolphin Love dans les boiseries craquantes d’une vieille baraque abandonnée près de Wellington. Un chef-d’œuvre, écrit et déroulé comme un gamin perturbé déploie son subconscient dans des rêves incongrus, comme un adulte déçu s’échappe de la pesanteur des réalités dans un trip au LSD. “Ce ne sont pas des chansons que j’ai choisies puis placées dans un certain ordre pour en faire un disque. J’ai écrit et enregistré en même temps, du début à la fin, tout seul la plupart du temps, ce que j’avais dans la tête. Puis quand j’ai atteint 36 minutes, j’ai simplement arrêté.” Que les choses soient claires : Forever Dolphin Love restera sans doute comme l’un des plus beaux albums de l’année. Pas réellement un album : un océan, plutôt. Un sac et son ressac, sous haute influence lunaire, des morceaux qui coulent les uns dans les autres, algues placides pliant mollement au gré des courants doux. Quelque part entre Air (mais dans l’eau), la belle époque du Gainsbourg enfumé, les merveilles stellaires des Flaming Lips, Forever Dolphin Love est un grand disque de psychédélisme tendre (le mini-tube Egon Hosford) et de chansons-univers (Megumi the Milkyway Above, It’s Choade My Dear) qui ne s’embarrassent pas des questions d’espace ni de temps (la longue et variable Forever Dolphin Love, fascinante sirène). C’est le disque de chevet de Morphée – il pourrait à son écoute lui-même sombrer dans le plus beau des rêves. Thomas Burgel et Ariane Gruet-Pelchat Album Forever Dolphin Love (Phantasy/Because) Concert le 8 avril à Paris (Boule Noire) www.myspace.com/connanmockasin En écoute sur lesinrocks.com avec

C’était mieux avant ? 2011 n’a pas renoncé à regarder devant, preuves à l’infini. Ecrivez seulement, en statut Facebook par exemple, que vous êtes heureux de vivre en 2011, exalté d’être contemporain d’une telle agitation et soudain, vous réveillerez l’armée des pisse-froid, des traîne-la-mort, des peine-àjouir. Ils se mettront en rangs, droits dans leurs bottes, pour vous jurer que le futur, c’était mieux avant, que tout est déjà écrit et exploré. En ce sens, quelques musiciens jouent ce jeu de la mélancolie sépia, entretenant à longueur de refrains éculés et de riffs épuisés l’illusion d’un âge d’or qui rétrécit chaque jour dans le rétroviseur : Liam Gallagher est un des complices de ce crime contre la nouveauté. Il existe pourtant de solides raisons d’être enthousiaste, exalté, sur le qui-vive. De ceux qui, par exemple, vous bassineraient en radotant que le rap est immobile, stérile, pourrissez la boîte mail avec les productions hallucinantes du génial collectif californien Odd Future. A ceux qui gémissent que le rock n’est plus bon qu’à jouer la montre avant sa mort inéluctable, décapez les certitudes avec les spasmes des Français La Femme ou les hymnes chancelants des Mancuniens de Wu Lyf, source intarissable de fascination. A ceux qui chouinent que la pop n’est plus qu’une vieille rombière frigide, et empestant le formol et le formel, imposez des singles des Vaccines, Zoo Kid, Jai Paul, Woodkid ou Connan Mockasin (ci-contre), agités salvateurs dans des genres éparpillés. A ceux qui se feraient dessus, gagas et gogos, en regrettant le bon vieux temps de l’electronica-à-papa, détruisez le Sonotone à force de Salem, de Sebastian, de Burial ou des silences explosifs de Nicolas Jaar, Mount Kimbie ou James Blake. Qu’on en finisse avec la nostalgie de ce qui jamais ne fut.

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S’il faudra attendre l’été pour découvrir la programmation complète de la 24e édition du Festival des Inrocks qui se tiendra du 2 au 8 novembre prochains, des places sont déjà en vente en avant-

Beirut

On y avait vu The National, Vampire Weekend et Iggy Pop l’année dernière. Pour l’édition 2011, l’immense festival lyonnais, qui se tiendra du 7 juin au 30 juillet dans le théâtre antique de Fourvière, frappe de nouveau très fort avec, entre autres, le retour d’Arctic Monkeys accompagnés de Tame Impala, celui de Catherine Ringer en solo, une apparition du (trop rare) jeune génie américain Beirut aux côtés de Moriarty et de Villagers, ainsi qu’une soirée consacrée à Rain Dogs de Tom Waits, revisité notamment par St. Vincent, Yael Naïm, Angus & Julia Stone, Keren Ann, Lou Reed, Davy Sicard, The Dø, Bryan Ferry, Two Door Cinema Club, Florent Marchet, Agnes Obel et Cocoon. Programmation complète sur www.nuitsdefourviere.com

cette semaine

rares Belle & Sebastian True Live : sensation sur scène Ils s’appellent True Live et sont vraiment bons en live : le groupe australien, qui croise hip-hop, soul et violoncelles, est en tournée française en ce moment. A découvrir dans la foulée de leur nouvel album, Found Lost. Tournée française jusqu’au 29 avril, le 18 à Paris (Maroquinerie), www.truelivemusic.com

Trop peu souvent en France, les Ecossais menés par Stuart Murdoch s’arrêtent à Paris pour une unique date au Grand Rex à ne manquer sous aucun prétexte. Le 11 avril à Paris (Grand Rex)

Franck Eidel

Les Nuits de Fourvière se dévoilent

Agnes Obel

Björk se met au vert Biophilia, nouveau projet de la reine islandaise sur les liens entre nature, musique et technologie, sera présenté du 30 juin au 17 juillet dans le cadre d’une résidence au Manchester International Festival. Il donnera ensuite lieu à deux représentations par an dans des grandes villes. Composé en partie sur iPad, intégrant des applications, des installations et des instruments fabriqués, le spectacle, dont la BO sera disponible cet été sur iTunes, fera l’objet d’un album que les fans les plus au courant disent attendre pour la rentrée. mif.co.uk

neuf

Billy Joel Bang On!

Dirty Beaches Parfois, on découvre sur le net des chansons qu’on imagine passées directement d’un vinyle oublié des 60’s au MP3. Avec l’Américain Alex Zhang Hungtai, on passe directement du 78t antique au fichier compressé, comme sur un Lord Knows Best qui sample Françoise Hardy et sonne comme une maquette de Scott Walker. www.myspace.com/dirtybeaches

première pour la soirée d’ouverture au Casino de Paris. On y retrouvera la troublante Agnes Obel (découverte l’an passé au même festival, à la Boule Noire) et Florent Marchet, précieux parrain du concours de découvertes musicales Les InrocksLab. Ils seront rejoints sur cette affiche par deux guests. D’autres surprises sont à venir. Réservations aux points de vente habituels, alias.fnacspectacles.com

Inez van Lambsweerde & Vinoodh Matadin

Kristianna Smith

premiers noms pour le Festival des Inrocks 2011

En argot, un scally est une petite frappe de Liverpool, humour et canif affûtés, Adidas impec et tempes rasées. Un scally thug est la branche armée des scallies : c’est aussi le titre d’un des singles de Bang On! , version locale de The Streets, qui sur un dubstep affolé donne un affolant cours de scouse, le dialecte local. bigdada.com

Robert Lester Folsom Music and Dreams, annonce le titre de cet album de 76 réédité par Mexican Summer : musique et rêves sont bien au rendezvous sur ce disque composé par un Américain méconnu, cousin de Crosby, Stills & Nash et Todd Rundgren. Entre folk atmosphérique et mélodies West Coast, cet album est un trésor. Panda Bear est fan. www.mexicansummer.com

Eblouis par la belle reprise de She’s Always a Woman qu’avait offert Fyfe Dangerfield sur son album solo, on réécoute les deux premiers albums de Billy Joel. Bien avant les singles chamallow-FM, Cold Spring Harbor et Piano Man dévoilaient un songwriting élégant et sans chichis, appris chez McCartney et Elton John. www.billyjoel.com

vintage

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Steve Gullick

“ces années ont été dures. Mais je ne sais pas parler de la douleur”

son nom est Pearson Echappé du désert et installé à Paris, Josh T. Pearson, ancien leader des Texans de Lift To Experience, revient avec un folk écorché et épuré.

Q  

u’est-ce que j’ai fait, déjà… Euh, je crois qu’à ce moment-là je me suis marié… Je ne sais plus vraiment ce qui s’est passé ces dix dernières années. C’est flou dans ma tête. Comme après un accident de voiture.” Josh T. Pearson n’a pas eu d’accident de voiture. Il a simplement eu du succès avec son trio texan Lift To Experience, auteur en 2001 d’un double album devenu mythique, The TexasJerusalem Crossroads. Mais voilà : quand la plupart des jeunes groupes seraient prêts à vendre mère, père et petite copine pour un carton, Josh T. Pearson n’a pas supporté la notoriété naissante de sa formation.

“Vendre des albums a été la pire chose qui pouvait m’arriver. Ça m’a perturbé. J’ai découvert que j’étais incapable de faire quoi que ce soit d’artistique ou de créatif à partir du moment où ça impliquait les salaires de personnes extérieures. Travailler pour un label qui veut vendre des disques, je ne sais pas faire ça.” Lift To Experience explose donc en plein décollage, et c’est dans un bled perdu au fin fond du désert texan que le musicien part se réfugier. Il vit seul, ne parle à Pearson, déprime méchamment. Pour payer son toit et sa nourriture, il enchaîne les petits boulots manuels (“Je soulevais des trucs”) et, de temps en temps, joue des chansons

pour les cow-boys du coin dans la vieille église du village voisin. “Ces années ont été dures. Mais je ne sais pas parler de la douleur. Ce dont je me souviens, c’est que j’étais triste et en colère.” Les saisons passent, et le fils de pasteur délaisse l’Amérique pour l’Allemagne. A Berlin, Pearson continue à jouer de la musique chez lui, sans jamais rien enregistrer. “Je connaissais bien le mec du tabac, le mec de l’épicerie et le mec du kebab, c’était déjà pas mal.” Quelques allers-retours entre l’Allemagne et le Texas, un mariage et une séparation plus tard, Pearson s’installe à Paris. Nouveau chapitre de ce scénario improbable,

il s’implique dans la vie culturelle d’une crêperie du XIe arrondissement, West Country Girls, y donne des concerts et collabore avec des artistes comme H-Burns ou Bosque Brown. Mais le déclic a lieu lors d’un concert donné en Irlande : bouleversés par les folk-songs tristes et oniriques de Pearson, deux costauds du public encouragent le musicien à enregistrer un disque à l’issue de la prestation. “Ça m’a touché car c’était des gros gars, presque des brutes. Alors je me suis dit d’accord, si ça touche ces types, je vais enregistrer des chansons à nouveau.” Fruit de cette décision, Last of the Country Gentlemen réunit sept folk-songs qui semblent n’en former qu’une – quatre, d’ailleurs, dépassent les dix minutes. Moins chaotique que le parcours de son auteur, la musique de Pearson est à classer non loin de celle de Bonnie Prince Billy (Sweetheart I Ain’t Your Christ) ou des premiers Joseph Arthur (Sorry with a Song). Ecorché, épuré, c’est un disque de cow-boy mélancolique, qui pleure dans sa barbe et souffre dans ses santiags. “Je me suis acheté mon premier sweat à capuche récemment. C’est plus confortable pour la vie à la ville. Peut-être qu’un jour je serai un mec avec un smartphone et des applications dessus.” Johanna Seban Album Last of the Country Gentlemen (Mute/Naïve) www.myspace.com/ joshtpearson En écoute sur lesinrocks.com avec 6.04.2011 les inrockuptibles 87

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My Jazzy Child Le troisième album de Damien Mingus : une œuvre complexe et angoissée. Le prolifique multiinstrumentiste Damien Mingus (Centenaire, Arafight, Section Amour, le label/collectif Evenement!) signe ici une lettre d’angoisse placide, sorte d’avertissement résigné de drames futurs à absorber. C’est sa voix, surtout, qui frappe. Enigmatique, menaçante parfois, souvent protectrice, elle vibre doucement, entre murmure et chant. Elle se fond sur une musique mue par une sorte d’énergie du désespoir : beaucoup de rythmiques, des collages, des enchevêtrements de voix, parfois des échappées jazz bruitistes et des paysages saturés. D’autres instants de The Drums sont, à l’inverse, comme un terrain désert d’où, solitaires et délaissées, émergent des harmoniques distordues. C’est le rock noir des années 90 mélangé à des années de recherche musicale. Exigeant,  The Drums ne s’apprivoise qu’avec le temps, révélant alors une vraie pulsion de vie. Ariane Gruet-Pelchat clappingmusic.bandcamp.com En écoute sur lesinrocks.com avec

Juliette Vincent

The Drums Clapping Music

bœuf de langues Le disque le plus drôle du moment ? Celui d’Hortênsia Du Samba, projet bilingue entre le Français Tante Hortense et ses corres’ brésiliens Revista Do Samba.

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écalé, Stéphane Massy l’est. Déjà, il fait depuis Marseille de la chanson plutôt française sous le nom de Tante Hortense. Trois albums discrets, minimalistes et sérieusement ahuris ne lui ont apporté ni la gloire ni la fortune. Pas même le titre Une bite (sur le poignet), pourtant un tube. Mais tout pourrait changer. Car Tante Hortense, qu’on savait déjà imprégné de musique brésilienne, tendre comme Caetano Veloso et aussi malicieux que Tom Zé, sort sa première production internationale : Hortênsia Du Samba, un disque enregistré fin 2009 à São Paulo avec le trio local Revista Do Samba. 2009, c’était l’année de la France au Brésil. Tante Hortense profite de l’occasion pour monter un projet. Il est déjà allé au Brésil. Du groupe Revista Do Samba, il connaît un peu la musique, épurée, et aussi la chanteuse (par ailleurs comédienne) Letícia, qu’il a découverte nue dans une pièce de théâtre qui durait sept heures. “On s’est retrouvés à São Paulo avec mes quatre musiciens qui ne parlent pas portugais. On avait dix jours pour monter un concert, puis trois jours pour enregistrer un album. C’était intense, fatigant,

de 8 heures du matin à minuit. Mais aussi frais, dans l’énergie, en trouvant des réponses sans avoir le temps de poser les questions. Au départ, je voulais soit un disque de samba en français, soit une fusion entre samba et rock. Je ne savais pas trop, mais j’avais la conviction que quelque chose était possible. A l’arrivée, on a réussi à faire ce truc qui porte un nom galvaudé et ringard : de la fusion.” Souvent associé à l’image de bassistes fretless à catogan, le concept de “fusion” est formellement prohibé. A l’écoute de l’album, on préférera parler de correspondance, voire de corres’ tout court. Car il y a dans ce disque des souvenirs de séjours linguistiques, de voyages scolaires, de barrières de langues franchies dans un fou rire léger et polyglotte. La musique est bonne : des harmonies vocales, des averses estivales de percussions, des guitares acoustiques doucement pincées. De la samba,

le Corcovado contemple l’église de Noyers-surCher, et c’est merveilleux d’exotisme insolite

quoi. Mais ce qui est encore meilleur, car d’une drôlerie irrésistible, c’est le bilinguisme textuel. La plupart des paroles françaises sont interprétées par les Brésiliens, et inversement. “Jé comprends rien à cé qué jé dis, mais jé trouvé ça joli”, chante ainsi le percussionniste Vítor avec un accent à couper le pain de sucre au couteau. Tante Hortense, qui a de la suite dans les idées, ressort sa Bite (sur le poignet). En portugais, ça donne “Tenho uma piroca no pulso” et ça fait rire les enfants. Dans Le Bel Amant du Berry, Tante Hortense fait chanter à Letícia l’histoire d’un gars du Loir-et-Cher. Le Corcovado contemple l’église de Noyers-sur-Cher, et c’est merveilleux d’exotisme insolite. “La samba me plaît car c’est une musique très équilibrée, complète, sur des aspects difficiles à concilier : rythme, harmonie et texte”, explique Tante Hortense, qui a eu le don d’y ajouter sa suprême patte personnelle : l’humour. Stéphane Deschamps Album Hortênsia Du Samba (Les Disques Bien/Abeille Musique) Concerts les 6 et 7 avril à Marseille, le 8 à Villeneuve, le 12 à Paris (Café de la Danse) www.myspace.com/ hortensiadusamba

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We Are Enfant Terrible Explicit Pictures Last Gang/Naïve Entre euphorie et coup de blues, la dance-music sexy et crade de champions lillois. Ne pas se laisser abuser par les appels insistants adressés ici aux pieds, aux hanches, aux fesses : si We Are Enfant Terrible ordonne la fête paillarde, le groupe est aussi là pour accompagner les matins glauques, la débâcle après la débauche. Rarement dance-music n’aura été à ce point euphorique et triste dans le même souffle, le même élan, que sur cet affolé Lobster Quadrille ou sur cet emphatique Flesh’n’Blood Kids. Musique électroniquée et pourtant farouchement physique, primale (la batterie hallucinée de Cyril Debarge n’y est pas pour rien), elle se rapproche fatalement de la noirceur pétaradante des Crystal Castles, leurs voisins sur le rigoureux label canadien Last Gang. Mais avec un sens pop moins saboté, moins traité en maladie honteuse, qui offre une ambiguïté particulièrement séduisante à ces chansons à la fois revêches et aguicheuses, agressives et calines, métronomiques et fragiles (l’héritage New Order, que l’on retrouve aussi chez leurs cousins The Ting Tings). Et même si le son, parfois à la limite du dogme 8-bit, donne l’impression de rejouer en groupe humain la BO d’un jeu vidéo halluciné, crade et sexuel, les arrangements malins, les minauderies affolantes de Clo Floret et les gimmicks assassins du trio donnent à ce minimalisme une ampleur insolite. “I’m a real wild child…” Méfiez-vous, surtout, du batteur : mi-homme, mi-diable de Tasmanie.

