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No.783 N o.7 783 du du 1err a au u7d décembre écembre 2 2010 01 10

au nouve

enfants de la patrie

2.50€

M 01154 - 783 -F: 2,50 €

Anelka Booba

ciao Berlusconi Haïti,, Egypte, gyp Côte d’Ivoire

jour de vote

Allemagne 3,40 € - Belgique 2,90 € - Canada 5,20 CAD - DOM/A 3,90 € - Espagne 3 € - Grèce 3,30 € - Italie 3,30 € - Liban 8500 LBP - Luxembourg 2,90 € - Maurice Ile 5,50 € - Portugal 3,30 € - Suède 40 SEK - Suisse 5 CHF - TOM 700 CFP

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je suis allée à l’expo Brune/Blonde avec

Ludivine Sagnier



l est 14 h 30, jeudi à la Cinémathèque. Au cinquième étage, à la boutique de l’exposition Brune/Blonde, une longue chevelure platine aimante le regard. Absorbée par la lecture d’un des catalogues, Ludivine Sagnier dégage sa frange et nous dit bonjour. On lui a proposé cette visite comme un jeu, et aussi parce qu’elle est une des actrices les plus évidemment blondes de sa génération : blond cramé cheveux ras des fesses dans Swimming Pool de François Ozon, très clair dans Les Chansons d’amour de Christophe Honoré ou encore un blond plus naturaliste et broussailleux pour interpréter le personnage borderline de Lily dans Pieds nus sur les limaces de Fabienne Berthaud. Marilyn, Bardot, Signoret, la visite commence. On entend Rita Hayworth en fond sonore, on croise un groupe de collégiens qui ne savent plus où donner de la tête (“Mate celle-là, elle est trop bonne !”) pendant que leur professeur tente, devant des vidéos féministes d’Angela Davis ou de Jane Fonda, de leur expliquer que parler du blond et du brun, ça permet aussi d’aborder des thèmes très sérieux. “On se dit souvent que c’est un truc superficiel, commente Sagnier. Mais en se baladant dans ces galeries de portraits, on se rend compte à quel point c’est un des éléments fondateurs de l’image. Donc le cheveu, oui, c’est une préoccupation. En tant qu’actrice, hein, attention ! Dans la vie, je m’en contrefous. Mais au cinéma, je commence par le cheveu. C’est lui qui va déterminer une sensualité, la façon dont on bouge, dont on prend la lumière.” Elle raconte comment Ozon, en véritable fétichiste, peut lâcher sa caméra pour venir remettre une mèche en place, comment encore elle a suggéré le blond hitchcockien à Chabrol pour son rôle dans La Fille coupée en deux : “Ça laissait planer quelque chose d’inquiétant.” Pour les besoins des Bien-Aimés, le prochain film d’Honoré, Ludivine arbore un blond platine, légèrement vénitien. “Je joue Catherine Deneuve à 20 ans. J’ai demandé à mon coloriste, qui est aussi

celui de Deneuve, de me faire la couleur de Catherine dans Les Parapluies de Cherbourg. Un blond un peu désuet, sans racines, mais qui au cinéma fait sens.” On pousse quelques mètres plus loin, le long des longues tentures rouges très lynchiennes qui jalonnent le parcours. “Ah tiens, là, c’est le carré queer !” Elle montre un triptyque transgenre consacré à Greta Garbo. Sur l’écran adjacent, un extrait de Huit femmes d’Ozon : Deneuve et Ardant se livrent un combat érotique à même le sol, avant que la brune ne prenne le dessus et n’embrasse la blonde. Vers la sortie, un extrait de Belle de jour. Deneuve encore. “Quand on parle de blond en France, c’est elle. La scène qui m’a le plus impressionnée est dans ce film. Elle est attachée à un piquet, et on lui envoie de la boue ou de la merde, on ne sait pas trop, au visage. Elle est souillée. Et en même temps, la force de la scène, c’est que Deneuve garde une dignité totale.” Elle marque un temps. “L’image de la beauté qui se laisse éclabousser par la laideur, c’est un peu le devoir de l’actrice, pour moi.” Dans Pieds nus sur les limaces, Berthaud la filme sauvageonne, pas maquillée, potelée. “C’est antiglamour, mais je trouve que c’est bien, ça donne au personnage une beauté qui n’est pas standard. Je la trouve très belle, Lily, très sexy. J’aime que mes personnages soient terriens.” Géraldine Sarratia photo Brigitte Baudesson

“le cheveu, c’est une préoccupation. En tant qu’actrice, hein, attention ! Dans la vie, je m’en contrefous”

Brune/Blonde jusqu’au 16 janvier 2011 à la Cinémathèque française, 51, rue de Bercy, Paris XIIe Pieds nus sur les limaces de Fabienne Berthaud, en salle, lire critique p. 74

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No.783 du 1er au 7 décembre 2010 couverture Nicolas Anelka et Booba par Patrick Swirc

03 quoi encore ? Ludivine Sagnier

08 on discute courrier + édito de Serge Kaganski

10 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

14 événement élections 18 la courbe ça va, ça vient. Le billet dur

Patrick Swirc

présidentielles : violences en Haïti, méfiance en Côte d’Ivoire

32

20 nouvelle tête The Pack A.D.

22 ici le juge Trévidic en butte à la raison d’Etat

24 ailleurs un bloggeur égyptien libéré après quatre ans de prison

26 parts de marché WikiLeaks réserve ses nouvelles révélations à cinq grands journaux

45

28 à la loupe Rama Yade se fait voir chez un grec

32 Anelka-Booba, bonnes frappes les stars incorrectes parlent du pays

41 primaires au PS cinq clés pour comprendre

43 que le meilleur perde les politiques en quête de défaites Clicphoto/Visual

45 presse citron revue d’info acide

46 contre-attaque

56

business parallèles

47 propagenda le Fillon nouveau n‘est pas arrivé

48 débats d’idées la santé en petite santé

54

50 chasse aux homos en Ouganda quand un Etat persécute les gays

54 art modeste en vedette à Sète, un musée pas comme les autres

56 ciao Berlusconi après son passage, l’Italie en ruine

60 l’art du trust 64 Kôji Wakamatsu cinquante ans de subversion au cinéma

Bénédicte Desrus

un fonds de pension bouleverse le marché de l’art

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68 Machete de Robert Rodriguez et Ethan Maniquis

70 sorties Le Soldat dieu, Alamar, Raiponce, De son appartement, Pieds nus sur les limaces…

76 F. W. Murnau sa période américaine en DVD

80 Call of Duty deuxième volet de la saga guerrière

82 Fyfe Dangerfield voix royale pour disque majestueux

84 mur du son Vanessa Paradis, Liam Gallagher, Sexy Sushi, PJ Harvey…

85 chroniques Jon Spencer Blues Explosion, Timber Timbre, Agnes Obel, Nouvelle Vague…

91 morceaux choisis Applause…

92 concerts + aftershow Gorillaz

94 Virginia Woolf correspondance avec Vita Sackville-West

96 chroniques romans/essais Guy Debord en livre-CD

98 tendance à quoi sert Philippe Murray ?

100 agenda les rendez-vous littéraires

101 bd le fils de Rembrandt par Robin

102 révolution Tchekhov + Falk Richter, Kleist

104 Walid Raad + Lydia Gifford

106 semaine critique de la mode revue en six points

108 late night shows des émissions pour les couche-tard

110 Desproges toujours un coffret entier de desprogeries

112 Une française à Londres une nouvelle radio francophone

114 séries Grey’s Anatomy, indéboulonnable

116 télévision Romain Gary et son double

118 à vos tablettes il n’y a pas que l’iPad dans la vie

120 la revue du web décryptage

121 vu du net la Corée du Nord en tragi-comique

122 best-of le meilleur des dernières semaines

les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34 rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs Philippe Azoury, David Balicki, Brigitte Baudesson, Romain Blondeau, Patrice Blouin, Michel-Antoine Burnier, Clélia Cohen, Hector De La Vallée, Michel Despratx, Bénédicte Desrus, Amélie Dubois, Pascal Dupont, Alain Dreyfus, Corentin Fohlen, Philippe Garcia, Jacky Goldberg, Erwan Higuinen, Olivier Joyard, Tiburce Koffi, Laurent Laporte, Christian Larrède, Judicaël Lavrador, Thomas Legrand, Hugues Le Tanneur, Gaël Lombart, Géraldine de Margerie, Léon Mercadet, Dominique Mesmin, Benjamin Mialot, Leila Minano, Perrine Mouterde, Vincent Ostria, Olivier Père, Marjorie Philibert, Elisabeth Philippe, Axelle Ropert, Alexandre Seba, Léo Soesanto, Patrick Sourd, Patrick Swirc lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Mathilde Dupeux, Clara Tellier-Savary, graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem cqfd.com responsable Ondine Benetier animation Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Caroline de Greef, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Amélie Modenese, Caroline Fleur, Céline Benne conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Leily Eslampour stagiaire Jérémy Couet publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté de Catherine Sedillière tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 coordinatrice Dorothée Malinvaud tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 publicité commerciale, directrice Sarah Roberty tél. 01 42 44 19 98 directeur de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 chef de publicité Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 coordinatrice Olivia Blampey tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/relations publiques Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19, infos au 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 115 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Valérie Imbert fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 211 058,91 € 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Louis Dreyfus directeurs généraux adjoints Stéphane Laugier, François Rossignol attachée de direction Charlotte Brochard directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2010 directeur de la publication Louis Dreyfus © les inrockuptibles 2010 tous droits de reproduction réservés

ce numéro comporte un supplément “Hottes d’or 2010” de 48 pages, encarté dans l’édition générale.

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l’édito

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info-coke en stock Tiens, on reparle de Haïti. Normal, il y a une élection, et puis une grave épidémie de choléra. Au moment du tremblement de terre, médias et opinions s’étaient méga-mobilisés. Et puis, petit à petit, plus rien, Haïti avait disparu des radars de l’info… Est-ce à dire que les problèmes étaient réglés, Port-au-Prince reconstruit, et que les Haïtiens méritaient moins notre attention ? Tiens, on parle des deux Corée. Enfin, disons que la région occupe les titres, sans pour autant que l’on sente des rédactions brûlantes sur l’affaire, ni des opinions occidentales très mobilisées. Pourtant, c’est énorme ce qu’il s’y passe : le dernier Etat stalinien de la planète, nucléaire et armé jusqu’aux dents, pilonne son voisin. Quand Israël attaque Gaza, la mobilisation est autrement plus forte. La Corée, c’est trop loin ? Pas assez arabe ou juif ? Tiens, on ne parle plus de l’affaire WoerthBettencourt, elle semble enterrée par Karachi. Jusqu’à quand ? La valse de la hiérarchie de l’info et les mouvements d’opinion à géométrie variable seront toujours un sujet d’étonnement. Les événements occupent un temps le centre de la scène, puis s’éloignent et disparaissent. Et au moment où l’on rédige cet édito, les nouvelles révélations WikiLeaks surgissent tel un “11 Septembre de la diplomatie” pour citer un ministre italien. Assange est recherché par la CIA, les chancelleries chancellent et réagissent. Sur le fond, ces fuites ne nous apprennent pas grand-chose de neuf, mais sur la forme, c’est une révolution copernicienne : on voit pour la première fois les coulisses des relations diplomatiques. Et cela pose de nouvelles questions : la transparence totale n’est-elle pas aussi dangereuse que l’opacité ? Un monde où tout se sait, sans zones de confidentialité, est-il désirable, habitable ? Hiérarchie, loupe grossissante ou déformante, in et off, frontières entre le publiable et le non publiable, tout bouge, et vite. D’un côté de la balance, l’exigence d’information et de démocratie, de l’autre, les effets pervers d’un tout-info cocaïne dont les doses de puissance et d’accélération n’en finissent plus d’augmenter. Plus que jamais, médias (et lecteurs-spectateurs) doivent réfléchir au bon équilibre entre ces deux plateaux.

Serge Kaganski

Harry Potter nous les brise menu, avec ses mimiques et ses manières de collégien anglo-saxon tout grêle, sa baguette qu’il devrait faire grossir pour faire peur aux filles, sa bande de rouquins collants et son manichéisme qui ferait passer le courant alternatif pour la gamme des jaunes chez Van Gogh ! fliro, lu sur lesinrocks.com ces groupes français qui s’exportent Désolé, mais à part The Bewitched Hands, je ne comprends pas votre engouement pour Aaron et Cocoon. Ils envahissent les States, tant mieux pour eux, mais ça ne vaut pas les groupes précédents (Phoenix, Air, Daft Punk...) et même plus anciens (les Thugs, Noir Dez, Les Négresses Vertes, Mano Negra, les Bérus, etc.). Certains n’ont pas beaucoup percé à l’étranger, mais leur musique était (est) beaucoup plus

percutante, n’en déplaise à certains ! Sur ce, c’est pas parce qu’on chante en français qu’on est forcément ringard ou mauvais (Daniel Darc, le regretté Bashung, Gainsbourg, Yann Tiersen, Emilie Simon...). Let’s rock (en français dans le texte, ah ah ah ! )! pat call, lu sur lesinrocks.com

rectificatif En page 58, sur l’article concernant Silvio Berlusconi, Gianfranco Fini est présenté comme le chef de la Ligue du Nord, il dirige en fait l’ex-Alliance nationale.

pour nous écrire : [email protected]

référendum 2010 des lecteurs

à vos tops actu événement/ personnalité/ mot/loser/ médias/web buzz/site/image/ vidéo

musiques album/révélation/ artiste ou groupe/ single/concert/clip cinémas acteur/actrice film/dvd

livres roman/bd jeux vidéo/télé série/émission scènes/expos théâtre/danse/ installation

envoyez vos tops 10 à [email protected] date limite de participation : jeudi 9 décembre

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction faillite Un cauchemar hante l’Europe, la faillite d’un Etat. Après la Grèce rattrapée de justesse par le FMI, l’Irlande. L’Europe va fournir 85 milliards d’aide. Sondage BVA : 60 % des Français sont d’accord pour aider l’Irlande. Raison de cette solidarité imprévue : 70 % des Français pensent qu’on n’est qu’au début de la crise. La peur de la contagion pousse à la générosité à contrecœur.

le mot

Francis Le Gaucher

“La crise fragilise la zone euro”, “un adultère fragilise un ministre”, “la logique du recyclage est fragilisée”, la production d’isotopes aussi, Sarkozy idem et l’Ouganda, Haïti ou la coalition de madame Merkel… Bref, aujourd’hui, tout est “fragilisé” et ce qui ne l’est pas encore se définit comme “fragile” ou soumis à “fragilisation”. D’où vient l’abondance de ce décourageant poncif ? D’un pessimisme devant les ébranlements du monde, certes, mais aussi de la paresse. En voici la preuve. Dans les huit phrases suivantes, le mot “fragiliser” se substitue à huit autres mots plus adaptés. Ce sont : abîmé, affaibli, menacé, compromis, accusé, rongée, abruti, épuisé. S’il vous plaît, remettez-les à leurs places : 1) fragilisé par l’orage, le peuplier est tombé ; 2) fragilisé par sa défaite, le candidat déprime ; 3) fragilisé par une grippe, le boxeur a perdu ; 4) fragilisé par la chaleur, le vieux monsieur s’est déshydraté ; 5) fragilisée par le CO2, la statue s’est émiettée ; 6) un processus de paix fragilisé par le Hamas ; 7) la désertification a fragilisé la couche d’ozone ; 8) le président de la République est fragilisé.

Ben Stansall/AFP

[fragiliser]

garde-à-vous Le week-end du 20-21 novembre apparaît sur YouTube une vidéo sur la garde à vue. Des flics, de dos, dénoncent leurs conditions de travail. Deux autres épisodes, sur les suicides et les objectifs policiers, intriguent. L’opération, qui fait témoigner de vrais flics, servait en fait de teasing à la sortie du livre de Marc Louboutin (ancien inspecteur de police), Flic c’est pas du cinoche (éd. du Moment, 9 décembre). La préfecture de police de Paris a lancé une enquête. Radiohead Ambiance radieuse, groupe épanoui : ce sont les premières rumeurs qui filtrent du nouvel album de Radiohead enregistré entre Los Angeles et l’Angleterre. Si personne ne sait encore sous quelle forme il sera commercialisé (téléchargement ? CD ?), la sortie est néanmoins prévue avant l’été. Nobel de l’imposture Attribué à l’unanimité au faux Mansour. Depuis le mois de mai, les agents du SIS britannique (Secret Intelligence Service) se félicitaient de négocier avec Akhtar Mansour, ancien ministre taliban, membre du premier cercle du mollah Omar. Enfin, croyaient Blake et Mortimer, on avait réalisé une “percée historique” en établissant un contact entre les talibans et le gouvernement Karzai. Même pas en rêve : “Loin d’être un ancien ministre du temps où les talibans étaient au pouvoir, l’individu serait un petit commerçant, ou un chef taliban mineur, ou alors un filou bien informé…”, écrit le Times. Le faux Mansour s’est fait la malle au Pakistan, une belle malle bourrée de dollars alloués par les services anglais, et reste introuvable.

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l’image velvétienne sobriété

Jeanne Moreau et Etienne Daho en duo remarquable pour un poème d’amour de Genet.

Carlos d’Olivier Assayas

le “Goncourt du cinéma français”. A la réunion préparatoire pour finaliser la liste des finalistes, deux débats agitent le jury. Qu’est-ce qu’un film ? Le Carlos version longue (donc TV) d’Olivier Assayas : film ou téléfilm ? Et qu’est-ce qu’un film français ? Après The Ghostwriter de Polanski et Mystères de Lisbonne de Raúl Ruiz, la francité d’un film est-elle fixée par sa langue, les lieux de tournage, la nationalité du réal, des acteurs, du producteur ? Après giclées d’insultes et de verres d’eau pétillante, le critère de l’excellence l’a emporté : Carlos version longue, The Ghostwriter et Mystères de Lisbonne sont bien des films français et donc finalistes du prix Delluc. Dans la mêlée, les jurés ont zappé Film socialisme du Franco-Suisse Godard. tout-anal’ Comme pour refuser le tout-numérique, le producteur Danger Mouse (Gnarls Barkley, Gorillaz) et le compositeur italien Daniele Lupi réinventent le tout-analogique. Passionnés par les bandes originales du cinéma italien, ils ont recherché des instruments vintage, les musiciens ayant joué sur les BO mythiques (Il était une fois dans l’Ouest ; Le Bon, la Brute et le Truand) plus des chanteurs de luxe (Norah Jones et Jack White des White Stripes). Tout ce beau monde a enregistré à Rome dans les studios du Forum Music Village, bien connus d’Ennio Morricone, en n’utilisant que des techniques sixties et seventies. Intitulé Rome, l’album est annoncé pour le 28 février. Noir Désir : la fin ? On attendait leur reformation depuis des mois. On risque de l’attendre encore : Serge Teyssot-Gay, pivot du groupe, a, par un communiqué officiel, annoncé la rupture de sa relation artistique avec Bertrand Cantat. “Je fais part de ma décision de ne pas reprendre avec Noir Désir, pour désaccords émotionnels, humains et musicaux avec Bertrand Cantat, rajoutés au sentiment d’indécence qui caractérise la situation du groupe depuis plusieurs années”, a-t-il expliqué, quelques semaines après le retour de Cantat sur scène, avec Eiffel. sous les jupes des stars Jeudi soir au palais de Tokyo à Paris, Ni putes ni soumises a organisé une vente aux enchères de jupes de célébrités, à l’occasion de la journée contre les violences faites aux femmes. Sophie Marceau, agnès b., Isabelle Adjani,

Bruno Fert/Picture Tank

c’est quoi, un film ? Dans moins d’un mois, c’est le Delluc,

Encore éberlués par le show multisensoriel de Gorillaz la veille au Zénith de Paris, on file au Théâtre de l’Odéon pour un tout autre divertissement : l’adaptation parlée/ chantée du Condamné à mort de Jean Genet par Jeanne Moreau et Etienne Daho. Scénographie minimale à base de rectangles blancs érectiles – vue la teneur ultracul du texte, il fallait bien ça – et groupe magnifique de sobriété velvétienne. Le poème d’amour fou(tre) écrit en prison par le jeune Genet dans une langue d’une beauté “à faire pâlir le jour” prend sans doute ici sa forme définitive, notamment grâce à Daho, dont l’interprétation est stupéfiante. Quand on pense que certains malentendants le considèrent comme un chanteur sans voix… Parmi les people présents, on remarque Dominique de Villepin, homme prétendument sans voix également mais qui pourrait tout autant surprendre. Croc de boucher, condamné à mort, tout ça fait sens.

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Fanny Ardant et d’autres ont lâché une vieille jupe de leur garderobe. Elles n’ont pas poussé le dévouement jusqu’à se pointer à la soirée, qui a dû se contenter de Fadela Amara (en pantalon), Raymond Domenech et madame, Cyril Hanouna et Corinne Lepage. Les 11 000 euros récoltés financeront des appartements-relais. Battant réchauffe Jeudi soir encore au Point Ephémère, à Paris. Malgré le froid glacial, trois cents personnes dans la grande salle, la plupart en manteau. La revue Multitudes, qui retrace dans

le moment

faux jus d’orange mais vrai Michael Jackson Ses dix nouveaux titres offrent quelques moments de grâce.

Philippe Mazzoni/Canal+

Les responsables de Sony France craignaient si fort l’encerclement de leur immeuble par les fans de Michael Jackson, furieux après la mise en streaming de Breaking News, inédit dont beaucoup contestent l’authenticité, qu’ils ont organisé une opération portes ouvertes pour la presse. Le but : faire écouter en avant-première Michael, un montage de dix nouveaux titres enregistrés entre 2007 et 2008. Dans l’un des bureaux de la direction nous attendent thermos de café et canettes de faux jus d’orange. Quarante minutes plus tard, nous sommes soulagés : c’est du vrai Michael ! Trois duos avec Akon, 50 Cent et Lenny Kravitz, quelques moments de grâce où l’on frôle les ailes de l’ange (Best of Joy, très beau), quelques resucées de Thriller où l’on côtoie la bête. Un peu gênante tout de même pour la suite de sa “carrière”, cette impression de déjà-entendu. En 2010, alors que le r’n’b est devenu la norme universelle, Michael fait moins figure de prophète.

son numéro de ce trimestre l’histoire des gouines rouges, mouvement lesbien radical des années 1970, organise la soirée. Après Mensch, duo électrique emmené par la Lyonnaise Vale Poher, on est ravi d’assister au retour de Battant. Le trio electro-punk londonien conduit par la magnétique Chloé s’est agrandi et féminisé : quatre et non plus trois membres, et de nouvelles compos qui font attendre l’album avec impatience. Honoré fait chanter les blondes 27 novembre, 1 heure du mat’, Catherine Deneuve arpente le pont de Sully en chantant, de grosses lanternes mobiles sculptent la lumière de cette nuit glacée. Une heure plus tôt, Ludivine Sagnier et Chiara Mastroianni se croisaient sur ce même pont, en play-back sur une ballade d’Alex Beaupain. C’est Christophe Honoré qui fait chanter toutes ces blondes pour son nouveau musical, Les Bien-Aimés. Des promeneurs nocturnes intrigués s’attroupent. Louis Garrel passe dire bonsoir. Soudain la neige tombe, il ne manquait qu’elle à la féerie. Paul Simonon, numéro 20 Samedi 4 décembre des Clash, et Stéphane Saunier à 20 h 50 sur Canal+, si vous souhaitez échapper à Miss France, La Musicale fête sa vingtième et ça ne lésinera pas. Gorillaz, Womack, De La Soul, ce qu’il reste des Clash et même l’orchestre symphonique syrien, ce qui se fait de mieux dans un décor signé Stéphane Saunier, le cinglé aux cinq mille concerts qui avec sa Musicale, nous a déjà fait découvrir cent cinquante groupes. L. M., B. Z., avec la rédaction

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Haïti, le jour le plus long De mémoire d’observateur international, jamais élection ne s’est déroulée dans un tel chaos. Dans un déni des faits inacceptable, le Conseil électoral provisoire se réjouit du déroulement du scrutin. Un bureau de vote de Port-au-Prince est attaqué par des partisans de Michel Martelly, un des candidats

Intervention musclée de la police, qui a reçu des jets de pierres, alors que le bureau de vote est dévasté 14 les inrockuptibles 1.12.2010

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amp Caradeux, 5 h 58. Le jour se lève sur les milliers de tentes et de cabanes qui s’étalent à perte de vue. Ici, au nord de Port-au-Prince, dans un gigantesque campement, vivent 70 000 déplacés du séisme. En ce jour d’élections, le site, comme tous les autres camps, est classé “zone rouge” et placé sous haute surveillance de l’ONU. Dix soldats des forces spéciales jordaniennes, fusils à pompe et gilets pare-balles, surveillent, perchés sur leurs pick-up, les sinistrés qui s’éveillent. Dans deux minutes, les minuscules cabanes en bois qui font office de bureaux de vote ouvriront leurs portes. A ce moment-là, ici comme ailleurs, tout le monde croit qu’il va voter pour élire le futur président d’Haïti, 99 parlementaires et 11 sénateurs. Mais à 6 h 15, le camp s’éveille à peine et il n’y a pas un électeur à l’horizon. De toute façon, les urnes et les bulletins de vote ne sont pas arrivés. “Il faut déplacer les bureaux de vote”, décide, inquiet, le commandant canadien de l’ONU. A 7 heures, Caradeux n’a donc plus de bureaux de vote. Un quart d’heure après, nouveau coup de théâtre : le matériel est finalement dans la cabane. “Mais personne ne l’avait vu”, explique le commandant canadien. Et de poursuivre, gêné : “Mais on ne peut pas commencer, le superviseur n’est pas arrivé.” Les soldats jordaniens, les policiers internationaux et nationaux, tout le monde est sur le pied de guerre pour sécuriser un scrutin... qui n’a pas lieu. “Elections-magouilles !” Il est 8 heures et la scène commence sérieusement à devenir comique. Une demi-heure plus tard, au pied levé, un nouveau superviseur est nommé. “Il n’est pas formé, mais nous avons dû prendre une mesure conjoncturelle”, justifie un policier américain de l’ONU. A 9 heures, trois heures après le début supposé du vote, pas l’ombre d’un bulletin dans l’urne. Patients les deux premières heures, les électeurs qui ont commencé à arriver finissent par s’échauffer. Faute de place dans les bureaux, certains représentants des partis en lice ne peuvent entrer pour contrôler le comptage des bulletins miraculés. Le ton monte, dans la file, on crie“élections-magouilles !”, persuadés qu’il s’agit d’une stratégie du gouvernement en place pour les empêcher de voter. Depuis quelques heures déjà, les talkies-walkies des militaires crachent leur flot d’informations en provenance de toute la capitale : “Manifestation à Pétion-Ville”, “à l’Immaculée-Conception, les votes sont bloqués”. “C’est la merde partout”, commente tristement un policier argentin, accroché à sa radio. A 10 heures, le premier bureau de vote de Caradeux ouvre enfin. Pas le second, car la liste électorale a été “égarée”. Résultat : les habitants dont le nom commence de P à Z ne pourront pas voter. “On n’y peut rien, s’excuse encore le commandant canadien. Nous, on est juste là pour assurer la sécurité.” C’est vrai : les Jordaniens surveillent toujours. Bureau de vote ravagé 11 heures. Les rues de la capitale sont désertes ou presque. Les véhicules, hormis ceux des officiels et des journalistes, ont interdiction de circuler. Dans la voiture, Radio Métropole passe en boucle les directs de ses envoyés spéciaux aux quatre coins de l’île. “Des policiers ont tiré sur la foule dans le stade de Carrefour” (une ville à la sortie de la capitale), “Les bulletins de vote destinés à Jacmel, au sud, ont été envoyés à Port-de-Paix, au nord”, “A Grande-Rivière, les bureaux de vote pris d’assaut par les électeurs ont été fermés.” Au téléphone, le porte-parole de l’ONU Vincenzo Pugliese affirme : “Oui, il y a quelques problèmes car les gens ne sont pas enregistrés, mais le vote 1.12.2010 les inrockuptibles 15

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une cinquantaine de manifestants font irruption, renversent les urnes, déchirent les bulletins de vote et déclenchent un vent de panique qui fait fuir agents et électeurs

Michel Martelly, candidat-star de musique compas (au centre), avec Wiclef Jean et Charles-Henry Baker, autre candidat, déchaîne les foules

Dans un lycée de Port-au-Prince, le dépouillement s’effectue à la lueur des bougies

suit son cours.” Au Carrefour de l’Aviation, un quartier de Port-au-Prince, à midi, il n’a toujours pas commencé. Sur place, des centaines d’Haïtiens s’agglutinent dans un entrepôt désaffecté. Çà et là, des bureaux de vote, en fait des tables de fortune, ont été installés. Partout, les agents électoraux, dépassés, grattent des procès-verbaux… sans prêter attention à qui vote, ni à ce qui entre dans les urnes. Ici, un jeune homme glisse subrepticement deux bulletins dans le réceptacle en plastique. Là, un vieil homme ne peut se baisser jusqu’à l’isoloir, deux planches de cartons entrecroisées posées à même le sol, et coche donc son bulletin au vu de tous. Un observateur suisse regarde la scène, désespéré. “J’ai fait le Nicaragua, le Salvador, plusieurs pays d’Afrique, mais je n’ai jamais vu ça nulle part”, jure-t-il. La panique de l’observateur ne semble pas gagner l’assistance qui vote tant bien que mal dans le chaos ambiant. Une pause de courte durée… Douze candidats sur dix-huit réclament l’annulation A 13 h 30, une heure après l’ouverture des bureaux, une cinquantaine de manifestants pro-Martelly, un des favoris, font irruption dans l’entrepôt. Ils renversent les urnes, déchirent les bulletins et déclenchent une panique qui fait fuir agents et électeurs. En trente secondes, le bureau est saccagé. Puis, sans que l’on sache pourquoi , alors que les gens courent en tous sens, les policiers haïtiens et les manifestants commencent à échanger des jets de pierre. Au même moment, lors d’une conférence de presse, douze candidats sur les dix-huit dans la course dénoncent une fraude massive… et réclament l’annulation du scrutin. Parmi eux, trois des quatre favoris : Mirlande Manigat, Michel Martelly et Charles Henri Baker. Un seul garde le silence, le candidat du parti au pouvoir, Jude Célestin. Mais la conférence finit à peine que des échos de manifestations parviennent aux oreillettes des policiers de l’ONU. Un cortège se dirigerait vers l’hôtel où se tient la conférence de presse. En effet, à quelques centaines de mètres dans le quartier chic de Pétion-Ville, des centaines, puis très vite des milliers de manifestants se dirigent vers l’hôtel. Hommes, femmes, enfants, brandissant des affiches de Michel Martelly, star de musique compas mieux connue sous son nom de scène Sweet Micky, rejoignent le cortège qui avance au pas de course dans les rues. A leur tête, un pick-up blanc. Sur le toit du véhicule immaculé : Michel Martelly souriant entouré de Charles Henri Baker et… de Wyclef Jean. Dans une ambiance de carnaval, les manifestants dansent et chantent au son des tubes et des slogans de Sweet Micky. Trois heures durant, le défilé attire toujours plus de manifestants. Il est 16 heures, 17 heures, 18 heures, les bureaux de vote de tout le pays ferment progressivement. Là où cela est possible, quelques agents électoraux dépouillent à la lueur des bougies. A 20 heures, le Conseil électoral provisoire, l’autorité en charge de l’organisation des élections, finit par se prononcer sur la journée. Les hauts responsables haïtiens confirment qu’un jeune homme est mort dans le sud du pays, que des “incidents” se sont produits dans 56 centres de vote sur 1 500. Avant de conclure : “C’est une journée électorale bouclée et réussie.” Leila Minano/Youpress photo Corentin Fohlen/Fedephoto

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Dans un bureau de vote à Abidjan

le choc des titans En Côte d’Ivoire, le second tour de la présidentielle a vu s’affronter le président sortant et un ex-Premier ministre dans un climat de méfiance et d’inquiétude. Un intellectuel ivoirien témoigne. par Tiburce Koffi



bidjan, dimanche 28 novembre, lors du deuxième tour de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire. Dans les centres de vote, ce n’est pas la grande affluence, du moins pas comme celle du premier tour, quatre semaines auparavant. Il faut dire que 48 heures avant, lors du face-à-face télévisé avec son adversaire Alassane Ouattara, le président sortant Laurent Gbagbo annonçait un couvre-feu. Et, comme on peut s’y attendre, ici et là, la peur a habité plus d’un électeur. Nombre d’entre eux n’ont en effet pas osé sortir. Rues presque vides. Les gbakas (véhicules de fortune pour les transports publics) et les taxis, d’ordinaire si bruyants, se font à peine entendre et voir. Policiers, gendarmes et autres militaires patrouillent en armes dans les rues de la capitale : “Ce sont des mesures de prudence”, affirment les partisans de Gbagbo. Du côté des partisans d’Ouattara, le discours est à la suspicion : “Ce couvre-feu, c’est pour pouvoir tricher nuitamment, nous voler la victoire et accaparer le pouvoir.” Il est vrai que ce couvre-feu a de quoi susciter la méfiance. Rumeur. Et elle court, la rumeur, dans toute la capitale. Elle dit que des mercenaires seraient aux frontières du

pays pour attenter au régime de Gbagbo. La rumeur dit aussi que les miliciens de Gbagbo sont prêts au hold-up électoral. Dans l’esprit de tout Abidjanais germe et se consolide peu à peu le spectre de graves affrontements militaires pouvant tourner à la guerre civile. Avant trois heures de l’après-midi, la plupart des bureaux de vote avaient fait le plein de votants. On a enregistré de nombreuses abstentions. Le soir tombe vite, trop vite sur la cité. La nuit et bientôt l’heure du couvre-feu surprennent quelques piétons attardés. Abidjan est calme. Très calme. Trop calme. Tard dans la nuit, des nouvelles nous parviennent, qui sont loin d’être rassurantes : à Abobo (quartier très populaire d’Abidjan), acquis à la cause du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le groupe politique qui soutient le candidat Ouattara, on a enregistré trois morts, pour, dit-on, non respect du couvre-feu. On signale des vols d’urnes dans quelques bureaux de vote d’Abidjan et de l’intérieur du pays. Sur la première chaîne de la RTI, la nouvelle qui

Abidjan est calme. Très calme. Trop calme

nous parvient accentue les inquiétudes : du fait du couvre-feu, la Commission électorale indépendante (CEI) est dans l’impossibilité de livrer les premiers résultats du scrutin. Dans presque tous les centres de vote de la capitale, de nombreux militants du RHDP sont restés éveillés et, au mépris du couvre-feu, ont escorté les véhicules de transport des urnes, en chantant L’Abidjanaise, l’hymne national. D’Abobo, du Port-Bouët, du Koumassi et de Treichville, des informateurs nous signalent que, partout, le mot d’ordre de veiller au transport des urnes (afin d’éviter les fraudes) a été scrupuleusement respecté. Dans l’ensemble, ils sont confiants en la victoire de leur candidat, contrairement aux militants du camp présidentiel qui, eux, affichent des mines inquiètes. C’est, au final, un second tour de présidentielle qui s’est déroulé sur fond d’inquiétude, de suspicion, de méfiance et de peur, chaque camp ayant conscience que tout peut basculer d’un moment à l’autre, dans ce climat électoral tendu où s’affrontent les deux géants de l’arène politique ivoirienne : Laurent Gbagbo du Front populaire ivoirien et Alassane Ouattara du RHDP. 1.12.2010 les inrockuptibles 17

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retour de hype

Romain Duris

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

“Nan, mais j’suis en retard le matin parce que je suis trop intelligent, tu vois”

La neige

“Y a moyen d’hiberner tu crois ou non ?”

La Femme Arthur Les nénuphars YouPorn dans le TGV

“Qui veut épouser Gaël Monfils ?” Emma Watson

Les ponts-levis

“C’est pas parce que c’est Noël que je vais être sympa”

Kanye West et Justin Vernon

YouPorn dans le TGV Les TGV Est disposent désormais du wifi. Hmhm. La Femme C’est un groupe français qui mérite la fame (mais pas ce jeu de mot), www.myspace.com/ lunaetlescontacts Romain Duris Alors que L’homme qui voulait vivre sa vie vient de franchir les deux millions d’entrées, l’acteur fait ses débuts au théâtre dans

“Monsieur et madame Cul ont un fils révolutionnaire, comment s’appelle-t-il ? – Robespierre ?”

Jad Fair

La Nuit juste avant les forêts, une pièce de Koltès adaptée par Chéreau. Au Louvre jusqu’au 2 décembre. “Nan mais j’suis en retard le matin parce que je suis trop intelligent, tu vois” Selon une étude récente, les personnes avec un QI plus élevé tendent à être plus actives la nuit et à se coucher plus tard que les autres.

billet dur

 C

her Grégoire, Sincèrement, si j’étais François Fillon, je t’aurais nommé ministre de l’Education nationale. Les efforts considérables et désintéressés que tu fournis pour introduire de manière ludique dans tes chansons des notions scolaires très barbantes méritent en effet une récompense. Bon, tu avais commencé sur ton premier album par des enseignements très élémentaires, permettant aux enfants de réviser les additions avec Toi + Moi. Leurs parents, quant à eux, pouvaient dans le même temps s’initier à des pratiques boursières de base, proches en fait du PMU, où misant sur un bourrin, ils eurent la surprise de récolter un joli magot inespéré. Récemment, tu es passé carrément à un niveau supérieur en introduisant lors d’un passage chez Michel Denisot de balèzes théories de physique

quantique. Je m’explique : en reprenant Across the Universe des Beatles, avec tes petits doigts palmés et ton anglais de 5e sur le plateau du Grand Journal, tu as fait la vertigineuse démonstration du rapport cosmique entre l’infiniment petit et l’infiniment grand. Quiconque, parmi les scientifiques du siècle, aura cherché à illustrer la mise en regard d’une particule infinitésimale avec le gigantisme de l’univers n’y sera parvenu avec autant d’éclat. Bon, à la place de John Lennon, j’aurais eu vite fait de voler “across the universe” pour venir en direct t’en coller deux, mais par chance je pense qu’il ne fut pas mis au courant de ce nouvel assassinat. Par contre, mauvaise nouvelle, à la rentrée prochaine t’es muté en LEP dans la Creuse. Je t’embrasse pas, chuis nul en maths. Christophe Conte

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Mark Maryanovich

The Pack A.D. Une blonde, une brune, une guitare, une batterie : le punk-blues castagneur et furibard de ces Canadiennes sera une des sensations des Trans Musicales de Rennes.

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lles s’appellent Maya Miller et Becky Black, picolent comme des trous et jouent aussi fort que n’importe quel mec sur le circuit. Elles, ce sont The Pack A.D., duo furibard et tellurique de Vancouver. Comme chez leurs collègues The Black Keys ou The White Stripes, la formule est simple – et diablement efficace : une guitare, une batterie, et des riffs punk-blues lourds et poisseux, taillés à la tronçonneuse. Maya (la blonde) et Becky (la brune) se rencontrent en 2005. Elles officient quelque temps au sein d’un quatuor pop, avant de décider qu’elles sont meilleures à deux. Elles forment The Pack A.D. en 2006.

Quatre ans et trois albums plus tard, elles ont écumé toutes les scènes d’Amérique du Nord dans leur van. Sans se taper sur les nerfs ? Miller a une solution aussi simple et implacable que leur musique : “Suffit de s’arrêter de parler. On peut se taire très longtemps et n’avoir toujours rien à se dire.” Aux Trans, nul doute que leur performance, qui s’annonce comme un sommet de sauvagerie et d’électricité, devrait délier les langues. Géraldine Sarratia Album We Kill Computers (Mint records), thepackafterdeath.com Concert le 9 décembre aux Trans Musicales de Rennes

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instruction civique Juge d’instruction de l’affaire de Karachi, il étudie les dossiers les plus sensibles de l’antiterrorisme. Marc Trévidic avale de la raison d’Etat au petit déjeuner.



