795


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+ édition régionale

TOULOUSE 1 6 pages

No.795 du 23 février au 1er mars 2011

spéciasl e Toulouges 24 pa

M 04704 - 795 S -F: 3,90 €

Toulouse démasqué Dran, graffeur

Tarnac

Coupat porte plainte Radiohead le marketing des rebelles Allemagne 4,90 € - Dom/A 5,50 € - Belgique 4,20 € - Canada /A 6,50 CAD - Espagne 4,50 € - Grèce /S 4,50 € - Italie 4,50 € - Luxembourg 4,20 € - Tom/A 900 CFP - Portugal 4,50 € - Suisse 7 CHF

j’ai bu du vin chaud avec

Charlotte Rampling

L ’

idée était d’emmener Charlotte Rampling, à l’affiche de Rio Sex Comedy (le dernier film de Jonathan Nossiter, l’auteur de Mondovino), dans un bar brésilien. Comme ça, débriefing autour d’une caïpirinha du tournage carioca de l’actrice anglaise, hop et voilà. Mais le bar brésilien avec qui nous avions dealé une ouverture précoce nous a plantés – tudo bem. Donc on grimpe dans le taxi où Charlotte Rampling attend derrière ses lunettes noires, direction un endroit sûr et ouvert : “Le Cannibale, rue Jean-Pierre-Timbaud s’il vous plaît”, dit-on au chauffeur. “Vous n’êtes pas gelé ?”, demande-t-elle au journaliste qui lui ramène de l’air bien trop frais à l’intérieur du véhicule. “Il fait un froid de gueux, dehors”, dit-elle, avant de poser la question : “Mais un gueux, c’est quoi au juste ?” Alors que le taxi peine derrière un camion-poubelle, on explique à Charlotte Rampling que par gueux, on entend une personne à la fois un peu désargentée et dépenaillée et qui, par ricochet, aurait un peu plus froid que la moyenne. Elle dit qu’elle voit, ok. On déboule sur Belleville, c’est jour de marché. Elle regarde par la fenêtre. “Je viens rarement par ici, c’est bien, je découvre.” On arrive devant le Cannibale. L’actrice sort de la voiture, entre dans le café, salue le patron et s’assoit au fond de la salle. “Je vais prendre un vin chaud, tiens”, dit-elle à la serveuse. “Alors pourquoi un vin chaud ? Je pense que c’est parce que tout à l’heure, j’ai parlé avec des gens qui revenaient du ski.” Eclats de rire. Dans le nouveau film de Jonathan Nossiter, le deuxième qu’ils tournent ensemble après Signs & Wonders en 2000, Rampling joue Charlotte Jones, chirurgienne esthétique star, en rupture avec son métier – elle incite désormais les femmes à vivre avec leurs ridules. Le film s’ouvre avec elle qui virevolte puis danse en robe blanche dans les rues de Rio. “Ce film, c’était aussi l’occasion de passer du temps à Rio. Jonathan Nossiter fonctionne comme ça, il y a une part d’improvisation et de mélange avec le réel

“mais un gueux, c’est quoi au juste ?”

dans ses films, et cela demande de s’adapter au lieu. Tous les acteurs sont donc arrivés un peu en avance à Rio pour y développer des choses, qui ont été ensuite introduites dans le scénario. La scène d’ouverture, jamais je n’aurais pu l’improviser comme ça, sans avoir passé du temps à Rio”, explique l’actrice. Nossiter est même allé plus loin : il a recruté David Jarre, le fils de Rampling, et lui a demandé de jouer le rôle du fils de Charlotte Jones. “J’étais dans un café avec Jonathan un jour, David a débarqué et, au bout de quelques minutes, Jonathan lui a proposé de venir à Rio.” Sortent de cette idée des scènes absolument délicieuses. Dont une où Rampling sur-simule l’orgasme en compagnie de deux gandins pour faire fuir son rejeton ; et une autre où elle lui fait un couplet plutôt réaliste et assez émouvant sur le couple, la fidélité, tout ça. “Nossiter, il prend, il mélange, du réel, de la fiction, et au final, c’est de la bonne came”, lance Charlotte en utilisant une expression de djeun’s total qui la fait sourire elle-même et plisser ses superbes yeux. Des projets ? “Un premier film italien et peut-être une surprise pour Cannes.” Elle ne veut/peut pas en dire plus. Un morceau qu’elle aime passe dans le café, mais on ne trouve plus le titre. Charlotte Rampling dit qu’elle adore Phil Collins, et on lui répond que certains morceaux sont magnifiques. Sur Against All Odds, on l’inviterait pour un slow sur-le-champ, là, dans le Cannibale. Son vin chaud est fini. Charlotte Rampling dit que ça lui fait bizarre sur les joues, tu m’étonnes. “C’était mieux qu’une caïpirinha, finalement”, conclut-elle, avant de rechausser ses lunettes noires et de repartir gracieusement vers son taxi. Pierre Siankowski photo Vincent Lignier Rio Sex Comedy de Jonathan Nossiter, lire critique p. 74

23.02.2011 les inrockuptibles 3

No.795 du 23 février au 1er mars 2011 couverture Thom Yorke par Shamil Tanna/Contour by Getty Images couverture Toulouse par Ulrich Lebeuf/M.Y.O.P

03 quoi encore ? Charlotte Rampling

08 on discute courrier + édito de Serge Kaganski

10 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

14 en une Shamil Tanna/Contour by Getty Images

The King of Limbs, le nouveau Radiohead

18 événement Julien Coupat et Yldune Lévy portent plainte contre la police

22 événement les éleveurs anglais seraient les meilleurs

24 ici le premier hébergeur internet européen est français et géré par un clan familial

14

25 ailleurs les filles de Malcolm X et son héritage

34

26 la courbe ça va, ça vient. Le billet dur

28 nouvelle tête

Bernard Lipniztki/Roger-Viollet

Vincent Macaigne

30 parts de marché Europe 1 navigue à vue

32 à la loupe Nadine Morano tient salon

43 Fillon en embuscade le président dévisse dans les sondages, le Premier ministre se tient prêt…

45 que le meilleur perde 46 presse citron revue d’info acide

48 contre-attaque harcèlement, mode d’emploi

Lionel Bonaventure/AFP

les politiques en quête de défaites

43

54

50 débats d’idées le savoir pour chacun

34 Céline et les pamphlets faut-il publier le Céline antisémite ?

52 trafics turfistes enquête sur le rachat douteux de bars PMU Seamus Murphy

54 PJ Harvey l’enragée un nouvel album autour de la guerre

60 leur corps est leur pays portrait des chorégraphes tunisiens Hafiz Dhaou et Aïcha M’Barek

63 les frères Coen go western True Grit, leur plus gros succès

No.795 du 23 février au 1er mars 2011

spécialse Toulou s 24 page

pour Toulouse et sa région

Toulouse démasqué

66 la ligne Mondrian trois artistes contemporains visitent pour nous l’exposition à Beaubourg

les ambitions

de Pierre Cohen Dran, graffeur M 04704 - 795 S -F: 3,90 €

édition spéciale 24 pages

Cinémathèque, rugby et Bikini Allemagne 4,90 € - Dom/A 5,50 € - Belgique 4,20 € - Canada /A 6,50 CAD - Espagne 4,50 € - Grèce /S 4,50 € - Italie 4,50 € - Luxembourg 4,20 € - Tom/A 900 CFP - Portugal 4,50 € - Suisse 7 CHF

23.02.2011 les inrockuptibles 5

70 True Grit d’Ethan et Joel Coen

72 sorties 127 heures, Rio Sex Comedy, Sanctum…

76 festival le court chez lui à Clermont-Ferrand

78 dvd The Exiles, Tokyo Gore Police

80 Marvel vs Capcom 3 + DC Universe Online

82 Treefight For Sunlight les Danois rois de la pop

84 mur du son Les Inrocks Lab, Catherine Ringer…

85 chroniques Agoria, Boubacar Traoré…

91 morceaux choisis Mona…

92 concerts + aftershow The Black Angels

94 Hélène Ling portrait de l’artiste en imposteur

96 romans/essais Nicolas Grimaldi, Marie NDiaye…

98 tendance du cinéma à l’écriture, mais pourquoi ?

100 agenda les rendez-vous littéraires

102 bd Ax, revue désaxée

104 le Tramway de Lee Breuer + Hivernales d’Avignon + Eva Doumbia

106 Tania Mouraud + la France vue par Claire Fontaine

108 les denimheads qui sont ces addicts du jean ?

110 utopies en action des lieux où s’invente le futur

112 Birkin en super-8 les années de bonheur

113 Argentine, années de plomb en 1976, une jeune Française disparaît

114 séries Joey de Friends revient

116 télévision le combat des gays

118 Enquête êtes-vous géolocalisable ?

120 la revue du web décryptage

121 vu du net le régime Dukan

122 best-of le meilleur des dernières semaines 6 les inrockuptibles 23.02.2011

les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34 rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs P. Azoury, V. Ballet, D. Balicki, E. Barnett, B. Baudesson, S. Beaujean, G. Belhomme, R. Blondeau, P. Blouin, M.-A. Burnier, B. Catanese, A. Compain-Tissier, M. Despratx, A. Dubois, P. Dupont, V.  Faure, J. Goldberg, A. Guirkinger, A. Hallet, E. Higuinen, N. Hubinet, O. Joyard, L. Laporte, C. Larrède, J. Lavrador, U. Lebeuf, T. Legrand, V. Lignier, G. Lombart, L. Mercadet, B. Mialot, X. Monnier, P. Noisette, A. Orliange, V. Ostria, E. Pailloncy, O. Père, E. Philippe, J. Provençal, A. Ropert, L. Soesanto, P. Sourd, F. Valner lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable animation Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Caroline de Greef, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Caroline Fleur, Jérémy Davis, Thi-bao Hoang conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeurs artistiques Pascal Arvieu, Mathieu Gelezeau (remplaçant) maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Camille Roy, Nicolas Jan publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté d’Arthur Bellot tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 coordinatrice Dorothée Malinvaud tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 publicité commerciale, directeurs Sarah Roberty, David Eskenazy tél. 01 42 44 19 98 directeur de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 chef de publicité Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 coordinatrice Margaux Monthieu tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/relations publiques Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19, infos au 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Valérie Imbert fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 2 211 059,61 € 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Matthieu Pigasse directeurs généraux adjoints Stéphane Laugier, François Rossignol attachée de direction Charlotte Brochard directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOer trimestre 2011 directeur de la publication Matthieu Pigasse © les inrockuptibles 2011 tous droits de reproduction réservés Un cahier de vingt-quate pages spécial Toulouse encarté dans l’édition des départements 9-12-32-31-6546-81-82 ; un encart abonnement de deux pages Belgique et Suisse jeté dans l’édition vente au numéro Belgique et Suisse ; un encart abonnement de deux  pages jeté dans l’édition générale vente au numéro ; un encart abonnement de deux  pages “spécial Toulouse” encarté dans l’édition des départements 9, 12, 32, 31, 65, 46, 81 et 82 ; un CD “Objectif 2011 Vol. 2” encarté dans l’édition générale (hors départements 9, 12, 32, 31, 65, 46, 81 et 82) ; un CD “Objectif 2011 Vol. 2 – spécial Toulouse” encarté dans l’édition des départements 9, 12, 32, 31, 65, 46, 81 et 82

l’édito

taches brunes Christian Jacob persiste et signe : DSK n’incarne pas le monde rural et la France des territoires. Parce que Sarkozy et ses ministres ressemblent peut-être à des fermiers ? Du monde rural à “la terre qui ne ment pas” de Pétain, de territoire à terroir, la ligne est mince, et il n’y a que l’UMP pour feindre de s’en offusquer. De son côté, Sarkozy, au plus mal dans les sondages, commence à paniquer et critique le multiculturalisme dans la foulée de Merkel et de Cameron. Que vient faire le multiculti, concept anglo-saxon, dans le pays de la laïcité républicaine ? De l’art de faire mousser des questions qui n’existent pas. Les récentes sorties du Président sur l’islam et la laïcité ne sont pas compliquées à décrypter : quand on présente un bilan désastreux sur l’emploi, le pouvoir d’achat, la justice sociale et fiscale, la séparation des pouvoirs, l’indépendance des médias, les libertés publiques et le vivre-ensemble, on tente de détourner l’attention avec des faux sujets qui ne réjouissent que Marine Le Pen, créditée de 20 % d’intentions de vote selon les derniers sondages. Evidemment, la crise économique, l’emploi, les projets de société plus équitable et plus environnementalocompatible, ce sont des thèmes importants, fondamentaux, mais compliqués et un peu chiants. Alors que la peur de l’islam, c’est n’importe quoi (si tant est qu’on ne confonde pas la majorité musulmane avec la minorité intégriste), mais c’est spectaculaire, simpliste, vendeur. Comment sortir de la spirale de la démagogie politique et enrayer ces taches brunes qui pourrissent le débat public ? Il revient à chaque homme politique républicain responsable de tirer le débat vers le haut et à chacun d’entre nous, citoyens, d’exiger d’eux sans relâche cette focalisation sur les vraies questions et non sur les petites phrases qui titillent les plus bas instincts. Est-ce aussi le rôle de la loi d’encadrer la parole publique ? Cette question a pu resurgir à l’occasion de la récente condamnation d’Eric Zemmour. A première vue, on se réjouit qu’un homme qui a justifié les contrôles au faciès et la discrimination à l’embauche soit condamné. Mais se pose le problème de la liberté d’expression et de la judiciarisation des opinions. Aux Etats-Unis, on peut tout dire, la Constitution misant sur l’argumentation et le débat contradictoire plutôt que sur l’interdit. Zemmour, Jacob, Sarko, Le Pen : faut-il les assigner en justice ou démonter leurs discours, argument par argument ?

Serge Kaganski 8 les inrockuptibles 23.02.2011

Avec ses plumes noires dans les cheveux, sa robe blanche et son look de poétesse du XIXe siècle, je trouve qu’en prenant de l’âge PJ Harvey ressemble de plus en plus à une sorte d’Emily Dickinson de la guitare... pradoc2, lu sur lesinrocks.com “Tron”, quel héritage ?

Tron, modèle 2010, c’est l’histoire d’un héritage. De lui-même, déjà, de cette époque où la french touch de nos Versaillais de service se résumait aux bip bip de Space Invaders et de Tetris. A cette époque, George Lucas s’offrait une bedaine en devenant producteur, après nous avoir montré son petit monde futuriste hyper looké. On ne devinait pas encore que les lignes épurées de THX 1138 allaient se balader jusque sur Kamino dans Star Wars II, où s’organisera l’idée d’une armée de clones tristes aux tendances un peu envahissantes.

Tron – L’Héritage, c’est Mickey de l’autre côté de la Wii. Comme Alice qui tombe dans son trou, Sam tombe dans le jeu vidéo conçu par son père il y a perpète : si le monde qu’il quitte était tout moche et injuste, le nouveau n’est pas vraiment mieux. Il devra donc se battre pour sauver son papa et empêcher les vilains programmes humanoïdes de quitter ce monde orwellien, où les users humains et les brunes posthumaines ne sont décidément pas les bienvenus sur le grid. Bon, ok. Mais si le côté motocapsule aurait sûrement plu à Son Gokû (Chichi avait une maisoncapsule), le délire scénaristique pour étudiants en IUT informatique est franchement foireux. On lui préférera un bon Matrix à l’ancienne, qui nous excitait l’esprit sans nous retourner l’estomac avec une 3D plus laide et inutile que jamais. De Tron – L’Héritage, on ne retiendra que les belles images et les amuse-gueules pour amateurs d’electro : un clip de deux heures qu’on pourrait voir comme le film de la BO plutôt que l’inverse. Maxime de Abreu

Dolce Francia ! Notre belle Carla nous susssssssurre que la France est douce. Donnonslui raison : en effet, la France est belle ! Surtout la sienne d’ailleurs, celle de son mari (sa Rolex, ses restos et ses contre-feux médiatiques) et de ses amis : MAM (ses parents et ses vacances), François (ses pyramides), Eric (sa femme, sa mamie Liliane et ses chevaux), ou encore Brice (son portefeuille et ses inculpations) ! En plus, la France, ceux qui l’aiment, ils la chantent dans la rue (“Justice bafouée : démocratie en danger !”, “Touche pas à nos retraites !”, “Pécresse, serre les fesses !”, etc.) ou ils la quittent (jusqu’à ce que l’ISF soit supprimé) ! Bref, Carla, tu as raison, qu’il est doux d’être français en ce moment ! En même temps, force est de reconnaître que “Dolce Italia”, ça sonne moins bien, même dans la bouche de la Franco-Italienne non assumée que tu es : c’est vrai quoi, en Italie, le chef du gouvernement a muselé les médias. Oh, raté ! Ça aussi, on l’a fait ici… Et puis surtout, il a des mœurs un peu débridés, le Silvio… Mais sur ça, non merci ! Pas trop de détails, Carla, s’il te plaît, même susssssurrés... David

7 jours chrono le paperblog de la rédaction lever le voile Lara Logan, reporter vedette de CBS, a été victime d’agression sexuelle place Tahrir le jour de la démission de Moubarak. Pour certains militants, il s’agit d’un gang pro-Moubarak. L’affaire fait du bruit en Egypte et lève deux tabous : les agressions sexuelles contre les femmes reporters, et la fréquence des attaques sexuelles en Egypte en général, impunies pour la plupart. Suzanne Moubarak, l’ex-première dame, accusait les médias d’exagérer le problème pour ternir l’image de l’Egypte.

le mot

Le mot le plus prononcé par la bouche de Nicolas Sarkozy depuis cinq ans, c’est “je”, “moi” (d’après une étude du magazine en ligne L’Internaute). Tous les politiciens bien sûr usent de “je”, mais Sarkozy deux fois plus que les autres. Son brillant second en égocentrage est Ségolène Royal. Cette sémantique actualise à la fois volontarisme, narcissisme et absence de programme. Manque de fond clair, empilement de fragments de programmes à géométrie variable (libéral/régulateur, écolo/pollueur, etc.). En contrepoint, le champion du “nous” s’avère être Arnaud Montebourg. Chez les autres : le mot chéri de Hollande est “déficit”, celui de Copé “impôts”, celui de Le Pen “Europe” et celui de Besancenot… “Sarkozy”. Chirac raffole de “naturellement”, Villepin d’“exigence” et Martine Aubry prononce “inégalités” onze fois plus que les autres en moyenne. Il est amusant de constater à quel point ce palmarès ne surprendra personne.

Mario Anzvoni/Reuters

Lara Logan

10 les inrockuptibles 23.02.2011

un squat en moins Le collectif Jeudi Noir s’est encore fait expulser. Vendredi à 7 heures du mat, la police a débarqué chez AXA, au 22, avenue Matignon, face à l’Elysée. Un immeuble vide depuis quatre ans. La veille, AXA annonçait 4,3 milliards d’euros de bénef pour 2010. little brown man Nouvelle star du stand-up US, Aziz Ansari a des potes recommandables : Judd Apatow est son grand fan et Kanye West son meilleur ami. Aziz Ansari est une sorte de Jamel indien à l’ascension ultrarapide. Le prestigieux New Yorker a fait son portrait. Son accent sud profond est à lui seul une arme de destruction massive contre les clichés sur son origine indienne. Et une enfance de bronzé et rachitique d’un bled paumé de Caroline du Sud, c’est comment Aziz ? “Plutôt cool au milieu de copains Aziz Ansari obèses.”

Ho New/Reuters

[je]

le moment quand le foot se fait art Le match Arsenal/Barcelone a donné lieu à un moment de jeu exceptionnel.

Edouard Plongeon

Jamie Hince et Alison Mosshart

Mercredi soir, pendant une heure et demie, on a oublié que le football était devenu une industrie. On s’est souvenu que, joué comme ça, cela restait un putain d’art. A Londres, sur la pelouse de l’Emirates Stadium, Arsenal et Barcelone ont même pondu un chef-d’œuvre. Les Espagnols ont écrit leur poésie habituelle, confisquant le cuir, multipliant les passes, 629 au total, souvent à une touche de balle. De mémoire, seule la Hongrie des années 50 avec Puskas, Kocsis et Csibor avait atteint un tel niveau… mais en deux fois moins rapide. N’importe qui en face aurait sombré. Mais pas Arsenal. Au mental, en vitesse pure, les Londoniens ont fini par arracher la manche 2-1 dans un finale tendu. Un débordement à gauche, et Van Persie frappe dans les trente centimètres entre le gardien et le poteau. Un débordement à droite, et Samir Nasri enchaîne le centre le plus lucide de sa carrière sur Arshavin tout seul. Il y aura un match retour dans ce huitième de finale de la Ligue des champions, le 8 mars. L’attente sera longue.

London killing Six semaines avant la sortie de leur quatrième

Jack Wilshere (Arsenal) “porté” par le Barcelonais Pedro

Shawn Botterill/AFP

album, Blood Pressures, rencontre avec les Kills dans le nord de Londres, dans l’appartement-studio d’Alison Mosshart. Appart rock’n’roll : instruments à gogo, collection de santiags, photos de Mick Jagger et Nick Cave au mur. Pendant l’interview, le portable de Jamie Hince vibre : on a beau se tortiller, on n’arrive pas à voir si c’est Kate Moss de l’autre côté du SMS. slips humides Mini-émeute devant le Grand Rex et NRJ. Des centaines d’ados hormonalement dérangés hurlent “Justiiinnn”. Bieber est de passage et présente son film Never Say Never. Dans le tas, Le Petit Journal de Canal+ cible les plus roublardes des couguars mêlées aux prépubères biberonnés à Skins, série trash fort éloignée de l’esprit Bieber. Dans Rolling Stones US, la Mèche a fait son coming out anti-avortement. Même en cas de viol Justin ? “C’est vraiment triste, mais tout peut arriver.” onze Palestiniens L’équipe de foot de Palestine jouera son premier match officiel sur son terrrain le 9 mars. En qualif des JO 2012. Contre la Thaïlande. La Palestine a déjà disputé des matchs amicaux au stade d’Al-Ram en Cisjordanie, mais jouait ses matchs officiels en Jordanie ou au Koweit, “pour raisons de sécurité”. “Ce match sera une occasion historique pour savoir si nous méritons un stade à domicile ou non”, a déclaré Abdul Majeed Hijeh, secrétaire général de la Fédération palestinienne. ta gueule on tourne A Beaubourg, mercredi 16 février, des centaines de visiteurs au lancement de la deuxième édition du Nouveau Festival. Michel Gondry, cinéaste expérimental génial, a transformé le Centre Pompidou en studio miniature. Décors cheap, costumes vintage et reconstitutions grandeur nature, ça filme à tout-va à grand renfort de portables, les plus sérieux s’inscrivent sur la liste d’attente pour réaliser leur film amateur. Une action en mode “do it yourself” déjà testée à New York en 2008 à la galerie Jeffrey Deitch.

23.02.2011 les inrockuptibles 11

l’image rétrospective photo d’Hervé Guibert

Congo My Body

Hervé Guibert, Amsterdam, 1982

Congo My Body Ils sont trois sur le plateau du WIP de la Villette

Christine Guibert

Vingt ans après sa mort, l’œuvre d’Hervé Guibert ne cesse de fasciner l’imaginaire contemporain. Par ses romans d’abord, où s’invente le concept de l’autofiction. Il y écrit avec une lucidité effarante l’amitié, le sexe, la maladie. La beauté d’Hervé Guibert et son choix de vivre son destin debout face au public en ont fait le symbole d’une génération décimée par le sida. Aujourd’hui, la Maison européenne de la photographie à Paris organise la première rétrospective de son œuvre photographique. En 200 photos, célèbres ou plus méconnues, se déploie son univers : les amis, les autoportraits (nombreux), l’île d’Elbe, les objets aimés, Suzanne et Louise… Cet ensemble, très cohérent, s’impose comme un autre pan du projet autobiographique de Guibert. Il y troque la construction littéraire du réel pour un art du cadrage en plan serré, au plus près des corps. “L’image est l’essence du désir”, dit-il. Ainsi, celui qui s’est rêvé cinéaste parvient à extraire du quotidien les séquences clés de son œuvre. Hervé Guibert photographe à la Maison européenne de la photographie jusqu’au 10 avril, www.mep-fr.org

Enrico Bartolucci

Où l’on découvre une autre facette de son œuvre autobiographique.

à Paris, au terme de leur troisième résidence en un an, pour présenter le filage de leur spectacle Congo My Body : Djodjo Kazadi, danseur et chorégraphe, Serge Amisi et Yaoundé Mulamba, marionnettistes. Ils viennent de République démocratique du Congo. Serge Amisi et Yaoundé Mulamba sont d’ex-enfants-soldats devenus artistes. La délicatesse avec laquelle ils manipulent leurs marionnettes dit la mémoire qu’ils ont de tous les kadogos (enfants-soldats) tués pendant les combats. Création au festival Danse d’ailleurs, à Caen, le 30 mars. junk food Personne ne s’aperçoit que la bouffe française s’encroûte. Sauf le critique américain Michael Steinberger, auteur de La Cuisine française, un chef-d’œuvre en péril (Fayard). Cet amoureux de la gastronomie hexagonale, qui avoue avoir déjà échangé “sa femme contre du foie gras de canard”, se désole que la France soit le deuxième marché McDo, que les camemberts au lait cru disparaissent et que l’inventivité culinaire se déploie aujourd’hui ailleurs, comme en Espagne. Riviera Mercredi 16 février : concert très privé de Metronomy à la Boule Noire. Joseph Mount, Oscar Cash et Gbenga Adelekan jouent avec un mono soutien-gorge luminescent, ambiance E. T./ phare de 2CV. La fumée artificielle cache Anna Prior, dommage une batteuse c’est toujours beau. Metronomy, dont The English Riviera paraît le 11 avril, finissent par You Could Easily Have Me, morceau dérangé du premier album Pip Paine. Le troisième opus de la troupe du passionnant Joseph Mount sera un des grands disques de 2011. L. M., B. Z., avec la rédaction

12 les inrockuptibles 23.02.2011

Shamil Tanna/Contour by Getty Images

Thom Yorke

Radiohead : no surprises ? Vendu en téléchargement vendredi dernier, le huitième album de Radiohead hésite entre l’inouï et l’ennui. Comme si la révolution n’intéressait plus sa musique mais uniquement son commerce, qui crée de nouveaux modèles économiques à chaque sortie. par JD Beauvallet hank you for waiting.” Ainsi Radiohead accueillait-il ses fans sur son site le lundi 14 février. Le groupe annonçait, à l’étonnement général, la commercialisation de son nouvel album, The King of Limbs, cinq jours plus tard, dans un premier temps en simple téléchargement. Une des chansons fétiches de Radiohead s’appelle No Surprises – pas mal pour un groupe qui, depuis trois ans maintenant, joue constamment sur l’effet de surprise, quitte à le transformer aujourd’hui en tic, en gimmick. On avait parlé, pour un tout autre sujet, à leur manager quelques jours auparavant : il avait donné des nouvelles légères des musiciens. Le grigou : il est des secrets qu’il doit être lourd de porter, mais même lui semblait tellement à la coule, sans pression, qu’on ne soupçonna rien. Il faut dire que Radiohead, dans ce genre d’omerta, est devenu un champion, ayant réussi l’exploit pour un groupe aussi vendeur, exposé et attendu de sortir deux albums de suite en n’annonçant leur commercialisation que quelques jours avant leur sortie en téléchargement, sans la moindre fuite. On ne parle pas ici de fuite de sons, mais surtout d’infos, encore plus compliquée à fliquer, à proscrire : même en équipe commando, Radiohead travaille avec une armée de designers, techniciens, avocats, publicistes, et cette fois encore, personne n’a trahi le secret. Des bruits, contradictoires, avaient pourtant commencé à circuler dès l’été 2007 sur les faits et gestes de Radiohead, mais aucun n’avait clairement anticipé la déflagration qu’allait engendrer In Rainbows, vendu en octobre 2007 uniquement sur le site du groupe, pour un prix fixé par l’internaute. Révolution des us et coutumes du commerce du rock, mais certainement pas du rock lui-même : l’album, assez convenu et raisonnable finalement, rentrera d’ailleurs vite dans le rang, avec une sortie commerciale on ne peut plus banale deux mois plus tard. Avant cela, Radiohead

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avait donc testé in situ un nouveau modèle économique, utilisant ses fans comme cobayes, pour réussir ce tour de force : générer plus de revenus pour le groupe avec un album uniquement téléchargeable, à prix variable en plus (ou même gratuit), qu’avec le précédent Hail to the Thief, distribué mondialement et dans tous les formats possibles par une major. Après cet exploit, Radiohead pouvait donc revenir sagement à la normale, dans toutes les boutiques : une première place, rare, des charts anglais et américains. Le groupe, et il s’en fiche avec raison, se brouillait là avec une partie de la critique musicale, vexée d’être exclue du secret des dieux et de devoir, comme un vulgaire internaute, découvrir et juger l’album en direct, sans ces quelques semaines d’avance qui permettent parfois d’étayer un discours – mais aussi de chercher des poux, pour justifier son métier et ses privilèges. The King of Limbs, on le sentait déjà dans les premiers articles qui lui étaient consacrés avant même la moindre écoute, pourrait vite faire les frais de ce retour de bâton de la profession. Surtout que Radiohead a choisi minutieusement la date de son annonce : la veille des Brit Awards, ce grand raout pendant lequel l’industrie anglaise noie son spleen et son impuissance dans l’alcool gratuit et les autocélébrations aveugles. Voilà qui a dû détourner quelques conversations de salon – et passablement agacer les barons et barbons encore en place. Après In Rainbows, Radiohead sembla donner raison au triomphe écrasant d’un modèle inventé par iTunes : le saucissonnage. L’industrie du disque payait là chèrement une sale habitude, qui avait longtemps consisté à bâtir des albums autour de trois chansons décentes, reliées entre elles par des ragotons indignes : ainsi a-t-on tué l’album. Pourtant, Radiohead, pas vraiment un groupe à singles, semblait installé dans cette narration longue, patiente, qu’autorisent les albums formant un tout indivisible.

D’où la surprise quand, en 2009, le groupe commença à distribuer sur son site des chansons isolées, l’une gratuite, l’autre caritative, au rythme de ses avancées en studio. Le groupe, débarrassé de tout lien avec l’industrie lourde, ses parasites et ses forces d’inertie, semblait alors déterminé à jouir de la flexibilité de l’indépendance. Il sortait ainsi ses titres, comme tant de stars l’avaient promis sans oser franchir ce pas risqué pour les finances, selon ses pulsions, directement du producteur au consommateur. Thom Yorke annonçait même cette année-là que le groupe ne reviendrait peut-être jamais aux chantiers pharaoniques et éreintants des albums. On savait pourtant, en épiant les interviews éparses des membres du groupe, que Radiohead avait passé pas mal de temps en studio en 2010. Mais chacun jurait ses grands dieux que c’était sans but précis, sans autre direction et ambition que le plaisir. Le batteur Phil Selway profitait même de ce calme apparent pour sortir un sensible album solo. Blah, blah, blah. C’est pourtant bel et bien un nouvel album, prévendu sous plusieurs formats (téléchargement et coffret collector regroupant notamment deux vinyles enrobés dans du papier journal ou “625 petits designs”) que présente aujourd’hui le groupe d’Oxford. Le “vrai” CD, lui, sortira dans les magasins le 28 mars. Signe de l’importance que tient aujourd’hui la France dans l’économie parallèle du groupe, le pays arrive en troisième position dans le menu déroulant que propose le site d’achat, qui commercialisait dès vendredi (avant d’exploser dans l’après-midi) trois formats : le coffret “journal” à 36 €, le téléchargement mp3 à 7 € et la même version, mais en format wav, à 11 €. Pour exciter la curiosité, une vidéo était mise en ligne quelques heures avant : Lotus Flower, un morceau déjà découvert sur scène dont l’electro-jazz cosmique fournit à Thom Yorke l’étrange matière première d’une chorégraphie désarticulée et grotesque 23.02.2011 les inrockuptibles 15

jusqu’au fascinant : une danse de saint Guy propulsée par les électrochocs, entre Ian Curtis et Michael Jackson pompette. Voici donc, en catimini ce vendredi, en avance de vingt-quatre heures sur les plans, le huitième album de Radiohead, dont les gesticulations de commercialisation et les gadgets de présentation ne sauraient masquer l’évidence : Radiohead frappe pour une fois là où on l’attend. Soit dans un registre psalmodies/incantations/ dissonances/arythmies/tachycardie déjà abordé ailleurs. Le tout en format court (huit titres) et produit par le fidèle Nigel Godrich, avec tous les espaces, dérèglements et rituels espérés, attendus ou redoutés. C’est ce qui surprend dans l’absence de surprise : cette impression que pour la première fois sans doute, Thom Yorke est en paix avec sa petite musique, avec le devoir d’outrepassement. Comme s’il ne tenait plus compte du conseil, longtemps adopté par Radiohead, prodigué par Brian Eno dans son complexe jeu de cartes des Stratégies obliques : “Ce qui a marché la fois d’avant, ne le recommence jamais.” Feral, ainsi, moment faible de l’album, aurait pu il y a onze ans, en pleine obsession de Thom Yorke pour Autechre, Henry Cow ou Mingus, servir de face B à un titre de Kid A. D’entrée, Bloom confirme les influences jazz planantes de Lotus Flower, mais sans s’aventurer assez loin dans le furieux, dans le sauvage : on ne fera jamais passer un zoo où tout est encagé pour une jungle où chaque pas est dangereux. Le trip reste pourtant de plus en plus captivant au fil des écoutes. Il en faut sept pour un album de Radiohead, dans au moins trois lieux différents : c’est une règle immuable, n’en déplaise à ceux qui détestent cette musique en ne l’écoutant qu’en simples touristes. Surgissent alors des sommets dans la brume, notamment dans ces moments où Yorke semble jouer solo : Codex, qui plane voluptueusement dans les hautes altitudes de Jon Hassell ; le palpitant Morning Mr Magpie, qui trouve une porte secrète entre le Velvet et Neu! ; le hippie et stellaire Give up the Ghost. Mais on connaît la destination, et on a cette fois-ci le billet de retour en poche, ce qui limite pas mal les frissons et l’hébétude de l’inconnu. Pour ces moments rares de délices affolés, il faudra attendre la fin de parcours, quand The King of Limbs préfère virer à l’inouï plutôt qu’à l’ennui. Surgit alors Separator qui, en une chorale de blips et de chœurs hauts, atteint une légèreté, une grâce, une immatérialité derrière laquelle cavalent tant de freaks pourtant surdoués (d’Animal Collective à Of Montreal) en se prenant les pieds dans la toge, les idées dans les concepts. Un moment rare de musique en suspension, pendant laquelle des anges passent et valsent. Album The King of Limbs (en téléchargement) www.thekingoflimbs.com 16 les inrockuptibles 23.02.2011

Radiohead fait tourner les têtes Depuis la sortie de The King of Limbs, le net est en ébullition. Critiques professionnels et internautes éclairés se sont ainsi retrouvés à égalité pour le juger. par JD Beauvallet n coupant tous les intermédiaires qui, dans une industrie rodée de la musique, séparent depuis toujours l’artiste du fan, le producteur du consommateur, Radiohead a aussi éliminé la critique. Car avec le groupe d’Oxford, il est fini le temps où le journaliste recevait, des semaines voire des mois à l’avance le prochain album du groupe,

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histoire de le juger en toute sérénité, d’argumenter, d’élaborer un discours critique. Outil de travail nécessaire ou simple privilège valorisant, l’advance-CD (ou, de nos jours, le lien sécurisé d’écoute en amont) a parfois eu droit de vie ou de mort sur la carrière même de l’album qu’il présentait en avant-première : certains de ces albums, face à l’hostilité de la critique manifestée avant

même la sortie, n’ont ainsi jamais vu les bacs. Avec Radiohead, le critique et l’internaute se retrouvent sur un pied d’égalité : tout le monde, en payant la même somme pour le même téléchargement, découvre en même temps la musique et les informations. Tous ont les mêmes oreilles, mais tous n’ont pas le même parcours, le même savoir s’insurgent ici et là les

journalistes dépossédés. Et effectivement, comme les émissions de téléréalité révèlent à la chaîne des artistes sans talent autre que la gesticulation, beaucoup de blogs musicaux ont dévoilé des critiques sans bagage, sans distance, sans vision. Qu’importe. Si cette opinion selon laquelle tout le monde peut devenir artiste ou critique relève d’un populisme crasseux, on ne peut cependant que se réjouir de la façon dont Radiohead a ouvert depuis vendredi un fascinant débat, où professionnels et amateurs échangent comme jamais, s’affrontent sur terrain neutre. Sur la critique d’un seul et unique disque, livré sans la moindre information supplémentaire à la presse, l’avis d’un internaute de Bourganeuf vaut celui du rédacteur en chef du NME ou d’un critique de Pitchfork.

Ça ne marche pas à tous les coups, tant certains albums méritent d’être mis en perspective, mais ça fonctionne avec Radiohead, groupe sur lequel, comme Arcade Fire ou les White Stripes par exemple, tout le monde possède une opinion ferme, une relation intime, un affect. Piqués dans leur amour propre, humiliés par cette perte de passe-droits, beaucoup de critiques ont commis l’erreur de juger ce huitième album de Radiohead sur son seul environnement, son seul gimmick de commercialisation, lui reprochant nettement plus ses intentions que ses chansons. Un procès démarré, même dans des quotidiens anglais aussi sérieux que The Guardian ou The Independent, avant que ne filtre la moindre note de musique, ce qui en dit long sur l’attachement

seigneurial des rock-critics à leurs prérogatives et petits avantages. On ne poussera pas la démagogie jusqu’à affirmer que les avis les plus argumentés et, hum, musicaux, ne sont venus que des internautes et fans, déçus ou non, du groupe. Il apparaît pourtant à l’arrivée que le procès intenté par les professionnels est biaisé, faussé – et que la musique n’est plus qu’un prétexte à des règlements de comptes longuement ruminés. Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’affrontement entre professionnels et internautes, d’abord strictement théorique, de principe à partir de la commercialisation vendredi, a lentement évolué, au cours du week-end, vers un débat nettement plus critique et construit. Il faut dire qu’entre temps, les uns et les autres ont enfin pu

l’affrontement a lentement évolué vers un débat nettement plus critique et construit écouter proprement The King of Limbs et en peser sans hystérie l’importance ou la futilité, le coup de génie ou la supercherie. Car Radiohead ne saurait accepter la tiédeur, la retenue. On ne change pas impunément le cours du rock moderne : il y aura fatalement des passions aveugles comme des agressions de principe. Il suffisait d’être sur le net ce week-end pour voir se dessiner un grand écart rassurant : la musique peut encore être un sujet d’empoignades, de débat virulents avec des enjeux plus grave visiblement que la simple vie, que la simple mort.

Gazhole

18 les inrockuptibles 23.02.2011

Tarnac : le jeu des sept erreurs Rebondissement dans l’affaire de Tarnac : Julien Coupat et Yldune Lévy vont porter plainte contre la police pour faux et usages de faux en écriture publique, subornation de témoin et interceptions illégales.

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n nouveau round commence dans le combat qui oppose le “groupe de Tarnac” à la police et aux juges. Après avoir demandé la requalification des faits en simples sabotages – refusée en mai 2009 –, l’annulation de pièces de la procédure – refusée en octobre 2010 –, et la réalisation d’actes d’enquête qui pourraient les disculper – refusée –, les mis en examen passent à l’étape supérieure. Selon nos informations, ils ont décidé de déposer trois plaintes (contre X mais visant les policiers de la sous-direction antiterroriste, la Sdat) pour interceptions illégales, subornation de témoin et surtout faux et usages de faux en écriture publique. Julien Coupat et Yldune Lévy espèrent démontrer devant la justice que le procèsverbal de leur filature, dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008, et les versions policières successives tendant à le contredire constituent une manœuvre de la Sdat pour affirmer leur culpabilité sans preuve. Cette nuit-là, une vingtaine d’agents de la Sdat et de la DCRI suivent une Mercedes occupée par deux “membres de la mouvance anarcho-autonome”, en Seine-et-Marne. Ils voient le couple s’arrêter dans une pizzeria, dormir dans la voiture à Trilport puis reprendre la route avant de stationner près d’une voie ferrée sur la commune de Dhuisy. Puis, leur véhicule retourne à Paris. Au petit matin, près du lieu où s’était garée la Mercedes, le passage du premier TGV provoque une gerbe d’étincelles qui attire l’attention des policiers. Les suspects sous surveillance ont-ils commis un acte de sabotage ? Sur la foi du procès-verbal de filature, désormais connu sous le nom de “PV 104”, Julien Coupat et Yldune Lévy sont arrêtés, mis en examen et écroués pour direction d’une association de malfaiteurs à vocation terroriste. Il n’y a eu ni morts ni blessés, aucun train n’a déraillé. Ni photos sur les lieux, ni traces ADN, ni aveux ne viennent prouver leur culpabilité. Deux ans et demi après l’ouverture de l’enquête, dix personnes

sont mises en examen. Le récit de cette nuit varie selon les policiers interrogés et les contradictions apportées par la défense. Le déroulement de ces quelques heures reste si flou que le juge d’instruction a exigé des policiers, un an après les faits, qu’ils s’expliquent sur le compte-rendu. Ils ont rendu leur rapport en juin. “Les nouvelles pièces d’exécution, qui devaient ‘préciser’ certains points incohérents de l’enquête de police, n’ont ajouté que de nouvelles invraisemblances”, estiment les avocats des mis en examen. Montage policier ou travail de cochon ? En tout cas, le résultat décrédibilise largement le professionnalisme de la police antiterroriste. Les impossibilités temporelles, incohérences et questions sans réponses ont donc décidé Julien Coupat et Yldune Lévy à porter plainte pour faux et usages de faux en écriture publique. Ce crime, s’il est commis par des personnes dépositaires de l’autorité publique, peut être puni de quinze ans de prison et 225 000 euros d’amende. Ils portent aussi plainte pour subornation de témoin : une connaissance de Coupat avait anonymement témoigné contre eux avant de se rétracter, parlant de pressions policières. Une plainte pour des écoutes illégales de l’épicerie de Tarnac, effectuées avant le début de l’enquête préliminaire et découvertes par hasard par un agent de France Télécom, complète le tableau. 1. une nouvelle preuve opportune Quelques jours avant le dépôt des plaintes dont nous avons eu connaissance, Le Nouvel Obs se fait l’écho d’une nouvelle piste, opportunément communiquée par les enquêteurs. En février 2010, la brigade fluviale fouille la Marne, à 20 kilomètres des voies TGV. Elle y trouve deux tubes en PVC longs de deux mètres qui, emboîtés l’un dans l’autre par un manchon recouvert d’adhésif, aurait servi de perche pour hisser le crochet sur la caténaire. Pas d’ADN, des “éléments matériels” bien tardifs, peu importe : selon la police,

le couple se serait débarrassé de ces tubes dans la rivière lors d’un arrêt sur la route du retour. Plusieurs questions demeurent : pourquoi fouiller la Marne plus d’un an et demi après les faits ? Comment attribuer à Julien Coupat, qu’aucun policier n’a vu sortir les perches et les jeter à l’eau, l’achat en espèces de ces objets, lors d’un instant où il aurait échappé à la surveillance ? Pourquoi la police ne mentionne-t-elle que maintenant l’existence d’une balise GPS sur la Mercedes, dispositif illégal s’il n’est pas autorisé par un juge ? 2. un témoin sous pression ? Alors que les saboteurs présumés sont en garde à vue, en novembre 2008, la SDAT procède à l’audition d’un témoin sous X, dont la presse révèle plus tard l’identité : Jean-Hugues Bourgeois, un éleveur bio du Puy-de-Dôme. Dans sa déposition, il décrit le groupe de Tarnac comme “un groupe à caractère sectaire dont les membres ont été endoctrinés par Julien Coupat. […] Ce dernier souhaite le renversement de l’Etat par le biais d’actions de déstabilisation qui auraient pu aller jusqu’à des actions violentes”. Un mois plus tard, entendu sous sa véritable identité, il se rétracte. Dans un entretien accordé à TF1 en novembre 2009, Bourgeois explique que sa déposition sous X a été sollicitée par la Sdat, et qu’il a signé une déclaration préparée à l’avance. Ces éléments motivent la plainte de Julien Coupat et Yldune Lévy pour subornation de témoin, délit passible de trois ans de prison et 45 000 euros d’amende. 3. une reconstitution bâclée Les avocats du groupe de Tarnac, qui pointent depuis le début de l’enquête les “invraisemblances” et les “contradictions” du PV 104 (signé par le lieutenant Mancheron) puis des compléments d’information (signés par le lieutenant Mancheron et le capitaine Lambert), demandaient à cor et à cri une reconstitution : rejouer cette nuit, en présence des juges d’instruction Thierry Fragnoli, Edmond Brunaud et Yves Jannier, 23.02.2011 les inrockuptibles 19

Au premier plan, deux des avocats du groupe de Tarnac après la reconstitution de la filature, le 14 janvier, à Dhuisy (Seine-et-Marne)

Thomas Samson/AFP

Or, dans les éléments d’information complémentaires transmis au juge en mai dernier, la Sdat situe la voiture sur une autre voie de service, à une centaine de mètres du pont. Pour les avocats, “le nouveau positionnement du véhicule est en totale contradiction avec ce qui a été écrit et soutenu par l’ensemble des acteurs de la procédure”. D’autres actes d’enquête placent la Mercedes “sous le pont” et même “sur le pont”. Yldune Lévy et Julien Coupat, eux, ont toujours nié s’être garés près des voies.

des policiers présents à cette date, vérifier le timing, les positions de chaque véhicule, les trajets. Si les effectifs de police comptaient six fonctionnaires de la Sdat “assistés d’un groupe de surveillance de la DCRI, soit une vingtaine de fonctionnaires au total, (…) munis d’une douzaine de véhicules automobiles, de motos banalisées et de véhicules d’observation”, placés “aux points de passage obligés”, on n’en sait pas plus. Malgré la demande du juge de préciser l’organisation de la filature, la Sdat invoque des “techniques de surveillance policière qui doivent rester confidentielles”. La reconstitution a eu lieu dans la nuit du 13 au 14 janvier 2011. Convoqués à Dhuisy à 2 heures du matin, les avocats s’aperçoivent que les juges sont à Trilport, à 30 kilomètres de là. Il faut les rejoindre. A leur arrivée, les juges décident de se déplacer à Dhuisy. Il est 3 heures 30, une heure et demie d’allersretours et de temps perdu. Il ne reste plus qu’une demi-heure à passer sur les rails avant que la SNCF ne doive les réinvestir. Tout le monde est tendu. Les juges refusent de noter les observations des avocats au procès-verbal, puis cèdent à force d’engueulades. Les policiers sur place ne sont pas les mêmes que ceux de 2008. Ceux-là ont participé à une mise en situation à huis clos, dix jours avant, avec les juges mais sans les avocats. “Une répétition générale destinée à vérifier quelles opérations pouvaient s’avérer gênantes pour l’accusation” selon la défense, qui dénonce

le professionnalisme de la police antiterroriste largement décrédibilisé 20 les inrockuptibles 23.02.2011

dans une lettre aux juges d’instruction leur “inacceptable partialité” et “l’absence d’instruction à décharge de ce dossier”. Ils demandent une nouvelle reconstitution. 4. un piéton sur les voies SNCF ? Alors que certains procès-verbaux parlent d’un véhicule stationné près des voies, d’autres évoquent un piéton aperçu sur les voies. Le lieutenant-colonel Gosset, un gendarme chargé de l’enquête sur les dégradations, dit s’être entretenu avec un agent de la Sdat. Celui-ci lui aurait affirmé “avoir suivi et observé un individu qui s’est stationné à l’intersection entre la D23 et la LGV Est pendant une vingtaine de minutes entre 4 heures et 4 heures 20. Cette personne a accédé à l’emprise sécurisée de la SNCF sans qu’il puisse déceler ses agissements”. Dans le PV 104, pas d’allusion à un piéton. Les dangers du téléphone arabe, explique la Sdat, qui désavoue le gendarme : à force d’informations répétées et déformées, le véhicule stationné serait devenu un piéton dans sa bouche. La Sdat ne développe pas d’analyse sur la seconde partie de la phrase, selon laquelle le piéton-véhicule a pénétré sur les voies de chemin de fer. Ni n’explique comment Julien Coupat ou Yldune Lévy, surveillés par vingt policiers spécialisés, auraient pu, sans être vus, sortir de leur voiture, franchir une barrière de deux mètres de haut et,^ une fois sur les voies avec leur lampe frontale, hisser un fer à béton à l’aide d’une perche de cinq mètres jusque sur la caténaire. 5. l’emplacement de la voiture de Coupat Où était garée la Mercedes de Julien Coupat de 4 heures à 4 heures 20 ? Depuis le début de l’enquête, les policiers la situent à un emplacement bien précis : une voie de service de la SNCF, juste au pied d’un pont ferroviaire.

6. une recherche d’indices hasardeuse Une fois la Mercedes partie, micmac sur le comportement des policiers. Selon le premier PV, ils se garent à sa place. D’après la nouvelle version, ils se placent du côté opposé, pour “ne pas polluer les lieux où pouvait avoir été commise une infraction”. Pourtant, le capitaine Lambert écrit : “Aucun gel des lieux aux fins de préservation des traces et indices n’a été effectué.” Où sont garés les policiers à cet instant ? Avec combien de véhicules ? Un seul selon la gendarmerie, deux selon le capitaine Lambert. Pourquoi ne fouillent-ils pas la voie d’accès pour trouver d’éventuelles traces du passage de Coupat ? Une équipe de la Sdat se rend ensuite sur les voies, à la recherche d’éventuels indices “en enjambant le grillage”. Deux mètres de haut à enjamber, sans doute avec l’aide de bottes de sept lieues… 7. police et don d’ubiquité Lorsque Julien Coupat quitte l’abord des voies SNCF, une partie des policiers le suit. Les fonctionnaires restés à Dhuisy constatent “une gerbe d’étincelles accompagnée d’un grand bruit sec” à 5 heures 10, au passage du premier TGV. Selon le PV 104 et leurs explications ultérieures, ils en rendent immédiatement compte à leur hiérarchie. A 5 heures 25, tous les policiers quittent les lieux en direction de Trilport, afin de fouiller une poubelle dans laquelle ils ont vu Julien Coupat jeter des objets la veille. Ils arriveraient sur place en cinq minutes, c’est-à-dire qu’ils auraient parcouru le trajet à 324 km/h en moyenne… Dans la poubelle, les policiers supersoniques trouvent des horaires SNCF et un emballage de lampe frontale. Un relevé de bornage téléphonique fourni par les policiers soulève pourtant le doute. Alors qu’ils sont tous censés avoir quitté Dhuisy, le relevé montre que des policiers ont passé des appels depuis cette commune jusqu’à 6 heures du matin. Camille Polloni

objectif 2011 Vol. 2 Croisement des genres : un rappeur reprend Leonard Cohen, un punk passe au folk, une actrice chante. Pour l’édition spéciale Toulouse et sa région, voir aussi page XIX 1. Alex Winston Choice Notes

9. Mélanie Laurent Je connais

Extrait de l’ep Sister Wife (HeavyRoc/Pias) Chanteuse et multi-instrumentiste, l’Américaine Alex Winston a enregistré son ep avec les excellents The Knocks, mélangeant pop espiègle et folk rieur : imparable contre le spleen hivernal.

Extrait en avant-première d’En t’attendant (Atmosphériques) Quand elle ne trucide pas des nazis chez Tarantino, Mélanie Laurent chante avec la complicité du songwriter Damien Rice. Cette ballade annonce un album bien au-dessus de la moyenne des “disques d’actrices”.

2. James Vincent McMorrow This Old Dark Machine Extrait en avant-première d’Early in the Morning (Believe Digital) Chanté d’une voix apaisée, autrefois passée par le punk, le premier album chaleureux d’un jeune Irlandais qui se plaît à réduire le folk au strict et monumental minimum.

3. Lykke Li Get Some Extrait en avant-première de Wounded Rhymes (Warner) Retour gagnant pour la Suédoise Lykke Li avec un album sombre, tribal et fascinant, aux orchestrations plus opulentes.

4. Yelle Safari Disco Club Extrait en avant-première de Safari Disco Club (Recreation Center/V2 Light/Barclay) Le fluo des trois Bretons se fait plus pastel : en équilibre parfait entre pop pure et musique chercheuse, ce deuxième album est fascinant dans ses contrastes et brillant dans ses textes.

10. Le Prince Miiaou Be Silent Extrait en avant-première de Fill the Blank with Your Own Emptiness (3ème Bureau/Wagram) Son précédent album l’installait entre Cat Power et Bat For Lashes : ce sont les altitudes fréquentées par PJ Harvey que la Française atteint aujourd’hui sur ce nouveau disque à la sauvagerie et la sensualité rares.

11. Treefight For Sunlight What Became of You and I? Extrait d’A Collection of Vibrations for Your Skull (Tambourhinoceros/Bella Union/ Cooperative/Pias) Gros coup de cœur venu de Scandinavie : biberonnée aux Beach Boys et à la musique classique, une jeune troupe de Copenhague livre un premier album de pop-songs merveilleuses.

5. Kanye West & Jay-Z H.A.M.

12. Erland & The Carnival So Tired in the Morning

Extrait en avant-première de Watch the Throne (Roc-A-Fella/Def Jam/Barclay) Premier extrait de la collaboration long format des deux monstres sacrés du hip-hop, cet opéra futuriste et pugnace, est produit par un prodige de 19 ans au pseudo de catcheur : Lex Luger.

Extrait en avant-première de Nightingale (Full Time Hobby/Pias) Après avoir revisité le folk anglais sur le premier album d’Erland & The Carnival, l’ancien guitariste de The Verve donne dans le rock baroque. Fatigué le matin ? Ça ne s’entend pas.

6. Buck 65 feat. Jenn Grant Who by Fire

13. Beady Eye Four Letter Word

Extrait de 20 Odd Years (Warner) Assagi mais pas moins imaginatif, le rappeur canadien commémore vingt ans de carrière avec un disque entre rimes terreuses et mélodies pailletées. La preuve : il reprend Leonard Cohen.

7. Julia Stone Catastrophe! Extrait de The Memory Machine (Picture Show/Discograph) Sans son frère Angus, avec qui elle forme un duo depuis quatre ans, l’Australienne s’offre une radieuse escapade en solo, construite sur ses carnets intimes d’années de tournée.

8. The Dø Dust It off Extrait en avant-première de Both Ways Open Jaws (Cinq7/Wagram) Près de trois ans après le carton plein d’A Mouthful, le duo confirme son talent unique pour une pop qui sait à la fois toucher le beau et approcher l’étrange.