The Dears Degeneration Street V2 Donnés pour morts, les Canadiens épiques reviennent et visent extralarge. On avait découvert The Dears par le single Lost in the Plot (2004), en clones minaudiers de Morrissey. Sur scène, on découvrait pourtant un vaste chanteur black, soulman au coffre élargi par le gospel, show-man presque malgré lui et sa timidité. Qui s’est bien envolée sur ce cinquième album à ambitions épiques, brasier exorbitant qui fait passer les concitoyens d’Arcade Fire pour un feu de camp scout et Radiohead pour Radio Nostalgie (le merveilleux Galactic Tides). Le plus impressionnant restant que les chansons résistent, droites dans leurs bottes de sept lieues, à une surcharge inouïe d’arrangements, de chœurs, de cordes, de cuivres et de perlinpimpin partout. Mais il faut dire que, de 5 Chords à Blood, l’écriture et la production scintillante signée Tony Hoffer (Phoenix, Beck) sont ici suffisamment inébranlables, indiscutables pour résister à de telles tempêtes. “Regeneration Street”, plutôt. JDB

JD Beauvallet

Stéphane Hervé

Concerts le 20 avril à Bourges, le 6 mai à Tourcoing (avec The Shoes) www.weareenfantterrible.com

Concert le 15 avril à Paris (Flèche d’Or) www.thedears.org 6.04.2011 les inrockuptibles 89

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Hushpuppies The Bipolar Drift Chut Le Caniche/Differ-ant

Banjo Or Freakout

Les mods de Perpignan engagent leur Vespa sur l’Autobahn de Kraftwerk. S’ils ont tout appris de leurs cousins anglo-saxons, il semblerait que les Hushpuppies aient décidé de lorgner vers un autre pays voisin pour bâtir leur troisième album : l’Allemagne. En effet, impossible de ne pas penser à Kraftwerk à l’écoute de The Bipolar Drift, grand écart schizophrène entre la pop sixties des mods qui a donné vie au combo (Low Compromise Democracy) et les racines du krautrock (Zero One). Un périlleux exercice, dont les Perpignanais se sortent sans la moindre élongation. Ondine Benetier

Banjo Or Freakout

Watine Still Grounds for Love Catgang/La Baleine/Believe

La pop claire-obscure de la Française gagne en ampleur et en intensité. ci qualifié de voie d’eau, là de tricotage subtil et sensuel, l’art de Catherine Watine a pris le grand large d’une reconnaissance exponentielle. Conçues comme autant de plans-séquences, les dix pièces de ce moyen métrage ramassé et intense se nourrissent de structures entre acoustique et machines, drame et légèreté pop. La chanteuse choisit d’évoquer l’être humain face au temps qui passe. Il est alors naturel qu’une élégante mélancolie baigne ces mélodies rêveuses et discrètes pour musique de chambre – des supplices (le sombre The Story of That Girl) ou des plaisirs (les vagues de cordes de The String of My Fate, comme autant de caresses d’amant). Les chansons, poupées gigognes entre musique française (Ravel) et sons étranges et ourlés (de la subtilité de Divine Comedy au sens de la tragédie de Nick Cave), incarnent alors les facettes d’un parcours intime : celui d’une artiste unique, impériale dans le clair-obscur des passions. Christian Larrède

I

www.myspace.com/watine En écoute sur lesinrocks.com avec

Venu d’Italie sur un tapis volant, un album barjo sans banjo. Entre mélancolie et béatitude, entre hypnose et lévitation, cet Italien exilé à Londres explore des pays imaginaires dans un trip luxuriant où l’on croise pêle-mêle des constellations de mélodies songeuses, des spirales electro et du shoegazing comateux. On reconnaît les brumes de Kevin Shields dans ce psychédélisme défoncé, mais aussi des illuminés plus fringants – Panda Bear, Deerhunter. Comme eux, Alessio Natalizia ose pervertir la beauté stellaire de ses compositions en y insufflant ses audaces barrées : son insolence fait des merveilles. Noémie Lecoq www.myspace.com/ banjoorfreakout En écoute sur lesinrocks.com avec

www.hushpuppiestheband.com En écoute sur lesinrocks.com avec

Noora Isoeskeli

Hervé All

Memphis Industries/Pias

Rubik Solar Talitres/Differ-ant Instable et joviale, de la pop qui s’est pris un coup de soleil en Finlande. Solar, titre idéal pour cette pop radieuse, jouée tout en frénésie réjouie et à gorge déployée. Mais comme Rubik vient de Finlande, forcément, le soleil arrive un peu de travers, par des chemins détournés. Ça ne l’empêche pas d’avoir tapé sur la tête de ces chansons qui voient trente-six chandelles de toutes les couleurs, avec quelques feux de Bengale dans le lot. Car cette pop crépite, trépigne, trépide, incapable de tenir en place, accumulant les breaks, les changements d’ambiance, d’instruments et de registre avec l’empressement de ceux qui savent que le soleil ne durera qu’une danse chamanique. On comprend d’ailleurs mieux l’excentricité du son et la fantaisie des arrangements quand on constate que Solar a été mixé par Ben Allen, spécialiste de ce genre de détournement derrière Animal Collective ou Deerhunter. Le groupe s’appelle Rubik, il va vous mettre la tête au cube. JD Beauvallet www.myspace.com/rubikband En écoute sur lesinrocks.com avec

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Danay Suarez Havana Cultura Sessions Brownswood Recordings/La Baleine

A Cuba, la foldingue Danay Suarez chante comme une tempête.

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ans les historiques studios Egrem de La Havane, où ont enregistré Nat King Cole, Joséphine Baker ou le Buena Vista Social Club, l’histoire continue : le 7 mai 2010, une très jeune chanteuse lyrique passée par le hip-hop et le rock s’essaie au jazz avec le pianiste Roberto Fonseca, une section rythmique et le producteur Gilles Peterson. “La meilleure chanteuse à Cuba”, déclare-til, et on acquiesce, à genoux et stupéfait. Danay Suarez n’est pas seulement une vocaliste vertigineuse, chanteuse acrobate impressionnante d’agilité, d’intensité, de contrôle et de liberté mêlés. Elle est aussi complètement folle : Ser o no ser – “Etre ou ne pas être” –, le premier morceau de l’album, dure plus de vingt minutes. Invraisemblable sur le plan commercial, jouissif et addictif pour les oreilles. Pendant Ser o no ser, les musiciens ont choisi d’être, en pleine tempête créative : la batterie éclate en rafales, le piano maintient le cap du groove malgré de grosses crises de panique, et le tout est surplombé (ou provoqué) par cette voix de chamane latine, maîtresse du chaos et d’énergies cosmiques déchaînées. Violemment magique. Stéphane Deschamps

Concert le 8 avril à Bobigny, avec Roberto Fonseca et Mayra Andrade www.havana-cultura.com

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Architecture In Helsinki Moment Bends Cooperative Music/Pias

La pop rose bonbon d’Australiens divorcés de la réalité. L’utopie de cette entreprise en euphorie est résumée dans le nom du groupe, établi à Melbourne mais baptisé Architecture In Helsinki. Cet album incarne ainsi la quintessence de la musique-bulle : une pop pétillante, enregistrée derrière des vitres roses et des rideaux tirés sur la réalité, rempart contre les crues de mélancolie. Et de That Beep au bien titré Escapee, cette electro-pop offre de belles clés pour l’évasion, voire le déni. JDB architectureinhelsinki.com En écoute sur lesinrocks.com avec

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Alexi Murdoch Towards the Sun Des folk-songs à la pureté désarmante. Murdoch est le fils caché de Nick Drake. Alexi Murdoch a grandi entre la Grèce et l’Ecosse, puis étudié la philosophie aux Etats-Unis. Peu importe les tampons sur le passeport : ce songwriter appartient à la belle équipe de poètes apatrides de Piers Faccini. Pour cette façon, notamment, de puiser autant dans le folk nu et sublime de Nick Drake que dans les mélodies en dentelle de la musique africaine. Cet art, aussi, de raconter les bois, les grands espaces, le ciel et le grand air avec trois arpèges comme arme de destruction massive. Towards the Sun, c’est vraiment le soleil : folksongs divines (Someday Soon, époustouflant) et mélodies pour chair de poule (Crinan Wood). Alexi Murdoch ne squattera probablement ni les têtes de gondole ni les playlists des radios FM. Il ne bouleversera pas non plus l’histoire de la musique avec ce nouveau recueil. C’est injuste : il lui offre un chapitre à l’élégance rare. J. S. www.aleximurdoch.com

Elisa Allenbach

City Slang/Pias

Joseph d’Anvers Rouge fer Atmosphériques Sobre et élégant, le nouvel album de Joseph d’Anvers fête avec classe les noces de la chanson et du rock. n avait deviné, dès Bleu pétrole. Voix détachée, Les Choses en face, batterie sourde, piano le touchant premier grave et cordes album de Joseph voltigeuses : cinq minutes d’Anvers, les frustrations tout en retenue, à de ce songwriter biberonné l’élégance et à la sobriété au rock de Sonic Youth dignes d’une Ouverture et de Jesus and Mary Chain, d’Etienne Daho. Puis c’est placé en deux temps trois en disque bilingue que se mouvements sous l’étiquette mue Rouge fer : d’Always “chanson française”. Better (Paranoid) à Radio 1, Dès le suivant, Les Jours qui pourrait lui valoir, enfin, sauvages, le Français un vrai succès FM, Joseph dérivait d’ailleurs vers un d’Anvers célèbre les noces registre beaucoup plus rock, du français et de l’anglais, s’offrant pour l’occasion les comme pour mieux marier services de Mario Caldato Jr. la chanson d’ici et la pop (Beastie Boys, Beck…) de là-bas – c’est souvent à la production. Croisement brillant (Leave Me Alone, parfait de ces deux Las Vegas). trajectoires, Rouge fer, le Se payant au passage troisième album de Joseph une belle équipe de d’Anvers, fait convoler collaborateurs (Tahiti Boy, les fantasmes rock du Phoebe Killdeer & The chanteur et son attachement Short Straws, le Budapest à la chanson. Symphonic Orchestra), Les réjouissances Joseph d’Anvers soigne s’ouvrent avec Ma peau va te sa prose comme jamais plaire, un titre initialement (“Las Vegas en bric en broc”, écrit pour Alain Bashung, “du plus ultra tu es le nec”) avec qui Joseph a travaillé et atteint un équilibre sur son chant du cygne parfait entre l’éloquence

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du propos et la sobriété du ton (Sweet 16). Là où le paysage français nous garantit chaque semaine son lot de chants emphatiques, de discours exaltés, Joseph d’Anvers opte pour une tempérance bienvenue, comme échappée du Crève cœur de Daniel Darc (La Résilience). Résultat, le verbe en ressort d’autant plus agissant. Plus belle scène du dernier acte de Rouge fer, un (I Caught an) Exotic Bird sensuel, tranchant et physique, partagé avec Troy von Balthazar, dévoile une nouvelle facette du musicien. Et confirme sa position sur la cartographie nationale : ni d’Anvers, ni d’endroit, simplement électron libre. Johanna Seban Concert le 16/5 à Paris (Maroquinerie) www.myspace.com/ josephdanvers En écoute sur lesinrocks.com avec

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Uri Auerbach

Justice Civilization Ed Banger/Because Pop et brutal, un tube qui joue avec nos nerfs, réduits à l’esclavage. ans le titre de l’étude on pourrait jouer Justice à la de Cheikh-Anta Diop, guitare sèche, et même débarrassé Civilisation ou Barbarie, de cette armada exorbitante Justice a fait semblant Civilization ne s’écroulerait pas de trancher. Mais le premier (et sonnerait peut-être comme riff contredit cette promesse un vieil Elton John). de civilisation, rappelant que Mais Justice possède encore la puissance de Justice est plus : un sens toujours aussi justement de toujours accorder sadique, joueur et irrésistible un jugement de Salomon. des montées orgasmiques, certes, Car là où tant de suiveurs de ce mais surtout cette capacité heavy-metal de science-fiction, de à jouer à fond, à cran, et à trouver cette dance-music d’heroic fantasy pourtant à ce top l’impulsion se contentent de la seule barbarie, pour aller une fois encore trop loin, en une indécente exhibition de beats au-delà des bornes. JD Beauvallet et une routine de terreur sonique, www.myspace.com/etjusticepourtous Justice conserve, même dans ses moments les plus brutaux, une âme En écoute sur lesinrocks.com avec de jeune fille, pop et romantique :

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Bonnie Prince Billy All the Trees of the Field Will Clap Their Hands (Sufjan Stevens Cover) Bonnie Prince Billy reprend Sufjan Stevens sur un album de reprises de Seven Swans initié par le blog On Joyful Wings au profit de la Susan G. Komen Breast Cancer Foundation. On adore. www.youtube.com

D.L.I.D feat. Fink Colour in Your Hands Mélancolique et captivant, le premier titre du nouveau maxi de Dick Laurent Is Dead d’Electroluxe Family dévoile les aptitudes magistrales du producteur, ici accompagné par la voix sublime du chanteur anglais Fink. Intense, touchant et disponible tout de suite. www.myspace.com/dicklaurentisdead

Hotel 74 Room 80 Ce duo parisien connaît les codes du post-rock et du shoegazing sur le bout des doigts. Pas étonnant, dès lors, de reconnaître dans son Room 80 les envolées de M83 et la beauté pure de Sigur Rós. www.lesinrockslab.com/hotel-74 6.04.2011 les inrockuptibles 93

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Dès cette semaine

Adam Kesher 7/4 Paris, Boule Noire Carl Barât 16/4 Paris, Trianon Belle And Sebastian 11/4 Paris, Grand Rex The Bewitched Hands 7/4 Six-Fours, 8/4 Marmande, 9/4 La Rochesur-Yon Aloe Blacc 24/4 Paris, Trianon Brigitte 7/4 Les Sablesd’Olonne, 8/4 Béthune, 9/4 Rennes, 21/4 Bourges, 23/4 Chelles, 30/4 Colmar, 5/5 Marseille, 6/5 Avignon, 7/5 Nancy, 8/5 Neufchâteau, 12/5 Lyon, 13/5 Toulouse Anna Calvi 17/4 Marseille, 19/4 Bordeaux, 20/4 Lyon, 22/4 Paris, Trianon, 23/4 Saintes, 24/4 Bourges Cascadeur 10/4 Morlaix, 16/4 Tourcoing, 20/4 Alençon, 24/4 Bourges, 11/6 Montereau Téofilo Chantre 9/4 Paris, New Morning Chocolate Genius Inc. 7/4 Paris, Café de la Danse, 8/4 ClermontFerrand, 9/4 Arles, 13/4 Angoulême, 14/4 La Rochelle, 15/4 La Rochesur-Yon, 21/4 Bourges Crocodiles (+ Chad Vangaalen) 8/4 Paris, Flèche d’Or Deerhoof 19/4 Paris, Maroquinerie Deerhunter 8/4 Dijon, 9/4 Paris, Gaîté Lyrique, 10/4 Tourcoing Alela Diane 8/5 Strasbourg, 9/5 Paris, Cigale, 10/5 Lille The Dø 6/4 Lille

Nasser, Katerine, etc.