45 ans, il ne peut pas se déplacer sans escorte policière. Marc Trévidic garde pourtant le rire facile, meilleur moyen sans doute de supporter de lourdes contraintes : sollicitations permanentes sur les dossiers en cours, confrontation aux intérêts diplomatiques, responsabilité devant les familles de victimes. A défaut de connaître le juge, on a entendu parler de “ses” affaires, anciennes et complexes. L’attentat contre le président rwandais Habyarimana en 1994, à l’aube du génocide. Celui de la rue Copernic en 1980. L’assassinat des moines de Tibhirine, en Algérie, objet du film de Xavier Beauvois Des hommes et des dieux. Et ce dossier à la une des journaux

ces dernières semaines : l’attentat de Karachi, en 2002. Il n’est pas du genre à défoncer les portes qu’on lui oppose, plutôt à réexpliquer dix fois au videur pourquoi il doit entrer. Conforme à une réputation d’indépendance et de ténacité, Marc Trévidic a été le premier à suivre la piste de l’argent, quand son prédécesseur voyait dans cet attentat l’empreinte d’Al Qaeda. “Si vous avez deux pistes, que l’une est arrivée à son terme et dans une impasse, vous travaillez celle qui reste”, commente-t-il avec sobriété. Le juge Renaud Van Ruymbeke s’occupe du volet financier. Sur l’affaire en cours, Marc Trévidic ne peut rien dire, tenu au secret de l’instruction. Il s’autorise deux conseils de lecture : Le Contrat, de Fabrice Arfi et Fabrice

Lhomme, “une référence”, et le livre des familles de victimes de l’attentat, “humainement très fort”. La semaine dernière, le député communiste Jean-Jacques Candelier a proposé de lui transmettre les PV de la mission parlementaire consacrée à Karachi. Le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, avait par deux fois refusé ces documents au juge, arguant de “la séparation des pouvoirs”. “Moi, je suis content dès qu’on m’amène des éléments qui intéressent mon instruction.

dans l’affaire de Karachi, le juge d’instruction Marc Trévidic a été le premier à suivre la piste de l’argent

D’où que ça vienne”, avance le juge, rappelant qu’en droit français, même le produit d’un cambriolage est recevable. A 25 ans, il commence sa carrière de juge d’instruction à Péronne, dans la Somme. “Petit notable” autodésigné. Il n’a alors “aucune idée de tout ce monde du renseignement, de ces problèmes de relations internationales” qui font aujourd’hui son quotidien. Passé par le parquet, à Nantes puis à Paris, c’est comme substitut du procureur que Marc Trévidic débute au pôle antiterroriste. Avant de devenir, en 2006, juge spécialisé. Dans la configuration actuelle, “je ne retournerai pas au parquet, affirmet-il. Avec plaisir si un jour ces magistrats sont considérés comme tels, pas comme des subordonnés fonctionnaires” Président de l’association française des magistrats instructeurs depuis 2009, Marc Trévidic a pris position contre le projet de suppression du juge d’instruction, aujourd’hui mis en sommeil pour des chantiers plus urgents, comme la réforme de la garde à vue imposée par le Conseil constitutionnel. Il peut se tourner vers d’autres combats. “Vous pouvez très bien comprendre sur quel type de dossiers je peux me sentir seul”, glissait-il à Libération en janvier dernier. “Les moyens, on ne les gère pas du tout, réaffirme-t-il aujourd’hui. Dans des dossiers de terrorisme majeurs, il n’y a parfois qu’un ou deux fonctionnaires de police pour enquêter.” Il sourit, fidèle à son parti pris de rester serein. Camille Polloni photo Renaud Monfourny

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Amr Nabil/AP/Sipa

quand expression rime avec prison L’Egyptien Kareem Amer détient le triste record du bloggeur ayant purgé la plus longue peine de prison. Il a été libéré dix jours avant les législatives.



imanche, Kareem Amer n’a pas voté. Après quatre années en prison, ce jeune Egyptien se dit peu au fait de l’actualité. Dans sa cellule, il n’avait droit qu’aux journaux gouvernementaux. Surtout, chez lui à Alexandrie, un seul homme était candidat aux législatives : le ministre des Affaires légales, membre du Parti national démocratique, le parti au pouvoir. “Je le déteste, je ne peux pas voter pour lui”, expliquait Kareem Amer à la veille des élections. Abdul Kareem Nabeel Sulaiman, plus connu sous le pseudonyme de Kareem Amer, est un revenant. A 26 ans, il a purgé la première et la plus longue peine infligée à un bloggeur dans le monde arabe. Le 16 novembre, c’est un twit qui annonce la nouvelle : “Kareem Amer est libre !” Il a quitté la prison de Borg al-Arab, l’une des pires d’Egypte selon son avocat, Gamal Eid, qui est aussi le directeur du Réseau arabe d’information sur les droits de l’homme. Durant son incarcération, Kareem Amer a été frappé plusieurs fois, placé en isolement. Depuis octobre 2009, personne n’avait reçu d’autorisation de visite.

Son crime ? Avoir publié sur son blog une série d’articles dans lesquels il traitait le président égyptien Hosni Moubarak de “dictateur”, ou portait des charges virulentes contre l’islam. Arrêté en novembre 2006, il est condamné à trois ans de prison pour incitation à la haine de l’islam, et à un an pour insulte au président. Aujourd’hui, il affirme ne pas avoir changé. “Quand vous êtes en prison à cause de vos opinions, vous avez trois solutions, explique-t-il. Soit vous vous pliez aux ordres du régime et vous arrêtez d’écrire. Soit vous résistez, ce qui conduit à adopter un comportement radical. La troisième voie, c’est d’arrêter de penser et de ressortir avec les mêmes idées qu’auparavant. C’est ce que j’ai fait.” Déterminé, il assure qu’il va se remettre à blogger. Il espère aussi reprendre ses études de droit, “n’importe où sauf au sein de l’université al-Azhar”. Sur son blog, Kareem Amer avait critiqué le conservatisme religieux de cette institution, la plus haute autorité de l’islam sunnite, dénonçant une “université du terrorisme”. Il en avait été expulsé en 2006. Mohammed Marei, un autre jeune bloggeur égyptien, a rencontré Kareem Amer pour

la première fois en mai 2008, à Borg al-Arab. Lui a atterri en prison parce qu’il avait couvert des manifestations ouvrières à El-Mahalla, une ville industrielle au nord du Caire. “Nous vivons dans un régime militaire et dictatorial. La prison, c’est le prix à payer pour obtenir le droit d’exprimer nos opinions”, dit-il. “Je sais que le changement est proche”, assure de son côté Kareem Amer.

Pour lui, pas de doute qu’internet et les réseaux sociaux sont des outils efficaces pour faire évoluer la société égyptienne. Pour Gamal Eid, le rôle de ces activistes est d’autant plus important quand le gouvernement musèle les médias. A la veille des législatives, de nombreuses chaînes satellitaires ont été interdites. Le pouvoir avait promis des élections “libres et transparentes” ; le scrutin de dimanche a été émaillé de violences et d’accusation de fraudes. Les ONG ont dénoncé des actes de répression et l’absence d’observateurs étrangers. A un an de la présidentielle, seule une minorité des 40 millions d’électeurs a été mettre son bulletin dans l’urne. Perrine Mouterde

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Hachette Google Hachette a pris de court le monde de l’édition en signant un accord avec Google qui autorise ce dernier à numériser des livres en langue française épuisés et dont les droits sont détenus par cet éditeur. Ce dernier conservera cependant le choix des ouvrages, qui pourront être ensuite exploités sur internet par Google et par Hachette, qui fixera les tarifs. Facebook lit les lignes de vos mails D’après le magazine Wired, le service de messagerie de Facebook contrôlerait chaque courriel. Les messages comprenant des liens vers des sites blacklistés, comme The Pirate Bay ou Lamebook, sont stoppés par le serveur. Qui indique que le contenu “a été signalé comme abusif ou de type spam”. Bompard lâche Europe 1 Alexandre Bompard quitte la direction d’Europe 1 pour prendre celle de la Fnac. La nouvelle a surpris le personnel de la radio du groupe Lagardère : Bompard avait confirmé son “profond attachement” et son “engagement total au service du groupe” en septembre, suite aux rumeurs de tensions entre lui et Arnaud Lagardère. L’annonce est intervenue quelques jours après les résultats Médiamétrie assez moyens (9,7 points d’audience cumulée) et quelques mois après sa non-nomination à France Télévisions qu’il espérait présider. Bompard quitte ainsi le monde des médias pour rejoindre l’industrie, avant, dit-on, d’investir la politique.

Vladimir “Batman” Poutine et Dmitri “Robin” Medvedev, selon les notes diplomatiques américaines divulguées par WikiLeaks

Dmitry Astakhov/ImageForum/AFP

brèves

le vice et la vertu Les révélations du site WikiLeaks en sont-elles ? Pas vraiment révolutionnaires, elles risquent pourtant de semer la zizanie au sein des relations internationales.

F  

allait-il attendre les révélations contenues dans les 250 000 notes diplomatiques (la correspondance échangée entre le département d’Etat à Washington et ses ambassades entre 2004 et 2010) révélées par le site WikiLeaks, et relayées par cinq journaux prestigieux – Le Monde, The New York Times, The Guardian, Der Spiegel, El País –, pour que la connaissance des enjeux géopolitiques soit à ce point bouleversée ? Les citoyens enfin informés des secrets des arcanes diplomatiques s’étonneront-ils devant la masse de ce que leur apprend le site fondé en 2006 par le sulfureux Julian Assange et ses “whistleblowers”, ces lanceurs d’alerte qui veulent “libérer” l’information de ses carcans ? La volonté de transparence et de partage de l’information – vertu ô combien démocratique – autorise-t-elle à détourner les règles non écrites du secret en diplomatie ? Les questions que pose la nouvelle “sortie” du site alternatif associé aux journaux traditionnels, comme la fusion du “vice” et de la “vertu” journalistiques, se concentrent autant sur l’intérêt relatif du contenu des informations que sur la démarche adoptée par des médias (internet et papier) enfin réunis dans une alliance productive. Apprendre que l’ambassade américaine juge Sarkozy “susceptible” et “autoritaire”, que le conseiller diplomatique de l’Elysée Jean-David Levitte qualifie le président vénézuélien Hugo Chavez de “fou” et l’Iran d’Etat “fasciste”, que Poutine manque de vision politique, que la Chine est crainte

de tous les pays occidentaux, qu’Angela Merkel est “rarement créative”…, tient plus d’une logique d’évidences diplomatiques que d’un basculement des certitudes. Plutôt qu’une déflagration, on découvre ici une simple déformation de la langue de bois diplomatique, par essence lisse et sans saveur. Rien de très neuf sous le soleil de WikiLeaks ne semble donc se dessiner, même si Le Monde promet dans les jours qui viennent des révélations croustillantes. Pour sa directrice de la rédaction, Sylvie Kaufmann, “Le Monde a considéré qu’il relevait de sa mission de prendre connaissance de ces documents, d’en faire une analyse journalistique, et de la mettre à la disposition de ses lecteurs”. Le quotidien a veillé à expurger les textes bruts et à retirer tous les noms et indices dont la divulgation pouvait entraîner des risques. Très discutée ces temps-ci, “l’éthique” du journalisme (cf. La Subjectivité journalistique de Cyril Lemieux, L’Ethique du journalisme d’Eric Rohde, Les Médias et nous de François Jost) offre avec l’affaire WikiLeaks un nouveau cas d’école. En quoi Le Monde juge-t-il nécessaire de publier ces notes diplomatiques alors qu’il se refusait de révéler l’été dernier les confessions du majordome de madame Bettencourt ? Au nom de quoi une information cachée mérite-t-elle plus qu’une autre de sortir ? La puissance subversive de WikiLeaks tient autant au déplacement qu’elle provoque au sein de l’échelle des valeurs journalistiques qu’au désordre qu’elle engendre dans les ambassades du monde entier. Jean-Marie Durand

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Twitter résiste Google aurait proposé 2,5 milliards de dollars à Twitter pour le racheter et l’intégrer à ses nombreuses fonctionnalités. Twitter a décliné. Et toc !

Facebook moucharde Fin 2008, trois employés étaient renvoyés pour avoir moqué leur entreprise dans une discussion privée sur Facebook. Le conseil des prud’hommes, saisi par les employés qui contestaient leur licenciement, a reconnu le bien-fondé de la décision de l’entreprise.

taxe Google Mauvaise nouvelle pour les annonceurs : la pub sur internet sera taxée à hauteur de 1 % dès janvier 2011.

le cadavre exquis de Tim Burton

Ouest France lance Reportages. Un trimestriel d’enquêtes à la fois ancré dans l’Ouest et ouvert sur le monde, abondamment illustré.

la télé, un univers impitoyable Dans un livre Télé, un monde sans pitié (Flammarion), Rémy Pernelet dévoile les pratiques dévoyées du PAF pourri par l’argent et les ambitions.

Tim Burton revisite le principe du cadavre exquis et fait appel aux internautes pour poursuivre l’écriture d’un conte via l’envoi de messages Twitter. Jusqu’au 6 décembre sur burtonstory.com

Tim Burton, Untitled, 1998

Ray-Franco Bouly

“Ouest France”, le trimestriel

le doc qui vide son sac Un webdoc produit par Capa, La Vie à sac, propose quatre portraits croisés de personnes démunies aidées par Médecins du monde. Des histoires construites à partir des objets contenus dans leur sac.

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Rama Yade se fait voir chez un grec Débarquée du gouvernement, Rama a troqué les réunions interministérielles contre le kebab du coin. Un problème de type grec ?

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il te reste un ticket resto ? La Chapelle, “terminus : tout le monde descend, reste ou prend son bus”. Rama Yade, elle, va se commander un grec au kebab du coin. Un acte anodin pour la majorité de la population française, mais inédit pour un membre du gouvernement débarqué quatre jours plus tôt par le Premier ministre. De quoi intéresser la presse et en l’occurrence Paris Match, qui publie deux photos d’une Rama Yade ne semblant pas vraiment au sommet de sa forme. Lunettes

et foulard sur la tête, l’ex-secrétaire d’Etat, chargée successivement des Droits de l’homme et des Sports, semble avoir enfilé un gros peignoir sur son combo pyjama-pantoufles. Cohérent, l’article attenant précise que Rama Yade se réfugie dans le sommeil : ainsi, après le remaniement, “le premier soir, Rama Yade a dormi douze heures. Ne voir et n’écouter personne. A son réveil, 400 mails l’attendaient”. Heureusement, il restait des tickets resto.

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“No More Rama”

En attendant que le chef termine son salade tomates oignons, Rama ne semble même pas avoir eu l’énergie de lire Le Monde ou Le Nouvel Obs qu’elle trimballe négligemment d’une main. A la place, elle passe des coups de fils et checke son BlackBerry. De quoi laisser entendre qu’elle a quitté provisoirement le devant de la scène politique et se concentre sur ses activités de simple conseillère municipale et d’élue au conseil régional d’Ile-deFrance ? Voilà qui devrait plaire à Don Choa, le rappeur de la Fonky Family qui sortait cet été deux morceaux-déclaration (Rama Yade et No More Rama) l’exhortant à laisser tomber l’UMP pour s’engager dans une histoire de “love prolétaire”. “Rama qu’est-ce qui se passe mais qu’est-ce tu fous chez nos ennemis de classe ? Rama quitte-les au plus tôt, finis pas comme Morano”, suppliait-il. Y a moyen ou quoi ?

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“Représente la banlieue comme un grec-frites” Don Choa n’est pas le seul rappeur à citer Rama. Avec plus ou moins de délicatesse, son nom est dernièrement revenu dans la bouche de Nessbeal, Despo Rutti, Youssoupha, Sexion d’Assaut ou Booba pour les plus connus. Ainsi y a-t-il quelque chose de plaisant à voir le parangon de la minorité visible du début du mandat de Sarkozy dans un décor pareil. La beauté des grecs – leurs néons qui agressent, les teintes rouges et beiges, les photos de plats en gros plan qui ne ressemblent jamais à ce qu’on mange au final – vient en parfaite contradiction avec l’esthétique des bâtiments ministériels et leurs hôtels particuliers. Mais Rama aura-t-elle déjà été aussi parfaite en minorité visible qu’à la sortie d’un kebab avec Le Monde en main ? “Le fil rouge de ma vie est d’être tout le temps là où on ne m’attend pas”, déclarait jadis Rama Yade à la presse. C’est bien ouej sur ce coup. Diane Lisarelli

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bonnes frappes stylisme Cécile Herrero-Sanchez, maquilleuse Ayami Nishimura

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Ils sont riches et adulés mais ils ont un problème avec la France, à moins que ce ne soit l’inverse. Quand Booba le rappeur croise Anelka le footballeur, ils parlent du pays. Propos recueillis par Marc Beaugé et Pierre Siankowski photo Patrick Swirc

ondres, mercredi 24 novembre. Nicolas Anelka est un peu à la bourre mais tout va bien. Posé sur un gros canapé, Booba a ouvert une bouteille d’eau gazeuse et il patiente tranquillement. Sorti deux jours plus tôt, son dernier album Lunatic cartonne, il le sait, rien ne peut lui arriver. Quand Nicolas Anelka, vainqueur la veille avec Chelsea en Ligue des champions, entre finalement dans le studio, il se redresse et sourit discrètement. Les deux hommes ne sont pas des grands expansifs, mais ils s’apprécient et se ressemblent. Ils sont souvent dans la ligne de mire et ne laissent personne indifférent. Ensemble, Anelka et Booba vont parler de foot, de rap et surtout de la France, leur pays quand même.

Entretien > Quand vous êtes-vous rencontrés pour la première fois ? Booba – Je crois que c’était chez Omar, d’Omar et Fred. Il nous a présentés à l’occasion d’un barbecue, chez lui à Maisons-Laffite. Nicolas Anelka – C’était pendant l’été 2005, à l’époque je jouais en Turquie, à Fenerbahçe. Nicolas, tu connaissais Lunatic, le premier groupe de Booba ? Nicolas Anelka – Oui, j’ai découvert Lunatic en 2000. Je n’avais jamais écouté beaucoup de rap français : dès l’âge de 17 ans j’ai quitté la France pour aller jouer en Angleterre, à Arsenal, où j’ai très vite écouté du rap américain – dans les vestiaires, en Angleterre, on a des sonos et les mecs passent tous les trucs hip-hop US du moment. Lunatic, c’est un 1.12.2010 les inrockuptibles 33

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de mes coéquipiers de l’équipe de France espoirs, Philippe Christanval, qui m’a fait connaître. J’ai tout de suite accroché sur les textes, sur la voix de Booba. J’aimais bien son attitude aussi. Aujourd’hui, je passe ses morceaux dans les vestiaires à Chelsea. Ça va, les gars aiment bien. Booba – Je ne suis pas à fond dans le foot, mais je connaissais le nom de Nicolas depuis longtemps. Le sport m’intéresse, mais pas vraiment les sports collectifs. J’ai rarement joué au foot. A part une fois, on m’a fait rentrer à dix minutes de la fin, sous la pluie, j’ai mis quelques tacles et je suis sorti.

Nicolas Anelka – Moi, je n’aurais jamais pu être rappeur. J’en connais des rappeurs, c’est un métier. J’ai déjà essayé, le résultat est dégueulasse (rires). Il faut savoir écrire des textes aussi, et c’est pas mon truc. J’ai arrêté les cours assez vite à cause du foot, à partir de la troisième j’ai eu des programmes aménagés pour pouvoir aller aux entraînements, donc je n’ai pas vraiment eu le temps d’étudier le français… Booba – Tu sais pas lire en fait (éclats de rire). Vous avez en commun d’être partis vivre très tôt à l’étranger ; toi, Booba,

“à Paris, tout le monde me prenait pour un extraterrestre” Booba

Anelka : lunettes, chemise, costume, cravate Dolce&Gabbana ; Booba : lunettes Marc Jacobs, veste et chemise De Fursac, cravate Louis Vuitton

Londres, 24 novembre 2010

tu est parti un an à Detroit à l’âge de 15 ans. Nicolas, à 17 ans tu étais à Londres… Booba – Ça ouvre l’esprit. Quand je suis arrivé à Detroit, j’ai eu l’impression d’être au bled. Il y avait des Renois partout autour de moi, qui s’habillaient comme moi. A Paris, quand je me pointais habillé un peu chelou dans la rue avec ma casquette, tout le monde me prenait pour un extraterrestre. Là-bas, je me suis senti libre. Nicolas Anelka – Moi, dans le foot, je n’ai rien fait comme les autres. En 97, j’ai été le premier jeune footballeur français encore en formation à signer un contrat pro à l’étranger. J’ai ouvert la brèche à d’autres jeunes qui voulaient quitter la France. J’avais mes frères comme agents aussi, et ça, ça ne passait pas. Je me souviens qu’à l’époque le PSG voulait me mettre des agents dans les pattes,

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“c’est le fait de venir de la cité et d’avoir une Ferrari qui donne mal à la tête aux gens” Nicolas Anelka ils n’acceptaient pas que ce soit des gens de ma famille qui s’occupent de moi. Tu gagnais combien quand tu étais au PSG ? Nicolas Anelka – Je gagnais 1 200 francs par mois. Arsenal m’a proposé 50 000 francs. Mais ce n’était pas une question d’argent, je ne suis pas allé en Angleterre pour la thune, d’ailleurs le PSG m’a proposé plus qu’Arsenal. Je voulais juste jouer. Booba – Si j’ai monté mon propre label, c’est aussi parce que j’y ai été obligé. J’ai compris que c’était le seul moyen de faire ma musique sans aucune contrainte. Les majors me demandaient de changer des trucs, de faire ci, de faire ça. Après, j’ai conservé cette dynamique, cet état d’esprit. Heureusement d’ailleurs, comme ça je n’ai pas signé pour dix ans avec une maison de disques. Ça serait une catastrophe aujourd’hui, je serais obligé de prendre le métro. J’ai réussi sans Skyrock. Avec Lunatic, on a fait disque d’or en indépendant. Ils étaient niqués. Ils ne pouvaient pas dire “c’est nous qui les avons lancé, bla bla bla…” Non, on l’a fait tout seul. Et ils n’aiment pas. Ils aiment avoir le contrôle. Vous avez un rapport aux médias assez similaire. Vous vous êtes construits sans eux, voire contre eux. Booba – Je considère que les médias ça ne fait pas partie de mon métier. Quand j’étais jeune, je voulais faire du rap, pas donner des interviews. Je pense que Nicolas c’est pareil : quand il était petit, il voulait marquer des buts, pas passer dans Téléfoot. Nicolas Anelka – Exactement, je n’ai jamais pensé à autre chose qu’au foot. L’image, tout ça, je n’y avais jamais songé. Il faut dire que quand j’ai débuté ça n’était pas aussi important. Je n’ai jamais eu de bons rapports avec la presse parce que juger depuis les tribunes, je trouve ça un peu facile. Quand j’aurai fini ma carrière, on ne me retrouvera pas commentateur ou consultant, je peux le jurer. Et puis être copain avec un journaliste sportif pour avoir de bonnes notes ou pour avoir des articles, ça n’est pas mon truc. Je sais que ça

aurait pu me simplifier la vie de le faire, certains ont fait toute leur carrière grâce à ça. Mais je n’ai jamais voulu faire ce compromis. Parce qu’on ne parle pas beaucoup, les gens s’imaginent des choses. Par exemple, contrairement à ce qu’on disait, je kiffais de jouer dans une équipe comme Bolton. Je kiffais vraiment ma vie. La mentalité était différente. Dans un petit club comme ça, on est comme dans une famille. Il y a beaucoup moins de pression. Aujourd’hui, je suis à Chelsea, c’est très bien, mais on perd deux matches et tout le monde raconte que le coach va partir. A Bolton, on perdait, ce n’était pas si grave. J’étais bien aussi à Fenerbahçe. Jouer les premiers rôles, la Ligue des champions, ça ne me manquait pas. Plus le club est grand, plus tu as d’emmerdes. Mais tu as quand même replongé à Chelsea, un grand club… Nicolas Anelka – Je suis un compétiteur. J’ai besoin de me lancer des défis. Et j’avais la chance de replonger dans un grand club, après avoir été longtemps carré à cause de mon soi-disant caractère. Booba – Justement, c’est quoi ton caractère ? J’entends toujours dire que tu as des problèmes de caractère. Mais je ne vois pas. Nicolas Anelka – En fait, je n’ai jamais eu de problèmes à l’étranger. J’ai toujours eu des problèmes en France avec certains coachs. Booba – Des problèmes, c’est-à-dire ? Tu ne t’entendais pas avec tes coachs ? Nicolas Anelka – En France, on a toujours eu une image faussée de moi à cause des médias. On ne s'est jamais contenté de me juger sur le terrain. Il y avait toujours un truc hors terrain qui faisait que l’on ne pouvait pas travailler ensemble. Peut-être que des gens racontaient des trucs sur moi. Je ne sais pas. Mais quand tu ne parles pas beaucoup, de toute façon, cela fait peur aux gens, ils fantasment. Est-ce que le fait d’être de la cité, et de le revendiquer, a joué contre toi ? Nicolas Anelka – C’est surtout le fait d’être le premier joueur à venir de la cité

le bruit de la rue

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n France, au début des années 80, le rap se déguste comme une gentille sucrerie. Sur TF1, d’abord le dimanche, ensuite le mercredi, H.I.P H.O.P. fait marrer tout le monde, Sidney a la banane, il dit de lever les bras pour faire la fête. Mais les choses vont changer : bientôt débarquent NTM et IAM. Eux sourient un peu moins. Ils allument les flics, le capitalisme, ils ouvrent le chemin, graine de révolte, et valeurs contestataires classiques qui ne vont pas survivre à la nouvelle génération. En 1996, sous les couleurs de Lunatic, avec son pote Ali, Booba sort Le crime paie sur la compile Hostile Hip-Hop. Il est lancé. Quatorze ans plus tard, son cinquième essai solo s’appelle Lunatic, déjà en tête des ventes et disque d’or. “Si tu veux t’asseoir sur le trône, faudra t’asseoir sur mes genoux”, pérore Booba sur Jour de paye. Bien résumé : aujourd’hui, il se trimbale au sommet du rap français. Il rappe ses origines, le fric et les meufs faciles, se la joue vulgos et machiste. Ni de gauche ni de droite : c’est le bruit de la rue. “Le bitume avec une plume”, dit Booba, plus subtil qu’il n’y paraît. Né dans les geôles, le rap porte la parole du pavé. Ses beats, ses rimes déplaisent aux parents, à l’establishment mais parlent à la jeunesse des deux côtés du périphérique. C’est la force de Booba, qui a fait son trou sans concession ni renoncement. Il a grandi hors du système, et en cela il ressemble beaucoup à Nicolas Anelka, qui a lâché la formation à la française à l’adolescence. En 1996, l’année même où sortait Le crime paie, il marquait son tout premier but sous le maillot du PSG, avant de filer, à grand bruit, vers Arsenal. Quatorze ans plus tard, il est toujours au top, titulaire à Chelsea, l’un des clubs les plus concurrentiels au monde. Avec 130 millions dépensés au total par les clubs qui se sont attachés ses services tout au long de sa carrière, Nicolas Anelka est même le joueur le plus cher de l’histoire du foot, devant Zidane, Ibrahimovic et les deux Ronaldo. Evidemment, ce ne sont pas des anges – on a déjà vu des tartes partir (Anelka) et des bouteilles de Jack Daniels voler (B2O) – mais les réduire à leur habituel statut de “racailles” est une aberration. Les “racailles” sont en bas de la cité et dealent le bout de shit. Elles ferment leur gueule et se conforment au rôle que l’on a pensé pour eux. Anelka et Booba ne sont pas devenus star du rap ou du football en tenant le mur de la cité. M. B. et P. S. 1.12.2010 les inrockuptibles 35

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“quand on perd, en France, on parle toute de suite des religions, des couleurs” Nicolas Anelka et à avoir une Ferrari qui donne mal à la tête aux gens. Je n’ai jamais compris pourquoi. Quand j’étais à Madrid, j’avais 20 ans, j’avais l’argent, j’ai acheté une Ferrari. Et les gens me l’ont reproché. Booba – C’est parce qu’on vient de la banlieue. On ne parle pas du fait que Johnny Hallyday se déplace en hélicoptère. Pour beaucoup de Français, les mecs de banlieue, ils sont en galère. Les Noirs, ils sont habitués à les voir balayer dans la rue, faire les poubelles, garder les enfants des plus riches. Ou chanter Saga Africa. Les Noirs, ils marchent pieds nus, ils dansent. Mais dès que tu commences à faire du business, oh la la… Dans ton dernier album, tu dis “la patrie n’aime pas les négros”. Booba – Je dis “Le jour de gloire est arrivé, enfants de la patrie/Kalachnikov chargé, toujours de la partie/Mais la patrie n’aime pas les négros.” A l’école, on t’apprend “la Marseille”, “qu’un sang impur abreuve nos sillons”. Ce sang impur, c’est le mien. Du sang d’Algérie, du sang d’Africain. Nicolas Anelka – En équipe de France, je n’ai jamais voulu chanter La Marseillaise, ça ne m’est jamais venu à l’idée. Et si on m’avait demandé de le faire, j’aurais refusé, j’aurais quitté l’équipe. Contrairement à beaucoup de joueurs, tu n’as jamais été prêt à faire la moindre concession pour jouer en équipe de France. Nicolas Anelka – Tout ce que j'ai fait, c'est à l'étranger. Moi, je ne me suis pas construit en France. Je n’y ai eu que des soucis. Booba – Tous les immigrés se sentent mieux à l’étranger. La France n’est pas une terre d’accueil. J’ai beaucoup voyagé, je connais beaucoup d’étrangers qui ont migré ailleurs qu’en France et pour eux, la France, c’est un cauchemar. Aux Etats-Unis, les Sénégalais, les Africains savent qu’en France c’est contrôles, contrôles. Aux Etats-Unis, les contrôles, ça n’existe pas. Il faut faire des infractions pour être contrôlé. Aux Etats-Unis, tout le monde appartient à une communauté. Les communautés sont très puissantes. Tu ne peux pas faire ce que Guerlain a fait

par exemple1. Tu te fais massacrer. Le respect, ça se gagne par la crainte. Si on ne te craint pas, on ne te respecte pas. Les Noirs n’ont pas obtenu leur liberté en écrivant des lettres et en demandant gentiment les choses. Ils ont dû se battre. Il y a eu des luttes, des émeutes, Martin Luther King a été assassiné. Aux Etats-Unis, aujourd’hui, tu es obligé de faire avec les Noirs… En France, Guerlain parle comme ça, et… presque rien. Pourquoi on chanterait La Marseillaise ? On ne se sent pas intégré, pas respecté. Quand Florent Pagny dit qu’il ne veut pas mettre ses enfants dans telle école pour qu’ils ne parlent pas comme des Algériens, il n’est pas emmerdé. Comment ne pas être dégouté ? Nicolas Anelka – Et on continue à faire la publicité pour son disque au journal de 20 heures de TF1. Booba – Moi, quand j’écris “Fuck you/ Fuck la France/Fuck Domenech”, sur la chanson Caesar Palace, on me dit (il prend une voix de vierge effarouchée) “ah bon, non quand même pas ’fuck la France”. Voilà pourquoi je dis ça. Parce qu’en 2010 Guerlain peut dire ce qu’il a dit. T’imagines si c’était moi qui l’avais dit. Comment tu veux qu’on veuille vivre en France ? Moi, j’ai vécu beaucoup de situations où être noir me nuisait. Quand je cherchais un logement, par exemple. C’est ma mère, qui est blanche, qui y allait. Elle me disait “ne te montre pas”. Voilà. C’était ma mère, et elle avait intégré ce truc-là. En tout cas, la punchline de l’année, c’est toi, Nicolas, qui l’a faite pendant la Coupe du monde. Nicolas Anelka – Non, c’est eux qui l’ont faite. Moi, je n’ai pas dit ce qui était en une de L’Equipe. Si vraiment j’avais dit ça, je l’aurais assumé. C’est grave, c’est super grave. J’ai toujours assumé. Ils ont fait leur une avec quelque chose que je n’ai pas dit. Booba – Moi, j’étais atterré pendant la Coupe du monde. J’attendais la chute de l’équipe de France. C’était mort depuis le début. Domenech, il met à droite les joueurs qui jouent normalement à gauche. Il utilise l’horoscope pour faire

son équipe. Mais la fois où il m’a plié, c’est quand il a demandé sa meuf en mariage après un match pitoyable. Tu fais ça en Angleterre ou en Italie, t’es mort. Nicolas Anelka – Moi, j’ai dit très tôt qu’on allait dans le mur. Mais on m’a fait comprendre que je ne devais pas parler. Il y avait tellement de choses qui n’allaient pas. Les gens ne savent pas ce qui s’est vraiment passé là-bas. Tout ce qui a été écrit dans L’Equipe, ce sont des spéculations, c’est faux. On a beaucoup dit qu’il y avait le clan des joueurs noirs, des Antillais… Nicolas Anelka – On a vu le vrai visage de la France. Dans les moments difficiles, on voit ce que les gens pensent vraiment. On disait “Ribéry a frappé Gourcuff. Gourcuff, le bon Français, Ribéry, le musulman”. C’est parti trop loin. Quand on ne gagne pas, en France, on parle toute de suite des religions, des couleurs… Tu ne reviendras jamais en équipe de France, Nicolas ? Nicolas Anelka – Mais comment ça se fait qu'on parle encore de moi pour l’équipe de France ? La vérité, c’est que j’avais dit à Domenech, avant la Coupe du monde, que j’arrêterai la sélection après la compétition, quoi qu’il arrive là-bas. Je lui ai dit clairement. La fédération le sait aussi. Mais ils ne l’ont jamais dit. Ils veulent sortir grandis de cette histoire, comme s’ils avaient rétabli l’ordre. Booba – Le problème, c’est que les joueurs ne t’ont pas suivi jusqu’au bout. Ils auraient dû partir aussi. Moi, je serais parti. Tu n’as pas fauté. Le mec, il rendait tout le monde fou. Dans mon système, si tu es mon coéquipier, je pars avec toi. Et si tout le monde avait fait ça, Domenech, il n’aurait pas été bien. Il ne faut pas faire une grève, un petit coup de pression, et s’arrêter. Il faut aller au bout. Nicolas Anelka – Moi, si Evra ou Abidal avaient été virés, je serais parti avec eux. Chacun sa façon de fonctionner. 1. Le 15 octobre dernier, au journal de 13 h de France 2, Jean-Paul Guerlain, descendant du fondateur de la célèbre parfumerie, déclarait : “Pour une fois, je me suis mis à travailler comme un nègre. Je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé mais enfin...”

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polo Unkut

le duc de Miami

Installé en Floride, Booba, number one du rap français, revient aux affaires avec un disque lourd de sens et de hits.

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lash-back. C’est du côté de Miami que l’on a retrouvé la trace de Booba l’été dernier. Il fait une chaleur de chien. Une Merco noire aux vitres teintées s’arrête. Casquette des Detroit Red Wings sur la tête, Nike Air Jordan aux pieds, Booba, de son vrai nom Elie Yaffa, né en 1976, d’une mère blanche et d’un père noir (“mais direct on te fait comprendre à quel camp tu appartiens”), nous invite à prendre place. Voilà un peu moins de deux ans que celui qu’on appelle aussi B2O, le Météor, Kopp, ou encore le duc de Boulogne s’est installé à Miami. “C’est ici que vivent Lil Wayne et Rick Ross, les meilleurs rappeurs du moment. Je suis venu à Miami parce que c’est là que ça se passe.” C’est donc en Floride que le rappeur a écrit et enregistré son nouvel album solo, le cinquième, nommé Lunatic, du nom de son premier groupe, repéré en 1996 sur la compile Hostile hip-hop avec l’un des titres classiques du rap français, Le crime paie. Lunatic, que Booba forme avec 1.12.2010 les inrockuptibles 37

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Lunatic (Tallac Records/Because Music)

T-shirt tête de mort John Galliano

Ali, se sépare en 2000 après un premier album mythique, Mauvais œil, sorti sur le label indépendant 45 Scientific et disque d’or. Climax de l’album, le morceau La Lettre, que Booba a écrit lors d’un de ses trois séjours en prison. On y découvre un flow inédit, rageur et racé, que célèbre alors l’écrivain Thomas Ravier dans la Nouvelle Revue française. Pour Booba, Ravier invente même une figure de style : la “métagore”. Il voit en effet chez le rappeur des “rapprochements qui n’ont pas lieu d’être, une apparition vénéneuse, rétinienne, brusque, brutale”. Tous les albums solo de Booba sont tendus par ce souci d’écriture. Les thématiques sont celles du rap – guns, drogues, meufs, bagnoles, crime – mais la qualité des textes et des productions place Booba devant la concurrence. Fasciné par le hip-hop US, par son aspect business, B2O a créé sa propre structure – Tallac Records. Il est également le propriétaire de la marque de fringues Unkut. Il gère ses affaires depuis Miami. “Je bosse à distance avec des gens de confiance : quand le rap s’arrêtera, je n’aurai plus que les affaires, c’est capital pour moi”. C’est sur son téléphone portable qu’il a écrit les lyrics de son nouvel album. “Je tourne en bagnole dans Miami, je me passe les prods à fond dans la voiture et je note mes idées de punchlines sur mon Blackberry.” Pour Lunatic, Booba a convoqué des poids lourds du rap US : P. Diddy, T-Pain, Akon ou Ryan Leslie. Sur des beats balèzes, élevés à la ricaine, Booba a su conserver sa touche néo-oulipienne, son écriture si personnelle : “J’prends à César c’qui est à Aimé Césaire”. Plus que jamais numéro 1 du rap français, Booba donnera le 1er octobre 2011 à Bercy un concert qui pourrait bien virer au couronnement. P. S.

perdu pour la France Nicolas Anelka n’a jamais été prophète en son pays. ntre l’équipe de France et Nicolas Anelka, l’incompréhension est née au premier jour. En 1998, âgé de seulement 19 ans, starlette d’Arsenal, il fait partie de la liste initiale des joueurs retenus pour la Coupe du Monde. Il doit en être. Mais, au dernier moment, comme cinq autres joueurs, il est prié d’aller voir d’ailleurs. Il tient la chandelle pendant que le pays s’envoie en l’air et cela déterminera la suite de sa relation à l’institution bleue. Pour elle, Nicolas Anelka ne fermera jamais sa gueule. La tête haute, l’orgueil énorme, il ratera aussi les Coupes du monde 2002 et 2006. A 31 ans, l’édition 2010 était sa toute première et on sait comment elle a tourné. Viré pour avoir insulté Raymond Domenech (il a toujours démenti les propos rapportés par L’Equipe et a même attaqué le journal en diffamation – le procès aura lieu en mai), sanctionné de dix-huit matchs de suspension, il ne rejouera jamais en bleu. De toute façon, il en avait ras le bol, il l’avait dit à Domenech avant le départ pour l’Afrique du Sud. Désormais, Nicolas Anelka est simple joueur de Chelsea, cela lui va parfaitement. Hormis un passage douloureux au Real Madrid, entre 1999 et 2000, il a toujours mieux vécu à l’étranger qu’en France. Ici, au vrai, il n’a fait qu’aligner les embrouilles. A 17 ans,

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il veut jouer, il claque la porte du PSG. Il revient dans la capitale trois ans plus tard, et il s’étripe avec Luis Fernandez, l’entraîneur. Trop d’ego pour un seul vestiaire. Il se barre. Plus tard, il refuse de joueur “les bouche-trous” et décline une sélection en équipe de France. Il balance au sélectionneur Jacques Santini : “Qu’il s’agenouille devant moi, s’excuse d’abord et après je réfléchirai.” Joueur fin, racé, assurément dans le top 10 ou le top 20 des attaquants mondiaux, Nicolas Anelka ne plaît pas ici parce qu’il n’a jamais joué à l’intello républicain (Thuram) ou à l’immigré modeste (Zidane). Il a toujours revendiqué la banlieue et refusé le jeu des médias, jusqu’à gifler un journaliste de L’Equipe, grosse erreur stratégique. Il en a fait d’autres, bien plus sérieuses. Il s’est un jour attaqué aux taux d’imposition en France, ce “pays hypocrite”, selon ses propres termes. Franchement bling-bling, libéral sans trop savoir pourquoi, il n’a jamais caché sa Ferrari et ses goûts de luxe, lui, le fils de deux employés de l’Education nationale. Au fond, il se fout complètement de ce qu’on peut en penser. Il ne reviendra pas. Au terme de sa carrière, dans deux ou trois ans, il continuera à vivre entre Londres (le travail) et Dubaï (la détente). M. B.

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Inrocks Indie Club le 17 décembre à la Flèche d’Or, Paris (XXe)

musiques Au programme ce mois-ci, trois groupes so british et très indé : le rock aux idées noires des Anglais White Lies ressuscite une newwave torturée, déjà promise aux sommets ; The Vaccines, adeptes du format court et efficace, injectent une énergie concentrée dans leurs morceaux rock ; et de la formation britannique I Like Trains jaillit une pop-rock teintée de mélancolie. A gagner : 10 places pour 2 personnes. Appeler au 01 42 44 15 62, le vendredi 3 décembre de 1 2 h 30 à 1 3 h.

Memory Lane un film de Mikhaël Hers

cinéma Dans la banlieue sud-ouest de Paris, sept amis de 25 ans se retrouvent plus ou moins fortuitement à passer quelques jours de vacances dans cette ville qui les a vus grandir. Au détour des rues, chacun porte en lui l'intuition que ces moments partagés sont peut-être les derniers... A gagner : 15 places pour 2 personnes. Appeler au 01 42 44 15 62, le vendredi 3 décembre de 11 h 30 à 12 h.

grand concours / ouvert à tous les lecteurs

gagnez un des 14 blousons homme ou femme participez sur www.lesinrocks/com/special/schott Jeu-concours gratuit sans obligation d’achat organisé par Les Inrockuptibles et ouvert aux lecteurs des Inrockuptibles. Clôture du concours le 8 décembre 2010. Les gagnants seront désignés par tirage au sort.

I tout nu 1.12.2010

édito foirage

I

Il a longuement mûri sa décision. Ce n’est pas rien de réunir ses partisans, de les rassembler sur ses terres pour en faire les témoins privilégiés d’un moment unique de sa vie. Ce n’est pas rien, un beau dimanche de novembre, de prononcer cette phrase lourde de conséquences pour toute sa vie, sa réputation et, sait-on jamais, pour l’histoire : “Je suis candidat à la présidence de la République française”… Cette phrase magique, presque sacrée, Arnaud Montebourg l’a dite la semaine dernière. Grand moment, donc, pour lui. Comment les médias, la société, ont-ils pris ce “don de sa personne à la République“ ? Cette candidature a eu un retentissement impressionnant. Deux unes de grands quotidiens, Le Parisien et Libération, une semaine de débats entre polémistes sur toutes les radios. Le tout consacré par un sondage publié dans le JDD ! Quel succès. En fait, quel foir age ! Ces unes, ces polémiques, et même ce sondage, avaient pour objet non pas le cas Montebourg mais l’éviction d’Audrey Pulvar, sa compagne, d’iTélé. Signe des temps…

Hector de la Vallée

par Thomas Legrand

primaire au PS, la confusion du genre Difficile de se retrouver dans les règles que se donne le PS pour choisir son candidat. Tentative de décryptage.

