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le boulet de l’UMP Sarkozy

d’Hollywood au docu le cinéma sur le ring

comment se loger fauché ?

g n rat on canap

M 01154 - 797 - F: 2,50 €

Allemagne 3,40 € - Belgique 2,90 € - Canada 5,20 CAD - DOM/A 3,90 € - Espagne 3 € - Grèce 3,30 € - Italie 3,30 € - Liban 8500 LBP - Luxembourg 2,90 € - Maurice Ile 5,50 € - Portugal 3,30 € - Suède 40 SEK - Suisse 5 CHF - TOM 700 CFP

No.797 du 9 au 15 mars 2011

u nouvea

2.50€

j’ai fait les balances avec

Florent Marchet



’est à l’heure du goûter qu’on retrouve Florent Marchet sur la scène du Chabada à Angers, à quelques encablures du château du roi René. Quatre mois après la sortie de son troisième album Courchevel, le Français est au beau milieu d’une grande tournée française de 120 dates. Une belle renaissance pour celui qui fut remercié par sa maison de disques il y a trois ans, après l’échec commercial de sa pourtant fantastique symphonie sociale Rio Baril. “Pour Courchevel, j’ai pris mon temps, je me suis bien entouré, j’ai rencontré les bonnes personnes.” Il en a profité pour monter son propre studio, Nodiva, et offrir ses services à La Fiancée ou à Axelle Red. Entouré de ses trois musiciens, avec qui il forme le Courchevel Orchestra, le chanteur répète ce vendredi après-midi pour le concert qu’il donnera le soir même, dans le cadre de la tournée du Fair. Le public n’est pas encore là, mais la tenue est déjà soignée : écharpe en soie jaune, veste de dandy, coiffure de mods. Le décor l’est tout autant : une fausse tête d’ours polaire, mâchoire grande ouverte – celle-là même qu’on peut apercevoir sur la pochette du disque – jouxte la batterie. Un regret : la scène est trop petite pour que le groupe puisse y installer la peau de bête qu’il déroule au sol dès que l’espace le lui permet. Les amplis affichent de jolies teintes vintage, les guitares semblent sorties d’un studio des seventies. Florent tapote sur son clavier – un son de Wurlitzer, rond et rétro, s’échappe des enceintes. “On avait commencé avec un vrai, mais c’est un instrument trop fragile pour être déplacé. Alors j’ai acheté ce clavier moderne qui en reproduit le son. Puis, avec l’éclairagiste, on l’a dissimulé dans un coffrage fait maison, inspiré du clavier de Ray Charles dans les années 50.” Un vieux téléphone à cadran écru vient compléter le tableau – Florent s’en servira comme d’un micro quelques minutes plus tard. “C’est l’équalisation générale qui est vachement médium, là” : les balances donnent souvent l’occasion d’entendre de jolis propos philosophiques. On n’a pas fait de solfège,

“que des merdes : l’ingé son s’est fait piquer son sac et j’ai perdu les albums qu’on voulait vendre”

mais on comprend que des soucis techniques assombrissent cette répétition générale. “De toute façon, on a eu que des merdes aujourd’hui : l’ingé son s’est fait piquer son sac, j’ai perdu les albums qu’on voulait vendre au merchandising. La bonne nouvelle, c’est que ça donne souvent de bons concerts.” Une fois les lumières ajustées, Florent livre une version formidable de Benjamin, premier single de l’album, et enchaîne avec le glaçant Courchevel. Naturel, il affiche une aisance nouvelle, héritée de la tournée effectuée pour défendre son livre musical coécrit avec Arnaud Cathrine, Frère animal. Le dernier concert date d’il y a une semaine à peine. “Avant, je pensais que je n’étais pas fait pour la scène. J’ai fait tellement de mauvais concerts. La tournée Frère animal m’a libéré, j’ai compris que je pouvais exister sur scène sans devoir défendre un album.” La répétition dure presque une heure et demie et les choses s’améliorent niveau équalisation générale. “Les gens pensent souvent que monter sur scène est un acte narcissique. Je pense que c’est tout le contraire : il faut s’oublier pour que ce soit réussi. C’est comme dans un acte d’amour, c’est en s’abandonnant qu’on fait les meilleurs coups.” Un plus joli nom pour les balances : les préliminaires. Johanna Seban photo Céline Barrère Concerts en tournée jusqu’en décembre. A Paris le 25 mars (Cigale, complet) et le 2 novembre (Casino de Paris)

9.03.2011 les inrockuptibles 5

No.797 du 9 au 15 mars 2011 couverture Génération canapé par Sébastien Filosa

05 quoi encore ? Florent Marchet

10 on discute courrier + édito de Serge Kaganski

12 sept jours chrono le paperblog de la rédaction pourquoi Galliano ou Zemmour dérapent

Photo d’illustration : Geoffroy de Boismenu

16 événement

32

18 événement Au Sahara occidental, un festival a été l’occasion d’affrontements violents

20 la courbe ça va, ça vient. Le billet dur

22 nouvelle tête La Femme

24 ici une association au secours des mal-logés

26 ailleurs qui veut la tête de Sepp Blatter ?

28 parts de marché l’heure est à la réflexion pour les médias

30 à la loupe 32 jeunes et logis ils sont les premiers touchés par la crise du logement

44

Lionel Bonaventure/AFP

Snooki, star de Jersey Shore et du néant

39 Sarkozy, le rejet à droite du côté des élus comme des électeurs, le Président déplaît jusque dans son camp

42 Montebourg se fait des amis sa mise en cause de Guérini, l’homme fort du PS à Marseille, fait des vagues

44 débat d’idées 45 que le meilleur perde

48

les politiques en quête de défaite

46 presse citron revue d’info acide

Jérôme Brézillon

les citoyens résignés face à la corruption

48 boxe office Fighter contre Boxing Gym : au cinéma, tous les coups sont permis. Reportage dans une salle de boxe à Noisy-le-Grand

56 la cuisine française au pilori un critique américain affirme qu’elle n’est plus la championne du monde

60 Black Keys, les clés du succès 64 le théâtre politique d’Olivier Py A la tête de l’Odéon, il incarne la figure de l’intellectuel engagé

60

David McClister

rencontre à Nashville avec des rockeurs qui montent

9.03.2011 les inrockuptibles 7

68 Jimmy Rivière de Teddy Lussi-Modeste

70 sorties A ciel ouvert, Dharma Guns…

72 portrait FJ Ossang, cinéaste punk

74 livre trente ans d’Hollywood en coulisses

78 Killzone 3 + Inazuma Eleven

80 The Dø l’aventure, c’est l’aventure

82 mur du son Interpol, The Horrors, Le Tigre…

83 chroniques Beth Ditto, Wye Oak, Deportivo…

89 morceaux choisis Theophilus London…

90 concerts + aftershow PJ Harvey

92 Mitch Cullin le poème de l’Amérique white trash

94 romans/essais Ian McEwan, Vladimir Sorokine…

96 tendance fous de Foucault

98 agenda les rendez-vous littéraires

100 bd l’épopée débridée de Claire Braud

102 Bergman par Ivo Van Hove + On ne sait comment ; Please Kill Me

104 Johan Furåker un jeune Suédois explore l’amnésie

106 Iris Van Herpen chef de fil de la mode conceptuelle

108 nos assiettes empoisonnées une enquête de Marie-Monique Robin

110 télé et présidentielle la campagne a déjà commencé

113 Au fond, près du radiateur l’esprit des radios libres

114 séries Charlie Sheen pète un câble

116 télévision retour sur Abou Nidal

118 enquête les musées se font leur toile

120 la revue du web décryptage

121 vue du net plagiats en stock

122 best-of le meilleur des dernières semaines 8 les inrockuptibles 9.03.2011

les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34 rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Hélène Fontanaud, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs P. Azoury, E. Barnett, C. Barrère, P. Blouin, G. de Boismenu, O. Bossard, J. Brézillon, M.-A. Burnier, A. 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l’édito

alerte Bien sûr, ce n’est qu’un sondage, il y en aura des dizaines d’autres, à commencer par celui-ci qui sera refait par l’institut Harris en y incluant cette fois DSK. Il n’empêche que Marine Le Pen en tête à 23 % au premier tour de la présidentielle devant Martine Aubry et Nicolas Sarkozy à 21 %, c’est une alerte, un 21 Avril sondagier. La petite bête immonde monte monte, comme partout en Europe, crises économique, financière, démocratique, civilisationnelle obligent. Les raisons ? D’abord, l’habileté réthorique et médiatique de la Marine, qui a hérité du talent oratoire de son père, la volonté de conquête du pouvoir en plus. Ensuite, les tactiques quitte ou double d’un Sarkozy et de son entourage aux abois, qui labourent sans vergogne le lopin boueux du FN : débat sur l’identité nationale, sur l’islam, l’insistance sur les racines chrétiennes de la France, petites phrases ignobles sur les origines de DSK, menace d’une éventuelle invasion migratoire suite aux révoltes arabes, fermons le ban. Dans un premier temps, on pouvait penser que les stratèges sarkoziens voulaient récupérer les voix FN, comme en 2007. Mais l’insistance sur des thématiques marécageuses alors que les sondages sont de plus en plus mauvais pour l’UMP laissent supposer une autre stratégie, irresponsable et calamiteuse pour les Français : puisque l’élection semble perdue face à un candidat de gauche, essayons de nous retrouver face au FN en finale, seul moyen de garder l’Elysée en 2012. Un second tour SarkoLe Pen, ce serait un cauchemar pire que 2002, peut-être une situation d’insurrection. La gauche porte sa part de responsabilité. Divisions, batailles d’ego, primaire PS programmée aux calendes, DSK entre furet et Arlésienne, affaire Guérini, multiplication des candidats à la candidature, absence de programme. Il serait donc temps que DSK nous dise oui, non ou merde, qu’on avance la primaire si cela est encore possible, que PS et Verts s’entendent pour présenter un candidat unique. On peut le regretter mais c’est ainsi : une élection présidentielle n’est pas un défilé de toutes les tendances et sous-tendances politiques mais un duel qu’il faut gagner. Faute de comprendre cette logique basique, on se prendra d’autres 21 Avril dans la figure. L’élection est dans quinze mois, c’est-à-dire demain. Sous peine de laisser le FN et la Sarkozie kamikaze surfer sur le vide, la gauche et le PS doivent se mettre en ordre de bataille sans tarder.

Serge Kaganski 10 les inrockuptibles 9.03.2011

C’est peut-être ce qui rend The King of Limbs de Radiohead si intéressant : l’absence de volonté de changer et de surprendre à tout prix.” Charles-André Durgnat

Une vache dans L’Usine de films amateurs de Michel Gondry

comment je me suis retrouvé presque à poil devant mon idole Aujourd’hui, 16 février, s’ouvrait L’Usine de films amateurs de Michel Gondry au Centre Pompidou, et moi, en bon fan, je me devais d’en être. J’y suis arrivé tôt, aussi frigorifié à attendre dehors que motivé de voir ce qu’avait concocté le génie boutde-ficelle. (…) Le concept paraissait vraiment chouette. Il s’agissait de tourner un film en trois heures, dans un vrai décor de cinéma, avec des gens que l’on ne connaît pas. A 11 heures, ces décors, nous les découvrons. Il y a là une forêt à côté d’un terrain vague, un mur pour les séparer de la chapelle, une voiture, un restaurant... Tout en carton, mais tout bien fait. Une dame nous fait venir dans la salle du brainstorming. De cette salle doit sortir un scénario. “No limit”, c’est le mot d’ordre, tout est possible, tout est réalisable. “Donnez-moi d’abord tous les genres de films qui vous intéressent”, nous demande-t-elle. Du porno au documentaire, tout y passe, tout est noté sur tableau blanc. Le but, faire concorder deux genres. Je propose le western porno mais me fais vite rembarrer. Après débat, c’est un western d’horreur qu’on se décide à tourner. Il faut maintenant lui trouver un titre. Le Bon, la Brute et les Zombies, Lucky Luke contre les vampires, les idées fusent. (…) Un compromis

est trouvé, le film s’appellera Terreur et santiags. J’accepte tous les rôles qu’on me propose sans trop écouter. Affublé d’une perruque et d’une barbe, je suis un homme des cavernes. “Et un homme des cavernes, c’est tout nu”, m’explique celle qu’on a désignée réalisatrice, Anna. Concession, je fais péter le torse, pas velu, pas costaud, juste érotique ce qu’il faut. La pudeur, connais plus. Parce qu’en plus, France 2 est là, et le cameraman s’éclate. “Vous êtes bien dans votre rôle ?”, me demande l’intervieweur. (…) Mon rôle, me dit-on, c’est de taper sur une vache, superbe élément d’un décor extraordinaire. Alors je lui tape dessus, d’abord doucement, puis je me lâche, je hurle et entre vraiment dans le personnage. C’est là qu’en détournant le regard, je vois un type, assis sur une table de pique-nique de décor, qui me jette un œil railleur. C’est le discret Michel Gondry. Emu, j’en lâche mon os. Et lui, l’air de rien, de reprendre le cours normal de son existence. A moitié nu, caméras de France 2 qui me scrutent, cameraman qui se marre, l’œil railleur de Gondry, j’étais une star. A compter d’aujourd’hui, je peux aller jouer chez Nagui, j’aurai une anecdote cool à y raconter. J.-B. Morel

7 jours chrono

Reuters

le paperblog de la rédaction

le mot

[fiasco] Le remaniement ministériel passé, les médias s’entichèrent d’un mot pour définir les catastrophes de notre politique étrangère : “fiasco”. Nous avons entendu et lu “le fiasco de notre diplomatie”, “le fiasco de l’Elysée”, “le fiasco de Michèle AlliotMarie”… l’expression se répandit au point qu’elle atteignit des domaines sans rapport avec le Quai d’Orsay comme en ces exemples : “le fiasco du logiciel informatique Cassiopée”, “fiasco chez Renault”... Aïe, aïe, aïe, les journalistes savent-ils bien ce qu’ils disent ou écrivent ? En français, “fiasco”, tous les dictionnaires le confirment, désigne la piteuse prestation d’un monsieur qui malgré ses efforts ne trouve pas la vigueur nécessaire pour honorer les charmes d’une dame. Il paraît donc très inconvenant d’appliquer ce mot à notre diplomatie, encore plus à ses responsables. Notons que l’expression “le fiasco de madame Alliot-Marie” relève d’une insoutenable contradiction dans les termes que la réthorique nomme oxymore ou oxymoron.

12 les inrockuptibles 9.03.2011

“Rainbow Warrior” en kit Greenpeace lance une souscription pour construire un nouveau Rainbow Warrior. Les internautes peuvent acheter une pièce du futur bateau écolo pour des sommes allant de 1 à 7 000 euros. Coulé par les services secrets français en 1985 en Nouvelle-Zélande, le mythique navire devrait donc renaître grâce à la contribution des donateurs, dont les noms seront inscrit à bord. Yunus écarté des responsabilités Le 2 mars, Muhammad Yunus, inventeur du microcrédit, prix Nobel d’économie, a été viré de la direction de sa propre banque, la Grameen, par la Banque centrale du Bangladesh. Règlement de comptes politique, assis sur la haine que lui voue la Première ministre du pays, Sheikh Hasina, qui l’accuse de “sucer le sang des pauvres” depuis que Yunus l’a, de son côté, accusée de corruption. La Grameen Bank compte 8 millions de clients dans 82 000 villages. Carl Barât lève des fonds Dans l’émission Dragons’ Den, sommet de téléréalité anglaise, des inventeurs ou entrepreneurs tentent, via une présentation devant un panel d’investisseurs, de financer leurs projets. Une idée détournée par Carl Barât qui, avant de donner quelques concerts cet été avec les Libertines, avait besoin de fonds pour un album et des concerts. Il s’est présenté face à vingt financiers de la City pour un concert très privé organisé par la compagnie Power Amp Music, nouvel acteur ambitieux de la musique en Grande-Bretagne. Convaincus, les financeurs ont financé, à hauteur de 600 000 euros.

l’image

Courtesy Bless

le 2 mars, l’un des trois commissaires mis en cause dans l’affaire Présumés innocents. Accusés par une association de protection de l’enfance d’avoir diffusé des images pornographiques lors d’une expo en 2000 à Bordeaux, Stéphanie Moisdon, Marie-Laure Bernadac et Henri-Claude Cousseau ne seront pas poursuivis en justice. C’est ce qu’a annoncé la Cour de cassation la semaine dernière, après dix ans de rebondissements. “Une défaite salutaire des ligues de vertu (…) qui ont tenté d’imposer leur vision névrotique de la sexualité en assimilant art et pornographie”, s’est réjoui l’avocat d’Henri-Claude Cousseau. Ian McEwan dénonce Israël Comme quoi on peut recevoir le prix Jérusalem et ne pas prendre parti pour Israël : Ian McEwan a profité de son discours de remerciements au 25e Salon international du livre de Jérusalem pour dénoncer la “colonisation israélienne”. En présence du président Shimon Peres, il a condamné la “confiscation des terres et les expulsions à Jérusalem-Est”. plastique fantastique A leur arrivée au Congrès, une des premières mesures des démocrates américains avait été de bannir les tasses en polystyrène des cafétérias au profit de gobelets recyclables. Les républicains, pas très verts, viennent de revenir sur cette décision. Prochain rétropédalage peu ecofriendly du Congrès : annuler le décret prévoyant la suppression des ampoules traditionnelles au profit de celles à basse consommation.

Bless night Jeudi 3 mars, une foule arty se presse devant les verrières d’une vaste demeure du VIIe arrondissement. Les deux créatrices de Bless, Inés Kaag et Désirée Heiss, ont imaginé un événement aux confins de l’art et de la performance : immobiles, répartis au gré des différentes pièces de la maison, les mannequins maison forment de fascinants tableaux vivants. Pourpres, grises, vertes : les matières sont somptueuses et l’élégance ample et astucieuse. On en redemande. révolution arabe On a découvert le Pierre Hermé algérien derrière la Bastille. L’atelier Diamande revisite les traditions pâtissières orientales : gingembre, coquelicot, banane, basilic, piment, épices, huile d’olive, mêlent leurs parfums aux ingrédients classiques (miel, amandes et pignons). Diamande, une révolution de palais.

Philippe Wojazer

“déclarés innocents” C’est ce qu’a posté sur Facebook,

l’héritage chrétien

N’en déplaise à Nicolas Sarkozy, notre civilisation ne doit pas grand-chose à la chrétienté. Dieu merci. Nicolas Sarkozy récidive : au Puy-en-Velay, le voilà qui nous vante encore “la chrétienté qui nous a laissé un magnifique héritage de civilisation”. De quoi s’agit-il ? S’il parle des cathédrales, nous le comprenons. S’il fait allusion à nos valeurs, c’est tout autre chose. Comment définir la civilisation européenne, et donc française ? La démocratie et le suffrage universel ? L’Eglise les a combattus jusqu’à la fin du XIXe siècle et encore sous le maréchal Pétain. La liberté religieuse ? Elle a poursuivi et massacré pendant des siècles protestants et juifs. L’égalité des sexes ? Elle la récusa avec énergie et, dans ses ordinations et dans ses rites, la vise encore ; L’abolition de l’esclavage ? Elle ne l’a jamais réclamée, il a fallu la grande révolution puis celle de 1848 pour y parvenir. L’antisémitisme ? Elle y a lourdement contribué, en a beaucoup rajouté lors de l’affaire Dreyfus et n’y a renoncé que dans les dernières années du XXe siècle. La médecine ? Elle a très longtemps interdit l’autopsie et proscrit aujourd’hui les recherches salvatrices sur les cellules souche. L’homosexualité ? Elle l’a beaucoup pratiquée en son sein mais, à l’extérieur, toujours poursuivie comme un acte contre nature. L’accouchement sans douleur ? Elle était contre. La pilule, la liberté de l’avortement ? Pas question. On peut continuer.... Ce que nous nommons notre civilisation, nos valeurs, il a fallu les imposer – au prix de combien de censures, de morts, de tortures, d’exil… – à la toute puissance de l’Eglise, long et dangereux combat de la Renaissance aux Lumières jusqu’aux grandes luttes pour la laïcité. Nicolas Sarkozy ferait mieux de se cultiver plutôt que de nous expédier à la messe, à laquelle d’ailleurs – en état de péché mortel après ses deux divorces – il n’assiste pas.

Tom Cops

le moment deux Victoires de la musique, sinon rien

Gaëtan Roussel, vainqueur surprise. A part ça ? Presque RAS. Symptôme schizophrénique d’une industrie musicale qui ne sait plus où elle crèche, la cérémonie des Victoires de la musique se déroulait cette année en deux temps. Premier round à Lille il y a un mois, le second mardi dernier au palais des Congrès à Paris et en direct sur France 2. La chanteuse de rue Zaz (ex-SDF, future ISF) a empoché grâce au vote surtaxé du public la Victoire de la chanson de merde de l’année pour Je veux, tandis que le reste du palmarès (Gaëtan Roussel grand vainqueur avec trois trophées, Yael Naim chez les filles, La Banane de Katerine pour le clip) relevait du miracle. Sinon, Val s’est fait huer, Frédo Mitterrand a joué des coudes pour éviter que cette glu de Jack Lang ne lui pique une nouvelle fois son fauteuil et on a surpris René la Taupe (visiblement sous terre malgré son succès) en train de se torcher au bar VIP avec Maurane et Bernard Lavilliers. C’est moche.

grand Atlas Sur la scène du Chabada, à Angers, on découvre, en première partie de Florent Marchet, un des groupes de la dernière sélection du Fair (Fonds d’action et d’initiative rock) : François & The Atlas Mountains. Ce François vient de Saintes, en Charente, mais a beaucoup appris à Bristol. Entouré de trois musiciens, il dévoile une série de pop-songs inclassables, portées par des orchestrations électroniques et des rythmiques chipées à la world-music. Le groupe a séduit, outre-Manche, le directeur du label Domino, Laurence Bell : François & The Atlas Mountains rejoindra prochainement la maison des Kills, de Franz Ferdinand et des Arctic Monkeys. rififi chez les Ch’tis A droite, Jérôme Seydoux et la société Pathé. A gauche, Thomas et Darius Langmann, producteurs et héritiers de Claude Berri. Au milieu, Dany Boon, champion de France du box-office. Arbitre, le tribunal de commerce. Que s’est-il passé ? Seydoux a produit seul Rien à déclarer, qui file vers les 10 millions d’entrées. Les Langmann affirment que leur père détenait une option sur le film et réclament leur dû. “Rien à déclarer”, maintient Seydoux. Dans les contes de Dany Boon, les méridionaux adoptent le Nord, les douaniers xénophobes se rédiment. Dans la réalité, on se déchire à coups de millions. Ça sent le Pathé. où est Charlie ? Sur Twitter et dans le Guinness des records ! L’acteur Charlie Sheen (voir sa saga p. 114) est la personne qui a atteint le plus rapidement un million de followers sur le site de microblogging. Arrivé le 1er mars avec le compte @CharlieSheen (http://twitter.com/#%21/ charliesheen), il a fêté son millionième “suiveur” 25 heures et 17 minutes après son inscription. “Alexis, une tragédie grecque” Du 1er au 12 mars la Grande Halle de La Villette accueille une pièce d’Enrico Casagrande et Daniela Nicolò, inspirée des émeutes de 2008 à Athènes. En mélangeant l’Antigone de Brecht, des images tournées à Exarcheia, quartier “anarchiste” de la capitale, et une mise en scène contemporaine, la compagnie Motus recrée une rue en révolte. On assiste à la mort d’Alexis Grigoropoulos, 15 ans, abattu par un policier. Tel Polycine dans la légende grecque, il est considéré comme un ennemi de la Cité. Quelle Antigone viendra lui donner une sépulture ? L. M., B. Z., avec la rédaction

14 les inrockuptibles 9.03.2011

Devant le dernier défilé Dior par Galliano à Paris

les risques de la plongée sous Marine Eric Zemmour décomplexe le discours politique anti-immigrés à l’Assemblée nationale et Dior vire son designer fétiche, tombé ivre mort dans le destroy néonazi. De quoi préparer sereinement le débat d’avril sur la “laïcité”.



lus que jamais bad boy de Dior, John Galliano est l’objet d’un licenciement à effet immédiat, pour avoir tenu dans un bar des propos avinés néonazis. Il n’a pas encore répondu de ses paroles devant la justice, une instruction est en cours. Le même jour, Eric Zemmour, condamné le 18 février par le tribunal correctionnel de Paris pour incitation à la discrimination raciale, tient tribune sur la liberté d’expression à l’Assemblée nationale, à l’invitation d’élus UMP, en présence de Jean-François Copé et Hervé Novelli, numéros un et deux du mouvement, et de Gérard Longuet, le nouveau ministre de la Défense. Les délires d’un créateur de mode fracassé et suicidaire n’ont rien à voir avec les saillies idéologiques calculées d’un débatteur habile. L’argument selon lequel même en matière de répression contre le racisme, les Juifs, là

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aussi, sont les premiers servis, est fragile. Si John Galliano, au lieu de s’en prendre aux Juifs, s’en était pris aux Noirs, nul doute que la direction de LVMH l’aurait viré de même. Quoique pour les Noirs, c’était déjà pris ; le parfumeur Jean-Paul Guerlain de la maison Guerlain (filiale de LVMH) avait témoigné il y a quelques mois en plein JT de son adhésion bonhomme aux lieux communs sur la paresse des “nègres”. Paris, vendredi 4 mars, rue de Grenelle. Branle-bas de combat dans le quartier des ministères : un grand maigre sur talons aiguilles vêtu d’une mini peau de bête, brandit une pancarte “The king is gone”, fleurie façon couronne mortuaire. Il attire à peine l’attention de la foule trendy compressée comme un César devant le portail du musée Rodin pour le dernier défilé Dior de Galliano, envolé la veille pour une cure dans un désert de l’Arizona.

Bertrand Langlois/AFP

Gwendoline le Goff/Panoramic

Eric Zemmour reçu en grande pompe par les parlementaires de l’UMP

La vidéo mise en ligne par le Sun, tabloïd britannique trash, où le créateur imbibé susurre “I love Hitler”, a viré instantanément au breaking news planétaire. Sur les trottoirs et la chaussée chauffés par le soleil, des grappes de cover-girls acidulées se prêtent en bonnes filles et à qui veut au shooting sauvage. Il y a tellement de télés qu’elles se filment entre elles. Masques graves et thermobrossages impeccables, les VIP des affaires et du monde de la mode déboulent. Les people ont préféré s’abstenir. Seule l’épouse tunisienne d’Eric Besson et Mélanie Laurent, sous contrat avec Dior, ont passé outre. Le défilé, “très frais, so romantic”, selon les témoignages de première main recueillis auprès des rédactrices de mode, était surtout virtuose en matière de communication de crise. Sidney Toledano, pdg de Dior, est monté en préambule sur le podium pour une mise au point : “Le fait que le nom de Dior ait pu être mêlé, par l’intermédiaire de son designer, aussi brillant soit-il, à des propos intolérables nous est très douloureux. De tels propos sont inacceptables, au nom de notre devoir de mémoire, au nom de toutes les victimes de l’Holocauste, au nom du respect de tous les peuples, au nom de la dignité humaine.” Pour pallier l’absence du prince déchu, ce sont les couturières en blouses blanches de l’atelier Dior, chaudement applaudies, qui ont clos le défilé. Même si on est heureux d’apprendre que la maison Dior milite depuis toujours pour la liberté des peuples et l’égalité des droits, il n’est pas certain que l’incident, pour le fleuron du géant du luxe LVMH, ne se double aussi d’un effet d’aubaine. Selon les langues déliées de la mode, le scandale tombe à point. Il permet à la marque de se débarrasser sans frais d’un créateur devenu improductif et encombrant, tout en offrant à la marque de Poison une posture éthique d’une parfaite élégance. Soulignée par l’égérie de Dior, Natalie Portman, oscarisée pour Black Swan, qui a piétiné publiquement le vilain petit canard. Retourner un incident désastreux en bonus marketing, c’est de la belle ouvrage. Lorsqu’on est une multinationale qui brasse des millions d’euros, on peut plaisanter avec les hommes, mais, principe sacré, jamais avec les marques. Paris, mercredi 2 mars, rue de l’Université. Eric Zemmour joue à guichets fermés salle Victor-Hugo, un auditorium de 500 places dans l’annexe de l’Assemblée nationale. Le public ? Pour la plupart des militants UMP et des membres du fan-club d’Eric Zemmour, ce sont parfois les mêmes. Condamné le 18 février pour incitation

les délires d’un créateur de mode fracassé et suicidaire n’ont rien à voir avec les saillies idéologiques calculées d’un débatteur habile

à la discrimination raciale, Eric Zemmour avait déclaré à la télévision que les employeurs “ont le droit” de refuser à l’embauche les Arabes et les Noirs. Il avait dit aussi que si les ”Français issus de l’immigration sont plus contrôlés que les autres, c’est parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes. C’est comme ça, c’est un fait”. Victime selon ses dires d’une “corrida médiatique”, le polémiste de France 2, de RTL et du Figaro, avait posé des conditions à sa venue : ne pas être interrompu et ne répondre à aucune question. C’est donc à un soliloque de dix minutes, salué par une standing ovation, que s’est livré le spécialiste du tac au tac. Citant Montaigne, Voltaire, Zola et lui-même, Eric Zemmour a défendu sa conception de la liberté d’expression. Une liberté exterminatrice, puisqu’il appelle à l’abolition des lois mémorielles et à la disparition, en coupant leurs subventions, des associations antiracistes. Bref, dit-il, il faut ”effacer quarante ans de miasmes égalitaristes et communautaristes”. Des propos enracinés dans le vieux terroir de l’extrême droite française, qui assimilait l’adversaire politique à une vermine à éradiquer. Jean-Francois Copé s’est réjoui de l’accueil réservé par les élus du peuple à une personnalité “qui vient apporter au débat un éclairage différent”. Mais différent de quoi ? Copé, qui prépare activement le débat sur l’islam, rebaptisé en catastrophe débat sur la laïcité, souhaite publiquement que le français remplace l’arabe classique lors des prêches dans les mosquées. Luc Chatel, ministre de l’Education nationale, vient d’interdire aux mères musulmanes accompagnatrices bénévoles de porter le foulard lors des sorties scolaires. Guéant, simple flic, joue les vigies à la frontière italienne pour repousser les hordes de Tunisiens qui voudraient prendre pied sur notre sol. Nicolas Sarkozy, tout à sa fonction de chanoine de Latran, invoque les vieilles racines chrétiennes de la France. Pour avoir une toute petite chance d’être réélu en 2012, Nicolas Sarkozy dispose-t-il d’une si faible marge de manœuvre qu’il en est réduit à faire de la plongée sous Marine ? En attisant la peur de l’islam, il ne peut que hérisser davantage les millions ”d’individus de type maghrébin” de France, déjà exaspérés par une stigmatisation lancinante. Comme pressé de revenir aux paradigmes si commodes de la realpolitik, Nicolas Sarkozy semble surtout aveugle face aux espaces ouverts par une révolution arabe et démocratique, où l’islam, jusqu’à preuve du contraire, brille surtout par sa discrétion. Alain Dreyfus 9.03.2011 les inrockuptibles 17

la mer, le soleil et l’enfer Au Sahara occidental, rien n’est réglé depuis trente-cinq ans que dure le conflit avec le Maroc. Le festival Mer et désert, annulé, a été l’occasion d’affrontements violents.



ur le papier, c’est le paradis : le soleil, la mer, un festival de surf et de musique sur une étroite bande de terre perdue entre le désert et l’océan Atlantique. Ça se passe à Dakhla, dans le sud du Sahara occidental, un territoire situé entre la Mauritanie, l’Algérie et le Maroc, et investi par ce dernier en 1975, après la décolonisation espagnole. La question du statut du Sahara occidental n’est pas résolue, aussi compliquée que de tracer des frontières dans le désert. L’ONU est sur place. Deux points de vue : le Sahara occidental est un territoire marocain (point de vue qui fait l’unanimité au Maroc) ou, second point de vue, le Sahara occidental est la dernière colonie africaine. Le Front Polisario, une partie de la population autochtone sahraouie et de l’opinion internationale continuent de dénoncer la méthode marocaine. En novembre dernier à Laayoune, plus au nord, le démantèlement d’un camp de contestataires par les forces de sécurité marocaines avait tourné au bain de sang. La région de Dakhla a la réputation d’être plus calme. Une colonie de vacances, un peu. Avec beaucoup de militaires. Le potentiel touristique est réel : dans un cadre magnifique, quelques hôtels commencent à émerger des sables. 18 les inrockuptibles 9.03.2011

Une cité balnéaire en devenir et déjà, un eldorado pour les surfeurs. Les Marocains “du Nord” et quelques Européens viennent y faire du business dans un contexte de zone franche, voire de paradis fiscal. Mais le 25 février, durant la deuxième soirée du festival Mer et désert, tout a pété. Ce festival, organisé “sous le haut patronage de sa majesté le roi Mohammed VI”, qui accueille des artistes internationaux (Alpha Blondy et Johnny Clegg cette année) et régionaux, est-il autre chose qu’une grossière opération de propagande promarocaine à l’attention des nombreux médias européens invités (aux frais de Sa Majesté) ? En ville, les portraits géants du roi sont partout, y compris sur la scène. Pendant la cérémonie d’ouverture du festival, des jeunes vous proposent de signer une pétition approuvant la marocanité du territoire. En mai 2010, le Maroc pouvait s’enorgueillir d’entrer dans le Livre Guiness des records pour avoir fabriqué le plus grand drapeau du monde (plus de 60 000 mètres carrés), déployé à Dakhla lors d’une manifestation de ferveur nationaliste. Pendant les concerts, de plus petits drapeaux marocains sont brandis dans le public, voire sur scène – l’an dernier, alors que la très engagée griotte mauritanienne Malouma chantait, deux hommes étaient montés sur scène

pour déposer un drapeau marocain sur ses épaules… Des slogans “Sahara marocain !” explosent. Précision : le festival se déroule chaque année pendant la date anniversaire de la proclamation de la République arabe sahraouie démocratique (le 27 février 1976) par le Front Polisario, ennemi juré de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Les années précédentes, des musiciens ont annulé leur passage au festival (l’Algérien Khaled, les Espagnols Ojos De Brujo) pour raisons politiques. Dans la nuit du 25 au 26 février, donc, l’organisation du festival est d’abord débordée par des mouvements de foule. Le concert de Rouicha est interrompu. Au moins une centaine de jeunes Marocains “du Nord” (entre 300 et 400, selon une autre source), alcoolisés et agressifs, attaquent les Sahraouis dans la rue et les pourchassent dans leurs quartiers, brûlant des voitures et saccageant des habitations. Musicien programmé au festival, et hébergé dans un appartement avec terrasse du quartier où les attaques se sont déroulées, Yvan Le Bolloc’h était aux premières loges. Il a tout vu. Choqué, il n’a pas souhaité

“on est pacifistes, mais là il faut se défendre” – un Sahraoui

Dakhla, 26 février. Après l’incendie d’une tente accueillant les officiels et les invités du roi, le festival est annulé

raconter (“Il a des amis marocains et il a envie de retourner jouer au Maroc”, explique son entourage). Les affrontements durent de 3 à 5 heures du matin. Le lendemain, les Sahraouis ripostent, au motif que la police a laissé faire les saccages de la nuit. Des jeunes sahraouis équipés d’armes blanches attaquent des boutiques et narguent la police et les militaires qui bouclent les grandes artères de la ville. Les accrochages reprennent, les pierres pleuvent. L’ONU, présente sur place, n’intervient pas. Après l’incendie dans l’après-midi d’une tente qui accueille les officiels et les invités du roi, le festival est annulé. Mais – effet pervers des opérations de communication – les journalistes sont là. Pris dans un affrontement du côté marocain, Daniel Brown, de RFI, est molesté. On lui arrache son matériel. Son magnétophone Nagra et la carte mémoire de son appareil photo sont volés. Il s’en tire avec des ecchymoses au bras, et témoigne : “On a vu Beyrouth, des débris partout, des maisons éventrées, des voitures calcinées. A la base, il y a des trucs sociaux, du racisme, du mépris et un nationalisme exacerbé. Les Sahraouis se radicalisent, ils parlent d’apartheid” – ce qui n’aurait pas manqué d’interpeller Johnny Clegg, si son concert n’avait pas été annulé. Pour faire court : minoritaire à Dakhla, la population sahraouie se plaint

d’être plus ou moins insidieusement discriminée, tenue à l’écart des aides sociales, de l’attribution de nouveaux logements construits pour remplacer les bidonvilles, du marché de l’emploi et du développement économique de la région. Voire incités à la quitter. Le journaliste Gérald Arnaud (de la revue Africultures) parle des émeutes comme d’“un pogrom, tout simplement. Les Sahraouis sont passés de la colonisation espagnole à la colonisation marocaine. Ils sont confinés dans des quartiers, sous pression permanente. Pour les nouveaux emplois, on fait venir des gens du Nord”. Ce qui a mis le feu à la poudrière cette nuit-là, c’est la passivité de la police lors des attaques dans les quartiers sahraouis. “On est pacifistes, mais là il faut se défendre”, dit un Sahraoui à Yannis Ruel, journaliste au magazine World Sound. Bilan possible : un mort et des blessés (dont deux graves), des voitures, des maisons et deux agences bancaires incendiées. Mais il est sans doute beaucoup plus lourd. Des témoins parlent d’une centaine de blessés. “J’ai vu un ballet d’ambulances”, raconte Gérald Arnaud. Après trois jours d’émeutes, Dakhla avait apparemment retrouvé son calme, mais les quartiers touchés par les affrontements restaient cernés par les forces de l’ordre. Selon certaines sources, des mesures pourraient être prises à l’encontre d’officiels qui ont mal géré la situation. Les journalistes, les musiciens et les surfeurs sont rentrés lundi 28 février. Yannis Ruel, qui avant son retour a assisté à la conférence de presse du directeur du festival, raconte : “Il a comparé ce qui s’est passé aux casseurs de Strasbourg, des jeunes échauffés par ce qu’ils voient à la télé, un contexte international violent. Puis il a dit que la vie continuait, qu’il y aurait un festival l’année prochaine.” Sur la page Facebook du festival Mer et désert, un communiqué indique : “Nous sommes tristes pour l’ensemble de la population qui a été privé d’un week-end de divertissement en raison d’agissements d’un groupe d’adolescents.” Dans le sable ensanglanté du Sahara occidental, une autruche enfouit sa tête. Stéphane Deschamps photo Yannis Ruel 9.03.2011 les inrockuptibles 19

Charlie Sheen

Banksy

retour de hype

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

L’iPad 2

Usbek & Rica #4

Sean Penn + Scarlett Johansson

Dominique Lavanant

“Dans deux ans je vis à L.A. et je te parle plus”

Gérard Longuet

L’heure d’été “J’en ai marre de Justin Bieber, parlons plutôt de Spinoza”

Le biopic de Julian Assange par Spielberg

“Je pense à Florent Pagny à chaque fois que je mange un panini”

“Elle était bien, la BO du Roi Lion, sérieux”

Le biopic de Julian Assange par Spielberg Selon le Guardian, la société de production de Steven Spielberg devrait racheter les droits de la bio du créateur de WikiLeaks. Charlie Sheen L’acteur est devenu complètement zinzin. Banksy L’artiste qui travaille incognito depuis des années aurait été aperçu et photographié en plein travail sur un vieux camion abandonné dans la banlieue

“Galliano no no no no no no no no no no no no there’s no limit”

Les Strokes

de Santa Monica. Nul ne sait s’il s’agit bien de lui sur les photos qui font le tour d’internet depuis quelques jours. Mais si c’est lui, ses goûts vestimentaires cassent un peu le mythe. Dominique Lavanant TF1 annonce l’arrêt de Sœur Thérèse.com. Zut. Sean Penn + Scarlett Johansson Y a anguille. “Je pense à Florent Pagny à chaque fois que je mange un panini” On compatit.

billet dur

 C

her Eric Zemmour, Bon, fallait bien que t’y passes un jour, à l’entartage attendu de la part d’un journal bobo bien-pensant droit de l’hommiste à la solde des rappeurs anti-Français et des actrices germanopratines pour films d’auteurs marxosodomites subventionnés par Canal+. Fallait bien qu’on te déboîte, Zébulon, petit tourniquet du manège enchanté des médias où tu cumules appointements et postures de martyr, pourfendeur de la “pensée unique” à laquelle tu opposes une pensée inique qui métastase toute la société, par le bas des bistrots comme par le haut des lambris, attaquant bientôt les urnes. Mercredi 2 mars, tu étais donc le convive triomphant de l’UMP, où tu profitas de la tribune pour te venger du tribunal qui venait de te condamner pour

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provocation à la discrimination raciale. Tu demandas qu’ainsi soient éradiquées les associations antiracistes, les lois mémorielles et toutes les lois de discrimination qui entravent ta liberté de parlote. Qu’enfin, foutre Dieu, on puisse lâcher du “sale bicot”, du “sale négro”, que les amis de Faurisson et Dieudonné puissent au grand jour comparer Auschwitz à Disneyland, que les femmes, ces putes, retournent à leur condition naturelle de pondeuses et que Bagatelles pour un massacre et l’œuvre complète de Jean Raspail figurent dans les programmes scolaires nettoyés de l’influence du polpotisme syndicalo-gaucho-tiermondiste dont tu te rêves l’héroïque résistant. Le samedi suivant, Marine Le Pen était créditée de 23 % d’intention de vote. T’es fier de toi, tête de cul ? Je t’embrasse pas on n’est pas pol-potes. Christophe Conte

Laurent Chouard

La Femme Ce groupe français, qui a déjà semé la pagaille aux Etats-Unis, prépare les tubes de demain. Et affole l’industrie du disque.

S

ur la plage/Sur le sable/Je recherche des sensations” : c’est ce que vous fredonnerez à coup sûr cet été (ou peut-être avant), en short et en descente de MDMA. La Femme est français, originaire de Paris, Biarritz et de Bretagne à la fois. Des cool kids de 17 ans et un peu plus, que l’industrie du disque s’arrache déjà en coulisse, et qui ont fait de leur liberté leur atout

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le plus cher. Ils viennent d’achever une tournée américaine complètement dingue qui devrait donner naissance à un court film, et s’apprêtent à enchaîner sur une tournée française. Les jeunes de La Femme écrivent des chansons qui rappellent autant Taxi Girl que la surf music, les Young Marble Giants que les débuts de Diabologum. Leur premier ep (sur la pochette un hommage pour de vrai à L’Origine du

monde de Gustave Courbet) vient tout juste de sortir sur le label Third Side. C’est déjà l’un des événements de cette année 2011. On aime La Femme. Pierre Siankowski Le Podium (Third Side) www.myspace.com/ lunaetlescontacts Concert le 11 mars à Bordeaux (Saint-Ex), le 12 à Rennes (Twist Komintern/Metropolitan), le 13 à Lyon (Transbordeur), le 17 à Bruxelles (Café Central), le 18 à Paris (Flèche d’Or).