The Dodos 18/5 Paris, Point Ephémère Stéphane Eicher & Philippe Djian 9/4, Mulhouse, 19/4 Dinan, 29/4 ConflansSainte-Honorine, 30/4 Villeparisis, 5/5 Meaux, 6/5 Denain, 7/5 Rungis, 18/5 Stavelot, 19/5 Laon, 20/5 Courbevoie, 21/5 Rombas Eli Paper Reed 6/4 Lyon, 7/4 Paris, Flèche d’Or, 10/4 Marmande Eurockéennes de Belfort du 1er au 3/7, avec Arcade Fire, Beady Eye, Beth Ditto, Arctic Monkeys, House Of Pain, etc. Festival Concerts sauvages du 2 au 9/4 au Domaine des Portes du Soleil, avec Keziah Jones, Jamaica, BB Brunes, etc. Festival Beauregard du 1er au 3/7 à HérouvilleSaint-Clair, avec Motörhead, The Kooks, Kasabian, Anna Calvi, Katerine, Cold War Kids, Two Door Cinema Club, etc. Festival Europavox du 25 au 28/5 à ClermontFerrand, avec Cocoon, Catherine Ringer, Aaron, Boys Noize, etc. Festival Garorock du 8 au 10/4 à Marmande avec The Streets, Morcheeba, The Bewitched Hands, Jamaica,

Festival Nouvelle Chanson du 7 au 9 avril aux Sablesd’Olonne, avec Brigitte, Bertrand Belin, Arnaud Fleurent-Didier, Joan As Police Woman, Yael Naim, etc. Festival Nuits sonores Du 1er au 5/6 à Lyon, avec Battles, DJ Shadow, The Sonics, Crystal Stilts, Brodinsky, etc. Festival Panorama du 7 au 10/4 Morlaix, avec Vitalic, Crookers, Katerine, Sebastian, Stromae, DJ Mehdi, Cascadeur, etc. Fleet Foxes 30/5 Paris, Bataclan Foodstock 23/4 Paris Francofolies du 12 au 16/7 à La Rochelle, avec Cocoon, The Dø, Yelle, Katerine, Asa, etc. Fujiya & Miyagi 21/4 Lille, 22/4 Caen, 23/4 Rennes, 26/4 Paris, Alhambra, 27/4 Strasbourg, 28/4 Lyon, 29/4 Montpellier, 30/4 Marseille The Gaymers Camden Crawl du 30/4 au 1/5 à Londres avec Saint Etienne, Villagers, Hadouken!, Toddla T, Bo Ningen, Frankie & The Heartstrings, Sound Of Rum… Gold Panda 20/4 Laval, 21/4 Tourcoing, 22/4 Nancy, 23/4 Paris, Point Ephémère Guillemots 2/5 Paris, Café de la Danse Hushpuppies 8/4 Nantes, 9/4 Chelles,

14/4 Lyon, 15/4 Montpellier, 16/4 Mont-deMarsan, 20/4 Bourges, 22/4 Perpignan, 23/4 Salon-deProvence, 27/4 Paris, Alhambra, 30/4 Bordeaux Jamaica 6/4 Strasbourg The Jim Jones Revue 8/4 Paris, Bataclan, avec The Legendary Tigerman, The BellRays Mamani Keita 10/6 Paris, Maroquinerie Kid Congo And The Monkey Bird 9/4 La Rochelle BB King 30/6 Paris, Grand Rex Kocani Orkestar 11/4 Chalonsur-Saône, 12/4 L’Isled’Abeau Le Prince Miiaou 9/4 Rennes, 16/4 SaintBrieuc, 23/4 Chelles, 24/4 Bourges, 30/4 Niort Lykke Li 21/4 Paris, Cigale Madjo 6/4 SaintQuentin, 20/5 Paris, Cigale Florent Marchet 13/4 Lille, 14/4 Beauvais, 15/4 Rennes, 29/4 CergyPontoise Cass McCombs 21/5 Paris, Café de la Danse Alexi Murdoch 13/4 Paris, Café de la Danse Nasser 7/4 Villeurbanne, 8/4 Marmande, 9/4 Morlaix, 16/4 Lille, 14/5 Rennes New York Dolls 11/4 Paris, Flèche d’Or Noah And The Whale 26/4 Lille, 27/4 Rouen, 28/4 Paris, Gaîté Lyrique

Nouvelles locations

En location

Arctic Monkeys, The Kills, Anna Calvi, etc.

Les Nuits Botanique Programmation ubuesque pour le festival belge qui réussit à réunir dans la même salle les zozos de Black Lips, Animal Collective et dieu Sufjan Stevens, dont les passages en Europe sont trop rares. Du 10 au 29/5 à Bruxelles avec Sufjan Stevens, Animal Collective, Caribou, The Black Lips, Katerine, The Dodos, etc. Agnes Obel 4, 5 et 6/7 Paris, Bouffes du Nord Raul Paz 10/5 Montargis, 13/5 Noyon Josh T Pearson 14/4 Brest, 15/4 Paris, Café de la Danse, 16/4 Rennes, 17/4 Toulouse, 19/4 Colmar, 20/4 Tourcoing Peter, Bjorn & John 9/4 Paris, Point Ephémère Printemps de Bourges du 20 au 25/4, avec Aloe Blacc, Lykke Li, The Dø, James Blake, Mélanie Laurent, Yael Naim, etc. Queens Of The Stone Age 23/5 Paris, Olympia, 25/5 Strasbourg Catherine Ringer 7/4 Ris-Orangis, 8/4 Massy, 9/4 Sannois Le Rock dans tous ses états 24 & 25/6 Evreux, avec Tiken Jah Fakoly, Razorlight, The Inspector Cluzo & Mates, Young Fathers, etc. Rock en Seine du 26 au 28/8 à Saint-Cloud, avec Interpol, Foo Fighters,

Gaëtan Roussel 6/4 Paris, Zénith, 8/4 Nantes, 9/4 Quimper, 10/4 Rennes Sufjan Stevens 9/5 Paris, Olympia, 10/5 Bruxelles Stornoway 14/4 Paris, Café de la Danse Stupeflip 8/4 Poligny, 9/4 Villeurbanne, 10/4 Marmande, 16/4 Le Creusot, 29/4 Rouen, 3/5 Paris, Bataclan, 1/6 SaintEtienne, 8/6 Tours Super mon amour! # 4 du 5 au 10/4 à Paris, Tourcoing, Nantes et Strasbourg, avec José Gonzalez performing with The Göteborg String Theory, Dan Deacon, Architecture In Helsinki, Deerhunter, Nelson, etc. Tahiti 80 7/4 Paris, Bataclan Tamikrest 22/6 Paris, Point Ephémère Tindersticks 28/4 Paris, église Saint-Eustache Shugo Tokumaru 7/4 Lille TV On The Radio 13/7 à Paris, Olympia Villagers 11/4 Paris, Maroquinerie Troy von Balthazar 11/4 Marseille, 13/4 Toulouse, 14/4 Limoges, 15/4 Paris, Machine, 18/4 Rodez, 6/5 Hyères Warpaint 26/5 Paris, Bataclan Wild Beasts 19/5 Paris, Point Ephémère Yelle 7/4 Paris, Point Ephémère

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Djanogly Carolyn/Aurora/Cosmos

théâtre de marionnettes Sur fond de mafia russe, de corruption des banques et d’espionnage anglais, John le Carré signe un tour de force littéraire tout en flash-backs, un grand roman existentiel où la vérité se dévoile toujours trop tard.



ertains romans d’Arthur Conan Doyle, d’Agatha Christie et de Rudyard Kipling, mais aussi et surtout Somerset Maugham, John Buchan, Ian Fleming et enfin John le Carré : le roman d’espionnage est un genre éminemment britannique. Est-ce parce que le Royaume-Uni, cet empire insulaire, fatalement séparé des autres puissances par la mer, peut ainsi les observer de loin et se sentir observé par elles ? Est-ce que cette sensation de retrait, voire d’isolement, rend aussi arrogant que vulnérable, aussi mégalo que parano, avec angoisse inhérente d’être envahi par le reste du monde ? Car si l’on dit souvent que

la paranoïa est au cœur des romans de science-fiction – La Guerre des mondes, roman anglais de H.G. Wells, suintait la parano paradoxale des grands colonisateurs d’être colonisés à leur tour… –, elle s’impose davantage comme l’enjeu même du roman d’espionnage. Même chez les jeunes auteurs, français de surcroît, tel Antoine Bello qui revisitait récemment le roman d’espionnage avec Les Falsificateurs, le scénario est paranoïaque à l’extrême : Bello imaginait une agence d’espions spécialisés dans la contrefaçon d’informations et de faits historiques. De quoi manipuler l’opinion, c’est-à-dire nous. On nous mentirait donc ? Disons que la vérité serait toujours à découvrir derrière les apparences, les façades illusoires. Le nouveau roman, le vingt-deuxième, de ce vieux maître qu’est John le Carré (80 ans l’automne prochain) en est la démonstration magistrale, doublé d’un tour de force littéraire comme on n’en avait pas lu depuis longtemps. Car ce qu’il démontre, c’est que le mensonge, ou plutôt le non-dit, l’omission, ont toujours à voir avec la narration. Toute littérature relèverait dès lors un peu du roman d’espionnage – tout lecteur serait un paranoïaque en puissance auquel on ment. Car, comme

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Le Carré sur WikiLeaks “Je salue totalement la révolution accomplie par WikiLeaks. Il s’agit d’un véritable service public, ainsi que d’un bon moyen d’obtenir des comptes de la part de nos politiciens et diplomates. Malheureusement, comme bien des grandes révolutions, WikiLeaks est tombé entre de mauvaises mains. Ses détenteurs actuels ont agi de manière irresponsable et sélective. D’une part, ils ont inutilement exposé certains de leurs informateurs à un danger mortel ; d’autre part, ils persistent à ne pas dévoiler de précieux documents qui

en marge doivent d’urgence appartenir au domaine public : par exemple, une multitude de documents sur Guantánamo qui pourraient accélérer la fermeture de cette sinistre prison et mettre un terme aux tortures systématiques. En un mot, WikiLeaks doit, d’une manière ou d’une autre, être transferé entre des mains responsables et remis à des personnes en qui les agitateurs puissent avoir confiance. Si je connaissais des secrets méritant d’appartenir au domaine public, je ne les confierais pas à Assange.” propos recueillis par N. K.

on le sait, ce n’est pas parce qu’on est parano qu’on ne nous cache pas quelque chose. En abordant Un traître à notre goût, l’on pourrait s’attarder sur la vision du monde du grand le Carré portée par ce roman : la Russie postsoviétique gangrenée par ses mafieux – les “Vory”, anciens détenus de la Kolyma ou du Goulag (les camps comme terreau de leur formation) –, la corruption des banques et le blanchiment d’argent des sales guerres à échelle mondialisée, la pourriture des réseaux d’agents secrets… Pourtant, c’est la structure qui sidère. Un roman entièrement construit en flashbacks et récits rétrospectifs, où le lecteur découvre quelques pages plus tard que le passage qu’il lisait, les scènes auxquelles il assistait, n’étaient pas complètes – lui cachaient quelque chose. Quelque chose manque toujours au récit, parce que quelque chose manque toujours à la vie. Les clés pour l’ouvrir (le récit ou la vie) à notre regard total – tentation du parano –, manquent cruellement. Où gît la vérité ? Ce jeune et beau couple que l’on suit dès le début – Perry, universitaire de gauche enseignant à Oxford, et Gail, avocate ambitieuse – passent-ils de simples vacances en amoureux à Antigua, dans les Caraïbes ? Plus tard, de retour à Londres, interrogés dans le sous-sol d’une maison par les mystérieux Luke et Hector, ils avoueront qu’ils y ont rencontré une famille de Russes, richissimes et étranges, dont la colossale figure de proue se nomme Dima. Seulement désireux de jouer au tennis avec Gail et Perry ? Plus tard encore, on apprendra que Dima, chantre du blanchiment d’argent de la mafia russe, aurait demandé à Perry de contacter les services secrets britanniques pour

le véritable traître, c’est d’abord le roman

lui assurer asile et sécurité en Angleterre contre des renseignements qui sauveraient le pays. Et ainsi de suite… Rien de ce qui se raconte, de ce qui se joue sous nos yeux n’est jamais, ne sera jamais total, bref… intègre. On ne racontera pas la fin et l’on ne révélera pas qui est le traître “à notre goût” du titre. Car au fond, peu importe : il ne s’agit, comme dirait Hitchcock, que du MacGuffin. Le véritable traître, c’est d’abord le roman. Et la position du trahi, comme intrinsèque au fait même d’être vivant, c’est la nôtre, celle du lecteur. L’écrivain trahit son lecteur, le lecteur est l’éternel floué, et le traître à son goût est l’auteur qui le trahira au mieux. Là où le roman de le Carré est plus important qu’il n’y paraît – tant pis pour ceux qui le réduiront à son pitch –, c’est qu’il traduit toute la condition de l’humain désemparé face à ce qu’il a devant lui, qui vit, subit, passe son temps à ne pas voir, à ne pas vivre vraiment. Henry James, qui était américain mais s’était persuadé, et nous avec, qu’il était britannique, aimait la figure de l’anamorphose dans ses romans : il n’y a qu’en se déplaçant dans l’espace, le temps, ou l’espace et le temps d’un roman, que l’on peut comprendre ce que le personnage, ou soi, a vécu. Trop tard, donc, fatalement. C’est le cas du lecteur d’Un traître…, traité comme les Etats traitent le “peuple” : l’informant après coup des mesures prises, de ce qui se cachait vraiment derrière une guerre, derrière des tractations d’argent, bref, le manipulant pour cacher ses propres intérêts. Certains regretteront que ce roman étaie à ce point toute croyance dans une théorie du complot. Mais sa force, véritable leçon de littérature en soi, est de nous convaincre que rien n’est jamais totalement dit, compris ni gagné, et qu’en ces temps de transparence illusoire nous avons encore quelques raisons de douter. Parce que la méprise et le doute sont, tragiquement, les conditions intrinsèques de toute vie d’homme. Nelly Kaprièlian Un traître à notre goût (Seuil), traduit de l’anglais par Isabelle Perrin, 372 pages, 21,80 €

I love Pivot Dans son nouveau livre, Bernard Pivot offre ses plus belles pages sur le métier de lecteur. Frédéric Beigbeder avait un jour écrit de Marie-Laure Delorme (JDD) qu’enfant elle avait dû rêver de devenir… Angelo Rinaldi. C’était drôle, méchant, totalement injuste. Car enfant, moi, je voulais devenir… Bernard Pivot. Du fin fond d’une banlieue lugubre, je n’ai raté aucune de ses Apostrophes. Alors que les écrivains étudiés au lycée paraissaient hors du monde, Pivot rendait les auteurs accessibles : interrogés par lui, ils en devenaient des humains comme les autres… Il s’est dit déconcerté face aux silences de Marguerite Duras, mais durant l’entretien qu’il réalise avec elle en 1984 à la sortie de L’Amant, il la tient, il tient le dialogue à bout de bras et l’on sent que Duras sait qu’elle a vraiment quelqu’un en face d’elle, qu’il ne la décevra pas au moment où elle livre le plus intime d’ellemême : la jouissance, qui irradie toute la suite de sa vie, car l’amour avec “le Chinois” a eu lieu “sans énoncé” et ce qui ne s’est pas dit “est inépuisable”. Et il en faut, de la confiance en son interlocuteur, pour s’exposer ainsi. Dans Les Mots de ma vie (Albin Michel), Pivot raconte que, lorsque les écrivains ont tenté de garder des liens avec lui, il s’est défilé : “Il est vrai qu’être réveillé à deux heures du matin par Marguerite Duras, qui avait éprouvé l’amical besoin de me lire au téléphone le texte qu’elle venait de terminer, ne m’a pas paru être une initiative à encourager.” Il n’est que journaliste, et ne veut pas tomber dans un rapport de cour avec eux. Quant à la lecture (dévorante), elle “isole, sépare. Le lecteur fuit, il est toujours ailleurs.” Trop loin de sa famille, de ses amours… “Salauds de livres !” Entre ce rapport aux écrivains qui ne peut être sain que s’il reste distant, et cette vérité sur ce métier de lire qui vous sépare fatalement de ceux que vous aimez, on a rarement lu de lignes aussi justes, aussi vraies, sur cette étrange pratique qu’est le journalisme littéraire.

