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No.796 du 2 au 8 mars 2011

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j’ai préparé le Soir 3 avec

Patricia Loison

 S

itué au fond de la rédaction du Soir 3, son bureau est exigu. Avec pour toute fenêtre sur l’extérieur une carte du monde. Un montage photo sur une affiche du Dernier Roi d’Ecosse remplit la pièce. Angela Merkel et Barack Obama y côtoient le mollah Omar. “Messieurs Sarkozy, Eltsine, Ben Laden, Kadhafi regrettent le départ de Patricia Loison”, y ont écrit ses copains d’I-Télé quand la journaliste les a quittés pour Faut pas rêver. Après un an de carnets de voyages autour de la terre, Patricia Loison est back dans les bacs du news. Sa première passion. A 40 ans, elle est le nouveau visage de l’info du soir sur France 3. Un Soir 3 revisité, résolument international, plutôt bien servi par les révolutions arabes. 17 heures, conférence de rédaction. Patricia Loison est à la bourre. Un taxi la ramène de Seine-Saint-Denis, où se déroule la formation aux concours de journalisme que l’ESJ Lille a montée en partenariat avec le Bondy Blog pour les étudiants de banlieues. La journaliste, née en Inde, est arrivée en France à l’âge de 6 mois. “Bien sûr, je comprends le message, si je peux aider je le fais, commente-t-elle, mais les plans diversité, c’est pas mon truc, je ne suis pas une militante.” Fin de la discussion. La conférence a commencé sans elle. Les chefs de service présentent les sujets chauds. Fabriquer un journal est une alchimie complexe. Où les secondes remplacent les molécules. Libye, bien sûr. Extradition de Julian Assange. La Côte d’Ivoire, peut-être. Un point sur les morts en Nouvelle-Zélande. L’info nationale ensuite : deux disparitions, Villepin, MAM... Au final, sur le conducteur : 4’ 27” de trop. Avec un journal passé de vingt-six à vingt et une minutes, dont cinq d’infos régionales, le monde est à l’étroit. 17 h 20. Loison s’installe à la droite du rédacteur en chef Jean-Jacques Basier.

“au début, on ne voit pas le temps passer, on est dans une fusée à étages, c’est Star Trek”

Ils ont pris la tête d’un Soir 3 connecté sur le monde, sur l’Europe, avec le désir de ne pas être un best-of de la journée, de faire des coups. “Les révolutions, c’est bien pour un début, mais en même temps tout le monde fait de l’international !”, rigole Basier. L’international, Loison, c’est son domaine : dix ans à LCI, cinq à I-Télé, presque un an à Faut pas rêver. Dix jours par mois loin des gamins. Et de l’excitation de l’actu. Patricia Loison a été choisie parmi une dizaine de postulants. La présentation de Soir 3 est, avec la météo de Canal+, un peu the place to be : un tremplin pour nouvelle star du PAF. Plusieurs en sont sorties. Chacune son style : glamour pour Marie Drucker, pugnace pour Audrey Pulvar, Actors Studio pour Carole Gaessler. Ce côté ascenseur social, Patricia Loison dit s’en fiche : “Starisation ? Je n’ai pas raisonné comme ça, j’adore ce taf, c’est tout.” Son petit truc en plus ? Peut-être de réussir à parler international avec une fraîcheur qui crée un sentiment de proximité. Car là réside selon elle tout l’enjeu : faire comprendre que le monde est à la porte à côté. 18 heures, Patricia Loison commence à rédiger ses éléments de lancement. A 20 heures, elle s’entraîne à dire son texte, le reprend à zéro. A 21 h 20, elle doit être prête. “Au début, c’est très dur, on ne voit pas le temps passer, on est dans une fusée à étages, c’est Star Trek puis on s’habitue.” La journée d’une présentatrice commence tôt : Patricia “infuse” depuis 7 heures du mat. Pas trop le trac avant le direct ? “Non, je me sens plus comme une nageuse, je plonge, fais mes vingt-cinq longueurs à fond et c’est fini.” Plus Laure Manaudou que Sophie Marceau. Anne Laffeter photo Julien Bourgeois

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03 quoi encore ? Patricia Loison

12 on discute courrier + édito de Bernard Zekri

Rémi Ochlik/IP3 Press/Maxppp

No.796 du 2 au 8 mars 2011

14 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

18 événement Renault nid d’espions ?

22 événement Lybie : l’info en guerre

24 événement César/oscars

26 la courbe

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ça va, ça vient. Le billet dur

28 ici Casino met du Houellebecq dans ses rayons

30 ailleurs la révolution égyptienne a débuté en Serbie

32 parts de marché L’Europe veut-elle la fin de son cinéma ?

34 à la loupe Britney Spears, icône recyclée

41 affaires étrangères : la faillite panorama des plus beaux plantages diplomatiques de l’ère Sarkozy

46 presse citron Estelle Rancurel

revue d’info acide

47 propagenda révolution fiscale : Piketty s’explique

48 débat d’idées Cameroun, la guerre cachée

36 Keren Ann et les gangsters

88 Roger Kisby/Getty Images/AFP

un bel album à la Bonnie & Clyde

50 Jennifer Lawrence la nouvelle sensation hollywoodienne

52 le juge qui fait peur à Marseille il enquête sur le marché des ordures

63 spécial mode 35 pages

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Hedi Slimane/Anthology of a Decade

made in France les jeunes marques préfèrent la fabrication locale Rick Owens héraut du glamour grunge new face le quotidien d’un mannequin shopping pour une virée à vélo rap et slim une tendance qui s’affirme Hedi Slimane portraitiste de stars

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98 Avant l’aube de Raphaël Jacoulot

100 sorties Winter’s Bone, Paul, Never Let Me Go…

104 festival retour sur la Berlinale 2011

106 rencontre Greg Mottola, scénariste et réalisateur

108 Stacking + Mario vs Donkey Kong

110 Maylee Todd et Lail Arad fées-furies espiègles et attachantes

112 mur du son Florence & The Machine…

113 chroniques Selah Sue, Creole Choir Of Cuba…

119 morceaux choisis Cyril Mokaiesh…

120 concerts + aftershow NME Tour

122 Thomas Hairmont la subversion sans le bling du scandale

124 romans/essais Frederick Exley, Laurent Mauvignier…

126 tendance Fantômette for ever

128 agenda les rendez-vous littéraires

129 bd la Françafrique démontée

130 une Nuit des rois échevelée + (M)imosa

132 General Idea Rétro sur le génial collectif canadien

134 internet et la démocratie la cybercitoyenneté, c’est pas gagné

136 Luc Lagier amoureux de l’horreur

137 autour du Chagrin et la Pitié en quête des visages de l’histoire

138 séries Lost in initiation

140 télévision monstres sacrés de la mode

142 enquête la veille média périclite

144 la revue du web décryptage

146 best-of le meilleur des dernières semaines

les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34 rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs P. Azoury, D. Balicki, E. Barnett, J. Barry, R. Blondeau, T. Blondeau, M.-A. Burnier, A. Dreyfus, J.-B. Dupin, P. Dupont, B. Etchegaray, S. Filosa, J. Goldberg, A. Guirkinger, E. Higuinen, C. Larrède, T. Legrand, H. Le Tanneur, R. Malkin, J.-L. Manet, L. Mercadet, X. Monnier, P. Mouneyres, P. Mouterde, P. Noisette, H. Nozick, V. Ostria, E. Philippe, T. PietroisChabassier, J. Provençal, E. Rancurel, A. Ropert, L. Soesanto, R. Titeux lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable animation Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Caroline de Greef, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Caroline Fleur, Jérémy Davis, Thi-bao Hoang conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeurs artistiques Pascal Arvieu, Mathieu Gelezeau (remplaçant) maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Camille Roy, Nicolas Jan publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté d’Arthur Bellot tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 coordinatrice Dorothée Malinvaud tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 19 98 publicité commerciale, directrice Sarah Roberty directeur et directrice de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94, Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 coordinatrice Margaux Monthieu tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/relations publiques Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19, infos au 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Valérie Imbert fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 2 211 059,61 € 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Matthieu Pigasse directeurs généraux adjoints Stéphane Laugier, François Rossignol attachée de direction Charlotte Brochard directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOer trimestre 2011 directeur de la publication Matthieu Pigasse © les inrockuptibles 2011 tous droits de reproduction réservés Ce numéro comporte un encart de deux pages dans l’édition abonnés pour une sélection d’abonnés ; un encart abonnement de deux pages Belgique et Suisse jeté dans l’édition vente au numéro Belgique et Suisse.

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Fan de Radiohead depuis pas mal d’années, j’ai écouté et réécouté cette galette plusieurs fois et je reste dubitatif. Radiohead aurait-il déjà tout dit ?

l’édito

la sous-préfecture

Les Inrockuptibles

touni1, lu sur lesinrocks.com

Cuba Gallery

qui l’emporta. Sarkozy décida de doubler partout son ministre des Affaires étrangères : la voie était libre pour notre sous-préfet et la diplomatie parallèle remplaça la diplomatie tout court. L’activité internationale devient un instrument de politique intérieure : un outil pour vendre des Rafale et, pour le Président, un moyen de se refaire une popularité. Mais la vente des Rafale ressort du mirage, comme le soulignait un journaliste astucieux. Quant à la popularité, nous savons jusqu’où elle a dégringolé. Le sous-préfet accumula les bourdes. Conservateur d’esprit, réactionnaire de tempérament, il croit le monde immobile, calcul audacieux quand on traite avec des despotes de 80 ans au pouvoir depuis plus d’un quart de siècle. Les droits de l’homme, la démocratie, la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes, cela n’existe pas : le sous-préfet resta incapable non seulement de les servir mais même de les concevoir. Cet homme qui se donne des airs de penseur manifesta une ignorance et un mépris rares pour l’Histoire. On l’a vu avec l’Afrique noire, la Tunisie, l’Egypte... Notre Président devrait préférer Charles Baudelaire à Maurice Barrès que chérissent ses conseillers : “Ces zèles de Guéant l’empêchent de marcher.” Depuis trois jours, le sous-préfet a retrouvé sa spécialité, la police, au ministère de l’Intérieur. C’est Juppé et ses RPR qui ont exigé que Sarkozy le remette à sa place. Dans l’histoire, le voyageur du Nil, François Fillon, qui se rêvait en vrai Premier ministre, retourne à la case collaborateur de président, contraint de composer avec ses vieux ennemis chiraquiens. Où est passée la rupture ? Avec cette demi-cohabitation bancale, en six minutes cinquante dans la bibliothèque de l’Elysée, monsieur Sarkozy s’est définitivement chiraquisé.

bonnes ondes

Allemagne 4,90 € - Dom/A 5,50 € - Belgique 4,20 € - Canada /A 6,50 CAD - Espagne 4,50 € - Grèce /S 4,50 € - Italie 4,50 € - Luxembourg 4,20 € - Tom/A 900 CFP - Portugal 4,50 € - Suisse 7 CHF

Pendant près de quatre ans, le premier responsable de la politique étrangère française fut, en sousmain, un flic, un grand flic mais un simple flic, autant dire qu’il n’y connaissait pas grand-chose. Quand M. Claude Guéant sortit de l’ENA au 17e rang, ce qui semble pas mal, il eut le choix entre la diplomatie, le Trésor et la préfectorale. Il opta pour la préfectorale. Pourquoi ? “Par goût de la province aussi”, dit-il. Ce sous-préfet hors classe se retrouva chez Charles Pasqua, terrible et douteux ministre de l’Intérieur, puis directeur de la police nationale en 1994 puis préfet ici ou là. Nous étions toujours bien loin des Affaires étrangères lorsque Pasqua légua Guéant au jeune ambitieux qui allait le trahir, Nicolas Sarkozy. Voilà Guéant directeur de cabinet de ce dernier au ministère de l’Intérieur puis à celui des Finances. Jacques Chirac, alors président de la République, n’aimait pas ce garçon bosseur mais secret et banal dans ses costumes étriqués : il refusa de le nommer préfet de police à Paris. Blessé, Guéant s’accrocha à Sarkozy qui le prit comme directeur de campagne en 2007 puis comme secrétaire général de l’Elysée. Là, son pouvoir devint tel qu’on l’appela “le cardinal”, “ le Premier ministre bis”,” le vice-président”, “le vice-roi”. Nous le nommerons simplement le sous-préfet. Le problème, c’est qu’avec l’aval du Président, le sous-préfet s’occupait de tout, et d’abord de politique étrangère. Il n’avait pas beaucoup d’idées en la matière, son maître non plus. N’oublions pas qu’en 2007, Sarkozy hésita entre deux ministres des Affaires étrangères, Hubert Védrine et Bernard Kouchner, le premier partisan d’une diplomatie des Etats, l’ombre de Metternich et d’Henry Kissinger, le second inventeur du droit d’ingérence contre l’absolue souveraineté des Etats. Pareille indécision sentait déjà l’incompétence et la vacuité. Ce fut Kouchner, pour son malheur,

No.795 du 23 février au 1er mars 2011

faut-il publier tout Céline ?

Tarnac 

Coupat porte plainte Radiohead le marketing des rebelles M 01154 - 795 S - F: 3,90 €

Phillipe Garcia a réalisé la photo qui illustre la couverture du n° 795.

Travail oblige, ma voiture est un peu mon bureau, mon deuxième chez-moi. Et ça ne tombe pas si mal, j’aime être sur la route et je sais apprécier ces moments de solitude (…), quand je ne trouve pas le temps long (…). Et puis surtout, il y a la radio qui vient embellir mes trajets parfois errants, favoriser le bouillonnement des pensées (…). Au départ, la radio intervient après épuisement du stock de CD ou dépassement du seuil de tolérance au silence. (…) Aujourd’hui, l’âge aidant sûrement, je recherche sa compagnie comme on serait attiré par un individu dont le savoir semble inépuisable, la diversité certaine, l’humour appréciable, par un individu finalement plein de qualités si l’on considère ce privilège de pouvoir zapper tout ce qui déplaît… car ne nous leurrons pas, la radio reste imparfaite. (…) La radio peut être synonyme, quand on en choisit bien les fréquences, de partage de connaissances, de goûts, d’idées, de dépaysement, de détente. D’une lecture de Bégaudeau à un reportage sur l’Islande en passant par le dernier titre d’un certain Sam ou d’un certain Prince Of Assyria... Et puis cette habileté à nous intéresser à des sujets qui nous laissent d’ordinaire indifférents… Je salue bien haut ces animateurs et leurs invités qui stimulent les ondes et nos cellules grises, de la microradio associative aux puissantes stations. Elodie Casteran

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction révolutions technologiques Jigar Mehta, ex-journaliste vidéo du New York Times, veut utiliser les vidéos tournées au portable par les Egyptiens pendant les manifs pour réaliser un documentaire collaboratif. Pour 18DaysInEgypt, il demande aux témoins de poster sur Twitter, YouTube et Flickr leurs vidéos, photos et souvenirs, à partir desquels il montera un film interactif. Hommage au rôle des nouvelles technologies dans les révolutions arabes.

le mot

Francis Le Gaucher

“Notre politique au Moyen-Orient est devenue illisible.” “La politique étrangère française manque de lisibilité.” En revanche, “le FMI est devenu plus lisible”. Dans d’autres médias, la même politique étrangère manque cette fois “de visibilité”. Mme Catherine Ashton, haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, elle aussi “manque de visibilité”. Cela veut-il dire qu’elle n’y voit rien ou qu’on ne la voit pas ? Sans doute les deux. Quelques journalistes plus raffinés écriront, eux, que “la voix de la France est inaudible”. Que signifient ces métaphores ? Que ces politiques n’atteignent plus nos sens ? Faux, puisqu’elles nous sautent au nez : elles puent l’incompétence. Mais pour le plaisir du vocabulaire, en politique, “illisible “ et “inaudible” peuvent se traduire au choix par “confus, hésitant, réactionnaire, perdu, désordonné, honteux, incohérent, inconséquent, coupé de toute réalité, incompréhensible, indéchiffrable, imbécile...”

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Booba à la boule renoi La dernière fois que Booba s’était prêté à l’exercice du showcase à Paris, c’était en novembre au Virgin des Champs le jour de la sortie de son album. Le manque de sécu ayant favorisé une mini-émeute dans le megastore, l’événement avait fait parler les grincheux. Pas de place pour eux le 23 février à la Boule Noire, où Booba donnait un concert privé organisé par Ado FM. Qui dit Ado FM dit jeunes filles dans la salle armées de mobiles tenu à bout de bras pendant près de deux heures de concert. Une ambiance ghetto-mais-pas-trop. Toujours impressionnant sur scène, Booba ne quitte pas son verre de Jack en balançant ses gros tubes, de La Lettre, morceau culte de Lunatic (le groupe qu’il formait avec Ali), aux derniers singles de Lunatic (l’album). L’occasion de confirmer que B2O, vêtu d’un T-shirt Unkut, reste le boss du rap game à la française. feu sur le patronat ! Vendredi, on rencontre Pierre Brasseur. Pas l’acteur mort en 1972, le jeune romancier qui vient de publier Je suis un terroriste aux éditions Après la lune. La dérive de trentenaires déclassés, sous perf de 8.6, qui décident de buter quatre membres du Medef pour se venger du capitalisme.

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Sans certitudes, presque par ennui, la bande de copains descend plutôt de Florence Rey et Audry Maupin que d’Action directe. C’est l’affaire de Tarnac, nous dit Pierre Brasseur, et les arrestations de militants autonomes qui se multiplient depuis 2007 qui l’ont décidé à écrire ce bouquin, premier ouvrage de fiction basé sur l’histoire immédiate d’une génération éduquée, déçue et lorgnant, sans trop réfléchir, vers l’ultragauche.

l’image

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David Wimsett/MaxPPP

MAM l’a appris : avoir un ami tunisien n’empêche pas de perdre son maroquin…

ce mariage ne connaît pas la crise L’équivalent d’un bon tournoi de foot. C’est l’effet que devrait avoir le mariage entre le prince William et sa Kate Middleton, en avril. Le gouvernement compte sur l’événement (et sur les Jeux olympiques de 2012) pour renflouer les caisses : avec plus d’un million de touristes, le mariage pourrait rapporter 620 millions de livres aux commerçants, compagnies de transports, restaurateurs, etc. Dans les hôtels londoniens, les packages spécial mariage avec cocktail, boîte de chocolats et visite de Londres se multiplient. Reste à savoir comment le peuple britannique va, en période d’austérité et de hausse du chômage, encaisser cette démonstration d’opulence. electro Coke Pour Coca-Cola, Daft Punk a imaginé un objet exclusif et encore totalement secret, qui sera dévoilé sur le site daftcoke.com au mois de mai. En retour, la marque de cola, trop sympa, présentera, dès la fin mars et exclusivement en France, le Daft Coke. Soit deux bouteilles au design or et argent inspiré des casques du duo français. Sans alcool, la fête est plus folle ? Zuckerberg, la BD Après The Social Network de David Fincher, l’éditeur canadien Bluewater Productions sort la BD dont le héros est Mark Zuckerberg, le créateur de Facebook. L’auteur, Jerome Maida, “essaie de replacer dans son contexte une personnalité complexe”. Les droits de la BD ont déjà été vendus… pour un dessin animé. une famille en or Née le 2 février à Los Angeles, Viva Katherine Wainwright Cohen affiche un bel arbre généalogique. Ses grands-pères

MAM a dû s’y résoudre : après neuf ans au gouvernement et cent six jours au ministère des Affaires étrangères, elle a été priée de présenter sa démission. Seul lot de consolation, MAM a réussi à sauver sa POM ! Son compagnon Patrick Ollier conserve ainsi son poste de ministre des Relations avec le Parlement. Pour le reste, affaiblie après l’affaire de ses vacances tunisiennes, la voici contrainte de laisser sa place bien qu’elle n’ait “le sentiment d’avoir commis aucun manquement”. L’heureux gagnant de ce remaniement s’appelle Alain Juppé. Le numéro 2 du gouvernement récupère le maroquin qu’il avait occupé entre 1993 et 1995 et revient au Quai d’Orsay auréolé de l’image de sauveur de la diplomatie. Un poste qu’il n’a accepté qu’à condition d’avoir les coudées franches. Traduction : ne plus être couvé par le sherpa Jean-David Levitte et le secrétaire général de l’Elysée Claude Guéant, considérés comme les ministres officieux des Affaires étrangères. Le marché conclu avec l’Elysée, un jeu de chaises musicales s’en est suivi : Gérard Longuet, patron du groupe UMP au Sénat, remplace Juppé à la Défense, Claude Guéant quitte l’Elysée et atterrit à l’Intérieur, un ministère stratégique pour préparer la campagne de 2012. Il y remplace Brice Hortefeux qui, avec sa double condamnation pour injure raciale et atteinte à la présomption d’innocence, finissait par devenir encombrant. D’autant plus qu’aux yeux de Sarkozy, il n’avait pas obtenu les résultats escomptés alors que la progression du FN inquiète l’UMP. L’ami de trente ans du Président devrait obtenir en échange un rôle de conseiller spécial en charge du projet. La campagne pour 2012 est bien lancée...

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se nomment Loudon Wainwright et Leonard Cohen. Ses parents sont Rufus Wainwright et Lorca Cohen, fils et fille de. Lorca est la mère porteuse pour Rufus et son compagnon, Jörn Weisbrodt. Rufus se présente comme le daddy # 1 de la petite sur son site et l’a accueillie en citant un extrait d’A la claire fontaine : “Il y a longtemps que je t’aime, jamais je ne t’oublierai.”

le moment

Denis/REA

révolution dans la révolution

STR News/Reuters

Martine à la ferme Trois heures au Salon de l’Agriculture :

En Tunisie, les manifestants remanient le gouvernement. “Je ne serai pas le ministre de la répression.” Deux jours de batailles rangées ultraviolentes ont eu raison du Premier ministre de transition. Mohamed Ghannouchi a démissionné dimanche 27 février. Vendredi, 100 000 opposants manifestaient. Samedi et dimanche, le centre de Tunis s’est transformé en champ de bataille. Groupes de manifestants et forces de l’ordre se sont durement affrontés, faisant cinq morts et des dizaines de blessés avec des interpellations particulièrement violentes. Premier ministre depuis 1999, Ghannouchi était accusé de représenter l’ancien régime et de ne pas mettre en œuvre les réformes. Foued Mebazaa, le président tunisien par intérim, a nommé à sa place l’ancien ministre sous Bourguiba Béji Caïd Essebsi. Des élections libres doivent se tenir mi-juillet mais l’instabilité politique fait craindre l’entrée en scène de l’armée. Les révolutionnaires tunisiens sont divisés entre les radicaux qui rejettent le gouvernement de transition et les pragmatiques qui s’en accommodent pour sauver les élections.

moins que Sarkozy, plus que Chirac. Martine Aubry goûte saucisson, huîtres, bière, vin et repart les mains chargées de cadeaux, dont une belle côte de bœuf. “Je vous souhaite d’être présidente”, lui lâche-t-on au stand Aquitaine. “On sait jamais”, sourit Martine. Au stand des pommes, elle croise Montebourg. Hilare, il lance : “Faut manger des pommes ! Ça te rappelle rien ?” Avant de partir, un tour à la région Nord : “Donnez moi de la boulette d’Avesnes, j’aime ce qu’il y a de plus fort.” Guttenberg invente la photocopie PPDA, t’es pas tout seul. En Allemagne, Karl-Theodor zu Guttenberg, ministre de la Défense, membre de l’Union chrétienne-sociale (CSU) en Bavière, est accusé d’avoir plagié le contenu de sa thèse de droit. Celui qui est désormais surnommé “baron Googleberg” a dû renoncer à son titre de docteur. Guttenberg dément et assure qu’il a mené sa recherche lui-même. Le Spiegel et le Frankfurter Allgemeine Zeitung prétendent avoir la preuve du contraire. Jonny is good Norman Blake, échappé du mythique groupe écossais Teenage Fanclub, a rejoint Euros Child, troupe formée des cendres du groupe gallois Gorky’s Zygotic Mynci. Le résultat, c’est Jonny, un nouveau groupe au nom qui allume le feu, et dont les pop songs squattent nos platines depuis un mois. Le premier album, déjà disponible en digital, paraîtra en avril : on patiente en rencontrant la troupe quelques heures avant son concert parisien à la Flèche d’Or. L. M., B. Z., avec la rédaction

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Renault : l’espion qui jette un froid

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Le constructeur automobile a porté plainte contre trois de ses cadres : ils auraient vendu des informations sur la voiture électrique aux Chinois. Enquête sur les révélations du mystérieux informateur de Renault.

a grande affaire d’espionnage franco-chinois de l’année, qui nous replonge un peu dans les émotions de la guerre froide, est-elle en train de se rétrécir en pauvre intrigue de bureau à la française ? Après Le Canard enchaîné et Le Parisien, Les Inrocks ont recueilli des éléments nouveaux sur ce méli-mélo d’espions, de comptes cachés en Suisse, et de secrets de Renault sur sa voiture électrique. 1. L’espion de Renault avait déjà résolu plusieurs affaires de salariés indélicats L’affaire a commencé comme dans un bon film noir des années 1940 : par la vieille tradition de la lettre anonyme. Au mois d’août, un corbeau écrit à la direction de Renault qu’un important cadre de la maison, Michel Balthazard, pourrait bien monnayer à l’extérieur des informations sensibles. Le corbeau cite aussi “un petit jeune qui travaille avec Koskas (directeur du projet véhicule électrique – ndlr) et a très bien compris comment ça marche pour remplir son compte en banque”. Pour identifier ce jeunot, les chefs de la sécurité de Renault, Rémi Pagnie, Dominique Gevrey et Marc Tixador, trois ex de la police et du renseignement, mènent leur enquête. Koskas fait travailler sept ou huit personnes, et parmi elles, un jeune nommé Matthieu Tenenbaum. Muni de ces deux noms, Renault confie la suite de son enquête à un professionnel extérieur à la boîte. Un homme qui a les moyens de vérifier si Balthazard et Tenenbaum dissimuleraient à tout hasard de l’argent noir à l’étranger. Cet espion de Renault (nommons-le X, car le voici désormais au cœur de toute l’affaire)

part enquêter du côté des banques étrangères et revient vers Renault avec une étonnante moisson d’informations. Selon ses découvertes, Balthazard aurait ouvert en janvier 2010 un compte à la LGT, la banque princière du Liechtenstein. Ce compte aurait reçu pendant un an la somme de 35 000 euros tous les deux mois. Une partie de cet argent aurait ensuite transité tous les mois par une société suisse qui aurait pris 8 % au passage, pour reverser 5 001 euros sur le compte d’un deuxième salarié de Renault : Bertrand Rochette. Et lui aurait ouvert son compte en mars 2010 dans une banque de Lausanne, la banque Migros. X, enfin, informe Renault qu’un troisième de ses cadres, Matthieu Tenenbaum, aurait à sa disposition 140 000 euros sur un compte ouvert au mois de mars 2009 à la Banque cantonale de Zurich. Que valent ces renseignements de X ? On ignore tout de cet espion. Mais notre enquête nous permet d’affirmer que, depuis trois ans, X effectue, avec succès, de nombreuses missions clandestines au service de Renault. Il enquête sur des cadres qui ont détourné de l’argent en utilisant des sociétés travaillant pour Renault hors de France. Il a le don de retrouver à l’étranger les banques où atterrissent les gros ou les petits euros détournés. A chaque fois, il apporte à Renault des accusations précises.

monsieur X a déjà mené des missions clandestines pour Renault

Mais, et le détail est important, jamais X ne fournit le moindre document bancaire qui pourrait appuyer l’accusation. Renault convoque alors l’employé soupçonné d’être indélicat ou corrompu et le travaille au bluff : “Voici le numéro du compte que vous avez ouvert à telle date dans telle banque à Genève, et sur lequel vous recevez tous les mois tel montant…” Il y a un an, un cadre supérieur, impressionné par tant de précisions, s’est mis à bégayer, puis a avoué tous ses détournements. Les enquêtes de X ont ainsi débouché chez Renault, depuis trois ans, sur au moins une mise à la retraite anticipée, plusieurs sanctions professionnelles, trois interruptions de carrière (ce que la communication de Renault ne confirme ni ne dément). Voilà comment les dirigeants de Renault se sont forgés une confiance absolue en leur espion. 2. Voici le nom de la deuxième société chinoise soupçonnée par Renault Quand X alerte Renault que Balthazard, Rochette et Tenenbaum seraient les favoris d’un mystérieux mécène à l’étranger, il révèle du même coup qui, selon lui, se cache derrière cet argent noir. En remontant les circuits bancaires et

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les sociétés écrans, il aurait abouti à des firmes chinoises. Tout le monde sait que la Chine est entrée dans une féroce concurrence avec Renault pour la sortie mondiale d’une voiture électrique. Matthieu Tenenbaum, qui le premier aurait ouvert un compte à l’étranger, travaille sur la voiture électrique de Renault. Le Canard enchaîné a révélé le nom de la firme chinoise que Renault soupçonne d’acheter ses cadres : c’est la China Power Grid Corporation, une société de distribution électrique concernée par l’avenir de la voiture électrique. Nous pouvons révéler aujourd’hui le nom de la deuxième société étrangère soupçonnée d’espionnage par Renault. C’est le géant aéronautique chinois Avic (China Aviation Industry Corporation), qui construit des avions civils et militaires et se pose en concurrent de Boeing et Airbus. Selon l’enquête de l’espion de Renault, l’argent d’Avic passait par une société de Shanghai : la Shanghai Aircraft Manufacturing Factory, qui fabrique des pièces d’aviation pour Boeing. Puis, de là, par un cabinet de conseil financier chypriote, Asperou Shiaka & Cie, qui aurait reversé sur le compte zurichois

présumé de Matthieu Tenenbaum. Quand l’espion de Renault délivre ses trouvailles, cela se passe d’homme à homme. Directement aux responsables de la sécurité de Renault. Pas de conversations téléphoniques. Pas de mails. Pas de fax. Et aucun document officiel qui permettra ensuite de prouver les accusations. Qu’importe. Renault veut foncer et vroum !, passe la seconde sans débrayer. Juste avant Noël, la direction convoque Tenenbaum, Rochette et Balthazard pour un entretien le 3 janvier à 8 heures. L’entreprise est convaincue que les trois hommes vont craquer et se coucher, comme l’ont fait d’autres employés autrefois accusés de corruption. Est déposée dans la foulée une plainte pour “espionnage industriel en bande organisée”, “corruption”, “vol et recel” et “abus de confiance”. Le 14 janvier, le procureur de Paris ouvre une enquête confiée à la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Mais l’affaire tourne mal. Balthazard, Rochette et Tenenbaum se disent innocents et attaquent en justice pour dénonciation calomnieuse. Et comme dans le dossier de leur employeur rien ne prouve encore qu’ils

ont joué aux 007 pour les Chinois, ils apparaissent désormais dans les médias comme des victimes. 3. Un de nos informateurs amène du nouveau sur les comptes en Suisse Chaque jour qui passe, et puisque sont en jeu et la réputation de Renault et l’avenir de trois hommes, tout le monde est suspendu aux conclusions du procureur de Berne. Il a été saisi par le parquet de Paris pour vérifier si Balthazard, Rochette et Tenenbaum possèdent oui ou non des comptes secrets à l’étranger. Il a déjà ramené un résultat de Suisse : Matthieu Tenenbaum n’a aucun compte à la Banque cantonale de Zurich, où il aurait, selon l’enquête de Renault, reçu 140 000 euros du géant chinois de l’électricité. Concernant Balthazard et Rochette, les banques suisses et les banques du Liechtenstein n’ont pas encore répondu. Mais ces banques forment un petit monde. Ses employés se connaissent. Il leur arrive de s’échanger des informations confidentielles. Nous avons pu obtenir de l’un d’eux, que nous appellerons Joachim, un accès aux archives de plusieurs banques. Selon l’enquête de Joachim, Bertrand Rochette n’a (et n’a eu) aucun 2.03.2011 les inrockuptibles 19

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“seraient-ils assez cons pour ouvrir un compte en Suisse à leur nom ?”

Bertrand Guay/AFP

Patrick Kovarik/AFP

Bertrand Guay/AFP

compte à la banque Migros. Aucun compte non plus ouvert au Liechtenstein au nom de Michel Balthazard. Et notre informateur confirme que la Banque cantonale de Zurich ne connaît aucun Matthieu Tenenbaum. Pas davantage que la banque cantonale de Berne, Joachim a pu le vérifier aussi. Cela fait-il taire le soupçon ? Un banquier genevois que nous avons questionné estime que non. Si on veut faire la vérité sur cette affaire, explique-t-il, il va falloir fouiller plus loin : “Je ne peux pas imaginer, sans rire, que des Français espionnant pour la Chine soient assez cons pour ouvrir un compte en Suisse à leur nom. Chez nous, il existe des combines légales pour ouvrir un compte sous un nom d’emprunt.” Et Joachim, notre enquêteur auprès d’au moins six banques, a justement trouvé dans un établissement luxembourgeois un compte au nom de Balthazard. Et, dans deux autres établissements suisses, des comptes aux noms de Tenenbaum et de Rochette. Mais avec des prénoms qui ne correspondent pas à ceux des cadres accusés par Renault... Ce qui fait habilement suggérer à un proche de la direction de Renault, que nous avons pu avoir au téléphone : “Si ça se trouve, il y a bien des comptes en Suisse, mais il ne sera pas possible de les identifier.” La suite, on la devine. Si demain la justice certifie que Rochette et Balthazard n’ont pas de comptes en Suisse et au Liechtenstein, tout le monde affirmera que Renault a été intoxiqué. Mais par qui ? Et pourquoi ? On parle beaucoup d’une tentative de déstabilisation. En s’attaquant à trois cadres chargés des projets à cinq ans, des avant-projets à dix ans, et du secteur “voiture électrique” sur lequel l’entreprise a misé des milliards d’euros, un concurrent décapite tous les

De gauche à droite : Michel Balthazard, Bertrand Rochette, Matthieu Tenenbaum, les cadres mis en cause

programmes d’avenir de Renault. Autre hypothèse, envisagée par un proche des accusés : que Renault soit victime d’une escroquerie au renseignement. X aurait pris contact avec un concurrent de Renault et proposé ceci : tu me payes comme il faut, et moi je plombe les cadres de Renault pour affaiblir l’entreprise. Mais de plus en plus, les journaux s’interrogent sur un scénario avec moins d’espions et plus d’employés de bureau. Des conflits, des jalousies internes auraient poussé des salariés indélicats à dénoncer ces cadres pour se débarrasser de rivaux professionnels. Il y aurait de quoi écrire de jolis films. Le 23 janvier, sur TF1, le pdg de Renault Carlos Ghosn plastronnait : “Nous avons des certitudes. Les preuves sont multiples et c’est bien pourquoi nous avons déposé plainte.” Aujourd’hui, quand on appelle la communication de Renault, ça rétropédale à fond : “Pour l’instant, nous n’avons aucun fait qui peut nous faire aller dans un sens ou dans l’autre. On attend.” On a pu vérifier qu’au siège de l’entreprise, à Billancourt, Ghosn et ses dirigeants balisent. Ils se posent mille questions. Ils savent maintenant qu’ils sont allés trop vite en portant plainte contre leurs cadres. Ils auraient dû, avant de foncer en justice, demander aux experts du contreespionnage, à la DCRI, de vérifier leur dossier. Les policiers auraient pu ainsi mettre les cadres de Renault sous surveillance, et s’ils étaient coupables, les surprendre en commerce avec des Chinois. Mais les chefs de Renault ont été aveuglés par la précision des trouvailles de leur espion. Ils ont juste négligé que des affirmations ne constituaient pas des preuves. Au téléphone, on demande à la communication de Renault s’ils réintègreront Balthazard, Rochette et Tenenbaum si la justice démontre qu’ils ont été accusés à tort. La réponse est prudente : “Je ne sais pas. On attend de savoir ce qui sort de l’enquête judiciaire, et ensuite on prendra les décisions nécessaires.” Camille Polloni et John Barry

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en Libye, l’info est en guerre Dans un tribunal désaffecté de Benghazi, les opposants à Kadhafi ont installé le centre de presse de la révolution. Armés d’ordinateurs portables, de bombes de peinture et de crayons, ils ont fait sortir l’information du pays dès le début du soulèvement. Visite guidée.

uspendue a un fragile fil électrique, une ampoule éclaire les claviers d’ordinateurs. Cinq ou six écrans sont alignés dans une pièce aux murs noircis par le feu qui s’est propagé du commissariat voisin, incendié la semaine précédente. “Nous nous sommes installés ici le 21 février, juste après la prise de la Katiba (résidence et siège de la garde rapprochée de Kadhafi à Benghazi, théâtre des plus violents combats).” Khaled Ben Walid, un architecte de 29 ans à la mine enjouée, monte un diaporama de photos du soulèvement sur la chanson Nous ne partirons pas. Ecrite par un auteur libyen, Adel El Moushahiti, pendant la première Intifada, c’est l’hymne de la révolution : un air beau et dramatique qui résonne dans Benghazi du matin au soir, des haut-parleurs aux sonneries de portables. Autour de Khaled, ils sont une dizaine, nez collé aux écrans. Ingénieurs, designers graphiques ou étudiants, ils dessinent des banderoles prorévolution sur leur ordinateur ou collectent les images et

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activistes et journalistes occupent les lieux qui tiennent à la fois de la MJC et du blockhaus

vidéos tournées par les manifestants pour les transmettre aux médias. “Nous confions ces documents à des journalistes égyptiens qui retournent au Caire, ou bien nous les diffusons via l’une des connexions internet que l’on a encore dans la ville, explique-t-il. Mais nous gardons ces lieux secrets pour éviter qu’ils soient visités par des agents du régime, toujours actifs à Benghazi.” Quelques jours plus tard, les informaticiens de la révolution ont réussi à rétablir une connexion internet par satellite grâce à une antenne parabolique posée sur le toit du bâtiment voisin. Bienvenue au centre de presse de la révolution. Parce qu’il n’y avait aucun journaliste étranger en Libye au début du soulèvement, faire sortir l’information du pays est vite devenu une obsession. Les jeunes insurgés ont choisi cet ancien tribunal en travaux pour installer leur “Media Center for Rebels”, comme l’annonce un graffiti. Face à la mer, sur la corniche, l’emplacement est stratégique : juste à côté du palais de justice de Benghazi, point de ralliement des

manifestants dès le premier jour du soulèvement et aujourd’hui quartier général de l’opposition. Dans un va-et-vient constant, activistes et journalistes emplissent le centre de presse, qui tient à la fois de la MJC et du blockhaus. Un ou deux hommes en treillis, fusil en bandoulière, le gardent en permanence. L’un d’eux a les cheveux longs, des lunettes pilote et plusieurs chaînes à son cou : un look seventies encore populaire en Libye. “Welcome, welcome !” Il accueille les visiteurs avec un sourire jovial, qui compte plusieurs dents en or. Dans l’entrée, une grande affiche d’Omar Al-Mukhtar, le héros de la résistance au colonisateur italien. Le profil fier, qui figure sur les dinars libyens, est devenu l’un des emblèmes de la révolte libyenne. Les opposants ont adopté sa devise : “Vivre dans la dignité ou mourir dans la dignité”. Sur les murs de Benghazi, on retrouve souvent ce graffiti : “Rejouis-toi Omar Al-Mukhtar, tes petits-enfants font face aux balles des mercenaires.” A côté du portrait, les militants ont épinglé l’ancien drapeau libyen, noir-vert-rouge, que Mouammar Kadhafi avait remplacé par un vert intégral. Tout se passe au premier étage. Un mur rassemble les slogans les plus populaires et les meilleures caricatures du Guide libyen : en Dracula assoiffé de sang ou sous la forme d’un dragon à deux têtes, avec son fils Seif Al-Islam. Graffés en rouge sur les murs : “Espèce de sauvage, casse-toi, dégage !”, en francais dans le texte. Ou “Nein für die Teilung, Libya ist einig” (“Non à la partition, la Libye est une”). Saida, une dame de 60 ans venue peindre des banderoles, lance : “Après quarantedeux ans de souffrance, il fallait bien que ça explose un jour !” Avec un air grave, elle ajoute : “Nous devons remercier Mohamed Bouazizi.” Selon elle, en s’immolant par le feu, le vendeur de légumes tunisien a provoqué l’étincelle dont le monde arabe avait besoin pour se soulever. Un téléviseur branché sur Al-Jazeera trône dans une pièce nue. Trois personnes essayent de comprendre la situation dans l’ouest, où s’affrontent partisans de l’opposition et milices du pouvoir. “Nous attendons la libération de Tripoli. Tout le monde est uni contre Kadhafi en Libye, de la frontière égyptienne à la frontière tunisienne”, asssure Mohammed Fannoush, un intellectuel, ancien directeur de la Bibliothèque nationale de Benghazi. La division du pays est le cauchemar des opposants. Une petite table fait office de bureau d’enregistrement pour les journalistes étrangers. Les activistes font bien les choses : chacun reçoit un badge avec son nom, sorte d’accréditation de la révolution.

Pas par goût de la bureaucratie, mais pour tenter d’assurer la sécurité. “Peut-être qu’il y a quelqu’un de loyal à Kadhafi parmi nous, qui peut rapporter au régime qui fait quoi”, souligne Halim, un ingénieur en architecture de 37 ans qui traite les images et vidéos arrivées d’Al Baïda, Zawiya, Misrata ou Tripoli. “J’ai vécu toute ma vie sous cette dictature. Je n’ai rien connu d’autre. Pour mes enfants, Hussein et Amal, je rêve d’un autre futur : je veux qu’ils puissent recevoir une bonne éducation et surtout qu’ils puissent vivre libres.” Dans leur salle, les dessinateurs saisissent la liberté à bras-le-corps. Kays Ahmed, 32 ans, représente Kadhafi en gorille à la mine débile. Il ajoute la mention “Singe des singes d’Afrique”, en référence au titre de roi des rois d’Afrique que le Guide libyen s’était choisi il y a quelques années. “Je suis ici pour exprimer enfin ce que je pense de lui”, dit-il d’un souffle rageur. Il a travaillé à la télévision nationale libyenne comme caricaturiste, mais pas question de critiquer. Il a dû céder sa place : un supérieur proche du régime voulait placer un ami. Plus loin, la rédaction de Libya, journal qui se veut la voix de la révolution. La moyenne d’âge est plus élevée. “Des employés, des fonctionnaires, des écrivains... tous ceux qui ont des choses à dire sur le régime”, précise Mohamed Salem Moussa, 43 ans, qui fait office de directeur de la rédaction. Il enseigne le journalisme a l’université de Garyounes, mais n’a jamais exercé son métier, faute de liberté de la presse. “J’ai un article d’un intellectuel marocain qui veut écrire dans le journal !”, annonce l’une des journalistes révolutionnaires, en déboulant dans la pièce. Mohamed, les yeux brillants, se dit simplement “très heureux” de ce qui se passe et rêve que son journal – une double page pour l’instant – survive à la révolution. Comme partout à Benghazi, les occupants du centre de presse sont galvanisés par les événements, inimaginables il y a quelques mois dans ce régime terriblement répressif, où la moindre tentative d’opposition a été réprimée par l’emprisonnement et la torture. “Nous ne pensions même pas pouvoir un jour défiler dans la rue !”, avoue Ines El Drissi, une étudiante en médecine de 24 ans. La peur n’a pas disparu. Beaucoup d’habitants de Benghazi redoutent que Kadahfi organise une contre-attaque sur la ville d’où est partie la révolte. “Nous sommes des cibles privilégiées parce que nous transmettons l’information”, concède Hussein Kabla, étudiant en architecture de 22 ans. “Mais il faut en finir avec ce régime, je suis prêt à mourir s’il le faut”, affirme Wasfi El Sallabi, journaliste de 42 ans qui a longtemps écrit ce qu’il fallait écrire pour éviter la répression. “Il n’y a pas de retour en arrière possible.” Nina Hubinet, à Benghazi 2.03.2011 les inrockuptibles 23

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Aux oscars, Natalie Portman a été sacrée meilleure actrice pour Black Swan

ni lazzis, ni razzias Oscars ou César, les cérémonies se sont déroulées sans vraies surprises et aucun challenger inattendu n’a surgi. Quelques fortes paroles resteront pourtant.