Rémy Artiges

Chez Josiane et sa fille, à Paris. Au fond, Maud, la bénévole qui les accompagne

pas assez de toit A Paris, une association se mobilise pour trouver un habitat décent aux mal-logés, tout en les aidant dans leurs démarches administratives.



voirienne de 30 ans, mère d’une jolie petite Fiona, 3 ans, Josiane Kouamé occupe depuis août dernier un modeste mais clair deux pièces à Paris, rue Basfroi, dans le XIe populaire et métissé. Le loyer est tout aussi modeste, environ 60 euros à sa charge. Elle doit ce refuge à Solidarités nouvelles pour le logement (SNL), qui gère six autres appartements dans le même immeuble. C’est sa “première maison” depuis dix ans. Josiane officie comme nounou, pour 400 euros mensuels, un revenu non considéré par les agences immobilières. Entre chambres de bonne et d’hôtel, Samu social et camping improvisé chez des amis ivoiriens ou chez sa sœur, Josiane a connu la galère. “Je poussais mes affaires d’un endroit à l’autre dans la poussette de ma fille. Aujourd’hui, j’ai cessé de pleurer.” 45 % des “clients” de SNL sont, comme Josiane, des femmes seules avec enfant(s) et 60 %

“le logement est la condition indispensable à l’épanouissement de chacun.” 24 les inrockuptibles 9.03.2011

sont d’origine étrangère. Des pourcentages comparables aux statistiques nationales sur la précarité. Josiane prépare une formation à la sécurité incendie. Surtout, elle sait qu’elle peut compter sur la présence régulière de la douce Maud, la bénévole qui l’accompagne, et qu’elle a adoptée comme sa “petite sœur”. L’affection réciproque et évidente des deux jeunes femmes émeut. A 29 ans, la Franco-Russe Maud Minoustchin occupe un emploi à plein temps. Et pas des moindres : chercheuse et sociologue chez GDF Suez, elle enquête sur les pratiques des citadins en matière de consommation et d’économie d’énergie. Ses recherches l’ont amenée à croiser la démarche de SNL, qui partage ses préoccupations. Ainsi, des panneaux solaires sont posés sur le toit de l’immeuble de la rue Basfroi pour le fournir en eau chaude. Assez naturellement, Maud a décidé de consacrer une part de son temps libre à l’association. “A ma petite échelle, si je peux participer à changer un peu la donne…” Selon la Fondation Abbé-Pierre, il y aurait trois millions et demi de mal-logés en France. Pour la seule capitale, l’estimation la plus conservatrice serait de

cent vingt mille, alors qu’il existe un parc important de logements vacants. Scandale que les militants du collectif Jeudi Noir s’emploient à rappeler en multipliant les squats spectaculaires. “Sans logement, on ne peut pas se projeter dans une vie professionnelle, familiale ou sociale. Le logement est la condition indispensable à l’épanouissement de chacun.” Ce propos d’Elise Duchiron, permanente de SNL, dit l’engagement de l’organisation qu’elle représente. Créée en 1988 à l’initiative d’un couple résidant à Paris, avec le soutien d’amis et de voisins, également exaspérés de rester inactifs face à la tragédie croissante des sans-logis, SNL repose sur l’idée d’un réseau d’entraide et de proximité par quartier. L’association gère aujourd’hui un parc de huit cents logements en Ile-de-France. Il s’agit souvent de petits appartements, acquis, pour près de 70 %, grâce à des subventions publiques et des dons de particuliers. Elle emploie par ailleurs une cinquantaine de permanents, souvent experts en immobilier (depuis l’évaluation des travaux jusqu’aux montages financiers) ou travailleurs sociaux, appuyés par un millier de bénévoles. Dont Maud, l’amie de Josiane. Pascal Dupont

opération pieds propres



e 2 décembre 2010, la Fifa a attribué au Qatar l’organisation de la Coupe du monde 2022. Ce jour-là, Grant Wahl a compris qu’il était temps de se mobiliser pour destituer Sepp Blatter et mettre fin à la corruption généralisée. Il est en effet avéré que trois membres du comité exécutif de la Fifa avaient reçu des enveloppes d’argent quelques jours avant l’improbable attribution de la Coupe du monde 2022 à un pays sans culture ni infrastructure footballistiques. Diplômé de Princeton et grand reporter pour le prestigieux magazine Sports Illustrated, Grant Wahl est aujourd’hui candidat à la présidence de l’instance dirigeante du football mondial. La concurrence est colossale. Sur le trône depuis douze ans, Sepp Blatter, 75 ans, est bien décidé à y rester. Président de la Confédération asiatique de football, le qatari Mohamed Bin Hammam, l’autre candidat probable, dispose de nombreux soutiens. Face à ces deux montagnes, Grant Wahl se présente comme “le candidat 26 les inrockuptibles 9.03.2011

du peuple” et avance avec ses armes. Dans un article récemment publié par Sports Illustrated, il s’est payé Blatter, expliquant que le réélire équivaudrait “à faire confiance à un vainqueur du Tour de France pour mener un programme antidopage”. Dans le même article, il a surtout exposé son programme électoral. Pêle-mêle, Wahl propose l’introduction de la vidéo dans l’arbitrage, l’organisation de conférences de presse des arbitres après les matchs et l’abolition des cartons jaunes pour les joueurs qui enlèvent leur maillot après un but. Il milite aussi pour la limitation à deux mandats au poste de président et suggère la nomination d’une femme au poste de vice-présidente. Enfin, Wahl promet surtout la publication

réélire Blatter équivaudrait “à faire confiance à un vainqueur du Tour de France pour mener un programme antidopage”

Damian Strohmeyer

Ecœuré par les méthodes de Sepp Blatter à la tête de l’instance mondiale qui dirige le football, Grant Wahl, un journaliste américain, s’est mis en tête de prendre sa place. de tous les documents internes de l’instance, dans un souci de transparence que ne renierait pas WikiLeaks. Mais si sa campagne trouve un large écho auprès des réseaux sociaux et dans le milieu journalistique, Grant Wahl doit obtenir, avant le 1er avril, la signature d’une fédération affiliée à la Fifa pour pouvoir se présenter officiellement à l’élection qui aura lieu le 1er juin prochain. Le compte à rebours est lancé, mais aucune fédération n’a encore osé défier Sepp Blatter, visiblement peu préoccupé par cette candidature. La semaine dernière, lors d’un congrès Fifa à Zurich, alors que le sujet était évoqué, le Suisse n’a pas daigné formuler le moindre commentaire. Il a chargé son secrétaire général de le faire. “Nous, on a déjà une confédération qui nous a apporté son soutien”, a ironiquement lancé celui-ci. Wahl le prend avec humour. “Si ma candidature fait rire les gens, tant mieux, mais je suis très sérieux. Je crois que ma démarche peut amener, à terme, aux changements dont cette institution a cruellement besoin.” Olivier Bossard

interdit de copier Google ne veut plus ni fermes de contenus ni copieurs. Par un changement d’algorithme, le moteur de recherche élimine des pages de résultats les sites “indésirables”, c’est-à-dire ceux qui copient les contenus présents ailleurs ou dont le contenu n’est pas jugé utile. Un moyen pour se débarrasser de ceux dont l’objectif est de faire du volume pour attirer la publicité et de privilégier les contenus originaux. Pour l’instant mis en place aux Etats-Unis, ces changements ont concerné 12 % des requêtes. données des internautes conservées Un décret paru début mars au Journal officiel oblige les hébergeurs de contenu en ligne à conserver les données personnelles de leurs utilisateurs (nom, prénom, adresse, adresse mail mais aussi mots de passe), jusqu’à un an après la fermeture d’un compte par un internaute. Les hébergeurs devront pouvoir fournir ces renseignements si la justice les leur demande. Atlantico tout nouveau Le nouveau pure player d’info Atlantico vient d’être lancé. Entre agrégateur de contenu et site éditorialisé, il mêle résumés de contenus repris sur d’autres sites et articles originaux provenant d’une batterie d’experts, de bloggeurs et d’éditorialistes. Sa principale nouveauté, c’est sa profession de foi contre un hypothétique consensus médiatique. Il revendique en effet “un ton qui tranche”, la liberté de débat, et une inspiration venant des sites américains comme Huffington Post ou The Daily Beast. Ce qui lui colle une image de site de droite, réfutée par les fondateurs, qui préfèrent être qualifiés de libéraux. Un positionnement qui n’a pas manqué de provoquer dès le lancement critiques et débats passionnés dans la sphère médiatique. 28 les inrockuptibles 9.03.2011

Stan Honda/AFP

brèves

de la fuite dans les idées Passé le buzz déclenché par WikiLeaks, l’heure est à la réflexion pour les médias : sur l’éthique, la responsabilité, la qualité des enquêtes...



ne masse sans précédent d’informations, une alliance inédite entre cinq grands journaux occidentaux, un débat sur le bien-fondé d’exploiter des câbles diplomatiques… En même temps qu’il aura provoqué une réflexion dans les ambassades sur une meilleure protection du secret diplomatique à l’avenir, le “Cablegate” de WikiLeaks aura soulevé de nombreuses questions sur le journalisme actuel. Sur son fonctionnement, son éthique et son futur. Plus simplement : y a-t-il un avant et un après-WikiLeaks ? Pour les cinq journaux – The New York Times, The Guardian, Der Spiegel, Le Monde et El País – sollicités par le site pour publier les mémos du département d’Etat américain, la réponse est simple. “WikiLeaks n’a, à mon sens, pas révolutionné le journalisme, il est davantage un symptôme de ce qu’internet peut lui apporter : davantage de transparence, de sources, bref d’informations”, estimait ainsi Bill Keller, le directeur du New York Times, fin février. Quant au directeur d’El País, Javier Moreno, il n’hésitait pas à aller plus loin : “WikiLeaks a incontestablement réhabilité le travail classique du journaliste, puisque c’est à lui qu’a été confié le soin de trier, d’analyser et de diffuser ces documents.” Mais au milieu de ce concert d’autocongratulations, WikiLeaks fait surgir certaines interrogations. La première d’entre elles concerne la difficulté pour les journaux d’exploiter des informations tirées de sources la plupart du temps anonymes, ce qui aura forcément été le cas pour les

“la logique de révélation permanente risque de renforcer la méfiance de l’opinion publique”

câbles (des rapports, ndlr) de la diplomatie américaine. Comment, en effet, vérifier une information dont on ne connaît pas l’auteur ? Pour Yves Eudes, grand reporter au Monde, il s’agit d’un “faux problème”. “Il est en effet assez simple d’authentifier les documents qui vous parviennent, explique ainsi le journaliste. Quant à l’exactitude, il faut évidemment faire sa propre enquête. Il nous est ainsi arrivé de ne pas publier certains câbles qui ne citaient qu’une seule source ou qui n’étaient pas clairs.” Autre question soulevée par WikiLeaks dans le futur : en accordant sa préférence à une poignée de médias pour leur transmettre des informations confidentielles, le site de Julian Assange ne risque-t-il pas d’écorner sérieusement le principe du pluralisme de l’information ? Pourquoi en effet confier à seulement cinq journaux une matière dont tous devraient pouvoir juger si elle est digne d’être exploitée ou non ? Aux yeux du spécialiste des médias Dominique Wolton, ces questionnements ne font qu’effleurer le nœud du problème. Ce chercheur du CNRS, qui considère que “les révélations sont le fruit d’un vol et non d’une enquête”, affirme que WikiLeaks représente un défi à la responsabilité des médias. “La question que pose WikiLeaks est la suivante : que faut-il faire, que faut-il rendre public dans un monde déjà saturé d’informations ? La réponse, c’est de l’information de qualité, des enquêtes qui valident leurs informations, et non des ragots non vérifiés de diplomates. Il faut donc accepter de sortir de la logique de révélation permanente qui, à terme, risque de renforcer la méfiance de l’opinion publique à l’endroit des médias et des politiques.” Publier ou non une information difficilement vérifiable car anonyme : un dilemme qui, avec l’apparition de clones de WikiLeaks, ne fait donc que commencer. Christophe Lehousse

adieu Charlie Philippe Val, directeur de France Inter, a vendu les 35 % du capital de Charlie Hebdo qu’il détenait encore. Ces parts sont rachetées par Charb et Riss, qui attaquaient récemment la revue de presse d’Inter, “aux mains de sarkozystes pommadés”.

Le nouveau numéro de Tina décrypte le rôle de l’argent dans un monde où le consumérisme règne. Désormais thématique, la revue livre un point de vue historique, social et dénonciateur où chercheurs, écrivains et artistes croisent leurs points de vue.

french connection Les Français sont de plus en plus accros au net. Médiamétrie révèle qu’au mois de janvier, 72 % de la population se sont connectés à internet, soit une augmentation de 9 % par rapport à l’année précédente.

la neutralité du net La proposition de loi du PS sur la neutralité du net, indispensable pour un internet libre et égalitaire, a été rejetée à l’Assemblée. La question sera néanmoins examinée lors des Assises du numérique fin novembre 2011. En parallèle, une mission d’information sur le sujet est menée par les députées Corinne Erhel (PS) et Laure de La Raudière (UMP).

clause combat Première vague de départs de journalistes du Monde, qui font jouer la clause de cession après l’arrivée de nouveaux propriétaires : Robert Solé, Jean-Pierre Tuquoi, Patrice Claude, Jean-Jacques Bozonnet, Véronique Maurus…

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argent sale

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l’iPad 2 déboule C à elle Géraldine Muhlmann remplace Nicolas Demorand à la présentation de C politique sur France 5 après avoir animé l’émission de débats Cactus sur Paris Première.

L’iPad 2, plus mince, léger et rapide, doté de deux caméras, sera commercialisé aux Etats-Unis fin mars au même prix que l’iPad 1. Evidemment, toujours pas de port USB ni de gestion de Flash.

we like RFI Très présente sur internet et les réseaux sociaux, Radio France Internationale a dépassé la barre des 100 000 “like” sur sa page Facebook. Dans un contexte toujours plus concurrentiel, c’est la radio la plus suivie du réseau.

mais qui est donc Snooki ? Tête de gondole de Jersey Shore, la téléréalité trash de MTV, elle publie un livre, fascine les médias et se lance dans la construction d’un empire fondé sur… le néant. Balaise.

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l’école Jersey Shore

Malgré sa pose et sa tenue très américaines, Snooki doit sa célébrité à ses supposées racines italiennes. Jersey Shore, première téléréalité communautaire, réunit épisodiquement depuis l’année dernière huit jeunes italoaméricains dans une maison (dans le New Jersey pour les saisons 1 et 3 et à Miami pour la saison 2). Leur credo officiel : “gym, tan, laundry”, soit “muscu, bronzette et lessive” en français. Officieusement, le programme de nos huit amis se résume plutôt à de l’alcool, du cul et du grand n’importe quoi postado. Des hobbies propices aux situations rocambolesques où toute notion de dignité est souvent laissée de côté. Mais une recette qui marche : aux Etats-Unis, Jersey Shore fait un gros carton. Si bien que le cast est désormais omniprésent sur les chaînes américaines (qu’ils soient invités ou parodiés, des Late Show à South Park en passant par les cérémonies de remise de prix), qu’Obama n’hésite pas à faire des blagues sur Snooki en conférence de presse et que la saison 4 doit aller se tourner en Italie malgré les protestations des associations d’ItaloAméricains. A ce propos, la majorité du cast avoue ne pas connaître grand-chose à l’Italie, sorti du drapeau national, des gelati, des tatouages de symboles religieux et du traditionnel “salute” éructé en trinquant. Pourquoi pas.

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le météore médiatique

“Je ne savais pas quoi faire de ma vie. Maintenant je suis sûre de savoir comment je vais finir. Un jour, je pourrai dire ‘Mamie était une star, célèbre pour sa coupe de cheveux et ses fêtes mémorables à Jersey Shore”, déclare Snooki dans le Rolling Stone du mois de mars dont elle fait la couve. Ainsi donc, selon elle, Snooki a réussi à devenir la mascotte des Etats-Unis pour une raison : elle ressemble aux filles de son âge et “reste vraie”. Une rhétorique propre à la téléréalité qui a propulsé dans l’espace médiatique des gens lambda n’ayant d’autres caractéristiques que d’être là ou d’incarner une version moderne des bêtes de foire. Rester vrai donc, pour Snooki, consiste à boire beaucoup, faire des blagues et séduire maladroitement – les garçons comme l’Amérique –, armée de sa naïveté, de son sens de l’humour, de sa poitrine opulente et de son foie résistant à des litres d’alcool fort ingurgités quotidiennement. Un ethos caractéristique d’une certaine génération ? Une poïétique en tout cas : alors qu’elle n’avait jamais lu de livre de sa vie, Snooki en a écrit un. Publiée en janvier dernier, A Shore Thing, sa nouvelle de 300 pages – écrit très gros – est un best-seller aux Etats-Unis. Hum !

surveiller et jouir Puisque les chemins de Jersey Shore semblent mener à Rome, Snooki a pour ambition de construire un empire. Elle l’explique au journaliste de Rolling Stone : “A la fin de Jersey Shore, je ferai des spin-off (…). Si MTV ne les veut pas, une autre chaîne les prendra. Des choses comme “Que fait Snooki aujourd’hui” ou “Snooki se marie” ! J’aimerais arriver à construire quelque chose comme Jessica Simpson et la marque qu’elle a montée. Elle fait des millions… J’essaie de construire un empire, parce qu’après ça je ne pourrai pas retrouver un job normal.” Une perspective d’avenir basée sur la célébrité et l’argent qui en découle (Snooki toucherait 20 000 dollars par apparition) qui entre pourtant en contradiction avec ses propos sur l’émission : “Il y a des caméras partout, tout le temps (…) dans ma chambre, elles sont dans tous

les coins de la pièce, des petites au plafond pour qu’ils puissent tout suivre. Ils zooment perpétuellement et on peut les entendre bouger la nuit (…). Ça chamboule un peu. Et c’est la raison pour laquelle on devient un peu fous. On se dispute, on se bat. C’est la raison pour laquelle on boit. On vit dans une maison pendant deux mois avec toute cette merde. On ne peut pas avoir de téléphone, pas de télé, pas de radio ou d’internet. Si le Président mourrait, on n’en aurait pas la moindre idée. Il n’y a pas de normalité. C’est exactement comme une prison, mais avec des caméras.” Le panoptique de Bentham, version MTV ? Quoi qu’il en soit, Snooki a vraiment l’air hyper sympa. Diane Lisarelli La saison 3 de Jersey Shore commencera sur MTV le 26 mars.

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génération camping Stagiaires, étudiants, intermittents du spectacle ou bas salaires, ils avaient du mal à trouver un logement. Alors ils ont posé leur valise chez des amis. par Marc Beaugé photo Geoffroy de Boismenu

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l débarquait de Lyon, n’avait ni garant solide, ni feuille de paie rutilante. Victor a très vite compris qu’il ne trouverait rien sur le marché immobilier parisien. Il a donc appelé son ami Umberto, installé dans la capitale depuis plusieurs années. Umberto vivait déjà en colocation avec un pote et hébergeait aussi sa copine, mais il restait un peu de place dans le salon de son petit appartement près du cimetière du Père-Lachaise. Victor, 22 ans, s’est donc pointé et immédiatement l’idée est venue de matérialiser la situation. “Le jour même, raconte-t-il, je suis allé acheter une tente.” La vie de l’appartement s’est organisée autour de celle-ci, posée comme une verrue au milieu du salon. Victor l’a un peu aménagée : il a trouvé une couverture, un petit matelas, il a mis des coussins. C’est devenu son appart dans l’appart. A son tour, Victor a hébergé des gens, surtout des filles. Cela a duré quatre mois et aujourd’hui, il en rigole à moitié. “J’en suis ressorti avec le dos fracassé, assez fatigué. Mais je n’avais pas vraiment le choix. Même après avoir trouvé un job chez American Apparel, je n’avais aucune chance de trouver un appartement, je l’ai très vite compris et accepté. Ça me paraît tellement banal. Je connais plein de gens dans la même situation, obligés de bidouiller, de camper à droite à gauche…” La pénurie de logements, l’augmentation des loyers, la multiplication des exigences des proprios et la banalisation des contrats de courte durée, des stages et autres statuts précaires ont généralisé cet improbable bricolage locatif. Des couples séparés continuent de cohabiter faute de trouver des logements individuels abordables. Des trentenaires, même salariés, vivent encore chez leurs parents. Des couples, parfois avec enfants, s’installent en colocation avec des célibataires. Des retraités sans économies se réfugient chez leurs enfants. Et des potes campent dans le salon. De tous ces cas, le dernier n’est pas le plus spectaculaire mais c’est assurément le plus fréquent. Qui campe dans les salons ? Un pote dans l’embarras venu faire sa rentrée universitaire à Paris et qui, pendant de longues semaines, attend de trouver un impossible pied-à-terre. Un vague cousin qui a renoncé à chercher un appart pour les six mois de son stage. Un ami intermittent du spectacle qui sous-loue son studio une semaine par mois pour se renflouer un peu et, pendant ce temps, squatte ici ou là. Le phénomène étant indexé sur l’âpreté du marché locatif, Paris est naturellement le lieu de convergence de tous ces campeurs d’un nouveau genre. Alexia, passée du statut d’hébergée à celui d’hébergeante, est installée à Paris depuis près de six mois. “Je viens de Toulouse, raconte-t-elle. Là-bas, ce n’est pas dans les mœurs. On peut héberger quelqu’un pour une nuit

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ou deux, sur le pouce. Mais, même pour des périodes courtes, les gens trouvent rapidement à se loger.” “Quand je suis arrivé à Metz pour mes études de théâtre, j’ai mis moins d’une semaine à trouver un appart, enchaîne Vlad, d’origine roumaine. A Paris, en trois ans, je n’ai jamais vraiment réussi.” Vlad a donc beaucoup campé. “Dans le studio d’une copine à Belleville, puis chez des potes à Nation, puis dans l’atelier d’une amie peintre, puis encore chez des potes”, énumère-t-il rapidement. Entre ces différentes étapes, il a connu des colocations plus formelles, où il n’avait pas forcément sa propre chambre mais pour lesquelles il devait payer. “Payer une partie du loyer, cela change les rapports, on a une sorte de légitimité, estime-t-il. Chez des potes, on débarque, on pose nos sacs, on empiète sur leur espace vital dans des apparts souvent très petits. C’est assez violent.” Pour ne pas passer du statut de campeur sympathique à celui d’horrible squatteur, Vlad a donc ses ficelles. Il ne sort pas ses affaires du sac, n’étale pas ses produits de toilette sur le lavabo de la salle de bains, remplit le frigo, paie un restaurant de temps en temps et tente de se faire aussi discret que possible. “Le vrai truc, c’est de ne pas s’éterniser. Au-delà d’un mois, il faut partir.” Dans la même situation, Jean-Paul, étudiant en province et stagiaire campeur à Paris, s’est fait une règle de “toujours préciser en arrivant la date de son départ et de s’y tenir”. Pour un campeur, le plus important est que tout se passe au mieux, histoire de pouvoir revenir, peut-être, dans quelques semaines ou quelques mois… S’il n’existe pas de statistiques précises sur le nombre de personnes hébergées sur le pouce, certaines données permettent de se faire une idée du phénomène. D’après le rapport 2011 de la fondation Abbé Pierre sur le mal-logement, 410 000 personnes sont actuellement contraintes de vivre chez un tiers – ce chiffre comprenant aussi les enfants de plus de 25 ans habitant encore chez leurs parents ou grands-

“on débarque, on empiète sur leur espace vital dans des apparts souvent très petits. C’est assez violent” Vlad

“il faut toujours préciser la date de son départ en arrivant et s’y tenir” Jean-Paul même quelqu’un d’autre arrivait à ma place. Elles avaient toujours quelqu’un dans leur salon.” En creux se dessine ainsi un réseau de solidarité informel mais efficace. Parmi la dizaine de campeurs que nous avons interrogés, aucun n’a jamais été contraint de dormir à la belle étoile ou de se rabattre sur une chambre d’hôtel. Certains d’entre eux disent même n’avoir jamais été contraints de demander, l’offre d’hébergement arrivant toujours en premier. Les autres affirment avoir essuyé très peu de refus.

parents et les personnes de plus de 60 ans hébergées dans la famille. L’Insee chiffre, elle, à 79 000 le nombre de personnes âgées de 17 à 59 ans résidant chez des personnes avec qui elles n’ont aucun lien de parenté, sans toutefois prendre en compte les situations provisoires, les plus fréquentes (lire aussi pp.36-37). “Pour beaucoup de gens de 20 à 30 ans, l’idée d’un vrai chez soi, avec intimité et calme, est presque devenue un luxe, dit Maxime, contraint de multiplier les campements pendant un an alors qu’il était directeur salarié d’une association. Même dans les colocations organisées, quelqu’un est installé dans le salon, il n’y a donc pas de pièce vide pour se détendre. On a renoncé à ce confort. Je me souviens d’avoir quitté le logement de deux copines qui m’avaient hébergé, et le jour

“Il suffit de bien cibler les personnes auxquelles on demande, dit Julien, intermittent du spectacle et campeur aguerri. J’évite les couples avec enfants et je demande en priorité à des célibataires. Avec un grand sourire et une bière, en général, ça marche.” Maxime, lui, fait les comptes. Sur son trousseau, il reste les clés de trois appartements dans lesquels il fut hébergé. “Les gens te prêtent un toit et te filent leur clé, comme ça, sans la moindre retenue, dit-il. Dans ce bordel généralisé, cette solidarité est sans doute la seule bonne nouvelle…” Soyons honnête, il y en a d’autres : Jean-Paul, par exemple, n’est pas mécontent de s’être rapproché d’une jeune fille qui l’hébergeait. Les inconvénients liés au statut de campeur l’emportent pourtant largement sur les avantages. Plus qu’une fatigue mentale, c’est une vraie fatigue physique qui revient dans les discours. Pour Maxime, “c’est comme l’auto-stop : pratique, gratuit, indispensable mais épuisant. Quand il faut se forcer à faire la conversation pendant cinq heures, franchement, ça peut vite devenir pénible. Pareil pour la coloc”. Pour Alexia, le plus pesant est cette socialisation “permanente et parfois forcée”. Le plus à plaindre reste ce pauvre Victor, coincé quatre mois sous sa tente. “Quand j’ai commencé à bosser, raconte-t-il, les choses se sont compliquées. Je devais me lever tôt mais les fêtes s’enchaînaient. J’essayais de me planquer dans ma tente pour dormir. Le lendemain soir je rentrais, encore une fête. Mais ce n’était pas ça le pire…” Le pire, c’est que faute d’une clé disponible, il devait passer par la fenêtre pour rentrer dans l’appart et rejoindre sa tente. 9.03.2011 les inrockuptibles 35

jeunes et logis Précarité de l’emploi, explosion des loyers, aides inadaptées : les jeunes sont les premiers touchés par le mal-logement. par Simon Piel

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uand le gouvernement passerat-il aux actes et cessera-t-il sa politique inflationniste en matière de logement ?” Chez Julien Bayou, animateur du collectif Jeudi noir, comme chez les autres défenseurs des mal-logés, l’impatience grandit. La condamnation récente d’un groupe d’étudiants à verser plus de 80 000 euros au propriétaire d’un logement vacant rue de Sèvres à Paris, qu’ils avaient occupé illégalement pendant un an, n’arrange rien. Le rapport de la Fondation Abbé-Pierre sur le mal-logement, rendu public en février 2011, déplore qu’aujourd’hui “l’état de jeunesse n’apparaisse plus comme une période de transition vers une stabilité et une sécurité mais davantage comme une période permettant d’apprendre à vivre sous la menace permanente de la précarité”. Des mots crus pour prendre la mesure d’une réalité élargie désormais aux classes moyennes. 65 euros le mètre carré Pour les huit millions de jeunes concernés (étudiants et jeunes actifs), la crise économique a largement

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Le collectif Jeudi noir défend les mal-logés en organisant l’occupation de logements vacants. Ici, un immeuble avenue Matignon. Le 15 février 2011, le tribunal de grande instance a ordonné l’expulsion des occupants.

contribué à dégrader la situation. Selon les chiffres publiés début mars par l’observatoire Clameur (Connaître les loyers et analyser les marchés sur les espaces urbains et ruraux), les loyers ont augmenté en moyenne de 3,2 % par an entre 1998 et 2010, soit davantage que les prix à la consommation. Les microsurfaces (inférieures à 12 mètres carrés), notamment dans la capitale, cristallisent les problèmes. La demande est très forte et les loyers ne sont pas encadrés à la relocation. Ces chambres de bonnes, souvent abusivement appelées studettes dans les petites annonces, atteignent parfois plus de 65 euros le mètre carré à Paris alors que la moyenne nationale pour ces surfaces est de 16,40 euros le mètre carré. Selon la dernière étude de l’Insee publiée en 2006, le taux d’effort pour le logement (c’est-à-dire le rapport entre les ressources et le loyer) est de 22 % pour les moins de 25 ans, ce qui en fait la classe d’âge qui dépense le plus pour se loger. Parallèlement, les résidences étudiantes ou les foyers de jeunes travailleurs manquent de places. Emmanuelle Cosse, vice-présidente

du conseil régional d’Ile-de-France chargée du logement et membre d’Europe Ecologie-Les Verts, indique qu’“en 2007, il y avait 8 places pour 100 étudiants dans les résidences sur le territoire et seulement 4 pour 100 à Paris”. “Il y a un énorme effort à faire sur la construction”, insiste-t-elle. études menacées Pour la Fondation Abbé-Pierre, cette crise du logement chez les jeunes a des “effets sociaux en cascade parfois irréversibles”. Cette nouvelle forme de nomadisme urbain entraîne parfois l’abandon des études supérieures (on compte 160 000 décrocheurs chaque année, selon le ministère de l’Enseignement supérieur) et plus rarement des cas de prostitution, comme une forme extrême de système D qui viendrait pallier l’absence de réponse publique. “Malheureusement, la politique du logement n’a jamais été une priorité ces trente dernières années, analyse Nathalie Perrin-Gilbert, secrétaire nationale en charge du logement au Parti socialiste. La gauche comme la droite n’ont pas su anticiper les

François Lafite/Wostok Press

évolutions de la société. La hausse des divorces et l’augmentation du nombre d’étudiants ont, par exemple, des conséquences directes sur le mal-logement.” logements pour les apprentis En février dernier, le PS a lancé un appel “pour une autre politique du logement”. Il propose la construction de logements sociaux à des prix abordables, l’inventaire des logements vacants ou encore l’encadrement des loyers du parc privé. “J’entends les ‘y a qu’à…, faut qu’on…’, les Bisounours et les discours à la miss France sur la faim dans le monde, réplique Benoist Apparu, secrétaire d’Etat chargé du Logement interrogé par Les Inrockuptibles. Mais il faut savoir ce qui est efficace.” M. Apparu rappelle que Lionel Jospin avait déjà réalisé un inventaire des logements vides : “Il en avait identifié 100 000 et, au final, moins de 100 ont été réquisitionnés.” Distinguant l’encadrement global des loyers et l’encadrement à l’augmentation, le secrétaire d’Etat assure qu’il est “totalement défavorable” à la première

solution. D’après lui, une telle mesure entraînerait “une lourde crise du marché locatif dans les dix ans”. “Continuons à charger la barque des propriétaires et ils iront investir ailleurs !” ajoute-t-il. Interrogé sur les mesures prises en faveur des jeunes, il rappelle que les objectifs du rapport Anciaux (du nom du député UMP rédacteur du document) sur le nombre de logements étudiants ont été tenus, souligne qu’il a réussi à donner une plus grande souplesse au parc social (colocation et sous-location possibles) et indique que 250 millions d’euros tirés du grand emprunt serviront au financement de logements pour les apprentis.  Ce mardi 8 mars, il recevait au ministère les organisations professionnelles de l’immobilier et les associations de bailleurs pour évoquer le problème des microsurfaces et de leurs loyers trop élevés. Il assure que le gouvernement annoncera des mesures dans les prochains jours. Une réunion de travail où n’était pas conviée l’association Jeudi noir, qui réclame un rendez-vous au ministre depuis six mois. 9.03.2011 les inrockuptibles 37

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édito plombant

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Lors du dernier remaniement, il était dit que Sarkozy avait tenté de se délester de deux boulets : Hortefeux et Alliot-Marie plombaient l’action de sa majorité. Ces deux boulets bien ronds, bien lourds, pareils à ceux que Morris aimait dessiner, rivés à la cheville de Jo Dalton, entravaient la marche du président vers sa réélection déjà bien incertaine. Mais après le coup du débat sur la place de l’islam en France, après les références aux valeurs chrétiennes “magnifique héritage de civilisation”, après avoir constaté le résultat désastreux de toutes ces stratégies et au vu des sondages calamiteux, on est en droit de se demander si le principal boulet pour la majorité ne serait pas Nicolas Sarkozy lui-même. Le sarkozysme programmatique étant mort à la suite de tant de renoncements, parmi lesquels le bouclier fiscal, il ne restait plus que le sarkozysme stratégique. Mais celui-ci n’opère plus. Il est même contreproductif. Toutes les initiatives politiques du président ratent et ne font que renforcer le FN… Combien de temps l’UMP va supporter d’avoir un tel candidat, un tel boulet pour 2012 ?

Laurent Troude/Fedephoto

par Thomas Legrand

Sarko, le boulet Le chef de l’Etat est contesté mezzo voce à l’UMP, où personne ne s’enhardit encore à préconiser une candidature alternative en 2012.

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i Fillon le dit…“ Ce député UMP se fait ironique en évoquant la longue interview accordée par le Premier ministre au Figaro samedi. “Non seulement il est le seul, mais il est le meilleur candidat possible”, clamait François Fillon à propos de Nicolas Sarkozy. Une petite phrase dynamitée l’après-midi même par la publication d’un sondage Harris Inter– active pour Le Parisien, qui donnait pour la première fois Marine Le Pen en tête des intentions de vote au premier tour de la présidentielle, avec 23 % des voix, devant Nicolas Sarkozy et Martine Aubry, à égalité, avec 21 %.

L’offensive de Matignon aura donc fait long feu. Et la peur mine lentement la confiance des élus UMP dans celui qui était leur chef incontesté depuis sa prise de contrôle du parti en 2004. “On n’est plus du tout dans l’état d’esprit de 2007. Nicolas Sarkozy a tellement déçu, on entend beaucoup de gens nous dire qu’ils voteront Front national, ou même à gauche”, se désole un député. Chacun garde en mémoire les “putschs” de la riche histoire de la droite, appel des “43” en faveur de Valéry Giscard d’Estaing, contre Jacques Chaban-Delmas, en 1974, démarche d’Alain Juppé auprès de 9.03.2011 les inrockuptibles 39

Laurent Troude/Fedephoto

9.03.2011 tout nu II

Jacques Chirac en 1994 pour le faire renoncer à sa candidature, dissidence d’Edouard Balladur en 1995… Mais, quand on interroge les parlementaires de la majorité sur la possibilité d’une candidature alternative à droite – Fillon, Juppé, Copé –, ils ne franchissent pas le pas. “César est faible mais Brutus ne s’est pas encore dévoilé”, souligne l’un d’eux. Avant de reconnaître que l’empressement de François Fillon à assurer Nicolas Sarkozy de sa solidarité “couvre à peine le bruit des couteaux qu’on aiguise”. Jérôme Chartier, député du Val-d’Oise, proche du Premier ministre, réplique que ce débat autour d’une candidature “recours” n’existe “vraiment pas du tout”. “On n’est pas encore entré dans l’ère de la campagne présidentielle, c’est beaucoup trop tôt”, insiste-t-il en estimant que Nicolas Sarkozy doit “poursuivre son travail centré sur les réformes” et ne pas se laisser entraîner vers une entrée en scène prématurée. “Il dira s’il est candidat en janvier 2012, pas avant, et peut-être même après”, ajoute Jérôme Chartier. Une étude menée par deux chercheurs, Bruno Jérôme et Véronique Jérôme-Speziari, maîtres de conférences à Paris II et auteurs d’une Analyse économique des élections, chez Economica, devrait contribuer à nourrir le débat, même camouflé, à l’UMP. Ils ont appliqué au cas Sarkozy la froide logique des analyses macroéconomiques. Et il ressort de leurs données que 40 les inrockuptibles 9.03.2011

“IL NE FAUT PAS OUBLIER QUE, À LA DIFFÉRENCE DE SON PÈRE, MARINE LE PEN VEUT GOUVERNER.” si le chef de l’Etat “ne rebondit pas, il mène la majorité à sa perte”. “Avec un socle de 31 % d’opinions favorables dans le dernier Ifop-JDD, il totalise cinq points de moins que Giscard en 1981, avant la défaite face à François Mitterrand. Giscard était tombé à 36 % de satisfaits. Bien sûr, on ne peut pas indexer automatiquement la popularité sur les intentions de vote mais il y a un seuil au-dessous duquel il ne faut pas des-

cendre”, souligne Bruno Jérôme. “A titre d’exemple, François Mitterrand était descendu à 22 % d’opinions positives avant les législatives du printemps 1993, qui avaient essoré le Parti socialiste.” Pour les deux chercheurs, l’image de Nicolas Sarkozy s’est “singulièrement dégradée depuis deux, trois ans”, notamment “dans l’électorat de la droite populaire”. Le “bling-bling”, la soirée du Fouquet‘s

tendance “no logo” à l’UMP De nombreux candidats aux cantonales n’affichent pas leur appartenance à l’UMP. Une manœuvre politique pour tenter d’éviter une nouvelle débâcle annoncée. C’est le “running gag” de la tournée électorale de François Hollande. A chaque meeting, l’ancien patron du PS fait rire l’assistance en évoquant sa “quête d’un candidat de droite” aux cantonales. “Je suis allé en Seine-et-Marne, vous savez

le département du secrétaire national de l’UMP, Jean-François Copé. Eh bien, ils sont candidats de l’Union pour la Seine-etMarne ! Je suis allé dans la Sarthe, quand même chez François Fillon… Ils sont de l’Union pour la Sarthe ! Je

suis allé à Neuilly chercher un Sarkozy, le père, le fils, et même le Saint-Esprit… Aucun candidat ne se revendique de l’UMP ! Ce sont des candidats sans étiquette, comme les bagages qu’on fait exploser dans les aéroports !“

III tout nu 9.03.2011

sont toujours cités mais, plus inquiétant pour le président, ce sont désormais sa crédibilité et sa compétence qui sont mises en doute. Selon Bruno Jérôme, “cet ensemble lance les spéculations sur une alternative à droite en 2012”. “D’où l’idée de tester aussi le potentiel électoral de François Fillon”, poursuit l’universitaire. Or “le Premier ministre fait mieux que le président au second tour en métropole et, pour les législatives, la majorité devancerait en sièges la gauche. Avec un Nicolas Sarkozy, même réélu, la gauche est à cinq sièges de la majorité absolue. La majorité perdrait près de 80 sièges d’emblée !” S’installe aussi le débat sur les futurs thèmes de campagne de Nicolas Sarkozy. Lorsqu’il est intervenu solennellement à la télévision le 27 février pour enrober son remaniement ministériel avec un discours alarmiste sur le risque de “flux migratoires incontrôlables”, le chef de l’Etat a clairement laissé entendre qu’il privilégierait en 2012 les questions de sécurité et d’immigration. “Ce n’est pas la meilleure solution pour rebondir. L’important, c’est la situation économique, estime Bruno Jérôme. Il espère refaire le coup de Chirac en 2002 mais, Marine Le Pen se recentrant dans le même temps, cela rend cette stratégie hasardeuse. Il ne faut pas oublier qu’à la différence de son père, Marine Le Pen veut gouverner.” C’est la raison pour laquelle Dominique Paillé, ex-porte-parole de l’UMP, appelle Nicolas Sarkozy à évoluer et se montrer “rassurant, apaisant, rassembleur et pas clivant”. Avec un espoir limité d’être entendu car le président n’est pas un adepte de l’autocritique. “Il vous répond invariablement qu’il est le meilleur en campagne, que, même à 20 %, il est le meilleur.” Hélène Fontanaud

A Nancy-Nord, l’affiche de campagne de Jérôme Marchand-Arvier, 28 ans, candidat UMP, est orange et mauve. Tendance Modem ascendant écolo. Seuls quelques liens sur son blog trahissent son appartenance au parti sarkozyste. En Lorraine, dans les Yvelines, dans le Loiret, la désaffection est généralisée. L’ancien ministre des Transports, Dominique Bussereau, l’avait prophétisé en janvier  : “L’affichage d’une étiquette

le blues des cantonales Dernier test électoral avant la présidentielle, les élections cantonales de mars mobilisent peu. Petite balade sur un marché du Raincy.

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e Raincy, Seine-Saint-Denis. 10 heures. Entre les quatre stands du mignon-petit-marché à côté de la mairie, quelques Raincéens gelés bravent un froid de gueux. Une vingtaine de militants UMP, écharpe bleu au cou, les encerclent aux points stratégiques : à gauche, à droite et à l’entrée de la supérette bio juste en face. “Ils sont venus en force, ils sont nerveux”, ironise un des militants du PS, moins nombreux. “Les gens ne connaissent pas les cantonales”, justifie Luc Le Callet en tendant un tract Ludovic Toro, candidat UMP sortant. Face à lui : le socialiste Claude Dilain, maire de Clichysous-Bois. A gauche comme à droite, on craint une forte abstention les 20 et 27 mars. Ces cantonales ne sont pas couplées avec un scrutin plus mobilisateur, comme les municipales. “Ça vous intéresse les cantonales ?” Ce matin au Raincy, sur l’échelle de l’excitation électorale ça donne à peu près ça : aucune pour les 18-30 ans, un frétillement chez les 30-55 et un réflexe de vote pavlovien et républicain pour les plus de 55. Devant le bio, deux militants UMP tendent mollement des tracts. Le moustachu à casquette pointe un doigt en direction d’un homme noir qui remonte le boulevard menant à la commune voisine : “Voilà, là, c’est Clichy, ils prennent nos tracts, ça se passe bien.” Le canton rassemble la commune la plus riche du 9-3, Le Raincy donc et ses 37 750 euros de revenu par foyer en 2008 (19 749 en Seine-Saint-Denis), et une des

politique, c’est à ne pas faire dans les cantons.” Jean-François Copé l’a mauvaise, lui qui avait promis un “tour de chauffe” aux cantonales pour la présidentielle. “Il faut porter haut son étendard. Pas seulement lorsque ça va bien”, s’est énervé le patron de l’UMP en déplacement dans le Languedoc. “Mon appartenance n’est pas le message premier que je souhaite faire passer pour des cantonales, se défend Jérôme Marchand-Arvier.