Extrait de Different Gear, Still Speeding (Pias) Retour post-Oasis de Liam Gallagher, très en forme sur cet extrait pétaradant d’un album qui renoue avec le songwriting de sa formation défunte.

14. The Chapman Family All Fall Extrait en avant-première de Burn Your Town (Pias) Né dans le nord-est anglais qui inspira Blade Runner à Ridley Scott, le premier album apocalyptique de ces quatre faux frères brûle le post-punk par les deux bouts.

15. Jehro Guantánamo Song Extrait en avant-première de Cantina Paradise (Warner) Le prochain album du Marseillais sortira pour le printemps et fera venir l’été : un doux cocktail de pop, de soul et de musiques des Caraïbes, pas très éloigné des coolos Jack Johnson ou Seu Jorge. 23.02.2011 les inrockuptibles 21

Martine Murat

un élevage rentable aujourd’hui en France, c’est quasi mission impossible

steak Trafalgar Yves-Marie Le Bourdonnec, l’artiste-boucher d’Asnières, affirme que les éleveurs anglais sont les meilleurs du monde. Et selon lui, les Français feraient bien de les imiter, s’ils veulent tout simplement survivre. Bloody shocking interview.

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chaque ouverture du Salon de l’agriculture, c’est la même rengaine : les consommateurs paient leur bifteck de plus en plus cher, quand les éleveurs, eux, crient famine. D’où vient ce mystère ? Yves-Marie Le Bourdonnec – En France, les éleveurs sont une espèce en voie de disparition. Si rien n’est fait, d’ici quinze ans, il faudra importer la quasitotalité de notre consommation de viande bovine. Le processus est largement enclenché : même des chaînes comme McDonald’s, Buffalo Grill ou Hippopotamus ont du mal à se fournir dans l’Hexagone. Avant, ils faisaient 100 % de viande française, aujourd’hui, ils font venir de plus en plus de congelé de l’étranger. En fait, notre modèle de production est obsolète.

22 les inrockuptibles 23.02.2011

La viande française coûte beaucoup trop cher à produire. Nous avons de belles races à viande, les blondes d’Aquitaine, les limousines, et beaucoup d’autres encore, issues de terroirs très variés. Mais pour que de tels animaux viennent à maturité, bons pour l’abattoir, il faut les pousser jusqu’à 30, 40 mois ! Autant de temps pendant lequel l’éleveur va devoir les nourrir. Notamment avec des céréales, pour qu’ils fassent du gras. Le gras, c’est ce qui donne le goût à la viande. Pour finir un bovin chez nous, on peut avoir besoin de lui donner jusqu’à 2 tonnes de maïs ensilage ou d’autres céréales, mélangées avec du soja importé. Si le prix des céréales augmente, comme c’est le cas actuellement, patatras, c’est encore plus cher et la marge diminue d’autant. Un élevage rentable aujourd’hui en France,

c’est quasi mission impossible. Nos éleveurs ne tiennent que par les subventions. Si les paysans français veulent vivre de leur métier, ils doivent révolutionner leurs façons de faire. Faire comme les éleveurs anglais par exemple. C’est une blague ? Pas du tout. Après la crise de la vache folle, les Anglais ont complètement remis à plat leur système d’élevage. Et aujourd’hui ils sont tout simplement devenus les meilleurs éleveurs du monde. Les Anglais pratiquent les races mixtes : un croisement entre vaches laitières et races à viande. Ça donne des animaux avec une viande saignante, tendre et goûteuse, exactement le goût mondial du moment. Mieux encore, ces vaches parviennent à maturité dès 20 mois ! Presque deux fois moins de temps que les races à viande françaises ! En plus, ces vaches précoces ont une bien meilleure capacité de fixation des protéines végétales : en gros, elles font du gras avec de l’herbe. Et l’herbe, c’est bien plus écolo que les céréales, très coûteuses en énergie et en eau. Pensez à tous nos champs de maïs irrigués et subventionnés dans le sud-ouest de la France. C’est une absurdité écologique et économique. L’éleveur anglais aujourd’hui peut vivre sans subventions, il est rentable et, croyez-moi, sa viande est excellente. Bien sûr, les races anglaises sont standardisées, moins glamour que nos magnifiques vaches-cartes postales de terroir. Mais les anglaises, elles, permettent à leurs éleveurs de gagner de l’argent. Alors quoi, il faudrait abandonner nos Aubrac, nos bazadaises tamponnées VBF (viande bovine française) pour les remplacer par des black angus ou des hereford venues d’outre-Manche ? Mais en vous écoutant, Jeanne d’Arc serait devenue végétarienne ! Pas forcément. Nous avons plein de races mixtes en France qui permettraient à nos éleveurs de relever le défi. La pie noire en Bretagne, la blonde des Pyrénées dans le Sud-Ouest, la salers du Cantal et bien sûr la normande. De toute façon, soit l’élevage français s’adapte, soit il meurt. Pester contre les marges des grandes surfaces ne sert pas à grand-chose, pas plus que d’exiger du consommateur qu’il avale à tout prix du steak made in France. Nos éleveurs doivent parvenir à produire de la qualité, mais moins cher et en quantité. Les Anglais leur montrent le chemin. recueilli par Anthony Orliange

Elise Pailloncy

Le père, Henryk Klaba, entouré de ses deux fils Miroslaw et Octave

l’esprit de famille L’affaire WikiLeaks a fait sortir du bois l’entreprise française OVH, premier hébergeur internet européen, entièrement gérée par un clan familial.

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a France ne peut héberger des sites internet qui violent ainsi le secret des relations diplomatiques et mettent en danger des personnes protégées par le secret diplomatique.” Dans sa lettre au Conseil général de l’industrie de l’énergie et des technologies datée du 3 décembre, Eric Besson est clair : WikiLeaks ne saurait être hébergé dans l’Hexagone. Car la machine à fuites de Julian Assange est partiellement hébergée dans une forteresse de Roubaix : OVH, une entreprise

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à l’immense façade austère, et aux bâtiments de tôle ultrasécurisés, située en plein cœur de “La Roubaix Valley”. Les gérants découvrent la lettre de Besson dans la presse, et avec elle… l’identité de leur client controversé. “Un cas pas évident à gérer, aux enjeux qui nous dépassaient un peu”, se souvient Octave Klaba, président d’OVH. “Nous n’avons pas accès au contenu des serveurs, et WikiLeaks n’est pas un client direct. Nous ne sommes qu’un prestataire technique”, explique, posément, Henryk Klaba,

le directeur général d’OVH, et père d’Octave. “Des demandes d’interdiction, nous en avons tous les jours, parfois pour des sites pédophiles, et nous nous y plions. WikiLeaks est un client comme les autres, et la France un pays de droit”, renchérit le fiston. Conséquence : OVH a demandé à la justice de statuer sur la légalité de cet hébergement. Sans résultat, faute d’un dépôt de plainte. “Au final, on suppose qu’ils sont toujours clients, conclut Henryk. Tout ce qu’on retient de cette histoire, c’est qu’elle a confirmé la fiabilité de nos installations.” A 62 ans, cet ingénieur bonhomme diplômé de Polytechnique Varsovie est fier du “bébé OVH”, géré depuis 1999 par les Klaba : 400 000 clients, hébergeur d’un tiers des sites internet français et une quinzaine de filiales dans le monde. Arrivés de Pologne avec 6 000 francs en poche au début des années 1990, les Klaba ont débuté dans la distribution de parfums et de lampes à huile, dans une ancienne usine sans toiture, qu’ils réparent eux-mêmes. Leurs fils Octave et Miroslaw se passionnent pour l’informatique, les nouvelles technologies, depuis que leur père leur a dégotté un ordinateur au marché aux puces de Varsovie. Tous deux font leurs classes dans une école d’ingénieurs lilloise. En 1999, Octave crée des sites internet depuis le garage de l’entreprise parentale. “Bidouilleur, autodidacte, travailleur”, celui qui est aujourd’hui président d’OVH s’inspire d’un hébergeur de Pennsylvanie : un garage au milieu de nulle part, la fibre optique et un data centre. La recette du succès, appliquée plus tard à Roubaix. De trois salariés en 2001, OVH est passée à 300 en 2011, et le garage miteux a laissé place à 3 000 mètres carrés de locaux design. Cheveux en pétard, piercings, pas encore 30 ans : le salarié d’OVH est aussi fougueux que corporate. “On travaille en équipe, tous les capitaux sont familiaux. L’argent est un outil, ce qui compte le plus, ce sont les gens”, aime à répéter Henryk. L’argent ne manque pas (100 millions d’euros de chiffre d’affaires), et les perspectives non plus : depuis quinze jours, OVH a ouvert une filiale en Tunisie. La chute de Ben Ali a accéléré les choses, qui jusque-là stagnaient, dans “un climat menaçant. On avait recruté nos équipes depuis 2009, tout était prêt, mais des proches du gouvernement cherchaient à nous dissuader, de peur qu’on siffle tout le marché. Ils nous menaçaient de hacker le site”, analyse Octave. Prochaine étape pour OVH : tisser sa toile aux Etats-Unis. Virginie Ballet

Evening Standard/Getty

Le 17 février 1965 à l’aéroport de Londres

l’autre héritage de Malcolm X Près d’un demi-siècle après l’assassinat de l’activiste afro-américain, ses filles se disputent toujours son héritage. Et ses écrits inédits… le restent !

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on assassinat n’aura été que le début de la tragédie. Depuis des décennies, la famille Shabazz accumule les drames, le dernier en date étant la dispute lamentable qui oppose entre elles les six filles de Malcolm X. En jeu : le patrimoine, estimé à environ 1 million d’euros, de leur mère Betty Shabazz, veuve de Malcolm, décédée en 1997. Trois des filles Shabazz, Malikah d’un côté, Ilyasah et Malaak de l’autre, s’échangent par avocats interposés des accusations d’irresponsabilité, de déficience mentale ou de mauvaise gestion de la succession. La première accuse ses deux sœurs et leur ancien avocat de se servir sur l’argent de l’héritage, de laisser les biens de leur père dépérir et les droits de succession augmenter en flèche à cause des pénalités et des intérêts. Ils auraient atteint les 2 millions de dollars, dépassant la valeur même de la succession. En retour, Malikah est accusée d’avoir pris sans permission des objets appartenant à son père, dont des lettres, discours et journaux, et de les avoir entreposés dans un local en Floride en négligeant d’en payer le loyer. C’est ainsi que le travail de Malcolm X s’est retrouvé dans une vente aux enchères à San Francisco en 2002. Il a fallu débourser 300 000 dollars pour reprendre possession des biens. C’est peut-être là le plus grave : le patrimoine comprend des écrits inédits de Malcolm X et de Betty Shabazz, dont la publication est empêchée par cette dispute – les six filles doivent donner leur accord unanime. Il s’agit notamment de quatre journaux que l’activiste écrivit lors de

son voyage en Afrique et au Moyen-Orient en 1964. Un trésor : son pèlerinage à La Mecque est un événement capital dans l’évolution de sa pensée. A l’époque, il vient de quitter officiellement la Nation of Islam, s’est converti à l’islam sunnite et revient profondément changé par son expérience. Renommé Malik El-Shabazz, il fonde l’Organisation pour l’unité afro-américaine, un groupe politique non religieux. L’année suivante, il est assassiné pendant un discours au Audubon Ballroom à Manhattan, devant ses quatre filles et sa femme – enceinte des deux dernières. Une semaine plus tôt, la maison familiale avait été incendiée. C’est Qubilah, la deuxième des filles, qui avait réveillé les parents et permis à la famille de survivre à l’attentat. Trente ans plus tard, en 1995, Qubilah, devenue une mère paumée et alcoolique, était arrêtée à Minneapolis pour avoir tenté d’organiser l’assassinat de Louis Farrakhan, qu’elle tient, comme beaucoup, pour responsable de la mort de son père. Elle échappe à la prison en échange de soins psychologiques et médicaux. Son fils, Malcolm, 10 ans, est alors placé chez sa grand-mère, Betty Shabazz, dans l’Etat de New York. En 1997, il met le feu à la maison : la veuve de Malcolm X meurt de ses blessures trois semaines plus tard. La famille ne s’en est jamais remise. Malcolm est placé en centre de détention pour mineurs. Aucun testament n’a été trouvé : c’est le début d’une querelle sans fin. Malcolm X avait dédicacé son autobiographie à sa femme et ses filles, “dont la compréhension et les sacrifices m’ont permis d’accomplir mon travail”. Pas sûr que ce soit toujours d’actualité. Valentine Faure 23.02.2011 les inrockuptibles 25

“Tu crois qu’à la Fête de la jeunesse, y a moyen avec Jeannette ?”

retour de hype

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

Les frères Coen

“Il paraît que MAM aurait accepté des shots de Get de la part d’un des membres du clan Ben Ali”

Casse-toi, pauvre con

Télé Câble Sat

Britney Björk + Omar Souleyman

Douce France

Lil Kim vs Nicki Minaj “Tu connais Arcade Fire, toi ?” Jean Dujardin en vie Richard Prince à la BNF

Björk + Omar Souleyman Le fruit de leur collaboration sortira bientôt dans un album. “Tu crois qu’à la Fête de la jeunesse, y a moyen avec Jeannette ?” Jeannette Bougrab, secrétaire d’Etat chargée de la Jeunesse et de la Vie associative, a annoncé la création d’une “Fête de la jeunesse”. SUPER ! Ouaaiis ! Télé Câble Sat Le mag télé multiplie les couvertures improbables.

“J’en peux plus de Radiohead, sérieux” “J’ai poké le nouvel ambassadeur de Tunisie”

Justin Bieber contre l’avortement

Après Karl Zéro déguisé en rappeur, Nagui en Gainsbourg… Lil Kim vs Nicki Minaj Lil Kim n’en finit plus de clasher Nicki. Dernier exemple : sa mixtape Black Friday dont le titre et l’artwork font référence à la protégée de Lil Wayne. “J’ai poké le nouvel ambassadeur de Tunisie” Rapport à sa photo de beau gosse en maillot sur son profil Copains d’avant. Diane Lisarelli

billet dur

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hère Arlette Chabot, Ainsi, tu n’auras pas survécu à cette cruelle partie de dominos ayant entraîné en quelques semaines la chute inattendue des dictateurs. Ben Ali, Moubarak et maintenant toi, Arlette, chassée de France 2 après un règne autoritaire de dictatrice de l’info où tu auras soigneusement ménagé les puissants et écrasé les faibles, claquant la bise aux uns et le beignet aux autres. Avec toi, c’est une conception archaïque de la politique qui vole en éclats de n’avoir pas cru – ou trop tard – à la gronde des peuples remontant des claviers et forums pour décrypter avec lucidité cette connivence trop longtemps entretenue entre les journalistes microcosmiques et leurs invités amis. Il paraîtrait que l’on t’attend à Europe 1, certains avec autant d’impatience que le militaire guettant la blennoragie, d’autres sans doute avec

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l’espoir que la station retrouve enfin son standing de radio giscardienne d’antan. Elkabbach et toi, vous ferez une belle paire de passe-plats, empalant tout ce qui végète à moins de 5 % dans les sondages, faisant reluire au contraire d’une langue amoureuse la godasse de celui qui culmine dans vos petits concours de pronostics. A Europe 1, tu pourras aussi t’acoquiner avec la fleur de l’humour chansonnier et enfin montrer que tu n’es pas la coincée du tailleur pantalon que l’on croit, à faire passer Alliot-Marie pour Katsuni et la mère de Fontenay pour une partouzeuse d’aire d’autoroute. On raconte même que Laurent Ruquier prépare déjà une pièce de théâtre en ton honneur avec sa copine Isabelle Mergault, et que le titre en serait Vous trouvez Chabot. Ça promet. Je t’embrasse pas, je passe pas derrière Copé. Christophe Conte

Vincent Macaigne Défenseur d’un théâtre choc, ce metteur en scène punk de 32 ans présente cette semaine le shakespearien très gore Requiem 3.

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ransformer L’Idiot de Dostoïevski en un happening disco doublé d’une soirée mousse ou faire d’un monologue de La Cerisaie de Tchekhov un sommet de l’hystérie masculine : voilà les quelques faits d’armes qui nous ont permis de repérer et de considérer Vincent Macaigne comme le dernier des activistes, décidé à faire sortir de sa léthargie la scène théâtrale française. A 32 ans, celui qui cumule les qualités d’acteur, d’auteur et de metteur en scène avoue sans honte “préférer un mauvais spectacle qui ait du sens à un bon qui n’en ait pas”. Un côté punk et ennemi du bon goût qui colle comme un gant à la peau du très gore Requiem 3 présenté aux Bouffes du Nord. L’occasion pour lui de plonger les colères très contemporaines de son journal intime sous des flots

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de sang et des pluies de paillettes d’or pour dépeindre le présent à travers une fresque épique digne de Shakespeare. Bien décidé à en découdre avec le vrai Shakespeare, il annonce pour le prochain Festival d’Avignon un Hamlet déjà sous-titré par ses soins Au moins j’aurais laissé un beau cadavre. On applaudit à cette réjouissante montée en puissance de son théâtre no future. Patrick Sourd photo Rüdy Waks Requiem 3 Texte et mise en scène Vincent Macaigne, théâtre des Bouffes du Nord du 1er au 12 mars, www.bouffesdunord.com. Et le 2 avril dans le cadre du festival VIA au Manège Mons (Site des Arbalestriers) Belgique, www.lemanege.com

reconstruire un navire déboussolé : un défi idéal pour démarrer un mandat

brèves Apple, les abos et les abus Comme prévu, Apple a lancé son service d’abonnement pour la presse sur l’App Store. Les éditeurs peuvent fixer librement leurs prix à condition que les offres passant par l’App Store soient les mêmes, voire meilleures, que celles proposées à l’extérieur “pour que les consommateurs puissent facilement s’abonner en un clic”. Pour les acheteurs, s’abonner via le site de l’éditeur ou via celui d’Apple reviendra financièrement au même, sauf qu’il s’avère effectivement plus simple de passer par l’App Store. En revanche vendre des abonnements via l’App Store privera les éditeurs de 30 % des revenus générés, car c’est la commission prélevée par Apple – qui, de plus, refuse de transmettre aux journaux les coordonnées des abonnés. Autant de motifs de colère pour les éditeurs. un bien culturel sur dix téléchargé En 2010, 10 % des biens culturels achetés par les Français étaient dématérialisés, téléchargés sur un ordinateur ou sur un smartphone, selon une étude de l’institut GfK France. Une progression de 30 % en un an, pour une valeur de 700 millions d’euros de chiffre d’affaires – le milliard devrait être dépassé en 2011. La musique en ligne (52 millions de téléchargements) a quasiment rejoint la musique physique (54  millions de CD). Et si le jeu en ligne se développe, le livre numérique reste un peu à la traîne. prix unique Les députés ont adopté une proposition de loi sur le prix du livre numérique, prévoyant que les éditeurs fixent un prix unique de vente au public. Les sites de vente numérique établis à l’étranger, comme Amazon, n’entrent toutefois pas dans le cadre de la loi, au grand dam des distributeurs français, qui craignent une concurrence déloyale. 30 les inrockuptibles 23.02.2011

Nicolas Poincaré, de la matinale de France Info au 18-20 d’Europe 1

Europe 1 navigue à vue Après les départs d’Alexandre Bompard, Marc-Olivier Fogiel et Nicolas Demorand, la station de la rue François-Ier cherche à se recréer une identité. Le chantier de reconstruction débute cette semaine.

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lus encore que ses animateurs – Marc-Olivier Fogiel, Nicolas Demorand –, Europe 1 a surtout perdu ses repères. Après le départ fin 2010 de son directeur Alexandre Bompard, la station de la rue François-Ier semble plombée, désorientée. Dominé par la logique de “coup” (le transfert surprise de Demorand, sa grande prise), l’horizon des paillettes et la communication obsédante (des campagnes d’affichage en 4 x 3 à tout-va), le mandat de Bompard a buté sur les limites d’une vision à la fois trop floue et trop people de la radio. Le projet du nouveau directeur Denis Olivennes, ex-patron du Nouvel Observateur nommé par Arnaud Lagardère il y a quelques semaines, se fixe, en contrepoint, sur un objectif : reconstruire un navire déboussolé. Un défi idéal pour démarrer un mandat.

Parmi les hypothèses avancées au sein de la radio pour expliquer ce recul historique, “le manque de cohérence de la grille” domine chez beaucoup. Quel auditeur, dont on sait qu’il déploie avec la radio une fidélité plus forte qu’avec la télévision, pouvait, comme le résume un cadre de la station, “plébisciter à la fois Fogiel, Morandini, Demorand et Basse” ? L’écart trop prononcé entre les profils des animateurs présents aux carrefours stratégiques rendait difficile la construction d’une proposition claire. C’est la dissolution de cette identité qu’il s’agit aujourd’hui de stopper. Denis Olivennes et son nouveau directeur des programmes Bruno Gaston, venu de France 4, se donnent le temps de remettre à plat la grille d’ici septembre. Mais dès cette semaine, quelques changements préfigurent cette volonté de clarifier l’offre, en accentuant déjà l’effet de distinction entre information et divertissement, en cherchant aussi à effacer les soupçons éternels qui pèsent sur sa supposée complaisance à l’égard du pouvoir (“Radio Sarko”, en décalage avec la réalité de sa rédaction, soucieuse de son indépendance). La nouvelle chronique d’Olivier Duhamel le matin pourrait être un signe d’une réorientation éditoriale symbolique à gauche, après l’interview d’Elkabbach, peu crédible dans le rôle du rebelle. La nouvelle tranche du midi, animée par le directeur de la rédaction Patrick Roger, renforce aussi la partie info. La station accueille par ailleurs quelques nouveaux : le journaliste politique de Libération David Revault d’Allonnes, et surtout Arlette Chabot, dont le départ de France 2 est interprété en interne comme le signe d’une indépendance à l’égard du pouvoir (Sarkozy l’avait prise en grippe). Autre signe de la volonté de renforcer l’actualité : le remplacement de Demorand par Nicolas Poincaré, transfert de France Info, où il animait la matinale. Dans Europe 1 Soir, il sera entouré de David Abiker (qui aura aussi une émission le dimanche à 19 heures) et de Claude Askolovitch pour agiter les débats sur l’actualité politique, médiatique et culturelle. Censés cicatriser les plaies d’une station déstabilisée par cette série d’arrivées fracassantes suivies de départs amers, ces nouveaux aménagements devraient poser les bases d’une refondation à venir. Jean-Marie Durand

média-toc la “télé du réel” sur France 2 France 2 brise un tabou : la téléréalité, rebaptisée “télé du réel”, débarque sur le service public le 8 mars avec Une semaine sans les femmes, un format adapté de la BBC.

iPhone du pauvre Apple mettrait actuellement au point un iPhone low-cost, plus compact et vendu 200 dollars sans abonnement. Une façon de concurrencer les téléphones Android, qui grignotent du terrain.

le mariage selon Google les nouveaux habits d’Arte Arte proposera à partir du 28 février un nouvel habillage de son antenne : nouvelle musique, nouveau logo, nouvelles voix. La célèbre voix féminine et délicate des bandes-annonces disparaît.

Poulet en poche L’essai visionnaire de Bernard Poulet, La Fin des journaux et l’Avenir de l’information, paru en 2009, sort en Folio. Essentiel pour penser le futur de la presse…

Google organise désormais des mariages. Google for Weddings permet de créer des faire-part, d’établir un budget et un plan de table, de partager des photos et de créer un site internet dédié au “plus beau jour de notre vie”.

média-tic la loi des séries La revue Réseaux explore la “sériphilie” : une enquête sur le rôle des voix narratrices et l’influence du net sur les séries, une plongée au cœur de Lost (photo), et un décryptage de lettres de fans adressées aux héros d’Urgences.

le piratage, une publicité parfaite L’écrivain Neil Gaiman est pour le piratage. Il estime qu’il ne fait pas perdre de ventes, mais permet au contraire de donner envie d’acheter les vrais livres.

Loppsi saisie Les députés PS ont saisi le Conseil constitutionnel sur la loi Loppsi 2. Le très controversé article 4, prévoyant le blocage des sites pédopornographiques sans décision de justice, est notamment visé.

quand Nadine Morano tient salon Dans Gala, la ministre pose en compagnie du coiffeur des stars pour défendre “l’intelligence de la main” et combattre les “boucles rebelles”.

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la rencontre au sommet Installée tranquillou dans un fauteuil, Nadine Morano pose, espiègle, en compagnie de Franck Provost et de ce qui semble être l’un de ses apprentis. La séance photo est organisée par le magazine Gala, qui consacre deux pages de son dernier numéro à cette rencontre au sommet pour un “entretien décoiffant” (sic). Leur combat commun ? La promotion de l’apprentissage et la lutte contre

les “boucles rebelles”. Quoi de plus naturel, donc, que de faire poser les deux protagonistes en train de simuler un ordonnancement de coupe de cheveux. Franck, sûr de lui, fort d’années d’expériences, la main agile et adroite, toujours armé de son petit peigne noir, tient donc entre ses doigts un échantillon de la chevelure de Nadine qui, avec son regard de biais, simule ce mélange de désir et de crainte que chacun peut ressentir en pareille situation.

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made in frange Une mise en scène de génie au service de l’article. Car si Nadine fait semblant de s’intéresser à une perruque brune ou de se passionnner pour une conversation sur la texture du cheveu, c’est bien l’apprentissage et la formation par alternance comme “facteurs de réussite vers l’emploi” qui lui tiennent ici à cœur. “Il faut cesser d’avoir du mépris pour l’intelligence de la main”, affirme ainsi la ministre chargée de l’Apprentissage et de la Formation professionnelle, reprenant là une expression chère à Jean-Pierre Raffarin. Un concept fort qui laisse fantasmer une main hyper intello, munie d’une veste en velours côtelé et de lunettes à fines montures rondes. En vrai, l’intelligence de la main, selon Franck Provost, c’est un savoir-faire hors pair (élu “meilleur coiffeur du monde de la coupe-brushing en 1977”) et des conseillers en com qui ont fait de lui “le coiffeur des stars” ou la star des coiffeurs, omniprésent à la télé et ne rechignant pas sur un petit placement produit dans un clip de David Guetta et Kid Cudi. En l’occurrence Memories, vidéo où le salon en question ressemble à un repaire de freaks nourris au gel fixant. 32 les inrockuptibles 23.02.2011

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Nadine complètement Stone Si l’on en croit l’article de Gala, Nadine Morano s’est déclarée “impressionnée” de se trouver aux côtés “du coiffeur de Sharon Stone”. Est-ce pour cela que la ministre reprend la pose de l’actrice dans la scène la plus connue de Basic Instinct ? Mystère. Quoi qu’il en soit, Nadine renforce ici son image de coquettecoquine après l’affaire de l’Est Républicain en janvier dernier, quand elle interdisait publiquement à l’auteur d’un cliché peu flatteur paru dans le quotidien régional de la reprendre en photo au nom du “droit à l’image”. Ici, donc, pas de double menton mais un bel exemple de double face quand, en fin d’interview, Nadine Morano dénonce “la vraie pression esthétique sur les femmes politiques qui sont auscultées de la tête aux pieds !”, racontant cette anecdote : “Il y a peu, j’ai fait un discours au conseil régional, j’ai parlé économie, emploi… Le journal a titré sur la french manucure de Nadine Morano !” Super idée, dès lors, que de poser dans Gala avec le coiffeur des stars pour promouvoir un projet ministériel. Diane Lisarelli

Dans sa propriété de Meudon, 1955

faut-il publier Bagatelles pour un massacre ? Il y a cinquante ans mourait Céline mais pas les polémiques à son sujet. Sait-on seulement de quoi on parle ? Difficile puisqu’une partie de son œuvre reste tronquée : ses pamphlets antisémites, écrits entre 1937 et 1941, sont interdits depuis l’après-guerre. N’est-il pas temps de les republier pour voir ce que fut une époque, ce que fut vraiment Céline, l’homme et l’écrivain confondus ? par Nelly Kaprièlian

ouis-Ferdinand Céline est mort le 1er juillet 1961. Cinquante ans après, on ne sait toujours qu’en faire. L’avocat Serge Klarsfeld, président des Fils et filles des déportés juifs de France (FFDJF), a récemment exigé et obtenu qu’il soit exclu du programme des célébrations officielles de 2011. Jusqu’à cet été, toute la presse rendra hommage à l’écrivain de génie que fut Céline. Même Nicolas Sarkozy clame qu’il s’agit de son auteur favori : “On peut aimer Céline sans être antisémite, comme on peut aimer Proust sans être homosexuel !” Et Carla aurait fait le pèlerinage jusqu’à Meudon pour baiser la bague de Lucette Destouches, la veuve de l’écrivain. Mouton noir, auteur sulfureux devenu accessoire chic, écrivain maudit, incompris ou bien salopard, Céline reste la plaie qui fait tache sur le visage de la littérature française. Certains l’adulent en minimisant son abjection, d’autres le vouent aux gémonies en oubliant son style. Car la figure de Céline n’en finit pas de poser une question qui semble encore insoluble

Bernard Lipniztki/Roger-Viollet

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pour l’esprit français cartésien : peut-on être à la fois un écrivain révolutionnaire et une ordure antisémite ? Le problème, c’est qu’aujourd’hui encore, on ne peut en juger : l’œuvre publiée de Céline est en grande part tronquée.Ses pamphlets nous sont cachés. L’écrivain génial de Voyage au bout de la nuit (1932) et de Mort à crédit (1936) a commis quatre pamphlets, dont trois sont interdits de réédition : Mea culpa (1936, le seul à avoir été republié après la guerre), une charge anticommuniste à la suite d’un voyage de Céline en Union soviétique, et les violemment antisémites Bagatelles pour un massacre (1937), L’Ecole des cadavres (1938), Les Beaux Draps (1941). Bagatelles... étant le plus virulent, le plus abject. D’aucuns disent que si les idées sont insoutenables, le style de Céline y est magistral. Sauf que comme disait Sartre, on peut aimer un roman écrit par un antisémite, pas un roman antisémite. Mais comment savoir ce que contiennent ces pamphlets puisqu’ils sont interdits ? Contrairement à ce que beaucoup pensent, ils ne sont pas frappés d’une “censure d’Etat” mais d’une interdiction de réédition exigée après la 23.02.2011 les inrockuptibles 35

guerre par Céline lui-même, et depuis sa mort, par son ayant droit, sa veuve Lucette Destouches. A 98 ans, Lucette Destouches vit toujours dans le pavillon de Meudon que Céline avait acquis en 1951 après que Gaston Gallimard lui eut acheté les droits de son œuvre pour cinq millions de francs. Elle refuse de parler aux journalistes. On rencontre donc son ami et avocat François Gibault, auteur d’une bio imposante de Céline (trois tomes), qui gère les affaires de madame Destouches depuis 1962 : “Face à l’exigence de Serge Klarsfeld, la réaction de Mme Céline a été d’y voir un événement typiquement célinien : en 1932, le jury Goncourt avait décidé de lui attribuer le prix et une semaine plus tard ils ont changé d’avis ; on a voulu classer la maison de Céline, puis on a décidé le contraire ; enfin on l’inscrit dans la liste des célébrations officielles puis on l’en retire. De toute façon, Céline n’avait rien à faire sur cette liste. Ce n’est pas un écrivain pour musées et autres célébrations. Il a toujours fait cavalier seul.” A la disparition de Lucette Destouches, c’est probablement François Gibault qui deviendra le légataire de l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline. “Comme Mme Céline, je suis contre la réédition de ces pamphlets. Ce serait même de la provocation, car ce sont des livres de circonstance écrits à une époque donnée. Je ne défends en rien les idées de Céline mais il faut rappeler le contexte historique très particulier. La majorité des Français et beaucoup d’écrivains étaient antisémites, il était très courant de l’être et d’exprimer ce type d’opinions. Céline naît avec l’affaire Dreyfus et il a toujours entendu ses parents tenir ce type de propos contre les Juifs. Lucette, qu’il rencontre en 1935, lui a toujours dit qu’il avait tort d’écrire ces pamphlets, qu’il aurait dû se consacrer à ses romans. Quand il les a écrits, Céline ne connaissait pas l’existence des camps de concentration. Il n’en aura connaissance qu’après la guerre, comme la majorité des Français.” Pourtant, il avait connaissance de la rafle du Vél’ d’hiv’, et devait bien se douter qu’on n’arrêtait pas les Juifs pour organiser un bridge. Or c’est dans ce contexte, après la rafle, qu’il autorisera non seulement la réédition de Bagatelles… deux fois pendant l’Occupation, en 1942 et 1943, chez l’éditeur antisémite

Vie et mort de Louis-Ferdinand Céline 27 mai 1894 Naissance à Courbevoie de Louis-Ferdinand Destouches. 1914 Il a 20 ans quand la guerre éclate. Rapidement blessé, il est affecté au consulat général 36 les inrockuptibles 23.02.2011

de France à Londres après sa convalescence. L’expérience de la guerre jouera un rôle décisif dans la formation de son pacifisme et de son nihilisme. 1932 Après avoir exercé la médecine pendant dix ans, il publie son premier roman, Voyage au bout de la nuit, et reçoit le prix Renaudot, après avoir manqué de peu le Goncourt. Il prend comme

Pierre Duverger, Fonds Louis-Ferdinand Céline, Imec images

“s’il faut des veaux dans l’Aventure, qu’on saigne les Juifs” (extrait)

et collaborationniste Robert Denoël, mais ira même jusqu’à écrire personnellement à un occupant allemand, Karl Epting, lui demandant du papier pour la réédition de ses pamphlets. Bagatelles… sera un succès commercial effarant, se vendant à 86 000 exemplaires. “Difficile de mesurer exactement l’influence qu’a eue Céline sur l’esprit des Français avant et pendant la guerre, explique l’historien Zeev Sternhell, spécialiste du fascisme en France. Cette influence peut se mesurer au nombre d’exemplaires vendus, d’autant que Céline jouissait déjà du statut de grand écrivain depuis la publication de Voyage au bout de la nuit. Les gens ont voulu lire ses pamphlets. Sa responsabilité est donc très grande. En revanche, il avait une place spéciale parmi les autres écrivains antisémites. Ses pamphlets étaient d’une virulence peu commune, même par rapport aux grands classiques de l’antisémitisme, de Drumont à Maurras.”

pseudonyme Céline : l’un des prénoms de sa mère. 1936 Publication de Mort à crédit 1937-1938 Publication des pamphlets antisémites Bagatelles pour un massacre et L’Ecole des cadavres. Il présente lui-même ces ouvrages ainsi : “Je viens de publier un livre abominablement antisémite, je vous l’envoie. Je suis l’ennemi numéro 1 des juifs.”

1941 Publication des Beaux Draps, son troisième et dernier pamphlet antisémite, dans lequel il exprime clairement sa sympathie pour l’occupant allemand. 1943 Mariage avec Lucette (née Almanzor). 1944 Après le débarquement du 6 juin, Céline, craignant pour sa vie, part à Sigmaringen, en Allemagne, où il exerce la médecine.

3 écrivains et 3 éditeurs répondent à la question de la publication

Pierre Duverger, Fonds Louis-Ferdinand Céline, Imec images

Michel Houellebecq 

Ci-dessus : Lucette Destouches, la veuve de Céline, en 1955. Elle s’oppose à la réédition de Bagatelles pour un massacre. Elle vit toujours dans le pavillon de Meudon (à gauche avec Céline, vers 1955)

En se plongeant dans le passionnant recueil de la réception critique de Bagatelles pour un massacre1, on plonge aussi dans une France effrayante, inimaginable aujourd’hui, où tous, de gauche comme de droite, encensent le livre ; on y découvre aussi que les pires auteurs antisémites l’adulent mais sans le prendre tout à fait au sérieux. Robert Brasillach dans L’Action française : “Avouons-le tout net : on peut s’en choquer, on peut s’en fatiguer, on peut le déclarer illisible ou idiot, il est impossible qu’un Français n’en lise pas quelques pages avec soulagement.” Quant à André Gide, dans La NRF, il croit à une farce grotesque, d’autant que le livre sort accompagné d’un bandeau “Pour bien rire dans les tranchées” : “(…) Alors quand Céline vient parler d’une sorte de conspiration du silence, d’une coalition pour empêcher la vente de ses livres, il est bien évident qu’il veut rire. Et quand il fait le Juif responsable de la

Mars 1945 Il quitte Sigmaringen pour le Danemark. Il est incarcéré à Copenhague pendant près d’une année et demie pour collaboration et vit plus de quatre ans dans une maison au confort rudimentaire près de la mer Baltique. 1950 Dans le cadre de l’épuration, il est condamné à la confiscation de la moitié de ses biens et à l’indignité nationale.

1951 Céline est amnistié. De retour en France, il signe chez Gallimard après l’assassinat de son éditeur Robert Denoël. Il s’installe à Meudon. A partir de 1957 Il renoue avec le succès en publiant séparément sa “trilogie allemande” : D’un château l’autre (1957), Nord (1960) et Rigodon (publication posthume en 1969). 1er juillet 1961 Décès de Céline à son domicile de Meudon.

Prix Goncourt 2010 pour La Carte et le Territoire, il a aussi consacré un essai à un auteur misanthrope et raciste : H. P. Lovecraft, contre le monde, contre la vie. “J’avais lu Bagatelles pour un massacre, ça m’avait bien plu – sans plus. Je suis partisan de tout publier, pour le principe ; mais en l’occurrence, ça n’a quand même pas un intérêt énorme. Je n’ai jamais bien réussi à m’émouvoir du célèbre drame : “Un génie mais un salaud, Dieu que l’âme humaine est complexe !”, simplement parce que je ne tiens pas Céline pour un génie, rien à voir avec Proust par exemple, mais pour un bon auteur un peu surfait, assez péniblement maniériste sur la fin. Il m’est même arrivé de me demander s’il avait été réellement antisémite, si tout cela n’était pas qu’opportunisme cynique pour s’assurer une position élevée auprès des autorités d’Occupation. Je n’aime pas beaucoup en général les auteurs de pamphlets (Léon Bloy, Céline). Exhalant leur âme vindicative et mauvaise, ils sont souvent distrayants à la première lecture ; mais on a rarement envie d’y revenir. Tout cela manque de miroitements, de mystère.”

Olivier Rubinstein Denoël fut l’éditeur de Céline jusqu’à la fin de la guerre. Olivier Rubinstein en est l’actuel directeur. “Ce n’est pas une question facile. Je ferai une réponse talmudique : oui, il devrait être publié car il donnerait, tant à ses exégètes qu’à ses contempteurs, l’occasion de voir enfin l’œuvre dans son intégralité. Il n’y a pas deux Céline, l’un acceptable, l’autre pas. Il y a une œuvre, unique, traversée de part en part par les mêmes obsessions antisémites. La seule différence réside dans le fait que, selon les moments de l’Histoire, la parole se lâche, s’autorise, mais la pensée est bien présente, tout au long de l’œuvre. Son obsession ne date pas d’hier et a perduré. On trouve déjà le terme “youpinium” dans L’Eglise (1926) et “l’air youtre” dans D’un château l’autre (1959). Même dans Voyage au bout de la nuit (1932), Céline parlait de la “musique négro-judéosaxonne”. Quant aux esprits iréniques qui pensent que ces pamphlets devraient être accompagnés d’un appareil critique, je serais curieux de voir le résultat. On nous apprendrait (mettrait en garde de) quoi ? Que lorsque l’auteur parle de “youtrerie internationale”, il faut lire “sionisme cosmopolite” et que ce n’est pas gentil ? Non, il ne devrait pas être publié, car cette parution apporterait inévitablement de l’eau à un moulin qui n’a guère besoin d’être alimenté et risquerait de remporter, comme lors de sa publication initiale (en 1937), un grand succès commercial. Bagatelles pour un massacre est le reflet d’une pensée continue qui habite l’œuvre de Céline et de quelques autres. Ceux qui pensent qu’elle est synonyme de nihilisme et qu’il suffit de remplacer le mot “juif” par “homme”, oublient ou feignent d’oublier le contexte dans lequel ces textes ont été écrits. (L’Ecole des cadavres : “Moi, je veux qu’on fasse une alliance avec l’Allemagne…”). Il ne faut pas oublier que Céline ne s’est pas contenté d’écrire, il a eu un rôle certain dans nombre de dénonciations. Par ailleurs, la lecture attentive de sa correspondance d’après-guerre est édifiante sur sa volonté de minimiser son rôle, sa couardise, son intérêt pour les premiers écrits négationnistes. Le style peut tuer.” 23.02.2011 les inrockuptibles 37

Paul OtchakovskyLaurens Directeur des éditions P.O.L, il avait refusé de publier La Campagne de France de Renaud Camus à cause de certains passages racistes. “Je pense qu’il faut rééditer Bagatelles pour un massacre, évidemment, ne serait-ce que parce que ce livre appartient à l’histoire. Avec une préface, éventuellement, purement factuelle et historique (relatant les circonstances de son édition, son retentissement à l’époque). De toute façon, la connaissance que l’on a aujourd’hui du parcours de Céline, et de son œuvre, permettent une mise en perspective. Son statut de livre culte introuvable ou inabordable (voir le prix des éditions en vente sur Amazon…) me paraît beaucoup plus nocif que ne le serait sa libre disposition. Mais plaçons-nous alors en 2031, admettons qu’il ne soit plus sous droits et que je sois… encore en activité : je ne le publierais certainement pas, laissant à d’autres ce soin. Mais si, autre hypothèse d’école, il ne tenait qu’à moi qu’il existe ou pas, je le publierais sans hésiter une seule seconde.”

Jonathan Littell Dans Les Bienveillantes, prix Goncourt 2006, il se mettait dans la peau d’un officier SS pour livrer sa version de la guerre. “Il me semble évident que les pamphlets de Céline doivent être publiés, de la même manière qu’on publie Mein Kampf, avec une préface solidement documentée, les resituant dans leur époque et dans l’œuvre de Céline. Je crois que personne, à part sa veuve, ne pense le contraire, et qu’ils seront effectivement publiés lorsque Lucette décédera. Il est évident que tous les tarés fétichistes d’extrême droite ont déjà leur exemplaire, acheté à prix d’or, photocopié ou téléchargé sur le net. Dire qu’ils pourraient être “dangereux” serait ridicule ; le tout, c’est de prendre soin à la présentation et à l’encadrement critique, comme Gallimard avait fait par exemple pour le journal de guerre de Drieu la Rochelle, également odieux par son antisémitisme et surtout sa misogynie crue. Tant qu’ils ne seront pas publiés, on ne pourra pas avoir une vision d’ensemble de l’œuvre et de son cheminement, de ses failles, ses apories, ses lignes de force et de faiblesse, dans son entièreté. Tous les spécialistes les ont lus, bien entendu, mais je ne pense pas qu’ils aient encore vraiment été lus, littérairement je veux dire, comme faisant partie de l’œuvre, au même titre que les autres livres. Ils ont des passages parfois immensément drôles, surtout le dernier, Les Beaux Draps, où les vingt-cinq premières pages sur la déroute de mai 1940 sont absolument hilarantes. Je me souviens aussi d’un passage magnifique sur Leningrad, où les clochers dorés étaient comparés à des larmes tombées du ciel, et d’une comparaison entre communisme et catholicisme, dans le premier pamphlet (celui contre les Bolchéviques, Mea culpa), remarquable pour ce qu’elle révèle sur la vision, noire, de l’humanité qu’avait Céline. Mais le plus étonnant, pour moi, c’est à quel point, dès qu’il commence à parler des Juifs, sa langue meurt. Plus de musique, plus d’humour, plus d’écriture, des tombereaux d’invectives et d’insultes, grossières, simplistes et plates. C’est vraiment étonnant. Comme si la figure du Juif, pour Céline, était une espèce de trou noir qui absorbe toute écriture, l’interdit, la rend impossible. Comme s’il ne pouvait écrire qu’en mettant la figure du Juif hors-champ, comme il le fait dans ses romans. C’est ça qu’il faudrait étudier, ce que la figure du Juif fait à la langue de Céline, à son œuvre. Ça permettra à mon avis de dépasser enfin le clivage entre “Céline le génie intouchable” et “Céline le salaud paria” qui pollue tout discours juste sur cette œuvre.” 38 les inrockuptibles 23.02.2011

Céline, à gauche, devant l’Institut d’étude des questions juives, à Paris, 1941

mévente, il va de soi que c’est une plaisanterie. Et si ce n’est pas une plaisanterie, alors il serait, lui Céline, complètement maboul.” Drôle, Céline ? Difficile de rire aux nombreux appels au meurtre contre les Juifs dans Bagatelles... : “Alors tu veux tuer tous les Juifs ?/Je trouve qu’ils hésitent pas beaucoup quand il s’agit de leurs ambitions, de leurs purulents intérêts… (10 millions rien qu’en Russie)… S’il faut des veaux dans l’Aventure, qu’on saigne les Juifs ! C’est mon avis ! Si je les paume avec leurs charades, en train de me pousser sur les lignes, je les buterai tous et sans férir et jusqu’au dernier ! C’est la réciproque de l’Homme.” Car Céline aurait écrit Bagatelles... par “pacifisme”, marqué qu’il fut par la Première Guerre mondiale où il fut grièvement blessé et qui lui servit d’argument pour ses deux premiers romans : “Je veux pas faire la guerre pour Hitler, moi je le dis, mais je veux pas la faire contre lui, pour les Juifs… On a beau me salader à bloc, c’est bien les Juifs, et eux seulement, qui nous poussent aux mitrailleuses…” Céline, maboul, comme le supposait Gide ? Ce serait encore trop le déresponsabiliser, même si Bagatelles... ressemble, à force d’invectives haineuses, obsessionnelles contre les Juifs, à un long monologue ratiocineur proféré par un fou qui parlerait tout seul dans la rue en hurlant des obscénités racistes avec rage. Bagatelles... n’est pourtant pas un simple délire. C’est un livre de propagande criminelle, avec à l’origine la vengeance de Céline contre une critique “enjuivée” qui n’a pas aimé Mort à crédit – comme quoi, on peut être un grand écrivain et un petit Français acariâtre qui

Roger-Viollet

Yannick Haenel

“il est impossible qu’un Français n’en lise pas quelques pages avec soulagement” Brasillach règle ses comptes de boutiquier –, mais aussi un texte d’une faiblesse littéraire inouïe. Bric-à-brac illisible débordant de sottises, mensonges, de clichés antisémites, misogynes, de points d’exclamation, de points de suspension, avec au début un argument de ballet des plus étranges, qu’on ne peut comprendre que comme l’installation de la scène sur laquelle le prophète antisémite va monter pour faire entendre sa voix, ou plutôt la dégueuler. Il n’y a pas deux Céline, l’écrivain génial, puissant, du monumental Voyage au bout de la nuit d’un côté et la faiblesse crasse du Céline de Bagatelles... de l’autre. Il faut peut-être cesser de croire que c’est l’intelligence, la raison qui sont derrière une œuvre (auquel cas Céline resterait à jamais une énigme insoluble). C’est avec autre chose, une face plus sombre, que travaille l’écrivain. Dans le cas de Céline, il s’agirait de sa haine, à la base des romans comme des pamphlets. D’un côté, elle prend forme en devenant une langue ; de l’autre, elle se réduit à une voix – qui bafoue la forme, l’excède, pour le pire. Ne pas publier les pamphlets de Céline, c’est donc aussi blanchir l’écrivain littérairement, ne donner

Avec son roman Jan Karski (2009), il parlait pour ce résistant polonais qui a tout fait pour prévenir les Alliés de la Shoah en marche. “Je pense qu’il faut publier Bagatelles pour un massacre et les autres pamphlets de Céline, car leur censure a fini par créer, à l’égard de ces livres, un effet pervers de fascination louche : certains les vénèrent ainsi parce qu’ils sont difficiles à trouver, et parce qu’ils croient que la République française les interdit (ce qui est faux). D’autre part, tout le monde sait que le passage à l’acte qu’implique la lecture est plus sain que le fantasme qui rôde autour. Chacun pourrait lire ces textes, essayer de comprendre, éventuellement les aimer, analyser ce qui, en eux, est “littérature” ou pas, ou alors les rejeter comme on rejette, très naturellement, un livre qu’on n’aime pas et qu’on n’a pas envie de lire. Ce n’est pas parce qu’on va lire les invectives antisémites de Céline qu’on va devenir antisémite ! Mais au moins, on cessera d’halluciner ces textes. J’ai lu Bagatelles pour un massacre qu’on m’avait prêté il y a une dizaine d’années. Je ne l’ai pas fini parce que ça m’avait ennuyé. Mais je me souviens de l’étrange dispositif d’écriture, un dispositif complètement fou et dérisoire, où la récrimination contre les Juifs était déclenchée par un incident minable : je crois que le narrateur-Céline voulait coucher avec une femme mais qu’elle vivait avec un Juif ; à partir de là, la convoitise grandissait au point de stigmatiser tous les Juifs. L’excès était tel, dans ce vaudeville, que j’ai pensé qu’il s’agissait d’une parodie démoniaque (et puis-je le dire : drôle, effrayante et drôle) de l’antisémitisme. A partir de là, dans mon souvenir, il s’agit pour Céline d’être seul contre tous : Bagatelles pour un massacre est un acte littéraire dont la violence scandaleuse doit l’isoler de la communauté des écrivains. En un sens, il veut être l’ennemi public numéro 1. Dans sa rhétorique démente, Céline s’attaque au bouc émissaire de l’humanité, c’est-à-dire les Juifs, pour espérer devenir à son tour le bouc émissaire. C’est là qu’il situe le vertige noir de la position de l’écrivain : quelqu’un qui doit être inadmissible. En un sens, Céline s’est mis au ban tout seul. Je me souviens que ce livre est écrit essentiellement contre Proust ; Proust est le grand rival admiré (il y avait déjà quelques lignes de louange à son propos dans Voyage au bout de la nuit). Céline délire une littérature française entièrement peuplée d’écrivains juifs : il hurle : Montaigne juif !, Racine juif ! Il veut être eux, il veut être écrivain, il veut être juif. Dans mon souvenir, ce livre est une fantasmagorie ; il ne s’agit pas de défendre son délire (ni de prendre son parti) mais de le comprendre. Si on publie ces livres comme de sensationnels sacrilèges, on continuera à en faire quelque chose de sacré, ce qui est une erreur. Je pense qu’il faut publier les pamphlets dans une édition très sérieuse, accompagnée de multiples analyses, et même de points de vue, des dizaines de points de vue contradictoires de lecteurs, spécialistes et non-spécialistes.”

