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+ édition régionale

BORDEAUX 1 6 pages

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j’ai pris l’apéro chez

Jackie Berroyer

 B

erroyer ouvre la porte. “Viens, on a fini les photos, on est dans la pièce.” La “pièce” de Berroyer c’est un piano, une guitare, un ampli, des piles de DVD et de cassettes vidéo, et surtout des disques, des disques partout. Beaucoup de jazz (coffrets Charlie Parker, John Coltrane, Art Tatum), la réédition de Station to Station de Bowie, un vinyle d’une compilation vintage de groupes punks d’Akron (Ohio, USA) sortie sur le mythique label Stiff Records, ou le dernier album de Chocolate Genius. “Et encore, j’ai fait un peu le vide, explique Berroyer. Quand j’étais plus jeune, j’étais allé chez un critique rock pour l’interviewer, il y avait des disques sur les quatre murs, c’était étouffant. Ça ressemblait à un tombeau.” Le photographe plie ses affaires, et, en le raccompagnant, Berroyer propose de lui donner l’invitation pour l’avant-première de Je suis un no man’s land de Thierry Jousse, dans lequel il interprète le père du héros – joué par Katerine. “Je pense qu’ils me laisseront entrer à la projo du film dans lequel je joue, non ?”, plaisante-t-il. Le photographe s’en va, Berroyer nous installe sur le canapé. Il nous propose un truc à boire pour l’apéro, on choisit un Coca et lui un thé. On parle du dernier Jousse, de sa relation avec Katerine qui est une des réussites du film. “Oui, en général au cinéma il y a du hors-champ. Là, il y a du non-dit très éloquent. On sent bien ces reproches qui sont faits sourdement, ces affections qu’on n’a jamais su voir”, dit pudiquement Berroyer. On lui parle de son nouveau “métier” d’acteur, il enchaîne. “Chaque fois que je suis dans un film, on dit dans la presse : ah, mais quelle bonne idée, on ne le voit pas assez. Et ça n’augmente pas ma cote. Je continue à jouer les oncles ou les profs, dans deux scènes. C’est souvent des rôles assez raplapla, je me demande toujours comment je vais pouvoir tirer mon épingle du jeu. Mais comme m’a dit Michel Serrault un jour, on prend les rôles et on fait du mieux qu’on peut. Est-ce qu’un plombier dirait ‘il y a des lavabos que je ne répare pas’ ?”

“je joue souvent des rôles assez raplapla, je me demande toujours comment je vais pouvoir tirer mon épingle du jeu”

Jackie Berroyer, qui nous trouve peut-être jeune (c’est gentil), demande si on se souvient de lui dans Nulle part ailleurs sur Canal+ dans les nineties, en tenancier de standard téléphonique : on lui dit qu’on était grave fan. Il évoque son émission de radio sur Le Mouv’ : il vient d’achever sa play-list pour la prochaine, il dit qu’il a trouvé pas mal de choses sur le net. “On trouve des concerts inédits des Yardbirds, des trucs auxquels on ne pensait jamais pouvoir avoir accès avant.” Mais son métier, c’est quoi au juste à Jackie Berroyer ? Lui qui a fait partie de l’aventure Hara-Kiri, qui rédige des chroniques pour le magazine Vibrations, et qui a écrit plusieurs romans dont le génial La femme de Berroyer est plus belle que toi, connasse !, en 1997. “Je ne vais jamais au bout dans quelque domaine que ce soit, il me semble. Je manque d’ambition d’une manière un peu condamnable. Parfois je me dis ‘tu as une petite musique qu’on apprécie, et tu restes dans ton coin comme un feignant’. Mais je me dis que ça me va comme ça.” Hier, Berroyer était à Bruxelles pour la synchronisation d’un téléfilm en partie tourné à Metz. “J’aime bien partir quelques jours comme ça, prendre le TGV, et puis revenir.” Il vient d’achever la bio de Keith Richards. “J’ai beaucoup aimé ce livre, le type est tellement intelligent.” On parle depuis presque une heure. Berroyer bâille un peu. On comprend qu’il faut le laisser. Il nous raccompagne à la porte. “Bon ben si tu passes dans le coin, fais toc-toc.” Et il ferme la porte. Pierre Siankowski photo Julien Bourgeois Je suis un no man’s land de Thierry Jousse, lire critique du film p. 74

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No.791 du 26 janvier au 1er février 2011 couverture Anna Clavi par Benni Valsson

03 quoi encore ? Jackie Berroyer

08 on discute courrier + édito de Serge Kaganski

10 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

14 événement Davos, le club très privé de l’élite économique mondiale, fête ses 40 ans Gainsbourg inédit

20 la courbe ça va, ça vient. Le billet dur

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Benni Valsson

16 événement

22 nouvelle tête Jean-Charles Hue

24 ici la carrière du juge Courroye décortiquée

26 ailleurs un flic anglais infiltre des activistes écolo

28 parts de marché les vœux express de Sarkozy à la culture

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30 à la loupe les has-been de la téléréalité

32 Anna Calvi la furie douce 39 la magie des chiffres sécurité : l’art d’accommoder les statistiques

41 que le meilleur perde les politiques en quête de défaites

43 presse citron revue d’info acide

44 contre-attaque “un café avec cinq pailles…”

Les Mauvaises Gens d’Etienne Davodeau (Delcourt)

la révélation 2010 sort un premier album audacieux. Rencontre

52

46 débats d’idées échanges intellectuels franco-américains

48 Algérie : les torches humaines depuis quelques semaines, le pays connaît un nombre croissant d’immolations

52 Angoulême 2011 avec Baru comme président du festival, la ligne sera sociale et engagée

58

56 la méthode Rutault depuis 1973, il peint ses toiles de la couleur des murs où on les accroche

58 les cinés font salle comble en 2010, la fréquentation a été exceptionnelle. Pour qui ?

63 ils sont prêtres et pédophiles

pour Bordeaux et sa région

édition spéciale 24 pages

victimes et agresseurs témoignent 26.01.2011 les inrockuptibles 5

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72 Comment savoir de James L. Brooks

74 sorties Je suis un no man’s land, La BM du Seigneur, Angèle et Tony…

78 livre Jeanne Moreau, le phénix

80 dvd Valérie au pays des merveilles…

82 Ghost Trick + Cave Story

84 Cold War Kids + hommage à Trish Keenan

86 mur du son Dan Deacon, The Strokes, The Kills…

87 chroniques Buck 65, Pierre Schaeffer, Avey Tare, Magnetic Man, Arnold Turboust…

93 morceaux choisis The Vaccines…

94 concerts + Godspeed You! Black Emperor

96 Françoise Giroud le roman d’une vie par Laure Adler

98 romans/essais Colm Tóibín, Hélène Bessette...

100 tendance les cinélivres

102 agenda les rendez-vous littéraires

103 bd le duo pirate Jason/Fabien Vehlmann

104 Wozzeck par David Marton + les marivaudages de Michel Raskine

106 l’atelier centre d’art quand les œuvres sortent du circuit

108 All Gone le livre culte de la street culture

110 fiertés ouvrières Molex, le retour des luttes sociales

112 Quora, tout sur tout un site pointu de questions/réponses

113 Radio Kalima une radio tunisienne contre Ben Ali

114 séries Justified, entre western et polar

116 télévision le retour des Invincibles

118 l’Hadopi en Espagne le débat sur le piratage fait rage

120 la revue du web décryptage

121 vu du net au bonheur des clones

122 best-of le meilleur des dernières semaines

les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34 rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs D. Balicki, E. Barnett, B. Baudesson, S. Beaujean, G. Belhomme, S. Bonnet, J. Bourgeois, M.-A. Burnier, C. Cohen, A. Compain-Tissier, E. Cuzin, M. Despratx, A. Dubois, P. Dupont, B. Etchegaray, J. Goldberg, E. Higuinen, O. Joyard, J. Lavrador, N. Lecoq, S. LeGal, T. Legrand, H. Le Tanneur, G. Lombart, A. Meddi, L. Mercadet, B. Mialot, P. Mouneyres, V. Ostria, O. Père, E. Philippe, A. Ropert, B. Valsson, F. Verdier lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem cqfd.com responsable Ondine Benetier animation Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Caroline de Greef, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Amélie Modenese conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté d’Arthur Bellot tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 coordinatrice Dorothée Malinvaud tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 publicité commerciale, directrice Sarah Roberty tél. 01 42 44 19 98 directeur de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 chef de publicité Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 coordinatrice Margaux Monthieu tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/relations publiques Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19, infos au 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Valérie Imbert fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 211 058,91 € 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Matthieu Pigasse directeurs généraux adjoints Stéphane Laugier, François Rossignol attachée de direction Charlotte Brochard directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOer trimestre 2011 directeur de la publication Matthieu Pigasse © les inrockuptibles 2011 tous droits de reproduction réservés Ce numéro comporte un CD “Objectif 2011, vol. 1” encarté dans tout le tirage ; un cavalier broché en page 1 sur l’édition vente au numéro ; un encart abonnement de deux pages jeté dans l’édition vente au numéro ; un encart abonnement Bordeaux de deux pages jeté dans l’édition vente au numéro France spécial Bordeaux ; un encart abonnement de deux pages Belgique et Suisse jeté dans l’édition vente au numéro Belgique et Suisse ; un cahier de vingt-quatre pages “Ça bouge à Bordeaux” encarté dans l’édition des départements 24, 33, 40, 47 et 64.

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objectif 2011 CD 14 titres L’avènement d’Anna Calvi, la fin de The Streets, le retour de PJ Harvey : une compilation toute en surprises. 1. Anna Calvi First We Kiss

8. Cyril Mokaiesh Communiste

Extrait de Anna Calvi (Domino/Pias) Bisous à la révélation anglaise Anna Calvi, dont le First We Kiss mégaromantique fait rougir et enivre. Fée d’Albion ou sorcière du Far West, Anna Calvi brouille les pistes et charme à tous les coups. “First we kiss” : on ne va pas en rester là.

Extrait de Du rouge et des passions (AZ/Universal) Des textes engagés, enragés quoique aussi dégagés, sur une orchestration de variété haut de gamme, des souvenirs de Ferré et Noir Désir : avec Cyril Mokaiesh, on a trouvé l’Arnaud Fleurent-Didier de gauche. Tout un programme.

2. PJ Harvey The Last Living Rose Extrait en avant-première de Let England Shake (Island/Universal) Entourée de sa garde rapprochée, PJ donne une suite à l’onirique White Chalk en revenant planter ses racines dans les landes rêches du Dorset, un engrais profitable à cette Rose non dénuée d’épines.

9. Joseph d’Anvers Radio 1

3. The Streets Going through Hell

10. Daphné Où va Lila Jane ?

Extrait en avant-première de Computers and Blues (679 Recordings/Warner) Computers and Blues, le cinquième album de Mike Skinner, devrait aussi être le dernier. Un disque pas au rabais, pourtant : textes d’une sublime amertume, musique pâle et passionnante. Le hip-hop britannique regrette déjà son seul véritable héros.

Extrait de Bleu Venise (Polydor/Universal) Après L’Emeraude et Carmin, la coloriste de la chanson française opte cette fois pour le Bleu Venise en embarquant sur ses flots langoureux le producteur de Joni Mitchell et Melody Gardot. Sans avoir à rougir ni bleuir des comparaisons.

4. Metronomy She Wants

Extrait de l’ep Battez-vous (3ème Bureau/Wagram) Plutôt Fontaine ou Bardot ? Deux Brigitte pour le prix d’une, un duo brune-blonde sans filtre, qui pioche dans le coffre à jouets de la pop et du folk (voire du hip-hop) pour préparer sa valise avant les vacances. Dessalé, acidulé, c’est déjà l’été avec le Battez-vous de Brigitte.

Extrait en avant-première de The English Riviera (Because Music) Lent et rond, sombre et sensuel, groovy et patraque, ce nouveau morceau de Metronomy, formation du surdoué Joseph Mount, annonce un album capiteux et un avenir radieux pour la pop-music.

5. Gruff Rhys Shark Ridden Waters

Extrait de Rouge fer (Atmosphériques) Radio 1 : c’est bel et bien l’Angleterre pop que scrute Joseph d’Anvers sur son nouvel album. La preuve avec ce premier extrait attachant, entre piano virevoltant et mélodie culbuto.

11. Brigitte Battez-vous

Extrait en avant-première de Hotel Shampoo (OVNI/Pias) Lassé du cirque Technicolor de ses furieux Super Furry Animals, le génial Gallois s’adonne à de sobres et superbes plaisirs sur son nouvel album solo : ceux de la fragilité pop, d’une écriture mousseuse et cascadeuse, de morceaux en ouate magnifique.

12. Boubacar Traoré Minuit

6. The Go! Team T.O.R.N.A.D.O.

Extrait en avant-première de The Deep Field (Pias) Rond et sexy, voluptueux et irrésistible, ce nouveau morceau de Joan As Police Woman est une invitation au câlin : police partout, magie partout.

Extrait de Rolling Blackouts (Memphis Industries/Pias) Retour en fanfare de la bourrasque hip-pop de Brighton, plus effervescente et turbulente que jamais, avec ce premier extrait particulièrement offensif d’un nouvel album extravagant et jubilatoire.

7. Mogwai Rano Pano Extrait de Hardcore Will Never Die, But You Will. (Rock Action/Pias) Loin du surplace, les vétérans de Glasgow vont sur Hardcore Will Never Die, But You Will. explorer des sons et paysages qu’ils n’avaient pas encore découverts : c’est fort, vallonné, parfois presque pop, parfois kraut, toujours beau.

Extrait de Mali Denhou (Lusafrica/Sony) Surnommé “blouson noir” du temps du yéyé, il est une légende au Mali. Son chant est le reflet d’une vie émaillée de tragédies, source d’un blues sahélien envoûtant d’une infinie douceur.

13. Joan As Police Woman The Magic

14. My Little Cheap Dictaphone What Are You Waiting For? Extrait de The Tragic Tale of a Genius (At(h)ome) Les plus grands espoirs du folk-rock US sont belges. Le nouvel album de ces Liégeois est enfin à la hauteur de leurs ambitions, comme en témoigne cette chanson songeuse, surpuissante et ouvragée qui invite le chanteur de Mercury Rev. 26.01.2011 les inrockuptibles 7

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l’édito

censures ? Quelques années après l’épisode des caricatures de Mahomet, la question de la liberté d’expression resurgit en France à la faveur de plusieurs affaires. Pour s’être inspiré de l’assassinat du banquier Stern dans son roman Sévère, Régis Jauffret est assigné par la famille. Les partisans du boycott d’Israël (campagne Boycott Désinvestissement, Sanctions) sont interdits de débat à l’Ecole normale supérieure (ENS). L’écrivain Céline est retiré de la liste du recueil des célébrations nationales 2011. Chaque affaire présente ses raisons et circonstances particulières. Le cas Jauffret est le moins politique : la famille Stern a saisi la justice, ce qui est son droit, mais rien ne dit que le tribunal lui donnera raison. Il y a procès équitable, débats juridiques et les juges trancheront. Même si l’on peut penser qu’il s’agit d’un mauvais procès, on est sur le terrain du droit qui est tout le contraire de l’arbitraire de la censure. Ayons confiance en la justice et parions que Jauffret sera relaxé, et son roman toujours en vente libre. Si tel n’était pas le cas, alors viendrait le temps d’analyser les fondements juridiques de la décision, et éventuellement de protester contre une jurisprudence potentiellement liberticide. L’affaire HesselBDS-ENS est plus inquiétante. On peut être contre le boycott d’Israël, cela ne saurait justifier l’interdiction d’un débat, fût-il un meeting partisan. Le boycott est certes illégal en France, mais cette illégalité mériterait aussi débat. Les modalités de cette censure ponctuelle posent aussi problème puisqu’elles semblent résulter d’une chaîne passant par le Crif puis la ministre Valérie Pécresse, de quoi alimenter les paranos sur le “lobby juif” ou le “deux poids deux mesures”. En ce qui concerne Céline, on pouvait se demander en amont s’il était opportun de le “célébrer nationalement” telle une sainte relique. Mais il est maladroit qu’un ministre le zappe après-coup, suite à la protestation de Serge Klarsfeld, de quoi susciter les mêmes fantasmes que dans le cas Hessel. Relativisons la charge du mot “censure”: Jauffret continuera d’écrire, Hessel et ses amis ne sont pas bâillonnés, les livres de Céline sont toujours accessibles dans toutes les librairies et la France n’est pas la Chine ou l’Iran. Il n’empêche que les affaires Hessel et Céline alourdissent un climat déjà pesant dans le contexte de la mise sous contrôle sarkozien des grands médias, énième raison de changer de président en 2012.

Serge Kaganski

Ben Ali et son prompteur Le début des émeutes en Tunisie a été sans aucun doute catalysé par la traumatisante immolation de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid. On pourrait dire, d’autre part, que la chute de Ben Ali a été une affaire de prompteur. Ce fameux prompteur ben-alien infatigable qui a tant excédé la foule, au cours des dizaines d’allocutions télévisées de l’ex-président, totalement incapable de réfléchir et d’argumenter tout seul, aura joué un rôle capital. Dans sa première allocution au cours des émeutes, le 28 décembre 2010, nous pouvions entendre, à la moitié d’un discours sclérosé et conventionnel, en somme aussi décevant qu’un film hollywoodien raté, le bruit d’une sonnerie de téléphone qui retentissait dans le bureau du président. Oui, au cours d’une allocution présidentielle cruciale, regardée par tous les Tunisiens et au bout de trois minutes et demie, le téléphone sonna pendant trentecinq secondes. L’absence de réponse à ce coup de téléphone, l’entêtement du président à se concentrer sur son propre discours défilant mollement sur son prompteur au lieu de couper et redire le discours, était une image intempestive extraordinairement pertinente, symbolisant l’autisme de son régime et son refus de comprendre les exigences du peuple. (…) Onze jours plus tard, les choses ont pris une tournure très sérieuse. C’était le temps de calmer les esprits avec une deuxième allocution qui s’est faite le soir du 10 janvier 2011. Le président était debout mais chancelant. On devinait déjà que ses réformes allaient être vides par le simple fait que ses conseillers ont pensé qu’il allait être plus crédible dans la position debout. Réflexions de VRP. La lecture du texte mouvant dans le prompteur était beaucoup plus difficile que dans la première allocution. C’était comme si l’effort effectué pour se mettre debout absorbait ses facultés intellectuelles, qui lui permettaient, jadis, de suivre tranquillement des lettres qui bougent. Des bafouillages,

des lapsus, des fautes de prononciation montraient un président devenu soudainement aussi sénile que Bourguiba en fin de règne (…). Pendant ce temps, sa machine à mo(r)ts, telle une baguette magique, promettait dans le cadre d’un discours encore plus sclérosé que le premier, la création, d’ici la fin de l’année, de 300 000 emplois, proposition évidemment inconcevable. Plus de quarante morts plus tard, dans sa troisième et dernière allocution, le 13 janvier 2011, le président s’est adressé au peuple dans sa langue, c’est-à-dire en tunisien dialectal, et non en arabe littéraire comme il le faisait dans ses discours conventionnels. (…) Encore une fois, le prompteur n’a fait que le précipiter vers la dégradation inéluctable : tout le monde s’est fait une idée ultime sur l’indécence indécrottable de ce personnage qui voulait s’adresser au peuple dans sa langue, tout en mendiant ses mots au prompteur. C’était l’étalement indubitable devant nos yeux incrédules de toute la manipulation et l’hypocrisie crasses qui ont caractérisé ce régime depuis le début : à un stade aussi avancé des revendications sociales, on ne se fout pas de la gueule du monde en se la jouant spontané et improvisant, tout en lisant dans ce satané prompteur. C’était la faute capitale qu’il ne fallait surtout pas faire, la faute éliminatoire (…). Mystifier, mentir, manipuler, se déguiser, faire semblant, tous ces verbes qui ont tellement rongé la conscience des Tunisiens lorsqu’ils écoutaient le discours officiel, pendant vingt-trois ans d’affilée, ne pouvaient plus être passés sous silence. Finalement, tout apparaissait dans une clarté éblouissante : le président, définitivement dépourvu de qualités rhétoriques et intellectuelles, ne pouvait jamais regarder sincèrement le peuple dans les yeux pour le convaincre sur des sujets sociaux majeurs, car ces problèmes n’existent nullement sur le prompteur. (…)

Aymen Gharbi, tunisien, doctorant à l’université Paris-VIII

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction

le mot

D’après quelques éditorialistes, pour Nicolas Sarkozy et Michèle Alliot-Marie, Ben Ali est un “sparadrap”, comme Gbagbo d’ailleurs. Le gouvernement a connu d’autres sparadraps, le bouclier fiscal par exemple et l’impôt sur la fortune. Le sparadrap des médias désigne un individu ou un problème dont on n’arrive pas à se débarrasser. L’expression vient, on le sait, d’une aventure de Tintin, L’Affaire Tournesol, où le capitaine Haddock ne réussit pas à se défaire de cet adhésif incongru. Celui-ci passe de son nez à son pouce avant de faire le tour des passagers d’un car puis d’un avion pour arriver sur les doigts du chef de la police de Szohôd, capitale de la Bordurie, et revenir comme prévu sur la main du capitaine. Le gag est très en dessous du génie habituel d’Hergé. Est-ce pour cela que la presse l’a adopté ? Remarquons que nos hommes politiques n’ont pas grand-chose de commun avec le capitaine Haddock sauf, parfois, le ridicule.

pas le pied pour MAM Le 21, la ministre en visite à Gaza a eu droit à un lancer de chaussures par des manifestants. Pas pour avoir proposé à Ben Ali des CRS en prêt à taux zéro, mais pour une phrase qualifiant l’enlèvement du soldat israélien Gilad Shalit de “crime de guerre” du Hamas. Scoumoune : MAM n’avait jamais dit ça, qui lui a été attribué par erreur. Allons, quelque part c’était quand même mérité… Radiohead sur grand écran Dans la famille Radiohead, demandez le guitariste. En marge de la préparation d’un nouvel album du groupe d’Oxford, Jonny Greenwood a composé la bande originale de Norwegian Wood, prochain film du réalisateur Tran Anh Hung. La zique fera l’objet d’un album, sortie annoncée le 7 mars. Greenwood avait déjà composé la musique de There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson. archi-Moscou De passage à Paris, le commissaire d’expo Hans Ulrich Obrist raconte sa dernière conférence à Moscou : “C’est Rem Koolhaas qui a construit le bâtiment du Strelka Institute, une nouvelle école d’architecture et de design indépendante. Un lieu étonnant qui combine université, restau avec terrasse, centre culturel, librairie, des bars. J’ai été invité à y faire une conférence avec Koolhaas ; dans l’amphi, mille étudiants nous ont écoutés pendant deux heures avant de poser des tas de questions. A peine la conférence terminée, un DJ a installé ses platines dans notre dos et d’un coup l’amphi est devenu un énorme club electro. C’était incroyable.” Strelka

Francis le Gaucher

Mahmud Hams/AFP

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Steve & Rusty

après avoir aspergé de paillettes la nuit londonienne, le légendaire night-club Blitz reprend du service, dans son bâtiment original de Covent Garden à Londres. Ce sont les fondateurs du lieu, Steve Strange (Visage) et Rusty Egan (Rich Kids), entourés de quelques divas et dandys d’alors, qui sont derrière cette résurrection. On annonce même un nouveau single de Visage. A 50 ans passés, est-ce bien raisonnable ? Groland et petits fours Delépine et Kervern ont été vus lundi 17 dans les salons cossus de la SACD, en compagnie de Tavernier, Mocky, le réalisateur Sylvain Fusée, la journaliste Elisabeth Quint, Ara Aprikian et d’autres. Ce beau monde se trouvait réuni pour une affaire d’importance : la remise du prix Henry-Jeanson aux deux Tarantino grolandais. Un prix dédié aux impertinents, remis en grande pompe et petits fours aux auteurs (très sobres) de Mammuth et Louise-Michel. boxe-office Dans la catégorie films de genre, la boxe utilise souvent les mêmes recettes : chute, rédemption, dépassement de soi. Rocky, Raging Bull, Million Dollar Baby. Cette année The Fighter de David O. Russell offre à Christian Bale et Mark Walhberg des performances coup de poing. Même si c’est toujours la même histoire, on adore. Assange n’est pas un ange Rue des Saint-Pères, dans un minuscule bureau de la maison Grasset. On nous a accordé quelques heures pour lire sur place le bouquin de Daniel Schmitt, ancien compère de Julian Assange, exclu de WikiLeaks fin 2010 et initiateur de l’alternative OpenLeaks. Schmitt n’est pas tendre avec Assange. Au fil des 300 pages, à coups de révélations et de réjouissantes anecdotes, il en croque un portrait tout cru. Mais chut, on ne peut rien dire, on a dû s’engager par écrit à ne rien dévoiler avant sa sortie. Le 10 février en Allemagne et le 16 en France. filles dans la nuit Sur Arte, mardi 1er février à 0 h 10 dans l’émission Au cœur de la nuit, Béatrice Dalle et Virginie Despentes errent dans Paris sous la caméra de Bruce LaBruce, réalisateur des films cul(te) No Skin off My Ass ou Hustler White : une balade hivernale et nocturne à ciel ouvert entre deux amies. Virginie, auteur du récent Apocalypse bébé, a dirigé Béatrice aux côtés d’Emmanuelle Béart dans l’adaptation d’un de ses précédents romans Bye bye Blondie. Despentes, Dalle, Paris, Pigalle, la nuit, le froid, les sentiments à vif.

l’image Patti est revenue

Le temps de deux soirées, Patti Smith a enflammé la Salle Pleyel “Je dédicace cette chanson à Mohamed Bouazizi,qui s’est immolé et a rendu possible la révolution de jasmin en Tunisie.” Le 21 janvier, entourée de sa fille Jesse Smith, du fidèle Lenny Kaye, Patti Smith entame People Have the Power, une chanson composée par son mari, feu Fred Sonic Smith. Pleyel secoue ses mèches blanches. Une rabat-joie dans les premiers rangs tente de faire se rasseoir un jeune chevelu. En vain. La salle entière se lève et exulte. Ce soir-là, accompagnée de Philip Glass, l’Américaine rendait hommage à son ami disparu le poète beatnik Allen Ginsberg : une heure trente d’insoumission, d’émotion, pendant laquelle une Smith très en voix alternait titres de son répertoire (une version acoustique sublime de Pissing in a River), et poèmes de Ginsberg scandés sur les accords de pianos de Glass.

Julien Mignot

les néoromantiques de retour Trente ans

Le lendemain, même endroit, même heure, un frisson parcourt la salle quand Smith prononce “Jesus died for somebody’s sins but not mine”, les mots qui ouvrent Horses, son disque le plus légendaire, le plus nerveux aussi – neuf morceaux enchaînés en trois quarts d’heure. Et trente-six ans plus tard, miracle, l’urgence est intacte. On se quitte sur My Generation, en gardant en mémoire les dernières recommandations de Patti : “Rise up and save our fucking world !”

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film bled Eric et Ramzy poursuivent leur carrière cinéma avec “le premier film bled in France”. Nanar supersonique ou chef-d’œuvre, Halal, police d’Etat (réalisé par Rachid Dhibou) passe à la moulinette la France de Sarkortefeux et un peu aussi l’Algérie de Bouteflika. Leur humour mixe Devos, De Funès, Desproges et la génération Jamel. Quand l’inspecteur Nerh-Nerh (Ramzy) déclare : “Nous avons un style de combat qui est un mélange de boxe kabyle, de kung-fu panda et de lâcheté tunisienne”, on se demande si la vanne, écrite avant la révolution du jasmin, sera invalidée ou décuplée par l’actualité. Reconduite à la frontière du rire le 16 février. César frondeurs Aux nominations de la prochaine cérémonie des César (le 25 février), Les Petits Mouchoirs se sont fait jeter comme de petits Kleenex. Tout comme l’autre blockbuster lacrymal, La Rafle. Les César ont boudé cette année les tire-larmes au profit de films plus rieurs, L’Arnacœur, Tout ce qui brille, Le Nom des gens. Et fait primer le cinéma indé qui marche (Mammuth, Des hommes et des dieux, Tournée) sur la très grosse cavalerie. L’académie dédaigne les succès trop calculés, préfère les victoires à la David, les films coups de cœur qu’on n’attendait pas. Mais pas question tout de même de voler au secours de l’échec. Vénus noire, Des filles en noir, White Material, Film Socialisme sont ignorés ou presque. Le succès oui, mais pas à tout prix. L’insuccès : jamais. Telle est la devise mesquine des César.

Imagechina/Zuma/REA

le moment

la Chine s’est éveillée C’est dans la salle somptueuse du pavillon Cambon à Paris que Dominique Reynié a choisi de présenter l’enquête “planétaire” sur la jeunesse de sa Fondation pour l’innovation politique (libéral). Et ce, devant un parterre de djeun’s (et moins jeunes) très propres sur eux et de trois ministres : Luc Chatel, à l’Education nationale, Jeannette Bougrab, à la Jeunesse, et Marie-Anne Montchamp (si si, rappelez-vous, celle qui a trahi Villepin), à la Solidarité. Christophe Barbier, aka monsieur Express (partenaire de l’enquête), fait un questions-réponses publirédactionnel avec Chatel en triturant son BlackBerry. Les bouteilles de champ patientent. Quant à l’enquête, rien de révolutionnaire, mais quelques chiffres instructifs voire un peu flippants. La mondialisation est une opportunité pour 91 % des jeunes Chinois, 65 % des Européens et seulement 52 % des Français (presque à égalité dans le bas du tableau avec les Turcs, les Marocains et les Grecs, chez qui c’est pas trop la teuf en ce moment). Ultralucides ou ultradéprimés, les Français ? Autres demi-surprises : les Frenchies sont les plus eurosceptiques avec les Grecs et les Anglais ; les jeunes du monde préfèrent la loi et l’ordre, et plébiscitent la famille. Enfin, seulement 17 % des jeunes Français estiment que l’avenir de leur pays est prometteur. Une coupette, Luc ?

Marc Domage

Moral des djeun’s à la loupe : puissance chinoise, déclin français

Rosa Luxemburg à Gennevilliers Bien avant que le mot devienne si prisé, Rosa Luxemburg s’est indignée. Ce regard critique jeté sur la société de son temps par la militante marxiste assassinée en 1919, le dramaturge suisse Mathieu Bertholet le ressuscite dans un texte mosaïque fait de plus de 400 fragments, évoquant dans le désordre sa colère et sa mort, sa croyance et ses moments de fatigue. Sur la scène du Théâtre de Gennevilliers où se joue L’Avenir, seulement, une vingtaine d’acteurs le récite en défilant sur une scène allongée comme un podium de défilé de mode, où le public se trouve placé aux deux extrémités, en miroir. De cette envoûtante cérémonie circulaire, on retient l’émouvante tension de corps qui se désarticulent pour reproduire la statuaire soviétique, à la fois contraints et magnifiques. L. M., B. Z., avec la rédaction

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à quoi sert Davos ? Le club très privé réunissant l’élite économique et politique mondiale fête ses 40 ans cette année. L’occasion de revenir sur un univers qui prétend dire la règle et l’ordre du monde d’après la crise.

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avos est un lieu hors du monde. Une unique route mène à cette luxueuse station de ski de l’est de la Suisse perchée à 1 500 mètres d’altitude, prise en tenaille entre deux flancs de montagne. Avant d’abriter le club privé de puissants le plus fameux, la petite commune devait sa célébrité à ses sanatoriums luxueux, prisés au début du siècle par les classes aisées et élites mondiales, que décrit le célèbre roman de Thomas Mann La Montagne magique. Sa situation géographique offrait à ses résidents une intimité et un entre-soi sans commune mesure. Cette particularité n’a pas dû échapper à Klaus Schawb, professeur d’économie suisse-allemand, fondateur et président du Forum économique mondial. Les membres de ce club privé de l’élite économique et politique se réunissent tous les ans à Davos depuis 1971. Le Forum n’est pas la première réunion cosmopolite de Davos. Dans les années 1930, la commune a monté une université internationale. Des personnalités comme Albert Einstein y ont tenu des conférences. Martin Heidegger et Ernst Cassirer s’y engueulèrent sévère à propos de Kant : c’est la Dispute de Davos. De cet héritage intellectuel, il ne reste pas grand-chose si ce n’est peut-être les nombreux débats d’idées organisés pendant le Forum. “Chaque panel dure trois quarts d’heure, à l’anglo-saxonne, on a cinq minutes pour s’expliquer : right to the point”, raconte le journaliste Eric Le Boucher. Autres temps, autres mœurs. Du 26 au 30 janvier, Davos est une ville flic, à l’organisation quasi militaire. Des gardes surveillent la ville et la route sur plusieurs kilomètres. Une fois l’entrée franchie, c’est un peu Bienvenue à Gattaca : les hommes d’affaires, mocassins plantés dans la neige, se soumettent aux contrôles

biométriques, aux jeux des empreintes. Les entreprises membres doivent s’acquitter de droits d’adhésion annuels de 34 000 euros, plus 14 000 pour venir. Pour les grosses multinationales, c’est 200 000 et 500 000 euros. Davos a ses stars, ses habitués ultra VIP. Comme Carlos Ghosn, le patron de Renault, ou Christine Lagarde, la ministre de l’Economie – tout deux membres du Conseil de fondation. Bien avant d’être à Bercy, elle s’y est constituée un beau carnet d’adresses et une notoriété internationale. “Davos est un club d’affaires, les patrons paient très cher pour échanger des cartes de visite, rencontrer leurs partenaires, leurs concurrents, des ministres et amorcer des affaires, faire du business”, explique le journaliste Erik Izraelewicz, ancien directeur des Echos et de La Tribune, un habitué de Davos, actuellement pressenti à la direction du Monde. Un club de sociabilisation des élites, planté au milieu de nulle part, où une trentaine de chefs d’Etat et de gouvernement, de nombreux ministres, un millier de chefs d’entreprise se retrouvent, sans aucune distraction possible. Chaque membre a une adresse de messagerie interne et peut contacter tous les autres. “C’est une cour de récré : tu te mets au centre du congrès et tu croises le n° 1 de Google, le Premier ministre grec, le président de Coca, un ministre indien, tu échanges des cartes de visite, discutes, noues des contacts, raconte un homme d’affaires, l’entre soi y est poussé à l’extrême, mais attention ce monde n’est pas le monde, qui est autant à Porto Alegre – Forum social mondial créé en 2001 – qu’à Davos.” “Si on m’invitait, je n’irais pas, parce que je pense que ce genre d’événement a plutôt tendance à renforcer le sentiment qu’il y a d’un côté les élites, politique et économique, et de l’autre le peuple, à renforcer le populisme”, estime l’économiste Philippe Askenazy. Le député européen écolo José

Bové s’est frotté à la ville fortifiée de Davos, sur la lancée des manifs monstres de Seattle contre l’OMC de novembre 1999. Ces mois d’apothéose de la contestation antiglobalisation ont fait de José Bové une star mondiale de l’altermondialisme. Fort de cette nouvelle notoriété, en janvier 2000, il reçoit un carton d’invitation au Forum – les organisateurs repèrent et invitent les figures montantes de la contestation. “Il fallait que j’y réponde, raconte Bové, mais plutôt que de faire le choix d’être la curiosité de l’année du forum, j’ai décidé de marcher sur Davos.” En bus. A l’entrée, les trois cents manifestants surprennent la sécurité et entrent dans la ville. Ils seront rapidement stoppés par des camions antiémeutes, des tirs de lacrymo et de balles en caoutchouc. Davos est alors le symbole tout-puissant de la prise de pouvoir sur le monde des multinationales au détriment de la démocratie. Dix ans auparavant, la chute du mur de Berlin mettait un terme à la guerre froide. Francis Fukuyama théorisait

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“la fin de l’histoire” en 1992 : le libéralisme allait apporter la démocratie au monde dans un grand consensus universel, et ce serait tout. Davos était porteur de cet évangile. Mais l’entrée dans les années 2000 fit vaciller cette grandiose théorie : 11 Septembre, crise écologique et crise de l’économie financiarisée. Davos a dû s’adapter à l’époque. “Le capitalisme a cette force : il a toujours su intégrer ses propres contestations. Ainsi les organisateurs de Davos ont intégré la critique de la mondialisation à l’intérieur du Forum”, commente Erik Izraelewicz. Ils ont fait venir des ONG (Greenpeace, Amnesty international), des représentants d’associations, des syndicalistes (Marc Blondel de Force ouvrière y fumait ses gros cigares au milieu des patrons), des altermondialistes, des églises, des artistes (Paulo Coelho, Sharon Stone et, cette année, Robert De Niro). “En France, la vision de Davos est particulière, le Forum est considéré comme très dégoûtant, un complot de riches qui organise la planète à son

bénéfice – ce qui n’est pas vrai évidemment. Un chef d’Etat de gauche comme Lula n’a cessé de venir”, estime Eric Le Boucher. Nicolas Sarkozy a été en 2010 le premier chef d’Etat français à s’y rendre (Chirac en avait été empêché en 2005 par une tempête de neige). Sarkozy refait le voyage avant de prendre la présidence du prochain G20. “Il y a pas mal de gens du G20, des sherpas, c’est un tour de chauffe avant novembre”, analyse Le Boucher. Cette année, la cuvée est belle : Angela Merkel, David Cameron,

“le capitalisme a cette force : il a toujours su intégrer ses propres contestations. Ainsi les organisateurs de Davos ont intégré la critique de la mondialisation à l’intérieur du Forum”

le secrétaire au Trésor US. En pleine crise mondiale, les politiques veulent profiter de la vitrine de Davos. Le 26 janvier, le discours d’ouverture sera assuré par Dmitri Medvedev qui aura pour mission de rassurer les entreprises après la nouvelle condamnation de l’ex-magnat du pétrole Mikhaïl Khodorkovski. Un des thèmes – après la régulation en 2010 – sera la crise sociale, sur fond de révolution en Tunisie et d’émeutes en Algérie. “Crise sociale à Davos ? Et pourquoi pas crise sexuelle au Vatican, s’amuse Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes. Davos n’est pas le lieu où on peut faire avancer des idées, même si j’avais l’argent pour y aller je n’irais pas. Je pense que le monde n’est pas dirigé par deux cents personnes. En Tunisie, les gens ne sont pas dirigés par Davos.” Le Forum est aussi placé sous le signe des “nouvelles réalités” : le déplacement de la puissance politique et économique vers le Sud et l’Est, et l’évolution rapide des nouvelles technologiques. “Davos, c’est la capitale de la mode des idées, le défilé des idées à la mode”, ironise Jean-Marc Vittori, éditorialiste des Echos. Pour ce dernier, participant assidu depuis 1994, “Davos ne devrait plus exister : c’est un endroit où on s’est trompé sans arrêt, qui a porté aux nues les causes de la crise, Davos devrait se déliter, et pourtant ce n’est pas le cas”. Au contraire, le Palais des congrès s’agrandit, les structures du Forum aussi. “Cette année, ils vont donner le sentiment que tout repart alors que les raisons qui ont fait que ça a pété en 2008 sont en train de recommencer, s’inquiète la journaliste Marie-Paule Virard, coauteur de livres avec l’économiste Patrick Artus. Davos sert à dire la règle et l’ordre pour que tout puisse perdurer comme avant malgré le basculement du monde. C’est une naine blanche : une étoile qui brille encore mais qui est morte depuis un certain nombre d’années.” Anne Laffeter 26.01.2011 les inrockuptibles 15

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Gainsbourg confidentiel

On a écouté en exclusivité les titres inédits ou rares qui paraîtront le 28 février à l’occasion du vingtième anniversaire de la disparition de Serge Gainsbourg.

Stan Wiezniak

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de nombreuses photos inédites et une biographie passionnante de cinquante pages

armi la grosse vingtaine de titres rares ou inédits qui agrémenteront la nouvelle “intégrale” de Serge Gainsbourg le 28 février prochain, on trouve une version longue de Je suis venu te dire que je m’en vais. Après avoir sangloté tout au long de la chanson, Jane Birkin, visiblement essorée, lâche à bout de souffle “Ben, je pourrai pas faire plus que ça, hein…” Pas faire plus que ça, c’est aussi ce que les responsables d’Universal ont dû se dire en traquant jusqu’aux tréfonds de leurs archives le moindre petit moignon de Gainsbourg non encore publié sur les précédentes anthologies. Il existe sûrement des boîtes inexplorées, peut-être des trésors qui dorment à l’abri de toute convoitise dans le capharnaüm de la rue de Verneuil où rien n’a bougé depuis le départ de l’hôte des lieux il y a vingt ans, le 2 mars 1991. Pour l’heure, on devra donc se contenter d’une moisson hétéroclite récoltée à droite à gauche, dans les armoires de l’INA et celles d’Europe 1, dans les fonds de tiroirs de Philips ou, pour la plus grosse prise du lot, Comme un boomerang, dans ceux de Vogue en Allemagne. Pour cette chanson au titre prédestiné dont on découvre aujourd’hui la version chantée par Gainsbourg lui-même, la filature aura duré une quinzaine d’années, grâce à l’obstination d’un seul homme, Olivier Julien. 26.01.2011 les inrockuptibles 17

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la version de “Comme un boomerang” chantée par Gainsbourg est une pièce de puzzle essentielle rajoutée à sa discographie

Ce fan érudit du grand Serge était un ami proche d’Etienne Daho au milieu des années 1990, au moment où ce dernier tenta une énième relance de la carrière de Dani, alors embarquée dans une douloureuse impasse financière. Lors de recherches sur un autre sujet à la bibliothèque du Centre Georges-Pompidou, Olivier Julien tombe sur le microfilm d’un article relatant une séance de studio pour un titre destiné au concours de l’Eurovision 1975. Une chanson de Gainsbourg que doit enregistrer Dani mais dont l’article ne précise pas le titre. Pompidou est décidément au cœur de l’enquête car c’est en raison du décès du chef de l’Etat l’année précédente, en avril 1974, que Dani avait dû annuler une première participation à l’Eurovision, le concours ayant lieu le jour des obsèques. Automatiquement réinvitée en 1975, la chanteuse et mannequin androgyne demande alors à Gainsbourg une chanson, mais le jury chargé de valider ce choix trouve Comme un boomerang tellement noir et désespéré, si loin des canons à mousse de la variété internationale qui viennent de distinguer Abba, que le titre est rejeté et Dani privée une nouvelle fois de dessert. Restée à l’état d’une session de travail chantée à deux voix par Gainsbourg et Dani, Comme un boomerang rejoint de façon inexplicable les oubliettes. Quand Olivier Julien commence son enquête pour retrouver la bande, Gainsbourg est mort et Dani ne se souvient plus de rien. Lorsqu’il finit par mettre la main sur la bande originale, celle-ci se révèle trop approximative pour sortir en l’état et figurer sur le best-of en préparation de Dani. C’est alors que s’impose l’idée d’une version réenregistrée par Dani et Daho, qui devient un tube à sa sortie en 2001. Peu de gens savent alors qu’il existe une version du titre chantée par Gainsbourg, certes un peu chancelante car non destinée à être

commercialisée. Nettoyée autant que possible, mixée avec doigté pour en respecter la patine originelle, elle est évidemment aujourd’hui une pièce de puzzle essentielle rajoutée à la discographie de Gainsbourg. Parmi les autres titres exhumés, rien ne parvient à tutoyer ce joyau, mais tout n’est pas non plus sans intérêt. On s’amusera à entendre Gainsbourg dans un rôle inhabituel, celui d’interprète des chansons des autres, lorsque pour Europe 1 en 1974 il livre une version époustouflante de Parce que (Charles Aznavour), réinvente J’entends siffler le train (Richard Anthony) et se contente de poser sa voix égrillarde sur le play-back des Play-Boys de son pote Dutronc. De l’INA est par ailleurs remontée une interprétation de La Valse de l’adieu de Chopin en 1962, où pour une fois il n’en mène pas large. La même année, avant de la publier officiellement puis de l’offrir à Gréco, il crée devant les micros de la radio nationale sa Javanaise en mode piano-voix. Plus intéressantes toutefois, des versions différentes (toujours sorties de l’INA) de Amour sans amour et Le Temps des yoyos, deux titres du splendide Gainsbourg confidentiel (1964), le premier relevé d’un parfum mariachi très cocasse et le second étoffé d’un arrangement à trois niveaux, big band jazz, orchestre à cordes et orgue acide, loin du minimalisme originel. Datant de la même époque, on trouve un autre titre jamais paru, L’Escroc, tiré de la bande originale du film Les Plus Belles Escroqueries du monde, très proche dans l’esprit de Confidentiel, et sans doute enregistré avec les mêmes musiciens. Si on se contentera faute de mieux de versions instrumentales des grandioses Requiem pour un con (Le Pacha), Valse de Melody et Ah ! Melody (Histoire de Melody Nelson), qui permettent d’apprécier

avec Dani, janvier 1978

la virtuosité des arrangements de Colombier pour l’un et de Vannier pour les autres, les prises alternatives de morceaux datant des sessions de Vu de l’extérieur (1973) ne font que surligner la faiblesse d’inspiration de Gainsbourg à l’époque, dont le fond est atteint avec l’inédit Les papiers qui collent aux bonbons qui ne méritait peut-être pas d’être remis en circulation. Idem pour les titres issus des sessions de Aux armes et cætera (1979) et Mauvaises nouvelles des étoiles (1981), essentiellement des instrumentaux ou des variations

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Rue des Archives/AGIP

de titres déjà parus qui, là encore, n’ont qu’un intérêt très relatif. On s’arrêtera toutefois sur ce Je ne t’aime plus moi aussi qui répond dix ans plus tard et en mode rasta à Je t’aime moi non plus, mais dont il n’existe pas de version chantée (ni parlée), ce qui en limite forcément la portée. Présentée sous la forme d’un luxueux livre d’art, cette nouvelle intégrale en vingt CD (dont deux consacrés aux chansons et aux musiques de films) aura de toute façon la faveur des fans hardcore de Gainsbourg, notamment en raison

des nombreuses photos inédites et d’une biographie passionnante de cinquante pages. Mais la gainsbourophilie de saison ne s’arrêtera pas là puisque sort parallèlement, chez un autre éditeur, une double compilation intitulée Le Claqueur de mots qui regroupe un CD des premiers titres enregistrés par Gainsbourg en 1958-1959 et un autre de chansons interprétées par ses premiers porte-voix que furent Michèle Arnaud, Juliette Gréco ou Jean-Claude Pascal. On y trouve là encore un inédit très prisé puisqu’il s’agit d’une des premières

chansons déposées par Gainsbourg (sous le pseudo Julien Grix) à la Sacem en 1955, Les Mots inutiles, rebaptisée De Vienne à Vienne pour les besoins d’une émission télé de 1961 consacrée à la capitale autrichienne. “Les mots sont usés jusqu’à la corde…” dit cette chanson, le filon Gainsbourg commence sérieusement à l’être lui aussi. Christophe Conte Serge Gainsbourg – Intégrale 20e anniversaire Coffret 20 CD (Universal). Sortie le 28 février Le Claqueur de mots 1958-1959 (Ina/Discograph) 26.01.2011 les inrockuptibles 19

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“Les Petits Mouchoirs absent des César ? Et comment on fait si on est enrhumé ? LOL”

retour de hype

Patrice Gélinet arrête 2 000 ans d’histoire

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

“Les gens normaux sont chelous, quand même”

Lizarazu Nintendo

Jean-Marie Messier

Anne Hathaway en Catwoman

Le Uno Beyoncé chez Eastwood

How I Met Your Mother “J’drague Valérie Pécresse sur Caramail”

“Je suis plus badaud ivre que bateau ivre, tu vois” Le porc dans les produits halal

“J’ai RSVP pour le pot de départ de Sarkozy”

Les LOLcats

Dimanche 23 janvier, la page Facebook de Nicolas Sarkozy a été piratée. Un message à l’orthographe hésitante, effacé quelques minutes après, indiquait qu’il ne se représenterait pas en 2012 et renvoyait vers un event intitulé “Pot de départ de Nicolas Sarkozy”. Patrice Gélinet arrête 2 000 ans d’histoire sur France Inter. Et rien ne sera plus jamais vraiment comme avant. Le Uno Dans sa

première grande interview depuis sa sortie de prison, Lil Wayne explique à Rolling Stone qu’il a passé son temps à jouer au Uno. Pareil. LOLcats Cheezburger Network, propriétaire d’I Can Has Cheezburger, site spécialisé dans le LOLcat, annonce une levée de fonds de 30 millions de dollars. Lizarazu élu homme de l’année par GQ. Sérieux ? Diane Lisarelli

billet dur

C  

her Pierre Arditi, Je t’ai vu l’autre jour imiter Yves Montand à la télé, je crois qu’à tout prendre je préfère encore Didier Gustin. Tu étais même très en dessous de tes performances habituelles d’insurgé des plateaux en adoptant cette posture de Candide assez peu raccord avec ton impulsive nature d’homme de gauche qui donne franchement envie de voter à droite. Cette émission pédago qui promettait d’expliquer la crise aux nuls et aux résidents du VIe arrondissement de Paris, où tu jouais assez mal le Schpountz du CAC 40, je dois t’avouer que je l’ai regardée en pointillé. A un moment, j’ai zappé sur TF1 où l’on diffusait une pub pour la Polo, avec ta voix, Pierrot. J’ai aussi allumé la radio, et comme nous étions décidément inséparables, je t’ai entendu faire la réclame pour Monoprix. Plus tard, en revenant

sur France 2, je suis tombé sur le débat qui suivait l’émission, et là j’ai vraiment bien rigolé. Il y avait Xavier Mathieu, le syndicaliste des Conti, un type qui s’est mangé la crise de plein fouet, la vraie, pas ces petites crises d’urticaire qui démangent ta conscience de salon. Un authentique héros de la lutte des classes, pas un bouffon à l’emportement mondain. Toi qui joues en ce moment dans une pièce intitulée La Vérité, tu en as ramassé quelques-unes assez contondantes dans les gencives et ça faisait grand bien. Candide, c’est visiblement pas pour toi, en revanche pour Tartuffe, tu restes un postulant imbattable. Après l’émission, sur Direct 8, je t’entendais ainsi faire le camelot pour LCL, c’était sinistrement drôle. Je t’embrasse pas, j’ai Simone Signoret sur la 2. Christophe Conte

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Jean-Charles Hue Entre documentaire et fiction, son premier film en salle dresse un portrait très personnel de la communauté gitane.

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epuis cinq ans, Jean-Charles Hue ne cesse de filmer une même famille gitane (ou yéniche pour être exact) en Picardie : les Dorkel. Ayant lui-même des racines gitanes, ce réalisateur de 42 ans a déjà réalisé cinq courts métrages sur et avec eux, avant La BM du Seigneur, son premier long en salle (un second, réalisé au Mexique en 2009, reste inédit). Avant de faire le “pas de côté” vers cet univers qui le fascine, il travaille dans le design et la mode, où il fait ses premiers films institutionnels (pour Lanvin). Puis il s’inscrit aux beaux-arts de Cergy, où il développe son goût pour les pratiques cinématographiques transversales, entre expérimental, documentaire et fiction. Dans de nombreux films d’art, montrés en galerie, cet amoureux de Genet et Pasolini transfigure ainsi la vie de ses proches en fiction, dans un processus d’immersion totale. Il termine actuellement le scénario d’un nouveau long métrage, davantage fictionnel, avec Fred Dorkel, le héros de La BM du Seigneur. Jacky Goldberg photo Renaud Monfourny La BM du Seigneur de Jean-Charles Hue, lire critique du film p. 76

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Pierre Verdy/AFP

Le 25 avril 2007, Philippe Courroye devientpr ocureur deN anterre malgrél ’opposition du Conseil supérieur de la magistrature

un magistrat bien en cour Inflexible ou courtisan selon les circonstances, le procureur Philippe Courroye a débuté comme juge d’instruction. Dans son livre-enquête, le journaliste Airy Routier décortique la carrière d’un homme fasciné par le pouvoir. ’emblée, Airy Routier choisit son côté de la barre : celui des “victimes” de Philippe Courroye qui, passé par deux fois de l’instruction au parquet, a brisé les récalcitrants tout en épargnant les plus puissants. Le journaliste dédie son enquête à Chantal Guéroult, morte au cours d’une garde à vue ordonnée par le magistrat dans un dossier financier. “Elle symbolise la disproportion entre la fin et les moyens”, explique aujourd’hui l’auteur. Si l’actuel procureur de Nanterre est souvent présenté comme un juge d’instruction inflexible devenu magistrat aux ordres, “Courroye de transmission” du pouvoir politique, Airy Routier s’éloigne de cette image d’une carrière duale marquée par l’affiliation soudaine à Nicolas Sarkozy. Il restitue la complexité d’un personnage dès le début “bosseur au milieu des flemmards” mais promis à l’hybris, le péché de démesure, par “la haute idée qu’il a de lui-même et par son goût immodéré du pouvoir” et “sa course éperdue à la reconnaissance sociale”. S’ouvrant sur une erreur judiciaire, pour laquelle un acquitté a reçu une indemnisation record de l’Etat, sa carrière connaît ses derniers rebondissements avec l’affaire Bettencourt. Longtemps,

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la hiérarchie judiciaire a toléré ses erreurs et caprices. Mais “Philippe Courroye, à force de se sentir supérieur à tous, a raté son but. Il est passé brutalement de la catégorie des gagnants à celle des perdants”. Minutieusement, le journaliste examine la mécanique du triptyque cher à JeanFrançois Kahn : léchage, lâchage, lynchage. Injustifié pour Routier, qui retrace ses abus et ses fautes perceptibles dès l’origine. Et décortique le “système Courroye” : établir un rapport de force avec les présidents de la République Chirac puis Sarkozy, en éliminant leurs adversaires d’une main pour mieux les menacer de l’autre. Dans l’affaire des frais de bouche du couple Chirac comme dans celle de l’appartement de Neuilly acheté par Nicolas Sarkozy, ou de manière encore plus éclatante dans l’affaire Bettencourt, Courroye a recours aux mêmes méthodes : ouvrir des enquêtes préliminaires pour garder le dossier sous sa coupe et affirmer

sa méthode avec les puissants : ouvrir des enquêtes pour affirmer son indépendance, puis clore le dossier

son indépendance, avant de clore le dossier Marqué à droite, Philippe Courroye a su se faire belliqueux ou courtisan, selon les circonstances. A force d’opportuns dîners en ville, draguant ceux qu’il avait autrefois mis en examen, le petit bourgeois lyonnais est devenu notable parisien décoré de l’ordre national du Mérite. La nomination de Courroye à la tête du parquet de Nanterre, siège d’affaires sensibles, passe en force malgré deux avis négatifs du Conseil supérieur de la magistrature. Ses mondanités et sa lutte à mort avec son ancienne collègue Isabelle Prévost-Desprez l’écartent du poste de procureur de Paris promis par Sarkozy. Pour Airy Routier, Courroye est aujourd’hui “un magistrat déstabilisé, qui a perdu son aura et cherche à la reconquérir – ainsi que la faveur du prince”. L’auteur concède qu’il a “encore un avenir”, mais “il a subi une humiliation importante” et la hiérarchie se désolidarise. La presse le pointe comme symbole du parquet aux ordres, ami du pouvoir. Ce livre, en redonnant son unité à un parcours quitte à défendre tous ceux qu’il a attaqués, ne l’aidera pas à sortir la tête de l’eau. Camille Polloni Enquête sur un juge au-dessus de tout soupçon – Philippe Courroye, un pouvoir d’Airy Routier (Fayard), 19 €

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un bleu devient vert Flic, Mark Kennedy a infiltré les écolos anglais radicaux durant sept ans. Aujourd’hui, il prend fait et cause pour ceux qu’il espionnait.