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’est un peu deux fois à la même soirée qu’avait l’impression d’assister le téléspectateur endurant qui ouvrit son week-end avec les César, vendredi soir, pour le clôturer par une nuit insomniaque d’oscars. Premier point commun : tout le monde a (un peu) gagné. Contrairement aux années où un seul film aspire toutes les statuettes, les César et les oscars ont veillé à ne distinguer aucun triomphateur absolu. Si Le Discours d’un roi franchit en vainqueur la ligne d’arrivée aux oscars (quatre prix, dont meilleur film, réalisateur, acteur pour Colin Firth), il est talonné par Inception (quatre oscars, essentiellement techniques) et The Social Network (trois, dont scénario pour Aaron Sorkin). Aux César, c’est Des hommes et des dieux qui remporte la récompense suprême (meilleur film), assortie de deux autre César : meilleure photo pour Caroline Champetier et second rôle masculin pour Michael Lonsdale. Mais The Ghost Writer le dépasse aux points avec quatre statuettes (dont meilleur réalisateur pour Polanski) tandis que Gainsbourg (vie héroïque) et Le Nom des gens font jeu égal avec trois César (dont meilleur acteur pour Eric Elmosnino et meilleure actrice pour Sara Forestier et sa “culotte porte-bonheur”). Autre point commun : les favoris gagnent presque immanquablement. Des hommes et des dieux, Le Discours d’un roi, Natalie Portman meilleure actrice pour Black Swan : la remise des prix ressemble de plus en plus à la validation des pronostics.

On se souvient pourtant d’années (L’Esquive chipant les César prévus des Choristes, Démineurs bloquant le triomphe annoncé d’Avatar) où ces cérémonies n’étaient pas l’exécution morne de simples formalités. Là où les deux cérémonies divergent, c’est dans leur esprit général. Les César ressemblent à la France. On y évolue dans un village où le persiflage et le second degré sont de mise, où l’on n’est jamais dupe. Pascal Elbé et Antoine de Caunes s’y moquent d’une réplique censément émouvante et de fait risible (“Je voulais te dire... t’es vraiment une belle personne”) du grand boycotté de la soirée, Les Petits Mouchoirs ; on balance des vannes sur les comédiens qui n’acceptent de remettre des prix que si c’est “un gros César” ; les perdants ont parfois du mal à réprimer une grimace lorsqu’ils ne sont pas lauréats ; certains des principaux nommés n’ont pas fait le déplacement (Gérard Depardieu, Romain Duris, Charlotte Gainsbourg…). Aux oscars en revanche, on est corporate. Nicole Kidman n’a aucune gêne à remettre l’oscar de la meilleure musique et Scarlett Johansson celui du meilleur son. Mark Wahlberg, écarté des nominations pour Fighter, applaudit la victoire de ses camarades. Tout le monde s’emploie à tenir son rang comme si se déroulait la chose la plus importante du monde. Cette candeur a son revers, lorsque la soirée se clôt sur une reprise du Somewhere over the Rainbow par une chorale d’enfants. Un sens un peu plus aigu de la dérision préserverait sans doute d’une telle apothéose cheesy.

Dans les deux soirées, les patriarches ont créé l’événement. Kirk Douglas, 94 ans, a remis avec allant l’oscar du meilleur second rôle féminin à Melissa Leo, ravissant l’assemblée de ses facéties. Aux César, c’est Michael Lonsdale qui a valu à la cérémonie son moment le plus gracieux, chuchotant à son trophée : “Ah ! tu es là, petit coquin ! tu t’es bien fait attendre !” avant de démontrer tout son génie de raconteur avec une anecdote l’assimilant à Michael Jackson. Aux oscars, les discours sont répétés et parfois mécaniques. Aux César, il sont plus improvisés, un peu flottants. Une parole un peu habitée vient parfois percer la litanie des “merci”. Aux oscars, ce fut Charles Ferguson, recevant le trophée du meilleur documentaire pour Inside Job, qui rappela qu’aucun des financiers responsables de la crise économique récente ne se trouvait aujourd’hui en prison, ni même n’avait été inquiété. Aux César, c’est Xavier Beauvois qui trouva un équilibre parfait de sincérité très touchante et de simplicité, passant d’un registre intime (“Quand enfant je regardais les César, je me disais que comme métier, je voulais faire François Truffaut”) à une parole politique sans aucune pesanteur, s’en prenant aux propos “sournois” d’Eric Zemmour ou “intolérables” de Brice Hortefeux. Pour conclure par “Je voudrais que pendant les prochaines élections, on ne dise pas du mal des Français musulmans”. Sans du tout l’avoir cherché, il méritait le César du meilleur discours de remerciements. Jean-Marc Lalanne

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Rocco et ses frères de Luchino Visconti (1960)

Annie Girardot 1931–2011 Atteinte de la maladie d’Alzheimer depuis plusieurs années, l’actrice vient de mourir à l’âge de 79 ans.

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lle était plutôt une actrice populaire qu’une star, mince frontière qui sépare l’icône inaccessible de la comédienne célèbre que l’on sent proche des gens (à tort ou à raison). Annie Girardot avait beau avoir tourné dans des dizaines de films dont certains énormes succès, on avait le sentiment qu’on aurait pu la croiser au bar-tabac du coin de la rue et engager la conversation comme avec n’importe quel quidam. C’est sans doute sa gouaille, sa voix des faubourgs, son phrasé très cash qui donnaient cette impression. Annie Girardot a habité le cinéma populaire des années 60, 70 et 80, tournant un des premiers Maigret, cartonnant chez Lelouch (Vivre pour vivre), Cournot (Les Gauloises bleues), dans de grosses comédies (le célèbre Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais elle cause d’Audiard père) comme dans ce qu’on

appelait des “drames psychologiques” (Mourir d’aimer d’André Cayatte). Si Annie Girardot a raté le train de la Nouvelle Vague, elle a décroché un rôle inoubliable dans l’un des plus beaux mélos politiques du monde, Rocco et ses frères de Luchino Visconti. Les années 80 sont celles de son déclin, même si on la voit dans Merci la vie de Bertrand Blier, puis, après une longue éclipse, chez Michael Haneke. Elle part au lendemain des César, alors qu’elle avait obtenu l’une des premières compressions en 1977 pour le très populaire mais oubliable Docteur Françoise Gailland. On se souvient de ses larmes sur la scène des César en 2002 pour La Pianiste, toute commotionnée qu’elle était de revenir dans la lumière des projecteurs. Projecteurs qui viennent de s’éteindre définitivement. Serge Kaganski 2.03.2011 les inrockuptibles 25

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retour de hype

Les reptiliens

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

Julien Doré et son bichon

“Non mais mon jean est pas orange, il est couleur corail, ça n’a rien à voir”

La Gaîté lyrique

Benoit Tessier/Reuters

Zahia

“Je crois que je bois pour oublier le fait que j’ai pas de chien, en fait”

Melvil Poupaud chez Xavier Dolan

John Galliano

James Franco “J’aimerais tellement être ami avec La Boule de Fort Boyard”

Nicolas Poincaré La bière en Russie

“Ah, le mois de mars, les giboulées…”

La junk food

“Ah, le mois de mars et ses giboulées” Passage obligé de l’interaction entre voisins dans l’ascenseur ou la cage d’escalier au mois de mars. “Non mais mon jean est pas orange, il est couleur corail, ça n’a rien à voir” C’est ça oué. La bière en Russie Jusque-là considérée comme une denrée alimentaire, la bière vient d’être reconnue comme boisson alcoolisée

en Russie où le gouvernement mène une campagne pour lutter contre la consommation d’alcool. Zahia L’ex-escort girl fait la couv du V espagnol déguisée en Brigitte Bardot. Hum hum. La junk food Un Anglais de 37 ans, victime d’un coup de couteau à la gorge, s’est servi du kebab qu’il venait d’acheter pour le poser sur la plaie et stopper l’hémorragie. D. L.

billet dur

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her Jacques Attali, Tu es mon humoriste préféré. La semaine n’est pour moi qu’un long chemin d’ennui dans l’attente de ta chronique dans L’Express, promesse de fous rires à s’en décoller la plèvre. Tu fus le sherpa de Mitterrand ; à l’époque, on t’admirait car tu semblais détenir d’impérieux secrets de vizir dans l’ombre du grand pharaon. Auprès de Sarkozy, dont tu as rallié la caravane avec autant d’empressement qu’Enrico Macias et Roger Hanin, tu es devenu un sherpa à grand-chose. Ta grosse commission a accouché d’un épais rapport, lequel sert désormais de rehausseur à son commanditaire pour ses discours, ou de stock de feuilles à Carla pour rouler ses bédos. Alors il te reste cette chronique, où, croisement de Nostradamus et de Mister Bean, tu prophétises depuis ta chambrette de 800 mètres carrés sur les destinées d’un monde dont, à te lire, tu connais

toutes les convulsions, même celles qui n’ont pas encore eu lieu. Autour de toi, on feint de croire à l’importance de ta pensée comme on laisse les vieux oncles au bout des tables du dimanche conter leurs sornettes aux moineaux et aux pâquerettes. Le 19 décembre dernier, tu te prenais pour La Fontaine dans un texte intitulé “L’Autruche, le rat et le lynx”. Les autruches et les rats, c’était forcément les autres, tandis que tu incarnais le lynx, ton regard perçant l’avenir pendant que le reste de l’humanité soignait sa myopie. Comme personne ne t’écouta alors, à commencer par les peuples tunisiens et égyptiens qui vinrent contredire dans la joie tes promesses d’apocalypse, tu décidas la semaine dernière de faire plus simple en demandant, Jacques Attila, l’interdiction de la clope. Sinon, tu as un avis sur les soldes flottants, Arlette Chabot à Europe 1 ou le nouveau single de Lady Gaga ? Je t’embrasse pas, je te sherpa la main non plus. Christophe Conte

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“ah, mais je connaissais sa famille, je le voyais quand il était petit”

Michel Houellebecq a une tête de gondole Dans un supermarché du XIIIe arrondissement de Paris, on a célébré le prix Goncourt à grand renfort de photos et de citations sur le quartier. Une exposition montée par la mairie en hommage à l’enfant du pays.

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aris, XIIIe arrondissement. Entre la Seine et la place d’Italie, le longiligne boulevard VincentAuriol, bordé d’immeubles et de tours hétéroclites. La contre-allée est surmontée d’une ligne de métro aérien (la n° 6), qui donne au quartier des airs de petit Brooklyn. Au niveau de la station Nationale, deux hypermarchés se partagent le territoire. Casino à gauche, Carrefour Market (anciennement Champion) à droite.

Michel Houellebecq a choisi Casino. Moi aussi. J’habite en face. En lisant La Carte et le Territoire, j’avais goûté les nombreuses allusions de Houellebecq au quartier où il a longtemps vécu. Exemple, page 63 : “le ‘Non’ qu’il répétait tous les jours à la caissière (jamais la même, il est vrai) qui lui demandait s’il avait la carte Club Casino”. J’étais lecteur complice et voisin, je connaissais les caissières (souvent les mêmes, en fait) et la question rituelle, j’avais la carte Casino (817 points accumulés

au dernier passage en caisse) et le territoire. Je savais démêler le vrai du faux : ainsi, n’essayez pas d’aller manger à la cafète dont Houellebecq parle dans son livre, elle est fermée depuis plusieurs années. Mais j’imaginais très bien Michel, un peu désœuvré, faisant ses courses sous le plafond de néons. Lundi 21 février. Sur pilotage automatique, j’attends à la caisse de Casino. Une conversation me réveille : “Ah, mais je connaissais sa famille, je le voyais quand il était petit”, “mais comment il s’appelle, il vend des livres ?” Je lève les yeux : un immense portrait photo de Michel Houellebecq, en parka, observe tel un bienveillant mais néanmoins sérieux chef de rayon d’autres grandes images de lieux du quartier (le Franprix, l’hôtel Mercure, le tabac de la place d’It’, la bibliothèque, la place des Alpes), emblématiques de la topographie houellebecquienne. Les photos sont légendées avec des phrases extraites de La Carte et le Territoire. Renseignement pris, Michel n’a pas racheté la grande surface, il n’est pas non plus en promo au rayon librairiepapeterie (où sept exemplaires de La Carte et le Territoire attendent le client, à côté d’un petit linéaire de cartes IGN) : il s’agit d’une expo organisée par la mairie d’arrondissement pour célébrer “le XIIIe de Michel Houellebecq”. Point d’orgue : la venue triomphale de l’auteur en personne le vendredi 25 février pour une séance de dédicace à la librairie Maruani (gros succès), et une émission de radio nationale en direct de Casino. Quelques dizaines de personnes sont rassemblées pour écouter Houellebecq, qui parle XIIIe, art, écriture, musique et escalope de poulet. Le passage médiatique de Houellebecq dans le quartier est plaisant, mais finalement assez peu houellebecquien : dans ce coin popu, vaste et paumé du XIIIe, on n’a pas l’habitude de l’agitation, ni de croiser des vedettes. Et c’est pour ça qu’on l’aime. Mais le Goncourt et sa cour ne font que passer. Lundi 28 février : l’expo photo a déjà disparu du Casino. On peut enfin faire ses courses tranquille. Et en sortant de l’hypermarché les bras chargés de sacs, au bout de la rue Jeanne-d’Arc, on aperçoit très bien le dôme du Panthéon. Prochaine étape, Michel ? Stéphane Deschamps photo Christian Lartillot

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Les manifestants égyptiens, ici le 9 février, ont emprunté leur symbole aux Serbes

activistes de tous les pays... En Egypte, l’action non violente du Mouvement du 6 avril a largement contribué au départ de Moubarak. Un modèle de révolution pacifique qui trouve son inspiration chez les jeunes Serbes qui contribuèrent à la chute de Slobodan Milosevic. n poing levé. A la fin des années 1990, c’est ce logo que de jeunes Serbes choisissent pour leur mouvement, Otpor ! (Résistance !). A l’époque, ils découvrent le SMS comme outil de mobilisation des foules, et luttent contre le régime de Slobodan Milosevic. Dix ans plus tard, les Egyptiens du Mouvement du 6 avril, las du règne d’Hosni Moubarak, affichent le même poing sur leur page Facebook. Serbes, Egyptiens, même combat ? Octobre 1998. Srdja Popovic, 25 ans, retrouve d’autres étudiants dans un café de Belgrade. Depuis des mois, ils manifestent contre le régime, en vain. Ils créent alors Otpor ! et inventent de nouvelles

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en Serbie, Mohamed Adel apprend à diriger des manifestations pacifistes

formes de mobilisation. Sur un baril d’essence, ils peignent la tête de Milosevic : en échange d’une pièce, les passants peuvent la frapper. A la police, ils apportent fleurs et gâteaux. Le mouvement joue un rôle crucial jusqu’à la chute du président serbe, deux ans plus tard. Eté 2009. Mohamed Adel, 20 ans, passe une semaine à Belgrade. Ce bloggeur égyptien est l’un des fondateurs du Mouvement du 6 avril, né dans le sillage des révoltes ouvrières de 2008. En Serbie, Mohamed Adel découvre comment diriger des manifestations pacifiques ou faire face à la violence policière. “Il apprend à organiser des mouvements populaires non plus sur un ordinateur, mais dans la rue, raconte la journaliste Tina Rosenberg dans Foreign Policy. Plus important encore, il apprend à former d’autres activistes.”

Tel est bien l’objectif principal d’Otpor !, devenu Canvas, Centre spécialisé dans l’action et la stratégie non violente : mettre à disposition de militants prodémocratie des outils pour mener leur combat. La révolution des roses en Géorgie, la révolution orange en Ukraine. Depuis 2004, l’ONG a travaillé avec des activistes de trente-sept pays et le livre La Bataille non violente – 50 points fondamentaux a été téléchargé plus de 20 000 fois au Moyen-Orient. La recette d’une bonne révolution pacifique ? Srdja Popovic a la formule : unité, planification et discipline non violente. L’unité, d’abord : “Au Caire, toutes les organisations ont brandi un même symbole, le drapeau égyptien, constate-t-il. C’était impressionnant ! Sans parler des démonstrations d’unité religieuse place Tahrir.”

La planification, ensuite : dès les premiers jours, la police, l’un des piliers du pouvoir, est débordée. Les syndicats rallient le mouvement, puis les manifestants s’assurent de la neutralité de l’armée, avant qu’elle ne bascule en leur faveur. Enfin, “la discipline non violente, même lorsque le pouvoir a tout fait pour provoquer le chaos, a clairement été l’une des clés du succès”, ajoute Srdja Popovic. Aujourd’hui, il refuse toutefois de s’attribuer quelque mérite que ce soit dans la chute de Moubarak. “Nous sommes fiers que des Egyptiens aient passé cinq jours à Belgrade ou utilisé des symboles serbes. Mais leur révolution s’est appuyée sur des revendications internes, et non sur les conseils d’experts étrangers. Cette victoire appartient aux jeunes du monde arabe, à 100 %.” Perrine Mouterde

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Dans Film Socialisme, qui a bénéficié d’aides à la diffusion, Godard décrit une Europe en proie à la loi du marché

sauve qui peut (le cinéma européen) L’UE remet en cause son programme de subventions, la Hongrie taille dans les aides et la situation se dégrade encore en Angleterre et en Italie… Les cinéastes se mobilisent pour sauver les films du Vieux Continent.

brèves l’envol d’Owni Le site d’information français qui a mis en ligne les documents de WikiLeaks cet automne et qui a compté 1,5 million de visiteurs uniques au cours de chacun des trois derniers mois prend de l’envergure. Alors qu’il devrait boucler une deuxième levée de fonds à hauteur de 1,5 million d’euros ce mois-ci, il prévoit le lancement d’une webradio puis, fin avril, d’un magazine hebdomadaire payant en ligne, intitulé Pulp. Owni devrait ensuite lancer deux sites autour de la présidentielle de 2012, puis à l’automne un magazine papier sans pub. Une version américaine d’Owni, en anglais et en espagnol devrait également être mise en ligne. pour Dailymotion, c’est déjà Noël Dans une affaire opposant Nord-Ouest Production et UGC Images à Dailymotion à propos de la diffusion sans autorisation sur le site du film Joyeux Noël de Christian Carion, la Cour de cassation a rendu un arrêt confirmant le statut d’hébergeur de Dailymotion. Le site ne peut ainsi être tenu pour responsable a priori du contenu que les internautes mettent en ligne.

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a circulation des capitaux, oui, la circulation des œuvres, non. En menaçant de dissoudre le programme d’aide au cinéma européen Media dans un vaste machin communautaire, la Commission européenne envoie un signal inquiétant aux cinéastes du Vieux Continent. Lesquels ont tôt fait d’exprimer leur “extrême inquiétude” dans une pétition lancée par l’ARP (Association des auteursréalisateurs-producteurs), qui a déjà recueilli plus d’une centaine de signatures, et non des moindres : Ken Loach, les frères Dardenne, Mike Leigh, Wim Wenders, Aki Kaurismäki, Costa Gavras... Qu’est-ce que ce programme Media, au juste ? Un mécanisme de subventions lancé par Bruxelles il y a bientôt vingt ans (triste anniversaire...) pour inciter les distributeurs à distribuer les films produits par leurs voisins européens, et les salles de cinéma à les programmer. Autrement dit, pour que les films européens circulent le plus possible sur le continent afin de résister au rouleau compresseur américain. Ce programme ne ruine pas les caisses de l’UE (une enveloppe globale de 750 millions d’euros pour six ans) et son efficacité est réelle, estime ClaudeEric Poiroux, directeur général d’Europa Cinemas, réseau fédérant près de 1 000 salles de cinéma dans 32 pays. Alors que la part des films européens non nationaux oscille entre 8 et 10 % de parts de marché en Europe, les salles qui jouissent de

aider à la distribution en Europe permet de résister au rouleau compresseur US

la subvention Media (entre 15 000 et 45 000 euros par an selon leur taille) y ont consacré 38 % de leur programmation l’an dernier. “Si l’on supprime cette aide, les films de Béla Tarr, par exemple, ne seront vus nulle part, c’est certain.” Béla Tarr, au hasard. Le cinéaste hongrois vient d’être auréolé d’un Ours d’argent à la Berlinale pour son nouveau film, Le Cheval de Turin. Et il est directement concerné par un autre scandale européen : la nauséabonde loi sur les médias du gouvernement hongrois et son corollaire, la “restructuration” – le démantèlement – des aides publiques au cinéma. Là encore, une lettre ouverte circule, signée de nombreux réalisateurs, pour dénoncer la disparition “d’une structure autonome démocratique et indépendante garantissant la pluralité des films hongrois” au profit “d’un système où une seule personne prend les décisions”. En l’occurrence, le producteur hongroaméricain Andrew G. Vajna (Rambo, Total Recall) nommé pour un an par le très liberticide Premier ministre hongrois Viktor Orbán avec pour mission de “renforcer la compétitivité” de l’industrie cinématographique hongroise. Nettoyage assuré. Ailleurs, dans cette Europe actuellement présidée par la Hongrie, le Film Institute britannique est lentement mais sûrement mis à mal, Berlusconi détricote les déjà tout petits mécanismes de soutien au cinéma italien... “Quand on veut faire des économies en temps de crise, c’est toujours dans la culture qu’on coupe”, déplore Costa Gavras. Et pendant ce temps, le sentiment européen recule inexorablement, partout... Baptiste Etchegaray

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service des sports de combat Entre Nelson Monfort, homme de ménage d’Areva, et la ligne éditoriale de Stade 2 remise en cause par les journalistes, Daniel Bilalian, responsable du service sur France Télévisions, a bien des obstacles à franchir.

nouvelle formule scientifique Avec un titre choc, “L’eau pourra-t-elle remplacer le pétrole ?”, Science & Vie explique dans le premier numéro de sa nouvelle formule la fusion nucléaire et ses enjeux. On pourra également apprendre à extraire son propre ADN…

ardoise magique Précision sémantique de la Commission générale de terminologie et de néologie publiée dans le Journal Officiel du 20 février : on ne dit pas “pad”ou “tablet”, on dit “tablette tactile” ou “ardoise”.

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dans la ligne de mire La revue Lignes propose un excellent dossier coordonné par Cécile Canut : “L’exemple des Roms – les Roms, pour l’exemple”.

Rolling Stone US invite ses lecteurs à voter en ligne pour déterminer la couverture du numéro d’août. Il s’agit de choisir parmi une sélection de seize nouveaux artistes dont on peut découvrir les chansons sur le site.

Spotify en fonds Le site de streaming effectuerait une levée de fonds de 100 millions de dollars. L’investisseur principal serait le groupe russe DST, actionnaire de Facebook et Groupon. Spotify serait valorisé d’un milliard de dollars.

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Britney, produit périmé Dans son nouveau clip, l’ex-petite fiancée de l’Amérique tente en vain de rattraper son retard sur Lady Gaga et ses autres concurrentes.

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Britney cheap Britney Spears a fait du cheap sa marque de fabrique. Plus bancale et profonde qu’elle n’y semblait, cette signature était alors symptomatique de l’Amérique qu’elle représentait, à son corps défendant, de la fin des années 1990 à la fin des années 2000, période de son règne en tant qu’icône pop ultime. En 2010, Britney a été détrônée par Lady Gaga, plus subversive et mieux produite, ou par des suiveuses au talent aléatoire, parmi lesquelles Rihanna, Katy Perry ou l’immonde Ke$ha. Déchue, l’ex-petite fiancée de l’Amérique apparaît dans son nouveau clip, Hold It Against Me, en mariée zinzin, sorte de monstre informe dont la french manucure a été remplacée par des tubes en plastique d’où s’échapperont plus tard de la peinture aux couleurs criardes. Métaphore facile de la pureté sacrifiée sur l’autel de la pop culture ? Quoi qu’il en soit, Britney fait dans la grosse ficelle et donne à voir son corps d’ex-championne de GRS des pays de l’Est. Le stylisme quelque peu putassier s’inscrit dans une esthétique très Lady Gaga à base de sang qui gicle et de danseurs déguisés en spermatozoïdes. Coincidence ? Pas vraiment : le réalisateur de ce clip est aussi celui des vidéos de Paparazzi et de Telephone de Lady Gaga.

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le clip autoréférencé Pour se donner du relief, Britney Spears verse dans l’autoréférence et fait appel à l’iconologie de son règne passé. Ainsi, les écrans (sponsorisés par Sony) donnent à voir les précédents clips de Britney, et, de manière plus générale, tout le scénario de la vidéo rappelle le parcours de la jeune fille : de la scène d’intro montrant une météorite venant s’échouer sur la Terre (référence au clip de Oops I Did It Again où Britney se la donnait tranquillou dans l’espace en combi de latex rouge) à la robe de mariée (uniforme que Britney Spears portait lors des MTV Video Music Awards de 2003,

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des logos à gogo Autre caractéristique inspirée des clips de Gaga : le placement produits à outrance. Loin d’être tournée au second degré, la chose est ici encore plus grossière que chez Stefani Germanotta, et les gros plans sur les logos des marques durent bien plusieurs secondes. Si Britney nous rejoue le coup de la dénonciation du cirque médiatique (dans lequel elle ne cesse de replonger tête la première à chaque sortie d’album) qui a fait d’elle un produit sulfureux, le clip ne semble pourtant avoir qu’une finalité : la pub. Les logos (marque de cosmétique, matériel hi-fi ou site de rencontres) rythment la vidéo, si bien que, selon TMZ, celle-ci aurait rapporté 500 000 dollars. Une pratique de plus en plus courante censée aider les artistes à “offrir de meilleurs clips” aux fans, en pleine crise de l’industrie. Une légitimation un peu légère, surtout pour les gros noms du marché du disque qui ont depuis longtemps brouillé la frontière entre leurs œuvres et le télé-achat.

cérémonie au cours de laquelle elle n’hésita pas à embrasser Madonna à pleine bouche), en passant par la gestuelle (en sandwich entre deux danseurs comme dans le clips d’I’m a Slave 4 U ou en pleine maîtrise du jeté-de-tête-qui-fait-mal-auxcervicales, caractéristique de la chorégraphie de Circus). En 2011, la seule possibilité pour une Britney Spears peu inspirée (tout comme ses producteurs, à en juger d’après ce premier extrait de son nouvel album intitulé Femme Fatale) serait donc de jouer sur son passé, comme si sa seule façon d’exister aujourd’hui était d’être son propre avatar. Oops. Diane Lisarelli

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la poésie des gangsters Meurtres et humour noir hantent le nouvel album de Keren Ann, musicienne solitaire et surdouée. par Johanna Seban photo Amit Israeli ui dit 101, dit dalmatiens. Mais c’est aussi le nombre d’étages d’un gratte-ciel de Taïwan, le Taipei 101, qui a inspiré à Keren Ann le titre de son nouvel album. Un nombre palindrome, qui colle parfaitement à la démarche de cette musicienne dont la vie est un éternel recommencement, une succession de départs, d’allers et de retours. Avec un studio personnel installé dans quatre métropoles (New York, Paris, Reykjavík, Tel-Aviv), Keren Ann est une voyageuse solitaire et une musicienne hyperactive. En marge de ses œuvres personnelles, on l’a vue ces derniers mois réaliser les albums d’Emmanuelle Seigner et de Sylvie Vartan, composer une BO de film (Thelma, Louise et Chantal), ou plancher sur l’écriture d’un opéra classique. Une décennie après la pièce à quatre mains

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agencée avec Benjamin Biolay pour Henri Salvador, on retrouve donc Keren Ann avec un nouvel album fait maison. Sixième acte d’une discographie sans faux pas, 101 se dévoilait il y a plusieurs semaines via un prodigieux single. Electronique, transparent et pur comme de l’eau de source, My Name Is Trouble ouvre ce recueil éblouissant, qui voit la musicienne s’éloigner toujours plus de l’aridité folk de ses débuts pour explorer des climats changeants et orageux, mais sans perdre en route la pudeur magnifique dont elle est, depuis les premiers arpèges de La Biographie de Luka Philipsen (2000), la grande (Ke)reine. Nappes d’arrangements, orchestrations d’orfèvre, chœurs en apesanteur : 101 est un disque mille-feuille fascinant et sombre. Un album à étages qui visite les fantasmes sombres de la musicienne et la mort, mais qu’un curieux humour noir, dans les textes comme dans l’artwork, vient régulièrement détourner. Rencontre avec son architecte, spécialiste de la haute voltige.

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101 est ton sixième disque publié en dix ans. Comment appréhendes-tu la sortie de tes albums ? Keren Ann – Je me sens très bien car je suis déjà occupée à d’autres projets. Je travaille sur l’écriture d’un opéra classique, Red Waters, avec Bardi (Jóhannsson, le musicien islandais avec qui elle partage le projet Lady & Bird – ndlr), qui sera mis en scène à Orléans, puis à Caen et à Rouen. Maintenant que le single est sorti, j’ai hâte que l’album paraisse car j’envisage toujours mes disques comme des œuvres complètes, où chaque titre a son rôle, où l’ordre des morceaux a un sens. Comment l’univers de cet album, à la fois noir et joueur, t’a-t-il été inspiré ? Chaque disque a à voir avec ce que je vis. Pas forcément au moment de la composition : parfois, quelque chose du passé revient. Mais ça reste personnel. 101 a une singularité : il m’a permis de développer un certain humour noir, un regard décalé sur les drames de ma vie. Je dis “drame” même si je n’aime

pas trop ce mot, d’autant que j’ai appris à accepter ce qui m’arrivait. Peut-être devrais-je plutôt parler d’obstacles. Tu fais référence à la disparition de ton père ? Ce n’est peut-être pas tant sa mort que sa maladie qui m’a inspirée. J’étais une vraie fille à papa, j’ai toujours eu un regard et des sentiments très forts pour cet homme qui m’a appris énormément de choses. Etre près de lui pendant sa maladie, pendant sa perte de poids, a certainement eu un impact sur ma créativité. On doit rester fort, être là pour quelqu’un qu’on aime, réussir à l’accompagner. Le décalage entre la force que j’ai trouvée en moi à ce moment-là et la difficulté à vivre ce genre de choses m’a permis d’écrire sans me poser de questions, sans chercher à savoir si c’était poétique ou non. Avant, je me demandais cent fois si je devais enrichir tel titre, alléger tel autre. Quand on côtoie la mort, c’est comme

si on était drogué. On s’autorise certainement plus de choses. 101 n’est pas un disque totalement sombre… J’aime les nuances, les équilibres : si le morceau est sombre, le propos sera plus léger. C’est ce qui m’a poussée à développer l’artwork de l’album, ce côté dark avec le sourire aux lèvres… J’ai toujours adoré l’humour noir, cette façon propre au cinéma américain de raconter des drames de manière simple et accessible, comme chez Hitchcock ou Tarantino. J’aime cette façon décalée de parler de meurtre, de crime, de sang. L’écriture permet ce fantasme : se mettre dans la peau de n’importe qui, même d’une personne capable de meurtre. Je ne choisis pas des héros qui suivent le droit chemin, je peux être touchée par chaque manière de voir les choses, la vie, la mort. Et puis j’aime le romantisme, la poésie des gangsters, la fascination que peut provoquer la lecture d’un texte de Bonnie Parker. C’est quelque chose de très présent

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“j’aime les nuances, les équilibres : si le morceau est sombre le propos sera plus ” dans le cinéma mais qui a aussi irrigué la musique. Chez Lee Hazlewood, on retrouve ces intrigues, ces histoires de cow-boys, ces criminels amoureux. On t’a découverte en même temps que Benjamin Biolay, il y a dix ans. Il est devenu un personnage public mais on sait très peu de choses sur toi… Je préserve ma vie privée. Je dévoile des émotions et des fantasmes dans ma musique, mais ça ne dit rien d’officiel sur ma vie personnelle. Je pense que ça n’a d’intérêt pour personne. Peut-être cette opacité est-elle aussi liée à mon mode de vie nomade : il m’est difficile de rester plus de six mois dans le même pays, je suis toujours en mouvement. J’ai besoin du départ, du voyage, d’une vie frivole. Besoin de me lasser d’un lieu et de me languir d’un autre. Le morceau final de l’album est une succession de 101 références et de souvenirs… Pourquoi ce nombre ? D’abord, il y a le psaume 101 de la Bible, qui porte mes initiales et auquel je me suis intéressée. Et puis, un jour, je me suis retrouvée à Taïwan, au cent-unième et dernier étage du gratte-ciel Taipei 101. Quand on se retrouve en haut d’un building comme celui-ci et qu’on regarde le sol, on peut facilement imaginer ce qui se trame dans les rues, dans la sous-ville. J’ai été émue par ce décalage entre les gros boulevards et les petites ruelles, avec tout ce que ça laisse deviner d’histoires cachées. En redescendant chaque étage, j’ai eu l’idée d’un décompte. Le principe était de trouver un souvenir lié à chaque nombre et, à chaque fois, de provoquer une émotion. Cela concerne aussi bien des références personnelles que des choses universelles, comme les fameuses quinze minutes de célébrité de Warhol. Gérer un studio, produire ses propres disques, collectionner les instruments… Sans cliché ni raccourci, ton univers est plutôt masculin. T’est-il arrivé de te sentir seule en tant que femme ? J’ai tenu, dès le départ, à investir dans les micros, les compresseurs, les amplis, les machines, les effets, et bien

sûr les guitares et les claviers. C’est ce qui fait mon son aujourd’hui. C’est effectivement un univers assez masculin, où l’on croise peu de femmes. Il y a Edith Fambuena (ancienne musicienne des Valentins qui a produit des albums de Bashung, Miossec, Etienne Daho – ndlr) avec qui je peux parler de choses techniques pendant des heures. J’accorde beaucoup d’importance à l’aspect technique, au son des disques. La pièce, la hauteur de plafond du studio dans lequel j’enregistre, le son mat d’une batterie, tout compte. Le son est une partie aussi essentielle que l’écriture ou la composition d’une chanson. C’est un choix esthétique, panoramique. Tu composes et produis seule. Est-il facile d’être sa propre juge ? J’ai beaucoup appris en réalisant des projets pour les autres. Ne pas être la personne au centre, c’est quelque chose dont on tire très vite des enseignements. Il faut aussi trouver un équilibre : être à la fois artiste et producteur, savoir différencier les rôles. Lorsqu’on travaille pour les autres, on voit vite ce qui ne va pas. Pour soi, c’est moins évident, il faut prendre du recul. Pour autant, l’exercice n’est pas schizophrène car tout est conscient. On a tous, je crois, cette capacité à se dédoubler dans la vie. Je m’occupe aussi de mon label, de mon business. Ça n’a rien à voir de gérer le budget d’une tournée et de faire les arrangements d’un morceau. C’est une capacité symptomatique de ma génération : la plupart des artistes que je côtoie, en France, aux Etats-Unis ou en Islande, n’ont pas eu d’autre choix que de développer ce côté do-it-yourself. Ce sont souvent des gens qui ont dû bâtir seuls leur propre empire, en étant aussi compétents dans le studio que dans la gestion de carrière. Il me semble que c’est devenu indispensable, dans le contexte de l’industrie du disque, de savoir faire les choses seul. 101 (EMI) www.kerenann.com Concerts les 24 et 25 mai à Paris (Cigale) 2.03.2011 les inrockuptibles 39

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Haute culture : General Idea

NOUVEAU

au MAM de la Ville de Paris (XVIe)

Knockin’ on Heaven’s Door au Centre culturel suisse (Paris IIIe)

scènes

Submarino un film réalisé par Thomas Vinterberg

DVD Deux frères mènent, dans la même ville, des existences parallèles, séparés à jamais par les blessures de l’enfance. Pourront-ils un jour se retrouver et changer le cours de leur des tin ? A gagner : 20 DVD

Pauline Roussille

Pièce de Pascal Rambert pour une danseuse (Tamara Bacci, interprète et chorégraphe suisse) et une guitare, sur quelques-unes des multiples interprétations de la chanson culte composée par Bob Dylan : Knockin’ on Heaven’s Door. A gagner : 3 invitations pour 2 personnes le 16 mars et 3 invitations pour 2 personnes le 17 mars Merci d’indiquer la date de votre choix

expo Première rétrospective (période 1969-1994) en France du collectif canadien General Idea. Le trio “a été le premier à montrer les liens entre la consommation, le rapport à l’information et la sexualité, avec beaucoup d’humour”, affirme Fabrice Hergott, directeur du musée. A gagner : 15 pass coupe-file pour 2 personnes

Ballaké Sissoko et Vincent Ségal

Les Grandes Personnes

à la Cigale (Paris XVIIIe)

au Théâtre de la Colline (Paris XXe)

musiques Deux maîtres de musique, le joueur de kora Ballaké Sissoko et le violoncelliste Vincent Ségal, se retrouvent sur scène pour un duo au sommet. A gagner : 5 places pour 2 personnes le 15 mars

scènes Une pièce de Marie NDiaye mise en scène par Christophe Perton. La mort, la famille, les fantômes, l’héritage, la culture et l’humiliation : autant de thèmes jetés en vrac dans les discussions, et dont l’auteur s’est emparée pour faire jaillir une nouvelle œuvre ciselée et tranchante. A gagner : 20 places pour 2 personnes le 10 mars et 20 places pour 2 personnes le 12 mars Merci d’indiquer la date de votre choix

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pour profiter de ces cadeaux spécial abonnés envoyez vite le titre de l’offre qui vous intéresse par e-mail à : [email protected] Merci d’indiquer vos nom, numéro d’abonné et adresse postale. Si plusieurs dates sont proposées, veuillez préciser votre choix. Les gagnants tirés au sort seront informés par e-mail. Fin des participations le 6 mars

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I tout nu 2.03.2011

édito L‘infraprésident

R

par Thomas Legrand

les ratés de la diplomatie

Rémi Ochlik/IP3

Résumons, en septembre Sarkozy voulait profiter de ses présidences du G8 et du G20 pour lancer une grande opération de lobbying internationale afin de convaincre la planète de l‘urgence d‘un encadrement de la finance mondiale, de lutter contre la spéculation destructrice de nos industries. La voix de la France, l‘activisme du Président, son énergie légendaire devaient enfin se révéler et ainsi “présidentialiser” Sarkozy qui n‘avait, jusque-là, jamais réussi à entrer dans les habits de la fonction. Après la reconduction contrainte de Fillon à Matignon plus l‘abandon du bouclier fiscal, dernier totem structurant de ce qu‘il était convenu d‘appeler le sarkozysme, il ne restait plus à Sarkozy que la politique étrangère, domaine réservé de l‘Elysée, pour tenter de “faire Président”. Et voilà que ce dernier pan s‘effondre. En nommant Juppé au Quai d‘Orsay, en le nommant à ses conditions, c‘est-à-dire en dépeçant la cellule diplomatique de l‘Elysée, la question se pose maintenant, à la façon d‘Alain Badiou : de quoi Sarkozy est-il le pr ésident ?

Avec les Pieds Nickelés Guéant et Levitte au scénario, la politique étrangère, depuis qu‘elle n‘est plus l‘affaire du Quai d‘Orsay, est un pathétique roman-photo.

J

e veux lancer un appel à tous ceux qui dans le monde croient aux valeurs de tolérance, de liberté, de démocratie et d‘humanisme, à tous ceux qui sont persécutés par les tyrannies et par les dictatures, à tous les enfants et toutes les femmes martyrisés dans le monde pour leur dire que la France sera à leurs côtés, qu‘ils peuvent compter sur elle.” Ces propos tenus sur la place de la Concorde le 6  mai  2007 par

Nicolas Sarkozy au soir de sa victoire à l‘élection présidentielle, juste avant d‘aller fêter ça avec ses potes au Fouquet‘s, dessinaient l‘horizon intangible de la nouvelle politique étrangère. Le roman-photo tragicomique d‘une épopée menée par Claude Guéant et Jean-David Levitte, avec Bernard Kouchner et MAM en guest stars, montre que les fruits n‘ont pas tenu la promesse des fleurs. Alain Dreyfus 2.03.2011 les inrockuptibles 41

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Mandel Ngan/Image Forum/AFP

2.03.2011 tout nu II

Alberto Pizzoli/AFP

Patrick Kovarik/AFP

Pour ses premières vacances (à part une petite croisière monacale sur le yacht de Vincent Bolloré), Nicolas Sarkozy avait choisi la Côte Est des Etats-Unis. Invité à déjeuner chez les Bush, le Président est venu sans son épouse, retenue par une angine aussi blanche que (peu) diplomatique. Avec Cécilia, en matière de gaffe, c‘était déjà du sérieux...

Patrick Kovarik/AFP

Lionel Preau/KCS Presse

Invité en décembre 2007, le Guide avait promis de repartir avec 14 Rafale, un essaim d‘hélicos et de signer pour 10 milliards d‘euros de contrats, en échange d‘un grand show officiel, avec Paris à ses pieds et tente de bédouin installée dans la cour de l‘hôtel Marigny. Fiasco financier et triomphe en matière de ridicule : Rama Yade proteste, Bernard Kouchner se cache et Kadhafi s‘exprime au sujet des droits de l‘homme, invitant son hôte à compatir sur le sort réservé aux immigrés dans les cités françaises.

Reçu au Vatican par Benoît XVI en décembre 2007, le chef de l‘Etat français est arrivé avec quinze minutes de retard et en compagnie, entre autres, du comique Jean-Marie Bigard. Vivement intéressé par les propos papaux, Nicolas Sarkozy a consulté ses SMS pendant sa conversation avec le souverain pontife.

”La Françafrique, c‘est fini”, avait dit Jean-Marie Bockel, secrétaire d‘Etat (ex-PS) à la Coopération et pourfendeur des potentats prédateurs. Pour la Françafrique, ce n‘était pas tout à fait fini, mais pour lui, si. Sur ”suggestion” du Gabonais Omar Bongo, Bockel se voit recasé au ministère des Anciens combattants avant de disparaître lors du dernier remaniement.

Ça devait être un des clous du quinquennat : l‘Union pour la Méditerranée (l‘UPM, pas l‘UMP) devait booster les relations des pays riverains. Au sommet fondateur à Paris, le 13 juillet 2008, Moubarak, Ben Ali, et le Syrien El Assad sont invités à prendre les plus hautes fonctions. Malgré les efforts de notre diplomatie, Kadhafi n‘a pas honoré la manifestation de sa présence.

Venu pour quatre  heures en Roumanie, histoire de signer un contrat de coopération bilatéral stratégique de la plus haute importance, Nicolas Sarkozy a voulu sceller l‘événement en conservant par-devers lui un souvenir tangible de cette rencontre. Après examen minutieux, il a empoché le beau stylo qui avait servi à parapher le traité.

Eraldo Peres/AP/Sipa

Dominique Faget/AFP

Daniel Mihailescu/AFP

”L‘homme africain n‘est pas assez entré dans l‘Histoire (…) Dans cet imaginaire (…) il n‘y a de place ni pour l‘aventure humaine, ni pour l‘idée de progrès.” Ces paroles, proférées à Dakar par Nicolas Sarkozy et rédigées par son conseiller Henri Guaino, ont choqué le continent concerné. Magnanime, le président sénégalais Abdoulaye Wade excusera l‘orateur ”victime de son nègre”.