Même si la droite avait le vent en poupe, je ne changerais rien à mon affichage.” La manœuvre vise à limiter les dégâts d’une raclée redoutée. Eric Fouché, directeur associé du pôle public de l’agence de com Euro RSCG, nuance : “C’est une erreur. L’étiquette UMP n’est pas si démonétisée, et en cas de faible participation, il faut mobiliser son camp.” Encore faut-il que ce dernier puisse reconnaître son champion. Sébastien Tronche

plus pauvres de France, Clichy-sous-Bois. “Marine à 23 % ?” Eric Raoult, le maire du Raincy, relativise : “Il n’y a pas DSK dans ce sondage, mais si le FN monte c’est à cause des événements en Egypte, en Tunisie et en Libye.” Pour les cantonales, il est inquiet pour les cantons sans candidat UMP sortant. “Là où ils ne sont connus que sur l’étiquette, on aura plus de mal à endiguer la montée du FN.” Pourtant, pour l’affable Ludovic Toro, ce n’est pas gagné. En 2004, le conseiller général a remporté son siège à 240 voix près. A deux semaines des élections, les mauvais sondages de Sarkozy et les couacs gouvernementaux tombent mal. La droite est sous pression : cette élection est le dernier test électoral avant la présidentielle de 2012. “Claude Bartolone (président socialiste du conseil général – ndlr) essaie de nationaliser l’élection, se désole Ludovic Toro. Notre travail à nous est de dire que c’est un enjeu local, de recentrer sur des problèmes concrets.” Les militants UMP concèdent que le contexte n’est pas favorable. “A chaque élection, on sanctionne toujours le pouvoir en place”, s’agace Raphaël Laurois. Du côté de l’équipe Dilain, on se défend de ramener l’élection au contexte national. “On le fera peut-être à la fin pour donner un dernier coup de fouet si nécessaire”, précise Olivier Klein, premier adjoint de Dilain. Chez les Raincéens, on dit faire la différence entre enjeux locaux et nationaux, mais on ne cache pas son exaspération. Pour Roland, 65 ans, “Sarkozy a le courage de gérer la France en chef d’entreprise, d’appeler une racaille une racaille, mais on ne peut pas dire ‘casse toi pauv’ con’, avoir ce style bling-bling.” Plus loin, un couple du même âge n’est pas d’accord. L’homme  : “J’ai voté pour ses réformes, mais je ne supporte pas l’homme, au moins Juppé a un français correct, il a fait l’ENA.” La femme : “Tu es un puriste, ce qui compte c’est les actes.” Sur l’islam ? Lui : “Ils mettent de l’huile sur le feu, ces questions doivent rester privées.” Elle  : “C’est nécessaire, il faut que les choses soient dites.” Une dame âgée se saisit d’un tract. “Je suis déçue pour les retraites, je ne touche que 900 euros. J’ai voté Sarkozy, mais aux cantonales je vais bien réfléchir.” Anne Laffeter 9.03.2011 les inrockuptibles 41

9.03.2011 tout nu IV

Montebourg se paie le PS marseillais A Marseille, après la plaidoirie assassine d‘Arnaud Montebourg contre la fédération locale dirigée d‘une main de fer par le clan Guérini, les langues ont du mal à se délier. Et la direction du PS semble peu pressée de remettre de l‘ordre.

42 les inrockuptibles 9.03.2011

Vim/Abaca Press

P

lus belle la vie des socialistes marseillais. L‘histoire de la quatrième fédération française a des airs de soap opera. Depuis la révélation de l‘enquête sur les marchés publics présumés frauduleux de la communauté urbaine, qui a mené Alexandre Guérini, le propre frère du président socialiste du conseil général Jean-Noël, en prison, pas une semaine sans un rebondissement, une révélation dans la presse. Et voici que désormais l‘attaque vient de l‘intérieur du PS. Avec le fameux Rapport de constatation sur les pratiques de la fédération des Bouches-du-Rhône, dit “rapport Montebourg“, dévoilé la semaine dernière. Le court texte du candidat à la primaire socialiste dézingue à tout-va. Rédigé après un bref passage à Marseille, en juin 2010, la plaidoirie de l‘avocat énumère une longue liste de griefs. Clientélisme, chantages à la subvention envers les élus, intimidations physiques... Et un réquisitoire : la mise sous tutelle de la fédé, la destitution de ses dirigeants dont Jean-Noël Guérini. L‘homme fort de la région, que la rue de Solférino aimait courtiser, apparaît aujourd‘hui, déprimé. “Nono“, surnom que Jean-Noël Guérini déteste, “a des coups de blues“, confesse un proche. “Même le voyage à Istanbul, fait pour lui changer les idées au moment des fêtes ne l‘a pas remis d‘aplomb. Il faisait, il est vrai, un peu frais.“ L‘arrestation de son frère Alexandre lui a mis un coup. Corruption, abus de biens sociaux et détournements de fonds publics. Les charges retenues contre son cadet, toujours membre du bureau fédéral du PS sont lourdes. La salve de Montebourg à l‘en-

contre de la fédération et de Jean-Noël Guérini fait quasiment écho à ces accusations. Selon le rapport, “le cabinet du conseil général a toujours considéré la fédération comme son apanage et son bien“. “Toutes les décisions sont prises au 9e étage du conseil général, l‘étage du président“, confirme aux Inrocks un ancien permanent de la fédération. “D‘ailleurs, l‘actuel président de la commu-

nauté urbaine, Eugène Caselli, y avait son bureau quand il officiait comme premier secrétaire de la fédération.” Les multiples leviers de cette mainmise sont également évoqués par Montebourg. Emplois publics, distributions de subventions aux associations ou aux élus via le mirifique budget du conseil général ou encore intimidations physiques. Autant

d‘éléments sur lesquels les gendarmes mandatés par le juge Charles Duchaine (lire Les Inrocks n° 796) enquêtent actuellement dans le cadre de la procédure sur les marchés publics. Dans leurs viseurs précisément, une myriade d‘associations subventionnées par le conseil général, logée à la même adresse que le QG de campagne de Jean-Noël Guérini lors des municipales de 2008. “Pas la peine d‘aller chercher jusque-là vous savez, note un vieux routier de la politique marseillaise. Il suffit de regarder comment ont été constituées les listes des dernières élections régionales. La majorité des gens était employée au conseil général.“ Et encore, l‘enquête judiciaire a empêché Alexandre Guérini de se présenter sur les listes aux élections régionales de 2010… Quant aux intimidations, une scène est fort bien décrite par Arnaud Montebourg : la réunion du groupe des élus socialistes au conseil municipal du 17 mars 2010. JeanNoël Guérini, doctement, explique aux élus présents qu‘il dispose d‘écoutes les concernant, qu‘il les soupçonne d‘être à l‘origine de l‘enquête judiciaire ! “Je sais avec qui vous parlez, je sais quels journalistes vous voyez, j‘ai même le texte de vos SMS…“ “Cette réunion je m‘en rappelle, il y a même eu un enregistrement sonore on s‘y croirait“, rigole sur une terrasse du Vieux-Port un vieil élu socialiste. Avant d‘embrayer : “Franchement, ce rapport Montebourg est en deçà de la réalité et tout cela n‘est pas neuf.“ Les soap-operas font aussi dans la resucée… En novembre 2008, le Sénateur Yannick Bodin avait pondu un rapport cinglant sur les pratiques de vote dans la fédération des Bouches-du-Rhône lors du scrutin pour les motions du congrès de Reims. “L‘agressivité“ des élus de la fédération avait choqué les observateurs, Jean-Noël Guérini trouvant même “insultante“ leur présence. Les socialistes marseillais n‘ont pas moufté après le rapport Montebourg. Ou anonyment. “C‘est une ambiance de guerre de tranchées, ils savent que s‘ils sortent la tête, ils se prennent une balle, analyse un proche des barons locaux. Jean-Noel Guérini contrôle les investitures, alors ils attendent que le fruit tombe, que la justice passe.“ Eux, ce sont les barons du parti. Patrick Mennucci, qui guigne un siège de député en 2012, reste muet. Sylvie Andrieux ou le président Michel Vauzelle empêtrés dans l‘affaire des subventions détournées du conseil régional, se taisent. Quant à Michel Pezet, autre figure historique du socialisme local, il refuse depuis vingt ans tout poste au sein de la fédération. Tous attendent que le premier rôle, Jean-Noël Guérini, quitte la scène, rattrapé par les affaires. “La réaction de Martine n‘incite pas à réagir“, se justifie l‘un d‘eux.

Jean-Noël Guérini

CHANTAGES À LA SUBVENTION ENVERS LES ÉLUS, INTIMIDATIONS PHYSIQUES... Aubry a demandé “à laisser faire la justice“ et pointé le manque de précision du rapport d‘Arnaud Montebourg. “En pleine primaire, elle est bloquée par la puissance de Jean-Noël Guérini, résume un élu marseillais. 6 000 cartes au moment de la désignation du candidat à la présidentielle cela comptera.“ Une porte ouverte à la contreattaque. Jean-Noël Guérini et la fédération ont porté plainte en diffamation contre Montebourg, exigé une commission d‘enquêtes aux instances nationales. Accordée ! Selon Benoît Hamon, porte-parole du PS, la commission devrait remettre ses conclusions avant l‘été. Une façon de jouer la montre… Petite victoire, la fédération va, au moins, appliquer les statuts du PS. Intronisé président de la fédération en 2010, poste qui n‘existe pas chez les socialistes, puis cumulard du poste de premier secrétaire fédéral et boss du département, double fonction interdite, Guérini va revenir à un peu d‘orthodoxie. Conformément à l‘article 9, le candidat à la présidence du conseil général sera nommé après un vote des militants, entériné par le conseil fédéral. Du cousu main pour le patron ? “Le scénario est écrit, se lamente un concurrent, ce sera lui“. A moins d‘un nouveau rebondissement, auquel croit l‘entourage d‘Arnaud Montebourg, persuadé que Jean-Noël Guérini ne pourra conserver son siège de président du conseil général. Le sacre est prévu le 30 mars prochain à bord du vaisseau bleu de l‘hôtel du Département des Bouches-du-Rhône. Le 1er avril sera jugé en appel le maintien en détention de son frère Alexandre Guérini. Poisson d‘avril en vue dans le soap-opera marseillais ? Xavier Monnier

Valérie Farine/La Provence/Maxppp

V tout nu 9.03.2011

quand Arnaud écrit à Martine… Les critiques de la direction du PS sur le rapport d‘Arnaud Montebourg annonçant qu‘il n‘y “avait pas de faits” et de plus “à quinze jours des cantonales” n‘ont pas beaucoup plu au député de Saône-et-Loire. Rongeant son frein plusieurs jours, il avait “préféré garder jusqu‘à présent le silence après la publication inappropriée” du document “exclusivement et confidentiellement” adressé à la première secrétaire le 8 décembre, le secrétaire national à la rénovation s‘est finalement décidé à prendre la plume. Ce 6 mars, il a dit à sa “chère Martine” tout ce qu‘il pensait de “la façon dont les dirigeants qui (l‘) entourent et (elle) même s‘emploient à discréditer (son) travail”. En colère, Montebourg... D‘autant qu‘à ses yeux la rénovation du PS ne peut “être une série de discours creux et sans suite concrète”. Traduction : il se sent peu soutenu par la direction du PS et sa première secrétaire qui paraît “avoir choisi fâcheusement de détourner le regard”. Il confirme que “chacune des affirmations contenues dans ce rapport” a “été méthodiquement et précisément vérifiée” et maintient les conclusions de son rapport tendant à la mise sous tutelle de la fédération des Bouchesdu-Rhône. Le tout signé “Ton bien dévoué et fidèle secrétaire national à la Rénovation, Arnaud Montebourg”. Le style, toujours… Marion Mourgue 9.03.2011 les inrockuptibles 43

Lionel Bonaventure/AFP

9.03.2011 tout nu VI

débat d’idées

petits arrangements entre amis Des dérives de la chiraquie à l’affaire Woerth-Bettencourt, la corruption contamine notre démocratie. En dépit du désenchantement qui les gagne, les citoyens s’en accommodent.

L

e procès de Jacques Chirac, sans parler des échos persistants de l’affaire Woerth-Bettencourt, rappelle combien la corruption contamine notre système politique. Si, comme le souligne l’historien Frédéric Monier dans Corruption et politique : rien de nouveau ?, la corruption, définie comme l’abus d’une position publique à des fins privées et intéressées, reste une donnée anthropologique, quelque chose a pourtant changé dans les perceptions que les citoyens en ont. Elle inspire aujourd’hui la résignation plutôt que l’indignation : elle a perdu “son pouvoir de scandaliser”. Ce paradoxe entre sa dénonciation et son acceptation de fait, cet “écart entre de fortes références à la moralité publique et une large tolérance à l’égard du favoritisme et de la recherche d’avantages individuels” sont interrogés par le sociologue Pierre Lascoumes dans un essai éclairant, Une démocratie corruptible. “En matière de probité publique, c’est l’ambiguïté qui prévaut”, insiste l’auteur. Pour étayer sa démonstration, tout en nuances, Lascoumes s’appuie sur des études statistiques permettant de réperto44 les inrockuptibles 9.03.2011

rier un ensemble d’attitudes réparties sur une échelle de valeurs, au cœur duquel se démarque une “zone grise” où l’on s’accommode des manquements à la probité publique. Il est vrai que la corruption reste une notion élastique, qui va du petit favoritisme à l’enrichissement personnel, du financement politique illégal au trafic d’influence : les transgressions sont à géométrie variable. Les porteurs d’une définition rigoureuse de la corruption sont peu nombreux face à ceux qui s’accordent avec la culture de “l’arrangement”. Dans cette “zone grise des ambiguïtés”, le point de vue “rigoriste” demeure une position minoritaire par rapport à l’importance des positions plus laxistes ou ambivalentes. “Pourquoi les citoyens maintiennent-ils souvent leur soutien électoral à des élus mis en cause et même condamnés pour des atteintes à la probité ?”, se demande Lascoumes. La vertu ne serait-elle plus une qualité première exigée de ceux qui nous gouvernent ? La référence à l’intérêt général s’efface souvent derrière la recherche d’intérêts particuliers, pour lesquels l’homme

politique est vu comme un “facilitateur”. Ni “légalistes pointilleux”, ni “moralistes radicaux”, les citoyens ne sont pas non plus des “profiteurs cyniques ou des sujets ne valorisant que l’efficacité politique sans considérations éthiques”. Le schématisme du pur et de l’impur ne résiste pas à la réalité complexe d’une tension permanente entre intérêts individuels, intérêts collectifs et intérêt général, “problème inhérent à toute société organisée”. Si la corruption reste un phénomène “normal” de notre démocratie, il appartient aux acteurs du système – décideurs, solliciteurs et public… – de veiller à rendre la démocratie la moins corruptible possible. Mieux réguler les conflits d’intérêts, réviser la culture des rapports entre les élus et leurs mandants, briser la bulle des connivences… : la dissipation du désenchantement citoyen ne pourra se réaliser qu’à travers la politique elle-même, seule voie possible de neutralisation des atteintes à la probité. Jean-Marie Durand Corruption et politique : rien de nouveau ? de Frédéric Monier (Armand Colin),184 pages, 18 € ; Une démocratie corruptible, arrangements, favoritisme et conflits d’intérêt de Pierre Lascoumes (Seuil), 102 pages, 11,50 €

VII tout nu 9.03.2011

affaires intérieures

que le meilleur perde Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite.

baston de sondeurs près la diffusion du sondage choc d’Harris Inter-

par Michel-Antoine Burnier

A

Au Salon de l’agriculture, le 25 février

confidentiel “L‘extrême droite française mutera après une alternance de gauche (en 2012). C‘est à ce moment-là que l‘extrême droite se transformera en droite extrême.” Alain Minc, conseiller officieux de Nicolas Sarkozy, sur France Inter, le 2 mars. Habile puisque cela revient à faire de Nicolas Sarkozy le meilleur rempart contre une “notabilisation” du Front national. Mais pas sûr que la perspective d‘une victoire de la gauche à la présidentielle rassure les élus de l‘UMP…

Miguel Medina/AFP

active dans Le Parisien propulsant Marine Le Pen en tête du premier tour de l’élection présidentielle, nous avons assisté à un crêpage de chignon en règle entre sondeurs. Il n’y avait pas, dans cette bagarre digne du marché de Brive-la-Gaillarde de Brassens, que des considérations d’ordre méthodologique. Ce n’était pas qu’une bataille d’experts… Derrière l’échange entre Jérôme Sainte-Marie du CSA et Jean-Daniel Lévy (ex-CSA) d’Harris Interactive, il fallait aussi voir la grosse frustration de Sainte-Marie de n’avoir pas su garder Le Parisien-Aujourd’hui, client phare, dans l’escarcelle de son institut de sondage. Sainte-Marie est réputé, dans le petit monde des sondeurs, proche de Patrick Buisson, le très droitier conseiller de Nicolas Sarkozy.

En matière de défaite, M. Sarkozy se révèle de plus en plus inventif. Avec la destitution de Mme Alliot-Marie et le récent remaniement, il vient de trancher un problème théorique qui opposait depuis longtemps entre eux les stratèges de l‘échec : celui de la démission d‘un ministre. En d‘autres termes, devant des bourdes aussi considérables que celles de Mme Alliot-Marie et de son amant-ministre M.  Ollier, quel est le comportement le plus victoricide ? Reprenons. Aux premières révélations, lorsque l‘opposition réclame son départ, les experts s‘accordent à dire qu’un ministre doit toujours répliquer : “Je ne démissionnerai pas !” – ce que fit fort bien Mme Alliot-Marie. Partant de là, deux écoles. La première veut que l‘on démissionne quelques jours plus tard. Cette méthode présente l‘avantage de démontrer que votre parole ne vaut pas cher et de ridiculiser le gouvernement, mais l‘inconvénient de mettre fin à une affaire en plein essor. La seconde école conseille de se maintenir en narguant d‘une scandaleuse impunité la foule démocrate et, dans le cas présent, les nations étrangères. Cette solution donne à l‘histoire le temps de se développer de révélation en révélation. Demeure cependant le risque qu‘elle s‘éteigne faute de nouveaux rebondissements. M.  Sarkozy et Mme  Alliot-Marie ont découvert une troisième voie qui cumule les inconvénients

–  c‘est-à-dire les avantages  – des deux écoles précédentes. Elle consiste dans un premier temps à refuser tout retrait et à faire vivre la vie politique française au rythme de la parution du Canard enchaîné. Encouragée par M.  Sarkozy, Mme  AlliotMarie tint son rôle avec art, éclatante de bonne foi dans son arrogance offusquée. Puis au bout d‘un mois, brusque retournement, M.  Sarkozy fait démissionner sa ministre qui s‘accroche. Par ce recul tardif, il démontre : 1. qu‘il s‘est trompé en la nommant  ; 2.  qu‘il ne sait pas prendre une décision rapide dans une affaire imprévue ; 3. qu‘il a une mauvaise perception des réactions du public ; 4. qu‘il n‘a rien compris à celles des révolutionnaires arabes ; 5. qu‘il est entouré d‘incapables  ; 6.  qu‘il n‘a plus la moindre idée sur la question puisqu‘il nomme aux Affaires étrangères M.  Juppé, ancien Premier ministre de son adversaire et prédécesseur M. Chirac. En outre, M.  Sarkozy garde au gouvernement le complice absolu des heureuses vacances tunisiennes, l‘homme que le colonel Kadhafi nomme son “frère”, ce M. Ollier qui avait proclamé qu‘il quitterait son ministère si Mme Alliot-Marie sa compagne perdait le sien, et qui ne bouge pas. Les députés et les sénateurs comprendront que ce qui est mauvais pour les nations étrangères reste bon pour eux. (à suivre…) 9.03.2011 les inrockuptibles 45

9.03.2011 tout nu VIII

presse citron

les relous par Christophe Conte

Mam se dit farcie par le Canard, Estrosi, en concurrence avec Bigard, cherche l’absolution au Vatican, et Boutin la bigote dégomme Sarko sur les chemins de Compostelle. Christian Jacob, lui, se fait mettre en joug.

Sarkozy et Villepin ne se quittent plus Dix jours après leurs premières retrouvailles, le président de la République et celui de République solidaire ont petit-déjeuné lundi à l’Elysée. Au menu, le sommet européen extraordinaire sur la Libye. Et le débat sur l’islam, que Villepin désapprouve. Combien faudra-t-il de rencontres avant une réconciliation ?

Mousse/Abaca

Ségolène Royal muscle son agenda

fonds de terroir Remercions chaleureusement Marie-Odile Jacob, femme de Christian Jacob qui, nous sachant en vacances, a facilité le petit jeu des rapprochements cocasses auquel nous nous livrons ici chaque semaine. Dans le JDD (20/02), on apprend ainsi qu’elle a abordé dans une soirée l’approximatif pétomane Raphaël Mezrahi pour lui faire rencontrer son mari en raison de leur ressemblance, il est vrai frappante. Rantanplan est également, selon le même article, copain comme cochonnaille avec l’excité de la cocotte Jean-Luc Petitrenaud. La révolte du terroir devrait s’organiser entre ces trois belles têtes de veau.

dinde déchaînée Au moment où elle était débarquée du gouvernement dans un vacarme de casseroles à faire passer les cuisines de Top Chef pour une sonate de Bach, Michèle Alliot-Marie a désigné les véritables responsables de sa chute : “Je suis victime de l’acharnement d’une presse libertaire et gauchiste qui n’a aucune morale et qui contribue sans limites à l’affaiblissement de la France” (Le Canard enchaîné, 2/03). Alors qu’elle, Gaulliste droite dans ses bottes Hermès, a contribué à l’évidence depuis plusieurs semaines à la grandeur de la France.

ex-votodidacte En visite à Rome pour y rencontrer le maire de la ville et le ministre italien des Affaires européennes, le député-maire UMP de Nice, Christian Estrosi, a fait un crochet par le Vatican pour aller claquer l’anneau de Benoît XVI, comme en témoigne une photo du JDD (27/02). Le pape, un peu surpris de cette visite, aurait aussitôt appelé 46 les inrockuptibles 9.03.2011

Sarkozy pour lui demander d’arrêter, après Bigard, de lui envoyer tous ses comiques vulgos : “Nicht le Théâtre des Deux-Anes ici !”

faux culte “Ça suffit !” Ce cri d’indignation face aux déclarations de Nicolas Sarkozy sur les racines chrétiennes de la France au Puy-en-Velay n’émane pas d’un bouffeur de curé gauchiste à la solde de l’anti-France, mais de la pourtant très bigote Christine Boutin dans Le Parisien (4/03). Oui Nico, ça suffit tes grosses ficelles en forme de chapelet, ton chemin de croix dans les sondages, tu te le coltines tout seul, ok ?

très confidentiel Frédéric Lefebvre publie un livre de 520 pages intitulé Le mieux est l’ennemi du bien. Essayez de relire cette phrase plusieurs fois sans céder à l’irrépressible envie de rire. Ou de mourir.

La candidate socialiste de 2007, qui traverse une mauvaise passe dans les sondages, bombarde de mails les rédactions. Son agenda s’est singulièrement renforcé. Université populaire sur le travail, banquets républicains et visites de terrain pour la campagne des cantonales… ”Tu ne renonces jamais”, lui a dit Jean-Marc Ayrault.

ordinateurs piratés à Bercy Bonne nouvelle pour Sarkozy. La présidence française du G20 a fini par intéresser quelqu’un. Baroin a confirmé que le ministère des Finances a été la cible de pirates informatiques depuis décembre. Les hackers se sont intéressés aux informations “autour du G20”.

Mark Wahlberg en sueur et en sang dans Fighter de David O. Russell

boxe office A droite, Fighter, fiction hollywoodienne. En face, Boxing Gym, documentaire sur une salle d’Austin, Texas. Fresque sur la rédemption ou tranche de vie, au cinéma, tous les coups sont permis. par Serge Kaganski

Boxing Gym de Frederick Wiseman : la boxe pour endurcir et discipliner ses enfants

échauffement Deux films de boxe face à face comme pour un match, les hasards du cinécalendrier font parfois bien les choses. Un troisième film aurait pu jouer les challengers (Jimmy Rivière, lire critique page 68) mais la boxe y tenant un rôle plus secondaire, on en restera ici à l’affrontement américain entre la fiction hollywoodienne et le documentaire indépendant. Pourquoi la boxe apparaît-elle depuis un siècle le plus cinécompatible des sports ? Parce que le ring est une scène, voire un écran ? Sans doute, mais cela vaut aussi d’un terrain de foot ou de basket. La boxe est un sport individuel, ce qui entre plus facilement dans les codes d’une fiction qu’un sport qui se joue à vingt-deux ou trente joueurs ? Dans ce cas, pourquoi le tennis n’a-t-il pas fleuri sur les écrans, à de rares exceptions près ? On peut imaginer la boxe, qui se pratique presque nu, comme la métaphore la plus basique et dépouillée de la condition humaine, un combat face à l’autre mais surtout face à soi-même, qui met en jeu le corps, objet de gloire ou de sacrifice. La fusion entre le combattant et l’acteur 50 les inrockuptibles 9.03.2011

peut être extrême : dans Raging Bull de Martin Scorsese, De Niro a pris puis perdu des dizaines de kilos. Vecteur de conquête sociale, sport des pauvres, des réprouvés, des minorités, la boxe demeure le réceptacle idéal de tous les scénarios de lutte ou de chute, d’ascension ou de rédemption. Alors que le combat commence : à notre droite, David O. Russell, champion hollywoodien. A notre gauche, Frederick Wiseman, champion du monde du documentaire depuis quarante ans.

premier round Grosse production hollywoodienne, Fighter n’en a pas moins une origine documentaire puisqu’il s’inspire de la véritable histoire de Micky Ward, champion des années 80 issu de la classe ouvrière et de la région de Boston. Le film, parfois lardé d’extraits télévisés de l’époque, montre les vrais protagonistes dans le générique final. Derrière le destin de ce boxeur mijotait tout un matériau propice aux grandes fictions américaines édifiantes. Tout d’abord, Micky Ward, sportif de second rang cantonné à des matchs régionaux, a saisi sa chance et sa part

de lumière à un âge tardif. Un destin à la Rocky mais réel. Mesdames Rédemption et Success Story Méritante, vous revoilà. Deuxième point, Ward avait un frère aîné, ancien grand champion tourné junky aigri. Abel et Caïn, le (énième) retour, version ring. Les deux frères avaient aussi une nichée de sœurs et une mère dominatrice qui leur servait à la fois de maman, d’entraîneur, d’agent, de directrice de conscience, de gardienne de leur hygiène de vie et de cheftaine du clan. Du moins est-ce ainsi que le réalisateur la dépeint. Ce matriarcat dans un milieu a priori viril et ultramasculin apporte l’une des belles singularités du film. La mise en scène de David O. Russell balance entre volonté de réalisme et toute-puissance hollywoodienne. Dans le premier plateau, le tableau des quartiers prolétaires de la NouvelleAngleterre, les décors naturels, l’investissement physique des acteurs (Mark Wahlberg qui a manifestement fait des pompes, Christian Bale amaigri comme un crack addict). Côté spectaculaire hollywoodien, toute la gamme de l’école Actors Studio (introspective pour Wahlberg,

les noces du noble et du septième art La boxe a toujours été le plus cinégénique des sports. Rappel en quelques films essentiels. Pour Rocky, un moyen de devenir quelqu’un Pour la boxeuse de Million Dollar Baby, une quête personnelle Pour Charlie Chaplin, une chorégraphie burlesque

extravertie pour Bale), un montage efficace boosté au classic rock seventies balancé à fond de baffles, des combats gonflés aux hormones sonores (chaque coup claque aux oreilles). On a beau deviner où veut nous emmener le film, pressentir depuis le début la grande séquence du combat final, on baisse la garde. Les quinze dernières minutes nous trouvent scotchés au siège, accrochés à l’écran comme devant une finale de Coupe du monde ou un final hitchcockien.

deuxième round Boxing Gym : le titre fait-il allusion à Gentleman Jim, l’un des premiers classiques sur la boxe ? Le film se présente comme l’opposé cinématographique de Fighter. Un budget modeste, sans récit exemplaire ni message édifiant mais des tranches de réel assemblées selon l’écriture habituelle de Frederick Wiseman : pas de commentaire, pas de musique off, une histoire et un sens qui prennent forme au montage. Le cinéaste a posé ses caméras et son regard dans une salle de boxe de la périphérie d’Austin au Texas. Ici, pas de grand match

Les Lumières de la ville Charlie Chaplin (1931) Reprenant dans une séquence la veine de son court métrage Charlot boxeur (1915), Chaplin pousse les vertus chorégraphiques du plus prolétaire des sports vers le burlesque. Gentleman Jim Raoul Walsh (1942) L’alliance Walsh-Errol Flynn célèbre l’élégance esthétique et l’esprit chevaleresque de la boxe, envisagée ici comme un art autant que comme un sport. Body and Soul Robert Rossen (1947) La boxe comme moyen de gagner sa vie et de solder un deuil, mais aussi comme vivier de requins miné par la corruption. Et parfait véhicule d’érotisation des acteurs – ici, John Garfield. Nous avons gagné ce soir Robert Wise (1949) De Wise, on aurait pu choisir aussi Marqué par la haine (1956), biopic de Rocky Marciano avec Paul Newman, mais on a opté pour Nous avons gagné ce soir avec son format de série B, sa parfaite ambiance nocturne et mélancolique, le grand clivage existentiel du boxeur objet ou sujet. Et aussi pour Robert Ryan. Rocky John G. Avildsen (1976) Classique incontournable du cinéboxe, Rocky a remis une couche sur la boxe comme horizon prolétaire, vecteur d’ascension sociale et sport rédempteur. En prime, l’invention de Sly Stallone. Le film engendrera une saga,

dans laquelle on distinguera aussi Rocky Balboa (2006), grand retour du héros et de l’acteur, vieillissants. Raging Bull Martin Scorsese (1980) Les films de boxe fonctionnent souvent sur un couple réalisateuracteur identifiable au couple entraîneur-boxeur. Ici, ScorseseDe Niro, au sommet de leur mythologique filmographie commune. Transformisme, noir et blanc, hyperréalisme des combats, apparition de Joe Pesci et dialogues gravés dans l’inconscient collectif (“you fucked my w ife ?”). La boxe mythifiée et démythifiée, main gauche dans le caleçon de la virilité, main droite sur la Bible. Ali Michael Mann (2001) Le boxeur le plus élégant, politique, légendaire, théâtral de l’histoire ne pouvait échapper au cinéma. C’est le formaliste Mann qui s’y est collé, pour une belle coulée d’images flottantes et glacées, mais avec un Will Smith qui peine à remplir le costume de l’immense Ali. A signaler aussi When We Were Kings (1996), docu de Leon Gast sur le mythique match Ali-Foreman organisé au Zaïre. Million Dollar Baby Clint Eastwood (2004) La boxe comme quête personnelle, lieu d’apprentissage et de transmission. L’originalité du film est de s’intéresser à une femme boxeuse, épousant l’évolution sociologique de ce sport. En 1999, Karyn Kusama fut la première à filmer la féminisation du noble art dans Girlfight. 9.03.2011 les inrockuptibles 51

mais l’entraînement, de la pratique, des gammes mille fois répétées. Sous l’œil de Wiseman, le noble art retrouve son prosaïsme et se décompose dans tous ses gestes. Sauts à la corde, coups dans le sac de sable, exercices de vitesse sur la “poire”, matchs d’entraînement avec protections sur le corps et indications de l’entraîneur. On trouve dans le montage de Wiseman une qualité analytique mais aussi chorégraphique et musicale. La musique est celle des sons réels : coups, sauts, outils et appareils d’entraînement. La salle de boxe, ce sont des gestes physiques mais aussi des rencontres, un lieu social. S’y croisent jeunes et vieux, hommes et femmes, Blancs et Noirs, avocats et anciens taulards... Des mères veulent apprendre à se défendre. Des parents veulent endurcir et discipliner leur progéniture. Des bourgeois souhaitent rester en forme. Des geeks espèrent se muscler. Le fameux melting-pot s’incarne au gym où toutes les tensions de la société américaine semblent se résorber dans l’exercice physique codifié. Tout le monde devient égal dans l’effort et la sueur.

décision de l’arbitre Si différents soient-ils, on retrouve des points communs aux deux films. Les affiches qui tapissent les murs du gym renvoient à la mythologie perpétuée par Fighter. Chez David O. Russell comme chez Frederick Wiseman, les casques et appareils d’entraînement, les mêmes gestes, la présence des femmes, l’idée que la boxe permet d’échapper à la malédiction des déterminismes sociaux. Deux styles opposés mais chacun efficace dans son projet et son ambition. Egalité mais pas match nul. Grand vainqueur : le cinéma, dans sa diversité. Fighter de David O. Russell, avec Mark Wahlberg, Christian Bale, Melissa Leo (E.-U., 2010, 1 h 53) Boxing Gym de Frederick Wiseman, avec Richard Lord (E.-U., 2010, 1 h 31) 52 les inrockuptibles 9.03.2011

un soir en salle Au club de Noisy-le-Grand, qui a formé deux champions du monde, ils sont une trentaine à venir s’entraîner tous les soirs selon un rituel immuable. par Pierre Siankowski photo Jérôme Brézillon

Les boxeurs amateurs, en rang devant les sacs lourds

es murs jaunes, un éclairage blafard au néon. Des posters de boxe partout sur les murs, des potes des combattants passés par ici ou des champions (Jean-Claude Bouttier, Mike Tyson, Jean-Marc Mormeck). Sur les étagères, des gants, des casques, des protège-dents dans des petites boîtes en plastique avec leur nom dessus. Sur un écran défile When We Were Kings de Leon Gast, documentaire sur le combat qui opposa Foreman et Ali en 1975 à Kinshasa, au Zaïre. Il est 16 h 30 dans la salle de la section boxe de Noisy-le-Grand, à l’arrière du gymnase Marcel-Cerdan. La salle ouvre du lundi au vendredi. Tous les soirs, le même rituel. On commence par s’échauffer en sautillant sur place ou à la corde. On fait des vannes, on prend des nouvelles de la famille, des amis, on parle du dernier film d’Eric et Ramzy, de la situation en Libye : “Kadhafi, c’est un chaud, attention !” Puis on fait

D

du shadow en boxant contre un mec imaginaire ou devant une glace. On enroule lentement ses bandes autour des mains. Enfin, on enfile les gants et, contre le sac lourd, bim, bim. Joseph Germain, 59 ans, patron de la salle et entraîneur des pros, a formé ici deux champions du monde (Mormeck et Steve Hérélius, deux lourdslégers). “Deux champions du monde, ça veut dire que ce n’est pas un coup de bol”, lance-t-il. Derrière lui sur le mur, des centaines de pass et de badges, souvenirs des combats menés à travers le monde : en Allemagne, en Russie, au Caesars Palace de Las Vegas. On entend la radio en fond sonore, des morceaux des Eagles ou de Richard Cocciante. Joseph Germain file sur le ring de droite avec les pros pendant que son assistant Mohamed Djendeb, 42 ans, dit Momo, prend en charge les amateurs sur le ring de gauche. Fin de l’échauffement. 9.03.2011 les inrockuptibles 53

Pour s’entraîner, les boxeurs utilisent un énorme pneu sur lequel ils tapent avec une masse (ci-dessus, Bilal en train de parfaire ses trapèzes). Après une heure d’échauffement, ils alternent trois minutes de travail (ci-dessous à droite sur mannequin) et une de repos (à gauche, Bruno en pause)

Le timing change. Trois minutes de boulot (le temps d’un round), une minute de repos. Ce sera le même jusqu’à la fin de l’entraînement. La musique disparaît sous le bruit des coups. La salle, ouverte au début des années 80, compte une trentaine de boxeurs chaque soir. La star, c’est Carlos Takan, 30 ans, Camerounais débarqué ici après les JO d’Athènes en 2004. Carlos est une masse, n’importe lequel de ses coups tuerait immédiatement. Selon Joseph Germain, “il deviendra champion du monde des poids lourds”. Carlos Takan : “Si Monsieur Germain le dit, c’est que c’est vrai.” Ce soir, Carlos travaille l’esquive avec Mounir Chhibi, 33 ans, un ancien pro habitué de la salle. “J’ai fait de beaux combats mais j’ai toujours eu du mal à faire coller la boxe et le boulot. Je bosse à la RATP, je conduis le bus 303. C’est pas évident avec les horaires”, explique Mounir. Il cogne dur sur Carlos, qui évite les coups et suit les conseils de Joseph Germain. “Mets les gants. Protègetoi, protège-toi, décale-toi.” Fin des trois minutes. Germain prend Carlos à part. Mounir récupère contre 54 les inrockuptibles 9.03.2011

les cordes, Momo lui file un peu d’eau. “Mounir, c’est un grand boxeur, raconte Momo, ancien boxeur formé ici, grand frère et mémoire de la salle. Il aurait pu aller loin mais il a choisi de privilégier le travail. Il vient quand même pour transmettre son savoir, ses connaissances, sa passion, il vient suer. La salle, c’est chez lui.” Joseph Germain a adopté une politique “à la Guy Roux”, résume un habitué : on prend les boxeurs jeunes, on les fait monter en puissance grâce à une formation maison et on les garde pour qu’ils fassent tourner l’esprit de la salle. Pas de chichi, pas de wah-wah, le lieu transpire l’authenticité. Près de l’entrée, deux objets résument la salle. D’abord “la machine infernale”, créée par Joseph Germain pour le championnat du monde qui opposa Mormeck à l’Américain Virgil Hill, en 2002. C’est un gant fixé au bout d’un tube que l’on fait coulisser à toute vitesse. “On savait que Hill avait un bon direct du gauche, alors on a inventé ce truc pour que Mormeck s’habitue à l’éviter. Ça a plutôt bien fonctionné”,

“on y enseigne aussi la politesse, la ponctualité, des trucs de base” Tyson, poids lourd

Avant d’enfiler les gants, le rituel de l’enroulement des bandes (ci-dessus). Joseph Germain (ci-contre en chemise) est le patron de la salle. Il a formé le champion Jean-Marc Mormeck et entraîne maintenant Carlos, un poids lourd (gants rouges). Mounir (à l’arrière-plan), ancien pro, l’aide sur le ring à travailler l’esquive.

plaisante Germain. Juste à côté, le “pneu cubain”, gigantesque et fixé au sol, sur lequel les boxeurs tapent avec une masse qu’ils lèvent très haut. “J’ai piqué ça aux Cubains, c’est parfait pour se faire le haut du corps, les bras, les trapèzes”, poursuit Germain. Pendant que le boss et Momo s’occupent des boxeurs qui ont un combat prévu, les autres font leur vie. C’est réglé comme du papier à musique. Les dix sacs lourds fixés au plafond ne perdent pas un coup. Certains habitués, arrivés un peu plus tard, sautent encore à la corde. De jeunes boxeurs de 14 ou 15 ans se contentent de bidouiller dans les coins. La plupart viennent de la cité Descartes toute proche. Près d’un énorme sac noir, on croise Bilal Mansouri, 23 ans, et Mohamed Elbaz dit Tyson, 32 ans. Bilal est étudiant en master de management et d’organisation des entreprises. Sur le ring, c’est un super-coq. Il vient de passer pro, “six victoires, un nul”. On le surnomme le Mexicain, il hurle chaque fois qu’il donne un coup. Dans cette salle où les poids lourds sont majoritaires, Bilal a pourtant trouvé sa place. “Je me fous du poids.