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’est une histoire digne d’un blockbuster hollywoodien contemporain. On imagine d’ailleurs bien Leonardo DiCaprio dans le rôle de Mark Kennedy, un flic infiltré sept ans chez les écolos anglais purs et durs qui finit par prendre

Mark Kennedy

“je me déteste terriblement, j’ai trahi tellement de gens”

fait et cause pour la défense de l’environnement. Un trip écolo à la limite du syndrome de Stockholm, thème souvent traité au cinéma. Pour les pouvoirs publics anglais, les activistes écolo british n’ont rien à voir avec notre José Bové national qui arrache avec ses copains des plans de maïs transgénique ou choure un Ronald McDonald. En Angleterre, les groupes d’activistes écolo sont particulièrement surveillés par la police et tombent parfois sous le coup de la loi antiterroriste. En août 2003, à 33 ans, Mark Kennedy rejoint les activistes d’Earth First dans une ferme dans le nord de l’Angleterre. Originaire des Etats-Unis, ce groupuscule pratique l’action directe. C’est à une véritable transformation, un changement d’identité et de look, que s’est livré Mark Kennedy. Il a dû penser écologie radicale, vivre écologie radicale, s’habiller écolo radical. Passer de la coupe courte et propre

sur soi d’un policier à un look babos, bouc, cheveux longs, tatouages et boucles d’oreille. Il change de nom et devient Mark Stone. Pendant sept ans, il va participer à toutes les batailles du groupe dans vingt-deux pays : s’enchaîner aux grilles d’une centrale, intercepter des trains, manifester contre le G8, le G20... Jusqu’au jour où son zèle finit par attirer l’attention. En avril 2009, il se montre particulièrement entreprenant pour mener à bien la plus grosse manifestation du groupe : occuper la plus grande centrale à charbon du Royaume-Uni. Mais quelques heures avant le début de l’opération, une centaine de militants – dont Mark Stone – sont cueillis comme des fleurs par Scotland Yard. Vingt-six personnes seront mises en examen, mais pas Mark Stone. En octobre, il est démasqué à cause d’un vieux passeport qu’il laisse traîner. Mais Mark tient

Darren Staples/Reuters

Unechaîne de policiers pour empêcher les activistes écolo d’accéder à la centrale à charbon de Ratcliffe-on-Soar

bon et jure qu’il a quitté la police. En vain. Il disparaît et s’enfuit à l’étranger. Le 11 janvier, la BBC a diffusé un enregistrement téléphonique où il critique la police, fait amende honorable et exprime son soutien aux activistes écolo : “Je me déteste terriblement, j’ai trahi tellement de gens. Si je peux aider à faire quelque chose de bien pour une fois...” Des aveux qui tombent en plein procès de six activistes qui voulaient occuper une autre centrale à charbon à Ratcliffe-on-Soar. Il se dit prêt à témoigner en leur faveur pour dénoncer les méthodes de Scotland Yard et donner des preuves pour leur défense. Les avocats disent que leurs clients ne voulaient pas fermer l’usine et que le coup a été monté par Mark, devenu un “agent provocateur”, qui poussait les activistes à commettre des délits. Le procès a été annulé sur pression de la police. La police des polices a dit vouloir ouvrir une enquête. En Angleterre, de nombreuses voix demandent désormais des comptes à l’Association of Chief Police Officers, qui gère ce genre d’agent double. Les griefs : trop de pouvoir, pas assez de transparence et un coût financier considérable. Autre point polémique de l’affaire : le sexe. Kennedy est accusé par de nombreuses activistes d’avoir couché avec elles pour leur soutirer des informations. L’une d’elles a d’ailleurs déclaré au Guardian qu’elle se sentait “violée”. Certaines disent vouloir porter plainte. Selon le Daily Telegraph, plusieurs réalisateurs et compagnies de cinéma plancheraient déjà sur l’adaptation de l’histoire sur grand écran. To be continued. Anne Laffeter

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le projet culturel de Sarkozy cherche surtout à éviter les remous

brèves

accord sur la musique “Treize engagements pour la musique en ligne” ont été signés par les sociétés de gestion de droits des auteurs et des producteurs (Sacem, Snep…), les services de musique en ligne (iTunes) et le nouveau syndicat des Editeurs de service de musique en ligne (dont Deezer, Starzik, Orange…). Les engagements portent sur la transparence des conditions générales de vente, la limitation des minima garantis demandés par les producteurs aux éditeurs de services en ligne de musique, une meilleure information des artistes quant à l’exploitation de leurs prestations… Rapidshare en colère MarkMonitor, entreprise US vendant des solutions de protection aux entreprises concernées par la propriété intellectuelle, a publié une enquête sur le piratage, stigmatisant les sites de direct download dont Rapidshare et Megaupload. Contre-attaque des intéressés : Rapidshare parle de diffamation et se réserve le droit de poursuivre MarkMonitor. Megaupload argue que la majorité de son trafic est légale. D’après le site Ars Technica, les données de l’enquête proviendraient d’Alexa, aux statistiques peu fiables sur les sites web.

Frederic Stevens/Abaca Press

filtrage du net, suite Michel Boyon, du CSA, s’est prononcé dans le Figaro pour une labellisation des sites internet afin que des “logiciels de contrôle parental filtrent les sites qui n’auraient pas ce label”. L’idée serait de réguler “les contenus mis en ligne par des particuliers sur les sites de partage de vidéos”, mais ouvre clairement la porte au filtrage.

la culture en friche Sous la verrière d’un Grand Palais qui peine à financer sa rénovation, les vœux express de Sarkozy n’ont guère convaincu le monde de la culture et de la connaissance.



ur fond de crispations liées aux coupes budgétaires dans les musées et aux nominations surprises (et téléguidées par l’Elysée ?) dans le spectacle vivant comme au théâtre de La Criée à Marseille, 5 000 personnes s’étaient réunies pour cette cérémonie des vœux qui s’est déroulée sans les principales fédérations syndicales du monde éducatif qui la jugeaient “hypocrite” au regard des dizaines de milliers de suppressions de postes dans le secteur. Alors que son ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, lançait il y a un an tout juste une OPA sur le bon vieux credo hérité de Malraux de la “culture pour tous” en proposant désormais “une culture pour chacun”, Nicolas Sarkozy prit garde de ne pas se lancer dans une redéfinition hâtive de la politique culturelle française et a soutenu que la meilleure “réponse de la France à la crise sera de continuer à investir dans la culture, la recherche et l’éducation”. Loin des envolées volontaristes du discours de Nîmes du 13 janvier 2009,

le projet culturel de Sarkozy pour la dernière ligne droite avant l’élection de 2012 cherche surtout à éviter les remous. Promettant que le ministère de la Culture ne verra pas son budget gelé en 2011, Sarkozy s’est félicité du succès du Centre Pompidou-Metz (inauguré en mai 2010) et s’est réjoui de l’ouverture prochaine du Louvre-Lens et du musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille. Il s’est néanmoins bien gardé de rappeler les difficultés liées à ce chantier accéléré pour être prêt lors du lancement de Marseille 2013 – et qui contribue à fragiliser les institutions existantes (le musée d’Art contemporain en tête, en déshérence totale depuis plus de trois ans). Il a également évoqué sa grande obsession : la Maison de l’Histoire de France raillée par de nombreux historiens dont Benjamin Stora, qui y voit une volonté chez le Président de “se légitimer par l’histoire” et rappelle que “la question n’est pas de savoir s’il est bon ou non de créer un énième musée de l’Histoire de France mais plutôt quelle histoire de France nous souhaitons écrire”. Passant quasiment à la trappe le brûlant dossier Hadopi, le chef de l’Etat a toutefois rappelé qu’“internet met à disposition de chacun la connaissance de tous (…) un progrès qui ne doit pas se faire au détriment des droits d’auteurs” puis annoncé un “G20 dédié aux droits d’auteur et à internet”. Enfin, oubliant de mentionner le débat sur l’avenir chaotique (mais en passe d’être résolu) du palais de Tokyo, Nicolas Sarkozy est, en revanche, revenu sur la polémique récente sur l’Hôtel de la Marine. Ce monument classé historique de la place de la Concorde a fait l’objet d’un discret appel d’offres de la part de l’Etat auquel seul a répondu un trio composé d’Alexandre Allard – déjà repreneur du Royal-Monceau –, l’architecte Jean Nouvel et l’ancien ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres qui aurait le projet de transformer ce lieu patrimonial en un établissement commercial de luxe. D’où la pétition lancée par les historiens Pierre Nora, Jacques Le Goff, Alain Decaux, Mona Ozouf, rejoints par Régis Debray, qui refusent de voir l’Etat “brader” son patrimoine et proposent en outre d’y installer en lieu et place la fameuse Maison de l’Histoire de France, censée s’installer aux Archives nationales. Ayant pris conscience de la grossièreté de la manœuvre, Sarkozy a annoncé la formation d’une commission composée de “gens indépendants” qui étudieront l’avenir de cet hôtel du XVIIIe siècle. Claire Moulène

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La revue Mauvais esprit propose ce trimestre un dossier sur la “neuropolice”. On y trouve une intéressante somme de réflexions sur la police scientifique, la généralisation de la surveillance, le fichage, la dictature du chiffre…

Al Jazeera et la Tunisie A côté de Facebook, la chaîne d’information Al Jazeera a joué un rôle clé dans l’effet d’accélération de la révolution tunisienne, en court-circuitant la télé officielle.

la santé de Jobs Steve Jobs part en congé maladie et laisse les rênes de l’entreprise à Tim Cook, directeur général de l’entreprise. Jobs reste néanmoins pdg. Evidemment, les rumeurs vont bon train sur sa santé et les analystes ont les yeux rivés sur le cours de l’action Apple.

small in Japan Moins de deux millions de membres de Facebook au Japon, soit moins de 2 % de la population japonaise connectée.

retour de vague Deuxième numéro de Freak Wave, la revue d’art graphique au “parti pris misanthropique”. Avec les participations d’Olivia Clavel, Sue Coe, Jean-Louis Costes…

Facebook toujours plus perso L’adresse et le numéro de téléphone des membres de Facebook pourront désormais être accessibles aux développeurs d’applications. Les membres devront néanmoins avoir autorisé l’accès à leurs données pour que cela soit possible.

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des anges trépassent Les Anges de la téléréalité sur NRJ 12 rassemble une poignée d’ex-stars du genre dans une maison de Los Angeles. La terre en tremble.

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le cast

A quelques exceptions près, le candidat de téléréalité a une durée de vie médiatique limitée. Une fois sorti du “jeu” auquel il participe, le lofteur, le tentateur ou l’aspirant nouvelle star se démène pour continuer à occuper l’espace médiatique (circonscrit aux magazines people) dans le seul but de ne pas tomber dans l’oubli. Une étrange destinée qui se limite souvent au besoin vital “d’être connu” ainsi que “d’être payé un max de thunes lors d’animations en boîte de nuit”. Avec Les Anges de la téléréalité, NRJ 12 a décidé de venir en aide aux ex-candidats terrifiés à l’idée de sombrer dans l’anonymat depuis qu’ils ont compris que, le fameux “dehors, c’est que du bonheur” était un mensonge éhonté. La chaîne ressuscite donc des vieilles

gloires du genre parmi lesquelles Cindy Sander, tête de Turc de Nouvelle star, Diana femme bafouée de la première Ile de la tentation ou Astrid, tentatrice pour la même émission lors de la dernière saison (celle diffusée sur le câble et que personne n’a vue). Issu de Secret Story : le couple Amélie-Senna marié pour de faux en prime time par Endemol et John David, l’homme aux 780 conquêtes et à la coupe de cheveux douteuse de l’édition 2009. Enfin dans la promotion Loft Story, la plus honorifique : Marlène, jeune neuneu fan de Phil Barney (à son actif : une reprise en duo d’Un enfant de toi) et Steevy seul rescapé de la téléréalité (Loft Story 1) qui officie aujourd’hui chez Ruquier et dont on se demande bien quel problème de trésorerie l’amène ici.

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les States

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Heureux qui, comme John David, a fait un beau voyage. Après les plateaux glauques de La Plaine-SaintDenis, nos huit têtes de vainqueurs rejoignent donc la côte Ouest des Etats-Unis “avec un seul rêve en tête : conquérir Hollywood”. Entre “castings, shootings et soirées VIP”, ceux qui n’ont donc, à une exception près, jamais percé en France vont tenter leur chance trois semaines durant aux States. A leur arrivée à L. A., concours d’éloquence à grand renfort de points d’exclamation : “Royal !” , “Wow !”, “Truc de dingue !”, “C’est frais !”, “Truc de ouf !” et “Au top !” viennent renouveler le lexique du candidat de téléréalité qui, en l’occurrence, a “l’impression qu’on rentre dans un film, tu vois, c’est ça qu’est fou !”. Carrément.

le cheapos Comme le laisse suggérer ce cliché, Les Anges de la téléréalité sont un tout petit peu dans la dèche. La preuve : pour cette photo de presse, la prod’ n’a même pas pris la peine de dégager les badauds en arrière-plan pour donner un semblant de professionnalisme. En revanche, quand il s’agit de prendre la pose, la part féminine du casting maîtrise la chose à merveille, avec une cambrure moyenne de 70 degrés. En ce qui concerne le second

(de degré), la tâche est en revanche plus compliquée. Mention spéciale au “parrain des anges” dans l’émission, un certain Fabrice Sopoglian producteur à L. A. (c’est ça, ouais) à qui incombe la lourde tâche d’aider nos amis à “percer”. Ses armes ? Des contacts (“lol”), des dents plus blanches que les neiges éternelles et un discours plus consternant qu’un cours de phénoménologie dispensé par Eve Angeli. Le rêve américain, on vous dit. Diane Lisarelli

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la furie douce

Fille fantasmée de PJ Harvey et Jeff Buckley, la Londonienne AnnaCal vi révélée au dernier Festival des Inrocks, sort un premier album audacieux.V olcanique en concert, effarouchée en interview : une chanteuse toute en contraste.

par JD Beauvallet photo Benni Valsson

ouvent, on a rêvé d’Anna Calvi. Comme, par exemple, quand on voyait sur scène PJ Harvey puis Jeff Buckley, en se disant que ça serait chouette qu’ils aient une fille. Anna Calvi, premier album de la frêle Anglaise, assouvit ce fantasme. Frêle ? Oui, dans la vie de tous les jours, où une timidité maladive n’empêche pourtant pas de pointer une personnalité majeure, au parcours et aux ambitions étonnants. Frêle, certainement pas sur scène où depuis un concert de début 2010, ce rock fugueur d’une beauté, d’une musicalité et d’une liberté terrassantes, nous a littéralement envoûtés. Entre blues terrien et émeute électrique, les chansons d’Anna Calvi la transportent visiblement elle aussi très loin, très haut – ceux qui l’ont vue au dernier Festival des Inrocks peuvent en témoigner. Des rockeurs de cette trempe, de cette audace, il n’en émerge que quelques-uns par décennie. Il suffit de parler à Anna pour mesurer à quel point elle est tout sauf une starlette catapultée par la grâce d’une seule chanson et d’un joli minois : travailleuse forcenée et boulimique de son, elle possède l’aplomb, la sagesse, les ambitions et la culture d’une pétroleuse taillée pour durer. On n’est donc pas étonné d’apprendre que la Londonienne possède déjà, avant même la sortie de son premier album, un fan-club des plus huppés. On y retrouve Brian Eno, qui se présente comme son “protecteur”, ou Nick Cave qui l’a choisie pour assurer les premières parties de son groupe Grinderman. Le rêve d’Anna Calvi – jouer à l’Olympia comme ses idoles Jeff Buckley et Edith Piaf – est désormais à portée de doigts, de fée.

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entretien > Que représente la musique pour toi ? Anna Calvi – C’est ce qui me rend le plus joyeuse. C’est le meilleur moyen pour moi d’affronter le monde et d’en sortir indemne, saine d’esprit… Je ne me sens entière que lorsque j’en joue. Sur scène, je suis plus courageuse, plus fière que je ne le serai jamais dans la vie de tous les jours. A tel point que lorsque je regarde une vidéo de moi sur scène, je vois parfois une étrangère. Que ressens-tu sur scène ? Je tente d’entrer en contact, les yeux dans les yeux. Je ressens une telle impression de puissance… En même temps, chanter des choses aussi personnelles tout en regardant un inconnu, c’est au-delà de l’intimité. Dans la vie de tous les jours, je serais incapable de dire la moindre de ces choses à qui que ce soit : j’ai déjà du mal à regarder quelqu’un dans les yeux… Tu as l’air de prendre la musique très au sérieux. Est-ce que ça a toujours été le cas ? Pas quand j’ai commencé à jouer de la guitare : je n’avais que 6 ans ! Pourtant, même là, je m’amusais sérieusement : c’était ma plus grande source de plaisir, plus que toute autre activité. Puis mes parents m’ont mise au violon. C’était plus leur décision que la mienne, même si j’y trouvais beaucoup de joie aussi. Mais rien n’y faisait, encore et toujours cette guitare électrique qui traînait à la maison m’attirait. A quel moment as-tu commencé à chanter ? Il m’a fallu beaucoup de travail et de sacrifice pour chanter comme je le fais aujourd’hui. Pendant très longtemps, ça n’a pas été un plaisir. J’ai commencé à chanter à 23 ans : il fallait que je m’y mette, j’en rêvais depuis toujours. Je suis si timide que je pensais que ça resterait un regret. J’avais toujours été la plus timide, la plus effacée, absente de ma famille. Chanter, c’était plutôt contre nature. Pendant des années, dès que mes parents quittaient la maison, je fermais les rideaux, les lumières, je m’enfermais dans la pièce la plus calfeutrée de la maison et je vocalisais des journées entières sur les disques de Piaf ou d’Elvis… Je tenais même un journal pour suivre l’évolution de ma voix, savoir ce qu’il me fallait corriger… Je m’enregistrais et réécoutais sans répit ce qui clochait. Petit à petit, j’ai sculpté ma voix. Sans en changer l’âme, je l’ai transformée de soprano en une voix beaucoup plus grave et sombre. Ma motivation confinait à l’acharnement. Parfois, je me suis vraiment fait mal, notamment en essayant de chanter Be My Husband de Nina Simone… Personne n’était au courant, c’était mon secret. Je n’avais jamais chanté à l’école ou dans une chorale : même pas sous la douche. La différence entre ta voix de chanteuse et celle de tous les jours est phénoménale. Est-ce troublant pour toi a ussi ? La voix de tous les jours représente vraiment qui vous êtes : on construit sa voix en fonction de ce qu’on a vécu. Je n’ai jamais été du genre à m’imposer dans

la conversation, à me mettre en avant. Parce que je n’ai jamais beaucoup parlé en public, ma voix s’est en quelque sorte atrophiée. Je n’ai commencé à être à l’aise avec mon chant que l’an passé, après cinq ans de labeur. J’ai gagné la partie le jour où j’ai réussi à canaliser mes émotions dans mon chant, à les contrôler totalement. J’avais déjà ressenti ça quelques années plus tôt avec la guitare : l’impression qu’on peut aller partout, qu’il n’y a plus d’obstacle. Pendant longtemps, ma voix a été un animal sauvage que j’ai apprivoisé. As-tu été aussi disciplinée avec l’apprentissage de la guitare ? Je travaillais plusieurs heures par jour pendant des années. J’ai tendance à être un peu… obsessionnelle (rires). J’ai ainsi passé des mois à n’écouter que Django Reinhardt, puis Jimi Hendrix, puis Ravi Shankar, puis la musique d’Afrique occidentale… Je veux en percer le mystère. J’ai toujours eu un appétit féroce pour la musique, le son. Il faut dire que j’ai grandi dans une maison pleine de disques : Led Zep, Bowie, les Stones… Plus tard, une amie m’a fait découvrir Jeff Buckley, Cocteau Twins, Van Morrison. J’avais 16 ans. A quel âge as-tu composé ta première chanson ? Vers 8 ans… Mais comme je me pensais incapable de chanter, j’ai vite rejoint des groupes où j’étais guitariste… Ça a été une longue suite de déceptions, de frustrations. Par exemple, nous répétions le vendredi soir. Eh bien moi, j’en rêvais toute la semaine, il y avait un mélange d’excitation et d’anticipation que normalement on ne ressent à cet âge-là que pour son anniversaire. Systématiquement, j’étais déprimée le samedi car je savais qu’il faudrait attendre une semaine avant la prochaine répétition. A l’évidence, cela comptait plus pour moi que pour les autres. J’ai toujours été plus motivée, plus impliquée. Le seul groupe dont je sois fière aujourd’hui s’appelait Koto. J’avais 18 ans, je maîtrisais enfin l’écriture et ma guitare, j’étais heureuse d’être compétente. Mais même là, je ressentais le poids du compromis. J’avais une vision très précise de la direction que devait prendre notre musique mais je savais que je ne pouvais m’appuyer sur personne. C’est là que je me suis rendu compte que la seule issue était une carrière solo. Il fallait donc chanter. Tes parents se sont-ils inquiétés que tu consacres autant de temps à la musique ? Ils s’étaient habitués depuis longtemps à ce que je joue dans mon coin, dans ma bulle. Ils savaient à quel point j’étais heureuse avec la musique, à quel point elle me nourrissait. A la maison, mes parents m’ont laissé le grenier, un vaste bordel où j’ai entassé mes instruments, mes peintures, mes souvenirs d’enfance. La plupart des maquettes de l’album y ont été enregistrées, c’est paisible et rassurant, c’est mon univers, ma bulle, mon refuge. J’y passe ma vie…

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Car je me considère comme une bonne à rien quand je ne travaille pas sur ma musique, je culpabilise dès que je n’ai pas un instrument en main. C’est un artisanat fragile, qu’il faut entretenir avec discipline. Le vis-tu comme un sacerdoce ? Oui, je pense parfois au sacrifice que ça représente. J’ai tout donné à la musique. Elle m’a apporté tant de richesses. Chaque chanson est un univers, un monde à part. Ça valait le coup d’attendre. Sur scène, tu plonges dans ce monde intérieur, tu es presque en transe. Mes parents sont hypnothérapeutes et m’ont soumise très jeune à l’hypnose. J’étais un peu leur cobaye, je connais donc ces états seconds… C’est pour ça qu’en sortant de scène, il me faut de longues minutes de solitude totale pour me remettre d’aplomb – parfois en m’enfermant dans les toilettes. Enfant, tu as passé des mois à l’hôpital. En quoi cette expérience t’a-t-elle transformée ? Je suis née avec les hanches disloquées, j’ai donc dû subir une opération afin de créer des cavités cotyloïdes pour chaque jambe. Sans ça, je n’aurais jamais pu marcher. J’ai donc passé mon enfance plâtrée jusqu’au cou et supporté trois années de soins. Mes premiers souvenirs sont des chambres d’hôpital : leur odeur, aujourd’hui encore, me rassure. Ça a complètement affecté le reste de ma vie. Le besoin de créer mon propre monde, de me réfugier dans les chimères, vient de là. Quand on est enfant et qu’un truc aussi traumatisant vous tombe dessus, on utilise forcément le rêve, le dessin pour ne plus avoir peur. La créativité est alors devenue essentielle. Je griffonnais sans arrêt, c’était un acte de survie. Ça ne m’a jamais quittée : sans créativité, je deviendrais folle, je mourrais. Comment s’est matérialisé ce besoin d’évasion par la suite ? J’aimais les films irréels comme Retour vers le futur. Je passais des heures sur ma bicyclette, je jouais au football. Attaquante ! Plus tard, ma passion pour le cinéma m’a entraînée vers des cinéastes comme Gus Van Sant ou Wong Kar-wai, qui ont beaucoup influencé ma musique. Tu as été élevée par une mère anglaise et un père italien. Te sentais-tu entre deux cultures ? Je ne me suis jamais sentie totalement anglaise. J’étais attirée par des choses qui repoussaient les enfants de mon âge : la musique classique indienne ou le flamenco, dont j’ai emprunté l’imagerie sur scène… Comme chez Piaf, j’aime l’absence de retenue, de décence, cette passion brutale – c’est si peu anglais que ça m’attirait. En ce sens, je me sens parfois très latine, je vois la différence entre moi et une Anglaise typique, effrayée par le drame, alors que moi, j’adore ça ! Du coup, à l’école on me prenait pour

“je ne peux pas écrire dans une pièce avec de la moquette. Il me faut du plancher et une grande fenêtre”

une follasse et je ne faisais pas de gros efforts pour être populaire. Comment se passe l’écriture des textes ? J’attends que l’inspiration vienne me chercher. Je ne suis pas inquiète quand elle me laisse en plan, je me dis qu’elle est en train de recueillir des informations, qu’elle se nourrit. Quand elle se rappelle à moi, c’est un vrai plaisir. Mais il y a des règles à suivre. Comme par exemple ne jamais écrire dans une pièce avec de la moquette : j’en suis totalement incapable. Il me faut du plancher et une grande fenêtre. Une grande fenêtre pour rêver ? Oui, je passe des heures à laisser mon imagination vagabonder. D’où la discipline que je m’impose au travail. Mes parents ont un film de moi, je suis petite, c’est un spectacle de danse. Soudain, en plein milieu du ballet, je quitte la danse, je suis là, sur scène, perdue dans mon rêve. C’est pour ça que je ne conduis pas (rires)… C’est ma réaction d’autodéfense. Quand je trouve les gens, les situations ou les lieux ennuyeux, je m’enfuis dans ma tête. Ça fait de moi une grande handicapée de la vie, incapable de gérer la paperasse, le quotidien… Ecoutes-tu la musique avec une oreille strictement professionnelle ? J’ai cessé de disséquer les chansons : je l’ai fait pendant longtemps et ça tue le plaisir. L’émotion, ça ne s’explique pas, ça ne s’analyse pas, ce n’est pas quantifiable, ça ne répond pas à des règles et des faits. Là où je peux progresser, c’est au niveau technique, en studio. J’ai assisté à chaque seconde de l’enregistrement de mon album, je voulais tout savoir, tout comprendre, tout contrôler. Pour les cordes, au lieu de faire appel à un orchestre symphonique, c’est moi qui joue chaque violon, l’un après l’autre, trente-deux au total… Je savais exactement dans ma tête où devait aller l’album, tout était déjà prêt, le son, les arrangements… Ça a dû être très dur pour l’équipe en studio, je ne leur ai laissé aucune liberté… Le producteur, Rob Ellis (PJ Harvey, Scott Walker, etc. – ndlr), n’avait encore jamais travaillé avec quelqu’un aux idées si précises, si arrêtées. Je suis incapable de déléguer, même les petits détails. La dilution de l’inspiration est une hantise. Je peux être très dictatoriale. Ta musique est à la fois très animale et cérébrale. Ça te représente ? Je ne cherche que la beauté. Parfois, ça s’exprime par la volupté, la luxuriance ; d’autres fois, c’est plus brutal, plus dur, plus cru. Je suis une combinaison de tout ça. Il y a quelque chose de très sexuel, d’animal que j’exprime dans ma musique. Vous voyez, je rougis quand je l’évoque, je suis même incapable d’en parler. Mais quand ça devient musique, ça ne me dérange plus du tout. Album Anna Calvi (Domino/Pias) www.annacalvi.com Concerts le 8 février à Paris (Nouveau Casino), le 29 mars à Metz, le 30 à Dijon

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NOUVEAU

Toxic

La Maladie de la famille M. jusqu‘au 20 février à La Comédie-Française, Théâtre du Vieux-Colombier (Paris VIe)

livres

Une soirée punk embrumée, une jeune femme adepte de scarifications, un rituel à base de Polaroid, un amant jaloux et potentiellement violent… Avec Toxic, Burns signe un manifeste punk et poétique, un rêve sombre et captivant. A gagner : 10 albums

La Comédie du travail 11e édition des journées cinématographiques dionysiennes au cinéma L‘Ecran (Saint-Denis)

cinéma Sous le patronage de Luc Moullet, plus de 60 films montrent les enjeux, les valeurs et les perspectives du monde du travail et comment les cinéastes s’en inspirent, en témoignent, le dénoncent ou le subliment… A gagner : 15 pass pour 2 personnes, valables du 2 au 8 février

Maquette du décor : Laura Benzi

scènes De quiproquos amoureux en mésaventures tragi-comiques, une famille en pleine perte de repères et de valeurs évolue sous le regard d’un médecin qui veille à la santé de chacun. Il dresse un tableau général, plein de tendresse, de désabusement et d’humour de ce qu’il nomme la “maladie de la famille M.”. A gagner : 5 places pour 2 personnes le jeudi 10 février et 5 places pour 2 personnes le vendredi 11 février, à 20 h Merci d’indiquer la date de votre choix

de Charles Burns (Editions Cornélius)

Hauts cris (miniature) chorégraphie et interprétation de Vincent Dupont, au Théâtre de la Cité internationale (Paris XIVe)

scènes

Hauts cris, sur un texte d’Agrippa d’Aubigné, travaille différentes échelles de représentations de l’espace et du son, pour révéler un état intérieur lié au cri. Un théâtre fait de chair, débarrassé de tout psychologisme. A gagner : 10 places pour 2 personnes le 4 février, à 19 heures

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Je suis un no man‘s land un film de Thierry Jousse, avec Philippe Katerine et Julie Depardieu

cinéma

Philippe mène une vie de chanteur à succès. Suite à un concert donné dans sa région natale, une groupie l'invite à dîner puis à passer la nuit chez elle dans la campagne profonde. Philippe s'enfuit alors mais ne peut aller nulle part, coincé sur cette terre perdue. Le voici de retour dans la ferme parentale avec père, mère et ami d‘enfance qui vont perturber son existence. A gagner : 10 places pour 2 personnes à la séance de son choix

pour profiter de ces cadeaux spécial abonnés envoyez vite le titre de l’offre qui vous intéresse par mail à : [email protected] Merci d’indiquer votre nom, numéro d’abonné et adresse postale. Si plusieurs dates sont proposées, veuillez préciser votre choix. Les gagnants tirés au sort seront informés par mail. Fin des participations le 1er février

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I tout nu 26.01.2011

édito dialogue Nico/Sarko

E

En écoutant le Président lors de sa conférence de presse, on constatait qu‘il était en dialogue avec… lui-même. Il disait assumer une “certaine attitude de réserve” concernant des événements de Tunisie, un ancien protectorat. Cette “réserve” est à l‘exact opposé de ce que prônait le candidat de l‘UMP en 2007. Celui-ci affirmait : “Je veux être le Président des droits de l‘homme, je ne crois pas à la realpolitik qui fait renoncer à ses valeurs. Le silence est complice, je ne veux être complice d‘aucune dictature. Avoir des principes sans les défendre ce n‘est pas être fidèle à l‘histoire et à l‘identité de la France.” Le dialogue entre le candidat et le Président va devenir compliqué à gérer à mesure que le Président va redevenir candidat (lire p. 45) ! On ne peut utiliser les mêmes arguments pour devenir président et le rester. Le modèle, c‘est la campagne de Mitterrand en 1988. Mais à l’époque il y avait un intervalle de sept ans et une cohabitation entre François 81 et Mitterrand 88. Entre Nicolas 2007 et Sarkozy 2012 il n‘y a que cinq ans… et internet, c‘est-à-dire des archives accessibles à tous.

Martin Bureau/AFP

par Thomas Legrand

la magie des chiffres

Comment présenter les bons chiffres de la sécurité ? Quelques petits trucs qu’utilisent les fonctionnaires de la sécurité publique pour glisser la poussière de la violence quotidienne sous le tapis des statistiques.

B

rice Hortefeux, le ministre de l’Intérieur, a présenté, la semaine dernière, un chiffre global de l’insécurité en baisse. Ce chiffre, sujet à caution, est le produit statistique de 107  types d’infractions. La méthode de calcul date de 1972. Il regroupe aussi bien la délinquance subie que la délinquance d’initiative, c’està-dire révélée par l’activité des services (par exemple en matière de trafic de drogue). Il suffit de freiner ici ou là, temporairement, l’activité de tel ou tel service pour faire descendre le chiffre global. Parmi les 107 infractions, il y a aussi bien

la délinquance en col blanc que les violences aux personnes. Celles-ci augmentent de 2,5 % à 3 % chaque année depuis 2005, alors que les vols de voitures baissent du fait notamment d’une sophistication accrue des systèmes de sécurité élaborés par les constructeurs et de la collaboration des polices européennes. Mais c’est bien la violence aux personnes qui aggrave le “sentiment d’insécurité”. Le gouvernement ne triche pas lui-même, tout au plus arrange-t-il un peu la présentation du chiffre, par exemple avec ce joli panneau de carton spécial 20 heures de 26.01.2011 les inrockuptibles 39

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26.01.2011 tout nu II

TF1 (photo). Mais la magie des chiffres opère comme une réaction chimique sous l’effet de la fameuse “culture de résultat” poussée à outrance par le président de la République et son ministre de l’Intérieur. Il faut un résultat simple et affichable. Quand les tendances sont mauvaises, Brice Hortefeux convoque les préfets pour les sermonner. A leur tour, les préfets convoquent les responsables locaux de la police qui, de leur côté convoquent les commissaires, qui eux-mêmes passent un savon aux gardiens de la paix, dernier maillon de la chaîne. Chaque acteur de la sécurité est sous pression. Certain commissariats de grandes villes, par exemple, interrompent la comptabilité le 25 d’un mois particulièrement mauvais pour répartir les infractions après cette date sur d’autres mois. Les responsables de la police peuvent jouer aussi avec ce qu’ils appellent le “code Q”. Le code Q regroupe les infractions qui ne figurent pas dans les 107 infractions qui composent le chiffre global. Par exemple, la tentative de vol d’un véhicule fait partie du chiffre global, mais pas la dégradation d’un véhicule, qui fait par-

CHAQUE NIVEAU A SES PETITES COMBINES POUR ASSURER SA PROPRE TRANQUILLITÉ vu, entendu Carla vs Bernie

Un petit tableau vaut mieux qu’un long discours. Idéal pour le 20 heures de T F1 !

tie du code Q. Il suffit de classer la tentative de vol d’une voiture dans la catégorie dégradation. Fas toche ! Le code Q est une sorte de machine à blanchir les statistiques. C’est le principal appareil de maquillage des chiffres de la sécurité. On peut aussi dissuader une personne de déposer plainte en lui expliquant qu’elle ne peut le faire que dans le commissariat qui dépend de l’endroit où a été commise l’agression. C‘est faux mais ça peut décourager certains plaignants et faire ainsi baisser le chiffre des agressions. En termes policiers, ça s’appelle “shooter une plainte”. “Combien as-tu shooté de plaintes cette semaine ?”, voilà une question rituelle entre officiers de police dans

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“L‘électorat chrétien ?, répond un ministre de Nicolas Sarkozy, vous touchez là les plus antisarkozystes du moment. Ils ont l‘impression d‘avoir été pris pour des cons ! Ils ne se retrouvent pas dans le rapport à l‘argent du Président, l‘affaire des Roms et Carla n‘arrangent rien. Elle ne l‘aide dans aucun des électorats. Les gens se disent  : c‘est pas nous. Ils s‘identifiaient beaucoup plus à Bernadette…” Dire que Sarkozy a fait regretter Bernie et son sac, c‘est très fort !

C‘est le nombre de fois où Ségolène Royal a prononcé le mot “peuple” dans son discours de Bullyles-Mines, le 20 janvier, en trente minutes. “Le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple !”, a lancé Royal... Et trois de casés dans la phrase. “Le peuple, c‘est l‘identité politique de sa candidature”, confie son entourage au cas où on n’aurait pas bien compris.

les commissariats les plus sensibles. Chaque niveau de l’administration chargé de la sécurité a ses petites combines et ses misérables petits trucs pour s’assurer sa propre tranquillité vis-à-vis de l’échelon supérieur traumatisé par la dictature du chiffre. La somme de ces “tranquillités” donne un résultat biaisé en forme de village Potemkine de la sécurité en France. Un résultat sous la forme d’un chiffre unique et officiel qu’Alain Bauer, spécialiste des questions de sécurité, membre de nombreuses missions pour le président de la République – et donc tout à fait sarkocompatible  – estime lui-même “partiel, partial et parcellaire”. Thomas Legrand

la pêche aux patrons

merdum

Hervé Morin s‘organise pour 2012. L’ex-ministre de la Défense a lui aussi son “premier cercle” de patrons, à l‘image de ceux qui soutiennent Nicolas Sarkozy. Pas de réunions au Bristol mais des dîners organisés chez l‘un ou l‘autre pour lever des fonds. Une trentaine de patrons serait derrière lui, ce qui lui aurait permis de récupérer 200 000  euros depuis deux mois. De quoi amorcer la pompe pour la campagne avant que le financement public ne commence…

“On a merdé, j‘ai merdé. Je suis arrivé à Canal+ ce matin-là en croyant qu‘on allait me parler du prix du blé !” Mais ce 11 janvier, les journalistes de La  Matinale ont posé à Bruno Le Maire une question sur la Tunisie et le ministre de l‘Agriculture a répondu avec une jolie langue de bois diplomatique : “Je n‘ai pas à qualifier le régime tunisien. Je suis français, je n‘ai pas à juger de l‘extérieur comme ça un gouvernement étranger.” Il a “merdé”, mais au moins lui il le reconnaît.

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III tout nu 26.01.2011

que le meilleur perde

affaires étrangères

Berlusconi : un soutien de taille

D

ans le Rubygate, la saga politico-porno qui enflamme l’Italie, il ne manquait plus que lui. Rocco Siffredi, la porn-star la plus célèbre des dernières années, a apporté son soutien à Silvio Berlusconi. Le président du Conseil est soupçonné par le parquet de Milan d’incitation à la prostitution pour avoir rémunéré les services de jeunes femmes, dont une mineure à l’époque des faits, Ruby. Mais pour Rocco rien de plus naturel. Il estime que Silvio n’a pas à avoir honte de sa passion du sexe et que les Italiens ne lui en tiendront pas rigueur. “Les Italiens sont fiers qu’un homme de 74 ans aime le sexe et ait une vie sexuelle épanouie – et je ne parle pas que des classes populaires.” Pour l’instant, Berlusconi refuse de répondre aux questions des magistrats, qui parlent d’un procès avant l’été. Le Vatican a réclamé plus de moralité et de probité chez les leaders politiques. Le chef de l’opposition Pierluigi Bersani a lancé une pétition pour recueillir dix millions de signatures réclamant le départ du Cavaliere. “Berlusconi et moi avons beaucoup en commun”, conclut Rocco, qui affirme que Silvio aurait déclaré : ”Siffredi et moi avons le même problème : le priapisme.” A. L.

Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite.

confidentiel

“Tout ce qui s‘est passé ces dernières semaines était prévisible” C‘est ce qu‘a confié Rama Yade au micro d‘Europe 1 à propos de la Tunisie. Dommage qu‘elle n‘ait pas été nommée ministre des Affaires étrangères… Si elle pouvait nous dire ce qui va se passer en Algérie et au Maroc, et les dates aussi, ça pourrait nous aider ! Nicolas Sarkozy lui a répondu le 24 janvier, pendant sa conférence de presse : “Le “Je vous l‘avais bien dit après les événements”correspond à un silence sidéral pendant les événements.”

par Michel-Antoine Burnier

Un homme ou une femme politique peut avoir besoin de fricoter avec un tyran pour se déconsidérer. Devant la récente révolution tunisienne, le gouvernement français a réussi un sans-faute. D‘abord, il a toujours soutenu la dictature, –  un heureux et constant principe de la diplomatie française voulant que les despotes soient éternels, même à 80 ans passés – et que les révolutions n‘existent pas. Cette incrédulité entretenue permit de belles surprises à la chute du Mur de Berlin, de l‘Union soviétique, de M. Mengistu en Ethiopie, de M. Mobutu au Zaïre et, ces derniers temps, de M. Ben Ali. Ensuite, M. Sarkozy eut l‘affreux courage d‘affirmer il y a deux ans que sous M. Ben Ali, “l‘espace des libertés progresse”. Enfin et surtout, Mme Alliot-Marie parvint à se mettre à dos le peuple tunisien en son entier. A l‘occasion, elle exhiba un amour immodéré pour la répression comme un goût tempéré pour la démocratie. Alors que des milices infâmes et pillardes matraquaient et fusillaient un peuple qui réclamait la liberté, elle leur signala que la France savait “régler les situations sécuritaires de ce type”. Elle ajouta que notre pays disposait en la matière “d‘un savoir-faire reconnu (…) dans le respect de l‘usage proportionné de la force”. Voilà les Tunisiens ulcérés, la réputation de la patrie des droits de l‘homme bafouée, l‘amitié des dicta-

tures garantie, notre politique discréditée auprès de toutes les jeunesses du Maghreb et du Proche-Orient, et par qui ? Bravo, bravo, bravo, par la ministre des Affaires étrangères, dont c‘était l‘honneur et le devoir de représenter officiellement notre pays à la face du monde. Là-dessus, M.  Sarkozy se retourne en moins de vingtquatre heures  : il refuse à M.  Ben Ali un asile que celui-ci ne lui avait pas demandé, ce qui fait toujours rire. Pour conclure, il offre ses services au peuple tunisien victorieux et, du coup, passe pour un opportuniste hypocrite et maladroit. Les mauvais sentiments que beaucoup lui portent en augmentent d‘autant. Les sondages baissent. Quelle perfection ! M.  Mélenchon, encore lui, vient de déclarer qu‘il n‘était “pas plus impatient d‘être candidat que le Christ de monter sur la croix”. Bien sûr, s‘il risquait d‘être élu, on comprendrait que M.  Mélenchon, nouveau Christ au mont des Oliviers, veuille repousser l‘odieux calice du pouvoir. Rassurons-le puisqu‘à l‘évidence il en doute  : il n‘y a aucune chance pour que, par un mouvement de masse d‘une ampleur inégalée, le prolétariat, enfin organisé, le porte à l‘Elysée (il faut lui parler ainsi car il n‘entend que ce langage). M.  Mélenchon connaîtra longtemps encore les délices qu‘il prise tant : celles de l‘opposition. (à suivre...) 26.01.2011 les inrockuptibles 41

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safari

Christophe Petit Tesson/MAXPPP

Jean-Luc Mélenchon est candidat à la présidence de la République. Georges Marchais, sors de ce corps !

Le 22 janvier, à Paris, le conseil national du Parti de gauche investit Jean-Luc Mélenchon candidat à la présidence de la République

pifomètre

Martine à la page

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Fabrice Martinez, 38 ans, directeur de la Bellevilloise, Paris XXe

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Olivier Besancenot

Jacques Foures, 61 ans, patron de la librairie Geronimo à Metz

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Eva Joly

Christophe Donner, 54 ans, écrivain et chroniqueur hippique

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Jean-Luc Mélenchon

Bernard Gilbert, 54 ans, patron du Bar du marché à Auxerre

comparable pifomètre. Autre différence : deux sondages (Sofres et BVA) plaçaient, la semaine dernière, Besancenot devant Mélenchon. Chez nous Besancenot ne décolle pas de zéro… A noter enfin qu’une décision arbitraire du Comité central du pifomètre (CCP) a abouti à l’exclusion d’André Chassaigne des candidats testés, puisqu’il semble acquis maintenant que le PCF va se ranger derrière la candidature de Mélenchon. Au pifomètre, on sait s’adapter.

Arnaud Montebourg

Rama Yade, 33 ans, ambassadrice à l‘Unesco

Manuel Valls

Edouard Lecerf, 47 ans, directeur général TNS-Sofres

Ségolène Royal

Evelyne Ghaya, 52 ans, gérante de magasin de presse, Paris XIe

François Hollande

Faustine Saigot, 35 ans, médecin, île de Groix

Martine Aubry

Florence Perrin, 36 ans, prof de philo en Seine-SaintDenis

artine Aubry a repris la tête du classement, suivie de François Hollande, très à la mode ces temps-ci : il a quand même fait la une des Inrocks la semaine dernière ! Ségolène Royal se tient bien, loin devant DSK. La forme relative de Royal est l’une de nos différences avec les sondages des vrais instituts (Sofres, Ifop, Ipsos, CSA, BVA, Opinion Way, etc.). Différence due, bien sûr, à leurs méthodes beaucoup moins sophistiquées que celles de l’in-

Dominique Strauss-Kahn

notre panel

Notre panel répond, comme chaque semaine, à la question rituelle : qui a le vent en poupe à gauche pour la prochaine présidentielle ?

cette semaine

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V tout nu 26.01.2011

presse citron

les relous par Christophe Conte

Alors que Sarko se rêve en président de l’Allemagne, que ”la fille de” drague les mégrétistes, que Xavier Bertrand avoue avoir utilisé de drôles de substituts, MAM se tâte pour reprendre le rôle de Super Nanny.

Zemmour back in the business Samedi, sur I-Télé, dans l’émission Ça se dispute, ouvertement contre l’autorisation du mariage homo, Eric Zemmour a déclaré : “Dans ce domaine, la France est le dernier bastion de résistants de la civilisation.” Et lui le Jean Moulin des mœurs ?

John MacDougall/AFP

Arnaud Julien, primaire attaque

Super MAMy Depuis la disparition de Cathy Sarraï il y a un an, M6 était à la recherche d’une nouvelle Super Nanny de choc pour mater tous ces sales gosses de pauvres qui empêchent leurs parents de regarder la télé. Après la sortie de Michèle Alliot-Marie qui proposait d’aider le pouvoir tunisien à maintenir l’ordre face à des agitateurs (en grande majorité, il faut bien le reconnaître avec Eric Zemmour, issus du Maghreb), la chaîne a aussitôt adressé un contrat à la ministre des Affaires étrangères au cas où celle-ci aurait la décence de présenter sa démission.

malgré lui En visite auprès des agriculteurs en Alsace (Le  Parisien, 19/01), Sarkozy a fourché gravement de la langue en sortant un splendide “Je ne dis pas ça parce que je suis en Allemagne…” Oups ! Pour se rattraper, il a fait diversion en pratiquant son sport favori : dézinguer Chirac. “Je ne suis pas ici pour flatter le cul des vaches…”, a-t-il claironné, ce qui n’est pas très sympa pour son prédécesseur, ni pour Angela Merkel.

grossesse = SS Deux jeux de mots pourris dans une seule accroche, performance réalisée cette semaine dans le Nouvel Obs (20/02) qui titre “Lutte des places au FN : les nouveaux gars de la Marine”. Où l’on apprend que la nouvelle cheftaine scout du parti d’extrême droite cajole tout le monde, y compris les “ex-bébés Mégret”. Vraiment dommage que ces gens-là soient contre l’avortement.

régime parlementaire Reçu à l’Assemblée nationale par l’Association des journalistes parlementaires, le ministre de

la Santé Xavier Bertrand a confié avoir “eu recours pendant des années à différents coupefaim dont certains ont été interdits ou retirés du marché”. Lorsqu’il était patron de l’UMP, il avait effectivement choisi Frédéric Lefebvre comme porte-parole.

télé Patti Ségolène Royal et Patti Smith, même combat ! Tandis que l’icône new-yorkaise investissait pendant toute une semaine la Cité de la Musique et Pleyel, l’idole picto-charentaise était en tournée en pays minier, près de Liévin (lepoint.fr, 21/01). Pendant que Patti chantait People Have the Power, Ségo promettait de redonner “le pouvoir au peuple”. Dingue. Même les initiales de Patti Smith… Bon ça suffit, sinon bientôt JeanPaul Huchon c’est les New York Dolls…

très confidentiel Le livre d’entretiens entre Alain Juppé et Michel Rocard s’intitule La politique telle qu’elle meurt de ne pas être (JC Lattès). C’est à coup sûr Rocard qui a trouvé le titre.

Ce conseiller municipal d’opposition à Montpellier a saisi la Cnil. Il affirme que signer une charte marquant “son adhésion aux valeurs de gauche”, pour voter à la primaire du PS, “constitue un intolérable fichage politique”. Au moins à droite, avec un seul candidat, l’adhésion est automatique et anonyme.

Mélenchon pourrit Plantu Le leader du Parti de gauche a peu goûté le dessin de Plantu “stupide politiquement”, paru mercredi dans L’Express, qui présente sa personne et Marine Le Pen lisant le slogan “Tous pourris !”. Mélenchon a même précisé : “Plantu ne fait plus réfléchir.” Tous pourris, on vous dit.

Frédéric Mitterrand, libre censeur Interpellé par Serge Klarsfeld sur l’antisémitisme de Céline, le ministre de la Culture a annoncé, vendredi, le retrait de l’auteur du recueil des célébrations nationales 2011. “Aucune controverse, aucune pression n’a eu de prise sur moi”, a affirmé le ministre, pourtant signataire… de l’avant-propos du même recueil. 26.01.2011 les inrockuptibles 43

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contre-attaque

les jeunes font ceinture D es jeunes et des étudiants sans le sou et qui rament, c’est pas nouveau. Un jour, mais pas avant 27 ans (âge moyen du premier CDI), ils gagneront leur vie comme tout le monde. Et, comme tout le monde, ils pourront aller au resto, s’envoler en low cost pour le soleil et quitter leur 12  mètres carrés en coloc. Mais avant ça, on fait comment ? 23 % des jeunes de 18 à 25  ans sont en demande d’emploi. Le Secours catholique rendait public, début novembre, son rapport annuel. Parmi ses conclusions  : les besoins d’urgence croissants de cette tranche d’âge. Ils représentent désormais 11 % des personnes accueillies dans ses antennes. De son côté, l’Observatoire de la vie étudiante (OVE) a lancé une grande enquête sur les conditions de vie des étudiants. Publication prévue incessamment. Sa précédente étude, il y a trois ans, indiquait que la moyenne des

budgets mensuels (en cumulant petits jobs, aides parentale et publique) était de 940  euros. C’est peu ou prou le seuil de pauvreté. Or, on anticipe que ça s’est réduit depuis. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes vivotent avec la moitié de cette somme. Ce sont nos nouveaux pauvres. Une fois payée la chambre en coloc (50 % ou plus du budget est consacré au logement), le pass Navigo pour le métro et le RER, l’abonnement portable et l’accès internet, plus les fournitures, il reste à peine de quoi s’offrir quatre cafés dans le mois. D’accord, la cantine universitaire ne coûte que 3 euros et un Big Mac 3,50  euros. Mais dans le budget mensuel de certains, c’est déjà trop. Pour certains, la vie est plus dure. Il suffit que l’un des parents soit au chômage, ou

en pratique plans thune Le Fonds d’aide aux jeunes offre des dépannages d’urgence : s’adresser au Conseil général. Action France du Secours catholique, en plus des centres d’accueil, a eu l’idée ingénieuse de lancer une bourse des tickets U (106, rue du Bac, Paris VIIe, 01 45 49 73 00) ; Action sociale de La Croix-Rouge (1, rue de Beaujolais, Paris IIe, 01 42 61 59 67). Pour l’Allocation personnalisée au logement (APL), s’adresser à la Caisse d‘allocations familiales de son domicile. Depuis le 1er septembre, le RSA est ouvert aux moins de 25 ans. Doté de 460 euros par mois, il est réservé à ceux qui ont déjà travaillé deux ans sur une période de trois ans : www.rsa.gouv.fr ; seuls 3 400 jeunes en ont bénéficié.

En 2009, l’épicerie associative des étudiants du Mans

Jean-François Monier/AFP

“Un café avec cinq pailles… ” Pour beaucoup de jeunes et d’étudiants, c’est la dèche et la débrouille jour après jour. Mais comment font-ils pour vivre avec trois fois rien ?

que les deux se soient séparés, pour que le foyer réduise drastiquement sa contribution. Et débrouille-toi, mon petit ! Dès 20 ans, 270 000 étudiants se trouvent dans l’obligation de sécher certains cours pour taffer et pouvoir bouffer. “Du coup, ils ne se réalisent pas dans leur emploi et simultanément ratent leurs études, observe Bernard Schricke, directeur de l’action France et Europe du Secours catholique. Les ressources de leur travail leur permettent tout juste de vivre et, en même temps, ce travail les mobilise tellement qu’ils ne peuvent pas envisager un autre travail ou une meilleure formation.” Ils sont, précise cet homme de terrain, dans une “trappe à pauvreté”. Certains, 25 000 environ, sont en plus grande précarité et contraints d’aller quémander des colis alimentaires. Et quelques filles, pour poursuivre leurs études, de monnayer leurs charmes sur la toile. Autre situation délicate, presqu’aussi difficile à tenir que d’être pauvre et affamé : vivre dans la hantise permanente de le devenir, ce qui est le cas de la moitié des 18-30 ans, selon une étude Ipsos-Secours populaire. Sur le net, on trouve “le régime de l’étudiant pauvre”. Des recettes pour se nourrir à bon marché, avec cette précision : “Il convient de ne pas le faire durer trop longtemps.” En effet, on n’y trouve pas les cinq fruits et légumes à manger chaque jour que prescrivent les pubs pour yaourts ou fast-foods. Pas vraiment rassurant. [email protected]

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propagenda

en ordre de bataille

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epuis quelques semaines, l‘Elysée s‘est transformé en ruche et les équipes ont commencé à se renforcer en vue de la bataille présidentielle. Le tout sous la houlette du conseiller éducation, Jean-Baptiste de Froment, “référent projet” de l‘Elysée, un normalien passé par le cabinet de Xavier Darcos et proche du secrétaire général du palais, Claude Guéant. Objectif  : muscler le dispositif, faire avancer les dossiers et remonter au plus haut niveau de l‘Etat ainsi qu‘auprès de Bruno Le Maire, en charge du projet 2012 à l‘UMP, les idées pour le jour où le président sera redevenu candidat… Sans concurrence, bien sûr, avec le parti de Jean-François Copé. Quoique… Nicolas Sarkozy n‘a aucune envie de dépendre de l‘extérieur pour sa réélection.  Hugues Moutouh, Hélène Durand, Thomas Fatome, Camille Pascal, Olivier Henrard ou encore Abderrahmane Dahmane : autant de noms qui ne vous disent pas grandchose. Pourtant, en l‘espace de quelques semaines, ils ont tous été nommés conseillers à l‘Elysée. Drôle de coïncidence. Nicolas Sarkozy aurait-il vu ses troupes fondre au point d‘avoir six personnes à remplacer d‘un coup ? Ou plus prosaïquement, l‘échéance présidentielle dans quinze mois et les mauvais sondages récurrents ont-ils poussé l‘entourage du Président à recruter à tour de bras ? Joint par Les Inrocks, Franck Louvrier, le conseil en communication du chef de l‘Etat, n‘a pas donné suite à nos demandes d‘interview. Depuis le départ d‘Emmanuelle

Ludovic/RÉA

Officiellement, Nicolas Sarkozy n‘a toujours pas fait acte de candidature pour 2012. Officieusement, tous les signaux sont au vert. Mignon en décembre 2009, cheville ouvrière du projet de campagne de Nicolas Sarkozy pour 2007, le poste était resté vacant. Aujourd‘hui, les nominations balaient l‘ensemble des domaines. Ainsi Hélène Durand, jusque-là chef du bureau de la politique économique française à la direction générale du Trésor, au ministère des Finances, a-t-elle été nommée conseillère technique chargée des affaires économiques début janvier, quand Thomas Fatome, normalien, passé par les cabinets ministériels de Xavier Bertrand et Christine Lagarde, s‘est vu attribuer, fin novembre, la santé et la dépendance… Deux thèmes que Nicolas Sarkozy voudrait imposer au cœur du débat en 2012. La cellule de campagne peut désormais compter sur le renfort du sarkozyste Hugues Moutouh, jusque-là préfet de la Creuse, mais connu pour être un ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy au minis-

NICOLAS SARKOZY AURAIT-IL VU SES TROUPES FONDRE AU POINT D‘AVOIR SIX PERSONNES À REMPLACER D‘UN COU P ?

tère de l‘Intérieur. Hugues Moutouh a participé à la campagne du candidat Sarkozy de février à mai 2007, au sein de la “cellule riposte”. Autre proche de Nicolas Sarkozy, tant place Beauvau que pendant sa campagne en 2007, Abderrahmane Dahmane, cofondateur du Conseil supérieur représentatif des musulmans de France et fondateur du Conseil des démocrates musulmans de France, a fait son retour au palais, depuis le 13 janvier, comme conseiller technique chargé de l‘intégration et de la diversité. Des thématiques qui risquent, avec la bonne forme du FN et l‘arrivée de Marine Le Pen à sa tête, d‘agiter les débats dans les mois à venir. Depuis le 6 janvier, le Président s‘est aussi adjoint les services de Camille Pascal, un ancien de France Télévisions et plume de Jacques Chirac ! C‘est lui qui s‘était attelé au discours du chef de l‘Etat pour le transfert des cendres d‘Alexandre Dumas au Panthéon. Et un chiraquien de plus en Sarkoland ! Mais de toutes, c‘est la nomination d‘Olivier Henrard qui fut la plus remarquée. L‘exdirecteur adjoint de Frédéric Mitterrand et architecte de la loi Hadopi, qui avait quitté la rue de Valois fin 2009, est revenu par la grande porte à l‘Elysée pour s‘occuper des affaires culturelles, au grand dam du ministre de la Culture qui a tout fait pour bloquer ce recrutement. Nicolas Sarkozy n‘a eu cure des états d‘âme de son ministre. Pour lui, c‘est de sa réélection en 2012 dont on parle… Marion Mourgue 26.01.2011 les inrockuptibles 45

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débat d’idées

pomme de concorde Un ambitieux événement offre l’occasion de croiser le travail de chercheurs français et américains. Des horizons de pensée éloignés et pourtant si proches.