”Le Rafale ? Ils en raffolent !” semblait dire le président VRP en septembre 2009 lors d‘un voyage à Brasilia, sûr de conclure avec Lula la première vente de 36 chasseurs Dassault. Depuis, Lula est parti et les Rafale toujours sur le tarmac. Mais MAM, spécialiste de l‘aérien, est revenue confiante, la semaine dernière, de son entrevue avec Dilma Roussef. On respire…

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Jewez Samad/Topshots/AFP

III tout nu 2.03.2011

UN PUR PRODUIT DE L‘ENA

Michel Euler/Pool New/Reuters

”Obama, c‘est mon copain”, disait Nicolas Sakorzy à l‘issue d‘un de leurs rares tête-à-tête, à l‘été 2008. Différence de tempérament ? ”Le taulier de la planète”, comme l‘appelle son homologue français, est plus réservé avec son camarade de bac à sable, qu‘il oublie d‘ailleurs ostensiblement de saluer avant la photo de famille du G20, en avril 2009 à Londres.

Stéphane Lavoué/Pasco

Avril 2010, en Chine. Après deux ans de brouille pour cause d‘entrevue fort mal vue par Pékin avec le dalaïlama, Nicolas Sarkozy a su éviter, de l‘indépendance du Tibet aux droits de l‘homme, tous les sujets délicats avec Hu Jintao. Des relations apaisées avec la plus puissante des superpuissances qui valent bien une courbette.

Image Forum

Claude Guéant ”Va voir Claude, c‘est comme si tu me voyais”, a coutume de dire Nicolas

Secrétaire d‘Etat à la Coopération et à la Francophonie, Alain Joyandet démissionne en juillet 2010. Il a loué, en mars de la même année, un avion privé pour 116 500 euros pour une conférence internationale organisée en Martinique, et il bénéficié par ailleurs d‘un permis de construire illégal pour agrandir sa maison proche de Saint-Tropez.

Sarkozy en évoquant Claude Guéant, 66 ans, secrétaire général de l‘Elysée, et aujourd‘hui à l‘Intérieur. Ressemblance peu flagrante : quand l‘un joue les ludions, l‘autre, pur produit de l‘ENA et de la préfectorale, cultive l‘austérité. Celui qui fut le directeur d‘une campagne triomphale a la réputation d‘un travailleur acharné doté d‘un solide sang-froid et jouit de l‘estime de politiques qui ne sont pas de son bord, notamment celle du rigoureux Jospin. Il est moins apprécié dans les sphères gouvernementales où son rôle de président bis et ses secs recadrages agacent jusqu‘à François Fillon. En politique étrangère, Claude Guéant s‘est inscrit dans les traces de son premier maître, Charles Pasqua. Il a réactivé les réseaux de la Françafrique et multiplié les contacts personnels avec des dictateurs installés comme Bachar El Assad et Muammar Al-Kadhafi. Discret sur ses goûts, il concède une passion pour Mozart. Vu les circonstances, on l‘imagine plus sensible au Requiem qu‘à La Flûte enchantée. 2.03.2011 les inrockuptibles 43

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Etienne de Malglaive/REA

IL A OUVERT LA VOIE À LA VISITE À PARIS DE KADHAFI

Marc Beckmann/Focus/Cosmos

Ennemi ami de Kouchner, l‘écrivain et médecin JeanChristophe Rufin a démissionné en juin 2010 de son poste d‘ambassadeur au Sénégal : la cohorte des déçus du sarkozisme s‘enrichit  : ”Un ambassadeur ne peut rien faire s‘il n‘est pas pleinement soutenu”, a-t-il dit-il en prenant acte de la marginalisation du Quai d‘Orsay au profit de l‘Elysée.

Olivier Roller/Fedephoto

Sauver la planète, ça vous pose un homme. A la manœuvre avec le brouillon Borloo dans l‘organisation du sommet de Copenhague, Nicolas Sarkozy devait imposer à 170 pays des règles propres à réduire de 50 % d‘ici à 2050 l‘émission des gaz à effet de serre. Résultat ? Cacophonie pour un accord de façade et non contraignant, en particulier pour les pollueurs en chef, la Chine et les Etats-Unis.

Jean-David Levitte

Ni Claude Guéant, ni Jean-David Levitte n‘ont ménagé leurs efforts et leurs voyages à Damas pour normaliser les relations avec la Syrie en échange d‘un désengagement d‘El Assad au Liban. La récente chute du gouvernement libanais au mois de janvier, plongeant le pays dans une nouvelle crise politique, manifeste l‘échec total de Guéant et Sarkozy.

François Lenoir/Reuters

Alfredo Estrella/AFP

Rémy de la Mauviniere/AP/Sipa

”Diplomator”, tel est le surnom au Château de Jean-David Levitte, conseiller diplomatique du Président et ministre des Affaires étrangères de fait puisqu‘il n‘a jamais hésité à doubler le tenant du titre, Bernard Kouchner, et qu‘il s‘exprime ces jours-ci sur les révolutions en cours en lieu et place d‘une Michèle Alliot-Marie totalement larguée. Jean-David Levitte, qui a une belle carrière derrière lui (ambassadeur à Pékin, représentant de la France à l‘ONU, ambassadeur à Washington, et on en passe), n‘a pas de mots assez durs pour dénoncer le comportement du colonel qui fait tirer à l‘arme lourde sur son peuple. La déception, sans doute. En 2007, il avait été l‘un des principaux artisans de la libération des infirmières bulgares par Cécilia Sarkozy, qui avait ouvert la voie à la mémorable visite de Kadhafi à Paris, avec espoirs de ventes d‘armes. A l‘époque, Jean-David Levitte avait plaidé pour que le guide libyen, enfin repenti, bénéficie du ”droit à la rédemption”. La diplomatie est un métier ingrat.

En marge de la visite officielle au Mexique en mars 2009, Nicolas et Carla ont passé un week-end dans la station balnéaire de Manzanillo, réglé, selon l‘Elysée, par les autorités locales. D‘après RTL, le séjour aurait été offert par le banquier Roberto Hernández Ramírez, qui, selon la malveillante presse mexicaine, aurait été mêlé au trafic de cocaïne de 1980 à 1990.

Lors du conseil européen (plutôt rock‘n‘roll) de septembre 2010 sur les expulsions de Roms, le président français rapportait qu‘Angela Merkel lui avait confié son intention de procéder comme lui à des expulsions massives. C‘est totalement faux, a fait immédiatement savoir la chancelière. Bigre... quelqu‘un aurait menti ? Si oui, qui ?

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”Je ne serais jamais ministre”, soupirait Patrick Ollier, handicapé par son idylle avec une grande collectionneuse de postes régaliens (MAM). Enfin nommé, le ministre des Relations avec le Parlement joue de malchance : sauts de puce compromettants sur Air Ben Ali, amitié compromettante avec Kadhafi. Les histoires d‘amour finissent mal, en colonel. En général, pardon.

Alain Guizard/Agence Angeli

Arrivé au gouvernement en French Doctor, Bernard Kouchner en est reparti l‘année dernière en y laissant la plus grande partie de sa popularité. Il n‘a appris qu‘à la fermer et ses trois ans au Quai d‘Orsay, transformé en annexe de la cellule diplomatique de l‘Elysée, l‘ont finalement métamorphorsé en expert dans l‘art d‘avaler des couleuvres.

Lionel Bonaventure/AFP

Laurent Sazy/Fedephoto

V tout nu 2.03.2011

Stringer/Reuters

Nommé au débotté pour remplacer un diplomate qui n‘avait pas anticipé assez vite la chute de Ben Ali, Boris Boillon, 41 ans, prototype du Sarko Boy, ancien ambassadeur en Irak, a réussi l‘exploit d‘insulter des journalistes tunisiens dès sa prise de fonction. On ne sait pas si ce brillant personnage ira loin, en tout cas il va vite.

”Répéter des mensonges n‘en font pas des vérités”, s‘indignait Michèle Alliot-Marie à l‘Assemblée après les premières révélations du Canard sur ses vacances tunisiennes. Dont acte, pourrait-on rétorquer à la ministre des Affaires étrangères, qui s‘est empêtrée dans ses contradictions au fur et à mesure que ses liens avec les milieux d‘affaires proches de Ben Ali se faisaient de plus en plus précis. Totalement discréditée, la ministre au parcours jusqu‘alors sans éclat n‘incarne plus qu‘une chose à la perfection : le naufrage de la diplomatie française. Exit.

Lucas Dolega/EPA/Maxppp

L‘INCARNATION DU NAUFRAGE DE LA DIPLOMATIE FRANÇAISE

Yoan Valat/EPA/Maxppp

En annonçant son intention de dédier l‘année du Mexique en France à Florence Cassez, le chef de l‘Etat a provoqué la fureur de Mexico, qui a illico annoncé l‘annulation des festivités, prises en charge par le pays invité. Cette idée lumineuse, qui ne risque pas d‘arranger les affaires de la détenue, est une catastrophe, pour la programmation comme pour les finances des organisateurs français, chiffrée en millions d‘euros.

Si si, on réfléchit à l‘UMP : on se demande si le grand débat sur l‘islam en France, voulu par Sarkozy et Copé et conçu pour grignoter des voix dans l‘électorat de Marine Le Pen, est réellement opportun, au moment où le monde arabe semble être pris d‘une fièvre non intégriste, mais démocratique. Rachida Dati et Patrick Devedjian, mal en cour à l‘Elysée, sont contre. Tout comme Alain Juppé, au zénith, qui a fait part lui aussi de son manque d‘enthousiasme.

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la Libye de Guaino

Monsieur Guaino, nous avons reçu l’information que vous avez passé les fêtes du jour de l’an à Tripoli… Exact ! Et alor s ? Vous pouvez en dire plus ? Oui, je suis allé passer mes vacances de Noël chez l’ambassadeur de France à Tripoli. De France ! A titre personnel. J’étais logé dans la résidence de l’ambassadeur de France et avec notre ambassadeur à Malte, Daniel Rondeau, qui était aussi invité car ce sont des amis. L’ambassadeur, ayant une vie privée, invite ses amis et j’y suis allé à ce titre-là. Quand ? Quatre jours et quatre nuits autour du 31 décembre. Y avez-vous rencontré des officiels libyens ? Pas du tout. Vous pouvez le vérifier en consultant l’ambassadeur de France à Tripoli. C’était un voyage privé, pour des raisons privées, chez l’ambassadeur de France, dans sa résidence à lui, et voilà. J’ai profité de l’occasion pour visiter la ville, mais je ne me suis pas du tout occupé de la Libye tout simplement parce qu’elle n’est pas dans l’Union pour la Méditerranée. Et c’est d’ailleurs la première fois que j’y mettais les pieds. Vous n’avez pas rencontré Kadhafi ? Pas du tout. Je ne l’ai jamais rencontré de ma vie. Est-ce que le régime libyen a fait des gestes dans votre direction lorsque vous y étiez ? Il était forcément au courant de votre visite… Il est difficile d’être dans ces pays sans qu’ils soient au courant, l’ambassadeur d’ailleurs les avait prévenus. Et nous avons bien entendu remarqué avec ma famille que dans nos déplacements en ville nous étions “escortés”. Sinon, je n’ai

Laurent Troude/Fédéphoto

Henri Guaino était à Tripoli, à l’ambassade de France, “quatre jours et quatre nuits autour du nouvel an”. Qu’y faisait le conseiller spécial du Président ? Nous lui avons posé la question. rencontré personne, sur le tarmac, qui m’a offert de me transporter en avion privé ! Nous avons même payé nos billets d’entrée pour nos visites archéologiques. J’ai payé notre billet d’avion et nous avons voyagé normalement sur une compagnie d’Etat libyenne. Aucune invitation officielle à venir participer aux festivités du nouvel an organisées par la présidence ? Où avez-vous passé le nouvel an à Tripoli ? Je n’ai reçu aucune invitation. Si c’était le cas, je vous le dirais, il faut sortir de la paranoïa. Il n’y avait aucune rencontre, aucune discussion, aucune invitation officielle. Et officieusement ? Vous n’avez pas été tenté de prendre langue avec des officiels l ibyens ? Pas du tout. Pourquoi ? Parce que la Libye est un dossier dont je ne m’occupe pas. Mais en avez-vous, avant votre voyage, discuté avec Nicolas Sarkozy ? J’ai informé le Président et son secrétaire général, Claude Guéant, du fait que j’allais en Libye, car c’est normal qu’ils sachent où se trouve leur conseiller spécial pendant les fêtes. Et qu’ont-ils dit ? Rien. Enfin, si. Le Président a souri, et m’a dit  : “Tiens, qu’est-ce que tu vas faire là-bas ?”

CES VACANCES, J’AURAIS PU AUSSI BIEN LES PASSER À DAMAS OU ALGER

Et p uis ? Je lui ai répondu que j’étais invité par l’ambassadeur qui est un vieil ami, et voilà. Car je le connais depuis longtemps, quand il était le conseiller diplomatique de Jean-Pierre Chevènement. Est-ce que Sarkozy et Guéant vous ont proposé de profiter de ce voyage pour rencontrer quelqu’un ? Pour passer un message en Libye ? Non. Rien du tout. Mais je reconnais que cela aurait pu arriver. Cela aurait pu être une mission de conseiller spécial, mais non, aucune idée de ce genre n’est venue sur la table. Vous ont-ils donné, en raison de votre statut et de la situation libyenne, des recommandations, des précautions à prendre pour ce voyage privé ? Aucune. Je n’y allais pour traiter aucun dossier. Je n’ai reçu aucune contre-indication de la part du Président. Je faisais un voyage tout ce qu’il y a de plus banal. … t ouristique ? Amical, d’abord. En revenant de Tripoli, qu’avez-vous raconté à Nicolas Sarkozy ? Rien. Vous savez, j’avais été frappé par l’atonie de Tripoli. C’est un régime très policier mais où l’on ne voyait pas les policiers, ce qui est le comble du contrôle. Rien de plus. Vous ne trouviez pas embarrassant, ou sujet à polémique, qu’un conseiller du Président puisse passer des vacances privées chez Kadhafi ? Je n’étais pas chez Kadhafi : j’étais en Libye chez l’ambassadeur de France. Ne tombons pas dans un terrorisme moral. On peut très bien visiter un pays avec lequel nous avons des relations diplomatiques normales. Il y a là-bas des hommes d’affaires français ! Nous n’étions pas en Tunisie : il n’y avait pas de manifestations, il n’y avait pas de morts. C’est d’ailleurs de là-bas que j’ai commencé à suivre les premières manifestations tunisiennes et à prendre conscience de l’importance de cette actualité. Mais à Tripoli, il n’y avait absolument rien. Chacun tirera les conséquences qu’il veut, mais je n’ai pas répondu à l’invitation d’un ministre pour aller passer des vacances chez lui ! Je n’ai pas non plus été invité par un homme d’affaire libyen, et je n’ai négocié aucun marché avec la Libye. Ces vacances-là, j’aurais pu aussi bien les passer à Damas ou Alger. C’était un plaisir de vous raconter mes vacances ! propos recueillis par Michel Despratx

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VII tout nu 2.03.2011

piqué, Piketty réplique

propagenda

Pour une révolution fiscale, l’essai de Thomas Piketty, a fait l’effet d’une bombe dès sa sortie. Mais il a aussi suscité des critiques, pas toujours amènes ni fondées… Réplique de l’auteur.

A

vec leur essai Pour une révolution fiscale (Seuil), Thomas Piketty et ses deux coauteurs, Camille Landais et Emmanuel Saez, donnent un cours magistral d’économie fiscale, doublé d’un succès d’édition. 25 000  exemplaires mis en place les deux premières semaines. Et près de 200 000 personnes connectées sur le site de simulation en ligne (www.revolution-fiscale.fr) pour s’amuser à tout recalculer, du budget d’un ministère à l’impôt d’un haut revenu. Le trio propose un système de calcul de l’impôt sur le revenu (IR) plus simple, et surtout plus juste. En l’état actuel, le mode de calcul est incompréhensible. Plus encore, il fait que les 5 % de Français les plus riches paient proportionnellement moins que les autres. Les auteurs suggèrent de repenser complètement ce calcul sur le modèle de la contribution sociale généralisée (CSG), en fusionnant les deux. Leurs propositions, résumées ? Prélèvement à la source sur le salaire, progressivité de l’impôt en fonction du revenu, individualisation (dans un couple, chacun payera sa part de son côté) et, pas moins essentiel, suppression des niches fiscales qui mitent le système et créent de l’inégalité. Au moment même où Nicolas Sarkozy suggère de supprimer l’IRS (impôt de solidarité sur la fortune), c’est sûr que ça change ! Et que ça fait grincer des dents. Début février, Le Figaro publiait une tribune assassine intitulée ”Contre le totalitarisme fiscal”, aussitôt suivie de “L’Inquiétante révolution fiscale”, billet assez acide paru dans Les Echos. La quarantaine élégante et décontractée, Thomas Piketty répond tranquillement à ses détracteurs. 1. “Son étude a été payée par l’Etat, puisqu’il est fonctionnaire !” Cette critique, un peu basse, est venue de l’i-FRAP (Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques), thinktank néo-libéral. Réplique de l’intéressé :

Thomas Piketty – “Mon premier poste, après ma thèse, a été au MIT de Boston. En rentrant en France pour rejoindre le CNRS d’abord, puis l’EHESS et l’Ecole d’économie de Paris, j’ai fait le choix d’un système d’enseignement libre et ouvert à tous. Au passage, j’ai divisé mon salaire par quatre. Et il aurait fallu en plus que j’abandonne mes idées ?…” 2. “La retenue à la source est contre nature.” “Cette proposition fait tiquer car elle va à l’encontre de cette vieille idée selon laquelle un impôt citoyen doit faire souffrir. C’est le cas dans le mode déclaratif actuel  : on ‘paye‘, dans tous les sens du terme, en faisant le chèque. L’argument est assez fou, mais il ne faut pas en sousestimer le poids.” 3. “Lésés, les riches vont fuir en masse.” “Dans les dix dernières années, les revenus en haut de l’échelle ont enregistré une très forte hausse. Or, le rééquilibrage que nous proposons avec l’impôt reste très relatif, et très inférieur à cette hausse. Sérieusement, rien qui puisse pousser les riches à s’enfuir…”

4. “La famille traditionnelle est menacée !” “En l’état, l’IR est encore calculé sur la base du couple, avec le système des parts. Chez un couple à revenus égaux, cela ne rapporte rien. Cela rapporte uniquement quand les revenus sont inégaux, par exemple si l’homme gagne plus que sa femme. L’impôt s’en trouve réduit, mais avec une conséquence perverse  : ainsi allégé, le couple se trouve encouragé à ne rien changer. Et surtout pas à décrocher un meilleur job pour la femme. Nous proposons, nous, le passage à l’individualisation, système déjà en place pour la CSG, dans lequel chacun, dans le couple, à son niveau de revenu, existe pour lui-même. C’est la seule façon d’assurer la neutralité vis-à-vis des différentes formes de vie privée et familiale. Une bonne chose, non ?” “La révolution fiscale” a aussi laissé interdits beaucoup de penseurs de la gauche socialiste, dont Piketty est pourtant proche. Va falloir qu’il se décident. Car l’élection présidentielle se jouera beaucoup sur ce chapitre. [email protected] photo David Balicki 2.03.2011 les inrockuptibles 47

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débat d’idées

Défilé à Yaoundé, pourcé lébrer l’indépendance duC ameroun, le 1er janvier 1960

Cameroun, la guerre cachée

Trois historiens révèlent dans une enquête détaillée la réalité d’une guerre menée par la France, qui a mis le Cameroun à feu et à sang dans les années 1950-60.

L

e titre de l’ouvrage de Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa est Kamerun !, pas “Cameroun”. Ce n’est ni un hasard ni une coquetterie. Cette orthographe se réfère à la colonie allemande originelle qui, après la Première Guerre mondiale, sera répartie entre la France, à l’est, et la Grande-Bretagne, à l’ouest. Kamerun est l’orthographe utilisée par l’Union des populations du Cameroun (UPC), mouvement contestataire créé en 1948, qui est au cœur de cette enquête de quatre ans sur les activités et manipulations de la France dans son ancienne colonie à laquelle elle n’a jamais accordé une véritable autonomie. Le but de l’UPC était la restauration de l’intégrité du territoire camerounais (dans sa configuration allemande) et la fin de la tutelle française. Pour la France, c’était inconcevable.

Au moment même où l’indépendance était déclarée en 1960, la guerre, qui avait commencé quelques années plus tôt, faisait toujours rage. L’UPC, qui était entrée dans la clandestinité puis la lutte armée après son interdiction en  1955, était au cœur d’un conflit colonial du même ordre que celui de l’Algérie, mais qui, lui, est resté secret (jusqu’à la diffusion il y a deux ans du documentaire Cameroun, autopsie d’une indépendance de Gaëlle Le Roy et Valérie Osouf). Une guerre sale et violente téléguidée par la France, dont le déclencheur avait été l’action résistante de l’UPC (sabotages, mises à sac, attentats), prétexte à des exactions sans nom (bombardements, incendies, massacres de civils, torture, camps de concentration, etc.) de l’armée franco-camerounaise. Le nombre de victimes oscille, selon les sources, entre 20 000 et 400 000. Ce qui reste

AFP

LA RICHESSE PÉTROLIÈRE DE L’AFRIQUE OCCIDENTALE, Y COMPRIS CELLE DU CAMEROUN, A ÉTÉ SIPHONNÉE DÈS LES ANNÉES 70 flou, à la lecture du livre, annonçant en couverture les dates de 1948-1971, c’est la durée effective du conflit. Il semble qu’il se soit déroulé entre 1956 et 1964, de façon de plus en plus sporadique, au fur et à mesure de l’écrasement de la rébellion armée (dont les chefs, Um Nyobè, Moumié, Ouandié, seront assassinés un par un). Après quoi, le maquis de l’UPC, de plus en plus isolée, persistera dans le pays bamiléké jusqu’en  1970, en cessant d’être une menace réelle pour le pouvoir. Autre aspect qui n’apparaît qu’à la toute fin du livre, et qui est sans doute une des clés de la Françafrique : l’accaparement méthodique, sous la houlette de Jacques Foccart, le monsieur Afrique de De Gaulle, de la richesse pétrolière de l’Afrique occidentale, y compris celle du Cameroun, siphonnée par Elf dès les années 1970. Après cette guerre “de pacification”, les affaires ont continué comme avant. Malgré les grandes dénégations de la France, l’emprise militaro-économique se poursuit. Paul Biya, président actuel du Cameroun depuis 1982, “est en 2010 encore entouré par des conseillers français”, écrivent Deltombe, Domergue et Tatsitsa. “Les Camerounais savent que l’argent des contribuables français (…) continue (…) de financer la formation et l’équipement de ses forces de l’ordre.” Au-delà de son analyse précise du déroulement de cette guerre interne, ce livre remet les pendules à l’heure, démontrant que la décolonisation n’a pas vraiment commencé. Vincent Ostria Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique 1948-1971 de Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatitsa (La Découverte) 744 pages, 25 €

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Calamity Jenn Sa prestation dans le western moderne Winter’s Bone lui a valu une nomination aux oscars comme meilleure actrice. Jennifer Lawrence est, à 20 ans, la nouvelle sensation d’Hollywood. par Jacky Goldberg photo Philippe Garcia

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e 28 février sonne habituellement la fin de la période de chasse. C’est aussi la fermeture de la saison des oscars, ce semestre à haut risque où studios et indépendants, acteurs et réalisateurs, compositeurs et costumières jettent leurs forces dans la bataille dans l’espoir d’arracher une statuette. Dans sa grande magnanimité, l’Académie a depuis longtemps pris l’habitude de nommer dans les catégories meilleure actrice ou meilleur second rôle féminin une jeune fille encore méconnue, de préférence issue d’un film indépendant/coup de cœur. Cette année, c’est Jennifer Lawrence, à l’affiche de l’excellent Winter’s Bone, qui bénéficie de ce coup de projecteur après Carey Mulligan, Ellen Page, Saoirse Ronan ou Amy Adams. Rarement le choix des sages nous a paru aussi judicieux. La jeune femme, 20 ans à peine, impressionne dans ce western sec, physique et tendu où elle est quasiment de chaque plan. Auréolé d’un Grand Prix à Sundance et nommé quatre fois aux oscars (notamment comme meilleur film), Winter’s Bone, de Debra Granik, se trouve être le parfait véhicule pour une actrice débutante et ambitieuse. Cela n’a pas échappé à Jennifer Lawrence : “Un jour, mon agent m’appelle : ‘j’ai trouvé le meilleur scénario possible, tu dois tout faire pour avoir le rôle’… Je suis donc allée à Los Angeles et j’ai passé deux auditions. Ils ne m’ont pas prise : ils me trouvaient trop jolie ! Quand je l’ai appris, Debra était déjà repartie à New York. J’ai sauté dans un avion, je n’ai pas dormi de la nuit, je me suis rendue dans ses bureaux

en courant, sous la neige, et je l’ai suppliée de me redonner une chance. Cette fois-ci, elle ne m’a pas trouvé ‘trop jolie’.” L’anecdote, qu’on devine savamment préparée, donne une idée assez exacte du personnage : affaissée sur le canapé, impeccablement apprêtée et légèrement boudeuse, Jennifer Lawrence semble à peine sortie des affres de l’adolescence tout en laissant l’impression de savoir exactement ce qu’elle veut. “Je ne me sens bien que sur un plateau. Mais j’ai conscience qu’il faut en passer par des interviews et des cérémonies guindées pour y avoir droit”, reconnaît-elle avec une franchise qui détonne. Pour ce rôle d’Antigone moderne à la recherche d’un père volatilisé, elle dit n’avoir pas tellement puisé en elle-même, tout en reconnaissant son entêtement (“mais seulement d’un point de vue professionnel”) et un côté maternel (“certains de mes amis m’appellent ‘mom’”). Née dans une petite ville du Kentucky, elle concède avoir eu peu d’efforts à fournir pour assimiler les intonations du Missouri – le film se situe dans un comté très reculé de l’Etat – ainsi que certains gestes pourtant peu communs pour une jeune fille, comme éviscérer un écureuil. D’un naturel impressionnant tout au long du film, Jennifer Lawrence doit être, se dit-on, le genre d’actrice programmée pour la gloire, se rêvant star depuis le berceau… Erreur : “Je serais incapable de vous dire ce qui m’a donné envie de faire ce métier. Je n’ai

elle a facilement assimilé certains gestes peu communs pour une jeune fille, comme éviscérer un écureuil

jamais fait de théâtre ou pris de cours d’art dramatique, je vais depuis peu au cinéma et mes parents ne sont pas du métier… A 14 ans, j’ai juste su que je voulais faire ça et rien d’autre.” Et de convaincre sa famille de déménager à New York… Dans la métropole, elle multiplie les castings et après quelques pubs se fait embaucher à la télé dans une sitcom intitulée The Bill Engvall Show. Sa carrière est lancée. A 17 ans, elle passe à côté de Twilight mais décroche un rôle dans un film indépendant, The Poker House de Lori Petty. L’année suivante, Guillermo Arriaga l’engage dans son film Loin de la terre brûlée. Elle y joue le même rôle que Charlize Theron (son actrice préférée, avec Meryl Streep, Cate Blanchett et Julianne Moore) avec quinze ans de décalage. On garde du film un souvenir assez précis de cette gamine opiniâtre et flippante, bien décidée à faire cramer maman dans une caravane au milieu du désert – rôle qui lui vaudra un prix au festival de Venise. Désormais installée à L. A., elle croule sous les propositions. Avant le prochain Oliver Stone (Savages, en préproduction) et un nouveau volet de X-Men (“Le Commencement”, en salle cet été), dans le rôle de l’ultraplantureuse Mystique, les Américains pourront la voir au printemps dans le troisième film de Jodie Foster, The Beaver (“le castor” en français). Elle y joue la belle-fille de Mel Gibson, pdg dépressif reconverti dans le ventriloquisme – d’où le castor... Nous revient en mémoire ce que Jennifer Lawrence fait subir à ce pauvre écureuil dans Winter’s Bone, et l’on se dit que certains animaux poilus feraient bien de prendre garde. Lire la critique du film p. 100

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le juge qui voulait nettoyer les ordures Les entrepreneurs véreux et le détournement d’offres publiques, c’est sa spécialité. Depuis deux ans, Charles Duchaine fouille le marché des poubelles de Marseille, verrouillé par Alexandre Guérini, le frère du sénateur PS. Une affaire à la hauteur de son ambition. par Xavier Monnier

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Marseille, même les résultats de l’OM passent au second plan. Les élus locaux s’angoissent et l’histoire remue la ville depuis deux ans : avant de quitter son poste après un septennat d’exercice, le juge d’instruction Charles Duchaine voudrait boucler la plus grande affaire des vingt dernières années, celle que le magistrat et ses gendarmes ont nommée “Guernica”. Le dossier concerne les marchés présumés truqués du département, et particulièrement du traitement des déchets, avec détournement d’offres publiques : il paraît aussi complexe que le chefd’œuvre de Picasso. De grands noms, de Marseille à Paris, jusqu’à l’Elysée, affleurent au fil de la procédure. L’histoire s’enclenche après une lettre anonyme datée du 2 février 2009, qui dénonce des malversations présumées des frères Guérini, Alexandre et Jean-Noël, responsables du Parti socialiste marseillais des années 2000 et natifs de Calenzana, en Haute-Corse.

Jean-Noël est sénateur, président du conseil général, secrétaire de la fédération socialiste, le plus visible des deux. Alexandre, dit Alex, grande gueule et businessman, s’occupe, lui, du marché des ordures, pèse sur l’attribution des marchés publiques, la bonne tenue du parti. On le soupçonne de relations avec des milieux louches. La lettre anonyme, neuf pages, dénonce un système qui oppresse la ville à cause de la passivité du monde politique, droite et gauche confondues. Il y a danger à se saisir de l’affaire vu ses dimensions politiques locales et nationales. Le directeur de cabinet de Sarkozy, Christian Frémont, a officié comme préfet de la ville ; Bernard Squarcini, à la tête de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), comme préfet de police. Suez et Veolia possèdent de nombreux marchés dans la ville, que certains s’amusent à nommer “Veolialand”. Qu’importe. Duchaine, passionné de sports mécaniques, adore les frissons. Haute stature, le magistrat arrive toujours au palais en moto.

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Il ouvre le dossier le 16 avril 2009. Le 27 avril, il trouve sur son bureau la retranscription d’une conversation entre Jean-Noël et Alexandre Guérini. Jean-Noël – “… Il me dit bon, il me dit, l’enquête préliminaire sera ouverte. A mon avis, ça doit être pour les décharges, Alex. Alexandre – Hé, qu’est-ce que tu veux que ce soit ? Jean-Noël – Hum, mais de toute façon au bout de trois ans y a prescription, ils peuvent rien faire (…) Alexandre – Ouais, dis-moi… Euh… Demande le service que c’est quand même. Jean-Noël – Oui, oui, demain, hein. Alexandre – Avec précision, bien sûr, demain.” Traduction : Jean-Noël Guérini apprend à son frère Alexandre que la justice vient d’ouvrir une enquête contre eux à la suite d’un courrier anonyme. Leur informateur se trouve alors à Madrid où Nicolas Sarkozy effectue une visite. A ses côtés, Renaud Muselier, député UMP de Marseille, alias “la dinde” ou “le docteur” dans les écoutes, que les frères

Pierre Murati/MaxPPP

Le juge Charles Duchaine, ici à Bastia

soupçonnent d’avoir envoyé la lettre anonyme. Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale, Bernard Squarcini et un général de gendarmerie accompagnent aussi le président de la République. A 48 ans, “Duduche”, comme on le surnomme, est devenu un spécialiste des dossiers financiers complexes qui mélangent politiques, mafieux, entrepreneurs véreux et marchés publics. Un champ vaste, dense et bouillant que laboure le juge paysan. Et à Marseille, la terre est fertile. Entre influence corse, chaleur méditerranéenne et clientélisme atavique, les dossiers s’empilent. Le juge est devenu une curiosité de la ville. En janvier 2008, déjà, il avait fait emprisonner Jean-Christophe Angelini, un élu corse, à la sortie d’un restaurant parisien où il déjeunait avec le “Squale”, surnom de Bernard Squarcini. Quelques jours après, Eric-Marie de Ficquelmont, ami d’enfance de Frédéric 2.03.2011 les inrockuptibles 53

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Péchenard était arrêté puis relâché sans charge. Tout ce beau monde figurait dans le dossier de la SMS, une entreprise de sécurité montée par un ancien nationaliste, Antoine Nivaggioni, soupçonné d’avoir truqué des marchés publics. “Le juge n’est pas diplomate, sourit aujourd’hui un de ses collègues de l’instruction. Quand il tape, il tape.” Ça agace en haut lieu. A l’époque, Duchaine avait convoqué le personnel des RG pour audition : les renseignements généraux étaient soupçonnés d’avoir alerté Nivaggioni de l’avancée de l’enquête, et celui-ci avait disparu pendant dix-huit mois. Dans le bureau du juge, on trouvait alors des flics corses, réputés proches de Squarcini, et le futur préfet de police de l’île de Beauté, Jean-François Lelièvre. Ce genre de remue-ménage n’émeut guère le juge. L’affaire Guérini n’arrange rien à sa réputation et à ses rapports avec Bernard Squarcini. Le 8 octobre 2009, sept mois après l’ouverture de l’enquête, Alexandre Guérini reçoit un texto de son avocat Olivier Grimaldi. “Le Squale a dit que tout était écrasé et que des coups de fils avaient été passés.” Proche de Jean-Noël Guérini, avec qui il a effectué sa rééducation cardiaque, le directeur du renseignement Squarcini n’a vu que deux fois Alexandre, selon ce dernier. Mais en audition, l’avocat fait une drôle de déclaration : “Alexandre Guérini était très inquiet au regard des articles de presse qui sortaient, je pense qu’il a essayé de s’informer auprès des services de M. Squarcini.” Etrange, car le 8 octobre 2009, la presse n’a encore publié aucun article sur une instruction qui ne sera dévoilée que le 17 novembre suivant. Et le nom de Squarcini n’apparaît pas dans les écoutes. Pas de preuve, seulement un soupçon. Après les multiples révélations dans la presse sur ses discussions avec son frère Alexandre, Jean-Noël a porté plainte pour violation du secret de l’instruction. “Nous avions déposé plainte le 6 février, précise son avocat Me Dominique Mattei, nous l’avons à

Duchaine aime les gros coups de filet, les enquêtes médiatiques

Bruno Coutier/Nouvel Observateur

Jean-Michel Sicot/Fedephoto

Jean-Noël Guérini (ci-dessus), président du conseil général, aurait prévenu son frère Alexandre (à droite) que le juge ouvrait une enquête sur eux

nouveau fait en nous étonnant que notre première action n’ait eu aucun effet. Au moins là, une enquête préliminaire a été ouverte le 19 février, et confiée à la police judiciaire.” Or, Duchaine se trouve en mauvais termes avec les policiers. Un haut flic marseillais qui a bloqué l’une des enquêtes du juge est dans le collimateur de l’Inspection générale de la police (IGPN). Ce commissaire a des rapports un peu trop proches avec les malfrats de la région. De la porosité, comme on dit à Marseille. Il peste ostensiblement contre le magistrat dans les couloirs de l’Evêché, le commissariat central de Marseille. “Il est presque impossible de dessaisir Duchaine”, tempère un avocat impliqué dans le dossier. De toute façon, le parquet le soutient totalement. Le procureur de Marseille Jacques Dallest dit souvent “qu’il peut être caractériel, mais que s’il n’y avait que des juges comme lui, les affaires aboutiraient plus souvent”. Duchaine est un colérique et ne le cache pas. Bien des avocats ou des prévenus ont été témoins de ses sautes d’humeur ou ses coups de gueule contre les journalistes qui bénéficient des fuites… “C’est à cause de gens comme ça qu’on se retrouve avec des morts dans les dossiers”, déclara-t-il un jour devant des avocats médusés. Peut-on écarter Duchaine par une promotion ? Le magistrat se montre assez honnête pour avouer que sa carrière ne le laisse pas insensible. Un avocat bien en cour à l’Elysée lui a proposé un poste dans le privé. Duchaine a refusé : “Franchement, s’ils veulent m’acheter, ils pourraient y mettre les moyens”, a-t-il blagué devant un collègue parisien. Duchaine espérait obtenir la direction de l’Agence de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, qui sert à gérer les biens issus du grand banditisme. On la lui a refusée malgré une promesse et sa participation à la rédaction du texte de loi qui institue l’agence. “C’est un juriste fin, un professionnel foncièrement honnête, explique un avocat de la galaxie Guérini. Mais c’est un être complexe, dépité devant le manque de moyens de la justice et parfois ses lenteurs, ses dysfonctionnements.” On peut s’en rendre compte en lisant son livre titré Juge à Monaco (Michel Lafon). Charles Duchaine y raconte son expérience de magistrat détaché dans la principauté entre 1994 et 1999. Il parle de sa famille (marié, deux enfants), rend hommage à sa greffière, et se révolte contre la justice de classe, mais dévoile son goût pour les grands coups de filets, les enquêtes médiatiques qui parfois le rendent “excité comme un gamin”. Mégalo ? “Non, aveuglé par le goût du résultat”, dit ce même avocat. A Monaco, il se fera fort de boucler la première enquête pour blanchiment avéré dans le micro-Etat. Ce sera sa seule satisfaction. Daniel Ducruet, l’ancien époux de la princesse Stéphanie de Monaco, le fera condamner pour diffamation à la parution du livre. Cette volonté de sortir des affaires lui a valu une violente campagne de sa hiérarchie. Ironie de l’histoire, son ancien supérieur, Jean-Pierre Picca, est aujourd’hui le conseiller justice de Nicolas Sarkozy – et a donc un pouvoir sur la promotion des juges. Sur l’avenir de Duchaine, les paris sont ouverts. Quelle affaire va-t-il encore débusquer ? Quel homme politique va-t-il convoquer ? Et surtout, où va-t-il partir ?

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NOUVELLES COLLECTIONS PRINTEMPS-ÉTÉ 2011

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LE PANTALON CHINO Cet été, le “chino” est le nouveau jean, tant ce légendaire pantalon en toile de coton venu des U.S.A. fait un carton. Basique, unisexe et confortable, il se porte avec ou sans pinces, baggy ou droit, plus ou moins roulotté en bas. Chacun le sien, à choisir dans une palette de nouvelles couleurs, du beige d’origine à des coloris inédits. De gauche à droite : Chino, AVANT PREMIÈRE, coton, 49,99 €. Chino, DOCKERS ®, 98 % coton, 2 % élasthanne, 100 €. Chino, DOCKERS ®, coton, 91 €. Chino, ESPRIT, coton, 59,95 €.

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LA CHEMISE FRIPE D’inspiration vintage, délavée, froissée, usée, la chemise fripe donne toujours l’impression d’avoir vécu. En denim ou en chambray, en imprimés Liberty ou à carreaux western, elle ajoute du style à la plus simple des silhouettes. Portée avec un jean, un ceinturon, ou libre façon liquette, c’est maintenant une pièce incontournable de votre dressing. De gauche à droite : Chemise, LAFAYETTE HOMME, coton, 39,99 €. Chemise, LAFAYETTE HOMME, coton, 39,99 €. Chemise à carreaux, LAFAYETTE HOMME, coton, 49,99 €. Chemise imprimé fleurs, AVANT PREMIÈRE, coton, 39,99 €.

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LE TOTAL LOOK JEAN Toujours dans tous ses états, le blue jean de la saison aime prendre ses aises. Tantôt d’un brut à la limite de la perfection, tantôt d’un laisser-aller plus qu’usé, plus rien ne semble l’arrêter. Moustaches, trous, délavages… À chacun le sien, selon son humeur. Sans oublier de le retrousser. De gauche à droite : Jean, PEPE JEANS, coton, 75 €. Jean, AVANT PREMIÈRE, 99 % coton, 1 % élasthanne, 29,99 €. Jean slim, AVANT PREMIÈRE, 98 % coton, 2 % élasthanne, 29,99 €. Jean, KAPORAL 5, coton, 75 €.

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LE SWEAT MOLLETON Hybride malin entre pull et T-shirt, le sweat-shirt envahit la ville. Il vous faut le vrai “hoodie” à l’américaine, celui avec les poches kangourou, la capuche et un molleton tout confort. Zippé ou pas. L’essentiel est qu’il ait l’esprit sport et l’allure dynamique. À glisser sur un rien, ou presque, et à associer à un bermuda cargo, pour le style. Sweat capuche, AMERICAN EAGLE, coton, 55 €. Sweat capuche zippé, AMERICAN EAGLE, coton, 59 €. 6

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LE SAC EN TOILE ET CUIR C’est l’un des best-sellers annoncés de l’été. Les bi-matières et autres bi-couleurs font un carton au rayon maroquinerie. Avec, en vedette, le mélange toile et cuir naturels, à l’esprit toutterrain. Le duo parfait, robuste et léger, pour des sacs grands volumes qui vous suivent au quotidien. Sac 48 h, LAFAYETTE HOMME, coton garni polyuréthane, 79,99 €.

LE MOCASSIN SOUPLE Directement inspirés des “car-shoes” ou “chaussures de conduite” en vogue dans les années 50, les mocassins souples font un carton cet été. À mi-chemin entre les baskets, dont ils ont le confort, et les chaussures de ville, dont ils gardent l’élégance, leur style simple et décontracté se vit au quotidien, rythmé par une infinie palette de couleurs. À porter impérativement pieds nus. Mocassin, GALERIES LAFAYETTE PARIS, cuir velours, 5 coloris, 89 € la paire.

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boucles d’oreilles, collier et bague Chanel, fabriqués à Plailly

soutien-gorge et culotte Eres, à Bonnétable

sac Constance Hermès, à Pantin foulard Meilleur Ami, à Paris

manteau Sprung Frères, à Paris

Elles s’appellent Bleu de Paname, Archiduchesse ou French Trotters. A contre-courant des délocalisations systématiques, ces jeunes marques se réapproprient le made in France. par Marc Beaugé photo Estelle Rancurel stylisme Delphine Brossard

salomés Repetto, à Saint-Médard

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“toutes les semaines, nous sommes sur place. A la moindre question, les usines peuvent nous appeler”

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On cherche une marque française qui fabrique en France et on nous rigole gentiment au nez. En l’espace de cinq minutes, le manager d’une ligne de baskets en toile nous balance que “cela n’aurait aucun sens financièrement”, et la boss d’une collection de fringues accolée à un label de musique nous dit que ce serait “une galère pas possible”. “Demandez sur le stand d’à côté, je crois qu’ils font ça…”, suggère-t-elle tout de même. Pas de chance, la marque voisine ne produit plus rien en France depuis cette saison. Fin janvier, à Paris, dans les allées de Capsule, salon couru par de nombreuses marques émergeantes et quantité d’acheteurs, la production française est invisible, inconcevable. Les marques tricolores présentes y ont renoncé et assument crânement. “Pour nous, produire en France, ce serait trop cher, trop long, trop compliqué”, résume un designer, presque surpris que l’on puisse même considérer le made in France comme une option viable en 2011. A rebours de la logique de délocalisation, c’est pourtant le parti que viennent de prendre plusieurs jeunes marques de très bon goût. Elles ont pour nom Bleu de Paname, Bérangère Claire, Robinson les Bains, Archiduchesse, French Trotters, Veam, Pigalle, Bronzette, Bleu de Chauffe, Meilleur Ami ou Emissar, et font produire leurs collections à Dax, Limoges, Roubaix, Troyes ou Paris. Quelques jours plus tard, on est chez Bleu de Paname, dans un hangar au bout

d’une petite rue du XIe arrondissement. Sur des racks s’entassent les prototypes et les anciennes collections de la marque. Dans un coin, des boîtes remplies d’étiquettes en tout genre. Thomas Giorgetti, cocréateur de la marque, sourit : “Oui, oui, on s’occupe de ça nous-mêmes ici”. La semaine précédente fut d’ailleurs bien chargée : à deux, ils ont géré plus de deux mille étiquettes. Chez Bleu de Paname, tout, à l’exception de quelques toiles de jeans en provenance du Japon, est made in France. Si l’essentiel des tissus vient d’une usine des Vosges, la confection se divise entre Roubaix, Villeneuve d’Ascq, Dax et un village du Massif central. Les finitions sont réalisées à Paris, dans ce minuscule atelier par lequel transite chaque pièce avant d’être expédiée en magasin. “Le souci principal, c’est la qualité, dit Thomas Giorgetti, appuyé à la table de travail. En faisant produire en France, on a des garanties sur la fabrication et on a surtout la possibilité de suivre de près chaque étape de la production. Toutes les semaines, nous sommes sur place. A la moindre question, les usines peuvent nous appeler. Au moindre souci, nous pouvons immédiatement corriger le tir. Du coup, on finit toujours par obtenir exactement ce que l’on veut.” Il marque une pause. “Même s’il faut pousser les fabricants, parce qu’on a parfois l’impression de les déranger en leur filant du boulot…”

Les détracteurs du made in France appuient justement dans ce sens-là. En opposition avec le dynamisme des usines asiatiques, ils soulignent le manque de souplesse ou de sens pratique des fabricants français. A Capsule, une créatrice racontait par exemple qu’elle avait essayé de faire réaliser le prototype d’un gilet dans une usine bretonne : ”Comme ils n’avaient pas les boutons que nous souhaitions, nous leur avons dit que nous le ferions nous-mêmes. Mais quand le prototype est arrivé, il n’y avait pas de boutonnières. On ne pouvait pas fermer les boutons. Visiblement, cela ne leur avait pas effleuré l’esprit !” Parmi les tenants du made in France, l’argument trouve aussi une résonance. Bérangère Claire, créatrice de la marque du même nom, s’amuse des “sites pages perso Wanadoo” de la plupart des usines françaises. Christophe Vérot, créateur de Robinson les Bains, spécialiste du maillot de bain pour hommes, raconte lui qu’il n’a jamais obtenu la moindre réponse d’une usine avec laquelle il souhaitait travailler, malgré des dizaines d’appels téléphoniques, et autant de fax, de mails ou de mots glissés sous la porte. “En cherchant un peu, on y arrive, dit-il pourtant. Certes, toutes les techniques de production ne sont plus disponibles en France et toutes les usines françaises ne font pas de la grande qualité, il faut être lucide. Mais il reste encore beaucoup d’endroits pour faire de belles choses.