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Gourcuff l’héritier

Philippe Huguen/AFP

Y a-t-il un problème Yoann Gourcuff en équipe de France ? Si oui, lequel ? A ces questions, centrales depuis des mois, Stéphane Beaud apporte sa contribution sociologique, défendant l’idée selon laquelle Gourcuff incarne, aux yeux de ses coéquipiers, la “figure honnie de l’héritier” : “héritier sportif” (son père est un entraîneur reconnu de Ligue 1), “héritier économique” (il a grandi en pavillon) et “héritier culturel” (bon élève, bachelier, intéressé par les études et lecteur assidu). “C’est un euphémisme de dire qu’il détone dans le milieu des footballeurs professionnels”, écrit Stéphane Beaud.

contre-pied Dix mois après la Coupe du monde sud-africaine, le sociologue Stéphane Beaud livre la première analyse sérieuse de la débâcle. A contre-courant des idées reçues propagées jusqu’ici.



ur l’implosion de l’équipe de France lors de la Coupe du Monde, sur les insultes lancées par Nicolas Anelka au sélectionneur Raymond Domenech, sur le mouvement de grève des joueurs et sur leur incapacité générale à vivre ensemble, on croyait avoir tout entendu. On avait surtout entendu des âneries. Dix mois après les faits, loin des trompettes médiatiques et fort d’un recul intellectuel salvateur, le sociologue Stéphane Beaud en fait la démonstration. Dans Traîtres à la nation ? – Un autre regard sur la grève des Bleus en Afrique du Sud,

il démonte les lectures sensationnalistes de l’événement pour en faire l’analyse rigoureuse et nuancée. Enfin. Spécialiste du monde ouvrier mais passionné de foot, Stéphane Beaud ne cherche pas à disculper les joueurs de l’équipe de France. Il réfute cependant l’idée selon laquelle un groupe de racailles de banlieue aurait entraîné la chute d’un collectif et prouve que l’expérience et le palmarès seuls ont déterminé la géopolitique des Bleus en Afrique du Sud. Concrètement, si Ribéry, Gallas, Abidal, Evra ont pu peser sur la décision de faire grève, c’est avant tout parce

que ce sont des cadres de la sélection et qu’ils évoluent dans de grands clubs, respectivement au Bayern Munich, à Tottenham, Barcelone et Manchester United. Pour Stéphane Beaud, s’il y a eu échec, c’est que les Bleus vivaient mal avec leur entraîneur, leurs dirigeants et les journalistes. C’est aussi, surtout, qu’ils vivaient mal ensemble. La thèse majeure de l’essai réside là. A une lecture ethnique ou raciale des événements, largement diffusée cet été, Beaud privilégie une analyse sociologique, s’appuyant sur une comparaison entre les profils (lieu de naissance, type d’habitation à l’enfance, travail des parents) des joueurs champions du monde de 1998 et ceux des joueurs grévistes de 2010. Il en ressort que les joueurs de 98, très majoritairement issus d’une classe populaire moyenne, se ressemblaient, et que le groupe dirigé par Aimé Jacquet était relativement homogène sociologiquement. Contrairement à celui de Raymond Domenech. Stéphane Beaud montre en effet que cohabitaient cet été dans la même équipe des joueurs issus d’une classe favorisée, d’une classe populaire moyenne et d’une classe de plus en plus négligée, issue des banlieues parisiennes. En somme, en équipe de France comme dans la société française, les écarts se sont creusés, les classes sociales se sont révélées plus marquées. “Cette cohabitation quotidienne, dans un espace limité, entre des joueurs aux caractéristiques sociales si différentes, voire opposées, n’avait rien d’évident.” Jusqu’à la perte. Marc Beaugé Traîtres à la nation ? – Un autre regard sur la grève des Bleus en Afrique du Sud de Stéphane Beaud, avec la collaboration de Philippe Guimard (La Découverte), 286 pages, 18 €

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I Love You Phillip Morris (2010)

success scories A travers le brillant portrait d’une riche famille new-yorkaise, Jonathan Dee radiographie une nouvelle élite sociale née de la spéculation financière. Du Edith Wharton à l’ère Gossip Girl. ui eût cru la famille déménage. Sortes de madame et au golf de que l’esprit de monsieur, devenu entrede Ken et Barbie “touchés l’honorable Edith temps un véritable tycoon par la grâce”, Cynthia Wharton planerait de Wall Street sombrant et Adam témoignent d’une sur le Manhattan clinquant “foi vibrante dans leur avenir, peu à peu dans la du troisième millénaire ? magouille financière. Une non pas comme donnée Dans le quatrième première ombre au tableau variable mais comme but : roman (le premier traduit de cette famille formidable : tout ce que New York en France) de Jonathan soudain, le couple souriant leur faisait miroiter de la vie Dee, prof à Columbia ne peut plus ignorer une de ceux qui avaient et rédacteur au New York fille sous speed, party-girl vraiment réussi suscitait Times Magazine, les duplex sans horizon, et un fils chez eux moins d’envie branchés ont remplacé honteux de sa fortune qui que d’impatience”. les demeures cossues feint de vivre dans l’ascèse. A coups de cuts et de l’Upper West Side, et les De cet écueil de la d’ellipses, de pauses et riches héritiers ont disparu richesse et de la réussite d’accélérations, Jonathan au profit de parvenus en sociale, Dee ne tire Dee décrit avec brio costume-cravate. Pourtant, ni grande leçon de morale, l’irrésistible ascension dans ce conte de fées ni satire sur une engeance d’une famille érigée truqué de quelque trois capitaliste viciée. en machine à succès. cents pages, il s’agit bien Mais plutôt une médiation Les quatre grands de pénétrer l’intimité chapitres, sautant à chaque ironique et raffinée sur d’une nouvelle élite sociale, fois plusieurs années, sont les forces illusoires de celle marquée au fer l’existence, ce jeu de dupes une manière pour l’auteur du Dow Jones, avec dont nul ambitieux n’est de gommer les coutures, ses codes, ses rêves jamais sorti vainqueur. d’ignorer les coulisses de bonheur et de réussite Un éblouissant bûcher et les tâtonnements d’une sociale, ses névroses des vanités. Emily Barnett success story qui se passe et ses désillusions. de causalité. Chez Les Privilèges (Plon), traduit Retour rapide sur le film ces heureux du monde, de l’anglais (Etats-Unis) de la vie : jeunes, beaux, la course aux privilèges par Elisabeth Peelaert, amoureux, tout juste relève d’un rapport 312 pages, 2 1 € diplômés, Cynthia et Adam programmatique à la vie, font un mariage de rêve défiant les notions entourés de leurs familles de hasard et d’obstacles, et amis. A 30 ans, de ce qui fait, dit-on, ils sont parents de deux le suc de l’existence. charmantes têtes blondes. Etonnamment, Dee ne Encore dix ans plus tard, les tombe jamais dans l’étude voilà à la tête d’une fortune sociologique – la chronique qui se compte en millions. sociale se résumant Les enfants grandissent, aux œuvres caritatives

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Editions du Seuil, La Librairie du XXIe siècle

Monique et Claude Lévi-Strauss devant le temple de Sumiyoshi, Tokyo, en 1986

voyages à Tokyo Des inédits de Claude Lévi-Strauss sur le Japon offrent un éclairage rétrospectif sur la catastrophe récente. Et sur les subtilités d’une civilisation. ar la grâce de textes inédits Ses magnifiques écrits sur le Japon, rédigés entre 1979 et 2001, le Japon regroupés dans deux ouvrages, révèlent surgit aujourd’hui dans l’œuvre chez l’auteur de Tristes tropiques de Claude Lévi-Strauss, l’existence d’un tropisme japonais caché. plus proche du Brésil et de la culture Fidèle à sa méthode, Lévi-Strauss a amérindienne. “Nulle influence n’a plus passé du temps à rencontrer des artisans précocement contribué à ma formation (tisserands, teinturiers, peintres intellectuelle et morale que celle de kimonos, tourneurs sur bois, pêcheurs, de la civilisation japonaise”, avouait-il, brasseurs de sake, marionnettistes…) pour même si cette fascination est longtemps en tirer “de précieux renseignements sur restée celle, esthétique, d’un enfant face la représentation que se font les Japonais à des estampes. Les cinq voyages que du travail, non comme l’action de l’homme sur l’anthropologue, disparu en octobre 2009, une matière inerte, à la façon occidentale, fit tardivement, entre 1977 et 1988, mais comme mise en œuvre d’une relation lui offrirent l’occasion de transformer cette d’intimité entre l’homme et la nature”. curiosité plastique en un savoir articulé. Il fixe ses observations sur “l’atmosphère

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mythique” qui flotte partout dans le pays et sur les traits d’une civilisation ancestrale. L’anthropologue se dit frappé par l’hygiène morale tournée vers la simplicité, la sobriété, le sentiment de l’impermanence et de la “poignance des choses”. Plus que tout, c’est “l’alternance d’emprunts et de synthèses, de syncrétisme et d’originalité” qui lui paraît “la mieux propre à définir” la spécificité du Japon, pays qui, bien qu’à l’avant-garde du progrès technique, révère encore un passé archaïque. Alors que la philosophie occidentale place le sujet au centre de tout dans une optique “centrifuge”, la pensée japonaise met le sujet en “bout de course” dans une logique “centripète”. Le “je pense donc je suis” cartésien est “rigoureusement intraduisible” en japonais, note l’auteur.  Par-delà l’immense respect que le Japon suscite chez lui, le regard éloigné de Lévi-Strauss ne masque pas pour autant une certaine inquiétude qui transpire en creux. Si le Japon reste un pays modèle par l’équilibre qui y règne “entre l’homme et la nature”, entre “la fidélité au passé et les transformations induites par la science et les techniques”, l’anthropologue perçoit aussi ce qu’il appelle son “double standard” : une douceur coexiste avec une “forme de brutalité envers le milieu naturel”, dont la catastrophe de Fukushima pourrait être l’incarnation. Sans avoir vu Fukushima, Lévi-Strauss a pressenti la possibilité d’un péril au cœur d’un pays jusqu’ici épargné par la volonté des hommes de s’imposer comme les “maîtres et seigneurs de la création”. Le nucléaire aura en partie démenti sa croyance dans un Japon éternel, sans pouvoir effacer le magnétisme de ses écrits, hommage prophétique à la culture japonaise : un voyage ultime au sommet duquel culmine la grandeur d’une pensée sauvage. Jean-Marie Durand L’Autre Face de la Lune – Ecrits sur le Japon (La Librairie du XXIe siècle, Seuil), 190 pages, 19 € L’Anthropologie face aux problèmes du monde moderne (La Librairie du XXIe siècle, Seuil), 148 pages, 1 4,50 €

la 4e dimension Patrick Le Lay éditeur Après la télévision, Patrick Le Lay compte vendre du temps de cerveau disponible grâce aux livres. L’ex-pdg de TF1 s’est associé à l’éditeur Léo Scheer pour créer un site d’édition participative, editions-man.com, une sorte de Star Ac en ligne pour auteurs. Finalement, Le Lay reste dans son élément.

Virginie Despentes et Mireille Darc best friends forever Despentes la rebelle s’affiche, tout sourire, dans les pages du très rock magazine Gala, aux côtés de Mireille Darc. Un entretien croisé avec ce titre subversif : “Nous nous épanouissons dans le plaisir”. Hot.

Yann Moix chez Sarkozy “Nicolas Sarkozy a repris ses déjeuners réguliers avec des intellectuels”, nous annonçait récemment Le Monde. Le dernier repas en date réunissait Eric Zemmour, Denis Tillinac et Yann Moix. Des intellectuels, donc.

modeste John le Carré Le maître du roman d’espionnage tourne le dos aux honneurs. Il a demandé à être retiré de la liste des écrivains sélectionnés pour le prestigieux Man Booker International Prize. “Je suis très flatté, mais je ne concours pas aux prix littéraires”, a-t-il fait savoir.

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pop culture

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n France, on connaît l’auteur des Disparus, prodigieux roman-enquête sur sa famille victime de la Shoah, et de L’Etreinte fugitive, confession gay sur fond de Chelsea mythifié. On sait moins qu’en parallèle de son activité littéraire Daniel Mendelsohn mène une carrière de critique successful depuis de nombreuses années. Si beau, si fragile présente une sélection de textes parus essentiellement dans The New York Review of Books, consacrés à la littérature et au cinéma (Mendelsohn cumule les casquettes de critique de livres, de films et de théâtre). Le point fort du recueil tient au sex-appeal et à la variété des choix critiques : l’auteur aborde aussi bien Philip Roth, Oscar Wilde, Virginia Woolf et Jonathan Littell qu’Alexandre d’Oliver Stone, Kill Bill ou le dernier Sofia Coppola. Cela donne lieu

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à de petites phrases pas toujours tendres, pilonnant par exemple sans vergogne Tarantino et son “absence de démarche intellectuelle”, ou encore Avatar, un “régal visuel d’une grande maladresse idéologique”. Sur le septième art, Mendelsohn rame quelque peu, affichant une tendance aux développements professoraux et à un didactisme (il a suivi une formation universitaire de lettres classiques) qui sert bien mieux sa connaissance intime des écrivains. Sur Tennessee Williams, Si beau, si fragile comporte quelques pages d’une lumineuse tendresse, vantant ce “poète de la défaite sublime”. Un autre article, le plus touchant et réussi de ce recueil inégal, façonne un portrait de Truman Capote à partir de son orthographe. C’est ainsi que ce “pitre notoire et enfant chéri de la jet-set”, selon les mots inspirés de Mendelsohn, finit en “homme bouffi au visage poupin, qui

Matt Mendelsohn

Miscellanées de textes critiques sur des livres et des films parus dans The New York Review of Books, par l’auteur des Disparus, Daniel Mendelsohn. Sexy et varié.

se vomissait dessus pendant ses beuveries et dont l’espièglerie avait dégénéré en une méchanceté qui n’était pas toujours uniquement verbale”. A rebours du cliché selon lequel tout bon critique ne donne pas forcément un bon écrivain, la plume de Mendelsohn nous embarque quand, d’une infidélité au critique, elle laisse entrevoir un destin romanesque. Emily Barnett Si beau, si fragile (Flammarion), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle D. Taudière, 427 pages, 2 2 €

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jusqu’au dégoût

Life Lenses

En écho à la réflexion philosophique de Tristan Garcia, le nouveau récit, en forme de retour sur soi, de la philosophe Marcela Iacub, Confessions d’une mangeuse de viande, retrace le parcours d’une carnivore devenue végétarienne. Un “événement tragique” conditionne cette bascule : la lecture d’un texte de Plutarque, Manger la chair, qui a ruiné à jamais son plaisir vorace de la viande. L’auteur éclaire magistralement cette “expérience de pensée” et pose la question morale de la confrontation des mangeurs de viande avec le caractère insoutenable de leur pratique. Confessions d’une mangeuse de viande de Marcela Iacub (Fayard), 150 pages, 14 €  

animal, on est mal Sujet phare depuis l’essai choc de Jonathan Safran Foer, le rapport de l’homme aux animaux est à nouveau l’objet d’un texte de philo acéré signé Tristan Garcia.



out a changé dans la sensibilité des humains face aux animaux, comme l’illustrent de plus en plus de livres (cf. le récent Faut-il manger les animaux ? de Jonathan Safran Foer). “Quelque chose d’eux s’épanche en nous, et quelque chose de nous en eux”, écrit Tristan Garcia dans une savante réflexion sur le lien ambivalent entre les hommes et les bêtes. L’auteur, délaissant ici le roman pour la philosophie, part d’un constat : l’animal porte en lui “toute la souffrance du monde”, comme l’âne martyrisé d’Au hasard Balthazar, de Robert Bresson. Se frottant à la chair de la théorie morale déployée

à travers l’histoire, Tristan Garcia perçoit dans les souffrances imposées aux animaux la projection des douleurs que l’homme endure lui-même. Ce que nous ne supportons plus de faire aux autres animaux n’est que “le reflet inversé de ce que nous ne souffrons plus de nous être infligé”. Jeremy Bentham, fondateur de la doctrine utilitariste à la fin du XVIIIe siècle, a, le premier, fait basculer notre sensibilité, estime Garcia. Quand Bentham s’élève, en 1789, contre la cruauté infligée aux bêtes, en la comparant à l’esclavage, il ouvre de manière prémonitoire la voie de la “compréhension” qui conduit à l’empathie

d’aujourd’hui. De Jacques Derrida (L’animal que donc je suis) à Elisabeth de Fontenay (Le Silence des bêtes), les philosophes contemporains intègrent Bentham pour poser la question du droit des bêtes. Au fil de pages très denses où sa pensée emprunte un parcours labyrinthique, Tristan Garcia tend à saisir pourquoi, sous le poids de l’héritage benthamien, nous supportons de moins en moins bien les souffrances imposées aux bêtes. Ce motif de l’insoutenable souffrance des bêtes, en miroir de la nôtre, traversée par la culpabilité, reconfigure de manière anthropologique le face-à-face entre elles et nous. Si notre sensibilité s’est ainsi transformée, il ne faut pas l’attribuer à une quelconque victoire de la rationalité ou de la justice, comme le pensent les défenseurs des animaux, ni même à une sensiblerie enfantine, comme le croient les humanistes invétérés : ce déplacement éthique traduit autre chose, qui a plus à voir avec une crise du “nous”. Si, par empathie et par angoisse, nous nous identifions à tout ce qui souffre, c’est aussi parce que nous ne savons plus vraiment comment définir et circonscrire ce “nous” fragile. La figure actuelle de l’animal est une “réaction à une crise du nous humain”, insiste Tristan Garcia. Au cœur de sa puissante réflexion sur la faillite d’une responsabilité morale des hommes envers eux-mêmes autant qu’envers les bêtes, l’auteur rappelle avec brio que “le rapport que l’humanité entretient avec la non-humanité au-dehors d’elle est toujours le reflet des rapports qu’elle entretient avec l’inhumanité en elle”. Jean-Marie Durand Nous, animaux et humains – Actualité de Jeremy Bentham (François Bourin Editeur), 204 pages, 2 0 €

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On prend une belle leçon de “losophie”, cet art léger de la pensée, à l’occasion d’une rencontre consacrée à Raymond Queneau, avec JeanPierre Martin, auteur du récent Queneau losophe. Il partira d’images d’archives pour évoquer l’œuvre de l’oulipien.

mercredi 6

A 13 h à l’Auditorium du Petit Palais, Paris VIIIe, petitpalais.paris.fr

On perfectionne notre maîtrise de l’art de la guerre avec Jean-Yves Jouannais et une nouvelle séance du cycle de ses conférencesperformances L’Encyclopédie des guerres. Dernières entrées abordées au cours de ce work in progress : “Farine” et “Faux”.

Catherine Hélie/Gallimard

jeudi 7

à venir Arthur Miller Présence (Robert Laffont)

A 19 h au Centre Pompidou, Paris IVe, www.centrepompidou.fr

vendredi 8

On ne se fixe aucune limite pour explorer les territoires littéraires contemporains. Jusqu’au 10 avril, le festival Hors limites propose des rencontres avec les auteurs les plus intéressants du moment dans les bibliothèques de Seine-Saint-Denis. Ce vendredi, on écoute Maylis de Kerangal à Romainville parler livres et cinéma, et samedi, on réfléchit aux rapports entre littérature et faits divers avec Régis Jauffret à Aubervilliers.