C’est une bonne salle parce que les mecs qui viennent là sont des types bien, ils te font progresser, il te parlent, ils te cadrent.” Tyson, poids lourd, a momentanément stoppé sa carrière suite à un pépin physique. Bruno Guyon, amateur de 18 ans, les rejoint. Ils l’ont pris sous leur aile. “La salle, c’est aussi un lieu de vie, on y enseigne la ponctualité, la politesse, des trucs de base”, explique Tyson. Bruno, qui a quitté l’école, explique que la salle lui a appris “le respect de certaines règles”. “J’ai mes relais dans la salle, renchérit Joseph Germain. Momo, Tyson, Mounir enseignent l’esprit, leur présence est fondamentale, la salle fonctionne comme ça.” La transmission est virile, pudique. On parle peu. Depuis quelques jours, la salle est affiliée à l’Académie Christophe Tiozzo, qui aide les boxeurs à trouver du travail. “C’est très important, explique Germain, car ils seront très peu ici à vivre de la boxe. Pour l’instant, seul Carlos y arrive.” 20 h 30, fin de l’entraînement. La radio revient peu à peu, les gars quittent la salle. “Demain, 16 h 30 les gars. Bonne soirée”, hurle Joseph Germain. 9.03.2011 les inrockuptibles 55

Photo David Willems, coll. privée, Paris. Courtesy de l’artiste et de la galerie Loevenbruck, Paris/ADAGP

PhilippeM ayaux, Savoureux de toi (2007) Délicatement gore, les natures mortes gourmandes de Philippe Mayaux (prix Marcel-Duchamp 2006) flirtent avec le surréalisme. Certaines de ses œuvres sont présentées jusqu’au 15 mai dans l’exposition Tous Cannibales à la Maison Rouge, Paris XIIe

la cuisine francaise perd ses etoiles

R

epli sur soi, perte d’audace, absence de vision sur l’extérieur, haute conception d’elle-même, marque de mépris pour ce qui émerge en dehors d’elle, déconnexion devant les mouvements planétaires, nostalgie rance pour sa grandeur passée… Il en va de la gastronomie de la France comme de sa diplomatie : sa réputation bat de l’aile (et de la cuisse). Etouffée dans le feu de l’histoire en marche, la France n’est plus qu’un petit pays qui, en plus de pleurer la perte de son image gaullienne de grande puissance, voit lui échapper l’une de ses plus grandes fiertés nationales : sa cuisine, son trésor patrimonial, son étendard prestigieux qui ne fait plus vibrer grand monde. Plus même les critiques gastronomiques étrangers qui, à l’instar de Michael Steinberger, journaliste spécialisé pour le Financial Times, le New Yorker, le New York Times Magazine et le site Slate, constate que la cuisine française est un “chef-d’œuvre en péril”1. Plus même les critiques hexagonaux qui comme Aymeric Mantoux et Emmanuel Rubin, auteurs du Livre noir de la gastronomie française2, dénoncent les travers et les dérives d’un savoir-faire. “Dans certains villages et villes de France, il faut aujourd’hui lutter pour trouver ne fût-ce qu’une miche de pain convenable”, nous confie le critique Michael Steinberger devant le petit café sans goût d’une célèbre brasserie parisienne de Montparnasse. Pour cet Américain, rien ne va plus dans les assiettes françaises qui lui ont pourtant procuré ses plus grandes joies, au point d’en faire son métier. Son livre suit son voyage sur les routes de France à la rencontre de producteurs de fromages, de viticulteurs, de cuisiniers pour saisir les raisons de cette déchéance. En préambule, il se souvient avec malice que, “par une soirée un peu trop chaude de septembre 1999”, il avait échangé avec le chef du Crocodile à Strasbourg, Emile Jung, “sa femme contre du foie gras de canard”, accompagné d’écailles de truffe en croûte de sel et d’un baeckeoffe de légumes. Un pur délice qui méritait le sacrifice de l’amour ! Une manière de dire qu’il prend très au sérieux la question du goût, comme si elle était pour lui “sa raison de vivre” autant que sa raison d’aimer. Nulle part ailleurs

Depuis toujours, c’était la meilleure du monde. Confite dans son triomphalisme, la cuisine française a oublié que ce rang se méritait, accuse un critique gastronomique américain. par Jean-Marie Durand

qu’au milieu d’un restaurant français, Steinberger dit ne pouvoir “gémir d’extase” à ce point. Avec le temps, l’extase s’est tue. Le soufflé est retombé. Derrière l’écran (de fumée) des grandes stars des fourneaux, omniprésents dans les médias, y compris dans les émissions culinaires en vogue à la télé (Christian Constant, Thierry Marx, Jean-François Piège dans Top Chef, Yves Camdeborde et Frédéric Anton dans Masterchef), la cuisine française végète, tiède, triste, normalisée. Les grandes figures de la gastronomie – avec Alain Ducasse en master modèle – sont pour beaucoup devenues de purs businessmen de la casserole, ambassadeurs d’une cause qui dérive d’une pratique culturelle vers la promotion d’une industrie du “luxe” hexagonal. Désubstantialisée, la cuisine n’est plus qu’une vitrine chic et chère. Longtemps défenseur de notre cuisine, Michael Steinberger reconnaît avoir, au gré de ses récents séjours hexagonaux pleins de désenchantements, rejoint la cohorte de mauvaises langues qui, depuis la fin des années 90 , brocardent aux Etats-Unis notre réputation. Un article d’Adam Gopnik du New Yorker, “Is there a crisis in french cooking ?”, dénonçait dès 1997 la gastronomie française, devenue “rigide, sentimentale, ennuyeuse et incroyablement onéreuse”. En 2003, le New York Times Magazine avançait que l’Espagne, grâce à sa fameuse “nueva cocina” – expérimentale, inventive –, avait supplanté la France comme première nation culinaire du monde. Le nouveau Bocuse s’appelait Ferran Adrià (chef d’El Bulli) et pratiquait la cuisine moléculaire. Depuis, la vogue espagnole a fait place à la vague scandinave : le récent Bocuse d’or, récompense prestigieuse remise fin janvier à Lyon, a couronné trois chefs nordiques sans qu’aucun Français n’apparaisse dans le trio. Une première. Marginalisée, la France 9.03.2011 les inrockuptibles 57

Videler Photography

“la France est devenue le deuxième marché du monde pour McDonald’s, derrière les Etats-Unis” Michael Steinberger

s’accroche à l’idée qu’elle se fait de sa grandeur. Nostalgie et tradition. Exemple : en novembre dernier, le “repas gastronomique des Français” a été inscrit au patrimoine immatériel de l’humanité par un comité intergouvernemental de l’Unesco. La grande affaire ! Pour la première fois, une gastronomie nationale figure ainsi au patrimoine de l’humanité. Légitime ou ridicule, cette inscription est symptomatique d’une panique nationale : le besoin vital de reconnaissance de son identité. Avec la gastronomie, la France s’invente un pur “objet de mémoire”, qu’il faudrait préserver des attaques extérieures et protéger contre les évolutions des temps présents. Combat d’arrière-garde ou appel à résister aux dérives contemporaines de l’industrie agroalimentaire et de la “malbouffe” généralisée ? Michael Steinberger, toujours refroidi devant son café trop aqueux, rappelle que “la France est devenue le deuxième marché du monde pour l’entreprise McDonald’s, devancée seulement par le pays à qui la planète doit le fast-food”. Un pays dévoreur de burgers mais aussi de pizzas, dont la consommation atteint chez nous des records. Sans juger les raisons sociales et financières – repas bon marché, manque de temps – qui expliquent cet attrait, le critique américain regrette la fermeture croissante des cafés mais aussi “la baisse de qualité des produits qui ont longtemps formé la colonne vertébrale de la cuisine française : les viandes, les volailles, les fruits et les légumes impeccables”. Dans son livre, il consacre un chapitre entier au mystère des camemberts au lait cru qui ont quasiment disparu au profit des fromages au lait pasteurisé, moins savoureux. “Ils ne représentent plus que 10 % de la production totale en France”, regrette-t-il. Une dérive en partie liée à l’industrialisation de l’agriculture et aux normes hygiéniques imposées par l’Union européenne. Mais qui, selon lui, n’émeut personne. D’où son trouble : les Français auraient perdu le goût de leur excellence. Pour nos plus hauts représentants de la gastronomie, un combat s’est pourtant engagé. Le 1er février, Guy Savoy, Thierry Marx, Anne-Sophie Pic, Joël Robuchon, Alain Ducasse, Alain Dutournier, Michel Guérard, Yannick Alléno, Gilles Goujon, Laurent Petit et Marc Haeberlin ont inauguré un Collège culinaire de France qui devra promouvoir les intérêts de la cuisine française auprès des politiques, exiger des moyens 58 les inrockuptibles 9.03.2011

financiers, défendre les producteurs et les bons produits, favoriser la formation et l’éducation... Bien que corporatiste, cette initiative souligne une prise de conscience sur les enjeux d’une cuisine perdue dans les affres de la mondialisation. Les débats houleux qui opposaient à la fin des années 90 les grands chefs (Gagnaire, Troisgros et Bras contre Ducasse et Robuchon) sur la manière de s’inscrire dans la mondialisation ou de se maintenir à l’abri des évolutions planétaires au nom du respect de l’identité semblent désormais dépassés. Aujourd’hui, la cuisine française n’a pas d’autre choix que de se réinventer. La déploration, autant que son revers, la glorification, tient à une dimension culturelle bien ancrée : la passion que le pays déploie dans son rapport à la cuisine, en dépit des renoncements que dénonce Steinberger. L’historien Alain Drouard soulignait dans un récent essai, Le Mythe gastronomique français3, combien la gastronomie relevait d’une fable nationale, depuis les chroniques des premiers gastronomes Grimod de la Reynière et Brillat-Savarin au début du XIXe siècle jusqu’aux querelles de spécialistes des guides actuels (Michelin, Omnivore, Fooding…). Plus qu’ailleurs, la gastronomie occupe une place centrale dans le débat public ; plus qu’ailleurs, on s’entre-déchire sur les objets du goût et du dégoût. Si ce mythe abrite des zones d’ombre, en particulier sa tendance à l’autocélébration et au triomphalisme usurpé, il pourrait paradoxalement nous sauver. Michael Steinberger a l’honnêteté de mesurer les nouveaux frémissements qui gagnent nos cuisines : l’émergence de la “bistronomie” (une cuisine mêlant modestie et ambition), l’apparition de jeunes chefs inventifs, le renouveau de la critique gastronomique, la recherche de nouveaux goûts, la vigilance sur la qualité des produits bio redonnent une vitalité à la gastronomie française. Le voyage de Steinberger s’achève sur un banc parisien de la place Saint-Sulpice, lieu d’un réveil gustatif : le critique y dévore le “2 000 feuilles” du pâtissier Pierre Hermé après avoir avalé la salade niçoise de Camdeborde, table voisine. On devine dans la description de ses “bouchées bienheureuses” que les frissons culinaires déjouent le péril qui plane par-dessus nos assiettes. Mythe écorné, la cuisine française n’est pas un mythe éteint. 1. La Cuisine française, un chef-d’œuvre en péril de Michael Steinberger (Fayard), 292 pages, 19,90 € 2. Le Livre noir de la gastronomie française d’Aymeric Mantoux et Emmanuel Rubin (Flammarion), 300 pages, 19 € 3. Le Mythe gastronomique français d’Alain Drouard (CNRS Editions, 2010), 160 pages, 17 €

frères de son

De Nashville, le duo Black Keys éructe un rock rugueux teinté de blues. Rencontre chez eux avant leur concert parisien. par Pierre Siankowski photo David McClister

C

e matin, les Black Keys nous ont donné rendezvous à l’Athens Family Restaurant, un diner aux abords de Franklin Pike. Sur cette immense artère de Nashville s’entassent les pick-up, les stations-service et les panneaux publicitaires. Le coin sent la saucisse, l’essence et l’Amérique. A l’intérieur, le restau affiche la couleur grecque : carreaux bleus et blancs sur les nappes, bouzoukis sur les murs, bouteilles d’huile d’olive sur les étagères, photo vintage du Parthénon. La serveuse blond platine et patibulaire porte un énorme tatouage dans le cou. Elle se demande ce qu’un étranger peut bien faire ici. C’est pour les Black Keys, madame. “Les Black quoi ?” Un groupe de rock, madame, le plus explosif du moment : un batteur qui cogne comme un dingue et l’autre mec qui fait tout : voix, guitare, basse. “Ah ah, mon bonhomme, aucun groupe de rock n’est jamais venu ici et aucun groupe de rock n’y viendra jamais.” Elle autorise pourtant l’étranger à s’asseoir devant un mauvais café alors qu’explose Jump de Van Halen à la radio. Quelques minutes plus tard, deux voitures stoppent sur le parking. D’un 4x4 Subaru noir descend Dan Auerbach, 60 les inrockuptibles 9.03.2011

chanteur et guitariste blondin des Black Keys. D’une BMW anthracite flambant neuve s’extirpe le longiligne batteur à lunettes Patrick Carney. Les deux garçons pénètrent dans le diner comme au ralenti dans la bande-annonce d’un western spaghetti. Ils repèrent le journaliste paumé et s’approchent. “Cet endroit est cool, non ?”, lance Auerbach. Il serre les mains et conseille les œufs à la grecque à son collègue. Carney suit la recommandation et laisse la parole au blondinet – il se contentera de “punchliner” entre deux coups de fourchette. “Nous nous sommes installés tous les deux à Nashville l’année dernière, moi en juin, Patrick en septembre. On aimait beaucoup Akron (la ville de l’Ohio d’où ils sont originaires – ndlr), mais c’était devenu impossible pour nous. On n’avait plus rien à y faire, on en avait fait le tour. Ce n’est pas la musique qui nous a attirés ici, plutôt l’environnement, un coin tranquille, proche de la campagne. J’ai une fille et je pense que c’est un bon endroit pour elle. J’ai construit un studio d’enregistrement à moi, un peu plus loin. Pour Patrick et moi, c’est important de pouvoir débouler à n’importe quel moment pour travailler”, dit Auerbach. Son compère approuve et avale lentement ses œufs en nous scrutant derrière ses binocles à grosse monture.

En février dernier, lors de la cérémonie des Grammy Awards à Los Angeles, les Black Keys sont passés subitement à la vitesse supérieure. Deux récompenses : meilleur album alternatif avec Brothers, leur dernier disque, et meilleure performance rock pour Tighten up, le premier single qu’ils en ont extrait. Une apothéose pour un groupe qui a commencé son chemin voilà près de dix ans sur des petits labels. Leur premier essai, The Big Come up, en 2002, est sorti sur Alive Records, ministructure underground créée par le Français Patrick Boissel. “Patrick est resté un vieux pote. D’ailleurs, j’enregistre en ce moment un groupe de Cincinnati signé sur Alive”, explique Auerbach. Le duo part ensuite chez Fat Possum, mythique label d’Oxford, Mississippi, sur lequel les Black Keys publient deux de leurs meilleurs albums (Thickfreakness en 2003 et Rubber Factory en 2004), mais aussi un ep en hommage à l’une de leurs influences majeures, le bluesman Junior Kimbrough (Chulahoma, 2006). Trois autres albums sortiront chez Nonesuch Records (Magic Potion en 2006, Attack and Release en 2008 et Brothers en 2010). Rajoutons-y le projet hip-hop Blakroc en 2009, où Mos Def, Q-Tip, Raekwon et Jim Jones se succédaient au micro.

“une fois, on a croisé Lou Reed. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le type est décevant” Aujourd’hui, la petite entreprise Black Keys semble capable d’affronter les plus grands groupes du rock nord-américain, d’Arcade Fire à Kings Of Leon. Aux Etats-Unis, Brothers s’est déjà vendu à plus de 500 000 exemplaires. “Depuis dix ans, nous avons vécu une expérience incroyable : des tournées de plusieurs semaines dans un van, des concerts dans des salles minuscules devant trois cow-boys, des centaines de nuits dans les motels les plus minables du pays. Comme quelque chose qui nous portait et nous dépassait totalement”, résume Auerbach, avant de laisser la parole à Carney. “En dix ans, nous avons enregistré plus de disques et fait plus de concerts que n’importe qui : les Strokes, les Kills, les White Stripes… Peut-être qu’on partait de plus loin mais ce qui nous arrive me semble légitime”, note le batteur qui termine ses œufs. Direction le studio, à quelques encablures du restaurant. Auerbach nous invite dans sa Subaru. Il place des serviettes sur la place du passager. “Mon toit est niqué et le siège trempé. Mais j’ai des vieilles techniques de tournée pour que tu gardes les fesses au sec.” Dans l’autoradio, une compilation de vieux tubes de pop thaïlandaise enregistrés entre 1964 et 1975. Auerbach tapote sur le volant pendant que Nashville défile sous nos yeux. Il pointe une enseigne du doigt. “The Basement, une toute petite salle. C’est ici qu’on a donné notre premier concert à Nashville.” La voiture s’arrête devant une immense grille à l’ouverture automatique. Le studio est un carré de béton, un genre de bunker. A l’intérieur, un sol de dalles noires 62 les inrockuptibles 9.03.2011

et blanches, des dizaines de guitares et de claviers, une batterie, des disques de Tom Waits, des Commodores, des Rolling Stones ou de très vieux bluesmen du Delta. Aucune fioriture. “On ne cherche pas à se construire une image, on en est incapables. Le studio de Dan nous ressemble, c’est le lieu de rendez-vous de mecs un peu nerds qui s’habillent avec ce qu’ils trouvent le matin au pied du lit”, plaisante

Patrick Carney qui s’assoit à la batterie et nous gratifie d’un solo monstre. Dans les prochains jours, l’enregistrement du septième album des Black Keys devrait débuter ici. “On a besoin de passer un peu de temps à jouer ensemble pour savoir dans quelle direction aller”, confie Auerbach qui tripote une guitare. Il y a quelques jours, les Black Keys ont couché plusieurs titres avec RZA, l’artificier sonore

Patrick Carney, qui a fini son solo, enchaîne : “Le seul mec avec qui on aimerait passer du temps, c’est le comédien Zack Galifianakis, le barbu de Very Bad Trip. Il nous fait pleurer de rire.” Dans les semaines à venir, les Black Keys vont emmener Brothers sur les scènes d’Europe (dont le 15 mars à Paris, à l’Olympia). On leur rappelle un épisode mémorable. Lors de leur premier passage en France au Festival des Inrocks à la Cigale en 2004, Auerbach avait collé un énorme coup de santiag dans le cul d’un importun qui avait grimpé sur scène et jouait avec les fûts de Carney. “Mais oui, c’était magnifique, une journée folle, raconte le batteur. Je me souviens aussi de ce type, Carl Barât des Libertines, qui est connu uniquement dans son pays et à Paris (rires)… Il se trimballait devant nous avec des mannequins de 12 ans, il paraissait ridicule. Il avait un bassiste abruti qui nous montrait son instrument à 10 000 dollars, on avait envie de le baffer.” Auerbach sourit : “Dès qu’on touche à Patrick, je sors mes santiags.”

PatrickCar ney et Dan Auerbach àNas hville, février 2011

Lorsqu’on les interroge sur la nature de leur relation, les deux Black Keys se font pudiques. Potes, frangins ? “Quelque chose entre les deux. On a passé notre enfance à Akron, c’est une bonne base pour nouer quelque chose. Tu verrais l’endroit ! On a tout connu ensemble, absolument tout. Essaie de passer dix ans avec un mec dans un van ou un studio. Si tu y parviens, ça prouve que le type est ton ami. C’est pour ça qu’il devient difficile de nous dissocier aujourd’hui”, explique Carney. 13 heures à Nashville. Dan Auerbach, qui explique qu’aucun taxi n’est passé devant son studio depuis 1984, propose de nous emmener manger des tacos puis de nous déposer au centre-ville. Patrick Carney a autre chose à faire. Avant de monter dans sa Subaru, Auerbach lance à son collègue qui se dirige lentement vers sa caisse : “On s’appelle avant ce soir, mon gars.”

du Wu-Tang Clan. “Je ne sais pas ce qu’on va faire de ces sessions mais elles ne devraient pas figurer sur le prochain disque ni sur un éventuel Blakroc 2. Mais c’était un plaisir de bosser avec lui. C’est une de nos idoles depuis le premier album du Wu-Tang, explique Auerbach. D’habitude, on refuse de rencontrer nos idoles, surtout les musiciens. Un jour Brothers (Nonesuch Records/Cooperative/Pias) on a croisé Lou Reed. Le moins que l’on www.theblackkeys.com puisse dire, c’est que le type est décevant.” Concert le 15 mars à Paris (Olympia)

9.03.2011 les inrockuptibles 63

A la tête du Théâtre de l’Odéon qu’il a transformé en ruche à idées, Olivier Py s’emploie à retisser engagement politique et création artistique. Rencontre à l’occasion de sa mise en scène des dernières années Mitterrand. par Fabienne Arvers et Patrick Sourd photo Christian Lartillot

Mitterrand de mal en Py

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irecteur du Théâtre national de l’Odéon depuis mars 2007, l’auteur et metteur en scène Olivier Py revient à un théâtre ouvertement politique : soit Adagio, un montage de textes qui témoignent des dernières heures au pouvoir de François Mitterrand. Militant, Olivier Py a fait la grève de la faim contre la guerre en Bosnie en 1995 et n’a jamais cessé de soutenir la cause des sans-papiers. Sur scène, il témoignait déjà en 1998 des atrocités commises avec Requiem pour Srebrenica. Cet engagement permanent se traduit dans sa programmation par des débats et des rencontres ouverts aux questions d’actualité et de politique, réunissant des personnalités telles que le poète Mahmoud Darwich ou le philosophe Peter Sloterdijk.

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Pourquoi faire de François Mitterrand un personnage de théâtre ? Olivier Py – Il y a très longtemps que je voulais écrire une pièce sur lui. C’est la figure politique de ma génération. Dans une vie d’homme, on n’en croise pas tant que ça. Quand j’ai commencé à écrire la pièce, je ne m’attendais pas à autant de commémorations : les trente ans de 1981, les quinze ans de sa mort… Aucun enjeu de ce genre dans mon travail. J’ai simplement mis deux ans pour trouver l’exact équilibre entre le montage de documents, notamment les textes de Mitterrand, et mon écriture, plus personnelle, plus scénarisée aussi. Retravailler les dialogues d’hommes politiques contemporains, n’est-ce pas risqué ?

“je ne mets pas un personnage sur scène pour me moquer de lui”

Paris, mars 2011

Je suis obligé de les reconstituer. On est au théâtre : il faut synthétiser et mettre en scène. S’agissant du texte que j’ai composé, je dirais que François Mitterrand a prononcé la quasi-totalité des mots que je lui attribue mais pas toujours dans ce contexte-là. J’ai parfois eu l’impression d’écrire du Mitterrand. D’un autre côté, quelques textes de lui, dont son ultime lettre qui ouvre Adagio : Comment mourir ?, ressemblent vraiment à du Olivier Py, on retrouve mon style métaphysico-lyrico-je ne sais quoi, alors qu’en fait, il s’agit de documents historiques. Jack Lang, Bernard Kouchner, Hubert Védrine, Anne Lauvergeon : les hommes et les femmes politiques que vous mettez en scène sont-ils au courant de votre projet ? J’en ai prévenu certains. Pour d’autres, ça m’a semblé moins indispensable. J’ai décidé en fonction de la place qu’ils tiennent dans la pièce et des précisions que j’avais à leur demander. Enfin, ce spectacle ne révèle rien sur la vie de Mitterrand. Je raconte une histoire que tout le monde connaît : le suicide de Bérégovoy, le référendum pour Maastricht… Mais on la découvre dans un autre contexte. De plus, le théâtre relie beaucoup plus la petite histoire à la grande que ne le fait l’historien ou même le journaliste, parce qu’il ne se situe pas au même endroit. Je ne pense pas non

plus que la pièce recèle tant d’éléments polémiques. Je ne suis pas agressif et je ne mets pas un personnage sur scène pour me moquer de lui ou le critiquer. Vous avez pris des libertés avec l’histoire contemporaine ? Bien sûr. Pour faire du théâtre historique récent, on froisse toujours l’exactitude pour arriver à la vérité historique. Je ne fais pas un travail d’historien à proprement parler, mais je défie quiconque de trouver une erreur historique. Cela dit, l’interprétation des faits m’appartient. Etudier le parcours politique de François Mitterrand vous a-t-il permis de le découvrir autrement ? Ah, certainement. J’avais un rapport sentimental avec cette période de notre histoire et de ma vie. Le travail et les rencontres ont beaucoup changé ma vision de Mitterrand. D’abord, j’ai ressenti de l’empathie. C’est difficile de passer deux ans à chercher un personnage de théâtre à travers une figure historique sans en passer par là. Je me suis peut-être radouci sur les points à propos desquels je le contestais. Certaines idées reçues comme son cynisme sont aussi tombées. Je n’ai jamais compris ce reproche : je trouve Mitterrand très attaché à ses valeurs, et ce jusqu’à la fin. Il ne m’apparaît pas du tout comme un homme qui aimerait le pouvoir pour le pouvoir. Autre idée fausse : on a dit qu’à la fin il était tellement malade qu’il ne s’occupait plus des affaires de la France. Le théâtre doit nous servir à rectifier ça, car les historiens disent au contraire que ça le tenait en vie. Dans cette fausse cohabitation de velours, il n’a pas arrêté de les emmerder. Vous faites ressortir des événements saillants, de Srebrenica au Rwanda. Evidemment, ça croise la question de la politique européenne, au centre du montage, ainsi que le rapport à la mort. J’ai choisi de parler de la fin de François Mitterrand. Quelques flash-backs permettent de mieux comprendre ce qui se passe dans les années 1995-96. Même si la défaite de la gauche, c’est 1993. Après, c’est la fin, c’est le crépuscule. Vous faites le portrait d’une époque à travers un ho mme ? J’aimerais bien qu’on arrive à ça. 1989 : la chute du Mur. 1992 : le début de la guerre en Bosnie. 1994-1995 : le Rwanda et la fin de la Bosnie. C’est une époque charnière où le monde change. Je crois qu’on ne froisse pas la vérité historique en présentant un président qui dit lui-même : “L’Histoire est allée plus vite que la diplomatie.” Ces chamboulements font que les hommes politiques n’ont pas le temps de réagir. A mon avis, une des erreurs politiques du Rwanda fut que l’opération Turquoise est arrivée trop tard. Il a suffi d’un mois pour perpétrer le génocide, tuer un million de personnes. Mitterrand a cette formule que je trouve 9.03.2011 les inrockuptibles 65

très belle : “L’Histoire, c’est un cheval qui passe au galop et il faut l’attraper.” Tout Mitterrand qu’il est, on voit bien que parfois il ne l’attrape pas. Ça résonne aussi avec ce qui se passe aujourd’hui ? C’en est presque incroyable. Je tenais beaucoup à ce qu’on ait presque côte à côte la Bosnie et le Rwanda pour faire apparaître la question du droit d’ingérence. C’est vrai que ça résonne très fort aujourd’hui. Vous avez toujours été un homme engagé. Séparez-vous votre engagement politique de votre métier de metteur en scène ? A l’époque de la guerre de Bosnie, je dissociais totalement théâtre et politique puis, deux ans après, j’ai monté Requiem pour Srebrenica ! C’est un peu contradictoire, mais j’avais eu une idée qui me permettait de le faire sans que ça devienne spectaculaire ou vulgaire. Ça a ouvert quelque chose dans une partie de mon œuvre qui a plus à voir avec la réalité. Mais quand je travaille sur Les Suppliantes d’Eschyle avec une association de femmes maghrébines, je crois que je fais autant de politique que quand je monte Adagio. On a créé la pièce à l’Odéon et elle tourne encore cette année. C’est juste moins direct. L’Odéon programme des débats, des rencontres et des lectures. Vous pensez que le théâtre peut être un lieu de paroles ? Ben tiens, tu parles, bien sûr ! Ça a été notre grande révolution en arrivant dans cette maison : qu’elle soit toujours ouverte, qu’il s’y passe tout le temps quelque chose et qu’on réagisse à l’actualité. L’exemple, c’est cette rencontre avec des artistes tunisiens le 19 janvier. 66 les inrockuptibles 9.03.2011

Alain Fonteray

Philippe Girard incarne le président socialiste dans Adagio (Mitterrand, le secret et la mort) d’Olivier Py

Ça s’est organisé à toute vitesse : un coup de fil, le plateau libre le soir et on essaie de faire quelque chose. En fait, depuis deux ans nous avons une programmation Printemps arabe. Nous y avons reçu Mahmoud Darwich. J’ai un regret : ne pas avoir fait entendre la langue arabe plus tôt à l’Odéon. Quelqu’un comme Obama accorde son action à sa pensée sur le monde. Est-ce encore le cas de la classe politique en France ? Pas vraiment… Surtout si on prend une définition que donne Mitterrand dans le spectacle : “La politique, c’est l’espérance.” Dans son discours d’intronisation, il dit : “C’est l’espoir qui a triomphé et il faut que ce soit la vertu la mieux partagée chez les citoyens.” J’adore cette formule. Un homme politique donne de l’espoir, il ne se contente pas d’être un syndic de faillite. Obama a incarné l’espoir à un certain moment d’un changement pacifique. Il nous appartient de mener les combats. Ceux qui prétendent que “rien n’est possible” tiennent un propos totalitaire. C’est la parole de la realpolitik où chaque cause entraîne son effet, où l’élément humain n’intervient pas, ne change rien. On en voit la démonstration inverse aujourd’hui, on prend une grande leçon de politique : les Tunisiens, les Egyptiens et aujourd’hui les Libyens nous montrent qu’il n’y a pas de fatalité. Sur des questions comme le partage des richesses chez nous, on peut en faire autant. Dire non. Adagio (Mitterrand, le secret et la mort) d’Olivier Py, du 16 mars au 10 avril à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris VIe, www.theatre-odeon.fr

Jimmy Rivière de Teddy Lussi-Modeste Les valses hésitations d’un jeune homme entre la religion et la boxe chez les gens du voyage. Un premier film lyrique et plein d’allant.



lléluia : le cinéma français a trouvé son Nicholas Ray, ou son Elia Kazan. Bienvenue à Teddy Lussi-Modeste, ex de la Fémis qui a trouvé en sa consœur Rebecca Zlotowski (réalisatrice de Belle épine) la coscénariste idéale pour donner de la force romanesque et une ampleur quasi mythologique, apporter de la patience narrative et de la minutie à un scénario plutôt archi rebattu depuis que le cinéma est le cinéma. Un jeune homme, Jimmy, qui se cherche, qui ne sait que faire de la violence qui circule en lui, écartelé entre la manière la plus directe de l’exprimer, de l’expulser (la pratique assidue de la boxe thaï) et la volonté du clan familial (les gens du voyage) de la faire taire avec l’aide de la religion. Il y a bien le sexe aussi, la passion sauvage, la fièvre dans le sang qu’il vit avec

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sa copine (Hafsia Herzi), mais elle ne s’accorde ni avec l’une (le sport), ni avec l’autre (la religion). Alors que faire ? Doucement, de manière éclatée, sans rien mâcher par des dialogues explicatifs, Lussi-Modeste nous fait découvrir le monde mouvementé de Jimmy Rivière, son Johnny Guitar à lui, tiraillé entre les femmes de la famille (sa sœur, maquée avec Ezéchiel qui veut devenir pasteur ; sa mère, qui lui a toujours caché qui était son père et pourquoi il est parti), et la boss qui mène d’une main de fer le club de boxe du voisinage (Béatrice Dalle, belle âme androgyne d’un certain jeune cinéma français). Mais les gens du voyage ne voyagent plus, plus rien n’est comme avant, le temps des mythes est terminé, et l’on ne peut ménager la chèvre et le chou. A force de refuser de choisir, d’être au four et au

hommage

Jane Russell (1921-2011) c’était écrit : Jimmy Rivière est un film de loser, il est déjà trop tard. Mais la lose sera magnifique

Béatrice Dalle et Guillaume Gouix

moulin, Jimmy va tout gâcher. C’était écrit : Jimmy Rivière est un film de loser, il est déjà trop tard. Mais, et c’est là que Lussi-Modeste a en lui quelque chose de ces cinéastes des perdants américains des années 50, la lose sera magnifique. Lussi-Modeste a d’abord trouvé en Guillaume Gouix l’acteur idéal : flamboyant, tête folle, grande gueule mais visage d’ange, entre James Dean et Belmondo. Dès les premiers plans, mystérieux, le cinéaste érotise à plein et met en lumière son interprète principal et principalement son corps musclé, qui revient sans cesse au centre de l’écran, comme une étoile incandescente dans une nuit profonde. Pourtant, Lussi-Modeste ne fait pas dans le pathos, ne fait rien pour nous faire pleurer sur le sort de cette communauté voyageuse qui a ses propres rites, ses propres lois. Il ne la noircit pas mais nous la rend plus proche, loin des clichés colportés par les Brice Hortefeux de tout poil qui fleurissent dans notre jolie République. Il en montre aussi les aspects les plus ambigus et les plus pesants, sans jamais charger ses personnages. Même le personnage du pasteur, subtilement interprété par le grand Serge Riaboukine qui évite bien de placer la moindre ironie dans son jeu, gardera

jusqu’à la fin son opacité, sa part d’humanité, jusque dans son erreur, ou l’expression désordonnée et subite de sa propre part animale. Comme dans toute société, celui qui refuse de se plier à ses lois finit par s’en exclure ou par en être exclu, violemment exclu, parce qu’il la met en danger. C’est ce qui est arrivé au père de Jimmy, scène primitive et traumatique d’une rare justesse qui permettra soudain au fils et à sa mère d’apprendre à se dire la vérité. Et c’est ce qui menace Jimmy. Enfin, au-delà de l’aventure individuelle, Lussi-Modeste, toujours aussi américain dans ses valeurs cinématographiques, et bien qu’imprégné de tout ce que le cinéma français d’aujourd’hui a de plus vivant (le versant Pialat-Kechiche, rappelé par la présence de la sublime Hafsia Herzi, qui nous paraît souvent pesant dans la plupart des films, est ici transcendé par le jeu des acteurs non professionnels qui entourent les stars du film), constate l’inexorable incapacité des personnalités les plus fortes à se fondre dans la banalité et le moule de la communauté, quelle qu’elle soit. Ses ailes de géants l’empêchent de marcher. A lui de choisir : s’habituer à la marche, ou prendre son envol, seul, fier et triomphant. Mais proie facile. Jean-Baptiste Morain Jimmy Rivière de Teddy Lussi-Modeste, avec Guillaume Gouix, Béatrice Dalle,  Hafsia Herzi (Fr., 2009, 1 h 30)

le réalisateur Né en 1978 dans la communauté gitane de Grenoble, Teddy LussiModeste suit des études de lettres modernes avant d’entrer à la Fémis. Depuis 2004, il a réalisé trois courts métrages : Embrasser les tigres, qui se déroule déjà dans le monde des voyageurs (le nom que se donnent les gens du voyage en France) du Dauphiné, Dans l’œil (2007) et Je viens (2009).

Sale temps pour les actrices. Après Annie Girardot, Jane Russell nous a quittés – à un âge respectable. Avant de devenir rombière réac, Jane Russell était un symbole sexuel des 50’s, une pin-up à la Bettie Page. Jane était “sassy” – canaille, pétillante, bandante, mais tenant tête aux hommes. Une chevelure de jais, un regard qui semblait dire “toi, je te mettrais bien dans mon lit, mais fais gaffe, ou je te mange tout cru”. Et, que les féministes nous pardonnent, Jane était une poitrine, par sein Pierre et sein Paul ! Bob Hope la présentait comme “the two and only Jane Russell !” Paire mythique et d’autant plus érotique que, pruderie hollywoodienne oblige, on n’en devinait que l’échancrure. Au long des années 50, Jane a promené sa brunitude, sa lascivité et sa majesté mammaire dans divers westerns et films d’aventures plus ou moins oubliables. Point d’orgue, la comédie de Howard Hawks, Les hommes préfèrent les blondes, où elle prouvait aux côtés de Marilyn que les brunes ne comptaient pas pour des prunes. Le destin opposé des deux stars laisse songeur. Brune versus blonde, vie longue et tranquille contre vie courte et tourmentée, retour à un certain anonymat ou postérité éternelle. Si “les hommes préfèrent les blondes” (ça reste à démontrer), le bonheur de vivre avait choisi la brune.

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La Ligne droite de Régis Wargnier avec Cyril Descours, Rachida Brakni, Clémentine Célarié (Fr., 2011, 1 h 38)

A ciel ouvert d’Iñès Compan Un documentaire beau et simple sur la lutte d’une communauté indienne pour sa survie en Argentine.



vant toute chose, c’est un documentaire paysager sur la Puna, province aride du nord de l’Argentine, paysage lunaire de hauts plateaux où vit une communauté amérindienne clairsemée, les Kollas. On a presque l’impression que la première raison du film est ce décor pur et surréel où la cinéaste fait des séjours réguliers depuis 1993. Bien sûr, le sujet est aussi social, voire ethnographique. Iñès Compan s’intéresse au cas des Kollas, à leur problème de survie loin de la civilisation industrielle. Le film commence avec eux : on les voit installer un barrage de fortune sur l’unique route de la région pour protester contre l’absence d’infrastructures (eau, école, électricité) dans leur village isolé. Puis on enchaîne sur une autre question : l’installation imminente près d’un autre village d’une gigantesque mine d’argent à ciel ouvert par une firme canadienne, qui va bouleverser l’écosystème et l’économie pastorale (l’élevage de lamas). Le symbole de l’argent extrait sur leur territoire par des gringos résonne en outre comme une provocation pour ces paysans vivant d’expédients. Le gouvernement argentin et la compagnie canadienne leur font miroiter des indemnités, des emplois 70 les inrockuptibles 9.03.2011

à la mine, mais cela semble être un leurre. Voir la séquence clownesque (jouée pour la caméra ?) où un envoyé de la firme vient dans une école faire une démonstration du matériel de protection des mineurs. A priori, on se demande pourquoi la réalisatrice a mêlé ces deux histoires : celle des manifestants, avec leur école jamais terminée, et celle des riverains de la mine. In fine, il est clair que cette indifférenciation a pour effet de souligner la proximité des destins des autochtones, démunis par l’absence d’infrastructures dans la région et mis en danger par l’exploitation du terrain par les néocolonialistes nord-américains. Cela en dit long sur la permanence d’un schéma politique identique en Amérique latine (du moins en Argentine), au-delà des régimes de différentes couleurs politiques qui se succèdent. Sur un plan cinématographique, le film évite les facilités, se garde de tout commentaire en voix off, malgré une utilisation un peu folklorique de la musique (style flûte des Andes), attendue dans le contexte. Mais la force du réel et le regard prosaïque sur les problèmes de survie de ces anciens colonisés balaient nos quelques réticences. Vincent Ostria A ciel ouvert d’Iñès Compan (Fr., 2010, 1 h 34)

Mélo indigeste dans le milieu de l’athlétisme. Après avoir alterné le drame historique (Man to Man) et le polar (Pars vite et reviens tard), Régis Wargnier tente cette fois de concilier sa passion pour l’athlétisme et son goût pour le mélo. Un sportif devenu aveugle rencontre sa future guide, une trentenaire libérée de prison. Pour courir, ils s’attachent au poignet par un fil. Apogée du pompiérisme wargniérien, l’interminable séquence finale au Stade de France combine de nombreux ralentis, hideux à vouloir être classieux, à l’omniscience indigeste de la musique orchestrale (Patrick Doyle qui récidive depuis Indochine). Tandis que les sprinters ruissellent sous l’effort, le film exsude ses bons sentiments : la souffrance des personnages étant de façade et éphémère, chaque épreuve se résout dans la foulée. Le schéma est tel qu’une douce pacification/normalisation apparaît comme seul point de chute possible d’un film effrayé par le moindre remous. Arnaud Hallet

Poursuite de Marina Déak avec elle-même, Aurélien Recoing (Fr., 2009, 1 h 32)

Le Rite de Mikael Håfström avec Anthony Hopkins (E.-U., 2011, 1 h 53)

Anthony Hopkins exorcise à tour de bras dans les chaumières italiennes. Plaisant. Le Rite est un retour plutôt classique au film d’exorcisme après de récentes relectures – comme le raté Unborn (et son rabbin) et le petit malin Le Dernier Exorcisme, en forme de faux documentaire. Le genre, codifié depuis L’Exorciste de William Friedkin (1973), n’en est pas moins riche, mélange de rituel, de buddy-movie (il y a toujours un vieux prêtre blasé et son jeune partenaire) et de huis clos théâtral dans la chambre de la possédée (une fille, c’est efficace, surtout quand elle vous vomit de la soupe de pois). L’intérêt est aussi visuel car physique (la possession du démon tient à la fois du body art, du contorsionnisme et de la danse contemporaine) et thématique, concentrant les névroses d’une époque, comme celle de l’enfant-roi chez Friedkin. Dans Le Rite, c’est le volcan islandais Eyjafjöll, clouant les avions au sol en 2010, qui a l’air d’annoncer l’Apocalypse. Le film commence plutôt mollement, avec un séminariste forcé de suivre des cours d’exorcisme à Rome. Entre enfin Anthony Hopkins en exorciste vétéran, qui va lui montrer que le diable ne chôme pas en Italie. L’acteur est bien sûr la principale attraction du Rite, dans un rôle en combustion lente : en vieux pro, notre fonctionnaire du mal au cinéma (Hannibal Lecter, Nixon) dose ses sarcasmes las et le Grand-Guignol lorsque lui-même se fait posséder. Le meilleur des films d’exorcisme, c’est que le démon est un grand bavard, qu’il tente les prêtres ou enseigne des langues étrangères à ses victimes. Et l’énergie du genre tient à cette jouissance orale, de la logorrhée blasphématoire, de la joute verbale entre psychanalyse dégénérée et jeu télévisé (pour chasser le démon, il faut le forcer à avouer son nom). Diction impeccable, Hopkins est donc le bon candidat. Le Rite rappelle, modestement, pourquoi on a de la sympathie pour le diable. On peut ensuite regarder Le Rite de Bergman (1968), film d’exorcisme déguisé, où un juge est face à des acteurs accusés d’obscénité. Avec le même programme d’hystérie, de théâtralité et de mort. Léo Soesanto

Les affres d’une trentenaire en crise dans un style vériste et dépouillé. Le genre de film qu’on défendra bec et ongles contre la médiocrité du prémâché et du prêt-à-filmer. En même temps, ce portrait vériste d’une trentenaire ordinaire n’est pas réellement notre tasse de thé, en raison de son enchaînement méthodique de situations plates. Pourtant, l’air de rien, Poursuite trahit une immense ambition : faire entrer toute la vie dans un film. Mission quasi impossible à laquelle se heurte Marina Déak. Pour parfaire son effet de réel, elle utilise par exemple de fausses interviews de jeunes femmes qui, comme l’héroïne, n’assument pas tout à fait leur maternité. Le récit lui-même importe peu. Ce qui manque n’est pas de l’ordre de la narration mais du style, c’est-à-dire l’affirmation d’une volonté dans la représentation (comme dirait Schopenhauer). Ici, ça coule comme un fleuve tranquille. Pas beaucoup de flamme dans ces coucheries, ces scènes de ménage, ces câlineries, ces balades (sauf dans la belle séquence finale où mère et fils miment un baiser à travers une vitre). Un accent singulier survient avec une étrange séquence de piscine, rêvée, fantasmée ou vécue, qui trouble à la fois par son irrationalité, son laconisme et sa sensualité brusque. V. O.

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Paris, 2010

mordu Ossang Alors que sort son nouveau film, une rétrospective rend visible l’œuvre de FJ Ossang, marquée par l’expressionnisme, le cut-up et le punk.

C  

ette semaine, retour d’une rare mais scintillante comète dans le ciel encombré du cinéma. FJ Ossang revient avec un nouveau film (Dharma Guns, lire ci-contre), alors qu’une rétrospective lui est consacrée, montrant ses trois précédents longs métrages en copies neuves. Originaire d’Aurillac, ce passionné de motos et de moteurs se destinait d’abord à devenir pilote, mais un accident lui met le corps en vrac à l’âge de 15 ans. Pas grave, il deviendra poète, dardant ses rayons en littérature, musique et cinéma. Côté livres, c’est la revue Cée, la création des Cééditions au mitan des 70’s, des recueils poétiques et des romans barrés, l’influence de William Burroughs, le compagnonnage du poète Claude Pélieu. Fan de la symphonie industrielle des moteurs, Ossang fonde logiquement à la fin des années 70 les Messageros Killer Boys, alias MKB Fraction Provisoire, phalange punk indus à la croisée de Clash et des Throbbing Gristle, qui signera toutes les musiques de ses films. Car cet aventurier du cut-up, de la nuit et de l’électricité passe l’Idhec (l’actuelle Fémis) et fait de son travail de fin d’études son premier film, L’Affaire des divisions Morituri. Suivront quelques années après Le Trésor des îles Chiennes, puis Docteur Chance.