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lunettes Emmanuelle Khanh, fabriquées à Oyonnax

chemise médicale Bleu de Paname, à Dax

ceinture L’Aiglon, à Saint-FargeauPonthierry pantalon Kitsuné, à SaintPouange

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canotier Benoît Missolin, fabriqué à Paris

boucles d’oreilles et collier Dior, à Paris

Bikini Bronzette, au Mans

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maillot de bain Robinson les Bains, à Montpellier

sac Meilleur Ami, à Laon

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un choix pragmatique plus qu’un engagement moral ou éthique Je travaille notamment avec une usine de Troyes, dans laquelle bossent une dizaine de personnes et il n’y a aucun souci. Eux comprennent la fringue. Je peux vous garantir pour l’avoir vu de mes yeux qu’en Chine, dans beaucoup d’usines, les gens sont incapables de reconnaître l’envers et l’endroit d’un tissu…” Quand les partisans de la délocalisation pointent du doigt le manque de réactivité des usines françaises, les acteurs du made in France jouent sur du velours. “Tu vois, dans La vérite si je mens 2, quand le gars reçoit une livraison de vêtements pour poupées parce que le fabricant a confondu centimètres et millimètres ? En fait, ça arrive en vrai à certaines marques”, rigole Thomas Giorgetti. ”Quand on fait produire à l’étranger, il y a une peur terrible au moment d’ouvrir le carton, parce qu’on est toujours à la merci d’une mauvaise surprise, raconte Ophélie Klere, créatrice de la marque Dévastée. Dans le passé, nous faisions fabriquer en Italie, et nous avons reçu une fois une livraison de cardigans sur lesquels l’emplacement des boutons était simplement marqué par une croix, au crayon. On a cru que c’était une blague. Il faut passer des heures au téléphone pour expliquer ce que l’on veut. Moi, j’ai appris l’italien sur le tas, comme ça, à force de négocier avec les fabricants. C’est beaucoup de stress, beaucoup d’énergie.” Et en bout de course, aussi, beaucoup d’argent. Chez toutes les marques, les calculs sont à peu près les mêmes. Malgré une augmentation récente du coût de la main-d’œuvre, produire en Asie coûte encore trois à quatre fois moins cher, en fonction de la pièce. Produire en Afrique du Nord et en Europe de l’Est est au moins deux fois moins cher. Mais les frais annexes sont énormes.

Avec l’augmentation du prix du pétrole, le coût des transports s’est envolé. Et les frais de douane, notamment sur les produits en provenance d’Asie, peuvent désormais monter jusqu’à 40 % du prix de la marchandise. Au final, quand on sait que les petites commandes sont négligées et que les délais sont rarement tenus, l’option made in France peut s’avérer un choix pragmatique, plus qu’un engagement moral ou éthique. Dans le showroom de Bleu de Paname, Thomas Giorgetti fait l’inventaire de la prochaine collection, il montre une chemise en chambray, tend une veste en moleskine, puis une autre en serge. Depuis sa création en 2009, la marque joue avec l’esthétique du vêtement de travail traditionnel. Les pièces sont simples, fonctionnelles, authentiques. Sur chacune d’elles, la notion de made in France est clairement mise en avant. “Bien sûr que nous insistons là-dessus. Dans l’une de nos premières vidéos promotionnelles, nous avions mis en scène notre atelier. Même sur nos cartes de visite, il est marqué ‘made in France’. Pour nous, c’est un vecteur de communication important.” Car l’air du temps est exactement là. Dans la mode féminine, mais plus encore dans la mode masculine, le travail de l’artisan est aujourd’hui ultravalorisé, au détriment de celui du designer. On veut de la qualité plus que de l’esbroufe. L’engouement pour le made in France s’inscrit dans cette logique-là. Il correspond à celui pour le made in USA qui déferle sur le marché américain depuis environ trois ans. La tendance est aujourd’hui à des pièces intemporelles, d’aspect classique, mais extrêmement bien finies. “Très souvent, après avoir essayé le vêtement, les gens posent la question :

ils veulent savoir où les pièces ont été faites, dit Clarent Dehlouz, patron de French Trotters, dont la ligne de vêtements est entièrement produite dans un atelier parisien. Le made in France coûte un peu plus cher en boutique, c’est évident, mais beaucoup de clients semblent prêts à faire l’effort si on leur donne un gage de qualité. Pour les étrangers, c’est aussi un critère très fort. Presque tous les jours, nous recevons des demandes de magasins japonais souhaitant distribuer nos produits.” Chez Bleu de Paname, la première commande de la marque a été passée par une enseigne japonaise. Depuis dix ans, près de la moitié des usines de textile françaises ont fermé et plus d’un tiers des emplois du secteur ont disparu. Le textile français traverse une crise structurelle, durable, et ces jeunes marques ne pourront inverser la tendance à elles seules. Mais, aujourd’hui, elles bousculent le paysage du made in France. Alors que les enseignes de très grand luxe à la française semblaient occuper seules ce terrain, elles prouvent que c’est aussi une option viable pour des marques jeunes aux productions plus limitées, et accessoirement plus accessibles. Cette mode n’est pas sans conséquence. L’air de rien, les commandes de Bleu de Paname ou de French Trotters font tourner plusieurs ateliers, et l’entreprise de l’Aveyron qui produit les sacs en cuir de Bleu de Chauffe a recruté pour tenir les délais. Aymeric Broussaud, patron de l’usine de Limoges qui produit les chaussettes de la marque Archiduchesse, dit même que “sans ce client, on aurait mis la clé sous la porte. En ce moment, nous sommes souvent sollicités par des jeunes qui souhaitent se lancer dans la fabrication française. Il se passe vraiment quelque chose.” 2.03.2011 les inrockuptibles 67

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boucles d’oreilles Chanel, fabriquées à Plailly

chemise French Trotters, à Paris

jupe en cuir agnès b., à Combs-la-Ville

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cardigan et polo Lacoste Live, fabriqués à Troyes

ceinture tressée main L’Aiglon, à Avrillé jean Lacoste Live, à Troyes

sac Trémoulière, à Vendôme

chaussettes Archiduchesse, à Limoges mocassins J. M. Weston, à Limoges

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capuche Maison Michel, fabriquée à Paris

chemise et nœud papillon Charvet, à Saint-Gaultier

body en dentelle Eres, à Bonnétable

veste en cuir Les Prairies de Paris, à Roanne

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robe French Trotters, fabriquée à Paris

bague Hermès, à Paris

sac Toolbox Hermès, à Pantin

Estelle Rancurel est assistée de Laurent Pascot Delphine Brossard est assistée de Ludivine Ifergan Coiffure Stéphanie Farouze   Maquillage Alexandra Schiavi chez Filomeno Séance réalisée au Carmen, 34, rue Duperré, Paris IXe

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bas Archiduchesse, à Limoges sandales Valérie Salacroux, à Paris

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“en Chine, cela aurait coûté neuf fois moins cher” Frédéric Marion voulait fabriquer une basket 100 % française. Cofondateur de la marque Veam, il vient d’y parvenir au prix d’une véritable épopée. propos recueillis par Herbert Nozick

polo Kitsuné, fabriqué à Saint-Pouange

jean brut Bleu de Paname, à Villeneuved’Ascq

chaussettes Archiduchesse, à Limoges baskets Veam, à Nantes

La genèse. “Depuis plusieurs années, avec mon associé Vincent, nous rêvions de créer une basket française. Nous nous sommes lancés fin 2008, avons dessiné notre modèle, trouvé un nom de marque, réfléchi à la fabrication. Ni Vincent ni moi n’avions de formation dans la chaussure ou dans le textile. Pouvoir compter sur les conseils de nos fournisseurs était essentiel.” Le chemin de croix. “Nous nous sommes mis à chercher des fournisseurs, pour les matières, la forme, le montage. Et les problèmes ont démarré. Nous ne pouvions pas travailler avec l’industrie de la chaussure de ville, c’est un métier différent. Nous avons cherché des usines pour faire notre prototype et nous nous sommes fait remballer partout, sauf par le chausseur sur mesure de Fabrice Luchini. Il a dessiné la première forme en bois et grâce à ça, nous avons pu démarcher et être crédibles. Nous avons commencé par chercher quelqu’un pouvant monter la basket. Les fabricants de chaussures orthopédiques étaient les seuls à pouvoir faire ce que nous voulions. Nous avons ensuite rencontré un vrai problème : la semelle. Si la majorité sont cousues, dans la basket, elles sont collées. Il ne reste qu’une usine qui fait ça en France. Nous n’avons pas vraiment pu choisir nos fournisseurs, il n’en existe plus assez. La solution aurait été d’acheter les machines à toutes ces usines qui les stockent sans en avoir l’utilité. Financièrement, c’était infaisable. Nous avons vu des dizaines de fabricants. Notre chaussure est complexe à faire, il y a beaucoup d’empiècements. Il nous a fallu être convaincants sur le potentiel de notre produit pour que quelqu’un accepte de bosser avec nous. Je sais que d’autres ont voulu suivre notre voie et se sont fait refouler.” La fin heureuse. “Au bout de presque un an de démarches, nous avons trouvé tous nos fournisseurs, treize au total entre le cuir, la semelle, le guttage du cuir, la découpe, etc. En Asie, nous n’aurions eu besoin que d’un seul interlocuteur qui nous aurait fourni tous ces services et trois semaines auraient suffi. La chaîne de production est vraiment longue et cela multiplie les coûts. Si nous avions tout fait en Chine, la chaussure aurait coûté neuf fois moins cher. Mais on a réussi à accoucher d’une basket, vendue 290 euros. Elle est disponible dans quelques points de vente en France et sur notre site.” veam.fr

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Rick Owens déchire Enfant efféminé, ado gothique puis punk alcoolique, le Californien Rick Owens est le hérault du style glamour grunge. Il sublime le T-shirt déchiré et met des jupes aux hommes. Une figure spectaculaire de la mode d’aujourd’hui. par Marc Beaugé photo Alexandre Guirkinger

es ouvriers s’activent au premier étage mais il n’entend rien. Souriant, imperturbable, Rick Owens fait le ménage sur sa table de travail puis ouvre une fenêtre pour nous montrer la vue imprenable sur les jardins du ministère de la Défense. “De temps en temps, dit-il, un orchestre joue La Marseillaise, c’est absolument charmant.” Depuis huit ans, Rick Owens est installé là, place du Palais-Bourbon, dans l’immeuble de cinq étages qui abrita entre 1975 et 1980 le siège du Parti socialiste. Californien de naissance, parisien d’adoption, Rick Owens est un créateur fondamental. Sans l’appui financier d’un grand groupe, sans aucune publicité, il a construit en une quinzaine d’années une marque florissante, et a formé l’air de rien une drôle d’armée. Autour des défilés, ils sont souvent plus d’une dizaine entièrement vêtus des pièces de la marque, comme en uniforme. Rick Owens a ses soldats et, depuis quelque temps, il a aussi de plus en plus de réservistes : en 2009, lors d’une visite officielle en France, Michelle Obama portait un cardigan de la marque, sur un banal pantalon gris. Comme chaque année, son défilé sera l’un des événements de la fashion week. Mais, ce jour-là, deux semaines avant l’échéance, Rick Owens ne présente aucun signe caractéristique du designer hystérique. “J’ai 50 ans, j’ai décidé que je ne serai plus un gamin en retard et paniqué”, explique-t-il en souriant. Avec lui, tout est extraordinaire et simple à la fois. Quand on l’interroge sur sa collection à venir, Rick Owens ne fait aucun secret. Il montre les tissus posés juste à côté d’une tête de mort sur l’immense table en bois. Puis fait défiler sur son ordinateur des images de pièces en cours de fabrication dans ses ateliers italiens. Le gris et le noir sont omniprésents, les manches et les robes aussi longues que d’habitude. Le triangle, gimmick graphique qui définit la coupe de la majorité de ses pièces, est bien là. Rick Owens n’est jamais aussi fort que quand il fait du Rick Owens.

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Vous n’êtes jamais tenté de faire évoluer radicalement votre style, en introduisant de la couleur, par exemple ? Rick Owens – J’ai commis cette erreur il y a six ou sept ans. Je m’étais persuadé que les gens allaient se lasser de mon esthétique et qu’il fallait que je les distrais. Je débutais à Paris, je n’avais pas assez confiance en moi. J’ai décidé d’accepter les idées et l’énergie des gens autour de moi. Mais cela n’a pas marché. Je me forçais à expérimenter des choses nouvelles et je n’obtenais pas des fabricants ce que je souhaitais. J’étais paniqué, en retard. En fait, je ne savais pas faire le tri dans les suggestions que l’on me faisait. J’acceptais tout. Très vite, j’ai compris que je ne pouvais pas travailler avec les autres. Je suis un fasciste, c’est comme ça. J’ai donc viré beaucoup de personnes et j’ai commencé à tout faire moi-même, même gérer la fabrication des pièces. Vous possédez le savoir-faire technique pour vous occuper de ça ? Oui. Pendant quatre ans, j’ai dessiné des patrons dans une usine de Los Angeles. Nous achetions des vêtements de créateurs que nous recopiions. Il existe des créateurs qui ne cousent pas, qui ne savent même pas dessiner et qui travaillent avec de nombreux collaborateurs. Je ne bosse pas comme ça. Vous considérez-vous comme un artiste ou comme un artisan ? Mon Dieu, un artisan, un technicien. Je cherche à créer une forme de grâce tout à fait objective et rationnelle. Vous avez plusieurs bonnes formules pour définir votre style… J’aime bien “glamour hollywoodien avec T-shirt déchiré”. Mon style a toujours consisté à essayer de transposer ce glamour dans la vie de tous les jours. Je reprends les silhouettes et les coupes des robes que portaient les actrices dans les années 50 ou 60 mais sur des pièces grises, délavées, déchirées, que l’on peut porter tous les jours. Comment vous habilliez-vous, enfant ? J’étais un gamin terriblement efféminé. Prendre une douche après le sport, avec les autres élèves, était un enfer. Dans la ville où j’ai grandi, Porterville, en Californie, personne ne s’intéressait à la mode. Nous avions à peine un magasin Levi’s. Au collège, j’ai commencé à m’habiller gothique, avec du maquillage, des gants. Je voulais avoir l’air méchant, c’était pathétique. On n’arrêtait pas de m’emmerder, les enfants se comportaient comme des démons avec moi. Je comprends tout à fait la tuerie de Columbine. Si j’avais été un peu mieux organisé, j’aurais pu faire un truc comme ça, moi aussi.

“je suis scorpion, beaucoup de mes actions sont motivées par l’idée de revanche”

A quel moment vous êtes-vous affirmé ? A partir de 17 ou 18 ans, j’ai commencé à fréquenter le milieu punk local. Je dansais le mosh pit, une danse ultraviolente, hardcore. Je n’avais plus peur de la testostérone, au contraire je suis devenu un mâle dominant. Je suis scorpion, beaucoup de mes actions sont motivées par l’idée de revanche. Quand êtes-vous arrivé dans l’industrie de la mode ? Après le lycée, je me suis inscrit dans une école d’art. Je peignais, mais j’ai vite compris que je n’étais pas fait pour ça, c’était trop dur, trop intellectuel. Je me suis inscrit dans une école de mode : pas de celles où l’on apprend à dessiner, une école où l’on travaille la fabrication du vêtement. A la fin de mes études, j’ai décroché mon premier job à Los Angeles, dans cette usine où nous copiions des pièces de créateurs. J’avais la vingtaine, je pouvais me payer un appartement et une voiture, c’était suffisant. Je n’avais pas d’ambition particulière. Je me disais que je pourrais être pauvre, juste survivre et que cela ne serait pas un problème. C’était ma philosophie, j’étais punk. De quoi j’avais besoin ? D’un peu de drogue et d’alcool. Vous buviez et vous vous droguiez beaucoup ? C’est ce qu’on fait quand on a 25 ans, non ? Je buvais trop, beaucoup trop, j’ai mis plus de dix ans à arrêter. En 1994, à 32 ans, vous avez créé votre propre marque. Quand la boîte pour laquelle je bossais a fait faillite, j’ai eu le choix entre chercher un nouveau job ou créer ma marque. Je me suis lancé. J’avais rencontré Michèle, ma femme, quelque temps auparavant, et elle m’a encouragé. Michèle, qui avait été très riche, venait de perdre sa marque de vêtements, elle s’occupait d’un restaurant à Los Angeles, Les Deux Cafés. Nous n’avions pas d’argent et nous dormions chez des amis. Une nuit, nous avons été braqués par des cambrioleurs, pistolet sur la tempe. Le lendemain, nous sommes partis vivre au Chateau Marmont (hôtel mythique de Los Angeles où Sofia Coppola a récemment tourné Somewhere – ndlr). Nous payions cash, comme nous pouvions, chaque semaine. Nous y sommes restés près d’un an et demi. C’est là que j’ai dessiné les pièces qui sont encore les fondements de mes collections. C’était une période ultracréative. Nous étions en mode survie. Nous étions dos à dos, nous n’arrêtions pas de nous engueuler. Etre ensemble et au début de notre histoire nous donnait beaucoup d’énergie. Michèle Lamy, votre femme et muse française, est intrigante. Son style est incroyable… Quel rôle joue-t-elle dans votre travail ? Nous n’avons jamais vraiment travaillé ensemble mais nous avons fini par trouver une façon de collaborer. Michèle s’occupe des lignes de meuble et de fourrure. Ces deux business demandent beaucoup de patience et d’énergie pour passer des jours entiers dans les usines. Elle séduit les gens, les câlinent et obtient d’eux des choses magnifiques. Quand elle arrive dans les usines crades, en banlieue parisienne, avec sa fourrure, ses bijoux et ses mains tatouées, les ouvriers deviennent fous. Moi, je donne mon avis sur quelques formes ici et là, mais c’est tout, je ne peux pas travailler davantage avec elle. Elle me rend fou, elle est imprécise, vague. Quand je lui demande les dates de livraison, elle se lance dans

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Alexandre Guirkinger

A gauche, autoportrait avec sa femme française, Michèle Lamy

de grandes explications… C’est une femme française, compliquée, vous savez. Vous vous dites bisexuel, vos mannequins hommes portent des talons hauts et des robes. Je ne fais pas cela pour choquer. Je veux que ces tenues deviennent une option normale pour les hommes. Je veux que les enfants trouvent cela tout à fait banal. Ce n’est pas comme si j’avais inventé quelque chose : mon inspiration vient de Kiss. Les gars du groupe portaient des talons, et qui leur aurait cherché des noises ? Ces gars-là étaient extrêmement virils et très beaux. Vous semblez vouer un véritable culte au corps. Dans votre boutique parisienne, au Palais-Royal, il y a cette statue de vous torse nu en train d’uriner. A l’origine, c’est un projet très personnel. Quand nous avons acheté cette maison en 2003, j’ai eu l’impression d’être à un tournant, d’avoir réussi ma vie. La tradition veut qu’un homme qui réussit fasse faire un portrait de lui. Moi, j’ai voulu faire réaliser une statue de cire, cela me semblait plus moderne. Je suis allé voir les gens du musée Tussauds à Londres. J’avais parfaitement conscience que c’était une démarche orgueilleuse mais pour moi cela représentait aussi une confrontation avec la mort. En commandant cette statue, j’ai eu l’impression de m’immortaliser au sommet de ma vie, de ma réussite, au top de mon physique aussi. J’avais 45 ans à l’époque, j’en aurai bientôt 50, je vieillis, je décline forcément. La fabrication de la statue fut un moment fantastique. Ils ont pris des centaines de photos, puis le sculpteur est intervenu. Je suis resté assis pendant des heures, il devait tâter mon corps. Le processus s’est révélé long, intense et très intime. Quand je regardais ma tête,

“j’étais dépendant l’alcool, à la drogue, désormais je suis accro à la gym”

Ci-contre, dans la boutique du Palais Royal, sa statue de cire rhabillée pour l’hiver

sans cheveux, sans sourcils, je me voyais sous des angles inédits, je découvrais chez moi des traits de ma mère et de mon père que je n’avais jamais vus. Dans un premier temps, nous avons mis la statue à la maison mais Michèle et moi en avons très vite eu marre, cela faisait trop de Rick Owens ! Au même moment, nous avons ouvert la boutique à Paris, tellement jolie et mignonne : il fallait la pervertir. Nous y avons installé la statue. Les gens l’adorent. Désormais, chaque fois que j’ouvre un magasin, on m’en demande une. Comme nous avons le moule, c’est très facile. Tout le monde peut avoir Rick Owens chez lui. C’est assez bon marché : environ 2000 euros. Vous faites encore beaucoup de musculation ? Je vais à la gym chaque jour. Toute la journée, je dois répondre à des gens, prendre des décisions. A la gym, je suis seul. J’arrête de penser et c’est toujours comme cela qu’arrivent les réponses aux questions que je me pose. Evidemment, je vais aussi à la gym pour des raisons purement vaniteuses. J’aime avoir une certaine silhouette. Je n’achète pas de vêtement pour moi-même, ça ne m’intéresse pas. Pour avoir l’air beau, je fais du sport. Si votre corps est beau, quelles que soient vos fringues, vous serez beau. Dans le passé, j’étais dépendant à l’alcool, à la drogue, je sais que désormais je suis accroc à la gym mais je m’en fous. Chaque aprèsmidi, je traverse les Tuileries et je file vers ma salle de sport à Opéra. Que pourrait-il y avoir de plus agréable ? Vous aimez Paris ? Où sortez-vous ? Je sors peu mais ces derniers temps, il m’est arrivé de sortir seul la nuit, vers 3 heures. Récemment, je suis allé au Rex, je me suis mis dans la file comme n’importe qui mais on ne m’a pas laissé entrer. Tout le monde passait sauf moi. Est-ce que je suis trop vieux ? Est-ce que j’ai l’air d’un dealer ? Je n’ai pas compris. Bande d’enfoirés. Du coup, pour pouvoir danser, j’ai ouvert mon propre club, le Spotlight Club. Je perds de l’argent, beaucoup d’argent, mais cela m’amuse, c’est à côté de la maison et dès que nous avons une envie, une idée, nous organisons une soirée. Il y a quelques jours, nous avons fait venir Christeene, une drag-queen hardcore d’Austin hyper crade et super agressive. L’endroit était plein et elle a fait des trucs absolument horribles sur scène. C’était formidable.

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les belles gosses Elle n’a pas l’âge de voter et vit à des milliers de kilomètres de chez elle. C’est une “new face”. Son quotidien ? Moins glamour qu’on l’imagine. par Johanna Seban photo David Balicki

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Le book de Zsuzsa, mannequin, dans la pochette rouge de l’agence Marilyn

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our Zsuzsa, comme pour la dizaine de filles dans la salle, la mission consiste à porter de la façon la plus fashion possible des bottes en caoutchouc. C’est-à-dire poser devant une caméra, debout sur une table et en culotte, de manière à dévoiler ses gambettes dans des poses “fashion, yes, vas-y, fashion”. Les filles avec des bobos sur les jambes sont priées d’aller se rhabiller. C’est la même paire de bottes pour tout le monde, Zsusza chausse du 40 et s’en sort plutôt bien. Elle penche la tête et balance sa chevelure de feu. Il est 15 heures. Le casting se termine, Zsusza retire ses bottes de pêcheuse normande. On quitte le bâtiment en fredonnant “A la pêche aux moules moules moules”. Zsuzsa Wagner a 17 ans, elle est hongroise et son parcours est digne d’un synopsis d’émission de téléréalité. Encouragée par une copine à s’inscrire à un concours de mannequin en Hongrie, elle termine troisième sur le podium et se retrouve sur le site models.com. L’agence Marilyn, celle de Kate Moss, Helena Christensen et Claudia Schiffer, la repère l’été dernier. En septembre, Zsuzsa, encore lycéenne à Derecem, suspend ses études et part seule à Paris. Un taxi l’attend à l’aéroport et la mène à un appartement rue Mabillon : cent cinquante mètres carrés où logent Anna, Magdalena, Angelina… Outre une taille 36, les filles partagent chambres, cuisine et lits superposés. L’alcool y est interdit. “Surtout pour les Américaines, ravies de débarquer dans un pays où elles ont le droit de boire”, explique Mylène, la nounou des belles, 67 ans, originaire d’ex-Yougoslavie. Lundi, c’est agency : comme chaque début de semaine, Zsuzsa se rend chez Marilyn. Au dernier étage d’un immeuble de l’avenue la plus chère du Monopoly, elle récupère son argent de poche hebdomadaire : 100 euros en cash pour les transports et la nourriture. Un seul casting est prévu aujourd’hui, pour le magazine WestEast. Dans un petit appartement du XVIIe arrondissement, entre un canapé et deux plaques de cuisson, les mannequins défilent devant l’objectif de la photographe Chrisma Lan. Zsuzsa fait le job : tour à tour froide, souriante, naïve ou sexy, elle rappelle à ceux qui en auraient douté que, tout de même, c’est un métier. “J’ai appris à faire ça. Ce n’était pas naturel.” Tellement pas naturel que Zsuzsa a commencé sa carrière en se gaufrant comme il se doit. “Mon premier défilé fut un cauchemar. Je portais des talons en bois de 20 centimètres. Je suis tombée. J’ai dû attendre que la jeune fille derrière moi

Accessoire indispensable : leplan de Paris

Casting photo pour le magazine WestEast

En route pour un café avec Paulette, mannequin elle aussi 2.03.2011 les inrockuptibles 81

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l’agence lui verse 100 € par semaine pour les transports et la nourriture

Révision d’histoire-géo. Zsuzsa reprendra sa terminale en septembre

L’agence envoie par fax un récap des rendez-vous de la journée

Présentation du book dans un magazine féminin

Zsuzsa dans l’appartement qu’elle partage avec neuf autres mannequins

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m’aide à me relever. Je pleurais. Je me rassure en me disant que c’est fait, quand la plupart des filles redoutent le moment où ça va leur arriver.” On sort du casting en fredonnant Not a Second Time des Beatles. L’après-midi est libre : après un déjeuner à la cafétéria des Galeries Lafayette où elle envoie valser le mythe du mannequin anorexique en enchaînant patates, crème brûlée et Coca pas light, Zsuzsa retrouve Paulette pour un café. Paulette n’a d’une grand-mère que le prénom : le reste est résolument mince, grand et injuste. Elles se retrouvent au Starbucks Coffee devant deux litres de mauvais cappuccino. Quand elles ne travaillent pas, Zsuzsa et Paulette sont de simples ados, avec des problèmes d’acné (“A Londres, ils m’ont envoyée chez le médecin pour sécher tout ça”), des cours de géo à réviser (“Je suis dans les capitales, là”), des forfaits bloqués et des amourettes. “Je n’ai pas de petit ami. Mais j’ai croisé une copine mannequin qui a rendez-vous avec un garçon ce soir ! Je touche du bois.” Loin des objectifs, difficile de retrouver la femme des photos dans le book, en qui on avait décelé quelque chose de la Betty Draper de Mad Men. “On me traite comme une adulte mais je ne me sens pas encore comme ça.” De belles gosses donc, qui ne croiseraient pas leur prof de SVT au Shopi mais Naomi Campbell sur un showroom pour Chanel. “Mes colocs l’ont vue l’autre jour, c’est le genre de truc dont on parle le soir à l’appart.” On quitte le Starbucks en fredonnant “Chacun sa route, chacun son chemin.” Le lendemain, un fax envoyé à l’appartement dévoile, comme chaque matin, la liste des castings du jour. Cinq déplacements sont prévus. Il y a deux types de rendez-vous : les castings classiques pour des commandes, et les go-sees, de simples entrevues avec des photographes et des responsables éditoriaux de magazines pour montrer son book et rappeler qu’on existe. Les go-sees sont difficiles : dans un couloir, entre les toilettes et la photocopieuse, les rendez-vous durent moins d’une minute. Si les interlocuteurs sont aimables, on ne sait ni ce qu’ils pensent ni s’ils rappelleront, “Where are you from ?” constituant généralement le climax émotionnel de la discussion. Quelques heures après le casting jambes, les mains : Zsuzsa va exhiber ses menottes au magazine de joaillerie Dreams – bonne nouvelle, elle peut donc garder son pantalon. On lui sourit, on la remercie, on lui demande si elle a les oreilles percées. Pour l’instant, ni sessions photo, ni défilés ne sont confirmés pour la semaine. Zsuzsa sait que ce sera difficile. Elle a prévu de reprendre les cours en septembre et voudrait devenir avocate, comme son frère, à Bucarest. A moins que l’appartement ne lui porte bonheur : en 2005, âgé de 17 ans, le top anglais Agyness Deyn y a passé une année avant de décoller.

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dimanche en roue libre Coupons les moteurs, sortons les vélos ! réalisation Marc Beaugé et Sébastien Filosa photo Sébastien Filosa stylisme Isabelle Pasero

pause casse-croûte Lui Panama Stetson. Blouson coton et cuir Erotokritos. Pantalon chino coton Dockers. Baskets suédine Converse. Appareil photo numérique, viseur hybride, FinePix X100 Fujifilm. Nappe Malle osier de pique-nique, vaisselle Baccarat et couverts Christofle compris, en série limitée Tommy Hilfiger. Nappe coton vichy, jeu de cartes, tire-bouchon grand-père, attrape-mouche en verre, le tout Comptoir de Famille. Bouteille d’eau minérale Evian. Tube crème solaire Kiehl’s. De gauche à droite et de haut en bas Pantalon cuir Zadig & Voltaire. Pantacourt coton fleuri Nice Things au Citadium. Sandales cuir compensées Castañer. Vélo vintage femme. Short daim perforé Lacoste. Visière cuir Lacoste. Spencer coton Surface To Air au Printemps. Blouse coton imprimé Madame à Paris. Espadrilles cuir Jancovek. Mitaines cuir et crochet Georges Morand. Montre-bracelet cuir Swatch. Mocassins nubuck Heschung. Espadrilles coton Jancovek. Ceinture cuir Mexx. Trousse simili daim Printemps. Minisacoche cuir Longchamp. Casque audio Wesc. Station d’accueil en merisier pour iPod et iPhone dans une malle gainée de cuir Pinel & Pinel.  84 les inrockuptibles 2.03.2011

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Elle Chapeau Borsalino au Printemps. Robe-chemise coton Kitsuné. Ceinture coton rayé Lois. Sandales vichy compensées Cosmo. Fauteuil pliable cuir Lafuma. De gauche à droite et de haut en bas Foulard coton vichy Hartford. Sac cuir et toile denim Premier Flirt denim Lancel. Ceinture coton tressé et cuir Hackett. Polo coton piqué Fred Perry. Chemise coton vichy Hackett. Polo coton piqué Petit Bateau. Sweat molleton à capuche Uniqlo. Sweat molleton délavé Ben Sherman. Cabas toile coton Kitsuné. Bermuda coton vichy Schott. Pantalon seersucker Tommy Hilfiger. Mitaines cuir Stetson. Ceinture cuir vieilli Wrangler. Lunettes solaire Wayfarer de Ray-Ban. Chaussettes coton Paul Smith. Nœud papillon soie vichy Hackett. Lunettes solaires vintage en écaille Lunettes France. Montre en acier, mouvement mécanique, Glamour de Tudor. Vélo vintage homme. Casquette coton Ebbets Field. Pull coton torsadé Carven. Gilet coton gansé cuir Sandro. Magazine Monocle. Sneakers cuir non doublé Dior Homme. Espadrilles bicolores Riviera au Citadium. Merci à Bicloune pour le prêt des vélos. 2.03.2011 les inrockuptibles 85

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aire de repos Elle Top et short taille haute liberty The Kooples. Bracelets indiens Printemps. Sandales cuir et semelle bois Polder. De gauche à droite et de haut en bas Sac à dos coton fleuri H&M. Ceinture cuir clouté Le Temps des Cerises. Bento portable Habitat. Robe coton liberty Le Temps des Cerises. Sac à dos cuir Cotélac. Chemise coton The Kooples. Sac en cuir et osier Kelly d’Hermès. Panama MCS. Parasol rayé Ikea. Combishort coton fleuri Sandro. Pull maille coton Comptoir des Cotonniers. Smoothie et jus de fruits Vitabio. Compote bio Kalibio. Berlingot soja choco Sojasun. Jus de fruits grenade-cerise Pom. Chewing-gums Fresh & Clean d’Hollywood. Tablette électronique, écran tactile, iPad d’Apple. Appareil photo Optio L-10 Pentax. Sac classique en cuir noir et rubans de mousseline multicolores Chanel. Bicyclette Railway 1 Go Sport. Pantalon legging en coton Diesel. Pantalon chino coton Sessun. Brumisateur d’eau de raisin bio Caudalie. Stick solaire UV50 Elizabeth Arden. Soin autobronzant Teint Divin Caudalie. Trousse cuir clouté Mila Louise. Short coton fleuri Paul Smith. Short daim Cotélac. Montres : dorée et digitale Komono, plastique zébré et fluo Swatch, plastique fluo et digitale, OPS au Printemps. Mitaines cuir Agnell. Lunettes solaires : ronde métal H&M, acétate doré Tru Trussardi, arrondie métal Chanel. Mitaines cuir et crochet Georges Morand. Casque cuir Marni. T-shirt coton froissé Innamorato. Foulard fil doré Le Temps des Cerises. Parka zippé en nylon Galliano. Baskets toile coton Nike. Sandales cuir et semelle bois Valérie Salacroux. Collier doré, nœud en perles Malababa. Collier pendentif argenté H&M. Mocassins cuir verni Sebago. Chaussures montantes en toile de coton Pataugas. 86 les inrockuptibles 2.03.2011

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la tête dans le guidon Lui Casquette coton Supreme. Parka toile enduite Hartford. Jean avec taches peinture Burberry Brit. Montre cadran acier, bracelet cuir Calvin Klein. Chaussures de montagne Columbia. De gauche à droite et de haut en bas Siège pliant Lafuma. Casquette coton imprimé Obey. Banane en toile nylon Paul Smith. Sac à dos en toile coton Massimo Dutti. Magazine 2nd. Short nylon Nike. Polo coton vieilli Franklin Marshall. Pull en maille à motif Polo Ralph Lauren. Thermos inox BHV. Duvet polyvalent Hiker regular de Millet. Bandeau poignet éponge Wilson. Vélo compact et pliable Strida 5 Strida. Treillis coton camouflage Uniqlo. Pantalon chino et ceinture nylon Energie. Bretelles nylon Hackett. Chapeau waterproof Fjäll Raven. Boules de pétanque La Molle chez Go Sport. Matelas gonflable compact Go Sport. Petites bouteilles d’eau minérale Vittel. Slippers en toile de coton Puma. Baskets molleton Feiyue. Coupe-vent dans sa housse de rangement Nike. Porte-couverture en cuir et couverture, le tout Hermès. Couteau suisse multifonctions Victorinox. Etui à lunettes vintage. Lunette optique acétate transparent Hackett. Etui et couteau Opinel. Cafetière espresso en aluminium Go Sport. Barbecue portatif Bodum au BHV. Pot de crème solaire multifonctions Kiehl’s. Lunettes solaires pliables Persol. Appareil photo à visée télémétrique, en titane, désigné par Walter de Silva, édition limitée M9 Titanium de Leica. Parka coton Levi’s. Carnet de notes Moleskine. Lunch box en métal avec couverts Go Sport. Lanterne Go Sport. Sacoche simili cuir H&M. Montre chrono, bracelet cuir Hamilton. Montre boîtier XXL, bracelet cuir Diesel. Paires de chaussettes coton Paul Smith. Gourdes aluminium Sigg. Flasque cuir J. Crew. Monovid polyvalent rouge Leica. Lunch box isotherme Iris. Ceintures en cuir Tommy Hilfiger, en coton rayé Trussardi Jeans, en coton tressé L’Aiglon. Chaussures de marche Merrell. Chaussures daim Clarks. Doudoune poids plume avec sa housse Moncler. Chemise coton zippé Burberry Brit. Appareil photo numérique étanche et antichoc TG-310 Olympus. Tabouret pliable Lafuma. Jus de fruits et smoothie bio Vitabio. 2.03.2011 les inrockuptibles 87

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peut-on rapper en slim ? Accusés de pervertir le hip-hop, les nouveaux rappeurs perdent leurs baggies pour un look plus rock. “Les slims, c’est un truc de meufs”, s’énervent les puristes. par Raphaël Malkin vachi peinard sur un canapé, le rappeur Sean Price balance : “Laissez tomber tous ces mecs comme Kid Cudi. Avec leur look de gay, ce ne sont que des impostures. Celui qui a Kid Cudi dans sa playlist a forcément le sida, point barre.” En 2010, cette vidéo pleine de fiel a fait le tour du net et creusé un peu plus le fossé entre les rappeurs old school et l’ambitieuse nouvelle vague. Point de rupture entre les deux générations : le style. D’un côté, les tauliers de la rime, comme Sean Price de Brooklyn, avec leurs baggies, leurs T-shirts ultralarges et leurs Timberland poussiéreuses. De l’autre, Kid Cudi, moulé dans des sapes plus seyantes pour les salons downtown que pour le bitume du ghetto. Clash. Depuis quelques années, la silhouette du rappeur s’est peu à peu délestée de ses références à la rue pour embrasser des contours moins canailles. “La culture hip-hop s’est complètement émancipée du modèle baggy/ hoodie. Désormais, on est dans quelque chose de plus glamour, de plus affiné”, indique Wendell Brown, journaliste mode pour le magazine Esquire. A l’image de Kid Cudi, une génération de nouveaux rappeurs débarque sur la scène et s’affiche dans un style qui tranche

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Fabien

oui Kanye West

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Lil Wayne

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Luke Wooden/Zuma/Visual Press Agency

non

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Ray Tamarra/Getty Images

Kid Cudi

Theophilus London

toujours plus avec la panoplie des vieux rappeurs. Pac Div, The Cool Kids ou Theophilus London déroulent une dégaine qui n’hésite pas à piocher dans des références plus classiques : jean étroit aux chevilles, perfecto sur les épaules, petit cardigan vintage. Le duo de L. A. The Knux va même jusqu’à comparer son style à celui des rockeurs des Strokes. “Le hip-hop et les cultures urbaines en général se sont peu à peu intégrés au mainstream, explique Wendell Brown. Les jeunes rappeurs ne veulent plus s’afficher comme les représentants d’une seule niche et préfèrent s’adresser à tout le monde, notamment par leurs vêtements.” John Marcelo, créateur du blog DressLikeKanyeWest. com, confirme : “Les nouveaux rappeurs sont plus ouverts musicalement, ils n’hésitent pas à flirter avec le rock. Logiquement, ils enchaînent avec de nouvelles expériences en matière de look.” Pour ce bloggeur qui décortique quotidiennement le look de Kanye West, c’est ce dernier qui a précipité l’image du rappeur dans l’univers mainstream. “Il a été l’un des premiers à s’afficher en costume lors de ses concerts, à travailler avec des artistes qui ne viennent pas de son milieu d’origine et à séduire un public ultralarge. Son poids est tel dans l’industrie hip-hop que l’on peut légitimement penser que sa démarche a inspiré un pan entier de la nouvelle scène.”