Maylis de Kerangal

Collectif The Paris Review – Anthologie. Tome II (Christian Bourgois)

www.hors-limites-2011.fr

On interroge les discours déclinistes sur la littérature, en vogue en ce moment, avec le philosophe italien Giorgio Agamben, auteur de Qu’est-ce que le contemporain ? Est-ce la fin de la littérature ? Sa valeur esthétique est-elle moindre ? Le numérique la menace-t-elle ? Vaste programme.

samedi 9

A 15 h à l’Auditorium du Petit Palais, Paris VIIIe, petitpalais.paris.fr

Giorgio Agamben

découvre un autre visage lundi 11 On de Louis-Ferdinand Destouches avec D’un Céline l’autre de David Alliot (Bouquins, 1 184 pages, 30 €), qui rassemble deux cents témoignages, en grande partie inédits, d’hommes et de femmes qui ont croisé la vie de l’écrivain : camarades de front, infirmières, patients, artistes, famille et amis…

On découvre les secrets de la rue Cambon et de mademoiselle Chanel avec Chanel, sa vie de l’historienne anglaise Justine Picardie (Steidl, 400 pages, 38 €), beau livre émaillé de textes et clichés inédits, illustré par des dessins signés Karl Lagerfeld himself.

mardi 12

Basso Cannarsa/Opale

dimanche 10

On joue à se faire peur avec la sortie en poche de McSweeney’s – Méga-anthologie d’histoires effroyables (Folio, 384 pages, 7,30 €), un recueil de nouvelles initialement publiées par la revue de Dave Eggers, McSweeney’s, dans lequel des écrivains tels que Nick Hornby ou Rick Moody se lancent dans le thriller et l’horreur et côtoient des maîtres du genre comme Stephen King. On y croise des zombies, un éléphant assassin ou un canari nazi.

Publié à titre posthume en 2007 aux Etats-Unis et inédit en France, Présence rassemble six nouvelles et entraîne le lecteur sur les routes de Brooklyn, Berlin ou Haïti suivre les destins particuliers d’un garçon de 13 ans, d’un danseur de claquettes juif dans les années 30 ou encore celui d’un écrivain maudit qui se console dans les bras d’une call-girl. Sortie le 2 mai

Après un premier volume publié en mai 2010, le deuxième tome d’une sélection d’entretiens parus dans The Paris Review sort enfin. La revue, fondée en 1953, a contribué à faire connaître un grand nombres d’écrivains aujourd’hui mondialement reconnus, tels Philip Roth, Jack Kerouac ou encore Beckett. Ici, c’est Jorge Luis Borges, Truman Capote, John le Carré et Nabokov – pour ne citer qu’eux – qui nous entraînent dans un voyage littéraire et intime. Cerise sur le gâteau : un entretien inédit de William Faulkner. Sortie le 6 mai

John Curran Les Carnets secrets d’Agatha Christie (Editions du Masque) Des soixante-treize carnets d’Agatha Christie retrouvés en 2004 dans la demeure familiale, l’universitaire dublinois John Curran propose un panorama riche et argumenté. Notes d’écriture et nouvelles inédites côtoient les préoccupations domestiques de Mrs Agatha et dessinent les contours d’un auteur inspiré et mystérieux. A l’occasion de cette publication, certains de ses romans seront réédités au Masque avec de nouvelles couvertures et des traductions revues. Sortie le 20 avril 6.04.2011 les inrockuptibles 103

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Run, Maudoux et Singelin DoggyBags Ankama, 112 pages, 13,90 €

cité des enfants perdus Une peinture complexe et juste de la banlieue au début des années 70, par Gilles Rochier.



esservi par son titre, Ta mère la pute vaut largement plus que ces échos à l’imagier moderne de la banlieue. C’est une peinture complexe qui témoigne, par fragments, d’un état d’incertitude, celui des cités HLM au début des années 70, plus tout à fait éden promis aux classes populaires, pas encore enfer pavé de violence. Dans cet environnement qui se fissure, aux arbres parcimonieux et verdoyants, aux barres d’immeubles anguleuses et mornes, bordé par une forêt généreuse en fantasmes, des enfants résistent sans le savoir pour que le lieu reste vivable, agréable peut-être. Ce geste de résistance inconscient, ce pacte collectif scellé on ne sait quand et on se sait où, commande de ne pas traîner près de l’arrêt de bus les soirs du dernier week-end du mois, car n’importe quelle mère, étranglée par une fin de mois difficile, peut s’y prostituer. On ne tague pas non plus “ta mère la pute” au bas de l’immeuble du copain concerné le lendemain – le silence à ce sujet est primordial.

La seule faiblesse de Gilles Rochier, c’est d’aborder un environnement social trop marqué par le simplisme d’une création contemporaine. Et lorsqu’il est temps d’aborder le drame (la drogue par exemple), le cliché rattrape inexorablement l’écriture. Un sentiment d’autant plus injuste que la force, la réussite de Gilles Rochier, est d’avoir surmonté ce mariage entre cité et brutalité, qui se veut évident, pour le réincarner et l’habiter de nuances. Ses paysages urbains complexes, son état de société dressé par le détail, cette violence infantile qui convoque plutôt l’innocence malheureuse d’Au revoir les enfants que la bestialité dégénérée de La Haine, convergent vers une conclusion qui frappe par sa justesse et sa douleur. Reconnecter l’insulte à son sens premier, la violence à son origine, la banlieue à sa volonté d’utopie ratée, voilà autant d’intentions artistiques qui désertaient, depuis longtemps, les regards français. Stéphane Beaujean

Trois récits déjantés sous influence tarantinesque. Grâce à sa série Mutafukaz, on savait déjà Run proche de l’univers de Quentin Tarantino. Dans DoggyBags, il s’acoquine avec Florent Maudoux (Freaks’ Squeele) et Guillaume Singelin (King David) pour faire les quatre cents coups façon Grindhouse. Tous trois affichent leur obsession pour les séries B américaines, les films d’exploitation et les comics des années 50 dans trois histoires vintage et gore un peu inégales – la plus trash et réussie étant celle de Run, Mort ou vif. Loupsgarous, bikers, vengeresses redoutables, flics justiciers, tous entraînés dans des courses-poursuites effrénées, sèment allègrement la destruction dans les décors classiques des films et des BD de genre (ville asiatique surpeuplée, désert torride, highway bordée de forêts…). Les récits, sans temps morts, sont servis par des dialogues lapidaires et ne reculent pas devant le cliché et le premier degré. Le tout est présenté sous forme de faux pulp, avec ses pubs et ses pages éditoriales drôles et décalées, comme cette incroyable apologie du Colt 1911. Anne-Claire Norot

TMLP (Ta mère la pute) (6 pieds sous terre), 72 pages, 1 6 €

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Alain Fonteray

Mitterrand, la légende d’un siècle Mixant des textes historiques à sa propre dramaturgie, Olivier Py signe une émouvante oraison à la mémoire de François Mitterrand.

première Clients mise en scène et interprétation Clotilde Ramondou Matériau de base : le Carnet de bal d’une courtisane de Grisélidis Réal, laquelle écrit : “La prostitution est un art, un humanisme et une science, à condition d’être pratiquée volontairement et dans de bonnes conditions.” Sur scène, Clotilde Ramondou est entourée par douze hommes de chœur pour un théâtre de voix où s’égrènent les caractéristiques des clients de Grisélidis Réal de 1977 à 1995. Du 6 au 9 et du 13 au 16 avril au Théâtre Paris-Villette, tél. 01 40 03 72 23, www.theatre-paris-villette.com

réservez festival [à corps] Pour sa 17e édition, ce festival de danse réunit les univers de Nacera Belaza, Delgado Fuchs, Emmanuelle Huynh, Dominique Brun et Jérôme Bel. Une semaine de croisements entre artistes et amateurs ouverte aux propositions d’étudiants chaque soir après les spectacles professionnels. Du 11 au 15 avril au TAP de Poitiers, tél. 05 49 39 29 29, www.tap-poitiers.com



uelle trace laisse le destin d’un homme dans l’histoire ? Chez François Mitterrand comme chez tout être humain, cette trace serpente, au gré de la pression des événements et des concours de circonstances, à travers le foisonnement de ces chemins qui ne mènent nulle part si chers à Martin Heidegger. La lire nécessite l’analyse a posteriori et la mise à distance. Quinze ans après la mort de François Mitterrand, la grande qualité de la proposition théâtrale d’Olivier Py, Adagio [Mitterrand, le secret et la mort], est de rendre compte tout autant des hasards d’une destinée que de l’obsession d’un homme qui, se revendiquant du siècle des Lumières, n’acceptait pour guide que l’éclairage de sa propre raison. Ainsi, c’est le hasard qui le désigne pour accompagner le général Lewis lors de la libération du camp de Dachau et l’amène à traverser un champ où les morts et les agonisants sont abandonnés. Hasard encore que ses pas le mènent jusqu’à un tas de corps apparemment inertes d’où une faible voix l’appelle, celle de Robert Antelme, mari de Marguerite Duras, qu’il sauve ce jour-là d’une mort certaine. Ainsi, c’est la raison qui lui fait imposer le plus rigoureux des secrets à son médecin quand, quelques mois après son élection en mai 1981, il apprend qu’il a un cancer de la prostate avec une diffusion de métastases dans les os et que la mort est devenue sa seule compagne de route. Sans suivre d’autre chronologie que celle du désordre des émotions d’un homme qui, à l’heure de mourir, voit défiler les moments

forts de sa vie, Olivier Py construit avec brio un petit théâtre d’une grande humanité, où le tragi-comique des intrigues de palais le dispute à la grandeur des combats gagnés, tel celui de l’abolition de la peine de mort en 1981 avec Robert Badinter. Dans la magnifique scénographie de Pierre-André Weitz, on distingue aisément les pièces d’un puzzle rendant hommage aux grands projets du président, de la Bibliothèque nationale de France à la Grande Arche de la Défense. Mais, comme le titre, Adagio, donne le rythme musical, c’est le mouvement lent d’une forêt apparaissant en second plan dans une trouée qui témoigne, tel un castelet de l’enfance, du terrain des opérations où la politique tente ses bras de fer avec les drames qui déchirent le monde. Autour de Philippe Girard (impeccable en François Mitterrand), la troupe où brillent Elizabeth Mazev, Scali Delpeyrat, John Arnold, Bruno Blairet, Alphonse Dervieux et Jean-Marie Winling se partage pas moins de trente rôles, de Jack Lang à Jacques Séguéla, d’Helmut Kohl à Mikhaïl Gorbatchev. Dans ce jeu de collages où la prose de Py s’entend à l’unisson des textes historiques, reste la citation en forme de prologue du fameux “Comment mourir ?”, où François Mitterrand touche du doigt le sens d’une vie d’homme : “La mort peut faire qu’un être devienne ce qu’il est appelé à devenir ; elle peut être au plein sens un accomplissement.” Patrick Sourd Adagio [Mitterrand, le secret et la mort] d’Olivier Py, jusqu’au 10 avril à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris VIe, www.theatre-odeon.eu

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requiem pour Robert Un jeune homme meurt. Le bien nommé collectif La Vie Brève interprète avec fraîcheur et délicatesse le désarroi de ceux qui restent. n gigantesque papier kraft masque Fruit d’une écriture collective, une partie du plateau. A l’avantce spectacle regorge ainsi de trouvailles scène, une comédienne s’adresse sensibles servies par une mise en scène au public comme si le spectacle pleine de fraîcheur et d’intuitions. n’avait pas commencé. Jouant avec les Il y a, notamment, ce poulet tout bête que codes de la représentation, elle installe l’air la compagne du défunt a acheté le matin de rien un processus fictionnel habilement même et qu’elle pensait manger avec lui. troussé. Parce que cette question du Ce poulet déplumé à la peau rose, commencement implique aussi la question légèrement obscène, revient comme de la fin, c’est-à-dire de la mort. Et, plus un leitmotiv tout au long du spectacle. précisément, la question du passage Qu’en faire ? Doit-elle le manger quand d’un état à un autre, du franchissement même ? Et avec qui alors ? Une image irréversible d’un seuil et de la séparation. qui s’insinue doucement mais Robert Plankett est un jeune homme inexorablement jusqu’à cette danse mort subitement d’un accident vasculaire du poulet un peu folle vers la fin de la pièce cérébral. Tout en mettant de l’ordre dans évoquant un curieux rite chamanique. ses affaires, ses proches évoquent celui Le spectacle met ainsi en parallèle, qui quelques heures plus tôt était encore non sans humour, différentes approches là parmi eux. Et d’ailleurs il est bien là, de la mort. Une cervelle de mouton devient présent à sa façon physiquement, tournant un accessoire de jeu pour expliquer les autour des autres ou planté au milieu étapes d’un accident vasculaire cérébral, du décor. Une présence qui n’a rien par exemple. Ce qui, dans le récit d’inquiétant ni de menaçant, mais qui rend du mort, se traduisait par une jolie histoire la séparation d’autant plus flagrante. de hérisson qui parle et que l’on suit dans la forêt. Cet onirisme naïf, parfois maladroit mais délicatement distancié, coexiste avec un réalisme direct et sans fioritures. Une belle réussite pour ce tout jeune collectif – dont le nom, La Vie Brève, renvoie aussi à ce spectacle – né il y a deux ans et qui, avec cette première création, démontre une capacité réjouissante à déjouer les clichés et à façonner un théâtre très libre. Hugues Le Tanneur Charlotte Corman

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Robert Plankett mise en scène Jeanne Candel, jusqu’au 9 avril au Théâtre Garonne, Toulouse, www.theatregaronne.com

exquise banquise Jean-Baptiste André électrise le festival parisien Hautes tensions avec un opus polaire. epuis déjà dix ans, en boule sur le dos de Tony Chauvin, du groupe Jean-Baptiste André d’un interprète. Chevreuil, Qu’après en être chatouille nos Il y a, comme souvent revenu déploie ses charmes. sens : équilibriste chez André, un goût de Il manque encore quelques sur mains, clown, danseur l’inachevé en scène qui peut automatismes, comme chez Philippe Decouflé dérouter – pour nous, c’est ce soir-là dans la salle ou François Verret qu’il une qualité. La place laissée du Prato à Lille. Mais ces retrouve cet été à Avignon… à l’imaginaire est alors tribulations vont prendre Avec sa silhouette filiforme un horizon infini. Avec ses un rythme de croisière qui dessine des points complices Julia Christ, une élégant. Et Hautes tensions, d’interrogation à la grâce révélation, et Mika Kaski, le nouveau festival poétique, ce caméléon un peu trop en force, de LaVillette, avec. Philippe discret change encore Jean-Baptiste André invente Noisette de voilure. Cap au nord des expéditions où les corps Qu’après en être revenu avec ce quatuor de saison. sont déployés, basculés. de Jean-Baptiste André, Une quête d’absolu, celui Surtout, il y a une solidarité du 6 au 9 avril dans le cadre d’une banquise ici réduite qui se fait jour, dos à dos, du festival Hautes tensions à des feuilles de papier épaules contre têtes dans (du 6 au 17 avril) au parc immaculé que l’on déplie un savant effet de lignes. de La Villette, Paris XIXe, www.villette.com au sol ou qui finissent Sur la partition en direct

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kritik story vernissages dual Aurélien Froment et Jessica Warboys se partagent les espaces du Credac : “salle de projections et jeux éducatifs” pour l’un, “sea paintings et rites initiatiques” pour l’autre. A partir du 8 avril au Credac, 93, avenue Georges-Gosnat à Ivry-Sur-Seine, www.credac.fr

papier journal Institution dans le paysage de la presse magazine, le bien nommé Magazine, connu pour ses DA tournantes et ses rubriques hors normes, s’expose au 12 Mail. Jusqu’au 10 juin au 12 Mail, 12, rue du Mail, Paris IIe, www.12mail.fr

survival L’expo collective Wani sonne la fin du calvaire de Laurent Tixador, gibier volontaire d’une chasse à l’homme orchestrée par ses soins. A partir du 8 avril à la Fondation d’entreprise Ricard, 12, rue Boissy d’Anglas, Paris VIIIe, www.fondation-entreprise-ricard.com

tribal La Fondation Cartier présente la collection de Jacques Kerchache, dédiée à la statuaire vaudoue et à ses assemblages anthropomorphiques. Jusqu’au 25 septembre à la Fondation Cartier, 261, boulevard Raspail, Paris XIVe, www.fondation.cartier.com

Un dense recueil de textes tirés de la revue allemande Texte zur Kunst permet de revivre une des plus importantes épopées intellectuelles et critiques des années 90.