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Le cinéma selon Ossang, ce sont d’abord ces titres qui claquent comme des romans noirs, des machinations politiques, des BD d’aventures, des titres de faits divers. Dès le générique, on quitte le naturalisme, on embarque vers des territoires rêvés. Plus poétiques que narratifs, plus sensoriels que discursifs, ses films sont les fantasmes d’un captif amoureux, d’un cinéphile qui ne s’est jamais remis d’avoir découvert le muet, l’expressionnisme allemand, le modernisme soviétique, les films d’aviation, l’âge d’or hollywoodien, les séries B. Avec ses moyens, sa famille d’acteurs (sa muse Elvire, le boxeur Stéphane Ferrara, Joe Strummer…), son énergie, son refus des compromis, Ossang mélange ses influences et les catapulte les unes contre les autres, recrache à la punk les images qui l’ont foudroyé, puis hanté. Il y a une dimension chamanique chez Ossang, comme s’il avait été visité par quelques cinéastes élus et n’en était jamais revenu. Prisonnier consentant de de ce panthéon mental, il en réverbère des flashes tel un conducteur électrique. Comme chez tous les artistes irrécupérables et obsessionnels, le cinéma d’Ossang est résolument inactuel, ou éternel, en tout cas totalement autarcique, intensément personnel, irréductible aux modes, au commerce. Bien que propulsés

par les envolées bruitistes contemporaines de MKB, les films de FJ Ossang sont destinés aux rêveurs, nostalgiques, romantiques, sensibles à la fragilité de la pellicule, à la rugosité vibratile d’une image granuleuse, au combat plastique entre ténèbres et lumière, à l’exotisme des noms et contrées lointaines. Car si les films d’Ossang sont un appel au voyage, c’est aussi parce qu’ils ne sont pas tournés en Normandie, mais au Portugal, au Chili, aux Açores. Albums de Tintin réinvestis par la cold-wave, films de Murnau habités par des punks, expressionnisme à la Fritz Lang hanté par la catastrophe fasciste, le cinéma d’Ossang a peu d’amis dans le paysage d’aujourd’hui : peut-être Lynch, Grandrieux, éventuellement Maddin. Déstabilisant pour un spectateur habitué au ciné-roman, aux récits formatés, le cinéma d’Ossang procède par stimuli sensoriels prélevés dans la grande banque d’images de l’inconscient collectif. Archaïque et moderne, primitif et sophistiqué, rock et romantique, esthète et solitaire, tel est l’astéroïde Ossang. Serge Kaganski photo Renaud Monfourny Rétrospective FJ Ossang à partir du 9 mars au MK2 Hautefeuille, Paris VIe, puis en province DVD Coffret L’Affaire des divisions Muritori, Le Trésor des îles Chiennes, Docteur Chance (Potemkine/agnès b.), environ 40 €

Dharma Guns de FJ Ossang

Hallucinante expérience sensorielle d’un des derniers poètes-esthètes du cinéma. ès la séquence une contrée en situation la milice des Dharma Guns d’ouverture, ce n’est de guerre ou d’état de suffisent à susciter plus du cinéma, siège, il croise d’inquiétants un univers romanesque, mais le cinéma avocats et de douteux à créer un ailleurs, de FJ Ossang : une femme, médecins, déambule dans à convoquer la Russie lunettes noires, physique un hôtel désert, à moins ou l’Amérique latine par de star des années 40, pilote que ce ne soit une prison. le jeu des consonances. un hors-bord. Derrière Un trafic d’armes semble On ne saurait pas résumer son visage, on distingue un être au cœur de cette ce que raconte Ossang skieur nautique qui slalome planète onirique… ou assigner un sens précis dangereusement. Noir Peu importe l’opacité du à son histoire. Ce qu’on et blanc. Musique furieuse récit, seule compte la force sait, c’est que regarder de MKB. Tout Ossang est des images ourdies par Dharma Guns est une là : l’évocation du cinéma le cinéaste. En noir et blanc expérience forte, loin ancien, le sens du plan, ou en couleurs, les plans de notre réalité prosaïque du glamour, du mystère, d’Ossang ont toujours l’air et qui pourtant la reflète du mouvement, de la fureur, d’avoir été prélevés dans aussi (des pays en état de l’électricité. l’histoire du cinéma puis de siège ou de guerre, Soudain, l’accident : recomposés par son propre des individus broyés par le skieur est inanimé, imaginaire. On se croirait des forces puissantes, placé dans une ambulance. parfois replongé dans du on en voit tous les jours On le retrouve dans Murnau ou dans du Franju, aux infos). Dans un différents voyages, aux puis dans du Lynch, mais paysage largement dominé prises avec une mystérieuse ces référents sont plutôt par le réalisme, le roman, succession, mêlé à évoqués par rémanences la fiction classique d’obscures machinations, que recopiés ou cités. et son trio expositionvictime d’expériences Un peu comme Guiraudie, conflit-dénouement, médicales étranges. Ossang a le génie des noms Ossang apparaît comme Flash-backs ? Traversée évocateurs ou des mots l’un des derniers poètesdu pays des rêves ? Ou du inventés, décisifs dans esthètes purs et durs pays des morts ? Et qui est la création d’un monde du cinéma. S. K. notre héros ? Un guerrier ? singulier. On se souvient Un artiste ? Un héritier ? du “Stelinskalt” dans Dharma Guns de FJ Ossang Un espion ? Une victime ? Le Trésor des îles Chiennes. avec Elvire, Guy McKnight, Déjà mort ou en sursis, Ici, le professeur Starkov, Stéphane Ferrara, Diogo Dioria (Fr., Port., 2010, 1 h 33) notre skieur atterrit dans le lieu-dit Las Estrellas,

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en salle rétrospective Straub et Huillet

Deux figures influentes dans l’ombre : l’agent Sue Mengers et le coiffeur Fred Glaser aux côtés de leur star Barbra Streisand en janvier 1969

hors salle Vertigo Machins choses Le nouveau numéro de la revue de cinéma Vertigo s’intitule “Machins choses”, citation de Robert Desnos dans son poème Comme. L’édito mentionne Bresson pour expliciter ce titre : “donner aux objets l’air d’avoir envie d’être là”. Les articles s’articulent en effet autour de la place des objets au cinéma, que ce soit chez Ophüls, Donzelli, Straub ou Dupieux. Au sommaire également : un dossier sur Adolpho Arrietta, avec notamment un entretien et un texte de la cinéaste et critique Sandrine Rinaldi. Vertigo n° 39, hiver 2011 (Nouvelles Editions Lignes), 128 pages, 17 €

box-office les Coen dégainent Après son énorme succès aux Etats-Unis, True Grit démarre très fort en France en réunissant plus de 600 000 spectateurs dès la première semaine. Malgré cette belle sortie, le western des frères Coen ne parvient pas à dézinguer Buffalo Boon. Rien à déclarer reste en tête : avec près d’un million d’entrées cette dernière semaine, il avoisine maintenant les 7 millions au terme d’un mois d’exploitation. Une surprise dans le Far West du box-office : Les Femmes du 6e étage (Philippe Le Guay) coiffe au poteau le cygne noir d’Aronofsky et s’empare de la troisième place du podium de la semaine.

autres films L’Assaut de Julien Leclercq (Fr., 2010, 1 h 30) We Want Sex Equality de Nigel Cole (G.-B., 2010, 1 h 53) 74 les inrockuptibles 9.03.2011

Max B. Miller/Fotos International/Getty Images

L’œuvre de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub va séjourner à Metz, ville natale du cinéaste. La rétrospective s’articulera en quatre week-ends thématiques. De nombreux débats et projections sont prévus. Plusieurs invités gravitant autour de l’œuvre des cinéastes seront présents – Frédéric Pajak, Philippe Lafosse, Jean-Pierre Ferrini, Pedro Costa ou encore Gustav Leonhardt qui donnera un concert. A noter aussi la carte blanche à Jean-Marie Straub : il présentera La Grande Illusion, Le Caporal épinglé (Jean Renoir) et 6 juin à l’aube (Jean Grémillon). En outre, Philippe Lafosse publie Maintenant dites-moi quelque chose, retranscription (sous forme de film parlé) de la rencontre entre Jean-Marie Straub et ses spectateurs lors d’une rétrospective organisée en 2007 au Reflet Médicis, à Paris. Rétrospective Straub-Huillet du 11 mars au 3 avril au Centre Pompidou-Metz, www.centrepompidou-metz.fr Maintenant dites-moi quelque chose de Philippe Lafosse (Scribest Publications), 95 pages, 10 €

studios avec vue Recueil d’articles écrits sur près de trente ans par le plus célèbre chroniqueur du Nouvel Hollywood.

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e Peter Biskind, on connaissait deux succès d’édition parmi les plus remarqués ces dernières années dans ce secteur amenuisé qu’est le livre de cinéma. Il y eut d’abord Le Nouvel Hollywood, en 2002, récit de la révolution que subit La Mecque du cinéma à la fin des années 60. Révolution esthétique bien sûr, mais aussi économique, politique et pour ainsi dire morale, puisque l’ex-rédacteur en chef du Première américain y détaille avec délectation les excès (drogues, sexes, alcool) de cette génération de wonderboys dont les chefs de file se nomment De Palma, Scorsese, Coppola, Cimino… Quatre ans plus tard, Biskind s’intéressait à la génération suivante.

plutôt qu’aux stars, c’est au parcours des stratèges de l’ombre que s’intéresse Peter Biskind

Sexe, mensonges et Hollywood traite cette fois des mutations que connaît l’industrie hollywoodienne au mitan des années 80, avec la mise en place de nouveaux circuits de diffusion (chaque major développant sa propre filiale de films “indépendants”) et de légitimation (création du fameux festival de Sundance). Cette nouvelle donne permit l’éclosion de quelques cinéastes majeurs : Jim Jarmusch, Gus Van Sant, Todd Haynes… Biskind a déployé un souffle incontestable dans ces fresques historiques, construites sur un mode feuilletonnesque d’haletantes séries télé. Le revers de ces grands récits (surtout dans le premier ouvrage) était de privilégier excessivement les pistes biographiques, au risque d’une peoplisation de l’histoire et d’un penchant pour les révélations privées au bord du tabloïd. Du coup, on avait presque oublié que ce story-teller avait d’abord été un critique de cinéma, s’occupant à analyser des œuvres plutôt qu’à raconter des vies. C’est cette part méconnue de sa carrière que révèle ce troisième opus, intitulé Mon Hollywood. Il s’agit cette fois d’un recueil de

textes divers écrits sur près de trente ans. La première partie, celle des années 70, est la plus théorique. On y trouve de longues études de films publiées dans des revues qu’on imagine pointues (Film Quarterly, Jump Cut ou carrément Socialist Review). Biskind y développe une approche critique très américaine, politisée, sociétale et profondément empreinte de gender studies. Après un essai sur la figure du pouvoir dans l’œuvre de Kazan, il s’étend sur l’homosexualité à peine refoulée dans Le Canardeur de Cimino ou encore sur les liens entre la représentation de la virilité et celle de la condition ouvrière dans le cinéma américain. Le style est un peu pesant, mais l’analyse rigoureuse, argumentée, émaillée de notations bien vues. Si cette partie intéresse parce qu’elle lève le voile sur un Biskind ignoré et qu’elle nous documente sur ce qu’a pu être la critique idéologique américaine des années 70, c’est quand même dans la seconde partie, constituée essentiellement de grands portraits pour Première ou Vanity Fair, qu’éclate la virtuosité de Biskind. Son talent tient bien sûr à son sens de la charpente narrative, qui lui permet de dérouler une vie entière au rythme d’une trépidante nouvelle. Mais aussi à la pertinence des choix de sujet. Plutôt que d’élire des stars ou des artistes de premier plan (comme dans Le Nouvel Hollywood), c’est au parcours des stratèges de l’ombre que s’intéresse ici Biskind : des agents, des producteurs… On suit par exemple la trajectoire romanesque de Don Simpson, producteur de Flashdance et de Top Gun, sacrifié sur l’autel – recouvert de rails de cocaïne – des années 80. En quinze ans, on le voit au pinacle puis s’effondrer jusqu’à devenir une énorme baleine dépressive, échouée, aux prises avec toutes les addictions. Mais notre chouchou est la tonitruante Sue Mengers, agent de stars, qui tient le Tout-Hollywood seventies dans sa main (ses clients sont Barbra Streisand, Brian De Palma, Ryan O’Neal, Burt Reynolds, etc.). Mais cette reine secrète d’Hollywood, qui avait le pouvoir de monter un film en deux heures, ne voit pas l’époque changer et se fait torpiller par les années 80. Le livre est lui-même le récit en creux d’un trajet de vie. En moins de cinq cents pages, on y voit un jeune critique occupé à déconstruire la figure du pouvoir chez Elia Kazan devenir le portraitiste tour à tour lyrique et cruel des grandeurs et décadences des puissants. Jean-Marc Lalanne Mon Hollywood de Peter Biskind (Le Cherche Midi), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie-Mathilde Burdeau, 478 pages, 21 €

il était une fois Pixar Un livre retrace l’histoire et la “vision du monde” des studios Pixar, créateurs de Toy Story et de Wall-E. Derrière le dernier titre des éditions Capricci, Génie de Pixar, se glisse une référence à un des textes les plus célèbres des annales de la critique : “Génie d’Howard Hawks”, de Jacques Rivette, publié dans les Cahiers en 1953, qui contribua à installer la fameuse “politique des auteurs”. C’est donc sans surprise que les lecteurs du livre, forcément cinéphiles, découvrent en introduction le projet posé par Hervé Aubron : considérer les studios Pixar comme un seul et super auteur. Etant donné l’importance des productions Pixar dans l’histoire récente des films d’animation mais aussi du cinéma en général (de Toy Story en 1995 jusqu’à Là-haut en 2009, en passant par Le Monde de Nemo, Wall-E ou Monstres & Cie), la proposition a de quoi séduire. Hélas, Aubron dévie rapidement de l’ancrage annoncé pour livrer un exercice de style qui tient moins de l’analyse d’image à proprement parler que des cultural studies version française. De cette variation rhétorique sous influence Baudrillard sur la posthumanité supplantée par les machines, on retiendra avant tout la partie factuelle sur l’incroyable création clandestine du studio. Patrice Blouin Génie de Pixar d’Hervé Aubron (Capricci), 96 pages, 7,95 € 9.03.2011 les inrockuptibles 75

Piranha 3D d’Alexandre Aja avec Elisabeth Shue (E.-U., 2010, 1 h 29), Wild Side, env. 20 €

Ugo Tognazzi dans Nous voulons les colonels de Mario Monicelli

rires de maestros Trois fleurons des années 70, dernier âge d’or de la comédie italienne. Les films La collection “Les Maîtres italiens”, lancée depuis plusieurs années par M6 Vidéo, continue vaillamment son petit bonhomme de chemin. Elle ne propose pas que des chefs-d’œuvre, mais c’est tant mieux : cette diversité permet au spectateur français d’édifier, pierre après pierre, une collection assez représentative de la production transalpine entre les années 50 et la fin des années 70 environ. Les trois films édités ici sont trois belles comédies des années 70, bien écrites, drôles, caractéristiques de chacun de leurs réalisateurs. Dino Risi, l’intellectuel caustique et un peu hautain, raconte l’ascension vers la gloire cinématographique d’une femme de ménage vénitienne de petite vertu qui deviendra la maîtresse de Mussolini (Agostina Belli, qui jouait Sara, l’amoureuse de Gassman dans Parfum de femme) ; Mario Monicelli, le gauchiste grand public, imagine qu’un député d’extrême droite (Ugo Tognazzi, impayable de vulgarité) organise un coup d’Etat ; Luigi Comencini, le plus esthète et le plus humaniste, dresse le portrait touchant, au début du XXe siècle, d’une oie blanche (la magnifique Laura Antonelli) qu’on a mariée par erreur à son frère et qui perdra sa virginité avec son chauffeur. Tous osent, avec une bonne humeur décapante et une grossièreté de bon aloi : se moquer des fascistes pendant 76 les inrockuptibles 9.03.2011

les années de plomb, railler les obsessions sexuelles et la méchanceté de la bourgeoisie catholique, ou sonder l’âme noire de l’homo italianicus. On vante souvent, avec raison, le talent des scénaristes de ces comédies dites à l’italienne (Age, Scarpelli, etc.), et de ses acteurs (Tognazzi, Gassman, etc.), aussi doué dans le comique que dans le tragique, peu soucieux de l’image parfois antipathique que renvoient leurs personnages. Ces trois films nous rappellent également le talent, l’humour et la beauté des actrices du cinéma italien (Antonelli, Belli…), et de ses techniciens de première qualité (Tonino Delli Colli , Ruggero Mastroianni, Dante Ferretti…), qui travaillaient à la fois, sans distinction, pour ce cinéma populaire de qualité et pour les plus grands auteurs italiens de l’époque, notamment Fellini ou Pasolini. Les DVD En bonus, deux interviews fort tardives et émouvantes de Monicelli et de Risi, peu de temps avant leur mort (rappelons que Monicelli se défenestra à l’âge de 95 ans le 29 novembre dernier). Jean-Baptiste Morain La Carrière d’une femme de chambre de Dino Risi (1976) ; Nous voulons les colonels de Mario Monicelli (1973) ; Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas ? de Luigi Comencini (1974), M6 Vidéo, environ 13 € chacun

Des piranhas mangeurs de silicone dans une série B assez réjouissante. Le film Dans la polémique qui l’a opposé au gardien du temple James Cameron, le Frenchie Alexandre Aja ne pouvait pas prévoir que sa défense de la 3D comme pur gimmick (plaisir du débordement plutôt qu’art de la profondeur de champ) allait rendre l’édition DVD de son Piranha 3D presque obsolète. Presque, car si la version aplatie sacrifie un peu du charme dégénéré d’un ballet aquatique de quelques playmates en relief, elle n’entame pas la générosité et l’énergie foutraque du film. On y retrouvera donc le portrait mi-fasciné mi-terrifié d’une jeunesse yankee punie de ses excès par des piranhas, le tout mis en scène avec l’inspiration d’un MTV Grind piraté par le Peter Jackson des débuts (versant Braindead). Sans le chic de la 3D reste un petit objet de vidéoclub qui compile des références geek (Richard Dreyfuss en première victime des poissons tueurs) en forme d’hommage à l’americana gore et cul des eighties. Le DVD Des scènes coupées dispensables ; un focus sur les effets spéciaux à l’ancienne du mythique studio KNB dans le making of ; et Kelly Brook, très drôle, qui explique que ses seins ont détruit le procédé de conversion de la 3D. Romain Blondeau

Liliom de Frank Borzage Frank Borzage, un des plus grands poètes du film muet américain, réussit avec Liliom son premier coup d’éclat dans le cinéma parlant. Le film Parmi les plus beaux films du cinéma, il existe une lignée spécifique de quelques chefs-d’œuvre qui poussent l’hésitation originelle du septième art entre rêve et réalité jusque dans ses retranchements ultimes en divisant leur récit entre ciel et terre, vie et mort : le sublime Ciel peut attendre d’Ernst Lubitsch en 1943 ou le très gracieux Une question de vie ou de mort de Powell et Pressburger en 1946. Mais le modèle premier de ce grand balancement cosmique s’appelle Liliom. Cette pièce de 1909 de l’écrivain hongrois Ferenc Molnár n’a cessé de hanter les réalisateurs depuis un premier essai inachevé de Michael Curtiz, dès 1919, jusqu’à sa relecture musicale chez Henry King (Carousel, en 1956). Retraçant la vie et la mort d’un saltimbanque faussement brutal à qui le portier céleste accorde une chance de se racheter en le renvoyant parmi les siens, le scénario n’aurait probablement plus aucune chance

d’être réalisé aujourd’hui tant il semble légitimer tous les cas de violence conjugale (“quand il me frappe, c’est comme un baiser”, disent à tour de rôle l’épouse et la fille du héros). Il n’en demeure pas moins une pure histoire d’amour. Fritz Lang en a livré la version la plus célèbre, en 1934, alors qu’il était lui-même de passage en France entre l’Allemagne et les Etats-Unis. Mais le génial Frank Borzage s’y était déjà attelé quatre ans auparavant. Décors merveilleusement abstraits, présence massive et naïve

de Charles Farrell que le metteur en scène avait révélé, en 1927, dans L’Heure suprême, dialogues rares et précieux, séparés par de longues plages de silence, le Liliom de Borzage explore surtout, avec une incroyable maestria, ce purgatoire incertain qui sépara brièvement cinéma muet et cinéma parlant. Le DVD Une présentation du toujours délicieux Hervé Dumont. Patrice Blouin Liliom de Frank Borzage, avec Charles Farrell (E.-U., 1930, 1 h 30), Carlotta, environ 20 €

shoot again Dans Killzone 3, ça canarde toujours dans tous les sens. Un épisode très riche malgré un déficit de personnalité.

L  enquête gamer au volant, danger au tournant C’est une cruelle désillusion : selon une enquête réalisée pour le fabricant de pneus Continental, la pratique des simulations automobiles ne ferait pas des gamers de vrais bons conducteurs. Les amateurs de jeux de course auraient tendance à surestimer leurs capacités et à avoir plus d’accidents que les non-joueurs. L’étude ne précise pas si les fans de l’explosif Burnout sont plus à craindre que ceux du rigoureux Gran Turismo. 78 les inrockuptibles 9.03.2011

es affiches du métro parisien ne mentent pas : Killzone 3 est l’un des gros jeux de ce début d’année. La dernière production du studio néerlandais Guerrilla, tout comme ses deux précédents épisodes inégaux, appartient au genre FPS (jeu de tir en vue subjective). Un genre aujourd’hui omniprésent, dont les meilleurs représentants se distinguent par leurs partis pris forts. Dans Halo, c’est le gameplay émergent – le système ludique s’adapte aux improvisations du joueur. Pour Half-Life, ce serait plutôt la narration environnementale – les lieux nous racontent des histoires. Chez le best-seller Call of Duty, c’est le grand spectacle hollywoodien – nous voilà sur des montagnes russes où s’enchaînent les moments forts. Quant à Duke Nukem, dont le retour est annoncé pour le mois de mai, il mise sur l’humour. Killzone 3, c’est un peu tout ça en général – sauf l’humour : ici, on ne rigole pas avec les serments de fidélité militaire – mais aussi, malheureusement, pas grand-chose de particulier. A ce titre, le jeu est emblématique d’une certaine tendance du jeu vidéo à gros budget contemporain. En parcourant ses niveaux incontestablement soignés, on croit deviner le cahier des charges que ses concepteurs se sont obligés à suivre. Il y a donc ici du mélodrame militaire (mais bancal, voire franchement embarrassant) à la Gears of War, des affrontement tendus que l’on se racontera a posteriori et,

histoire de prendre en compte les orientations du moment, la possibilité, pour les gamers équipés, de profiter du jeu en 3D relief ou, comme sur Wii, de tirer en visant directement l’écran avec la manette PlayStation Move. Quant à la sensation de lourdeur, de matérialité des êtres et des choses que l’on appréciait ou non mais qui faisait la singularité de l’épisode précédent, elle a été sérieusement atténuée afin, on l’imagine, de gagner en fluidité. Killzone 3 est donc un FPS bien de son temps, où la camaraderie pour de faux avec des personnages dirigés par l’ordinateur (que l’on est bien content, même s’ils nous font un peu honte, de trouver lorsque l’on mord la poussière) s’intègre dans une série de variations ludiques au timing très calculé (nous voilà soudain dans un tank, un robot géant, un vaisseau spatial…). Le tout se révèle au bout du compte aussi riche que physiquement éprouvant – on n’en demandait pas moins. Il ne lui manque, au fond, qu’un peu de personnalité. Erwan Higuinen Killzone 3 sur PS3 (Guerrilla Games/Sony, environ 7 0 €)

complètement foot Qui remportera la coupe ? Proche de l’univers d’Olive et Tom, un jeu-manga sur des collégiens obsédés par le football. Palpitant. vec Inazuma l’univers dans lequel en permettant aux héros Eleven, c’est un il prend place est pour de gagner des points phénomène du jeu le moins original. Loin des d’expérience, se substituent vidéo japonais qui fantaisies médiévales qui ici des défis footballistiques débarque enfin chez nous. font l’ordinaire du genre, à relever via l’écran tactile Depuis 2008, ses héros ont Inazuma Eleven se déroule de la console. Le jeu eu droit à trois aventures de nos jours dans bénéficiant du savoir-faire sur DS (en attendant un collège à peine farfelu. Level-5, notamment sur le des versions Wii et 3DS, Ses personnages, que l’on plan de la conduite de son promises pour cette année), jurerait cousins de ceux récit à rebondissements, une bande dessinée et une du manga Captain Tsubasa l’expérience se révèle série animée, confirmant (Olive et Tom en VF), n’ont absolument palpitante. au passage l’immense qu’une obsession : le foot. Tout juste regrettera-t-on talent du studio Level-5, Leur but : progresser de ne plus avoir l’âge de plus connu en Europe pour au fil des entraînements, ses héros adolescents. Mais la trilogie Professeur Layton recruter de nouveaux pourquoi pas, après tout ? et pour les épisode VIII et IX joueurs (comme ailleurs L’auteur de ces lignes vient de la saga Dragon Quest. on attrape des Pokémon) de fêter ses 12 ans. Inazuma De cette dernière, et, finalement, remporter Eleven est pour lui le plus Inazuma Eleven reprend le plus prestigieux beau jeu du monde. E. H. un certain nombre de des tournois. conventions. C’est en effet Aux combats qui, dans Inazuma Eleven un jeu de rôles très japonais les jeux de rôles classiques, sur DS (Level 5/Nintendo, environ 40 €) qui s’offre ici à nous, mais rythment l’épopée tout

A

Lord of Arcana Sur PSP (Square Enix, environ 40 €) Le succès d’un jeu se mesurant aussi au nombre de ses imitateurs, Lord of Arcana confirme celui de la simulation de chasse préhistorique Monster Hunter. Mais le pouvoir de fascination des monstres s’est perdu en route et la progression se révèle par moments d’une difficulté accablante. Pas franchement honteux, mais pas très généreux.

Beyond Good & Evil HD Sur Xbox 360 (Ubisoft, environ 9 € en téléchargement) Chef-d’œuvre politico-poétique de Michel Ancel, Beyond Good & Evil (2004) nous revient plus pimpant que jamais (images HD, bande-son remastérisée) et à prix réduit en attendant un hypothétique épisode 2. Les aventures de la jeune photographe Jade et de l’homme-cochon Pey’j ne devraient pas tarder non plus à s’inviter sur PS3. 9.03.2011 les inrockuptibles 79

Dø it yourself Leur premier album fut un carton, mais The Dø était trop férocement indépendant et audacieux pour se contenter d’une copie carbone. La paire s’est donc lancée dans une nouvelle aventure. Impressionnante.

 O Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

80 les inrockuptibles 9.03.2011

n a quelques retours, plutôt positifs, on a aussi déjà joué quelques concerts, et ça a très bien marché”, explique Dan, moitié masculine de The Dø, en préambule à une longue et passionnante interview. Avant de refroidir à l’eau glacée les prévisions de ceux qui pensaient voir The Dø capitaliser sur le triomphe de son premier album. “On a de bons retours, mais on a compris que Both Ways Open Jaws ne serait pas non plus forcément un album grand public.” Leur idée ? N’en faire qu’à leur forte tête. Plus de 150 000 albums vendus, des tournées clapées par des mains du monde entier, de Los Angeles à Mulhouse, d’Istanbul à Mexico, des récompenses au kilo, le statut enviable de groupe exigeant aimé par les masses ? Ce ne sont,

finalement, que des questions secondaires pour Dan et Olivia. Qui n’ont pas changé leur philosophie d’un atome : The Dø est un modèle, radical, d’indépendance. Une forteresse quasi autarcique, du moins imperméable aux enjeux non créatifs. “Personne ne nous impose rien, vraiment, affirme Dan, véhément. On est producteurs de nos albums, auteurs, compositeurs, arrangeurs, mixeurs, ingénieurs du son. C’est comme ça qu’on aime faire notre musique. On sait où on veut aller. Il faut se battre pour conserver son intégrité, se battre pour ses idées : personne ne les aura à notre place. C’est important de pouvoir affirmer que notre musique, c’est ça, que nos visuels c’est ça, et qu’on emmerde ceux qui ne sont pas d’accord ou qui t’expliquent que ‘c’est pas possible’.

on connaît la chanson

Johnny caché Dans le coffre de Cash, on a découvert 57 chansons à l’état brut : des pépites.

“on est partis tous les deux, on a bourré un camion d’instruments et de machines, on ne savait pas où on allait”

Le risque qu’on a pris pour le premier album, on l’a aussi pris pour le second.” Le risque. Leitmotiv des deux camarades, répété à l’envi comme un mantra et appliqué, en toute circonstance, dans leur pratique : à aucun moment The Dø n’a imaginé, après plus de deux ans de tournée, les apprentissages et l’aguerrissement qui vont avec, se reposer comme des empereurs impotents sur ses lauriers platinés. Premier de ces périls autoinfligés : quitter le studio de la région parisienne, cocon protecteur dans lequel le duo avait jusqu’alors tout fait, pour aller s’aventurer, au sens propre du terme, dans le Luberon – une maison ayant appartenu à l’acteur Maurice Ronet et à sa femme, fille de Charlie Chaplin. “On avait besoin de cette coupure, de cette nouveauté. On est partis tous les deux, on a bourré un camion d’instruments et de machines, on ne savait pas où on allait, s’il y avait de l’électricité, si les pièces allaient sonner. On n’aime pas le luxe, on aime se mettre en danger.” Et ça s’entend, clairement et assez superbement : si The Dø ne s’est pas, soudainement, mis à faire du Autechre, si la formidable patte mélodique du groupe parlera aux habitués, si la voix d’Olivia,

pourtant encore plus acrobate, accroche les mêmes neurones à plaisir, la suite de A Mouthful est effectivement, de bout en bout, une fascinante aventure. “On fait tous les deux face à nos démons et ça se ressent forcément, explique Olivia. On les fuyait sur le premier album, on les a cette fois affrontés. Pour moi, un démon est la confiance en soi. Pour nous deux, ça serait la routine, les automatismes. Dust It off parle de ça : de mémoire, d’oublier tout ce qu’on sait, de faire comme s’il n’y avait aucune histoire derrière, de se jeter à corps perdu dans quelque chose de totalement neuf, sans bagage.” Mais avec un peu de poudre de perlimpinpin, quand même : à l’image de sa pochette, photographiée chez le grand-père d’Olivia en Finlande, Both Ways Open Jaws semble hanté, sorcier. De la primale Slippery Slope à l’électronique folle de B.W.O.J., une brillante messe sombre, brute autant que raffinée, préhistorique et civilisée à la fois. Il se passe, dans les interstices de la belle Dust It off, des amères et majestueuses Gonna Be Sick ! ou Too Insistent, dans les ombres changeantes de The Wicked & the Blind ou Bohemian Dances, dans les arrangements veloutés de Was It a Dream ? beaucoup de choses qui semblent n’appartenir qu’à une religion inédite. A laquelle on s’est définitivement converti. Thomas Burgel Album Both Ways Open Jaws (Cinq7/Wagram) www.thedo.info Interview intégrale à lire sur En écoute sur lesinrocks.com avec

Après la sortie, il y a un an, du sixième volume des American Recordings, annoncé comme le dernier de la série, on avait commencé à se faire une raison. Peut-être qu’il n’y aurait plus jamais d’enregistrements rares ou inédits de Johnny Cash. Peut-être qu’on allait devoir faire son deuil de l’Homme en noir (mort le 12 septembre 2003). Peut-être que le filon était épuisé. Mais alors qu’on s’apprêtait à remonter de la mine, voilà qu’apparaît une nouvelle pépite, énorme : Bootleg II, soit un double CD de cinquante-sept chansons rares, emblématiques ou inédites, enregistrées par Cash entre 1954 (au moment de ses débuts chez Sun Records, dans la pouponnière du rock) et 1969 (l’année du fameux concert à San Quentin). Ça commence par du documentaire : une poignée de titres diffusés le 21 mai 1955 sur la radio KWEM de West Memphis, juste sur l’autre rive du Mississippi. Les chansons craquent et crépitent comme un feu de brousse préhistorique, et elles sont entrecoupées d’annonces publicitaires nasillardes. C’est plaisant, mais ce n’est que l’antichambre du paradis, de l’illumination : onze demos de la période Sun Records (ou juste avant), totalement inédites, interprétées par Johnny Cash seul à la guitare. Date et lieu d’enregistrement inconnus. Mais on peut rêver. Si la production Sun Records des années 50 représente le big-bang du rock’n’roll, ces quelques demos révèlent un avant, qui remonterait aux ménestrels du vieux monde. Elles sont d’une élégance et d’une humilité inégalables ; le chaînon manquant entre l’ancestrale musique hillbilly et le rockabilly primitif. Sur le deuxième disque, une chevauchée fantastique en vingt-cinq chansons rares, intimes à pleurer ou épiques à hurler, qui redonnent une idée du territoire arpenté par Johnny Cash : infini. A l’écoute de l’halluciné Locomotive Man, on se dit qu’on va rester encore un moment à la mine : il y aura toujours des wagons à remplir. Bootleg vol. II (Columbia/Sony)

Stéphane Deschamps 9.03.2011 les inrockuptibles 81

Jelle Wagenaar

Interpol – 1 Après Carlos Dengler l’année dernière, c’est au tour de Dave Pajo (à droite sur la photo) de quitter Interpol en pleine tournée. L’ex-Slint, bassiste des Américains depuis la défection de Dengler, a annoncé dans un communiqué de presse qu’il souhaitait “faire une pause pour se concentrer sur sa famille”. Il laisse la place à Brad Truax, bassiste de Home, qui assurera les prochains concerts du groupe, dont celui au Zénith de Paris le 15 mars.

un nouveau The Horrors cet été Alors qu’il s’apprête à dévoiler le premier essai de son side-project Cat’s Eyes le 11 avril, le frontman de The Horrors vient de confirmer sur le forum du groupe que les Anglais préparaient actuellement leur troisième album. Le successeur de Primary Colours, paru en 2009, serait, selon Faris Badwan, prévu pour juillet.

cette semaine

Peter Hook (re)joue Unknown Pleasures lady Danay Son impressionnant ep Havana Cultura Sessions organise la rencontre entre jazz et musique latine, et semble surtout avoir été enregistré dans l’œil d’une tornade (avec le méritant pianiste Roberto Fonseca) : la jeune révélation Danay Suarez, bombe cubaine issue du hip-hop, sera sur scène le 8 avril à Bobigny, pendant le festival Banlieues bleues.

Trente-et-un ans après la mort de Ian Curtis, le bassiste de Joy Division dégaine sa guitare pour rendre hommage au mythique Unknown Pleasures, sorti en 1979 sur le label Factory. Le 10 mars à 19 h 30 au Trabendo, Paris XIXe

Le Tigre en images En pause depuis quelques années, le trio electro-punk américain publiera bientôt un DVD retraçant la tournée mondiale qui avait suivi la sortie de son dernier album, This Island. Intitulé Who Took the Bomp? – Le Tigre on Tour, le documentaire réalisé par Kerthy Fix, déjà vu aux manettes du DVD Strange Powers – Stephin Merritt and the Magnetic Fields, sortira le 7 juin, après une diffusion en avant-première au festival texan South by Southwest ce mois-ci et au MoMa, à New York, en avril.

neuf

Woodkid

The Name

Clippeur de Yelle ou de Katie Perry dans le civil, ce Français de Los Angeles cultive la pop dans son jardin secret : une musique luxuriante, forte en percus et humeurs vagabondes, qui boucle comme du Philip Glass et susurre comme du Antony. Son Baltimore’s Fireflies est même un tube ouvert à tous les romantiques. www.myspace.com/woodkid

Une batterie métronomique avec allemand première langue (Can) et des synthés vintage totalement dépravés qui exécutent des riffs disco la bave aux lèvres… De Curry & Coco à The Name, c’est, dans l’electro française, la formule magique pour parler aux culs complices. www.myspace.com/whatthename

82 les inrockuptibles 9.03.2011

Marc Almond

The Notwist

Revenu miraculeusement à la vie puis à la scène après un accident de moto en 2004, l’ancien chanteur de Soft Cell avait sorti à la fin des années 80 Motherfist & Her Five Daughters, album-péplum en direct d’un cabaret malsain et sombre. On le réédite aujourd’hui, et il n’a rien perdu de sa toxicité et de sa beauté dérangée. www.marcalmond.co.uk

Bizarre de voir Neon Golden déjà fêté en grande pompe par une réédition Deluxe. On aurait presque oublié, tant cet album des Allemands possédait des années d’avance sur tout un pan de l’electro-pop gentiment barrée, qu’il affiche déjà une dizaines d’années au compteur – mais aucune ride, aucun signe d’essoufflement. www.notwist.com

vintage

Ditto mobile

Ton ep est très influencé par le disco. Qu’est-ce qui t’a poussée, pour tes premiers pas en solo, à prendre cette direction ? Beth Ditto – Londres ! Après la tournée avec Gossip, j’y ai fait une pause d’une semaine sans le reste du groupe. Quand nous avons enregistré notre dernier album à Malibu, je me suis profondément ennuyée. Je passais mes soirées à m’empiffrer de donuts ! A Londres, tout est différent. C’est une ville excentrique, toujours en mouvement. Les Anglais ont tous ce grain de folie qui m’a donné envie d’aller vers cette musique. J’aime l’agitation qu’il y a dans les clubs londoniens, cette excitation qui me ferait presque passer pour quelqu’un de calme. Que représente la culture disco pour toi ? La dance-music et le punk ont beaucoup en commun, ce sont deux genres de musique qui ont une influence directe sur ce que tu es et comment tu te construis. La différence, c’est que le punk a ses codes qu’il ne faut pas enfreindre au risque d’être jugé. Dans les clubs, les gens se fichent de ce que tu fais et de la manière dont tu le fais. C’est un monde

“dans les clubs, les gens se fichent de ce que tu fais et de la manière dont tu le fais. C’est ce qui me plaît”

Angelo Pennetta

Echappée de Gossip après presque un an de tournée, Beth Ditto lâche le rock pour le disco sur un ep surprenant et fêtard, enregistré aux côtés des producteurs anglais Simian Mobile Disco. Rencontre.

où la notion de honte est bien moins forte que dans le punk-rock. C’est ce qui me plaît. Le punk est une musique bien plus existentielle que la dance. Comment as-tu été amenée à collaborer avec Simian Mobile Disco ? Je les ai rencontrés à une after party de festival. Ils m’ont proposé de chanter sur un des titres de leur dernier album, Cruel Intentions. Quand je suis arrivée dans leur studio, j’étais très impressionnée. J’ai remarqué ce MTV Award poussiéreux qui traînait sur une vieille étagère. J’ai trouvé ça très drôle et je me suis détendue en me disant qu’on allait bien se marrer. Quelle différence avec le travail pour Gossip ? Nathan et moi ne savons ni lire ni écrire la musique, donc quand je veux lui

proposer quelque chose, je le fredonne et on peut passer des heures à tester des idées jusqu’à ce qu’il arrive à voir où je veux en venir. Avec Simian, c’était très différent : quand j’avais une idée, en deux secondes ils avaient compris de quel son je parlais. Du coup, je n’ai pas envie de m’arrêter là. Je veux partir en tournée avec cet ep, que les shows soient plus une fête que de véritables concerts, avec six chansons et des DJ, des costumes, de la dinguerie. Comment se passe l’écriture du prochain Gossip ? Nathan et Hannah ont commencé à écrire. Moi, j’ai besoin d’une pause. Ces derniers mois, je les ai vécus dans le tour bus : Il n’y a pas grand-chose à écrire là-dessus.

Vous venez de faire la plus grosse tournée de votre carrière. Comment l’as-tu vécue ? C’est inimaginable pour moi. Je viens d’une ville de mille habitants : j’ai joué à Bercy devant quatorze fois ma ville, chiens, chats et bébés compris ! Tu dis ton attachement à Londres. Tu viens souvent à Paris, à Berlin. Te sens-tu européenne aujourd’hui ? Je me sens différemment américaine. Quand je vois qu’il y a des habitants de ma ville d’origine qui ne sont jamais sortis du pays, ni même allés à New York, je réalise ma chance. Ondine Benetier ep Beth Ditto ep (Deconstrucion Records) www.gossipyouth.com En écoute sur lesinrocks.com avec 9.03.2011 les inrockuptibles 83

Guillermo Velázquez y Los Leones de la Sierra de Xichú

enchanteurs de Mexico La musique mexicaine devait être fêtée en grande pompe en France. Prise en otage par la crise diplomatique entre les deux pays, elle arrive dans ses petits souliers pour un festival à Paris.

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n langage militaire, on appelle ça un dommage collatéral. El Ciruelo est l’un des derniers représentants de la tradition afro-métisse du son de artesa, originaire de la Costa Chica mexicaine. Sauf que son concert prévu dans le cadre du Festival de l’Imaginaire a été l’un des premiers événements à faire les frais d’une année du Mexique aujourd’hui réduite à peau de chagrin. Pour Efrén Mayrén, 72 ans, qui dirige l’ensemble depuis 1996, s’envole sans doute l’unique occasion de faire connaître hors les frontières de son pays cet art

84 les inrockuptibles 9.03.2011

en voie de disparition, art à la conservation duquel il a consacré une bonne partie de sa vie. Au moment où nous écrivions ces lignes, la direction du festival annonçait une seconde coupe, sombre, dans sa programmation intitulée “Musiques de fiesta – Mexique” : annulation du concert du Trio Colatlán, emblématique de la survivance du son huasteco dans une vaste région orientale du pays, une tradition que l’on sollicite aussi bien pour célébrer Carnaval qu’invoquer la pluie, faire pousser le maïs que guérir les malades.