De fait, à l’image de Kanye West, la jeune génération s’attache à créer une passerelle entre le rap et les autres genres de la culture populaire. Kid Cudi fraie avec MGMT et Ratatat quand les Cool Kids fréquentent Dan Auerbach des Black Keys ou les Cold War Kids. Apparaît alors une nouvelle sorte d’artiste à l’apparence plus éclatée, plus composite et donc plus branchée. Le modèle du rappeur qui chante uniquement le ghetto, ne s’adresse qu’au ghetto et ne se fringue que ghetto est devenu obsolète. Hérauts du traditionnel combo baggy/T-shirt large, les vieux rappeurs contre-attaquent. Pour le journaliste musique du Chicago Reader, Myles Raymer, “ces rappeurs qui ont émergé à la fin des années 80 et au milieu des années 90 ont l’impression d’être les garants de la culture old school. Quand on y touche, ils perdent leur humour et peu importe que la musique des nouveaux arrivants soit fun ou pas”. Comme Sean Price, ils sont nombreux parmi les old school à utiliser l’homophobie pour stigmatiser le style de la nouvelle génération. “Si un rappeur couche avec un autre mec, il ne peut pas être gangsta ni même rappeur tout court”, dit Method Man. Le jean slim est le symbole de cette rupture, au point que l’on a pu lire dans la revue new-yorkaise

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The Cool Kids

Roger Kisby/Getty Images/AFP

le rappeur qui ne s’adresse qu’au ghetto est devenu obsolète

The L Magazine : “La plupart des rappeurs qui portent encore le baggy considèrent que la culture du ghetto est fondamentalement incompatible avec le port du slim, associé à une absence totale de virilité voire à un véritable penchant gay ou bien quelque chose entre les deux.” Dans sa chanson Tight Pants Are for Girls (“Les slims, c’est un truc de meufs”), le rappeur Termanology n’hésite pas à traiter les aficionados du slim de gays, expliquant qu’il faut “sauver l’âme du hip-hop” en empruntant une vieille instru classique au célèbre DJ Premier, histoire d’insister aussi sur le fait que, musicalement, le hip-hop doit rester hip-hop. Car l’adultère avec le rock et son esthétique est considéré comme une forfaiture immonde, une coucherie infâme et une menace directe contre la survie du mouvement. Pour stigmatiser encore un peu plus les jeunes bleus qui débarquent tout cintrés, certains ont même créé la très étrange catégorie de “rappeurs hipsters”. Dans un billet façon brûlot, le bloggeur hip-hop Sach O a tenté d’en définir le profil : “Un type qui par son look et son hip-hop dénaturé veut séduire une audience blanche et aisée qui a envie de s’encanailler.” Le rappeur en slim serait une espèce de figure aseptisée, sans aucune authenticité mais rassurante pour un public non averti. “Un personnage médiocre, sans

fond”, conclut le bloggeur Robbie Ettelson sur le site spécialisé Unkut.com. Les fringues oversized, les casquettes de base-ball, les grosses godasses bien lourdes avec leurs lacets défaits : voilà un costume qui fait intrinsèquement partie de l’histoire de la communauté hip-hop aux Etats-Unis, d’autant plus si on l’associe à la démarche chaloupée et nonchalante qui fonde le cool inhérent aux rappeurs. Pas question de sacrifier l’ADN d’une communauté, d’une culture et d’un mouvement. Malgré leurs atermoiements, les rappeurs de l’ancienne génération ne peuvent aller contre le sens de l’histoire du hip-hop. Depuis sa naissance dans les bas-fonds du South Bronx, cette culture n’a cessé d’évoluer, dans sa musique mais aussi dans son identité visuelle. S’il peste contre le slim des petits jeunes, Sean Price oublie que les premiers rappeurs ont débité leurs rimes moulés dans des pantalons à pinces et des cols roulés. Et que les amis du Sugarhill Gang se fringuaient comme des dandys de la disco dans le clip de Rapper’s Delight en 1979. En 1981, l’un des pionniers du hip-hop, Grandmaster Flash, se déhanchait peinard dans une tenue supra-moulax dans le célèbre clip de The Message. Le hip-hop a ensuite consolidé son assise populaire en changeant régulièrement d’apparence, des survêtements à trois bandes de Run DMC jusqu’au baggy popularisé dans les années 90. Une évolution permanente pour une conclusion : le look hip-hop ne connaît pas de “fin de l’histoire”. Le jean slim n’est qu’une étape de plus. Aujourd’hui, l’heure est à l’intégration du hip-hop dans le mainstream. Pour Myles Raymer du Chicago Reader, “petit à petit, le hip-hop est devenue une forme pop légitime et un langage phare de la culture populaire, il est donc normal que sa nouvelle génération intègre de nouvelles normes et de nouvelles valeurs”. En s’adressant à une audience toujours plus large, le rappeur se transforme en une figure nouvelle. Comme toute la jeunesse américaine, lui aussi se fringue chez American Apparel et Urban Outfitters. De plus en plus de monde écoute du hip-hop, ce qui brouille les codes pré-établis. D’où cette conclusion du bloggeur John Marcelo : “Qu’on arrête d’essayer de définir un style. Il n’y a plus un seul canon vestimentaire, le rappeur n’a plus d’uniforme prédessiné.” 2.03.2011 les inrockuptibles 91

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Ils sont comédiens, écrivains ou cinéastes. Portraits de figures américaines par le photographe Hedi Slimane. Robert De Niro New York 28 novembre 2010

Hedi Slimane / Anthology of a Decade / JRP Ringier. Courtesy Gallery Almine Rech Paris / Brussels

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Anthology of a Decade USA

Gore Vidal Los Angeles, Californie 11 février 2011

H California Dreamin – Myths and Legends of Los Angeles jusqu’au 26 mars à la galerie Almine Rech, 19, rue Saintonge, Paris IIIe, www.alminerech.com Fragments Americana jusqu’au2 6 mars à la galerie Almine Rech, 20, rue de l’Abbaye Abdijstraat, Bruxelles, www.alminerech.com Images extraites de Hedi Slimane – Anthology of a Decade (JRP Ringier), 240 pages, 72 €

edi Slimane est-il le Greta Garbo de la mode française ? A moins de 43 ans et après avoir totalement refaçonné la mode masculine, au sommet de sa gloire chez Dior Homme, il a choisi d’abandonner la création de vêtements. Et tandis que depuis quatre ans la planète mode bruit de rumeurs à propos d’un hypothétique retour à la tête d’une maison, il consacre l’essentiel de son temps aux arts plastiques et à la photographie. Cet hiver 2011 lui vaut une triple actualité : deux expositions et un livre. A Paris, à la galerie Almine Rech, c’est en tant que commissaire qu’il présente une exposition sur l’art californien, d’Ed Ruscha à Dennis Hopper. Dans le même temps, il présente une exposition à Bruxelles, avec des œuvres d’artistes américains contemporains (Gus Van Sant y propose par exemple une pièce sonore) et des images qu’il a réalisées.

Courant mars, enfin, sort une imposante anthologie de son œuvre photographique, présentant quatre livres et structurée selon une découpe géographique. Le recueil “Paris” revient sur les années Dior Homme, avec des images de préparation de défilés, de mannequins backstage, de l’atelier… “Londres” est davantage consacré à la scène rock, dont depuis dix ans Slimane est le plus assidu portraitiste. Un troisième recueil traite à la fois Berlin (sa géographie mouvante) et Moscou (ses danseurs du Bolchoï, ses militaires, tressés dans de très beaux effets de montage). C’est du quatrième album, “Los Angeles”, que nous avons extrait les images de ce portfolio, sélectionnant, de De Niro à Gore Vidal, de Gus Van Sant à Ed Ruscha, quelques icônes majeures de l’Amérique, à rebours de l’imagerie teenage à frange généralement associée au photographe. Jean-Marc Lalanne

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Ed Ruscha (détail) Venice Beach, Californie 24 novembre 2009

Jim Shaw, portrait dej eunesse, dans son studio, Glendale, Californie 5 septembre 2010 2.03.2011 les inrockuptibles 95

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Joe Dallesandro Los Angeles, Californie 17 décembre 2008

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Gus Van Sant Santa Monica, Californie août 2005

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Avant l’aube de Raphaël Jacoulot Un hôtel de luxe isolé dans les Pyrénées, un mort, une enquête : un habile film policier doublé d’une fine étude de caractères.

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ar quels mystères un cinéaste impose-t-il son nom dès ses débuts ? Par exemple, qui se souvenait du nom de Raphaël Jacoulot ? Auteur de quelques courts métrages, ce réalisateur avait pourtant déjà signé un long, Barrage, en 2006, plutôt bien reçu par la critique. Mais un premier film bien accueilli n’est pas nécessairement le sésame d’une carrière. Cinq années ont passé depuis Barrage, et on imagine qu’elles ont été consacrées à batailler ferme sur tous les fronts pour mener à bien Avant l’aube,

ce fameux deuxième film (souvent plus dur à concrétiser que le premier). On ne sait pas si Avant l’aube imprimera durablement le nom de son auteur dans la mémoire des spectateurs, mais il en a le potentiel : une bonne histoire, un sens de l’atmosphère, une mise en scène précise, un récit à multiples couches de lectures, un casting excellent avec plusieurs acteurs connus, ce film noir tendance Chabrol-Simenon a tout pour séduire. Jacoulot nous emmène dans les Pyrénées, vers un hôtel de luxe isolé dans les sommets, un peu comme dans Shining.

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raccord

Vincent Rottiers

Un soir, découvrant une rupture de stock, le patron envoie son fils chercher en urgence quelques caisses de vin dans la vallée. Il fait nuit, il neige, le jeune homme renverse un piéton. Alerté, son père décide de maquiller et de taire l’accident. Cette description prosaïque du début du film ne rend pas justice à la mise en scène de Jacoulot, toute en révélations différées, non-dits, ambiguïté des situations, coulée de scènes nocturnes et mystérieuses. A partir de ce mensonge, Jacoulot va pouvoir se consacrer à dépeindre la vie de l’hôtel et de la famille des tenanciers, matériau a priori banal mais chargé par l’événement inaugural. Dès lors, tout est double, entre les apparences anodines de la vie d’un hôtel touristique, ses clients, son personnel, et le lourd secret de l’hôtelier et de son fils, entre ce que ne sait pas la plupart des personnages et ce que savent les spectateurs. Ceux-ci sont ainsi tenus par quelques questions classiques du roman noir. Pourquoi le mensonge ?

Ricardo Vaz Palma

loin de mener la partie policière tambour battant, Jacoulot prend son temps pour observer situations et personnages Jusqu’où ? Que révèle-t-il ? Quand et comment la vérité va-t-elle surgir ? Loin de mener la partie policière tambour battant, Jacoulot prend son temps pour observer situations et personnages. On suit ainsi l’hôtelier jusqu’en Andorre où il organise une fausse piste. On voit vivre sa famille, minée par les mauvaises relations entre le père et le fils, conflit exacerbé par la dissimulation qui les lie. Un jeune stagiaire prend de l’importance : couvé par le patron tel un fils de substitution, prenant en charge une partie des impulsions du spectateur, ce jeune employé devine petit à petit le secret de l’hôtelier, alors que les questions de la police se font de plus en plus pressantes. A partir d’un fait divers, Jacoulot filme en patients cercles concentriques, sans jamais rien surligner, la vie d’un hôtel de province, la géographie sociale d’une région (classe ouvrière dans la vallée, bourgeoisie en altitude), la complexité des affects circulant au cœur d’une famille, tout en maintenant à doses subtiles le suspense d’une trame policière. Si Avant l’aube est un film de lieux, de climats, de non-dits, donc de pure mise en scène, c’est aussi un film incarné, avec des personnages portés par des acteurs excellents : Jean-Pierre Bacri au sommet de son art de la mauvaise humeur, Vincent Rottiers toujours aussi intense mais plus intériorisé, ou encore Sylvie Testud parfaite en inspectrice Columbo. Jacoulot ménage avec intelligence l’ambiguïté morale de ses personnages, car si l’on est si bien embarqué tout au long du film, c’est aussi parce que rien n’y est manichéen : les “meurtriers” ne sont pas ici de véritables assassins ou de grands pervers repoussoirs à la Hannibal Lecter, mais des personnages ordinaires auxquels chacun pourrait s’identifier. Subtil et ample, prenant et profond, ambitieux et modeste, aussi bon dans son mouvement général que dans ses détails, Avant l’aube nous fera définitivement nous souvenir du nom de Raphaël Jacoulot. Serge Kaganski Avant l’aube de Raphaël Jacoulot, avec Jean-Pierre Bacri, Vincent Rottiers, Sylvie Testud, Ludmila Mikäel (Fr., 2011, 1 h 44)

Ryder on the storm Une actrice qui a volé n’est jamais pardonnée… Que deviennent les actrices qui ont fauté ? Depuis son vol à l’étalage en 2002 et le procès qui s’ensuivit, la retraite de Winona Ryder s’étire, et ses yeux de Bambi mordorés, son romantisme pâle et ténébreux nous manquent. Cruauté du cinéma ? Plutôt violence de ses conventions : une actrice qui a volé ne peut plus jouer. On pardonne à Gérard Depardieu son passé de loubard, on a emmerdé Béatrice Dalle pendant des années après son dérobage de bijoux. Un acteur qui s’est drogué bénéficie d’une aura de mauvais garçon (Robert Downey Jr.), pour une actrice qui a commis un larcin, c’est l’infamie immédiate – comme si, au pays qui a inventé le plus beau personnage de femme cleptomane du cinéma, on ne pouvait pardonner à une actrice d’être une Marnie. Winona Ryder a donc disparu des écrans. Une lectrice française peut quelquefois la retrouver dans les pages mode de Elle où, épinglée récemment comme portant un frac trop grand, on trouvait à rebours de la rédac chef qu’elle avait une drôlerie pingouinesque burtonienne attifée ainsi. La télévision lui a accordé un pardon en grandes pompes dans un téléfilm, The Lois Wilson Story, où elle joue la femme méritante du fondateur des Alcooliques anonymes. Mais si la télé absout lourdement, le cinéma, lui, joue un drôle de jeu avec elle. Dans Star Trek de J.J. Abrams (2009), elle jouait fugitivement la mère de Spock, amaigrie et triste. Dans Black Swan, c’est une danseuse qui joue le sacrifice de soi jusqu’à se jeter sous les roues d’une voiture, poussée par Darren Aronofsky qui l’enferme dans un rôle bettedavisien de vieille folle. En 2011, on la verra dans une comédie avec Vince Vaughn (Le Dilemme), puis dans le Frankenweenie de Tim Burton, deux films qui démentiront, espèret-on, que seules la rédemption ou la cruauté autorisent le retour en grâce d’une actrice.

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La Permission de minuit de Delphine Gleize avec Vincent Lindon, Quentin Challal (Fr., 2011, 1 h 50)

Winter’s Bone de Debra Granik La crise vue des quartiers pauvres du Missouri. Un beau portrait de jeune fille tenace face à la galère.

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ans le morne flot de films estampillés Sundance, véritable usine de mise en conformité depuis que l’indie est devenu un créneau marketing pour studios aux abois, Winter’s Bone fait figure de lumineuse exception. Ce second film de Debra Granik – le premier, Down to the Bone, n’est pas sorti en France – se démarque sans mal de ses confrères par sa sécheresse, sa ténuité psychologique et son refus de céder aux sirènes misérabilistes, qui plombaient par exemple Frozen River ou Precious. Le film s’accroche dès les premiers plans aux boots de son héroïne, la taciturne et obstinée Ree (exceptionnelle Jennifer Lawrence), qu’il ne lâchera plus jusqu’à la fin. Vendu comme un film social à l’européenne (on pense certes à Ken Loach), Winter’s Bone a tous les traits du western, genre essentiellement américain, abstrait, mythologique. Ce n’est cependant plus dans le crépuscule que s’avance le spectateur, mais bien dans la nuit noire : les héros ne sont là que zombis engourdis (terrifiant John Hawkes, acteur trop rare qu’on adore dans Deadwood ou Miami Vice), la date de péremption tellement dépassée que personne n’ose encore ouvrir la boîte. Debra Granik nous fait ainsi découvrir une des dernières frontières américaines, une zone comme perdue dans l’espacetemps : la forêt des Ozarks, dans le Missouri. Sur ce territoire inhospitalier,

à côté duquel les villages des westerns d’Anthony Mann ressemblent à d’accueillantes bourgades hobbites, Ree trace son chemin, de cabane en cabane, de marais en abattoir, pour retrouver un père fugitif ayant hypothéqué sa maison pour payer sa caution. Si elle ne le retrouve pas avant la fin du compte à rebours, mort ou vif, la jeune fille et sa famille seront expulsées, sans états d’âme – dura lex sed lex (preuve qu’on est bien dans un western). A l’instar de Kelly Reichardt (Old Joy, Wendy et Lucy), Debra Granik utilise la crise (morale, économique) comme pur moteur fictionnel, davantage soucieuse d’en montrer les effets concrets que d’en dénoncer les causes. Point de réel méchant ici (ou alors, seulement des méchants), mais une attention constante à l’inextinguible flux vital des hommes et des femmes : lorsqu’un vieux cow-boy rouillé se saisit d’un banjo, par exemple, qu’un soldat explique longuement, presque en chuchotant, à Ree pourquoi ce n’est pas une bonne idée pour elle de s’engager dans l’armée, ou qu’un enfant se met à faire du trampoline, en apesanteur. C’est dans cette patience opiniâtre et cette croyance dans les forces souterraines de la fiction que se dessinent, soyons-en sûrs, les premiers pas d’une cinéaste à suivre. Jacky Goldberg

L’amitié filiale entre un dermato et un enfant malade. Très faible. Belle idée que celle d’entreprendre un film sur les enfants de la lune. Comme les vampires, ils meurent exposés à la lumière. Comme les loups-garous, la pleine lune est pour eux grand soleil. Comme des héros de John Carpenter ou de George Lucas, ils se baladent avec de grands masques blancs à visière sombre. Mais voilà, seul problème : La Permission de minuit ne tient jamais compte de ces possibles imaginaires et livre une fable aussi plate que réaliste, comme s’il fallait respecter la maladie à tout prix, façon Envoyé spécial. Résultat : le film se satisfait de n’être qu’une banale histoire d’amitié entre un jeune malade et son médecin (Vincent Lindon), un téléfilm sans ambition et à mourir d’ennui. On ne retient des scènes que pour leur potentiel : le dialogue sur la mort devant un match de rugby ou la tentative de suicide aux ultraviolets. Et quand le film prend dans sa dernière ligne droite, la direction du teen-movie, ce n’est finalement que pour normaliser (boums, drague, camaraderie sportive) ce personnage d’adolescent à part. Thomas Pietrois-Chabassier

Winter’s Bone de Debra Granik, avec Jennifer Lawrence, Isaiah Stone (E.-U., 2010, 1 h 40) Lire le portrait de Jennifer Lawrence p. 50

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Sale temps pour les pêcheurs d’Alvaro Brechner avec Gary Piquer, Jouko Ahola (Esp., Ur., 2009, 1 h 40)

Paul de Greg Mottola avec Simon Pegg, Nick Frost (E.-U., 2011, 1 h 44)

Une parodie sympathique du cinéma de SF par le réalisateur de SuperGrave. Greg Mottola tire moyennement son épingle du jeu en passant sans complexe de l’écurie Apatow (SuperGrave) à celle du tandem british Pegg/Frost, révélé avec Shaun of the Dead, parodie gouleyante des films de morts vivants. Cette fois, il s’agit d’un road-movie pastichant E. T. sur un mode potache (en gros), où Pegg et Frost incarnent deux geeks attardés, accros à la SF et aux grands meetings afférents, qui s’acoquinent avec Paul, un alien un peu vulgaire mais ultracool ramassé sur la route, sur la tête duquel la CIA a mis un contrat. Le problème majeur, c’est que si ce type de cinéma parodique n’a pas encore pris un coup de vieux, il fait désormais pâle figure comparé à District 9, qui a redéfini la SF en adoptant le mode reportage style JT et en annulant la frontière entre drame et comédie. Honnêtement, on ne peut pas s’empêcher de trouver un petit parfum de Men in Black à cette histoire d’extraterrestre confronté à des agents secrets idiots et bourrés de tics attendus. C’est la limite de cette gentille farce un peu linéaire. Cela dit, on ne boudera pas le plaisir qu’elle distille, dû en partie au fait que les comparses british se gaussent de leur propre addiction (Pegg et Frost sont réellement fans de SF dans la vie). Soit l’équivalent d’un long sketch télé, genre Saturday Night Live, filmé avec plus de moyens, et dont l’enjeu est la litanie jouissive de références ; la plupart des classiques du genre passent à la moulinette (E. T., Rencontres du troisième type, Star Wars, etc.). On regrette un peu le peps qu’Edgar Wright (réalisateur d’Hot Fuzz et de Shaun of the Dead) aurait pu imprimer au film s’il n’était pas parti pour d’autres aventures (l’adaptation de Scott Pilgrim). Pour l’instant, la personnalité artistique de Greg Mottola interroge. Auteur ou technicien ? Vincent Ostria

Les tribulations attachantes d’un catcheur et de son manager en Amérique latine. Une tendance du film de combat, c’est le baroud d’honneur centré sur l’ex-gloire toute cassée, genre The Wrestler. Sale temps pour les pêcheurs élargit le cadre et rappelle que derrière chaque lutteur se cache un manager : ici un aristo au charisme louche de mafieux, le “Prince” Orsini, bien plus fringant que son poulain, catcheur mutique qu’il promène en Amérique latine. Le film nuance le crépuscule de teintes picaresques bienvenues, et évite le “world cinema” à l’exotisme fastoche avec fond de village uruguayen décrépi, pour pencher davantage du côté des frères Coen – via son gros patapouf de champion accro aux telenovelas et à la chanson allemande Lili Marleen. Assez soigné au vu de son budget étriqué (voir la lumière et la mise en place des affrontements), l’ensemble gagne aux points, se transforme en plaisant western où les coups (de latte sur le ring, de bluff en coulisses) se substituent aux colts. A l’image des démonstrations de passepasse d’Orsini, Alvaro Brechner sort un numéro au déroulé rodé, mais d’où pointe tout de même le charme un peu triste des tours trop longtemps joués. Léo Soesanto

Lire l’interview de Greg Mottola p. 106 2.03.2011 les inrockuptibles 101

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Sans identité de Jaume Collet-Serra avec Liam Neeson, Diane Kruger, January Jones (Fr., G.-B., E.-U, All., Jap., Can., 2011, 1 h 53)

Never Let Me Go de Mark Romanek

Un curieux film d’anticipation rétro aux fragrances mortifères. dispense son trouble capiteux habituel lors de ses apparitions. La peinture des espérances du trio est la meilleure du film, entre justesse et distance. Le trio, comme toute jeunesse, essaie d’organiser son rapport aux autres, mais dans un environnement cloisonné, à l’image du Village de M. Night Shyamalan, où les légendes urbaines sur le monde extérieur abondent. Emotionnellement gauches, ils n’ont comme référents que jeux de rôle ou sitcoms débiles pour se débrouiller en société. Témoin, cette scène tragi-comique où ils ont toutes les difficultés à commander à déjeuner dans un restaurant. Serrés ensemble sur la banquette, ils ont autant l’air d’oisillons tombés du nid que d’acteurs à une mauvaise audition pour le rôle de leur carrière. Et les personnages ont conscience de cette mauvaise imitation de la vie quand ils déclarent qu’ils sont “modelés sur de l’ordure, des prostituées et des junkies”. Romanek organise ses rites de passage ado dans une langueur mortifère mais séduisante, où le zen se confondrait avec un désespoir résigné. S’il pratique à bon escient l’ellipse (le monde plus-que-parfait des receveurs d’organes est esquissé), il pèche par le soin qu’il met à faire de ses cadres de clinquantes photos-souvenirs fanées. Cela nourrit paradoxalement la question première du film : comment articuler, exprimer ses émotions. Que l’on soit un ado désemparé ou un cinéaste zélé dans son coloriage des sentiments.

Romain Blondeau

Léo Soesanto Never Let Me Go de Mark Romanek, avec Carey Mulligan, Andrew Garfield, Keira Knightley (G.-B., E.-U., 2010, 1 h 43)

Jay Maidment



lippeur émérite de la même génération que les Fincher, Jonze et Gondry, Mark Romanek a eu un passage moins heureux au cinéma : une bizarrerie (Static, 1985, où un jeune homme fabrique un téléviseur censé diffuser des images du paradis), un numéro de folie lisse pour Robin Williams (Photo obsession, 2002) et un projet avorté (The Wolfman, repris par Joe Johnston). Peut-être redondant par rapport à Fincher au rayon aliénation, il livre ici une adaptation du roman Auprès de moi toujours de Kazuo Ishiguro, moins cri primal métallique que personne n’entend (comme ses vidéos de Jump They Say pour David Bowie ou de Scream pour Michael et Janet Jackson) que murmure nostalgique (tel son Hurt ciselé pour un Johnny Cash échoué parmi ses souvenirs). Never Let Me Go s’inscrit dans un registre de SF quotidienne et dystopique : depuis les années 60, des gamins anglais sont soigneusement préparés dès la naissance à l’abattoir, c’est-à-dire à donner leurs organes pour prolonger la vie des receveurs. Un peu comme si – toutes proportions gardées – Mike Leigh revisitait The Island de Michael Bay, ou même Harry Potter – via une première partie sise dans un collège chic. Tout tourne ici autour d’un triangle amoureux, de l’adolescence à l’âge adulte, interprété sur le tard par la fleur du jeune actorat british, préposée aux scénarios d’initiation : une Keira Knightley fonctionnelle (de plus en plus Winona Ryder) contre Carey Mulligan (Une éducation) et Andrew Garfield (le prochain Spider-Man), davantage au diapason. Ailleurs, en Française de service, une Nathalie Richard de passage

Les noces manquées d’Hitchcock et de Jason Bourne dans un thriller d’espionnage. Après s’être démarqué, assez brillamment, du slasher adolescent (La Maison de cire) et du film d’enfant tueur (Esther), l’Espagnol Jaume ColletSerra voulait sûrement imprimer sa marque (entre hommage et twist parodique) au cinéma d’action. Mais rien ne fonctionne dans cette série B de luxe où un savant (Liam Neeson, amorphe), en visite à Berlin, tombe dans le coma et devient amnésique après un accident de voiture. Dépossédé de son identité à son réveil, il mène l’enquête, aidé d’une immigrée clandestine (Diane Kruger), et se retrouve pris dans les mailles d’un complot à grande échelle. Sur cette trame de thriller d’espionnage classique, Jaume Collet-Serra tente d’associer Hitchcock (à qui il rend un hommage très appuyé) à Doug Liman, de mêler les origines du cinéma d’action à ses héritiers high-tech. Une idée passionnante en apparence, mais qui finit rapidement par tourner à vide, car le réalisateur n’a ni la fièvre visuelle du premier Jason Bourne (les scènes d’action sont très datées), ni la beauté sourde de La Mort aux trousses. Il ne lui reste qu’une héroïne, incarnée par January Jones (Mad Men), pour le coup hitchcockienne en diable.

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Le Voleur de lumière d’Aktan Arym Kubat avec lui-même (Kirg., All., Fr., P.-B., 2010, 1 h 16)

Une savoureuse farce villageoise au fin fond de l’Asie centrale. Incroyable : Aktan Abdykalykov a changé de nom. En effet, il s’agit bien du réalisateur de films villageois et truculents sur l’Asie centrale comme Le Singe ou Le Fils adoptif qui revient, après un silence de neuf ans, avec une farce rurale du meilleur aloi tournée dans le même coin du Kirghizstan, qui résume en miniature ce qu’on peut constater dans beaucoup de pays à l’économie bredouillante et à la corruption rampante. Dans ses grandes lignes, cette comédie vernaculaire, voire ethnographique, dont le ressort principal est l’électricité, vecteur du confort moderne, n’est pas loin de ressembler à certains Don Camillo. Elle en diffère heureusement par son absence de schématisme idéologique et par son rapport naturel et immédiat au réel. L’autre atout est la présence du cinéaste dans le rôle principal, avec son côté troll et sa bouille ronde qui ajoutent au film une vérité rugueuse. Dans l’ensemble, ce n’est certes pas très révolutionnaire, parfois un peu limite côté folklore (Kubat n’est pas Paradjanov, loin s’en faut), mais la vision amusée des magouilles des uns (les huiles et édiles locaux aux allures mafieuses) et du système D des autres (l’électricien et ses proches) ne manque ni de sel, ni de piquant. Le moins convaincant, l’histoire elle-même, est largement éclipsé par la beauté fruste du contexte. Rien n’est frelaté, c’est du cinéma bio. La mise en scène n’a que faire de décors construits, les lieux sont on ne peut plus réels et les comédiens, en partie amateurs. Si ce film n’est pas indispensable, il est précieux comme instantané d’un monde encore traditionnel, dont il enregistre la lente disparition, induite par la modernité industrielle qui finit par gagner les recoins les plus reculés de la planète. Vincent Ostria

Le Roman de ma femme de Djamshed Usmonov avec Léa Seydoux, Olivier Gourmet (Fr., 2010, 1 h 40)

Un mélo policier avec trop de coups de théâtre. Encore un cinéaste de l’Est (du Tadjikistan) qui tente de s’acclimater à l’Europe occidentale. Avec ce thriller psychologique à mille lieues de son cinéma d’origine, Usmonov ne démérite pas et parvient à introduire une certaine “russité” (diffuse en Asie centrale) dans le décor et le contexte franco-français. Parmi ses influences revendiquées figure Bresson, dont il retrouve d’une certaine manière la sécheresse du trait, presque la raideur janséniste. Le problème est qu’il ne s’en tient pas là. Avec les circonvolutions dramatico-policières de son histoire de disparition de mari, il veut également s’inspirer d’Hitchcock. A la fin, le jeu de manipulation n’est plus qu’une suite de coups de théâtre mécaniques dont la sensibilité est exclue. Au bout du compte, la transplantation du cinéaste hors de son terreau natal n’aura produit qu’un fruit un peu fade. V. O.

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Bayerischer Rundfunk/Hans Fromm

variations berlinoises Le cinéma allemand dans tous ses états à la Berlinale 2011. Et aussi le coup d’éclat de Béla Tarr et un bon film iranien couronné de l’Ours d’or.

 L

a Berlinale 2011 aura au moins réussi une chose : proposer une vue en coupe particulièrement diversifiée et aiguë du cinéma allemand contemporain, toutes couches confondues. Il y a d’abord les vétérans, qui malgré leur statut de légende d’un autre âge ont surpris leur monde en expérimentant la technologie de pointe. Wim Wenders et Werner Herzog ont présenté en effet deux documentaires en 3D, Pina et Cave of Forgotten Dreams (lire Les Inrocks n° 794, in “7 jours chrono”, p. 11). Deux films qui optimisent brillamment les possibilités de cette technique, sa façon particulière de dramatiser l’espace, que ce soit pour rejouer en plein air des grandes scènes du répertoire de Pina Bausch (Wenders) ou plonger dans les tréfonds de la grotte Chauvet pour scruter les plus anciennes fresques murales de l’humanité (Herzog). Malgré la splendeur visuelle de certaines scènes de danse, le film de Wenders s’épuise un peu dans la litanie de témoignages en voix off des danseurs pleurant l’unique et irremplaçable sainte Pina. Le film d’Herzog en revanche est d’une force inouïe : il réalise la rencontre de la première des images (ces fresques murales où s’ébrouent des bisons) et de leur dernier état technologique (la 3D

donc, qui transfigure ces stalactites et stalagmites en inquiétant Luna Park hanté). Le cinéma allemand du milieu répondait aussi à l’appel. Mein Bester Feind (“Mon meilleur ennemi”) et Wer Wenn Nicht Wir (“If Not Us, Who?”), respectivement sur la Seconde Guerre mondiale et la bande à Baader, dans un style américano-teuton qui a fait ses preuves avec Good Bye Lenin ! ou La Vie des autres risquent, eux, de ne pas entrer dans l’histoire. Pas grandchose à sauver non plus dans Almanya, l’édifiante histoire d’une charmante famille d’immigrés turcs, des années 60 à nos jours, dans un style Chatiliez/Jeunet/Jaco Van Dormael pas facile à avaler. Quant à la fameuse “école berlinoise”, ce mouvement né il y a une dizaine d’années autour d’une revue de cinéma (Revolver) et regroupant une demi-douzaine de cinéastes parmi les plus talentueux d’Europe, elle était aussi fièrement représentée, même largement délocalisée. Schlafkrankheit (“La Maladie du sommeil”) d’Ulrich Köhler (auteur de Montag) se déroule en effet en Afrique. C’est l’histoire d’un médecin quinquagénaire allemand expatrié qui se fait happer par le continent, croisée avec celle d’un jeune idéaliste français d’origine congolaise qui découvre un pays avec lequel il n’a aucune attache. Köhler, qui a grandi au Zaïre, filme l’Afrique

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cette école berlinoise, décidément passionnante, aura même réussi à nous offrir un hommage déchirant à Werner Schroeter

Christian Petzold a réalisé un des trois films de Dreileben, collection créée pour la télé

comme personne ne l’avait fait auparavant. En élève attentif de la French Theory, il a surtout réalisé un film ostensiblement deleuzien, sur la déterritorialisation et le devenir-animal, où l’homme blanc, transporté en Afrique, va se transformer, comme dans une fable weerasethakulienne, en hippopotame. L’Ours d’argent de la meilleure mise en scène sonnait comme une évidence pour ce film virtuose. Autre variation géographique : c’est dans une ville imaginaire de Thuringe que trois réalisateurs allemands se sont installés pour nous offrir le projet le plus excitant de ce festival et questionner ce qu’était justement cette soi-disant école berlinoise. Dreileben est une collection de trois films réalisés pour la télé et dont la sélection officielle n’a pas voulu, confirmant, après Carlos et Mystères de Lisbonne, le malaise qu’entretiennent les grands festivals avec la production pour le petit écran. C’est donc en sélection parallèle, au Forum, qu’on a pu découvrir cet ovni, né d’un échange de mails entre Dominik Graf, vieux réalisateur de télé aussi connu pour quelques films de genre et Christian Petzold et Christoph Hochhäusler, deux des plus talentueux représentants de la jeune génération. Le projet était de définir ce qu’était cette nouvelle vague autour d’un lieu (Dreileben), un moment (un été) et un fait divers (un criminel s’est échappé et rode dans la ville). Soit donc trois films, qui ressemblent à leurs auteurs mais qui ne peuvent vivre indépendamment. Chacun y a mis ses propres obsessions (les rapports de classe chez Petzold ou les faux-semblants criminels chez Hochhäusler) pour des films extrêmement hétérogènes mais qui se contaminent les uns les autres. Il est évident que le film de Hochhäusler qui conclut ce Twin Peaks allemand porte son ombre inquiétante

sur les deux autres épisodes et s’y est infiltré pour mieux remettre en question l’ensemble dans un dernier plan d’anthologie. Cette école berlinoise, décidément passionnante, aura même réussi à nous offrir un hommage déchirant à Werner Schroeter. C’est en effet leur société de production 451 (référence évidente à Truffaut) à qui l’on devait Nuit de chien, qui a produit Mondo Lux, un documentaire d’Elfi Mikesch, proche collaboratrice de celui qui avait obtenu l’Ours d’or il y a trente-et-un ans pour Palermo. Alternant extraits de films ou interviews d’amis comme Isabelle Huppert, Wim Wenders ou Rosa von Praunheim, le film, très émouvant, suit le réalisateur pendant les quatre années qui ont précédé sa mort. Hors division allemande, deux films firent événement. D’abord, Le Cheval de Turin, le nouveau film de Béla Tarr, inspiré d’un épisode douloureux de la vie de Nietzsche. En six jours, le temps de l’Apocalypse, un père et sa fille échouent à quitter un hameau misérable dans la lande, tandis que leurs ressources vitales s’amenuisent et que le cheval qui pourrait les tirer d’embarras refuse obstinément d’avancer. On peut ne pas être sensible a priori à ce cinéma proche de la messe auteuriste, qui vise rien de moins que le sublime. Mais le film, picturalement époustouflant, incroyablement inventif dans sa façon de répéter sans fin une situation, est largement à la hauteur de sa folle prétention artistique. A côté, le film iranien couronné de l’Ours d’or paraissait bien modeste. Nader et Simin, une séparation, d’Asghar Farhadi, était le film du consensus. Un peu plus étonnant, mais plus que mérités, les prix d’interprétation masculine et féminine décernés à l’ensemble des comédiens confirme que, contrairement à Cannes et à Venise, la possibilité de multiplier les prix permet au moins de dessiner une ligne claire. Nader et Simin, un couple de la classe moyenne iranienne, se sépare car elle veut partir à l’étranger, alors que lui veut rester à cause de son père sénile. Il engage alors une jeune femme pour l’aider et va se retrouver pris dans un engrenage qui va mettre en lumière les rapports entre hommes et femmes, traditionalistes et progressistes, justice et société en Iran, ce qui n’a pas dû laisser indifférent le jury dont Jafar Panahi était le grand absent. En termes politiques, on dira de ce beau film qu’il est très opportun. Et en termes festivaliers, très respectable. Jean-Marc Lalanne et Romain Titeux 2.03.2011 les inrockuptibles 105

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Wilson Webb

une ola pour Mottola Tandis que sort Paul, son nouveau film, rencontre avec le réalisateur du grandiose SuperGrave, Greg Mottola.

 G

reg Mottola est un cas d’école. Quand tant de réalisateurs français rêvent d’Hollywood, lui rêve de France. Etudiant, il lisait les Cahiers du cinéma, voulait être Cassavetes, Woody Allen, Truffaut… Aujourd’hui, il réalise des comédies adolescentes pour Judd Apatow (SuperGrave, Undeclared), Nick Frost/Simon Pegg (Paul), ou pour lui-même (le somptueux Adventureland), variant styles et budgets, se faufilant comme il peut dans les mailles de l’industrie. Auteur frustré ou artisan épanoui ? Rencontre. Vous êtes l’auteur des scénarios de deux de vos films (En route vers Manhattan, Adventureland), et les deux autres sont des commandes (SuperGrave, et le tout dernier, Paul). Est-ce très différent pour vous ? Assez, oui. Ecrire les scénarios de mes films me stimule davantage, d’un point de vue émotionnel,

mais me fragilise beaucoup. Je me sens parfois idiot. Je n’ai aucun instinct commercial en tant que scénariste. Je serais par exemple incapable d’écrire un film comme Paul. Alors, quand l’occasion se présente, je vois ça comme un défi, comme l’occasion d’expérimenter des choses, d’avoir des mois de tournage et de postproduction, une armée de techniciens, des effets spéciaux, ce genre de choses dont tous les réalisateurs de films indépendants rêvent. Il vous a fallu dix ans, après votre premier film, En route vers Manhattan (présenté à la Semaine de la critique en 1996), pour en tourner un deuxième, SuperGrave. Que s’est-il passé entre temps ? En route vers Manhattan était un tout petit film, produit par mon ami et mentor Steven Soderbergh avec 60 000 dollars. La sélection à Cannes, au lieu de le propulser,

a flingué l’exploitation aux Etats-Unis : le distributeur a eu peur et s’est tout simplement désengagé… Le film a tout de même été montré en France, ce dont je suis très fier – je suis d’ailleurs triste qu’Adventureland n’y ait pas été distribué en salle. C’est justement en France, sur la Riviera, que devait se tourner mon second film, une comédie noire. Mais, à quelques mois du tournage, le studio a retiré ses billes, prétextant que le scénario était trop sombre. J’en suis sorti amer. Heureusement, Judd Apatow, qui avait aimé En route vers Manhattan, m’a proposé de tourner des épisodes de sa série Undeclared, en 2000. C’est là, au contact de cette bande d’ados attardés, que j’ai écrit Adventureland, à partir de mes propres souvenirs. Puis Judd et Seth (Rogen – ndlr) m’ont proposé de réaliser SuperGrave, parce qu’ils trouvaient que j’avais

un bon feeling avec les jeunes. C’est drôle, car avant de les rencontrer, je n’aurais jamais pensé faire des teen-movies. C’était même contre mes principes (sourires). Vos comédies sont plus soignées, visuellement, que la plupart des autres. Est-ce là que passe votre personnalité ? J’essaie en tout cas. Avec Judd Apatow, l’attention est surtout portée sur le scénario, l’acteur, les dialogues. Il vous demande de tout filmer à deux caméras et de multiplier les prises pour construire le film en salle de montage. Le scénario est réécrit en permanence, il faut vite s’adapter. Difficile de faire un film cinematic (“léché” – ndlr) dans ces conditions. Cela dit, dans SuperGrave, j’ai fait au mieux pour imposer ma patte visuelle. J’aimerais tourner un jour avec de grands chefs op : Robert Elswit, Harris Savides, Roger Deakins, Darius Khondji… La suite ? J’adapte actuellement un livre, intitulé Important Artifacts, composé uniquement de photos d’objets et de notes intimes, comme un catalogue de vente aux enchères, censé retranscrire la relation amoureuse d’une jeune femme (Natalie Portman) et d’un intellectuel plus âgé qu’elle (Brad Pitt, également producteur du film). Il y aura peut-être des éléments de comédie, mais ce ne sera pas une comédie romantique. Je vais enfin pouvoir parler du monde adulte. propos recueillis par Jacky Goldberg Lire critique du film p. 101

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dolls world Simple et gai, Stacking décline avec ingéniosité le principe des poupées russes. Addiction assurée.

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T  à venir la PlayStation se multiplie Après avoir dévoilé la NGP, appelée à succéder à sa PSP, Sony lancera dans les prochains jours aux Etats-Unis une machine à mi-chemin de la console portable et du smartphone baptisée Xperia Play. Une cinquantaine de jeux, en partie issus du catalogue PlayStation, sont spécialement en développement. Selon des rumeurs insistantes, une tablette Sony compatible PSone et destinée à concurrencer l’iPad serait également en préparation.

im Schafer ne garde pas que de bons souvenirs du développement de Brütal Legend, son furieux jeu heavy-metal paru à l’automne 2009. Lâché par un premier éditeur à mi-parcours, l’ancien de LucasArts a profité d’un temps mort dans la conception de l’œuvre en question pour diviser momentanément son studio Double Fine en équipes réduites chargées d’élaborer des prototypes de jeux simples et originaux, sortes de singles vidéoludiques conçus parallèlement à l’album Brütal Legend. Après Costume Quest, joyeux jeu de rôle sur le thème d’Halloween disponible en téléchargement depuis le mois d’octobre, Stacking est le deuxième fruit de cette approche “légère” de la création de jeu vidéo. Né dans l’esprit de Lee Petty, l’une des figures clés de Double Fine, le jeu découle d’une idée limpide : et si les héros que l’on dirige étaient des poupées russes ? Ils s’emboîteraient les uns dans les autres en fonction de leur taille. Ils seraient, selon les personnages qu’ils représentent (un musicien, un cuisinier, une dame de la haute société…), dotés de capacités variées. La mise en œuvre du concept se révèle merveilleusement riche en possibilités, offrant un point de vue constamment changeant sur le monde

grouillant d’énigmes de Stacking selon le rôle que l’on décide d’y tenir. Et nous voilà bientôt arpentant les rues d’une ville ou le pont d’un paquebot en quête de coups, bons ou mauvais, à accomplir. Le jeu tient de la valse à deux temps, au bon vouloir du joueur qui, s’il déniche les poupées idéales dans lesquelles se glisser, se métamorphose en un éclair. Il y a des missions imposées (pour faire progresser l’intrigue) et une chaleureuse invitation à multiplier les “farces”. Privilégiera-t-on la quête d’un ordre rassurant (chaque poupée à sa place) ou le plaisir de créer du désordre ? Cette opposition est au cœur de bien des jeux vidéo (notamment ceux se déroulant dans des mondes ouverts, façon GTA) mais elle avait rarement été exploitée avec une aussi guillerette simplicité. Stacking n’est cependant pas qu’un jeu portant un regard neuf sur une vieille tension vidéoludique. C’est aussi un univers rétro – nous sommes au début du XXe siècle – évocateur et soigné, qui ne manque jamais d’humour dans ses apartés presque politiques. Aux dernières nouvelles, deux autres “petits” jeux auraient été imaginés chez Double Fine. On les attend avec impatience. Erwan Higuinen Stacking sur PS3 et Xbox 360 (Double Fine/THQ, environ 15 € en téléchargement)

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l’éternel Mario Mario retrouve à nouveau son ennemi favori Donkey Kong. Une expérience grisante pour le joueur, promu chef d’orchestre d’un monde foisonnant. n marge de son glorieux ancêtre, sur à son avantage, via l’écran l’ultrapopulaire série une logique d’espaces clos tactile, les éléments à sa principale, il existe dont il s’agit de prendre disposition (tremplins, tapis une famille de jeux le contrôle. Chaque niveau mécaniques, etc.) d’une Mario moins connue qui s’apparente ainsi à une manière qui rappelle un peu fait fructifier d’une manière énigme architecturale les Lemmings d’antan. bien différente l’héritage constituée de ponts, de Mais il faudra se creuser du plombier Nintendo. pièges et d’interrupteurs les méninges, anticiper Si son gameplay a subi des qu’il faudra maîtriser. On les mouvements de nos mutations au fil des années, ne part plus vers l’inconnu : mini-Mario et, parfois, Mario vs Donkey descend en on apprend à décrypter réagir au quart de tour. droite ligne du tout premier un système d’interactions Pour une gymnastique jeu mettant en scène notre plus ou moins complexe. mentale plus “créative”, ce héros à moustache : Donkey Depuis son arrivée sur DS, quatrième Mario vs Donkey Kong. Mario y retrouve donc la série a renvoyé Mario au Kong qui pourrait bien être son adversaire historique. second plan, le remplaçant le meilleur permet aussi Mais, surtout, là où la saga par des petits robots à son de concevoir ses propres Super Mario, en 2D comme effigie qui, une fois lancés, niveaux avant de les diffuser en 3D, repose sur la avancent tout seuls. Au via internet. E. H. conquête d’environnements joueur, donc, promu chef Mario vs Donkey ouverts que l’on se plaît d’orchestre plutôt que Kong – Pagaille à Mini-Land ! à explorer, Mario vs Donkey soliste, de conduire leurs sur DS (Nintendo, environ 40 €) Kong s’appuie, comme déplacements en utilisant

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Twin Blades Sur PS3 et PSP (Sanuk Games, 2,99 € en téléchargement) Surfant sur la vague du snack gaming popularisé par l’iPhone, Sony propose une gamme de jeux à prix modérés sur sa boutique en ligne : les minis. Confrontant une guerrière kawaii à une armée de zombies crétins, Twin Blades tient de la petite gâterie coupable et se révèle aussi joli que rythmé. Mais malheureusement assez creux.