Hector de la Vallée

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es conditions de la circulation internationale des idées butent souvent sur des obstacles de traduction, des fiertés institutionnelles nationales, des traditions culturelles trop ancrées pour accueillir des vents intellectuels lointains… Si la French Theory (Michel Foucault, Gilles Deleuze, Jacques Derrida…) connut d’abord une notoriété aux Etats-Unis dès la fin des années 1970, la pensée hexagonale reste aujourd’hui assez discrète sur les campus américains. Quel Américain lit aujourd’hui Grégoire Chamayou, Mireille DelmasMarty, Pierre Cassou-Noguès, Elie During, Ruwen Ogien ou Patrice Maniglier, philosophes qui agitent – avec d’autres – une pensée nerveuse sur le monde ? En miroir, les sciences humaines anglosaxonnes contemporaines ont encore du mal à traverser nos frontières. D’où la pertinente idée de Guy Walter, directeur de la Villa Gillet et des Subsistances à Lyon (et annoncé comme le prochain directeur du Festival d’automne), de tenter de nourrir un dialogue franco-américain dans le domaine des sciences sociales. L’événement qu’il monte à New York du 27 janvier au 4 février, Walls and Bridges, s’inscrit dans le cadre du récent Conseil de la création artistique dirigé par Marin Karmitz qui vise à promouvoir la transversalité culturelle et élargir la diffusion internationale de la création et de la pensée françaises. Explorateur infatigable des idées planétaires, intéressé par les croisements féconds entre littérature et philo, arts vivants et arts plastiques, Guy Walter a mis en place une méthode de travail fondée sur le principe de l’aller-retour, par l’interconnexion d’idées nées sous des cieux oppo-

sés mais liées par des enjeux partagés, “des zones de réflexion communes”. Avec son équipe, il a d’abord tenté de repérer et définir “les foyers les plus actifs de la pensée française à partir d’une démarche pluridisciplinaire”. En dégageant ainsi des lignes de force au cœur de la vie intellectuelle hexagonale, il crée les conditions d’un “dialogue entre les modes d’organisation des savoirs français et les recherches américaines” en dehors d’un cadre académique et institutionnel. Ce monde commun se nourrit de problématiques, analysées durant huit jours à New

LES SCIENCES HUMAINES ANGLO-SAXONNES CONTEMPORAINES ONT ENCORE DU MAL À TRAVERSER NOS FRONTIÈRES

York, portant sur l’état de surveillance, avec Mirelle Delmas-Marty et Didier Bigo  ; la construction de nouvelles figures de l’ennemi, avec Grégoire Chamayou et Ariel Colonomos ; l’horizon de la catastrophe, avec Jean-Pierre Dupuy ; la question politique de l’espace avec Michel Lussault ; la question de la parafiction et du rapport entre art et vérité, avec Pierre CassouNoguès et Graham Burnett ; le lien entre fiction et philosophie, avec Avital Ronell et Rick Moody ; la relation entre esthétique et métaphysique, avec Elie During et Patrice Maniglier ; la quête du bonheur avec Barbara Cassin et Sophie Wahnich, ou encore la magie de la célébrité et des icônes avec Cécile Guilbert… Sans compter d’autres questions soulevées lors des deux prochaines sessions au printemps et à l’automne – sur le climat, le nouvel ordre mondial, la bioéthique, les normes du vivre ensemble, l’espace numérique  –, Walls and Bridges crée des ponts précieux entre des horizons de pensée marqués du même crépuscule et des mêmes envols. Jean-Marie Durand Walls and Bridges, saison 1, du 27 janvier au 4 février, www.wallsandbridges.net ; pour visionner les débats : www.villavoice.net ; d ailymotion.com/Villa-gillet

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les torches du désespoir

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En Algérie, parce que l’Etat leur refuse un logement, un travail ou l’électricité, tous les jours des hommes et des femmes s’immolent par le feu. par Adlène Meddi photo Frank Verdier

u mieux, périr noyés. Au pire, brûlés. Mais plutôt mourir que tomber entre les mains des gardes-côtes. Dans la nuit du dimanche 16 au lundi 17 janvier, vingt harraga (émigrants clandestins) en partance pour l’Espagne et repérés au large d’Annaba par la marine ont choisi. Quelques minutes leur ont suffi pour vider la réserve d’essence sur leur embarcation et y mettre le feu. La plupart ont été secourus mais deux sont encore portés disparus. De cette triste semaine où plus de vingt-cinq Algériens ont tenté de s’immoler par le feu, c’est sans doute ce drame collectif qui a le plus marqué l’actualité et les esprits. A moins qu’au chapitre du sordide, le destin de Mohsen Bouterfif puisse rivaliser. Jeudi 13 janvier, près de Tébessa dans l’Est algérien, non loin de la frontière tunisienne, ce jeune père a essayé de s’immoler par le feu après s’être rendu à la mairie pour demander un travail et une meilleure prise en charge de sa famille. Le maire lui aurait répondu : “Sinon, suis l’exemple du jeune Tunisien”, en référence au suicide de Mohamed Bouazizi, le vendeur de fruits et légumes de 26 ans qui s’est immolé par le feu le 17 décembre devant le gouvernorat de Sidi Bouzid (au centre de la Tunisie), déclenchant la révolution qui a emporté le dictateur Ben Ali. Alors Mohsen le prend au mot. Il a été transféré à l’hôpital Ibn Sina d’Annaba, la grande ville de l’Est, pour être soigné. Les plus hautes autorités du pays ont suivi son cas de très près : le préfet d’Annaba lui a rendu visite plusieurs fois et le service des grands brûlés de l’hôpital Ibn Sina a été assailli par les appels stressés du ministère de l’Intérieur et de la présidence de la République. Au chevet de Mohsen, plongé dans le coma, l’hôpital central de l’armée d’Alger a même dépêché deux spécialistes des grands brûlés. Mais il est mort le samedi. Le maire incriminé a été suspendu et le conseil municipal dissous dans les quarante-huit heures qui ont suivi le drame. Il faut dire que, de colère,

une vingtaine de jeunes au chômage avaient attaqué la mairie à coups de pierres et bloqué une route pendant quelques heures. à chaque société son déclic La multiplication des cas d’immolations et de suicides dans le monde arabe – en Egypte, en Mauritanie et particulièrement en Algérie – fait paniquer le gouvernement, effrayé à l’idée d’une “contagion” tunisienne. “On pense évidemment à un effet de conjoncture, mais si tous les moyens sont réunis, il n’y a pas forcément volonté d’aller jusqu’au bout, analyse Saïb Musette, sociologue au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement. Les jeunes essaient par tous les moyens d’attirer l’attention et leurs actes sont de plus en plus violents parce qu’ils ont le sentiment que personne ne les écoute…” Voilà pourquoi H. Samir, 26 ans, à Jijel (Est), ou un jeune de 23 ans, à Berriane (près de Ghardaïa), ont aspergé leurs vêtements d’essence avant d’y mettre le feu. Ou qu’un chômeur de 34 ans a fait de même dimanche 16 janvier devant la préfecture de Mostaganem (Ouest). Mercredi dernier, du côté de Bordj Bou Arréridj (Est), un jeune de 26 ans a aussi tenté de mettre fin à ses jours, faute d’avoir pu récupérer sa moto mise en fourrière. “Si le cas de Sidi Bouzid a provoqué l’étincelle en Tunisie, il ne peut pas en être de même en Algérie, précise Saïb Musette. Chaque société réagit à un déclic différent.” un lien social qui se délite Le suicide protestataire n’est pas nouveau. En 1963, dans une rue de Saigon, un moine vietnamien s’immole pour protester contre la guerre au Vietnam, incitant sept autres moines et nonnes à faire de même pour s’élever contre la politique religieuse du président Ngô Dinh Diêm, contribuant ainsi à la chute du régime. En Algérie, le phénomène apparaît pour la première fois en 2004. Taleb Djamel, 41 ans, habitant Djelfa (au sud d’Alger) se rend dans la capitale et s’immole par le feu devant la Maison de la presse – qui abrite 26.01.2011 les inrockuptibles 49

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Mohsen Bouterfif, décédé le 15 janvier. La même semaine, plus de vingt-cinq Algériens ont tenté de s’immoler par le feu

la plupart des titres privés – pour protester contre la justice qui lui a confisqué son entreprise. Abdelhak Benouniche, psychiatre à l’hôpital Maillot, à Bab El Oued, pense que “la seule explication économique – la hausse des denrées alimentaires, la baisse du pouvoir d’achat – ne suffit pas. On voit émerger une figure nouvelle : celle de l’individu qui n’est plus soutenu par le groupe, très important dans notre société. Le lien social se délite de plus en plus et isole l’individu, le marginalise avec des responsabilités qu’il ne peut plus partager”. stratégie émotive Un exemple cette semaine ? Celui de Mohamed Aouichia, 41 ans, agent de sécurité et père de six enfants, à Bordj Menaïel, à une centaine de kilomètres à l’est d’Alger. Après avoir perdu son logement une première fois lors d’inondations en 2001, puis une seconde fois lors du séisme de Boumerdès en 2003, il s’inscrit sur une liste pour obtenir un logement social. Plus de sept ans après, apprenant que sa demande a été “exclue”, il tente de mettre fin à ses jours dans l’enceinte du siège de la sous-préfecture avant d’être sauvé in extremis par un ami. Plus grave, mercredi dernier, c’est avec ses deux enfants qu’un quadra a tenté de s’immoler devant la préfecture à M’sila (Est). C’était sa quatrième nuit sans électricité alors qu’il venait de régler sa facture en retard. Ces dernières semaines, les cas identiques se sont multipliés : à El Oued (Sud), non loin de la frontière avec la Tunisie, Maâmir Lotfi, 36 ans, père de quatre enfants, a tenté de s’immoler par le feu dans un bureau de la préfecture après le refus du préfet de le rencontrer. Lundi 17, à Sidi Bel-Abbès (Ouest), une mère de famille d’une cinquantaine d’années s’est arrosée avec un produit inflammable dans l’enceinte de la mairie après s’être vue refuser une aide de l’Etat dans le cadre du programme de l’habitat rural. “L’immolation par le feu est l’arme de ceux qui n’ont plus d’armes, résume Mohamed Bahloul, économiste et directeur de l’Institut de développement des ressources humaines à Oran. Du dialogue à la manifestation, toutes les armes pacifiques ont été épuisées. C’est ainsi que l’on se retrouve dans des situations irrationnelles. Je crois que l’école a une part de responsabilité importante dans ce comportement : elle a failli dans sa mission d’inculquer aux jeunes des moyens civiques et pacifiques de négociation. Au lieu d’élaborer des stratégies cognitives, ils se replient sur des stratégies émotives.” Face à cette plaie béante, les autorités, désemparées, n’ont pas trouvé mieux que de faire appel aux imams. Ces derniers ont rappelé que le suicide est haram (illicite)

“du dialogue à la manifestation, toutes les armes pacifiques ont été épuisées”

selon l’islam. Et le pouvoir a reporté sine die les distributions de logements sociaux – souvent contestées car jugées peu équitables. De manière pernicieuse, le régime qualifie les auteurs de ces actes désespérés de “malades mentaux”, comme Karim, 35 ans, qui a tenté de mettre fin à ses jours mardi dernier à Dellys (Est) ou Senouci Touati, 34 ans, à Mostaganem (Ouest) ! par-dessus le balcon Et l’opposition ? “Après avoir aspiré la ressource nationale, le système en place ne laisse aux jeunes que le choix de mourir par l’exécution ou le suicide, dénonce le Rassemblement pour la culture et la démocratie. La question n’est plus de savoir si le système doit changer mais de trouver les voies et les moyens les plus adaptés pour épargner à la patrie d’autres malheurs et le chaos.” Au Mouvement de la société pour la paix, parti islamiste proche du pouvoir, Mohamed Djemaâ, en charge de la communication, ne comprend pas ce genre de discours. “En tant que parti de l’islam, nous condamnons le suicide, mais en tant que membres de l’alliance présidentielle, nous sommes contre le pourrissement. Au lieu de dénoncer, il faut trouver des solutions. Pour cela, nous avons contacté les partis et la société civile pour dialoguer.” Pendant ce temps, les actes de désespoir se diversifient : à Sidi Bel Abbès, le 18 janvier, un jeune se poignarde dans le ventre pour protester contre le retrait de son permis par un policier. A Annaba encore, des affrontements éclatent entre jeunes et policiers après le suicide d’une femme d’une quarantaine d’années qui s’est jetée de son balcon après son exclusion d’une liste d’embauche. l’âme arabe brisée Point commun de ces gestes : leur extrême violence. L’explication réside peut-être dans un passé récent, celui de la décennie noire. “Le traumatisme des années de terrorisme a été d’une telle intensité qu’il a pénétré la conscience collective, remarque le psychiatre Abdelhak Benouniche. On voit en consultation des formes de destruction de soi surprenantes – toxicomanies suicidaires, états psychotiques. Le langage, empêché par des interdits, n’a pas permis à la souffrance des années 1990 de s’exprimer. Elle resurgit dans le passage à l’acte, sous la forme d’une pulsion qui se retourne contre l’individu.” A défaut d’entendre la jeunesse de son pays, le président Abdelaziz Bouteflika, présent au sommet économique et social des pays arabes qui vient de se tenir à Charm el-Cheikh, sera peut-être plus réceptif aux paroles d’Amr Moussa, secrétaire général de la Ligue arabe. Au nom de “l’âme arabe brisée par la pauvreté, le chômage et le recul des indices de développement”, il vient en effet de presser les pays de la région de “répondre à la colère et à la frustration sans précédent de la population”.

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les combats ordinaires Avec Baru pour président, la ligne du prochain Festival d’Angoulême paraît claire : sociale et engagée. par Stéphane Beaujean

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ervé Barulea, dit Baru, est un fils d’immigré italien, gamin de la Lorraine industrielle élevé au-dessus d’un bistrot de village. Quand il saisit son feutre, il n’a qu’une idée en tête : parler des démunis sur fond de musique rock’n’roll. Et pas n’importe laquelle : celle qui tonnait dans les oreilles de la jeunesse rebelle à laquelle il appartenait à la fin des années 60. Alors Baru, précurseur de la bande dessinée sociale ? Oui et non. Comme tout bon outil de représentation, la bande dessinée se retrouve rapidement confrontée à l’image qu’elle donne du monde. Jusqu’aux années 80, elle évite de se poser trop de questions. Les contrées volontairement exotiques que foule Tintin, tout comme l’Occident utopique des aventures de Spirou, impriment des visions du monde. Dans la Belgique d’après-guerre, terre fertile du neuvième art mais également zone industrielle en friche et paupérisée,

le motif des charbonnages cher à l’imagier social s’ancre doucement dans l’imaginaire. Les usines commencent à hanter les décors tel un rappel inconscient à la réalité. Aux côtés des charbonnages, les clochards et les parcmètres rythment avec discrétion les allers et venues de Gaston dans la rue, les maisonnettes et les jardinets de Boule et Bill signalent la multiplication des banlieues pavillonnaires. La bande dessinée croule sous les histoires naïves en apparence destinées aux enfants, mais presque malgré elle, elle témoigne des changements du monde. rock et prolétariat Arrive une génération en âge d’assumer, de revendiquer. Baru et quelques auteurs comme Frank Margerin émergent vers la fin des années 70. Ils s’intéressent à la symbolique du décor et à l’esprit générationnel, donc sociologique, des héros. Ils possèdent souvent en commun une enfance prolétaire et parfois le goût de la musique rock. Tandis que Margerin dessine Lucien, le rockeur à banane de banlieue, Baru dessine Quéquette blues,

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Les exclus dans Le Combat ordinaire de Manu Larcenet (Dargaud)

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Les jeunes des cités ouvrières dans Quéquette blues de Baru (Casterman) Les syndicalistes dans Les Mauvaises Gens d’Etienne Davodeau (Delcourt)

Les paysans russes des années 30 dans Les Cahiers ukrainiens d’Igort (Futuropolis)

récit en grande partie autobiographique sur l’odyssée d’une bande de jeunes dont l’unique projet est de faire dépuceler l’un d’entre eux. Une cité ouvrière de l’Est de la France, l’usine métallurgique comme horizon de vie, le conflit entre des parents brisés par une vie de manutentionnaire et des jeunes assourdis par la rage que fait naître cet avenir gris : Quéquette blues représente l’une des premières bandes dessinées françaises à caractère ouvertement social. L’écriture de Baru semble dès lors balisée : son territoire sera celui des petites gens, des villes industrielles, de la question sociale. Son dessin revendique une franchise proche du naturalisme, le décor tient un rôle de premier plan et vise à l’authenticité, les personnages arborent des faciès

marqués. L’altérité, les valeurs, les rêves de réussite et le désir de fuir le milieu social caractérisent les héros. exposition à thème Pour Angoulême, Baru a voulu réunir dans une grosse exposition, Debout les damnées de la terre, ceux qu’ils considèrent comme ses proches ou ses héritiers. On y verra Igort, dessinateur italien connu pour sa virtuosité plastique. Sa dernière œuvre, Les Cahiers ukrainiens, évoque le drame de l’Holodomor, ce génocide par la faim planifié par le régime russo-communiste durant les guerres paysannes du début des années 30. On retrouvera Manu Larcenet, dont la série des Combat ordinaire traite de sujets aussi vastes que l’exclusion sociale, l’extrémisme politique nourri du désespoir et

de la misère, la possibilité du pardon aux criminels de guerre… Blast, sa dernière production, brosse le portrait d’un marginal, aux motivations et à la philosophie troubles, qui débat avec deux policiers lors d’une garde à vue pour un crime dont on ignore presque tout, ses circonstances comme sa gravité. A leurs côtés, on annonce Christian Lax, qui a dépeint avec rigueur dans Azrayen une Algérie en temps de guerre ou le bassin minier du Nord-Pasde-Calais dans Pain d’alouette ; ainsi que Jean-Christophe Chauzy, auteur souvent grinçant, amateur de polar attentif à l’environnement social. Etienne Davodeau est un des plus jeunes mais aussi des plus engagés. La question sociale est toujours au centre de son écriture, qui alterne documentaire

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et récit dramatique. De lui, on retiendra Rural sur la paysannerie ou encore Les Mauvaises Gens, portrait de militants et de syndicalistes ouvriers dans une région catholique et conservatrice, noyés dans un après-guerre où l’industrialisation fait rage. Son dernier diptyque, Lulu femme nue, suit une femme qui plaque tout pour faire le point sur sa vie. mouvement en marche Intéressante, généreuse, cette bande dessinée sociale, forcément de gauche, pèche parfois sur la question de la représentation. A l’inverse du cinéma qui chercha longtemps sa maturité dans une interrogation éthique sur la représentation de la réalité, la bande dessinée paie son absence de réflexion dans le domaine. Les images d’Epinal abondent : portraits de femmes

mélancoliques face la mer, force de l’ordre aux airs de Dark Vador. Au lieu d’enrichir l’imaginaire social, la jeune BD engagée donne parfois l’impression de figer dans un passé désuet des “clichés, qui ne sont ni vrais ni faux, images qui ne bougent pas, qui ne font plus bouger personne, qui rendent paresseux”, comme le disait Serge Daney. Néanmoins le mouvement est en marche, actif et riche de possibilités. Et son guide, le président Baru, marque notre époque par la tendresse de son regard, la vitalité de son trait. Avec l’âge, son écriture opiniâtre laisse transparaître une forme de tristesse et un constat d’impuissance assez bouleversants. Festival international de la bande dessinée d’Angoulême du 27 au 30 janvier, www.bdangouleme.com 26.01.2011 les inrockuptibles 55

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la méthode Rutault

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par Jean-Max Colard

amedi soir de vernissage à la galerie Emmanuel Perrotin : un petit monde de l’art huppé et pointu se serre dans la salle principale pour assister à une drôle de vente aux enchères. Une seule œuvre à vendre : un lot de quarante toiles de l’artiste Claude Rutault. Blanches et posées sur le mur blanc de la galerie, elles prendront plus tard la couleur du mur du collectionneur qui en fera l’acquisition. Tel est depuis 1973 le principe moteur de l’œuvre radicale de Claude Rutault, sa première “définition/méthode” : la couleur de la toile correspond à la couleur du mur sur lequel on l’accroche. Mais ce n’est pas le mur qui s’adapte à la couleur de l’œuvre, c’est la peinture qui s’adapte à la couleur du mur. Prix de base du lot de quarante toiles : 10 000 euros. Pas très cher au vu des prix actuels de l’art et de la respectabilité de l’artiste. Monté sur sa chaire Christie’s au beau milieu de l’exposition, le commissaire-priseur entame la vente, note les mains qui se lèvent. Les prix montent, gentiment. Tout se complique lorsque le rusé Rutault, 70 ans tout rond, glisse dans l’affaire une nouvelle règle du jeu : à chaque surenchère, de 500 euros en 500 euros, on enlève une toile du lot. Conclusion : plus le prix grimpe, moins vous avez de toiles. Du coup, les quelques acheteurs intéressés hésitent entre l’envie d’acquérir et le risque de faire une mauvaise affaire. Car à chaque surenchère, la valeur de l’œuvre et son rapport qualitéprix varient. Voilà, on est en plein chez Claude Rutault : dans un jeu avec les contraintes pour l’artiste comme

pour les collectionneurs, avec une part d’humour mais aussi une radicalité implacable qui ne s’est jamais démentie. “Je suis parti d’une position dure, au début des années 70. A l’époque, forcément, j’étais plus cassant. Et sur le plan du travail, je me suis mis dans une situation où peu de compromissions étaient possibles. Du coup, je n’ai pas eu à résister à la tentation !”

Photo Guillaume Ziccarelli, courtesy galerie Emmanuel Perrotin, Paris

Depuis 1973, cet artiste ne peint que des toiles de la même couleur que le mur où on les accroche : une dose d’humour et un sommet de radicalité.

Comme nombre d’artistes d’après Mai 68, Rutault a gardé une distance face au système des galeries – à tel point qu’il vient d’intituler sa première exposition à la galerie Emmanuel Perrotin Exposition-suicide. Clin d’œil amusé à ses Peintures-suicides de 1978, mais aussi jeu ironique avec son arrivée inattendue chez Perrotin. Poussant le bouchon, l’artiste expose ainsi une toile qu’il détruira si personne ne l’achète le soir même du vernissage. Quitte à venir en galerie, autant mettre la pression sur le marchand parisien, amusé de ce jeu où Rutault révèle un autre pan de son travail : une haute intelligence de l’économie de l’art. Reconnu par ses pairs et par la critique d’art, exposé au Centre Pompidou, consacré au Mamco de Genève qui lui offre une salle permanente, invité à deux Documenta de Kassel, Claude Rutault n’a pour autant pas atteint la reconnaissance publique que son œuvre mérite : “Je n’ai pas eu les honneurs de la presse : pas un article sur moi dans Le Monde en trente ans, deux dans Libération mais c’était il y a vingt-cinq ans. Bon, je ne me suis pas toujours montré coopératif, il faut bien le dire. Et puis les journalistes ont la flemme de lire mes définitions/méthodes. Mais pour autant, je n’ai

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Définition/méthode 307. Un samedi matin à l’île de la Grande Jatte, ou ailleurs

jamais pensé que mon travail était fermé. Au contraire : je l’ai organisé pour qu’il m’échappe. Mes toiles changent de couleur au gré des collectionneurs, des reventes, des déménagements. Elles sont très souvent actualisées. Mes toiles ont peut-être la vie courte mais elles ont un grand nombre de vies !” La première vie, ce serait ce jour de 1973 où, dans son appartement alors situé 11, rue Clavel à Paris, Claude Rutault remettait en état sa cuisine : “Il me restait un peu de peinture grise, une petite toile de 20 centimètres sur 20 traînait là et je l’ai peinte de la même couleur que le mur. C’était une découverte hasardeuse. Le lendemain, j’ai fait la même chose dans ma chambre, une toile peinte de la même couleur que le mur. J’ai regardé ces deux toiles, j’ai longuement réfléchi à tous les renversements que ça impliquait. J’ai continué à peindre Les Marelles que je faisais à l’époque, et en 1974 je n’ai plus peint que des toiles de la même couleur que le mur. Très vite, j’ai senti que je ne reviendrais pas en arrière. Mais sur le coup, je n’ai jamais pensé que ça m’entraînerait aussi loin.” Sur la base de ce principe premier, l’œuvre connaît quantité de variantes (de couleur, de format, de situation…), si bien que sans jamais avoir à déroger

Photo Antoine Cadot, courtesy Galerie Emmanuel Perrotin, Paris

l’artiste expose une toile qu’il détruira si personne ne l’achète le soir du vernissage

à sa règle première, sans jamais avoir à se contredire, Claude Rutault n’a pourtant jamais cessé d’apporter à son œuvre de nouveaux développements, écrivant d’une plume impeccablement précise de nouvelles définitions/méthodes. “Autrefois, confie Xavier Douroux, le directeur du Consortium de Dijon qui l’a exposé dès 1978, je pensais que Rutault était ce qu’on appelle un artiste pour artistes. Un point de radicalité tel que seuls les artistes peuvent comprendre et aimer ce qui s’y joue. Aujourd’hui je pense l’inverse : c’est un des rares artistes pour tout le monde. Il partage la responsabilité de l’œuvre avec celui qui la prend en charge, et c’est beaucoup plus important que la participation ou l’interactivité dont on nous rebat les oreilles. Il va directement du producteur au consommateur, et du coup il ne laisse pas beaucoup de place à ces faux intermédiaires que sont souvent les commissaires d’exposition. Il pose la question du temps de l’œuvre. Il nous dit que la trajectoire d’une œuvre compte plus que l’objet et son contenu formel, car il n’est pas formaliste. Pour tous ces motifs, je peux dire aujourd’hui qu’il a eu raison de faire ce qu’il a fait. Et je ne connais pas beaucoup d’artistes dont je puis dire, quarante ans après, oui, il avait raison.” Exposition-suicide jusqu’au 12 février à la galerie Emmanuel Perrotin, 76 rue de Turenne, Paris IIIe, www.perrotin.com Claude Rutault de Michel Gauthier et Marie-Hélène Breuil (Flammarion/Cnap), 240 pages, 40 € Exposition à venir de Claude Rutault : C’est pratique d’avoir un titre du 20 février au 20 mars à Contexts, 49, rue Ramponeau, Paris XXe, www.contexts.fr 26.01.2011 les inrockuptibles 57

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la fausse bonne année du cinéma français En 2010, la fréquentation des salles a été exceptionnelle. Mais pour qui ? par Baptiste Etchegaray

A

nnée historique”, “fréquentation record”, “carton plein dans les salles”… Les superlatifs pleuvent dans la presse depuis l’annonce par le Centre national du cinéma (CNC) des très bons chiffres du box-office France en 2010. Avec 206,5 millions d’entrées, l’année qui vient de s’achever est l’une des meilleures (il faut remonter à 1967 pour trouver un meilleur score, dopé par de bons vieux de Funès). Tant pis pour ceux qui annoncent régulièrement la disparition des salles obscures à cause de la télé, puis du DVD et maintenant du téléchargement sur internet. L’année 2010 n’est pas un “accident”, elle confirme une tendance de fond : la fréquentation dans les salles est en constante hausse depuis 2007. D’aucuns veulent y voir un “effet crise” qui détourne les Français de leurs soucis vers de franches parties de rigolade collectives – sauf qu’on n’a jamais autant pleuré au cinéma, tantôt dans la sobriété méditative qu’inspirent les martyrs de Tibhirine, tantôt dans les très épais Kleenex de Guillaume Canet. Autre motif apparent de satisfaction : contrairement à certaines années où c’est un énorme carton qui tire le box-office vers le haut (20 millions

d’entrées pour Bienvenue chez les Ch’tis en 2008), 2010 ne compte aucun film à plus de 6 millions d’entrées – le médaillé d’or étant Harry Potter, qui ne cesse de perdre des entrées depuis le lancement de la franchise, talonné de près par les tire-jus ouatés de M. Canet. Autrement dit, la poussée de fréquentation profite à une pluralité de films : quinze dépassent les 3 millions d’entrées, soit cinq de plus que l’an dernier et surtout le plus haut niveau de la décennie, se félicite le CNC. Ce tableau idyllique est un superbe “trompe-l’œil”, dénonce Stéphane Goudet, exploitant indépendant, directeur du cinéma Georges-Méliès à Montreuil. “Il masque l’extraordinaire concentration des entrées sur quelques films et quelques salles.” A rebours de l’euphorie générale, le Méliès a accusé en 2010 une baisse de fréquentation de 5 %, comparable à celle de l’ensemble de la petite et moyenne exploitation. Signe d’une diversité menacée, il faut descendre à la quinzième place pour trouver au box-office de ce cinéma classé art et essai un film ni américain ni français (Biutiful du Mexicain Alejandro González Iñárritu, qui jouit lui-même du label Hollywood). Même tendance du côté des distributeurs indépendants : leur part de marché globale a chuté à 6 % cette année contre 9 % en 2009. “Le public vient moins voir nos films”, déplore Anne Pouliquen, directrice générale de Dire,

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box-office à deux vitesses Si le nombre d’entrées a augmenté fortement ces dernières années en France, les écarts se creusent entre blockbusters et films fragiles. Quinze films, dont Les Petits Mouchoirs, dépassent les trois millions d’entrées (cinq de plus que l’an dernier). Mais 40 % des films font moins de 20 000 entrées, comme le très beau Des filles en noir de Jean-Paul Civeyrac 26.01.2011 les inrockuptibles 59

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trust des écrans Le jour de sa sortie, Alice au pays des merveilles, de Tim Burton, occupe 735 écrans. Dans ce contexte, difficile de se frayer un chemin pour les films moins armés. Un contre-exemple heureux : sorti dans 44 salles, Kaboom, de Gregg Araki, a obtenu d’excellents chiffres, voyant sa combinaison monter jusqu’à 61 pour atteindre 170 000 entrées

44

60 % 735 parts de marché par nationalité Le cinéma américain domine toujours l’exploitation française, représentant 60 % des entrées. Le cinéma français s’en sort avec 34 %, un score moyen comparé aux 45 % de 2006. Plus grave, l’ensemble des autres cinématographies ne cesse de se réduire (6 %)

syndicat regroupant une dizaine de distributeurs (parmi lesquels Diaphana, Pyramide, Wild Bunch, Ad Vitam…) qui peut s’enorgueillir de neuf Palmes d’or depuis 2000 et une soixantaine de prix cannois toutes sections confondues. Mais malgré les succès surprise de Mammuth, Tournée, Kaboom ou Poetry, l’heure n’est guère à l’optimisme : la hausse de fréquentation observée ne profite qu’aux films à fort potentiel commercial, certainement pas aux derniers Jacquot ou Civeyrac. Tous les professionnels indépendants interrogés, auteurs, producteurs, distributeurs, exploitants ou exportateurs, pointent avec inquiétude le fossé qui se creuse chaque année davantage entre les quelques champions du box-office et la marée de films qui ne trouvent ni public et, pire, ni salles pour les accueillir. Un chiffre les alarme tout particulièrement : 40 % des films qui sortent en France réunissent moins de 20 000 spectateurs et 60 % recueillent moins de 100 000 entrées. Souvent mis en cause, le “phénomène délirant” de sorties plus nombreuses chaque semaine (une quinzaine en moyenne, vingt et une mi-novembre). Mais quel défenseur du cinéma peut raisonnablement déplorer la production

croissante de films qui, en France, atteint elle aussi un record en 2010 avec 261 longs métrages ? Les motifs d’inquiétude sont ailleurs. Constamment dénoncée, la distorsion de concurrence, voire la situation de quasi monopole que provoque la domination des trois grands groupes d’exploitation : UGC, EuroPalaces (Gaumont/Pathé) et MK2. A Paris, ils trustent 90 % des entrées. “Il suffit que trois programmateurs ne veuillent pas d’un film pour qu’il passe à la trappe !”, s’insurge Stéphane Goudet. “Ces groupes ont des logiques de supermarché”, surenchérit Anne Pouliquen. Si un film n’a pas convaincu lors de sa première semaine, il est immédiatement retiré de l’affiche.” On peut craindre que le turn-over devienne encore plus rapide avec le passage au tout-numérique. On peut même imaginer un exploitant qui, insatisfait des fameux premiers chiffres de 14 heures le mercredi de la sortie, bouleverse sa programmation d’un simple clic… “Il faudrait que tous les exploitants signent une obligation de diversité”, plaide

UGC, Gaumont/Pathé, MK2 : “Ces groupes ont des logiques de supermarché”

Michel Ferry, gérant du Cinéma des cinéastes, à Paris. Mais comment rendre contraignant un tel engagement ? Surtout, est-il réellement souhaitable que les grands circuits programment de l’art et essai ? Car la difficulté vient aussi de ce que les pistes sont brouillées depuis l’arrivée des films d’auteur dans les multiplexes (l’UGC-Les Halles à Paris, par exemple, caution auteuriste de la firme). “Nous avons perdu ce qui faisait notre spécificité”, constate David Henochsberg, directeur d’Etoile cinémas qui gère les salles parisiennes le Balzac, la Pagode et le Saint-Germain-des-Prés. Du coup, même un succès foudroyant et exceptionnel comme Des hommes et des dieux ne profite plus à ce type de salles, lesquelles n’ont pourtant pas attendu la consécration de Xavier Beauvois à la une des hebdos pour programmer ses films. Prises de risque au départ bien mal récompensées à l’arrivée… A l’époque où le carrefour de l’Odéon du Quartier latin n’était pas encore le pré carré d’UGC et MK2, le Saint-Germain attirait plus de 80 000 spectateurs par an (“la queue allait jusqu’à chez Gibert Joseph”, soit plus de deux cents mètres). Le chiffre s’est depuis divisé par deux. “Sans l’intervention des pouvoirs publics, il y a longtemps que ce serait devenu un showroom d’Armani”, ironise David Henochsberg.

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3D or die ? Vingt-quatre films ont été exploités en 3D en 2010. Cela représente 4 % des films de l’année. Mais ils ont rapporté 16 % des recettes générales

6%

34 % 16% La situation semble encore pire pour les distributeurs indépendants à l’économie de plus en plus précaire. Non seulement leurs recettes diminuent avec l’érosion de leur public mais leurs dépenses publicitaires augmentent de façon drastique : + 240 % entre 2000 et 2009. Les tarifs de l’affichage pratiqués dans les salles augmentent et les espaces bandes-annonces, jadis offerts, leur sont désormais facturés. A l’inverse, les exploitants des grands circuits multiplient des revenus qui échappent à l’économie du cinéma, comme la confiserie et désormais le “hors film” qui se développe peu à peu (une salle complète à 25 euros l’entrée

pour la retransmission d’un opéra sera toujours une meilleure opération commerciale qu’une séance lambda). Le déséquilibre croît donc entre ceux qui s’en sortent confortablement et ceux qui trinquent, littéralement asphyxiés. Le principe même de solidarité, qui régissait traditionnellement l’ensemble de la chaîne du cinéma, s’évanouit. “L’idée forte du métier, c’était de partager les risques et les recettes, explique Anne Pouliquen de Dire. Aujourd’hui, nous prenons les risques seuls pour n’en tirer aucun bénéfice. On ne reconnaît pas notre rôle alors que, très souvent, le film ne peut se faire que s’il y a un distributeur derrière lui.”

les 15 films les plus vus en 2010 1. Harry Potter 7 de David Yates ((E.-U.)) 5 785 514 2. Les Petits Mouchoirss de Guillaume Canet (Fr.) 5 308 981 3. Inception de Christopher Nolan (E.-U.) 4 914 832 4. Shrek 4 de Mike Mitchell (E.-U.) 4 532 056 5. Alice au pays des merveilless de Tim Burton (E.-U.) 4 530 532 6. Toy Story 3 3 de Lee Unkrich (E.-U.) 4 323 744 7. Camping 2 2 de Fabien Onteniente (Fr.) 3 939 490 8. Twilight 3 de David Slade (E.-U.) 3 930 577 9. L’Arnacœurr de Pascal Chaumeil (Fr.) 3 735 621 10. La Princesse et la Grenouille de Ron Clements et John Musker (E.-U.) 3 717 5 582 82 11. Raiponce de Byron Howard et Nathan Greno (E.-U.) 3 513 306 12. Invictuss de Clint Eastwood (E.-U.) 3 109 002 13. Des hommes et des dieux x de Xavier Beauvois (Fr.) 3 099 129 14. 14 Sh Shutter tt IIsland l d de d Martin M ti Scorsese S (E.-U.) (E U ) 3061692 3 061 692 15. Arthur 3 de Luc Besson (Fr.) 3 055 706

L’ambiance promet d’être chaude au CNC, où un groupe de travail va bientôt repenser la distribution en salle, deuxième phase du processus de réflexion enclenché par le rapport dit du Club des 13, à la suite du cri d’alarme poussé par Pascale Ferran (Lady Chatterley) sur la scène des César en 2007. On espère que ces efforts de dialogue aboutiront aux mêmes résultats que ceux du précédent groupe de travail sur l’écriture et la production. Le Journal officiel doit publier ces jours-ci quatre décrets inspirés des propositions du Club des 13 afin de revaloriser la phase d’écriture et la place du producteur délégué. Des producteurs préconisent certaines de ces mesures depuis des années : elles devraient permettre une meilleure capacité d’investissement et donc de plus grandes prises de risques artistiques et financiers. “C’est une vraie bouffée d’oxygène pour la fabrication des films, se réjouit Pascale Ferran. Mais si on ne s’occupe pas des dysfonctionnements liés à la distribution et à l’exploitation, on ne traite que la moitié des problèmes.” La pression des grands groupes est telle que beaucoup de professionnels redoutent le statu quo. Au risque de laisser se creuser l’écart entre les films surexposés et ceux qui tombent chaque année un peu plus dans les bas-fonds. 26.01.2011 les inrockuptibles 61

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Bordeaux et sa région

a bouge à Bordeaux

Frédéric Desmesure

2009, première édition du festival Evento et énorme succès

La scène rock post-Noir Désir, l’art contemporain acteur incontournable de la métamorphose de la capitale girondine, Juppé et ses adversaires politiques, Biarritz, ville qui a captivé les cinéastes… Voici quelques-uns des sujets qui rythment ce supplément de 24 pages, consacré à l’Aquitaine. De Bordeaux à Biarritz en passant par Guéthary ou Marmande, Les Inrocks sont venus à la rencontre de ceux et celles qui font bouger la région.

avec

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Bordeaux et sa région

l’après Noir Désir Groupes, assos, labels, clubs et nouvelles salles : en dépit de la disparition de son groupe culte, le rock se porte bien à Bordeaux. par Johanna Seban photo Brigitte Baudesson

L

e retour sur scène de Bertrand Cantat aux côtés d’Eiffel, lors du festival Les RDV de Terres Neuves, n’y aura rien fait. Avant Noël, la séparation de Noir Désir était officialisée par les communiqués successifs de Serge Teyssot-Gay et Denis Barthe. Mais voir dans la fin du chapitre le plus médiatisé de l’histoire rock de Bordeaux le signe d’un affaiblissement de sa scène musicale serait une erreur. Plus que jamais, la scène rock de Bordeaux est dynamique, à l’image de cette ville devenue attractive. Ce ne fut pas toujours le cas. Longtemps, Bordeaux fut surnommée la Belle Endormie. Belle, la ville ne l’était plus tant que ça : sombre, sale, cloisonnée. Il aura fallu un travail de rénovation, entrepris par la municipalité d’Alain Juppé et salué par ses habitants de tous bords politiques, pour redonner à Bordeaux son éclat. Puis, via l’installation d’un tramway, pour offrir à la ville une mobilité nouvelle. Eric Roux, agitateur de la scène rock locale qui a offert une paire de Dr. Martens à Juppé, et créateur de la Rock School Barbey, résume : “Historiquement, la rive gauche de la ville a accueilli les hangars de stockage, on y entreposait des bananes, du pinard. Puis tout est resté en jachère pendant quinze ans. Quant à la rive droite, on l’a renommée Sarajevo, Beyrouth, au fur et à mesure des conflits. Lorsque Juppé est arrivé, sa chance, c’est que tout était à refaire. La scène musicale en a bénéficié.” Constat partagé par Aymeric Monségur de Bordeaux Rock, association fondée par l’ex-Gamine et Stilettos José Ruiz qui, via une compilation et un festival annuels, défend la scène locale de Bordeaux. Cette année, le festival présentera le rock d’Alba Lua, la cold-wave de LDLF ou la french pop de Pendentif. “Le dynamisme de la scène rock découle de la rénovation de la ville. Avant, les étudiants habitaient sur le campus,

à cinq kilomètres du centre-ville. Aujourd’hui, ils sont en centre-ville et rejoignent la fac via le tram le matin. Résultat, Bordeaux regorge de groupes, de bars, de caves, de gens qui sortent.” Une ébullition que l’on doit aussi au dynamisme des associations : outre l’historique Allez Les Filles, menée par Francis Vidal, les équipes de Get Wet, Hello ! My Name Is ou Let’s Panic Later œuvrent pour la vie nocturne. “Allez Les Filles avait organisé notre premier concert à la Centrale, rappellent les Kid Bombardos. Captain (animateur radio de Nova Sauvagine – ndlr) avait préparé un chili con carne digne de ce nom. A l’époque, l’un de nous, Simon, avait 14 ans.” Même soutien pour April Shower, formation pop de cinq Bordelaises dont les premiers concerts furent organisés par l’association de Vidal, et qui bénéficie aujourd’hui de l’aide de la Rock School Barbey. Laquelle école a aussi vu grandir Adam Kesher : “Ils nous prêtaient un local pour répéter, nous permettaient de faire des résidences.” Fondée il y a vingt-deux ans, la Rock School propose plus qu’une simple activité de diffusion musicale. Outre ses concerts (lire encadré, p. XXIII), l’institution envisage la musique comme un vecteur social, organise des interventions en prison, en milieu scolaire, en hôpital psychiatrique. “C’est une vision associative des musiques actuelles, confie Manu Ranceze, programmateur de la salle. La pratique culturelle et la musique sont des enjeux de société. On les envisage comme des moyens de lutter contre l’exclusion.” Une salle pour laquelle les musiciens d’Hangar ont souvent quitté leur Cap-Ferret natal. “On a réussi à mettre plusieurs fois 600 personnes dans la Rock School Barbey, par le simple bouche à oreille.” “Je suis au smic mais c’est jouable ici, rassure Aymeric de Bordeaux Rock. Avec 450 euros, tu as un 60 mètres

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Hangar, made in Cap-Ferret

carrés dans le centre-ville. La plupart des musiciens sont RMIstes ici.” Le coût de la vie : un des atouts dont dispose Bordeaux pour développer sa scène rock. En son cœur, place de la Victoire, trois agitateurs de la scène locale ont ainsi pu se réunir. Sean Bouchard, du label Talitres (Emily Jane White, The Walkmen...), Philippe Couderc du label Vicious Circle (Calc, Tender Forever...) et Laurent Laffargue de Platinum (Rubin Steiner, Bikini Machine...) y partagent des bureaux. Ils se sont même réunis au sein de la Feppia, fédération de producteurs indépendants d’Aquitaine. Moyen, notamment, de développer un nouveau réseau de distribution. Outre chez le disquaire local Total Heaven, on peut ainsi trouver les disques de ces labels dans des librairies comme La Mauvaise Réputation. Dernier projet envisagé : la création d’un lieu, baptisé le Musik Institute Bazar, de l’autre côté du Pont de Pierre. Imaginé par Laurent Laffargue alors que celui-ci se promenait chez Rough Trade à Londres, l’espace, dont la création est soutenue par Philippe Couderc, le tourneur 3C et le bar L’Appolo, réunira une salle de concerts d’une capacité de 400 personnes, un disquaire, une librairie, un café et des espaces d’exposition. “On a trouvé ces hangars. Ce sont des anciennes écuries où les paysans laissaient leurs chevaux pour éviter de devoir payer la taxe de la traversée du pont. L’idée c’est de faire venir les gens dans ce lieu pour

des raisons différentes à chaque fois : un concert, un achat, un verre. Avec le tram, plus personne n’hésite à venir rive droite aujourd’hui.” Le Musik Institute Bazar ajoutera son nom à la liste des salles de concerts de Bordeaux, aux côtés de la Rock School Barbey, du Krakatoa (qui a accueilli depuis vingt ans Noir Désir, les Ting Tings, Animal Collective, dEUS ou Jonathan Richman) et du Rocher de Palmer ouvert à l’automne. Malgré la fermeture du 4 Sans, salle ayant œuvré pour la scène electro, les artistes plus confidentiels continueront à avoir l’embarras du choix entre les bars et clubs de la ville : le St-Ex, l’Inca, l’Heretic, El Chicho, ou le Café Pompier dont les soirées sont supervisées par les étudiants des beaux-arts. Une richesse à laquelle ne manque plus qu’un festival rock d’envergure nationale intra-muros – rappelons qu’à Bègles, le festival Terres Neuves, rendez-vous artistique et citoyen, propose rencontres et concerts depuis 2005. Avec Allez Les Filles et Hello ! My Name Is, Bordeaux Rock travaille sur ce projet. “Je ne vois pas pourquoi on n’aurait pas l’équivalent d’une Route du Rock ici. On est en train de présenter un projet aux services culturels de la région. On attend leur réponse, ce serait un atout de plus pour Bordeaux. La culture rock, le public étudiant, les groupes locaux, tout est déjà en place. Il ne nous manque plus que ça.” 26.01.2011 les inrockuptibles III

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Bordeaux et sa région

neuf groupes à suivre

Kid Bombardos

Kid Bombardos

Crane Angels

Trois frangins, âgés de 19 à 23 ans, accompagnés d’un ami d’enfance, tous biberonnés au Velvet Underground, aux Rolling Stones et aux Strokes, rédigent un nouveau chapitre de l’histoire du rock. Guitares rétro, mélodies sexy et hymnes pop imparables – ces jeunes hommes sont déjà grands.

Amoureux des Polyphonic Spree, I’m From Barcelona ou Arcade Fire, Crane Angels est fait pour vous : chorale bordelaise, la troupe (treize membres) joue des chansons à la fois bricolo-ludiques et endiablées. Comme si les Beach Boys couraient un marathon.

Kap Bambino

Alba Lua

Un gars, une fille, une esthétique punk 8-bits et une sauvagerie qui n’a rien à envier à celle des Canadiens Crystal Castles. Impressionants sur scène, Caroline Martial et Orion jouissent déjà, avec trois albums, d’une belle réputation hors de nos frontières : ils ont joué aux côtés de These New Puritans, Late Of The Pier ou Dat Politics.

Avec un premier maxi sorti sur le label Satelite of Love, le trio Alba Lua offre à Bordeaux sa relève folk psychédélique : atmosphères oniriques à la Syd Barrett et chœurs voluptueux – Alba Lua compose la musique des rêves.

Pendentif Chansons pop, mélodies pastel, chœurs romantiques et atmosphère new-wave : nouveaux descendants des Cure et d’Etienne Daho, les Bordelais de Pendentif jouent une pop tendre et amoureuse. Pendentif

JFG And The Regulars Cela fait maintenant des années que Jean-François Grégoire écume la scène bordelaise, multipliant les formations (Summer Factory, Les Miettes) aussi diverses qu’ambitieuses. Avec The Regulars, ce fan des TV Personalities a trouvé une bande de musiciens à la (dé)mesure de son rock doux-amer.

LDLF Il y a du Blonde Redhead du début chez LDLF, et du New Order aussi dans la façon dont ce duo (un Français, une Italienne) mêle groove froid des machines et guitares noise dissonantes. Pour amateurs de plaisirs cinégéniques et racés.

The Automators “Je me sens comme une machine” dit, en anglais, un des morceaux de ces Bordelais fortiches : sexy et résolument tourné vers l’ouest, leur electro-rock est pourtant profondément humain et physique. Machine à danser, alors, en pensant fort à Gang Of Four et Bloc Party.

Beasty Il répond au nom de Beasty et a remporté le championnat de France de human beatbox. Protégé de la Rock School Barbey depuis des années, le musicien est dix instruments à lui tout seul – et livre des prestations explosives et physiques.

Rock School Barbey Kap Bambino

Ce mercredi à 19 h 30, Les Inrocks proposent un concert avec les Crane Angels, April Shower, The Automators, Beasty et Kid Bombardos.

IV les inrockuptibles 26.01.2011

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Bordeaux et sa région

abécédaire d’un “garçon moderne” Fidèle à l’esprit pop et décalé de son single, le chanteur Guillaume Fédou livre son inventaire des mythologies régionales. D’Alain Giresse au camping de Mimizan en passant par Noir Désir et Kortatu. Illustration Tanxxx

Presqu’île du Cap-Ferret

a – (chez) Auguste Place de la Victoire, mai 1981. La ville, pourtant réputée à droite, est en liesse. Au même endroit, en 1987, on défilera contre Devaquet et même contre Alain Juppé en 1995 ! Mais surtout on ira boire comme des trous chez Auguste, immense bar de la place où ont démarré – et parfois fini – beaucoup de “groupes rock”.

ses portes en plein jour, derrière la rue Sainte-Catherine. C’était le Dream’s...

e – (Hôtel de l’) Eskualduna Imposant bloc rouge et blanc posé sur le front de mer hendayais, l’Eskualduna cristallise le rejet bordelais de la mass-culture basque.

Aujourd’hui reconnu comme l’un des plus grands restaurateurs français, le chef du Chateaubriand et du Dauphin (à Paris) a fait ses armes ici, entre Gradignan et le quartier Saint-Michel, en passant par Hendaye-Plage, comme son nom basque l’indique. Rock, skate et fiesta !

f – François-Xavier Bordeaux

Le magasin de disques que tout le monde cite sans l’avoir connu. Celui des grands frères qui connaissent la différence entre un picture-disc et un flexi, tout comme la date du split de Strychnine.

Opposant socialiste moins lumineux que Catherine Lalumière, ennemi juré de Chaban-Delmas mais devenu ami de Juppé, FXB se débat aujourd’hui avec l’affaire Terrasson, sorte d’affaire Bettencourt locale (la vraie affaire Bettencourt vient d’ailleurs d’être “dépaysée” à Bordeaux...)

c – Cap-Ferret

g – Giresse (Alain)

Autoproclamée “presqu’île du bonheur”, cette langue de pins sciant l’Atlantique avec ses dunes blondes demeure le haut lieu de la bourgeoisie “chabrolienne”, qui doit aujourd’hui se contenter de Guillaume Canet (Les Petits Mouchoirs).

Giresse n’est certes pas le seul joueur emblématique des Girondins dans leur âge d’or ; Marius Trésor, Jean Tigana, sans oublier l’entraîneur Aimé Jacquet auront aussi marqué une ville vibrant au rythme du feu Parc Lescure. Mais les stages d’été Cap Giresse, quand même…

b – Burdigala music

i – Inaki Aizpitarte

j – (le) Jimmy Le lieu mythique par excellence, cousin du Bikini de Toulouse. Aujourd’hui fermé, on pourrait le comparer au CBGB’s de Manhattan, tant sa charge rock résonne encore dans la rue de Madrid.

k – K-JU (lycée Camille-Jullian)

ca – CAPC Autrefois appelé Entrepôt Lainé, le CAPC est le seul endroit de France dont se souvienne Julian Schnabel.

d – (le) Dream’s Le mercredi après-midi, pour les collégiens qui avaient la chance de ne pas être “retenus”, une boîte de nuit ouvrait

OK, normalement on dit “Caju”, mais je tenais vraiment à parler de mon lycée. Ce qui est maintenant chose faite.

ko – Kortatu Meilleur groupe punk basque imaginable, avec un tube, Sarri Sarri, et une réputation d’enfer. Ils sont devenus Negu Gorriak par la suite.

ku – Disco KU h – Hufnagel (Freddy) Ce meneur de jeu de1,87 mètre de l’Elan Béarnais (Pau-Orthez, 3 fois champion de France) soulevait les foules au palais des sports quand il mettait un panier à 3 points à Limoges à la dernière minute.

Boîte de nuit surréaliste posée sur les hauteurs de Donostia (Saint-Sébastien), elle est le secret le mieux partagé des authentiques fêtards du Sud-Ouest. Voilà une bonne raison de “passer en Espagne”.

VI les inrockuptibles 26.01.2011

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Alain Giresse

Pierre Molinier

l – Catherine Lalumière Légendaire opposante PS à ChabanDelmas, elle est tout simplement le meilleur name-dropping bordeluche possible.

m – Mériadeck Ah, le rêve américain... Un peu comme le trou des Halles a été transformé en mall livide, Chaban a cru bon raser de les puces de Bordeaux pour édifier Mériadeck, ville nouvelle en surplomb qui pourrait faire passer Cergy-Pontoise pour Venise au printemps.

mi – (camping de) Mimizan-Plage Ah, les Landes... Le surf, la téquila, les campings Airotel et leurs Allemandes en sandales qui jouent Stairway to Heaven en buvant leur bière à la paille… Spiel lauter, schätzi !

une console Vectrex à l’heure du triomphe Commodore 64).

p – Pierre Molinier La légende veut que ce plasticien un temps protégé par André Breton ait sodomisé le cadavre de sa sœur pour qu’elle parte dans l’au-delà avec, je cite, “le meilleur de lui-même”. Erotomane de choc, passionné par l’androgynie et les sous-vêtements, Molinier se tirera une balle dans la tête à Bordeaux en 1976.

pa – (quai) Paludate L’enfer sur terre. No comment.

q – (les) Quinconces Plus grande esplanade d’Europe. Vous pouvez vérifier.

r – (la Maison à) Réaction n – Noir Désir, “partout même sous nos peaux” Dans les chiottes de Caju, partout, on gravait au compas les paroles de Joey II et montait des groupes… Marquée au fer noir, Bordeaux n’allait plus jamais être la ville du marine et blanc (le foot) ou du rouge (le pinard). Merci les gars.

Endroit clandestin du quartier Saint-Pierre tenu par le sage Francis, ex-taulier du Jimmy et maire de l’underground bordelais.

s – stocks américains (fripes US) Bordeaux, ville de docks, de stocks, et capitale du “steak fripes”.

o – Ozanam (centre social)

t – TV7 (télé glocale)

Place Frédéric-Ozanam se situe le centre social de Bordeaux-Caudéran, où étaient inscrits les jeunes en difficulté (comprendre, ceux qui avaient encore

Quelqu’un l’a vue ? Rholala, on p laisante ! Album Action ou vérité (JIA/Topplers) 26.01.2011 les inrockuptibles VII

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Courtesy galerie Cortex Athletico

Bordeaux et sa région

Printemps (vert, rouge, jaune) de Rolf Julius

un laboratoire d’art contemporain

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Résurrections du CAPC et du Frac, festival Evento, pépinière de galeries : la mairie de Bordeaux veut attirer les créateurs. Pour faire joli dans le paysage ? par Claire Moulène

e premier mandat Juppé s’est principalement concentré sur un travail de rénovation et de décrassage de la ville, au propre comme au figuré”, explique la directrice du CAPC, Charlotte Laubard. Le classement de la ville au Patrimoine de l’Unesco en 2007 est venu couronner ce travail. Il s’agit d’animer cet écrin immaculé. L’art contemporain est souvent le mieux placé pour prendre à bras-le-corps les questions de développement social et urbain.” C’est donc très logiquement qu’Evento, le grand rendez-vous réclamé par les Bordelais et porté par Alain Juppé, a pris une coloration “art contemporain”. Sa spécificité : confier la direction artistique à des artistes qui voient large, capables d’embrasser des problématiques urbaines comme l’artiste et architecte Didier Fiuza Faustino (directeur artistique de la première édition), ou de défendre l’idée “d’une (r)évolution urbaine collective et durable”, comme l’artiste Michelangelo Pistoletto, qui s’attelle à l’édition 2011. Critiqué par certains acteurs culturels qui dénoncent en off “des choix plus communicationnels que structurants” et un budget de “près de 4 millions d’euros quand les budgets d’acquisition des musées existants et les associations militantes de la ville continuent de ramer”, le festival a cependant remporté un succès populaire et critique inattendu.

Côté institutions, Bordeaux a misé sur un rajeunissement, avec la nomination en 2006 de Charlotte Laubard au CAPC et de Claire Jacquet à la tête du Frac Aquitaine. Du sang neuf qui a permis de relancer une machine quelque peu enrayée. “Quand je suis arrivée à Bordeaux, j’ai vu une génération assez dézinguée. Les acteurs culturels et les artistes étaient nostalgiques de ‘la grande période’. Beaucoup analysaient la situation comme un déclassement culturel”, explique Charlotte Laubard, qui a depuis remis en selle le grand paquebot du CAPC (plus de 8 000 mètres carrés) avec des expositions d’envergure : Jim Shaw cet été et Insiders l’hiver précédent, sur les pratiques du folklore contemporain. Elle a également favorisé des projets plus directement inscrits au patrimoine génétique de la ville avec, par exemple, les rétrospectives Buy-Self et Présence Panchounette, deux collectifs typiquement bordelais. “Les collectifs d’artistes ont toujours joué un rôle important à Bordeaux. Faute de soutien, ils étaient épuisés”, poursuit-elle. Le pedigree bordelais en matière d’art contemporain est complexe : Inauguré en 1973, le CAPC compte alors, avec le Centre Pompidou, parmi les seules institutions entièrement dédiées à l’art contemporain. Son fondateur,

le génial Jean-Louis Froment, avait de l’ambition pour quatre et la folie des grandeurs : pendant près de quinze ans, le CAPC signa des coups de maître, à l’image de ce relooking complet signé Daniel Buren, de cette session de graffs grandeur nature signé Keith Haring, de la première rétrospective de Mike Kelley en France ou de cette invitation faite à Richard Serra, qui installa dans la nef ses écrasantes sculptures d’acier. Pourtant, affaibli par des problèmes de budget considérables et par la calamiteuse affaire de l’expo Présumés innocents organisée en 2001 au CAPC et qui valut près de dix ans de procès à ses commissaires accusés d’avoir exposé des images à caractère pornographique), le phare culturel de Bordeaux a perdu de son prestige au point de se transformer en coquille vide jusqu’à l’arrivée de sa jeune directrice, qui a su renouer avec l’esprit échevelé et laboratoire des premières années. Côté Frac, l’avenir semble lui aussi désormais au beau fixe. Après avoir déménagé en 2005 dans les hangars des Bassins à flot, ralliant ainsi la catégorie convoitée des “Frac deuxième génération” (c’est-à-dire doté d’un lieu d’exposition conséquent et d’un espace de stockage concomitant), le Frac Aquitaine mise désormais sur 2014 et le grand projet de “pôle culturel régional et de

VIII les inrockuptibles 26.01.2011

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Frédéric Deval, courtesy mairie de Bordeaux

Left Behind de Jim Shaw, au CAPC (2010)

l’économie créative” défendu par la Région. Un concours d’architecture lancé au premier semestre 2011 devrait donner le top départ de ce grand chantier qui réunira sur le site des anciens abattoirs aux abords de la gare Saint-Jean, l’actuel Frac, et les agences culturelles dédiées au spectacle vivant (l’Oara, l’Office artistique de la Région Aquitaine) et aux industries culturelles (l’Ecla – pour Ecrit, cinéma, livre, audiovisuel). Du côté du réseau associatif, on reste vigilant face à cette initiative de la Région : “On espère que ce pôle ne fragilisera pas les démarches locales par des effets de substitution ou de concurrence intenable, notamment en termes de production et de fabrication”, explique Gabi Farage, coordinateur de la Fabrique Pola. Créée en 2000 par des artistes ultramotivés, Pola est hébergé depuis 2008 dans un bâtiment de 2 400 mètres carrés mis à disposition par la ville. “La Fabrique fonctionne pour l’instant en version bêta, analyse Gabi Farage. Certaines des fonctions du projet, telles que la diffusion et l’accueil public ou la création d’une extension de l’espace public avec les citoyens, ne peuvent pas s’activer sur ce site qui est transitoire.” Pour disposer d’un espace pérenne, Pola a besoin que tous les acteurs politiques trouvent un terrain d’entente. Ce qui est plus facile à dire qu’à faire.