’est un beau pavé de 550 pages, une anthologie de textes assez peu illustrée, mais cette densité, cette rigueur sont déjà un premier mode d’accès à une certaine idée de la critique d’art telle qu’elle se développe depuis le tout début des années 90 dans la revue allemande Texte zur Kunst. Allemande, ou plutôt anglo-saxonne, tant la revue, qui s’est augmentée depuis d’une édition anglaise, entretient des liens étroits mais également très débattus avec nombre de théoriciens américains, tant aussi leurs contributeurs circulent entre les campus américains et allemands, telle la féministe Judith Butler ou le théoricien Benjamin Buchloh. Bref, au-delà du seul horizon de la critique d’art, c’est toute une aventure intellectuelle, de haute volée, qui se déroule dans ces pages. Et que la scène française serait bien inspirée de regarder de près. Car l’histoire est exemplaire à plus d’un titre : au début des années 90, la France avait déjà rompu avec le moment théorique des années 60-70, préférant adorer les “nouveaux philosophes” à la noix (BHL, Glucksmann, Finkielkraut) plutôt que de continuer à penser avec et après Foucault, Barthes, Derrida & cie. Dans les universités comme dans le débat public, l’Hexagone s’était donc détaché, isolé de la scène intellectuelle mondiale, faisant avec Luc Ferry le procès de Mai 68 au moment même où la réception de la French Theory faisait des émules partout dans le monde, à coups de cultural, gender ou post-colonial

studies. Paradoxe désolant et dont on subit encore les effets : voir la pauvreté des débats actuels et à venir sur la laïcité, voir aussi la faiblesse et la déconsidération d’une critique d’art française superflue, accessoire, en mal d’assise théorique et qui n’apparaît plus que comme un rouage dans la promotion des artistes et des expositions. Pendant ce temps donc, en Allemagne, “il n’y avait rien”, commente Isabelle Graw, la fondatrice de la revue Texte zur Kunst. “Il y avait une absence de critique d’art sérieuse et d’ambition théorique.” Passée par les sciences politiques à Paris, stimulée par la lecture de la revue américaine October, inspirée aussi par le magazine musical Spex animé notamment par l’artiste Jutta Koether et le théoricien Diedrich Diedrichsen, Isabelle Graw décide de créer une revue d’art allemande, et s’associe à l’historien d’art Stefan Germer (décédé en 1998). Après une thèse sur Nicolas Poussin et des analyses nourries par les lectures de Louis Marin ou Hubert Damisch à Paris, il se lance lui aussi dans l’aventure contemporaine. Sur la couverture du premier numéro, une illustration donne le ton : ce n’est pas une œuvre d’artiste, mais la photo du critique d’art américain

une manière incisive d’examiner les œuvres, une remise en question permanente

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encadré

Sarkis, l’œuvre ventriloquée Relecture étonnante et payante de l’artiste à Genève.

Clement Greenberg. Un véritable manifeste où s’affiche toute l’ambition critique d’une revue qui prendra appui sur les sciences sociales, qui sera sans cesse aux aguets du contexte dans lequel l’art contemporain évolue, s’interrogeant sur le rôle ascendant du curateur-artiste et “sur-artiste”, sur “le sérieux du marché”, sur “la logique culturelle du musée dans le capitalisme tardif”. “La critique d’art nous intéresse comme un champ dans lequel les discours se croisent et qui permet des connexions entre les différentes sphères de la société”, déclaraient Graw et Germer en 1991. Parmi tous les textes et entretiens développés dans cette anthologie qui ne couvre que les années 1990-1998, un trait décisif et saillant est le goût prononcé pour le débat et le “dissensus”. Il suffit de lire comment Stefan Germer attaque le théoricien Hal Foster dès le début de son interview, comment il taxe de “rituel anachronique” la manifestation Dokumenta qui a lieu tous les cinq ans à Kassel. Il faut voir surtout comment Isabelle Graw et consorts discutent âprement les œuvres, les discours et les positionnements des artistes dont il sont pourtant les plus proches – Isa Genzken, Sigmar Polke, et surtout Martin Kippenberger. Il y a là une manière incisive d’examiner les œuvres, une remise en question permanente qui donne une vraie raison d’être à la critique d’art, loin de toute idée de promotion. Il suffit encore de voir comment Isabelle Graw, interviewée en tête d’ouvrage pour raconter l’histoire de Texte zur Kunst, se refuse d’emblée à toute “idéalisation rétroactive”. Ici, plus qu’ailleurs, l’autocritique va de soi. Jean-Max Colard Une anthologie de la revue “Texte zur Kunst”, de 1990 à 1998 édition dirigée par Catherine Chevalier et Andreas Fohr (JRP Ringier & Les presses du réel, 2010), 550 pages, 18 €

Il y a quelques mois, Christian Boltanski nous livrait son sentiment sur le devenir de l’œuvre d’art qu’il envisageait, disait-il, de plus en plus comme une “partition”, susceptible d’entrer dans un “répertoire” dont les musées seraient les propriétaires. Au Mamco actuellement, c’est à cet exercice de ventriloquie consentie que se prête formidablement l’œuvre de Sarkis. Résultat : une rétrospective “paradoxale”, pour reprendre les termes de son commissaire Christian Bernard. Paradoxale parce que les puristes, les vrais connaisseurs de Sarkis, n’ont paraît-il pas aimé cette expo qui donne une image renouvelée (dépoussiérée ?) de ce plasticien itinérant né à Istanbul en 1938. Paradoxale aussi parce que le fil rouge de cette expo (d’ailleurs physiquement traversée par une ligne rouge qui raccorde toutes les salles entre elles) embrasse cette problématique clé chez Sarkis qu’est la contagion. D’où l’idée judicieuse d’inviter quantité d’artistes, écrivains, compositeurs, cinéastes ou architectes (de Munch à Nicolas Ledoux en passant par Beuys, Tarkovski ou Mantegna), qui sont autant de références pour Sarkis, à venir hanter cet Hôtel Sarkis. D’où l’envie, inhabituelle chez Sarkis, de confier sa rétrospective, composée d’œuvres elles-mêmes “hospitalières”, à un autre. Disons le tout net : la stratégie est payante, tant la magie opère ici à la relecture de cette œuvre que l’on avait finalement plutôt du mal à identifier. Ainsi “rechargée”, endossée par un autre qui y décèle par exemple des gammes chromatiques reproduites sur les murs des salles d’exposition, l’œuvre de Sarkis prend de l’ampleur, se gonfle comme un mille-feuille de ces multiples couches qui tout à la fois la tirent vers un ailleurs et renvoient l’artiste à sa propre logique de flâneur et de glaneur. Hôtel Sarkis jusqu’au 8 mai au Mamco, Genève, www.mamco.ch

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le charme de la crapule Faut-il être dangereux pour avoir du style ? La thèse, que l’attrait pour une garderobe bourge avait récemment fait disparaître, regagne de l’épaisseur.

C  mugshot looks Apparus dès le XIXe siècle, les mugshots sont libres d’accès aux Etats-Unis et constituent à ce titre une formidable documentation sur le style d’une époque. Composé de photos prises à travers toute l’Amérique entre 1870 et 1960, le livre Least Wanted de Mark Michaelson est la référence du genre. Mais Mug Shots: An Archive of the Famous, Infamous, and Most Wanted de Raynald Pellicer a l’avantage de mêler célébrités et inconnus. Il fait ainsi la démonstration parfaite que les stars, les vraies, de Jim Morrison à Jimi Hendrix en passant par Al Capone, ont encore plus de style les mauvais soirs.

et été, les collections des marques Bleu de Paname et Mister Fredoom s’appellent toutes les deux “Apache”, en référence à la bande qui terrorisait Paris au début du XXe siècle. Au même moment, sur le démentiel lookbook de la marque japonaise N. Hollywood, les mannequins, placés devant un mur blanc, mines patibulaires et numéros d’écrou sur la poitrine, ont l’exacte dégaine des taulards américains de la même époque. Ainsi, par indices, ici ou là, semble se dessiner la montée en puissance des codes stylistiques de la crapulerie et de la voyoucratie à l’ancienne. Evidemment, tout cela n’est qu’un éternel recommencement, et l’histoire de la mode est ponctuée de courbettes aux bad boys en tout genre, mais le moment est ici assez symbolique. Depuis plusieurs mois, voire quelques années, c’est la garde-robe bourge et preppy que l’on rejouait dans tous les sens. C’est elle qui donnait le tempo, le souffle. Est-ce, déjà, son crépuscule ? Est-ce déjà le moment de sortir un bon vieux cran d’arrêt pour rompre la cravate en laine que l’on s’était nouée autour du cou ? Pour Francis Cazal, créateur du site Greensleeves to a Ground et véritable encyclopédie du style, ces mouvements de tendance sont intrinsèquement liés. “On s’est fait une fausse image du style bourgeois, dit-il, et notamment du look Ivy des 60’s ou preppy de la fin des 70’s. On imagine quelque chose de propre, de très réfléchi. Ce n’est pas la réalité. Dans le vestiaire preppy, il y a des mocassins rafistolés, des Tretorn et des Sperry Top-Siders complètement usés,

des Bean Boots, des maillots de rugby, des sweat-shirts aux manches coupées… Tout ça n’a rien de propret. C’est justement la révolte face au style formaté de leur appartenance sociale aisée qui les a menés à des styles très bruts”. Si le retour à une esthétique plus canaille se confirme, ce ne serait donc qu’un cheminement logique. Pour Christophe Loiron, Français installé à Los Angeles et créateur de la très estimée marque Mister Freedom, l’attrait pour cette esthétique de la crapule est un fil conducteur. “Mes influences ont toujours été plus Pépé le Moko que premier de la classe”, dit-il. Pour concevoir sa dernière collection, Loiron s’est donc plongé dans l’histoire des Apaches, ces malfrats issus de la classe ouvrière qui squattèrent pendant une trentaine

“le mouvement apache a quelque chose de fascinant. C’était la pègre avant qu’elle ne soit organisée” Christophe Loiron (Mister Freedom)

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d’années Les Halles et les guinguettes, vivant de petits vols et de leurs talents de danseurs. “Je ne cautionne bien sûr pas la voyoucratie, reprend Loiron, mais ce mouvement a quelque chose de fascinant. C’était la pègre avant qu’elle ne soit organisée.” Dans la collection de Mister Freedom, tous les codes esthétiques de l’époque et de la bande sont réunis. Il y a des gilets de ville, des chemises en calicot, des casquettes d’ouvrier, des pantalons taille haute à rayures. Les tissus sont naturels, souples, les coupes sont aussi sensiblement plus larges que les standards à la mode actuellement. Et cela n’est pas un détail. Des zooters, ces immigrés latinos qui portaient des vêtements disproportionnés par provocation, aux hobos, ces types sans le sou qui rôdaient dans leurs manteaux de ville en ville pendant la Grande Dépression à la recherche de boulots d’un jour et de petites combines, les crapules ont toujours eu de l’ampleur. Et énormément de style. Il suffit de se plonger dans Least Wanted, le bouquin culte de Mark Michaelson qui

refait surface aujourd’hui (lire encadré), pour s’en convaincre. Au fil des pages, les vieux mugshots, ces photos anthropométriques de prisonniers pris de face et de profil, forment un saisissant cahier de tendances. Et il y a fort à parier que la marque N. Hollywood ne restera pas longtemps seule à s’en inspirer. On sent d’ailleurs venir l’ironie de la situation. A mesure que les créateurs et les magazines vont se saisir de ces codes esthétiques, ceux-ci seront galvaudés, pervertis. Et il faudra un énorme portefeuille pour s’habiller en voleur de poules. “Ce seront Les Raisins de la colère avec une montre suisse au poignet”, rigole Arnaud Bauville, du site French Cancan, fameux collectionneur de vêtements du genre. “On en revient toujours au même point avec les mouvements de mode, renchérit Loiron. Les gens se camouflent et veulent se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas. Le banquier en marin, l’étudiant en basketteur NBA, le traîne-savate en milord.” Et le modeux en marlou. Laurent Laporte illustration Alexandra Compain-Tissier 6.04.2011 les inrockuptibles 111

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Laurent Bazart

données à penser La mise en ligne des données publiques est riche d’enjeux. Les villes françaises réfléchissent à rendre ces données accessibles à tous.



our lutter contre l’asymétrie de l’information entre ceux qui ont le pouvoir et ceux qui ne l’ont pas, il faut donner l’information, donc il faut ouvrir les données publiques”, expliquait récemment Jean-Louis Missika, adjoint au maire de Paris chargé de l’innovation, lors d’une conférence sur l’open data (données publiques) organisée par Regards sur le numérique (laboratoire d’idées de Microsoft France) et le site d’information World e.gov Forum. Ces données publiques, ce sont celles recensées par les administrations, les services publics, les collectivités territoriales (des statistiques d’état civil aux emplacements des arrêts de bus…) et qui sont – ou devraient être – à la disposition de tous. Grâce à internet, elles peuvent – ou pourraient – l’être d’autant plus facilement. Les Etats-Unis, avec data.gov, et la Grande-Bretagne, avec data.gov.uk, ont été pionniers en matière de libération de telles données. La France devrait mettre en ligne une version test de data.gouv.fr en décembre. Un sacré travail, car il y aurait

630 000 jeux de données et 5,5 millions de PDF attendant d’être exploités. Pour l’instant, ce sont les villes qui sont les plus réactives. Rennes fut ainsi la première, en octobre 2010, à mettre ses données à disposition du public sur www.data. rennes-metropole.fr. “D’ici à 2015, 85 % de l’accès à l’internet se fera via les téléphones mobiles, explique Xavier Crouan, directeur de l’information et de l’innovation numérique de Rennes Métropole. Or ceux-ci utilisent des applications qui nécessitent des bases de données. Une institution qui gère un territoire est donc idéalement placée pour stimuler le développement d’applications. Notre démarche s’inscrit dans cette logique.” Un concours a d’ailleurs été lancé pour dynamiser le processus de création. Paris s’est lancé à son tour en janvier dernier avec opendata.paris.fr, et Nantes, Bordeaux et Montpellier devraient suivre rapidement. Des organismes comme Data Publica ou nosdonnees.fr, projet soutenu par le collectif Regards citoyens (aussi à l’origine de nosdeputes.fr), se chargent

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au poste

également de recenser les données publiques et de les mettre en ligne. La publication des données permet tout d’abord plus de transparence sur le travail des gouvernants, et donc une stimulation du débat démocratique. Regards citoyens et Transparence International France affirment ainsi avoir “épluché plus de 9 000 auditions annexées aux rapports de l’Assemblée nationale” afin de cartographier l’influence des lobbies. Une fois étudiées, les données peuvent aussi servir à l’optimisation des infrastructures et des services publics. Nigel Shadbolt, maître d’œuvre de data.gov.uk, explique par exemple qu’en Grande-Bretagne, la publication des taux de mortalité dans les hôpitaux a permis une remise à plat des pratiques de santé. Ces données constituent aussi une précieuse matière première pour des applications qui faciliteront la vie, notamment dans le domaine du transport. A Rennes, où une cinquantaine d’applications ont déjà été créées, on trouve

une précieuse matière première pour des applications qui faciliteront la vie quotidienne

ainsi Vélo Rennes, qui permet de connaître en temps réel les disponibilités dans les stations de vélopartage ; Handimap, qui propose une recherche d’itinéraires en tenant compte de l’accessibilité des lieux ; ou Parking Guru, pour trouver des places où se garer. On peut aussi imaginer des applications culturelles ou immobilières. “L’innovation sociale n’est plus uniquement du ressort des institutions, mais bien des citoyens, explique Xavier Crouan. Nous travaillons pour le plus grand nombre de manière cohérente et solidaire, mais les citoyens peuvent tout à fait imaginer euxmêmes les services qui répondront à leurs attentes. Ce serait bénéfique pour tous.” Toutefois, les données sont le plus souvent divulguées de façon brute, dans des formats peu compréhensibles ou peu exploitables. Pour qu’elles puissent servir, il ne suffit pas de les mettre sous forme de tableaux ou de documents, il faut avant tout que les développeurs se les approprient pour les transformer en applications pratiques et performantes. Il faut donc leur faciliter le travail. Comment, par exemple, être sûr que les données sont à jour et exemptes d’erreur ? Et vers qui se tourner pour les rectifier ? “Sur 360 000 arrêts de bus dans tout le pays, 18 000 étaient mal situés. 5 % d’erreur dans une base de données publiques, c’est bien, explique Nigel Shadbolt. Un site a été créé pour que les internautes puissent les corriger euxmêmes.” Pour pouvoir utiliser des données d’origines différentes, il faut aussi que leurs formats soient compatibles. Autre problème : qui paie pour mettre en ligne et stocker les données ? Pour développer les infrastructures ? Est-ce l’argent public ? Doit-on faire payer les développeurs, les utilisateurs ? Il faut ensuite s’assurer que publier ces données ne pose aucun problème de sécurité : elles peuvent être utilisées par des citoyens responsables, mais aussi être détournées, piratées voire falsifiées par des personnes malveillantes. Il est donc nécessaire de sécuriser les plateformes de publication. On peut aussi mettre en balance les avantages et les inconvénients sociaux de l’open data. Ainsi, en Angleterre, le débat a été rude autour de police.uk, site lancé en février (400 millions de clics depuis) et qui géolocalise les données de la criminalité : propriétaires et agences immobilières des quartiers défavorisés estiment ainsi que le site dévalorise leurs maisons. Des arguments que Nigel Shadbolt balaie d’une main : “L’information est bonne pour le marché et elle encourage les gens à faire pression sur leur communauté locale.” Anne-Claire Norot

le centre et le carré La télé aurait-elle enfin un peu honte d’elle-même ? Le déchaînement général contre l’émission de TF1 Carré Viiip (cf. p. 115), accusée de tous les vices par ceux qui croient encore aux vertus de la téléréalité, creuse un paradoxe : la centralité de la télé au cœur de la culture populaire s’accommode plus ou moins de la contestation dont elle est l’objet. Ce paradoxe se double aujourd’hui d’une énigme inédite : après avoir toujours été critiquée dans ses marges, la télé découvre ce moment étrange où sa critique se déploie en son centre même. Ne plus croire en rien, ironiser sur tout, recycler à l’infini le spectacle du vide, intensifier son existence par le filtre futile de la quête de célébrité… : la voie offerte au téléspectateur des années 2000 semble ne plus tenir sa promesse dans les années 2010. La télé aurait-elle enfin un peu honte d’elle-même ? Aurait-elle pris conscience de sa toxicité supposée ? Le “contrôle des esprits” opéré par la “médiasphère”, décrite par Philippe Nassif dans son dernier essai La Lutte initiale – Quitter l’empire du nihilisme (Denoël), serait-il parvenu à son point limite ? La séduction du centre, incarné par la télé, s’évapore dans un sentiment de “nausée qui gagne de plus en plus de gens à l’idée d’allumer leur poste”. Ne soyons pas trop naïfs non plus : le cynisme ne désertera pas de sitôt la machine télévisuelle, capable de refaçonner son pouvoir de séduction avec des armes dont elle a le secret (story). Elle accuse simplement le coup, signe de sa fragilité. Si éteindre son poste, c’est entrer dans “la vie détox”, la sociologie de la culture nous rappelle aussi la capacité des publics à mettre à distance leur hypnose télévisuelle, souligne Philippe Coulangeon dans Les Métamorphoses de la distinction (Grasset). “L’attention oblique” et la “consommation nonchalante” forment des stratégies minimisées de téléspectateurs sur lesquelles glisse en partie le contrôle des esprits.