M.O.Z.O.X. Space Salvager Sur PS3 et PSP (Twisted Dragon Media, 1,19 € en téléchargement) Rétro jusqu’à sa bande-son, M.O.Z.O.X. n’a pas pour lui qu’un titre idéalement absurde. Ce shoot’em up à l’ancienne découpe en tranches l’expérience classique du genre : une vague de vaisseaux, un boss, une vague de soucoupes, un boss… Nullement expérimental, il se distingue par sa rondeur. On jurerait voir de bons gros jouets. 2.03.2011 les inrockuptibles 109

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Maylee Todd

drôles de dames Apatrides dans la vie comme dans la pop, deux chanteuses vendent du charme en cette fin d’hiver. A la rencontre de Maylee Todd et Lail Arad, fées-furies espiègles et attachantes.

O  Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

n pourrait les appeler les filles Spektor : l’une philippinocanadienne (Maylee Todd), l’autre israélo-anglaise (Lail Arad), une paire de chanteuses un peu comédiennes et comiques, excentriques et pétulantes, dont les premiers albums auraient pu se croiser sur la montagne russo-américaine Regina Spektor. “Quand j’ai commencé le piano après avoir joué de la guitare classique, je me suis intéressée à Regina Spektor parce que je comprenais ce qu’elle jouait, j’arrivais à l’imiter. Après, j’ai voulu combiner la guitare classique et le piano alors je me suis mise à la harpe, qui ressemble à l’intérieur d’un piano mais se joue avec les doigts comme une guitare”, explique Maylee Todd, avec un sens de la logique non dénué de fantaisie.

Les chiens ne font pas des chats : avant d’être une disciple de la précieuse follasse Regina Spektor, Maylee Todd est la fille de son père, fan de bossa-nova et comédien sosie d’Elvis Presley à Toronto. Bossa-nova baby ! Maylee a tout mélangé, le goût du déguisement, de la comédie, des éclats de rire, et le romantisme suave de la bossa. On peut découvrir sa musique par les vidéos, parce qu’elles sont très drôles. Mais l’album, enregistré il y a quatre ans avec des bouts de ficelle, sans label ni pression, tient tout seul. Il est objectivement court (vingt-six minutes), mais subjectivement long, parce qu’il part et rebondit dans tous les sens. Choose Your Own Adventure : sous les atours d’une douce escapade au pays du tropicalisme brésilien (voire paraguayen, car sa harpe vient de là), l’album est aussi

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Lail Arad

une odyssée de l’espace, avec une bombinette funk (Aerobics in Space), une ambiance de cour de récré chez les CE2 (Dead Things) et, à la fin (The Alphabet Song, en morceau caché), la maman de Maylee qui vous chante une chanson. Facétie inspirée sur le fond, vraie richesse mélodique et orchestrale dans la forme : Choose Your Own Adventure est le disque le plus drôle, féerique et élégant du moment. Précision généalogique : Maylee Todd n’a aucun lien de parenté avec la chanteuse californienne Mia Doi Todd. En revanche, elle aurait pu être la cousine de Lail Arad. Née en Angleterre, Lail Arad est la fille de l’architecte et designer israélien Ron Arad, dont l’œuvre dénote une affection pour les formes sinusoïdales. Lail s’est spécialisée dans les chansons qui se gondolent. Elevée chez les cools, une discothèque familiale riche en folk-rock 60’s et des instruments à la maison, Lail s’est mise à la musique après ses études de théâtre, sous la haute influence de la scène antifolk américaine (Jeffrey Lewis, Moldy Peaches), “une révélation”, dit-elle. Elle a rodé

ces albums auraient pu se croiser sur la montagne russo-américaine Regina Spektor

ses chansons dans de petits clubs londoniens, avant d’enregistrer Someone New, son premier album. Si on doit ressortir la vieille étiquette “bourgeoisbohème” sans aucune intention de nuire, c’est le moment. Ses chansons voyagent léger, un sourire aux lèvres, passant de la pop pétillante à la country light, d’un cabaret honky tonk à la musique de chambre. Rigolote, Lail l’est, truffant son disque de petits gimmicks funky, chantant avec des accents, jouant avec les mots, les langues et les sentiments. Romantique voire mélancolique, Lail l’est aussi. Dans la grande tradition des songwriters anglais à conscience sociale, elle est parfaite pour esquisser la futilité, la vanité et les doutes des jeunes hipsters qui vivent le cul entre deux chaises, bordé de nouilles (Everyone Is Moving to Berlin, Who Am I, Had It Harder). Touriste de la vie, bien née mais pas à l’abri du mal-être, Lail Arad a choisi d’en rire dans des chansons plus douces qu’amères. Stéphane Deschamps Maylee Todd Choose Your Own Adventure (Do Right Music/La Baleine) www.myspace.com/mayleetodd

, Lail Arad Someone New (Notify Music/EMI) www.myspace.com/lailarad Concerts Lail Arad est en tournée française dans le cadre des Femmes s’en mêlent, les 22, 24, 25, 26 et 31 mars 2.03.2011 les inrockuptibles 111

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Florence relance The Machine Après une apparition aux oscars et un mystérieux passage au Stratosphere Sound Studios de New York avec Jamie Smith de The XX, la flamboyante Anglaise serait sur le point de donner un successeur à son colossal Lungs de 2009. Selon son guitariste Rob Ackroyd, c’est aux studios Abbey Road que Florence Welch enregistrerait en avril ou en mai aux côtés du producteur Paul Epworth – avec lequel elle a déjà fait plusieurs sessions de préparation. L’album devrait voir le jour d’ici à la fin de l’année.

pas de chanteurs de Mexico ? Premier dommage collatéral et grand n’importe quoi à la suite de l’annulation de l’année du Mexique en France : le maire de Toulouse a annoncé la suspension de la thématique mexicaine du festival ¡ Río Loco ! (en juin). Florence Cassez reste en prison, et la culture est prise en otage.

cette semaine

Joy vraiment Formidable

A l’occasion de sa réouverture, la salle culturelle parisienne se lance dans un marathon de concerts sur cinq jours avec, entre autres, les furibards Zombie Zombie, Yacht, Mondkopf, Konono n° 1. James Murphy et Gavin Russom de LCD Soundsystem assureront un DJ set pour la soirée de clôture. Du 2 au 6 mars à Paris. www.gaite-lyrique.net

Jeremy Cowart

la Gaîté Lyrique rouvre ses portes

Une petite erreur de notation s’est glissée dans le n° 794 des Inrocks : le premier album des Gallois aurait dû se voir attribuer un 3,5 sur 5 et non un 2 comme on pouvait le lire à la fin de la chronique. En pleine tournée européenne, The Joy Formidable repasseront à Paris pour une black session sur France Inter le 10 mars et pour L’Album de la semaine enregistré le 8 mars et diffusé sur Canal+ le 4 avril.

Franz Ferdinand repris Actuellement en studio, les Ecossais s’apprêtent à être célébrés par cinq invités de marque. Prévu pour le 16 avril, un ep créé à l’occasion du Record Store Day verra en effet Debbie Harry, LCD Soundsystem, Peaches, ESG et Stephin Merritt de Magnetic Fields se plier au jeu de la reprise d’extraits de Tonight, troisième album du groupe – la classe. www.recordstoreday.co.uk

neuf

Chris Spedding Flashguns

Haight-Ashbury Ce trio écossais n’a pas volé son nom, qui sent bon la Californie et la drogue : deux filles, un garçon, et la rencontre entre les harmonies vocales baba des Mamas & The Papas et les guitares noisy de The Jesus & Mary Chain. Puissant et planant. Premier album bientôt. www.myspace.com/haightashburyuk

Malgré leurs bouilles de poupons, ces trois Anglais originaires de Londres et de Brighton ont déjà à leur actif une poignée de brillants singles, dont un produit par l’ex-Suede Bernard Butler. Fantasmé sur les terres des Cure et des Talking Heads, leur rock amer possède une classe folle qui portera sans aucun doute leur nom très haut cette année. www.myspace.com/flashguns

Michael Chapman Sorti à l’origine sur le prestigieux label Harvest en 1970, l’album Fully Qualified Survivor de ce songwriter anglais est luxueusement réédité. L’occasion de se replonger dans ce folk à gorge profonde, encensé au fil des ans par John Peel ou Supergrass. Cocassement, Chapman appartient à la légende pour avoir présenté le guitariste Mick Ronson à David Bowie. www.lightintheattic.net

Il serait absurde d’attendre sa mort pour dire merci à Chris Spedding. Faisant partie des teignes qui ont forcé le rock à jouer avec morgue plutôt que de finir à la morgue, guitariste méchant de John Cale ou Brian Eno, producteur des Sex Pistols, musicien racé, il reste l’une des stars oubliées du rock anglais. Il sera en concert, avec le crooner farfelu Robert Gordon, au Bus Palladium le 24 mars. www.myspace.com/guitarjamboree

vintage

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Cédric Viollet

des figures libres qui transpercent les genres entre chaleurs soul, ferveur ragga et hoquets funk

Selah Sue, c’est la soul Appuyée par Cee-Lo Green, Meshell Ndegeocello ou Prince, la carrière de la chanteuse belge Selah Sue ressemble à un rêve. Qui a pourtant commencé dans la boue.

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n plongeant dans ses yeux bleus enroulés dans une épaisse chevelure blonde, on croirait avoir affaire à une poupée. Mais la peau lisse et les traits délicats sont trompeurs. Il y a chez Selah Sue, 22 ans, une nervosité qui brise le masque enfantin au premier mot : “Enfance tranquille, famille tranquille, ouais… Mais, à 14 ans, tout s’est effondré, je suis tombée dans le gouffre. J’ai traversé une période abominable

où plus rien ne m’allait.” C’est de là que tout part. En pleine crise, Selah se lance dans des études de psychologie, cherche du sens mais ne trouve rien : “Je passais mes journées à ne rien foutre, je n’allais pas en cours, je ruminais, j’étais d’une paresse extrême.” Dans sa fuite, elle griffonne ces étranges strophes qui parlent de puberté mal gérée, de sortir de soi, de se regarder de l’extérieur : “Ça parlait de crise identitaire, de s’accepter soi-même, d’apprendre à s’aimer. J’ai appelé ça Explanations, on peut dire que c’est ma première chanson.” Puisant dans un répertoire black, elle s’invente un chant suspendu entre le flegme des poètes reggae et la hargne d’Erykah Badu ou de Lauryn Hill, influences tutélaires qu’elle trimballe dans de petits clubs. Jusqu’à ce que

le Belge Milow, auréolé de sa reprise d’Ayo Technology, la remarque, l’approche et la secoue : “Il m’a trouvé des dates, ça a stimulé mon écriture. Tu ne peux pas tenir longtemps avec seulement deux chansons et quelques reprises de Lauryn Hill.” Tombe alors dans les bacs le maxi Black Part Love, un disque dont la production, étriquée, et la voix, trop inféodée aux influences de Selah, dispersent l’impact. C’est finalement aux côtés du producteur allemand Farhot (Nneka) que Selah consolide ses visions en enregistrant un long format. Frottant les potions soul tirées de Black Part Love aux doctrines électroniques du producteur, elle amplifie les contrastes entre la profondeur des basses et ses intonations de tête : “Le hip-hop, le dubstep font partie de ma culture depuis longtemps. Ce tapis

de basses, de rythmes lourds, est un contrepoint essentiel à mon chant.” Sombre et mélodieux dans un même souffle, le mix décolle, révélant une balance maîtrisée entre la puissance des rythmiques et les vocalises haut perchées que Selah libère d’une voix forte avec un débit de toaster jamaïcain. Bénéficiant des collaborations de Patrice, du rappeur Cee-Lo Green ou de Meshell Ndegeocello, qui produit le chant déchiré Mommy, la formule convainc jusqu’à Prince, qui, en novembre, invitait la chanteuse à assurer sa première partie à Anvers. Sur scène, la machine redouble d’intensité, percutée par les figures libres et les commotions vocales qui transpercent les genres entre chaleurs soul, ferveur ragga et hoquets funk. Même si la part du texte puise, encore, dans le royaume des ombres, des colères et des questions : “Il n’y a presque qu’un seul thème, le même depuis le début. Ma psy me disait toujours de tenir un journal intime, je ne l’ai jamais fait, mais finalement, ce disque fait peut-être office de journal.” Thomas Blondeau Album Raggamuffin (Because/Warner) www.myspace.com/ selahsuemusic En écoute sur lesinrocks.com avec 2.03.2011 les inrockuptibles 113

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Sven Creutzmann

du fond du chœur A Cuba, la chorale Creole Choir Of Cuba perpétue le chant des ancêtres, venus d’Haïti. “Des gens pleurent à nos concerts”, disent-ils : préparez vos mouchoirs.

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uand il y a eu le séisme en Haïti, on s’est sentis obligés d’y aller, comme pour aider un ami en difficulté. On est restés quarantecinq jours, en dormant sur le sol, on a vécu la réplique. Ce fut une expérience douloureuse, mais inoubliable. On a fait des ateliers de chant pour les enfants, on leur a apporté un peu de calme, on a senti qu’on faisait du bien aux autres”, explique, les larmes aux yeux, Emilia Diaz Chavez, la patronne du Creole Choir Of Cuba. Un vrai remontant, les “desandann”, nom d’origine du chœur. Fondé en 1994 dans la ville de Camagüey, dans le sud de l’île, il regroupe une dizaine de chanteurs qui ont en commun d’être issus de l’immigration haïtienne à Cuba (les “descendants”, donc). Emilia Diaz Chavez ne sait pas quand ses ancêtres sont arrivés à Cuba, elle ne connaît pas sa famille à Haïti. La première vague de migration date de la fin du XVIIIe siècle, quand les colons français chassés par la révolution noire de Toussaint-Louverture se sont enfuis avec leurs esclaves. Beaucoup d’autres ont suivi. Exil de pauvres, d’anciens esclaves qui ont fui la misère haïtienne pour travailler la terre à Cuba dans des conditions à peine meilleures. Aujourd’hui, un Cubain sur dix a des origines haïtiennes. Le créole y est

la deuxième langue après l’espagnol. “On le parle avec les anciens, mais les enfants parlent plutôt espagnol, le créole se perd”, constate Emilia. Quand elle a créé le chœur avec des élèves de son école de chant, c’était justement pour retrouver, et redorer, la créolité haïtienne à Cuba : “Haïti est un pays pauvre, sans ressources, où il y a de la corruption et de la criminalité. Beaucoup de Cubains d’origine haïtienne préfèrent ignorer leurs origines. Aujourd’hui, il n’y a pas de chorale équivalente à la nôtre en Haïti, et nous sommes la seule à Cuba. Au départ, il n’y avait pas d’objectif commercial, nous voulions juste faire exister de manière plus formelle cette tradition très importante pour nous. Notre répertoire est constitué de chansons haïtiennes créoles qui sont chantées en famille, transmises de génération en génération.” Une affaire de famille : la fille d’Emilia a rejoint le chœur. Soutenu par le régime, le groupe commence par beaucoup tourner à Cuba, puis aux Etats-Unis (où il sort un premier album, confidentiel, en 1996), puis dans quelques festivals européens. Dans les années 2000, la chorale bénéficie de l’effet Buena Vista Social Club. En 2009, après leur passage remarqué au festival d’Edimbourg, Peter Gabriel leur propose de sortir un album sous son label,

Real World. Tande-La est donc enregistré en une semaine, et c’est une bombe. Accompagné de percussions cubaines, le chœur fait preuve d’une énergie, d’une intensité cathartique rares. “Quand on chante, on est impliqués émotionnellement, on doit ressentir ce qu’on chante pour transmettre de l’émotion. Il y a des gens qui pleurent à nos concerts.” La beauté de ce disque, c’est d’être une vraie œuvre créole, musique de sangs mêlés, dans laquelle on entend le croisement ému d’influences latines, caribéennes, mais aussi gospel ou même européennes. Les chanteurs sont tous formés au chant et issus de l’autre chorale, classique, dirigée par Emilia. De la chanson pauvre à la musique savante, une autre forme de créolité émerge. “Ma fierté personnelle, c’est que partout où nous avons chanté, de Singapour à la Hollande, les gens ont compris notre musique. Et mon rêve, ce serait que le groupe continue à exister bien après la formation actuelle, encore beaucoup d’années avec d’autres descendants.” Stéphane Deschamps Album Tande-La (Real World/Harmonia Mundi) Concert le 2 mars à Paris (New Morning) www.creolechoir.com

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Tcho Antidote

Zone Libre vs Casey & B. James Les Contes du chaos

Fujiya & Miyagi

Intervalle Tritton/L’autre Distribution

Ventriloquizzing

Orchestrée par l’ex-Noir Désir Serge Teyssot-Gay, une rixe brûlante entre free-rock et hip-hop. “Aiguise-moi ça”, hurle, en fin de parcours, l’ultime brûlot – comme si ces chansonscanifs, ces chansons-scalpels, n’étaient pas déjà assez tranchantes, dangereuses. Collision frontale de free-rock et de rap affranchi, cet album menaçant est fils bâtard, agité et insoumis d’une rencontre explosive et ancienne entre La Rumeur et Noir Désir. Serge Teyssot-Gay n’avait pas attendu son départ en couperet de Noir Désir pour alimenter en électricité mauvaise, malade, convulsive, une poignée de projets lointains, sans cadres ni lois : un homme d’échange et de partage – et de risques. On connaît les dangers de collaborations entre rock et rap : elles révèlent le plus souvent l’incompréhension comique d’un genre pour l’autre et le cynisme d’aigrefins. Mais là, le fond de rage et d’orage est commun, qu’importe sur quel mode on hurlera ses tripes. La rappeuse Casey, une proche enragée de La Rumeur, et B. James, voix d’émeutier lui aussi venu du collectif Anfalsh, ne sont pas là pour décorer les volutes brisées de guitares, les rythmes en décombres. Le vs de l’intitulé n’est pas une figure typographique : on est ici, comme chez les grands Psykick Lyrikah, dans le versus, l’affrontement, hommes et femme contre décharges indomptables, contre stridences, contre l’infâme dictature de la futilité et de la prudence. “Je souris au brasier…” C’est ça, exactement. JD Beauvallet

Full Time Hobby/Pias

www.myspace.com/librezone

Le kraut vallonné des Anglais dessine un univers sombre et cohérent. On a toujours pas mal aimé Fujiya & Miyagi. Comme des copains à éclipses, un groupe de grand talent mais sans véritable génie, dont les bons précédents Lightbulbs, Transparent Things ou Electro Karaoke in Negative Style n’ont laissé derrière eux qu’une poignée de tubes notables, formidables carburants à DJ-sets pour bars pas trop énervés. L’avis ne changera peut-être pas radicalement avec le très bon Ventriloquizzing, mais la pratique, elle, si : joliment produit par Thom Monahan (Devendra Banhart, Little Joy), sans automatisme, le dernier album des Brightoniens, plus vallonné dans son kraut moderniste, s’écoute en longueur. Fujiya & Miyagi y dessine un univers ultracohérent, ramassé et sombre. La bande-son quasi idéale d’un film d’horreur en Technicolor : à vous d’en inventer les images. Thomas Burgel www.fujiya-miyagi.co.uk En écoute sur lesinrocks.com avec

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Colin Stetson New History Warfare Vol. 2: Judges Constellation/Differ-ant

Avec Laurie Anderson au chant, un rock oblique à base de cuivres cinglés. C’est la course à l’armement dans l’outre-rock – à qui aura le son le plus menaçant, frondeur et inédit. Signé par un label (Constellation) qui en connaît un rayon question rock insurgé, ce membre intermittent d’Arcade Fire fait ainsi sonner et tonner son saxophone comme un brise-glace qui défoncerait une discothèque enfouie sous la banquise. Souvent instrumentale, cette musique accueille parfois des femmes dans le carnage, comme l’héroïque Laurie Anderson, qui résiste avec stoïcisme aux éclairs aveuglants, à une beauté sauvage et aux déflagrations alarmantes. JD Beauvallet

Andrew Catlin

www.colinstetson.com

Vel Believe Aux confluences de l’Asie et des clubs occidentaux, un album envoûtant. la croisée de l’univers musical tamoul et des pistes de danse européennes se tient Susheela Raman, Londonienne dont le cinquième album, conçu à Madras et développé sur scène grâce à des musiciens du Rajasthan, prend dès la première écoute toutes les apparences d’une bombe. Musique évolutive (Paal dure sept puissantes minutes), de tension et de désir. La jeune femme vacille en permanence entre scansion (la guitare virevoltante et les percussions martelées dans Raise up) et ondoiement, la pure extase hypnotique et des rythmes urbains aux parfums étranges. Vel résonne ainsi comme la victoire de la conviction : la réalisation la plus accomplie de Susheela Raman. Christian Larrède

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Concerts en tournée à partir du 5 mars, le 9 à Paris (Maroquinerie) www.myspace.com/susheela.raman En écoute sur lesinrocks.com avec

Claude Gassian

Susheela Raman DeVotchKa 100 Lovers Anti/Pias Scandaleusement méconnu, DeVotchKa, c’est pourtant pas du kaka. Depuis quinze ans et six albums, dans un anonymat (à peine troublé par la BO de Little Miss Sunshine ou des premières parties burlesques de Muse) qui fait croire au vaste complot, DeVotchKa s’amuse à effacer, à la (mystère et boule de) gomme, les frontières entre genres, continents et époques. Talking Heads en pique-nique à la campagne, Arcade Fire sur un tapis volant au-dessus des délices d’Orient, Arno en tongs dans les Balkans, Scott Walker virant mariachi : DeVotchKa maîtrise tous les registres de la pop fugueuse, lyrique et farfelue en un esperanto toqué. JDB www.myspace.com/ devotchkamusic

Pascal Comelade Psicòtic Music’ Hall Because Belle réédition d’un classique de Comelade, et concert de prestige. On a lu ici ou là que Psicòtic Music’ Hall, réédité neuf ans après sa sortie avec dix titres live inédits, était l’album le plus personnel de Pascal Comelade. Mais alors, qui est cette personne ? Un ours en peluche oublié dans un coffre à jouets ? Un gitan tenancier d’un grand huit de fête foraine, voire Huit et demi de Fellini ? Un pizzaïolo de l’espace ? Des castagnettes à rouflaquettes ? Des ustensiles de cuisine ? Un baby-rockeur ? Un ensemble de poupées russes (mais catalanes) ? Le plus grand chef d’orchestre miniature ? Un lieutenant du Captain Beefheart, conscrit de l’armée des déserteurs de la normalité et de l’ennui ? A toutes ces questions, les chansons légères, ludiques et romantiques de Psicòtic Music’ Hall répondent par des points de suspension semés dans le jardin fertile de l’imagination. Oublions les étiquettes, c’est une valse. Stéphane Deschamps Concert le 3 mars à Paris (Cité de la Musique), avec le Bel Canto Orchestra www.myspace.com/comelade

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Yann Orhan

Hubert-Félix Thiéfaine Suppléments de mensonge Columbia/Sony Entouré d’une équipe inattendue et rajeunie, Thiéfaine offre à ses chansons un séduisant bol d’air. a sérénité n’est au centre d’un riche à se fondre dans un monde sans doute pas banquet d’orchestrations pour mieux en retranscrire le terme le plus limpides et sans bavardages les sentiments. Comme adéquat pour superflus. Si ses textes ils l’avaient si bien négocié résumer la discographie s’articulent toujours autour pour le Fantaisie militaire pléthorique d’Hubert-Félix d’une nostalgie anthracite, d’Alain Bashung, leurs Thiéfaine. Bâtis sur des on peut néanmoins mises en plis n’imposent charpentes de sombre constater quelques fissures rien, ne vampirisent jamais et de noir, ses disques de la couche de nuages. Pas leurs hôtes, mais savent n’ont que très rarement l’âge de raison, mais plutôt en récolter les plus beaux laissé entrer le soleil ou des raisons de prendre son fruits. les perspectives de futur. âge et son histoire comme Un autre de leurs jolis Et voici qu’arrivent ces de véritables atouts. appuis à la réussite de cet Suppléments de mensonge, Hubert-Félix aura 63 ans album, et pas le moindre, dont exhale ce premier le 21 juillet, mais ne semble est d’avoir su amalgamer et incongru sentiment pas disposé à faire valoir autour du mât Thiéfaine général : la sérénité. ses droits à la retraite. une impressionnante A n’en pas douter, Le futur lui va comme guirlande de contributeurs la présence des Valentins un gant. Jean-Luc Manet venus d’horizons pourtant s’impose en première hétérogènes. Compositeurs www.thiefaine.com cause et effet majeurs composites donc : l’unité de cette nouvelle donne s’opère en toute évidence plus pastel et chatoyante. entre Arman Méliès, Responsables d’une JP Nataf, Dominique production à la fois Dalcan, La Casa ou Ludéal. respectueuse d’un univers Mais tout ceci ne saurait unique et capable faire oublier qu’un seul d’en défricher des voies maître de cérémonie inconnues, ils prouvent une dirige les débats : soit nouvelle fois leur capacité un Thiéfaine très à l’aise

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Vincent Flouret

Cyril Mokaiesh Mon époque AZ/Universal Un nouveau genre de variété française : dingue et exaltée. n l’a connu Mokaiesh, groupe souffle du côté de l’imprudence, de rock exalté, bramant une de l’impudence. Et, sans se soucier prose verbeuse qui tentait de crédibilité rock ou d’identiques le dialogue entre Manset et balivernes qui étouffent et limitent, Noir Désir, mais avec une production Cyril Mokaiesh se vautre dans trop banale “pour une place au le luxuriant comme d’autres Panthéon”. On le retrouve Cyril dans la luxure : la variété française, Mokaiesh, n’en faisant plus qu’à sa rarement traitée avec une telle tête, agitée, fiévreuse, tapée contre fantaisie depuis Polnareff, les murs qui séparent le rock Colombier ou Vannier, s’en tord animal de la chanson romanesque. de plaisir. JD Beauvallet Au bout de deux chansons, Mon époque et Communiste, l’affaire www.cyrilmokaiesh.com est entendue : cette liberté gonflée, Concert le 24/5 à Paris (Maroquinerie) gagnée du côté de Léo Ferré, En écoute sur lesinrocks.com a propulsé ses chansons à grand avec

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Kanye West All of the Lights Si le quatrième single extrait du brillant My Beautiful Dark Twisted Fantasy, sorti l’année dernière, présente une liste de featurings plus longue que le bras, il possède aussi maintenant son clip épileptique réalisé par Hype Williams, avec Rihanna et Kid Cudi. www.gossipcenter.com

Bombino Adinate Ce sera un des événements Banlieues Bleues : la venue, le 2 avril au Blanc-Mesnil, du folk-singer et guitar-hero nigérien Bombino, quelques jours après la sortie de son album Agadez. Et de belles images tournées dans la brousse du Burkina Faso. www.youtube.com

Little Scream Cannons Avec un premier album, à venir en avril, coproduit par Richard Reed Parry d’Arcade Fire et Aaron Dessner de The National, cette Montréalaise, aux chansons entre folk solaire et pop neuve, donne envie de se tatouer “Little Scream” sur le cœur, à vif et sans anesthésie. Amour immédiat. www.myspace.com/officiallittlescream

My Name Is Nobody Northern Memories Caché derrière un pseudo fantomatique, ce Nantais livre une pop grandiose, rêvée dans les montagnes américaines mais cousue à la main en Bretagne. Extrait de son quatrième album, Northern Memories fait une promesse à My Name Is Nobody : l’anonymat, c’est bientôt fini. www.lesinrockslab.com/my-name-is-nobody 2.03.2011 les inrockuptibles 119

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Aanorak 17/3 Paris, Point Ephémère Adele 4/4 Paris, Cigale And You Will Know Us By The Trail Of Dead 1/4 Paris, Maroquinerie Archive 3, 4 et 5/4 Paris, Grand Rex Carl Barât 16/4 Paris, Trianon BBK Live Du 7 au 9/7 à Bilbao, avec Coldplay, Crystal Castles, Amy Winehouse, Kasabian, Kaiser Chiefs, The Chemical Brothers, !!!, Blondie, Beady Eye, TV On The Radio, etc. Beady Eye 13/3 Paris, Casino de Paris, 19/3 Toulouse Belle And Sebastian 11/4 Paris, Grand Rex Bewitched Hands 4/3 Noisiel, 9/3 Orléans, 10/3 Paris, Cigale, 11/3 Alençon, 12/3 Lorient, 17/3 Grenoble, 18/3 Nimes, 23/3 Limoges, 24/3 ClermontFerrand, 25/3 Niort, 26/3 Reims, 30/3 Poitiers, 1/4 Massy, 2/4 Lyon, 7/4 Six Fours, 8/4 Marmande, 9/4 La Rochesur-Yon Aloe Blacc 24/4 Paris, Trianon The Black Keys 15/3 Paris, Olympia, 16/3 Nantes, 25/3 Lille James Blake 23/4 Bourges, 25/4 Paris, Maroquinerie Bo Nigen 4/3 Saint-Ouen The Boxer Rebellion 25/3 Paris, Nouveau Casino Brigitte 19/3 Aulnoye Aimeries, 24/3 Lille, 25/3 Saint-Saulve, 29/3 Paris,

Alhambra, 31/3 Flers, 7/4 Les Sables D’Olonne, 8/4 Bethune, 9/4 Rennes, 21/4 Bourges, 23/4 Chelles, 30/4 Colmar, 5/5 Marseille, 6/5 Avignon, 7/5 Nancy, 8/5 Neufchâteau, 12/5 Lyon, 13/5 Toulouse Buzzcocks 26/3 Paris, Elysée Montmartre Cali 16/3 Caen, 17/3 Angers, 18/3 Brest, 22/3 Rouillac, 23/3 Rouen, 24/3 Le Mans, 31/3Luxembourg, 1/4 Reims, 7/4 Avignon, 8/4 Marseille, 12/4 Strasbourg, 13/4 ClermontFerrand, 22/4 Bourgen-Bresse, 4/5 Paris, Zénith, 5/5 Lyon, 7/5 Besançon, 11/5 Nantes, 12/5 Toulouse, 13/5 Pau, 14/5 Montpellier, 18/5 Bordeaux, 19/5 Rennes, 21/5 Grenoble Anna Calvi 29/3 Metz, 30/3 Dijon, 17/4 Marseille, 19/4 Bordeaux, 20/4 Lyon, 22/4 Paris, Trianon, 23/4 Saintes, 24/4 Bourges Cascadeur 12/3 Metz, 17/3 Rennes, 19/3 Chelles, 23/3 Paris, Café de la Danse, 24/3 Canteleu, 25/3 Poitiers, 31/3 Belfort, 2/4 Amiens, 10/4 Morlaix, 16/4 Tourcoing, 20/4 Alençon, 24/4 Bourges, 11/6 Montereau Cat’s Eyes 22/3 Paris, Nouveau Casino Téofilo Chantre 9/4 Paris, New Morning

Chocolate Genius Inc. 24/3 Puteaux, 25/3 Strasbourg, 26/3 Rouen, 29/3 Cenon, 30/3 Amiens, 31/3 Lille, 2/4 Annecy, 7/4 Paris, Café de la Danse, 8/4 ClermontFerrand, 9/4 Arles, 13/4 Angoulême, 14/4 La Rochelle, 15/4 La Rochesur-Yon, 21/4 Bourges Cocoon 16/4 Nice, 26/4 Paris, Olympia Pascal Comelade 3/3 Paris, Cité de la Musique Cut Copy 19/3 Paris, Nouveau Casino Data Rock 4/4 Paris, Flèche d’Or Death In Vegas 27/5 Paris, Alhambra Deerhunter 8/4 Dijon, 9/4 Paris, Gaîté Lyrique, 10/4 Tourcoing Deportivo 3/3 Paris, Flèche d’Or Alela Diane 8/5 Strasbourg, 9/5 Paris, Cigale, 10/5 Lille The Dodos 18/5 Paris, Point Ephémère Does It Offend You, Yeah? 21/4 Paris, Nouveau Casino, 22/4 Angers, 23/4 Bourges Eels 4/7 Paris, Bataclan Elysian Fields 2/4 Amiens Everything Everything 26/3 Paris, Flèche d’Or Explosions In The Sky 20/5 Paris, Bataclan Les Femmes s’en mêlent # 14 Du 19/3 au 3/4 à Paris, Bordeaux, Brest, Belfort, Ajaccio, avec Jessy Bulbo, Amandititita, Afrodita, Pau Y Amigos, Sonido Lasser, Drakar,

Glasser, Le Corps Mince de Françoise, Le Prince Miiaou, etc. Festival Concerts sauvages Du 2 au 9/4 au Domaine des Portes du Soleil, avec Keziah Jones, Jamaica, BB Brunes, etc. Festival Le Printemps de Bourges Du 20 au 25/4 à Bourges, avec Aloe Blacc, Lykke Li, The Dø, James Blake, Mélanie Laurent, Yael Naïm, etc. Festival Panorama Du 7 au 10/4 à Morlaix, avec Vitalic, Crookers, Katerine, Sebastian, Stromae, DJ Mehdi, Cascadeur, etc. Festival Terra Trema Du 27 au 30/4 à CherbourgOcteville, avec Ebony Bones, Zone Libre vs. Casey, The Luyas, etc. Fleet Foxes 30/5 Paris, Bataclan Frankie & The Heartstrings 2/4 Paris, Flèche d’Or French Horn Rebellion 2/3 Paris, Nouveau Casino Fujiya & Miyagi 21/4 Lille, 22/4 Caen, 23/4 Rennes, 26/4 Paris, Alhambra, 27/4 Strasbourg, 2/4 Lyon, 29/4 Montpellier, 30/4 Marseille Gablé 5/4 Paris, Café de la Danse Gang Of Four 18/3 Paris, Trabendo Glasvegas 17/3 Paris, Maroquinerie John Grant 1/4 Paris, Café de la Danse Jacques Higelin 5/3 Tremblayen-France, 6/3 Suresnes, 15/3 Anzin, 24/3 Lyon

Peter Hook joue Unknown Pleasures 10/3 Paris, Trabendo I Blame Coco 1/4 Paris, Alhambra I’m From Barcelona 11/3 Paris, Café de la Danse Inrocks Indie Club Mars 25/3 Paris, Flèche d’Or, avec The Go! Team, May 68

Inrocks Lab Party Première soirée live gratuite pour le concours de découvertes musicales des Inrocks avec Concrete Knives et les deux finalistes du mois de février. 4/3 Paris, Flèche d’Or Interpol 15/3 Paris, Zénith Jamaica 6/4 Strasbourg The Jim Jones Revue 8/4 Paris, Bataclan, avec The Legendary Tigerman, The Bellrays Kasabian 1/7 HérouvilleSaint-Clair Katerine 27/5 Paris, Olympia Keren Ann 24/5 Paris, Cigale The Kills 6/4 Paris, Bataclan Konono n°1 2/3 Paris, Gaîté Lyrique La Fiancée 17/3 Strasbourg, 18/3 Nantes (+ Florent Marchet), 1/4 Nancy, 16/4 Nice Le Prince Miiaou 11/3 Orléans, 17/3 Montpellier, 25/3 Saint-Lô, 29/3 Paris, Divan du Monde, 30/3 Rouen, 31/3 Le Havre, 9/4 Rennes, 16/4 Saint-Brieuc,

23/4 Chelles, 24/4 Bourges, 30/4 Niort, 13/5 Rouillac, 14/5 Vauréal, 26/5 Toulouse Lykke Li 21/4 Paris, Cigale Lilly Wood & The Prick 11/3 CergyPontoise, 12/3 RisOrangis, 24/3 Marseille, 25/3 Toulon, 26/3 Nice, 11/5 Paris, Bataclan Florent Marchet 3/3 Angers, 4/3 Lorient, 5/3 Brasparts, 11/3 Angoulême, 18/3 Nantes, 25/3 Paris, Cigale, 29/3 Falaise, 1/4 Porteslès-Valence, 2/4 Istres, 13/4 Lille, 14/4 Beauvais, 15/4 Rennes, 29/4 CergyPontoise Matt & Kim (+ Young Knives) 24/3 Paris, Flèche d’Or Mercury Rev joue Deserter’s Songs 25/5 Paris, Bataclan Metronomy 19/3 Nice, 4/5 Paris, Cigale, 21/5 Toulouse, 22/5 Bordeaux, 23/5 Rennes, 24/5 Lyon, 25/5 Tourcoing, 26/5 Strasbourg Minitel Rose 16/3 Lille, 17/3 Paris, 24/3 Angoulême, 1/4 Montpellier, 9/4 Auxerre Marie Modiano 8 & 15/3 Paris, salon musical de SaintEustache Mogwai 17/3 Paris, Trianon, 18/3 Lille, 19/3 Strasbourg, 20/3 Lyon, 21/3 Nice, 22/3 Toulouse, 24/3 Bordeaux, 25/3 Caen Morcheeba 4/4 Nantes, 5/4 Paris, Casino de Paris, 7/4 ClermontFerrand, 8/4 Marmande,

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Dès cette semaine

15/4 Lille, 16/4 Strasbourg Moriarty Du 14 au 20/3 Paris, Trianon Nasser 5/3 Cachan, 8/3 Riorges, 11/3 Paris, Machine, 18/3 Nyons, 19/3 Brainans, 21/3 Paris, La Défense, 25/3 Marseille, 7/4 Villeurbanne, 8/4 Marmande, 9/4 Morlaix, 16/4 Lille, 14/5 Rennes Youssou NDour 7/3 Paris, Casino de Paris Agnes Obel Du 4 au 6/7 Paris, Théâtre des Bouffes du Nord Puggy 1 & 2/4 Paris, Bataclan

Queens Of The Stone Age A l’occasion de la réédition de leur premier album prévue le 9 mars, Josh Homme et sa bande repartent sur les routes et s’offrent deux escales en France. 23/5 Paris, Olympia, 25/5 Strasbourg Gruff Rhys 4/3 Paris, Café de la Danse Catherine Ringer 30 & 31/3 et du 3 au 5/4 Paris, Boule Noire, 7/4 Ris-Orangis, 8/4 Massy, 9/4 Sannois

Rococo 3/3 Fougères, 4/3 Brest, 5/3 Quimper, 6/3 Vannes Gaëtan Roussel 6/4 Paris, Zénith, 8/4 Nantes, 9/4 Quimper, 10/4 Rennes, 16/4 Bourges, 27/4 Rouen, 28/4 Paris, Cigale, 29/4 Toulouse, 30/4 Lyon, 4/5 Strasbourg, 7/5 Lille, 11/4 Buxelles, 12/5 Dijon, 13/5 Montpellier, 15/5 Six-Fours, 20/5 Bordeaux, 21/5 ClermontFerrand, 22/5 Ruoms, 23/5 Saint-Brieuc, 31/5 Paris, Cigale, 23/9 Paris, Casino de Paris

aftershow

Shout Out Louds 28/3 Paris, Machine, 29/3 Angoulême, 30/3 Dijon, 31/3 Strasbourg, 1/4 Massy, 2/4 Annecy, 5/4 Marseille The Sisters Of Mercy 5/3 Paris, Trianon The Sonics 3/6 La Rochelle The Specials 27/9 Paris, Olympia Stranded Horse 3/3 Roubaix, 4/3 Liège, 15/3 Rennes, 26/3 Niort Stupeflip 26/3 SaintJean-de-Védas, 31/3 Nantes, 1/4 Angers, 2/4 Lille, 8/4 Poligny,

9/4 Villeurbanne, 10/4 Marmande, 16/4 Le Creusot, 29/4 Rouen, 3/5 Paris, Bataclan, 1/6 Saint-Etienne, 8/6 Tours Surfer Blood 10/3 Paris, Flèche d’Or Syd Matters 29/3 Paris, Olympia Yann Tiersen 7/4 Angoulême, 8/4 Avignon, 9/4 Nice, 10/4 Montpellier, 12/4 Toulouse, 13/4 Bordeaux, 14/4 Nantes, 15/4 Rouen, 16/4 Allonnes, 17/4 Lille, 19/4 Lyon, 20/4 Dijon, 21/4 Rennes, 22/4 Brest Tilt Festival Du 17 au 19/3

Everything Everything

NME Tour (The Vaccines, Everything Everything) le 17 février à Brighton, The Dome Les Vaccines, qui ouvrent ce soir, jouent sans pression : la presse anglaise leur a juste confié les clés du futur. Ils sont les élus, la dernière chance d’un genre – le rock anglais à guitares – humilié, négligé depuis deux ans par les ondes toutes-puissantes de la BBC – avec les répercussions économiques que cela implique. Leur musique semble un fantasme : reprendre à zéro la rencontre frustrante à l’époque entre Phil Spector et les Ramones et en faire une cérémonie flamboyante. Moins lyriques et denses que les Glasvegas, mais moins fragiles que les Drums, eux aussi revisitent cette surf-music de cathédrale, avec une fougue enthousiasmante. La pop d’Everything Everything simule, elle, cette simplicité : on sent pourtant par quels jeux de pistes elle a dû passer avant de parvenir à cet étonnant dénouement. Car même quand elle joue minimal, le travail d’épure semble phénoménal en amont : pas surprenant de la part d’un groupe qui cite dans la même phrase Roland Barthes et Paddy McAloon, le démiurge cramé de Prefab Sprout. Le plus incroyable reste qu’une musique aussi cérébrale puisse provoquer la liesse d’un public très jeune, notamment sur un Photoshop Handsome qui vire à l’émeute malgré ses chicanes à la XTC – ecstasy en anglais, extase dans la salle. JD Beauvallet

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Nouvelles locations

En location

à Perpignan, avec June et Lula, Stromae, Crookers, We Have Band, etc. Boubacar Traoré 4/3 Paris, Cigale Erik Truffaz 2/3 Paris, Cigale, 3/3 Bordeaux, 4/3 Agen, 5/3 Morlaix, 16/3 Chelles, 17/3 HérouvilleSaint-Clair, 18/3 Rennes, 19/3 Cognac, 13/4 Angoulême, 15/4 Périgueux, 16/4 Le Vigan, 29/4 FontenaySous-Bois, 30/4 Ris-Orangis Twin Shadow 14/5 Paris, Machine The Vaccines 9/3 Paris, Nouveau Casino, 24/4 Bourges Troy Von Balthazar 15/4 Paris, Machine Warpaint 26/5 Paris, Bataclan White Lies 14/3 Toulouse, 18/3 Bordeaux, 19/3 Rennes, 22/3 Paris, Cigale Kim Wilde 18/3 Paris, Cigale Wire 11/5 Paris, Machine, 12/5 Mulhouse, 15/5 Marseille, 16/5 Montpellier The Wombats 27/5 Paris, Trianon Wild Beasts 19/5 Paris, Point Ephémère Shannon Wright 5/5 Bayonne, 6/5 Bordeaux, 7/5 Massy, 8/5 Lyon, 9/5 Grenoble, 10/5 Blois, 11/5 Brest, 12/5 Cholet, 14/5 Tourcoing Yacht 5/3 Paris, Gaîté Lyrique Yelle 7/4 Paris, Point Ephémère Young Michelin 23/3 Saint-Ouen, 24/3 Strasbourg, 2/3 Colmar, 26/3 Reims

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et merde ! Livre subversif sans le bling du scandale, ce premier olni signé Thomas Hairmont, un auteur de 28 ans, met en scène un homme qui déguste ses déjections. La découverte du moment. a sort d’où, ça ? D’où nous tombe un texte pareil, qu’aucun effort ne pourra faire entrer dans le sachet des petites catégories à la mode ? Un texte qui ne cherche ni la provocation de façade, ni le trash clinquant. Un texte qui prend au sérieux – donc avec l’appétit rabelaisien et l’humour sadien – une perversion envisagée ici comme un autre ordre du monde : le coprophile mange sa merde. La sienne, et aussi celle des autres. Les humains, les animaux. Ce qui est toujours différent de nous autres, sortant d’un McDo ou du dernier restau à la mode, s’écriant en avoir “marre de manger de la merde”. Thomas Hairmont écrit avec le souci presque mathématique de viser la définition juste. Lui redonner son poids : manger de la merde, ça veut dire ça, et vous allez devoir l’avaler. Premier texte.