P

our l’instant, ça ressemble à un Rubik’s Cube… Le PS est en train de mettre en place les modalités d’organisation de sa primaire pour désigner son candidat à la présidentielle. Il y a une semaine, pour la première fois, le Comité national d’organisation des primaires – prononcez d’un trait, en langage socialiste, le Cnop – s’est réuni au siège du parti. Des aspects techniques du processus y ont été évoqués  : la cartographie des bureaux de vote, les listings électoraux, la mobilisation des électeurs… Rien de très marrant, mais une sacrée organisation à mettre en place pour éviter que la primaire échoue. Le principe d’une “charte éthique”, proposée par Arnaud Montebourg et Olivier Ferrand dans un rapport remis à Martine Aubry sur la primaire, a été aussi ap-

prouvé. Elle devrait établir des règles de comportement entre les candidats et éviter que la primaire ne vire au règlement de comptes entre les candidats comme en 2006. La droite n’ayant eu qu’à faire son miel de ces belles divisions à la télé. Et pour veiller au respect de cette charge, une autorité indépendante ad hoc – c’est son petit nom  – devrait être constituée dans les prochaines semaines. Elle sera chargée de valider les candidatures, de recueillir les possibles plaintes et réclamations, et éventuellement de proclamer les résultats de la primaire. L’ex-ministre Pierre Joxe est pressenti pour présider cet organe. L’intéressé n’a, à ce jour, pas donné sa réponse. Alors, la primaire c’est quoi, c’est qui, c’est où, c’est quand ? Revue des 5 points clés. 1.12.2010 les inrockuptibles 41

les 5 clés pour comprendre la primaire socialiste

1

le calendrier Les dates exactes de la primaire seront fixées au cours d’un bureau national du PS en janvier. Pour l’instant, on ne connaît donc que les “zones” de vote selon le vocabulaire consacré. Dis donc, c’est flou ça… L’ouverture du dépôt des candidatures est prévue au mois de juin, la fermeture n’est pas arrêtée et le vote doit se faire à l’automne. Certains, à l’image de François Hollande, Manuel Valls ou Ségolène Royal poussent à une modification du calendrier pour accélérer la désignation du candidat. Que nenni, répond Martine Aubry, qui souligne que le calendrier a été entériné par les militants. “Notre calendrier a été choisi en fonction de la date de la présidentielle, répond François Lamy, proche de la première secrétaire. Jusqu’à preuve du contraire, cette date n’a pas été changée.“ Dès lors, la campagne devrait battre son plein à l’université d’été de La Rochelle, en août prochain, en toute amitié bien sûr. Mais attention, pas question de finir mauvais “camarades” à l’issue de la campagne. Il est prévu qu’une “convention d’investiture et de rassemblement” clôture ces mois de compétition : les candidats éconduits étant priés d’apporter leur soutien au vainqueur. Fr a-ter-ni-té !

2 3 les électeurs

La primaire du PS sera ouverte à tous les militants et sympathisants de gauche. “Ce sera un succès si on mobilise un million d’électeurs”, souligne Olivier Ferrand, qui a travaillé sur le rapport de la primaire avec Arnaud Montebourg, “mais on en vise entre 2,5 et 4 millions”. Rue de Solférino, on se refuse à fixer un objectif de cet ordre. “Si l’on multiplie par quatre ou cinq le chiffre des militants, ce sera déjà une bonne base”, commente François Lamy. Aujourd’hui, le PS recense environ 177 000 militants.

4

les candidats

5

Quatre candidats sont déjà déclarés : Manuel Valls, Arnaud Montebourg, Daniel Scornet, l’ex-président des Mutuelles de France, et Christian Pierret, maire PS de Saint-Dié-des-Vosges. D’autres candidats dits “potentiels” – certains faisant peu mystère de leur intention d’y aller comme François Hollande – peuvent aussi se jeter dans la course  : outre Hollande donc, Dominique StraussKahn, Martine Aubry, Ségolène Royal, Pierre Moscovici, Gérard Collomb, Jean-Louis Bianco… Pour pouvoir se présenter, chaque candidat devra obtenir des parrainages : 5 % des parlementaires PS ou 5 % des membres du conseil national du PS, ou 5 % des conseillers régionaux ou généraux PS issus de 10 départements ou 4  régions, ou 5 % des maires socialistes des villes de plus de 10 000 habitants issus de 4 régions différentes. Chaque élu ne pouvant attribuer qu’un parrainage. Compris ?

vu, entendu les Progressistes, le retour Eric Besson, qui n’est plus secrétaire général de l’UMP, va réactiver son mouvement politique, les Progressistes, à partir du printemps  2011, “sous forme de contributions versées au projet UMP”. Une contribution... ça rappelle le vocabulaire du PS. Autant vouloir introduire la démocratie socialiste (ou le bordel) à l’UMP. 42 les inrockuptibles 1.12.2010

1.12.2010 tout nu II

85

milliards d’euros pour l’Irlande, deuxième pays de la zone euro, après la Grèce, à recevoir un tel soutien en six mois.

les modalités Trois conditions pour pouvoir voter à la primaire du PS : être inscrit sur une liste électorale, s’engager par écrit le jour même à “soutenir les valeurs de gauche” et payer un euro minimum. Pour ceux qui ont moins de 18 ans ou pour les étrangers, il suffit d’être encarté au Parti socialiste. Malins, les socialos. On est mauvaises langues… Le PS lancera dans le même temps une campagne d’inscription aux listes électorales. Les concepteurs Montebourg et Ferrand estiment que l’idéal serait d’avoir au moins 10 000 bureaux de votes. Pour des questions de logistique et d’organisation, le PS serait déjà bien content s’il arrive à en avoir entre 5 000 et 10 000 dans toute la France, dans les lieux habituels : les salles polyvalentes, les écoles, les mairies, le tout organisé par des militants et des sympathisants. Le PS s’engage déjà à prévoir un bureau de vote par canton dans les zones rurales.

pacte ou pack ? Les dernières déclarations d’Aubry n’en finissent pas de faire des remous. Au 20 heures de France 2, le 24 novembre, elle lance : “Nous (Aubry, Royal et DSK – ndlr) proposerons une candidature véritablement ensemble, c’est-à-dire pas l’un contre l’autre ou l’une contre l’autre.” Aussitôt, Hollande et Valls dénoncent un “arrangement” et une “troïka”. Royal assure vouloir éviter “toute ambiguïté sur ce qui a été dit par Martine”, affirmant qu’elle sera “la garante” du bon déroulement des primaires. A la formule de “pacte”, elle préfère celui de “pack”. “Il n’y a pas de pacte pour empêcher les primaires”, répond-elle, mais la nécessité de se rassembler “plutôt dans un pack que dans un pacte pour battre la droite”. Une façon habile de rester dans la course à la présidentielle : “Personne ne s’interdit d’être candidat aux primaires, y compris moi.” Officiellement, la campagne commence au mois de juin prochain… Officieusement par contre, c’est à l’appréciation de chacun. Marion Mourgue

une drôle d’odeur Réaction d’un radical après la renonciation de Jean-Louis Borloo à la vice-présidence de l’UMP : “Ce n’est pas un grand sacrifice pour nous. Depuis les régionales, ça sent le fennec à l’UMP !” Pourtant les radicaux n’ont pas prévu de quitter l’UMP. Qu’ils pensent à aérer un peu la pièce alors !

amen ! Henri Guaino s’est fait copieusement siffler par l’assistance d’un colloque des Semaines sociales de France, organisation d’essence chrétienne sociale. Le colloque avait pour thème “Les migrants, un avenir à construire ensemble”. Le conseiller du président y avait justifié sa position en faveur de la politique migratoire du gouvernement en invoquant ses convictions chrétiennes.

III tout nu 1.12.2010

que le meilleur perde Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite. par Michel-Antoine Burnier

Quelle frénésie ! Sitôt passé le remaniement et sa guerre des souschefs, voici, sans la moindre pause, la guerre des grands chefs. Ceux-ci, MM.  Sarkozy et de Villepin, n’ignorent pas que la division et la haine demeurent les plus sûrs moyens de mener une force politique à la ruine. Notons le tragique du scénario : de louches tractations à Karachi, port de mystère et d’angoisse, des sous-marins, des commissions suspectes, des rétro-commissions plus interlopes encore, un attentat au Pakistan et la mort de onze Français. Quant à l’argent, il a disparu. Aurait-il financé une campagne présidentielle en 1995 ? Qui est le vrai responsable, voire le coupable ? Le chevalier d’industrie qui permit les commissions et les rétro-commisions, soit le retour d’une partie de l’argent versé à l’étranger entre les mains d’hommes politiques français ? Ou celui qui en les supprimant, aurait provoqué une vengeance pakistanaise : l’attentat et la mort de nos compatriotes ? M. Balladur ou M. Chirac ? Dans cet ardent combat, MM. Sarkozy et de Villepin sont des héritiers. L’un reprenant les affaires de M. Balladur, l’autre de M. Chirac, ils ont trouvé dans le lot un scandale tout monté. Comment se l’approprier et le faire fructifier quinze ans plus tard ? Cela relève à l’inverse de leur seul talent. Il paraît si naturel de se brouiller avec la presse que depuis le général de Gaulle tous les gouvernants

de la Ve République ont pratiqué cet exercice. Le caractère élémentaire de la démarche ne doit pas conduire à en sous-estimer les difficultés. Pour un homme politique, il ne suffit pas d’insulter les médias. Prenez M.  Mélenchon. S’il reproche aux journalistes d’appartenir à une “sale corporation voyeuriste et vendeuse de papier”, il gagne en renommée et récolte des brassées d’invitations. C’est que lesdits journalistes croient retrouver l’époque bénie où une violente réplique de M. Georges Marchais les portait dans la seconde à une durable notoriété. Voilà pourquoi les amis de M. Sarkozy recourent à un moyen plus sûr : lancer les services secrets aux trousses des journalistes et surveiller leurs conversations téléphoniques. Ce procédé avait attiré tous les ennuis souhaitables à un ministre de M.  Pompidou, le terrible M.  Marcellin qui avait espionné Le  Canard enchaîné. M. Mitterrand s’y adonna lui aussi contre plusieurs journaux dont Le  Monde et Libération, qui cessèrent de le soutenir. Il présente en outre l’avantage d’entraîner des procès à éclats où le pouvoir apparaît par principe liberticide. En parallèle, il convient d’intervenir dans les chaînes de télévision. Qu’ils cèdent ou qu’ils résistent, les journalistes en garderont une rancœur qui se manifestera sans coup férir au moment opportun. (à suivre)

confidentiel “J’ai fait quelque chose qui ne se fait pas, je le dis, c’est d’amener mon travail en écoutant le discours du Premier ministre. Ça ne se fait pas et je m’en suis excusé auprès du Premier ministre (...). Ça ne se fait pas et je ne le referai pas.” Jean-François Copé, 29 novembre, France Inter. Le Premier ministre, il s’appelle François Fillon. Citer son nom, ça se fait ? 1.12.2010 les inrockuptibles 43

1.12.2010 les inrockuptibles 43

1.12.2010 tout nu IV

Pour son premier match international en tant que ministre des Sports, Chantal Jouanno n’a pas porté chance au XV de France, qui s’est fait exploser par l’Australie 59 à 16. Et en plus ça l’a fait rire. On dira que la photo a été prise avant le coup d’envoi.

Christian Liewig/Abaca Press

safari

Michèle Alliot-Marie et Chantal Jouanno au Stade de France, le 27 novembre

pifomètre

Coucou, c’est Montebourg ! Notre panel répond, comme chaque semaine, à la question rituelle : qui a le vent en poupe à gauche pour la prochaine présidentielle ? notre panel

44 les inrockuptibles 1.12.2010

semaine précédente

cette semaine

2

2

1

0

Olivier Besancenot

3

Manuel Valls

3

Ségolène Royal

7

François Hollande

Martine Aubry

Faustine Saigot, 35 ans, médecin, île de Groix. Christophe Donner, 54 ans, écrivain et chroniqueur hippique. Florence Perrin, 36 ans, prof de philo en Seine-Saint-Denis. Edouard Lecerf, 47 ans, directeur général TNS-Sofres. Bernard Gilbert, 54 ans, patron du Bar du marché à Auxerre. Rama Yade, 33 ans, ex-secrétaire d’Etat aux Sports. Evelyne Ghaya, 52 ans, gérante de magasin de presse, Paris XIe. Jacques Foures, 61 ans, patron de la librairie Geronimo à Metz. Fabrice Martinez, 38 ans, directeur de la Bellevilloise, Paris XXe

11

être le commencement de ta gloire, tu t’es fait piquer tout le buzz de ta candidature par Audrey (lire édito p. 41), on ne pourra pas dire que le panel du pifomètre t’aura oublié, lui. Pour le reste, Aubry, toujours en tête, évite de peu de se faire dépasser par le petit nouveau. DSK se tient bien, Royal est dans les choux et Mélenchon continue un beau parcours, encouragé par Jacques Foures, libraire heureux : “Trois points pour Mélenchon parce qu’on vend bien son livre.”

André Chassaigne

12

le panel

Eva Joly

13

Jean-Luc Mélenchon

Faustine Saigot Trois points pour Eva Joly : j’aimerais vraiment que ça marche pour elle et les gens autour de moi me disent pareil.

Dominique Strauss-Kahn

Jacques Foures Deux points pour DSK : il y a une répulsion, mais en même temps il n’y a que ça en magasin…

P

lease welcome in the pifomètre Arnaud Montebourg, nouveau candidat aux primaires. Pour son entrée, il est crédité de 12 points… Parmi les généreux donateurs, Rama Yade, qui dispose d’un peu plus de temps en ce moment, lui a donné 3 points (le maximum). Arnaud, il faudra t’en souvenir quand tu seras président et que tu rechercheras des ministres d’ouverture… Rama était là au tout début ! Et si ça se trouve, ce succès au pifomètre est peut-

Arnaud Montebourg

Evelyne Ghaya Trois points pour Arnaud Montebourg afin de saluer son entrée dans le pifomètre.

V tout nu 1.12.2010

presse citron

par Christophe Conte

Longuet exaspère un Sarko déjà bien malmené dans les sondages. Julliard complète ses trimestres chez Marianne et Torreton arrête de conseiller. Pendant ce temps, Laurent ‘Shaun le mouton’ Jospin crève l’écran.

les relous Manuel Valls, hardos Le député-maire PS d’Evry s’est fait agresser sur un marché de Corbeil-Essonnes alors qu’il soutenait ses potes du PCF. Valls s’est pris des œufs sous les yeux de militants UMP sans que ces blancos ne bougent un petit doigt.

Benjamin Lancar, gogol

rôle de décomposition Winner en toutes circonstances, Lionel Jospin fait un carton au box-office pour son premier rôle dans Le Nom des gens, blockbuster signé Michel Leclerc – sans lien de parenté avec le gars des supermarchés. Oui bon, OK, l’orgueilleux perdant de 2002 joue son propre rôle pendant cinq minutes dans un film sympatoche vu par trois SDF et une mamie aveugle lors de sa sortie mercredi dernier. Rien de comparable avec ses fracassants débuts au cinéma dans les aventures de Wallace & Gromit où il interprétait avec conviction et humanité Shaun le mouton.

Occident contre lui

mercato de gauche

Selon une indiscrétion du Canard enchaîné (24/11), le toujours affable Gérard Longuet, furieux de ne pas pouvoir encore une fois se payer un maroquin, a surgi dans le bureau de Sarkozy en hurlant : “Tu sais que j’ai envie de te casser la gueule ?” Réponse de Sarko : “Tu sais à qui tu t’adresses ?” Ouais, à un type qui traite un citoyen de “pauv’ con” et qui s’amuse à qualifier les journalistes de pédophiles. On appelle ça le mimétisme.

Conséquence fâcheuse de la réforme des retraites, l’éditorialiste Jacques Julliard (77 ans), au Nouvel Observateur depuis Gutenberg, a été transféré en déambulateur jusqu’à Marianne où il devra fournir pendant plusieurs années ses trois feuillets hebdomadaires pour espérer tailler ses rosiers avant les pissenlits. Journaliste, sans rire, c’est encore moins un métier que pédophile.

l’y perd président D’après un sondage Ifop publié par Paris Match (24/11), Nicolas Sarkozy se ferait ratatiner au second tour de la présidentielle autant par Dominique Strauss-Kahn que par Martine Aubry et même François Hollande, tandis qu’il ferait jeu égal avec Ségolène Royal. En revanche, et ça personne ne le souligne, il conserverait toutes ses chances face à Dupont-Aignant, Tex des Z’Amours, Emile Louis, Tatayet, Rosy Varte, Moundir de Koh-Lanta saison 3 et passerait ricrac face à Miss Puy-en-Velay 94.

Tartuffe dernier acte Le saltimbanque Philippe Torreton, bruyant soutien de Ségolène à la dernière présidentielle, avait poussé le vice jusqu’à se faire élire conseiller de Paris dans le IXe arrondissement. Champion de l’absentéisme, il vient de démissionner (Nouvel Obs, 25/11). S’il pouvait aussi arrêter de faire des films, ce serait fort urbain de sa part.

très confidentiel Plusieurs associations de pédophiles, parmi lesquelles la Fondation Marc Dutroux, se sont émues de voir leurs membres traités de journalistes.

Sur Twitter, le président des Jeunes pop s’est emmêlé les pinceaux : “Point Godwin pour Cécile Duflot qui ose proposer la légalisation du cannabis pour mettre un terme aux mafias.” On ne savait pas que les nazis fumaient des spliffs.

François Baroin, orwellien A propos des révélations de WikiLeaks : “J’ai toujours pensé qu’une société transparente, c’était une société totalitaire.” Entre la transparence et l’opacité imposée par le secret défense dans l’affaire de Karachi, il y a sûrement un juste milieu, non ?

Frédéric Lefebvre, alerte disparition On comprenait que tu restes silencieux pour pouvoir devenir ministre. Maintenant que t’es secrétaire d’Etat, on aimerait bien entendre de nouveau ton langage fleuri sur ton univers impitoyable. 1.12.2010 les inrockuptibles 45

1.12.2010 tout nu VI

Saisie d’une tonne de cannabis sur l’A7, Grenoble, 22 octobre

contre-attaque

ma petite entreprise

A

kim et Mourad sont dans le business. Ils gagnent plutôt bien leur vie dans la vente de drogue. Mais ces self-made men s’investissent beaucoup, et jusqu’à plus d’heure, pour tenir leur commerce. Ils connaissent la valeur de l’argent, ont intégré les règles de l’ultralibéralisme. A leur insu, ce sont les artisans de la croissance de l’économie mondialisée. Akim et Mourad sont deux des portraits que signe le sociologue Michel Kokoreff dans La drogue est-elle un problème ?, essai éclairant, inspiré d’enquêtes de terrain, et récemment paru. L’“économie souterraine” repose d’abord sur le trafic de stupéfiants. Vingt-cinq tonnes de résine de cannabis parviendraient chaque mois rien que dans les cités de la petite couronne parisienne. Sans compter l’héroïne, la cocaïne et son succédané, le crack. Le ministère de l’Intérieur estime que ce marché représenterait deux milliards d’euros. Autres secteurs en forte augmentation, les armes lourdes : lors de la récente et sanglante tuerie dans un des quartiers nord de Marseille, sur fond de règlement de comptes entre dealers, les agresseurs ont utilisé des kalachnikovs. Depuis plusieurs années, de façon assez constante, l’économie illégale – ou “informelle” – générerait entre 1 000 et 1 500  milliards de dollars, soit entre 2 % et 5 % du PIB mondial. “Par définition ça ne peut pas être une mesure exacte, puisque les réseaux 46 les inrockuptibles 1.12.2010

Jean-Pierre Clatot/AFP

L’économie clandestine représenterait presque 5% du PIB mondial. Et semble faire le bonheur de tous, du petit trafiquant à l’élu corrompu. mafieux ne publient pas leurs comptes, c’est donc juste une estimation”, commente Christian Chavagneux, rédacteur en chef adjoint d’Alternatives Economiques, qui a fait des flux illégaux et des paradis fiscaux son sujet d’étude privilégié. Et l’économiste d’ajouter  : “Le plus gros de l’économie illégale, c’est la fraude et l’évasion fiscale pratiquées par les individus, les entreprises ou les Etats. L’argent de la drogue et de la prostitution organisée ne représente qu’une moindre part.” Entre 200 et 300 milliards de dollars tout de même, selon un autre économiste, Raymond Baker. Comment tout cet argent est-il réintroduit dans le circuit économique et profite-t-il au PIB, mais aussi, en ces temps de mondialisation, au commerce international ? En réalité, faute d’enquête d’envergure (ou de volonté affirmée des pouvoirs publics), on sait peu de choses des réseaux et des rouages du blanchiment. Et pour

“LE PLUS GROS DE L’ÉCONOMIE ILLÉGALE, C’EST LA FRAUDE ET L’ÉVASION FISCALE”

cause. “En remontant la hiérarchie des filières, on bute sur la corruption, note Michel Kokoreff : des élus qui ferment les yeux pour s’acheter la paix sociale.” L’économie souterraine pèserait 10 % du PIB des pays occidentaux. Et alors qu’elle est évidemment une menace pour la stabilité de la finance mondiale, elle protège chaque Etat des fluctuations de celle-ci. “Une chose est sûre, poursuit Michel Kokoreff, le modèle prohibitionniste français ne fait que renforcer cette économie. Elle renforce les trafiquants qui, par nécessité de rester invisibles, se professionnalisent. Et comme la guerre déclarée à la guerre n‘a pas fait la preuve de son efficacité, ils prospèrent dans les zones floues de la prohibition.” Plus  : en mettant beaucoup de gens au boulot, l’économie underground allège les files d’attente de Pôle emploi. “Pour tous les dealers que j’ai rencontrés, le trafic n’est pas un problème, mais la solution, poursuit le sociologue. C’est une réponse précaire à la précarité. Mais aussi une réponse au mépris et au déshonneur.” [email protected] La drogue est-elle un problème ? de Michel Kokoreff (Payot) ; Economies criminelles et mondes urbains, même auteur, avec Michel Peraldi (PUF) ; Les Paradis fiscaux de Christian Chavagneux (La Découverte) ; plus récemment, Tax Heavens, même auteur, avec Ronen Palan (Cornell University Press). Mais aussi : Le Livre noir de l’économie mondiale – Contrebandiers, trafiquants, faussaires de Moisés Naim (Grasset) et Le Talon d’Achille du capitalisme de Raymond W. Baker (alTerre).

VII tout nu 1.12.2010

Charles Platiau/Reuters

propagenda

le Fillon nouveau n‘est pas arrivé Le temps d’une semaine, François Fillon était le type qui allait débarrasser la France de Sarko. Et puis non !

A

u grand marché du spectacle politique, on nous avait vendu un nouveau Fillon, un grand cru : un “hyper-Premier ministre” après la chute de “l’hyperprésident”. François Fillon avait en effet réussi à imposer sa reconduction à Matignon et à former son gouvernement RPR. Le Parisien en a tartiné huit pages, sa vie, son œuvre, ses fringues. Qui veut du Fillon ? Pas cher... Et puis quoi ? Et puis rien. Les commentateurs politiques se sont un peu emballés. A l‘Assemblée, François Fillon a déversé un discours de politique générale on ne peut plus classique. Certes les députés ont applaudi, mais rien à voir avec le triomphe annoncé. Aucune petite culotte jetée à la figure de cette rock-star de Fillon. Pas d’émotion, pas de poils qui se hérissent. Malgré quelques envolées lyriques, Fillon n’y était pas. On a eu du Premier ministre bien sérieux, bien austère, bien majorité compatible. Il doit une partie de sa nouvelle notoriété aux frasques de l’incontrôlable Président mal élevé. Quand Sarkozy hérisse le poil des députés UMP, le look province tendance Le Quesnoy de Fillon les rassure, comme un Lexomil. Pour la montée, faudra repasser.

L’Assemblée nationale a renouvelé sa confiance à son gouvernement. A droite, seuls les députés villepinistes se sont abstenus. Daniel Garrigue n’a perçu ni “émancipation” ni “changement significatif”. “Il a un coefficient de sympathie mais ça ne va pas au-delà, ce n’est pas une force politique car il n’a pas de dessein, donc pas de destin”, cogne le député de Dordogne. Le député du Morbihan François Goulard estime que “Fillon, c’est la continuité de la politique de Sarko”. Eric Ciotti, proche de Christian Estrosi, note aussi qu’il “n’y a pas de changement”. Pour preuve, “Fillon a cité huit fois le président”, précise le député des Alpes-Maritimes (nous, on a compté neuf). Fillon a assumé les réformes et insisté sur la “rigueur”, à la différence de Sarkozy. Mais il s’est contenté

À L’ASSEMBLÉE, AUCUNE PETITE CULOTTE JETÉE À LA FIGURE DE CETTE ROCK-STAR

de répéter les annonces faites par le président quelques jours plus tôt  : pas de hausses d’impôts, plan dépendance… Les centristes ont d’ailleurs pointé leur différence sur certains points, à l’instar du député d’Ille-et-Vilaine Pierre Méhaignerie : “Ne pas augmenter les taux d’impôts si on veut ramener le déficit à 3 % me paraît difficile, de même, je ne suis pas sûr qu’il faille retourner sur le domaine de la justice, laissons les magistrats tranquilles…” “Fillon est vraiment dans son rôle de Premier ministre”, estime pour sa part un autre député des Alpes-Maritimes Lionnel Luca. Pas si mal après avoir été traité pendant trois ans de “simple collaborateur” par Nicolas Sarkozy. La filloniste Valérie Rosso-Debord résume  : “On a dit que c’était une petite chose, puis un hyperPremier ministre, la vérité est au milieu.” Pour elle, l’essentiel réside dans “la dream team Sarko, Fillon, Copé”. Un Jean-François Copé super à la coule pendant le discours de Fillon, qui lisait et discutait ostensiblement avec sa voisine. Une façon de signaler que le nouveau patron de la machine UMP n’a pas grandchose à craindre de “l’hyper-Premier ministre” pour ses ambitions présidentielles. Anne Laffeter 1.12.2010 les inrockuptibles 47

1.12.2010 tout nu VIII

débat d’idées

Lo 74

la santé est malade Longtemps salué pour ses performances, le système de santé français se fragilise à l’heure de la gestion néolibérale. Inégalitaire et appauvrie par le désengagement de l’Etat, la politique de santé publique est à repenser.

C

’est un paradoxe français méconnu que notre système de santé soit considéré par l’OMS comme le plus performant au monde et que les disparités devant la mort en fonction des catégories socioprofessionnelles soient parmi les plus élevées des pays occidentaux : il illustre le fait que la médecine et les soins n’ont qu’une influence modeste sur les inégalités sociales de santé.” Le constat que dresse l’anthropologue et médecin Didier Fassin dans un ouvrage collectif codirigé avec Boris Hauray, Santé publique, l’état des savoirs, dévoile une sinistre réalité  : les carences de notre politique de santé publique en matière de lutte contre l’inégalité devant la vie. En France, un ouvrier non qualifié a une espérance de vie plus faible de neuf années qu’un cadre de la fonction publique. Pour autant, la réduction de ces inégalités sociales qui ne cessent de s’aggraver et qui restent plus élevées que dans la plupart des pays européens, ne constitue en rien un objectif prioritaire : la loi de santé publique de 2004 mentionnait la “réduction des inégalités devant la vie et la mort” dans un seul de ses cent objectifs. Des autorités politiques aux médecins euxmêmes, l’enjeu social reste pour les acteurs de la politique de santé un angle mort. Le livre, nourri des expertises d’une soixantaine de chercheurs en sociologie,

économie, histoire, épidémiologie et praticiens, révèle d’autres blocages et ambiguïtés de la politique publique. Comme le rappelle l’historien et démographe Patrice Bourdelais, la santé publique a déjà derrière elle une longue histoire. Depuis huit siècles, la multiplication des dispositifs visant à accroître la population, sauver des vies, intervenir sur la vie des hommes…, a été identifiée par Michel Foucault comme l’émergence d’une “biopolitique”. Par-delà les champs multiples de la médecine ici analysés, des cancers au sida, des drogues au handicap, de la sexualité aux maladies coronariennes…, les auteurs se penchent sur les enjeux politiques qui tra-

LES RÉGIONS AURONT-ELLES LES MOYENS DE CONDUIRE UNE POLITIQUE DE SANTÉ PUBLIQUE EFFICACE, JUSTE ET ÉG ALITAIRE ?

versent la question du soin. Pour prendre acte par exemple de la nouvelle implication des utilisateurs du système de santé et l’introduction du point de vue de l’usager dans la gouvernance de l’hôpital. Mais ce qui fait surtout débat touche aux nouvelles atteintes portées aux fondements d’un système de santé issu de l’après-guerre permettant à tous un égal accès au système de soins. Dans un autre ouvrage collectif, L’Etat démantelé, enquête sur une révolution silencieuse, André Grimaldi, professeur à la Pitié-Salpêtrière, souligne que la loi HPST (Hôpital, patients, santé et territoires), adoptée en juillet 2009, va ainsi permettre d’accélérer la gestion “entrepreunariale” de l’hôpital. L’un des enjeux centraux du futur système est ainsi de savoir si les régions, dont le rôle a été renforcé par la loi, auront les moyens de conduire souverainement une politique de santé publique, à la fois efficace, juste, permettant de réduire les inégalités sociales et territoriales. L’état des savoirs accumulés sur la politique de la santé bute encore sur des incertitudes, à la mesure du démantèlement généralisé des services publics. Jean-Marie Durand Santé publique, l’état des savoirs, sous la direction de Didier Fassin et Boris Hauray (La Découverte/Inserm), 536  pages, 25 € ; L’Etat démantelé, enquête sur une révolution silencieuse, sous la direction de Laurent Bonelli et Willy Pelletier (La Découverte/Le Monde diplomatique), 324 pages, 20 €

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les missionnaires de la mort L’Ouganda est en croisade contre les homosexuels. L’Etat, poussé et financé par des fondamentalistes américains, y persécute les gays. par Dominique Mesmin photo Bénédicte Desrus

Manifestation anti-gays dans la ville de Jinja, à l’est de Kampala

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is à part l’Afrique du Sud, la quasiintégralité du continent noir condamne l’homosexualité. Ces derniers mois, la répression et la pénalisation se sont intensifiées. Vingt-quatre personnes arrêtées au Sénégal, un couple incarcéré au Malawi, une révision du code pénal rwandais, des homos criminalisés pour la première fois au Burundi, un durcissement des peines envisagé en ce moment en RDC… Mais c’est l’Ouganda qui s’est récemment distingué avec un projet de loi radical, the anti-homosexuality bill, déposé en octobre 2009. Jusque-là, un homosexuel y encourt quatorze ans de prison. Dorénavant, il s’exposerait à un emprisonnement à vie, voire à la peine de mort s’il est séropositif et a un rapport sexuel (même protégé) avec un mineur. De plus, les citoyens qui ne dénonceraient pas une connaissance homosexuelle risqueraient trois ans de prison ferme. Sylvia Tamale, doyenne du département de droit de l’université de Makerere, à Kampala, est une militante des droits de l’homme détestée du pouvoir. Selon elle, “l’homophobie est un des héritages de notre histoire coloniale. Elle a été importée de Grande-Bretagne et découle des valeurs moralistes de l’époque victorienne. C’est pourquoi, aujourd’hui, les Ougandais sont devenus extrêmement homophobes”. Récemment, le tabloïd Rolling Stone (aucun rapport avec le magazine américain) nommait et donnait les adresses des leaders gays avec le bandeau “Hang them” (“Pendez-les”). The Onion et The Red Pepper attisent aussi l’homophobie rampante depuis des années. Auf Usaam Mukwaya, un militant gay de 27 ans, a été “outé” par ce dernier en 2008. Depuis, sa photo a été publiée une dizaine de fois. Lors d’une rencontre, le directeur du Red Pepper, Arinaitwe Rugyendo, nous déclarait que “le journalisme est un service. Il doit corriger les erreurs de la société. Dénoncer les homosexuels ne s’apparente pas à de la diffamation mais à une preuve de civisme”. Après la parution des photos, Auf a été licencié, expulsé de son village, lapidé sur un marché, torturé en prison puis débouté, renié par sa famille… Bref, une descente aux enfers qui lui a fait envisager le suicide. C’est à cette époque qu’on l’a rencontré, lors du tournage d’un documentaire (Ouganda : au nom de Dieu, en recherche de diffusion). Il vivait traqué dans un bidonville et partageait huit mètres carrés avec deux colocs. “Je n’ai pas de futur ici. Je suis un sous-homme. Je ne peux plus trouver de travail. On m’a dit que la France était le pays des droits de l’homme. J’ai donc fait une demande d’asile.” En Ouganda, la traque des homosexuels n’est pas nouvelle. Avec ce projet de loi, elle s’accélère, se radicalise et s’assume. Le député David Bahati en est à l’origine. Il déroule un argumentaire simpliste mais qui convainc la population : “Les homos recrutent de jeunes enfants et mettent en danger nos familles traditionnelles hétérosexuelles. Il faut agir vite car ils sont financés par l’étranger. Ils sont pédophiles et incarnent une maladie occidentale qu’on veut nous imposer. Nous avons presque 100 % de chances que le projet passe.” Les organisations humanitaires et les ONG parlent de 500 000 gays (sur 32 millions d’habitants). Six organisations aident la communauté. Elles sont toutes basées à Kampala ou en périphérie. Pour limiter les représailles, elles sont obligées de prétendre qu’elles défendent avant tout les droits de l’homme. 1.12.2010 les inrockuptibles 51

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“la Bible dit que les hommes qui couchent avec des hommes doivent être tués” Julius Oyet, Auf Usaam Mukwaya, militant gay de 27 ans. Dénoncé par la presse, emprisonné, torturé, il a dû s’exiler pour échapper à la persécution

porte-parole des born again christians

Dennis Wamala, directeur d’Icebreakers : “Beaucoup d’activistes sont mis en prison. Ces intimidations sont monnaie courante. Notre regret est de ne pas pouvoir agir en province faute de moyens financiers. Là-bas, un gay vit son homosexualité seul. Nous sommes pessimistes car le gouvernement essaie de faire passer une loi qui va criminaliser ceux qui financent les associations LGBT.” A court terme, Spectrum, Smug, Icebreakers, Farug, Tits et Kulhas pourraient donc disparaître. Tous ceux qui de près ou de loin s’occupent de la communauté sont pourchassés et reçoivent des menaces de mort. Comme Ladislaus Rwakafuuzi, l’avocat d’Auf. En Ouganda, seuls deux médecins acceptent de soigner les homos. “A cause des pressions exercées, le ministère de la Santé ne mentionne pas les pratiques homosexuelles dans ses brochures. Quasiment les trois quarts du budget de la santé proviennent de donneurs étrangers qui émettent des clauses. Si les Etats-Unis spécifient de ne pas destiner l’argent à une population gay, le ministère s’exécutera. La politique de santé du pays se décide en dehors de ses frontières”, affirme le docteur Thomas M. “Dorénavant, après avoir reçu un homosexuel, il faudra que je le dénonce à la police. Que va-t-il se passer ? Je vais trahir mon éthique, rompre la confidentialité de mon rapport avec le patient et appauvrir la qualité de nos services médicaux.” Depuis notre interview, il a été licencié. Pour Sylvia Tamale, la problématique prend ses racines ailleurs. “Ce projet de loi est initié par les fondamentalistes religieux américains. Ce n’est pas un hasard si, quelques mois avant que le projet de loi ne soit déposé, il y a eu une énorme conférence organisée ici par des évangéliques américains. Ils ne peuvent pas appliquer leurs idées chez eux. Alors ils cherchent des alliés ici, au Nigeria, au Rwanda, au Burundi, au Kenya…” Le couple présidentiel, David Bahati, James Buturo (ministre de l’Ethique et de l’Intégrité) sont des born

again et appartiennent à The Fellowship, une branche ougandaise d’un mouvement évangélique américain nommé The Family. C’est ce dernier qui a placé Yoweri Museveni au pouvoir en 1986 et l’a abreuvé de quelques milliards de dollars (principalement sous Bush père et fils – W étant un born again pentecôtiste). Sa mission est un succès : les born again représentent un tiers des parlementaires, possèdent des radios, des télés. Leur porte-parole est Julius Oyet. Cet autoproclamé apôtre de Dieu gère dix mille églises et neuf millions de fidèles. “Nous avons une méthode d’évangélisation très agressive. On impose des évangéliques à tous les postes clés du business. Nous convertissons la population.” Il est proche du couple présidentiel et a rédigé le projet de loi avec David Bahati mais se défend de toute subjectivité. “Je ne suis que le porte-parole de l’auteur de ce livre. Et la Bible dit qu’un homme qui couche avec un homme, que de telles personnes doivent être tuées.” Il est accompagné par le médiatique Martin Ssempa (affilié à la mégastar évangélique américaine Rick Warren, qui a d’ailleurs béni Barack Obama lors de son investiture), David Kiganda, Stephen Langa et bien d’autres. Christopher Ssenyonjo, 72 ans, évêque de l’Eglise anglicane, est l’un des seuls à avoir pris position en faveur des gays. Moralité, sa hiérarchie lui a interdit d’officier. “Je suis triste mais j’ai choisi de rester dans le camp des opprimés. Et puis, c’est l’institution humaine qui m’a rejeté, pas Dieu.” En Ouganda, c’est une première. Chrétiens et musulmans sont unis pour combattre cette “abomination”. Auf est musulman et il connaît bien la mosquée de Nakasero, une des plus radicales du pays. Avant d’être “outé”, il venait y prier. Le cheikh Idrissa M’Babali nous avoue que, si le projet de loi ne passe pas, il lancera “le mouvement underground. On sortira, cherchera et trouvera les gays et les lesbiennes. Personne ne nous verra. On les tuera. Au nom de Dieu, au nom d’Allah”.