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Bien décidés à “mettre le feu au PAF”, les allumés de Zalea lançaient en 2001 un raid contre le Loft de M6

Zalea jacta est Un DVD revient sur les aléas de Zalea TV qui a donné dans l’agit-prop cathodique avant de s’autodissoudre en 2007. Fin de programme pour les télés libres ?

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ébergeant et laissant croître des dizaines de chaînes dont un certain nombre d’inutiles, bouffonnes, prétextes à des intérêts cachés, donnant vie à une TNT en sous-régime culturel, mais capable dans le même temps de rejeter des projets à fort caractère susceptibles d’offrir un regard social différent, le PAF est un grand corps baroque. Exit donc Zalea TV, micro-organisme combattu jusqu’en 2007, trop virulent, trop potentiellement infectieux pour un secteur audiovisuel confisqué – entre service public et groupes privés, l’associatif y est exsangue. Pendant six ans, la chaîne indé parisienne a alterné demandes officielles et agit-prop périphérique. En pure perte. Son échec dans l’obtention d’une fréquence définitive dans un univers en expansion permanente illustre les limites d’un système conservateur, très réticent à accueillir les modes de pensée plus libertaires. L’autodissolution de Zalea est stigmatisante pour le PAF, prouvant par défaut que la multiplicité des chaînes n’était pas garante d’une pluralité réelle. User de la télé comme l’outil d’une émancipation politique ou sociale s’est avéré impossible, c’est ce que rappelle

– à quelques mois de l’élection présidentielle – la sortie d’On la fermera pas ! – Quand Zalea TV mettait le feu au PAF, un DVD1 compilant les séquences les plus significatives de la saga zaléiste. Si l’on y retrouve les faits d’armes constitutifs d’une minilégende alternative (raid contre le Loft de M6, diatribes récurrentes contre le CSA, etc.), c’est sur l’héritage laissé par un style bouillonnant que l’on portera son attention. Gravité de la lutte et sens de la dérision, réflexion théorique sur le pouvoir des médias et usage du spectaculaire pour marquer les esprits : l’insurrection permanente et dialectique selon Zalea ne semble pas aujourd’hui avoir trouvé de descendants. Car au-delà de son parcours, c’est la situation de “tiers secteur” audiovisuel qui apparaît préoccupante. Parmi les antennes libres et non marchandes, seule la très résistante Télé Bocal a trouvé un canal de diffusion – sur

user de la télé comme outil d’une émancipation politique ou sociale s’est avéré impossible

la TNT Ile-de-France. D’autres entités tout aussi actives comme TV Bruits (Toulouse) ou Primitivi (Marseille) ont dû se rabattre sur le net, faisant du web un eldorado par défaut. Une déshérence qui n’est bien sûr pas due au hasard. Mis en cause : le refus de créer un fonds de soutien équivalent à celui qui existe pour les radios, et l’ouverture en 2003 du gâteau publicitaire à des secteurs comme la culture ou la grande distribution, ce qui allait aiguiser les appétits des grands groupes comme ceux de la presse quotidienne régionale. “La situation des télés associatives me semble difficile voire désespérée, résume Bruno Cailler, socio-économiste des médias et maître de conférences à l’université de Nice2. Les télés locales et commerciales sont venues occuper le terrain. Ma conviction profonde, c’est qu’il y a une volonté politique de ne pas laisser un moyen d’expression déborder les cadres du contrôle de l’Etat…” Frédéric Mitterrand a-t-il au moins un lecteur DVD à son cabinet ? Pascal Mouneyres 1 Coffret 2 DVD, édité par Le Dispositif et Les Mutins de Pangée 2 Coordinateur avec Guy Pineau et Christian Pradié de La Longue Marche des télévisions associatives, L’Harmattan, 2010.

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le carré RIP Décriée dans tous les médias, l’émission Carré Viiip n’a pas résisté à sa propre vacuité. TF1 a dû sonner la fin du jeu : la “post-téléréalité” accuse le coup.

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uelque chose s’est fissuré dans le regard des masses devant leur poste de télé. Rien, pas même l’ironie, ne peut adoucir la fêlure du téléspectateur affligé devant le vide d’un carré de prétendants à la notoriété. Avec l’émission de TF1, Carré Viiip, finalement supprimée en fin de semaine dernière par la direction de la chaîne, la téléréalité française célèbre son dixième anniversaire avec une grosse gueule de bois. Le spectre du Loft (diffusé au printemps 2001 sur M6) plane toujours, mais ce sont plutôt des pantins désarticulés et sans âme que des fantômes brillants qui hantent les plateaux d’Endemol, producteur du programme. La téléréalité d’enfermement : personne n’y croit plus, comme si chacun s’était enfin résolu à ne plus supporter l’insupportable. Le spectacle de la bêtise, fière de ses effets délétères, de l’affront aux règles minimales de l’esthétique, de la foi dans le principe même de l’amusement, ici dilué dans un bain de cynisme. A bien y regarder, le décor, le dispositif, les règles du jeu, les corps des candidats, leurs vêtements, leurs mots, leur énergie, leurs délires… n’ont pas évolué depuis le Loft révolutionnaire. Mais si rien

n’a changé au fond dans le poste, le regard du téléspectateur, lui, s’est transformé. Il n’accueille plus de la même manière le spectacle, moins parce que le show ne l’excite pas que parce qu’il bute sur un effet de saturation : trop fragile pour résister à l’usure du temps, la curiosité du téléspectateur s’est essoufflée. L’indice le plus frappant de ce désamour se love moins dans les chiffres d’audience (pas extraordinaires, mais pas catastrophiques non plus, surtout grâce aux jeunes et aux ménagères), que dans le lâchage de ses plus fidèles adeptes. Tout le monde, y compris une grande partie de la presse people complice intéressée du show, a violemment rejeté l’émission. Avouant une déception à la hauteur des espérances qu’ils portaient pour les candidats entre les murs, les commentateurs avisés n’ont cessé durant deux semaines d’évoquer le “mauvais goût”, la “vulgarité”, les “odieux personnages”… de ce Carré Viiip. Même Michèle Cotta, membre de l’improbable comité d’éthique d’Endemol, a avoué son malaise et mis sa démission dans la balance. Loft Story, Secret Story, Nice People étant déjà passés par là, le carré tourne trop en rond pour produire un élan inédit. La déception causée par

les candidats sont les représentants désarmants de cette fausse fabrique de la célébrité contemporaine Carré Viiip tient en réalité au point de bascule qu’il incarne : le passage de l’âge d’or de la téléréalité à son “après”. Carré Viiip est la première émission de “post-téléréalité”. A la mesure de la postmodernité qui intègre la fin des métarécits, la post-téléréalité ne tient plus sa promesse de briser le récit télévisuel. Elle n’a plus qu’à mettre en scène l’art de jouer avec son propre mythe, fût-il écorné. Puisque l’horizon de la célébrité hante les rêves

de nos contemporains – être célèbre : la meilleure manière de se sentir vivant –, la téléréalité s’engouffre dans cette voie du rêve formaté. De Cindy à Marjolaine, de Giuseppe à Beverly, de Candice à François-Xavier…, les candidats du jeu, Viiip ou WannaViiip, furent les représentants désarmants de cette fausse fabrique de célébrité. En pleurer ou en rire revient finalement au même : la fin de la “story” est consommée. Jean-Marie Durand 6.04.2011 les inrockuptibles 115

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loin du paradis Mildred Pierce, une minisérie signée Todd Haynes avec Kate Winslet illumine le printemps télé américain.



vec un peu de mauvaise foi, on aurait trouvé quelques raisons de chercher à s’enfuir devant Mildred Pierce. Adaptée du roman de James M. Cain publié en 1941 (plus que du film de Michael Curtiz avec Joan Crawford sorti en 1945), cette minisérie diffusée sur HBO depuis le 27 mars raconte l’histoire d’une femme séparée de son mari, luttant pour exister durant la Grande Dépression. Elle convoque les ornements possiblement énervants d’une grande saga télé nouveau riche : décors somptueux, musique lancinante saturée de hautbois et autres effets choucroute. Et pourtant, on ne fuit pas. Mieux, on ne voit pas pourquoi, dans la foulée de Carlos l’an passé, un nouvel objet télévisuel aussi évidemment tourné vers le cinéma ne serait pas montré au prochain Festival de Cannes. Car la seule signature à la fin du générique, celle de Todd Haynes, réalisateur et coscénariste des six épisodes, suffit à nous retenir. Inconnu du grand public, Haynes est l’un des cinéastes américains les plus intéressants de ces vingt dernières années. Son travail sur la mélancolie de l’espace quotidien des suburbs (Safe en 1995, Loin du paradis en 2002) où sur les mythes pop contemporains (Velvet Goldmine sur David Bowie en 1998 et I’m not There sur Bob

Dylan en 2007) a fait de lui un filmeur à la fois conceptuel et en perpétuelle recherche d’incarnation. Friand d’un re-travail sur les genres hollywoodiens éternels, Haynes reste malgré tout toujours accroché aux corps qu’il filme et à leurs plus imperceptibles frémissements. C’est un postmoderne sentimental, en quelque sorte. Et il a trouvé avec cette adaptation d’un classique sur l’oppression et la libération des femmes un terrain adapté à ses obsessions. Mildred Pierce répond en effet aux normes du mélodrame social (les difficultés et les tragédies ne manquent pas) et brosse dans le même temps le portrait serré d’une héroïne blessée. Sortie d’une histoire de couple vénéneuse et vintage dans Revolutionary Road (avec Leo DiCaprio), Kate Winslet s’est jetée à corps perdu dans cette nouvelle chronique historique, où sa carrure un peu brutale et la détermination de son regard font merveille. Todd Haynes ne paraît pas regretter son égérie de toujours, la merveilleuse et plus opaque Julianne Moore, même s’il doit laisser en route une part du mystère et de l’inquiétude qui animait ses films avec elle (Safe, Loin du Paradis). De toutes les séquences, ou presque, Kate Winslet emporte Mildred Pierce vers des rivages

plus secs et plus durs, qu’elle parvient étonnamment à rendre émouvants. Haynes la suit à la trace, comme dans une filature amoureuse. De lents et élégants travellings au premier plan flou semblent mesurer la disharmonie du monde à travers ses pas. Comme rarement un réalisateur peut y parvenir à la télévision, Todd Haynes trouve des solutions plastiques à ses problèmes de mise en scène. Et si Mildred Pierce a bien quelques petits défauts (un statisme parfois légèrement complaisant), on décèle assez vite ce que vise son réalisateur. Ni un regard d’historien social sur les Etats-Unis, ni une réponse à une autre série en costumes comme Mad Men, mais la (re)visitation, au sens presque mystique du terme, du portrait de femme. Soit l’obsession principale de son cinéma, qui a toujours transcendé la question des genres. Devant cette héroïne domestique à la fois forte et accablée, saisie dans le dénuement des gestes de son quotidien, on pense à Jeanne Dielman (1975). Todd Haynes vénère le chef d’œuvre de Chantal Akerman, véritable marqueur du cinéma moderne. Il vise ici cet horizon massif avec un point de vue malgré tout profondément américain. Passionnant. Olivier Joyard Mildred Pierce le dimanche sur HBO

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focus brèves Mad Men ça chauffe Les négociations entre Matthew Weiner (créateur et showrunner de Mad Men) et AMC ont buté la semaine dernière sur un os. Prête à offrir à Weiner un salaire de 30 millions de dollars sur deux ans, la chaîne lui demandait en contrepartie de réduire les épisodes de deux minutes pour ajouter de la pub, d’accepter le placement produit, et de faire disparaître deux personnages pour raisons économiques… Weiner a refusé, AMC a ensuite annoncé officiellement le retour du show pour mars 2012 avec une saison 5 bien tardive. Le créateur va-t-il quitter le navire ?

 

Fringe in, Lights out Avec le printemps arrive la valse des séries annulées ou renouvelées. A la loterie, l’intéressante Fringe (créée par J. J.  Abrams) a gagné et reviendra en quatrième saison, comme le cartoon Futurama, qui aura droit à une septième année sur Comedy Central. Lights Out, série sur la boxe (FX), est quant à elle K.O. dès la fin de sa première saison…

 

Stephen King dans The Walking Dead ? L’écrivain se serait engagé à écrire avec son fils Joe Hill un épisode de la saison 2 de la série de zombies.

agenda télé United States of Tara (Canal+, le 7 à 22 h 40) Fin de la saison 2 des aventures d’une mère de famille aux multiples personnalités. Ça part forcément dans tous les sens, mais Toni Colette impressionne. Facing Kate (13e Rue, le 11 à 20 h 40) Une série judiciaire féminine et fraîche avec Sarah Shahi (ancienne de L Word) en médiatrice glamour. L’un des cartons de l’année sur le câble US. Dawson (NT1, tous les jours à 18 h 50) De son vivant (1998-2003), cette série ado était souvent mal considérée, sauf par quelques accros discrets, qui avaient remarqué son écriture assez fine et ses héros joliment ambigus.

mister Scénario

Le scénariste de The Social Network assoit son statut d’icône : il vient d’apparaître dans un épisode de 30 Rock. n juin 2007, Studio 60 on the Sunset Strip, merveilleuse série d’Aaron Sorkin, disparaissait “au profit” de 30 Rock. Bien que n’ayant rien à voir, mais traitant toutes deux des coulisses d’une émission télé comique, elles avaient été mises en concurrence. Et Tina Fey avait gagné. Il y a deux semaines, tout juste auréolé de son Oscar pour The Social Network, Sorkin s’est ironiquement vengé, apparaissant en guest star dans un épisode de… 30 Rock (saison 5). Son rôle : donner des leçons d’écriture à Tina Fey et la mettre en garde contre les menaces actuelles sur le métier de scénariste, tout en l’entraînant dans un “walk and talk” (sa signature) parodique. Pile quand 30 Rock n’est pas au mieux (émission fictive menacée, gags qui patinent). Cette apparition suit de quelques semaines un épisode de The Good Wife (saison 2) où un geek à la tête d’un empire internet poursuivait en justice ceux qui avaient porté son histoire à l’écran. Le scénariste de ce faux film venait témoigner avec une virtuosité arrogante toute reconnaissable. Après avoir écrit les plus beaux personnages de la télé contemporaine, Aaron Sorkin est donc devenu lui-même un personnage – même Entourage l’a invité l’été dernier. Avec son débit saccadé un brin flippant et sa supériorité impériale, l’auteur d’A la Maison Blanche incarne aujourd’hui mister Scénario. Une figure plutôt nouvelle dans la culture pop contemporaine. Comment va-t-il gérer ce nouveau statut ? Se poser la question est aussi une manière de patienter avant de voir le pilote sur de sa série qui traite d’une chaîne d’info, que Sorkin prépare pour HBO, et qui a depuis peu un acteur principal (Jeff Daniels), et un réalisateur (Greg Superbad/Adventureland Mottola). C’est encore derrière son bureau que l’on préfère mister Scénario. Clélia Cohen



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émissions du 6 au 13 avril

La Plus Pire Semaine de ma vie Mini-série de Frédéric Auburtin. Mercredi 6 avril, 20 h 45, M6

au centre, Pompidou Les derniers jours du président de la République et le ballet de la succession qui se joue autour de lui.



près Bernard Farcy et Patrick Chesnais pour de Gaulle, Michel Bouquet pour Mitterrand, c’est Jean-François Balmer qui joue Georges Pompidou durant les deux dernières années de sa vie. Un bon choix, même si par moments le comédien suisse ressemble presque plus à Gorbatchev. D’ailleurs, tout le casting est réussi, avec de bons équivalents aux ténors de la droite de l’époque. Fuyant la fresque historique, le film se focalise sur deux aspects : la maladie cachée du président et les manipulations souterraines de ses conseillers Pierre Juillet et Marie-France Garaud pour pousser leur poulain, Jacques Chirac, sur le devant de la scène. Ces éminences grises sont les véritables vedettes du récit. Voir comment Marie-France Garaud, incarnée de façon saisissante par Florence Muller, caviarde les discours de Chaban-Delmas, potentiel candidat à la présidence dont elle craint l’ouverture à gauche, ou bien manipule la presse. En passant, on a oublié un conseiller encore plus occulte de Pompidou, Georges Albertini, rescapé de la collaboration et de l’extrême droite, mentor de Marie-France Garaud. Mais dans un film on est obligé de s’en tenir aux grandes lignes. D’un autre côté, on a ménagé quelques beaux apartés, comme la discussion émue entre Pompidou et sa femme Claude sur Nicolas de Staël. La passion de Georges Pompidou, président cultivé, pour l’avant-garde picturale, synchrone avec la furie moderniste et la fuite en avant tous azimuts des années 1970, explique également ce qui animait les êtres à cette époque, dont nous subissons les conséquences aujourd’hui. Vincent Ostria

Mort d’un président téléfilm de Pierre Aknine, mardi 12 avril, 20 h 40, France 3

Jean-François Balmer est Georges Pompidou

Des petits soldats contre l’avortement Enquête de Caroline Fourest et Fiammetta Venner. Lundi 11 avril, 22 h 40, Canal+

Le droit à l’avortement, une conquête toujours fragile. Les militants anti-IVG multiplient les actions. A Paris, une “marche pour la vie” a rassemblé 40 000 personnes en janvier dernier, issues pour la plupart des milieux catholiques traditionalistes. Caroline Fourest et Fiammetta Venner recontextualisent cette régression en élargissant le périmètre de leur enquête au “laboratoire” américain, toujours éclairant par sa démesure : elles ont filmé une communauté vivant dans une ville ultra-catholique de Floride où le combat contre l’IVG a des allures de croisade. JMD

Benjamin Decoin/Visual Press Agency/Arte

téléfilm

Copie conforme d’une sitcom british caricaturant la famille bourgeoise. Les mésaventures en cascade de deux fiancés pendant la semaine précédant leur mariage. Humour catastrophe réduit aux modestes proportions de la sitcom et de la famille bourgeoise, où quiproquos et gaffes s’enchaînent sans discontinuer. L’ensemble est plutôt enlevé, mais reste en deçà d’un des modèles lointains de la série : l’inimitable Desperate Housewives. De plus, la version française de Worst Week, se contente de décalquer l’original jusque dans les moindres détails. V. O.