Entre les lignes, il faut rappeler que ce projet de pôle culturel à 57 millions d’euros et programmé pour 2014 (date des prochaines municipales) est avant tout une arme de guerre redoutable pour la gauche qui tient les rênes de la Région et de la communauté urbaine de Bordeaux, qui n’a pas de compétence culturelle et doit laisser la main à une mairie à droite depuis… la Libération ! Dans cette triangulaire impossible, la mairie d’Alain Juppé fait en effet figure de village gaulois. “C’est une quadrature du cercle assez compliqué à gérer”, confirme un acteur culturel bordelais qui préfère garder l’anonymat. Et presque une exception : “Dans toutes les villes où la culture est en pointe, à Nantes ou Lyon par exemple, il existe une concordance entre la mairie, la communauté urbaine et la Région”, confirme Charlotte Laubard. Reste les artistes, toujours nombreux à passer ou à s’implanter dans la capitale girondine. Les Benoît Maire, Nicolas Milhé et autre Stéphanie Cherpin, partis de Bordeaux mais qui continuent de revendiquer leur appartenance

en off, des acteurs culturels dénoncent “des choix plus communicationnels que structurants”

et ceux qui, comme Laurent Le Deunff, jeune artiste en pointe invité pour une résidence d’un an au CAPC ont choisi de rester sur place. “Il est facile de trouver un atelier ponctuellement et de mener une réflexion en dehors des modes et des influences parisiennes”, explique-t-il. “A Bordeaux, toute une génération, née dans les années 1970, est un peu passée à l’as faute de soutien, de stratégies et d’opportunités” poursuit-il. L’école des beaux-arts dirigée depuis 1992 par la dynamique Guadalupe Echevarria (qui propose une plate-forme de recherche en ligne en partenariat avec le CAPC, www.rosab.net) reste aujourd’hui l’un des principaux viviers de cette dynamique locale avec une poignée de galeries pointues (Cortex Athletico, ACDC, Eponyme). Et pas dans le seul domaine de l’art. Avec son modèle pédagogique transversal et ses profs très axés sur la théorie (l’historienne de l’art Patricia Falguières, les critiques Thomas Boutoux et Fabien Vallos ou l’artiste Lili Reynaud Dewar), l’école forme aussi bien des plasticiens que de futurs chercheurs (Sacha Beraud et Mathieu Carmona par exemple, parmi les plus brillants de la promo 2010), des chanteurs rock ou même des chefs cuisiniers comme Inaki Aizpitarte, à la tête du Chateaubriand, à Paris. 26.01.2011 les inrockuptibles IX

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Bordeaux et sa région

la tentation de la vitrine Les Inrocks ont organisé une table ronde entre Alain Juppé et des acteurs de la vie culturelle pour débattre des réalisations et des projets municipaux. Et l’underground, monsieur le maire ? par Claire Moulène et Marion Mourgue photo David Balicki

uel sera le visage culturel du Bordeaux de demain ? Une ville avant-gardiste, à la pointe de l’art contemporain ? Une ville dans laquelle de grands événements auront pris le pas sur une scène locale et associative ? Une ville qui aura peu ou prou délaissé les musiques actuelles ? Lundi 17 janvier, 19 heures, Alain Juppé, ministre de la Défense et maire de Bordeaux, Charlotte Laubard, directrice du CAPC – musée d’Art contemporain, et Laurent Laffargue, vice-président de la Fédération des éditeurs et producteurs phonographiques indépendants d’Aquitaine et directeur du futur Musik Institute Bazar, se sont réunis dans les salons cossus du ministère pour en parler.

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entretien > Bordeaux a été candidate pour devenir la capitale européenne de la culture en 2013, mais vous avez échoué. Quelle est votre analyse ? Alain Juppé – Je réfléchirais en préambule à une définition élargie de la culture. Pour moi qui suis normalien, c’est d’abord une expérience individuelle, un épanouissement personnel construit sur ce double aspect de réflexion et d’esprit critique. Mais la culture c’est aussi ce lien entre les membres d’une même communauté, le vecteur de ce fameux vouloir vivre ensemble. C’est ce que nous avons vécu au moment de l’équipée de Bordeaux 2013, même si cela n’a pas duré très longtemps parce que je me suis réveillé un peu tard.

C’est ce qui explique l’échec du projet ? Alain Juppé – Non, je pense qu’il y a d’autres raisons. La mobilisation a été extraordinaire et surtout, pour la première fois, tous les acteurs culturels mais aussi l’ensemble des collectivités territoriales, la région, le département, la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB), la ville, les entreprises et même les Eglises voulaient en être ! Quand le jury est venu, la place de l’Hôtel-de-Ville était noire de monde, et je pensais que c’était gagné. Et puis Marseille l’a emporté, elle a été meilleure. Evidemment, je dis ça dans mes moments de grande générosité… Je crois surtout que le jury avait un tropisme méditerranéen marqué. Et malgré mes efforts, je ne suis pas arrivé à convaincre que Bordeaux était une ville méditerranéenne… En termes de modèle culturel, quelles sont les villes françaises ou européennes qui vous inspirent ? Alain Juppé – On parle toujours de Nantes et c’est vrai qu’ils font des choses intéressantes. J’ai aussi été fasciné par ce qu’a fait Lille au moment de Lille 2004. Ce projet a laissé des traces, ce n’était pas une histoire sans lendemain. L’alchimie a fonctionné. C’est un peu ce que nous essayons

“si l’on me démontre qu’avec Evento 2011 nous sommes à côté de la plaque, on arrêtera là” Alain Juppé

de faire avec Evento : partir de créations contemporaines pour mobiliser le tissu culturel local et la population. Une manifestation que beaucoup jugent coupée de la scène locale et du grand public… Charlotte Laubard – C’est une critique classique, tous les événements de grande ampleur font appel à des créateurs de dimension nationale ou internationale. C’était la même chose avec le festival Sigma qui a fait la gloire de Bordeaux de la fin des années 60 au milieu des années 90. En revanche, je suis d’accord pour dire que cela nécessite en arrièreplan un travail de sédimentation, la création d’un off, en quelque sorte. Pour moi, une ville dynamique doit travailler sur plusieurs niveaux : il faut partir de la base, des amateurs, pour mettre ensuite en place des structures semi-professionnelles et des lieux d’accueil et de production pour les artistes et enfin les grosses machines, institutions et festivals compris. Alain Juppé – Cela demande du temps. Pendant longtemps, on a entendu cette vieille rengaine : il y a plein de choses à Bordeaux, une vie culturelle très riche, des théâtres, des galeries, mais pas de visibilité parce qu’il n’y a pas d’événement qui fédère et qui permette de rayonner à l’international. C’est ce qui m’a conduit à Evento. Je rappelle qu’il y a eu des moments forts sur la première édition, Amos Gitai à la base sous-marine a créé un choc, et les Bordelais ont ensuite acheté des fragments de la passerelle de Tadashi Kawamata comme on achetait à l’époque des morceaux du mur de Berlin.

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David Balicki

... et de Charlotte Laubard, directrice du CAPC Alain Juppé, entouré de Laurent Laffargue, du futur Musik Institute Bazar…

“une fois qu’on a fait le tour de toutes les façades XVIIIe et que l’on a bu quelques verres de bordeaux, que fait-on ?” Laurent Laffargue (Musik Institute Bazar) Michelangelo Pistoletto, qui assurera l’édition en octobre prochain a bien compris cette dimension : il travaille en direct avec les acteurs culturels bordelais. Mais je ne suis pas têtu, si l’on me démontre avec Evento 2011 que nous sommes à côté de la plaque, on arrêtera là. Cependant je ne le souhaite pas et j’espère qu’Evento va monter en puissance. Laurent Laffargue – Vous n’avez pas encore abordé le cas des musiques actuelles. On a parfois l’impression que les politiques culturelles sont un peu en retard sur ce sujet. Alain Juppé – Ce n’est pas tout à fait vrai, il y a la Rock School Barbey qui fait un travail extraordinaire, nous travaillons également avec des lieux hors de Bordeaux comme le Rocher de Palmer, à Cenon, qui est une grande salle de spectacles dédiée aux musiques contemporaines, amplifiées, aux musiques du monde et même à la musique classique. Enfin, je vous rappelle que la mairie soutient votre projet de Musik Institute Bazar qui me paraît être un projet excellent.

Laurent Laffargue – Il ne faut pas minimiser la portée populaire des musiques actuelles. Bordeaux est une ville jeune qui a besoin d’animation. Une fois que l’on a fait le tour de toutes les façades XVIIIe et qu’on a bu quelques verres de bordeaux, que fait-on ? L’ambition de Musik Institute Bazar est de devenir un lieu de vie. Il faut s’inquiéter de la disparition de tous ces bars qui diffusaient de la musique. Or, entre la région, la CUB et la ville, il n’y a qu’un seul interlocuteur vraiment réactif sur les musiques amplifiées, c’est Frédéric Vilcocq. C’est peu ! Ne pas oublier non plus qu’à part Paris, aucune autre ville ne réunit comme Bordeaux toute la filière musicale. Tous les acteurs professionnels sont présents, des labels en passant par les producteurs, les tourneurs, les disquaires ou les écoles de musique. L’action-réaction est bien trop longue, à présent il y a beaucoup de jeunes impatients comme moi. Quant au Rocher de Palmer, je trouve que c’est un projet mégalo, sans réflexion, et un gouffre financier. Charlotte Laubard – C’est vrai qu’on a assisté il y a trois ans à la fermeture de nombreux lieux underground. C’était sans doute en partie lié à la loi antitabac et l’on se retrouve parfois à Bordeaux dans la même problématique qu’à Paris où de nombreux acteurs culturels et du monde de la nuit regrettent que la capitale se soit endormie. Je pense qu’il y a eu aussi quelques maladresses d’aménagement. Sur les quais, qui sont sublimes, il n’y a qu’un seul bar. Du coup c’est “apéro Facebook” tous les soirs,

et le lendemain, il faut ramasser les cadavres de bouteille au milieu des enfants et des familles. Laurent Laffargue – Tout à l’heure, nous réfléchissions à des villes modèles. Je pense que si Bordeaux veut devenir plus attrayante, il faut aussi qu’elle s’inspire de villes comme Brighton, qui se sont structurées par leur underground. Bordeaux aurait beaucoup à gagner à accompagner les lieux et les projets existants. Charlotte Laubard – C’est d’ailleurs la seule porte de sortie, économiquement parlant. La priorité de Bordeaux dans les vingt prochaines années, c’est la production. La création de petits lieux qui d’un point de vue économique ne coûtent pas très cher aux collectivités et qui permettent à des associations de se développer. Des pépinières… Alain Juppé – Il me semble que c’est tout à fait la philosophie de la Fabrique Pola, qui œuvre dans l’art contemporain. Nous réfléchissons également dans ce sens à l’avenir de la caserne de pompiers de la Benauge que nous envisageons de transformer en ateliers d’artistes. Pour la musique, nous avons également essayé de transformer la base sous-marine en lieu de répétition, mais l’espace est trop compliqué. Mais nous avons de beaux groupes à Bordeaux, les Nubians, Noir Désir… enfin, feu Noir Désir. Vous vous représenterez en 2014 ? Alain Juppé – Oui. Mais vous savez, on n’est déjà pas capables de dire qui sera candidat à l’élection présidentielle de 2012, alors 2014… 26.01.2011 les inrockuptibles XI

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Bordeaux et sa région

y a-t-il un volontaire pour contrer Juppé ? Bordeaux est aux mains de la droite depuis soixante-cinq ans. La gauche, elle, se cherche toujours un candidat. par Camille Polloni et Elise Renoleau

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e palais Rohan, écrin majestueux du conseil municipal, fait figure de citadelle. Cerné par les bâtiments modernes de la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB), du conseil général de Gironde et du conseil régional Aquitaine, tous à majorité socialiste. Pourtant, ça ne passe pas. A chaque élection municipale depuis 1995, Alain Juppé tressaute à peine sur son fauteuil, réinvesti au premier tour dans ses fonctions de roi de la ville. A son retour d’exil québécois en 2006, c’est comme s’il avait juste laissé les clés sous le paillasson. Il n’a qu’à claquer des doigts pour éjecter le sympathique mais peu charismatique socialiste Jacques Respaud, en remportant 56 % des voix. Idem en 2008, contre Alain Rousset, président de région. “Tout le monde savait qu’Alain Rousset n’avait pas envie de cette bataille. Mais il était contraint et forcé, poussé par la fédération socialiste, sans en avoir, lui, le désir”, commente Gérard Boulanger, du Front de gauche. La course à la mairie se tire à la courte paille... Ceux qui ont déjà donné espèrent être dispensés d’une deuxième galipette. “Rousset a pris ses responsabilités politiques, il faisait le poids, mais n’y retournera pas”, estime un militant PS. Comment dézinguer le maire ? Pour Jacques Respaud, “sa double casquette maire-ministre donne un angle d’attaque”. Autre ouverture : “les projets pharaoniques, comme le Grand Stade, le centre culturel et touristique du vin, ou le projet Euratlantique”. Pendant ce temps, “on n’entretient pas la salle des fêtes du Grand Parc depuis plus de vingt ans”. L’air calme, Vincent Maurin, conseiller municipal communiste,

expose les lacunes de la mairie plus qu’il ne les dénonce. Il croit à une victoire, peut-être, à condition d’être plus pugnace. “Un des arguments forts de Juppé, c’est de dire ‘tout va bien à Bordeaux, alors ne changez rien’. Or, à Bordeaux, les inégalités persistent. Et là-dessus, Alain Juppé fait le minimum. A gauche, on peut et on doit proposer un projet social alternatif.” Davantage de logements sociaux, notamment dans le centre historique, pour mettre fin à la ghettoïsation de certains quartiers. Rendre les tarifs des services publics accessibles aux plus pauvres. Travailler sur l’insertion des jeunes en recherche d’emploi. Les bonnes recettes de la gauche en somme, portées par un leader qui incarnerait l’ouverture et l’alternative, “et qui aurait déjà une expérience dans la mise en difficulté du maire sortant”. Suivez son regard. Pour la gauche, la configuration des municipales de 2014 dépendra en grande partie des échéances nationales de 2012. La socialiste Michèle Delaunay a ravi le siège de député d’Alain Juppé en 2007, bien aidée par une abstention de 39 %. Si elle réussit à le conserver, elle sera en position de conduire une liste. L’intéressée développe déjà un bilan critique du maire en place : “Juppé est brillant pour ravaler les façades mais il ne sait pas construire. Le quartier Bastide 1, la colonne de la Victoire, c’est moche de chez moche. Un pouvoir trop prolongé est une sorte d’emprise et de manque d’esprit critique pour une ville. On a besoin d’une créativité nouvelle.” La tombeuse de Juppé pointe du doigt Vincent Feltesse, le jeune président de la communauté urbaine : “Je pense qu’il a beaucoup d’avenir à Bordeaux.” C’est beau, la solidarité. Mais Vincent Feltesse ne se

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Avril 2008, élection à la présidence de la CUB. Possible challenger de Juppé, Vincent Feltesse (PS) remportera le scrutin

ministre, mi-maire

Perrogon/Andia

Ministre de la Défense, numéro 2 du gouvernement, maire... Alain Juppé multiplie les casquettes. Au détriment de sa ville ?

présentera pas contre le mastodonte, il attend son heure en bossant ses dossiers à la CUB. Michèle Delaunay le sait. “Pour battre Juppé, la gauche doit déjà avoir envie de gagner.” Gérard Boulanger est avocat, bordelais d’adoption et tête de liste du Front de gauche pour les élections régionales (6 % des voix). Sur les murs de son bureau à l’hôtel de région, des coupures de presse sur Sarkozy, la réforme des retraites. Il s’assoit, se relève et raconte le “système Chaban” : on laisse la ville à la droite, pendant que la gauche récupère les mairies périphériques. “C’est ce qu’on appelait à l’époque la coopération, et qui est devenue une sorte de cogestion molle entre l’UMP et le PS.” Pour la gauche, cette situation ne serait-elle pas finalement confortable ? En tout cas, Alain Juppé continue à s’attribuer le mérite de plusieurs réalisations financées par la CUB ou la région : le tram, le nettoyage de la ville. “C’est un coucou, Juppé. Il se met dans le nid des autres et il dit : ‘Regardez comme j’ai pondu de beaux œufs !”, ironise Gérard Boulanger. Pour Jean Petaux, politologue enseignant à l’Institut d’études politiques de Bordeaux, “tant que Juppé décidera de se représenter, il sera maire. La seule fenêtre d’opportunité pour la gauche sera la fin de l’ère Juppé. De ce point de vue-là et hors situation de parachutage, c’est pour Feltesse. Il a vingt-trois ans de moins que Juppé et n’a pas de complexe par rapport à lui”. Delaunay ou Feltesse ? “Ce sera le mieux placé”, tranche un militant socialiste. En attendant, les candidats dévoués continueront à aller au casse-pipe.

“pour battre Juppé, la gauche doit déjà avoir envie de gagner” Gérard Boulanger, Front de gauche

“Alain Juppé disait qu’il serait un maire à plein temps à Bordeaux. Manifestement, il trépigne d’en partir”, s’agace Jacques Respaud, chef de file de l’opposition socialiste qui s’inquiète d’un blocage à terme “sur le développement des infrastructures”. Même virulence du côté des élus communistes, à l’image de Vincent Maurin. “Pour une décision qui pouvait être réglée en un mois, il est possible qu’elle le soit désormais en trois conseils.” Alain Juppé aurait-il l’intention de faire passer sa ville en second ? C’est l’angle d’attaque de l’opposition. “C’est vraiment un ministre de la Défense très sollicité, grince Pierre Hurmic, conseiller municipal Vert. Il est allé au Brésil pour l’installation de la présidente Dilma. La France n’est pas en guerre avec ce pays que je sache…” “Alain Juppé est là trois jours par semaine, rétorque un de ses conseillers, et il est constamment au bout du fil.” Le même conseiller ajoute qu’il n’est pas le seul dans ce cas au gouvernement. Soit. “Mais ça veut dire qu’il est ministre à mi-temps alors !, s’énerve encore Pierre Hurmic. On ne peut pas tout faire à la fois.” L’Elysée a aussi vu rouge quand le ministre-maire avait filé sur Bordeaux alors qu’une réunion de crise avait lieu sur la Tunisie, le 14 janvier, en présence de Nicolas Sarkozy. Jamais là où il faut, en somme ? “Entre Paris et Bordeaux, il n’y a que cinquante minutes de vol”, répond Juppé. Au lendemain de sa nomination au gouvernement, il expliquait : “Je serai régulièrement présent à Bordeaux et je sais comment faire, puisque j’ai déjà été Premier ministre et maire.” Son fidèle Michel Duchène n’a, dit-il, aucune inquiétude sur son aptitude à exercer cette double responsabilité. “Il est capable de jongler entre l’Afghanistan, le Brésil et de discuter ici de la construction d’un pont.” Très impressionnant, en effet… Et ce proche de poursuivre : “Le maire n’est pas parti, il est toujours là”, tout en concédant “qu’il se déplace un peu plus maintenant”. Alain Juppé, qui reconnaît que “c’est compliqué de gérer son temps”, devrait procéder à la nomination, au prochain conseil municipal, le 31 janvier, de trois nouveaux adjoints. “Si on ne délègue pas, on n’y arrive pas”, confie le maire. Pour certains, la pilule a du mal à passer alors qu’il avait promis de rester maire à plein temps. Sur son blog, il écrivait le 22 avril 2009 : “Je me suis engagé, vis-à-vis des Bordelais, à exercer pleinement la fonction de maire (…). Il y a, à mes yeux, incompatibilité entre cette fonction et un poste ministériel.” Le 15 décembre 2010, Juppé lâchait au micro de France Inter : “Je ne le nie pas, j’ai changé d’avis.” Pratique… Marion Mourgue 26.01.2011 les inrockuptibles XIII

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Bordeaux et sa région

“la nuit nivelle les écarts”

Kimball the cursed painter

Ecrivain et philosophe, Bruce Bégout parcourt nos sociétés en archéologue du quotidien. Il livre ici ses impressions, fugaces et iconoclastes, sur les nuits bordelaises.

1. La nuit à Bordeaux ressemble à toutes les autres nuits dans toutes les autres villes. 2. On y rencontre en même proportion que partout ailleurs des groupes chancelants d’étudiants criards que l’absence d’entraînement à l’ingurgitation de substances alcoolisées projette dans une zone indécise, entre hilarité et consternation, de poètes du bitume, de prophètes de minuit, de causeurs invétérés, de punkettes prêtes à tout, d’artistes subventionnés, d’avocats situationnistes, de beaux parleurs, de wannabe sous perfusion RSA, de magnétiseurs nocturnes, d’oiseaux déplumés, bref la sarabande joyeuse et infernale des noctambules aux sens aiguisés. 3. L’expérience nocturne réclame de nous deux qualités : être totalement dépourvu de préjugés et faire preuve en toutes circonstances de scepticisme. Il faut à la fois savoir tout accueillir sans prévention, et ne rien croire. 4. Je ne sais si cela est dû à l’histoire, au climat, à la composition sociologique de la ville, mais Bordeaux se caractérise par une proportion importante de raseurs. Ceux-ci ont la fâcheuse habitude

de sortir le soir et de vous interpeller sans vergogne au comptoir pour vous raconter leurs déboires, leurs succès, leurs projets, leurs souvenirs, leurs espoirs, avec le sérieux d’un exposé scientifique qui ne souffre aucune contestation et passe haut la main le test poppérien de la falsifiabilité. Il ne sert à rien de les écouter, mais entendre le son strident de leurs péroraisons n’est pas sans charme ni intérêt. Il évoque le souffle du vent qui s’engouffre dans une ruelle. 5. Le calvaire nocturne passe par les stations : La Tanière, La Comtesse, Le Chalet, L’Apollo, Le Saint-Ex, El Boqueron, L’Hérétic, Wunderbar, L’Abrénat, La Maison à réaction, Le Tobago, Le Chabrot. Il s’achève sur le Golgotha de l’aube, au milieu des files de patients gris qui attendent le tramway, pendant que je rentre me coucher, empli par le sentiment jouissif et scorsesien de la culpabilité. 6. Il est sage de se laisser entraîner par des rencontres fortuites et de se retrouver un verre de vin à la main dans des appartements inconnus de Saint-Pierre ou Saint-Michel à discuter avec un homme qui ne l’est pas moins, de partager les dernières cigarettes,

de faire le point sur l’état pitoyable du moral des ménages, d’ajouter des anecdotes au stock des historiettes urbaines. La nuit possède une vertu démocratique : elle nivelle les écarts et met sur le même plan le riche et le pauvre, le nanti et le déclassé, le lettré et l’inculte. Le rang lui-même disparaît. Combien de fois me suis-je fait mettre en boîte par des pauvres types qui profitaient de l’égalité nocturne pour prendre une revanche sur l’injustice du jour. Je les en remercie. 7. Ce que, de nuit, je préfère par-dessus tout, c’est épier les fenêtres éclairées, grappiller au vol quelques scènes furtives dans le bleu outremer de la lumière d’un ordinateur, un vieil homme qui passe un livre à la main, une femme en robe de chambre qui fume et tousse, un enfant qui refuse de dormir et croise mon regard. La fenêtre éclairée constitue le cadre idéal pour amorcer des histoires. Elle combine le rectangle cinématographique et la naissance du récit. Je maudis volets et rideaux. 8. J’apprécie particulièrement le moment de la fermeture du Saint-Ex, lorsque, vers deux heures, les derniers clients se retrouvent sur le trottoir et, par grappes, devisent à brûle-pourpoint à propos des sujets les plus ineptes qui soient (parmi lesquels la question “où va-t-on ?” tient une grande place), tandis que, d’une voix et d’une main fermes, Laura vire les obstinés qui ne veulent pas quitter le bar, sous l’œil impassible de son père. 9. Je n’aime pas l’expression “after”. La nuit ne connaît ni avant, ni après, elle se déroule dans le maintenant éternel des mystiques et des voyous. 10. Et puis, vers quatre heures du matin, immanquablement, je songe à elle. Je ne me soucie pas de savoir où elle est, ce qu’elle fait. Je ne cherche même pas à traquer son ombre ou sa silhouette au coin d’une rue, sous un porche, devant un bar, une cigarette à la main. Je laisse ces projections sentimentales à ceux qui n’ont pas encore fait le deuil du romantisme noir. Non je songe à elle comme à une étoile morte qui diffuse sa lumière dans le vide glacial de la nuit, et éclaire pour un court instant l’espace où je me tiens. Cela ne dure que quelques secondes entre deux mots, deux verres, deux sourires, mais possède le caractère olympien de l’immortalité.

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Laurent Chouard

Basques bondissants La Femme, DJ Falcon ou Gojira : trois groupes de rock qui ont échappé au carcan régional pour conquérir la planète.

E

n dehors du rock indépendantiste, aucune scène musicale locale n’a émergé sur la Côte basque. Ici, peu de radios libres ont obtenu une fréquence (même pas celle de Jules-Edouard Moustic, I Have a Dream, basée à Géthary mais contrainte de se réfugier sur internet) alors qu’à Bordeaux nombre de radios étudiantes ont pu suivre une scène rock qui a fait date. A part de la variétoche de fiesta et de quelques peñas au son parfois plus recherché, l’activité musicale se compose surtout de punk-rock et de reggae. Les plus vaillants des nightclubbers peuvent, eux, s’évader dans les boîtes techno du Pays basque sud. Pourtant, en 2010, à Biarritz apparaît, de manière aussi imprévisible que la fuite d’un dictateur tunisien, un groupe à la culture foutraque (surf, twist, pop…) : La Femme. La formation s’est construite autour de trois garçons d’une vingtaine d’années (Marlon, Sacha et Sam), d’une chanteuse et d’un batteur (Clémence et Noé lorsque le trio joue en France). Dotés d’une vitalité qu’on n’avait plus vue depuis la Movida, La Femme, c’est de la “tropicale”, comme ils s’amusent à se définir, tout en concédant “que ça ne veut pas dire grand-chose”. Sur une base de surf-music, ils jouent une rétro-pop

comme chaque année, DJ Falcon mixera en Australie au printemps

lorgnant sur les années 1980 et la scène synthétique française. Chantée en français, la pop débridée du trio et de sa bande à géométrie variable surimpressionne les influences à l’instar des projections lors de leurs concerts. Partis passer l’hiver entre la Californie et New York pour une tournée culottée et impromptue, les trois amis squattent apparts, collectionnent les musicos de substitution, enchaînent petites salles et soirées privées. Déjà inclassables, Marlon et Sacha ont biberonné du Kraftwerk et des raretés glanées sur le web, se créant un héritage incontrôlé où Biarritz n’est plus qu’un souvenir ensoleillé et dévergondé : ils ont laissé là souvenirs et parents. Leur patrie, c’est le monde, avec Paris comme escale. D’autres ont décidé d’y attacher leurs amarres. Tout petit déjà, DJ Falcon, skateur au Trocadéro, voulait surfer toute l’année. Après quelques années à bosser dans un label, il choisit de jouer la musique qu’il bidouille avec son copain Thomas Bangalter (Daft Punk). Il retape la demeure familiale biarrotte, à quelques centaines de mètres de sa plage préférée. S’il a décidé de passer à nouveau quelques mois d’hiver à Paris, c’est pour mettre la patte à un prochain ep avec Alan Braxe. Toujours en transit, il a célébré le nouvel an au Music Box Theatre de Los Angeles avec Mr Oizo et le DJ rémois Brodinski et parcourra l’Australie, comme chaque printemps, pour mixer lors de nombreuses soirées. Tout aussi fascinant est le parcours

La Femme

du groupe de death-metal Gojira, fondé à la fin du siècle dernier à Tarnos, sur les bords de l’Adour, frontière naturelle du Pays basque et des Landes. Souvent qualifiée de cérébrale, leur musique surpuissante bénéficie d’une production de qualité, inégalée en Europe, et qui en fait l’un des groupes majeurs du genre, digne des Scandinaves. Le chanteur et guitariste de Gojira, Joe Duplantier, raconte que le groupe a été “lancé avant MySpace, à l’ancienne, avec quelques demos” enregistrées dans un garage à Bayonne. Le groupe a bénéficié d’une rumeur comme seule la communauté metal mondiale, “très organique”, sait en propager. Leur discographie compte cinq albums, qui se vendent mieux à l’étranger qu’en France, à commencer par les Etats-Unis où le groupe tourne avec succès depuis 2006. Bien sûr, leur nom – graphie japonaise de Godzilla – leur a toujours prédit un avenir en grand et sous d’autres latitudes. Invités aux Vieilles Charrues l’été dernier – preuve qu’ils sont sortis du ghetto du metal français –, ils avaient assuré, à l’automne 2009, la première partie de la tournée américaine de Metallica. A propos, le guitariste Kirk Hammett et le bassiste Robert Trujillo, qu’on a pu voir surfer les vagues basques ces dernières années, semblent ne pas être venus seulement pour la musique… De futurs hôtes de marque ? Erwann Lameignère 26.01.2010 les inrockuptibles XV

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Bordeaux et sa région

trombinoscope Un garagiste, une rollergirl, une surfeuse et quelques autres personnalités sans lesquelles l’Aquitaine ne serait pas tout à fait la même.

Béatrice Aspart et Le Garage Moderne Tanxxx, dessinatrice de BD et illustratrice Un trait noir profond, épuré, qui évoque Burns ou les frères Hernandez, et des personnages très étroitement connectés aux cultures punk, metal, grindcore et underground : à 35 ans, Tanxxx déploie son univers riche et singulier dans ses BD, mais aussi sur des affiches de concerts, des pochettes de disques ou des illustrations pour des magazines. Ancienne élève des beaux-arts, elle revient au dessin un peu par hasard, en suivant l’exemple d’un copain. Ce qu’elle déteste le plus dessiner ? “Les décors, les voitures. Alors je trouve des astuces”, plaisante celle qui cultive le minimalisme. “Je ne lis pas énormément de BD. C’est cher, et puis je préfère la littérature, les polars et les romans noirs.” Après Esthétiques & Filatures, réalisé avec Lisa Mandel et sorti l’an passé, Tanxxx s’attaque aujourd’hui à la suite de Rock, Zombie !, son recueil de comics au format court sorti en 2004. “Ça, c’est vraiment mon truc. Je me fais plaisir : je parle de rock, de zombies. Je suis super fan de séries Z.” G. S. www.tanxx.com  Tanxx a réalisé les illustrations de l’abécédaire de Guillaume Fédou, page VI et VII

Les mains dans le cambouis. Créé il y a dix ans, le Garage Moderne est implanté dans le secteur en pleine reconversion des Bassins à flots et bénéficie désormais de l’immunité municipale. La mairie a racheté le bâtiment pour assurer la survie de ce lieu de vie pas comme les autres, où l’on vient aussi bien pour réparer son vélo que pour faire vidanger sa vieille bagnole, boire un verre, assister à un spectacle ou au dernier concert underground. “Sur 2 000 m², avec plus de 3 000 adhérents et 17 salariés, le Garage Moderne allie mécanique, art, musique et convivialité”, confirme Béatrice Aspart, qui s’est lancée par hasard dans l’aventure au début des années 2000 avec une “bande de potes férus de mécanique”. C. M.

“on ne peut plus se battre contre les grosses machines, alors on privilégie les artistes émergents” Ludovic Larbodie

Odile Biec et Ludovic Larbodie, le Pôle pyrénéen programmateur des écoles de Garorock supérieures d’art Marmande : 17 000 habitants, sous-préfecture du Lotet-Garonne. Rien ne destinait cette ville, connue pour ses fruits et légumes, et notamment sa tomate, à devenir un fief du rock. Pourtant, depuis 1997, Ludovic Larbodie (qui a travaillé pour les salles de concert du Jimmy et de la Rock School Barbey à Bordeaux), y organise chaque année le festival Garorock. “La municipalité voulait un événement culturel pour freiner l’exil de ses jeunes habitants. Le lieu était stratégique, car on est situé à une heure de Toulouse et de Bordeaux, qui sont deux métropoles étudiantes. Cela évite par ailleurs toute concurrence entre les deux villes.” 3 000 festivaliers répondirent présent lors de la première édition : près de 60 000 firent le déplacement au printemps dernier. “On s’est inspirés du festival belge de Dour. Avec le niveau des cachets aujourd’hui, on ne peut plus se battre contre les grosses machines, alors on privilégie les artistes émergents.” La prochaine édition, du 8 au 10 avril, pourra accueillir 75 000 festivaliers et réunira Morcheeba, Aaron, Katerine ou The Bewitched Hands. “Cette année, on garantit une programmation musicale du vendredi 14 heures au lundi midi avec des afters et des soundsystems.” J. S

Ancienne directrice du Centre d’art Le Parvis à Pau et de l’Espace d’Art Concret à Mouans-Sartoux, Odile Biec a repris les rênes de l’Ecole d’art de Pau il y a dix-huit mois. Avec devant elle plusieurs défis à relever. Assurer le passage de l’école au rang d’EPCC (établissement public de coopération culturelle) pour répondre aux critères de la réforme universitaire européenne et permettre la jonction entre l’école de Pau et celle de Tarbes sous l’appellation commune d’Ecole d’art supérieure des Pyrénées. Défendre le projet architectural du nouveau site de l’école de Pau qui ouvrira en 2013, un ovni, au propre comme au figuré, signé Jakob et MacFarlane et qui a fait jaser tout la ville. Prolonger, enfin, les missions de cette école ouverte sur la péninsule Ibérique et dévolue au design graphique et au multimédia et qui peut se targuer d’être aujourd’hui “l’une des rares écoles à offrir de vrais débouchés professionnels à ses étudiants”. Un vaste programme pour cette directrice qui n’a pas froid aux yeux et qui entend profiter de “la vitalité de la scène locale avec le travail accompli par la structure La Route du son, pour la partie musique, et le Bel Ordinaire côté art contemporain”. C. M.

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“une minute de retard égale une pompe” Belle Zébuth

Belle Zébuth, roller derby addict En janvier 2009, cette géographe de 33 ans au petit gabarit créait, en motivant une bande de copines, la Ligue bordelaise de roller derby. Une des premières en France. Le principe : des filles en patins à roulettes qui foncent à toute blinde sur un circuit en se collant des pains. Efficace et très spectaculaire, comme en témoigne Bliss, le premier film de Drew Barrymore, qui célébrait cette discipline issue de la culture punk et “indissociable du féminisme”, comme le rappelle Elodie. Sur la piste, les rollergirls s’inventent un personnage. Quand Elodie chausse ses patins, elle devient donc Belle Zébuth. Comme la plupart des joueuses, elle porte des tenues radicalement différentes de celles de son quotidien : “J’ai une culotte zèbre, un minishort, un soutien-gorge rembourré...” Et un surnom, diabolique. “On me l’a donné parce que j’aime faire souffrir les joueuses”, explique-t-elle d’un air drôlement sérieux. Elodie est aussi coach lors des entraînements, où se donnent rendez-vous des filles âgées de 19 à 46 ans. Sa combine pour qu’elles arrivent à l’heure ? “Une minute de retard égale une pompe.” Eh ouais.

Pauline Ado, surfeuse A 20 ans, Pauline Ado sera cette année la seule européenne inscrite au WCT (World Championship Tour, compétition réservée aux dix-sept meilleures surfeuses mondiales), face à une armada d’Américaines et d’Australiennes. La jeune femme, qui est née à Bayonne et a grandi à Hendaye, est surfeuse professionnelle depuis deux ans déjà. Son palmarès impressionne : championne d’Europe junior en 2005 et 2007, championne du monde junior ASP en 2009… “J’ai commencé en faisant du bodyboard. A 8 ans, je suis montée sur un surf pour la première fois, avec des copains. Au bout de quelques tentatives j’ai réussi à me mettre debout, les sensations m’ont de suite beaucoup plu.” Depuis, bien des vagues ont déferlé. En février, Pauline sera en stage avec l’équipe de France, en Australie, avant de s’attaquer au circuit 2011, véritable tour du monde de la spécialité. Go g irl ! M. V.

Nikolas Papet, boss de la boutique OK Daddy “Ok Daddy, c’est une usine à gaz, mon atelier de travail”, explique Nikolas Papet, 27 ans. Un espace à mi-chemin entre la boutique et la galerie d’art, dans lequel il vend des fringues, mais aussi des skate-boards, des vinyles… Le lieu, une ancienne école de danse de la rue SainteColombe, est spacieux et soigné. “Ici, tous les produits sont considérés comme des œuvres d’art.” Mais l’originalité de la boutique tient surtout au fait qu’elle accueille des expos. “L’an dernier, l’idée était de promouvoir en priorité des Bordelais. Cette année on accueillera davantage d’artistes nationaux.” De la photo, de la peinture, de la sculpture. Et bientôt de la musique. Il aimerait proposer un rendezvous concert tous les jeudis soir. “Ce qui me fait vibrer, c’est pas les fringues : je veux promouvoir toute forme d’art.” M. V.

31, rue Sainte-Colombe, Bordeaux, 05.56.81.02.20, www.okdaddy-blog.com

Mélanie Vives

Sur Facebook : Roller Derby Bordeaux 26.01.2011 les inrockuptibles XVII

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Bordeaux et sa région

Joseba Sarrionandia,

poète de l’indépendance

En Euskadi, le nom de cet écrivain, ancien de l’ETA, est mythique. Marie Darrieussecq a échangé une correspondance avec ce poète en exil. arriak ditugu baina ez dugu herririk : “Nous avons des pierres mais nous n’avons pas de pays”, écrit Joseba Sarrionandia dans un de ses poèmes les plus connus, Harriak eta herriak. Né en 1958 sous la nationalité espagnole, il a passé sa jeunesse au nord d’un pays, l’Espagne, “où Dieu était mort mais où Franco durait un peu plus longtemps que Dieu”. Etudiant en sociologie et en philologie, il traduit en basque T.S. Eliot, Villon ou Pessoa, et cofonde le groupe d’artistes Pott, à Bilbao, avec Bernardo Atxaga et le chanteur Ruper Ordorika. Et il s’engage dans la lutte armée, à 19 ans. Condamné à vingt-deux ans de prison, il s’évade en 1985, caché dans les baffles d’un concert qui venait d’être donné aux prisonniers. Son exil, on ne sait où, dure encore. Cette geste a fait de lui, à son corps défendant, un mythe vivant. De Bayonne à Durango, de Bilbao à Vittoria, on a dansé le pogo sur Sarri Sarri, le ska euphorique du groupe Kortatu célébrant son évasion, et dont la reprise récente lors d’une tournée avec Manu Chao a été condamnée par l’AVT (Asociación víctimas del terrorismo). “Oui j’ai pris les armes, m’écrit Sarrionandia. J’aurais été membre de l’armée espagnole si ça n’avait pas été de l’ETA, parce que le service militaire était obligatoire. De cette obligation au moins je me suis libéré.” Je lui cite le vers d’Essenine – “Je n’ai pas fusillé le malheureux au fond des caves” – dont Mandelstam faisait “le canon poétique de l’écrivain véritable”.

H

Il répond par une phrase des indiens yaquis : “Pour juger quelqu’un, il faut d’abord marcher au moins deux semaines dans ses sandales”. Et par Lewis Mumford, qui oppose les armes comme techniques autoritaires aux techniques démocratiques. “Les armes en soi me semblent un désastre. Avec les armes se joue l’irrémédiable. Les armes ne sont pas des objets neutres, elles sont des décisions prises à l’avance. D’emblée des instruments d’oppression, d’autant qu’elles deviennent une mégatechnique avec beaucoup plus de pouvoir que n’importe quelle institution démocratique.” Le “compromis de Sartre” semblait impossible au jeune Sarrionandia : “Il n’y avait aucun moyen littéraire de résoudre cette situation politique”, la littérature basque étant ce que Pascale Casanova décrit comme une petite littérature face aux empires littéraires français et espagnol (sans parler de l’anglais). “Mais la violence politique, la nôtre et celle de l’Etat, est un désastre.” Son crime est prescrit. A ce que je peux en savoir, Sarrionandia n’a pas tué. Mais il n’est toujours pas rentré “au pays”. Cet exil prolongé pose question en Euskadi (le nom indigène de ce pays qualifié de basque). “Sa poésie – ces lettres bénéfiques – nous font peur aussi, car l’écrivain nous écrit de nulle part et il nous est difficile d’interpréter ce présage”, écrit Ruper Ordorika en préface au recueil Hau da ene ondasun guzia (“Voici tout ce que je possède”). Pour la plupart des Français que je côtoie, il est difficile de comprendre

le nationalisme autrement que comme une saloperie d’extrême droite. Ontologiquement difficile, puisque l’être Français se construit en Jacobin contre les petits peuples et les petites langues, jusqu’à confondre opinion indépendantiste et menace terroriste. Mais Sarrionandia se situe encore ailleurs : il n’est pas nationaliste. “Nous sommes nés dans un pays qui n’est pas, et nous aussi, cela va sans dire, nous sommes ce que nous ne sommes pas”, écrit-il dans Ez diren gauzak. Et aussi : “Je veux n’être qu’un lieu, dans la patrie qui se nomme distance” (Ene begiek). Pour un retour, il faudrait un pays : l’Ithaque basque existe-t-elle ? Sarrionandia parle d’indépendance, il ne parle pas de nation. Son “projet de pays” (Herri poriektoa) est celui-ci : “Lorsque l’Euskadi deviendra un vrai pays / nous oublierons son invention / nous laisserons un Etat technique / et des ikurriñas (drapeaux) nous ferons des torchons / pour jouir à la fois de l’existence et de l’inexistence.” Dans ce même poème, défiant Malthus, il appelle à “surpeupler” le pays de “Basques, de Coréens, de noirs Swahilis et de blonds Scandinaves”.  A ma question “qu’est-ce qu’être basque ?”, il répond : “Rien de plus qu’une des manières d’être humain. On peut être tchèque, homosexuel, pompier, asthmatique, il y a diverses manières d’être humain, et plusieurs à la fois, de façon conditionnée ou avec une certaine liberté de choix. Certains disent qu’être basque, c’est être différent. Il me semble plus raisonnable de dire l’inverse : le fait

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“je veux n’être qu’un lieu, dans la patrie qui se nomme distance”

d’être basque te rend semblable aux autres. Etre basque ne pose aucun problème, ne représente rien de spécial. Le problème surgit quand d’une manière ou d’une autre on t’empêche de l’être. (…) Un Français, un Kurde ou un Basque, c’est celui qui se dit tel. Pour moi, et pour beaucoup d’autres Basques, l’obligation d’être espagnol a été traumatique. Qu’il faille être espagnol pour être un citoyen normal… J’étais en France pendant la campagne de Coluche (1981), et je me souviens de cette phrase : “Je l’ai pas violée. Violer, c’est quand on veut pas. Moi, je voulais !” Ainsi parle le pouvoir depuis toujours. ‘Moi je voulais’, c’est ce qu’on leur dit, aux Basques, bien que nous, on ne veuille pas.” Il évoque un article d’Orwell, Marrakech, “sur l’invisibilité sociale de l’opprimé, du marginal, et l’écho partout

strident du ‘moi, je voulais’ que répètent ceux qui ne voient pas le problème. (…) Bien sûr que notre pays est très pluriel, parcouru de multiples points de vue, c’est précisément pour cela que nous réclamons le droit à être ce que nous voulons”. Il décrit l’oppression et l’amnésie ; comment, à l’école des nonnes, il a perdu sa langue maternelle, “honteuse”, et comment il l’a refaite sienne. “A 13 ou 14 ans, je ne pouvais pas parler avec mes grands-parents, ils ne parlaient pas espagnol (…). Toute une génération de Basques s’est peu à peu rendu compte que tout ça n’était ni naturel ni normal, comme voulait le faire croire le pouvoir. La lutte pour la récupération de la langue a mené à la lutte contre la dictature franquiste.” A l’époque de son évasion et du “tube” Sarri Sarri, j’étais au lycée de Bayonne.

On n’y entendait pas un mot de basque, or nous étions plusieurs à le parler ou au moins le comprendre, mais nous ne nous le disions pas. Si la honte marque la génération de Sarrionandia ou d’Atxaga, la mienne est marquée par ce refoulement quasi complet. Tout le monde s’enflammait pour les Chiapatistes, au loin, ou pour Sandinista de Clash, mais il allait de soi que “ça n’avait rien à voir”. Les rapports sur les tortures dans les commissariats, juste là, de l’autre côté de la frontière, même validés par Amnesty International, étaient taxés de théorie du complot. “Quel bonheur ce serait d’être basque, écrit Sarrionandia, si le monde était un roman de Pierre Loti” (Mugaz bestaldera doazenak)… Quand il me décrit aujourd’hui ses difficultés à écrire sans entendre sa langue, jusqu’à craindre qu’elle ne se dissolve en lui, je pense à Ovide qui perdait son latin en exil (Sarri le lit aussi). “J’ai vécu loin de mon pays, évidemment sans nom basque, parce que l’identité basque est de celles qui éveillent le soupçon. (…) C’était la vie inévitable, la vie irrémédiable. La littérature te donne la possibilité de vivre un peu d’autres vies, des vies imaginaires. Ecrire est pour moi une manière de penser. Un exercice d’imagination contrefactuelle, aussi. C’est ne pas être mort, c’est participer au vaisseau spatial dans lequel nous vivons.” Le vers final de son poème Pierres et Pays est une question ouverte comme une frontière rêvée, de ces frontières qu’on passe : Harriak ederragoak al dira harresian ? : “les pierres sont-elles plus belles dans la muraille ?” 26.01.2011 les inrockuptibles XIX

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Bordeaux et sa région

Biarritz, journal d’une cinéville

Mathieu Amalric et Catherine Frot dans Les Derniers Jours du monde

Téchiné, Zulawski, Rohmer ou Miller ont tourné dans cette ville composite, propice aux échappées amoureuses et mélancoliques. par Jean-Marc Lalanne ’est une drôle de ville… Ça ressemble pas à la province… Ça ressemble pas à Paris… On se croirait pas en France… Et pourtant c’est pas non plus l’étranger…” Mais qui dit ça, l’air un peu absent tout en faisant autre chose ? Catherine Deneuve. Et de quoi parle-telle ? De Biarritz, cette ville qui, trop petite, n’a bien sûr rien d’une capitale. Constamment traversée d’étrangers – aristocrates anglais en villégiature qui partout ont construit des villas avec des bow-windows, touristes blonds du nord de l’europe armés d’une planche de surf, Espagnols venus en proches voisins… –, elle ne produit pas non plus cet ennui de plomb que secrètent certaines villes de province. Doublement au bout de la France (tout à fait au sud, tout à fait à l’ouest), tiraillée entre le très local (le Pays basque, ses poutres rouges, sa langue mystérieuse) et les flux migratoires du tourisme international, Biarritz est une ville composite, un carrefour d’antagonismes, un pont jeté entre ici et ailleurs. Catherine Deneuve le sait, pour avoir porté en elle toutes ces indécisions. C’était en 1981, en avril/mai : “Nous étions à Biarritz, lorsque François Mitterrand a été élu président ; de notre

C

hôtel, nous entendions les voitures klaxonner”, se souvient l’actrice. Elle était Hélène, la “septième plus belle femme de Biarritz” selon Patrick Dewaere. Soit une femme toujours en imperméable vert, une amoureuse jamais remise d’un deuil, qui alterne pour tenir le coup les somnifères et les excitants, une maîtresse qui la nuit venue rejoint son nouvel amant à l’hôtel des Amériques. Oublier ou se souvenir ? Rester ou partir à Paris ? Vivre à jamais avec un fantôme ou refaire sa vie ? Tout en valses hésitations, élans interrompus, mouvements inachevés, le film d’André Téchiné trouvait dans le printemps pluvieux de Biarritz l’écho merveilleux de sa mélancolie. Le cinéma français des années 1980 a beaucoup aimé Biarritz. Sur la terrasse de l’hôtel du Palais, la puissante banquière des années 1930, Emma Eckhert, parée de la beauté fébrile de Romy Schneider, donne de somptueuses réceptions (La Banquière, Francis Girod, 1980). Enfermés dans une suite du même hôtel, Sophie Marceau et Jacques Dutronc, entre passion physique et dévoration, connaissent des nuits (qui) sont plus belles que vos jours (Andrzej Zulawski, 1989). Les deux jeunes amantes criminelles en fuite de Mortelle

Sophie Marceau et Jacques Dutronc dans Mes nuits sont plus belles que vos jours

randonnée (Claude Miller, 1983) y font une halte. Et vingt ans plus tard, Chantal Akerman investit à son tour le majestueux hôtel pour y rejouer les jalousies et les amours stridentes d’Albertine et du narrateur proustien (La Captive, 2000). Dans Hôtel des Amériques, on voit peu ce somptueux palais de marbre rose construit en 1855 à la demande de l’impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III. On l’aperçoit de la fenêtre de l’appartement d’Hélène et Gilles (Deneuve et Dewaere, donc), juste un peu en-dessous du phare. On s’en approche lorsque Gilles, dans un accès de fureur, fait le mort en pleine nuit, recouvert par les vagues, sur la grande plage où Hélène vient le secourir. Sinon, on se promène beaucoup. Dans l’intérieur de la ville, rarement filmée ailleurs. Dans les allées des innombrables jardins ouvrant sur la mer. On passe et repasse devant la sublime Villa Belza, pas encore (hideusement) restaurée, et qui ressemble encore à un manoir anglais et hanté. Dans un sublime faux raccord, Téchiné imagine même qu’en empruntant en voiture le chemin au bord duquel elle se tient, on arrive très

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Catherine Deneuve et Patrick Dewaere dans Hôtel des Amériques

Carita et Marie Rivière dans Le Rayon vert

Isabelle Adjani dans Mortelle randonnée

vite dans une forêt, où habitait autrefois Hélène avec son amour défunt – alors que tout connaisseur de la ville sait que le chemin en question est un cul-de-sac qui n’ouvre que sur la mer, et cette liberté avec la géographie locale accentue le caractère fantomatique de la randonnée. Et puis, il y a la gare, où ne cessent de se rendre ces amants inconstants, qui n’arrêtent pas de se quitter, de vouloir tout larguer, mais qui arrivés sur le quai se ravisent et rentrent chez eux… à pied ! – alors que les Biarrots savent bien que la gare de Biarritz est à des kilomètres du centre. Beaucoup de choses peuvent advenir à la gare de Biarritz, dite de La Négresse. C’est là, pantelant sur le quai, attendant toute la nuit le prochain train pour Paris, que Patrick Dewaere livre le monologe final, bouleversant, d’Hôtel des

“ça ressemble pas à la province... Ça ressemble pas à Paris... On se croirait pas en France...” Catherine Deneuve

La Captive de Chantal Akerman

Amériques. Mais si certaines histoires restent en suspens gare de La Négresse, d’autres y prennent leur élan. Delphine, héroïne rohmérienne malheureuse, a gravement foiré ses vacances. Elle s’apprête à quitter Biarritz, où elle s’est faite draguer par de gros relous. Mais là, sur un banc de la gare, un inconnu lui sourit. Lui aussi s’apprête à quitter Biarritz. Mais pour Saint-Jean-de-Luz. Chimie imprévue des rencontres : Delphine le suit. Et là, sur la plage de Saint-Jean-de-Luz, à la tombée du jour, le miracle attendu se produit. Alors qu’à l’horizon la mer engloutit le soleil, il point un Rayon vert (Rohmer, 1986). Celui-là même qui permet à ceux qui l’entrevoient de connaître la vérité des sentiments de l’autre. A Biarritz, les amours sont désaccordées, malheureuses ; les échecs se répètent. Quelque chose n’en finit pas de mourir dans cette étrange cité ; selon les frères Larrieu, on y discerne même, sous la forme d’inquiétantes pluies de cendres, les premiers signes de l’Apocalypse (Les Derniers Jours du monde, 2009). Mais sitôt quitté la ville, un peu plus en avant dans le Pays basque, le surnaturel vient à votre rencontre ; l’amour jaillit et l’été dure sans fin. 26.01.2011 les inrockuptibles XXI

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adroites adresses Les bons plans, les bonnes adresses en Aquitaine.

concerts la Rock School Barbey L’une des salles les plus réputées de la ville. Comme son nom l’indique, la Rock School Barbey est aussi le lieu où les jeunes peuvent apprendre à manier la gratte, les groupes répéter, les aspirants journalistes s’exercer à la critique musicale. Rock School Barbey, 18, cours Barbey – Bordeaux, www.rockschool-barbey.com

L’Heretic Club L’Heretic sent la sueur, la bière et le pogo à trois kilomètres à la ronde. La cave survoltée du club accueille pointures et DJ confirmés. A tester. L’Heretic Club, 58, rue du Mirail – Bordeaux, www.hereticclub.com

Le Rocher de Palmer C’est la salle qui buzze. Un bel espace, une affiche de qualité : à venir, Lee Fields & The Expressions, Bonobo ou encore Booba. Rien que ça. Le Rocher de Palmer, parc Palmer, avenue Vincent Auriol – Cenon, www.lerocherdepalmer.fr

L’Atabal La meilleure salle biarrote. L’affiche se partage entre concerts mainstream et artistes locaux, tous styles confondus. Petit plus : quatre studios tout équipés et des modules d’apprentissage pour les jeunes musiciens. L’Atabal, 37, allée du Moura – Biarritz, www.atabal-biarritz.fr

disquaires Total Heaven On ne présente plus ce véritable temple bordelais de la musique. Du punk au funk en passant par l’acid, le reggae, la surf-music… les bacs de Martial et Xavier témoignent d’une sélection rigoureuse et éclectique. C’est aussi l’endroit idéal pour découvrir les visages de la scène bordelaise qui s’y

produisent régulièrement en showcase. Total Heaven, 6, rue de Candale – Bordeaux, tél. 05 56 31 31 03

musicaux de la région : concerts, showcases… La Démothèque, 8, avenue Daumesnil – Périgueux, tél. 05 53 35 46 52

La Charcuterie 44

librairies

Située dans le très cosmopolite quartier Saint-Michel, La Charcuterie propose un excellent choix de vinyles d’occasion, mais aussi de matériel photo et hi-fi vintage. On aime tout particulièrement la devanture en mosaïque d’origine et la vitrine, ultrarétro. La Charcuterie 44, 44, rue Camille Sauvageau – Bordeaux, tél. 05 56 91 85 36

Numéro Zéro Le Petit Bayonne, son entrelacs de ruelles… et son Numéro Zéro. Un joyeux pêle-mêle de vinyles, de comics et d’art books, un bric-à-brac où l’occasion est reine. Côté déco, on retient l’impressionnante collection de figurines insolites. Numéro Zéro, 53, rue Pannecau – Bayonne, tél. 05 59 59 06 35

La Mauvaise Réputation Rodolphe (alias Urbs) est une célébrité locale. Occasionnellement, il prête son coup de crayon acéré au journal Sud Ouest, mais surtout il tient une librairie pointue et politiquement incorrecte. Le plus : des expositions de qualité toute l’année. La Mauvaise Réputation, 19, rue des Argentiers – Bordeaux, www.lamauvaisereputation.free.fr

Mollat Plus qu’une librairie, une référence en matière de livres : tout ce qui comporte une première de couverture, une quatrième de couverture et des pages au milieu s’y trouve, ou presque. Mollat, 15, rue Vital-Carles – Bordeaux, www.mollat.com

La Démothèque

La Rue en pente

Le disquaire underground de Périgueux : tous les labels indépendants y sont présents. Mais La Démothèque, c’est avant tout le local de l’association Megastaff, qui retrousse ses manches pour valoriser les projets

Une sélection de livres exigeante, une façade délicieusement old-school… La Rue en pente insuffle discrètement son âme à qui pousse sa porte. Charmant. La Rue en pente, 29, rue Poissonnerie – Bayonne, tél. 05 59 25 62 47

bars Le Fiacre Au comptoir se succède tout ce que la ville compte de figures rock, à commencer par le patron, chanteur du groupe Ombre Rouge et proche de Bertrand Cantat. Mais c’est à la cave que bat le cœur du Fiacre, au son des artistes qui s’y produisent. Le Fiacre, 42, rue de Cheverus  – Bordeaux

Le Chabi La déco ? Vintage. La terrasse ? Agréable. En plus, c’est le seul bar-tabac du centre-ville. Faites donc un détour par les toilettes, aux murs couverts d’aphorismes pseudométaphysiques. C’est toujours plus sympa de se soulager en rigolant un bon coup. Le Chabi, 24, rue Sainte-Colombe – Bordeaux, tél. 05 56 52 84 45

Le Samovar On aurait presque envie de laisser ses chaussures à l’entrée de ce salon de thé tellement on s’y sent chez soi. Trivial Pursuit entre copains, lecture, débats philosophique… Par ailleurs, la carte offre un large choix de breuvages bio et de très bonnes pâtisseries maison. Le Samovar, 18, rue Camille Sauvageau – Bordeaux

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trois adresses du Fooding®

et si bien que les saisons n’ont aucune incidence sur sa fréquentation. La Marine, 28, rue Mazagran – Biarritz, tél. 05 59 24 87 71

cinémas L’Utopia Installé dans une ancienne chapelle, le mythique cinéma bordelais propose une programmation de qualité pour cinéphiles avertis. Une adresse incontournable. L’Utopia, 5, place Camille Jullian – Bordeaux, www.cinemas-utopia.org/ bordeaux, tél. 05 56 52 00 03 Martial, disquaire chez Total Heaven

La Comtesse En plein cœur du quartier Saint-Pierre, saint patron des nuits bordelaises, ce petit bar aux allures de boudoir XVIIIe est d’une élégance folle. L’ambiance y est résolument feutrée, grâce à ses meubles chinés et ses bougies disposées çà et là. Détails de taille : la musique, soignée, et les mojitos, divins. La Comtesse, 25, rue du ParlementSaint-Pierre – Bordeaux

Le Petit Vélo La meilleure carte de shooters de la ville, aux noms évocateurs : Chabal, Koursk, Cervelle de Singe… Un bar improbable, tout comme le maître des lieux, le célèbre Richard et ses lunettes rafistolées à coups de sparadrap. Le Petit Vélo, 45, rue des Cordeliers – Bayonne

La Marine A deux pas du Vieux Port, le bar La Marine est l’endroit idéal pour s’échauffer en before. Ambiance, bonne musique et clientèle variée : la recette fonctionne, tant

décalés Le Garage moderne On en fait des choses dans 2 000 m² : on y répare sa voiture ou son vélo sous l’œil bienveillant des adhérents, on y va pour un vernissage, on y discute joint de culasse autour d’un café… Plus qu’un garage, une vraie bonne idée. Le Garage Moderne, 1, rue des Etrangers – Bordeaux, tél. 05 56 50 91 33

Bordeaux, rive droite Encore assez confidentielle, la rive droite de la Garonne à Bordeaux offre pourtant un calme bienfaiteur face aux quais surpeuplés de la rive gauche. On pousse jusqu’au parc des Coteaux : 26 hectares de verdure et un point de vue splendide sur la ville. Le spot idéal pour pique-niquer loin du tumulte de la ville, ou pour un apéro en plein air.

le plateau de l’Atalaye La côte basque peut s’enorgueillir de ses falaises, qui offrent des recoins d’une beauté à couper le souffle. Comme le plateau de l’Atalaye, avec sa vue imprenable sur tout Biarritz. Parfait pour s’ébrouer avec ses potes et quelques bières… ou pour un moment romantique à deux (ou plus). Marie-Alix Autet

Les Inrocks débarquent à Bordeaux Les Inrocks s’invitent à la Rock School Barbey et proposent une affiche 100 % bordelaise avec les Crâne Angels, April Shower, The Automators, Beasty et Kid Bombardos. On s’y précipite le mercredi 26, à partir de 19 h 30. Le lendemain, rencontre avec des journalistes des Inrocks à la Fnac Sainte-Catherine, à 18 h.