Antoine Gallimard Les éditions Gallimard détiennent les droits de l’œuvre de Céline depuis 1951. “Je ne pense pas que les choses doivent rester cachées, donc je serais prêt à publier les pamphlets de Céline, mais accompagnés d’un texte critique signé par Henri Godard – qui a préfacé et annoté Céline en Pléiade –, pour restituer le contexte de l’époque. De plus, derrière Céline, c’est toute l’histoire de la littérature d’un temps donné qui se raconte. Mais cela ne signifie pas que ça ne me pose pas de problèmes. Par exemple, je détiens le droit moral de l’œuvre de Paul Morand, et publier sa correspondance avec Jacques Chardonne, fortement antisémite, ne me fait pas particulièrement plaisir.” 23.02.2011 les inrockuptibles 39

“il a conféré une légitimité littéraire aux idées barbares de son temps” par Jean-Pierre Martin, auteur d’un passionnant Contre Céline, paru en 1997 chez Corti Ce qu’il y eut de particulier lui-même qu’il voulait chez Céline, ce fut son une “pédagogie antisémite”, acharnement, après la “vulgariser” et “styliser publication de Bagatelles pour l’antisémitisme”. Il suffit un massacre en 1937, à de songer aux dates pour enfoncer le clou. Sa constance, imaginer l’effet produit sa fixité, au contraire d’un – d’ailleurs attesté par Blanchot par exemple, qui de multiples témoignages. revint sur ses positions antisémites de l’avant-guerre Aujourd’hui, il est plus au point d’affirmer que facile de parler avec légèreté “l’antisémitisme reste la faute de livres qui circulent sous capitale”. En 1941, Céline le manteau. Il y a tous les publie Les Beaux Draps. Entre moyens désormais, en 1941 et 1961, il n’a rien renié. particulier grâce à d’excellents Dans Le Monde du 4 février travaux critiques et historiques 2011, Serge Doubrovsky, souvent parus depuis les 83 ans, répondant à une années 1990 (en particulier question de Michel Contat sur ceux d’Yves Pagès, Marie l’influence de Céline, déclare Hartmann, André Derval, ceci : “Il a beaucoup compté, Annick Duraffour, Philip Watts, il compte encore beaucoup pour Régis Tettamanzi, Alice ma langue écrite, mais que Kaplan, Philippe Roussin, voulez-vous que moi, Juif, je et j’en oublie) de fournir une fasse d’un écrivain qui voulait édition annotée qui donne tous mon extermination ? Si je n’ai les éléments, à la fois pour pas été gazé à Auschwitz, c’est restituer les textes dans leur malgré Céline.” En tant que époque et les éclairer à partir non-Juif, peut-on, en 2011, de l’histoire de l’œuvre, de sa être indifférent à une telle réception, et de l’histoire de réaction ? On aimerait l’antisémitisme. On verra alors partager la désinvolture de dans quelle mesure et en quel ceux qui admirent tout Céline sens Céline, comme certains sans arrière-pensées, mais l’affirment, plus que tout autre on a envie de leur demander : écrivain, aurait été à la hauteur d’où parlez-vous ? Et face de l’Histoire et de son à la statue du génie de la “apocalypse”. littérature qu’ils érigent La responsabilité historique comme si l’Histoire s’était d’un écrivain ne se mesure arrêtée, on se voit contraint pas essentiellement à son de rappeler des évidences : degré d’allégeance ou Céline antisémite prosélyte d’adhésion à un parti, mais avant, pendant et après plutôt à la façon dont il s’est les camps d’extermination, fait le porte-voix, auprès d’un ce n’est tout de même pas public qui dépasse largement comme Voltaire ou le cercle des amateurs de Shakespeare. Il y a là une littérature, des idées barbares petite particularité liée à son et totalitaires de son temps, temps. D’autres ont pris à la façon dont il leur a conféré au mot les appels au meurtre une légitimité littéraire, de ses pamphlets. à la façon dont ses propres fantasmes, se nourrissant des Je suis pour la réédition idées grégaires et lyncheuses, des pamphlets. Il faut avoir les ont réactivées, à son tout le dossier sous les yeux, impuissance à penser ce l’intégrale de l’œuvre. On vertige, ou au contraire pourra alors juger plus à sa capacité à se raviser. objectivement ces textes qui La question centrale est sont parfois (c’est le cas de au fond : comment l’Histoire Bagatelles pour un massacre) passée continue-t-elle à des collages de citations produire du présent ? Faire empruntées à des pamphlets comme si le débat était clos, et des livres racistes de son le simplifier, empêcher la époque, à la littérature lecture historique ou politique antisémite et d’extrême droite de Céline, ce serait exercer des années 1930. Céline a dit une autre forme de censure. 40 les inrockuptibles 23.02.2011

“je n’ai jamais été violent (…) je prévenais des dangers” Céline, 1957 à lire que la prose où il excelle. Idéologiquement, “Céline s’est bien rendu compte qu’il n’aurait jamais dû écrire ces pamphlets”, souligne François Gibault. Il n’a plus eu, alors, qu’à procéder à leur effacement, pour mieux se blanchir politiquement. “Il y a beaucoup de livres censurés en France, explique l’avocat Emmanuel Pierrat, spécialiste de la censure en littérature. Mais la plupart des auteurs antisémites des années 1930 et 1940 ont procédé à leur propre “censure” en demandant eux-mêmes que leurs livres ne soient pas réédités, en les retirant de leur catalogue, espérant que ceux-ci tomberaient dans l’oubli.” Sur le site de l’INA, on trouve un entretien avec un Céline hallucinant de déni, réalisé par Pierre Dumayet en 1957 pour la sortie d’Un château l’autre. Dumayet interroge Céline sur le fait d’avoir eu beaucoup d’ennuis à cause de la publication de Voyage au bout de la nuit en 1932 (alors qu’il sait bien que les pires ennuis, dont la prison et l’indignité nationale, sont arrivés à Céline à cause des pamphlets) et la violence de son écriture. Céline répond : “Je me suis permis de m’occuper de politique et ce fut le signal d’une maladie qui me poursuit encore. (…) je n’ai jamais été violent (…) les livres très fâcheux que j’ai pu écrire étaient faits justement contre la guerre. (…) j’étais comme une chienne de traîneau, je prévenais des dangers.” Jamais, entre Céline et Dumayet, les titres des pamphlets ne seront mentionnés. Les deux hommes continuent de faire comme s’ils parlaient de Voyage.... Pire encore, dans un entretien avec Céline datant de 1960, diffusé dans A voix nue sur France Culture récemment, l’écrivain se lance dans un monologue délirant où il pose en victime, en martyr, sans qu’aucun des deux journalistes ne le contredise. La machine de blanchiment de Céline par Céline est lancée. Et, aujourd’hui, il y a quelque chose de pesant, d’insoutenable à penser que la non-publication de ces textes participent encore d’une forme de “négationnisme” par omission, dans un pays où l’amnésie est encore de bon ton. Et puis les lettres de Céline – dont certaines clairement antisémites – ont été publiées en Pléiade, éditées par le célinien Henri Godard. “Je ne souhaiterais pas que les trois pamphlets soient republiés séparément chacun sous son titre, nous répond Godard. J’imagine une publication collective en un seul volume sous le titre Ecrits polémiques, qui y adjoindrait quelques autres textes polémiques courts comme A l’agité du bocal. Les pamphlets eux-mêmes devraient faire l’objet d’une annotation qui éclaire les circonstances et allusions à l’actualité et mette en évidence les emprunts de Céline aux publications antisémites du moment diffusées par la propagande allemande. Cette annotation est d’ores et déjà largement réalisée par le travail de plusieurs chercheurs.” D’autant que cette interdiction de réédition est une tartufferie : Bagatelles... se trouve aujourd’hui dans les

les éditions originales des trois pamphlets

directeur de ces éditions, Philippe Régniez. Il est difficile de dire combien j’en vends par an. Chaque ouvrage est tiré à 5 010 exemplaires et les tirages ne sont pas encore épuisés. Le pays le plus demandeur est la France, puis les pays francophones à travers le monde. Viennent ensuite des clients de pays aussi variés que le Japon, la Thaïlande, le Mexique, les Etats-Unis, Hong Kong, la Roumanie, le Qatar, etc.” Jusqu’à ce jour, il n’a pas été inquiété par l’ayant droit. De toute façon, Céline tombera dans le domaine public dans vingt ans et Gallimard pourra s’il le souhaite publier les pamphlets (lire encadré p. 39). “Sauf que s’ils étaient largement réédités, ils tomberaient immédiatement sous le coup de la loi de 1972 et pourraient être d’emblée censurés pour incitation à la haine raciale. Seulement si une association le demande…” , précise Emmanuel Pierrat. Qu’en pense Serge Klarsfeld, président des FFDJF ? “Je serai contre une publication des pamphlets. Si nous étions dans un monde pacifié, il n’y aurait pas de problèmes. Mais ces textes sont trop nocifs. Les republier serait dangereux.” Fin de la discussion ?

librairies d’extrême droite, et sur le net, réédité et rediffusé depuis 2009 par les Editions de la reconquête dont le siège social se trouve au Paraguay et qui vendent aussi, en ligne, des objets de culte catholique et des textes de Lucien Rebatet. Ambiance. “Je publie Bagatelles... depuis 2009, Les Beaux Draps depuis 2008, L’Ecole des cadavres depuis 2009. Je publie également la première édition de Bagatelles... en anglais, Trifles for a Massacre, depuis 2010, nous répond par mail le

1. André Derval, L’Accueil critique de “Bagatelles pour un massacre” (Ecriture), 297 pages, 23 €  François Gibault Céline, 1894-1932 : Le Temps des espérances ; Céline, 1932-1944 : Délires et persécutions ; Céline, 1944-1961 : Cavalier de l’Apocalypse (Mercure de France) Emmanuel Pierrat 100 livres censurés (Chêne) Louis-Ferdinand Céline, Lettres (La Pleiade) Henri Godard publiera une biographie de Céline en mai chez Gallimard Podcast A voix nue : Louis-Ferdinand Céline, par Matthieu Garrigou-Lagrange, sur France Culture

I tout nu 23.02.2011

édito Débat pourri

L

par Thomas Legrand

Sarkozy  2012 : courage, Fillon !

Lionel Bonaventure/AFP

La France a-t-elle besoin d‘un débat sur l‘islam, ou est-ce Sarkozy, impopulaire, qui ressent l‘urgence d‘un tel débat ? On pourrait se dire qu‘il n‘est jamais mauvais de s‘interroger sur la laïcité, ce subtil équilibre obtenu depuis cent six ans. Et, c‘est vrai, pourquoi ne pas demander aux musulmans d‘affirmer plus haut leur volonté de pratiquer leur religion dans le respect des valeurs de la République ? Le FN monte en parlant de l‘islam, donc il faut parler de l‘islam. Voilà l‘axiome simpliste du président. Certes, nier que certaines pratiques de l‘islam peuvent poser un problème au regard de la laïcité serait absurde, mais pour justifier la mise en avant d‘un sujet, le président a tendance à exacerber les positions de chacun… Ce qui n‘aide en rien à la tenue d‘un débat serein. Ainsi, le président dit qu‘il ne veut pas une France de “minarets et d‘appels à la prière”. Il n‘y a aucun projet de construction de minaret particulièrement saillant en France et aucune revendication d‘aucun imam pour instaurer l‘appel à la prière. L‘exemple du débat sur l’identité nationale, opportuniste et contre-productif n‘a donc pas servi de leçon.

Dans les sondages, Nicolas Sarkozy rebute l‘opinion. L‘échéance 2012 approche, et François Fillon attend. En trois points, les clés de l‘avant-match.

A

l‘Elysée, on en est conscient : Sarkozy ne pourra pas remonter dans les sondages dans les prochains mois. Plus la présidentielle se rapproche, plus il cristallise sur son nom les mécontentements. Selon un sondage Ipsos pour Le Point, une large majorité de Français (63 %) ne souhaite pas que Nicolas Sarkozy se représente en 2012. Au moins, ça a le mérite d‘être clair. “Mais je n‘aimerais pas être celui qui lui dira : M. le Président, nous souhaiterions que vous laissiez la place à un autre”, plaisante un ministre. Pourtant, si quelques parlementaires de la majorité et membres du gouvernement s‘accordent en off pour expliquer qu‘”il existe un seul produit de substitution, c‘est François Fillon”,

ils ajoutent que ”François est trop légitimiste pour passer devant Nicolas”. D‘ailleurs, certifie l‘entourage du Premier ministre, au dîner organisé le 15 février par Bernard Accoyer avec une douzaine de parlementaires étiquetés ”fillonnistes”, le chef du gouvernement a été catégorique entre la poire et le fromage  : ”Nicolas Sarkozy est notre candidat, il n‘y a pas l‘ombre d‘un doute.” Par contre, admettent ses amis, si Nicolas se désistait… Or, comme l‘avait confié Sarkozy lors de son interview télé du 16 novembre 2010, ”nul n‘est irremplaçable”. En somme, François attend que Nicolas prenne sa décision pour décider de la sienne. Dis donc, on joue aux socialos maintenant à l‘UMP… 23.02.2011 les inrockuptibles 43

23.02.2011 tout nu II

Sarkozy

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Nicolas Sarkozy a du pain sur la planche s‘il veut faire l‘unanimité dans son camp. Ses points faibles dans l‘opinion  : les classes populaires, les salariés, les CSP++, les artisans, les étudiants. Quant au vote ouvrier, il sera très dispersé, et les seniors pourraient être tentés par le FN, analysent certains sondeurs à la lecture des dernières régionales. Seul réconfort à l‘Elysée  : le président remonte dans les milieux ruraux.

Fillon

1

François Fillon a pour lui ce look savamment dosé entre la raie sur le côté façon mise en plis qui rassure, la veste forestière du si chic tailleur Arnys et ce petit brin de folie dans les chaussettes rouges, devenu un must pour rehausser le costardcravate. Forcément, Nicolas Sarkozy a bien du mal à se dresser, si hautes soient ses talonnettes…

2

Sans en avoir l‘air, les parlementaires fillonnistes s‘organisent au cas où. Une fois par mois, une cinquantaine d‘entre eux se retrouvent à Paris pour parler des réformes en cours ou des questions d‘actualité. Le mot d‘ordre : surtout éviter les petites phrases qui risqueraient d‘affaiblir leur champion François. Et se tenir prêts. Pour eux, ”on ne pourra véritablement faire le point qu‘à l‘automne prochain”.

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Bonne pioche, M. le président, vous avez eu droit à deux boulets : Dominique de Villepin et Marine Le Pen. Mais c‘est bien connu, plus on a d‘ennemis, moins on a d‘électeurs… Et même si rendez-vous est pris avec le premier pour une petite causette sur le G20 qu‘on a du mal à imaginer amicale ce jeudi 24 février, il reste à expliquer à l‘opinion que Dodo est devenu un pote, s‘il devient un pote. Les conseillers cherchent encore la stratégie…

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Chacun sa croix, chacun son boulet : Jean-François Copé, le secrétaire général de l‘UMP, qui ne cache rien de ses ambitions présidentielles pour 2017, a décidé d‘occuper l‘espace en lançant des débats tous azimuts et très impopulaires : la TVA sociale, les 35 heures, les fonctionnaires… De quoi compliquer la tâche du Premier ministre, obligé de déminer. ”C‘est un problème”, lâche un proche de Fillon. Sarkozy, quant à lui, reste neutre dans cette affaire. ”Façon de se protéger”, lâche un de ses interlocuteurs réguliers. En somme, on laisse les crocodiles s‘agiter dans le marigot et on compte les points… Marion Mourgue

Francis Le Gaucher

Autre boulet : Marine Le Pen. Un sondage Ifop pour France Soir la crédite de 19 % a 20 % d’intentions de vote au premier tour de la présidentielle. D‘où la volonté de ne pas lui laisser le terrain de l‘islam ouvert et d‘en faire un thème central de la présidentielle. Pas étonnant que sur TF1, le 10 février, Nicolas Sarkozy ait répété qu‘il souhaitait un ”islam de France” plutôt qu‘un ”islam en France”… formule déjà utilisée le 16 novembre et qui avait fait mouche dans l‘opinion, avait constaté son entourage après une enquête qualitative. Pas question de la mettre sous le tapis, Sarkozy la ressortira à chaque fois dorénavant.

44 les inrockuptibles 23.02.2011

III tout nu 23.02.2011

que le meilleur perde

affaires intérieures

DSK candidat, Aubry plan B

A

Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite.

Joël Saget/AFP

h, ils étaient contents les strauss-kahniens ! Pour eux, le passage très médiatisé de Dominique Strauss-Kahn à Paris, à l’occasion des réunions des ministres du G20 fut un sans-faute. “L’idée qu’il soit candidat progresse sans qu’il ait besoin d’en dire davantage”, confie son entourage. “Dès lors que les gens sont convaincus qu’il va y aller, paradoxalement ça peut faire baisser la pression.” Remarquez, chez les proches de Martine Aubry, on ne s’inquiète pas outre-mesure de cette déferlante strauss-kahnienne. “Les petits cailloux ? Quels petits cailloux ? Je n’ai rien vu”, glisse un aubryste. Il est bien le seul. “On ne va pas demander à DSK de ne pas parler. Et quand il s’exprime, il fait ce qu’il peut mais c’est interprété...” Quant à Martine Aubry, “elle veut faire gagner la gauche en 2012, elle fera ce qu’il faut”, glisse un proche. “D’ici là, elle laboure le terrain, prépare le projet, organise les primaires. Ensuite on verra qui est le meilleur pour l’emporter.” Comme l’impression que la première secrétaire a intégré l’idée qu’elle pouvait être un plan B. Même si le plan A n’a pour l’instant pas tout dit. T. L. et M. M.

confidentiel “On est sorti de deux semaines d’un plan médiatique absolument grotesque dans lequel DSK qui nous préparait tous à de grandes annonces nous a fait le portrait d’un homme qui effectivement est très, très loin des préoccupations des Français et très loin de la France.” Jean-François Copé après l’intervention de DSK sur France 2. Dis donc, Copé, on dirait que tu parles de Sarkozy, mais lui, ça fait pas deux semaines, mais trois ans et demi !

par Michel-Antoine Burnier

M. Sarkozy est un artiste, M. Sarkozy est un grand stratège. Voyez comme il enchaîne les séquences victoricides. Cela n’arrête pas depuis le printemps : l’affaire Woerth-Bettencourt, que suit l’assaut contre les Roms, que suit la bataille des retraites, que suivent les voyages gratuits de nos ministres aux pays des dictateurs. Aucun répit  : à peine Mme AlliotMarie disparaît-elle des télévisions qu’arrivent les magistrats en colère. Le bréviaire de la défaite se montre formel : les gouvernements doivent provoquer des professions dont les conditions de travail et les budgets se dégradent, mais soudées et respectées. Jusqu’ici, des présidents en la matière peu inventifs, MM. Mitterrand et Chirac par exemple, défiaient les marins-pêcheurs ou les derniers sidérurgistes. Plus original, M. Sarkozy oublie la séparation des pouvoirs : en deux phrases, il accuse les magistrats de mal faire leur travail et les menace de sanctions. Ceux-là s’en scandalisent d’autant plus qu’ils s’épuisent sous la surcharge dans des locaux mal entretenus. Le président de la République a raison de faire le malin : le budget qu’elle alloue à la justice place la France au trente-septième rang sur quarante-trois des pays membres du Conseil européen. Quel succès ! Les protestations, grèves, manifestations de juges que suscite M. Sarkozy n’ont pas de précédent dans les deux siècles passés. Sauf un seul juge,

la magistrature ne s’était pas insurgée contre le maréchal Pétain lui-même. Pour trouver de pareils mouvements d’opposition, il faut remonter à Louis XV dans son conflit avec les parlements. Qui aurait cru que M. Sarkozy se montrerait capable, en quoi que ce soit, d’égaler l’un des pires rois de l’histoire de France ? Guettons la prochaine séquence. MM. Besancenot et Mélenchon semblent très occupés à faire trébucher M. Strauss-Kahn, soit le candidat de gauche qui risquerait le plus de l’emporter en 2012. Comme M. Strauss-Kahn baisse dans les sondages, ils peuvent s’en attribuer le mérite. Reste un affrontement secondaire  : qui perdra le mieux la présidentielle, M. Besancenot ou M. Mélenchon, tous deux issus de trotskismes concurrents ? Les observateurs se passionnent devant ce rude combat  : cela pourrait se jouer à un pour cent ou moins. Les trotskistes se sont toujours révélés comme les meilleurs des victoricides. Divisés, peu nombreux, fermés dans leurs rites, ils révèrent leur fondateur éponyme, Léon Trotski, l’un des plus grands perdants de l’histoire mondiale et qui finit assassiné. M. Besancenot lui adjoint le ”Che” Guevara, qui manqua lui aussi sa révolution et en mourut. Nous déconseillons vivement à MM. Besancenot et Mélenchon de suivre leurs modèles jusqu’au bout. (à suivre…) 23.02.2011 les inrockuptibles 45

23.02.2011 tout nu IV

presse citron

les relous par Christophe Conte

République irréprochable

Cambadélis pédale dans la semoule, Attali n’a jamais été prophète en son pays, Frédéric Lefebvre s’exile pour éviter les impôts, Sarko montre son mufle. Quant à Chirac, il devient de plus en plus Bigard avec l’âge.

Pierre Charon, l’homme qui parlait à l’oreille des médias, banni pour excès de zèle dans l’affaire Bruni-Biolay, fait son come-back. Sarko lui a offert une mission sur le Grand Paris auprès du ministère de la Ville. “Un cadeau“, se vante l’intéressé. Pas pour le pauvre ministère déjà bien sinistré et dépourvu.

Chirac met le paquet C’est un Jacques Chirac souriant et mains dans les poches qui trône en une de L’Express (16/02). Au vu de l’actualité, on aurait pu croire que l’ancien président, à l’automne de sa vie, n’est plus qu’un vieillard poursuivi par les affaires et les infirmiers. Que nenni ! On apprend que Chichi rivalise avec Jean-Marie Bigard en gratifiant un ancien ministre d’un tonitruant (sonotone oblige) ”Tu bandes encore ?” et un autre d’un tout aussi élégant  : ”Toujours pédé ?” Son one-man-chaud est prêt, il s’intitule Mes couilles à l’air à Brégançon. La première aura lieu au tribunal correctionnel de Paris, le 7 mars.

Cambadélices de l’Orient

harpacon

Porte-parole officieux de Dominique StraussKahn, Jean-Christophe Cambadélis a jugé utile de venir au secours de ce dernier, accusé par le duo comique Jacob-Lellouche de ne pas représenter ”la France des terroirs” et d’incarner au contraire ”la gauche ultracaviar ”. Camba, désireux de filer une métaphore culinaire pour le moins fumeuse, a prétendu au micro de France Inter (15/02) que DSK c’était plutôt ”la gauche couscous.” Espérons qu’à la différence de Ségolène ”couscous” Royal il ne choisisse pas le supplément boulettes.

Le ”Téléphone rouge” du Nouvel Obs (17/02) nous apprend que Frédéric Lefebvre a renoncé à l’appartement de fonction auquel il a droit en tant que ministre pour ne pas avoir à régler les impôts locaux, désormais à la charge des occupants. Avec de tels oursins dans les poches, Frédo mériterait d’être promu ministre de la Mer.

Nostradaminus Prophète des temps modernes, autoproclamé historien de l’avenir, conseiller des puissants dont il éclaire l’horizon de sa lampe magique et moyennant forte récompense, Jacques Attali avait confié à Jean Glavany (L’Express, 16/02) à l’issue d’un rendez-vous avec Mitterrand en octobre 1980 : ”Ma conviction est faite. Il ne sera pas candidat.” Visionnaire un jour… 46 les inrockuptibles 23.02.2011

pas Joly Joly Propos de Sarkozy aux députés UMP, rapportés par Libération (17/02)  : ”Vous vous voyez aller aux présidentielles avec Eva Joly, rayonnante, ouverte, tolérante ? Cela fait envie !” C’est vrai que Juppé, MAM, Fillon et Besson, ça fout carrément la gaule !

très confidentiel Dans Le Parisien (15/02), le joueur de poker Patrick Bruel confesse qu’il a voté Sarkozy en 2007. Casse-toi la voix pauv’ con est à l’étude pour l’hymne de la campagne 2012.

Stéphane Lagoutte/Challenges/REA

Benoît Tessier/Reuters

Guillaume Gaffiot/Visual

mission impossible

Pendant qu’en Tunisie, le nouvel ambassadeur Boris Boillon (photo) reprend avec professionnalisme et finesse le magnifique travail de sape de l’image de la diplomatie française entamé avec fougue par MAM, Sarkozy envoie notre ministrecatastrophe au Brésil pour prendre en charge le dossier de la vente des avions de combat Rafale de Dassault Aviation. Mais Dilma Rousseff, la nouvelle présidente, n’a pas l’air super chaude. Hypothèse positive : la vente est quasi assurée et Sarko offre à MAM la possibilité de redorer son blason (probabilité : 10 %). Hypothèse négative : MAM revient bredouille, Sarkozy n’est pas du genre à laisser passer un dossier qui peut le faire mousser (probabilité : 8o %).

23.02.2011 tout nu VI

contre-attaque

Nicolas Krief/Fédé Photo

Les plans sociaux se multiplient. Et si on peut pousser les salariés à démissionner, c’est autant de gagné sur les indemnités de licenciement. Un sale boulot confié aux petits chefs, voire à des professionnels.

harcèlement, mode d’emploi

I

ci, c’est un quinqua en réorientation qui, à deux jours de la fin de sa période d’essai, se fait publiquement agresser au prétexte qu’il n’aurait pas rempli sa mission assez vite. Le ton monte jusqu’aux insultes. Poussé à bout, le cadre annonce qu’il rend son tablier sur-le-champ. Là, dans une grande entreprise publique en cours de réorganisation, c’est un responsable, pourtant bien noté, qui trouve un lundi matin ses dossiers empilés dans des cartons devant la porte de son bureau… qu’occupe déjà un autre ! Son N+1 lui annonce fraîchement qu’on lui cherche une nouvelle affectation. Trois  semaines plus tard, il n’a toujours pas de poste désigné, ni de bureau. Pour sauver la face, il va prendre la porte, lui aussi. Tous deux ont fait les frais d’une même stratégie toxique : ils ont été poussés vers la sortie, comme 25 % des salariés qui démissionnent. A la manœuvre : le petit chef, payé pour rabrouer ceux ou celles qui, dans l’entreprise, sont jugés faiblards car supposés ne pas tenir leurs objectifs. Dans cette catégorie de salauds professionnels, il n’y a pas que des imbéciles, mais aussi de vrais tueurs, œuvrant pour des officines spécialisées et payés cher pour conseiller les grands groupes dans leurs stratégies de débarquement. Marie-France Hirigoyen avait fait du harcèlement moral un bestseller en 1998. Ça n’est donc pas neuf. C’est juste pire. Et les entourloupes des harceleurs créent toujours autant de souffrances. 48 les inrockuptibles 23.02.2011

Le phénomène est tellement répandu que, par un stratagème inversé et pervers, certains DRH n’hésitent pas à user de la même accusation de harcèlement contre des cadres qui se sont toujours bien comportés vis-à-vis de leurs employés (et qui, comme par hasard, se trouvent éventuellement être délégués du personnel). Devant les tribunaux, ils leur imputent une faute imaginaire avec la complicité d’un employé, auquel ils auront promis une promotion s’il se prête au jeu… Avant de déprimer et de reprendre date avec son psy à 80 euros les cinquante minutes, il faut s’essayer à quelques recettes pour déstabiliser le nuisible. Première contre-attaque : dénoncer de façon brutale ces manigances auprès de la hiérarchie, même si elle en est complice, et la mettre en garde contre les conséquences juridiques. Tactique contraire, suggérée

par les psys : feindre de ne pas percevoir les fourberies du sale con. Cela suppose d’être bon comédien mais s’avère payant : en l’ignorant, on le tue ! Ou bien, la meilleure arme étant la dérision, pratiquer le foutage de gueule. Comme, par exemple, un compliment sur ses chaussures à bout pointu comme une gondole de Venise. ”Votre élégance est une tuerie, vous devez faire des ravages…” Les sales cons ont un goût de chiottes, c’est ce qui est bien : on peut s’en moquer ouvertement. Plus fort encore : montrer de la compassion, le plaindre pour la pénibilité de ses responsabilités et se le mettre dans la poche. C’est vrai : pourrir la vie des salariés, c’est pas drôle tous les jours, même pour un pervers. Qui songe jamais à offrir un coup à boire au petit chef pour lui redoper le moral ?… Bon, on a dit un coup, pas deux. [email protected]

en pratique bibliographie de survie Quantité de self-help books se proposent de venir à la rescousse des victimes de harcèlement au travail. Objectif zéro-sale-con de Robert Sutton, professeur à Stanford. Le sous-titre est éloquent : Petit guide de survie face aux connards, despotes, enflures, harceleurs, trous du cul et autres personnes nuisibles qui sévissent au travail (Vuibert) Face aux manipulateurs d’Audrey Taline (Eyrolles) Ces gens qui vous empoisonnent l’existence (techniques de choc pour faire face aux relations toxiques) de Lillian Glas (Marabout)

23.02.2011 tout nu VIII

débat d’idées

le savoir pour chacun

Jean-Luc Cormier/Picturetank

RAPPROCHER LES INTELLECTUELS ET TOUS CEUX QUI ASPIRENT À LEUR PROPRE ÉLÉVATION

En marge du système universitaire, des structures permettent à tous de suivre librement des travaux de sciences humaines.

L

a question de ”l’accès”, marqueur de notre époque selon Jeremy Rifkin (voir son ouvrage L’Age de l’accès), bute souvent dans le domaine des idées sur la complexité, l’opacité et l’éclatement du champ du savoir. Avant même de se repérer dans les chemins dispersés de la connaissance, comment fréquenter les lieux de savoir, accéder à la source même du déploiement d’une pensée ? Parallèlement aux cursus académiques proposés par l’université, des institutions se proposent de rapprocher les intellectuels et tous ceux qui aspirent à leur propre élévation. Ainsi, la vocation du Collège international de philosophie (CIPh), fondé en 1983 par Jacques Derrida, François Châtelet, Jean-Pierre Faye et Dominique Lecourt, répond à ce désir de favoriser l’accès au champ philosophique. 50 les inrockuptibles 23.02.2011

Pour son nouveau président, Mathieu Potte-Bonneville, il reste essentiel que le CIPh laisse loisir aux auditeurs ”de suivre l’un ou l’autre des quelque quarante séminaires qui s’engagent ce semestre,  et d’accéder ainsi non à un enseignement, mais au mouvement d’une recherche se faisant, cheminant à travers ses obstacles, ses bifurcations, ses piétinements et ses éclaircies.” Cet accès sans condition, ”mais pas sans exigence”, offre ainsi dès le mois de mars la possibilité de suivre des conférences et des séminaires sur des questions très variées : de l’expérience du handicap à l’interrogation sur l’accès aux œuvres philosophiques filtrées par la production journalistique ; de ”la crise du cadre et les avant-gardes” à un séminaire sur l’œuvre de Peter Sloterdijk et sa conception du

monde ”sphère”, sans limites ni bords ; d’une conférence de Giorgio Agamben sur ”l’archéologie du commandement et de la volonté” à un séminaire d’Hélène Cixous sur ”le téléphone et le besoin d’une communication immédiate avec la vie”, les territoires du Collège international dessinent les contours d’une pensée philosophique qui refuse toute position de surplomb et déjoue enfin le risque de ”se prémunir contre les accélérations de l’actualité”, tendance naturelle de la philosophie selon Potte-Bonneville. L’Université populaire du quai Branly, dirigée par Catherine Clément, participe de ce même souci de partage et de décloisonnement d’un savoir en phase avec son époque. Centré sur la question spécifique du dialogue des cultures, le musée organise une cinquième saison de conférences en accès libre sur les notions d’altérité, de mémoire, de regard… Au cœur du semestre qui commence, on pourra distinguer un cycle ”Histoire mondiale de la colonisation” incluant, le 3  mars, une conférence d’introduction aux grandes figures de la décolonisation avec un éclairage particulier sur Léopold Sédar Senghor et le penseur indien Muhammad Iqbal proposé par le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne ; le 31  mars, une évocation de Toussaint-Louverture par Patrick Lozès ; et le 7 avril, un retour sur Abd el-Kader par Benjamin Stora. Dans le cadre du cycle ”Grands Témoins”, Elisabeth Roudinesco, historienne de la psychanalyse, interrogera le 5  mars la question de l’étranger ; l’ethnologue Philippe Descola s’interrogera, lui, le 10 mars, sur ”les Autres et nous”. Entre la promesse de l’Université populaire du quai Branly – ”écouter, c’est apprendre” – et l’invention de ”formes renouvelées d’une liberté d’accès” au Collège international de philosophie, le paysage de la pensée contemporaine étend ses espaces de partage. Jean-Marie Durand Pour lire les programmes du semestre à venir : Collège international de philosophie : www.ciph.org ; Université populaire du musée du quai Branly : www.quaibranly.fr/fr/programmation

offres abonnés 23.02.2011

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NOUVEAU

Peter Hook plays Joy Division e

En concert au Trabendo (Paris XIX )

musiques

Peter Hook, membre originel du groupe, a réuni musiciens et amis pour rendre un hommage live à Joy Division dont il interprète, plus de trente ans après, le mythique premier album, Unknown Pleasures. A gagner : 10 places pour 2 personnes le 10 mars

Boubacar Traoré

Basquiat : The Radiant Child

En concert à la Cigale (Paris XVIIIe)

Documentaire réalisé par Tamra Davis

musiques Considéré en Occident comme un bluesman, Boubacar Traoré, surnommé "Kar Kar", est avant tout un passionné dont la musique aux mélodies saisissantes, inspirées de la tradition malienne du kassonké, dans laquelle il a toujours baigné, distille des émotions et des rêves avec simplicité et précision. A gagner : 5 places pour 2 personnes le 4 mars

DVD Pionnier de l’art contemporain par sa renommée et l’abondance de son œuvre, Jean-Michel Basquiat a produit une œuvre des plus riche en un temps très court. Tamra Davis, rend ici hommage à l’artiste qu’elle a très bien connu, grâce à des images et entretiens inédits issus de ses propres archives. A gagner : 25 DVD

Jardin des myrtes Mélodies andalouses du Moyen-Orient, à l’Institut du Monde arabe (Paris Ve)

musiques

Avec son ensemble Aromates, composé de musiciens de formation classique évoluant dans différents horizons musicaux, Michèle Claude développe une musique entre tradition et création, écriture et improvisation, Orient et Occident, créant ainsi une musique méditerranéenne intemporelle. A gagner : 5 places pour 2 personnes le 4 mars

Alexis, une tragédie grecque Compagnie Motus, à la Grande Halle de la Villette (Paris XIXe )

scènes 6 décembre 2008. Alexis, 15 ans, est tué d’une balle en pleine poitrine par un policier, à Exarchia, quartier central et anarchiste d’Athènes. Dans une situation sociale et politique dégradée, cette mort met le feu aux poudres et déclenche une vague d’insurrections sans précédent. A gagner : 10 places pour 2 personnes le 3 mars

Nouveaux monstres Au Théâtre national de Toulouse (31)

expos En seize installations interactives ou ludiques, l’exposition Nouveaux monstres investit tout le TNT et présente quelques-uns des nouveaux dispositifs sonores et visuels issus de la transformation des interfaces technologiques utilisées en art contemporain, dans la création numérique, le cinéma ou le design. A gagner : 25 places pour 2 personnes pour une entrée valable du 25 février au 10 mars

pour profiter de ces cadeaux spécial abonnés envoyez vite le titre de l’offre qui vous intéresse par e-mail à : [email protected] Merci d’indiquer vos nom, numéro d’abonné et adresse postale. Si plusieurs dates sont proposées, veuillez préciser votre choix. Les gagnants tirés au sort seront informés par e-mail. Fin des participations le 27 février

trafics turfistes Un juge français enquête sur le rachat douteux de dizaines de PMU en Ile-de-France par la communauté chinoise. Le procédé pourrait servir à blanchir de l’argent.

M

égots qui s’amassent devant l’entrée, légère odeur de clope froide à l’intérieur, billets perdants entassés au pied du zinc, atmosphère saturée : nulle bourgade ne serait française sans son bar sous licence PMU, la seule qui permet de miser sur les courses hippiques accoudé au comptoir. Monstre aux bénéfices chaque année florissants, le Pari mutuel urbain réalise près de 90 % de son chiffre d’affaires de 9 milliards d’euros depuis ses points de vente en dur : café, tabac, brasserie… “Nous avons actuellement 10 374 points 52 les inrockuptibles 23.02.2011

Malik Nejmi/Agence Vu

par Xavier Monnier

Dans un bar PMU, en 2010

de ventes, précise la com du parieur. Et cela au prix de la distribution de 800 nouvelles licences en 2010.” Un pactole qui aiguise notamment l’appétit de membres de la communauté chinoise, qui se sont depuis des années investis dans la reprise d’établissements assortis d’une licence PMU : 20 % des rachats en Ile-de-France l’an dernier. Mais la boulimie a récemment provoqué une petite indigestion. Une commission rogatoire internationale, lancée par le juge d’instruction Jean-Christophe Hullin du TGI de Paris, vient de partir vers la Chine, conséquence d’une vaste enquête sur le rachat douteux de dizaines de bars PMU en Ile-de-France

pour autant de demandes de licence pour les paris hippiques. La procédure, lancée par la brigade courses et jeux en février 2010, suscite un malaise, et pas seulement au PMU qui dit ne l’avoir apprise que par la presse. Pourtant, les policiers assurent lui avoir intimé de porter plainte. “Faux, assure-ton au PMU, d’ailleurs nous ne savions même pas sur quelle base porter plainte.” Officiellement, pour obtenir la précieuse licence, le cafetier se rend à l’agence régionale du PMU et remplit un dossier assez sommaire. Puis il passe par les services du ministère de l’Intérieur, plus précisément à la brigade course et jeux de Nanterre

“chercher d’où vient l’argent liquide en Chine, c’est comme se demander si Dieu existe” un enquêteur administratif ou tout comme.” Fin 2009, l’amoncellement d’attestations d’apports en liquide rédigées en mandarin et venues de la même étude notariale sise en Chine a intrigué la police. Elle a sondé la véracité d’une des attestations en demandant une coopération technique internationale en Chine… Après vérification, l’étude notariale existe bien mais le document ne parle pas d’un apport de fonds. Le logo du notaire a été emprunté pour réaliser un document bidon.

– passée de la direction des Renseignements généraux (RG) à la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). Pour prouver leur bonne foi, les patrons d’établissement doivent justifier de la provenance de leur pécule, avec notamment une attestation justifiant de l’origine des fonds dans le cas d’un changement de mains. Après enquête, la police délivre (ou pas) l’autorisation. Un moyen d’éviter que les rachats ne servent à blanchir de l’argent sale grâce à une activité commerciale générant de l’argent tout propre. Devant l’afflux de demandes, les vérifications s’avèrent d’ordinaire assez légères – “quand il y en a, peste un flic de la brigade. Un simple examen

En février 2010, les limiers ont donc ouvert une enquête préliminaire pour faux, usage de faux et non-justification de ressources. Au fil des mois, ils ont compilé patiemment les dossiers, mettant de côté les demandes où apparaissait le même sceau. Cela concernait onze tabacs et pour près de 2 millions d’euros à l’origine suspecte. “En octobre, on a constaté que le filon s’épuisait, on ne recevait plus de demandes, glisse l’un des enquêteurs, il était temps de cueillir.” L’enquête, ouverte sous l’égide du procureur de Créteil, migre alors vers Paris et sa juridiction interrégionale spécialisée (Jirs). Le 22 octobre, une vingtaine de personnes sont interpellées. Au cours des perquisitions diligentées par le juge d’instruction Jean-Christophe Hullin, la police retrouve d’autres actes falsifiés et du liquide. Et obtient de certains des aveux : les attestations sont bien bidons. Les enquêteurs, qui ont longtemps espéré remonter une filière de blanchiment liée aux mafias extrêmeorientales, ne sont pas entièrement satisfaits : “Le mieux que l’on puisse faire désormais, c’est identifier le faussaire s’il est en France. Mais prouver un quelconque blanchiment va être compliqué”, déplorent les policiers. Même avec une commission rogatoire internationale ? “Le dossier est vide sur cet aspect. La CRI ne concerne pas le blanchiment. Certains suspects n’ont pas avoué qu’ils ont fait des faux, la demande ne concerne que la vérification des documents. On va avoir un retour de Chine qui va prouver qu’ils sont faux et les gars en prendront pour cinq ans de condamnation, voilà tout. De toute façon, aucune enquête de blanchiment avec la Chine n’a jamais abouti à Paris.” Avant de conclure, dépité : “Chercher d’où vient l’argent liquide en Chine, c’est comme se demander si Dieu existe.”

Une interrogation mystico-financière que les bars PMU ne souhaitent pas trop aborder. Depuis octobre, la Fédération des buralistes d’Ile-de-France ne communique plus sur le sujet. A l’époque, son patron Gérard Bohelay s’était réjoui du coup de filet. “J’attendais une enquête depuis longtemps. La profession a besoin d’être nettoyée. Certains roulaient trop des mécaniques. On se posait des questions.” La tirade a été fort peu goûtée par une profession en crise et incite désormais le chef buraliste à faire profil bas. Contacté, il n’a pas souhaité donner suite. Les sociétés de jeux regardent aussi leurs pieds. Le PMU ne mène aucune enquête au moment de distribuer ses licences. La Française des jeux (FDJ), elle, n’est même pas soumise à ce genre de paperasse. Jeux de grattage, loterie, tirage, Rapido, Keno : les tabacs qui les vendent n’ont besoin d’aucune autorisation de l’Etat. PMU et FDJ sont l’objet de nombreuses combines, dont l’une dure depuis longtemps. Il suffit d’acheter un ticket gagnant avec de l’argent sale pour ensuite demander son chèque, et donc son oseille proprette. Le petit et le grand banditisme usent et abusent de ce procédé sans que la législation ait jamais changé et que les sociétés de jeux soient inquiétées. “Nous n’avons pas fouillé en ce sens, constate un des chargés de l’affaire, et ouvrir une procédure pour complicité est un brin risqué. Cela signifierait pointer les dysfonctionnements de l’Etat.” Au premier rang desquels une certaine passivité des services des douanes et des impôts, encouragée au plus haut niveau. Au moment du rachat d’un bar-tabac, les douaniers doivent normalement procéder aux vérifications d’usage : provenance des fonds, solvabilité des pourvoyeurs. Mais leur boulot se borne souvent à une simple enquête de moralité. Pour soutenir une profession en crise, la procédure s’est même un peu simplifiée : l’obligation d’apporter 33 % en fonds propres a été levée l’été dernier… En 2010, le produit des jeux reversé à l’Etat a dépassé 3 milliards d’euros et les prévisions sont en hausse pour 2011, sans compter la manne internet et les taxes sur les mises. De quoi lâcher un peu la bride au jeu ? 23.02.2011 les inrockuptibles 53

54 les inrockuptibles 23.02.2011

“je suis de plus en plus enragée par le monde qui m’entoure” Quatre ans après le fantomatique White Chalk, PJ Harvey revient avec une fresque bouillonnante, expressionniste et pop autour du thème de la guerre. par Géraldine Sarratia photo Seamus Murphy

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oël 2010 a failli être exceptionnel. On devait passer les vingtquatre heures précédant les fêtes en compagnie de PJ Harvey, dans le Dorset. Au programme : falaises, éléments déchaînés, lits à baldaquin et découverte de son nouvel album. Mais l’Angleterre s’est retrouvée paralysée sous les tempêtes de neige. Reportée, la rencontre a eu lieu mi-janvier à Londres, dans un hôtel cossu autrefois fréquenté par les Rolling Stones. Vestige de ce passé flamboyant, un disque d’or dédicacé de Black and Blue trône dans le salon aux tentures rouges. Dans une pièce attenante, tasse de thé à la main, une PJ longiligne entièrement vêtue de noir reçoit avec une ponctualité toute anglaise. Souriante, plus ouverte que par le passé, la chanteuse semble heureuse de parler de son nouvel album Let England Shake, digne successeur de White Chalk. Entre les deux, il y a eu A Woman a Man Walked by, un album (mineur) cosigné avec John Parish et qu’elle a défendu sans grande conviction – tant en interview que sur scène. Pour donner une suite à ce bloc de craie intimiste et fantomatique que reste White Chalk, formellement proche de la perfection, PJ Harvey a sorti le rouge sang. Let England Shake est un album sombre, bouillonnant, où l’on croise des tanks, des corps en lambeaux, des balles qui fusent. Rageur, sans concession sur l’état actuel du monde mais aussi étonnamment pop, poétique, nerveux – et bluffant de bout en bout. “J’ai voulu parler de la guerre, du monde qui nous entoure”, explique-t-elle. A 42 ans, Polly Jean Harvey signe le disque le plus politique de sa carrière. entretien > Pour enregistrer cet album, vous dites avoir “regardé l’Angleterre”. Qu’avez-vous vu ? PJ Harvey – J’ai essayé de parler du monde dans lequel nous vivons plutôt que de me concentrer sur l’intériorité. Regarder des événements tangibles, réels. Mais je pense que ça revient toujours à rendre compte de la façon dont les être humains se comportent les uns avec les autres. Ça a toujours été le sujet de mes albums. Parce que tout ce que nous percevons part de là. Quand avez-vous choisi le thème de la guerre ? Qu’est-ce qui vous intéressait dans l’idée de conflit ? Notre monde est criblé de guerres. Ce qui se passe autour de moi m’a toujours affectée, mais je pense que jusqu’à présent je ne parvenais pas, dans mon travail d’écrivain, à mettre en mots mes sentiments. Je m’en

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sens capable pour la première fois. J’avais aussi envie de donner à mon travail des résonances historiques, de ne pas me contenter du présent. L’album s’est construit à partir de recherches très concrètes. Je me suis beaucoup documentée, j’ai lu des livres d’histoire, des blogs de personnes qui vivent avec la guerre au jour le jour : des soldats, mais aussi des civils basés dans des zones de conflit. J’ai regardé énormément de documentaires, parlé à beaucoup de gens. J’ai essayé d’avoir une vue d’ensemble. Puis, je me suis mise au travail et j’ai commencé à traduire ça en mots. Votre façon d’aborder la guerre reste très poétique, jamais littérale. On ne sait jamais en écoutant le disque si ce dont vous parlez se déroule pendant la Première Guerre mondiale, par exemple, ou en ce moment. Aviez-vous envie de cette intemporalité ? Oui, c’était une idée fondamentale pour moi. Je voulais que les paroles et la musique conservent une ambiguïté et ne se réfèrent pas à une époque particulière. Je voulais que l’album parle de la condition humaine. La guerre a toujours existé et existera toujours. Un titre tel que The Glorious Land est très politique. Il peut s’écouter comme une dénonciation de la politique étrangère britannique, de son implication dans les conflits en Irak ou en Afghanistan. C’est surprenant : vous n’avez jamais été une artiste engagée… Tous mes disques sont politiques au sens premier du terme : ils parlent de comment nous entrons en relation les uns avec les autres. Celui-ci l’est plus ouvertement. Tout ce que je veux faire, c’est proposer différentes manières de voir les choses, différentes voix. Ma volonté ou mes opinions n’interviennent finalement que très peu là-dedans. L’Angleterre est l’autre grand thème du disque. Vous évoquez une nation endormie dont les jours glorieux sont passés. Avez-vous la sensation de vivre dans un pays sur le déclin ? Je vis en Angleterre. Je parle de la nation dans laquelle je suis née d’une façon qui, j’espère, tend à l’universalisme. J’avais envie de parler de cette relation d’amour et de haine, de ces sentiments de déception et d’espoir que l’on peut nourrir pour son propre pays. Le monde actuel connaît un grand bouleversement. Je ne sais pas plus qu’une autre ce qui va arriver, mais c’est une époque trépidante. Je ne nourris aucune nostalgie pour le passé. L’idée de nationalité n’est pas importante pour moi.

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“je ne me considère pas comme une musicienne : je suis un auteur. Mes mots finissent parfois en chanson” J’ai vécu dans beaucoup de pays différents, j’ai adoré ça et je vais continuer à le faire, même si je vis dans le Dorset en ce moment. En tant qu’auteur, je pense qu’il est essentiel de multiplier les perspectives. C’est ce que font mes chansons : elles présentent différentes façons de voir les choses, nullement ma vie ou mon opinion. Diriez-vous que ce disque s’inscrit dans la continuité de White Chalk ? Il semble plus pop, plus lumineux. Chaque album représente une nouvelle étape. J’apprends énormément de choses quand je réalise un album. Et ces enseignements servent toujours de base à mon travail suivant. Ce disque est vraiment un mélange, j’avais envie qu’il soit plein d’énergie, particulièrement parce que les paroles sont lourdes, chargées de sens. Je voulais, par contraste, que la musique élève. Je l’ai enregistré avec, entre autres, John Parish et Mick Harvey en seulement cinq semaines, ce qui est rapide pour moi. C’est un souvenir très joyeux. Votre voix change encore énormément. A l’époque de White Chalk, vous disiez avoir recherché une voix enfantine. Et pour celui-là ? Les chansons sont très narratives, j’avais besoin de trouver une voix qui raconte ces histoires, les délivre à l’auditeur. Une voix simple, dépourvue d’effet. J’ai mis beaucoup de temps à la trouver. Une voix trop forte ou trop grave faisait trop ressortir les paroles, les alourdissait. Il fallait que je trouve une voix légère et assez haute, qui n’assène pas un point de vue mais laisse au contraire un espace d’écoute et d’interprétation. C’est aussi la première fois que vous employez des chœurs. L’idée de communauté était-elle importante pour ce disque ? Oui, totalement. La plupart des chansons racontent des événements arrivés à un groupe de gens ou à une nation. J’ai vraiment adoré chanter à plusieurs. C’était la première fois et ça m’a ouvert énormément de perspectives. Ça transforme totalement la portée d’une chanson. Parlez-moi de cette autoharpe avec laquelle vous avez composé la majorité du disque. C’est un instrument nouveau pour vous ? J’ai commencé à en jouer sur la tournée de White Chalk. J’adore ce son. Changer d’instrument 58 les inrockuptibles 23.02.2011

modifie réellement ma façon de composer. Quand je peins ou quand je dessine, je me concentre également sur certaines couleurs. C’est assez instinctif, mais j’ai remarqué que ces limitations m’aident à expérimenter, à me renouveler. C’est votre neuvième album. Avez-vous parfois peur de perdre votre créativité ? Plus maintenant. Quand ça fait longtemps, comme moi, que l’on écrit, on apprend que ces peurs font partie du processus créatif. Malgré tout, j’ai encore peur, quand je commence à écrire, de ne pas parvenir à produire une œuvre digne. J’écris tous les matins. Des poèmes, de la prose, des chansons : des mots. J’ai compris qu’écrire n’est pas naturel et que la seule chose à faire pour surmonter cette peur ou pour arriver à vivre avec elle, c’est de continuer à travailler. Je ne peux pas m’imaginer ne pas écrire ni enregistrer, même quand je serai très vieille. Je pense que je n’en aurai jamais fini avec ma curiosité pour le langage. Cela me semble être un territoire infini à explorer. J’ai la sensation d’avoir juste commencé. Aimeriez-vous écrire un roman ? Je ne sais pas où les mots vont me mener. La clé pour moi, c’est de rester ouverte et à l’écoute de ce que je pense être la meilleure façon d’utiliser mes talents. Qu’avez-vous appris avec les années ? A l’époque où j’écrivais mes deux ou trois premiers albums, mon regard sur les événements était totalement différent. Je pense que j’essayais encore de comprendre. Aujourd’hui que j’ai atteint la quarantaine et que je me dirige même vers la cinquantaine, je suis intéressée par des choses très différentes. Je sais que s’il y a des pertes, il y a aussi des gains. Mais je ne me sens pas davantage apaisée. Je suis au contraire de plus en plus enragée par le monde qui m’entoure. En vieillissant, je pense qu’on analyse les choses avec plus d’acuité, qu’on parvient à une vue d’ensemble. Je regarde les autres pays, le monde, et je sens que j’en fais partie, que j’ai envie d’en faire partie. Je me sens plus frustrée, plus en colère. Mais paradoxalement, j’ai aussi davantage d’espoir que les choses s’améliorent. Je sais que ça dépend de chacun de nous. Il n’y a qu’à voir l’exemple récent de la révolution en Tunisie.

Vous écrivez chaque jour. Jouez-vous aussi de la musique quotidiennement ? Je ne me considère pas particulièrement comme une musicienne : je suis un auteur. J’écris et j’aime dire mes mots à haute voix. Parfois, ça finit en chanson. J’utilise la musique comme un outil. Depuis vingt-cinq ans, ma relation à la musique a beaucoup évolué. J’ai commencé en étant vraiment une chanteuse, une songwriteuse. Progressivement, je me suis concentrée de plus en plus sur les mots, sur le fait qu’ils sonnent, fonctionnent ensemble. C’est devenu mon obsession. Alors je ne sais pas si je suis une poétesse… A mes débuts, la musique me venait en premier. J’écrivais la mélodie, la rythmique, ensuite les mots. Avec les années, cette dynamique s’est totalement inversée.

Captain Beefheart, qui vous a énormément influencée, est mort peu avant Noël. Etiez-vous proches ? Il occupait une grande place dans ma vie. Cela m’a donné beaucoup de force d’écouter sa musique ou de regarder ses peintures quand j’ai eu le sentiment de me perdre, de ne plus savoir quelle direction artistique je devais suivre. J’ai toujours admiré et trouvé une grande inspiration dans la façon qu’il avait de tout dédier à son travail et de rechercher la pureté. Je n’ai jamais rencontré Don –  ce n’était pas une personne facile à rencontrer (elle rit)… Mais j’ai parlé très souvent avec lui au téléphone. Il aimait avoir de très, très longues conversations. Let England Shake (Island/AZ/Universal) www.pjharvey.net Concerts les 24 et 25 février à Paris (Olympia) 23.02.2011 les inrockuptibles 59

leur corps est leur pays La Tunisie, l’exil, le rassemblement : les chorégraphies d’Hafiz Dhaou et Aïcha M’Barek n’ont cessé d’anticiper la révolution du jasmin. par Fabienne Arvers photo David Balicki

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nstallés en France depuis dix ans, Hafiz Dhaou et Aïcha M’Barek connaissent bien le sentiment de l’exil. Mais sans doute ne fut-il jamais plus aigu que le 13 janvier 2011, en pleine révolution tunisienne, alors qu’ils donnaient à Nancy la première d’Un des sens. Ce soir-là, ils dédient la pièce “au peuple tunisien, amis et ennemis. Nous leur disons à 20 h 30 que, malgré le couvrefeu, nous sommes avec eux.” Intuition ? Un des sens exprime pour eux le “désir d’un pays sans frontières, désir de repousser les limites de l’imaginaire et de transformer la réalité en une rêverie générale”. Etre physiquement en France et mentalement en Tunisie fut une expérience éprouvante. Dès le mois de décembre, alors qu’ils créent la pièce pour le Ballet de Lorraine avec les chorégraphes Boyzie Cekwana et Salia nï Seydou, les informations circulent sur Facebook alors qu’à la télévision, ils n’entendent parler que de neige et d’aéroports bloqués. Somnambules dans les rues de Nancy, ils passent leurs nuits à croiser les informations sur la révolte provoquée par l’immolation de Mohamed Bouazizi : “Il s’est mis le feu à côté d’une poudrière, celle de la société tunisienne, qui a explosé.” Ce n’est pas la première fois que Hafiz Dhaou et Aïcha M’Barek travaillent sur la notion d’exil. Au printemps 2010, ils ont créé Kawa, traversé par la poésie de Mahmoud Darwich. Ecrit au Liban, le texte de Darwich – Une mémoire pour l’oubli – disait “avec des mots très simples son amour pour son café, pour sa patrie, pour la vie et sa souffrance de rester à Beyrouth”. Sur le plateau nu, mille tasses à café blanches en tas sur le sol, masse compacte et indice du temps qui passe et se répète. Des tasses “comme nos vies, à la fois très précieuses et fragiles, mais aussi très fortes et résistantes”. Belle anticipation des événements tunisiens, Kawa sera cette semaine aux Hivernales d’Avignon avant de tourner au MoyenOrient, à Ramallah, à Jérusalem-Est et à Beyrouth, juste avant les Rencontres chorégraphiques de Carthage fin avril, dont ils assurent cette année la direction artistique.