Courageux ? Intransigeant. Thomas Hairmont a 28 ans, est ingénieur dans la finance. Au fur et à mesure que l’on plonge dans son livre, il devient évident que Le Coprophile est un traité d’économie. Peut-être le premier livre à nous parler depuis la crise financière qui nous frappe. On y chie sur le capitalisme. Il y est par exemple question, page 148, du dégoût que peut éprouver le narrateur envers “les ingénieurs et les financiers de la merde, ceux qui la pressuraient, ceux qui la recyclaient, ceux qui l’assainissaient, ceux qui la mangeaient enfin, et remangeaient de nouveau la merde excrétée, jusqu’à ce qu’ils maximisent leur rendement et leur assimilation, transis par la peur de la perte, tétanisés devant leur surcroît gratuit. Car je pressentais en quoi la merde était fondamentalement l’inverse de l’or et de l’argent”. Alors, oui, effectivement, Hairmont a consacré l’essentiel de ses études aux mathématiques, à l’économie, et plus marginalement à la philosophie. “Par hasard professionnel et par goût aussi, j’ai bifurqué vers la finance d’entreprise, et je travaille actuellement à la direction financière d’un grand groupe”, nous écrit-il dans un mail. Son coprophile de narrateur étudie les mathématiques sur un campus de San Francisco, et sans jamais que

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en marge

Angot, encore

Hélène Bamberger/P.O.L

trois questions à Thomas Hairmont Quelle place occupe la littérature chez vous ? Je ne noircis pas des dizaines de pages chaque jour, je n’ai pas de relation compulsive à la création littéraire, et je ne ressens pas le besoin de produire des textes de manière incessante. Lorsque j’écris, c’est toujours après avoir laissé fermenter le matériau, la structure, la phrase très longtemps avant. J’ai placé assez consciemment Le Coprophile sous l’égide de Musil, Pynchon, Sade, Sabato, Gombrowicz, Nabokov, Aguéev. L’action se déroule aux Etats-Unis, pourquoi ? Parce que j’y ai habité, et que l’aseptisation qui règne dans certains endroits m’a immédiatement frappé, parce que j’avais besoin d’un espace aussi lumineux, technologique et jeune que possible (la Californie, donc), parce que

le texte ne précise qu’il soit français, toute l’Amérique gloutonne et obsessionnelle y est regardée avec les yeux d’un étranger. Etranger d’abord à ça, avant d’être étranger à tout. La part d’exil gagnera lentement chaque morceau de l’existence qui ne concerne pas son obsession. C’est le propre des textes qui entrevoient le monde sous une autre ordonnance que de faire passer des civilisations entières par le petit trou secret derrière lequel un autre cosmos nous attend – symétrie sale et folle. Si nous avions le même sens de l’humour que Hairmont, nous lui aurions demandé ses cinq restaurants préférés à la place des auteurs qui le hantent (lire encadré). Mais non, il fallait lui inventer une famille littéraire à côté de qui le ranger – pour se rassurer devant ce texte olfactivement insoutenable, et bien sûr écrit avec une délicatesse toute pasolinienne (Porcherie). Le ramener à d’autres cas particuliers, à d’autres infréquentables : la Gabrielle Wittkop du Nécrophile (jusqu’au côté Grand Guignol assumé). A Sade, parce qu’il s’agit toujours d’un théâtre, d’une pantomime politique. Au Jean Eustache d’Une sale histoire faisant passer le regard et la parole par le trou des chiottes d’un café parisien. Et ses descriptions d’étrons sortant du cul pour aller nourrir la bouche ramènent au souvenir des illustrations de Pichard, ces

j’avais en tête des images de réseaux autoroutiers aussi complexes que des microprocesseurs, et la volonté de recréer une esthétique presque cinématographique par moments (lumières, décors, angles de vue) et que les films situés en Californie me venaient spontanément à l’esprit (David Lynch, Zabriskie Point, Twentynine Palms). L’origine du texte ? J’ai voulu écrire un roman qui remue des choses “in-remuables”, celles qu’on ne touche jamais, et qui moi me fascinent : le sale, le déchet, l’excrément. Une fascination également pour le second principe de la thermodynamique, matérialisé tous les jours dans notre corps par nos déjections, et que l’on s’empresse d’oublier pour ne pas penser à la vieillesse et à la mort.

femmes opulentes qui chient jusqu’à en faire tourner une usine à merde. Plus qu’à Bataille, on songe au Klossowski de La Monnaie vivante. Hygiène de vie, économie cosmique, rétention, diarrhée, production, écriture, désordre. Tout passe par la matière merde et de la matière merde se sculpte la langue. Car il faut une (sacrée) langue pour rejeter sans en perdre des bouts de ça. Une langue dont on ne sait plus si elle additionne les séquences, accumule les expériences, franchissant chaque fois un palier. Ou si au contraire elle soustrait le monde à sa saveur secrète. Au fond, c’est de substitution qu’il s’agit ; la merde occupe déjà ici le moindre recoin de la page, la moindre espace insécable. Elle s’est glissée entre les mots, dans les yeux, entre les dents. Il n’y a pas de sexe, par exemple. Il y a une sorte de petite fiancée française (“Sonia parlait peu, était sale.”), mais c’est une messagère. Il y a un dernier baiser, mais c’est un baiser de chevaliers partis en une croisade marron. Leurs parties ressemblent à d’immenses partouzes SM, mais chastes. Jamais les “macérateurs” ne s’aventurent au-delà de leur passion : c’est une passion sans au-delà. Le caviar de la littérature. Philippe Azoury Le Coprophile (P.O.L), 256 pages, 18 €

Il paraît que l’écrivaine s’inspire de personnes réelles pour écrire ses romans. Quel scoop ! Et quelle polémique ennuyeuse... Etre critique littéraire pourrait être exaltant, sauf quand les polémiques deviennent idiotes et qu’il nous faut donner un avis toutes les cinq minutes. Franchement, c’est crevant. Aujourd’hui encore, on nous ressort une vieille lune comme “le droit des écrivains à s’inspirer du réel pour leurs fictions”. Et il va encore falloir répéter les mêmes poncifs – oui, l’écrivain a le droit de s’inspirer de personnes réelles pour construire les personnages de ses romans, c’est même là toute l’histoire de la littérature. En effet, Christine Angot, l’auteur des Petits, va être assignée en justice par une certaine Elise Bidoit, l’ex de son compagnon actuel, qui s’est reconnue dans un livre où, une fois n’est pas coutume, Angot prend pourtant soin de ne pas écrire les “vrais” noms des personnes-personnages. La jeune femme se reconnaît, donc, mais attaque aussi l’écrivaine parce qu’elle aurait transformé certains faits et donc la diffamerait... Toujours la même rhétorique bizarre des attaquants. Mais certes, Christine Angot écrit peut-être aussi pour régler ses comptes avec le réel, c’est-à-dire d’autres femmes, celles de ses ex, de ses actuels, de ses futurs, etc. A chacun son moteur. Plus gênant, ce qui motive la presse à avoir été chercher Elise Bidoit, à prendre d’emblée son parti, à en faire une victime – et à la rendre reconnaissable à 99,9 % des lecteurs qui ne l’avaient pas reconnue dans le roman. Après le scoop de “PPDA plagiaire”, voici le scoop des personnages “vrais” d’Angot. Dans cette course aux révélations, le journalisme littéraire se réduit de plus en plus à faire les poubelles. C’est, au final, le plus pathétique de cette affaire.

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Mathias Enard L’Alcool et la Nostalgie Inculte, 96 pages, 13,90 €

une vie de freak Disparu en 1992 après une vie ravagée par les séjours en hôpital psychiatrique et l’alcool, Frederick Exley avait, à 30 ans, écrit son autobiographie. Ou les déboires d’un marginal dans les années 50-60. Totalement culte.

 E

n plein rêve américain, dans une bourgade de l’Etat de New York, un homme sort en titubant d’un bar, aveuglé par le bleu du ciel. Il se croit victime d’une crise cardiaque, conséquence d’une épopée alcoolique de soixantedouze heures qui s’achèvera pour cette fois dans un lit d’hôpital. L’homme, vaguement prof, la trentaine, se prénomme Frederick Exley : héros et auteur d’un livre estampillé culte dès sa publication aux Etats-Unis en 1968, et auprès duquel deux romans suivants feront figure d’œuvres mineures. Le Dernier Stade de la soif retrace la vie d’Exley, sous la pudique appellation de “mémoires fictives” ou d’“autobio romancée”. Comprendre : pour éviter les emmerdes, l’écrivain a préféré changer les noms (à l’exception du sien) et trafiquer la narration ici ou là afin de rendre compte en toute impunité du “long malaise qu’est (s)a vie”. Alcoolique notoire, marginal révolté qui multiplia les séjours en hôpital psychiatrique, Exley relate un début de jeunesse plutôt souriant : fils d’un ex-athlète de football, puis étudiant du sud de la Californie débarquant à New York en quête de gloire littéraire ; plus tard, les premiers déboires dans le milieu de la pub, suivis d’un job de luxe dans une société de chemins de fer à Chicago. Mais déjà, Exley souffre de graves symptômes bukowskiens : l’addiction aux femmes dangereuses et à l’alcool. Un premier échec sexuel cuisant avec une lolita carnassière de 19 ans, puis

la déroute du couple qu’il forme avec Patience, une conseillère conjugale, auront tôt fait de hacher crue cette âme sensible. Authentique et halluciné, caustique sans une brise d’espoir, Exley révèle un flair hors normes, une haute conscience de son statut de pestiféré extralucide : “Je voyais le monde avec une telle acuité que cela en devenait insoutenable, j’étais maladivement clairvoyant, avec des aperçus de l’univers dont je me détournais immédiatement.” Exley se pose en enfant maudit de l’Amérique, c’est-à-dire en héritier de Poe, Hawthorne, Fitzgerald, Hemingway. Sa “chute vertigineuse vers la clochardisation” semble aussi bien inéluctable : licenciement, bagarres de poivrots, autodafé de ses propres écrits. Seul demeure un amour irraisonné pour une équipe de football américain : les Giants, que le narrateur vénère telle “une île de franchise dans un océan de circonspection”. Dans l’Amérique évangéliste et petitebourgeoise du début des années 60, un poète claudiquant aux allures de grizzly a bu tout ce qu’il pouvait boire, a maudit son âme de loser avant de pondre une lumineuse confession pétrie de tournures classiques et d’imprécations d’ivrogne. On découvre, ému, avec plusieurs décennies de retard, ce roman d’assoiffé héroïque, sorte de testament bohème et férocement désabusé. Emily Barnett Le Dernier Stade de la soif (Monsieur Toussaint Louverture), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Philippe Aronson et Jérôme Schmidt, 450 pages, 2 3,50 €

Mathias Enard brille à nouveau avec ce bref récit, voyage à travers la Russie hanté par les âmes mortes. En exergue, cette phrase définitive de Tchekhov : “Cette fameuse âme russe n’existe pas. Les seules choses tangibles en sont l’alcool, la nostalgie et le goût pour les courses de chevaux.” Mathias Enard a délaissé les courses de chevaux pour donner, dans cet opuscule écrit à bord du Transsibérien, une vision tremblée de l’âme russe, un récit dont le rythme heurté rappelle le roulement cahotant du train. Un train fantôme, en l’occurrence. Mathias voyage avec le corps de Vladimir. Il escorte le défunt jusqu’à son village natal, au fin fond de la Sibérie. Vladimir était son ami, son double, amoureux comme lui de Jeanne : Jules et Jim au pays de Pouchkine, amantsmatriochkas unis dans la drogue et la vodka. Derrière la vitre du compartiment défilent les plaines enneigées, la blancheur des bouleaux, la taïga : “C’est comme si on vous ponçait les yeux au paysage…” Moscou, Perm, Ekaterinbourg, autant de lieux traversés, hantés de souvenirs et d’âmes mortes, celles de Gogol, du prince André, de Mandelstam, des cadavres du goulag… Avec ce texte ardent, porté par une langue magnifiquement maîtrisée, Mathias Enard retrouve de sa superbe : celle qui éblouissait dans Zone, mais qui faisait défaut au trop méticuleux Parleleur de batailles, de rois et d’éléphants. Une excellente nouvelle. Elisabeth Philippe

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Georges Bendrihem/AFP

les éclats de Nora En retraçant la vie de l’historien et éditeur Pierre Nora, consacrée à la diffusion des œuvres des autres, François Dosse restitue l’énergie d’un promoteur infatigable des sciences humaines. illusion biographique”, analysée en 1966, et Montaillou, village occitan par Pierre Bourdieu, n’a jamais d’Emmanuel Le Roy Ladurie, en 1975, impressionné l’historien François sont des best-sellers. Avec François Dosse. Conscient que “l’énigme Furet et Annie Kriegel, il contribue biographique survit à l’écriture biographique”, à déplacer les lignes en matière ce spécialiste de l’histoire intellectuelle a d’historiographie de la Révolution française toujours su, en dépit du mystère insondable et du communisme, jusqu’à refuser, d’un homme, retracer les mouvements par ce qui lui fut reproché, de publier l’historien lesquels un parcours se déploie, une œuvre marxiste Eric Hobsbawm. se construit, un destin s’accomplit. Après Outre tous les auteurs qu’il a révélés, les philosophes Michel de Certeau, Paul ainsi que sa revue Le Débat, créée en 1980, Ricœur, Gilles Deleuze et Félix Guattari, l’œuvre de Pierre Nora s’incarne avant François Dosse explore aujourd’hui la vie tout dans Les Lieux de mémoire, somme de l’historien Pierre Nora, dont l’œuvre collective parue en 1984, 1986 et 1992 se résume à un vaste projet : imposer le qui, partant du constat de la disparition savoir historique dans le débat public. d’un certain rapport à la mémoire Né en 1931, fils de médecin, petit frère nationale, répertorie les lieux de cette d’un illustre résistant (Simon Nora), ami au perte. Le “moment Nora” incarne lycée Carnot de Pierre Vidal-Naquet (futur selon Dosse cet “âge d’or” des sciences grand intellectuel avec lequel il partage le humaines, aujourd’hui atrophiées goût de la littérature), Pierre Nora entame dans un paysage intellectuel et éditorial sa vocation de pédagogue en 1958 à Oran, éclaté. “Accoucheur d’exception de l’œuvre en Algérie, où il enseigne au lycée et écrit des autres”, Pierre Nora a défendu son premier livre, Les Français d’Algérie. “une conception de la fonction de l’éditeur C’est en 1965 qu’il pénètre dans l’antre comme celle d’un vrai créateur”. de son combat éternel, Gallimard, où il crée Saluant, derrière l’image tenace de comme éditeur des collections conçues “l’homme de caste”, un “intellectuel anxieux, comme des moyens de diffusion de pensées peu sûr de lui, dans le doute sur lui-même savantes à un large public. et les autres, jamais assis sur une position De Georges Dumézil à Raymond Aron, de certitude…”, François Dosse révèle, de Georges Duby à Jacques Le Goff, en vrai biographe, la part affective qui le lie de Louis Dumont à Clifford Geertz, à son sujet. Pour dévoiler, à travers elle de Jean Baudrillard à Henri Mendras, et au-delà d’elle, ce que la vie des idées il offre à la connaissance du plus grand doit à cet esprit “en alerte et sensible à nombre les textes exigeants d’historiens l’événement dans sa force d’ébranlement”. Jean-Marie Durand issus du courant de la “nouvelle histoire”, de sociologues et d’anthropologues… avec des réussites commerciales à la clé : Pierre Nora – Homo historicus (Perrin), Les Mots et les Choses de Michel Foucault, 660 pages, 2 7 €

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Illustration de Josette Stefani, tirée des Exploits de Fantômette

Il y a cinquante ans paraissaient les premières aventures de Fantômette. L’héroïne masquée de Georges Chaulet allait faire fantasmer toutes les gamines et bouleverser la littérature enfantine.

Fantômette for ever

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ille pompons ! Fantômette a 50 ans ! Née sous la plume de l’écrivain Georges Chaulet, la justicière masquée a déboulé en 1961 dans la Bibliothèque rose avec Les Exploits de Fantômette. Marquant une rupture avec le catalogue sage de cette vénérable collection, bousculant ses héros lisses (les détectives en herbe du Club des cinq, les enfants bien coiffés de la comtesse de Ségur…), elle lui apporta un vent de fraîcheur et de jeunesse. Le personnage d’une fillette débrouillarde n’était certes pas nouveau. Il y avait Lili, l’héroïne au bon cœur de Marguerite Thiebold, et ses aventures à la portée plus sociale. Plus moderne et fantaisiste, la dynamique Caroline, créée par le formidable illustrateur Pierre Probst, était entraînée par une bande d’animaux dans des aventures endiablées. Dans la Bibliothèque verte, la sage Américaine

Alice (création du collectif d’auteurs Carolyn Keene, francisé en Caroline Quine) résolvait des énigmes formatées. Mais Fantômette se démarqua aussitôt de ces productions. Tout d’abord, son personnage sortait de l’ordinaire. Excellente élève le jour, Françoise Dupont se transforme la nuit en justicière solitaire et pourchasse les malfaiteurs, masquée d’un loup et habillée d’un justaucorps, d’une cape et d’un bonnet à pompon – les illustrations de Jeanne Hives, puis celles de Josette Stefani, contribuant à la popularité de ce costume. Son univers était à la fois familier et totalement irréel, comme en témoigne la ville de Framboisy, peuplée de pavillons ordinaires mais aussi d’habitants aux noms farfelus (l’institutrice Mlle Bigoudi, les faire-valoir Ficelle et Boulotte, le journaliste Œil de Lynx…). Elle affronte au fil d’aventures rocambolesques des bandits tour à tour maléfiques ou pathétiques

(Le Masque d’argent, Le Furet…). Suprême qualité pour une héroïne seulement âgée d’une douzaine d’années, elle est aussi totalement autonome, et aucun parent, proche ou lointain, ne vient jamais se mettre en travers de son chemin, lui rappeler de venir manger ou d’aller se coucher. Enfin, futée, intelligente, dotée d’un redoutable sens analytique et d’un humour féroce (elle nargue souvent ses adversaires), Fantômette possède des traits de caractère jusque-là réservés aux héros masculins. Elle révèle d’ailleurs de nombreuses ressemblances avec Arsène Lupin : l’humour, la culture, l’esprit, les capacités athlétiques, le panache… Ce cocktail détonant ne pouvait que plaire aux fillettes des années 60 et 70, avides d’indépendance et de frissons : look félin, double vie et double identité, aventures trépidantes, personnalité forte, comment ne pas immédiatement rêver de lui ressembler ? L’autre rupture créée par Fantômette était d’ordre littéraire. L’imagination sans limite de Georges Chaulet, son goût pour les jeux de mots, son humour décalé dépoussiéraient vigoureusement le roman pour enfants. Par ailleurs, l’écrivain sut établir une véritable connivence avec son lectorat, notamment par sa manière habile de se moquer des adultes et de les ridiculiser, ainsi que par ses clins d’œil complices pour faire comprendre que Fantômette et Françoise ne font qu’une. En cinquante ans, la fraîcheur et le dynamisme de Fantômette n’ont pas vieilli. D’adaptations BD en dessins animés ou série télévisée, le personnage a fasciné chaque génération. La série, qui s’était arrêtée en 1987 après quarante-neuf volumes, a repris en 2006, et Georges Chaulet a depuis publié trois nouvelles aventures de Fantômette. Modèle d’émancipation, icône de l’aventure, celle-ci continue inlassablement de prouver aux enfants que tout est possible. Anne-Claire Norot

la 4e dimension Gondry passe à la SF le retour du Club des cinq Guy Debord entre à la BNF Les archives de Guy Debord entrent à la Bibliothèque nationale de France. Une collection quasi exhaustive allant de toutes les versions de ses écrits et de ses films à sa bibliothèque telle qu’elle était en 1994, année de sa mort.

C’est la saison des inédits : Mr Tumpy’s Caravan, texte fantastique non daté, vient d’être authentifié comme un inédit d’Enid Blyton, l’auteur – aux huit cents livres – de Oui-Oui et du Club des cinq.

des nouvelles de Daphné Du Maurier Une libraire anglaise passionnée par l’œuvre de Daphné Du Maurier vient de retrouver cinq nouvelles inédites de l’auteur de Rebecca, que l’on croyait perdues. Parmi elle, “The Doll”, rejetée à l’époque pour son caractère érotico-macabre. Disponible en Angleterre le 5 mai.

A l’occasion du lancement de son exposition L’Usine de films amateurs au Centre Pompidou à Paris, Michel Gondry a révélé qu’il s’attaquait à l’adaptation d’un roman de Philip K. Dick, Ubik, fresque onirique et futuriste ancrée dans un monde hypercapitaliste.

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le silence et l’effroi Autour du lynchage d’un voleur de bières dans un supermarché, Laurent Mauvignier signe un court roman suffocant. nspiré d’un fait divers de manière quelque peu survenu à Lyon en 2009 prévisible. Adressée – un SDF battu à mort au frère de la victime, par quatre vigiles la voix d’abord anonyme pour vol à l’étalage révélera de manière dans un supermarché –, ambiguë son identité Ce que j’appelle l’oubli dans un coming-out final. ordonne ce qu’on pourrait Indéniablement, le style appeler un roman-tombeau. hypnotique de Mauvignier A savoir soixante pages fait mouche – par son d’un monologue suffocant oralité tâtonnante, vidée (pas un seul point) évoquant de toute psychologie, les circonstances par son seul horizon qui d’un lynchage inhumain est de buter sans fin sur et absurde. un acte barbare et vide Comme dans ses de sens. Ce qui n’empêche autres livres (Loin d’eux, toutefois pas quelques Des hommes), Laurent passages de glisser dans Mauvignier prend pour un certain apitoiement point de départ le silence : misérabiliste, voire silence médiatique et redresseur de torts… social autour d’un crime On préfère de loin défiant la raison et, pour le Mauvignier direct, incisif, cette raison même, réduit qui n’en appelle pas à à un entrefilet dans notre bon cœur. Emily Barnett les journaux ; silence inhérent à la mort, Ce que j’appelle l’oubli que l’écrivain défie ici (Minuit), 64 pages, 7 €

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Hélène Bamberger/Ed. Minuit

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fête le centenaire des éditions mercredi 2 On Gallimard à la BNF en compagnie

à venir

d’Antoine Gallimard himself, et des auteurs Anne Wiazemsky et Jean Rouaud. L’occasion d’entrer dans l’univers de Proust, Faulkner ou encore Hemingway.

Claude Levi-Strauss L’Anthropologie face aux problèmes du monde moderne (Seuil)

Le Cercle littéraire de la BNF, de 18 h 30 à 20 h à la Bibliothèque nationale de France, Paris XIIIe, www.bnf.fr

plonge dans l’Amérique profonde jeudi 3 On avec l’ultime recueil de nouvelles de John Updike, Les Larmes de mon père (Seuil, 21 €), une déclinaison de récits nostalgiques, teintée de méditations sur la mort, qui s’achève sur une réflexion personnelle autour de l’attaque du 11 Septembre.

Antoine Gallimard

vendredi 4

On se moque de son voisin écolo avec Iegor Gran qui présente, à la librairie Les Cahiers de Colette, un nouveau récit, L’Ecologie en bas de chez moi. Insolent. A 17 h 30 à la librairie Les Cahiers de Colette, Paris IVe, www.lescahiersdecolette.com

Siri Hustvedt Un été sans les hommes (Actes Sud)

On va écouter la douce voix de Jeanne Balibar lire des passages du dernier essai de Peter Sloterdijk, Tu dois changer ta vie, ou comment se sauver, devenir soi et le rester. Vaste programme donc, en présence de l’auteur et ses invités.

samedi 5

A 20 h à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris VIe, www.theatre-odeon.fr

On cherche le “sens du calme” avec Yannick Haenel. Invité du 7/9 sur France Inter, l’auteur vient parler de son dernier roman Le Sens du calme (Mercure de France, 19,50 €), un autoportrait en creux qui dépeint l’écrivain à travers les œuvres qui l’ont marqué.

dimanche 6

lundi 7

On replonge en pleine guerre d’Algérie avec ces vétérans auxquels Laurent Mauvignier, dans son puissant roman Des hommes qui sort en poche, donne la parole (Editions de Minuit, 8,50 €). De l’histoire à la fiction, il n’y a qu’un pas que l’on franchit pour se délecter à la lecture de La Faculté des rêves de Sara Stridsberg (Le Livre de poche, 8 €), une biographie réinventée de Valerie Solanas.

On entre en transe avec le passionnant Machine Soul de Jon Savage (Allia, 3 €) qui retrace l’histoire de la techno, des premiers DJ underground jusqu’à sa popularisation sur les dance-floors. De quoi vous donner envie de quelques nuits blanches.

mardi 8

Claude Levi-Strauss, décédé en 2009, nous revient avec la publication de trois conférences inédites données à Tokyo en 1986. Il propose au monde un nouvel humanisme qu’il définit de “doublement universel”, démocratique et généralisé à la fois. Rassemblées en un livre, ces conférences sont l’occasion (pour ceux qui ne l’auraient pas encore fait) de se frotter à l’œuvre du plus célèbre des anthropologues français. Sortie le 7 avril

Jeanne Balibar

C’est avec humour que Siri Hustvedt aborde, dans son dernier roman, la rupture conjugale, la “pause” tant redoutée après des années de mariage. Dans Un été sans les hommes, elle met en scène Mia, une femme de lettres qui, lâchée par son neuroscientifique de mari, tombe en dépression et quitte la maison familiale de Brooklyn pour le Minnesota. Dans sa bourgade natale, elle passera un été sans hommes, peuplé de veuves octogénaires, de révélations et de poésie. Sortie le 4 mai

T. C. Boyle L’Enfant sauvage (Grasset) Après François Truffaut en 1970, c’est au tour de l’Américain T. C. Boyle de reprendre à son compte la célèbre histoire vraie de Victor de l’Aveyron. L’enfant sauvage, rebaptisé Victor, fut découvert à la fin du XVIIIe siècle dans le Languedoc, errant dans la forêt tel un animal. Objet de toutes les curiosités, tour à tour exposé, étudié ou rejeté, il est finalement confié au docteur Itard qui tente de l’initier à la civilisation. Sujet mythique, donc, qui interroge une fois encore la frontière trouble entre l’animal et l’humain. Sortie le 13 avril

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l’envers du décorum Grégory Jarry et Otto T. démontent impitoyablement cinquante ans de Françafrique.

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n janvier 2008, Jean-Marie Bockel, alors secrétaire d’Etat chargé de la Coopération et de la Francophonie, entendait “signer l’acte de décès de la Françafrique”. Outrecuidance qui allait lui valoir la fureur d’Omar Bongo et une mutation, deux mois plus tard, aux Anciens combattants. Ce qui n’était, après tout, qu’un prêté pour un rendu, auraient pu écrire Grégory Jarry et Otto T. dans le quatrième tome de Petite histoire des colonies françaises, qu’ils consacrent précisément à la Françafrique, ce “mode de relations ambigu et complaisant dont certains, ici comme là-bas, tirent profit au détriment de l’intérêt général et du développement”, comme la définissait le séditieux Bockel. La thèse développée ici est qu’après-guerre la France n’a accepté la décolonisation de l’Afrique subsaharienne que pour substituer à sa présence tutélaire une mécanique souterraine d’influence. En lui permettant de bénéficier des mêmes avantages (des matières premières à bas prix), ce système a permis à la France de vivre au-dessus de ses moyens, anesthésiant et dupant l’opinion et gangrénant une classe politique complaisante. Des diamants de Bokassa au génocide rwandais, l’histoire de la Françafrique apparaît comme une succession de coups fourrés et de turpitudes nauséabondes,

les présidents de la Ve République se passant le témoin, chacun avec leur style, tous avec la même absence de scrupules. Tout cela est raconté par Grégory Jarry d’un ton guilleret, faussement désinvolte et cynique, dans des textes d’une concision et d’une efficacité redoutables. En contrepoint, les strips d’Otto T. éclairent, contrebalancent ou dédramatisent le propos, et offrent une astucieuse double lecture d’un sujet trop sensible pour être univoque. C’est d’ailleurs là que résident la force mais aussi la faiblesse de l’ouvrage : en développant une thèse globalisante, il gomme ou surinterprète inévitablement certains faits. Documenté et prudent, le livre évite toutefois l’écueil de la construction paranoïaque et conspirationniste. Ici, tout est crédible, logique, avéré ou, a minima, très vraisemblable. Et à la lumière de l’actualité la plus récente, le malaise n’en est que plus grand. Jean-Baptiste Dupin Petite histoire des colonies françaises – Tome 4 : La Françafrique (Editions FLBLB), 128 p., 13 €

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Version échevelée et joyeusement foldingue de La Nuit des rois de Shakespeare, par un Jean-Michel Rabeux espiègle.

première Le Cœur des enfants léopards mise en scène Dieudonné Niangouna Frères, Criss et Dieudonné Niangouna ont commencé à faire du théâtre ensemble à Brazzaville, avant et après la guerre civile qui a ensanglanté le Congo dans les années 90. Ils se retrouvent aujourd’hui, l’un acteur, l’autre metteur en scène, pour une adaptation théâtrale du roman de Wilfried N’Sondé paru en 2007. Du 1er au 19 mars au Tarmac, Paris XIXe, tél. 01 40 03 93 95, www.letarmac.fr

réservez Don Giovanni, Keine Pause mise en scène David Martón Ce fut la révélation du festival Le Standard idéal de Bobigny : David Martón, metteur en scène et musicien, naturellement adepte du théâtre musical, est attendu au festival Trans(e) de Mulhouse avec sa vision très personnelle de l’opéra de Mozart. Les 10 et 11 mars à la Filature de Mulhouse, tél. 03 89 36 28 28, www.lafilature.org



rôle d’endroit que l’Illyrie. Plus qu’un Etat, ce petit pays évoque un état d’esprit. Ses habitants sont animés d’une folie légère – qui n’exclut pas la cruauté. Quand ils ne se languissent pas d’amour, ils ne pensent qu’à s’amuser ou à se jouer des tours. Ils s’enivrent aussi d’alcool en quantité phénoménale, mais plus encore de musique. Jean-Michel Rabeux commence d’ailleurs sa mise en scène par un vigoureux I Got a Woman, d’après Ray Charles, interprété en chœur par l’ensemble des comédiens. Sitôt la chanson terminée, un vide s’installe. Comme s’il éprouvait déjà un manque, Orsino, duc d’Illyrie (doux et mélancolique Hubertus Biermann), réclame plus de musique. Il en veut “à l’excès”, dit-il. Jamais rassasié de ce qui est pour lui une “nourriture d’amour”. Drôle d’endroit, donc, que ce pays. “Qu’irais-je faire en Illyrie ?”, s’inquiète à ce propos Viola (Vimala Pons), une jeune demoiselle débarquée à la suite d’un naufrage dans cette contrée étrange. Question d’autant plus amusante que la pièce elle-même constitue la réponse. Shakespeare opère ici en tacticien subtil : il introduit au milieu d’une cour blasée, rongée par l’oisiveté, cette jeune recrue apte à en ranimer quelque peu l’atmosphère déconfite. Précisons que, lors du naufrage, Viola a perdu son frère Sébastien, son double en quelque sorte. En attendant, Viola doit se déguiser en homme, sous le nom de Cesario, pour se mettre au service d’Olivia, jeune femme marquée par un double deuil. La voilà bientôt qui joue

Georges Edmont, Géraldine Martineau et Corinne Cicolari

Denis Arlot

Illyrie, pays du rire les entremetteuses entre Orsino et Olivia. Lesquels tombent tous deux sous le charme de ce jeune homme si raffiné. L’Illyrie, quand même… ! Shakespeare s’amuse. Jean-Michel Rabeux lui emboîte le pas, troussant une galerie de personnages pas piqués des hannetons. De l’Illyrie, il donne une version carrément régressive qui sied assez bien à cet univers fantasque. Claude Degliame en sir Toby noceur, insidieux et manipulateur, et Gilles Ostrovsky en sir Andrew, son âme damnée, forment un duo chahuteur très cour de récré. En slip, bottes de caoutchouc blanches et haut-de-forme itou, Georges Edmont évoque un clown tombé de quelque ciel surréaliste. Mais ce petit monde chaotique et sérieusement déjanté doit aussi beaucoup aux piques de Marie, la servante d’Olivia, joliment interprétée par Géraldine Martineau. Sa victime, Malvolio, joué par Christophe Sauger, se retrouve quasi à poil, égaré par les feux de la passion – triste sort pour un puritain. L’énergie du spectacle doit enfin beaucoup à la présence du guitariste Seb Martel, lequel signe aussi les arrangements des différents tubes qui ponctuent l’action – Elvis Presley, Jerry Lee Lewis, Screamin’ Jay Hawkins… Jusqu’au finale en apothéose avec le Wild Thing des Troggs chanté par tous les comédiens. Chaud. Hugues Le Tanneur La Nuit des rois de William Shakespeare, mise en scène Jean-Michel Rabeux, musique Seb Martel, du 4 mars au 3 avril à la MC93, Bobigny, tél. 01 41 60 72 72, www.mc93.com

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Paris is burning (again) Un quatuor de choc pour repenser, à travers (M)imosa, le voguing, performance engagée née à Harlem dans les années 70. ans Paris Is Burning, le documentaire Pour le duo Bengolea/Chaignaud, somme de Jennie Livingston c’est une évidence depuis leurs recherches (1990), ils sont tous là, Willi Ninja, esthétiques et corporelles à travers Pepper LaBeija, Anji Xtravaganza des œuvres comme Sylphides ou Castor  et les autres. La caméra suit les balls, et Pollux. On en faisait un épiphénomène, compétitions où les vogueurs parodient ils sont là pour durer. A leurs côtés, Trajal les types sociaux du luxe ou de la mode. Harrell a osé la rencontre improbable Afro-Américains et Latinos, gays de deux mondes dans Twenty Looks or Paris et transgenres, ils assument, au-delà Is Burning at the Judson Church. Des queens de l’ambiguïté, une satire sociale. On les sorties d’une house (une communauté) a cru disparus : voilà que Cecilia Bengolea, et les tenants de la postmodernité de la François Chaignaud, Marlene Freitas danse américaine “réunis” le temps d’une et l’Américain Trajal Harrell réactivent performance. Marlene Freitas, danseuse la chose dans (M)imosa. Un projet casseet chorégraphe du Cap Vert, sublime gueule et passionnant. présence, complète le tableau. “Notre préoccupation, en commençant (M)imosa raconte également ce passage à fréquenter les vogueurs et à prendre d’un état à l’autre. “J’étais à un ball de des cours avec eux, fut d’éviter de faire voguing au Bronx. J’ai assisté aux pratiques une sorte de copier-coller des gestes créés de danseurs si jeunes, qui font leur comingpour parler des problématiques identitaires out avec tant de fierté et de rage, qui spécifiques à leur contexte”, résume osent cette construction identitaire d’une Cecilia Bengolea. (M)imosa n’est donc sauvagerie et pertinence parfaites”, ni une pièce documentaire sur le voguing, dit encore Cecilia Bengolea. (M)imosa ni une tentative de fusion entre “danse va sans doute susciter des réserves contemporaine” et “voguing”. “Nous dans le milieu de la danse. Qu’importe. n’essayons pas de prétendre être des “La découverte de la culture du voguing vogueurs du Bronx ni de copier les gestes a ressourcé l’imaginaire, le désir et l’envie ou attitudes que l’on aurait pu observer”, d’être encore une fois hors de soi et tout reprend François Chaignaud. Trafic à la fois pleinement soi-même”, souffle identitaire, réappropriation de la culture Cecilia Bengolea. Willi Ninja, disparu dominante et articulation communautaire en 2006, aurait aimé ces fleurs-là. Philippe Noisette d’un art forment le sous-texte de (M)imosa. Selon Cecilia, “la composition (M)imosa, de et avec Cecilia Bengolea, François identitaire plurielle imaginée à quatre Chaignaud, Marlene Freitas et Trajal Harrell. Dans a donné lieu aux différentes expressions qui le cadre du festival Anticodes, du 3 au 5 mars au se valident dans le jeu : de vouloir être réel ; Théâtre national de Chaillot, Paris XVIe ; du 15 au 19 mars à Brest. Et les 21 et 22 avril à Toulouse de vouloir convaincre de notre légitimité”.

Miana Jun

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vernissage jamais deux sans trois Le Jeu de Paume présente trois expos monographiques signées Aernout Mik (vidéaste néerlandais), Société Réaliste (coopérative créée en 2004 par Ferenc Gróf et Jean-Baptiste Naudy) et Alex Cecchetti et Mark Geffriaud invités dans le cadre de la programmation Satellite. Jusqu’au 8 mai au Jeu de Paume, Paris VIIIe, www.jeudepaume.org

Troisième voie Entre la photographie et le cinéma, la jeune Anglaise Charlotte Moth explore une troisième voie, celle du “slide show”, sorte de roman-photo live pour lequel elle convoque quantité de références littéraires (Sebald), conceptuelles (Lamelas) ou architecturales (Mallet-Stevens). Le 4 mars au musée départemental d’Art contemporain de Rochechouart, www.musee-rochechouart.com

Trublion L’inclassable Eric Duyckaerts, qui s’est récemment fait remarquer avec ses conférences improvisées en hommage à Wodehouse, présentées dans le cadre du Nouveau Festival de Beaubourg, déboule au Mac/Val avec une rétrospective débraillée. Jusqu’au 5 juin au Mac/Val à Vitry-sur-Seine, www.macval.fr

Courtesy the Estate of General Idea/BFAS Blondeau Fine Art Services, Genève, photo Zindman/Fremon

Courtesy the Estate of General Idea

Ci-contre : le trio se met en scène dans Playing Doctor, 1992 ci-dessous : AIDS, 1987

ménage à trois Rétrospective dédiée au génial collectif canadien General Idea, disparu en 1994. Un trio dynamiteur de la société et du monde de l’art, aux œuvres parodiques et transgressives.



n conseil : commencez par la fin. Et par la version colonisée d’une des plus célèbres toiles de Mondrian signée par General Idea. Au centre de cette toile de 1994, baptisée Infe©ted Mondrian, le jaune a été remplacé par un vert pétard, banni par Mondrian mais couleur fétiche, avec le bleu et le rouge, du trio. Ce copier-coller pictural résume à lui seul la démarche, l’état d’esprit et les stratégies d’infiltration virale de General Idea, collectif génial né en 1969 à Toronto et disparu en 1994 en même temps que deux de ses membres, Jorge Zontal et Felix Partz, emportés par le sida. Dans cette dernière partie de l’expo, le sida, justement, est au cœur des préoccupations du groupe : décliné à toutes les sauces, sous la forme de papier peint (repris ici, dans cette expo que l’on visite à rebours comme l’on feuillette un magazine) ou d’affiches abondamment placardées à New York, Toronto ou Berlin, leur fameux “AIDS”, directement inspiré par la typographie iconique du “LOVE” de Robert Indiana, se martèle comme un message publicitaire. Il faut dire que General Idea, visiblement très inspiré par Andy Warhol (en 1972, comme Warhol trois ans plus tôt avec Interview, General Idea détourne les codes de la presse magazine pour créer FILE), a fait du noyautage et de la propagation

de messages subliminaux à forte charge politique son créneau. La récurrence du motif de la mire, décliné en arrière-plan sur de nombreuses toiles ou sujet principal d’une série de sculptures murales de 1988, les détournements de marques célèbres (Marlboro version “Pasta Paintings”, en coquillettes donc) et leurs programmes télé parodiques en sont la preuve. Quant au culte de la personnalité, lui aussi d’inspiration warholienne mais revisité ici dans un format burlesque et bouffon, il constitue une autre stratégie pour dénoncer la marchandisation du monde et le consumérisme fanatique. Apparaissant tantôt sous les traits de caniches cernés, d’académiciens gothiques, de docteurs ou de bébés aux joues rosies, les trois trublions de General Idea parasitent l’exposition et décapitent une figure de l’artiste déjà mise à mal par le choix de ce patronyme générique, “General Idea”, qui leur confère une identité fluctuante. Cette mort de l’auteur, à considérer chez eux au sens propre comme au figuré, est annonciatrice à bien des égards des stratégies d’effacement adoptées chez de nombreux artistes contemporains comme Claire Fontaine, Reena Spaulings ou Société Réaliste. Cependant, cet avilissement identitaire permet aux membres de General Idea d’éprouver

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encadré

welcome

photo Zindman/Fremon

Où l’atelier se conçoit parfois comme un lieu ouvert.

et de tester un nouveau schéma sociétal (et sexuel) débarrassé du vieux modèle patriarcal ou individualiste pour céder le pas à une triangulaire inédite, très “gay-friendly”, que le collectif défend mordicus avec une série d’œuvres qui, comme l’explique Elisabeth Lebovici dans le catalogue, conçoivent le “trouple” (mot-valise fondant le trio avec le couple) “comme machine de guerre contre le couple hétérosexuel, la famille nucléaire, la configuration œdipienne”. “Le fait d’être un trio nous a libéré de la tyrannie du mythe du génie individuel. Nous nous sommes sentis libres d’assimiler, de synthétiser et de contextualiser les influences de notre environnement culturel immédiat”, confirmait, dès 1977, General Idea, dans l’une de leurs fameuses “Showcard”, sorte de cartels sans œuvre aux allures de manifestes qui irriguent l’ensemble de leur travail et constituent ici le fil rouge de l’exposition. Pas étonnant alors que dans cette configuration élargie apparaisse dès les années 1970 un quatrième larron(e) tout droit sorti de leur imagination : Miss General Idea, qui fait sa première sortie lors d’un (faux) concours de beauté organisé à Toronto. Pour elle et à travers elle, ils conçoivent quantité d’objets fétichisés, (talons aiguilles, robe en stores vénitiens) comme autant de déclinaisons de cette “légende vivante” qu’ils écrivent au fil des années. La création et la destruction simultanée (et fantasmée) du “Pavillon” de Miss General Idea 1984 pousse à son paroxysme cette logique de fictionnalisation. General Idea imagine et formalise alors les ruines de sa propre mythologie à travers une série de motifs récurrents : la figure du caniche (joliment définie par le commissaire de l’expo, Frédéric Bonnet, comme le “compagnon idéal du garçon coiffeur”), cornes d’abondance et fresques pompéiennes. Là aussi, précurseurs d’une forme d’“archéologie immédiate” qui fascine tant la jeune génération, General Idea est encore là où on ne l’attend pas, loin de son imagerie pitre et pittoresque, sur le versant plus sombre et plus encaissé de sa propre légende. Commencez par la fin, on vous dit. Claire Moulène Haute Culture : General Idea. Une rétrospective 1969-1994 jusqu’au 30 avril au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président-Wilson, Paris XVIe, www.mam.paris.fr

Un temps négligé par les artistes qui considéraient tout l’espace social comme leur terrain de jeu et d’expérimentation, l’atelier signe son grand retour. Au point d’éclipser un espace d’exposition non plus considéré comme un avant-poste de la postproduction mais comme une étape intermédiaire ou l’un des relais possibles du “néo-studio”. Dans cette redéfinition en marche de l’atelier, apparaît une nouvelle conception de la fabrique de l’art, loin de l’imaginaire de la forteresse, mais s’envisageant comme un lieu ouvert où les artistes se prêtent main forte et s’invitent à tour de rôle. On se souvient du “summer camp” organisé par Florian Pugnaire, David Raffini et Tatiana Wolska dans une menuiserie corse, atelier à ciel ouvert où une dizaine d’artistes européens étaient invités pour un workshop collectif et autogéré. Il y a un mois, c’est l’artiste Benoît-Marie Moriceau qui construisait dans une zone industrielle, à mi-chemin entre Nantes et Saint-Nazaire, son nouvel atelier “conçu comme un laboratoire, avec son espace de travail, sa zone de stockage et son show-room où le commissaire François Aubart sera invité l’été prochain à produire une exposition”. Quant à Anita Molinero et Morgane Tschiember, c’est en Seine-Saint-Denis et de concert qu’elles devraient élire domicile dans un immense atelier enfin adapté à leurs superproductions, sans s’interdire d’accueillir quelques amis de passage comme le metteur en scène Gisèle Vienne. Et c’est dans le Limousin que tout se passera en juillet prochain où Fabien Giraud rameutera sa bande (Etienne Chambaud, Benoît Maire ou Vincent Normand ont, paraît-il, déjà signé) pour transformer une vieille grange en un espace de travail et un lieu d’exposition temporaire. “Tous ceux qui mettront la main à la pâte auront une clé”, assure cet artiste qui partage désormais son temps entre Paris et la Creuse.