Pour en découvrir d’autres en Aquitaine, et partout en France, lisez le guide Fooding 2011, déjà en kiosque.

L’Arc-En-Ciel 3, impasse du Couvent – Bordeaux, tél. 05 56 81 06 79 De 12 h à 14 h et de 19 h 30 à 22 h (sauf lundi). Fermé dimanche. Menu 12-15 €. Néobistrot. C’est une cantine timide mais jolie, située dans un ancien garage des Chartrons, tenue par Koji Yokoyama, jeune chef japonais passé chez Robuchon à Monte-Carlo et au Don Camillo à Nice. Dans cette phrase d’introduction, au moins sept perles pour un collier rare. Et il y en a d’autres… Greffon pop dans un quartier plutôt assis, service ballerine, chef à la désinvolture travaillée, cuisine hybride où la tempura parle au foie gras, ardoise murale bohème et soignée – saumon au mascarpone, bœuf poêlé à la crème de chou-fleur, risotto au wasabi – et un art du dessert appris chez Gravelier (espuma de chocolat blanc aux fraises). En vins, les couleurs du bordeaux Puy Laforest ou du Château Pampelune (12 € la bouteille) et ce millésimé Monmarthe 2004 (19 € la demie) pour goûter au seul sushi toléré ici : truffe et caviar. Vins au verre, 3 €, saké 2 €.

La Cape 9, allée de la Morlette – Cenon tél. 05 57 80 24 25 Services à 12 h et 13 h 30, et à 20 h et 2 1 h 30 ( 19 h 30 et 2 2 h v endredi). Fermé samedi et dimanche. Menus 25 € (midi), 40, 60, 85 €, carte 65-100 €. Trop bon. Après avoir fait dix fois le tour de cette enclave pavillonnaire en zone franche pour trouver le resto de Nicolas Magie, on se sent un peu comme un moniteur d’auto-école. Mais une fois dedans, changement d’espace-temps : panneaux d’opaline, murs capitonnés de cuir crème, tables basaltiques, doux ronron d’un chariot de mignardises sur la moquette, voilà de quoi faire d’un déjeuner d’affaires un dîner d’amoureux, et vice versa malheureusement… N’empêche, entre beauté du verbe – Brouillard de parmesan, Viennoise d’ail des ours – et pureté du style – veau de lait rôti au lard de Colonnata, strates de macaronis, ris aux truffes et morilles fraîches (40 €) –, on craque pour la cuisine du chef. Mais pas seulement ! Avec ce mélange de curiosité et d’empathie qui font des bons sommeliers vos amis d’un soir, Emilien Magie propose sans imposer :

Domaines Contini en Sardaigne, Leccia au Cap Corse, saint-chinian Coccigrues de Yannick Pelletier 2005 (40 €), coteaux-du-layon Fleurs d’érables des Sablonnettes 2008 (27 €)… Vins au verre, 5 €, bouteille à partir de 12 €. Attention ! C’est complet midi et soir depuis dix ans : réservation obligatoire.

Les Papilles insolites 5, rue Alexander-Taylor – Pau tél. 05 59 71 43 79 De 12 h à 14 h et de 20 h à 21 h 30. Fermé dimanche, lundi et mardi. Menu 13 € (midi) et 16 €, plat seul 10 €, carte 30-45 €. lespapillesinsolites.blogspot.com Trop bon, feeling et vin sur vin. Voilà une cave-bistrot qui va faire boum, et au-delà des murs de la bonne ville de Pau. D’abord modeste, tout ce qu’il y a de plus cave bistrot, avec une ardoise sur le trottoir pour teaser et son menu à 13 €. C’est après que ça se corse : un génial tartare de veau et haddock relevé d’un cheverny de Villemade La Bodice 2007 ; puis une côte de mouton des Pyrénées formigoûtue, formibiencuite (mais formicoriace) et une exceptionnelle salade d’herbes folles, plus une cocotte de haricots maïs, nimbés d’un saint-chinian Oliviers 2007 de Thierry Navarre ; puis une soupe de kiwi au tapioca et aneth, réchauffée d’un muscat petits grains vendanges tardives des Foulards Rouges. Un festival ! L’envie de louer une chambre en face pour quinze jours, jusqu’à plus soif, plus faim ! Maintenant, le casting : Jean-Pascal Revol, sommelier classique (Moulin de Mougins, Troisgros, Guérard, caves Taillevent) converti au vin nature à la Cave des Papilles (Paris XIVe), et Kazuyuki Zento, cuisinier rodé (Table d’Anvers époque Conticini, Maison Courtine, Senderens) converti à la cool food, à condition que le poisson arrive de Saint-Jean-de-Luz, le boudin noir de chez Christian Parra, l’andouillette de chez Christophe Thierry, le bœuf de Salers et les légumes de chez Annie Bertin. Deux cent cinquante références de vins naturels (de 3,20 à 4 € au verre), la bouteille étant à prix caviste le midi (droit de bouchon de 7 € le soir). D. N.

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amen pour les prêtres pédophiles Cette année, l’épiscopat français a dit sa “honte” face à la pédophilie dans l’Eglise. Mais pas plus : dans plusieurs diocèses, le malaise continue et des prêtres pédophiles retrouvent une paroisse à leur sortie de prison. par Sophie Bonnet illustration Sébastien LeGal

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V

éronique et Philippe sont un couple de parents catholiques. Ils habitent à Toulouse, envoient leur fils au catéchisme, à la chorale de la paroisse. En juillet 2004, ils récupèrent le garçon à la descente du car qui le ramène d’une tournée d’une semaine dans le Gers avec la chorale de la cathédrale. Mais ce dernier leur est rendu dans un état inhabituel : “Fatigué, perturbé, se souvient la mère. Nous ne parvenions pas à comprendre pourquoi. Puis des bruits ont couru dans les familles. Deux enfants affirmaient qu’ils avaient été tripotés par le chef de chœur.” Véronique et Philippe n’attendent pas : les premiers, ils alertent l’évêque de Toulouse. Mais la réponse du prélat les étonne : “Monseigneur Marcus minimisait l’affaire, il nous a répété plusieurs fois : ‘ce n’est pas si grave. Mais portez plainte si vous le jugez utile’.” Aujourd’hui retraité, cet évêque explique aux Inrocks qu’il se souvient de cette discussion mais ne veut plus en parler. Sur les conseils d’un avocat, il avait à l’époque alerté le procureur de Toulouse. A la demande du procureur, la brigade des mineurs avait interrogé les enfants de la chorale et sept d’entre eux ont affirmé avoir été agressés par le chef de chœur. Aujourd’hui, ce qui effraie Véronique et Philippe, dont le fils lui aussi a fini par révéler avoir subi des attouchements, c’est que les responsables de la chorale, religieux comme laïcs, savaient et avaient fait le choix de se taire. Les policiers ont découvert que juste avant le départ en tournée de la chorale, plusieurs enfants avaient dénoncé le chef de chœur à deux prêtres et au chef de la chorale. L’un des prêtres qui savaient nous explique les raisons pour lesquelles il n’a rien fait. “Ce que disaient ces enfants apportait des soupçons mais pas de certitudes. Cette parole d’enfant avait été recueillie dans le secret de la confession et je ne pouvais rien faire d’autre qu’attendre.” – Mais vous pouviez parler et éviter ainsi à des enfants d’être touchés… – “Peut-être. Mais mon rôle de prêtre est de respecter le fort interne (cette notion désigne, chez les catholiques, ce qui est du ressort de la responsabilité de chacun devant Dieu dans le secret de sa conscience – ndlr) et d’aider intérieurement l’enfant à pouvoir parler. C’est d’ailleurs grâce à moi que certains ont ensuite pu parler à leurs parents.” L’autre prêtre qui savait, l’aumônier de la chorale, a lui aussi justifié son inaction devant les policiers : “Quand les enfants ont parlé, certains parmi nous, les adultes, ont voulu annuler la tournée. Mais tout était en place et les frais engagés étaient importants, alors nous avons préféré maintenir cette tournée.” Véronique se souvient de ce qu’avait dit le chef de la chorale à son mari en septembre 2004, quand ce dernier lui demandait d’agir : “Il ne faut pas porter de coups

contre l’Eglise. Mon mari lui a demandé : ‘Mais si c’était un club de foot, que feriez-vous ?’ Le chef de la chorale lui a répondu : ‘On dénoncerait, mais là, c’est l’Eglise... alors on va essayer de régler cela en interne...’” Le chef de la chorale n’a pas souhaité commenter. En 2005, le chef de chœur est condamné à cinq ans de prison dont deux avec sursis, pour des faits s’étalant de 1997 à  2004. Véronique et Philippe ont retiré leur fils de la chorale et parlé à la presse. Depuis, on les accuse d’avoir témoigné à l’extérieur : “Un prêtre m’a reproché le fait que même le journal La Croix en ait parlé, témoigne Véronique. Des parents ne nous disent plus bonjour. Un paroissien m’a dit : ‘Pourquoi avez-vous porté plainte ? Il fallait protéger l’Eglise, c’est scandaleux, ce que vous avez fait.’ Après le procès, je suis allée confier ma douleur et ma colère à un prêtre et il m’a consolée par ces mots : ‘Quand on met un enfant dans un endroit où il n’y a que des garçons, il faut s’attendre à ce genre de problèmes ; ce sont des choses qui arrivent…’” Son mari Philippe, dont la famille compte plusieurs générations de prêtres catholiques, a fait rayer son nom des listes de baptême : “J’en ai perdu le sommeil mais il m’est devenu impossible d’appartenir à une Eglise qui ne protège pas ses enfants.” Ce couple a été sévèrement jugé par sa paroisse parce qu’il avait violé un principe protecteur : le silence sur les crimes commis à l’intérieur de l’Eglise. Ce principe a été imposé à l’Eglise catholique par le Vatican en 1962. Cette année-là, le cardinal Ottaviani, chef de l’actuelle Congrégation pour la doctrine de la foi, adresse une lettre secrète aux évêques concernant les avances sexuelles et la pédophilie au sein de l’Eglise. Cette lettre, intitulée

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“quand on met un enfant dans un endroit où il n’y a que des garçons, il faut s’attendre à ce genre de problèmes” un prêtre

Crimen sollicitationis, condamne la pédophilie mais exige des fidèles informés de ce crime qu’ils fassent vœu de silence éternel, afin que le procès puisse se tenir seulement à l’intérieur des limites de l’Eglise. Christian Terras a la cinquantaine. Il a été enfant de chœur et a failli plus tard embrasser la vocation. Il dirige aujourd’hui la revue catholique contestataire Golias, qui s’oppose souvent aux positions officielles du Vatican et en particulier au silence de l’Eglise sur les problèmes sexuels du clergé. Nous le rencontrons à Paris. Selon lui, cette tradition de protéger les perversions du clergé de la justice profane a certainement attiré quantité de pédophiles au sein de l’Eglise : “Beaucoup d’hommes fragiles sur le plan de la sexualité et de l’équilibre psycho-affectif sont entrés au séminaire parce qu’ils savaient, inconsciemment ou non, qu’ils avaient le champ libre pour leurs désirs interdits. Parce qu’ils savaient que l’omerta était la règle.” Et c’est souvent dans le cocon vertueux de la chorale religieuse que des pédophiles ont pu passer à l’acte sans s’inquiéter de la dénonciation. Roland1, un homme de 40 ans, est l’un de ceux-là. Il a accepté de nous raconter le climat régnant dans la chorale qu’il dirigeait dans l’ouest de la France, dans laquelle il a agressé sexuellement une dizaine d’enfants. Une chorale où la consigne de silence du cardinal Ottaviani fut suivie à la lettre. Roland vit aujourd’hui en région parisienne, il mène une vie de cadre supérieur. Il y a six ans, il a effectué trois années de prison pour ses actes pédophiles. Il nous révèle que dans sa chorale, la pédophilie sévissait depuis des décennies. Et qu’avant de devenir violeur, lui-même avait été violé quand il était enfant, six ans durant, dans cette même chorale.

“Je suis entré dans cette chorale à 9 ans, au début des années 1980. Il y avait des enfants dont la voix n’avait pas encore mué, des adolescents et des adultes. L’année de mon arrivée, un quart des adultes, environ une dizaine de personnes, nous tripotaient. Cela allait de la caresse légère au jeu sexuel, jusqu’à la pénétration. Je me suis retrouvé seul face à des comportements que je n’ai pas su affronter. J’ai été initié au sexe dans ce milieu, sans aucun repère, c’était des moments de très grande angoisse. Je n’ai pu en parler à personne. Au fil des années, je suis parvenu à mettre en place une stratégie d’évitement pour que l’on me touche le moins possible. J’évitais tel ou tel, je me débrouillais en tournée pour ne pas avoir à dormir avec certains adultes. Cinq ans avant mon arrivée, il y avait déjà eu dans la chorale un scandale avec un chef de chœur. Il invitait régulièrement des enfants chez lui. Une seule famille a porté plainte, puis elle s’est rétractée quand l’évêque a expédié ce chef de chœur et un autre adulte dans une autre chorale. Mais cela n’a rien changé : la chorale était pervertie pour longtemps et tout le monde le savait. Je me souviens, quand nous faisions des tournées, on nous appelait la chorale des pédés. Dans ces tournées, on nous logeait chez l’habitant à deux enfants, ou un adulte et un enfant, dans la même chambre et sans surveillance. Je me souviens d’un garçon de 17 ans qui se plaignait d’avoir mal au dos : il se déshabillait toujours pour qu’on lui passe de la crème. Il usait de ce prétexte pour nous amener sous la contrainte à le caresser sexuellement.” J’avais 12 ans, je faisais comme je pouvais pour sauver ma peau. A 15 ans, je passais ma vie à me répéter : ‘Je ne veux pas être pédophile, je ne veux pas être homosexuel’, je voulais décrocher de cette prison affective, c’était mon obsession. J’ai changé de ville, je suis devenu cadre dans de grosses sociétés mais j’ai commencé à aller extrêmement mal, comme si je tombais dans un gouffre. A mesure que je m’enfonçais dans la dépression, j’avais un désir très fort de revenir dans la chorale, c’était irrépressible. J’y suis retourné à l’âge adulte, quinze ans après l’avoir quittée et en tant que simple chanteur. Je n’ai pas eu l’impression de reproduire, j’ai juste replongé. Au début, j’y suis revenu en pointillé, c’était comme une régression, je retrouvais mon environnement enfantin. Je n’avais pas pu grandir, c’est comme si j’étais revenu dans le ventre de ma mère. Dans les tournées, j’ai retrouvé très vite l’ambiance que j’avais connue quinze ans plus tôt. Rien n’avait changé, il n’y avait au sein de la chorale aucun interdit sexuel, je n’ai pas eu la force d’y résister, j’étais écrasé. J’ai replongé dans les mêmes schémas, cela a commencé tout doucement, puis ça a dérapé. Je prenais les enfants sur mes genoux, les caressais à travers 26.01.2011 les inrockuptibles 65

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les vêtements. Je n’en parlais évidemment à personne, même pas dans le cadre de la confession. J’ai été dénoncé par un enfant au chef de la chorale et à plusieurs prêtres mais tous ont décidé d’étouffer l’affaire pour protéger l’Eglise. Nous avons décidé de dire aux parents que je quittais la chorale pour des obligations personnelles. Puis un enfant m’a dénoncé à ses parents et la police m’a arrêté.” Je n’ai pas pu raconter toute l’histoire au procès, j’ai juste répondu oui ou non aux questions du juge. Quand j’ai essayé de dire que dans cette même chorale j’avais naguère été violé, le procureur a crié : ‘C’est une stratégie de défense ! Vous avez été victime, vous avez reproduit !’ L’argument m’enfonçait, je devais baisser la tête et assumer. A la sortie du tribunal, les chefs de la paroisse ont rassuré les parents en leur disant : ‘C’est bon maintenant, tout est terminé.’ On les a persuadés que tous les problèmes étaient réglés avec ma condamnation. Mais moi qui ai vécu pendant des années l’ambiance de cette chorale, j’ai du mal à imaginer que ces déviances disparaissent après moi.” Partons maintenant pour l’Aveyron. C’est un autre décor, celui d’une abbaye du XIIe siècle entourée d’arbres et de collines inhabitées. Ici, vivent un prêtre et trois laïcs. Le père Jean-Baptiste, la quarantaine, qui célèbre la messe le dimanche ; Muriel, jeune femme brune de 38 ans ; Gisèle, ancienne religieuse de 60 ans, infirmière de métier, et Alain, ancien religieux du même âge. Ensemble, ils entretiennent l’immense jardin de l’abbaye, son cloître, sa tour carrée, la salle capitulaire. Depuis dix ans, ils sont en guerre contre leur communauté religieuse, les Béatitudes, qui appartient à la mouvance du Renouveau charismatique et fait en ce moment l’objet d’un examen de reconnaissance au Vatican. Ils se retrouvent isolés dans cette abbaye parce qu’ils ont dénoncé à la justice le frère Pierre-Etienne, un pédophile qui a sévi dans leur communauté. Muriel, en jean et long gilet de velours noir, nous reçoit dans sa petite maison près du cloître. Quand elle est arrivée ici en 2000, quarante catholiques, prêtres et familles laïques se partageaient cette abbaye pour vivre et prier ensemble. La première fois qu’elle aperçoit le frère Pierre-Etienne, elle est frappée par son charisme. Le frère est musicien, il compose des chants religieux vendus en cassette et en DVD, qui assurent un revenu à la communauté. “Il avait une présence extraordinaire, se souvient Muriel. Lors des assemblées, il était capable de faire se lever des foules pour chanter. Il a vécu dans de nombreuses communautés qui se battaient pour l’avoir. A chaque fois, il savait se faire apprécier, se rapprochait des familles, donnait des cours de piano aux enfants. On l’appelait Titou Bisou. Il est même devenu le parrain d’une quinzaine d’enfants.” Louis, un jeune homme de 30 ans que nous avons rencontré à Paris, se souvient que nul n’ignorait les agissements de Titou Bisou. “Au premier camp de vacances que j’ai fait avec lui à Lisieux, à l’âge de 15 ans, en 1994, un frère nous a prévenus : ‘Il faut tenir

vos distances avec frère Pierre-Etienne, il n’est pas net.’ On savait tous ce que cela voulait dire.” Les religieux de l’abbaye aussi savaient : trois prêtres l’avoueront des années plus tard au procureur de Rodez. Mais la peur du scandale, se défendront-ils, les dissuadait d’alerter la justice. Quand le frère Pierre-Etienne est envoyé dans cette abbaye en 1998, il est déjà repéré par l’Eglise en tant que pédophile. On lui confie pourtant la mission d’aider le père Jean-Baptiste à organiser des camps d’été ou à diriger la musique… Dès les premières semaines, Muriel décèle chez lui des comportements curieux. “Je trouvais son attitude équivoque avec les enfants. Je le voyais se promener dans des shorts moulants. Il recherchait beaucoup le contact physique avec les enfants. J’ai fini par lui poser la question directement, chez lui : ‘Tu as un problème avec les enfants ?’ Il s’est effondré sur son siège. Il a confessé une attirance pour les enfants mais n’a voulu avouer aucune agression précise. Je décide d’alerter la famille qui logeait avec ses trois enfants en face des appartements du frère. Je leur conseille de ne plus laisser les enfants seuls avec lui. J’alerte aussi le chef de la communauté, le père François-Xavier Wallays. Quelques jours après, un émissaire à lui vient m’annoncer que je dois rester chez moi et ne plus venir aux offices ! Je sais que cela paraît fou, mais je suis restée enfermée comme une prisonnière dans ma petite maison pendant une année entière. On m’apportait ma nourriture, je cuisinais chez moi, je passais mes journées à prier. Je recevais cette punition comme une mise à l’épreuve de ma dévotion aux autres. Dans la communauté, tout le monde obéissait sans réfléchir. Les autres membres avaient interdiction formelle de me parler. Mais deux d’entre eux bravaient cet interdit et venaient me rendre visite en cachette la nuit. C’était Gisèle et le père Jean-Baptiste.” En 2001, les choses bougent. A Avranches, dans le nord, une victime de frère Pierre-Etienne dépose une plainte au tribunal. Cette jeune fille l’accuse de l’avoir touchée et caressée en 1990 dans la communauté de Mortain, dans la Manche, lorsqu’elle avait 10 ans. Le frère est convoqué au tribunal en 2003. Cette année-là, Muriel a terminé sa pénitence et a retrouvé une vie normale au sein de la communauté. Elle conseille au frère Pierre-Etienne d’avouer au juge s’il a touché d’autres enfants. Elle se souvient qu’un jour d’octobre, elle était en visite chez lui avec le père Jean-Baptiste. Quand soudain le téléphone sonne. Pierre-Etienne décroche. Muriel raconte la suite : “En confiance avec nous, Pierre-Etienne branche le haut-parleur et on entend la voix d’un des chefs des Béatitudes, le père Fernand S. (qui a refusé de nous parler – ndlr). Je me souviens de tous ses mots. Fernand disait à Pierre-Etienne : ‘N’écoute pas Muriel ! Si tu lâches d’autres noms d’enfants, tu iras en prison. Crois-moi, obéis-moi : si tu m’écoutes, tout s’arrêtera. Nous connaissons la nièce d’un évêque, avocate à Paris, qui connaît un procureur qui va pouvoir intervenir et ton affaire s’arrêtera.” Nous avons pu récupérer un courrier

“je ne vois pas pourquoi je devrais me tenir éloigné des enfants. Je n’ai pas été condamné pour pédophilie mais pour viol” l’abbé Daumier 66 les inrockuptibles 26.01.2011

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“nombre d’entre eux sont entrés au séminaire parce qu’ils savaient que l’omerta était la règle” Christian Terras, directeur de la revue Golias qui prouve que cette avocate, qui n’avait rien à voir avec l’affaire, recevait pourtant des informations. Dans ce courrier daté du 27 novembre 2003, l’avocat du frère Pierre-Etienne (aujourd’hui malade et injoignable), informe celle-ci de l’avancée du dossier. Nous avons joint cette avocate qui a sèchement répondu ne pas savoir de quoi nous parlions. Quand nous citons cette lettre qui la tenait informée du dossier, elle raccroche. Muriel reprend son récit : “Finalement, Pierre-Etienne a suivi mes conseils. Quand il a vu la juge, il lui a révélé d’autres crimes. On arrivait maintenant à quinze enfants en tout. La juge lui a demandé d’écrire une lettre de pardon aux parents de deux fillettes qu’il avait tripotées quand elles avaient 10 ans. Mais le 19 janvier 2004, elle se déclare territorialement incompétente en renvoyant le dossier au procureur de la République. Après cela, il n’y a eu aucune suite.” Aujourd’hui, le dossier reste enfoui au parquet d’Avranches, qui n’a pas su nous expliquer pourquoi. A l’abbaye, aussi souvent qu’elle peut, Muriel se rapproche du frère Pierre-Etienne pour lui demander où il en est de son problème avec les enfants. Un jour de 2007, il en révèle encore. Il avoue à Muriel des actes pédophiles sur 57 enfants de 5 à 14 ans, dans presque toutes les communautés de France. Pierre-Etienne se déclare soulagé mais n’a pas le courage de se dénoncer à la justice. Il laisse Muriel noter sa confession et rédiger un dossier complet comportant le nom des enfants, les dates, les lieux, qu’elle remet au chef des Béatitudes, le père FrançoisXavier Wallays. Un mois plus tard, le 20 août, Muriel écrit au procureur, à l’évêque de Rodez et à l’achevêque d’Albi, monseigneur Carré. Le procureur envoie des policiers qui entendent les victimes. Une quinzaine de plaintes sont aujourd’hui en instruction, et le frère Pierre-Etienne se retrouve sous contrôle judiciaire, dans un environnement familial “sous surveillance”. Son procès s’ouvrira au printemps 2011. Dans sa dénonciation, Muriel était soutenue par Gisèle, Alain et le père Jean-Baptiste. Tous se retrouvent exclus de la communauté, seuls entre les hauts murs de l’abbaye. “Pour nous neutraliser, explique le père Jean-Baptiste, les chefs de la communauté nous ont fait passer pour des possédés du démon et ils ont invité les autres familles à quitter l’abbaye pour rejoindre d’autres lieux. Nous voilà ici tout seuls, avec à peine 1 500 euros, mon salaire de prêtre et la retraite de Gisèle et Alain, qui nous permettent difficilement de manger, de payer l’eau, l’électricité, la taxe d’habitation, l’essence pour la voiture et nos frais. Nous entretenons l’immense domaine de l’abbaye sans recevoir de l’Eglise aucun argent. Pour tenir, on va prendre un travail de nuit en intérim.” Gisèle raconte la suite : “Nous venons de recevoir un courrier de l’archevêque de Toulouse. Il nous demande de quitter l’abbaye car, selon lui, aucune solution ne peut être

trouvée pour contourner le vœu des chefs des Béatitudes de nous voir partir d’ici.” Nous appelons au téléphone l’archevêque de Toulouse, monseigneur Le Gall, qui cet hiver s’est illustré par d’humanistes discours sur le sort des Roms expulsés du pays, les comparant aux Juifs qui partaient en convoi pour Auschwitz. S’agaçant de nos questions sur les Béatitudes, il répond : “Je n’ai aucune envie de continuer cette conversation. Au revoir, madame !” Les responsables des Béatitudes ont aussi refusé de répondre à nos questions. Au mois d’août 2001, la communauté avait tenu sa grande Fête des familles à Nouan-le-Fuzelier, dans le Loir-et-Cher. Devant plus d’un millier de catholiques, le père François-Xavier Wallays avait prononcé un discours dans lequel il abordait la question de la pédophilie dans l’Eglise, sans mentionner l’affaire du frère Pierre-Etienne qui les concernait tous. Ce discours a été retranscrit et nous en publions ces extraits : “La pédophilie est une souffrance, (…) un petit coup. Jésus dans le mystère de la flagellation a porté le drame de la pédophilie. (…) Face à ce drame, il faut plonger notre regard dans le mystère de la passion du Christ. Il nous faut dire oui. Consentir comme le Christ à s’humilier et à s’abaisser. Il faut réaliser qu’à travers cet abaissement, c’est notre liberté que nous gagnons.” A cause de l’omerta, celle des enfants, de leurs parents et du clergé, il est impossible de savoir exactement combien de pédophiles ont sévi dans l’Eglise de France. En octobre dernier, l’archevêque de Paris, monseigneur Vingt-Trois, annonçait quelques chiffres. Il y a, selon lui aujourd’hui 9 prêtres emprisonnés, 51 mis en examen et 45 en liberté après avoir purgé leur peine. Ce qui donne une centaine de prêtres pédophiles recensés par l’Eglise en France. Dans les bureaux de la revue catholique Golias, son directeur Christian Terras a calculé de son côté le nombre des prêtres pédophiles qui ont été signalés ces vingt dernières années par la justice. Il en compte 220. “L’Eglise prend lentement conscience qu’il faut sortir de cette culture d’omerta. En 2000, les évêques de France ont publié un texte qui condamne la pédophilie. Mais il reste du chemin à parcourir : des infos inquiétantes nous remontent de plusieurs diocèses où des prêtres pédophiles, à leur sortie de prison, ont été réintégrés en paroisse et sans qu’aucune mesure ne soit prise pour la sécurité des enfants.” Près de Toulouse, dans un village rural, l’abbé Daumier1, la soixantaine, célèbre la messe du dimanche. En mai 2005, il a été condamné à cinq ans de prison pour le viol, entre 1992 et 1994, d’un adolescent de 15 ans qui désirait devenir prêtre. L’abbé Daumier était à l’époque coordinateur des aumôneries de plusieurs lycées privés et responsable diocésain des vocations. L’avocat de l’adolescent, maître Yves Darmendrail, nous explique que “les actes de pénétration ont été obtenus par violence, contrainte et menace”. Au procès de l’abbé, 26.01.2011 les inrockuptibles 67

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“je me sens plus serein qu’avant en présence des enfants mais je suis sur mes gardes ; je les fuis” le père Fabien il avait fait citer plusieurs ecclésiastiques, dont un évêque, qui avaient été informés des viols et qui n’avaient jamais alerté la justice. L’abbé Daumier a quitté la prison en juillet 2009. Trois mois plus tard, bien que des expertises psychiatriques soulignaient chez lui “des dispositions paranoïaques, narcissiques et perverses”, une “absence de culpabilisation” et une “grande nocivité”, l’abbé Daumier était nommé par son diocèse responsable de deux paroisses rurales à côté de Toulouse. Il s’y trouve aujourd’hui en contact avec des enfants et des adolescents lors des séances de catéchisme, des messes et des répétitions de la chorale religieuse. Nous l’appelons au téléphone pour lui demander si des mesures particulières ont été prises pour contrôler ses contacts avec les enfants. “Non, répondil. Il n’y a rien de mis en place. Je ne vois pas pourquoi je devrais me tenir éloigné des enfants. Je n’ai pas été condamné pour pédophilie mais pour viol. Et à tort. Je demande qu’on me foute la paix, ça ne regarde personne.” L’homme qui a géré le retour de cet abbé en paroisse est le vicaire général de Toulouse, l’abbé Delom. Au téléphone, il répond fermement : “Cet abbé est réinséré, je ne vois pas pourquoi je vous répondrais.” Puis il raccroche avant que nous puissions dire au revoir. Dans le diocèse de Toulouse, l’abbé Daumier n’est pas le seul prêtre pédophile réintégré dans une paroisse où il se trouve en contact avec des enfants. Le père Fabien1, par exemple, s’occupait de deux aumôneries de collège quand il a été condamné, en juillet 2008, à six mois de prison avec sursis pour des consultations de sites pédophiles. Un an après sa condamnation, l’archevêque de Toulouse, monseigneur Le Gall, a signé sa réintégration. Nous avons contacté cet archevêque pour lui demander les conditions de réintégration de ces prêtres. Sa réponse fut rapide : “C’est moi qui ai pris la décision et je n’ai pas à vous répondre. Il est regrettable que vous veniez pinailler sur des affaires comme celles-là.” Puis il a raccroché. Le père Fabien a accepté de parler. “A l’époque des faits, je souffrais d’une profonde solitude. Je consultais des sites pédophiles, je téléchargeais des photos. C’était des moments de profonde perdition, je suis le premier à être choqué de mes pulsions, c’est horrible, surtout en tant que prêtre. Mon arrestation a été pour moi une libération, j’ai remercié les policiers qui m’ont arrêté. Je suis revenu en paroisse depuis trois mois mais je n’en suis pas le titulaire. Je participe à sa vie : je m’occupe de personnes handicapées adultes, je célèbre la messe, rends visite aux fidèles. J’ai des contacts avec des enfants mais il y a toujours du monde. J’essaie de me soigner mais les pulsions sont toujours là. Je ne sais pas si on peut parler de guérison. Je me sens plus serein qu’avant en présence d’enfants mais je suis sur mes gardes ; je les fuis.” – Pourquoi l’évêché a-t-il décidé de vous

réintégrer en paroisse ? –”Ils ont toujours voulu que je reste prêtre. L’évêque ne m’a pas donné de paroisse en propre parce que j’ai une grave maladie, mais sinon, aujourd’hui, j’aurais ma paroisse.” Dernière histoire, dans une petite ville connue du diocèse de Marseille. Peu de paroissiens savent que leur curé septuagénaire, l’abbé Maubert1, fut en 2002 condamné par le tribunal de Toulon à quatre ans de prison pour caresses et fellations sur un mineur de 15 ans. Dans sa cure, le prêtre recevait jour et nuit des adolescents de 14 à 16 ans pour des moments de “détente” : cigarettes, alcool et visionnage de films pornos. Parfois, ces séances libertines se prolongeaient dans l’intimité du prêtre. Jusqu’à ce qu’un adolescent de 16 ans le dénonce à des policiers de Toulon. A sa sortie de prison, le prêtre est envoyé par l’évêque de Marseille dans plusieurs paroisses du sud de la France. Au bout d’un an, on lui en confie une près de Marseille. Nous l’appelons au téléphone. Il reconnaît que depuis 2008, il assure le catéchisme et des activités paroissiales qui le mettent en contact avec des mineurs. Il reconnaît aussi avoir participé à la création d’une chorale qui reçoit des mineurs à partir de 7 ans. Nous lui demandons si des mesures particulières ont été prises pour lui éviter la fréquentation des enfants ou des adolescents. “Non, il n’y a pas de mesures de protection : pourquoi voulez-vous qu’il y en ait ? L’évêque sait ce qui s’est passé, il m’a réintégré en connaissance de cause. Le jeune avait 15 ans donc il avait la majorité sexuelle, pourquoi voulez-vous que l’on prenne des mesures ? J’ai été aumônier de jeunes toute ma vie, alors ce n’est pas à mon âge qu’on va prendre des mesures et que je vais avoir des problèmes.” – Il n’y a pas des gens que cela inquiète, à la paroisse ? – “Ah, il y en a certains qui savent et que cela dérange, surtout ceux qui ne sont pas bien dans leur tête, mais bon, je ne suis pas là pour juger mes paroissiens.” Un de ses paroissiens, justement, nous a confié son opinion. “Je ne veux pas faire de scandale, c’est une petite ville, ici. La majorité des paroissiens ignorent qu’il a été condamné pour fellation sur un mineur, mais c’est compliqué de les alerter. C’est à l’évêque de prendre des mesures car lui connaît la situation.” Monseigneur Georges Ponthier, évêque du diocèse de Marseille, n’a pas souhaité répondre à nos questions. En novembre 2000, les évêques français ont signé à Lourdes une déclaration qui condamne la pédophilie. On y lit que les prêtres pédophiles doivent répondre de leurs actes devant la justice et qu’il est du devoir de l’Eglise de les y inciter. Mais dans ce texte, aucune sanction n’est envisagée contre les prêtres ou les évêques qui ne dénonceraient pas le crime d’un pédophile livré en confession. 1. Les noms ou prénoms ont été changés

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Jean-Michel Di Falco est évêque de Gap depuis 2003

l’évêque accusé Ils jouaient encore aux billes ou aux voitures quand ils ont croisé la route du jeune père Di Falco. Des années après, ils ont porté plainte contre lui. par Sophie Bonnet 26.01.2011 les inrockuptibles 69

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Cette année-là, Marc1, un homme de 41 ans, porte plainte contre monseigneur Di Falco pour “viols et agressions sexuelles”. Il accuse le religieux de l’avoir violé à de nombreuses reprises entre l’âge de 12 et 15 ans. Il fournit même une description précise des parties génitales de son agresseur. Marc, aujourd’hui, habite une grande ville. Il a la cinquantaine, il travaille, ne se distingue en rien des autres citadins mais affirme que les viols subis dans son enfance ont fait de lui un homme fragile en société et en souffrance devant l’amour. Quand il avait 11 ans, Marc, qui souffrait de l’absence de son père divorcé, étudiait au collège privé Saint-Thomas-d’Aquin, dans le VIIe arrondissement de Paris. Un prêtre qui dirigeait l’école primaire, le père Di Falco, brillant jeune homme de 25 ans, noue alors avec lui des relations amicales. “Di Falco m’accordait beaucoup d’attention, c’était un sentiment extraordinaire pour moi. Il venait me chercher au moins une fois par semaine à la maison et m’emmenait au cinéma, au restaurant, au spectacle. Une fois nous sommes même partis en week-end à Strasbourg en voiture. Mais j’ai vite compris que derrière ces cadeaux et ces sorties, il y avait autre chose. La première fois que c’est arrivé, je me suis retrouvé nu dans sa chambre sur son lit, sans comprendre, le cœur battant et ne comprenant rien à ce qui m’arrivait. Il était nu également. Il m’a serré dans ses bras, j’étais allongé sur lui. Il faisait glisser son corps de bas en haut. J’étais totalement désemparé par ces exigences sexuelles. J’étais un gamin qui s’amusait avec des voitures et des billes, je n’étais pas du tout sexué, je ne savais même pas que ça se faisait avec les garçons. C’est lui qui décidait du moment où il avait envie. Je n’ai pas souvenir de ses paroles pendant l’acte, ni de celles qu’il prononçait pour m’entraîner dans sa chambre. Je me souviens toutefois qu’il me disait : ‘On y va’ ou ‘On passe à côté’.” La sœur de Marc, âgée aujourd’hui de 59 ans, se souvient de la fascination qu’avait son frère pour

Di Falco. “J’avais 17 ans quand Di Falco s’est incrusté dans notre famille, il était affable, beau parleur et enjoué, il fréquentait des stars, était ami avec Thierry Le Luron, cela impressionnait beaucoup mon frère. Di Falco venait le chercher le jeudi après-midi et lui faisait faire des trucs mirobolants, il lui faisait des cadeaux, il le gâtait, lui avait offert un vélo, il savait se rendre indispensable, Marc était ébloui. En 1973, Di Falco a organisé un voyage au ski à Rencurel avec quelques enfants, Marc ne voulait pas s’y rendre seul, je l’ai donc accompagné. Il y avait plusieurs chambres et j’avais pris Marc dans la mienne. Di Falco est arrivé en me disant : ‘Il faut que Marc dorme avec moi.’ Malgré mon opposition, Di Falco a saisi la valise de Marc et l’a déposée dans sa chambre. Il y avait suffisamment de place et il n’y avait donc aucune raison qu’un enfant dorme dans la chambre de Di Falco. Marc est venu me dire : ‘Il m’embête, je ne veux pas dormir avec lui.’ Je me souviens lui avoir demandé ce qu’il entendait par embêter mais il n’a pas voulu m’expliquer. J’ai ensuite tenté de reprendre la valise et nous nous sommes bagarrés avec Di Falco, chacun tirant la valise de Marc de son côté. C’était grotesque. Finalement, Di Falco a tiré plus fort que moi sur la valise et Marc a suivi sans enthousiasme. Cet événement a gâché nos vacances. Cette altercation m’avait secouée car elle était anormalement vive et incongrue. La pédophilie n’était pas concrète pour moi, je pensais à des vieux messieurs avec des petites filles, mais avec les garçons, je ne savais même pas que ça existait.” Marc et sa sœur racontent que pendant l’année scolaire qui a suivi, les choses ont commencé à changer. Marc grandit, son corps devient celui d’un adolescent. Dans leur souvenir, Di Falco prend de la distance avec lui. Marc résume : “A partir d’avrilmai 1975, je rencontrais beaucoup moins souvent Di Falco, et il me parlait souvent d’un jeune garçon à propos duquel il ne tarissait pas d’éloges.” La mère de Marc aussi se souvient de cet éloignement. Elle vit aujourd’hui à Paris, retraitée. A l’époque, pleine d’amitié pour Di Falco, elle n’avait rien perçu de ce que dénonce Marc aujourd’hui. Elle ne l’a su de la bouche de son fils que quinze ans plus tard, et en se repassant le film des événements, elle l’a cru. Elle se souvient qu’“à partir du jour où Di Falco n’a plus cherché à contacter mon fils, Marc a beaucoup souffert. Il a d’ailleurs été extrêmement fatigué à la mi-novembre 1975. Il est resté absent de l’école pendant un mois et demi”. A son retour en classe, Marc apprend qu’il est renvoyé du collège. A ses parents, le directeur laïque, monsieur Vodika, explique qu’il est un élève trop insolent et trop turbulent. Ce Vodika, plus

Frédéric Dugit/MaxPPP

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e tous les scandales de pédophilie ayant touché l’Eglise de France, il en est un qui met en cause un évêque en vue dans les médias et le monde politique. Un religieux qui, en décembre 2005, dînait au palais de l’Elysée à la table de Jacques et Bernadette Chirac en compagnie de François Pinault, Simone Veil, JeanLouis Debré et cinquante autres convives. A ce dîner, Bernadette Chirac s’était levée, avait prié ses invités d’en faire autant, et avait donné la parole à l’évêque, qui prononça une prière d’action de grâces. Le tout, sous l’œil crispé de Jacques et Claude Chirac qui, à la fin du dîner, priera les invités de ne rien révéler de ce mélange des genres. Le religieux s’appelle Jean-Michel Di Falco : il est évêque de Gap. Cet homme brillant et médiatique était promis dans l’Eglise à un bel avenir. Tous le voyaient succéder à monseigneur Lustiger (archevêque de Paris, mort en 2007 – ndlr). En mars dernier, il était l’invité de Michel Drucker dans Vivement dimanche, pour le triomphe au top 50 de son CD Spiritus Dei. Un recueil dans lequel de jeunes prêtres entonnent la Sarabande d’Haendel sur une orchestration de variétés. Mais en 2001, sa carrière a failli s’arrêter brutalement.

“j’ai essayé toutes les psychothérapies avant de comprendre que ce serait impossible à effacer” Marc

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d’envisager d’autres dispositions concernant sa place dans l’Eglise.” Marc a trois entrevues avec le père Madelin. A la dernière, le jésuite lui annonce : “Le cardinal Lustiger vous fait dire qu’il arrête la carrière de Di Falco. Il va le déplacer.” Marc veut comprendre : “Le cardinal a-t-il pris sa décision sur la foi de mon seul témoignage ?” Dans le souvenir de Marc, le père Madelin n’a rien répondu. “Mais en regardant son visage, ajoute Marc, il me semblait lire que non.” En octobre 2001, le nom de Di Falco n’apparaît plus dans l’ordre administratif du diocèse de Paris. Lustiger a tenu sa promesse. Mais Marc veut que sa douleur soit reconnue même en dehors de l’Eglise. Le 14 novembre 2001, il porte plainte contre Di Falco pour viols et abus sexuels. Les policiers de la brigade des mineurs de Paris enquêtent et interrogent l’évêque. Il leur répond qu’il nie toutes les accusations de Marc. Qu’il n’a jamais commis un seul geste déplacé sur ce garçon. Les policiers questionnent aussi des camarades de classe de Marc. Aucun n’affirme avoir été témoin d’un geste déplacé de la part du père Di Falco. Puis la plainte de Marc tombe à l’eau : les faits qu’il dénonce datant de plus de dix ans, ils sont prescrits. Mais l’affaire rebondit le 29 octobre 2002.

L’homme médiatique Le 28 mars 2010, Michel Drucker l’invite sur le plateau de Vivement dimanche. Il vient faire la promotion de Spiritus Dei, un album du groupe Les Prêtres dont il est le manager

Abaca

L’ami des politiques Sortie de messe à Saint-Tropez en 2009 avec les époux Chirac

tard, expliquera aux policiers l’interrogeant sur les accusations de Marc qu’il n’a “jamais entendu parler d’une quelconque histoire de mœurs concernant Jean-Michel Di Falco”. Marc a attendu de longues années avant de raconter son histoire. “Je me disais, ce n’est pas grave, je m’en sortirai tout seul. J’y pensais tout le temps, j’avais des accès de violence terribles, mes relations avec les autres étaient très compliquées, cela m’a détruit. J’ai essayé toutes les psychothérapies imaginables avant de comprendre que ce serait impossible à effacer.” Ayant échoué à se soigner tout seul, il se décide, en 2001, à appeler à l’aide l’Eglise de France. Il écrit un courrier à l’archevêque de Paris, le cardinal Lustiger. Lustiger en retour lui propose de discuter de cette affaire avec un jésuite, une tête pensante de l’Eglise catholique d’aujourd’hui : le père Henri Madelin, humaniste, professeur à Sciences-Po, et actuellement représentant du SaintSiège au Conseil de l’Europe. Henri Madelin n’a pas souhaité nous révéler ce qui s’est dit entre lui et Marc, Di Falco, et le cardinal. Mais quand les policiers l’ont interrogé en 2001, il leur a expliqué ceci : “Je suis tombé des nues lorsque j’ai entendu le témoignage de Marc. J’ai été scandalisé comme prêtre qu’il y ait eu des gestes équivoques, et je me suis posé la question de ce qu’il fallait croire de ce qu’il disait. J’ai rapporté au cardinal les contenus de nos entretiens. Il était bouleversé par ce qui était dit sur Di Falco. J’ai compris qu’il était à la recherche d’une solution et qu’il se sentait obligé

Un autre ancien élève de Saint-Thomas-d’Aquin, Paul1, se fait connaître en déposant une plainte contre Di Falco. Les policiers de la brigade des mineurs l’interrogent. Il raconte qu’à l’âge de 10 ans, en 1975, le religieux l’avait emmené en week-end à la campagne et lui avait fait voir sa chambre, lui demandant s’il voulait bien dormir avec lui dans son lit. Il certifie aux policiers qu’une autre fois, invité à dormir chez Di Falco à Paris, il s’est retrouvé en pyjama à demi allongé sur son canapé. Que Di Falco, en lui parlant affectueusement, aurait glissé sa main dans le pyjama pour caresser sa fesse. Mais la plainte de Paul n’aboutit pas non plus, à cause de la prescription. Plus tard, l’avocat parisien de Marc, maître Jean-Baptiste Moquet, reçoit le coup de téléphone d’un psychiatre. L’homme cherche un avocat pour conseiller un de ses clients, très perturbé, qui se plaint que dans son enfance, le jeune père Di Falco se serait livré sur lui à des gestes sexuels. L’avocat se dit prêt à l’entendre. Mais un intermédiaire de cette victime présumée lui fait finalement savoir qu’en raison de sa haute position dans la société, l’homme n’aura pas le courage de porter son témoignage en justice. Judiciairement, l’affaire Di Falco est donc éteinte. Mais en 2002, quand l’évêque découvre la plainte de Marc, il l’attaque en justice pour dénonciation calomnieuse. Le procureur classera la plainte, la jugeant infondée. L’année qui suit, en 2003, monseigneur Di Falco est éloigné de Paris par le cardinal Lustiger, qui le nomme évêque de Gap. Quand nous demandons à maître Paul Lombard, son avocat, un entretien, ce dernier nous apprend que Di Falco ne tient pas à nous rencontrer. En septembre dernier, la télévision belge lui avait fait la même demande. Elle s’était entendue répondre, par son secrétariat, qu’il s’agissait pour l’évêque d’une affaire sur laquelle il ne souhaitait pas revenir. “Parce que trop douloureuse.” 1. Les prénoms ont été changés 26.01.2011 les inrockuptibles 71

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Comment savoir de James L. Brooks Un équilibre miraculeux entre comédie et mélodrame. Une intelligence hors pair dans l’entendement des sentiments humains. Une splendeur.

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e vous fiez ni à l’affiche ni au titre qui vendent une comédie anonyme : Comment savoir est tout simplement le film le plus merveilleux de l’année qui débute. James L. Brooks n’est pas un inconnu, même s’il tourne peu (six films en vingt-sept ans), sans doute à cause de la minutie absolue de son cinéma, dévoratrice de temps. Cinéaste raffiné donc, ce qui ne fait pas de lui le cinéaste de chevet de l’intelligentsia, mais plutôt un parrain secret du divertissement américain (Apatow le vénère), un peu comme McCarey et Rohmer inspirent du respect à tous : on a le droit de ne pas adorer leurs films, mais leur art déploie une forme mystérieuse et incontestable d’intégrité. Les grands mots sont lâchés, alors que Comment savoir s’avance menu menu et ne dévoile que peu à peu sa puissance de vaisseau. Une sportive sur le déclin se

fait virer de l’équipe nationale de softball. Elle rencontre un joueur de base-ball en pleine ascension et un homme d’affaires en pleine chute. Qui va-t-elle choisir ? Reese Witherspoon joue la sportive chihuahua, Owen Wilson est le sportif idiot supra égoïste, Paul Rudd est le fils à papa (Jack Nicholson) sur qui le monde s’écroule. Vivacité féminine, blondeur masculine idiote mais vigoureuse, brunitude masculine angoissée mais tendre ne cessent de se frotter les unes aux autres, agitées par une question que le spectateur, au diapason, identifiera en même temps que les personnages.   La question est profondément américaine : selon quel dosage d’optimisme et de pessimisme doit-on envisager la vie ? Dans le fond, plus qu’entre deux hommes, c’est là ce que Reese Witherspoon doit choisir, héroïne rohmérienne qui aurait oublié la métaphysique (trop européenne

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raccord

un contre tous

le réalisateur James L. Brooks est né en 1940. Il a coiffé dans sa carrière trois casquettes : – auteur pour la télévision : Les Simpson, The Tracey Ullman Show, etc. – producteur : Bottle Rocket de Wes Anderson, La Guerre des Rose de Danny DeVito, Big de Penny Marshall, Jerry Maguire de Cameron Crowe, etc. – réalisateur : Tendres passions (1983), Broadcast News (1987), La Petite Star (1994), Pour le pire et pour le meilleur (1997), Spanglish (2004).

pour le film) pour la psychologie pratique (on est aux Etats-Unis). Elle est à un croisement de sa vie : doit-elle aller vers l’homme optimiste, réconfortant mais bourrin, ou l’homme pessimiste, intelligent mais angoissé ? A l’issue des deux heures du film, on saura. Ainsi, alors que la plupart des comédies actuelles adoptent un rythme aléatoire, les films de Brooks avancent au gré de questions qui ne cessent de se métamorphoser pour trouver leur meilleure formule : quand la meilleure formule est trouvée, le film peut s’arrêter. Les scènes sont sans cesse corrigées : si Reese Witherspoon s’annonce d’abord comme une mémère (elle réprouve le pitch féministe de Kramer contre Kramer), elle dira quelques instants plus tard que l’idée de fonder une famille la fait fuir. C’est toujours la seconde fois que la vérité advient, car pour obtenir de la justesse, il faut du temps, il faut éplucher les paroles. Et du temps, le film en prend : une durée organique se déploie afin

Reese Witherspoon, héroïne rohmérienne qui aurait oublié la métaphysique pour la psychologie pratique

que la fiction puisse enfin miroiter, entièrement exposée dans ses données. Là où les choses se compliquent, c’est que l’optimiste et le pessimiste ne cessent de faire des efforts pour l’être un peu moins : Owen Wilson tente de nuancer d’inquiétude sa béatitude, Paul Rudd s’efforce d’offrir un visage souriant. Comment savoir est une comédie des efforts vertueux où il s’agit non pas de bien se conduire, mais d’être le plus justement heureux : question d’une subtilité infinie, car comment savoir ? Les personnages brooksiens, ce sont des gens qui ne peuvent pas s’empêcher d’être ce qu’ils sont et qui font rire par l’opiniâtreté de leur caractère. Mais ce sont aussi des personnages qui font quelque chose pour ne plus être ce qu’ils ne peuvent s’empêcher d’être, et cet effort d’amendement est aussi émouvant que les premiers pas d’un enfant : à chaque fois, c’est comme si une nouvelle ère commençait, peut-être. La victoire est toujours fragile, soumise à une rechute, et frémissante. Sinon, le film est super drôle (guettez les “good talk” d’Owen Wilson) et on ne vous dira évidemment pas qui sort gagnant, ou plutôt heureux. Axelle Ropert Comment savoir de James L. Brooks, avec Reese Witherspoon, Owen Wilson, Paul Rudd, Jack Nicholson (E.-U., 2010, 1 h 56)

Dans Le Discours d’un roi (en salle le 2 février), George VI (Colin Firth), le père d’Elizabeth II, souffre de bégaiement depuis son enfance. Le jour où il doit annoncer à la radio que l’Angleterre entre en guerre contre l’Allemagne nazie, il parvient à surmonter son handicap. Quand il sort du studio radiophonique, tout le monde (domestiques, ministres) l’applaudit, et la joie est à son comble dans les couloirs de Buckingham. La Seconde Guerre mondiale est en train d’exploser, mais tout le monde s’en fout : le roi ne bégaie plus… Comique involontaire des films qui s’accrochent à leur sujet dérisoire. Le cinéma, contemporain des grands génocides et des grandes guerres du XXe siècle, a eu, comme tout art de fiction, mais peut-être plus qu’un autre, à se fader ce vieux problème narratif depuis au moins Homère, et qui a produit la figure du héros : comment parvenir à nous faire trembler pour la vie d’un individu, quand des millions d’autres meurent autour de lui ? D’où vient le malaise, justement, dans Au-delà ? Une animatrice vedette de télé française (Cécile de France) manque de mourir dans le tsunami thaïlandais. Aussitôt réveillée, elle se prend de passion pour les expériences de coma dépassé, avec la lumière au bout du couloir… Pourquoi survivre si c’est pour devenir aussi bête ? Eastwood s’est trompé de sujet. C’était bel et bien celui, éternel (cf. l’Arche de Noé), du hasard et de la chance, qui fait que certains vivent alors que d’autres, nombreux, meurent, qui était passionnant. A moins que ce ne soit le sujet qui se soit trompé de cinéaste. Celui qui aurait su raconter cette histoire, constitutive du cinéma (Il faut sauver le soldat Ryan, La Guerre des mondes et bien sûr La Liste de Schindler), c’est bien sûr Steven Spielberg. On appelle cela une erreur sur la personne.

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Je suis un no man’s land de Thierry Jousse Un chanteur revisite son territoire d’enfance. Onirique, drôle et enthousiasmant.



’est un film où Katerine ne chante pas une note, puisque son personnage (Philippe) déchante. Philippe ressemble pourtant beaucoup à Katerine : même corps, même présence lunaire, même fantaisie non calculée, même métier. En même temps, Philippe n’est pas Katerine, mais le personnage principal d’une fiction intitulée Je suis un no man’s land, le deuxième long métrage de Thierry Jousse, ex-rédac chef des Cahiers. Le no man’s land, c’est peut-être cet état indécidable entre un chanteur-acteur et un personnage qui lui ressemble, c’est aussi l’état

Katerine est un film à lui tout seul, du cinéma fait homme à l’instar de Jean-Pierre Léaud

de Philippe, errant tel un somnanbule sur ses terres d’enfance. Thierry Jousse part en effet d’un pitch ultraclassique : celui du retour de l’enfant prodigue, en l’occurrence un chanteur à succès qui revient dans sa province et y revoit ses parents maussades, ses anciens copains et copines revanchards. Sur cette figure imposée, Jousse insère un certain nombre de figures libres gracieuses, et qui lui ressemblent. D’abord, beaucoup de fantaisie, de l’ex-amoureuse de lycée devenue groupie foldingue (une Judith Chemla de feu) à la spécialiste des oiseaux rencontrée la nuit en forêt (Julie Depardieu, inattendue puisqu’elle incarne ici la raison), en passant par des situations à la lisière du fantastique : ainsi, Philippe est littéralement retenu dans son bled, sa voiture stoppant puis reculant irrésistiblement passé la sortie du village. Ce joli coup de force irréaliste

est simple comme bonjour, réalisé sans effets spéciaux, il suffisait juste de le décréter ainsi. Quant à Katerine, on ne sait s’il est un no man’s land, mais il est certainement un film à lui tout seul, du cinéma fait homme à l’instar de Jean-Pierre Léaud, seul acteur à qui l’on songe pour étayer ce mélange unique et antinaturaliste de tragique et de comique. Toute cette légèreté est contrebalancée par les parents de Philippe (Aurore Clément égale à elle-même, Jackie Berroyer, excellent à contre-emploi), beau couple vieillissant et avare de mots, qui incarne la pesanteur figée de la province, les renoncements de l’âge adulte, la débandade de la vieillesse, tout ce qu’à fui un jour Philippe – avec la culpabilité qui va avec. Le vieux scénario familial (dans lequel on peut aussi lire une part autobiographique élégante et pudique) est ici réinvesti avec modestie, comme

un matériau à la Pialat attendri et allégé par une louche de Moulet par ci, une pincée de Demy par là, ou encore un soupçon de Rozier, cartographie de référents qui renvoie à la géographie cinéphile et critique de l’auteur. On pourrait y ajouter son goût pour la pop et le jazz, à travers les ruptures de ton, les mélanges de genres ou enchaînements saugrenus qui parsèment le film. Il existe des films balourds ou prétentieux sur des sujets légers : Je suis un no man’s land est tout le contraire, abordant des thèmes sérieux sans se pousser du col. Vive, allègre, l’association JousseKaterine pétille comme un bon vin de soif. Serge Kaganski Je suis un no man’s land de Thierry Jousse, avec Philippe Katerine, Julie Depardieu, Jackie Berroyer, Aurore Clément, Judith Chemla, Jean-Michel Portal (Fr., 2 010, 1 h 32)

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Angèle et Tony d’Alix Delaporte avec Clotilde Hesme, Grégory Gadebois (Fr., 2010, 1 h 27)

La rencontre d’une jeune femme au bord de la désocialisation et d’un marin taiseux. Angèle (Clotilde Hesme) est une jeune femme vive, un peu larguée. En Normandie, elle fait la connaissance de Tony (Grégory Gadebois), marin-pêcheur de son état : c’est le coup de foudre. Mais Tony est un rude et un taiseux. C’est à la fois ce qui attire sans doute Angèle et fait que leur amour met du temps à s’affirmer, à se concrétiser : chacun peine à avouer ses sentiments. Alors Angèle va lentement et progressivement se couler dans la vie de Tony. Mais y parviendra-telle ? Car elle a un secret, qui pourrait tout remettre en cause. Le premier long métrage d’Alix Delaporte, réalisatrice venue de la télévision et du journalisme, est une petite déception. Delaporte s’est pourtant assuré la collaboration de deux acteurs solides, Clotilde Hesme et Grégory Gadebois (de la Comédie-Française), tous deux issus du Conservatoire. Parce que son scénario manque singulièrement de tension, d’enjeu et d’obstacles, parce que tout s’y résout avec un peu trop de facilité, le film marche au bord du vide. C’est à la fois sa limite et sa vertu. Les comédiens semblent ne pas trop savoir quoi faire de leur talent, sinon, pour Hesme, tenter d’en rajouter dans la caricature, pour Gadebois dans la virilité abrupte. Reste l’histoire, si ténue certes, mais qui garde sa part d’opacité. Qu’est-ce qui fait qu’on tombe amoureux ? Comment passe-t-on des sentiments au lit (ou le contraire) ? C’est là que se trouve la vraie question du film, passionnante, émouvante, toujours irrésolue et mystérieuse. Dommage qu’elle ne soit pas plus incarnée par la mise en scène et la direction d’acteurs, qui demeurent toujours un peu trop à la surface des choses, au risque de les effleurer seulement. Jean-Baptiste Morain

L’Avocat de Cédric Anger avec Benoît Magimel, Gilbert Melki (Fr., 2010, 1 h 42)

Un polar assez plat, porté néanmoins par un Gilbert Melki savoureux en parrain méridional. Après Gérald HustacheMathieu et le trio LynchCoen-Van Sant (Poupoupidou), après Charles de Meaux et Hou Hsiao-hsien (Stretch), voici Cédric Anger et Brian De Palma. S’essayer à filmer dans les traces de ses grands modèles, c’est une belle et légitime ambition, qui comporte toujours le risque de la comparaison défavorable. Cas d’école avec L’Avocat, où Cédric Anger tente peu ou prou de transposer L’Impasse en France. Du chef-d’œuvre de De Palma, on reconnaît l’avocat un peu trop tendre progressivement pris dans les rets dangereux de ses clients mafieux et le récit en flash-back raconté par un personnage entre la vie et la mort. Belle référence, beau principe dramaturgique, beau sujet pour une période où diverses formes de corruption font souvent la une de l’actualité. Pourtant, ça ne fonctionne pas vraiment, même si l’on cesse de penser à la splendeur depalmienne. Problème d’écriture (les raisons de la dérive de l’avocat ne sont pas évidentes), de scène clé ratée (la grande plaidoirie du début), de direction artistique (on ne retrouve pas ici l’élégance bleutée du premier film d’Anger, Le Tueur) ? Anger réussit quand même assez bien ses truands, avec à leur tête Gilbert Melki, excellent en chef de clan à la fois inquiétant et séduisant, et pour le coup digne des meilleurs méchants du cinéma américain. S. K. 26.01.2011 les inrockuptibles 75

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La Mère de Valentina d’Arik Lubetzky et Matti Harari avec Ethel Kovinska, Sylwia Drori (Isr., 2008, 1 h 20)

La BM du Seigneur de Jean-Charles Hue Croisement atypique et fort entre le conte merveilleux et le documentaire ethnographique dans une communauté de gens du voyage.