“la Tunisie doit se relever. Il faut concrétiser la liberté que le peuple et la jeunesse nous ont donnée” 60 les inrockuptibles 23.02.2011

Cet art de l’anticipation se retrouve dans chacune des chorégraphies qu’ils ont conçues en France dès la fin de leurs études au Centre national de la danse contemporaine d’Angers, après dix ans de formation et de danse à Tunis au sein du Sybel Ballet Théâtre. De Zenzena (Le Cachot) en 2002 à Khallini Aïch (Laissemoi vivre) en 2004, et de Khaddem Hazem (Les Ouvriers du bassin) en 2006, allusion directe au bassin minier de Gafsa, à Mon corps est mon pays en 2009, conçu avec des étudiants en sociologie, anthropologie et technologie de l’université de Grenoble et de l’Institut supérieur d’art dramatique de Tunis (Isad), la Tunisie est au cœur de toutes leurs créations. “Avec la révolution tunisienne, un compte à rebours a commencé pour certains autres pays, expliquent-ils. On a vu le résultat en Egypte. C’est une très grande responsabilité pour nous, mais on n’a de leçons à donner, ou à recevoir, de personne. Obama disait : ‘Yes, we can.’ Nous, on dit : ‘Yes, we do.’ Lorsque nous sommes revenus à Tunis le 31 janvier, nous avons eu l’impression d’assister à un réveil difficile. Le vide. Les gens qui ont un boulot y vont et ceux qui ont combattu se sentent abandonnés, doublement frustrés. Par vingt-trois ans de pouvoir de Ben Ali et par le sentiment de ne pas se retrouver dans ce qui se passe maintenant. On sentait à la fois les corps paralysés, tétanisés, et une énergie inentamée. Le pays doit se relever, il faut le reconstruire et concrétiser la liberté que le peuple et la jeunesse nous ont donnée.” Les prochaines Rencontres de Carthage, même s’ils se sont attelés à leur préparation depuis un an, témoignent du vent de liberté ambiant. Elles rassembleront Maguy Marin (Salves), Rachid Ouramdane (Des témoins ordinaires), Héla Fattoumi (Manta), Faustin Linyekula (Le Cargo) ou Dominique Boivin (La Pelleteuse), performance pour danseur et machine où “le bras armé qui se bat contre un homme” perd la bataille. “Jeter son corps dans la bataille”, disait Pier Paolo Pasolini. Hafiz Dhaou et Aïcha M’Barek ne font pas autrement. Kawa le 25 février aux Hivernales d’Avignon www.hivernales-avignon.com Un des sens du 23 au 26 mars au Théâtre de Chaillot, Paris XVIe www.theatre-chaillot.fr Rencontres chorégraphiques de Carthage du 30 avril au 8 mai www.nesselfen.org

Lyon, février 2011

librairie

2PEUHVEODQFKHV du 46 au 50 rue Gambetta Toulouse

www.ombres-blanches.fr

www.voirpage1.com

espace de fiction

A Blue Man in the Sky de Massimo Furlan

Toulouse, la superville Le street art tout en finesse de Dran, le rôle de la métropole selon Pierre Cohen, la place du rugby entre les bars, une Cinémathèque d’exception, l’incontournable Bikini, les tribulations des éditions Tristram, les groupes Electroluxe Family et Cats On Trees… Voici les lieux et les personnalités qui font pulser Toulouse, les étapes de notre balade dans une ville en mouvement. 23.02.2011 les inrockuptibles I

Adrien Duquesnel, Le Printemps de septembre

Toulouse et sa région

Dran tesy Cour

II les inrockuptibles 23.02.2011

Toulouse et sa région

“je veux parler de la société”

Dans les rues ou en atelier, le peintre et graffeur Dran mêle provoc et naïveté. Cet artiste remarqué et soutenu par Banksy livre les clés de sa création singulière. par JD Beauvallet

Renaud Monfourny

P

ourquoi ce que vous dessinez est-il si sombre ? Cette question, le peintre toulousain Dran l’entend à chaque fois qu’il plaque sur un mur ses images d’enfants fugueurs, rêveurs, menacés de mille nuages sombres. “Pour le premier dessin que j’ai voulu faire à 13 ans sur un mur, en vacances à Barcarès, j’ai hésité : un cœur ou une bite ?”, répond Dran. Il choisira : l’un et l’autre. La candeur et la provocation. Quand, boule de rage et de frustration, il était étudiant aux beaux-arts de Toulouse, Dran avait présenté un exposé militant sur Banksy, star anglaise du street art dont les peintures n’ont jamais choisi entre le poétique et le politique. Aux beaux-arts, Dran n’appartiendra jamais vraiment à la famille, refusant le cirque social, exclu par sa culture de l’art bien plus approximative que celle de ses collègues. “D’autres faisaient déjà du graffiti aux beaux-arts, mais ils copiaient ce qui existait. Moi, très vite, je me suis posé la question : écrire sur les murs, oui, mais pour dire quoi ? Je n’avais pas le bagage, mais ça ne m’a pas empêché d’écouter les cours, de regarder avec mon œil. Ou celui de mon père : ‘c’est quoi c’te merde ?’, disait-il en voyant une œuvre trop abstraite… J’étais frais, candide.” On évoque ses premiers pas dans le dessin : d’abord la BD, très jeune, quand il recopie Vuillemin ou Margerin. Puis les murs, dès la cinquième, avec une idée floue mais fixe : juxtaposer deux images pour créer un troisième sens, livré sans notice avec une élégante subtilité. “Heureusement, le graffiti m’a sorti de ma solitude. Enfant, j’ai passé beaucoup de temps seul à la campagne, un peu lunaire. Du coup, je sais mieux parler en dessin. Les enfants de mes dessins, ils n’ont pas ma bouille, mais leur façon de jouer, de s’évader en rêvant, c’est moi tout craché. Ces enfants sont seuls, mais avec leur imagination, ils ne le sont plus. Le street art, ça perpétue ce côté polisson. Du coup, certains critiques me prennent pour un attardé : c’est juste que je suis en contact avec l’enfant que j’ai été.” “L’art est dans la rue”, hurlaient d’autres Toulousains au romantisme indigné, le groupe Diabologum. A ses

“Certains critiques me prennent pour un attardé : c’est juste que je suis en contact avec l’enfant que j’ai été”

23.02.2011 les inrockuptibles III

Toulouse et sa région débuts, Dran appliquera ce programme, d’abord sur les murs pour se créer un nom, délimiter un territoire, tester ses idées. De ses enfants aux regards terribles, de ses élucubrations à l’humour cinglé, il tirera ensuite des livres, sept au total, et des toiles, des installations, des sérigraphies qu’exposera la très vivante galerie de la Halle aux poissons, la GHP (www.espaceghp.com). Une première litho traversera la Manche dans une bouteille, sera vendue par la prestigieuse galerie Pictures On Walls, celle qui gère les séries limitées de Banksy. Le même Banksy – dont les créations ont elles aussi régulièrement détourné des représentations d’enfants pour marteler des messages carabinés – se serait alors entiché des cruelles démonstrations du Toulousain. Pour sa traditionnelle exposition sauvage de Noël, il a ainsi invité Dran à Londres, en décembre 2010, pour son accrochage collectif, toujours très attendu. Chaque jour, pendant le montage des installations, il téléphonait à son protégé pour le conseiller et lui communiquer ses idées. Sous la bannière Marks & Stencils, le show vira au triomphe pour le Toulousain, massivement représenté sur les deux étages de la galerie temporaire, où se pressaient à l’ouverture un mélange de collectionneurs avertis de street art, d’investisseurs gourmands et de VIP éclairés : un membre de Depeche Mode ou l’acteur Robert Downey Jr. partiront avec une toile de Dran sous le bras. Lui n’en est toujours pas revenu. “Chez Pictures On Walls, j’ai rencontré des gens qui parlent enfin ma langue, avec des échanges fertiles et drôles. Dans le street art, en France, c’est mal vu de faire des personnages, c’est rigide, ça ne raconte pas d’histoires, j’ai toujours été le mouton noir. Mais là, j’ai trouvé ma famille.” Dran n’a pourtant pas toujours été verni. Pendant des années, à Toulouse, le pionnier et mythique graffeur Tilt – et sa ribambelle de disciples – ont été pourchassés par les forces de l’ordre, jouant au chat et à la souris avec les “mickeys” à chaque intervention sur un mur de la ville. Dran se souvient s’être planqué sous une voiture pour échapper aux policiers, pendant que son complice Marco était caché dans une poubelle. Après dix ans de séjour à New York, le “grand frère” Tilt est revenu en ville comme le fils prodigue : après lui avoir offert la jouissance d’un cinéma désaffecté pour accueillir ses travaux et amis, il se verra remettre les clés, au printemps, d’un somptueux atelier bâti pour lui, si vaste qu’il y a déjà trouvé une place pour certains de ces anciens parias, dont Dran. Etrange renversement de situation, de l’illégalité à la reconnaissance, depuis que le street art est devenu art officiel et que la mairie de Toulouse a béatifié ces ex-hors-la-loi. “J’aime Toulouse, la tranquillité et en même temps l’énergie, les loyers pas chers… Pourtant, à une époque, c’est juste si, au nom de la propreté de la ville, on ne repeignait pas les clochards en blanc… C’était comme cette toile de Banksy où des employés municipaux bornés passent au Karcher les grottes de Lascaux ! De mes peintures, à Toulouse, il ne reste presque rien sur les murs.” Pas forcément à cause de la voirie : par rivalité aussi. Ça s’appelle se faire repasser. Et ça énerve Dran : récemment, à Londres, il a été recouvert par un collègue… français. “J’aime qu’un dialogue, comme un cadavre exquis, se joue sur les murs. Mais repasser, c’est un truc de Parisien, de territoire. Là, je remonte vite au front.” IV les inrockuptibles 23.02.2011

En attendant le local municipal, Dran squatte ici et là des ateliers d’amis : celui de Marco, qui partage des hangars en périphérie avec des sculpteurs monumentaux, un théâtre alternatif ou un atelier d’éco-construction. Récupération, détournement, l’atelier est à l’image des œuvres de Dran. Sur ses dessins, les enfants, avec deux feutres, trois craies et un mur, partent dans des délires inquiétants, doux rêves ou durs cauchemars, incapables de garder l’esprit dans les clous. Dran est l’un d’eux : physiquement et mentalement, il ne tient pas en place. Les yeux brillants de malice, l’imagination en surrégime, il digresse, s’emporte et s’hypnotise en discours automatique, sans frein ni logique. C’est fascinant à écouter et très révélateur des élucubrations qu’il dessine : cet homme est sous pression, au bord de l’explosion, sa soupape est une bombe (de peinture). Il propose une virée dans le quartier, met une perruque pour ne pas être reconnu. Armé de pochoirs et l’air coquin, il nous montre son stock de bombes : il en vante les mérites avec passion. Ça sera du rose, du noir et du mauve, pour un graffiti virtuose de plusieurs mètres : une fillette graffant elle-même, bombe en main, une maison du quartier. Toutes les excuses semblent bonnes pour ne pas rester au studio, pour ne pas titiller une imagination qu’il a décidé de laisser en jachère pendant un mois ou deux. “Le graffiti, c’est la camaraderie, l’adrénaline, la récréation… L’atelier, c’est le labo, c’est mon cerveau. Il faut parfois que je sorte de ma tête.” En ce moment, Dran peint donc peu : il est en mode éponge, arpentant Toulouse carnet et appareil photo en main, se laissant bouleverser ou amuser au rythme des lieux, des situations. De la ville et ses possibles, il ne rate rien. “Déplacer un truc du quotidien de quelques centimètres change totalement son sens.” Une tache de mazout ? Il découpe des dizaines de petits poissons, les jette dans la flaque et improvise une marée noire. Une tranchée fraîche ? Aussitôt, il y balance une poupée Barbie démembrée, en une mise en scène de meurtre macabre et burlesque. Un trottoir sinistré par des excréments de chien ? Il peint sur le mur un panneau sinistre mettant en garde contre la proximité d’un champ de mines. Une planchette rectangulaire ? Il la griffonne et la transforme en chèque en bois, qu’il présentera même à son banquier… Ainsi intervient-il actuellement dans la ville, avec son sourire noir et ses yeux d’enfant, son lyrisme joueur et sa gravité. Ce n’est pas la première fois que son instinct et ce goût de la récupération le guident : il a bâti une partie de sa réputation sur une série de cartons d’emballage détournés aux pochoirs, avec un mélange insolent de violence et d’humour. Un carton de téléviseur, avec une image d’écran et le message imprimé “warning warning warning”, lui avait donné la base des détournements : il y avait rajouté une petite fille au cerveau bâillonné, obligée de regarder l’écran. D’autres suivront : un carton de tabac Voyageur Blond se voit flanqué d’un touriste européen adipeux, tenant par la main un enfant asiatique. Le rire gêné vire au jaune, au noir… “Je n’ai jamais voulu provoquer pour provoquer, mais je veux parler de la société, avec mon petit regard”, finit-il avec douceur quand on évoque la cinglante ironie, les attaques assez frontales qu’il impose à ses enfants-complices. “On a le droit d’être méchant quand c’est pour alerter. Mes dessins photographient les connards pour qu’on rigole d’eux.”

“dans le street art français, je suis un mouton noir”

retroactif.free.fr/dran 23.02.2011 les inrockuptibles V

Toulouse et sa région

à Etat libéral, ville solidaire L’arrivée de la gauche à la mairie a-t-elle permis de réels changements ? Eléments de réponse avec Pierre Cohen qui dresse un bilan de son action municipale. par Serge Kaganski

entretien > En 2008, vous êtes devenu maire après trente-sept ans de règne de la droite à Toulouse. Pouvez-vous donner des exemples concrets attestant du basculement à gauche de la politique municipale ? Pierre Cohen – Premier exemple, on a créé un cadre institutionnel pour débattre de politique. Il y a chez nous un potentiel d’intervention, de contestation, on l’avait vu avec Zebda et les Motivé-e-s. Historiquement, nous sommes aussi la ville des réfugiés espagnols républicains. On a donc organisé des assises, forums, discussions, dans le cadre de la feuille de route de notre programme, mais avec une vraie liberté de parole. Ensuite, on a essayé d’insuffler du volontarisme pour mieux organiser et rendre visible la politique publique, en particulier sur la construction de logements sociaux. Ou avec l’idée d’aborder le thème de la sécurité autrement que par l’angle sarkozyste, avec la notion de prévention. Réorganiser la politique sociale est important à Toulouse : on y a longtemps confondu charité et solidarité ! On a aussi mis en place une amélioration des transports en commun, avec une carte à dix euros par mois pour les jeunes, qui a doublé le nombre d’abonnements en 2010. Concernant la culture, on a eu un temps fort d’assises, et maintenant, on met progressivement en place notre feuille de route. Quand vous avez été élu, certaines voix toulousaines comptaient sur vous pour réveiller la culture. Quels sont les axes de votre projet ? On s’est d’abord basé sur les atouts de Toulouse en renforçant ce qui existait. Par exemple, l’orchestre national du Capitole, d’un très bon niveau, risquait de partir suite à des conflits avec nos prédécesseurs. Il fallait plus de musiciens pour que l’orchestre ait la capacité de son ambition, et on a réfléchi aux moyens de le faire mieux rayonner. On a eu la même démarche avec le Marathon des mots, le TNT (Théâtre national de Toulouse) ou Le Printemps de septembre : ne pas VI les inrockuptibles 23.02.2011

s’adresser à une seule typologie de public, mais créer une nouvelle accessibilité. Et comment créer des liens avec une culture qui était auparavant au rabais... Ce n’est pas forcément spectaculaire ou visible, mais ce renforcement et cet élargissement à de nouveaux publics a été notre première action. Ce qui nous a permis, et c’est notre grande fierté, de créer un parcours culturel gratuit pour les enfants des classes élémentaires. Le véritable problème de l’accès à la culture n’est pas financier. Rendre gratuit ou moins cher ne fait pas forcément venir plus de monde. On a pensé qu’il fallait se servir du passage par l’école, entre 6 et 11 ans, pour que les enfants soient mis en contact avec tous les types de cultures. On en est à 7 000 enfants par an, l’objectif étant de parvenir à 30 000. Même si le faible coût ou la gratuité ne sont pas la panacée, on se doit de les favoriser. C’est pour cela que l’on a fusionné les services socioculturels et culturels. Au début, cela a suscité des interrogations, mais ça rentre dans les mœurs. Entrons un peu dans le détail. Quelle est votre action dans le domaine des musiques contemporaines ? On a eu un petit conflit avec le festival Rio Loco. La mairie devait donner son avis sur certains aspects de la manifestation, ce qui a été pris pour de l’ingérence. Ce petit débat n’était pas si important mais a participé à l’évolution de Rio Loco qui est devenu la fenêtre visible d’une politique de la musique actuelle. Avant, le festival se déroulait sur dix jours, maintenant, c’est un programme sur l’année. Qu’en est-il des cultures urbaines (rap, graffitis…) qui intéressent beaucoup les jeunes ? On a un gros déficit en la matière avec pourtant des acteurs d’excellente qualité, mais aucune structure permettant de faire émerger ce potentiel. On va créer des ateliers mobiles qui permettront de préfigurer une vraie formation. La demande est forte, pas seulement dans les quartiers. Notre perspective est de mettre

Renaud Monfourny

“l’ambition de Toulouse : être attractif et moteur de solidarités entre les territoires et les personnes” en place un lieu qui permette de fédérer ces cultures. Mais avant, l’idée des ateliers mobiles permet de voir comment faire émerger une demande et une réponse dans différents endroits. Tout cela en parallèle avec les associations qui font ce travail, mais pas toujours avec des moyens visibles. Vous allez continuer à soutenir des manifestations plus pointues comme le festival d’art contemporain Le Printemps de septembre ? C’est une manifestation que nous souhaitions arrêter, mais on s’est aperçus de deux choses. D’abord, ceux qui s’intéressent à l’art contemporain s’y retrouvent. En revanche, le lieu, les Abattoirs, mériterait d’être tiré

Conditions, Marie Reinert. Photo Adrien Duquesnel, Le Printemps de septembre

En 2010, les Abattoirs accueillent Le Printemps de septembre. Une manifestation que la mairie avait pensé arrêter

Pierre Cohen, maire de Toulouse depuis 2008

vers le haut. Ensuite, on a discuté avec les porteurs de projets : Christian Bernard m’a émerveillé par ses qualités organisationnelles et il a réussi à greffer de l’art contemporain dans des lieux qui n’y étaient pas du tout habitués. On a donc réalisé que, par rapport à ce temps fort du Printemps de septembre, on avait la possibilité de l’ouvrir à un certain nombre de territoires et surtout à des lieux qui n’étaient pas familiers de ce type de culture. Nos positions ont évolué, et au final, tout le monde y a gagné. Ce sera bientôt les 10 ans de l’explosion d’AZF. Quelles sont les traces de cet événement aujourd’hui ? Toulouse a beaucoup souffert. Il y a ceux qui sont morts, ceux qui ont gardé des séquelles. Et puis ça a laissé des traces : Toulouse est une ville attrayante, dynamique, mais le 21 septembre 2001 a créé une désespérance qui demeure dans certains quartiers. Le lieu se reconstruit. Je reconnais à Douste-Blazy une bonne idée : avoir créé le Cancéropôle. On poursuit ainsi une réflexion sur la santé qui s’inscrit dans l’identité scientifique de la ville. Le lieu est donc en train de renaître, mais une méfiance très forte des risques industriels perdure. Et puis il y a les quartiers : Empalot a souffert et s’est dégradé. La population porte cette souffrance, ce désespoir. Dès notre arrivée aux affaires, on a inscrit Empalot dans le cadre du grand projet urbain. Le quartier va se retransformer, comme Le Mirail. Sinon, le fait que Total n’ait pas été au moins considéré comme coupable à l’issue du procès nous a tous marqués. En septembre aura lieu le procès en appel. Quel est le défi de Toulouse à moyen terme ? Economie de la connaissance, développement durable, solidarité… les métropoles ont un rôle à jouer. Si on a raté les sommets de Copenhague ou de Cancún, c’est parce que les Etats ne se sont pas donné les moyens d’évaluer la façon dont on avance sur le climat et les gaz à effet de serre. Les métropoles sont capables de relever ces défis concrètement. Pareil pour la solidarité, le désenclavement des quartiers ghettos. Les métropoles jouent aussi un rôle international. Toulouse est jumelé avec Tel-Aviv et Ramallah et je suis certain que si on multipliait ce type de liens, ce serait plus impactant que l’Europe qui donne de l’argent pour on ne sait quoi. Voilà l’ambition de Toulouse : être attractif et moteur de solidarités entre les territoires et les personnes. Plus l’Etat devient libéral, plus les villes peuvent prendre une part importante dans l’exercice de la puissance publique. 23.02.2011 les inrockuptibles VII

Toulouse born to win Les performances du Stade toulousain font beaucoup pour sa popularité. Mais au-delà des résultats, le rugby est surtout un marqueur identitaire. par François Valner photo Ulrich Lebeuf/M.Y.O.P

VIII les inrockuptibles 23.02.2011

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ugby, le mot est lâché mais pas forcément bien prononcé. A Toulouse, on dit plutôt ru-gue-by, en bombant le torse et en prenant un petit air détaché. Il est question de fierté, d’orgueil et de prestige pour une ville proclamée capitale française (ou mondiale selon l’heure) du rugby. L’image colle à la ville comme la saucisse à son cassoulet. Plus qu’un sport, plus qu’un club. Ici on dit “le Stade”, on parle d’institution et même de religion. Les anciens se souviennent de la “Vierge rouge”, le surnom donné au club imbattable dès son plus jeune âge. Du sacré, on vous dit. Et quand on ose la question de profane : “Alors Toulouse, capitale du rugby ?” “C’est une plaisanterie ? C’est quoi cette question ?, s’insurge un quinqua amusé. Tu viens d’où, toi ?” Le ton est donné. Ça taquine, ça chambre sur la place Saint-Pierre, haut lieu toulousain, spot réputé pour son alignement de bars, son pastis au mètre, et pour faire le plein les jours de rugby. “Tu demandes pas à un Marseillais s’il aime le foot, c’est dans son héritage ; ici c’est la même chose avec le rugby”, résume Laurent, 20 ans. “Quand on aime le rugby, on aime Toulouse et les All Blacks”, surenchérit son pote Seb, qui avoue du bout des lèvres qu’il est en fait originaire du Pas-de-Calais.

Toulouse et sa région Les endroits se suivent et la question suscite toujours le même étonnement. On frise la condescendance. “Quand tu vas à la Mecque, tu demandes aux pèlerins s’ils sont croyants ?”, interroge François, la quarantaine. On revient au sport : “Parce que le Stade toulousain est dix-sept fois champion de France et quatre fois champion d’Europe, si vous trouvez mieux que ça en France, appelezmoi, je crie allez le Stade français au milieu de la place du Capitole”, peut-on par exemple lire sur la page d’un groupe Facebook sobrement intitulé : “Toulouse capitale du rugby”. Bref, une équipe qui écrase tout depuis belle lurette. “Ce qui brille est attirant, il est clair que si le Stade perdait à tous les matchs, ça n’aurait la même prégnance”, explique Marianne Audouy, professeur d’éducation physique à l’université Toulouse-I.

Au De Danù, le pub de Trevor Brennan. Sa devise : “We come, we drink & we go”

“quand tu vas à la Mecque, tu demandes aux pèlerins s’ils sont croyants ?”

Mais on l’a compris, le rugby à Toulouse n’est pas une simple question de résultats et d’image de marque. Quoique. Un passage à la boutique du Stade toulousain en plein centre-ville a de quoi faire sourire. Du slip au peignoir en passant par l’eau de toilette, les maillots ou écharpes se vendent comme des petits pains. Trois boutiques se succèdent. “Beaucoup de gens s’habillent Stade toulousain”, explique cette vendeuse à la boutique femmes et enfants. Deux jeunes femmes cherchent une gigoteuse aux couleurs de l’équipe de rugby, “pour un cadeau”. Un Anglais vient de débourser 60 euros pour un maillot destiné à son fils de 6 ans. “Porter le maillot du Stade est un acte militant, une volonté de montrer son appartenance”, explique Michel, un Toulousain pure souche. “Etre supporter du Stade c’est une identité, ce n’est pas rationnel, c’est dans les tripes”, avance Marianne. Pas rationnel mais très ritualisé. On se retrouve pour voir les matchs, les célébrer ensemble. Surtout les grands rendez-vous. Ainsi, en mai dernier, lors de la finale de la coupe d’Europe, ils étaient plus de dix mille à s’être agglutinés devant les écrans géants installés sur la place du Capitole pour célébrer le quatrième titre européen du Stade (record en la matière). Les soirs de grandes victoires, les rues résonnent longtemps des sons des bandas. “On se retrouve autour du rugby et de valeurs éducatives propres, le respect de l’adversaire et du jeu”, explique la prof d’EPS. Des valeurs qui se transmettent de génération en génération, comme un héritage précieux et lourd de sens : “Mon grand-père aimait le Stade, mon père après lui, et je suis dans la lignée”, explique cette quadra avant de conclure. “Quand vous dites Toulouse, on vous dit le Stade, c’est un signe qui ne trompe pas !” Effectivement, le club joue un rôle d’ambassadeur à l’heure où le rugby toujours plus professionnel multiplie les compétitions européennes ou mondiales. “Je connaissais Toulouse grâce au rugby, mais j’étais loin d’imaginer que c’était tellement important dans la ville”, confie Tracy, une Irlandaise arrivée il y a trois ans de la province du Munster, une autre terre de rugby. Tracy est serveuse au De Danù, un pub irlandais ouvert en 2004 par l’ancien international irlandais et joueur toulousain Trevor Brennan. L’endroit est impressionnant : des maillots sur les murs, des drapeaux tendus au plafond et la foule les jours de matchs. “Mais ça gueule, ça chante quand même moins qu’en Irlande”, glisse Tracy. Il est pourtant un chant que les supporters toulousains aiment entonner. Les paroles sont simples : “On vient, on gagne et on s’en va !” 23.02.2011 les inrockuptibles IX

Toulouse et sa région

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as sûr que le quidam moyen sache exactement ce qu’est une cinémathèque. Et pour le cinéphile français, ce mot renvoie plutôt à l’institution parisienne fondée par Henri Langlois, longtemps domiciliée au palais de Chaillot, aujourd’hui installée dans le bâtiment design signé Frank Gehry, dans le quartier de Bercy (Paris XIIe). Bref, on n’en connaît vraiment qu’une, la Cinémathèque française. Pourtant, Toulouse peut s’enorgueillir de compter aussi sur son territoire une cinémathèque, fondée en 1964 par Raymond Borde, solidement implantée dans la vie culturelle locale et internationalement reconnue.

la mémoire dans la peau En France, il n’existe que deux cinémathèques. Directrice de la version toulousaine, Natacha Laurent nous fait visiter ce lieu dédié à la conservation et à la présentation du patrimoine cinématographique. par Serge Kaganski

Au cœur de la ville, entre le Capitole et la basilique Saint-Sernin, un peu cachée au fond d’une cour derrière une superbe façade du XVIe siècle, se trouve la partie “publique” de la Cinémathèque de Toulouse : deux salles de 196 et 39 places parfaitement rénovées et bientôt équipées en numérique, et une bibliothèque de cinéma magnifique, tant par ses équipements et ouvrages que par son espace, sorte de grande chapelle ornée d’une fresque d’esthétique religieuse mais de contenu marxiste – rappel que la Ville rose a souvent tendu vers le rouge. Directrice de l’“autre” cinémathèque, Natacha Laurent nous accueille avec chaleur. Dynamique, habitée par sa fonction, voire sa mission, elle semble heureuse de mieux faire connaître son institution et de nous éviter qu’on la confonde avec une annexe de la Cinémathèque française. “Avant que l’Etat ne se préoccupe de restauration ciné, il n’y avait que deux cinémathèques : Paris et Toulouse. On est issus de la même volonté de conserver le cinéma, Henri Langlois à Paris, Raymond Borde à Toulouse. Langlois était plus intéressé par la programmation, Borde par la conservation. Mais on travaille ensemble, ne serait-ce que parce que nous faisons partie de la commission du patrimoine du CNC. On se retrouve régulièrement pour définir des projets de restauration. On a fait aussi des programmations communes. Nos collections se croisent, nous nous demandons des films mutuellement.” 23.02.2011 les inrockuptibles XI

Natacha Laurent, directrice de la Cinémathèque

Le rôle le plus visible de la Cinémathèque est évidemment de montrer des films, pour la plupart puisés dans son formidable fonds de plus de 30 000 films constitué depuis 1964. Des films de tous styles, de toutes époques, de tous pays, de tous genres... Natacha Laurent y tient, manifestement animée du souci d’éviter les clans et de montrer tous les cinémas. Mais pas en vrac. “Quand on programme, on participe d’une certaine façon à l’écriture de l’histoire du cinéma. A la cinémathèque de Toulouse, on ne veut pas une entrée unique dans cette histoire, comme par exemple par auteur. On a à cœur de faire dialoguer les entrées possibles, que ce soit par genre, par nationalité, par thématique, par monographie... On veut embrasser l’histoire du cinéma dans toute sa diversité et ne pas en faire un lieu de chapelles.” Une autre préoccupation de la Cinémathèque est de renouveler les publics, de donner aux jeunes le goût du cinéma en salle, de ne pas laisser la poussière muséale recouvrir la riche histoire cinématographique. Associer La Grève, film muet d’Eisenstein, à une mise en musique live de Pierre Jodlowski,

Renaud Monfourny

“embrasser l’histoire du cinéma dans toute sa diversité et ne pas en faire un lieu de chapelles” musicien contemporain toulousain, voilà le genre de mix stimulant qui revivifie le patrimoine tout en amenant de nouveaux publics. En 2010, la Cinémathèque a attiré 68 000 spectateurs. Mais l’institution rayonne dans toute la région, organisant des séances en partenariat avec les autres salles (“nous sommes plus complémentaires que concurrentielles”, dit Natacha Laurent), amenant les films jusque dans les communes rurales où le cinéma est habituellement inexistant. L’autre grande mission de la Cinémathèque est moins visible mais pas moins importante : la collection de films, son entretien, sa conservation, son enrichissement. Missions complètement redéfinies par le numérique. Pour cette autre vie, la Cinémathèque possède un second lieu, à Balma : un labo-entrepôt tout neuf que nous fait visiter son responsable, Christophe Gauthier. On se balade entre les rangées de bobines, on découvre le secteur iconographique avec ses affiches anciennes et photos de plateau, trésors qui complètent le fonds de pellicule. Ce qui frappe, malgré un secteur dédié aux travaux numériques,

le festival Zoom arrière Jusqu’au 26 février, la 5e édition programme des péplums. Ce festival est l’un des événements phare de la cinémathèque de Toulouse. Intitulée Ave peplum !, l’édition 2011 est consacrée à l’Antiquité et présente une programmation, depuis les origines italiennes (Guazzoni, Pastrone…) jusqu’aux occurrences contemporaines (Ridley Scott, Amenábar), en passant par son âge d’or hollywoodien (DeMille, Mankiewicz…) et ses lectures modernes (Pasolini, Godard, Straub…). Organisé par la Cinémathèque, Zoom arrière rayonne dans toute la ville avec des projections aussi dans d’autres salles (ABC, Le Cratère, l’UGC), jusqu’aux XII les inrockuptibles 23.02.2011

confins de l’agglomération (Blagnac, Aucamville, Saint-Jory…). A ne pas manquer sur les quatre derniers jours du festival, Cabiria (1931), superproduction Le Colosse de Rhodes (1961), un des premiers Leone, ou Quo Vadis (1912) d’Enrico Guazzoni, un des nombreux péplums muets au programme. Enfin, samedi 26, en clôture, une soirée Crazy cinématographe dans l’esprit des origines, avec courts métrages, curiosités, animations, piano. A vos casques, glaives et tuniques ! S. K. lacinemathequedetoulouse.com, 05 62 30 30 10

c’est l’aspect “à l’ancienne” des équipements de restauration : machines chimiques, enrouleuses, tables de montage, colleuses… On s’enquiert de la durée de vie du métier de restaurateur et de conservateur à l’ère digitale. Christophe Gauthier sourit, nous expliquant que la technologie numérique est tellement instable que les archivistes du cinéma du monde entier, y compris ceux des grands studios hollywoodiens, repassent par la case pellicule. Car à quoi bon conserver des films sur des fichiers numériques si ces fichiers ne sont pas certains d’être compatibles avec de futurs appareils ? “Le numérique ne rend pas caduc le métier de conservateur, bien au contraire, renchérit Natacha Laurent. Des scientifiques se sont déjà alarmés de ce qu’une société numérique risque de devenir une société sans mémoire si on n’y fait pas attention. En attendant d’avoir plus de certitudes quant à l’évolution des supports numériques, on est dans une vaste période de transition où l’on se fie aux techniques connues. Donc l’argentique pour le cinéma, qui permet de conserver les films plus d’une centaine d’années.” La Cinémathèque est un trésor pour Toulouse. D’abord parce que ce type d’institution est rare ! Ensuite, parce qu’elle rayonne internationalement, par le réseau des cinémathèques du monde entier, qui toutes contribuent à sauvegarder la mémoire du monde. Il faut aussi préciser que le fonds toulousain ne contient pas que des fictions mais aussi des documentaires, des films amateurs, des films de famille, documents inestimables sur l’histoire de Toulouse et de la région. Internationale et locale, universelle et de proximité, alliant savoir et plaisir, telle est la Cinémathèque de Toulouse.

Toulouse et sa région

trombinoscope

Ulrich Lebeuf/M.Y.O.P

Qu’ils préparent des festivals incontournables, compilent des titres d’une minute ou s’intéressent aux seconds rôles du cinéma, portraits express de personnalités sans lesquelles Toulouse ne serait pas tout à fait la même. photo Renaud Monfourny

Hervé Bordier festival Rio Loco

Pierre Garrigues, Jean-Stéphane Cantero Mise au Point Pierre Rougean Prises Rapides On avait connu Pierre Rougean seul maître à bord du faux groupe Statics, à la pop précise et sautillante. On l’a ensuite retrouvé, pareillement méticuleux, à l’écoute constante de la scène toulousaine, où ses oreilles expertes ont notamment déniché The Dodoz ou Cats On Trees. Avec sa structure Prises Rapides (édition, management, réalisation) et son studio-labo installé dans son garage, Rougean est devenu une pièce incontournable de la pop à Toulouse : un éternel jeune homme, prêt à prendre son bâton de pèlerin pour convaincre les labels nationaux de signer ses trouvailles. JDB www.pierrerougean.com

XIV les inrockuptibles 23.02.2011

Fondée par Pierre Garrigues et Jean-Stéphane Cantero, l’agence MAP organise chaque mois de mai depuis trois ans le Festival de la photographie de Toulouse. Un festival populaire, gratuit, disséminé dans la ville, qui avait attiré 82 000 spectateurs lors de l’édition 2010. Expos, ateliers, rencontres avec des grands noms de l’image constituent les grands axes de cette manifestation. Parmi les projets de la programmation 2011, deux séries de photos par le rugbyman Clément Poitrenaud et le footballeur Mathieu Valverde qui nous feront vivre de l’intérieur une saison au Stade toulousain et au club de foot TFC. S. K. MAP11, du 1er au 31 mai

Serge Regourd Cinémathèque de Toulouse Professeur de droit à Toulouse-I, vice-président de la cinémathèque de Toulouse, Serge Regourd est une figure locale. Il vient de publier une nouvelle édition de son ouvrage Les Seconds Rôles du cinéma français (éditions Archimbaud), dans lequel il se livre à un vibrant plaidoyer pour ces acteurs d’origines populaires dont on connaît la tête mais pas forcément le nom, qui peuplaient les films français et qui tendent à se raréfier. C’est lui qui animera la rencontre prévue le 24 février entre les journalistes des Inrocks et les étudiants en journalisme toulousains. S. K.

Pour la musique de Toulouse, c’est le transfert rêvé du mercato d’hiver. Car avec Hervé Bordier, c’est une recrue certes prestigieuse mais loin de spéculer sur son nom, loin de s’endormir sur ses lauriers que s’offre l’attaque toulousaine. Cofondateur des Trans Musicales de Rennes, ancien patron du label Barclay ou coordinateur national de la Fête de la musique, Hervé Bordier est désormais à la tête du festival Rio Loco. Mais on imagine déjà ce boulimique de musiques s’impliquer dans d’autres champs d’action, voire créer de toutes pièces de nouveaux projets. Car rien ne plaît plus à cet iconoclaste que les chantiers, les lieux de rencontres entre ce que les élus appellent administrativement “les musiques actuelles” et d’autres formes d’expression, d’autres publics. Parmi ses premières missions, l’ouverture de la nouvelle salle rock du quartier Borderouge, actuellement en travaux. Attention : cet homme est dangereux (pour les pantoufles). JDB

deux des producteurs de Winter Records ont commis l’inoubliable Suce mon couille

Gérald Guibaud We Are Unique Records Jacky Ohayon Théâtre Garonne Jacky a créé ce lieu en 1988 avec Michel Mathieu, ce dernier ayant poursuivi sa route au sein du Théâtre 2 l’Acte à partir de 1992. Se dressant au bord du fleuve, non loin du musée des Abattoirs, le Théâtre Garonne sonde sans relâche depuis plus de vingt ans les eaux tumultueuses du spectacle vivant – il a notamment ramené dans ses filets les trublions flamands (Jan Lauwers, Jan Fabre, tg STAN…) apparus durant les années 1990. Entouré de collaborateurs avisés, Jacky Ohayon a su conquérir un public de fidèles, démontrant par là même qu’une ligne éditoriale exigeante peut très bien s’avérer payante. Rajeuni et agrandi depuis 2006, à la suite de travaux de grande ampleur, le Garonne – dont le bâtiment principal (un ancien château d’eau), tout en briques, a particulièrement belle allure – présente un visage plus attrayant que jamais et maintient ferme le cap de sa programmation exigeante et pointue. J. P. 1, avenue du Château-d’Eau, www.theatregaronne.com

Gérald Guibaud, directeurfondateur de We Are Unique Records, peut voir la vie en rose. Non seulement il va bientôt être papa mais en plus son label, créé en 2001, s’est affirmé comme l’un des plus singuliers et des plus engagés du microcosme indépendant. Un catalogue où voisinent, entre autres, Angil & The Hiddentracks, Lunt (projet de Gilles Deles, cofondateur du label), Half Asleep et Melatonine témoigne de cette singularité bien tempérée. Quant à l’engagement, il s’est traduit en particulier par une prise de position précoce en faveur de la licence Creative Commons et par la création de la Fédération des labels indépendants de MidiPyrénées (Flim) dont Gérald Guibaud assure la présidence. We Are Unique Records, qui fêtera dignement ses dix ans d’existence avec la publication d’un coffret spécial à l’automne, participe par ailleurs à la plate-forme de vente en ligne CD1D, réunissant de nombreux labels indépendants français. J. P. www.uniquerecords.org www.flim.asso.fr www.cd1d.com

Annie Bozzini Centre de développement chorégraphique Institué en 1995, afin de succéder au Centre chorégraphique national (CCN) de Joseph Russillo en imaginant un autre modèle structurel, le Centre de développement chorégraphique (CDC) de Toulouse est le premier à avoir vu le jour en France. Activiste émérite de la danse contemporaine (en particulier au sein de la revue pionnière Pour la danse, dont elle fut la rédactrice en chef), Annie Bozzini le dirige avec une vigueur et une détermination inentamées. Basé dans le quartier de Saint-Cyprien, le CDC s’est doté tout récemment d’un nouvel outil important : un lieu de résidence, comprenant un local de danse de 160 m² et sept studios destinés à accueillir des compagnies. Favorisant des processus de travail à long terme, la mise en place de ce lieu a aussi permis d’étoffer l’édition 2011 du festival du CDC (créé en 2005), une édition divisée en deux sessions, la deuxième – du 1er au 22 avril – ne présentant que des créations. A terme, Annie Bozzini rêve d’une Cité de la danse – un rêve qui pourrait bien devenir réalité… J. P. 5, avenue Etienne-Billières, www.cdctoulouse.com

Michel Cattla Jean-Pierre Isnardi, Julien Kaliski, Armand Rougier Winter Records Le label Winter Records a été fondé en 2008 par ces quatre sémillants jeunes gens, tous musiciens, deux d’entre eux ayant, sous le pseudo de MC Strogoff, fait une apparition remarquée sur la première compilation CQFD avec le très juteux morceau Suce mon couille. Winter Records a d’abord pour but de publier les disques de Pas De Printemps Pour Marnie, groupe conduit par Jean-Pierre Isnardi et spécialisé dans les reprises décalées. Après My Bloody Valentine en 2008, ce fut le tour l’an dernier des Bee Gees sur le très réussi Nuit fièvre. Par ailleurs, Winter Records – qui évoque une sorte d’Oumupo (ouvroir de musique potentielle) – fait paraître des compilations non moins décalées, la dernière en date, fraîchement sortie, ayant pour contrainte la durée : 1’ 05’’ par morceau. J. P. www.myspace.com/winterrec

23.02.2011 les inrockuptibles XV

Toulouse et sa région

Salle culte dévastée par l’explosion de l’usine AZF, le Bikini programme du rock depuis bientôt trente ans. Rencontre avec Hervé Sansonetto, son directeur de toujours.

Renaud Monfourny

par Jerôme Provençal

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Bikini mais monorock

uand on pense à la scène musicale toulousaine, on parle immanquablement du Bikini, une salle aux allures d’institution – mais une institution qui ne veut surtout pas moisir et s’attache à rester fringante comme au premier soir. Et quand on parle du Bikini, on cite instantanément le nom d’Hervé Sansonetto, l’affable fondateur et directeur de ce lieu ô combien emblématique de la Ville rose. Fondateur et directeur ? Géniteur semble plus approprié, Hervé Sansonetto parlant lui-même du Bikini comme de son “troisième fils”, cette histoire revêtant d’ailleurs tous les attributs d’une histoire de famille. Ainsi le frère d’Hervé, Fabrice, est-il son principal partenaire, en charge notamment de la programmation. Toutefois, la famille dont il est ici question est une famille (très) élargie, tenue par les liens du son, liens créés et entretenus au fil des rencontres et des années (avec quelqu’un comme Arno, par exemple : “Il a dû venir jouer au moins vingt fois !”), le temps n’émoussant en rien le désir qui présida à la naissance du Bikini. Celle-ci date officiellement du 25 juin 1983. Mais avant d’en arriver là, Hervé Sansonetto avait déjà pas mal roulé sa bosse. XVI les inrockuptibles 23.02.2011

“J’ai eu l’occasion de vivre à Londres quand j’avais 20 ans, ce qui m’a permis de pratiquer l’anglais et aussi d’aborder un métier – l’hôtellerie de luxe – qui ne m’a finalement pas du tout plu. Un jour de 1975, je marchais dans la rue, j’ai entendu de la musique, je me suis approché de l’endroit d’où elle provenait, un pub, je suis entré et j’ai eu comme une révélation : voilà, c’est ce que je veux faire. Après cette expérience londonienne, je suis rentré en France, dans mon village natal à côté de Saint-Gaudens. Là-bas, ma femme et moi avons repris un bar et petit à petit, j’ai voulu le façonner à mon image, en faire une sorte de pub à l’anglaise – ce qui, pour l’époque, surtout dans cette région, était un pari assez fou. Pourtant, ça a marché, il faut croire qu’il y avait un vide à combler ! Après tout, à la campagne aussi il y a des jeunes… Progressivement, je me suis pris au jeu et j’ai commencé à organiser des concerts.” Puis, les choses épousant un cours logique, l’opportunité va se présenter d’abattre un atout décisif, à la faveur d’une migration vers la capitale de la région. “Nous avons repris une ancienne boîte de nuit, la Mandragore, qui existait depuis le début du siècle. Quelqu’un nous a proposé cet endroit, j’avais envie de faire des concerts… L’aventure a débuté comme

ça, en 1983. Je tenais absolument à démocratiser l’accès à ce type d’endroit, je ne voulais pas qu’il faille courber l’échine devant le gars à la porte pour pouvoir rentrer. La première année, il n’y avait pas plus de cinq ou six concerts par mois, et puis le rythme s’est intensifié. C’était un moment d’effervescence musicale avec la new-wave, puis, un peu plus tard, le rock alternatif, et, au début des années 1990, les premières soirées techno et drum’n’bass. J’ai l’impression que tout s’est enchaîné sans discontinuer pendant vingt ans.” Dans l’anthologie de la maison, la première visite de Dinosaur Jr. figure en bonne place : “C’était à la fin des années 1980, bien avant qu’on parle du grunge – je déteste ce mot –, et ils ont fait un concert fantastique.” L’auteur de ces lignes garde, quant à lui, un souvenir ébloui d’un concert de Mogwai en novembre 1997. Certaines personnes affirment par ailleurs avoir vu ledit auteur jouer de la guitare invisible lors de soirées drum’n’bass : médisance… Aujourd’hui, tandis que le Bikini approche de son trentième anniversaire (ce sera pour 2013, et les festivités risquent de valoir le déplacement), Hervé Sansonetto conserve une “pêche d’enfer” et fait preuve d’un enthousiasme

de jeune homme – il suffit de le voir et l’écouter se réjouir à la perspective d’accueillir bientôt Pulp en ses murs pour être aussitôt conquis. “Je n’ai jamais eu l’impression de faire un métier. Je vis de ce que je fais, qui correspond à une véritable passion, et j’y prends toujours le même plaisir. J’ai commencé à m’intéresser à la musique vers l’âge de 14 ans. Cosmos Factory de Creedence Clearwater Revival est le premier disque de rock que j’ai acheté. Ensuite, une chose incroyable a été la découverte de l’album de Woodstock. Mes premiers souvenirs de concerts, en tant que spectateur, datent du début des années 1970, avec le Pink Floyd, les Rolling Stones, Magma, Gong…” A vrai dire, des souvenirs et des anecdotes, l’homme n’en manque pas : on peut même raisonnablement supposer qu’il a en réserve de quoi alimenter d’innombrables veillées au coin du feu. La vie, n’en déplaise à Chatiliez, étant tout sauf un long fleuve tranquille, remontent à la surface des moments euphoriques (“J’ai pris une sacrée claque la première fois que j’ai vu jouer Bérurier Noir”) aussi bien que des épisodes douloureux – comme ce coup de couteau donné par un skinhead lors d’un concert des Sheriffs. La cicatrice laissée par cette agression est toutefois bien moins profonde que celle causée par un événement d’une tout autre ampleur : l’explosion de l’usine AZF. Ce qu’il faut désormais appeler l’ancien Bikini se trouvait en effet dans le voisinage direct de l’usine et fut pulvérisé

par l’explosion. Sous le choc, Hervé Sansonetto – qui habitait, et habite toujours, en face de ce Bikini premier du nom – s’apprête à traverser une longue période de doute, émaillée de tracasseries et vexations diverses. “L’expérience AZF m’a appris qu’il faut savoir rester modeste, et que, particulièrement dans ce métier, on ne peut jamais savoir ce que les lendemains nous réservent… Franchement, si on m’avait dit qu’il allait falloir six ans pour relancer l’aventure, j’aurais sans doute tout envoyé balader…”

“j’ai pris une sacrée claque la première fois que j’ai vu jouer Bérurier Noir”

Concerts White Lies + Crocodiles (14 mars), Aloe Blacc (15 mars), Mogwai (22 mars), Lloyd Cole Small Ensemble (30 mars), Yann Tiersen (12 avril), Metronomy (21 mai), www.lebikini.com

Pourtant, il a tenu bon, continuant à organiser des concerts là où il pouvait, et a fini par voir le bout du tunnel, grâce – il ne craint pas de le dire – aux indemnisations allouées mais aussi grâce à la coopération active de la municipalité de Ramonville-Saint-Agne, l’une des communes de la périphérie de Toulouse. Ayant ouvert ses portes le 21 septembre 2007, soit six ans jour pour jour après l’explosion d’AZF, le nouveau Bikini trône en effet à quelques encablures de la salle des fêtes de Ramonville, au bord du Canal du Midi. L’imposant bâtiment, qui peut accueillir jusqu’à 1 500 personnes, a été entièrement repensé, et dispose en particulier d’une acoustique dont tout le monde souligne l’excellente qualité. Du précédent ne restent que le baby-foot et la fameuse piscine. Demeure aussi une devise, qui, dans un latin assez peu académique, en dit long sur l’établissement et celui qui le dirige : In Bikini Dura Rock.

23.02.2011 les inrockuptibles XVII

JiF / www.citizenjif.com

Soirée Travesti Monsters, 2008

Toulouse et sa région

l’electro de là Tiko

Electroluxe Family tient à son ancrage local. Mais, depuis leur ministudio, les quatre DJ font vivre un label qui innonde la planète de singles cogneurs. par JD Beauvallet

J

e ne sais pas danser, je n’aime pas danser.” Comment, alors, entrer dans un club et profiter des avantages offerts aux danseurs (copines, boissons…) ? En étant DJ ! Ainsi, les quatre garçons d’Electroluxe Family, collectif electro toulousain, se sont-ils infiltrés dans les clubs du monde entier. Au départ, ces copains de lycée étaient plutôt dans le rock, fréquentant plus le Bikini que les soirées clubbing. Mais des punks idiots leur ont montré qu’on pouvait faire du rock, explosif et jouisseur, avec des machines : la révolution Daft Punk changea à jamais leur perception et leur pratique de la musique. “J’avais 14 ans, le frère de ma copine d’alors, Nico Nerrant,

XVIII les inrockuptibles 23.02.2011

travaillait à la radio Le Mouv’ et m’a fait écouter Daft Punk, raconte D.L.I.D. Chez ses parents, c’était la Fnac, des disques partout. Il nous a éduqués. On sortait des albums, on prenait des notes, tout était à disposition.” Avec cette éducation accélérée, Electroluxe Family passe du punk-rock au trip-hop puis à l’electro, chaque membre changeant de nom dans une recherche d’identité qui ne s’applique pas seulement à la musique. Au bout d’une longue réflexion et de plusieurs fausses pistes, les noms et le son se dessinent. Ça sera une electro paillarde et des noms de guerre flambeurs : Jim Starck, Paul de Valsonje, Digital Gadget, et D.L.I.D, donc. Ce dernier regrette un peu aujourd’hui ce pseudo

“musicalement, nous sommes comme un groupe de rock… Humainement, comme quatre frères” imprononçable, mais à l’origine immaculée : les premiers mots prononcés dans Lost Highway de David Lynch sont “Dick Laurent is dead”… Il ne leur faut qu’un manifeste pour contenir ces envies explosives de musique : ça sera Rock That Shit en 2008, avec son titre-profession de foi. Venu en idole depuis l’écurie parisienne Ed Banger, évident modèle de cette electro, Vicarious Bliss remixe le titre, qui fait le tour du monde sur les platines les plus huppées et hédonistes. Le groupe prouve alors que tous les chemins ne passent pas par la capitale, tournant dans le monde entier, mais jamais vraiment prophète en son pays. Plutôt que de surfer sur la hype et de s’installer à Paris pour s’afficher dans le riquiqui circuit de la nuit, Electroluxe Family est resté à Toulouse, gérant en bon père son label Quatre Records. Le collectif a aussi dû faire face au chamboulement humain quand deux membres se sont expatriés, à Reims et à New York. Mais la famille a tenu bon : elle a pris son temps. “On parle du quart d’heure toulousain. Chez nous, il a duré deux ans…, explique D.L.I.D. Il faut rattraper le temps perdu. On s’est fait doubler par de bons labels locaux comme Diffusion. Ça botte le cul.” L’hibernation prend donc fin, avec un nouveau maxi, Omaha Beach, qui ressuscite cet esprit crâneur et couillon de l’electro-rock, avec sa basse qui tabasse les fesses et ses remontées d’acide qui rendent gaga. Démons des platines, les garçons d’Electroluxe Family sont, dans la vie, discrets, paisibles. Leur studio, bricolé dans une dépendance du pavillon coquet des parents d’un des membres, n’a rien à voir avec les capharnaüms de câbles rouillés, de vinyles écornés et de tassescendriers qui accueillent souvent ce genre de DJ. Dans leur 10 m2, où ils travaillent parfois des nuits entières, tout est aligné, presque clinique. Synthés d’un autre siècle et machines rutilantes : on se croirait plus dans un atelier de confection chic que dans un studio electro. “Je suis un peu autiste”, confirme D.L.I.D quand on les interroge sur leur attachement à cette pièce. “Musicalement, nous sommes comme un groupe de rock, mais qui ne répéterait jamais. Humainement, nous sommes comme quatre frères.” Et comme dans toute famille, chacun a besoin d’espace : les aventures solos sont donc légion, D.L.I.D s’étant même fait un nom sur le net en remixant, sans leur demander leur avis, le hip-hop prépubère de Kris Kross ou la pop de Phoenix. Deux jalons très éloignés qui encadrent assez bien l’immense pré carré où s’est établie l’Electroluxe Family. En plus de sorties prévues – Tropical Zoo, Dunst! (un groupe de rock), D.L.I.D (avec l’Anglais Fink au chant) ou Electroluxe Family au complet –, le label relance ses soirées mensuelles au White Club, rebaptisées Holy Shit!. Histoire de reprendre contact avec la nuit toulousaine. Digital Gadget :“Il y a une fierté de faire des choses à Toulouse, en autarcie, de créer son univers, avec des graphistes, des vidéastes d’ici… De savoir que nos vinyles, faits ici, seront en vente à New York ou à Londres, en vitrine des magasins les plus cool du monde…”

Cats On Trees, prodiges pop Ce nouveau duo toulousain pourrait faire des vagues au-delà de la Garonne. Quand on rencontre Nina et Yohan, Cats On Trees à eux deux, on parle beaucoup de musique : leur gourmandise de sons semble insatiable, tout comme leurs envies de rencontres et d’aventures. Récemment, ils ont ainsi collaboré – trop brièvement – avec la chanteuse danoise Agnes Obel, pour quelques minutes de délices. S’ils sont prompts à encenser leurs pairs avec une réjouissante palette de goûts, il faut presque les frapper pour leur faire avouer un CV qui en dit long sur l’ahurissante musicalité de leur formule à deux. Musicologie pour elle, pratique infernale de la batterie, des percussions et de tout ce qui se joue pour lui : on a bien affaire à deux maniaques du son, de la composition, de l’harmonie.

Car là où la formule piano/batterie pourrait être une limite, un gimmick vite épuisé, il se révèle chez ces humbles virtuoses un espace sans entraves : au minimalisme que pourrait imposer cette économie d’instruments, ils opposent le maximalisme de leur inspiration, l’extravagance d’un chant imposant et le culot insolent de leurs arrangements. Exemple concret avec Tiki Tiki Boy, un de leurs singles qui prouve, avec sa folie toute douce et son exubérance mélodique, que ce groupe vient vraiment d’ailleurs. La preuve : Nina a des yeux d’une couleur qui n’existe pas sur Terre. JDB Concert le 24 février (avec invités surprises), au Saint des Seins, soirée Inrocks www.myspace.com/catsontrees

les bonus toulousains du CD exclusif Objectif 2011 – Vol. 2 2. Cats on Trees Tiki Tiki Boy Extrait de l’ep Tiki Tiki Boy (Jerkov/ Believe Digital) 6. Electroluxe Family Omaha Beach Pt. 1 Extrait en avant-première de l’ep Omaha Beach (Quatre Records) 7. D.L.I.D Colour in Your Hands (Scandinavia edit) Extrait en avant-première de l’ep D.L.I.D (Quatre Records) 16. YAA Atlanta Hoax Extrait d’une première maquette

www.quatrerecords.com 23.02.2011 les inrockuptibles XIX

Toulouse et sa région

fabrique de littérature explosive Depuis 1989, Tristram publie Lester Bangs, Hunter S. Thompson ou Laurence Sterne. L’écrivain Jean-Hubert Gailliot raconte l’aventure de cette maison d’édition exigeante qu’il a créée avec Sylvie Martigny. par Jérôme Provençal photo Ulrich Lebeuf/M.Y.O.P epuis leur création en 1989, les éditions Tristram n’ont jamais quitté leur base – Auch, préfecture du Gers, à quelque 70 kilomètres de Toulouse – et grande est la tentation d’entonner les grands airs maquisards et de célébrer la vaillance du Petit Poucet provincial contre l’ogre parisien, toujours déjà coupable d’abus de position dominante. Réservons-nous pour les tentations qui en valent la peine, et ne cédons pas à celle-ci, par trop spécieuse. De la part de Jean-Hubert Gailliot et Sylvie Martigny, les indissociables têtes pensantes de la maison, le choix de cet enracinement dans l’arrière-pays ne découle d’aucune arrière-pensée séparatiste ou géopolitique : a tout bonnement prévalu le désir, simple mais essentiel, de pouvoir exercer leur métier – faire (partager) des livres – dans les conditions matérielles les meilleures.