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Ci-contre, un gay “caché”, à Kampala. Ci-dessous, le pasteur Martin Ssempa pourfend les homos. A gauche, un prêtre dépose au Parlement une pétition contre les lois criminalisant l’homosexualité

Actuellement, cette milice de la mort se structure. Sur le terrain, les disparitions inexpliquées et les passages à tabac ont déjà commencé. Trois jours avant notre venue, Sasha, homme politique à Entebbe, a subi une tentative d’étranglement. “J’ai porté plainte. La police m’a dit que si j’insistais elle retournerait le dossier contre moi.” Idem pour Dixmas. “J’allais voir mon petit ami. Je l’ai trouvé chez lui, mort dans une mare de sang. La police a clos le dossier. En tant que gay, tu n’as pas de droits. C’est dur de continuer à vivre. Peut-être que je suis le prochain sur la liste…”

“dénoncer les homosexuels ? une preuve de civisme” le directeur du journal The Red Pepper

Ce que David Bahati n’avait pas prévu, c’est l’avalanche de réactions négatives. Elles sont venues exclusivement de l’étranger. Interventions d’Obama, de Gordon Brown (ex-Premier ministre britannique), de Stephen Harper (Premier ministre canadien), du Parlement européen, une pétition de 450 000 signatures, des centaines d’articles… Malaise à la tête de l’Etat. Une gêne d’autant plus compréhensible qu’un tiers du budget ougandais provient de l’étranger. Si le robinet à dollars se fermait, l’économie s’écroulerait. Mais le projet est toujours dans les tuyaux et va être réexaminé, comme le confirme David Bahati. “Nous sommes un Etat souverain. Avec la découverte et l’exploitation imminente du pétrole du lac Albert (80 milliards de dollars à partager avec la RDC – ndlr), nous serons autosuffisants et n’aurons pas à céder à votre interventionnisme moral déplacé. Il n’y aura pas d’homosexualisation de ce pays. On fera tout pour que la loi passe avant l’élection présidentielle de février 2011.” Museveni devrait être réélu, l’Ouganda restera un laboratoire religieux pour les fondamentalistes américains et l’homme de la rue assumera encore plus son homophobie. Auf s’est fait une raison. Grâce au comité Idaho, il a obtenu un statut de réfugié politique. Depuis peu, il habite à Paris. “Je suis plus utile vivant ici que mort là-bas.” Sur place, la traque continue : tous n’auront pas eu sa chance. 1.12.2010 les inrockuptibles 53

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association S de clandestins A Sète, un musée parie sur les parias de l’histoire de l’art. Pour célébrer ses dix ans, il présente douze expositions simultanées. Immanquable : l’art du mouchoir des prisonniers chicanos. par Christian Borde*

ète. 23, quai Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny. 14 h 27 au portable. Me voici enfin devant le Miam (musée international des Arts modestes), coiffé de son logo signé par le graphiste Etienne Robial. De l’autre côté du rideau de fer ajouré, ça scie, ça peint, ça colle, ça cloue, bref, ça installe, et surtout ça n’a rien à foutre des fumeurs bloqués dehors parce qu’ils n’ont pas le code pour entrer par la petite porte. L’inauguration des dix ans du musée, c’est pour le 26 novembre. Enfin, dans les écouteurs de mon smartphone, un accent d’outre-Thau : “Puté, je t’ouvreu, mon pôvreu !” Juste le temps de finir la clope et Hervé Di Rosa apparaît. Il s’est laissé pousser les cheveux en hommage aux Gitans qu’il fréquente à Séville. Nous passons par un fatras de résidus désormais inutiles de plâtre, de bois, de bâches en plastique transparent et pénétrons dans l’univers rêvé par le maître des lieux et son pote

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Bernard Belluc, un autre dingue. On n’entre pas au Miam comme dans un musée-cathédrale, avec la solennité qui sied à l’endroit. On vient ici avec de l’appétit. Douze artistes ou collectifs présenteront leurs œuvres durant presque un an pour célébrer le dixième anniversaire du musée. Le dossier de presse m’a séduit en présentant, notamment, l’art des paños (de pañuelos, mouchoirs en espagnol). Cet art est apparu dans les années 1940, dans les prisons du Texas, du Nouveau-Mexique et du sud de la Californie. En dessinant à la plume, avec de l’encre, de la cire ou du café sur les mouchoirs réglementaires distribués par l’administration pénitentiaire, les détenus mexicains pouvaient faire passer des messages à leurs proches hors de la prison. Cette technique s’est transmise d’une génération de détenus à l’autre avec ses codes et son propre style. Agenouillé dans la pénombre, le commissaire d’expo Pascal Saumade trie délicatement ses paños. Par moments, le geste accroche un rai de lumière, laissant apparaître la légèreté et la transparence des étoffes. L’inspiration des détenus est diverse. On retrouve des images pieuses, des symboles aztèques, les signes du gang, les formes plantureuses de la bomba latina, la lowrider ou la grosse cylindrée customisée. Pascal Saumade écrit : “Le paño dépeint des êtres chers, des souvenirs de prédétention (la vida loca dans le barrio, le clown gai) et illustre la vie carcérale par des référents symboliques liés à l’expérience de l’enfermement (le clown triste). Il plonge dans l’iconographie liée à la drug culture, très présente dans les gangs d’East L. A. : expression hallucinatoire coulant d’une larme, volute de fumée psychédélique ou seringue hypodermique tachée de sang menant tout droit aux paradis artificiels. C’est une plongée dans l’univers carcéral chicano. La vérité du dessin préférée aux mots chuchotés entre deux gardiens dans le vacarme assourdissant d’un parloir surpeuplé. La vitalité incroyable de la culture mexicaine qui, même dans les pires moments, célèbre son histoire à travers une imagerie populaire admise et comprise par tous.” Attention, l’art modeste, l’art brut ou l’art singulier qui remplissent les collections du musée n’ont rien à voir avec des portraits de Miles Davis crayonnés, des poneys au soleil couchant ou un mas au printemps, si joli dans les verts feuillus du matin, “peint par une artiste américaine tombée follement amoureuse de la région” qui fait tous les ans la une du journal local. Non. Au Miam, vous verrez des œuvres singulières, souvent cachées à la famille et découvertes

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L’art des paños, transmis depuis plusieurs générations entre détenus mexicains des prisons américaines

par hasard, d’autres venant d’Afrique, du Brésil, de France. Dans le cadre de l’exposition multiple des dix ans, intitulée Les Territoires de l’art modeste, le collectif Frédéric Magazine a imaginé un cabinet graphique mobile alimenté par lui-même et les contributeurs de son site. Robert Combas, lui, met en scène une série de planches dessinées à Paris dans les années 1940 par Maurice Ghot, un adolescent qui en pleine guerre s’arme de crayons et de porte-plumes pour réinventer les BD introuvables en ces temps troublés. Antonio Seguí présente une collection de dessins bamoun – de jeunes Camerounais rompent la tradition et se mettent à dessiner des scènes de la vie contemporaine. Philippe Artaud expose sa collection de cordeis (livres populaires vendus sur les marchés du Nordeste, au Brésil, accrochés par des pinces à linge à des ficelles, les cordes donc). Etienne Mineur, Rostarr (cofondateur du collectif new-yorkais Barnstormers), Michel Gondry, Pascal Comelade complètent cette belle liste, au même titre que le cofondateur Bernard Belluc (son expo est une merveille). Alors, surtout, ne courez pas au Miam… allez-y ! C’est plus dans l’esprit. * Christian Borde est le vrai nom de Jules-Edouard Moustic, présentateur de Groland. Les Territoires de l’art modeste jusqu’au 2 octobre au musée international des Arts modestes, Sète, www.miam.org

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totalitarisme fun ncadré de trois gardes du corps, Silvio Berlusconi descend une volée de marches avant de prendre place dans sa limousine aux vitres fumées. D’humeur facétieuse, le président du Conseil s’approche à pas de loup du véhicule d’escorte, où un policier en civil penché sur le capot lui tourne le dos. Le Cavaliere esquisse alors sur le malheureux une simulation de sodomie avant de s’engouffrer dans sa voiture, visiblement ravi de son geste bouffon. Cette scène d’anthologie, vue plus de six millions de fois, date de 2006 et inaugure sur YouTube les très riches heures du bêtisier berlusconien. Sauf coup de théâtre dont l’Italie est friande, la séquence Berlusconi (douze ans et sept mois au pouvoir) devrait entamer sa descente aux alentours du 15 décembre prochain, dès le vote du Parlement sur la loi de finances. Une date butoir après une trêve obligée pour un pays dont le déficit se creuse et la croissance stagne. Au point d’entrer dans la ligne de mire des snipers appointés des agences de notation. Une trêve ? “Plutôt une nuit des longs couteaux”, estime le philosophe Maurizio Ferraris, qui partage son temps entre Turin et Naples, où nous l’avons rencontré. Naples, enlisé dans une interminable grève des

éboueurs, ressemble de plus en plus à une installation trash d’art contemporain aux proportions démentes. La ville aux effluves méphitiques résume bien, pour Maurizio Ferraris, l’état de déliquescence où clapote la Péninsule. Selon lui, la capitale du Mezzogiorno est aujourd’hui un calque du tableau féroce qu’en brossait Curzio Malaparte dans La Peau en 1949. Certes, Berlusconi n’est pas Mussolini, dont il n’a pas la fibre belliciste. “Bien au contraire, souligne le philosophe. Lors de la dernière fête de la République, on peut voir Berlusconi (toujours sur YouTube) agiter ses mains en signe de dénégation lorsqu’il chante avec ses ministres les paroles de l’hymne national où l’on s’affirme prêt à mourir pour la patrie…” Inimaginable en France, où La Marseillaise a pour les édiles un statut sacré, mais qui dénote chez l’homme d’Etat une connaissance roublarde du tempérament des Transalpins, dont on aurait mauvaise grâce à leur faire grief. Est-ce le dernier scandale en date qui entraîne sa chute ? Rien n’est moins sûr. Evidemment, avoir téléphoné à la police pour tenter d’exfiltrer d’un commissariat Ruby, une jeune Marocaine accusée de vol et habituée des parties fines de l’éternel jeune homme de 74 ans alors qu’elle était mineure n’était

Ekaterina Chesnokova/AFP

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Silvio Berlusconi devrait quitter la scène ces prochaines semaines, mais les ravages de son passage au pouvoir auront un effet durable. En Italie mais aussi dans d’autres démocraties occidentales qui se sont engouffrées dans son sillage ultraréacmais-cool. par Alain Dreyfus

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La télé à la mode berlusconienne : de la bimbo sur un plateau 1.12.2010 les inrockuptibles 57

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Le Cavaliere aux petits soins pour Stefania Prestigiacomo, sa ministre de l’Environnement

l’Italie se classe à la 74e place mondiale pour le droit des femmes pas le meilleur moyen pour le Cavaliere de redorer son blason. Qui plus est au prétexte piteux – démenti par l’Egypte – qu’elle était la nièce du président Moubarak. Mais après tout, comme il l’a affirmé, il vaut mieux faire appel aux compétences des prostituées que de s’adonner à des pratiques contre nature. “Ces propos, souligne Maurizio Ferraris, n’ont choqué qu’une frange infime de son électorat, pour qui il conserve l’image patiemment construite d’un personnage fabuleux, qui réalise par procuration des rêves de toute-puissance. Sa sexualité exhibée témoigne pour ses aficionados d’une ‘vitalité sympathique’ et les accusations qu’on lui porte d’un moralisme anachronique. Et peu importe si c’est en contradiction complète avec son rejet de l’homosexualité.” En matière de (non) parité, l’Italie détient quelques records : le taux le plus haut (55 %) de femmes au foyer de l’UE, taux resté inchangé ces cinq dernières années. Parmi les Italiennes qui travaillent, seules 7 % d’entre elles accèdent à des postes décisionnaires (contre 33 % dans les pays scandinaves). Selon les statistiques de l’OCDE, les Italiennes accumulent 21 heures de travaux domestiques hebdomadaires et les hommes disposent de 80 minutes de temps libre par jour de plus que leurs compagnes (contre 3 minutes pour les Norvégiens…). Une enquête récente d’une association de femmes au foyer a montré que 70 % des Italiens ne se sont jamais servi d’un fer à repasser, et 95 % d’une machine à laver. Ce terreau, qui met l’Italie à la 74e place mondiale en matière de droit des femmes, est renforcé par l’usage jusqu’à la nausée de bimbos dénudées sur les plateaux de télévision, quasi-monopole de l’empire médiatique de Berlusconi, qui a par ailleurs nommé à la tête des trois chaînes publiques de la RAI un homme à son entière dévotion. Un climat qui a permis à Berlusconi, interrogé sur la recrudescence de viols, de déclarer sans provoquer plus qu’un tollé de principe : “Nous n’avons pas assez de soldats pour empêcher cela. Et puis… nos femmes sont tellement belles !”

Ce qui fait trembler Berlusconi est d’un autre ordre : s’il n’a pas grand-chose à craindre de ses ennemis politiques (la gauche, qui s’est beaucoup compromise avec lui – “l’ouverture” n’est pas une invention française – reste impuissante et dispersée), il a en revanche tout à craindre de ses amis. Les démissions se multiplient dans son camp, au premier chef Gianfranco Fini, fasciste repenti et patron de la Ligue du Nord, qui s’est aperçu en août dernier que décidément, non, tous comptes faits, les écarts du président du Conseil n’étaient vraiment pas admissibles. Il y a quelques jours, l’avenante Mara Carfagna, nommée ministre de la Condition féminine pour avoir partagé la couche du grand homme, a menacé pour les mêmes motifs de quitter le gouvernement après le vote du 15 décembre. A sa décharge, et ce n’est pas un des moindres paradoxes du berlusconisme, l’Italie doit à cette femme de 35 ans de réels progrès législatifs en matière de lutte contre le harcèlement sexuel, pour les droits des gays et des prostituées. Plus grave encore pour Berlusconi : les caciques de la Confindustria (le Medef italien) jouent aussi tout à coup les vierges effarouchées. Il est clair que Silvio Berlusconi, avec sa batterie de casseroles judiciaires pour fraudes en tout genre et conflits d’intérêts, n’est plus l’homme apte à rassurer les marchés. Mais quel que soit le destin de l’individu, les dégâts sont d’ores et déjà considérables. Quand il entend le mot “culture”, Berlusconi ne sort pas son revolver, mais son indifférence. “Une indifférence, dit Gerardo Marotta, qui fait s’écrouler les statues de Pompéi, et un patrimoine culturel d’une richesse inouïe qu’il a sciemment laissé à l’abandon.” A 83 ans, Gerardo Marotta est une figure du monde napolitain. Aimé du peuple au point d’avoir son santon dans les fameuses crèches locales, “L’Avvocato” est le fondateur et l’animateur de l’Institut italien pour les études philosophiques, un organisme unique au rayonnement international, organisateur inlassable de colloques scientifiques où les prix Nobel se comptent à la pelle et où des penseurs tels Derrida, Ricœur et Gadamer ont été parmi les commensaux les plus fidèles. Le vieil homme, qui s’apprête à organiser une conférence intitulée “Pompéi, symbole de la décadence culturelle de l’Europe”, stigmatise “ce gouvernement qui, par totale négligence, détruit l’école, la culture et saccage ses monuments”. L’éventuelle sortie de scène de Berlusconi va-t-elle apporter un peu d’air frais ? “Ce serait faire preuve d’optimisme, tempère Maurizio Ferraris. Berlusconi n’est qu’un symptôme. Il a juste poussé jusqu’à la caricature une tendance de fond qui mine les démocraties occidentales. Avec lui, c’est comme si la postmodernité prônée par Deleuze et Guattari s’était transformée en cauchemar.” Un cauchemar que le linguiste italien Raffaele Simone appelle “le totalitarisme fun” : “Le modèle tentaculaire et diffus d’une culture puissamment attirante, au visage à la fois souriant et sinistre, qui promet satisfaction et bien-être (…) en entretenant la confusion entre fiction et réalité.” 1 Il est inutile de chercher bien loin pour constater que la méthode Berlusconi, pratiquée sous des dehors à peine plus présentables, n’aura aucun mal à survivre à son plus spectaculaire initiateur. 1. Le Monstre doux – L’Occident vire-t-il à droite ? de Raffaele Simone (Gallimard), 180 pages, 17,50 €

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Philippe Pétremant, Timide, série Les Sept Mercenaires, 2010, courtesy galerie Le Réverbère, Lyon

Philippe Pétremant, Simplet, série Les Sept Mercenaires, 2010, courtesy galerie Le Réverbère, Lyon

l’art touche le fonds

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rganigramme incompréhensible, implantation dans un paradis fiscal, objectifs-écrans et vrais profits, réseautage mondialisé, machine à spéculation… Bienvenue dans le monde de l’art post-Madoff, bienvenue dans APT ! Créé en 2004 à New York, Artist Pension Trust affiche des objectifs louables : face à la précarité économique de nombreux artistes et aux inquiétudes légitimes de ces derniers en matière de retraites, APT propose un retour sur investissement à long terme. En clair : une mutualisation des revenus qui permet à l’ensemble de la communauté des artistes adhérents au fonds de pension de toucher un pourcentage sur les ventes. Le principe est simple : chaque artiste recruté par les antennes régionales d’APT, situées entre autres à Berlin, Londres, Dubaï ou Mexico, s’engage sur une mise en dépôt de vingt œuvres en vingt ans. A la vente des œuvres, l’artiste producteur touche officiellement 40 % des bénéfices, le fonds de pension en récolte 28 % et la communauté des artistes les 32 % restants, répartis au prorata de l’investissement de chacun. A l’heure actuelle, on compte

Vrai système d’aide aux artistes ou énorme machine à profits aux mains de spéculateurs ? Un fonds de pension, nommé APT, est en train de bouleverser le marché de l’art. par Claire Moulène

1 347 artistes internationaux inscrits, émergents ou confirmés, parmi lesquels Saâdane Afif, Dora Garcia, Gelitin, Liam Gillick, Douglas Gordon, Keren Cytter, Benoît Maire ou Loris Gréaud. Selon Ali Cirgenski (art collection manager pour APT), “les ventes devraient commencer officiellement en 2011. D’ici là, les premiers travaux mis en dépôt au sein d’APT seront présentés et vendus lors de la foire de Miami qui commence ces jours-ci”. Voilà pour le pitch. Rien d’inquiétant a priori : le projet pourrait même passer pour philanthropique. “David Ross, l’ancien directeur du Whitney Museum et cofondateur d’APT, raconte volontiers comment une conversation avec les artistes John Baldessari et Kiki Smith l’a alerté : du jour au lendemain, ceux-là se sont retrouvés sans le sou”, se souvient Aurélie Voltz, commissaire free lance associée à APT. Au-delà des fantasmes générés par les ventes colossales et la réputation sulfureuse de certains artistes, la réalité du milieu de l’art repose sur cette instabilité constante d’artistes pris au piège de la course aux investissements. En France, on compte environ 150 000 artistes, dont 5 % seulement gagnent leur vie grâce à leur production. Invités à cotiser à la Maison des Artistes pour bénéficier d’un régime d’assurance sociale, ils se retrouvent confrontés

à une logique de classification qui n’a plus grand-chose à voir avec la diversité actuelle des profils. Surtout, à l’heure où les retraites occupent le devant du débat politique, les artistes comptent parmi les laissés-pour-compte du régime par répartition. En ouvrant des perspectives en matière de mutualisation et de placements à long terme, APT a au moins le mérite de poser une question généralement passée sous silence. Pour certains commentateurs, artistes ou institutionnels qui ont été approchés ou se sont simplement penchés sur le cas APT, cette société quasi secrète pourrait s’avérer bien plus dangereuse qu’il n’y paraît. Comme dans les romans de l’écrivain français Antoine Bello, où une organisation internationale et clandestine falsifie la réalité, APT serait une sorte de super monopole qui travaillerait à sa propre légitimation. “J’ai cru au départ qu’il s’agissait d’une fiction créée par un artiste pour critiquer ce type de mécanismes à la Madoff”, note ainsi un internaute sur le forum d’APT. Quand j’ai compris que ce n’était pas le cas, c’est devenu une sorte de cauchemar.” Pour le collectif d’artistes Société réaliste – qui a refusé les avances du fonds de Dubaï après avoir lu le contrat de dix-huit pages –, “le modèle d’APT est basé sur le même chantage et la même avanie 1.12.2010 les inrockuptibles 61

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Marcel van Eeden, o.T., from K.M. Wiegand. Life and Work, 2005/2006. Sammlung Goetz. Courtesy galerie Zink, München/ Berlin

idéologique que le modèle libéral : un modèle selon lequel il faut laisser prospérer Wall Street pour pouvoir manger sur Main Street. Si on veut nous faire croire qu’une multinationale comme APT est un fonds de pension coopérativiste et mutualiste, Bernard Madoff dans sa cellule sera ravi d’apprendre qu’il est un pur proudhonien et qu’il a fait des petits”, commente avec ironie ce collectif qui a élaboré en 2006 une “institution fictive” baptisée Agence Ponzi, en hommage à l’inventeur des bulles spéculatives, Charles Ponzi. Sous couvert d’un discours novateur et charitable, “une occasion unique pour les artistes émergents et en milieu de carrière”, comme l’explique son actuelle directrice, Pamela Auchincloss, APT, c’est en effet avant tout le jackpot assuré pour ses dirigeants. “La valeur actuelle des œuvres est estimée à 56 millions de dollars”, explique Pamela Auchincloss. En fait, compte tenu de la règle qui prévaut à la mise en dépôt des œuvres, le calcul laisse présager des bénéfices bien plus importants. Sachant qu’APT regroupe aujourd’hui 1347 artistes dans huit fonds répartis dans le monde entier, que chacun met à disposition vingt œuvres dont la valeur unitaire équivaut à 3 000 dollars, l’addition totale atteint déjà les 81 millions de dollars. Sans parler de la plus-value inhérente au marché de l’art affichée puisque APT se réserve le droit de vendre “au meilleur moment, afin d’optimiser le retour potentiel sur investissement”. Pour Etienne Gatti, auteur d’un article paru l’année dernière dans la revue Particules, c’est là que réside l’arnaque APT, dont la part d’investissement est quasi nulle hormis les frais de stockage : “Un collectionneur lambda qui souhaite spéculer sur l’art contemporain fait face à un problème incontournable : il doit acheter les œuvres. Ce postulat limite le nombre

d’artistes sur lesquels il peut spéculer. APT à l’inverse ne paie pas les œuvres, optimisant ainsi la rentabilité de l’investissement, et fait porter la spéculation sur un très grand nombre d’artistes, ce qui statistiquement fait tendre le risque d’échec vers zéro.” Sur les 1 347 artistes qu’APT comptabilise déjà, il est en effet plus que probable qu’un pourcentage important atteindra dans quelques années des prix records. Au-delà de ce coup de génie capitaliste dont les plus fatalistes pourraient s’accommoder, estimant qu’il s’agit là d’un système poussé à l’extrême, d’autres éléments paraissent plus alarmants. Il existe au cœur d’APT des dizaines de commissaires d’exposition, indépendants ou institutionnels, des rabatteurs qui touchent 150 dollars pour chaque contrat signé. Certains, comme Eric Mangion, directeur de la Villa Arson, critiquent ce mélange des genres, rappelant qu’“il est dangereux de participer à la valorisation d’artistes avec des fonds publics tout en touchant des dividendes privées”. Mais c’est surtout la manipulation orchestrée par APT pour légitimer son action qui semble choquante. En effet, les artistes embarqués dans l’aventure ont expliqué leur choix par la confiance qu’ils portaient à l’intermédiaire. Même chose du côté des commissaires eux-mêmes, qui se sont laissés convaincre parce que certains de leurs confrères prestigieux (comme Hans-Ulrich Obrist qui, même s’il affirme aujourd’hui “ne plus prendre part aux activités d’APT”, figure toujours sur le site d’APT comme membre de l’advisory board) avaient ouvert la voie. Florence Derieux, directrice du Frac Champagne-Ardenne, explique avoir “accepté d’y participer car, à ce moment-là, je connaissais la majorité des curateurs approchés qui ont suivi, comme moi, le programme curatorial de la fondation De Appel à Amsterdam”.

APT, fiscalement localisé aux îles Vierges, est à l’abri d’éventuelles poursuites judiciaires

Ce système pyramidal qui assure le succès colossal d’APT s’applique ainsi d’un bout à l’autre de la chaîne. Comme l’explique Aurélie Voltz, “nous passons ensuite la main à un comité de vente composé d’experts du marché de l’art”. Ce comité devrait prendre le relais en 2011 mais sa composition reste secrète : à ce jour, aucun nom n’a filtré. Autre anomalie du système, les commissions touchées à la source sur chacune des ventes. Estimées à 10 % par APT, elles entament le pourcentage de répartition des bénéfices (qui, rappelons-le, était au départ de 40 % pour l’artiste producteur et 32 % pour la communauté des artistes participants) officiellement affiché par le fonds de pension. Enfin, hormis un siège à New York et des stocks implantés dans les huit zones géographiques contrôlées par les fonds régionaux, APT est fiscalement et juridiquement localisé aux îles Vierges britanniques – paradis off shore pour banques, fonds de pension et autres trusts –, ce qui le met à l’abri d’éventuelles poursuites judiciaires. L’artiste libanais Walid Raad (lire article p. 104), qui mène une enquête approfondie sur ce système “d’une rare opacité”, pointe son organigramme : “Parmi les membres fondateurs, on trouve Dan Galaï, un véritable gourou en matière de gestion des risques.” D’ici quelques années, une fois atteint le chiffre de 250 artistes par succursale, APT fermera ses huit antennes. Avec ses 2 000 artistes et ses 40 000 œuvres (pour un montant de 120 millions de dollars), il se retrouvera à la tête de la plus grosse collection d’art contemporain au monde. Un joli coup de filet pour une petite entreprise que son fondateur, David Ross, définit comme un “microrouage dans le vaste et complexe système du marché de l’art international”.

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real sex politik Le plus subversif des cinéastes japonais, Kôji Wakamatsu, revient avec un nouveau film, Le Soldat dieu. Dans son œuvre, sexe, politique et avant-garde se marient depuis cinquante ans pour faire surgir de très dérangeantes vérités. propos recueillis par Olivier Père photo Philippe Garcia

E

nfant terrible du cinéma japonais, Kôji Wakamatsu est connu pour sa filmographie abondante majoritairement constituée de séries B érotiques, les pinku eiga – Le Soldat dieu, qui sort cette semaine, est son centième film, en quarante-huit ans de carrière, avec parfois dix titres par an. Moins qu’un érotomane formaliste, Wakamatsu est un cinéaste enragé, pour qui le sexe est d’abord affaire de politique. Ses films frappent par leur avant-gardisme, mais aussi par leur discours subversif et engagé. Ces récits souvent cruels d’humiliations et de relations sadomasochistes sont autant de critiques d’une société capitaliste, machiste et soumise à la puissance militaire et politique des Etats-Unis. La sexualité n’est pas le lieu d’une jouissance hédoniste et libertaire, mais au contraire la métaphore, par le viol et la folie, d’une relation de domination. La dimension révolutionnaire des films érotiques de Wakamatsu fut comprise par les étudiants gauchistes des années 60. L’intérêt est réciproque puisque Wakamatsu n’a jamais caché ses sympathies pour l’extrême gauche internationale. Alors que ses productions récentes avaient sombré dans l’anonymat du marché spécialisé nippon, Wakamatsu est revenu

sur le devant de la scène ciné avec ses deux derniers films, qui entreprennent un travail de mémoire et refusent l’idée de réconciliation avec le Japon et son histoire. entretien > Vous accordez une grande importance aux images d’archives dans vos films, ceux des années 60 mais aussi les deux derniers, United Red Army (2008) et Le Soldat dieu. Kôji Wakamatsu – Il existe plusieurs types d’archives : celles que je filme moi-même lorsqu’un événement politique survient – une manifestation, par exemple – pour pouvoir ensuite utiliser les images, comme dans Sex Jack (1970). La scène n’était pas écrite dans le scénario, mais lorsque j’ai su que ce jour-là des jeunes étudiants allaient manifester contre la reconduite du traité nippo-américain, je suis descendu dans la rue avec mon cadreur en pensant qu’il pouvait y avoir la révolution au Japon. Sinon, je demande des images d’archives aux différentes chaînes de télévision quand j’en ai besoin. Le montage est extrêmement important dans mes films. Les cinéastes français ont peu filmé Mai 68. Vous, au Japon, vous avez été beaucoup plus interventionniste. Au moment où je tourne ce genre d’images, je n’ai pas une idée précise de leur utilisation dans un film.

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Kôji Wakamatsu, 2010

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La Vierge violente (1969)

L’Extase des anges (1972)

Mon sang commence à bouillir et je descends dans la rue. Je suis allé au Liban en mai dernier, invité par un festival, et j’ai filmé une prison à Beyrouth, sans véritable préméditation ou projet cinématographique, même si je me suis dis que ces images pourraient servir si je faisais un nouveau film sur l’armée Rouge unifiée. Mais cela m’a valu d’être arrêté par la police libanaise. Dans L’Extase des anges (1972), trente-cinq ans avant United Red Army, vous critiquiez déjà la bascule dans la folie et la violence des mouvements gauchistes. Je ne sais pas si j’ai analysé la situation, mais je l’ai ressentie de manière très intime, ce qui m’a permis d’anticiper certaines choses. Juste après le tournage de L’Extase des anges a éclaté l’affaire relatée dans United Red Army (en 1972, une prise d’otages sanglante, retransmise en direct par la télévision japonaise, allait sonner le glas de toute la gauche japonaise, décrédibilisée par les excès de jeunes révolutionnaires – ndlr). Dans le film, j’avais déjà mis en scène ce genre de tragédie. C’est la raison pour laquelle la police a commencé à surveiller mon travail et mes déplacements de très près, rendant difficile l’obtention d’un passeport. Quand je montrais l’explosion d’un commissariat dans un de mes films, la même chose survenait quelque temps plus tard dans la réalité, si bien que la police en a vite déduit que mes films avaient une certaine influence sur la jeunesse ! Vous éveilliez la méfiance de la police, mais quels étaient vos rapports avec les militants gauchistes de l’époque, qui étaient à la fois les acteurs et les spectateurs de vos films ? Il y a eu quelques projections organisées par des étudiants dans des universités, où j’étais invité à des débats. J’ai failli me battre avec certains d’entre eux lors de discussions très animées. Il y avait des conflits

“il y a dans le désir sexuel une dimension ridicule, une dimension de tristesse” entre les différentes factions. Certaines étaient pour ces projections, d’autres contre. Je soutenais leur cause et je pense qu’ils comprenaient mes films. Leur révolte a permis à la société japonaise d’évoluer, c’est grâce à eux que le service militaire a été supprimé, par exemple. Quand on regarde la presse de l’époque, on s’aperçoit que je suis la seule personne qui n’ait pas changé d’opinion après l’affaire de l’armée Rouge unifiée, quand la plupart des intellectuels de gauche se sont désolidarisés des jeunes révolutionnaires. Aujourd’hui encore, au sein du Parti communiste japonais, les opinions divergent à mon sujet ! Certains communistes me détestent à cause de mon film United Red Army. La moitié des membres de l’armée Rouge unifiée japonaise était constituée de jeunes qui avaient été expulsés du Parti communiste, et le Parti a tellement honte de ces anciens membres devenus des assassins qu’il ne veut pas reconnaître la vérité des faits exposés dans mon film. Vous n’avez pas changé, vous êtes toujours autant en colère. Je suis en colère contre l’éducation japonaise qui n’enseigne pas l’histoire de notre pays. Certains jeunes ignorent les bombardements de Hiroshima et Nagasaki. C’est en tournant United Red Army que j’ai réellement pris conscience de la nécessité de faire un film sur la Seconde Guerre mondiale. Je me suis beaucoup questionné, lorsque nous étions dans les montagnes enneigées, sur ces fils de bonne famille qui avaient fait d’excellentes études dans les grandes universités et s’étaient comportés de la sorte. Cela m’a amené à m’interroger sur les origines de cette révolte. Ces jeunes ont refusé de suivre le même chemin que leurs parents. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu faire un film sur la génération précédente. C’était une nécessité absolue. Je m’étais beaucoup endetté

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Quand l’embryon part braconner (1966)

Kôji Wakamatsu en 7 dates

United Red Army (2008)

sur United Red Army, mais l’argent gagné grâce au film a été investi dans la production du Soldat dieu. Je tiens à transmettre l’histoire aux générations futures. C’est la mission d’un cinéaste. Vous avez tourné cent films. Ceux des années 60 et 70 ont été vus et commentés par les cinéphiles et les amateurs de cinéma japonais. On connaît moins bien en France la période des années 80 et 90. J’ai fait moins de films à cette époque parce que j’étais constamment ennuyé par la police et que j’avais du mal à travailler dans ces conditions. Les quelques films que j’ai faits durant ces années étaient peut-être moins érotiques et plus commerciaux, mais toujours aussi agressifs du point de vue politique. Vous parlez beaucoup de politique et guère de sexe, malgré la place prépondérante qu’il occupe dans vos films. Cela vous intéresse, ou c’est juste un moyen pour toucher un plus large public ? Dans Le Soldat dieu, les scènes d’amour physique sont indispensables à l’histoire. Il fallait les montrer sans pudeur. Dans le passé, il est vrai que j’ai mis dans mes films des scènes de sexe comme “cadeau” à mes spectateurs. Personnellement, je trouve cela ennuyeux à réaliser, cela me gêne beaucoup. Il y a dans le désir sexuel une dimension ridicule, une dimension de tristesse, mais c’est aussi quelque chose de très naturel. Le sexe est politique dans vos films. Il n’est pas associé à la libération ou au plaisir, mais plutôt à la domination ou à la soumission. C’est ma vision de l’acte sexuel. Pour moi, c’est beaucoup plus qu’une simple éjaculation. Le Soldat dieu de Kôji Wakamatsu. Lire critique p. 70 Coffret Kôji Wakamatsu vol. 3 (4 DVD, éditions Blaq Out) Rétrospective de quarante films jusqu’au 9 janvier à la Cinémathèque française, Paris XIIe

1936 Naissance de Kôji Wakamatsu dans la province de Myagi. 1958 Il purge une peine de six mois de prison après une rixe, ce qui met un terme à ses activités dans le milieu des yakuzas. 1963 Il commence sa carrière de cinéaste à la Nikkatsu en réalisant des films érotiques à la chaîne, avant de devenir son propre producteur dès 1965. 1971 Sex Jack (1970) et Les Anges violés (1967), deux brûlots politico-érotiques, sont présentés à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. La même année, il part au Liban tourner le film militant Armée rouge/ FPLP : déclaration de guerre mondiale. 1976 Il produit L’Empire des sens de son ami Nagisa Oshima, qui connaît un grand succès et crée une polémique mondiale. 2007 Retour en force de Wakamatsu sur la scène internationale avec United Red Army, film-monstre de plus de trois heures. La même année, Quand l’embryon part braconner, un inédit de 1966, est interdit aux moins de 18 ans lors de sa distribution française dans le circuit art et essai. 2010 Le Soldat dieu est en sélection officielle au festival de Berlin. Shinobu Terajima remporte l’Ours d’argent de la meilleure actrice.

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Machete de Robert Rodriguez et Ethan Maniquis Gros muscles, grosses moustaches, un vengeur chicanos surgit dans une comédie d’action parodique très réjouissante.



n connaît bien évidemment les héros nationaux (Jeanne d’Arc, Guillaume Tell, Davy Crockett…), ou les héros régionaux (chaque village a son saint) : personnages a priori réels entrés dans la légende et bien arrangés par elle. Mais il existe aussi des héros de fiction communautaires, dont le plus célèbre est sans doute Shaft, le premier détective afro-américain inventé au début des années 1970 et héros de la blaxploitation. C’est à cette catégorie que vient s’ajouter le personnage imaginé aujourd’hui par le réalisateur et producteur Robert Rodriguez (El Mariachi, Sin City) : Machete, ou le vengeur de la communauté chicana (ces Américains d’origine mexicaine). Machete – c’est ce qui le rend sympathique – est né un peu par hasard, dans une fausse bande-annonce (soit nulle part) insérée par Robert Rodriguez entre les deux films Grindhouse produits par son ami Quentin Tarantino et lui-même, Planète

terreur et Boulevard de la mort. Machete (on le surnomme ainsi en hommage à son arme de prédilection, bien sûr) devient aujourd’hui le héros d’un vrai long métrage, et c’est une bonne nouvelle. Car ce héros-là a de la santé, de l’humour, de l’allant. Machete, ex-federales de la police mexicaine dont la femme a été atrocement assassinée sous ses yeux, est un superhéros de pacotille qui a les traits burinés et ravagés de Danny Trejo, cousin de Robert Rodriguez, un ex-taulard et junkie. Agé de 66 ans, il a longtemps joué les brutes dans des films d’action et possède une musculature et une tignasse de catcheur assez impressionnantes. Machete ne s’encombre pas des théories guerrières de Clausewitz ou de Sun Tzu : il pense peu mais agit beaucoup (il envoie des textos, aussi), fonce dans le tas, découpe tout le monde en rondelles, puis s’en va. Il a aussi une certaine forme d’imagination, puisqu’il n’hésite pas,

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raccord superhéros moisis Super-Résistant (dans Papy fait de la résistance de Jean-Marie Poiré, 1983) : Guy-Hubert Bourdelle (Martin Lamotte), coiffeur efféminé aux idées pétainistes, est en réalité Super-Résistant. Hancock (film de Peter Berg, 2008) : Les pouvoirs d’Hancock (Will Smith) sont réels, mais il commet de gros dégâts lors de ses interventions. Les habitants de L. A. ne le supportent plus. Superdupont : ce fils du soldat inconnu, créé par Marcel Gotlib et Jacques Lob en 1972, est le Superman franchouillard. Maintes fois annoncée, l’adaptation cinématographique n’a jamais vu le jour.

quand le besoin s’en fait pressant, à utiliser l’intestin grêle d’un de ses adversaires pour faire de la varappe. Alors Machete, oui, est un film d’action parodique (d’ailleurs très drôle), comme Rodriguez et Tarantino les aiment. Où les filles, plus belles les unes que les autres (Jessica Alba et Michelle Rodriguez), se montrent très sensibles à la plastique du héros, mais n’ont pas non plus l’intention de se laisser faire (dès la première scène, une bomba latina en tenue d’Eve plante un coutelas dans la cuisse de Machete puis extirpe un téléphone de son intimité pour appeler son chef – le délicat Steven Seagal). Où la violence prend de telles proportions qu’elle en devient, qu’elle doit en devenir, comique. Mais c’est dans sa dimension politique totalement manichéenne que le film devient grand et profondément jubilatoire. Il y a d’un côté les bons Mexicains exploités, maltraités, tués comme des cafards, et de l’autre les hommes politiques américains ultraréactionnaires et cruels, pourvus

Machete a une certaine imagination : il utilise l’intestin grêle d’un de ses adversaires pour faire de la varappe

de toutes les perversions : incestueux, drogués, alcooliques et obsédés par la pureté de leur race. Rodriguez, sans crainte ni honte, ridiculise les wasp, prend le parti des pauvres et des honnis. Les méchants, les autres, sont parfaits dans leur genre, puisqu’on a confié leurs rôles à Robert De Niro et Don Johnson. Plus vrais que nature, ils en font certes des tonnes, mais ils sont désopilants et puérils, avec leur manie des armes à feu ou des sabres japonais. Rodriguez ne respecte rien. En confiant le sort des siens à un abruti total, il renouvelle le plaisir du guignol ; tout cela n’est pas bien sérieux, mais ça fait tellement de bien que l’on aurait tort de se gêner. Mais Machete est un peu plus que cela, il bénéficie d’un supplément d’âme qui le démarque de ses congénères. Parce qu’au-delà de son personnage, vengeur de toutes les injustices que subissent ses compatriotes, Rodriguez, avec une finesse (si, si) qu’on ne lui connaissait pas, attaque les Etats-Unis là où ça fait mal : dans leur mythologie symbolique, dans leur imagerie même. Machete se trouve à un moment contraint de commettre un attentat contre un homme politique du haut d’un building. Evidemment, on veut abattre aussitôt Machete, et l’on reconnaît immédiatement le schéma de l’attentat contre Kennedy, scène traumatique et séminale qui, comme l’ont montré nombre de théoriciens, apparaît en filigrane dans le cinéma américain au début des années 1970. C’est au cœur, tout près du cœur, que Rodriguez titille l’Amérique, avec fougue et tendresse. Jean-Baptiste Morain Machete de Robert Rodriguez et Ethan Maniquis, avec Danny Trejo, Michelle Rodriguez, Steven Seagal, Robert De Niro (E.-U., 2010, 1 h 45)

certaines tendances C’était au Centre Pompidou, dans le cadre de la carte blanche au cinéaste Serge Bozon. Le critique et performer Noël Herpe répondait en direct à François Truffaut. Ou plus exactement à la lecture par Eva Ionesco et Lou Castel d’Une certaine tendance du cinéma français, le plus gros hit de Truffaut critique, où il passait à tabac le cinéma le plus installé de son époque. Herpe défendait les victimes du pamphlet (Autan-Lara, Clouzot, etc.). Mais en même temps qu’il taclait Truffaut, par un étonnant tour réthorique, il regrettait aussi que la critique d’aujourd’hui ne s’insurge pas contre la qualité française de son temps – selon lui, Arnaud Desplechin, Christophe Honoré... Dans leur numéro de novembre, les Cahiers du cinéma prospectent le cinéma français de demain. De ce riche et intéressant ensemble se détache un texte mordant, celui d’un jeune cinéaste talentueux, Yann Gonzalez. Le garçon trépigne contre un cinéma d’auteur institutionnel surprotégé par la critique (Assayas, Chéreau, Anne Fontaine), trop étriqué, trop bourgeois. Ce texte énervé est presque le remake d’un autre pamphlet publié dans les Cahiers, en 1998, intitulé “La triste moralité du cinéma français”, s’en prenant, comme chaque génération, à la fatalité naturaliste du cinéma français, son atavisme bourgeois et signé Christophe Honoré (alors critique). Il est logique que les contempteurs d’hier soient désignés comme les auteurs bourgeois de demain – ne l’a-t-on assez reproché à Truffaut ? En 1954, une certaine tendance du cinéma français semble avoir en tout cas fixé pour toujours un certain scénario héroïque de la critique en France. Il n’y a qu’ici que le renouvellement du cinéma d’auteur passe toujours par un conflit oedipien, une curée de la génération précédente. Et peut-être est-ce ce grand récit fantasmatique de l’irrévérence contre l’académisme, la jeunesse contre la bourgeoisie que la jeune critique ferait bien de repenser.

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Mon pote de Marc Esposito avec Edouard Baer, Benoît Magimel (Fr., 2010, 1 h 45)

Le Soldat dieu

Film nul, Magimel pas mal. Déjà, dans les années 80, on rechignait devant tous les titres en “pote” (La Femme de mon pote de Blier, Si t’es mon pote de Renaud, etc.) et on se promettait d’avoir, nous, des amis (c’était pas gagné, mais c’est une autre histoire). Vingt ans après, Esposito reprend la Ligue des potes et ne déroge pas à la légende : connivence bourrue et sympa, mollesse généralisée qui manquera toujours du romantisme des vraies amitiés. On remarque Diane Bonnot, dont le dégingandé chic rappelle Katharine Hepburn. Mais c’est Magimel qui confirme son statut à part dans le cinéma français. Acteur à l’audace imprévue, il exprime le lyrisme prolo avec une sensibilité qui n’a pas peur des larmes. Axelle Ropert

de Kôji Wakamatsu

A bout portant

Un homme-tronc mutilé à la guerre devient une relique adulée par la patrie. Iconoclaste et tranchant.

avec Gilles Lellouche, Roschdy Zem (Fr., 2010, 1 h 27)

A

vec Kôji Wakamatsu, aucun risque de s’ennuyer. Virulent, radical, extrémiste, le cinéaste gratte depuis longtemps les plaies de la société japonaise et ce nouveau film prouve de façon éclatante qu’il ne s’est nullement assagi avec l’âge. Le Soldat dieu est un brûlot rageur, un coup de sabre tranchant dans le militarisme, le nationalisme et le patriarcalisme. Pour en donner une vague idée, quelque chose entre L’Empire des sens, Rambo, Freaks et Johnny Got His Gun. Le lieutenant Kurokawa revient de la guerre sino-japonaise couvert de médailles… mais privé de ses bras et de ses jambes, perdus dans les combats. Cet homme-tronc atrocement diminué, à jamais handicapé, fait figure de héros et, sous la double injonction militaire et sociétale, doit être exhibé comme tel dans les rues de son village. Il revient à son épouse, Shigeko, d’entretenir son héros de mari tel une relique patriotique : non seulement l’armée lui a rendu un demi-homme, mais elle doit de surcroît le nourrir, le laver, l’habiller et le promener régulièrement dans son fauteuil roulant. Il y a un mélange de cruauté et de grotesque dans la façon dont Wakamatsu montre un homme à la fois mutilé

et statufié, et une femme contrainte de se plier jusqu’à l’humiliation à un devoir national en forme de grossier simulacre. Mais la révolte sera féminine ou ne sera pas. Shigeko se lasse petit à petit de son rôle (de composition) d’infirmière à perpète de son demi-mari et de vestale du moral national. D’autant que sexuellement, ce n’est plus ça (les séquences charnelles sont parmi les plus fortes et dérangeantes du film). A force de soumission aux hommes et aux devoirs nationaux, Shigeko se rebelle avec une rare stridence. Les hurlements et les reproches qu’elle adresse à son handicapé d’époux explosent les limites du politiquement correct (une victime s’en prend à une autre), mais c’est tout l’opium du peuple nationalo-militariste que le film secoue à travers la révolte de Shigeko (interprétée par la magnifique Shinobu Terajima). Tel Flaubert, Wakamatsu pourrait sans doute s’écrier “Shigeko, c’est moi !” Le Soldat dieu se passe il y a soixantedix ans, mais son âpreté, sa colère, son féminisme, son tempérament iconoclaste sont d’aujourd’hui, et probablement de tout temps. Serge Kaganski Le Soldat dieu de Kôji Wakamatsu, avec Shinobu Terajima, Shima Ohnishi (Jap., 2010, 1 h 25) lire l’entretien avec Kôji Wakamatsu, pp. 64-67

de Fred Cavayé Polar viril et convenu. Les polars français actuels manquent de cette liberté qui fait décoller leurs homologues américains. Par exemple, qu’est-ce qui sépare le film de Fred Cavayé de L’Enjeu de Barbet Schroeder, aux scénarios proches ? C’est une question de virilité, ou plutôt comment jouer avec. Le cinéma US, malgré ses airs triomphants, est beaucoup plus débarrassé que le français de l’obsession de la virilité, vécue sur le mode nostalgique en plus (Roschdy Zem s’appelle ici Sartet, comme Delon dans Le Clan des Siciliens). Le réalisme sage de l’un s’oppose à l’excentricité de l’autre (voyez la composition du méchant par Michael Keaton chez Schroeder). C’est dommage, et on espère que l’âge d’homme un peu dingo du polar français arrivera un jour. A. R.