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es voleurs de poules iront-ils au paradis ? C’est la question que se pose Frédéric Dorkel, membre d’une communauté de gens du voyage appelée yéniche, après qu’un ange lui est apparu, une nuit sur le bitume, et lui a laissé comme preuve de son passage un chien immaculé. Bouleversé par cette épiphanie canine, le plus craint et respecté des hommes du campement ne parvient plus à “chouraver des BM”. Malgré l’incompréhension de ses proches, il décide de retrouver le droit chemin. Récit de rédemption classique, La BM du Seigneur revendique à l’évidence une double filiation moderne : pasolinienne (Accatone), par la friction constante entre mystique chrétienne et corps bruts, presque ingrats, sublimés par une caméra lyrique ; rouchienne, par la fictionalisation d’un matériau documentaire quasi ethnographique. La communauté est ainsi traitée comme un monde à part, n’entretenant que peu de rapports avec l’extérieur, et dont Frédéric Dorkel, avec son ventre gargantuesque et sa cicatrice d’égorgé, serait le plus grand continent, capable, seul, d’occuper la totalité du cadre. Distincts des Roms mais également marginalisés, les Yéniches n’appartiennent pas à la “communauté nationale”, ne cherchent pas spécialement à s’intégrer et parlent une langue certes

française, mais brute, écorchée, à l’image d’une vie sans apprêt. Tant qu’ils ne sortent pas “chouraver”, ils demeurent invisibles, dans l’infra-société, à peine des hommes pour quelques ministrions obsédés par leurs quotas funestes. La grande intelligence de Jean-Charles Hue est de ne pas écrire leur histoire à leur place, de ne pas chercher à leur “redonner une dignité” (qu’ils n’ont jamais perdue) ou à briser artificiellement les clichés (ils volent des BM, un point c’est tout). Tissant sur un canevas documentaire des scènes de fiction rejouées à l’identique par leurs propres protagonistes, il trouve avec eux une forme de représentation adéquate. Ce faisant, il formule un nouveau “partage du sensible”, concept cher à Jacques Rancière, où les Yéniches, ni victimes ni héros, se voient accéder à la mythologie. Sous le ciel bas de Picardie, une BM rutilante devient un destrier, un bagarreur tatoué un chevalier, et une serpette le plus beau des glaives, filmés lorsque nécessaire avec grue et travelling – parce que les pauvres eux aussi y ont droit. C’est ainsi que ce film à la beauté incandescente parvient à réaffirmer l’appartenance des Yéniches à la communauté des hommes, sans pour autant nier leur altérité. Un film assurément important. Jacky Goldberg La BM du Seigneur de Jean-Charles Hue, avec Frédéric Dorkel, Joseph Dorkel (Fr., 2010, 1 h 24)

Fable politique en huis clos. Tel Aviv, aujourd’hui : une vieille dame, survivante des camps, prend comme femme de ménage une jeune Polonaise chrétienne. L’octogénaire noue un lien qui mue en amour filial, puis en obsession névrotique. Débutée piano piano, cette histoire croise les thèmes de la solitude en fin de vie, de la place des étrangers dans la société israélienne, et surtout des conséquences des traumatismes historiques, avec un personnage principal qui est à la fois une victime et une figure de monstre. Sobre, ce huis clos tient cependant en haleine jusqu’à son issue secouante grâce aux excellentes comédiennes et à la façon politiquement incorrecte dont il montre certains effets tardifs de la Shoah. Serge Kaganski

Les Chemins de la liberté de Peter Weir avec Colin Farrell, Ed Harris (E.-U., 2010, 2 h 14)

Le goulag, une évasion, les paysages sibériens, mais pas de souffle. En 1940, des prisonniers s’échappent d’un goulag en Sibérie et font ensemble une sacrée trotte avant de se retrouver en territoire ami. Si prouesse il y a, celle-ci concerne surtout le spectateur, qui endure ces deux heures de marche à travers des paysages à la Jean-Jacques Annaud. On a connu Peter Weir plus inspiré en matière d’aventure (Master and Commander) : faussement physique, le film fait du surplace, avec pour seul bagage une approche bien légère du combat pour la liberté, certes basée sur des faits réels (la bonne excuse) mais invalidée par un sens de l’expérience quasi nul. Amélie Dubois

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Carte des sons de Tokyo d’Isabel Coixet avec Rinko Kiguchi, Sergi Lopez (Esp., 2009, 1 h 49)

Un été suédois de Fredrik Edfeldt Du nouveau cinéma suédois débarrassé des fanfreluches psychodramatiques. ne fillette de 10 ans se retrouve livrée à elle-même, sans parents, un été à la campagne. L’enjeu de ce 400 Coups rural n’est pas très original – il s’agit de montrer comment un enfant évolue et se trouve grandi par des expériences parfois périlleuses. Un récit d’initiation ordinaire, donc, mais dans lequel on trouve la continuation et la confirmation d’un nouveau courant réaliste suédois, dont on a pu déjà voir quelques exemples marquants (les clips d’Andreas Nilsson, le film de vampires Morse et la chronique postadolescente Adieu Falkenberg). C’est-à-dire quelque chose de moderne et cru dans le filmage, inspiré probablement par la nouvelle photo nordique. Réalisme des récits et des sujets, quelque peu antisociaux. Plus de sauvagerie, réclament les Scandinaves. OK. Sur ce plan, le film est abouti : il pousse à bout le hiatus entre un enfant presque vierge de codes et un monde adulte tombant dans le grotesque. Quelques séquences oniriques font tache dans le tableau, plus celle de l’irruption d’une montgolfière et de son passager, dont on ne voit pas l’intérêt. Mais l’un dans l’autre, cet Eté suédois montre une belle liberté et un captage atmosphérique que ne renierait pas un Miyazaki. Vincent Ostria



Un été suédois de Fredrik Edfeldt, avec Blanca Engström (Suè., 2009, 1 h 37)

Chabadabada mortel à Tokyo. On aurait pu aimer le film s’il avait appliqué le programme de son titre, qui n’est là que pour faire joli. Certes il y a quelques alibis, comme celui du vieil homme qui enregistre l’héroïne lorsqu’elle mange des nouilles ou marche avec des bottes. Mais le jeu avec le son disparaît complètement du tableau quand on entre dans le vif du sujet : la relation d’un marchand de vin espagnol avec une poissonnière tueuse à gages. On pourrait gober le scénario, ridicule, si le contrepoint documentaire (sur Tokyo) était réussi. Mais il n’est que touristique. Ce type de romantisme exotique à la Wenders était branché en 1981. Aujourd’hui, ça sonne horriblement faux. V. O.

93 – La Belle Rebelle de Jean-Pierre Thorn (Fr., 2010, 1 h 13)

Histoire d’un département toujours à l’avant-garde de la musique populaire. La banlieue “a contrario des clichés”. La théorie de Thorn, vétéran du cinéma de gauche, c’est que les bidonvilles, puis les cités de HLM au nord de Paris, sont le terreau d’une expression musicale différente et foisonnante depuis les années 60, d’abord avec le rock, puis le punk, le hip-hop et le slam. Thorn touche juste en mettant en parallèle transformations du tissu urbain et culture populaire des banlieues, dont il rencontre des représentants de diverses époques, pour la plupart musiciens. Chez eux, pas de fracture sociale, pas de fossé culturel, mais un vrai espace de liberté créative. Discours mis en perspective par un filmage in situ et des bribes de concerts en plein air. V. O. 26.01.2011 les inrockuptibles 77

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en salle le monde ne suffit pas Placée sous le parrainage du cinéaste palestinien Elia Suleiman et de l’écrivainscénariste Jorge Semprún, la troisième édition du festival Un état du monde… et du cinéma poursuit son décryptage de questions géopolitiques à travers leurs représentations cinématographiques. Cette année, les thématiques à l’honneur sont la difficile construction de la paix (La Nuit de la vérité de Fanta Régina Nacro), l’effacement du génocide au Cambodge (Un soir après la guerre de Rithy Panh) et les problèmes des flux migratoires à la frontière mexicaine (Los Bastardos d’Amat Escalante). Parmi de nombreux intervenants (Olivier Assayas, Gilles Marchand…), Tony Gatlif (Liberté) accompagnera une série de films sur les gens du voyage. Un état du monde… et du cinéma du 28 janvier au 6 février au Forum des images, Paris Ie

hors salle la passion de Dreyer L’histoire des films de Carl Theodor Dreyer est presque aussi fascinante que les films eux-mêmes : La Passion de Jeanne d’Arc, dont le négatif original a brûlé dans un incendie, aurait été définitivement oublié si un double n’avait pas été égaré dans un asile psychiatrique d’Oslo et miraculeusement retrouvé en 1981… Charles Tesson, Jean Douchet, Jean-Marie Touratier et Pascale Raynaud reviendront ainsi sur toute la mythologie de l’œuvre du passionnant réalisateur suédois. Carl Theodor Dreyer, une vie, une œuvre le 26 janvier de 16 h à 17 h sur France Culture

box-office au-delà du raisonnable 91 000 Français ont vu la mort en un jour. Elle brille au bout d’un tunnel et c’est Clint Eastwood qui la leur montre. Démarrage très fort pour Au-delà, qui il faut dire n’avait pas de forte concurrence. Les trois millions de Million Dollar Baby semblent néanmoins hors d’atteinte.

autres films Shahada de Burhan Qurbani (All., 2009, 1 h 29) Dessine-toi… de Gilles Porte (Fr., 2010, 1 h 10) La Loi du silence d’Alfred Hitchcock (E.-U., 1953, 1 h 35, reprise) Les Visiteurs du soir de Marcel Carné (Fr., 1942, 1 h 50, reprise) La Dame de Shanghai d’Orson Welles (E.-U., 1947, 1 h 32, reprise) Une femme cherche son destin d’Irving Rapper (E.-U., 1942, 1 h 57, reprise)

Jeanne Moreau, le phénix Une voix, et une voie, hors du commun. Une riche biographie fait défiler soixante ans d’une vie consacrée au théâtre et au cinéma, toujours au plus près des grandes aventures esthétiques du XXe siècle.

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eanne Moreau, l’insoumise n’est pas le premier livre consacré à l’actrice de Jules et Jim. L’auteur, Jean-Claude Moireau, lui avait même déjà consacré un ouvrage il y a une dizaine d’années, essentiellement constitué de photographies. Mais cette somme biographique impressionne par sa documentation et le soin apporté à rattacher les différentes étapes de la carrière de la comédienne avec l’état général du cinéma et celui de la société de son époque. Le récit nous ramène d’abord dans la France des années 30. Sa mère est une danseuse anglaise, se produisant aux Folies Bergère et dont la troupe accompagnait Joséphine Baker. A Paris, elle rencontre un restaurateur. Ils se marient et ont en 1928 une fille, Jeanne. Après un détour par Vichy, où la famille tient un hôtel, ils s’installent à nouveau à Paris à la fin des années 30, à Pigalle. L’appartement jouxte une salle de cinéma et Jean-Claude Moireau raconte que de sa chambre la petite fille entend toutes les bandes sonores des films diffusés (qu’elle n’a pas encore le droit d’aller voir). Il y a quelque chose de troublant à découvrir que celle qui allait devenir la voix la plus singulière, à la fois chaude et rauque, et la plus identifiable du cinéma français n’a d’abord eu accès au cinéma que par ses voix. Suivent l’adolescence dans la France occupée, puis les premières virées clandestines au théâtre. La découverte d’Antigone d’Anouilh est un éblouissement,

qui détermine sa vocation. Entrée au Conservatoire, elle intègre rapidement la Comédie-Française, institution contraignante et fastidieuse pour la jeune comédienne, qui très vite préfère l’engagement du plus novateur homme de théâtre de son temps, Jean Vilar. A ses côtés, elle participe à la création du Festival d’Avignon, puis des représentations mythiques du Prince de Hombourg et du Cid aux côtés de Gérard Philipe. Le livre raconte comment, dans les années 50, le théâtre est un lieu d’accomplissement. Elle enchaîne les succès personnels, passe de Jean Vilar à Jean Cocteau (elle est le sphinx dans La Machine infernale aux côtés de Jean Marais). Au cinéma, l’actrice est cantonnée en revanche pendant presque toute la décennie aux seconds rôles. Son physique atypique, à revers d’un certain glamour d’époque, déconcerte. Julien Duvivier, un des cinéastes les plus installés du moment, dit d’elle, aimable, que c’est une bonne comédienne mais qu’elle est “trop difficile à photographier”. Après un rôle malgré tout marquant où Gabin la gifle dans Touchez pas au grisbi de Jean Becker, puis une tentative peu réussie d’en faire une vedette sexy de fantaisies historiques légères dans la foulée de Martine Carol (La Reine Margot, 1954), elle retourne aux séries B, dans des emplois stéréotypés de briseuses de couple, d’aventurières déclassées. Il faudra une révolution de cinéma pour l’arracher à ces emplois de convention : la Nouvelle Vague.

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, la modernité de son jeu, son atonie travaillée, son hiératisme brûlant fascinent

Elle a 30 ans lorsque Louis Malle fait d’elle une star, dans Ascenseur pour l’échafaud puis Les Amants, fixant à jamais l’image sulfureuse d’une grande bourgeoise vénéneuse et adultérine. La modernité de son jeu, son atonie travaillée, son hiératisme brûlant fascinent, et sa voix devient désormais le noyau autour duquel se développe toute la mise en scène.

Agnès Varda

Sur le tournage de La Baie des Anges (1963, à gauche et dans le flou Jacques Demy)

Le livre fourmille ensuite d’anecdotes sur ses rencontres avec les plus grands cinéastes : son amitié avec Orson Welles (Le Procès, Falstaff, Une histoire immortelle), ses relations tendues avec Antonioni (La Nuit), sa complicité avec Buñuel (Le Journal d’une femme de chambre, mais l’actrice sera ensuite déçue qu’il lui préfère au dernier moment

Catherine Deneuve pour Tristana, écrit pour elle). François Truffaut déclare vouloir la libérer de ses rôles d’intellectuelles froides et lui écrit la partition toute en fougue, très physique, de Jules et Jim. Puis il y a Losey, Demy… Lorsqu’à la fin des années 60 de nombreux revers au box-office menacent son statut de star, la comédienne a l’intelligence et la curiosité de se connecter à différentes avant-gardes. Au théâtre, elle rencontre de nouvelles générations de metteurs en scène : Claude Régy, Klaus Michael Grüber, Antoine Vitez… Au cinéma, elle tourne avec Marguerite Duras (l’inoubliable Nathalie Granger), anticipe son vieillissement chez Bertrand Blier (dans Les Valseuses, où elle apostrophe Depardieu et Dewaere par un cinglant : “Ça vous dirait de coucher avec une vieille ?”), enchaîne les tournages à l’étranger (Fassbinder, Wenders, Angelopoulos…). Dans ce périple à travers six décennies de théâtre et de cinéma, Moireau ne néglige pas les projets avortés. Comme celui, pourtant au bord de se faire, avec Jacques Rivette en 1975, intitulé Phénix, où elle aurait interprété une comédienne de théâtre. Phénix, c’est assurément le terme le plus adéquat pour qualifier celle qui, après avoir accompagné plusieurs des aventures esthétiques majeures du XXe siècle (le TNP, la Nouvelle Vague…), n’a jamais cessé, malgré des éclipses, de renaître de ses cendres. Jean-Marc Lalanne Jeanne Moreau, l’insoumise de Jean-Claude Moireau (Flammarion), 410 pages, 21 € 26.01.2011 les inrockuptibles 79

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La Brune et moi de Philippe Puicouyoul avec Pierre Clémenti et Anouchka (Fr., 1980, 52 min)

Valérie au pays des merveilles de Jaromil Jires Un film de vampire roumain baroque et érotique. Une rareté ressurgie des seventies. Le film Jaromil Jires, surtout connu grâce à La Plaisanterie, d’après Kundera, fut un des hérauts de la nouvelle vague tchèque, aux côtés de Forman, Passer et Menzel. Le vent de liberté et d’espoir qui souffla sur la Tchécoslovaquie et son cinéma fut arrêté par l’invasion des chars soviétiques et le retour à la norme communiste. Le rêve d’un “socialisme à visage humain” fut vite balayé. C’est dans ce contexte historique, à l’orée des années 70, que Jires signa ce très étrange Valérie au pays des merveilles, qui s’inspire du roman de Vítezslav Nezval Valérie ou la semaine des merveilles. Le film correspond à une fuite dans l’onirisme et le fantastique, pour recouvrer une liberté d’expression perdue. Il est également fidèle à un surréalisme orthodoxe (Nezval appartenait à l’intelligentsia du Parti communiste tchèque), avec son cortège de symboles et son anticléricalisme de bon aloi (le film se déroule dans une ambiance d’hystérie religieuse, avec prêtre débauché et flagellants en délire.) On se perd très vite dans un dédale de fantasmes et de visions cauchemardesques qui convoquent Lewis Carroll, Hans Bellmer, Mandiargues, Nosferatu et Le Magicien d’Oz. Les excès esthétisants et la poésie envoûtante du film lui ont fait gagner

une allégorie perverse du passage de l’enfance à l’âge adulte

un statut très particulier parmi les films fantastiques européens. C’est un objet de pure fascination, qui fétichise décors, costumes et surtout le corps virginal de sa frêle héroïne. Les aventures de Valérie, adolescente de 13 ans convoitée par un monstre libidineux et des femmes vampires, proposent une allégorie perverse du passage de l’enfance à l’âge adulte, parsemée d’images saisissantes (une pâquerette tachée d’une goutte de vin pour évoquer les premières règles de la jeune fille), et baignant dans une atmosphère saphique qui sent bon l’érotisme d’antiquaire. Pour aller vite, Jean Rollin (notre vampirologue hexagonal, décédé en décembre dernier) a rêvé ce film toute sa vie (et l’a raté, faute de talent), tandis que Jaromil Jires l’a mis en scène avec une certaine inspiration décorative. Cela ne fait certes pas un chef-d’œuvre, mais une curiosité à ranger parmi les bijoux en toc d’Alejandro Jodorowsky, Walerian Borowczyk et autres petits maîtres allumés. Le DVD Pas de bonus. La qualité de l’image dépasse de très loin celle des éditions sorties en Angleterre ou aux Etats-Unis. Malavida poursuit son exploration des cinématographies flamande, tchèque, polonaise et suédoise en exhumant de réjouissantes raretés. Olivier Père

Une fiction-document quasi inédite sur le Paris punk de la fin des années 70. Ce n’est pas vraiment en tant que fiction que le film retient l’attention mais plutôt comme un extraordinaire document sur une micro-mythologie : le Paris punk de la fin des années 70. L’histoire est vaguement inspirée de La Blonde et moi, la comédie fifties de Frank Tashlin avec Jayne Mansfield, qui se moquait dès sa naissance de l’industrie du rock. Aucune ironie en revanche dans La Brune et moi, sur une scène rock de toute façon totalement alternative. Pierre Clémenti (vieilli et durci dans le rôle du producteur, passé en moins de dix ans du total look hippie chez Garrel à l’élégance no-wave) et Anouchka (égérie des nuits parisiennes postpunk, célébrée à longueur de chronique par Alain Pacadis) sont moins que des personnages, plutôt de simples animateurs-relais entre deux scènes de live. Et se succèdent Taxi Girl, Marquis De Sade, Edith Nylon, les Dogs, ou les plus obscurs et néanmoins remarquables Astroflash ou Go-Go Pigalles. La mise en scène est plutôt faible, mais suffisamment à l’arrache pour restituer l’énergie brute de décoffrage et la fraîcheur de ces jeunes gens modernes. Jean-Marc Lalanne

Valérie au pays des merveilles de Jaromil Jires, avec Jaroslava Schallerová (Tch., 1970, 1 h 17), éditions Malavida, environ 19 €

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Le Temps des grâces de Dominique Marchais Sorti l’an dernier, un documentaire lumineux de clarté et de rigueur sur les transformations de l’industrie agricole. Le film S’il y a un film l’agriculture élabore un de l’année 2010 à voir et à cheminement de la pensée revoir, c’est bien Le Temps dense et passionnant des grâces, premier long auquel le cinéma ne nous métrage de Dominique invite que trop rarement à Marchais qui a modifié participer. Sur le papier, le durablement notre regard programme peut sembler sur les paysages, dont chargé, pourtant on ne voit il interroge en profondeur pas le temps passer tant la dimension historique, l’accumulation et la politique, esthétique et diversité des propos affective. Cette enquête sur recueillis procèdent

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d’un mouvement clair, intelligent et stimulant. Le film met en perspective différentes couches d’un vaste problème, les fait dialoguer et met en relief non seulement le lien évident qui les unit mais aussi la nécessité de cette mise en relation. Il est donc tout autant question des différentes pratiques agricoles que de leur évolution, des transformations parfois désastreuses et irrémédiables du paysage qui en découlent, du lien entre l’appauvrissement des sols, le poids des lobbies, l’économie et le temps. Marchais se met entièrement au service de son sujet, sans tomber dans les travers des documentaires coup de poing dans lesquels les auteurs donnent souvent l’impression de détenir une vérité dont ils cherchent à fabriquer les preuves. Pas de coquetteries formalistes

non plus sur le dos du sujet. Quand le temps des grâces advient, dans des plans de bocages traversés par un calme infini, la mélancolie est authentique et nullement décorative. S’impose alors à la pensée une référence, un horizon vibrant et poétique : un temps hors du temps, celui des origines, avec lequel le monde en marche ferait bien de composer. Le DVD Rencontres en salle avec Dominique Marchais, des ingénieurs agronomes, des agriculteurs retraités et d’anciens syndicalistes qui interviennent dans le film. Amélie Dubois Le Temps des grâces de Dominique Marchais (Fr., 2010, 2 h 03), Capricci, environ 17 €

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esprit frappant Singulière expérience ectoplasmique et intellectuelle dans un magnifique monde en 2D.

P  à venir la PSP2 en approche ? Selon des rumeurs de plus en plus insistantes, la console portable amenée à succéder à la PSP pourrait sortir à la fin de l’année. Sony envisagerait même de présenter officiellement la chose dès ce 27 janvier. Des sources concordantes (et néanmoins anonymes) laissent entendre que sa puissance pourrait approcher celle de la PS3 et qu’elle conserverait un support “physique” en plus de ses jeux à télécharger.

eu après le début de l’aventure, la vérité s’impose au joueur : il est mort. Ou, plus précisément, il n’a plus de corps de substitution dans le monde de Ghost Trick, au sein duquel il est pourtant invité à intervenir pour éviter le pire, en commençant par sauver cette jeune rouquine qui a péri peu de temps après lui. Car, bien qu’étant réduit au rang de pur esprit, notre héros conserve la possibilité d’interagir avec un certain nombre d’objets. Et de provoquer de savantes réactions en chaîne pour parvenir à ses fins. Père de l’indispensable saga judiciaire Phoenix Wright, Shu Takumi a fait ses preuves dans le registre du jeu d’enquête, s’appropriant l’héritage goûteux des jeux d’aventure point & click occidentaux pour les assaisonner malicieusement à la sauce manga. Par bien des aspects (son style graphique, sa bande-son, ses raisonnements tortueux), Ghost Trick prend la suite de Phoenix Wright, mais s’en distingue d’emblée par son parti pris de nous priver de réel alter ego. Ce faisant, il se contente au fond de souligner la position réelle du joueur qui, quel que soit le titre auquel il s’adonne, demeure inévitablement un esprit tentant de triompher d’un monde auquel il demeure extérieur.

Celui de Ghost Trick est particulièrement charmant. Ses décors en 2D sont le cadre d’animations d’une finesse inouïe, qui flattent l’œil autant qu’elles incitent le cerveau à travailler. Comment amènerat-on, sans agir directement, cette fillette à se cacher sous le sofa avant qu’un tueur n’investisse l’appartement – car, c’est l’avantage d’être mort, on se voit gratifié ici de la possibilité de remonter le temps pour rejouer les scènes, façon Un jour sans fin, jusqu’à aboutir à une fin heureuse. Prendra-t-on le contrôle d’un parapluie, d’un placard, d’une télécommande ? Ne risque-t-on pas de perdre de précieuses secondes en dialoguant avec l’esprit enthousiaste d’un loulou de Poméranie qui, dans la première version de cette réalité troublée, a franchement mal fini ? Aussi subtil que facétieux et plus profond qu’on ne pourrait le supposer, Ghost Trick est de ces jeux qui deviennent vite obsédants et dont les souvenirs nous réveillent la nuit. Bien que conçu pour une console dont la vie commerciale touche sans doute à sa fin (la Nintendo 3DS étant sur le point d’arriver), il se révèle être l’un des titres majeurs de ce début d’année 2011. Erwan Higuinen Ghost Trick – Détective fantôme sur DS (Capcom, environ 40 €)

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un jardin extraordinaire Univers SF foutraque, graphisme kawaii et aventures palpitantes : Cave Story enfin (bien) adapté sur console. ave Story est une Zero, 3D Dot Game Heroes). vidéoludique pour instaurer vieille connaissance. Cave Story n’est cependant un sentiment d’urgence, Phénomène du jeu pas qu’un exercice de pur présent, sans pour indépendant, l’œuvre de style, qu’une tentative autant se départir de son du Japonais Daisuke Amaya (merveilleusement aboutie) côté pince-sans-rire – nous (alias Pixel) fait le bonheur de marier l’esthétique devrons titrer au clair une des possesseurs de Mac joviale des jeux de plateaffaire d’enlèvement dans et de PC depuis déjà six ans. forme parus autour un univers SF foutraque Son arrivée sur le service de l’année 1990 (Super Mario et néanmoins bucolique, de téléchargement de la Wii World, Megaman, Alex Kidd) peuplé de robots dans une version revue à la logique aventurière et de créatures manga aux et augmentée n’en tient pas (explorons, fouillons longues oreilles. C’est une moins de l’événement car, les niveaux en quête énigme changée en jardin nourri de toute une culture d’accessoires qui nous extraordinaire, un théâtre vidéoludique nippone, permettront d’aller luxuriant généreusement Cave Story était fait pour toujours plus loin) du duo offert. L’industrie du jeu se pratiquer sur console. Metroid–Castlevania. vidéo avide de nouvelles Par son graphisme kawaii Pour celui qui s’y adonne, technologies aurait toutes et sa musique guillerette il ne se résumera en effet les raisons d’en tirer au minimalisme enjôleur, pas à un pèlerinage des leçons. E. H. le jeu semble surfer sur nostalgique la larme à l’œil Cave Story sur Wii la vague un rien maniériste et/ou le sourire aux lèvres, (Pixel/Nicalis, 10 € en du jeu vidéo néo-rétro imposant au contraire téléchargement). Egalement disponible sur PC et Mac. (Megaman 9 et 10, Dark Void sa solide grammaire

 C

Alt-Play – Jason Rohrer Anthology Sur DSi (Sabarasa, 2 € en téléchargement) Artiste très indépendant, Jason Rohrer propose moins des jeux que des expériences intimes, profondément troublantes. Trois de ses créations (Passage, Gravitation et Between, déjà disponibles sur Mac et PC) sont réunies dans cette essentielle anthologie DS. Elles nous parlent de la vie, des rapports humains, du temps qui passe.

Minotaur Rescue Sur iPhone, iPod Touch et iPad (Llamasoft, 0,79 €) Légende hippie galloise du jeu vidéo 80’s, Jeff Minter a découvert l’iPhone. Premier volet d’une série annoncée, Minotaur Rescue est un shoot’em up dans la grande tradition du genre relevé par quelques fulgurances surréalistes. Qui n’inspire qu’une réserve : seuls les possesseurs de machines Apple récentes pourront en profiter. 26.01.2011 les inrockuptibles 83

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super géants Crise de gigantisme chez les Américains de Cold War Kids : leurs chansons dopées au mauvais sang se joueront désormais dans les stades – ou dans leurs infirmeries.

Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

Lucy Hamblin

 L

a métamorphose apparaît dès les premières secondes. On a découvert les Cold War Kids en pleine combustion spontanée, piochant leurs influences et leurs instruments dans un capharnaüm digne de la chaumière des sept nains. Dans les contes de fées, quand les princesses veulent mettre de l’ordre dans leur intérieur, elles ouvrent grand les fenêtres, psalmodient un chant de sirène pour rameuter toute la ménagerie des sous-bois et embauchent ces pauvres bêtes en aides-ménagères. Au tout début de Mine Is Yours, la chanson-titre, Nathan Willett fait lui aussi tonner sa voix dans les aigus avec un résultat différent : en un seul cri, les carcans qui les enserraient jusqu’à la glotte sont pulvérisés. On a connu les Cold War Kids un brin souillons, groupe de rock rugueux aux braillements étranglés, aux arrangements de bric et de broc, entre blues ancestral et futurisme Radiohead. Pas de place pour l’amateurisme ou l’approximation dans ces nouveaux hymnes dévastateurs. Le groupe déballe ici l’artillerie lourde, taillée pour les stades olympiques – ce n’est pas un hasard si deux de ces nouveaux morceaux s’intitulent Bulldozer et Louder than Ever. Les Cold War Kids ont toujours su manier certaines armes indispensables, comme le souffle épique ou les mélodies grandiloquentes. Mais ils semblaient bouillonner plutôt qu’exploser, à l’étroit dans des espaces confinés où ils jouaient en se tapant la tête contre les murs. En s’appuyant sur une production lustrée, en vision panoramique, ce troisième album les propulse vers des sommets à la hauteur de leurs ambitions. “J’apprécie autant des morceaux de U2 hyperproduits que du punk lo-fi au son désastreux ou encore des riffs rêches comme chez Grinderman, avoue le bassiste Matt Maust. Des chansons comme Mine Is Yours ou Cold Toes on the Cold Floor reflètent, chacune à sa façon, ces deux extrêmes qui constituent notre personnalité.” Pourtant, ce nouvel album se caractérise par son homogénéité, en comparaison avec ses deux prédécesseurs aux humeurs changeantes. “Notre premier album, comme

les Cold War Kids ne renoncent ni à leur énergie fougueuse, ni à leur spontanéité chez beaucoup d’autres groupes, a cristallisé de longues années de désirs latents qui ont rejailli facilement, explique le chanteur Nathan Willett. Sa narration était constituée de personnages fictifs. Je ne voulais surtout pas me répéter sur notre deuxième disque, donc je me suis lancé dans des paroles plus abstraites, plus poétiques. Finalement, je ne m’en suis pas senti très proche : la faute à notre empressement, notre manque de réflexion posée, notre fourmillement d’idées décousues. Pour Mine Is Yours, j’ai mis un point d’honneur à écrire un album cohérent

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hommage

Trish Keenan (1968-2011) La chanteuse des merveilleux Broadcast est morte. On l’écoutera encore longtemps.

d’un bout à l’autre et personnel.” Dans la foulée, il signe Sensitive Kid, sa chanson la plus autobiographique à ce jour. Sa vulnérabilité désarmante transparaît derrière ses airs de surfeur californien bien charpenté, à la fois recroquevillé dans son intimité et prêt à s’extérioriser par-delà l’horizon. Pour les accompagner sur ce terrain potentiellement glissant du rock mastodonte, les Cold War Kids ont fait appel à Jacquire King, roi des productions javellisées (Norah Jones, Buddy Guy), pour enregistrer entre Nashville et leur quartier de Los Angeles, Long Beach. Détail non négligeable pour peser les risques d’un tel défi : leur producteur a notamment épaulé Kings Of Leon dans leur quête

de boursouflures démesurées. Mais là où ces derniers se vautrent dans l’emphase et l’engourdissement, les Cold War Kids ont l’habileté de ne pas renoncer à leur énergie fougueuse, ni à leur spontanéité. Leur force, c’est de ne pas se forcer. Comme par magie, ils sortent méconnaissables de ce grand coup de balai : conquérants, disciplinés, soignés. On ignore à quelles créatures on doit une telle propreté mais on aimerait beaucoup avoir les mêmes à la maison. Noémie Lecoq Album Mine Is Yours (Downtown/Cooperative/Pias) Concerts le 15 février à Paris (Bataclan), le 18 à Saint-Malo, Collection hiver de la Route du rock www.coldwarkids.com En écoute sur lesinrocks.com avec

On n’a jamais, jamais cessé d’écouter Broadcast, l’un des plus admirables groupes britanniques des quinze dernières années. Par plein beau temps ou dans la bruine, dans les abysses ou sur le toit du monde, le sourire fier ou le cœur brisé, toujours, toujours, toujours, comme le corps a besoin d’air et comme l’âme ne peut se passer du cœur, toujours, toujours, toujours on a laissé Trish Keenan souffler le chaud et le glacial sur nos humeurs et nous enlacer dans les siennes propres. On a encore plus, jeudi 13 janvier, écouté Broadcast. On s’est un peu naïvement octroyé le droit de croire, pour une fois, aux “forces de l’esprit”. On a pensé que se lover dans la voix de Trish Keenan, le bide plein d’angoisse mais les yeux levés vers ces cieux infinis qu’elle semblait scruter en permanence, aiderait d’une manière quelconque la jeune femme à retrouver la lumière. Tristesse infinie : la chanteuse de Broadcast, en lutte pour la vie depuis plus de deux semaines a, à 42 ans, définitivement expiré son dernier souffle le lendemain matin dans la chambre d’un hôpital britannique. Triste épilogue pour un groupe aussi merveilleux qu’absolument maudit dès les origines. On a infiniment aimé Trish Keenan. On a perdu l’âme du groupe de Birmingham, l’incarnation de sa pop sorcière et métaphysique, sa voix de sirène diaphane et charnelle. Mais comme beaucoup et pour être tout à fait sincère, on a perdu bien plus : une amie chère, une présence intime et constante, une sœur mélancolique, une amante fantasmatique. On pense beaucoup à elle, à sa famille, à ses proches. Et on écoutera encore beaucoup Trish Keenan : elle a encore beaucoup de secrets à nous souffler au creux de l’oreille. “You won’t find it by yourself, you’re gonna need some help, and you won’t fail with me around: come on let’s go”. Comment faire, maintenant qu’elle est partie ?

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Josh Sisk

C’est la drôle d’association de la semaine, voire de l’année : Francis Ford Coppola a choisi le furieux Dan Deacon, bidouilleur de génie américain et électronicien du n’importe quoi pop, pour écrire la bande-son de son prochain long métrage, intitulé Twixt Now and Sunrise, à paraître dans le courant de l’année. On pourra donc voir Val Kilmer ou Elle Fanning s’ébrouer sur les sons mabouls du bonhomme, qui jouera dans le cadre du festival Super Mon Amour !, le 7 avril à Paris.

Frank Ockenfels

Dan Deacon écrit pour Francis Coppola

les Strokes prennent date C’est désormais officiel : le quatrième album des Strokes, intitulé Angles, sortira en Europe le 21 mars, précédé du single Undercover of Darkness. Une fausse pochette a circulé sur internet, via le compte Twitter de Julian Casablancas.

cette semaine

Festival Mo’Fo

The Kills mettent la pression

Trois belles têtes d’affiche (The Vaselines, Herman Dune, Heavy Trash) et un florilège d’artistes aimés (Cheveu, Da Brasilians, Stranded Horse) pour la nouvelle édition de l’immanquable festival de Mains d’Œuvres. Du 28 au 30 janvier à Saint-Ouen

Deus en avril Retour de la troupe de Tom Barman annoncé pour le mois d’avril : Deus publiera Keep You Close, son sixième album, produit par David Botrill (déjà aux manettes de The Ideal Crash). Greg Dulli des Afghan Whigs est annoncé aux chœurs.

Mattia Zoppellaro

Steve Gullick

C’est le 4 avril que paraîtra Blood Pressures, successeur de Midnight Boom. L’album, produit par James Hince, a été enregistré dans le Michigan et est annoncé comme plus orchestré, avec des parties de piano et de mellotron. Le duo se produira à Paris, au Bataclan, le 6 avril.

neuf

Royal Trux The Missing Season

Kirsten & Marie Rien à voir avec la Kirsten qui jouait Marie-Antoinette : Kirsten & Marie est un jeune duo de jumelles scandinaves. Entre Joanna Newsom et Simon & Garfunkel, ces sœurs du grand Nord jouent des folk-songs feutrées et délicates, à ranger non loin de celles d’Agnes Obel – c’est dire si c’est beau. www.myspace.com/kirstenmariemusik

Ça sent bon l’Amérique des bois – du folk spatial de Miracle Legion aux ballades laconiques de R.E.M. – autour du feu de camp, du feu de joie de ces Bretons. Chantées d’une jolie voix éraflée et produites avec noblesse, les quatre chansons offertes en téléchargement rappellent définitivement que Rennes, c’est le Far West. themissingseason.bandcamp.com

Le rockabilly La mode du blouson teddy ne doit pas faire oublier que le rockabilly, c’est d’abord une musique. Voire la musique, cri primal du rock, dont la sauvagerie irréductible est attestée sur une nouvelle double compile enfilant cinquante perles en feu. The Rarest Rockabilly Album in the World Ever! (Chrome Dreams/Socadisc)

Une plantureuse série de rééditions permet de se souvenir que Royal Trux, plus que les Kills mais un peu moins que Boss Hog, est ce qu’on peut faire de mieux à quatre : une femme, un homme, de l’électricité et le diable. Rock pervers, déréglé et mauvais, dans lequel il fait toujours bon se vautrer, dix ans après. www.myspace.com/royaltrux

vintage

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highway 65 Raconteur d’histoires inquiétant et haletant, le rappeur canadien Buck 65 est de retour, le cerveau en flammes.

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ouen, un après-midi de novembre, dans une loge du flambant neuf 106. Ça fait plus d’une heure que l’on s’entretient avec Buck 65. Il a été question de la campagne, de l’église Saint-Germain-des-Prés à Paris, du mouvement Cobra… Au moment de parler plus concrètement de son dernier album, le rappeur canadien s’excuse et dégaine son laptop : à deux mois de sa parution, il n’en connaît déjà plus le contenu. Ce n’est en rien du dilettantisme. Le bonhomme est juste si hyperactif qu’il est déjà passé à beaucoup d’autres choses : “L’animal créatif qui sommeille en moi s’est complètement libéré de ses entraves. Depuis deux ans, je suis prolifique comme je ne l’ai jamais été auparavant. J’ai toujours été travailleur, mais je sens aujourd’hui que rien ne peut m’arrêter.”

Ce qui a changé ? Trois fois rien. Buck s’est marié, a décroché un job d’animateur radio à la CBC, la BBC du Canada, et a appris à ne pas prêter plus d’attention qu’elle n’en mérite à la réception critique et commerciale de ses disques. Une sérénité nouvelle dont attestent les Dirtbike Series, trois albums distribués gratuitement via son site web et qu’il considère comme ses travaux les plus purs à ce jour. Ce qui ne l’empêche pas, par goût du défi, de signer avec 20 Odd Years son album le plus “commercial”. Toutes proportions gardées. Car si les “forces extérieures” qui l’amenaient à considérer sa discographie comme une succession d’échecs ne prennent plus le pas sur ses convictions, il est toujours cet inadapté au monde qui, à ses débuts, faisait “tout son possible pour ressembler aux autres rappeurs” sans jamais y parvenir. Pas plus

qu’il n’est parvenu donc, au-delà d’une ligne mélodique un peu grossière (le ronflant Stop) ou d’un featuring un peu hors-sujet (Olivia Ruiz), à produire des chansons franchement grand public. La faute à son flow de mécano en manque de sommeil et à la peau dure. La faute aussi à certaines vieilles habitudes : “Chaque fois que je tombe sur une idée intéressante, que ce soit dans un livre ou dans le souvenir d’une leçon apprise à l’école, j’essaie de trouver un moyen de l’appliquer à ma musique. J’ai toujours eu cet instinct de malmener le hip-hop. Je ne sais pas pourquoi, c’est sans doute une perversion.”

“j’ai toujours eu cet instinct de malmener le hip-hop. C’est sans doute une perversion”

20 Odd Years n’en est que plus passionnant, démantibulé entre drum’n’bass aux airs de transcription d’un vertige de Ménière (Superstars Don’t Love) et arrangements enfantins à la Bruce Haack (BCC), entre chiffonnades de scratches anxiogènes (Lights out) et fingerpicking pour cœur gros (le magnifique Paper Airplane), entre envolées pop-rock francophones (Final Approach, que transcende la voix de confidente de Marie-Pierre Arthur) et coups de blues typiquement nord-américains (Whispers of the Waves). Le talent inné de Buck 65 pour les portraits philosophiques fait le reste. Et si l’on se fie au petit carnet qu’il trimballe toujours avec lui, rempli ras la reliure de lexies absurdes et de syntagmes poétiques, il ne tardera pas à en tirer de nouveaux. Benjamin Mialot Album 20 Odd Years (Warner) www.buck65.com 26.01.2011 les inrockuptibles 87

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Robert Doisneau

par-delà les casseroles L’œuvre de Pierre Schaeffer, inventeur de la musique concrète, revient à notre mémoire avec une batterie de sorties en coffret, vinyle et livre.

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uand il invente le terme de “musique concrète” en 1948, Pierre Schaeffer entend définir une musique “constituée à partir d’éléments préexistants empruntés à n’importe quel matériau sonore, qu’il soit bruit ou musique habituelle, puis composée expérimentalement par une construction directe”. Ainsi donc, le chant voluptueux de deux casseroles que l’on frapperait l’une contre l’autre pour chasser son

les chants croulent sous les constructions surréalistes, les climats nébuleux, le brouhaha de langages réinventés

ennui ne ferait pas œuvre de musique concrète. Pour s’en persuader, l’écoute du coffret publié par l’INA sous le titre L’Œuvre musicale s’avère indispensable. Les trois disques reviennent sur le parcours singulier d’un homme de radio, passé par la classe d’analyse musicale de Nadia Boulanger, qui sut ensuite marier son savoir d’ingénieur à ses dispositions pour la composition. En studio, qu’il change en laboratoire, naissent ainsi de grandes pièces expérimentales : 5 études de bruits (qui ouvre la rétrospective de l’INA et fait, dans le même temps, l’objet d’une réédition en 33t), Symphonie pour un homme seul ou Le Trièdre

fertile, pièces qu’il élabore respectivement avec Pierre Henry et Bernard Dürr. La rétrospective donne à entendre un peu d’inédit : l’atmosphérique Continuo, par exemple, né de l’association de Schaeffer avec Luc Ferrari, et aussi cette belle relecture par Pierre Henry d’Orphée 53, opéra privé de récitatifs mais comblé de rumeurs extraordinaires – dans un livret, ces mots de Schaeffer adressés à Henry en 1972 attestent de leur intimité créative : “Nous nous faisons des signes, parfois, comme ce soir, par-dessus le mur d’enceinte, hérissé de tessons de tant de fioles de fiel. Un peu de fierté cependant, dans cette double vigilance solitaire : d’avoir

entendu, pareillement, murmurer la confidence du siècle : que l’homme aurait pu tirer de ses machines, s’il avait su, peut-être mieux que de sa chair, l’intelligence qu’il se refuse, la tendresse dont il a honte, et l’avenir dont il n’a cure.” Par le son, le texte et l’image, L’Œuvre musicale démontre que les travaux de Pierre Schaeffer, s’ils ont en commun des origines expérimentales et même ludiques, servent une esthétique éclatée, dont les chants d’extractions rares croulent sous les constructions surréalistes, les climats nébuleux et le brouhaha de langages réinventés. Enivré, l’auditeur pourra décider de pousser l’étude (de bruits) plus avant : il lira alors La Musique concrète, art des sons fixés, ouvrage essentiel de Michel Chion réédité ces jours-ci, dans lequel on explique par exemple pourquoi est répandue, dans la somme d’idées reçues que l’on se fait de toutes choses, l’équivalence suivante : musique concrète = sons de casseroles. Chion précise : “Cette casserole embarrassante, n’était-ce pas Schaeffer qui l’avait attachée lui-même à la queue de la musique concrète ? Ne serait-ce qu’en sous-titrant “Etude aux casseroles” l’Etude pathétique de 1948 en dépit du fait qu’elle ne comportait aucun son tiré de ce sympathique ustensile ?” Vous connaissez la malice de Pierre Schaeffer : vous voilà prêt à aller voir au-delà des casseroles. Guillaume Belhomme Albums L’Œuvre musicale (3 CD, INA), 5 études de bruits (33t, Dreyfus) Livre La Musique concrète, art des sons fixés de Michel Chion (Mômeludies) En écoute sur lesinrocks.com avec

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C.W. Stoneking

Atiba Jefferson

Jungle Blues King Hokum Records/Differ-ant

Avey Tare Down There Paw Tracks/La Baleine Un Animal Collective explore les grandes profondeurs : beau et effrayant. Down There, album solo d’Avey Tare, ne s’écoute qu’au casque. Au beau milieu des intimités troublées, plutôt seul donc, prêt à perdre son chemin. Par sécurité, l’âme ne se tiendra pas trop proche des lieux sombres où l’Américain a conçu, de son propre aveu, ce fascinant bouillon de culture : sur le rebord d’un abysse, à contempler de nouvelles formes de vie s’inventer dans l’énergie des angoisses. Car sans les mantras solaires de Panda Bear, autre Animal Collective parti en solo et en parallèle, la musique de Tare est un univers sans étoiles, un yin sans yang. Elle est sombre et déséquilibrée, chancelante mais exploratrice, confinée dans les profondeurs étouffantes d’un sous-marin en perdition – Down There, est-on prévenus. Elle reste pop. Ou presque : chaotique dans ses ordonnancements, imprévisible mais pas tout à fait informe, elle s’éloigne à nouveau du début de cadre tracé par les derniers albums d’Animal Collective. Mis en son par le scalpel du copain Deakin, les beats sont patraques, la danse est démantibulée, imbibée comme un buvard psychotrope. Le chant est possédé, les mélodies se meuvent sur de cauchemardesques triturations soniques. Passionnante et effrayante, monstrueuse et belle à la fois, la musique de Tare est la bande-son de légendes inconnues, qui parlent tout autant aux restes d’enfants qu’aux décédés en devenir. Thomas Burgel

Bientôt aux Nuits de l’alligator, un Australien qui rêve d’Amérique. Le tuba est un instrument globalement absent dans la musique d’aujourd’hui. Alors, C.W. Stoneking, qui adore le tuba, a choisi de ne jouer que la musique d’hier, voire d’avant-hier : jazz à flonflons préhistoriques, calypso qui vient de découvrir les Caraïbes après un long voyage depuis les côtes africaines, ballades américaines où roulent les dust bowls, musique de bastringue de La NouvelleOrléans… C.W. Stoneking vient d’Australie, il a grandi dans une minuscule communauté rurale. Tellement loin de tout qu’on y est encore en 1931. Jungle Blues, son deuxième album, fantasme un chapitre australien à l’histoire de la old weird America. Il recherche et recrée la magie primitive des musiques en 78t. C.W. Stoneking est certes un antiquaire, mais il ne sent pas le petit vieux : il joue toutes ces musiques avec du sentiment, plus de passion que de pastiche, au premier degré, comme si le yodel était vraiment le nouveau truc à la mode. Stéphane Deschamps Concerts En tournée du 11 au 26 février, Les Nuits de l’alligator, le 21 à Paris (Maroquinerie) www.myspace.com/cwstoneking

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Dolorean The Unfazed Fargo/Naïve Le groupe revendique “le son des pneus sur le gravier” comme influence. Rural. Tout se joue parfois à une lettre. Ce n’est pas Laurent Romejko qui le dit, mais la confidentialité dans laquelle patauge Dolorean et dont les électroniciens catalans Delorean se sont extirpés. The Unfazed a sous le capot de quoi rétablir l’équilibre, le quintet de l’Oregon y chantant l’Amérique à la bouche pâteuse avec un sens de la mélodie et un bien-dire qui ne manqueront pas de faire clignoter les noms d’Elliott Smith et de Bruce Springsteen dans la caboche de l’amateur de blues de marabout et de folk-rock noueur de gorge. B. M. www.myspace.com/doloreanmusic En écoute sur lesinrocks.com avec

New Politics New Politics RCA/Sonymusic Le power-rock turbulent de Danois qui veulent prendre la bande FM en levrette. Nous sommes en 2011 et Iznogoud n’est toujours pas calife à la place du calife. Mais tout n’est pas perdu pour l’arriviste de petite taille (toute ressemblance, etc.) imaginé par René Goscinny : il lui suffit de prendre exemple sur New Politics, trio danois qui, avec son premier album, est devenu Weezer à la place de Weezer. Mais attention. Pas le Weezer aux lol stratégiques et aux tubes si lourds qu’il est impératif de se tartiner les oreilles de laxatif avant d’appuyer sur play. Plutôt le Weezer que les moins de 20 ans peuvent ne pas connaître. Celui des hymnes slack à reprendre à s’en faire péter les artères façon Roland de Roncevaux (Dignity) et des tubes power-pop composés avec un médiator de fer tenu par un gant de velours (Give Me Hope), qui a longuement écouté les Beastie Boys (Nuclear War) et tout appris à Blur pour Song 2 (Yeah Yeah Yeah). Belles retrouvailles par procuration. Benjamin Mialot www.newpoliticsrock.com En écoute sur lesinrocks.com avec

various artists La Station Radar LSR Un label français déniche dans le cosmos une ribambelle d’inconnus. Une oreille tendue vers le cosmos, qu’entend La Station Radar ? Le mistral de Vénus, le bleep d’un pulsar, des fragments de pop extraterrestre. Plus prosaïquement, les groupes assemblés par ce passionnant label français viennent du monde entier, mais leur pop songeuse, qui oscille entre tempêtes solaires et contemplation, est résolument lunaire. Qu’il jouent un shoegazing déconstruit, une ambientpop fluctuante ou un rock plus franc et raide (les jouisseurs Cloud Nothings de l’Ohio), les vingt-cinq inconnus forment ici un tout cohérent et agité. Le signe d’un vrai label. JDB www.lastationradar.com

La Corda Progress No Progress T-Rec De dangereux trafiquants d’ambiance, (re)découverts grâce aux Trans. Cette musique est tellement mélancolique que les mauvaises langues ricanent : La Corda est bonne pour se pendre, La Corda est raide. Les mauvaises langues ont aussi parfois de mauvaises oreilles, incapables de cerner la beauté inquiète de ces chansons de peu, leur richesse guère ramenarde. Musique de lande accidentée, de brumes toxiques et de sortilèges, elle évoque fatalement d’autres folklores tourmentés, de Sigur Rós à Mogwai : violons lancinants pour vicier le moral, voix spectrales pour perdre conscience, puis électrochocs pour réveils en sueur. A un moment, juste avant une prodigieuse poussée de lave, on croyait même que la terre était plate, qu’on avait atteint le bord. JDB www.myspace.com/ delacorda En écoute sur lesinrocks. com avec

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various artists Voyage 2 – Morts pour la France French Underground Voodoo Music Framboise Estéban

Pan European Recordings/Sonymusic

Recueil fascinant de quelques cinglés de France. Après un premier trip consacré au psychédélisme de derrière les fagots de LSD, la série de compilations Voyage pose aujourd’hui son tapis planant sur la terra incognita d’une electro française possédée, déréglée, effrénée. C’est jour de solstice d’été : ils ont les yeux exorbités, les toges des grands jours et les mains touchent le soleil. “Morts pour la France” sous-titre cette compilation, pour révéler l’étendue du gâchis, de l’incompréhension qui entoure ces tireurs isolés et pourtant reliés par un même esprit frondeur, fonceur. Car venus du folk, de la pop, du krautrock ou d’un psychédélisme mal peigné, Koudlam, Juan Trip’, Chicros ou Etienne Jaumet préféreront tous mourir debout, sourire insolent aux lèvres baveuses, que de vivre en cage, soumis au fouet de dompteurs impotents. Renaissance, propose ici le grand Turzi, en écho à une chanson de Koudlam qui s’appelait The New Order : prions pour que ça ne soit pas des vœux pieux et que cette compilation toxique devienne le manifeste d’une douce agitation. JD Beauvallet

Eténèsh Wassié/ Mathieu Sourisseau Belo Belo Buda Musique/ Socadisc

Violente et suave comme du PJ Harvey, de la musique venue d’Ethiopie. Eténèsh Wassié appartient à la sulfureuse caste des azmaris, ces troubadours prodigues en improvisations, allusions grivoises et danses aphrodisiaques qui animent les cabarets d’Addis-Abeba. Révélée par la série Ethiopiques (vol. 18), elle a signé en 2008 un album étonnant avec le quartet toulousain Tigre Des Platanes, dont Mathieu Sourisseau est bassiste. Belo Belo, leur premier rendez-vous en tête à tête, se transforme en odyssée nuptiale chaotique, un enlèvement au sérail où le Tigre de la Ville rose arrache la panthère noire d’Abyssinie à sa chère tradition avec son consentement, dévoile sa sensualité rageuse, sa tristesse du fond des âges. Apre, agité, cathartique, mélodique, un disque qui plairait à coup sûr à Patti Smith ou PJ Harvey.

www.myspace.com/paneuropeanrecording

Koudlam

Alice Knight

Francis Dordor Concerts le 27 janvier à Toulouse, le 28 à Brive, le 30 à Royère-de-Vassivière En écoute sur lesinrocks.com avec 26.01.2011 les inrockuptibles 91

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Arnold Turboust Démodé Monte-Carlo/Rue Stendhal

Retour gagnant d’un ancien frère d’armes de Daho. Démodé ? Il est vrai qu’avec cette pochette reprenant le logo de Harris Tweed, avec des chansons écrites d’une pointe ironique d’importation anglaise et des manières musicales d’une autre époque, Arnold Turboust n’a pas cherché à jouer les suceurs de hype. La distinction est depuis trente ans la compagne la plus fidèle de ce Normand – jadis frère d’armes de Daho et père d’Adélaïde. Certaines de ces pop-songs rappellent les géométries savantes du regretté Jacno – J’en parlais pas, A Little Bit –, et c’est bien l’artisanat pop des 80’s françaises qui trouve ici sa plus lumineuse mise à jour. Sans esprit revivaliste faisandé, Turboust donne une belle leçon d’élégance, s’amusant des lois de la gravité, sifflant à l’occasion (C’est bien ma veine), planant au-dessus de l’époque à l’aide d’un carburant mi-moqueur, mi-fataliste. En point d’orgue, l’aérien Mon bel oiseau, avec Barbara Carlotti, finit de détromper le titre du disque : indémodable.