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XX les inrockuptibles 23.02.2011

Jean-Hubert Gailliot et Sylvie Martigny

“Sylvie Martigny et moi, précise Jean-Hubert Gailliot, étions déjà installés à Auch depuis plusieurs années – nous avions alors 20 ans – lorsque Tristram a été créée. Il n’y avait aucune nécessité particulière de le faire ailleurs. Nous avons donc commencé ici, et l’expérience a rapidement démontré que cette position géographique était plus un avantage qu’un inconvénient. Le premier avantage, évident, est d’ordre économique : ça coûte infiniment moins cher de vivre dans une petite ville de province qu’à Paris. Et comme, à cette époque déjà, la plupart des gens avec lesquels nous étions en relation étaient très dispersés, en France et à l’étranger, Auch n’était finalement

“ce sont l’écriture et les excès de langage qui nous intéressent”

pas moins au centre d’une telle constellation que n’importe quelle autre ville. Par la suite, la technologie n’a cessé de faciliter les choses. En outre, le précédent d’Actes Sud était là pour démontrer qu’une maison d’édition pouvait très bien être installée en province sans pour autant être régionaliste. Dès lors, la porte était grande ouverte pour des expériences comme la nôtre.” A peine sortis de l’adolescence, les deux jeunes gens vont se lancer crânement dans l’aventure, en se plaçant sous le haut patronage de l’écrivain anglais du XVIIIe siècle, Laurence Sterne, et plus particulièrement de son Vie et opinions de Tristram Shandy, son grand œuvre, dont la composition a nécessité plusieurs années et dont la récente retraduction constitue l’une des références essentielles du catalogue de Tristram.

Suite à des bisbilles avec la précédente municipalité, ils ont dû abandonner leur havre originel pour s’installer durant l’été 2008 dans un ancien magasin de cycles fournissant “un espace idéal pour une maison d’édition”, un (vaste) espace entièrement réaménagé par eux. Désormais propriétaires des murs, ils ont plus que jamais le sentiment d’être ici chez eux. “Etre installés à Auch a toujours été agréable, et l’est de plus en plus. Nous sommes à une certaine distance du milieu littéraire, que nous connaissons bien par ailleurs. Lorsque nous sommes absorbés dans des projets de longue haleine (à l’instar du Livre des violences de William T. Vollmann ou de la retraduction de Tristram Shandy – ndlr), nous vivons presque dans l’illusion que nous sommes les seuls à faire des livres… Sensation très plaisante…” Ce (relatif) isolement, qui leur épargne les aléas du quotidien germanopratin, a permis à Jean-Hubert Gailliot et Sylvie Martigny de bâtir calmement une maison qui n’a aujourd’hui sans doute pas d’équivalent dans le paysage éditorial français. De fait, la singularité de Tristram ressort nettement d’un inventaire de leurs publications, allant d’Isidore Ducasse à Ezra Pound, en passant par Pierre Bourgeade ou William Burroughs. “Dès l’origine, nous avions en tête un projet éditorial généraliste et souhaitions publier aussi bien des écrivains français contemporains (Mehdi Belhaj Kacem, par exemple) qu’un auteur anglais du XVIIIe siècle comme Laurence Sterne ou des francs-tireurs comme Lester Bangs. Il n’y a aucune spécialisation – qu’elle soit géographique, thématique, stylistique ou autre – dans le catalogue de Tristram. Cette non-spécialisation constitue une relative exception dans le monde de l’édition indépendante. L’unité de ce que nous publions est d’un autre ordre, plus souterrain. Ce sont l’écriture et les excès de langage qui nous intéressent. Nous publions des auteurs comme Bangs ou Hunter S. Thompson car ils redéfinissent et intensifient ce que l’on peut attendre de la littérature.”

Tels des fauves, les noms de Bangs et Thompson sont lâchés, synonymes de jubilatoires pétarades verbales, entraînant certains lecteurs à voir en Tristram avant tout un éditeur rock, voire gonzo. Toutefois, cette étiquette, séduisante à bien des égards, ne saurait suffire à caractériser Tristram et à prendre toute la mesure du travail éditorial entrepris par Gailliot et Martigny. Dans l’accomplissement de ce travail, Maurice Girodias, éditeur (le premier à oser publier Lolita) et écrivain résolument à part (Tristram a réédité son roman, Président Kissinger), fait figure de guide déterminant. “Ce qui est intéressant chez lui, c’est qu’il y avait une dimension extra-littéraire dans sa démarche : à une époque, il avait créé à Paris une sorte de cabaret multimédia, qui l’a d’ailleurs ruiné et poussé à émigrer à New York. Ce n’était pas quelqu’un qui faisait des livres dans un esprit gestionnaire, son activité professionnelle était reliée étroitement à sa vie personnelle. Il avait une témérité, un côté hors-la-loi, qui manquent aujourd’hui. Son anticonformisme se retrouvait dans son catalogue, où les livres de Burroughs ou Nabokov voisinaient avec des romans de gare, écrits en quatrième vitesse.” Un même anticonformisme se retrouve chez Tristram et se manifeste dans la quête tenace d’expériences littéraires neuves – qu’elles soient d’aujourd’hui (“Nous trouvons la littérature contemporaine très stimulante : beaucoup de livres intéressants paraissent et, chose remarquable, ce sont des textes qui vont dans des directions littéraires tout à fait dissemblables”) ou d’hier. Ainsi la maison gersoise a-t-elle notamment en projet la réédition, à l’horizon 2013, de Soir bordé d’or, livre hors norme (initialement paru chez Maurice Nadeau) de l’écrivain allemand Arno Schmidt. Prochaines parutions, en avril : N°44, le mystérieux étranger de Mark Twain (première traduction intégrale de Bernard Hœpffner) Scènes de la vie d’un faune d’Arno Schmidt (dans une nouvelle traduction de Nicole Taubes) 23.02.2011 les inrockuptibles XXI

Toulouse et sa région

adroites adresses Les bons plans de Toulouse. La Dynamo Voilà un bar où se rafraîchir le gosier et les tympans, via des concerts. D’une capacité de 350 personnes, la Dynamo, ouverte en juin 2010, remédie au manque patent de salles de taille moyenne dans le centre. Il y a déjà de nombreux habitués, qui ont pu notamment y voir jouer Zombie Zombie ou Jonathan Richman. 6, rue Amélie, myspace.com/ladynamotoulouse

Le café du musée Saint-Raymond Tapi dans l’ombre de la basilique Saint-Sernin, le musée Saint-Raymond abrite, outre diverses reliques antiques, une petite buvette extérieure qui, une fois les beaux jours revenus, fait figure d’authentique oasis. On peut difficilement envisager cadre plus idéal pour échapper à la moiteur estivale. Place Saint-Sernin

cinémas Utopia Les cinémas Utopia, présents dans le centre-ville et à Tournefeuille, constituent la principale alternative aux mastodontes Gaumont et UGC. Panachant reprises et nouveautés, la programmation offre un large panorama de l’actualité art et essai. La gazette informative, éditée chaque mois, et les animations

Au Lieu-Commun, Res Duplicata, exposition de Cyril Hatt, janvier 2008

Damien Aspe

cafés, bars

diverses (débats avec les réalisateurs, concerts, ventes d’affiches…) contribuent au succès des Utopia. Utopia Toulouse, Utopia Tournefeuille, cinemas-utopia.org/toulouse

ABC Ce cinéma défend la cause de l’art et essai depuis 1975. Après dix-huit mois de travaux, il a rouvert en septembre 2009. Aux trois salles, entièrement réaménagées, s’ajoutent un centre de ressources documentaires et un espace d’exposition dans le hall. L’ABC organise régulièrement des séances spéciales et accueille plusieurs festivals. 13, rue Saint-Bernard, abc-toulouse.fr

Le Cratère Datant des années 1970, le Cratère est un cinéma de quartier comme on n’en voit presque plus… Parrainé par Raymond Depardon et animé par la Ligue de l’enseignement de la Haute-Garonne, il dispose d’une salle de 80 places, dans laquelle sont projetés des films récents et des reprises. Les spectateurs désargentés (étudiants, chômeurs…) peuvent bénéficier de tarifs très modiques. 95, grande rue Saint-Michel, cinemalecratere.com/

Les Inrockss débarquent à Toulouse Les journalistes des Inrocks pa articiperont à divers événements su ur place le jeudi 24 février. Débat Culture et médias : qu uel traitement de l’info en région ? Un niversité Toulouse-I Capitole, 18 8 h,, entrée libre XXII les inrockuptibles 23.02.2011

Concerts Cats On Trees, DJ set de Bastien (Shiva And The Deadmen n), punk, garage, cold wave et une surprise ! Le Saint des seins, 5, placce Saint-Pierre, 2 0 h 30, entrée libre DJ set Inrocks Chez Vous, 2,, rue des Trois-Journées,, 0 0 h 30

disquaires Vicious Circle Un peu en retrait de la rue Saint-Rome, Vicious Circle s’apparente à un bastion, branché sur le courant alternatif depuis 1997 : rock, techno, hip-hop, musique électroacoustique, tout ce qui sort des sentiers battus est le bienvenu. Au sein de ce cercle précieux se côtoient vinyles, CD, T-shirts et badges. 7, rue des Puits-Clos, toulouse.viciouscircle.org

Armadillo Après avoir été, de 1982 à 1988, deux des principaux instigateurs de Nineteen, l’une des références des fanzines made in France, Benoît Binet et Antoine Madrigal ont décidé de poursuivre sur leur électrique lancée en ouvrant un magasin de disques, passage obligé pour tout chercheur d’or vinylique. Si les murs sont tapissés d’étagères garnies de CD, les vinyles occupent la majeure partie de l’espace et incitent le visiteur à plonger dans les bacs pour y dénicher des pépites – le rock, tendance garage-psyché-punk, se taillant la part du lion. Les deux tauliers ne sont jamais très loin, et toujours prêts à prodiguer de judicieux conseils. 32, rue Pharaon

concerts, clubs, boîtes Le Saint des seins Ce blaze mystico-érotique cache un lieu à mi-chemin entre le bar et la salle de concerts dédié au rock garage ou psyché, autres genres d’extases métaphysiques.

C’est dans la chaleur de cette chapelle rock’n’rollienne que Les Inrocks fêteront le 24 février cette édition toulousaine. 5, place Saint-Pierre, lesaintdesseins.com

Chez vous Discothèque nichée au cœur de Toulouse, où les basses fréquences doivent faire bouger même les vénérables briques rose ocre. Un certain journaliste-DJ de notre rédaction tentera de se montrer à la hauteur du lieu en mixant aux petites heures de la nuit du 24-25 février. 2, rue des 3-Journées, lechezvous.fr

Le Phare Cette salle de musiques actuelles est en activité depuis 2007. Sa mission consiste à attirer des talents de tous horizons, par l’entremise de Première Pression, association qui gère la programmation du festival marmandais Garorock – dont la prochaine édition va avoir lieu du 8 au 10 avril. le-phare.org

Le Mandala “Laboratoire de toutes les musiques improvisées” depuis 1985, le Mandala est LE club jazz de Toulouse. Jean Cartini, son fondateur, est mort en 2007 mais sa fille, Anaïs Andret-Cartini, et sa compagne, Fabienne Bordères (présidente de l’association Mandala bouge), ont repris le flambeau. Le Mandala continue de swinguer de plus belle, à raison de 180 concerts par an, et effectue parallèlement un travail pédagogique en profondeur. 23, rue des Amidonniers, lemandala.com

Le Bijou “Vins vieux et musiques actuelles”, voici ce que le Bijou fait miroiter : on a bu et entendu pire… Bistrot de quartier et salle de concerts, le Bijou s’attache depuis 1989 à dénicher des perles rares, puisées en particulier dans le vivier de la chanson française. Exemple tout récent, Bertrand Belin vient d’y passer deux soirs de suite. 123, avenue de Muret, le-bijou.net

librairies Ombres Blanches Que de chemin parcouru et de terrain gagné depuis l’ouverture en septembre 1975 : serrée à l’origine dans 80 m², cette librairie occupe désormais une superficie d’environ 1 600 m², répartis sur plusieurs salles. En sus, sont proposées de fréquentes rencontres avec des auteurs, des éditeurs ou des critiques. 50, rue Gambetta, ombres-blanches.fr

Librairie Floury Tenue par deux frères, Eric et Hervé Floury, elle offre une alternative parfaite à ceux que rebutent les grandes surfaces. Ici, la qualité de la sélection et la cordialité de l’accueil compensent l’exiguïté – bien que le lieu ait bénéficié fin 2009 d’un nouvel espace réservé aux livres d’art et de voyages. La librairie ouvre le dimanche matin, du fait de sa proximité avec le marché de Saint-Aubin. 36, rue de la Colombette, [email protected]

Oh Les Beaux Jours  Comme son enseigne beckettienne le laisse entendre, cette librairie, ouverte en 2005 par Céline Lucet, se consacre en priorité au spectacle vivant : on y trouve un excellent choix de livres, revues et DVD sur le théâtre, le cirque et la danse contemporaine. En outre, une belle place est accordée au cinéma. Le lieu accueille aussi de brefs spectacles. 20, rue Sainte-Ursule, ohlesbeauxjours.com

galeries, musées Lieu-Commun Mutualisation de structures préexistantes (A La Plage, Annexia, VKS), désormais réunies sous le nom de Plan-9, Lieu-Commun soutient la création contemporaine au niveau de la production (accueil d’artistes en résidence,

ateliers…) et de la diffusion, celle-ci se faisant d’abord par le biais d’un vaste espace situé dans le quartier Bonnefoy. Expositions, concerts et performances. 23-25, rue d’Armagnac, lieu-commun.fr

trois adresses de l’appli Guide Fooding 2011

GHP

Pour découvrir d’autres adresses, téléchargez l’appli Fooding 2011 sur l’App Store (2,99 €).

Ouverte le 21 septembre 2006, dynamique et conviviale, la Galerie de la Halle aux Poissons s’est vite imposée. Disposant d’un local petit mais cosy, la GHP porte un intérêt particulier au graphisme, à la photo et au street art. Elle fait par ailleurs partie des réseaux Rrose Sélavy et Pink Pong, qui tendent à faire valoir la scène toulousaine auprès du public et des collectivités. 11, descente de la Halle aux Poissons, espaceghp.com

Château d’Eau Inauguré le 23 avril 1974 avec une exposition Robert Doisneau, le Château d’Eau fut la première galerie municipale photographique de France. Elle est aussi l’une des plus belles. Loin de n’être qu’un outil patrimonial, le Château d’Eau suit de près la photographie d’aujourd’hui. Son centre de documentation vaut également le coup d’œil. 1, place Laganne, galeriechateaudeau.org

Galerie Sollertis Brice Fauché porte mal son nom car l’homme a eu une riche idée en créant la galerie Sollertis (en 1987) : celle-ci constitue un immanquable point de rendez-vous pour les amateurs d’art contemporain. Participant à plusieurs grandes foires internationales, Sollertis représente Sophie Calle, Madeleine Berkheimer, PaulArmand Gette et Bertrand Lavier. 12, rue des Régans, sollertis.com

alter Les Pavillons Sauvages Les Pavillons Sauvages fédèrent une centaine d’associations défendant l’idée qu’une autre vi(ll)e est possible. Leurs champs d’action sont multiples : jardins écologiques, auberge associative, ateliers théâtre, expos, concerts ou encore séances de cinéma. 45 et 53, rue de Chaussas et 35, avenue Jean-Dagnaux, myspace.com/olibanum Jérôme Provençal

Chez Navarre 49, Grande-Rue-Nazareth, tél. 05 62 26 43 06 De midi à 13 h 40 et de 20 h à 22 h. Fermé samedi et dimanche. Buffet 14,50 € (midi) et 22 € (soir). Catégories : Bar à vin et cave à manger. La notion de table d’hôte suppose un don de soi réciproque – sinon l’interaction vire à l’altercation. Mais ici, dans cette sorte de grange charpentée comme une crèche de Noël, les quatre ou cinq tablées communient dans un clair-obscur à la Rembrandt. En fait, la profusion force les appétits à mutualiser, à ranger les coudes devant ce banquet de comice agricole, ce pain au kilomètre, ces auges de braisés, de râpés, de marinades, de saumures, de terrines, de fromages d’affinage, de cakes à l’orange, de mousses au chocolat, de crèmes aux œufs… On s’en donne à lèchedoigts, on termine son assiette, on débarrasse. Vins naturels (saumur Attention, Chenin Méchant ! de Nicolas Reau à 22 €, touraine Le Buisson Pouilleux du Clos du Tue-Bœuf à 24 €, fitou Les Sybarites de Jérôme Savary à 35 €), et digestifs de Joseph Cartron, grand liquoriste de Nuits-Saint-Georges. Jérôme Navarre n’a pas volé son Fooding 2008 de la meilleure ripaille. J. B.

L’Empereur de Huê 17, rue des Couteliers, tél. 05 61 53 55 72 De 19 h 30 à 23 h. Fermé dimanche. www.empereurdehue.com/ Menu 37 €, carte 40 €. Catégorie :Trop bon. Une salle obscure comme un tripot de mah-jong, des baguettes marquetées de nacre, des lanternes rouges stylées, le service sûr de sa cuisine (et de la gaucherie de ses clients), qui vous recommande Yam’Tcha quand on l’interroge pour une bonne adresse parisienne. Affinités électives. Ici, on ossifie l’âme de la cuisine vietnamienne avec des tissus bien français, car on la suppose assez riche pour admettre quelques plats nouveaux à son numéro d’assiettes tournantes. La soupe Bun Bo est épicée avec assez de

discernement pour ne pas intimider le jarret, et la poitrine de noir de Bigorre, posée sur un lit de riz qui boit le gras de la ventrêche caramélisée tout en la gardant au chaud, et rafraîchie avec des gambas et leur nuoc-mâm, c’est du grand art. Carte des vins portée sur le blanc (gaillac Domaine de Labarthe à 22,50 €). J. B.

Café 64  29, bd de Strasbourg, tél. 05 34 25 11 18 Non-stop de 10 h à 2 h (4 h samedi) ; service de midi à 14 h et de 19 h 30 à 22 h. Fermé dimanche (sauf si événement sportif) et lundi, www.cafe64.fr. Formules 11,90-14,90 € (midi), menu 24-28 €, carte 35-45 €, tapas 1,90-8 €. Catégories : Néobrasserie & voir et se faire voir. Frédéric Michalak prépareraitil sa reconversion ? En tout cas, le demi d’ouverture vient d’inaugurer une néobrasserie de briques et de bois portant haut les couleurs de l’Euskadi, avec ses guirlandes de piments d’Espelette, ses barriques de bodega, son linge basque et, les jours de match, ses écrans télé en sueur… Bonne surprise, les assiettes du chef basque espagnol, Sergio Izquierdo, sont aussi fortes en gueule que l’adresse est people ! Dans le menu entrée-plat : ravioles de crevettes extra (de grosses crevettes de Madagascar ouvertes et amincies, farcies de petits légumes, sauce aux fruits de mer et huile de truffe noire), dos de cabillaud nickel, jus au basilic, tranches de chorizo grillées et épinards frais. A avaler avec un verre de vin de pays d’OC Vignobles Guilhem (4 €), ou un jurançon Cauhapé Chant des Vignes 2008 (24 € la bouteille). A la carte, mention spéciale pour les produits de la mer : lotte à la basquaise, merlu de Saint-Jean-de-Luz, asperges vertes et gambas. A moins qu’une côte de bœuf de 500 g ne tente les gaillards… P. L.

23.02.2011 les inrockuptibles XXIII

go western

A contre-courant d’un désamour supposé du public pour le western, les frères Coen s’attaquent au genre avec True Grit. Leur plus gros succès aux Etats-Unis. par Serge Kaganski

C

Rob Greig/Time Out/Camerapress/Gamma

hez les frères Coen, qui est Abel, qui est Caïn ? Au vu de leur filmographie et de la longévité de leur complicité artistique, on parierait plutôt sur deux Abel. Pour une fois, Joel répondait seul à nos questions. Une moitié de fratrie, certes, mais peut-être allait-on échapper ainsi à leur numéro bien rodé de duettistes ? Joel Coen parle alors de True Grit, du western ou de leur film précédent, A Serious Man. Pour lui, un bon film est avant tout une bonne histoire. Refus de théoriser ou souci de désacraliser leurs films et leur image ? A un comme à deux, le mystère Coen reste entier.

Joel Coen devant son frère Ethan

“les situations absurdes donnent de bonnes histoires. Il n’y a que ça qui nous intéresse” entretien > C’est très inhabituel de vous parler sans votre frère. Joel Coen – On nous a séparés sur cette partie de la promo parce que l’un devait répondre à la presse à Paris et l’autre à Londres. Je préfère être avec mon frère, mais ça ira. True Grit est votre deuxième remake après Ladykillers. En fait, nous n’avons pas fait un remake du film d’Henry Hathaway (Cent dollars pour un shérif, 1969 – ndlr), plutôt une adaptation du roman de Charles Portis (True Grit, 1968 – ndlr), qui nous a marqués. Portis est un écrivain culte aux Etats-Unis. Il n’a écrit que cinq romans, il était journaliste. Qu’est-ce qui vous a fascinés dans cette histoire ? Le personnage principal est une jeune fille de 14 ans, Mattie Ross. Le livre est écrit de son point de vue, très singulier. Elle est déjà très mûre pour son âge, d’une maturité parfois comique. C’est un héros de roman et de western très original. Vous avez eu du mal à trouver l’actrice Hailee Steinfeld, qui est extraordinaire ? Des milliers de filles ont postulé pour ce rôle. Nous en avons auditionné nous-mêmes plusieurs dizaines, et non, ça n’a pas été simple. C’est une chose d’écrire un personnage comme Mattie Ross, c’en est une autre de trouver l’actrice qui saura l’incarner. Endurcie, mature, responsable, Mattie Ross est une figure de jeune fille très différente de la plupart des ados contemporains. Absolument. Elle est inhabituelle par bien des aspects. Par exemple, elle a un côté très moral, elle est même un peu rigide, c’est atypique chez les personnes de son âge. En fait, c’est une femme dans un corps de fille de 14 ans. En même temps, elle reste une enfant et réagit parfois comme telle. Cette combinaison d’enfance, d’adolescence et de caractères adultes nous a vraiment intéressés. Vous avez réalisé quelques films sous influence western comme Arizona Junior, Fargo ou No Country for Old Men, mais True Grit est votre premier vrai western. Qu’est-ce qui vous a poussés à embrasser le genre plus frontalement ? Nous n’avons jamais rêvé de faire un western, nous ne l’évitions pas non plus. Nous ne fonctionnons pas par genre, nous nous intéressons d’abord 64 les inrockuptibles 23.02.2011

A Serious Man (2009) : “Nous savions que ce film ne plairait pas à un gamin de 15 ans habitant le Nebraska”

à une histoire… True Grit retrouve les codes du pur western avec des cow-boys qui montent à cheval et portent des pistolets, mais nous ne l’avons pas envisagé comme un western classique. C’est aussi un film d’aventures avec un enfant, comme Huckleberry Finn ou L’Ile au trésor. Ou Alice au pays des merveilles. C’est votre plus gros succès aux Etats-Unis. Qu’en pe nsez-vous ? Nous nous doutions que True Grit était distrayant et pourrait séduire un large public, plus que certains de nos précédents films comme A Serious Man, qui s’adressait à un public de niche. Mais un tel succès nous a quand même abasourdis. D’autant plus que le western n’attire plus le public. C’est ce qu’on dit. Nous sommes heureux d’avoir contredit cette règle. Vous êtes déçus quand un film aussi singulier qu’A Serious Man marche moins bien ? Pas du tout ! Le film a fait les entrées auxquelles nous nous attendions. Nous ne sommes pas du tout naïfs sur le potentiel de nos films, nous savons que certains marcheront mieux que d’autres. Quand nous réalisons Barton Fink ou A Serious Man, nous savons que ça ne fera jamais 100 millions de dollars. Pourquoi A Serious Man s’adresse-t-il à un public plus restreint ? Trop juif ? Trop philosophique ? Trop hors formats ? Pour toutes ces raisons, et aussi parce qu’il n’a pas été conçu pour plaire à un public mainstream. Aux Etats-Unis, les films sont classés par catégories : pour enfants, pour ados, pour adultes, pour couples, pour femmes au foyer, etc. Les films qui cartonnent rassemblent toutes les catégories. Quand nous tournons A Serious Man, nous entrons dans laquelle ? Nous savions que ce film ne plairait pas à un gamin de 15 ans habitant le Nebraska. Déjà que mon propre fils n’en avait rien à foutre ! C’est votre film le plus autobiographique ? C’est une fiction, donc juste une autre histoire à raconter. Elle est plus personnelle parce qu’elle dépeint le genre de communauté dans laquelle nous avons grandi et le même type de milieu, de quartier, de maison, de famille. Mais ce n’est pas un documentaire sur notre enfance. Vous avez grandi avec les westerns ? Nous en voyions beaucoup à la télé, parfois

Hailee Steinfeld et Jeff Bridges dans True Grit : “C’est aussi un film d’aventures avec un enfant”

au cinéma. Ceux de Ford, des classiques comme Les Sept Mercenaires… Il était une fois dans l’Ouest de Leone restait un de nos préférés, c’est presque de l’opéra. J’aime beaucoup les westerns classiques mais Leone s’est approprié le genre de façon très personnelle. C’était un styliste unique en son genre. Il a atteint l’apothéose de l’esthétique du Cinémascope. Il est difficile de transposer le western dans d’autres pays, contrairement au polar ou à la comédie. C’est un genre très lié aux paysages et aux lieux des Etats-Unis. Quelles sont vos influences ? Nous avons beaucoup lu la revue de BD Mad (équivalent américain de Pilote ou de Fluide glacial – ndlr). Pourtant, nous ne raffolions pas de la BD, ni des dessins animés. Au cinéma, nous allions voir de tout. Enfants, nous adorions les Marx Brothers mais aussi les films de Bob Hope, Doris Day, et tous ces films familiaux stupides des années 50 et 60 : les westerns kitsch qui passaient à la télé, des films avec Dean Martin… Je ne sais pas si ça nous a influencés, mais c’est ce qu’on regardait. On voyait beaucoup de merdes et ça nous plaisait bien. Vos films racontent souvent des histoires absurdes, pleines de méprises et de quiproquos. Voulez-vous montrer l’absurdité de la vie ? Ou signifier que l’on ne peut pas maîtriser tous les paramètres de son existence et que la liberté est illusoire ? Vous avez le droit d’interpréter nos films comme vous le souhaitez, vous avez peut-être raison, peut-être tort… Nous, notre idée, c’est que ce genre de situations absurdes donne de bonnes histoires, et il n’y a que ça qui nous intéresse. Nous n’extrapolons pas. Vous êtes quand même conscients que dans des films comme Sang pour sang, Miller’s Crossing, Fargo ou A Serious Man, vos personnages sont tous dépassés par des enchaînements de situations incontrôlables et que cette constante dans votre travail signifie peut-être quelque chose ?

Vous avez raison, nous sommes parfaitement conscients de cet aspect de nos films. Mais pour nous, ce sont avant tout de bonnes histoires. Peut-être qu’elles ne seraient pas aussi bonnes si elles ne contenaient pas cette vision de la vie et de la façon dont fonctionne le monde à laquelle vous faites allusion. Certains disent que vous faites des films intelligents sur des gens stupides. Que leur répondez-vous ? Il existe des gens stupides dans la vie, c’est parfois intéressant de les inclure dans une fiction. Si vous filmez des personnages stupides, ce n’est pas une raison pour faire un film stupide, ça ne rimerait à rien. Je revendique donc le fait de faire des films intelligents sur des gens stupides. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas filmer des personnages stupides et en quoi on serait condescendants. Primo, nous avons tous nos moments d’idiotie dans la vie. Deuzio, j’ai l’impression que les gens gardent des idées préconçues sur ce que devraient être les personnages de fiction : sympathiques, admirables, etc. Ils aimeraient s’identifier, sont un peu déroutés quand ils n’y arrivent pas et pensent que les cinéastes les méprisent. J’ai aussi souvent entendu : vous n’aimez pas vos personnages ! Sous-entendu, si un personnage est antipathique, il ne devrait pas être au centre d’un récit. C’est absurde ! Au nom de quoi un personnage devrait-il être sympathique aux yeux du public ? Je comprends cette règle si vous voulez faire 200 millions de dollars au box-office. Mais ce qui est valable pour un blockbuster ne l’est pas pour tout type de films. On peut faire des films ou des romans avec des personnages antipathiques et créer une histoire prenante et intéressante, je ne vois pas le problème. Personne n’a écrit la constitution légiférant sur le type de personnages qu’on a le droit d’écrire ou de ne pas écrire. Lire la critique du film p. 70 23.02.2011 les inrockuptibles 65

Nicolas Chardon, Karina Bisch et Mathieu Mercier dans l’atelier de Piet Mondrian reconstitué pour l’exposition

la ligne Mondrian Trois artistes contemporains inspirés par l’œuvre de l’avant-gardiste ont visité pour nous l’exposition Mondrian/De Stijl au Centre Pompidou. par Judicaël Lavrador photo Alexandre Guirkinger

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ans l’atelier de Piet Mondrian, reproduit au beau milieu de l’exposition que lui consacre le Centre Pompidou, ils s’amusent tous trois de l’étroitesse du lit une place, austère. Mais Mathieu Mercier, Nicolas Chardon et Karina Bisch, trois artistes contemporains, restent admiratifs de l’organisation des lieux, de cet espace anguleux aux lignes brisées et aux murs colorés en carrés ou en losanges. Et imaginent que cet atelier parisien où Mondrian séjourna dès 1919 fut aménagé comme une extension de la géométrie rythmée de ses propres toiles. Toute l’expo, surtout dans son large crochet vers le mouvement De Stijl, lorgne vers l’architecture, le graphisme et le design. “On comprend bien ici, constate Mathieu Mercier, que tout le monde allait dans le même sens, qu’ils cherchaient à concevoir un projet de société. Les Modernes considéraient l’objet artistique dans un projet global, selon des systèmes d’emboîtement : l’objet, l’architecture, la ville. Les artistes avaient pour ambition de travailler dans tous les champs d’application esthétique, sans aucune frontière.” Beau programme que l’exposition décline en déployant notamment la Cité dans l’espace, conçue dès 1925 par

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Mathieu Mercier Drum & Bass “Stanley”, 2003-2010 Sur une étagère stylée, des objets de bricolage de marque Stanley déclinent Mondrian en mode do it yourself

Frederick Kiesler comme une structure polymorphe, à la fois scénographie théâtrale, dispositif d’exposition et projection en trois dimensions d’une peinture éclatée et quasiment habitable. Mathieu Mercier se souvient que c’est à Berlin, peu de temps après la chute du Mur, qu’il a eu une petite révélation : “Je n’avais jamais été exposé à une ville marquée par autant d’expériences architecturales successives, articulées de manière improbable. Tout se dédoublait : entre l’Est et l’Ouest, les vestiges de la modernité apparaissaient dans une espèce de miroir déformant. Ce spectacle insolite de la reconstruction m’a conduit à me poser la question de quoi faire avec ce qui a déjà été expérimenté.” Dans les salles du sixième étage de Beaubourg, les trois artistes sont attentifs autant à Mondrian qu’à ses compagnons en radicalité, à ces seconds rôles que l’histoire a remis tardivement en scène. Parmi eux, Gerrit Rietveld, architecte de la maison Schröder à Utrecht, et Theo Van Doesburg et ses vitraux, montrés dans une salle kaléidoscopique où Karina Bisch

toute l’expo lorgne vers l’achitecture, le design, le graphisme

s’arrête un moment : “Van Doesburg m’intéresse davantage que Mondrian, ses œuvres sont plus risquées, elles s’inscrivent moins dans la recherche de la belle forme. Les couleurs qu’il utilise, le rose, le vert, appliquées à l’arrache, sont assez curieuses.” Comme Sonia Delaunay ou Sophie Taeuber-Arp, Theo Van Doesburg déclinait davantage son travail sur d’autres supports. Du coup, ce que Karina Bisch retient d’abord de Mondrian, “c’est la robe qu’il a inspirée à Yves Saint Laurent. Je me suis dit, mince, on peut faire des vêtements avec de la peinture – ou vice versa. Ces formes et ces motifs modernes demeurent pertinents. Ils gardent une valeur d’usage. L’art peut être partout.” “Avant ses œuvres, j’ai d’abord vu les images ou les signes produits à partir de ses œuvres, explique Nicolas Chardon. Les flacons de shampoing, les maillots de l’équipe cycliste La Vie Claire dans les années 80. Toutes les applications qu’on peut trouver dans le commerce, dans l’urbanisme et ce principe de grille sont presque tombés dans le domaine public et renvoient au graphisme, à la publicité ou à l’architecture.” Si les produits dérivés de l’œuvre de Mondrian ne figurent bien sûr pas dans cette exposition historique,

Courtesy et photo Mathieu Mercier

Collection particulière, courtesy Nicolas Chardon et galerie Jean Brolly, Paris

Nicolas Chardon Rouge-JauneBleu, 2010 Cette toile de lin était déjà tissée et brodée d’une grille avant que Chardon la tende sur châssis et y peigne ces carrés déformés. Un Mondrian assoupli

photo Jean-Christophe Garcia/Frac Aquitaine

Karina Bisch La Porte, 2008 Une libre et imposante interprétation de projets de vitraux de Theo Van Doesburg, frère d’arme de Mondrian, réalisée d’après des dessins d’archives

les artistes contemporains les ont en revanche intégrés dans leur compréhension du travail des avantgardes. Mathieu Mercier livrait ainsi en 2003 une série intitulée Drum & Bass rejouant les compositions de Mondrian sur, ou avec, une étagère. “J’étais à New York et j’avais beaucoup de mal à travailler dans l’atelier. Je passais mon temps à circuler dans Manhattan et je me suis aperçu que le dynamisme de New York ne jaillissait plus tant de l’urbanisme, comme Mondrian avait pu l’illustrer dans sa période boogiewoogie, mais plutôt de la frénésie de la consommation de masse, des boutiques et de la profusion de marchandises. Du coup, j’ai voulu réaliser une pièce qui me permette de faire du shopping et qui mettrait en avant le fait que l’objet a pris cette place de pouvoir symbolique que détenait auparavant l’architecture. Par ailleurs, ce sont des compositions qui tentent d’être aussi précises que l’étaient, en peinture, celles de Mondrian.” Cette manière de se saisir des motifs avant-gardistes près d’un siècle plus tard et de les citer explicitement n’est pas un hommage servile et dévoué. Elle est d’abord inspirée par la nécessité de combler un manque. Mathieu Mercier : “On n’a aucune vision du futur, autant prendre celles du passé.

Les avant-gardes, c’était l’industrie pour le meilleur, mais sans en voir tous les aspects négatifs”, qu’on s’applique aujourd’hui à rectifier. Selon Nicolas Chardon, l’autre raison pour laquelle les artistes s’approprient les formes audacieuses de leurs aînés est encore plus simple : “Nous voulons faire en sorte qu’elles n’existent pas seulement comme un modèle abstrait ou historique, pas seulement comme des images dans un catalogue, mais qu’elles deviennent bel et bien quelque chose de tangible, d’incarné.” Et Karina Bisch de livrer une vision étonnamment souple et radieuse de toutes ces productions géométriques dont la raideur théorique pourrait laisser froid. A ses yeux, refaire une pièce de Van Doesburg d’après un vieux dessin du maître, “c’est une manière d’en tester la résistance physique, de voir comment c’est en vrai. C’est de l’amour.” Mondrian/De Stijl jusqu’au 21 mars au Centre Pompidou, Paris IVe, www.centrepompidou.fr Mathieu Mercier, Nicolas Chardon et Karina Bisch dans l’exposition Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le blanc jusqu’au 16 avril au Frac Aquitaine, Bordeaux, www.frac-aquitaine.net Mathieu Mercier dans l’exposition Premier étage – Second degré jusqu’au 10 avril au Mudam, Luxembourg, www.mudam.lu 23.02.2011 les inrockuptibles 69

True Grit d’Ethan et Joel Coen Remake d’un film tardif de John Wayne, un western où la cocasserie le dispute au lyrisme crépusculaire.

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es y voilà : le passage des frères Coen par la case “western” était aussi inévitable qu’attendu avec impatience. Leur cinéma, coutumier de la refonte des genres, ne pouvait qu’être appelé par ce territoire typiquement américain et forcément motivé par la tentation – critique ? cynique ? désespérée ? – de le pousser dans les retranchements les plus noirs et les plus absurdes. Mais il ne s’agit pas pour les frangins d’un vrai baptême de l’Ouest : No Country for Old Men, l’un de leurs derniers et plus grands films (avec A Serious Man), s’imposait

de savoureuses batailles verbales, qui rapprochent par moments les Coen de la verve tarantinienne 70 les inrockuptibles 23.02.2011

comme un western moderne, ni plus ni moins. Y étaient poussés à l’extrême des motifs emblématiques du genre, jusqu’à l’abstraction métaphysique. Comme dans ce dernier opus, il y était question d’une traque, d’un personnage mû par une volonté implacable. True Grit déroute par la façon même dont il rejoue cette ligne directrice obsessionnelle. L’absurdité à l’œuvre ici n’est pas tout à fait de même nature et de même portée. Mattie, 14 ans, est prête à tout pour venger la mort de son père tué par son employé Tom Chaney. Aucune poursuite n’a été entamée au moment des faits : à quoi bon traquer un criminel enfui dans une contrée voisine et sauvage qui appartient encore, bien que plus pour longtemps, aux Indiens.

raccord

back to the West L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, d’Andrew Dominik, est le dernier western à avoir marqué les esprits pour son inspiration élégiaque propice à peindre une mythologie sur le déclin. En salle en juin, le dépouillé Meek’s Cutoff de Kelly Reichardt (Old Joy) met à l’épreuve et à nu, jusqu’à l’os, les rapports de confiance au sein d’un groupe de pionniers perdus dans le désert. Un grand film politique. A venir cet été, dans un tout autre registre, Cowboys & Envahisseurs de Jon Favreau, qui invite les aliens dans le Far West. De quoi intriguer !

La jeune fille tente de convaincre un US marshal alcoolique, mais sacrément efficace, de travailler pour elle. Sur le déclin, le borgne et avachi Rooster Cogburn (Jeff Bridges) éructe, grimace, regarde de haut cette gamine déterminée et rechigne à mettre la main sur le fugitif, d’autant plus que sa jeune employeuse compte être de la partie. Mattie ne peut guère attendre plus du Texas Ranger du nom de LaBoeuf (Matt Damon, impayable) qu’elle rencontre aussi en ville. Egalement sur les traces de Chaney, ce macho moustachu du Sud, bardé de principes, juge absolument inconcevable de se mettre au service de cette enfant et encore plus aberrant de chevaucher à ses côtés en terres indiennes. Pourtant, la force de conviction de l’héroïne finit par l’emporter sur cette rigidité masculine qui frôle l’inertie. Il faut dire que la môme à tresses sait maîtriser le langage, bien plus d’ailleurs que la plupart des hommes auxquels elle s’adresse. Ce qui donne lieu à de savoureuses batailles verbales, exercice dans lequel les Coen peuvent exceller et qui les rapproche par moments de la verve tarantinienne. Mais quand la parole ne suffit plus à Mattie pour affirmer sa volonté, c’est sa fulgurance épique – la traversée d’une rivière,

aussi étonnante qu’émouvante  – qui impose définitivement sa présence auprès de ces deux mâles. Le voyage initiatique entrepris voit naître la cohabitation fragile d’une figure romanesque pure, porteuse de valeurs et de croyance, avec des hommes autrement butés, appartenant à un monde tellement figé et caricatural qu’il semble déjà mort et inapte à ressusciter la moindre flamme. Ce frottement, a priori stimulant, d’un personnage vierge à un univers usé de post-western dégénéré, menace très vite le film d’enlisement, peut-être parce qu’ici la mise en scène des frères Coen n’arrive pas à parfaitement équilibrer les éléments mis en balance. Ainsi, ils cèdent parfois à leur goût de l’épinglage ironique, à la forme surplombante. Le désir de vengeance de Mattie finit par tendre vers une absurdité morbide sans surprise, et par se vider de sa substance. Pourtant, c’est à ce point de relâchement que jaillit la belle idée du film, lors de son basculement final qui voit les forces en jeu s’inverser : au moment où Mattie frôle la mort, Cogburn se réveille, comme subitement gagné par la fougue de l’adolescente, et entreprend une folle chevauchée pour la sauver d’une piqûre de serpent. Dans cet ultime mouvement porté à bout de bras, le film arrive à donner un souffle lyrique et un sens crépusculaire à l’épuisement pathétique qu’il a mis en œuvre. Amélie Dubois True Grit d’Ethan et Joel Coen, avec Hailee Steinfeld, Matt Damon, Jeff Bridges (E.-U., 2010, 2 h 05). Lire aussi l’interview de Joel Coen p. 63 et la critique du livre de Charles Portis p. 97

des prix et des prix Vendredi 25 va s’achever l’hiver des prix du cinéma français. C’est donc la cérémonie des César qui fermera la marche. Avant, il y avait eu les Prix Lumière, puis les Globes de cristal, deux cérémonies partageant, outre des intitulés un peu risibles, l’ambition de devenir les “Golden Globes français”. On saura samedi si ces deux instances valent comme indicateurs fiables du vote des César – comme aux USA les Golden Globes annoncent de façon presque imparable l’attribution des oscars. Sur plus d’un point, bien que rivales, les deux cérémonies convergent. Kristin Scott-Thomas, pour Elle s’appelait Sarah, a réussi jusque là un sans-faute, et c’est armée d’un Lumière et d’un Globe d’argent qu’elle part en tête de la course aux César. Mais parce que l’Académie aime aussi récompenser ses monuments nationaux – l’an dernier Adjani –, Catherine Deneuve reste une forte concurrente – et Sara Forestier une outsider. Même convergence entre Lumière et Globe sur les acteurs : dans les deux cas, Michael Lonsdale pour Des hommes et des Dieux. Sauf que là pas de carton plein possible : non sans goujaterie, les César font concourir le génial acteur en second rôle. Du coup, il est à peu près assuré de l’avoir, mais la récompense paraîtra un peu dérisoire. C’est sur le meilleur film que Lumière et Globe divergent. Aux Lumière, où ne votent que les journalistes étrangers installés à Paris, on choisit Des hommes et des Dieux. Aux Globes, ces prix abracadabrants attribués par des journalistes français, on a davantage le coeur à rire et on considère L’Arnacœur comme le meilleur film français (lol). Gageons que les professionnels du cinéma se rangeront plutôt du côté de la presse étrangère et Des hommes et des Dieux peut espérer une belle moisson. A la droite du film, le méga-succès Les Petits Mouchoirs, et à sa gauche l’échec public du radical Vénus noire, ne sont même pas nommés. L’assurance donc de voir triompher un vrai film centriste.

Jean-Marc Lalanne 23.02.2011 les inrockuptibles 71

Toi, moi, les autres d’Audrey Estrougo avec Leïla Bekhti, Benjamin Siksou (Fr., 2009, 1 h 30)

127 heures de Danny Boyle L’excellent James Franco ne parvient pas à sauver cette boursouflure interminable du réalisateur de Slumdog Millionaire.

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e Danny Boyle, soyons francs, on n’attendait pas grand-chose après le désespérant Slumdog Millionaire, vaste hallucination collective plaquée or et oscars, comme ces bidonvilles recouverts de peinture pour apparaître plus pimpants à l’écran. On n’attendait pas grand-chose, et on avait bien raison : 127 heures n’est presque rien, une toute petite chose gonflée à bloc par le style publicitaire de la grenouille Boyle voulant se faire bœuf. Nul, donc, et pourtant infiniment plus sympathique que le précédent opus : aucun cynisme ici, aucune démagogie, seul le vide abyssal d’un cerveau – partagé par le héros et le cinéaste – victime de la pauvreté de son imaginaire ; un autoportrait d’une touchante sincérité, en quelque sorte. Résumons : parti seul en excursion, un jeune aventurier tout-terrain tombe dans une crevasse, s’y fait broyer la main par un rocher et reste bloqué là 127 heures, le temps qu’il parvienne à s’en extirper d’une bien peu ragoûtante manière. Pour passer le temps, il laisse divaguer son esprit sur les rives de sa mémoire étriquée, entre souvenirs Kodak et manuel de survie Decathlon. Extase, gore et débrouillardise, les trois éternelles mamelles du réalisateur de Trainspotting et de 28 Jours plus tard, sont ici convoquées

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alternativement pour ne surtout jamais laisser place au vide, ce vide qui, dans les mains de vrais cinéastes comme Gus Van Sant, devient plénitude. 127 heures est ainsi la parfaite Némésis de Gerry : l’énergie dépensée l’est en pure perte, 0 puissance 10 000 étant toujours égal à 0. Pourtant, quelque chose résiste à la nullité de ce programme : James Franco. Seul à l’écran la plupart du temps, il doit déployer des trésors d’inventivité pour donner corps à ce personnage navrant. Or, l’acteur formé sur les bancs de l’école Apatow (la série Freaks and Geeks, en 1999) n’a pas son pareil pour jouer les ahuris (se souvenir de Harvey Milk ou de Délire express), capable de mille variations dans l’expression du rien, et surtout d’une grande drôlerie. Tâchant d’oublier la lenteur du compte à rebours, on se délecte ainsi de ses mimiques et de ses galipettes ankylosées, qui font de lui un praticien talentueux du burlesque immobile des années 2000, sans toutefois atteindre le génie de Will Ferrell ni de Steve Carell. Maigre rançon, on le disait, mais retrouver Danny Boyle sur ce terrain-là a quelque chose de réjouissant : la bêtise est toujours plus accueillante lorsqu’elle se présente dénudée. Jacky Goldberg 127 heures de Danny Boyle, avec James Franco, Amber Tamblyn (E.-U., G.-B., 2010, 126 h 59)

Une comédie musicale trop larmoyante. Sans casser des briques, le début de Toi, moi, les autres donne le vague espoir d’avoir affaire à une comédie musicale certes très standard, mais honnête : pas de Demy à l’horizon, plutôt un investissement de bonne tenue du studio et de la scène façon Broadway. Et puis, une énergie et un plaisir communicatifs émanent des acteurs de ce Roméo et Juliette des temps modernes, version XVIe contre Belleville, qui donne envie d’y croire. Passe aussi le montage bollywoodien des deux amoureux en route l’un vers l’autre, même si l’on commence à redouter la comédie musicale clin d’œil, sans parti pris fort. Bingo ! C’est même pire que ça : le film vire très vite au cauchemar, c’est-à-dire au clip caritatif dégoulinant et obscène (interprétations larmoyantes à l’appui) quand il aborde le sujet des sans-papiers. Tout ce qui était jusqu’alors en germe éclate au grand jour : un mélange de show à la Kamel Ouali et de soirée Restos du cœur. Amélie Dubois

Les Voyages de Gulliver de Rob Letterman avec Jack Black, Jason Segel, Emily Blunt (E.-U. 2010, 1 h 25)

Justin Bieber – Never Say Never de Jon Chu avec Justin Bieber, Boys II Men (E.-U., 2010, 1 h 45)

Hagiographie filmée de l’idole des jeunes filles en boutons. Bien vu. Il est sans doute prématuré – et peut-être inutile, au fond – de considérer Jon Chu comme un auteur, mais pour la troisième fois, après Sexy Dance 2 et 3, il parvient à nous captiver avec un matériau des moins évidents, par la simple grâce de sa mise en scène. La gageure impressionne d’autant plus qu’il s’agissait ici de se plier à l’exercice le plus dur, le plus impersonnel : l’hagiographie de star. Qui plus est d’une star de 17 ans à peine, aux accords aussi lisses que la mèche tombante, idole des jeunes filles prépubères et repoussoir pour tous les autres. Le documentaire de Chu se concentre sur l’apparition phénoménale de cette baby-star bi(e)beronnée aux clics YouTube, comptabilisés par millions avant même qu’une maison de disques n’y fourre son nez. Ni enfant de star, ni produit Disney (les contre-modèles Jaden Smith et Miley Cyrus, ici ringardisés), Bieber porte en lui une fiction d’un genre nouveau, contemporaine du Social Network dont il serait la version Bisounours : la toute-puissance des réseaux sociaux. L’intelligence de Chu est d’en prendre acte esthétiquement, passant, entre deux interviews lénifiantes, de la basse définition de YouTube à la très haute du cinéma 3D. C’est dans ces scènes de concert que se révèle l’idée-force du film : faire du chanteur, par la profondeur de champ extrême que permet la 3D, l’égal de ses fans, le noyer dans une masse humaine indistincte, dont il ne serait pas le cygne noir mais le signe iconique et mimétique à la fois. J. G.

Le roman de Swift adapté sans finesse. Il y a une très bonne idée dans cette relecture du roman de Swift, où le voyageur est devenu rédacteur de guides touristiques : le gigantisme de Gulliver parmi les Lilliputiens y est traité comme celui des stars au cinéma, avec Jack Black version en short de la Norma Desmond de Boulevard du crépuscule. Ce film dans le film, où la vie de Gulliver est évoquée façon Star Wars, est meilleur que le reste, qui hésite entre le film estampillé Frat Pack et la production pour enfants sans jamais atteindre le sabordage pervers et délibéré du Monde (presque) perdu, avec Will Ferrell. Léo Soesanto

La Flûte et le Grelot de Tang Cheng, Qian Jiajun, Wu Qiang, Te Wei (Chine, 1982 et 1963, 42 min)

Deux gracieux courts chinois pour enfants. Programme plaisant pour enfants. Deux raisons : d’abord, la continuité esthétique de ces deux courts métrages chinois réalisés à vingt ans de distance par des cinéastes différents ; ensuite, l’absence de propagande politique et la perpétuation d’une tradition artistique ancestrale. Le plus convaincant étant la beauté des films, purs lavis animés, parfaits équivalents de ceux qu’on connaît en peinture, avec par exemple les montagnes du Grelot du faon (1982), exécutées à l’encre de Chine dans un style très gestuel, ou bien les arbres de La Flûte du bouvier (1963). Ce sont également d’étonnants films animaliers postulant une symbiose panthéiste entre hommes et bêtes qui ignore l’anthropomorphisme disneyen. Vincent Ostria 23.02.2011 les inrockuptibles 73

Winter Vacation de Li Hongqi avec Junjie Bai Ebai, Naqi Zhang (Chine, 2010, 1 h 31)

Rio Sex Comedy de Jonathan Nossiter L’auteur de Mondovino signe une comédie de mœurs foutraque et insensée. De quoi y perdre joyeusement son latin.