One Shot Not : The Dø Emission de Manu Katché. Dimanche 10 avril, 23 h 35, Arte

L’anibatteur reçoit le duo de velours. Sur le plateau, The Dø vient livrer quelques chansons de son nouvel album, Both Ways Open Jaws. Avec panache et audace, à la mesure du son qui traverse ce disque impressionnant par sa prise de risque. Après deux ans de tournée, plus de 150 000 albums vendus, des concerts clapés par des mains du monde entier, des récompenses au kilo, le statut de groupe exigeant aimé par les masses qui vont avec, le duo n’a pas voulu se reposer sur ses lauriers platinés. La paire n’a pas changé sa philosophie : The Dø est un modèle, radical, d’indépendance. Une forteresse imperméable aux enjeux non créatifs. Thomas Burgel

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Abbas/Magnum Photos/France 5

Presse et pouvoir, un divorce impossible Michel Onfray - Philosophe, citoyen Documentaire d’Olivier Peyon. Vendredi 8 avril, 20 h 35, France 5

A la rencontre du philosophe controversé dans son fief normand. Michel Onfray a trop de défauts pour n’être que ce qu’il paraît : agaçant, fier de ses sinistres provocations (cf. son réquisitoire simpliste contre Freud), pratiquant l’anathème aussi facilement qu’il s’approprie le monopole de l’hédonisme ou de l’athéisme… Adulé par les médias, il déploie une forme de sincérité dans ses combats, comme l’attestent son université populaire de Caen et son université du goût à Argentan. Filmé sur ses terres, il revient sur son parcours. Fils de pauvres, il a trouvé sa richesse dans la pensée qu’il cherche à raccrocher au réel, dans la pure tradition épicurienne. JMD

Documentaire de Philippe Reinhard et Michel Royer. Jeudi 7 avril, 23 h 10, France 2

Les relations conflictuelles de deux univers qui vivent l’un de l’autre. Si Nicolas Sarkozy a hystérisé les relations entre la presse et le pouvoir (“du léchage au lynchage”), l’histoire de leurs rapports, naviguant entre connivence et indépendance, est ancienne. Philippe Reinhard et Michel Royer reviennent avec quelques figures vedettes du journalisme et de la politique sur ce qui les a opposés dans le passé. Conquête démocratique datant de 1881, la liberté de la presse, rappellent Edwy Plenel et Jean-Noël Jeanneney, doit se consolider dans des pratiques, contre les intérêts des politiques qu’il faut bien fréquenter “sans être l’ami d’aucun”, selon le mot de VianssonPonté. Une analyse juste mais sans aspérités des affinités plus ou moins électives entre deux sphères qui se contemplent dans un jeu de miroirs ambigu où la méfiance le dispute à la fascination. JMD

un parrain mancunien La vie et l’œuvre d’un caïd de Manchester avide de médiatisation. Un documentaire en immersion chez des méchants, des vrais. ’est à notre connaissance la première peut tuer pour de l’argent. L’intérêt fois qu’un gangster est filmé de ce documentaire assez pimpant, à découvert, en plein jour, dans son ponctué par une BO pop, réside avant tout milieu naturel. De quoi se demander dans son regard sur la misère du nord si Dominic Noonan, caïd vantard de l’Angleterre. Noonan, entouré de jeunes de Manchester aux apparences trompeuses mignons en costume, ne semble pas mieux (rondouillard à lunettes), d’abord videur loti après avoir passé vingt-deux ans à la célèbre Haçienda de la ville, puis en prison. Soi-disant patron d’une braqueur de fourgon blindé, n’est pas entreprise de sécurité, il vit dans un le commanditaire de ce film relativement quartier défavorisé, partageant son temps hagiographique. On le présente davantage entre tribunaux, prison, magouilles et aide comme un Robin des Bois jovial, sociale. Polar version Ken Loach. V. O. bienfaiteur des enfants et des pauvres, que comme un danger public. Ce qu’il doit être, A Very British Gangster documentaire de Donal MacIntyre. Vendredi 8 avril, 23 h 05, Arte d’une manière ou d’une autre, puisqu’il



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enquête

la cyberguerre a commencé Face à la menace d’attaques informatiques de grande envergure, les Etats multiplient les simulations. Mais les piratages récents révèlent les failles des systèmes de protection.

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ébut mars, des pirates ont infiltré environ 150 ordinateurs de la direction du Trésor du ministère des Finances. L’Elysée et le Quai d’Orsay ont également été ciblés. Le 23 mars, la Commission européenne a été victime d’une attaque, “sérieuse” d’après l’AFP, qui aurait touché les postes des services de la haute représentante de l’UE pour les Affaires étrangères. Quels documents ont été récupérés ? Qui sont les commanditaires ? Autant de questions sans réponses. Ces affaires récentes confirment qu’aucune forteresse – Etat, organisme officiel ou multinationale (comme les compagnies pétrolières récemment) – n’est à l’abri d’une attaque des as du piratage. Toutes ces opérations ont un point commun qui rend encore plus inquiétante cette loi des séries : le recours à une technique d’infiltration devenue banale, le cheval de Troie. Une ou plusieurs personnes de l’entité visée reçoivent un mail avec une pièce jointe anodine. En réalité, elle cache un code malveillant développé précisément pour cette cible, ce qui explique la difficulté pour les logiciels de sécurité de repérer et d’éradiquer l’infection. La cyberguerre apparaît comme une technique pour affaiblir l’ennemi en pillant des données stratégiques ou en bloquant ses activités informatiques et ses systèmes de communication. C’est pour éviter la multiplication de ce genre d’opérations

que les Etats réalisent régulièrement des simulations de cyberattaques. En novembre dernier, l’Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l’information a imaginé une panne des moyens de communication et des connexions internet dans une trentaine de pays européens. “Cet exercice, qui vise à évaluer l’état de préparation de l’Europe face aux menaces informatiques, est une première étape importante en vue d’instaurer une coopération dans la lutte contre ces menaces”, a expliqué Neelie Kroes, vice-présidente de la Commission européenne chargée de la stratégie numérique. Les États-Unis jouent eux aussi à se faire peur avec l’opération Cyber Storm. Organisée par la division de sécurité informatique du Département américain de la sécurité intérieure, elle simule une panne informatique généralisée causée par une attaque de virus. Plusieurs autres départements américains, une soixantaine d’entreprises privées (dont Intel, Microsoft et Symantec, l’éditeur de l’antivirus Norton) et une trentaine de pays (dont la France) ont participé à la troisième édition en septembre 2010. Le gouvernement français a aussi conduit son propre exercice, baptisé Piranet 2010.

affaiblir l’ennemi en bloquant ses activités informatiques et ses systèmes de communication

Ces simulations permettent de révéler de sérieuses lacunes. En février, lors d’un exercice réalisé par les Européens, les services secrets ont été incapables de localiser l’origine de l’infection… Ces tests confirment aussi que “les États n’ont pas la possibilité de contrer une menace cybernétique de façon autonome et unilatérale : l’absence de frontières étatiques dans l’espace cybernétique ainsi que les interdépendances des systèmes informatiques mettent en évidence la menace d’une attaque lancée à partir de n’importe quel endroit du monde, sans pour autant pouvoir la retracer ou être en mesure de réagir à temps”, explique Bart Smedts, chargé de recherches au Centre d’études de sécurité et de défense de l’Institut royal de défense à Bruxelles, dans un numéro de la revue Défense nationale. Ces constats inquiétants ont-ils permis une amélioration de la surveillance et de la protection ? Pas vraiment, selon Eric Filiol, directeur du laboratoire de cryptologie et de virologie opérationnelles à l’École supérieure d’informatique électronique automatique : “Cela fait trois ans que nous avons identifié, expérimenté et publié (pour alerter) ce type d’attaques en laboratoire (…) dans l’indifférence générale. Il n’est donc pas étonnant que des personnes se fassent piéger ni que des attaques comme celles visant Bercy soient faciles à mener. Rappelons que l’efficacité de ces attaques profite de la faiblesse extrême des cibles plus que de la force des attaquants !” Philippe Richard

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in situ clean city A Londres, la municipalité inciterait-elle à la délation pour une ville plus propre ? Un dispositif a été lancé pour que les résidents rapportent les “grime crimes” (“crimes crasseux”) comme les graffitis, les dépôts non autorisés ou les décharges sauvages. Il leur suffit de les photographier et de les envoyer via smartphone ou PC sur ce site dédié. lovecleanlondon.org

électroacoustique Imaginée par l’INA-GRM (Groupe de recherches musicales), cette fresque dédiée à la musique électroacoustique dresse le panorama de soixante années de créations sonores. Grâce à des parcours thématiques, le site permet de découvrir œuvres, interviews et vidéos des acteurs de ce genre musical. ina.fr/fresques/artsonores  

New York en images Le Museum of the City of New York se lance dans un gigantesque projet de numérisation d’une partie de ses collections. Pour le moment : 50 000 photographies jamais dévoilées au public, et ce n’est qu’un début, puisque le musée possède 300 000 clichés de la ville... collections.mcny.org

American Dream Fin 1960, Robert Doisneau s’envole pour Palm Springs, en Californie. Il y est envoyé par le magazine Fortune pour rendre compte de l’“American way of life”. Cinquante ans plus tard, Vladimir Vasak part de ces clichés d’une modernité étonnante pour nous raconter, à travers de courtes vidéos réunies en un webdocu, le Palm Springs d’aujourd’hui. palmsprings.arte.tv

la revue du web Slate

New York Times

Rue89

paradis industriels

céréale de luxe

tribunal des médias

Pris d’assaut par les bobos, les quartiers du nord et de l’est de Paris se transforment en un grand terrain de jeu pour réinventer le Paris du XIXe siècle. Bars vintage, cafés populaires, la nostalgie d’un monde ouvrier attire artistes, photographes et fans de l’ère industrielle. Dans ces quartiers qu’ils ont longtemps désertés, les diplômés remplacent désormais les cols bleus. Un état des lieux de cet Est parisien, entre parc d’attraction et lieu d’expérimentation pour la préservation du patrimoine ouvrier et populaire. tinyurl.com/6j8fywb

Symbole de la civilisation inca, le quinoa s’est imposé comme la coqueluche des épiceries bio d’Europe et d’Amérique du Nord. Plante aux vertus nutritionnelles inégalables, elle a contribué à accroître les revenus des agriculteurs en Bolivie, l’un des pays les plus pauvres d’Amérique. Mais cette croissance express a fait augmenter les prix de la plante, si bien que les Boliviens n’en consomment plus et se rabattent sur des aliments de premier prix, relançant le débat sur la malnutrition dans un pays où il était clos depuis des années. tinyurl.com/4qmsohj

En Afrique du Sud, l’ANC (African National Congress), parti au pouvoir, trouve que l’actuelle autorégulation de la presse est inefficace pour la protection des individus. Le gouvernement projette donc, dans une volonté de plus en plus autoritaire de maîtrise des médias, de créer un tribunal des médias et une loi de protection de l’information. Cette loi, dite “du secret”, pénaliserait la révélation d’informations classées secrètes, éloignant de plus en plus l’Afrique du Sud d’un modèle démocratique. tinyurl.com/4lf5g2t 6.04.2011 les inrockuptibles 121

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de Bernard-Marie Koltès Pour ses réflexions sur le langage et l’usage de la langue étrangère.

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Une part de ma vie

Timber Timbre de Timber Timbre Pour le sens de l’espace, le climat quelque peu suranné et l’utilisation de sons hantés.

Nous, princesses de Clèves de Régis Sauder Un documentaire subtil et patient sur une classe d’adolescents qui découvre avec bonheur le roman de Madame de La Fayette à la barbe de Nicolas Sarkozy.

Sucker Punch de Zack Snyder Un girl-power movie trépidant dans des univers parallèles et chimériques.

L’Agence de George Nolfi Une nouvelle de Philip K. Dick adaptée finement pour un jeu de piste enfantin et jouissif.

Cascadeur The Human Octopus Cet homme casqué vient de l’Est. Cascadeur, ou comment offrir à la pop d’ici de renversantes acrobaties aériennes.

Bombino Agadez Le blues du désert de ce Touareg prodige rencontre son cousin américain.

Orhan Pamuk Le Musée de l’innocence Une histoire d’amour hors norme sur fond de lutte des classes dans l’Istanbul des années 70.

Robert Maggiori Le Métier de critique – Journalisme et philosophie En charge des essais à Libération, le journaliste Robert Maggiori interroge les règles du métier de critique.

Le Prince Miiaou Fill the Blank with Your Own Emptiness Un troisième album impérieux aux rythmes martiaux à force d’être carrés.

Richard Lange Ce monde cruel Un premier roman, un conte californien très sombre. Waste Land de Lucy Walker Un film qui pose la question des ordures, du recyclage et de l’engagement social.

Yelle Safari Disco Club Un deuxième album fantastique qui redéfinit la pop culture avec aplomb et malice.

Les Amours imaginaires de Xavier Dolan. Autoportrait pop, suave et affranchi. Krzysztof Kieslowski – Premiers plans. Films de jeunesse peu connus d’un cinéaste incisif. Potiche de François Ozon. La plus réussie des comédies françaises de 2010.

Nina Yargekov Vous serez mes témoins Un roman conceptuel et drolatique, douloureux et hilarant, né d’une expérience dramatique.

“L’Enfer” d’Henri-Georges Clouzot de Serge Bromberg et Ruxandra Medrea Ce documentaire sur L’Enfer de Clouzot nous laisse entrevoir ce que ce film aurait provoqué (par son aspect expérimental, notamment) s’il avait vu le jour. recueilli par Anne-Claire Norot

Une vie dans les marges – tome 1 de Yoshihiro Tatsumi Une magnifique autobiographie d’un des pères du manga adulte.

Une vie sans Barjot d’Appollo et Stéphane Oiry Une odyssée nocturne et initatique.

Polina de Bastien Vivès L’accomplissement artistique et personnel d’une jeune danseuse.

Cascadeur Cascadeur est en tournée française jusqu’en mai. Son album The Human Octopus vient de sortir.

Jules Caesar mise en scène Arthur Nauzyciel Théâtre de Saint-Quentinen-Yvelines Dans la Rome de Shakespeare, Nauzyciel réunit dans la mort les destins de César et de Kennedy.

Congo My Body de Djodjo Kazadi, Serge Amisi et Yaoundé Mulamba Festival Hautes tensions de La Villette, Paris Des ex-enfantssoldats confrontent leurs expériences.

Adagio [Mitterrand, le secret et la mort] d’Olivier Py L’Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris Une évocation des dernières heures au pouvoir de François Mitterrand.

Richard Prince American Prayer BNF, Paris Entre contreculture et mainstream, Richard Prince décline avec délectation sa passion des livres.

Philippe Decrauzat Anisotropy Le Plateau, Paris Fils prodigue des expériences mirifiques de l’op’art, le Suisse présente une expo qui voit double.

François Morellet Centre Pompidou, galerie Kamel Mennour, Paris Ses Jeux déviants s’exposent au Centre Pompidou et il rencontre Malevitch à la galerie Kamel Mennour.

Dragon Age II sur PS3, Xbox 360 et PC Nouvelle étape dans le jeu de rôle occidental avec un Dragon Age II envoûtant mais déséquilibré.

MotorStorm Apocalypse sur PS3 Jouissif fantasme pour fous du volant.

de Blob 2 sur PS3, Xbox 360 et Wii Le Blob revient et repeint le monde du jeu vidéo en couleur.

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