Magnetic Man Magnetic Man Columbia/Sonymusic Au-delà du dubstep et aux confins de la pop, un album anglais trois-en-un : l’énergie, la tension et la sensualité. ls s’en tirent avec une pirouette : “Nous raconte Skream. Le résultat n’en est pas ne faisons pas de la pop-music, mais notre moins urbain, alternant des tunnels lourds, musique est populaire. Nous ne pouvons creusés au marteau-piqueur, classiques du pas changer ça.” On se dit quand même genre, et des chansons à réveiller un club qu’il y a bien quelque chose d’intentionnel entier. Exit les structures trop complexes, derrière “ça”. Qu’Artwork, Benga et retour à l’essentiel : “Le 140 bpm, c’est notre Skream, alias Magnetic Man, ont identité”, défend Benga. sciemment décidé de sortir le dubstep de la Si Magnetic Man est le plus radiocave et de l’attirer vers le salon. Il était compatible de leurs projets, c’est que face à temps. Le succès du premier album du trio, la propagation du virus dubstep, à l’accueil propulsé dans le top 5 britannique, rend qu’ils reçoivent où ils passent, les Anglais justice à des années de militantisme se sont décomplexés. “Nous savons ce qui pro-bass. Sous les stroboscopes : pas fait danser les gens. Nous avons expérimenté vraiment dans l’ombre, jamais totalement comment la musique peut changer l’humeur, dans la lumière. les émotions.” En cours de création, si l’un Après de longs mois de rodage en tournée, d’eux levait les bras en l’air, les autres les trois se sont enfermés dans un manoir jugeaient qu’il y avait là une piste à suivre. de Cornouailles pour enregistrer. “Nous Les chanteuses ont aussi été partie prenante avons quitté Londres pour fuir la distraction. de la fabrique des singles. Katy B, âgée de Parce qu’il nous fallait travailler comme un 20 ans, a séduit jusqu’au père d’Artwork, collectif et qu’à Londres, c’est impossible”, qui en a 65 : “Après l’un de nos concerts à Londres, il a dit qu’il la trouvait brillante. Elle sait se connecter avec le public. Ce n’est pas une pop-star. Elle a juste le truc.” “Ça”, le truc magnétique que chante John Legend en fin d’album. La classe. Gaël Lombart

 I

www.arnoldturboust.com En écoute sur lesinrocks.com avec

Natalia Mlodzikowska

www.magneticman.net En écoute sur lesinrocks.com avec

Christophe Conte

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Leon Diaper

The Vaccines Wreckin’ Bar (Ra Ra Ra) Marshall Teller Records/Sonymusic De ces gandins gredins dépend la santé du rock anglais en 2011. ontre la crise économique, tout en écho, fuzz et grandeur, avec l’affolante disparition des salles un dynamisme et une allégresse de concerts et des disquaires, qui contaminent en profondeur : l’industrie musicale anglaise bientôt l’épidémie, hors de contrôle. JD Beauvallet a trouvé un vaccin : The Vaccines. C’est dire le poids qui pèse sur les www.thevaccines.co.uk épaules de Justin Young, chanteur En écoute sur lesinrocks.com éloquent et volubile venu du folk avec mais désormais décidé à faire parler la poudre – d’escampette. Se souvenant que les Ramones furent un jour étrange produits par Spector, le rock romantique et expéditif des Vaccines joue ainsi



Jonny Candyfloss Lorsque Norman Blake de Teenage Fanclub et Euros Childs de Gorky’s Zygotic Mynci s’unissent, c’est pour signer un album de pop-songs habiles et rafraîchissantes, légères et savamment écrites. Leur projet s’appelle Jonny : on s’en réjouit à l’idée. www.youtube.com

Armistice Mission Bells Son album était né d’une rupture, le maxi enregistré sous le nom d’Armistice a été réalisé dans le romantisme d’un couple ardent, avec Jay Malinowski de Bedouin Soundclash. Béatrice Martin, alias Cœur De Pirate, dévoile un nouveau projet, entre chœurs passionnés et chansons à cordes, à la Nancy Sinatra/Lee Hazlewood. www.lesinrocks.com

Wee Papa Girl Rappers We Rule Séquence nostalgie avec les Wee Papa Girl Rappers, B-girls anglaises de la fin des 80’s, dont l’énorme We Rule se redécouvre comme un classique oublié du hip-hop vintage. They rule, indeed. www.youtube.com

Acapulo 44 Jet Lag Dignes descendants des Rakes, donc de Joy Division, The Jam ou Gang Of Four, ces quatre Briochins, déjà habitués des festivals rock, livrent des petits tubes électriques tranchants. www.cqfd.com/acapulco44

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Adam Kesher 4/2 Marne-laVallée, 18/2 Saint-Brieuc, 7/4 Paris, Boule Noire Adele 4/4 Paris, Cigale Angus & Julia Stone 26, 27 & 28/4 Paris, Trianon Keren Ann 24/5 Paris, Cigale Babet 28/1 ClermontFerrand, 29/1 Savigny-leTemple, 11/2 Magny-leHongre Band Of Horses 26/2 Paris, Cigale Carl Barât 7/3 Paris, Trianon Beady Eye 13/3 Paris, Casino de Paris, 19/3 Toulouse Blackfield 29/4 Paris, Trianon

Aloe Blacc Alors que sa date parisienne du 21 mars à la Cigale affiche complet, la révélation soul de 2010 s’invite au Trianon en avril. Cela vaut bien un dollar. 24/4 Paris, Trianon The Black Keys 15/3 Paris, Olympia, 16/3 Nantes, 25/3 Lille Soirée Bordeaux Rock 29/1 Paris, Flèche d’Or, avec Pendentif, April Shower, Alba Lua, Ldlf. The Boxer Rebellion 25/3 Paris, Nouveau Casino Cali 16/3 Caen, 17/3 Angers, 18/3 Le Mans, 22/3 Rouillac, 23/3 Rouen, 24/3 Brest, 31/3Luxembourg, 1/4 Reims, 7/4 Avignon, 8/4 Marseille,

12/4 Strasbourg, 13/4 ClermontFerrand, 22/4 Bourg-enBresse, 4/5 Paris, Zénith, 5/5 Lyon, 7/5 Besançon, 11/5 Nantes, 12/5 Toulouse, 13/5 Pau, 14/5 Montpellier, 18/5 Bordeaux, 19/5 Rennes, 21/5 Grenoble Anna Calvi 8/2 Paris, Nouveau Casino Barbara Carlotti présente “Nébuleuse Dandy” 8 & 9/2 Paris, Cité de la Musique Cascadeur 12/3 Metz, 17/3 Rennes, 19/3 Chelles, 23/3 Paris, Café de la Danse, 24/3 Canteleu, 25/3 Poitiers, 31/3 Belfort, 2/4 Amiens, 10/4 Morlaix, 20/4 Alençon Chocolate Genius Inc. 7/4 Paris, Divan du Monde Cold War Kids 15/2 Paris, Bataclan Charlélie Couture 27/1 Niort, 28/1 Saint-Brieuc, 29/1 Rennes, 1/2 Caen, 4/2 Nancy, 10/2 Lyon, 11/2 Toulon, 12/2 Nice, 9, 10, 11 & 12/3 Paris, Boule Noire, 18/3 Montpellier, 19/3 Marseille, 24/3 Valence, 25/3 Grenoble, 26/3 Besançon, 31/3 Guyancourt, 1/4 Liévin, 7/4 Plélan-le-Petit, 8/4 Brest, 9/4 Alençon, 27/5 Schiltigheim, 10 & 11/6 Paris, Casino de Paris Crystal Fighters 16/2 Nantes, 17/2 Angers, 18/2 Le Havre, 19/2 Paris, Point Ephémère

Da Brasilians 30/1 Saint-Ouen Fyfe Dangerfield 2/2 Paris, Boule Noire Daphné 28/1 Saint-Andréde-Cubzac, 7/2 Paris, Bouffes du Nord Deerhunter 10/4 Tourcoing Alela Diane 8/5 Strasbourg, 9/5 Paris, Cigale, 10/5 Lille The Dø 11/2 Rouen, 12/2 Alençon, 16/2 Dijon, 17/2 Strasbourg, 18/2 Nancy, 19/2 Poitiers, 23/2 Caen, 24/2 Rennes, 25/2 Vannes, 26/2 Angers, 9 & 10/3 Paris, Trianon, 16/3 Lyon, 17/3 Lausanne, 18/3 Zurich, 19/3 Nice, 23/3 Nantes, 24/3 Bordeaux, 25/3 Toulouse, 26/3 Montpellier, 27/3 Marseille, 6/4 Lille Elista 11/3 Paris, Maroquinerie Esben And The Witch 19/2 Saint-Malo, 21/2 Paris, Point Ephémère Explosions In The Sky 20/5 Paris, Bataclan Fargo All Stars # 4 8/2 Paris, Flèche d’Or, avec Tift Merritt, Dolorean, Deer Tick Les femmes s’en mêlent # 14 Du 19/3 au 3/4 à Paris, Bordeaux, Brest, Belfort, Ajaccio, avec Jessy Bulbo, Amandititita, Afrodita, Pau Y Amigos, Sonido Lasser, Drakar, Glasser, Le Corps Mince De Françoise, Le Prince Miiaou… William Fitzsimmons 7/2 Paris, International Arnaud Fleurent-Didier 8/2 Paris, Cigale Fujiya & Miyagi 26/4 Paris, Alhambra

Gang Of Four 18/3 Paris, Trabendo PJ Harvey 24 & 25/2 Paris, Olympia Jacques Higelin 27/1 Genève, 29/1 Béthune, 3/2 Toulouse, 10/2 Pau, 19/2 Carhaix, 25/2 Gien, 5/3 Tremblayen-France, 6/3 Suresnes, 15/3 Anzin, 24/3 Lyon Peter Hook “Unknown Pleasures” 10/3 Paris, Trabendo Les Inrocks débarquent à Bordeaux 26/1 Bordeaux, avec Beasty, April Shower, Crane Angels, Kid Bombardos, The Automators Inrocks Indie Club janvier 28/1 Paris, Flèche d’Or, avec Twin Twin, Candy Clash, Chocolate Donuts

Inrocks Indie Club février Shoegazing foutraque avec The Joy Formidable et retour des champions électriques de The Dodoz au programme de l’Inrocks Indie Club de février. 18/2 Paris, Flèche d’Or, avec The Joy Formidable, The Dodoz, The Airbone Toxic Event, Divine Paist Inrocks Indie Club mars 25/3 Paris, Flèche d’Or, avec The Go! Team, May 68 Interpol 15/3 Paris, Zénith Iron & Wine 17/2 Paris, Alhambra

Jamaica 8/2 Paris, Alhambra, 6/4 Strasbourg The Jim Jones Revue 8/4 Paris, Bataclan, avec The Legendary Tigerman, The BellRays Joan As Police Woman 23/2 Paris, Flèche d’Or, 24/2 Lille, 1/3 Strasbourg Jonny 24/2 Paris, Flèche d’Or Camelia Jordana 6/4 Paris, Trianon Katerine 27/5 Paris, Olympia K’s Choice 1/2 ClermontFerrand, 2/2 Nice, 4/2 Montpellier, 5/2 Marseille, 8/2 Rennes, 11/2 HérouvilleSaint-Clair La Fiancée 17/3 Strasbourg, 18/3 Nantes (+ Florent Marchet) Lilly Wood & The Prick 28/1 Besançon, 4/2 Calais, 9/2 Paris, Cigale, 10/2 Angers, 11/2 Mérignac, 12/2 Agen, 18/2 Nantes, 19/2 Lorient, 11/3 CergyPontoise, 12/3 Ris-Orangis, 24/3 Marseille, 25/3 Toulon, 26/3 Nice, 11/5 Paris, Bataclan Luke 31/3 HérouvilleSaint-Clair Ray Lamontagne & The Pariah Dogs 17/2 Paris, Olympia The Legendary Tigerman 23/2 Paris, Maroquinerie Lykke Li 21/4 Paris, Cigale Madjo 12/3 Les Sablesd’Olonne, 6/4 Saint-Quentin, 20/5 Paris, Cigale Florent Marchet 3/2 Toulouse, 4/2 Perpignan, 5/2 Toulon, 8/2 Montbrison,

12/2 Reims, 17/2 Luxeuilles-Bains, 18/2  Annecy, 19/2 Fontaine, 20/2 Le Poirésur-Vie, 3/3 Angers, 4/3 Lorient, 5/3 Brasparts, 11/3 Angoulême, 18/3 Nantes, 25/3 Paris, Cigale, 29/3 Falaise, 1/4 Portes-lèsValence, 2/4 Istres, 13/4 Lille, 14/4 Beauvais, 15/4 Rennes, 29/4 CergyPontoise, 6/5 Sottevillelès-Rouen, 7/5 Châteauroux, 14/5 Strasbourg, 15/5 Bruxelles, 20/5 Avoine, 21/4 Dijon, 4/6 Saint-Denisde-Pile, 23/7 Bournezeau, 24/9 Seclin, 7/10 Franconville, 13/10 Illkirch Melismell 17/2 La Bourboule Mercury Rev joue “Deserter’s Songs” 25/5 Paris, Bataclan My Little Cheap Dictaphone 29/1 Paris, Fnac Montparnasse Jeff Mills 28/1 Rennes Minitel Rose 28/1 Orvault, 6/2 Tours Kylie Minogue 11/3 Toulouse, 14/3 Nantes, Festival Mo’Fo Du 28 au 30/1, Saint-Ouen, avec The Vaselines, Herman Dune, Heavy Trash, Da Brasilians… Mogwai 17/3 Paris, Trianon, 18/3 Lille, 19/3 Strasbourg, 20/3 Lyon, 21/3 Nice, 22/3 Toulouse, 24/3 Bordeaux, 25/3 Caen Moriarty Du 14 au 20/3 Paris, Trianon Morcheeba 4/4 Nantes, 5/4 Paris, Casino de Paris, 7/4 ClermontFerrand, 8/4 Marmande, 15/4 Lille, 16/4 Strasbourg

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Dès cette semaine

Yael Naim 26, 27, 28 & 29/1 Paris, Cigale, 2/2 Angers, 3/2 Bordeaux, 4/2 Toulouse, 5/2 Marseille, 9/2 Strasbourg, 10/2 Grenoble, 11/2 Lausanne, 12/2 Nancy, 22/2 Le Mans, 23/2 Nantes, 24/2 Brest, 25/2 Rennes, 16/3 Lille, 17/3 Bruxelles, 19/3 Lyon Noah And The Whale 16/2 Paris, Café de la Danse Nouvelle Vague 20/3 Ris-Orangis Les Nuits de l’alligator Du 11 au 26/2 Paris, Maroquinerie, et Evreux, Beauvais, Mérignac, ClermontFerrand, avec

Laura Veirs & The Hall Of Flames, The Legendary Tigerman, Timber Timbre, Caitlin Rose, etc. Agnes Obel 1/2 Tourcoing, 2/2 Reims, 3/2 Nantes, 5/2 Le Havre, 6/2 Rennes, 8/2 Mâcon, 9/2 Lyon, 10/2 Paris, Cigale, 11/2 Strasbourg Owen Pallet 22/2 Paris, Café de la Danse, Raul Paz 10/5 Montargis, 13/5 Noyon Olivia Pedroli 17/2 Bordeaux Puggy 1 & 2/4 Paris, Bataclan Rococo 28/1 SaintPourçain-surSioule,

29/1 Limoges, 24/2 Besançon, 25/2 Mulhouse, 26/2 Haguenau, 3/3 Fougères, 4/3 Brest, 5/3 Quimper, 6/3 Vannes Caitlin Rose 16/2 Vannes, 18/2 Tulle, 19/2 La Rochesur-Yon, 20/2 Paris, Maroquinerie Gaëtan Roussel 6/4 Paris, Zénith Ron Sexsmith 2/5 Paris, Maroquinerie Shout Out Louds 28/3 Paris, Machine, 29/3 Angoulême, 31/3 Strasbourg Ballaké Sissoko et Vincent Ségal 15/3 Paris, Cigale The Sisters Of Mercy 5/3 Paris, Trianon

Nouvelles locations

The Specials 27/9 Paris, Olympia Stornoway 14/4 Paris, Café de la Danse Success 27/1 Rennes, 29/1 Blois, 3/2 Vire, 18/2 Magnyle-Hongre, 19/2 Saint-Ouen Sum 41 5/2 Paris, Zénith Youn Sun Nah 6/2 Schiltigheim, 8/2 Cusset, 9/2 Carquefou, 10/2 Lanester Super Mon Amour! # 4 Du 5 au 10/4 à Paris, Tourcoing, Nantes et Strasbourg, avec José Gonzalez performing with The Göteborg String Theory, Dan Deacon, Architecture In Helsinki,

Deerhunter, Nelson, etc. Syd Matters 29/3 Paris, Olympia Tahiti 80 7/4 Paris, Bataclan Yann Tiersen 7/4 Angoulême, 8/4 Avignon, 9/4 Nice, 10/4 Montpellier, 12/4 Toulouse, 13/4 Bordeaux, 14/4 Nantes, 15/4 Rouen, 16/4 Allonnes, 17/4 Lille, 19/4 Lyon, 20/4 Dijon, 21/4 Rennes Thieves Like Us 11/2 Lorient Richard Thompson 6/2 Paris, Café de la Danse Timber Timbre 21/2 Paris, Maroquinerie Boubacar Traoré 4/3 Paris, Cigale

En location

Tricot Machine 3/2 Paris, Boule Noire, 8/2 Lille, 10/2 Saint-Etienne, 14/2 Lyon, 15/2 Marseille, 16/2 Toulouse Troy von Balthazar 15/4 Paris, Machine The Two 3/2 Paris, Nouveau Casino Warpaint 26/5 Paris, Bataclan White Lies 23/2 Tourcoing, 14/3 Toulouse, 18/3 Bordeaux, 19/3 Rennes, 22/3 Paris, Cigale Kim Wilde 18/3 Paris, Cigale Saul Williams 9/2 Paris, Nouveau Casino The Wombats 25/2 Paris, Maroquinerie

aftershow

Godspeed You! Black Emperor le 14 janvier à la Cité de la Musique, Paris On se serait bien passé d’une telle douche froide en pénétrant dans la Grande Halle de la Villette pour le concert de Godspeed You! Black Emperor, ce 14 janvier : d’emblée, un collègue nous apprend la mort de Trish Keenan, la chanteuse chérie de Broadcast. Rude entrée en matière, qu’un drone de vingt minutes en guise d’introduction n’allait hélas pas égayer. Loin de la scène, dans la grande, trop grande halle, nous faisons pourtant l’effort de rester agrippé aux volutes électriques lancées comme autant de notes d’espoir – ainsi que l’indiquaient les fragiles “hope” projetés sur l’écran au fond de la scène – par ce groupe légendaire en sommeil depuis sept ans. Si les hymnes de Lift Your Skinny Fist nous bouleversent, et si le Rockets Fall on Rocket Falls nous terrasse toujours autant, il nous faut pourtant reconnaître que la magie ne prend pas tout à fait. Un inédit (Albania) d’assez mauvais goût, un son précis mais comme dévitalisé lorsqu’il arrive à nos oreilles lointaines, et puis les jambes qui flanchent, fatalement, au bout de 2 heures 30… Et l’on sort de là repu mais un peu sonné, des souvenirs plein la tête, des impressions désordonnées. Come on, let’s go. Jacky Goldberg 26.01.2011 les inrockuptibles 95

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Fonds Françoise Giroud/Archives Imec

Françoise Giroud sur le tournage de La Grande Illusion de Jean Renoir, février 1937

la féline Grande figure féministe et médiatique, Françoise Giroud a su réinventer la presse en lançant L’Express. Signée par Laure Adler, sa biographie s’impose comme le roman de l’histoire des médias, de la politique et des idées durant un demi-siècle.



our une génération née dans les années 60-70, Françoise Giroud, c’était la dame sympa au brushing en pierre qui souriait toujours en parlant de choses graves à la télé. C’est plus tard qu’on saura qu’elle fut l’une des plus grandes journalistes françaises, qui prônait avant tout une parole critique libre, la nécessité d’une vraie personnalité, sans entraves, derrière chaque article. Entre l’autocensure ou la mièvrerie d’hier et celles, parfois, d’aujourd’hui, Giroud aura été une sorte de météorite dans le monde de la presse, le chamboulant, le réinventant, le faisant avancer, puis subissant sa transformation industrielle. Son exigence : participer au débat – mieux, le créer. La biographie que lui consacre aujourd’hui Laure Adler est passionnante. Non seulement parce qu’elle trace le portrait beau et vivant, c’est-à-dire forcément paradoxal, d’une femme entière, mais aussi parce qu’elle s’impose comme le roman de l’histoire de la presse française durant un demi-siècle. Françoise a l’art d’y avoir foncé, dans ce siècle. Quand cette fille d’un diplomate juif de Turquie qui meurt très tôt, élevée avec sa sœur par leur mère en France, se met à travailler à 16 ans, c’est en tant que

secrétaire de Gide, qui l’emmène prendre le thé au Flore. Quand elle devient scripte au cinéma, sur les conseils de son amour impossible, Marc Allégret, c’est pour Jean Renoir. Quand elle se lance dans le journalisme, c’est avec Hélène GordonLazareff, avec qui elle lance le très féministe (à l’époque) Elle. Quand elle se fringue, c’est chez son ami Christian Dior en personne. Quand elle fera, bien plus tard, une psychanalyse, c’est avec Lacan lui-même. Quand elle écrit sur le cinéma, elle invente le terme “Nouvelle Vague”. Enfin, quand elle aime, c’est le très beau Jean-Jacques Servan-Schreiber, avec qui elle se lance dans l’aventure de L’Express, qu’ils fondent ensemble en 1953 en même temps qu’ils deviennent amants. Il a 29 ans, elle en a 37. Ils se sont rencontrés dans une soirée, et alors qu’il rentre avec sa femme, Madeleine Chapsal, elle les suit en voiture, s’amuse à les doubler sur les quais, et se lance dans un jeu de course-poursuite avec JJSS, dans Paris la nuit. Le lendemain, il lui envoie des fleurs et l’invite à venir écouter Pierre Mendès France. Elle est fascinée. “L’Express aura pour ambition et pour unique objectif, à sa naissance, de soutenir Pierre Mendès France et d’élargir le cercle de ses fidèles. Pour Françoise,

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toujours, dire non à l’histoire que d’autres, la famille ou les politiques, imposent

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le retentissement du fameux discours de l’Assemblée (il sera suivi d’une rencontre avec Mendès) marque la fin de l’aprèsguerre : moins de dandysme, moins de cynisme, moins d’égoïsme, plus d’ouverture au monde, plus de citoyenneté active aussi.” Et plus de journalisme engagé. Giroud et JJSS vont faire de L’Express une arme politique, au centre de tous les combats, contre cette France coloniale qui se comporte si mal ailleurs. Première menace de saisie en 1954 à la suite d’un reportage en Indochine. Censure au moment de la guerre d’Algérie, quand JJSS, de retour en France, publie dans L’Express ses carnets de guerre, relatant tout ce qui se passe vraiment en Algérie. Très vite, la bataille s’engage contre le général de Gaulle. L’Express décrasse une France bourgeoise, conservatrice, réac. Giroud y poursuit un travail féministe d’éveil des femmes : en plus d’engager des jeunes filles comme reporters politiques (Catherine Nay, Michèle Cotta, Danièle Heymann), elle signe des articles soutenant que le sexe et la jouissance sont très importants pour les femmes et qu’il est autant important de travailler, de gagner son indépendance financière et, aussi, de voter. Pourtant, au cours de sa vie privée, elle devra se heurter à de bons vieux clichés bourgeois, pas si féministes que ça : être la maîtresse, alors que JJSS ne quitte pas sa femme, puis se faire plaquer pour une stagiaire de 20 ans, jeune fille bien née qui pourra donner quatre fils à Servan-Schreiber. Laure Adler, même si l’on sent qu’elle aime sincèrement Giroud, qu’elle a fréquentée pendant quelques années, n’évite rien des zones d’ombre de son sujet : les lettres anonymes antisémites que celle-ci a envoyées à JJSS et à sa

en marge fiancée, son refus de dire qu’elle est juive, le fait qu’elle se soit sans doute injustement approprié la médaille de résistante de sa sœur pour faire de la politique (sous Giscard), bref, ses mensonges mais aussi sa souffrance : jalousie, dépression, tentative de suicide. “Françoise Giroud a toujours eu des rapports compliqués avec la vérité. Elle savait ne pas se souvenir de ses erreurs, niait et s’obstinait (…).” Comme si, chez Giroud, la femme et la journaliste étaient comme les deux faces d’une même pièce farouchement libre – libre de mentir, libre de crier la vérité via ce porte-voix génial qu’est la presse. Dans les deux cas : dire non à l’histoire que d’autres, la famille ou les politiques, nous imposent. D’ailleurs, née Gourdji, elle adoptera le pseudo Giroud. Et puis il faut peut-être aussi se blinder pour trafiquer les trahisons d’autrui, surtout de ses intimes, comme JJSS qui, pendant qu’elle fait de la politique, vend L’Express au pdg de la Générale occidentale, sans le dire à celle avec qui il l’avait fondé. Avant de rejoindre Le Nouvel Observateur, Françoise Giroud signera des chroniques dans le JDD, mais s’en fera virer quatre ans plus tard pour s’en être prise à Paris Match, qui trahissait le secret de François Mitterrand (un de ses proches) en publiant une photo de Mazarine Pingeot. Or les deux journaux appartiennent au groupe Filipacchi, et on ne plaisante pas avec ça. Françoise Giroud, qui avait connu la censure d’Etat, politique, tout en parvenant à la combattre, perdra face à une nouvelle forme de censure, économique, capitalistique, qui n’a que faire des bons journalistes. Preuve définitive que les temps avaient changé. Nelly Kaprièlian Françoise (Grasset), 4 96 pages, 2 2 €

Françoise Giroud, une vie 21 septembre 1916 Naissance à Lausanne. 1937 Diplôme de dactylo en poche, fait ses premiers pas au cinéma comme script-girl puis comme scénariste sous la houlette de Marc Allégret et de Jean Renoir. 1943 Agent de liaison pour la Résistance, est arrêtée par la Gestapo et emprisonnée à Fresnes. De 1945 à 1953 Dirige la rédaction du magazine Elle. 1952 Publie son premier livre, Françoise Giroud vous présente le Tout-Paris. 1953 Fonde avec Jean-Jacques Servan-Schreiber L’ Express, qu’elle dirige jusqu’en 1974.

1971 Apprend la mort de son fils, 31 ans, dans une avalanche. Son deuxième enfant est la pédopsychiatre et psychanalyste Caroline Eliacheff. 1974 à 1979 Devient, sous la présidence de Giscard, secrétaire d’Etat à la Condition féminine puis à la Culture. Elle participera, toujours aux côtés de Jean-Jacques Servan-Schreiber, à la fondation de l’UDF avant de cocréer l’association Action contre la faim. A partir de 1983 Devient chroniqueuse au Nouvel Obs et publie essais, biographies et romans à succès. 19 janvier 2003 A la suite d’un accident, elle meurt d’un traumatisme crânien à l’Hôpital américain de Neuilly.

la révolte des potiches Les ex de PPDA et de Drucker se rebiffent. Le signe d’un ras-le-bol contre un système ? Calixte Beyala a fait cracher Michel Drucker au bassinet. L’animateur a été condamné à verser 40 000 euros à son ancienne maîtresse qui avait écrit un livre à sa place. L’ex de PPDA espère elle aussi obtenir gain de cause. Pendant deux ans, Agathe Borne est apparue au bras de “Poivre” dans les gradins de Roland-Garros ou sur les marches du Festival de Cannes. Elle l’attaque aujourd’hui pour contrefaçon et réclame 150 000 euros de dommages et intérêts. Dans son inénarrable roman Fragments d’une femme perdue, paru en 2009, PPDA aurait reproduit onze lettres passionnées que lui avait adressées Agathe pendant leur idylle. Mais après tout, Christine Angot truffe ses romans de textos envoyés par ses ex et n’est pas traînée en justice pour autant. Peut-être parce que ses amants ont mieux à faire. Si Drucker et PPDA ne sortent pas grandis de ces intrigues dignes des Feux de l’amour, leurs maîtresses non plus. Toutes deux renvoient à une image de la femme plutôt dégradante, à ce cliché de l’ambitieuse qui ne compte que sur ses charmes et sur un soutien masculin pour se faire un nom. Alors, oui, leur démarche transpire un peu le mauvais goût, mais elle dépasse néanmoins la simple histoire de fesses et de gros sous. Finalement, plus que d’une révolte des potiches, il pourrait s’agir d’une révolte contre l’hypocrisie d’un système médiatico-éditorial qui utilise des nègres pour faire vendre les livres de personnalités en vue qui iront ensuite se pavaner sur les plateaux télé, leur bouquin sous le bras. Déjà, en 2009, Roger Karoutchi brisait le tabou et avouait qu’un autre avait écrit son autobiographie. A l’ère de WikiLeaks et d’une nouvelle exigence de transparence, c’est le genre de couleuvres qui ne passent plus.

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vie héroïque Itinéraire d’une jeune Irlandaise à Brooklyn dans un portrait de femme d’une beauté feutrée dessiné par Colm Tóibín. Ou comment chaque vie frôle la tragédie.

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inq ans après son très beau Le Maître, roman-hommage à Henry James, Colm Tóibín signe son propre Portrait de femme. Ultraclassique et tout en lenteurs, petites touches estompées, joies et violences psychologiques feutrées, son Brooklyn suit l’itinéraire d’une jeune Irlandaise, Eilis, qui émigrera à New York, Brooklyn, et y trouvera l’amour avec un garçon adorable, et la possibilité de faire des études, de s’élever socialement, des ouvertures qu’elle n’aurait pas soupçonnées si elle était restée dans sa petite ville, chez sa mère. Jusqu’au moment où elle devra rentrer au bercail. Y restera-t-elle, bousillant ainsi toute sa vie ? Comme tous les romans d’initiation au féminin, ce Brooklyn menace constamment de virer à la tragédie – c’est-à-dire au sacrifice. Ce roman rappelle ceux des romancières anglaises type Elizabeth Taylor, ou l’univers d’Edith Wharton sans son glamour, et ressemble aussi à ceux du grand Richard Yates, de La Fenêtre panoramique à l’ultrafort Easter Parade, qui suivait les trajectoires de deux sœurs, jusqu’à l’alcoolisme et la mort. Moins brutale que Yates, plus linéaire, et finalement beaucoup plus optimiste, la prose de Tóibín préfère s’attarder aux petits riens qui font toute vie et qui pourraient peut-être sauver son héroïne. Il est vrai qu’une femme s’est déjà sacrifiée au début

du roman, à tel point qu’elle a fini par mourir pour de bon. Rose, la sœur aînée d’Eilis, élégante, raffinée et entourée de soupirants, est paradoxalement celle qui a choisi de rester auprès de leur mère veuve, et de laisser sa petite sœur sauver sa peau en partant vivre au loin. Elle sait qu’elle ne se mariera pas, n’aura pas d’enfants, ne vivra que pour le confort de sa mère, se consolant de nouveaux cardigans et de parties de golf – elle s’autodétruira. Dans Madame Bovary, Flaubert sacrifiait la première femme de Charles et développait le roman de la seconde madame Bovary, Emma. Brooklyn appartient à ces œuvres, comme le Rebecca de Daphné du Maurier, où deux femmes ne peuvent pas survivre en même temps, où l’une prend la place de l’autre, et porte dès lors en elle l’obligation de réussir sa vie. Rose, qui avait tout de l’héroïne de roman, n’est pourtant pas celle que Colm Tóibín choisira. Ce à quoi il renonce en renonçant à elle, c’est la part trop romanesque de ces romans du XIXe auquel son texte aurait pu s’apparenter. Avec Eilis, on ne sera jamais Chez les heureux du monde de Wharton. Les pièges ne sont ni glam ni bling, mais tapis dans l’ombre et les sentiments. Dans Brooklyn, on n’acquiert le statut d’héroïne que par la force de son âme. Nelly Kaprièlian photo Renaud Monfourny Brooklyn (Robert Laffont/Pavillons), traduit de l’anglais (Irlande) par Anna Gibson, 324 pages, 2 0 €

Christophe Donner Vivre encore un peu Grasset, 192 pages, 14 €

Autour des derniers jours de son beau-père, Christophe Donner brode un texte cynique sur la vieillesse. Plus irritant que mordant. “La mort d’Elias est une mine d’or” et Christophe Donner semble bien décidé à exploiter le filon. De là à parler de pépite… Elias, le père de Dora, la compagne libanaise de l’écrivain, n’en finit pas de vieillir. A 104 ans, ses accès de folie épuisent son épouse Farah, ses enfants, et tous – hormis le frère aîné – n’attendent plus qu’une chose : que le vieux meure. Accompagnant sa femme à Beyrouth pour les fêtes de Noël, Christophe Donner observe ce tableau de famille à distance, avec une désinvolture un peu forcée. Une posture d’autant plus agaçante qu’elle contamine parfois le style (“L’idée des couilles de ce vieillard lavées par les mains de Thérèse, je trouve ça bizarre que ça les fasse autant kiffer”). Pourtant, le parti pris d’aborder la vieillesse sans trémolos coupables, mais avec cynisme et lucidité, promettait des pages grinçantes. Et dans les rares passages où l’auteur de L’Empire de la morale délaisse les artifices de la fausse provoc pour dire les choses sans ambages, il frappe plus fort, précisément là où ça fait mal, pointant la hantise que lui inspire la décrépitude d’Elias, spectre de sa propre et inéluctable déchéance. Mais trop occupé à se mettre en scène, Christophe Donner vampirise son livre et le vide de toute substance, ne livrant en fin de compte qu’un récit d’une vaine impudeur. E. P.

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Richard Pak/Picture Tank

pilules du bonheur Le portrait désopilant d’une quadra, cobaye pour un nouveau médicament miracle : Robert Cohen s’en prend à l’industrie pharmaceutique et à ses excès dans un roman-traitement de choc. ’ai un môme qui prend du Prozac et un médicamenteuse, Nuits insomniaques autre qui pisse au lit. J’ai deux boulots, examine ce nouveau mal du siècle pas de mari, et la seule fois où je me avec une fougue comique jubilatoire. lâche et que je fais l’amour avec Parce que le bien-être est devenu un machin qui ne sort pas des usines General une injonction impérieuse, on se gave Electric, je suis en cloque.” Bonnie traverse de pilules pour anesthésier mélancolie, ce qu’on appelle pudiquement un léger douleurs et angoisses ou améliorer nos passage à vide. Si on ajoute qu’à 39 ans performances intellectuelles, sexuelles, elle n’a toujours pas terminé sa thèse sur relationnelles… “Fallait-il donc qu’il y ait des Thoreau, que le père de son futur enfant est remèdes pour tout ? Pour la vie ? Une pilule plus préoccupé par le post-structuralisme ou un comprimé capable de reconstituer les que par sa progéniture et qu’elle s’apprête molécules du destin ?”, s’interroge Bonnie, à nouer une relation adultère avec elle-même en passe de devenir accro. un avocat fumeur d’opium, on peut même Nous sommes tous des drogués sur affirmer sans trop s’avancer que sa vie ordonnance, à l’image des personnages est un désastre. Même le sommeil ne lui du roman qui s’échangent leurs bons plans offre plus de refuge. Chaque nuit est antidépresseurs sur un forum internet, un long et lancinant cauchemar. Les heures et les dealers ne seraient autres s’égrènent, impitoyables, sur le cadran que les grands laboratoires qui créent du réveil et Bonnie rumine, ressasse, mais et entretiennent la dépendance. ne dort pas. Lentement, elle perd pied. Derrière la comédie caustique et Heureusement, nous sommes au XXIe siècle le portrait à la fois hilarant et empathique et la chimie moderne fait des miracles. d’une quadra à la dérive, Robert Cohen Zoloft, Effexor, Paxil, Xanax, Prozac… il y en s’attaque à l’industrie pharmaceutique qui a pour tous les maux et pour tous les goûts. joue sur nos manques et avec notre santé Par le jeu des rencontres et du hasard, pour faire du profit. A la fin du livre, on rit Bonnie se retrouve à tester un nouveau toujours, mais jaune. Elisabeth Philippe médicament élaboré par l’hôpital Nuits insomniaques (Joëlle Losfeld), traduit de Boston : le Dodabulax, remède miracle de l’anglais (Etats-Unis) par Lazare Bitoun, et panacée annoncée contre l’angoisse, 464 pages, 2 5 € la peur, la dépression, les insomnies… Les recherches sont conduites par Ian Ogelvie, un jeune psychologue tout aussi inadapté à la vie que Bonnie. Le roman de l’écrivain américain Robert Cohen, son cinquième, se révèle sans aucun doute un traitement encore plus efficace que les petits comprimés bleus gobés par Bonnie et provoque en tout cas une addiction similaire. Satire désopilante et réussie d’une société au bord de l’overdose

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les cinélivres Un bataillon de romans estampillés “adapté au cinéma” a inondé les librairies en cette rentrée. Nouveau label de qualité ? Naissance d’un genre romanesque hybride ? Oui, mais pas seulement…

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ourquoi ne pas dire haut et fort ce que tout lecteur averti, amoureux, compulsif, souffle à sa psyché meurtrie depuis qu’existent les salles obscures ? L’adaptation de roman au cinéma est ontologiquement synonyme de traumatisme. C’est un fait : devant leurs avatars de cinéma, les traits de nos héros de romans préférés, lentement façonnés par notre imaginaire, s’effacent. Ainsi en va-t-il du pauvre Rhett Butler englouti par le dentier de Clark Gable, d’Elizabeth Bennet par le regard carnassier de Keira Knightley, de la princesse de Montpensier par le corps privé de cou de Mélanie Thierry… Comme si le deuil n’était déjà pas assez difficile à faire, la sortie du film est généralement assortie d’une réédition du livre, avec nouvelle couverture. En théorie, cette douloureuse conversion n’a jamais été aussi vraie qu’en ce mois de janvier, avec la sortie d’un bataillon de romans ayant récemment inspiré un film. Entre ceux qui l’affichent fièrement (couverture, bandeau), ceux qui timidement anticipent (c’est pas encore fait mais presque) et ceux qui font valoir le double statut d’écrivain-cinéaste de leur auteur (les sorties concomitantes du film Pieds nus sur les limaces et du roman Un jardin sur le ventre de Fabienne Berthaud), on comprend vite qu’il est de bon ton pour un roman de faire valoir ses affinités avec le 7e art… Le cinéma, argument de vente imparable d’un livre ? Gage suprême de sa valeur ? Sous l’effet d’annonce, c’est ce que le sous-texte semble dire. La formule “adapté au cinéma” agit comme un label requinquant, garant d’une esthétique pleine de vitamines : de l’action, du drame, et surtout pas trop de descriptions.

Submarino de Thomas Vinterberg (2010), tiré du livre éponyme de Jonas T. Bengtsson

L’issue de tout cela pourrait bien être une génération de romans-scénarios, sans chair, écrits dans le seul espoir de se faire adapter… Dans le cas des romans concernés, il s’agit encore d’une simple aura qui émigre du film au livre… Ainsi, on a beau nous vendre True Grit comme le “roman culte” de Charles Portis, écrit en 1968, il gagne surtout en glamour grâce à l’adaptation qu’en font les frères Coen, transfiguré par le sourire blanc de Matt Damon. Le livre, en lui-même, enfile les dialogues de western dans une honnête chasse à l’homme, dont la jolie spécificité est d’offrir le rôle du poursuivant à une gamine de 14 ans. Idem pour Submarino de Jonas T. Bengtsson, nettement plus corrosif (lire Les Inrocks n° 788), surfant aussi sur le nom de Thomas Vinterberg (Festen), qui l’a porté à l’écran. La plus grande retombée de paillettes bénéficie à Dans ses yeux, roman argentin dont l’adaptation en film a tout simplement été couronnée par l’oscar 2010 du meilleur film étranger. Là encore, c’est une bonne raison de découvrir le roman d’Eduardo Sacheri : livre dans le livre, qui fait le récit d’un fait divers non élucidé (une jeune femme enceinte violée et tuée) sous

la dictature argentine. Roman sur la folle mécanique du désir de vengeance, sur un amour obsessionnel et (en)quête éperdue dans un monde sans horizon politique. Au fond, on ne peut que se réjouir de voir trois bons romans paraître grâce au levier de leur sortie en films, et qu’on n’aurait peut-être jamais pu lire autrement. Sans doute cela témoigne-t-il d’une nouvelle passerelle, d’un lien plus vif entre le cinéma et la littérature non pas classique (stop !) mais contemporaine. Ce récent rapport fusionnel s’illustre de manière particulièrement belle et surprenante avec l’adaptation annoncée d’En attendant Robert Capa par Michael Mann. Le premier roman traduit de l’Espagnole Susana Fortes relate les amours du célèbre photographe du point de vue de son amante, réfugiée juive dans le Paris des années folles. Romance fascinante, fresque tragique et étincelante rattrapée par l’antisémitisme et basculant bientôt dans la guerre d’Espagne, pour laquelle on succombe comme a succombé le réalisateur de Miami Vice. Emily Barnett En attendant Robert Capa de Susana Fortes (Editions Héloïse d’Ormesson), 254 pages, 19 €

la 4e dimension Bob Dylan polygraphe

les amis de Battisti censurés Le délégué à la Culture de la Vénétie, fidèle berlusconien, a demandé aux bibliothèques italiennes de retirer de leurs rayons les livres des écrivains signataires d’une pétition en faveur de l’ex-militant d’extrême gauche, parmi lesquels Giorgio Agamben ou Tiziano Scarpa.

le linge sale des Jardin Après l’oncle, la demi-sœur. Nathalie Jardin Laverty s’en est pris à Des gens très bien d’Alexandre Jardin, qui selon elle “porte des accusations très graves contre notre grand-père Jean Jardin”. A quand la réaction de la cousine ou de l’arrière-petit-neveu ?

Jean Dutourd, mort d’un vrai réac Pour Frédéric Mitterrand, Dutourd incarnait “l’esprit français”. Les nécros ont aussi évoqué ses participations aux Grosses Têtes. Personne en revanche pour rappeler sa chronique hebdomadaire sur Radio Courtoisie, la radio des royalistes et de l’extrême droite.

Les vieux rockeurs aiment écrire. La preuve, Dylan vient de signer un contrat pour six livres avec son éditeur Simon & Schuster, dont deux volumes autobiographiques qui feront suite aux Chroniques, ses mémoires parus en 2005.

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de sang-froid

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’est comme un gouffre qui vous happe, une chute vertigineuse dans les abîmes d’une conscience égarée. Vous avez ouvert le livre et le piège s’est refermé sur vous. Vous êtes pris dans les rets de la prose sidérante d’Hélène Bessette, condamné à lire dans un seul souffle ce roman épistolaire détraqué, correspondance à une voix qui vire au soliloque suffocant. Nous sommes en 1960. Le bon pasteur G. écrit à sa femme Dora partie se faire soigner en Suisse. Une profusion de missives

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glaciales ou enfiévrées, tout à la fois déclarations d’amour et lettres de rupture, aveu d’adultère et confession contrite, chantage et supplique. Nous n’avons jamais les réponses de Dora. Seul son silence fait écho aux mots de G., litanie déréglée d’un homme qui prêche dans le désert. Disparue en 2000, Hélène Bessette, romancière dont on redécouvre l’œuvre singulière depuis peu (avec les rééditions de Suite suisse ou de La Tour), a elle-même été mariée à un pasteur dont elle a divorcé, ainsi que le rappelle Maylis de Kerangal qui signe une lumineuse postface à ce livre paru pour la première

fois en 1963 : “Si Bessette s’éloigne de la foi, si elle martèle le dogme jusqu’à l’os du doute et de l’incroyance, elle conserve dans sa langue une traçabilité religieuse qui envoûte et foudroie.” Des éclats de phrases pour dire “une vie en miettes”, traduire le chaos. De sang-froid, l’écrivain dézingue les faux-semblants et les mensonges sur lesquels ont été érigées les conventions sociales et des institutions telles que l’Eglise, le mariage, la famille, très pesantes dans les années 60. Avec une cruauté raffinée, elle épingle la “comédie sociale”, l’étrille, l’esquinte. “L’hypocrisie est reconnue

Hélèné Bessette, 1961

Famille Brabant

Les lettres cruelles et démentes d’un pasteur à sa femme. Une réédition qui confirme la puissance abrasive du verbe d’Hélène Bessette.

légalisée enregistrée paraphée certifiée canonisée intronisée et contre-signée” et G. l’incarne pathétiquement. Entre les mots, dans les blancs interstitiels, se dessine le portrait de l’absente, celui de Dora, femme libre et hors champ, qui rejette en bloc les conventions comme Hélène Bessette refuse les codes du roman avec une éblouissante radicalité. Elisabeth Philippe N’avez-vous pas froid (Laureli/ Léo Scheer), 200 pages, 17 €

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Comme Vian, on boit, mais pas “n’importe quel jaja”. Pour son vingtième numéro, le dernier de la série, la revue Inculte nous enivre avec un dossier consacré à l’alcool auquel ont notamment collaboré Maylis de Kerangal, Claro, Mathias Enard… Cheers!

mercredi 26

Revue Inculte, 192 pages, 9,50 €

Cette année, le Festival international de la BD est présidé par Baru, l’auteur de Quéquette blues et de L’Autoroute du soleil, et met notamment à l’honneur le Snoopy de Charles M. Schulz pour fêter le 60e anniversaire de la série.

jeudi 27

à venir Mark Twain N° 44 (Tristram)

Du 27 au 30 janvier, www.bdangouleme.com

Tristram publiera le roman posthume de Mark Twain, N° 44. L’auteur consacra à ce projet les vingt dernières années de sa vie et écrivit trois versions différentes, toutes inachevées. A sa mort, en 1910, les manuscrits sont confiés à son biographe officiel, Albert Bigelow Paine, mais l’édition relève de l’accord de Clara, fille de l’auteur. Nihilistes et impertinents, les trois manuscrits demeurent sous scellés. Ils sont finalement édités aux Etats-Unis en 1969, puis réédités en 2005 en une version unique intitulée N° 44, the Mysterious Stranger. Si l’œuvre conserve sa tonalité irrévérencieuse, plus d’un quart du texte original est passé à la trappe. C’est que Mark Twain est un habitué (posthume) de la censure. Dernière en date : celle des Aventures d’Huckleberry Finn. Dans une nouvelle édition passablement édulcorée, qui sera mise en vente en février, le mot “nigger” (nègre), écrit pas moins de 219 fois dans la version originale, a été remplacé par “slave” (esclave). Une initiative qui provoque une vive controverse au sein du monde académique et littéraire outre-Atlantique. Sortie le 7 avril

vendredi 28

“La vérité est purement et simplement question de style.” On prolonge la réflexion d’Oscar Wilde pendant les rencontres Littérature enjeux contemporains, sur le thème “Littérature en vérité”. Une façon de s’interroger sur la manière dont la fiction s’empare du réel. Parmi les vingt-cinq auteurs présents : Jean Rolin, Jean-Benoît Puech, Jacques Henric, Chloé Delaume… Du 28 au 30 janvier à l’auditorium du Petit Palais, Paris VIIIe, www.petitpalais.paris.fr

On écoute James Ellroy, invité de l’émission Radio libre, retracer son parcours sexuel, au cœur de son livre La Malédiction Hilliker. Dans cette autobiographie amoureuse, le provocateur réac fait le tour de lui-même en plus de quatre vingt partenaires.

samedi 29

voyage entre la France dimanche 30 On et l’Afrique en compagnie de Trois femmes puissantes de Marie NDiaye, prix Goncourt 2009, qui paraît en poche (Folio, 160 pages, 7,30 €). Un magnifique triptyque obsédant et dérangeant qui, à travers trois trajectoires fracturées, interroge l’inhumanité du monde.

Marie NDiaye

Catherine Hélie/Gallimard

France Culture > 15 h 30

trinque avec les éditions Verticales lundi 31 On lors d’une Soirée de lectures d’hiver (et variées) au Point Ephémère à Paris. Entre deux verres, on pourra entendre François Bégaudeau lire des extraits de son dernier livre La Blessure, la vraie ou Jean-Charles Massera présenter Tunnel of mondialisation.

Jérôme Garcin Olivier (Gallimard)

A partir de 19 h 30, www.pointephemere.org

On revit une histoire d’amour platonique mais intense avec Catherine Millet. L’auteur de La Vie sexuelle de Catherine M. évoque son “classique” préféré : Le Lys dans la vallée de Balzac, passion non consommée entre Félix de Vandenesse et la vertueuse madame de Mortsauf sur fond de campagne tourangelle. Millet lira des extraits de ce roman et racontera sa rencontre avec ce texte. A 18 h au Théâtre de l’Odéon, Paris VIe, www.theatre-odeon.fr 102 les inrockuptibles 26.01.2011

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Catherine Millet

Arnaud Février/Flammarion

mardi 1er

Dans le prolongement de ses récits autobiographiques, La Chute de cheval et Théâtre intime, Jérôme Garcin publiera Olivier la semaine prochaine. Si La Chute de cheval tournait autour de la mort de son père, Olivier raconte une autre tragédie : la perte de son frère jumeau durant l’enfance, et le deuil indélébile qui marque toute une vie d’homme. Sortie le 3 février

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Yusaku Hanakuma Tokyo Zombie Editions IMHO, 160 pages, 12 €

le chant des bourreaux La BD de pirate revisitée avec un humour pince-sans-rire par un duo étonnant formé par Jason et Fabien Vehlmann.

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bandonnée aux mauvais soins d’une marâtre, Gweny est déterminée à retrouver son père, qui a disparu après avoir trouvé la carte d’un trésor. Avec l’aide d’une bande de pirates pas très malins, l’aventureuse fillette débarque sur une île qui abrite une école pour bourreaux, où de jeunes recrues sont formées à leur rôle de tortionnaire. Trahie, traquée et ne pouvant compter que sur l’aide de Tobias, un apprenti bourreau empoté, Gweny finira tout de même par découvrir la vérité peu reluisante sur son père. Ce récit d’aventures tordu est le fruit d’une collaboration inattendue entre Jason et Fabien Vehlmann. Jason, discret auteur et dessinateur norvégien installé à Montpellier, écrit habituellement seul ses scénarios décalés et poétiques, dans lesquels il met en scène ses personnages insolites, sortes de chiens anthropomorphes au regard vide. Pour L’Ile aux 100 000 morts, il s’est associé avec

un récit sans temps mort, à l’humour noir féroce

Fabien Vehlmann, scénariste prolifique de BD plus grand public (Seuls, Spirou…). Et le résultat est étonnant. Expert dans l’art de mener une intrigue, Fabien Vehlmann construit un récit sans temps mort, à l’humour noir féroce, où la violence est omniprésente et gaiement banalisée. Avec des dialogues lapidaires, des gags absurdes, du comique de répétition bon enfant et des situations au non-sens réjouissant, il revisite le récit de genre. Il y insuffle non seulement des rebondissements insolites et agréablement gratuits mais aussi une charmante sensibilité (la touchante quête de Gweny, l’inadaptation de Tobias) et des thèmes chers à Jason comme l’absence de morale, le poids du destin, le mal-être. Il est parfaitement servi par la composition très théâtrale de Jason, ses cases répétitives, ses décors minimalistes, la simplicité de son dessin, l’étrangeté de ses personnages – et par la magnifique mise en couleur d’Hubert. Un dialogue réussi entre dessinateur et scénariste, qui offre une vision rafraîchissante du thème un peu usé de la bande dessinée de pirate. Anne-Claire Norot

Délirante BD associant zombies et catch. Mêler dans la même bande dessinée deux sujets aussi fédérateurs que les zombies et le catch : une telle idée ne pouvait germer que dans un cerveau malade mais aussi sacrément rigolo. Dans Tokyo Zombie, Yusaku Hanakuma met en scène un monde apocalyptique envahi par les zombies, où les survivants se divisent en riches exploiteurs et en esclaves. Fujio, jeune homme adepte du jiu-jitsu, gagne sa vie en luttant contre des zombies dans des matchs de catch pour amuser les privilégiés, tandis que gronde la révolte des pauvres. Blagues faciles, rebondissements bidon, violence gratuite, insultes puériles, les ficelles de Tokyo Zombie sont énormes et hilarantes. Avec un sens poussé du second degré, Yusaku Hanakuma s’attaque à la morale, bastonne le bon goût. Piétinant les canons du catch et des récits de zombies, il fait de Tokyo Zombie un monument de décalage, digne de ses influences cinématographiques probables, de Romero à Shaun of the Dead. A.-C. N.

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Thomas Aurin

le bon coup de Marton Au Standard idéal de Bobigny, David Marton tape dans le mille avec une version resserrée de Wozzeck d’après Alban Berg, aussi dense qu’agitée.

première Médéa chorégraphie Carlotta Ikeda La danse des ténèbres, ou buto, dont Carlotta Ikeda est une figure tutélaire, convient parfaitement au personnage de la Médée d’Euripide revisité par Pascal Quignard sur une composition musicale d’Alain Mahé. Du 27 au 29 janvier au Théâtre Paris-Villette, Paris XIXe, tél. 01 40 03 72 49, www.theatre-paris-villette.com

réservez Assisted Living: Good Sport 2 et Spiraling down chorégraphie Yvonne Rainer Yvonne Rainer, rouage essentiel de la postmodern dance, est enfin de retour en France. Dans Assisted Living: Good Sports 2, elle s’amuse de sources d’inspiration aussi improbables que des photos de presse sportives du New York Times. Pour Spiraling down, elle puise dans ses archives perso tout en convoquant Fred Astaire, Elvis ou Nijinski. Les 4 et 5 février au Centre Pompidou, Paris IVe, www.centrepompidou.fr



uelques secondes et l’on est happé. Le rythme soutenu maintient une tension permanente, comme si l’on était pris dans un maelström d’images et de sensations. Voilà sans doute une des productions les plus originales récemment inspirées par l’opéra d’Alban Berg Wozzek. Son auteur, David Marton, metteur en scène né il y a trente-cinq ans à Budapest, s’est déjà illustré en montant notamment Lulu du même compositeur. Et l’on pourra bientôt apprécier toute l’étendue de son talent avec Harmonia Caelestis, spectacle musical adapté du roman de Péter Esterházy et présenté lui aussi dans le cadre du Standard idéal à la MC93 de Bobigny. Avant de se tourner vers la mise en scène, David Marton a d’abord suivi une formation de musique classique. Sa rencontre avec Christoph Marthaler, dont il a été l’assistant, a été décisive dans son choix du théâtre musical, genre où il excelle dans un style aussi intense que remuant. Ainsi, en abordant Wozzeck, il prend ses distances avec la partition, faisant appel au compositeur canadien Sir Henry, chargé de bousculer quelque peu la musique de Berg à coups de samples et de collages sonores. Le décor de Bert Neuman reconstitue un studio d’enregistrement, espace qui traduit parfaitement l’enfermement, l’aliénation voire l’incommunicabilité du héros, le nez écrasé derrière la vitre qui le sépare de la salle. Interprété par Max Hopp, on voit un Wozzeck à la fois physique et fragile

traversé par un flux incessant de sensations qui le tourmentent. Face à lui, la chanteuse Yelena Kuljic campe une Marie à la présente forte. Au piano, Sir Henry joue de son côté le maître de cérémonie – mais aussi les autres personnages – de ce cabaret macabre aux accents pop dodécaphoniques. La musique passe de la frénésie d’un Carl Stalling à des mélodies sucrées dignes de Michel Legrand, bientôt saturées de stridences sonores comme si nous étions dans le cerveau de Wozzeck. Un montage étourdissant et oppressant mais surtout instable ; rien ne tient en place dans cet univers déchiré où tout est toujours remis en question. Ce qui permet à David Marton de maintenir une distance ironique, tandis que le spectacle ne cesse de basculer dans un mouvement inexorable. Wozzeck, perdu dès le début, accomplit son destin comme un rite cruel voué à se répéter à l’infini, repassant incessamment à travers les étapes d’un chemin de croix qui le conduit toujours plus bas vers le crime. Rien d’étonnant donc si le metteur en scène lui donne au passage une dimension christique, brouillant un peu plus les pistes et traduisant bien la confusion dans laquelle le malheureux se débat. Hugues Le Tanneur Harmonia Caelestis d’après Péter Esterházy ; Wozzeck d’après Alban Berg et Georg Büchner, mises en scène David Marton, du 4 au 7 février et du 28 mars au 3 avril à la MC93, Bobigny, dans le cadre du Standard idéal

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cruel désenchantement Illusion et manipulation au centre des jeux de l’amour de Marivaux, par un Michel Raskine qui ne se prive pas d’assombrir le propos. ême quand il monte En savoir plus sur l’autre C’est donc sur l’air un classique, que ce qu’on donne à voir. des vieux singes à qui l’on ce qui est rare, Sur cette duplicité n’apprend pas à faire Michel Raskine fait du paraître, Marivaux a la grimace que maîtres du théâtre contemporain. construit sa pièce, véritable et valets se déguisent et Démonstration éclatante mise en abyme du théâtre : tentent de se percer à jour. avec Le Jeu de l’amour et du l’endroit d’où l’on voit ; Sauf qu’ils semblent ignorer hasard de Marivaux, qui racle le regard se chargeant ici qu’il n’est point besoin de jusqu’à l’os les clichés qui d’un savoir d’autant plus craindre une trahison, sale l’étouffent. Exit les deux savoureux qu’il n’est pas revers de l’amour, qu’ils jeunes jouvenceaux, Sylvia partagé par tous. Ce que ont déjà commise, croyant et Dorante, que leurs pères savent le public, le père par cette duperie donner ont décidé de marier, à et le frère de Sylvia, à l’amour un trait de vérité condition que leur rencontre elle et Dorante l’ignorent. qui avance masqué. La produise l’amour qui rendra Et ce qu’ils savent, la manipulation est générale légitime leur union. duperie qu’ils se jouent l’un et le premier perdant C’est derrière un rideau à l’autre pour s’observer est l’amour, sa possibilité que Sylvia et sa servante sans être reconnus, nous comme son devenir étant Lisette lancent le savons aussi. Autre mise joués et perdus d’avance : les premières répliques. en abyme du théâtre : le jeu “Dans ce monde où tout Mais une fois le rideau tiré, comme expérimentation est totalement soumis à surprise, Sylvia est une et la représentation comme l’épreuve, donc à la trahison, quinquagénaire aux traits expérience de l’illusion. donc au mensonge, tout tirés, nerveuse et fumant Enfin, ajoute Michel le monde est floué.” clope sur clope, qui veut se Raskine, “il y a la question D’où ce quatrième acte, donner le loisir d’observer de la langue. Il y a un écart rajouté par Michel Raskine, Dorante en changeant de entre les corps et le langage, muet pour ne pas dire rôle avec Lisette. Ce qu’elle une tension à travailler”. sinistre : les jeux sont faits, ignore, mais que savent En choisissant de faire mais rien ne va plus. parfaitement son père et jouer des acteurs Certes, nous avons bien ri, son frère, c’est que Dorante quinquagénaires, il décale le divertissement était fort a eu la même idée avec son l’argument de la pièce, réussi ! Fabienne Arvers valet Arlequin. Dans cette fondé sur la découverte Le Jeu de l’amour et du hasard maison endormie aux divans de l’amour par des jeunes de Marivaux, mise en scène recouverts de plastique, gens : “Et si c’était Michel Raskine, jusqu’au où toute vie est suspendue, la dernière expérience 6 février à l’Odéon-Théâtre ils s’apprêtent à savourer amoureuse ? Une dernière de l’Europe, Ateliers Berthier, le spectacle d’une tentative, l’aventure Paris XVIIe, tél. 01 44 85 40 40, www.theatre-odeon.eu vraie-fausse rencontre. vouée à l’échec.”