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lusieurs personnages en quête de hauteur morale se laissent porter et avoir par les courants érotiques et chaotiques en libre circulation dans Rio de Janeiro. Un doute subsiste quant à la nature de ces étourdissants appels d’air : sont-ils le produit de la réalité ou bien le fruit des fantasmes et des clichés véhiculés par cette terre exotique et sensuelle où l’on va chercher bonheur. Une belle femme d’une soixantaine d’années, éminente chirurgienne esthétique pas du tout retouchée, pose ses valises dans la ville brésilienne, le cœur léger d’avoir laissé derrière elle mari et enfant. Son malin plaisir : décourager les patientes qui viennent la voir de modifier leur physique et accessoirement passer du bon temps en compagnie de jeunes hommes qui pourraient être ses fils. Une femme mariée et mère de famille entreprend de réaliser un documentaire sur les conditions de vie des domestiques au Brésil, l’occasion pour elle d’en embaucher une et de suivre certaines règles – comme ne pas manger avec son employée – pour ne pas la heurter dans ses coutumes ! Elle s’envoie en l’air avec son caméraman et beau-frère qui la quitte pour la bonne. Un ambassadeur américain allergique à sa fonction fugue comme un ado et se perd dans une favela, inconscient du danger. 74 les inrockuptibles 23.02.2011

Il y rencontre un guide touristique un peu barré, amoureux d’une indigène qui rêve de jouer dans une telenovela. Installée par son amoureux dans une forêt avec le reste de sa tribu, la jeune femme regarde la télé à longueur de journée. Rio Sex Comedy aurait pu porter le titre d’un autre film de Nossiter, Signs & Wonders, son grand jeu étant de brouiller toute lisibilité des signes sociologiques convoqués pour nous plonger dans un doute pas désagréable, un doux lâcher-prise. Le film évite ainsi l’écueil que l’on redoutait, celui de la comédie de mœurs qui pète plus haut que ses sujets d’étude en en faisant des stigmates sociaux un peu trop faciles à caser et à juger. Ici, le spectateur autant que les personnages et acteurs (dont la plupart portent leurs vrais prénoms) sont renvoyés, avec légèreté, à une totale absence de sens. Puisque tous ces méli-mélos éroticosociaux sont à n’y rien comprendre, autant s’en amuser. Certes, la mise en scène se risque au grand n’importe quoi et tourne parfois un peu à vide, mais tant pis puisqu’elle parvient aussi à se délecter, et nous avec, de moments purement gratuits. Amélie Dubois Rio Sex Comedy de Jonathan Nossiter, avec Charlotte Rampling, Irène Jacob, Bill Pullman (Fr., Bré., 2010, 2 h 04)

Léopard d’or à Locarno, une suite de saynètes arty et absurdes. Un peu théorique. Droopy pourrait-il être chinois ? Quatre adolescents se baladent dans le Nord de la Chine, dans une petite ville aux allures de ruine industrielle, et trompent leur ennui le temps de vacances d’hiver. Ça pourrait être la matière d’une chronique naturaliste – morosité et poisse rases à l’appui –, mais le film de Li Hongqi (Léopard d’or à Locarno en 2010) fait le choix très surprenant d’en faire un défilé de saynètes impassibles, étirées, lieu de microsketches où l’absurdité des situations (des jeunes gens s’échangent des baffes sans résistance et sans mal, un grand-père interdit des choses saugrenues à son petit-fils) s’ajoute à une forme d’inquiétude latente : dans quel monde au bord de l’implosion, intime ou collective, vivent donc ces gens ? Dommage que la stylisation volontairement artyssime du film (l’auteur, âgé de 35 ans, poète et écrivain, vient d’un groupe fondé autour d’une revue, appelé Bas du corps), qui surcadre, surphotographie, survide et surépure chaque plan, n’épuise un peu l’ensemble, qui a du mal à s’émanciper des belles intentions théoriques, là où une Valérie Mréjen, par exemple dans La Défaite du rouge-gorge, insufflait quelque chose de gracile et trouvait un burlesque de fond. Axelle Ropert

Sanctum d’Alister Grierson Première production de James Cameron post-Avatar, Sanctum noie la 3D numérique dans une grotte sous-marine. ue faire après avoir réalisé le plus Cameron (visite en images de synthèse gros score de tous les temps au de la grotte avant la première plongée box-office ? James Cameron s’était comme dans Titanic), la première déjà posé la question, en 1997, demi-heure possède encore une certaine après Titanic. Et il avait résolu le problème vista visuelle qui ravit plutôt. en travaillant sur quelques succédanés Hélas, dès que l’histoire à proprement de Terminator et en tournant deux parler s’enclenche, on s’enlise dans documentaires sous-marins (Les Fantômes des bas-fonds à la morale plus visqueuse du Titanic en 2003, Aliens of the Deep en 2005). qu’une nappe de pétrole, sans espoir d’en Juste de quoi garder la main en attendant réchapper. Indigène dévoué, milliardaire la nouvelle révolution technologique qui pusillanime, femmes hystériques allait lui permettre de revenir au sommet, et figure sacralisée du père, rien ne nous douze ans plus tard, avec Avatar. est épargné. Seul le jeune Rhys Wakefield, La gloire ayant été de nouveau, et beau blond délicat, en combi plastique comme toujours, au rendez-vous, et nulle et lèvres bleuies par le froid, arrive à glisser révolution ne pointant pour l’instant son nez un peu de glam-rock dans ce pensum pour ringardiser la 3D numérique, des profondeurs. la même question se repose, aujourd’hui, James Cameron semble d’ailleurs moins au “roi du monde“, avec une acuité préoccupé, dans le dossier de presse, renforcée. On annonce bien, vers 2014-2015, à défendre le film en tant que tel deux suites au “phénomène” Avatar. que le matériel utilisé pendant le tournage  Mais, d’ici là, comment occuper – le Cameron/Pace Fusion 3D Camera ces si longues journées californiennes ? System, “la meilleure caméra du monde”, En produisant, par exemple, un nouveau forcément –, comme s’il cherchait avant tout film de plongée sous-marine, cette fois-ci à maintenir sa suprématie technique dans en 3D, scénarisé par son vieux compagnon le domaine des nouvelles images. Difficile, d’exploration subaquatique, Andrew Wight, dans ces conditions, de s’attacher vraiment et réalisé par un homme de paille à ce triste Sanctum, qui est moins une australien, Alister Grierson. Sanctum œuvre cinématographique qu’un titanesque retrace ainsi, sans surprise, une expédition- placement de produit. Patrice Blouin tournant-à-la-catastrophe dans la plus grande grotte du monde. Et même si le film Sanctum d’Alister Grierson, avec Richard donne rapidement l’impression d’un remix Roxburgh, Rhys Wakefield, Alice Parkinson (Aus., E.-U., 2011, 1 h 45) réactualisé de scènes déjà vues chez

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23.02.2011 les inrockuptibles 75

en salle un week-end en Positif Pour célébrer son 600e numéro, la revue Positif organise un week-end de films et de rencontres autour du cinéma français au Forum des images de Paris. Du 25 au 27 février, douze films seront projetés en six doubles programmes. Positif a demandé à six cinéastes français confirmés de venir présenter leurs œuvres mais aussi d’inviter un réalisateur plus jeune dont l’un des films les a particulièrement marqués au cours des dix dernières années. Ainsi, Guédiguian, Leconte, Miller, Rappeneau, Tavernier et Varda ont choisi de dialoguer avec, respectivement, Collardey, Chomet, Dumont, Brizé, Assayas et Kechiche. Positif invite le cinéma français du 25 au 27 février au Forum des images, Paris Ier, www.forumdesimages.fr Dans la jungle des villes de Stéphane Demoustier

hors salle Mourlet retrousse son cinéma Essayiste et romancier, Michel Mourlet s’est d’abord fait connaître comme critique et théoricien appartenant au groupe de cinéphiles dits “mac-mahoniens”. L’Ecran éblouissant relate les “voyages cinéphiliques” de l’auteur, qui s’échelonnent sur plus d’un demi-siècle, et dont Bazin, Lang, Tati, Sautet, Tavernier, Rohmer, Losey, DeMille, Preminger ou Cottafavi constitueraient les escales les plus importantes, ou les plus discutables L’Ecran éblouissant – Voyages en Cinéphilie (1958-2010) (PUF), 304 pages, 25 €

box-office Paris 14 heures Il est un lieu et une heure où les spectateurs sont traversés par des envies bizarres et ne vont plus voir les mêmes films que tout le monde. Ce phénomène surnaturel se produit à Paris et à 14 heures le mercredi. Cela fait trois semaines qu’à la séances de Paris 14 heures, l’outsider du jour bat son rival mastodonte. A Paris à 14 heures, le jour de leurs sorties, plus de gens sont allés voir Le Discours d’un roi que Rien à déclarer. Puis davantage de spectateurs ont vu Black Swan que Tron. Et enfin mercredi 16, davantage de Parisiens à 14 heures ont vu Les Femmes du 6e étage que Largo Winch 2. Après, bien sûr, la province ou la fin de la journée se chargent souvent de corriger cet effet Paris 14 heures, espace-temps des possibles.

autres films Requiem pour une tueuse de Jérôme Le Gris (Fr., 2010, 1 h 31) Mais y va où le monde ? de Serge Papagalli (Fr., 2010, 1 h 24) Amours salées et plaisirs sucrés de Joaquín Oristrell (Esp., 2008, 1 h 42) Exit – Una storia personale de Massimiliano Amato (It., 2010, 1 h 20) Dossier secret (M.r Arkadin) d’Orson Welles (Fr., E.-U., Esp., 1955, 1 h 36, reprise) Butch Cassidy et le Kid de George Roy Hill (E.-U., 1969, 1 h 50, reprise) 76 les inrockuptibles 23.02.2011

courts des miracles Briller à Clermont-Ferrand équivaut pour un jeune cinéaste à passer son bac. Plongée dans le plus important festival de courts métrages du monde.

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ujourd’hui, le court est quasiment invisible dans les salles de cinéma, qui lui ont bien sûr préféré les publicités. Alors le net et la télévision ont pris la relève, devenant ses diffuseurs principaux : Canal+, Arte ou France Télévisions assurent ce boulot. La réalité, c’est que le court est rarement une fin en soi pour un cinéaste, un format à égalité avec le long (comme la nouvelle ou le roman en littérature) mais plutôt le passage obligé et quasi unique pour devenir réalisateur de long métrage – la fameuse “carte de visite”, le baccalauréat du cinéaste. Mais qui a envie de lire une carte de visite ? Pour beaucoup de cinéphiles, le format roi reste le long, dont les quatre-vingt-dix minutes devraient à jamais constituer le canon horaire du film de cinéma. C’est avec ces quelques clichés en tête que nous avons décidé cette année de couvrir Clermont-Ferrand, capitale mondiale du court métrage, aiguillonnés par un bouche à oreille qui annonce que les salles sont de plus en plus bondées ici, qu’on refuse même du monde, et que les festivals de courts se multiplient en France. “C’est aussi une solution de facilité. Beaucoup de municipalités pensent qu’il est plus facile d’organiser un festival de courts métrages qu’un festival de longs, qu’il suffit d’aller frapper à la porte d’un distributeur pour obtenir une copie. C’est évidemment faux, car l’économie du court demeure faible”, explique Eric Wojcik, l’un des trois délégués

généraux du festival depuis 1993, chargé des partenariats et sélectionneur à l’international. Mais peut-être peut-on aussi imaginer que le format court deviendrait la durée idéale pour le spectateur contemporain, pressé de toutes parts par de nouvelles sollicitations culturelles amenées par l’ère numérique, habitué par la télévision à zapper (et donc à monter lui-même ses soirées) ? Pourtant, à les interroger, les spécialistes du court (réalisateurs, organisateurs) semblent hésiter à avancer une explication à cet engouement pour le court, préférant la prudence à l’enthousiasme, comme s’ils craignaient que la bulle n’éclate une fois montrée du doigt au public. “Le festival est arrivé avec le beau temps, cette année à Clermont…”, sourit Eric Wojcik. Et puis, au fond, qu’y a-t-il à gagner ? Depuis trente-trois éditions, ClermontFerrand et l’association Sauve qui peut le court métrage qui l’a fondé portent vaillamment en France l’étendard du court, sourds aux railleries, indifférents aux modes et aux démodes qu’on serait presque prêt à qualifier de “parisiennes”, si l’antiparisianisme n’était lui-même redevenu un thème à la mode cher à la droite réactionnaire (et ça fait beaucoup de monde). Résultat, et même si les modestes dirigeants du festival de Clermont-Ferrand ne tiennent pas à s’en vanter, ça paie. Non seulement Clermont-Ferrand (son festival national et international, son labo, son marché) est devenu le plus grand

La Dame au chien de Damien Manivel

festival de courts métrages du monde, mais sa fréquentation augmente chaque année, lentement mais sûrement. Plus encore, “être sélectionné à Clermont-Ferrand, avant même d’y être récompensé, c’est très important” pour un jeune cinéaste comme Damien Manivel, auteur du très maîtrisé Dame au chien, qui a reçu dimanche dernier le prix spécial du jury national. La FrancoSénégalaise Dyana Gaye (réalisatrice d’Un transport en commun), prix du jury international pour Deweneti en 2007, membre du jury international cette année, confirme : “Remporter un prix à Clermont, c’est important. Vous êtes sollicité par les festivals de courts du monde entier. Et dans chaque pays d’Europe il y en a un qui surpasse les autres.” Depuis longtemps, Eric Wojcik montre des courts dans les prisons, où les séances autorisées par l’institution carcérale ne peuvent excéder une heure trente… Le cinéma, ici, n’est pas qu’un art d’esthète. A considérer leurs choix, les sélectionneurs de Clermont tentent, par nature, de rester ouverts à toutes les formes de cinéma. Autrement dit, certains films ne sont là que pour les informations (sociales, politiques) qu’ils véhiculent, davantage que pour leur forme. Les films les plus ambitieux sont d’ailleurs l’objet d’une section à part, qui fête aujourd’hui ses dix ans, le Labo. Le cinéma court, en Auvergne, est d’abord une fenêtre ouverte sur le monde, éventuellement un art. Les deux ne cohabitent pas toujours. Car le critère critique principal des réalisateurs à Clermont pour défendre un film est : “C’est bien fait”. La fabrication, qui doit impressionner un éventuel producteur de longs, l’emporte ainsi souvent sur la

qualité artistique – est-il besoin de le rappeler : on ne devient pas toujours cinéaste pour être artiste… Alors nous avons vu ici beaucoup de films bien faits. D’autres, heureusement, n’étaient pas toujours que cela, comme Dans la jungle des villes de Stéphane Demoustier, Paris Shanghai de Thomas Cailley (même si on y sent un peu trop le long à venir…) ou La Dame au chien de Damien Manivel, qui témoigne d’un vrai rapport au temps et ne se laisse pas entraîner sur le chemin un peu trop parcouru, ici, de l’ellipse qui en dit long… Et puis quelques films forts, comme Aglaée de Rudi Rosenberg, où des adolescents filmés à la Pialat découvrent le trouble mystérieux de la sexualité, ou le documentaire Pandore de Virgil Vernier, un moyen métrage qui filme le physionomiste d’une boîte de nuit parisienne et rend compte en trente-sept minutes de tous les aspects du pouvoir. Côté international, les films les plus beaux furent ceux qui ne cherchaient pas à dire quelque chose, mais à montrer : le poétique et imaginatif Boca du Philippin Alistaire Christian Chan, l’hallucinant Cachoeira du Brésilien Sergio J. Andrade, ou le dreyérien Un bout d’été de la Polonaise Marta Minorowicz (grand prix du jury international). Et puis un petit bijou, Chef-d’œuvre ?, du grand Luc Moullet, qui nous permettra de conclure sur l’état du court métrage par une question : y a-t-il un lien entre la taille d’une œuvre (tableau, livre, film) et sa valeur ? La Bible, est-ce plus un chef-d’œuvre qu’un poème de Baudelaire, Shoah mieux que Nuit et Brouillard, ou Le Sacre de Napoléon (plus de 60 mètres carrés) mieux que La Joconde (à peine un mètre carré) ?

le cinéma court, en Auvergne, est d’abord une fenêtre ouverte sur le monde

Jean-Baptiste Morain 33e Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand Compte rendu 23.02.2011 les inrockuptibles 77

The Exiles de Kent Mackenzie Plongée ethnologique dans Bunker Hill, un quartier disparu de Los Angeles, au début des années 60. Un document exceptionnel. Le film De Bunker Hill, que savions-nous ici ? Nous en savions les rêves, tels que John Fante les avait écrits sur le tard, en 1982. Nous savions, par les livres, que ça avait été au moment de l’édification de Los Angeles un quartier résidentiel, maisons de style victorien ou rococo, avant que les premières crises des années 20 portent un coup fatal à cette colline. Les banquiers, les uns après les autres, ont quitté leurs mansions. Ils ont laissé la place à des taudis grisâtres, dans lesquels les exclus et les exilés ont trouvé refuge. Ils y ont vécu une vie séculaire. “A Bunker Hill, tout le monde se connaît, comme dans un village”, répètent-ils tous, à chaque fois, comme pour s’en persuader. On sait aussi, pour en avoir scruté longtemps la photo sur l’édition Christian Bourgois du roman de John Fante, qu’entre les immeubles serrés de Bunker Hill sortait un funiculaire, qui venait littéralement éventrer la colline, et qu’ils l’avaient baptisé Angels Flight. Mais que l’Angels Flight avait fait son dernier aller-retour en 1968. Avant que le vieux Bunker Hill ne soit rasé, et son lumpenprolétariat chassé, et que soient 78 les inrockuptibles 23.02.2011

édifiés des buildings, des bureaux, un projet urbain dont les plans avaient été lancés dix ans auparavant. Kent Mackenzie, un étudiant en cinéma, décide en 1956 de faire de son quartier sa zone d’études. Il en tire un premier court métrage. En 1961, il retourne sur les lieux, avec un projet plus ambitieux. Il sait que tout ça est fini, que les pelleteuses vont bientôt entamer leur travail de démolition. Alors, plus ethnologue dans l’âme que documentariste, il va suivre une poignée de jeunes Amérindiens désœuvrés ; ils vivent là, entassés dans un taudis aux pieds du funiculaire. Ils zonent, il n’y a pas beaucoup de boulot pour les exilés ressortis des réserves du Sud-Ouest. Ceux qui s’accrochent trouvent à Bunker Hill des bars (le Ritz Café !) avec un juke-box pour danser le rock’n’roll, s’envoyer des bières, faire du plat à la serveuse ou à la fille qui attend dans un coin qu’on la drague. Puis c’est la virée

chaque plan s’immerge dans un monde depuis balayé

à sept ou huit dans une caisse, vers le haut de la colline, et avec un peu de chance une baston pour repousser l’heure de rentrer. De même que Shadows de Cassavetes reste un document sur son époque, les scènes de The Exiles sont certes jouées, mais cela n’enlève rien à leur vérité – ceux-là ne rejouent jamais que la même partie tous les soirs. Chaque plan s’immerge de lui-même dans un monde depuis balayé. Chaque plan entre en résonance avec les photos de Robert Frank, avec celles d’Ed Van der Elsken sur le Paris de la jeunesse perdue, ou celles d’Anders Petersen au Café Lehmitz. En gros, toutes les poches du monde où le désœuvrement est roi et les petits matins blafards. Ignoré puis considéré comme perdu depuis 1961, The Exiles a été reprojeté pour la première fois à L. A. en août 2008. Mackenzie, lui, est mort en 1980, à 50 ans. Le DVD Un second DVD, comprenant à la fois des docs courts de Mackenzie et des documents sur Bunker Hill. Philippe Azoury The Exiles de Kent Mackenzie (E.-U., 1961, 1 h 12), Les Films du Paradoxe, environ 19 €

Tokyo Gore Police de Yoshihiro Nishimura Le meilleur film de la nouvelle génération de l’horreur japonaise. Gore et inventif. Le film Alors que les petits irrévérencieux d’influences maîtres Nakata et issues du cinéma, Kurosawa désertaient pour du manga ou du jeu vidéo. un temps le terrain Avec Yoshihiro Nishimura de la J-Horror, une bande (responsable des effets de réalisateurs sales spéciaux du très beau gosses ont assuré la relève Suicide Club de Sion Sono), underground du cinéma cette nouvelle génération de genre nippon. japonaise a trouvé son Ils sont anciens meilleur ambassadeur (i.e. maquilleurs, scénaristes le plus fou) et son meilleur ou pornocrates, auteurs film, Tokyo Gore Police. collectifs de séries Z Un grand bazar visuel, tordues et pop comme entre Tetsuo et Starship Machine Girl ou RoboGeisha. Troopers, qui déploie des Pas de grands films (c’est trésors d’inventivité gore en souvent trop long, mal marge d’un récit cyberpunk fichu) mais des objets (l’humanité menacée par bizarres et jubilatoires qui des mutants). C’est encore prolongent l’entreprise trop long (1 heure 50), postmoderne de Takashi bricolé à l’avenant, mais Miike : ce brassage on retiendra surtout

la frénésie graphique d’un film où, dans une atmosphère SM, le vagin d’une femme peut muter en gueule de crocodile. Le DVD Les coulisses d’un tournage guérilla, une interview promo, et surtout

les fausses publicités du film réalisées par Noboru Iguchi, auteur de Machine Girl. Romain Blondeau Tokyo Gore Police de Yoshihiro Nishimura, avec Eihi Shiina, Itsuji Itao (Jap., 2008, 1 h 50), Aventi, environ 17 €

super bastons Jill Valentine peut-elle flanquer une raclée à Spider-Man ? La réponse dans ce pur fantasme pour geeks, raconté par son concepteur Ryota Niitsuma.

Q   business coup de balai chez Activision En réaction à ses pertes importantes du dernier trimestre 2010 (233 millions de dollars), l’éditeur américain Activision a annoncé la fin de ses séries de jeux musicaux Guitar Hero et DJ Hero. La saga Tony Hawk est quant à elle mise en sommeil, tandis que le pourtant prometteur True Crime – Hong Kong est annulé. Le tout devrait se solder par cinq cents suppressions d’emplois. Sur l’ensemble de l’année, Activision a gagné 418 millions de dollars. 80 les inrockuptibles 23.02.2011

ui est le plus fort : Hulk ou Spider-Man ? A moins que ce ne soit Iron Man ? Et les héros de jeux vidéo dans tout ça ? Voilà le type de débats de cour d’école que Marvel vs Capcom 3 se propose de trancher en confrontant les superhéros Marvel aux personnages emblématiques de l’éditeur japonais (Chun-Li de Street Fighter, Dante de Devil May Cry, Jill Valentine de Resident Evil…). Déjà aux manettes du 100 % nippon Tatsunoko vs Capcom, Ryota Niitsuma, jovial producteur de ce nouvel opus, ne fait pas mystère des raisons qui ont poussé l’éditeur à mettre en chantier cet ébouriffant jeu de combat une décennie après l’épisode 2. “Il y a dix ans, on avait choisi une autre direction, celle des jeux d’action-aventure comme Resident Evil ou Devil May Cry. C’était ce vers quoi le marché allait, reconnaît-il. Aujourd’hui, on a pris la décision d’entreprise de revenir aux jeux de combat car on sentait que les gens en avaient à nouveau envie.” Ne pas en déduire que Marvel vs Capcom 3, à la fois follement pop et requérant du joueur une attention de tous les instants, n’est que le simple fruit d’une démarche bassement commerciale. Car s’il n’affiche pas un amour débordant pour la mythologie Marvel (“Je ne lisais pas les comics, c’est

par les films hollywoodiens que je suis entré dans cet univers”), Niitsuma se révèle un fervent apôtre du genre dans son ensemble. “Ça va vous paraître étrange, mais si les gens veulent jouer à des jeux de baston qui ne sont pas de Capcom, ça ne me dérange pas. Le but, c’est qu’ils s’y intéressent, qu’ils comprennent que certains sont plus faciles à appréhender que d’autres. Fate of Two Worlds est une bonne porte d’entrée mais, par exemple, il y a aussi SoulCalibur (édité par Namco – ndlr). Ce qui compte, c’est que les gens pénètrent le cercle du jeu de combat.” Marvel vs Capcom 3 occupe une place à part dans ce cercle, celle du fantasme geek par excellence. “C’est la possibilité d’avoir quelque chose qu’on n’imaginait pas, souligne Niitsuma. De trouver rassemblés des personnages qui n’ont rien à voir entre eux. Cela excite l’imagination des fans.” Et la sienne, pendant ce temps, est-elle déjà occupée par de nouvelles idées ? “Ce que j’aimerais faire maintenant, ce n’est pas ‘quelque chose vs Capcom’ mais ‘quelque chose vs Capcom vs autre chose’. Mélanger trois univers au lieu de deux. Elargir encore le rêve des gens.” Erwan Higuinen Marvel vs Capcom 3 – Fate of Two Worlds sur Xbox 360 et PS3 (Capcom, environ 60 €)

comics trip Chez DC Comics aussi, les superhéros se frictionnent. En ligne et par le biais d’avatars armés pour la gloire. endant que la famille Déjà exploitée par City of Marvel défie les fiers Heroes, l’idée est assurément combattants Capcom, séduisante, et les premières les superhéros minutes passées à définir de la maison concurrente l’allure de son superhéros DC Comics (Superman, (homme ou femme, inspiré Batman, Catwoman…) ou non d’un personnage invitent les joueurs à les existant, etc.), façon Kick-Ass rejoindre sur internet. Et virtuel, sont pour le moins même à se faire une place électrisantes. Mais une fois parmi eux, car DC Universe lancé en pleine action, Online est un jeu en ligne on déchante un peu. massivement multijoueur Reposant sur un système – pratiqué simultanément de combat assez primitif et par de nombreux gamers se déroulant dans une ville connectés – qui permet de plutôt terne, le jeu peine se créer son propre alter ego à tenir ses promesses, aux pouvoirs surnaturels. d’autant que les premières

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missions ne se révèlent pas particulièrement exaltantes. Se présentant, au fond, comme un jeu solo auquel d’autres s’adonneraient en même temps plutôt que comme une affaire immédiatement collective, DC Universe Online n’en réussit pas moins à susciter un plaisir teinté d’étonnement lorsque, soudain, un inconnu surgit du néant pour nous tirer d’une mauvaise passe. Mais, comme pour tous les jeux en ligne du genre, c’est sur la durée qu’il gagnera ou non (grâce aux mises à jour de son éditeur et aux trésors d’inventivité déployés par ses adeptes) le cœur des joueurs. Lesquels devront alors décider s’ils sont prêts à payer l’abonnement (d’une dizaine d’euros par mois) nécessaire pour satisfaire les rêves de gloire de leur superhéros perso. E. H. DC Universe Online sur PS3 et PC (Sony, de 50 à 60 €)

NBA Jam Sur iPhone et iPod Touch (EA, 3,99 €) Fraîchement adapté à l’iPhone quelques mois à peine après sa résurrection sur Wii, NBA Jam reste fidèle au principe qui a fait sa gloire dans les années 1990 : fuir toute idée de réalisme pour offrir un basket aussi accessible que spectaculaire. A quelques problèmes d’ergonomie près (dont la proximité périlleuse du bouton virtuel déclenchant tirs et contres et de celui qui renvoie au menu de l’iPhone), le résultat ne déçoit pas : les matchs se révèlent aussi fous qu’autrefois sur cette pimpante version portable, à laquelle seule manque vraiment la possibilité de se défier entre joueurs humains.

kings of pop Le Danemark est un royaume et ses souverains se nomment Treefight For Sunlight. Une jeune formation éblouissante, qui signe déjà l’un des grands disques de l’année.

J  Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

82 les inrockuptibles 23.02.2011

e ne dirais pas qu’on a grandi dans des familles d’artistes. Mais ce qui est sûr, c’est que l’on vient de maisons avec des pianos dans le salon.” Les mots sont de Niels Kirk, pianiste biberonné à Chopin et Mozart, officiant désormais au sein de la formation pop danoise Treefight For Sunlight. On l’écrira de façon péremptoire : le quatuor, installé à Copenhague, offre avec son éblouissant premier album, A Collection of Vibrations for Your Skull, la plus belle surprise auditive de ce début d’année. Un disque de pop exemplaire, sans faux pas, sans tics ni chichis – le genre de recueil dont certains Anglais passent une vie à vouloir atteindre le cœur, sans jamais dépasser le genou.

Un seul morceau, What Became of You and I?, suffit à étaler la puissance du Treefight club : quatre minutes de pop en forme de pluie qui claque, un psychédélisme rayonnant digne d’un fantasme de Lewis Carroll partagé avec les Beach Boys et XTC. Le tout sublimé dans un refrain dont les chœurs ahurissants pourraient être remboursés par la Sécurité sociale. Le titre, dont on recommande l’écoute plusieurs fois par jour et dans toutes les positions, assure dès aujourd’hui une des fulgurances sonores de 2011. Il a pourtant failli ne pas se retrouver sur le disque. “C’est Aske Zidore, guitariste du groupe Oh No Ono, qui est tombé sur cette maquette et nous a demandé d’en faire quelque chose.”

on connaît la chanson

Tore Hallas

“faire ce disque, c’était comme construire un refuge”

Ce dernier, échappé de sa formation danoise, a produit l’album de Treefight For Sunlight. Avec son complice Kristoffer Rom, il a monté le label local Tambourhinoceros, sur lequel le groupe est aujourd’hui édité. Un label inconnu en France, mais dont les signatures, de The New Spring à 4 Guys From The Future, replacent le Danemark, souvent dans l’ombre de son voisin suédois, au centre de la cartographie pop scandinave. Preuve supplémentaire du rayonnement du quatuor par-delà la mer Baltique : outre-Manche, c’est l’ancien Cocteau Twins Simon Raymonde et sa très recommandable maison Bella Union qui lui ont offert un toit. “Le Danemark est un pays riche et fort économiquement. Ça facilite certainement la créativité : les gens ont la possibilité de s’intéresser à l’art. Il en ressort une vraie émulation à Copenhague, des projets qui se croisent, un dynamisme excitant”, expliquait le groupe quelques heures avant une formidable prestation sur la scène du Shepherd’s Bush Empire, à Londres. C’est en pensant à Madeline, un livre pour enfants adapté à l’étranger en dessin animé,

que Treefight For Sunlight a initialement envisagé son album. “Nous étions jeunes, et nous venions de quitter nos familles pour nous installer à Copenhague. C’était une période riche en angoisses et en incertitudes. Il nous a fallu trouver un endroit où nous sentir en sécurité, une nouvelle maison. On a créé cet espace imaginaire, enfantin, presque naïf, avec le disque. C’était comme construire un refuge.” L’album a d’ailleurs été enregistré dans une église jouxtant une école maternelle. Il en ressort une légèreté et une joie délectables, portées par une production virtuose. De Facing the Sun, qui réconcilie les Byrds et MGMT, à Riddles Rhymes, qui réconcilie Pierre et le loup, Treefight For Sunlight confirme son lien de parenté avec Brian Wilson, pour cet art de composer des symphonies adolescentes. Pour cette façon, aussi, d’atteindre ce fragile équilibre entre inspirations pop et musique classique, là où l’entreprise voit la plupart des groupes (Muse, Queen…) se gaufrer dans des opéras pompeux et pompiers. “On écoute de la musique classique, de la pop, mais aussi beaucoup de hip-hop. Le danger, c’est de se cantonner à un genre musical ou une époque. Nous sommes fans de Pet Sounds ou des Beatles, bien sûr. Mais jamais nous n’avons voulu composer un disque rétro, passéiste, ou hommage aux sixties.” Il est beaucoup question de justice ces temps-ci en France. Dans un monde juste, les Danois connaîtraient dans notre pays le même succès que MGMT : ils partagent avec le duo new-yorkais un regard moderne, contemporain et brillamment novateur sur l’histoire, une maîtrise passionnante du futur antérieur. Johanna Seban Album A Collection of Vibrations for Your Skull (Tambourhinoceros/Bella Union/Cooperative/Pias) Concert Inrocks Indie Club le 25 mars à Paris (Flèche d’Or), avec The Go! Team et May 68 www.myspace.com/treefightforsunlight

un disque qui vieillit bien Pourquoi écoute-t-on les albums de notre jeunesse ? Pour parler d’un album de rock, il est une phrase que je déteste entendre, lire ou, pire, écrire. “Il ne vieillit pas.” Bien sûr que si : il suffit d’entendre ses contemporains, ceux qu’on ne fréquenta pas avec la même assiduité, pour s’en rendre compte, avec cruauté. Le disque vieillit, effroyablement, mais parfois notre relation à lui demeure pure et fraîche comme au premier jour. C’est comme une réunion d’anciens du lycée – Dieu m’en préserve, aucun ne se souviendrait de moi de toute façon. On serait abasourdi que tel écolier perdu de vue ressemble à un vieillard, une loque – “il ne peut pas avoir mon âge”, se dirait-on. Mais un ami resté fidèle, lui, serait toujours enfant, on lui parlerait avec la même candeur, le même humour, la même confiance. Ce qui ne vieillit pas, espère-t-on, est ce lien direct avec l’œuvre, cette intimité, ce mystère et ce frisson que quelques chansons procurèrent et procureront toujours. Certains disques adorés sont aujourd’hui inaudibles, galvaudés, épuisés, évidés : le lien est rompu. Il faut toujours se mesurer aux albums formateurs de sa vie de fan de rock. Pas tant pour savoir comment ils ont vieilli, donc, mais pour savoir comment soi-même on a vieilli, où on en est du renoncement aux idéaux, à quelle distance des rêves et des utopies nous a entraîné la vie. Un disque, c’est ce miroir déformant – et je ne parle pas là de ces petits miroirs que sont les CD, bientôt réduits à seulement effrayer les moineaux dans les cerisiers – devant lequel on se retrouve, frissonnant et nu, plein d’espoirs, de fantasmes, de terreur et de fascination, comme au premier jour où on est entré dans le rock. On peut mentir à tout le monde, mais on ne ment pas aux chansons : elles savent quand on fait semblant, quand le corps impotent ne répond plus, quand le désir est mort. Tout ça pour dire que j’ai récemment réécouté Human League et que j’ai trouvé ça bien poucrave. Bizarrement, ça m’a soulagé.

JD Beauvallet 23.02.2011 les inrockuptibles 83

Après sept ans d’existence, le concours CQFD devient Les Inrocks Lab. Nouveau site, nouveau fonctionnement et nouveau partenaire : le concours de découvertes musicales des Inrocks rejoint le site du magazine et met l’accent sur le live, avec une soirée mensuelle gratuite à Paris. En jeu cette année pour le vainqueur, choisi par un jury composé entre autres de Mareva Galanter et Florent Marchet : cinq jours d’enregistrement à Londres avec le producteur anglais David Kosten (Bat For Lashes, Joseph Arthur). A vos demos ! Inrocks Lab Party le 4 mars à Paris (Flèche d’Or) www.lesinrockslab.com

Renaud Corlouer

CQFD fait place aux Inrocks Lab & Levi’s®

Catherine Ringer en solo au printemps Alors qu’elle remonte sur scène à partir du 30 mars pour une série de concerts à Paris (Boule Noire) et deux dates à Massy et Sannois, la chanteuse des Rita Mitsouko, en solo depuis la mort de son compagnon et guitariste Fred Chichin, livrera son premier album, Ring N’Roll, le 2 mai.

du nouveau chez Panda Bear

de la bombe, BB C’est reparti pour le festival Banlieues bleues, avec une programmation jazz et world toujours aussi pointue et pertinente. En vrac : Jacques Schwarz-Bart, Napoleon Maddox, Trombone Shorty, Joëlle Léandre, Bill Frisell, Aldo Romano, Aziz Sahmaoui, Seun Kuti, Anthony Coleman, Roberto Fonseca, le guitar-hero touareg Bombino ou la chanteuse-contrebassiste Esperanza Spalding (photo), qui viendra peut-être avec son Grammy de révélation de l’année. Du 11 mars au 8 avril, www.banlieuesbleues.org

délicieuse Joan As Police Woman Quelques semaines après la sortie de son très sexy troisième album, The Deep Field, la belle Américaine foulera de nouveau le sol français cette semaine avec ses chansons lascives et groovy. Le 23 février à Paris (Flèche d’Or), le 24 à Tourcoing

neuf

A Nice, le front de mer ne s’appelle pas la promenade des Anglais pour rien : entre Quadricolor et aujourd’hui les très jeunes et mixtes Hyphen Hyphen, la ville est devenue une véritable colonie anglaise, où l’on dialogue d’égal à égal avec tous les Late Of The Pier ou Metronomy du Royaume. On reparlera d’eux. www.cqfd.com/hyphen 84 les inrockuptibles 23.02.2011

Echappé une nouvelle fois d’Animal Collective, Panda Bear s’apprête à publier un quatrième album mixé par l’ex-Spacemen 3 Sonic Boom, qui a récemment officié sur le dernier MGMT. Enregistré dans son studio de Lisbonne et prévu pour le 19 avril, Tomboy est une autre immense cathédrale harmonique complexe, psychédélique et majestueuse. 

Sebadoh label Carton

Hyphen Hyphen

Brian DeRan

Sandrine Lee

cette semaine

De jolis emballages sobres, artisanaux et solennels, à l’image du son que défend ce nouveau label français, Carton. Rock électrique, hagard et écorché chez le trio Linnake. Musique plus étonnante encore chez les frondeurs OK, trio hippie et barré à deux batteries. Joli départ dans la vie. www.cartoncartoncarton.com

quatre Canetti en vinyle Pour ceux qui ont la mémoire qui flanche : la musique d’avant, c’est encore mieux en vinyle. C’est pourquoi on se penchera sérieusement sur la réédition en 33t de quatre antiques perles produites par l’incontournable Jacques Canetti dans les années 60 : le premier album de Jeanne Moreau, le deuxième Serge Reggiani, ainsi qu’une doublette Brigitte Fontaine, avec ou sans Jacques Higelin. Vente exclusive en Fnac

Parce que le label Domino sort une version remasterisée du classique Bakesale de Sebadoh (1994), on se pose la question : la lo-fi résiste-t-elle à un traitement hi-fi ? Affirmatif, mon général : le plus rutilant studio du monde ne pourrait rien, et c’est tant mieux, pour ce manifeste de pop crevarde et régulièrement jouissive. www.sebadoh.com

vintage

mécanique des fluides Le Lyonnais Agoria n’est sans doute pas le plus tapageur des électroniciens français. Il en est pourtant l’un des plus brillants et aventureux.

 A

voir Agoria attablé dans un coin du Tasse-Livre, caveau devenu café littéraire où le DJ lyonnais a ses habitudes, rien ne laisse supposer qu’il est un parfait masochiste. Le rire franc et la curiosité bien placée, il affiche au contraire la contenance décontractée de celui qui n’éprouve aucune

l’œuvre d’un DJ arrivé au sommet de son art mais n’ayant rien perdu de sa lucidité

lassitude à l’idée d’expliquer pour la douzième fois de la semaine que l’“impermanence” (titre de son album – ndlr) est un concept fondamental du bouddhisme et du mobilisme selon Héraclite (en gros, tout est instabilité, changement, transition et il nous faut l’accepter). Pourtant, au cours de notre entretien, il n’aura de cesse de nous tendre le bâton pour se faire battre. Ça commence par un aveu : “C’est un disque qui s’est fait très simplement. J’ai été porté par des senteurs hédonistes et par un climat personnel épanoui. Tout s’est

déroulé comme par magie.” Ça continue avec une concession : “J’ai cherché un autre titre pendant longtemps. Je trouve celui-ci un peu pompeux, ça a un côté pauvre intello-philosophe.” L’imminence de son déménagement à Turin, sur les traces de sa belle, enfonce le clou. Agoria, la coqueluche des clubbeurs ouverts d’esprit, ne serait plus qu’un néoromantique mixant plus haut que sa platine ? Ce serait mal juger ce jeune homme à la carrière exemplaire, dont les dernières productions comptent d’ores et déjà parmi les plus

enthousiasmantes de l’année. Finalisé le corps léger (à l’idée de jouer au curateur de compilation pour le mythique club Fabric) et le cœur lourd (à la perspective de quitter la ville à laquelle il a offert il y a une huitaine d’années l’excellent festival des Nuits sonores), Impermanence est en effet l’œuvre d’un DJ arrivé au sommet de son art mais n’ayant rien perdu de sa lucidité. “C’est juste une photo de moi aujourd’hui, et c’est une des raisons pour lesquelles je l’ai appelé Impermanence. Pour ça et pour sa fluidité. J’ai l’impression que les morceaux s’y font la cour. C’est d’ailleurs la seule volonté que j’avais : même si le concept d’album est un peu daté, je voulais en écrire un qui soit à la fois éclectique et cohérent, qu’on puisse écouter d’une traite. Comme dans les cas de mes deux précédents albums, sauf que cette fois je pense y être à peu près parvenu.” Impossible de le contredire tant tout sonne juste, des échos kraftwerkiens de Panta Rei au teasing lubrique de Carl Craig sur le cas d’école house Speechless, des cliquetis insectoïdes du relaxant Simon à la belle voix d’orthophoniste de la toute jeune Kid A sur le très Björkien Heart Beating, du concerto pour sonar qu’évoque Little Shaman aux pulsations spongieuses de Libellules. Et Impermanence de mettre fin à un paradoxe vieux de cinq ans de la plus belle des manières : créateur du passionnant label Infiné (Danton Eeprom, Clara Moto, Aufgang…), Agoria n’y avait jamais publié de long format de son cru, trop heureux qu’il était de s’en servir pour “faire découvrir des disques” plus ou moins incognito. Benjamin Mialot Album Impermanence (Infiné) www.myspace.com/ agoriagoria En écoute sur lesinrocks.com avec 23.02.2011 les inrockuptibles 85

il est ce grand saule pleureur dont la tristesse offre une ombre étonnamment rafraîchissante

fleur du Mali Boubacar Traoré, dit “Kar Kar”, rappelle avec brio pourquoi il est une légende de la musique malienne.

 A

li Farka Touré, pourtant de trois ans son aîné, l’appelait toujours “grand frère”. Dans les rues du quartier de Lafiabougou, à Bamako, il lui arrivait même de porter sa guitare. Par respect. Par égard pour son ancienneté dans la profession. C’est qu’au lendemain de l’indépendance, Boubacar Traoré avait ouvert une brèche dans laquelle se sont engouffrés depuis tous les grands noms de la musique malienne, de Salif Keita à Amadou & Mariam. Pour eux, il y a eu un avant et un après Mali Twist. Enregistré en 1963 dans les studios de la radio nationale, le morceau est inaugural à plus d’un titre.

86 les inrockuptibles 23.02.2011

Dans l’intro, Boubacar imite le chant du coq, avant d’inciter ses compatriotes expatriés à revenir au pays construire un avenir forcément radieux, le tout sur un back beat à la What’d I Say. Cristallisant l’enthousiasme qui submergeait l’Afrique de l’Ouest dans ce qui constitue l’aube postcoloniale, Mali Twist fut le premier “rock” malien à proprement parler. Il a surfé au fil des ondes pendant des années, tourné en boucle sous la tonnelle des maquis entre Bandiagara et Kayes. Il fait désormais partie de la mémoire collective de tout un peuple. Pour ça, on a porté Traoré aux nues. On l’a surnommé tour à tour “Chuck Berry”, “Vince Taylor”, “Elvis Presley”, références légitimes à sa voix, bouleversante, à ses déhanchements rebelles, à son jeu de guitare transcendant. Mais c’est sous le sobriquet de “Kar Kar”, “le dribbleur”,

vestige d’une carrière de footballeur avortée, qu’on le connaît encore le mieux. Quand bien même s’est-il montré incapable de dribbler le pire de tous les adversaires : le destin. En 68, après la chute du père de l’indépendance Modibo Keita, l’avenir était bien moins radieux, et son étoile pâlit soudainement. Vint ensuite la mort de quelques enfants, celle de son frère Kalilou, fondateur des Maravillas de Mali. Puis celle de sa femme, Pierrette, dont il demeure inconsolable. Longtemps, la disparue lui a inspiré ses chants les plus déchirants, faisant de lui cet Orphée du blues africain, ce grand saule pleureur dont la tristesse offre une ombre étonnamment rafraîchissante. A la fin des années 80, il émigre en France, travaille sur les chantiers, marteau piqueur en main. “Mon cœur était plein d’amertume. Tout le monde pensait que j’allais devenir fou. Je n’avais jamais

gagné de quoi vivre en faisant de la musique. Pas même de quoi me payer des cigarettes. J’ai voulu tenter ma chance”, confie-t-il à l’écrivain belge Lieve Joris, qui lui consacre l’essentiel de son livre Mali Blues. L’histoire de sa vie fera également l’objet du film documentaire Je chanterai pour toi, réalisé en 2001 par Jacques Sarasin. Depuis, la roue de la fortune a quelque peu tourné en sa faveur, avec une poignée de disques beaux et tragiques. La sortie aujourd’hui de Mali Denhou, son premier recueil depuis cinq ans, semble ramener cet homme, longtemps perdu dans les flots voraces du Styx, sur la terre ferme, le cœur un peu apaisé, l’âme encore un peu enfantine. Dans Dundôbesse M’Bedouniato, il va jusqu’à évoquer sa propre mort, avec la sérénité d’un vieux chat taquinant une souris. La voix conserve cette merveilleuse clarté d’un Skip James sahélien. La musique reste sans âge, comme l’est ce pays bambara dans ce qu’il a de plus réfractaire à la modernité. Guitare acoustique, balafon, n’goni et harmonica, un peu envahissant hélas. Qu’importe, le grand frère est de retour. Francis Dordor Album Mali Denhou (Lusafrica) Concert le 4 mars à Paris (Cigale) www.myspace.com/ boubacartraoreofficiel En écoute sur lesinrocks.com avec

Caroline Verdugo Hills Temporary Residence/Differ-ant

1978

Les Olivensteins Les Olivensteins Born Bad/Pias Le punk-rock racé, méchant et railleur des meilleurs Français d’alors. L’histoire révisée, ce qui frappe aujourd’hui dans les images et récits de l’explosion punk-rock parisienne de 76-77 reste le degré de dandysme, de sophistication de ces agités faussement destroy et souvent nantis. Alors que, de New York à Londres, le mouvement accueillait autant de théoriciens de salon que de prolos exaspérés jusqu’à rêver d’insurrection, Paris posait, Paris frimait – à quelques notoires exceptions, dont les dangereux Metal Urbain. Au même moment, il était une foire dans l’Ouest : des voyous du Havre ou de Rouen s’appropriaient ainsi l’éthique artisanale (labels, disquaires), mais aussi la bestialité, l’arrogance, la provocation d’une scène anglaise dont ils partageaient l’urgence, la furie et le désœuvrement. “Je hais les fils de riches”, hurlent les Olivensteins sur cette miraculeuse compilation, et c’est le Tout-Paris d’alors qui rentre à la niche. Avec un sens de la formule au scalpel, des riffs primitifs et des refrains morveux, les Olivensteins ont laissé dans la nature, sans suite mais avec un panache de seigneurs, un seul single de leur vivant, mais aussi quelques hymnes qui sentent toujours le foutre dilapidé, la tension incontrôlée, le désespoir railleur, la haine de tout. Euthanasie (ici également présenté en maquette infernale) ou l’hymne Fier de ne rien faire sont autant de raisons de se souvenir qu’avant de devenir un uniforme, une religion et une économie indécente, le punk-rock était une décharge d’adrénaline, un ramponneau et un glaviot. JD Beauvallet

La pop onctueuse et électronique d’une sorcière des sons et des sens. Des Beach Boys (Caroline No) à Lou Reed (Caroline Says), le prénom Caroline est une muse haut-degamme dans l’histoire du rock : il faut être inconsciente pour emprunter ce patronyme. Ou s’appeler Caroline, ce qui paraît un rien improbable quand on est née à Okinawa. A une époque où l’on n’appelait pas encore dream-pop ce genre de musique avec du coton dans les jambes et des nuages dans la tête, on rêvassait en écoutant la pop de Julee Cruise, Mice Parade (dont Caroline est membre) ou Mazzy Star. C’est dans ce psychédélisme miniature, dans cette pop aux échos et soupirs infinis que s’est construite sa vision diffractée, chimérique de la musique. Un pas de plus vers l’irréel et on virerait à Enya, voire Enigma : mais Caroline, comme sur son parfaitement titré premier album, Murmurs, refuse cette dictature du mou, du vague. Même minimales et éthérées, ses chansonscomptines (Words Flutter ou Sleep) tiennent, droites et imprudentes, dans une tempête cosmique. JDB www.myspace.com/caroline

www.myspace.com/claudeolivensteins En écoute sur lesinrocks.com avec 23.02.2011 les inrockuptibles 87

Ensemble Moshtaq Quatorze morceaux pour un redécollage Believe/Buda Records Retour euphorique des Iraniens volants. En 1995, le compositeur iranien Reza Ghassemi mettait un terme à l’aventure du Moshtaq Ensemble, qu’il avait un peu plus tôt formé à Paris. Au printemps dernier, inspiré par l’effervescence avec laquelle son peuple se prit à rêver de démocratie, Ghassemi élaborait un nouveau Moshtaq. Instruments à cordes (sêtar), flûte (ney) et voix (celle de Sepideh Raissadat) marient ici musique traditionnelle persane et hymnes d’une euphorie que le Moshtaq espère aussi contagieuse que l’espoir qui le fit renaître. Guillaume Belhomme

Yellow Ostrich The Mistress En téléchargement sur Bandcamp Oubliez Cold War Kids, The Black Keys ou Local Natives : voici Yellow Ostrich. ntre son Wisconsin originel et la chambrette de New York où il s’enregistre, le garçon se prend, presque tout seul et avec les moyens du bord, pour les Cold War Kids, pour les Black Keys, pour les Local Natives, pour Jack White, pour TV On The Radio. Le jeune homme publie des maxis quotidiennement ou presque. L’intenable cerveau s’appelle Alex Schaaf. Il est encore méconnu malgré l’amour des blogs mais pourrait être happé par une gloire méritée. Car The Mistress, à télécharger à prix libre sur internet, est un trop discret chef-d’œuvre : entre folk centenaire et blues futuriste, bricolages de génie et entrelacs vocaux époustouflants, trouvailles mélodiques épiphaniques et rêches coups de sang, l’album de Schaaf, éternelle réserve à surprises, s’écoute dix mille fois comme si c’était la première. Les yeux écarquillés et le cœur emballé.

 E

Thomas Burgel yellowostrich.bandcamp.com

My Sidekicks

James Blake

Distance Europe & C°

James Blake Atlas/AZ/Universal

Ces quatre garçons ne se sont jamais rencontrés en dehors de CQFD.com. Il y eut sans doute, dans le passé, un autocollant sur un vinyle clamant : “le premier album enregistré en stéréo”. Au rythme galopant des innovations, My Sidekicks clame aujourd’hui être “le premier groupe qui ne s’est jamais rencontré”, ce qui est faux tant ces projets entièrement virtuels et même internationaux sont monnaie courante dans le village global. Qu’importe : le temps d’un Monster, il n’est plus question de gadget technologique ou de gimmick marketing, mais strictement de pop, vibrante et charnelle malgré les distances et les câbles. Merci à EDF, des hommes qui relient des hommes. Simon Triquet

Le jeune surdoué anglais cache désormais ses machines derrière sa voix. “En plus, il chante !”, nous étions-nous émerveillés à l’automne dernier, quand James Blake avait brillamment mis à nu le Limit to Your Love de Feist. “Il ne fait plus que ça”, diront aujourd’hui certains. Devenu crooner fragile, le jeune Anglais bâtit ses onze morceaux autour de sa voix, en feulements soul et suaves. Pour l’accompagner, un piano, quelques bleeps, des samples minimaux et le silence : l’équipement léger et mélancolique de toute aventure post-dubstep. Avec ces brics et ces brocs, il affole le métronome (Unluck) et compose plusieurs complaintes d’une immense finesse (la sublime The Wilhelm Scream, To Care (Like You), I Mind). Très attendu, cet album était aussi destiné à frustrer. En 2010, Blake avait donné de quoi s’engraisser pour l’hiver, avec une série de maxis parfois prodigieux. Dans l’épure, il se découvre mais nous laisse parfois sur notre faim. On y reviendra. Gaël Lombart

www.mysidekicks.fr En écoute sur lesinrocks.com avec 88 les inrockuptibles 23.02.2011

www.myspace.com/ jamesblakeproduction En écoute sur lesinrocks. com avec

Jneiro Jarel Fauna Kindred Spirits

JD Beauvallet

Benjamin Mialot

www.myspace.com/rainbowarabia

www.viberianexperience.com

Magda Wosinska

(style, époque, bon goût), seulement obsédé de refrains qui rendent la douche joyeuse et de beats qui feront la nuit torride. Rarement musique électronique a-t-elle été aussi peinarde, nonchalante, farceuse que tout au long de ces onze chansons qui visitent l’Europe, l’Asie, l’Afrique ou le Pays des merveilles dans un kaléidoscope pressé, volubile. Pas très loin finalement de LCD Soundsystem dans cette ivresse rythmique, cette frénésie mélodique, Rainbow Arabia offre à son époque défigurée par les marées noires successives (The XX, Crocodiles, etc.) l’euphorisant exorbitant qu’imposait la gravité de la situation. En d’autres termes : boum boum boum et ah ah ah.

Avec cet évadé du hip-hop, le tropicalisme retrouve des jambes de 20 ans. Familier des amateurs de beatmaking à la coule sous le nom de Dr. Who Dat? mais aussi au sein de Shape Of Broad Minds, Jneiro Jarel se penche en son nom propre sur le tropicalisme que Caetano Veloso, Gilberto Gil ou Tom Zé ont légué à la postérité. Et ce digne rival de Madlib et Flying Lotus de signer un disque d’electro-hip-hop placidement psychédélique n’appelant d’autre conclusion que celle-ci : si les musiciens piochant dans les musiques vernaculaires sont légion, rares sont ceux qui le font avec le brio de Jneiro.

Rainbow Arabia Boys & Diamonds Kompakt/Module La pop hilare et ensoleillée d’une troupe recommandée de Los Angeles. l y a belle lurette que le bon label Kompakt de Cologne n’est plus seulement la maison mère d’une techno roide et allemande. Après avoir recruté du Brésil (le génial Gui Boratto) au Japon (Kaito), Kompakt se penche sur la formidable ébulition de Los Angeles avec ce duo lunatique, mais surtout, comme jamais avant, sur la pop-music. Car c’est un formidable compactage de pop-music, un peu à la façon des regrettés Australiens de The Avalanches, qu’osent ici Tiffany Preston et son mari Danny : d’ESG à Madonna, du Tom Tom Club à Hot Chip, Rainbow Arabia s’embarrasse très peu de questions futiles

 I

Stranded Horse Humbling Tides Talitres Un Normand très doué joue du folk enchanteur avec une kora. Voilà quatre ans que Yann Tambour développe un jeu de kora d’une agilité et d’une précision telles que ses doigts doivent ressembler à des saucisses cocktail après une nuit de câlins avec une ponceuse électrique. Le jeu en vaut la chandelle : moins maniéré que le déjà ravissant Churning Stride, son deuxième album est une merveille de folk impressionniste et quiet. On pense à Yann Tiersen pour le côté “attendre la marée haute les cheveux battus par le grand vent” des arrangements, à Joanna Newsom (et au mentor Ballake Sissoko, au générique de ces Humbling Tides) pour cette façon d’être en symbiose avec un instrument, à José González pour le mysticisme des mélodies. Avant de conclure, terrassé par une reprise clapotante du What Difference Does It Make? des Smiths, que la musique de ce Normand à l’âme nomade ne ressemble décidément à aucune autre.

Mercedes Audras 10 000 Km Green Ufos

Mohini Geisweiller Event Horizon Columbia/Sony Pour l’instant uniquement disponible en digital, l’album obsédant d’une Française givrée qui n’a pas froid aux yeux. ais d’où vient Mohini Geisweiller ? Du Japon, d’Alsace ou des confins de la Seine-et-Marne, comme l’indiquerait sa chanson Donnemarie-Dontilly (pop. : 2628) ? “Je rentre chez moi (…) Je ne connais personne”, chante-t-elle pour elle-même, pour une fois en français. Ici-bas, personne ne l’a vue : translucide, éthérée, nébuleuse, traversant l’horizon sur un tapis volant synthétique. Dans le sillage de Mohini Geisweiller, il y a Sex In Dallas, trio electro de Paris (pas Texas), dont elle fut la chanteuse berlinoise il y a une poignée d’années. Ex-In Dallas, de retour à Paris, Mohini Geisweiller consigne sa solitude et ses rêveries étranges sur des chansons qui tiennent dans un laptop, synthés joués à deux doigts effilés. Elle est rentrée de Berlin par l’autobahn de Kraftwerk, se laissant conduire sur des rubans rythmiques monotones, profilés jusqu’à l’hypnose. Sa voix basse glisse à la surface plane, revenue des sentiments, l’air de rien, anesthésiée sinon glacée. Mohini repose sous la neige. L’Horizon est calme, étouffé, adouci. Et quand tout semble endormi, ses mélodies fragiles tombent comme des stalactites, happent et obsèdent comme des comptines détraquées, le petit chaperon rouge mange le loup au fond du bois, tout cru. La morale de ce disque délicat, insaisissable, aussi séduisant qu’inquiétant, pourrait être “attention à l’eau qui dort”. A forte dose, peut provoquer des insomnies.