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Scott Pilgrim d’Edgar Wright

Monsters de Gareth Edwards avec Whitney Able, Scoot McNairy (G.-B., 2010, 1 h 33)

Film d’invasion extraterrestre croisé avec les codes du home-movie. Après Cloverfield (YouTube sur grand écran) et District 9 (“petit” film de 30 millions de dollars qui commence comme un reportage télé), Monsters est le dernier venu parmi ces films d’invasion extraterrestre qui jouent sur les échelles, petite et grande. Le pitch est vieux comme La Guerre des mondes : des extraterrestres, croisements géants entre Paul le Poulpe et un baobab, occupent une zone entre les Etats-Unis et le Mexique. Un no man’s land que l’armée bombarde régulièrement pour limiter leur propagation. Un photographe américain qui escorte la fille de son patron va devoir le traverser pour regagner le pays. C’est moins les monstres que les composantes du cinéma indépendant US qui envahissent le film de l’Anglais Gareth Edwards : budget low cost (500 000 dollars selon le cinéaste), acteurs inconnus, tournage sur le vif et improvisé. Dans ses travers, Monsters ne fait pas dans la légèreté, avec sa musique sirupeuse et ses dialogues politiquement transparents sur la tentation isolationniste américaine (“nous nous enfermons nous-mêmes”, ah bon ?). Le film est à son meilleur quand il détourne l’action promise du genre (fuir ou massacrer du monstre) pour devenir un road-movie passif, où le couple regarde impuissant les liens indéfectibles entre “gringos” et voisins mexicains (paternalisme, exploitation et flux frontaliers) ou des scènes de désastre convoquant l’après-ouragan Katrina. Bateau échoué dans les arbres comme un hommage au Fitzcarraldo d’Herzog, autels mexicains aux morts, pyramide aztèque répondant à la muraille que se sont bâtie les Etats-Unis pour contenir les créatures : une poésie de bric et de broc, digitale et quotidienne, se dégage de ce voyage hagard, culminant dans un finale qui tient joliment du documentaire animalier. Un peu comme Cloverfield dont il pique la fin, Monsters est un vrai-faux home-movie. L’artisanat du film fait à la maison y côtoie des personnages à bout de course, qui réalisent finalement qu’ils n’ont pas envie de rentrer chez eux. Léo Soesanto

avec Jason Schwartzman, Michael Cerra (E.-U., 2010, 1 h 52)

Adaptation sympathique, mais un peu répétitive, d’un classique de la BD teen. Graal geek depuis bon nombre d’années, la fusion cinéma-BD-jeu vidéo est à nouveau à l’honneur avec Scott Pilgrim, dans lequel un geek sentimental (Michael Cera en mode repeat) doit tabasser comme dans un beat’em up les sept ex de sa promise pour gagner son cœur. Dans ce labo d’alchimiste, deux tendances s’opposent : d’un côté, les accros à la vitesse, travaillant à destructurer le montage, à saboter l’idée même de plan avec un paganisme revigorant (Tsui Hark, Tony Scott, les Wachowski) ; de l’autre, les amoureux de la stase, célébrant l’image dans toute sa splendeur ornementale, et ne s’écartant jamais beaucoup du matériau originel (Frank Miller, Zach Snyder). Lorgnant un temps du côté de la première catégorie, Edgar Wright (Shaun of the Dead, Hot Fuzz) finit par se ranger dans la seconde, à force de connivence (une petite jauge apparaît dans un coin de l’écran quand le personnage urine, ce genre de choses...) et de soumission au comic adapté. Davantage lassant qu’antipathique, Scott Pilgrim demeure tout de même une curiosité, ne serait-ce que par ses seconds rôles attachants (Jason Schwartzman, Mary Elizabeth Winstead). Jacky Goldberg

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en salle le temps retrouvé Le Forum des images, à travers une centaine de films, observe notre rapport au temps. Répartis en plusieurs grandes thématiques (cycles des saisons, âges de la vie, voyages dans le temps…), les longs métrages projetés obéiront à une grande diversité : L’Heure d’été d’Olivier Assayas, Traquenard de Nicholas Ray, Terminator de James Cameron… Etienne Klein, spécialiste de la question du temps en physique et parrain du cycle, animera deux rencontres avec des invités de son choix. La Fabrique du temps jusqu’au 24 février, Forum des images, Paris Ier, www.forumdesimages.fr

hors salle Polanski sans polémiques Chaque génération aura connu son “affaire Polanski” : la tragique disparition de sa femme Sharon Tate en 1969, l’accusation de viol et détournement de mineure en 1977, l’assignation à résidence en 2009-2010… Mais on retiendra aussi de Roman Polanski son œuvre, traversée par des genres très variés. Le livre de Florence Colombani, critique au Point, tisse un lien entre la vie mouvementée du cinéaste et sa carrière. Roman Polanski – Vie et destin de l’artiste de Florence Colombani (Philippe Rey), 242 p., 18 €

box-office France offensive Le cinéma français se porte comme un charme. Potiche réussit sa seconde semaine d’exploitation et atteint 1,5 million d’entrées. Les Petits Mouchoirs dépasse les 4,5 (les 5 seront bientôt atteints). Succès aussi pour L’homme qui voulait vivre sa vie, qui grimpe au-dessus du million, et même l’arthritique Princesse de Montpensier fédère plus de 600 000 galants. D’autres films ont néanmoins du mal à exister. Vénus noire dépasse de peu les 200 000, Belle épine et Des filles en noir, deux beaux films, ne rassemblent pas 50 000 spectateurs à eux deux.

autres films Lullaby de Benoît Philippon (Fr., Can., 2009, 1 h 42) Stockholm (I) – L’Argent facile de Daniel Espinosa (Sue., 2009, 1 h 40) Boutchoux de Fabrice de La Rosa, Michaël Journolleau et Rodrigue Gbarssin (Fr., 2010, 45 min) Perdu ? Retrouvé ! de Philip Hunt, Joanna Lurie et Jeanine Reutmann (Fr., Sui., G.-B., 2009, 45 min) Le Guépard de Luchino Visconti (Ita., 1963, 3 h 25, reprise)

Alamar de Pedro González-Rubio Un enfant élevé en Italie retrouve son père mexicain sur une barrière de corail pour une émouvante robinsonade. Une belle découverte.

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n homme mexicain et une femme italienne se sont aimés, un enfant est né de cette brève romance. C’est le prologue d’Alamar, façon film de vacances. La femme est repartie à Rome, laissant l’homme, Jorge, mener une existence de Robinson dans le Banco Chinchorro, une des plus grandes barrières de corail du monde, encore protégée de la pollution et de la civilisation, où quelques pêcheurs vivent en communion avec la mer et la nature. Chaque été, le petit Natan part rejoindre son père et son grand-père, et il adopte pendant quelques semaines une vie de bon sauvage, où l’apprentissage des activités piscicoles se mêle à la découverte de la faune et de la flore de la région, entre plongée autonome, excursions en bateau et cours de philosophie panthéiste négligemment dispensés par les adultes. Alamar peut commencer. Ce film enchanteur transporte le spectateur dans un état de bonheur et de nostalgie, heureux d’assister à quelques moments de vie tellement simples qu’ils deviennent épiques. Le sentiment de fragilité et le caractère précieux car provisoire des moments vécus entre un père et son fils éveillent le double fantasme d’un paradis perdu. Celui d’une relation harmonieuse avec la nature (sublime et généreuse, mais aussi en sursis, comme la plupart des sites écologiques) et celui d’une très émouvante relation père-fils, loin des interférences de la culture et de la société occidentales. Voici un film qui retrouve les vertus de l’observation, capable de raconter une histoire, mais aussi des histoires en restant disponible au moindre événement, en accordant presque autant d’importance

aux hommes qu’aux animaux, qui partagent souvent le même plan et les mêmes instants de plénitude. On apprend dans Alamar comment écailler un poisson, mais on y fait aussi la connaissance d’un crocodile à moitié domestiqué, qui paresse aux alentours de la maison sur pilotis de Jorge, plantée au milieu du lagon, et de la mouette Blanquita, qui devient un temps la mascotte de la famille, en débarrassant la case de ses blattes, et la star invitée du film, assez cabotine. Alamar est le premier film de fiction d’un jeune cinéaste mexicain issu du documentaire. Une fois de plus, cette frontière entre le romanesque et la réalité est au cœur du projet, mais elle se passe de mise en abyme et de dispositif savant. Les “personnages” jouent leur propre rôle, le réalisateur se contente d’observer ces vies magnifiques sans aucun chichis, toujours à la juste distance. “Les choses sont là, pourquoi les déranger ?” Ce précepte rossellinien vient à l’esprit durant toute la projection d’Alamar. On ne peut non plus s’empêcher de penser à Nanouk l’Esquimau et aux autres films de Robert Flaherty, mais aussi aux textes d’André Bazin sur le cinéma comme art réaliste en contemplant un film aussi amoureux de ce (et ceux) que la caméra enregistre. Ce miracle de simplicité et de poésie a aussi le bon goût de s’adresser aussi bien aux enfants qu’aux adultes, ce qui est une excellente nouvelle à une époque où le cinéma de création, hormis l’animation, semble se ficher du jeune public. Olivier Père Alamar de Pedro González-Rubio, avec Jorge Machado, Natan Machado Palombini, Nestór Marín (Mex., 2009, 1 h 10)

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De son appartement de Jean-Claude Rousseau Un homme lit tous les jours des passages de Bérénice. Du cinéma retranché et ascète. u’il est doux de se couler dans le d’un appartement, une partition de cinéma ténu et tenu de Jean-Claude musique de chambre propice aux variations Rousseau, de rester suspendu d’un cœur solitaire. Un homme (Rousseau au fil intimiste, fragile et intense himself) lit de courts passages de Bérénice d’une écriture de et dans la marge, qui sur plusieurs jours, peut-être plusieurs ne ressemble à nulle autre. Le réalisateur semaines. Entre les moments de lecture de La Vallée close joue, entre les murs s’intercalent des recoins, des plis de rideaux,

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l’attente, des lettres glissées sous une porte, les bruits de la rue qui s’infiltrent par la fenêtre, comme dans La Prisonnière de Proust. Au bout d’un couloir, un miroir, une caméra, un reflet, un double. Ces plans répétitifs, qui connaissent néanmoins d’infimes variations, s’ouvrent à la pièce de Racine et à la maladie des sentiments : ils substituent aux dialogues et aux élans tus une matière picturale et sonore dépouillée qui donne au texte une résonance profonde et mystérieuse. Il semble alors que, dans cet espace ordinaire, le trait épuré des natures mortes de Morandi, la folie de Maupassant, la conscience douloureusement aiguë du détail de Woolf affleurent et dialoguent naturellement avec Racine. S’il émane de ce retranchement une certaine beauté ascétique, point également une forme de légèreté, car Rousseau entreprend aussi un jeu dont visiblement il se délecte, celui de mettre en branle son imagination et la nôtre, avec trois fois rien. Amélie Dubois De son appartement de Jean-Claude Rousseau, avec lui-même (Fr., 2007, 1 h 10)

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Le Secret de Chanda d’Oliver Schmitz avec Khomotso Manyaka, Lerato Mvelase (Afr.du Sud, All., 2010, 1 h 46)

Pieds nus sur les limaces de Fabienne Berthaud Une jeune femme aide sa sœur asociale et déséquilibrée. Un peu fabriqué, mais un beau duo d’actrices.

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la mort de leur mère, deux sœurs vont habiter dans une maison à la campagne le temps que dure le chagrin. Sœurs certes, mais opposées en tout point : si l’aînée est tout ce qu’il y a de plus normal (hétéro, mariée, juriste), la cadette est déviante (attardée ou un peu folle, on ne sait pas, nymphomane, oisive). Difficile de faire une fiction sur la folie, tant les partis pris sans nuance (le fou avec un entonnoir sur la tête, le normal avec un annuaire en guise de cœur) ou au contraire naïvement nuancés (on a tous un peu de folie en nous, on a tous un peu de normalité en nous, entonnoir et annuaire donnez-vous la main) peuvent irriter. Si le film peine à représenter le monde extérieur à la folie (en le réduisant à ses manifestations les plus basiques), il réussit plutôt le portrait des deux sœurs. A la chasse aux fantômes se substitue alors le bricolage d’une vie à deux, faite de disputes, réconciliations, grattages de dos dans le bain, meringues grignotées et abandonnées quand le cœur n’y est plus, licenciement des hommes et des souvenirs pénibles, affranchissements intérieurs. Dans le genre “Vol au dessus d’un nid de cocottes” (des folles filmées par une

femme), la sensibilité opère lorsque le film abandonne la bimbeloterie “cinéma indie” pour la nudité des face-à-face entre les deux sœurs. Les deux actrices y sont pour beaucoup. Ludivine Sagnier d’abord, dans son rôle habituel d’écervelée qu’elle sait si bien tenir (déjà, dans La Fille coupée en deux de Chabrol) et qui maltraite avec une générosité souvent maladroite sa beauté de traviole. Diane Kruger surtout, qui tenait le rôle principal dans Frankie, le précédent film de Fabienne Berthaud. Elle hérite du rôle apparemment le plus simple à jouer, mais aussi le plus ingrat : la fille absolument normale qui s’ouvre à la folie de sa sœur. Chacune de ces situations qui requiert la plus grande des finesses psychologiques et où elle doit représenter le bon sens blessé sans être la mémère de service, Diane Kruger les joue avec une délicatesse et une réserve qui confirme tout le bien qu’on peut penser d’elle depuis Inglourious Basterds (Tarantino) où en espionne au double jeu, elle avait déjà impressionné par sa nervosité faunesque. Axelle Ropert Pieds nus sur les limaces de Fabienne Berthaud, avec Ludivine Sagnier, Diane Kruger (Fr., 2010, 1 h 48)

Mélo sur le sida en Afrique du Sud. Digne, trop digne. On avait beaucoup apprécié la confrontation ironique entre membres des ghettos et parvenus sud-africains dans Hijack Stories de Schmitz. Après dix années à la télé allemande, le cinéaste a oublié son esprit acerbe. Il livre ici une adaptation d’un best-seller aussi digne que lacrymal sur les vicissitudes d’une adolescente noire dont la mère meurt lentement du sida. Une sorte de “fille courage” version township ; filmage d’une joliesse néo-académique et thème inoxydable. Cette fresque “bouleversifiante” (© Toscan), calibrée pour cueillir l’oscar du film étranger qui lui pend au nez, a des accents sulpiciens. Vincent Ostria

Toscan d’Isabelle Partiot-Pieri (Fr., 2010, 1 h 27)

Le producteur décédé en 2003 vu par la télé. Daniel Toscan du Plantier, le plus humaniste des directeurs de la firme Gaumont, s’est beaucoup exprimé dans les médias. D’où ce film paresseux, constitué de ses interviews télévisuelles. Soit un collage où tout est subordonné à la parole publique de Toscan. Difficile donc d’en savoir beaucoup sur lui car s’il était disert, il n’exprimait guère son moi intime. Autre grief : le traitement infligé à ces archives, qu’on a arbitrairement décolorisées (en noir et blanc). Une vraie faute de goût. Sans compter que le fait de se cantonner au versant médiatique de Toscan a pour effet d’accentuer son côté fanfaron. Voir comment il débite, tel un camelot, la liste de son cheptel d’auteurs assimilés à des griffes de luxe (Fellini, Bergman, Bresson). V. O.

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Raiponce de Byron Howard Une princesse en 3D séquestrée par une vieille sorcière, des bestioles qui chantent et un prince bad boy : Disney tente de se réinventer. a nouvelle stratégie de Disney souffre d’un étrange déséquilibre : comment concilier une tentative de revival nostalgique (le merveilleux maison) avec le rythme de l’animation moderne façon Pixar ? Raiponce n’apporte aucune solution définitive, mais montre dans ses plus beaux moments quelques signes d’une nouvelle jeunesse. Plus que l’usage de la 3D – encore exploitée comme un simple gimmick technologique –

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c’est dans sa manière de bousculer un peu ses vieux mythes (ici un ersatz de Cendrillon puisé dans le répertoire des frères Grimm) que le film trouve une respiration inattendue. Après une première héroïne noire (La Princesse et la Grenouille), Raiponce dévoile l’héroïne adolescente, ses névroses afférentes, et un prince brigand qui n’a plus grand-chose de charmant (l’“arnacœur” Romain Duris, en VF). L’ironie est poussée jusqu’à

un rôle burtonnien de marâtre abusive et obsédée par son âge dont la voix est confiée à Isabelle Adjani. Quelques belles trouvailles qui n’empêchent pas le film de s’abandonner aux gags poussifs (encore des bestioles sidekicks) et à un moralisme plombant. Romain Blondeau Raiponce de Byron Howard, avec les voix de Romain Duris, Isabelle Adjani (E.-U., 2 010, 1 h 41)

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Mary Duncan dans City Girl (1930)

Murnau made in USA La courte période américaine du grand maître allemand du cinéma muet, F. W. Murnau, éditée en coffret collector. Sublime à jamais.

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ma droite, le chef-d’œuvre absolu, censé marquer la rencontre historique entre l’expressionnisme allemand et les studios hollywoodiens, celui dont tout cinéphile ne doit prononcer le nom qu’en baissant religieusement les yeux : L’Aurore. A ma gauche, un film abandonné par son réalisateur en cours de production, massacré à sa sortie, dans une version parlante réduite d’un tiers, et dont on ne retrouva une copie intégrale qu’à la fin des années 1960 : City Girl. Entre les deux, à peine deux ans, le temps du séjour américain du cinéaste allemand F. W. Murnau. Rarement, dans l’histoire pourtant dramatique du septième art, une chute fut aussi violente et rapide. Il faut dire que ces deux années, 1927-1929, furent traversées par une des plus grandes révolutions qu’ait connues l’industrie des images en mouvement : le passage du muet au parlant. Quand William Fox fait venir Murnau aux Etats-Unis, il l’accueille ainsi en maître incontesté d’un art tout à fait spécifique : celui de faire parler des images muettes grâce aux seuls mouvements de caméra et aux jeux d’ombres et de lumières. C’est cette science unique dont le réalisateur a déjà fait la preuve dans

ses chefs-d’œuvre européens (Nosferatu, Le Dernier des hommes) que le producteur achète à grands frais avec l’espoir que son pool de réalisateurs prestigieux (Hawks, Ford, Borzage) saura en tirer profit. Et le moins que l’on puisse dire est que Murnau démontre une nouvelle fois l’étendue de ses talents pour son premier film tourné sur le sol californien, ce chant de deux êtres humains baptisé L’Aurore. Entre autres merveilles, il y a un travelling nocturne, quand le mari adultère va retrouver la tentatrice venue des villes, qui déploie une arabesque si énigmatique, à travers la lande brumeuse et les bosquets de joncs, qu’on n’arrive toujours pas, malgré les années, à en percer le chiffre. Mais le relatif insuccès du film et l’arrivée, donc, du parlant ébranlèrent rapidement le statut de Murnau à Hollywood. Son second film, Four Devils, est frappé lourdement par les nécessités nouvelles de la sonorisation. Aujourd’hui perdu, il n’en reste que quelques dessins préparatoires et photos de plateaux, réunis ici dans un précieux bonus. Quant au troisième, un changement de titre, imposé par la production (de Our Daily Bread à City Girl), persuada le réalisateur, en cours de tournage, que la grande “ode sur le blé” qu’il avait en tête était définitivement compromise. Après avoir rompu

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George O’Brien et Margaret Livingston dans L’Aurore (1927)

à l’amiable son contrat avec la Fox, il mit littéralement les voiles vers Tahiti pour son dernier projet, le sublime Tabou, un an avant l’accident de voiture qui allait lui coûter la vie. Cet enchaînement si brutal et confus d’événements conduisit, pendant longtemps, les adorateurs de Murnau à glisser directement de L’Aurore à Tabou, en passant par pertes et profits le reste de sa production américaine. Depuis quelques années, cependant, la redécouverte de City Girl et sa restauration obligent à rajouter une étape fondamentale dans le parcours déjà légendaire du cinéaste. En effet, quels que furent les aléas de la postproduction (on ne sait même pas si Murnau eut l’occasion d’en voir une version achevée), le film se détache aujourd’hui comme une œuvre à la fois magistrale et singulière. City Girl ne se contente pas de rejouer, en l’inversant, le schéma narratif de L’Aurore (une histoire d’amour prise entre ville et campagne). Il est aussi, selon les termes du cinéaste, son premier film “américain”. Toute la technique expressionniste et l’esprit même du romantisme allemand y sont entièrement reformulés dans un moule nouveau. Les personnages principaux ne sont plus des “déshérités éternels” mais des working

les personnages principaux ne sont plus des “déshérités éternels” mais des working class heroes

class heroes. Ils ne travaillent plus dans une ferme médiévale mais dans une exploitation agricole dont la survie est soumise au cours de la Bourse. Et leurs reflets sur les murs ne sont plus des projections fantastiques mais des ombres précises. Ce réalisme inédit, loin de nuire à la qualité du film, lui confère un lyrisme unique. Et, travelling pour travelling, on peut considérer que le mouvement d’appareil qui accompagne la course des nouveaux mariés à travers champs est d’une limpidité qui rivalise, en beauté pure, avec les boucles savantes de L’Aurore. Le plus mystérieux ici est qu’en changeant brusquement ses références picturales, en passant de Caspar David Friedrich à Grant Wood, Murnau invente une vision, poétique et exacte, de l’Amérique que l’on retrouvera, plus tard, chez les photographes de la Dépression (Walker Evans) comme chez un cinéaste tel que Terrence Malick. Impossible ainsi, face à City Girl, de ne pas penser aux Moissons du ciel, comme l’analyse finement, en bonus, le chef opérateur John Bailey. C’est ce Murnau imprévu, metteur en scène des grands espaces, que l’on découvre, enfin, aujourd’hui. En plus des bonus déjà évoqués, il faut signaler également l’apparition spectrale de Jean Douchet, filmé en noir et blanc, comme “le dernier des hommes” de la cinéphilie. Patrice Blouin L’Aurore (Carlotta), édition ultime, 2 DVD, 19,99 € ; City Girl (Carlotta), édition collector, 1 DVD, 19,99 € ; Murnau : L’Aurore, City Girl (Carlotta), coffret collector limité, 2 Blu-ray + 1 DVD, 34,99 € 1.12.2010 les inrockuptibles 77

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Yasmine Belmadi dans Les Corps ouverts (1998)

Megapiranha d’Eric Forsberg avec Paul Logan, Tiffany (E.-U., 2010, 1 h 32)

presque rien, déjà beaucoup Presque toute l’œuvre du sensible et subtil Sébastien Lifshitz réunie dans un coffret. Les films De Presque rien (2000, avec Jérémie Elkaïm et Stephane Rideau) à Plein sud (2009, avec Léa Seydoux et Yannick Renier), Sébastien Lifshitz a tourné quatre longs métrages. Les trois premiers sont maintenant réunis dans un coffret (sans Plein sud, donc), auxquels s’ajoutent les courts du cinéaste, et surtout le moyen métrage qui l’a révélé, le superbe Les Corps ouverts (1998), interprété par l’émouvant et regretté Yasmine Belmadi (disparu l’an dernier). On y suivait les pérégrinations d’un lycéen d’origine maghrébine, passant un casting, au propre (un metteur en scène lui fait faire des essais pour un film) comme au figuré (entre filles ou garçons, premières expériences multiples, c’est aussi le casting de sa vie à venir qu’il passe le temps du film). Les Corps ouverts imposait déjà des partis pris auxquels toute l’œuvre souscrit : déstructuration inventive de la chronologie, forme-ballade où un récit est avant tout l’accompagnement d’un personnage conçu comme promeneur (dans les rues de Paris, à travers les Etats-Unis ou sur les routes qui mènent du nord de la France à l’Espagne), valorisation des temps faibles (silence, suspension, moments solitaires de repli sur soi) sur les supposés temps forts. Wild Side (2004) est peut-être le film le plus virtuose, dans lequel étincelle la puissance de suggestion atmosphérique propre au cinéaste. La Traversée (2001) est probablement le plus étonnant. Le scénariste habituel de Lifshitz, Stéphane Bouquet, devient le personnage central d’un documentaire où il part à la recherche d’un père américain qu’il n’a jamais connu. De tous les films, on retient un sens très personnel du tempo, une grande sensibilité aux états lumineux des paysages. Et aussi à la pop de son temps. Presque rien est bercé par le songwriting élégiaque de Perry Blake. Wild Side révélait, avant le succès de ses albums, Antony And The Johnsons, qui apparaissent le temps d’une chanson inaugurale. Les DVD Bonus : courts métrages, films commentés, entretiens télévisés. Jean-Marc Lalanne Coffret Sébastien Lifshitz Presque rien, La Traversée, Wild Side, Les Corps ouverts (France Télévisions), environ 40 €

Lâcher de piranhas géants contre les nantis d’Hollywood. Le film Dans la toute dernière séquence du reboot d’Alexandre Aja, Piranha 3D, Christopher Lloyd annonce aux survivants que les poissons cannibales qu’ils ont combattus sont en réalité au premier stade de leur développement. Le film se conclut, un peu avare, sur l’apparition soudaine d’un piranha géant. Il n’en fallait pas plus pour éveiller les fantasmes des concepteurs d’Asylum, une société de production spécialisée dans le détournement cheap de succès populaires (Transmorphers, The Terminators, Paranormal Entity). Sans autre enjeu qu’une distribution directe sur le marché vidéo ou à la télévision, ces films de seconde zone parient sur une idée depuis longtemps abandonnée par les grandes majors : le pur délire. Dans ce registre, la dernière livraison, Megapiranha, tient presque lieu de programme : non-sens généralisé (mention à l’attaque d’un hélicoptère en synthèse par un monstre géant), acteurs cabotins et effets numériques foireux. Pas de cinéma à l’horizon, mais un pastiche jouissif du mythe piranha, lui-même dérivé historique des Dents de la mer (on est bien en territoire Z). Avec un certain sens de l’autodérision, Asylum rejoue sa partition du “bigger than Hollywood” : quitte à être fauché, autant lâcher les monstres. Un navet conscient, et presque fier. Le DVD Les habituels bêtisiers et making-of, et le court ultragore du Français Nicolas Hugon, Game of the Dead. Romain Blondeau (Emylia), environ 15 €

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réservé aux braves Du goulag à la baie des Cochons en passant par une rencontre avec JFK, la guerre froide en mode Call of Duty.

 C brèves Tron : Daft Punk se prête au jeu En charge de la bande originale du film Tron – L’Héritage, Daft Punk en prêtera deux morceaux, Derezzed et The Grid, au jeu qui lui est associé. Baptisé Tron – Evolution, celui-ci sera disponible en France sur la plupart des plates-formes le 3 février prochain, le reste de sa musique étant l’œuvre de trois grands noms de la musique vidéoludique : Sascha Dikiciyan, Cris Velasco et Kevin Manthei.

omme prévu, une petite semaine après la sortie de Call of Duty – Black Ops, le mail triomphant est arrivé. Activision s’y félicitait des ventes du dernier épisode de sa saga guerrière : avec 360 millions de dollars de recettes en vingt-quatre heures au Royaume-Uni et en Amérique du Nord, il avait réussi le plus gros lancement de l’histoire du divertissement. Le record appartenait au précédent Call of Duty. Pour qui ne suivrait que de loin l’actualité du jeu vidéo, la performance a de quoi surprendre. En 2003, le premier Call of Duty était certes un bon FPS (jeu de tir en vue subjective) mais on n’y trouvait aucune des innovations qui font les phénomènes vidéoludiques (Mario, Halo, GTA…). Choisissant la Seconde Guerre mondiale comme cadre, le jeu se contentait de pousser plus loin l’approche hollywoodienne de Medal of Honor. Mais, peu à peu, la série s’est installée. Et a senti le vent tourner, abandonnant en 2007, avec l’épisode Modern Warfare, tout prétexte historique pour s’afficher en contemporaine musclée de 24 heures chrono. Le Call of Duty 2010 marque un autre tournant. D’habitude, les “grands” épisodes, ceux des années impaires, sont signés Infinity Ward, le studio Treyarch se contentant

entre-temps de reprendre les recettes de son concurrent. Mais, les fondateurs d’Infinity Ward partis pour cause de brouille avec Activision, Treyarch se retrouve en première ligne. Et change à son tour d’époque. Bienvenue dans la guerre froide. Ce parti pris apporte au jeu une belle variété. Black Ops nous promène de la baie des Cochons au goulag avec, en chemin, une rencontre avec le Président Kennedy. L’intrigue se tient – cela n’a pas toujours été le cas. Dans Call of Duty, c’est pourtant toujours un autre récit qui importe : celui que l’on s’en fait a posteriori. T’as vu ce moment où on fait exploser une fusée Soyouz ? Mieux : tu te souviens quand, avec les potes, on s’est tirés d’une embuscade dans la jungle vietnamienne ? Car, ici, le multijoueur est roi, le court mode “aventure” n’étant que le terrain d’entraînement (ou la bande-annonce) des affrontements à plusieurs. Les parties de gendarmes et de voleurs ont changé de siècle. Sur le plan ludique comme par son propos américano-centré, Black Ops radote spectaculairement. Mais il a l’élégance d’offrir aux joueurs des outils assez élaborés pour façonner leurs propres morceaux de bravoure. Erwan Higuinen Call of Duty – Black Ops Sur PS3, Xbox 360, Wii et PC (Treyarch/Activision, de 60 à 70 €)

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Sonic ressuscité En se rafraîchissant à la source Mario, le hérisson bondissant de Sega retrouve des couleurs. tait-ce il y a cinq, dix ou quinze ans ? Les avis sont partagés, mais une chose est sûre : le dernier vrai grand jeu Sonic ne date pas d’hier. L’annonce d’un Sonic the Hedgehog 4 distribué via internet avait suscité de grands espoirs. Mais, aussi touchant soit-il, c’est d’une manière bien peu inspirée que son épisode 1 singe le style des Sonic nineties. On attendait sans doute moins le très enfantin Sonic Colours. On avait tort. Alternant passages vus de dos et phases 2D représentées de profil, le jeu parvient nettement mieux que les précédents à marier vitesse et lisibilité, ne sacrifiant jamais le

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gameplay à la mise en scène de ses parcours vertigineux. Situés dans un parc d’attractions interstellaire, ces derniers séduisent d’ailleurs aussi par leur fantaisie – qui résisterait à la tentation de foncer tête baissée dans un tas de pop-corn géant ? Et là où certaines “innovations” passées (l’épée de Sonic et le Chevalier noir, le hérissongarou de Sonic Unleashed) laissaient au mieux perplexe, les transformations qu’offrent à notre héros, en lui transmettant leurs pouvoirs, les petits extraterrestres mignons qu’il est venu secourir (oui, enfantin, on a dit) apportent vraiment une nouvelle dynamique au jeu.

Red Dead Redemption : Undead Nightmare

Un peu comme les fameuses métamorphoses d’un certain plombier à moustache ? Précisément, et les membres de la Sonic Team ont, semble-t-il, beaucoup apprécié Super Mario Galaxy, dont ils s’inspirent presque ouvertement, jusque dans la conception des écrans où le joueur choisit son niveau. On a connu pire modèle, et cette influence ne fait heureusement pas perdre sa personnalité à l’ami Sonic. On dirait même bien qu’il l’a enfin retrouvée. E. H.

Sur Xbox 360 et PS3 (Rockstar, environ 10 € en téléchargement) Plus à la mode que jamais, les zombies débarquent dans Red Dead Redemption. Une nuit, un type à la démarche raide et aux vêtements ensanglantés pénètre dans la ferme de la famille Marston. C’est le début d’une nouvelle aventure à part entière pour ce cher John, invité à célébrer, dans un esprit doublement cinéphile, le mariage étonnamment harmonieux de l’épouvante et du western. Comme avec les épisodes dérivés de GTA IV, Rockstar en profite pour porter un regard un rien facétieux sur l’univers d’un jeu qui restera comme l’un des plus marquants de 2010.

Sonic Colours Sur Wii (Sega, environ 50 €) Sonic the Hedgehog 4 – Episode 1 Sur PS3, Xbox 360 et Wii (Sega, environ 15 € en téléchargement)

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mécanique céleste Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

Voix royale des inconstants Guillemots, Fyfe Dangerfield s’offre une escapade en solo avec un disque riche et majestueux, approuvé par Paul McCartney en personne.

Q  

uelques minutes avant l’un de ses concerts londoniens, Fyfe Dangerfield eut il y a quelques mois la surprise de voir débarquer dans sa loge un spectateur un peu spécial : “Bonjour, je voulais juste te dire que je ne pourrai pas rester jusqu’à la fin. Donc, si tu me vois sortir de la salle, ne te vexe pas, ça n’aura rien à voir avec toi…” L’homme en question s’appelle Paul McCartney, il fit jadis partie d’un groupe désormais présent sur iTunes. “C’était, comment dire, un peu surréaliste, confesse le jeune et beau gosse Fyfe. D’autant que je joue The Fool on the Hill sur scène, je ne sais pas s’il était encore présent à ce moment-là…”

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on connaît la chanson

pour des pommes

il chante comme plus personne ne chante aujourd’hui, soufflant une bourrasque de romantisme absolu Macca est un homme fidèle. Quelques années plus tôt, alors que Radio 1 l’invitait à passer ses disques préférés, il glissa dans la sélection Little Bear, le morceau qui ouvrait le premier album des Guillemots, groupe anglais inconstant dont Dangerfield est le chanteur, complimentant en connaisseur les “orchestrations magnifiques” de la chanson. Voilà le genre de dessert qu’un songwriter n’imagine même pas en rêve se voir servir sur un plateau d’argent. Jusqu’à la parution de Fly Yellow Moon, premier disque solo de Fyfe Dangerfield, on aurait pu trouver l’éloge un poil disproportionnée, car, malgré quelques fulgurances, les Guillemots n’ont jamais paru en mesure de faire mieux que Made-up Lovesong #43, somptueux single voltigeur de 2006. Jusqu’à Fly Yellow Moon, donc, paru en janvier en Angleterre et qui arrive ici à l’approche des fêtes, enrubanné comme le cadeau de Noël pop que l’on n’attendait plus. Ce contre-temps, Fyfe Dangerfield le vit, lorsqu’on le rencontre, comme un étrange décalage horaire, lui qui vient de terminer le mixage du troisième album des Guillemots et brûle d’envie d’en parler, remisant presque cette incartade solo au rang de vieux boulet nécessaire : “Après Red, le deuxième Guillemots, j’ai ressenti le besoin de prendre un peu l’air. Nous étions déboussolés, ce disque n’était pas celui que nous voulions faire, même si j’aime bien certaines chansons. Comme j’avais quelques demos qui n’entraient pas dans le cadre du groupe, ça a fini par faire un album.” Ces “quelques demos”, une fois habillées, ressemblent à un défilé princier et gracieux, aux variations de styles nombreuses, du plus enflammé au plus intimiste, conviant dans la même ronde la pop emphatique d’Electric Light Orchestra (She Needs Me) et le folk en contre-jour d’un Nick Drake (Don’t Be Shy), plaquant la moustache de Lee Hazlewood sur le visage de porcelaine de McCartney (So Brand New). “J’ai grandi en écoutant des disques comme Revolver, où l’on trouvait des chansons aussi dissemblables que Got to Get You into My Life et Here, There and Everywhere. Ce genre de contraste ne m’a jamais dérangé, j’avais même pour volonté première que ce disque apparaisse très éclaté, sans fil conducteur.” Le vrai lien, solide d’un bout à l’autre de l’album, c’est incontestablement sa

voix, d’une puissance extraordinaire, qu’il module avec l’agilité et la précision d’un trapéziste, et dont les numéros anciens avec les Guillemots n’avaient pas révélé toute la souplesse. Sur le grandiose Barricades, ballade panoramique aux accents country façon Jimmy Webb, il chante comme plus personne ne chante aujourd’hui, le cœur gonflé à bloc, d’imperceptibles gerçures au bord des lèvres, soufflant quelque chose comme une bourrasque de romantisme absolu. Juste derrière, chanté le nez au vent sur fond de cris de mouettes, High on the Tide rappelle les grandes heures de Squeeze et d’une certaine majesté anglaise dont, là encore, plus personne n’ose s’approcher. Un monde normalement constitué aurait déjà dû célébrer avec tous les superlatifs du dictionnaire les tubes évidents que sont So Brand New ou Faster than the Setting Sun. Si Fly Yellow Moon a reçu plus de distinctions qu’un général d’Empire dans toute la presse britannique, c’est banalement par la publicité que Fyfe Dangerfield a pénétré l’oreille du grand public. Malheureusement, pas avec l’une de ses chansons mais grâce à une reprise anonymement orthodoxe de She’s Always a Woman du milliardaire Billy Joel. “Je n’ai aucune gêne à assumer cette reprise, que nous avons d’ailleurs rajouté en bonus à la nouvelle édition de l’album. J’ai toujours beaucoup aimé Billy Joel, je me fous que la plupart des gens le trouvent ringard, je me moque de ce qui est cool ou ne l’est pas. Sinon, je n’aurais jamais découvert Electric Light Orchestra, qui est l’un de mes groupes préférés.” Un jour, Fyfe Dangerfield traversera l’Atlantique et verra peut-être apparaître dans sa loge la grosse tête botoxée du vieux Billy. Christophe Conte photo David Balicki Album Fly Yellow Moon (Wrasse Records/Naïve) www.fyfedangerfield.com

Longtemps pomme de discorde, le catalogue des Beatles est finalement disponible sur iTunes. Mouais. Quand deux mastodontes de l’annonce en grande pompe unissent leurs forces de propagande, ça fait très mal. Surtout lorsque ces deux énormes machines à vendre du rêve portent le même nom, lequel fut longtemps entre eux juridiquement une grosse pomme de discorde. Apple Corps, maison qui gère le catalogue des Beatles, et Apple Inc., marchand d’“i” en tout genre, ont ainsi mis en scène avec force effets de teasing l’arrivée des Rois mages de la pop dans la crèche du petit Jésus des geeks, Steve Jobs. Compte à rebours planétaire alimenté des rumeurs les plus folles sur tous les forums de Mac addicts (où l’on spéculait sur l’arrivée du streaming sur iTunes, de la mise en ligne des bootlegs de Jean-Louis Aubert, des trucs insensés). Slogan tout en nuances – “Demain est juste un autre jour. Que vous n’oublierez jamais”, alors que “Tomorrow Never Knows” aurait été plus indiqué – et, au final, roulement de tambours, l’oracle de Cupertino levait enfin le voile sur l’événement qui allait changer notre vie à tout jamais : les Beatles débarquent sur iTunes. Ouais. On modère notre enthousiasme, désolés de jouer les rabat-joie, car voyez-vous, les disques des Beatles sont en vente libre depuis un certain temps déjà. L’an dernier, ils ont même eu droit à un beau nettoyage et, depuis, on connaît tous quelqu’un qui les possède, un ami ou un gérant de médiathèque, et si on veut à tout prix les emporter avec soi, il y a bien des moyens d’éviter de repasser à la caisse. Surtout qu’à 1,29 euro la chanson (au lieu de 0,99), ça fait quand même cher pour Quatre garçons dans le vent numérique. Et puis, un tas de mp3 au pied du sapin, franchement,on se demande bien qui ça fait rêver.

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François Goetghebeur

un Gallagher en concert Vanessa Paradis retourne au château L’été dernier, Vanessa Paradis déshabillait son répertoire lors d’une tournée de vingt concerts acoustiques, magnifiés par les arrangements de son complice Albin de la Simone. Deux prestations furent notamment données dans l’enceinte de l’opéra royal du château de Versailles, les 11 et 12 juillet. La chose, qui a été filmée, fait cet hiver l’objet d’un album et d’un DVD live, Une nuit à Versailles. Le documentaire est signé François Goetghebeur, réalisateur du film live Impromptu au jardin du Luxembourg d’Alain Chamfort.

Beady Eye, le nouveau groupe de l’ex-Oasis Liam Gallagher, dont le premier album est annoncé pour le début 2011, fera ses premiers pas sur scène cet hiver. Le groupe se produira au Casino de Paris le 13 mars.

cette semaine

Sexy Sushi en concert

Frida Hyvönen

Paris fête la Suède Pendant une semaine, la scène musicale suédoise s’invite à Paris. Du 1er au 6 décembre, la Flèche d’Or, la Maroquinerie, le Point Ephémère et l’Institut suédois recevront Jay-Jay Johanson, Yaya Herman Dune, The Concretes – dont l’album WYWH est passé trop inaperçu en France – ou encore Frida Hyvönen.