Sa présence sur une scène française aurait pu nous rappeler qu’en dépit de ses nombreux problèmes le Mexique reste une terre de fête et de fraternité, qui dans les moments les plus empoisonnés de son histoire s’administre à lui-même son propre antidote. Comme le souligne Guillermo Velázquez, finalement unique rescapé de cette programmation mexicaine : “Dans une société qui accumule tant de souffrances, de douleurs et d’agonies, dans un pays où règnent l’iniquité et la violence, le rôle du troubadour est fondamental.” Le visage buriné, les tempes grisonnantes, vêtu d’une chemise noire renforçant son air de Johnny Cash d’outre-Rio Grande, l’homme se présente comme un “constructeur de mots”, un “bâtisseur de rimes”, un poète qui depuis trente ans “se tient au service de la population”, “joue pendant les fêtes, mais aussi pour accompagner les mauvais moments”. Son adresse mail se traduit ainsi : musiciendefêteetdedeuil.com. Quoique originaire d’une région montagneuse et enclavée, la Sierra de Xichú, Velázquez ne cesse d’intégrer dans ses textes les problématiques sociales actuelles, et d’affronter la globalisation “sans diaboliser la modernité”. Certaines de ses chansons ont pour sujet la grippe porcine ou la loi dite “Arizona” sur l’immigration mexicaine aux Etats-Unis, “une loi raciste qui ne prend pas en compte l’immense contribution de cette immigration à l’économie américaine”. Sur scène, son fils Vincent le rejoint parfois pour un rap accueilli par les instruments traditionnels, guitares huapanguera, vihuela et violon, rythmé par le pas trépidant des danseurs. Dans sa dernière composition, Velázquez évoque le différend franco-mexicain : “L’affaire Florence Cassez a perdu toute mesure et elle a foulé aux pieds les fleurs de la culture.” Il est vrai que dans cette lamentable chronique que viennent d’écrire à quatre mains nos présidents respectifs autour de l’affaire Cassez, avec pour résultat la brouille diplomatique que l’on sait, et une situation plus douloureuse encore pour l’intéressée, il serait inconcevable que la culture n’ait pas son mot à dire. Francis Dordor Concerts Guillermo Velázquez y Los Leones de la Sierra de Xichú, les 12 et 13 mars à la Maison des Cultures du Monde, Paris VIe, dans le cadre du Festival de l’imaginaire www.festivaldelimaginaire.com

Natasha Tyler

Wye Oak Civilian City Slang/Pias

Beat Mark Howls of Joy Final Taxi/La Baleine

Des Français font comme les jeunes Américains et copient les Anglais 80’s. Dans l’histoire du rock, deux compilations de groupes mal produits, mal éduqués, inconnus et souillons ont donné leur titre à un genre musical : Nuggets en 1972 et C86 en 1986. Gloire à ces deux recueils pour avoir fêté ainsi l’incompétence, le bouillonnement, l’urgence et l’innocence. Chez les Parisiens de Beat Mark, on vénère la glorieuse excitation des groupes noisy-pop anglais des années 80, tourbillon de guitares saturées et de mélodies en sucre qui offrira My Bloody Valentine ou Jesus & Mary Chain comme étalon de la coolitude branleuse – une mesure toujours en vigueur aux States, comme en témoignent chaque jour les blogs. Pas étonnant que Beat Mark y soit déjà accueilli en ami : sexy et sagouin, son album est largement à la hauteur des Drums, des Dum Dum Girls, à la fois mélodique et glorieusement bordélique. Hurlements de joie, effectivement. JDB

L’étrange pop, à la fois sereine et tendue, d’un duo américain né d’un arbre. Nommé d’après un chêne de taille légendaire qui fit pendant des décennies la gloire de leur Etat du Maryland, les Américains de Wye Oak ne lésinent effectivement pas sur le bois. Pas que leur musique – du folk bien trop sophistiqué et fugueur pour ses airs de mémé – sente le sapin. Non : même constamment énervé par de sales décharges électriques, perturbé par des mauvaises manières lo-fi ou des arrangements de milords, leur songwriting reste fidèle à un certain folk composé à même le bois d’une guitare remontée de la nuit des temps. C’est la base de départ, le home sweet home du duo mixte, mais en aucun cas sa finalité, son dogme. Car même à deux, Wye Oak forme un grand orchestre d’Amérique riche et émancipé, pianotant et harmonisant sans la moindre retenue sur des chansons qui ne demandent qu’à chercher des poux aux meilleurs chevelus, des Fleet Foxes à Beach House. Car c’est entre ces deux pôles d’attraction a priori aussi éloignés que chien et loup, angora des villes et rat des champs, que flottent ces Two Small Deaths ou We Were Wealth, remarquables trouvailles (qu’on se souvienne ici de Pinback, de Miracle Legion et de leur chanteur Mark Mulcahy) de cet album à la belle gueule de bois. JD Beauvallet www.myspace.com/wyeoak

www.myspace.com/beatmark 9.03.2011 les inrockuptibles 85

Orwell Continental Europop 2000/Rue Stendhal Des Français pleins d’idées en couleur peaufinent une pop exubérante. Amputé d’Alexandre Longo (Cascadeur) et de Thierry Bellia (Variety Lab), Orwell fait mieux que résister à ces coups du sort : en se réinventant totalement, loin de la pop précieuse en français qui faisait son charme désuet, le groupe accorde sa propre musique à celle qu’il dévore. De Kevin Ayers à XTC, ce sont donc les seventies qui lui servent ici de jardin secret, exubérant et foisonnant. Car même l’électronique à l’allemande prend des couleurs et rondeurs inédites dans cette pop extrêmement sophistiquée, chantée dans un anglais strict. Tellement chochotte que ça devient hot. Lucie Dunois www.orwellmusic.com En écoute sur lesinrocks.com avec

The Chapman Family Burn Your Town Electric Toaster/Pias Poil corbeau et post-punk ténébreux : quatre Anglais du côté obscur de la force. ée d’un agacement commun face à la prolifération des imitateurs des Libertines, The Chapman Family n’est pas allée chercher très loin une voie parallèle pour contrarier la suprématie du rock orchestré alors par ses bordéliques compatriotes. Originaires de Stockton-on-Tees, les faux frères ont inhalé à grandes goulées l’air particulier de cette partie du North East qui inspira notamment à Ridley Scott la création de Blade Runner pour s’immerger dans un post-punk noir comme la suie. Rythmiques brutales (She Didn’t Know), riffs aussi âpres qu’inquiétants (1000 Lies, A Certain Degree), Burn Your Town ne ment pas sur ses intentions puisqu’il s’agit bien ici de mettre le feu sans pour autant renaître de ses cendres. Un no future sans le moindre espoir qui, contrairement à celui des élégants White Lies, pèche parfois par manque de retenue (All Fall, Anxiety, Kids). On garde quand même les allumettes en main. Ondine Benetier

 N

www.myspace.com/thechapmanfamily En écoute sur lesinrocks.com avec

Cercueil Erostrate Le Son du Maquis/Harmonia Mundi

L’electro sombre et sexy d’un duo français avec une Nico au chant. Cercueil, c’est du Boards Of Canada dégoulinant de rimmel. Ou du Portishead qui ne pourrait se danser que chaussé de platformboots à coque métallique. Soit une sorte de trip-hop gothique dont la noire sensualité n’a, à notre connaissance, pas d’équivalent de ce côté-ci de la Manche. Auteurs d’un premier album littéralement ensorcelant, Nicolas Devos et Pénélope Michel, le belluaire de beats féroces et la diva œuvrant sous ce funèbre pseudonyme, affirment leur singularité : Erostrate sent tout sauf le sapin. Benjamin Mialot www.cercueil.org En écoute sur lesinrocks. com avec

86 les inrockuptibles 9.03.2011

C.R. Avery So It Goes Platinum/Differ-ant La musique pompette et sans limites d’un hobo canadien, entre rap et folk. C’est la musique universelle de l’homme qui nargue la mort, noie son chagrin, crachote sa colère, ricane dans la boue, danse sous les bombes, mélange torché au moonshine de blues, de rap, de rock, de folk. De Beck à Buck 65, de Soul Coughing à Tom Waits, ils parlent tous cette langue accidentée. Le hobo C.R. Avery est de cette trempe, capable de jouer dans les festivals folk ou de faire la première partie de Sage Francis. De ces distinctions d’une autre époque entre genres, le Canadien s’amuse sur un Folk Singer narquois. Loin de la génétique de laboratoire, son truc à lui n’est pas la blouse blanche, mais le blues taché. Pas le tube à essais, mais les essais à pleins tubes. Comme se lancer dans un péplum siphonné et urbain à la Lou Reed (Channeling Frustrated Energy). Ou faire danser une vieille ritournelle des Appalaches avec classe et nonchalance. Du gangsta-folk ? JD Beauvallet www.myspace.com/cravery

The Luyas Too Beautiful to Work www.myqua.com

Dead Ocean/Differ-ant

Deportivo Ivres et débutants Barclay Serein, le trio freine un grand coup pour jeter un coup d’œil dans le rétro. On garde un souvenir très net des premières embardées de Deportivo,  sur Parmi eux : infatigable et révolté, le groupe déversait un concentré de rage en une trentaine de minutes à peine. Sept ans plus tard, c’est avec une certaine quiétude que les trois Franciliens pressent le frein et se retournent sur ce passé trop vite traversé. Accompagné de Gaëtan Roussel, le trio s’ouvre à la grandeur des cuivres, aux valses solennelles des cordes et même au reggae (C’était cool) pour rendre, sans lamentation, un brillant et touchant hommage à la perte de l’innocence (Nos baisers), au sacrifice inévitable des illusions qui bercent la jeunesse (Au saut du lit, N’ai-je ?). Apaisé mais pas douceâtre, le groupe assume de s’engager sur une route plus pop, jusqu’à même rejoindre brièvement celle de ses compatriotes de Phoenix ou le psychédélisme de MGMT. Encore imprégné de son expérience auprès de Gordon Raphael, producteur de son second album et homme de l’ombre des Strokes, Deportivo ne jette pas pour autant sa fougue et ses précieuses guitares, qu’elles soient chaotiques (On a vraiment cherché), plus élégantes (le très efficace Fais-moi comprendre qui ouvre l’album, Au milieu) ou rutilantes, comme dans le frénétique Intrépide. “L’amertume est une peste”, lance Jérôme Coudane dans Ivres et débutants : carburant du groupe sur ses deux premiers disques, cette amertume semble s’être ici doucement diluée au profit d’une nostalgie pleine de sérénité et d’une indocilité parfois bouleversante. O. B.

Vaporeuse et enivrante, la musique des Montréalais est une machine à songes. Avec son cor orageux, le Montréalais Pietro Amato est sans doute un ange : collaborateur d’Arcade Fire, il n’a fréquenté que l’excellence avec Bell Orchestre, Torngat ou The Luyas. Ces derniers, réunissant une crème montréalaise de l’indie brillante, avaient déjà épaté il y a une poignée d’années avec un Faker Death miraculeux, tempétueux, idéal pour épicer les rêveries. Morceaux de pop noueuse à tête chercheuse, presque jazz, parfois tribale, chansons hors du temps et des météos, orchestrations grandioses auxquelles a largement participé le copain Owen Pallett, voix enfantine et sorcière de Stein : Too Beautiful to Work risque lui aussi de coller longtemps aux songes. Entre beautés sauvages et sauvageries discrètes, entre chat noir et loup gris, entre la lune et le soleil, Too Beautiful to Work balance constamment, dans une grâce absolue. Thomas Burgel www.myspace.com/theluyas

www.myspace.com/deportivoofficial En écoute sur lesinrocks.com avec 9.03.2011 les inrockuptibles 87

Sidi Touré & Friends Sahel Folk Thrill Jockey Records/Discograph Le Malien Sidi Touré convie ses amis sur un recueil de folk éblouissant. Ne demandez pas comment il a fait : c’est à partir d’une vieille ardoise que Sidi Touré a construit sa première guitare. Elevé au Mali dans une famille noble, le jeune Sidi aura dû se battre contre les conventions pour intégrer le groupe de musique de son école. Jusque-là, la famille Touré ne chantait pas, se contentant d’inspirer les griots locaux. Mais Sidi chante bien, étoile illuminant vite les cieux du Mali et du Niger. Son deuxième album Sahel Folk a été enregistré très simplement : chez sa sœur, autour d’une tasse de thé partagée avec plusieurs amis méconnus ici (Dourra, Jiba, Yehiya…). Soit neuf duos à la simplicité désarmante, sur un disque de folk épuré. On pense forcément à Ali Farka Touré pour ce blues sec, terrien et bouleversant à la fois. Assis au-dessus de Sidi sur son nuage, Ali en est sûrement baba. Johanna Seban www.myspace.com/siditoure 88 les inrockuptibles 9.03.2011

James Vincent McMorrow Early in the Morning Believe Chanté d’une voix apaisée passée par le punk, le folk chaleureux d’un jeune Irlandais. epuis quelques années, le folk pourtant l’économie, de ses arrangements, britannique a régulièrement trouvé de ses textures : on entend clairement le chemin des charts – des ce qui fut mais n’est plus, par souci grandiloquents Mumford & Sons d’efficacité, dans ces chansons soumises à la tiède Laura Marling. Mais il a souvent à l’évidence à toutes les additions, peiné à trouver sa voie et sa voix. Certes, puis aux plus impitoyables soustractions. Noah And The Whale ou Johnny Flynn On comprend ainsi parfaitement ce qu’il ont œuvré pour la beauté et la quiétude veut dire quand il cite Pharrell Williams distinguée, en restaurant quelques anciens comme modèle : pas, bien entendu, grimoires abandonnés dans la nature pour des beats – absents – ou des loops anglaise par les illustres aînés – introuvables. Mais pour cette façon de Fairport Convention ou Nick Drake. de réduire la musique au strict et C’est à cette dynastie de chanteurs monumental minimum, de la débarrrasser fiévreux et épanouis qu’appartient des parasites et pollutions en un folk qui l’Irlandais James Vincent McMorrow, dont connaît intimement les délices et vertiges la voix a subi le terrible et merveilleux de la pop, à l’image du tubesque Sparrow apprentissage du hardcore – il a ainsi & the Wolf ou du chimérique If I Had a Boat. longtemps hurlé par dessus sa batterie Cocoon s’est trouvé là une bonne raison en singeant At The Drive-In ou Fugazi. pour, comme chantait Bourvil, s’offrir Comme Elliott Smith en marge une ballade irlandaise. JD Beauvallet d’Heatmiser, comme Bob Mould en douce www.jamesvmcmorrow.com de Hüsker Dü, comme Troy von Balthazar dans le dos de Chokebore, sa voix en est En écoute sur lesinrocks.com avec revenue apaisée mais éraflée, plaintive mais majestueuse quand plus rien ne la force à hurler. On conseille cette école de la violence et de la douleur à tous les chouineurs, tous les ouin-ouin que le folk américain produit à la chaîne, tous barbus et barbants à l’identique. Une autre particularité du jeune Irlandais réside dans la richesse, et

D  

Theophilus London Lovers Holiday Warner, en import Premier ep tubesque pour le nouveau prince américain de la bidouille tout-terrain. omme son double british (TV On The Radio), l’apprenti-sorcier Jamie T., on imagine new-yorkais passe aussi facilement volontiers Theophilus à la moulinette le groove de Prince London occuper ses nuits que les beats futuristes des Daft à jouer compulsivement à Tetris Punk pour créer de toutes pièces avec son immense collection une electro-pop non identifiable de disques. En témoigne Lovers où sont tour à tour convoquées Holiday, cette joyeuse entreprise les voix de Glasser, Sara Quin de construction-démolition. et Solange Knowles. Theogenius ! Ondine Benetier De l’anti-love song Why Even Try, où Notorious B.I.G. fait du gringue aux Jackson 5, au rythme fatal www.myspace.com/theophiluslondon de Wine & Chocolates, bâtie avec En écoute sur lesinrocks.com avec l’aide de son mentor David Sitek

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Band Of Gypsies 2 Live At Ancienne Belgique Le 12 décembre dernier à Bruxelles, il y avait du monde aux Balkans : le Taraf de Haïdouks et le Kocani Orkestar, deux groupes culte des musiques gitanes, pour un concert commun et l’enregistrement d’un album qui sortira en avril. www.crammed.be

Summer Camp I Want You Après un premier ep délicieusement nostalgique, le duo anglais prend le chemin des clubs avec ce titre electro-pop sexy enregistré aux côtés du producteur Steve Mackey (Pulp). A écouter avant la sortie du premier album, prévue cet été. www.gorillavsbear.net

Christine & The Queens Kiss My Crass Avec un premier ep, Miséricorde, dont la sortie est prévue ce mois-ci, cette Lyonnaise en smoking et boucles brunes joue au chat et à la souris avec l’electro espiègle et la pop théâtrale. Hautement contagieux et ironique. www.lesinrockslab.com/christine-and-the-queens

The Strokes You’re So Right Alors que le débat entre fans fait rage quant à la qualité du prochain album des New-Yorkais attendu pour le 22 mars, Casablancas & co ont lâché un titre plutôt étonnant sur la toile. B-side de Under Cover of Darkness, You’re So Right se rapproche de Radiohead et de l’escapade solo de Julian Casablancas. www.youtube.com 9.03.2011 les inrockuptibles 89

Dès cette semaine

Aanorak 17/3 Paris, Point Ephémère Adam Kesher 7/4 Paris, Boule Noire Adele 4/4 Paris, Cigale Akron/Family 19/4 Paris, Café de la Danse And You Will Know Us By The Trail Of Dead 1/4 Paris, Maroquinerie Angus & Julia Stone 26, 27 & 28/4 Paris, Trianon Archive 3, 4 & 5/4 Paris, Grand Rex Asa 19/10 Paris, Zénith Carl Barât 16/4 Paris, Trianon Beady Eye 13/3 Paris, Casino de Paris, 19/3 Toulouse Belle And Sebastian 11/4 Paris, Grand Rex The Bewitched Hands 9/3 Orléans, 10/3 Paris, Cigale, 11/3 Alençon, 12/3 Lorient Aloe Blacc 24/4 Paris, Trianon The Black Keys 15/3 Paris, Olympia, 16/3 Nantes, 25/3 Lille James Blake 23/4 Bourges, 25/4 Paris, Maroquinerie The Boxer Rebellion 25/3 Paris, Nouveau Casino Brigitte 19/3 AulnoyeAymeries, 24/3 Lille, 25/3 SaintSaulve, 29/3 Paris, Alhambra, 31/3 Flers, 7/4 Les Sablesd’Olonne, 8/4 Béthune, 9/4 Rennes, 21/4 Bourges, 23/4 Chelles, 30/4 Colmar, 5/5 Marseille, 6/5 Avignon, 7/5 Nancy, 8/5 Neufchâteau, 12/5 Lyon, 13/5 Toulouse

Buzzcocks 26/3 Paris, Elysée Montmartre Anna Calvi 29/3 Metz, 30/3 Dijon, 17/4 Marseille, 19/4 Bordeaux, 20/4 Lyon, 22/4 Paris, Trianon, 23/4 Saintes, 24/4 Bourges Cascadeur 12/3 Metz, 17/3 Rennes, 19/3 Chelles, 23/3 Paris, Café de la Danse, 24/3 Canteleu, 25/3 Poitiers, 31/3 Belfort, 2/4 Amiens, 10/4 Morlaix, 16/4 Tourcoing, 20/4 Alençon, 24/4 Bourges, 11/6 Montereau Cat’s Eyes 22/3 Paris, Nouveau Casino Téofilo Chantre 9/4 Paris, New Morning Chew Lips 21/3 Paris, Flèche d’Or Concrete Knives 25/3 Niort, 30/3 Caen, 3/4 Lille, 23/4 Bourges Charlélie Couture 9, 10, 11 & 12/3 Paris, La Boule Noire Dark Dark Dark 24/3 Paris, Café de la Danse Data Rock 4/4 Paris, Flèche d’Or Deerhunter 8/4 Dijon, 9/4 Paris, Gaîté Lyrique, 10/4 Tourcoing The Dø 9 & 10/3 Paris, Trianon The Dodos 18/5 Paris, Point Ephémère Dum Dum Girls 23/4 Marseille, 24/4 Paris, Machine Thomas Dybdahl 24/5 Tourcoing, 25/5 Feyzin, 26/5 Arles,

90 les inrockuptibles 9.03.2011

27/5 Marseille, 28/5 ClermontFerrand Eels 4/7 Paris, Bataclan Eli Paper Reed 6/4 Lyon, 7/4 Paris, Flèche d’Or, 10/4 Marmande Elista 11/3 Paris, Maroquinerie Everything Everything 26/3 Paris, Flèche d’Or Explosions In The Sky 20/5 Paris, Bataclan Fancy 8/4 Paris, Nouveau Casino Les femmes s’en mêlent # 14 Du 19/3 au 3/4 à Paris, Bordeaux, Brest, Belfort, Ajaccio, avec Jessy Bulbo, Amandititita, Afrodita, Pau Y Amigos, Sonido Lasser, Drakar, Glasser, Le Corps Mince De Françoise, Le Prince Miiaou, etc. Festival 3C Du 14 au 17/3 Paris, Boule Noire, avec Jérôme Van Den Hole, Pendentif, Brune, Claire Denamur, Benoît Doremus, etc. Festival Concerts sauvages Du 2 au 9/4 au Domaine des Portes du Soleil, dans les Alpes, avec Keziah Jones, Jamaica, BB Brunes, etc. Festival Europavox Du 25 au 28/5 à ClermontFerrand, avec Cocoon, Catherine Ringer, Aaron, Boys Noize, etc. Festival Panorama Du 7 au 10/4 à Morlaix, avec Vitalic, Crookers, Katerine, Sebastian, Stromae, DJ Mehdi, Cascadeur, etc. Festival Terra Trema Du 27 au 30/4 à Cherbourg-

Octeville avec Ebony Bones!, Zone Libre vs Casey, The Luyas, etc. Fleet Foxes 30/5 Paris, Bataclan Frankie & The Heartstrings 2/4 Paris, Flèche d’Or Fujiya & Miyagi 21/4 Lille, 22/4 Caen, 23/4 Rennes, 26/4 Paris, Alhambra, 27/4 Strasbourg, 28/4 Lyon, 29/4 Montpellier, 30/4 Marseille Gablé 5/4 Paris, Café de la Danse Gang Of Four 18/3 Paris, Trabendo

The Gaymers Camden Crawl Nouvelle édition du festival londonien, où performances artistiques et théâtrales côtoient plus de 200 concerts dispatchés dans plusieurs salles de Camden et de Kentish Town. Du 30/4 au 1/5 à Londres avec Saint Etienne, Villagers, Hadouken!, Toddla T, Bo Ningen, Frankie & The Heartstrings, Sound Of Rum, etc. Glasvegas 17/3 Paris, Maroquinerie John Grant 1/4 Paris, Café de la Danse Hangar 28/4, 5 & 12/5 Paris, Boule Noire Jacques Higelin 15/3 Anzin, 24/3 Lyon Peter Hook joue Unknown Pleasures 10/3 Paris, Trabendo

Nouvelles locations

I Blame Coco 1/4 Paris, Alhambra I’m From Barcelona 11/3 Paris, Café de la Danse Inrocks Indie Club mars 25/3 Paris, Flèche d’Or, avec The Go! Team, May 68 Interpol 15/3 Paris, Zénith Jamaica 6/4 Strasbourg The Jim Jones Revue 8/4 Paris, Bataclan, avec The Legendary Tigerman, The BellRays Katerine 27/5 Paris, Olympia Keren Ann 24 et 25/5 Paris, Cigale The Kills 6/4 Paris, Bataclan Kocani Orkestar 11/4 Chalonsur-Saône, 12/4 L’Isle-d’Abeau, 24/4 Auch, 29/4 Paris, Grande Halle de la Villette, 1/6 Brest Le Prince Miiaou 11/3 Orléans, 17/3 Montpellier, 25/3 Saint-Lô, 29/3 Paris, Divan du Monde, 30/3 Rouen, 31/3 Le Havre Lilly Wood & The Prick 11/3 Cergy Pontoise, 12/3 Ris Orangis, 24/3 Marseille, 25/3 Toulon, 26/3 Nice, 11/5 Paris, Bataclan Lykke Li 21/4 Paris, Cigale Florent Marchet 11/3 Angoulême, 18/3 Nantes, 25/3 Paris, Cigale, 29/3 Falaise, 1/4 Porteslès-Valence, 2/4 Istres, 13/4 Lille, 14/4 Beauvais, 15/4 Rennes, 29/4 CergyPontoise, James Vincent McMorrow 30/3 Paris, Café de la Danse, 1/4 Lille

En location

Mercury Rev joue Deserter’s Songs 25/5 Paris, Bataclan Metronomy 19/3 Nice, 4/5 Paris, Cigale, 21/5 Toulouse, 22/5 Bordeaux, 23/5 Rennes, 24/5 Lyon, 25/5 Tourcoing, 26/5 Strasbourg Kylie Minogue 11/3 Toulouse, 14/3 Nantes Marie Modiano 15/3 Paris, Salon musical Saint-Eustache Mogwai 17/3 Paris, Trianon, 18/3 Lille, 19/3 Strasbourg, 20/3 Lyon, 21/3 Nice, 22/3 Toulouse, 24/3 Bordeaux, 25/3 Caen Moriarty Du 14 au 20/3 Paris, Trianon Yael Naim 16/3 Lille, 17/3 Bruxelles, 19/3 Lyon Nasser 11/3 Paris, Machine Noah And The Whale 26/4 Lille, 27/4 Rouen, 28/4 Paris, Gaîté Lyrique Agnes Obel 4, 5 et 6/7 Paris, Bouffes du Nord Peter, Bjorn & John 9/4 Paris, Point Ephémère Psykick Lyrikah 29/3 Dijon Queens Of The Stone Age 23/5 Paris, Olympia, 25/5 Strasbourg Catherine Ringer 30 & 31/3 et 3, 4 & 5/4 Paris, Boule Noire, 7/4 Ris-Orangis, 8/4, Massy, 9/4 Sannois Gaëtan Roussel 6/4 Paris, Zénith, 8/4 Nantes, 9/4 Quimper, 10/4 Rennes, 16/4 Bourges, 27/4 Rouen, 28/4 Paris, Cigale, 29/4 Toulouse, 30/4 Lyon, 4/5 Strasbourg, 7/5 Lille,

Stupeflip 26/3 SaintJean-de-Védas, 31/3 Nantes, 1/4 Angers, 2/4 Lille, 8/4 Poligny, 9/4 Villeurbanne, 10/4 Marmande, 16/4 Le Creusot, 29/4 Rouen, 3/5 Paris, Bataclan, 1/6 Saint-Etienne, 8/6 Tours Selah Sue 30/3 Nantes, 31/3 Tourcoing, 6/4 Caen, 7/4 Paris, Cigale, 9/4 Rouen, 13/4 Marseille, 14/4 Montpellier, 15/4 SaintEtienne, 20/4 Metz, 22/4 Dijon, 2/4 Bordeaux, 29/4 Sannois, 27/5 ClermontFerrand, 10/6 SaintLaurentde-Curves

The Vaccines 9/3 Paris, Nouveau Casino, 24/4 Bourges Jérôme Van Den Hole 14/3 Paris, Boule Noire Troy von Balthazar 1/4 Lorient, 2/4 Blois, 8/4 Saint-Etienne, 11/4 Marseille, 13/4 Toulouse, 14/4 Limoges, 15/4 Paris, Machine, 18/4 Rodez

aftershow

herisson26

11/4 Bruxelles, 12/5 Dijon, 13/5 Montpellier, 15/5 Six-Fours, 20/5 Bordeaux, 21/5 ClermontFerrand, 22/5 Ruoms, 23/5 SaintBrieuc, 31/5 Paris, Cigale, 23/9 Paris, Casino de Paris Shout Out Louds 28/3 Paris, Machine, 29/3 Angoulême, 30/3 Dijon, 31/3 Strasbourg, 1/4 Massy, 2/4 Annecy, 5/4 Marseille Ballaké Sissoko et Vincent Ségal 15/3 Paris, Cigale The Specials 27/9 Paris, Olympia Sufjan Stevens 9/5 Paris, Olympia, 10/5 Bruxelles Stornoway 14/4 Paris, Café de la Danse Stranded Horse 15/3 Rennes, 26/3 Niort

Warpaint 26/5 Paris, Bataclan

PJ Harvey

White Lies 14/3 Toulouse, 18/3 Bordeaux, 19/3 Rennes, 22/3 Paris, Cigale

Tête chercheuse et tête brûlée, PJ Harvey ose se réinventer à chaque nouvel album. Pour l’avoir vue plusieurs fois de suite lors de précédentes tournées, on la sait capable de surprises (inédits et faces B, setlists chamboulées d’un soir à l’autre) et de générosité (rappels à rallonge). Lors de ce passage à l’Olympia, quelques jours après la sortie de Let England Shake, elle semble avoir également changé sa façon d’envisager les concerts. Dans une robe-carcan digne des sœurs Brontë, un oiseau mort en guise de chapeau, elle interprète mécaniquement l’intégralité du nouvel album, teinté de folk ancestral et d’autoharpe. Cette ambiance recroquevillée contamine même les anciens morceaux : Silence et The River en sortent embellis, Big Exit et Angelene ramollis. Plantée dans un recoin où elle restera figée, l’Anglaise se veut distante, austère, insondable, alors qu’elle excelle en brûlots cinglants et en ballades poignantes. On regrette cette voix métallique, presque glacée, le son inexplicablement faible et la brièveté de la soirée, vu le prix des places. Reste à espérer que sa prochaine métamorphose sera bravache et ardente, à l’opposé de l’actuelle. Noémie Lecoq

Wild Beasts 19/5 Paris, Point Ephémère

Surfer Blood 10/3 Paris, Flèche d’Or

Yelle 7/4 Paris, Point Ephémère

Tahiti 80 7/4 Paris, Bataclan

Yuck 11/3 Paris, Point Ephémère

le 24 février à Paris, Olympia

le bruit et la fureur Un long poème halluciné sublime l’Amérique white trash, un bled du Texas et les crimes d’un shérif serial-killer. Une performance littéraire démente inventée par Mitch Cullin.

B  

ruits de sarments pliant sous les bottes et odeurs de désolation. Daniel, les jambes cassées, agonise dans un puits quelque part au Texas. Daniel est un adolescent au crâne rasé, qui écoute des groupes skin comme Skrewdriver et grave des croix gammées sur les tables. L’homme qui a poussé Daniel au fond du trou et le regarde s’apeurer devant la mort qui vient est son beau-père. Il est shérif. Il se nomme Branches. Sa violence est pure. Il n’en a pas après une race, contrairement à Daniel. Ceux qu’il ne supporte pas appartiennent à deux catégories distinctes – il est important de cibler sa haine, pour ne pas trop la disperser. Dans le cœur de la détestation de Branches, il y a les gens qui

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enfreignent la loi. Daniel, par exemple, et ses nazillons de copains. La seconde catégorie est plus infra mince ; ce sont ceux qui ont les chiens dans le collimateur. Ça, Branches ne peut le supporter. Car, comme il le dit à Daniel, pendant que Daniel geint et supplie :“Tu sais ce qu’est la souffrance ?/ La souffrance/c’est le regard affamé/du plus aimé/des bien aimés,/quand sa gamelle est vide.” Et de conclure : “Je suis pas véto,/ mais je suis un homme à chiens.” Shérif homme à chiens, Branches a fait une ou deux conneries par le passé. Il a fait disparaître le corps d’une allumeuse de passage, fille de la ville qui a voulu lui échapper, quand il était évident qu’elle lui avait donné rendez-vous tout au bout de la route. Et puis ce type qu’il a serré,

en marge des revues porno pédés sous le siège de la voiture. Branches l’a puni avant de le massacrer. N’allez pas penser que Branches est une tante. Branches est le représentant de la loi de Claude, Texas (1 313 âmes, au dernier recensement). A Claude, y a rien à faire. Et tant à faire respecter. “Et ça m’a coûté beaucoup/ de me rentrer/dedans un homme./Mais si un type peut compter ses erreurs/sur les doigts d’une seule main,/c’est qu’il est OK./ Moi je suis OK.” OK, lecteurs ? A sa sortie américaine, en 2000, ce second roman de Mitch Cullin s’appelait Branches – et effectivement, rien, dans ces cent trente pages réparties en seize chants hallucinés, n’est extérieur à l’appréciation du monde selon le point de vue dérangé du shérif de Claude. Une immersion dans une logique folle, répartissant le bien et le mal selon des catégories épouvantables. Comme avant lui avaient pu le faire le Jim Thompson de The Killer Inside Me, le Hubert Selby du Démon ou le Bret Easton Ellis d’American Psycho, textes carburant à l’impensée pure. Ce qui n’est pas sans rappeler le Knockemstiff de Donald Ray Pollock, paru en 2008. Mais contrairement à Pollock, qui vit vraiment à Knockemstiff, Ohio, parmi les quakers et les consanguins, Mitch Cullin ne passe pas sa vie aux côtés de Branches et du petit skin Daniel. Il se définit comme gay et non-violent. Mais ici son écriture consiste à aller chercher dans leur langue un semblant de beauté. Le livre est à tomber. Ecrit en vers libres, il pourrait avoir les prétentions méprisantes d’un roman signé par un petit bourge instruit longeant Ploucville pour en faire un éventuel objet chic. C’est tout l’inverse. Les vers brûlés de Mitch Cullin rappellent ce que Nick Cave, dans sa grande période infréquentable, pouvait hurler de plus furieux (les lyrics de Fears of Gun, par exemple : “Gun wears

his alcoholism weeeeeeell/finger in bottle and swingin’ it still…”). Cullin est peut-être, avec ce livre, cet écrivain du mal que Nick Cave fantasme d’être. Howe Gelb, le leader de Giant Sand, ne s’y est pas trompé, qui demande de temps en temps à Cullin des textes ou des dessins. Ce que le jeune écrivain, fou de rock, lui donne volontiers, quand il ne s’envole pas pour le Japon, où il résidait il y a peu encore avec son boyfriend, le documentariste Peter Chang. Ensemble, ils vivent aujourd’hui à Arcadie, en Californie, y ont acheté une maison. Huit romans de Cullin sont parus en dix ans, le dernier en date est terminé mais aucun éditeur n’en veut, pour l’heure. Dans un échange de mails récent, il commençait à sérieusement désespérer, à 42 ans, de vivre encore de sa plume. La chance est passée une fois déjà, et les sept dernières années ont coulé sans autres préoccupations que la littérature et l’amour. Cela grâce à l’argent rapporté par la vente de son troisième roman, Tideland, à Terry Gilliam, qui en a tiré un film du même nom en 2005. Des traductions en dix langues ont suivi. Dans Tideland, Cullin entrait dans la peau d’une ado rêveuse. Dans Les Abeilles de Monsieur Holmes, beau livre triste sorti ici en 2007, il se rêvait en Sherlock Holmes grabataire, 93 ans au compteur, devisant sur l’absence de père. A ce que l’on sait, celui de Mitch Cullin était scénariste. Le reste appartient à la littérature. Donc à ce livre dément, effrayant et beau, qui arrive enfin en France, admirablement traduit qui plus est. En tout cas assez pour tout restituer : la peur, le dégoût, le gouffre des regrets, les tourbillons de poussière, le bruit et la fureur. Philippe Azoury King County Sheriff (Inculte), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Yoko Lacour, 144 pages, 16 €

3 questions à Mitch Cullin King County Sheriff est écrit en vers libres. Pourquoi ? Pour y faire coexister la beauté avec la plus extrême laideur – je suis gay et pacifiste, le challenge était de m’immiscer dans la psyché de l’autre. Plus que des romanciers, comme C.K. Williams ou W.D. Snodgrass, c’est le style hanté des films de Tarkovski qui m’influençait. Vous avez travaillé avec Howe Gelb. La musique est-elle fondamentale pour vous ? J’écris toujours de nuit, en écoutant de la musique. A chaque roman, je fais des mixtapes qui sont imprégnées

de l’humeur à donner au livre. Pour l’écriture de King County Sheriff, je n’écoutais que John Cale. L’adaptation de votre Tideland par Terry Gilliam ? Un bon souvenir, j’y fais un caméo : le garçon dans le bus à coté de Jeff Bridges, c’est moi. Ça a été une chance, je m’en aperçois. Je viens de finir mon neuvième livre, sur les immigrants de Thaïlande vivant à L. A., et je n’arrive pas à le faire publier. La crise économique vient de frapper durement les éditeurs indépendants. Si bien que j’entre dans une période financièrement violente.

facho victime John Galliano, le Céline de la mode ? Une robe n’est pas un pamphlet, elle n’appelle pas au meurtre. Retour sur une affaire pathétique. On voit un dingue imbibé jusqu’à l’inflammable dire qu’il aime Hitler. Voix pâteuse, il peine à articuler. Les gens qui filment un John Galliano quasi hagard sont ceux qui sont insultés. Pourtant, ils se marrent. Comme on pourrait rire d’un dingue affaibli par tellement d’alcool qu’il ne se rend même pas compte qu’on le filme : avec cruauté. Pendant ce temps, en France, 2011 marque le cinquantième anniversaire de la mort de LouisFerdinand Céline, écrivain génial et antisémite notoire, qui signa trois pamphlets d’une violence extrême contre les Juifs. Autant dire, des appels au meurtre. L’amalgame est facile : Galliano, le Céline de la mode ? Suivent dès lors les questions d’usage : aurait-il fallu annuler le défilé Dior ? Faudrait-il refuser de porter les vêtements ou accessoires qu’un horrible antisémite a créés ? Comme disait Sartre, on peut aimer un roman écrit par un antisémite, pas un roman antisémite. Or, une robe n’est jamais antisémite. Et même si l’antisémitisme est répugnant, condamnable, n’importe qui a le droit de penser ce qu’il veut. Galliano n’a pas signé d’appels au meurtre, n’a pas inscrit sur ses vêtements “Mort aux Juifs”. Et puis à le voir dans un état aussi pathétique, cramé, on s’interroge sur le degré de tension et les pressions qui pèsent sur les épaules de ces créateurs à la tête d’immenses maisons de couture. Yves Saint Laurent le premier finit drogué, dépressif et reclus ; Alexander McQueen s’est suicidé. Tom Ford confie dans ses interviews avoir quitté YSL et le groupe Gucci épuisé, déprimé, addict à la drogue et à l’alcool. Et Christian Dior lui-même est mort foudroyé d’une attaque cardiaque à 52 ans. Céline, lui, a vécu plus longtemps.

Nelly Kaprièlian 9.03.2011 les inrockuptibles 93

bête et méchant Un scientifique vieillissant, loser avec les femmes, dérobe la découverte écolo d’un autre. Sur l’imposture, une satire trop simpliste du pourtant grand Ian McEwan.

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n le sait depuis des lustres : le grand sujet de Ian McEwan, c’est le mal. La noirceur de l’âme humaine, ses déviances et autres perversions. Depuis ses débuts avec Premier amour, derniers rites (1975), jusqu’à aujourd’hui, on a aussi compris que l’écrivain anglais avait trois façons d’aborder son grand sujet : frontalement dans Le Jardin de ciment (1978) ou Les Chiens noirs (1992) ; avec ambiguïté dans Délire d’amour (1997) et Expiation (2001), jusqu’à la plus grande finesse et complexité dans Sur la plage de Chesil (2009) ; enfin la satire à l’acide chlorhydrique avec Amsterdam (1998). De ces trois veines, McEwan excelle dans la deuxième, qui lui aura permis de traiter aussi des illusions et du ratage, de ces moments infimes qui font pourtant basculer une vie dans un destin, de ces tragédies d’autant plus cruelles qu’elles se jouent en sourdine. Peut-être était-ce le besoin de s’octroyer un peu de repos après son beau et douloureux Sur la plage de Chesil ? McEwan revient avec une comédie de mœurs grinçante dans le genre d’Amsterdam : Solaire met en scène, sur fond de longs discours écologiques, un scientifique célèbre et vieillissant plaqué par sa femme à force de l’avoir trompée, qui subtilise la découverte écologique d’un jeune homme qui trépasse sous ses yeux par inadvertance, se remet en selle grâce à cette imposture 94 les inrockuptibles 9.03.2011

et traîne sa médiocrité d’un bout à l’autre d’un roman de près de quatre cents pages sans qu’on puisse vraiment s’y intéresser. C’est que cet antihéros loser est trop moche (c’est répété 54 fois), trop gros (72 fois), trop médiocre (145 fois), trop fourbe (99 fois), trop lâche (idem)… L’auteur parvient tant et si bien à nous convaincre du manque d’intérêt de son Michael Beard qu’on finira par penser à autre chose. Et c’est dommage, au vu de la première partie du livre, la plus réussie : quand ce pauvre hère espionne sa femme qui, pour se venger, n’a rien trouvé de mieux que de se taper le jardinier. Là, McEwan déploie toute la virtuosité de sa méchanceté, son sens aiguisé du détail, son goût sublime pour l’absurde, et quand même son petit côté moralisateur qui sait si bien se servir du tranchant des mots comme autant de fléchettes pour tuer à petit feu l’imposteur, le menteur, le vilain. Car comme dans Amsterdam, la satire selon McEwan tournera vite au jeu de massacre de figurines en carton-pâte, comme à la foire du Trône. A force d’être unidimensionnel, son personnage finit par avoir aussi peu d’épaisseur qu’un personnage de dessin animé pour enfants. Espérons l’auteur de Samedi bientôt de retour avec un de ces grands romans dont il a le secret. Nelly Kaprièlian Solaire (Gallimard), traduit de l’anglais par France Camus-Pichon, 385 pages, 21,50 €

Alain Sevestre Manuel de l’innocent

Dolores Marat

Gallimard, 285 pages, 19,50 €

Annie Ernaux L’Autre Fille Nil, 80 pages, 7 €

Lettre à sa sœur morte avant sa naissance. Un court texte beau et troublant. Il est dit qu’Annie Ernaux exhumera jusqu’aux strates les plus secrètes et inconscientes de son passé familial. Parents et origines sont déjà passés au scanner de plusieurs livres (La Place, La Honte, Ce qu’ils disent ou rien), rendant notoire l’absence d’une figure fraternelle ou sororale. Ernaux a grandi en fille unique – avant d’apprendre à 10 ans l’existence d’une sœur dont la mort précoce (d’une diphtérie à 6 ans) favorisa sa venue au monde. L’auteur sera élevée dans l’ombre discrète de cette “enfant du ciel”, “la petite fille invisible dont on ne parlait jamais”. De cette expérience traumatique, Ernaux démêle les fils subtils et contradictoires d’un lien qui se fait jour : culpabilité, jalousie, sentiment d’imposture (“Je croyais toujours être le double d’une autre vivant dans un autre endroit”) mais aussi orgueil, conviction brutale d’une prédestination (“Je n’écris pas parce que tu es morte. Tu es morte pour que j’écrive, ça fait une grande différence”). L’Autre fille serait donc ce roman de fantôme, longtemps différé par l’auteur, et portant l’origine de sa vocation. Comme toujours, Ernaux n’enjolive rien, ne cède à aucune esthétisation morbide facile. Et c’est avec une scrupuleuse pudeur qu’elle confesse le trouble suscité par ce deuil inconnu. Emily Barnett

L’errance politicosentimentale d’un doux loser installé à Montmartre. Comment donner de la consistance à sa vie quand on habite dans un décor à la Amélie Poulain ? Peut-on être sérieux lorsqu’on a pour père un escroc botoxé ? Questions qui, l’air de rien, prennent dans le neuvième roman d’Alain Sevestre (qui a décidemment un don pour les titres au charme minimaliste : L’Affectation, Le Slip, L’Art modeste) une résonance particulière. Les cinquante premières pages sont un miracle de folie douce non programmée, de lose poétique, de digression prosaïque dont on voudrait qu’elle dure jusqu’à la fin. Dans un duplex montmartrois, un type s’emmerde : il fait du taï-chi, essaie une recette de taboulé, regarde les touristes. Mais voilà qu’une fête chez ses voisins s’invite chez lui, par la voie d’une porte prétendument condamnée. Cocktail party et show business, mais surtout une femme, sublime, que le narrateur n’aura de cesse de vouloir revoir – clé du drôle de récit politico-initiatique à venir. Si, dans les multiples imbroglios imaginés par l’auteur, tout n’est pas génial, Manuel de l’innocent accomplit toutefois une singulière chorégraphie de l’absurde : mélange de magie rocambolesque rattrapée par la merditude des choses, dont Alain Sevestre tire, pour finir, avantageusement parti. E. B.