 M

Benjamin Mialot www.theestrandedhorse.com

Leslie Ferré

Stéphane Deschamps

90 les inrockuptibles 23.02.2011

www.myspace.com/mohinigeisweiller En écoute sur lesinrocks.com avec

Retour tout en langueur d’un trésor caché de la chanson française. De Françoise Hardy à JP Nataf, on pourrait énumérer le plantureux générique de ce quatrième album. Mais la FrancoArgentine ne doit à personne cet équilibre rare entre grâce et conscience, pudeur et vers en légères touches qui touchent. Les mots de la chanteuse disent ces instants merveilleux ou effroyables de l’avant et de l’après. Délicatement enveloppée dans les cordes d’Henri Graetz, sa sensualité racée la place en front d’une scène pop délicate, où elle côtoie Etienne Daho ou Les Valentins. Christian Larrède www.mercedesaudras.com

Mona Teenager ZionNoiz Malgré son emphase, on reste fasciné par le rock noir de ces Américains. es trognes d’angelots de caniveau – pensez à The Clash rêvant d’Amérique en vestes de jean et gomina aux petits oignons. Un son énorme et pourtant plaintif, brisé dans son élan, dans son emphase, par des remontées de mal-être. Ainsi va Mona, rêvant de grandeur tout en se sachant un peu médiocre, un peu sale,

 D

un peu rien, fascinant justement pour ces combats titanesques entre rêves et réalité auxquels se livrent, à Nashville, leurs hymnes de gueux. On pourrait, de loin, les prendre pour les Killers, pour cette gourmandise d’énormité. Mais les quatre garçons de Mona possèdent, même dans le refrain grandiloquent de leur Teenager, une violence sèche, expéditive, un désespoir à portée de main qui les sauve du théâtre obscène des ténébreux bêlants. JD Beauvallet www.myspace.com/monatheband

Yeasayer I Remember Planant et illustré d’un clip siphonné tourné dans la plaine américaine, le nouvel ep des New-Yorkais, offert sur leur site pour la Saint-Valentin, s’accompagne de deux remixes tout aussi psychédéliques. Une bonne façon de patienter en attendant le retour des Américains dans les bacs. www.yeasayer.net

Tiloun Vahaza Le chanteur de maloya Tiloun est le secret le mieux gardé de La Réunion : un seul magnifique album, introuvable par chez nous. C’est donc en images qu’on peut découvrir sa musique à la fois douce et engagée, le cœur battant de la soul réunionnaise. www.lambians.re

Eagulls Council Flat Blues Venus de la grise et nordique Leeds, ces cinq sauvageons maîtrisent aussi bien les éruptions soniques abrasives que les tubes aux mélodies bulldozers. Deux titres seulement sur leur MySpace : c’est peu mais déjà excitant. www.myspace.com/eagulls

Myra Lee Big Catch All Sur les chemins tortueux empruntés par PJ Harvey et Cat Power, Myra Lee creuse doucement son sillon de sa voix possédée. Le rock tourmenté de cette Parisienne n’a rien à envier à celui de ses fascinantes aînées : il berce aussi agréablement qu’il claque violemment. www.lesinrockslab.com/myra-lee 23.02.2011 les inrockuptibles 91

Dès cette semaine

Adam Kesher 7/4 Paris, Boule Noire Adele 4/4 Paris, Cigale Akron/Family 19/5 Paris, Café de la Danse And You Will Know Us By The Trail Of Dead 1/4 Paris, Maroquinerie Angus & Julia Stone 26, 27 & 28 et 30/4, 1/5 Paris, Trianon Archive 3, 4 et 5/4 Paris, Grand Rex Olöf Arnalds 28/2 Paris, Studio de la Comédie des Champs Elysées Asa 19/10 Paris, Zénith Band Of Horses 26/2 Paris, Cigale Carl Barât 16/4 Paris, Trianon Beady Eye 13/3 Paris, Casino de Paris, 19/3 Toulouse Belle And Sebastian 11/4 Paris, Grand Rex The Bewitched Hands 4/3 Noisiel, 9/3 Orléans, 10/3 Paris, Cigale, 11/3 Alençon, 12/3 Lorient, 23/3 Limoges, 24/3 ClermontFerrand, 25/3 Niort, 26/3 Reims, 30/3 Poitiers, Aloe Blacc 24/4 Paris, Trianon The Black Keys 15/3 Paris, Olympia, 16/3 Nantes, 25/3 Lille Bo Nigen 4/3 Saint-Ouen The Boxer Rebellion 25/3 Paris, Nouveau Casino Brigitte 19/3 AulnoyeAymeries, 24/3 Lille, 25/3 SaintSaulve, 29/3 Paris, Alhambra, 31/3 Flers

British Sea Power 16/3 Paris, Flèche d’Or Buzzcocks 26/3 Paris, Elysée Montmartre Anna Calvi 22/4 Paris, Trianon Cascadeur 12/3 Metz, 17/3 Rennes, 19/3 Chelles, 23/3 Paris, Café de la Danse, 24/3 Canteleu, 25/3 Poitiers, 31/3 Belfort, 2/4 Amiens, 10/4 Morlaix, 20/4 Alençon Cat’s Eyes 22/3 Paris, Nouveau Casino Téofilo Chantre 9/4 Paris, New Morning Chocolate Genius Inc. 7/4 Paris, Divan du Monde, 24/3 Puteaux, 25/3 Strasbourg, 26/3 Rouen, 29/3 Cenon, 30/3 Amiens, 31/3 Lille, Pascal Comelade 3/3 Paris, Cité de la Musique Cut Copy 19/3 Paris, Nouveau Casino Data Rock 4/4 Paris, Flèche d’Or Deerhunter 8/4 Dijon, 9/4 Paris, Gaîté Lyrique, 10/4 Tourcoing Déportivo 3/3 Paris, Flèche d’Or Alela Diane 8/5 Strasbourg, 9/5 Paris, Cigale, 10/5 Lille The Dø 23/2 Caen, 24/2 Rennes, 25/2 Vannes, 26/2 Angers, 9&10/3 Paris, Trianon, 16/3 Lyon, 17/3 Lausanne, 18/3 Zurich,

92 les inrockuptibles 23.02.2011

19/3 Nice, 23/3 Nantes, 24/3 Bordeaux, 25/3 Toulouse, 26/3 Montpellier, 27/3 Marseille, The Dodos 18/5 Paris, Point Ephémère Dum Dum Girls 23/4 Marseille, 24/4 Paris, Machine Thomas Dybdahl 24/5 Tourcoing, 25/5 Feyzin, 26/5 Arles, 27/5 Marseille, 28/5 ClermontFerrand Ebony Bones! 24/2 Paris, Trianon Eli Paper Reed 6/4 Lyon, 7/4 Paris, Flèche d’Or, 10/4 Marmande Elista 11/3 Paris, Maroquinerie Elysian Fields 2/4 Amiens Everything Everything 26/3 Paris, Flèche d’Or Les femmes s’en mêlent # 14 Du 19/3 au 3/4 à Paris, Bordeaux, Brest, Belfort, Ajaccio, avec Jessy Bulbo, Amandititita, Afrodita, Pau Y Amigos, Sonido Lasser, Drakar, Glasser, Le Corps Mince de Françoise, Le Prince Miiaou, etc. Festival 3C Du 14 au 17/3 Paris, Boule Noire, avec Jérôme Van Den Hole, Pendentif, Brune, Claire Denamur, Benoit Doremus etc. Festival Concerts sauvages Du 2 au 9/4 au Domaine des Portes du Soleil, avec Keziah Jones, Jamaica, BB Brunes, etc. Festival Le Printemps de Bourges Du 20 au 25/4 à Bourges, avec Aloe Blacc, Lykke Li, The Dø, James Blake, Mélanie Laurent, Yael Naim, etc.

Festival Panorama De Busy P à l’excellent Mr Nô, la quatorzième édition du festival breton consacré à la scène electro s’offre une nouvelle fois la présence de grosses pointures des platines et de jeunes DJ émergents. Du 7 au 10/4 à Morlaix, avec Vitalic, Crookers, Katerine, Sebastian, Stromae, DJ Mehdi, Cascadeur, etc. Festival Terra Trema Du 27 au 30/4 à CherbourgOcteville avec Ebony Bones!, Zone Libre vs. Casey, The Luyas, etc. Fleet Foxes 30/5 Paris, Bataclan Frankie & The Heartstrings 2/4 Paris, Flèche d’Or Gablé 5/4 Paris, Café de la Danse Gang Of Four 18/3 Paris, Trabendo Glasvegas 17/3 Paris, Maroquinerie John Grant 1/4 Paris, Café de la Danse PJ Harvey 24 & 25/2 Paris, Olympia Jacques Higelin 25/2 Gien, 5/3 Tremblayen-France, 6/3 Suresnes, 15/3 Anzin, 24/3 Lyon Peter Hook joue Unknown Pleasures 10/3 Paris, Trabendo I Blame Coco 1/4 Paris, Alhambra I’m From Barcelona 11/3 Paris, Café de la Danse

Nouvelles locations

Inrocks Indie Club mars 25/3 Paris, Flèche d’Or, avec The Go! Team, Treefight For Sunlight, May 68 Inrocks Lab Party 4/3 Paris, Flèche d’Or Interpol 15/3 Paris, Zénith Joan As Police Woman 23/2 Paris, Flèche d’Or, 24/2 Lille, 1/3 Strasbourg Jonny 24/2 Paris, Flèche d’Or Kid Congo and The Monkey Bird 9/4 La Rochelle Kill The Young 23/3 Paris, Maroquinerie, Konono n°1 2/3 Paris, Gaîté Lyrique La Fiancée 17/3 Strasbourg, 18/3 Nantes (+ Florent Marchet), 1/4 Nancy, 16/4 Nice The Legendary Tigerman 23/2 Paris, Maroquinerie Le Prince Miiaou 24/2 Annecy, 11/3 Orléans, 17/3 Montpellier, 25/3 Saint-Lô, 29/3 Paris, Divan du Monde, 30/3 Rouen, 31/3 Le Havre, Lykke Li 21/4 Paris, Cigale Florent Marchet 3/3 Angers, 4/3 Lorient, 5/3 Brasparts, 11/3 Angoulême, 18/3 Nantes, 25/3 Paris, Cigale, 29/3 Falaise, Matt & Kim 24/3 Paris, Flèche d’Or Mercury Rev joue Deserter’s Songs 25/5 Paris, Bataclan Metronomy 19/3 Nice, 4/5 Paris, Cigale, 21/5 Toulouse, 22/5 Bordeaux, 23/5 Rennes, 24/5 Lyon, 25/5 Tourcoing, 26/5 Strasbourg

En location

Minitel Rose 16/3 Lille, 17/3 Paris, 24/3 Angoulême, 1/4 Montpellier, 9/4 Auxerre Marie Modiano 8 & 15/3 Paris, Salon musical Saint-Eustache Mogwai 17/3 Paris, Trianon, 18/3 Lille, 19/3 Strasbourg, 20/3 Lyon, 21/3 Nice, 22/3 Toulouse, 24/3 Bordeaux, 25/3 Caen Morcheeba 4/4 Nantes, 5/4 Paris, Casino de Paris, 7/4 ClermontFerrand, 8/4 Marmande, 15/4 Lille, 16/4 Strasbourg Moriarty Du 14 au 20/3 Paris, Trianon Yael Naim 23/2 Nantes, 24/2 Brest, 25/2 Rennes, 16/3 Lille, 17/3 Bruxelles, 19/3 Lyon Youssou NDour 7/3 Paris, Casino de Paris Noah And The Whale 26/4 Lille, 27/4 Rouen, 28/4 Paris, Gaîté Lyrique Nouvelle Vague 20/3 Ris-Orangis, 10/6 La Rochelle Les Nuits de l’alligator Du 11 au 26/2 Paris, Maroquinerie, et Evreux, Beauvais, Mérignac, ClermontFerrand, avec Laura Veirs & The Hall of Flames, Timber Timbre, Caitlin Rose, etc. Puggy 1 & 2/4 Paris, Bataclan Gruff Rhys 4/3 Paris, Café de la Danse Catherine Ringer 30 & 31/3 et 3, 4 & 5/4 Paris, Boule Noire, 7/4 Ris-Orangis, 8/4, Massy, 9/4 Sannois Rococo 24/2 Besançon,

Gaëtan Roussel 6/4 Paris, Zénith, 8/4 Nantes, 9/4 Quimper, 10/4 Rennes, 16/4 Bourges, 27/4 Rouen, 28/4 Paris, Cigale, 29/4 Toulouse, 30/4 Lyon, 4/5 Strasbourg, Shout Out Louds 28/3 Paris, Machine, 29/3 Angoulême, 30/3 Dijon, 31/3 Strasbourg, 1/4 Massy, 2/4 Annecy, 5/4 Marseille Ballaké Sissoko et Vincent Ségal 15/3 Paris, Cigale The Sisters Of Mercy 5/3 Paris, Trianon The Sonics 3/6 La Rochelle

Stranded Horse 23/2 Lyon, 24/2 Nancy, 25/2 Annecy, 26/2 Besançon, 1/3 Paris, Café de la Danse, 3/3 Roubaix, 4/3 Liège, 15/3 Rennes Stornoway 14/4 Paris, Café de la Danse Stromae 3/11 Paris, Olympia Stupeflip 26/3 SaintJean-de-Védas, 31/3 Nantes, 1/4 Angers, 2/4 Lille, 8/4 Poligny, 9/4 Villeurbanne, 10/4 Marmande, 16/4 Le Creusot

Twin Shadow 14/5 Paris, Machine The Vaccines 9/3 Paris, Nouveau Casino, 24/4 Bourges Troy Von Balthazar 15/4 Paris, Machine White Lies 23/2 Tourcoing, 14/3 Toulouse, 18/3 Bordeaux, 19/3 Rennes, 22/3 Paris, Cigale The Wombats 27/5 Paris, Trianon

Syd Matters 29/3 Paris, Olympia

Shannon Wright 5/5 Bayonne, 6/5 Bordeaux, 7/5 Massy, 8/5 Lyon, 9/5 Grenoble, 10/5 Blois, 11/5 Brest, 12/5 Cholet, 14/5 Tourcoing

Tahiti 80 7/4 Paris, Bataclan

Yacht 5/3 Paris, Gaîté Lyrique

Boubacar Traoré 4/3 Paris, Cigale

Yelle 7/4 Paris, Point Ephémère

Surfer Blood 10/3 Paris, Flèche d’Or

x.bernard-guzul.fr

25/2 Mulhouse, 26/2 Haguenau, 3/3 Fougères, 4/3 Brest, 5/3 Quimper, 6/3 Vannes

aftershow

The Black Angels le 16 février à Feyzin, Epicerie Moderne Quand la régie a fait le noir et que l’excitation a commencé à gagner les rouflaquettes sur pattes venues applaudir les Black Angels, c’est à l’Apocalypse selon Saint-Jean et à ses trompettistes ailés que l’on a immédiatement pensé. Quand ont retenti les premières mesures de Bad Vibrations, rythmées comme le sang bat aux tempes et chantées comme on crie dans un tableau d’Edvard Munch, c’est notre ORL qui s’est rappelé à notre bon souvenir. Et quand se sont mis en branle les jeux de lumière du dénommé Emilien Guesnard, adéquat mélange de seizures stroboscopiques, de revêtements carmin, d’éclaboussures violacées et de projections de motifs rappelant de lointains cours de SVT et les préparations microscopiques loupées qui allaient avec, ça a été au tour de l’ophtalmo. La suite ne nous a dès lors pas étonnés : on est repartis de Feyzin avec des phosphènes et des acouphènes, et l’impression d’avoir assisté à un concert non pas à l’Epicerie Moderne, mais dans une des cuves de la raffinerie voisine. C’est dire la puissance d’évocation du rock psyché de ces Texans qui, à l’âge où leurs camarades dévalaient des pentes herbeuses, préféraient vraisemblablement se rouler dans la reverb. Benjamin Mialot

une vie de faussaire L’ascension d’un artiste contemporain, sublime imposteur, de la fin des années 70 à nos jours. A travers le récit d’une amitié maléfique, Hélène Ling dresse le portrait d’une génération marquée au fer de la débâcle idéologique. Impressionnant.



aris, canal Saint-Martin, de nos jours. Dans un café, une conversation insolite s’est engagée entre un quinqua, profil d’empereur romain et belles postures, et une jeune femme rousse, étudiante en sociologie. Il l’entretient de T. S. Eliot, de la mort de l’art figuratif, avant d’enchaîner sans transition sur la sodomie. L’étudiante

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quitte sa chaise comme un ressort, puis revient s’asseoir quelques minutes après. Il l’insulte. Elle bat des cils sans se fâcher. Cette scène de drague vacharde trouvera son terme dans une phrase croquignolette visant notre mâle vieillissant : “Bien installé dans son désir de cinquantenaire pour un échantillon de rêve et de chair intacts, il s’offrait à elle en caricature de l’abus

en marge

jumeaux anglais de pouvoir illusoire si commun pour les hommes de son âge.” L’homme en question est un artiste contemporain célèbre, objet d’une rétrospective au Guggenheim. C’est autour de lui essentiellement que Repentirs va tisser sa toile et offrir, le temps d’un flash-back étourdissant, une comédie humaine régie par l’écroulement utopique des années 70 et 80. Pour cela, Hélène  Ling resserre son roman sur un paysage unique : celui du monde de l’art contemporain, sans pour autant qu’il s’agisse d’en livrer une satire. A rebours des piques dont la littérature s’est faite récemment coutumière à l’encontre du milieu (Houellebecq, mais aussi Pauline Klein dans Alice Kahn), Repentirs va plutôt s’attacher à brosser le portrait en clair-obscur d’un imposteur de génie. Etudiant aux Beaux-arts dans les années 70, puis jeune prodige se faisant remarquer par des installations vidéo mi-porno, mi-morbides, Simon Veyne a fasciné une poignée d’étudiants. Le narrateur, témoin trente ans plus tard de la scène inaugurale, fut l’un d’entre eux. Simon brille alors en jeune artiste, poseur narcissique, charismatique, et sublime baratineur. Le narrateur dépeint les longues soirées enfumées – cigarettes anglaises, Bataille, Iggy Pop, Pasolini – traversées de débats empreints de paroles révolutionnaires. Fin 70’s, c’est à l’Est que cette jeunesse encore gorgée d’idéaux lorgne avec envie : de l’autre côté du Mur. Simon se pose en “artiste dissident”, lui qui n’est encore qu’une “petite mascotte tyrannique”. Hélène Ling fixe dès lors les règles truquées d’une amitié aussi complexe que maléfique. Simon et le narrateur, les deux amis-tourtereaux, ne vont pas tarder à rejouer les termes de Jules et Jim, amoureux tous deux de la même étudiante en histoire. Un conflit annonciateur prend corps dans une scène de coucherie à trois avec une fille nommé Béatrice. Cette séquence, d’une extraordinaire cocasserie – Simon s’y “trémousse dans ses allures d’orgies romaines, rejetant la robe de mariée sur le pendule obscène de son pénis détumescent” – laissera notre narrateur sur le carreau, volé, spolié, trompé jusque dans sa jouissance par son ami. Chronique d’une amitié gâchée, qui prend tout son poids mise en perspective avec l’époque : le MLF “en perte de vitesse”, la mythologie déjà lointaine et fuyante de Mai 68. Repentirs souligne cette débâcle

idéologique, captant dans la carrière de Simon sa plus cynique expression. D’artiste bohème, l’homme a su attraper le créneau de l’avant-garde, se poser en grand gourou postmoderne : “A partir de 1984, plus rien ne paraissait pouvoir enrayer le mécanisme infernal et absolument éclectique de ses recyclages (…) – la condensation intégrale du monde en conserves à sensations faisait turbiner son usine de retraitement sur le mode de la citation illimitée.” Passé “au niveau d’un pop concepteur national, sorte de Warhol du Vieux Continent”, Simon prendra également le chemin de la marchandisation de l’art, frayant sans complexe avec des capitaines d’industrie reconvertis en puissants mécènes. Hélène Ling fait de son narrateur l’adorateur critique de ce “sublime ringard, un anachronisme surdoué” – ne le posant toutefois pas, à l’inverse, en modèle de droiture morale. Il est presque invisible dans la fiction, et pour cause : une espèce de loser, tout à la fois horrifié et fasciné par celui qu’il finit par retrouver dans une chambre d’hôpital – au chevet de celle qu’ils ont communément aimée. Fasciné, car Simon, opportuniste et faussaire, aura tout de même accompli une œuvre géniale en “trente ans de succès” : sa pomme. Mythomane délirant, tenant secret tout un pan de sa biographie, se livrant à une “épuration esthétique de sa vie”. Un “avorton de la race des images, des artefacts et des représentations”, dont le narrateur va s’improviser le biographe – enrichissant cette “œuvre humaine” de ses propres projections. C’est la fine ironie, contenue dans ce beau roman aux phrases escarpées, sur le fil duquel on avance en funambule : ériger en héros romanesque un grand brasseur du vide. L’histoire d’un artiste de carnaval qui aura su trop bien, tout au long d’une vie, se substituer à ses œuvres en prenant des poses de statues. Emily Barnett photo Brigitte Baudesson Repentirs (Gallimard), 320 pages, 19,50 €. En librairie le 3 mars

l’auteur 1973 Naissance d’Hélène Ling à Paris. 1996 Passe l’agrégation de lettres. Depuis 1997 Enseigne dans un lycée en banlieue parisienne. Mars 2006 Publie un romandéambulation dans la capitale, Lieux-dits (Allia). Mars 2011 Repentirs.

Ian McEwan et Jonathan Coe : un étonnant cas de gémellité littéraire. Le 10 mars sortira Solaire, le nouveau roman de Ian McEwan. Et là, c’est flagrant : Ian McEwan, c’est Jonathan Coe. Oui, les deux écrivains ne font qu’un. Ou alors ils ont la même maîtresse : elle vole le manuscrit de l’un pour le donner à l’autre et lui inspirer un roman, et vice versa. Rarement on aura vu un tel cas de gémellité littéraire, de parcours parallèles, entre deux écrivains. Déjà, leurs avant-derniers romans avaient des points communs : un changement de style, voire d’univers pour ces deux auteurs de la contemporanéité londonienne. Chacun, homme d’une cinquantaine d’années, s’était mué en “romancière anglaise”. Oui, en “romancière anglaise” : une typologie d’écrivains qui racontent une tragédie intime via les détails les plus quotidiens, et cela en Angleterre. Ils signaient ainsi leurs plus beaux textes : avec Sur la plage de Chesil, McEwan racontait l’échec d’un amour puis de toute une vie chez deux jeunes gens des années 60, et dans La pluie, avant qu’elle tombe, Coe déployait la vie d’une vieille dame, homosexuelle, qui raconte après sa mort une filiation ratée. Le nouveau McEwan, Solaire, a étonnamment le même principe que La Vie très privée de Mr Sim de Coe, publié en France en janvier : son protagoniste principal est un vieux loser solitaire qui a tout raté avec les femmes. On n’en révèlera pas plus. Mais c’est comme si, après avoir livré deux grands romans classiques et tragiques, Coe et McEwan erraient autant que les personnages masculins de leur roman suivant. Perdus, seuls, entre deux romans forts, comme leurs personnages errent entre deux mariages. Les romans qu’ils signent sur la solitude et la médiocrité d’un homme s’imposent comme les reflets de leur propre égarement romanesque : en quête d’un grand sujet, un vrai.

Nelly Kaprièlian 23.02.2011 les inrockuptibles 95

Mathieu Amalric dans La Question humaine de Nicolas Klotz (2007)

l’insoutenable condition humaine “Comment un être humain peut-il sombrer dans l’inhumain ?”, interroge le philosophe Nicolas Grimaldi. Un essai essentiel.

 D

e Robert Antelme (L’Espèce humaine) à Primo Levi (Si c’est un homme), l’expérience concentrationnaire nourrit les réflexions les plus fortes sur la définition de l’humanité et de son envers, l’inhumanité. Pour le philosophe français Nicolas Grimaldi, rien n’est en fait plus humain que l’inhumain. C’est ce paradoxe apparent qu’il soulève et interroge. “Comment des hommes ont-ils jamais pu agir envers des hommes comme s’ils n’en étaient pas ?”, se demande-t-il dans une riche digression philosophique nourrie de ses lectures d’Antelme, Levi, Hannah Arendt, Christopher Browning, Sebastian Haffner (Allemand antinazi) et Stendhal.

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Il n’y a qu’une seule cause de l’inhumain, avance Grimaldi : “Elle consiste dans le fait d’être si insensible à l’autre qu’il nous devient indifférent.” Il y a à l’origine de l’inhumain “une sorte d’aveuglement”. En ne reconnaissant pas son semblable dans l’autre, en refusant la possibilité d’un monde commun, l’homme ouvre la voie de l’inhumanité. Car ce qui est humain dans l’homme, c’est de se sentir profondément uni à tous les autres, ne serait-ce que “par la pathétique détresse qui leur est commune”. Pour Grimaldi, “l’humanité consiste à porter la vie des autres comme une partie de la sienne et à leur communiquer la sienne comme une partie de la leur”. Mais pourquoi et comment naît parfois en l’homme ce sentiment

d’appartenir à une espèce différente qui le rendrait incompatible, au point de vouloir éliminer l’autre ? A l’origine d’une personnalité, avance Grimaldi, “il est vraisemblable qu’il y ait un choix originaire, secret, implicite, informulé, peutêtre même aussi inconscient qu’inavoué, par lequel chacun définit le type d’homme qu’il voudrait être, en l’ayant imaginé”. Chacun d’entre nous se forme en effet “l’image d’un type humain” qui oriente et détermine la plupart de ses attitudes. Nos réactions restent orientées et réglées par ce choix originel d’une certaine tonalité. Ce choix se construit notamment à travers la lecture, qui “nous fait vivre mille fois, avant que la vie nous y invite, les attitudes par lesquelles s’exprime l’humanité”.

Car l’humanité n’est donnée à aucun homme, il revient à chacun de l’inventer pour soi ; à la différence des autres espèces, l’humanité est “une tâche” : “Etre un homme, c’est sans cesse s’efforcer de l’être (…). C’est en imaginant ce qu’elle pourrait être que chacun choisit le modèle de la sienne.” Il existe donc autant d’humanités que d’individus : les diverses manières que chacun a d’envisager les rapports amoureux ou sociaux sont la trace de cette multitude. La grande question non élucidée, qui est aussi un défi politique, reste de savoir comment maintenir une communauté possible entre des individus “qui récusent d’avoir en commun aucune sorte d’humanité”. Dans une langue à la fois dépouillée et habitée, ouverte au doute de la pensée autant qu’à l’affirmation d’attentes vitales, Nicolas Grimaldi nous souffle que l’humanité, “c’est l’horizon sur lequel se profile la façon singulière qu’a chacun d’improviser la sienne”. Cette articulation entre nos libertés et nos obligations, entre nos indifférences et nos reconnaissances, forme le cœur de la tension entre l’humain et l’inhumain, cet horizon flottant dont il appartient à chacun de conjurer les menaces. Jean-Marie Durand L’Inhumain (PUF), 180 pages, 17 €

Jonathan Portis

la fille de l’Ouest Roman culte de Charles Portis paru en 1968, le “western” True Grit, qui a inspiré le film des frères Coen, est enfin traduit en français. Une madeleine un peu fade. n connaît peu ici la littérature Publié en 1968 par un ancien reporter “western”, le genre ayant été du New York Herald Tribune (qui serait absorbé en totalité par le cinéma depuis devenu ermite), True Grit avait – les images d’hommes à cheval, déjà été adapté par ce vieil emmerdeur de leur vie violente, n’ont laissé que peu d’Henry Hathaway (sous le titre français d’espace habitable aux mots. L’ironie de Cent dollars pour un shérif, featuring de cette première traduction en France de un John Wayne grisonnant). Le film était True Grit, c’est que c’est encore par la grâce poussiéreux alors qu’il avait en germe le du cinéma que ce livre, autrefois culte potentiel déviant d’un autre film de la même aux Etats-Unis, a pu nous parvenir. Remis année, Un nommé Cable Hogue de Sam à la mode par les frères Coen, le roman Peckinpah. Mais le problème de True Grit, de Charles Portis, sorti en 1968, est même le livre de 1968 comme le film de 1969, à nouveau n° 1 des ventes aux Etats-Unis. c’est que sa modernité affichée (une fillette Il n’est pas certain que cet engouement meneuse d’hommes, un pays qui change) ne frappe aussi la France, et que le métro s’accompagnait d’aucune rupture stylistique. se remplisse de lecteurs hypnotisés par les Aux Etats-Unis, il fut une sorte péripéties de Mattie Ross, une quasi-enfant de “Tom Sawyer à cheval” pour les enfants de 14 ans, que le métayer de son père, un nés au début des années 60. Donna Tartt dénommé Tom Chaney, a rendu orpheline. (l’auteur culte du Maître des illusions), dans Devant gérer le deuil et la vengeance, ce sa préface enthousiaste, a beau essayer petit bout de femme se lance à la poursuite de nous faire croire que nous sommes face de Chaney comme on se lance à l’attaque à un trésor national, True Grit a un arrièred’un secteur économique : “Je suis carrée goût de madeleine. Pour nous qui avons en affaires” est son motto. Le roman la décrit attendu quarante ans avant de pouvoir y en train de négocier avec des gens qui ont goûter, elle manque de saveur. tous, peu ou prou, avantage à laisser cette On retournera lire le vrai grand auteur de fille, sa mère et son petit frère s’enliser la littérature western, Dorothy M. Johnson, dans leurs problèmes financiers. une femme que l’on disait teigneuse Un marshal, aussi bourru que John Wayne et laconique et à l’écriture autrement et Anthony Quinn à la fois, et un sergent plus ferme que ne le sont les arrondis texan un peu foufou vont quand même de Charles Portis. Philippe Azoury trouver intérêt à l’escorter. Cet improbable trio traversera un territoire américain True Grit (Le Serpent à Plumes), traduit de en plein chamboulement : nous sommes l’anglais (Etats-Unis) par Thierry Beauchamp, en 1870 et l’Amérique commence à prendre 232 pages, 20 €. Lire la critique du film p. 70 et l’entretien avec Joel Coen p. 63 conscience qu’elle doit se discipliner.

 O

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Deux professionnels du cinématographe, Christophe Lambert et Patrice Leconte, sortent leurs romans. Mais pourquoi le cinéma ne leur suffit-il pas ? ls doivent faire mine basse aux éditions de Minuit. Un livre de Christophe Lambert, l’acteur Christophe Lambert, vient de paraître, mais chez Plon. Cette nouvelle preuve qu’il existe encore une littérature de recherche ne pourra donc figurer dans leur catalogue aux côtés de Duras ou de Claude Simon, dont notre Highlander prosateur est pourtant le magnifique héritier. Faisant de la relecture des genres son bâton de pèlerin, Christophe Lambert a envisagé La Fille porte-bonheur tel un “conte moderne” – c’est en tout cas de quoi tente de nous convaincre sans embarras l’argumentaire. Vraiment ? Plus sérieusement, si TF1 cherche quelque chose de pas possible à adapter pour un prime time hideux, cette Fille est là, à disposition. Et comme tout ce qui est écrit est souvent teinté d’autobiographie déguisée, le roman décrit le combat existentiel de Mike, un génie. Enfin, un pianiste de génie, mais du genre grand maudit, écorché. Il finira par traîner ses doigts sur le piano sale de boîtes interlopes. Heureusement, il tombe amoureux, Mike. Fini les défaites, la lose, les mauvais choix, la planche savonnée de la vie. C’est un homme désormais remis sur pied, ce “virtuose comme des siècles

 I

Gael Kerbaol/Fedephoto

et en plus, ils écrivent ! n’en produisent plus” (rien que ça, Christophe) va redevenir lui-même. Mi-Glen Gould, mi-Greystoke, il va faire de Sophie, euh ! non désolé, de Lucy, le fétiche de sa remise en selle. Mais comme dans les canevas des romans noirs de David Goodis, Mike doit jouer très fin contre ses vieux démons. Page 135 : une phrase : “Lucy nous laissa.” Envoyez la musique, tirez sur le pianiste, et sur toutes les ambulances. Réunion de crise chez Allia et Tristram, Patrice Leconte sort un roman plein de drôlerie et d’espièglerie : Riva Bella. Mais il a choisi Albin Michel pour se charger de diffuser la bonne nouvelle. Et lui, il se voit en quoi, l’homme qui entra de façon fracassante en cinéma en signant Les Vécés étaient fermés de l’intérieur ? En magicien de music-hall un peu largué – par son boulot, par sa femme (Suzie, qui vient de le quitter pour un matamore à mèche), et même par sa petite fille qui prend un peu ses distances sur la plage normande où il fait sa tournée. Ce qui autorise Tony Garbo (oui, c’est son nom, c’est pas mal non, ça sonne un peu cinéma) de crier Aline “pour qu’elle revienne” (parce que la petite fille s’appelle Aline et que Patrice Leconte connaît bien la discographie de Christophe). Tout est caressé sous le vent frais du charme

désuet : Patrice Leconte est un romancier climatique capable de vous décrire une plage au mois d’août et de la rendre aussi caliente qu’une station balnéaire fin septembre. C’est bien, on dirait ses films. Le cinéma, on s’en aperçoit et c’est triste, ne satisfait pas ses hérauts. Métier de vanité (métaphore absolue : un cabaret), il oblige ses meilleurs éléments (pianistes, magiciens) à faire autre chose, à prolonger l’expression, la canal(+)iser. Christophe Lambert (que l’on avait déjà vu mordre le crayon dans un concours de sourcils froncés en faisant des maths dans l’inénarrable Fortress 2) avait essayé une autre voie, avant cela – il avait investi une partie de sa première fortune acquise à Hollywood (du temps où il était sex-symbol) dans la saucisse sous vide (véridique). Leconte, qui a un sens de la PME moins développé, écrit. Riva Bella est son second texte, le premier s’appelait Les Femmes aux cheveux courts. Juliette Binoche danse et peint. Sylvie Testud sort un quatrième roman (moins calamiteux que les deux exemples sus-cités, soyons indulgent), Chevalier de l’ordre du mérite (Fayard). L’art seul, donc, peut consoler de l’art. Philippe Azoury

la 4e dimension sur un air de Houellebecq Michel Houellebecq pousse à nouveau la chansonnette. Après l’album Présence humaine sorti en 2000, il vient de mettre en ligne deux chansons. La musique est signée Jean-Claude Vannier et les paroles Houellebecq, of course : “La France a le moral/Y a que moi qui vais mal.” Mais il chante plutôt bien. Si, si.

Martin Amis se fait encore des amis “Si j’avais un grave accident cérébral, j’écrirais peut-être des livres pour enfants, autrement non.” Avec cette déclaration, l’auteur britannique a déclenché l’ire des auteurs pour la jeunesse, qui reprochent à Amis son mépris et son arrogance.

le glas ne sonne pas pour PPDA Fiasco limité pour le plagiaire démasqué. Sorti le 26 janvier, sa biographie d’Hemingway s’est déjà vendue à plus de 1 300 exemplaires, selon Edistat. Un chiffre finalement assez proche du démarrage des dernières “œuvres” de Poivre. 98 les inrockuptibles 23.02.2011

Tintin à poil Vous en aviez rêvé ? Le site collectionrevue a mis en ligne une parodie de Tintin au Congo tout simplement intitulé Tintin au Congo à poil. Sur quatre planches détournées de l’album d’Hergé, on pouvait mater Tintin dans le plus simple appareil. Mais le site a dû les retirer. La Fondation Moulinsart n’a pas goûté l’humour.

Catherine Hélie/Gallimard

au revoir les enfants

La nouvelle pièce de Marie Ndiaye, succédant à Trois femmes puissantes, ausculte le rapport adultes/enfants et explose tous ses non-dits.

 E

lle signait Hilda en 1999 et, depuis, Marie Ndiaye n’a pas cessé de ponctuer son parcours romanesque de pièces de théâtre. Avec Papa doit manger (2003), elle entrait même au répertoire de la ComédieFrançaise. Dans ses pièces comme dans ses romans, Marie Ndiaye travaille, expose les rouages de la cruauté familiale, de l’étouffement de chaque famille, de l’aspect mortifère des gens qui “s’aiment”. Ses pièces de théâtre atteignent un niveau de cruauté insoutenable car il n’y est plus question que de dialogues, du mal que se font les membres d’une famille entre eux dans leurs rapports de manipulation ou de domination, perpétués par les mots, donc souvent mine de rien. Les Grandes Personnes n’échappe pas à la règle, et la cruauté des adultes y est telle qu’elle frôle souvent l’absurde. Ainsi, la pièce de Ndiaye se rapproche

imperceptiblement, étrangement, du théâtre de Ionesco. Surtout quand elle évoque un épisode dont elle a été le témoin indirect : son époux, l’écrivain Jean-Yves Cendrey, s’est rendu à l’école pour aller chercher un enseignant pédophile (autant protégé par son administration que par le silence tacite des parents d’élèves) et le livrer à la police. Dans Les Grandes Personnes, c’est la mère de l’enfant abusé qui s’en charge... Quant au silence des parents d’élèves : “Il suffisait, pour l’admettre, de ne poser aucun mot là-dessus/Oui, oui, c’était peut-être là notre façon de voir les choses – en échange de la perfection de son enseignement et de la remarquable direction de notre école, le maître avait notre autorisation tacite pour jouer avec nos enfants comme il lui plaisait.” Dans son théâtre, Ndiaye fait dire les choses telles qu’elles sont : elle met non seulement un “mot làdessus” mais démonte les mécanismes du silence, du déni. Et cette volonté de dire, voire même plus,

de clamer la vérité, ne peut passer pour elle que par la scène. Comme un écho à son travail de romancière. Nelly Kaprièlian

Les Grandes Personnes (Gallimard), 88 pages, 12,50 €. Mise en scène par Christophe Perton, du 4 mars au 3 avril au Théâtre de la Colline, Paris XXe, tél. 01 44 62 52 52

on file à “l’université pop” mercredi 23 Studieux, du Lieu unique à Nantes (à 18 h 30, www.lelieuunique.com) pour le cycle consacré à Pierre Senges, écrivain amateur d’aphorismes et de fragments, remarqué en 2002 pour Ruines-deRome. Le soir, on se branche sur France Culture pour écouter Mathieu Lindon évoquer son dernier livre, Ce qu’aimer veut dire (Du jour au lendemain, 23 h 30).

à venir

de se déguiser en E.T. jeudi 24 Inutile On arrive sobre et “casual” à la soirée de lancement du nouveau numéro de la revue Granta consacré aux aliens, entendre l’autre au sens large, l’étranger, celui qui vient d’ailleurs. A partir de 19 h à la librairie Village Voice, Paris VIe, www.villagevoicebookshop.com

On fait ses courses avec Houellebecq à l’Hyper Casino Italie du XIIIe. C’est en effet en direct du supermarché parisien que Frédéric Bonnaud recevra l’écrivain dans son émission de radio Plan B… pour Bonnaud (Le Mouv’), de 16 h à 18 h. Avec Nelly Kaprièlian des Inrockuptibles.

vendredi 25

cherche la solution samedi 26 On avec François Bégaudeau. L’auteur d’Entre les murs et de La Blessure, la vraie s’essaie pour la première fois au théâtre avec Le Problème. Ultraréaliste, sa pièce tourne autour d’Annie, une femme qui quitte le foyer familial et, dans le même temps, rompt avec les conventions bourgeoises. Avec Jacques Bonnaffé, Emmanuelle Devos, Anaïs Demoustier…

dimanche 27

Emmanuelle Devos

lundi 28

France Inter > 20 h

On déambule dans le labyrinthe kafkaïen en compagnie de Yannick Haenel. L’écrivain, qui vient de publier Le Sens du calme, autoportrait dans lequel il se livre à travers Bowie, Botticelli et Kafka, évoque La Métamorphose, son “classique” préféré.

mardi 1er

100 les inrockuptibles 23.02.2011

Dans son dernier roman intitulé Anniversaires, l’Argentin César Aira se lance dans une forme d’introspection, un retour sur soi et sur son œuvre. Il dresse ici le bilan de sa vie et questionne son rapport à l’écriture, ce qui l’a jusqu’ici poussé à écrire. N’est-il pas temps pour lui de passer à autre chose ? Ce récit personnel est aussi l’occasion pour Aira de prendre un nouveau départ et “de (se) mettre sérieusement à réfléchir”. Sortie le 14 avril

Niccolo Ammaniti La Fête du siècle (Robert Laffont)

On découvre le Téhéran underground, guidé par Ron Leshem. L’auteur israélien est l’invité de l’émission L’Humeur vagabonde pour son dernier roman Niloufar, dans lequel la capitale iranienne devient un double de Tel-Aviv, l’Iran un reflet d’Israël.

A 18 h au Théâtre de l’Odéon, Paris VIIIe, www.theatre-odeon.fr

Après Jonathan Safran Foer et son Faut-il manger les animaux ?, c’est au tour de Marcela Iacub d’interroger les rapports que nous entretenons avec les animaux. Ici, point de démarche scientifique ou journalistique. C’est au travers d’un récit autobiographique qu’elle explique les motivations qui, du jour au lendemain, l’ont “décidée à arrêter irrévocablement” de manger de la viande. De quoi ébranler les convictions des derniers carnivores… Sortie le 1er avril

César Aira Anniversaires (Christian Bourgois)

Jusqu’au 3 avril au Théâtre du Rond-Point, Paris VIIIe, www.theatredurondpoint.fr

On voyage en enfer avec 2666, le chefd’œuvre de l’écrivain chilien Roberto Bolaño qui paraît en poche (Folio, 1 376 pages, 13,50 €). Entre roman policier, récit fantastique et épopée, un parcours abyssal qui mène à une ville mexicaine où trois cents femmes ont été assassinées.

Marcela Iacub Confessions d’une mangeuse de viande (Fayard)

Ron Leshem

Le nouveau roman de l’Italien Niccolo Ammaniti met en scène Sasa Chiatti, un écrivain à succès qui, depuis des années, n’écrit plus une ligne. Afin de répondre à ses aspirations de mégalomane, il décide d’organiser “la fête du siècle”. Tout le gratin d’Italie et d’ailleurs est ainsi convié dans son immense propriété de Rome, la Villa Ada. Avec frivolité et sarcasme, Niccolo Ammaniti dépeint un monde aux confins du ridicule où règnent l’hypocrisie et le vice. Sortie le 18 avril

Arnaud Le Gouëfflec et Olivier Balez Le Chanteur sans nom Glénat, 116 pages, 20 €

les desAxés Défricheuse, politique et parfois déroutante, la revue japonaise de bande dessinée Ax fait l’objet d’une anthologie passionnante.

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oit Ax, objet curieux et méconnu, revue bimestrielle de bande dessinée japonaise dite d’avant-garde qui sévit depuis treize ans. Une anthologie lui est aujourd’hui consacrée. Comme toute anthologie, l’ouvrage est autant parcellaire qu’arbitraire, divers en qualité. Quatre cents pages et trentetrois auteurs, nul n’en doute, diviseront les lecteurs quant aux récits, aux esthétiques, aux thèmes ; la variété et les dissemblances règnent en maître. Et c’est d’ailleurs là qu’Ax trouve sa cohérence, sa ligne fondamentale : dans le désir et la recherche, chez tous les auteurs, d’une liberté d’expression absolue. Ax est une terre d’asile pour marginaux qui ne trouvent pas, ou ne veulent pas trouver, leur place au sein des formats traditionnels. La poésie, l’absurde, la fantaisie sexuelle, la violence du regard social, la sécheresse assumée de leurs esthétiques les prédisposent, pour leur plus grand plaisir, à une carrière dans les marges. Cette anthologie est donc une plongée dans ce que la bande dessinée 102 les inrockuptibles 23.02.2011

peut proposer de plus politique comme “résistance au système” – et le système éditorial, au Japon, est particulièrement bien structuré – avec, parfois, une volée de plaisir de lecture, parfois l’abasourdissement de ne rien comprendre. Une incompréhension, d’ailleurs, qu’on finit par accepter avec d’autant plus de plaisir que la forme courte des récits autorise sans peine une seconde lecture. S’il reste un sentiment, une fois l’ouvrage lu et relu, au-delà de la diversité, de la folie, de la transgression répétée et répétée, c’est qu’il existe bien une forme à part de bande dessinée, une autre manière de l’écrire comme de la lire. Une terre, qui excède le Japon, le manga, les frontières des esthétiques et des nationalités. Les lecteurs qui l’arpentent ne peuvent que vous conseiller de les y rejoindre, tant les paysages y sont riches et les routes faites de déviations vers l’inconnu. Stéphane Beaujean Ax Anthologie (Le Lézard noir), traduit du japonais par Miyako Slocombe, 400 pages, 25 €

Vivante bio d’un crooner oublié d’avant-guerre. Absent des compilations, des commémorations et des mémoires, Le Chanteur sans nom, alias Roland Avellis, connut son petit succès au music-hall dans les années 30. Comme l’aurait dit son ami Charles Aznavour, il se voyait déjà en haut de l’affiche – mais il retomba rapidement dans l’anonymat. Sans le sou, malade, drogué, il finit ses jours dans un hospice pour vieux artistes. Arnaud Le Gouëfflec et Olivier Balez ont sorti de l’oubli ce personnage sympathique et pathétique, doué mais terriblement escroc, via une biographie documentée et jamais larmoyante. Un jeune homme d’aujourd’hui découvre par hasard l’existence d’Avellis et part sur ses traces, guidé par son fantôme. La mise en scène, parfois inutilement compliquée, laisse une belle place aux souvenirs et aux témoignages de personnes l’ayant connu, mais aussi aux zones d’ombre et aux doutes qui l’ont entouré jusqu’à sa mort. Mêlant à l’histoire des gags surannés que l’on croirait tirés du Petit Journal, ils dépeignent avec justesse l’atmosphère des années 30 à 50 comme Avellis les a vécues, entre la misère et l’allégresse bon enfant. Anne-Claire Norot

Pascal Victor/ArtComArt

delirium tramway Au carrefour des fantasmes, un formidable Tramway nommé Désir signé Lee Breuer pour l’entrée de Tennessee Williams au répertoire du Français.

première Hors série Rendez-vous dédié aux jeunes créateurs ou aux artistes à découvrir, Hors Série présente Nothing to Do, mise en scène d’Emma Morin, et un programme unique pour quatre propositions de la Cie Lumière d’août (Peloton, Cabaret Quéquette…). Côté danse, le collectif Busy Rocks (des anciens de P.A.R.T.S.) présente A Mary Wigman Dance Evening, chorégraphie Fábian Barba, et Dominos and Butterflies. Jusqu’au 4 mars au Théâtre de la Bastille, Paris XIe, tél. 01 43 57 42 14, www.theatre-bastille.com

réservez Le Funambule(s) de Jean Genet Un texte – écrit par Jean Genet pour Abdallah, jeune acrobate – pour deux mises en scène dans la même soirée, signées Julien Fišera et Cédric Gourmelon. Un programme sur la corde raide… Du 28 février au 10 mars au Théâtre Paris-Villette, tél. 01 40 03 72 23, Paris XIXe, www.theatre-paris-villette.com 104 les inrockuptibles 23.02.2011

P  

ortant des lunettes noires et muni d’une canne blanche d’aveugle, c’est dans un halo de lumière que l’on découvre Bakary Sangaré (Steve) au moment où, enjambant le balcon d’une loge d’avantscène, il manque de tomber dans le vide pour échapper à la furibarde colère de sa femme Léonie Simaga (Eunice). Avec le gag désopilant de cette scène de ménage surprise, l’Américain Lee Breuer nous fait prendre en marche le théâtre de Tennessee Williams en nous propulsant d’une grande claque dans le dos dans la bouleversante folie de sa mise en scène d’Un tramway nommé Désir. Avec l’arrivée de masques de carnaval et d’un chopper sur scène, le ton est donné d’une farce gigantesque où Lee Breuer reprend à son compte les combats de son auteur. Aussi iconoclaste que poétique, l’hommage prend alors la forme d’un portrait au scalpel de l’Amérique d’hier et de celle d’aujourd’hui. Ainsi, avec les noirs volumes de ses décors se déplaçant en flottant de scène en scène, La NouvelleOrléans de fantaisie où il fait débarquer Blanche DuBois (superbe Anne Kessler) semble encore noyée sous les eaux sombres du cyclone Katrina. Sur cet espace mouvant, Lee Breuer superpose l’iconographie envahissante d’une multitude d’estampes japonaises pour placer son cérémonial sous le signe du bunraku, en référence à ce théâtre traditionnel de marionnettes dont les officiants, fantômes habillés de noir, font ici figure d’accessoiristes. Une incongruité ?

Plutôt l’expression d’un remords pour celui qui se souvient que la pièce, datée de 1947, a été écrite deux ans après Hiroshima. Cadrée dans ce paysage de fantasmes, chaque scène devient le prétexte d’un happening où une partie de poker semble un accrochage d’art contemporain et où prendre une douche nous entraîne sous une incroyable cascade de soie bleue. Comme Flaubert ose dire “Madame Bovary, c’est moi”, Lee Breuer s’identifie totalement à Blanche quand elle déclare, “Je ne veux pas de réalisme ; je veux de la magie ! Oui, oui de la magie. C’est ce que j’essaie d’offrir aux autres. Je ne dis pas la vérité, je dis ce que devrait être la vérité. Et si c’est un péché, alors que je sois damnée.” Et, de fait, Blanche sera définitivement vaincue, le jour où sa sœur Stella (Françoise Gillard) accouche à l’hôpital tandis qu’elle se fait violer par son mari Stanley (Eric Ruf). Seule une image iconique de l’Amérique peut vaincre Blanche, qui ne vit que dans ses rêves. Lee Breuer sort alors de sa manche sa carte maîtresse en la personne du Joker et d’une magnifique dédicace au regretté Heath Ledger. S’ensuit un combat de titans où un Eric Ruf à la tignasse vert fluo et au visage fendu d’un monstrueux sourire se démultiplie pour commettre son crime via la figure baroque du Joker en incarnation de la mauvaise conscience de l’Amérique. Du grand art. Patrick Sourd Un tramway nommé Désir de Tennessee Williams, mise en scène Lee Breuer, en alternance jusqu’au 2 juin à la ComédieFrançaise, salle Richelieu, www.comedie-francaise.fr

hier, aujourd’hui, demain Les Hivernales d’Avignon se livrent à un joli exercice de mémoire. Et de danse. omme un fil invisible qui relierait sont égrenées au tableau, les instantanés les spectacles invités de cette sont comme saisis sur le vif 33e édition, la mémoire pour survoler quelques décennies chorégraphique est à l’œuvre dans de créations artistiques. des pièces comme Un Américain à Paris Plus fragile encore, Une hypothèse de Mathilde Monnier ou Cédric Andrieux de réinterprétation, solo de Rita Quaglia, de Jérôme Bel – autour de Merce interroge le regard porté sur l’autre. Cunningham. Il en va de même avec Une Une pièce de Loïc Touzé, à l’évidence, lecture de danse 2 de Nathalie Collantes, que la danseuse s’ingénie à démonter sous qui convoque Jacqueline Robinson, nos yeux. L’idée n’est pas tant de jouer ancienne élève de Mary Wigman et les copistes que de mêler deux approches pionnière de la modernité en France, sans sensibles du mouvement. Et puis revoir oublier la venue de Trisha Brown qui Rita Quaglia, soliste remarquée chez donne à l’Opéra Set & Reset, inaltérable. Catherine Diverrès ou Régine Chopinot, Le souvenir est enfin tangible dans est une madeleine chorégraphique Une semaine d’art en Avignon, créée des plus savoureuse. Son Hypothèse…, par Olivia Grandville avec sa propre mère, qui la voit bondissante ou apaisée, l’actrice Léone Nogarède, et Catherine est un plaisir rare. Philippe Noisette Legrand, danseuse liée à Dominique Bagouet. Mais rien de passéiste Les Hivernales d’Avignon du 24 février dans cet exercice où chacune se renvoie au 5 mars, tél. 04 90 25 61 84, www.hivernales-avignon.com joliment la balle en scène. Les dates

Migué Mariotti

 C

Moi et mon cheveu. Cabaret capillaire. mise en scène et jeu Eva Doumbia, textes Marie-Louise Bibish Mumbu, aux Bernardines de Marseille, compte rendu

pétard à mèches Eva Doumbia raconte avec sens et conscience les racines de l’émancipation des femmes noires. e diable se cache elles leurs cheveux, Barbie. Puis on s’installe dans les détails, au prix de souffrances dans la salle du cabaret où c’est connu… Et c’est intolérables ? Pour chants, danses et paroles là que le “cabaret la sociologue Juliette sont de mèche avec capillaire” imaginé par Smeralda, “se défriser, les projections vidéo Eva Doumbia fait mouche c’est faire la preuve (Laurent Marro), le voyage et quitte le seul domaine de son aptitude à devenir en images de l’histoire de l’esthétique pour aborder un sujet socialement adapté d’une libération née frontalement “l’héritage” (…) au modèle occidental” aux Etats-Unis à la suite de l’esclavage et de la (Peau noire, cheveu crépu. du mouvement des Black colonisation. De ses L’histoire d’une aliénation). Panthers. Donné en workshops menés Le public est d’abord avant-première avant depuis 2009 en Afrique convié dans les loges, où sa création au festival de et au Brésil, elle a rassemblé les femmes se maquillent Marseille, Moi et mon une fabuleuse équipe et se coiffent, se taquinent cheveu enchante les sens de femmes autour d’une et se parlent, pendant et éveille les consciences. question simple : pourquoi qu’Eva se fait poser un On lui tresserait bien des les femmes noires lissenttissage blond et lisse, façon louanges. Fabienne Arvers

 L

23.02.2011 les inrockuptibles 105

hors du monde A Tours, visite des chambres d’initiation conçues dans les seventies par Tania Mouraud. Hyperconceptuels, des lieux de refuge pour spectateur solitaire.