Sur scène, elle boit comme un trou, hurle dans son micro, lance des chaises sur le public, montre ses seins. Lui, il danse comme un autiste. Sexy Sushi, duo electro français foutraque, vient faire sa fête à la Cigale. Le 3 décembre à Paris

PJ Harvey fixe le rendez-vous Presque quatre ans ont passé depuis le dernier album solo de la reine du rock anglais PJ Harvey. Annoncé depuis des semaines, le disque a désormais une date de sortie : Let England Shake verra le jour le 14 février. PJ Harvey a enregistré la chose dans une église du XIXe siècle dans le sud de l’Angleterre, avec son complice Flood à la production. Pour mémoire, la musicienne passera par la scène de l’Olympia les 24 et 25 février.

neuf Laurent Chouard

Dr Feelgood

Young Marble Giants

La Femme

Kisses

Avec cette étrange troupe basée, la veinarde, au pays Basque, c’est tous les jours la journée de La Femme. Des voyous, des play-boys, une fée, des surfers, et des petits génies de la garage-pop et du psychédélisme en short : La Femme est très accueillante. Et tourne, en décembre, aux Etats-Unis. Important. www.myspace.com/lunaetlescontacts

On reviendra très vite sur le premier album, étincelant, de ces Californiens qui veulent massacrer l’hiver à grand renfort de soleil orange, de disco à paillettes, d’euphorie bouge-tes-fesses. Du groove pour dandys raffinés et beautiful people à hanches légères. www.myspace.com/blowkissess

Indémodable car jamais à la mode, le son minimal et chancelant des Young Marble Giants fut l’un des trésors les plus étranges des années new-wave : de la pop nostalgique chantée sur une boîte à rythmes épuisée, une basse en caoutchouc et un orgue Farfisa songeur. Le groupe joue au festival Midi à Hyères le 10 décembre : événement. www.myspace.com/youngmarblegiants

Avant le punk, quelques teignes londoniennes faisaient déjà chauffer la colle – prête à être sniffée par la génération néant. Parmi eux, les banlieusards frénétiques de Dr Feelgood, qui seront le maillon agité entre les swinging sixties et la fièvre punk. L’excellent documentaire de Julien Temple, Oil City Confidential, retrace cette épopée sans chichis. Il sort en DVD. www.drfeelgood.org

vintage

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bombes à retardement Deux concerts en France et six rééditions explosives : alerte orange sur le pays, avec le retour de Jon Spencer Blues Explosion, groupe en rut toujours sur la route.



loignez les enfants, appelez les démineurs : le Jon Spencer Blues Explosion revient. Deux dates en France (le 7 décembre à Paris, le 8 à Lyon), pour fêter la réédition de six albums totémiques (agrémentés d’innombrables raretés) du meilleur groupe du monde des années 1990. Aux années 2000, le retour du rock, avec les vaillants

White Stripes, les puristes Black Keys ou l’esthétique Legendary Tigerman. Ces trois-là, malgré tout le bien qu’on en pense, ne sont que les répliques d’un séisme qui a secoué toute la décennie précédente : le Jon Spencer Blues Explosion, un trio (comme Elvis en 1955, les Stooges ou les Beastie Boys) de pyromaniaques hyperactifs, déclarant sa flamme aux plus grands mythes de la musique

américaine. Comme un équivalent musical à la filmographie de Tarantino. Avant le retour du rock’n’roll, le Jon Spencer Blues Explosion a incarné le rock’n’roll tout court. On en n’est pas encore revenus. Year One (compilation, 2010). Les erratiques deux premiers albums du JSBX de 1992 (il en existe plusieurs versions, que cette réédition compile en 38 titres) sont moins une porte d’entrée dans la discographie du trio qu’un chantier. Le gros œuvre (collision entre blues, rock’n’roll et punk-rock arty) est terminé, mais la production est brute, voire inexistante. Frontalement sexy, mais pas encore fantasmatique. Extra Width (1993). Entre New York (où ils vivent) et Memphis (dont ils rêvent), le Blues Explosion enregistre son premier grand disque. Rock de peep-show par une nuit de pleine lune. Rencontre illicite entre les musiques noires du Sud américain et trois jeunes punks en rut. Juteux. Orange (1994). Pochette sublime (l’emblématique theremin de Jon Spencer sur fond argenté) et musique hallucinée : déluge de cordes et de break-beats, production mirifique, on croirait Captain Beefheart avec l’orchestre d’Isaac Hayes. Folie des glandeurs et blues-punk bling-bling. Longtemps introuvable, Orange est un chef-d’œuvre, l’album qui fait rougir. Now I Got Worry (1996). Toujours rouge, mais de colère. Retour à la terre, brûlée. A l’époque, le groupe signe avec une major. Et en profite pour sortir un album intransigeant, violent, abrasif, horrifique, congestionné, funky jusqu’à la mort par asphyxie. Special guests : Money

Mark et le légendaire soulman de Memphis Rufus Thomas. Controversial Negro (1997). Accusé par quelques journalistes américains politiquement corrects de singer et dénaturer la musique noire, le Blues Explosion met fin à la polémique avec ce live orgiaque enregistré à Tucson, dans l’Arizona. Ce serait encore mieux avec les images : ceux qui ont vu le groupe sur scène à l’époque ont encore les oreilles qui sifflent et des étoiles dans les yeux. Acme (1998). Sur son dernier très grand disque, le Blues Explosion invite le hip-hop et la guitare acoustique, Alec Empire et Dan The Automator, les scratches et Othar Turner (un proto-bluesman du Mississippi, âgé de 90 ans à l’époque). Toujours beaucoup de contrastes, mais plus de clarté, de douceur et de songwriting. Une métamorphose réussie, mais éphémère : les deux albums suivants, sortis en 2002 et 2004 et pas réédités, sont les pétards mouillés du Blues Explosion. Stéphane Deschamps Albums Year One Extra Width Orange Now I Got Worry Controversial Negro Acme (Shout! Factory/Differ-ant) Concerts le 7 décembre à Paris (Elysée Montmartre), le 8 à Lyon (Ninkasi) www.thejonspencerblues explosion.com

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Obel au bois chantant Un piano, une Danoise et une collection de ballades à la pureté désarmante : voici Agnes Obel, belle belle belle comme la nuit.

S

ur la pochette de son album, Agnes Obel ne sourit pas. Elle pose : cheveux tirés vers l’arrière, regard bleu-vert austère, pull de grand-mère. Le fond est sombre, le visage pâle, l’air grave : pour un peu, on croirait observer un portrait mormon, une photo échappée de la série Big Love. Mais non. Agnes Obel, que les plus chanceux ont pu apercevoir sur la scène de la Boule Noire lors du dernier Festival des Inrocks, est danoise, et vit à Berlin depuis quelques années, avec deux pianos dans son appartement. Un deux pièces qu’on devine cosy et gentiment désuet, sans écran plat dans le salon, presque éclairé à la bougie. Sa musique, d’ailleurs, semble ne connaître la ville allemande que pour mieux faire le mur : on l’imagine plus souvent côtoyer les arbres que le béton. Car sur Philharmonics, son premier album, Agnes Obel joue des chansons pour la forêt, ou des chansons pour la nuit, ou des chansons pour les deux en même temps. Nulle raison d’avoir peur pour autant : il y a, dans ces ballades à la mélancolie profonde, la clarté et la noblesse rassurante des disques de chevet. Obel chante dans les bois pendant que le loup n’y est pas, et le loup ne sait pas

ce qu’il rate. Timbre de voix à la pureté rare (Just So), mélodies flamboyantes apprises chez Erik Satie (Brother Sparrow, le déjà classique Riverside), comptines à col roulé : Agnes Obel pourrait être la petite sœur de Fredo Viola pour cette façon d’atteindre la lune avec des bouts de ficelle, de grimper l’Eyjafjöll à mains nues. Solitaire, la jeune femme a des amis imaginaires formidables : elle revisite ainsi Close Watch de John Cale, et sa reprise, éclatante, semble faire convoler Scarlett Johansson et Keren Ann. Plus tard, sur un Over the Hill désarmant, Agnes Obel ne fait plus penser à personne, mais à elle-même. Ce qui est déjà formidable. Johanna Seban photo David Balicki Album Philharmonics (Pias) www.agnesobel.com En écoute sur lesinrocks.com avec

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Various artists

Fil Zuzarte

The Secret Museum of Mankind – Ethnic Music Classics : 1925-48 Vol. II & III Out/Orkhêstra

Timber Timbre Timber Timbre Full Time Hobby/Pias Sublime album de folk-soul venu du Canada : faites de beaux rêves. La faute à une actualité chargée, on a failli passer à côté de l’album de Timber Timbre. Paru il y a quelques mois, le disque des Canadiens se hisse pourtant, dès la première écoute, dans les hauteurs du classement de l’année. Dépouillement folk, voix de velours et musicalité désarmante : Timber Timbre agence ici rien de moins que ce qui pourrait être le meilleur album de Bon Iver. C’est à son leader Taylor Kirk qu’on doit cet accès privé aux étoiles, et ce garçon mérite l’amour : le jeune homme possède une voix ahurissante, chantant comme le plus légitime héritier de Leonard Cohen, comme le fils imaginaire de M. Ward et Bill Withers. Car c’est dans les contrées soul que se promènent les folk-songs de Timber Timbre : des petites comptines qui portent en elles la grandeur des classiques. La preuve, en trois minutes et trente secondes sublimes, avec ce Demon Host vertigineux qui ouvre les réjouissances – on n’avait pas entendu ballade aussi simple et bouleversante à la fois depuis Over the Rainbow. J. S.

Panorama faramineux de trésors oubliés de la world music. Musiques occultes, et disques cultes : en 1995, le label Yazoo lance une série intitulée The Secret Museum of Mankind, compilations en CD de rares 78t venus de la terre entière. Une série de référence, les incunables des musiques du monde (du Mozambique au Tibet en passant par Porto Rico ou la France), dont la découverte bouleverse tout un tas de musiciens, et ouvre la voie pour d’autres labels archéologues. Fêtons les quinze ans de The SMOM avec l’édition des compilations dans un format qui leur va au teint : le 33t vinyle, pour que l’usure d’écoutes répétées s’ajoute aux craquements des enregistrements originaux. Stéphane Deschamps www.orkhestra.fr En écoute sur lesinrocks.com avec

www.myspace.com/timbertimbre En écoute sur lesinrocks.com avec

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Cass Bird

Free Energy Stuck on Nothing DFA/EMI Produit par James Murphy, le rock bien branleur de jeunes Américains. En 1978, les puristes brûlèrent en autodafé quelques langues mortes et pochettes de vinyles : les Rolling Stones avaient trahi, passant à la disco le temps d’un pourtant très cool et moite Miss You. Plus de trente ans après, de jeunes godelureaux de Philadelphie, aux riffs hérités de Keith, viennent eux aussi à New York se faire produire dans la fournaise disco : chez le grand James Murphy. Il y avait énormément à attendre de la rencontre entre les guitares débraillées, crâneuses et nonchalantes des jeunes Américains et la science du beat assassin du cerveau de LCD Soundsystem. Mais le rendez-vous, malheureusement, n’a pas toujours lieu sur ce premier album, qui voit le groupe, et ses obsessions pour la guitare branleuse (le glorieux axe Cars/Pavement/Weezer, notamment sur l’immense Bang Pop), rester trop souvent imperméables à la musique de danse, des fesses et de la liesse. Pourtant, quand cette power-pop pirouette sous la boule à facettes, quand ces refrains glam outranciers accueillent cuivres et beats lourds dans le patte d’éph, ce premier album manie avec une habileté insolente tous les clichés du genre – et donne envie, sans la moindre hésitation, d’envahir le dance-floor poing et bracelet éponge fluo levés, en toute hystérie connective. JD Beauvallet

Darkstar

www.freeenergymusic.com En écoute sur lesinrocks.com avec

Gaël Lombart

North Hyperdub/Pias Les mélanges anglais continuent : la pop irrigue ici le dubstep. Dès ses premiers singles (dont Aidys Girl Is a Computer, présent ici), le duo Darkstar montrait sa volonté de sortir des émotions de ses machines, fût-ce au moyen de vocoders atones, tranchant ainsi avec le monde clinique du dubstep. Rejointe par le chanteur James Buttery, la paire marque cette fois une rupture franche, et livre un recueil de complaintes intimistes, de pop mélancolique. Cette orientation peut déconcerter : Darkstar a décidé de ne plus utiliser le son de Londres comme matrice mais comme une simple influence. Faire un premier album à contrecourant de soi-même, c’est presque une marque d’affectation. Mais North et ses ambiances vaporeuses touchent suffisamment juste, écoute après écoute, pour briser la glace. www.myspace.com/hyperdub

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Bear In Heaven Beast Rest Forth Mouth Hometapes/Differ-ant

Ben’s Symphonic Orchestra Island on a Roof Tatave/Musicast La pop sans frontières ni collier d’un petit génie français. En concert à Paris. Une île sur un toit ? Très haut, assurément. On croyait qu’aucun homme n’était une île : Ben’s Symphonic Orchestra fait mentir le poète. Car Benoît Rault, maître d’orchestre et d’œuvre, reste une île. Même quand il était courtisé par l’Angleterre, île par excellence où il aurait pourtant pu s’amarrer avec naturel, l’orchestre siphonné de Ben resta une île. Génie trouve-tout du home-studio, il a depuis belle lurette appris à bâtir vaste et fastueux à partir d’éléments de récupération (pop lo-fi, chansons en allumettes, BO exotiques, torch-songs à la Scott Walker, funk Emmaüs…). Ça continue sur ce nouvel album, riche en facéties, en grooves de traviole, en fausse facilité à l’évidence gagnée à la pioche à la matière, aux strates soniques : il rejoint ainsi une caste d’excentriques sans collier, aussi nonchalants d’apparence qu’ambitieux et maniaques en vérité. JDB Concert le 1er décembre à Paris (International) www.myspace.com/benssymphonicorchestra En écoute sur lesinrocks.com avec

Un prodige de pop barrée venu de Brooklyn, bave aux lèvres. A croire que Brooklyn est favorable aux plantigrades : après Grizzly Bear et Panda Bear, c’est Bear In Heaven qui se fait une place au sommet de la chaîne alimentaire pop, grâce à la contagieuse mélodie d’Ultimate Satisfaction ou aux échos païens de Dust Cloud, dans ce chef-d’œuvre de psychédélisme bien léché. David Sitek et Blonde Redhead peuvent numéroter leurs abattis. Bear In Heaven a les crocs. Un second album offre des remixes signés d’une élite indocile. Benjamin Mialot www.bearinheaven.com

Ravi Shankar L’Extraordinaire Leçon (DVD, Accords Croisés/ Harmonia Mundi)

Marie Planeille

Sur scène, une leçon d’humanité et de musique par le vénérable Indien. Le premier concert de Ravi Shankar à Paris date de 1931 ! Le 1er septembre 2008, à la salle Pleyel, Ravi revient. Le plus célèbre musicien indien, vrai sitar hero de Woodstock et prodigue transmetteur de son patrimoine aux Beatles, conte sa musique comme à la veillée, virtuosité et pédagogie mêlées. Cette Leçon, filmée par Frédéric Le Clair, ne constitue pas un chapitre d’apprentissage d’une pratique instrumentale (façon “le sitar pour les nuls”) : si leçon il y a, c’est celle, très humaine, d’un artiste inouï qui tente d’englober l’univers dans ses harmonies magiques. Christian Larrède www.ravishankar.org 1.12.2010 les inrockuptibles 89

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Panico

Nouvelle Vague Couleurs sur Paris Kwaidan Records/Barclay/Universal Nouvelle Vague arrête de relifter la new-wave anglo-saxonne et donne des couleurs à la pop française. es rois de la bossa-nova raplapla, les pros de la new-wave réchauffée à la cachaça, Marc Collin et Olivier Libaux, sont de retour. Fini, pourtant, les relectures de standards de la new-wave et du post-punk dont ils se fendent depuis une demi-décennie et une tendance de plus en plus marquée au fil des ans pour la musique de croisière. Tout ça, c’est du passé, c’était avant Couleurs sur Paris. Qu’a-t-il de plus par rapport aux albums précédents ? De vrais interprètes et un répertoire moins inattaquable (les années 80 en France, c’est mignon, mais à côté de Depeche Mode ou The Cure, c’est vite plié), donc supportant mieux le lifting à coups de rythmiques de cheval au trot et de guitares taillées dans du bois d’anacardier. Le résultat, à l’image des précédents, reste forcément inégal. Il y a des gadins (Cocoon étonnamment absent, Charlie Winston…), des épiphanies (Yelle particulièrement bienveillante avec l’Ophélie de Jade Wio, Vanessa Paradis craquante sur le Week-end à Rome de Daho) et des amours confortées (Emily Loizeau qui adoucit les Noir Désir de Bertrand Cantat sur Où veux-tu qu’je r’garde, Adrienne Pauly nickel en doublure de Catherine Ringer). Mais cette fois, révélations et coups de cœur sauvent résolument le reste des vagues. Benjamin Mialot

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Kick Tigersushi/Modulor Pierre René-Worms

Adrienne Pauly reprend Marcia baila

Les Franco-Chiliens continuent les alliages brûlants entre punk et funk. Découvert dans le furieux brasier punk-funk des années 2000, Panico aurait pu suivre !!! dans la voie de l’expérimentation hirsute ou The Rapture dans le recul salvateur. Mais les Franco-Chiliens ont choisi de rester dans leur pré carré. Pas par immobilisme : juste pour y cultiver mieux encore, en creusant les sous-sols jusqu’au magma, leurs épineux hybrides. Psychédélisme, shoegazing ou dreampop, poussés au vice par une basse carnassière, des rythmes débauchés et des guitares droguées, sont ainsi condamnés à une danse hystérique, païenne. JD Beauvallet www.panicoband.com En écoute sur lesinrocks.com avec

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Alain Grodart

Applause Applause 3ème Bureau/Wagram Le rock épique et escarpé d’ouvriers belges très qualifiés. h ça, pour se plaindre délicieuse sensation d’abandon des ouvriers chinois, que procure la musique y a du monde. Par contre, d’Applause. Leur premier ep, les rockeurs belges qui convoque le groove vespéral et leur manie de repeindre nos de The National (White Rabbit) bacs de disques aux couleurs et la préciosité malade de des ducs de Brabant, tout le Radiohead (The Lighthouse), est monde s’en bat les Pépito. A vrai un éloquent préambule à l’album dire tant mieux, un embargo sur qui paraîtra début 2011. Sous nos les disques de Deus, Millionaire applaudissements bien sûr. B. M. et consorts relèverait non seulement de la non-assistance www.myspace.com/weloveapplause à mélomanes en danger, mais En écoute sur lesinrocks.com avec il nous aurait aussi privés de cette

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Sufjan Stevens Too Much Un Sufjan Stevens bigarré a un peu lâché les élastiques en jouant une version fofolle de Too Much au Late Night with Jimmy Fallon. Costumes d’anges fluo, paillettes à gogo, morceau dingue. www.lesinrocks.com

Mogwai Rano Pano Le hardcore ne mourra jamais, mais vous oui : c’est ce qu’explique le titre du prochain Mogwai, annoncé pour février et dont un premier morceau, capiteux, sombre et magnifique, est à télécharger. www.mogwai.co.uk

Pollux From Rio Hold My Hand (& Dance!) Entre aventures soniques et naïveté fluo, les morceaux de Pollux From Rio demandent l’asile politique à Brooklyn, maison mère de tous les frotti-frotta entre electro dévergondée, rock lascif et funk raide. “Prends ma main et danse”, dit celui-ci. D’accord. www.cqfd.com/polluxfromrio/

Titi Robin Les Rives Gitan, donc nomade, le musicien Titi Robin est lancé dans un vaste projet nommé “Les Rives”, entre Inde, Turquie et Maroc. Il partage ses travaux, ses impressions, sa culture et ses découvertes musicales sur un blog beau comme un carnet de voyage. www.les-rives.thierrytitirobin.com 1.12.2010 les inrockuptibles 91

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Dès cette semaine

Festival AÄÖ! Du 1 au 6/12 Paris, Maroquinerie, Institut suédois, Flèche d’Or, Point Ephémère, avec Jay-Jay Johanson, Nina Kinert, Bye Bye Bicycle, Frida Hyvönen, etc. Aaron 14 & 15/12 Paris, Casino de Paris Adam Kesher 1/12 Rouen

The BellRays 4/12 Istres Best Coast 3/12 Paris, Nouveau Casino Black Rebel Motorcycle Club 1/12 Paris, Elysée Montmartre The Black Keys 15/3 Paris, Olympia, 16/3 Nantes, 25/3 Lille

Angus & Julia Stone Entre euphorie pop et spleen folk, le duo australien déballait cette année un album d’épatants tubes artisanaux. Le cadre splendide du Trianon devrait leur aller comme un gant. 1/12 Caen, 2/12 Lille, 26, 27 & 28/4 Paris, Trianon Anoraak 2/12 Angers, 16/12 Strasbourg, 18/12 Marseille Babet 16/12 Rouen, 17/12 Limoges, 18/12 Lyon, 28/1 ClermontFerrand, 29/1 Savignyle-Temple, 11/2 Magnyle-Hongre Baden Baden 3/12 Tulle, 4/12 Bordeaux, 10/12 Lyslez-Lannoy, 11/12 Paris, Flèche d’Or Bars en Trans Du 9 au 11/12 Rennes, avec Applause, Axel & The Farmers, My Little Cheap Dictaphone, You & You, April Shower, Hangar, Mai, Mr. No, Quadricolor, Twin Sisters, Nasser, Twin Twin, Cascadeur, Lonely Drifter Karen, Florent Marchet, etc. Bertrand Belin 1/12 Paris, Boule Noire

Benjamin Biolay 11/12 Villefranchesur-Saône Sarah Blasko 1/12 Strasbourg, 2/12 Lyon, 4/12 Paris, Café de la Danse Born Ruffians 2/12 Lille, 3/12 Paris, Maroquinerie, 4/12 Lyon, 6/12 Rouen, 7/12 Strasbourg Cali 16/3 Caen, 17/3 Angers, 18/3 Le Mans, 22/3 Rouillac, 23/3 Rouen, 24/3 Brest, 31/3 Luxembourg, 1/4 Reims, 7/4 Avignon, 8/4 Marseille, 12/4 Strasbourg, 13/4 ClermontFerrand, 22/4 Bourgen-Bresse, 4/5 Paris, Zénith, 5/5 Lyon, 7/5 Besançon, 11/5 Nantes, 12/5 Toulouse, 13/5 Pau, 14/5 Montpellier, 18/5 Bordeaux, 19/5 Rennes, 21/5 Grenoble Cascadeur 7/12 Paris, Point Ephémère, 10/12 Rennes, 15/12 Belfort, 16/12 Mulhouse, 17/12 Mondorfles-Bains, 18/12 Dijon Chapelier Fou 2/12 Liège, 3/12 Bruxelles, 4/12 Soissons, 17/12 Lorient, 18/12 Limoges, 21/1 Bulle 18/2 Metz

Clarika 6/12 Paris, Palace Club Folamour! 17/12 Paris, Point Ephémère, avec Lo-Fi-Fnk, Dye, Small Black, Chad Valley, etc. Cocoon 1/12 Dijon, 2/12 Strasbourg, 4/12 Rouen, 7/12 Angers, 8/12 HérouvilleSaint-Clair, 12/12 Besançon, 13/12 Paris, Casino de Paris, 9/2 Lille, 10/2 Rezé, 11/2 Reims, 14/2 Lyon, 15/2 Marseille, 16/2 Ramonville, 16/4 Nice, 26/4 Paris, Olympia Curry & Coco (+ Katerine) 15/12 Rouen Custom Décembre 8/12 Paris, Nouveau Casino, avec The Dukes, Séverin, Funeral Party Daphné 14/1 Cormeilles, 12/1 Nantes, 28/1 Saint-Andréde-Cubzac, 7/2 Paris, Bouffes du Nord Delorean 13/12 Paris, Point Ephémère (+ Tanlines) The Dø 11/2 Rouen, 12/2 Alençon, 16/2 Dijon, 17/2 Strasbourg, 18/2 Nancy, 19/2 Poitiers, 23/2 Caen, 24/2 Rennes, 25/2 Vannes, 26/2 Angers, 9&10/3 Paris, Trianon, 16/3 Lyon, 17/3 Lausanne, 18/3 Zurich, 19/3 Nice, 23/3 Nantes, 24/3 Bordeaux, 25/3 Toulouse, 26/3 Montpellier, 27/3 Marseille, 6/4 Lille Festival Les Aventuriers Du 7 au 17/12 Fontenay-sousBois, avec I Am Un Chien!!, Hushpuppies, Da Brasilians, Lonely Drifter Karen, We Have Band, Invasion, Jessie Evans, The Bewitched

Hands, Luke, The Jim Jones Revue, Sonic Satellite, etc. Fool’s Gold 5/12 La Rochelle Fortune 9/12 Rennes, 17/12 Saint-Lô, 18/12 Morlaix

Chris Garneau Un an après la sortie d’El Radio, l’Américain continue de promener son songwriting ultra-intimiste. 4/12 Blois, 7/12 Angers, 8/12 Caen, 11/12 Paris, Café de la Danse Godspeed You! Black Emperor 14/1 Paris, Grande Halle de la Villette, 28/1 Marseille, 1/2 Toulouse Gossip 9/12 Paris, POPB, avec Metronomy, Hercules And Love Affair Cee-Lo Green 1/12 Paris, Trabendo PJ Harvey 24 & 25/2 Paris, Olympia Hey Hey My My 3/12 La Rochesur-Yon, 11/12 Magnyle-Hongre Jacques Higelin 3/12 Vernouillet, 7/12 Laon, 11/12 SainteMaxime, 14/12 Le Mans, 17/12 Morlaix, 14/1 Tarare, 21/1 Amiens, 22/1 Chelles, 27/1 Genève, 29/1 Béthune, 3/2 Toulouse, 10/2 Pau, 19/2 Carhaix, 25/2 Gien, 5/3 Tremblayen-France, 6/3 Suresnes, 15/3 Anzin, 24/3 Lyon Peter Hook “Unknown Pleasures” 10/3 Paris, Trabendo I Blame Coco 1/12 Paris, Nouveau Casino

Nouvelles locations

Iliketrains 17/12 Paris, Flèche d’Or Inrocks Indie Club décembre 17/12 Paris, Flèche d’Or, avec White Lies, Iliketrains, The Vaccines Joan As Police Woman 23/2 Paris, Flèche d’Or, 24/2 Lille, 1/3 Strasbourg Jay Jay Johanson 1/12 Paris, Maroquinerie The Jon Spencer Blues Explosion 7/12 Paris, Elysée Montmartre Katerine 7/12 Paris, Casino de Paris, 9/12 SaintEtienne, 10/12 Lausanne, 15/12 Rouen Klaxons 18/1 Toulouse, 19/1 Nantes, 20/1 Paris, Bataclan, 21/1 Caen The Lanskies 11/12 Bordeaux Madjo 3/12 Sannois, 4/12 Brétignysur-Orge, 8/12 Strasbourg, 12/3 Les Sablesd’Olonnes, 6/4 Saint-Quentin, 20/5 Paris, Cigale Florent Marchet 3/12 Cannes, 8/12 Lens, 17/12 Metz, 8/2 Montbrison, 17/2 Luxeuilles-Bains, 18/2  Annecy, 19/2 Fontaine, 25/3 Paris, Cigale, 29/3 Falaise, 1/4 Portes-lèsValence, 6/5 Sottevillelès-Rouen, 7/5 Châteauroux, 20/5 Avoine Melismell 17/12 Creil, 18/12 Epernon, 12/1 Chambéry, 21/1 Colmar, 17/2 La Bourboule Minitel Rose 28/1 Orvault, 6/2 Tours Mogwai 17/3 Paris, Trianon, 18/3 Lille, 19/3 Strasbourg, 20/3 Lyon, 21/3 Nice, 22/3 Toulouse,

En location

24/3 Bordeaux, 25/3 Caen Jean-Louis Murat 12/11 SaintChamond, 16/11 Nantes, 23/11 Paris, Alhambra Yael Naim 7 & 8/12 Paris, Café de la Danse, 20/1 Caen, 21/1 Rouen, 22/1 Alençon, 26, 27, 28 & 29/1 Paris, Cigale, 2/2 Angers, 3/2 Bordeaux, 4/2 Toulouse, 5/2 Marseille, 9/2 Strasbourg, 10/2 Grenoble, 11/2 Lausanne, 12/2 Nancy, 22/2 Le Mans, 23/2 Nantes, 24/2 Brest, 25/2 Rennes, 16/3 Lille, 17/3 Bruxelles, 19/3 Lyon JP Nataf 18/1 Paris, église Saint-Eustache Orquesta Aragon 23/12 Paris, Salle Pleyel, 11/12 Annecy, 14/12 Roubaix, 17/12 SaintQuentin-enYvelines, 19/12 Fréjus, 21/12 Martigues Raul Paz 7/12 Paris, Bataclan, 11/12 Rouen, 15/12 Cébazat, 16/12 Lyon, 17/12 Montpellier, 10/5 Montargis, 13/5 Noyon Phantom Buffalo 2/12 Bordeaux Pony Pony Run Run (+ !!! & Adam Kesher) 1/12 Rouen Omara Portuando & David Murray Cuban Ensemble 21/12 Paris, Salle Pleyel Rodrigo Y Gabriela 1/12 Paris, Trianon Roken Is Dodelijk 3/12 Béthune, 11/12 Magnyle-Hongre, 16/12 Mérignac Gaëtan Roussel 7/12 Toulouse, 9/12 Istres, 10/12 Reims, 11/12 Vars, 6/4 Paris, Zénith

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Small Black 16/12 Dijon, 17/12 Paris, Point FMR,19/12 Montbéliard Soulwaxmax 23/12 Paris, Grande Halle de La Villette, avec 2ManyDJ’s… The Specials 27/9 Paris, Olympia Youn Sun Nah 6/2 Schiltigheim, 8/2 Cusset, 9/2 Carquefou, 10/2 Lanester Syd Matters 4/12 Blois, 15/12 Hyères, 16/12 Montbéliard, 17/12 Dijon, 18/12 Mulhouse, 29/3 Paris, Olympia Tahiti 80 10/12 Rouen (+ The Bewitched Hands), 7/4 Paris, Bataclan These New Puritans 18/12 Paris, Centre Pompidou

Thieves Like Us 3/2 Strasbourg, 11/2 Lorient

aftershow

Martina Topley Bird 3/12 Bordeaux, 11/12 SaintEtienne, 13/12 ClermontFerrand, 14/12 Paris, Café de la Danse Transmusicales de Rennes Du 8 au 11/12, avec Funeral Party, Gonjasufi, Stromae, M.I.A, Matthew Dear, Janelle Monáe… White Lies 23/2 Tourcoing, 14/3 Toulouse, 18/3 Bordeaux, 19/3 Rennes, 22/3 Paris, Cigale Yelle 2/12 Paris, Flèche d’Or Hindi Zahra 2/12 Porteslès-Valence, 5/12 Berne, 9/12 Massy, 10/12 Conflans, 16/12 Rouen, 17/12 Beauvais

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Hole-in-Wall

Sexy Sushi 3/12 Paris, Cigale

Gorillaz Le 22 novembre au Zénith de Paris Cette année, on devait à Albarn le troisième volet du triptyque Gorillaz : un Plastic Beach mille-feuille et capiteux, au casting vertigineux (Snoop Dog, Mos Def, De La Soul, Gruff Rhys, Lou Reed). Côté distribution, la venue du groupe sur la scène du Zénith (deux soirs, affichant complet) n’a pas déçu non plus. Après deux premières parties signées Little Dragon et De La Soul, le concert débute avec une version explosive de Welcome to the World of the Plastic Beach : si Snoop Dog n’est présent qu’à l’écran, il y a déjà 28 personnes sur scène : la géniale fanfare de Chicago Hypnotic Brass Ensemble (neuf membres, dont huit frères, fils du jazzman Phil Cohran), des membres du National

Orchestra For Arabic Music venus de Syrie, Mick Jones et Paul Simonon de Clash… Décor somptueux, convives épatants (De La Soul, Neneh Cherry, Bobby Womack…), énergie monstrueuse : le concert de Gorillaz pourrait être une cérémonie d’ouverture de jeux Olympiques. Les tubes s’enchaînent (Feel Good Inc, Dirty Harry, Stylo, Clint Eastwood), les ballades sont bouleversantes (Melancholy Hill, Broken), les vieilleries créent la surprise (Punk, Tomorrow Comes Today). On frôle le ridicule lorsqu’Albarn brandit un drapeau blanc pour inviter les pays à faire la paix, mais on lui pardonne vite : bondissant comme aux premières heures de Blur, chantant comme un dieu, l’Anglais met le Zénith dans sa poche. Johanna Seban

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Virginia Woolf (1902)

Vita Sackville-West (1933)

l’être d’amour Frivole, profonde ou angoissée, la correspondance entre Virginia Woolf et sa maîtresse Vita Sackville-West dévoile un autre visage de l’auteur de Mrs Dalloway. Exaltant.



n ne saurait imaginer personnalités plus différentes. Leurs prénoms mêmes marquent le contraste entre les deux femmes. Vita, deux syllabes qui à elles seules suffisent à dire l’impétueuse vitalité de cette aristocrate anglaise, romancière et poétesse avec du sang gitan dans les veines, mariée à un diplomate mais qui ne cache rien de son homosexualité, et que Virginia juge d’abord “plutôt rougeaude et noire et gauche”. En face, se dresserait, hiératique, la figure virginale de Virginia, reine inaccessible des lettres anglaises, vulnérable et réservée. Une image dans laquelle l’auteur d’Une chambre à soi a bien trop souvent été figée, comme statufiée. Déjà, sa correspondance avec l’écrivain et critique Lytton Strachey parue l’an passé venait dépoussiérer le mythe Woolf, montrant la romancière sous un jour facétieux et séducteur. Les lettres échangées pendant dix-huit années avec sa maîtresse Vita Sackville-West contribuent elles aussi à refaçonner notre représentation de Virginia Woolf, l’éclairant d’un jour nouveau.

Au fil de cette correspondance, les nuances se dessinent, les deux femmes – terriblement attachantes – sortent du rôle dans lequel il serait si facile de les tenir enfermées. Vita, la voyageuse, l’intrépide, fait part de ses doutes d’écrivaine, de sa quête de solitude. Quant à Virginia, elle se révèle bien moins éthérée que sa légende le laisse croire. Espiègle, elle aime échanger des gossips mondains avec son amie, avoue parfois être “pompette”, parle librement de sodomie et peut se montrer coquette ou aguicheuse derrière de pudiques non-dits : “Si je te voyais me donnerais-tu un baiser ? Si j’étais au lit, est-ce que tu me –”. Dans une société encore très corsetée, elles font toutes deux preuve d’une liberté de mœurs et de ton avant-gardiste et audacieuse, mais qui n’est pas toujours tolérée. Ainsi,

au-delà de l’attrait physique, un lien bien plus puissant les unit, celui de la littérature

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en marge

non-sens

Rue des Archives/BCA/Stock

exubérante lady Née Victoria Mary SackvilleWest en 1892, Vita a mené une vie aussi riche que libre. Son mariage avec Harold Nicolson est très ouvert. Chacun entretient des liaisons homosexuelles de son côté. Avant son histoire avec Virginia Woolf, Vita a vécu une relation passionnée avec la romancière Violet Trefusis. Elle accompagne son mari diplomate en Iran, en Allemagne, et se consacre à son œuvre. Parmi ses textes les plus célèbres, The Edwardians et All Passion Spent. Entre les deux guerres, elle fréquente le groupe de Bloomsbury et remporte de prestigieux prix littéraires. Le jardinage sera sa dernière lubie. Elle meurt en 1962.

dans une lettre du 17 février 1926, Virginia Woolf écrit : “… J’ai eu des tas d’ennuis avec des parents à moi, des gens âgés. Trois vieux messieurs, aux alentours de la soixantaine, ont découvert que Vanessa (sa sœur) vit dans le péché avec Duncan Grant et que je suis l’auteur de Mrs Dalloway – ce qui équivaut à vivre dans le péché.” Leurs époux respectifs sont bien plus arrangeants. Au sujet de son mari Harold (lui-même bisexuel), Vita précise avec une charmante désinvolture : “Naturellement il n’est pas jaloux.” Les deux femmes se rencontrent lors d’un dîner en 1922. Virginia Woolf a alors 40 ans, elle a déjà écrit trois romans et jouit d’une réelle notoriété dans le monde des lettres. De dix ans sa cadette, Vita est un auteur à succès et Virginia, à la tête de la Hogarth Press avec son mari Leonard, souhaite publier son prochain livre. D’entrée de jeu, leur coup de foudre est moins physique que littéraire. Vita voue une grande admiration à Woolf – “Je compare mon écriture d’analphabète à la vôtre, si savante, et je rougis de honte” – et c’est son livre Séducteurs en Equateur qui finit de conquérir Virginia : “… C’est là le genre de chose que j’aimerais écrire moi-même”. D’abord intellectuelle, leur relation devient charnelle en décembre 1925. Le ton des lettres se fait dès lors nettement plus intime, s’agrémentant de “Ma chérie”, “Très chère créature” et de surnoms affectueux. Leur liaison tourne à la passion ardente, avec effusions et

Un livre peut disparaître, et peu semblent s’en émouvoir. Mais que font les habituels défenseurs de la liberté d’expression ? crises de jalousie, avant de s’émousser lentement, mais leur amitié ne se démentira jamais et se prolongera jusqu’à la mort de Virginia Woolf en 1941. Car au-delà de l’attrait physique, un lien bien plus puissant les unit, celui de la littérature. Si leurs échanges épistolaires se muent parfois en considérations délicieusement frivoles sur la poudre de riz, la coupe à la garçonne ou la dernière liaison d’untel, ils se nourrissent surtout de leurs réflexions sur l’écriture. Leurs lettres esquissent en creux un tableau de la vie intellectuelle de l’époque, mentionnant évidemment les membres du groupe de Bloomsbury, le critique d’art Clive Bell ou les peintres Roger Fry et Duncan Grant, mais aussi Aldous Huxley, H.G. Wells, Pirandello, Thomas Hardy, D.H. Lawrence… Au sein de ses multiples récits de voyage, Vita glisse toujours un mot de ses lectures : Proust qui la “met dans une telle rage”, Gide et bien d’autres. Leur communion atteint son apogée quand Virginia s’attelle à l’écriture d’Orlando, biographie fantasmée dans laquelle le héros, double reconnaissable de Vita, traverse les siècles et change de sexe. “La plus longue et la plus charmante lettre d’amour de la littérature”, écrira au sujet de ce livre Nigel Nicolson, le fils de Vita. Orlando-Vita répond à cette magnifique preuve d’amour par ces mots : “Ma chérie, je ne sais pas comment t’écrire, le désir même m’en est presque étranger, tellement je suis comblée et confuse de voir que tu as posé un vêtement aussi splendide sur un support aussi pauvre.” Mais, malgré l’apparente légèreté qui semble soustendre cette correspondance amoureuse, l’angoisse existentielle de Virginia la nimbe d’un voile plus sombre. Si, pour Vita, l’écriture s’apparente à un défi, pour Virginia il s’agit d’une plongée au fond d’elle-même beaucoup plus douloureuse : “Je crois que l’essentiel lorsqu’on commence un roman est d’avoir l’impression, non pas que l’on est capable de récrire, mais qu’il est là, qu’il existe de l’autre côté d’un gouffre, que les mots sont impuissants à franchir : qu’on ne pourra en venir à bout qu’au prix d’une angoisse à perdre haleine.” Celle-là même qui la poussera au suicide le 28 mars 1941. Elisabeth Philippe Correspondance 1923-1941 – Vita SackvilleWest/Virginia Woolf (Stock-La Cosmopolite), traduit de l’anglais par Raymond Las Vergnas, 576 pages, 2 4 €

Alors que la famille Stern assigne les éditions du Seuil et Régis Jauffret en justice plusieurs mois après la publication de son roman, Sévère, demandant le retrait du livre des librairies, peu d’écrivains et d’artistes ont semblé jusque-là s’en émouvoir. C’est d’autant plus étrange qu’ils s’étaient émus dix ans plus tôt au moment de “l’affaire Renaud Camus”. Une pétition avait circulé à la suite du texte que nous avions publié dans Les Inrockuptibles, dénonçant les passages antisémites du livre de Renaud Camus. Les pétitionnaires, donc, s’indignaient du risque que le livre soit censuré – ce que personne ne demandait –, et du “climat de violence inquiétant” ou de ce qu’ils ont appelé un “lynchage médiatique”. Où sont-ils à présent, ces pétitionnaires indignés, alors que des particuliers demandent par voie de justice le retrait d’un livre ? Et où est donc passé Renaud Camus, très ému par son propre sort il y a dix ans, beaucoup moins par le sort des autres écrivains depuis ? Eh bien, Renaud Camus continue son œuvre littéraire sur le net : “Le parti de l’In-nocence remarque que l’attention médiatique portée aux manifestations sociales contre la réforme du système de retraites ne parvient plus à dissimuler les graves désordres de caractère largement ethnique dont ces manifestations sont le prétexte et l’occasion. L’exaspérante parlure journalistique enfilant les termes codés tels que ‘jeunes’, ‘quartiers sensibles’ ou le honteux ‘milieux populaires’ n’est plus capable de cacher le quasi-monopole de la nocence dévastatrice et violente que s’arrogent les colonisateurs dans les zones qu’ils contrôlent déjà, telles que le centre de la capitale des Gaules, et ceux qu’ils ont l’intention de se soumettre.” Mais ça doit être de la poésie.