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encore un effort pour être cyber-citoyens Internet peut favoriser l’implication citoyenne, et pas seulement lors des révolutions. Pourtant, entre la frilosité des politiques et la pénurie de sites adaptés, l’avenir radieux de la cyberdémocratie se fait attendre.



e toutes parts, on ne cesse de souligner l’importance d’internet dans les révolutions du monde arabe. Pourtant, il n’y a pas que dans un contexte insurrectionnel qu’internet peut aider la démocratie. Les enjeux sont certes différents, mais chez nous aussi, le web a un rôle à jouer pour améliorer le fonctionnement des institutions et pour permettre au citoyen de faire entendre sa voix et de participer au processus de décision. Mais, comme l’a par exemple montré la mobilisation sur internet autour de la loi Hadopi, pourtant forte et argumentée la plupart du temps, les pétitions en ligne, les blogs, les réseaux sociaux qui pourraient peser dans la balance n’ont en réalité qu’une influence mineure sur les politiques. Il semble donc manquer un cadre qui permettrait de tirer

pleinement parti du potentiel d’internet comme vecteur d’une démocratie plus participative et attentive aux opinions citoyennes. Une table ronde organisée à l’Assemblée nationale dans le cadre des débats de la Social Media Week – cycle de conférences autour des réseaux sociaux qui s’est tenu tout autour du monde du 7 au 11 février – s’interrogeait précisément sur la place de l’internaute dans le processus législatif. Pour encourager les citoyens à venir sur les sites institutionnels existants et à participer, Laure de La Raudière, députée UMP twitteuse et très au fait des nouvelles technologies, a d’abord appelé à un “travail de transparence” sur les sites de l’Assemblée nationale et du Sénat : “Je défie quiconque qui n’est pas assistant parlementaire de trouver la loi Paquet télécom sur le site de l’Assemblée nationale.

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au poste

Laurent Bazart

vie-publique.fr, qui propose de suivre l’actualité parlementaire, n’a reçu que quatre contributions depuis fin 2008

Ce n’est pas normal, tout citoyen devrait pouvoir trouver facilement un texte de loi en cours d’examen.” De fait, malgré un effort d’ouverture, les sites du Sénat et de l’Assemblée nationale – en plein dépoussiérage – demeurent touffus, peu conviviaux, et il est difficile de s’y exprimer. Sur le site du Sénat, les contributions ne sont possibles que par mail, même si un compte Facebook, très à jour, permet une amorce d’échanges. Sur le site de l’Assemblée, les citoyens peuvent réagir aux études d’impact (qui examinent les conséquences d’un projet de loi) par formulaire, ou s’exprimer sur les forums, mais cela reste confidentiel : on relève quatre contributeurs et huit messages seulement sur le fil de discussion consacré à un sujet pourtant débattu, les retraites… L’administration a également créé un site spécifique, vie-publique.fr, un portail qui propose de suivre l’actualité parlementaire, de s’initier au fonctionnement des institutions, et qui centralise les différents débats publics en cours. Les internautes peuvent contribuer par mail ou dialoguer avec la rédaction. Là encore, peu de succès : quatre messages ont été postés depuis fin 2008 ! Tangui Morlier, cofondateur de l’association Regards citoyens et cocréateur du site nosdeputes.fr, qui permet à chacun

de mieux connaître le travail de son député, estime que l’absence de retours sur les contributions des internautes peut être un des facteurs expliquant ce désintérêt. “Sur le site de l’Assemblée nationale, tout citoyen est invité à donner son opinion sur les études d’impact. Mais comme l’institution ne veut pas héberger des points de vue qui pourraient être litigieux, elle ne les met pas à disposition. Le citoyen peut contribuer, mais sa contribution n’est pas visible, et il ne sait pas ce qu’on en fait”, explique-t-il. Ne jamais savoir si son message a été lu, ou même reçu, n’est pas très encourageant, et la publication des avis, gérée par un modérateur, serait une première étape. Cela permettrait non seulement de faire vivre le site en stimulant les contributions, mais aussi d’en améliorer la valeur. S’il se sait lu et pris en compte, l’internaute ne se contentera pas de messages épidermiques. Robin Berjon, un expert du web (berjon.com), soulignait quant à lui l’importance de poser des questions précises : “Si on ouvre les vannes sur une question très générale comme ‘Que pensez-vous de la bioéthique ?’, les commentaires qu’on récoltera seront assez médiocres, si ce n’est insultants. Par contre, dès qu’on pose des questions précises, on a des retours de qualité.” Toutefois, la mise en place d’un dialogue numérique entre citoyens et politiques nécessite au préalable que ces derniers comprennent, maîtrisent et adoptent l’outil internet. “Une majorité de politiques ont un peu peur d’internet, que ce soit par rapport à leur image personnelle, à la remise en question des modèles économiques traditionnels ou à de nouvelles menaces qu’ils ont du mal à appréhender, comme la cybercriminalité”, confirme Laure de La Raudière. Celle-ci insiste d’ailleurs sur la nécessaire “montée en compétence” des parlementaires sur internet. Mais pour cela, il serait indispensable qu’ils commencent tout simplement à s’y intéresser : quelques jours après cette table ronde, le texte sur la neutralité du net, capitale pour maintenir un internet libre et égalitaire, était débattu par… 21 députés. Anne-Claire Norot

vie privée, débat public Dans son édition britannique de mars, Wired consacre un dossier à un sujet débattu et rebattu, internet et la fin de la vie privée. Pour la polémique, le magazine est allé chercher Andrew Keen, l’auteur du Culte de l’amateur, livre moralisateur et catastrophiste sur les menaces supposées du web 2.0. Fidèle à son goût de la provocation facile, il compare le web aux structures pénitentiaires panoptiques du XVIIIe siècle, permettant à un gardien de surveiller les prisonniers sans que ceux-ci sachent s’ils sont observés ou non. Fustigeant Facebook, parlant des réseaux sociaux comme de “pièges”, il explique que “le culte du social, colporté par les entrepreneurs de la Silicon Valley et les idéalistes communautaires, est enraciné dans un malentendu sur la condition humaine. La vérité est que nous ne sommes pas naturellement des êtres sociaux.” Il déplore alors que l’on perde notre capacité à rester seul, à s’isoler. Andrew Keen suppose un peu vite que les gens sont dupes des réseaux sociaux et incapables de se déconnecter. Heureusement, deux autres intervenants offrent un avis plus éclairé. Steven Johnson explique comment le web social peut redéfinir les interactions entre les hommes. Jeff Jarvis, auteur de La Méthode Google, place le débat à un autre niveau : il craint que, au nom de la protection des citoyens, on en arrive à oublier les avantages que l’on peut tirer du web, voire, pire, à censurer certaines technologies sans même envisager leurs applications positives. Il redoute que les autorités aient plus peur du partage, de la collaboration, de la transparence, de la remise en question de l’autorité permises par internet que des infractions à la vie privée. Jeff Jarvis rappelle qu’il est “vital de protéger l’ouverture du net et son pouvoir contre la censure née de la tyrannie et contre les surréglementations nées de la peur de la nouveauté.” Mais est-il encore temps d’être réactionnaire ou passionnément optimiste sur le sujet ? Les 600 millions de membres de Facebook ne semblent pas se poser la question.

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Hostel 2, d’Eli Roth

chercher l’horreur Dans son webzine Blow up ou à travers un nouveau documentaire sur le cinéma d’horreur d’aujourd’hui, Luc Lagier, aficionado éclairé, explore sur Arte les terrains obscurs du cinéma.

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l y a chez Luc Lagier, critique avisé, ex-rédacteur en chef de l’émission CourtCircuit sur Arte, responsable du webzine ciné Blow up, auteur de livres sur Carpenter et De Palma, ou encore réalisateur de documentaires sur la Nouvelle Vague, une tendance récurrente : il fait des films avec des films. Péché mignon du collectionneur, qui considère sa collection comme une vaste œuvre

pour Luc Lagier, le genre exprime la crise politico-morale que l’Occident est en train de traverser

d’art unique où il puise, tel un Frankenstein, la matière d’une nouvelle création. Dans un documentaire sur le renouveau du cinéma d’horreur dans les années 2000, Lagier se filme de dos, ou parfois en amorce, devant sa collection de figurines et de fanzines horrifiques, puis in situ, dans les grandes villes du monde où il est allé débusquer les nouvelles tendances de ce genre exprimant selon lui la crise politico-morale que l’Occident est en train de traverser. Ces intermèdes, habilement intégrés entre les interviews des réalisateurs rencontrés, sont, par leur impassibilité, presque plus inquiétants que les extraits de films. Bref, Luc Lagier y pratique

l’exercice de style en forme de remix idéal, tout comme dans Blow up, qui compile avec brio sur le site d’Arte des scènes clés, des incongruités ou des figures classiques du septième art. C’est la construction et le liant interstitiel qui font la singularité de Cinémas d’horreur – Apocalypse, virus et zombies. Car dans le fond, le renouveau sur lequel Lagier discourt savamment est un peu une construction journalistique. Si le remake de Massacre à la tronçonneuse par Marcus Nispel avait “surpris tout le monde”, il n’a pas éclipsé l’original de Tobe Hooper. Quant à celui de La colline a des yeux par Alexandre Aja, il n’a pas laissé indifférent, mais difficile d’y voir l’amorce d’un nouveau

style. Les cinéastes que rencontre Lagier en Angleterre (Neil Marshall, auteur de The Descent), en Espagne (Balagueró et Plaza, réalisateurs de [Rec]) et aux Etats-Unis (Alexandre Aja et Eli Roth) sont tous à leur manière des artisans sérieux et inventifs, mais ne transcendent pas le genre. On est néanmoins convaincu par le discours du plus discutable du lot : Eli Roth, auteur de Cabin Fever et des plus poussés Hostel (deux chapitres), considère le “torture porn”, courant dont il est un des fers de lance (avec les auteurs de la série Saw), comme une réponse aux croisades sanglantes de George Bush en Afghanistan et en Irak. De plus, il est plausible que la barrière entre genre horrifique et cinéma grand public va peu à peu céder, comme le démontre le succès de la série télé The Walking Dead. Peut-on pour autant faire un parallèle systématique entre crise socio-politique et montée en puissance de l’horreur filmique ? L’époque reaganienne, où l’économie américaine était au pinacle et où les Etats-Unis n’étaient engagés dans aucun conflit, a correspondu à l’âge d’or du gore et du slasher movie, avec des séries ciné comme Freddy, Halloween ou Vendredi 13. Ce qui est certain, c’est que l’horreur acquiert une respectabilité culturelle qu’elle n’avait jamais eue. Vincent Ostria Cinémas d’horreur – Apocalypse, virus et zombies, lundi 7 mars à 22 h 25, Arte Blow up, webzine sur le site d’Arte

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Le Chagrin et la Pitié/Rue des Archives

LouisG rave, ancien résistant

la marque du chagrin En 1969, Le Chagrin et la Pitié de Marcel Ophüls bouleverse l’image des Français sous l’Occupation. Pierre Laborie interroge l’impact du film, ou comment le cinéma documentaire façonne l’histoire.

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eu de films dans l’histoire du documentaire ont joué un rôle aussi explosif dans la conscience nationale que Le Chagrin et la Pitié de Marcel Ophüls, tourné en 1969 mais censuré par l’ORTF et diffusé à la télé en 1981 seulement, douze ans après sa sortie en salle. Contemporain de l’essai de l’historien américain Robert Paxton, La France de Vichy, paru en 1973, la chronique d’une ville sous l’Occupation, Clermont-Ferrand, explorée par Ophüls dans tous ses recoins, créa un effet de rupture. Il rompait brutalement avec “l’image épurée d’un passé où trop de silences et de non-dits entretenaient une vision rassurante” des Français durant la guerre, explique l’historien Pierre Laborie dans son dernier livre Le Chagrin et le Venin. Le documentaire eut, rappelle-t-il, la vertu de démystifier une mémoire unanimiste, et de briser le “mythe résistancialiste” d’une France unie contre l’occupant. Le Chagrin et la Pitié est ainsi venu gommer la vision “trop fluide, trop sédative” que la France avait encore au début des années 1970 de ses années de guerre. Pour autant, ce retournement de la conscience historique a ses propres points aveugles : Laborie interroge les effets pervers du documentaire en notant qu’avec ce film démysthificateur, “un nouveau prêt-à-penser” succéda aux approximations lyriques de la France héroïque. Le film de Marcel Ophüls fabrique et légitime une nouvelle “vulgate” – la nation ignoble –, que l’historien estime aussi limitée et gênante que celle qui la précédait – la nation héroïque. C’est cet “effet de prisme” que Laborie déconstruit dans une riche réflexion, stimulante pour ce qu’elle dit à la fois du travail sans cesse reformulé de l’histoire et de la fonction du cinéma dans l’édification des représentations.

L’auteur défend le droit de questionner “les limites, le sens et l’audience persistante” d’une image déprimante des Français sous l’Occupation “sans être suspecté de rejoindre ceux qui dénoncent la mode de la repentance”. Comment expliquer cet attrait des Français pour ce miroir qui “leur renvoyait sans pitié ces images d’euxmêmes”, demande-t-il ? Par-delà les travaux complémentaires des historiens (Paxton, Burrin, Jackson, Rousso…), Laborie met en avant, comme clé d’explication, la prégnance d’un mythe de la Résistance, quelle que soit la forme qu’on lui confère. Un cliché peut en chasser un autre : dans les deux cas, “la Résistance est renvoyée à l’idée d’une fable”. A rebours des visions réductrices, Laborie milite pour une position d’équilibre : plus sensible que d’autres historiens aux multiples signes de “non-consentement” des Français sous l’Occupation, conférant aux termes “attentisme” et “inertie” d’autres significations que la lâcheté ou l’apathie, il préfère au confort des positions arrêtées le mouvement d’une vision complexe, seule voie possible de révélation de la vérité historique. Outre les questions inachevées que son Chagrin… à lui pose aux historiens sur les visages de la France sous l’Occupation, son analyse des effets de prisme créés par le film d’Ophüls ouvre une stimulante réflexion sur le rôle des grandes œuvres documentaires dans la construction d’un imaginaire national. A partir d’un seul film, un pays entier s’est construit une vision désenchantée de son passé. Dépoussiérant de vieux clichés, Le Chagrin et la Pitié a aussi fait écran à l’histoire. Jean-Marie Durand Le Chagrin et le Venin. La France sous l’Occupation, mémoire et idées reçues de Pierre Laborie, (Bayard), 354 pages, 21 € 2.03.2011 les inrockuptibles 137

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“Lost, une dimension initiatique” Un petit livre passionnant sur la série de J. J. Abrams donne des clés de compréhension nouvelles. Son auteur Pacôme Thiellement nous éclaire.

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lors que l’édition commence enfin à s’intéresser au phénomène, voici peut-être le livre le plus stimulant écrit en France sur une série télé. Les Mêmes Yeux que “Lost” se présente à la fois comme l’exégèse de l’une des aventures sérielles les plus marquantes des années 2000 et comme le récit passionné d’un intellectuel aux prises avec un objet narratif débordant. D’Henry James (L’Image dans le tapis) aux textes philosophiques et religieux orientaux, Pacôme Thiellement (35 ans, déjà auteur d’un essai sur Twin Peaks intitulé La Main gauche de David Lynch) oriente notre regard vers des territoires inattendus et offre une vue imprenable sur l’île, les mystères et les personnages de Lost. Pourquoi une série télé, objet sans noblesse dans la tradition intellectuelle française, est-elle pour vous un objet d’étude et de réflexion ? Pacôme Thiellement – Les intellectuels passent à côté des séries, comme ils sont passés à côté de la musique populaire ou de la bande dessinée. Mais nous n’avons pas plus besoin d’un intellectuel pour nous dire comment penser que d’un monsieur météo pour savoir où le vent souffle. Combien d’heures de votre vie avez-vous passé devant Lost ? Pendant six ans, je n’ai pas passé une journée sans penser à Lost. J’ai étudié ma vie à travers Lost comme j’ai analysé Lost à l’aide des écrits d’Henry Corbin et de René Guénon (respectivement philosophe et métaphysicien français du XXe siècle).

Réciproquement, j’ai mis ma propre vie à l’épreuve pour comprendre les écrits de ces derniers comme les parcours des personnages de Jack, Locke ou de Desmond. Vous évoquez “l’alliance réalisée dans cette fiction populaire entre écriture sacrée et narration moderne”. En quoi Lost est-elle simultanément archaïque et actuelle ? Les personnages de Lost sont des hommes comme vous et moi : ils ont un énorme potentiel, qu’ils sont incapables d’exploiter, ils sont sombres, solitaires et tristes, et lucides quant à leur responsabilité dans l’échec de leur vie. La puissance archaïque de Lost vient de sa dimension initiatique : son objectif est de nous confronter au caractère illusoire de nos ambitions, afin de nous réorienter vers la connaissance. Lost raconte la même chose que la Bhagavad Gîtâ ou Le Langage des oiseaux d’Attâr (textes hindouiste et perse) mais elle le raconte avec les formes d’aujourd’hui : suspense, renversements de perspective, labyrinthes psychologiques, twists narratifs… Le livre interroge la position du spectateur, base même de l’expérience Lost. Pour vous, les demandes d’explications de beaucoup de fans se trompaient de cible. Il faut voir Lost comme un miroir. Cette

“Lost parle d’une catastrophe par laquelle nous sommes passés : la destruction de l’existence spirituelle”

série parle d’une catastrophe par laquelle nous sommes passés : la destruction de l’existence spirituelle. Elle a eu raison de nous promettre des réponses qu’elle ne nous donnerait pas. Elle n’a cessé de montrer des personnages (de Ben à Richard) promettre à d’autres des réponses qu’ils n’avaient pas eux-mêmes. Au final, elle avait le même but qu’eux : préparer, parmi ses spectateurs, de nouveaux “Jacob”, des “candidats” au gardiennage de l’existence spirituelle. La saison 5 cite la version anglaise de L’Internationale écrite par Billy Bragg  (“Nous vivrons ensemble, ou nous mourrons seuls”). Lost serait un récit politique prenant acte de la fin de l’Occident et ses valeurs libérales, individualistes ? Dans Lost, les hommes sont libres mais prisonniers de leurs déterminations ; ils sont égaux, mais n’existent que sous les formes de la prédation et de l’amertume. Le capitalisme a prouvé qu’il ne menait qu’à la destruction ; mais on n’en aura pas fini tant qu’on ne se sera pas réorientés à partir de ce qui est commun aux pensées traditionnelles, à savoir l’exégèse et la vision. Lost ne cesse de jouer avec notre désir de liberté, de dire que “nous avons le choix”, mais, à la fin, elle dit tout autre chose. Elle dit : “J’avais besoin de quelqu’un, et ce quelqu’un, maintenant, c’est toi.” Le spectateur de télévision est passif ; Lost l’appelle à se réveiller. propos recueillis par Olivier Joyard Les Mêmes Yeux que Lost (Léo Scheer), 116 pages, 15 €

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brèves Kiefer déjà de retour Kiefer Sutherland avait tenté de nous faire croire qu’il allait bientôt reprendre le cuir de Jack Bauer dans une adaptation cinéma de la série. Les choses traînant, il vient de s’engager pour tenir le premier rôle de Touch, nouvelle série du créateur d’Heroes, Tim Kring.

Wonder Woman s’appelle Adrianne Adrianne Palicki a été choisie pour tenir le rôle principal de Wonder Woman, remake de la série seventies par NBC. C’est peut-être un détail pour vous… Palicki tenait le rôle bouleversant de Tyra Collette dans Friday Night Lights, et devrait apporter à l’héroïne autrefois incarnée par Lynda Carter une profondeur bienvenue. Le pilote a été écrit par David E. Kelley (créateur de The Practice et Ally McBeal), ce qui ne gâche rien.

focus

mon royaume pour une série

The Killing est un thriller danois sur le point d’être adapté aux Etats-Unis. L’Europe se rebiffe. a perspective d’une identité spécifiquement européenne de la série télé posait problème. On a longtemps cru que les Anglais demeuraient seuls à proposer une alternative crédible au modèle américain, à base de réalisme et d’humour décalé, pour aller vite. Il se pourrait que l’on change d’avis dans les mois ou les années James Mangold à venir, si d’étonnantes réussites comme réalise un pilote celle de The Killing continuent à émerger. Après Martin Scorsese et Produite par une chaîne danoise, Michael Mann (entre autres) cette série policière profite évidemment employés par HBO l’année dernière, James Mangold va de l’effet de mode autour des thrillers réaliser le pilote de Rookies, nordiques (Wallander, inspirée par Henning produit par Robert De Niro Mankell, est aussi diffusée en ce moment pour CBS. L’auteur de Copland sur Arte et Paris Première), même si est loin d’être le seul. la réduire à cette étiquette serait injuste. Phillip Noyce, Antoine Fuqua Chaque saison propose une seule enquête ou encore Mark Romanek vont aux ramifications complexes, menée aussi participer à la migration par une héroïne hantée. La deuxième, massive des hommes du que TPS Star sort de son chapeau cinéma vers la télé. (avant Arte dans quelques mois), déploie un impressionnant arsenal scénaristique autour de plusieurs meurtres liés à l’intervention des militaires danois en Afghanistan. Politique et intimité se mêlent Dexter (Canal+, le 3 à 20 h 45) La cinquième jusqu’à se confondre. Le plus intéressant saison de Dexter souffre du départ de son dans ces dix épisodes bien serrés ? Le brio showrunner historique Clyde Phillips. avec lequel la série tisse sa toile dans Ça n’empêchera personne de la regarder, un calme extrême. Loin de toute hystérie mais on préfère vous prévenir. visuelle ou narrative, The Killing avance Glee (Orange Ciné Happy, ses pions en prenant son temps, laissant le 6 à 20 h 40) Début de la saison 2 le spectateur s’imprégner des corps et des de notre chouchoute, modèle lieux. La violence sourde du monde finit d’orfèvrerie pop et de sentiments par imposer un spleen alternativement mélodramatisés. L’épisode 2 glacial et brûlant. Sans être révolutionnaire, accueille Britney Spears. The Killing remplit donc son office avec une certaine maestria. Cela n’a pas échappé Kaamelott (Paris Première, le 8 à 19 h 05) aux connaisseurs américains, puisque AMC L’une des rares séries comiques (Mad Men, Breaking Bad) diffusera à partir françaises réellement comiques – même du mois d’avril sa propre adaptation. O. J. plusieurs années après. A revoir chaque

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agenda télé

soir en rafale, en attendant une version cinéma, promise par le créateur Alexandre Astier pour 2012.

The Killing. Saison 2 sur TPS Star, chaque mercredi à 2 0 h 40. 2.03.2011 les inrockuptibles 139

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émissions du 2 au 8 mars

Aïcha 2. Job à tout prix

Capture vidéo d’un portrait par Chuck Close

Téléfilm de Yamina Benguigui. Mercredi 2 mars, 20 h 35, France 2

Kate Moss, la création d’une icône, un film de Nicols Graef

bêtes de mode De Karl Lagerfeld à Kate Moss, de Jean Paul Gaultier à Vivienne Westwood… quelques monstres sacrés de la mode.

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es figures de la mode, explorées cette semaine par Arte, sont devenues des icônes sociales. L’écrivain Christian Salmon faisait de Kate Moss dans son dernier livre Kate Moss Machine un mythe d’aujourd’hui. Le portrait sans aspérité que lui consacre Nicols Graef échoue malheureusement à restituer la complexité de cet idéal “mossien”. De même, le flou gagne le portrait de Vivienne Westwood qui, avec l’appui rusé de Malcolm McLaren, a façonné l’esthétique du mouvement punk. Le film de Letmiya Sztalryd évoque à peine les grandes heures de 1976-1977 et s’apparente davantage à un reportage, collant aux basques de la provocatrice : Vivienne à vélo, Vivienne au boulot… Le regard que pose Rodolphe Marconi sur la personnalité de Karl Lagerfeld est, lui, plus intrigant. Son film Lagerfeld confidentiel dévoile une part de la personnalité du créateur, en l’observant dans le cadre de ses espaces intimes (à la maison, en train de choisir ses vingt bagues du matin…). Par-delà la théâtralité du personnage, quelque chose d’authentique transparaît en creux. Mais sur l’art de restituer les rites et de raconter sans effets les excès de la mode, le documentariste Loïc Prigent n’a pas son pareil. Le portrait inédit qu’il consacre à la styliste new-yorkaise Diane Von Furstenberg confirme le style chaloupé de sa belle collection Le Jour d’avant. Au plus près du processus de création, saluant le travail au cordeau des créateurs tout en consignant, aussi, le ridicule de leur vie précieuse, Prigent invente une forme échevelée de récit, à la fois libre et rigoureuse, qui dit tout des éclats et des ébats de la mode. Jean-Marie Durand et

Jérôme Provençal Sur Arte, mercredi 2 mars à 20 h 40, Le Jour d’avant : Gaultier et Rykiel ; jeudi 3 mars à 22 h 35, Kate Moss, la création d’une icône ; vendredi 4 mars à 20 h 40, Lagerfeld confidentiel, et à 22 h 05, Vivienne Westwood – Do it yourself ; samedi 5 mars, Le Jour d’avant : Diane Von Furstenberg En DVD chez Arte éditions, dès le 9 mars, Le Jour d’avant 2 (coffret), et Vivienne Westwood – Do it yourself

Le Peuple de la rue, les invisibles

Les aventures d’une Beurette, encombrées du folklore communautaire. Yamina Benguigui, dont le documentaire Mémoires d’immigrés reste dans les mémoires, propose le deuxième volet de sa fiction sur les aventures d’Aïcha, jeune fille arabe de banlieue, tiraillée entre tradition communautaire et modernité, jouée par Sofia Essaïdi. Communauté : voilà l’aspect qui gêne un peu dans ce film. Entre le respect de la différence et la caricature, la frontière est mince. Exemple : le professeur d’auto-école, réduit à ses racines chinoises, n’a pas d’identité propre. Idem pour les Arabo-Musulmans… Pourquoi tout ramener aux origines ? V. O.

Documentaire de Serge Moati. Dimanche 6 mars, 23 h, France 3

Un docu à la Moati sur les SDF de Paris. Serge Moati, réalisateur de ce documentaire sur les sans domicile fixe, a suivi, embedded, l’équipe du Samu social de Paris. Sa qualité, c’est de mettre les pieds dans le plat, de s’impliquer, de se mouiller. Parfois trop, lorsqu’il se filme dans le local du Samu, et fait défiler à son confessionnal les naufragés du bitume. Son défaut, c’est de papillonner de l’un à l’autre. Ça a pour effet de fondre ces individus en détresse dans un tout indifférencié. On voudrait en savoir plus sur une de ces histoires. Mais Moati a le mérite de regarder ces exclus, de leur parler, de leur donner la parole. C’est déjà énorme. V. O.

Une semaine sans les femmes Emission présentée par Virginie Mounier. Mardi 8 mars, 20 h 35, France 2

Téléréalité sur une petite ville désertée par “la moitié du ciel”, comme disait Mao. Adaptée de la BBC, cette émission de téléréalité que France 2 rebaptise “télé du réel” marque un basculement éditorial pour la télé publique. Longtemps rétive au genre, jugé trash, France 2 cède à son tour aux sirènes de la téléréalité, ne seraitce que pour séduire les plus jeunes. Le glissement sémantique ainsi que le sujet de l’émission – le quotidien d’une petite ville désertée par les femmes – soulignent le désir de s’éloigner des codes classiques du format pour lui conférer une dimension sociétale, plus proche de l’esprit de service public que de celui des sévices privés. JMD

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Jacques Chirac, la justice aux trousses Enquête de Stéphane Malterre. Lundi 7 mars, 20 h 50, Canal+

Le vieil animal politique au cuir tanné par les affaires échappera-t-il à ses poursuivants ? Jacques Chirac revient de loin. Son procès qui s’ouvre le 7 mars est l’occasion de reconsidérer les lourds dossiers qu’il a traînés sans jamais s’écrouler : marchés truqués d’Ile-de-France, HLM, emplois fictifs, corruption, pots-de-vin… Aux investigations du juge Halphen, aux révélations de Jean-Claude Méry en 2000, aux enquêtes des médias, aux attaques de Montebourg, Chirac a survécu. Cette survie, il la doit à de solides appuis – les victimes consentantes de son système, l’ex-président du Conseil constitutionnel Roland Dumas. A travers une enquête claire en forme de piqûre de rappel, Stéphane Malterre fait le récit d’une impossible chute, en dépit de la loi audessus de laquelle il a, jusqu’ici, volé. JMD

Femmes au volant Documentaire de Brigitte Chevet. Mardi 8 mars sur France 5 à 20 h 35

La conquête par les femmes d’un objet névrotiquement investi par les hommes. La guerre des sexes se fixe sur des terrains aussi futiles qu’absurdes : ainsi le partage du volant entre femmes et hommes est resté un enjeu plein de tensions, observe Brigitte Chevet dans un film ludique et riche en archives. Peu importe les chiffres (8 morts sur 10 en voiture sont occasionnées par les hommes) à côté des préjugés incrustés dans l’imaginaire masculin. Jugées distraites et vouées à leur condition de passagère, les femmes souffrent d’un soupçon d’illégitimité. La domination masculine tient sa route. JMD

états d’armes Tour d’horizon des métamorphoses d’une armée qui peine à trouver sa place dans la société française.

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a Grande Muette parle. Autrefois, les militaires étaient soumis au devoir de réserve. Désormais, ils peuvent s’exprimer, et ils en ont gros sur la patate. Ils souffrent d’un désintérêt, voire d’un discrédit de la part de la population qu’ils sont censés représenter. Comme on le constate à travers ce documentaire fourni, inventoriant les conflits dans lesquels la France a été engagée depuis les années 70, quelque chose a changé. On parle de “mission”, le terme de “guerre” étant devenu tabou depuis les “événements” d’Algérie, euphémisme

malsain. Aujourd’hui, l’armée ne sert plus à défendre le territoire, protégé par la dissuasion nucléaire, ni à conquérir. Le rôle des militaires français devient flou. Cela leur pèse. Dans certains cas, ils font figure de “corsaires” (sic) au service de la Françafrique ; d’autres fois, ils participent à des forces de maintien de la paix (Casques bleus), ou bien ils sont embarqués dans d’inconcevables guerres exogènes (Afghanistan). Bref, le prestige de l’uniforme en a pris un coup. Vincent Ostria La Guerre en face documentaire de Patrick Barbéris. Jeudi 3 mars, 23 h 05, France 2 2.03.2011 les inrockuptibles 141

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enquête

la veille en sommeil La blogosphère liée aux pratiques journalistiques a tendance à péricliter. Une pratique pourtant indispensable pour suivre les mutations des médias.

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a veille quotidienne des médias serait-elle si énergivore qu’elle en épuise ses pratiquants les plus motivés ? Si l’on en juge par la baisse de forme quantitative de la blogosphère dédiée aux pratiques journalistiques, cela ne fait aucun doute. De capresse.org à ecosphere.wordpress.com, en passant par crisedanslesmedias.hautetfort.com, espritblog.com ou le philosophique journaldesocrate.ch, un certain nombre de blogs parmi les plus pertinents ont été mis en sommeil ces derniers mois. Perte de motivation ou temps compté ? “Lassitude (…) de dénicher des tendances hors de France, commente le journaliste multimédia Fabrice Gontier sur Espritblog. Et grosse lassitude de voir que sur le front des médias français en ligne… le web rime avec innovation zéro.(..) C’est la France. La rentabilité immédiate, l’incapacité à miser sur la recherche et l’innovation.” La France trop frileuse sur le web : le diagnostic n’est pas loin d’être partagé par certains des bloggeurs les plus influents… surtout lorsqu’il s’agit d’évoquer l’activité des confrères. “Les journalistes français sont ceux qui bloggent le moins. Un journaliste qui ne réfléchit pas à sa

profession est un journaliste dangereux, dénonce Alain Joannès, auteur du Journalisme à l’ère électronique (Vuibert) et créateur de journalistiques.fr. Ici, les journalistes sont des petits marquis bardés de diplômes qui ne veulent pas se laisser interpeller. Ils estiment appartenir à l’intelligentsia et donc ne pas avoir à rendre de comptes au lecteur. Ils se trompent.” Pour Benoît Raphaël, cofondateur du site lepost.fr et aujourd’hui consultant (benoitraphael.com), le secteur est en effet plutôt moribond. “C’est un peu toujours les mêmes que l’on lit. Peu de blogs créent vraiment le débat ou apportent une analyse originale. Les pros qui travaillent n’ont pas toujours le temps de blogger. Et ceux qui ont le temps n’ont pas toujours l’expérience. Et c’est cela qui manque le plus : l’expertise de ceux qui ont un vécu.” Certains tirent pourtant leur épingle du jeu, et tout le monde en France ne souffre

“écrire sur un blog vous oblige à ne pas vous contenter de survoler l’information” Benoît Raphaël, consultant

pas du “syndrome Alain Duhamel” (aversion revendiquée pour les nouvelles technologies), pour reprendre l’expression née sur internetetopinion.wordpress.com. Si l’analyse des médias s’appuie parfois sur des sites plus structurés (Owni, ReadWriteWeb, Arrêt sur images, ElectronLibre ou le collectif des Incorrigibles), certains s’emploient à déchiffrer les mutations du journalisme 2.0 en solo. Outre les pages d’Alain Joannès et de Benoît Raphaël, citons Media Trend de Marc Mentré, Samsa de Philippe Couve, W.I.P. d’Alice Antheaume (blog.slate.fr/ labo-journalisme-sciences-po) ou le plus culturel Sur mon écran radar, de JeanChristophe Féraud. “Ecrire sur un blog permet de rendre plus efficace votre veille et vous oblige à ne pas vous contenter de survoler l’information, résume Benoît Raphaël. De plus, le blog est une plate-forme qui permet d’organiser votre présence sur le web. Vous restez visible à l’intérieur d’un réseau, ce qui est primordial : c’est en échangeant avec ses pairs qu’on évolue.” Cette logique poussée à son extrême a assuré le succès du vorace Twitter, l’un des principaux responsables du ralentissement de l’activité des blogs… Pascal Mouneyres

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in situ combien de temps pour… ? Se laver les mains, se confesser, manger du riz grain par grain ou rédiger un testament : chaque jour, Matt Danzico, journaliste pour BBC News, décrit une action, en estime le temps, puis vérifie la véritable durée. Tout ça pour comprendre comment notre estimation du temps est influencée par nos souvenirs et nos expériences. thetimehack.com  

journaux virtuels Ce kiosque de magazines culturels francophones met en vitrine près de 330 publications, dans tous les domaines artistiques. En plus de la consultation et de l’achat des numéros au format numérique, le site propose un outil de recherche et de veille, et permet l’accès à des archives de revues actuelles et disparues. scopalto.com

organisateur malin Grande famille, bande de copains éparpillée ou répétitions pour un groupe, c’est toujours compliqué de trouver un moment où chacun est disponible. Doodle évite les discussions interminables. L’organisateur principal propose une série de dates et chaque participant coche ses disponibilités. Un outil ultrapratique. doodle.com

un nom, dix chansons Peachr invite des personnalités du monde culturel, de Thomas Dutronc à Castelbajac, à créer leur miniplaylist de dix chansons et à la justifier via un court texte. Le principe : découvrir des nouveaux morceaux grâce aux coups de cœur des uns et des autres. Les playlists sont ensuite écoutables sur Deezer et sur Spotify. beta.peachr.com/

la revue du web Wall Street Journal les stars mystiques Aux Etats-Unis, lors des discours des stars récompensées aux Grammys ou aux Oscars, impossible d’échapper au “Thank you God”, traditionnels remerciements à Dieu. Car c’est Dieu qui choisirait lui-même les futures stars. C’est en tout cas ce que Lady Gaga, Snoop Dog, Eminem et d’autres pensent sincèrement. Pour le journaliste musical Neil Strauss, qui a interviewé de nombreuses célébrités, ce “théisme compétitif” faciliterait le succès, en apportant confiance en soi et sensation de pouvoir. http://tinyurl.com/6gerz9u

Slate

The Telegraph

Starbucks, un café au goût amer

les phobies d’Hollywood

Une ancienne “barista” de Starbucks témoigne sur ses conditions de travail dans la célèbre chaîne de cafés. Miniformation aux airs de bourrage de crâne, pas de collègues mais des partenaires, employés sous pression, détectives maison, managers très exigeants, productivité et horaires de folie : elle révèle que si le travail n’est pas forcément dur physiquement, il est moralement usant. En 2010, sur les 960 employés de Starbucks France, 8 ont écrit pour se plaindre de conditions de travail “difficiles”. http://tinyurl.com/4qto7hd

Le cinéma aime jouer avec nos nerfs et raviver nos peurs les plus enfouies. Parmi les phobies qui ont marqué Hollywood : le vertige d’Hitchcock, qui nous rappelle que forcer le monde à se plier à nos volontés nous entraîne vers le vide, la peur de l’eau de Truman Burbank (Jim Carrey dans The Truman Show), emprisonné dans son monde, et la peur des araignées dans Arachnia. Sans oublier l’homophobie qui a marqué American Beauty ni la liste sans fin de Bill Murray, qui transmet ses peurs à son médecin dans le culte Quoi sde neuf, Bob ? http://tinyurl.com/6b3hjbl

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5 films about Christo & Jeanne-Claude

True Grit de Joel et Ethan Coen Un western où la cocasserie le dispute au lyrisme crépusculaire.

PJ Harvey Let England Shake Une fresque bouillonnante, pop et expressionniste autour du thème de la guerre.

Hélène Ling Repentirs L’ascension d’un artiste contemporain, sublime imposteur des années 70 à nos jours.

L’Immortalité de Milan Kundera Moins connu que le classique L’Insoutenable Légèreté de l’être, ce roman est beaucoup plus personnel. L’action reste vague pour mettre en valeur le narrateur et même l’auteur en plein processus d’écriture. Now Here Is Nowhere

Ben Murphy

d’Albert et David Maysles Des documentaires réalisés par des amis intimes sur cinq œuvres majeures de ces artistes, notamment leur emballage du pont Neuf ou encore la clôture éphémère qu’ils ont installée en Californie. Une réflexion passionnante sur la nature de l’art.

de Secret Machines Epoustouflant à tous les niveaux, cet album a eu un effet dévastateur sur nous. C’est avec cette découverte qu’on a posé les premières fondations de notre groupe. recueilli par Noémie Lecoq

Rio Sex Comedy de Jonathan Nossiter L’auteur de Mondovino signe une comédie de mœurs foutraque et insensée. De quoi y perdre joyeusement son latin.

Santiago 73 – Post mortem de Pablo Larraín Le putsch de Pinochet, le cadavre d’Allende vus par un employé des morgues.

Treefight For Sunlight A Collection of Vibrations for Your Skull Une jeune formation éblouissante, qui signe un des grands disques de l’année.

Iegor Gran L’Ecologie en bas de chez moi Un pamphlet cinglant dénonçant les dérives dogmatiques et commerciales de “l’intégrisme écolo”.

Gruff Rhys Hotel Shampoo Splendide, ouaté et luxueux deuxième album solo du leader des Super Furry Animals. Ron Leshem Niloufar Un livre plein d’empathie, tiré d’échanges avec de jeunes Iraniens.

Black Swan de Darren Aronofsky Les affres d’une danseuse étoile reconfigurées en conte horrifique. Outré, virtuose et jubilatoire.

Ax Anthologie Divers Défricheuse, politique et parfois déroutante, la revue japonaise Ax fait l’objet d’une anthologie passionnante.

Le Royaume de Ruppert & Mulot Dans un format inédit, l’audace de deux démiurges d’un monde qu’eux seuls pouvaient inventer.

The Shoes Crack My Bones Têtu et authentique, le groupe refuse de choisir entre pop et electro.

The Exiles de Kent Mackenzie. Plongée dans Bunker Hill, un quartier disparu de Los Angeles. Tokyo Gore Police de Yoshihiro Nishimura. Le meilleur film de l’horreur japonaise. Oncle Boonmee d’Apichatpong Weerasethakul. Palme d’or méritée pour le génial Thaïlandais.

William T. Vollmann Le Roi de l’opium et autres enquêtes en Asie du Sud-Est Une plongée en enfer vécue de l’intérieur. Un nouveau livre puissant, suite du monstrueux Livre des violences.

L’Appel de l’espace de Will Eisner Un roman graphique délirant et pessimiste de la fin des années 70, mené tambour battant.

White Lies Le deuxième album de White Lies, Ritual, vient de sortir. Le trio sera en concert le 14 mars à Toulouse, le 18 à Bordeaux, le 19 à Rennes et le 22 à Paris (Cigale)

La Nuit des rois mise en scène Jean-Michel Rabeux MC93, Bobigny Jean-Michel Rabeux signe une vision échevelée et joyeusement foldingue de Shakespeare.

Requiem 3 mise en scène Vincent Macaigne Bouffes du Nord, Paris Défenseur d’un théâtre de l’excès, Vincent Macaigne revient sur la création en 2006 de Requiem.

Timon d’Athènes mise en scène Razerka Ben Sadia-Lavant La Maison des Métallos, Paris Denis Lavant, maître de cérémonie d’un concert slam-rap dénudant Shakespeare à l’os de sa radicalité.

Tania Mouraud au CCC de Tours Visite des chambres d’initiation conçues dans les seventies. Hyperconceptuels, des refuges pour spectateur solitaire.

Album les frères Bouroullec Arc en rêve, Bordeaux Les formes pudiques et évanescentes, entre art et mobilier, des stars du design.

JapanCongo double regard de Carsten Höller sur la collection de Jean Pigozzi Le Magasin, Grenoble La poursuite des expériences chamaniques de l’artiste allemand.

Marvel vs Capcom 3 – Fate of Two Worlds sur Xbox 360 et PS3 Un pur fantasme pour geeks.

Dead Space 2 sur PS3, Xbox 360 et PC Voyage au centre de la peur. Ce jeu prend un malin plaisir à déterrer nos pires phobies.

Mario Sports Mix sur Wii Fantaisie sportive frénétique au pays de Mario. Très amusant.

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HORS SÉRIE Des caves de Saint-Germain-des-Prés à la vague funk, des années dandy aux années provoc, retour sur trente années glorieuses.

En partenariat avec

+ CD 12 titres “Douze belles dans la peau” Gainsbourg chante les filles

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