Michel Cavalca

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Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le blanc Résultat d’un choix monochrome et monomaniaque dans les collections du Frac Aquitaine : une expo consacrée au blanc. Avec des œuvres d’Absalon, Nicolas Chardon, Jeff Koons, Roman Opalka et Florian Pugnaire… Jusqu’au 16 avril au Frac Aquitaine, quai Armand-Lalande, Bordeaux, www.frac-aquitaine.net

Ronan et Erwan Bouroullec Après Londres, Los Angeles et Rotterdam, la rétrospective thématique des frères Bouroullec fait escale au centre d’architecture de Bordeaux. Au programme de cette expo entre design, art et archi : des projets avortés, des dessins, des maquettes et des prototypes. Jusqu’au 27 mars à Arc en Rêve, 7, rue Ferrère, Bordeaux, www.arcenreve.com

Paris/Berlin Nouvelle session d’échanges entre les galeries parisiennes et berlinoises. Parmi les nouveaux couples : Gebauer et Torri, Wentrup et Frank Elbaz, Klemm’s et Chez Valentin. Les 28 et 29 janvier à Paris, www.berlin-paris.fr

Courtesy Emmanuelle Lainé et Triple V. Photo André Morin.

vernissages

œuvres hors circuit Elles ont une vie avant l’expo, après et ailleurs. Accrochées en ce moment dans divers lieux d’expo, nombre d’œuvres n’ont en fait jamais quitté l’atelier de l’artiste. Une pratique nouvelle et libératrice.



ncore une expo sur les archives, les documents et ce que les artistes en font. Sans doute celle de trop. Quand Fun Palace, à Beaubourg, fouillait les archives du Centre Pompidou, ses commissaires et ses artistes savaient ce qu’ils y cherchaient. Beyond the Dust, à la Fondation d’entreprise Ricard, ne vise rien de précis : elle envisage les archives non pas sous l’angle WikiLeaks du secret bien gardé et utilement révélé, mais sous l’angle très limité de la poussière qui les recouvre, comme ces vieux livres qu’on va glaner chez les bouquinistes avant de les poser chez soi et de leur donner une seconde vie très décorative. De quoi traitent-ils ? C’est alors le moindre de vos soucis. De quoi traitent les livres et les images en noir et blanc déployés à la Fondation Ricard ? De choses et d’autres. Peu importe : les commissaires les exposent ensemble uniquement parce qu’ils ont cet aspect suranné des vieux documents longtemps enfouis. Or, en filigrane de ce thème très spécieux, traité avec une préciosité ridicule, un autre perce, que les commissaires

auraient été bien inspirés de souligner : les artistes ne s’adressent pas à nous depuis le centre de documentation mais depuis leur atelier, leur chantier. Ils ne documentent rien, si ce n’est leur propre travail, sa maturation ou plutôt sa stagnation, ses redites, ses reprises, son inachèvement, et leur indécision. Nombre d’œuvres dans l’expo et ailleurs à Paris ne sont ainsi jamais vraiment sorties de leur lieu de production. Ou alors seulement à la condition de l’emmener avec elles, parce qu’elles y sont attachées. Mark Geffriaud tapisse ainsi l’Espace Ricard de la reproduction des murs de son atelier où s’affichent des documents divers et variés qui nourrissent sa réflexion quotidienne. Clément Rodzielski présente une photographie d’une de ses œuvres. Pris dans l’atelier, le cliché est soumis à un découpage tarabiscoté et devient finalement une œuvre en soi. L’image de l’artiste s’arrachant les cheveux et tournant en rond entre quatre murs déteint sur l’œuvre, sans cesse remise sur le métier, de sa version finale à sa reproduction, à sa nouvelle version.

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encadré

coup de jeune Les curators sont morts, vive les curators juniors !

Photo de l’atelier d’EmmanuelleLainé présentée dans le cadre de l’exposition Effet cocktail à la galerie Triple V

A la Cité internationale des arts, les doigts de David Hominal, cherchant fébrilement un chemin dans son atelier, tricotent sur le même thème. Enfin, les sculptures d’Emmanuelle Lainé, monceaux embryonnaires, pièces mort-nées, ne passent plus les murs de son atelier autrement qu’en photo. Autant d’œuvres cloîtrées, recluses, détruites parfois avant de s’exposer, qui signalent surtout un changement d’ère et de mentalités, un passage du post-studio au néo-studio. Loin de considérer, comme naguère, le lieu et le temps de l’expo comme le début et la fin de l’œuvre (éphémère), loin encore de privilégier les interventions in situ, les artistes aujourd’hui ne les envisagent plus que comme des éléments accessoires. Ils adoptent un tempo moins saccadé et déroulent leur travail sur une ligne continue : manière peut-être de compenser la variété et le nombre des expos collectives auxquels ils sont invités. Comme s’ils avaient retenu la leçon de certains de leurs aînés, lessivés par les cadences infernales imposées par un milieu de l’art aussi prompt à vous lancer qu’à vous jeter. Judicaël Lavrador Beyond the Dust – Artists’ Documents Today jusqu’au 29 janvier à la Fondation d’entreprise Ricard, 12, rue Boissy-d’Anglas, Paris VIIIe, tél. 01 53 30 88 00 ; L’Ecal à Paris jusqu’au 12 février à la Cité internationale des arts, 18, rue de l’Hôtel-de-Ville, Paris IVe, citedesarts. pagesperso-orange.fr ; Emmanuelle Lainé jusqu’au 5 février à la galerie Triple V, 24, rue Louise-Weiss, Paris XIIIe, www.triple-v.fr

Dans les années 2000, on s’est gaussé de cette espèce encore mal identifiée qu’était l’artiste émergent. Il n’y en avait que pour lui, cet énergumène mal dégrossi qui avait l’audace de s’accaparer tout le palais de Tokyo à moins de 29 ans. Cet ostrogoth qui se serait bien vu en haut de l’affiche et écumait les stands du Salon de Montrouge. Ce jeunot tout droit sorti de l’école des Beaux-Arts mais en voie de professionnalisation précoce et dont le seul passeport était sa date de naissance lui permettant d’accéder aux expositions Younger than Jesus (au New Museum) ou au grand raout de Dynasty (au palais de Tokyo). Au risque de se voir périmé l’année suivante. Aujourd’hui, le jeunisme a fait des petits et franchi une barrière : celle du curatoriat. Depuis quelque temps, la nouvelle star s’appelle le curator junior. Un peu à la façon des managers juniors – comprenez ces jeunes requins aux dents longues mais dont l’expérience reste à faire –, les curators juniors se sont imposés en quelques mois. Récemment, on a ainsi appris la nomination de quatre d’entre eux (Emilie Renard, Mélanie Bouteloup, Claire Staebler et Abdellah Karroum) au sous-commandement du grand paquebot que sera la troisième édition de la Force de l’art, rebaptisée Triennale de Paris, et qui se tiendra d’avril à août 2012 sous la direction d’un curator plutôt senior : Okwui Enwezor. Récemment encore, le duo composé de Yoann Gourmel et Elodie Royer (60 ans à eux deux) s’est vu confier les rênes de la programmation du Plateau pour la rentrée 2011. Sans compter l’appel lancé fin novembre par un palais de Tokyo quelque peu déserté et qui cherchait à renflouer ses équipages avec un “curator junior”. Quitte à ce que cette opération d’updating généralisée laisse au passage, et comme dans le cas des artistes, quantité de commissaires compétents, considérés comme hors jeu parce qu’ils ont dépassé les 35 ans.

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street book Chaque année, depuis 2005, un livre intitulé All Gone compile les objets qui ont fait l’actualité de la culture street. Déjà culte.

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Sorties en 2010, la statuette Pinocchio de l’artiste américain Kaws et la paire de chaussures bateau réalisée en collaboration par Sebago et Cool Cats figurent, au milieu de deux cents autres objets, dans le dernier All Gone

I

l n’y en aura pas pour tout le monde, comme d’habitude. “Les boutiques ont passé leurs commandes depuis des semaines, raconte Michael Dupouy, le créateur et coordinateur du livre. Et en trois ou quatre jours, ce sera fini, elles auront tout vendu.” Pour célébrer le cinquième anniversaire du bouquin, son tirage a pourtant été augmenté. Mille deux cents exemplaires ont été imprimés, contre mille les années précédentes. “Je me dis qu’on aurait peutêtre dû faire un peu plus, mais on n’a pas envie de retrouver All Gone dans un skate shop pourri. Il a plutôt vocation à rester un produit rare, de qualité.” Malgré les alléchants devis d’imprimeurs chinois, il est donc fabriqué à Grenoble, dans l’usine qui édite les ouvrages Louis Vuitton, et cela se sent. Au toucher, la couverture en nubuck de la dernière édition fait le même effet qu’une paire d’Edward Green. Chaque mois de janvier, la sortie de All Gone est un événement, c’est devenu une institution de la culture street mondiale. Son succès est lié à son principe, aussi simple qu’efficace. Sous forme chronologique, il répertorie les sorties de sneakers, livres, T-shirts ou œuvres d’art qui ont marqué les douze mois précédents. Ainsi, il fixe dans le temps des pièces dont le buzz s’est emparé pendant quelques heures avant de changer de proie. En bout de chaîne, et en temps quasi réel, il finit par écrire l’histoire de la culture street. “Ça n’aurait pas eu de sens de le faire pendant un an et de s’arrêter là, reprend Michael Dupouy. Dès le départ, on l’a envisagé sur la durée, livre après livre, année après année. Le support papier, auquel je suis très attaché, permet cela. Il donne de l’épaisseur à des objets qui se périment très vite, il les bonifie. On ne se contente pas d’utiliser des images que les marques pourraient nous fournir, on reshoote tout nous-mêmes. Puis on fait un véritable travail de journaliste. Pour une basket dessinée

“ce qui nous intéresse c’est le meilleur, le plus beau de cette culture. On assume”

par un artiste pour une marque, par exemple, on contacte la marque, on essaie d’interviewer l’artiste, de comprendre sa démarche, la genèse du projet, on ne se contente pas des infos du communiqué de presse. Cette démarche contribue aussi à mettre en valeur les objets.” Dans All Gone, les objets et le traitement dont ils bénéficient sont donc très haut de gamme. Ce parti pris ne correspond pas forcément à l’idée qu’on se fait de la culture street. “On nous reproche régulièrement de ne pas être assez ghetto, de ne pas parler d’un T-shirt qu’un gars a réalisé dans son garage et revend sur le marché de Lille. Mais ce qui nous intéresse c’est le meilleur, le plus beau de cette culture. On assume.” Au détour d’une page, on peut ainsi tomber cette année sur une paire de chaussures de montagne de la marque japonaise Visvim d’une valeur supérieure à 1 000 euros. La présence de ces pompes-là dans le livre n’est évidemment pas gratuite. En plus d’être splendides, elles symbolisent les deux tendances fortes de l’année. “Les marques de la street culture proposent des produits de plus en plus haut de gamme, souvent réalisés en collaboration avec des marques ou des créateurs au savoir-faire reconnu. L’autre tendance, c’est la généralisation de l’esthétique “outdoor”. De plus en plus de marques s’inspirent des looks de chasseurs, bûcherons, randonneurs…” D’où les chaussures de montagne. Pour assurer la promotion de All Gone, Michael Dupouy, également patron de La MJC, une agence de communication, et créateur de la ligne de fringues Cool Cats, accomplira une véritable tournée mondiale. Il traversera l’Europe puis, à défaut du Japon, où les fans sont très nombreux, il se rendra aux Etats-Unis, où près de la moitié des stocks du livre sont vendus. Dans la vingtaine de boutiques qu’il visitera, on se bousculera pour acheter le bouquin et obtenir une dédicace. C’est comme ça depuis plusieurs années. “Ces tournées sont géniales, mais elles ont un vrai défaut, rigole Dupouy. Quand je suis sur la route, je prends du retard pour le bouquin de l’année suivante…” Marc Beaugé Illustration Alexandra Compain-Tissier All Gone 2010 (La MJC), 250 pages, 40 € 26.01.2011 les inrockuptibles 109

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profils de lutteurs Comment filmer un conflit social ? Dans Les Molex, des gens debout, le documentariste José Alcala accompagne le combat de salariés en colère. Un témoignage saisissant sur une fierté ouvrière qui refuse de sombrer dans le grand bain financier.

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n les appelle les “Molex”, les “Conti”, les “Caterpillar”, les “New Fabris”… Ils n’ont plus que leur étiquette médiatique pour faire exister leur colère, comme la marque de leur mise à mort déployée sous nos regards effarés par le crépuscule industriel. Ils sont les derniers insurgés d’une classe ouvrière sacrifiée par le néolibéralisme, abandonnée par l’Etat, méprisée par des dirigeants pour lesquels des centaines de salariés ne valent rien face à quelques profits financiers. L’histoire du cinéma documentaire reste traversée par des films au plus près des luttes et des grèves ouvrières, comme en témoignent cette semaine plusieurs festivals (Filmer le travail, à Poitiers, Est-ce ainsi que les hommes vivent ?, à La Courneuve…). En ce début des années 2010, la question ouvrière redevient un enjeu central pour des réalisateurs et/ou romanciers, à l’image de Gérard Mordillat qui après une fiction pour la télé Les Vivants et les Morts vient de publier un nouveau roman habité par son sens de la révolte, Rouge dans la brume (CalmannLévy) sur un conflit entre des ouvriers et la direction de leur usine fermée par

des actionnaires américains. Un récit inspiré par le réel, par des tragédies sociales répétées qui rythment la vie du monde ouvrier, confronté aux délocalisations et aux montages financiers tordus. Le sort des Molex reste de ce point de vue exemplaire, parce qu’à la fois emblématique de tous les récents conflits et singulier par la forme de résistance qu’ils opposèrent à la direction de l’usine de connectique automobile localisée à Villemur-sur-Tarn en Haute-Garonne. Alors que le site affiche un bénéfice de 1,2 million d’euros en juillet 2008, la direction décide, trois mois plus tard, de le fermer. Le 6 novembre, les 283 employés de l’usine, soutenus par la municipalité et les habitants de la région, manifestent : début d’un mouvement de résistance qui va durer deux ans. Plutôt que de se plier aux conditions du plan social, les Molex se battent pour la survie de leur outil de production, font appel à la justice pour légitimer leur action (qui leur donne raison plusieurs fois au regard du droit que la direction ne respecte pas), se postent jour et nuit, en se relayant, devant les portes de l’usine pour signifier leur refus du mépris dont ils font l’objet.

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au poste

drogué à la télé Pour Delarue, la plus dure des dopes l’expression d’une colère articulée autour d’un diagnostic politique

Plutôt que la grève, ils choisissent la voie de l’occupation symbolique et de la pression. De ce bras de fer entre ouvriers et direction, qui a tout d’une guerre d’usure, José Alcala saisit le moindre des gestes dans un documentaire beau et triste comme un crépuscule, Les Molex, des gens debout. Le réalisateur s’attache aux moments de tension autant qu’aux instants de lassitude, à l’excitation du combat autant qu’à l’attente fébrile d’une issue, à la pugnacité syndicale autant qu’au découragement de la base. Sur la durée, au plus près des ouvriers, il filme la construction d’une lutte, de son envolée jusqu’à son extinction. La parole forme le cœur de cette édification pratique. Le refus de se laisser écraser s’arrime à l’expression d’une colère articulée autour d’un diagnostic politique : les règles du jeu néolibéral, les fonds de pension, les vœux cachés des actionnaires… n’ont pas de secrets pour eux. Leur lutte, par-delà la solidarité qu’elle génère entre eux, débouche sur une déconstruction précise du capitalisme actuel. Incarnée par deux porte-parole syndicaux, au verbe précis et au souffle brûlant, Guy Pavan et Denis Parise, la colère traverse chacun des corps présents devant les portes d’un paradis perdu. Collectivement, un élan s’opère, déployé à partir de la dénonciation d’un abus de pouvoir, d’un mépris absolu. En héritier du cinéma direct, José Alcala accompagne le mouvement, comme s’il conférait à sa caméra la vertu d’un portevoix. Il écoute, attend, se pose, en suspens mais aussi en partage. L’énergie et l’espérance se mêlent à part égale dans

le film aux désillusions et à l’amertume finales. Les pleurs déchirants du délégué syndical Guy Pavan, confessant son écœurement, sont compensés dans le film par une dignité collective qui affleure sans cesse. Au terme de deux années de lutte, les 283 salariés ont tous été licenciés, 17 seulement parmi eux ont retrouvé un travail, 221 sont encore inscrits à la cellule reclassement, pendant que la direction de Molex affiche 54 millions d’euros de bénéfices. Cette absurdité de l’horreur économique des temps présents est ressentie partout en France. Un autre réalisateur, JeanThomas Ceccaldi, l’a mesurée dans un nouveau volet de la série documentaire, Destins voisins, initiée il y a trois ans. En filmant le quotidien de plusieurs familles d’une petite ville en Seine-et-Marne, Coulommiers, Ceccaldi propose une vision resserrée du paysage mental et social du pays : une coupe transversale d’un état de la France, inquiète, fragilisée, appauvrie. Sa nouvelle radiographie se concentre sur une blessure identique à celle des Molex : la fermeture de l’imprimerie Brodard, cœur de l’activité économique locale. Molex, Brodard : mêmes causes, mêmes effets. Les délocalisations et les diktats financiers ont raison des salariés exsangues, abandonnés par l’Etat et les élus, persuadés qu’à la colère succédera la résignation. La résignation pourrait pourtant se transformer un jour en révolution sociale : les Molex et d’autres en ont esquissé les contours. Avec ces “gens debout”, qui ne veulent pas disparaître, l’histoire n’est pas finie. Jean-Marie Durand Les Molex, des gens debout, sur Arte, le vendredi 28 janvier à 23 h A noter aussi : Destins voisins, comme chez nous, sur France 5, le mardi 1er février à 20 h 35 Soirée “Est-ce ainsi que les hommes vivent ?”, au cinéma L’Etoile de La Courneuve autour de deux documentaires : 1er mai à Saint-Nazaire de Marcel Trillat et Hubert Knapp ; Rouge Rateau, montage de rushes de la grève de 1974 aux usines Rateau, vendredi 4 février (renseignements : 01 49 92 61 95) Festival Filmer le travail, à Poitiers du 28 janvier au 6 février : http : //2011.filmerletravail.org Cycle “Beau travail” à la BNF A lire : Rouge dans la brume de Gérard Mordillat (Calmann-Lévy), 438 pages, 22 €

Plutôt que son addiction à la cocaïne et à l’alcool, l’addiction à la télé ne formerait-elle pas le drame le plus fort de Jean-Luc Delarue ? L’hypothèse traversait l’esprit à la vue de l’étonnante confession qu’il offrit la semaine dernière à Benoît Duquesne sur France 2. A travers ses mots, sa posture, sa désarmante sincérité, l’exhibition de ses troubles névrotiques, Delarue semblait rejouer un vieux numéro de Psy Show. Assis dans son bureau de Réservoir Prod, l’animateur télé brisait pour la première fois sa carapace grise sous laquelle s’est construit son personnage lisse, sec, incassable et indiscutable, comme un modèle fantasmatique pour ménagères. Traversée du miroir, renversement de positions : faillible, il ressemblait soudainement à tous ceux qu’il avait interrogés depuis des années sur ses plateaux. Le gendre idéal trichait en douce avec son image de gentleman animateur : son empathie et sa gentillesse dissimulaient un malaise tenace qu’il traîne dans la vraie vie depuis la petite enfance. Rien d’exceptionnel en soi : chacun d’entre nous est rattrapé d’une manière ou d’une autre par son enfance. Mais chez Delarue, pour le dire, le filtre de la télé s’impose. La vedette cathodique doit expier ses fautes et assumer sa culpabilité dans l’antre même de sa notoriété. Exclu d’un espace secret et intime abritant ses affects, Delarue n’a que la télé pour exister, y compris pour se racheter. Elle est sa tragédie autant que sa comédie, son boulet autant que son salut. Il y a évidemment une part d’intérêt dans ce geste (se refaire une image, reconquérir des émissions et des parts de marché). Mais cette confession publique portait surtout la marque de son aliénation et de son asservissement à la seule drogue qui compte : la télévision, cette substance qui rend euphoriques jusqu’à la folie ceux qui y goûtent avec excès.

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OK Quora

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n n’avait pas vu une telle effervescence autour d’un nouveau site depuis 2006 et l’arrivée de Twitter. Il aura suffi de quelques billets sur des blogs influents, de TechCrunch à Scobleizer, pour que Quora devienne la coqueluche des médias américains et dépasse les 500 000 utilisateurs dans le monde début janvier. Lancé en test en juin dernier, il faut pourtant encore une invitation pour pouvoir y accéder en dehors des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Créé par deux anciens de Facebook, Charlie Cheever et Adam D’Angelo, Quora est d’abord un site de questionsréponses, un genre pas vraiment nouveau puisque Yahoo! Answers existe depuis 2005. Mais l’engouement tient au fait que Quora intègre des fonctionnalités inspirées de Twitter, Facebook et Wikipédia, bref ce qu’on fait de plus efficace en matière de réactivité et de communauté. Le site agrège questions et réponses des internautes mais leur publication et la modération s’effectuent en temps réel. Pour ses ambitieux fondateurs, “l’important est de transformer chaque page de question en la meilleure ressource possible pour les gens désireux d’apprendre des choses sur un sujet. Avec le temps, la base de données des connaissances grandira de plus en plus, jusqu’à ce que tout ce que tout le monde désire savoir se retrouve dans le système.”

parmi les nombreux spécialistes : les acteurs de la net économie, les geeks et les scientifiques

Laurent Bazart

interactivité

Créé par deux échappés de Facebook, ce site de questions-réponses en temps réel est en train de devenir la coqueluche des médias. Après un temps de prise en main, Quora se révèle un outil riche, utile pour approfondir un sujet, permettant notamment de suivre (comme sur Twitter) d’autres membres mais aussi des thèmes ou des questions, d’apporter ses propres précisions ou des commentaires... Experts et curieux se mêlent et l’interactivité donne vite une impression de communauté. Comme Wikipédia, Quora peut (pour l’instant) compter sur des participants pleins de bonne volonté, qui répondent aux questions – exposer avec rigueur ses connaissances permet de se faire reconnaître ! – Parmi les nombreux spécialistes, les acteurs de la net économie, les geeks et les scientifiques sont les plus actifs, ce que reflètent les sujets abordés. D’après l’ingénieur du site Steven Soneff, on trouve parmi les plus suivis Facebook, Twitter, majors d’internet ou start-up. L’enjeu est de maintenir la qualité des échanges et leur courtoisie malgré l’afflux grandissant d’internautes. Pour cela, ils ont par exemple créé un quizz pour apprendre aux nouveaux membres à bien poser leurs questions et ils recrutent pour la modération des utilisateurs remarqués “pour leur bon travail en accord avec la philosophie du site”. Certains sujets sensibles sont traités à part (racisme, misogynie…). Et la suppression des questions les moins pertinentes n’empêche pas la présence de requêtes anecdotiques, inutiles ou ironiques (“Microsoft est-il malfaisant ?”, “Quel est le légume le plus postmoderne ?”, “Ça fait quoi d’être riche ?…), qui parfois suscitent les réponses les plus sérieuses ! Signe du succès, Quora a déjà son site parodique, Cwora. Anne-Claire Norot

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parole clandestine

Philippe Merle/AFP

Pourchassée et censurée par Ben Ali, Radio Kalima fut l’un des seuls médias à se faire entendre sous la dictature. Histoire d’une résistance à micros cachés.

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es journalistes kidnappés ou molestés, des studios sous scellés, une surveillance constante : il est probable que Radio Kalima aurait payé un jour ou l’autre un écot encore plus tragique au régime Ben Ali si celui-ci ne s’était effondré le 15 janvier. Jusqu’ici, Kalima la clandestine avait réussi à préserver son activité de ventriloque anti-establishment : ne pas montrer d’où l’on parle, mais parler avec ses tripes. La très attendue – mais hypothétique – libéralisation des médias devrait lui permettre de sortir de l’ornière de la censure et lui offrir un statut de média symbole : celui d’une nébuleuse de reporters qui a su allier esprit de résistance, pratiques journalistiques traditionnelles et technologies de pointe. Interdite de diffusion hertzienne, le paradoxe de Kalima est qu’elle doit son origine à un des discours à double fond de Ben Ali en 2000 : “N’ayez pas peur de parler, disait-il à son peuple. exprimez-vous, moi je ne censure pas.” “On va le prendre au mot”, réagit alors Sihem Bensedrine, journaliste et opposante célèbre, plusieurs fois

torturée. Kalima (“parole” en arabe) prend d’abord la forme d’un magazine en ligne, éditant une version papier diffusé sous le manteau. En 2008, grâce à des subventions de plusieurs ONG, Kalima veut prendre une autre envergure et se faire entendre. Des journalistes sont recrutés, des studios montés mais dès le premier jour un juge d’instruction assisté de dizaines de policiers – “la première industrie du pays”, comme on dit à Tunis – investissent les locaux et confisquent le matériel. Il faudra alors abandonner l’idée de rédaction centralisée, opter pour la stratégie de l’étoile : chacun son matériel et une clandestinité accrue. Les sons sont fabriqués sur place (enregistrés avec des dictaphones ou des téléphone portables, les micros étant trop voyants), mais les fichiers sont acheminés par Skype jusqu’en France. Là, ils sont montés par un exilé, Khaled Zyed Jaouadi avec l’aide de Radio Galère à Marseille. Via un serveur, les émissions sont diffusées par satellite et réceptionnées par les Tunisiens, alors que le site est en principe hors d’atteinte. “Ici, Les gens ont l’habitude

esprit de résistance et technologies de pointe de la censure, tout le monde dans les quartiers populaires connaît les nouveaux serveurs proxy pour contourner les interdictions”, raconte Khaled Zyed. Les programmes sont écoutés, malgré de nombreux écueils : hackages quotidiens par l’ATI (Agence tunisienne d’internet, censée le promouvoir), coupure des transmissions par l’opérateur Eutelsat suite à un scoop dérangeant de Kalima Algérie, journalistes séquestrés par la garde présidentielle ou tabassés chez eux en direct sur l’antenne. Les événements révolutionnaires ont bien sûr permis aux reporters de Kalima de donner leur pleine mesure, avec une audience grandissante (350 000 clics par jour). “Avant les gens marchaient à la rumeur, résume Khaled Zied mais Ali n’a pas compris qu’internet pouvait jouer un rôle primordial” Pascal Mouneyres www.kalima-tunisie.info/fr/et aussi sur www.radiogalere.org 26.01.2011 les inrockuptibles 113

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gunfight

série de tueur Avec Justified, la chaîne de The Shield a trouvé son nouveau fleuron avec une série entre western et polar, subtilement anachronique.

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on pas adaptée d’un album de Justin Timberlake mais de l’univers de l’écrivain Elmore Leonard, Justified a fait sensation sur FX au printemps 2010 avec un score d’audience que la chaîne n’avait pas connu depuis The Shield. A partir d’un personnage présent dans deux romans et une nouvelle d’Elmore Leonard, le showrunner Graham Yost (The Pacific, Band of Brothers, Boomtown et… Speed, le film de 1994 avec Keanu Reeves) a imaginé une plongée dans l’Amérique déglinguée de l’écrivain chère à Tarantino, sur les pas d’un flic prompt à la gâchette qui ne connaît peu ou prou qu’un seul credo : “Il a dégainé en premier, je l’ai abattu.” Coiffé d’un indéboulonnable Stetson et chaussé de santiags, l’US marshal Raylan Givens a donc un bon siècle de retard. Il lui arrive de faire n’importe quoi, si bien que ses supérieurs embarrassés le renvoient dans son Kentucky natal en guise de représailles. Voilà pour les préliminaires. S’ensuit une série d’intrigues ficeléesbouclées à chaque épisode, où le personnage se retrouve à la poursuite de couples de malfaiteurs plus ou moins branques, d’indics louches, de stripteaseuses sur le retour, tous souvent plus arnaqués qu’arnaqueurs et englués dans

des situations cocasses. Bref, une galerie de portraits truculents de l’Amérique profonde dont le défilé systématique peut parfois devenir un brin lassant, mais qui heureusement se resserre autour du héros et de ses proches en deuxième partie de saison. La plus grande réussite de Justified tient dans son esprit western, beaucoup plus fin qu’il n’y paraît. La superbe campagne de promotion avait joué la carte Old West à fond, misant sur des clichés iconiques de la silhouette du marshal braquant son colt le regard ombré par son chapeau. Mais l’empreinte westernienne de la série est beaucoup plus subtile : au milieu d’une Amérique tout ce qu’il y a de plus contemporaine, le cadrage d’un gunfight, la posture d’un tireur ou une conversation sur une motte de terre aride pendant une fusillade suffisent à faire ressurgir par touches très légères le genre américain par excellence, avec un petit pas de côté. Ce héros placide, hanté par une colère rentrée qu’il semble ignorer lui-même, et surtout qu’il ne peut pas contrôler, est

les morts s’accumulent à chaque épisode dans une sorte de surenchère absurde

l’héritier d’une longue liste d’as de la gâchette tourmentés. Dans Justified, on passe son temps à avoir l’air de dire que c’est OK de tirer (les morts s’accumulent à chaque épisode dans une sorte de surenchère absurde et apparemment sans conséquence), mais on ne cesse de se demander ce que cela signifie vraiment. La série jouit d’un atout paradoxal en la personne de Timothy Olyphant, interprète du marshal anachronique. Encore auréolé de son rôle de shérif dans l’importante Deadwood, sa seule présence induit la greffe entre western et polar. Mais surtout, Olyphant possède une raideur singulière, qui pourrait se confondre avec de l’indifférence et fait bien souvent penser au Henry Fonda de La Poursuite infernale ou au Clint Eastwood de la “trilogie du dollar”, acteurs flegmatiques se tenant toujours à la lisière entre le torticolis et l’underplaying. Il promène dans Justified sa démarche jambes serrées, très légèrement étrange, son sens du contretemps et son air narquois, conscient qu’on a besoin de lui pour la prise et qu’il peut la traverser comme bon lui semble et au rythme qui lui plaît. Plutôt classe pour un vestige. Clélia Cohen Justified sur Orange Cinéchoc le 30 janvier à 20 h 45 (multiples rediffusions)

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brèves Californication puissance 5

David E. Kelley : retour gagnant Le pilote de Harry’s Law, nouvelle série du génial créateur de The Practice et Ally Mc Beal, a cartonné sur NBC le 17 janvier, dépassant les 11 millions de téléspectateurs. La vraie bonne nouvelle, c’est que la bizarrerie de David E. Kelley n’a pas pris une ride et que ce premier épisode donne envie. La moins bonne nouvelle ? On ne s’imagine pas supporter Kathy Bates, le rôle principal, vingt-quatre fois par an. Mais on essaiera.

Kevin Winter/AFP

A peine la quatrième saison commencée aux US que la drôle et sexy Californication connaît déjà son avenir. Doré. La série de Tom Kapinos reviendra une cinquième fois. Une manière pour la chaîne câblée Showtime de s’assurer à l’avance que la production prendra le temps de voir venir et donc d’avoir du talent. Le secret des séries US est-il si difficile à percer ?

Steve Buscemi triomphe pour Boardwalk Empire

awards

Globes surprises

Le choc Carlos, Boardwalk Empire et Glee au sommet. ad Men a fini par chuter ! Après trois victoires consécutives, la série sixties de Matthew Weiner est repartie bredouille des 68e Golden Globes, le 16 janvier à Los Angeles, battue par un autre défilé de costumes chics, années 20 ceux-là. Offrant à HBO sa première victoire dans la catégorie reine du meilleur drame depuis 2002 (Six Feet après Heroes Under), Boardwalk Empire et ses gangsters Le créateur de Heroes, de la prohibition ont renversé la montagne, Tim Kring, vient de vendre un permettant aussi à Steve Buscemi de nouveau pilote à la Fox, après repartir gagnant de la cérémonie. Ce une petite année de traversée triomphe n’est pas une immense surprise : du désert. Touch racontera les il récompense un certain air du temps, le aventures d’un jeune autiste goût ambiant pour la télévision de prestige capable de prédire l’avenir. aux faux airs de cinéma – Scorsese a N’ayant malheureusement pas réalisé le pilote de cette production plus les mêmes capacités, on chère que beaucoup de films. attendra gentiment de voir. La (con)fusion ciné/télé se trouvait aussi au cœur de la plus grande surprise de cette soirée. Le Golden Globe de la minisérie remporté par Olivier Assayas pour son triptyque Carlos (sélectionné l’an Dr. House (TF1, le 2 à 20 h 50) La très forte dernier à Cannes et diffusé sur Canal+) fin de la saison 5 avait laissé l’irascible n’était attendu par personne, et surtout House en mauvaise posture mentale. pas par Steven Spielberg et Tom Hanks, Voici la suite, une sixième saison qui nous producteurs de The Pacific, éberlués devant arrive seulement un an et demi après la leur coupette de champagne. Les actrices diffusion américaine. La vitesse selon TF1. Katey Sagal (Sons of Anarchy, FX) et Laura Linney (The Big C, Showtime) ont également Detroit 187 (Canal+, le 27 à 20 h 45) surpris. Pour le reste, Jim Parsons de Big Pour le fabuleux Michael Imperioli Bang Theory a fait l’unanimité ; Glee a (l’ex-Christopher des Soprano), logiquement dominé la concurrence dans on plonge avec plaisir dans la catégorie comédies, mais de cela, cette belle série policière tout personne n’a été surpris. Deux des en modestie et nuances. meilleurs membres du cast de cette création pop sautillante, Chris Colfer et Rubicon (Orange Cinémax, Jane Lynch, complétaient la belle histoire. le 2 à 20 h 40) On en a parlé Cette dernière, parfaite comme d’hab’, a longuement la semaine dernière, prononcé le discours de remerciements mais la répétition des conseils d’ami le plus drôle de la soirée. Normal, c’est ne fait pas de mal. Soyez pas cons, regardez Rubicon ! notre chouchoute. Olivier Joyard

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agenda télé

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émissions du 26 janvier au 1er février

Geluck, l’homme à la tête de chat Documentaire de Bérengère Casanova. Jeudi 27 janvier, 21 h 35, France 5

série

super zéros Le retour des Invincibles, quatre potes trentenaires toujours aussi médiocres et attachants.

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omme les étoiles mortes, la série québécoise Les Invincibles continue à briller après sa disparition… par l’entremise de son clone strasbourgeois qui aborde sa saison 2 et continue à reproduire assez fidèlement l’original en le condensant. Si les quatre Invincibles canadiens étaient déjà assez middle of the road, et si leurs alter ego français (FX, Mano, Vince et Hassan) sont un cran au-dessous, la série est néanmoins précieuse en France, car elle comble un grand vide entre, grosso modo, Plus belle la vie et les feuilletons policiers hexagonaux. On pourrait tenter de la définir comme une synthèse masculine de Friends, Sex and the City et Desperate Housewives, option rock et BD – il ne faut pas oublier l’histoire de superhéros qui ponctue et encadre l’action live. Le principal ressort des aventures de ces adulescents ringards, naïfs et dissimulateurs, est le coup de théâtre déceptif qui régénère constamment leur amitié (qui a tendance à péricliter en période de stabilité). Originalité esthétique : la symbiose récurrente entre images réelles et bande dessinée. Côté réalisation, recours trop systématique au “montage-séquence” (résumés sans paroles et avec musique de pans de récit parallèles). Ceci mis à part, l’événement notable de la saison 2 est l’arrivée de Sonia Rolland, l’ex-miss France, dont la plastique pimente les (d)ébats. La deuxième saison ayant été tournée avant la diffusion de la première, on ignore encore si la série française suivra le sort de la canadienne, terminée en 2009, qui a vécu trois saisons. Encore faudrait-il que le public suive. Vincent Ostria

Les Invincibles saison 2 série d’Alexandre Castagnetti et Pierric Gantelmi d’Ille. 8 x 52 min., du 1er au 22 février, tous les mardis, 22 h25, Arte

J’étais un sale phallocrate Documentaire de Pierre Hodgson. Dimanche 30 janvier à 22 h 20, Arte

Georges Wolinski, éternel obsédé. Le dessinateur Wolinski revient sur ses années de jeunesse et ses obsessions : les femmes et le sexe bien sûr ; mais aussi la politique et la religion, ses deux autres fixations névrotiques. A l’époque, ses dessins dans Hara-Kiri transpirent de son énergie lubrique, et ses traits subtils se nourrissent de ses grosses ficelles de mec n’ayant aucun égard pour les codes de bienséance. Si le sexe n’est plus tabou en soi, le mauvais esprit du subversif Wolinski semble s’être effacé de nos gazettes. Ce documentaire permet donc de revenir sur une époque où Reiser, Crumb et Manara mêlaient au discours sur l’amour la provocation d’une tradition libertaire de la bande dessinée. JMD

Comment Philippe Geluck surfe sur le succès de son Chat. Ce documentaire à la gloire de Philippe Geluck et de sa principale création, le Chat, qui fait des ravages en librairie, confirme ce qu’on savait déjà pour avoir vu le dessinateur humoriste dans les émissions pantouflardes de Drucker ou de Ruquier : Geluck a un petit talent nonsensique, mais d’un autre côté il est aussi lisse que son héros. Un Belge sympa (pléonasme), sans accent et sans excès, dont l’œuvre politiquement correcte et ludique ne dérange personne. A cet homme-tisane, on préférera ses plus goûteux compatriotes Noël Godin (entarteur), Jan Bucquoy et Boris Lehman (cinéastes), pour qui les médias ne déroulent pas le tapis rouge. V. O.

Top Chef Emission présentée par Agathe Lecaron et Stéphane Rotenberg. Lundi 31 janvier à 20 h 45, M6

La vogue des émissions de cuisine semble ne pas faiblir. Pourtant avec leur surabondance, on frôle l’indigestion. Meilleure que Master Chef, au goût plus aseptisé et au style plus poussif, l’émission Top Chef revient pour une deuxième saison sur M6. Avec les mêmes chefs, virtuoses au piano, excellents en plateau : Thierry Marx, le chauve de service (pendant de Frédéric Anton dans Master Chef), Jean-François Piège (le maître), Christian Constant (le sage) et Ghislaine Arabian (l’experte), qui seront soumis cette année aux mêmes épreuves que les candidats. Pas sûr pourtant que le filon des bons petits plats et des grandes saucées ne s’épuise déjà un peu. A force de se goinfrer de concours de beauté culinaire, la télé pourrait souffrir d’un effet de saturation gastrique. JMD

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Serge et Beate Klarsfeld, guérilleros de la mémoire Documentaire d’Elisabeth Lenchener. Vendredi 28 janvier, 20 h 40, France 5

à voix nue Des récits de 1945 sur Auschwitz lus en voix off sur les lieux mêmes. e documentaire a une particularité seule femme du lot, Suzanne Birnbaum, rare : en dehors de quelques dont le point de vue est plus personnel). photos, on n’y voit pas d’êtres Certes, avec son dépouillement et sa humains. L’exploration d’Auschwitz précision, sa certaine beauté grave et désert et de ses alentours sert de support terrible, ce film s’éloigne des sempiternels visuel aux textes de quatre rescapés docus historiques, mais il décrit ce du camp d’extermination, lus par des qu’on commence à connaître assez bien comédiens en off. Des témoignages parfois – grâce à Primo Levi et bien d’autres. tellement factuels et dépassionnés que Si on est toujours abasourdi par cette dans certains cas ils semblent tirés de entreprise de démolition de l’homme par manuels d’histoire. Dans leur description l’homme, Emil Weiss n’apporte pas minutieuse du processus de la Shoah, d’éclairage particulièrement nouveau. V. O. de l’arrivée des déportés et de leur séjour Auschwitz, premiers témoignages insoutenable dans le camp, les auteurs documentaire de Emil Weiss. affichent une objectivité déroutante (sauf la Mercredi 26 janvier, 20 h 40, Arte

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Survol de la vie des célèbres chasseurs de nazis. Les grandes lignes du parcours de Serge et Beate Klarsfeld, ce couple francoallemand qui s’est fait connaître dès les années 1960-70 pour ses actions parfois risquées contre les anciens criminels de guerre nazis. Leur rôle pionnier dans la reconnaissance de la Shoah, et dans le fameux “devoir de mémoire” à l’égard des victimes des camps de la mort, est incontestable et essentiel. Serge Klarsfeld a beau insister sur l’importance de sa famille, ce documentaire retrace essentiellement des événements médiatisés. Nourri d’images d’archives, le documentaire passe sous silence la tentative d’assassinat dont les Klarsfeld auraient été victimes. V. O.

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enquête

comment dit-on Hadopi en espagnol ?

Solarider

Bien qu’elle ne vise pas à punir les internautes “pirates”, la version espagnole d’Hadopi, débattue en ce moment par les parlementaires, est âprement combattue par des utilisateurs qui dénoncent une atteinte à la liberté.



ans foi, mais surtout sans loi. Le Far West 2.0, c’est internet en Espagne, selon les mots de la ministre espagnole de la Culture, Angeles González-Sinde. Cette élégante réalisatrice de cinéma est au cœur de la bataille acharnée que se livrent internautes, politiques et sociétés de créateurs depuis plus d’un an autour de l’élaboration d’une loi de type Hadopi alors qu’aucune législation ne régit encore spécifiquement les téléchargements de contenus illégaux en Espagne. Une guerre qui mobilise aussi le collectif Anonymous, les internautes porteurs d’un masque qui se sont rendus célèbres grâce à leur mobilisation en ligne pour défendre le fondateur de Wikileaks, Julian Assange. Plus que le pays des matadors, l’Espagne serait une nation de pirates à en croire les rapports élaborés régulièrement par les Etats-Unis. On y trouve en effet “l’un des pires problèmes de piratage entre les principaux marchés européens”, selon l’Alliance internationale pour la propriété intellectuelle (IIPA), un lobby nordaméricain. Les fuites de Wikileaks ont même dévoilé que l’administration américaine avait fait pression sur le gouvernement de Zapatero pour qu’il durcisse la loi. C’est ce qu’espérait justement faire ce dernier en décembre à travers un article enfoui dans une loi sur “l’économie

Derrière le masque de Vendetta, les hackers d’Anonymous. Au cours des débats parlementaires, ils sont parvenus à bloquer les sites des partis politiques

durable” qui a finalement été rejetée par les députés après une journée marathon de débats sous haute tension. Les Anonymous avait brandi leurs premiers scalps ce jour-là, en bloquant les sites de grands partis politiques. Alors que les socialistes, isolés, tentent en ce moment de ressusciter leur projet phare lors de son passage au Sénat, les internautes poursuivent leur mobilisation hors de la toile, à travers des manifestations. Ils exigent non seulement “le retrait de la loi mais aussi une refonte du modèle de la propriété intellectuelle”, qu’ils considèrent obsolète, et expliquent dans un communiqué que “cela fait dix ans que l’industrie du divertissement nie le fait qu’elle doit se reconvertir.” A la différence de la loi Hadopi, le projet de “ley Sinde”, comme elle est surnommée en Espagne, ne s’attaque pas aux internautes qui téléchargent illégalement mais aux sites proposant des contenus protégés par des droits d’auteurs ou des liens pointant vers eux. Il s’agit de créer une commission administrative, chapeautée par un juge, qui pourra décider

les Anonymous demandent le retrait de la loi mais aussi une refonte du modèle de la propriété intellectuelle

de la fermeture d’une page en un maximum de quatre jours. “Cette loi est tellement mal rédigée qu’elle pourrait s’appliquer à de simples blogueurs”, s’agace Javier de la Cueva, avocat spécialiste de la propriété intellectuelle qui rappelle qu’en Espagne les juges ont conclu à plusieurs reprises que les sites offrant simplement des liens vers des contenus piratés étaient légaux. “Or sans changer la loi, on compte créer une commission pour les déclarer illégaux, c’est de la prévarication.” Dans un pays où les organismes équivalents à la Sacem, accusés d’œuvrer pour quelques grands artistes au détriment des plus petits, sont très impopulaires, même les associations de consommateurs s’érigent contre le projet de loi qui, selon elles, visent à établir une justice “à deux vitesses : une pour les multinationales et une autre pour le reste.” Des centaines d’internautes ont ajouté leurs portraits dans un photomaton en ligne (http:// damoslacara.net) où ils affirment que ce sont “les milliers de personnes qui luttent contre la loi” qui composent “justement le monde de la culture”.Face à eux, des artistes s’indignent : “Que les politiques espagnols sont lâches !”, a réagi sur Twitter Alejandro Sanz, chanteur de variétés – plus de 25 millions de disques vendus –, à l’occasion du camouflet reçu par les députés. Elodie Cuzin

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in situ pense à tout Plus d’excuses pour les bordéliques. Ce site aide dresse des “to-do-list” optimisées, grâce à sa simplicité de modification et son arborescence. Les tâches que vous intégrez s’immiscent selon la hiérarchie de votre pensée pour vous rappeler, depuis n’importe quelle connexion, tous les éléments importants.    workflowy.com

questions locales Askalo est un site de questions/réponses de proximité. Créé pour une quarantaine de villes françaises (ainsi que pour une quarantaine de pays), il permet de poser des questions concernant la vie locale, de partager bons plans/astuces sur sa région, son quartier. Le site décerne points et médailles aux membres les plus actifs et donnant les conseils les plus utiles. askalo.fr

sobre et social L’envoi d’un message sur Facebook ou Twitter passé 1 h du matin et sensiblement éméché peut souvent s’avérer regrettable. L’éthylotest des réseaux sociaux est là pour éviter les drames 2.0. Une épreuve de tracé s’affiche pour tester votre sobriété. Si le test est négatif, l’envoi de message est bloqué. socialmediasobrietytest.com

statut unique Ce n’est pas tout de trouver la phrase du jour, encore faut-il avoir le temps de la propager sur les réseaux. Sur Ultimate, les comptes des sites sociaux (Facebook, Twitter...) sont mutualisés pour ne poster les statuts qu’une seule fois, tout en ne diminuant pas son écho. ul.timate.info

la revue du web Slate

Boston Globe

Miller-McCune

silicon journey

littérature politiquement correcte

charité bien ordonnée

Responsable de la prospective et du développement international à l’école de journalisme de Sciences Po, Alice Antheaume a observé dans la Silicon Valley la vie des salariés chez Google, Yahoo! et Facebook. Elle décrit les liens entre les start-up et leurs employés, renforcés par des méthodes managériales favorisant engagement et créativité : liberté, tolérance de l’échec, hauts salaires, prises en charge par l’entreprise des corvées du quotidien, culte de la marque… une vision typiquement américaine de l’entreprise. bit.ly/fSVWlv

Pourquoi ne pas réécrire tous les classiques de la littérature en les expurgeant des mots qui peuvent choquer les sensibilités délicates, à l’instar du mot “nègre” remplacé par “esclave” dans la nouvelle édition de Huckleberry Finn de Mark Twain ? L’auteur de l’article propose ainsi de censurer de la Bible le Chant de Salomon (“Tes seins sont comme deux faons”, trop érotique), ou encore L’AttrapeCœurs de Salinger, qui contient le mot “merde” et ainsi que le mot goddam (“foutu”), 137 fois. bit.ly/gybRrj

Pourquoi certaines campagnes caritatives sont-elles plus efficaces que d’autres ? Une étude récente montre que les victimes de catastrophes naturelles incitent plus au don que les victimes de catastrophes à l’origine humaine. La psychologue Hanna Zagefka de l’université londonienne Royal Holloway a mené des expériences avec des catastrophes fictives et a conclu que les victimes de catastrophes naturelles passeraient ainsi pour des victimes plus “méritantes” que les autres… bit.ly/f6tPZM

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vu du net

Certains auraient même tenté de cloner Michael Jackson

la parade des clones Alors qu’on parle de cloner un mammouth, la fascination pour les copies conformes obtenues génétiquement se répand sur le net.

 A

kira Iritani est sur le point de réaliser le rêve que Steven Spielberg chatouilla du bout de sa caméra il y a dix-huit ans : cloner un mammouth. Pas tout à fait le rêve de Spielberg, certes (teaser de Jurassic Park : youtu.be/-QMue9j_RKg), mais cela s’en approche beaucoup. L’idée de ce généticien japonais âgé de 83 ans est d’extraire d’un mammouth congelé une cellule suffisamment bien conservée et de cloner la bête dans l’utérus d’une éléphante. Une technique ambitieuse (détaillée par futura-sciences.com bit.ly/ hwQLd7) censée aboutir dans cinq ou six ans, qui n’est toutefois pas sans poser question, comme cette scientifique américaine l’expliquait en 2009 : youtu.be/ cXbpT8e1PVU. L’annonce intervient alors que la question du clonage était un peu retombée, après le choc de la brebis Dolly en 1996 (premier mammifère cloné, dont il reste une dépouille naturalisée youtu.be/ frl5smXnBIE, ainsi qu’un beau morceau minimaliste de Steve Reich : youtu.be/ TGf_Khot_xQ), et l’annonce, bidon, par la secte des raéliens du premier clonage humain en 2003 (terresacree.org/raelien. htm). Que deviennent d’ailleurs ces inénarrables farceurs de Claude Vorilhon, aka Raël, et Brigitte Boisselier, son “évêque” à la tête de Clonaid, la succursale qui vend du rêve – et aussi des bidules hors de prix censés fusionner des cellules avec des pinces croco miniatures (clonaid. com/page.php?9) ? On se souvient de la parodie, teintée de sympathie, qu’en avait fait Michel

Houellebecq dans La Possibilité d’une île (youtu.be/lN8kP5Mw5V4). Aux dernières nouvelles, ils auraient cloné Michael Jackson, mais n’en feraient pas la publicité pour “respecter sa vie privée” : bit.ly/huSY17. D’après une source sûre, Jeff Goldblum (déjà dans l’affaire des dinosaures clonés : youtu.be/ iBxgAmdPQWg) et Donald Sutherland (lui-même possesseur d’un clone bit.ly/ gOT8qP) leur auraient filé un coup de main : wat.tv, bit.ly/hIujYM. Dans le genre messianique, certains ont mis la barre encore plus haut : depuis une vingtaine d’années, les illuminés du Second Coming Projet essaieraient de cloner Jésus grâce au sang du saint suaire de Turin (bit.ly/a5Bu3y). Le projet a cependant été dénoncé comme un hoax (snopes.com/religion/clone.asp), et moqué par The Uncyclopedia, la parodie de Wikipedia (bit.ly/iiEaVX). Le sujet est en tout cas dans l’air, en témoignent deux films récents : tout d’abord L’Enfance d’Icare, sorti la semaine dernière sur les écrans français, et plutôt raté malgré la présence de Guillaume Depardieu (bit.ly/dK963E) ; Never Let Me Go, un film de Mark Romanek prévu pour le 2 mars qui, sans être totalement abouti, intrigue avec son approche originale, très douce et cruelle à la fois, éloignée en tout cas des habituels clichés SF (trailer youtu. be/kymQcM4ej3w). Mais les plus forts, comme toujours, sont les gosses de South Park qui parvenaient, dès la première saison (1997 !), à cloner un chimpanzé à quatre culs : southpark-tv.com/ south-park-5.html (il faut aller jusqu’au bout de l’épisode). Jacky Goldberg 26.01.2011 les inrockuptibles 121

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Low de David Bowie Je suis dans une phase Bowie. Je l’ai toujours adoré, mais jusqu’ici j’avais du mal à entrer dans cet album. Or il existe aux Etats-Unis une collection de petits livres, “33 1/3”, qui parlent de certains opus en profondeur, et c’est grâce à ça que j’ai pu réellement apprécier Low. Bowie in Berlin

The Green Hornet de Michel Gondry Seth Rogen enfile avec une désinvolture irrésistible le masque du Frelon vert, cousu main avec élégance et éclat par le couturier Gondry.

I Wish I Knew de Jia Zhangke Portrait de Shanghai, à travers les récits de dix-huit de ses habitants.

Divers Tradi-Mods Vs Rockers Dialogue entre musiciens anglo-saxons et congolais : chansons frétillantes, electro dévergondée et pop cosmique.

de Thomas Jerome Seabrook Après le 33t, j’ai lu ce livre qui raconte la folie créatrice de cette période essentielle pour Bowie, la drogue et tout ça. Marco Mancassola La Vie sexuelle des superhéros Vrai-faux polar, parodie de comicbook, fresque désenchantée : le roman le plus original de cette rentrée.

Yael Naim She Was a Boy On craignait la redite de son hit New Soul. Yael Naim se révèle une immense mélodiste pop.

Portrait d’un fumeur de crack en jeune homme de Bill Clegg Confession fiévreuse sur les pouvoirs de l’addiction. Somewhere de Sofia Coppola Le monde de Sofia Coppola, toujours plus vaporeux, décoloré et serti de moments de grâce qui n’appartiennent qu’à elle.

de Nicolas Roeg Du coup, pour compléter le tout, je viens de voir ce film qui manquait à ma culture. C’est un film de SF extrêmement bizarre, dans lequel Bowie n’a effectivement jamais semblé si loin de la Terre. recueilli par Jacky Goldberg

Salem King Night La rencontre du hip-hop, de l’electro et d’une morgue gothique. Pour se préparer à l’Apocalypse. Faut-il manger les animaux ? de Jonathan Safran Foer Un “roman noir” de la chaîne de production de la viande.

Au-delà de Clint Eastwood Jalonné de beaux moments de mise en scène et porté par une vraie ampleur du récit, un Eastwood mineur.

L’homme qui venait d’ailleurs

Twin Shadow Forget Un songwriting feutré qui se frotte à un groove froid et synthétique aux accents eighties.

Le Banni d’Howard Hughes. Un western humble, pourtant réalisé par un producteur mégalo. Mishima Biopic peu orthodoxe du romancier japonais par Paul Schrader. La Naissance de Charlot Les premiers courts métrages du génie burlesque.

Ce qu’aimer veut dire de Mathieu Lindon Une belle autobiographie, à travers le lien de l’auteur aux autres. Le livre de la rentrée.

Renée de Ludovic Debeurme Sur l’ordinaire monstruosité des hommes, la poésie unique de Debeurme, plus affirmée que jamais.

Kamui-Den de Shirato Sanpei Le parcours de trois enfants du XVIIe siècle pour mieux parler du Japon des sixties.

Terry et les pirates de Milton Caniff Réédition de ce récit d’aventures fondateur.

Jason Schwartzman Jason Schwartzman est actuellement à l’affiche du film Scott Pilgrim. Le DVD de la série Bored to Death dans laquelle il joue aussi vient de sortir.

Le Jeu de l’amour et du hasard mise en scène Michel Raskine Ateliers Berthier, Paris Sylvia et Dorante sont cette fois des quinquagénaires qui tablent sur une ultime aventure amoureuse…

La Nuit juste avant les forêts de Koltès, mise en scène Patrice Chéreau Théâtre de l’Atelier, Paris Les premiers pas sur les planches de Romain Duris.

Identité texte et mise en scène Gérard Watkins Théâtre de la Bastille, Paris Pris d’une nausée identitaire, les personnages crèvent dans un monde qui transforme l’obscène en politiquement correct.

Matti Braun Salo La Galerie, Noisy-le-Sec L’Allemand crée le trouble par ses hybridations de formes et son rappel constant de la porosité entre les événements, les cultures et les époques.

Denis Savary La Ferme du Buisson, Noisiel Le Suisse tire les ficelles d’une exposition conçue sur le modèle de la maison de poupée. A l’échelle 1.

Robert Breer CAPC Bordeaux Minimalistes et avant-gardistes, les Floats de Robert Breer détournent les canons esthétiques et sociaux depuis les années 60.

Gray Matter sur Xbox 360 et PC Aux limites du surnaturel, virée à Oxford en compagnie d’un savant travaillant sur le psychisme. Très singulier.

Golden Sun – Obscure Aurore sur DS Le retour de la série Golden Sun. Une petite merveille de jeu de rôle, voluptueux et touchant.

Majin and the Forsaken Kingdom sur Xbox 360 et PS3 Déambulation féerique aux côtés d’un drôle de compagnon.

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