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Electa/Leemage

que me veulent ces messages formulés depuis un au-delà poétique de l’histoire ?

Guy Debord (au centre), avril 1959

Debord, magnétique Sur livre-CD, les enregistrements réalisés par Guy Debord de 1952 à 1961, entre poésie et appel à un désordre global.

L’

écru des couvertures Gallimard les fait parfois ressembler à des enveloppes kraft. Laquelle contiendrait ici deux CD à peine séparés par une centaine de feuillets, qui en sont la retranscription, façon dazibao. Deux CD contenant cinq enregistrements magnétiques réalisés par Guy Ernest Debord entre 1952 et 1961. Années décisives qui le virent passer des errances poétiques vécues avec ses amis vagabonds lettristes et autres chiens errants de l’après-guerre à la constitution d’un projet en dur de désordre global et

permanent prôné par la Seconde Internationale situationniste, et dont la portée prendra sa pleine mesure en mai 68. On ouvre donc ce Gallimard-là comme on déchire un colis anonyme, on feuillette le livre, on le renifle (sent-il le soufre ?), on glisse le CD dans l’ordinateur, on écoute ces “conférences industrielles” et autres poésies sonores, toutes réunies sous le même sceau de la clandestinité “situ”. On les passe chez soi, on les teste aussi ailleurs (dans le métro aérien, dans le RER, dans l’avion). Dans des situations où cette

cut-up & aphorismes Comme souvent chez Debord, l’envie domine de tout souligner de ses aphorismes écrits dans une langue acérée. “Nous avons peint avec de la buée sur les vitres, après on efface et on recommence, nous sommes de très grands artistes” est l’un des sommets poétiques des Environs de Fresnes, cut-up de 1952. Histoire de l’Internationale lettriste (1956) ou Le Surréalisme est-il mort ou vivant ? (1958) présentent un Debord préoccupé par les questions de “dérives”. Messages de l’Internationale situationniste (1959) et Perspectives de modifications conscientes dans la vie quotidienne (1961) anticipent sur La Société du spectacle (1967). Ce sont deux “conférences industrielles”. La première était destinée au Stedelijk Museum d’Amsterdam (qui la refusera), la seconde à un groupe de recherche du CNRS (avec qui les situs rompront) : “La vie privée est privée de quoi ?”

parole prend une ampleur autre – on se prend à écouter ça avec la froideur des espions industriels des romans de DeLillo. Ou avec l’étonnement imbécile du destinataire anachronique : que me veulent ces messages formulés depuis un au-delà poétique de l’histoire ? Quel mot d’ordre me glissentils ? Pour quelle situation de désordre à venir sont-ils revenus hanter l’espace invisible ? Mais encore : qu’est-ce qui a merdé dans le processus de dissolution pour que ces bandes, qui sonnent autant comme de la poésie sonore que comme une communication terroriste, soient aujourd’hui devenues archives au lieu de s’être, comme il se doit, autodétruites dans les cinq secondes ? Comme tout ce qui touche à Debord touche également à la contradiction, la bande magnétique comme support n’y échappe pas. Debord, qui en fait au passage la critique, prétendait l’utiliser

sciemment pour deux choses : d’abord, question spectacle, elle ne fait pas semblant de s’adresser à plus qu’à quelques-uns : “Bien sûr les auditeurs n’existent pas, c’est une illusion collective comme Dieu quand il était à la mode.” Et surtout, elle s’efface – surtout ne laisser aucune trace derrière soi. Pourtant, elles sont là. Comme les textes, comme les films, comme les lettres, elles ont survécu, alors que sur la bande des voix blanches, atones, fantômes ne prônent rien d’autre que le passage éphémère de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps. L’importance c’est, au fond, de ne pas insister – “Les vérités qui n’amusent plus deviennent des mensonges.” Qui se plaindra de cette contradiction ? Surtout à l’écoute du plus émouvant de ces enregistrements, le tout premier, celui de 1952, Les Environs de Fresnes. Plaisir une fois encore d’écouter Debord sur ses deux pistes : poétiques (la langue du cardinal de Retz passée au cut-up) et politique (les situs parlent aux situs). Philippe Azoury Guy Debord – Enregistrements magnétiques (1952-1961) (Gallimard), édition établie par Jean-Louis Rançon, 128 pages + 2 CD, 19,50 €

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à quoi sert Philippe Muray ? Cet automne, l’auteur d’Essais s’est vu réhabilité comme grand penseur de notre temps. Et s’il était devenu lui-même le symptôme d’une époque qu’il fustigeait ?



rôle d’époque qui a soudain besoin de ressusciter Philippe Muray, mort en 2006, pour en faire son maître à penser. Et tout cela parce qu’un acteur, le plus cabot de tous, Fabrice Luchini, en a fait un spectacle et que ce spectacle “marche” – bref, Muray, connu pour avoir dénoncé entre autres “l’homo festivus” comme parangon d’une époque, revient au goût du jour parce que fêté par la masse, transformé en spectacle. Un paradoxe qui semble ne pas faire peur à ses défenseurs. Mais peut-être n’en sont-ils pas à un paradoxe près, eux qui n’en finissent pas de stigmatiser, comme leur maître à penser, la gauche “bien pensante” ou la “bonne conscience de gauche” – autant de clichés qu’on s’étonne de voir encore véhiculés par des esprits aussi fins, aussi libres, s’érigeant avec autant de hargne contre les clichés de l’époque.

Car d’après Muray, tout va mal à cause de cet ennemi qu’il nomme “l’Empire du bien” ou encore de ceux qu’il désigne de ce terme nauséabond, les “droits-de-l’hommistes” – soient les vilains gauchistes, qui ont le toupet de contredire ces grands penseurs de droite qui préfèrent les Blancs aux Noirs, les hétéros aux homos, les riches aux pauvres, les Français de souche aux musulmans et les chrétiens aux juifs. A cause de cette diabolique et tellement liberticide “bonne conscience” de gauche, donc, ses adeptes ont voté Sarkozy, et revoteront sans doute pour lui. Ce serait risible si ça n’était pas juste pénible. En attendant, lire ces Essais (Les Belles Lettres), l’épais volume des articles de Muray qui vient de sortir, c’est plonger dans l’enfer asphyxiant, obsessionnel, d’un vieux ratiocineur qui vomit à longueur de textes son mécontentement. On s’attendait à un esprit libre, soit

libéré des clichés et de l’idéologie de l’époque qu’il critique, or les attaques de Philippe Muray visent sans cesse les mêmes cibles : la gauche, les journaux de gauche, les critiques de gauche, les artistes de gauche. Empêtré d’idéologie, il reste le prisonnier d’un autre cliché : les réactionnaires. Dommage. On aurait pu aimer sa misanthropie, son style, sa nervosité. Sauf qu’on finit par se désintéresser de ce qui, au final, ne relève que du billet d’humeur, répété par une grande gueule au café du commerce. Drôle d’époque qui confond la pensée avec l’opinion. Mais ça n’est pas le pire. La vraie perversité du propos de Muray, c’est qu’à force de dénoncer ce qui relèverait d’un esprit de censure venant de la gauche, il distille une forme d’intimidation et de censure soft vis-à-vis de ceux qui ne penseraient pas comme lui. Contredire Muray et ses soutiens, c’est forcément appartenir à la “bonne pensance” qui intime à la “mauvaise pensance”, pardon, à la “libre expression” de se taire. C’est aussi simpliste que ça. Or il n’y a rien de plus pervers que le censeur qui pose en censuré, que celui qui stigmatise sans cesse l’autre et se fait passer pour la victime. On l’a vu depuis plusieurs années, il n’y a pas meilleur argument publicitaire. C’est ainsi que sur la liste du dernier prix Renaudot, le livre auto-édité de Marc-Edouard Nabe a été rajouté in extremis, permettant ainsi à JMG Le Clézio, Patrick Besson et Franz-Olivier Giesbert, ses soutiens, de passer pour de grands défenseurs de la liberté d’expression. Au fond, aujourd’hui, Philippe Muray ne sert peut-être plus qu’à ça : permettre à ses fans de poser en grands libertaires, en vrais rebelles, en non dupes d’une époque, sans voir qu’ils en incarnent les pires poncifs. Philippe Muray est devenu l’accessoire indispensable à tous ceux qui voudraient se nimber de sulfure. Reste pourtant à sauver dans ce volume ses textes littéraires, dont ceux sur Céline, qui comptent parmi ce qu’on a écrit de plus brillant sur l’auteur de Voyage au bout de la nuit. Etrangement, les défenseurs de Muray n’en parlent pas. Nelly Kaprièlian

la 4e dimension l’autre Goncourt de Houellebecq

Kate et William : jackpot royal

Vous aimez les chiens ? Michel Houellebecq aussi, surtout Clément, son corgi. Ce qui lui vaut de rejoindre – aux côtés de Jean-Loup Dabadie et Philippe Labro, s’il vous plaît – le jury du prix 30 millions d’amis, surnommé le “Goncourt des animaux”, qui a récompensé cette année L’Arche de Babylone d’un certain Lawrence Anthony.

Tous nos vœux de bonheur aux éditeurs anglais qui comptent bien renflouer leurs caisses grâce aux épousailles du prince William et de Kate Middleton qui auront lieu le 29 avril prochain. Biographies, albums photo, le couple princier devrait se vendre aussi bien en livres qu’en mugs.

un ministère pour Nick Hornby L’écrivain brit n’a pas rejoint le gouvernement Cameron. Il vient de lancer un ministère des Histoires, soit des ateliers d’écriture destinés aux enfants et animés par des romanciers, parmi lesquels Zadie Smith.

Tom Waits, ce poète Il a toujours refusé ce titre, estimant que le mot poésie était “dangereux”. Mais aujourd’hui, le chanteur à la voix caverneuse passe le cap et s’apprête à publier Hard Ground, un recueil de poésie sur les sans-abri.

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parler le néon Nos villes sont pleines de textes. Les enseignes lumineuses en sont un des principaux vecteurs. Des signes que décrypte l’historien Philippe Artières dans un petit livre hors normes. près s’être ou les archives de la société se construit sur l’idée intéressé à des qui vendait des enseignes que l’infra-ordinaire objets “minuscules” produit du sens et dévoile dans le Paris d’aprèsà l’échelle de guerre, Philippe Artières des mystères cachés à l’histoire classique, comme confère à son récit la forme condition d’en débusquer les tatouages, les d’un tracé curieux, dont les traces. Cette raison banderoles, les cahiers les effets de dispersion graphique comprise autobiographiques, les créent des effets de réel. dans ces microdispositifs lettres de prisonniers ou Ses enseignes lumineuses, d’écriture “imprime à nos les signatures anonymes, tout comme son excellent vies des façons de penser l’historien Philippe Artières blog de “petites enquêtes et d’agir”. Inscrits dans fixe son regard sur les sur l’écrit et ses mondes” une histoire sociale dont enseignes lumineuses, ces scriptopolis.fr, invitent ils sont le symptôme et éclats de feu qui illuminent à reformuler le regard sur la métonymie, ces néons les nuits citadines et les apparences invisibles. racontent quelque chose Jean-Marie Durand éclairent les passants qui de notre rapport à la ville broient du noir. Situé dans et à la modernité. Au point Les Enseignes lumineuses une filiation heuristique qui, que, selon l’historien, – Des écritures urbaines de Walter Benjamin à Jack le politique s’exprime au au XXe siècle (Bayard), Goody, de Georg Simmel cœur de cet infra-ordinaire. 162 pages, 2 1 € à Georges Perec, de Michel Si le néon a aujourd’hui Foucault à Arlette Farge, mauvaise presse à Paris, s’offre à l’imprévu et aux par exemple, c’est qu’il signes ordinaires pour s’oppose à une nouvelle raconter l’époque, l’auteur écologie visuelle, ennemie élargit une forme originale de la débauche de lumière. d’anthropologie de l’écriture En mobilisant les du monde contemporain. souvenirs de ses propres Son “archéologie errances urbaines, de ses d’un savoir graphique” lectures de Patrick Modiano,

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mercredi 1er

Deux poches à ne pas rater. On suit les péripéties de deux professeurs pris dans la fureur du monde : dans Furie de Salman Rushdie (Folio), Malik Solanka fuit l’Angleterre pour New York et délaisse l’enseignement pour fabriquer d’étranges poupées, et dans Brisure à Senestre de Vladimir Nabokov (Folio), Adam Krug, professeur de philosophie, se retrouve seul avec son fils dans l’univers sombre d’une dictature.

à venir

jeudi 2

On décrypte les “microgrammes” de Robert Walser, ces feuillets couverts d’une écriture minuscule retrouvés dans les archives de l’énigmatique écrivain suisse, qui révèlent un pan ignoré de son œuvre. Avec notamment Jochen Greven, premier éditeur de Walser. A 19 h 30 au palais de Tokyo, www.palaisdetokyo.com Salman Rushdie

vendredi 3

Romain Gary disparaissait il y a trente ans. On redécouvre l’univers de cet auteur protéiforme et mystificateur avec l’exposition Romain Gary, des “Racines du ciel” à “La Vie devant soi” (musée des Lettres et Manuscrits, 222, bd Saint-Germain, Paris VIIe) qui réunit cent soixante manuscrits souvent inédits. A noter, le même jour, à 19 heures, une rencontre avec sa biographe Myriam Anissimov, auteur de Romain Gary, le caméléon (librairie L’Arbre à lettres-Denfert, www.arbrealettres.com).

Décidément, Pierric Bailly a l’art des titres. Découvert en 2008 à 25 ans avec un premier roman intitulé Polichinelle – qui mettait en scène une bande de jeunes dans le Jura, parfaitement restitués par leurs voix et leur langage –, le jeune écrivain signera Michael Jackson début janvier. Des chroniques étudiantes vécues par un jeune narrateur qui découvre au passage les relations aux autres et les histoires d’amour. Sortie le 5 janvier

Serge Doubrovsky  Un homme de passage (Grasset) Le maître de l’autofiction, prix Médicis en 1989 pour Le Livre brisé, n’avait rien publié depuis Laissé pour conte en 1999. Il sera de retour en février avec un nouveau roman, Un homme de passage. Ici encore, Doubrovsky fait de sa vie la matière première de la fiction. L’homme de passage en question est juif, français, américain, athée, pieux… En un mot, paradoxal – sinon, il n’y aurait pas de roman. Le livre devrait se diviser en chapitres “thématiques” tels que “Départs”, “Femmes”, “Portes”… Sortie le 2 février

samedi 4

“Avec un habit et une cravate blanche, même un agent de change peut faire croire qu’il est civilisé”, écrivait Oscar Wilde. On s’en convainc avec Savile Row – Les Maîtres tailleurs du sur-mesure britannique, beau livre sur l’élégance made in UK signé James Sherwood et préfacé par Tom Ford. L’Editeur, 256 pages, 59,90 €

On voyage au Chili et dans l’œuvre de Roberto Bolaño, écrivain errant à la vie mouvementée, mort à 50 ans en 2003, qui a bouleversé les codes de la littérature avec des textes comme Des putains meurtrières ou 2666.

dimanche 5

Une vie, une œuvre > France Culture > 16 h

Ron Leshem  Niloufar (Seuil)

lundi 6

On pénètre dans la fabrique littéraire de Laurent Mauvignier à l’occasion d’une rencontre animée par Raphaëlle Rérolle (Le Monde des livres) avec l’auteur d’Apprendre à finir et Des hommes qui, de livre en livre, donne corps à l’absence, au non-dit et aux tourments intérieurs. Ecrire, écrire… pourquoi ?, à 19 h au Centre Pompidou, Paris IVe, www.centrepompidou.fr

On parcourt cinquante ans de l’histoire du crime aux Etats-Unis avec la sortie en poche de Vendetta, du Britannique R. J. Ellory (Le Livre de Poche), thriller suffocant qui tourne autour de l’enlèvement de la fille du gouverneur de Louisiane et réinvente le roman sur la Mafia.

Beowulf Sheenan/Pen American Center

Pierric Bailly  Michael Jackson (P.O.L)

Laurent Mauvignier

Hélène Bamberger

mardi 7

On avait découvert le jeune Israélien Ron Leshem il y a trois ans avec un premier roman impressionnant, Beaufort. Son nouveau livre, Niloufar, se situe à Téhéran et tourne autour d’une poignée de personnages trop libres pour l’Iran, qui s’évadent grâce à internet ou à l’underground iranien (drogue, alcool, abandon du voile, livres interdits, etc.). Leshem irait jusqu’à établir des correspondances entre jeunesse israélienne et jeunesse iranienne. Sortie le 10 février

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le fils prodigue Biographie touchante et élégante du fils de Rembrandt, révélant en creux le portrait de son père, par Robin.

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ils unique de Rembrandt, Titus Van Rijn a beaucoup inspiré son père qui l’a représenté dans de nombreux tableaux. Près de quatre siècles plus tard, il a également joliment enflammé l’imagination de Robin Gindre (ici sous le nom de Robin), illustrateur pour enfants qui signe une biographie fidèle mais romancée du jeune Titus, mort avant son père à l’âge de 26 ans. Robin se concentre sur son enfance et son adolescence, sa vie heureuse à l’ombre de son père, son histoire d’amour, d’abord contrariée, avec sa cousine Magdalena. Titus, finaud, débrouillard et drôle, fait les quatre cents coups avec ses cousines le long des canaux d’Amsterdam, travaille dans l’atelier paternel, n’hésite pas à en découdre avec les apprentis. A travers son destin, Robin esquisse aussi un portrait en creux de Rembrandt. Homme à la fois dur et généreux, bon vivant, coureur de jupons, il est insouciant avec les créanciers, vit au dessus de ses moyens et, malgré les commandes

et les mécènes, entraîne sa loyale famille dans la pauvreté. Dans des Pays-Bas assujettis au poids de l’Eglise protestante – la nouvelle femme de Rembrandt, Hendrickje, est excommuniée pour avoir eu un enfant hors mariage –, et exposés aux épidémies – Hendrickje mourra de la peste –, Titus reste pourtant plein de pep, de courage, d’entrain, ce que Robin dessine d’un crayon tourbillonnant. Dans l’esprit comme dans le trait, il y a beaucoup du Petit Nicolas chez Titus. Avec son rythme enlevé, ses touches d’humour au milieu des moments sombres, ses pages sans cases, libres et légères, Le Fils de Rembrandt combine la poésie et la vivacité de Sempé et le mordant de Pef. En toile de fond, les paysages, l’architecture et les canaux sont tout en élégance minimaliste et expressivité. Dans les portraits peints par son père, Titus arborait souvent un doux et malicieux sourire. Celui qu’éveille la lecture de ce roman graphique touchant et inattendu. Anne-Claire Norot Le Fils de Rembrandt (Sarbacane), 304 pages, 19,50 € 1.12.2010 les inrockuptibles 101

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révolution Tchekhov Avec une farce loufoque où il réunit deux textes aux antipodes, l’Allemand Frank Castorf témoigne grâce à Tchekhov d’un mal de vivre unissant toutes les classes de la société.

V  première festival Reims Scènes d’Europe Foisonnante programmation pour ce festival des arts de la scène qui rassemble cent cinquante artistes, dont pas mal de découvertes et quelques pointures : Krystian Lupa, Christoph Marthaler, Thomas Ostermeier, Alain Platel ou Arno. Du 2 au 18 décembre dans sept différents lieux de Reims, www.scenesdeurope.eu

réservez Kellerman par la Cie Imitating The Dog, texte et mise en scène A ndrew Quick et Pete Brooks Découverte d’une compagnie phare du Royaume-Uni avec Kellerman, un thriller psychologique qui mélange théâtre et cinéma pour dresser le portrait d’un homme rongé par son passé. Les 14 et 15 décembre au festival Made in Britain de Saint-Etienne, www.madeinbritain.fr

éhément, foutraque, populaire et toujours politique, le théâtre de Frank Castorf prône la drôle d’ascèse de la farce pour ramener à l’os la vigueur du propos de son auteur. Un parti pris qui aurait sans nul doute reçu l’imprimatur d’Anton Tchekhov, tant celui-ci s’est toujours plaint de l’impuissance des metteurs en scène à témoigner sur le plateau de la sève comique irriguant ses pièces. Avec Nach Moskau! Nach Moskau!, le directeur de la Volksbühne de Berlin va encore plus loin… Réunissant Les Trois Sœurs et Les Paysans – un hit théâtral planétaire et une nouvelle confidentielle –, il nous rappelle le vaste champ des ambitions politiques et sociologiques du dramaturge russe. Car, si le théâtre de Tchekhov a l’art de rendre compte des bouleversements dans la société bourgeoise de son siècle, sa littérature fait, elle, œuvre politique en s’attachant à décrire la vie des plus pauvres, en l’occurrence celle d’un Lumpenproletariat constitué par le peuple des gueux habitant les campagnes. Avec l’accrochage d’un paysage en toile de fond, Frank Castorf situe son action dans l’enfilade des troncs peints d’un chemin taillé à la hache à travers les fameux bouleaux de la forêt russe. A cour, il construit la terrasse en bois de la luxueuse datcha des Trois Sœurs, à jardin, la cabane en planches des Paysans. Une frontière entre deux mondes qu’il relie par la transparente modernité d’un écran métallique composé de LED, sur lequel des images vidéo et des surtitres en russe viennent s’inscrire en contrepoints ironiques de ce qui se joue sur scène.

Mais la vraie révolution se déroule sur le plateau, et jamais les états d’âme tchekhoviens n’ont fourni le prétexte à de tels débordements. Justesse est donc de rendre hommage au travail des comédiens qui nous comblent à travers les outrances d’un jeu où chaque réplique donne lieu à de fabuleux numéros d’acteurs. Question morceaux de bravoure, aucune des trois sœurs n’est de reste. Qu’il s’agisse de Silvia Rieger (Olga), de Jeanette Spassova (Macha) ou de Maria Kwiatkowsky (Irina), chacune campe son personnage via un humour caricatural frôlant le clownesque. Sans oublier Kathrin Angerer qui, dans le rôle de la pimbêche Natacha, réussit d’un simple “beuh !” à faire se plier de rire la salle. La palme du loufoque revenant à Sir Henry (l’acteur jouant le mari de Macha) quand il nous gratifie de désopilants solos improvisés au piano. Passant d’une distribution à l’autre, la même troupe se retrouve dans Les Paysans… Et comme le regard de Castorf ignore la compassion, c’est à travers cette même énormité de la farce que l’on découvre l’obscène violence dont accouche la misère. Opposant le constat social de Tchekhov à la folle cruauté de son jeu de massacre, Frank Castorf en appelle au final au combat politique comme seule issue pour éclairer l’avenir. CQFD. Patrick Sourd Nach Moskau! Nach Moskau! d’après Les Trois Sœurs et Les Paysans d’Anton Tchekhov, adaptation et mise en scène Frank Castorf, en allemand surtitré, du 3 au 5 décembre au Théâtre Nanterre-Amandiers, www.nanterre-amandiers.com

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liquidation globale Plongée acide et ironique dans notre psyché occidentale désorientée, sur fond de culpabilité allemande et de crise mondialisée. e ton est glacial, parfois cinglant. Il y a une urgence dans la façon dont Stanislas Nordey déroule les motifs qui tourmentent un Falk Richter visiblement en crise. “Crise” aurait d’ailleurs pu être le titre de ce spectacle, explique-t-il. Mais il aurait aussi bien pu s’appeler “Autofiction” ou “Fuck that”. Bref, l’auteur a les boules, pour parler élégamment. Mais est-ce bien de l’auteur qu’il s’agit ? Peu importe, à vrai dire. Car à travers ce portrait d’un artiste au bord de l’effondrement, ce que Falk Richter donne à voir, c’est le sismogramme d’une psyché occidentale déboussolée sur fond de culpabilité allemande. D’où une obsession de la fuite hors de son pays “comme

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Schiller, comme Büchner, plus tard Fassbinder, Romy Schneider”. Constat sans appel d’un héritage trop lourd. Le père dans le coma, le fils repasse le film de son enfance dans un pavillon de banlieue. A Shanghai, dans une chambre d’hôtel, il écoute sur son iPod “ce fatras sentimental de Wagner”. Puis se retrouve en Thaïlande, dans un centre de cure “pour blessés de la guerre économique”. Anne Tismer et Laurent Sauvage ont rejoint Stanislas Nordey sur le plateau. La tension monte. Ils défont, un par un, les éléments du décor constitué de boîtes d’archives, de cartons, de journaux intimes, de livres, de vinyles… Ironie acide d’une liquidation. Faillite générale. Meubles et affaires personnelles jetés sur le trottoir. Violent comme un coup de poing, mais secoué d’un rire profond, un spectacle aussi puissant que remarquablement interprété. Hugues Le Tanneur My Secret Garden de Falk Richter, mise en scène Stanislas Nordey et Falk Richter, les 3 et 4 décembre à Reims, dans le cadre de Reims Scènes d’Europe, et du 8 au 18 décembre au Théâtre des Quartiers d’Ivry

les désarrois d’un prince charmant A travers le romantisme de Kleist, Marie-José Malis en appelle à la résistance d’une jeunesse qui, pour exister, doit en permanence s’opposer au pouvoir et à la réaction. e goût amer Si Marie-José Malis lumière de l’aube, voici des lendemains s’empare de Heinrich le héros d’hier revenant qui déchantent. von Kleist (1777-1811), seul, tel un somnambule, Des cotillons et des l’auteur emblématique sur la petite scène de son confettis jonchent le sol. du mouvement allemand triomphe. Dans ses bras, Des guirlandes de fanions Sturm und Drang (“Tempête un fagot de bois mort. multicolores pendent et Passion”), c’est pour Les lauriers récoltés la encore des plafonds. régler son compte aux veille se révèlent au matin C’est tout près du champ temps présents. Montant déjà secs, aussi cassants de bataille, dans la plus Le Prince de Hombourg, et coupants que du verre… humble des salles des fêtes Le bouillant prince ayant elle nous questionne sur la de village, que le prince nécessité des fils à désobéir vaincu l’ennemi sans en de Hombourg a célébré avoir reçu l’ordre, il va, pour et sur l’inévitable retour sa victoire sur les armées de bâton du pouvoir des ce fait de désobéissance, suédoises. Dans la pâle pères contre lesquels il ne être condamné à mort. faut alors jamais abdiquer. En filigrane, elle met en perspective Mai 68 et la réforme version Sarkozy… Ou comment l’espoir de libération se retrouve à se battre encore au cœur du cauchemar réactionnaire. Nécessaire. P. S.

Jean-Guy Planés

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Le Prince de Hombourg de Kleist, mise en scène Marie-José Malis, au Théâtre de l’Echangeur, Bagnolet, compte rendu. En tournée les 2 et 3 décembre à Pau, les 8 et 9 décembre au Mans http://lallevantina.over-blog.com 1.12.2010 les inrockuptibles 103

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Walid Raad, Index XXVI, 2010

grand atlas vernissages Mondrian/De Stijl Monument clé de la modernité, le mouvement utopiste et transdisciplinaire De Stijl, cofondé par Mondrian en 1917, s’expose au Centre Pompidou. En prime, un focus sur l’atelier de la rue du Départ conçu par Mondrian comme une “œuvre d’art totale”. A partir du 1er décembre au Centre Pompidou, Paris IVe, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr

Isa Genzken A la galerie Chantal Crousel, l’artiste allemande Isa Genzken met en scène une série d’icônes historiques héritées de Leonard de Vinci, du Caravage ou de Dürer aux côtés de figures contemporaines comme Michael Jackson ou de portraits extraits de sa propre cosmogonie. Jusqu’au 22 janvier à la galerie Chantal Crousel, 10, rue Charlot, Paris IIIe, tél. 01 42 77 38 87, www.crousel.com

Florian Pugnaire et David Raffini Pour leur première expo en galerie, Pugnaire et Raffini présentent un ensemble de sculptures évolutives martyrisées à coups de maillet et de sangles. Jusqu’au 8 janvier à la galerie Torri, 7, rue Saint-Claude, Paris IIIe, tél. 01 40 27 00 32, www.galerietorri.com

Au 104, l’artiste libanais Walid Raad déploie une cartographie vertigineuse de l’histoire de l’art dans le monde arabe.



’est par une série de paraboles que Walid Raad nous ouvre les portes de son histoire de la perception. Des microfictions à suivre l’oreille collée à son Audioguide, ou à expérimenter live, tous les soirs, lors de visites performées. A l’image de cette fable prémonitoire, qui nous est contée devant une installation en 3 D étrangement aplatie : l’histoire d’un type qui raconte que le monde est plat et qui refuse d’entrer dans le nouveau musée d’art contemporain d’une ville arabe parce qu’il a peur de se heurter à un mur. Un peu plus loin, face à une maquette d’exposition miniaturisée, Walid Raad raconte comment il a un jour découvert que les œuvres du projet Atlas Group (un label sous lequel l’artiste documente depuis 1999 l’histoire récente du Liban) n’existaient plus qu’en format réduit. Ailleurs, c’est l’histoire de la disparition de la couleur rouge que le plasticien nous relate face à une cimaise qui semble avoir été arrachée des salles d’un musée. Reste que dans les interstices entre les œuvres et ces récits, un autre sous-texte s’est glissé. Celui de l’écrivain et artiste libanais Jalal Toufic dont les écrits fascinent tant Walid Raad. Une notion a retenu son attention, ce que Toufic appelle “le retrait de la tradition après un désastre démesuré”. Ou comment les guerres, au-delà des séquelles matérielles, affectent durablement formes et couleurs. D’où la disparition de la couleur rouge, rendue indisponible, d’où la miniaturisation de certains travaux, indisponibles eux aussi. On n’est pas très loin de la théorie d’Adorno sur l’impossibilité d’écrire après la Shoah. Chez Walid Raad, même le monochrome, “expérimenté comme une surface hautement

cryptée”, devient suspect. Et c’est cette impossibilité de percevoir comme avant, cette “amnésie post-traumatique” que décrit Toufic, qui sous-tend le grand chantier ouvert par Walid Raad en 2007 sous un titre codé Scratching on Things I Could Disavow: A history of art in the Arab World Concept. Fasciné par le développement à vitesse grand V des musées dans les pays du Golfe, Raad défait les idées reçues : “Certains estiment que ce sont des projets d’autocrates qui camouflent leurs activités financières et pétrolières sous le manteau culturel, d’autres qu’il s’agit d’une véritable renaissance de l’art, d’une volonté politique de montrer la diversité et la richesse du monde arabe après le 11 Septembre”. Raad, lui, ne tranche pas, il expose les faits dans leur complexité. Comme pour brouiller encore les pistes de cette cartographie, il introduit une quatrième dimension, mondiale, avec ce portrait d’APT, un fonds de pension pour artiste disposant d’une antenne à Dubaï (lire p. 60). Dans l’expo, il affiche les résultats de quatre ans d’enquête et suit à la trace des investisseurs très inspirés par les méthodes des renseignements israéliens. “S’il donne des éléments d’explication (diagrammes, schémas, plans, vidéos ou organigrammes) sur les intrications complexes actuelles qui existent entre les développements des techniques dans le domaine des statistiques et leurs applications dans la finance”, écrit Hélène Chouteau dans le catalogue, “Raad ne procède jamais par dénonciation directe, mais toujours par assertion et décentrement.” Claire Moulène Jusqu’au 5 décembre au 104/CentQuatre, 5, rue Curial, Paris XIXe, tél. 01 40 05 51 71, www.104.fr

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encadré

hypnotic shows

faire tache Des traces de gras sur les murs, de suie et de poussière : la peinture de la jeune Anglaise Lydia Gifford est salement tenace. ntre la peinture frénétiquement gestuelle, merveilleusement à corps et à crasse, et la peinture pointue, pointilleuse, anguleuse, il n’y a pas grand-chose sur le marché. Encore moins si on se place dans le format du wall painting. Or à présent que la gracile Lydia Gifford, avec son travail tachiste et minutieux (ici et là sur le mur, mais pas n’importe où non plus) expose à la galerie Marcelle Alix, il y a une veine qui s’ouvre. De quoi ça à l’air ? De traces jaunâtres laissées sur le mur blanc par un dégât des eaux, de tâches de doigts brunâtres ou d’effluves de suie noire, ou bien encore d’ombres poussiéreuses marquant, après qu’on l’a bougé, l’emplacement d’un meuble, d’un tableau. Nichée dans les recoins, sa peinture prend la forme de nuées à peine contrastées ou alors de discrètes salissures. C’est une peinture à l’état de sédiment qui reproduit avec insistance le passage du temps sur nos murs, ceux qu’on lessive à coup de Saint-Marc avant de quitter les lieux. Les tableaux sont d’ailleurs dans le même état d’abandon : chaque toile s’ourle joliment entre deux châssis. Mollassonne et flétrie, prématurément vieillie, elle se tient à peine droite, est remise d’équerre par une espèce de cale en bois, et ce drôle d’équipage arbore à sa surface toutes les traces (couleur sauce cocktail) de ses hésitations à faire tableau.

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Judicaël Lavrador

Lydia Gifford, Tie Tie, 2010 (détail). Photo : Aurélien Mole

Lydia Gifford jusqu’au 23 décembre, à la galerie Marcelle Alix, 4, rue Jouye-Rouve, Paris XXe, tél. 09 50 04 16 80, www.marcellealix.com

Séances collectives, médiums, cabinets privés : mais pourquoi tant d’hypnose dans l’art contemporain ? Fermez les yeux, relâchez vos muscles, concentrez-vous sur ma voix, seulement ma voix, laissez-vous guider dans les musées d’art contemporain, suivez ma voix et devenez le visiteur d’expositions intérieures. Vous êtes par exemple à Turin pour la foire Artissima et vous participez à la troisième édition de l’Hypnotic Show organisé par le curateur Raimundas Malasauskas : un médium américain vous conduit dans un parc, un parc de sculptures, selon un scénario écrit par l’artiste Etienne Chambaud, “you walk into a space”, et quand la séance prend fin chacun de vous raconte aux autres les bribes de son voyage intérieur. Vous saviez que l’exposition était un art à part entière, mais vous comprenez que l’exposition est au sens propre un médium. Soudain vous êtes à Toulouse, spectateur unique du Cabinet d’hypnose mis en place par l’écrivain Joris Lacoste au Printemps de septembre, ou alors vous êtes un acteur conduit par le même Joris Lacoste : vous vous aventurez dans un étrange musée du Sommeil, rencontrant un homme congelé dans la réserve, qui s’avère être tantôt vous-même, tantôt l’artiste. Mais restez concentré sur ma voix, suivez-moi dans l’exposition de Pierre Huyghe en 2006 au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, où c’est via un téléviseur que vous décollez mentalement de la chambre d’hypnose organique construite par l’architecte François Roche. Vous êtes en 2005, et pardonnez-moi mais vous êtes Jean-Max Colard, l’auteur de cette chronique vaporeuse, vous êtes ma voix, hypnotisé à la demande de l’artiste Olivier Dollinger par un médium qui vous demande de raconter l’exposition Offshore que vous avez curatée à l’Espace Ricard cette année-là. Voilà, c’est vous, vous occupez toutes les fonctions, de visiteur, commissaire, artiste. “The medium is the message”. Avec l’hypnose, c’est vous, le regardeur, qui faites l’exposition.

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semaine critique de la mode

1 ambiance de fesses Déculottée, punitive, ludique, conjugale, ou sauvage… La fessée a son cérémonial, ses préparatifs et bien sûr ses accessoires, qu’il faudra choisir avec le plus grand soin – une main novice pouvant causer des dommages irréversibles pour l’épiderme. Laissez le fouet à lanières aux plus expérimentés pour jeter votre dévolu sur un paddle en caoutchouc ou une élégante cravache gainée de cuir, disponibles dans toutes les bonnes maisons. Joyeux Noël. Géraldine Sarratia

illustration Alexandra Compain-Tissier

Histoire de la fessée – De la sévère à la voluptueuse de Jean Feixas (Jean-Claude Gawsewitch), 314 p., 29,90 €

2 dans les dents Après le sourcil hirsute et l’IMC inférieur à 16,5, la tendance chez les mannequins est aux dents du bonheur. Cette petite imperfection dentaire portant le joli nom odontologique de “diastème” est en effet le point commun de tous les tops en vogue du moment (Abbey Lee, Lara Stone, Georgia May Jagger, Lindsey Wixon). Les traumatisées des bagues et autres appareils de torture hésiteront donc à porter plainte contre l’Union française pour la santé bucco-dentaire. Géraldine de Margerie

3 les Hells Angels plus forts que la mode On ne blague pas avec les Hells Angels. Ou on finit par le payer. Poursuivie par les Hells Angels pour avoir utilisé sur quatre pièces leur emblème, un joli crâne ailé, la marque Alexander McQueen s’est engagée à détruire ses stocks, et même à récupérer les pièces déjà achetées par ses clients. Cela vaut sans doute mieux pour eux : “Si vous portez l’une de ces pièces sans être membre des Hells Angels, vous risquez fort de contrarier ceux qui le sont”, avait prévenu l’avocat de la bande. Marc Beaugé

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4 une touche écossaise Alors que les pulls norvégiens pullulent et qu’on commence aussi à nous bassiner avec les pulls d’Aran irlandais, orientons-nous dès maintenant vers le pull écossais. Jamieson’s est une marque familiale qui tourne depuis plus d’un siècle. Grâce à son fameux fil 100 % laine de Shetland, la maison écossaise confectionne de magnifiques pulls aux motifs traditionnels particulièrement complexes mais du plus bel effet. Bref l’accessoire indispensable pour un Noël réac ou une raclette au ski. Laurent Laporte

5 tête dure Il n’y a que deux façons d’être élégant à scooter. La solution la plus facile, bien que peu abordable, est de se procurer un casque des Ateliers Ruby. La seconde solution consiste à porter un casque Buco, marque mythique créée en 1933 à Detroit et ramenée depuis peu à la vie par les Japonais de Real McCoy. D’excellente fabrication et d’aspect sobrement rétro, les casques Buco iront avec tout, mais particulièrement avec votre Vespa d’époque. Au fait, il y a aussi une façon de manquer de goût sur un scooter. Elle consiste à porter une marque commençant par Momo et terminant par Design. L. L.

6 la mode du postcamouflage La mode est un éternel recommencement, mais il est vrai que certaines tendances recommencent plus souvent que d’autres. C’est le cas du motif camouflage. Mais aujourd’hui l’occasion est bonne de trouver une alternative au camouflage classique. Le motif tigré utilisé pendant la guerre du Vietnam est parfaitement envisageable, mais le plus ambitieux, et le plus cool, est évidemment le camouflage digital. Inventé par les Canadiens à la fin des années 1980, il a un air mêlé d’inédit et de déjà-vu. L. L.

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certains late shows Les “late night shows” à l’américaine, mêlant humour et actualité, font rêver les programmateurs français. De Pierre Lescure à Arthur, les tentatives se multiplient. La greffe du “late night” est-elle possible ?