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Ozkok/Sipa

fous de Foucault Publication de son premier cours au Collège de France, élargissements incessants de sa pensée, présence en tant que personnage de romans intimes : le philosophe disparu en 1984 reste au cœur de notre époque. ichel Foucault souffle encore. déjà le souci de mettre en lumière les Tel un spectre planant parmi nous, pratiques sociales des dominés, l’analyse il imprime dans notre actualité des pratiques discursives, des formes le mystère de sa présence tenace. de pouvoir et de gouvernementalité… Comme si sa disparition en 1984 ne pouvait Plus qu’une postérité dont il aurait se réduire à sa seule fin physique et ouvrait refusé le principe d’autorité qu’elle confère, sans cesse de nouveaux horizons. Foucault le philosophe a laissé derrière lui génère aujourd’hui des souvenirs, des des héritiers. Pour eux, à rebours de toute pistes d’avenir et des manières de réfléchir. fascination dogmatique, Foucault n’a La littérature s’empare de lui, à l’instar jamais eu la qualité d’un maître à penser, de Mathieu Lindon dans Ce qu’aimer veut mais plus celle d’un “ami” intellectuel dire. Inspirant les romanciers, il nourrit dont les intuitions ont nourri la boîte aussi les travaux des philosophes, même à outils permettant de penser le monde sur des questions a priori éloignées d’aujourd’hui. “On pense avec Foucault”, de ses obsessions (Foucault va au cinéma souligne Jean-François Bert, qui note par Patrice Maniglier et Dork Zabunyan). que sa place actuelle dans les sciences De plus en plus, on mesure combien humaines est “plus importante que celle la pensée foucaldienne étend son influence qu’ont bien voulu lui reconnaître de son dans le territoire des idées. La preuve vivant” ceux qui l’identifiaient “soit comme avec la publication de son premier cours un penseur anarchiste, gauchiste, nihiliste, au Collège de France : un cours tenu à partir soit comme un antimarxiste masqué qui du mois de décembre 1970 divisé en avec sa généalogie n’a fait que multiplier douze leçons sur “la volonté de savoir”, plus les contradictions”. une leçon sur Nietzsche et une conférence Or, ces contradictions sont au cœur intitulée “Le Savoir d’Œdipe”, où se révèle de ce que Judith Revel appelle “une pensée

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du discontinu” intégrant “la rupture, le saut, la différence, le changement”, avançant par “élargissement”. C’est à cet élargissement que s’emploient ses descendants actuels. Ce qu’ils retiennent de Foucault se fixe sur la nécessité d’être en prise avec l’actuel et le présent. Didier Eribon rappelle dans la nouvelle préface de sa très belle biographie parue en 1989 que le rôle du philosophe était pour Foucault de faire le “diagnostic du présent”. L’intellectuel foucaldien, précise Bert, “n’est plus, comme avec Sartre, ni porteur d’une forme d’universalité, ni porte-parole mais d’abord un savant-expert qui nourrit sa critique de façon locale à partir d’une politisation des problèmes quotidiens”. On imagine combien le soulèvement actuel des peuples arabes l’aurait enthousiasmé. Contrairement à l’idée faisant croire à son erreur de diagnostic sur la révolution iranienne de 1979, Foucault n’a jamais, à l’époque, admiré naïvement le pouvoir islamiste, mais salué la révolte d’un peuple, l’événement en soi, la rupture avec l’ordre établi (cf. l’article d’Olivier Roy, L’Enigme du soulèvement, dans Vacarme, automne 2004). Si cet élan pour le mouvement de libération semble aujourd’hui tiède dans la voix de nombreux intellectuels français mal à l’aise avec la question de l’islam, l’héritage foucaldien invite à en assumer le risque. Sa grande leçon, rappelle Bert, est de “proposer un véritable travail de sape qui doit nous autoriser à penser autrement les systèmes de pensée qui contraignent notre vision du monde”. Jean-Marie Durand Leçons sur la volonté de savoir, cours au Collège de France (1970-1971) suivi de Le Savoir d’Œdipe (Seuil), 336 pages, 23 € Introduction à Michel Foucault de Jean-François Bert (La Découverte), 128 pages, 9,50 € Cahier Foucault collectif (Editions de l’Herne), 416 pages, 3 9 € Michel Foucault de Didier Eribon (Champs Flammarion), nouvelle édition, 646 pages, 11 €

la 4e dimension Tolkien, héros de roman contesté

la saga Palin Il faudra bientôt créer un rayon “Sarah Palin” dans les librairies US. L’ex-miss Alaska reconvertie en pitbull politique a déjà livré ses mémoires. C’est au tour de sa fille, Bristol, 20 ans, de publier son autobiographie Not Afraid of Life. Un brûlot anti-Palin écrit par un de ses anciens collaborateurs doit également paraître prochainement.

Maurice G. Dantec autoédité Le romancier ultraréac éditera lui-même son prochain livre Satellite Sisters. Une conséquence des ventes médiocres de ses derniers bouquins ? L’agent de Dantec préfère parler de “liberté promotionnelle”. Bien sûr.

Banks de sperme Le prochain roman de Russell Banks devrait paraître en automne chez Actes Sud et traitera de la disponibilité du porno sur le net et de l’addiction qu’elle provoque. A suivre. 96 les inrockuptibles 9.03.2010

Décidément, l’idée que les écrivains puissent s’inspirer de personnages réels ne passe pas. Après le procès Jauffret et les attaques contre Angot, ce sont les héritiers de J. R. R. Tolkien qui veulent faire interdire le roman de l’Américain Stephen Hillard qui met en scène l’auteur du Seigneur des anneaux.

protestsonge Vladimir Sorokine continue d’en découdre avec les dictatures russes dans une allégorie trash, entre conte fantastique et roman d’anticipation.

Le Kremlin en sucre (Editions de l’Olivier), traduit du russe par Bernard Kreise, 264 pages, 2 2 €

Brigitte Baudesson

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ors de sa dernière venue à Paris, une indigestion de fruits de mer l’avait rendu muet comme une carpe à mi-interview. A 55 ans, Vladimir Sorokine est bien moins disert dans la vie qu’il ne l’est dans ses romans : une demi-douzaine traduits en France (dont le mémorable Roman, publié chez Verdier en 2010), soumis au principe d’une imagination foisonnante. Avec Le Kremlin en sucre, l’écrivain russe renoue avec une veine allégorique déjà à l’œuvre dans La Voie de Bro, La Glace et, surtout, Journée d’un opritchnick. L’oligarchie futuriste que l’auteur mettait en scène revient ici, en 2028, sous la forme d’une dictature policière en guerre contre ses dissidents (suivez mon regard). Le livre s’ouvre le jour de Noël, alors que les enfants de Moscou sont invités à apporter leur pierre à la “Grande Muraille de Russie”, bouclier contre les “ennemis de l’extérieur” : “les damnés cyber-punk”, “les musulmans féroces”, “les Européens sans vergogne” et “les sodomites insatiables”. Bien vite, le récit s’échappe vers d’autres contrées du régime, suivant les pas de mendiants affamés, un interrogatoire musclé par les services secrets, le plateau d’un film de propagande ou un cabaret dans lequel se soûlent les bourreaux du régime. Pour parler du réel, Sorokine le déréalise, l’émerveille, par une écritureécran où la fiction semble toujours codée. Pour ce faire, l’auteur fait cohabiter deux imaginaires : celui du conte et du fantastique, avec objets animés, chien mécanique et hologrammes ; et celui, beaucoup plus trash, de la décadence par le pouvoir et l’argent. Pour preuve, le chapitre relatant le rêve de la “Souveraine”, délire autoérotique dans un Kremlin fabriqué en cocaïne, véritable morceau de bravoure hilarant. A demi-mot, via un système métaphorique ultra élaboré, Sorokine écharpe comme à son habitude le régime russe actuel en puisant dans l’histoire. Il le fait dans ce livre avec une espèce de joie féroce dont on retire plus d’un moment réjouissant. Emily Barnett

à venir

mercredi 9

On chausse ses lunettes de geek pour mieux réfléchir au rôle de Google aujourd’hui et à la façon dont le moteur de recherche, qui ambitionne de numériser toutes les bibliothèques de la planète, est en passe de modifier notre rapport aux livres. Avec notamment Ariel Kyrou, auteur de Google God.

expo Gallimard : Un siècle d’édition à la BNF

Google, le monde et moi – Eclairages pour le XXIe siècle, à 19 h au Centre Pompidou, Paris IVe, www.centrepompidou.fr

On s’interroge sur la stigmatisation de l’étranger, réalité toujours d’actualité, avec le philosophe Guillaume Leblanc. Une rencontre animée par Jean-Marie Durand des Inrockuptibles (18 h, Théâtre de l’Odéon, www.theatre-odeon.fr). Danse et écriture ne sont, elles, pas étrangères l’une à l’autre. On file au festival Concordan(s)e, qui fait dialoguer écrivains et chorégraphes, comme Olivia Rosenthal et Carlotta Sagna (19 h, Centre national de la danse, www.concordanse.com).

vendredi 11

On pourrait presque boire un verre au bar Le John Wayne avec Luc et Maud, les héros de Michael Jackson, le dernier roman de Pierric Bailly qui se déroule à Montpellier, puisque c’est justement à Montpellier que l’on rencontre le romancier. A 18 h 30 au Grand Café de l’Esplanade, www.sauramps.com

samedi 12

On chante dans sa salle de bains avec Tunnel of mondialisation (Verticales, 128 pages, 22,50 €), le dernier livre-détournement de JeanCharles Massera, qui s’aventure du côté de la variété française. En bonus, un CD de cinq chansons, un DVD des clips et une interview façon Fréquenstar.

dimanche 13

On passe à l’action avec Bernard Heidsieck. La Villa Arson, à Nice, consacre une exposition à l’auteur de Respirations et brèves rencontres, inventeur d’une poésie active, qui rassemble une quinzaine de pièces sonores et des films réalisés à partir de ses textes. Poésie action, jusqu’au 22 mai, www.villa-arson.org

lundi 14

On se plonge dans l’album de “famille” de Jean Cocteau en feuilletant la nouvelle édition des Années Francine (Seuil, 29 €), beau livre qui rassemble des photos, des croquis, des dessins inédits, des poèmes et des lettres à Francine Weisweiller, mécène et amie du poète.

On fait sa revue de presse US, avec la sortie du numéro de printemps de la Paris Review et celle de la 37e édition de McSweeney’s. La première propose, entre autres, le roman de Roberto Bolaño, Le Troisième Reich, illustré par Leanne Shapton, ainsi que des photos et des textes d’Edouard Levé (www.theparisreview.org). Quant à la revue de Dave Eggers, elle rassemble des textes de Jonathan Franzen, Joyce Carol Oates… (www.mcsweeneys.net)

mardi 15

98 les inrockuptibles 9.03.2011

Pierric Bailly

Hélène Bamberger/P.O.L

jeudi 10

A l’occasion du centenaire des éditions Gallimard, la BNF invite à entrer dans les arcanes de la prestigieuse maison qui, de Proust à Faulkner, publia les grands noms de l’histoire littéraire du XXe siècle, et ne cesse de poursuivre son travail de découvreur. Un parcours en toute intimité au travers d’archives sonores et audiovisuelles, manuscrits, éditions originales, correspondances et photos. Il s’agit d’une des étapes des événements (dont des publications) qui ponctueront cette exposition anniversaire. Du 22 mars au 3 juillet

Les Editions de l’Olivier ont 20 ans Créée en 1991 comme filiale du Seuil par Olivier Cohen et maintenant indépendante, la maison s’appuie au départ sur un groupe d’auteurs anglo-saxons comme Richard Ford, Raymond Carver, Jay McInerney et Will Self. Elle rencontrera par la suite le succès avec certains de ses auteurs français, Olivier Adam, Véronique Ovaldé et, dans la catégorie récit ou document, Florence Aubenas avec Le Quai de Ouistreham. Toute une série de rencontres étayeront cet anniversaire, dont Le Marathon des mots à Toulouse (du 23 au 26 juin).

Hugo Pratt à la Pinacothèque de Paris L’exposition sur les masques mayas, annulée pour cause d’embrouilles diplomatiques avec le Mexique, est remplacée au pied levé par Le Voyage imaginaire d’Hugo Pratt à la Pinacothèque de Paris. Ce sera la première exposition parisienne consacrée à l’œuvre de l’auteur de bande dessinée depuis celle au Grand Palais en 1986 – une autre, intitulée Hugo Pratt, périples secrets, avait eu lieu en 2009 à Cherbourg. On pourra y admirer plus de cent cinquante aquarelles et des planches, notamment l’intégralité de celles de La Ballade de la mer salée (1967), où Corto Maltese est apparu pour la première fois. Du 17 mars au 21 août

offres abonnés 9.03.2011

avantages exclusifs

RÉSERVÉS AUX ABONNÉS DES INROCKS pour bénéficier chaque semaine d’invitations et de nombreux cadeaux, abonnez-vous ! (voir page 27, ou sur http://boutique.lesinrocks.com)

NOUVEAU Le rock indé de la nouvelle scène suédoise, à Paris le 28 mars et en tournée jusqu’au 5 avril

Les femmes Eldorado s’en mêlent dit le policier L’édition 2011 du festival

musiques

A la Grande Halle de la Villette (Paris XIXe)

Shout Out Louds A gagner : 5 invitations pour 2 personnes le 28 mars à Paris, XVIIIe (La Machine du Moulin Rouge) ; 2 invitations pour 2 personnes le 29 mars à Angoulême (La Nef) ; 2 invitations pour 2 personnes le 30 mars à Dijon (La Vapeur) ; 2 invitations pour 2 personnes le 31 mars à Strasbourg (La Laiterie) , 2 invitations pour 2 personnes le 5 avril à Marseille (Cabaret Aléatoire). Merci d’indiquer la date de votre choix

scènes Denis Lachaud, Laurent Larivière et Vincent Rafis explorent les thèmes de l’altérité, de la citoyenneté et du pouvoir en créant ensemble cette pièce autour du parcours de sans-papiers. A gagner : 10 places pour 2 personnes le 24 mars à 19 h 30

pour profiter de ces cadeaux spécial abonnés

Festival United Kingz Jusqu'au 31 mars à Nice

musiques

Quatrième édition du festival des cultures et musiques britanniques. Concerts, soirées, expositions et projections. Toute la programmation sur www.ukfestival.fr. A gagner : 1 pass pour 2 personnes

musiques Reconnu pour son éclectisme et son exigence, le festival célèbre la scène féminine indépendante depuis maintenant douze ans. Un rendez-vous européen incontournable. A gagner : 3 invitations pour 2 personnes le 25 mars au Divan du Monde (Paris XVIIIe) et 2 invitations pour 2 personnes le 1er avril à la Machine du Moulin Rouge (Paris XVIIIe). Merci d’indiquer la date de votre choix

Jean-Luc Godard et François Bon Au Centre culturel suisse (Paris IIIe)

cinéma Projection de One + One de Jean-Luc Godard, précédée d’une conférence de François Bon. A gagner : 5 invitations pour 2 personnes le 23 mars à 20 h

envoyez vite le titre de l’offre qui vous intéresse par e-mail à : [email protected] Merci d’indiquer vos nom, numéro d’abonné et adresse postale. Si plusieurs dates sont proposées, veuillez préciser votre choix. Les gagnants tirés au sort seront informés par e-mail. Fin des participations le 13 mars

David Petersen Légendes de la Garde, tome 2 Gallimard, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Corinne Daniellot, 161 pages, 20 €

mambo queen Une épopée ébouriffante et optimiste signée Claire Braud, jeune auteur à l’imagination débordante.

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etula Peet, une jeune tête de linotte au cœur tendre, vit dans une campagne idyllique avec son tigre de compagnie. Mais elle est victime d’une sérieuse infortune : sa maladresse fait systématiquement fuir tous ses prétendants. Pour conquérir et retenir un chauffeur de car dont elle est tombée amoureuse, elle est prête à tout : réaliser un faux film d’entreprise, monter une comédie musicale, voler un bus. Mais sa poisse est tenace… Ayant auparavant illustré des livrets d’anthologies de jazz ou de musique classique, Claire Braud signe ici sa première véritable bande dessinée. Et c’est une surprise ébouriffante. Mambo – qui n’a que peu à voir avec la danse du même nom, si ce n’est son rythme sensuel et enlevé – est une histoire hallucinée dans laquelle il est aussi question d’un sosie de Michael Jackson, d’une tribu indienne et d’une agricultrice qui recueille des délinquants en réinsertion. Claire Braud met son inventivité débridée au service d’un récit délicieusement déjanté. Tout comme sa pétulante Petula, 100 les inrockuptibles 9.03.2011

elle repousse les limites de l’imagination dans cet album délirant qui, à la manière d’un carnet de croquis, semble parfois ne suivre que le fil de sa pensée. Provoquant des situations cocasses, elle ne recule ensuite devant aucune pirouette ou aucune ellipse pour s’en sortir. Elle crée une galerie de personnages plus absurdes les uns que les autres (le cavalier danseur aux dents en forme de couteaux, monsieur Bilfront et son chaton), qui cherchent leur voie entre préoccupations frivoles et questionnements existentiels. Comme elle, ils vagabondent tout en sachant où ils vont. Et chacun, personnages comme auteur, finit par arriver à destination. Derrière ces dialogues à l’emporte-pièce, derrière le dessin d’une charmante finesse, derrière une apparente légèreté, Claire Braud met en scène une épopée empreinte de poésie et d’humanité, à la conclusion optimiste. Avec une fraîcheur et une fantaisie inédites, elle livre un véritable hymne à la nature, à l’amour, à un monde plus généreux. Anne-Claire Norot Mambo (L’Association), 80 pages, 15 €

Epopée médiévaloanimalière attachante et visuellement somptueuse. Dans un univers médiéval dépourvu d’humains, la communauté des souris est protégée par un bataillon d’élite, la Garde. Après avoir fait face à une conspiration de rongeurs renégats dans le premier tome, sa mission est cette fois d’affronter l’hiver et ses périls pour ravitailler la forteresse de Lockhaven. Mais la route est semée d’embûches et les vaillants souriceaux en cape et en armes doivent lutter contre les intempéries, les prédateurs et leurs propres dissensions. Légendes de la Garde est une fresque anthropomorphe bien moins innocente que ne le laisse supposer un style plus proche de l’illustration enfantine que de l’heroic fantasy. Ces animaux au premier abord irrésistibles cachent une psychologie très humaine. Poussées par leur instinct de survie, les souris se montrent dans la bravoure comme dans la bassesse d’une dureté inébranlable. De l’intrépide Saxon au jeune Lieam, on s’attache rapidement à ces créatures de poil mais aussi de chair. Somptueux visuellement avec ses décors grandioses à l’esthétique victorienne, Légendes de la Garde est un récit d’une noirceur poignante. A.-C. N.

Jan Versweyveld

enfer intime Un classique de Bergman sur le couple adapté par Ivo Van Hove avec une intuition et une humanité rares, dans le cadre du festival Exit à Créteil.

première Le Voile noir du pasteur Après sa stupéfiante mise en scène de Parsifal de Wagner à Bruxelles, Romeo Castellucci enchaîne une nouvelle création théâtrale : Le Voile noir du pasteur. Inspiré de la nouvelle de Nathaniel Hawthorne, définie comme une parabole, le spectacle est surtout “l’occasion de s’interroger sur le rapport immémorial entre représentation et négation du paraître”. Du 15 au 19 mars au TNB de Rennes, tél. 02 99 31 12 31, www.t-n-b.fr

réservez festival Danse d’ailleurs Japon, Inde, Chine, Etats-Unis, Afrique : ce festival porte bien son nom et propose cette année quelques créations très attendues. De Lost in Burqa, une création d’Héla Fattoumi et Eric Lamoureux à partir du travail plastique de Majida Khattari, à Congo My Body du chorégraphe congolais Djodjo Kazadi ou Beautiful Thing 1 de l’Indienne Padmini Chettur, un axe commun : des œuvres fortes et pertinentes qui nous parlent d’un “monde pluriel”. Du 26 mars au 2 avril à Caen et Cherbourg, tél. 02 31 85 83 95, www.ccncbn.com 102 les inrockuptibles 9.03.2011



n abordant avec Scènes de la vie conjugale la délicate et rebattue question du couple moderne, Bergman a eu soin de situer le problème sur un fond sociologique. Johan et Marianne (joués par Erland Josephson et Liv Ullmann), dont les Suédois ont pu suivre dans les années 70 les errements et tourments au fil des épisodes d’une série télévisée, étaient à leur manière représentatifs de la société scandinave de l’époque. Ce feuilleton aurait même suscité une vague de divorces dans le pays. Quelle est la capacité de résistance d’un couple – au temps qui passe, aux sollicitations multiples, mais aussi aux évolutions du monde ? La question ne touche pas seulement Johan et Marianne, elle touche en gros chacun de nous. En adaptant au théâtre le scénario d’Ingmar Bergman, Ivo Van Hove souligne volontairement cette proximité des personnages avec le public, grâce notamment à un dispositif scénographique fort ingénieux : rien ou presque ne nous sépare des comédiens – si ce n’est évidemment qu’ils jouent. Leur présence au milieu du public – on pourrait presque les toucher – exclut tout voyeurisme. Il suffit d’observer les spectateurs pour deviner à quel point ils semblent personnellement impliqués. Comme si chacun était renvoyé à sa propre histoire, à ses craintes, à ses angoisses. Ce qui n’empêche pas que l’on rit aussi beaucoup à ce spectacle. Et l’on se dit qu’Ivo Van Hove, dont on a vu il y a deux ans une inoubliable adaptation de Cris et Chuchotements du même Bergman,

est décidément très fort. A se demander pourquoi ce Néerlandais, qui compte parmi les plus grands metteurs en scène européens, est si rare sur nos plateaux. Le scénario de Bergman est exemplaire. C’est un modèle, un canevas – d’ailleurs souvent copié – qu’Ivo Van Hove déconstruit brillamment. Il bouscule la chronologie, articule la pièce autour de quelques moments clés et, servi par une troupe d’acteurs extraordinaires, démultiplie les couples. Il en résulte un effet déstabilisant de dissémination et d’écho. Les éclats d’une scène de ménage dans l’appartement d’à côté ont un air comique de déjà-vu, par exemple. Johan et Marianne, élu “couple idéal” par un magazine féminin, traversent bientôt des épreuves qui les entraînent dans un tourbillon d’événements où ils laissent des plumes. La mise en scène épouse ce mouvement tournant, cabossé, chaotique où l’on se perd sans jamais vraiment se retrouver. La question du couple devient une interrogation sur le sens de la vie. Question sans réponse, si ce n’est peutêtre ce disque qui tourne sur une platine tandis qu’un des acteurs danse sur Les Moulins de mon cœur chanté en néerlandais par Michel Legrand. Du grand art. Hugues Le Tanneur Scènes de la vie conjugale d’après Ingmar Bergman, mise en scène Ivo Van Hove, scénographie Jan Versweyveld, avec Charlie Chan Dagelet, Roeland Fernhout, Janni Goslinga, Suzanne Grotenhuis, du 10 au 12 mars à la Maison des Arts de Créteil, dans le cadre du festival Exit, www.maccreteil.com

Pirandello mis à nu Pièce oubliée de l’auteur sicilien autour du sexe et du désir, un petit bijou de théâtre inspiré par la psychanalyse. ur scène et dans la salle, c’est en lumière le trouble destin d’un homme en pleine lumière que se déroule qui, à force de jouer les inquisiteurs la représentation d’On ne sait et d’accuser les autres d’être dans comment, ultime texte théâtral le cocufiage tous azimuts, finit par avouer mené jusqu’à son terme par Luigi n’avoir connu le vrai désir qu’à l’occasion Pirandello. A travers la cruauté sans fard de l’exécution d’un crime. Tandis que de ce qu’on nomme un éclairage l’ambiguïté de sa confession du meurtre de service, Marie-José Malis revendique d’un jeune paysan chamboule le château du détachement et de la distance pour de cartes des apparences, Marie-José négocier dans sa mise en scène avec les Malis exalte jusqu’à l’incandescence discours tourmentés de couples se posant la belle complexité du théâtre de Pirandello, la sempiternelle question de leurs qui chasse ici avec brio sur les terres fantasmes d’adultère. Laissant de côté de la psychanalyse. Patrick Sourd le voyeurisme plaisamment complice qu’on On ne sait comment de Luigi Pirandello, associe souvent aux intrigues de boudoirs, mise en scène Marie-José Malis, les 15 et elle préfère porter un regard aussi froid 16 mars au Théâtre de l’Archipel à Perpignan que politique sur les déballages quasi du 5 au 9 avril au Théâtre des Bernardines pornographiques de leurs pulsions intimes. à Marseille, du 10 au 14 mai au Théâtre Alors, derrière la parodie bourgeoise Garonne à Toulouse, du 19 au 21 mai de ce croustillant jeu de la vérité, elle met au Forum du Blanc-Mesnil.

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Romain Etienne

Please Kill Me d’après Legs McNeil et Gillian McCain, adaptation, conception et mise en scène Mathieu Bauer, du 9 au 22 mars au Théâtre de la Bastille, Paris XIe, www.theatrebastille.com

les damnés du punk Retour aux origines new-yorkaises du punk avec un spectacle musical apprivoisant la saga du no future avec une délicate tendresse. l fut une époque pleine du punk. Les voici défoncés comme des d’humour où entrer nous invitant à partager terrains de manœuvres dans un club newles souvenirs d’anciens sous une pluie de canettes yorkais en portant combattants d’une bande de bière. Pour explorer un T-shirt déchiré sur de petits Blancs suicidaires les enfers de ce cauchemar lequel était inscrit qui, dans les années 70, de bruits et de fureurs, “Please kill me” pouvait furent les pionniers Mathieu Bauer et son immédiatement faire du punk-rock américain groupe ont choisi de naître parmi vos fans de la Côte Est, en prenant transformer l’hommage en des vocations assassines. le contre-pied des rêves une tendre évocation. Une Puisant au répertoire hippies du “Make love not manière de dire qu’avec le des Ramones, des Stooges, war” et du Flower Power. temps ces chiens enragés des Heartbreakers et Avec l’Américaine Kate qui s’attachaient par à l’impayable compilation Strong en égérie destroy des chaînes sur la scène d’anecdotes du livre Please et Matthias Girbig en ont bien mérité de recevoir Kill Me de Legs McNeil chanteur sexy, ce théâtre des ailes en papier et Gillian McCain, Mathieu musical fait le compte des mâché qui font d’eux Bauer et le groupe morts au chant d’honneur les derniers anges déchus Sentimental Bourreau parmi ceux qui passaient se revendiquant du côté s’emparent de la légende leur temps à jouer dans obscur des aspirations des premières heures l’écume des crachats, de la jeunesse. P. S.

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9.03.2011 les inrockuptibles 103

vernissages noir et blanc Mêlant souvenirs d’enfance et références à Duchamp, l’artiste galloise Bethan Huws propose une balade dans l’histoire de l’art et du paysage. Le soir du vernissage, elle met en scène un tableau vivant animalier composé d’animaux noirs et blancs.   Black and White Animals le 12 mars au Centre d’art de Vassivière, www.ciapiledevassiviere.com

jaune Curatée par l’artiste Gyan Panchal, une expo axée sur le matériau autour des travaux de Sarah Barker, Jesus Alberto Benitez et Mélanie Blaison. Des années de poudre recouvrant des années de jaune jusqu’au 26 mars à la galerie Frank Elbaz, Paris IIIe, www.galeriefrankelbaz.com

clair obscur La nature morte à l’honneur dans cette expo collective. Avec Allora et Calzadilla, Adriana Lara, Jean-Luc Moulène, Reena Spaulings, Wolfgang Tillmans… Nature morte vivante jusqu’au 18 mars à La Douane, Paris Xe, www.crousel.com

bariolé Olive Martin et Patrick Bernier présentent à la Fondation Kadist leur film La Nouvelle Kahnawaké, sorte de western moderne. Les 12 et 13 mars toutes les heures à la Fondation Kadist, www.kadist.org 104 les inrockuptibles 9.03.2011

Records of Hypnotic Sleep, 2009

voyage en amnésie Un voyageur fou, un cas clinique, des images mentales : l’exposition du jeune Suédois Johan Furåker se visite comme dans un rêve.



uestion annexe en apparence : pourquoi tant de romans contemporains comprennent-ils des images photographiques ? L’auteur W. G. Sebald par exemple avait pris cette habitude de glisser des photos noir et blanc dans le corps de ses livres, Austerlitz ou Les Anneaux de Saturne – tantôt des documents historiques, tantôt des photographies prises par l’auteur au gré de ses pérégrinations, et qu’on attribue aussitôt à celles de ses personnages continûment migratoires. Rattachées à la narration, elles n’en sont pas pour autant des illustrations au sens traditionnel, mais elles alimentent le récit en images mentales. Elles inscrivent là une présence fantomatique de l’histoire ou du monde. Et de fait, c’est inévitablement à Sebald que l’on pense en parcourant la fascinante exposition que le jeune artiste suédois Johan Furåker vient d’ouvrir au CAPC de Bordeaux à l’invitation du commissaire Alexis Vaillant. Car c’est un voyage que dessinent ces peintures anachroniques,

suite de représentations hyperréalistes de vues de villes, d’architectures et de paysages du XIXe siècle – mais bien qu’improbables, elles donnent malgré tout l’impression de documenter les périples d’un voyageur déclaré fou du XIXe siècle, Albert Dadas. Mais laissez-moi vous raconter cette histoire. Simple employé du gaz à Bordeaux, ce jeune homme avait la fâcheuse manie de fuguer, pris soudain d’une envie irrépressible de partir, de fuir, de voyager. Il disparaît ainsi régulièrement, sans prévenir personne, quittant son travail du jour au lendemain, se faisant arrêter pour vagabondage dans un état lamentable, prostré et au bord de la folie, et c’est ainsi que les gendarmes le ramènent un jour de juillet 1887 à l’hôpital Saint-André de Bordeaux. Diagnostic : Albert Dadas serait “dromomane” – trouble mental qui désigne à l’époque l’obsession de bouger –, ou atteint de “folie épileptique fugueuse”, selon le docteur Charcot, spécialiste des hystéries en tout genre. Notez que si Albert Dadas avait été un aristocrate

encadré

regardez, on massacre Quel est le rôle de l’image dans les révoltes arabes ?

At the Embassy, 2008

fortuné, personne ne se serait inquiété qu’il aille ainsi faire son grand tour de l’Europe, voyageant jusqu’en Russie, en Turquie, en Algérie. Notez encore que si Albert Dadas était né un siècle plus tard, il serait passé inaperçu dans un monde globalisé et voué à la mobilité, où ce sont plutôt les sédentaires ataviques, ceux qui n’ont pas la moindre envie de sortir de chez eux pour aller sillonner en touristes les quatre coins de la planète, qui nous paraissent désormais frappadingues. Mais si Albert Dadas est désigné comme un cas clinique de “touriste pathologique”, c’est aussi parce qu’il n’a quasi aucun souvenir de ses voyages. Et c’est au cours de séances d’hypnose que ce patient amnésique et somnambule évoque enfin ses longues pérégrinations et le souvenir des villes traversées, marchant de manière effrénée, parcourant près de 70 kilomètres dans la journée. C’est donc dans cette amnésie, dans cet énorme trou de mémoire, que s’introduit Johan Furåker avec ce travail d’étudiant, ou plutôt d’études, en tous cas une œuvre au long cours que l’artiste a entreprise vers 2005 quand il était encore étudiant aux Beaux-Arts de Malmö. Entre photographie et peinture, ses toiles hyperréalistes, parmi lesquelles il glisse un motif pop et fluo en rappel aux séances d’hypnose, font que leur statut nous échappe entièrement : car à suivre le déroulé de ces paysages, on vogue sans cesse entre la reconstitution et le rêve, entre le document et la fiction, entre l’histoire et le roman. Entre l’exposition et l’expédition. Jean-Max Colard Le Premier Fugueur/The First Runaway jusqu’au 24 avril au CAPC, musée d’Art contemporain de Bordeaux, www.capc-bordeaux.fr

A force d’évoquer la place des réseaux sociaux dans les récents soulèvements des pays arabes, on tend à oublier le rôle capital des images mobiles, souvent bougées et de basse définition, dans le récit des événements. Les faits sont simples, mais “it’s complicated” pour les dictateurs : il leur est désormais bien plus difficile de massacrer dans l’ombre. On ne peut plus aussi facilement qu’avant fermer les robinets de l’info et raser en toute impunité un village soupçonné d’être un foyer d’opposition. Car il y a toujours, même dans les zones les plus éloignées, un téléphone portable qui traîne, des images prises et aussitôt envoyées. Par contraste, on rappellera qu’il n’existe presque aucune image des 200 000 morts de la guerre civile algérienne des années 90, liquidés tantôt par le GIA, tantôt par l’armée algérienne (déguisée en faux barbus et frères musulmans), tandis qu’on voit aujourd’hui déferler, presque en direct, via blogs et réseaux, un flux d’images qui font immédiatement honte aux régimes en place. Certes, des images amateurs avaient déjà révélé le molestage de Rodney King ou les tortures infligées aux prisonniers d’Abou Ghraïb ; mais ces faits se sont généralisés avec le boom de la téléphonie mobile. Lors des émeutes en Iran, et plus récemment en Tunisie, en Egypte, en Libye, on a bien vu à quel point la diffusion massive d’images mobiles constitue un dispositif de vigilance citoyenne. Ce jeu du “showing/shaming” réduit-il l’ampleur des répressions ? Difficile d’en être sûr, d’autant qu’il faudra s’attendre à de nouvelles manipulations à partir de ces supports. La technologie est politiquement neutre, tout dépend de son usage. Reste que les pouvoirs les plus coercitifs ont vu se réduire une marge autrefois importante de manœuvre, et de terreur : la clandestinité des massacres.

Jean-Max Colard 9.03.2011 les inrockuptibles 105

106 les inrockuptibles 9.03.2011

permis de créer Genre rare et largement délaissé au profit d’une mode conservatrice et rentable, la mode conceptuelle s’est trouvée une nouvelle chef de fil, la Néerlandaise Iris Van Herpen.

A  

la sortie de son dernier défilé à Paris, courant janvier, un journaliste a écrit avoir été “transporté sur une autre planète”, un autre l’a désignée comme l’héritière d’Alexander McQueen, décédé l’an dernier, et successeur naturel de Martin Margiela, parti de la marque qui porte son nom fin 2009. De ces compliments, on se gardera bien de tirer des conclusions définitives, mais on dégagera au moins deux informations. Iris Van Herpen a du talent, et elle l’exprime dans un genre confidentiel, celui de la mode conceptuelle. La mode conceptuelle n’est ni dans les magasins, ni dans la rue. Elle ne fait pas tourner une quelconque économie, elle existe par elle-même et se rapproche des arts plastiques, le vêtement servant de prétexte aux expérimentations techniques et aux délires créatifs les plus réussis ou les plus foireux. Souvent, pour un jeune créateur, la mode conceptuelle s’avère un passage et une façon de se faire repérer à la sortie de l’école, avant d’intégrer une maison plus conventionnelle et rentable. Mais pour que la transition se fasse, il faut un coup de chance, il faut par exemple qu’une cinglée du genre Björk ou Lady Gaga s’affiche dans l’une de ces improbables tenues. Cela tombe bien, les deux ont tour à tour porté des pièces signées Iris Van Herpen. La Néerlandaise, âgée de 27 ans et diplômée en 2006 de l’Artez Institute of the Arts d’Arnhem, livre depuis deux ans des collections ramassées, d’une très grande complexité technique. Lors de son dernier défilé parisien, baptisé “Escapism”, Van Herpen dévoilait un étonnant travail autour des technologies digitales et de la 3D,

tour à tour, Björk et Lady Gaga ont porté des pièces signées Iris Van Herpen

inspiré des œuvres de l’artiste contemporain baroque postindustriel Kris Kuksi, les modèles de la collection semblant tout droit sortis de Metropolis. Sur le podium se succédaient ainsi d’étonnantes silhouettes, sortes d’insectes de polyamide laqués, troublantes créatures sculpturales comme issues d’un autre système solaire. Pour cette collection, Van Herpen avait fait appel aux fleurons de la mode et de l’art contemporain, Philip Treacy ayant réalisé ses chapeaux, l’architecte Rem Koolhas les chaussures, la marque MGX by Materialise s’étant chargé elle de la matérialisation des pièces en trois dimensions. Comme un fil conducteur, la recherche plastique est au cœur des travaux de Van Herpen. Sa précédente collection, “Crystallization”, se concentrait sur l’eau. “J’ai été fascinée par le fait que l’on voie souvent l’eau comme un élément transparent, coulant, malgré sa structure moléculaire complexe, expliquait-elle alors. Il y a quelque chose de mathématique et de symétrique que l’on ne perçoit pas lorsqu’on est en présence de l’eau dans son contexte quotidien.” La créatrice tentait ainsi de capturer les mouvements et les formes de cet élément en créant une étonnante robe en cuir pourvue d’ailes en “éclaboussures d’eau”. “Je cherchais quelque chose qui puisse retenir à la fois la transparence et la fluidité de l’eau. J’ai fait plusieurs essais et j’ai finalement trouvé cette matière qui était un mix entre le plastique et le Plexiglas. J’ai ainsi pu sculpter ces vagues.” Dans une autre de ses collections, Iris Van Herpen rendait hommage à la coutume mortuaire de l’Egypte ancienne, et notamment à la technique de momification. Ses dix pièces, réalisées à la main, étaient composées de bandelettes de cuir tressées, de chaînes de moteurs, de clavettes et de feuilles d’or et formaient un travail saisissant, aussi macabre qu’ultra féminin. Un travail conceptuel et invendable qui devrait paradoxalement lui ouvrir les chemins de la mode commerciale. Géraldine de Margerie illustration Alexandra Compain-Tissier 9.03.2011 les inrockuptibles 107

péril à petit feu Après Monsanto, Marie-Monique Robin enquête sur le rôle des pesticides, des additifs alimentaires et de certains plastiques dans le développement du cancer, et dénonce la dissimulation de ce danger.

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arie-Monique Robin, journaliste d’investigation pugnace (et bourreau de travail), s’est souvenue de ses racines paysannes quand elle s’est attaquée à Monsanto, cette firme agrochimique connue pour son rôle dans le développement des OGM, devenue sa bête noire, comme en témoigne son livre à succès Le Monde selon Monsanto. Cette fois, avec Notre poison quotidien, la réalisatrice, fille d’agriculteurs des Deux-Sèvres, part à nouveau de l’agriculture mais élargit son travail à diverses conséquences de l’industrie chimique sur la santé. Son constat n’est certes pas nouveau. Mais ce qui fait la force de Marie-Monique Robin c’est l’exhaustivité et la précision, le choc des chiffres et le croisement des infos. Dans son documentaire et encore plus dans son livre, elle accumule références et citations, car dans ce domaine controversé, la puissance des firmes industrielles est telle qu’on a intérêt à accumuler les arguments, et les nombres et les citations exactes si on veut les contrer.