C  vernissages bâtisseur Après avoir coffré le pavillon autrichien à Venise et embastillé l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne en 2008, l’autrichien Hans Schabus est de retour dans la banlieue lyonnaise avec une expo perso. Le 25 février à l’IAC, Villeurbanne, www.i-art-c.org

’est un parti pris sans concession que celui du Centre de création contemporaine de Tours, qui présente actuellement l’ensemble des “chambres d’initiation” conçues par Tania Mouraud dans les années 70. Treize environnements en tout (“à l’époque on ne parlait pas d’installations”) visibles dans l’exposition sous la forme de plans ou de maquettes et de reconstitutions grandeur nature pour deux d’entre elles. Intitulée Une pièce de plus – qui fait immanquablement penser à Une chambre à soi de Virginia Woolf –, l’expo ne se situe pas, comme l’a immédiatement affirmé Tania Mouraud, sur un versant féministe, mais plutôt sur celui de l’expérience mentale et d’une présence au monde immédiate, que l’artiste souhaiterait “sans objet, sans résidu et sans mémoire”. Réalisées dans la foulée d’un autodafé public datant de 1969 au cours duquel Tania Mouraud brûla l’ensemble de ses toiles, ces “initiation rooms” immaculées et sans couture évoquent la pratique du monochrome et prennent tantôt la forme de chambres de méditation à destination de l’espace domestique, tantôt celles de capsules “pluggées”

éclaireur En direct de la côte Ouest, plus de trois cents œuvres de lumière réalisées entre 1959 et aujourd’hui par un pionnier hors classe : Larry Bell. Le 25 février au Carré d’art de Nîmes, www.nimes.fr

Le Californien Scoli Acosta, passé un temps par la France, est l’un des porte-parole de l’art écolo. A Caen, il présente des installations low-tech réalisées à partir d’éléments recyclés. Le 26 février au Frac Basse-Normandie, Caen, www.frac-bn.org

catalyseur Conçue comme un jeu de piste, la dernière exposition du Camerounais Pascale Marthine Tayou à Lyon semble avoir digéré tous les rebuts de la mondialisation. Le 24 février au MAC de Lyon, www.mac-lyon.com 106 les inrockuptibles 23.02.2011

Initiation Room n°2, 1971

Galleria LP220, Turin, courtesy de l’artiste et galerie Dominique Fiat, photo Berengo-Gardin

recycleur

dans l’espace naturel. “Quand j’étais enfant, je passais mes vacances en Normandie, où les blockhaus jalonnaient le paysage”, raconte cette fille de résistants marquée par la présence subliminale de la Seconde Guerre mondiale. “Lorsque j’ai imaginé ces chambres de méditation, c’était comme de créer un parc de sculptures sans fléchage, transformer ces vestiges de guerre en espaces de contemplation et faire une confidence aux passants.” Cette “confidence aux passants” est une des clés des œuvres de jeunesse de Tania Mouraud. Avec son statut indéterminé, le “spectateur”, “utilisateur” ou “sujet”, c’est selon, est au centre du dispositif. Très influencée par l’art conceptuel, Tania Mouraud élabore dès les années 70 une circulation triangulaire entre “celui qui voit, l’acte de voir et l’objet vu”. Dans ses initiations rooms, le spectateur devient proactif, acteur et témoin simultané d’une expérience du sensible en solitaire dont le récit, après coup, n’est jamais qu’une pâle copie. Aimables, malgré leur sas de décompression et leur configuration restreinte (très basses de plafond, elles obligent le spectateur à adopter la position assise), les chambres d’initiation de Tania Mouraud constituent des abris de fortune, des “hors-champs” dans la vie comme dans l’histoire de l’art. Au cœur de cet ensemble de parenthèses hospitalières, il en est une, toutefois, qui dénote. Dotée d’un niveau sonore intolérable et d’un système de projecteurs extrêmement puissant pouvant faire monter la température de la pièce à 63 degrés, elle laisse, littéralement, le spectateur à la porte. “Je me suis longtemps demandé quel était le sens de cette pièce, raconte aujourd’hui Tania Mouraud. J’ai eu la réponse lors de mes nombreux voyages en Inde. On m’a expliqué qu’il existait des temples où l’on organisait une fois par an des orgies monstrueuses. Ils partaient du principe que si l’on pouvait atteindre la déité en menant une vie pure et pieuse, on pouvait tout aussi bien l’atteindre en cassant cette causalité.” De la même façon, les chambres d’initiation de Tania Mouraud ne choisissent pas, et portent en elles deux imaginaires a priori irréconciliables : l’espace de lévitation d’une part, la chambre mortuaire de l’autre. Claire Moulène Jusqu’au 20 mars au CCC de Tours, 55, rue Marcel-Tribut, www.ccc-art.com

France (Burnt/Unburnt), 2011

retour de flamme La France au bord de l’embrasement, vue par le collectif Claire Fontaine. oilà la pièce la plus mentalement, à la France banlieues.” D’ailleurs dangereuse, la plus entière. C’est dire le lien ils le feront, Claire émeutière, la plus qui unit, comme dirait Fontaine, pas le soir du incandescente, l’autre, “la carte et le vernissage mais un beau au sens propre du terme, territoire”. jour, presque sans prévenir, qu’il nous ait été donné Menace donc, ou désir au beau milieu de à voir depuis longtemps. d’embrasement : car cette l’exposition, ils mettront Dans l’exposition dure pièce murale n’est pas le feu aux poudres. Et et fortement politique du insécuritaire, elle est bien peut-être qu’alors l’œuvre tandem artistique regroupé davantage une incitation murale offrira un tout sous le nom joliment à l’émeute, un appel autre visage, encore plus innocent de Claire à la révolte. Et me revient critique : la France comme Fontaine, on ose à peine la alors la phrase prononcée un pays cramé jusqu’à l’os. Jean-Max Colard frôler, de peur de la frotter, il y a quinze jours dans de mettre le feu aux Les Inrocks par le cinéaste poudres. Car la menace Abdellatif Kechiche Claire Fontaine No Family Life, d’embrasement contenue commentant les chutes jusqu’au 19 mars à la galerie par cet Hexagone constitué des dictateurs Ben Ali Air de Paris, 32, rue Louised’allumettes s’étend et Moubarak : “Je rêve Weiss, Paris XIIIe, aussitôt, et bien sûr d’un soulèvement de nos www.airdeparis.com

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23.02.2011 les inrockuptibles 107

Courtesy Air de Paris, Paris.

pièce principale

108 les inrockuptibles 23.02.2011

denim mon amour Mettre 400 euros dans un jean, est-ce bien raisonnable ? Pas un problème pour les denimheads, prêts à tout pour un modèle tissé au Japon à partir d’un introuvable coton texan.

I

l est quatre heures du matin en France et les posts affluent sur Superdenim, le forum de référence des denimheads. Ce soir, ils sont en émoi. Ils préparent le Heavyweight Denim Championship of the World, soit l’élection du meilleur jean au monde, catégorie “jean lourd”. L’événement est tout à fait sérieux. Le règlement stipule que les participants doivent présenter un jean acheté il y a moins de deux mois, et d’un poids supérieur à 17oz (500 g). En s’inscrivant, ils s’engagent à poster des photos de la pièce tous les deux mois. Au terme de la compétition, dans vingtquatre mois, les images seront passées au crible et le plus beau jean, celui qui aura le mieux vieilli, sera triomphalement élu par un jury composé d’experts, présidé par un certain Kiya. Propriétaire des boutiques Self Edge, Kiya est l’une des figures du mouvement. Pour lui, les denimheads “ressemblent pour beaucoup aux sneakers freakers”, les accros des baskets, à ceci près qu’ils “ne courent pas après des produits de grandes marques comme Nike ou Adidas, mais recherchent des pièces produites par de petites marques inconnues du grand public”. Chez Self Edge, installé depuis des années à San Francisco et également présent à Los Angeles et New York, on trouve ainsi des jeans signés Studio D’Artisan, Iron Heart, Warehouse, Samurai ou Sugar Cane. Ces marques, toutes japonaises, sont spécialisées dans la production artisanale de jeans. Elles sont équipées de vieilles machines à tisser américaines, délaissées par les grandes marques US à la fin des années 60, quand la quantité est devenue plus importante que la qualité, et se livrent à une véritable surenchère en matière d’authenticité et d’exclusivité. Quand Samurai sort son S8000JX-N, un modèle entièrement réalisé à partir d’un coton texan ultra rare, Studio D’Artisan réplique avec le D1507, un jean dont le tissu a été teint selon un processus artisanal frôlant la névrose, dans une petite usine située sur l’île de Shikoku, au sud du Japon.

un denimhead mourrait plutôt que de mettre un jean en machine

En bout de chaîne, ces jeans coûtent évidemment une fortune. Pour le S8000JX-N de Samurai, produit qui existe à seulement cent vingt exemplaires à travers le monde, il faut compter 350 euros. Pour le D1507 de Studio D’Artisan, c’est 450 euros. Et les preneurs se bousculent. Au Japon, terre de toutes les névroses vestimentaires et berceau de la scène denimhead, ces marques disposent de nombreux points de vente. Aux Etats-Unis, les boutiques Self Edge ou le temple Blue In Green, situé à New York, tournent à plein alors que la boutique VMC de Zurich alimente la communauté européenne. Sur le forum Superdenim, ils sont quelques dizaines, au pseudo évocateur (‘’DenimDestroyMyLife’’ ou ‘’I want to die in jean’’), à discourir à longueur de journée de la taille des rivets utilisés sur les poches avant d’un jean ou à débattre de la moralité de porter une paire de jeans confectionnée à partir du fil de coton zimbabwéen, récolté par une maind’œuvre surexploitée. Le denimhead a parfois des états d’âme, mais il revient rapidement à l’essentiel. Toute la journée, il parle de selvage (méthode de tissage traditionnel de la toile de jean) ou de sanforisage (traitement thermique qui réduit les risques de rétrécissement de la toile de jean). Par essence, le denimhead est obsédé. Et absolument intransigeant sur certains points. Il n’achètera jamais une paire de jeans artificiellement usée, de type Diesel. Il l’usera lui-même. Pour ce faire, il la portera pendant de longs mois, souvent pendant plus d’un an, sans la laver. Puis, le moment venu, il lui fera faire trempette selon un procédé minutieux (c’est la cruciale étape du soaking). Un denimhead mourrait plutôt que de mettre un jean en machine. “J’en apprends un peu plus chaque jour, je sais que je ne saurai jamais tout mais je ne suis jamais rassasié”, confesse un nouveau venu sur Superdenim. Son fantasme absolu est le même que celui de ses potes. Il rêve de se balader un jour dans un jean Levi’s datant du début du XXe siècle. Quelques paires ont été conservées, et elles pèsent très lourd. Près de 40 000 dollars sur eBay. Laurent Laporte illustration Alexandra Compain-Tissier 23.02.2011 les inrockuptibles 109

Sophie Brändström / Picturetank

Une école à Christiania, quartier de Copenhague autogéré depuis 1971

l’utopie qui vient Dans le livre-film Les Sentiers de l’utopie, une chercheuse et un artiste racontent leur périple européen à la recherche de sociétés parallèles, où se réinventent des manières de vivre, à rebours du système productiviste et individualiste.



quoi ressemble une “utopie” lorsque son idée abstraite s’incarne dans un espace physique, sur un territoire géographique ? A des communautés festives et à des maisons accueillantes, à des gens heureux, proches de la terre et débarrassés de tout artifice, à des réseaux créatifs dispersés dans le monde entier mais partageant un seul et même désir : réinventer radicalement nos manières de vivre. Si les voies de la réinvention empruntent des sentiers différents, toutes se construisent sur le sentiment d’un effondrement de notre civilisation.

110 les inrockuptibles 23.02.2011

On pourrait en rire ou s’en moquer gentiment, comme des cyniques revenus de “l’illusion communautaire” en vogue chez les hippies des années 60 ou chez les socialistes fouriéristes au milieu du XIXe siècle. A rebours de ce scepticisme désenchanteur, une chercheuse en Media and Cultural Studies, Isabelle Fremeaux, et un artiste activiste, John Jordan, ont exploré durant une année les nouveaux sentiers de l’utopie. Pour observer, s’étonner, analyser et se laisser tenter à leur tour par le grand saut – au terme de leur périple, ils ont décidé de s’installer avec d’autres activistes dans un village baptisé “Ici-topie”, une sorte de Bauhaus pour

au poste des laboratoires, des ateliers de production de nos mondes futurs le XXIe siècle, fondé sur l’art et l’activisme, sur la “permaculture”1 et l’éducation populaire… Leur long voyage en Utopie se concrétise aujourd’hui dans un magnifique objet multimédia, un “livre-film”, constitué d’un documentaire et d’un récit relatant leur parcours au cœur de multiples expérimentations sociales. Pour les auteurs-documentaristes, ces utopies postcapitalistes ne sont pas “des îles mais une enfilade d’archipels insurgés”. Si la racine du mot utopie signifie “nulle part”, ils prouvent au contraire que l’utopie, “c’est appartenir à l’ici et maintenant”. Du Danemark (Christiania) à l’Angleterre (Camp Climat, Landmatters), de l’Espagne (Paideia, Marinaleda, Can Masdeu) à la Serbie (Zrenjanin), de la France des Cévennes (La Vieille Valette) ou des Alpes de Haute-Provence (Longo Maï, Cravirola) à l’Allemagne (ZEGG), des communautés “pirates”, érigées sur les cendres d’un monde consumériste et individualiste, s’organisent parfaitement, à la manière de zones d’autonomie temporaires (les TAZ théorisées par Hakim Bey), s’inscrivant dans la durée. Si aucun des utopistes ici interrogés ne dissimule les difficultés que la vie communautaire peut engendrer, tous affirment les dépasser grâce à l’énergie recouvrée dans leur vie nouvelle. Une vie que chacun revisite et reconfigure à la lumière de “principes actifs” aussi divers que le partage des ressources, l’éducation populaire, l’autogestion, l’autodétermination, ou même l’amour libre, comme le pratiquent depuis plus de trente ans des villageois à ZEGG, une ancienne base de la Stasi pleine de “huttes d’amour”, squattée par des adeptes du partage des corps. Réinventer les règles de la sexualité autant que celles du capitalisme, reprendre en main le destin de nos pulsions intimes autant que celui de nos activités sociales… Erotiques ou politiques, les utopies pourraient ressembler à de purs délires pour babas cool et anarchistes reclus dans les espaces ultimes de leur survie sociale si elles n’étaient pensées aussi comme une possible préfiguration d’une insurrection qui vient. Au-delà de la question de l’amour, dont les enjeux restent soumis à une trop longue histoire de la sexualité pour qu’ils dérivent vers cette anarchie des désirs libérés, les espaces de la vie sociale que ces utopies redessinent ont leur part de réalisme. “Le défi est de penser aux utopies comme à des points d’acupuncture

rire cardiaque plutôt qu’à des idéaux”, soulignent Isabelle Fremeaux et John Jordan. Les points de friction sur lesquels elles appuient, les zones de tremblement qu’elles creusent, les déflagrations qu’elles annoncent nourrissent la réflexion stimulante des auteurs. Les images solaires de leur film, comme absorbées par la nature sauvage dans laquelle elles baignent, consignent un monde à la fois fantaisiste et réaliste, hilarant et probant. On aurait tort d’en rire pour une raison simple : notre monde réel, normatif, s’est déjà inspiré d’elles. L’agriculture bio, les cités-jardins, les éoliennes à grande échelle, les écoles mixtes, la couverture maladie universelle… sont toutes des idées que le système dominant a puisées chez les utopies, sous des formes détournées. Les guérilleros jardiniers de Detroit, les municipalités autonomes zapatistes du Chiapas, les comités de quartier de Bolivie, les cyber-communaux en ligne, les mouvements de programmateurs de logiciels libres, les centres d’aide mutuelle construits sur les ruines d’une NouvelleOrléans post-Katrina, les paysans sans terre la reprenant au Brésil, les conseils locaux autogérés du Venezuela, les Mohawks faisant sécession de l’Etat canadien, les usines occupées d’Argentine, les plantations et pêcheries autogérées en Inde… ont aussi prouvé la puissance pragmatique de l’utopie en action. “Grâce à des valeurs telles que le bien commun plutôt que le gain individuel, l’aide mutuelle plutôt que la compétition, elles n’exigent pas le changement, elles le créent directement”, estiment nos explorateurs. Ces mondes parallèles sont des laboratoires, des ateliers de production de nos mondes futurs. Vivre ensemble, sans hiérarchie, sans marché, avec le plus de liberté possible, sans la tyrannie du temps : n’est-ce pas après tout un avenir auquel aspirent tant de gens qui nous entourent ? Si les plus belles utopies restent celles que chacun s’invente dans le secret gardé de sa propre subjectivité, les sentiers de l’utopie où ont flâné Isabelle Fremeaux et John Jordan portent les promesses d’un autre monde possible. Jean-Marie Durand 1. Science ayant pour but la conception et la réalisation de sociétés humaines écologiquement soutenables, socialement équitables et économiquement viables. Les Sentiers de l’utopie, un livre-film d’Isabelle Fremeaux et John Jordan (Zones), 320 pages, 25 €) Lire aussi Zone interdite de Hakim Bey, (L’Herne), 80 pages, 9 €

L’hilarité collective et tonitruante est devenue la figure imposée de la télé. Et vous trouvez ça drôle ? Il y a des rires dont le tumulte résonne très fort dans le poste. Tous les vendredis soir sur France 2, Franz-Olivier Giesbert pouffe, s’étrangle, à la limite de l’apoplexie en direct, devant la chronique énervée du jeune mytho Nicolas Bedos. L’animateur de l’émission Semaine critique ! se tord le ventre, tousse, éructe, pleure, s’apprête à dégringoler de sa chaise, à deux doigts de l’arrêt cardiaque tant les mots fielleux de l’humoriste le rendent extatique, le font tomber en pâmoison. Autour de la table, chaque invité enjoué participe de la même excitation sonore. Cet éloge du rire fracassant contamine toutes les émissions où des comiques plus ou moins inspirés ont pour mission de mettre le feu sur les plateaux télé. Mais pourquoi ces rires à l’unisson, dont la mécanique contagieuse est censée gagner les téléspectateursauditeurs, provoquent-ils parfois l’effet inverse de leur intention : la crispation ? Plus encore que le niveau sonore saturé, plus que les mauvaises blagues plébiscitées, plus que la complaisance de ceux qui les entourent, c’est le décalage entre la réception de ces billets par les spectateurs circonspects et leur imposition par les animateurs survoltés qui provoque une certaine gêne. Il y a dans la virtuosité de Nicolas Bedos, capable de faire décoller FOG, quelque chose qui relève d’un pur passage en force : son sens de la provocation, enlevé mais trop fier de ses effets, oblige à rire avec les autres plutôt qu’avec soi-même. Or, ses mots gagneraient à être déconnectés des hurlements qui les absorbent dans un jeu forcé. Le tic-tac d’une horloge suffisait, après tout, à rendre intriguante l’ancienne Minute nécessaire de monsieur Cyclopède.

Jean-Marie Durand 23.02.2011 les inrockuptibles 111

je te filme, moi non plus Jane Birkin sort de ses tiroirs intimes les images en super-8 de sa vie de famille au début des années 1970 : des petits films de vacances avec Serge Gainsbourg, comme la trace intacte d’un bonheur intense.

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ieur, joyeux, léger, solaire, beau comme le bleu du ciel de l’été 69, Serge Gainsbourg a-t-il jamais été filmé aussi intensément que par la caméra super-8 de Jane Birkin ? Mes images privées de Serge, exhumées des trésors de l’intimité du clan familial, restituent la trace intacte de moments insouciants au début des années 1970. Des souvenirs de vacances à Venise, en Normandie, en Bretagne ou dans la campagne anglaise, où Jane a des allures de Lady Chatterley offerte au désir de son compagnon qui la filme amoureusement dans les champs de blé, sa petite fille dans les bras, des mélodies (Nelson) plein la tête. Quand Serge filme Jane, les plans sont rapides, cut, déjà montés ; ceux de Jane filmant Serge sont plus posés, lents, très doux : elle filme son bonheur en plan séquence. Serge semble souverain parmi ses filles et ses animaux (poussin, chèvre, chien)… En voix off, Jane confie que Serge, rencontré sur le tournage du film de Pierre Grimblat Slogan, la suivait sur tous ses tournages. D’où cette impression de tournis, de vertige amoureux déployé sous toutes les latitudes, même si des lieux 112 les inrockuptibles 23.02.2011

fétiches se distinguent au cœur de leur passion : Venise, en particulier, où le couple se rendait chaque hiver. Les images silencieuses et lumineuses du super-8 trahissent avec leur gros grain la plénitude de ces moments suspendus. Jane dit que “c’était joyeux, sans souci” ; et de s’étonner elle-même : “Tout cela me semble enfantin, si charmant au fond.” Ce qui nous touche tient moins ici à l’effet de proximité et de révélation du quotidien d’icônes absolus (Jane et Serge au sommet de leur beauté, Charlotte en bébé joufflu) qu’à l’effet paradoxal de ne contempler que l’ordinaire de la vie. Mes images privées de Serge n’est pas un film people, c’est un film peuplé. Peuplé de moments doux, des petits riens qui densifient l’existence. Peuplé de stars aussi, certes, mais dont les gestes se fondent dans les souvenirs partagés des familles des années 1970. Si l’on excepte

“Mes images privées de Serge” n’est pas un film people, c’est un film peuplé

les lieux chics (les palaces de Venise et de Lausanne…) qu’elle fréquente, la famille Gainsbourg ressemble à d’autres de son époque : beaucoup portaient les mêmes chemises mauves et les mêmes manteaux de velours côtelé, les rires et grimaces devant la caméra avaient la même malice. L’imaginaire ici représenté est commun à tous. Le film de Jane Birkin partage de ce point de vue la même énergie vitaliste que celle qui se déploie dans les films de famille de Jonas Mekas, comme le sublime As I Was Moving Ahead Occasionnaly I Saw Brief Glimpses of Beauty (programmé le 16 mars au Cinéma des Cinéastes, à Paris). Et lorsque que Jane devine devant les images d’un dernier voyage à Venise les frémissements de la rupture proche (“C’est bientôt la fin”), la mélancolie sourde qui surgit reste neutralisée par la beauté de ce qui l’a précédée : ces moments de pure énergie, ces scènes de la vie conjugale que rien ne gâche, que rien n’occulte, pas même les souvenirs des bonheurs qui fuient. Jean-Marie Durand Mes images privées de Serge de Jane Birkin, dimanche 27 février à 22 h 40, Arte

la vida breve Un roman-enquête sur la vie mouvementée de Marie-Anne Erize, mannequin française assassinée par un escadron de la mort en Argentine.

 C

ertains sont célèbres par leur vie, d’autres par leur mort. Il n’y aurait sans doute pas eu de livre consacré à Marie-Anne Erize si elle n’avait pas été enlevée le 15 octobre 1976 à San Juan, petite ville de l’ouest de l’Argentine. Elle n’a jamais été retrouvée. Elle avait 24 ans. Le livre retrace sur un mode très romanesque le parcours riche et varié de cette fille d’exilés français qui avait choisi la voie de l’activisme politique à l’un des pires moments de l’histoire argentine, celui de la prise du pouvoir par une junte d’extrême droite menée par le général Jorge Videla. Marie-Anne Erize était membre de l’aile gauche du parti péroniste, alias mouvement montonero, qui fut brutalement désavoué par Juan Perón lui-même à son retour au pouvoir en Argentine en 1973 (son parti populiste regroupait des tendances inconciliables). Depuis quelques années déjà, tous les groupuscules de gauche étaient traqués sans merci par des escadrons de la mort,

comme la Triple A, composés de militaires et policiers. Bilan de la dictature : plus de 30 000 morts. La Disparue de San Juan, ponctué par les lettres fictives de l’auteur à la mère de Marie-Anne, a été écrit (et se lit) comme un roman. Il a les qualités de ses défauts ; il est prenant justement parce qu’il est un chouïa trop romancé. Autre problème : au lieu de se clore par la fin tragique de son héroïne, il s’achève avec un long épilogue filandreux sur les démêlés judiciaires du ravisseur et assassin présumé de Marie-Anne Erize, le lieutenant Jorge Olivera. Mais l’essentiel est le vibrant portrait de la jeune femme que brosse Philippe Broussard, rédacteur en chef du service Enquêtes de L’Express, après avoir longtemps écrit au Monde. Celui-ci n’a pas ménagé sa peine et ses recherches sur la famille Erize, leurs connaissances, les lieux où ils ont vécu, en Argentine et en France, pour dresser un tableau complet de la vie brève et mouvementée de Marie-Anne, qui a acquis avec le temps l’aura d’un mythe. Première raison :

sa grande beauté. Elle fut d’ailleurs mannequin en Argentine (on peut l’apercevoir dans une pub pour la marque de cigarettes Jockey – la brune en blanc qui fume : http://www.youtube.com/ watch?v=cWFz85j0zXE). L’autre explication, c’est la complexité de l’existence et des centres d’intérêt de Marie-Anne, personnage fascinant pour ses contradictions. A la fois rustique, sauvage, car quasiment née dans la jungle au sein d’une famille de pionniers ; mondaine, presque groupie (de Moustaki entre autres) ; catholique pratiquante et militante humanitaire avant la lettre ; membre non violent d’un groupe armé ; mannequin aux multiples amants ayant parcouru le monde avant de se réfugier dans la clandestinité ; elle reste une énigme, une martyre, une victime exemplaire de la barbarie. On s’étonnerait que cette pasionaria idéale ne devienne pas le sujet d’un film. Vincent Ostria La Disparue de San Juan de Philippe Broussard (Stock), 416 p., 22 € 23.02.2011 les inrockuptibles 113

15.09.2010 les inrockuptibles 113

Joey, nouveaux Episodes Matt LeBlanc, célèbre Joey de Friends, est de retour dans une comédie sur les coulisses de la télé. Le pire, c’est que c’est bien.



l y a encore quelques mois soufflait un vent de moquerie sur les anciens acteurs de Friends (comme auparavant sur ceux de Seinfeld, ou de tout autre pilier télévisuel historique) à propos de leur incapacité à avoir à nouveau du succès, voire à refaire quelque chose d’intéressant dans leur vie. Journalistes et bloggeurs évoquaient une “malédiction”. Il est temps d’expliquer qu’ils ont eu tort. A étudier le casting original de l’importante et rigolote série disparue en 2004, on remarque que Jennifer Aniston (Rachel) est devenue, avec Katherine Heigl, une des principales actrices de comédies romantiques à Hollywood, tandis que sa copine Courteney Cox (Monica) s’amuse chaque semaine dans Cougar Town, une sitcom pas conne entièrement dédiée à sa gloire. Ce début 2011 marque un nouveau pas en avant notable et réjouissant dans la reconquête par les ex-Friends de leur estime de soi. Tout se passe du côté des mecs, cette fois. En effet, quelques printemps après l’extraordinaire mais mal comprise Studio 60 on the Sunset Strip (créée par Aaron Sorkin), Matthew Perry effectue son retour avec le premier rôle de Mr. Sunshine, une comédie où il brille dans la peau d’un directeur de salle de spectacles immature et inquiet. On reviendra sur ce qui a tout d’une perle quand la distance des cinq épisodes aura été franchie. Ce qui est le cas d’une autre

114 les inrockuptibles 23.02.2011

comédie, Episodes, qui accueille en son sein un ancien de Friends, pas le plus prometteur a priori : Matt LeBlanc, c’est-à-dire Joey, cet inimitable idiot. Episodes anime les dimanches soirs de la chaîne à péage Showtime depuis janvier. La série compte parmi ses créateurs David Crane, un des cerveaux de Friends, qui a aussi commis l’oubliable Joey, sitcom dérivée de Friends que Matt LeBlanc fit l’erreur de lancer trop tôt et trop mal. A des années lumières de Joey, cette petite chose grinçante de vingt-six minutes montre une véritable intelligence en jouant avec plusieurs mythologies du petit écran US contemporain. La première est la vague d’adaptations de formats anglais qui ne cesse de croître, parfois en dépit du bon sens, pour cacher un vrai manque d’inspiration. Episodes raconte le parcours d’un couple de scénaristes londoniens, invités à grands frais à Beverly Hills afin de superviser la version américaine de leur création. La satire du show-biz débute avec les changements drastiques apportés par un patron de chaîne qui n’y connaît rien (en gros, la série n’a vite plus grand-chose à voir avec l’originale). Bonne nouvelle : les Américains pratiquent volontiers

l’ancien Joey n’a plus rien d’un idiot, il est juste un peu con. Et malheureux

l’autodérision, même dans un domaine – les séries télé – où ils sont censés dominer le monde. L’autre mythologie que la série aborde de front s’appelle évidemment Matt LeBlanc. L’acteur et son personnage de Friends sont restés inoubliables pour quelques bêtises bien senties – la fameuse réplique “How you doin’?”, une poignée de mimiques burlesques… La série utilise ce socle connu de tous (LeBlanc joue ici son propre rôle en devenant la star de l’adaptation), mais c’est pour l’évider, l’aplatir, et presque le dévitaliser. Par ailleurs, l’ancien Joey n’a plus rien d’un idiot, il est juste un peu con. Et malheureux. Episodes appartient à un minutieux processus de mortification de l’art de la sitcom, entamé il y a une décennie par Larry David (Curb Your Enthusiasm) et poursuivi timidement par une autre ancienne de Friends, Lisa Kudrow (l’éphémère The Comeback). La série se singularise en réinjectant constamment du récit neuf dans ce squelette fictionnel – l‘histoire du couple british débarquant à Hollywood lui sert d’assise réaliste parfois assez dure. Elle fait de Matt LeBlanc un héros légèrement décentré, intensément solitaire, donc émouvant. Etonnant, non ? Olivier Joyard Episodes, créée par Jeffrey Klarik et David Crane, avec Matt LeBlanc. Tous les dimanches sur Showtime.

brèves Treme revient La série de David Simon, créateur de The Wire, sur La Nouvelle-Orléans postKatrina fera son retour le 24 avril sur HBO pour une deuxième saison. Une semaine plus tôt, la chaîne câblée aura lancé sa nouveauté Game of Thrones, une première incursion dans le domaine de l’heroic fantasy. Le trailer annonce un drôle d‘objet baroque plein de costumes bizarres et d’accents anglais.

mad in Japan

Ghost Hound, un anime entre David Lynch et Kyoshi Kurosawa, flippant et fascinant. ays de séries, le Japon ne vient que très rarement frapper à la porte Récemment de passage à Paris des chaînes françaises et à celle pour une masterclass au Forum des distributeurs de DVD. C’est des Images et pour le lancement sans doute pourquoi on en connaît mal de Mad Men en HD sur Sundance les richesses en dehors des cercles d’initiés. Channel, Matthew Weiner, le Depuis quelques années, le dynamique créateur de notre série préférée, éditeur Kazé tente de combler ce vide. a expliqué que les négociations Il y parvient de mieux en mieux – la preuve étaient toujours “au point mort” concernant une saison 5 et qu’il avec sa dernière trouvaille, à la fois folle n’avait “toujours pas commencé et forte : Ghost Hound. Créée en 2007 par à travailler” en attendant Masamune Shirow (Ghost in the Shell), de renouveler son contrat. réalisée par Ryutaro Nakamura (Serial Résultat : Don Draper reviendra Experiments: Lain) et produite par le studio au mieux à la fin de l’année. Productions I.G. (Ghost in the Shell, Evangelion), cette série animée en Zooey sur la Fox 22 épisodes invente un monde parallèle Les égéries du cinéma d’une radicalité stupéfiante. On y suit indépendant n’en finissent plus trois collégiens marqués par le souvenir d’envahir la télé. Après Chloë d’événements tragiques qu’ils ne parviennent Sevigny, Drea de Matteo et ni à comprendre ni à oublier. Leur quête sa propre sœur Emily, Zooey fournit la matière d’épisodes aux titres Deschanel vient de signer pour flippants (Phobia Exposure, Etat de conscience le rôle principal d’une sitcom altérée, etc.), conçus comme des bulles sur la Fox. Titre de travail : Chicks and Dicks. On préfère de cauchemars faits par ces gamins trop ne pas traduire, mais en gros, grands pour leur âge. Entre Lynch (David) ça parle de sexe. et Kurosawa (Kyoshi), Ghost Hound offre une traversée des apparences captivante, menant vers un autre monde. Une terreur douce envahit l’écran à travers des flashback hantés. Il est aussi question de sortir The Closer : L. A. enquêtes prioritaires (TF6, de son corps. La perception se transforme, le 26 à 20 h 40) Une héroïne tenace de plus rien n’est stable, l’esprit d’aventure de 40 ans, interprétée par l’intéressante, enveloppe à la fois les personnages, Kyra Sedgwick suffit à donner à cette série l’image, le son et la narration. Pour ceux policière toute sa singularité. qui pensent que seule Lost a expérimenté sur le récit sériel, voici une bonne piqûre de rappel made in Japan. O. J. Boardwalk Empire (Orange Cinemax,

Mad Men au point mort

P  

agenda télé

le 27 à 20 h 40) La fresque historique vainqueur des derniers Golden Globes s’améliore au fil des épisodes. Le onzième (sur douze) de cette saison inaugurale s’annonce donc bien.

Ghost Hound - Box 1, épisodes 1-11 (Kazé), avec un artbook de 64 pages, environ 50 €

The Good Wife (M6, le 24 à 20 h 45) Horreur : cette émouvante saga judiciaire avec Julianna Margulies (ex-Urgences) ne marche pas terrible en France malgré nos louanges répétées. Pourtant, c’est un carton sur CBS. Ça voudrait dire qu’on ne sert à rien ? 23.02.2011 les inrockuptibles 115

Deralf/Story Box Press

émissions du 23 février au 1er mars

Le Jour d’avant Série documentaire de Loïc Prigent. Mardi 1er mars, 20 h 40, Arte

lalala productions

Loïc Prigent s’attarde sur le jour fou d’avant un défilé. Quarante-huit heures avant un défilé de mode, un mot domine en coulisses : panique générale. Loïc Prigent filme ce flottement, suivant dans sa série de docus plusieurs créateurs (Donatella Versace, Proenza Schouler…) quelques heures avant le jour fatal. Tout est à revoir, à parfaire, pendant que l’heure tourne. Une pure dramaturgie de film d’action se déploie. Au cœur de ce manège sens dessus dessous, Prigent observe, s’attarde sur des travailleurs de l’ombre qu’il édifie en personnages romanesques. Son regard démythifie la mode en révélant son trait le plus cher et paradoxal : son principe d’incertitude. JMD

la saga gay

La Nuit gay Mardi 1er mars, Canal+. 20 h 50 : I Love You Phillip Morris ; 2 2 h 25 : Illegal Love ; 0 0 h 00 : Sagat ; 0 h 40 : Ne dites pas à ma mère que je suis gay ; 1 h 10 : A Single Man 116 les inrockuptibles 23.02.2011

Téléfilm d’Antoine Santana. Vendredi 25 février, 20 h 40, Arte

Inspiré de l’affaire Erignac, qui exonère les indépendantistes corses. Adaptation de Pur porc, le polar de Jean-Paul Brighelli, le film s’inspire de l’affaire du préfet Erignac, abattu en pleine rue à Ajaccio en 1998. Officiellement attribué aux indépendantistes corses, le meurtre est ici perpétré par des barbouzes commandités par un ancien ministre (Pasqua ?) pour le compte d’hypothétiques hommes d’affaires. Le film, qui met en scène le récit des événements par un ex-commissaire à un journaliste, est plutôt accrocheur et tendu, dominé par la présence de François Berléand, tour à tour enjôleur et inquiétant. V. O.

David Teboul



ui aurait pu penser, à ses débuts chez Citébeur (site de vidéos gay – ndlr), lorsqu’on le découvrait dans Matos de Blackoss, que François Sagat tournerait un jour avec Oliveira ? Bon d’accord, ce n’est pas de Manoel de Oliveira, le maître lusophone dont il s’agit. Mais de Jérôme M de Oliveira, coréalisateur avec Pascal Roche d’un documentaire sur le parcours de la pornstar diffusé lors de la Nuit gay de Canal+. Intitulé sobrement Sagat, le film déroule le trajet de l’acteur, de sa jeunesse à Cognac à son élection par des cinéastes, des artistes, des photographes, en passant bien sûr par ses années de films X. Des témoignages de proches (sa sœur) et de collaborateurs (Christophe Honoré, Bruce La Bruce, Olivier Nicklaus, qui l’ont fait jouer dans des films non X) sont entrelacés à des interviews particulièrement bien menées et fouillées du comédien. Climax du doc, entre séance d’analyse et séminaire de queer studies : François Sagat raconte que lorsqu’il était enfant, il avait envie de devenir une femme. Il a choisi de devenir un homme, mais de façon si marquée qu’il a le sentiment aujourd’hui d’être quand même un transsexuel. Précédant ce portrait, une enquête roborative de Julie Gali, Illegal love, se penche sur la question du mariage gay à travers le récit du vote, le 4 novembre 2008 (simultanément à l’élection d’Obama), de la Proposition 8 en Californie qui retire aux homosexuels le droit au mariage, si durement conquis. Julie Gali interroge quelques acteurs clés de cette revendication pour faire du recul californien le laboratoire de la nouvelle réactivation d’une lutte inachevée depuis les premiers combats dans les années 70 d’Harvey Milk en faveur des droits civiques des homosexuels. Jean-Marc Lalanne

Main basse sur une île

Yves Saint Laurent, le temps retrouvé Documentaire de David Teboul. Lundi 28 février, 22 h 20, Arte

Thibeault Jeanson

Une nuit pour retracer le combat des gays à travers des docus, des films et le portrait de l’icône François Sagat.

Retour sur la carrière d’un esthète, ses obsessions et ses fixations stylistiques. Réalisé en 2002, ce portrait d’Yves Saint Laurent, quasi crépusculaire tant le créateur semble déjà en fin de vie, restitue le parcours d’une œuvre centrale de l’histoire de la mode. David Teboul, qui avait aussi filmé le créateur en pleine création dans 5, avenue Marceau…, revient avec Saint Laurent et ses proches – Pierre Bergé, Loulou de la Falaise, Betty Catroux, Edmonde Charles-Roux… – sur ses motifs esthétiques préférés, ses fixations stylistiques, ses paradis perdus… Au cœur de cet univers suspendu, la douleur affleure. Celle d’un esthète que rien, pas même l’élégance dont il fut l’incarnation, n’aura sauvé du chagrin proustien. JMD

Documentaire d’Anne Andreu Vendredi 25 février, 20 h 41, France 5

De la demoiselle chantante à la maturité, la diva dans tous ses états. Le portrait par Anne Andreu de Catherine Deneuve s’organise en séquences autour de quelques figures. D’abord, la sœur disparue, Françoise Dorléac : commentant les joyeuses images des Demoiselles… de Demy, qui leur permit de combler ce qui dans la vie les séparait, elle parle de son attachement pour cette grande sœur célibataire, noceuse. Suivent d’autres disparus, Truffaut, Saint Laurent, Buñuel, Mastroianni, . Et bien sûr des vivants : Téchiné, Jacquot, Depardieu, Desplechin... Dans sa façon de télescoper des entretiens sur le temps qui passe, la mise en scène, les visages, où l’actrice use avec brio de sa finesse d’analyse, avec des images d’archives peu connues, où se diffracte dans divers états de jeunesse ou de maturité le visage le plus fascinant du monde, le film est très réussi. J.-M. L

Laurent Duret

Cinétévé

Empreintes : Catherine Deneuve, belle et bien là

Berlin 1885, la ruée sur l’Afrique Docufiction de Joël Calmettes. Mercredi 23 février, 20 h 40, Arte

La conférence de Berlin, séminaire feutré où l’Occident se partagea l’Afrique en traçant des lignes sur une carte. La reconstitution d’un grand meeting colonialiste, réunissant dans un salon des représentants des pays occidentaux à Berlin en 1885, pour statuer sur le sort de l’Afrique. Ce film, entrecoupé par quelques points de vue d’historiens, montre comment l’Europe s’appropria tout un continent, le découpa en tranches comme un vulgaire gâteau. La plus grosse part, le Congo, revint à la Belgique, que son roi rusé, Léopold II, se fit attribuer sous de cyniques raisons humanitaires. Joël Calmettes souligne que le colonialisme résulte moins d’un désir de domination que d’un esprit de lucre forcené, d’une avidité morbide. Le film sort aussi en DVD chez Arte vidéo. V. O.

jouir avec entraves Un documentaire courageux qui s’attaque à un des derniers tabous, la sexualité des handicapés. près un documentaire Pourtant, à les écouter et observer empathique sur la prostitution, l’effusion de leurs corps en éveil bien que Les travailleu(r)ses du sexe, fracturés, le sexe semble pour eux une Jean-Michel Carré brise un libération. Tous évoquent l’apaisement que nouveau tabou en leur procure des “assistants sexuels”, s’intéressant à la sexualité profession mal reconnue en France, des handicapés. Par la douceur de son et dont les associations de handicapés regard sur une réalité souvent cachée parce revendiquent l’existence légale. Ces que dérangeante, Carré élargit la réflexion paroles déchirées qui disent la tristesse sur le handicap en l’associant à l’horizon du de ce qui manque invitent à une prise plaisir charnel : un droit revendiqué par les de conscience générale pour la handicapés eux-mêmes alors qu’un ordre reconnaissance d’un droit : la sexualité moral persistant tend à les tenir à l’écart de est l’affaire de tous. JMD tout, y compris de la jouissance. Chez les Sexe, amour et handicap documentaire de individus que Carré a rencontrés, affleure Jean-Michel Carré. Jeudi 24 février, 22 h 30, France 2 cette frustration d’un plaisir inaccessible.

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23.02.2011 les inrockuptibles 117

Laurent Bazart

enquête

géotrouvetou De nouveaux guides de sorties fondés sur la géolocalisation permettent de repérer instantanément sur son mobile les meilleurs plans du coin tout en restant connecté à ses amis. Plus le droit de rater sa soirée.

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ini les sueurs froides du vendredi soir – jongler entre la programmation sur Sortiraparis, les itinéraires sur Google Maps, les amis sur Facebook et les avis sur Cityvox… De nouveaux sites et applications de géolocalisation, comme LiveKult, permettent de repérer ce qui se passe dans le quartier de son choix tout en profitant de recommandations et en localisant sa tribu. LiveKult est un réseau social culturel qui vient de voir le jour. Inspiré du site Lillelanuit, il espère se démarquer grâce à un véritable aspect communautaire fondé sur la géolocalisation. Si LiveKult utilise des fonctions similaires à celles de Facebook Places, comme le système de check-in, il ajoute un agenda culturel riche, divisé par régions ou par quartiers : 118 les inrockuptibles 23.02.2011

“Nous voulons faire découvrir des artistes locaux avec le plus d’infos possible (actu, vidéos, extraits mp3…)”, explique Nicolas Quilliet, fondateur de LiveKult. Et de vrais bons plans pour sortir : jusqu’à 50 % de remise sur des places de concert de dernière minute, moyennant une carte de membre de 25 euros par an. Objectif annoncé : 20 000 abonnés pour un lancement complet le 15 mai. Outre-Atlantique, Foursquare, géant de la géolocalisation a fait ses preuves. Mais en France, est-ce que ça marche ? Les pionniers du genre dans l’Hexagone montrent que oui. Dismoioù, lancé en 2007,

plaisir, instantanéité, communauté : les maîtres mots de la géolocalisation

a peiné la première année avec seulement 5 000 inscrits. Mais après le lancement de l’iPhone 3G avec GPS intégré en 2008, le nombre d’utilisateurs a explosé, pour atteindre 1 million aujourd’hui. Des utilisateurs qui aiment faire la fête : “Nous enregistrons un pic de trafic le vendredi et le samedi soir”, constate Gilles Barbier, l’un des fondateurs de Dismoioù. Dismoioù, guide “hyperlocal” de bars, de restaurants et d’adresses en tout genre, séduit par ses recommandations personnalisées – au fur et à mesure que l’utilisateur note des lieux, le site lui propose des adresses correspondant à ses goûts, toujours dans un esprit constructif et dans une bonne ambiance : “Nous avons principalement des avis positifs sur les 300 000 adresses notées. La modération est très rare”, explique Gilles Barbier. L’équipe prévoit d’intégrer très bientôt de nouvelles fonctions de gaming et autres surprises. Avec une telle avalanche de recommandations, on sait exactement où l’on peut aller et ce qu’on va trouver une fois sur place. On a déjà vu des photos, des vidéos, des avis sur les nappes vichy et sur la coupe de cheveux du DJ. On n’a presque plus le droit de rater sa soirée et d’en rigoler le lendemain. Le début de la fin de la spontanéité ? “Au contraire, affirme Nicolas Quilliet. La géolocalisation permet de gagner du temps, mais aussi et surtout de se faire plaisir dans l’instant : je suis à un endroit, qu’est-ce qui se passe ? Je n’ai plus besoin de tout programmer à l’avance.” Une fois que l’on a signalé sa présence et que l’on est géolocalisé, quid de la vie privée ? “Il faut toujours confirmer son check-in, et seuls mes amis peuvent savoir où je suis”, poursuit-il. Plaisir, instantanéité, communauté. Les acteurs du marché ont bien compris les maîtres mots de la géolocalisation. Pour attirer davantage d’utilisateurs que les concurrents, les sites français vont devoir rivaliser à coup de coupons, de fonctions de personnalisation, de nouvelles formes de gaming, de contenus toujours plus riches… Mais devront-ils aller jusqu’à installer des webcams à l’intérieur des bars ou mesurer les flux d’activité nocturnes grâce aux courses des taxis, comme aux Etats-Unis avec les sites hotbarspot.com et citysense.com ? Vivement l’appli “Don d’ubiquité”. Béatrice Catanese www.livekult.com, www.dismoiou.fr

in situ aux fourneaux, étudiants Parce qu’il y en a marre du steak-pâtes, quatre étudiants ont créé un site d’échanges culinaires, avec près de 200 recettes simples et peu coûteuses. Une enseignante en hôtellerie y donne aussi ses conseils et astuces. Sans oublier les nombreux cocktails, esprit festif de la jeunesse oblige. cuisine-etudiant.fr

comédies fichées Comedy Assistant est une base de données sur les comédies américaines contemporaines, recensant acteurs, réalisateurs et films. En se créant un profil, l’internaute peut visionner des vidéos, noter des films et les ajouter à ses favoris. Le site propose une liste de films à l’internaute, en fonction de ses préférences. comedyassistant.com   

Ken et Barbie, c’est reparti De 1961 à 2004, Ken et Barbie ont connu l’amour fou. Sept ans après leur rupture, Ken décide de reconquérir sa belle. Il (ou plutôt la campagne de pub Mattel) a lancé une opération séduction géante sur ce site internet, entre autres. Barbieandken permet de revivre l’histoire de cet amour plastique à travers les âges. barbieandken.com

danse contemporaine en ligne Projet de la Maison de la danse de Lyon en association avec le Centre national de la danse, Numéridanse est la première vidéothèque de danse en ligne. Extraits de représentations ou œuvres chorégraphiques intégrales, fictions ou documentaires, plus de 1 000 heures de vidéos sont déjà en ligne. Et pour mieux comprendre l’univers de la danse, chaque œuvre s’accompagne de nombreuses informations. numeridanse.tv

la revue du web Slate Afrique

Cafe Babel

NPR

Afrique, terre de séries

Belleville “ghetto-bobo”

Production en berne, diffusion inexistante, l’état du cinéma africain n’est pas florissant. Parce que la télé est partout et allumée tout le temps, c’est bien plutôt la petite lucarne qui mène le bal des audiences, notamment au Burkina Faso. Les gens se retrouvent autour des sitcoms locales, des feuilletons qui “offrent enfin des images africaines aux Africains”. Problème, les productions peinent à trouver des fonds suffisants. Publicité et subventions suffisent difficilement, chacun doit faire preuve de débrouillardise pour trouver des financements. tinyurl.com/676cute

Belleville, traditionnel quartier d’ouvriers et d’immigrés, a attiré son lot de squatteurs et d’artistes. Mais les temps changent et dans les squats de ce coin “un peu pauvre et underground, un peu chic et bourgeois”, on alterne entre “anarchisme artistique et pragmatisme au quotidien”. Fini les occupations sauvages. Place au dialogue avec les propriétaires, aux projets pour embellir les espaces communs. Autant de pratiques qui ont permis à la plupart des ateliers d’être tolérés, voire soutenus par la municipalité. tinyurl.com/4p726m6

Les Experts et le réel

120 les inrockuptibles 23.02.2011

Chaque semaine, 73,8 millions d’Américains suivent la série Les Experts (CSI: Crime Scene Investigation en VO). En mettant en lumière ces scientifiques du crime, la télévision a aussi créé l’attente que la justice ait recours à la haute technologie. Au point que les juristes craignent que les jurés confondent réalité et fiction. Or dans la vraie vie, point d’ordinateur magique qui identifie le tueur en quarante minutes, la police scientifique manque de moyens, et malgré l’influence de la série, les politiques ne semblent pas en faire une priorité. tinyurl.com/4nblmk3

vu du net

Dukan remet le son Le régime Dukan fait un carton chez les personnes voulant perdre du poids. Le net en redemande, mais s’inquiète aussi.

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u bon son dans les intestins : c’est le premier conseil pour perdre du poids du fameux Dr Dukan , star des diététiciens (Le Figaro, bit.ly/idu42b, ici à la télé : dai.ly/diEC2F). La galette Dukan, au son d’avoine et de blé (recette sur bit.ly/euW3qF), est ainsi l’aliment de base de ce régime décrit comme miraculeux (“Dukan et nous“, un des innombrables forums bit.ly/9T71r8, ou encore la vidéo d’une convertie youtu.be/dfAHTISf_RY).

Outre les galettes, c’est surtout la consommation exclusive de viande durant plusieurs jours, dans la phase dite “d’attaque“ (tout cela dans le blog bit.ly/9H6BM3), qui a rendu le régime célèbre, et permis à son inventeur de vendre 3 millions d’exemplaires de Je ne sais pas maigrir. Sa synthèse, La Méthode Dukan illustrée, est classée très haut dans le palmarès de L’Express (bit.ly/iht80z). Sans oublier son site (regimedukan.com) et la commercialisation des galettes toutes

15.09.2010 les inrockuptibles 121

prêtes... Parmi ses fans, on compte l’ex-candidate-mais-en-fait-non aux cantonales de Neuilly (Le Parisien bit.ly/ e54HHC), ex-Coco Girl (youtu.be/ V6kSWxZs5ho) et ex-ambassadrice du régime à la boue de Boyard (dai.ly/hkviTa) : Sophie “moins 10 kilos en 3 mois” Favier (bit.ly/hrc1Z2). J.Lo et Gisele Bündchen y auraient aussi eu recours après leur grossesse (bit.ly/9DIH9y). Mais le régime Dukan compte aussi pas mal de détracteurs, à commencer par Alberto Contador, triple vainqueur du Tour de France condamné puis innocenté pour dopage, qui s’est proclamé victime du régime : c’est la viande qui était dopée, pas lui (info bidon mais drôle sur bit.ly/h7RAon). Certains révèlent les effets secondaires peu glamour (yhoo.it/fuT1tB) et, enfin, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments s’est inquiétée des déséquilibres provoqués par la plupart de ces régimes miracles (bit. ly/hzaTI5). Les habitants du Groland ont, quant à eux, trouvé depuis longtemps leur régime idéal, à base de fruits et légumes... distillés (youtu.be/rW2ocVfHInI), sans oublier la saucisse et le cresson (bit.ly/ eQTN0h). Gageons que Cartman (dans South Park : bit.ly/i92P71) saura faire bon usage de tous ces précieux conseils diététiques. Jacky Goldberg

Bachelorette d’Annabel Alpers J’adore l’univers et le son recherché par cette musicienne. Elle accorde beaucoup d’importance à la production.

Crazy Heart de Scott Cooper Un film passé inaperçu : une magnifique ballade américaine, sans clichés, sur la vie d’un chanteur de country. J’ai aussi adoré The Wrestler de Darren Aronofsky.

Santiago 73 – Post mortem de Pablo Larraín Le putsch de Pinochet, le cadavre d’Allende vus par un employé des morgues.

Gruff Rhys Hotel Shampoo Splendide, ouaté et luxueux deuxième album solo du leader des Super Furry Animals.

Ron Leshem Niloufar Un livre plein d’empathie, tiré d’échanges avec de jeunes Iraniens.

Je regarde toutes les séries américaines, je considère que c’est la meilleure chose apparue ces dix dernières années. Mad Men est un modèle de perfection, mais j’adore aussi The Walking Dead ou The Good Wife.

Toutes les couleurs des ténèbres de Peter Robinsøon Robinson écrit des polars très accessibles. J’ai découvert cet auteur après avoir terminé mon album. recueilli par Johanna Seban

The Hunter de Rafi Pitts Un homme recherche son épouse et sa fille dans un Téhéran inquiétant. Tendu et original.

Halal police d’Etat de Rachid Dhibou Une farce sans queue ni tête qui en découd astucieusement avec la rhétorique raciste.

Black Swan de Darren Aronofsky Les affres d’une danseuse étoile reconfigurées en conte horrifique. Outré, virtuose et jubilatoire.

The Shoes Crack My Bones Têtu et authentique, le groupe refuse de choisir entre pop et electro.

Le Royaume de Ruppert & Mulot Dans un format inédit, l’audace de deux démiurges d’un monde qu’eux seuls pouvaient inventer.

Wanda Jackson The Party Ain’t over Un disque qui exulte et pétarade, par une pionnière du rock’n’roll à la flamme ravivée par Jack White.

Iron & Wine Kiss Each Other Clean Iron & Wine a pris une ampleur nouvelle sur cet album ambitieux et généreux.

Le Retour de Frank James de Fritz Lang. Western d’une maîtrise impressionnante. Falbalas de Jacques Becker. Très beau film d’amour dans le milieu de la haute couture. Oncle Boonmee d’Apichatpong Weerasethakul. Palme d’or méritée pour le génial Thaïlandais.

122 les inrockuptibles 23.02.2011

W. T. Vollmann Le Roi de l’opium et autres enquêtes en Asie du Sud-Est Une plongée en enfer vécue de l’intérieur. Un nouveau livre puissant de Vollmann, suite de son monstrueux Livre des violences.

Percival Everett Pas Sidney Poitier Méditation tragi-comique sur l’identité par cet écrivain passionné par la condition noire aux Etats-Unis.

Laure Adler Françoise Au-delà d’une bio de Françoise Giroud, l’histoire des médias politiques durant un demi-siècle.

L’Appel de l’espace de Will Eisner Un roman graphique délirant et pessimiste de la fin des années 70, mené tambour battant.

Comédie sentimentale pornographique de Jimmy Beaulieu Une œuvre existentialiste et délicatement érotique.

Dominique Tarlé

Mad Men

Keren Ann Keren Ann est musicienne. Son nouvel album, 101, paraît le 28 février. Elle se produira à Paris, à la Cigale, le 24 mai.

Kawa chorégraphie Hafiz Dhaou et Aïcha M’Barek Hivernales d’Avignon Un solo à deux où flotte un parfum de poésie inspiré par Mahmoud Darwich.

Album les frères Bouroullec Arc en rêve, Bordeaux Les formes pudiques et évanescentes, entre art et mobilier, des stars du design.

Quintett/ Workwithinwork chorégraphie William Forsythe Théâtre de la Ville, Paris William Forsythe revivifié par le ballet de l’Opéra de Lyon. Un miracle en mouvement.

JapanCongo double regard de Carsten Höller sur la collection de Jean Pigozzi Le Magasin, Grenoble La poursuite des expériences chamaniques de l’artiste allemand.

Timon d’Athènes mise en scène Razerka Ben Sadia-Lavant La Maison des Métallos, Paris Denis Lavant, maître de cérémonie d’un concert slam-rap dénudant Shakespeare à l’os de sa radicalité.

Arnold Odermatt Galerie GeorgesPhilippe et Nathalie Vallois, Paris Connu pour ses photos de voitures accidentées, l’artiste suisse expose d’autres facettes de son œuvre.

Dead Space 2 sur PS3, Xbox 360 et PC Voyage au centre de la peur. Ce jeu prend un malin plaisir à déterrer nos pires phobies.

Mario Sports Mix sur Wii Fantaisie sportive frénétique au pays de Mario. Très amusant.

LittleBigPlanet 2 sur PS3 Ode à la créativité dans un monde où toute pesanteur a disparu.