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avid Letterman, Jay Leno, Jon Stewart, Craig Ferguson… Autant de noms qui reviennent ces derniers temps comme une litanie dans le paysage télévisuel français. Car si les humoristes s’inspirent ouvertement du stand-up depuis une dizaine d’années, les chaînes de télé hexagonales lorgnent de plus en plus du côté des networks américains. Et pour cause : la France ne possède pas encore de “late show”, devenu pourtant un format international. Soit une émission diffusée tard dans la soirée où l’animateur reçoit des invités dans un esprit mêlant actualité et humour, le tout étant très écrit. L’idée traîne de fait dans les tuyaux des chaînes depuis un bon moment, ce que nous confirme Bruno Gaston, directeur des

l’énergie des night shows vient d’une préparation de A à Z où rien n’est laissé au hasard.

programmes de France 4 (sur le départ) : “Depuis un moment, toute la télé ne parle que de refaire le Daily Show de Jon Stewart, c’est devenu presque une rengaine.” Pour l’instant, ce sont les chaînes du câble et de la TNT qui font office de laboratoire. L’an dernier, Mustapha El Atrassi sur NRJ12 et Yassine Belattar sur France 4 avaient lancé leur propre show. Cette année, c’est au tour de Pierre Lescure avec Tôt ou tard sur Paris Première et d’Arthur (Ce soir avec Arthur) sur Comédie ! de se lancer. Rendez-vous est pris donc avec Pierre Lescure. Il nous avoue rêver de ce projet depuis longtemps : “En voyageant aux Etats-Unis dans les années 1966-67, j’avais été impressionné par Johnny Carson, dont le ton était une sorte de mélange entre Les Nuls et Saturday Night Live. Et à l’époque, travaillait avec lui un jeune assistant qui s’appelait David Letterman.” Pierre Lescure reprend donc les principaux codes du late night (monologue du début, sketch en forme de “Top 5”) et reçoit des

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au poste

Lou Breton

CatherineDe neuve invitée de Tôt ou tard de Pierre Lescure. “L’invité doit se sentir suffisamment à l’aise pour raconter des choses qu’il n’aurait pas racontées autrement.”

artistes. Le but : s’éloigner de la promo pour avoir une conversation la plus intime (et drôle) possible. On peut ainsi voir Jean d’Ormesson mettre une fausse moustache et Jonathan Lambert dessiner sur le canapé. Un ton plutôt bon enfant et chaleureux, que Lescure estime essentiel : “Le late show déroule des aspects des personnalités sous un angle peu coutumier. L’invité doit se sentir suffisamment à l’aise pour raconter des choses qu’il n’aurait pas racontées autrement.” Mais si les petites chaînes permettent de tester des nouveaux formats, leur budget réduit empêche souvent les essais de se montrer concluants D’autant que l’efficacité des late nights est obtenue grâce à des moyens généralement pharaoniques. Lescure tourne ainsi six émissions d’affilée au détriment parfois de l’actualité, car la production a préféré soigner le décor. Sans compter que selon lui, ce type d’émission n’est pas vraiment adapté à un rythme hebdomadaire. “C’est au quotidien qu’on peut vraiment installer un ton. L’émission de Taddéi sur France 3 en est un bon exemple : c’est une ambiance, une qualité de débat qu’on aime plutôt que tel ou tel plateau.” Sur Comédie !, changement d’ambiance. Sur un plateau à l’américaine, Arthur livre un show déjanté qui s’ouvre par des marionnettes et met en scène un panda qui joue du piano. Des comiques issus

du Jamel Comedy Club viennent faire des sketches avec l’invité, Amelle Chahbi en fausse racaille pour Ramzy ou Claudia Tagbo en fausse candidate de Nouvelle star pour Philippe Manœuvre. Mais l’émission vient à peine de démarrer qu’elle est déjà l’objet d’une polémique pour plagiat : Craig Ferguson, l’animateur d’un late show sur CBS, s’est moqué dans son show de l’animateur français en pointant la ressemblance plus que troublante entre le générique des deux émissions Influence trop poussée ? En tout cas l’animateur serait plutôt content de ce coup de projecteur inespéré venant d’une des plus grandes chaînes américaines. Car si l’ambiance du show est décomplexée et sans prétention, les ambitions de l’équipe à terme sont bien de mettre au point une machine suffisamment efficace pour être diffusée tous les soirs à partir du mois du janvier. De fait pour l’animateur de TF1 qui s’est mis à la scène il y a cinq ans, l’énergie vient d’abord d’une préparation de A à Z où rien n’est laissé au hasard. “On construit l’interview avec l’invité. Quand je reçois Alain Delon, je discute avec lui avant, et on décide ensemble qu’il va raconter telle anecdote qu’il n’a jamais dite.” Un travail sur le texte décisif que chapeaute Benjamin Morgaine (par ailleurs un des auteurs d’Une minute avant sur Canal+) “On ne sera jamais meilleur qu’une bande-annonce pour promouvoir quelqu’un. Il faut donc écrire au maximum pour avoir de l’impact.” Scénariser l’émission : soit l’exact inverse de la culture française du talkshow qui cherche à faire de l’audience à coups de “dérapages”. Sauf que ceux-ci se font de plus en plus rares et que l’intérêt du public faiblit. Mais faut-il pour autant adapter le late show à la sauce française ? Stéphane Simon, producteur et fondateur de TéléParis en doute : “Le modèle américain est quasi impossible à reproduire. On est dans une dimension hollywoodienne : les plus grands réalisateurs travaillent pour la télé, Scorsese a tourné pour HBO, les agents des acteurs collaborent avec les auteurs des late shows… Mieux vaut prendre quelques recettes, sans chercher à tout refaire à l’identique.” Sans compter une autre différence culturelle majeure : contrairement aux Américains, les auteurs français n’ont pas l’habitude de travailler en “pool”. Stéphane Simon : “Sur Salut les Terriens, trois auteurs travaillent ensemble pour écrire les vannes d’Ardisson. Mais c’est parce qu’ils se connaissent depuis longtemps. Si on leur mettait Baffie, ils refuseraient !” Le late show serait-il aussi difficilement exportable que le rock ? Wait and see. Marjorie Philibert

la bombe Watkins Le cinéaste remet en cause de façon radicale les médias. En 1967, La Bombe, moyen métrage de Peter Watkins, reçut l’oscar du documentaire. Pourtant ce n’était pas un documentaire mais une fiction postulant une attaque nucléaire sur la Grande-Bretagne. Contrairement au farcesque Docteur Folamour de Kubrick, La Bombe est un récit nourri de faits réalistes, fourmillant d’informations. A la fois ennemi des médias dominants, qu’il accuse d’être asservis à la “monoforme” (terme de son invention désignant les fictions ou documentaires dénués d’esprit critique et adoptant un mode narratif hollywoodien), et proche d’eux par l’approche journalistique de ses narrations, Watkins va parfois très loin dans le vérisme – un de ses premiers courts métrages, Visages oubliés (1961), met en scène de façon confondante l’insurrection de Budapest de 1956. Ce cinéaste britannique à part, souvent censuré pour sa radicalité, son pacifisme, a constamment jonglé avec le vrai et le faux, introduisant dans ses films “un certain nombre d’éléments perturbateurs qui, non sans ambiguïté, en dévoilent le côté construit et fictionnel”. Lorsqu’il reconstitue la Commune de Paris de 1871, il intègre à son dispositif, respectueux de l’époque et de la véracité historique, des équipes de télévision rivales, qui relatent l’événement à chaud. Bien avant certains penseurs actuels, Watkins avait compris que le problème des médias était l’unicité du point de vue (autrement dit la “monoforme”). Avec des films comme Edvard Munch, probablement son chef-d’œuvre, il étudie tout autant la vie intime du peintre norvégien que les problèmes sociaux de son temps. Watkins est un cinéaste vraiment universel car il est l’un des rares à simultanément montrer plusieurs facettes d’une même réalité. Et le monde est pluriel. Rétrospective Peter Watkins. Le Reflet Médicis, 3, rue Champollion, Paris Ve

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“Essayons de ne pas rire avant la fin d’Hamlet” (La Minute nécessaire…, 1984)

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tout Desproges, étonnant non ? Bouquet garni de desprogeries plus ou moins connues, où l’on découvre que l’humoriste n’a rien à envier au chanteur, ni au clown burlesque.



itre très marketing – Pierre Desproges : Intégrale – pour ce coffret de cinq DVD retraçant la carrière de l’humoriste. En fait, si cela inclut la totalité des épisodes de La Minute nécessaire de Monsieur Cyclopède et des Bons Conseils du Professeur Corbiniou, plus deux one-man shows entiers (Théâtre Grévin et Théâtre Fontaine), le reste est extrêmement hétérogène et fragmentaire. En particulier les deux documentaires patchwork. Le plus récent, Je ne suis pas n’importe qui (2008), est d’ailleurs un parfait digest du coffret puisqu’on y trouve des extraits de tous les éléments qui le composent, y compris des extraits du CD de chansons inédites ayant nécessité une savante restauration (les bandes originales

étant de qualité médiocre). L’occasion de constater que Desproges n’était pas seulement celui qu’on croit – un humoriste cinglant au verbe ciselé –, mais aussi un chanteur doué et inspiré, oscillant entre Brassens (son idole) et Bobby Lapointe. Et, contrairement à ses contemporains et amis comiques (Guy Bedos et Thierry Le Luron), c’était aussi un grand burlesque. Voir Les Bons Conseils du Professeur Corbiniou, suite de gags foireux jouant avec la bêtise, ou les moins minimalistes mais éblouissantes “minutes nécessaires” (par exemple, le très beau sketch où il allume une cigarette avec la colère de Dieu). Bohème, potache attardé, et même poète, Desproges avait aussi une face sombre, ennemi du peuple (sa haine du foot) comme de l’intelligentsia

(ses diatribes contre Marguerite Duras). Beauf anar, il tutoyait constamment les limites sans se positionner idéologiquement ni revendiquer une quelconque appartenance à un groupe (“Je pense que l’intelligence est de gauche, mais je ne pense pas que l’intelligence soit la chose la plus importante…”). Aujourd’hui certaines de ses diatribes seraient sans doute impossibles, comme ce spectacle où il s’amusait, certes au second degré, avec les clichés antisémites ; à côté, la réplique, moins drôle, ayant valu à Siné son éviction de Charlie Hebdo, paraît assez soft. Le plus gênant est que, dans le documentaire de Canal+ Desproges est vivant, Antoine de Caunes se croit du coup autorisé d’en rajouter dans le registre

nauséeux (parlant de “barbecue géant à la mode nazie” à propos d’Oradour-sur-Glane). Finalement Desproges était inclassable, à la fois libertaire, anticlérical et Français moyen apolitique. Il reste encore des tas de documents à exhumer et éditer, comme ses interventions parfois mémorables dans l’émission de télé Le Petit Rapporteur de Jacques Martin, où la France le découvrit (son interview de Françoise Sagan reste légendaire). Quant à ses Chroniques de la haine ordinaire et ses Réquisitoires du Tribunal des flagrants délires sur France Inter, on peut les retrouver dans un copieux coffret CD sorti en parallèle. Vincent Ostria Pierre Desproges : Intégrale, 5 DVD, 1 CD, 3 livrets de 20 pages, Studio Canal, 39,99€

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radio

Olivier et Manon animent le Breakfeast Show sur FRL

ici, Londres… French Radio London diffuse ses programmes en français à destination des 400 000 Frenchies qui colonisent la capitale.

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n connaît très bien l’histoire des radios françaises émettant depuis Londres, “les Français parlent au Français” et tout le tremblement. En 2010, venus de Gaule, ils sont 400 000 à habiter la capitale anglaise : Londres est ainsi l’une des cinq plus grandes villes françaises – Sarkozy y avait même fait campagne électorale. Les francophones du Royaume possèdent désormais leur radio, qui diffuse en français depuis Londres. Elle pousse jusqu’aux extrêmes la politique des quotas imposés aux ondes de France par la directive Toubon : sur French Radio London, 80 % des artistes chantent ainsi dans la langue de Gainsbourg. De Johnny aussi : étonnant, quand on peut imaginer que la variété – ce virus robuste qui continue d’empoisonner les ondes françaises – compte parmi les raisons qui ont fait fuir certains de ces expatriés. Pascal Grierson, fondateur franco-anglais de la radio, qui a lancé ses programmes le 17 novembre en DAB (radio numérique terrestre) et sur le net, ne l’entend pas de cette oreille. “Tout le monde n’abandonne pas ses racines en venant à Londres : on peut s’intégrer sans se renier. On va jouer sur la nostalgie, je veux que le cadre français se dise : ‘Ça me rappelle le bac, mon premier boulot, ma fiancée Virginie…’” Il existe, en Angleterre, un cas d’école, qui a prouvé que ce projet n’était pas aussi

“Air, Phoenix et Daft Punk ont totalement changé l’image de la musique de France” Pascal Grierson (FRL)

utopique que ça : le très étonnant succès de la radio française FIP sur la ville de Brighton. Diffusé en FM par un pirate malicieux à partir du flux internet, FIP est ainsi devenu un must dans les bars, magasins et taxis. Une expérimentation que Pascal Grierson utilise en exemple devant ses interlocuteurs, dubitatifs face à une programmation qui englobe la chanson française, mais aussi le jazz d’Afrique occidentale, les sons des Antilles ou le raï algérien. “L’idée n’est pas de faire une radio easy-listening, mais une radio facile à écouter”, martèle Grierson, qui lance sa radio sans la moindre subvention publique. Dotée de sa propre rédaction, FRL centre ses bulletins sur la vie quotidienne des Londoniens, leur offrant bons plans et infos pratiques. Mais elle reste principalement musicale, avec une programmation plus pointue le soir. “Air, Phoenix et Daft Punk ont totalement changé l’image de marque de la musique de France. C’est grâce à eux que les Anglais ont compris que les Français, ce n’était pas seulement le concours de l’Eurovision. Ça a été la révolution.” Le programmateur musique est un vétéran : Robert Lapassade. Révélé avec son groupe Killdozer puis les radios libres, il est depuis trente ans un érudit de musiques noires : compter sur lui pour dénicher les pépites et trésors oubliés. “De Gainsbourg, Jonasz, Camille ou Daho à des trucs obscurs mais ouverts, il a parfaitement compris la philosophie de notre projet”, se réjouit Grierson. On lui demande quel artiste pourrait symboliser l’antenne, la réponse fuse : Jarvis Cocker. “Une émission hebdomadaire de Jarvis Cocker, je la passerais même si elle est en anglais !” Jean-Daniel Beauvallet www.frenchradiolondon.com

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culte

la leçon d’Anatomy Série sémillante éclipsée par ses contemporaines, Grey’s Anatomy mérite d’être réexaminée.

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ls nous énervent à Grey’s Anatomy. Ils nous énervent parce que leur secret n’est pas facile à percer : pourquoi c’est bien ? Comment ça marche ? Depuis six ans, on a parfois délaissé la série, pensé qu’on avait décroché, que ça ne valait ni Mad Men ni Breaking Bad, ce qui est vrai. Puis, un soir de zapping désœuvré, une simple piqûre de rappel et nous revoilà à nous en injecter quatre épisodes à la suite un mercredi soir sur TF1. Puis à être au rendez-vous la semaine suivante. Et encore la suivante. Il faut bien se rendre à l’évidence : bien qu’éloignée de la crème des grandes séries “nobles” contemporaines, la création de Shonda Rhimes est redoutablement bien troussée, parvient à arracher aux plus grognons des sourires inattendus, et à faire pleurer les autres au minimum une fois par épisode – faites le test. Grey’s Anatomy est une machine imparable. Rien à voir pourtant avec l’implacable construction cérébrale de Dr House, ni avec la fluidité douloureuse d’Urgences. Mais déjà, la façon dont Grey’s a réussi à se différencier de cette dernière, tout en étant “sur le papier” exactement la même chose, tient du génie : des médecins et des patients, de l’amour et de la mort. On y rejoue l’éternelle cohabitation télé du

travail et de la vie (West Wing, The Practice, etc.), et cette saison 6 débute avec une nuée de blouses orange qui vient contaminer l’océan de bleu auquel on était habitués : suite à une fusion avec un autre hôpital, le Seattle Grace se repeuple, certaines têtes valsent, d’autres tentent de se faire une place dans le plan, pourtant déjà bien rempli par une dizaine de rôles principaux qui ont le tournis quand ils essaient de se souvenir avec qui ils ont déjà couché. Oui, les lignes narratives prises à froid pourraient ressembler à une telenovela (Grey’s a d’ailleurs inspiré un soap qui cartonne en Colombie depuis le printemps dernier). Mais ici, si on flirte avec le soap, c’est toujours pour en décoller en une pirouette. Les armadas de scénaristes qui écrivent ça sont des équilibristes. Entre eau de rose, finesse ou pathétique des comportements et virtuosité des dialogues, Grey’s Anatomy c’est un peu un “chick flick” retaillé en série. Et puisque le genre s’est considérablement raréfié ces dernières années, heureusement que Meredith la névrosée, ses copines et ses problèmes sont là pour étancher notre soif de comédies sentimentales. La grande force de Grey’s Anatomy, c’est justement d’avoir problématisé le sentimentalisme, d’en avoir fait un enjeu

narratif : à part Izzie (le personnage interprété par Katherine Heigl, la seule à être frontalement fleur bleue), tous les autres ont une peur panique du sentimental. Ils se débattent avec, le rejettent, le questionnent, pour finalement s’y abandonner. Ou pas, comme dans une belle scène de l’épisode 5 où Cristina (géniale Sandra Oh) n’arrive pas à prendre dans ses bras un collègue dévasté par un chagrin d’amour. Il y a toujours au fond du regard d’un acteur, ou niché dans une ligne de dialogue, un air de dire : “Oh non, je ne vais quand même pas tomber dans le panneau !” Comme s’ils se moquaient d’euxmêmes, de leurs flirts de midinettes, de leurs médecins trop beaux pour être vrais. Ils ont l’air de bellâtres de roman-photo à côté du classieux Don Draper de Mad Men ? Ils le savent, et s’en amusent. Leurs histoires sont dérisoires comparées à l’ampleur terrassante de The Wire ? Ils en jouent, conscients de n’avoir que leur légèreté habile à offrir. Et en profitent pour nous voler, quand même, une larme ou deux au passage. Clélia Cohen Grey’s Anatomy, saison 5 en rediffusion sur TF1, lun à ven à 17 h 30 ; saison 6 (inédite en France) en DVD, abc studios, environ 50 €

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brèves Pierce Brosnan revient Vingt-trois ans après la fin de Remington Steele (1982-87) qui lui valut d’être ensuite James Bond, Pierce Brosnan refait le voyage entre grand et petit écran, dans l’autre sens. L’acteur a accepté de participer à une série en développement qui mettra en scène un “fixeur” chargé de résoudre les crises internationales pour des intérêts privés. A l’écriture, Jack Orman, un ancien d’Urgences.

Hurley en prison Jorge Garcia (Hurley dans Lost) a signé pour tenir le premier rôle dans la prochaine série de J. J. Abrams, Alcatraz. Il est le deuxième des ex de l’île à retrouver un boulot à la télévision, après Daniel Dae-Kim (Jin) qui se marre bien dans le remake de Hawaï, police d’état.

come-back

super Selleck

Medium enterrée On ne la regardait plus depuis longtemps, mais l’annonce par CBS de la fin de Medium après sept saisons ravive nos souvenirs d’une série dont on appréciait l’étrange héroïne, interprétée par Patricia Arquette. Comme son personnage hanté par ses rêves et visions, l’actrice semblait directement téléportée depuis ses aventures vertigineuses vécues dans Lost Highway (1997) de David Lynch. Clap de fin le 21 janvier aux Etats-Unis.

agenda télé True Blood (Orange Cinémax, le 7 à 20 h 40) Derniers épisodes de la saison 3 de la série sanguine et sexy d’Alan Ball, en direct du bayou. Même si Six Feet Under (du même auteur) était meilleure, on frissonne devant ce soap pour adultes.

Scrubs (TF6, le 2 à 19 h 10) Bill Lawrence est le scénariste de cette sitcom surréaliste, donc flippante, cruelle et drôle (oui, tout à la fois). On le remercie d’exister. Les Simpson (Canal+, le 1er à 18 h 15) On ne compte plus les années traversées par Homer et compagnie - en fait, 21 ans le 17 décembre ! Tel est le privilège des séries animées : leurs héros ne vieillissent jamais. Nous, si.

Le retour de Tom Selleck dans une série policière new-yorkaise intéressante. epuis quelques années, l’image de Tom Selleck, playboy ambigu et un peu kitsch de Magnum (1980-88), commençait à flétrir légèrement dans la mémoire collective. La vague des séries d’auteur était passée par là. Elle condamnait au rôle de figurants de l’histoire ceux qui appartenaient à la télé d’avant, la télé sans qualités. Avec ses chemises hawaïennes ouvertes et ses jeans très, très serrés, Selleck ne manquait pourtant pas de charisme. Une raison suffisante pour donner envie de regarder une série. C’est ce qu’on sans doute pensé les boss de la chaîne CBS en offrant à l’ex-roi maudit (presque 65 ans désormais) un premier rôle dans leur nouveau drama policier, Blue Bloods. Un carton chez le public “adulte”, dit-on poliment dans les études de marché, ce qui signifie que les contemporains de l’acteur adorent tandis que les jeunes s’en foutent. Par la force des choses, rangeons-nous du côté des vieux : Blue Bloods est plutôt une bonne surprise dans la cohorte morose d’une rentrée inquiétante en dehors de l’oasis du câble. Située à New York, elle raconte la vie d’une famille de flics de père en fils, autour d’un patriarche mélancolique - Tom et sa moustache, donc. Sa force réside dans sa propension naturelle à dévier de la ligne ordinaire des enquêtes à rebondissements que proposent les autres séries, pour se figer par moments dans la pure observation d’une dynamique familiale à la fois effrayante et gracieuse. Pour faire court, disons que Blue Bloods se souvient des films de James Gray. Plutôt une bonne idée.

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Olivier Joyard Blue Bloods, sur CBS le vendredi. En VOD sur m6vod.fr 1.12.2010 les inrockuptibles 115

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Claudio Hils/BCE

émissions du 1er au 7 décembre

Guerre d’Irak : les dossiers secrets Documentaire de Mark Sigsworth. Lundi 6 décembre, 22 h 35, Canal+

Les documents révélés par wikiLeaks dévoilent le vrai visage de la guerre.

INA, collection Agid

littérature

Le 22 octobre dernier, le site Wikileaks rend publics près de 400 000 documents révélant les exactions d'une armée prétendant amener la démocratie dans ses bagages. Bavures, tortures, usage disproportionné de la violence, 109 000 morts irakiens, dont 66 000 civils. Une véritable bombe médiatique qui amène une équipe de journalistes à se rendre sur place pour rencontrer des témoins. Cette autopsie de la guerre dénonce les méthodes du Pentagone et mène au constat de la montée d’Al-Qaïda dans le pays. Un aveu d‘échec que l’armée américaine aurait préféré garder secret. A. S.

double je Récit incarné de l’une des plus grandes mystifications de l’histoire littéraire : la création d’Emile Ajar par Romain Gary.

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Romain Gary, le roman du double Documentaire de Philippe Kohly. Jeudi 2 décembre, 22 h 50, France 2

Documentaire de Jean Quatremer et Jean-Michel Meurice, mardi 7 décembre, 22 h 35, Arte

L'euro pourra-t-il surmonter la crise ? Dix ans après sa mise en place, la monnaie européenne est menacée : comment en est-on arrivé là ? Jean Quatremer, de Libération, et Jean-Michel Meurice décryptent les mécanismes qui ont mené l’Europe monétaire à la limite de l’explosion. Les principaux ministres des Finances de l’Union se succèdent pour rendre compte des réunions et des sommets internationaux à répétition, au printemps 2010, pour tenter d'enrayer la spirale de la crise. Faute de gouvernance, la monnaie européenne n’était en effet pas du tout prête à faire face à une attaque de cette ampleur, malgré les alertes de certains analystes. Marine Lonchambon

Chroniques de la Mondaine Documentaire de Laurent Portes. Jeudis 2 et 9 décembre, 20 h 40, Planète

Sunset Presse

ie et mort d’Emile Ajar, l’ultime livre de Romain Gary paru après son suicide en décembre 1980, se concluait ainsi : “Je me suis bien amusé. Au revoir et merci.” Révélant enfin la supercherie qui aura tenu plus de sept ans, Gary en avait fini avec Ajar en même temps qu’il en avait fini avec ses souffrances, sa solitude, ses mensonges. S’était-il vraiment amusé ? Cette double identité, masquant un lointain et profond sentiment de perdition, avait-elle soulagé ses manques ou accentué ses blessures ? C’est la quête d’une renaissance se retournant contre elle-même qu’interroge Philippe Kohly dans une enquête inspirée, nourrie de nombreuses images d’archives de l’écrivain dandy et de témoignages d’acteurs clé de l’affaire, dont Paul Pavlowitch, son petit-cousin qui endossa les habits d’Emile Ajar. Jouant à la fois sur le tableau de l’exploration de l’œuvre littéraire de Gary et celui, plus complexe et secret, de sa biographie et de ses affects, Kohly tente de saisir les mécanismes de cette mystification. “Qu’est ce qui fait courir Gary ?”, demande-t-il. En inventant en 1974 l’écrivain Ajar – prix Goncourt pour La Vie devant soi en 1975 –, Gary a réussi à tromper tout le monde, y compris lui-même. “Vivre, c’est tirer les ficelles”, lui avait appris sa mère tant aimée. Mais sa pratique compulsive de l'écriture ne compensa jamais son vide intérieur. “Je suis le fils d’un homme qui m’a laissé toute ma vie en état de manque”, confiait-il. S’il avait voulu avec Ajar se délivrer de lui-même, Gary n’était en fait “plus personne”, estime Pavlowitch. En inventant des personnages dans ses romans et dans sa vie, il ne fit qu’entretenir la confusion entre l’imagination et la manipulation, entre lui et ses démons intérieurs. Il fut toujours un autre, un égaré, rêvant d’une plénitude que la littérature et l’amour auraient pu accomplir s’ils n’avaient été troublés par la mélancolie. Jean-Marie Durand

Euro, quand les marchés attaquent

Une histoire de la police des mœurs. Une unité très spéciale : la brigade mondaine. A partir de 1901, cette police des mœurs surveille la prostitution. Un monde où s’entremêlent bandits et politiques, drogues et argent, notables et anodins. A l’époque, une centaine de maisons closes anime la capitale en toute légalité jusque sous l’Occupation. Les nombreux secrets échangés sous leurs toits sont retranscrits sur les “blancs”, ces papiers anonymes et sans en-tête, rédigés par la Mondaine. Le tout-Paris est ainsi mis à nu dans les coffres de la préfecture. Mais à quel prix se monnayent ces renseignements très intimes ? Ce riche documentaire en redessine le contexte en portraits croisés. Alexandre Seba

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Green Documentaire de Patrick Rouxel, dimanche 5 décembre à 20 h 35, France 5

le X de A à Z Nouvelles tendances d’une industrie qui ne connaît pas la crise.

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vec 10 000 films produits chaque année et 68 millions de requêtes enregistrées chaque jour sur le net, l’industrie du cinéma X surfe sur une demande exponentielle. Dans une enquête ludique et documentée, nourrie d’extraits de films, Olivier Ghis, rédacteur en chef du Journal du hard, dresse la cartographie des multiples tendances lourdes de ce business juteux. Sa visite guidée met à nu les nouvelles lignes narratives du X et dévoile beaucoup de gros seins et de derrières affriolants, de gadgets sophistiqués (la “fuck machine”), de parodies de films de genre, de scènes tournées en public dans la rue...

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De l’accent local au filon naturaliste et amateur, du film “point of view” où la réalisatrice Katsuni est derrière et devant la caméra, au filon cougar (les femmes mûres), des exploits de notre hardeur national Tony Carrera à ceux d’un sidérant équilibriste du cul japonais, des films de rollers aux films de prisons, des secrétaires aux femmes à lunettes, de la 3D au “squirting” (des éjaculations féminines, très en vogue), Olivier Ghis explore toutes les vagues qui déferlent aujourd’hui sur le X. Un paysage inondé, très peuplé et très visité. JMD

Le regard d’une dame ourang-outan pour dénoncer l’exploitation de la nature. En pleine jungle indonésienne, Green, femelle ourang-outan, a été captureé : les poings et les pieds entravés, allongée dans un baraquement, elle observe à travers la fenêtre les machines et le bruit des hommes. Patrick Rouxel l’observe de près, comme s’il filmait une femme endormie, s’attache à ses regards flottants dont il essaie de faire partager l’intensité aux téléspectateurs. Par un étrange dispositif, qui ne dit rien de son mode d’élaboration, le film épouse le regard “mental” du singe pour explorer les mécanismes de la déforestation et de l’exploitation de la nature. Le montage parallèle de ce mauvais rêve de singe et de la réalité d’un environnement massacré nourrit ce film écolo, largement récompensé à travers le monde. JMD

Demain le hard Documentaire d’Olivier Ghis. Samedi 4 décembre à 0 h 15, Canal+

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Laurent Bazart

enquête

des tablettes à ne pas oublier Malgré l’effervescence autour de l’iPad, les tablettes ont du mal à décoller. Mais avec l’amélioration des produits et des applications, les choses pourraient changer.

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nnoncées comme la révolution numérique de 2010, et malgré l’ébullition médiatique autour de l’iPad, les tablettes semblent encore peu installées dans les habitudes et dans les foyers. L’iPad est incontestablement celle qui se vend le mieux. Apple a annoncé fin septembre en avoir vendu mondialement 7,5 millions d’exemplaires depuis son lancement en avril, et les cabinets d’analyse prédisent des ventes au quatrième trimestre oscillant entre 5 et 6 millions d’unités (en France, les ventes pourraient notamment être dopées par la commercialisation prochaine de la tablette, subventionnée, dans les boutiques Orange et SFR). Des chiffres peut-être pas impressionnants mais l’iPad représente quand même 95 % des ventes de tablettes au troisième trimestre (Strategy Analytics). Car si l’iPad laissait présager un engouement des constructeurs pour les tablettes, le choix est encore maigre. Après Dell qui a lancé sans bruit cet été sa petite tablette Streak sous le système d’exploitation Android, Samsung vient de commercialiser en novembre le Galaxy Pad (sous Android) et espère en vendre plus d’un million d’ici à la fin de l’année – la firme aurait toutefois déjà diminué de moitié la production prévue selon le cabinet Rodman & Renshaw LLC. Lancée fin octobre, la tablette Slate de HP (sous Windows) aurait été précommandée 9 000 fois. 2011 sera mieux fourni, avec les tablettes de RIM (le Playbook), Motorola, LG, Lenovo…

La lenteur du marché à décoller peut s’expliquer par les prix des appareils (entre 500 et 700 € hors offre opérateurs), mais aussi par le faible développement des applications. Si Apple s’est déjà bien attaqué au problème depuis le lancement de l’iPad, les applications pour smartphones sous Android ne sont pas optimisées pour les écrans plus grands des tablettes, et les applications créées spécialement pour tablettes sous Android ne sont pas encore très nombreuses. Les développeurs attendent certainement la première version d’Android spécialement conçue pour les tablettes, Honeycomb, qui devrait arriver début 2011. Mais surtout, les tablettes n’ont pas encore un usage bien défini, contrairement aux portables (téléphone et SMS) et aux smartphones (rester connecté à son réseau). Cet usage qui les rendra indispensables reste encore à construire. Une étude de l’agence de marketing FullSIX en octobre montre que l’iPad est principalement utilisé à domicile et n’est donc pas un outil très mobile. Pour 51 % des sondés, il sert à titre à la fois personnel et professionnel, pour une utilisation quotidienne moyenne de 2 heures . 91 % s’en servent pour le web, les réseaux sociaux et les mails, 83 % pour consulter de l’info, 69 % pour regarder des

les tablettes pourraient cannibaliser les ventes de netbooks

films, séries et vidéos, tout ce qu’on fait avec un ordinateur. Les analystes restent optimistes. Le cabinet Gartner estime que 19,5 millions de tablettes auront été vendues en 2010 dans le monde et que ce chiffre passera à 54,8 millions fin 2011 puis à 154 millions fin 2013. D’après Carolina Milanesi de Gartner, les tablettes sont plus proches par leur usage des smartphones que des ordinateurs et devraient devenir indispensables. “On y met des applications, on joue, on regarde de la vidéo, on lit des livres et des magazines, on surfe sur le web, on met a jour ses statuts, on checke ses mails. Si on peut faire tout ça sans attendre cinq minutes que l’ordinateur s’allume, sans devoir chercher une prise parce que la batterie dure longtemps et grâce à une interface qui permet de trouver facilement ce que l’on cherche, pourquoi ne pas acheter une tablette ?” En cela, elles pourraient bien cannibaliser les ventes des netbooks, qui ont chuté de 25 % au troisième trimestre en Europe (IDC). Mikako Kitagawa (Gartner) note qu’au même moment la croissance des ventes de PC, notamment portables, a été ralentie par la hype autour des tablettes. Les clients attendraient l’arrivée de plus de tablettes avant de se décider. Alors qu’Apple triomphe aujourd’hui faute d’opposants, cela risque de changer l’an prochain avec l’arrivée de nouvelles tablettes et de la nouvelle version du système d’exploitation Android. Mais d’ici là, qui sait si la firme de Cupertino ne sera pas passée à un iPad 2 plus performant… Anne-Claire Norot

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in situ l’info c’est bô

le premier jour

Information is Beautiful présente des données originales sous forme de graphiques. Comme les différentes variétés de relations intimes entre les gens ou, dans un autre registre, les procès des grandes entreprises de télécoms. Autre proposition : dans quel domaine chaque pays du monde est-il le leader ? On apprendra que c’est l’ecstasy aux Pays-Bas, les serial-killers aux Etats-Unis, la césarienne en Italie et la betterave sucrière en France… informationisbeautiful.net

Le jour de votre naissance n’est pas un jour comme les autres, surtout pour vous. Grâce à l’INA et Dailymotion, il est désormais possible de visionner le journal télévisé du premier jour de sa vie. Pour voir ou revoir ce qui a marqué l’histoire en même temps que votre arrivée au monde… Mais seulement à partir de 1971. dailymotion.com/sas/jtn#

réseau protégé Un réseau social qui protège votre vie privée, ça existe. Minimaliste, Path permet de reformer son cercle le plus intime avec un nombre de contacts limité à cinquante. Hic : seuls les détenteurs de iPhone peuvent pour l’instant en profiter. path.com

fin de séance Quoi de plus horripilant que le petit malin qui raconte la fin d’un film ? Pourtant, ce site choisit délibérément de nous raconter les cinq dernières minutes de classiques ou de sorties récentes. Les dénouements sont flingués avec humour et bonne humeur. Un contre-pied réjouissant. wordpress.la-fin-du-film.com

la revue du web Mediapart

Slate

New York Times

la pub nuit à la planète

housewives en péril

Bagdad by night 

Si la planète est en péril, c’est la faute à la publicité ! Pour Michael Löwy, sociologue et chercheur au CNRS, c’est la course à la productivité qui a conduit au phénomène critique du changement climatique. Pour s’en sortir, ébauche de solution : réintégrer une once de morale dans la production et la consommation, à commencer par se détacher de l’obsession consumériste. Un seul remède : la suppression de la publicité, dangereux ennemi de l’environnement. En route vers une société postcapitaliste. http://tinyurl.com/394zekv

La “femme au foyer” existet-elle toujours ? Derrière ce terme un peu fourre-tout, on retrouve des femmes actives qui n’ont plus grand-chose à voir avec le rôle de ménagère tel qu’on l’entendait autrefois. Le débat intervient alors que Sarah Palin, ex-gouverneur de l’Alaska, se qualifie elle-même sur Facebook de femme au foyer. Elle passe pourtant plus son temps du côté des plateaux de télévision et des locaux du Tea Party qu’à la maison à s’occuper des enfants. Et si la femme au foyer n’avait jamais existé ? http://tinyurl.com/26sm3ww

Alors que la vie nocturne semblait reprendre à Bagdad, une série d’attentats a gâché la fête. Sortir le soir est devenu un défi pour les Irakiens. Ceux qui s’y risquent le font souvent la peur au ventre. Car les terroristes n’hésitent pas à frapper les lieux les plus fréquentés. Conséquence, de nombreux établissements sont désertés. Mais les Bagdadis tentent cependant de mener une vie normale. C’est le cas d’Haidar, 39 ans, qui continue d’aimer sa ville la nuit, car “personne ne pourra nous empêcher de vivre”. tinyurl.com/36oaqpn

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vu du net

(re)visitez la Corée du Nord La Corée du Nord envoie des obus au Sud et fait du remue-ménage sur le net inistre du tourisme de Corée moderne, qui a tout pour plaire. Jugez du Nord n’est certainement pas plutôt : un métro au charme vintage qui le métier le plus facile au monde. compte pas moins de deux lignes Pensez un instant à ce pauvre (pyongyang-metro.com, photos de voyage homme dont les efforts réguliers pour sur bit.ly/8Ypvd5), des PDA (personal digital améliorer l’image de son pays sont, tous assistant) en pagaille (mais oui, mais oui les trois mois en moyenne, réduits à néant des PDA ! selon le blog northkoreatech.org : par les coups d’éclat de son facétieux bit.ly/eOeEq5), une industrie du film patron, néanmoins parfaitement rationnel, florissante (bande annonce du Journal si l’on en croit le politologue Pascal Boniface d’une Nord-Coréenne, qui est parvenu sur nouvelobs.com : bit.ly/eM2LzV. jusqu’à nous en 2008 : youtu.be/ C’est vrai, à quoi ça sert de faire un site DvOlyvTJDSw), des studios d’animation officiel des plus avenants (korea-dpr.com), où il fait bon vivre (comme en témoigne un fil de dépêches hyper à jour (bit.ly/ Banksy dans sa parodie de générique bC9vOb), une page Facebook follement des Simpsons, youtu.be/DX1iplQQJTo, populaire (tinyurl.com/27whgc8), ou Guy Delisle dans sa BD Pyongyang, une chaîne YouTube pleine de clips à faire bit.ly/ihIQ8V), des pop-stars en veux-tu passer Groland pour CNN (youtube.com/ en voilà (bit.ly/7MKLE5) et même une uriminzokkiri) et même un compte Twitter Star Ac’ sacrément plus efficace que tous (twitter.com/uriminzokkiri) full of lol les guitar hero du monde capitaliste (youtu. (si quelqu’un comprend ce qui se dit sur be/njG_dQC-cnk). Sans parler de l’équipe twitpic.com/392vjo, merci de nous écrire), de foot nationale, les fameux Chollimas si c’est pour que le boss ruine tout avec qui font trembler autant leurs voisins une poignée de roquettes balancées (korea-is-one.org : bit.ly/i2HhU0) que les un peu à la légère (bit.ly/hCdk1b) ? entraîneurs ayant la mauvaise idée de Pourtant, la Corée du Nord est un pays les faire perdre (un modèle de motivation

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pour la FFF ? bit.ly/ajFJUa). Alors pourquoi personne ne s’en rend-il compte, comme le déplore l’impartiale association amitiefrancecoree.org ? Aurait-on déjà oublié l’enthousiasme de la “délégation de très haut niveau” (bit.ly/aIAVqJ) que les caméras du magazine Strip-Tease avaient suivi dans ses pérégrinations en 2000 ? Il en est un, en tout cas, qui ne va pas tarder à goûter aux joies des stades nord-coréens, grâce à la sollicitude des internautes appelés à choisir où débutera sa tournée : le bon Justin Bieber (gaw.kr/ c4XqI6). A ce qu’on dit, Kim Jong-il aurait déjà booké sa soirée et passerait son temps à réviser les paroles (Team America : youtu. be/xh_9QhRzJEs). Jacky Goldberg

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The Gift d’Hafiz Lire les merveilleux poèmes de ce maître soufi ancien m’aide constamment à avoir une vision d’ensemble...

Ronroco de Gustavo Santaolalla C’est un ami qui m’a fait écouter ce disque, et ça m’a instantanément époustouflée. Ça faisait longtemps que je n’avais pas été aussi émue par un disque.

Bruce Springsteen The Promise Un double album gavé de musique inédite et éblouissante, chaînon manquant entre Born to Run et Darkness.

London Orbital d’Iain Sinclair Une exploration fascinante des zones satellites de Londres.

Arrête-moi si tu peux de Steven Spielberg En ce qui concerne le cinéma, je suis toujours un peu en retard. Le dernier film qui m’ait impressionnée est Arrête-moi si tu peux. Davíð Þór Jónsson, qui joue dans mon groupe, n’arrêtait pas d’en parler, notamment à cause de la BO. J’ai donc décidé qu’il fallait que je vérifie par moi-même, et je n’ai pas été déçue. recueilli par Anne-Claire Norot

The Swimmer de Frank Perry Chronique des vanités bourgeoises dans l’Amérique sixties. Un grand film de 1968, peu vu.

Memory Lane de Mikhaël Hers Un premier long métrage touchant sur la fin des amitiés adolescentes.

Inside Job de Charles Ferguson Un documentaire à charge sur les ravages causés par la haute finance. Solide et instructif.

Glasser Ring Des morceaux glacés qui inventent de nouveaux continents.

Brian Eno with Jon Hopkins & Leo Abrahams Small Craft on a Milk Sea Une certaine vision du rock comme machine à manipuler et à faire exulter les sens.

Le Club de Leonard Michaels Des hommes qui parlent du couple et de sexe. Le livre le plus connu de l’auteur, lucide et désabusé.

Le Jour du marché de James Sturm Un roman graphique limpide sur les aléas du progrès.

Nord de Frederick Busch Le dernier roman d’un écrivain mort en 2006, qui clôt une œuvre désabusée.

The Jolly Boys Great Expectation Amy Winehouse, New Order et Lou Reed repris en mento, ancêtre bambochard du reggae. Le Règlement de Heather Lewis Un premier roman trash et violent, autour de marginaux rompus aux concours équestres.

Jean-Luc Godard Neuf films inédits en DVD. Jean-Pierre Melville Six films de l’inégalable réalisateur du film noir français. Budd Boetticher Le maître du western de série B sec et bouillonnant en cinq films.

Milady de Winter d’Agnès Maupré L’intrépide Milady de Winter sort de l’ombre des trois mousquetaires sous la plume vive d’Agnès Maupré.

La Fille du bureau de tabac de Masahiko Matsumoto Un recueil de nouvelles douces-amères sur les mutations du Japon des sixties.

Levée des conflits chorégraphie Boris Charmatz Théâtre de la Ville, Festival d’automne à Paris Affolement chorégraphique et dérèglement des sens : cette Levée fera date.

Julius Caesar mise en scène Arthur Nauzyciel TGP de Saint-Denis Arthur Nauzyciel réunit dans la mort les destins de Jules César et de John F. Kennedy.

Gardenia mise en scène Alain Platel et Frank Van Laecke Théâtre de Chaillot, Paris Anciens travestis, ils rejouent la dernière représentation de leur cabaret.

Vera Palsdottir

Outrage de Takeshi Kitano Ex-grand cinéaste toujours convalescent, Kitano signe son polar le plus cruel et malfaisant.

Olöf Arnalds La chanteuse islandaise Ólöf Arnalds vient de sortir un nouvel album, Innundir Skinni.

Tomo Savic-Gecan Jeu de Paume, Paris Entre Bergen et Paris, le Croate Tomo Savic-Gecan fait interagir de façon quasi insensible deux espaces identiques. Vertigineux.

Sindrome italiana Le Magasin, Grenoble La jeune scène artistique italienne fait preuve d’une vitalité étonnante.

The Host and the Cloud Galerie Marian Goodman, Paris Ni théâtre filmé, ni performance, ni documentaire, ni fiction, ni cinéma, ni exposition, la dernière œuvre de Pierre Huyghe est pourtant tout cela à la fois.

Fable III sur Xbox 360 Le game designer Peter Molyneux continue de réinventer le jeu de rôle.

Super Scribblenauts – Les Enigmes de Maxwell sur DS Un carnet, un stylet et une imagination fertile : les outils singuliers de ce jeu qui suscite toujours l’émerveillement.

Vanquish sur PS3 et Xbox 360 Pyrotechnique et futuriste, un jeu de tir dont la légèreté assure la réussite.

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