108 les inrockuptibles 9.03.2011

Dans ses grandes lignes, le film constate les effets pervers de la prospérité matérielle en Occident après la Deuxième Guerre mondiale. L’irrépressible expansion de l’industrie chimique a permis l’essor de l’agriculture grâce à la production industrielle de ce qu’on nomme des “intrants” (pesticides et engrais). Mais on s’aperçoit des conséquences néfastes de cette surproduction, notamment la progression fulgurante du cancer, qui est dans le fond le vrai sujet du film et du livre. Le film, plus restreint, traite en gros des conséquences des pesticides sur la santé des agriculteurs ; des résidus sur les produits (fruits et légumes) ; des problèmes dus à un édulcorant populaire, l’aspartame ; puis de certains plastiques, notamment ceux obtenus avec des hormones de synthèse, comme le bisphénol A, récemment sur la sellette. Enfin, la cinéaste étudie “l’effet cocktail”, l’action réciproque de plusieurs produits nocifs, ou bien la conjonction entre pollution chimique et malbouffe. Vaste programme complété dans le livre avec

au poste

Julien Magre/Picturetank

les écrans de l’économie

des volets sur les conséquences de l’industrie chimique sur les ouvriers et les consommateurs. Pour la description précise des pesticides et des herbicides (rebaptisés pudiquement “produits phytosanitaires”), on découvre dans le livre que ce sont souvent des applications civiles d’armes chimiques (le redoutable “agent orange” utilisé au Vietnam a été créé par Monsanto). Quant au sinistre Zyklon B, alias acide cyanhydrique, il fut inventé par l’Allemand Fritz Haber, père de la guerre chimique (finalement contraint à l’exil du fait de son origine juive), pour éliminer les insectes, puis recyclé dans les chambres à gaz nazies, avant d’être employé pour la protection des céréales. Il ne fut interdit en France qu’en 1988. Une grande partie du film est consacrée à confronter les contradictions entre différents experts et à remettre en question les normes réglementant l’emploi de ces produits. Comme la DJA (dose journalière admissible), “quantité de substance chimique que l’on peut ingérer quotidiennement et pendant toute une vie sans qu’il n’y ait de risque pour la santé”, dont les normes, fixées arbitrairement en 1961, ne reposent

Nombre de scientifiques de l’OMS ou de la FDA américaine, sont à la fois juges et parties

pas sur des critères rigoureux, mais qui continue néanmoins à être la mesure admise par tous les organismes de contrôle internationaux. Le principe s’inspire d’une maxime du XVIe siècle : “Tout peut être poison ; c’est la dose qui fait la différence entre un poison et un remède” (Paracelse). Hélas, les doses tolérées varient selon les individus. De plus, la relation dose-effet ne joue plus dans le cas de certains plastiques, comme le fameux bisphénol A (dont l’emploi pour les biberons a été dénoncé), qui est un perturbateur endocrinien, ce qui complique le calcul des normes acceptables. Mais si, sur un plan sanitaire, tous ces produits sont liés à la multiplication des cancers dans le monde, le plus inquiétant reste le flou scientifique qui les entoure (pour l’instant aucun des produits en cause dans ce documentaire n’a été banni). Cette incertitude est due, comme le révèle Marie-Monique Robin, d’abord à la pertinence des normes de contrôle, qui reste à démontrer, ensuite au fait que ceux qui les édictent ne sont pas tous irréprochables ni indépendants. Nombre de scientifiques ou de responsables d’organismes officiels, comme l’OMS ou la Food and Drug Administration (FDA) américaine, sont à la fois juge et partie. L’épidémiologiste Michael Thun, ex-président de la Société américaine du cancer, admet du bout des lèvres que la situation serait meilleure “si les scientifiques qui évaluent les médicaments ne recevaient pas d’argent des firmes pharmaceutiques ou si ceux qui travaillent sur les produits polluants n’étaient pas payés par ceux qui les fabriquent”. Le meilleur et plus retentissant exemple est celui de Richard Doll, épidémiologiste disparu en 2005, qui, après avoir révélé le rôle du tabac dans le cancer, passa à l’ennemi et, rémunéré par les plus grosses firmes chimiques, accorda sa bénédiction à des produits très nocifs comme le PVC. Ce qui se dessine en filigrane dans le film, c’est la nécessité du développement de l’agriculture biologique et d’une industrie non polluante (antinomie ?). Mais là aussi rien n’est simple et le fait que le label “bio” soit loin d’être une panacée pourrait relativiser cette panique sanitaire qui s’amorce. Tant qu’il y aura des industries, la nature ne sera jamais tout à fait tranquille… Vincent Ostria Notre poison quotidien documentaire de Marie-Monique Robin. Mardi 15 mars, 20 h 40, Arte Notre poison quotidien (comment l’industrie chimique empoisonne notre assiette), (Arte/La Découverte), 450 pages, 20 €

Une “science” trop floue pour s’autoriser de ce terme. “Les réalités économiques sont incontournables”, répètent journalistes et politiques à travers leurs commentaires circonstanciés sur la vie des affaires. L’économie est présentée comme une évidence. Et si l’économie – ce truisme imparable – était, à l’inverse, contournable ? C’est l’invitation, à peine déguisée en forme de provocation, que lance l’anthropologue Bernard Traimond dans son livre L’économie n’existe pas. Interloqué par la polysémie du terme, dont chacun abuse pour dire tout et son contraire, l’auteur se livre à la déconstruction d’une discipline soumise à la confusion de ses discours. Les mots – de purs artifices – servent souvent à cacher les objets, à l’image du “langage phatique” découvert par l’anthropologue Malinowski et repris par le linguiste Jakobson. Comme l’ethnie ou l’opinion publique – autres exemples de remises en cause opérées par les sciences sociales modernes –, l’économie subit un traitement de choc (terme adulé par les économistes libéraux) qui vise à mesurer l’inconsistance de ses promesses. Pour exister, l’économie devrait s’appuyer “sur des démonstrations exigeantes en soumettant les catégories qu’elle utilise à un examen circonstancié, les informations qu’elle invoque à une critique sérieuse et les récits qu’elle propose au relativisme historique et culturel”, souligne Traimond. Plus proche d’une fiction que d’un savoir articulé, l’économie produit pourtant des effets de réel à force d’imprimer sa marque dans l’espace médiatique. Mais c’est moins elle comme discipline structurée que ses objets de fixation qui existent pleinement. Le chômage, lui, n’est pas un simulacre. L’économie n’existe pas, par Bernard Traimond (Les Bords de l’eau), 108 pages, 10 €

Jean-Marie Durand 9.03.2011 les inrockuptibles 109

AFP/BFM TV

Le 14 février dernier, Jean-LucM élenchon et Marine Le Pen dans l’émission de Jean-Jacques Bourdin sur BFM

télévision

campagne, c’est parti La campagne présidentielle est déjà lancée sur les chaînes d’info, qui font le récit circonstancié des stratégies des candidats non déclarés.

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n a beau être seulement en mars 2011, impossible d’y échapper : l’élection présidentielle obsède les chaînes d’information. L’échéance de mai 2012 constitue pour BFM et I-Télé l’occasion décisive de s’imposer face aux généralistes en rendant leur offre 100 % info incontournable. De son côté, LCI veut marquer sa différence en s’appuyant davantage sur l’analyse et le décryptage, et prépare le lancement d’un “Journal de la présidentielle”. Mais la guerre a surtout commencé chez les deux concurrentes de la TNT : I-Télé propose ainsi chaque matin En route vers la présidentielle en partenariat avec Radio classique, présenté par Guillaume Durand et Michaël Darmon, et une heure sur le même sujet le soir avec Elysée 2012. Du côté de BFM, on retrouve le matin l’interview politique de Jean-Jacques Bourdin en partenariat avec RMC, Bourdin 2012 et le dimanche soir l’émission d’Olivier Mazerolle, BFMTV 2012, qui dure deux heures au lieu d’une. Du jamais vu pour une élection présidentielle qui démontre que la politique n’est plus l’apanage des chaînes généralistes. Mais démarrer quatorze mois

110 les inrockuptibles 9.03.2011

avant l’échéance, n’est-ce pas se caler sur l’obsession des politiques eux-mêmes ? Réponse de Michaël Darmon d’I-Télé : “Normalement, on aurait dû commencer cette émission le 7 mai 2007 ! Sarkozy prépare sa réélection depuis qu’il est élu. En France, la présidentielle est une mécanique permanente. Pourquoi se priver de la raconter ?” Pour ce journaliste, commencer à parler de la campagne en amont permettrait ainsi aux médias de s’affranchir de la communication des politiques : “Jusqu’à présent, c’était l es candidats ou les institutions qui donnaient le feu vert de la campagne. Aujourd’hui, les médias reprennent la maîtrise de l’agenda.” De fait, le temps d’antenne permet aux chaînes d’info de rendre compte de l’actualité politique heure par heure à la manière d’un feuilleton : le dernier remaniement a été ainsi largement

parler de la campagne en amont permettrait aux médias de s’affranchir de la communication des politiques

“scénarisé”, avec annonces au comptegouttes et supputations, sur fond de plans de ballets de voitures dans la cour de l’Elysée. “Le lancement de chaînes d’info sur la TNT gratuite a permis d’attirer à l’information un public qui, jusqu’ici, ne s’y intéressait pas”, décrypte ainsi Christophe Jakubyszyn, directeur de la rédaction de RMC. Mais toutes ces heures d’antenne ne risquent-elles pas de noyer l’info dans une avalanche de commentaires ? : “On veut privilégier les faits, précise Olivier Mazerolle, car en télé le débat avec des éditorialistes tourne vite à la redite permanente.” En tout cas, ces dispositifs font à coup sûr le bonheur des politiques, qui ne se sont jamais autant exprimés : d’après un récent décompte, il y aurait environ soixante-dix interviews politiques par semaine ! D’où une inflation certaine de la “petite phrase” ou la pique politicienne qui occupe l’espace médiatique parfois au détriment des autres informations. Mais, à BFM, on assume : “Les petites phrases font partie de la politique, affirme Olivier Mazerolle. De deux choses l’une : soit les gens auront envie de les écouter et on ne pourra le reprocher ni aux journalistes ni aux politiques, soit le public s’en lassera et on en sera tous punis !” C’est dit. Marjorie Philibert

Premièrecibl e d’Au fond près du radiateur, le système éducatif

Vincent Leroux /Temps Machine/Picturetank

“Faire de la radio, c’est se libérer collectivement de certaines normes”

les ondes de la colère Sur Fréquence Paris Plurielle, les jeunes animateurs d’Au fond, près du radiateur relaient l’actualité des luttes. Révoltés et survoltés.



es voix revêches, mal peignées, avec dans le ton des inflexions menaçantes et la raideur de ceux qui ne lâcheront rien. Des mains qui empoignent les micros du studio comme si elles s’emparaient d’un étendard – au risque de provoquer des “pop” et autres bugs sonores. Et puis un certain air de défi, une méfiance de principe contre ceux qui viennent rôder autour du cercle. Accord préalable : pas de photo, pas de nom de famille. S’ils cultivent les mauvaises manières à faire pâlir tout directeur

d’antenne, les six d’Au fond, près du radiateur (AFPDR) le jurent : ce n’est pas une pose de rebelles surjouée. Pas non plus pour faire honneur à leur titre autoproclamé de “cancres de la radio”. Encore que se délocaliser à l’autre bout de la classe médiatique, loin des langues bien élevées des radios privées ou publiques, ça offre un certain recul. Et oblige à parler plus fort pour se faire entendre. Non, si le crew d’AFPDR ressemble à un gang, c’est qu’il veut rester concentré : parler d’une seule voix mais avec des accents variés. Ne pas se disperser, ni tomber dans la critique

facile. Car l’identité d’AFPDR – l’immersion sourcilleuse dans l’actualité des luttes – est précieuse, le genre semblant n’exister que sur les radios indés (ici Fréquence Paris Plurielle) et faire peur aux autres. Portée par un souci de clarté et de synthèse pédagogique, l’émission a mûri depuis 2005, multipliant les formes éditoriales. Spécialiste à ses débuts du dézingage du système éducatif, elle décrypte aujourd’hui tout ce qui grippe dans la mécanique sociale de France ou d’ailleurs. Avec, bien sûr, les moyens du bord. Un sens du système D bénéfique

pour mener des interviews de l’intérieur d’un centre de rétention et tournant à plein régime depuis la révolte tunisienne. Relayer les sources d’information alternatives, comme la radio tunisienne Radio Kalima, AFPDR y excelle. “Faire de la radio, c’est se libérer collectivement de certaines normes”, dit Madeleine, Mattéo, Mouloud, Sara, Tom ou Yan, qu’importe, donc. Pour eux, l’idée de s’affranchir par voie hertzienne date des grèves étudiantes de 2005, contre la loi Fillon : une lutte émancipatrice, des consciences politiques qui se révèlent. “Nous y avons appris les formes d’autogestion, nous nous sommes fait taper dessus par la police, nous sommes allés dans les salles d’audience soutenir nos potes. Et la couverture des médias nous a donné envie de nous faire entendre par nous-mêmes. Sur FPP, nous n’avons pas de compte à rendre.” Tous étudiants ou jeunes travailleurs, les six d’AFPDR partagent surtout la même méfiance vis-à-vis de la versatilité de la langue. “Le libéralisme a caché derrière les mots la réalité de la violence sociale. Il la transforme, diminue les aspérités et rend joyeuses les choses graves. Alors oui, nous sommes des travailleurs pauvres, et non pas ‘précaires’. Ce que nous voulons, c’est casser les machines qui nous empêchent de penser.” Entre leurs mains, un étendard, ou un poignard. Pascal Mouneyres Au fond, près du radiateur sur Fréquence Paris Plurielle tous les mardis de 19 h à 20 h 30 (106.3 FM à Paris) 9.03.2011 les inrockuptibles 113

Mon oncle Charlie dévisse La série de Charlie Sheen ne reprendra pas cette année après les esclandres délirants de l’acteur contre le créateur du show. Récit d’une tragi-comédie.

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’encourage tous mes beaux et loyaux fans, qui ont aimé cette série depuis presque dix ans, à marcher à mes côtés vers la justice pour remettre en cause cette iniquité.” A lire cette diatribe enfiévrée de Charlie Sheen, on se dit que des choses graves ont dû se passer à Hollywood. En fait, depuis deux mois, Mon oncle Charlie, la sitcom la plus regardée aux Etats-Unis, traversait une zone de turbulences. Jusqu’à ce jour de la fin février, où la chaîne leader des networks a publié un communiqué laconique mais parlant : “En raison des déclarations, du comportement et de l’état général de Charlie Sheen, CBS et Warner Bros. Television ont décidé de stopper la production de Mon Oncle Charlie pour le reste de la saison.” Mais que reprochent donc les huiles de CBS à l’homme qui leur permet de se remplir les poches et de partir chaque année en vacances en jet privé ? D’avoir été lui-même, voire davantage, ce qui n’est pas rien. En janvier, Sheen avait effectué un séjour en centre de désintoxication – ses problèmes avec l’alcool et la drogue sont connus depuis les années 90 – mais il devait reprendre le travail pour tourner les huit épisodes restant dans la saison en cours de Mon oncle Charlie (la huitième) à partir du 21 février. Estimant qu’il 114 les inrockuptibles 9.03.2011

n’en était pas capable, le créateur et showrunner de la sitcom, le très expérimenté Chuck Lorre (Dharma & Greg, Big Bang Theory, etc.), a mis son veto. Derrière ses lunettes teintées, Sheen a frappé aux portes du tournage, sans pouvoir le faire changer d’avis. La suite ? Une cascade de reproches et d’injures de la part de l’acteur, par toutes les voies médiatiques imaginables. Morceaux choisis : “Chuck Lorre est un asticot ! (…) Clairement, j’ai écrasé ce ver de terre avec mes mots. Imaginez ce que j’aurais pu faire avec mes poings qui crachent le feu. (…) La dernière fois que j’ai vérifié, Chaim (de manière ambiguë – au mieux –, Sheen appelle le scénariste par son prénom hébreu– ndlr), j’ai passé la dernière décennie à transformer tes boîtes des conserves en or. Et toute la gratitude que j’en retire, c’est que ce charlatan décide de ne pas faire son boulot.” A l’heure actuelle, Charlie Sheen est persona non grata aux studios Warner de Burbank, dans la vallée de Los Angeles. Mais il s’en fout. Il fait comme si de rien n’était. Il a viré son attaché de presse. Il brandit des analyses d’urine en direct sur CNN pour bien montrer qu’il est clean.

le résultat de l’intense pression pesant sur les épaules des acteurs et scénaristes de séries

L’acteur estime qu’il est “sous-payé” et demande 3 millions de dollars par épisode pour tourner dans la série dont il vient de se faire virer. Explique ensuite que c’était une idée stupide. Menace tout le monde de procès. Punky Charlie ! Dans un mélange de fascination et de puritanisme (Sheen aime aussi les actrices porno, les putes, et plus si affinités), sites, journaux et chaînes de télés US tournent en boucle. L’histoire d’Hollywood est pleine d’excentriques plus ou moins impossibles, mais le pétage de plombs de Sheen paraît chaque jour plus digne de figurer dans une version moderne d’Hollywood Babylon (célèbre livre de Kenneth Anger consacré aux scandales des années 30 et 40). Cette affaire éclaire aussi l’intense pression pesant sur les épaules des acteurs et scénaristes de séries sur les grandes chaînes. Ceux-ci travaillent plus que de raison pour tourner plus de vingt épisodes par an. Le cash appelle donc le crash. Et comme l’a expliqué le toujours parfait Kurt Sutter (scénariste de Sons of Anarchy) sur son blog : “La relation entre l’acteur principal et le showrunner ressemble à un mariage (…) Comme tout mariage, c’est soit le bonheur de la symbiose, soit un bordel infernal.” De quoi mal finir, en somme. Et laisser une série plutôt rigolote entrer au cimetière prématurément. Olivier Joyard

brèves Episodes et Shameless la suite Pendant que certaines séries se font couper les pattes (cf. Mon oncle Charlie, ci-contre), d’autres plaisent tellement à leur diffuseur qu’elles sont tranquillement renouvelées pour une saison de plus. C’est le cas des deux nouvelles comédies de Showtime. La concurrente de HBO a décidé d’offrir une deuxième année de vie aux très estimables Episodes et Shameless.

l’après Entourage Créateur de la comédie un peu usée sur Hollywood Entourage (huitième et dernière saison cet été), Doug Ellin va pouvoir tourner la page en douceur en se concentrant sur une nouvelle série pour HBO. 40, c’est son nom, parlera de garçons de plus de… 40 ans et ressemblera donc, selon toute vraisemblance, à une version masculine légèrement fripée de Sex and the City. Avec Ed Burns dans le “rôle” de Sarah Jessica Parker.

focus

copains d’avant

How I Met Your Mother mêle le rire à la nostalgie. De quoi adorer cette héritière de Friends. epuis maintenant presque six ans, un dénommé Ted a entrepris de raconter en voix off à ses deux enfants comment il a rencontré leur mère. Ou plutôt, jusqu’à présent, comment il ne rencontre pas leur mère et comment, en attendant, lui et ses copains-copines Mad Men, vivent leur vie de jeunes trentenaires la masterclass des années 2010. Cette chronique dopée La masterclass donnée il y a aux punchlines millimétrées est devenue un mois à Paris par Matthew la sitcom générationnelle de la décennie, Weiner, le créateur de Mad Men succédant à Friends dans cette catégorie. (animée par Olivier Joyard, Alors que les “Friends”” originels, eux, des Inrocks) est visible sur sont justement en train de revivre un peu le site du Forum des Images : partout (Matthew Perry et Matt LeBlanc www.forumdesimages.fr. viennent chacun de commencer une nouvelle série, Courteney Cox s’est trouvé une seconde jeunesse dans Cougar Town), leurs héritiers de How I Met Your Mother (trois garçons et seulement deux filles, En analyse (Orange Ciné Max, cette fois) vivent également leurs amitiés, le 15 à 20 h 40) La saison 3 de leurs amours et leurs bizarreries entre l’addictive série psy est la un café et deux appartements new-yorkais. première créée de toutes pièces Mais le concept lui-même un peu dingue par les Américains – l’original – raconter le présent comme s’il s’agissait made in Israël a duré deux du passé – donne une profondeur de champ saisons. Debra Winger compte qui télescope à chaque instant le rire avec parmi les nouveaux patients de la nostalgie, ce qui est à la fois la singularité Gabriel Byrne. et le coup de génie de HIMYM. Friends avait ciselé à la perfection un type de sitcom South Park (Game One, le 11 à 20 h 10 identificatoire où chacun pouvait se et 23 h 25) Saison 14. Cartman est encore reconnaître dans l’un des personnages. là, Kenny meurt et ressuscite. Résultat : En regardant les six habitués du Central South Park fait toujours glousser de rire le préado qui est en nous. Perk Café, on était immanquablement invités à se dire : “C’est nous !”. Devant How I Met Your Mother, que vous ayez 25 Stargate Atlantis (Série Club, le 11 ou 45 ans, jamais d’autre choix que de vous à 20 h 40) Entre les diverses versions dire : “C’était nous…” Fortiche. Clélia Cohen de cette série SF (Stargate : SG1, Stargate

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agenda télé

Atlantis, Stargate Universe), on ne s’en sort plus. Autant tout reprendre à zéro. Ou refuser d’être un geek.

How I Met Your Mother Saison 5, DVD 20th Century Fox, 25 € environ. 9.03.2011 les inrockuptibles 115

émissions du 9 au 15 mars

Dans le secret de… ma banque et moi Documentaire de Jacques Cotta et Pascal Martin. Jeudi 10 mars, 22 h 50, France 2

Jérôme Prébois/Breakout Films/Canal+

Rencontre avec nos ennemis intimes : les banques. Une enquête sur les rapports des Français avec leur banque, menée sur un ton parfois rigolard. Ainsi la visite d’un employé du Crédit agricole dans le zoo dont un de ses clients est propriétaire. On assiste aussi au travail quotidien dans une succursale. Les auteurs mettent à nu les excès de ces banques, qui tirent 60 % de leurs revenus des frais bancaires, qui ne cessent d’augmenter. On n’en est pas encore à la jacquerie contre ce système dont nous sommes les otages, mais on la sent poindre. V. O.

Renaud Monfourny

agents troubles Récit bien mené de la manipulation du redoutable terroriste Abou Nidal.

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iens, Carlos fait des petits… Coïncidence ou pas, cette illustration d’un coup des services secrets français qui, dans les années 80, retournèrent un membre de la plus extrême des factions terroristes palestiniennes dirigée par l’explosif Abou Nibal, est plutôt bien mise en scène, et se laisse voir sans ennui. Ce thriller d’espionnage signé Giacomo Battiato, vétéran italien du cinéma de genre ayant débuté il y a une trentaine d’années avec des films historiques assez stylés (comme Le Choix des seigneurs), a pour vertu d’être simple, sobre, et dénué de fioritures romanesques. Même pas de subplot (intrigue secondaire, ndlr) amoureux. Les seules séquences pseudo-sensuelles, réduites à leur plus stricte expression, sont un écran de fumée imaginé par l’un des jeunes sbires d’Abou Nidal, téléguidés et surveillés par la DST à Paris. Le reste du film, harmonieusement distribué entre Europe et Moyen-Orient, est rondement mené, dominé par la présence convaincante de Jacques Gamblin, qui joue le go-between de cette aventure – personnage inspiré du fameux Philippe Rondot, as des agents secrets français (à qui l’on doit l’arrestation de Carlos). Ce film, sans rester dans les annales, dépasse largement certaines fresques policières poussives qui encombrent nos écrans. Qui plus est, il y a l’aspect historique, l’éclairage sur un épisode mal connu du terrorisme palestinien dont les tendances antagonistes se déchiraient dans des guerres fratricides. L’extrémiste Abou Nidal étant par exemple accusé de faire le jeu des Israéliens en décimant ses compatriotes. Bilan globalement positif, donc. Vincent Ostria L’Infiltré téléfilm de Giacomo Battiato. Lundi 14 mars, à 20 h 50 Canal+ 116 les inrockuptibles 9.03.2011

Le Pudding

El General

Emission de Jean Croc et Nicolas Errera. Dimanche 13 mars, 20 h 00 Radio Nova.

Rencontre avec Marc Trévidic, juge contestataire. C’est un juge que l’acharnement du pouvoir rend prolixe. Actif contre la réforme des juges d’instruction, cinglant face à Sarkozy, Marc Trévidic (photo) s’absout une fois encore du silence de sa charge dans un livre décapant, Au cœur de l’antiterrorisme (JC Lattès). Devant les micros de Nova, il dévoile le quotidien des affaires les plus sensibles, sans omettre de lâcher quelques petites bombes : “Certains politiques estiment que le pouvoir judiciaire ne devrait pas exister.” Antiterroriste ou antipolitique ? Pascal Mouneyres

Tracks : le rap tunisien Magazine musical. Jeudi 10 mars, 23 h 50, Arte

Hérauts et héros d’une musique qui a annoncé et accompagné la révolution. Tracks consacre son principal sujet à la Tunisie, observée par le prisme du rap, style musical contestataire par excellence. Héraut de la révolution tunisienne, grâce en particulier aux chansons Monsieur le Président et Tounes Bledna, devenu héros national, El General (alias Hamada Ben Amor) apparaît bien sûr au premier plan, mais d’autres voix (discordantes parfois) se font aussi entendre, telles celles de Mos Anif ou de Balti. Si un reportage de vingt minutes ne peut prétendre à l’exhaustivité, celui-ci a au moins le mérite d’apporter un éclairage sur ce qui fut avant la révolution (et reste ?) “l’un des rares vecteurs de la colère en Tunisie”. Jérôme Provençal

Les Nubians

Micheline Presle, cinéma permanent Documentaire d’Olivier Lemaire. Vendredi 11 mars à 20 h 35, France 5

Gamma/Rapho/France 2

Le parcours d’une actrice pétillante qui a traversé le siècle. Après avoir débuté avec le célèbre cinéaste allemand G. W. Pabst en 1939, la piquante Micheline Presle a œuvré un peu dans tous les registres, y compris à Hollywood, y compris avec Fritz Lang (dans Guérillas, son film le moins connu), ou bien avec les membres d’une éphémère néo-Nouvelle Vague des années 80 (dont Jacques Davila et Gérard Frot-Coutaz). Orchestré par Dominique Besnehard, ce portrait sur la comédienne octogénaire, toujours aussi à l’aise et naturelle, glisse sur beaucoup d’épisodes importants de sa carrière. On voit surtout Micheline au présent, arpentant les lieux de son enfance. Une traversée éclair(ée) du XXe siècle. V. O.

Hip-hop, le monde est à vous ! Documentaire de Joshua Atesh Litle. Jeudi 10 mars, 22 h 25, Arte

Du Bronx à la Cisjordanie, le rap est-il la musique de la mondialisation ? “Le rap a commencé avec de simples mots lancés comme ça. Les mots se sont transformés en phrases, les phrases en vers, les vers en paragraphes et la rime était née”, se souvient Grandmaster Caz, membre des Cold Crush Brothers. A travers une archéologie du hip-hop, Joshua Atesh Litle donne la parole à quelques pionniers du rap ayant grandi dans le Bronx des années 70. Et le réalisateur de prolonger l’histoire du genre jusqu’à mesurer sa place actuelle dans la musique mondialisée. Des Etats-Unis au Sénégal, de la France à la Cisjordanie, il explore divers territoires où se déploie une culture commune du hip-hop, dans son double rapport à la musicalité et à la politique. JMD

Mendès face à Vichy Avant de devenir une figure de la Résistance, Mendès France dut affronter la calomnie et la justice aux ordres de Pétain. lutôt que le président du Conseil Mandel et Jean Zay, désireux de poursuivre de la IVe République, modèle d’une la guerre à partir des départements certaine morale politique, c’est d’Afrique du Nord. Dans son documentaire la figure moins connue du résistant Juin 1940, le piège du Massilia, Virginie de la première heure que réactive cette Linhart fait le récit précis et documenté soirée que lui consacre France 2. de cette histoire mal connue. Grâce aux Comme l’évoque le téléfilm de Laurent témoignages d’historiens (Paxton, Azéma, Heynemann, Accusé Mendès France, avec Jackson, Rimbaud, Rousso, Boulanger), elle Bruno Solo dans le rôle titre, Mendès fut reconstitue les pièces maîtresses d’une idée accusé de désertion lors d’un procès de la Résistance dont Mendès fut une truqué à Clermont-Ferrand. incarnation. Jean-Marie Durand Il avait en effet embarqué sur le Massilia, Soirée Mendès France Accusé Mendès France qui quitta Bordeaux le 21 juin 1940 avec et Juin 1940, le Piège du Massilia. Mercredi 9 mars, 20 h 35, France 2 27 parlementaires à son bord, dont Georges

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toiles et toile

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nnoncée à grand renfort de publicité, la collaboration de Google avec dix-sept musées du monde entier permet aux internautes de découvrir une sélection de chefs-d’œuvre numérisés en très haute définition. De la galerie des Offices de Florence au musée Thyssen-Bornemisza de Madrid, on peut zoomer sur les tableaux, mais aussi se promener dans les salles, créer sa collection virtuelle, la commenter, la partager. La visite en ligne des musées n’est pourtant pas nouvelle et de nombreuses institutions, du musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg au Rijksmuseum d’Amsterdam ont depuis des années mis en ligne leurs collections. Certains y ajoutent des fonctions interactives, comme le Moma de San Francisco (et ses activités ludiques) ou la Tate Modern de Londres (et ses cours en ligne), mais peu proposent aux internautes d’apporter contributions ou témoignages, et de créer une véritable communauté. En France, deux initiatives visant non seulement à diffuser la culture patrimoniale mais aussi à impliquer réellement les internautes sont en train d’être développées. Mi-février un accord était signé entre le château de Versailles et la fondation Wikimédia. Le château de Versailles, au site déjà riche en contenu multimédia (visite géolocalisée des jardins via smartphone, concours Flickr, podcasts …) va accueillir pendant six mois un “wikipédien”, Benoît Evellin. Selon Serein, une administratrice de

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Claire le Meil

La participation active des internautes est au centre des innovations internet du château de Versailles et du musée du Louvre. Wikipédia, sa mission sera “d’abord d’expliquer les projets, le fonctionnement de Wikipédia aux personnels du château, de voir avec eux comment ils peuvent contribuer… Il va aussi s’attacher à faciliter la production de documents sous licence libre pour les projets Wikimédia. Il aura en outre pour mission de recenser, analyser, les contenus qui concernent Versailles et pourquoi pas en favoriser l’amélioration”. En somme, un rôle d’animation et d’enrichissement pour établir une catégorie de référence sur Versailles au sein de Wikipédia. Ce portail, auquel les internautes peuvent déjà collaborer (rédaction d’articles, partage de photos, échanges avec la communauté…), compte déjà 118 articles, de “Jean-Jacques Aillagon” à “galerie des glaces”. Le Louvre s’ouvre lui aussi à une expérience de travail collaboratif. L’un des premiers musées présent sur internet, dès 1995, puis à avoir rejoint les réseaux sociaux, le Louvre (qui ne participe pas au Google Art Project) propose un site vivant et interactif. Dans la perspective de sa refonte, prévue pour la fin de l’été 2011, une plate-forme communautaire expérimentale dédiée à l’histoire de l’art, Communauté Louvre, a été mise en place. L’idée est de faire participer activement les internautes à l’alimentation du site : partage des photos et des vidéos prises dans le musée,

diffuser la culture en impliquant les internautes

rédaction d’articles sur des œuvres ou des artistes, dialogue entre amateurs… S’inspirant d’une initiative du Brooklyn Museum, le Louvre propose aussi aux internautes de contribuer à l’indexation des œuvres en leur associant des mots clés (thèmes, émotion, couleur…). “Cette indexation spontanée complète l’indexation scientifique des conservateurs”, expliquait Anne-Myrtille Renoux, responsable du site Communauté Louvre, lors d’un récent séminaire en ligne. Lancé le 9 décembre 2010, Communauté Louvre compte déjà 700 membres. Selon Renoux, les participants sont des “amateurs éclairés faisant partager leur passion, un public familier des musées, à l’activité culturelle soutenue, mais aussi des gens familiers des blogs, des réseaux sociaux”. Peu nombreuses (une trentaine d’articles et autant de vidéos, quelque 400 photos), leurs contributions sont néanmoins de qualité. Les responsables du site déplorent cependant que le monde de l’éducation et les étudiants ne soient pas plus présents. Si à la fin de la période de test, les résultats de Communauté Louvre sont concluants, la plate-forme pourrait être intégrée au nouveau portail louvre.fr. Il faudra alors lui inventer une interface en anglais : il est pour l’instant uniquement en français alors que 70 % des visiteurs du musée réel sont étrangers. Anne-Claire Norot googleartproject.com ; fr.wikipedia.org/wiki/ Catégorie:Portail:Château_de_Versailles/ Articles_liés ; communaute.louvre.fr

in situ dirty pretty things Un réseau social pas comme les autres. Ici, pas question d’échanges mais uniquement de promotion personnelle. Relié au profil Facebook, le site permet de dévoiler à ses amis dix choses sur soi qu’ils ne devraient pas savoir, leur permettant ainsi de mesurer la taille de votre ego. Pas de cachotteries. tenthings.me

vie administrative virtuelle Ce service gratuit vise à simplifier les tâches administratives. Il permet d’organiser simplement sa vie en ligne et de se passer notamment des factures papier. Des accords avec certains fournisseurs (SFR, EDF…) permettent de recevoir directement ses factures électroniques sur son espace personnel sécurisé. home-bubble.com

le réseau social des cuistots La cuisine sociale envahit le net. Après super-marmite.com ou livemyfood.com, Socialcooking est un réseau social culinaire, lancé par une diététicienne. Sauf qu’ici pas question de cuisiner pour les autres, mais plutôt de partager simplement ses recettes et dialoguer avec les autres membres. socialcooking.fr

plein phare sur le monde Un splendide tour d’horizon des phares à travers le monde, des beaux recoins de Bretagne aux pays d’Afrique et d’Asie ou encore aux Pays-Bas, pourtant plus réputés pour leurs moulins à vent. Ce site apporte en plus des informations sur l’histoire du phare et des idées de “routes des phares”. Les contributions photographiques sont les bienvenues. le.phare.a.travers.le.monde. pagesperso-orange.fr

la revue du web Salon

La Vie des idées

Yagg

la Bible, ni lue ni connue

le taudis, lieu d’art

cauchemar ougandais

En 1970, un artiste new-yorkais ouvre au public et à d’autres artistes la cave d’un immeuble qu’il vient d’acheter et dans lequel il a installé son studio. D’autres espaces alternatifs se multiplient par la suite, revendiquant “une proximité avec le public et une esthétique du taudis héritée de leur précarité” et qui s’oppose au capitalisme. Quarante ans plus tard, 112 Greene Street, le précurseur, est aujourd’hui l’un des rares espaces alternatifs de SoHo à être encore en activité, beaucoup ayant disparu ou s’étant institutionnalisés. tinyurl.com/63x47v5

Brenda a fui son pays, l’Ouganda, où la persécution des lesbiennes et des gays lui faisait vivre un enfer. Dans cette première interview accordée à Yagg, elle évoque les menaces de mort, la violence gratuite, les arrestations arbitraires, son exil forcé vers la France, mais aussi son amie qu’elle laisse derrière elle, emprisonnée. Un mois après l’assassinat du militant gay David Kato, Brenda rappelle la dure réalité de la condition homosexuelle en Ouganda, où ses jours étaient comptés. tinyurl.com/6bmdobt

Une grande majorité des Américains possède une Bible – le ménage chrétien moyen en posséderait neuf chez lui. Mais peu d’entre eux l’ont lue, et nombreux sont les propriétaires de Bible qui n’y comprennent rien et qui ne savent pas dans quelles conditions elle a été composée. Le professeur Timothy Beal qui a écrit un livre sur le sujet, estime que plus de la moitié de ses étudiants connaissent davantage la Bible par le Da Vinci Code de Dan Brown que par les textes bibliques eux-mêmes. tinyurl.com/66wyolu 120 les inrockuptibles 9.03.2011

vu du net

copies conformes Alors que le ministre de la Défense allemand, accusé de plagiat, vient de démissionner, les débats sur le copier-coller se multiplient sur le net.

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ratiquement pas une semaine sans que ne surgisse une nouvelle affaire de plagiat. Derniers exemples en date : le ministre de la Défense allemand, Karl-Theodor zu Guttenberg a.k.a. Doktor Googleberg, poussé à la démission après qu’un juriste a pointé les nombreux emprunts de sa thèse (Le Monde, bit.ly/dLHyy8) ; ou Seif Al-Islam Kadhafi, fils et éminence grise du leader libyen, décidément poissard puisque la London School of Economics ouvre une enquête (bit.ly/fKxbtu) pour savoir s’il a, oui ou non, pompé sa thèse. Le sujet ? “Le rôle de la société civile dans la démocratisation des institutions de gouvernance internationale” (sic) – bien joué Seif. Le sujet est particulièrement brûlant à l’université, puisque la crédibilité scientifique y est en jeu. Il existe ainsi plusieurs outils en ligne permettant de

74 les inrockuptibles 15.09.2010

détecter les plagiats, parmi lesquels compilatio.net ou copytracker.ec-lille.fr. Slate.fr s’intéresse à deux cas de plagiat récents et discutables, chez un sociologue et une linguiste (bit.ly/gwW6DO) suspectés d’avoir respectivement plagié Egdar Morin et Umberto Eco. En guerre contre le plagiat universitaire, Jean-Noël Darde, maître de conférence à Paris 8 (interviewé par Libération, bit.ly/ hNGv6H), tient quant à lui un blog de référence : archeologie-copier-coller.com. Inacceptable dans le domaine scientifique, le plagiat fait en revanche débat dans les domaines artistiques, notamment littéraires, où la frontière entre plagiat, collage et citation peut se révéler particulièrement ténue (Owni, bit.ly/ fLqgNW). On ne cesse de le constater, avec les cas ultra médiatisés : PPDA vs. Hemingway (L’Express, bit.ly/fe8eoe),

Houellebecq vs.Wikipedia (Slate.fr, bit.ly/ b6yEIk, et la réponse de l’intéressé sur le Dailymotion du Nouvel Obs, dai.ly/eth14A), ou encore Darrieussecq vs. Laurens (Les Inrocks, bit.ly/htGaUd). Spécialiste de la question de l’auteur en littérature, Hélène Maurel-Indart a ainsi publié un essai intitulé Du plagiat et s’occupe du site leplagiat.net, où sont recensés et débattus de nombreux cas, contemporains ou historiques. N’épargnant bien sûr pas le cinéma – de nombreux exemples en attestent, de Là-haut (fluctuat.net bit.ly/ gtHmTm) à Hors-la-loi (Le Point bit.ly/ ferNDd), en passant par une foule de nanars (nanarland.com, bit.ly/iba9vM), l’infamie se pose de plus en plus fréquemment sur les musiciens, et notamment sur leurs clips : Kanye West (Next Libération, bit.ly/eWTwD5), Rihanna (Paris Match, bit.ly/dTGtSM), et surtout Lady Gaga, reine de la compète avec des emprunts à tout ce que la planète pop compte de modèles (Têtu, bit.ly/eAlWkt). Mais tout ceci n’est rien face à cette puissante révélation : René La Taupe aurait en fait tout piqué à Serge Gamany, auteur d’hymnes pour maisons de retraite (L’Express, bit.ly/i6IKi7). Mais où va se nicher le vice ? Jacky Goldberg

Clueless d’Amy Heckerling (Peggy Wang, chant et claviers) C’est un film très malin. Cher a l’air complètement idiote et écervelée mais c’est un personnage principal très fort. Sunny Sundae Smile de My Bloody Valentine (Kip Berman, chant et guitare) Il n’y a que quatre titres sur cet ep, mais ce sont quatre chansons parfaites. Avant l’aube de Raphaël Jacoulot Un hôtel de luxe isolé dans les Pyrénées, un mort, une enquête : un habile film policier doublé d’une fine étude de caractères.

Please, Kill Me Keren Ann 101 Meurtres et humour noir hantent ce nouvel album de la musicienne surdouée.

Thomas Hairmont Le Coprophile Ce livre subversif, sans le bling du scandale, met en scène un homme qui déguste ses déjections.

de Gillian McCain (Kip Berman, chant et guitare) Je ne lis pas beaucoup de livres, mais j’aime ceux qui parlent de musique. J’ai aussi aimé Our Band Could Be Your Life de Michael Azerrad, qui raconte la lutte des groupes indies pour survivre dans les années 80. Les groupes d’aujourd’hui ont beaucoup de chance. recueilli par Ondine Benetier

Winter’s Bone de Debra Granik La crise vue des quartiers pauvres du Missouri. Un beau portrait de jeune fille tenace face à la galère.

Never Let Me Go de Mark Romanek Un curieux film d’anticipation rétro aux fragrances mortifères.

Maylee Todd Choose Your Own Adventure Le disque le plus drôle, féerique et élégant du moment.

Frederick Exley Le Dernier Stade de la soif Les déboires d’un marginal dans les années 50-60. Totalement culte.

PJ Harvey Let England Shake Une fresque bouillonnante, pop et expressionniste autour du thème de la guerre. Hélène Ling Repentirs L’ascension d’un artiste contemporain, sublime imposteur des années 70 à nos jours.

True Grit de Joel et Ethan Coen Un western où la cocasserie le dispute au lyrisme crépusculaire.

Gruff Rhys Hotel Shampoo Splendide, ouaté et luxueux deuxième album solo du leader des Super Furry Animals.

Ron Leshem Niloufar Un livre plein d’empathie, tiré d’échanges avec de jeunes Iraniens.

The Exiles de Kent Mackenzie. Plongée dans Bunker Hill, un quartier disparu de Los Angeles. Tokyo Gore Police de Yoshihiro Nishimura. Le meilleur film de l’horreur japonaise. Oncle Boonmee d’Apichatpong Weerasethakul. Palme d’or méritée pour le génial Thaïlandais.

122 les inrockuptibles 9.03.2011

Petite histoire des colonies françaises – Tome 4 : la Françafrique de Grégory Jarry et Otto T. Démontage impitoyable de cinquante ans de Françafrique.

Ax Anthologie Collectif Défricheuse, politique et parfois déroutante, la revue japonaise fait l’objet d’une anthologie passionnante.

The Pains Of Being Pure At Heart Belong, le nouvel album des New-Yorkais de The Pains Of Being Pure At Heart, sortira le 29 mars.

La Nuit des rois mise en scène Jean-Michel Rabeux MC93, Bobigny Une vision échevelée et joyeusement foldingue de Shakespeare.

Requiem 3 mise en scène Vincent Macaigne Bouffes du Nord, Paris Défenseur d’un théâtre de l’excès, Vincent Macaigne revient sur la création en 2006 de Requiem.

Le Royaume de Ruppert & Mulot Dans un format inédit, l’audace de deux démiurges d’un monde qu’eux seuls pouvaient inventer. Timon d’Athènes mise en scène Razerka Ben Sadia-Lavant La Maison des Métallos, Paris Denis Lavant, maître de cérémonie d’un concert slam-rap dénudant Shakespeare à l’os de sa radicalité.

Haute Culture : General Idea Musée d’Art moderne de la Ville de Paris Rétrospective dédiée au génial collectif canadien, trio dynamiteur de la société et du monde de l’art.

Tania Mouraud au CCC de Tours Visite des chambres d’initiation conçues dans les seventies.

Album Les frères Bouroullec Arc en rêve, Bordeaux Les formes pudiques et évanescentes des stars du design, entre art et mobilier.

Stacking sur PS3 et Xbox 360 Simple et gai, Stacking décline avec ingéniosité le principe des poupées russes.

Mario vs Donkey Kong – Pagaille à Mini-Land ! sur DS Une expérience grisante pour le joueur, chef d’orchestre d’un monde foisonnant.

Marvel vs Capcom 3 – Fate of Two Worlds sur Xbox 360 et PS3 Un pur fantasme pour geeks.